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Annales de démographie

historique

La grippe à Bordeaux en 1918


Pierre Guillaume

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Guillaume Pierre. La grippe à Bordeaux en 1918. In: Annales de démographie historique, 1978. La mortalité du passé. pp.
167-173;

doi : https://doi.org/10.3406/adh.1978.1382

https://www.persee.fr/doc/adh_0066-2062_1978_num_1978_1_1382

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LA GRIPPE A BORDEAUX EN 1918

par P. GUILLAUME

La grippe dite « espagnole » a provoqué en France 91 500 décès


en 1918 et 35 000 en 1919. Ailleurs, elle a été plus sévère encore avec,
pour la seule année 1918, 112 000 décès en Grande-Bretagne, 147 000
en Espagne, 188 000 en Allemagne, 274 000 en Italie1. Considérée
comme une conséquence, somme toute mineure, de la guerre, cette
épidémie n'a que fort peu retenu jusqu'ici, l'attention des historiens. Les
liens de cause à effet entre la guerre et la grippe sont, en fait, assez
lâches. Les mouvements de troupe ont, certes, pu favoriser une diffusion
de la maladie, mais celle-ci a frappé aussi durement les neutres que les
belligérants. En tant que phénomène démographique, la grippe espagnole
de 1918 a, si l'on peut dire, son autonomie. Elle s'inscrit dans l'histoire
des grandes épidémies qui ravagent le monde depuis des temps
immémoriaux. Peut-être est-ce même la dernière qui se soit développée avant
la mise en place d'organismes mondiaux de la santé, susceptibles d'en
limiter l'ampleur 2.
A Bordeaux, la grippe sévit, comme l'indique la courbe jointe,
en septembre, octobre, et novembre 1918 avec un paroxysme très net
pendant la deuxième quinzaine d'octobre 3. Les chiffres que nous avons
utilisés sont discutables. Les nomenclatures médicales officielles font bien
une place spécifique à la grippe 4. L"imprécision des déclarations interdit

1. H. Bunle, Le mouvement naturel de la population dans le monde,


de 1906 à 1936, Paris, I.N.E.D., 1954, 541 p.
2. Sur la naissance des institutions de coopération internationale,
notamment dans le domaine de la santé publique, voir P. Guillaume, « La coopération
internationale dans la seconde moitié du XIXe siècle », L'Information Historique,
191 A, 1, pp. 20-22. Le premier acte en matière de lutte contre les épidémies est
la Convention internationale concernant le régime sanitaire pour le canal de Suez,
signée en 1892. En 1893 se réunit à Dresde, la première Conférence Sanitaire
internationale.
3. La source utilisée est constituée des registres du Bureau Municipal
d'Hygiène de Bordeaux, de la série F des archives municipales. Ils couvrent la
période 1889-1925. Ils respectent, pour les décès, les nomenclatures nationales,
dans le cas qui nous intéresse, celle de 1909.
4. Sous la rubrique n° 9.
DECES PAR GRIPPE, PNEUMONIE, BRONCHO-PNE
Bordeaux, août-décembre 1918
Nombre journal i >r
32 de décès
28
24
20
16 » \
12
A
A a/1
? y
15 août 1 Sept. 15 Sept. 1 Oct. 15 Oct. 1 Nov.
LA GRIPPE A BORDEAUX EN 1918 169

que l'on ne retienne que les seuls chiffres qui apparaissent ainsi. En effet,
en plus des 733 décès attribués à la grippe, on peut relever ceux qui ont
pour cause pneumonie ou broncho-pneumonie ou, mieux encore,
pneumonie grippale ; l'usage de ce dernier terme témoigne des hésitations du
corps médical et nous oblige à prendre en considération, en plus des
décès qui sont nommément imputés à la grippe, ceux qui le sont à des
maladies que l'on en distingue mal. En cumulant ainsi les méfaits de la
grippe, de la pneumonie et de la broncho-pneumonie, on relève non plus
733, mais 1 723 décès pour les mois d'août à décembre 1918. Ce que
l'on peut considérer comme le bilan de l'épidémie s'inscrit donc quelque
part dans la fourchette très large de ces deux chiffres. Il fait bien alors
de celle-ci un fléau comparable, par son ampleur, à ceux qui ont touché
Bordeaux au XIXe siècle. Le choléra y a fait, en effet, 386, 751 et 716
victimes, lors de ses trois poussées de 1832, 1849 et 1854. La variole a
provoqué 2 015 décès pour la seule année 1870 et sans doute près du
double pour la période 1869-1871 ; elle constitue par là même le fléau
épidémique le plus meurtrier du XIXe siècle, encore qu'elle soit passée
beaucoup plus inaperçue que le choléra 5. Les chiffres cités ici ne peuvent,
évidemment être comparés qu'avec précaution, car la population de la
ville a beaucoup changé ; de ceux de 1918, on ne peut guère déduire
de taux de mortalité spécifiques ; Bordeaux est en effet, alors, une ville
refuge, et nul n'est capable de chiffrer, même approximativement sa
population du moment 6. La seule comparaison plausible que l'on puisse
faire est celle des chiffres absolus des décès des années 1917, 1918, 1919.
1918 apparaît alors comme marqué par une poussée de 38 % de la
mortalité, puisqu'on y relève 8 543 décès, contre 6 102 et 6 317 7.
Nous disposons de tous les éléments pour faire dresser un
bilan de l'épidémie tenant compte de l'âge, du sexe, et de l'appartenance
socio-professionnelle des victimes. La répartition par âge des décès dus
à la grippe est la suivante 8:
Moins d'un an 1 %
De 1 à 19 ans 14 %

