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RECHERCHE-CRÉATION
EN MUSIQUE
Institution, définition, formation
Les enjeux
de la recherche-création
en musique
Institution, définition, formation
Les Presses de l’Université Laval reçoivent chaque année du Conseil des Arts du Canada et de la
Société de développement des entreprises culturelles du Québec une aide financière pour l’ensemble
de leur programme de publication.
Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du
livre du Canada pour nos activités d’édition.
ISBN 978-2-7637-1950-4
ISBN-PDF 9782763719511
ISBN-ePUB 9782763719528
Toute reproduction ou diffusion en tout ou en partie de ce livre par quelque moyen que ce soit est inter-
dite sans l’autorisation écrite des Presses de l’Université Laval.
Table des matières
Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . IX
Préface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XI
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1
Chapitre I
Art, culture et création musicale à l’université :
des enjeux de société . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
Quatre constats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
Constat 1 : la création musicale n’est pas de la recherche
scientifique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
Constat 2 : un concert de musique n’est pas une publication
scientifique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37
Constat 3 : la recherche-création n’est pas une contemplation
de soi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
Constat 4 : la recherche-création, c’est le projet, pas l’individu . . . 47
Université et conservatoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
Créer à l’université . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
Conservatoire de musique et université : différences et
complémentarité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54
Entre culture de conservatoire et culture universitaire . . . . . . . . . 61
Les valeurs de l’université d’aujourd’hui . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
VIII Les enjeux de la recherche-création en musique
Chapitre II
Définition de la recherche-création en musique . . . . . . . . . . . . . . . 77
La composition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88
L’interprétation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89
Quelques projets de recherche-création en musique . . . . . . . . . . . . . . 91
« Conception et réalisation de pièces populaires conçues
pour voix d’opéra féminine » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
« Une critique génétique du processus créateur en musique :
le cas de Phénix du trio actualiste Les Poules » . . . . . . . . . . . . . . . 99
« L’ethno-pop selon Tanya Tagaq : une démarche artistique
comme manifestation d’un équilibre social chez les Inuits » . . . . . 108
« Remixer la chanson québécoise » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118
Définition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122
Chapitre III
Enseigner la recherche-création en musique à l’université . . . . . . . 125
La formation de recherche-création en musique . . . . . . . . . . . . . . . . . 128
Le profil des étudiants en musique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 128
Le séminaire « Introduction à la recherche-création » . . . . . . . . . . 129
Le contenu de la formation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131
Le développeur culturel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135
Enseigner la recherche-création en musique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139
Quand faire, c’est connaître pour re-présenter . . . . . . . . . . . . . . . 141
S’engager dans son apprentissage et son enseignement . . . . . . . . . 146
La collaboration . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171
Ce que l’on attend des organismes subventionnaires . . . . . . . . . . . . . . 172
Interdiscipline . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 183
Médiagraphie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 187
L
es auteurs tiennent à remercier le Conseil de recherches en sciences
humaines du Canada (CRSH), le Fonds de recherche du Québec
– Société et culture (FRQ-SC), ainsi que l’Observatoire interdisci-
plinaire de création et de recherche en musique (OICRM) pour leur soutien
financier. Merci également à Yannick Lapointe, étudiant au doctorat à la
Faculté de musique de l’Université Laval sous la direction de Serge Lacasse,
pour le travail de compilation d’ouvrages qu’il a effectué dans le cadre de nos
programmes de recherche subventionnés. Nous remercions aussi tous les
techniciens et artistes qui collaborent à nos projets de recherche-création.
Préface
S
ophie Stévance et Serge Lacasse, tous deux professeurs de musicolo-
gie à la Faculté de musique de l’Université Laval et spécialistes de
renommée internationale, entre autres dans le domaine de la
recherche-création en musique, proposent un essai scientifique hautement
pertinent autour de cette discipline encore mal comprise ou mal interprétée,
autant par le milieu universitaire que par les organismes subventionnaires de
recherche. Reposant sur une réflexion rigoureuse et une analyse approfondie
du sujet, leur ouvrage, Les enjeux de la recherche-création en musique. Institu-
tion, définition, formation, plonge le lecteur au cœur de questions fonda-
mentales touchant cette discipline qui s’est intégrée au discours universitaire
depuis une quarantaine d’années. Qu’est-ce que la recherche-création en
musique ? Qu’est-ce qui la caractérise ? Qu’est-ce qu’un chercheur-créateur ?
