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Rossitza TASHEVA (Université de Sofia "St.

Kliment Ohridski", Bulgarie)

La pénétration des idées révolutionnaires françaises dans la Renaissance bulgare


(à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle)

La Révolution française de la fin du XVIIIe siècle lance un défi puissant contre l'ordre
politique et social traditionnel en Europe. Les principes de liberté, égalité et droit de
résistance à l'oppression qu’elle proclame animent les peuples européens et menacent le
pouvoir des monarques. Les peuples balkaniques sous domination ottomane, eux aussi, ne
restent pas indifférents au message révolutionnaire de la France. De nouvelles recherches
démontrent l’étendue de l’écho que la Révolution a trouvé surtout parmi les grecs, les
roumains et les serbes 1.
Les idées révolutionnaires françaises arrivent-elles au peuple bulgare? À la fin du
e
XVIII siècle les bulgares, qui depuis quatre siècles sont soumis au pouvoir ottoman, semblent
rester éloignés du bouillonnement spirituel et social général. Jusqu'à ce moment les
chercheurs n’ont pas trouvé de témoignages écrits, provenant des représentants de
l’intelligentsia de la Renaissance bulgare, qui prouvent d’une manière incontestable que les
hommes lettrés étaient au courant des événements révolutionnaires en France et qu’ils s’en
étaient sentis entrainés par ces événements. Et si les intellectuels instruits n’ont pas entendu
l’appel révolutionnaire de la France, encore moins on pourrait attendre qu’il se répercute sur
les gens ordinaires. Sur cette base, dans l'historiographie s’est implantée l’opinion que la
Révolution française de la fin du ХVІІІe siècle s’est déroulée sans que les bulgares puissent la
percevoir, sans laisser aucune trace dans leur façon de penser et leur comportement, et que
même si certaines idées révolutionnaires françaises ont par leur force d’expansion pénétré
dans la Renaissance bulgare, cela ne s’est passé que dans les années 60 et 70 du ХІХe siècle 2.
C’est alors que surgit le mouvement de libération nationale bulgare, organisé et indépendant,
dont les personnalités politiques les plus éminentes, comme Vassil Levski, Luben Karavelov
et Christo Botev, ont été influencées par l'idéologie révolutionnaire française, mais très
faiblement selon certains auteurs, vu que presque un siècle s’est écoulé depuis le
déclanchement de la révolution en France 3.
Mais avons-nous la raison d’accepter que l'absence des sources écrites de la fin du
XVIIIe et du début du XIXe siècle qui reflètent l'attitude des Bulgares envers la Révolution
française, prouve l’absence totale d’information et l'isolement culturel du peuple bulgare? Il
est possible que les idées françaises soient devenues connues et aient influencé les Bulgares

1
par des voies difficiles à capter sur la base de documents. L'objectif de ma recherche est
d’étudier s’il existait des méthodes, des voies et des moyens par lesquels les idées
révolutionnaires françaises auraient pu parvenir aux bulgares pendant l’époque de la
Révolution et de Napoléon, et si ces idées ont eu un impact sur les bulgares, si elles ont été
adoptées ou rejetées.
Je voudrai d'abord décrire les circonstances qui entravent beaucoup plus l'influence
idéologique de la Révolution française sur le peuple bulgare, en comparaison avec les autres
nations européennes, y compris certains peuples balkaniques soumis à l'Empire ottoman.
En premier lieu on doit tenir compte du fait que le peuple bulgare sous le pouvoir
ottoman n'a presque pas de possibilités d’avoir des contacts directs et même indirects avec la
France révolutionnaire. Au XVIIIe et au début du XIXe siècle, il n’existe pas de
représentations diplomatiques françaises dans les terres bulgares et la Bulgarie se trouve trop
loin des territoires sur lesquels se déroulent les campagnes des armées révolutionnaires
françaises ou bien s’y organise une gestion administrative française. La Bulgarie est située
tout près du centre de l'Empire ottoman, qui en dépit de sa décadence et de la profonde crise à
l’époque de Sélim III (1789-1807), préserve son caractère militaire et despotique et, surtout,
son conservatisme idéologique, inspiré par les principes inébranlables du Coran. Durant les
années de la Révolution française dans l'Empire ottoman il ne parait aucun journal offrant une
information sur les évènements dans le monde. La pénétration de l'influence occidentale dans
l'empire est lente et pénible, parce qu’elle se heurte à une forte résistance de la part des
porteurs de la civilisation islamique traditionnelle. Le monopole sur la vie spirituelle des
peuples chrétiens dans l'empire est détenu par l'Église grecque orthodoxe de Constantinople,
qui soutient la soumission au pouvoir ottoman vu que ce pouvoir lui assure une position
privilégiée dans l’État. L’Église lutte contre l'introduction de toute idéologie nouvelle en
utilisant des moyens divers - de l’accusation de rébellion contre le Sultan et
l’excommunication, à la suppression physique des adversaires.
Un autre obstacle sérieux devant la pénétration des idées progressistes et
révolutionnaires dans les terres bulgares est le traditionalisme dominant sur le mode de vie et
sur la conscience du peuple bulgare. Au temps de la conquête ottomane la grande majorité de
la population bulgare est convertie en une masse productive, privée de droits et égalitaire du
point de vue social. Pendant des siècles, elle vie dans des communautés villageoises qui sont
fermées pour les influences extérieures et gardent la tradition et la mémoire historiques.
L'éducation dans les écoles bulgares, même dans la première décennie du XIXe siècle, assure
à peine l'alphabétisation élémentaire et préserve son caractère religieux et monastique. Il

