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MENSUEL – 58e ANNÉE 669 AVRIL 2006

LE
DROIT
MARITIME
FRANÇAIS

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LAMY SA - 1, rue Eugène et Armand Peugeot - 92856 Rueil-Malmaison cedex
LE DROIT MARITIME FRANÇAIS
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LE DROIT MARITIME FRANÇAIS
Sommaire du n° 669 - Avril 2006
NAVIRE - TRANSPORT MARITIME - GENS DE MER
DOCTRINE
Sûreté maritime : Bilan et perspectives du Code ISPS
Par Pascal POLERE.....................................................................................274
JURISPRUDENCE FRANÇAISE
Abordage
Abordage : une mesure de sécurité n’est pas une faute
TRIBUNAL DE COMMERCE DE MARSEILLE, 8 JUIN 2004
Navire Kalliste
Obs. Philippe DELEBECQUE ....................................................................284
Affrètement au voyage
Quels sont le sens et la portée de la clause « free in custom of the
port quai fournisseur / liner out » ?
COUR D’APPEL DE PARIS (5ème Ch. sec. A), 26 JANVIER 2005
Navire Trade Swan
Obs. Yves TASSEL ......................................................................................289
Arbitrage
Echec d’un recours en annulation d’une sentence arbitrale
COUR D’APPEL DE ROUEN (2ème Ch. civ.), 8 SEPTEMBRE 2005
Obs. François ARRADON...........................................................................297
Manutention
Domaine d’application, portée et caducité de l’interruption de pres-
cription liée au référé expertise, au référé provision et à la reconnais-
sance du droit de celui auquel on oppose la prescription
COUR D’APPEL DE VERSAILLES (12ème Ch. sec. 2), 14 AVRIL 2005
Obs. Yves TASSEL ......................................................................................302
Navire - Quirat
Des conditions de prise de décisions dans les copropriétés quira-
taires ou l’histoire de quirataires qui ratèrent leur appel de fonds
COUR D’APPEL D’ORLEANS (Ch. sol.), 9 DECEMBRE 2005
Navire Sarabande
Obs. Antoine VIALARD .............................................................................314
Transport - Droit applicable
De l’office du juge quant à la preuve de la loi étrangère
COUR DE CASSATION (Ch. com.), 28 JUIN 2005
Navire MV Chang-Er
Obs. Martine REMOND-GOUILLOUD.....................................................321
SOMMAIRES
COUR D’APPEL DE PARIS, 26 NOVEMBRE 2003 ...............................328
COUR D’APPEL DE ROUEN, 25 NOVEMBRE 2004.............................328
COUR DE CASSATION, 16 NOVEMBRE 2004......................................329

DMF 669 273 Avril 2006


CHAMBRE ARBITRALE MARITIME DE PARIS
Sentences 1115 à 1116...................................................................330

DROIT MARITIME ETRANGER


L’activité de commissionnaire de transport et de transitaire en Espagne
Par Josep-Maria VICENS ............................................................................332

BIBLIOGRAPHIE
« Droit des transports » par Ch. PAULIN
Recension Yves TASSEL.............................................................................339

PORTS - LITTORAL - PLAISANCE


JURISPRUDENCE FRANÇAISE
Port - outillage public
Litiges relatifs à l’outillage public portuaire : compétence du juge
judiciaire
TRIBUNAL DE COMMERCE DE LILLE, 6 OCTOBRE 2005
&
COUR D’APPEL DE ROUEN, 26 JANVIER 2006
Obs. Robert REZENTHEL ..........................................................................342

REGARDS SUR LA JURISPRUDENCE


Navire de plaisance
COUR DE CASSATION (Ch. civ. 2ème), 3 FEVRIER 2005
Obs. Philippe DELEBECQUE ....................................................................350
SOMMAIRES
Navire de plaisance
COUR DE CASSATION (Ch. civ. 1ère), 21 JUIN 2005 ..............................352
COUR D’APPEL DE PARIS (25ème Ch. B.), 30 JANVIER 2004
Obs. Philippe DELEBECQUE ....................................................................353

APERÇU DE LA JURISPRUDENCE COMMUNAUTAIRE


Au deuxième semestre 2005
Par Michel MORIN......................................................................................354

LEGISLATION
Au « Journal officiel » de janvier et février 2006
« République française » et « Union européenne » ................................365

Tous droits de reproduction même partielle, par quelque procédé que ce soit,
réservés pour tous pays. © Copyright by Lamy S.A., Paris, 2006

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NAVIRE - TRANSPORT MARITIME - GENS DE MER

DOCTRINE

Sûreté maritime :
Bilan et perspectives du Code ISPS
par
Pascal POLERE
Docteur en Droit
Avocat au barreau de Paris

Voici déjà plus d’un an que les dispositions du code international pour la sûreté
des navires et des installations portuaires (1), dit code ISPS (2), sont entrées en
vigueur (3). Ce code vise à renforcer la sûreté du transport maritime et à établir un
régime de coopération internationale entre les Etats, les acteurs du transport mariti-
me et l’industrie portuaire.
En effet, la communauté maritime est, plus que jamais, soucieuse des risques qui
pèsent sur le transport par mer : les actes de piraterie perdurent malgré les mesures
prises (4), la menace terroriste progresse et se précise (5). Aujourd’hui, les navires
sont non seulement des cibles idéales, mais peuvent aussi constituer des vecteurs
d’attentats terroristes pour des actions spectaculaires (6). Suite aux tragiques atten-
tats perpétrés contre le World Trade Center le 11 septembre 2001, la communauté
internationale (7) a pris conscience de la nécessité urgente de développer une coopé-
ration entre les Etats pour la mise au point et l’adoption de nouvelles mesures pra-
(1) Code ISPS : International Ship and Port Facility Security Code.
(2) Le code ISPS, tel qu’adopté à Londres le 12 décembre 2002 par la résolution 2 de la Conférence des Gouvernements
contractants à la Convention internationale de 1974 pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (Convention SOLAS,
Safety Of Life At Sea), consiste en une partie A dont les dispositions sont obligatoires et en une partie B dont les dispo-
sitions sont des recommandations.
(3) Entrée en vigueur le 1er juillet 2004. – Le décret n° 2004-290 du 26 mars 2004 porte application des amendements à
l’annexe à la Convention internationale de 1974 pour la sauvegarde de la vie humaine en mer.
(4) Cf. POLERE P., « La piraterie maritime aujourd’hui », DMF mai 2005, n° 659, p. 387 et s.
(5) Notamment les attaques de l’USS Cole en octobre 2000, du pétrolier français Limburg en octobre 2002 au large du
Yémen et celle d’avril 2004 contre le terminal pétrolier de Bassora en Irak.
(6) Explosion d'un pétrolier, d'un gazier ou d'un chimiquier dans un port ; blocage de l'entrée d'un grand port commer-
cial vital pour une région ou un pays. Sont particulièrement concernés à terre les terminaux pétroliers, gaziers, chimi-
quiers, zones de stockage et tours de contrôle portuaires. Voir ROCHE M., « Tankers et cargos sont les cibles de nou-
velles menaces terroristes », Le Monde, 28 novembre 2003.
(7) Résolution 1373 (2001) adoptée par le Conseil de sécurité des Nations Unies le 28 septembre 2001 et par laquelle il
invite les Etats à prendre des mesures pour prévenir et réprimer les actes de terrorisme et leur demande d’appliquer inté-
gralement les conventions sur la lutte contre le terrorisme. – Action coopérative du G8 sur la sécurité dans les transports
(section portant sur la sécurité maritime) approuvée par les dirigeants du G8 au Sommet de Kananaskis, les 26 et
27 juin 2002. – Résolution A.924 (22) « Examen des mesures et procédures visant à prévenir les actes de terrorisme
qui compromettent la sûreté des passagers et des équipages et la sécurité des navires » adoptée par l’Assemblée de l’OMI
le 20 novembre 2001.

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NAVIRE - TRANSPORT MARITIME - GENS DE MER

tiques et efficaces destinées à prévenir et à réprimer les actes illicites à l’encontre du


transport maritime, et de préserver la chaîne de distribution mondiale de toute
rupture due à des attaques terroristes contre les navires, les ports et les terminaux au
large.
C’est dans cette perspective de sûreté du transport maritime que le Code ISPS a
été mis en œuvre. On rappellera la distinction fondamentale entre les notions de
sécurité maritime et de sûreté maritime. La première vise à prévenir les accidents
lors des activités maritimes, les risques d’origine naturelle ou provoqués par la
navigation maritime alors que la seconde tend à la prévention des actes criminels
susceptibles de nuire au fonctionnement du transport maritime, et à la sécurité des
personnes et des biens. Après un an quel est le bilan de la mise en place de ces mesu-
res (I) et quelles en sont ses perspectives (II) ?

I. – Bilan de la mise en œuvre du Code ISPS


Afin d’aborder le bilan de la mise en œuvre du Code ISPS, il convient d’en
rappeler les grandes lignes directrices. Celui-ci entend définir un cadre international
de coopération entre les Etats contractants, les organismes publics, les administra-
tions locales et les secteurs maritime et portuaire pour détecter les menaces contre
la sûreté des navires et des installations portuaires utilisés dans le commerce inter-
national et prendre des mesures de sauvegarde adéquates. Il tend à établir les rôles
et responsabilités respectifs des différents acteurs aux niveaux national et interna-
tional, pour garantir la sûreté maritime. L’une des principales innovations du Code
ISPS est de garantir le rassemblement et l'échange rapides et efficaces de rensei-
gnements liés à la sûreté et prévoir une méthode pour procéder aux évaluations de
la sûreté en vue de l'établissement de plans et de procédures permettant de réagir aux
changements des niveaux de sûreté.
La mise en œuvre préalable à ce train de mesures destinées à assurer la sûreté du
transport maritime international impliquait ainsi pour chaque Etat contractant (8) de
procéder à une évaluation de la sûreté de ses installations portuaires situées sur son
territoire fournissant des services aux navires effectuant des voyages internationaux
ainsi que des navires naviguant sous son pavillon (9).
1 - La sûreté du navire
Cette réglementation internationale ne s’applique qu’à un certain type de navires
effectuant des voyages internationaux et aux compagnies maritimes propriétaires ou
exploitantes de ces navires. Sont ainsi concernés les navires à passagers, y compris
les engins à grande vitesse à passagers, les navires de charge, y compris les engins

(8) Si une évaluation de la sûreté de l’installation portuaire a été effectuée par un organisme de sûreté reconnu, l’Etat
contractant sur le territoire duquel l’installation portuaire est située doit passer en revue cette évaluation et l’approuver
pour confirmer qu’elle satisfait aux prescriptions du Code.
(9) S’il a été décidé d’élargir la portée de la convention SOLAS de 1974 aux installations portuaires parce qu’il s’agis-
sait du moyen le plus rapide de garantir que les mesures de sûreté nécessaires entrent en vigueur et prennent effet promp-
tement, il a toutefois été décidé que les dispositions concernant lesdites installations se limitent aux seules interfaces
navire/port qui sont définies comme les interactions qui se produisent lorsqu’un navire est directement et immédiate-
ment affecté par des activités entraînant le mouvement de personnes, de marchandises ou la fourniture de services por-
tuaires vers le navire ou à partir du navire.

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DOCTRINE

à grande vitesse à cargaisons, d’une jauge brute égale ou supérieure à 500 tonneaux
et même les unités de forage mobiles au large.
Les mesures de sûreté consistent essentiellement dans le marquage apparent et
permanent du numéro d’identification OMI du navire (10), l’installation d'un systè-
me d’alarme de sûreté (11) et l’établissement par l’administration de l’Etat du
pavillon d’une carte synoptique continue du navire permettant d’établir en quelque
sorte un dossier de bord des antécédents du navire (12). L'application du Code ISPS
à bord d'un navire consiste d'abord en une évaluation des risques en fonction du type
de navires, des cargaisons, de l’équipage et de son parcours, des menaces potentiel-
les contre les opérations essentielles de bord et leur probabilité de survenance.
L’évaluation des risques tient compte de différents paramètres, et notamment de l'in-
térêt que peut représenter le navire pour des pirates ou des terroristes éventuels
compte tenu de sa valeur propre, de celle de sa cargaison, de son équipage et de ses
passagers éventuels. Elle prend également en considération l’état des mesures et
procédures de sûreté déjà existantes (13) et les opérations essentielles de bord qu'il
est important de protéger. Cette évaluation globale des risques encourus par le navi-
re et l’équipage (14) effectuée par l'agent de sûreté de la compagnie (15) permet l’ar-
rêt des mesures de prévention et de sûreté selon un ordre de priorité par la compa-
gnie et l’établissement d’un plan de sûreté propre au navire (16) qui doit être approu-
vé par les autorités du pavillon qui délivreront un certificat international de sûreté
du navire (17) attestant de sa conformité au Code ISPS (18). Le certificat interna-
tional de sûreté du navire est délivré ou visé par l’administration, soit par un orga-
nisme de sûreté (19) reconnu agissant pour son compte, pour une période fixée par
l’administration, sans qu’elle puisse excéder cinq ans. Il est évident que le plan de
sûreté du navire (20) qui contient des informations sensibles pouvant être exploitées
par des terroristes ou des pirates doit être protégé contre tout accès ou toute divul-
gation non autorisée. Un agent de sûreté du navire (21) est désigné à bord de chaque
navire pour superviser la mise en oeuvre du plan de sûreté du navire et coordonner
les aspects liés à la sûreté de la manutention des cargaisons avec les agents de sûre-
té des installations portuaires. Il veille à prendre les dispositions en vue d’audits
internes et d’examens périodiques, d’inspections de sûreté et de vérifications de

(10) Parallèlement aux systèmes d’identification automatique (AIS, Automatic Identification System) rendus obligatoi-
res permettant une traçabilité matérielle permanente des navires.
(11) Le système permet au navire dont la sûreté est menacée de transmettre son alerte en toute confidentialité à une auto-
rité compétente.
(12) Notamment ses propriétaires inscrits successifs, son pavillon, sa classification, ses divers affréteurs.
(13) Procédures ISM existantes : contrôle de l’identité des membres d'équipage, des passagers ou visiteurs, procédure
d’alerte, gardiennage, rondes, utilisation des coffres.
(14) SSA, Ship Security Assessment.
(15) CSO, Company Security Officer.
(16) SSP, Ship Security Plan.
(17) ISSC, International Ship Security Certificate.
(18) Sur la question, voir infra.
(19) RSO, Recognised Security Organisation.
(20) SSP, Ship Security Plan.
(21) SSO, Ship Security Officer.

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conformité et à rectifier les lacunes du plan ; il est également chargé de veiller à la


formation adéquate du personnel responsable de la sûreté du navire, à la notification
de tous les incidents de sûreté, à la coordination de la mise en oeuvre du plan de
sûreté du navire avec l'agent de sûreté de la compagnie et avec l'agent de sûreté per-
tinent de l'installation portuaire et de s'assurer que le matériel de sûreté est correcte-
ment utilisé, mis à l'essai, étalonné et entretenu.
A cet effet, la compagnie se doit d’adopter et de mettre en place une politique de
sûreté donnant au capitaine et à l’équipage les moyens nécessaires pour l'application
du plan de sûreté (formation, renseignements, ressources et modifications jugées
nécessaires, pouvoir discrétionnaire du capitaine). Le capitaine du navire, qu'il soit
ou non l’officier de sûreté du navire, est particulièrement chargé de superviser le
fonctionnement du plan à bord du navire (22) et de requérir l'avis ou l'assistance de
la compagnie si cela s’avère nécessaire. Il convient de rappeler que conformément
à la règle XI-2/8 de la Convention SOLAS relative aux « pouvoirs discrétionnaires
du capitaine en matière de sécurité et de sûreté du navire » le capitaine a, en dernier
recours, la responsabilité de la sécurité et de la sûreté. Il ne doit donc en aucun cas
être soumis, de la part de la compagnie, de l'affréteur ou de toute autre personne, à
des pressions qui l'empêchent de prendre des décisions à cet égard. Ainsi, même en
niveau 3, le capitaine peut demander à ceux qui sont chargés de réagir à un incident
ou une menace d’incident de sûreté de préciser ou de modifier les consignes données.
Lorsqu'un navire est au port ou a l'intention d'entrer dans un port d'un Etat contrac-
tant, celui-ci a le droit, en vertu des dispositions de la règle XI-2/9 de la Convention
SOLAS, d'imposer au navire diverses mesures liées au contrôle et au respect des
dispositions. Ainsi, les navires peuvent être soumis à des inspections dans le cadre
du contrôle par l'État du port, ainsi qu'à des mesures de contrôle additionnelles si
l’Etat contractant qui impose les mesures liées au contrôle et au respect des disposi-
tions a des raisons de penser que la sûreté du navire ou des installations portuaires
qui ont fourni des services à ce navire a été compromise. Les autorités peuvent donc
demander des renseignements concernant le navire, sa cargaison, ses passagers et
son équipage avant que le navire n’entre au port et dans certaines circonstances,
l'entrée au port pourra être refusée au navire. Face à ce risque de retards dus à des
inspections supplémentaires par l’Etat du port affectant les opérations commercia-
les, des armateurs et affréteurs ont cherché à se prémunir contre les aléas liés à
l’application du Code en introduisant des dispositions contractuelles dans les
chartes-parties (23).
2 - La sûreté des installations portuaires
L’évaluation de la sûreté des installations portuaires consiste en une analyse des
risques portant sur tous les aspects de l'exploitation d'une installation portuaire (24)
destinée à identifier les parties vulnérables susceptibles de constituer la cible d'une
attaque, le risque pour la sûreté étant évalué en tenant compte de la menace poten-
(22) Ces mesures consistent à interdire l'accès du navire à certaines personnes, de refuser des marchandises, y compris
des conteneurs, suspects, d'appareiller en urgence ou de refuser d'entrer dans un port suspect, d’appliquer les mesures
du plan tant à bord que dans l'interface avec le terminal.
(23) P. BOISSON, « Les clauses de sûreté maritime dans les chartes-parties », Lettre d’information de la Chambre
Arbitrale Maritime de Paris, hiver 2004-2005, n° 6.
(24) Notamment les bâtiments, les infrastructures, les matériels et les zones d’interface.

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DOCTRINE

tielle d'une attaque et de ses conséquences éventuelles. Cela comprend une identifi-
cation et une évaluation des infrastructures et biens essentiels à protéger, des mena-
ces éventuelles et leur probabilité de survenance, l’identification des choix et le clas-
sement par ordre de priorité des contre-mesures et des changements de procédure
ainsi que leur degré d’efficacité pour réduire la vulnérabilité, l’identification des
points faibles, y compris les facteurs humains, de l’infrastructure, des politiques et
des procédures. Cette évaluation de la sûreté des installations portuaires permet de
désigner un agent de sûreté de l'installation portuaire (25) et d’établir son plan de
sûreté (26). A l’instar du plan de sûreté du navire, ce plan doit indiquer les mesures
minimales de sûreté opérationnelles que l'installation portuaire doit prendre en
niveau de sûreté 1 ainsi que les mesures de sûreté additionnelles ou renforcées obli-
gatoires en niveau de sûreté 2 ou 3 (27).
Selon l'OMI, au 1er juillet 2004, 86% des navires concernés étaient certifiés et 69%
des ports disposaient de plans de sûreté. Toutefois, il existait encore un décalage
entre les Etats (28), car à peine la moitié des ports maritimes africains étaient confor-
mes au Code ISPS et des ports des pays de l'Europe de l'Est et de Russie ne répon-
daient toujours pas à ses prescriptions (29). La difficulté de mise en place des
normes ISPS réside essentiellement dans leur coût. En effet, au titre des interroga-
tions les plus persistantes figurent celles du coût et du financement des mesures du
Code ISPS. Tout d’abord, parce que les mesures ont un coût qui n’est pas négligea-
ble même s’il semble éloigné du coût que pourrait générer un attentat ou une attaque
sur une cible maritime choisie.
3 - Le coût du Code ISPS
En 2003, un rapport de l'OCDE (30) détaillant les facteurs de risques et les réper-
cussions économiques des mesures de sûreté sur les transports maritimes concluait
que des attaques menées sur des terminaux portuaires pourraient avoir pour résultat,
à la suite des mesures de sûreté que seraient inévitablement amenées à prendre les
autorités, de paralyser largement le fonctionnement du transport maritime. Les coûts
de l'inaction seraient potentiellement considérables dans la mesure où un attentat de
grande envergure pourrait, selon l’OCDE, avoir pour résultat de bloquer le fonc-
tionnement du système des transports maritimes pendant plusieurs mois tandis que
dans la précipitation les Etats prendraient des mesures urgentes de sûreté pour y faire
face. De telles mesures pourraient être aussi bien radicales comme la fermeture tota-
le de certains ports, qu’inefficaces comme la multiplication des contrôles de mar-
chandises et l’allongement corrélatif des délais tant dans les ports de départ qu’à

(25) PFSO, Port Facility Security Officer.


(26) PFSP, Port Facility Security Plan.
(27) Le niveau 1 correspond au niveau auquel le navire ou l’installation portuaire est normalement exploitée ; le niveau 2
est le niveau applicable tant qu’il existe un risque accru d’incident de sûreté (mesures de protection additionnelles) ; le
niveau 3 est celui applicable pendant la période de temps où le risque d’un incident de sûreté est probable ou imminent
(mesures de protection spéciales).
(28) Fin 2004, sur les 343 installations portuaires recensées en France, d'importance variée, près de 284 installations
étaient déjà ou en passe d’être déclarées conformes au Code ISPS : Avis n° 76 (2004-200) de M. REVET fait au nom
de la Commission des affaires économiques du Sénat du 25 novembre 2004.
(29) Lettre Lamy, transport international, n° 50, septembre 2004.
(30) Rapport du Comité des Transports Maritimes de l’OCDE, La sûreté dans les transports maritimes : facteurs de
risques et répercussions économiques, Publication de l’OCDE, juillet 2003.

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NAVIRE - TRANSPORT MARITIME - GENS DE MER

l’arrivée. Le coût d'un tel attentat se chiffrerait vraisemblablement à des dizaines de


milliards de dollars, le chiffre de 58 milliards de dollars US étant avancé pour les
seuls Etats-Unis. Les coûts restent donc nettement moins élevés que les coûts poten-
tiels de l'inaction puisque le rapport estimait que le coût initial pour les exploitants
des navires s’élèverait au moins à 1 279 millions de dollars US puis chaque année à
730 millions de dollars US (31). Le rapport de l'OCDE estimait les coûts chiffrables
à plus de 2 milliards de dollars US, somme qui reste largement inférieure aux coûts
estimés qui pourraient résulter d'un attentat de grande ampleur (32).
Une première estimation, établie pour le compte de la Commission européenne,
pour les 28 ports français initialement choisis, prévoyait, pour l'application du seul
Code ISPS, 111 millions d'euros la première année et 60 millions pour les années
suivantes. Le rapport d'expertise rendu en juin 2004 évalue, pour ces 28 mêmes
ports, l'investissement à 100 millions d'euros et le fonctionnement à 63,3 millions
d'euros. La mise en œuvre des mesures du Code ISPS pose la question directe de son
financement.
4 - Le financement du Code ISPS
La question du financement du Code ISPS reste également largement débattue,
chaque Etat s’efforçant de trouver le mode adéquat de financement qui ne soit pas
de nature à introduire une distorsion de concurrence entre les ports ou compagnies.
Si les instances européennes ne se sont pas encore clairement prononcées sur la
question du financement des mesures de sûreté, l'Organisation des ports maritimes
européens propose que les Etats prennent en charge les coûts résultant des mesures
spécifiques au code ISPS, tandis que les autres coûts se rapportant aux installations
portuaires seraient mis à la charge des usagers de ces installations, sous la forme de
redevances.
En France, la mission chargée de l’étude de cette question par le Sénat (33) a pro-
posé deux sources de financement : Les mesures destinées au contrôle des sites, qui
concourent à d'autres objectifs que la sûreté, entre autres à la sécurisation des sites
et à la lutte contre les vols, seraient financées par voie de redevances. Ces dépenses
sont estimées à 60 % des investissements et 64 % du fonctionnement alors que les
dépenses qui relèvent strictement d'engagements internationaux souscrits par la
France (34) effectuées à titre permanent et dans l'intérêt général (et non directement
et principalement au profit des transporteurs) relèveraient de financements publics.
Il s’agit de dépenses afférentes aux évaluations et aux plans de sûreté, à la formation
et à la rémunération des agents de sûreté des installations portuaires, aux équipe-
ments de contrôle des containers principalement utilisés par la douane dans le cadre

(31) La majeure partie des coûts liés aux navires correspond aux dépenses en personnel d’encadrement et en équipe-
ments de sûreté.
(32) Par ailleurs, certaines mesures de sûreté présentent des avantages économiques directs pour le transport maritime
comme le raccourcissement des délais, l’accélération des temps de traitement, l’amélioration du contrôle des actifs, ou
encore la diminution des pertes dues aux vols et des rabais sur les primes d'assurance. Ainsi, le rapport de l’OCDE chif-
frait à 22,2 milliards de dollars US sur 20 ans les économies directes qui seraient réalisées par les importateurs améri-
cains grâce à un nouveau système électronique de gestion des manifestes de douane, et à 4,4 milliards de dollars US les
économies réalisées sur la même période pour l’Administration américaine.
(33) Avis n° 76 (2004-200) de M. REVET, op. cit.
(34) Notamment Code ISPS, Traité franco-britannique du Touquet du 6 février 2003.

DMF 669 280 Avril 2006


DOCTRINE

de sa mission propre, aux contrôles sûreté des passagers. De telles dépenses sont
estimées à 29 millions d'euros en investissement et 25 millions d'euros en fonction-
nement.
L’idée d'une taxe de sûreté portuaire sur les passagers des ferries et les croisiéris-
tes dont le produit serait versé à l'Etat et affectée au financement des ports (de
2 euros par passager à 5 euros par véhicules) a ainsi été avancée.
Si l'élaboration de ces plans a déjà permis de renforcer nettement la collaboration
indispensable entre les exploitants des installations, les autorités portuaires et les
services de l'Etat (35), quelles sont les perspectives de l’application du Code ISPS ?

II. – Quelles perspectives pour le Code ISPS ?


Pour certains Etats, l’éventail des mesures du Code ISPS n’apparaît pas toujours
suffisant pour assurer la sûreté du transport maritime. Les États-Unis ont ainsi déve-
loppé une démarche unilatérale et mis en place leurs propres mesures de sûreté.
Ainsi, les États-Unis ont développé une démarche unilatérale et appliquent, en
parallèle, leurs propres mesures de sûreté issues du MTSA (36) qui prévoit un sys-
tème d'évaluation de la sûreté des ports étrangers autorisant les autorités américai-
nes à interdire d’accès les navires en provenance de ports estampillés « à risques ».
Déjà en juin 2002, les Etats-Unis ont mis en œuvre l'Initiative pour la Sécurité des
Conteneurs (37) qui vise à favoriser la passation d'accords bilatéraux entre les États-
Unis et les pays étrangers (38) afin de procéder aux examens des conteneurs à hauts
risques dans les ports de chargement et terminaux extérieurs au territoire américain.
Tous les conteneurs identifiés comme étant à hauts risques sont inspectés soit avant
le chargement dans un port partenaire CSI (39) ou s'ils proviennent d'un autre port,
à leur arrivée aux États-Unis. Dans les ports partenaires CSI, les douaniers natio-
naux et une équipe du Bureau américain des douanes et de la protection des frontiè-
res décident en collaboration des conteneurs à inspecter avant le chargement. A cet
arsenal sécuritaire s’ajoute la très contraignante règle dite des « 24 heures » (40) qui
oblige les transporteurs à fournir le manifeste, sous forme électronique, au Bureau
américain des douanes et de la protection des frontières, 24 heures avant le charge-
ment des conteneurs destinés aux États-Unis (41). Son application engendre un coût
direct de dizaines d’euros par connaissement et indirect de ralentissement de la

(35) Depuis mars 2004, le Premier ministre a demandé au Secrétariat Général de la Défense Nationale, en relation avec
le Secrétariat Général de la Mer, de conduire une réflexion en vue d'établir une doctrine nationale dans le domaine de la
sûreté maritime et portuaire. Il s'agit notamment d'élaborer une position française dans le cadre communautaire et inter-
national avec le souci de relier cette démarche avec le plan national de vigilance Vigipirate et sa transposition en mer
avec Vigimer. Les 3 niveaux de sécurité du Code ISPS seront ainsi adaptés aux cinq niveaux du plan Vigipirate (blanc,
jaune, orange, rouge et écarlate).
(36) MTSA, Maritime Transportation Security Act, novembre 2002.
(37) CSI, Containers Security Initiative.
(38) Notamment le Customs-Trade Partnership, C-TPAT (partenariat entre les services des douanes et du commerce pour
lutter contre le terrorisme).
(39) Les principaux ports partenaires volontaires sont Anvers, Bremerhaven, Felixstowe, Gênes, Göteborg, Halifax,
Hambourg, Hong-Kong, Marseille, Le Havre, Montréal, Rotterdam, Singapour, Pusan, Durban, La Spezia, Vancouver
et Yokohama.
(40) The 24 Hours Rule, octobre 2002 ; entrée en vigueur en 2003.
(41) Les marchandises en vrac « bulk cargo » sont toutefois exemptées de l’application de la règle.

DMF 669 281 Avril 2006


NAVIRE - TRANSPORT MARITIME - GENS DE MER

supply chain de quelques jours. L’idée participe du concept selon lequel plus le
contrôle est exercé en amont de la chaîne logistique, plus la sûreté maritime est effi-
ciente. Le modèle américain séduit même en Europe puisque parmi les nouvelles
mesures envisagées, il convient de retenir celle de « gardes-côtes européens » sur le
modèle des US Cost Guards afin d’assurer la sécurité et la sûreté des navires et des
ports de l’espace maritime européen contre toute tentative d’attaque terroriste,
notamment contre un port pétrolier majeur (42).
L’autre interrogation soulevée par la mise en place du Code ISPS concerne les
procédures de certification, et particulièrement l’entité juridique habilitée à approu-
ver les plans de sûreté. Selon la Convention SOLAS modifiée et le Code ISPS, il
s’agit de l’Etat et des organismes de sûreté reconnus. La France pose, elle, des
conditions strictes concernant l’habilitation de ces organismes communément
dénommés organismes de sûreté maritime (43). En effet, dans l’hexagone, l'instruc-
tion des demandes de reconnaissance des organismes de sûreté ainsi que le suivi de
ces organismes est assuré par une Commission consultative de reconnaissance et
seul le Ministre de la mer est habilité à délivrer, suspendre ou modifier la recon-
naissance de ces organismes qui n’est d’ailleurs valable que pour une durée de 2 ans.
Par ailleurs, l’approbation finale des plans de sûreté relève de la compétence exclu-
sive de l’Etat français puisque contrairement aux pratiques existant en matière de
sécurité maritime, il n’est pas prévu en France de procédure de certification sous
délégation. Ce sont les services de l'Etat qui approuvent les plans de sûreté de l'ins-
tallation portuaire (44) comme les plans de sûreté des navires (45), tous ces plans
étant ensuite certifiés conformes aux normes de l’OMI. Or, tel n’est pas, hélas, tou-
jours le cas, notamment pour les organismes de certification ou de sûreté oeuvrant
sur le territoire d’Etats dits de pavillon de complaisance, de sorte que l’on est à
même de s’interroger sur la valeur d’une certification obtenue dans un tel Etat et de
surcroît par un organisme tiers. De telles interrogations justifient à elles seules, le
maintien du contrôle au titre de l’Etat du port. Une solution consiste à prévoir un
contrôle étroit des activités de ces organismes et à les responsabiliser, à l’instar des
organismes délivrant les certificats de navigabilité. En effet, les juges n’hésitent pas
à retenir la responsabilité des sociétés de classification (46). La Cour d’appel de
Versailles (47) a ainsi récemment considéré comme anormal le maintien des certifi-
cats de navigabilité pour un navire qui avait été contraint, du fait de son mauvais
état, de faire escale à Madagascar où il s'était échoué et brisé en deux provoquant
ainsi la perte de sa cargaison. Le juges ont estimé que cet état était le résultat d'un
défaut d'entretien sur plusieurs années et ne pouvait qu'être connu « de longue date
(42) Comme Fos-Marseille ou Rotterdam.
(43) Arrêté du 25 juin 2004 relatif à la reconnaissance des organismes de sûreté maritime et portant création d’une com-
mission consultative de reconnaissance, JO n° 179 du 4 août 2004.
(44) Préfet de département.
(45) Affaires Maritimes.
(46) CA Versailles, 12e ch., 21 mars 1996, n° 8905/92, qui en donne la définition suivante : « le classement des navires,
d'après leur valeur économique, est fait non par l'Etat mais par des sociétés privées, dénommées sociétés de classifica-
tion, qui donnent au navire une certaine côte ; la crédibilité des décisions prises par ces sociétés reconnues par l'Etat
est telle, que le navire qui n'obtient pas la première côte devient suspect au regard de tous ceux - acheteurs, affréteurs,
assureurs - qui envisagent de contracter ; ainsi s'explique que la considération d'une côte déterminée revête une impor-
tance essentielle tant pour le propriétaire du navire que pour les tiers - notamment les acquéreurs - qui sont fondés à
considérer qu'ils traitent avec l'armateur avec plus de sécurité ».
(47) CA Versailles, 12e ch., 9 déc. 2004, RG n° 03/02977, inédit.

DMF 669 282 Avril 2006


DOCTRINE

» de la société de classification et que cette faute, constitutive d'un manquement à


une obligation de prudence et de diligence de la société de classification, était donc
bien directement la cause du préjudice subi.
La Commission européenne a fait de la sécurité maritime une politique prioritai-
re (48) avec la création de l’Agence européenne pour la sécurité maritime (49) et
surtout avec la publication régulière de listes des navires ayant fait l'objet d'un refus
d'accès dans les ports des Etats membres au Journal officiel de l'Union européen-
ne (50). Pour la période située entre le 1er septembre 2004 et le 31 mars 2005 (51),
huit navires battant pavillon de l'Algérie, de Saint-Vincent et Grenadines, de Panama
et de la Turquie se sont déjà vus refuser l'accès dans les ports de l'Union européen-
ne. En effet, conformément à l'article 7 ter de la directive n° 95/21 du 19 juin 1995
modifiée (52), relative au contrôle des navires par l'Etat du port, les navires-citernes
pour gaz et produits chimiques, les vraquiers, les pétroliers et les navires à passagers
se voient interdire l'accès dans les ports communautaires s'ils ont fait l'objet d'im-
mobilisations multiples au cours des deux années précédentes ou s'ils battent le
pavillon d'un Etat figurant sur la liste noire publiée dans le rapport annuel du
Mémorandum d'entente de Paris du 26 janvier 1982 sur le contrôle des navires par
l'Etat du port (53) ou s'ils battent le pavillon d'un Etat décrit comme présentant un
« risque très élevé » ou un « risque élevé » dans ladite liste noire.
Ainsi le Code ISPS apparaît comme un outil international de prévention des actes
illicites contre les navires, les personnes transportées, équipage comme passagers, et
les installations portuaires accueillant ces navires. Comme tout les système de
prévention il doit être confronté aux impératifs réels d’exploitation. Le temps de
mise en place écoulé d’une année permet déjà, au-delà des critiques qui peuvent être
formulées, de constater que sa mise en œuvre devrait porter ses fruits et les mesures
de sûreté faire florès.