Pourquoi la recherche et la création, deux disciplines qui se sont si long-
temps ignorées, ont-elles décidé de mettre un trait d’union entre elles ? Quel
est le rôle du créateur ou celui du chercheur mobilisé au sein d’un projet de
recherche-création ? Le créateur est-il un chercheur ? Quelles sont les fonc-
tions de la création et de la recherche dans la réalisation d’un projet de
recherche-création ? Comment peut-on enseigner la recherche-création en
musique à l’université ? Voilà autant de questions auxquelles Stévance et
Lacasse apportent des réponses concrètes et fondées pour mettre de l’ordre
dans le fouillis intellectuel qui caractérise trop souvent cette discipline, peut-
être même la création en tant que discipline universitaire et le rôle de la
recherche au sein d’une faculté de musique. Pour ce faire, les auteurs expli-
quent, point par point, les mythes, les incompréhensions, les duperies, les
incohérences et les incongruités que l’on retrouve, encore en 2013, dans le
discours universitaire ou gouvernemental au sujet de la recherche-création
XII Les enjeux de la recherche-création en musique
2. À ce sujet, voir Hazel Smith et Roger T. Dean (ed.), Practice-led Research, Research-led
Practice in the Creative Arts, Édimbourg, Edinburgh University Press, 2009, p. 8.
XIV Les enjeux de la recherche-création en musique
3. http://www.fqrsc.gouv.qc.ca/fr/bourses/programme.php?id_programme= 16#evalua-
tion (consulté le 16 mai 2013) : Excellence du dossier universitaire (6 pts) ; Aptitude
et expérience en recherche (6 pts) ; Qualité et intérêt scientifique du projet de recher-
che (8 pts).
4. Pour l’instant, seules l’Université de Montréal et l’Université McGill offrent un docto-
rat professionnel de type D.MUS. Il est également prévu que l’Université Laval l’offre
bientôt.
5. À titre d’exemple, le D.MUS offert à la Faculté de musique de l’Université de Montréal
accorde 60 crédits sur 90 au total pour la réalisation des récitals de l’étudiant, c’est-à-
dire pour son travail de création. La situation est relativement similaire à l’École de
musique Schulich de l’Université McGill.
6. À l’Université de Montréal, l’étudiant effectue une réflexion informelle sur son travail
de création qui ne repose pas sur des normes scientifiques. En revanche, le travail de
rédaction du doctorant inscrit au D.MUS de l’Université McGill doit répondre à des
normes plus rigoureuses sur le plan scientifique. Cependant, la portion recherche,
incluant les crédits de cours, ne représente que le tiers de sa formation doctorale.
7. Cet exemple ne vise nullement à diminuer l’importance et la pertinence du travail
remarquable effectué par les doctorants-créateurs. Il cherche simplement à illustrer la
difficulté éprouvée par l’organisme subventionnaire à délimiter des frontières claires
Préface XV
L
a recherche-création en musique n’est pas une discipline foncière-
ment nouvelle si l’on tient compte du fait que, depuis les années
1970, au Québec, des musiciens exercent en qualité d’artistes au
sein des facultés de musique et que les projets de recherche-création, avec
pour dominante disciplinaire la création musicale ou la création de connais-
sances en musique, y sont de plus en plus nombreux. Toutefois, cette disci-
pline mérite une réflexion attentive – réflexion qui se développe au fil des
pages de cet ouvrage – car la musique, en tant que discipline universitaire,
ne bénéficie pas d’une aussi longue tradition de théorisation que les autres
formes d’art. Pour quelles raisons ?