5. Voir notre thèse, La population de Bordeaux au XIX* siècle, Paris,


A. Colin, 1972, 310 p., chapitre la mortalité, pp. 149-196.
6. De l'aveu du docteur Ginestous, dans son « rapport sur les
épidémies » dans le Recueil des travaux du Conseil départemental d'Hygiène de la
Gironde, t. XIII, 1919, Bordeaux, 1920, 310 p.
Le volume de l'année 1918 de cette publication n'existant ni aux archives, ni à la
bibliothèque municipale de Bordeaux, il y a tout lieu de penser qu'il n'a pas été
publié.
7. Ginestous, « Rapport sur les épidémies », op. cit.
8. Ginestous, op. cit.
170 P. GUILLAUME

De 20 à 39 ans 56 %
De 40 à 59 ans 20,5 %
Plus de 60 ans 8,5 %
Les décès masculins représentent 53 % de l'ensemble, les
décès féminins 47 % .
La grippe a donc affecté une population jeune. Elle a largement
épargné les enfants et les adolescents, et elle n'a pas particulièrement
affecté les vieillards. Rappelons que nous ne disposons pas des données
qui permettraient une étude des taux de mortalité par âge ; les
circonstances propres à 1918 ne permettent d'utiliser ni les chiffres du
recensement de 1911, ni ceux de 1921.
Sur les 761 décès attribués à la grippe par le Conseil
Départemental d'Hygiène, 235, soit 31 %, ont eu lieu à l'hôpital pour un total
de 1 125 personnes hospitalisées 9. Parmi celles-ci, les militaires sont
nombreux ; ils fournissent plus de la moitié des décès hospitaliers soit
130 et, parmi eux, 50 % environ sont originaires de l'Empire français.
Ce constat est fort délicat à interpréter. H est évident que les Africains
étaient particulièrement vulnérables à la grippe ainsi qu'aux affections
pulmonaires ; il y a là une faiblesse des troupes coloniales que n'avait
pas prévu le colonel Mangin 10. Ces troupes coloniales ont
certainement été plus vulnérables encore à la maladie qu'au feu de l'ennemi.
Cependant, les chiffres si élevés relevés à Bordeaux ne permettent
aucune extrapolation. Bordeaux était en effet lieu de passage ; ses hôpitaux
militaires avaient vocation pour recueillir les soldats d'outre-mer ; le
nombre des morts n'est en aucun cas l'indice d'une proportion nationale.
Parmi les hospitalisés pour cause de grippe, la mortalité est
de 21 % ; ces hospitalisés sont autant de cas graves. On peut donc
déduire du chiffre que nous avons qu'il y a eu au moins 5 fois plus de
malades gravement atteints que de décès. Nous pouvons donc avancer
que l'épidémie a sévèrement éprouvé de 4 000 à 8 500 individus.
L'étude de la répartition socio-professionnelle, que permettent
les registres, n'apporte pas de révélations pour la population civile, et
rien ne permet de dire que la grippe ait été particulièrement meurtrière
pour certaines catégories sociales, ou qu'elle ait épargné la bourgeoisie.
Il n'y a pas, non plus, de foyer épidémique clairement localisé sur la

