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Table des matières
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LISTE DES AUTEURS XI

AVANT-PROPOS XV

PREMIÈRE PARTIE
REPÉRAGES

1. Violences sexuelles et physiques : actualités législatives 2


Myriam Quéméner
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Violences sexuelles, harcèlement de rue et outrage sexiste 3


Violences et harcèlement, 3 • Actions à engager pour les victimes de harcèlement, 4 • Actions
sur le plan psychologique et de secours, 5 • La preuve en matière de harcèlement
et de violence, 5 • Le harcèlement sexuel et moral, 6 • Le harcèlement moral pour dégradation
des conditions de vie, 6 • Une dégradation des conditions de vie de la victime, 6
Les violences sexuelles commises au préjudice des mineurs 7
La répression de la corruption de mineur, 9
Violences sexuelle et numérique 10
Le « revenge porn », 10

2. Identifier et soigner les victimes présentant des troubles de stress post-traumatique (T.S.P.T.) 12
Thierry Albernhe, Didier Bourgeois, Roland Coutanceau
Quelques rappels sur le T.S.P.T. 13
IV TABLE DES MATIÈRES

Quelles pistes thérapeutiques proposer ? 14


Les dispositifs de prévention, 14 • L’intervention, 15 • Et chez l’enfant ?, 16 • Les dispositifs
et les processus de suivi des victimes, 16

3. Le traumatisme psychique complexe 19


Samia Lahya, Olivier Fossard
Historique, définitions et classifications 19
Enquête « Exposition Psychotraumatique en Psychiatrie Adulte » 22
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Le traumatisme psychique complexe : quelques éléments cliniques 22
Le complexe DESNOS et le trauma complexe, 23 • La Dissociation, 23 • Dissociation et approche
neurobiologique, 25 • Convergence de trois cliniques : biographique, corporelle, émotionnelle, 27
Approches thérapeutiques 28
Cas cliniques 30
« Le bourreau-victime », 30 • Un deuil traumatique complexe, 33 • Une dissociation
psychotraumatique complexe, 33 • Traumatisme complexe chez un refugié, 34

4. Le trauma, un symptôme de la culture de notre époque ? 37


Claude Barrois
Présence du traumatisme et son climat 38
Historique et genèse à notre époque 39
Avant 1914 et 1914-1970, 39 • 1970-1990, la reconnaissance de la vraie place des
psychotraumatismes et la fin de la guerre du Vietnam, 40 • Ma propre démarche depuis
1970, 40 • Après 1990, 41
Le couple traumatisme social - psychotraumatisme 41
Problématique, analyse et interprétation, 42 • L’exaltation narcissique et le déni de la mort, 46
• Regards critiques : traumatisme et psychotrauma, limites de la psychotraumatologie, 46

Conclusion 47

5. Le trauma psychique 48
François Lebigot
Introduction 48
Clinique du traumatisme 49
La rencontre avec le réel de la mort, 49 • L’effroi, 50 • Le traumatisme résulte toujours d’une
perception ou d’une sensation, 51
Psychopathologie du trauma 51
Le rapport avec l’originaire 53
Conclusion 54
Table des matières V

6. Victime de viol : l’effraction du corps psychique 55


Yves-Hiram Haesevoets
Argument : blessures psychiques et vécu corporel traumatique 55
De la victimisation sexuelle des femmes au processus d’hystérisation 57
Des rôles stéréotypés aux transgressions sexuelles 59
La blessure psychique du viol : de l’effraction à sa représentation symbolique 60
Activité dévastatrice de la pulsion de mort 62
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Les séquelles post-traumatiques : transgression de l’intime 63
De la culpabilité à la honte d’être soi, 63 • L’effroi face à l’horreur : de la peur à l’angoisse
d’anéantissement, 65 • La terreur : la honte de la prise de parole, 66 • L’angoisse compulsive
et destructrice, 67 • Les cauchemars : un univers insidieux, 68
Conclusion : comme un mur à abattre contre la haine de l’amour 69

7. L’amnésie traumatique : un mécanisme dissociatif pour survivre 71


Muriel Salmona
Présentation 71
Les amnésies traumatiques : conséquences psychotraumatiques d’événements traumatiques violents 72
Définition clinique de l’amnésie traumatique, 72 • Mécanisme à l’origine d’une amnésie
traumatique, 72 • Aspects cliniques des amnésies traumatiques, 73 • Historique de la
reconnaissance de l’amnésie traumatique, 74
Les amnésies traumatiques dans le cadre des troubles psychotraumatiques consécutifs aux violences
sexuelles 75
Les troubles psychotraumatiques, 75 • Les chiffres de violences sexuelles, 76 • Les chiffres
concernant les amnésies traumatiques consécutives à des violences sexuelles, 77 • Le mécanisme
neuro-psychologique, 77
La prise en charge médicale et psychologique 81
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

La prise en charge judiciaire 84


Conclusion 85

8. Être victime de soi-même ? La personnalité prométhéenne 86


Didier Bourgeois

DEUXIÈME PARTIE
DE L’ÉVALUATION À LA PRISE EN CHARGE

9. Clinique du Trauma 94
Roland Coutanceau
Évaluer la situation traumatique 95
VI TABLE DES MATIÈRES

Évaluer l’intensité de la symptomatologie post-traumatique 96


L’observation clinique, 96 • La théorisation clinique, 96 • Analyse statistique de l’impact
post-traumatique, 97
Le thérapeute entre trauma et résilience 97
Repérages dans l’évolution 98
La classique métabolisation du trauma, 98 • Repérages par des processus psychiques propres
à la dynamique de la résilience, 100
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10. Tableaux cliniques et prise en charge des traumatisés psychiques 104
Louis Crocq
Violence et traumatisme psychique 104
Questionnaire de stress immédiat, 105 • Tableau clinique de la réaction immédiate (inférieure
à 24 heures), 106 • Tableau clinique de la période post-immédiate (du 2e au 30e jour), 109 •
Tableau clinique de la période différée-chronique : névrose traumatique (ou trouble stress
post-traumatique), 111
Prise en charge des victimes psychiques traumatisees 115
Les cellules d’urgence médico-psychologique, 115 • L’intervention médico-psychologique
en période immédiate, 120 • L’intervention médico-psychologique
en période post-immédiate, 121 • Prise en charge et traitement pendant
la période différée-chronique, 126

TROISIÈME PARTIE
EXPERTISE ET ÉVALUATION DU TÉMOIGNAGE

11. Témoignage et crédibilité dans l’évaluation expertale 128


Jean-Luc Viaux
La procédure telle qu’elle se pratique 129
L’aptitude à témoigner de l’enfant : le recueil 131
Les adultes sont-ils des témoins plus fiables et plus faciles à comprendre ? 134
Conclusion 136

12. Expertise et analyse du témoignage 137


Roland Coutanceau
Les différents positionnements des experts 137
Ne pas répondre à la question, 137 • Répondre sur la crédibilité, au regard
de la personnalité, 138 • La crédibilité sur le fond, 138
Recherche d’éléments émotionnels 140
Éléments psychologiques d’accompagnement 140
Table des matières VII

Analyse du moment du dévoilement 141


Symptomatologie post-traumatique clinique et psychologique 141
En conclusion 142

13. Syndrome d’aliénation parentale ou logiques d’influence 143


Roland Coutanceau
Le syndrome d’aliénation parentale 144
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Trois stades de gravité, 145
Aspects psycho-dynamiques de compréhension 147
Conduite à tenir dans les situations parentales très conflictuelles, 148 • Conduite à tenir face à
un enfant ambivalent, réticent, rejetant ou carrément opposant au regard du lien
avec un parent, 148

QUATRIÈME PARTIE
CADRES THÉRAPEUTIQUES ET THÉRAPIES SPÉCIALISÉES

14. Des effets du trauma sur le transfert 153


Liliane Daligand
Le transfert 153
Le transfert et l’interprétation 154
Transfert, névrose et psychose, 154 • L’annulation de la question de l’homme, 155 • Au risque
de la folie, 155 • L’exclusion, 155 • La reconnaissance, 156 • Le soin, 157 • La thérapie des
enfants victimes, 159

15. La psychanalyse dans un Service d’aide aux justiciables et aux victimes 162
Jacques Roisin
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Comment je suis entré en travail analytique avec des personnes en trauma 162
Comment j’ai assumé en psychanalyse deux axes essentiels de travail sur le fond traumatique
des personnes 163
Du côté de la vie, la mort et la survie, 163 • Du côté de la rupture d’humanité, 164
Comment conceptualiser ce travail analytique ? 166

16. Victimes de violences conjugales : celles qui restent, celles qui partent 168
Marie-Odile Besset, Hayet Zaaf
Vignettes cliniques 168
Celles qui restent 170
Celles qui partent 172
VIII TABLE DES MATIÈRES

17. Les bénéfices de la double prise en charge groupale et individuelle en Victimologie 175
Adeline Laloum, Marie Abita-Pelette, Ouahida Gretter
La prise en charge individuelle 175
Thérapie de groupe 176
Vignettes cliniques 177

18. Maltraitance et violences envers les enfants 180


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Gabrielle Douieb
Définition 180
Épidémiologie 181
Mondialement, 181 • À l’échelle européenne, 181 • En France, 182
Conséquences des violences envers les enfants 183
Prise en charge thérapeutique 185
TF-CBT (Trauma-Focused Cognitive-Behavioral therapy), 185 • L’EMDR, 186 • L’ICV, 186
Conclusion 187

19. Psychothérapie des victimes 188


Michel Delage
Victimes et blessés psychiques 188
Les traumatismes, 189 • Le travail systémique, 189 • Les aspects spécifiques de la
temporalité, 190
Catastrophes collectives et travail de réseau 191
Le post-immédiat et le court terme, 191 • Le moyen terme, 192 • L’augmentation de la chaîne
des réactions positives, 193
La dimension familiale du traumatisme 194
Le traumatisme psychique attaque les liens, 194 • La temporalité post-traumatique au sein de la
famille, 196 • Les interventions thérapeutiques, 197 • La mentalisation, 199
Conclusion 201

20. Prise en charge des victimes de psychotraumatismes aigus 202


Cyril Tarquinio, Pascale Tarquinio, Camille Tarquinio
Introduction 202
L’EMDR : origine et fondements 202
Protocole et procédure EMDR 205
Les résultats de la recherche dans le domaine de la prise en charge du TSPT 206
L’intervention psychologique précoce avec l’EMDR 209
Conclusion 213
Table des matières IX

21. Traiter la dissociation à la racine 214


Joanna Smith
Définition de la dissociation 214
L’apport des neurosciences affectives : les liens entre dissociation, attachement et résilience 216
Le traitement des troubles de l’attachement en ICV et son impact sur la dissociation 218
Illustration clinique 219
Conclusion 222
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22. Hypnose ericksonienne et thérapie 223
Victor Simon

23. La Justice restaurative 226


Robert Cario
Généralités sur la Justice restaurative 227
Mise en œuvre de la Justice restaurative 229
La professionnalisation des intervenants en Justice restaurative 230
La reconnaissance de la place de la victime et/ou de ses proches 231
La responsabilisation de l’infracteur 232
L’implication des communautés d’appartenance 232
L’épanouissement du Système de Justice pénale 233
Les réalités de la Justice restaurative en France 233
La consécration législative de la Justice restaurative, 234 • Les garanties légales, 235 • 3. Les
réalisations concrètes sur le territoire national, 238 • L’Institut Français pour la justice
restaurative, 238

24. Quête de sens et reconstruction résiliente après les traumatismes 240


© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Marie Anaut
De la diversité des réactions aux chocs traumatiques 241
Fonctionnement psychique de la résilience en situation traumatique 242
Liens affectifs et attachements dans la trajectoire résiliente 243
Mécanisme de survie, sur-adaptation et pseudo-résilience 244
De la recherche de signification... 245
Vers la quête de sens de l’existence... 246
De l’observation de la résilience naturelle à sa promotion 247

CONCLUSION 249
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251
DES MATIÈRES

BIBLIOGRAPHIE
TABLE
X
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Liste des auteurs
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Ouvrage dirigé par :

Roland COUTANCEAU
Psychiatre des hôpitaux, expert national, président de la Ligue Française pour la Santé Mentale,
chargé d’enseignement en psychiatrie et psychologie légale à l’Université Paris V, à la faculté du
Kremlin-Bicêtre et à l’École des Psychologues Praticiens.

Carole DAMIANI
Docteur en psychologie clinique, directrice de Paris Aide aux Victimes, secrétaire générale de l’Associa-
tion de Langue Française pour l’Étude du Stress et du Tramatisme (ALFEST).
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Avec la collaboration de :

Thierry ALBERNHE
Chef de Pôle de psychiatrie infanto-juvénile, Centre Hospitalier de Montfavet, Avignon.

Marie ANAUT
Professeure des Universités, Université Lumière-Lyon 2, psychologue clinicienne.

Marie ABITA-PELETTE
Psychologue clinicienne, praticienne EMDR et ICV.
XII L ISTE DES AUTEURS

Claude BARROIS
Professeur agrégé du Val de Grâce, psychanalyste.

Marie Odile BESSET


Psychologue clinicienne.

Didier BOURGEOIS
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Psychiatre, chef de Pôle Avignon-Sud Durance, Centre Hospitalier de Montfavet, Avignon.

Robert CARIO
Professeur émérite de criminologie, Université de Pau et des Pays de l’Adour, Président fondateur de
l’Institut Français pour la Justice Restaurative (IFJR) justicerestaurative.org.

Louis CROCQ
Psychiatre des armées, créateur du réseau national des cellules d’urgence médico-psychologique.

Liliane DALIGAND
Professeur émérite de médecine légale, Université Claude Bernard Lyon 1, psychiatre, psychanalyste,
Expert de Justice.

Michel DELAGE
Psychiatre, ancien professeur du Service de Santé des Armées, thérapeute familial, Hôpital d’Instruction
des Armées, Sainte Anne Toulon, Association Vivre-en-Famille, La Seyne sur Mer.

Gabrielle DOUIEB
Psychologue clinicienne en service de pédiatrie (hôpital Jean Verdier) et à l’Antenne de Psychiatrie
et de Psychologie Légale du 92 (consultation pour enfants victimes).

Olivier FOSSARD
Praticien hospitalier psychiatre, chef de service, référent CUMP 84.

Ouahida GRETTER
Psychologue clinicienne.

Yves-Hiram HAESEVOETS
Psychologue clinicien, psychothérapeute d’orientation psychanalytique, chargé de recherches et maître
de conférences à l’Université Libre de Bruxelles, expert près des Tribunaux et du Ministère de la Justice,
maître-assistant des Hautes Écoles HELHa, membre de l’Association Belge des psychologues praticiens
d’orientation psychanalytique, membre de la Fédération Belge des Psychologues.
Liste des auteurs XIII

Samia LAHYA
Médecin, Thérapies Cognitives et Comportementales, référente CUMP 84.

Adeline LALOUM
Psychologue clinicienne.

François LEBIGOT
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Psychiatre, professeur agrégé du Val de Grâce.

Florence PELLEGIN
Docteur en psychologie, Unité J.Grasset, Centre Hospitalier Montfavet, Avignon.

Marie Noëlle PETIT


Psychiatre, Unité J. Grasset, Centre Hospitalier de Montfavet, Avignon.

Myriam QUEMENER
Avocat général près la Cour d’appel de Paris, docteur en droit.

Jacques ROISIN
Psychanalyste, chargé de cours en Faculté de Droit et Criminologie de l’Université de Louvain la Neuve.

Muriel SALMONA
Psychiatre, psychothérapeute, présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie.

Victor SIMON
Médecin, thérapies et formations en hypnose médicale et thérapie brève.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Joanna SMITH
Psychologue clinicienne, formatrice en ICV, enseignante à l’École de Psychologues Praticiens et à
l’Université Paris V.

Camille TARQUINIO
Doctorante, Université de Lorraine, Metz (APEMAC/EPSAM EA 4360), Centre Pierre Janet, UFR SHS Ile
du Saulcy, Metz.

Cyril TARQUINIO
Professeur des Universités, Université de Lorraine, Metz (APEMAC/EPSAM EA 4360), Centre Pierre Janet,
UFR SHS Ile du Saulcy, Metz.
XIV L ISTE DES AUTEURS

Pascale TARQUINIO
Psychologue, superviseur EMDR, Université de Lorraine, Metz (APEMAC/EPSAM EA 4360), Centre Pierre
Janet, UFR SHS Ile du Saulcy, Metz.

Jean-Luc VIAUX
Professeur émérite de psychopathologie, Université Rouen-Normandie, Laboratoire CRFDP.
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Hayet ZAAF
Psychologue clinicienne.
Chapitre 1

Violences sexuelles et physiques :


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actualités législatives

Myriam Quéméner

L ’ANNÉE 2017 A ÉTÉ MARQUÉE par l’affaire Harvey Weinstein et les faits de harcèlements sexuels dénon-
cés par des actrices d’Hollywood et par de nombreux cas de violences sexuelles commises notam-
ment à l’encontre de mineurs. La révélation dans la presse de nombreuses affaires de harcèlement
sexuel aux États-Unis a libéré la parole des victimes de tels agissements, parfois de façon anarchique
avec le mouvement « balance ton porc » ce qui a nécessité des réponses politiques et médiatiques
des femmes, en particulier sur les réseaux sociaux
En outre, plusieurs décisions judiciaires médiatisées ont suscité des réactions négatives dans la
société auquel le Gouvernement répond avec l’annonce d’une réforme législative. Ainsi, le 25 novembre
2017, dans un climat de révolte contre les violences sexistes, le président de la République a pré-
senté plusieurs propositions et a déclaré vouloir faire de l’égalité femmes hommes une grande cause
quinquennale1 .
Il convient dans un premier temps de présenter les réponses aux faits de violences et de harcèlement,
puis les prochaines évolutions législatives avec notamment le rapport du Sénat qui donnent des
orientations intéressantes en la matière puis de prendre quelques exemples sur les réponses juridiques
apportées à des tendances qui se développent comme le revenge porn et le cyberharcèlement.

1. DARSONVILLE, A., Brèves remarques sur le projet de loi contre les violences sexistes et sexuelles, AJ pénal 2017.
Violences sexuelles et physiques : actualités législatives 3

V IOLENCES SEXUELLES , HARCÈLEMENT DE RUE ET OUTRAGE SEXISTE

Le secrétariat d’État à l’égalité entre les hommes et les femmes a indiqué que « l’objectif de ce projet
de loi est de donner une place égale entre les femmes et les hommes dans l’espace public [...]. Il
faut d’une part travailler à la définition de la notion de harcèlement de rue et d’autre part engager un
travail collaboratif avec les forces de l’ordre pour mettre en place les conditions de la verbalisation ».
La garde des Sceaux a pour sa part déclaré être davantage en faveur d’une infraction d’outrage sexiste.
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Harcèlement de rue ou outrage sexiste, que recouvrent ces deux notions qui pourraient fonder une
nouvelle contravention d’après le texte de présentation de la réforme envisagée ?
Le harcèlement de rue, du fait de l’usage du terme de harcèlement, correspond à une forme de
harcèlement qui se produit dans la rue, c’est-à-dire dans la sphère publique. La création d’une telle
infraction est surprenante car le harcèlement sexuel, dans sa définition de l’article 222-33 du code
pénal résultant de la loi du 6 août 2012, a vocation à être employé dans toutes les sphères de vie,
privées ou publiques. Le texte du harcèlement sexuel pourrait donc s’appliquer si une femme est
harcelée dans la sphère publique.
!

Violences et harcèlement

Selon l’Organisation mondiale de la santé, la violence entre partenaires se définit comme « tout
acte de violence au sein d’une relation intime qui cause un préjudice ou des souffrances physiques,
psychologiques ou sexuelles aux personnes qui en font partie ».
La violence au sein des couples peut revêtir différentes formes et ne saurait se résumer à la seule
violence physique. Il est désormais établi qu’à côté des violences physiques, la violence peut également
être verbale (injures, menaces), psychologique (humiliations), sexuelle (agressions sexuelles ou viols
[1]), matérielle (dégradations volontaires), économique (spoliations, contrôle des biens essentiels,
interdiction de travailler) ou bien encore résulter de la confiscation de documents (carte nationale
d’identité, passeport, livret de famille, carnet de santé, etc.)
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Bien que la plupart de ces comportements soient déjà susceptibles d’être pénalement qualifiés, le
législateur a souhaité renforcer le dispositif existant.
Ainsi, la loi no 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes,
aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants (entrée en vigueur
depuis le 1er octobre 2010) vient renforcer le dispositif légal et reconnaît la violence psychologique
comme délictuelle au sein du couple (article 222-14-3 du Code pénal précise que les violences prévues
par les articles 222-1 et suivants du même code sont réprimées, quelle que soit leur nature, y compris
s’il s’agit de violences psychologiques).
Ainsi, la réforme du 9 juillet 2010 incrimine pour la première fois le harcèlement moral dans les
relations entre conjoints, concubins ou partenaires liés par un PACS (ou d’ex-conjoints ou concubins ou
partenaires) à l’article 222-33-2-1 du code pénal [2]. La prise en compte du harcèlement moral permet
de mieux appréhender les violences visées à l’article 515-11 du code civil concernant les mesures de
protection des victimes de violence.
4 R EPÉRAGES

Ensuite, après la ratification de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte


contre les violences à l’égard des femmes et la violence domestique, la loi no 2014-873 du 4 août
2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes vise à promouvoir l’égalité réelle entre les
femmes et les hommes et améliorer la protection des victimes contre les violences familiales. De plus,
le législateur crée la répression du harcèlement par voie téléphonique (article 222-16 du Code pénal).
!

Actions à engager pour les victimes de harcèlement


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Le dépôt de plainte se réalise auprès d’un commissariat ou d’une gendarmerie. Puis ce dépôt entraîne la
saisie du Procureur de la République qui a la possibilité d’engager des poursuites pénales à l’encontre
de l’auteur des violences.
Selon l’alinéa 1 de l’article 515-11 du Code civil, le juge aux affaires familiales peut délivrer « dans
les meilleurs délais » ou en urgence (article 515-9 du Code civil) une ordonnance de protection « s’il
estime, au vu des éléments produits devant lui et contradictoirement débattus, qu’il existe des raisons
sérieuses de considérer comme vraisemblables la commission des faits de violence allégués et le danger
auquel la victime est exposée ».
Par cette ordonnance, le Juge peut prononcer les mesures suivantes (article 515-11 et 515-13 du Code
civil) :
" Interdiction au conjoint violent d’entrer en relation avec les personnes désignées par le Juge (le
conjoint ou ex-conjoint, les enfants, les membres de la famille de la victime etc.).
" Interdiction au conjoint violent de détenir ou de porter une arme ;
" Statuer sur la résidence séparée des époux en précisant les modalités de prise en charges des frais
de ce logement.

L’article 515-11, 3 du Code civil ajoute que, sauf circonstances particulières, la jouissance du logement
est attribuée au conjoint qui n’est pas l’auteur des violences. De plus, pour rendre efficace de telles
mesures, le Juge aux affaires familiales doit prévoir l’expulsion du défendeur qui ne peut pas bénéficier
de la trêve hivernale ou de délais (article L412-8 du Code des procédures civiles d’exécution [3]). La
loi du 4 août 2014 modifie l’article 515-11 du code civil en prévoyant que :
➙ s’agissant des couples mariés, le bénéfice d’un hébergement d’urgence ne fait pas obstacle à
l’attribution du logement à la victime (3o de l’article 515-11 du Code Civil) ;
➙ · s’agissant des couples non mariés, l’article 515-11 du Code Civil prévoit que le juge « précise
lequel des partenaires liés par un pacte civil de solidarité ou des concubins continuera à résider
dans le logement commun et statue sur les modalités de la prise en charge des frais afférents à ce
logement et que, sauf circonstances particulières, la jouissance de ce logement est attribuée au
partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou au concubin qui n’est pas l’auteur des violences,
même s’il a bénéficié d’un hébergement d’urgence ».
" Prononcer les mesures relatives aux enfants et à l’exercice de l’autorité parentale en prenant en
compte le contexte de violence. Une enquête sociale ou une expertise psychologique/psychiatrique
Violences sexuelles et physiques : actualités législatives 5

peuvent être ordonnées. Le Juge peut ordonner l’exercice de droit de visite dans un lieu médiatisé
(espace de rencontre) [4].
" Autoriser la victime à dissimuler son domicile ou sa résidence et à élire la domiciliation chez son
avocat.
!

Actions sur le plan psychologique et de secours

Les victimes peuvent demander l’assistance par une association d’aide aux victimes ou via des consul-
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tations des médecins et psychologues spécialisés dans le domaine de violence et de harcèlement. Elles
peuvent aussi demander la remise d’un téléphone « Grand Danger ». C’est un téléphone spécifique
permettant à une victime de violences conjugales de contacter directement une plateforme spécialisée
en cas de danger. C’est cette plateforme qui alertera la police ou la gendarmerie si nécessaire. La
victime pourra être géolocalisée si elle le souhaite. Ce téléphone est attribué par le procureur pour
une durée de 6 mois renouvelable en cas d’éloignement du conjoint violent. Le dispositif est destiné
aux cas les plus graves de violences conjugales.
Il faut préciser qu’il résulte de l’article 41-1 5° du Code de procédure pénale que le recours à la
médiation pénale est subordonné à la demande expresse de la victime. Selon la circulaire d’orientation
de politique pénale en matière de lutte contre les violences au sein du couple CRIM AP 2014/0130/C16,
la médiation pénale devra être réservée à des cas de violences isolées et de faible gravité, notamment
dans les cas où la séparation est avérée, afin d’encourager apaisement durable du conflit parental en
présence d’enfants.
!

La preuve en matière de harcèlement et de violence

Selon l’article 515-11, alinéa 1, du Code civil prévoit que le juge doit apprécier « au vu des éléments
produits devant lui et contradictoirement débattus, qu’il existe des raisons sérieuses de considérer
comme vraisemblables la commission des faits de violence allégués et le danger auquel la victime ou un
ou plusieurs enfants sont exposés ». Autrement dit, la victime doit apporter une preuve vraisemblable
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des violences.
La preuve des violences et harcèlement peut être rapportée par les moyens suivants :
" Certificats médicaux, audition de la victime par les services de police (Cour d’appel de Paris, arrêt
du 15 octobre 2013 n° 13474) ;
" Mains courantes, plaintes, attestations médicales du service d’urgence de l’hôpital et témoignages
(Cour d’appel de Paris, arrêt du 16 juin 2011, n° 11/05125) ;
" Les attestations de membres de la famille peuvent être retenues par le juge (Cour d’appel de
Bordeaux, arrêt du 12 février 2013, n° 12/02383 ; Cour d’appel de Bordeaux, arrêt du 16 janvier
2013, n° 11/06198) ;
" Attestation délivrée par une association d’aide aux victimes (Cour d’appel de Paris, arrêt du 22 juillet
2011, n° 11/11170) ;
" Relevés des SMS et autres messages courts, enregistrements audio et vidéo etc.
6 R EPÉRAGES
!

Le harcèlement sexuel et moral

Le harcèlement sexuel est défini comme le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos
ou comportements à connotation sexuelle qui portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère
dégradant ou humiliant, ou créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.
Est assimilé au harcèlement sexuel : le fait d’user (même de façon non répétée) de toute forme de
pression grave dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit
recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un autre.
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La peine encourue est de 2 ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende. En cas de circonstances
aggravantes (notamment en cas d’abus d’autorité ou de faiblesse), les peines peuvent être portées à 3
ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende.
La victime doit déposer plainte dans un délai maximal de 6 ans après le harcèlement sexuel.
!

Le harcèlement moral pour dégradation des conditions de vie

L’art 41 de la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 crée l’art 222-33-2-2 du code pénal pour réprimer le
harcèlement moral dans un cadre général dépassant le cadre professionnel1 .
Ainsi, le fait de harceler une personne par des propos ou comportements répétés ayant pour objet
ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé
physique ou mentale est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende lorsque ces faits
ont causé une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours ou n’ont entraîné aucune
incapacité de travail. Les faits mentionnés au premier alinéa sont punis de deux ans d’emprisonnement
et de 30 000 € d’amende :
1. Lorsqu’ils ont causé une incapacité totale de travail supérieure à huit jours ;
2. Lorsqu’ils ont été commis sur un mineur de quinze ans ;
3. Lorsqu’ils ont été commis sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une
maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est
apparente ou connue de leur auteur ;
4. Lorsqu’ils ont été commis par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne.
Les faits mentionnés au premier alinéa sont punis de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 €
d’amende lorsqu’ils sont commis dans deux des circonstances mentionnées aux 1° à 4°.
!

Une dégradation des conditions de vie de la victime

Que l’on se réfère au code du travail ou au code pénal, la base du harcèlement moral dénoncé implique
une « dégradation des conditions de travail ». Doit être caractérisée une dégradation des conditions

1. CHAUVET, D., Mérites ou démérites du délit général de harcèlement moral créé par la loi du 4 août 2014, Dalloz.
Violences sexuelles et physiques : actualités législatives 7

de vie de la victime se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale (Cass crim
24 juin 2015 n° 14-83505).

L ES VIOLENCES SEXUELLES COMMISES AU PRÉJUDICE DES MINEURS

La protection des mineurs s’applique en cas d’infractions spécifiques applicables uniquement en cas
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de minorité de la victime.
Les atteintes sexuelles (articles 227-25 à 227-27 du code pénal) : la répression de tout comportement
sexuel entre un adulte et un mineur de moins de quinze ans.
Le Code pénal réprime tout acte de nature sexuelle commis par un majeur à l’encontre d’un mineur de
quinze ans au motif qu’un mineur de moins de quinze ans est incapable d’y consentir librement : cette
protection qui tient compte du degré de discernement et de maturité des mineurs est assurée par
le délit dit de « l’atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans » 2. Une « atteinte sexuelle » commise
par un majeur à l’encontre d’un mineur de moins de quinze ans, « sans violence, contrainte, menace
ni surprise » constitue un délit puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende
(article 227-25 du code pénal).
Ces peines sont portées à dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende pour un certain
nombre de circonstances aggravantes, notamment lorsque les faits ont été commis par une personne
ayant une autorité de droit ou de fait sur la victime (article 227-26 du code pénal). En incriminant de
la sorte, même sans violence, sans contrainte, sans menace, sans surprise, tout acte de nature sexuelle
entre un majeur et un mineur de moins de quinze ans, le législateur a ainsi fixé dans la loi à quinze
ans l’âge du consentement sexuel, qui définit en creux la « majorité sexuelle ».
Avant quinze ans, un mineur est réputé ne pas pouvoir consentir librement à un rapport sexuel avec
un adulte et ces faits sont donc toujours incriminés.
Les atteintes sexuelles commises par un majeur à l’encontre d’un mineur âgé entre 15 et 18 ans sont
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punies de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende (article 227-27 du code pénal)
lorsqu’elles sont commises par un ascendant, par une personne ayant sur la victime une 1
Il peut s’agir d’une circonstance aggravante explicite fondée sur l’âge du mineur (quinze ans) ou
implicite en raison de la qualité de l’auteur ou sa relation à la victime. Parmi les infractions qui
peuvent avoir un caractère sexuel, on peut citer les infractions de proxénétisme, de violences, de
harcèlement sexuel ou de harcèlement moral. 2 Cette infraction correspond à l’ancienne qualification
(ancien article 331 du code pénal) d’attentat à la pudeur sans violence « consommé ou tenté sans
violence sur la personne d’un enfant de l’un ou l’autre sexe de moins de 11 ans ». - 31 - autorité de
droit ou de fait ou par une personne qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions. Si les
mineurs de plus de quinze ans peuvent exercer leur liberté sexuelle, ils sont cependant spécifiquement
protégés en cas d’atteinte à leur sexualité commise par un ascendant ou une personne ayant autorité
sur eux.
8 R EPÉRAGES

La définition de l’atteinte sexuelle, qui n’exige qu’un contact physique de nature sexuelle, permet de
réprimer très largement tous les comportements. Elle intervient de manière subsidiaire aux infractions
d’agressions sexuelles ou de viol, en cas de pénétration.

Article
du code Qualifications pénales Peines encourues
pénal
227-25 Atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans. 5 ans d’emprisonnement
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et 75 000 € d’amende.
227-26 Atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans aggravée (par exemple 10 ans d’emprisonnement et 150 000 €
en cas d’infraction commise par un ascendant ou en cas d’amende.
d’utilisation préalable d’un réseau de communication électronique).
227-27 Atteinte sexuelle sur mineur de plus de quinze ans par un 3 ans d’emprisonnement
ascendant, une personne ayant une autorité de droit ou de fait sur et 45 000 € d’amende.
la victime ou par une personne abusant de l’autorité que lui
confèrent ses fonctions.
222-14 Violences (y compris psychologiques) habituelles sur mineur de 5 ans d’emprisonnement
quinze ans. et 75 000 euros d’amende.
225-12-1 Recours à la prostitution de mineurs. 3 ans d’emprisonnement
et 45 000 euros d’amende.
225-12-2 Recours aggravé à la prostitution de mineurs (par exemple en cas 5 ans d’emprisonnement
d’utilisation préalable d’un réseau de communication électronique). et 75 000 euros d’amende.
225-12-2 Recours à la prostitution s’agissant d’un mineur de moins de quinze 7 ans d’emprisonnement
ans. et 100 000 euros d’amende.
227-22-1 Corruption par voie électronique d’un mineur de quinze ans 2 ans d’emprisonnement
(propositions sexuelles). et 75 000 euros d’amende.
227-22-1 Corruption par voie électronique d’un mineur de quinze ans suivie 5 ans d’emprisonnement
d’une rencontre. et 75 000 euros d’amende.
227-23 Diffusion, fixation, enregistrement ou transmission d’une image 5 ans d’emprisonnement
pornographique d’un mineur. et 75 000 euros d’amende (7 ans
d’emprisonnement et 100 000 euros
d’amende en cas d’utilisation d’Internet).
227-23 Détention d’images pornographiques d’un mineur. 2 ans d’emprisonnement
et 30 000 euros d’amende.
227-23 Consultation habituelle d’images pédopornographiques en ligne (ou 2 ans d’emprisonnement
occasionnelle si paiement). et 30 000 euros d’amende.
227-24 Exposition d’un mineur à des messages violents ou 3 ans d’emprisonnement
pornographiques. et 75 000 euros d’amende.
227-24-1 Provocation à une mutilation sexuelle d’un mineur. 5 ans d’emprisonnement
et 75 000 euros d’amende.
227-28-3 Incitation à commettre le délit de corruption de mineur47 ( *) , et plus 3 ans d’emprisonnement
généralement tout délit concernant un mineur (agression sexuelle, et 45 000 euros d’amende.
proxénétisme, atteinte sexuelle).
227-28-3 Incitation à commettre un viol à l’encontre d’un mineur. 7 ans d’emprisonnement
et 100 000 euros d’amende.
Violences sexuelles et physiques : actualités législatives 9
!

La répression de la corruption de mineur1

Article
du code Qualification pénale Peines encourues
pénal
227-22 Corruption de mineurs. 5 ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende.
227-22 Corruption de mineurs aggravée (utilisation des réseaux de 7 ans d’emprisonnement et 100 000 €d’amende.
communications électroniques, par exemple).
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227-22 Corruption à l’encontre d’un mineur de quinze ans ou en 10 ans d’emprisonnement et 1 000 000 €
bande organisée. d’amende.

Un rapport récent du Sénat2 envisage de manière plus large la lutte contre les violences sexuelles
faites aux mineurs. Deux orientations fondamentales l’ont guidé : la prise en compte de l’intérêt de
l’enfant et la protection des victimes mineures. Le groupe de travail a jugé nécessaire de privilégier une
stratégie globale qui repose sur quatre piliers : prévenir plus efficacement la commission des violences
sexuelles à l’encontre des mineurs, faciliter la libération et permettre la prise en compte effective de
la parole des victimes, améliorer la réponse pénale, et permettre une prise en charge des victimes
déconnectée du procès pénal. L’enjeu essentiel de la protection des mineurs victimes d’infractions
sexuelles ne réside pas dans l’empilement de réformes législatives mais dans la construction d’une
stratégie cohérente, prenant en compte toutes les dimensions de la lutte contre les violences sexuelles.
Cette stratégie exige en premier lieu la revalorisation des moyens de la justice – des unités de police
judiciaire aux institutions médico-légales – et la formation de tous les acteurs du combat qui continue
d’être mené contre les violences sexuelles commises à l’encontre des mineurs.
Le rapport propose d’instituer une « présomption de contrainte », qui permettrait de qualifier de
viol une relation sexuelle entre un majeur et un mineur dans deux hypothèses : « l’existence d’une
différence d’âge entre l’auteur majeur et le mineur », ou « l’incapacité de discernement du mineur ».
Les sénateurs soulignent la nécessité de mobiliser davantage de moyens pour une politique de
prévention plus efficace, une répression pénale plus opérante et un meilleur accompagnement des
victimes. Ils jugent utile d’« aggraver les peines encourues pour certains délits, notamment celui
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d’atteinte sexuelle », et d’élargir la qualification pénale d’inceste aux faits commis entre majeurs.
Ils recommandent aussi d’encourager la spécialisation des magistrats, voire de créer des chambres
correctionnelles spécialisées dans le jugement des infractions sexuelles commises à l’encontre de
mineurs.
Plusieurs préconisations de ce rapport apparaissent pertinentes comme par exemple l’affirmation
du caractère continu de l’infraction de non-dénonciation des agressions et des atteintes sexuelles
commises à l’encontre des mineurs afin de reporter le point de départ du délai de prescription3 . Ce
rapport préconise d’allonger de dix ans les délais de prescription de l’action publique des délits et des

1. Article 227-22 du code pénal.


2. Protéger les mineurs victimes d’infractions sexuelles, Rapport d’information N ° 289 de Mme Marie Mercier, fait au nom de la
commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale.
3. Proposition numéro 7.
10 R EPÉRAGES

crimes sexuels commis à l’encontre des mineurs, tout en soulignant la nécessité de dénoncer les faits
le plus tôt possible.

V IOLENCES SEXUELLE ET NUMÉRIQUE

Malgré une mobilisation sans précédent contre les violences sexistes et sexuelles facilitée par les
réseaux sociaux via les hashtags #Metoo ou #BalanceTonPorc, Internet n’est pas toujours un espace
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de liberté et de sécurité pour les femmes, que ce soit via les réseaux sociaux ou les applications
mobiles. Ainsi, selon un rapport récent du haut conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes1
« En finir avec l’impunité des violences faites aux femmes en ligne : une urgence pour les
victimes », les violences qu’elles y subissent sont massives. 73 % des femmes déclarent en être
victimes, et pour 18 % d’entre elles sous une forme grave. Ce rapport préconise notamment contre le
harcèlement sexiste et sexuel en ligne de renforcer la responsabilité des réseaux sociaux, en fixant un
délai maximal de réponse de 24 heures aux signalements sur leurs plateformes, comme c’est désormais
le cas en Allemagne, et les inviter à améliorer la modération des contenus hébergés... Il convient aussi
d’adapter la loi pour punir les « raids » qui correspondent à un harcèlement concerté de plusieurs
agresseurs contre une victime) ;
En outre, le Président de la République a indiqué qu’il souhaitait « étendre les pouvoirs du CSA » en
2018 pour qu’il régule aussi les vidéos sur internet ou encore les jeux vidéos pour lutter contre « les
contenus qui peuvent fragiliser ou conduire à la violence contre les femmes ». « Nous devons repenser
le cadre de notre régulation des contenus évoquant là encore la pornographie sur Internet. Il a aussi
annoncé pour 2018 des « modifications législatives » pour « poursuivre ceux qui agissent sur internet
pour harceler ». La puissance publique interpelle les publicitaires, médias, éditeurs de jeux vidéo, sur
la place des femmes dans un tel contexte.
!

Le « revenge porn »

Face à un phénomène qui a tendance à s’amplifier avec le numérique et les réseaux sociaux et qui
n’était pas considéré comme une atteinte à la vie privée par la Cour de cassation 2 , la loi n° 2016-1321
du 7 octobre 2016 pour une République numérique3 a créé une nouvelle infraction dite de « revenge
porn » (article 226-2-1 du Code pénal) qui prévoit que :
« Lorsque les délits prévus aux articles 226-1 et 226-2 portent sur des paroles ou des images présentant un
caractère sexuel prises dans un lieu public ou privé, les peines sont portées à deux ans d’emprisonnement
et à 60 000 € d’amende. Est puni des mêmes peines le fait, en l’absence d’accord de la personne pour
la diffusion, de porter à la connaissance du public ou d’un tiers tout enregistrement ou tout document
portant sur des paroles ou des images présentant un caractère sexuel, obtenu, avec le consentement
exprès ou présumé de la personne ou par elle-même, à l’aide de l’un des actes prévus à l’article 226-1. »

1. www.haut-conseil-egalite.gouv.fr
2. Crim. 16 mars 2016, no 15-82.676 P: Dalloz actualité, 21 mars 2016, obs. Fucini; JCP G 2016. 658, note Saint-Pau.
3. L. no 2016-1321 du 7 oct. 2016, art. 67.
Violences sexuelles et physiques : actualités législatives 11

Par exemple, le tribunal correctionnel de Montpellier, par jugement en date du 15 novembre 20161 a
condamné à une peine de 3 ans de prison dont un an avec sursis et deux ans de mise à l’épreuve, un
homme qui s’était vengé de la séparation d’avec son ancienne partenaire en diffusant sur des sites
pornographiques une vidéo prise à son insu pendant leurs rapports sexuels. Suite à une altercation,
il avait tenté de la poignarder. Le prévenu a reconnu les faits et a été condamné pour violence avec
usage d’une arme et atteinte à l’intimité de la vie privée par fixation ou transmission de l’image d’une
personne. Ainsi, la simple mise en ligne d’une vidéo à caractère pornographique représentant une
personne filmée à son insu, même dans un lieu privé, est passible de deux ans d’emprisonnement.
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On voit donc que l’arsenal juridique ne cesse de se compléter mais il est essentiel que ce dernier soit
accompagné de moyens financiers et humains pour le rendre efficace et pertinent.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

1. Consultable sur le site :https://www.legalis.net/jurisprudences/tribunal-de-grande-instance-de-montpellier-ch-


correctionnelle-audience-collegiale-jugement-correctionnel-du-15-novembre-2016.
Chapitre 2

Identifier et soigner les victimes


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présentant des troubles de stress
post-traumatique (T.S.P.T.)