La première explication pourrait être celle de la responsabilité de son
médium – le son, objet invisible, impalpable et éphémère. La musique, en
tant qu’art d’exécution au sens où l’entendait la philosophe Hannah Arendt,
est un art qui ne se voit pas, qui ne se sculpte pas dans la pierre. La musique,
comme phénomène sonore, n’existe réellement que dans l’instant même où
des artistes se produisent sur scène, ou lorsque l’auditeur écoute un enregis-
trement : dans les deux cas, le phénomène sonore se déroule dans le temps
de sa réalisation. Toujours dans la perspective d’Arendt, le processus de pro-
duction sonore et musicale est essentiel : il est visible, il s’expose, ou du
moins il exige qu’on en prenne connaissance dans son déroulement même,
contrairement aux arts de fabrication, dans la mesure où le processus de
production s’efface derrière l’œuvre une fois qu’elle est accomplie ; c’est
l’œuvre en tant que produit fini qui est exposé, non le geste de celui qui l’a
engendré, actualisé.
Comment alors objectiver ce qui est évanescent et n’existe que dans
l’instant de sa perception ? À l’époque de la Grèce antique, la musique était
2 Les enjeux de la recherche-création en musique
1. Voir Aristote, La Métaphysique, tome I, traduit et annoté par Jules Tricot, Paris, Vrin,
2000 ; tome II, introduction, notes et index par Jules Tricot, Paris, Vrin, 2000.
2. Voir Serge Lacasse, « Composition, performance, phonographie : un malentendu
ontologique en analyse musicale ? », dans Patrick Roy et Serge Lacasse (dir.), Groove :
enquête sur les phénomènes musicaux contemporains, Québec, Les Presses de l’Université
Laval, p. 65-78.
3. Jean-Pierre Pinson, « La recherche-création dans le milieu universitaire : le cas des
interprètes et de l’interprétation », Les Cahiers de la Société québécoise de recherche en
musique, vol. 10, no 2, septembre 2009, p. 9-14.
Introduction 3
4. Alexandre Vigneault, « “Roll over Beethoven” : le rock serait-il bel et bien mort ? On
enseigne maintenant son histoire à la Faculté de musique », Au fil des événements, 29
octobre 1998.
5. John Sloboda, Exploring the Musical Mind, New York, Oxford University Press, 2005,
p. 175 : « [Musicians] have a deep aversion to the scientific analysis of music [and
music practices]. It seems that if [scientists] could reduce music to a set of explicit
4 Les enjeux de la recherche-création en musique
categories or formula, if [they] could derive an all embracing theory, then music could
lose its mystery and power. » Nous traduisons.
6. http://learning.rcmusic.ca/lécole-glenn-gould/les-programmes-pour-les-jeunes-
artistes/programme-menant-au-diplôme-d’artiste ; http://mediatheque.cite-musique.
fr/mediacomposite/cim/_Pdf/30_20_10_00_CNSMDP_Diplomeartiste.pdf ;
http://www.conservatoire.gouv.qc.ca/la-formation/musique/interpretation/article/
profil-interpretation-4e-cycle-271.
7. Christiane Page, « Dans un monde sans dieu, le théâtre est-il une religion ? », dans
Maria S. Horne et Claude Schumacher (dir.), Enseigner / Étudier le théâtre à l’université :
pour quoi ?, Presses collégiales du Québec, 2006, p. 17.
Introduction 5
les rapports les plus fréquents, les confortent dans cette idée de rejet du
savoir théorique. Ce problème de culture entre conservatoire et université se
répercute jusqu’aux méthodes d’enseignement. Malgré les avantages d’une
méthode pédagogique où le « rôle de l’enseignant consiste essentiellement à
aider celui qui apprend à découvrir les solutions par lui-même plutôt qu’à
fournir les réponses a priori8 », et malgré l’importance du dialogue et de la
participation de l’élève dans ses leçons de pratique instrumentale, on privi-
légie aujourd’hui encore, dans les cours de pratique des facultés de musique
(et les conservatoires), une pédagogie centrée sur le professeur9 influençant
l’élève à apprendre par imitation et à reproduire passivement le savoir-faire
de l’enseignant10. Une autre conséquence que l’on peut relever, et non des
moindres, concerne la perception que la société peut avoir de ces jeunes
artistes : un changement des pratiques et des mentalités permettrait d’éviter
les désagréables – mais non moins exacts – propos d’un Claude Gingras ou
d’un François Tousignant, critiquant la prise de parole des musiciens pour
parler de leurs œuvres au moment du concert :
[Les compositeurs] sont venus, l’un après l’autre, « expliquer » leurs travaux.
