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Lercher Alain. Les pieux mensonges de Platon. In: Raison présente, n°38, Avril – Mai – Juin 1976. Mythologies et politique. pp.
45-69;
doi : https://doi.org/10.3406/raipr.1976.1801
https://www.persee.fr/doc/raipr_0033-9075_1976_num_38_1_1801
de P
Ala
Nous ne pouvons nous attacher qu'à Philippe, les « lois scélérates » pre
la vraisemblance historique générale nant prétexte de la vague d'attenta
de ces propos, indépendamment des anarchistes, etc. On pourrait mult
personnages qui les portent, mais en plier les exemples. Tous sont chois
ne perdant pas de vue que c'est Platon dans l'histoire moderne, qui par
mieux à nos mémoires, mais nous n
qui formule
entend
évident. combattre
Or si
lui-même
Platon
: l'avantage
les
nousthèses
ditparaît
qu'il
bien doutons pas de pouvoir en trouver au
tant dans l'histoire ancienne. Qu'im
quelles sont ces thèses, il ne nous dit porte d'ailleurs, le problème du pou
voir est envisagé sous le même angle
pas toujours
combattre ; oupourquoi
du moinsil ce
entend
qu'il les
en
que des gouvernements soient oblig
dit ne nous convainct guère. d'accepter ou de concéder sous la pres
Soit la thèse de Thrasymaque : la sion de leur opposition ou du mouve
justice c'est la loi du plus fort. Cet ar¬ ment populaire (4) certaines réform
gument paraît bien irréfutable, et — sur lesquelles ils ne manquent pa
tout l'art de Socrate se réduit à jouer de revenir dès que l'occasion leur e
sur les mots. La justice c'est d'obéir
est soit
ce offerte
à la
— nature
cela change-t-il
de classe quoi
de leu
qu
aux gouvernants; or ces gouvernants
peuvent se tromper et promulguer des pouvoir et de leur justice ? (5) Nou
lois qui les desservent ; en obéissant à ne commettrons pas l'erreur de pren
ces lois, les gouvernés nuiront aux gou- dre Platon pour un imbécile politiqu
46
LES PIEUX MENSONGES DE PLATON
est peut-être
d'être l'extérieur
de :venir
« vagabondant
de l'extérieur,
de mination
niens justifient
sur les s
ment
sous sa
encore
coupe.
: « »V
étrangers
tant ils separ
mêlent
l'éducation
de ces» affaires.
(24). Pour¬
Ils
que nous que, dan
disent — ou, pour nous en tenir à la mes, les argumen
rigueur, Platon leur fait dire : poids que dans l
versaires en pr
— « L'homme est la mesure de toutes
moyens de contr
choses, pour celles qui sont, me¬
que, si tel n'est
sure de leur être; pour celles qui
forts tirent tout
ne sont pas, mesure de leur non-
leur puissance, ta
être. » (25).
bles n'ont qu'à
destruction des v
— des dieux : « moi, j'écarte de mes
discours et de mes écrits toute af¬ pas le fait des S
firmation sur leur existence ou leur qu'en rendre com
non-existence » (26). sans doute, l'acc
— des lois : « Donc, en politique pour que la cité
aussi, beau et laid, juste et injuste, tre ces intrus. La
celle des traditio
pie et impie, tout ce que chaque
cité croit tel et décrète légalement tophane, mais a
tel pour soi, tout cela est tel en qui n'entend pas
vérité pour chacune (...) ce qui ceux-ci (31). A t
tre, Socrate — e
semble
le moment
au groupe
où il semble
devient vrai
et aussi
dès le piquant de l'h
longtemps qu'il semble. » (27) tiquement assimi
condamné comm
Les lois sont donc de pures conven¬ d'entre eux, pou
LES PIEUX MENSONGES DE PLATON
ainsi on appelle juste ce qu'il est force que les métaphores ne manquent pas,
ekhei.
d'observer. » (45) : to dikaion houtôs passons comme chez l'opticien, des
petits caractères, difficilement percep¬
Mais Platon est plus ambitieux. La tibles, aux plus gros (48).
