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ASTER N° 14. 1992. Raisonner en sciences INRP. 29. rue d'Ulna. 75230 Paris Cedex 05
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2 . LE DÉVELOPPEMENT DU RAISONNEMENT
EN RELATION AVEC DES ACTIVITES
D'APPRENTISSAGE D E L'ÉCRITURE
DE COMPTES RENDUS
2 . 1 . Un c a c h e t d'aspirine ... e t le b o u c h o n s a u t e
("expliquer" = "décrire" ou "interpréter")
L ' e x p é r i e n c e s u i v a n t e e s t p r o p o s é e à u n e c l a s s e de
Troisième, en début d'année. On met un quart de cachet
réalisation des d'aspirine effervescente dans un pilulier contenant de l'eau.
manipulations On ferme celui-ci et l'on observe rapidement que le bouchon
indiquées pour saute.
provoquer un
phénomène Les manipulations à effectuer sont des plus simples, le
simple phénomène observé également ; et ceci est délibéré. Ce que
souhaite l'enseignant, c'est focaliser le travail des élèves sur
ce qui peut faire ici difficulté : l'interprétation du phéno-
mène et sa rédaction par les élèves ; et il a préféré pour cela
mais inexplicable une réalisation expérimentale qui ne pose pas problème par
ailleurs.
Il est annoncé d'emblée aux élèves que l'interprétation du
phénomène demandera de mettre en jeu le modèle particu-
sans le recours laire de la matière. Une formulation en a été construite avec
au modèle les élèves dans les cours précédents, en relation avec les
particulaire de la paramètres caractéristiques d'un gaz : pression, volume,
matière
température, nombre de particules.
J e caractériserai deux tâches, qui ne sont pas nécessaire-
ment successives pour les élèves mais qui me semblent dis-
tinctes : la tâche d'élaboration de l'explication et la tâche de
mise en forme du raisonnement explicatif en respectant des
normes.
Le phénomène considéré est, pour l'enseignant, un fait
expérimental construit de façon deductive en rapport avec le
le phénomène modèle ; l'effet est prévu. Pour l'élève, il a le statut d'une
n'est pas observation surprenante. En effet, l'effet est inattendu (le
construit par les bouchon saute) et paraît sans commune mesure avec ce qui
élèves l'a provoqué (mettre un comprimé dans de l'eau ne provoque
rien de particulier dans l'expérience de tous les jours). Il
motive la recherche d'une explication rationnelle.
On est là devant une situation transposant au cadre sco-
laire l'activité d u scientifique qui cherche à éprouver les
c'est un fait modèles physiques dont il dispose pour voir s'ils peuvent
observé rendre compte de façon satisfaisante de nouvelles classes de
phénomènes (ce que Kuhn appelle la science courante). Les
élèves auront bien cette référence en tête au moment de la
rédaction du compte rendu puisqu'ils chercheront à préciser
le b u t de l'expérience - nous y reviendrons. Mais dans le
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qui. ici. conduit à Ici le professeur, ayant noté que le mot expliquer est utilisé
une réflexion plusieurs fois par les élèves, tantôt avec le sens de décrire,
métacognitive tantôt avec celui d'interpréter, choisit de centrer la réflexion
sur le raisonnement à propos d'une expérience scientifique,
en partant d'une réflexion sur les opérations mentales dési-
gnées par ce terme.
Après u n long débat sur le sens de ces différents mots,
après recherche dans le dictionnaire, le terme "expliquer" est
éliminé. Il est remplacé soit par "donner le but", quand il
s'agit d'une explication qui cherche à finaliser l'expérience
(la question théorique pour laquelle l'expérience a été
sur les opérations conçue), soit par "décrire" quand l'explication précise la
en jeu dans le façon dont l'expérience est conduite (le protocole d'expé-
raisonnement à rience), soit p a r "interprêter" q u a n d l'explication rend
propos d'expé- compte, avec des outils conceptuels théoriques, du phéno-
riences mène observé. Ces distinctions seront reprises et affinées
par la suite. Une discussion s'engage sur ce que peut être le
b u t d'une expérience : répondre à u n e question, com-
prendre, explorer.