(48) Depuis la Communication du 24 février 1993 pour une politique commune de la sécurité maritime, COM (93)
66 final. - Au niveau communautaire, le règlement n° 724-2004 du Parlement européen et du Conseil du 22 mars 2004
relatif à l’amélioration de la sûreté des navires et des installations portuaires tend à harmoniser l’application de la par-
tie A du Code ISPS dans les Etats membres. Par ailleurs, le règlement n° 725/2004 du Parlement européen et du Conseil
du 31 mars 2004 a étendu le dispositif de l'OMI au trafic national entre 2004 et 2007. Par ailleurs, une directive du
10 février 2004 définit les mesures complémentaires de sûreté pour étendre la sûreté des installations portuaires à la tota-
lité du port ainsi qu’aux zones adjacentes.
(49) Agence Européenne pour la Sécurité Maritime créée par le Règlement CE n°1406/2002 du 27 juin 2002 destinée à
coordonner les actions des Etats membres de l’Union européenne et de prendre les mesures de nature à assurer la sécu-
rité des navires et des personnels de mer mais également à lutter contre la pollution maritime dans l’Union européenne.
(50) La Commission européenne doit publier la liste de ces navires tous les six mois. La dernière date du 11 juin 2005 ;
Liste 2005/C 142/08, JOUE 11 juin 2005, n° C142, p. 48.
(51) 19 navires avaient été interdits d'accès dans les ports de l'Union européenne entre le 1er novembre 2003 et le 31 août
2004. Ils battaient le pavillon de huit États : Saint-Vincent-et-les-Grenadines (6), Bolivie (3), Panama (3), Turquie (3),
Belize (1), Chypre (1), Roumanie (1), et République arabe syrienne (1). La liste comportait une majorité de vraquiers
(12 sur 19), mais aussi quatre navires rouliers à passagers, deux chimiquiers et un pétrolier.
(52) JOCE 7 juill. 1995, n° L 157, p. 1.
(53) Près de vingt administrations maritimes nationales participent au mémorandum d'entente de Paris sur le contrôle
des navires par l'État du port. Elles couvrent les eaux des états côtiers de l'Ouest de l'Europe et le bassin Nord-Atlantique
de l'Amérique du Nord à l'Europe. L’objectif est d'éliminer de ces eaux les navires d’un niveau inférieur aux normes
grâce à un système harmonisé de contrôle par l'État du port. Plus de 18 000 inspections sont effectuées sur des navires
étrangers dans les ports du mémorandum d'entente de Paris pour vérifier si ces navires répondent aux normes interna-
tionales en matière d’environnement et de sécurité, et si les équipages ont des conditions de vie et de travail convena-
bles.

DMF 669 283 Avril 2006


NAVIRE - TRANSPORT MARITIME - GENS DE MER

En effet, un consensus européen tend à s’instaurer pour reconnaître que les efforts
doivent se poursuivre pour assurer une circulation maritime sécurisée et dépasser
notamment l’exigence de contrôler au moins 25 % des navires faisant escale dans
les ports français dans le cadre du Mémorandum de Paris. La France entend main-
tenir la qualité des contrôles des navires étrangers au titre de l’Etat du port et des
navires français au titre de l’Etat du pavillon. A cet égard, elle s’est lancée dans de
vastes travaux visant à améliorer la sûreté du transport maritime : plan de moderni-
sation des balises et phares, mise en place du système RADARSAT, mise en œuvre
du système TRAFIC 2000 permettant de suivre le trafic maritime et de connaître les
matières dangereuses embarquées, mise en liaison du système d’identification auto-
matique (AIS) avec le projet de surveillance de la marine nationale SPATIONAV.
Enfin, la mise en place de la pièce d’identité des gens de mer sécurisée prévue par
la Convention n° 185 de l’OIT qui avait suscité un tollé de protestations et une levée
en ordre de boucliers, a été ratifiée par la France en 2004.
Force est de constater que la France entend se doter des moyens législatifs néces-
saires. Ainsi la récente ordonnance du 2 août 2005 (54) qui porte actualisation et
adaptation de la partie législative du Code des ports maritimes et s'inscrit dans le
contexte de la décentralisation (55), confirme, s'agissant de la police portuaire, la
compétence de l'Etat pour la fixation et l'application des règles relatives à la sécuri-
té et à la sûreté des ports. L'Etat conserve également une compétence (y compris
dans des ports amenés à être transférés aux collectivités territoriales) au regard des
polices les plus sensibles (mouvement des navires) et de la gestion des matières dan-
gereuses. On ne peut donc que louer l’implication nécessaire des différents interve-
nants du monde maritime, devenus désormais d’avantage des partenaires, pour la
mise en oeuvre des nouvelles règles de sûreté maritime.

(54) Ordonnance n° 2005-898 du 2 août 2005, JO du 3 août 2005.


(55) En 2004 a été organisé le transfert des compétences en matière portuaire au bénéfice des collectivités territoriales,
à l'issue d'une concertation locale, pour les ports maritimes non autonomes relevant de l'Etat (actuels ports d'intérêt natio-
nal) - Loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales.

DMF 669 284 Avril 2006


JURISPRUDENCE FRANÇAISE

JURISPRUDENCE FRANÇAISE

TRIBUNAL DE COMMERCE DE MARSEILLE


8 juin 2004
Navire Kalliste

ABORDAGE
Abordage. Capitaine. Mesure de sécurité. Faute (non)
Le fait pour un navire d’avoir rompu ses aussières et heurté le quai au passage,
dans l’enceinte portuaire, d’un autre navire rejoignant sa place au poste indiqué ne
saurait engager la responsabilité de ce dernier navire, dès lors que si sa vitesse était
supérieure aux normes réglementaires, cette vitesse résultait d’une décision du
commandant et du pilote prise pour épargner une manœuvre périlleuse au navire, à
ses passagers et à son fret, compte tenu du vent et de l’étroitesse du chenal, et que
cette décision ne caractérisait ainsi nullement une faute et ne constituait qu’une
mesure de sécurité.
ENTREPRISE NATIONALE DE TRANSPORT MARITIME DE VOYAGEUR
(ENTMV) c/ COMPAGNIE MERIDIONALE DE NAVIGATION (CMN) SA
JUGEMENT (extraits)
« LE TRIBUNAL,
Rappel des faits :
Attendu qu'en date du jeudi 2 mars 2000, le navire Kalliste opéré par la
Compagnie Méridionale de Navigation (ci-après CMN) est entré dans l'enceinte du
Port Autonome de Marseille à 8h20, pour rejoindre sa place au poste 74 ; que comp-
te tenu du vent violent de secteur NW (Nord Ouest), sa vitesse était d'environ
8 nœuds alors que limitée à 6 nœuds dans l'enceinte portuaire ; que simultanément,
le navire Tariq Ibn Ziyad opéré par l’Entreprise Nationale de transport Maritime de
Voyageurs (ci-après ENTMV), a rompu six aussières et aurait heurté le quai; que des
dommages ont été constatés sur le bulbe de l'étrave du navire Tariq Ibn Ziyad dont
l'armement ENTMV demande le remboursement des réparations à la CMN pour un
montant de 86 866, 05 euros, outre la somme de 5 000 euros au titre des frais irré-
pétibles qu'il a du engager dans le cadre de la présente procédure ;

DMF 669 285 Avril 2006


NAVIRE - TRANSPORT MARITIME - GENS DE MER

Sur le fond :
Attendu que l'ENMTV fonde son action sur les articles 3 et 6 de la loi du
7 juillet 1967 qui stipulent :
- article 3 : si l'abordage est causé par la faute de l'un des navires, la responsabilité
des dommages incombe à celui qui l'a commise ;
- article 6 : les dispositions qui précèdent sont applicables à la réparation des dom-
mages que, soit par exécution ou omission de manœuvre, soit par inobservation des
règlements un navire a causés, soit à un autre navire, soit aux choses et personnes se
trouvant à leur bord, alors même qu 'il n y aurait pas eu abordage ;
qu'il incombe en conséquence au tribunal de déterminer si une faute a été commi-
se par le navire Kalliste et le cas échéant, s'il existe un lien de causalité entre cette
faute et les dommages subis par le navire Tariq Ibn Ziyad ;
Attendu qu'il ressort des différentes expertises, extraits de livres de bord et
rapports de mer versés aux débats par les parties que :
- le navire Kalliste a chenalé dans les bassins du port de Marseille à une vitesse
supérieure à la vitesse maximale autorisée de 6 nœuds, sans que sa valeur précise
soit clairement établie,
- un vent violent de secteur Nord Ouest (NW) était établi à 35 nœuds (soit envi-
ron 65 km/h) avec rafales à 50 nœuds (soit environ 90 km/h),
- le remorqueur commandé par le navire Kalliste ne l'a pas assisté pendant le
chenalage mais seulement pendant ses manœuvres de mise à quai,
- un espar était mouillé coté Digue du Large à la hauteur de la plate-forme RO/RO
du poste 80, limitant la largeur de la passe à cet endroit à près de 100 mètres, soit
environ trois fois la largeur du navire Kalliste,
- le navire Hoggar, qui n'a pas subi d'avaries, était stationné au poste 86, proue
côté
musoir,
- le navire Tariq Ibn Ziyad était stationné au poste 86, poupe côté musoir, dans un
bassin d'une largeur de 80 mètres, amarré par 16 aussières dont six se sont rompues
et avec l'ancre bâbord mouillée en arrière de l'étrave,
- ni les défenses, ni le quai du coin Est du bassin où était stationné le navire Tariq
Ibn Ziyad ne portaient de traces de choc avec le bulbe dudit navire lequel s’est avéré
être déformé sur 1,92 m2 à bâbord et 2,4 m2 à tribord ;
Attendu tout d'abord que l'analyse des parties diffèrent sensiblement à propos du
cap du navire Kalliste pendant son chenalage par rapport au lit du vent ; que
l'ENTMV indique en page 7 de ses écritures que ce navire avait le vent de face
(NdT : ce qui n'induit aucun coefficient de dérive) soit de secteur NNE, alors que le
croquis versé aux débats par la CMN indique un angle de 40° entre la direction du
vent et l'axe longitudinal du navire, soit un vent de secteur NNW ;
Attendu que pour compenser cette dérive qui tendait à le dresser sur les musoirs

DMF 669 286 Avril 2006


JURISPRUDENCE FRANÇAISE

de quais et conserver sa manœuvrabilité, le navire Kalliste n'avait le choix qu'entre


augmenter sa vitesse et utiliser non pas un mais deux remorqueurs, l'un à l'avant et
l'autre à l'arrière, un seul remorqueur à l'avant semblant insuffisant au tribunal ; que,
compte tenu de la direction du vent, la présence de l'espar face au poste 80 aurait
imposé aux deux remorqueurs et au navire Kalliste une manœuvre périlleuse pour
doubler cet espar par bâbord et arriver au poste 74 de stationnement ; que l'article
4 du règlement du Port Autonome de Marseille stipule en son alinéa 2 que : « Tout
bâtiment doit maintenir en permanence une vitesse de sécurité telle qu'il puisse à
tout moment prendre les mesures appropriées et efficaces pour éviter un abordage et
pour s'arrêter sur une distance adaptée aux circonstances et conditions existantes » ;
Attendu que le tribunal relève de ce qui précède que le commandant et le pilote du
navire Kalliste ont préféré adopter une vitesse supérieure aux 6 nœuds réglementai-
res compte tenu du vent et de l'étroitesse du chenal plutôt que de risquer une manœu-
vre périlleuse pour le navire, ses passagers et son fret ainsi que pour les remorqueurs
et les équipages ; que leur décision ne saurait être constitutive d'une faute mais d'une
mesure de sécurité ;
Attendu en conséquence que l'armement ENTMV, n'apportant pas la preuve d'une
faute dans la conduite du navire Kalliste, il y a lieu de le débouter de toutes ses
demandes, fins et conclusions ;
Sur la demande reconventionnelle de la CMN pour procédure abusive :
Attendu que n'est pas calculée la différence de poussée de la vague d'étrave du
navire Kalliste entre les vitesses de 6 nœuds et de 8 nœuds ; qu'il n'est pas non plus
démontré que la poussée conjuguée des vagues d'étraves du Kalliste et d'un remor-
queur, tous deux à 6 nœuds, aurait été inférieure à la seule vague d'étrave du Kalliste
à 6 nœuds ;
Attendu en outre qu'il est incompréhensible que le navire Tariq Ibn Ziyad ait pu
ainsi se libérer du quai et se mettre en travers dans le bassin alors que 10 de ses
16 aussières étaient encore en service, sauf à considérer qu'il était fort mal amarré,
aussières mal positionnées et mal réglées ; qu'il n'est d'ailleurs versé aux débats
aucun plan d'amarrage mais seulement un vague croquis ; qu'il n'est pas non plus
logique que quatre amarres aient cédé à l'avant sauf à considérer qu'il s'agissait de
quatre gardes avant qui auraient dû empêcher le bulbe d'aller heurter le quai, si tant
est que cela se soit réellement produit ; qu'il n'est pas non plus possible que le navi-
re se soit ainsi éloigné du quai sauf si aucun traversier n'avait été mis en place ; que
les extrémités des aussières rompues ont été jetées et que les différents experts n'ont
pu en vérifier l'état ; que si le navire a rompu ses amarres, c'est bien parce que leur
positionnement et/ou leur réglage était défectueux, nonobstant leur usure qui n'a pu
être vérifiée ; qu'en tout état de cause, les postes à quai dévolus de façon constante
à l'armement ENTMV au Sud des bassins Est du P.A.M. imposent à ses navires un
amarrage suffisant pour résister aux vagues d'étrave de tous les navires entrant au
port par la passe Sainte Marie et devant aborder des postes plus éloignés et ce, quel-
les que soient les conditions météorologiques, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce ;
Attendu au surplus que pour heurter le quai de telle sorte que les deux côtés de
l'étrave soient déformés, il aurait fallu que le navire Tariq Ibn Ziyad heurte en coin

DMF 669 287 Avril 2006


NAVIRE - TRANSPORT MARITIME - GENS DE MER

l'angle du quai comme cela est allégué par la demanderesse; que dans un tel cas, les
défenses à quai ne présentant pas de traces de choc et les parois du quai étant verti-
cales, le bulbe aurait dû subir des aplatissements selon un axe vertical tant à bâbord
qu'à tribord alors que les photographies prises par l'expert Lomas/Unilex pour comp-
te de l'armement ENTMV, bien que peu visibles, montrent clairement côté bâbord,
non pas un aplatissement mais bien un enfoncement ;
Attendu que l'armement ENTMV ne démontre nullement que son arrimage a été
fait dans les règles de l'art et encore moins que son navire Tariq Ibn Ziyad est allé
heurter le quai, occasionnant les dégâts qu'il allègue avoir subi ; qu'en conséquence,
il échet de faire droit à la demande de la CMN et de condamner ENTMV à lui payer
une somme de 7 500 euros au titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
Attendu qu'en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de
Procédure Civile, il échet d'allouer à la Compagnie Nationale de Navigation,
C.M.N. S.A. la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles occasionnés par
la présente procédure ;
Attendu que l'exécution provisoire s'avérant nécessaire et compatible avec la natu-
re de l'affaire, il échet de l'ordonner, excepté toutefois en ce qui concerne les
condamnations prononcées au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure
Civile et au titre des dépens ;
Attendu qu'il échet de rejeter tout surplus des demandes comme non fondé, ni jus-
tifié ;
Par ces motifs :
Le Tribunal de commerce de Marseille, (...)
DEBOUTE l’Entreprise Nationale de transport Maritime de Voyageurs
(ENTMV) SPA de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
Condamne l’Entreprise Nationale de transport Maritime de Voyageurs (ENTMV)
SPA à payer à la Compagnie Nationale de Navigation (C.M.N. S.A), la somme de
7 500 euros (sept mille cinq cents euros) à titre de dommages intérêts et celle de
2 500 euros (deux mille cinq cents euros) au titre des dispositions de l'article 700 du
Nouveau Code de Procédure Civile ; Condamne l’Entreprise Nationale de transport
Maritime de Voyageurs (ENTMV) SPA aux dépens toutes taxes comprises de la pré-
sente instance ; (...) Rejette pour le surplus toutes autres demandes, fins et conclu-
sions contraires aux dispositions du présent jugement ; … ».
Prés. : M. Vincent ; Av. : Me Follin (ENTMV), SCP Renard (CMN).
Observations - Abordage : une mesure de sécurité n’est pas une faute.
Tous les habitués de la ligne Marseille-Bastia connaissent le Kalliste et n’ont
toujours eu qu’à se féliciter de ses performances ainsi que des qualités de son équi-
page. Ils seront donc très surpris de voir ici le commandant et l’armateur (la CMN)
poursuivis en responsabilité dans le cadre d’un procès en abordage.
Apparemment toutes les conditions étaient réunies pour une condamnation, car le
Kalliste avait gagné son poste de La Joliette à une vitesse de 8 nœuds, alors que

DMF 669 288 Avril 2006


JURISPRUDENCE FRANÇAISE

celle-ci est limitée à 6 nœuds dans l’enceinte portuaire. Dans le chenal d’accès, la
poussée de la vague d’étrave du navire marseillais avait déstabilisé le Tariq Ibn Ziyad
en partance pour Alger, mais encore accosté. Inobservation d’un règlement
(cf. art. 4 du règlement du PAM) et donc faute (pour un ex. récent de faute, en
raison d’une absence de veille, v. Trib. com. Marseille 22 févr. 2005, M. Ferrigno
c/ Union transport Group), dommage (les réparations du Tariq Ibn Ziyad ont été
chiffrées à 86 866, 05 euros) et lien de causalité, compte tenu de la concomitance
entre le passage du Kalliste et les avaries subies par le Tariq Ibn Ziyad (inutile de
rappeler que l’abordage ne suppose pas nécessairement un heurt entre deux navi-
res, cf. notam. Cass. com. 1er oct. 1991, DMF 1991. 707) : la condamnation de la com-
pagnie et du capitaine était, de prime abord, inévitable.
Le Tribunal de commerce de Marseille va cependant écarter toute responsabilité
du Kalliste, après une analyse minutieuse des faits et dans un jugement lumineux à
la fois sur le plan technique et juridique.
Point de faute du Kalliste est-il observé, dès l’instant que si sa vitesse était exces-
sive au regard du règlement du PAM, celle-ci était commandée par la situation elle-
même. Le vent était fort, le couloir étroit et le navire dérivait au point d’être dressé sur
les musoirs de quais et de perdre toute « manoeuvrabilité » : la seule solution était
d’augmenter la vitesse si l’on ne voulait pas mettre le navire, ses passagers et son
fret en péril. La vitesse excessive – à supposer qu’elle fût la cause de l’abordage et
des dommages subis par le Tariq Ibn Ziyad – n’était donc pas une faute. Mieux, il s’a-
gissait d’une véritable « mesure de sécurité ».
La solution, parfaitement motivée, laisse clairement entendre que l’état de néces-
sité est une excuse reconnue et efficace dans le droit de l’abordage. On rappellera
simplement que dans le droit de la responsabilité civile extra-contractuelle auquel
appartient certainement le droit de l’abordage, l’état de nécessité peut, sous certai-
nes conditions, justifier le droit de nuire à autrui. Il suffit d’établir que tout bon père de
famille ou tout bon professionnel, placé dans la même situation, aurait agi de la
même façon en choisissant la branche de l’alternative la moins périlleuse
(v. R. Savatier, L’état de nécessité et le droit de la responsabilité civile extra-contrac-
tuelle, Mélanges Capitant, 732).
Ainsi ne saurait-on trop approuver la présente décision : le choix du commandant
de préserver ses passagers et, accessoirement, sa cargaison au détriment – éven-
tuel – des appontements et des navires y amarrés n’était empreint d’aucune faute.
La sécurité n’a pas de prix.
Philippe DELEBECQUE

DMF 669 289 Avril 2006


NAVIRE - TRANSPORT MARITIME - GENS DE MER

COUR D’APPEL DE PARIS (5ème Ch. Sect. A)


26 janvier 2005
Navire Trade Swan

AFFRETEMENT AU VOYAGE
Affrètement partiel d’espace. Indisponibilité du quai fournisseur. Attente du
navire. Risques. Charge. Fret « free in custom of the port quai fournisseur /
liner out ». Départ du navire sans embarquement de la cargaison.
Responsabilité.
Il appartient au fréteur de connaître les conditions nautiques d’accès du port qu’il
s’est engagé à desservir de sorte que le navire affrété soit mis à la disposition de
l’affréteur à la date et au lieu fixés par le contrat.
Sté SUCRIMEX c/ Sté BOCS
ARRET
LA COUR,
La société Sucrimex qui a pour activité le négoce du sucre, s'est adressée à la
société Bocs par l'intermédiaire du courtier Aoti pour effectuer le transport de deux
cargaisons de 5 000 tonnes au total à destination d'Afrique de l'Ouest et au départ de
Rouen au plus tard le 30 septembre 2000, à bord du navire Trade Swan, 3 000 ton-
nes devant être acheminées à Lomé et 2 000 tonnes à Téma.
Après s'être présenté une première fois en rade de Rouen le 29 septembre 2000 à
21 heures 15 avant d'en repartir à 22 heures en direction d'Anvers où ont été char-
gées d'autres marchandises, puis une seconde fois le 8 octobre 2000 à 20 heures 50,
le navire a appareillé le 9 octobre 2000 à 19 heures 40 sans avoir embarqué la car-
gaison confiée par la société Sucrimex, motif pris de ce qu'il n'aurait reçu aucune
garantie d'avoir un poste à quai pour un chargement au plus tard le 10 octobre.
N'ayant pas été réglée de ses factures relatives à la perte de fret et aux frais sup-
plémentaires exposés à Anvers malgré une relance du 3 novembre 2000, la société
Bocs a assigné la société Sucrimex devant le Tribunal de commerce de Paris en paie-
ment de 143 171,78 euros concernant le lot de 3 000 tonnes et de 87 211, 81 USD
concernant le lot de 2 000 tonnes, tandis que la société Sucrimex l'assignait devant
la juridiction consulaire de Rouen en paiement de 74 200 euros en principal.
Par jugement du 23 novembre 2001, le Tribunal de commerce de Rouen a fait
droit à l'exception de litispendance soulevée par la société Bocs et s'est dessaisi en
faveur de la juridiction consulaire parisienne. Par jugement contradictoire du 24
octobre 2002, le Tribunal de commerce de Paris, joignant les causes, a dit que le
contrat conclu entre les parties était un contrat d'affrètement partiel d'espace, a
débouté les parties de l'ensemble de leurs demandes et fait masse des dépens qu'il a
mis à la charge de chacune des sociétés par moitié.
Régulièrement appelante, la société Sucrimex demande à la Cour, par conclusions
déposées le 6 décembre 2004, de :

DMF 669 290 Avril 2006


JURISPRUDENCE FRANÇAISE

- infirmer le jugement en ce qu'il a qualifié le contrat conclu entre elle-même et la


société Bocs de contrat d'affrètement,
- le confirmer en ce qu'il a reconnu la résiliation unilatérale et fautive de Bocs,
- condamner la société Bocs à lui payer la contre-valeur en euro, au jour du juge-
ment, de la somme de 74 200 USD, augmentée des intérêts au taux légal à compter
de l'assignation, capitalisés en application de l'article 1154 du Code civil, outre
10.000 euros pour ses frais irrépétibles et aux dépens.
Par conclusions enregistrées le 13 décembre 2004, la société Bocs, intimée,
conclut également à l'infirmation du jugement et prie la Cour de
- condamner la société Sucrimex à lui payer au titre du faux fret 130 379, 43 euros
et 78 500 USD, au titre des frais supplémentaires et des surestaries les sommes de
12 792, 35 euros et 8 711, 81 USD,
- condamner la société Sucrimex au paiement des intérêts sur ces sommes à comp-
ter du 3 novembre 2000 date de la mise en demeure, au besoin à titre de dommages
intérêts complémentaires,
- débouter l'appelante de toutes ses demandes et la condamner à lui payer
16 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sur ce,
Sur la qualification du contrat
Considérant qu'il est constant que si les deux « booking notes » ou arrêtés de fret
versés aux débats et sur l'interprétation desquels les parties divergent, établis par la
société Aoti en date à Anvers des 14 et 21 septembre 2000, portent sous la mention
« carrier » (transporteur) : « BOCS », ainsi que la nature de la marchandise, l'indi-
cation du port de chargement et du port de destination, et s'ils portent en bas de page
une clause de référence expresse au connaissement qui s'y substituera, tout en men-
tionnant également les dates de planche (25-30 septembre 2000), le taux de fret et la
référence à des surestaries caractéristiques d'une charte-partie, ces documents non
signés des parties ne sont pas opposables à la société Bocs qui conteste les avoir
reçus, la société Sucrimex n'apportant pas la preuve contraire ;
Mais considérant que la société Bocs ne conteste pas avoir reçu plusieurs messa-
ges électroniques du courtier Aoti le dernier du 21 septembre 2000 lui confirmant
cette réservation en ces termes « confirmons définitivement d'ordre et pour compte
de nos commettants Sucrimex Paris, lot de 2.000 t supplémentaires sur « MS Trade
Swan » (BOCS - pay cyp - constr 77) attendu Rouen 25/9 au taux de $ 39, 25/1000
kos tout compris base free in cop quai fournisseur/liner out moins 5 % de commis-
sion », étant ajouté sur ce même message « IMPORTANT : vous rappelons une nou-
velle fois et pour autant que nécessaire qu'il est absolument IMPERATIF que le
navire se présente à Rouen en SEPTEMBRE », étant encore ajouté « Total sur ce
navire : 3 000 t. pour Lome et 2 000 t. pour Téma. Fret payable par nous chez
vous » ; que dans un courrier électronique du 9 octobre 2000, la société Sucrimex
acceptait de négocier auprès de son fournisseur le montant des surestaries réclamés
par la société Bocs, exclusifs d'un contrat de transport ;

DMF 669 291 Avril 2006


NAVIRE - TRANSPORT MARITIME - GENS DE MER

Considérant dès lors que c'est par de justes motifs que la Cour adopte, que les pre-
miers juges ont considéré que le contrat litigieux était un contrat d'affrètement par-
tiel d'espace sur le navire Trade Swan frété par la société Bocs sur une ligne régu-
lière desservant divers ports d'Europe et d'Afrique de l'Ouest ;
Sur la responsabilité
Considérant qu'il appartient au fréteur de connaître les conditions nautiques d'ac-
cès du port qu'il s'est engagé à desservir, de sorte que le navire affrété soit mis à la
disposition de l'affréteur à la date et au lieu fixés par le contrat ;
Considérant qu'il est établi par les messages électroniques versés aux débats et non
contestés par l'intimée que le navire Trade Swan retardé en Allemagne puis aux
Pays-Bas ne s'est présenté en rade de Rouen que le vendredi 29 septembre 2000,
dans la soirée, alors que le navire était attendu depuis le 25 septembre 2000 au port
de Rouen au quai du terminal sucrier désigné par la société Sucrimex selon les men-
tions expresses « attendu Rouen 25/9 (....) » et « free in cop [custom of the port] quai
fournisseur / liner out » portées dans la confirmation de réservation ;
Que la société Bocs allègue vainement l'impossibilité d'accès à ce quai en raison
de l'encombrement de ce dernier, alors que selon le principe ci-dessus rappelé, il lui
incombait de se renseigner sur les usages du port de Rouen expressément visés par
les confirmations de réservation que lui avait adressé le courtier Aoti, l'organisation
du port de Rouen non contestée en tant que telle excluant toute réservation du quai
par le chargeur, les navires devant au contraire accoster pour chargement dans l'or-
dre où ils se présentent, ce que ne pouvait ni devait ignorer le fréteur, qui a accepté
les risques d'attente en toute connaissance de cause ainsi que l'ont justement relevé
les premiers juges ; qu'il y a lieu de relever que la société Bocs n'ignorait pas ces
contraintes, ainsi que le confirme le message qu'elle verse aux débats, adressé dès le
22 septembre 2000 par son agent BOSS au terminal Robuste pour annoncer l'arrivée
du Trade Swan le 28 septembre et demander que lui soient communiquées « les pos-
sibilités de travail pour ce navire dans cette période afin d'ajuster au mieux son
schedule pour les prochains ports touchés » ; que la société Bocs ne justifie ni n'al-
lègue que la société Sucrimex n'aurait pu exécuter son obligation de chargement à
partir du 25 septembre 2000 et jusqu'au 30 septembre 2000, ainsi que les jours sui-
vants, et se borne à indiquer que le navire a été avisé à son arrivée sur rade le 29 sep-
tembre 2000, qu'il ne pourrait y avoir de place à quai avant le 7 octobre 2000 ;
que les griefs formés par la société Bocs à l'encontre de l'appelante, lui reprochant
d'avoir, à la seconde présentation du navire le 8 octobre 2000, exigé une visite
d'inspection non prévue par le contrat puis « garanti » un embarquement le 10 octo-
bre 2000 en réalité impossible en raison de l'indisponibilité du poste occupé par un
autre navire depuis le 4 octobre et jusqu'au 24 octobre 2000, sont inopérants -étant
observé qu'en tout état de cause il incombait au fréteur, à nouveau, de s'en assurer à
la date prévue pour le retour d'Anvers du Trade Swan ;
Qu'il s'ensuit que la société Bocs a rompu unilatéralement et à ses torts exclusifs,
le contrat d'affrètement qu'elle avait conclu avec la société Sucrimex, en décidant
d'appareiller définitivement le 10 octobre 2000 sans avoir embarqué la cargaison
qu'elle s'était engagée à recevoir ; qu'il y a lieu de débouter le fréteur de ses deman-

DMF 669 292 Avril 2006


JURISPRUDENCE FRANÇAISE

des en paiement de surestaries et autres frais, l'affréteur ayant été empêché par son
fait de procéder au chargement ;
Sur le préjudice subi par la société Sucrimex
Considérant que la société Sucrimex déclare avoir été dans l'obligation d'acquérir
une marchandise de substitution stockée à Anvers moyennant un surcoût de
3, 30 USD par tonnes, et demande la réparation de son préjudice, soit :
- 9 900 USD pour les 3 000 tonnes à destination de Lomé,
- 14 300 USD pour les 2 000 tonnes à destination de Téma :
Qu'elle produit les connaissements et les factures correspondantes, incluant le sur-
coût pour l'extension de la période d'embarquement et le chargement à Anvers, les
frais de stockage à Anvers, le surcoût (fret) et les frais financiers exposés sur une
période de 30 jours ;
Qu'il y a lieu de faire droit à sa demande ;
Que la demande de Sucrimex tendant à ce que soit également pris en compte un
préjudice commercial estimé à 50 000 USD résultant de la réduction de ses marges
pour des expéditions postérieures, qui n'est étayée d'aucune pièce, sera rejetée ;
Que la société Sucrimex demande enfin que la condamnation de la société Bocs
soit assortie d'intérêts au taux légal à compter de l'assignation et la capitalisation de
ces intérêts ; mais que compte tenu de leur caractère indemnitaire, ces créances ne
peuvent produire intérêt, au taux légal, qu'au jour où elles sont judiciairement
fixées ; qu'il suit que la demande de canitalisation des intérêts, qui doit porter sur
des intérêts dus au moins pour une année entière, ne peut qu'être rejetée ;
Considérant qu'il convient d'infirmer partiellement la décision entreprise ;
Qu'il est équitable que la société Sucrimex soit indemnisée de ses frais irrépétibles
de première instance et d'appel, pour lesquels lui seront alloués 3 000 euros ;
Par ces motifs
Statuant publiquement et contradictoirement,
Reçoit les appels principal et incident jugés réguliers en la forme,
Au fond,
Infirme la décision entreprise en ce qu'elle a rejeté les demandes de la société
Sucrimex tendant à la réparation de son préjudice et statué sur l'application de
l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi que sur les dépens,
Et statuant à nouveau,
Condamne la société Bocs à payer à la société Sucrimex la contre-valeur en euros
au jour de la présente décision, de 24 200 USD,
Déboute les parties du surplus de leurs conclusions respectives, ...»
Prés. : Mme Riffault-Silk ; Avoc. : Me Bouffard (Sucrimex), Me Huynh-Olivieri (Bocs).

DMF 669 293 Avril 2006


NAVIRE - TRANSPORT MARITIME - GENS DE MER

Observations - L’armateur, société BOCS, a contracté au su de derniers messa-


ges en date du 21 septembre 2000 disant « confirmons lot de 2000 tonnes supplé-
mentaires sur ms Trade Swan … attendu Rouen 25/9 au taux de … base free in cop
[custom of the port] quai fournisseur / liner out. IMPORTANT : vous rappelons une
nouvelle fois et pour autant que nécessaire qu’il est absolument IMPERATIF que le
navire se présente à Rouen en SEPTEMBRE. Total sur ce navire : 3000 t. pour Lomé
et 2000 t. pour Téma ». Antérieurement à ceux-ci, deux arrêtés de fret (booking
notes), établis les 14 et 21 septembre à Anvers par un courtier, indiquaient : (i) sous
la mention carrier (transporteur) le nom BOCS, (ii) la nature de la marchandise, (iii)
le port de chargement et de destination, (iv) une clause de référence au connaisse-
ment qui s’y substituera, (v) les dates de planche (25-30 septembre 2000), (vi) le taux
de fret et (vii) la référence à des surestaries. Enfin, par un courrier électronique du
9 octobre 2000, la société SUCRIMEX, cocontractante de la société BOCS, accep-
tait de négocier le montant des surestaries réclamés par celle-ci. Parallèlement à ces
éléments de fait qui devaient être présentés pour qualifier le contrat conclu, ceux qui
suivent doivent être énoncés pour résoudre la question de la responsabilité des deux
sociétés.
Le navire Trade Swan, dans lequel les deux lots de sucre devaient être chargés,
s’est présenté en rade de Rouen le 29 septembre 2000 à 21h15. Il en est reparti en
direction d’Anvers ce même jour à 22 heures. Là, il a chargé d’autres marchandises.
Il s’est de nouveau présenté en rade de Rouen le 8 octobre 2000 à 20h50, puis a
appareillé le lendemain à 19h40 sans avoir embarqué la cargaison, au motif qu’il
n’aurait reçu aucune garantie d’avoir un poste à quai pour un chargement au plus
tard le 10 octobre.
La société BOCS, qui n’a pas été réglée des factures qu’elle a expédiées à la
société SUCRIMEX pour perte de fret et frais supplémentaires exposés à Anvers, a
assigné celle-ci devant le Tribunal de commerce de Paris, tandis que la société
SUCRIMEX a assigné la société BOCS devant le Tribunal de commerce de Rouen
pour obtenir le paiement d’une somme de 74 200 euros. Ce dernier s’est dessaisi.
Le Tribunal de commerce de Paris a dit que le contrat conclu était un contrat
d’affrètement partiel d’espace, a débouté les parties de l’ensemble de leurs deman-
des et a fait masse des dépens qu’il a mis pour moitié à la charge de chacune des
sociétés.
La Cour d’appel de Paris a eu à se prononcer sur deux moyens : la nature juridique
du contrat conclu et la responsabilité des parties au litige.

I. – Sur la qualification du contrat


L’arrêt rendu a fait sien les motifs par lesquels les premiers juges ont considéré que
le contrat conclu était un contrat d’affrètement partiel d’espace sur le navire Trade
Swan donné en affrètement par la société BOCS, sur une ligne régulière desservant
divers ports d’Europe et d’Afrique de l’Ouest.
On pourrait penser, a priori, que les juges ont ainsi statué en mettant l’accent sur
les points V, VI et VII précités des arrêtés de fret, les préférant aux points I à IV. En

DMF 669 294 Avril 2006


JURISPRUDENCE FRANÇAISE

fait, cela n’a pas été le cas car ces arrêtés de fret n’avaient pas été signés par les
parties, de sorte que la Cour les a déclarés inopposables à la société BOCS qui
contestait les avoir reçus, cependant que la société SUCRIMEX n’apportait pas la
preuve contraire.
C’est sur le fondement des derniers messages, dont la société BOCS ne nie pas
avoir eu connaissance, que la Cour a tranché, ainsi que, tout spécialement, sur le fait
que la société SUCRIMEX avait discuté le montant des surestaries que la société
BOCS lui avait réclamés, soulignant, ce qui n’est pas contestable, que la notion de
surestaries est exclusive d’un contrat de transport. On doit donc comprendre que, ce
faisant, les magistrats ont relevé la concordance des volontés des deux adversaires
en faveur de la qualification du contrat conclu en contrat d’affrètement. Nous ajoute-
rons qu’il s’agit d’un affrètement au voyage. Dès lors que la capacité totale du navi-
re lui permettait de recevoir plus de 5000 tonnes de marchandises, il n’y a rien à redi-
re à le qualifier d’ « affrètement partiel d’espace ». Sur ce point, rien n’est à ajouter,
sauf à souligner que l’on n’est pas en présence du nouveau visage de « l’affrètement
d’espaces », du moins de ce visage que M. Bertrand Sabadie a présenté dans sa
récente thèse de doctorat (1).
Cette qualification n’était pas sans résonance sur la question de la responsabilité.