prosopopée des lois de Criton relève
l'individu,
« Si nousnous
admettons
en admettons
une justice
une pour
aus¬
de la morale provisoire, de l'urgence
politique; Platon écrit (aussi) pour ses si pour l'Etat tout entier. » Puisque
contemporains. Socrate, par sa mort l'Etat est plus grand, la justice y sera
'
exemplaire — c'est-à-dire montrée en
exemple — répand le sens de l'ordre ration
(Rép
plus grande
physique
368e). — —
au donc
sens d'une
mieuxmensu¬
lisible
et condamne la démocratie injuste et
impuissante, qui ne peut l'assassiner
microcosme
Le tour estet habile,
du macrocosme
l'équivalence
pourra
du ji
que parce qu'il veut bien se laisser
faire. Double profit, mais il faut voir
plus loin. Dans la prosopopée des lois,
peut
entrer
de l'harmonie.
justice
parler
dansende
une
dehors
En
justice
théorie
réalité
desans
plus
l'Etat,
il parler
n'y
générale
on
a pas
ne
de fji
la loi se réfère à la justice et la justice
i
renvoie à la loi : s'il ne s'agit que de
mots interchangeables juste/légal, in¬
juste/illégal, c'est l'impasse. « Or les
lois ne se maintiennent en crédit, non locuteurs
gouvernants,
penses
politique.
et jusqu'à
Qu'ont
châtiments,
Ordroit
quelle
fait
présent
du plus
d'autre
lois, :l'origine
est fort,
c'est
intérêt
lesrécom-
inter-
dedes
de
la j!?
parce qu'elles sont justes, mais parce
qu'elles sont lois. C'est le fondement
mystique de leur autorité; elles n'en
ont point d'autre » (46) dit Montaigne. l'Etatsa? naissance
doit
l'individu« se
selon
trouve
moi,
àdel'impuissance
repris-je
se suffire
?, àl'Etat
lui-
où j
Déjà une brèche est ouverte dans cette
tautologie, puisque s'il est juste que même et au besoin qu'il éprouve de
Socrate subisse son châtiment, ce châ¬
j
timent est injuste : appel est fait à une
autre évaluation du juste et de l'in¬
juste. A court terme, dans l'immédiat mille
de
plutôt
ble
aàet
« la
chacun
différencié
la
l'Etat
entre
nature
multiplicité
choses
le ce
lameilleur
lesn'a
sont
multiplicité
les
»mêmes
pas
(369b).
nos
de appariement
caractères
précisément
nos
besoins
dispositions,
Le
de
aptitudes.
nos
etfondement
(369c),
fait
besoins
donné
possi-
l'un
Car
elle
ou j
politique troublé, il est juste d'obéir ;j
aux lois, quelles qu'elles soient ; à plus
long terme, il faut trouver aux lois un
autre « fondement mystique », que les
lois elles-mêmes puissent être dites pour une chose, l'autre pour une au-
i
justes : autre tautologie, si l'on veut, tre ». D'où l'on déduit qu'il vaut mieux
remplacement de la substitution par faire un seul métier que plusieurs :
l'attribution. Puisque la qualité « jus¬ (...) « on fait mieux et plus aisément, }
te » peut être attribuée à la loi sans se lorsque chacun ne fait qu'une chose,
i
56
LES PIEUX MENSONGES DE PLATON
jamais eu de maîtres, se mêler de don¬ division entre les divers travaux, mais
ner des conseils. » (Prot ., 319b-d) La aussi, surtout (53) division entre gou¬
politique est affaire de savoir, c'est vernés et gouvernants ; c'est-à-dire,
une science, « la plus difficile, peut- puisque les gouvernés sont les artisans
on dire, et la plus grande qu'il soit et les guerriers, et que les gouvernants
possible d'acquérir » {Politique, 292d). seuls ont
vision entre
subitravail
la longue
manuel
éducation,
et travail
di¬
Qu'est-ce que les cordonniers, les for¬
gerons, les architectes viennent faire intellectuel. Ecoutons P. Lachièze-Rey:
ici ? Périclès pensait que « ceux qui « Or, si cette division se justifie quand
