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LES NOTIONS DE SPEECH EVENT ET LITERACY EVENT DANS

L'ETHNOGRAPHIE DE LA COMMUNICATION ET LES LITERACY STUDIES

Fanny Delbreilh

Éditions de la Maison des sciences de l'homme | « Langage et société »

2012/1 n° 139 | pages 83 à 101


ISSN 0181-4095
ISBN 9782735114214
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Les notions de speech event et literacy event
dans l’ethnographie de la communication
et les Literacy Studies

Fanny Delbreilh
Équipe Anthropologie de l’écriture IIAC-CNRS (UMR 8177), EHESS
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delbreilh_fanny@yahoo.fr

La notion de literacy event est fréquemment utilisée dans des travaux


relevant des New Literacy Studies mais elle est parfois apparue comme
problématique et semble demander des éclaircissements conceptuels.
Afin de mieux la cerner, il paraît intéressant de retracer l’historique de
son apparition et de son utilisation et d’en comprendre ainsi les éventuels
présupposés. Elle a en effet été employée la première fois par Anderson,
Teale et Estrada qui l’avaient calquée sur la notion de speech event, inven-
tée et proposée par Dell Hymes, co-fondateur de l’ethnographie de la
communication.
Dans le but de mieux comprendre ce que recouvre la notion de literacy
event, son rôle méthodologique, son soubassement théorique ainsi que
les ambiguïtés qui semblent la caractériser, cet article se propose donc
d’étudier le transfert de la notion d’un champ disciplinaire à un autre et
de comparer les deux notions et les courants qui les utilisent. Nous allons
ainsi essayer de voir quelles sont les relations entre les deux notions : ont-
elles un sens équivalent ? Ont-elles un rôle méthodologique équivalent
au sein de chaque discipline ? Plus largement, s’insèrent-elles dans des
démarches théoriques similaires ou différentes ? Nous analyserons les
ambiguïtés des deux notions : quelles sont les imprécisions qui les carac-
térisent ? Sont-elles liées ?

© Langage et société n° 139 – mars 2012


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Nous allons ainsi tenter de voir comment, malgré le caractère opéra-


toire des deux outils dans les travaux de terrain, on note un parallélisme
entre un certain flou conceptuel de la notion de speech event et les limites
de celle de literacy event, et comment, à la lumière de la comparaison
des deux notions, on relève certaines similitudes dans les démarches
méthodologiques et théoriques de l’ethnographie de la communication
et des literacy studies. Pour cela, nous présenterons, tout d’abord, les deux
notions en rappelant quelques éléments sur les deux champs d’étude qui
les utilisent ; pour ensuite analyser les points de convergence et de diver-
gence méthodologiques et théoriques entre leurs définitions et emplois
et, plus largement, entre les deux courants ; pour, finalement, proposer
des pistes d’analyse éclairant les ambiguïtés et les limites conceptuelles
des deux notions1.
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1. Définition des notions dans leurs courants respectifs
1.1. La notion de speech event
dans l’ethnographie de la communication de Dell Hymes
Élaborée dans les années 1960-70 aux États-Unis, l’ethnographie de la
communication de Dell Hymes est, rappelons-le, une des branches de la
sociolinguistique américaine, sociolinguistique qui se propose d’étudier
la langue dans ses contextes sociaux « à partir du langage concret plutôt
qu’à partir des seules données de l’introspection » (Labov 1983 : 67) et qui
se constitue à un moment où le monde de la linguistique américaine est
fortement marqué et secoué par les propositions de Chomsky, en partie
en opposition avec celles-ci.
Par rapport à la sociolinguistique variationniste, cependant, la spéci-
ficité de la démarche de Hymes est de s’ancrer dans sa double formation
– en linguistique et en anthropologie – et de proposer une démarche
interdisciplinaire. Le mouvement qu’opère Hymes est en effet double :
l’ethnographie de la communication est une sociolinguistique qui sou-
haite étudier « l’organisation même de la parole » et qui « verrait dans les
significations et capacités qui y sont attachées à l’intérieur des commu-
nautés spécifiques des sujets aussi dignes de l’intérêt ethnographique que
la sexualité ou le sevrage » (Hymes 1984 : 121). Dans cette perspective, la
méthode ethnographique qu’il prône et applique est celle de l’observation

1. Cette étude a été réalisée dans le cadre d’un travail collectif de l’équipe Anthropologie
de l’écriture sur les literacy studies et plus spécifiquement en lien avec le séminaire
d’Aïssatou Mbodj-Pouye, « Atelier de lectures : anthropologie de l’écriture et Literacy
Studies » de l’année 2007-2008, dont les nombreuses discussions collectives ont large-
ment nourri cette étude.
LES NOTIONS DE SPEECH EVENT ET LITERACY EVENT 85

