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Françoise Brunel

Sur l'historiographie de la réaction thermidorienne. Pour une


analyse politique de l'échec de la voie jacobine
In: Annales historiques de la Révolution française. N°237, 1979. pp. 455-474.

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Brunel Françoise. Sur l'historiographie de la réaction thermidorienne. Pour une analyse politique de l'échec de la voie jacobine.
In: Annales historiques de la Révolution française. N°237, 1979. pp. 455-474.

doi : 10.3406/ahrf.1979.1051

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahrf_0003-4436_1979_num_237_1_1051
MELANGES

SUR L'HISTORIOGRAPHIE
DE LA REACTION THERMIDORIENNE
POUR UNE ANALYSE POLITIQUE DE L'ECHEC
DE LA VOIE JACOBINE

Notre ambition n'est pas de faire un bilan exhaustif des


travaux relatifs à la période thermidorienne.
Nous avons, en premier lieu, délibérément choisi de ne pas
traiter des problèmes de la crise économique, qui dépasse largement
les cadres chronologiques de l'an III. Certes, cette crise est
spectaculaire : l'abolition du maximum (4 nivôse an III - 24
décembre 1794) et le retour aux « règles majeures du libéralisme »
alimentent une spéculation effrénée et n'entraînent pas la « résur
rection de la France de 1791 » (1). La hausse vertigineuse des
prix (2), le manque de denrées de première nécessité, lié à la
disparition des réquisitions et aux difficultés des transports à
l'époque du dégel, rendent compte d'un ensemble de faits :
famine, multiplication des suicides et essor brutal de la mortalité,
effondrement des mariages et des naissances, prostitution en ville,
errants à la campagne et « marginalisation » d'une masse d'indigents
qui avaient survécu durant l'époque de l'économie dirigée (3).

* Que M. le doyen J.-R. Suratteau soit remercié pour les critiques et les conseils
qu'il nous a adressés.
(1) J.-C. Perrot, c Voies nouvelles pour l'histoire économique de la Révolution »,
rapport présenté au Colloque Mathiez-Lefebvre, 30 novembre-l" décembre 1974,
A.H.R.F., n° 219, janvier-mars 1975, p. 33.
(2) A Toulouse, le quintal de blé passe de 23 à 3500 livres, celui de seigle de
15 à 1900 livres, entre frimaire an III et nivôse an IV. Voir M. Schlumberger, « La
réaction thermidorienne à Toulouse », A.H.R.F., n° 204, avril-juin 1971, p. 267. A
Paris, la viande, les œufs, les pommes de terre décuplent de prix. Voir K.D.
Tonnesson, La défaite des sans-culottes. Mouvement populaire et réaction bourgeoise
en l'an III, Paris-Oslo, 1959, pp. 119-136. A Lyon, le pain vaut 30 sous la livre en
pluviôse, 45 en ventôse an III. Voir R. Fuoc, La réaction thermidorienne à Lyon (1795),
Lyon-Paris, 1957, p. 31.
(3) R.C. Cobb, Terreur et subsistances, 1793-1795, Paris, Clavreuil, 1964, chap. VIII,
IX, X, XI, XII ; The Police and the People. French popular protest, 1789-1820, Londres,
The Clarendon Press, 1970, 2° partie, pp. 131-160. Ce livre a été traduit en 1975 ; nous
avons utilisé l'édition originale.
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Mais telle n'est pas notre problématique qui se veut strictement


analyse des luttes politiques (ce qui ne signifie point que nous
considérions ces luttes comme totalement indépendantes de la
réalité économique et sociale).
Il ne s'agit pas, en second lieu, de traiter la totalité des
problèmes politiques de la période thermidorienne, mais de
centrer notre réflexion sur le phénomène de réaction. On sait que
ce vocable était déjà usité par Rousseau (4), mais la Révolution
lui donne son sens politique moderne (5) ; par ailleurs, si réacteurs
et réactionnaires sont jumeaux, le premier terme l'emporte à
l'époque sur le second par la fréquence de l'emploi. Curieusement,
l'épithète de thermidorien pose un problème d'interprétation,
guère abordé jusqu'ici, lié toutefois à l'explication même du concept
de réaction. Souvent utilisé, à mauvais escient, synonyme de traître,
de révisionniste dans un vocabulaire politique révolutionnaire en
quête de « grands ancêtres », il a quelque peu perdu son sens
historique précis (6).
Dernier problème, enfin : force est de constater que l'hist
oriographie est à la fois mince et délicate à manier. Mince, car
l'an III est délaissé, soit au profit de la phase ascendante de la
Révolution, soit au profit de la stabilisation consulaire et impériale,
essentiellement envisagée sous l'angle économique et social.
Réaction thermidorienne et Directoire ont en commun une
histoire politique apparemment confuse ; ils font figure de transi
tion entre deux grands moments, la République jacobine et
l'Empire. Certes, la lacune est en grande partie comblée en ce
qui concerne le Directoire par les travaux de J.-R. Suratteau (7).
Tel n'est pas, dans notre optique, le cas de l'an III. Cependant
an III et Directoire constituent un nœud majeur de l'histoire
révolutionnaire de 1789 à 1815. Nœud tellement essentiel qu'il
explique la difficulté à manier l'historiographie. 1795 : année
durant laquelle les bourgeoisies foncière et financière parviennent

(4) J.-J. Rousseau, Considérations sur le gouvernement de Pologne, XII, in O.C.,


Pléiade, t. III, p. 1018. « Tout l'art humain ne saurait empêcher l'action brusque
du fort contre le faible ; mais il peut se ménager des ressorts pour la réaction... ».
(5) F. Brunot, Histoire de la langue française des origines à 1900, t. IX, 2° partie,
p. 843.
(6) L. Trotsky, « L'Etat ouvrier. Thermidor et Bonapartisme », Bulletin de l'Oppos
ition, n° 46, cité par J.-J. Marie, Le Trotskisme, Paris, Flammarion, 1970.
(7) J.-R. Suratteau, « Les élections de l'an IV », A.H.R.F., n° 124, oct.-déc. 1951,
pp. 374-393, n° 125, janvier-mars 1952, pp. 32-62 ; Les élections de l'an VI et le « coup
d'Etat du 22 floréal..., Paris, Les Belles Lettres, 1971, 460 p. ; « Mise à jour
bibliographique et état des questions », in rééd. du cours de G. Lefebvre, La France
sous le Directoire, 1795-1799, Paris, Editions Sociales, 1978.
SUR L'HISTORIOGRAPHIE DE LA RÉACTION THERMIDORIENNE 457

à condamner la voie jacobine petite-bourgeoise (8) ; année du


triomphe de la pensée libérale, de l'idéal de la promotion indivi
duelle par les seules vertus de la liberté et de l'égalité civiles.
C'est en l'an III que se trouvent les conditions de possibilité
de l'« Enrichissez-vous » de Guizot, du triomphe définitif des
fractions de la grande bourgeoisie réconciliées après juin 1848.
Racine de l'idéal libéral, nul mieux que Mignet ne pouvait
l'exprimer dans son apologie de la Constitution de l'an III : « Cette
Constitution était la meilleure, la plus sage, la plus libérale et la
plus prévoyante qu'on eût encore établie ou projetée : elle était
le résultat de six années d'expérience révolutionnaire et législative.
La Convention éprouvait à cette époque le besoin d'organiser le
pouvoir, et de rasseoir le peuple, à la différence de la première
assemblée, qui, par sa situation, n'avait ressenti que le besoin
d'affaiblir la royauté et de remuer la nation. Tout avait été usé
depuis le trône jusqu'au peuple : il fallait vivre aujourd'hui en
reconstruisant, et rétablir l'ordre tout en conservant un immense
exercice à la nation. C'est ce que fit la constitution nouvelle. Elle
s'éloigna peu de celle de 1791, quant à l'exercice de la souve
raineté ; mais elle en différa beaucoup dans tout ce qui est relatif
au gouvernement. Elle plaça le pouvoir législatif dans deux conseils :
celui des Cinq-cents et celui des Anciens ; le pouvoir exécutif,
dans un Directoire de cinq membres. Elle rétablit les deux degrés
d'élections destinés à ralentir le mouvement populaire, et à donner
des choix plus éclairés que les élections immédiates. Des condi
tions de propriété, sages mais bornées, pour être membre des
assemblées primaires et des assemblées électorales, redonnèrent
l'importance politique à la classe moyenne, à laquelle il fallait
forcément revenir après le licenciement de la multitude et
l'abandon de la Constitution de 93 » (9). Ainsi, selon Mignet,
l'œuvre majeure de la Convention thermidorienne, la Constitution
de l'an III, est un modèle, la base d'un bon gouvernement, éloigné