Ainsi dans ce débat, chacun, par sa participation ou son
écoute, cherche à s'approprier les objectifs, à comprendre,
preuves à l'appui, le sens des rubriques de la grille, conçues
comme différents moments du raisonnement, et à préciser
les différentes opérations intellectuelles auxquelles elles ren-
voient. Ce travail d'explicitation passionne les élèves et le
professeur note une amélioration de la qualité des comptes
rendus beaucoup plus rapide que les années précédentes.
"Pour arriver à faire monter de l'eau à l'intérieur d'une seringue sans action-
ner le piston une fois que la seringue est dans l'eau.
1er : Avoir un cristallisoir rempli d'eau et une seringue
2ème : On bouche l'extrémité de la seringue avec un doigt. Ensuite, on actionne
le piston comme si l'on aspirait de l'eau pour avoir un vide qui permettra par la
suite en plongeant la seringue dans l'eau défaire monter l'eau à l'intérieur de
la seringue. Ensuite, on la plonge dans l'eau et on lâche l'extrémité bouchée par
le doigt sans lâcher le piston et V eau montera. "
"Pour arriver à faire monter l'eau à l'intérieur d'une seringue, sans activer le
piston une fois que la seringue est dans l'eau.
On prend une seringue dont le piston est poussé à fond, on bouche l'extrémité
de la seringue avec un doigt (en gardant le doigt sur l'extrémité de la seringue),
on actionne le piston comme si on aspirait de l'eau pour que la pression qui est
à l'intérieur de la seringue soit inférieure à la pression extérieure, ce qui per-
mettra par la suite à l'eau de monter dans la seringue.
Ensuite, on plonge la seringue dans l'eau en gardant toujours le doigt sur
l'extrémité de la seringue ; une fois qu'elle est dans l'eau on enlève le doigt qui
bouche l'extrémité où l'eau monte car la pression exercée sur l'eau est plus
«puissante» que celle qui est dans la seringue, donc l'eau doit monter."
3 . LE DÉVELOPPEMENT DU RAISONNEMENT
EN RELATION AVEC LA PRODUCTION DÉCRITS
ACCOMPAGNANT L'EXPÉRDSNCE
OU L'OBSERVATION
Un exemple de la
M tûLh*m. ^H.t JbaiA. ILb Un/uujnJb -boù»tÌ> tJL- ACL&OJLUC- OU.
première version
Ài CAAMÀt :ottb tÌA/Ui/l/1 tOUI.ctófc/5 .
du document
anticipatoire
'l'y *jcj>cwi»u6t.
91WV k^eT
Si»» At Cu deStL» Un exemple de la
deuxième version
Cannette.. du document
anticipatoire
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3 . 2 . La vipère
(écrire d e s q u e s t i o n s p o u r c o n s t r u i r e u n e
interprétation)
Dans cette séquence, l'écrit est utilisé comme un moyen de
fixer les doutes et les hésitations, de les valoriser, de les
reprendre pour les confronter à de nouvelles données et de
montrer qu'ils sont une étape de la démarche scientifique.
L'obstacle que Ton veut dépasser est celui de l'adhésion
absolue à la première impression. Les élèves ont tendance à
éliminer toute interrogation, et à fournir une interprétation
valoriser le doute qu'ils considèrent comme immédiatement juste. Si celle-ci
comme une se trouve remise en cause, ils penseront simplement qu'ils
étape de la ont commis une erreur, que sans doute ils n'auraient pas
démarche dû laisser passer. Et telle est bien, en effet, la règle du jeu
scientifique communément en vigueur à l'école, que les élèves intériori-
sent : on attend d'eux des réponses exactes. De ce fait, ils
ont du mal à entrer dans une démarche de type scientifique,
et à comprendre qu'une des choses qui la caractérisent
c'est, en acceptant des erreurs potentielles, d'avancer des
interprétations, sans perdre de vue qu'elles présentent un
caractère hypothétique.