participante (Hymes 1974 : 7) et il ne cesse de rappeler dans ses différents


écrits théoriques la nécessité de procéder à des enquêtes ethnographiques
afin de ne pas plaquer des catégories sur des situations mais, au contraire,
de les extraire de l’observation  (Hymes 1984 : 148).
Le caractère pluridisciplinaire de sa démarche se retrouve dans la
diversité de ses influences théoriques. En anthropologie, la principale
influence qu’il revendique est celle de Sapir (Hymes 1974 : 52). Comme
lui, il considère que le langage est un fait culturel à part entière et il
reprend aussi à son compte l’hypothèse Sapir-Whorf sur la relativité lin-
guistique (Hymes 1974 : 18). En linguistique, Hymes cite l’influence des
travaux des linguistes du Cercle de Prague, de leur analyse fonctionnelle
et structurelle, notamment ceux de Jakobson3.
Bien qu’Hymes ne définisse jamais précisément ce qu’il entend par
« communication », il semble, au vu de sa reprise des analyses de Jakobson,
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qu’il l’entende comme un processus par lequel des personnes émettent
des messages et les transmettent à d’autres au moyen de certains codes.
Le point important est que la communication est un processus général,
qui englobe le langage et, plus particulièrement, la parole (speaking).
Autrement dit, pour Hymes, la parole est intégrée dans la communication
et l’ethnographie de la parole qu’il propose tout d’abord en 1962 est elle-
même intégrée dans l’ethnographie de la communication, qui doit poten-
tiellement prendre en compte les différents codes  (Hymes 1974 : 8).
Bien qu’en réalité, le rapport entre langue, parole et communication
paraisse souvent peu clair chez Hymes4, on peut avancer que l’objet de son
travail est de décrire et d’analyser les conduites, ou habitudes communica-
tives (« communicative conduct ») de communautés données5 :

2. Hymes fait référence au texte « The Psychological reality of Phoneme » de 1933,


reproduit dans Mandelbaum (éd.) (1949), Selected Writing of Edward Sapir et traduit
en français comme « La réalité psychologique des phonèmes », dans Sapir (1991),
Linguistique, Paris, Folio (p. 165-186).
3. Les « fonctions » du modèle de communication de Jakobson sont présentées dans
Jakobson (1960), Closing statements : Linguistics and Poetics, dans Style in langage,
New-York, T.A. Sebeok ; repris et traduit en français dans Jakobson (1963), Essais de
linguistique générale, Paris.
4. Alors qu’il affirme dans le texte de 1984 que la langue est un moyen ou mode parmi
d’autres de communiquer, (Hymes 1984 : 128) et évoque la communication gestuelle
comme autre mode, il propose en 1974 de comprendre « speech » comme « surrogate
for all manifestations and derivations of language including writing, song, speech-
linked whistling, drumming, horn-calling… » (Hymes 1974 : 45)
5. Selon lui, et s’opposant par là aux linguistes comme Bloomfield et Chomsky, la commu-
nauté à étudier ne doit pas se définir simplement par une langue commune – ce qui ne
rend pas compte d’un grand nombre de situations, de plurilinguisme – mais par une
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communicative conduct within a community comprises determinate pat-


terns of speech activity, such that the communicative competence of persons
comprises knowledge with regard to such patterns (Hymes 1974 : 45).
Pour analyser ces habitudes communicatives, Hymes propose de repé-
rer les manières de parler de cette communauté (« ways of speaking »),
c’est-à-dire :
relationships among speech events, acts and styles on the one hand, and
personal abilities and roles contexts and institutions, and beliefs, values and
attitudes on the other (Hymes 1974 : 45).

De plus, il définit son approche comme s’intéressant au premier ver-


sant des « ways of speaking » : les actes, les événements et les styles. Ainsi,
c’est grâce au repérage et à l’observation lors de l’enquête ethnographique
des événements de communication que l’analyse des habitudes commu-
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nicatives peut être avancée6. Et, lorsqu’on s’intéresse à une composante de
la communication, par exemple la langue, on doit repérer et observer les
speech events pour remonter ensuite à la langue puis à la communication.
Enfin, Hymes affirme avec force l’importance de ne pas séparer l’étude
de la communication d’une connaissance plus générale de la communauté
donnée, notamment afin de pouvoir situer l’importance de la commu-
nication dans cette communauté ainsi que les situations respectives des
différents canaux et modalités de la communication (Hymes 1974 : 25).
La notion de speech event s’insère dans deux chaînes théoriques pro-
posées par Hymes. D’une part, elle s’inscrit dans un rapport d’inclusion
entre les speech situations, speech events et speech acts, d’autre part, elle
s’intègre dans les communicative events.
Hymes définit les speech events comme : « activities or aspects of activi-
ties, that are directly governed by rules or norms for the use of speech »
(Hymes 1974 : 52). Un « événement de parole » se comprend donc
comme une activité, ayant une cohérence et organisée par des règles
ou normes. En amont, un « événement de parole » se différencie d’une
« situation de parole » qui, elle, n’est pas gouvernée par des règles de
parole, qui est souvent composée d’éléments verbaux et non-verbaux mais
qui est « limitée » (« bounded ») et présente une cohérence. Une situation

situation sociologique et géographique commune (Hymes 1974 : 47-48 et la section


« Speech community »).
6. Michel de Fornel et Jacqueline Léon, définissent l’objet de l’ethnographie de la commu-
nication comme « analyse de la compétence communicative » comprise comme
« analyse des habitudes communicatives d’une communauté linguistique prise dans
sa totalité par le repérage des événements de communication » (Fornel, Léon 2000).
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de parole est une « situation », repérable facilement et associée à la parole