(8) Sur cette problématique, voir FI. Gauthier, La voie paysanne dans la Rivo-
lution française. L'exemple picard, Paris, Maspéro, 1977, 241 p. ; H. Resbndb,
« Socialisme utopique et question agraire dans la transition du féodalisme au capi
talisme. Sur le concept d'égalitarisme agraire dans la Révolution française », Cahiers
du CERM, a? 124, 1976 ; repris in M. Dobb et P.-M. Sweezy, Du féodalisme au
capitalisme : problèmes de la transition, Paris, Maspero, 1977, t. 2, pp. 111-191, (éd.
française complétée de The transition from Feudalism to Capitalism, Londres, 1954,
rééd. 1976). Le pionnier, en la matière, demeure A. Ado. Sa thèse, en russe, nous
est inaccessible ; mais ses conclusions sont connues par A. Soboul, « Sur le mouve
ment paysan dans la Révolution française », A.H.R.F., n° 211, janvier-mars 1973,
pp. 85-101 ; A. Ado, « Le mouvement paysan et le problème de l'égalité, 1789-1794 »,
in Contributions à l'histoire paysanne de ta Révolution française, pub. tous la
direction d'A. Soboul, Paris, Editions Sociales, 1977, pp. 119-138.
(9) F.-A. Migvet, Histoire de la Révolution française, 2 vol.. Parie, P. Didot, 1823,
rééd. 1837, t. 2, pp. 160-161.
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de la monarchie absolue d'Ancien Régime autant que du Gouver


nement révolutionnaire appuyé sur les masses populaires (10).
Historiographie difficile à manier, puisque marquée, directement
ou non, consciemment ou non, par l'idéologie dominante qui
trouve ses racines en l'an III. Le montagnard Levasseur de la
Sarthe ne s'y trompait pas, lorsqu'il écrivait : « ... le jugement
de la postérité et de l'histoire s'empreint toujours des passions
de la cause qui triomphe... et l'on est cependant habitué à en
appeler au tribunal de l'histoire, tribunal d'appel au moins aussi
injuste et aussi frivole que celui des contemporains » (11).
Notre projet est donc de saisir, au travers de recherches
précises quoique partielles, l'enjeu profond des luttes politiques
de l'an III, le rapport révolution-réaction.

I. — Insuffisance de l'historiographie.
Contrairement à ce qu'affirme D. Woronoff (12), l'histoire
politique de la réaction thermidorienne comporte à la fois des
lacunes et des certitudes à nuancer. Quoi qu'il en soit, elle n'échappe
pas au legs thermidorien.
Ecoutons Albert Mathiez : « La légende Robespierre date
de loin, du lendemain même de sa mort. Elle a eu pour auteurs
ses vainqueurs, les terroristes d'affaires et de sang qui avaient
redouté sa probité rigide et qui l'avaient abattu par traîtrise pour
sauver leurs têtes et faire oublier leurs crimes, les Fréron et les
Barras, les Fouché et les Tallien, les Rovère et les Reubell, les
André Dumont et les Bourdon de l'Oise, les Amar et les Vadier,
dont il suffit de citer les noms souillés et sinistres» (13). Ainsi
pour Mathiez le problème politique de la réaction (qu'il définit
en quelques mots : « Réaction, cela veut dire retour en arrière,
recul» (14)) est-il occulté .par l'amalgame de tous les «conjurés
du 9 thermidor ». Réduisant Robespierre à n'être, in fine, que
l'Incorruptible, il mêle ses « vainqueurs », tous « dantonistes »,
« indulgents » ou « hébertistes », hostiles à la politique religieuse

(10) Pour illustrer cette interprétation libérale de la réaction thermidorienne, voir


A. Aulard, Histoire politique de la Révolution française..., Paris, A. Colin, 1901, 3° éd.
1905, pp. 501-502 ; F. Furet et D. Richet, La Révolution française, 1965, rééd. Paris,
Fayard, 1973, pp. 258-259.
(11) R. Levasseur de la Sarthe, Mémoires, pub. par A. Roche, 4 vol., Paris, 1829-
1831, t. 4, p. 226.
(12) D. Woronoff, La République bourgeoise de Thermidor à Brumaire, 1794-1799,
Paris, Seuil, Coll. « Nouvelle Histoire de la France contemporaine », vol. 3, 1972, p. 8.
(13) A. Mathiez, « Robespierre : l'histoire et la légende », 1931, A.H.R.F., n° 227,
janvier-mars 1977, p. 5.
(14) A. Mathiez, La Réaction thermidorienne, Paris, A. Colin, 1929, p. 1.
SUR L'HISTORIOGRAPHIE DE LA RÉACTION THERMIDORIENNE 459

et à l'Etre suprême, hostiles aussi à la loi du 22 prairial an II ;


mais ne les dépeint-il pas dans les termes qu'ont justement
employés les réacteurs pour éliminer, en l'an III, les derniers
Montagnards ? Cette interprétation présente, à notre sens, de
graves dangers : elle condamne à se perdre dans le dédale des
luttes politiques de 1795, elle défigure la Montagne, non seule
ment après, mais aussi avant le 9 thermidor, elle élimine avec
facilité le problème des « factions », elle renvoie le jacobinisme
à l'utopie. Notre intention n'est pas de nier la césure fondamentale
de Thermidor, mais d'en éclairer les causes et les conséquences
politiques. Opposer des « thermidoriens de gauche » à des « ther
midoriens de droite » obscurcit singulièrement l'histoire de la
Montagne et, partant de là, l'histoire du jacobinisme et de la
naissance de l'Etat bourgeois.
Ainsi A. Manfred (si l'on peut gommer ses écrits au nom
d'une condamnation a posteriori d'une certaine orthodoxie, il
n'en reste pas moins que ses références bibliographiques sont
précisément Jaurès et Mathiez) donne- t-il à cette interprétation une
tournure exagérée dans ses Controverses autour de Robesp
ierre (15). «Les «thermidoriens de gauche», dit-il, avaient,
comme on sait, joué un rôle considérable et funeste dans les
journées fatales du 8 au 10 thermidor. La majorité des futurs
membres de la « conspiration des Egaux », comme d'ailleurs
certains d'entre les Jacobins honnêtes, ceux que l'on nomma « les
derniers Montagnards » — Romme, Goujon, Bourbotte, Soubrany
et autres futures victimes de Prairial —, avaient concouru dans
une bien moins large mesure à la chute de Robespierre, non
sans avoir donné toutefois leur approbation entière au coup
d'Etat ». Appréciation confuse et discutable : Amar ou Vadier
participèrent activement au 9 thermidor, R. Lindet ou Laignelot
occupèrent une place politique d'importance durant les premiers
mois de la réaction. Tous quatre furent compromis (tout comme
leur collègue Ricord) dans la conjuration babouviste. S'ils n'y
prirent en fait aucune part, leur fidélité aux principes jacobins était
suffisamment assurée pour que le Directoire les amalgamât aux
Egaux. Passons sur les affirmations qui suivent dans l'étude de
Manfred : André Dumont et Léonard Bourdon qualifiés d'« héber-
tistes » (et Albert Soboul a démontré depuis longtemps la fausseté
historique de cette épithète) et accusés tous deux d'être passés
dans « le camp de la droite » ; en l'an III, Dumont fut l'un des