Une très bonne idée au départ. Hélas ! Ces pauvres enfants ont bien du mal à
mettre deux idées bout à bout et à parler convenablement dans le micro.
Seule exception, l’unique femme du groupe, Danielle Palardy Roger, s’est
exprimée avec une certaine clarté d’idées et d’articulation. Quant à ces mes-
sieurs qui la précédaient, la belle et souriante Véronique [Lacroix, directrice
de l’ECM+] dut lire dans leur « pensée » et finalement parler à leur place11.
Les interventions « explicatives » des compositeurs ont détonné dans cette
soirée. Ils étaient pour la plupart gênés, sinon maladroits. Véronique Lacroix
devrait se charger elle-même de ce genre de discours, habile qu’elle est dans
l’art de la communication orale12.
13. Yves Michaud, Enseigner l’art ? Analyses et réflexions sur les écoles d’art, Nîmes, Jacqueline
Chambon, 1993, p. 43. Comme nous le verrons dans le chapitre II, les écoles d’art
n’ont pas découvert toutes seules l’importance de la théorisation pour l’apprentissage
de la pratique musicale : l’État joue un rôle considérable.
14. http://communiques.gouv.qc.ca/gouvqc/communiques/GPQF/Decembre2012/05/
c6658.html (page consultée le 27 février 2013) ou http://www.lapresse.ca/le-soleil/
opinions/points-de-vue/201212/14/01-4604046-coupures-en-enseignement-
superieur-et-en-recherche-quel-impact-pour-le-quebec.php (page consultée le 5
janvier 2012). Voir également http://www.ledevoir.com/politique/quebec/370905/
marois-avoue-etre-allee-un-peu-trop-loin (page consultée le 7 mars 2013).
Introduction 7
15. Dans ce contexte, nous nous reconnaissons en très grande partie dans les observations
et propositions émises dans les collectifs dirigés par Hazel Smith et Roger T. Dean
(ed.), Practice-led Research..., op. cit., et par Michael Biggs et Henrik Karlsson, The
Routledge Companion to Research in the Arts, New York, Routledge, 2010.
16. Alis Oancea et John Furlong, « Expressions of Excellence and the Assessment of
Applied and Practice-Based Research », Research Papers in Education, vol. 22, no 2,
2007, p. 119-137.
8 Les enjeux de la recherche-création en musique
17. André Théberge, « Création artistique et recherche scientifique », dans Pierre Hamelin
(dir.), La Création en milieu universitaire : actes de colloque, Québec, CEFAN, 1991,
p. 5.
18. Jean-Pierre Pinson, « La recherche-création dans le milieu universitaire... », op. cit.,
p. 9.
Introduction 9
tant que « pratique discursive19 », « qui prend corps dans des techniques et
des effets20 », afin de cerner, grâce à des études de cas, par exemple, ou des
activités pratiques, comme nous le verrons dans cet essai, des processus de
création, des manières, des techniques de jeu, des styles, voire de nouveaux
genres et des méthodes d’approches de processus créateurs. Nous souhaitons
également élargir considérablement le champ de la création musicale,
notamment en intégrant toute pratique en lien avec la réalisation d’une pro-
duction musicale ou sonore. Par exemple, nous considérons les techniques
d’enregistrement comme une pratique artistique dont les fruits méritent
tout autant notre attention21. S’il s’agit de baliser les pratiques en recherche-
création musicale, nous cherchons également à définir un certain nombre de
concepts et de méthodologies qui serviront à son développement. Nous
sommes préoccupés par le développement de nos liens avec le milieu musi-
cal professionnel en créant des zones de rencontre pour observer et décrire
leur pratique et partager ce savoir avec les étudiants en musique. Les rela-
tions avec les musiciens professionnels sont précieuses : à nous de nous
donner les moyens d’attirer des artistes de haut niveau à collaborer avec nous
dans nos projets de recherche.