participent au gouvernement de la cité il s'agit des techniques inférieures,
peuvent s'occuper aussi de leurs affai¬ combien se justifie-t-elle encore da¬
res privées et ceux que leurs occupa¬ vantage quand il s'agit de la technique
supérieure de l'âme et de la destinée
vent
tions seprofessionnelles
tenir fort bien absorbent,
au courant peu¬
des
humaine. » (54) Pensez ! si nous étions
affaires publiques. Nous sommes en ef¬ gouvernés par des cordonniers et des
fet les seuls à penser qu'un homme ne forgerons
sion du travail
! Où irions-nous
est valable? éternelle¬
La divi¬
se mêlant pas de politique mérite de
passer, non pour un citoyen paisible, ment, puisqu'elle est justice. Reste à
mais pour un citoyen inutile. » (51) trouver à cette justice, qui ne nous est
Quelle criminelle naïveté chez ces dé¬ apparue pour l'instant que comme une
mocrates. Ne mélangeons pas les tor¬ certaine pratique sociale nécessaire po¬
chons avec les serviettes : le devoir
litiquement
au bon fonctionnement
— c'est-à-dire
de nécessaire
l'Etat —
des cordonniers, forgerons, architectes
c'est de travailler, chacun dans son un caractère d'éternité. Comment
domaine, sans s'occuper du reste ; leur faire ? A ce point il est peut-être utile
production n'en sera que meilleure d'avoir lu Marx pour comprendre que
(52). Ne sutor ultra crepidam. Car c'est déjà fait. « Ainsi se développe la
c'est bien de crime et de justice qu'il division du travail qui n'était primi¬
s'agit : « Chaque individu ne doit exer¬ tivement pas autre chose que la divi¬
cer qu'un seul emploi dans la société, sion du travail dans l'acte sexuel, puis
celui pour lequel la nature lui a donné devint la division du travail qui se fait
le plus d'aptitude. (...) la possession d'elle-même ou « par nature » en vertu
de son bien propre et l'accomplisse¬ des dispositions naturelles (vigueur
ment de sa propre tâche constituent la corporelle par exemple), des besoins,
justice. (...) L'empiétement sur les fonc¬ des hasards,
vail ne devient
etc.effectivement
La division division
du tra¬
tions des autres et le mélange des trois
classes causeraient à l'Etat le plus du travail qu'à partir du moment où
grand dommage, et l'on n'aurait pas s'opère une division du travail maté¬
tort d'y voir un véritable crime. (...) riel et intellectuel. A partir de ce mo¬
Or le plus grand crime envers l'Etat, ment la conscience peut vraiment
ne l'appelleras-tu pas injustice ? s'imaginer qu'elle est autre chose que
Il n'y a pas d'autre nom à lui don¬ la conscience de la pratique existante,
tice
ner. c'est
» (Rép
donc
., 433a/434a/434c)
la division du La
travail,
jus¬ qu'elle représente réellement quelque
chose sans représenter quelque chose
58
LES PIEUX MENSONGES DE PLATON
des intellectuels par exemple, ou des beau ou laid, bien ou mal, juste ou in¬
gouvernants, que leur dirons-nous ? Il juste, ne jugeant de tout cela que d'après
faut pouvoir leur répondre que la jus¬ les opinions du gros animal... » (65)
tice est autre chose que la loi ou l'or¬ (Rép., 493b-c) Ainsi, il ne suffit pas,
ganisation sociale de fait, que la loi comme le pensaient Périclès et Pro¬
et l'organisation sociale sont dites jus¬ tagoras, de vivre dans une polis pour
tes parce qu'elles se modèlent sur la posséder la science politique. « Nous
justice aussi parfaitement que possible dirons doncdesde belles
multitude ceux qui
choses
regardent
mais ne
la
dans les limites de la pratique (63).