(Hymes 1974 : 51). En aval, un « événement de parole » se différencie
d’un « acte de parole », défini comme un élément minimal à l’intérieur
d’un événement. Un « acte de parole » ne correspond pas à une phrase et
n’est pas identifiable uniquement par les catégories grammaticales : il doit
être analysé à la fois selon sa structure sémantique et syntaxique, selon les
traits liés à l’interaction et au contexte et par les fonctions qu’il remplit
(Hymes 1974 : 53)7. Pour illustrer cette échelle d’unités d’observation,
Hymes propose l’exemple, connu, suivant : une fête est une speech situa-
tion, une conversation à l’intérieur de cette fête est un speech event, et une
blague à l’intérieur de cette conversation est un speech act. Cette chaîne
théorique apparaît donc comme un ensemble de catégories analytiques
utilisables lors du travail de repérage de situations et d’activités lors de
l’enquête.
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À la suite de la présentation des outils speech situations/speech events/
speech acts, Hymes précise les « components of speech » et certaines règles
s’appliquant à ces composantes. Ces composantes sont les suivantes :
message-form, message content, setting, scene, speaker/sender, addressor, hearer/
receiver/audience, adress, purposes, key, channels, forms of speech, norms of
interaction/norms of interpretation, genres (Hymes 1974 : 54-55). Il semble
que ces règles s’appliquant aux différentes composantes et, surtout, aux
relations entre certaines d’entre elles correspondent aux règles de l’usage
de la parole organisant les speech events (« rules or norms for the use of
speech »). On remarque, par ailleurs, que ces composantes recouvrent
partiellement les composantes des communicative events qui forment le
modèle, fameux, du SPEAKING : setting (scène, cadre, contexte), partici-
pants, ends (buts projetés, buts atteints), acts (séquences d’actes), key (tona-
lités), instrumentalities (codes et canaux), norms (normes d’interaction et
d’interprétation), genres (genres), (Hymes 1984 : 193). Les speech events
sont donc bien inclus dans les communicative events. Enfin, une fois ces
règles entre composantes mises à jour dans les cas réels, elles permettent
de remonter à l’analyse du « système » que constitue un événement.
Cette deuxième chaîne théorique est donc clairement inspirée par le
modèle de la communication, fonctionnaliste, de Jakobson, notamment
concernant l’importance accordée au « message » comme point de départ
pour repérer le statut communicatif d’un événement (Hymes 1974 : 12).

7. Dans ce passage, Hymes ne fait pas explicitement référence à la théorie des actes de
langage, contrairement à ce que l’on pourrait attendre.. Par contre, dans la postface de
1984, il reconnaît les acquis de cette théorie, tout en émettant une série de critiques,
évoquant essentiellement Searle et Grice. Voir pages 135, 161, 163 et 195.
88 FANNY DELBREILH

Mais elle remplit un rôle méthodologique plus ambigu dans le propos


de Hymes : c’est ici une grille de lecture qu’il pense comme hypothèse
à vérifier sur le terrain mais qui apparaît comme fortement formalisée.
Au niveau de la méthode, une certaine difficulté de compréhension
est, nous semble-t-il, en partie due au va-et-vient que tente de réaliser
Hymes entre l’affirmation de la volonté, ethnographique, de partir des
catégories observables et pertinentes pour les membres d’une commu-
nauté8 et la proposition de grilles de lecture, fonctionnant certes comme
hypothèses à vérifier sur le terrain, mais inspirées par des modèles forma-
listes prégnants. Au niveau théorique, la difficulté relève de même du fait
que Hymes essaie de synthétiser plus ou moins explicitement différents
courants linguistiques en ne prenant que certains de leurs outils9.

1.2. La notion de literacy event dans les Literacy Studies


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C’est au cours des années 1980-90 au Royaume-Uni qu’un courant
d’étude spécifique sur la literacy, c’est-à-dire sur les pratiques de lecture
et d’écriture, se constitue, sous l’impulsion, notamment, de Brian Street
et en opposition aux propositions de l’anthropologue Jack Goody10.
Street oppose à ce qu’il nomme le « modèle autonome » de Goody un
« modèle idéologique », c’est-à-dire une approche de la literacy critiquant
les discours idéologiques sous-jacents à certains travaux mais aussi aux
programmes d’alphabétisation de l’époque. Face à ces modèles jugés
déterministes sur les effets de la présence de la literacy dans une société,
Street et différents chercheurs anglais affirment la nécessité de contex-
tualiser les pratiques de literacy et de considérer la pluralité des literacies
(Street 1984, 1993). Dans cette optique, plusieurs travaux, divers, datant
des années 1970-80 sont rattachés rétrospectivement à ce courant11 qui
prend, au début des années 1990, le nom de New Literacy Studies (Street
1993)12.

8. Dans la postface de 1984, il rappelle ainsi l’importance de « la question ethnogra-


phique fondamentale » : « Qu’est-ce que les membres d’une communauté donnée
considèrent comme faisant partie de l’objet de la description ? ». Dans Foundations of
Sociolinguistics, Hymes affirme qu’il faut considérer comme communicative events par
exemple des bruits de pas ou un coucher de soleil s’ils sont considérés comme tels par
les membres (Hymes 1974 : 15).
9. Pour compléter cette présentation de l’ethnographie de la communication on pourra
se reporter au très clair et précis ouvrage Bachmann, Lindenfeld et al (1981).
10. Notamment aux propositions du recueil d’articles Goody (ed.) (1968).
11. Dont Basso 1974, Heath 1983, Scribner & Cole 1981.
12. Pour une présentation plus complète du courant des literacy studies et new literacy
studies, nous renvoyons au numéro de Langage et société dirigé par B. Fraenkel et
A. Mbodj-Pouye, n° 133, 2010.
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Le premier emploi de la notion de literacy event se trouve dans un