(15) A. Manfred, « Controverses autour de Robespierre », Essais d'histoire d*


France du XVIII' au XX' siècle, Editions de Moscou, 1969, pp. 100-104.
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plus ardents Montagnards-réacteurs et Bourdon ouvertement


dernier-Montagnard (16). Enfin, Manfred parle de «contre-révolut
ion », ce qui est, nous le verrons, exagéré, et affirme : « à
la différence des « thermidoriens de gauche », Babeuf et ses amis
du mouvement des « Egaux » effectuèrent à la période de la
contre-révolution thermidorienne et du Directoire, une révision
complète de leur appréciation du tournant de juillet 1794, et
changèrent consciemment leur attitude envers Robespierre» (17).
Encore conviendrait-il de périodiser l'évolution de Babeuf : on
connaît l'attitude anti-jacobine de ses amis du Club électoral, leur
improbation de la fameuse adresse de Dijon (18). Ce n'est qu'en
pluviôse an III (19) que Babeuf, comme nombre de Montagnards,
comprit le véritable sens de cette fameuse « révolution du 9
thermidor » qu'il avait auparavant célébrée. Ce n'est pas, par
ailleurs, dans les Mémoires des anciens Montagnards Levasseur de
la Sarthe, Baudot ou Choudieu, que se nourrit une historiographie
démocratique, révolutionnaire et hostile à Robespierre, comme
l'affirme Manfred (20), mais plutôt dans la tradition révolutionnaire
autonome des masses populaires (21).
Discutables, donc, les affirmations des historiens de l'histoire
politique de l'an III ; partielles aussi les études : les « martyrs
de prairial » ont retenu l'attention, de Jules Garetie (22) au
Colloque de Riom, sur Gilbert Romme (23), de Thénard et
Guyot (24) à A. Galante-Garrone (25). Plus grave encore, cette
histoire politique affirme qu'il y a réaction sans en expliciter ni
la mise en place, ni les rouages.

(16) II n'est point question de poser ici les jalons d'une recherche sur la Montagne
et les Montagnards, objet de notre thèse en cours. Sur les derniers Montagnards,
nous nous permettons de renvoyer à notre article < Les derniers Montagnards et l'unité
révolutionnaire », A.H.R.F., n° 229, juillet-septembre 1977, pp. 385-404. Nous appelons,
par ailleurs, Montagnards-réacteurs ceux des Montagnards qui participent directement
au gouvernement de l'an III, soit dans les Comités, soit en mission.
(17) A. Manfred, art. cit., p. 105.
(18) K.D. Tonnbsson, op. cit., pp. 56-81.
(19) Le Tribun du Peuple, n°* 31 et 32, 9 et 13 pluviôse an III, réimp. EDHIS,
Paris, 1966.
(20) A. Manfred, art. cit., pp. 104-105.
(21) A. Sobûul, Les sans-culottes parisiens en l'an H..., Paris, Clavreuil, 1958.
Voir aussi ce qu'A. Soboul dit du livre de G. Tridon, Les Hébertistes..., 1864, in
« Tradition et création dans le mouvement révolutionnaire français au XIXe siècle.
L'An II », La Commune de 71, Actes du colloque universitaire de mai 1971, in Le
Mouvement Social, n° 79, avril-juin 1972, p. 16.
(22) J. Claretie, Les derniers Montagnards, histoire de l'insurrection de prairial
an III, Paris, 1867, 403 p.
(23) Gilbert Romme (1756-1795) et son temps, Actes du Colloque tenu à Riom et
Clermont, les 10 et 11 juin 1965, Paris, P.U.F., 1966, 224 p.
(24) L. Thenard et R. Guyot, Le Conventionnel Goujon (1766-1795) (le titre comporte
une « coquille » et indique 1793 comme date de la mort de Goujon), Paris, F. Alcan,
1908, 243 p.
(25) A. Galante Garrone, Gilbert Romme, histoire d'un révolutionnaire, 1750-1795,
Einaudi, 1959, trad, française, Paris, Flammarion, 1971, 493 p.
sur l'historiographie de la réaction thermidorienne 461

L'autre « objet chéri » de l'historiographie est l'écrasement du


mouvement populaire. L'histoire sociale — les conséquences du
dramatique hiver 1794-1795 et les mesures étroitement bourgeoises
et conservatrices de la réaction (26) — est, semble-t-il, la seule
histoire possible de l'an III. G. Lefebvre n'écrit-il pas dans
Les Thermidoriens : « Ainsi envisagée du point de vue économique
et social, la réaction thermidorienne acquiert une portée et un
intérêt qu'on ne lui accorde pas d'ordinaire. Extérieurement, c'est
un chaos de luttes politiques meurtrières où les partis mutilés
n'engagent que des épigones trop souvent méprisables et qui
aboutissent, finalement, à l'écrasement de la minorité jacobine,
qu'on représente, avec les thermidoriens, comme une écume
souillée de crimes. Au fond, elle a éliminé la démocratie de la
vie politique et sociale de la France pour près d'un siècle, renoué
le lien avec la révolution de 1789 et commencé à rétablir, avec
la liberté économique et le régime censitaire, cette suprématie
de la bourgeoisie que la Constituante avait organisée... » (27).
G. Lefebvre propose ainsi une définition de la réaction : retour
à 1789-1791. Dans un cours sur Le Directoire, récemment réédité
par les soins de J.-R. Suratteau et A. Soboul, il précise son analyse
des caractéristiques de la réaction. Réaction contre le Gouverne
ment révolutionnaire à base populaire, contre la politique religieuse
de la Terreur. « Rien dit-il, n'a plus contribué à étendre la
Terreur et à la dénaturer que le conflit religieux, la malheureuse
idée que les révolutionnaires, à cause de leur passé, à cause de
leur éducation catholique, de toute la tradition de la France,
avaient de lier la question politique à la question religieuse et
d'ignorer complètement l'idée de laïcité, c'est-à-dire la séparation
des questions métaphysiques et des questions politiques » (28).
Certes, les exemples de Toulouse (29) ou de Marseille et du
Sud-Est (30) illustrent clairement l'interférence des problèmes
religieux et des conflits politiques ; mais il n'en demeure pas moins
que la formulation de G. Lefebvre sur la conception jacobine

(26) Rappelons, dans le désordre, la vente des biens nationaux par exploitations,
le 12 prairial an III (31 mai 1795), les entraves à l'application de la loi du 10 juin
1793 sur le partage des communaux, la suppression de l'effet rétroactif de la loi
du 14 nivôse an II (3 janvier 1794) sur le partage des héritages, le 9 fructidor an III
(26 août 1795), après une campagne intensive de pétitions (voir A.N., C 340 1634).
Cette décision du 9 fructidor mériterait une étude particulière.
(27) G. Lefebvre, Les Thermidoriens, Paris, A. Colin, 1937, rééd. 1969, pp. 12-13.
(28) G. Lefebvre, Le Directoire, C.D.U., Paris, 1943, rééd. par A. Soboul et J.-R.
Suratteau, La France sous le Directoire..., op. cit., p. 22.
(29) M. Schlumberger, art. cit., pp. 275-277.
(30) Histoire de Marseille, chap. X, La Révolution, par M. Voveujb, Toulouse,
Privât, 1973 ; du même auteur. Religion et Révolution, La déchristianisation de l'an II,
Paris, Hachette, 1976, chap. V : «La déchristianisation refusée, les opiniâtres ».
462 F. BRUNEL