Or quiconque ne connaît rien du juste voient pas la beauté en soi, et sont
et de l'injuste ne saurait émettre un incapables de suivre ceux qui vou¬
avis sensé sur les affaires politiques draient les amener jusqu'à elle, qui re¬
(64). Bon, dit le bouvier au gouver¬ gardent la multitude des choses justes
nant, mais cette justice sur laquelle se mais ne voient pas la justice en soi,
modèle notre organisation sociale, où et ainsi du reste, nous dirons d'eux
est-elle ? montrez-la-moi. Ce n'est pas qu'ils n'ont sur toutes choses que des
si simple, ô bouvier. La justice ne se opinions, mais que des objets de leur
révèle qu'à celui qui connaît. A par¬ opinion ils n'ont aucune connais¬
tir de là, le travail de Platon va être sance. » (Rép., 479d-e) Posons alors
d'éloigner autant qu'il est possible la la question du pouvoir : « Si les phi¬
connaissance de la prise commune. losophes sont ceux qui sont capables
D'abord il faut affirmer qu'il n'y a pas d'atteindre à ce qui existe toujours
de demi-connaissance; la connaissance d'une manière immuable, et s'il faut
est entière ou elle n'est pas : « Ne di¬ refuser ce titre à ceux qui en sont in¬
rons-nous pas aussi du philosophe capables et qui s'égarent dans ce qui
qu'il désire de la sagesse non pas telle est
deuxmultiple
faut-ilet mettre
changeant,
à la
lesquels
tête des
de
partie à l'exclusion du reste, mais qu'il
la désire toute ? » (Ré p., 475b) En¬ l'Etat ? » (484b) Question bien rhéto¬
suite, et surtout, que la connaissance rique, malgré l'embarras de Glaucon
ayant pour objet l'être, et non les for¬ (66). Puisque la connaissance a pour
mes qu'il revêt (.Rép ., 478a), elle est objet l'être et que les philosophes con¬
naissent l'être de chaque chose eux
indépendante
ble — « les amateurs
de la perception
de sons sensi¬
et de
seuls, à proprement parler, connais¬
spectacle (...), se délectent (...) de tous sent.faire
de Inversement,
admettre « ouy a-t-il
reconnaître
un moyen
au
les ouvrages où se manifeste la beauté;
peuple que c'est le beau en soi qui
mais etleurd'aimer
voir esprit la
et nature
incapable
du d'aperce¬
beau en
existe, mais non la multitude des bel¬
soi. » (Rép., 476b) — elle ne peut les choses, que c'est chaque chose en
être tirée d'aucune pratique : ainsi d'un soi qui existe mais non la multitude
palefrenier qui « donnerait à son ex¬ des choses particulières ?
— Il n'y en a pas, dit-il.
périence
serait un letraité,
nom etdesescience,
mettraitenà compo¬
l'ensei¬
— Il est donc impossible, dis-je,
gner sans savoir véritablement ce qui queAule cas
peuple
où notre
soit philosophe.
bouvier s'accroche-
» (494a)
dans ces maximes et ces appétits est
60
LES PIEUX MENSONGES DE PLATON
éternellement valable, Platon est donc la justice céleste : le ciel renverra l'as
convaincu des justifications qu'il en censeur. Puisqu'il faut avaler la pi
donne. Belle élasticité de l'éternité, qui lule trouvons un excipient qui puiss
la faire passer. En termes modernes
suffirait
n'est à l'abri
à prouver
ni de que
l'histoire
la philosophie
ni de la
cet excipient s'appelle une idéologie
politique. Imitons donc P. Lachièze- Il n'y a pas de morale apolitique, c'es
Rey et disons que, puisque la division là que le bât de l'idéalisme blesse. Pa
du travail n'est pas, de notre point de exemple, on s'étonne souvent de l
vue, éternellement valable (81), nous « moralité » des pays socialistes —
sommes conduits à penser que Platon, « on ne vole plus au Vietnam d
qui ne nous paraît pas non plus un Nord » (83) — et ne voit guère d'autr
imbécile, ne croyait guère plus aux moyen de l'expliquer que le totalita
justifications
constructions qu'il
du Timée.
