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Brunel Françoise. Sur l'historiographie de la réaction thermidorienne. Pour une analyse politique de l'échec de la voie jacobine.
In: Annales historiques de la Révolution française. N°237, 1979. pp. 455-474.
doi : 10.3406/ahrf.1979.1051
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahrf_0003-4436_1979_num_237_1_1051
MELANGES
SUR L'HISTORIOGRAPHIE
DE LA REACTION THERMIDORIENNE
POUR UNE ANALYSE POLITIQUE DE L'ECHEC
DE LA VOIE JACOBINE
* Que M. le doyen J.-R. Suratteau soit remercié pour les critiques et les conseils
qu'il nous a adressés.
(1) J.-C. Perrot, c Voies nouvelles pour l'histoire économique de la Révolution »,
rapport présenté au Colloque Mathiez-Lefebvre, 30 novembre-l" décembre 1974,
A.H.R.F., n° 219, janvier-mars 1975, p. 33.
(2) A Toulouse, le quintal de blé passe de 23 à 3500 livres, celui de seigle de
15 à 1900 livres, entre frimaire an III et nivôse an IV. Voir M. Schlumberger, « La
réaction thermidorienne à Toulouse », A.H.R.F., n° 204, avril-juin 1971, p. 267. A
Paris, la viande, les œufs, les pommes de terre décuplent de prix. Voir K.D.
Tonnesson, La défaite des sans-culottes. Mouvement populaire et réaction bourgeoise
en l'an III, Paris-Oslo, 1959, pp. 119-136. A Lyon, le pain vaut 30 sous la livre en
pluviôse, 45 en ventôse an III. Voir R. Fuoc, La réaction thermidorienne à Lyon (1795),
Lyon-Paris, 1957, p. 31.
(3) R.C. Cobb, Terreur et subsistances, 1793-1795, Paris, Clavreuil, 1964, chap. VIII,
IX, X, XI, XII ; The Police and the People. French popular protest, 1789-1820, Londres,
The Clarendon Press, 1970, 2° partie, pp. 131-160. Ce livre a été traduit en 1975 ; nous
avons utilisé l'édition originale.
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(8) Sur cette problématique, voir FI. Gauthier, La voie paysanne dans la Rivo-
lution française. L'exemple picard, Paris, Maspéro, 1977, 241 p. ; H. Resbndb,
« Socialisme utopique et question agraire dans la transition du féodalisme au capi
talisme. Sur le concept d'égalitarisme agraire dans la Révolution française », Cahiers
du CERM, a? 124, 1976 ; repris in M. Dobb et P.-M. Sweezy, Du féodalisme au
capitalisme : problèmes de la transition, Paris, Maspero, 1977, t. 2, pp. 111-191, (éd.
française complétée de The transition from Feudalism to Capitalism, Londres, 1954,
rééd. 1976). Le pionnier, en la matière, demeure A. Ado. Sa thèse, en russe, nous
est inaccessible ; mais ses conclusions sont connues par A. Soboul, « Sur le mouve
ment paysan dans la Révolution française », A.H.R.F., n° 211, janvier-mars 1973,
pp. 85-101 ; A. Ado, « Le mouvement paysan et le problème de l'égalité, 1789-1794 »,
in Contributions à l'histoire paysanne de ta Révolution française, pub. tous la
direction d'A. Soboul, Paris, Editions Sociales, 1977, pp. 119-138.
(9) F.-A. Migvet, Histoire de la Révolution française, 2 vol.. Parie, P. Didot, 1823,
rééd. 1837, t. 2, pp. 160-161.
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I. — Insuffisance de l'historiographie.
Contrairement à ce qu'affirme D. Woronoff (12), l'histoire
politique de la réaction thermidorienne comporte à la fois des
lacunes et des certitudes à nuancer. Quoi qu'il en soit, elle n'échappe
pas au legs thermidorien.
Ecoutons Albert Mathiez : « La légende Robespierre date
de loin, du lendemain même de sa mort. Elle a eu pour auteurs
ses vainqueurs, les terroristes d'affaires et de sang qui avaient
redouté sa probité rigide et qui l'avaient abattu par traîtrise pour
sauver leurs têtes et faire oublier leurs crimes, les Fréron et les
Barras, les Fouché et les Tallien, les Rovère et les Reubell, les
André Dumont et les Bourdon de l'Oise, les Amar et les Vadier,
dont il suffit de citer les noms souillés et sinistres» (13). Ainsi
pour Mathiez le problème politique de la réaction (qu'il définit
en quelques mots : « Réaction, cela veut dire retour en arrière,
recul» (14)) est-il occulté .par l'amalgame de tous les «conjurés
du 9 thermidor ». Réduisant Robespierre à n'être, in fine, que
l'Incorruptible, il mêle ses « vainqueurs », tous « dantonistes »,
« indulgents » ou « hébertistes », hostiles à la politique religieuse
(16) II n'est point question de poser ici les jalons d'une recherche sur la Montagne
et les Montagnards, objet de notre thèse en cours. Sur les derniers Montagnards,
nous nous permettons de renvoyer à notre article < Les derniers Montagnards et l'unité
révolutionnaire », A.H.R.F., n° 229, juillet-septembre 1977, pp. 385-404. Nous appelons,
par ailleurs, Montagnards-réacteurs ceux des Montagnards qui participent directement
au gouvernement de l'an III, soit dans les Comités, soit en mission.