2
n’existe pas de nombreuse intelligentsia bulgare, influencée par la pensée de l'Europe
occidentale, connaissant les conquêtes de la Révolution scientifique et des Lumières. Dans
cette période précoce de la Renaissance bulgare la grande majorité des enseignants et des
hommes de lettres sont des moines et des prêtres - copistes de manuscrits sur des thèmes
religieux. La bourgeoisie, qui peu à peu commence à se développer comme une nouvelle
couche dans la structure sociale, n’est encore qu’un groupe peu nombreux et faible. Une
partie considérable de cette bourgeoisie naissante est influencée par la bourgeoisie grecque
beaucoup plus forte, ce qui explique pourquoi l'idée d'une Bulgarie libre et indépendante
n’occupe pas une place primordiale dans sa conscience. Dans ces conditions, à la fin du
XVIIIe et au début du XIXe siècle, la formation d’une conscience nationale bulgare se trouve
encore à un degré de développement très bas 4. L’appel à l’éveil national, lancé en 1762 par le
moine bulgare Paisij du monastère Hilendar au Mont Athos est entendu par un cercle
relativement restreint de bulgares – lecteurs et auditeurs de son livre "Histoire des Slaves
bulgares". Le processus du réveil du peuple entier de son léthargie et de la confirmation de
l’idée de son émancipation spirituelle et politique se développe lentement.
Et enfin, nous devons aussi tenir compte de la politique officielle de la Révolution
française envers l’Empire ottoman. Jusqu'à la campagne d’Egypte de Napoléon Bonaparte en
1798 la France cherche à conserver les relations traditionnellement bonnes avec la Sublime
Porte et ne stimule pas la propagande révolutionnaire directe parmi les peuples soumis.
Malgré toutes ces conditions défavorables qui incontestablement freinent la
pénétration des idées révolutionnaires françaises en Bulgarie, il existe des données permettant
de présumer que certains Bulgares ont tout de même pu connaître les changements survenus
en France et dans les autres pays européens dans l’époque de la Révolution et entendre sa
devise "Liberté, égalité, fraternité".
En premier lieu il s’agit des bulgares vivant à l'étranger. L’intégration des terres
bulgares dans le commerce européen au ХVІІІe siècle a comme effet l'apparition des colonies
commerciales bulgares dans plusieurs endroits en Europe Centrale et Orientale. Le nombre
des émigrants bulgares augmente constamment. Dans la recherche de meilleures conditions de
vie et d’activité économique et littéraire, et souvent par crainte de vengeance de la part des
autorités turques après les tentatives de soulèvements de libération nationale ou après les
guerres non réussies de l'Empire ottoman, des milliers de Bulgares s’installent à Vienne, Pest,
Belgrade, Brasov, Bucarest, Odessa. Sur ces nouveaux lieux les bulgares vivent dans des
conditions politiques et sociales différentes de celles de l’État ottoman, ils ont accès à un
nouveau moyen influent de communication avec le monde occidental - la presse périodique 5,