en donne qu'aux risme. Or, dans le même temps, o
dénonce le règne de la corruption dan
Quel que soit le recours adopté, mo¬ les régimes totalitaires fascistes (84
Une lecture attentive de Platon pou
rale, métaphysique
blème est le même :oula religion,
division du
le pro¬
tra¬
vait nous apprendre que le totalitaris
vail, pour Platon aussi bien que pour me n'explique rien. Ce n'est pas d
nous, est un système injuste et alié¬ moralité qu'il faudrait parler pour qua
nant (82). Vocabulaire trop moderne, lifier la conduite des citoyens socialis
dira-t-on. Qu'à cela ne tienne, ce ne tes, mais d'intérêt politique bien com
sont pas les mots qui manquent ; em¬ pris. Si le citoyen ne vole pas, ce n'es
ployons le vocabulaire de Thrasyma- pas parce que c'est « mal », mais par
que et de Calliclès : exploitation des ce qu'il comprend qu'en volant il met
trait en danger la cohésion sociale
faibles
nementpar
constitué.
les forts, D'où
intérêtladuforce
gouver¬
de
Encore faut-il que cette cohésion so
conviction des propos de Thrasymaque ciale lui importe, c'est-à-dire qu'il res
et de Calliclès, car Platon sait bien
sente que
tionne dans
cette
soncohésion
intérêt etsociale
non àfonc
se
qu'ils disent vrai ; mais il sait aussi
que de semblables propos traduisent dépens (85). Autre manière de dire l
une impasse politique : sans justice, même chose : il ne peut y avoir d'in
« impuissance de rien entreprendre en térêt politique bien compris par l'en
commun ». Toute la pensée politique semble des citoyens, que si la politi
platonicienne bute sur cet obstacle in¬ que est l'affaire de l'ensemble des ci
contournable, la division du travail. toyens. Dans ces conditions on n'a qu
Le problème politique se pose alors faire de morale, de réfèrent transcen
en ces termes : comment construire dant métaphysique ou religieux. Mai
une société sur des bases injustes, sa¬ si au contraire,
division du travail,
par les
la logique
citoyensdesonl
chant que l'injustice ruine d'avance
toute cohésion sociale ? La quadrature écartés du pouvoir et de la politique
du cercle, apparemment, pourtant Pla¬ il n'est pas question de leur demande
ton y a trouvé la solution. Puisqu'on un intérêt politique bien compris. L
ne peut changer les choses, changeons choix est alors entre le gendarme et l
les mots, faisons de l'injustice terrestre morale, le policier dans la rue ou l
LES PIEUX MENSONGES DE PLATON
ploité
de vueune
même
conduite
de la morale,
morale du
c'estpoint
un pliquaient
mocratie aussi
bourgeoise,
pertinemmen
par
comble ! (86)
Il est frappant de constater pourtant ci.
qu'àMichel
vent même,
la monarchie
Foucault
mieux àdecelle-là
montre
droit dq
combien
marxisantslesse critiques
trouvent marxistes
démunis de¬
ou
dans son dernier ouvrage (88
vant la pensée politique de Platon. la bourgeoisie montante, pu
Cherchant à expliquer, de manière phante qui a fait prévaloir
très orthodoxe cette pensée politique
systèmesur
âmes pénitentiaire,
le traitement
le trait
d
par les intérêts économiques qu'ils at¬
tribuent à son auteur, ils répètent in¬ Ecoutons un juriste du xviii®
lassablement la même rengaine : Pla¬ à peu près contemporain de
ton est un vieux réactionnaire, tourné chaîne
« Quanddes vous
idées aurez
dans ainsi
la tê
vers le passé, désireux de restaurer
l'ancienne société d'aristocrates ter¬ citoyens, vous pourrez alors
riens, le platonisme est, dans la Grèce ter de les conduire et d'être
du ive s., une régression politique (87). tres. Un despote imbécile
Lorsqu'on sait que ce platonisme pré¬ traindre des esclaves avec d
tendument régressif et réactionnaire a de fer; mais un vrai politiq
fixé les cadres de la pensée politique bien plus fortement par la
occidentale au moins jusqu'à Marx, leurs propres idées; c'est au
c'est un peu léger. Les marxistes ont de la raison qu'il en attache
plutôt tendance à vouer les idéologies bout; lien d'autant plus fort
réactionnaires aux poubelles de l'his¬ en ignorons la texture et qu
toire. Sérieux problème, croyons-nous, croyons notre ouvrage; le
tant pour les historiens que pour les et le temps rongent les liens
philosophes. Si la pensée politique de d'acier, mais il ne peut ri
Platon est une idéologie, de quoi est- l'union habituelle des idées,
elle l'idéologie ? Est-il concevable que que la resserrer davantage;
molles fibres du cerveau est
l'idéologie
tesse dès led'une
ve s. classe
av. J.-C.,
en perte
les aristo¬
de vi¬
base inébranlable des plus fe
crates terriens de l'ancienne Grèce, ait pires. » (89) Qui ne reconn
pu non seulement survivre, mais do¬ Platon dans presque chaqu
miner la pensée politique jusqu'au Car aussi, Platon fasciste si
xixe ou xx* s. apr. J.-C. Le « miracle mais on peut très bien d
grec » a donné naissance à nos cadres Platon de ses éléments préf
logiques, mais aussi à nos cadres po¬ en restera
nos vertueux
plein
démocrates.