du politique est, comme nous le verrons, discutable. Enfin, après


avoir souligné que les Français étaient las des sacrifices imposés
par la Terreur, que la Convention souhaitait reprendre le pouvoir
contre la «dictature» des Comités (31), G. Lefebvre insiste
de nouveau sur la réaction sociale : « il s'agit d'en revenir à
la Révolution de 1789 qui avait eu pour objet d'assurer la préémi
nence politique de la bourgeoisie — plus exactement de la haute-
bourgeoisie, des « notables » » (32).
Ainsi envisagé, l'an III se réduit à la « défaite des sans-
culottes ». K.-D. Tonnesson (33), comme avant lui l'historien
soviétique E. Tarlé (34), n'aborde les problèmes spécifiques de la
réaction qu'en fonction du sanglant affrontement de prairial. Les
luttes à la Convention, la prise en mains de la France entière
disparaissent. Le rôle des derniers Montagnards n'est envisagé
que par rapport aux masses populaires. Avaient-ils ou non la
capacité de diriger l'insurrection ? Etaient-ils même au courant de
cette insurrection ? Qu'avaient-ils, ces « bourgeois », en commun
avec les sans-culottes des Faubourgs ? Il nous semble impossible
de réduire les interrogations politiques à un caricatural « dis-moi
quelle est ta classe, je te dirai qui tu es ». Qu'en est-il alors de
l'idéologie ? Le danger serait grand de laisser dans l'ombre les
buts, les hésitations et surtout les techniques de la réaction thermi
dorienne. Si l'on définit l'an III comme un pur et simple retour
à la période constituante, Ton occulte les problèmes essentiels
de la mise en place de l'Etat bourgeois, l'on privilégie l'étude
des fins aux dépens des moyens.

II. — La prise en mains du pouvoir d'Etat.


De fait, il apparaît clairement que la politique de la réaction
fut moins incohérente, inorganisée et imprévoyante qu'on l'a dit.
Il nous semble possible d'affirmer qu'il y eut une stratégie et
une tactique thermidoriennes. Pour la première fois, on a réduit
la politique à une technique du pouvoir, et cette réduction est
la condition de possibilité du coup d'Etat du 18 brumaire, premier
coup d'Etat « moderne » selon Malaparte, un orfèvre en la
matière (35).

(31) G. Lefebvre, La France sous le Directoire, op. cit., p. 25.


(32) Ibid., p. 26.
(33) K.-D. Tonnesson, op. cit. ; R.-C. Cobb et G. Rude, « Les journées de germinal
et de prairial an III », Revue Historique, CCXIV, 1955, pp. 250-281.
(34) E. Tarle, Germinal et Prairial, Editions de Moscou, 1951, trad, française,
1959, 408 p.
(35) C. Malaparte, Technique du coup d'Etat, 1931, rééd. Paris, Grasset, 1966,
pp. 120-142.
sur l'historiographie de la réaction thermidorienne 463

Certes, de nombreux faits soutiennent la thèse de la lassitude


des Français, facteur d'abandon de la politique de l'an IL Le
bloc paysan s'était divisé à propos du partage des communaux (36) ;
réquisitions et armées révolutionnaires étaient généralement
honnies. Mais plus que lassés, c'est soucieux de revanche sociale
que sont les grands négociants de Lyon, de Marseille, de Bordeaux
ou de Nantes, lorsqu'ils réclament la « renaissance du commerce
et des arts ». Plus encore, dans les régions où la lutte entre
fédéralistes et jacobins avait été particulièrement âpre, les vaincus
de l'été 1793 voient revenir leur temps : tel est le cas de
Toulouse, de Marseille et, au premier chef, de Lyon (37). Mais,
les facteurs de lassitude ont masqué la difficile déjacobinisation
de la France. Les luttes politiques ne furent pas dures dans les
seules sections parisiennes, mais dans tout le pays : le personnel
jacobin se maintint à Toulouse jusqu'au printemps 1795 (38), les
sans-culottes marseillais s'insurgèrent le 5 vendémiaire an III (26
septembre 1794) et malmenèrent les représentants Auguis et Serres
qui ne poursuivirent leur œuvre d'épuration des autorités locales
et de mise en place de la réaction qu'après les 5 exécutions et
250 inculpations ordonnées par une commission militaire (39).
Toulon, enfin, fut en prairial an III le théâtre du même affront
ement que Paris.
Nous ne reviendrons pas sur la « dé-sans-culottisation » des
sections parisiennes, étudiée par Tonnesson (40). Nous nous
attacherons à montrer l'investissement de l'opinion publique, en
soulignant les difficultés de cette prise en mains, ce qui requiert
une périodisation de la réaction.
Les illusions dominent de thermidor au tournant de frimaire.
La France semble satisfaite du 9 thermidor et de l'élimination
de la « dernière faction ». Un flot d'adresses inonde la Convent
ion (41). Sont-elles spontanées ? C'est là un faux problème,
puisque ce sont encore les Jacobins qui dirigent les sociétés
populaires et les autorités constituées, tandis que les représentants
en mission montagnards orchestrent le ton officiel. Partout domine
le mot d'ordre lancé par Barère à la Convention le 11 thermidor :
la Sainte Montagne a triomphé de toutes les factions, la Convention

(36) Fl. Gauthier, op. cit.


(37) R. Fuoc, op. cit.
(38) M. Schlumberger, art. cit., pp. 274-275.
(39) Histoire de Marseille, op. cit.
(40) K.-D. Tonnesson, op. cit., chap. V, pp. 97-118.
(41) La Convention a reçu, en thermidor, des lettres et adresses qui occupent S
cartons, A.N., C 312, 313, 314, 315, 316 ; par la suite, même après les événements
de germinal et prairial, la moyenne s'établit à un ou un carton et demi par mois.
464 F. BRUNEL

est la boussole de la Révolution, l'organe de la souveraineté


populaire, le Gouvernement révolutionnaire demeure intact.
Certes, des signes de réaction se font jour : rapport de la loi
du 22 prairial, le 14 thermidor ; libération des détenus à Paris
comme dans les grandes villes de province ; décrets du 7 fructidor
(24 août 1794) sur les Comités de gouvernement (le Comité de
législation est imparti d'une fonction essentiellement répressive)
et sur les comités révolutionnaires ; suppression de l'indemnité des
40 sous, le 4 fructidor (21 août 1794)... Cependant, rien n'est
clair à ce jour : les « patriotes » sont divisés, comme en témoigne
l'attitude anti-jacobine et thermidorienne du Club électoral (42),
la Montagne et les Jacobins, ébranlés par la chute de Robespierre,
n'ont point regroupé leurs troupes et se perdent en autocritique.
Le tournant de frimaire an III clarifie la situation (43).
Pour assurer le nouveau régime et rendre impossible l'application
de la Constitution de 1793 que réclament nombre de sociétés
populaires (44), deux conditions semblent nécessaires. En premier
lieu, la fermeture du Club des Jacobins, dernière et prestigieuse
tribune des Montagnards, isolés à la Convention. Dans un second
temps, la punition d'un coupable, qui symboliserait l'horreur de
la politique terroriste et empêcherait toute tentative de propagande
et de retour aux principes de l'an II. Le Bon, Maignet ou
Carrier ? On se fixa sur ce dernier : accusé le 3 frimaire an III
(23 novembre 1794), il fut exécuté le 26 (16 décembre). Les
adresses envoyées à la Convention témoignent, une fois encore,
de l'importance de ce tournant : le mot « Montagne » disparaît ;
on dénonce « l'esprit de parti », les « dénominations ridicules »
de « jacobins », « feuillants », « cordeliers », « plaine » et
« marais » ; on demande la punition des « buveurs de sang »,
des « continuateurs de Robespierre » (45). Les grandes orientations
de la politique thermidorienne se dessinent : rappel des Girondins
proscrits le 18 frimaire (8 décembre), relance de l'offensive contre
les anciens membres des Comités le 30 (20 décembre), amnistie
du 12 (2 décembre) aux Vendéens et aux Chouans, qui pourtant

(42) Voir plus haut, note 18.