article de 1980 écrit par des psychologues travaillant dans le domaine
de l’éducation, Anderson, Teale et Estrada, qui calquent celle-ci sur la
notion de speech event et la définissent ainsi :
any action sequence, involving one or more persons, in which the produc-
tion and/or comprehension of print plays a role;
any occasion upon which an individual alone or in interaction attempts to
comprehend or produce graphic signs (Anderson, Teale et al 1997 [1980] :
313 et 314).
La distinction entre « reading event » et « writing event » est elle
aussi avancée, le premier se définissant comme : « any occasion upon
which an individual comprehends (or attempts to comprehend) a mes-
sage encoded in graphic signs. » ; et le second : « any occasion upon
which an individual mechanically manipulates appropriate tools to
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produce (or attemps to produce) graphic signs representative of oral
speech which have meaning to the producer and/or to anyone who
might be a reader of those graphic signs » (Anderson, Teale et al 1997
[1980] : 314). Un literacy event correspond donc à une période de temps,
un moment (« occasion ») composé de plusieurs actions s’enchaînant
(« action sequence ») et caractérisé par la présence de participants effec-
tuant des activités d’interprétation ou de communication liées à la lecture
et/ou à l’écriture.
De plus, dans ce chapitre, les auteurs présentent le cadre méthodo-
logique dans lequel est insérée la notion de literacy event. D’une part, un
literacy event est considéré comme inséré dans un flux d’actions que les
ethnographes doivent décrire, soit par leur propre observation :
Once a literacy event has been identified we attempt to describe activities
which lead up to it, events subsequent to it, and any activities which
co-occur and alternates with it. (Anderson, Teale et al 1997 [1980] : 315) 

soit à l’aide de rapports réalisés par des membres (ici les parents) :
Our objective will be to have our parents produce tapes which provide a
much more complete description of the literacy events and to have them
supply information about the events which precede, co-occur and alternate
with, and follow it. (Anderson, Teale et al 1997 [1980] : 323)
D’autre part, un literacy event est inséré et situé dans un literacy
environment, que les ethnographes doivent décrire en s’attachant à la des-
cription des matériaux imprimés disponibles pour les participants, à celle
des personnes et des activités sociales où les participants sont engagés et
à celle de la manière dont ces personnes utilisent l’imprimé dans leurs
90 FANNY DELBREILH

activités. Enfin, un literacy event est perçu comme structuré en amont par
l’environnement social général et l’observation des literacy events permet
d’éclairer ces relations de structuration.
Au niveau théorique, Anderson, Teale et Estrada se situent clairement
dans la lignée de Hymes lorsqu’ils affirment au début de leur chapitre que
« literacy exists in the domain of communication and social interaction »
(Anderson, Teale et al 1997 [1980] : 313).
La seconde définition importante est celle proposée par l’anthro-
pologue Shirley Heath, peu de temps après, en 1983, dans le chapitre
« Literate traditions » de son ouvrage Ways with words, reprenant une
enquête des années 1970 sur les pratiques communicatives de deux
communautés ouvrières en Caroline, aux États-Unis. Heath reprend
explicitement la proposition d’Anderson, Teale et Estrada, tout comme
la référence à Hymes, comme elle l’explique dans la note 2 de la page
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196 (Heath 1983 : 392). Selon sa définition, un literacy event est une
situation dans laquelle « a piece of writing is integral to the nature of the
participants’ interactions and their interpretations of meaning » (Heath
1983 : 196) ou une situation où le mot écrit est central dans les interac-
tions et interprétations (Heath 1983 : 200). Par ailleurs, cette situation
est caractérisée par des règles : « rules of occurrence and appropriateness »
(Heath 1983 : 200). L’exemple le plus développé que propose Heath est,
ainsi, celui des « bedtime stories », qu’elle qualifie de « most predictable
reading activity » dans la communauté étudiée  (Heath 1983 : 223) ; elle
décrit aussi d’autres activités récurrentes, routinières et organisées par des
règles sociales, comme la rédaction de notes dont le but est de rester en
contact avec des proches (Heath 1983 : 212).
Pour Heath donc, un literacy event est une situation caractérisée,
comme chez Anderson, Teale et Estrada par la présence de participants
effectuant des activités d’interprétation et de communication ordonnées
autour du texte, du matériel écrit ou du mot écrit et par des règles assu-
rant sa cohérence.
À la suite de ces définitions et utilisations méthodologiques inaugu-
rales, de nombreuses discussions théoriques ont eu lieu dans le domaine
des Literacy studies au sujet de cette notion. Brian Street et David Barton
ont tenté dans les années 1990-2000 de synthétiser la notion et d’en
redonner une définition claire. Selon leurs définitions, un literacy event
correspond à une situation particulière ou à un moment particulier
(« episodes », Barton & Hamilton 1998 : 7) où il se passe quelque chose,
où il y a des actions (« focus on a particular situation, where things are
happening and you can see them », Street 2001 : 10), en lien avec la lite-
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racy : c’est-à-dire en lien avec des activités de lecture et d’écriture (« the