de bonnesCe
ch
de
litiques,
Platonetestpour
déterminante.
ce point-ci,
Convenons
l'œuvre
doute pas par hasard que
que la relation de Platon avec l'aris¬ picion de fascisme dans la R
ETUDE
ou dans les Lois éveille dans le petit mensonge. Sans doute la conscience
monde des platoniciens de jolis scan¬ platonicienne peut-elle à la fois recon¬
dales (90). Platon est trop utile, ceux naître la justesse dangereuse des pro¬
qui s'en servent savent le protéger du
discrédit. pos de Thrasymaque et Calliclès, et
croire sincèrement qu'elle peut s'éman¬
Prenons les choses d'un autre côté : ciper du monde réel. Ce qui explique
les mêmes critiques qui parlent à pro¬ assez bien que le conte phénicien doi¬
pos de Platon de réaction ou de ré¬ ve être cru aussi par les magistrats :
gression, voient dans l'auteur de l'Uto¬ quel meilleur mystificateur qu'un édu¬
pie, Th. More, un des grands ancêtres cateur mystifié (92). S'il y a mensonge,
de la pensée socialiste. Or Y Utopie est c'est que Platon s'efforce de démontrer
de part en part un texte absolument le primat de la métaphysique sur la
platonicien (91). Platon vieux réaction¬ politique, alors que dans l'élaboration ?
naire, Th. More grand homme de gau¬ même de sa pensée, le contraire saute
che, ce qui revient à peu près à dire : aux yeux. Car, en dépit qu'on en ait, j
Hitler, Lénine même combat — il fau¬ cette histoire de philosophes-rois est j
drait s'entendre. Le problème est d'im¬
portance, pas seulement pour la criti¬
que platonicienne, et nous n'avons pas
la prétention d'y apporter une réponse
aussitôt. Ce dont nous sommes pour¬
tant convaincu, c'est que le concept
« réactionnaire » ou bien ne s'appli¬
que pas à Platon, ou bien manque,
pour le moins, de précision et de ri¬
gueur.
Il faut pourtant traiter la pensée po¬
litique de Platon comme une idéolo¬
gie, c'est-à-dire un système d'idées
mystificateur, mais aussi partiellement les
voir,
Les
phes
vent
philosophes,
losophie.
lence,
Messieurs,
païdeïa.
la
d'obéir
contraint
signifie
cera
forcément.
sin
un
dans
cousue
des,
mort
Renard
te,
Maispeu,
crâne
philosophes
ils
violence
satirique
braves
on
d'être
cracher
la
dans
ne
une
siils
Platon
n'auront
de
les
autre
tête.
àun
et
n'attrape
le
sont
Ou
par
—La
finiraient
caverne,
la
fil
l'âme,
les
libre
amènerait
On
gens
pouvoir
tournez
tour
:plutôt,
il»dans
«:chose
philosophie
pas
tout
blanc.
nous
volonté
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En
un
ne
connaît
Enfoncez-vous
!au
»complet.
jamais
par
plus
Version
les
quiconque
la
dédaigne
(94).
le
guise
marteau
l'apprend
sinon
fond
et
la
n'a
vos
par
On
soupe
corps
de
dévouement
raisins
générale
au
ça
justification
cet
Au
orde
àforce
que
irait
de
têtes,
qu'on
accepter,
c'est
pouvoir
Ça
s'appelle
idéaliste
les
:atroce
la
sans
stade
pas
clou,
cogne
ce
:leurs
faire
:chercher
se
philoso¬
ils
manger.