C’est dans le chapitre II que nous explorerons plusieurs « traits
d’union » constitutifs de la recherche-création en musique. Depuis quelques
décennies déjà, on parle au Québec de la recherche-création en utilisant
diverses orthographes qui ne sont jamais expliquées. À notre avis, les ortho-
graphes se multiplient parce que l’on ne s’est pas questionné adéquatement
et de manière systématique sur ce que recouvre l’idée de la recherche-
création. Le chapitre II fait précisément l’objet de ce questionnement, en
tentant d’apporter des réponses précises sur ce qui relève ou non de la
recherche-création, et de justifier l’orthographe avec trait d’union. En y
recourant, nous souhaitons appuyer ce lien aussi nécessaire que vital entre
chercheurs, chercheurs-créateurs et créateurs pour soutenir un projet
commun. Car c’est leur rencontre, leur union qui générera la réalisation
d’une production artistique, qu’il s’agisse d’une recherche découlant d’une
création ou d’une création qui suscite simultanément la recherche. Ce sera
19. Michel Foucault, « Préface à l’édition anglaise », Dits et écrits, 1954-1988, Paris,
Gallimard, Bibliothèque des sciences humaines, 1994, p. 13.
20. Michel Foucault, L’Archéologie du savoir [1969], Paris, Gallimard, 2008, p. 262-263.
21. Comme en témoignent, par exemple, l’Association for the Study of the Art of Record
Production (ASARP), qui regroupe des chercheurs du monde entier intéressés par les
enjeux esthétiques de la pratique phonographique (www.artofrecordproduction.com),
de même que le nombre croissant de publications portant sur ce sujet.
10 Les enjeux de la recherche-création en musique
jusqu’à ce jour. Le comité tiendra également compte des circonstances qui ont
manifestement retardé l’évolution des réalisations en recherche-création du candidat. »
Ainsi, le CRSH reste concentré sur l’individu – le chercheur-créateur – et non sur le
projet en tant que tel dans ses évaluations. Ce qui pose problème, comme nous le
verrons, notamment sur le plan de la définition de la recherche-création et de la
reconnaissance des projets de recherche-création soumis par un chercheur en sciences
humaines.
12 Les enjeux de la recherche-création en musique
qui reposent sur notre fermeture sur notre centre-moi plutôt que sur son
décloisonnement23.
Or l’un de nos objectifs sera précisément de réfléchir concrètement à
la particularité de la recherche-création d’un point de vue épistémologique
(ce sera l’objet du chapitre II), puis du point de vue de la formation de l’étu-
diant en musique, qu’il soit musicologue ou praticien (l’objet du chapitre
III). À la Faculté de musique de l’Université Laval, nous offrons à présent un
programme d’étude de recherche-création en musique connexe au pro-
gramme de musicologie. Cette concentration tient compte de la nécessité à
la fois de perfectionner les compétences intellectuelles de tous les étudiants
en musique et de leur présenter un large éventail de possibilités d’applica-
tion de ces compétences afin d’optimiser leur insertion professionnelle.
Nous cherchons à répondre aux besoins de tous les étudiants en musique en
tenant compte des profils de chacun. Mais, qu’ils soient interprètes, musico-
logues, chercheurs-créateurs dont la recherche aboutira à une création ou
compositeurs réfléchissant dans le cadre d’un travail de type universitaire à
sa création, leur formation universitaire implique inévitablement l’appren-
tissage de la construction d’un discours sur la musique et une prise de
conscience de leur rôle de développeurs et de médiateurs culturels. Nous
avons donc réfléchi à de nouvelles structures et de nouveaux contenus et
intitulés des diplômes. Le chapitre III présentera ainsi nos approches péda-
gogiques et la structure des nouveaux programmes de musicologie axés sur
la recherche-création en musique que les auteurs de ce livre ont mis sur pied.
Le musicien doit pouvoir se positionner, situer sa pratique, sa concep-
tion de la musique pour lui-même avant tout, mais aussi pour son public :
pour lui-même, car la réflexion permet de devenir un être libre et critique
qui ne se laisse pas entraîner ou contaminer par le goût des autres, des
modes, du relativisme ou des extrémismes ; pour le public aussi, car com-
ment reprocher à l’auditeur de ne pas aimer, de ne pas « comprendre » une
œuvre ou une interprétation si le musicien n’est pas lui-même capable d’ex-
pliquer pourquoi elle est « belle » ou « valable », pourquoi elle touche ? Nous
demandons alors à l’étudiant, dans le cadre de sa formation en musique à
l’université, de rendre explicites (de comprendre, de nommer, de figurer, de
noter, de verbaliser) ses perceptions et ses représentations mentales, grâce à
23. Kateri Lemmens, « Création et méthode : quel sens et quelle “méthode” pour la
recherche-création en milieu universitaire ? », résumé de la Journée d’étude « Créer à
l’université : pourquoi, comment ? Enjeux et devenirs de la recherche-création à
l’Université Laval », 16 avril 2010 : http://www.crilcq.org/colloques/2010/recherche_
creation.asp (page consultée le 18 février 2013).