3
et ce qui est particulièrement important - beaucoup d'entre eux deviennent témoins de
réformes sociales profondes et impressionnantes dans l’Empire des Habsbourgs de l'époque
de Marie-Thérèse et Joseph II, réformes provoquées tant par les idées des Lumières, que par
la Révolution française: la popularisation de l'enseignement laïque, l’abolition du servage,
l'introduction de la tolérance religieuse et de l'égalité devant la loi. La plupart des Bulgares à
l'étranger restent solidement attachés à leur patrie. Il est logique de supposer qu'ils ont
informé leurs proches et parents en Bulgarie sur la nouvelle manière de vivre et sur les
changements qu’ils ont observés, se transformant ainsi en médiateurs transférant les idées
occidentales vers la société bulgare. Cela est valable aussi pour les bulgares, essentiellement
commerçants, qui visitent les pays européens, entrent en contact direct avec plusieurs peuples
européens, et importent, avec leurs marchandises, aussi des livres et des idées nouvelles.
Certains Bulgares à l'étranger deviennent l’objet de l'activité politique des diplomates,
agents et émissaires français, qui travaillent activement pour promouvoir les idées de la
Révolution. Dans ce contexte l'activité des consulats français à Bucarest et Jassy dans les
années du Directoire mérite un intérêt certain 6. Afin d’éviter une détérioration des relations
entre la France et l'Empire ottoman, les diplomates français Charles Flury - consul général à
Bucarest, et Louis Parant - vice-consul à Jassy, ainsi que leurs adjoints n’appellent pas les
peuples balkaniques soumis au pouvoir ottoman à la révolte. Ils utilisent des moyens
apparemment inoffensifs mais efficaces pour influencer l'opinion publique: ils font connaître
les symboles de la Révolution – la cocarde tricolore et le drapeau national de la France,
introduisent la nouvelle appellation "citoyen", organisent des réunions solennelles et des bals
somptueux, en y démontrant un esprit démocratique, de l’amour à la liberté et de la haine pour
les monarques. En reconnaissant le succès de la propagande française, le consul de Russie à
Jassy indique que la cocarde tricolore était attachée à tout type de chapeaux - grecs, turcs,
moldaves, polonais et bulgares (cursive de l’auteur - R. T.). Cette propagande devient encore
plus active pendant les premières années de l'Empire français, lorsque les consulats français
incorporent les terres bulgares dans le champ de leur propagande politique. Dans la période de
1804 à 1806 des agents français distribuent en "Bulgarie" (comme l’indique explicitement
l’informateur secret de l'ambassadeur russe à Constantinople Italinski) des appels en
différentes langues, y compris en langue bulgare 7. Le contenu de ces appels reste inconnu,
mais on peut supposer que, pareillement aux manifestes distribués un peu plus tôt en grec, la
population a été appelée à s’unir avec la France pour la réalisation de sa libération du joug
ottoman.