refusera
au
bien
la
yAllons
qui
encore
le
crain¬
passe
?com-
pou-
peu¬
(93).
phi¬
sera
des¬
étu-
vio¬
for¬
que
pas
des
sur
du
de
ne
ça
la ]ji
mystifié. Quand nous disons que Pla¬
ton ne croit pas à ce qu'il raconte, le
propos s'entend de manière très rela¬
tive. Les thèses de Thrasymaque et de
Calliclès sont convaincantes parce
qu'elles sont vraies; elles sont étouf¬
fées sous les « sophismes de tribune »
de Socrate mais jamais, à propre¬
ment
les sont
parler,
irréfutables.
réfutées Mais
parceil qu'el¬
serait
tiennent,
puisqu'il
(11)
Tous
agonistique
472b-c,
Platon,
(15)
plique,
(16)
pp.
de
sait
graisse
(20)
(21)
destruction
plusThucydide.
trines
(12)
(13)
ce
pas
sant
passim,
(14)
(17)
(18)
(19)
dis, qui
5-104.
Cité
Jean
Châtelet
Et
aux
Ibid.
Gardons-nous
Cf.
Op.
Institution
forcément
Selon
que
théorique
les
de
politiques
des
482c-483a,
Paris,
Belles
qu'on
vaut
une
dialogues
chacun
met
A.
foules
remarquer
cit.,
par
Platon
Luccioni,
;le
fainéants.
de
Diès
théorie
:la
Claude
en
pour
chap.
p.
1958,
Lettres,
peut
jugement,
et
op.
miséreuses
aussi
des
leurs
pour
déchéance,
en
jeu
le
cxxxviii.
: ne
487e.
plus
d'étendr
quelqu
I,
cit.,
compar
Introd
lui
Grèce,
p.
mistho
qu'il
du
La
la
Moss
prenn
leur
évide
terr
«p.41.
no
di
re
LpP
la
(3)
comme
(5)
tion
F.
ris,
ler
(10)
(1)
publique
ne
qu'à
(2)
en
pruntées
(4)
l'exemple
tout
Classes
croyait
liers
rienne
cette
avait
10/18,
Thrasymaque
droit
Les
Platon,
(6)
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serré,
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rire
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(8)
pilote
les
(9)
précision
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justice
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P.
Châtelet
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La
Toutes
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M.
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Il
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discussions
1965,
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Glaucon
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bourgeois
et
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il
p.
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par
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plus
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morales,
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une
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(...)
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les
bien
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justice.
éditions
et
95.
bourgeoisie
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des
«Erreur
les
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Boivin
les
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et
la
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tant
réalité
de
populaire
citations
et
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le
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Le
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Platon,
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Idées
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citoyens
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le
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Socrate.
lui
Cf.
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que
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Platon
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(339d)
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Lettres
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Ré¬
«elle
Pa¬
est
de
du
se
et
».
leil:
pensée
(24-Timée,
(25)
(26) Théétete,
antique,
19e.
152a.
162e.
Paris,Platon
193
(pour
pour nous
son compte)
éminemment
: « C
l
choses, à meilleur droit q
viduelThéétete,
(27)
problématique
tageux dont
de comparer
onidéaliste
172b.
nous Du parle
cette
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ETUDE
p. 209).on
d'hui
Debré avait-il
Ecole
parlerait
lu« libre
Platon
plustôt
», ? rappelons-le.
de l'E.N.A. Aujour¬
Miche
gorasRoussel).
(28)
mis
(29)
D.
(30)
Méliens.
àId.,
Voir
Laavec
laguerre
V,
Diké
par
la 89,
2edu
exemple
dans
thèse
réponse
Péloponnèse,
les lesur
Euménides
passage
desFeuerbach.
Athéniens
I, de
76d'Eschyle.
la Thé-
(traduc.
aux
Edit. Marx
(55) Sociales,
et Engels,
p. 60. L'Idéologie Allemande
(56) Id., p. 63.