(43) Nous pensons, après un dépouillement systématique de la série C des A.N.,
que le tournant de la réaction se fait globalement en frimaire, et non en brumaire
comme le dit Tonnesson pour les sections parisiennes.
(44) Voir les cartons d'adresses de la série C des A.N.
(45) Voir, entre autres, la déclaration du conventionnel Petit de l'Oise, proche
des Girondins, le 28 fructidor an II (14 septembre 1794), Journal de la Montagne,
n° 138, 29 fructidor. « Que ces dénominations monstrueuses de Montagne, de Jaco
bins, de Feuillants, de Modérés, source intarissable de divisions, soient à jamais
anéanties ! » déclare la société populaire de Port-Solidor (Saint-Servan) à la Convent
ion,le 24 brumaire an III (14 novembre 1794), A.N., C 326 1422. On pourrait, une
fois encore, multiplier les exemples.
SUR L'HISTORIOGRAPHIE DE LA RÉACTION THERMIDORIENNE 465

multiplient leurs actions dans PUle-et-Vilaine, le Morbihan et la


Loire-Inférieure, sans oublier le rapport Lakanal du 27 brumaire
(17 novembre) qui supprime l'obligation scolaire et déclare suff
isante une école primaire pour 1 000 habitants.
Vient ensuite la deuxième étape de la réaction, de nivôse
à germinal an III. Elle voit la montée des luttes. La réaction
agit sur deux fronts : politique et idéologique, social et écono
mique. L'écrasement de germinal et prairial s'inscrit alors comme
une nécessité logique. L'heure est avant tout anti-jacobine (46).
On pense sérieusement à modifier la portée de la Constitution
de 1793 par des lois organiques (47) ; on dépanthéonise Marat,
pourtant utilisé comme ciment unificateur par cette même réaction
à ses débuts (48) ; on abat les Montagnes symboliques. On décide
enfin d'étudier la conduite des « Quatre grands coupables »,
Barère, Billaud-Varenne, Collot d'Herbois et Vadier ; le rapport
de la Commission des 21 par Saladin, girondin rentré et réacteur
forcené, n'est en fait qu'un long réquisitoire contre la politique
et les principes de l'an II.
Nous n'insisterons pas sur les journées des 12 germinal et
l*r prairial, troisième étape de la réaction. Les modérés Lanjuinais,
Boissy d'Anglas ou Durand-Maillane triomphent à la Convention,
les « honnêtes gens » dans toute la France. La « République
jacobine » est vaincue avec le désarmement des terroristes, l'arres
tation de 65 députés montagnards et l'abandon de la fiction des
lois organiques (49).
La dernière étape, des lendemains de prairial au 4 brumaire
an IV (26 octobre 1795), marque les limites de la stabilisation
thermidorienne et débouche sur les problèmes directs de la tenta
tivedirectoriale (50). C'est la Terreur blanche, l'incessante activité

(46) Cette priorité accordée à la lutte anti-jacobine est évidente à Lyon (R.
Fuoc, op. cit).
(47) Cl.-H. Church, « Du nouveau sur les origines de la Constitution de 1795 »,
Revue Historique du Droit français et étranger, 1974, 4, pp. 594-627 ; voir J.-R.
Suratteau, c.r., A.H.R.F., n° 227, janvier-mars 1977, pp. 151-153.
(48) Nous pensons que la réaction a utilisé l'obsession jacobine d'unité. Un décret
du 26 brumaire an II (16 novembre 1793) avait ordonné le transfert des restes de
Marat au Panthéon. Il n'avait jamais reçu d'application. Le 5e jour sans-culottide
an II (21 septembre 1794), l'on transféra Marat au Panthéon, en lieu et place des
« restes impurs de Mirabeau ». Cette fête tourna à la débandade comme l'indique
M. Ozouf, La fête révolutionnaire..., Paris, Gallimard, 1976, p. 139. Marat fut
« dépanthéonise » à la suite du décret du 20 pluviôse an III (8 février 1795) ; ses
bustes et ceux de Chalier furent partout brisés.
(49) Cl.-H. Church, art. cit.
(50) J.-R. Suratteau, « Etat des questions. La situation à l'automne 1795, conti
nuité ou discontinuité ? », in G. Lefebvre, La France sous le Directoire..., op. cit.,
p. 793.
466 F. BRUNEL

des prêtres réfractaires, encouragés par la séparation de l'Eglise


et de l'Etat, des sabreurs d'Aix, de Marseille, de Toulon, de
Nîmes ou de Lyon. Cette violente résurgence du royalisme conduit
au décret qui frappe Lyon, le 6 messidor (24 juin 1795). Le
décret des deux-tiers a pour objectif de maintenir la continuité
républicaine, tandis que le 13 vendémiaire entraîne la création
d'une commission militaire, aussi peu indulgente que celle de
prairial.
Le problème essentiel est alors de démontrer le mécanisme
de cette prise du pouvoir par les Thermidoriens, processus qui
paraît achevé en prairial, légalisé avec la Constitution, et cependant
bien précaire au 13 vendémiaire. Qui dit, de nos jours, prise du
pouvoir dit investissement de l'appareil d'Etat, et au premier chef
de l'armée. Or, l'armée avait été en 1793 - an II, selon J.-P.
Bertaud, une «école du jacobinisme» (51). Comment, dans ces
conditions, faire confiance à une armée dont la déjacobinisation
s'avère lente et délicate (la présence de gendarmes parmi les
condamnés de Marseille, en vendémiaire an III, puis en prairial,
le prouve assez) (52) ; par ailleurs, il semble que nombre de
généraux aient été simplement attentistes, comme l'indique la
fameuse lettre de Davout à son ami Bourbotte, le 4 prairial an
III (23 mai) (53). A défaut d'une armée consentante, et sans police
moderne organisée, les Thermidoriens utilisèrent une masse de
manœuvre que l'on retrouvera ultérieurement dans certaines
« irrésistibles ascensions » du XXe siècle, et qui signe la modernité
du coup d'Etat thermidorien. Milices parallèles, groupes de
pression, exécuteurs officieux des basses oeuvres, ce sont les
Compagnons de Jésus ou du Soleil qui massacrent les « mathe-
vons » lyonnais (54), les prisonniers du fort Saint- Jean à Marseille,
avec la complicité des représentants du peuple, Boisset et Cadroy
à Lyon, Cadroy encore à Marseille (55). C'est surtout la Jeunesse
dorée. A Toulouse, les « jeunes gens », soutenus par le représentant
Laurence, fondent un journal, L' Anti-Terroriste, et multiplient
les rixes avec les Jacobins (56).

rapport
(51) J.-P.
présenté
Bertaud,
au colloque
« Voies Mathiez-Lefebvre,
nouvelles pour l'histoire
A.H.R.F.,militaire
n° 219, decit.,la pp.
Révolution
91-92. »,
(52) Sur la participation des gendarmes à l'insurrection marseillaise, voir A.N.,
C 325 1412, les officiers, sous-officiers... de l'Armée d'Italie à la Convention, 24
vendémiaire an III (15 octobre 1794). Pour les événements de prairial, voir A.N.,
F 7 4429 : 18 gendarmes et un lieutenant de gendarmerie furent condamnés à mort
par la commission militaire.
(53) A.N., W 547 dos. 43 ; voir F. Brunel, art. cit., p. 391.
(54) R. Fuoc, op. cit., « Le problème de la Compagnie de Jésus », p. 80.
(55) Histoire de Marseille, op. cit.
(56) M. Schlumberger, art. cit., pp. 271-272.
sur l'historiographie de la réaction thermidorienne 467