II. – Sur la responsabilité des parties au litige


La Cour d’appel de Paris condamne la société BOCS, fréteur au voyage, sur le
motif suivant : « il appartient au fréteur de connaître les conditions nautiques d’accès
du port qu’il s’est engagé à desservir de sorte que le navire affrété soit mis à la
disposition de l’affréteur à la date et au lieu fixés par le contrat ». Sans être opposé
à cette justification, nous nous permettrons la réserve suivante : à tout prendre, l’on
peut se demander s’il ne s’agissait pas plus de conditions commerciales que nau-
tiques d’accès non pas au port mais à un quai.
Des faits retenus par l’arrêt il ressort que le navire a été retardé en Allemagne puis
aux Pays-Bas, de sorte qu’il ne s’est présenté en rade de Rouen que le 29 septem-
bre au soir alors qu’il était attendu depuis le 25 septembre « au quai fournisseur »,
comme l’attestent les derniers messages échangés confirmant la réservation du
navire. A cet instant, la société BOCS ne semblait pas être en retard de livraison du
navire, sauf à relever que les « dates de planche » étaient « 25 – 30 septembre ».
Pour dire le vrai, nous comprenons mal cette dernière expression. L’affrètement au
voyage usuel utilise deux notions différentes qui ne correspondent pas à celle-ci.
D’une part, il y est question de laycan, c’est-à-dire de la durée à l’intérieur de laquelle le
navire doit être arrivé au port ou au quai. D’autre part, il est question de « jours de
planche » ou laydays ou laytime (2), c’est-à-dire de la durée d’immobilisation du navi-
re pour chargement et déchargement qui ne donne pas lieu à paiement de fret com-

(1) L’affrètement d’espaces, Préf. Y. Tassel, PUAM, 2004.


(2) Laytime shall mean the period of time agreed between the parties during wich the owner will make and
keep the vessel available for loading or discharging without payement additional to the freight in Voyage
Charterparty Laytime Interpretation Rules 1993, Handbook of Maritime Conventionss CMI, 2004 Vancouver
Edition, LexisNexis, doc. 1-10.

DMF 669 295 Avril 2006


NAVIRE - TRANSPORT MARITIME - GENS DE MER

plémentaire. Leur durée est généralement déterminée par la quantité de marchandi-


ses à manutentionner et s’exprime en nombre de jours plutôt qu’en une date. On peut
penser ici que les « dates de planche » désignent plutôt les laycan que la durée des
staries. Mais si le navire n’était pas en retard lorsqu’il s’est présenté le 29 septem-
bre, pouvait-il, faute de disposition du quai fournisseur, quitter immédiatement le port
de Rouen pour se rendre à Anvers ? Telle était la question.
Il avait été souligné, et cela spécialement par l’emploi du mot « IMPORTANT »,
qu’il était absolument IMPERATIF que le navire se présente à Rouen en SEPTEM-
BRE. Tel avait bien été le cas. Il était également convenu que le contrat avait été
conclu « au taux de … tout compris base free in custom of the port quai fournisseur
/ liner out moins 5 % de commissions ». Cette expression signifie que le taux de fret
n’incluait pas le coût du chargement du navire, cependant que celui du décharge-
ment était pour le navire (3). On doit en inférer qu’il pouvait être question d’un accord
relatif au temps de planche et au taux de surestaries au port de chargement, ainsi
que le laisse entendre l’expression, que nous trouvons équivoque, de « dates de
planche ». Dans de telles conditions, comment la question de l’indisponibilité du «
quai fournisseur » devait-elle se résoudre ?
Pour faire peser la responsabilité de la situation qui en est résultée sur la société
BOCS fréteur au voyage du navire, la Cour ajoute que, selon le principe qu’elle énon-
ce – « le fréteur doit connaître les conditions nautiques d’accès du port qu’il s’est
engagé à desservir » –, « il lui appartenait de se renseigner sur les usages du port
de Rouen, l’organisation de celui-ci, non contestée en tant que telle, excluant toute
réservation du quai par le chargeur, les navires devant au contraire accoster pour
chargement dans l’ordre où ils se présentent, ce que ne pouvait ni devait ignorer le
fréteur qui a accepté les risques d’attente en tout connaissance de cause ». Elle
ajoute que la société BOCS n’ignorait pas ces contraintes puisque, le 22 septembre,
elle avait demandé au terminal de Rouen que lui soient communiquées « les possi-
bilités de travail pour [son] navire dans cette période afin d’ajuster au mieux son
schedule (horaire ou programme) pour les prochains ports touchés ». Certes ! Mais,
à son arrivée le 29 septembre, le navire avait été avisé qu’il n’y aurait pas de place
avant le 7 octobre. Dès lors, que devait-il faire ? Et que devait-il faire lorsque, étant
arrivé le 8 octobre, il lui a été dit qu’un autre navire occupait déjà le poste à quai
depuis le 4 octobre et cela jusqu’au 24 ?
Le cœur du débat nous paraît se situer dans l’observation de la Cour selon laquel-
le « le fréteur avait accepté les risques d’attente en toute connaissance de cause ».
En était-il véritablement ainsi ?

(3) Dans The Marine Encyclopaedic Dictionnay d’Eric Sullivan, la clause « Liner in free out » est dite signi-
fier qu’il s’agit d’une précision sur le taux de fret selon laquelle « ce taux inclut le prix du déplacement par
mer et celui du chargement, mais exclut celui du déchargement qui incombe au chargeur ou destinataire
(affréteur) selon le cas. Dès lors, il peut exister un accord de temps de planche et de dépassement du temps
de planche au port de déchargement puisque le transporteur (fréteur) n’a pas le contrôle du déchargement
». Si l’on inverse la proposition la clause « Free in liner out » indique que le chargement incombe au char-
geur (affréteur) et qu’il peut exister un accord de temps de planche au chargement puisque le transporteur
(fréteur) n’a pas le contrôle du chargement. Telle semblait bien être la situation dans ce cas d’espèce.

DMF 669 296 Avril 2006


JURISPRUDENCE FRANÇAISE

Ce qui nous en fait douter est le fait que le taux de fret était fixé sur la base « free
in custom of the port quai fournisseur ». Il nous semble que l’expression pourrait
aussi bien être interprétée comme signifiant que le risque d’attente du quai fournis-
seur, attente dont la durée dépend bien évidemment de l’usage du port, est pour l’af-
fréteur qui fournit son quai. Deux éléments sont en faveur de cette interprétation :
d’une part, free in signifie que le navire est libre de contrainte ; d’autre part, cette
interprétation permet de comprendre que la société SUCRIMEX ait accepté de négo-
cier le montant des surestaries réclamées, ce qui est expressément relevé par les
juges. Au contraire, déduire du seul fait que le navire ait demandé quelles étaient les
conditions d’accès au quai pour conclure qu’il avait pris sur lui les risques d’attente
nous paraît aller trop vite en besogne.
En revanche, l’analyse que nous proposons ne va pas jusqu’à justifier le compor-
tement de la société BOCS qui, au total, a décidé de repartir sans attendre, donc
sans embarquer la cargaison qu’elle s’était engagée à déplacer. La Cour peut donc
dire que celle-ci a unilatéralement rompu le contrat d’affrètement qu’elle avait conclu.
Mais pouvait-elle véritablement faire autrement ? Toute autre attitude n’eût-elle pas
été déraisonnable ?
Au demeurant, le résultat de la situation ne se révèle pas être catastrophique.
Pour faire parvenir les 5000 tonnes de sucre aux destinations prévues (Lomé et
Téma), la société SUCRIMEX a dû se fournir à Anvers. Elle a, ce faisant, subi un sur-
coût de 3,30 dollars américains la tonne, subissant un préjudice de 24 200 USD.
C’est cette somme que la société BOCS est condamnée à devoir payer à la société
SUCRIMEX.
Que la société BOCS soit déboutée de sa demande de surestaries et autres frais
ne peut surprendre. En fin de compte, le navire a perdu 3/4 d’heures lors de sa pre-
mière venue à Rouen et 23 heures lors de sa seconde venue. Autrement dit, quasi-
ment rien. Quant à réclamer quoique que ce soit pour ne pas avoir embarqué la car-
gaison qu’elle devait charger, cela ne pouvait pas se faire.
On comprend que les premiers juges aient renvoyé les plaideurs dos à dos. Par
ailleurs la condamnation de la société BOCS par les juges de la Cour d’appel de
Paris n’a rien d’injuste. Nous ne sommes pas totalement certain, en revanche, qu’el-
le procède d’une analyse des termes du contrat qui soit hors de portée de toute
réserve. Mais ces termes nous semblent bien ambigus. Faute de disposer des docu-
ments du litige sur ce point, nous ne pouvons en dire davantage. En revanche, une
chose est sûre : l’arrêt présente un intérêt notable pour une meilleure connaissance
du droit de l’affrètement au voyage. Il est certainement également important car la
situation présente, mélangée de conditions propres au liner (on veut parler ici de
rotations, presque de lignes) et d’éléments propres à l’affrètement au voyage (on
parle ici de cargaisons), ne cesse pas de questionner les règles traditionnelles d’ins-
titutions dont la nature est plus tranchée.
Yves TASSEL

DMF 669 297 Avril 2006


NAVIRE - TRANSPORT MARITIME - GENS DE MER

COUR D’APPEL DE ROUEN (2ème Ch. civ.)


8 septembre 2005

ARBITRAGE INTERNATIONAL – RECOURS EN ANNULATION


Vente FOB. Clause compromissoire. Non mise à disposition des marchandi-
ses par le vendeur. Force majeure. Sentence arbitrale. Recours en annulation.
Mission des arbitres.
En retenant, suite à un examen des prétentions des parties et dans le respect du
principe de la contradiction, qu’ils devaient rechercher si les éléments constitutifs de
la force majeure étaient réunis les arbitres n’ont pas méconnu la mission qui leur a
été conférée.
SA SOCIETE D’EGRENAGE INDUSTRIEL DE COTON DU BENIN c/ SA SOCIE-
TE L’AIGLON
ARRET
« LA COUR,
Le 6 novembre 2002, la société de droit béninois d'Engrenage industriel de coton
du Bénin, exerçant sous l'enseigne « SEICB » a vendu, aux conditions FOB Cotonou
sous palan ou en conteneurs option acheteur, environ 4 000 tonnes de coton fibre du
Bénin, à la société de droit suisse l'Aiglon.
Le contrat stipule une clause compromissoire selon laquelle les deux parties sont
convenues de soumettre les différends éventuels issus de l'exécution du contrat à
l'arbitrage de la chambre arbitrale de coton du Havre, selon le Règlement général du
Havre (RGH) de l'association française cotonnière (AFCOT).
La SEICB n'a pas mis la marchandise à la disposition de l'acheteur et a invoqué
l'existence d'un cas de force majeure.
Par lettre du 27 avril 2003, la société l'Aiglon a contesté l'existence d'un cas de
force majeure, invoqué la revente du coton litigieux et, faisant valoir qu'elle était
contrainte de le remplacer au cours actuel du marché, c'est-à-dire de manière défici-
taire pour faire face à ses obligations, a déclaré contre facturer, conformément à
l'article 34 du RGH, lui réclamant les sommes de 539 600 euros au titre de la diffé-
rence de cours et de 81 712 euros à titre de pénalité contractuelle.
Par lettre du 7 mai 2003, la SEICB a contesté la validité de cette contre factura-
tion, et maintenant le moyen tiré de l'existence d'un cas de force majeure, a sollici-
té la prorogation de trois mois du délai d'exécution du contrat, conformément au
RGH.
Par lettre du 21 mai 2003, la société l'Aiglon a mis en demeure la SEICB de
livrer la marchandise avant le 31 mai, ou à défaut de régler la contre facturation.
Cette correspondance étant restée sans réponse, la société l'Aiglon a, par lettre du
3 juin 2003, notifié à la SEICB qu'elle entendait engager une procédure d'arbitrage,
qu'à cette fin, elle désignait un arbitre et l'a invitée à désigner son propre arbitre.

DMF 669 298 Avril 2006


JURISPRUDENCE FRANÇAISE

La SEICB n'ayant pas déféré à cette demande, un arbitre a été désigné par le
président du tribunal de commerce, statuant en référé et, conformément au RGH, les
deux arbitres ont désigné un troisième arbitre.
Par sentence du 17 mai 2004, le tribunal arbitral a :
- condamné la SEICB à payer à la société l'Aiglon la somme de 627 578 euros au
titre de la contre facturation des 2% de pénalités et des frais bancaires,
- dit et jugé que ces sommes seront augmentées des intérêts au taux de 6,60% à
compter du 1er juin 2003 jusqu'à parfait paiement,
- dit et jugé que les frais et honoraires d'arbitrage seront partagés par moitié.
La SEICB a formé un recours en annulation contre cette sentence.
Pour l'exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé aux conclu-
sions signifiées le 13 mai 2005 par la SEICB et le 25 mars 2005 par la société
l'Aiglon.
Sur ce, la Cour,
Sur le moyen unique. tiré de ce que le tribunal arbitral a statué sans se conformer
à la mission qui lui a été conférée (article 1502. 3° du Nouveau Code de procédure
civile) :
Attendu que la SEICB fait grief au tribunal arbitral de l'avoir condamnée à payer
une somme d'argent à la société l'Aiglon, alors que, selon le moyen, elle avait sou-
tenu dans son mémoire en défense que la société l'Aiglon avait donné pour mission
aux arbitres de juger que le cas de force majeure invoqué par la SEICB ne lui était
pas opposable ;
Qu'en retenant que la société l'Aiglon avait contesté l'existence d'un cas de force
majeure, alors que celle-ci s'était bornée à soutenir que la force majeure invoquée ne
lui était pas « opposable », le tribunal arbitral a statué, sans se conformer à la mis-
sion qui lui a été conférée, la mission d'amiable composition ne conférant pas aux
arbitres le pouvoir d'accorder des dommages-intérêts non sollicités ou supérieurs à
ceux demandés, et d'aménager les relations des parties ;
Attendu, cependant, que la mission du tribunal arbitral est délimitée par l'objet du
litige tel qu'il est déterminé par les prétentions des parties ;
Attendu qu'après avoir rappelé que, dans son mémoire en demande, la société
l'Aiglon a sollicité la condamnation de la SEICB à lui payer les sommes de
539 600 euros au titre de la différence de marché, 81 712 euros à titre de pénalité
selon le RGH de 2% et 6 266 euros au titre des frais bancaires liés à l'ouverture des
lettres de crédit, soit au total 627 578 euros, avec les intérêts courant depuis la fin
du mois d'avril 2003, date de la contre facturation et sous réserve d'autres frais qui
pourraient découler de cet arbitrage, la sentence énonce que, par lettre du 14 octobre
2003, dont la SEICB a reçu copie, la société l'Aiglon a repris sa demande en solli-
c i t a n t
au tribunal de dire et juger que le cas de force majeure invoqué par la SEICB pour
s'excuser de ne pas avoir respecté ses obligations de livrer le coton n'est pas opposa-

DMF 669 299 Avril 2006


NAVIRE - TRANSPORT MARITIME - GENS DE MER

ble à la demanderesse ;
Attendu que les arbitres relèvent encore qu'après que les parties ont été entendues,
la société l'Aiglon a, dans une note complémentaire du 15 mars 2004, exposé avoir
toujours contesté l'existence d'un cas de force majeure et qu'en énonçant que la force
majeure ne lui était pas opposable, elle avait entendu soutenir que la cause d'exoné-
ration invoquée n'était pas justifiée ; que les arbitres constatent que la SEICB a été
en mesure de présenter une note en réplique le 5 avril 2004 ;
Attendu, dès lors, que, pour dégager le sens et la portée de la lettre du 14 octobre 2004,
c'est par une interprétation, que les termes ambigus de ce document rendaient néces-
saires, que les arbitres l'ont rapprochée de la correspondance que la société l'Aiglon
avait adressée à la SEICB le 16 mai 2003, par laquelle elle avait indiqué que « dans
le cas précis, il (lui) paraissait inapproprié de parler de force majeure » ;
Qu'ayant estimé que le sens donné à l'adjectif « opposable » devait être éclairé par
la formule utilisée dans cette lettre et souverainement retenu, dans le respect du prin-
cipe de la contradiction, qu'ils devaient rechercher si les éléments constitutifs de la
force majeure étaient réunis, les arbitres n'ont pas méconnu la mission qui leur a été
conférée ;
Attendu, en outre, qu'en se référant expressément au pouvoir d'amiable composi-
teur dont il était investi par l'article 63-14 du Règlement d'arbitrage, le tribunal arbi-
tral, qui n'a pas accordé à la société l'Aiglon davantage que ce qu'elle avait deman-
dé, a fait ressortir que la solution retenue était propre à donner au litige la solution
la plus juste ; qu'il n'est pas démontré que cette solution est contraire à l'équité, ni
concrètement précisé en quoi les arbitres auraient, en l'espèce, substitué aux obliga-
tions contractuelles des obligations nouvelles et bouleversé ainsi l'économie du
contrat ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Que, par suite, le recours en annulation doit être rejeté ;
Par ces motifs :
REJETTE le recours en annulation ;
Vu l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile,
Condamne la Société d'égrenage industriel de coton du Bénin, exerçant sous
l'enseigne « SEICB », à payer à la société L'Aiglon la somme de 10 000 euros ; … ».
Prés. Mme Bignon ; Av. : Me Tissot (SEICB), Me Marguet (L’Aiglon).

Observations - L’affaire soumise à arbitrage est classique : un vendeur de coton, la


société SEICB se trouve dans l’impossibilité de fournir à son acquéreur le tonnage
qu’il s’est engagé à livrer. Pour se dégager de son obligation contractuelle il s’appuie
sur de réelles difficultés d’approvisionnement présentant, selon lui, un caractère de
force majeure.
L’acheteur, la société L’AIGLON SA, s’adresse alors au tribunal arbitral pour obte-
nir réparation de son préjudice estimant que l’exception de force majeure ne lui est

DMF 669 300 Avril 2006


JURISPRUDENCE FRANÇAISE

pas opposable.
Les arbitres ayant tranché en faveur de l’acheteur et condamnant le vendeur à
compenser le préjudice causé, ce dernier a saisi la Cour d’appel de Rouen d’une
demande d’annulation de la sentence, au motif que les arbitres ont statué sans se
conformer à la mission qui leur était conférée.
Un tel recours en annulation s’inscrit dans la tendance générale actuelle de judi-
ciarisation de l’arbitrage. La partie mécontente de la décision des arbitres tente d’ob-
tenir l’annulation de la sentence. La voie ouverte par l’article 1502 du nouveau Code
de procédure civile auquel renvoie l’article 1504 du même code pour définir les pos-
sibles cas d’annulation des sentences arbitrales en matière d’arbitrage international
est cependant très étroite.
En l’absence de faits avérés, il est difficile de fonder une demande d’annulation sur
les alinéas 1° et 2° qui traitent de l’absence de convention d’arbitrage et d’un
tribunal arbitral irrégulièrement composé. Il en est de même du paragraphe 5° et der-
nier qui prévoit l’annulation de décisions contraires à l’ordre public international.
La plupart des demandes d’annulation invoqueront donc le plus souvent les para-
graphes 3° ou 4° invoquant, soit que les arbitres ont statué sans se conformer à la
mission qui leur était conférée, soit que le principe de la contradiction n’a pas été
respecté.
En l’espèce, le grief invoqué par la demanderesse est celui de l’alinéa 3°. Elle plai-
de qu’en recherchant si les éléments constitutifs de la force majeure étaient présents
et en prononçant une condamnation les arbitres auraient statué sans se conformer
à la mission qui leur était conférée. Elle invoque le grief le plus général et donc celui
qui pourrait permettre le plus facilement une interprétation extensive de la part des
juges de l’annulation.
Pour comprendre la motivation de la demande en annulation, il convient de lire avec
attention les termes précis de la demande d’arbitrage de la société L’AIGLON :
« Dire et juger que le cas de force majeure invoqué par la SEICB, pour s’excuser
de n’avoir pas respecté ses obligations de livrer le coton ne lui est pas opposable. »
« En conséquence, de condamner la SEICB à lui payer la somme de
627 518 Euros. »
Pour la demanderesse en annulation, face à une demande d’arbitrage ainsi rédigée,
les arbitres devaient simplement se prononcer sur le caractère « opposable » à
l’acheteur d’un cas de force majeure, à leurs yeux, non contestable et non contesté.
La Cour d’appel de Rouen a, bien entendu, évité de statuer sur, l’existence d’un
cas de force majeure, domaine de la compétence exclusive du tribunal arbitral. Elle
a néanmoins refusé de se laisser enfermer dans une interprétation purement littéra-
le de la rédaction de la demande d’arbitrage. Suivre le raisonnement particulièrement
spécieux de la SEICB et limiter l’arbitrage à juger de la seule opposabilité de la force
majeure conduirait à priver d’effets la procédure arbitrale voulue par les
parties pour régler leur différend.
La Cour réaffirme clairement que le contrôle des sentences peut impliquer un exa-

DMF 669 301 Avril 2006


NAVIRE - TRANSPORT MARITIME - GENS DE MER

men détaillé des dossiers pour évacuer toute ambiguïté. En arbitrage, la forme de la
demande étant libre, il est parfaitement logique que la Cour utilise l’ensemble des
écrits pour mieux en définir les contours. Il n’y a en effet pas de limites à son
pouvoir souverain dans l’examen des sentences pour caractériser ou refuser un cas
d’annulation. Elle motive, avec pertinence, sa décision par un examen complet des
courriers et des mémoires échangés entre les parties duquel elle a acquis la convic-
tion que le caractère de force majeure avait été clairement réfuté par la société
l’Aiglon.
En conséquence elle juge que les arbitres agissaient dans le cadre de leur mission
en recherchant si les événements étaient ou non constitutifs d’un cas de force
majeure mais ce faisant elle ne se prononce pas sur le fond du litige qui a été tran-
ché par la sentence des arbitres.
La Cour prend, en outre, le soin de souligner que le refus de considérer l’existen-
ce d’un cas de force majeure par la société L’AIGLON parce qu’exprimé dans ses
écrits et porté à la connaissance de son adversaire, permettait aux arbitres de
statuer dans le respect du contradictoire, éliminant ainsi, si besoin en était, le cas
d’annulation prévu à l’alinéa 4° de l’article 1502.
À partir du moment où les arbitres avaient dûment motivé l’absence de force
majeure, la Cour reconnaît qu’il était également dans leur mission de se prononcer
sur la demande chiffrée de réparation du préjudice. Leur mission d’amiables compo-
siteurs, étant pleinement remplie à partir du moment où après avoir constaté en droit
l’absence de force majeure, ils prenaient soin de souligner que la décision qu’ils
adoptaient leur semblait la plus juste.
Cet arrêt s’inscrit dans la ligne d’interprétation restrictive des cas d’annulation de
sentences arbitrales adoptée par les Cours d’appel et la Cour de cassation et
démontre une fois de plus qu’il faut de solides motifs pour obtenir l’annulation d’une
sentence arbitrale. Une demande inconsidérée a peu de chances de prospérer et
démontre une attitude contraire à l’esprit même de l’arbitrage.
Compte tenu des éléments du dossier, et de la qualité des motivations de cette
sentence, ce recours en annulation aurait, sans doute, pu faire l’objet d’une deman-
de de dommages et intérêts pour procédure abusive. La Cour ne s’y est pas trompée
en donnant pleine satisfaction à la demande de la société L’AIGLON au titre de l’ar-
ticle 700.
Espérons que ce nouvel arrêt contribuera à dissuader une partie insatisfaite d’une
décision d’arbitrage, de tenter d’utiliser une demande d’annulation comme une forme
d’appel devant les tribunaux étatiques.
François ARRADON

DMF 669 302 Avril 2006


JURISPRUDENCE FRANÇAISE

COUR D’APPEL DE VERSAILLES (12ème Ch., sect. 2)


14 avril 2005
Navire Schulenburg

MANUTENTION MARITIME
Prescription. Délai. Interruption. Référé expertise. Référé provision.
Reconnaissance du droit de celui auquel on oppose la prescription. Domaine
d’application. Portée. Caducité.
Les prescriptions connaissent des causes interruptives, notamment la citation en
justice en référé signifiée à celui qu’on veut empêcher de prescrire, l’interruption
étant néanmoins regardée comme non avenue lorsque la demande est rejetée, ainsi
que la reconnaissance de dette.
La reconnaissance de dette qui ne contient pas l’engagement formel de payer
n’emporte pas inversion de la prescription qu’elle interrompt.
Sté SAGA c/ Sté DUFERCO, SNCF et Sté CFT
ARRET
LA COUR,
« La SA de droit allemand Duferco Deutschland GMBH a vendu à la société
SPLM aux conditions DDP Le Mans et Saint Ouen L'Aumone des tôles laminées à
froid et à chaud.
Ces marchandises ont été transportées sur le navire Schulenburg au départ de Bar
(Serbie) à destination de Rouen sous couvert de cinq connaissements dont trois
(1, 3, 4) comportaient des réserves émises par le capitaine du chargement concer-
nant la rouille, le cerclage des colis et leur protection.
Selon devis du 28 septembre 1998, la SA de droit suisse Duferco a confié à la SA
Saga Terminaux Portuaires, le déchargement de la marchandise puis sa réexpédition
par barge fluviale à Saint Ouen L’Aumone et Gennevilliers et par voie ferroviaire au
Mans.
Le navire Schulenburg est arrivé au port de Rouen, le 9 octobre 1998, et la car-
gaison a été déchargée du 10 au 14 octobre 1998 par transbordements directs sans
réserve des tôles dans la barge Alaska de la SA Compagnie Fluvial de Transport -
CFT - et sur 17 wagons de la Société Nationale des Chemins de Fers Français -
SNCF - suivant contrat de transport du 15 octobre 1998.
Le 21 octobre 1998, la SNCF a présenté en gare du Mans les wagons à la société
SPLM qui, par lettres recommandées avec accusé de réception des 21 et 30 octobre
1998, a adressé des réserves pour les colis respectivement de tôles laminées à chaud
et à froid.
La barge Alaska est parvenue à l'appontement de la société SPLM à Saint Ouen
L’Aumone, le 22 octobre 1998, et cette dernière a mentionné sur le document de
transport des réserves visant la rouille et l'emballage.

DMF 669 303 Avril 2006


NAVIRE - TRANSPORT MARITIME - GENS DE MER

La société Duferco Deutschland GMBH a obtenu en référé le 4 février 1999, la


désignation de Madame Joguet-Reccordon, en qualité d'expert, laquelle a déposé
son rapport le 21 juin 1999.
Saisi par les sociétés Duferco, le juge des référés du Tribunal de commerce de
Nanterre a condamné la société Saga à leur verser des provisions pour un montant
global de 298 520, 06 euros par ordonnance rendue le 30 septembre 1999, infirmée
par arrêt de cette cour du 05 octobre 2000 ayant réduit la condamnation provision-
nelle à la somme de 67 802, 72 euros au titre du manque à gagner consécutif à la
perte des tôles laminées à chaud.
Les sociétés Duferco ont assigné le 22 décembre 2000 devant le Tribunal de com-
merce de Nanterre en réparation de leurs préjudices, la société Saga, aux droits de
laquelle se trouve la SA Sea Invest France, qui a appelé en garantie la SNCF et la
société CFT.
Par jugement rendu le 3 octobre 2003, cette juridiction a déclaré les sociétés
Duferco recevables en leur action, rejeté leur demande concernant le manque à
gagner ayant trait aux laminés à chaud, condamné la société Sea Invest à verser aux
sociétés Duferco les sommes de 219 288, 99 euros au titre de la perte subie relative
aux tôles laminées à froid et de 11 428, 33 euros en remboursement des frais d'ex-
pertise judiciaire majorés des intérêts au taux légal à compter du 21 janvier 1999
avec capitalisation, mis hors de cause les sociétés CFT et SNCF, condamné
solidairement les sociétés Duferco à payer à la société Sea Invest la somme de
36 326,72 euros avec intérêts légaux à partir du 13 octobre 1999 capitalisés, ordon-
né l'exécution provisoire sous réserve de la fourniture par les sociétés Duferco d'une
caution bancaire en cas d'appel, alloué des indemnités de 4 500 euros aux sociétés
Duferco, de 610 euros à la SNCF et de 2 500 euros à la société CFT en application
de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et condamné la société Sea
Invest aux dépens.
Appelante de cette décision, la société Sea Invest France soutient que l'action des
sociétés Duferco, dirigée à son encontre tant en qualité de manutentionnaire, que de
commissionnaire de transport, est prescrite conformément aux articles 56 et 32 de la
loi du 18 juin 1966 et L 133-6 du code de commerce pour avoir été initiée plus d'un
an après la livraison de la marchandise sans que les intimées ne puissent, selon elle,
se prévaloir d'une cause interruptive, ni d'une reconnaissance de responsabilité de sa
part afférente aux dommages subis par les tôles laminées à froid dans sa télécopie
du 27 octobre 1998 concernant le chargement sur wagons SNCF des tôles laminées
à chaud qui ne sont pas l'objet de leur réclamation.
Elle fait valoir que la défectuosité que présentait le chargement de tôles laminées
à chaud était manifestement apparente, mais que la SNCF n'ayant pas formulé
d'observation doit la garantir.
Elle estime, en toute hypothèse, qu'en qualité d'entrepreneur de manutention,
aucune faute ne peut lui être imputée dès lors qu'elle a effectué ces opérations par
transbordement au moyen d'élingues non critiquables et que l'avis de l'expert judi-
ciaire quatre mois plus tard, en occultant les réserves portées sur les connaissements
n'est pas pertinent.

DMF 669 304 Avril 2006


JURISPRUDENCE FRANÇAISE

Elle affirme qu'en tant que commissionnaire de transport, si sa responsabilité est


engagée en raison des dommages aux tôles laminées à chaud, celle de la SNCF l'est
également et qu'elle ne pourrait l'être au titre des tôles laminées à froid que des seuls
dommages constatés par huissier, le 29 octobre 1998, sur 245 paquets d'un poids
total de 108, 300 tonnes avec la garantie de la SNCF qui n'a pas mentionné de réser-
ve au chargement.
Elle souligne que le lot de 172 paquets de tôles laminées à froid transportés à bord
de la barge Alaska n'a pas donné lieu à des réserves à la livraison à Saint Ouen
L’Aumone.
Elle relève encore plus subsidiairement que le préjudice des sociétés Duferco doit
être calculé HT et que sa condamnation éventuelle devait être prononcée en deniers
ou quittances, eu égard à l'exécution de l'ordonnance de référé du 30 septembre 1999
par ses soins.
Elle sollicite la confirmation du jugement déféré du seul chef des condamnations
intervenues en sa faveur.
Elle soulève l'irrecevabilité des sociétés Duferco en leur action en réparation des
dommages causés au lot de tôles laminées à froid.
Elle demande la restitution de la somme de 238 734,51 euros par les sociétés
Duferco, la garantie de la SNCF à hauteur de 50 % des dommages au lot des tôles
laminées à chaud soit 34 206, 47 euros outre intérêts légaux.
Elle réclame subsidiairement la limitation de l'indemnité dont elle serait redeva-
ble aux sommes de 56.221,06 euros et de 20.637.648 euros au titre respectivement
des dommages des tôles laminées à chaud et à froid et très subsidiairement à
93 471,07 euros ainsi que la garantie de la SNCF.
Elle sollicite, très subsidiairement, la limitation du préjudice indemnisable à
56 221, 06 euros pour les tôles laminées à chaud et à 159 224, 16 euros pour celles
laminées à froid et le remboursement ou en tant que de besoin le paiement par les
sociétés Duferco de toute somme excédant le montant du dommage s'établissant à
215 445, 22 euros.
Elle réclame enfin des indemnités sur le fondement de l'article 700 du nouveau
code de procédure civile, de 10 000 euros aux sociétés Duferco et de 5 000 euros à
la SNCF.
Les sociétés Duferco opposent l'absence de toute prescription en rappelant que
celle-ci a été interrompue par leurs actions en référé expertise et provisions ainsi que
devant le Tribunal de commerce de Rouen, et qu'il n'y a pas eu de décision de rejet
« définitive » au sens de l'article 2247 du Code civil.
Elles invoquent l'interversion de prescription résultant de la reconnaissance de sa
responsabilité par la société Sea Invest dans sa télécopie du 27 octobre 1998 ayant
eu pour effet de prolonger le délai de prescription jusqu'au 27 octobre 2008.
Elles objectent que la société Sea Invest étant intervenue en qualité de commis-
sionnaire de transport est soumise à une obligation de résultat en estimant incontes-
table la survenance des avaries après le transport maritime lorsque la cargaison était

DMF 669 305 Avril 2006


NAVIRE - TRANSPORT MARITIME - GENS DE MER

sous sa responsabilité en se référant aux expertises amiables Mahé et Cetex ainsi que
judiciaire.
Elles procèdent très longuement à des réponses sur divers points évoqués par la
société Sea Invest dans ses jeux de conclusions des 22 novembre et 16 décem-
bre 2004 antérieurs à celles récapitulatives du 10 janvier 2005 pour arguer de sa
mauvaise foi et prétendre qu'un passage de ces écritures serait outrageant à l'égard
de son conseil.
Elles affirment que la marchandise était en bon état à l'embarquement à bord du
navire Schulenburg et que la preuve de la manutention défectueuse ressort notam-
ment des constatations du propre expert de la société Sea Invest Monsieur Mahé
sans distinction entre les tôles laminées à chaud et à froid, lequel a considéré que les
dommages étaient causés par les engins de manutention de l'appelante.
Elles concluent à la confirmation de la décision entreprise et à l'entier débouté de
la société Sea Invest.
Elles sollicitent 10 000 euros de dommages et intérêts pour appel abusif et une
indemnité de même montant au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure
civile, la suppression du passage figurant dans les conclusions du 16 décembre
2004, page 20 alinéa 4 de la société Sea Invest et sa condamnation au paiement d'un
euro par application de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 tel que modifiée par
la loi nº 82.506 du 15 juin 1982 et subsidiairement la constatation de ce que celui-
ci semble avoir disparu des dernières écritures de l'appelant et le leur en donner acte.
La SNCF précise que seul demeure le litige concernant les tôles laminées à froid.
Elle soutient que l'action principale est prescrite, la décision du juge des référés
constatant l'existence d'une contestation sérieuse et disant n'y avoir lieu à référé
s'analysant en un rejet rendant non avenue l'interruption de prescription résultant de
l'assignation en référé.
Elle ajoute qu'une interversion de prescription ne peut découler d'une décision de
rejet, ni de la télécopie du 27 octobre 1998 de la société Sea Invest qui ne comporte
pas de chiffrage du dommage causé aux sociétés Duferco.
Elle conteste devoir garantir la société Sea Invest en déniant avoir procédé au
chargement des tôles, cette tâche incombant au manutentionnaire qui, selon elle, est
seul responsable des avaries au vu du rapport d'expertise qui relève que les domma-
ges survenus sur les marchandises par elle livrées étaient strictement identiques à
ceux constatés sur celles livrées à Saint Ouen L’Aumone par la société CFT.
Elle souligne n'avoir effectué aucune opération de manutention.
Elle sollicite l'irrecevabilité et subsidiairement le rejet de l'appel en garantie de la
société Sea Invest à son encontre ainsi qu'une indemnité de 3 000 euros sur le fon-
dement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société CFT expose que la cargaison litigieuse a été réceptionnée à Rouen par
la société Sea Invest sans réserve, laquelle a seule réalisé les opérations de déchar-
gement.