4
Dans la période du ХVe au ХVІІІe siècle, à Constantinople, il se forme une importante
colonie bulgare d’ouvriers, d’artisans et de commerçants 8. Il est notoire que dans les années
20 et 30 du XIXe siècle le nombre des bulgares y atteint 30 mille personnes. On ne pourrait
pas admettre qu'ils n'aient pas remarqué l’ample mouvement en faveur de la Révolution
française et en particulier de la République française, qui surgit dans la capitale ottomane en
1792-1793 et auquel participent des français vivant à Constantinople, ainsi que des turcs
musulmans. La Sublime Porte n’entreprend rien contre ce mouvement pour ne pas perdre son
alliance avec la France contre les ennemis communs - la Russie et l'Autriche. Dans les rues de
la ville on porte la cocarde tricolore, on utilise les mots "ami" (Dost) et "frère" (Kardache) 9.
En 1793, dans la cour de l'ambassade française est planté l'arbre de la Liberté. À
Constantinople aussi est créé un club Jacobin. La nouvelle atmosphère qui règne dans la
capitale turque est décrite en détail dans les notes collectives, remises à la Sublime Porte en
avril et juin 1793 par les représentants diplomatiques de l'Autriche, de la Prusse et de la
Russie. Les diplomates européens se plaignent de l’"anarchie" dans la ville, du fait qu’on
chante sans cesse des "chansons indécentes" qui insultent tous les souverains, des "hurlements
républicains des Jacobins dans les rues de Péra", mais surtout de la diffusion d’un grand
nombre de pamphlets "pour soulever le peuple". Dans un de ces pamphlets on trouve: "Peuple
malheureux,…Il est temps enfin qu’éclairé sur ta situation tu te décides à secouer le joug qui
t’opprime dans ce pays de l’esclavage!" 10.
À la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle un moyen important aidant à attirer les
bulgares vers les idées des Lumières et de la Révolution française deviennent les écoles
grecques, qui s’ouvrent dans les terres bulgares - à Plovdiv, Tarnovo, Melnik, ainsi que dans
d’autres sites avec une population bulgare compacte (par exemple, la célèbre Académie de
Saint Sava à Bucarest). Dans ces écoles les fils de la bourgeoisie bulgare naissante non
seulement acquièrent des connaissances laïques, mais sont influencés par les idées
progressistes de leurs enseignants, dont certains sont des sympathisants enthousiastes et
propagateurs des idées énoncées dans la Déclaration française des Droits de l'homme et du
citoyen.
Pour finir, je mentionnerai le nom d’un bulgare pour lequel il existe des preuves
indiscutables qu’il a eu un contact direct avec la France immédiatement après la Révolution. Il
s’agit de Nedyalko Popovitch – une personne bien éduquée pour son époque, possédant une
culture riche, et cela est évident puisqu’il était le responsable des affaires financières et de la
correspondance personnelle du pasha de Vidin Osman Pazvantoglou. Pendant l’automne de
1801 Nedyalko Popovitch voyage avec une mission politique à Paris, il entre en contact avec

5
le ministre français des affaires étrangères Talleyrand et mène des pourparlers pour la
conclusion d’un contrat d’amitié entre la France et le Pacha 11.
Ainsi, nous voyons que malgré la position défavorable des bulgares du point de vue
leurs possibilités de contacts avec l'Europe, on ne peut pas parler de leur isolement culturel
total. Beaucoup de gens, surtout du milieu de la bourgeoisie naissante, ont eu l'occasion
d'entrer en contact avec la culture européenne moderne, de connaître les idées françaises de
liberté et de transformation radicale de la société. L’absence d’une presse périodique bulgare
en ce moment était un obstacle sérieux pour la popularisation de ces idées dans la société
bulgare, mais elles avaient reçu une certaine diffusion à travers la correspondance privée et
surtout par la transmission orale des nouvelles.
Et si tel est le cas, comment pourrions-nous expliquer le fait que la Révolution
française ne se trouve pas reflétée dans la littérature bulgare de cette période? D’autant plus
que les textes bulgares des années précédentes prouvent d’une manière incontestable que la
France et les français n’étaient pas inconnus pour les bulgares 12.
La première explication possible de ce „paradoxe” est le fait que dans la dernière
décennie du XVIIIe et la première décennie du XIXe siècle, lorsque l'expansion des idées
révolutionnaires françaises en Europe est particulièrement intense, les bulgares sont contraints
de surmonter les années les plus pénibles de vie sous le pouvoir politique étranger. La
Révolution française coïncide avec le point culminant des insurrections féodales dans
l'Empire ottoman, lorsque les dirigeants locaux – les ayans, se révoltent contre le pouvoir
central, et cela coïncide avec les attaques systématiques et massives des kirdjalis (bandits)
contre la population civile. Durant cette période, appelée "le temps des kirdjalis", l’illégalité,
l'anarchie, et la violence dans l'Empire ottoman arrivent à un tel degré que près de 250 000
bulgares sont contraint de chercher le salut en émigrant principalement en Valachie, Moldavie
et Russie du sud 13. Dans le nombre assez réduit de textes bulgares laïques qui nous est
parvenu de ce temps, nous ne trouvons pas d'informations et d'évaluations concernant la
Révolution française, mais des données sur les calamités qui se sont abattues sur le peuple.
Cela se voit très clairement dans l'autobiographie de l'éminent homme de lettres bulgare de la
fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle Sofronij, évêque de Vratsa (ou Sofronij Vrachanski),
intitulée "Vie et Souffrances du pêcheur Sofronij" – le premier livre bulgare tout à fait
original, écrit dans la langue parlée du peuple.
Sofronij est un éducateur avec une culture remarquable. Il possède des connaissances
profondes en histoire. Il trace des plans audacieux pour la libération de son peuple, en tenant
compte des rapports de forces dans l'Empire ottoman et en Europe. Il vit trois ans à Vidin