classic literacy event in which we are able to observe an element that
involves reading and/or writing », Street 2001 : 10-11 ; « literacy events
are activities where literacy has a role », Barton & Hamilton 1998 : 7) et
avec une situation ou un épisode caractérisé par une certaine régularité
qui peut être classé en « types » (« kind of events », Street 2001) et défini
pour certains par des régularités d’occurrence et de fréquence (« regu-
lar, repeated activities » ; « linked into routine sequences », Barton &
Hamilton 1998 : 7). Pour Street comme pour Barton, les literacy events
sont des épisodes ou situations observables par l’ethnographe et informées
par des literacy practices plus générales.
L’articulation entre literacy events et literacy practices est ainsi considérée
par Barton comme Street comme la clé de voûte des Literacy studies. La
notion de literacy practices est un concept plus englobant qui renvoie,
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pour Barton, au rapport entre les activités de lecture et d’écriture et les
structures sociales plus vastes ; elle se définit comme « the general cultu-
ral ways of utilising written languages » (Barton & Hamilton 1998 : 6).
Pour Street, l’articulation est légèrement différente : la notion de literacy
practices est un concept qui permet de relier les literacy events (unités
descriptives) et les « patterns around literacy », composés de conventions
connues des participants, et de les mettre en relation avec « something
broader of a cultural and social kind » (Street 2001 : 11). Pour les deux,
c’est l’observation des literacy events qui permet de remonter à la concep-
tualisation et à la compréhension des literacy practices d’une communauté,
elles-mêmes structurées par des règles sociales.
Cependant, par rapport à Brian Street, David Barton insiste plus,
dans la lignée de Heath, sur la présence du matériel écrit comme carac-
téristique du literacy event. De plus, dans des travaux récents, il propose
une extension importante de la notion en problématisant plus avant cette
présence du matériel écrit.
Dans sa définition de 1998, il rappelle ainsi : « Usually there is a writ-
ten text, or texts, central to the activity, and there may be talk around
the text » ; « Texts are a crucial part of literacy events and the study of
literacy is partly a study of texts and how they are produced and used »
(Barton & Hamilton 1998 : 7). Dans un article théorique de 2001, il
développe une caractérisation des literacy events à la fois plus fine et plus
extensive et qui fait retour sur la filiation avec Hymes. Selon lui, la défi-
nition originale pose qu’un literacy event est : « a speech event with a text
in it » ; il définit le « classic literacy event » comme étant « the talk around
text » faisant ainsi référence aux travaux de Heath (Barton 2001 : 99).
92 FANNY DELBREILH

Il propose ensuite une caractérisation plus fine des différents literacy events
qui s’ordonne autour de deux critères : les relations entre les différents
événements et la place du texte dans les événements, qui ne se réduisent
ainsi pas au « talk around text » proposé par Heath. Concernant les rela-
tions entre les literacy events, Barton propose de ne pas réduire toutes les
relations à des structures trop fixes et de prendre en compte le caractère
confus et non-structuré de certaines relations : « events can be serial, coor-
dinated and chained ; they can be embedded or subordinated ; they can
be fuzzy » (Barton 2001 : 100). C’est à propos de la place du texte dans
les literacy events, qu’il évoque une catégorisation plus fine de la diversité
de ces événements : selon lui, il faut prendre en compte les différentes
modalités de présence du texte et ses différents degrés d’importance, ses
différents rôles dans l’accomplissement d’une activité :
there are other sorts of literacy events, where texts are present but are not
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read in a conventionnal sens ; there are events where texts have symbolic
functions ; and there are various ways in which texts which may or may
not be present are invoked. Events vary in the role of the text : the text can
be central, as in the act of reading instructions for a manuel ; the text can
be symbolic, as when swearing on the Bible ; and the text can be implicit,
as when talking about texts which are not present. (Barton 2001 : 99)

Barton explicite ainsi l’élargissement dont doit faire l’objet la notion


de literacy event : « the concept can be expanded from one which focuses
on talk around a text (…) to one that includes talk about a text (…)
to not containing talk, such as holding a placard at a demonstration »
(Barton 2001 : 99). C’est donc autour de l’articulation et l’entremêlement
texte/parole ou oral/écrit dans les literacy events, dont Heath avait montré
l’importance dans son livre de 1983, que Barton étend la notion. Prenant
à contre-pied le point de vue des linguistes et sociolinguistes, il propose
même dans cet article de ne plus considérer les literacy events comme
des cas particuliers de speech events mais de voir les speech events – qui,
selon lui, sont, dans un « textually mediated world », pour une grande
majorité des « talk about texts » - comme des literacy events (Barton
2001 : 100). L’enjeu est, semble-t-il, de faire retour sur l’ethnographie
de la communication et de réintroduire les Literacy studies dans la sphère
de la linguistique.
À la lecture de ces présentations des notions de speech event et literacy
event dans leur champ disciplinaire respectif, on a pu remarquer que le
transfert de la notion d’un champ à l’autre s’est fait en conservant un
certain nombre de caractéristiques et en en laissant de côté d’autres.
LES NOTIONS DE SPEECH EVENT ET LITERACY EVENT 93