Thierry Albernhe, Didier Bourgeois, Roland Coutanceau

D ANS LA MESURE OÙ existent plusieurs variétés de traumatisme, il existe forcément plusieurs formes de
troubles liés à ces traumatismes et donc des typologies diverses de victimes demandant chacune
des traitements adaptés1 . C’est ainsi que parmi les traumatismes, il est classique de distinguer ceux
qui sont uniques (le stress post-traumatique résultant sera alors dit de Type I – ce qui correspond
à la CIM 10-F43.1) et ceux qui sont répétés (de type II- ce qui correspond à la CIM 10-F44) ; parmi
les formes de troubles liés à ces traumatismes, il est important de différencier le trouble de stress
post-traumatique ou T.S.P.T. (c’est à lui que nous intéresserons ici), du trouble stress aigu (voire des
troubles de l’adaptation). Le tableau ci-après résume ces trois principales formes :
Par ailleurs, parmi les victimes, ce qui est un traumatisme intense pour l’une ne l’est pas forcément
pour l’autre au plan de son vécu, tant il convient de tenir compte de facteurs personnels, biographiques

1. Tout dépend de la définition que l’on donne à un traumatisme. L’idée de vie même peut être traumatisante dans la mesure
où chaque humain sait d’évidence qu’elle se termine par la mort, ce à quoi il est difficile de donner du sens. Ana-Maria
Rudge écrivait à propos du travail de Freud sur les rêves traumatiques : « L’absurdité ou l’impossibilité de donner du sens à
un événement douloureux renvoie à l’impuissance propre au traumatisme. Or cette impuissance trouve un prototype dans le
désarroi infantile, source d’angoisse. Livrés au destin, aux maladies, aux pertes et aux trahisons, Freud se demande comment
nous échappons à l’attente anxieuse permanente et à une grave atteinte infligée à notre narcissisme » (Rudge A.-M. : «
Pour une meilleure compréhension d’Irma et du travail du rêve », in : Transmission et secret, Le Coq-Héron, 169, juin 2002,
pp. 109-115).
Identifier et soigner les victimes présentant des troubles de stress post-traumatique (T.S.P.T.) 13

T.S.P.T. type I T.S.P.T. type II Stress aigu


Origine Traumatisme unique, Agressions itératives, insidieuses Traumatisme soudain, imprévu
souvent fort, infléchissant car pouvant prendre la forme de et surprenant, débordant les
durablement la trajectoire micro-agressions et donc capacités adaptatives du sujet.
existentielle du sujet. inaperçues.
Archétype Attentat d’origine terroriste Abus sexuels répétés chez Exposition à la mort ou à une
avec effet de groupe. l’enfant. blessure grave.
Dynamique Stress ingérable par sa Mécanisme cumulatif aux effets à Effets immédiats en général.
nature ou son intensité. long terme.
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Clinique Sensation de peur intense, Troubles de la régulation des Symptômes envahissants,
sidération émotionnelle affects, effractions narcissiques humeur négative, symptômes
majeure et parfois majeures, troubles de l’identité, dissociatifs (par exemple
psychomotrice, vécu troubles des conduites et/ou du amnésie), symptômes
d’impuissance, rejet de comportement. d’évitement, symptômes d’éveil.
l’horreur face à soi.

et socioculturels1 . Il ne peut donc exister une seule conduite à tenir pour venir en aide à ces victimes ;
toutefois plusieurs pistes thérapeutiques se dégagent.

Q UELQUES RAPPELS SUR LE T.S.P.T.

Le Trouble de Stress Post-Traumatique (ou Syndrome de Stress Post-Traumatique, ou État de Stress


Post-Traumatique, selon les classifications et les nomenclatures) désigne une réaction psychique
globale se manifestant selon une chronologie évolutive spécifique à travers un ensemble de symptômes
émotionnels sévères qui se manifeste à la suite immédiate ou à terme, en lien avec une expérience
vécue comme étant gravement agressant (avec à l’extrême une angoisse d’anéantissement puisque
la confrontation à la mort est parfois réelle, sinon fantasmée, directe ou indirecte, immédiate ou
lointaine). Cliniquement dans 70 % des cas l’impact traumatique se manifeste par une réaction péri-
traumatique de détresse avec ou non état de dissociation sous forme d’un État Modifié de Conscience
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dont la fonction probable est de soustraire temporairement la victime à l’horreur subie2 . La notion
d’un intervalle libre entre le traumatisme, quelle que soit la manière dont il a été géré, et la montée
en puissance du cortège syndromique post-traumatique est essentielle. Par la suite s’installent les
séquelles et les complications.

1. L’adaptation à un traumatisme est fonction du vécu que l’on en a. LAO-TSEU, dit-on, aurait répondu à un disciple lui
demandant conseil pour savoir que conseiller à une femme victime de viol : « Faute de mieux, qu’elle y prenne du plaisir ! ».
L’anecdote, ressentie comme cynique et immorale dans notre culture, illustre une forme de philosophie antique selon laquelle
on n’est jamais complètement impuissant face à un traumatisme : on peut toujours trouver un « recadrage », dirions-nous
aujourd’hui, pour s’y adapter, donner du sens et donc surmonter ledit traumatisme.
2. Dans le T.S.P.T. de type II, les agressions subies sont répétées, insidieuses et parfois non directement repérables comme
telles ; elles entraînent par leur accumulation délétère des troubles de la régulation des affects, des effractions narcissiques
majeures et des troubles de l’identité ; cela modifie en profondeur et durablement la personnalité des victimes en favorisant
l’émergence d’une symptomatologie psychiatrique sévère : troubles dissociatifs, dépression chronique, troubles de conduites.
14 R EPÉRAGES

Des handicaps sévères sont hélas parfois inévitables (Bourgeois, 1997) et c’est ce qui fait la gravité
sociale du trouble (par exemple en situation de guerre ou de terrorisme). Des échelles spécifiques de
détresse et de dissociation péri-traumatiques ont été mises au point et sont maintenant utilisées à
grande échelle. Elles font suite au travail des psychiatres militaires décrivant les dégâts psychiques
survenant sur les champs de bataille. Longtemps, on n’a considéré que les blessures physiques, déniant
même l’idée de blessures psychiques chez un soldat. Par la suite ce domaine s’est élargi à la médecine
du travail voire à la psychiatrie de la vie quotidienne en consultation en Centre Médico-psychologique
ou en libéral.
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En France la naissance des C.U.M.P. (Cellules d’Urgence Médico-Psychologique)1 intervenant dans le
cadre du S.A.M.U. a constitué un dispositif ad hoc de prise en charge psychopathologique précoce des
blessés psychiques civils dans les situations d’urgence collective ressenties comme des situations de
violence extrême (catastrophes accidentelles et naturelles, attentats, etc.).

Q UELLES PISTES THÉRAPEUTIQUES PROPOSER ?

Pour développer les capacités de résilience de la victime (c’est-à-dire d’accusation d’un choc puis
d’un rebond salvateur), plusieurs modalités thérapeutiques peuvent être proposées de manière com-
plémentaire, tout en sachant qu’en pareil domaine le poids de la culture et le conditionnement
social sont déterminants dans les choix thérapeutiques du patient. Certains par exemple vont se
tourner vers l’homéopathie et classiquement des doses d’Arnica à hautes dilutions hahnemaniennes
voire korsakoviennes, d’autres vers des guérisseurs ou des magnétiseurs, d’autres vers des groupes
charismatiques de prières, vers des associations de victimes, etc. ; la réponse sera avant tout à la
fois individuelle et culturellement conditionnée, comme l’est celle face à l’annonce d’un deuil par
exemple. La tendance actuelle est à la psychiatrisation de telles situations, ce qui signe une faillite
des dispositifs socioculturels traditionnels.
Actuellement, dans notre culture il est proposé aux patients victimes de T.S.P.T graves diverses
techniques ayant fait leurs preuves et validées scientifiquement. Elles se classent en deux groupes :
les techniques et dispositifs de prévention et les techniques de suivi des victimes.
!

Les dispositifs de prévention

Au-delà de ce qui peut être mis en place au niveau sociétal pour limiter au maximum la survenue de
traumatismes psychiques, donc de T.S.P.T. (prévention primaire : prévention routière, prévention des
risques domestiques, éducation sous toutes ses formes), une fois qu’est survenu un psycho-traumatisme,
il faut intervenir. La prévention secondaire se développe en trois séquences principales :
1. L’intervention rapide auprès des victimes.

1. Les C.U.M.P. ont été créées en France dans le contexte des attentats des années 1990 (Cf. l’attentat meurtrier du R.E.R. B
à la Station Saint-Michel à Paris le 25 juillet 1995).
Identifier et soigner les victimes présentant des troubles de stress post-traumatique (T.S.P.T.) 15

2. Un suivi à moyen et long terme, destiné à repérer pour pouvoir les traiter les signes d’une décom-
pensation psychique secondaire afin de les limiter en intensité et en durée.
3. À cela s’ajoute le temps de la consolidation, de la réparation, plus long, du domaine de la justice
civile, administrative et parfois pénale.
!

L’intervention
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Il faut l’intervention la plus rapide et la plus professionnelle possible d’équipes de terrain rodées aux
techniques d’urgences psychique et physique :
➙ La plus rapide en ce sens que des soins somatiques d’urgence sont parfois nécessaires après la
mise en sécurité de la victime, allant de pair avec des techniques psychothérapiques de déchocage,
defusing et débriefing. Actuellement est expérimenté l’usage de l’ATENOLOL® (un bêtabloquant),
ce qui est une technique non interrelationnelle. La Scopolamine peut également indiquée. Les
benzodiazépines sont classiquement évitées du fait des risques d’abus voire de dépendance induite.
Les antidépresseurs dont la Sertraline (ZOLOFT® ) en particulier, ont montré leur efficacité surtout sur
trois symptômes : la reviviscence, l’évitement et les effets neurovégétatifs parasites. Globalement,
l’approche chimique via les psychotropes reste limitée dans son impact.
➙ La plus professionnelle car il faut impérativement coordonner les interventions sur le terrain,
dans l’espace comme dans le temps. L’expérience est irremplaçable, chaque situation de catastrophe
et donc chaque intervention sont décortiquées et repensées, ce qui induit des nouveaux modèles
opératoires pour mieux intervenir la fois suivante. Parfois, dans un grand mouvement altruiste
et solidaire, diverses personnes se portent spontanément volontaires pour aider les professionnels
ce qui, faute de régulation de ces flux, peut au contraire compliquer la tâche des secours ad hoc
(cf. par exemple l’attentat de Nice du 14 juillet 20161 ).
Le contexte social reste déterminant dans le ressenti des sinistrés : l’intervention en urgence des
C.U.M.P. peut être aussi un pansement social permettant aux pouvoirs publics de se dédouaner de leurs
responsabilités (cf. l’ouragan Irma à l’île de Saint-Barthélemy, où les sinistrés attendaient surtout une
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aide logistique immédiate, davantage que de la compassion, dans la mesure où la population locale
était habituée aux ouragans) mais il s’agit là aussi, à l’extrême d’une mesure de prévention secondaire
sociale à l’échelle de tout le pays.
Les aidants sont toujours, eux aussi, à aider : la « prise en charge des impliqués » concerne aussi
les secouristes et les intervenants divers sur le lieu du drame, c’est pour cela qu’ont été institués un
defusing quotidien des acteurs de terrain et un débriefing de fin de mission pour les pompiers et les
membres des C.U.M.P.

1. À l’occasion de cet attentat ont convergé toutes sortes d’intervenants, de bonne foi ou pas, avec un désir d’aider ou/et
de se montrer, ce qui a compliqué le fonctionnement des secours.
16 R EPÉRAGES
!

Et chez l’enfant ?

Chez l’enfant, l’attention s’est portée principalement sur les traumatismes censés survenir du fait
des défaillances du milieu parental : violences physiques ou sexuelles, négligence. Il faut considérer
comme spécifiques le psycho-trauma chez l’enfant et chez l’adolescent dans la mesure où les capacités
résilientes certes existent, mais dans la mesure aussi ou le contexte socio-familial peut être délétère,
et y compris participer du psycho-trauma. Les notions de deuil, de deuil traumatogène et de deuil
post-traumatique, sont à prendre en considération.
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Chez l’enfant, aux plans sociétal et institutionnel, les dispositifs de prévention sont en France du
registre de la Protection de l’Enfance (art. 375 CC et suiv.). Elles concernent plutôt les psychotrau-
matismes de type II, insidieux, répétés, torpides, mais peuvent aussi se voir mises en jeu dans
des cas de psychotraumatismes de type I. Les Juges des Enfants, saisis par une I.P. (Information
Préoccupante), peuvent déclencher une M.J.I.E. (Mesure Judiciaire d’Investigation Éducative) qui
est une forme d’enquête immédiate pour éclairer le magistrat sur la situation de l’enfant (est-il
maltraité, par qui, comment ? Des abus sexuels ont-ils été commis ? Existe-il un danger réel pour le
mineur au sein de sa famille ?), la procédure en O.P.P. (Ordonnance de Placement Provisoire) pouvant
aller jusqu’au l’intervention l’A.S.E. (Aide Sociale à l’Enfance) pour trouver un lieu de placement de
l’enfant (en famille d’accueil, en lieu de vie, en maison d’enfant à caractère sanitaire et social, en
foyer...) ; parfois l’enfant est hospitalisé, est l’objet d’expertises médico-légales et/ou psychiatriques,
et cela débouche sur une condamnation – ou pas en cas de manque de preuves – des auteurs des
actes de violence, ce qui ouvre vers une réparation Les séquelles des abus sexuels sont en général
lourdes, étant responsables de failles narcissiques traumatiques graves que même des thérapies bien
conduites peuvent ne pas parvenir à guérir. Le retrait psychotique peut également être un mécanisme
défensif contre des effractions traumatiques ineffables, ayant valeur de catastrophe psychique. La
période d’adolescence peut être l’occasion d’une relecture thérapeutique des psychotraumatismes vécus
antérieurement et donc amener l’adulte en devenir à ne pas structurer définitivement sa personnalité
sur un mode victimaire.
!

Les dispositifs et les processus de suivi des victimes

Il peut être proposé aux victimes des entretiens individuels et des approches groupales. L’approche
groupale est « économique » car en situation de catastrophe collective, il peut y avoir des centaines
d’impliqués et de victimes directes qui seraient difficiles à gérer en individuel strict. Elle est aussi
intéressante par la dynamique psychique collective qu’elle induit, à condition de maîtriser au mieux
les effets de groupe, de savoir identifier voire extraire pour les contenir les sujets victimes susceptibles
de décompenser brutalement et de produire une symptomatologie psycho-émotionnelle pouvant sur-
traumatiser le groupe : crise hystériforme, expression d’une colère inappropriée, bouffée délirante ou
anxieuse par exemple. L’approche individuelle est complémentaire, elle nécessite un cadre sécurisant,
contenant, et une grande capacité d’écoute de l’intervenant (donc une formation adéquate), celui-ci
se retrouvant parfois confronté à ses propres limites intimes.
Identifier et soigner les victimes présentant des troubles de stress post-traumatique (T.S.P.T.) 17

Quelles que soient les techniques, verbaliser ou exprimer la souffrance ressentie par tous les moyens
reste le pivot de la prise en charge. L’expression verbale, sous forme d’un récit, participe à la création
d’une nouvelle identité : une identité de victime puis de survivant. L’identification narrative montre à
quel point nous sommes ce que nous racontons de nous1 .
Chez l’enfant, on utilise plutôt des techniques non verbales : faire un dessin, et le commenter. Le
papier et la trousse à crayons sont inclus dans la mallette des intervenants de la C.U.M.P.
Pour toutes les victimes, les suivis doivent se faire au court, moyen et long terme (tant sur le long
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terme il peut y avoir des “effets taupe”, souterrains dans le psychisme de la victime et remontant à la
surface parfois des années après comme c’est souvent le cas avec les abus sexuels). Les associations
de victimes et les professionnels savent désormais orienter les victimes vers un suivi psychothérapique
adapté. Les prises en charge seront sensiblement différentes selon le type de traumatisme et son
intensité. Pour guider les professionnels dans leurs prises en charge il existe des échelles d’impact
d’événements traumatisants, développées par Horowitz2 , permettant d’évaluer les conséquences semi-
retardées et retardées d’un événement stressant, et comportant deux dimensions importantes pour
le diagnostic d’un T.S.P.T. : les souvenirs répétitifs (lancinants, souvent responsables de troubles du
sommeil et parasitant de la vie quotidienne) et les évitements persistants : par exemple avoir peur de
conduire après un accident de voiture, ne plus oser utiliser une cuisinière à gaz après une explosion
de gaz, fuir ses collègues de travail après un harcèlement en milieu professionnel ou un vécu de
souffrance au travail ayant nécessité une mise en arrêt de travail prolongée, ne plus pouvoir remonter
dans le métro, en avion, dans un bus, etc.
Par ailleurs, la sensibilisation croissante au phénomène du psychotraumatisme des médecins et des thé-
rapeutes permet de réorienter vers la recherche d’un T.S.P.T. l’approche rétrospective et anamnestique
des troubles psychiques présentés par des patients, non conscients d’avoir vécu un psychotrauma-
tisme, par mauvaise information le plus souvent, et aussi parce que le traumatisme peut avoir été
insidieux ou refoulé. Voir un “patient psychiatrique chronique” comme potentiellement victime de
psychotraumatismes peut aussi relancer une prise en charge par un nouveau regard porté sur lui.
Des signes de phobie sociale perturbent parfois la vie relationnelle de la victime, cette dernière ne
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faisant d’ailleurs pas forcément le lien direct avec ce qu’elle a vécu. Le risque est ici de traiter des
signes isolés (insomnie, tristesse, irritabilité, manifestations neurovégétatives diverses) en oubliant
l’ensemble dans lequel ils émergent (peut-être l’intelligence artificielle aidera-t-elle un jour les théra-
peutes à relier de tels symptômes, parfois disparates, pour porter enfin un diagnostic constituant la
première étape de la reconnaissance d’un statut de victime ?). Car seule une approche rétrospective
et anamnestique minutieuse peut permettre le repérage de stress insidieux et donc passés inaperçus

1. Philippe Caillé constatait : « Chaque fois que nous parlons de récit autobiographique, il faudra donc, pour saisir l’impor-
tance du concept, comprendre que ce récit nous intéresse surtout parce que nous rentrons en contact à travers lui avec
l’histoire complexe et riche qui le sous-tend, qu’il s’agisse du récit de la vie d’un individu, de celle d’une famille ou d’une
entreprise. En effet tout système humain s’organise nécessairement en parvenant à un énoncé transmissible de son histoire,
à un récit de celle-ci. » Caillé P., Voyage en systémique, Fabert éd., Paris, 2007. L’aide à la mise en récit, par une victime,
des événements traumatiques vécus, constitue la pierre angulaire de la thérapie narrative.
2. Échelle révisée d’impact d’événement traumatisant - Horowitz (IES), Auto-Évaluation. Nombre d’items : 15 Auteur(s) :
Horowitz, 1979 Traduction / adaptation en français : Brunet A., St-Hilaire, A., Jehel, L., & King, S. (2003).
18 R EPÉRAGES

par la victime (de type II). L’enjeu est de taille : identifier comme d’essence post-traumatique un
trouble psychique sévère, passé à la chronicité ou handicapant faute d’avoir pris la mesure du lien
causal, est de nature à donner du sens au vécu du patient et à aider à proposer des pistes thérapeu-
tiques spécifiques, telles l’hypnose thérapeutique ou l’E.M.D.R. (Eye Movement Desensitization and
Reprocessing, technique développée dans les années 1980 par Francine SHAPIRO1 ).
L’hypnose médicale : Cette modalité de prise en compte d’un passé réputé traumatisant remonte pour
ce qui est de l’époque moderne, à la naissance de la psychanalyse lorsque Freud à la suite de Charcot,
hypnotisait ses patientes pour les soigner. Mais on sait maintenant que l’hypnose peut induire la
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remontée de souvenirs écran, de souvenirs remaniés par les processus inconscients et la justice doute
désormais de la véracité de souvenirs remontés sous hypnose2 . L’hypnose médicale peut susciter de
« faux souvenirs » du fait qu’elle stimule des processus normaux d’invention et d’imagination et met en
branle des processus psychiques voués à soulager la souffrance du sujet. Sa puissance thérapeutique
provient de cela. Travailler sur un souvenir traumatique, ce n’est pas chercher à retrouver la réalité,
c’est juste replonger la personne dans le souvenir qu’elle reconstitue et reconstruit à l’instant donné
y compris en s’appuyant sur ce qu’elle a éprouvé après le traumatisme. L’hypnose, comme l’E.M.D.R.,
aide surtout la personne à travailler son souvenir pour qu’il perde son impact traumatique. Quand
on veut retrouver de force un souvenir oublié, on est en position de suggérer des choses, aussi le
sujet va reconstituer son souvenir et tenter de combler de façon cohérente les vides qui existent si
on insiste... y compris en élaborant quelque chose à partir de ce qu’il connaît : son vécu, son bain
culturel. Hypnose médicale et E.M.D.R. sont les deux approches sont les plus usitées actuellement, ce
qui montre l’attention portée au traitement/retraitement du souvenir traumatique.
La notion de symptôme d’une victime englobe donc les effets immédiats du traumatisme et les effets
différés constatés. Tout ceci est à prendre en considération dans la mesure où les conséquences
psycho-sociales peuvent être énormes pour le sujet : perte de son travail, impossibilité à poursuivre
des études, difficultés conjugo-familiales, dépression chronique, suicide.
L’avenir est donc au développement de questionnaires d’identification des victimes de plus en plus
affinés, d’échelles d’évaluation d’impacts des événements traumatiques, et de techniques associant
différentes approches (médicamenteuses, psychothérapiques, psychoéducatives, sociales avec en parti-
culier le débriefing, somato-psychiques avec la pratique du yoga, ou encore de la méditation en pleine
conscience...). Les techniques d’art-thérapie s’avèrent également très efficaces, surtout chez l’enfant.
La prise en compte du T.S.P.T. est un enjeu fort de la psychiatrie moderne, elle revisite la plupart
des conceptualisations du trouble psychique et devient un champ d’expérimentation thérapeutique
fécond.

1. La thérapie EMDR utilise la stimulation sensorielle bilatérale, soit par le mouvement des yeux soit par des stimuli auditifs
ou cutanés, pour induire une résolution rapide des symptômes liés à des événements du passé. Elle combine des apports issus
de la psychanalyse, de la thérapie cognitive comportementale, des traitements par exposition, des thérapies systémiques
et des psychothérapies brèves centrées sur la personne.
2. Aux USA, suite à des affaires retentissantes, depuis l’épidémie de faux souvenirs des années 70, la police n’a plus recours
à l’hypnose pour raviver la mémoire des témoins et la justice n’en tient pas compte.
Avant-propos
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C E LIVRE DÉCRITde façon claire et pédagogique les variations de la clinique post-traumatique, et sur-
tout, donner les clés des idées forces des thérapies spécialisées dans la prise en charge : la
cristallisation du trauma n’est pas une fatalité.
Le livre se compose de quatre parties.
Une première partie de « repérages », développe les signes cliniques (troubles de stress post-
traumatiques) et propose différentes lectures de compréhension psychopathologique et ce, après une
présentation d’actualités législatives par Myriam Quéméner.
Une deuxième partie balise le cheminement de l’évaluation (dans l’entretien préliminaire à toute
thérapie, ou dans l’expertise) à la prise en charge. Dans cet esprit, Louis Crocq nous fait part de la
synthèse de sa longue expérience.
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Dans une troisième partie, est questionnée la crédibilité du témoignage, avec ses problématiques.
Dans ce registre, il semble que les débats autour du syndrome d’aliénation parentale aient pris la place
des controverses concernant les fausses allégations.
Enfin, dans une quatrième partie, cœur du livre, sont traitées les idées cachées sous-tendant les
thérapies spécialisées, dans une forme accessible à tous. Toutes les sensibilités y ont leur place :
psychanalytique, cognitivo-comportementale, humaniste, mais aussi EMDR, ICV, hypnose. Les cadres
possibles (individuel, groupal, systémique) sont situés avec leur possible et dynamique complémenta-
rité.
L’ouvrage se clôt sur la quête de sens et reconstruction résiliente ciselée par Marie Anaut.
Ce livre s’adresse aux professionnels, mais aussi à tous ceux qui veulent comprendre et se dégager du
traumatisme.
Chapitre 3

Le traumatisme psychique complexe


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Samia Lahya, Olivier Fossard

H ISTORIQUE , DÉFINITIONS ET CLASSIFICATIONS

« J’ai observé un escargot qui rampait le long d’un rasoir... C’est mon rêve... C’est mon cauchemar. Ramper, glisser
le long du fil de la lame d’un rasoir, et survivre. »

Apocalypse Now, 1979, Francis Ford Coppola.

Être sur le fil du rasoir. Face à la guerre, à l’horreur, à l’insoutenable confrontation au réel de la
mort, le Trauma est là. Impensable. Inattendu. Sidérant. L’effraction violente laisse alors place à la
douleur, à des séquelles qui s’installent, et qui parfois perdurent. De multiples approches ont tenté de
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comprendre et de conceptualiser la notion de traumatisme psychique. Aux prémices de la psychologie ;


Janet, Freud, Oppenheim ou Ferenczi étudiaient déjà le phénomène psychotraumatique, et posaient
les bases des théories et recherches ultérieures.
La conceptualisation du psychotrauma est constamment en évolution. Des approches génétiques,
neuropsychologiques, neurobiologiques, cognitivo-comportementales, psychodynamiques ou phénomé-
nologiques enrichissent sans cesse notre compréhension de ce phénomène. Aujourd’hui le traumatisme
psychique a largement été étudié, et une approche phénoménologique permettrait de le définir comme
ce « phénomène d’effraction du psychisme et de débordement de ses défenses par des excitations
violentes afférentes à la survenue d’un événement agressant ou menaçant pour la vie ou l’intégrité
physique ou psychique d’un individu qui y est exposé comme victime, témoin, ou acteur » (Crocq,
2007)
Des classifications établies dès les années 1990 ont permis de distinguer les traumatismes selon 3
catégories : ceux de type 1, dits « simples », et faisant suite à un évènement unique et limité dans le
20 R EPÉRAGES

temps ; ceux de type 2, en cas d’évènement prolongé, répété ou menaçant de se répéter. (Terr L.C.
(1991) ; Herman J. (1992a ; 1992b). Des traumatismes de type 3 ont également été décrits, comme
survenant dans les suites d’évènements débutants à un âge précoce, et se produisant de façon répétée
et envahissante (Solomon 1999). Ces traumatismes de type 2 et 3 correspondent à ce que Herman
désigne comme étant des traumatismes « complexes », survenant dans un contexte d’abus, parfois
de détention ou de captivité, de violences successives, répétés ou prolongées. Cela peut notamment
être le cas pour les victimes de violences sexuelles, et ce d’autant plus qu’elles surviennent à un âge
précoce ou dans un contexte familial, ou qu’elles sont entretenues par les agresseurs ou l’entourage ;
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ou pour les victimes de séquestrations, ou détentions dans des camps.
Ainsi, si le traumatisme simple est une effraction psychique dans les suites d’un évènement traumatique
unique et inattendu, et pouvant aller jusqu’à la confrontation au sentiment de mort (Barrois, 1998) ;
le traumatisme complexe serait un empilement d’expositions traumatiques multiples, répétées et/ou
prolongées, et survenant parfois de façon précoce, dans l’enfance. Il résulte d’une confrontation à
l’horreur, à la barbarie, à la maltraitance ou à la violence répétée ; qu’elle soit physique ou psychique.
En situation de guerre ou d’exil, il peut être question de séquestration, de tortures répétées, d’humi-
liations, de viols. L’agresseur est parfois un représentant de l’autorité, un proche, un conjoint ou un
parent dans le cadre des violences intrafamiliales, entretenant la blessure psychique.
Nous pourrions envisager que ces cumuls traumatiques puissent être « immédiats ». Ce serait le cas
lorsqu’un trauma simple et direct viendrait se compliquer de traumatismes secondaires successifs,
comme l’exposition directe à un attentat ou à une situation de guerre, suivie de deuils traumatiques
ou de la vision terrorisante d’actes de torture sur des proches dans les suites de ce trauma initial.
Ces traumatismes psychiques, qu’ils soient simples ou complexes, font le nid de complications ulté-
rieures que sont l’état de stress post traumatique (ESPT), ou le Psycho trauma complexe.
Si le phénomène de traumatisme psychique a été décrit et étudié depuis le XIXe siècle, la traduction
clinique du trouble qui en résulte, et le diagnostic d’ESPT n’a été reconnu et décrit comme une entité
nosographique à part entière dans les manuels de classification psychiatrique américains qu’à partir
des années 1980 (DSM III), sans toutefois que les formes complexes de traumatismes n’y soient
décrites.
Alors qu’en 1997 Susan Roth décrivait la clinique du « Complex PTSD » (Syndrome Post Traumatique
Complexe), à partir de l’observation de 234 participants victimes d’abus sexuels et physiques, cette
initiative américaine participera à faire entrer dans le champ diagnostic international un grand nombre
de patients qui n’étaient jusqu’alors pas identifiés comme psychotraumatisés.
En 2013, le DSM-V (American Psychiatric Association) rassemble sous la seule entité nosographique de
Trouble de Stress Post Traumatique (TSPT) les deux « courants » du psychotrauma : celui déjà présent
dans le DSM-IV sous la forme de PTSD et celui issu de la victimologie, qui observe également les
dégâts psychiques consécutifs aux viols, abus sexuels, violences répétées, précoces et/ou prolongées.
Ainsi, les violences sexuelles ou la menace de ces agressions, le statut du sujet (comme n’étant pas
nécessairement une victime directe mais pouvant être lié de façon indirecte à l’évènement traumatique,
en étant un proche de la victime ou témoin de l’évènement) ou encore la répétition des évènements
traumatique ou l’exposition prolongée sont des notions nouvellement décrites dans cette cinquième
Le traumatisme psychique complexe 21

version du manuel américain, et se rapprochent de la notion de trauma complexe. Ces différents types
d’exposition sont listés et spécifiées dans le Cluster 1 du TSPT.
Par ailleurs, la symptomatologie clinique spécifique du psychotrauma reste inchangée entre ces deux
versions, pour ce qui est de la répétition traumatique (Cluster 2 du TSPT), des constructions d’évitement
(Cluster 3), et de la dissociation traumatique (Cluster 8 du TSPT) qui sera développée plus avant.
Dans le DSM-V, le TSPT réunit en ce qui concerne les critères diagnostiques complémentaires (Clusters
5 et 6) les conséquences de ce traumatisme sous forme de symptomatologie anxieuse, dépressive,
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d’agitation, de recours aux toxiques diversifiés, voire de trouble délirant qui peuvent recouvrir une
grande partie de la nosographie psychiatrique que l’on retrouve en clinique psychiatrique. Les réper-
cussions sur la vie sociale sont également cotées dans le TSPT, et peuvent prendre des formes diverses,
de divorce, arrêt de maladie, perte d’emploi... signant ici un « coût social » qui vaut bien celui
des blessures physiques des polytraumatisés et qui semble aujourd’hui sous-évalué. La dissociation
traumatique qui était, pour sa part, incluse d’emblée dans les critères de l’ESPT, devient un critère de
complication dans le TSPT.
Les critères diagnostiques de l’ESPT, puis du TSPT, ont donc évolué au fur et à mesure des études
et des versions successives du DSM.
Pourtant, le phénomène de traumatisme complexe et la clinique qui peut en résulter ne sont pas
spécifiquement décrits dans le manuel américain à ce jour. C’est un complexe DESNOS (Disorders of
Extreme Stress not Otherwise Specified) qui a fait son apparition dans le DSM-IV, et qui regroupe un
ensemble de symptômes liés à des situations psychotraumatiques complexes, et n’entrant pas toujours
dans le champ de l’ESPT. (Luxenberg, Spinazzola, Van der Kolk, 2001). Cette entité nosographique
permet de décrire des troubles non spécifiques, multiples, chroniques, liés à des traumatismes souvent
répétés ou prolongés, fortement évocateurs de traumatismes complexes.
Au-delà de ces manuels de classifications nosographiques, qui ne peuvent être des « bibles » ni des
listes exhaustives du savoir psychiatrique ; c’est avant tout l’expérience des patients, l’observation
clinique, et les études répétées qui permettront de faire évoluer la compréhension et la connaissance
du phénomène psychotraumatique.
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L’expérience clinique psychiatrique nous met fréquemment en dialogue avec des personnes (en pratique
ambulatoire, hospitalière ou en UMD), qui, interrogées sur leur passé, révèlent le plus souvent avec
beaucoup d’émotion une accumulation de traumatismes successifs (commençant par des abus sexuels
et physiques au décours de parcours de vie, et souvent compliqués et abandonniques). L’hypothèse de
la causalité de ces épisodes dans la symptomatologie clinique adulte de ces patients a fait doucement
son chemin. Il manquait une enveloppe nosographique qui réunisse ce chapitre très diversifié.
22 R EPÉRAGES

E NQUÊTE « E XPOSITION P SYCHOTRAUMATIQUE


EN P SYCHIATRIE A DULTE »

La question de la place du psychotrauma, et particulièrement des traumatismes complexes, dans la


genèse, le développement et les complications de pathologies mentales pour lesquelles les patients
étaient admis et pris en charge en psychiatrie se posait. Afin de vérifier cette impression clinique,
une enquête transversale, descriptive de l’exposition psycho traumatique en population psychiatrique
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adulte a été menée au sein de notre centre hospitalier (Fossard O, Lahya S, 2018). Sur la base d’une
grille de dépistage des expositions traumatiques, strictement issue des critères du DSM V, l’incidence
des antécédents d’exposition psycho traumatiques évaluée était de 72 % parmi la population interro-
gée (patients tout-venants, hospitalisés en secteurs, hospitalisations de jour, et suivis en CMP, tous
confondus). Un chiffre particulièrement supérieur aux expositions en population générale, estimé à
30 % en France (Vaiva et al., 2008).
Parmi d’autres résultats, 74 % des sujets exposés à des évènements traumatogènes ont été poly-
exposés. La répétition de ces expositions concernait majoritairement des femmes (parmi les sujets
ayant expérimenté des expositions multiples, de 3 à 6 expositions, 75 % étaient des femmes.). Le
viol concerne 38,6 % des sujets exposés. Concernant l’âge des premières expériences traumatogènes,
l’enquête retrouvait un taux de 66 % d’antécédents de primo exposition à un âge mineur chez les
sujets exposés.
L’ensemble de ces éléments invitent à la réflexion sur la place du psychotrauma chez l’enfant et en
psychiatrie adulte, et sur les répercussions des traumatismes complexes chez ces patients.
S’il peut paraître évident que le trauma complexe est pourvoyeur de complications, son dépistage et son
diagnostic ne sont pas systématiques en psychiatrie. La sensibilisation des soignants, le dépistage
et la prise en charge précoce et adaptée du psychotrauma permettraient d’éviter la chronicisation des
symptômes, ou la complication de ceux-ci et l’apparition de troubles comorbides à moyen et long
terme.

LETRAUMATISME PSYCHIQUE COMPLEXE :


QUELQUES ÉLÉMENTS CLINIQUES

Dans les suites de traumatismes complexes (de type 2 ou 3) et d’expositions répétées et/ou anciennes,
des troubles psychiques peuvent apparaître et perdurer. Ils s’inscrivent alors ans le cadre d’un TSPT (et
viennent compléter un tableau marqué par des reviviscences, des symptômes d’évitement et des élé-
ments d’hyperactivation neurovégétative), ou sous forme de symptômes non spécifiques. Qu’il s’agisse
d’altérations de la régulation des affects, de troubles de l’attention ou des systèmes de représentations,
ou encore de somatisations : l’ensemble de ces troubles, lorsqu’ils sont liés au traumatisme complexe,
modifient la personnalité et amènent des complications et comorbidités.
Des troubles dissociatifs peuvent également se développer, ou encore des troubles du comportement,
des addictions ou des troubles des conduites alimentaires, venant complexifier encore la clinique
Le traumatisme psychique complexe 23

post-traumatique. Face à des symptômes aussi variés, et devant des tableaux pouvant faire évoquer
un trouble de la personnalité, de l’humeur, voire des syndromes psychotiques, il est nécessaire de
rechercher des antécédents psychotraumatiques parfois très anciens, et d’évaluer ces symptômes à la
lumière de ces éléments biographiques.
!

Le complexe DESNOS et le trauma complexe

Si le TSPT tel qu’il est décrit dans le DSM-V ne suffit pas appréhender les troubles secondaires aux
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traumatismes complexes, c’est le complexe DESNOS décrit par Luxenberg et al (2001) [Tableau 1],
qui semble s’en rapprocher le mieux. Ce complexe regroupe 6 catégories de symptômes que nous
pourrions traduire ainsi : l’altération dans la régulation des affects et des impulsions, les altérations
de l’attention ou de la conscience, les altérations dans la perception de soi, les altérations dans les
relations interpersonnelles, les somatisations, et les altérations des systèmes de représentations. Ces
symptômes, bien qu’ils ne soient pas spécifiques (et décrits par ailleurs dans le cadre de troubles de
la personnalité de type borderline, par exemple) deviennent propres au trauma complexe, et peuvent
constituer un syndrome post-traumatique complexe à proprement parler lorsque l’étiologie établie
est psycho traumatique. Cette entité permet de mieux appréhender certains symptômes présentés
par les patients, victimes de traumas complexes, et dans les suites parfois tardives des expositions
traumatiques, et d’orienter la prise en charge thérapeutique.
!

La Dissociation

La notion de Dissociation a largement été abordée en psychologie et en psychiatrie. Un ouvrage


récemment publié propose une synthèse intéressante de ses différents aspects et prises en charges en
psycho traumatologie (Joanna Smith, 2016).
D’abord décrite en rapport avec le concept d’Hystérie de Freud (1895), puis avec la notion de « Dis-
sociation Traumatique » décrite par Pierre Janet (1889), de « Dissociation structurelle » (Myers) ou
de « Dissociation Schizophrénique » avec Bleuler (1911) et le concept de « Spaltung » : le clivage ;
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la conceptualisation de la notion de Dissociation est toujours en évolution. Le vocabulaire de la


littérature issue de différentes écoles en psychologie rapporte, au sujet de la « conscience » au
moment de l’exposition traumatique, des propriétés volumétriques, de mouvement, ou de dissociation.
Ainsi, il est question des variations pensées conceptualisées comme étant protectrices du volume de la
conscience : « rétraction » ; « rétrécissement » ; « régression ». Ont également été décrits des mouve-
ments de fuite de la conscience : « déplacement » ; « refoulement » ; « projection » ou « conversion ».
L’aboutissement à une dissociation de cette conscience face au trauma est évoqué en termes de
« fragmentation », d’« éclatement », de « morcellement, ou de « clivage », de « désagrégation », de
« forclusion » voire de « déni ».
Dans le DSM-V, la dissociation est actuellement définie comme étant la « désunion » de « fonctions
normalement intégrées » (conscience, mémoire, identité, perception de l’environnement.). Les critères
diagnostic ont récemment été modifiés dans la dernière version du manuel (APA 2013). Ces troubles
dissociatifs, peuvent se manifester de différentes façons, notamment dans le cadre d’un trouble de
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Figure 3.1. DESNO, 2001a


a. Luxenberg T, Spinazzola J, Van der Kolk B.
R EPÉRAGES
24
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Le traumatisme psychique complexe 25

stress post-traumatique complexe. La déréalisation, ce sentiment de détachement du monde extérieur,


qui est une « expérience d’irréalité ». Au cours d’une exposition traumatique, cette perte de contact
avec le réel peut conduire à des attitudes inadaptées et une mise en danger de soi. Le regard est
absent, ailleurs, les actes sont décalés du réel. La dépersonnalisation, qui est une altération de la
perception de soi ou de son environnement, peut s’accompagner d’un sentiment d’être « observateur
extérieur de ses propres pensées, de ses sentiments, de ses sensations, de son corps ou de ses actes ».
Il s’agit là d’une scission de la personnalité qui peut concerner tout ou partie du corps. C’est le
cas des victimes violées qui se réfugient ailleurs que dans le corps pour « supporter » l’agression.
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C’est aussi le cas des victimes de coups ou de blessures (et il est utile de se poser la question
pour les polytraumatisés lors d’Accident Voie Publique) qui vont « abandonner » une partie du corps
ou au contraire l’agresser secondairement par des brûlures ou scarifications. Ou encore l’Amnésie
dissociative, qui regroupe des manifestations amnésiques, concernant des informations spécifiques,
ou une période donnée de la vie, ou un évènement particulier, sans que cela ne soit imputable à la
consommation d‘une substance ou d’un trouble neurologique ou mnésique autre.
Entre autres symptômes post-traumatiques complexes, nous citerons également les résurgences ou
reviviscences traumatiques. Il s’agit de réactivations traumatiques au décours d’un évènement de
la vie, en lien avec l’exposition, et souvent des années après le trauma. Le lien avec l’évènement
traumatique initial n’est pas toujours établi par le patient. Ces résurgences traumatiques ont souvent
lieu dans le cadre d’un trauma complexe. Le diagnostic n’étant pas toujours établi, c’est au décours
d’un travail sur le souvenir ou sur des images mentales mémorielles que peut s’exprimer une émotion,
faisant le lien avec le traumatisme initial. Des « bizarreries » peuvent aussi être observées, Elles
peuvent être l’expression d’un état dissociatif, accompagnant un syndrome de répétition (flashs-backs
mémoriels, mis aussi visuels, auditifs, olfactifs, sensitifs...) et évoquent une sensation de décalage
par rapport au temps, au réel ou à son propre corps. Ce sentiment de bizarrerie, ainsi exprimé par
le patient, et recherché par le soignant, peut traduire une amnésie dissociative, un sentiment de
déréalisation ou de dépersonnalisation.
!