6
dans l’entourage d’Osman Pazvantoglou, qui à cette époque mène des négociations
diplomatiques complexes avec la France. Compte tenu de ces circonstances, il est difficile
d'imaginer que Sofronij n'aie pas été au courant des changements, survenus comme résultat de
la Révolution française et des guerres napoléoniennes. Pourtant, dans son autobiographie il ne
fait aucune mention d’elles. En revanche, il présente une image émouvante de la vie sans joie
des bulgares à cette époque – les actes violents et arbitraires des kirdjalis, les afflictions, les
insultes et les humiliations que souffrent les gens ordinaires.
Une autre source précieuse duquel nous puisons des renseignements sur les problèmes
qui préoccupaient les Bulgares à l'époque de la Révolution française, sont les chroniques et
les annales, récits sur "le vu et l’entendu" conçus par des personnes lettrées – prêtres, moines
et enseignants, ainsi que les notes marginales laissées dans les manuscrits et les livres par
leurs copistes. Ici aussi, nous découvrons des données sur les pillages, les dévastations et les
meurtres perpétrés par les kirdjalis, sur la famine et la vie chère, sur la peste et les
tremblements de terre 14. Mais ces sources gardent le silence sur la question qui nous intéresse
– la Révolution française.
Il est quand même peu probable que "le temps des kirdjalis" soit la seule raison de ce
silence. Malgré les fléaux qui frappent le peuple, certains chroniqueurs attirent l’attention sur
des différents événements de la politique extérieure, notant en particulier les guerres de
l'Empire ottoman, qui pourraient apporter un changement du statu quo dans la région des
Balkans. Voilà pourquoi l’absence d'information sur la France révolutionnaire peut être liée
aussi au fait que les Bulgares ne se font pas d'illusions sur l’intervention française en leur
faveur: les gouvernements révolutionnaires français maintiennent des relations amicales avec
l'ennemi politique - l'Empire ottoman; c’est avec l'aide d’instructeurs français que le Sultan
tente de réformer son armée. Cependant il y a un fait remarquable - les chroniqueurs bulgares
évoquent souvent le nom de Napoléon Bonaparte 15. Il commence une guerre contre la Turquie
ottomane et ses campagnes en Égypte et en Syrie (1798-1799) trouvent une présentation
détaillée dans les chroniques. Le peuple se rend compte que des événements qui peuvent
changer son destin se produisent, mais ses espérances sont démenties. Dans les chroniques il
est accordé aussi une attention particulière à la guerre de Napoléon contre la Russie.
L'empereur de la France est représenté comme un souverain puissant qui a attaqué avec une
immense armée l’Etat russe pour le conquérir. Beaucoup d'auteurs donnent expression de leur
soulagement et joie du fait qu’il a échoué dans son entreprise. La raison est évidente: la
France qui a démontré son indifférence vers les problèmes nationaux des Balkans ne peut être
un allié contre l'Empire ottoman; par contre, la Russie qui a remporté une série de victoires