(17) A. Manfred, art. cit., p. 105.
(18) K.D. Tonnbsson, op. cit., pp. 56-81.
(19) Le Tribun du Peuple, n°* 31 et 32, 9 et 13 pluviôse an III, réimp. EDHIS,
Paris, 1966.
(20) A. Manfred, art. cit., pp. 104-105.
(21) A. Sobûul, Les sans-culottes parisiens en l'an H..., Paris, Clavreuil, 1958.
Voir aussi ce qu'A. Soboul dit du livre de G. Tridon, Les Hébertistes..., 1864, in
« Tradition et création dans le mouvement révolutionnaire français au XIXe siècle.
L'An II », La Commune de 71, Actes du colloque universitaire de mai 1971, in Le
Mouvement Social, n° 79, avril-juin 1972, p. 16.
(22) J. Claretie, Les derniers Montagnards, histoire de l'insurrection de prairial
an III, Paris, 1867, 403 p.
(23) Gilbert Romme (1756-1795) et son temps, Actes du Colloque tenu à Riom et
Clermont, les 10 et 11 juin 1965, Paris, P.U.F., 1966, 224 p.
(24) L. Thenard et R. Guyot, Le Conventionnel Goujon (1766-1795) (le titre comporte
une « coquille » et indique 1793 comme date de la mort de Goujon), Paris, F. Alcan,
1908, 243 p.
(25) A. Galante Garrone, Gilbert Romme, histoire d'un révolutionnaire, 1750-1795,
Einaudi, 1959, trad, française, Paris, Flammarion, 1971, 493 p.
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(26) Rappelons, dans le désordre, la vente des biens nationaux par exploitations,
le 12 prairial an III (31 mai 1795), les entraves à l'application de la loi du 10 juin
1793 sur le partage des communaux, la suppression de l'effet rétroactif de la loi
du 14 nivôse an II (3 janvier 1794) sur le partage des héritages, le 9 fructidor an III
(26 août 1795), après une campagne intensive de pétitions (voir A.N., C 340 1634).
Cette décision du 9 fructidor mériterait une étude particulière.
(27) G. Lefebvre, Les Thermidoriens, Paris, A. Colin, 1937, rééd. 1969, pp. 12-13.
(28) G. Lefebvre, Le Directoire, C.D.U., Paris, 1943, rééd. par A. Soboul et J.-R.
Suratteau, La France sous le Directoire..., op. cit., p. 22.
(29) M. Schlumberger, art. cit., pp. 275-277.
(30) Histoire de Marseille, chap. X, La Révolution, par M. Voveujb, Toulouse,
Privât, 1973 ; du même auteur. Religion et Révolution, La déchristianisation de l'an II,
Paris, Hachette, 1976, chap. V : «La déchristianisation refusée, les opiniâtres ».
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(46) Cette priorité accordée à la lutte anti-jacobine est évidente à Lyon (R.
Fuoc, op. cit).
(47) Cl.-H. Church, « Du nouveau sur les origines de la Constitution de 1795 »,
Revue Historique du Droit français et étranger, 1974, 4, pp. 594-627 ; voir J.-R.
Suratteau, c.r., A.H.R.F., n° 227, janvier-mars 1977, pp. 151-153.
(48) Nous pensons que la réaction a utilisé l'obsession jacobine d'unité. Un décret
du 26 brumaire an II (16 novembre 1793) avait ordonné le transfert des restes de
Marat au Panthéon. Il n'avait jamais reçu d'application. Le 5e jour sans-culottide
an II (21 septembre 1794), l'on transféra Marat au Panthéon, en lieu et place des
« restes impurs de Mirabeau ». Cette fête tourna à la débandade comme l'indique
M. Ozouf, La fête révolutionnaire..., Paris, Gallimard, 1976, p. 139. Marat fut
« dépanthéonise » à la suite du décret du 20 pluviôse an III (8 février 1795) ; ses
bustes et ceux de Chalier furent partout brisés.