9. Ginestous, op. cit.


10. Le colonel Charles Mangin, futur général, s'était fait, en 1910, par
son livre La Force Noire, le champion de l'utilisation par la France de ses soldats
coloniaux.
LA GRIPPE A BORDEAUX EN 1918 171

carte de la cité ; on meurt de la grippe Cours de l'Intendance ou au Pavé


des Chartrons comme dans le quartier espagnol proche de la Porte
d'Aquitaine. Toute tentative de cartographie de l'épidémie serait d'ailleurs
dangereuse dans son principe même par suite du nombre élevé des
décès hospitaliers. Il est bien évident, en effet, que se sont les plus
pauvres qui sont transférés à l'hôpital : leur décès ne peut donc être
comptabilisé à leur domicile, si bien que les documents que nous
possédons nous amèneraient à sous-estimer la mortalité des secteurs
géographiques les plus déshérités. Avec le choléra, jadis, le problème ne se
posait pas dans les mêmes termes, car la brutalité de la maladie clouait
ses victimes à leur domicile.
Comme ailleurs en France, en Europe, et même dans le
monde n, la grippe a donc été, à Bordeaux, une épreuve fort sérieuse, et
elle n'a suscité que des réactions très limitées, tant de l'opinion que des
pouvoirs publics. La première mention qui est faite de la maladie dans
la presse date du 10 octobre12. Le 15 octobre, le Professeur Xavier
Arnozan, adjoint au maire et délégué à l'Hygiène, donne dans La Gironde
quelques conseils pour enrayer la maladie : pommade dans le nez, garga-
rismes, lit et diète, ou hospitalisation 13. Le 10 octobre, le lycée Montaigne
est licencié, après qu'il y ait eu un décès à l'internat, mais dès le 13 on
annonce pour le 18 la réouverture des classes préparatoires aux Grandes
Ecoles. Le 24 octobre le Préfet de la Gironde prend un arrêté, fermant
théâtres, cinémas et écoles, et réglementant les cérémonies cultuelles

11. H. Bunle, op. cit.


12. La Gironde, 10-10-1918.
13. Voici les conseils donnés par le Professeur X. Arnozan, dans La
Gironde du 15 octobre :
« Individuellement, quelques précautions peuvent être prises. On conseille en
particulier d'appliquer à l'entrée des narines, 2 ou 3 fois par jour, un peu de la
pommade suivante : résorcine 40 centigr., soufre précipité 20 centigr., menthol 20 cen-
tigr., vaseline 20 g., ou bien introduire dans les fosses nasales, 3 fois par jour,
quelques gouttes d'huile goménolée.
Pour la gorge, il est bon de toucher les amygdales, 2 fois par jour, avec le
mélange suivant : glycérine 9 g., teinture d'iode 1 g., ou bien se gargariser avec
un mélange d'une cuillerée d'eau oxygénée avec un verre d'eau chaude, ou encore
avec la liqueur de Labarraque, en solution à 5 %.
Dès que l'on a la fièvre ou le frisson, il importe de se mettre au lit et à la diète,
de prendre des boissons chaudes et, si le mal s'accentue, d'appeler le médecin ou
de se faire admettre à l'hôpital. »
14. Voici le texte de l'arrêté préfectoral, paru dans La Gironde du
24 octobre :
Art. 1. Sont interdits dès ce moment, et jusqu'à ce qu'il en soit autrement disposé,
toutes représentations théâtrales et des cinémas, tous concerts et toutes conférences,
et autres réunions n'ayant pas un caractère utile.
Art. 2. Les écoles publiques et privées et tous établissements scolaires en général,
seront immédiatement licenciés et resteront fermés pendant la même période. Ils
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et les enterrements 14. Le 1er novembre, il est décidé qu'il n'y aura plus,
quotidiennement, qu'une seule cérémonie mortuaire par paroisse, et que
le transport des corps se fera désormais en fourgon automobile, tandis
que les cortèges funéraires seront supprimés 15.
Nous ignorons si ces dernières dispositions ont été respectées
et si elles l'ont été longtemps. Ce qui, par contre, est frappant, c'est la
désinvolture des autorités responsables, face à leurs propres règles. En
effet, tandis que les réunions sont interdites le 24 octobre, le jour même
et le lendemain sont marqués par les manifestations qui, au Grand
Théâtre, et en présence du ministre Georges Leygues, clôturent le
Congrès de l'Amérique Latine 16. Le 7 novembre, les délégués du
personnel des théâtres viennent à la préfecture, protester contre les
entraves mises à l'exercice normal de leur profession : l'arrêté du 24
octobre a donc bien été appliqué, mais sans recueillir l'adhésion de ceux
que l'on pouvait classer parmi les principaux intéressés.
Rien ne résiste à l'annonce de l'armistice. Le 12 novembre, les
théâtres et les cinémas rouvrent légalement leurs portes, tandis que, dans
l'euphorie générale, on décrète la réouverture des écoles pour le 18,
et des internats pour le 25 17. Notons que l'épidémie, en recul depuis
le début du mois, ne connaît alors aucune recrudescence.
Cette évocation de la grippe à Bordeaux, en 1918, outre les
quelques chiffres d'un intérêt limité, qu'elle avance, permet quelques
commentaires sur l'évolution et l'état des mentalités. Le fait saillant est
la passivité de l'opinion, devant un danger qui ne peut être tenu pour
négligeable. Cette passivité, qui contraste si nettement avec les émotions
qu'a connues le XIXe siècle en temps d'épidémie, suggère un certain
nombre d'explications.