Dissociation et approche neurobiologique


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La neurobiologie nous propose une approche anatomique, clinique et cognitive de concepts psycholo-
giques et psychanalytiques, au travers d’éléments de compréhension de la mécanique du circuit court
de l’émotion. La description de ces éléments anatomiques du cerveau, de leur structure et de leurs
fonctions, a permis de nouvelles observations.
➙ - Le Cortex préfrontal médian et cortex cingulaire antérieur : ils jouent un rôle dans la modula-
tion de l’attention et la régulation des émotions, et seraient impliqués dans des processus cognitifs
complexes tels que « la représentation de sois » et le sentiment d’identité (Dégeilh et al., 2013).
Son volume serait diminué chez les sujets souffrant d’ESPT (Pitman et al., 2012).
➙ - Le Thalamus : décrit comme le carrefour des remontées spinothalamiques de nos sensations
corporelles, auditives, visuelles et de la motricité descendante, est en connexion instantanée avec
le Cortex, l’Amygdale et l’Hippocampe, transmet plus lentement l’information vers différentes aires
corticales sus-jacentes. Ce relais joue donc un rôle dans la transmission des informations entre ces
26 R EPÉRAGES

différentes structures, et son fonctionnement peut être modifié lors d’une stimulation traumatique
(Lanius 2014).
➙ - L’Amygdale : ainsi décrite par les anatomistes d’hier pour sa forme d’amande située dans le
système limbique, antérieure aux lobes médiaux-temporaux, permet de réguler l’attention, et joue
un rôle dans la mémoire émotionnelle et dans la détection de la menace, ainsi que dans la réponse
émotionnelle de peur (pour combattre ou fuir le danger). Elle présente la particularité de recevoir
directement des signaux issus des neurones olfactifs, expliquant sans doute la prééminence de
l’odorat dans les conduites instinctuelles. Son activité serait augmentée lors de stimuli menaçants,
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notamment chez des sujets ayant expérimenté un traumatisme psychique (Pitman 2012), ce qui
pourrait expliquer les symptômes de reviviscences intrusives, d’hypervigilance et de qui-vive chez
les patients psycho-traumatisés.
➙ - L’Hippocampe : lieu de l’encodage spatio-temporel, de la mémoire et des apprentissages. Elle
joue un rôle dans le transfert entre mémoire à court terme et à long terme (mémoire épisodique,
autobiographique et sémantique) et présente des récepteurs glucocorticoïdes. Des études de neuro-
imagerie ont noté un volume anatomique réduit chez des patients souffrant d’ESPT, et ont tenté
de faire le lien entre ces variations anatomiques et les troubles de la mémoire épisodique dans les
suites d’un ESPT (Pitman, 2012).

Ainsi, la dissociation traumatique résulterait d’anomalies dans la régulation l’activité de ces structures
et de l’encodage des divers éléments mémoriels, constituant un souvenir qui ne serait donc pas
« correctement » associé, ou incomplet. Pour résumer les relations entre les altérations cérébrales
observées et les troubles mnésiques associés dans l’état de stress post-traumatique chez l’adulte
(Dégeilh et al., 2013) :

Tableau 3.1. Altérations mnésiques dans l’état de stress post-traumatique :


résultats comportementaux et neuro-imageriea
Régions cérébrales Systèmes et processus cognitifs Troubles de mémoire dans l’ESPT
Hippocampe Mémoire épisodique Déficit de mémoire épisodique
Encodage et rappel du contexte Fragmentation du souvenir
Décontextualisation du souvenir
Surgénéralisation des souvenirs
Amygdale Mémoire émotionnelle Hypermnésie des aspects émotionnels négatifs
Détection de la menace Biais attentionnel en faveur de la menace
Réponse de peur
Cortex préfrontal médian Régulation attentionnelle Déficit de régulation et d’attention
Cortex cingulaire antérieur Régulation émotionnelle Déficit de contrôle de la réponse émotionnelle
Sentiment d’identité et de la Modification du sentiment d’identité et perception de
représentation de soi soi négative

a. Dégeilh F, Viard A, Dayan J, Guénolé F, Egler PJ, Baleyte JM, Eustache F, Guillery-Girard B.
Le traumatisme psychique complexe 27
!

Convergence de trois cliniques : biographique, corporelle, émotionnelle

La construction neuropsychologique du psychotrauma se précise, à la lumière de ces éléments. Le


psychotrauma complexe peut alors être conçu comme un empilement de traumatismes psychiques,
d’expositions multiples, et de réactions diversifiées interférant les unes avec les autres, se mélangeant
pour finalement composer un tableau complexe.
Nous l’avons vu avec le complexe DESNOS : les sujets victimes de psychotrauma complexe présentent
des signes cliniques divers, parfois non spécifiques, et des troubles co morbides allant du trouble
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anxieux à la psychose, en passant par les troubles de l’humeur, d’addictions ou de la personnalité.
Dans ce contexte, il est essentiel de rechercher des éléments biographiques psychotraumatiques,
parfois anciens, qui constitueront un premier apport clinique.
Un deuxième apport clinique peut être d’ordre émotionnel. Des questions ouvertes (« qu’est-ce qui
vous est arrivé autrefois », ou « dans l’enfance ») vont amener progressivement des éléments de réponse
qui peuvent raviver rapidement un état émotionnel. La réaction émotionnelle signe l’intensité et la
fraîcheur toujours actuelle du psychotrauma complexe. (Le temps n’existe pas ; on peut entendre la
phrase a posteriori de la séance : « c’est comme si c’était hier ».)
L’émotion déclenchée au décours de la catharsis révèle que nous sommes sur le plan thérapeutique,
au bon endroit. Nous nous permettons ici de faire un parallèle avec la clinique somatique, où lorsque
le clinicien, posant le doigt sur le point de Mac Burney1 déclenche une douleur qui indique une
appendicite sous-jacente.
Un troisième apport clinique serait corporel : les émotions peur et/ou la colère se lisent au travers
des attitudes corporelles, ou de la tonalité/raucité de la voix. La voix qui change pendant l’entretien,
qui devient celle d’un enfant, peut aussi nous indiquer l’âge du trauma, celui d’une petite fille, ou d’un
petit garçon. À noter que ce changement de tonalité, ce rajeunissement vocal peut être considéré
comme une reviviscence corporelle. Un signe fréquent également et incontrôlé est un pied qui frappe
soudainement le sol comme pour affirmer quelque chose... qui le plus souvent n’est pas formulé ; il
faut alors interroger le patient sur « ce que dit le pied ? »
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En ce qui concerne la clinique corporelle, il est intéressant de renvoyer vers les rares vidéos encore
consultables de cas de psychotraumas graves et chroniques, que l’on retrouve dans les archives des
prises en charge des poilus rescapés de la guerre des tranchées de la guerre 14-18 ; Ces vidéos montrent
les mouvements saccadés, automatiques de la marche ou des mouvements faciaux incontrôlables de
ces rescapés d’enfouissement ou de champs de tuerie où ils ont cumulé le vent du boulet, les morts
morcelées de leurs compagnons, la fuite... en résultent des reviviscences corporelles que les psychiatres
de l’époque ont tenté de soigner avec les outils d’alors, sous forme de stimulation électrique de la
moelle épinière au niveau lombaire, totalement inefficace mais ce qui nous rend bien humble dans
nos tentatives d’aujourd’hui de soigner nos patients, y compris chimiquement.

1. Zone punctiforme de la Fosse Iliaque Droite qui correspond a l’appendice caecal sous-jacent.
28 R EPÉRAGES

O BSERVATION CORPORELLE DU PHÉNOMÈNE DE « DÉGLUTITION »

Nous nous permettons d’évoquer ici une observation corporelle : celle des réflexes physiologiques que nous
appellerons des « moments de déglutition » ayant parfois lieu au cours des entretiens. Nous les décririons
en terme de « déglutition primaire », évoquant celle du nouveau-né ; et de « déglutition secondaire », plus
marquée et d’apparition plus tardive (que nous associerons à un « stade de la cuillère » chez l’enfant). Le
passage en « déglutition secondaire » signerait la fin d’une régression psychique chez l’enfant, et qui donnerait
accès à l’image. Lors des entretiens, nous avons observé que le patient peut « se rengorger », et au moment
de cette « déglutition secondaire », parfois forcée, perdre alors le fil de son récit. Nous lui demanderons de
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tenter de « résister » à cette déglutition, afin de ne pas interrompre le processus de travail sur l’image mentale.
Cette observation corporelle nécessiterait à notre sens d’être analysée et approfondie.

Lorsque ces trois cliniques sont réunies, en rapport le plus souvent avec plusieurs expositions trauma-
tiques dans le psychotrauma complexe, cette convergence tend à renforcer l’hypothèse diagnostique.
et lorsque ces trois cliniques sont convergentes, nous sommes déjà dans le soin, et la prise en charge
du psychotrauma complexe.
Toutes les méthodes aujourd’hui retenues dans la prise en charge du psychotrauma récent (EMDR, TCC,
Thérapie dynamiques, hypnose) et applicables au Psychotrauma Complexe ont en commun un travail
émotionnel, ciblé sur le souvenir traumatique. On retrouve ici la description d’Aristote : la « Catharsis »
Κάθαρσις (sépare le bon du mauvais) déjà repérée comme méthode thérapeutique dans l’antiquité.

A PPROCHES THÉRAPEUTIQUES

Si nous ne reviendront pas ici sur les techniques propres à chacune de ces thérapies, nous noterons que
les dernières recommandations européennes et internationales (NICE (2005), WFSBP (2008) INSERM
(2004) préconisent le recours aux TCC ou à l’EMDR, ayant tous deux prouvé leur efficacité dans la prise
en charge du TSPT (Van Etten et al., 1998).
Ainsi, EMDR, TCC, mais aussi Thérapies psychodynamiques et Hypnose sont des techniques thérapeu-
tiques pouvant être proposées dans la prise en charge du TSPT. Le dénominateur commun de ces 4
méthodes est le travail sur les scenarii et les images mentales, passage préférentiel vers le travail
émotionnel et l’intégration du souvenir. Ces différentes méthodes thérapeutiques conduisent le patient
face à une image mentale ou un scénario de l’exposition. En EMDR comme en TCC ou en Hypnose,
des techniques de « scénario réparateur » permettent de revenir sur le souvenir traumatique et d’en
modifier mentalement l’image, le déroulement. Un travail sur les émotions et les cognitions liées au
trauma peut être entamé.
En TCC, un travail sur les schémas cognitifs, les croyances, le processus émotionnel, la gestion de
l’anxiété et des sensations corporelles, et les expositions et l’assimilation du souvenir traumatique
sont également des axes de travail pertinents dans le cadre de trauma complexes.
D’autres approches psychothérapeutiques peuvent être mises en place, et permettent d’amorcer une
thérapie post-trauma complexe. Dans le cadre des prises en charges proposées au sein de notre
Le traumatisme psychique complexe 29

centre hospitaliser, des groupes Médicalisés de Thérapie Psychotraumatique sont organisés. Ceux-ci
concernent des patients qui évolueront ensemble tout au long du processus thérapeutique de groupe.
Plusieurs ateliers peuvent être abordés ensemble, et des entretiens individuels réguliers sont proposés
aux patients (avec une infirmière référente, également présente lors des ateliers ; ainsi qu’avec
le thérapeute du patient : médecin psychiatre et/ou psychologue). Des techniques de médiations
corporelles peuvent être utilisées pour amorcer le travail psychique. Parmi les ateliers thérapeutiques
proposés :
➙ La « Danse Primitive » : l’expression corporelle via la danse sur un fond de rythme basique va
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permettre de s’enraciner au sol et de souder le groupe. Il peut être proposé de mimer un animal
et de pousser son cri, ce qui permet d’évaluer et de libérer la voix.
➙ Des « Techniques de Relaxation » : sous forme, par exemple, de dessin de soi suivi d’un parcours
corporel puis d’une imagerie mentale d’un lieu sécurisant, et enfin pouvoir laisser émerger un
souvenir. Un dessin de soi peut être effectué en fin de séance, et pourra être repris en consultation
individuelle.
➙ « L’Identification Projective » : dans le cadre de nos groupes, nous avons retenu 3 masques
dessinés à la peinture ou coloriés sur un mode très ludique : le masque sombre, le masque lumineux,
le masque social. Parfois, il est possible pour le patient de finir par « reconnaître » l’agresseur ou
le protecteur ou d’autres acteurs, intervenants cruciaux sur ces trois masques. Cette projection sur
les masques permet de limiter les projections sur d’autres personnes.
➙ « Le Gêno-sociogramme dessiné » : Il s’agit d’un génogramme élargi dessiné sur une feuille A3 où
peuvent être observées la disposition, l’isolement, l’éloignement entre les personnes, ou l’absence
de certaines. C’est notamment un moyen d’aborder les incestes et abus sexuels transgénérationnels,
et qui peut permettre une ébauche de thérapie familiale lorsque celle-ci (c’est le cas le plus fréquent)
est difficilement accessible.
➙ « Le Chemin de vie » : le patient est invité à dessiner son chemin de vie sur une longue feuille.
Il peut être rappelé aux patients de ne pas omettre les zones difficiles de leur récit de vie (Il est
parfois surprenant de voir commencer une vie à 8 ans). Les zones traumatiques sont rapidement
identifiables sur cette bande, dessinée.
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Les différents ateliers proposés sont principalement issus des thérapies dynamiques. Sur les périodes
amnésiques ou pour activer les souvenirs et l’imagerie mentale, nous proposons également le recours
à l’hypnose ou à l’EMDR. Des thérapies cognitives et comportementales peuvent également être
proposées en thérapie individuelle.

Trauma et débriefing psychologique : l’expérience de la CUMP


Au décours des interventions CUMP (Cellule d’Urgence médico psychologique), nous sommes régulièrement
confrontés à des états de stress aigus. De nombreuses techniques de débriefings existent, et peuvent guider
nos prises en charges individuelles ou de groupes. Ces débriefings nécessitent d’être encadrés par des
soignants expérimentés, ayant une bonne connaissance de la pathologie psycho traumatique. L’acte théra-
peutique de résolution émotionnelle se conçoit alors dans ce cadre spécifique, sécurisant, et contenant. La
composition et la dynamique des groupes ainsi formés sont des éléments importants.
30 R EPÉRAGES

En ce qui concerne le débriefing des équipes de soignants, secouristes, SAMU, CUMP, forces de l’ordre,
et autres intervenants de terrain ; l’approche est similaire, avec une attention particulière qui sera portée sur la
répétition des expositions traumatiques chez ces intervenants. Ces expositions répétées à des évènements à
fort potentiel traumatogène chez les intervenants sont un facteur prédisposant au développement d’un trauma-
tisme vicariant, et doit être particulièrement surveillée (Ces expositions traumatiques « professionnelles » ont
d’ailleurs, pour la première fois, fait l’objet d’une note spécifique dans la dernière version du DSM-V).
De façon générale, les personnes sont invitées à exprimer leur vécu de la scène traumatique, d’abord de façon
factuelle, puis émotionnelle. La parole est encouragée, libérée, et l’expression émotionnelle dans un deuxième
temps peut avoir lieu.
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Il arrive cependant qu’à l’occasion de ces débriefings en situation traumatique aiguë, que des traumas plus
anciens et parfois complexes émergent. L’expression émotionnelle peut se heurter à des « blocages », empê-
chant l’accès à de souvenirs plus anciens, ou encore peuvent s’exprimer des résurgences traumatiques lorsque
l’évènement actuel renvoie à un traumatisme plus ancien, plus complexe.
L’écoute attentive des mots et expressions corporelles, nous orientera peut-être vers un trauma plus ancien,
un deuil traumatique, un psychotrauma complexe... une autre souffrance. Une deuxième consultation sera
alors proposée, individuelle.

C AS CLINIQUES
!

« Le bourreau-victime »

M. B est un militaire de 45 ans d’une armée hors Europe que nous ne pouvons nommer ici. Il est
en couple. Il a été renvoyé de son régiment. Il consulte au CMP au décours d’un déménagement,
avec pour motif des troubles psychiatriques diversifiés et des troubles anxieux majeurs. Il décrit
des insomnies, des phobies, mais aussi des épisodes de « personnalité multiple ». Il est déjà sous
neuroleptique depuis quelques années lorsque nous le rencontrons. Lors des premiers échanges il
apparaît très défensif, revendicatif, assez brutal dans son élocution. Le contact est difficile.
La prise en charge habituelle proposée dans ce CMP consiste en des dessins de dépistage, des entretiens
infirmier hebdomadaire, et une consultation médicale mensuelle.

Ces dessins de dépistages sont des réalisations rapides au stylo de deux dessins. Nous demandons au
patient un « dessin de la famille lorsque vous étiez enfant », et un « dessin de la famille aujourd’hui »,
sans plus de précision. Le patient précisera ensuite l’âge auquel il s’est représenté sur le dessin de la
famille enfant. Le plus souvent, nous avons noté que cet âge correspondait à l’âge d’une exposition
traumatique.

Rapidement l’équipe infirmière découvre ce passé militaire et relève des amnésies, évocatrices d’une
possible psycho trauma sous-jacent. Le dessin de la famille enfant attire l’attention vers les 10 ans,
où ce fils aîné est représenté isolé, éloigné de sa mère et de son jeune frère. Il n’y a pas de père. Le
dessin de la famille adulte est particulier : le patient s’y est représenté deux fois sans s’en apercevoir.
Il a 2 enfants et une compagne dans sa vie adulte, et il y a 3 petites silhouettes fil de fer sur le
Le traumatisme psychique complexe 31

dessin à côté des deux adultes. Curiosité1 aidant, nous demandons ce qui se passe à 10 ans, et qui
est cet enfant en trop. Il nous dit que « cet enfant en trop » : c’est lui. Concernant la question du
père, absent sur le dessin, nous apprenons qu’il y a un abandon à l’âge de deux ans, qu’il ne l’a jamais
revu depuis. Nous apprendrons plus tard qu’il présente des épisodes d’isolement à la maison, où il
s’enferme seul chez lui dans une pièce pour « jouer aux petites autos » et autres figurines. Rien de
traumatique durant l’armée d’après son récit initial. Il décrit cependant des conduites d’évitements
concernant les porteurs d’uniformes, et les groupes.
Le patient est très défensif, nous tentons de le faire travailler en relaxation brève, assis sur un siège
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les yeux fermés, en demandant de laisser venir un souvenir... Souvenir qui surgit très brutalement
sous la forme d’une image. Il résiste, ne confie pas son image mentale. Nous poursuivons la séance,
les expressions du visage reflètent la peur, des larmes coulent... il rengorge un gémissement... ouvre
les yeux... l’image a disparu. Il nous dira des bribes... du viol d’une jeune fille dans un village de
campagne... pendant une opération :

« Nous étions passés dans un village qui nous avait reçu avec des boissons et quelques nourritures, nous indiquant
la seule route sûre de la région... quelques kilomètres plus loin nous sommes pris en embuscade, nous sommes
douze... j’ai trois mois d’armée... mon nouvel ami tombe coupé en deux par une rafale de mitrailleuse... deux
autres encore... on fuit sous les balles dans nos véhicules blindés... la fuite vers le village... et là... » grimace :
« l’odeur des viscères et du sang, je l’ai là dans le nez, la bouche... Le ventre ouvert de l’ami, les boyaux dehors...
la haine, la colère contre ce vieux qui nous a envoyés à la mort. Nous faisons irruption dans la maison de terre,
le vieux, sa fille de 13 ans environ, son fils de 20 ans... l’interrogatoire musclé commence... le vieux, il nie... le
fils nous attaque pour le défendre avec une pelle... le chef le tue... je me sens bizarre... ailleurs... si tu ne parles
pas, on viole ta fille... des cris... fuite... la petite sur la table... on remonte ses vêtements... l’interprète s’interpose.
Coup de crosse. KO... Toi. Viole-la ! Il me dit... J’ai peur de lui. Je le fais... je suis bizarre... elle crie encore se
débat... du sang... un autre la viole... puis un autre... les hurlements du père... l’interprète nous frappe... le chef
le tue d’une rafale... des dégâts... c’est une folie. » Des larmes et rictus de dégoût, tics nerveux sur le visage. L’un
de nous dit : « s’il y a plus personne... personne ne saura » ... « Élimine-la » dit le chef... j’ai peur de lui. Il a une
réputation de fou... a déjà tiré sur ses hommes pour les blesser... je mets mon gant sur le visage de la fille... je
bouche son nez et sa bouche. Elle me regarde... pitié... je pleure. Je suis fou... elle meurt... » Larmes, expressions
de dégoût/honte/colère s’agitent ensemble sur le visage de M. B. « Première fois que je raconte... trois mois plus
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tard on était tous renvoyés dans nos foyers. Puis exclus de l’armée... silence de tout le monde... »

Ce récit est une catharsis intense et brutale de son psychotrauma. Il fait remonter à la surface des
expositions multiples : la confrontation à sa propre mort, des deuils traumatiques durant l’embuscade,
le viol qu’il commet sous l’ordre de son supérieur hiérarchique... Il est à la fois bourreau et victime. Il
y a là un morcellement des corps, une dissociation, des reviviscences intenses. Des signes émotionnels
et corporels très parlants.

1. Une curiosité non feinte peut permettre au patient de nous montrer son endroit secret ; il lit notre corps et notre curiosité
comme nous lisons les siens. La curiosité qui émane d’un soignant expérimenté est adéquate.
32 R EPÉRAGES

Cependant nous nous interrogeons sur la représentation de la « double personnalité » sur son dessin.
Cette exposition traumatique militaire, bien que fortement dissociative, explique-t-elle à elle seule
cet élément ?
Nous revenons sur l’enfance. Le patient révèle au fur et à mesure des sessions des éléments plus anciens.
Il évoque alors une autre exposition traumatique, à l’âge de 10 ans : le viol par un voisin, le menaçant
de mort et de violer son frère cadet s’il parle. Il y aura plusieurs épisodes, durant plusieurs mois,
presque 2 ans. Terreur. 10 ans, l’âge des petites voitures et les figurines. Avec un père (protecteur)
absent. Tout seul.
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Nous travaillons en imagerie mentale à nouveau. Le patient « capte » le souvenir d’un épisode ; sans
doute un des premiers, chez le voisin. Un véritable travail d’accouchement émotionnel nous occupe
alors face à lui, les yeux fermés...

Le thérapeute : « respire, laisse respirer » (Nous tutoyons l’enfant en lui, vouvoyons l’adulte).
Le patient : « Il me baisse ma culotte. Il me force... » (Modification de l’expression du visage, le V mélancolique
permanent qui barrait le front du patient disparaît. Des larmes coulent.)
Le thérapeute : « Respire... Qu’est ce qui t’arrive ? »
Le patient « Il me fait mal... il me tient... » (Le bureau se met à trembler sous nos coudes... sous la table son pied
touche l’axe central et ses jambes sont agitées d’un tremblement régulier, qui remonte jusqu’au dos.)
Le thérapeute : « Laisse vibrer... respire »
Le patient : «... » (Geignement. La vibration gagne le son, il vocalise, il tremble désormais des pieds à la tête... il
tente de contrôler le tremblement. Le V Frontal réapparaît.)
Le thérapeute « Ne contrôle pas... respire ». (La vibration reprend ; l’image se poursuit. L’enfant raconte et revit.
Cette fois, il n’est pas seul.

Ces deux séances sont sans doute déterminantes. La psychologue qui suivait le patient depuis des
années note les progrès, un changement net dans les expressions du visage, le sommeil qui revient,
et conseille la poursuite de cette prise en charge qui s’effectue plus simplement, dans un processus
d’étayage et de catharsis. Notre psychologue EMDR a rejoint l’équipe et poursuit avec le patient le
travail sur les expositions traumatiques.
Comme soignants et thérapeutes, il ne nous appartient pas de juger cet enfant violé qui se retrouve
lui-même violeur dans un contexte de mort. La question du bourreau ou de la victime ne se pose pas
en termes de jugement lorsqu’il est question d’un traumatisme complexe. Cela n’empêche bien sûr pas
les états d’âme diversifiés de l’équipe soignante, qu’il est nécessaire de verbaliser, et sur lesquels il
est important d’échanger à l’occasion d’un débriefing interne de l’équipe.
Le patient ne sera plus dominé par son deuxième moi, le tueur et le joueur, même s’il dialogue parfois
avec lui. La prise en charge consistera en ces séances majeures, et d’un travail psychothérapeutique
de plusieurs mois. Le traitement neuroleptique a été arrêté.
Le traumatisme psychique complexe 33
!

Un deuil traumatique complexe

M. G. est décédé, victime d’un attentat terroriste. Nous rencontrons sa famille dans le cadre de l’inter-
vention de la CUMP Zonale, présente alors sur ces lieux d’identification des victimes. L’identification
nécessite d’importants moyens médicolégaux d’autopsie et un travail policier et judiciaire d’identifi-
cation des ADN. La CUMP travaille fréquemment en coordination avec ces équipes de professionnels,
partageant le même site d’intervention.
Les parents de M. G (ils seront désignés sous le vocable de grands-parents) sont venus d’une région
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lointaine pour identifier le corps de leurs fils décédé. Ils se présentent comme « Pieds-Noirs d’Algérie ».
Mme M., la compagne de M. G. est également présente avec son nouveau-né, 2e fils du défunt. Elle est
née en Afrique, et n’a alors pas de papiers de séjour. Elle vit en France depuis 12 ans, travaille comme
secrétaire bilingue et semble totalement intégrée. Le premier fils de M. G., issu d’une précédente
relation, est également logé avec elle. Il n’est pas venu aujourd’hui.
D’emblée les grands parents posent la question du lieu « où va être enterré le corps » et dès lors
des problématiques sous-jacentes surgissent : « sa première femme me l’avait déjà pris, celle-ci va me
prendre son corps » dira la grand-mère. Ailleurs en entretien Mme M. la compagne déclare : « Pour son
fils aîné, et pour ce nouveau-né, il est préférable qu’il soit enterré dans notre ville ». Conflit familial
relativement simple, et posé ; même si non verbalisé entre les protagonistes.
L’épisode de confrontation au corps morcelé de la victime, même s’il est bien préparé par les pro-
fessionnels de la Morgue, va déclencher une double résurgence chez les parents. En effet avant de
pénétrer dans la cellule d’identification où le corps est visible derrière une vitre, ces 4 personnes vont
croiser une famille maghrébine venue pour identifier un décès non lié aux attentats, dont on ignore
l’histoire, et qui va à ce moment-là cracher aux pieds du groupe. Le grand père va alors déclencher une
poussée hypertensive dans une grande colère où les termes de « Fellagas » pointent une exposition
traumatique ancienne et évoquent une dissociation temporelle. Il faudra l’intervention d’une équipe
médicale somatique.
La grand-mère pour sa part est sidérée, déréalisée, assise, répétant en boucle : « Elles me l’ont pris ».
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La compagne est tendue, accessible, relationnelle, mais incapable d’exprimer ses émotions dans son
combat pour garder le père auprès de ses fils.
Cette situation de deuil traumatique, compliqué d’expositions traumatiques multiples et anciennes,
et d’un conflit familial également antérieur, dans un contexte légal précaire va faire le lit de trois
deuils traumatiques complexes, et potentiellement trois psychotrauma complexes.
!

Une dissociation psychotraumatique complexe

M. W. est diagnostiqué schizophrène. Il est alors sous neuroleptiques. Il arrive cependant à entretenir
une relation et à vivre une histoire d’amour avec Me H, elle-même diagnostiquée bipolaire. Ils se
séparent trois fois par an environ, et cela depuis 5 ans. Tous deux ont gardé un emploi plus de trois
ans. Le couple est fréquemment hospitalisé, à tour de rôle ou d’une manière contemporaine. Il y a des
signes de socialisation possible.
34 R EPÉRAGES

M. W. nous parle régulièrement des caméras qui l’observent.


Le dessin de la « famille enfant » pointe l’âge de 8-10 ans. Il ne se rappelle plus du contexte. Cette
amnésie attire notre attention. Le travail en relaxation, et quelques séances d’EMDR centrées sur
l’enfance, finira par révéler des images mentales et le souvenir d’épisodes de relations sexuelles à
plusieurs, effectuées à tour de rôle, nus devant les camarades du même âge, avec une jeune fille âgée
de 12 ans alors.
La peur ressentie face au regard de ses autres enfants, le « défi » à relever dans une sexualité trop
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précoce, inadaptée et dangereuse, a fait la dissociation, l’automatisme corporel, et laisse une trace
mnésique de se sentir observé. D’où les explications qu’il s’est inconsciemment créées : ces caméras,
comme une tentative de rationaliser ce sentiment d’être observé. Cela aurait pu être « Dieu me
regarde » ou « les voisins voient à travers les murs » etc. De la même manière que pour les ententes
de « voix » : un mode explicatif surajouté par le patient de ces « flashs auditif », reviviscences
traumatiques anciennes.
En l’absence d’explications rationnelles, de psycho éducation, de compréhension des mécanismes
sous-jacents, des sensations ressenties, de ce qui se passe « derrière le Trauma » et de ce qui fait le nid
des symptômes ; la personne est laissée seule face à l’incompréhension de ses symptômes, qu’ils soient
paranoïaques, dissociatifs, ou « délirants ». L’interprétation donnée aux symptômes ressentis amène
alors des diagnostics parfois erronés. Des étiquettes sont posées, parfois un peu vite, et les soignants
peuvent considérer ces signes comme des éléments constitutifs d’une « psychose schizophrénique ».
Il est important de tenter de comprendre les signaux neuro-psycho-sensitifs de chaque patient, de
décrypter les émotions et les sensations exprimées, à la lumière des éléments biographiques et des
expositions traumatiques du sujet qu’il faudra rechercher. et de faire la part des choses avec les
éléments surajoutés, et les interprétations faites de ces symptômes.
Alors que pour le psychotrauma simple le lien de causalité est plus facilement effectué avec l’exposition
traumatique, dans le psychotrauma complexe l’amnésie peut venir masquer ce lien avec l’exposition. Les
flashs émotionnels vécus ensuite paraissent sans rapport avec un élément traumatique évident, et sont
pour la personne et son entourage incompréhensibles et inquiétant. Dans ce contexte, le patient
viendra greffer sa propre explication, sa propre interprétation, et qui paraîtra alors « délirante ». Il
s’agit ici d’un flash mémoriel sensitif auto interprété.
!

Traumatisme complexe chez un refugié

La prise en charge psychologique des personnes réfugiées ou demandeurs d’asile est délicate. Ceux
que l’on appelle génériquement « les Migrants », les regroupant ainsi sous une entité globale et imper-
sonnelle, nous confrontent à des situations transculturelles variées, singulières et complexes. Chacun
de ces « Migrants » porte avec lui son histoire, sa culture, ses croyances, et parfois son expérience
traumatique ; à la fois unique car personnelle et intime, et partagée par d’autres compagnons d’exil
lorsque l’horreur vécue dans le pays d’origine ou durant la migration est collective.
Le cas de M. I. illustre bien cette complexité. M. I. a 26 ans, il est originaire du Darfour, appartient à
une ethnie minoritaire. Il est témoin et victime dès l’enfance de violences physiques, de harcèlement,
Le traumatisme psychique complexe 35

de persécutions répétées. Des attaques armées ont lieu régulièrement dans son village. Dès les premiers
entretiens, menés en langue arabe, il décrit les tueries de masse dont il a été témoin avec horreur, le
meurtre de voisins et de proches par ces milices armées.
Il répétera à plusieurs reprises « Je suis [nom de son ethnie], je ne suis rien », renvoyant aux per-
sécutions subies du fait de son origine ethnique : « Les policiers nous disaient ‘on va vous niquer’
parce qu’on était [ethnie]. On n’avait pas le droit de parler. J’ai été rabaissé depuis que j’étais petit...
toujours. ». L’expression corporelle est parlante, l’émotion palpable.
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Vient alors l’évocation de son incarcération : « On m’a arrêté parce que j’étais dans une manifestation.
On m’a torturé C’était horrible. Je ne peux pas raconter... » M. I. pleure à l’évocation de ce souvenir.
Nous effleurons un souvenir fortement traumatique, encore vif. Il est difficile d’aller plus loin dans la
verbalisation à ce stade.
Nous décidons d’y revenir plus tard, et le faisons parler de sa migration : « Ils ont fini par me libérer
mais je devais leur donner des renseignements. Ils m’ont dit que si je ne rapportais pas de renseignements
ils allaient me ‘tuer comme un chien’. Alors j’ai décidé de partir. Je n’avais pas d’informations à leur
donner, ils allaient m’emprisonner encore pour me torturer ou me tuer... Un ami connaissait un passeur,
on m’a prêté de l’argent pour payer le passeur et je suis parti. Quand je suis arrivé en Lybie je n’avais
plus d’argent, alors j’ai été retenu par les passeurs Lybiens. Ils m’ont enfermé dans un hangar avec
d’autres personnes comme moi. Ils nous ont torturés, tous les jours... chaque jour... » Pleurs. M. I.
marque des pauses, une expression horrifiée sur le visage. Il semble revivre mentalement ces scènes
traumatiques, et être pris par des flash-back dissociatifs. Nous lui faisons décrire ce qui se passe Il
reprend : « Ils nous laissaient mourir de faim, on buvait de l’eau salée... deux personnes sont mortes
à côté de moi... Ils nous disaient que si on mourait ils nous jetteraient dans les montagnes comme
des chiens. » Silence. « Un jour quand ils ont vu que je ne payerais pas la rançon ils m’ont vendu à
un patron. Il est venu me chercher. Il m’appelait « toi l’esclave ». J’ai travaillé 4 mois chez lui dans
le désert. et puis un jour j’ai été malade et il m’a laissé en ville. » Il marque une pause. L’expression
change. Retour au réel. Il décrira ensuite de façon factuelle les mois passés en Lybie, il cite des dates,
des lieux, la traite humaine, le travail non payé, les agressions et meurtres d’autres migrants, sans
expression émotionnelle. Puis il explique sa décision de quitter la Lybie et de traverser la Méditerranée
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pour l’Europe où « il y avait de l’espoir ». Il semble désabusé. Détaché. Il se referme.


Nous faisons une pause. Travaillons sur des exercices de relaxation. La gestion de l’anxiété est
essentielle pour poursuivre l’entretien dans de bonnes conditions. À ce stade nous initions M. I. aux
exercices de respiration, qui nous aideront ensuite à gérer les émotions.
Le diagnostic de TSPT ne faisant pas de doute au vu de ses symptômes, nous introduisons dès lors
un traitement médicamenteux, en support de la prise en charge psychothérapeutique, recommandés
dans le traitement du TSPT : Antidépresseur de type Paroxetine et Hydroxyzine a effet anxiolytique
et sédatif. Au-delà d’un TSPT évident, M. I. exprime un traumatisme complexe, avec des expositions
violentes, précoces et répétées. La verbalisation des expériences traumatique se fera en plusieurs
étapes.
Plus tard nous revenons sur le souvenir de la première incarcération au pays. Ce traumatisme semble
être central, et vient se surajouter à l’empilement d’expériences fortement traumatogènes. Après
36 R EPÉRAGES

quelques minutes de relaxation, nous revenons sur le récit de cette manifestation. La foule, les cris,
l’arrestation violente, la contention, l’enfermement : « ils m’ont bandé les yeux... ils m’ont attaché...
puis ils m’ont transporté jusqu’à une cellule. Ils m’ont enlevé le bandeau. Il y avait juste une fenêtre... ».
Nous percevons une image mentale, nous lui demandons de décrire le lieu : « il y avait des choses
gravées sur le mur. Au charbon ou au crayon... Il y avait écrit ‘ici tu rentres en homme et tu sors en
femme’ » Pleurs. Nous l’encourageons : « ils sont revenus me chercher... ils m’ont torturé... je n’avais
rien fait je n’avais rien à voir avec la manifestation... ils posaient des questions et ils me battaient... je
n’avais rien à leur dire... ‘on va te faire parler’ ... ils ont baissé mon pantalon et ils m’ont écarté les
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jambes... ils m’ont attaché les pieds... suspendu... j’ai la tête en bas. » Pleurs. Il regarde par terre. « Ils
avaient une bouteille, ils l’ont introduite en moi... je me tords de douleur... » Grimace. «... j’ai failli
perdre connaissance. Ils m’ont détaché et m’ont versé de l’eau sur le visage Ils reposaient les mêmes
questions... je ne savais pas ». Il reprend son souffle. Relève les yeux. « Ensuite ils m’ont torturé tous
les jours, il y avait d’autres détenus ils les ont torturés aussi. Il recommençait jusqu’à ce qu’on parle.
Mais je n’avais rien à avouer. » Il s’arrête. Fin de la catharsis. Nous lui demandons ce qu’il ressent à
présent : « Je ne suis plus un homme... c’est quelque chose que je ne pouvais pas raconter. Je suis brisé
à l’intérieur. »
Le traumatisme est vif, complexe, multiple. Un long travail psychothérapeutique peut commencer...
Chapitre 4

Le trauma, un symptôme de la culture


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de notre époque ?

Claude Barrois

L E TITRE DE CE CHAPITRE,
avec sa forme interrogative, malgré mon projet de lui donner corps, est peut-
être trop ambitieux et loin de mon champ de compétence. Il annonce en effet une incursion aux
frontières de la sociologie, des sciences historiques, voire de la philosophie de l’histoire. Je me méfie
toujours des exposés consacrés aux malheurs du monde, qui convoquent les grands mots tels que
civilisation, culture contemporaine, et qui énoncent souvent des vérités premières et moroses. Je me
méfierai donc de moi-même. Je ne crois pas non plus apporter une réponse, positive ou négative, à
mon titre.
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D ÉLIMITATION DES TERMES

« Les traumatismes »
Malgré tout, il faut quand même insister sur ses dérives, même dans notre discipline. Il y en a trois principales.

➙ La confusion avec la notion de stress, malheureusement créée et entretenue par la dénomination des
DSM-III et IV et la Classification Internationale des Maladies de l’OMS. J’ai dénombré en 1988 (1) les
erreurs logiques et épistémologiques de cet intitulé diagnostique avant de le remplacer par celui de « psy-
chotraumatisme ».
➙ Les deuils, pathologiques ou non, sont souvent inclus dans les psychotraumatismes, quand ils surviennent
après des accidents ou des catastrophes (exemple des collectifs de parents après une catastrophe lointaine).
Les viols également.
➙ Enfin, on tend fréquemment à qualifier de traumatiques toutes sortes d’événements nociceptifs tels que
conflits du travail, harcèlement, mauvaises nouvelles, séparations, mauvais traitements, etc. [la limite, toutes
sortes d’émotions fortes, comme les grandes peurs, ne rentrent pas dans le champ de connotation du
38 R EPÉRAGES

trauma psychique. C’est ce qui arrive quand est perdu de vue le caractère accidentel au sens fort (par
opposition à l’événementiel) et la perspective soudaine, immédiate du risque de mort.

Certaines situations comme les traumatismes infantiles, les traumatismes culturels, historiques, de l’exil ne
répondent pas aux critères diagnostiques des psychotraumatismes, mais sont néanmoins parties prenantes de
mon propos. Je distinguerai donc, dans cet exposé, les psychotraumatismes au sens clinique du terme et les
traumatismes dans le sens métaphorique. Les traumas non psychotraumatiques s’expriment souvent par des
états anxio-dépressifs et des troubles de l’identité.