DMF 669 306 Avril 2006


JURISPRUDENCE FRANÇAISE

Elle soutient que les avaries, selon l'expert judiciaire, proviennent de coups de
fourche qui ne peuvent avoir été engendrés que dans le cadre de la manutention des
colis avant l'arrivée de la marchandise à destination.
Elle dément toute responsabilité de sa part dans la survenance du dommage rele-
vant selon elle, de la seule société Sea Invest.
Elle conclut à la confirmation de sa mise hors de cause et à la condamnation de la
société Sea Invest au paiement de 10 000 euros de dommages et intérêts pour pro-
cédure abusive et d'une indemnité de 8 000 euros sur le fondement de l'article
700 du nouveau Code de procédure civile.
Motif de la décision :
Considérant qu'en vertu de l'article 954 du nouveau Code de procédure civile, la
cour ne statue que sur les dernières écritures déposées par les parties ;
que par conséquent, les nombreuses observations formulées par les sociétés
Duferco sur les écritures signifiées par la société Sea Invest antérieurement à ses
conclusions récapitulatives du 19 janvier 2005 qui sont inopérantes, n'ont pas lieu
d'être prises en compte ;
Considérant que les condamnations prononcées en faveur de la société Sea Invest
au titre de ses frais à concurrence de 36 326, 72 euros, outre intérêts légaux à comp-
ter du 13 janvier 1999 capitalisés, ne sont plus discutées en cause d'appel.
Sur la prescription de l’action indemnitaire des sociétés Duferco au titre des tôles
laminées à froid :
Considérant qu'il est admis que la société Saga Terminaux Portuaires, aux droits
de laquelle est la société Sea Invest France, soit intervenue en qualité de manuten-
tionnaire pour le déchargement au port de Rouen de la marchandise transportée par
le navire Schulenburg et en celle de commissionnaire de transport pour son réache-
minement à destination de Saint Ouen L’Aumone et du Mans ;
Considérant que les opérations de déchargement ayant été achevées le 14 octobre
1998 et la livraison de la marchandise ayant été effectuée les 21 et 22 octobre 1998
au Mans et Saint Ouen L’Aumone, la société Sea Invest soutient que l'action en
responsabilité engagée à son encontre en sa double qualité par les sociétés Duferco,
selon assignation du 22 décembre 2000, est prescrite en application des articles
56 et 32 de la loi du 18 juin 1966 et L 133-6 du Code de commerce ;
Considérant que le délai d'un an de ces prescriptions a commencé à courir à par-
tir des dates précitées ;
Considérant toutefois que ces prescriptions ont pu connaître des causes interrupti-
ves prévues aux articles 2244 et 2248 du Code civil résultant notamment d'une cita-
tion en justice même en référé signifiée à celui qu'on veut empêcher de prescrire,
l'interruption étant néanmoins alors regardée comme non avenue conformément à
l'article 2247 du même code lorsque le demandeur se désiste de sa demande ou que
celle-ci est rejetée, comme de la reconnaissance que le débiteur fait du droit de celui
contre lequel il prescrivait ;

DMF 669 307 Avril 2006


NAVIRE - TRANSPORT MARITIME - GENS DE MER

Considérant, à cet égard, que la société Saga dans une télécopie transmise, le
27 octobre 1998 à la société Duferco, indique être ennuyée des « circonstances
s'étant produites durant le rechargement d'une partie de la cargaison sur wagons »
et être très préoccupée par l'avenir de leur coopération, en précisant que la réclama-
tion est entre les mains des assureurs et en spécifiant son désir de lui accorder 40 %
de réduction sur ses honoraires lorsqu'elle est désignée par ses soins, en appliquant
cet arrangement sur un navire EMYC à Saint Nazaire ;
Considérant que cette correspondance vaut reconnaissance de la part de la socié-
té Saga du droit du réclamant au titre des tôles laminées à chaud pour lesquelles elle
a été exclusivement formulée ;
que cependant, cette reconnaissance qui n'était pas assortie d'une promesse
formelle de règlement, mais seulement d'une concession d'ordre commercial aux
fins pour la société Sea Invest de conserver la clientèle des sociétés Duferco pour
l'avenir n'a pu créer un titre nouveau susceptible de générer une interversion de pres-
cription pour substituer celle du droit commun de dix ans comme le prétendent à tort
les intimés, mais seulement une interruption en sorte qu'un nouveau délai d'un an a
commencé à courir à compter de la date du 27 octobre 1998 ;
Considérant que la saisine, le 22 janvier 1999, par les sociétés Duferco du juge des
référés du Tribunal de commerce de Pontoise pour obtenir une expertise ordonnée
le 4 février 1999 constitue aussi un événement interruptif de la prescription à
l'origine d'un délai d'un an depuis cette seconde date jusqu'au 4 février 2000 ;
Considérant que le délai de prescription d'un an a, par ailleurs, été interrompu par
l'assignation en référé provision délivrée par les sociétés Duferco, le 11 août 1999,
ayant donné lieu à une décision du président du Tribunal de commerce de Nanterre
du 30 septembre 1999 qui, faisant droit intégralement à leurs prétentions, a condam-
né la société précédemment Saga à leur payer à titre provisionnel les sommes de
444 756, 69 francs (67 802, 72 euros), 1 438 441, 57 francs (219 289 euros) et de
74 964, 96 francs (11 428, 33 euros) au titre respectivement des dommages causés
aux tôles laminées à chaud, à ceux concernant les tôles laminées à froid ainsi qu'aux
frais d'expertise judiciaire ;
Considérant néanmoins, que la cour de ce siège, par arrêt du 5 octobre 2000,
a confirmé l'ordonnance du 30 septembre 1999 en ce qu'elle avait alloué une indem-
nité provisionnelle du chef des préjudices relatifs aux tôles laminées à chaud, mais
a dit n'y avoir lieu à référé pour le surplus ;
or, considérant qu'en l'espèce, les sociétés Duferco avaient parfaitement distingué
dans leur assignation en référé du 11 août 1999, les deux lots de marchandises qui
étaient en litige composés de tôles laminées à froid et à chaud, lesquelles constituent
des produits de fabrication et d'usage différents qui avaient fait l'objet d'un condi-
tionnement propre et de transports exécutés selon des modes distincts, les tôles lami-
nées à chaud étant constituées de tôle d'une longueur de 6 mètres chargées à nu sur
wagons-plateaux alors que les tôles laminées à froid étaient composées de feuilles
de 2 m à 2,50 m de longueur qui étaient revêtues d'un emballage ;

DMF 669 308 Avril 2006


JURISPRUDENCE FRANÇAISE

que les sociétés Duferco avaient, en effet, réclamé spécifiquement une provision
ayant trait au « sauvetage des tôles laminées à chaud » (448 759, 50 francs) et une
autre, pour « la perte subie suite à la vente des tôles laminées à froid »
(1 500 441,57 francs) ;
que chacune de ces demandes a été examinée séparément et a abouti à des déci-
sions correspondant respectivement et successivement à l'une et à l'autre, tant par le
juge des référés que par la cour ;
Considérant qu'eu égard à ces circonstances, l'effet interruptif de la prescription
attaché auxdites demandes séparées, telles qu'elles ont été présentées par les socié-
tés Duferco, a pu être conservé pour l'action en réparation des dommages des tôles
laminées à chaud puisque la cour a confirmé l'ordonnance de référé qui avait
condamné la société Saga à les indemniser ;
mais qu'en revanche, la décision de la cour ayant dit n'y avoir lieu à référé pour le
surplus, laquelle contrairement à ce qu'a estimé le Tribunal, doit être assimilée à un
rejet des prétentions des sociétés Duferco au titre des dommages causés aux tôles
laminées à froid, a eu pour conséquence de rendre « non avenue », l'interruption de
la prescription résultant de la citation en justice délivrée à leur requête, le
11 août 1999, sans que les sociétés Duferco ne puissent utilement se prévaloir du
caractère non définitif de l'arrêt de la cour du 5 octobre 2000 dès lors qu'il est deve-
nu irrévocable par l'effet de leur désistement du pourvoi en cassation par elles formé
à son encontre ;
Considérant enfin, que les sociétés Duferco ne peuvent valablement invoquer
comme cause interruptive l'instance initiée au fond, le 13 octobre 1999, par la socié-
té Sea Invest en paiement de ses factures devant le Tribunal de commerce de Rouen
au cours de laquelle elles ont formé, le 5 décembre 2000, une demande reconven-
tionnelle indemnitaire à titre subsidiaire ;
qu'en effet, l'interruption de prescription ne profite qu'à celui qui réclame et que
l'effet interruptif de l'action principale ne peut s'étendre à l'action reconventionnelle
des sociétés Duferco au demeurant subsidiaire, ayant été formulée seulement par
conclusions du 5 décembre 2000 et donc, postérieurement au terme du délai d'un an
survenu après les interruptions précitées admises le 4 février 2000, n'a pu interrompre
une nouvelle fois, les prescriptions annales stipulées aux articles 56 et 32 de la loi
du 18 juin 1966 et L 133-6 du code de commerce qui étaient déjà acquises depuis
cette date ;
Considérant que les sociétés Duferco seront donc déclarées irrecevables en leur
action en réparation des dommages causés au lot de tôles laminées à froid dirigée
contre la société Sea Invest, en infirmant la décision attaquée de ce chef.
Sur la demande de restitution de la société Sea Invest
Considérant que la société Sea invest justifiant avoir réglé aux sociétés Duferco
en exécution du jugement déféré la somme non discutée de 238 734, 91 euros est en
droit d'en obtenir le remboursement.
Sur l’appel en garantie de la société Sea Invest à l’égard de la SNCF au titre des
tôles laminées à chaud :

DMF 669 309 Avril 2006


NAVIRE - TRANSPORT MARITIME - GENS DE MER

Considérant que les sociétés Duferco ne discutent plus en cause d'appel l'indem-
nité qui leur a été allouée sur ce point par le tribunal ;
que la société Sea Invest ne conteste pas sa responsabilité envers elles à titre prin-
cipal mais prétend qu'elle serait partagée avec la SNCF dont elle sollicite sa garan-
tie au motif qu'en dépit de la défectuosité du chargement des tôles laminées à chaud,
selon elle, manifestement apparente, résultant d'après les experts d'un mauvais
calage, la SNCF a entrepris leur transport sans émettre de réserves ;
Considérant toutefois, que la société Sea Invest, tant dans ses écritures dans
l'instance d'appel de l'ordonnance de référé du 30 septembre 1999, que dans le dire
qu'elle a adressé à l'expert judiciaire, admet que ces tôles se soient trouvées défor-
mées lors de leur chargement sur wagons, réalisé entièrement par ses soins, en
raison de bastaings mal disposés ;
Considérant que les termes de la télécopie de l'appelante du 27 octobre 1998 attes-
tent aussi de sa responsabilité dans les dégradations causées aux tôles laminées à
chaud à l'occasion des opérations de manutention dans le port de Rouen qui lui
incombaient exclusivement ;
Considérant, en outre, qu'il n'est nullement démontré que les défectuosités étaient
visibles de l'extérieur du wagon et dans les conditions d'une personne se tenant
debout à proximité du wagon conformément à l'article 9-1 des CGV, alors même
qu'il ressort des photographies annexées au rapport d'expertise amiable du Capitaine
expert Monsieur Mahé que les wagons étaient hauts et bâchés ;
que par conséquent, la société Sea Invest sera déboutée de son appel en garantie
dirigée à l'encontre de la SNCF.
Sur les autres prétentions des parties :
Considérant que les demandes de suppression d'un passage de conclusions de la
société Sea Invest et de dommages et intérêts formées par les sociétés Duferco sont
sans objet dans la mesure où celui-ci a été retiré dans les écritures récapitulatives de
l'appelante ;
Considérant que les sociétés Duferco et CFT n'établissant pas le caractère abusif
de l'appel exercé par la société Sea Invest, leurs demandes en dommages et intérêts
seront rejetées ;
que l'équité commande, en revanche, d'accorder à la société CFT une indemnité
supplémentaire de 3 000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de
procédure civile ;
Considérant qu'il n'apparaît pas équitable de laisser à la charge de la société Sea
Invest et de la SNCF leurs frais non compris dans les dépens ;
qu'il leur sera dès lors alloué à ce titre des indemnités respectives de 6 000 euros
et de 2 000 euros ; considérant que les sociétés Duferco qui sont irrecevables en
leurs prétentions, supporteront les dépens des deux instances comprenant les frais
d'expertise judiciaire, hormis ceux afférents aux mises en cause de la société CFT et
de la SNCF qui resteront à la charge de la société Sea Invest qui en a pris l'initiati-
ve.

DMF 669 310 Avril 2006


JURISPRUDENCE FRANÇAISE

Par ces motifs


Statuant en audience publique, contradictoirement et en dernier ressort,
INFIRME le jugement déféré en ses dispositions concernant les condamnations au
titre des tôles laminées à froid, des frais d'expertise judiciaire, de l'indemnité en
vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile octroyée aux sociétés
Duferco et des dépens,
Et statuant à nouveau,
DECLARE l'action indemnitaire au titre des tôles laminées à froid de la société de
droit allemand Duferco Deutschland GMBH GMBH et de la SA de droit suisse
Duferco irrecevable comme prescrite en application des articles 56 et 32 de la loi du
18 juin 1966 et L 133-6 du Code de commerce,
Les condamne à restituer à la société Sea Invest France la somme de
238 734, 91 euros versée par l'effet de l'exécution provisoire,
REJETTE l'appel en garantie de la société Sea Invest France dirigée à l'encontre
de la SNCF au titre des laminés à chaud,
DECLARE sans objet les demandes de suppression d'un passage d'écritures et de
dommages et intérêts des sociétés Duferco,
DEBOUTE les sociétés Duferco et la société Compagnie Fluviale de Transport de
leurs prétentions indemnitaires pour appel abusif,
CONDAMNE les sociétés Duferco à verser à la société Sea Invest France une
indemnité de 6 000 euros en vertu de l'article 700 du nouveau code de procédure
civile,
CONDAMNE la société Sea Invest France à régler à la SNCF et à la société
Compagnie Fluviale de Transport des sommes supplémentaires respectives de
2 000 euros et de 3 000 euros sur le même fondement,
CONDAMNE les sociétés Duferco aux dépens des deux instances comprenant les
frais d'expertise judiciaire, hormis ceux concernant les mises en cause de la SNCF
et de la Compagnie Fluviale de Transport qui resteront à la charge de la société Sea
Invest France et autorise les avoués des parties à recouvrer ceux d'appel conformé-
ment à l'article 699 du nouveau code de procédure civile ; ... ».
Prés. Mme Laporte ; Avoc. Me Godin (Sté SAGA), Me Lassez (Sté DUFERCO),
Me Lepoutre (SNCF), Me Le Pillier (Sté CFT).
Observations - 1 - Le droit de la prescription est un droit intéressant du fait de sa
très grande importance pratique mais aussi redoutable à raison de sa technicité.
C’est à juste titre qu’il a été l’objet d’une communication de Pierre Bonassies lors de
la dernière Journée Ripert (1). Il est, en outre, le modèle même du droit si l’on s’en
tient au fait que celui-ci applique à des situations de fait concrètes des règles plutôt
générales et abstraites. L’arrêt commenté en est une bonne illustration. L’espèce en
cause était, à la fois, simple et complexe.

(1) Organisée par l’AFDM (Association française du droit maritime) le 27 juin 2005. Les communications
peuvent être lues sur le site internet de l’AFDM et DMF 2005. 677.

DMF 669 311 Avril 2006


NAVIRE - TRANSPORT MARITIME - GENS DE MER

2 - La simplicité s’attache à ce qu’il s’agissait d’une expédition de tôles laminées


vendues aux conditions de l’incoterm DDP (2) par une société Duferco Allemagne à
une société SPLM et dont la première phase était un transport maritime sous
connaissement (3) du port de Bar (Serbie) au port de Rouen. La complexité tient à
ce que sur cette unité se greffait une dualité fortement diversifiée : (i) il s’agissait de
deux lots de tôles laminées car certaines l’avaient été à chaud et d’autres à froid ; (ii)
la destination finale était double : Le Mans et Saint Ouen L’Aumone ; (iii) cette des-
tination finale devait être atteinte par wagons exploités par la SNCF (Le Mans) et par
barge exploitée par la société CFT (Saint Ouen L’Aumone).
3 - Le litige est né d’avaries subies par les deux sortes de tôles laminées dont la
manutention « portuaire » s’était effectuée du 10 au 14 octobre 1998 et dont la livrai-
son réalisée par la société Saga et assortie de réserves prises par le vendeur dans
les formes légales, avait eu lieu au Mans le 21 octobre et à Saint Ouen L’Aumone le
22 octobre suivant. Assez naturellement le vendeur avait fait nommer un expert judi-
ciaire par un référé expertise dont la demande portait la date du 22 janvier 1999 et
qui avait donné lieu à une ordonnance nommant l’expert signée le 4 février suivant.
4 - La complexité du litige s’est accrue après coup du fait des autres demandes
judiciaires dirigées contre la société Saga.
5 - La première, du 11 août 1999, a été celle, par le vendeur, d’un référé provision
portant sur les deux sortes de tôles. Le tribunal a, le 30 septembre suivant, fait droit
à la demande, mais la cour d’appel, le 5 octobre 2000, a réduit la condamnation pro-
visionnelle « au titre du manque à gagner consécutif à la perte des tôles laminées à
chaud ».
6 - La seconde demande a été, le 22 décembre 2000, celle de l’action au fond du
vendeur pour obtenir réparation des pertes dues aux avaries. Se greffant sur cette
action principale, la société Saga a appelé en garantie la SNCF et la société CFT.
7 - Le 3 octobre 2003, le tribunal a déclaré l’action au fond recevable, rejeté la
demande relative aux tôles laminées à chaud et admis celle ayant trait aux tôles lami-
nées à froid.
8 - En appel, le jugement a été infirmé. Comment ? A raison de l’analyse des élé-
ments de fait et des règles de droit relatives à la prescription de l’action, qui tiennent
à la durée de la prescription et aux cas d’interruption de celle-ci. La solution a repo-
sé sur le raisonnement suivant.
9 - La livraison des deux lots de tôles avait été effectuée les 21 et 22 octobre 1998.
L’action au fond avait été diligentée le 22 décembre 2000. Sachant que le délai pour
agir en justice est d’une année (4), comment le tribunal a-t-il pu déclarer l’action rece-

(2) Delivered Duty Paid ou Rendu Droits Acquittés.


(3) Cinq connaissements de transport. Sur la distinction d’avec le connaissement de charte-partie, voir
notamment et en dernier lieu notre communication donnée à cette Journée Ripert et intitulée « L’indélicat
connaissement nominatif », ainsi que notre article écrit en l’honneur du Professeur André-Hubert Mesnard et
ayant pour titre « Connaissement de transport et connaissement de charte-partie : la relativité de l’effet créa-
teur et de l’effet probatoire » (à paraître dans des Mélanges).
(4) Le même délai s’applique au transport maritime (loi du 18 juin 1966, art. 32), au transport terrestre
(C. com., art. L. 133-6) et à la manutention maritime (loi du 18 juin 1966, art. 56).

DMF 669 312 Avril 2006


JURISPRUDENCE FRANÇAISE

vable pour les tôles laminées à froid et pourquoi la cour d’appel a-t-elle infirmé le
jugement ?
10 - Le tribunal a jugé que le délai de prescription avait été interrompu par une télé-
copie de la société Saga qui, expédiée le 27 octobre 1998, disait « être ennuyée des
circonstances s’étant produites durant le rechargement des tôles sur wagons et être
préoccupée pour l’avenir de leur coopération », indiquait que la réclamation était aux
mains des assureurs et accordait une réduction de 40% sur ses honoraires, réduc-
tion immédiatement appliquée à une autre expédition. Cependant, la cour d’appel a
dit que cette proposition ne concernait que les tôles laminées à chaud pour lesquel-
les elle avait été exclusivement formulée. Elle a, en outre et surtout, estimé que cette
proposition qui valait reconnaissance du droit de la demanderesse ne constituait pas
une promesse formelle de règlement mais seulement une concession d’ordre com-
mercial aux fins de conserver la clientèle de la société Duferco. En conséquence, si
elle avait produit une interruption de la prescription, elle n’avait pas eu pour effet d’o-
pérer une inversion de celle-ci. Cette analyse est la clé de la solution. En effet, comp-
te tenu des dispositions légales, la situation devenait celle-ci :
11 - La saisine du tribunal par le référé expertise du 22 janvier 1999 ayant conduit
à l’ordonnance du 4 février suivant avait constitué un événement interruptif de la
prescription de sorte qu’un nouveau délai d’une année s’était mis à courir. L’action en
justice trouvait donc un nouveau terme à la date du 4 février 2000.
12 - L’assignation en référé provision du 11 août 1999 avait également constitué un
événement interruptif de la prescription. C’est à partir de là que les choses deve-
naient encore plus délicates.
13 - Le tribunal saisi avait, le 30 septembre 1999, accordé une provision au titre
des deux lots de tôles. Mais, sur appel, la cour, qui avait confirmé la provision pour
les tôles laminées à chaud, avait dit également « qu’il n’y avait pas lieu à référé pour
le surplus ». Or, la règle relative à l’interruption de prescription du fait d’une action en
justice dispose que celle-ci est regardée comme non avenue si la demande est reje-
tée (5).
14 - Précisément, dans l’arrêt commenté, la cour observe explicitement (i) que le
référé provision avait expressément porté sur deux demandes, l’une pour les tôles
laminées à chaud et l’autre pour celles laminées à froid. Dès lors que, en appel, une
provision n’avait été accordée que pour les tôles laminées à chaud, il fallait considé-
rer que, s’agissant des tôles laminées à froid, la demande en référé provision avait
été rejetée. Avec ce rejet, l’interruption de la prescription devenait caduque.
15 - Par suite, s’agissant des tôles laminées à chaud, l’action en référé provision
avait fait courir un nouveau délai de prescription d’une année partant de la date de
l’octroi de la provision, le 30 septembre 1999. L’action au fond pouvait être intentée
jusqu’au 30 septembre 2000. Or elle ne l’avait été que le 22 décembre 2000 et était
donc prescrite parce que (i) l’interruption de la prescription due à la reconnaissance
de responsabilité faite le 27 octobre 1998 avait seulement fait courir un nouveau délai

(5) Code civil, article 2247.

DMF 669 313 Avril 2006


NAVIRE - TRANSPORT MARITIME - GENS DE MER

d’une année qui avait pris fin le 27 septembre 1999, cependant que (ii) l’action en
référé provision avait fait courir un nouveau délai dont le terme se situait le 30 sep-
tembre 2000.
16 - S’agissant des tôles laminées à froid, l’effet interruptif de la prescription lié au
référé provision avait été rendu inopérant par la décision de la cour d’appel de dire
qu’il n’y avait pas lieu à provision pour celles-ci.
17 - Un dernier élément de droit doit être relevé. La société Duferco a essayé de
se sortir de ce mauvais pas en faisant valoir que la société Saga l’avait, le 13 oc-tobre
1999, actionné en paiement de factures et que, le 5 décembre 2000, elle-même avait
formé une demande reconventionnelle indemnitaire à titre subsidiaire. Cette deman-
de reconventionnelle indemnitaire ne devait-elle pas être déclarée recevable ?
18 - La réponse a été négative parce que le droit positif est établi en ce sens que
l’interruption de prescription ne profite qu’à celui qui réclame et ne s’étend pas à une
action reconventionnelle (6). Certes, la demande reconventionnelle vaut demande
mais elle est le fait du défendeur à l’action principale. Et s’il en est ainsi, c’est parce
que la demande reconventionnelle, si elle est faite entre les mêmes parties, n’a ni le
même objet ni la même cause que l’action principale. Mais précisément, cette
demande reconventionnelle qui avait été formulée par un dépôt de conclusions qui
avait pour date le 5 décembre 2000, avait elle-même été faite hors du délai qui avait
pris fin le 30 septembre 2000.

Yves TASSEL

(6) Cass. Com. 1er oct. 1991, Bull. civ. IV, n° 276.- Cass. Com. 14 janv. 1997, Bull. civ. IV, n° 16.

DMF 669 314 Avril 2006


JURISPRUDENCE FRANÇAISE

COUR D’APPEL D’ORLEANS (Ch. Sol.)


9 décembre 2005
Navire Sarabande

NAVIRE – COPROPRIETE MARITIME (QUIRAT)


Copropriété maritime. Fonctionnement. Appels de fonds. Procédure.
Décision collective des quirataires. Majorité. Majorité représentant plus de la
moitié des parts. Calcul. Calcul en fonction du nombre total de parts.
« Aux termes de l’article 19 de la loi du 3 janvier 1967 précitée, dans sa rédaction
donnée par la loi n° 87-444 du 26 juin 1987, applicable en la cause, les coproprié-
taires ne répondent aux appels de fonds du gérant qu’en exécution des décisions pri-
ses dans les conditions de majorité prévues à l’article 11 de la loi de 1967 ».
« Attendu que la majorité des intérêts étant une majorité représentant nécessaire-
ment plus de la moitié des parts, elle ne peut se calculer qu’en fonction du nombre
total de celles-ci et non par rapport au nombre de parts détenues par les seuls qui-
rataires s’étant exprimés ; que, non seulement aucune disposition de la loi de 1967
n’autorise à compter positivement les quirataires qui se sont abstenus, mais qu’à
supposer même - ce qui est très contestable, compte tenu des règles de fonctionne-
ment des copropriétés de navires - qu’une convention contraire au sens de l’article
30 de la loi soit possible sur ce point, elle ne résulte pas des statuts de la copropriété
Sarabande ».
M. DAGUERRE c/ COPROPRIETE MARITIME PEARL SARABANDE
ARRET (extrait)
« LA COUR,
Exposé du litige :
Créée par acte sous seing privé du 30 décembre 1991, la copropriété maritime
Pearl Sarabande (copropriété Sarabande), divisée en 298 parts et dont la gérance
était assurée, depuis le 14 octobre 1993, par la société France Caraïbes Charter, est
propriétaire du voilier francisé Sarabande, ayant pour port d’attache Fort-de-France.
S’estimant créancière de l’un des quirataires, M. Daguerre, titulaire de 7 parts, au
titre d’appels de fonds non honorés, la copropriété, agissant par l’organe de sa géran-
te, l’a fait assigner devant le Tribunal de commerce de Paris qui, par jugement du
26 février 1998, a condamné M. Daguerre à payer la somme de 151 000 F avec inté-
rêts au taux légal à compter du 24 juin 1996, date de l’assignation.
Par arrêt du 9 novembre 2001, la Cour d’appel de Paris a confirmé ce jugement,
sauf à ramener à 114 121, 10 F (17 397, 65 euros) le montant de la condamnation,
après rejet d’une demande de sursis à statuer en raison d’une instance pénale en
cours et prise en compte d’un boni de liquidation à la suite de la revente du navire
le 7 janvier 1999 pour le prix de 2 000 000 USD. Pour statuer ainsi, l’arrêt retient
qu’aux termes de l’article 2.11 de la convention du 30 décembre 1991, les décisions
collectives sont prises par consultation écrite, tout copropriétaire n’ayant pas répon-

DMF 669 315 Avril 2006


NAVIRE - TRANSPORT MARITIME - GENS DE MER

du dans les quinze jours étant considéré comme s’abstenant et qu’en l’espèce,
M. Daguerre, qui ne conteste pas avoir reçu notification des décisions successives
adoptant le budget de la copropriété et appelant les fonds correspondants, n’a formé
aucun recours à leur encontre dans le délai de trois ans ouvert par l’article 12 de la
loi n° 67-5 du 3 janvier 1967 sur le statut des navires et autres bâtiments de mer.
Cet arrêt a été cassé, dans toutes ses dispositions, par la Chambre commerciale de
la Cour de cassation le 24 mars 2004 (arrêt n° 568 D, sur pourvoi n° Y 02-11.460)
pour violation du principe de la contradiction, ayant relevé d’office, sans provoquer
au préalable les observations des parties, l’absence de recours de M. Daguerre.
(…)
La copropriété Sarabande fait valoir que les appels de fonds, en vertu desquels
elle est créancière ont fait l’objet de décisions collectives sans que M. Daguerre ne
s’en acquitte. Elle précise que la copropriété a bien rempli son objet, malgré les dif-
ficultés liées à la construction du navire par le chantier italien Valdettaro qui ont
retardé son exploitation, que, sans y être tenue, la gérance a fait valider tous les
appels de fond litigieux et que, si le commissaire aux comptes a refusé de certifier
les comptes, ce n’est pas en raison de la créance ici réclamée, dont le montant, après
la vente du navire s’élève à la somme de 17 397, 67 euros allouée par l’arrêt cassé.
M. Daguerre soutient, de son côté, que l’emploi des fonds n’a jamais été justifié,
qu’aucun compte n’a jamais été présenté, visé par le commissaire aux comptes et
approuvé par l’assemblée générale, la majorité requise n’étant pas atteinte, ce qui
écarte l’application du délai de trois ans de l’article 12 de la loi de 1967 pour agir
en annulation des décisions de la majorité. Il conteste également le décompte pré-
senté.
(…)
Motifs de l’arrêt :
Attendu qu’il résulte des conclusions de la société gérante de la copropriété
Sarabande que la cour de renvoi, comme le Tribunal de commerce de Paris avant
elle, n’est saisie que d’une demande de la gérance tendant au paiement de sommes
qui correspondent à des appels de fonds ; qu’ainsi, contrairement à ce que la géran-
ce soutient, en p. 8, en haut, de ses conclusions, si c’est bien au gérant d’appeler les
fonds, il ne peut le faire de sa propre initiative, sans avoir, comme il le prétend, ni à
justifier ni à faire valider le montant de ses appels, mais exclusivement en exécution
d’une décision collective des quirataires ; qu’en effet, aux termes de l’article 19 de
la loi du 3 janvier 1967 précitée, dans sa rédaction donnée par la loi n° 87-444 du
26 juin 1987, applicable en la cause, les copropriétaires ne répondent aux appels de
fonds du gérant qu’en exécution des décisions prises dans les conditions de majori-
té prévues à l’article 11 de la loi de 1967, ce que confirment d’ailleurs tant les sta-
tuts de la copropriété établis le 30 décembre 1991 (article 2.6) que la convention de
gérance du 31 octobre 1993 - applicable dès le 14 octobre précédent - qui énoncent
que le gérant ne procède à l’appel de fonds que dans le respect du budget (article
9.3) ou en conformité avec lui (article 10.1), sauf événements exceptionnels non en
cause ici ; qu’il convient de rappeler que la loi du 26 juin 1987 a justement eu pour

DMF 669 316 Avril 2006


JURISPRUDENCE FRANÇAISE

but de limiter les pouvoirs du gérant qui ne peut plus désormais, comme auparavant,
procéder à des appels de fonds sans que lui soit imposée aucune condition de majo-
rité (Emmanuel du Pontavice, Droit maritime, Précis Dalloz, 12° éd., n° 238,
p. 219 ; Droit maritime français, 1988, p. 12, n° 16, commentaire P. Bonassies) ;
Que, dès lors, avant d’opposer, comme avait fait d’office la Cour d’appel de Paris,
à M. Daguerre la prescription triennale de l’action en annulation des décisions de la
majorité, prévue à l’article 12 de la loi du 3 janvier 1967, il convient de vérifier que
cette majorité était atteinte pour l’adoption du budget en exécution duquel ont été
émis les appels de fonds litigieux ; que cette majorité est, selon l’article 11 de cette
loi, auquel renvoient l’article 19 sur les appels de fonds comme l’article 2.6 des sta-
tuts, la majorité des intérêts, c’est-à-dire la majorité simple, représentée, dans la
copropriété Sarabande, en fonction du nombre de droits de vote, par au moins
298 : 2 + 1 = 149 + 1 = 150 parts ;
Attendu que les seules pièces pertinentes au dossier sur les conditions d’adoption
des budgets (pièces n° 9, 17 et 28 du bulletin de communication de la gérance), qui
sont les procès-verbaux des résultats des consultations écrites des quirataires sur ce
point, permises et organisées par l’article 2.11 des statuts, font apparaître les majo-
rités suivantes :

Période budgétaire Date consultation oui non abstentions % de oui

octobre 1993 novembre-décembre 1995 113 2 183 38 %


(début gérance ( avec validation des
France Caraïbes budgets antérieurs)
Charter) à fin
novembre 1995

décembre 1995 à mai 1996 novembre-décembre 1995 115 0 183 38,5 %

exercice 1996 approbation en février 1998 108 37 non indiqué 36 %


par P/V

exercice 1997 avril-mai 1997 135 16 147 45 %

exercice 1998 février 1998 120 31 non indiqué 40 %

Qu’alors qu’aucun des budgets en cause n’a jamais obtenu, comme le montre le
tableau ci-dessus et comme le fait valoir M. Daguerre, la majorité des intérêts prévue
par la loi et les statuts, aussi bien la gérance que l’arrêt cassé ont retenu, implicite-
ment, que cette majorité devait se calculer par rapport au nombre de votes exprimés ;
Mais attendu que la majorité des intérêts étant une majorité représentant nécessai-
rement plus de la moitié des parts, elle ne peut se calculer qu’en fonction du nombre
total de celles-ci et non par rapport au nombre de parts détenues par les seuls quira-
taires s’étant exprimés ; que, non seulement aucune disposition de la loi de 1967
n’autorise à compter positivement les quirataires qui se sont abstenus, mais qu’à sup-
poser même - ce qui est très contestable, compte tenu des règles de fonctionnement
des copropriétés de navires - qu’une convention contraire au sens de l’article 30 de la
loi soit possible sur ce point, elle ne résulte pas des statuts de la copropriété

DMF 669 317 Avril 2006


NAVIRE - TRANSPORT MARITIME - GENS DE MER

Sarabande ; qu’en effet, la seule stipulation pertinente, celle de l’article 2.11 déjà cité
sur la consultation écrite des copropriétaires, qui est le mode habituel pour l’adoption,
dans cette copropriété, des décisions collectives, précise seulement, d’abord, que
« tout copropriétaire qui n’aura pas répondu dans [le] délai [de quinze jours] sera
considéré comme s’étant abstenu », ensuite que « Pour chaque résolution, le vote est
exprimé par oui ou par non » et, enfin, que « Les décisions prises par les copro-
priétaires obligent tous les copropriétaires, même absents » ; qu’il ne peut pas être
déduit de ces dispositions statutaires qu’une décision collective pourrait être prise par
des quirataires ne représentant qu’une minorité des intérêts, en négligeant de comp-
ter dans le nombre de parts à prendre en considération celles des abstentionnistes ou
bien, ce qui revient au même, en estimant que ces derniers auraient exprimé un vote
positif ; que, dès lors, et peu important que M. Daguerre, qui a toujours désapprouvé
les décisions budgétaires, ait pu effectuer, pour ne pas mettre en péril la copropriété,
quelques versements ou déduire fiscalement de son revenu personnel le déficit d’ex-
ploitation, ce dont il ne résulte aucune acceptation de sa part des appels de fonds
émis, pour un montant qu’il conteste, par la gérance, celle-ci, faute d’une décision
collective régulière adoptée à la majorité des intérêts et en exécution de laquelle elle
pourrait agir, ne dispose d’aucun titre à l’encontre de M. Daguerre pour qu’il répon-
de à des appels de fond ; qu’en réalité cette copropriété se trouve dans la situation
envisagée à l’article 13 de la loi du 3 janvier 1967, aucune majorité des intérêts ne
pouvant se dégager, de manière d’ailleurs répétée, pour l’adoption du budget, dont les
appels de fonds ne sont que l’exécution ; que, par infirmation du jugement entrepris,
la copropriété Sarabande sera donc déboutée de son action en paiement ;
Que l’ensemble des dépens sera supporté par la copropriété, mais qu’il n’y a pas
lieu de la condamner sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procé-
dure civile ;
Par ces motifs :
LA COUR,
statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, sur renvoi après
cassation :
INFIRME le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 26 février 1998 et
REJETTE la demande de la société France Caraïbes Charter, en sa qualité de géran-
te de la copropriété du navire Pearl Sarabande, tendant au paiement de la somme de
17 397,67 euros représentant des appels de fonds effectués du 14 octobre 1993 au
20 février 1998 ;
CONDAMNE la copropriété aux dépens exposés tant devant le Tribunal de com-
merce de Paris que les cours d’appel de Paris et Orléans, MAIS REJETTE toute
demande de remboursement de frais sur le fondement de l’article 700 du nouveau
Code de procédure civile ; … ».
Prés. : M. J.-P. Rémery ; Av. : Me Bruguier (demandeur), SELARL GOUZE (défenderesse).
Observations - Des conditions de prise de décisions dans les copropriétés quira-
taires ou l'histoire de quirataires qui ratèrent leur appel de fonds.