ne pourront être ouverts de nouveau qu'après avoir été nettoyés, lavés et blanchis.
Art. 3. Toutes cérémonies cultuelles, et en particulier les cérémonies funèbres,
seront réduites au strict nécessaire, après accord avec les divers ministres des
cultes.
Art. 4. Tous cafés, restaurants et débits de boissons en général, seront fermés au
plus tard chaque jour à 21 heures.
Art. 5. Des nettoyages journaliers et des balayages humides, avec liquides
antiseptiques, seront effectués dans tous les édifices cultuels, établissements publics,
banques, magasins, halles et marchés, cafés, restaurants, débits de boissons, et en
général dans tous les centres d'agglomérations, ainsi que dans toutes les voitures
publiques (omnibus, autobus, tramways) et leurs dépôts. L'inobservation de ces
prescriptions pourrait entraîner la fermeture des locaux.
Art. 6. Le présent arrêté est immédiatement applicable.
15. La Gironde, 1-11-1918.
16. La Gironde, 24 et 25 octobre 1918.
17. La Gironde, 12 novembre 1918.
LA GRIPPE A BORDEAUX EN 1918 173

La plus immédiate est liée au contexte de la guerre. Il y a tout


lieu de penser que la population est, en quelque sorte, après 4 ans de
conflit, hébétée de souffrance, que la mort de proches est devenue pour
chacun une éventualité quotidienne ; les ravages très réels de la grippe
n'émeuvent alors guère.
Un autre élément d'explication est lié à la nature même de la
maladie. La grippe est un mal banal qui, certes, peut être mortel, mais
qui ne fait pas peur pour autant, car ses atteintes ne sont pas
spectaculaires. Au xix* siècle, le choléra avait seul déclenché des réactions
violentes. La mort par choléra, tant par sa soudaineté que par les souffrances
qui la précédaient, était en effet des plus spectaculaires. Au contraire la
variole, qui existait à l'état endémique, ne suscita, lors des grandes
épidémies ni frayeur, ni violence particulière. Elle s'intégrait en effet à un
univers mental quotidien. Elle ne recouvrait pour l'opinion aucun
maléfice. Il en va de même, a fortiori, pour la grippe.
Enfin, comme nous l'avons montré ailleurs 18, l'émotion, au
sens le plus fort, suscitée par les épidémies, était étroitement liée à la
nature même de la médecine. Jusqu'à la révolution pastorienne, la
médecine était très empirique, si bien que l'on pouvait proposer des
remèdes miracles, ou croire à leur existence, croire aussi qu'ils étaient
délibérément réservés à quelques-uns. La médecine n'offrait aucune
explication rationnelle de la maladie et laissait par là même le champ
libre à toutes les explications, dont certaines étaient propres à exciter les
antagonismes sociaux ; nous pensons par exemple aux accusations
lancées en 1832 contre les Juifs, traités d'empoisonneurs de puits 19.
Enfin, à défaut de remèdes, parmi les recettes que proposait la médecine,
certaines, touchant à l'amélioration de l'habitat ou de la nourriture,
n'étaient accessibles qu'aux classes aisées ; au xrx® siècle la médecine
est restée longtemps une médecine de classe. Il n'en est plus de même
dans le cas qui nous intéresse ici, où le médecin propose à tous les
mêmes remèdes, les mêmes soins. La médecine scientifique a donc
démystifié la maladie, en même temps qu'elle a accru l'égalité devant
la mort ; elle rassure, elle apaise, beaucoup plus qu'elle ne pouvait le
faire un siècle plus tôt.
Concluons sur la déception du seul historien, pour qui les
malades raisonnables du XXe siècle sont loin d'avoir la même richesse
de réactions émotionnelles que les victimes des épidémies de temps
plus anciens.
Pierre Guillaume.

18. La population de Bordeaux, op. cit.


19. L. Chevalier et divers, Le Choléra, la première épidémie du
XIX9 siècle, Paris, P.U.F., 1958.

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