« La culture »
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J’ai tenu à limiter ainsi le problème : j’utilise le terme de culture dans le sens d’« ensemble des aspects
intellectuels d’une civilisation » (Le Robert). J’ai choisi la notion de culture de notre époque plutôt que celle
de civilisation qui m’a paru trop large et soulever des questions différentes. De plus je pense que cet aspect,
figurant clairement dans l’intitulé de ce Colloque, sera traité au cours des thèmes qui suivront. À propos de
notre civilisation, si nous entendons par là « civilisation occidentale », la question qui surgit est la suivante : la
vulnérabilité et la hantise du psychotraumatisme sont-elles des signes d’une crise de celle-ci ?
Dans « la culture de notre époque », époque désigne une période historique déterminée, à savoir la nôtre. Je
dirai qu’il s’agit approximativement des quarante dernières années, c’est-à-dire depuis les années 1970.

« Symptôme »
L’emploi de métaphores ou d’expressions médicales dans le champ social est toujours risqué. La notion
de symptôme renvoie à tout le domaine sémantique de la maladie et du corps malade. Si je l’ai choisi, à
l’occasion de ce colloque, c’est qu’il m’a cependant paru pertinent pour aiguiser une réflexion sur le corps
social, au chevet duquel on demande souvent de nous pencher en qualité de médecins, de psychiatres et de
psychologues. Je ne m’étendrai pas de manière scolaire sur les limites de cette métaphore, en cherchant si
elle implique celles de syndrome, de signes, de diagnostic, etc. J’entends symptôme, ici, comme manifestation
et aspect d’une crise au cours d’un processus temporel, à savoir notre époque. Je ne prétends donc pas que
celle-ci est peut-être malade, ce qui ne voudrait pas dire grand-chose, mais simplement que l’invocation
insistante de traumatismes aurait un rapport avec un processus de crise.

P RÉSENCE DU TRAUMATISME ET SON CLIMAT

Je ne m’aventurerai pas à faire un portrait de notre société et me limiterai à des remarques de sens
commun. C’est en fait ce sens commun, cette perception collective imprécise mais partagée « en gros »
par les gens, qui joue souvent un plus grand rôle que les analyses sociologiques et géopolitiques
savantes. Or il est évident que le recours au terme et à la notion de traumatisme en général est devenu
incontournable, dès qu’il s’agit d’aborder les réalités tragiques de notre monde. Celles-ci s’imposent sans
cesse à nous, à des degrés variables de proximité : entourage urbain, flux d’informations télévisuelles
ou écrites avec leurs mauvaises nouvelles, etc. Depuis les années 1970, après la fin de la guerre du
Vietnam, la liste en est longue et impressionnante et devient une sorte de toile de fond du malheur :
séismes dévastateurs, dont celui d’Arménie en 1988, attentats terroristes en France et à l’étranger,
guerres au Moyen-Orient, Tchernobyl, guerres dans les Balkans, en Afrique, catastrophes naturelles,
11 septembre 2001 à New York, accident d’AZF, flots de réfugiés, errance des immigrés, effondrement
financier mondial, massacres en Serbie, en Irak, Somalie, Congo... Il m’est évidemment impossible d’en
Le trauma, un symptôme de la culture de notre époque ? 39

dresser ici une vue complète. Cette esquisse a pour but de souligner le fait que ce cortège de drames
ne puisse s’imaginer sans le recours non seulement à l’évocation du traumatisme comme métaphore
englobante, mais aussi à celle de traumatisme psychique comme catégorie majeure pour secourir
et comprendre la souffrance les hommes. La présence et le travail des psychiatres et psychologues au
cœur de toutes sortes de lieux de mort ou de souffrances, individuelles et collectives, sont maintenant
des faits courants et admis par tous.
Faut-il y ajouter ce que j’appellerai les données d’ambiance, certes variables selon les subcultures
régionales, mais souvent très présentes. Je veux parler de la menace et de la peur, fidèles contrepoints
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des crises. Parfois sans objet, parfois annonciatrices sinon prophétiques, elles sont impuissantes à
préparer des défenses, mais font planer le spectre des traumatismes et des drames. Reconnaissons que
beaucoup de nos contemporains les éprouvent.
Je m’aventurerai maintenant dans d’autres espaces, avec la déconstruction dans les arts, fidèles tra-
ducteurs et reflets d’une époque et de l’inconscient culturel : amas, chaos, évanescence des formes,
recherche de la surprise au lieu de la beauté. Hantise d’une apocalypse comme révélation du retour à
la fragmentation. La beauté des œuvres d’autrefois, imprégnées de libido, de séduction, a laissé la
place à l’évocation de la destruction des liens, à des figures de rien, des dissections et morcellement
de formes sonores ou visuelles : l’après-coup du traumatisme, les champs de ruines. Ainsi le Carré noir
sur fond blanc de Malevitch (1915) n’évoque-t-il pas le trou noir du trauma ?
Ce n’est pas le déplaisir mais l’anti-plaisir et l’étonnement-choc que semble parfois rechercher l’œuvre
d’art contemporaine.
Enfin, grand lecteur de romans policiers, j’ai été frappé de constater la grande fréquence de syndromes
psychotraumatique affectant les personnages.
Vous savez tout cela aussi bien que moi, et si je rappelle ces quelques éléments de notre quotidien,
c’est seulement comme une étape rhétorique dans cet exposé. Ce que je viens d’énoncer suscite en
effet les questions suivantes : pourquoi et comment en est-on arrivé là, après une longue période où
l’on se passait bien du traumatisme ?
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H ISTORIQUE ET GENÈSE À NOTRE ÉPOQUE


!

Avant 1914 et 1914-1970

Comment en est-on arrivé à cette place du psychotraumatisme dans nos représentations de la société ?
Il ne faudrait pas avoir la naïveté de penser que notre époque est la première à porter le sceau du
traumatisme. Autrefois on n’usait pas de ce terme, mais d’autres tout aussi sinon plus évocateurs tels
que malheur, malédiction, fléau, etc. Je ne citerai que trois exemples célèbres, parmi d’autres :
➙ la chute de l’empire romain d’Occident avec les invasions barbares,
➙ l’invasion mongole en Asie et en Occident au XIIIe siècle,
➙ la grande épidémie de peste noire de 1347 qui a tué le tiers de la population européenne.
40 R EPÉRAGES

Il est évident que ces cataclysmes meurtriers, étalés sur des décennies, ont imprégné les peuples d’un
effroi indicible et d’une confrontation intense à la mort. Les religions n’ont certainement pas suffi à
apaiser ou consoler. Il y avait forcément coexistence du traumatisme sociétal et des psychotrauma-
tismes au sens clinique.
Avec les temps modernes, l’ère industrielle et scientifique dans les domaines civil et militaire, de 1850
à 1970, l’espace et le temps se réduisent, la relation à l’autre se modifie, les dieux s’effacent en
Occident. Les guerres sont autant des défaites que des pages de gloire. Les populations civiles sont de
plus en plus des otages impuissants. Les armées deviennent des machines et des usines à traumatiser.
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Dans l’ordre des massacres, avant le coup de tonnerre de la Grande Guerre, il y eut la guerre de
Sécession avec ses 600 000 morts.
Après les pionniers de la névrose traumatique civile, la théorie et la clinique actuelle du psychotrau-
matisme sont donc issues essentiellement des psychiatres militaires de la Grande Guerre, de Freud
et surtout des psychanalystes engagés en 1916-1918 (notamment Sandor Ferenczi et Karl Abraham).
Parallèlement à la guerre de 1939-1945, la Shoah, aux guerres de Corée, d’Algérie, du Vietnam, dans
la société civile, à la phase médico-légale, prévaut le règne des soupçons de la simulation et de
la prédisposition. Il y a une quasi-censure à l’égard de la réalité et de la fréquence des troubles
psycho-traumatiques (comme, du reste, dans de très nombreuses juridictions militaires de pension).
On s’étonnera à peine de leur occultation dans la psychiatrie universitaire comme de leur absence
ou de leur place très accessoire dans les manuels universitaires (à la seule exception de l’ouvrage de
Psychiatrie de l’adulte de Mlle T. Lempérière et al. en 1977 (2) !) Par ailleurs, notons que la victimologie
n’était alors qu’un chapitre de la psychocriminologie.
!

1970-1990, la reconnaissance de la vraie place des psychotraumatismes


et la fin de la guerre du Vietnam

C’est la phase de la reconnaissance du caractère accidentel du S.P.T. et de son importance épidémiolo-


gique.
Rappelons l’intérêt des psys et des états-majors pour les troubles psychiques de guerre depuis la
guerre du Kippour (1973) la fin de la guerre du Vietnam (1975), l’autogénocide du Cambodge de 1975
à 1979. Par ailleurs la parution dut DSM-III en 1980 est une date essentielle pour la mise en place
nosographique et clinique de ce qui fut maladroitement appelé « Post traumatic Stress Discorder »,
dont le sigle P.T.S.D. envahit la psychiatrie mondiale.
Rappelons aussi l’impact des attentats terroristes à Paris et à l’étranger, des prises d’otages au Liban,
de la catastrophe de Tchernobyl en 1986, et du séisme d’Arménie en 1988.
!

Ma propre démarche depuis 1970

Je n’aime pas m’exposer personnellement, mais il se trouve que j’ai contribué à la pénétration de la
notion clinique de psychotraumatisme, terme que j’ai créé et introduit dans mon livre édité en 1988
(1) J’y ai critiqué le terme de P.T.S.D qui a cependant encore la vie dure.
Le trauma, un symptôme de la culture de notre époque ? 41

J’ai bénéficié d’une conjoncture propice, de lieu d’exercice et d’époque : traditions de psychiatrie
militaire, confluent des patients souffrant de troubles graves après les guerres d’Indochine et d’Algérie,
de contacts avec les collègues américains, israéliens et britanniques lors de congrès (par exemple à
Jérusalem en 1978, cinq ans après la guerre du Kippour et son chiffre élevé de pertes psychiques). On
peut y ajouter la connaissance directe de la guerre d’Algérie, du drame des otages du Liban en 1986,
et des premiers attentats terroristes à Paris.
Ma démarche fut analogue et parallèle à celles de mes confrères à l’étranger à cette époque et nourrie
de nombreux échanges, en particulier avec Charles Figley, fondateur du Journal of Traumatic Stress.
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Un abord essentiel des psychotraumatismes que je voulais contribuer à modifier durablement était
l’approche médico-légale. Grâce à l’ouverture d’esprit, à cette époque, de la Direction des Pensions
du ministère des Anciens Combattants, je fus chargé, avec quelques collègues, de l’élaboration d’un
Barème entièrement nouveau qui permet, depuis le Décret de janvier 1992, (3) une reconnaissance
et une réparation adaptées pour les victimes civiles et militaires de guerre et d’attentats. Le Guide-
barème de ce Décret est actuellement le texte juridique le plus moderne et le plus ouvert dans
ce domaine autrefois livré aux soupçons de sinistrose, de simulation, d’exagérations, de conduites
utilitaires en général. C’était le début de la fin du soupçon.
!

Après 1990

Après 1988, ce sont mes collègues militaires (F. Lebigot, B. Lafont, L. Crocq, G. Briole)(4) (5) (6)
(7) qui ont œuvré pour la reconnaissance et le traitement des traumas en temps de paix et sur les
théâtres d’opérations extérieurs (notamment au cours de la première guerre du Golfe en 1992.)

LE COUPLE TRAUMATISME SOCIAL - PSYCHOTRAUMATISME

C’est à travers ces études et les interventions de terrain que l’importance du traumatisme en général,
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métaphorique et clinique, est apparue dans son ampleur, littéralement portée par les événements d’un
monde redevenu en proie au désordre et au tragique depuis la fin des années 1980. Traumatismes
communautaires et psychotraumas deviennent un couple intriqué comme ils ne l’avaient jamais été
depuis longtemps.
L’histoire et l’analyse de ce phénomène ont été décrites dans l’ouvrage récent (2007) de Didier Fassin
et Richard Rechtman (8). Les auteurs, centrés sur la condition des victimes, dessinent une géographie
de cet empire du traumatisme (titre de leur livre). Ils insistent sur la double généalogie de celui-ci :
savante avec les cliniciens, et morale. Cette dernière, je cite, « relevant du jugement de la société,
procède de transformations des regards sur le malheur et les malheureux, les militaires et les ouvriers,
les sinistrés d’accidents et les rescapés de camps ». Je suivrai les auteurs dans leur description de
« trois scènes emblématiques de la politique contemporaine du traumatisme » dont les chronologies
sont parallèles.
42 R EPÉRAGES

1. Les interventions des équipes « psys », psychovictimologues ou psychotraumatologues au sein des


cellules d’urgence médico-psychologiques. Ce genre de formation ne concerne pas que la France
mais se retrouve dans de nombreux pays étrangers. Elles travaillent sur les lieux d’accidents, de
catastrophes naturelles et industrielles, d’attentats, de prises d’otages ; on les voit également se
porter auprès des proches de victimes lointaines, de victimes de plans sociaux, etc. Bref, dans une
topographie de souffrance assez précise, ponctuelle à l’intérieur de certains pays. Les exemples
marquants : l’attentat du World Trade Center, l’explosion de l’usine AZF à Toulouse, le récent drame
de l’Airbus 330 après son départ de Rio.
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2. La deuxième, c’est le champ de ce que Christian Lachal a nommé la psychiatrie humanitaire. Celle-ci
s’exerce dans les zones de séisme, de guerres, de camp de réfugiés, de victimes civiles de guerres
civiles, etc. On y trouve évidemment Médecins du Monde, Médecins sans frontières et de nombreuses
ONG de plusieurs pays.
3. La troisième province de cet empire du malheur est celle des demandeurs d’asile et victimes de
tortures. C’est celle de la psychotraumatologie de l’exil. Elle est représentée en France par plusieurs
associations dont : Paris-Aide aux Victimes, l’Avre, Primo Lévi, le Comede, le Centre Minkowska, le
Centre Georges Devereux, le Cedrate.
Enfin, de 1990 jusqu’à ce jour, sociétés scientifiques, colloques, congrès internationaux, revues,
ouvrages, se sont multipliés, sans compter les associations de victimes et les organismes officiels.
Dans toutes ces situations le traumatisme social et la psychothérapeutique clinique s’entrecroisent,
dans les pratiques comme dans la réflexion sur l’action.
!

Problématique, analyse et interprétation

Après cet aperçu très général des temps et des espaces des traumatismes, il convient d’essayer
d’interpréter la genèse de leur relation au sein de notre époque. Mais interpréter ne signifie pas
comprendre ni expliquer. Je ne cache pas que ces essais, en dehors de mon domaine de compétence,
sont très spéculatifs.
Nous envisagerons déjà deux modalités de traumatisme pour la vie sociale.
Je nommerai la première, traumatisme en puissance : c’est le trauma anticipé, menaçant, émanant du
malaise de la culture et de l’histoire récente ou encore l’axe psychosociologique et sociopolitique de
la menace. Celle-ci peut ressembler à une vague monstrueuse d’un tsunami annoncé, aux prémisses
d’un séisme, à des prophéties, voire des rumeurs, à l’annonce d’une révélation/révolution imminente
(paradoxe du trauma imprévu mais attendu et craint). Plus précisément, en termes psychologiques
nous sommes dans le domaine du fantasme de traumatisme et de l’angoisse diffuse.
En revanche, la seconde, le traumatisme en acte, comprend aussi bien le psychotraumatisme au
sens clinique que le traumatisme au sens métaphorique. Tous deux sont l’axe de reconnaissance
et d’assistance, psychiatrique, médico-sociale et humanitaire.
L’articulation entre les deux :
Le trauma, un symptôme de la culture de notre époque ? 43

" La psychologie « offre » la figure du traumatisme en acte au malaise de la crise sociale et géo-
politique ; fantasme et affect sont en quête de formes d’expression, pour fuir l’indétermination.
La place du psychiatre ou du psychologue est forcément ambiguë puisqu’il travaille toujours à la
charnière de la psyché dite individuelle et du psychosocial, sur le lieu de leur rencontre.
" La fragilisation générale suscitée par les crises (dangers ambiants et sentiment d’insécurité, perte
des repères identitaires, perte de confiance dans les institutions) abaisse le niveau des défenses
intrapsychiques et augmente la vulnérabilité et l’exposition des individus aux traumatismes. Dans
ce sens également il est permis de dire que le trauma est le symptôme de notre époque. Dans
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cette hypothèse, il faudrait établir cette variation du seuil d’apparition du trauma et/ou de son
invocation en fonction de différences et des aléas historico-culturels.
Il est particulièrement intéressant de rappeler les étonnantes statistiques des psychotraumatismes :
dans les cinq jours après le 11 septembre 2001 à New York, une enquête dénombra jusqu’à 45 %
de symptômes cliniques isolés de psychotrauma. Cependant, par la suite, les chiffres rentrèrent
dans la norme (4 %). Il n’y eut pas de catastrophe psycho-sanitaire. L’Amérique resta cependant
traumatisée et blessée. Mais « l’impact des premières séquences suffit à produire un choc émotionnel
d’une amplitude équivalant à celle du spectacle vécu. L’attentat de New York consacre, en même temps
qu’il l’illustre, la tension entre la pratique clinique et l’usage social du traumatisme » (D. Fassin et R.
Rechtman).
Pourquoi et comment cette sensibilisation s’est-elle accrue ? Je n’aborderai que deux faits.
Les ruptures communautaires tout d’abord. Dans le domaine de la psychosociologie utilisée en
psychopathologie, la notion de communauté englobe, de plus, les liens intersubjectifs, leur genèse,
et les structures interhumaines élaborées depuis et avant la naissance, jusqu’aux groupes adultes et à
leurs institutions.
Le terme de rupture a l’avantage de la clarté et de larges connotations concrètes et analogiques, aussi
bien dans les domaines physiques qu’intrapsychiques et sociétaux.
Ces ruptures me semblent être fréquentes et importantes dans l’actualité du traumatisme.
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Si l’on tient compte du fait que la trame des identifications constituant la personnalité est la résultante
des interactions multiples avec l’environnement depuis la naissance, il est évident que la notion de
ruptures communautaires est importante dans le sujet qui nous occupe. Rappelons que la psychologie
individuelle, par le jeu des identifications, n’est qu’un cas particulier de la psychologie sociale, pour
S. Freud. Les théories cognitives et de la communication s’en rapprochent pour, finalement, inclure
l’individu dans un ensemble complexe d’enveloppes communautaires, où le langage et les émotions
partagées sont centraux.
La distinction entre rupture communautaire et psychotraumatisme peut s’avérer délicate et doit être
encore précisée :
➙ le traumatisme psychique (au sens fort que nous utilisons ici) consiste dans la perspective immi-
nente de la mort et du deuil de soi-même : c’est une effraction et une fracture dans l’image de
notre propre continuité existentielle ; il relève donc de l’effondrement narcissique radical et du
socle originaire ante verbal ;
44 R EPÉRAGES

➙ la rupture communautaire déchire l’enveloppe des mots, des significations, de l’échange verbal qui
arriment chaque sujet au tissu social, comme il est rappelé précédemment. Il est permis de dire,
en termes de métapsychologie freudienne, que le traumatisme concerne le ça et le pare-excitation,
alors que la rupture communautaire ébranle la trame du moi et du surmoi, c’est-à-dire les structures
intersubjectives.
Les corrélations entre ruptures et psychotraumatismes deviennent ainsi plus claires.
Certaines ruptures du lien communautaire constituent par elles-mêmes la situation de danger de mort
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imminente définissant la situation psychotraumatique : il s’agit de la séparation violente d’une mère
et de son très jeune enfant. La base et la condition essentielles de la sociabilité communautaire
comme de la vie psychique sont fracturées, suscitant une agonie psychique. Le viol, autre situation
fréquente, souvent analogon de mort pour une femme, détruit à la fois un lien communautaire majeur
et déclenche la sidération traumatique. Une catastrophe collective (naturelle ou non), une situation
de guerre, etc., peuvent disloquer presque totalement le tissu communautaire, les identifications
collectives, et menacer directement la vie des personnes. Dislocation des repères identificatoires
et menace d’anéantissement narcissique sont alors confondues.
Deuxième point, la fragilisation des mécanismes de défenses par le bouleversement des repères
sensoriels et cognitifs et les attitudes de passivité. Le règne de l’image transmise en temps « réel » par
la télévision et Internet, à travers un espace rétréci, est une banalité. Les révolutions de l’information
créent une irruption de la soudaineté et une modification de notre espace-temps. Ce qui favorise une
revanche de l’émotionnel et du sensoriel, après la primauté du rationnel et de la pensée discursive.
Par ailleurs, n’y a-t-il pas une omniprésence de la violence soudaine de la simulation de mort dans
les « loisirs numériques » qui envahissent les foyers comme la rue et les transports en commun.
L’addiction de nombreux adolescents et d’adultes à cette profusion de scènes de morts et de massacres
fait irrésistiblement penser à l’élément central des psychotraumatismes : le syndrome de répétition.
La surinformation s’oppose au temps nécessaire pour penser, et à une connaissance vraie. Tout cela
conduit à une passivité devant l’événement dont nous savons la grande importance dans la sidération
traumatique. « On n’a même plus le temps d’avoir peur », comme l’écrit Paul Virilio. (9) Finalement,
les choses, les événements, nous « tombent » dessus comme des accidents.
Mais pourquoi depuis 40 ans environ ?
Déterminations géopolitiques ? Socio-économiques ? Psychosociales ? Médiatiques ? Il me semble
qu’il existe une corrélation avec la montée des terrorismes et l’apparition de plans et de dispositifs
contre les attentats avec armes chimiques, biologiques, et nucléaires (NBC) Les attentats suicides ont
mis en question les enjeux tragiques de la mort. Les dangers ubiquitaires sont, comme les grandes
épidémies de peste, très démoralisants. Qu’on se souvienne du succès du roman de D. Lapierre et L.
Collins Le Cinquième Cavalier, paru en 1980, annonçant l’apocalypse à New York, vingt et un ans avant
le drame du World Trade Center (10). Au début des années 1980 déjà, un plan gouvernemental français
incluait un psychiatre pour l’étude et la prévention des répercussions traumatiques de masse en cas
d’attentats terroristes. Cependant, on ne peut incriminer une véritable augmentation de la violence : il
est prouvé qu’à notre époque il y a moins de morts violentes que dans les siècles passés. En revanche
la densité des accidents, guerres et catastrophes semble plus importante, encore renforcée par les
Le trauma, un symptôme de la culture de notre époque ? 45

effets d’instantanéité de l’information. Il faut mentionner enfin un nouveau type d’accident où ce


n’est pas la mortalité qui est en cause mais la perte brutale des ressources et du logement pour des
centaines de milliers de gens. « Accident intégral par excellence » pour Paul Virilio, le krach financier
actuel entraîne une rupture majeure des enveloppes narcissiques et groupale.
L’apparition du traumatisme, symptôme de l’époque, n’est certainement pas due à la seule évolution de
la psychiatrie mais celle-ci, comme nous l’avons vu, a joué un rôle important.
Il convient maintenant d’envisager les conditions de possibilité de la nouvelle attention portée au
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malheur des individus, et de l’augmentation de visibilité du traumatisme depuis trente à quarante ans.
Pour qu’il y ait une telle présence du trauma et de ceux qui les prennent en charge, il faut qu’il se soit
produit des faits nouveaux comme :
1. Une acceptation dans le public de la fragilité du psychisme de l’homme et de son effondrement.
2. La réhabilitation et la reconnaissance de la pleine réalité de la blessure psychique par les psychiatres
et les psychologues.
3. L’acceptation de la demande d’écoute du malheur traumatique vécu, de la part d’équipes psy, d’ONG
humanitaires, de cliniciens indépendants.
4. La coopération, voire l’impulsion des États ou des administrations pour la mise sur pied de moyens
et d’équipes jouant un rôle essentiel dans la visibilité du souci pour les victimes et leurs proches.
Parlerai-je de la place du « malaise dans la culture » ?
Contrairement à ce que pourrait suggérer le titre du célèbre ouvrage de Freud, je ne m’aventurerai pas
dans des considérations psychanalytiques que je laisse à mes collègues. J’ai essayé jusqu’ici de m’en
tenir à peu près à notre époque et je me contenterai d’évoquer, sans plus, la toile de fond de la culture
occidentale. C’est un sujet rebattu et peu éclairant pour mon propos, où se mêlent points de vue
descriptif et interprétatif. Je me contenterai de quelques thèmes : ainsi, on n’a jamais autant parlé
des Droits de l’homme depuis quelques décennies et leur violation est une constante géopolitique,
ce qui favorise les stéréotypes, voire une pente victimaire. Qui n’a pas été agressé dans ses droits
supposés ?
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La rébellion des opinions, des individus, des familles, des gens, contre les puissances anonymes
des techniques, des États, les menaces contre l’individu, la nature, etc. Tous ces dangers font des
personnes des cibles potentielles, instaurent une victimologie (avec la connotation juridique du terme)
et une promotion du traumatisme comme accident et force dont la cause ne peut être qu’accidentelle
et extérieure. C’est « la tentation de l’innocence » décrite par Pascal Bruckner (12). Le couple trauma-
tisme/victime connaît ainsi un essor remarquable depuis les années 1970-1980. Mais derrière cette
tentation de l’innocence, ne se cache-t-il pas une culpabilité ? Les psychanalystes sont tentés de le
supposer.
Les besoins narcissiques et régressifs
Il est banal de constater l’expression de l’intense besoin de sécurité chez les citoyens des pays
développés. Il est permis de le comprendre comme une revendication narcissique qui peut devenir
régressive comme dans le besoin général de sécurité, d’être secouru très vite en cas d’accident,
46 R EPÉRAGES

fût-il mineur ; par exemple, on connaît les plaintes de victimes et de leurs proches après certaines
catastrophes pour ne pas avoir été aidées immédiatement.
On peut rapprocher de la tendance à la passivité orale, de l’épidémie d’obésité, même depuis dix ans
en Chine, l’usage de stupéfiants divers : toxicomanies, d’addictions au bruit, à l’alimentation auditive
(baladeurs MP3), à la fausse communication des portables.
!

L’exaltation narcissique et le déni de la mort


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Il est banal de dire que notre civilisation n’a plus le même rapport à la mort. et il est vrai que
du fond de l’effroi traumatique la mort de soi-même est une idée et une image insupportables. La
mort de l’autre l’est également car elle annonce en écho notre propre finitude. L’homme moderne,
comme l’inconscient du petit enfant, entretient souvent l’illusion d’Orphée, (1) sa croyance en un
pouvoir capable de vaincre la mort, d’éviter tout deuil. Nous le constatons auprès de nos enfants
et petits-enfants, plongés dans les bandes dessinées et les jeux vidéos, avec les superpouvoirs des
super-héros qui les hypnotisent jusqu’à l’addiction.
Finalement, l’impréparation à la finitude, au deuil de soi-même et de nos proches les plus chers
favorise la vulnérabilité traumatique, bien qu’elle n’explique pas la sidération traumatique elle-même.
!

Regards critiques : traumatisme et psychotrauma, limites


de la psychotraumatologie

Le traumatisme symptôme ne serait-il pas un symptôme simulé ?


Ne serait-ce qu’un grossissement artificiel par les médias et l’offre d’institutions d’aide aux victimes de
préjudices de toutes sortes, les relais d’information s’emparant de termes psychologiques comme ils
aiment à le faire ? Le traumatisme ne serait qu’une mode, empruntée à l’expérience des guerres et de
la médecine de catastrophe, à notre tendance compassionnelle. Du reste, les statistiques seraient
toutes discutables voire impossibles. La thèse du symptôme de notre époque reposerait plus sur des
impressions et un choix arbitraire du phénomène que sur la réalité. Ce serait surtout l’État-providence
qui, dans des buts démagogique et électoral, se porterait au secours de toute victime potentielle,
craignant d’être accusé de négligence.
Évidemment, je ne souscris pas à ces critiques, même si j’en profite cependant pour souligner un point :
on a parfois ironisé et souligné qu’une assistance très simple aux victimes, faite d’une aide matérielle
élémentaire et d’une simple présence chaleureuse était aussi efficace qu’un déploiement technicisé
lourd et sophistiqué. Ce serait méconnaître que les boissons chaudes, la mise en sécurité à l’abri,
l’échange des mots les plus simples font déjà partie du traitement rationnel des psychotraumatismes.
Le trauma, un symptôme de la culture de notre époque ? 47

Enfin il existe des situations où l’intervention psy est très limitée ou impossible.
Je me bornerai à citer :
➙ les accidents courants à petits effectifs (accidents de circulation, domestiques...) ;
➙ les nombreuses zones de guérillas impénétrables aux humanitaires, et des territoires submergés par
les réfugiés interdits d’accès par les gouvernements ;
➙ enfin les problèmes de communication linguistiques et culturels qui s’avèrent parfois insurmon-
tables.
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C ONCLUSION

Les psychopathologies du traumatisme psychique sont-elles un symptôme de la culture psychiatrique ?


Ce serait un effet de la saturation par les explications et théories classiques, depuis la génétique
jusqu’aux traumas infantiles. La prise en compte du trauma réhabilite l’environnement, humain comme
non humain et le groupe social. Il réinstalle enfin l’homme dans le tissu de son existence historique.
Dans une perspective de psychanalyse appliquée à la culture, on pourrait dire que le règne dominant
du principe de plaisir, de consommation et d’accumulation sans fin s’expose automatiquement à la
confrontation avec Thanatos, la déliaison, la désymbolisation.
À notre époque, le marxisme depuis 1989, le scientisme, les positivismes et les vieilles idéologies sont
en train de sombrer. Leur fausse réflexivité cachait le fait que nous sommes voués à l’accidentel. Pour
le philosophe Richard Sinding, en 1981 (13) « ce qui se révèle dans la crise, c’est la fragilité de ce
qu’on croyait solide, la mortalité de ce qu’on croyait éternel, [...] l’accidentalité de ce qu’on croyait
substantiel ». « Civilisation, souviens-toi que tu es mortelle ! » avertissait Paul Valery.
Même à notre époque, on n’échappe pas à la confrontation entre les illusions dionysiaques d’Orphée
et la clairvoyance d’Œdipe, chèrement payée par les morts et les champs de ruines. La culture de notre
époque commence peut-être à secourir les victimes de ces malheurs tragiques que nous appelons
traumatismes.
Chapitre 5

Le trauma psychique
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François Lebigot

I NTRODUCTION

Madame D. vient d’apprendre au téléphone la mort de son fils unique, dans un accident de la circulation.
Tous les détails de ce qui s’est passé lui ont été donnés par les gendarmes. Elle est allée voir le lieu
du drame, elle a vu aussi le corps de son fils à l’hôpital. Commence pour elle une période d’intense
douleur morale et elle a la nuit des rêves affreux qui mettent en scène l’accident et la réveillent.
Il ne s’agit pas là, pourtant, d’une névrose traumatique. Ses rêves ne sont pas des cauchemars de
répétition – comment pourrait-elle, du reste, répéter un évènement auquel elle n’a pas assisté ? –
mais des rêves d’angoisse. Madame D. construit, sur la base de ce qui lui a été dit, les images qui
la réveillent. Le traitement de son état dépressif visera à un travail de deuil et portera, non sur la
perception de l’évènement, mais sur les liens affectifs qui l’unissent à son fils. L’évolution sera celle
d’un deuil compliqué, où la soudaineté du drame à sa part, et aboutira, avec le temps, à l’atténuation
du sentiment cruel de la perte.
Pourtant, certains cliniciens rangeraient Madame D. dans la catégorie des post-traumatic stress disorders.
Il y a donc un intérêt clinique et thérapeutique à distinguer le « stress » du « trauma ». Le mot
« traumatisme », réservé naguère au vocabulaire médical, est passé dans le langage courant. Il est
vrai que la banalisation de son emploi ne va pas dans le sens d’une démarcation rigoureuse entre les
deux phénomènes. Pourtant, si l’on veut lui conserver la pureté qu’il tient de ses origines et qui, seule,
permet une réflexion féconde à son sujet, il y a nécessité à préciser le concept (1). C’est ce que nous
allons tenter de faire ici, en utilisant une métaphore que Freud propose dans son article Au-delà du
principe de plaisir (2).
Freud compare l’appareil psychique à un volume sphérique par une membrane qu’il appelle « pare-
excitation ». Il dénomme ce volume métaphorique la « vésicule vivante ». À l’intérieur, il situe le
Le trauma psychique 49

réseau des représentations entre lesquelles circulent de petites quantités d’énergie. La membrane est
chargée d’une énergie positive qui repousse à l’extérieur les excitations excessives qui viendraient
perturber le fonctionnement interne de l’appareil psychique. À partir de schéma simple, on peut
essayer de se représenter les phénomènes que nous cherchons à distinguer.
Dans le stress, une grosse quantité d’énergie vient écraser partiellement la membrane de la « vésicule
vivante ». Cette pression exercée (« to stress » veut dire « presser ») provoque une gêne au libre jeu de
la circulation énergétique entre les représentations et donc une souffrance psychique. L’angoisse qui
s’en dégage détermine un renforcement de la charge positive de la membrane, du « pare-excitation »,
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qui vise à augmenter la défense contre l’agression.
Le traumatisme, lui, doit être figuré autrement : la menace vitale surprend le sujet quand il est
en état de repos (pour Freud, l’élément de surprise était fondamental, c’est-à-dire quand le « pare-
excitation » est peu chargé en énergie positive) ; l’image menaçante porteuse d’une grosse quantité
d’énergie traverse alors la membrane et vient se déposer à l’intérieur de l’appareil psychique, créant
une perturbation dans son fonctionnement.
On voit déjà avec cette métaphore que les effets des deux types d’agression seront différents dans le
temps. Le stress provoque une souffrance psychique qui dure tant que la menace externe subsiste ;
quand disparaît le stress, la « vésicule vivante » retrouve peu à peu sa forme initiale. Son fonction-
nement intérieur peut alors reprendre, même s’il doit tenir compte des modifications internes que le
stress a entraînées. En cas de deuil, par exemple, le fonctionnement de l’appareil psychique prendra en
compte de la perte subie par le sujet. Le trauma, lui, a déposé, en principe pour toujours, une source
de perturbation, un « corps étranger interne » (3) dont les effets se feront sentir indépendamment de
la disparition de la menace. Stress et trauma sont souvent concomitants : il y a, à la fois, écrasement
de la « vésicule vivante » et pénétration d’une image perturbatrice.
Sur le plan clinique, les manifestations de stress se feront d’abord sentir ; plus tard apparaîtra le
syndrome de répétition, témoin de l’effraction d’une image traumatique. Les manifestations de stress
vont nécessiter des soins immédiats, tandis que les effets du traumatisme seront l’objet des soins post-
immédiats et/ou à long terme. Si, dans un premier temps, il n’est question que d’apaiser la victime, de
la réintégrer dans le monde humain, dans un second temps, le travail portera sur l’image traumatique
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

pour tenter d’en diminuer les effets désorganisateurs. Dans la mesure où, ici plus qu’ailleurs, la
clinique dirige le choix de la méthode thérapeutique, il importe d’abord de bien cerner ce qu’est un
traumatisme pour assurer son diagnostic.

C LINIQUE DU TRAUMATISME
!

La rencontre avec le réel de la mort

Le traumatisme psychique résulte d’une rencontre avec le réel de la mort, le réel étant pris ici au sens
lacanien du terme. On peut l’exprimer autrement : le traumatisme psychique est une rencontre avec
le néant. C’est le néant que figure, pour le sujet, l’image traumatique. Or, Freud avait fait remarquer
que la mort n’est pas représentée dans l’inconscient (3) : nous savons que nous allons mourir, mais
50 R EPÉRAGES

nous n’y croyons pas, nous vivons comme si nous étions immortels. Aussi l’image traumatique ne
va-t-elle pas trouver dans l’appareil psychique de représentations pour l’accueillir lorsqu’elle fait
effraction ; le réseau des représentations sera alors disqualifié, incapable de transformer le réel en
réalité. Cette opération est celle que nous effectuons habituellement à partir de nos perceptions ; elle
crée immédiatement du sens et des significations.
Deux types de situation peuvent mettre le sujet face au néant :
" La mort réelle est celle du sujet lui-même. C’est le cas banal des accidents de la route, de beaucoup
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d’agressions armées, du soldat mis en joue à bout portant...
" La mort est celle d’un autre, proche du sujet et sous ses yeux : mort de l’« alter ego ».
Prenons deux exemples pour faire saisir ce qui se passe alors :

Deux sentinelles sont en faction devant un immeuble à Sarajevo, elles discutent tranquillement de choses
et d’autres. D’un coup, un trou rouge apparaît sur le front de l’une d’elles qui s’écroule. Cette image reviendra
de façon répétitive dans les cauchemars de l’autre soldat ;

Deux sœurs sont assises à l’arrière d’une voiture. L’automobile heurte violemment un obstacle, l’une des
femmes est éjectée et l’autre, avant de s’évanouir, a le temps de voir la tête de sa sœur tranchée par le rail de
sécurité. Cette image, elle ne l’oubliera plus.

La néantisation qu’est la mort s’impose violemment au sujet pour des raisons diverses : la soudaineté,
l’inattendu, un fort lien d’identification avec les victimes.
C’est aussi le caractère massif et horrible de la mort des autres qui va faire traumatisme. C’est le cas
habituel des sauveteurs qui interviennent sur un grand carambolage routier, c’est celui des soldats qui
ont pour mission de mettre dans des sacs les corps de leurs camarades tués au combat.
!

L’effroi

Comme nous l’avons vu, la pénétration de l’image traumatique ne rencontre dans l’appareil psychique
aucune représentation. Cliniquement, ce que décrivent les victimes, c’est un vide de la pensée,
une absence de mots qui s’accompagne d’une absence totale d’émotions. « Je n’ai pas eu le temps
d’avoir peur » dit ce soldat qui vient d’échapper miraculeusement à la mort ; plus tard pourtant, la
scène viendra hanter sa mémoire. Freud avait bien pris soin de faire une distinction entre la peur,
l’angoisse et l’effroi. Peur et angoisse peuvent se référer au stress. L’effroi, ce moment sans affect ni
représentation, voué à l’image, signe le traumatisme.
Monsieur F. est un PDG qui vole à haute altitude dans son avion privé. D’un seul coup, il entend un
choc fracassant et voit la vitre du cockpit en train de se craqueler. Il est sûr alors qu’il va mourir. Son
regard reste fixé sur la vitre, il ne ressent aucune émotion, ne pense à rien. Ce n’est que quelques
secondes ou minutes plus tard que ses pensées se remettent en marche. L’angoisse fait aussi son
apparition et est suivie d’un long moment de déréalisation qui dure bien au-delà de son sauvetage
miraculeux et qui s’arrête lorsqu’apparaît le syndrome de répétition. Le moment de l’effroi, lui, a duré
Le trauma psychique 51

suffisamment longtemps pour qu’il s’étonne, dans un entretien ultérieur, de « ne pas avoir eu peur »,
« d’être resté serein ».
!

Le traumatisme résulte toujours d’une perception ou d’une sensation

La reconstitution fantasmatique d’un drame, comme nous l’avons fait remarquer dans le premier
exemple que nous avons cité (Madame D.), quelle que soit l’intensité de la douleur et de l’émotion
qui l’accompagne, n’est pas un traumatisme ; le récit de la mort n’est pas le réel de la mort. On peut
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réfuter, de ce fait, une notion, pourtant couramment admise, qui est la possibilité d’une transmission
du traumatisme. Il n’existe pas de traumatisme par procuration ni de traumatisme transgénérationnel.
Il peut arriver que des enfants ou des petits-enfants de déportés fassent des rêves angoissants de
chambre à gaz. Il ne s’agit pas pour eux d’une perception du néant, mais du lien qui les rattache à
leur ascendant ou à leur communauté ethnique ou religieuse. Nous pouvons citer aussi l’exemple de
cette hôtesse de l’air qui avait eu une expérience traumatique lors de l’un de ses vols. Elle vivait avec
une amie et c’est cette amie qui faisait le plus de cauchemars dans lesquels étaient mises en scène
toutes sortes de crash d’avion. Il s’agissait là, de constructions de scènes à partir des représentations,
d’une élaboration à partir d’un récit ; elle n’avait à sa disposition aucune image du réel.
Signalons enfin deux éléments fréquemment présents dans la clinique du trauma. Celui d’abord de
l’effet de surprise sur lequel Freud insistait. L’appareil psychique est au repos et se laissera plus
facilement pénétrer par l’image traumatique : c’est le cas du casque bleu, à Sarajevo, évoqué plus haut.
L’autre élément est la brièveté de l’évènement, même si plusieurs traumatismes peuvent se succéder
dans le temps. Nous pouvons citer l’exemple de ce soldat à Goma au Zaïre : alors qu’il transportait
dans sa pelleteuse sa « quantité habituelle » de cadavres pour aller les jeter dans la fosse commune
creusée par ses camarades, le corps d’un adolescent bascula dans le mouvement d’ascension de l’engin ;
il croisa le regard du jeune mort et, ce regard, il lui reviendra dans ses cauchemars, saisissant de
présence.
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P SYCHOPATHOLOGIE DU TRAUMA

Dans son trajet, l’image traumatique ne rencontre aucune représentation ; celles-ci sont comme mises
à l’écart de par l’espace qu’occupe le néant en train de s’installer. C’est le temps de l’effroi, sans
pensées, sans idées, sans mots, sans affects. Le sujet se vit comme ayant été abandonné par le langage,
c’est-à-dire par ce qui fait l’être de l’homme. Il traduit cette expérience indicible comme un abandon
par l’ensemble des humains, mêlé d’un sentiment de honte devant sa déshumanisation. Dans le récit
que le sujet fait de l’évènement, il se désigne souvent lui-même comme un animal : « J’ai été réduit à
l’état de bête ».
Chez un patient, c’est le R.E.R. lui-même qui devient « lion » : « Il a dévoré des hommes et à moi il a
enlevé un morceau de ma chair.
Ce sentiment d’abandon est d’autant plus fort qu’il y a eu un abandon réel. En voici deux exemples :
52 R EPÉRAGES

Un appelé du contingent, en Algérie, fait du « ratissage ». C’est le soir et le lieutenant siffle l’arrêt des opéra-
tions et le retour à la caserne. Le soldat s’aperçoit qu’une grotte n’a pas été fouillée et quitte son groupe pour
grimper le long de la paroi rocheuse. Il se retrouve nez à nez avec le fusil d’un rebelle. Il parvient à se laisser
glisser en bas de la falaise sans être atteint par le coup de feu. La nuit est tombée et le soldat ne réussit pas à
rejoindre sa section. Il vit à ce moment des heures d’angoisse et de solitude qui le marqueront beaucoup plus
que la rencontre qu’il a faite avec la mort. Trois ans de psychothérapie intense, effectuée, il est vrai, vingt ans
plus tard, ne parviendront pas à le libérer de l’emprise de ce temps d’abandon. Les images qu’il emploie pour
se désigner lui-même appartiennent au règne animal, traduisant ainsi son sentiment de déshumanisation :
« Je suis comme un animal qui se nourrirait de ses excréments » (les cauchemars). Il a même une période où
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il ne peut plus marcher qu’à quatre pattes.