DMF 669 318 Avril 2006


JURISPRUDENCE FRANÇAISE

C'est un intéressant arrêt que nous livre la Cour d'appel d'Orléans, en tant que Cour
de renvoi après cassation, dans un domaine où la jurisprudence se signale par sa
rareté : le fonctionnement de la copropriété d'un navire, ou copropriété quirataire.
Selon la Cour de cassation, ce furent d'abord le Tribunal de commerce de Paris (26
février 1998) et la Cour d'appel de Paris (9 novembre 2001) qui se fourvoyèrent à
l'occasion de l'application de la règle de droit posée par la loi du 3 janvier 1967 por-
tant statut des navires, relative au fonctionnement de la copropriété. D'où la cassa-
tion, il est vrai pour « non-respect du contradictoire » : on croit comprendre que les
magistrats de la Cour de Paris ont relevé d'office la prescription triennale mise en
place par cette loi (article 12 alinéa 1), sans demander au plaideur auquel cette pres-
cription faisait grief son point de vue.
Une copropriété, retombée des lois de défiscalisation (loi Pons) qui cherchaient à
aider au développement - positif - des départements et territoires d'Outre-Mer, avait
été constituée pour la construction et l'exploitation d'un navire en copropriété, le
Sarabande, copropriété dont la gérance avait été (régulièrement, peut-on supposer)
confiée à une société de gestion « France Caraïbes Charter ».
On sait que la règle fondamentale qui gouverne la prise de décision par les quira-
taires est la règle de la majorité : un quirat, une voix (et non pas un quirataire, une
voix, comme le rappelle justement Rodière (1). Les statuts prévoyaient que les déci-
sions des quirataires seraient prises par voie de consultation écrite (par courrier si
l'on préfère) ; il y est précisé qu'en absence de réponse, les copropriétaires taisants
seraient considérés comme s'abstenant. Et c'est ainsi que, d'année en année, le bud-
get de la copropriété était adopté. Le budget ainsi voté, le gérant se croyait en droit
de procéder aux appels de fonds que son exécution supposait, tels que cela est
prévu par la loi du 3 janvier 1967 (article 19) (2).
Un copropriétaire abstentionniste, M. Daguerre, au bout d'un certain temps, se voit
réclamer une somme non négligeable de l'ordre de 17 400 euros, qu'il refuse de
régler. Assigné par le gérant, il prétend que les décisions relatives au budget n'ont
jamais été prises à la majorité requise par l'article 11 de la loi de 1967 ; et que,
corrélativement, les appels de fonds opérés par le gérant n'avaient aucune légitimité.
Le gérant lui rétorque, d'une part, que sa contestation est tardive comme n'ayant
pas été opérée dans le délai de prescription triennale prévu par l'article 12 alinéa 1
pour toute action en contestation des décisions de la majorité des quirataires (3) ; et
que les décisions fondant les appels de fonds ont été valablement prises par la majo-
rité des quirataires qui ont daigné s'exprimer à l'occasion de la consultation écrite.
Dans un premier temps, les juridictions du fond, ainsi que rappelé ci-dessus, don-
nent raison au gérant. Mais, on l'a dit, l'arrêt de la Cour d'appel de Paris a été cassé
pour violation du principe du contradictoire.

(1) Traité Général de Droit Maritime, Introduction, - L'armement, Dalloz 1976, p. 415, n° 320.
(2) Article 19 (modifié par la loi du 26 juin 1987) : « .... (Les copropriétaires) doivent, dans la même propor-
tion, contribuer aux dépenses de la copropriété et répondre aux appels de fonds du gérant présentés en exé-
cution des décisions prises dans les conditions de majorité prévues à l'article 11 ».
(3) Article 12 alinéa 1 : « Nonobstant toute clause contraire, les décisions de la majorité sont susceptibles
de recours en justice de la part de la minorité. Ces recours doivent être exercés dans un délai de trois ans ».

DMF 669 319 Avril 2006


NAVIRE - TRANSPORT MARITIME - GENS DE MER

L'affaire revient donc devant la Cour d'appel d'Orléans, en tant que Cour de
renvoi. La décision de cette formation, ici commentée, revient aux fondamentaux,
c'est-à-dire à l'application d'un texte limpide, pour donner finalement raison au
quirataire contestataire.
Elle rappelle le mode de calcul de la majorité requise pour que les décisions des
copropriétaires quirataires puissent valablement être prises. Elle en déduit que, en
l'absence d'une pareille majorité, les appels de fonds opérés par le gérant sont pri-
vés de base légale et que le délai de prescription triennale de l'article 12 ne peut
s'appliquer (implicitement, retour au droit commun de la prescription).
Cette décision doit être approuvée dans son principe, malgré les conséquences
pratiques redoutables qu'elle peut entraîner dans le fonctionnement des coproprié-
tés, notamment des énormes « machines » que sont devenues certaines d'entre
elles.

I. - Le calcul de la majorité requise pour les décisions de l'assemblée des


copropriétaires
C'est l'article 11 de la loi du 3 janvier 1967 qui sert de support au raisonnement de
la Cour d'Orléans. La lettre de cet article 11 est claire (au moins relativement car le
vocabulaire de la loi, selon les articles où il peut être question de majorité, est fluc-
tuant (4) : « Les décisions relatives à l'exploitation en copropriété sont prises à la
majorité des intérêts... Chaque copropriétaire dispose d'un droit de vote correspon-
dant à sa part de propriété ». On sait d'ailleurs que cette règle de la majorité aide à
la qualification de société retenue par la doctrine contemporaine pour la copropriété
quirataire ; à coup sûr, elle permet de distinguer la copropriété quirataire de
l'indivision, notamment.
La copropriété du navire Sarabande ayant été atomisée en 298 quirats (5), la Cour
d'Orléans en déduit justement que la majorité dont parle l'article 11 est de la moitié
des quirats plus un, soit 150. La Cour d'Orléans infirme donc le jugement du Tribunal
de commerce soumise à son appréciation, en constatant que cette majorité n'a
jamais été atteinte à l'occasion d'aucun des votes concernant le budget d'exploitation
du navire. Pour condamner le quirataire récalcitrant, le Tribunal de commerce s'est
contenté de décompter la majorité en fonction du seul nombre des votes exprimés,
déduction faite des abstentions (nombreuses).

(4) L'article 22 prévoit l'unanimité des copropriétaires pour la vente d'un quirat susceptible de faire perdre la
francisation du navire [on prendra garde à la portée méconnue de la combinaison des articles 15 et 16 de la
loi d'après lesquels, faute de publicité réglementaire sur la nomination d'un ou de plusieurs gérants, tous les
copropriétaires sont réputés gérants (article 15), lesquels doivent dès lors agir « d'un commun accord » (arti-
cle 16), donc à l'unanimité]. L'article 25, qui autorise l'hypothèque du navire par le gérant, la subordonne au
consentement d'une majorité des intérêts représentant les trois quarts de la valeur du navire. L'article 27
retient la majorité en valeur pour la licitation du navire en copropriété.
On constate donc un petit flottement dans la terminologie employée par le législateur : majorité des intérêts,
majorité des intérêts représentant les trois quarts en valeur, majorité en valeur. Ces variations ne semblent
pas affecter la compréhension des textes, ni en modifier la signification. Toutefois, Martine Rémond-Gouilloud
(Droit maritime, Pédone, n° 221) semble vouloir distinguer entre majorité des intérêts et majorité en valeur.
Pour qu'il y ait pareil décalage, il nous semble qu'il faille imaginer une copropriété où les quirats distribués
n'auraient pas tous la même valeur. Cela devrait être rare.
(5) Atomisation toute relative lorsque l'on se souvient que le navire Club Med I avait été divisé en 36000 qui-
rats.

DMF 669 320 Avril 2006


JURISPRUDENCE FRANÇAISE

On ne peut qu'approuver la Cour d'avoir sainement interprété la lettre du texte,


malgré les conséquences à en attendre.

II. - Conséquence : inefficacité des décisions prises, inapplication de la pres-


cription triennale
L'article 12 de la loi su 3 janvier 1967 met en place une prescription spécifique
(trois ans) des recours à l'encontre des décisions de la majorité.
Pour la Cour d'appel d'Orléans, cette prescription spécifique vaut seulement pour
les décisions prises à la majorité susdite des intérêts, visée par l'article 11 de la loi,
soit la moitié des quirats plus un.
Toutes les décisions de la copropriété qui ne seraient pas prises dans ces condi-
tions de majorité requises par les textes ne seraient donc pas des décisions prises «
à la majorité » (comme en l'espèce : majorité simple des intérêts présents ou repré-
sentés) : d'une part, elles ne sont pas opposables aux copropriétaires abstentionnis-
tes, et, d'autre part, elles peuvent être contestées dans les délais de prescription du
droit commun (prescription trentenaire : article 2262 Code civil).
Le raisonnement, pour logique et imparable qu'il soit, n'est pas sans danger pour
le fonctionnement journalier des « grosses » copropriétés modernes, d'autant (et la
Cour d'Orléans en évoque l'hypothèse) qu'il ne semble pas possible, dans les statuts,
de retenir d'autres règles de majorité que celles qui sont prévues par la loi. On se
demande, en effet, comment les gérants de ces copropriétés atomisées en une mul-
titude de quirats procèderont pour consulter les copropriétaires et réunir les
différentes majorités requises pour que les décisions prises le soient valablement.
En exigeant les majorités « qualifiées » prévues par la loi de 1967, la Cour
d'Orléans, en cela respectueuse des textes, fragilise quelque peu le fonctionnement
de pareilles copropriétés dont on peut penser qu'il reposera souvent sur des majori-
tés de votes exprimés, non représentatives des majorités « textuelles », elles-mêmes
sans doute irréalistes.
Cette jurisprudence impeccable expose toutes les décisions ainsi intervenues à
des actions de minoritaires pendant le délai de prescription de droit commun et auto-
rise, en tout cas, ces minoritaires à ne pas s'y plier. Mais pouvait-il en être décidé
autrement ? Pour fluidifier le fonctionnement des grosses copropriétés, il faudrait
sans doute que le législateur intervienne pour permettre, par exemple, la possibilité
d'aménager quelque peu l'oukase de l'article 11, par le biais des statuts.

Antoine VIALARD
Professeur émérite
Université Bordeaux IV

DMF 669 321 Avril 2006


NAVIRE - TRANSPORT MARITIME - GENS DE MER

COUR DE CASSATION (Ch. com.)


28 juin 2005
Navire MV Chang-Er

TRANSPORT MARITIME DE MARCHANDISES - DROIT APPLICABLE


PREUVE DE LA LOI ETRANGERE
Connaissement. Droit applicable. Carriage of goods by sea act 1991. Loi
étrangère au juge du fond. Obligation du juge d’en rechercher la teneur.
« Il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger, d'en
rechercher, soit d'office soit à la demande d'une partie qui l'invoque, la teneur, avec
le concours des parties et personnellement s'il y a lieu, et de donner à la question
litigieuse une solution conforme au droit positif étranger ».
Sté ITRACO c/ Sté FENWICK SHIPPING SERVICES LTD, CAPITAINE DU NAVI-
RE
Rapport de Monsieur le Conseiller référendaire Ghislain de Monteynard -
La société International Trading Company (société Itraco) ayant conclu avec la
General Service Organization (GSO), une vente CIF de fèves autraliennes, la mar-
chandise a été acheminée en vrac à bord du navire M/V Chang-Er sous couvert de
connaissements nets de réserve depuis les ports australiens de Wallaroo et
d’Adélaïde au port d’Adabya en Egypte. Des manquants ont été constatés aux cours
des opérations de déchargement. Ultérieurement, la société Itraco, subrogée dans
les droits de GSO, a assigné la société Fenwick Shipping Services Ltd, armateur du
navire ainsi que son capitaine en indemnisation du préjudice. Le capitaine a été mis
hors de cause et la cour d’appel a rejeté la demande en écartant l’application de l’
Australian Carriage of goods by sea act 1991.
Pour statuer ainsi il avait été retenu que les fèves avaient été transportées
sous couvert de trois connaissements « Austwheat » prévoyant l’application des règles
de l’Australian Carriage of goods by sea act 1991, et non les règles de Hambourg
de 1978 comme l’avait retenu à tort le tribunal, mais la société Itraco n’ayant pas jus-
tifié du contenu de ces règles, ni versé les connaissements complets recto verso - ce
qui n’a pas permis d’examiner les clauses figurant au verso - et qu’en l’état des piè-
ces produites, la société Itraco n’a établi ni les modalités prévues pour la livraison ni
celles afférentes aux pesées de la cargaison délivrée au réceptionnaire.
Contre cet arrêt, la société Itraco a formé un pourvoi en cassation composé de
deux moyens.
Le premier prétend à une violation de l’article 12 du nouveau Code de procédure
civile en ce que les juges du fond n’auraient pas mis en oeuvre la loi étrangère dont
ils avaient pourtant retenu l’application au litige.
La mise en oeuvre de la loi étrangère par le juge français a fait l’objet d’une évo-
lution récente qui, actuellement, semble faire l’objet d’une jurisprudence constante.
La question avait été résumée dans son état antérieur par M. le président Ancel au

DMF 669 322 Avril 2006


JURISPRUDENCE FRANÇAISE

rapport annuel pour 1997 p. 38 et suivantes :


« La preuve du contenu de la loi étrangère avait d’abord été mise à la charge de
la partie dont la prétention était soumise à cette loi - qui pouvait ne pas être celle qui
l’invoquait » (Civ, 1ère, 24 janvier 1984, Bull n° 33). Ensuite, la Cour de cassation a
repris le critère selon lequel cette preuve incombe à la partie qui a intérêt à invoquer
la loi étrangère (Civ, 1ère, 5 novembre 1991, Bull n° 293). Cette solution a été affinée
par l’arrêt Amerford, Com, 16 novembre 1993, Bull n°405 : « Dans les matières où
les parties ont la libre disposition de leurs droits, il incombe à la partie qui prétend
que la mise en oeuvre du droit étranger, désigné par la règle de conflit de lois,
conduirait à un résultat différent de celui obtenu par l'application du droit français, de
démontrer l'existence de cette différence par la preuve du contenu de la loi étrangè-
re qu'elle invoque, à défaut de quoi le droit français s'applique en raison de sa voca-
tion subsidiaire ».
La jurisprudence Amerford a été confirmée, consacrant un retour au droit commun
de la preuve : c’est la partie qui a intérêt a invoquer le droit étranger - parce qu’il est
substantiellement différent du droit français - qui doit en établir le contenu...
Cette règle vaut pour les droits disponibles. Mais qu’en est-il lorsque les droits en
litige sont indisponibles ? ... la première chambre s’est prononcée le 1er juillet 1997,
Bull n° 222 : « l’application de la loi étrangère désignée pour régir des droits dont les
parties n’ont pas la libre disposition impose au juge français de rechercher la teneur
de cette loi » ...
M. Ancel concluait son étude de la manière suivante :
Le caractère impératif de la règle de conflit de loi résulte :
- Soit de l’indisponibilité des droits litigieux
- Soit de son invocation par une partie
- Soit de son application d’office par le juge
L’impérativité de la règle de conflit détermine l’office du juge : il doit appliquer le
droit étranger désigné.
Quant à la recherche de la preuve du contenu du droit étranger, elle fait désormais
partie de l’office du juge, sauf à laisser aux parties, ayant la libre disposition de leurs
droits, l’obligation de démontrer la spécificité, par rapport au droit français, de la loi
française revendiquée.
Cet état jurisprudentiel, articulé autour de l’arrêt Amerford, a fait depuis l’objet
d’une évolution.
La première chambre civile semble avoir abandonné trois critères, conditionnant le
mode d’applicabilité de la loi étrangère.
Peu importe, semble-t-il, que les droits en causes soient des droits disponibles ou
indisponibles pour que le juge soit tenu de mettre en oeuvre la règle de conflit et la
loi étrangère qui en découle.
Peu importe, en outre, que la loi étrangère ait été invoquée par l’une des parties
pour que le juge puisse la mettre en œuvre.

DMF 669 323 Avril 2006


NAVIRE - TRANSPORT MARITIME - GENS DE MER

Peu importe, enfin, que l’une des parties n’ait pas été à même d’apporter le conte-
nu de la loi étrangère puisque la recherche du contenu de la loi étrangère fait désor-
mais partie de l’office du juge.
Dans une formule générale - très - récente et au visa de l’article 3 du Code civil,
la première chambre a retenu : « qu’il incombe au juge français qui reconnaît une loi
étrangère applicable, soit d’office soit à la demande d’une partie qui l’invoque, d’en
rechercher la teneur, avec le concours des parties et personnellement s’il y a lieu, et
de justifier ainsi la solution donnée à la question litigieuse par le droit positif étranger
». Civ, 1ère, n° 00-15.734, au rapport de M. Pluyette. (Tout juste rendue au moment de
la rédaction de ce rapport).
Cette jurisprudence intègre la loi étrangère comme source naturelle du droit. Le
juge doit en rechercher la teneur. Elle peut être considérée comme surprenante
quant à l’office du juge. Elle est cependant le fruit de l’internet... Quelques clics per-
mettent désormais d’écarter la pertinence de la jurisprudence Amerford.
Dans cette occurrence, il semble que le premier moyen peut conduire à une cas-
sation.
Le présent rapport sera transmis à M. Pluyette pour consultation. La réponse au
premier moyen conditionne en tout état de cause une éventuelle réponse au second
moyen.
L’affaire mérite de passer en FO.
ARRET
« LA COUR,
Sur le premier moyen :Vu l'article 3 du Code civil ;
Attendu qu'il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger,
d'en rechercher, soit d'office soit à la demande d'une partie qui l'invoque, la teneur,
avec le concours des parties et personnellement s'il y a lieu, et de donner à la ques-
tion litigieuse une solution conforme au droit positif étranger ;
Attendu, selon l'arrêt déféré, que la société International trading company (socié-
té Itraco) ayant conclu avec la General service organization (GSO) une vente CIF de
fèves australiennes, la marchandise a été acheminée en vrac à bord du navire
MV Chang-Er sous couvert de connaissements nets de réserve depuis les ports aus-
traliens de Wallaroo et d'Adélaïde au port d'Adabya en Egypte et que des manquants
ont été constatés au cours des opérations de déchargement ; qu'ultérieurement, la
société Itraco, subrogée dans les droits de GSO, a assigné la société Fenwick ship-
ping services Ltd, armateur du navire ainsi que son capitaine, en indemnisation du
préjudice ;
Attendu que pour écarter l'application de l'Australian Carriage of goods by sea act
1991 et rejeter la demande de la société Itraco, l'arrêt retient que les fèves ont été
transportées sous couvert de trois connaissements « Austwheat » prévoyant l'appli-
cation des règles de l'Australian Carriage of goods by sea act 1991 et non celle des
règles de Hambourg de 1978, comme l'a retenu à tort le tribunal, que la société Itraco
n'a pas justifié du contenu de ces règles, ni versé les connaissements complets recto

DMF 669 324 Avril 2006


JURISPRUDENCE FRANÇAISE

verso, ne permettant pas d'examiner les clauses figurant au verso et qu'en l'état des
pièces produites, la société Itraco n'établit ni les modalités prévues pour la livraison
ni celles afférentes aux pesées de la cargaison délivrée au réceptionnaire ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait retenu que la loi australienne était
applicable au litige, la cour d'appel a méconnu son office et violé le texte susvisé ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le
20 février 2002, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en consé-
quence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et,
pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel d'Orléans ;
Condamne la société Fenwick shipping services Ltd et le capitaine du navire
MV Chang-Er aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la
société Fenwick shipping services Ltd ; ... ».
Prés. : M. Tricot ; Rapp. : M. de Monteynard ; Av. : SCP Waquet, Farge et Hazan (Sté
Itraco), SCP Delaporte, Briard et Trichet (sté Fenwick shipping services Ltd).
Observations - De l’office du juge quant à la preuve de la loi étrangère (Sur deux
arrêts naviguant de conserve, Cass. Civ 1, 28 juin 2005 et Cass. Com. 28 juin 2005).
Le sujet est exemplaire. Quiconque s’inscrit dans un contentieux international est
tributaire de l’appréciation de la loi étrangère par le juge national. Quiconque
s’adonne aux affaires internationales est voué à se trouver un jour mêlé à un conten-
tieux international. Et quiconque opère dans le commerce maritime s’immisce par là-
même dans les affaires internationales.
Cette jurisprudence, enfin, est exemplaire. Voici, rendus à quelques heures d’in-
tervalle, sur une question controversée depuis plus de dix ans, deux arrêts, l’un de la
première Chambre civile (1), l’autre de la Chambre commerciale de la Cour de cas-
sation, adoptant la même solution, dans les mêmes termes (2), coupant ainsi court
aux tentations d’interprétation divergentes.
Sans doute les circonstances de fait en cause étaient-elles sans rapport. Dans
l’espèce soumise à la Chambre commerciale à propos de manquants constatés au
terme d’un transport de fèves d’Australie en Egypte, les connaissements émis ren-
voyaient à la loi australienne sur le transport maritime de marchandises. Quant à l’af-
faire soumise à la première Chambre civile, elle portait sur le règlement de la ces-
sion de parts sociales d’une société allemande, ce règlement, constaté par acte
authentique allemand, se trouvant contesté par le vendeur au nom de la liberté des
preuves en droit commercial français. Cependant, dans les deux cas le même pro-
blème se posait : les cours d’appel, ayant reconnu applicable le droit étranger mais
estimant insuffisantes les preuves de sa teneur fournies par les parties, l’avaient
donc écarté, pour revenir au droit français, appliqué à titre subsidiaire. Et dans les

(1) Cass. Civ.1 28 juin 2005, (cassant CA Angers 29 fév. 2000), rapport Pluyette, cf. Rec. Dalloz 2005 n° 41,
p. 2853 note N. BOUCHE.
(2) Cass. Com. 28 juin 2005 (ITRACO) (cassant CA Paris 20 fév. 2002), rapport G. de Monteynard.

DMF 669 325 Avril 2006


NAVIRE - TRANSPORT MARITIME - GENS DE MER

deux cas la censure les frappe, au même visa de l’article 3 du Code civil, et au même
motif : « il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger, d’en
rechercher, soit d’office soit à la demande d’une partie qui l’invoque, la teneur, avec
le concours des parties et personnellement s’il y a lieu, et de donner à la question
litigieuse une solution conforme au droit positif étranger ».
L’intérêt de cette formule, très riche, déborde le champ de cette revue : elle y
répond en effet à une question générale et cruciale en droit international, la charge
de la preuve du contenu de la loi étrangère (3). Elle n’en mérite pas moins la plus
grande attention du praticien du droit maritime, parfois trop enclin à se suffire, outre
la loi du for, du réseau de conventions internationales maillant sa planète. Dans les
interstices, et aux marges de ce réseau, il lui faut pourtant souvent faire une place à
la loi étrangère. Le renforcement de l’office du juge français à cet égard (I) de même
que les interrogations suscitées par l’approfondissement de sa tâche (II) appellent
donc ici quelques remarques ; la motivation de la Cour de cassation en dicte la pré-
sentation.

I. – « Il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étran-


ger »…
S’il ne suffit plus au juge de reconnaître vocation de principe à une loi étrangère,
quitte à revenir à sa loi nationale si le contenu ne lui en semble pas suffisamment
établi par les parties, encore faut-il commencer par reconnaître cette vocation. Les
maritimistes, longtemps, et souvent confrontés à la querelle du forum arresti, notam-
ment en matière de saisies de navires (4), n’en savent que trop la difficulté. Entre l’in-
clination naturelle du juge à céder à l’attraction de sa propre loi, qu’il connaît le mieux
et tend par réflexe à respecter, et sa réticence à se plier aux injonctions d’un législa-
teur étranger, la reconnaissance du jeu de la loi étrangère suppose déjà un effort
conséquent de renoncement aux réflexes nationalistes, clé de l’ouverture au droit
international (5).
… « d’en rechercher la teneur, soit d’office, soit à la demande d’une partie
qui l’invoque ».
La règle de conflit mise en œuvre et la loi étrangère désignée, reste à en faire
effectivement application, et, pour ce faire, à en établir le contenu. Dans cette tâche,
le juge français ne se voyait jusqu’ici reconnaître qu’un rôle de second plan.
L’évolution de ce rôle, marque de la valeur accrue attribuée à la loi étrangère contem-
poraine mérite attention. En 1959, la Cour de cassation avait posé pour principe qu’
« il appartient aux parties de réclamer l’application des lois étrangères » (6). Bien
qu’il fût immédiatement admis qu’il était « loisible » (7) au juge du fond de rechercher

(3) Sur laquelle nos quelques indications invitent surtout à consulter les traités et études spécialisés, faute
de pouvoir les citer ici.
(4) Sur le problème de la loi applicable au fond aux litiges occasionnant des saisies de navires dans les ports
français. Civ1 6 nov 1979, Rev. Crit. D.I.P 80588, note Couchez ; Bonassies, DMF 89, 80.
(5) v. H. Batiffol. Nationalisme et Internationalisme en Droit international privé. Cours Doctorat Univ. Paris
1965-66 man.
(6) Civ. 12 mai 1959, BISBAL, D.60 610 note Malaurie ; JCP 60II.11.733 note Motulsky.
(7) Cie algérienne de crédit et de banque. 2 mars 1960, JCP 60 II 11734 note H.M Grands arrêts n° 34.

DMF 669 326 Avril 2006


JURISPRUDENCE FRANÇAISE

la loi étrangère compétente non invoquée par les parties, et en dépit d’un coup d’ar-
rêt porté à cette jurisprudence en 1988 (8), les parties conservaient pour l’essentiel
la charge d’établir le contenu de la loi étrangère dès lors qu’elles y avaient intérêt ;
faute de quoi la loi française devait s’appliquer au titre de sa vocation subsidiaire de
loi du for (9). Or, les éléments de preuve soumis par les parties relevant de l’appré-
ciation souveraine des juges du fond, le retour à la loi française, incontrôlable, se
trouvait ainsi facilité. Les deux arrêts d’appel soumis à la Cour de cassation le 28 juin
2005 témoignent de cette tendance ; leur censure témoigne du souci de la Cour de
cassation d’y mettre fin.
« Soit d’office, soit à la demande d’une partie qui l’invoque… ». Avec les arrêts du
28 juin 2005, la situation se trouve clarifiée : outre les cas où une partie l’invoque,
ceci impliquant qu’elle y a intérêt, la loi étrangère doit être appliquée d’office par le
juge, ainsi investi d’un rôle « volontaire et actif » (10). Voici également, surtout peut-
être, dissipées les incertitudes nées d’une distinction jurisprudentielle récente selon
que les parties ont ou non la libre disposition des droits litigieux. Suivant cette
jurisprudence, amorcée par un arrêt de la Chambre commerciale le 16 novembre
1993 (11), la preuve du contenu de la loi étrangère incombe, pour les droits disponi-
bles, à la partie qui en invoque l’application, faute de quoi la loi française retrouve sa
vocation subsidiaire, la recherche de la teneur de la loi étrangère s’imposant en
revanche au juge français dès lors que les droits litigieux ne sont pas à la disposition
des parties (12).
Trop subtile peut-être (13), la distinction ne cessait de susciter interrogations doc-
trinales et hésitations jurisprudentielles. La voici donc gommée, et en même temps
le risque de divergence jurisprudentielle réglé avec élégance. Il n’est pas dit pourtant
que la tâche soit achevée. Reste en effet au juge à …

II. – « Donner à la question litigieuse une solution conforme au droit positif


étranger »
Avec cette nouvelle injonction faite au juge, comme un écho à l’article 12 al.1
N.C.P.C (14), un dernier pas est franchi. Qu’il en soit fini de tous les expédients, équi-
valence des résultats (15), présomption d’identité de systèmes juridiques, recours
aux principes généraux, « droit commun » ou « raison écrite (16) », autant d’artifices
propres à justifier un retour à la loi du for. Une fois la loi étrangère applicable identi-
fiée et son contenu déterminé, il incombe au juge de la mettre en œuvre, tout comme

(8) Civ1. 11 et 18 oct. 1988, Rev. Crit. DIP 89, 368, chronique Lequette ; J.89.349, note Alexandre.
(9) Civ1. 5 nov 1991, Rev. Crit DIP 1992, 314 note Muir Watt.
(10) Cf N. Bouche, ét.cit. p. 2854.
(11) Bull n°405, Rev. Crit. droit intern. Privé 1994 p. 332, note LAGARDE ; JDI 1994 p. 98, note J.B Donnier.
(12) Cass com 2 mars 1999, Rev. Crit. DIP 99. 305, note Rémery.
(13) D’autant qu’elle semble recouvrer des concepts distincts, cf LAGARDE, Traité cit. t.1 n° 330 p. 537.
(14) « Le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables ».
N.B. Une première formulation, mentionnée au rapport du Conseiller Monteynard, incitait seulement le juge
« à justifier ainsi la solution donnée à la question litigieuse par le droit positif étranger ».
(15) Suivant cette théorie, supposant une comparaison entre loi étrangère compétente et loi effectivement
appliquée, soit en général la loi française, cette dernière ne serait écartée et la loi étrangère imposée que si
son application conduisait à un résultat différent.
(16) Cf Batiffol et Lagarde, Traité préc., n° 332 p. 544.

DMF 669 327 Avril 2006


NAVIRE - TRANSPORT MARITIME - GENS DE MER

une loi française. Or ceci appelle deux remarques, l’une d’ordre théorique, l’autre pra-
tique. On saluera certes l’avancée que représente, pour le droit international, ce sta-
tut neuf de la loi étrangère, jusqu’à récemment traitée comme source inférieure,
sinon même comme un simple fait ordinaire. Mais ne faut-il pas en même temps
noter combien la tâche du juge s’en trouve alourdie (17) ? En dépit des facilités infor-
matiques, « quel clic de souris » lui permettra de conjuguer à coup sûr loi de fond
étrangère et loi de procédure relevant du for ? Quel clic surtout, lui donnera accès à
la loi étrangère, par-delà la lettre du texte ?
Au-delà de la stricte lecture de la loi, reste en effet à l’interpréter, c'est-à-dire non
seulement à la traduire (traduttore – tradittore…), mais également à la situer dans
son contexte, ce qui suppose connue la jurisprudence, voire les modes de pensée
en cause. La subtilité du droit comparé dit assez la difficulté de l’exercice, sitôt que
l’on sort du cercle des droits de même famille que le nôtre. Dans l’affaire jugée par
la première Chambre civile, la détermination du contenu de la loi allemande ne posait
guère de problème aux spécialistes, rompus à la culture germanique, non plus sans
doute que celui de la loi australienne sur le transport des marchandises dans l’espè-
ce soumise à la Chambre commerciale. Mais qui ne se souvient de cette décision
rendue en 1998 dans le procès de l’Amoco-cadiz, où l’on voyait le juge de Chicago
chargé d’appliquer la loi française, loi du lieu du dommage, s’émerveillant des simili-
tudes qu’il y relevait avec la loi des Etats-Unis, et en effectuant dès lors une lecture
purement « américaine » (18) ?
Face à ces incertitudes, le maritimiste, enfin, se félicite de l’uniformisation de son
droit par l’effet des Conventions internationales qui le régissent. Comment cependant
ignorer que ces Conventions, fruits de compromis, sont des équilibres instables, où
chaque système tend à imposer sa propre interprétation, où le respect du droit posi-
tif étranger va donc bien au-delà de la simple lecture des textes ? Comment enfin ne
pas s’inquiéter de l’adéquation entre ce système complexe, perpétuellement modifié,
tributaire de hasards informatiques (19), et le respect d’une « solution conforme au
droit positif étranger » ? Non, décidément, la page n’est peut-être pas encore tour-
née.

Martine REMOND-GOUILLOUD

(17) Longtemps la Cour de cassation s’est gardée pour cette raison d’imposer au juge d’établir le contenu de
la loi étrangère. Cf. Batiffol et Lagarde, op. cit n°331 p.538, et la note 4.
(18) « Les exigences de la vie civilisée et la raison logique commune à tous les hommes imposent que les
lois de toutes les nations, France et Etats-Unis compris, se traduisent par une communauté presque parfai-
te de principes de droit ». U.S D.C, North. Distr. Illinois, 11 janvier 1988, p.4 (traduction libre).
(19) L’erreur commise dans notre espèce, par les premiers juges, qui avaient reconnu compétence aux règles
de Hambourg plutôt qu’à la loi australienne, en constitue le meilleur exemple.

DMF 669 328 Avril 2006


SOMMAIRES

COUR D’APPEL DE PARIS (5ème ch. A)


26 novembre 2003
TRANSITAIRE
Auxiliaire de transport. Qualité. Société. Documents de transport. Demande.
Transitaire (oui). Conditions générales. Limitation de responsabilité. Faute
lourde.
La société qui a été chargée par un commissionnaire de transport de réceptionner
des véhicules et d’accomplir les formalités de dédouannement ne peut dénier sa
qualité de transitaire, alors surtout qu’elle a informé son co-contractant, commis-
sionnaire, de l’arrivée du navire, précisé que les documents ne lui étaient pas par-
venus et demandé leur « envoi par DHL ».
La perte des documents que ledit transitaire ne peut contester avoir reçus, alors
que ces documents étaient essentiels au dédouanement des véhicules transportés,
constitue de la part du transitaire une faute lourde exclusive de l’application des limi-
tations contractuelles de responsabilité.
UNITRANS CAMEROUN c/ M. NOUNGON et autres

COUR D’APPEL DE ROUEN (2ème ch.)


25 novembre 2004
COMMISSION DE TRANSPORT
Commission de transport. Qualification. Choix des voies et des moyens.
Choix des transporteurs maritimes (oui). Commissionnaire. Responsabilité.
Prescription. Fraude. Absence de réserves (non).
La commission de transport, convention par laquelle le commissionnaire s’engage
envers le commettant à accomplir pour le compte de celui-ci les actes juridiques
nécessaires au déplacement de la marchandise d’un lieu à un autre, se caractérise
par la latitude laissée au commissionnaire d’organiser librement le transport par les
voies et moyens de son choix, sous son nom et sous sa responsabilité, ainsi que par
le fait que cette convention porte sur le transport de bout en bout.
Cette qualification ne saurait en l’occurrence être contestée, les sociétés en cause
ayant organisé les différents modes d’acheminement des marchandises jusqu’à des-
tination et étant, par ailleurs, mentionnées en qualité de chargeurs aux connaisse-
ments.
La circonstance que le transport maritime leur ait été imposé n’a pas eu pour effet
de leur faire perdre la qualité de commissionnaire de transport, dès lors qu’elles ont
librement choisi les transporteurs maritimes.