2. Convergences et divergences méthodologiques et


théoriques des notions de speech event et literacy event
2.1. La nature des « événements »
Concernant la définition proprement dite de la nature des « événements »
évoqués, les Literacy studies reprennent les caractéristiques principales de
la notion proposée par Hymes : les literacy events sont, comme les speech
events, des activités situées et caractérisées par la présence de participants
et par la présence d’un élément (paroles/mot écrit) qui est central dans
l’activité et qui renvoie à l’objet principal de ces disciplines (la parole/
la literacy).
Certains ethnographes des literacy studies, comme Heath, reprennent
aussi comme caractéristique des literacy events le fait qu’ils soient structu-
rés par des règles. Sur ce point, le transfert n’est, cependant, pas général à
tous les auteurs de la discipline. De plus, il nous semble que ces règles ne
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relèvent pas exactement du même domaine chez le linguiste et chez l’an-
thropologue. Pour Hymes, ce sont d’abord les règles de l’usage de la parole
qui structurent les activités ou événements de parole. Heath est moins
précise et parle de règles dirigeant l’occurrence et le caractère approprié
de ces événements. Elle ne renvoie donc pas explicitement à des règles
liées à l’usage de l’écrit13. Cette divergence peut expliquer la différence
de nature que l’on peut déceler entre les speech events et les literacy events
et qui relève du rôle que joue comme de la place qu’occupe le premier
terme, speech et literacy, dans les notions. Dans les deux cas, un des sens
principaux de l’activité est donné par la parole et la literacy : un speech
event peut être une conversation, un literacy event la lecture d’un livre ou
l’écriture d’une lettre. Mais il nous semble que, bien que les propositions
de Hymes soient parfois un peu floues, l’event tel qu’il le conçoit est une
activité organisée par la parole. A l’inverse, dans les literacy events, tels
que Heath les décrit en tous cas, la literacy est présente mais ne structure
pas toujours l’activité.
Enfin, on remarque que l’outillage descriptif du modèle SPEAKING
proposé par Hymes n’est pas repris explicitement dans la caractérisation
des literacy events. Il semble cependant que, dans ses études de cas, Heath
reprend partiellement certains de ces composantes pour caractériser
les events : par exemple dans la description de l’écriture des lettres et

13. Ainsi dans la note 2 faisant référence justement à Hymes et à un travail antérieur,
elle parle de règles « sociales et interactionnelles » : « Heath 1982a suggests that lite-
racy events have social interactional rules which regulate the type and amount of
talk about what is written, and fine ways in which oral language reinforces, denies,
extends, or sets aside the written material. » (Heath 1983 : 392)
94 FANNY DELBREILH

des « notes » chez les adultes de Roadville, elle décrit leur forme verbale
(message-form), leur contenu et leur sujet (content), les participants (par-
ticipants), le moyen de transmission (channel) et signale les buts qu’elles
visent (purposes) (Heath 1983 : 212-217). Par ailleurs, dans les tableaux
des « usages » de l’écriture et de la lecture qu’elle propose, ceux-ci sont
définis par ce qui apparaît comme des buts (par exemple le type « social-
interactionnel » dont le but est de maintenir des relations) et qui peut
faire écho à un fonctionnalisme implicite (Heath 1983 : 198-199, 218,
220). S’il y a reprise de l’outillage formel et fonctionnaliste, il n’est donc
pas général dans les literacy studies – son caractère formalisé semble même
abandonné dans les travaux de Street ou Barton – et il demeure implicite.
On peut comparer, à ce propos, les descriptions proposées par Heath à
l’étude sur les lettres de Basso qui, dans son article « The Ethnography
of Writing », sert d’exemple pour montrer qu’une ethnographie de
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l’écriture sur le modèle exact de l’ethnographie de la communication de
Hymes est possible (Basso 1974). Après avoir repris le cadre théorique de
Hymes, Basso analyse un ensemble de lettres en insistant sur les « inter-
relationships that exist between participants, form, topic and function »
(Basso 1974 : 428) et spécifie ensuite chacun de ces composantes. Chez
Basso, la démarche est plus systématique et synthétiquement présentée,
mais il nous semble que Heath, comme Basso, reprend à son compte un
cadre d’analyse fonctionnaliste.

2.2. L’usage méthodologique


C’est sans doute au niveau méthodologique que le transfert de la notion
subit le moins de changement. En effet, dans les deux disciplines, les
speech/literacy events fonctionnent comme des unités d’observation, à
partir desquelles on peut, d’une part, généraliser sur des « types » d’événe-
ments et, d’autre part, remonter à des concepts plus englobants, les ways of
speaking et les conduites communicatives pour les uns, les literacy practices
pour les autres. Dans les deux disciplines, la démarche méthodologique
générale est donc inductive.
La généralisation à des « types » d’événements s’appuie sur le présup-
posé, explicite ou implicite, de l’existence de schémas similaires à diffé-
rents événements appartenant au même type (des « patterns ») et repérés
par le biais de l’enquête ethnographique. De plus, chez Hymes comme
dans les literacy studies, cette généralisation en « types » qui fonctionne
comme catégorisation et comme taxinomie peut permettre de comparer
et des types d’événements entre eux et des situations et pratiques indivi-
duelles par rapport au « type » d’événement.
LES NOTIONS DE SPEECH EVENT ET LITERACY EVENT 95

La remontée vers des concepts plus englobants semble en partie se


faire, dans ces deux disciplines ethnographiques, à partir d’une connais-
sance approfondie de la communauté étudiée.