7
militaires contre les Turcs et qui est reconnue comme protecteur des peuples chrétiens
balkaniques, s’affirme de plus en plus dans l'esprit des Bulgares comme un allié naturel et
même comme le seul sauveur possible de la domination ottomane.
C’est ici que nous devons nous poser la question: lesquelles des idées de la Révolution
française auraient pu être embrassées par les Bulgares? Ceux-ci n'ont ni de monarchie absolue
qu’ils pourraient remplacer avec un gouvernement constitutionnel, ni d'aristocratie, pour la
priver de ses privilèges. Il est peu probable de s'attendre qu’ils puissent accepter la critique
des philosophes et des révolutionnaires français contre l'Eglise et le clergé. Sur les Balkans
l’Eglise orthodoxe, bien qu’étant une institution conservatrice, joue aussi un rôle positif. Dans
les conditions d’un environnement musulman, elle soutient la foi chrétienne, contribue au
maintien de l'identité culturelle des peuples, ainsi qu'au développement de l'enseignement.
Sûrement les Bulgares auraient pu adopter de la France révolutionnaire l'idée de l'abolition du
régime féodal. Mais ils se rendent compte qu'il existe quelque chose de beaucoup plus
important et dont la réalisation est leur tâche primordiale – acquérir la liberté nationale.
À la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle c’est justement l'idée de la liberté,
proclamée par la France révolutionnaire avec une force sans précédent, qui envahi l'esprit des
représentants les plus progressistes et les plus instruits du peuple bulgare. La Révolution
française joue le rôle d'un catalyseur qui donne une accélération puissante au processus de
prise de conscience nationale et stimule la lutte pour la libération de la domination ottomane.
Jusqu'à ce moment la résistance bulgare contre le pouvoir étranger dans la plupart des
cas était non organisée et spontanée. Les Bulgares se sont révoltés pendant les guerres des
États européens contre l'Empire ottoman, ils ont participé aux guerres austro-turques et russo-
turques, mais sans avoir leur propre programme d'action, sans soulever auprès les Etats faisant
la guerre une demande de résolution de leurs revendications nationales.
Durant la première décennie du XIXe siècle, nous voyons comment les Bulgares, ayant
déjà acquis une expérience militaire dans la lutte contre les kirdjalis, sous l'influence de la
situation nouvelle en Europe et dans les Balkans, s’activent avec une force et énergie sans
précédent. Lorsque en 1804 commence l’Insurrection de libération serbe, des milliers de
volontaires bulgares s’y incorporent avec l'espoir que la victoire des serbes mènera aussi à la
libération de leur propre patrie 16. Dans la guerre Russo-turque de 1806-1812, les bulgares non
seulement participent dans des détachements chrétiens volontaires, ensemble avec des
roumains, serbes et grecs, mais ils organisent aussi un corps d’armée appelé "Armée régionale
bulgare"(en bulgare: Bylgarska zemska vojska). Cet armée fait partie des forces militaires
russes, et est la première unité composée uniquement de bulgares, dans laquelle sont inclus

8
des émigrants des Principautés danubiennes et aussi des patriotes de l’intérieur du pays. Au
cours de ces événements s’élargit aussi la lutte de libération dans les terres bulgares - dans les
régions de Niš (aujourd’hui en Serbie), Sofia, Razgrad, Varna, Shumen, Gabrovo et autres 17.
Une conséquence extrêmement importante de cette activation des larges couches du
peuple bulgare est l'établissement du premier centre national, qui cherche une solution de la
question politique bulgare. Il est formé au début du XIXe siècle à Bucarest sous la direction
du chef national le plus influent à l'époque – le notable homme de lettres Sofronij Vrachanski,
qui a réuni un groupe de patriotes bulgares, commerçants et ecclésiastiques. Le comité
politique bulgare à Bucarest attire l'attention des milieux gouvernementaux russes sur le sort
du peuple bulgare en organisant la première délégation diplomatique bulgare en Russie, et
ainsi réalise le premier contact des bulgares avec un gouvernement étranger.
La foi dans la libération imminente de la patrie avec l’aide de l'armée russe oriente
Sofronij Vrachanski vers la question de l'organisation du futur État libre. Il découvre son idéal
de régime politique dans le livre du théologien catholique Ambroise Marlian, "Le théâtre
civil" ("Theatrum politicum"), publié pour la première fois en 1631 18. En traduisant ce livre
Sofronij révèle son rêve – la Bulgarie libre doit être une monarchie absolue régie par un
souverain sage, bien intentionné et dévot. À cette époque le monarque fort est le symbole de
l’État puissant et indépendant.
Bientôt la Russie, qui est sous la menace de la guerre avec la France napoléonienne,
est contrainte de commencer des négociations de paix avec la Sublime Porte. De nouvelles
dizaines de milliers de bulgares, craignant une vengeance turque, émigrent en Valachie et en
Moldavie. En réponse à la situation créée, en 1811 Sofronij Vrachanski, au nom des Bulgares
de Bucarest, adresse au commandant général russe Mikhail Koutouzov sa célèbre
Revendication, qui aujourd'hui est reconnue comme le premier programme politique du
mouvement de libération nationale bulgare et le premier document sur les droits du peuple
bulgare. La Revendication demande l’établissement, avec l’aide de la Russie, d’une région
bulgare autonome au nord du Danube, où les bulgares auront le droit d’élire de façon
démocratique leurs juges et leurs prêtres, d’établir leurs écoles nationales et de s’occuper
librement de leurs affaires économiques. Les plus pauvres doivent recevoir une assistance de
l'État. Il est prévu l’unification des terres bulgares au sud du Danube à la Région autonome,
dès que possible 19.
Dans le début du XIXe siècle, la Bulgarie n'est encore pas dans la sphère des intérêts
russes. Et c’est pour cela que les plans politiques des patriotes bulgares échouent. Mais
malgré cet échec les bulgares mettent finalement fin à leur anonymat politique. Pour la