A Lyon, ils agissent de concert avec les émigrés, les prêtres


réfractaires, les partisans d'Imbert-Colomès (57). Proches du
royalisme, ils sont socialement les frères des jeunes gens parisiens
étudiés par F. Gendron (58). Ces Muscadins à cadenettes, portant
l'habit vert à collet noir, armés d'un gourdin qui annonce le
nerf de bœuf, s'étaient déjà signalés en mai 1793. Dirigée en
sous-main par Rovère plus que par Fréron, la Jeunesse dorée
est composée de déserteurs, de réquisitionnaires insoumis,
d'embusqués, garçons marchands, commis de petits négociants,
courtiers ou agioteurs, jeunes gens du monde des lettres, de la
basoche ou du spectacle, tel le journaliste Martainville, rédacteur
au très officiel Moniteur, tel Louis Jullian qui témoigne contre
les représentants accusés devant la commission militaire de prairial.
L'on peut cependant regretter que F. Gendron n'ait pas poussé
plus loin l'analyse sociale de ces « anti-sans-culottes » à travers les
dossiers notariaux du Minutier central des Archives nationales.
Bourgeois, certes, ces jeunes gens, mais l'on aimerait connaître
précisément les niveaux et la nature de leurs fortunes. F. Gendron,
enfin, pose cette question qui nous semble dans une certaine mesure
discutable : « sans jeunesse dorée, pas de réaction thermido
rienne ?» (59). Selon nous, les Thermidoriens ont simplement
tiré parti de ce qu'ils pouvaient utiliser, au risque éventuel d'être
entraînés plus loin que prévu, de la réaction à la contre-révolution,
dont ils ne voulaient en aucun cas, ce qui explique le revirement
de l'été 1795.
Il semble donc indispensable de redéfinir les alliances et la
technique politique thermidoriennes. A l'alliance jacobine, succède
une autre alliance, celle d'une fraction de la bourgeoisie révolution
naire avec les « honnêtes gens », propriétaires fonciers, marchands-
fabricants et grands négociants. Mais cette alliance, triomphante
et sans danger en juin 1848, est encore en équilibre instable
en 1795, tant il est vrai que le royalisme de l'an III n'est pas
l'orléanisme de 48, encore moins le bonapartisme. Pour éliminer
le jacobinisme, les Thermidoriens se sont appuyés sur les éléments
modérés de la Révolution, proscrits pour leurs penchants au
compromis, anciens Feuillants ou Girondins. Proches parfois du
royalisme, ils forment ce que J.-R. Suratteau appelle le « magma
clichyen de l'an V » (60). Mais ne risquaient-ils pas de conduire

(57) R. Fuoc, op. cit., pp. 122-135.


(58) F. Gendron, La Jeunesse dorée parisienne de l'an III, thèse de doctorat
de 3« cycle, soutenue en mai 1977 à l'Institut d'Histoire de la Révolution française.
Université de Paris, 1, 2 vol. dactylographiés, 743 p.
(59) F. Gendron, op. cit., p. 89.
(60) J.-R. Suratteau, c.r. cit. p. 153.
468 F. BRUNEL

la République à un retour, même partiel, à l'Ancien Régime ?


Vendémiaire permit de les éliminer (61).
La technique politique thermidorienne est moins connue. Elle
est pourtant remarquable. La réaction a investi, à d'autres fins
politiques, les cadres formels de l'an II : Comités de gouverne
ment, comités révolutionnaires, sociétés populaires, missions des
représentants. Les renouvellements de fructidor an II chassent des
trois Comités de gouvernement les Montagnards les plus mar
qués (62). Ceux de nivôse an III en excluent les plus hésitants,
victimes du vertige unitaire post-thermidorien, comme Laigne-
lot (63). Aux renouvellements de la mi-pluviôse an III, n'entrent
dans les Comités de la Convention que des Montagnards-réacteurs,
des modérés, des Girondins, des députés effacés qui avaient survécu
en l'an II. Seuls les Montagnards Soubrany et Alard sont élus,
le premier au Comité de la guerre avec 81 voix, après Reubell
et devant Fréron, le second au Comité de commerce avec 41
voix (64). Mouvement identique en ce qui concerne les missions.
Dès fructidor, l'on rappelle les plus rigides des Montagnards,
comme Maignet ou Soubrany, Du Roy ou Duquesnoy, et l'on
envoie des modérés ou des Montagnards-réacteurs : Boisset dans
l'Ain, Besson dans le Jura, Calés à Dijon, Auguis et Serres,
Goupilleau de Montaigu et Perrin dans le Midi, Sevestre dans la
Haute-Saône (65). Au printemps, les ultra-modérés et les Giron
dinstriomphent : Saladin qui désarme les terroristes de la Haute-
Saône (66), Laurence à Toulouse (67), Cadroy à Lyon, puis à
Toulon et Marseille (68). Or, le rôle et l'influence de ces repré
sentants sont identiques à ceux qu'ils avaient en l'an II : ils
épurent les autorités constituées, organisent les nouveaux comités
de surveillance, dirigent l'opinion publique. Respectés et craints
comme leurs collègues montagnards, ils effectuent le même remar
quable travail politique, mais en sens inverse. Les épurations,
où l'on soumet les anciens cadres suspects de terrorisme à une

(61) F. Gendkon, op. cit., p. 466, « Vendémiaire et la déroute de la Jeunesse


dorée ».
(62) A.S., C 318 1283-85, scrutins des 16, 17, 18 et 20 fructidor an II.
(63) A.N., C 330 1484-85, scrutins des 18, 19 et 20 nivôse an III.
(64) A.N., C 333 1518-20, scrutins des 17, 18, 19 et 22 pluviôse an III.
(65) On peut recomposer le mouvement des représentants en mission grâce au
tableau qui se trouve dans A.N., F 7 4444, pi. 2, complété par les cartons de la série C.
(66) Saladin, député de la Somme, décrété d'arrestation le 21 août 1793, rentré
avec les Girondins protestataires le 18 frimaire an III. Sur sa mission en Haute-
Saône, voir J. Girardot, Le département de la Haute-Saône pendant la Révolution,
3 vol. Vesoul, 1973, A. Perrier, c.r., A.H.R.F., n° 227, janvier-mars 1977, pp. 139-149.
(67) Laurence, député girondin de la Manche, rentré le 18 frimaire an III. Sur
sa mission à Toulouse, voir M. Schlumberger, art. cit.
(68) Cadroy, député modéré des Landes, vota pour la détention et le sursis dans
le procès du roi, mais ne se risqua pas aux côtés des Girondins. Sur ses missions,
voir R. Fuoc, op. cit., et Histoire de Marseille, op. cit.
sur l'historiographie de la réaction thermidorienne 469

autocritique publique, vont de pair avec les arrestations. Ainsi les


sociétés populaires qui étaient restées attachées aux principes de
l'an II et avaient envoyé des adresses « jacobines » à la Convention
en fructidor an II ou vendémiaire an III (69) se rétractent-elles
et couvrent-elles d'éloges les « vertueux représentants » qui ont
ramené dans le sein de la Nation les brebis égarées et empêché
les irrécupérables de nuire.
Nous illustrerons par un exemple précis — mais pas unique —
cette manipulation de l'opinion publique. Les 23 et 25 fructidor
an II (9 - 11 septembre 1794), la société populaire de Semur-
en-Auxois envoie à la Convention deux adresses identiques à celle,
plus fameuse, de Dijon (70). Il faut renforcer la terreur pour
les « ennemis de la République », pour ces « mauvais citoyens »
qui « cherchent à détourner l'opinion publique », dit-elle ; elle
s'élève contre la liberté indéfinie de la presse, « réclamée par les
conspirateurs », et qui ne « pourra être effective que dans des
temps plus opportuns, lorsque la révolution sera achevée ». Le
3 vendémiaire an III (24 septembre 1794), elle annonce qu'elle
a solennellement brûlé le pamphlet Les Jacobins démasqués (71).
Mais, le 18 vendémiaire (9 octobre), la Convention envoie en
Côte d'Or le montagnard-réacteur Calés (72). Il épure en premier
lieu les sociétés dijonnaises, puis obtient, après quelques difficultés,
la rétractation de la société de Semur qui, le 20 frimaire (10
décembre), désavoue ses adresses de fructidor : le bon représentant
Calés a ramené le calme et le bonheur contre les « suppôts de
Robespierre », il a épuré les autorités constituées des
« meneurs » (73). Ainsi les Thermidoriens ont-ils dissocié les
techniques du pouvoir de l'idéologie qui les avaient inspirées. Au
printemps 1795, l'Etat bourgeois du XIXe siècle est d'ores et déjà
en place.