2.3. Le cadre théorique général


L’examen du transfert de la notion d’un champ disciplinaire à l’autre per-
met de mettre à jour des similitudes dans les cadres théoriques des deux
courants. Le fait de fonder la méthode sur l’observation des situations
particulières que sont les events n’est, en effet, pas anodin et rappelle deux
fondements théoriques importants pour ces courants.
D’une part, partir d’événements engageant la parole, la lecture et/
ou l’écriture situées, c’est rappeler que ces activités sont éminemment
sociales : elles sont situées dans un contexte social toujours à prendre en
compte pour les comprendre et elles ont un rôle dans l’organisation de la
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société ou de la culture étudiées. C’est là le programme général de toute
sociolinguistique, comme nous l’avons rappelé précédemment. C’est
aussi celui que se donnent les literacy studies, lorsque Barton et Hamilton
affirment : « literacy is a social practice » (Barton & Hamilton 1998 : 6).
D’autre part, partir d’événements particuliers c’est affirmer l’impor-
tance de la diversité des situations, selon les contextes et les cultures, mais
aussi des fonctions réelles de la parole dans un cas, de la literacy dans
l’autre, et refuser des généralisations jugées simplistes. Dans les cas des
literacy studies, cela rejoint la critique des propositions de Goody et des
programmes d’alphabétisation mis en place par certaines institutions et
l’affirmation de l’existence de plusieurs literacies (Barton 1984). De son
côté, Hymes énonce de manière récurrente la nécessité de penser le lan-
gage et la parole dans la pluralité de ses fonctions et de ses utilisations
dans le domaine plus vaste de la communication et de la vie culturelle
(Hymes 1974 : 8 et 18 ; 1984 : 139).
Un certain nombre de différences profondes entre les deux champs
disciplinaires sont, cependant, soulevées par l’examen du transfert de la
notion de speech event dans les literacy studies. On peut peut-être les relier à
la formation de linguiste, et de linguiste américain des années 60 marqué
par les théories grammaticales de Chomsky, de Hymes.
D’une part, dans la description des literacy events, l’intérêt pour les
dimensions formelles du « message », pour parler comme Hymes et, plus
généralement, l’importance accordée à la forme de l’écrit ou du texte, sont
moindres chez les ethnographes des literacy studies, à l’exception de David
Barton. Hymes en bon linguiste met, à l’inverse, largement l’accent sur
ces dimensions.
96 FANNY DELBREILH

D’autre part, alors que Hymes a pour objectif de comprendre, à


partir de l’observation des speech events, « l’organisation » de la parole
et la communication c’est-à-dire le fonctionnement du « système », les
auteurs des literacy studies n’intègrent pas leur réflexion dans une pers-
pective aussi systématique. Le fait est patent lorsque l’on compare le
propos de Basso, appliquant le programme de Hymes pour l’écriture et
cherchant à mettre à jour une « grammar of rules for code use » (Basso
1974 : 428), et celui des ethnographes des literacy studies qui tentent de
mettre à jour non une grammaire de règles mais des régularités dans les
pratiques d’écriture et de lecture et de comprendre leurs fonctionnements.
L’empreinte de Chomsky est présente dans le programme de l’ethnogra-
phie de la communication qui, toute critique que soit son approche14,
pense la communication en terme de « compétence communicative »,
cet ensemble de règles d’utilisation sur lequel s’appuient les membres
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d’une communauté pour communiquer de manière appropriée dans
des contextes réels. Hymes n’emploie pas fréquemment l’expression
« grammar of rules » ; son objectif semble, cependant, largement plus
systématique que celui des ethnographes des literacy studies. Parallèlement,
comme nous l’avons déjà signalé précédemment, du fait de l’influence des
linguistes du Cercle de Prague et de Jakobson, les propositions théoriques
de Hymes sont plus formalisées, et peut-être formalistes, que celles des
ethnographes des literacy studies.
Malgré ces divergences de fond, il semble que l’on retrouve, cepen-
dant, des limites similaires dans les notions de speech event et literacy event.

3. Imprécisions des notions de speech event et literacy event


L’essentiel des imprécisions et ambiguïtés des notions de speech events et
literacy events réside, nous semble-t-il, dans la définition de leur nature,
dans ce que sont des events. Cette imprécision porte sur deux points liés :
d’une part, sur la porosité des notions avec le concept d’activité et, plus
largement avec celui d’action ou d’acte et, de l’autre, sur la temporalité
floue des événements ainsi posés.

3.1. L’imprécision des rapports entre événement, activité et action


En reprenant les définitions des deux notions, on a pu remarquer que les
événements étaient définis par le terme « activités » chez Hymes comme

14. Comme Labov, Hymes critique l’opposition « compétence/performance » proposée


par Chomsky en 1965 dans Aspects of the Theory of Syntax dans « Vers la compétence
communicative », publié en 1973, repris et traduit dans l’ouvrage de 1984 (Hymes
1984).
LES NOTIONS DE SPEECH EVENT ET LITERACY EVENT 97