DMF 669 329 Avril 2006


SOMMAIRES

La fraude ou l’infidélité au sens de l’article L. 133-6 C. com. suppose de la part du


commissionnaire de transport une volonté malveillante, une déloyauté, une dissimu-
lation du préjudice causé à l’expéditeur ou au destinataire.
Cette fraude ou cette infidélité n’est pas en l’espèce caractérisée dès lors que le
commettant ne prouve ni même n’allègue qu’en s’abstenant d’émettre des réserves
contre le transporteur les sociétés commissionnaires ont agi de mauvaise foi dans
une intention coupable et malicieuse.
SDV LOGISTIQUE INTERNTIONAL c/ SAS LABORATOIRE GLAXO SMITHKLINE

COUR DE CASSATION (Ch. civ. 1ère )


16 novembre 2004
TRANSPORT MARITIME DE PASSAGERS
Croisière. Organisateur. Responsabilité. Exonération. Force majeure.
Une cour d’appel retient exactement que la survenance d’un attentat ne constitue
pas un cas de force majeure dans la mesure où les participants à une croisière ont
pu la poursuivre jusqu’à son terme et bénéficier de toutes prestations fournies.
Mais cette même cour peut décider que l’attitude adoptée par la société organi-
satrice du voyage, qui a d’abord promis de rapatrier les participants qui le souhai-
taient pour finalement leur imposer à tous la poursuite du voyage, est constitutive
d’une faute à l’origine d’un préjudice moral distinct de celui causé par l’attentat.
Sté PLEIN VENT c/ Sté POTRAVEL INTERNATIONAL et autres
Observations - A la suite du dramatique attentat de Louxor du 17 novembre 1997,
les époux R. participant à une croisière en Egypte organisée par la Sté Plein vent
et commercialisée par la société Potravel demandent, avec d’autres touristes, à être
rapatriés en France. La Sté Plein vent, constatant que les époux R. ne veulent pas
signer une décharge de responsabilité, refuse d’accéder à leur demande et leur
impose à eux, comme aux autres, la poursuite de la croisière. Dans le procès qui
s’ensuit, engagé par les époux R. contre les deux sociétés, la Sté Plein vent est
condamnée à garantir la seconde et celle-ci à indemniser le préjudice moral des
époux R. Après une série de développements, l’affaire est réglée comme on peut le
lire dans l’attendu rapporté :
1° la force majeure – exonératrice – n’est pas caractérisée, en ce sens que l’évé-
nement, sans doute irrésistible, n’a pas eu d’incidence sur l’exécution même du
contrat (encore que l’on puisse penser que la sérénité du voyage, pièce du puzzle
contractuel – cf. C. civ. art. 1135 – était par la force des choses atteinte) ;
2° la faute de la Société organisatrice est en revanche établie et résulte de son
comportement pour le moins contradictoire et trahissant la confiance de ses clients
(nouvelle illustration de l’exigence de cohérence contractuelle) ;
3° cette faute est la cause directe et immédiate du préjudice moral subi par les
demandeurs.
Philippe DELEBECQUE

DMF 669 330 Avril 2006


CHAMBRE ARBITRALE MARITIME DE PARIS

Sentence Arbitrale 1115 du 13 juin 2005


C/P Barecon 89 (coque nue). Loi algérienne. Défaut de paiement du loyer de
deux navires pétroliers. Résiliation des deux C/P par l'armateur. Restitution des
navires retardée par l'affréteur. Condamnation de l'affréteur à payer
l'arriéré des loyers, la détention des navires et divers autres frais.
L'affréteur a été défaillant dans le paiement des loyers incontestés, même après
signature d'un protocole constatant les sommes impayées et établissant un échéan-
cier.
L'armateur notifie finalement la résiliation des c/p, mais l'affréteur retarde la res-
titution des deux navires en ne dévoilant pas leur position géographique.
Dans ces conditions, l'armateur obtient la condamnation de l'affréteur, également
défaillant à l'arbitrage, à lui payer :
- la totalité des sommes dues et incontestées au titre des loyers échus,
- la totalité des sommes réclamées au titre de la détention des navires, à savoir les
loyers majorés, conformément au Code maritime algérien applicable, calculés sur le
temps de retard à la restitution des navires dont l'affréteur est tenu pour responsable.
- certains autres frais justifiés (frais d'escale non réglés par l'affréteur par exem-
ple) subis par l'armateur en conséquence de la faute de l'affréteur.

Sentence Arbitrale 1116 du 30 juin 2005


C/P Synacomex 90. Orge en vrac. Non présentation du navire au port de char-
gement. Fait du Prince (non). Navire de substitution. Dommages pour retard
représenté par les pénalités de retard du contrat de vente (oui). Demande en
intervention irrecevable. Manquants au déchargement en partie imputable au
fréteur. Manutentionnaires master's servants. Demande reconventionnelle
pour paiement du solde de fret et surestaries.
Le navire saisi par décision de justice dans le port de déchargement du voyage pré-
cédent, ne peut se présenter au port de chargement. Un amendement à la c/p désigne
un autre navire en substitution qui, effectue le voyage prévu.

DMF 669 331 Avril 2006


CHAMBRE ARBITRALE MARITIME DE PARIS

Des manquants sont constatés au déchargement.


L'affréteur (vendeur) réclame des dommages intérêts représentés par les pénalités
de retard appliquées par l'acheteur conformément au contrat de vente. Par ailleurs il
réclame également la valeur des manquants au déchargement, le fréteur, selon lui,
étant responsable en qualité de transporteur maritime.
Le fréteur s'oppose à ces prétentions en prétendant que la saisie du navire est un
fait du Prince qui l'exonère de toute responsabilité et que par ailleurs le contrat de
vente et ses pénalités de retard ne lui sont pas opposables.
En ce qui concerne les manquants, le fréteur soutient que l'affréteur qui a l'obli-
gation de décharger la marchandise en est entièrement responsable.
Enfin le fréteur demande l'intervention de l'armateur du navire de substitution
dans la procédure d'arbitrage pour obtenir le paiement du solde du fret et des sures-
taries que l'affréteur s'est abstenu de régler.
Les arbitres ont rejeté cette demande en intervention, l'armateur du navire de sub-
stitution n'ayant pas signé la convention d'arbitrage.
Ils ont considéré que :
- le fréteur n'avait pas pris toutes les mesures nécessaires pour obtenir la main
levée de la saisie qui ne relevait ni d'un cas de force majeure, ni du fait du Prince,
mais avait pour origine la réclamation du réceptionnaire pour avaries à la marchan-
dise, suite à une négligence de l'armateur,
- le fréteur était donc responsable du retard à la présentation du navire qui n'avait
pas respecté ses dates de planche,
- le dommage subi était représenté par les pénalités de retard du contrat de vente
qui constituaient un élément d'appréciation de la matérialité du préjudice subi.
Les arbitres ont jugé que c'était par référence à la c/p qu'il convenait d'apprécier
l'éventuelle responsabilité du fréteur pour manquants constatés par pesée à l'arrivée
du navire et en fin de déchargement, et non contestés, et que le fréteur n'était pas
responsable des manquants à l'arrivée, puisque, débiteur d'une obligation de
moyens, aucune faute ne pouvait lui être reprochée. Cependant, les manutentionnai-
res étant les préposés du Capitaine (Master's servants), celui-ci doit répondre de leur
manque de diligence. Le fréteur est donc reconnu responsable du reliquat des man-
quants, après déduction des manquants constatés à l'arrivée et de la franchise prévue
au contrat de vente.
En ce qui concerne le solde du fret et des surestaries non réglés, les arbitres ont
condamné l'affréteur à en payer le montant réclamé qui constitue une créance cer-
taine, liquide et exigible.

DMF 669 332 Avril 2006


DROIT MARITIME ETRANGER

L’activité de commissionnaire de transport


et de transitaire en Espagne
Normes légales et jurisprudence
par
Josep Maria VICENS
Avocat
Barreau de Barcelone

Le présent article vise à offrir une vision à la fois succincte, pratique et réelle de
ce que sous-entend d’un point de vue juridique aujourd’hui en Espagne la fonction
de transitaire et de commissionnaire de transport, en relation avec ses droits et ses
responsabilités, à la lumière des décisions des diverses « Audiencias Provinciales »
(Cours d’appel) et du « Tribunal Supremo » en laissant de côté, dans la mesure du
possible, les opinions personnelles sur ce que devrait être et n’est pas le commis-
sionnaire de transport ou transitaire en Espagne.
Les intermédiaires de transport sont réglementés en Espagne selon une double
perspective, suivant que l’on examine la profession en droit public ou en droit privé.
Du point de vue du droit commercial, la norme qui s’applique est l’article 379 du
Code du commerce de 1885, qui sur ce point précis, n’a pas subi de modifications
depuis l’origine. Cet article prévoit que les dispositions contenues dans les articles
349 et suivants (qui se réfèrent au transporteur proprement dit) sont applicables
pareillement à ceux qui, bien que n’effectuant pas eux-mêmes le transport de mar-
chandises, le feraient par contrat avec des intermédiaires, soit comme fournisseurs
d’une opération particulière et déterminée soit comme commissionnaires de
transports et d’acheminements. Ensuite, l’article précité dispose que dans les deux
cas, ils seront subrogés au lieu et place des transporteurs, tant pour leurs obligations
et leur responsabilité que pour leurs droits.
Du point de vue du droit administratif, il faut se référer à l’article 126 de la loi
16/1987 d’organisation des transports terrestres, plus connue en Espagne comme

DMF 669 333 Avril 2006


NAVIRE - TRANSPORT MARITIME - GENS DE MER

« L.O.T.T », et qui pour la première fois, reconnaît précisément la fonction de


transitaire. Cet article, dans la perspective qui nous intéresse ici, définit le transitaire
comme un « organisateur du transport international », qui remplit sa mission en
passant contrat en son nom propre avec le transporteur, tous deux étant expéditeurs
d’un transport pour lequel ils passent contrat, également en leur nom propre, avec
l’expéditeur effectif, occupant par rapport à lui la position de transporteurs. Ces
deux articles constituent l’ossature sur laquelle, depuis trente ans, s’est construit en
Espagne la fonction de transitaire ou commissionnaire de transport.
Ces deux dispositions, bien qu’incluses respectivement dans un chapitre du Code
de commerce consacré au transport terrestre et dans une loi exclusivement consacrée
à ce type de transport, ont été déclarées à plusieurs reprises applicables à tout type
de transport par la Jurisprudence. Dans ce sens, on peut citer les arrêts de la
« Audiencia Provincial » de Barcelone du 4 avril 2004 ou ceux du Tribunal Supremo
du 19 avril 1990 parmi beaucoup d’autres.
A ce sujet et en premier lieu, il faut savoir qu’à la différence d’autres systèmes
juridiques, le droit espagnol ne fait pas de distinction dans la pratique entre le com-
missionnaire de transport et le transitaire. On peut sans doute gloser à l’infini sur
leurs différences mais il n’en demeure pas moins que notre jurisprudence les assi-
mile et leur applique les mêmes règles. Pour preuve, une décision du 30 juin 2005
de la « Audiencia Provincial » de Malaga qui énonce : « …la partie demanderesse
en tant qu’Agencia Transitoria et considérant les articles 126 et 120 al. 2 de la loi
d’organisation des transports terrestres, 159 al. 2 du règlement d’organisation des
transports terrestres, 275, 379, 349 etc. du Code de commerce, agit comme com-
missionnaire en son nom propre, passant contrat en son nom propre avec l’expédi-
teur effectif, occupant par rapport à lui la position de transporteur ». L’arrêt de la
« Audiencia Provincial » de Vizcaya du 4 juin 2001 est encore plus clair : « la mar-
chandise étant embarquée sur le navire M., celle-ci étant perdue après naufrage,
l’assureur en a remboursé le prix à son assuré. Par ce recours, il réclame au transitai-
re ou commissionnaire de transport le paiement de la marchandise perdue sur la
base de l’article 379 du Code de commerce ». On constate donc que l’assimilation
des deux intermédiaires est presque totale et qu’ils ont les mêmes droits et les
mêmes obligations. Il est vrai que dans quelques cas concrets, quasi de laboratoire,
on est parvenu à une certaine distinction mais comme dit précédemment, il s’agit
d’exceptions. Par conséquent, nous ne ferons pas de distinction entre les deux.
Ceci étant posé, il faut insister d’abord sur le fait qu’en Espagne, les intermédiai-
res de transport doivent traiter avec leurs clients et transporteurs en leur nom prop-
re. Néanmoins, il est possible que la dernière réforme de la LOTT ait pu ouvrir une
petite brèche dans le système, dans la mesure où il semble que le fait de passer
contrat pour des transports non terrestres pour le compte et au nom de tiers (article
140 al.18 de la LOTT) ne constitue plus une infraction administrative, bien que les
effets de cette petite et subtile réforme restent à apprécier par nos tribunaux. Quoi
qu’il en soit, le fait de devoir contracter en son nom propre est devenu essentiel car
en vertu de ce principe, des règles antérieures et de l’application des mécanismes de
la représentation indirecte, s’est constitué le faisceau de droits et d’obligations appli-
cables au transitaire et au commissionnaire de transport. Concrètement et avec les

DMF 669 334 Avril 2006


DROIT MARITIME ETRANGER

nuances exposées plus bas, cela suppose que la position du transitaire ou commis-
sionnaire de transport en Espagne face à son client est juridiquement comparable (au
moins en pratique) à celle du transporteur face à l’expéditeur effectif. Pour preuve
de cette interprétation, on peut citer l’arrêt de la « Audiencia Provincial » de Madrid
du 14 juin 2000 qui déclare au sujet d’un opérateur de transport : « il est commis-
sionnaire de transport dès lors qu’il assume l’obligation de remettre, réexpédier, ou
faire parvenir la marchandise reçue à son destinataire final, de sorte qu’il se trou-
ve dans la même position que le transporteur, conformément à l’article 379 du code
de commerce. »
Ainsi donc, en Espagne, le transitaire ou commissionnaire de transport est soumis
à une obligation de résultat. Autrement dit, le transitaire a l’obligation de mener à
bien, d’exécuter correctement le transport qui lui a été commandé, et en est respon-
sable devant son client ou expéditeur. En d’autres termes, le transitaire ou commis-
sionnaire de transport est considéré comme responsable de toutes les actions ou
omissions de chacune des personnes ou entreprises auxquelles il a recours pour exé-
cuter le contrat, raison pour laquelle les arguments avancés pour la défense de ces
professionnels du transport tendant à prouver que les obligations du transitaire
disparaissent du fait de la passation de contrat et de l’organisation du transport sont
systématiquement rejetés par toutes les juridictions. L’arrêt de la « Audiencia
Provincial » de Barcelone du 1er juillet 2000 est un exemple de cette jurisprudence,
dans le cas d’une réclamation pour dommages subis par la marchandise au cours du
transport : « Sont applicables l’article 379 du Code de commerce et les articles
120.2 ou dans ce cas (en l’absence de qualification plus précise) 126.2 de la loi
16.1987 du 30 juillet, d’organisation des transports terrestres, d’où il ressort que
« K. S.A. », s’est engagée en tant que transporteur avec son commettant assuré par
le demandeur, à l’exécution correcte du transport et des prestations accessoires,
depuis le port de Barcelone jusqu’à l’entrepôt du destinataire à Puebla. Par consé-
quent, ne peuvent être retenus les arguments du défendeur qui conteste son implica-
tion par le fait qu’il a agi en tant qu’intermédiaire de transport et non comme
transporteur effectif ». Cette responsabilité est confirmée par les arrêts du « Tribunal
Supremo » du 14 juillet 1987 et du 16 septembre 1997, (la citation suivante est
extraite de ce dernier) : « pour ce qui concerne l’exception de défaut d’implication
du défendeur au motif qu’il a agi en tant qu’intermédiaire de transport et non
comme transporteur effectif, l’article 379 du Code de commerce prévoit que les
dispositions contenues dans les articles 349 et suivants s’appliquent pareillement à
ceux qui, bien que n’ayant pas effectué par eux-mêmes le transport, ont passé
contrat avec des intermédiaires à cette fin, auquel cas ils sont subrogés au lieu et
place des transporteurs quant à leurs obligations et responsabilités. Ainsi donc,
même s’il est reconnu que le transport de la marchandise a été réalisé par
Transports S., le demandeur ne conteste pas sa qualité d’intermédiaire, à cet effet,
sur la base de l’article cité, il assume les obligations du transporteur. »
A côté de l’interprétation dérivée de l’application pure et simple du texte de loi,
nos juridictions affirment aussi que, en cas de négligence d’un des sous contractants
du commissionnaire, celle-ci est partagée par l’intermédiaire qui l’a engagé, faute
« in eligendo » voire « in vigilando ». Pour preuve, l’arrêt de la « Audiencia

DMF 669 335 Avril 2006


NAVIRE - TRANSPORT MARITIME - GENS DE MER

Provincial » de Guadalajara du 28 avril 2000. Dans cette décision, au sujet de la


faute d’un chauffeur de camion victime d’un accident de la route, la cour affirme que
la faute « se transmet à l’entreprise propriétaire du camion pour laquelle il tra-
vaillait et à l’intermédiaire de transport pour faute in operando et in eligendo ».
De plus, un certain nombre de décisions de justice vont jusqu’à établir qu’il n’est
pas possible d’exonérer le commissionnaire de transport de cette responsabilité par
le biais d’une convention. Cette ligne jurisprudentielle soutient que, même si on
pourrait être tenté de conclure que l’obligation du commissionnaire s’éteint avec la
signature du contrat de transport, la loi établit que le commettant peut toujours pour-
suivre le commissionnaire, ce droit constituant une clause de garantie tacite à laquel-
le on ne peut déroger, au bénéfice de l’expéditeur passant contrat avec un commis-
sionnaire, cela pour lui éviter de devoir se retourner contre un transporteur qu’il n’a
pas choisi et en tenant compte du contrat de transport qu’il n’a pas passé non plus
(arrêt du Tribunal Supremo du 11 octobre 1986 et arrêt de la « Audiencia provin-
cial » de Ségovie du 28 juin 2004). En résumé, d’une manière ou d’une autre, les
tribunaux espagnols tendent à aligner la responsabilité du commissionnaire ou trans-
itaire sur celle du transporteur, vouant à un échec quasi systématique toute défense
visant à exonérer ce commissionnaire ou transitaire au motif qu’il n’a pas effectué
le transport. Cependant, ce rapprochement laisse la possibilité de se prévaloir des
limitations de responsabilité correspondant à chaque cas. Il faut toutefois savoir que
les juridictions espagnoles sont peu portées à appliquer de telles limitations surtout
en matière de vols ou de faits analogues.
Précisons, enfin, pour clôre la question de la responsabilité du transitaire au sujet
des marchandises, que, non seulement notre commissionnaire ou transitaire est
responsable de tous les actes de ses sous contractants, mais en plus notre jurispru-
dence considère que cette responsabilité est solidaire de celle de ces mêmes sous
contractants, ce qui permet à l’expéditeur effectif, au commettant ou au propriétaire
des marchandises endommagées ou détruites de se retourner contre tout ou partie de
ces derniers. Sur ce thème, on peut citer entre autres, l’arrêt du Tribunal Supremo du
19 juin 1998 qui dans le cas d’un transport routier international avec plusieurs sous
contractants, a indiqué que « conformément à l’article 3, le transporteur répond des
actes et omissions de ses employés et de toutes les personnes auxquelles il a recours
pour l’exécution du transport quand ces derniers commettent ces actes ou omissions
dans l’exercice de leur fonction ou en d’autres termes, chaque transporteur codé-
fendeur partage la responsabilité de ses employés de sorte qu’ils doivent être
condamnés solidairement au paiement de l’indemnisation. »
Jusqu’à présent (à l’exception de la mention sur les limitations de la responsabi-
lité), nous nous sommes uniquement référé aux obligations et aux responsabilités du
transitaire ou commissionnaire de transport. Il convient maintenant de s’intéresser à
ses droits, le principal et le plus important étant d’être payé pour les services rendus
à son commettant. Bien que cette question ne devrait pas soulever de problèmes,
c’est pourtant le cas en Espagne, en particulier concernant le délai de prescription
qui s’applique au recours des commissionnaires contre le commettant. En effet, c’est
une des questions le plus souvent posées aux juristes spécialisés dans cette matière
ou aux conseils des diverses associations professionnelles. Comme la réponse des

DMF 669 336 Avril 2006


DROIT MARITIME ETRANGER

tribunaux à cette question est extrêmement variée (le délai va de 6 mois à 15 ans
selon les trois principales tendances), il n’est pas inintéressant d’offrir une vue
d’ensemble sur l’état de la question.
Il semble évident que l’origine d’un telle divergence de vues vient de ce que nos
tribunaux n’ont pas clairement défini la véritable nature juridique du commission-
naire de transport, dans la mesure où il n’est pas établi par tous que l’article 379 du
Code de commerce assimile les intermédiaires de transport à de véritables transpor-
teurs ; ou seulement en partie. Par conséquent, il n’y a pas non plus unanimité sur la
nature des sommes que le transitaire réclame à ses clients.
La première position concernant le délai de prescription des actions du transitaire
contre l’expéditeur est celle qui considère que l’article 379 du Code de commerce
assimile ces professionnels aux transporteurs et que par conséquent, le délai à rete-
nir est celui qui est prévu à l’article 951 de ce même code qui indique que les actions
relatives au recouvrement des frais de port, de fret, des frais inhérents et contribu-
tions aux dommages courants ont un délai de prescription de six mois après la remi-
se des marchandises. Ce délai est de 15 mois s’il s’agit d’un transport international
de marchandise par route soumis à la convention CMR (contrat de transport inter-
national de marchandises par route), en vertu du délai de prescription contenu dans
cette convention. Cette position, sans doute la plus simple, n’est pas exempte de pro-
blèmes car dans de nombreux cas, l’intervention du transitaire va bien au-delà de la
simple gestion d’un contrat de transport. Ainsi, diverses réponses ont été apportées
remettant en cause l’application mécanique au commissionnaire et transitaire des
délais prévus pour le transporteur.
La décision du Tribunal Supremo du 31 janvier 1983 a souligné que l’article 951 se
rapporte à la régulation du contrat de transport et des actions pouvant en découler au
bénéfice du transporteur et non à celles qui relèvent d’autres sujets en vertu d’autres
contrats, fussent-ils liés objectivement à ce contrat de transport. Cet argument
conduit le Tribunal Supremo à la conclusion que tout contrat excédant le cadre strict
du transport même s’il se présente comme une convention atypique à caractère
commercial, doit être régi par l’article 50 du Code de commerce et par les disposi-
tions du Code civil auquel se réfère l’article 943 du Code de commerce, ce qui
conduit à l’application du délai de 15 ans prévu à l’article 1964 du Code civil pour
la prescription des actions personnelles n’ayant pas un délai spécifique de prescrip-
tion. En définitive, il faut retenir que les contrats débordant du simple cadre du
transport sont atypiques et par conséquent sont soumis aux délais communs de pres-
cription et non à ceux qui sont spécifiques au transport. Un arrêt du Tribunal
Supremo du 8 mai 1996 reprend le critère antérieur et bien qu’il soit rendu au sujet
des consignataires de navires, il est applicable aux commissionnaires de transport.
De même, la « Audiencia provincial » de La Corogne a rendu une décision très
explicite où elle déclare qu’il existe une différence entre le statut de transporteur et
celui de transitaire, ces derniers « s’engageant à organiser contractuellement le
transport en leur nom propre et non à l’effectuer eux-mêmes, le délai de prescri-
ption dérivé de l’article 951 du Code de commerce relatif aux réclamations des frais
de ports du transporteur ne leur est donc pas applicable dans leur relation avec
leurs clients ».

DMF 669 337 Avril 2006


NAVIRE - TRANSPORT MARITIME - GENS DE MER

D’autres décisions ont établi que le transitaire ou commissionnaire réclame à ses


clients ou expéditeurs non pas le fret ou le port mais les frais dérivés de l’exécution
d’un contrat de commission assortis de la prime correspondant à cette commission.
Etant donné que le contrat de commission n’a pas de délai spécifique de prescrip-
tion, il faut se reporter au délai général prévu pour les obligations personnelles qui
comme on l’a vu précédemment est de quinze ans. Cette jurisprudence a pour origi-
ne l’arrêt du Tribunal Supremo du 10 juillet 1980 et a été reprise à de nombreuses
occasions par les tribunaux inférieurs, comme par exemple l’arrêt de la « Audiencia
Provincial » de Alicante du 11 novembre 2002.
Il existe une position intermédiaire entre les décisions tendant à
convertir le transitaire en transporteur pour ce qui concerne le délai de recours et
celles qui les distinguent absolument. Ainsi, dans un arrêt de la « Audiencia
Provincial » de Tenerife du 14 janvier 2002 il a été jugé que l’activité de commis-
sionnaire « n’est pas une relation juridique unique mais complexe de laquelle déri-
vent une série d’obligations mais aussi plusieurs relations juridiques, chacune
entraînant une série d’obligations avec leurs spécificités et leur propre régime juri-
dique ». En conséquence, chaque opération facturée ou faisant l’objet d’une récla-
mation par un transitaire a son propre délai de prescription. Concrètement et en
réponse à la prescription invoquée par le défendeur, la « Audiencia Provincial » de
Tenerife statue : « on ne peut étendre la prescription à d’autres dépenses autres que
le fret et provenant d’autres relations juridiques (comme agent des douanes) aux-
quelles on ne saurait étendre la prescription invoquée, car elles n’ont pas pour fon-
dement une relation de transport mais un rapport d’une autre nature, et par suite,
l’article 951 du Code de commerce ne peut s’appliquer aux autres parties ». Selon
nous, cette solution est la plus exacte et la seule réellement compatible avec l’arti-
cle 379 du Code de commerce. Néanmoins, c’est un point de vue minoritaire. Quoi
qu’il en soit, nous ne saurions trop conseiller de ne pas laisser courir les délais de
prescription relatifs au transport surtout dans les cas où la réclamation porte uni-
quement sur les services de transport car dans ce type de recours, la probabilité que
soit appliqué sans hésitation l’article 951 du Code de commerce est assez élevée.
Pour terminer, nous aborderons le problème des délais de prescription des actions
dérivées des contrats de correspondants ou de collaboration mutuelle entre transitaires
ou commissionnaires de différents pays, en vertu desquels ont lieu des échanges réci-
proques de services qui génèrent un solde en faveur de l’une ou l’autre des parties
une fois qu’un bilan des services mutuels rendus est établi. Dans cette hypothèse,
la jurisprudence espagnole a reconnu, dans le sillage de décisions antérieures
comme celle du 31 janvier 1983 citée plus haut, qu’il s’agit d’une relation juridique
atypique en raison de sa pluralité de causes et parce qu’on peut considérer que ce qui
est réclamé n’est pas le prix de un ou plusieurs transports mais le résultat d’un
maillage complexe de services que chacune des parties rend à l’autre ; tout ceci
amène à appliquer le délai commun de prescription de quinze ans de l’article 1964
du Code civil. Le Tribunal Supremo a rendu un arrêt du 10 octobre 2000 sur ce type
de conflit entre correspondants : « Dans le cas présent, ce ne sont pas les frais de
port qui sont réclamés mais la liquidation définitive d’un accord de collaboration
pour la maintenance d’une ligne régulière et discrétionnaire entre les Pays-Bas et

DMF 669 338 Avril 2006


DROIT MARITIME ETRANGER

diverses zones du territoire espagnol, pour lequel les deux parties ont mis à la dispo-
sition l’une de l’autre leurs infrastructures et leur organisation pour parvenir à ce
résultat concret. Il s’agit donc d’une relation juridique complexe avec pluralité de
causes avec une vision finaliste de la relation commerciale constituée dans cet
objectif. Ainsi donc, ce qui est demandé n’est pas le recouvrement de contrats de
transports – indépendamment de ceux qui auraient pu être réalisés spécialement ou
sous-traités à un tiers – mais la liquidation et le paiement de la prestation cor-
respondante par la société intimée du fait de la liquidation de cette complexe rela-
tion commerciale avec solde favorable pour la partie appelante. »
Dans le même sens, la « Audiencia Provincial» de Barcelone a statué comme suit
le 23 juillet 2001 : « on peut effectivement affirmer que la relation entre les parties
est plus complexe que celle d’un contrat de transport « stricto sensu », car s’il est
vrai qu’en tant que transitaires (activité qui n’est pas réglementée dans le Code de
commerce car trop récente et développée pour intervenir dans les relations interna-
tionales complexes du transport de marchandises, dont il est fait mention dans la Loi
d’organisation des transports de 1987, loi 16/87 du 30 juillet, définie dans les arti-
cles 119 et 126 comme celle d’organisateurs des transports internationaux) leurs
fonctions sont clairement liées au contrat de transport, il est certain que la récla-
mation concernée n’est pas liée à proprement parler à un contrat de transport que
chacune de ces sociétés a conclu avec ses clients respectifs mais à un contrat de col-
laboration mutuelle, en d’autres termes nous ne sommes pas face à une réclamation
pour avaries, perte de marchandise ou impayé du transporteur, destinataire ou
consignataire, propres au contrat de transport « per se », mais il s’agit d’une rela-
tion commerciale plus large à travers laquelle les deux parties, grâce à l’interven-
tion de leurs clients respectifs, entretenaient un système de collaboration comme dit
précédemment (au bénéfice des deux parties) pour intervenir entre la France et
l’Espagne ». Il résulte de ce qui précède la conséquence suivante : « la Convention
de Genève relative au transport de marchandises par la route ne s’applique pas aux
relations entre les entités organisatrices de transport car ce qui est réclamé c’est la
liquidation globale des frais de port et non pas comme indiqué dans la sentence en
question le paiement de frais de port particuliers, de sorte que cet aspect global
caractérise donc le contrat entre les deux parties et par conséquent le délai de pres-
cription du Code civil s’applique pour ce qui ne ressortit pas aux dispositions du
Code de commerce ou aux normes spéciales qui régissent certaines activités com-
merciales (art. 50 du Code du commerce) en relation avec la Convention sur le
Transport de marchandises par la route ».
(Traduction : Michel Fraysse, conservateur à la Bibliothèque Cujas)

DMF 669 339 Avril 2006


BIBLIOGRAPHIE

Droit des transports, par Christophe PAULIN, Litec, 2005, 314 pages,
45 euros.
Cet ouvrage est essentiel : il est une somme de connaissances et une remarquable
présentation synthétique d’une matière extrêmement touffue mais rendue accessible
par l’acuité de l’auteur, agrégé des facultés de droit, professeur à l’université des
Sciences sociales Toulouse I et fondateur et directeur du master de droit des
transports.
Dans une introduction courte mais d’une très forte densité, le décor de la pièce est
planté. L’auteur étant convaincu du poids des images, la diversité des modes de
transport est introduite par une mosaïque de faits, de situations et de questions. Puis
quatre courts développements donnent la perspective de l’étude : le droit des
transports est sectoriel, fragmenté, voire atomisé ; pour autant le droit des transports
et les droits fondamentaux ne s’ignorent pas, de même que des apports réciproques
irriguent le droit commun et le droit des transports ; dès lors il est légitime de poser
la question d’un droit général des transports, compte tenu notamment des rappro-
chements observés dans le contenu de ses différentes branches. L’objectif de l’ou-
vrage est donc de proposer une étude d’ensemble de ce droit que l’auteur divise en
quatre parties : les institutions, les déplacements, les entreprises et les contrats.
Les institutions sont présentées sous couvert de plusieurs divisions qui sont autant
de critères de distinction : leur caractère international, européen ou national ; leur
caractère normatif, consultatif ou coopératif ; leur caractère général ou spécialisé ;
leur caractère territorial. Sont ainsi passées en revue les institutions relatives à
chaque mode de transport. C’est une masse de documentation qui nous est accessi-
ble et qui nous fournit l’occasion de souligner que M. Paulin n’est pas dénué d’hu-
mour ainsi qu’en témoigne cette phrase (n° 1, in fine) : « prenant sa voiture diesel
pour rechercher la documentation, l’auteur s’interroge sur la qualité des transports
en commun et, bloqué dans les embouteillages, s’inquiète du service minimum qui
permettra aux autres de libérer la route ». La présentation des déplacements intro-
duit pareillement le lecteur dans un terrain assez peu familier.
L’idée générale est simple : les déplacements ne peuvent être anarchiques mais
leur organisation est hétérogène, qui balance entre le libéralisme et le dirigisme. La
division distingue entre leur organisation et leur réalisation.
L’organisation des déplacements s’accroche à de multiples aspects : autorités
organisatrices, services d’intérêt général ou marchands, syndicats ou associations
représentatifs des différents intérêts, prestations de services, concurrence, conven-
tions internationales ou traités bilatéraux, navigation ou circulation, transports
urbains et transports non urbains, transports publics et transports pour son propre
compte, transports internationaux ou intracommunautaires, province et Ile de
France. Ce monde dont l’importance ne peut être mésestimée est rendu accessible

DMF 669 340 Avril 2006


BIBLIOGRAPHIE

par une présentation synthétique d’un contenu d’une diversité extrême et d’un inté-
rêt grandissant. C’est dire aussi que l’auteur ignore les frontières du droit privé et du
droit public, qualité éminente et parti pris impératif.
La réalisation des déplacements conduit vers d’aussi clairs développements. Ici la
réglementation a pour objet l’usage des infrastructures, les polices spéciales qui les
gouvernent, les tarifs, les règles de circulation et de navigation, le comportement du
conducteur, les temps de travail et de repos, les aides à la navigation, la sûreté et les
accidents. Sans oublier que l’auteur a bien conscience de l’intérêt capital de l’har-
monisation des dispositions dont le caractère national l’emporte très largement sur
le caractère international.
Avec les entreprises et les contrats, les aspects de droit privé réapparaissent un peu
plus nettement.
Des entreprises, l’auteur présente successivement l’activité, le personnel et les
biens sous l’éclairage de la libéralisation, de l’idée d’un statut et du contrôle des
véhicules. Les aspects essentiels de la matière sont relatifs à la forme juridique des
entreprises de transport, leur identification, leur honorabilité, leur capacité profes-
sionnelle et leur capacité financière, ce qu’expriment des licences et des certificats.
Le personnel de contrôle des entreprises et la sanction des infractions, voire des
fraudes, constituent un autre point non négligeable. Les statuts des différents per-
sonnels laissent apparaître des mondes relativement différents même si le comman-
dant de l’aéronef et le capitaine du navire présentent de notables éléments de simi-
litude. Le soin apporté à l’étude des règles relatives aux véhicules incitent à ne pas
oublier que, même si le contrat de transport s’est progressivement détaché de l’en-
gin de transport, celui-ci demeure un élément capital non seulement de la réussite de
l’opération de transport mais aussi de la sécurité des personnes et de la protection de
l’environnement. Restent alors les contrats.
L’auteur en a très justement une vision large : il étudie séparément les contrats de
transport et les contrats accessoires au transport.
Sur le premier point, une introduction traite de l’existence du prix, de l’obligation
de déplacement et de la qualité du prestataire. Après quoi, la différence est faite entre
les contrats de transport de voyageurs et les contrats de transport de marchandises.
S’agissant des contrats de voyage, la division est rattachée au mode de transport –
terrestre, aérien et maritime – ce qui permet à l’auteur d’insister sur quelques points
particuliers, notamment la sécurité des passagers et la responsabilité du transporteur.
Une autre division est employée pour traiter du transport de marchandises : conflit
de lois, conclusion du contrat, obligations, responsabilité du transporteur et conten-
tieux du contrat. On saura gré à l’auteur d’avoir par la-même insisté sur les aspects
majeurs que sont les documents de transport, le déplacement et les conditions de la
responsabilité et du contentieux.
Les contrats accessoires au transport distinguent entre les contrats qui, conclus
avec les auxiliaires de transport, ont pour finalité l’organisation de l’opération de
transport et ceux qui, relatifs à l’exploitation des véhicules, ont pour objet la dispo-
sition des outils du transport. Relèvent de la première catégorie, les contrats conclus
avec les agences de voyages, les organisateurs de croisières maritimes, les commis-

DMF 669 341 Avril 2006


NAVIRE - TRANSPORT MARITIME - GENS DE MER

sionnaires de transport, les mandataires et les manutentionnaires. Naturellement, la


location de véhicules routiers et les affrètements d’aéronefs ou de navires appar-
tiennent à la seconde catégorie. Ainsi se termine le panorama que nous livre l’auteur.
Qu’ajouter ? On pourrait éventuellement débattre de la place de tel ou tel déve-
loppement dans l’ouvrage et de son rattachement à telle ou telle partie. Il nous sem-
ble inutile de le faire car il nous paraît, au contraire, impératif de remercier M. Paulin
d’avoir accepter d’oser une présentation aussi globale du droit des transports. Cela
était assurément une gageure et il fallait un immense courage pour l’entreprendre
et une perspicacité hors du commun pour la réussir. Bref, il fallait du tempérament,
ce dont l’auteur n’est pas dépourvu ainsi que l’atteste le jugement qu’il porte sur
l’article L. 138-2 du Code de commerce : un texte « aberrant ». Comme il n’est
jamais nécessaire de partager le point de vue de l’auteur pour être passionné par la
lecture d’un livre, nous pouvons, pour conclure, seulement dire que toute personne
qui entend pénétrer en profondeur et en douceur dans ce monde si complexe qu’est
le droit des transports ne peut le faire utilement sans se référer à cet ouvrage.
Yves TASSEL

DMF 669 342 Avril 2006


PORTS - LITTORAL - PLAISANCE

JURISPRUDENCE FRANÇAISE

TRIBUNAL DE COMMERCE DE LILLE


6 octobre 2005

OUTILLAGE PUBLIC PORTUAIRE


Outillage public portuaire. Utilisation impossible. Conséquences sur l’activité
portuaire. Désignation d'un expert. Compétence juridictionnelle.
Le juge judiciaire est compétent pour statuer sur une demande d'expertise à la
suite de l'impossibilité, pour un armateur, d'utiliser un outillage public portuaire.
Compagnie SEAFRANCE c/ CCI de Calais
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ (extrait)
« (...)
Les faits :
SEAFRANCE fait valoir que depuis l'accident du 8 février 2005 lors duquel la passerelle
inférieure du poste 7 s'est effondrée, occasionnant des blessures à trois personnes et entraî-
nant la chute de deux poids lourds, elle a subi un important préjudice compte tenu des nom-
breuses difficultés d'exploitation (travaux de contrôle sur les postes 3 – 5 et 8 – le poste 7
fermé en suite de l'accident) ; qu'elle a dû limiter sa flotte à 5 navires sur 8.
Que son préjudice est important (...)
Que la C.C.I.C s'étant vue confier l'exploitation du port de Calais en vertu d'un contrat de
concession d'outillage public et qu'en application de ladite convention et notamment du cahier
des charges publié par arrêté du 26 décembre 1975, la C.C.I.C est chargée de veiller à l'en-
tretien de l'ouvrage public qu'elle exploite.
C'est dans ces conditions que SEAFRANCE intente la présente action à l'encontre de la
C.C.I.C aux fins de voir désigner expert avec mission de rechercher les causes et l'origine de
l'effondrement de la passerelle n° 7 et de déterminer le préjudice subi par SEAFRANCE.
L'affaire a été entendue à l'audience du 15 septembre 2005 ; le terme du délibéré a été fixé
au 6 octobre 2005.
Discussion :
Entendu les parties à la barre et vu les pièces versées en leurs dossiers.
• Sur la compétence juridictionnelle :
La C.C.I.C fait plaider l'incompétence de la juridiction de céans.