III. — La réaction : pour un essai de définition.


Nous proposons donc, à partir de ces quelques réflexions sur
l'historiographie de la réaction thermidorienne, une tentative de
définition de cette politique. .
.

(69) Ces adresses se trouvent dans le Journal de ta Montagne, t. 3 et 4, et dans


A. Aulard, La Société des Jacobins, t. 6.
(70) A.N., C 332 1503.
(71) Journal de ta Montagne, n° 158, 14 vendémiaire an III.
(72) Calés, député montagnard-réacteur de la Haute-Garonne, remplit deux mis
sions en l'an III (vendémiaire et nivôse), deux fois membre du Comité de sûreté
générale.
(73) A.N., C 332 1503 ; voir aussi AN., C 331 1494, te Conseil général et les
citoyens de la commune de Vitteaux, district de Semur, à la Convention, le 20
frimaire an III, qui écrivent exactement la même chose.
470 F. BRUNEL

Les historiens ont, sans nul doute, été victimes des définitions
données par les révolutionnaires eux-mêmes, des derniers Mont
agnards à Babeuf. Pour eux, la réaction est le simple retour à
la politique modérée des Girondins, voire au compromis feuillant.
« Les circonstances nous offrent de singuliers rapprochements
entre ce qui se passe maintenant et ce qui se disait au commenc
ement de la Révolution », déclare Du Roy le 2 vendémiaire an
III (23 septembre 94) (74). Choudieu, Cambon, Billaud-Varenne,
Levasseur de la Sarthe, Barère tiennent des propos identiques (75).
Les Montagnards défendent les patriotes de 93 contre les patriotes
de 89 ; mais ils confondent souvent, dans le feu de l'action, réaction
et contre-révolution. Pour les Jacobins comme pour les réacteurs,
le problème essentiel est de terminer la Révolution. Mais en
l'an III, les premiers sont incapables de le résoudre. D'un côté,
ils souhaitent comme fin de la Révolution, l'application de la
Constitution de 1793, l'instauration de la République de la
liberté et de l'égalité ; de l'autre, en dépit de leur antirobespier-
risme de circonstance et de façade, qui souvent les paralyse, la
nécessité révolutionnaire justificatrice de la Terreur les pousse à
refuser la liberté de la presse, la libération des suspects, la
suppression du maximum, bref la politique de l'an III.
La solution est plus claire pour les réacteurs et leurs alliés :
n'ont-ils pas cru terminer la Révolution par l'élaboration de la
Constitution de l'an III ? La politique thermidorienne fut, sans
doute, avant tout anti-jacobine (il y avait urgence), mais elle fut
aussi anti-royaliste, et l'on utilisa souvent l'amalgame jacobins-
royalistes. Une adresse des citoyens de Brest du 19 nivôse an III
(8 janvier 1795) est sur ce point très éclairante : « hommes du
14 juillet, du 10 août, Républicains comme les deux Brutus,
nous ne voulons ni la dictature de César, ni la royauté de
Tarquin » (76). On rappellera aussi la fameuse affaire Lacroix.
Le 8 nivôse (28 décembre 1794), le montagnard Duhem dénonçait
à la Convention un ouvrage intitulé Le Spectateur français pendant
le gouvernement révolutionnaire, par un nommé Lacroix. Il était
dit, en substance, que la France ne voulait pas de la Constitution
de 1793 et regrettait celle de 1791. Laignelot, l'un des derniers
Montagnards, répondit au nom du Comité de sûreté générale, déjà
investi par les réacteurs, qu'on avait lancé un mandat d'arrêt contre
ce « royaliste », car « c'est proposer un roi que de proposer la

(74) Moniteur, t. 22, p. 54.


(75) F. Brunel, art. cit.
(76) A.N., C 334 1536.
SUR L'HISTORIOGRAPHIE DE LA RÉACTION THERMIDORIENNE 471

Constitution de 91 » (77). On célèbre, par ailleurs, officiellement


l'anniversaire de la mort de Louis XVI. Ni 93, ni 91. La réaction
conserve cependant de 93 un décret, à nos yeux essentiel : l'abo
lition définitive de la féodalité. Certes, l'on supprime de la
Déclaration des droits de l'an III (assortie, rappelons-le, d'une
Déclaration des devoirs) les droits à J'assistance, à l'instruction
(et c'est en brumaire an IV, la création des Ecoles centrales,
pépinières pour les futurs notables, alors que l'on oublie total
ement l'enseignement primaire), bien évidemment à l'insurrection
et même au bonheur. Surtout, l'on revient au système censitaire :
la souveraineté n'appartient plus au peuple, mais à « l'universalité
des citoyens » (c'est-à-dire aux Français majeurs et payant une
contribution directe quelconque). Système qui ne s'embarrasse plus
des subtilités juridiques de 91, plus large puisque le cens est
plus bas, plus étroit puisque les exclus ne sont plus citoyens,
même passifs (78). La politique thermidorienne aboutit donc à
un régime plus étroitement bourgeois que celui de 1791 ; mais,
et la différence est capitale, sans l'espoir d'un compromis avec
l'Ancien Régime. La réaction est une création politique originale
qui annonce la stabilisation directoriale et impériale.
Quel est, dans ce cadre, l'enjeu des luttes politiques de
l'an III ? Plus encore qu'en l'an II, Montagnards et Jacobins
semblent obsédés par l'idéal égalitaire du petit producteur indé
pendant, par l<e refus du salariat : dans un pays libre, un million
de riches ne peut faire vivre vingt-quatre millions de citoyens,
c'est contraire à la règle sacrée de l'égalité (79). Ce principe
fondamental est lié à leur conception de la politique : soumise à
la nécessité révolutionnaire, elle demeure toutefois pédagogie,
fondée sur la sensibilité. Nul doute que les Montagnards n'aient
fait leur la fameuse formule de l'Emile, « ceux qui voudront
traiter séparément la politique et la morale n'entendront jamais
rien à aucune des deux » (80). Comme en l'an II, les Montagnards
se sont laissés enfermer dans le filet contraignant de leur constant
souci de légitimité. Héritage rousseauiste qui condamne le légis
lateur à être « au-dessus des intérêts de corps et des passions »,
à tenter sans espoir de « réaliser l'unité de l'intention et de l'action

(77) Moniteur, t. 23, pp. 78-79.


(78) M. Reinharo, La France du Directoire, cours en Sorbonne, Paris, CDU, 1956-
1957.
(79) On pourrait multiplier les références. Voir, entre autres, la séance du Club
des Jacobins du 3e jour sans-culottide an II (19 septembre 1794) in Journal de la
Montagne, n° 144, 5e jour sans-culottide ; Levasseur de la Sarthe, Mémoires, op. cit.,
t. 3, pp. 253-254 ; Du Roy, intervention du 2 vendémiaire citée, Monsieur, t. 22, p. 55.
(80) J.-J. Rousseau, Emile, livre IV, Ed. Gamier, p. 269.
472 F. BRUNEL

qui apparaît comme l'achèvement de la volonté révolution


naire» (81).
Cette morale explique l'idéal austère, hérité d'une Sparte
mythique (et sans hilotes) qui soutient les Défenses de Billaud-
Varenne, de Collot d'Herbois (82) et des « martyrs de prai
rial » (83). Elle explique le ton politique des déclarations de
fortunes exigées en vendémiaire an IV (84). Le caractère péda
gogique de la politique, si clair dans le Rapport de Robespierre
du 18 floréal an II Sur les fêtes révolutionnaires, se retrouve dans
les appels de l'an III au « tribunal de l'histoire ». Il conduit au
suicide héroïque (85). Influence, ici encore évidente, du rous-
seauisme : le suicide vertueux se justifie quand, à l'exemple des
Romains, on ne peut « plus être utile à autrui, à ses concitoyens,
à l'humanité » (86). Influence, aussi, des études faites souvent
dans les collèges oratoriens, des lectures de Cicéron ou d'Epictète
et de la morale néo-stoïcienne, transmise et repensée par Rous
seau (87). « Souviens-toi du courage de Latéranus... Qu'on le
mette aux fers ! — Que dit-tu, mon ami, est-ce moi que tu
menaces de mettre aux fers ? Je t'en défie. Ce sont mes jambes
que tu y mettras, mais pour ma volonté, elle sera libre, et
Jupiter même ne peut me l'ôter... » (88). N'en trouve-t-on pas
un écho chez Romme : « J'ai fait mon devoir ; mon corps appart
ient à mes juges ; mon âme reste indépendante et tranquille
au milieu de ses souvenirs » (89). « Si je n'avois à défendre
qu'une existence... j'en abandonnerais froidement le reste aux
événements... Mais je ne saurois faire avec le même stoïcisme,
le sacrifice de ma réputation, je ne puis être aussi insensible au
jugement que mes contemporains et la postérité porteront à ma
mémoire », écrit Soubrany (90). Et Goujon : « Ma vie est entre
les mains des hommes, elle est le jouet de leurs passions ; ma