Une jeune femme est dans le R.E.R. au moment de l’attentat. Elle est une des premières à sortir et se précipite
vers une cabine téléphonique. Elle compose un nombre incalculable de fois le numéro de son ami, sans obtenir
de réponse. Elle finit par s’écrouler dans la cabine, le combiné décroché pendant à côté d’elle. Elle y passe
la nuit dans une totale déréliction. Chez elle aussi, la névrose traumatique sera grave. Elle ne peut vivre que
seule dans son petit appartement, gardée par trois molosses.

Ce sentiment d’abandon est à l’origine de troubles de caractère dont le sujet n’est pas toujours
conscient, surtout lorsque ce sentiment, passif au départ, se transforme en une conduite active : se
faire abandonner. Le sujet se replie sur lui-même, devient taciturne, agressif et se sent même parfois
vaguement persécuté. Le nombre de ruptures conjugales, à la suite d’un trauma est important, ainsi
que les pertes d’emploi, l’abandon par les amis, les parents, les enfants, etc. Dans les cas les plus
graves, on aboutit à une exclusion totale de toute vie sociale.
La honte est plus difficile à verbaliser pour le patient et elle se déduit plutôt de certains de leurs
comportements. Assez souvent, on peut constater chez eux, une pamphobie : ils ne peuvent plus
sortir de chez eux car ils craignent la rencontre avec les autres. La phobie peut être plus limitée, par
exemple, aux lieux où il y a de la foule : grands magasins, salles de spectacles, etc. Certains patients
portent des lunettes noires pour cacher leur regard, d’autres rasent les murs.
Ce jeune soldat qui a assisté à des massacres en Afrique ne peut plus prendre le train de banlieue qui
le ramène chez lui après la consultation. Pressé d’en donner la raison, il réfléchit un moment, puis :
« Quand on prend un transport en commun, on est assis ou debout face à quelqu’un. Ce que je crains,
c’est que mon vis-à-vis voit dans mes yeux toute l’horreur que j’ai à l’intérieur ».
Un commerçant, de 50 ans environ, a eu un grave accident de voiture dont il est sorti très traumatisé.
Il reste cloîtré chez lui jusqu’à ce que, sous l’insistance de son médecin généraliste, il se résolve à
venir consulter un psychiatre. Les mois passent et ses sorties empruntent un périmètre de plus en plus
large. Au bout de deux ans, les cauchemars ont disparu et il annonce triomphalement que maintenant
quand il se promène dans Paris, il ne tombe plus. Questionné sur ce point, il complète son affirmation :
« Maintenant, je marche la tête haute. » Ce qui est dit au premier degré, peut s’entendre comme une
métaphore : maintenant, il n’a plus honte et il peut redresser la tête.
Un patient qui a participé pendant son service militaire au massacre de la rue d’Issly à Alger, vit
aujourd’hui dans son grenier où sa femme vient lui apporter de la nourriture. Il ne sort que la nuit
et met alors des lunettes noires et un treillis militaire.
Le trauma psychique 53

Un autre, ancien des camps de concentration vietminh, vivait seul dans une caravane à la périphérie
d’une petite ville de province, avec les maigres moyens de sa pension militaire. Il a fallu une très
longue hospitalisation pour le rendre à la société.
Il y a encore un aspect que nous ne détaillerons pas ici, parce qu’il n’est pas au premier plan de
nos cultures occidentales : celui de la souillure. Dans les civilisations traditionnelles, les troubles
post-traumatiques sont traités par des rituels de purification (Djassao, 1994). En Occident, on voit
plutôt chez certains patients se développer des rituels de lavage, de nettoyage de vêtements qui
paraissent toujours avoir une tache ou une poussière, etc.
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LE RAPPORT AVEC L’ ORIGINAIRE

Ce rapport avec l’originaire est fondamentalement au principe de cette culpabilité que l’on rencontre
chez tous les traumatisés psychiques, même si d’autres éléments peuvent participer à sa présence
(culpabilité du survivant, culpabilité de « n’en avoir pas fait assez » etc.). L’originaire est le lieu où se
déposent les premiers éprouvés du nourrisson, voire du fœtus, expériences extrêmes de néantisation,
de morcellement ou de jouissance totale. Tous ces éprouvés se retrouvent dans la psychose L’expérience
traumatique se présente comme un retour vers cette zone profondément refoulée et interdite. Certes,
le traumatisé ne l’a ni voulu, ni souhaité, ni désiré mais il est revenu vers ces expériences d’avant le
langage, effectuant ainsi un retour en arrière, une sorte de régression vers le sein maternel (4). Ce
retour en arrière est une transgression majeure rarement perçue comme telle par le patient mais qui
produit un sentiment de faute dont le sujet ne sait que faire.
« À ce moment-là, j’ai su que je franchissais une ligne rouge. » C’est en ces termes qu’un médecin,
confronté au spectacle d’une morgue où avaient été déposés les morceaux des victimes d’un crash
aérien, désignera son expérience traumatique. Parmi les corps démantelés, il « était tombé en arrêt »
devant une tête de femme légèrement aplatie avec un œil sorti de l’orbite ; quand il racontera ce
moment dans le débriefing (individuel) qui aura lieu quinze jours après, il parlera de son sentiment
d’avoir franchi une limite. Mais il est rare que la transgression soit pointée de façon aussi claire.
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On ne s’étonnera pas de l’apparition, chez les victimes, d’un sentiment de culpabilité. Elles-mêmes
d’ailleurs ne le comprennent pas, rationalisent ce sentiment de façon plus ou moins vraisemblable,
ou le refoulent, ou le projettent dans des supposés responsables de l’évènement qu’elles mettent en
cause avec véhémence. Les entreprises thérapeutiques qui réussissent se font autour de lui. Celles-ci
doivent suivre la même évolution que celles qui ont lieu chez le petit enfant : passer de la tentation
de retrouver le paradis perdu à la faute liée au désir œdipien, passer de la néantisation à la perte, qui
est la forme sous laquelle tout humain se représente la mort.
54 R EPÉRAGES

C ONCLUSION

Ainsi, toute la symptomatologie de l’effraction traumatique est-elle à référer au bouleversement


contemporain de l’effraction du trauma. Il n’est pas besoin d’imaginer les comorbidités. La dépression,
par exemple, pour ne citer qu’elle, est déjà là, en puissance, dans le vécu d’abandon, l’écroulement
narcissique dû au surgissement du réel de la mort, la culpabilité, etc. Mais il est vrai que c’est dans un
travail psychothérapeutique, parfois très court d’ailleurs, que la cohérence de ces éléments épars, qui
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se structurent dans l’inconscient du patient, apparaît clairement au thérapeute. Ainsi, comme nous le
disions dans l’introduction, l’intérêt d’une connaissance intime du traumatisme, distingué du stress,
est-il justifié par un projet thérapeutique.
Chapitre 6

Victime de viol : l’effraction


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du corps psychique

Yves-Hiram Haesevoets

La souffrance nous dépouille de nos convictions erronées pour laisser émerger la vérité.
Eva Thomas, Le Viol du silence

A RGUMENT : BLESSURES PSYCHIQUES


ET VÉCU CORPOREL TRAUMATIQUE

Inscrit dans les fonds baptismaux de l’humanité, le viol est un crime silencieux qui n’ose pas dire son
nom. Le viol est une effraction qui massacre le psychisme... Le viol laisse la victime en pâture et déchire
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l’espoir d’un monde meilleur. Entre l’intime du crime et le regard du social, le viol s’ancre comme
un malentendu/une fracture/une effraction/un non-sens/une cruauté. Comme l’indique Lise Poirier
Courbet (2015), « Le viol est une sidération. C’est une effraction du corps qui touche directement au
moi, une mise à mort identitaire. Le ’je’ est éclaté, morcelé. En somme, c’est un crime de souillure,
un crime de genre, un féminicide. La vie après le viol passe inévitablement par de longues périodes
d’errance et de tâtonnement. »
Inutile de revenir sur ce que les victimes de viol pensent de leur situation et la manière dont elles
le vivent. Bien souvent confrontées à l’incompréhension et aux maladresses de leurs proches, elles
se sentent isolées et désorientées. À la fois victimes et coupables, elles ont bien souvent envie de
disparaître sous terre !
Au-delà du viol, le monde continue à tourner autour de la victime qui se vit comme étrangère à
elle-même, murée dans un silence de mort, mutilée dans sa chair, figée dans un statut improbable,
marquée au fer rouge, comme stigmatisée une fois pour toutes.
56 R EPÉRAGES

En plus des effets du stress post-traumatique – signes bien décrits dans la littérature – la victime
est confrontée seule à son propre corps avec lequel elle va devoir transiger. Un corps à corps avec
soi-même s’instaure à la manière d’un conflit intériorisé, mélangeant divers ressentiments, de la honte
coupable, l’hostilité, de la haine de soi, au mépris de soi, à la perte d’estime, la détresse morale, au
morcellement identitaire, au clivage traumatique, c’est-à-dire une véritable négociation avec soi-même,
un combat entre soi et l’autre de soi ! Atteinte au plus profond de son être, la victime devra faire un
état des lieux, constater les dégâts et ressentir la souffrance psychique. Au détriment de sa santé
mentale, le traumatisme peut se développer en faisant tache d’huile sur l’ensemble des fonctions
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vitales du sujet, allant jusqu’à détruire la pulsion de vie.
Une fois son identité corrompue, la victime se vit comme livrée en pâture, comme de la chair avariée !
Décrit par Sgroi (1986) comme le « syndrome des biens avariés », le sentiment d’être envahie par la
salissure implique le dégoût de soi, l’idée de pourriture, comme si un résidu étranger infectait de
l’intérieur un corps en putréfaction. Après coup, ce type d’agression donne l’impression d’un pourrisse-
ment interne, comme si l’effraction maligne de l’agresseur continuait son œuvre délétère. Abandonnée
de ce corps sali, la victime de viol se demande comment se réparer, comment se reconstruire, elle
s’interroge, elle questionne ce corps meurtri et essaye de retrouver celui qu’elle croit avoir perdu.
Le viol est comme une arme de guerre qui laisse « mort-vivant », mais qui tue psychiquement la victime.
À l’insu de son plein gré, la victime subit le non-sens d’une mauvaise rencontre qui n’a aucune raison
d’exister. Le caractère incongru, incompréhensible, impensable de l’agression et de sa mise en scène,
sa violence intime, la sidération psychique sont autant d’éléments impossibles à intégrer. Inscrite
au plus profond soi et internalisée, c’est la mémoire traumatique de l’événement qui fait souffrir la
victime avec ses affres d’angoisse et de projection paranoïdes. À moitié morte ou à moitié vivante, la
victime est confrontée à la néantisation de sa personnalité et à l’effraction de soi. Tel un compromis
proche du déni, un clivage de survie s’instaure comme processus échappatoire. Comparable à une
amputation organique, le traumatisme du viol présuppose un processus de deuil et une souffrance dite
« fantôme ». Non seulement, il engendre un profond désarroi, mais il contamine le corps tout entier
impliquant même des hallucinations, des angoisses de morcellement et des cauchemars paranoïaques
les plus délirants.
Comment survivre à pareil traumatisme ? Plurielle et équivoque, la reconstruction psychique varie
d’une personne à l’autre... Chaque victime met en place ses propres mécanismes de défense et de
survie. Il n’existe aucune panacée thérapeutique ! À l’instar d’autres sociologues et cliniciens, Lise
Poirier Courbet (2015) constate que « la vie après le viol passe inévitablement par de longues périodes
d’errance et de tâtonnement... ». Étant donné la grande variété et la complexité de des situations
d’agression sexuelle, il est impossible d’en rendre compte dans toutes leurs spécificités. Néanmoins,
quelques récits illustrent le propos et nous confrontent aux réalités des personnes qui souffrent des
conséquences du viol.
Victime de viol : l’effraction du corps psychique 57

R ÉCIT- EXTRAIT N°1

Il me caresse partout, il tire un peu sur la partie du soutien qui est cassée mais il tient bien. Il tire plus fort
encore sur mon bras vers l’arrière et vers le haut, c’est très douloureux, il laisse l’autre main et dégrafe mon
soutien d’un tour de main. Il attrape mon sein par-dessous le soutien, le serre, il amplifie ses va-et-vient et puis
il se crispe. Je sais qu’il jouit. Je pleure de plus en plus. Je dois me retenir de crier pour ne pas l’exciter. Parfois
je crie un peu, pas trop fort mais alors il frappe ! Il se retire, enlève son préservatif et le met dans la poche de
son pantalon avant de le remettre. Il allume une cigarette et me brûle avec celle-ci, juste au-dessus du pubis,
il la laisse longtemps. Il dit « c’est bon ! ». Il remet ses gants et me dit que ce n’est que le commencement...
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Je pleure, je ne veux pas, pas encore. Il s’assied sur moi, et me tient les bras pliés sur moi. Il baisse à peine
son pantalon, il ouvre son caleçon sans l’enlever, il retire ses gants et met un préservatif. Il tient mes jambes
et laisse tomber ses genoux sur les miens. J’arrive à en enlever un genou, mais il attrape ma jambe et la tord.
Je sens la douleur jusque dans ma hanche. Il me dit « tu vois, faut pas bouger ! ». Il me pénètre et pousse très
fort chaque fois qu’il remonte, c’est douloureux jusque dans mon ventre, il va trop loin. Il donne des coups.
Quand il se crispe, il est très loin et il sourit. Il se retire, enlève son préservatif et le met dans son pantalon. Il
vient derrière moi, il me redresse. Il me tient assise et reprend son couteau, il dit qu’il veut s’amuser encore un
peu. Il approche le couteau de mon visage, j’arrive à libérer un bras et je veux me protéger mais le couteau
atterrit dans mon bras. Il reprend mon autre bras et le tord derrière mon dos... Il me donne un coup dans la
mâchoire. Il plante le couteau dans mon genou, sur le côté. La douleur est vive et de nouveau, je ne peux
pas retenir un cri et il se fâche, il est très nerveux. Il allume une cigarette et me brûle dans le décolleté. Il
me dit qu’il a encore un jeu pour moi ! Il m’oblige à me mettre à genou. Il se tient avec ses genoux sur mes
mollets et me coince les bras derrière le dos. Il a sorti une sorte de matraque... Je sais très bien ce que cela
veut dire. Je ne veux pas. Je supplie mais il rigole. Il dit que c’est son jeu préféré. Il m’attrape les cheveux
et m’enfonce la matraque dans le vagin. J’ai l’impression qu’il me déchire, il l’enfonce le plus loin qu’il peut. Il
rigole et fait de plus en plus de va-et-vient. Ça fait mal très mal. Je pleure. Il est fâché que je pleure. Il sort
une autre « matraque » de son sac et me frappe avec. J’arrive à me mettre en boule mais alors il frappe mon
dos très fort en me disant de me redresser. Il me frappe partout, les genoux, les bras, le dos. Avec ses poings
et avec la matraque. Il s’amuse, il plaisante. Je n’ai plus de force, je tombe sur mes genoux. Ça me lance
d’un coup dans le droit, là où il m’a donné le coup de couteau et ça va profond dans le genou. Il fallait aussi
que je le remercie de m’apprendre tant de choses et de faire tout ça pour moi... Il me laisse là, sans rien
dire et disparaît comme il était venu ! Je suis perdue, épuisée, ensanglantée... Suis-je toujours vivante ? Je me
relève et je vais sous la douche, pour gratter, récurer mon corps même si je sais que c’est en vain, rien ne part,
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ses mains sont toujours sur moi, je peux les voir mais rien ne les fait disparaître... Au secours !

DE LA VICTIMISATION SEXUELLE DES FEMMES


AU PROCESSUS D ’ HYSTÉRISATION

Avant de tenter d’appréhender les ressentiments des femmes victimes de viol, il importe de se poser la
question suivante : Quel est le « fond de commerce » du viol des femmes en Occident ? Au fil de l’histoire,
comment s’enracine ce processus ? Fin XIXe - début XXe siècle, la Révolution industrielle et l’exode rural
vers les villes conditionnent la vie des femmes des milieux prolétaires. Bien plus souvent traitées
comme esclaves domestiques, elles se soumettent à la dictature des hommes et restent cantonnées
à leur rôle de procréatrices. Parfois au péril de leur vie, elles assument de nombreuses grossesses
et assurent souvent seules, l’élevage de nombreux enfants. Dans les milieux les moins favorisés
58 R EPÉRAGES

(sous-prolétariat paysan et urbain), la condition des femmes et des enfants est peu reluisante... La
soumission des épouses à l’autorité de leur conjoint les amène à subir des violences conjugales, voire
des sévices. Elles sont le plus souvent exploitées et parfois réduites à un rôle d’esclaves « domestiques »
et sexuelles.
N’ayant pas accès à l’instruction (l’instruction publique n’est qu’une notion et les enfants sont mis
au travail parfois très tôt), la majorité des femmes sont reléguées à des rôles subalternes et peu
valorisants. Dans un contexte familial patriarcal où règnent le pater familias et l’ignorance, les filles
sont éduquées de manière rigide et orientées vers des tâches qui se limitent bien souvent à servir les
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hommes. La violence familiale domine la vie des prolétaires en milieu urbain1 .
À l’exception de quelques femmes illustres, comme Lou Andréas Salomé, Marie Bonaparte ou Marie
Curie... la présence des femmes dans les cercles académiques ou universitaires est plutôt inhabituelle,
voire singulier. Même s’il existe plus de liberté dans certains milieux, la condition des femmes de la
bourgeoisie n’est pas pour autant enviable. Elles se soumettent également aux décisions qui concernent
leur existence. La majorité des mariages sont arrangés par les familles. Une fois mariées, elles sont
priées d’honorer leur époux dans leurs moindres désirs, y compris sexuels. En état de dépendance
totale, elles n’ont que très rarement voix au chapitre et se livrent aux fantasmes les plus corrompus
de leur partenaire.
C’est bien souvent au détriment de leur santé psychologique, que la plupart des femmes se soumettent
à ce rôle imposé par la dictature des hommes. Elles n’éprouvent aucun plaisir (sexuel). Dans ces
contextes oppressifs, voire répressifs, elles souffrent le plus souvent de troubles de nature sexuelle
(frigidité, infections génitales, dérèglement hormonal...) qui se manifestent sous différentes formes,
notamment (psycho)somatiques.
Les aliénistes de l’époque reçoivent de plus en plus de femmes atteintes de maux « bizarres », que la
médecine peine à comprendre. Considérées comme « folles », ces femmes font l’objet d’internement
(psychiatrique), le plus souvent à long terme. Ces femmes présentent des signes cliniques pour le
moins étonnants et inexplicables au plan neurophysiologique, comme des paralysies faciales, des
paralysies des membres inférieurs ou supérieurs, des blocages de la bouche ou des grimaces figées, des
crises paroxystiques... des comportements pour le moins interpellants, des attitudes provocatrices, des
attitudes exacerbées, des allures vestimentaires excentriques, etc. La psychiatrie naissante tente alors
d’appréhender ces symptômes « bizarroïdes » présentés par ces femmes. Parmi ces femmes « malades »,
certaines évoquent des événements relatifs à des agressions sexuelles subies dans l’enfance ou des
violences conjugales de nature sexuelle. La plupart manifestent des névroses post-traumatiques en
relation avec une histoire familiale des plus alambiquées, avec des épisodes d’inceste, d’agressions
sexuelles ou de maltraitance physique.
Relié au traumatisme de nature sexuelle, le concept d’hystérie2 voit ainsi le jour dans un contexte
sociologique où les rapports entre les hommes et les femmes sont loin d’être égalitaires et réciproques.

1. Karl Marx. Capital (1867: 531 & 583).


2. Didi-Huberman, Georges (2012). Invention de l’hystérie. Charcot et l’Iconographie photographique de la Salpêtrière, Éditions
Macula.
Victime de viol : l’effraction du corps psychique 59

D ES RÔLES STÉRÉOTYPÉS AUX TRANSGRESSIONS SEXUELLES

Les hommes paraissent plus à risque de rencontrer des problèmes de transgressions sexuelles que
les femmes. Ils commettent plus de passages à l’acte violents et sexuels. Les représentations socio-
culturelles ont tendance à fabriquer des canevas stéréotypés qui consistent à placer la sexualité
masculine du côté de l’agressivité conquérante et de la prédation. Dès lors que l’homme est troublé ou
découragé par cette représentation tronquée, en quelque sorte frustré dans son identité virile, et qu’il
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a été dénigré (bafoué ou humilié) par un de ses parents/éducateurs lorsqu’il était enfant, il est plus
susceptible de résoudre ses conflits intrapsychiques et psychosexuels à travers une sexualité débridée,
démesurée, agressive et violente. De la masturbation compulsive au viol obsessionnel, en passant par
des tentatives d’agressions sexuelles sur des jeunes proies, il est amené à répéter un même scénario
sur plusieurs victimes.
Les femmes quant à elles, sont plutôt confinées, depuis qu’elles sont petites filles à des rôles passifs
de soumission. La littérature féministe est assez éloquente à ce sujet1 . Plus susceptibles d’être
abusées et effectivement plus souvent abusées que les garçons, elles risquent de voir sérieusement
compromise leur identité féminine. Dès lors qu’elles sont troublées dans leurs rôles, voire déshumani-
sées, ces femmes recherchent plutôt des solutions ou des compromis socialement acceptables. Étant
donné l’image socioculturelle stéréotypée d’objet sexuel, de « salope » ou de « nymphe érotique »
qui leur est attribuée, elles développent aussi des troubles sexuels qui se manifestent à différents
niveaux d’expression, comme l’état limite, l’anxiété dépressive, la crise d’hystérie, l’érotomanie, etc.
La dégradation de leur féminité peut les engager sur la voie de la prostitution qui mercantilise leur
chair. La frigidité, le rejet de la sexualité et du partenaire masculin les empêchent de construire un
couple ou une famille. Les troubles conjugaux, sexuels et relationnels les conduisent à une éventuelle
permissivité qui les rend parfois co-responsables des abus sexuels sur leur propre enfant. Dans certains
cas, la déstructuration de leur image de femme, par le biais d’un abus sexuel ancien peut également
les amener à décompenser sévèrement. Ainsi certaines femmes développent un « syndrome de la
personnalité multiple» qui les amène parfois à maltraiter leur enfant ou à se vivre dans la peau d’un
autre personnage. À l’instar des questions controversées sur l’hystérie, la relation entre l’agression
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sexuelle et ce type de désordre psychiatrique est très discutée dans la littérature clinique (Coons,
1986 ; Kluft, 1987).
Au final, dans des conditions existentielles dramatiques similaires, les hommes sont donc plus suscep-
tibles, socio-culturellement et psychologiquement, de devenir des agresseurs sexuels que les femmes.
Formatées et chosifiées, les femmes s’engagent plus facilement dans des processus de victimisation
sexuelle.

1. Rush, Florence, Le secret le mieux gardé, 1980 ; Huston, Nancy, Jouer au papa et à l’amant, de l’amour des petites filles,
1979; Kavemann & Lohstoter, Les pères criminels, la violence sexuelle contre les petites filles, 1985; Clarac & Bonnin, De la
honte à la colère, 1986.
60 R EPÉRAGES

LA BLESSURE PSYCHIQUE DU VIOL : DE L’ EFFRACTION


À SA REPRÉSENTATION SYMBOLIQUE

Comme dans toute effraction, l’expérience du viol endommage la victime, tant au niveau de son corps
physique, qu’au niveau de son corps psychique. Cette effraction balaie les représentations mentales.
Comme l’indique Salmona (2013) :
« Le viol crée une effraction psychique et balaie toutes les représentations mentales, toutes les certitudes,
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le cortex se retrouve alors en panne (les recherches montrent que cette panne est visible sur les IRM).
La victime est dans l’incapacité d’analyser la situation et d’y réagir de façon adaptée. Elle est comme
pétrifiée, elle ne peut pas crier, ni parler, ni organiser de façon rationnelle sa défense. »

La production d’une blessure objective, le constat de lésions, la notion de douleur pendant l’acte, la
sensation d’une intrusion physique, les menaces, la violence émotionnelle, la sidération... ne peuvent
être dissociés des fantasmes qui s’organisent autour d’une blessure symbolique.
La victime pense que quelque chose l’a « effractée » et que son corps est abîmé. Ses pensées sont
imprégnées d’angoisses, d’autant plus qu’elle craint avoir subi des dommages importants et irréver-
sibles. Ses craintes, parfois fondées, engendrent des fantasmes d’autodestruction, de dénégation de
soi ou de morcellement, lesquels s’associent à l’activité abusive et à la sexualité en général.
Le rapport entre blessure réelle et blessure imaginaire est fréquent. La blessure laisse une cicatrice. Le
principe d’une cicatrice est d’être la trace laissée par la blessure qui représente et signifie symboli-
quement l’acte abusif. La blessure est symbolisée et donne l’impression à la victime d’une avarie au
lieu de son corps. Elle éprouve le sentiment désagréable d’avoir perdu quelque chose, d’avoir subi des
transformations et d’avoir été endommagée.
Le regard des autres (réactions, attitudes et discours) confirme parfois les sentiments de la victime
sur elle-même : l’impression d’être sale, dégoûtante, différente, impuissante, déviante, perverse, etc.
Exposée à cette sexualité déshumanisée-bestiale, par le truchement de la violence sexuelle, la victime
se sent observée, jugée, elle se ressent comme un mauvais objet sur lequel les autres projettent une
image négative. Elle suscite alors l’intérêt malsain des regards voyeuristes jusqu’à l’écœurement ou la
compassion malsaine des âmes bien pensantes ! L’hostilité ou l’étonnement, les remarques déplacées,
la pitié, le rejet, le dégoût, la peur, l’effondrement des autres... interfèrent avec les sentiments de la
victime. Des ressentiments enchevêtrés induisent la confusion ou la perplexité. À l’insu de son plein
gré, la victime s’inscrit dans un véritable cercle vicieux... La blessure réelle se transforme alors en
blessure symbolique qui déforme la réalité.
À partir du moment où la victime ose s’exprimer, elle s’expose au risque d’être jugée ou maltraitée, voire
revictimisée... Elle est également confrontée au regard “trouble”/ambivalent des autres (des hommes
et des femmes), de son entourage, voire de son partenaire. Au café du commerce, les stéréotypes ont
la vie dure ! Certains ont souvent tendance à banaliser l’acte de viol... D’autres souffrent d’une sorte
de distorsion cognitive de la réalité. Par ailleurs, la représentation du viol coïncide avec l’idée qu’une
victime de viol qui ne se défend pas, serait consentante, voire initiatrice de l’événement !
L’effet des préjugés et des représentations populaires reste pervers et contamine l’opinion que la
victime porte sur elle-même. Alors que les autres perçoivent la victime comme différente après coup,
Victime de viol : l’effraction du corps psychique 61

immature et sans statut, diminuée comme infantilisée par l’événement, ils ne la reconnaissent plus.
Bien souvent pour se protéger ou prendre une distance, ils élaborent toutes sortes d’explications.
Avec beaucoup de maladresse, certains tentent de se rassurer en soutenant la victime. Ils font ce
qu’ils peuvent et cherchent des justifications... Ils pensent parfois que la victime n’a pas réfléchi, ne
s’est pas protégée ou ne s’est pas rebellée ! Tout en perdant son statut de sujet, la victime devient
ainsi l’objet de fantasmes et de distorsions cognitives qui la dénaturent en tant que personne. Cette
perception déformée/erronée de son image est en soi destructrice pour la victime et risque de saboter
sa vie de relation.
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La victime de viol s’identifie anxieusement à cette caricature de soi-abimé-cassé que lui renvoient les
fantasmes et les remarques assassines de certains. Les sentiments intérieurs de honte et de culpabilité
renforcent les réponses d’hostilité à l’égard de soi et de dégoût de soi.
Que la blessure soit réelle ou imaginaire, la victime est atteinte dans son identité narcissique. Cette
faille narcissique peut avoir un effet d’implosion sur sa personnalité, un effet sidérant.
Si la blessure objective, caractérisée par des lésions diverses, est cicatrisable, la blessure subjective ou
interprétative, celle laissée par les fantasmes, l’opinion sociale et les regards déformés de l’entourage,
peut rester béante ou se refermer... Au-delà du regard déplorable, perfide ou déformé des autres, la
victime est donc psychiquement réparable, mais à condition, qu’elle intègre le fait qu’elle n’est pas
si endommagée, qu’elle ne se réduise pas à une « chose avariée » et qu’elle possède des ressources
personnelles.

R ÉCIT- EXTRAIT N°2


C’est difficile... j’avoue que j’ai l’impression que tout me submerge. J’ai peur que cela recommence – je
revis l’agression... Mes blessures me font encore beaucoup plus mal. Quand je me penche vers le bas, j’ai
l’impression que le sang monte dans ma tête et fait gonfler mes hématomes au maximum, c’est super dou-
loureux. Mon genou commençait à aller mieux mais c’est de nouveau pire. et puis le ventre, j’ai l’impression
d’avoir eu une deuxième césarienne quand je dois me mobiliser ou faire appel à mes abdominaux. Je suis
épuisée. J’essaie de m’occuper pour tenir debout. Tout se bouscule dans ma tête et je ne sais plus où j’en
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suis. et tout cela en plus de la douleur physique, c’est trop. J’ai si peur. Peur de ce que sera l’avenir... Vais-je
réussir à reprendre ma vie d’avant ? Je l’aimais tant ma vie, avec un mari aimant et mes 2 enfants adorables,
une harmonie et plein de bonheur... cela me manque tant. Pouvoir dormir sans cauchemars, sortir sans peur,
m’accepter entière avec ma tête et mon corps, faire l’amour avec mon mari, le combler, imaginer et jouer avec
mes enfants, rire avec eux... tout me manque. Pour le moment j’ai juste peur, je me déteste et me dégoûte. Je
suis sale et honteuse. J’ai l’impression plus que tout, d’être un poids pour mon entourage. J’ai l’impression que
tout est ma faute. Je me sens tellement mal. Je voudrais que rien ne soit arrivé. J’aimais ma vie et maintenant
tout me terrifie !
62 R EPÉRAGES

A CTIVITÉ DÉVASTATRICE DE LA PULSION DE MORT

Au plan psychique, le viol implique pour la victime une expérience avec sa propre mort. Envie de mourir,
vouloir oublier, ne plus souffrir, ruminations mortifères, ressentiments de honte et haine de soi... tout
se télescope dans la tête ! Les repères s’estompent et les flash-backs s’acharnent... Les cauchemars
agissent même en journée et prennent en otage les moindres pensées ! Les pensées suicidaires et les
ressassements s’invitent grossièrement à la table des idées. L’idéation suicidaire se transforme en
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véritable harcèlement anxiogène qui induit des conflits intérieurs totalement insupportables.
Comme l’indique Barouh-Cohen (2016) :
« Lorsque le sentiment d’exister n’est pas assuré, une lutte permanente s’engage contre l’envahissement
d’angoisses archaïques et contre l’effondrement. Pour les freiner, le sujet érige des stratégies de survie
psychique qui mettent le corps au premier plan. »

R ÉCIT- EXTRAIT N°3

Une seule idée m’obsède, mourir et comment me donner la mort ? Je ne sais pas du tout où j’en suis. J’ai la
tête à l’envers et mon corps ne m’appartient plus. Je me dégoûte et je suis à bout.
Même parler c’est trop dur. J’essaie d’écrire mais cela ne change rien. J’ai toujours aussi envie de quitter cet
horrible monde ! Tout ce qui me retient repose sur le fait que je ne veux faire de mal à personne. J’aime ma
famille et mes proches... mes enfants plus que tout au monde, mais j’ai l’impression de leur faire plus de
mal en restant là... Je rêve de pouvoir partir pour toujours sans qu’ils s’en rendent compte. Qu’ils m’oublient
comme si je n’avais jamais existé. Je m’enfonce de plus en plus et j’ai l’impression que jamais cela ne finira...
et même si je les aime du fond du cœur, je sais que ce n’est pas leur rendre service que d’avoir une femme,
une mère qui n’en est plus une. Je me déteste. J’ai trop mal à l’intérieur. Je voudrais pouvoir me noyer et ainsi
partir pour tout oublier toujours. Je sais, c’est lâche mais je suis à bout. J’ai l’impression de leur faire plus de
mal que de bien.
Je n’en peux plus... je suis à plat. Je ne veux pas parler, c’est dur pour moi... Je ne veux pas dépendre des
autres et surtout pas être un poids pour eux. Je me sens impuissante, salie et vidée face à tout ce qui s’est
passé. Je voudrais disparaître sans faire de mal. Tout ce qui me retient c’est la souffrance que je causerais
aux autres. Je ne veux pas faire de mal mais je ne tiens plus debout, j’ai trop mal. Je ne suis plus moi. Je suis
envahie et je me sens trop mal ! Je n’en peux plus de vivre tout cela jour après jour, d’être envahie de peurs
et de tristesses. Je ne me sens plus la même personne. Il m’a détruite... J’essaie chaque fois d’aller un peu
plus loin dans mes pensées, mais le but à atteindre est trop loin et je perds pied. Je pense à tout et à rien,
je suis lasse. Je veux protéger ceux que j’aime, alors je me tais et je m’enferme. Je ne veux pas imposer ma
tristesse, mes cauchemars, ma vie et mes larmes. Je ne m’en sors pas, je voudrais juste qu’on m’oublie sans
peine pour toujours... J’ai l’impression de m’enfoncer chaque jour un peu plus et que jamais cela ne finira...
J’ai des pensées qui s’affrontent dans la tête. Rester, essayer encore... mais à quel prix ? Ou bien reprendre le
travail et me donner les moyens. Si je pouvais être sûre de ne blesser personne au passage, je l’aurais déjà
fait. Mais après tout n’est-ce pas pire pour eux de me voir ainsi... je ne sais plus. Je suis perdue. Je fais des
choses chaque jour sans plus savoir ce que je fais, juste par automatisme parce qu’il faut. Je ne sais plus. Je
ne vis plus... j’ai juste peur et mal au fond de moi sans pouvoir le faire sortir. J’ai envie de partir !
Victime de viol : l’effraction du corps psychique 63

L ES SÉQUELLES POST-TRAUMATIQUES : TRANSGRESSION DE L’ INTIME

Chez les victimes de viol, les séquelles psychologiques sont largement plus importantes et persistantes
dans le temps que les séquelles physiques (Calhoun, 1991). Suivant de nombreux cliniciens (Bilette
V, Guay S, Marchand A., 2005), les abus sexuels, et en particulier les viols, sont associés à plusieurs
désordres psychiatriques dont les troubles anxieux, alimentaires, les troubles du sommeil, les troubles
dépressifs et plus particulièrement les troubles de stress post-traumatique (TSPT). Le stress post-
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traumatique est une réaction psychologique consécutive à une situation durant laquelle l’intégrité
physique ou psychologique du patient ou d’autrui a été menacée, ou effectivement atteinte (DSM
V). Il se manifeste notamment par des flash-backs et des cauchemars envahissants qui hantent la
victime, par l’évitement des situations pouvant rappeler à la victime l’événement traumatisant, et par
une hypervigilance (DSM V).
Lors d’agressions sexuelles, le choc ressenti est particulièrement fort, puisque les victimes présentent
des symptômes de TSPT plus intenses que les victimes d’agressions non sexuelles (Calhoun, 1991). Un
nombre important de victimes de viol développe des symptômes sévères qui nécessitent des soins
psychiatriques spécifiques/adaptés.

R ÉCIT- EXTRAIT N°4

C’est un véritable cauchemar ! Le mur que j’avais construit pour me protéger - si difficile à construire... il l’a
mis par terre. Tout me semble trop lourd. J’ai tout perdu... et là j’ai l’impression que cela sera plus pénible
encore et que jamais je n’y arriverai. J’ai si peur. Vivre me fait peur... j’ai l’impression qu’il me pousse la tête
sous l’eau et je n’arrive pas à la sortir. J’étouffe. Il m’a tout pris. et ce n’est pas fini. Il l’a promis, il reviendra.
Je n’arrive pas à tourner la page, elle pèse trop lourd. Il me hante. J’ai encore des douleurs physiques et tout
me rappelle ce qui s’est passé. Je me dégoûte, je me déteste. Je n’ai pas su me défendre, il a gagné et j’ai
honte. Honte de lui avoir cédé, honte d’avoir eu ses mains et son corps sur moi, en moi. Honte d’être ce que
je suis. J’ai beau me laver, jour après jour, j’ai toujours l’impression d’être aussi sale. C’est écrit sur moi... je
ne veux pas qu’on le sache mais je vois que les gens ne me regardent pas pareil.
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Je voudrais pouvoir tout oublier, faire comme si de rien n’était. Mais je n’y arrive pas. Je rêve de me réveiller
et que tout cela ne soit qu’un mauvais rêve. Ou alors revenir en arrière et savoir quoi faire, ne pas être là
au mauvais moment... mais il m’attendait, je n’avais pas le choix. Je me sens nulle. Je n’y arrive pas. Je sais
qu’il ne faut pas baisser les bras mais c’est trop difficile, j’ai envie de le laisser me pousser sous l’eau sans
résistance et disparaître...
!