En choisissant de faire travailler les élèves sur le repas de la
Vipère, on se place dans une logique où on veut les sensibi-
liser au fait qu'il est préférable de se méfier ! En effet, le
comportement prédateur de la Vipère est loin d'être évident,
puisque, dans u n premier temps, l'animal mord sa proie en
lui injectant du venin, et dans un deuxième temps, lorsque
celle-ci est morte, elle la recherche puis la mange en com-
mençant l'ingestion par la tête. Les organes des sens, en jeu
dans le repérage de la proie, ne sont pas les mêmes dans les
deux temps.
Au cours de la première phase de la séquence, le professeur
demande aux élèves de classer et d'interpréter une série de
photos qui décomposent les p h a s e s d u phénomène, en
écrire des insistant sur le caractère "piégé", ambigu et incomplet de
interprétations ces documents. La fiche que les élèves ont à remplir incite
alternatives par exemple à proposer deux interprétations ; elle leur per-
met de conserver une trace de leurs doutes, car les photos
qui leur posent problème doivent y être cochées en rouge.
Les élèves sont ensuite invités à écrire les questions que
leur posent ces photos cochées (document page suivante).
Ainsi la forme même des écrits sollicités, induit les élèves à
formuler des interprétations alternatives et des doutes.
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r i t a i r e , m a i s celle-ci c o n c l u t n é a n m o i n s le t r a v a i l .
Cependant l'accent est mis essentiellement sur la phase
heuristique du raisonnement (11), qui n'apparaît pas dans
les séquences précédentes. Il est plus difficile de définir une
méthode et des normes pour un tel raisonnement. L'intro-
sinon la vigilance duction du doute méthodique peut être considéré cependant
critique et le comme une façon de favoriser la fécondité de ces raisonne-
doute ments et c'est ce qui est développé à travers les demandes
d'écriture d'explications multiples alternatives. La mise en
forme finale prend alors un autre sens pour les élèves.
ici, la théorie est Les séquences présentées ici opèrent un autre choix et pla-
au point de cent la théorie a u point de départ de l'activité.
départ. D a n s les d e u x p r e m i è r e s , la théorie a été c o n s t r u i t e
préalablement. L'expérience est proposée comme un nou-
veau champ d'application pour faire fonctionner cette théo-
rie. C'est un raisonnement déductif qui permet de construire
l'explication du phénomène provoqué (qui n'a p a s p a r
ailleurs le statut d'expérience dans le deuxième cas, j ' y
reviendrai).
le raisonnement Dans les dernières séquences, la construction de l'hypo-
hypothético- thèse, avec son caractère anticipatoire, est centrale. Le
déductif degré de théorisation est faible, on l'a vu, mais l'accent est
privilégié. cependant nettement mis sur l'aspect de construction intel-
lectuelle d'explications plausibles, et sur le rôle argumenta-
tif conféré à l'exploration du réel.
l'option est De ce point de vue, elles se démarquent d'une option stricte-
constructiviste ment inductiviste.
On relève cependant des caractéristiques que l'on peut qua-
lifier de positivistes. Ainsi dans les deux premiers cas, la
théorie fonctionne, elle permet de rendre compte de façon
avec des satisfaisante de phénomènes nouveaux. Mais son champ de
caractéristiques validité n'est pas envisagé, elle n'a pas le statut de vérité
positivistes provisoire. L'expérience en définitive a surtout pour fonction
de permettre aux élèves de s'approprier le modèle. Dans les
derniers exemples, il n'y a p a s à proprement parler de
conflit cognitif, la construction du savoir se présente comme
un processus linéaire, sans ruptures et sans remodelages.
L'expérience ou l'observation jouent un rôle de confirmation
qui n'est pas questionné.
Anne VÉRIN
Equipe de didactique des sciences
expérimentales, INRP