chez Barton et que, d’une manière générale, ils renvoyaient à ce que


« font » des participants durant une période de temps donnée. Lorsque,
par exemple, Gemma Moss, appartenant aux literacy studies, définit les
literacy events comme « those situated moments when reading is accom-
plished » (Moss 1999 : 509), il semble qu’elle renvoie bien à l’idée de
l’accomplissement d’une activité. Or, la notion d’« activité » paraît plus
précise, par exemple telle qu’elle est employée dans les travaux d’inspira-
tion ethnométhodologique, que celle d’event et de ce fait plus pertinente
tant d’un point de vue théorique que méthodologique, pour décrire des
faits. Hymes connaissait les travaux des ethnométhodologues et semble
parfois prendre en compte partiellement certains de leurs présupposés,
mais souvent de manière implicite et en synthétisant différents courants
de recherche en linguistique et en sociologie. L’imprécision de la notion
de literacy event sur ce point est peut-être imputable à Hymes. Sur deux
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autres points, le cadre théorique de Hymes apparaît, pour les mêmes
raisons, comme flou.
Dans ses textes plus tardifs, comme la postface de 1984, il met moins
l’accent sur la théorie de la communication de Jakobson que dans ses
premiers textes et emploie plutôt le terme « interaction », mais sans le
définir et sans le reprendre dans ses définitions théoriques. Il nous semble
cependant qu’un certain nombre des events tels qu’il les conçoit pourraient
être appelés « interactions verbales».
Enfin, dans Foundations on Sociolinguistics, Hymes est souvent impré-
cis concernant la différence entre speech event et speech act. Dans la mise en
place de la chaîne speech situations/speech events/speech acts, le propos paraît
certes assez clair  lorsqu’il propose l’exemple que nous avons évoqué de
l’emboîtement « fête/conversation/blague ». De même, lorsqu’il distingue
les deux notions et affirme que parfois un speech event correspond à un
speech act (« say, a rite consisting of a single prayer, itself a single invoca-
tion », Hymes 1974 : 52) son analyse paraît claire. Mais lorsqu’il décrit
les « components of speech », on a quelques difficultés à distinguer ceux
qui concernent spécifiquement les speech events et ceux qui concernent
en réalité les speech acts. Explicitant ce qu’il entend par « setting », il le
caractérise ainsi comme « time and place of a speech act » et, de même,
concernant la « key », la tonalité, il l’a présente comme « tone, manner or
spirit in which an act is done », alors que les autres composantes semblent
se rattacher plutôt aux speech events. Sans vouloir pousser la rigueur vers
trop de pointillisme, on relève la même imprécision chez Basso lorsqu’il
décrit, justement, la méthode de Hymes pour analyser la compétence
communicative :
98 FANNY DELBREILH

a useful way to begin such a task is to discover the classes of communica-


tion acts – in our case, acts of writing or writing events (Basso 1974 : 428).
En mettant sur le même plan event et act et en ne caractérisant pas
précisément ce que ces termes recouvrent, les ethnographes de la com-
munication diluent et aplatissent le flux des actions qui composent des
séquences et des enchaînements, rendant plus difficile une description
fine des enjeux des situations.
C’est cette porosité de la notion d’event avec différents termes ren-
voyant à l’action qui nous paraît expliquer certaines des difficultés que
peut poser la notion.

3.2. La question de la temporalité des événements


Le caractère flou de la temporalité des events est évidemment lié aux
imprécisions dans la conception de(s) l’action(s) et de(s) l’activité(s) que
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nous venons de soulever. Si l’accomplissement d’une activité se déroule
dans un temps variable, celle-ci est généralement limitée par un début et
une fin. Sur ce point, les textes théoriques de Hymes comme des literacy
studies problématisent peu la question des bornes de l’activité décrite. Si,
pratiquement lors de l’enquête de terrain, il paraît « facile », comme le
dit Hymes, de repérer des situations et des events – puisque l’observateur
procède, comme les membres, à des interprétations – et si l’outil event
se révèle sans doute aisément utilisable dans ce cas, il semble cependant
qu’en n’interrogeant pas, théoriquement, les « bornes » et les « limites »
de ces séquences d’actions, ces champs disciplinaires peuvent laisser de
côté un certain nombre de phénomènes, par exemple ceux de négociation
d’entrée et de sortie de l’activité.
Par ailleurs, en ce qui concerne la durée des événements observés et
décrits, on peut relever des extensions de la notion d’event probléma-
tiques, notamment pour comparer des phénomènes. Ainsi, Barton et
Hamilton, dans une étude de cas sur les usages de l’écrit dans une organi-
sation locale, utilisent l’unité d’analyse literacy event pour renvoyer à deux
faits très différents en durée : le premier est la réunion d’une association,
c’est-à-dire un moment aux bornes identifiables et une séquence centrée
autour de l’écrit et définie par la régularité de ses occurrences (« regular
repeated events with a standard format », Barton & Hamilton 1998 :
217), alors que le second renvoie à une campagne de résistance menée
par la même association contre une décision institutionnelle, c’est-à-dire,
d’une part, une unité d’observation beaucoup plus longue, se déroulant
sur plusieurs jours et, d’autre part, un « événement » exceptionnel et inat-
tendu (« unexpected events », Barton & Hamilton 1998 : 217). Barton
LES NOTIONS DE SPEECH EVENT ET LITERACY EVENT 99

et Hamilton jouent ici des deux sens possibles du terme event en anglais :
quelque chose qui se passe, dans le cours normal des choses, d’une part,
et quelque chose d’inhabituel dans le cours des choses, d’autre part. Là
encore, en gardant à l’esprit qu’en français le second sens est le plus usuel
et qu’on ne doit ainsi pas l’étendre au terme anglais, on peut cependant
suggérer qu’une telle extension de la notion lui fait perdre de sa pertinence
pour étudier des activités ordinaires.
Si cette étude nous a permis de revenir sur les notions de speech event et
de literacy event, et d’éclairer leurs différentes relations, on peut indiquer,
pour clore ce parcours, que les divers travaux formalisant puis utilisant
la notion de literacy event que nous avons évoqués ne renvoient cepen-
dant pas toujours explicitement, et peu souvent de manière centrale, à
la notion de départ forgée par Hymes ainsi qu’à ses travaux. Il peut ainsi
être intéressant, pour évaluer plus largement la postérité des travaux de
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Hymes, de questionner les modalités de cette postérité, qui n’est pas
nécessairement affichée et affirmée.

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