De la culpabilité à la honte d’être soi

La victime de viol se sent à la fois victime et coupable. Elle est rongée par des sentiments de culpabilité
quasi indélébiles, qui se répètent à tue-tête.
La culpabilité est un sentiment légitime chez une victime de viol qui se sent visée tant sur le plan de
l’intime, du social, qu’au niveau du processus de divulgation. Le passage de l’intime au social ne se fait
pas sans risque, ni sans difficultés, d’autant plus que le sexuel est intrinsèquement lié au secret et à
64 R EPÉRAGES

l’interdit. Bien qu’injustes et injustifiés, parfois involontaires, les blâmes dont on l’accable renforcent
ses sentiments de culpabilité.
Les sentiments de culpabilité évoluent à différents niveaux :
La culpabilité sexuelle se manifeste au moment des faits. Pendant qu’elle subit des attouchements
sexuels, la victime éprouve des sentiments de honte, de gêne ou d’embarras qui engendrent une
culpabilité liée à la spécificité sexuelle de l’abus. Son intimité et sa pudeur sont éprouvées par
l’intrusion sexuelle... Même si elle est contrainte et forcée, la victime se sent coupable ou responsable,
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au minimum coresponsable, d’avoir été l’acteur d’une activité sexuelle... et, dans ses faits, gestes
et pensées, d’y avoir pris part. L’idée d’une transgression et du tabou qui concerne ce type de relations
sexuelles, trouble la victime dans son jugement d’elle-même. Selon ses représentations sociales, elle
ressent la pression de l’interdit qui plane sur ces relations sexuelles forcées et contraintes.
Par un processus d’inversion de rôle et d’identification à l’agresseur, la victime peut se percevoir
comme séductrice, incitatrice, instigatrice, inductrice, voire provocatrice, tout à la fois et pourquoi
pas, l’actrice consentante à l’origine de l’activité sexuelle. Cette image est souvent exploitée par le
violeur qui fait ainsi porter le poids de la responsabilité sur sa victime... Celle-ci est influencée par
cette image que l’abuseur lui renvoie. En retour, elle se sent responsable du comportement sexuel de
l’agresseur qui se serait laissé séduire ou provoquer. En les rendant confus, ambivalents, contradictoires,
illogiques, incompréhensibles,... la culpabilité vient perturber l’ensemble des sentiments personnels
de la victime !
La culpabilité réactionnelle est intimement liée à la trahison du secret. L’agresseur peut menacer sa
victime et lui interdire de révéler les faits sous peine de représailles... La victime connaît parfois son
agresseur... Elle partage avec ce dernier l’expérience du viol avec un fort sentiment de complicité qui
l’empêche de parler. Ce secret une fois levé, la révélation des faits engendre d’énormes sentiments de
culpabilité ou de responsabilité coupable. Le secret risque alors de relier la victime à son abuseur. Le
contrat une fois brisé ou cassé entraîne une rupture dont la victime se sent responsable. Elle peut
jusqu’à penser qu’elle a trahi une relation de confiance, d’autant plus si son violeur reporte sur elle de
l’hostilité, des menaces et des reproches.
La culpabilité résiduelle s’attache plus à des mécanismes de responsabilisation. La victime se sent
responsable des suites de la divulgation, des bouleversements et des crises au sein de sa famille, dans
son entourage et/ou parfois au niveau de l’agresseur.
Plus la victime est directement impliquée dans le processus de divulgation, plus elle en assume la
responsabilité et plus les conséquences de cette révélation entraînent de la culpabilité. La victime
croit devoir assumer l’ensemble de la responsabilité face à cette situation et ses conséquences. Elle
pense dans son for intérieur que tout est de sa faute et qu’elle aurait mieux fait de ne pas parler !
Jusque dans l’après-coup de la révélation, la culpabilité la poursuit comme une ombre maléfique
et exacerbe ses sentiments les plus dysphoriques. Entre le désir de mourir, la peur de faire du mal
et la honte, la culpabilité active de mauvaises défenses psychiques. Le doute s’installe de manière
insidieuse, jusqu’à l’ambivalence la plus totale.
Victime de viol : l’effraction du corps psychique 65

R ÉCIT- EXTRAIT N°5

J’ai beaucoup réfléchi... je ne sais pas du tout où j’en suis. J’ai la tête à l’envers et mon corps ne m’appartient
plus. Je me dégoûte et je suis à bout. Parler c’est trop difficile. Les mots sont comme des lames de rasoirs qui
me déchirent la voix ! J’essaie d’écrire mais cela ne change rien. Je veux disparaître, mais je ne veux faire
de mal à personne. J’ai l’impression de faire plus de mal à ceux que j’aime. Je rêve de pouvoir partir pour
toujours ! Ni vu, ni connu ! Qu’ils m’oublient comme si je n’avais jamais existé. Je m’enfonce de plus en plus
et j’ai l’impression que jamais cela ne finira... Je me déteste. J’ai trop mal à l’intérieur. Je voudrais pouvoir me
noyer et ainsi partir pour tout oublier toujours. Je sais c’est lâche mais je suis à bout. Je n’en peux plus... je
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suis à plat. Je ne veux pas dépendre des autres et surtout pas être un poids pour eux. Je me sens impuissante,
salie et vidée face à tout ce qui s’est passé. La peur me hante et je me dégoûte, ce corps sale et gravé de ses
gestes ne sera plus jamais propre. Je me sens coupable et tellement honteuse...
Je voudrais disparaître sans faire de mal. Tout ce qui me retient c’est la souffrance que je causerais aux autres.
Je ne veux pas faire de mal mais je tiens plus debout, j’ai trop mal. Je ne suis plus moi. Je voudrais juste que
tout cela ne soit pas arrivé. Je suis envahie et je me sens trop mal ! Je n’en peux plus de vivre tout cela jour
après jour, d’être envahie de peurs et de tristesses. Je ne me sens plus la même. Il m’a détruite...
J’ai l’impression de m’enfoncer chaque jour un peu plus et que jamais ça ne finira... En plus, je suis poursuivie
par la même idée : Je me sens coupable d’avoir été là au mauvais moment et d’avoir réagi comme une
idiote ! J’ai tellement honte ! Je suis envahie de honte et de peur... le dégoût de moi me dit que je ne dois plus
être... dans mes cauchemars les mains sont comme du papier de verre et le reste n’en parlons pas, lorsque je
me réveille une douleur physique « réelle » est toujours là... et mes sentiments de honte et de peur grandissent.
!

L’effroi face à l’horreur : de la peur à l’angoisse d’anéantissement

L’effroi, comme la peur, prend racine dans les tréfonds de notre inconscient pulsionnel et vient faire
surface de manière brutale comme pour nous rappeler à quel point nous sommes vulnérables et mortels.
La peur est intimement liée à l’angoisse de mort, à l’absurde de la vie et à la violence... Inhérent
à la spécificité de la condition humaine, le phénomène du viol attise des angoisses archaïques
d’anéantissement, de morcellement et de destruction de soi. Sur le plan inconscient, cette angoisse de
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

mort nourrit nos peurs les plus primitives que nous avons héritées depuis notre toute petite enfance.
Confronté à toutes sortes d’événements plus ou moins traumatiques, le sujet façonne ses expériences
et fabrique psychiquement ses peurs. À cette peur archaïque fondatrice viennent se greffer toute
une série d’angoisses associées à la perte des repères et en particulier les figures d’attachement
représentées par les parents. Ceux-ci ne sont plus présents pour protéger le sujet des agressions de la
vie. Comme une cassure, le viol dépouille la victime de toute possibilité de résistance. À cette perte
d’objet ou d’êtres aimés viennent s’ajouter les angoisses d’abandon, de rupture, de morcellement,
d’anéantissement et de manque.
Comme résultante à toutes les peurs, l’anxiété signifie que la victime reste en alerte continue face
au monde qui l’entoure. Plus ou moins rationnelle mais également tout aussi irrationnelle, la peur
est le liant de toute l’humanité confrontée aux catastrophes tant naturelles (tremblement de terre,
inondations, cataclysmes, etc.) que celles causées par les hommes (guerres, attentats, crimes, viol,
etc.). Sur fond d’angoisse universelle et évoluant dans un environnement de plus en plus instable,
66 R EPÉRAGES

l’être humain est contaminé par des peurs de plus en plus intenses qui envahissent son champ psycho-
logique existentiel et son appréhension de la réalité. En découlent toute une série de ressentiments
qui s’articulent aux peurs et les nourrissent. Chez tout individu, peurs réelles et irrationnelles se
télescopent. Lorsqu’une victime traverse une nouvelle épreuve, ses peurs refont surface et engendrent
divers symptômes plus ou moins sévères : l’anxiété dépressive, les phobies, la peur des microbes et de
la saleté, la paranoïa, la psychose, la névrose d’angoisse, etc. D’un point de vue plus psychopatholo-
gique, la peur reflète un monde imaginaire proche du délire. Sur un versant plus ordinaire, elle informe
le sujet sur ses capacités à vivre dangereusement et à se protéger.
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Les peurs objectives d’une victime de viol sont directement associées au terrorisme sexuel, au degré
de violence psychologique ou physique, à la cruauté de l’abus versus le sadisme de l’agresseur, aux
dommages physiques éventuels et au niveau de sécurité personnelle. La peur ressentie pendant les
faits est souvent liée aux pressions ou menaces verbales subies par la victime.
Les peurs subjectives sont activées par les fantasmes à un niveau plus inconscient et se manifestent à
travers des bouffées d’angoisse, des idées obsédantes ou persécutrices, des troubles du sommeil, des
rêves perturbés ou des cauchemars.
La peur qui poursuit la victime est souvent liée à la crainte de représailles physiques, de vengeance,
d’abandon ou de perte : la crainte que l’agression ne recommence, que l’agresseur récidive ou d’être à
nouveau violentée par un autre agresseur, la crainte des retombées, des conséquences pour la famille
et pour soi-même, la crainte de perdre la confiance des personnes de son entourage... la culpabilité
résiduelle, le dégoût de soi et l’insupportable « regard pathétique des autres » !

R ÉCIT- EXTRAIT N°6

Sans cesse, des images de son visage reviennent devant mes yeux... C’est affreux et toutes les nuits cela revient.
et j’ai mal, et puis les cicatrices. J’ai tellement honte de tout cela et j’ai pas réussi à me défendre... Il m’a
dit qu’il allait revenir ! J’ai peur... Pourquoi ? C’est trop difficile, je voudrais pouvoir tout oublier mais je sais
que ce n’est pas possible... Je n’arrive pas encore à vivre avec. Il y a des moments où je me sens trop sale.
J’ai honte. Je dois continuer pour mes enfants et pour leur père, mais sinon, j’ai peur qu’il ne revienne. et si
je n’arrive pas à protéger mes enfants, ma famille ? Je ne sais pas encore comment faire, comment sortir
toute cette saloperie de moi ? Je suis hantée par la honte et la peur qui m’envahissent et je n’arrive pas à les
gérer. J’essaie de ne pas montrer ce que j’ai vécu... je ne veux pas que l’on sache. J’ai l’impression que tout
recommence et je ne veux pas... Les nuits sont un musée des horreurs. Tout est difficile mais je sais que je dois
continuer. Je n’arrive pas à demander de l’aide. Comment en parler ? Vais-je y arriver ? Est-ce que je peux
le dire ? J’ai si honte, j’ai peur de lui, de dévoiler ma vie. J’ai peur qu’il apprenne que j’ai parlé à la police
et qu’il vienne se venger de plus belle, s’en prendre à ma famille...
!

La terreur : la honte de la prise de parole

Par nature, la victime a peur de parler ! Parler, c’est trahir honteusement un événement innom-
mable/incrédible/inconcevable/abject/inconvenant/inavouable... C’est aussi courir le risque de ne
pas être entendu, compris ou cru. D’autant que personne n’est prêt ou apte à entendre ce genre de
Victime de viol : l’effraction du corps psychique 67

chose. La victime, prisonnière de sa terreur et du silence, s’identifie aussi aux peurs des autres, elle lit
l’effroi dans les regards.
Après coup, cette peur est celle qui oblige la victime à se soumettre inconditionnellement à la
personnalité de l’abuseur qui continue à agir psychiquement... Au moins inconsciemment, la victime
se sent obligée de répondre aux désirs de l’agresseur, c’est-à-dire obéir à ses injonctions sexuelles
et se soumettre à ses fantasmes les plus sordides, les plus crus. Cette peur amène progressivement la
victime à s’oublier elle-même, à adopter un faux-self de sécurité, tout en s’identifiant massivement à
son agresseur (syndrome de Stockholm). De manière anxieuse, la victime s’identifie ainsi aux émotions
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de son agresseur. Vécue comme une menace interne, la honte surgit alors comme un témoin gênant...
Ce cercle vicieux du terrorisme sexuel s’installe et paralyse la victime dans ses tentatives de prise de
parole.
!

L’angoisse compulsive et destructrice

Après-coup, l’angoisse peut s’exprimer sous des formes diverses : des manies, des phobies, la peur du
noir, de l’inconnu, de la solitude, l’évitement de certaines personnes, le mutisme sélectif, la fuite,
l’hypervigilance, la méfiance, la paranoïa,...
Les émotions anxieuses sont exacerbées au moment de la révélation, point culminant de l’angoisse qui
vient torturer la victime. Celle-ci pense que parler, c’est vouloir trahir un secret qui la lie sexuellement
à son agresseur... Parler, c’est revivre l’événement et son lot de menaces, de pression et de tension...
C’est intolérable jusqu’à l’angoisse. Les angoisses se manifestent aussi devant un avenir incertain, la
perspective de conséquences dramatiques et irréversibles pour la famille, pour l’entourage et pour
soi-même. L’angoisse confronte la victime à ses propres ambivalences et hésitations. L’angoisse oscille
entre le désir de mettre un terme à ce qu’elle endure, courir le risque de ne pas être entendu, la
peur de perdre en crédibilité, d’être rejetée ou abandonnée, la terreur de voir exécuter les menaces
de vengeance, de mort ou de suicide promulguées par l’agresseur et la possibilité de résister ou de
s’adapter malgré tout. En tant que menace interne, l’angoisse compulsive reste un mauvais présage
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

qui ouvre les portes du désespoir et de la mort !

E XTRAIT- RÉCIT N°7

La boule monte dans ma gorge, mes yeux se mouillent... La mort rôde partout, elle m’attend ! La violence
d’une peur que je ne peux plus affronter et qui me fait violence... trop pour que je puisse continuer... pardon !
Je suis en sursis depuis des années, mais le mal n’a pas de limites et moi bien... Suis-je encore humaine ?
Ai-je jamais été une femme ? Il m’a tout pris et volé mon innocence... Je ne peux pas lui résister... Je suis
envahie et tout à l’intérieur de moi est écrasé et meurt petit à petit. Je suis au bout « d’un voyage» que je ne
souhaite à personne.
68 R EPÉRAGES
!

Les cauchemars : un univers insidieux

La peur de s’endormir, de perdre la vigilance et d’être agressé pendant le sommeil, de se retrouver


sans moyen de protection et le réveil nocturne angoissant sont souvent des signes d’activités cauche-
mardesques. La fixité et/ou l’obnubilation du cauchemar reste un facteur important d’angoisse. De
fréquence variable, il n’est pas toujours associé à l’insomnie.
Les thèmes des cauchemars sont souvent liés à l’impuissance de la victime, à la contrainte subie, à
la solitude devant la menace, au scénario de l’abus lui-même, à la violence des gestes, à la peur de
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la récidive, etc. Des rats qui attaquent, étouffent et vous mangent de l’intérieur, des monstres qui
viennent dévorer le clitoris, être enfermé vivant dans un cercueil, des bruits terrifiants ou menaçants,
une chute dans un puits sans fond,... Comme s’il était impossible d’y faire face, les cauchemars
se reproduisent. La victime se soumet au cauchemar qui répète un scénario dont elle voudrait se
débarrasser. Jusque dans ses rêves, l’agression sexuelle vient la surprendre et convertir son sommeil
en mésaventure, laissant le prédateur dévorer son corps et se repaître de ses entrailles.

R ÉCIT- EXTRAIT N°8

Quand les nuits sont peuplées de cauchemars,


Et les journées d’images d’horreur,
On cherche l’espoir au hasard,
De pouvoir, un jour, briser ce mur de peur.

J’ai déjà versé tant de larmes,


Je n’ai pas eu la force de les retenir.
Elles coulent seules et sans armes,
Sans jamais donner l’impression de se tarir.

J’ai attendu d’être vraiment consolée,


J’ai attendu d’être serrée dans les bras,
Tout ça sans jamais être écoutée,
Le silence se refermant sur moi.

Je m’endors seule dans le noir,


Le loup vient me peupler sans fin.
J’ai toujours attendu ce regard,
Qui saura enlever tout mon chagrin...
Victime de viol : l’effraction du corps psychique 69

C ONCLUSION :COMME UN MUR À ABATTRE


CONTRE LA HAINE DE L’ AMOUR

Comme l’écrit Jean Michel Darves Bornoz (1996, 272) : « si le sentiment de proximité de la mort est
présent dans le viol et l’inceste, c’est avant tout une construction psychique, celle de la blessure
narcissique mortelle. Cela change tout par rapport à des traumatismes plus externes et plus mécaniques
où l’identité n’est pas en jeu. Cette blessure narcissique mortifère des violences sexuelles explique
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que le viol est l’événement le plus régulièrement traumatique. Quel sens existentiel donner à une
expérience qui se pose dans les traces de la sexualité en omettant le consentement, qui prétend
désirer au point de commettre un acte de violence, et qui au bout du compte, mélange à l’extrême
les registres de l’érotisme et de l’agressivité ? Les victimes mettent effectivement du temps à en
construire un qui ne les écarte plus du destin commun. »
Malgré les dispositifs d’accueil de la parole des victimes, les femmes violées tombent comme des
mouches et se comptent par millions depuis la nuit des temps ! Maculé de sang et de larmes, leur
esprit ne trouve plus la sérénité, perdant parfois la voie de la raison et de l’existence. Parce que
la salissure de l’acte incruste les tréfonds de l’âme, la guérison du traumatisme exige un travail
conséquent. Même s’il existe des modèles thérapeutiques de récupération (comme l’art-thérapie), les
mécanismes de résilience ou de restauration de soi ne fonctionnent pas toujours de manière optimum.
Lorsque l’ombre de la mort fait barrage à la pulsion de vie, la plupart des victimes doivent supporter
l’horreur des souvenirs, des cauchemars et des flash-backs. Même s’ils s’estompent avec le temps, ces
alarmes psychiques démarrent au quart de tour, empêchant des retrouvailles avec l’estime de soi.
Parce qu’elle a perdu le sens de sa vie, la victime de viol cherche à nouveau la direction d’une nouvelle
existence. En venant sidérer la pulsion de vie, l’impact d’un viol est considérable et peut conduire à une
sorte de mort psychique. Selon les circonstances même du viol, chaque victime se sent comme salie
au plus profond d’elle-même, incapable de se regarder vivre et d’accepter le moindre accent de joie
existentielle. Indépendamment du degré de violence, l’acte de viol cannibalise l’esprit et contamine le
corps d’une puanteur putride qui empêche la victime de se reconnaître.
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Dans la plupart des cas, le viol reste un crime impuni. L’existence des victimes est plombée par le
regard d’autrui, entourage et intervenants compris ! La grande majorité des victimes d’agressions
sexuelles subissent diverses retro-réactions négatives (blâme, moquerie, incrédulité, indifférence,
doute, dérision, dégoût, minimisation de l’agression, manque de soutien social, etc.)... Les représen-
tations socioculturelles, la stigmatisation des victimes, les préjugés entretiennent des mythes autour
du viol. Encore très répandus, ces mythes génèrent ces réactions négatives qui nuisent amplement
au rétablissement des victimes, à la recherche de la vérité et au bon fonctionnement de l’enquête
judiciaire1 .

1. https://antisexisme.net/2012/01/16/les-mythes-autour-du-viol-et-leurs-consequences-partie-2-les-consequences-
pour-la-victime/ Sexisme et Sciences humaines – Féminisme : Un blog féministe pour déceler les mécanismes sexistes qui
maintiennent les inégalités entre femmes et hommes – ISSN 2430-5812
70 R EPÉRAGES

Victimes d’injustices, humiliées, harcelées, exploitées, trompées, maltraitées, violentées, violées... les
femmes occupent rarement des positions privilégiées. Au sein de notre société d’essence patriarcale,
c’est dans un contexte de misogynie ambiante que la femme est déniée en tant que sujet. Considérée
comme inférieure, faible, minable, simple d’esprit, fragile, pleureuse, pisseuse, salope, dévergondée,
conne, pouffiasse, « blonde »,... Il existe un véritable « panthéon » de mots misogynes à forte
connotation sexuelle qui pénètrent de plus en plus le lexique populaire depuis l’enfance. La femme
est alors dénigrée par ceux-là même qui la méprisent. Avec leurs traits de victimes, elles suscitent
aussi la convoitise des prédateurs que sont les hommes par nature. Le viol fait tache d’huile et se
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manifeste à ciel ouvert dans différents domaines : utilisé comme arme de guerre, l’excision des jeunes
filles et ses conséquences délétères, la restauration des marchés d’esclaves, le mariage des petites
filles, toutes les formes d’exploitation sexuelles à des fins commerciales, le trafic des êtres humains, la
prostitution des mineur(e)s, la pornographie, les viols domestiques, l’inceste...
Prise pour cible et victime des convoitises les plus funestes, la gente féminine ne cesse d’avoir peur
et demande sa protection. En retour, une réponse efficace de la justice se fait souvent attendre.
La plupart des enquêtes pataugent dans le bourbier administratif d’une justice à bout de souffle,
procédurière et déshumanisée. Les victimes n’osent pas toujours déposer une plainte... La plupart
des auteurs d’infraction à caractère sexuel restent libres de leurs mouvements ! À défaut de réactions
plus pertinentes, préventives et prophylactiques, la société reste ainsi suspendue aux cris silencieux
des victimes. Celles-ci s’organisent en mouvement citoyen et responsable... Avec les moyens du bord,
quelques associations d’aide aux victimes1 essayent de tendre la main aux filles/femmes délaissées
ou abandonnées au bord du chemin, à celles qui ne s’en sortent pas, celles qui restent terriblement
choquées par le traumatisme du viol.
Aujourd’hui sur leurs gardes, les femmes « victimes » de violence-sexuelle développent un instinct de
survie, elles mobilisent des ressources résilientes, rien de comparable à la faiblesse, à la honte et à la
lâcheté des hommes qui les violent.
Il nous reste à méditer sur cette hypothèse de Françoise Héritier (2011) : « Les femmes sont dominées
non parce qu’elles sont sexuellement des femmes, non parce qu’elles ont une anatomie différente,
non parce qu’elles auraient naturellement des manières de penser et d’agir différentes de celles des
hommes, non parce qu’elles seraient fragiles et incapables, mais parce qu’elles ont ce privilège de la
fécondité et de la reproduction des mâles. »

1. http://www.sosviol.be/
Chapitre 7

L’amnésie traumatique : un mécanisme


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dissociatif pour survivre

Muriel Salmona

P RÉSENTATION

Les amnésies traumatiques complètes ou parcellaires sont un trouble de la mémoire fréquent que l’on
retrouve chez les victimes de violences. De très nombreuses études cliniques ont décrit ce phénomène
bien connu depuis le début du XXe siècle, et qui a été étudié d’abord chez des soldats traumatisés
amnésiques des combats, puis chez les victimes de violences sexuelles, chez qui on a retrouvé près de
40 % d’amnésie complète et 60 % d’amnésie partielle quand les violences ont eu lieu dans l’enfance
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(Brière, 1993 ; Williams, 1994 ; IVSEA, 2015).


Ces amnésies sont des conséquences psychotraumatiques des violences dont les mécanismes neuro-
psychologiques sont une dissociation de sauvegarde (Van der Kolk, 1995, 2001). Depuis 2015, les
amnésies traumatiques dissociatives font partie de la définition de l’État de Stress Post-Traumatique
(DSM5, 2015). Elles peuvent durer plusieurs dizaines d’années et entraîner une amnésie de pans entiers
de l’enfance, presque sans aucun souvenir mobilisable, ce qui entraîne une impression douloureuse
d’être sans passé, ni repère.
Quand l’amnésie se lève, les souvenirs traumatiques reviennent le plus souvent de manière très brutale
et envahissante sous la forme d’une mémoire traumatique fragmentée, non contrôlée, ni intégrée
(flash-backs, cauchemars), faisant revivre les violences à l’identique avec la même détresse et les
mêmes sensations.
Les professionnels du soin devraient mieux connaître ces phénomènes pour accompagner et traiter au
mieux ces réminiscences sans les confondre avec des hallucinations, et pour identifier les violences
72 R EPÉRAGES

subies et leurs conséquences psychotraumatiques. De même, les professionnels de la justice devraient


mieux tenir compte de ce trouble fréquent de la mémoire lors de plaintes pour violences sexuelles
dans un contexte de souvenirs retrouvés et rechercher des preuves et des faisceaux d’indices graves
et concordants pour les corroborer sans mettre a priori en cause le récit de la victime et classer sans
suite la plainte. Enfin, le législateur devrait également prendre en compte les amnésies traumatiques
comme un obstacle insurmontable pour la révélation de violences lors de plaintes très tardives.
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L ESAMNÉSIES TRAUMATIQUES : CONSÉQUENCES
PSYCHOTRAUMATIQUES D ’ ÉVÉNEMENTS TRAUMATIQUES VIOLENTS

L’amnésie traumatique est un trouble de la mémoire faisant partie de l’ensemble de symptômes


cliniques psychiatriques caractéristiques qui apparaissent après l’exposition à un ou plusieurs événe-
ments traumatisants, et qui entrent dans le cadre de l’état de stress post-traumatique (ESPT), trouble
psychotraumatique défini par le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, cinquième
édition (DSM-5, 2015).
L’amnésie traumatique est incluse dans un des 4 critères définissant l’ESPT dans le DSM-5, le critère
D qui comporte des troubles de la cognition et de l’humeur, (les 3 autres critères étant l’intrusion,
l’évitement et les changements dans l’excitation et la réactivité), comme l’« Incapacité de se souvenir
d’éléments importants de l’événement traumatisant (typiquement attribuable à une amnésie disso-
ciative et pas à d’autres facteurs comme une blessure à la tête, ou la consommation d’alcool ou de
drogues) ».
!

Définition clinique de l’amnésie traumatique

L’amnésie traumatique se définit donc cliniquement par l’incapacité de se souvenir en totalité ou


en partie d’éléments importants d’un événement traumatisant, l’American Psychiatric Association
l’a décrite en 2013 comme « une incapacité de se rappeler des informations autobiographiques
importantes, habituellement traumatiques ou stressantes ». Cette incapacité doit être liée à des
mécanismes psychotraumatiques dissociatifs et non à d’autres facteurs comme un traumatisme crânien,
la consommation d’alcool et de drogues (amnésies lacunaires), ou à des phénomènes d’oubli volontaire
et d’oubli physiologique (deux études ont démontré que les personnes traumatisées ayant souffert
d’amnésie traumatique ne présentaient pas plus d’oubli du trauma que celles ayant eu des souvenirs
continus. Geraerts, 2006 ; McNally, 2010).
!

Mécanisme à l’origine d’une amnésie traumatique

Les troubles psychotraumatiques sont des conséquences normales et universelles des violences qui
s’expliquent par la mise en place de mécanismes neuro-biologiques et psychiques de survie face à un
`
stress extrem̂e (McFarlane, 2010 ; Freyd, 2010).
L’amnésie traumatique : un mécanisme dissociatif pour survivre 73

Le mécanisme à l’origine des amnésies traumatiques est neuro-pathologique, non conscient lié au
stress extrême déclenché par le traumatisme et ses réactivations. Ce mécanisme neuro-pathologique
de sauvegarde est considéré par la grande majorité des spécialistes comme étant dissociatif, il est de
mieux en mieux documenté (Van der Kolk, 2001 ; Nijenhuis, 2004, Casey, 2018).
Des évènements traumatiques majeurs peuvent avoir un effet de sidération du psychisme qui paralyse la
victime, l’empeĉhe de réagir de façon adaptée, et empeĉhe son cortex cérébral (préfrontal et cingulaire
antérieur) de control̂er l’intensité de la reáction de stress et sa production d’adrénaline et de cortisol
(Etkin et Wagner, 2007 ; Lanius et al., 2006). Cette sous-modulation émotionnelle entraîne un stress
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extrem̂e, véritable tempet̂e émotionnelle qui envahit alors son organisme et - parce qu’il représente
un risque vital (pour le cœur et le cerveau par l’excès d’adrénaline et de cortisol) (Yehuda, 2007) -
déclenche des mécanismes neurobiologiques de sauvegarde qui ont pour effet de faire « disjoncter » le
circuit émotionnel, et d’entrain̂er une anesthésie eḿotionnelle et physique en produisant des drogues
dures morphine et kétamine-like (Lanius, 2010).
Ce mécanisme fait disjoncter les circuits émotionnels et ceux de la mémoire, et entraîne des troubles
dissociatifs et de la mémoire, responsable d’amnésie traumatique et d’une mémoire traumatique.
!

Aspects cliniques des amnésies traumatiques

Nous avons la preuve médicale empirique et clinique incontestable de la présence fréquente d’amné-
sies traumatiques dans le cadre de troubles psychotraumatiques. Les amnésies traumatiques ont été
rapportées et très bien documentées par toutes les recherches auprès de personnes ayant vécu des
expériences traumatiques susceptibles d’entraîner des troubles psychotraumatiques, c’est-à-dire les
ayant confrontées comme victime directe, témoin ou proche (membre de la famille, ami proche) à une
mort ou une menace de mort violente, des blessures ou des menaces de blessures graves (meurtres,
attentats, massacres, scènes de guerre, tortures, génocides), et à des agressions sexuelles ou des viols.
Plus les évènements traumatiques sont graves et de nature criminelle (meurtres, tentatives de meurtres,
viols, plus la victime est une enfant très jeune, plus les violences sont perpétrées par un membre de
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la famille, plus les amnésies traumatiques sont fréquemment retrouvées. Par exemple l’amnésie pour
des expériences traumatiques majeures telles que la Shoa ou les viols et les agressions sexuelles ont
été rapportée dans toutes les sources (Loewenstein, 1996 ; Brown, 1999 ; Chu, 1999 ; Van der Hart,
2000, Hopper, 2015), et il a été démontré que le fait que les violences soient commises par un parent
ou une personne était un facteur de risque très important d’amnésie traumatique (Freyd, 2001, 2010).
Des études en population générales sur la mémoire des événements traumatiques rapportent que 32 %
de personnes décrivent une période amnésique (Eliott, 1997), 46 % des amnésies partielles ou totales
dans le cadre d’études concernant des populations plus ciblées comme celles des survivants de camps
d’extermination et de concentration (Yehuda, 1998), 44 % des amnésies totales ou partielles dans
le cadre d’études sur des personnes ayant été maltraitées physiquement dans l’enfance (Chu, 1999),
de 19 % à 62 % dans le cadre d’ études sur des personnes ayant subi des violences sexuelles dans
l’enfance (Herman, 1987 ; Brière, 1993 ; Williams, 1994 ; Windom, 1997, Brown, 1999 ; Salmona,
2015),.
74 R EPÉRAGES

Ces amnésies traumatiques peuvent donc être partielles touchant plus particulièrement des éléments
majeurs du trauma, ou totale. Elles peuvent durer des mois, des années, voire des dizaines d’an-
nées (plus de 40-50 ans). Les souvenirs reviennent dans un premier temps de manière non verbale,
fragmentés et sensoriels, puis se constituent progressivement en récit.
Dès les premières recherches cliniques et jusqu’à aujourd’hui sur les amnésies traumatiques, les
mécanismes explicatifs élaborés ont majoritairement fait appel à des processus de dissociation. Van
der Kolk a démontré que les souvenirs revenaient fragmentés sous la forme d’empreintes mentales
dissociées des éléments non verbaux sensoriels et affectifs de l’expérience traumatique : expériences
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visuelles, olfactives, affectives, auditives et kinesthésiques. Au fil du temps, les sujets ont rapporté
l’émergence progressive d’un récit personnel qui peut être correctement appelé « mémoire explicite »
(Janet, 1889 ; Van der Kolk, 1995).
Des études portant sur l’exactitude des souvenirs montrent que les souvenirs ne sont ni plus ni moins
précis que les souvenirs continus des évènements traumatiques. Dans plusieurs études, des recherches
ont été faites pour corroborer les souvenirs retrouvés après amnésie traumatique totale avec un taux
important de succès pour les violences physiques 93 %, et pour les violences sexuelles 89 % dans
l’étude de Chu de 1999, 83 % pour des violences sexuelles dans l’étude d’Herman de 1987, 69 % pour
les violences sexuelles sur des souvenirs retrouvés uniquement en thérapie dans l’étude de Kluft de
1995. Dans toutes les études le déclenchement du rappel du traumatisme se fait le plus souvent en
dehors d’une thérapie, la plupart des personnes étaient seules chez elle.
Dans le cadre des violences sexuelles, les amnésies traumatiques sont d’autant plus fréquentes que ce
sont des enfants qui en ont été victimes, qu’ils étaient très jeunes, qu’il y a eu pénétration et donc
viol, qu’il s’agit de violences sexuelles incestueuses commises par un membre de la famille et que ces
violences ont été répétées (Williams, 1996 ; Salmona, 2015).
Les violences survenues dans l’enfance sont associées à des niveaux plus importants de dissociation.
L’aĝe précoce du début était corrélé avec des symptom̂es dissociatifs plus importants et avec des
niveaux plus élevés d’amnésie pour les violences physiques et sexuelles. Les violences sexuelles
répétées et fréquentes et́aient corrélées avec des niveaux plus importants de dissociation (Terr, 1988 ;
Ross, 1990).
!

Historique de la reconnaissance de l’amnésie traumatique

Connues depuis l’Antiquité, elles ont fait l’objet de publications scientifiques dès le XIXe siècle (Janet,
1889) et elles ont été précisément décrites sur les soldats dans un premier temps pendant la première
guerre mondiale (Myers, 1915 ; Thom, 1920) puis pendant la deuxième guerre mondiale (Kubie, 1943 ;
Archibald, 1956).
Au cours du XXème siècle, parallèlement à la progression de la connaissance des troubles psychotrauma-
tiques et de leur définition clinique, de nombreuses études ont été menées, particulièrement en Israël
et dans une moindre part aux USA sur les survivants des camps de concentration et d’extermination,
et sur les enfants survivants de la Shoa (Dewind, 68 ; Jaffer, 1968 ; Krell, 1993 ; Modai, 1994 ; Somer,
1994 ; Yehuda, 1997 et 1998). Yehuda a retrouvé des amnésies traumatiques chez 46 % des survivants
L’amnésie traumatique : un mécanisme dissociatif pour survivre 75

des camps. et sur les enfants survivants de la Shoa (Mazor, 1990 ; Krell, 1993). Des témoignages des
survivants des expériences sur les jumeaux réalisées à Auschwitz par le Dr Mengele contenaient des
descriptions de dissociations traumatiques telles que : quelques-uns des jumeaux n’avaient aucun
souvenir d’Auschwitz (Lagnado, 1991).
Et sur les vétérans des guerres qui ont suivi la 2e guerre mondiale, Vietnam (Hendin, 1984 ; Karon,
1997), guerres israéliennes (Witztum, Margalit et Van der Hart, 2002), et sur les victimes de tortures
et de massacres (Goldfeld, 1988 ; Kinzie, 1993).
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Dans les années soixante-dix, les troubles psychotraumatiques ont été de plus en plus étudiés sur les
victimes civiles et plus particulièrement sur les femmes victimes de viols et d’agressions sexuelles,
et avec l’émergence de la protection de l’enfance, et la prise de conscience de l’importance et la
gravité des violences faites aux enfants et de la sévérité de leur impact traumatique, sur les enfants
victimes de maltraitance et de violences sexuelles.
En 1980 le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM III) a défini cliniquement
l’État de Stress Post-Traumatique, et en 1984 une définition clinique de l’ESPT a été élaborée pour les
enfants avant 6 ans.
À partir de ces années quatre-vingt de nombreuses études ont alors été consacrées aux conséquences
sur la santé mentale et physique des enfants des agressions sexuelles et des viols subis dans l’enfance,
toutes ces études ont rapporté un pourcentage important d’amnésies traumatiques et de souvenirs
tardifs.
Ces études qui ont été faites sur des cohortes de victimes adultes suivies en psychiatrie ayant subi
des violences sexuelles dans l’enfance, des cohortes en population générale dans le cadre d’enquêtes
de victimation, et de façon prospective et rétrospective.

L ESAMNÉSIES TRAUMATIQUES DANS LE CADRE DES TROUBLES


PSYCHOTRAUMATIQUES CONSÉCUTIFS AUX VIOLENCES SEXUELLES
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Ces amnésies traumatiques sont d’autant plus fréquentes que les violences sexuelles font partie des
événements traumatiques les plus graves, avec le plus d’impact psychotraumatique, qu’elles sont
répandues avec des chiffres de viols très importants, qu’elles sont subies en majorité par les enfants,
et qu’elles sont presque toujours commises par des proches, et dans plus de la moitié des cas dans par
un membre de la famille. Les violences sexuelles cumulent donc tous les plus importants facteurs
de risque étudiés de survenue d’amnésie traumatique.
!

Les troubles psychotraumatiques

Avec un risque de développer un état de stress post-traumatique chronique associé à des troubles
dissociatifs très élevés chez plus de 80 % des victimes de viol, contre seulement 24 % pour l’ensemble
des traumatismes (Breslau, 1991). Ce taux approche 87 % en cas de violences sexuelles ayant eu
76 R EPÉRAGES

lieu dans l’enfance (Rodriguez, 1997). Près de 70 % des victimes interrogées dans notre étude IVSEA
présentaient des troubles dissociatifs.

En France

L’enquête Cadre de vie et sécurité (CVS 2010-2015 ONDRP-INSEE) a montré que :


72 % des femmes adultes ayant vécu un viol ou une tentative de viol déclarent que ces agressions
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ont causé des dommages psychologiques importants.
Notre enquête « Impact des Violences Sexuelles de l’Enfance l’âge Adulte » (IVSEA, 2015) auprès de
1214 victimes de violences sexuelles a montré que :
95 % des répondant.e.s ont déclaré avoir des conséquences sur leur santé mentale, et 69 % sur
leur santé physique,
➙ 1 victime sur 2 a tenté de se suicider,
➙ 1 victime sur 2 a souffert de troubles addictifs,
➙ 1 victime sur 3 de troubles alimentaires,
➙ 1 victime sur 3 a présenté des conduites à risque et des mises en danger, et a vécu des périodes de
grande précarité.
!

Les chiffres de violences sexuelles

Dans le Monde, 120 millions de filles (une sur dix) ont subi des viols (Unicef, 2014), et un rapport
récent de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS, 2014), souligne que près de 20 % des femmes
et 5 à 10 % des hommes rapportent avoir subi des violences sexuelles pendant leur enfance.

En France

L’enquête Cadre de Vie et Sécurité de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales
(ONDRP-INSEE 2012-2017) a pu mesurer qu’en 2016, 0,4 % des femmes de 18 à 75 ans : soit 93 000
environ, ont déclaré avoir été victimes de viols et de tentatives de viols l’année précédant l’enquet̂e
contre 0,1 % des hommes soit 15 000. Sachant qu’il manque toujours les chiffres concernant les viols
subis par les mineur.e.s (l’enquête Contexte de la sexualité en France CSF de l’INSERM et de l’INED
de 2006 publiée en 2008 indique que plus 59 % des viols et des tentatives de viols sont commis sur
des mineures, et sur les mineurs), 130 000 viols et tentatives de viols par an pour les filles et 35 000
pour les garçons.
Toujours selon l’enquête ONDRP-INSEE 2012-2017, en ce qui concerne les victimes adultes, 90 % des
viols sont commis par une personne connue de la victime et dans 47 % des cas il s’agit du conjoint ou
d’un ex-conjoint.
Pour les enfants dans le cadre de l’enquet̂e Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’aĝe adulte
(IVSEA), de l’association Mémoire traumatique et victimologie :
L’amnésie traumatique : un mécanisme dissociatif pour survivre 77

81 % des victimes de violences sexuelles (viols et agressions sexuelles) ont subi les premières violences
avant l’aĝe de 18 ans, 51 % avant 11 ans, et 23 % avant 6 ans.
Dans 96 % des cas les violences sexuelles sont commises par une personne connue de l’enfant, dans
50 % des cas il s’agit d’un membre de la famille.
!

Les chiffres concernant les amnésies traumatiques consécutives


à des violences sexuelles
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Les viols et les agressions sexuelles ont été rapportés dans toutes les sources (Loewenstein, 1996 ;
Brown, 1999, Van der Hart, 2000, Hopper, 2015).
Pour ne présenter que ceux qui sont le plus cités internationalement :
" 59,3 % des victimes de violences sexuelles dans l’enfance ont des périodes d’amnésie totale ou
parcellaire (Brière, 1993) ;
" Des études prospectives aux États-Unis (Williams, 1995, Widom, 1996) ont montré que 17 ans et 20
ans après avoir été reçues en consultation dans un service d’urgence pédiatrique, pour des violences
sexuelles qui avaient été répertoriés dans un dossier, 38 % des jeunes femmes interrogées pour la
première étude et 40 % pour l’autre ne se rappelaient plus du tout les agressions sexuelles qu’elles
avaient subies enfants.
" En France nous avons les chiffres de l’enquête Impact des violences de l’enfance à l’âge adulte de
notre association Mémoire Traumatique et Victimologie réalisée en 2015 avec le soutien de l’UNICEF
(IVSEA, 2015) :
" Plus d’un tiers (37 %) des victimes mineur-e-s au moment des faits rapportent avoir présenté une
période d’amnésie traumatique après les violences ;
" Ce chiffre monte à 46 %, soit près de la moitié d’entre elles, lorsque les violences sexuelles ont
été commises par un membre de la famille. Ces amnésies traumatiques peuvent durer jusqu’à 40
ans et même plus longtemps dans 1 % des cas. Elles ont duré entre 21 et 40 ans pour 11 % des
victimes, entre 6 et 20 ans pour 29 % d’entre elles et de moins de 1 an à 5 ans pour 42 % d’entre
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elles.
" Toutes les études montrent également que les souvenirs retrouvés sont fiables et en tout point
comparables avec des souvenirs traumatiques qui avaient été toujours présents (souvenirs continus)
chez d’autres victimes, et qu’ils réapparaissaient le plus souvent brutalement et de façon non
contrôlée « comme une bombe atomique», avec de multiples détails très précis et accompagnés
d’une détresse, d’un sentiment d’effroi, de sidération et de sensations strictement abominables.
!