(57) C'est-à-dire à moyen terme, dans la plu
(31) Il écrit, non sans nostalgie : « ... puisque
l'Etat n'était plus administré de la façon
qu'avaient pratiquée nos pères... » Lettre VII,
325d. Mais la critique platonicienne des So¬
phistes n'a que peu de rapport avec celle
d'Aristophane,
aussi méchamment par àexemple,
Socrate, qui
cf. Les
s'en Nuées.
prend
(32) Anaxagore et Protagoras sont également
passés devant les tribunaux, pour impiété ; ils
s'en
(33) Lois,
sont mieux
VIII, 832b-c.
sortis que Socrate.
(34) Ibid.
(35) Du Contrat Social, L. I, chap. 3.
(36) A cet égard, l'évolution des démocraties
bourgeoises vers un type d'«Etat fort » prou¬
ve amplement la faillite des valeurs morales
que ces démocraties prétendent représenter.
Les opérations « coup de poing » prennent le
relais d'une idéologie défaillante.
(37) Platon entend bien « gouverner les pas¬ jouer
me
nous
autres
Rép.
part
délinquance
(58)
(59)
(60)
cellisation
industrielle,
que,
ficacité
«vail
tionnelles.
pas
susceptibles
du
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finit
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accidents,
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l'usine
(61)
(62)
(63)
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(64)
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qu'il
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qualité
l'injuste
juste
travail.
L'Idéologie
Sans
Cf.
de
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se
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de
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République,
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D'où,
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31.
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libérale
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qualité
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justice,
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ou
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divisio
que
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du
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l'hom¬
d'alle
orien
Athé
mai
bien
par
plu
l'ef
cré
dia¬
traleudel
sions », cf. Rép., 439b sqq.
(38)
Pittoresque,
Ce beau revue
texte mensuelle
est cité par
d'éducation
le Magasinet
d'édification des classes moyennes, année 1865.
(39) Cf.
(40) Voir Rép.,
Cl. Mossé
557e. : op. cit.
(41) Cf. Rép., 549a : l'homme timocratique
est «Criton,
Banquet,
(42) fort209d
soumis
51a-c.
et Lois,
aux magistrats
693e. » ; surtout
(50)
(49) P.
E. Chambry,
Lachièze-Rey
La République,
: op. cit., p.p. 2367,; ou
noteen¬1.
niens sur
biade, 113b.
ce qu'il ignorait totalement. » Alci
lecore,210.
division
p. caractère
Robin
du travail
essentiellement
loue Platon
», La d'avoir
pensée
moral hellénique,
«(.) compris
de la
(65) La séparation entre la théorie et la pra
tique est donc absolue : le passage de l
(51) Thucydide, II, 40. théorie à la pratique ne peut se concevoir qu
sur le mode de la déchéance et de l'imperfec
(52) général
bon
du Comme
prétextedechacun
à Gaulle
la paresse.
sait,
en la
maiRappel
politique
1968 à: ilest
l'ordre
faut
un tion (473a) ; quant au passage de la pratiqu
à la théorie,
vable. Aux deuxil est
bouts
toutdesimplement
la chaîne seinconce
trouv
que les étudiants étudient, que les enseignants
enseignent
(53) Cf. Rép.,
et que
434a-b.
les travailleurs travaillent. affirmé que la conscience n'est pas un pro
duit social et que les idées ne viennent pas d
(54) Op. cit., ibid. Apparions encore ses pro¬
pos avec ceux de son compère Robin : pour Cie,
la
quipratique
aurait
ce n'estunsociale.
pas
propos
telleN'en
ou
et une
telle
déplaise
valeur
partie àde
politiques
Akin
l'œuvre
avoir pour
ciale établi les
« lafuturs
nécessité
hommesd'uned'Etat
cultureet spé¬
les
mais
fondements
tout l'idéalisme
mêmes. platonicien dans ce
Platon administrateurs
futurs serait un précurseur
de ladechose
notrepublique
Ecole des
»,
(66) 484c-d.
Sciences Politiques. (La Pensée Hellénique, (67) 503c. E. Chambry signale que « le bien
68
LES PIEUX MENSONGES DE PLATON