(49) Cl.-H. Church, art. cit.
(50) J.-R. Suratteau, « Etat des questions. La situation à l'automne 1795, conti
nuité ou discontinuité ? », in G. Lefebvre, La France sous le Directoire..., op. cit.,
p. 793.
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rapport
(51) J.-P.
présenté
Bertaud,
au colloque
« Voies Mathiez-Lefebvre,
nouvelles pour l'histoire
A.H.R.F.,militaire
n° 219, decit.,la pp.
Révolution
91-92. »,
(52) Sur la participation des gendarmes à l'insurrection marseillaise, voir A.N.,
C 325 1412, les officiers, sous-officiers... de l'Armée d'Italie à la Convention, 24
vendémiaire an III (15 octobre 1794). Pour les événements de prairial, voir A.N.,
F 7 4429 : 18 gendarmes et un lieutenant de gendarmerie furent condamnés à mort
par la commission militaire.
(53) A.N., W 547 dos. 43 ; voir F. Brunel, art. cit., p. 391.
(54) R. Fuoc, op. cit., « Le problème de la Compagnie de Jésus », p. 80.
(55) Histoire de Marseille, op. cit.
(56) M. Schlumberger, art. cit., pp. 271-272.
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Les historiens ont, sans nul doute, été victimes des définitions
données par les révolutionnaires eux-mêmes, des derniers Mont
agnards à Babeuf. Pour eux, la réaction est le simple retour à
la politique modérée des Girondins, voire au compromis feuillant.
« Les circonstances nous offrent de singuliers rapprochements
entre ce qui se passe maintenant et ce qui se disait au commenc
ement de la Révolution », déclare Du Roy le 2 vendémiaire an
III (23 septembre 94) (74). Choudieu, Cambon, Billaud-Varenne,
Levasseur de la Sarthe, Barère tiennent des propos identiques (75).
Les Montagnards défendent les patriotes de 93 contre les patriotes
de 89 ; mais ils confondent souvent, dans le feu de l'action, réaction
et contre-révolution. Pour les Jacobins comme pour les réacteurs,
le problème essentiel est de terminer la Révolution. Mais en
l'an III, les premiers sont incapables de le résoudre. D'un côté,
ils souhaitent comme fin de la Révolution, l'application de la
Constitution de 1793, l'instauration de la République de la
liberté et de l'égalité ; de l'autre, en dépit de leur antirobespier-
risme de circonstance et de façade, qui souvent les paralyse, la
nécessité révolutionnaire justificatrice de la Terreur les pousse à
refuser la liberté de la presse, la libération des suspects, la
suppression du maximum, bref la politique de l'an III.
La solution est plus claire pour les réacteurs et leurs alliés :
n'ont-ils pas cru terminer la Révolution par l'élaboration de la
Constitution de l'an III ? La politique thermidorienne fut, sans
doute, avant tout anti-jacobine (il y avait urgence), mais elle fut
aussi anti-royaliste, et l'on utilisa souvent l'amalgame jacobins-
royalistes. Une adresse des citoyens de Brest du 19 nivôse an III
(8 janvier 1795) est sur ce point très éclairante : « hommes du
14 juillet, du 10 août, Républicains comme les deux Brutus,
nous ne voulons ni la dictature de César, ni la royauté de
Tarquin » (76). On rappellera aussi la fameuse affaire Lacroix.
Le 8 nivôse (28 décembre 1794), le montagnard Duhem dénonçait
à la Convention un ouvrage intitulé Le Spectateur français pendant
le gouvernement révolutionnaire, par un nommé Lacroix. Il était
dit, en substance, que la France ne voulait pas de la Constitution
de 1793 et regrettait celle de 1791. Laignelot, l'un des derniers
Montagnards, répondit au nom du Comité de sûreté générale, déjà
investi par les réacteurs, qu'on avait lancé un mandat d'arrêt contre
ce « royaliste », car « c'est proposer un roi que de proposer la
(91) Ibid.
(92) A. Soboul, < Présentation de Gilbert Romme... », in Gilbert Romme et son
temps..., op. cit., pp. 7-21.
(93) A. Galante Garrone, op. cit., p. 49.
(94) M. Ozouf, « De Thermidor & Brumaire : le discours de U Révolution sur
elle-même », Revue Historique, 1970, p. 31.
(95) Moniteur, t. 23, pp. 660-664.
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71-72(96)
et N.139.Poulantzas, L'Etat, le pouvoir, le socialisme, Paris, P.U.F., 1978, pp. 49,
(97) Cl. Mazauric, « Quelques voies nouvelles pour l'histoire politique de la
Révolution française », rapport présenté au colloque Mathiez-Lefebvre, A.H.R.F., n"
219, p. 136.