Le mécanisme neuro-psychologique

Le mécanisme en cause de ces amnésies traumatiques, nous l’avons vu est avant tout un mécanisme
dissociatif de sauvegarde que le cerveau déclenche pour se protéger de la terreur et du stress extrême
générés par les violences, et qui entraîne une hyper-inhibition cortico-limbique de la réponse émotion-
nelle (Lanius et al, 2006, 2010). Ce mécanisme qui fait « disjoncter » les circuits émotionnels et de
78 R EPÉRAGES

la mémoire, et entraîne des troubles de la mémoire, va faire co-exister chez la victime des phases
d’amnésie dissociative (amnésie traumatique) et des phases d’hypermnésie traumatique (mémoire
traumatique) (Desmedt, 2012 ; Daniels et al., 2012).
Cette disjonction s’accompagne d’un sentiment d’étrangeté, d’irréalité et de dépersonnalisation,
comme si la victime devenait spectatrice de la situation puisqu’elle la perçoit sans émotion (Spiegel
et al., 2013). Parallèlement à la disjonction du circuit émotionnel, se produit une disjonction du circuit
de la mémoire. La mémoire sensorielle et émotionnelle de l’événement contenue dans l’amygdale
cérébrale est isolée de l’hippocampe (une autre structure cérébrale qui gère la mémoire et le repérage
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temporo-spatial, sans elle aucun souvenir ne peut être mémorisé, ni remémoré, ni temporalisé). Lors
de la disjonction l’hippocampe ne peut pas faire son travail d’encodage et de stockage de la mémoire,
celle-ci reste dans l’amygdale sans être traitée, ni transformée en mémoire autobiographique. Cette
mémoire émotionnelle, « boîte noire des violences» piégée hors du temps et de la conscience est
la mémoire traumatique (Ledoux, 1997 ; Van der Kolk, 2001 ; Shin et al., 2005 ; Salmona M., 2012,
2013).
Tant que la victime sera exposée à des violences ou à la présence de l’agresseur ou de ses complices,
elle sera déconnectée de ses émotions, dissociée. La dissociation, système de survie en milieu très
hostile, peut alors s’installer de manière permanente donnant l’impression à la victime de devenir un
automate, d’et̂re dévitalisée, confuse, comme un « mort-vivant» . Cette dissociation isole encore plus
la victime, explique les phénomènes d’emprise et désoriente toutes les personnes qui sont en contact
avec elle (Salmona, 2015).
Pendant la dissociation, l’amygdale et la mémoire traumatique qu’elle contient est déconnectée,
et la victime n’aura pas accès émotionnellement et sensoriellement aux événements traumatiques.
Suivant l’intensité de la dissociation, elle pourra et̂re amneśique de tout ou partie des événements
traumatisants, seules resteront quelques images très parcellaires, des bribes d’émotions envahissantes
ou certains détails périphériques isolés. Ce phénomène peut perdurer de nombreuses années, voire
des décennies tant que la personne reste dissociée.
La dissociation est donc un mécanisme de survie qui permet à la victime de ne pas ressentir le stress
extrême et la terreur en permanence, ce qui représenterait un risque vital, mais elle ne protège pas du
psychotraumatisme, au contraire celui-ci se chronicise et s’aggrave si d’autres violences sont subies.
En quelque sorte la plaie reste ouverte, mais avec l’anesthésie elle semble « cicatrisée ». Le fait d’être
anesthésiée et de ne plus avoir d’alarme émotionnelle, expose la victime d’autant plus à des dangers, à
de nouveaux traumas et à des mises sous emprise qu’elle ne pourra pas éviter et dont elle n’aura pas la
possibilité de se défendre, l’amygdale cérébrale va se charger de plus en plus en mémoire traumatique.
Lors de la dissociation cette mémoire traumatique envahira et colonisera la victime mais de manière
fragmentée, sans connotation émotionnelle, ni état de stress. L’absence de connotation émotionnelle
la rend en quelque sorte indifférente, comme sans importance.
Quand l’amnésie traumatique est partielle, cela va faire co-exister des fragments de mémoire trau-
matique dissociés et anesthésiés qui correspondront aux situations de violences les plus graves
et terrorisantes, avec des fragments de mémoire traumatique qui eux ne seront pas dissociés et seront
ressentis et qui généreront des états de stress, de malaise voire de panique qui correspondront à des
L’amnésie traumatique : un mécanisme dissociatif pour survivre 79

situations de violences moins terrorisantes et à des détails contextuels périphériques par exemple
comme des objets, une couleur, des bruits, une heure de la journée, un lieu, un temps pluvieux
ou au contraire ensoleillé, etc. Lors d’une amnésie traumatique complète, il peut y avoir des frag-
ments de mémoire traumatique uniquement contextuels qui génèrent des sensations et un malaise
incompréhensibles.
Mais si la dissociation disparaît, ce qui peut se produire quand la victime est enfin protégée et sécuri-
sée, c’est-à-dire qu’elle n’est plus en permanence confrontée à des violences, à son agresseur, à ses
complices ou au contexte des agressions, alors la mémoire traumatique peut se reconnecter et elle
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peut « s’allumer » lors de liens rappelant les violences comme un lieu, un objet, une odeur, un bruit,
une chanson, une couleur ou une texture, ou comme le fait d’entendre ou de lire un témoignage, de
voir un documentaire, ou de subir une situation stressante ou traumatisante : d’autres violences, un
accident, un examen médical ou une intervention chirurgicale, le décès d’un proche, une catastrophe
naturelle etc. (les exemples donnés sont tirés de situations réelles). La mémoire traumatique envahit
l’espace psychique de la victime lui faisant revivre les violences comme une machine à remonter le
temps. et c’est une torture pour la victime qui sera obligée de mettre en place des stratégies de
survie pour essayer d’y échapper : conduites d’évitement de tout ce qui pourrait l’allumer, et conduites
dissociantes pour à nouveau la déconnecter et l’anesthésier : drogues, alcool et conduites à risque
et mises en danger qui font redéclencher la disjonction en produisant un stress extrême. La victime
va donc osciller entre des périodes de dissociation avec d’importants troubles de la mémoire qui
peuvent aller jusqu’à une amnésie complète et des périodes d’activation de la mémoire traumatique
où elle va revivre de façon hallucinatoire les violences. Cette mémoire traumatique peut se traiter, les
événements traumatiques seront alors intégrés en mémoire autobiographique, mais malheureusement
les professionnels ne sont pas formés à la psychotraumatologie et l’immense majorité des victimes de
violences sexuelles dans l’enfance sont abandonnées (83 % des victimes de violences sexuelles dans
notre enquête IVSEA de 2015 n’ont jamais été ni protégées, ni reconnues) et ne sont ni identifiées, ni
protégées ni soignées.
Le retour des souvenirs traumatiques, s’il est très éprouvant, est une chance pour la victime d’enfin
récupérer son histoire et sa vérité, de pouvoir retrouver sa capacité à se protéger et se défendre,
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et d’accéder à des soins qui lui permettront de traiter ses traumatismes. Le manque d’information et de
professionnels formés peut transformer cette chance en un enfer qui peut conduire la victime à se
considérer ou être considérée comme folle, avec parfois une prise en charge psychiatrique inadaptée
et très invalidante.
Dans les études sur l’amnésie traumatique la plupart des participantes qui ont rapportéúne amnésie
comple te des violences physiques ou sexuelles subies ont eu leur première remémoration des violences
`
alors qu’elles étaient seules et chez elles. Peu de participantes ont déclaré s’et̂re rappelées les violences
lors d’une séance de thérapie. Les souvenirs des violences réapparaissent sous la forme de flash-backs,
de cauchemars, de réminiscences sensorielles et kinesthésiques avec des souvenirs retrouvés. Ensuite,
une mémoire narrative a commencé à émerger (Williams, 1994 ; Chu, 1999, Van der Kolk, 2001).
La méconnaissance des phénomènes psychotraumatiques, de la réalité et de la fréquence des violences
sexuelles commises sur des mineurs font que les victimes qui ont des réminiscences traumatiques ne
80 R EPÉRAGES

sont le plus souvent pas crues. On leur renvoie qu’il s’agit de fantasmes, d’hallucinations rentrant dans
le cadre de psychoses, ou bien de faux souvenirs.
À la fin des années 1990, aux États-Unis, au moment où des plaintes ont commencé à être déposées
et prises en compte par les tribunaux après des remémorations, une polémique s’est développée autour
d’une association (The False Memory Syndrome Foundation) dénonçant ces remémorations comme
étant des faux souvenirs induits par des psychothérapeutes. Cette association décrivait même une
épidémie de dénonciations de violences sexuelles dans l’enfance basées sur ce « syndrome des faux
souvenirs ». Cette contestation reposait sur le fait que des traumatismes aussi graves ne pouvaient
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pas être oubliés et que des thérapeutes trop zélés greffaient ces faux souvenirs chez leurs patients.
Des scientifiques aux USA et en Israël se sont alors mobilisés pour démontrer que les amnésies
traumatiques existaient bel et bien, et qu’elles étaient prouvées par de très nombreuses études dont
les études prospectives citées plus haut, et que les souvenirs retrouvés étaient très rarement liés à
des remémorations survenues lors de psychothérapies.
Les auteurs passent en revue 68 études basées sur des données spécifiquement sur l’amnésie et la
récupération ultérieure des souvenirs pour l’abus sexuel d’enfance, chacun présentant des preuves
favorisant l’amnésie et des souvenirs récupérés pour des abus sexuels chez certains individus. Ces
études ont été menées en utilisant une variété d’approches méthodologiques et des améliorations
progressives dans la conception de la recherche qui répondaient à chaque critique avancée par les
promoteurs de fausses mémoires (Brown, 1999).
Dans le contexte d’une controverse concernant l’amnésie et les souvenirs retrouvés, toutes les études
fournissent des preuves de l’apparition d‘une amnésie des expériences traumatiques de l’enfance et de
la récupération ultérieure des souvenirs. et plusieurs études qui ont recherché de façon indépendante
à corroborer les souvenirs retrouvés ont montré des taux importants de corroboration du même ordre
que lors de souvenirs continus sans amnésie, plus élevés lors récupérations qui se sont produites
en dehors de thérapie (Geraerts, 2007). En ce qui concerne les souvenirs retrouvés dans le cadre
d’une thérapie, les taux sont moins élevés et il est possible que des souvenirs soient inexacts ou
qu’il existe pour un pourcentage faible le risque de souvenirs induits (Hyman, 1992 ; Loftus, 1995).
Des protocoles expérimentaux ont démontré, dans des conditions ne reproduisant pas, par définition,
des événements traumatiques (ce qui est exclu sur le plan éthique), une malléabilité de la mémoire
face à des suggestions, et que suivant les expérimentations 6 et 25 % des participant.e.s pouvaient
présenter des pseudo-souvenirs de faux évènements.
« En reṕonse aux démonstrations expérimentales de la malleábilité de la meḿoire, certains chercheurs
ont émis l’hypothèse que la mémoire d’événements traumatiques bien réels est différente de la meḿoire
des expériences de la vie courante ou en laboratoire. Par exemple, les chercheurs ont suggéré (comme
présenté plus haut) que les souvenirs traumatiques sont séparés et stockés en dehors de la mémoire
narrative ordinaire et qu’ils sont donc moins sujets à la survenue de modifications en réponse a de
nouvelles expériences (Crabtree, 1992 ; Van der Kolk 1999, McFarlane, 2010),. Contrairement aux mémoires`
narratives qui sont intégratives, malléables et ajustées dans les schémas cognitifs personnels de l’individu,
les souvenirs traumatiques sont dits inflexibles, non narratifs, automatiques, déclencheś et déconnectés
de l’expérience ordinaire. Cette non-intégration est considérée comme la base du fait que la mémorisation
comporte- mentale, la sensation somatique ou les images intrusives sont déconnectées de la meḿoire
verbale consciente. Du fait que les souvenirs traumatiques ne sont pas assimilés, ils conservent leur force
originelle, « oublieś et donc inoubliables » (Van der Kolk, 1991). Alors que la mémoire narrative ordinaire
L’amnésie traumatique : un mécanisme dissociatif pour survivre 81

est dynamique et qu’elle se modifie et se dégrade au fil du temps, la mémoire traumatique a été décrite
comme « indélébile » (Ledoux, 1992).

Au total, les études suggèrent fortement que la psychothérapie n’est généralement pas associée
à la rećupération de la mémoire, et que les souvenirs de violences retrouvés peuvent et̂re
fréquemment vérifiés de façon indépendante.
Cette idée est confirmée par des recherches récentes montrant que les personnes rapportant des souve-
nirs spontanément récupérés montrent une tendance frappante à oublier les incidences antérieures de
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ce souvenir lorsque ces extractions antérieures ont eu lieu dans un contexte de récupération différent.
Cette constatation suggère que ce groupe, dans son ensemble, peut simplement ne pas se souvenir de
ses pensées antérieures au sujet d’une incidence réelle de l’ASC (Geraerts et al., 2007)
Pour rappel les fausses allégations de violences sexuelles chez les personnes qui portent plainte sont
rares : une étude aux USA de 2010 très documenteé les estime à moins de 6 %, et une autre de
Rumney en 2006 les estime de 3 % à 8 %, et une étude de Trocmé qui analyse les fausses allégations
de violences sexuelles commises sur des enfants les évaluent à 6 %, ces dernières ne sont pas le fait
des enfants mais surtout de proches voisins et de parents qui n’ont pas la garde de l’enfant (Lisak,
2010 ; Rumney P. 2006, Trocmé N., 2005).
En revanche les amnésies traumatiques sont fréquentes et les souvenirs retrouvés doivent être
pris en considération par les professionnels de la santé et les professionnels des forces de l’ordre
et de la justice.
En particulier, lorsque les souvenirs sont fragmentaires, les cliniciens doivent les considérer comme
valides sur le plan psychologique, et lorsque la mémoire récupérée commence à remplacer l’amneśie,
les cliniciens doivent permettre aux patients de reconstituer - sans suggestion une histoire personnelle
compatible avec les symptom̂es passés et actuels.

LA PRISE EN CHARGE MÉDICALE ET PSYCHOLOGIQUE


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Les professionnels de la santé sont le premier recours pour les victimes de violences sexuelles mais
malheureusement ils ne sont que très peu à être formés, que ce soit en initial ou en continu (ONDRP
2012-2017). Leur rôle est primordial pour dépister les violences sexuelles et les dangers courus par
les victimes (risque suicidaire ou de mises en danger, menaces de mort, nouvelles violences) et donc
les protéger et leur prodiguer les soins spécifiques dont elles ont besoin.
Les violences sexuelles sont un problème majeur de santé publique, les médecins elles autres soi-
gnants doivent systématiquement dépister les violences et les psychotraumatismes, ils doivent savoir
rechercher et diagnostiquer un état de stress post-traumatique, des troubles dissociatifs, une mémoire
traumatique. Avoir subi des violences sexuelles dans l’enfance étant le premier facteur de risque chez
les femmes de subir à nouveau des violences, devant toute violence déclarée d’une patiente (violence
sexuelle, violence conjugale, violence au travail, etc.) il est important pour le professionnel de santé
de rechercher d’autres violences antérieures. Le seul fait de se préoccuper de l’existence de violences
antérieures ou d’autres violences subies lors de violences qui sont rapportées peut permettre aux
82 R EPÉRAGES

victimes de sortir de leur amnésie traumatique partielle ou totale (il s’agit d’un processus dissociatif
qui fait que les souvenirs sont là mais dissociés, ils ne sont pas mobilisables car ils ne sont pas
connotés émotionnellement, ils sont perdus dans un « brouillard épais », si la personne est sécurisée
et qu’on lui demande de rechercher des souvenirs elle peut alors en identifier certains, d’autres
resteront possiblement inaccessibles).
Que ce soit lors des périodes d’amnésie traumatique dissociative totale ou partielle (qui est encore
plus fréquente, autour de 60 % et qui concerne le plus souvent les souvenirs des violences les plus
graves, Breslau, 1991) ou lors des retours de souvenirs, les psychotraumatismes que présentent les
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victimes nécessitent des soins spécialisés en psychotraumatologie par des professionnels formés. Ne
pas proposer de soins spécifiques à une victime traumatisée par des violences sexuelles représente une
grave perte de chance pour sa santé mentale et physique. Les violences sexuelles ont un impact neuro-
pathologique sur le cerveau avec des atteintes neurologiques, et les troubles psychotraumatiques
(mémoire traumatique, dissociation traumatique, état de stress, et toutes leurs conséquences en terme
de stratégies de survie : conduite d’évitement et conduites dissociantes à risque) sont un facteur de
risque majeur à court, moyen et long terme pour la santé de la victime (Felitti et Anda, 2010 ; Mc
Farlane, 2010 ; Hillis, 2016), leur prise en charge et le traitement psychothérapique de la mémoire
traumatique permettent d’éviter la majeure partie des conséquences sur la santé et de réparer les
atteintes neurologiques.
Les victimes présentant des amnésies traumatiques partielles ou totales sont dissociées (mécanisme de
survie) et en grand danger de subir à nouveau des violences ou des situations à risque, la dissociation
entraîne une anesthésie émotionnelle et corporelle qui fait qu’il est très difficile pour la victime de
s’opposer et de se défendre, et qui rend tolérable de nombreuses situations violentes ou à risque avec
un seuil de tolérance à la douleur élevé. Cette tolérance à la douleur est un facteur de risque de
laisser développer des pathologies traumatiques et somatiques sans recourir à des soins. De plus la
dissociation fait apparaître la victime comme indifférente, les professionnels qui la prenne en charge
pourtant être contaminés par l’anesthésie émotionnelle et ne pas se rendre compte du danger que la
victime court et de la gravité de son état et de sa souffrance, et manquer d’empathie (les neurones
miroirs qui normalement informent sur l’état émotionnel d’autrui ne sont pas activés face à quelqu’un
de dissocié, ils ne renvoient aucune alerte émotionnelle, si les professionnels ne sont pas formés à
reconnaître un état dissociatif, ils peuvent ne pas être protecteurs, voire même maltraitant vis-à-vis
de la victime).
Quand les victimes ont retrouvé leurs souvenirs, que ce soit en-dehors de la thérapie (ce qui est
le plus fréquent comme on l’a vu) ou dans le cadre d’une thérapie, elles vont être dans un premier
temps submergées par une mémoire traumatique qui va les envahir de façon incontrôlée et leur faire
revivre à l’identique les violences du passé comme une machine à remonter le temps, avec dans un
premier temps des fragments plus ou moins importants sous forme de flashbacks sensoriels (images,
odeurs, sons, mots ou phrases), cénesthésiques (sensations corporelles, douleurs), kinesthésiques
(sensations de mouvements) et émotionnels (sidération, terreur, panique, détresse, désespoir, colère,
révolte, etc.), de cauchemars. La mémoire traumatique fait revivre à la victime à la fois ce qu’elle
a vu, entendu, fait et ressenti, mélangé (sans aucune intégration, ni possibilité d’analyse) avec ce
qu’a fait l’agresseur, avec ses paroles, ses cris, sa haine, son mépris, son excitation perverse, ce qui
L’amnésie traumatique : un mécanisme dissociatif pour survivre 83

peut donner à la victime l’impression d’entendre des voix, d’avoir l’impression de mourir ou d’être en
danger de mort, d’être assaillie, mais également de s’attaquer, de s’injurier, de se culpabiliser d’être
un monstre ou d’être habitée par un monstre, d’être envahie par une violence extrême, d’être excitée
alors qu’il s’agit de la mémoire traumatique provenant de l’agresseur, de ce qu’il a dit, ressenti et fait
(Salmona, 2013, 2015).
L’explosion soudaine de cette mémoire traumatique est extrêmement éprouvante, paniquante et trau-
matisante pour la victime, elle peut lui donner l’impression de devenir folle, et être prise par les
professionnels de santé pour une bouffée délirante ou des hallucinations, et être traitée comme
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telles avec une hospitalisation et la mise sous un traitement neuroleptique. Il est essentiel que les
victimes puissent être rassurées et sécurisées, qu’elles soient informées de ce qu’il leur arrive avec
des explications détaillées, et qu’une prise en charge du stress et de la mémoire traumatique soit
immédiatement engagée pour moduler le stress (avec des bêtabloquants, une sécurisation et des
exercices de respiration) et désamorcer la mémoire traumatique (avec des paroles rassurantes, des
liens pour analyser la situation, la rapporter et la contextualiser par rapport aux violences du passé,
et pour identifier et séparer ce qui provient de la victime ou de l’agresseur), et permettre à la victime
de reprendre pied dans le présent, dans ses ressentis et sa perception d’elle-même, tout en analysant
ce qui s’est revécu du passé.
Le traitement de la mémoire traumatique permet de l’intégrer et de la transformer, pas à pas, en
mémoire autobiographique.
Il s’agit de « réparer » l’effraction psychique initiale, la sidération psychique liée à l’irreprésentabilité
des violences (Steele, 1990 ; Van der Kolk, 2001, Salmona, 2012). Cela se fait en « revisitant » le
vécu des violences pour qu’il puisse petit à petit devenir intégrable, car mieux représentable, mieux
compréhensible, en mettant des mots sur chaque situation, sur chaque comportement, sur chaque
émotion, en analysant avec justesse le contexte, ses réactions, le comportement de l’agresseur.
Cette analyse poussée permet aux fonctions supérieures de reprendre le control̂e des réactions de
l’amygdale cérébrale et d’encoder la mémoire traumatique émotionnelle pour la transformer en mémoire
autobiographique consciente et control̂able (Nijenhuis, 2004) et de produire un récit des violences qui
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devient de plus en plus juste et cohérent (Van der Kolk, 2001). Il a pour but également de décoloniser
la victime des violences et de l’agresseur et de lui permettre d’être à nouveau ou enfin elle-même (Van
der Hart, 2010 ; Salmona, 2013).
Quand la mémoire traumatique est intégrée en mémoire autobiographique, le psychotraumatisme est
traité, il n’y a plus de sensation de danger permanent, de nécessité d’être continuellement en état
d’alerte, et les stratégies de survie (conduites d’évitement et de contrôle, et conduites dissociantes
risque pour s’anesthésier comme les conduites addictives et les mises en danger) deviennent inutiles,
et il n’y a plus de troubles cognitifs, les atteintes neurologiques sont réparées (Ehling, 2003).
84 R EPÉRAGES

LA PRISE EN CHARGE JUDICIAIRE

Il est évident que l’amnésie traumatique dissociative représente un obstacle majeur pour que les droits
des victimes à être protégées et à porter plainte soient respectés.
Les plaintes en cas d’amnésie partielle aboutissent souvent à des classements sans suite (pour rappel
près de 70 % des plaintes pour viol sont classées sans suite, Le Goaziou, 2016) en raison d’un récit qui
n’est pas suffisamment cohérent pour les enquêteurs et les troubles dissociatifs vont être interprétés
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comme des éléments mettant en cause la crédibilité de la victime, ou comme la preuve, puisque la
victime semble indifférente, que les violences alléguées n’ont pas traumatisé la victime (alors que
c’est l’inverse), le procureur ayant l’opportunité des plaintes.
En cas d’amnésie totale et de retours des souvenirs, les souvenirs retrouvés sont souvent considérés
comme de faux souvenirs et donc des fausses allégations (alors que les fausses allégations sont très
rares, et avec l’idée fausse qu’il est impossible d’oublier des violences aussi graves que des violences
sexuelles) et si la victime n’a pas bénéficié d’un bon accompagnement juridique et d’une prise en
charge psychothérapique de sa mémoire traumatique, le récit va être là aussi considéré comme trop
fragmentaire et incohérent pour être utilisable et la plainte va être classée sans suite.
Lors du recouvrement des souvenirs, l’explosion de la mémoire traumatique peut être telle qu’elle
va être prise pour une bouffée délirante ou une entrée dans une psychose et traitée avec de lourds
traitements neuroleptiques, lors de la plainte la victime va être considérée comme psychiatrique et il
y a un risque important que son récit ne soit pas considéré comme crédible et que la plainte soit
classée sans suite.
De plus, les amnésies traumatiques sont responsables de plaintes tardives qui vont être considérées
comme difficiles à traiter sur le plan judiciaire, et comme se résumant à enquêter sur paroles contre
paroles si l’agresseur nie les faits, ce qui entraîne fréquemment des classements sans suite, cela ne
devrait pas être le cas, les enquêtes pouvant recueillir des faisceaux d’indices graves et concordants
tout à fait suffisants pour instruire la plainte (récit détaillé, parcours de la victime scolaire et personnel,
carnet de santé, troubles psychotraumatiques typiques, journal intime, photos, personnes à qui la
victime a parlé, témoins, autres victimes, stratégie de l’agresseur, etc.).
Souvent le temps que les victimes de violences sexuelles recouvrent leurs souvenirs et puissent traiter
leur psychotraumatisme et accéder à un récit cohérent, il est trop tard, les délais de prescription
sont dépassés : les délais sont actuellement pour les majeur.e.s de 20 ans pour les viols et de 6
ans pour les agressions sexuelles, et pour les mineur.e.s de 20 ans après la majorité pour les viols
et pour les agressions sexuelles si elles sont commises sur des mineur.e.s de quinze ans et si elles
sont accompagnées de circonstances aggravantes, et de 10 ans après la majorité pour les agressions
sexuelles sur mineur.e.s de plus de quinze ans sans circonstance aggravante (il est toujours possible
même si les viols ou les agressions sexuelles sont prescrits de signaler les infractions au procureur
de la République, qui si vous lui faites part de votre conviction qu’il y a d’autres victimes dont les
faits de violences ne sont pas prescrits, ou s’il retrouve d’autres signalements concernant le même
agresseur pourra décider de déclencher une enquête).
L’amnésie traumatique : un mécanisme dissociatif pour survivre 85

Si les personnes ayant retrouvé des souvenirs portent plainte pour les faits de violences sexuelles auprès
des autorités, les professionnels de la police, de la gendarmerie et de la justice doivent rechercher
comme pour des souvenirs continus des preuves et des faisceaux d’indices pour les corroborer.
Si les viols ou les agressions sexuelles sont prescrits quand la victime a retrouvé ses souvenirs et a pu
enfin produire un récit cohérent de ce qu’elle a vécu pour pouvoir porter plainte, l’amnésie traumatique
devrait être reconnue comme un obstacle majeur suspendant la prescription pour permettre à la
victime d’exercer ses droits à d déclencher une action publique : Art. 9-3.- « Tout obstacle de droit,
prévu par la loi, ou tout obstacle de fait insurmontable et assimilable à la force majeure, qui rend
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impossible la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique, suspend la prescription » (la loi
n° 2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale.
Les amnésies traumatiques dissociations qui peuvent durer 10, 20, 30 et plus de 40 ans sont une
des raisons majeures que nous réclamions une imprescriptibilité des crimes sexuels et des agressions
sexuelles accompagnées de circonstances aggravantes, ou tout au moins un rallongement des délais
de prescription après la majorité des victimes de violences sexuelles mineur.e.s de 20 à 30 ou 40 ans

C ONCLUSION

Les amnésies traumatiques lors de violences sexuelles sont fréquentes et peuvent durer des années,
voire plusieurs dizaines d’années, particulièrement quand les faits sont commis sur enfants, qu’ils
sont incestueux, criminels, et quand les victimes sont restées en contact avec l’agresseur ou avec le
contexte de l’agression. Du fait de ces amnésies traumatiques, de nombreuses victimes ne vont pas
pouvoir révéler les crimes ou délits qu’elles ont subis, elles ne pourront donc être ni identifiées, ni
protégées, ni prises en charge.
Les amnésies traumatiques représentent donc un facteur de sous-évaluation des violences sexuelles
et de perte de chance pour les victimes. Elles constituent alors de fait, un obstacle pour la victime
pour être protégée et mettre en route l’action publique et devraient pouvoir être reconnues comme
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des obstacles insurmontables qui entraînent une suspension du délai de prescription. Elles justifient
également une augmentation du délai de prescription, mais sans une imprescriptibilité ces délais
seront toujours insuffisants pour permettre à toutes les victimes de pouvoir porter plainte.
Il est essentiel pour tous les professionnels prenant en charge des victimes de violences d’être formés
sur les conséquences psychotraumatiques dont les amnésies traumatiques dont ils doivent tenir compte
par rapport au dépistage des violences et à leur prise en charge. Il est également essentiel que lors
des retours des souvenirs, les victimes soient entendues et que leurs remémorations soient prises en
compte par les professionnels. Les victimes doivent pouvoir bénéficier de protection, de soins adaptés
et d’accès à la justice.
Chapitre 8

Être victime de soi-même ?


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La personnalité prométhéenne

Didier Bourgeois

L A VICTIMOLOGIE S’INTÉRESSE AU MODE d’être-au-monde des victimes, à leur statut psycho-social en tant
que facteur de risque. Parmi les victimes spécifiques, c’est-à-dire celles dont le statut victimaire
découle pour partie de leur fonctionnement, on décrit souvent les personnalités psychopathiques,
sujettes à des « histoires à histoires », les personnalités abandonniques, si sensibles au rejet sous
toutes ses formes qu’elles le suscitent souvent et en pâtissent de façon répétée, les personnalités
paranoïaques qui se retrouvent parfois en difficulté existentielle massive du fait de leur quérulence
morbide, inadaptée. Il en est d’autres. La souffrance psychique et la vulnérabilité des sujets découlent
souvent de la rencontre d’une personnalité avec un environnement qui en catalyse les distorsions
relationnelles, car pour certains, il s’agira de trouver exactement la niche contextuelle qui les fera
s’épanouir en tant que victimes, on est un peu dans une écologie victimaire. Le contexte socio-
professionnel actuel en occident est âpre et les sujets de personnalité prométhéenne (SPP) se heurtent
souvent à un environnement qu’au fond ils recherchent inconsciemment, sinon suscitent.
Dans le cadre de la médecine du travail, en tant qu’expert agréé par les comités médicaux, en simple
consultation de psychiatrie, plus rarement en tant que psychothérapeute car ces sujets ne sont pas
en demande de changement, il arrive au professionnel de santé mentale de rencontrer un type de
personnalité, assez stéréotypé dans son positionnement existentiel, la personnalité prométhéenne. Ce
terme fait référence au personnage de la mythologie grecque antique : Prométhée. Ce héros malheureux
fut condamné à un supplice affreux pour avoir pris le parti des titans dans le combat qui les opposait
aux dieux de l’Olympe. Démasqué, il fut enchaîné à un rocher, offert au bec acéré d’un rapace qui lui
dévorait sans cesse le foie, celui-ci se régénérant à chaque fois pour rendre éternelles la sentence
et consacrer leur souffrance. Cette scène fait partie de l’iconographie masochiste.
Le SPP s’expose au risque, au nom d’un besoin qu’il a de prendre systématiquement partie pour le
plus faible, contre le puissant. Ce positionnement peut sembler éthique, valeureux, courageux, mais
Être victime de soi-même ? La personnalité prométhéenne 87

à force de systématisme et en dehors de tout balisage, il est de l’ordre d’une conduite de prise de
risque. En société, et dans toutes les microsociétés que constituent institutions et/ou entreprises, le
SPP va être le porteur désigné, voire auto-revendiqué, de la parole des opprimés ou des supposés
opprimés, un peu comme le Fou du Roi, jadis osait seul défier le monarque. Les figures du dissident ou
du lanceur d’alerte sont du même registre, ce qui pointe aussitôt le risque de psychiatriser l’opposant
politique. Dans l’entreprise, ceci peut constituer in fine la fonction reconnue du SPP dans la société :
il est alors le porte-parole des collègues, celui qui affronte le chef et ose tout lui dire. Toutes les
réunions institutionnelles1 secrètent ce genre de personnage et de réunion en réunion un collectif
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apprend vite à l’instrumentaliser. et il est parfois élu représentant du personnel, ce qui peut être
gratifiant et lui procure, en France une certaine protection2 . Mais son engagement dépasse le cadre
de sa fonction élective, il l’anime, le pousse, jusqu’à parfois le mener à une impasse existentielle et le
faire décompenser psychiquement. C’est à cette occasion qu’intervient le psychiatre ou le médecin du
travail. Le plus souvent ce positionnement singulier reste implicite et il est longtemps placé hors du
champ de conscience de celui-là même qui le met en acte.
Le SPP est celui sur lequel chacun compte dans une assemblée pour soulever la question épineuse
que personne n’ose évoquer. Il ne manque pas de le faire. En ce sens, Prométhée est bien le frère
d’Epithemée, (« celui qui parla trop vite, celui qui réfléchit après-coup », et qui ouvrit la boite de
Pandore). Si son intervention porte ses fruits, la collectivité y trouve son compte (sans le remercier),
si son intervention échoue ou tombe à plat, il aura été le « perdant du jour », humilié à sa façon,
et le plus souvent il n’aura pas été soutenu, la majorité étant attentiste. Dans une perspective de
complémentarité systémique, plus il prend de risques, moins la collectivité le soutient. et ceci de
façon répétitive, même si des signes auraient pu lui faire prendre conscience de son positionnement,
ce qui souligne qu’il s’agit d’un mode d’être-au-monde du sujet.
Ces sujets relèvent d’une convergence psychopathologique singulière qui les prédispose à se retrouver
en situation difficile. La personnalité de base est « anale », selon les critères freudiens, se traduisant
au niveau du caractère3 , décompensé ou pas, base du fonctionnement mental sous ses aspects subjec-
tifs, inter-subjectifs et élaboratifs des traits paranoïaques, obsessionnels et pervers masochiques, un
masochisme moral et social.
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1. Les professionnels de la conduite de réunion connaissent la hiérarchie subtile qui s’instaure en quelques minutes, et qui
préside à une dynamique de réunion, il y a les actifs, les suiveurs, l’opposant, le leader officiel, le leader réel. On peut parler
de Syndrome lié à la culture pour ce qui est de l’expression commune mais ce type de fonctionnement peut sans doute se
retrouver, sous d’autres formes, dans d’autres cultures.
2. Dans l’entreprise, en France, et les protections varient selon la taille de l’entreprise, le délégué du personnel ne peut
pas être licencié sauf à l’issue d’une longue procédure. Article L. 2421-3. Le licenciement envisagé par l’employeur d’un
délégué du personnel ou d’un membre élu du comité d’entreprise titulaire ou suppléant, d’un représentant syndical au
comité d’entreprise ou d’un représentant des salariés au Comité d’Hygiène de Sécurité et des Conditions de Travail est soumis
au comité d’entreprise qui donne un avis sur le projet de licenciement. Lorsqu’il n’existe pas de comité d’entreprise dans
l’établissement, l’Inspection du Travail est saisie directement. La demande d’autorisation de licenciement est adressée à
l’inspecteur du travail dont dépend l’établissement dans lequel le salarié est employé.
3. La notion de structure correspond à ce qui se trouve constitué par des éléments métapsychologiques profonds et fon-
damentaux de la personnalité, organisé de façon stable, peu réversible. Le jeu caractériel peut renvoyer au style du sujet
comme façon d’être au monde.
88 R EPÉRAGES

➙ La composante paranoïaque s’exprime à travers une certaine exaltation, un rétrécissement psychori-


gide des pôles d’intérêt, un entêtement, un vécu complotiste parfois. Les dimensions traditionnelles
de la personnalité paranoïaque se retrouvent : sensitivité, mégalomanie, pseudo-hypertrophie du
moi car au fond, ce sont des inquiets, distorsions cognitives entraînant des erreurs de jugement.
➙ Le socle obsessionnel transparaît dans la mise en jeu y compris des formations réactionnelles. On
relève par exemple à la fois un souci d’ordre et une propension à semer le désordre, un besoin de
propreté, de symétrie, d’exactitude...
Le masochisme moral est évident tant ces sujets s’en prennent systématiquement « plein la figure »,
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se mettent en difficulté par le mot de trop, et semblent y trouver leur compte, comme si, au fond,
ça les gratifiait.
➙ La composante narcissique est forte. Ce type de positionnement existentiel est à prendre en compte
pour partie comme l’un des aménagements économiques de la personnalité borderline au sens de
Bergeret1 . On est dans la pseudo-perversion de caractère.
On n’est pas dans la pathologie mentale, on reste au niveau d’un trouble psychique, d’une disposition
mortifère de la personnalité, à prendre en compte. À noter cependant que les nouvelles grilles
diagnostiques à travers le « Trouble Oppositionnel avec Provocation » du DSM2 , tendent à inclure dans
la constellation du pathologique certains types de comportement proches.

Vignette clinique
Monsieur R est venu nous rencontrer en tant qu’expert agréé pour un comité médical. Il a amené un volumineux
dossier, très ordonné selon ses priorités, et dans lequel il avait cependant des difficultés pour retrouver les
documents que nous lui demandions.
Objet de la demande : reconnaissance d’une maladie professionnelle
Nature de la maladie : coronaropathie.
Notion d’un d’avis préalable défavorable à l’imputabilité de la maladie.
Notion d’un second avis de la commission de réforme pour accident de service (traumatisme cheville droite
et coude droit) avec rechute : coude droit. Il avait repris en temps partiel thérapeutique après un Congé Longue
Durée. En fait, il est en arrêt de travail pour une décompensation cardio-vasculaire d’un état de stress chronique,
sur facteurs physiopathologiques prédisposant. Il veut faire reconnaître l’équation suivante : mes problèmes
cardio-vasculaires sont en lien avec du stress, ce stress est lié à mes fonctions syndicales, mes fonctions syndicales
sont le prolongement de mon métier. Donc c’est mon métier qui m’a rendu malade. Il conteste les différentes
décisions du comité médical. Il a bénéficié du dispositif ordinaire CLM/CLD. Mais il veut maintenant faire recon-
naître son affection comme imputable, au fond, à la mauvaise qualité des rapports sociaux dans l’entreprise. Il
prend au pied de la lettre la notion de risque psycho-social.

1. Jean Bergeret (La personnalité normale et pathologique, Paris, Dunod, 1974/ 1996), décrivait les pseudo-névroses de
caractère, les pseudo-psychoses de caractère et les pseudo-perversions de caractère. Le terme pseudo renvoie au fait que
sous un masque clinique trompeur de psychose, névrose ou perversion, la dimension défensive narcissique est à traiter.
2. Le TOP (voir F91.3 de la CIM 10) est un ensemble de comportements négativistes, hostiles ou provocateurs envers des
figures d’autorité, allant au-delà d’un comportement infantile habituel. Les individus souffrant de ce trouble peuvent se
montrer agressifs et colériques. Initialement décrit chez l’enfant, il concerne aujourd’hui l’adulte.
Être victime de soi-même ? La personnalité prométhéenne 89

Les éléments biographiques sont sans particularité :

➙ Un père agent hospitalier, une mère couturière. Il a trois frères, il a de bons contacts avec eux. Marié, il a trois
enfants. Il est grand-père et arrière-grand-père, il est content de ses rapports avec eux, mais il semble moins
les investir affectivement que son combat personnel contre l’injustice. Pas de souffrance psychique d’origine
conjugale ou familiale donc.
➙ Scolarité jusqu’en apprentissage, et CAP de menuiserie. Il a fait son Service National sans problème « dans
les chars ». Par la suite, il a tenu divers emplois puis il est entré il y a 23 ans dans la fonction publique. Pour
lui, « c’est important d’être fonctionnaire », c’est presque une consécration. Il est agent technique 2e classe,
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un grade bas compte tenu de son ancienneté. Pourtant, il est en arrêt de travail plus ou moins continu ou
total depuis environ six ans. Il est actuellement placé à temps partiel thérapeutique. Il a obtenu une carte pour
reconnaissance d’une mobilité réduite et une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé par la
MDPH.
➙ Cliniquement, on retrouve la notion de deux infarctus du myocarde. Il est traité pour cela. Il ne fume pas, ne
boit pas, il ne prend pas de drogue. Il est en surpoids chronique (120 kg, 178 cm). Cela retentit négativement
sur sa mobilité et sur sa libido.
➙ Il se présente comme un sujet imposant, volumineux, occupant l’espace, il a la voix forte, il parle lentement, il
dévide sa pensée, s’écoute parler, il se raconte et chacun de ses déboires dans l’entreprise est relaté comme
un fait d’arme mettant en exergue sa position victimaire, et son sacrifice pour le bien de la communauté. Il
souligne dans son discours toutes les incohérences (réelles) de son administration, sa lutte opiniâtre pour
défendre ses collègues et le droit du travail, ses échecs le plus souvent, qu’il attribue à la dureté des luttes
contre sa direction et qu’il vit comme des atteintes parfois ciblées contre lui. Il est un opposant, par nature un
opposant. C’est ce qui définit son rapport à la hiérarchie en général.
➙ Il nous a dit être délégué syndical et il pense que tout vient de là. Il en ressent à la fois un vécu qui le narcissise,
il a une mission, et un sentiment d’injustice et de préjudice. Il relate de manière détaillée ses déboires, il en
parlait posément, d’une voix forte.

Sur le plan psychique et cognitif, on retrouve :

➙ Pas d’antécédent familial psychiatrique, pas d’antécédent personnel avant ses difficultés.
➙ Il est suivi en Centre Médico-Psychologique. Une consultation/mois environ. Il est très régulier dans son suivi.
Il est placé sous traitement antidépresseur. Le tableau clinique de sa décompensation, selon les certificats
médicaux produits, est celui d’un état dépressif actif. De fait, c’est pour la composante psychiatrique de son
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

état général qu’il a été placé en CLD.