Introduction 13
A
u début des années 1970, Michel de Certeau envisageait l’« hété-
rogénéité culturelle1 » comme un défi pour l’université dont l’ac-
cès restait ouvert à une population d’étudiants relativement
restreinte. Après la Seconde Guerre mondiale, les politiques de plusieurs
pays, dont le Québec et la France, ont soutenu l’idée d’une démocratisation
culturelle pour sortir l’art et la pratique artistique de leur torpeur après les
effets néfastes des différentes formes de dictatures idéologiques ; ces politi-
ques cherchaient également à rendre l’art à une population qui n’en bénéfi-
ciait que peu ou pas du tout.
Que ce soit aux États-Unis – l’un des premiers pays à avoir senti la
nécessité d’intégrer la création artistique en milieu universitaire2 –, au
3. Au Québec, les universités Bishop’s et McGill (1904) ont les premières offert des
programmes de musique, suivies par l’Université Laval (1922), puis l’Université de
Montréal (1950). Dans les années 1990, on comptait huit universités enseignant la
musique au Québec (les universités Concordia, de Sherbrooke, du Québec à Montréal
et du Québec à Trois-Rivières).
4. Emmanuel Ethis, De la culture à l’université. 128 propositions, rapport remis au
ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Armand Colin, 2010.
Chapitre I — Art, culture et création musicale à l’université 17
Quatre constats
Quatre constats sont ainsi dressés : 1) la création musicale n’est pas de
la recherche scientifique, 2) un concert de musique n’est pas une publication
scientifique, 3) la recherche-création n’est pas une contemplation du moi
créateur, 4) la recherche-création, c’est le projet, pas l’individu. Comment
alors définir plus précisément le rôle des artistes en contexte universitaire ?
Une solution serait de montrer que le savoir scientifique permet d’éclairer la
création artistique et, en retour, que la création artistique permet d’éclairer
les disciplines scientifiques. Mais comment ? Plus largement, c’est somme
toute la question de la fonction de l’université qui doit être remise en ques-
tion, sinon élargie. Quel est alors le rôle de l’université aujourd’hui où les
échanges culturels semblent être plus que jamais devenus des enjeux consi-
dérables ? Or, à trop vouloir insérer la création dans des normes universitai-
res, le risque n’est-il pas grand de voir se standardiser la création ou
d’uniformiser un savoir(-faire) qui se constitue avant tout, et surtout, par la
pratique ? N’y a-t-il pas ainsi un danger (qui s’observe déjà d’ailleurs) de
favoriser le cloisonnement et la ghettoïsation ?
L’exemple du processus de Bologne en Europe5, qui a réglementé non
seulement l’enseignement et le fonctionnement de l’université mais égale-
ment l’enseignement musical supérieur, invite à un questionnement en ce
sens. Car, si l’université doit désormais se concevoir non plus comme une
institution de haut savoir mais comme une institution culturelle, ne devrions-
nous pas craindre que cette normalisation des formations en art, calquée sur
le modèle traditionnel universitaire qui tend vers une uniformisation des
diplômes, ne soit plus représentative de la diversité propre à la création artis-
tique qui, elle, suppose cheminement, imprévisibilité, liberté ? Ou, au
contraire, cette conception élargie de l’université qui semble s’imposer ne
donne-t-elle pas la possibilité d’un projet où se rencontrent des visions et des
réflexions différentes et complémentaires sur des principes de société et de
formation de l’humain ? La culture et l’art à l’université (termes dont il
faudra alors adopter des définitions) permettent-ils, aux côtés de la culture
universitaire, cette « construction collective dans l’action des individus qui