9
première fois depuis quatre siècles, ils se présentent sur la scène politique et formulent leurs
revendications nationales.
L’élargissement de la résistance bulgare contre le pouvoir ottoman, ainsi que la
maturation idéologique et politique que l’on observe dans la première décennie du XIXe siècle
ne peuvent pas être associées seulement avec l'Insurrection serbe ou avec la guerre russo-
turque. Ils sont aussi le résultat des changements survenus en Europe et suscités par la
Révolution française et les guerres napoléoniennes.
A cette époque la pensée politique bulgare réunit deux idées apparemment
incompatibles - l'idée française de la liberté et la réalisation pratique de cette idée avec l’aide
d’un des États les plus antilibéraux au XIXe siècle - la Russie des tsars 20. On voit que les
bulgares répondent d’une façon très spécifique aux événements européens. Mais de toute
évidence, comparés au siècle précédent, ils ont commencé à mieux s’orienter du point de vue
politique, ils démontrent leur réalisme ainsi que leur forte volonté de parvenir à la libération
de la domination ottomane.
Au cours des années 30 du XIXe siècle on voit le début de la formation de jeunes
bulgares dans les écoles et universités françaises. Les premières écoles laïques bulgares
ouvrent leurs portes et le thème de la France entre dans les manuels scolaires. Peu de temps
après, la France apparaît comme sujet aussi dans la presse périodique bulgare. L'influence
française sur le mouvement de libération nationale bulgare devient plus intense. Mais le fait
qu'elle a commencé à pénétrer d'une manière presque invisible encore à l'époque de la
Révolution française de la fin du XVIIIe siècle n’est pas à sous-estimer.
Le grand historien roumain Nicolae Iorga, qui le premier a étudié l'influence de la
Révolution française en Europe du Sud-Est, a déclaré: "Ce qui est essentiel dans l’influence
exercée par un mouvement c’est la trace que ce mouvement laisse dans les âmes." 21 Chez les
bulgares cette trace n'est pas seulement dans leurs âmes, elle est aussi dans l'organisation et
l'idéologie. Elle devient un point de départ important pour le développement futur de la lutte
pour la liberté nationale.

Notes:

1
Sur l’influence de la Révolution française dans le Sud-Est européen voir, par exemple, Kitromilidis,
P. La Révolution française et l’Europe du Sud-Est. Athènes, éd. Poreia, 2000; Castellan, G. La Révolution
française et son impact en Europe du Sud-Est. – In: Revue histrorique, N 571, juillet-septembre 1989, pp. 187-
195; Sixième Congrès International d’études Sud-Est européennes. La Révolution et son impact dans le Sud-Est
européen. – In: Etudes balkaniques. Sofia, 1991, N 1; L’influence de la Révolution française dans le Balkans et
le rôle de la France dans le relations internationales (IVe colloque des historiens français et bulgares – Sofia, 24-
26 octobre 1987). – In: Etudes balkaniques. Sofia, 1988, N 3.