DMF 669 343 Avril 2006


JURISPRUDENCE FRANÇAISE

Elle considère au premier chef que le contrat dont elle dispose est un contrat de
concession d'outillage public et, qu'ainsi, elle ne serait pas investie du service public
à caractère industriel et commercial d'exploitation du port de Calais,
Pour autant, comme il est indiqué à l'article 1er de ce contrat et comme d'ailleurs,
la C.C.I l'indique elle-même dans ses écritures « la présente concession a pour objet
l'exploitation de l'outillage public » qui comprend les rampes d'accès, objet du
litige.
La C.C.I assurait donc bien l'exploitation de l'outillage et non seulement leur
entretien.
Cette évidence ne constitue nullement une quelconque interprétation du contrat
liant la C.C.I à l'Etat comme le soutient la C.C.I.C.
Le demandeur fait état de ce que les personnes publiques, exerçant une mission à
caractère industriel et commercial, entretiennent des relations de droit privé avec les
usagers de ce service public public (CE 15 mai 2000).
Ainsi, les litiges individuels nés des rapports entre un service public industriel et
commercial et ses usagers relèvent de la compétence des juridictions judiciaires
(T. Conflits 24 mai 2004) – ceci restant valable, même en présence de travaux
publics ou d'un ouvrage public (T.Conflits 24 juin 1954).
Le demandeur s'appuie sur un arrêt du 23 mars 2000 de la Cour d'appel de Rouen
qui, dans un cas similaire, a considéré que « la société concessionnaire, prise dans
son activité d'exploitation de l'outillage public du port assure une mission de servi-
ce public de nature industrielle et commerciale » et ainsi « que les actions relatives
à la réparation des dommages causés aux usagers d'un service public industriel et
commercial par l'interruption ou les perturbations du service, intéressent nécessai-
rement, eu égard à leur objet, les rapports entre le service et ses usagers pris en
cette qualité ; qu'elles relèvent par suite, quelle que soit la cause des perturbations,
de la compétence des tribunaux de l'ordre judiciaire ».
Cet arrêt a été confirmé par la Cour de cassation, le 7 janvier 2003.
Pour s'opposer à cette jurisprudence, la C.C.I.C. invoque la qualité de port d'inté-
rêt national pour le port de Calais qui resterait ainsi sous l'exploitation directe de
l'Etat.
Force est cependant de constater que la qualité de port d'intérêt national n'interdit
pas la concession d'exploitation des outillages portuaires et que la jurisprudence
consacre le fait que, quel que soit le statut du port, l'exploitation des outillages
publics relève d'un service public industriel et commercial (Cass. Civ.
7 décembre 1954).
Un arrêt de la Cour de Cassation du 1er octobre 1985 au sujet d'un sinistre, inter-
venu au port de La Rochelle, lui-même port d'intérêt national, a d'ailleurs tranché
dans ce sens.
Considérant que « les liens existant entre les services publics, industriels et com-
merciaux et leurs usagers sont des liens de droit privé et que la qualité d'usager n'est
pas subordonnée à l'existence d'un contrat mais doit être reconnue à celui qui béné-
ficie des prestations du service en cause ».

DMF 669 344 Avril 2006


PORTS - LITTORAL - PLAISANCE

La C.C.I.C. considère qu'en l'espèce, il s'agit d'une action en réparation formée par
l'usager d'un ouvrage public et non de l'usager d'un service public industriel et com-
mercial et s'appuie sur une jurisprudence du Tribunal des Conflits du 15 mars 1999.
Cependant, cette décision concernait une passagère en attente d'embarquement et
qui, ainsi, utilisait des installations ayant le caractère d'ouvrage public mais n'était
pas elle-même usager d'un service public à caractère industriel et commercial.
La situation est tout à fait différente vis-à-vis de la demanderesse.
Ce n'est pas un passager de la compagnie de navigation qui intente une action mais
bien la compagnie elle-même à qui on ne saurait nier la qualité d'usager du service
public industriel et commercial.
En effet, la compagnie bénéficie bien des prestations du service pour lequel elle
verse des taxes. La jurisprudence PRISTUPA c/ aéroports de Paris de la C.C.I n'est
donc pas applicable en l'espèce.
Il convient donc de considérer que la compagnie de navigation a bien la qualité
d'usager d'un service public à caractère industriel et commercial et qu'en consé-
quence, le litige est donc de la compétence des juridictions judiciaires.
Il y a donc lieu de nous dire compétent pour connaître du présent litige. (...)
Par ces motifs :
(...) Recevant la C.C.I.C. en son exception d'incompétence, la disons mal fondée
et nous déclarons compétent (...) ;
Ordonnance aimablement communiquée par Me H. de Richemont.
Observations – L'effondrement d'une passerelle de transbordement au port de
Calais lors du passage de camions a entraîné des perturbations importantes dans
l'exploitation du trafic trans-manche à partir ou à destination de ce port.
La compagnie SEAFRANCE qui est l'un des armateurs qui assurent une liaison
régulière entre le port de Calais et celui de Douvres (Royaume-Uni) estime avoir subi
un préjudice important à la suite de cet accident, en raison de la réduction de son
activité durant plusieurs mois. D'autres solutions étaient offertes à la clientèle par des
compagnies concurrentes à partir d'autres ports français ou belges, ou par le tunnel
sous la Manche. Il est vraisemblable que la société requérante a subi une réduction
d'activité, encore qu'une modification de l'organisation du service à
partir des autres postes d'accostage disponibles a pu limiter l'étendue du préjudice
réellement subi.
Si la demande d'expertise semble fondée en son principe, encore faut-il s'interro-
ger sur la compétence du tribunal et sur le contenu de la mission de l'expert.
I. - La compétence du tribunal de commerce
La chambre de commerce et d'industrie de Calais a tenté d'échapper à la compé-
tence de la juridiction consulaire en suggérant de faire une distinction entre
l'usage du service public et de l'ouvrage public. Une telle stratégie était vouée à
l'échec tant les deux aspects de cet usage sont indissociables. Pourtant, le moyen de
défense n'était pas totalement dépourvu de pertinence car il résulte de la jurispru-

DMF 669 345 Avril 2006


JURISPRUDENCE FRANÇAISE

dence que le droit d'accoster à un quai relève du service public administratif (1), tandis
que l'exploitation d'un outillage public constitue une mission de service public à
caractère industriel et commercial (2). Une passerelle de transbordement constitue
un outillage public dont l'usage donne lieu au paiement d'une redevance, laquelle est
juridiquement distincte des droits de port.
En l'espèce, ce n'est pas l'impossibilité d'accoster les navires qui était en cause,
mais l'indisponibilité de la passerelle. Les juridictions judiciaires étaient donc compé-
tentes pour statuer sur l'étendue du préjudice résultant de la défaillance de l'offre de
service.
La juridiction consulaire avait-elle vocation à être choisie par préférence au
Tribunal de Grande Instance ? C'est à bon droit que le juge des référés du Tribunal
de commerce de Calais a renvoyé la cause devant une juridiction de même nature
en raison du mode d'élection des juges consulaires. En revanche, tout défendeur
peut récuser la compétence du tribunal de commerce s'il ne participe pas à l'élection
de ses membres (3), comme c'est le cas pour un port autonome qui n'est pas mem-
bre de la chambre de commerce et d'industrie, car le procès serait inéquitable au
sens de l’article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales.
La procédure de référé connaît quant à elle des limites car le juge ne pouvant pas
se prononcer sur le fond, il n'est pas en mesure de soulever une question préjudi-
cielle, car l'urgence à statuer ne le permet pas en pratique, mais surtout sa formula-
tion est susceptible de préjudicier au principal.
II. - L'expertise sur les causes et le contenu du préjudice
Aux divers points de la mission ordonnée à l'expert, il y a lieu de relever qu'aucu-
ne limite dans le temps n'est envisagée pour l'estimation du préjudice allégué par la
société Seafrance, alors qu’il s’agit d’un élément d’appréciation déterminant, eu
égard à la nature des rapports de droit qui existent entre l’exploitant de l’outillage
public et les usagers.
Il faut se poser la question de savoir si la mise à disposition des usagers d'une pas-
serelle de transbordement relève d'une mission de service public obligatoire ?
Aucun texte n'impose à une autorité portuaire l'obligation de posséder un tel équi-
pement. En outre, il n'existe en principe aucune convention écrite avec les armateurs
pour l'utilisation de l'ouvrage. Si des priorités d'accostage peuvent être envisagées
en raison de la spécificité du trafic ou des navires, la caractéristique de l'outillage
public est d'être mis à la disposition de tous les usagers du port qui en font la deman-
de. Toutefois, l'indisponibilité d'un ouvrage peut résulter de circonstances qui ne sont
pas nécessairement imputables à son gestionnaire, comme les mauvaises condi-

(1) Trib. Confl. 11 décembre 1972 – Spathis c/ Port autonome de Bordeaux – JCP 1974 – II – G – 17669 note
F. Moderne, DMF 1973 o. 269 note J.-M. Auby.
(2) Cass. 1ère ch civ 7 décembre 1954 – C.C.I de Boulogne-sur-mer – Bull. Civ. I n° 353 p. 295, AJDA 1955 –
II – p. 164 ; CE 25 mai 1960 – C.C.I de La rochelle – Rec. p. 356 ; CE 15 décembre 1967 – Level – AJDA
1968 – II – p. 230 concl. G. Braibant ; CE 5 avril 1978 – Sté X... Rec. p. 176 ; CE 24 juillet 1987 – société
Carfos – Rec. p. 274.
(3) « Les établissements publics mixtes et la compétence des tribunaux de commerce » R. Rézenthel – Gaz.
Pal 24 – 25 octobre 1990 p. 16.

DMF 669 346 Avril 2006


PORTS - LITTORAL - PLAISANCE

tions météorologiques, la destruction de la passerelle par un navire, la grève du per-


sonnel chargé de son exploitation... Les opérations de maintenance impliquent éga-
lement la mise hors service temporaire de l'ouvrage. On observera que les arrêts
techniques décidés par les armateurs pour le carénage ou la réparation de leurs
navires ne donnent pas lieu à indemnisation au profit du gestionnaire de l'outillage
public qui subit cependant une perte d'exploitation.
La société Seafrance peut-elle prétendre au maintien du niveau de son trafic
pendant la période de réparation de la passerelle ? Pour l'admettre, il conviendrait de
considérer qu'il existe un contrat verbal (4) entre la chambre de commerce
et d'industrie concessionnaire de l'outillage public et l'armateur. C'est une hypothèse
qui a été admise pour l'occupation d'un hangar portuaire, dont l'occupant n'avait
jamais renvoyé le contrat signé (5). Pour l'utilisation régulière des passerelles de trans-
bordement, il y a en pratique une concertation entre l'exploitant et les armateurs. Ces
derniers sur le fondement des résultats des négociations peuvent programmer les
escales de leurs navires et en informer leur clientèle. Outre la convention verbale, la
jurisprudence judiciaire reconnaît le contrat tacite (6) dont l’existence se déduit
du comportement des parties. L’affectation d’un poste d’accostage spécifique à des
navires assurant une ligne maritime régulière, et la prise en compte des caractéris-
tiques techniques de ces navires lors de la conception de la passerelle, constituent
des indices en faveur d’un contrat tacite. Cependant, les tarifs d’usage de la passe-
relle sont fixés réglementairement, et cette circonstance compromet la reconnais-
sance d’un rapport contractuel.
Quoiqu’il en soit, le juge judiciaire sera conduit à procéder à une estimation du pré-
judice à l'instar du juge administratif pour les dommages de travaux publics (7), c’est-
à-dire en prenant en compte la durée de l’indisponibilité de la passerelle, déduction
faite des périodes de relâche des navires pour les opérations de maintenance et cel-
les durant lesquelles se sont déroulés des conflits sociaux.
Conclusion
En raison de la spécificité des relations entre le gestionnaire des ouvrages et
outillages publics portuaires et les usagers, la procédure de référé s’avère inadaptée
pour fixer la mission de l’expert, car elle est susceptible sur certains aspects de
préjudicier au principal. Pour éviter cet écueil, le juge doit se borner à ne prescrire
que des mesures réellement justifiées par l’urgence.
Robert REZENTHEL
Docteur en droit

(4) Pour la Cour de Cassation, le contrat verbail est « ambigü par nature » (Cass. Com 5 décembre 1984 –
M. Pradler c/ société Seresef – pourvoi n° 83-14253, Bull. Civ. IV n° 332.
(5) TGI Dunkerque 28 septembre.2005 – société Cell c/ Port autonome de Dunkerque – req. n° 04/713. On
notera cependant que la jurisprudence administrative n’admet pas que l’occupation du domaine public puis-
se donner lieu à la conclusion d’un contrat tacite (CE 21 mars 2003 – syndicat intercommunal de la périphé-
rie de Paris pour l’électricité et les réseaux (SIPPEREC) – req. n° 189191).
(6) Cass. 3ème ch civ. 11 octobre 1989 – R. Chardel – pourvoi n° 88-12206 ; Cass. 1ère ch civ. 18 mars 2003 –
M. X… c/ Crédit du Nord – pourvoi n° 01-00928 ; Cass. 1ère ch civ. 11 juin 1996 – M. Gérard de Vallée – pour-
voi n° 94-15779.
(7) CE 8 mars 1991 – société Usinor c/ port autonome de Dunkerque – JCP 1991 – II – G – 21706 p. 265.

DMF 669 347 Avril 2006


JURISPRUDENCE FRANÇAISE

COUR D'APPEL DE ROUEN (2ème ch civ)


26 janvier 2006

OUTILLAGE PUBLIC – COMPÉTENCE JURIDICTIONNELLE


Dommages occasionnés par un portique. Service public industriel et com-
mercial. Compétence judiciaire (oui).
Le litige se rapportant aux dommages occasionnés par un portique en cours de
déplacement vers son point de stationnement relève de la compétence des juridi
ctions judiciaires. L’affréteur conserve la qualité d’usager même après l’achèvement
des opérations de manutention.
PORT AUTONOME DE ROUEN c/ GROUPAMA TRANSPORT et autres
ARRET (extrait)
« LA COUR,
Le 12 juillet 1994, lors de son escale au port de Rouen, après la fin du décharge-
ment, le navire San Marino, affrété par la société Ivatrans Rederi a été endommagé
par le portique du port autonome de Rouen (ci-après PAR).
Par acte d'huissier en date du 12 juillet 2004, la société Groupama transports et
autres sociétés d'assurance (ci-après les assureurs) ont assigné le PAR en déclaration
de responsabilité et réparation du préjudice matériel.
Le PAR a invoqué l'incompétence du tribunal de commerce au profit du tribunal
administratif.
Par jugement rendu le 4 avril 2005, le Tribunal de commerce de Rouen :
– s'est déclaré compétent pour connaître du litige,
– a mis en demeure le PAR de conclure sur le fond dans un délai de 30 jours à
compter de la date du jugement,
– a renvoyé l'affaire à la conférence de mise en état du 10 mai 2005,
– a réservé les dépens.
Le PAR a interjeté appel de cette décision (...).
Sur ce, la Cour,
Attendu que, pour conclure à l'incompétence des juridictions de l'ordre judiciaire,
le PAR soutient que, si l'exploitation de l'outillage public peut relever de l'aspect
industriel et commercial, il ne peut en être ainsi lorsque, comme en l'espèce, l'acci-
dent est survenu hors de l'exploitation de cet outillage, les opérations commerciales
étant terminées ; qu'il prétend que, dans le cadre de ses prérogatives liées à la ges-
tion du domaine public, il lui appartenait de replier le portique à un emplacement tel
qu'il libérerait le poste à quai de tout obstacle, permettant ainsi au navire San Marino
de déhaler en toute sécurité et au prochain navire devant accoster à ce poste de faire
sa manoeuvre sans encombre ; que le PAR en déduit que le déplacement du portique
lors de l'accident participait exclusivement tout à la fois à la gestion du domaine

DMF 669 348 Avril 2006


PORTS - LITTORAL - PLAISANCE

public et de ses pouvoirs de police, activités relevant de la compétence de la juri-


diction administrative ;
Attendu, cependant, que le navire San Marino étant venu s'amarrer au quai du port
autonome de Rouen en vue de son déchargement, l'accident a été causé par le por-
tique à l'aide duquel il venait d'y être procédé, lors du repli de l'engin pour rejoin-
dre son lieu de stationnement ;
Qu'ainsi, l'accident s'est produit à l'occasion de la fourniture des prestations par le
PAR à l'usager ;
Attendu, dès lors, que le PAR se trouvait dans l'exercice de sa mission de service
public industriel et commercial et la société Ivatrans Rederi avait la qualité d'usa-
ger de ce service et les liens existants entre eux étaient des liens de droit privé ;
Qu'il s'en suit que le litige tendant à la réparation des dommages causés au navire
ressortit à la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire.
Que le jugement sera confirmé ; ... ».
Prés. : Mme Bignon, Av. : Me Dubosc (appelante), Me Godin (intimées).
Arrêt aimablement communiqué par Me Godin.
Observations - Le Code des ports maritimes se borne à déterminer la procédure
d'instruction administrative intéressant l’exploitation des outillages publics, sans défi-
nir cette notion.
A la suite de dommages occasionnés à un navire provoqués par le déplacement
d'un portique lors de son repli pour rejoindre son aire de stationnement, la Cour d'ap-
pel de Rouen devait se prononcer sur la compétence juridictionnelle se rapportant au
litige entre les assureurs de l'affréteur et le port autonome gestionnaire de l'engin.
En l'espèce, la compétence du tribunal de commerce était contestée par l'établis-
sement public portuaire qui revendiquait l'examen de la requête par le tribunal admi-
nistratif.
S'il est incontestable que l'exploitation de l'outillage public constitue une mission de
service public à caractère industriel et commercial, dont les litiges avec les usagers
sont tranchés par les juridictions judiciaires, en l'espèce, c'est la qualité d'usager qui
était contestée. En effet, l'accident s'est produit alors que les opérations de manu-
tention étaient achevées.
L'affréteur du navire était-il devenu un « tiers » par rapport au portique ? Dans cette
hypothèse la juridiction administrative serait compétente pour statuer. Pour répondre
à l’interrogation, il convient d'abord de se reporter aux conditions d'usage des outilla-
ges publics. Cependant, la conduite sur le site et le repli du matériel vers le lieu de
stationnement sont des opérations qui ne sont pas toujours mentionnées comme fai-
sant partie de la période de mise à disposition. Mais en pratique, il est d'usage de
considérer que c'est le cas.
Lors de la chute de l'avant-bec d'un portique survenue au moment du repli de cet
élément au cours d'une forte tempête, et qui a endommagé un navire, le Tribunal des
conflits a estimé (1) que la manoeuvre avait été ordonnée par un agent du port auto-

DMF 669 349 Avril 2006


JURISPRUDENCE FRANÇAISE

nome gestionnaire de l'engin et qu'en conséquence le litige portant sur la mise en


cause de la responsabilité de l'établissement public portuaire relevait de la compé-
tence de la juridiction judiciaire puisque le propriétaire du navire devait être considé-
ré comme usager. Cette qualité est donc indépendante de l'existence d'une relation
contractuelle.
La Cour d'appel de Rouen a pu considérer que le portique avait été utilisé pour la
manutention de la cargaison du navire, et que l'opération de repli du matériel était
indissociable de la mise à disposition.
Le débat aurait pu être clos rapidement, car le portique constitue un véhicule (2)
appartenant au port autonome, personne de droit public, or, il résulte de la loi n° 57-
1424 du 31 décembre 1957 que les litiges concernant les dommages occasionnés
par un véhicule appartenant à une personne de droit public relèvent de la compé-
tence des juridictions judiciaires et donnent lieu à l’application du droit de la respon-
sabilité civile.
En l’espèce, seule la compétence du tribunal de commerce pouvait être contestée
(3) au profit du tribunal de grande instance. En effet, un port autonome n’a pas la
qualité de commerçant et ne participe pas à l’élection des juges consulaires, dès lors,
le procès pouvait être inéquitable. C’est ce qu’a jugé la Cour d’appel de Douai (4) en
considérant que : « sans aucun doute les ports autonomes accomplissent des actes
de commerce, mais qu’il ne s’agit pas de leur activité exclusive, qu’ils n’ont pas le
statut de commerçant et qu’ils n’en subissent pas dans le domaine des procédures
civiles toutes les obligations et les contraintes ; que leur comptabilité est publique ;
qu’ils ne participent pas aux élections de l’institution des tribunaux de commerce ;
que s’ils peuvent attraire devant ces juridictions à raison des actes commerciaux
auxquels ils ont part, ils n’en gardent pas moins, attraits à leur tour, la faculté de pré-
tendre à ne l’être que devant la juridiction de droit commun ».

Robert REZENTHEL

(1) Trib. Confl. 12 janvier 1987, société navale des chargeurs Delmas-Vieljeux c/ port autonome de
Dunkerque, req. n° 2449, D. 1987, J., p. 707 note R. Rézenthel.
(2) Il a été jugé qu’un pont roulant se déplaçant sur des rails et alimenté par le réseau électrique constitue
un véhicule (Cass. 1ère ch civ. 15 avril 1974, AINF et Port autonome de Dunkerque, arrêt n° 248).
(3) « Les établissements publics mixtes et la compétence des tribunaux de commerce » R. Rézenthel,
Gaz.Pal. 24 – 25 octobre 1990 p. 16.
(4) CA Douai 2ème ch civ. 27 juin 1991, Port autonome de Dunkerque c/ SA Golden Falcon Marinera, req.
n° 1681/91.

DMF 669 350 Avril 2006


REGARDS SUR LA JURISPRUDENCE

COUR DE CASSATION (2ème civ.)


3 février 2005

NAVIRE DE PLAISANCE
Navire de plaisance. Démâtage. Barreur. Responsabilité à l’égard du proprié-
taire. Faute. Preuve. Nécessité.
Ne donne pas de base légale à sa décision la cour d’appel qui condamne le bar-
reur d’un catamaran à indemniser le propriétaire à la suite de dommages survenus
au navire lors d’une sortie en mer, sans caractériser en quoi ledit barreur avait com-
mis une faute.
M. Y. c/ M. X.
ARRET
« LA COUR,
Sur le moyen unique : Vu l'article 1382 du Code civil ;
Attendu, selon le jugement attaqué, rendu en dernier ressort, qu'au cours d'une sortie
en mer, un catamaran appartenant à M. X... et barré par M. Y... a été endommagé
à la suite d'un démâtage et du remorquage qui s'en est suivi ; que M. X... a assigné
M. Y... devant le tribunal d'instance, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil,
en réparation de son préjudice ;
Attendu que pour condamner M. Y... à payer une certaine somme à titre de dom-
mages-intérêts, le jugement se borne à relever que ce dernier était à la barre lorsque
le bateau a démâté, qu'il a retiré la voile qui a coulé, qu'au cours du remorquage, les
coques se sont désolidarisées et ont cassé ainsi que les fixations ;
Qu'en se déterminant ainsi, sans caractériser en quoi M. Y... avait commis une
faute, le Tribunal n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, le jugement rendu le
21 mars 2003, entre les parties, par le Tribunal d'instance de Nantes ; remet, en
conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit juge-
ment et, pour être fait droit, les renvoie devant le Tribunal d'instance de Paimboeuf ;
Condamne M. X... aux dépens ; ... »
Prés. : M. Dintilhac ; Rapp. : M. Grignon ; Av. : SCP Célice, Blancpain et Soltner (M. Y.),
Me Olivier de Nero (M. Dubigeon).

DMF 669 351 Avril 2006


JURISPRUDENCE FRANÇAISE

Observations - Quelle responsabilité pour le barreur ?


On imagine aisément la scène (au-delà de ce que borne à dire trop laconiquement
l’arrêt) : M. X. laisse son catamaran à l’un de ses amis, M. Y., pour un tour en mer. M.
Y. embarque deux autres personnes, la brise est bonne, mais rapidement le vent for-
cit et le bateau démâte. La voile, aussitôt retirée, coule. Le navire est remorqué mais
les coques se désolidarisent et se cassent. Quelle suite de malchances ! Les assu-
rances ne sont sans doute pas à la hauteur et les ennuis s’enchaînent, car il faut
bien, tôt ou tard, démêler les responsabilités. Pour condamner le barreur à réparer le
préjudice subi par le propriétaire, les premiers juges observent, sans autre précision,
que c’est bien lui qui était à la barre lorsque le navire a démâté. Leur décision est très
exactement censurée au visa de l’article 1382 du Code civil : encore fallait-il carac-
tériser la faute de M. Y. Etre à la barre n’est pas en soi une faute. Dieu merci, osera-
t-on ajouter !
On se demandera cependant si l’affaire n’appelait pas une autre issue. N’était-on
pas dans une relation contractuelle et plus précisément de prêt à usage ? M. Y. n’é-
tait-il pas alors tenu d’une obligation d’une conservation lui imposant de répondre
des dommages causés à la chose, sauf pour lui à établir sa « non-faute » (C. civ. art.
1880) ?
Il reste que les relations sociales ne méritent peut-être pas d’être contractualisées
et se trouver ainsi enchâssées de règles précises et rigoureuses. La complaisance
et le droit ne font pas bon ménage.
Philippe DELEBECQUE

DMF 669 352 Avril 2006


SOMMAIRES

COUR DE CASSATION (Ch. civ. 1ère)


21 juin 2005

NAVIRE DE PLAISANCE
Plaisance. Navire. Contrat de gestion. Responsabilité. Règles du mandat.
Principe du contradictoire. Respect. Nécessité.
M. N. qui avait acquis un voilier par l’entremise de M. R., exerçant une activité
commerciale sous l’enseigne Monaco Yachting a, selon acte sous seing privé du
8 mars 1991 conclu avec M. R. une convention de gestion stipulant notamment que
celui-ci prend en gestion le voilier afin d’en effectuer l’entretien et les transformations
en vue de rentabiliser cette unité en location charter » et « s’engage à l’entretenir
dans les règles de l’art et (à) en assumer la garde en bon père de famille ». Après
que, le 3 mai 1991, le voilier qui était à quai, eut été endommagé par une importan-
te voie d’eau (due à la corrosion par l’eau de mer de la tige d’un filtre), M. N., pré-
tendant que ces dommages trouvaient leur origine dans des fautes commises par M.
R. dans l’exécution de la convention qui les liait, a assigné celui-ci et son assureur
en réparation des dommages.
Pour rejeter cette demande, la cour d’appel a estimé qu’aucune faute ne pouvait
être imputée à M. R. après avoir retenu qu’il y avait lieu de faire application de l’arti-
cle 1992, al. 2, du Code civil selon lequel la responsabilité relative aux fautes est
appliquée moins rigoureusement à celui dont le mandat est gratuit qu’à celui qui
reçoit un salaire.
En fondant sa décision sur ce moyen qu’aucune des parties n’avait invoqué, sans
inviter au préalable celles-ci à présenter leurs observations à cet égard, la cour
d’appel a méconnu, les exigences de l’article 16 NCPC.
M. NICLAUS c/ MMA et autres. Pourvoi n° P 03-13.387
Obs. Le premier intérêt de l’arrêt rapporté est de rappeler les exigences
du contradictoire. Ce principe essentiel dans toute procédure, judiciaire comme arbi-
trale, s’impose non seulement aux parties, mais aussi à ceux qui ont la charge de
trancher les prétentions.
Le second est de dévoiler l’existence d’un contrat de gestion portant sur un navire
de plaisance, contrat qui aurait, sauf à être « sui generis », la nature d’un mandat et
non d’un simple dépôt (plus généralement, v. P. F. Cuif, Le contrat de gestion, PU
Paris-I, 2001).

DMF 669 353 Avril 2006


JURISPRUDENCE FRANÇAISE

Quant au caractère gratuit des services rendus, tout reste hypothétique. On relè-
vera cependant que dans le pourvoi, ce point était discuté : il faut dire que le naufra-
ge du navire était survenu avant l’(éventuelle) détermination de la rémunération du
gestionnaire.

COUR D’APPEL DE PARIS (25ème Ch. B.)


30 janvier 2004

NAVIRE DE PLAISANCE
Plaisance. Navire. Dépôt. Responsabilité. Obligation de moyens renforcée.
En application de l’article 1928 du Code civil qui prévoit que la disposition de l’ar-
ticle précédent doit être appliquée avec plus de rigueur si le dépositaire s’est offert
lui-même pour recevoir le dépôt, l’obligation de moyens pesant sur la société
P. Yachting était renforcée, dès lors qu’elle avait pris attache auprès du propriétaire
pour organiser la vente de son navire.
La responsabilité de cette société est ainsi engagée, dès lors que celle-ci ne rap-
porte pas la preuve que la disparition des éléments d’équipement et les dégradations
constatées lors de la remise du navire au créancier du propriétaire, qui n’existaient
pas lors de la conclusion du mandat de vente « ne sont pas imputables à sa faute ».
M. HENU c/ Sté ID TEC
Obs. La solution ici retenue est, dans notre opinion, parfaitement fondée : la
responsabilité d’un dépositaire – rémunéré et investi, comme en l’espèce, d’un man-
dat de vente – s’apprécie en termes d’obligation de moyens renforcée. Autrement dit,
le dépositaire est, en cas de dommages survenus à la chose confiée, – responsable
de plein droit, à charge pour lui de s’exonérer en prouvant qu’il n’a commis aucune
faute.
On ajoutera que le navire en cause avait été vendu aux enchères pour une somme
de 140 000 F., alors que la cote du navire était de 190 000 F. Jugé que le préjudice
subi par le déposant correspondait non à la valeur des équipements ayant disparu,
mais à la perte d’une chance de voir adjuger le navire à un montant supérieur à celui
obtenu, soit à la somme de 140 000 F.
Philippe DELEBECQUE

DMF 669 354 Avril 2006


APERÇU DE LA JURISPRUDENCE COMMUNAUTAIRE

Au 2ème semestre 2005

Par
Michel MORIN
Docteur en droit
Administrateur à la Commission européenne (1)

TRANSPORT MARITIME
Interdiction des ententes. Pouvoir souverain d’appréciation du Tribunal
de Première Instance. Affaire C-112/04P, ordonnance de la Cour du
15 septembre 2005, Marlines SA, Affaire C-121/04P, ordonnance de la Cour
du 15 septembre 2005, Minoan Lines SA.
La Cour a rejeté les pourvois introduits par Marlines et Minoan Lines contre les
arrêts du TPI du 11 décembre 2003 qui avaient confirmé les décisions de la
Commission constatant que sept compagnies maritimes s’étaient accordées sur les
prix pratiqués par les transbordeurs entre la Grèce et l’Italie en leur infligeant des
amendes (DMF 2004. 483).
Dans les deux affaires, la Cour a considéré que les requérants ont tenté de faire
réexaminer des faits qui avaient été appréciés souverainement par le TPI sans établir
que ces faits avaient été dénaturés. Par conséquent, les pourvois sont rejetés.

Suivi du trafic des navires. Manquement d’Etat membre. Affaires C-88/05


et C-144/05, arrêts de la Cour du 15 décembre 2005, Commission c/ Finlande et
Commission c/ Belgique.
La directive 2002/59 du Parlement européen et du Conseil est relative à la mise en
place d’un système communautaire de suivi du trafic des navires. La transposition
devait être effective au plus tard le 5 février 2004.
La Cour a constaté le manquement de la Finlande et de la Belgique pour ne pas
avoir adopté les dispositions nécessaires à cette transposition à l’échéance fixée dans
l’avis motivé notifié par la Commission à ces deux Etats conformément à l’article
226 du traité CE.
(1) Les propos tenus dans cette chronique sont indépendants des fonctions exercées à la Commission européenne.

DMF 669 355 Avril 2006


APERÇU DE LA JURISPRUDENCE COMMUNAUTAIRE

Chargement et déchargement des vraquiers. Manquement d’Etat membre.


Affaire C-429/04, arrêt de la Cour du 6 octobre 2005, Commission c/ Belgique.
La directive 2001/96 du Parlement européen et du Conseil a établi des exigences
et des procédures harmonisées pour le chargement et le déchargement des vraquiers.
La transposition devait être effective au plus tard le 5 août 2003.
La Cour a constaté le manquement de la Belgique pour n’avoir pas adopté les
dispositions nécessaires à cette transposition à l’échéance fixée dans l’avis motivé
notifié par la Commission. En raison de l’organisation fédérale de la Belgique, le fait
qu’elle soit transposée seulement au niveau de l’Etat fédéral n’était pas suffisant
pour que cette transposition fût effective ; elle devait aussi l’être au niveau des trois
régions belges (Flandres, Waallonie et Bruxelles-Capitale).