(SI) M. Ansart-Dourlen, Dinaturation et violence dans la pensée de J.-J. Rousseau,


Lille III, 1976, pp. 141-143.
(82) A.N., F 7 4599 4 et AD XVIII A 18.
(83) A.N., W 547 dos. 43. Les défenses de Goujon et de Romme sont connues, ainsi
que la dernière lettre de Bourbotte ; elles ont été publiées en premier lieu par
Tissot, Souvenirs de ta journée du premier prairial an III, Paris, an VIII. Les
défenses des autres martyrs de prairial sont inédites ; elles seront publiées dans
un volume à paraître chez EDHIS en 1980.
(84) A.N., C 353 (classement départemental des députés).
(85) Gilbert Romme et son temps..., op. cit., Sur le suicide héroïque, pp. 163-208.
(86) M. Launay, « Contribution à l'étude du suicide vertueux selon Rousseau »,
in Gilbert Romme et son temps..., op. cit., p. 176.
(87) G. Bretonneau, Stoïcisme et valeurs chez J.-J. Rousseau, Paris, SEDES,
1977, 189 p. D. Leduc - Fayette, /.-/. Rousseau et le mythe de l'Antiquité, Paris,
Vrin, 1974, 194 p.
(88) Epictete, Entretiens, livre I, IV, cité par J. Brun, Les Stoïciens, Paris,
P.U.F., 1962, pp. 135-136.
(89) A.N., W 547, dos. 43.
(90) Ibid.
SUR L'HISTORIOGRAPHIE DE LA RÉACTION THERMIDORIENNE 473

mémoire ne leur appartient pas, elle est à la postérité, elle est le


patrimoine des hommes justes de tous les temps, des coeurs
sensibles et généreux... » (91). Peut-on réduire ce suicide à n'être
qu'orgueil ou solution individuelle de contradictions insolu
bles(92) ? Si ces deux explications l'éclairent, elles n'en rendent
pas totalement compte. Pour ces hommes parfois marqués, comme
Romme, par une « religiosité jansénisante » (93), la mort volont
airene représentait-elle pas une profonde « révolution culturelle » ?
Qu'en est-il de la politique thermidorienne ? On extraira
de la masse des discours qui, de vendémiaire à prairial an III,
parviennent à « exorciser le passé » (94) et à tuer l'espérance
populaire en la voie jacobine, une motion d'ordre exemplaire
prononcée le 21 ventôse (11 mars 1795) par Boissy d'Anglas,
le plus représentatif des Thermidoriens (95). Le * bon » gouver
nement est celui du juste milieu, quelles que soient les circons
tances, puisque la Révolution est achevée depuis le 10 août. La
politique est une technique réservée au législateur « vertueux »,
certes, mais surtout « habile » et « prudent ». Le but n'est plus
le « bonheur de tous », mais l'« intérêt public ». Pour cela, le
métier de gouvernant consiste à « étouffer continuellement ces
germes de dédain ou de haine, ... réprimer l'orgueil et l'ambition
du riche, ... contenir la jalousie, l'emportement et la licence du
pauvre, ... établir des lois sages, des barrières immuables qui
s'opposent à ce que la richesse puisse dominer ou avilir la pauvreté,
et qui défendent à la pauvreté de violer les propriétés de la
richesse ». Si la politique devient ainsi clairement le garant de
l'ordre économique, c'est parce que les hommes sont inégaux par
nature. En rupture totale avec l'analyse montagnarde, toujours
héritée de Rousseau, Boissy d'Anglas invoquant l'inégalité natur
elle entre les hommes en justifie la continuation au sein de
l'état social : « l'égalité de fortune n'est autre chose que la ruine
de l'état social et le retour à l'état sauvage ». Et il conclut :
« Nous avons renversé la féodalité ; l'égalité règne dans la
république... Paix éternelle entre les chaumières et les maisons,
entre le négociant et l'ouvrier, entre le manufacturier et l'artisan ;
paix éternelle entre le riche et le pauvre ! ». Tels sont donc le
discours thermidorien et la voie finalement choisie par la bourgeoisie
française : séparation immédiate du capital et du travail, priorité

(91) Ibid.
(92) A. Soboul, < Présentation de Gilbert Romme... », in Gilbert Romme et son
temps..., op. cit., pp. 7-21.
(93) A. Galante Garrone, op. cit., p. 49.
(94) M. Ozouf, « De Thermidor & Brumaire : le discours de U Révolution sur
elle-même », Revue Historique, 1970, p. 31.
(95) Moniteur, t. 23, pp. 660-664.
474 F. BRUNEL

donnée aux grands centres du capitalisme commercial, en désaccord


total avec la politique de l'an II. Mais l'abolition de la féodalité,
œuvre de la Convention montagnarde, ne fut jamais remise en
cause.
**
Que conclure de ces quelques propos sur l'historiographie
de la réaction thermidorienne ? Une double réflexion s'impose, qui
était déjà la problématique esquissée par Claude Mazauric en 1974,
mais qui, jusqu'à présent, n'a guère suscité de discussions. Le
premier jalon de cette démarche serait d'élargir la réflexion sur
les voies de passage au champ du politique, d'analyser les rapports
entre la voie paysanne, illustrée par A. Ado, puis FI. Gauthier, et
une voie jacobine défendue — semble-t-il — par la majorité des
Montagnards. Le second jalon en découle nécessairement. Si l'on ne
considère le politique ni comme une superstructure négligeable, au
regard du mouvement des forces productives, ni comme une force
capable de « secouer d'en haut » l'économique, mais comme le champ
des luttes pour le pouvoir, non seulement entre des classes antagon
istes, mais aussi entre des fractions de classe (96), si l'on reconnaît
à la politique une « autonomie relative par rapport à l'économie,
à la société et aux idéologies... » (97), l'histoire politique de
la Révolution semble étonnamment marquée du sceau des
historiens libéraux.
En considérant l'an III sous l'angle d'un investissement de
structures politiques condamnées à court terme, mais utilisées
pour leur efficacité immédiate, on cesse de voir la lutte entre
Montagnards et réacteurs comme un combat strictement moral.
Les Montagnards parlent sans cesse de vertu, mais ils parlent
aussi de force, de nécessité. N'avaient-ils pas une pratique politique
que leurs adversaires ont consciemment utilisée et détournée
contre eux, étant bien entendu qu'une technique du pouvoir ne
se conçoit pas, pour nous, comme indépendante totalement de
l'idéologie qui la produit ? En envisageant l'an III comme le théâtre
d'une véritable bataille pour le pouvoir et le contrôle de l'Etat,
l'on éclairera peut-être, a posteriori, la signification historique
du jacobinisme.
Françoise BRUNEL.

71-72(96)
et N.139.Poulantzas, L'Etat, le pouvoir, le socialisme, Paris, P.U.F., 1978, pp. 49,
(97) Cl. Mazauric, « Quelques voies nouvelles pour l'histoire politique de la
Révolution française », rapport présenté au colloque Mathiez-Lefebvre, A.H.R.F., n"
219, p. 136.

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