10
2
Genchev, N. Frenskata revoliuciia i Bylgariia. - In: Voenno-istoricheski sbornik, 1989, N 5, pp. 3-11;
Berov, L. L’influence des idées de la Révolution française sur la pensée sociale et politique en Bulgarie au XIX e
et au début du XX e siècle. – In: Etudes balkaniques. Sofia, 1988, N 3, pp. 11-23; Dimitrov, M. Frenskata
revoliuciia i otrazhenieto j u nas. - In: Filosofski pregled, 1939, N 3, pp. 241-258.
3
Berov, L. L’influence des idées de la Révolution française… p. 20.
4
Radkova, R. Nacionalnoto samosyznanie na bylgarite prez XVIII i nachaloto na XIX v. – In:
Bylgarskata naciia prez Vyzrazhdaneto. T. 1. Sofiia, Izdatelstvo na BAN, 1980, p. 186.
5
Il est remarquable que même en Russie conservatrice la presse périodique relate en détail la prise de la
Bastille et suit pas à pas le développement de la Révolution. Voir: Limonov, Y. La Révolution française à
travers les journaux russes. – In: La Révolution française et la Russie. Moscou, Ed. du Progrès, 1989, pp. 279-
302.
6
Mitev, P. Politicheskata aktivnost na frenskite konsulstva v Bukuresht i Iash v godinite na
Direktoriiata i Imperiiata. – In: Vekove, 1989, N 4, pp. 14-19.
7
Ibidem, p. 17.
8
Nachov, N. Carigrad kato kulturen centyr na bylgarite do 1877 g. - In: Sbornik na BAN. Kniga XIX.
Klon Istoriko-filologichen i Filosofsko-obshtestven. Sofiia, 1925, p. 3, 7.
9
Jamgocyan, O. La Révolution française vue et vécue de Constantinople (1789-1795). – In: Annales
historiques de la Révolution française [En ligne], N 282, 1990, pp. 462-469.
10
Testa, Ignace de. Recueil des traités de la Porte ottomane avec les puissances étrangères depuis le
premier traité conclu en 1536, entre Suléyman I et François I, jusqu'à nos jours. 11 vol. Paris, Amyot, E. Leroux,
1864-1911, Tome 2, pp. 204-206.
11
Mutafchieva, V. Kyrdzhalijsko vreme. Sofiia, Izdatelstvo na BAN, 1993, pp. 265-266.
12
Voir Danova, N. L’image de la France et des Français dans les textes bulgares au seuil des Temps
modernes. – In: Etudes balkaniques. Sofia, 2001, N 2-3, pp. 201-203.
13
Dojnov, S. Bylgarskata emigraciia ot vtorata polovina na XVIII i pyrvoto desetiletie na XIX v. v
zemite na sever ot Dunav. - In: V chest na akademik Dimityr Kosev. Sofiia, 1974, pp. 81-90.
14
Pisahme da se znae. Pripiski i letopisi. Sofiia, Izdatelstvo na Otechestveniia front, 1984.
15
Ibidem, pp. 33, 303, 306, 307, 308, 320; Pop Jovcho ot Triavna. Letopis i rodoslovie. Veliko
Tyrnovo, Universitetsko izdatelstvo „Sv. sv. Kiril i Metodij”, 1995, p. 47.
16
Trajkov, V. Uchastieto na bylgarite v nacionalnoosvoboditelnite borbi na drugite balkanski
narodi – faktor za ukrepvane nacionalnoto syznanie na bylgarskiia narod. – In: Bylgarskata naciia prez
Vyzrazhdaneto. T. 1. Sofiia, Izdatelstvo na BAN, 1980, pp. 338-359.
17
Dojnov, S. Bylgarskoto nacionalnoosvoboditelno dvizhenie, 1800-1812. Sofiia, Izdatelstvo na BAN,
1979, pp. 98-111, 136-158.
18
Kiselkov, V. Sofronij Vrachanski. Zhivot i tvorchestvo. Sofiia, Izdatelstvo na BAN, 1963, pp. 186-
203.
19
La Revendication de Sofronij Vrachanski est publiée en russe In: Konobeev, V., Shatohina, E. Iz
istorii politicheskih sviazej Rossii s rukovoditeliami nacionalьno-osvoboditelьnogo dvizheniia Bolgarii v 1806-
1812 gg. – In: Bylgarska akademiia na naukite. Izvestiia na Instituta za istoriia. T. 20, 1968, pp. 377-379 et, en
abrégé, en français In: L’émergence des droits de l’homme en Europe. Anthologie de textes. Editions du Conseil
de l’Europe, 2001, pр. 17-18.
20
Ce fait impressionnant retient l’attention du chercheur français Guy Lemarchand qui en propose une
explication courte mais claire et précise. Voir: Lemarchand, G. Révolution française et transition du feodalisme
au capitalisme. – In: Etudes balkaniques. Sofia, 1991, N 1, p. 31.
21
Iorga, N. La Révolution française et le Sud-Est de l’Europe. – In: Revue Historique du Sud-Est
européen, Xe année, Nos. 10-12, Octobre-Décembre 1933, p. 366.

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