Directive 77/388. Lieu d’imposition à la TVA. Livraison de biens sur un


navire de croisière. Escale dans un pays tiers. Affaire C-58/04, arrêt du
15 septembre 2005, Antje Köhler c/ Finanzamt Dusseldorf-Nord.
Mme Köhler tenait une boutique sur un navire effectuant des croisières compor-
tant de courtes escales en dehors de la Communauté. Etant donné qu’il n’y avait pas
possibilité de débarquer ou d’embarquer de manière définitive au cours de ces esca-
les, l’administration fiscale allemande considérait que ces escales n’étaient pas des
escales au sens de l’article 8, § 1, c), de la directive 77/388 sur la TVA et que
Mme Köhler était redevable de la TVA.
En se basant sur l’économie et la finalité de l’article 8, § 1, c), la Cour a répondu
à la question préjudicielle posée en indiquant que « Les arrêts effectués par bateau
dans des ports de pays tiers, au cours desquels les voyageurs peuvent quitter le
bateau, même pour une courte période, constituent des escales en dehors de la
Communauté… ».

Conduite des marchandises en douane. Débiteur de la dette. Affaire


C 140/04, arrêt du 15 septembre 2005, United Antwerp Maritime Agencies NV
(Unamar) c/ Belgische Staat et Seaport Terminals NV c/ Belgische Staat,
Unamar.
Unamar avait fait au bureau des douanes d’Anvers une déclaration sommaire pour
un lot de cigarettes en tant que marchandise non communautaire, conformément à
l’article 43 du code des douanes communautaire. Seaport Terminals a déchargé le
conteneur contenant le lot en question et ce conteneur a été volé.
Les douanes belges en ont déduit que le conteneur avait été introduit irrégulière-
ment sur le territoire douanier de la Communauté et qu’une dette douanière à l’im-
portation était née. Cette administration a établi et délivré une contrainte de
785 555 euros à l’encontre, respectivement, de Unamar et Seaport Terminals.
Ceux-ci ont fait opposition. Leurs demandes ont été rejetées et ils ont interjeté appel.
La Cour d’appel d’Anvers a fait un renvoi préjudiciel.

DMF 669 356 Avril 2006


APERÇU DE LA JURISPRUDENCE COMMUNAUTAIRE

En se référant à divers articles du code des douanes communautaire (notamment,


articles 38, 40, 50 et 203), la Cour constate qu’en l’espèce une dette douanière est
née. C’est la personne détenant la marchandise au moment de sa soustraction à la
surveillance douanière qui est débitrice de cette dette. Par conséquent, après déchar-
gement, c’est la personne qui détient celle-ci pour en assurer le déplacement ou le
stockage.

NAVIRES DE PLAISANCE
Notification de normes techniques (directive 98/34). Manquement d’Etat
membre. Affaire C-500/03, arrêt de la Cour du 8 septembre 2005, Commission
c/ Portugal.
La directive 94/25 a défini des règles relatives au rapprochement des dispositions des
Etats membres relatives aux navires de plaisance. Les Etats membres ont la possibilité
d’adopter des dispositions complémentaires afin de protéger l’environnement et la
configuration des voies navigables et afin d’assurer la sécurité sur celles-ci.
Le Portugal a adopté en 1998 un arrêté ministériel réglementant la navigation sur
les lagunes des eaux intérieures (à l’exception des eaux du Douro) qui restreint la
navigation aux navires de 7 m au plus de longueur, de hauteur maximale 6,5 m et de
puissance maximale 149,7 CV.
La Cour considère que cet arrêté constitue une norme technique au sens de la
directive 98/34 du 22 juin 1998 (modifiée par la directive 98/48 du 20 juillet 1998)
prévoyant une procédure d’information préalable à la Commission de tout projet de
règle technique. Cette information préalable n’ayant pas été faite, la Cour a constaté
le manquement du Portugal.

CONSTRUCTION NAVALE
Aides d’Etat. Obligation de notification préalable. Affaire C-71/04, arrêt de la
Cour du 21 juillet 2005, Administracion del Estado c/ Xunta de Galicia.
La Communauté autonome de Galice avait adopté, en 1994, un décret relatif aux
aides à la construction navale pour les navires ne pouvant pas bénéficier d’aides dans
le cadre de la directive du Conseil 90/684 qui s’appliquait à la construction de navi-
res d’au moins 100 tjb ou à la transformation de navires d’au moins 1 000 tjb.
L’administration de l’Etat espagnol a demandé l’annulation de ce décret au
Tribunal superior de justicia de Galicia. Celui-ci a considéré que la directive 90/684
suggérait que les aides à la construction navale autres que celles prévues par celle-ci
n’étaient pas soumises à l’obligation de notification préalable à la Commission, tel
que cela est prévu à l’article 88 du traité CE. Le Tribunal Supremo d’Espagne a
ensuite saisi la Cour d’une question préjudicielle.

DMF 669 357 Avril 2006


APERÇU DE LA JURISPRUDENCE COMMUNAUTAIRE

La Cour a constaté que cette directive ne dispensait nullement l’Espagne de la


notification préalable de ce régime d’aide à la Commission s’il était établi qu’il
générait des aides d’Etat au sens de l’article 87 du traité CE. Cette directive ne com-
prenait nulle disposition en ce sens ; d’ailleurs, elle était fondée sur l’article 87 du
traité et non sur l’article 89 autorisant le Conseil à dispenser certaines catégories
d’aide de la dite notification.
La Cour a conclu en indiquant qu’ « il appartient à la juridiction nationale d’en
tirer toutes les conséquences, …, conformément à son droit national, tant en ce qui
concerne la validité des actes comportant mise à exécution des mesures d’aide, que
le recouvrement des soutiens financiers accordés au mépris de cette disposition ».

PECHE
Inexécution d’un arrêt de la Cour. Paiement d’une somme forfaitaire ou (ou
‘et’) d’une astreinte. Contrôle des activités de pêche. Affaire C-304/02, arrêt de
la Cour du 12 juillet 2005, Commission c/ France.
Dans un arrêt du 11 juin 1991 (affaire C-64/88), la Cour avait constaté que la
France avait manqué à ses obligations en matière de contrôle des activités de pêche.
Après plusieurs années de discussion avec la France, la Commission a estimé que
celle-ci était toujours en infraction pour le contrôle du respect des tailles minimales
des produits vendus et pour la poursuite des infractions. La Commission a alors
introduit un recours devant la Cour sur la base de l’article 228 du traité CE afin de
constater que la France n’avait pas pris toutes les mesures pour exécuter l’arrêt de
1991, en proposant une astreinte journalière de 316 500 euros.
Cet article 228 prévoit que « Si la Cour de justice reconnaît que l’Etat membre
concerné ne s’est pas conformé à son arrêt, elle peut lui infliger le paiement d’une
somme forfaitaire ou d’une amende ». C’est la troisième fois que la Cour a été ame-
née à se prononcer en matière de sanction pécuniaire pour inexécution d’un arrêt de
la Cour. Les deux fois précédentes l’ont été pour les affaires C-387/97, Grèce, arrêt
du 4 juillet 2000, DMF 2001. 368 et C-278/01, Espagne, arrêt du 25 novem-
bre 2003, DMF 2004. 495).
En proposant le paiement à la fois d’une somme forfaitaire et d’une astreinte,
l’Avocat Général est allé au-delà de la demande exprimée par la Commission dans
son recours et aussi au-delà de ce que l’article 228 pourrait laisser penser à une pre-
mière lecture. La procédure orale a alors été réouverte par la Cour et les Etats mem-
bres ont été invités à se prononcer sur la possibilité de cumul des deux sanctions.
Quatre Etats membres (Danemark, Pays-Bas, Finlande et Royaume-Uni) se sont
prononcés par l’affirmative en estimant que ces deux types de sanction sont com-
plémentaires tandis que treize autres Etats membres se sont prononcés par la néga-
tive, notamment en raison de l’emploi de la conjonction « ou ». Dans ses deuxièmes
conclusions, l’Avocat Général a confirmé la possibilité de cumul.
La Cour a d’abord constaté que, conformément aux éléments de fait apportés par
la Commission, le manquement persistait tant en ce qui concernait l’insuffisance du
contrôle en matière de tailles minimales que l’insuffisance des poursuites.

DMF 669 358 Avril 2006


APERÇU DE LA JURISPRUDENCE COMMUNAUTAIRE

Ensuite, la Cour a considéré que ces deux types de sanction peuvent être cumulés.
Certains considérants de la motivation de l’arrêt méritent d’être cités : « 81.
L’application de l’une ou de l’autre de ces deux mesures dépend de l’aptitude de
chacune à remplir l’objectif poursuivi en fonction des circonstances de l’espèce. Si
l’imposition d’une astreinte semble particulièrement adaptée pour inciter un État
membre à mettre fin, dans les plus brefs délais, à un manquement qui, en l’absence
d’une telle mesure, aurait tendance à persister, l’imposition d’une somme forfaitaire
repose davantage sur l’appréciation des conséquences du défaut d’exécution des
obligations de l’État membre concerné sur les intérêts privés et publics, notamment
lorsque le manquement a persisté pendant une longue période depuis l’arrêt qui l’a
initialement constaté. 82. Dans ces conditions il n’est pas exclu de recourir aux deux
types de sanctions prévues à l’article 228, paragraphe 2, CE notamment lorsque le
manquement, à la fois, a perduré une longue période et tend à persister. 83.
L’interprétation ainsi retenue ne saurait se voir opposer l’utilisation, à l’article 228,
paragraphe 2, CE, de la conjonction « ou » pour relier les sanctions pécuniaires
susceptibles d’être imposées. Ainsi que l’ont fait valoir la Commission et les gou-
vernements danois, néerlandais, finlandais et du Royaume-Uni, cette conjonction
peut, d’un point de vue linguistique, revêtir un sens soit alternatif soit cumulatif, et
doit donc être lue dans le contexte dans lequel elle est utilisée. Au regard de la fina-
lité poursuivie par l’article 228 CE, l’utilisation de la conjonction « ou » au para-
graphe 2 de cette disposition doit donc être entendue dans un sens cumulatif. »
La Cour a en outre considéré qu’elle pouvait s’écarter de la proposition de la
Commission, qui ne proposait qu’une astreinte, en infligeant aussi le paiement d’une
somme forfaitaire. Trois Etats membres (Tchéquie, Hongrie et Finlande) ont répon-
du par l’affirmative à cette question tandis que douze autres se sont prononcés par
la négative. Là aussi, certains considérants méritent d’être cités : « 91. L’argument
selon lequel, en s’écartant ou en allant au-delà des propositions de la Commission,
la Cour violerait un principe général de procédure civile qui interdit au juge d’al-
ler au-delà des conclusions des parties, n’est pas davantage fondé. La procédure
prévue à l’article 228, paragraphe 2, CE est, en effet, une procédure juridictionnel-
le spéciale, propre au droit communautaire, qui ne peut être assimilée à une procédu-
re civile. La condamnation au paiement d’une astreinte et/ou d’une somme forfai-
taire ne vise pas à compenser un quelconque dommage qui aurait été causé par l’É-
tat membre concerné, mais à exercer sur celui-ci une contrainte économique qui
l’incite à mettre fin au manquement constaté. Les sanctions pécuniaires imposées
doivent donc être arrêtées en fonction du degré de persuasion nécessaire pour que
l’État membre en cause modifie son comportement. 92. S’agissant des droits de la
défense dont doit pouvoir bénéficier l’État membre concerné, sur lesquels ont insis-
té les gouvernements français, belge, néerlandais, autrichien et finlandais, il
convient de relever, comme l’a fait M. l’avocat général au point 11 de ses conclu-
sions du
18 novembre 2004, que la procédure prévue à l’article 228, paragraphe 2, CE doit
être considérée comme une procédure judiciaire spéciale d’exécution des arrêts, en
d’autres termes, comme une voie d’exécution. C’est donc dans ce contexte que
doivent être appréciées les garanties procédurales dont doit disposer l’État membre

DMF 669 359 Avril 2006


APERÇU DE LA JURISPRUDENCE COMMUNAUTAIRE

en cause. 93. Il s’ensuit que, une fois la constatation faite de la persistance d’un
manquement au droit communautaire dans le cadre d’une procédure contradictoire,
les droits de la défense qui doivent être reconnus à l’État membre défaillant en ce
qui concerne les sanctions pécuniaires envisagées doivent tenir compte du but pour-
suivi, à savoir assurer et garantir le rétablissement du respect de la légalité. 94. En
l’espèce, s’agissant de la matérialité du comportement susceptible de donner lieu à
l’imposition de sanctions pécuniaires, la République française a eu l’occasion de se
défendre tout au long d’une procédure précontentieuse qui a duré près de neuf ans
et qui a donné lieu à deux avis motivés, ainsi que dans le cadre de la procédure écri-
te et de l’audience du 3 mars 2004 dans la présente affaire. Cet examen des faits a
conduit la Cour à constater la persistance d’un manquement de la République fran-
çaise à ses obligations (voir point 74 du présent arrêt). »
Finalement, la France est condamnée à payer une somme forfaitaire de 20 millions
d’Euros et une astreinte de 57 761 250 millions d’euros par période de 6 mois.

Modalités d’utilisation des quotas. Respect de la réglementation communau-


taire. Affaires jointes C-259/03, C-260/03 et C-343/03 arrêt de la Cour du 14
juillet 2005, Commission c/ Danemark. Affaire C-149/03, arrêt de la Cour du 21
juillet 2005, Commission c/ Belgique.
Comme cela s’est déjà produit à maintes reprises à l’égard d’autres Etats memb-
res, la Cour, sur requête de la Commission, a constaté le manquement du Danemark
et de la Belgique pour ne pas avoir déterminé les modalités appropriées d’utilisation
des quotas qui leur ont été attribués, pour ne pas avoir mis en œuvre des mesures
suffisantes de contrôle des activités de pêche ainsi que pour n’avoir pas édicté d’in-
terdiction de pêche quand certains stocks devaient être considérés comme étant
épuisés (Danemark : années 1988, 1990 à 1992, 1994 et 1995 à 1997 ; Belgique :
années 1991 à 1996).
A l’égard de la Belgique, la Cour a également constaté le manquement de cet Etat
pour n’avoir pas ouvert d’action pénale ou administrative à l’encontre des respon-
sables des activités de pêche après l’entrée en vigueur des interdictions de pêche
faisant suite à l’épuisement des quotas en question. En revanche, la Cour n’a pas
retenu ce grief à l’égard du Danemark. Le Danemark a en effet été en mesure de
prouver que, dans certains cas, des actions pénales ou administratives ont bien effec-
tivement été engagées. De ce fait, la Cour a constaté que l’insuffisance des mesures
de contrôle mises en œuvre n’a pas systématiquement empêché les autorités de ce
pays de constater des violations de règles de la politique commune de la pêche ou
d’en rechercher les personnes responsables.

Contrôle des activités de pêche. Informations à communiquer à la


Commission. Affaire C-38/05, arrêt de la Cour du 8 décembre 2005,
Commission c/ Irlande.
Le règlement n° 2847/93, en ses articles 15, 18 et 19, fait obligation aux Etats
membres de communiquer à la Commission, par voie informatique, certaines don-

DMF 669 360 Avril 2006


APERÇU DE LA JURISPRUDENCE COMMUNAUTAIRE

nées relatives aux quantités débarquées et à l’effort de pêche réalisé.


L’Irlande n’avait pas fourni les données concernant les années 1999 et 2000. Pour
cette raison, la Commission a introduit un recours en manquement. La Cour a constaté
le manquement de l’Irlande étant donné que cet Etat membre a été dans l’incapacité
de fournir ces données à l’issue du délai fixé dans l’avis motivé (février 2004).
Dans sa défense, l’Irlande a soulevé le fait qu’aucun des 13 autres Etats membres
concernés par cette obligation de communication de données informatiques n’y
avait satisfait au cours de l’année 2003. A cet égard, la Cour rappelle qu’un Etat
membre ne saurait invoquer le manquement d’un autre Etat membre pour justifier
s o n
propre manquement.

Responsabilité extracontractuelle de la Communauté. Droits subjectifs en


faveur des particuliers. Echange de quotas de pêche. Stabilité relative des acti-
vités de pêche. Affaire T-415/03, arrêt du Tribunal de Première Instance du
19 octobre 2005, Cofradia de pescadores de San Pedro de Bermeo et alii
c/ Conseil soutenu par Commission et France.
Par son arrêt du 18 avril 2002, la Cour avait annulé la disposition, figurant dans
des règlements successifs du Conseil de 1995 à 2000, prévoyant que, par dérogation
à la règle définie dans les dits règlements, le quota d’anchois attribué au Portugal
pouvait être pêché dans les eaux de la zone CIEM VIII relevant de la souveraineté
ou juridiction de la France (affaires jointes C-61/96 et autres, DMF 2002, 793).
C’est suite à cet arrêt que des armateurs et associations de pêcheurs du pays basque
espagnol ont introduit un recours en responsabilité extracontractuelle contre la
Communauté devant le Tribunal de Première Instance.
Trois conditions doivent être réunies pour qu’une responsabilité de ce genre soit
reconnue, à savoir que la règle de droit violée ait pour objet de conférer des droits
aux particuliers et que sa violation soit suffisamment caractérisée, que la réalité du
dommage soit établie et qu’il existe un lien de causalité direct entre la violation
imputable à la Communauté et le dommage subi par les personnes lésées.
Le Tribunal a reconnu que le Conseil avait violé le principe de stabilité relative
prévoyant une répartition des possibilités de pêche sur la base d’une répartition de
référence. En application de ce principe, l’Espagne devait recevoir 90% des possi-
bilités de pêche qui étaient allouées pour l’ensemble des Etats membres dans ladite
zone VIII, ce qui n’a plus été le cas après la disposition adoptée par le Conseil de
1995 à 2000 et ensuite annulée. Cet octroi de 90% des possibilités de pêche au béné-
fice de l’Espagne dans cette zone était d’ailleurs déjà inscrit à l’article 161 de l’ac-
te relatif aux conditions d’adhésion de l’Espagne à la Communauté qui, lui aussi,
s’est trouvé violé.
Cela étant, le Tribunal a considéré que le principe de stabilité relative n’avait pour
objet que les relations entre les Etats membres et ne conférait pas de droits subjetifs
aux particuliers dont la violation ouvrirait un droit à réparation sur la base de l’article
288 du traité CE. De tels droits relèvent uniquement de la législation nationale déter-

DMF 669 361 Avril 2006


APERÇU DE LA JURISPRUDENCE COMMUNAUTAIRE

minant les modalités de répartition du quota alloué à l’Espagne dans la dite zone.
(Pour une affaire du même genre, V. Area Cova c/ Conseil et Commission, affaire T-
196/99, DMF 2002, 391).
Le Tribunal a également considéré que le dommage allégué par les requérants était
seulement hypothétique et indéterminé et ne pouvait pas donner droit à réparation.
En effet, le fait que l’Espagne n’eût pas reçu 90% des possibilités de pêche allouées
pour la zone ne signifiait pas que la flotte espagnole aurait été assurée de pêcher
effectivement ces 90%, d’autant plus que l’Espagne n’a jamais épuisé le quota qui
lui a été attribué et qu’elle a même cédé, au cours d’échanges avec la France, plus
du tiers de ce quota. En outre, les requérants n’ont pas cherché à quantifier le volu-
me des captures additionnelles qu’ils auraient pu réaliser en l’absence de la disposi-
tion annulée.

Négociations au Conseil. Compromis. Aide à la construction et à la moderni-


sation des navires. Affaire C-90/03, arrêt de la Cour du 17 novembre 2005,
Espagne soutenue par Grèce et France c/ Conseil soutenu par Commission.
Le règlement n° 2369/2002, qui a modifié le règlement n° 2792/99 sur les actions
structurelles de la Communauté dans le secteur de la pêche, a été adopté par le
Conseil le 20 décembre 2002 en même temps que le règlement n° 2371/2002, qui
est le nouveau règlement de base de la politique commune de la pêche, à l’issue de
négociations au cours desquelles ont été présentés plusieurs documents de compro-
mis portant sur ces deux textes.
Une des modifications introduites dans le règlement n° 2792/1999 prévoit que
« des aides publiques ne peuvent être octroyées que pour les navires de moins de
400 GT ». L’Espagne a contesté cette disposition au motif que, issue du second
document de compromis, elle aurait été implicitement annulée par le troisième et
dernier document de compromis présenté à ce Conseil et n’aurait donc pas dû figu-
rer dans le texte publié au JO CE. Le recours présenté par l’Espagne a en substance
soulevé la question de l’articulation entre cette disposition et l’article 13 du règle-
ment n° 2371/2002, article concernant le régime des entrées et sorties dans la flotte
de pêche.
Dans son appréciation, la Cour constate que ces deux dispositions ont un objectif
commun, qui est de limiter la construction de nouveaux navires de pêche, mais por-
tent sur des questions distinctes, le règlement n° 2792/99 sur l’octroi d’aides
publiques et le règlement n° 2371/2002 sur les conditions d’entrée en flotte de nou-
velles capacités de pêche. Par conséquent, les dispositions présentées dans le troi-
sième document de compromis et concernant l’article 13 du règlement n° 2371/2002
n’ont pas supprimé implicitement la disposition faisant l’objet du recours. Sur ce
motif, ce recours est rejeté.

ENVIRONNEMENT
Eaux conchylicoles. Directive 79/923. Eaux de baignade. Directive 76/160.

DMF 669 362 Avril 2006


APERÇU DE LA JURISPRUDENCE COMMUNAUTAIRE

Affaire C-26/04, arrêt de la Cour du 15 décembre 2005, Commission

c/ Espagne.

DMF 669 363 Avril 2006


APERÇU DE LA JURISPRUDENCE COMMUNAUTAIRE

La directive 79/923 relative à la qualité des eaux conchylicoles impose aux Etats
membres l’obligation d’établir des programmes en vue de réduire la pollution et
d’assurer que les eaux seront conformes, dans un délai de six ans, à certaines
valeurs.
Les eaux de la Ria de Vigo ont été désignées par l’Espagne comme eaux conchy-
licoles. Cependant, l’Espagne n’avait pas adopté de programme de réduction de la
pollution tel que cela est requis par la directive. L’Espagne a fait valoir que les
coquillages élevés dans cette zone ne sont pas consommés directement par l’homme
mais doivent subir préalablement un traitement d’épuration et que, par conséquent,
le non-respect des valeurs de référence fixées par la directive n’en constitue pas une
violation.
La Cour constate que cette directive s’applique aux eaux conchylicoles en géné-
ral, que les coquillages soient destinés ou non à la consommation directe. Sur ce
motif, la Cour a constaté le manquement de l’Espagne.
En revanche, la Cour n’a pas suivi la Commission pour ce qui concerne le recours
en manquement introduit parce que cet Etat n’avait pas désigné trois plages de la
côte de Galice comme étant des zones de baignade au sens de la directive n° 76/160.
En effet, contrairement à ce que prétendait la Commission, cette directive n’impose
pas aux Etats membres de procéder à la désignation officielle de zones de baignade
même si cela concerne des zones où la baignade est pratiquée et tolérée.

Directive « habitats ». Mode de transposition. Application en ZEE et plateau


continental. Affaire C-6/04, arrêt de la Cour du 20 octobre 2005, Commission
c/ Royaume-Uni.
La Commission a introduit un recours en manquement à l’égard du Royaume-Uni
pour n’avoir pas transposé correctement les exigences de la directive 92/43 du
Conseil concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et flore
sauvages.
Conformément à sa jurisprudence, la Cour rappelle que, si une transposition n’exi-
ge pas nécessairement une reprise formelle et textuelle de son contenu dans une
disposition légale expresse et spécifique et peut se satisfaire de l’adoption d’obliga-
tions générales, c’est à la condition que celles-ci assurent effectivement la pleine
application de la directive d’une façon suffisamment claire et précise.
En l’espèce, une disposition générale indiquant que le Secretary of State, le
Minister of Agriculture, Fisheries and Food et les organismes de protection de la
nature tiennent compte, dans l’exercice de leurs fonctions, des exigences de la direc-
tive « habitats » ne peut être considérée comme satisfaisante. La Cour a ainsi cons-
taté le manquement du Royaume-Uni en ce qui concerne la transposition incorrecte
de certaines des dispositions de la directive.
Parmi les griefs retenus, figure notamment celui de l’absence d’application de la
directive, excepté en ce qui concerne les activités pétrolières, en zone économique
exclusive et sur le plateau continental. Selon la Cour, il est conforme aux buts de

DMF 669 364 Avril 2006


APERÇU DE LA JURISPRUDENCE COMMUNAUTAIRE

cette directive de l’appliquer dans ces zones. En effet, cette directive protège des
habitats naturels tels que les récifs et des espèces telles que les mammifères marins
que l’on trouve fréquemment en dehors de la mer territoriale. Elle doit donc être
interprétée dans le sens où elle s’applique au-delà de cette zone.
La Cour a également constaté le manquement du Royaume-Uni parce que la loi
sur les phoques (Conservation of Seals Act 1970) ne constitue pas une transposition
correcte de l’article 15 de la directive qui prévoit l’interdiction par les Etats mem-
bres de l’utilisation de tous les moyens non sélectifs dans le cas où une dérogation
est appliquée pour le prélèvement, la capture ou la mise à mort pour certaines espè-
ces énumérées à l’annexe IV, point a), de la dite directive. L’interdiction de seule-
ment deux moyens (l’empoisonnement et la chasse au moyen de certaines armes à
feu) n’est pas suffisante.

Directive « oiseaux ». Plainte. Manquement d’Etat membre. Affaire C-166/04,


arrêt de la Cour du 27 octobre 2005, Commission c/ Grèce.
Cet arrêt en manquement fait suite à une requête introduite par la Commission
après avoir reçu une plainte, c’est-à-dire une information transmise par un particu-
lier concernant une supposée violation du droit communautaire par un Etat mem-
bre. Cette plainte concernait le régime juridique de protection de la lagune de
Messolongi (Grèce) classée comme zone de protection spéciale au titre de la direc-
tive 79/409 concernant la conservation des oiseaux sauvages.
Par son arrêt, la Cour a constaté le manquement de la Grèce pour non-respect des
obligations lui incombant en vertu de l’article 4, paragraphes 1 et 2, relatif aux
mesures de conservation à mettre en œuvre dans le cadre de cette directive.

Directive 91/676. Pollution par les nitrates. Zones vulnérables. Manquement


d’Etat membre. Affaire C-221/03, arrêt de la Cour du 22 septembre 2005,
Commission c/ Belgique.
La Cour a constaté le manquement de la Belgique pour n’avoir pas mis en œuvre
les mesures prévues par certaines dispositions de la directive 91/676 du Conseil
concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sour-
ces agricoles. Cette directive prévoit que les Etats membres désignent comme
« zones vulnérables » toutes les zones qui contribuent à la pollution des eaux pro-
voquée par les nitrates d’origine agricole.
Parmi les motifs retenus pour constater le manquement, la Cour a observé que la
Belgique n’avait pas désigné comme zones vulnérables certaines zones de Wallonie
bien que l’agriculture wallonne soit responsable de 19% des apports d’azote dans le
bassin de la Meuse et 17% dans le bassin de l’Escaut, deux fleuves traversant la
Wallonie et se jetant en mer du Nord.

Répartition des compétences entre l’Union européenne et la Communauté


européenne. Sanctions pénales. Affaire C-176/03, arrêt de la Cour du

DMF 669 365 Avril 2006


APERÇU DE LA JURISPRUDENCE COMMUNAUTAIRE

13 septembre 2005, Commission soutenue par Parlement européen c/ Conseil


soutenu par Danemark, Allemagne, Grèce, Espagne, France, Irlande, Pays-Bas,
Portugal, Finlande, Suède, Royaume-Uni.

Cet arrêt rendu en grande Chambre clarifie la répartition des compétences, en


matière de dispositions pénales, entre le troisième pilier qui figure dans le traité sur
l’Union européenne et le premier pilier qui correspond à la Communauté européenne.
Par cet arrêt, la Cour a annulé la décision-cadre 2003/80/JAI du Conseil du
27 janvier 2003 relative à la protection de l’environnement par le droit pénal et
adoptée sur la base de l’article 34 du traité UE.
La Cour considère que ces dispositions, en raison de leur finalité et de leur conte-
nu, auraient dû être adoptées sur la base de l’article 175 du traité CE. La Cour rap-
pelle qu’en principe, la législation pénale et les règles de la procédure pénale ne relè-
vent pas de la compétence de la Communauté. Cependant, cela ne saurait empêcher
le législateur communautaire de prendre des mesures en relation avec le droit pénal
des Etats membres et nécessaires pour garantir la pleine effectivité des normes qu’il
édicte en matière de protection de l’environnement lorsque l’application de sanc-
tions pénales effectives, proportionnées et dissuasives par les autorités nationales
constitue une mesure indispensable pour lutter contre les atteintes graves à l’envi-
ronnement.
Par conséquent, les dispositions de cette décision-cadre relatives à la qualification
en tant qu’infractions pénales de diverses infractions commises de manière inten-
tionnelle ou au moins par négligence grave ainsi qu’au principe de l’obligation de
sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives avec des peines privati-
ves de liberté dans les cas les plus graves pouvaient être valablement adoptées sur
la base de l’article 175 du traité CE. En outre, le traité sur l’UE constituait la base
juridique appropriée pour l’adoption des dispositions de cette décision-cadre traitant
de la compétence juridictionnelle et de l’extradition. Cependant, étant donné que
cette décision-cadre est indivisible dans son ensemble et qu’aucune disposition du
traité UE ne peut affecter le traité CE (article 47 du traité UE), cette décision-cadre
est annulée dans son ensemble.
Cet arrêt de la Cour va avoir des conséquences sur d’autres décisions-cadre adop-
tées dans le cadre du traité UE. Parmi celles-ci, figure la décision-cadre
2005/667/JAI du 12 juillet 2005 visant à renforcer le cadre pénal pour la répression
de la pollution par les navires (JO L 255 du 30.09.2005) pour laquelle la
Commission a saisi la Cour d’un recours en annulation.

DMF 669 366 Avril 2006


LEGISLATION

AU JOURNAL OFFICIEL
« République française » et « Communauté européenne »
(janvier et février 2006)

ENVIRONNEMENT
Arrêté portant révision des zones sensibles dans le bassin Rhône-Méditerranée.
Arrêté du 22 décembre 2005 (NOR DEVO0650038A), JORF du 22/02/2006,
p. 2753.
FLUVIAL
Arrêté portant grément de l’Institut pour le développement de la formation conti-
nue dans la navigation fluvial (fluvia) comme organisme de formation des experts
devant se trouver à bord des bateaux de navigation intérieure transportant des mar-
chandises dangereuses.
Arrêté du 11 janvier 2006 (NOR : EQUT0600095A), JORF du 31/01/2006,
p. 1623.
MARINS
Arrêté portant majoration des salaires forfaitaires servant de base au calcul des
contributions des armateurs, des cotisations et des pensions des marins du commer-
ce, de la plaisance, de la pêche et des cultures marines.
Arrêté du 2 janvier 2006 (NOR : EQUB0600024A), JORF du 7/01/2006, p. 313.
Arrêté modifiant la composition de la commission de recours en matière d’effec-
tifs à bord des navires de commerce, de pêche maritime, de culture marines et de
plaisance
Arrêté du 22 décembre 2005 (NOR : EQUT0502217A), JORF du 11/01/2006,
p. 438.
Arrêté portant extension d’un accord conclu dans le cadre de la convention col-
lective nationale des personnels navigants officiers des entreprises de remorquage
maritime
Arrêté du 6 janvier 2006 (NOR : EQUT0600030A), JORF du 12/01/06, p. 479.
Arrêté portant extension d’un accord conclu dans le cadre de la convention
collective nationale des personnels navigants d’exécution des entreprises de remor-
quage maritime

DMF 669 366 Avril 2006


LEGISLATION

Arrêté du 6 janvier 2006 (NOR : EQUT0600031A), JORF du 12/01/06, p. 479.


Arrêté portant majoration des salaires forfaitaires servant de base au calcul des
contributions des armateurs, des cotisations et des pensions des marins de commer-
ce, de la plaisance, de la pêche et des cultures marines (rectificatif).
Arrêté du 2 janvier 2006 (NOR : EQUB0600024Z), JORF du 21/01/2006, p. 1017.
Décret relatif au bulletin de paie des marins.
Décret n° 2006-214 du 22 février 2006 (NOR : EQUT0600152D), JORF du
24/02/2006, p. 2898.
NAVIRE
Arrêté portant modification de l’arrêté du 23 novembre 1987 relatif à la sécurité
des navires.
Arrêté du 19 janvier 2006 (NOR : EQUT0600254A), JORF du 12/02/2006,
p. 2229 ; (NOR EQUT0600253A), JORF du 22/02/2006, p. 2744.
PECHE MARITIME
Etablissement, pour 2006, des possibilités de pêche et les conditions associées
pour certains stocks halieutiques et groupes de stocks halieutiques.
Règlement n° 51/2006 du Conseil du 22 décembre 2005, JO L 16 du 20/1/2006
Etablissement, pour 2006, des possibilités de pêche et les conditions associées
applicables en mer Baltique pour certains stocks halieutiques et groupes de stocks
halieutiques.
Règlement n° 52/2006 du Conseil du 22 décembre 2005, JO L 16 du 20/1/2006.
Protocole à l'accord de pêche avec les Seychelles pour la période allant du 18 jan-
vier 2005 au 17 janvier 2011
Règlement n° 115/2006 du Conseil du 23 janvier 2006, JO L 21 du 25/1/2006.
Application provisoire du protocole à l’accord de pêche avec São Tomé e Príncipe
pour la période allant du 1er juin 2005 au 31 mai 2006.
Décision du Conseil du 30 janvier 2006, JO L 40 du 11/2/2006
Application provisoire du protocole à l’accord de pêche avec la Mauritanie pour
la période allant du 1er août 2001 au 31 juillet 2006
Décision du Conseil du 14 février 2006, JO L 48 du 18/2/2006
POLLUTION
Instruction portant adaptation de la réglementation relative à la lutte contre la pol-
lution du milieu marin (POLMAR)
Instruction du 11 janvier 2006 (NOR : PRMX0609020J), JORF du 13/01/2006,
p. 511.
Décret portant publication de la convention pour la protection du Rhin, ensemble
une annexe et un protocole de signataure, faite à Berne le 12 avril 1999.

DMF 669 367 Avril 2006


LEGISLATION

Décret n° 2006-385 du 11 janvier 2006 (NOR : MAEJO530107D), JORF du


13/01/2006, p. 524.
PORTS
Décret relatif à l’approbation des conventions de terminal dans les ports maritimes
et modifiant l’article R. 115-14 du Code des ports maritimes
Décret n° 2005-1796 du 28 décembre 2005 (NOR : EQUT0501900D), JORF du
4/01/2006, p. 125.
Arrêté portant extension des compétences des officiers de port et officiers de port
adjoints affectés aux ports du Tréport, de Dieppe et de Fécamp à l’ensemble de ces
trois ports.
Arrêté du 17 février 2006 (NOR : EQUT0600401A), JORF du 23/02/2006,
p. 3006.
TRANSPORT MARITIME
Décret relatif à la création du guichet unique prévu par la loi n° 2005-412 du
3 mai 2005 relative à la création du registre international français.
Décret n° 2006-142 du 10 février (NOR : EQUT0600298D), JORF du 11/02/2006,
p. 2189.
Système de recueil d’informations sur les flottes des pays tiers.
Décision n° 167/2006 du Parlement européen et du Conseil du 18 janvier 2006,
JO L 33 du 4/2/2006
Loi relative à la sécurité et au développement des transports
Loi n° 2006-10 du 5 janvier 2006 (NOR : EQUX0500211L), JORF du 6/01/2006,
p. 217.

Commission paritaire des papiers de presse n° 0707 K 81829


Le directeur de la publication : Jean-Paul Novella
2
ème
trimestre 2006 - Hoonte Bosch & Keuning - Zeehaenkade 30 - 3526 LC UTRECHT

DMF 669 368 Avril 2006

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