Au jour de l’expertise on retrouve un sommeil vécu comme mauvais « Je me lève contrarié ». Il est stressé, son
appétit reste fort, en lien avec son surpoids. Il est à la fois un peu triste et irritable, il pleure rarement « ça m’arrive
quand je suis seul ». Il n’a pas fait de tentative de suicide, il avoue « quelques idées suicidaires, dans la période
la plus sombre ». Il n’est jamais passé à l’acte. Il pense ne jamais le faire. Pas de dimension mélancolique donc.
Sa souffrance psychique est en lien avec un vécu subjectif de préjudice qu’il verbalise spontanément comme
étant du harcèlement : « une mise au placard constante... discrimination, changement de poste à répétition...
J’ai été victime... Ils m’ont tué ma carrière ». Son discours est en permanence revendicatif et procédurier, centré
sur ses déboires professionnels alors que depuis plusieurs années il devrait pouvoir s’en dégager. Il considère
que c’est en raison de son activité de délégué du personnel qu’il est lésé. Nous ne méconnaissons pas le fait que
la vie en entreprise est compliquée, que des rapports de force âpres existent entre employeur et employés, qu’il
est parfois difficile d’être représentant du personnel. Pourtant, ce qui frappe dans son dossier c’est que, à travers
les copies de courriers administratifs jointes, à travers les divers documents produits, son administration semble
90 R EPÉRAGES

avoir toujours tout fait pour calmer et répondre aux demandes d’un employé ingérable, par ailleurs un délégué
syndical actif et tonitruant.
Objectivement, lorsqu’on voit son déroulé de carrière, les nombreux arrêts de travail parfois longs, en ATO,
CLM et CLD, il est constatable que sa carrière ne se déroule pas correctement, ni harmonieusement. Lui, en
déduit que c’est un fait dirigé contre sa personne, il en souffre et il revendique. Il est aussi licite de penser que
ses innombrables arrêts ont perturbé son déroulé de carrière, nécessitant à chaque reprise qu’on lui trouve
un poste adapté à ses difficultés physiques comme à ses difficultés relationnelles. Ses différentes mutations
semblent être en lien avec des aménagements de poste liés à son état physique, au fait qu’en CLD, il perdait
normalement son poste de travail et qu’il fallait chaque fois reconstruire un poste adapté à ses exigences et à
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ses compétences. Son dossier médico-administratif est rempli de ses courriers parfois comminatoires, envoyés à
sa hiérarchie, et des réponses embarrassées qui lui sont faites. Au fur et à mesure que le conflit entre lui et sa
hiérarchie progresse et s’envenime, on peut lire, à travers les lignes, le ras-le-bol de tous ceux qui ont à traiter
de son affaire. On lui propose alors des promotions qu’il refuse, on lui cherche un meilleur poste, qu’il refuse. Il
s’arque-boute sur sa dénonciation des manquements à la sécurité qui existent dans son entreprise (à juste titre,
et il est là dans son rôle de syndicaliste), il écrit partout, jusqu’au ministère de tutelle. Il s’épuise, il y perd sa
santé. et il souffre. On n’est pas seulement face à un positionnement procédurier paranoïaque, on est dans un
fonctionnement à risques, risques pour lui avant tout, au nom de l’intérêt général qu’il place au-dessus de tout.
Il y a chez lui une dimension quérulente processive qui fait que sa revendication ne pourra jamais être comblée.
Mais il se nourrit de son combat. Il en est animé et ça le protège, au risque de perturber sa carrière. et au
final, il craque physiquement (ses infarctus) et psychiquement : sa dépression. Sa revendication actuelle, obtenir
une reconnaissance de maladie professionnelle pour ses troubles cardio-vasculaires alors qu’il est en surpoids
et qu’il a tous les facteurs physiopathologiques de risque pour être « cardiaque », est un nouveau combat perdu
d’avance, dans lequel il va s’épuiser. Il le lance au nom des intérêts syndicaux, il prend un nouveau risque
personnel alors que personne ne lui demande rien, au risque d’en être victime, il se lance dans un nouveau
combat, comme si cela seul importait.
-La personnalité de base est de type borderline, avec de grandes carences narcissiques, il est structuré avec des
traits caractériels tirant sur la paranoïa, (idées de grandeur, psychorigidité, vécu constant de préjudice, grande
sensibilité à son image de combattant pour une cause juste et collective), avec une note sensitive et des traits
tirant vers un masochisme moral actif. En se positionnant comme opposant principal, il traite d’égal à égal avec
ses chefs, il est (re)connu. Il est dans une position de révolte quasi-adolescente vis-à-vis des figures d’autorité
auxquelles il dénie la légitimité éthique.
-Il a vécu sa carrière de syndicaliste comme un combat permanent, acceptant d’avance, et pour partie, son
destin de syndicaliste, étant élu puis réélu par ses pairs, allant aux devants des « coups » dans une démarche
altruiste affirmée, mais sans se protéger, sans parvenir à prendre de la distance avec ses fonctions et surtout en
retirant une narcissisation secondaire paradoxale importante de ses déboires syndicaux comme de ses déboires
personnels et morbides. C’est cette composante narcissisante comme bénéfice secondaire qui est la plus notable
en colorant son statut victimaire. Selon son discours et les éléments du dossier, au fur et à mesure que son état
physique se dégradait, que sa dépression et sa problématique cardiovasculaire se construisaient, c’est comme
si son narcissisme s’en trouvait grandi. On n’est donc pas dans le vécu d’indignité propre aux états dépressifs
traditionnels ou sensitifs, on est plutôt dans une narcissisation paradoxale à se trouver ainsi acculé.
-Il s’est pourtant vite épuisé dans ce combat sans limite, payant y compris physiquement de sa personne. L’effon-
drement physique peut ici se lire comme la traduction de son échec à mentaliser son incapacité à céder, même
avec les honneurs.
-Il lutte contre un fond dépressif que l’on devine en filigrane en se dévouant à sa cause collective et le fait qu’il
demande la reconnaissance de ses troubles physiques comme une maladie professionnelle entre encore dans
le cadre de son combat personnel. Son combat pour « ses droits » se superpose à son combat pour les autres
Être victime de soi-même ? La personnalité prométhéenne 91

même si, indéniablement les autres semblent bien ne rien avoir à faire de ses droits à lui, et même si sans doute,
d’autres ont pris le relais dans le combat syndical depuis qu’il est souvent en arrêt de travail. Le tableau clinique
n’est pas de l’ordre de la dépression pure dans la mesure où les défenses paranoïaques qu’il a mises en place
protègent son narcissisme et dans la mesure où la thymie, logiquement, est bonne, plus exaltée que dépressive.
On n’est pas seulement devant une personnalité paranoïaque banale, produisant des distorsions cognitives en
secteur, car la dimension masochiste le fragilise, le rend vulnérable. Il se nourrit et se narcissise autant des coups
qu’il reçoit et de ses maladies que de son combat, et il les accepte. D’autres vignettes cliniques montreraient
que selon les modalités relationnelles, si la composante paranoïaque peut être prédominante, il ne faut pas
méconnaître le risque d’une décompensation somatique, ultime arme pour maîtriser une situation et affirmer
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son statut de victime.

Ces personnalités ne sont pas demandeuses d’aide psychologique, elles cherchent juste la reconnais-
sance sociale de leur combat perdu. Leurs parcours dans l’entreprise sont souvent catastrophiques,
et leurs carrières s’en ressentent. Ces sujets sont victimes d’eux-mêmes car leur dimension masochique
narcissique (« je suis persécuté, donc je suis ») émousse la composante paranoïaque sthénique de
leur combat et la dimension obsessionnelle de leur fonctionnement les rend inefficients. Ils s’épuisent
en vain, ils se mettent en danger. et les troubles qu’on leur reconnaît, ils les nient. Ils sont peu
accessibles aux processus psychothérapiques en raison de leur alexithymie, ils ne peuvent s’y engager
qu’au bout d’un parcours éprouvant, lorsqu’ils sont déjà déprimés. et leur dépression apparaît très vite
de nature anaclitique, traduisant un effondrement narcissique. Privé de leur statut prométhéen par la
retraite, l’invalidation, ou le licenciement pour faute, ils ne sont plus rien. Comment les aider ?
Lorsqu’ils sont examinés par un psychiatre, le plus souvent dans un contexte expertal, avec les enjeux
narcissiques et sociaux qui en découlent, la stricte application du droit les conduit à une invalidation
rapide, qu’ils vivent de surcroît comme une mise à l’écart sociale préjudiciable, ce qui entretient leur
vécu de préjudice et pérennise leur effondrement narcissique. Comment les prendre en charge au
niveau psycho-social, les orienter, canaliser leur quête autodestructrice, pour ne pas les léser sans les
laisser s’enferrer dans un fonctionnement délétère ?
Forger une entité spécifique nous apparaît de nature à permettre qu’on les identifie, plus tôt, et que
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leur souffrance et leurs déviances prennent un sens clinique, que leur prise en compte se décale par
rapport aux normes et aux sanctions sociales habituelles, qui ne font que les conforter et les enfermer
dans leur statut victimaire à la fois subi et recherché. On est au cœur de la démarche victimologique.
Et pour aller plus loin, cet exemple montre que le démembrement de la constellation des troubles
borderline n’est pas achevé et qu’il reste encore à faire, du point de vue sémiologique et psychopatho-
logique, pour affiner nos classifications, les adapter au contexte psycho-social, et le faire, peut-être,
en parallèle des classifications officielles telles que la CIM ou le DSM.
Chapitre 9

Clinique du Trauma
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De l’évaluation aux repères dans la prise en charge d’une thérapie
inspirée par la résilience

Roland Coutanceau

OUT SUIVI D’UNE HISTOIRE TRAUMATIQUE suppose deux actes intellectuels complémentaires : celui de
T l’évaluation et celui de la prise en charge.
Il s’agit dans un premier temps de conceptualiser les éléments cliniques et psychologiques permettant
d’apprécier la réalité et l’intensité d’une symptomatologie post-traumatique.
Le repérage de ces éléments, permet alors, de temps à autre, d’apprécier l’évolution de ces items
(évaluation de l’évolution). et dans la prise en charge elle-même, chaque thérapeute ou psycho-
éducateur peut développer une véritable stratégie thérapeutique, s’il a à l’arrière-plan un référentiel
de compréhension du processus thérapeutique ou psycho éducatif en lui-même.
Dans cet esprit, nous proposons d’en situer trois :
1. Le classique repérage psycho dynamique de la métabolisation avec les concepts de liaison et d’ab-
réaction.
2. Les processus psychiques pouvant s’inscrire dans la dynamique de la résilience.
3. Enfin les processus d’apprentissage et de désapprentissage (formulation que nous préférons à celui
de techniques psycho-comportementales), que nous ne développons pas ici, renvoyant à d’autres
articles dans le même ouvrage.
Soulignons d’emblée, que ces trois manières d’envisager l’évolution du fonctionnement psychique nous
semblent complémentaires.
Tentons donc d’évaluer une situation traumatique, avant d’en apprécier l’évolution.
Clinique du Trauma 95

É VALUER LA SITUATION TRAUMATIQUE

Mais décrivons tout d’abord la classique symptomatologie post-traumatique, en distinguant le trauma


clinique du trauma psychique ; et concrètement en appréciant l’impact sur la vie nocturne et sur la
vie diurne.
D’après le DSM IV, l’état de stress post-traumatique (Post Traumatic Stress Disorder) correspond à une
réaction anxieuse pathologique suite à une exposition à « un évènement hors du commun et capable
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d’induire de la détresse émotionnelle chez la plupart des individus ».
Les symptômes post-traumatiques répertoriés dans le DSM IV sont (entre autres) :
➙ La reviviscence de l’évènement traumatisant (avec notamment des cauchemars à répétition).
➙ L’émoussement des affects et évitement de tout ce qui est lié à l’évènement (avec parfois amnésie
des souvenirs liés au trauma).
➙ L’hyperactivité neuro-végétative.

Mais nous préférons décrire, de façon un peu différente, la symptomatologie post-traumatique, en


détaillant l’impact sur la vie nocturne et sur la vie diurne :
➙ Troubles du sommeil (avec ensemble ou séparément des difficultés d’endormissement traduisant
l’envahissement des images et représentations mais aussi des réveils en milieu de la nuit, parfois
au moment d’un rêve).
➙ Cauchemars, classique rêve traumatique répétitif, représentant tout ou partie des scènes subies. Sont
présentes également d’autres thématiques (rêves de mort, autres traumas imaginaires, représailles
de l’agresseur...), répétition s’inscrivant comme une tentative de digérer ou diminuer l’impact
traumatique.
➙ Retour obsédant, dans la vie diurne, du souvenir traumatique, parfois sous la forme de flashs.
➙ Parasitage de la vie mentale avec perturbation de l’activité scolaire (enfant, adolescent) ou profes-
sionnelle (adulte).
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➙ Troubles fonctionnels.
➙ Troubles du comportement, présents ou pas, variables en fonction des sujets (irritabilité et violence,
conduite d’addiction, désinvestissements massifs).
➙ Dysfonctionnement dans la vie affectivo-sexuelle.
➙ Fluctuations de mouvements anxio-dépressifs, d’intensité variable, allant d’une tonalité subdépres-
sive à une décompensation clinique franche (pouvant alors justifier d’un traitement psychotrope,
voire d’une hospitalisation).

Cette symptomatologie clinique est souvent présente, avec des degrés divers, ou alors peut être aussi
totalement absente. Par contre, le trauma psychique est toujours présent.
Il se définit comme un évènement de la vie du sujet, entraînant par son intensité « l’incapacité où
se trouve le sujet d’y répondre adéquatement » (momentanément), avec parallèlement « les effets
pathogènes durables qu’il provoque dans l’organisation psychique » (Laplanche et Pontalis).
96 D E L’ ÉVALUATION À LA PRISE EN CHARGE

En termes économiques, « le trauma se caractérise par un afflux d’excitations qui est excessif, relative-
ment à la tolérance du sujet et à sa capacité de maîtriser et d’élaborer psychiquement ces excitations ».
Le trauma psychique s’inscrit comme défi au travail de métabolisation pour lier (trouver du sens),
et abréagir (diminuer l’intensité du quantum d’affect).
Ce travail va porter sur la recherche de sens (qu’en penser), comme sur les affects (sidération, perplexité
anxieuse, culpabilité subjective, doute, malaise, dégoût mais aussi agressivité, rage, haine vis-à-vis
de l’agresseur ou vers la situation de catastrophe subie).
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É VALUER L’ INTENSITÉ DE LA SYMPTOMATOLOGIE POST-TRAUMATIQUE

Trois repérages différents nous permettent d’observer les variations significatives d’une histoire trau-
matique sur des êtres humains différents.
!

L’observation clinique

Concernant la symptomatologie post-traumatique, on remarque la variation significative des divers


symptômes, en fonction des sujets. Certains ont un tableau complet, avec une composante anxio-
dépressive marquée.
D’autres présentent des perturbations dans le fonctionnement diurne, sans modification du sommeil,
sans perturbation de l’appétit.
Pour d’autres encore, le symptôme n’est en lien qu’avec un seul aspect de l’histoire traumatique
(angoisse uniquement quand la situation rappelle celle du trauma : même lieu, même période tempo-
relle, même situation).
Enfin, certains semblent n’avoir aucune symptomatologie post-traumatique, verbalisant seulement un
questionnement autour du trauma psychique.
De plus, cette symptomatologie clinique peut être soit stable et permanente, soit présenter des
fluctuations, soit à une durée déterminée.
Il y a là l’énigme de l’intensité de la symptomatologie, celle de sa durée, comme la question de sa
cristallisation (ou pas) avec le temps.
!

La théorisation clinique

La théorisation clinique, distingue la dépression réactionnelle de la dépression névrotique.


Dans la dépression réactionnelle, le discours est centré sur l’histoire traumatique sans émergence
d’autres thématiques. La durée est de quelques semaines à quelques mois, ne dépassant jamais deux
ans.
A contrario, la dépression névrotique brasse un mal-être plus multiforme, exclusivement centré sur le
trauma, laissant ouverte la question d’un état antérieur.
Clinique du Trauma 97

La présence d’une structuration névrotique déjà présente au moment de l’histoire traumatique évé-
nementielle doit être repérée (fragilité psychique, fond anxieux, tendance à la culpabilité excessive,
sentiment d’auto-dévalorisation, faible estime de soi...).
!

Analyse statistique de l’impact post-traumatique

Un troisième repérage résulte d’une analyse statistique de l’impact post-traumatique, mettant en


évidence trois profils :
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➙ Ceux qui présentent un PTSD typique ;
➙ Ceux qui présentent divers symptômes cliniques ou de mal-être existentiel, mais pas de PTSD ;
➙ Ceux qui ne présentent apparemment aucune symptomatologie post-traumatique.
Curieusement, certains cliniciens contestent la réalité de ce troisième groupe de sujets, sans traduction
clinique, après un trauma. Peut-être tout simplement parce qu’ils n’en ont jamais rencontré (le soignant
écoutant essentiellement ceux qui vont mal, momentanément ou durablement).

LE THÉRAPEUTE ENTRE TRAUMA ET RÉSILIENCE

Avant de développer le repérage classique à travers la compréhension de la métabolisation et de


préciser quelques processus psychiques de la dynamique de la résilience ; posons tout d’abord un
regard sur la formation des cliniciens-thérapeutes et leur rapport à la question du trauma.
La plupart des cliniciens apprennent dans leur formation la théorie psycho-dynamique du trauma,
classique dans le repérage psychopathologique.
Parallèlement, la compréhension de la psychogénèse des symptômes et troubles mentaux surinvestit
de fait, l’explication par le trauma évènement ou par le trauma imaginaire.
Faut-il forcément chercher du côté de traumatismes réels subis, qu’il s’agisse de traumas sexuels,
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

de traumas physiques (violence corporelle intempestive), de traumas psychiques (relation parentale


sadisante, avec quasi-interdiction à un enfant passif d’exprimer ses éprouvés).
Certes, la fréquence de ces divers traumatismes est patente, et, en même temps, tout se passe comme
s’il y avait une subjectivité mystérieuse du vécu de la blessure narcissique occasionnée. De même,
l’intensité de la culpabilité n’est pas toujours fonction de la sévérité parentale, l’intensité de la
blessure narcissique n’est pas toujours fonction de traumas réels.
Ainsi, comme Jean Laplanche a reformulé une théorie endogène de la culpabilité « modalité de
l’angoisse, voire première façon de conclure un pacte avec l’angoisse », on pourrait risquer une théorie
endogène du trauma narcissique ; endogénéité quelque peu énigmatique, invitant à un travail de
conceptualisation toujours renouvelé.
La question du trauma narcissique est celle de son intensité mais aussi de sa cristallisation ; et égale-
ment, celle de sa propension (ou pas) à déboucher sur une problématique psychopathologique plus ou
moins intense.
98 D E L’ ÉVALUATION À LA PRISE EN CHARGE

Concrètement, d’une histoire traumatique peuvent subvenir trois évolutions (fonction d’un terrain
antérieur, du roc du biologique, d’un imaginaire existentiel énigmatique...) :
Un classique destin névrotique d’un sujet marqué par son histoire, cristallisant anxiété, culpabi-
lité, secrétant une symptomatologie anxio-dépressive accompagnée d’idées d’auto-dévalorisation, de
manque d’estime de soi-même.
Un destin « pervers » où l’histoire traumatique débouche sur une souffrance, mais aussi sous-tend un
fantasme compensateur de toute puissance sur l’autre, dérivant vers une hostilité destructrice avec
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sentiment de triomphe à tonalité mégalomaniaque.
Mais aussi un destin « normal » où le sujet semble métaboliser l’histoire traumatique pour se dévelop-
per de façon adaptée dans son rapport à lui-même, son rapport à l’autre, son rapport au monde.
Peut-on dire que certains cliniciens semblent aimantés par une fascination pour le destin névrotique
ou le destin pervers (peut être lié à leur écoute thérapeutique), en oubliant le destin « normal » de
ceux qu’ils n’ont pas l’occasion d’entendre ?
Parallèlement, si des soignants ou éducateurs ont un transfert positif avec le concept de résilience,
d’autres ont un contre-transfert négatif avec ce même concept, considéré comme mal balisé, insuffi-
samment théorisé, connoté de psychologie positive, discrètement méprisé, avec parallèlement une
irritabilité à peine cachée face à la potentialité d’un « merveilleux malheur », et pour certains une
jalousie plus ou moins consciente devant le « fabuleux destin » de Boris Cyrulnik.
De même, dans le champ social, prédominait à une époque, un regard un peu fataliste sur les destins du
trauma, avec de plus un risque transgénérationnel. C’est dans un tel contexte que la médiatisation, par
Boris Cyrulnik, du concept de résilience, s’est inscrit comme un bol d’air frais, d’espoir et d’évolution
positive possible.
Trauma et résilience sont pourtant les deux faces d’une même réalité psychique suite à un évènement
traumatique : Comment peut-on en souffrir autant ? Comment réussit-on à s’en dégager ?

R EPÉRAGES DANS L’ ÉVOLUTION

Nous pouvons maintenant proposer deux repérages dans l’écoute du psycho thérapeute.
!

La classique métabolisation du trauma

De fait, la théorie du trauma en elle-même, ne suggère aucun fatalisme.


Elle nous propose au contraire deux voies pour métaboliser, « digérer » le trauma : la liaison et l’ab-
réaction.
Clinique du Trauma 99

La liaison

La liaison est un terme utilisé par Freud pour connoter d’une façon très générale et, dans des registres
relativement divers, aussi bien au niveau biologique que dans l’appareil psychique, une opération ten-
dant à limiter le libre écoulement des excitations, à constituer et à maintenir des formes relativement
stables (Laplanche et Pontalis).
Plus concrètement, le travail de liaison est un travail de mise en sens, de formulation, de reformulation.
La lecture faite de ce qui se joue, peut être douloureuse, ou au contraire anxiolytique. L’interprétation
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subjective, que chacun fait de l’histoire traumatique, peut être une blessure supplémentaire, ou a
contrario un soulagement.
L’aspect peut-être le plus fondamental du regard psychanalytique sur le trauma est qu’on ne souffre
pas seulement de l’évènement traumatique en lui-même, mais de ce qu’on en pense. Dès lors, toute
interprétation peut être soit un trauma supplémentaire, soit participer à un allégement.
Lier, c’est continuer à penser, reformuler de multiples manières, découvrir d’autres angles pour consi-
dérer ce qu’on a vécu, écoute ce que d’autres, qui ont vécu la même chose, en disent, en pensent. La
liaison, c’est l’énoncé du travail psychique ; encore faut-il que l’imaginaire soit riche.

L’abréaction

L’abréaction est « la décharge émotionnelle par laquelle un sujet se libère de l’affect attaché au
souvenir d’un évènement traumatique, lui permettant ainsi de ne pas devenir ou rester pathogène.
L’abréaction, qui peut être provoquée au cours de la psychothérapie, notamment sous hypnose, et pro-
duire alors un effet de catharsis, peut aussi survenir de manière spontanée, séparée du traumatisme
initial par un intervalle plus ou moins long » (Laplanche et Pontalis).
L’abréaction peut être spontanée (sujet résilient) ou secondaire, provoquée par la psychothérapie
cathartique qui permet au sujet de se remémorer et d’objectiver par la parole l’évènement traumatique
et de le libérer ainsi du quantum d’affect qui le rendait pathogène.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Ainsi l’absence, d’abréaction laisse persister des représentations chargées d’affects anxiogènes et dou-
loureux, sous-tendant les symptômes névrotiques post-traumatiques. D’où la nécessité de remémorer
pour abréagir.
Dans la vie nocturne, le rêve traumatique répétitif est un moyen pour le psychisme de tenter de
diminuer la charge émotionnelle liée à la représentation, à la scène du trauma.
Pertinence du travail de remémoration et d’abréaction dans la psychothérapie. Encore faut-il mettre
en œuvre une technique « provocatrice » pour permettre la catharsis.
Paradoxalement, un certain discours psychanalytique dans le champ social apparaît souvent plus
fataliste, plus défaitiste, en écho de praticiens peut être désabusés, peut-être en lien avec une pratique
thérapeutique insuffisamment cathartique.
Finalement, la théorisation de la métabolisation du trauma, centrée sur la mise en tension de la liaison
et de l’abréaction, nous propose un modèle séduisant, qu’on pourrait dire classique de la résilience,
soit spontanée, soit provoquée.
100 D E L’ ÉVALUATION À LA PRISE EN CHARGE
!

Repérages par des processus psychiques propres à la dynamique


de la résilience

En 1998, Boris Cyrulnik, avait, à un niveau descriptif, nommé, certaines caractéristiques propres à des
sujets résilients :
➙ Une certaine intelligence
➙ La capacité d’être autonome et efficace dans ses rapports à l’environnement.
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➙ Le sentiment de sa propre valeur
➙ De bonnes capacités d’adaptation relationnelles et d’empathie
➙ La capacité d’anticiper et de planifier
➙ Le sens de l’humour
Cité par Marie Anaut, le psychanalyste Bessoles (2001) propose de mettre en liaison les facteurs de
résilience ou traits de personnalités décrits par Wolin et Wolin, avec les organisateurs psychiques
correspondants, susceptibles d’être mobilisés dans le traitement des états traumatiques :
" Perspicacité : capacité d’analyse, de repérage, de discrimination.
" Indépendance : capacité à être seul, autonomisation.
" Aptitude aux relations : facteurs de socialisation
" Initiative : capacité d’élaboration et de représentation des inhibitions et des phobies
" Créativité : capacité à créer des formations réactionnelles et substitutives
" Humour : capacité de sublimation
" Moralité : capacité à interroger les valeurs.

Nous allons maintenant proposer notre lecture des qualités de la dynamique résiliente qui s’inscrit
dans un regard sur un psychisme au travail, capable d’élaboration, de courage de confrontation, de
curiosité de l’autre, et ce sur fond d’un tempérament optimiste, avec un imaginaire existentiel riche
où on inclura, entre autre, la créativité, l’humour et le rapport au temps.

Intelligence et capacité d’élaboration

Pour rattacher ce trait à la liaison, l’intelligence d’élaboration du trauma peut être décrite comme
la potentialité à penser le plus grand nombre de lectures de la même réalité psychique, capacité de
multiples formulations, de reformulations surprenantes ou audacieuses.
Telle celle où par exemple : « Cette histoire me plombe... mais c’était aussi une chance », en écho au
« merveilleux malheur ».
Cette capacité de multilectures est en partie connotée aux connaissances dont on dispose, c’est-à-dire
de l’information et des lectures sur la théorisation du trauma et de la résilience. Encore que s’il y
a la possibilité d’une auto-théorisation avec ses propres mots, comme le démontre par exemple le
témoignage de Natacha Kampush.
Clinique du Trauma 101

La curiosité à l’autre

En thérapie est posée la question : « Est-ce que vous seriez intéressé de rencontrer quelqu’un qui a vécu
la même chose que vous ? ». Curieusement, certains répondent parfois non, ce qui traduit souvent,
mais pas toujours, un égocentrisme tragique dans une manière solitaire de se confronter à sa propre
histoire.
Cette curiosité peut s’épancher par l’art (romans, essais, films traitant de cette thématique), par
l’ouverture aux autres, ayant vécu une histoire identique ; débouchant sur le cadre thérapeutique
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particulièrement fécond ; celui du groupe de parole ; groupe de parole pouvant aller de pair avec un
espace individuel.

L’optimisme

Un souvenir personnel : enfant, mon père pédagogue dans l’âme m’a proposé de regarder une bouteille
à moitié remplie : « Cette bouteille, comment est-elle mon fils ? Elle est à moitié pleine papa ! Bah,
tu seras un optimiste mon fils ! ». Anecdote qui a probablement cristallisé mon regard optimiste sur
l’existence.
D’où nous vient cet imaginaire optimisme ou pessimisme face à l’existence ? Si le pourquoi du
tempérament reste en partie énigmatique, le fait d’être optimiste peut jouer un rôle central dans la
représentation que quelqu’un se fait de l’évolution de son histoire traumatique.

L’imaginaire

Richesse de l’imaginaire, créativité à imaginer un autre destin, une autre vie.


Caractéristiques, qui sous-tendent la capacité à une multitude de relectures, de la réalité psychique.
Créativité propre, mais aussi stimulée par les lectures, l’art, les rencontres, recoupant la curiosité
d’autrui, la curiosité psychique pour l’imaginaire des autres.
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A contrario, la pauvreté de l’imaginaire qui suppose que la thérapie mette en scène la rencontre avec
l’autre, par le groupe de parole, ou l’entretien systémique (en présence de quelqu’un dans l’entourage
du sujet victime).
Ludisme aussi avec une capacité d’humour, avec la capacité de relativiser, de se moquer de soi-même
au-delà du tragique des situations.
Humour et autocritique ludique, avec capacité de se décentrer, en refusant un tragique égocentré, en
étant capable de considérer des évènements tragiques plus douloureux que le sien.
Dans l’imaginaire, il y a également la représentation du temps : temps linéaire, ponctuant douloureu-
sement un contenu avec un avant et un après le traumatisme, un temps plus cyclique, plus séquentiel,
permettant de clore une vie passée pour s’échapper vers une autre : refermer la vie où on a été victime
pour se propulser ver une tranche de vie où on est une ancienne victime, ou mieux, plus une victime
du tout.
102 D E L’ ÉVALUATION À LA PRISE EN CHARGE

La capacité à affronter le défi du traumatisme

Capacité, courage psychique à affronter tout ce qui est contenu dans le souvenir ; travail psychique
pour penser l’impensable ou le difficilement pensable, capacité à se confronter au réel subi avec
parallèlement une potentialité pour assumer, accepter, que cela se soit passé.
Dit autrement, ce travail de confrontation avec le trauma suppose à la fois l’acceptation profonde
de la réalité de l’évènement, la capacité à se confronter à tous les détails du scénario traumatique ;
et donc à se confronter avec ce qui émerge de la partie barbe de l’agresseur et de se qui aurait pu
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être, la confrontation à la mort.

Accepter la réalité de l’évènement

Ce souvenir, douloureux en lui-même, destructeur par ces conséquences, on rêverait de les annu-
ler magiquement « Pourquoi c’est arrivé ? Pourquoi ça m’est arrivé à moi ? ». Travail d’acceptation
d’une réalité avec laquelle on ne peut tricher – même si notre mémoire émotionnelle peut être
momentanément submergée par l’évocation.

Travail de deuil du souvenir traumatique


Ce souvenir ne prendra place tranquille dans la mémoire émotionnelle que s’il est apprivoisé, cicatrisé.
On peut comprendre la tentation d’évitement, de refoulement, de scotomisation de ce qui a été vécu.
Pour autant, il faut tenter de tout regarder ensemble, de se confronter dans les détails (« le diable est
dans le détail ») ; pour que le souvenir soit vidé de sa charge affective douloureuse.

Face à la barbarie d’un autre humain


Quand il s’agit d’une agression physique ou sexuelle, que l’agresseur soit connu ou pas, investi
affectivement auparavant ou pas, la victime est face à une réalité difficilement pensable. Comment
regarder les yeux dans les yeux cette face noire de l’humain, cet aspect auparavant inimaginable du
barbare en l’autre : « Comment est ce possible ? Est-ce que ça existe ça ? J’arrive pas à croire que c’est
possible, c’est pas humain, c’est un monstre. et en même temps, au-delà du mot, je comprends pas
comment on peut faire un truc comme ça ? ». Nécessité de comprendre comment fonctionne l’auteur
de violence, pour ne pas rester dans l’évitement, dans le déni de réalité ou la perplexité anxieuse.

Face à la mort
De façon pertinente, nombre de théoriciens du trauma soulignent l’impact de la rencontre avec la mort
ou la représentation de la mort. Là encore, cette confrontation avec l’inéluctabilité de la mort (plus ou
moins présente dans la vie de chacun), fait ici effraction violente. Alors que tout humain peut jouer à
cache-cache avec l’idée de sa propre mort, ce n’est plus possible pour certaines victimes de trauma
(trauma de guerre, de catastrophe, ou encore d’agresseur menaçant la vie). On ne peut s’en dégager
qu’en acceptant profondément cette réalité de la mort qu’on vient de voir « les yeux dans les yeux ».
En confrontant maintenant, la classique métabolisation du trauma (liaison et abréaction) ; et les
processus psychiques propres à la résilience, on voit émerger une véritable complémentarité. On peut
Clinique du Trauma 103

aussi voir les caractéristiques propres à la dynamique de la résilience comme des qualités psychiques
permettant la liaison et l’abréaction.
Il reste maintenant à comprendre pourquoi un travail psychique en espace individuel est tantôt
progrédiant, tantôt chaotique. On peut penser y intégrer le troisième repérage (que nous n’avons
pas développé ici), celui des techniques d’apprentissage et désapprentissage ; mais aussi tenter de
pianoter sur la diversité et la complémentarité de trois cadres : l’espace individuel, le groupe de parole,
l’entretien avec un personnage de l’entourage dans une logique systémique.
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Dans cet esprit, il nous semble que la complémentarité, la coexistence d’un espace individuel et d’un
groupe de parole (ou d’un espace systémique) est un échiquier particulièrement dynamique pour la
prise en charge en victimologie.
Comment faire émerger certaines caractéristiques propres à l’élaboration, la perlaboration (ou encore la
résilience) ; sinon en permettant que le travail psychique d’un sujet s’étaye sur sa curiosité psychique
de l’autre, sur son appropriation, par l’écoute, des associations libres et des expressions émotionnelles
d’autres personnes, ayant vécu des évènements analogues.
Au-delà de la complémentarité des repérages théoriques dans la compréhension de l’évolution ; perti-
nence de la complémentarité d’un espace individuel propre, et d’un espace de groupe de parole entre
personnes ayant vécu des histoires similaires.
Chapitre 10

Tableaux cliniques et prise en charge


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des traumatisés psychiques

Louis Crocq

V IOLENCE ET TRAUMATISME PSYCHIQUE

Nous vivons dans un monde de violence : agressions, viols, attentats terroristes, guerres, accidents
et catastrophes. Cette violence fait des victimes : morts, blessés, choqués. Face à la violence, l’individu
peut garder sa lucidité et son sang-froid, et réagir par des conduites adaptées de défense ou de retrait.
Mais il peut aussi être profondément perturbé, sur les plans des fonctions cognitives, du contrôle
émotionnel et de la volonté, et manifester des conduites inadaptées de sidération, d’agitation, de
fuite panique ou d’action en automate.
Cette perturbation profonde, ce bouleversement du psychisme, c’est le traumatisme psychique. Il
consiste en un phénomène d’effraction et de débordement des défenses psychiques de l’individu face
à un afflux de stimulations critiques et urgentes qui menacent sa vie, son intégrité physique ou son
équilibre psychique.
Quelles sont ces défenses ? En premier lieu, c’est la compréhension de la situation, le fait de lui
reconnaître un sens ; comprendre la situation, c’est commencer à la maîtriser. En second lieu, c’est
l’anticipation : voir venir la menace, l’évaluer et prévoir ses effets. En troisième lieu, c’est la mobilisa-
tion des forces physiques et psychiques, pour repousser ou annihiler l’agression. Les sujets traumatisés
sont des sujets qui n’ont pas compris la situation, et pour qui elle a été absurde ; ce sont des sujets qui
n’ont pas su voir venir la menace et anticiper ses effets ; et ce sont des sujets qui ont été incapables
de mobiliser leurs forces pour repousser l’agression.
Les situations d’agression ou de menace ne sont pas toutes traumatisantes. Cela dépend de la brutalité
de leur survenue, des forces physiques qu’elles véhiculent, et de leurs enjeux (la vie, l’intégrité, la
Tableaux cliniques et prise en charge des traumatisés psychiques 105

santé). Mais cela dépend aussi de l’état physique et psychique – constitutionnel ou conjoncturel - du
sujet qui subit cette agression. Il y a des sujets forts et résistants par nature, et il en est d’autres qui
sont faibles, qui l’ont toujours été et qui sont incapables de faire face à la moindre agression. Cela
étant, il y a des situations (de guerre en particulier) tellement violentes que personne n’est à l’abri du
trauma (« no one is immune », disaient Sargant et Slater de ces situations extrêmes dans leur rapport
sur la pathologie de guerre au premier congrès mondial de psychiatrie) (1950). Qui plus est, tel sujet
qui sera capable de faire face aujourd’hui à une agression, parce qu’il est reposé, bien encadré et qu’il
a bon moral, vivra demain la même agression sur le mode du trauma, lorsqu’il sera fatigué, sans chef
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et démoralisé. La notion de trauma – tant dans ses aspects économiques (lutte entre forces) que dans
ses aspects existentiels (recherche d’un sens pour le sujet) – est donc toute relative : ce qui est trauma
pour l’un ne l’est pas pour l’autre, et ce qui est trauma pour moi aujourd’hui ne le serait pas demain.
Le vécu traumatique est caractérisé par l’effroi, l’horreur, la suspension de la pensée (« trou noir »),
l’incompréhension de la situation, la désorientation dans le temps et l’espace, la déréalisation et la
dépersonnalisation (« j’avais l’impression que cela arrivait à quelqu’un d’autre »), le sentiment d’im-
puissance et le sentiment d’abandon (Janet, 1889, 1919 ; Freud, 1895, 1920). Certains cliniciens,
tel Charles Marmar (1997), ont regroupé ces symptômes sous le vocable de « dissociation péri-
traumatique » (en fait on devrait dire « per-traumatique », puisqu’on n’est pas autour du trauma
mais en plein dedans). Pour notre part, nous avons élaboré, mis au point et validé (Crocq, 2012) un
questionnaire de vingt questions qui inventorie le vécu de la réaction immédiate à l’agression.
!

Questionnaire de stress immédiat

Q UESTIONNAIRE DE STRESS IMMEDIAT


(L. C ROCQ , D. C REMNITER ET J-M C OQ )

Cotez de 0 (symptôme absent) à 5 (symptôme très intense) l’intensité des 20 symptômes ci-dessous qui ont
éventuellement marqué votre expérience vécue au moment de l’événement.
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1 - Je ne m’y attendais pas, j’ai été surpris 0 1 2 3 4 5


2 – J’ai eu peur d’être blessé ou maltraité 0 1 2 3 4 5
3 – J’ai eu peur pour ma vie ou celle d’un proche 0 1 2 3 4 5
*4 - Ma pensée était floue, ralentie, ou sidérée (j’ai eu comme un trou noir) 0 1 2 3 4 5
*5 - Je n’ai rien compris à la situation 0 1 2 3 4 5
*6 – J’avais l’impression de vivre un cauchemar 0 1 2 3 4 5
*7 – J’étais désorienté dans l’espace 0 1 2 3 4 5
*8 – Le temps m’a paru accéléré ou ralenti 0 1 2 3 4 5
Il y a 9 - Il y a des aspects de l’événement que je n’ai pas pu mémoriser 0 1 2 3 4 5
*10 – J’étais horrifié parce que je voyais 0 1 2 3 4 5
11 - Je ressentais un ou plusieurs symptômes physiques gênants, tels que :
tremblement, gorge serrée, poitrine serrée, battements de cœur, spasmes 0 1 2 3 4 5
*12 – J’étais comme insensible (ou même j’avais l’impression que je flottais) 0 1 2 3 4 5
106 D E L’ ÉVALUATION À LA PRISE EN CHARGE

13 – J’étais en état de perturbation ou agitation psychique 0 1 2 3 4 5


14 - Je me sentais impuissant 0 1 2 3 4 5
*15 - Mes mouvements étaient ralentis (ou même j’étais totalement sidéré, statufié) 0 1 2 3 4 5
16 - Je gesticulais de manière incontrôlée et désordonnée 0 1 2 3 4 5
*17 – J’agissais mécaniquement, comme un automate 0 1 2 3 4 5
18 – Je criais, je bégayais (ou encore je suis resté muet de stupeur) 0 1 2 3 4 5
*19 - Je me croyais abandonné 0 1 2 3 4 5
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20 - Pendant plusieurs heures après l’événement j’étais encore très perturbé 0 1 2 3 4 5

Une note totale de plus de 50 points (sur un maximum possible de 20 x 5 = 100 points) indique que le
sujet a vécu l’événement comme un trauma.
De toute façon, sur le plan qualitatif, une note élevée aux items marqués d’un * doit faire suspecter un
vécu traumatique.

Dans sa quatrième révision (1994), le système nosographique américain D.S.M. (Diagnosis and statis-
tical manual of mental disorders) avait bien spécifié (critères A1 et A2) que, pour qu’il y ait trauma, il
faut primo que le sujet ait été exposé à un événement menaçant pour sa vie et son intégrité, et secundo
qu’il ait vécu cet événement dans l’effroi, l’horreur et le sentiment d’impuissance. Malheureusement,
la cinquième révision (DSM-5, 2012) n’a pas conservé le deuxième critère et autorise une extension
abusive de la notion de trauma (par exemple, un sujet qui apprend le décès brutal d’un proche, à
distance et sans y avoir assisté, serait traumatisé).
Notons enfin que tout blessé physique conscient peut être aussi un blessé psychique, souffrant d’un
choc émotionnel ou d’un traumatisme psychique.
!

Tableau clinique de la réaction immédiate (inférieure à 24 heures)

Les tableaux cliniques des victimes sont sensiblement différents selon que la victime est examinée
immédiatement après l’attentat (réaction immédiate), dans le mois qui suit - plus exactement entre le
deuxième et le trentième jour – (période post-immédiate), ou à plus d’un mois de l’attentat (période
différée-chronique).
Lorsqu’un individu est exposé à une agression ou une menace soudaine mettant en jeu sa vie ou son
intégrité physique ou mentale, il présente immédiatement, de façon réflexe, une réaction d’alarme
et de défense pour faire face à cette agression. Par emprunt au vocabulaire anglo-saxon, cette réaction
est désignée sous le nom de stress (Selye, 1956 ; Crocq, 1974, 2012). Le réflexe de stress chemine
par des voies nerveuses afférentes, depuis les organes des sens vers le cerveau cortical, des voies
régulatrices, du cerveau cortical vers les noyaux gris centraux (amygdale et hippocampe) et des voies
efférentes, du cerveau central vers les effecteurs de la vie végétative et la vie de relation.
La Classification Internationale des Maladies Mentales, dans sa Xème révision dite CIM-10 (1992),
seule nosographie officielle, la dénomme « réaction aiguë à un facteur de stress » (répertoriée F43.0).
Tableaux cliniques et prise en charge des traumatisés psychiques 107

La nosographie américaine du DSM (cinquième révision dite DSM-5, 2013) n’a rien prévu pour la
désigner, ce qui est une lacune notable.
La réaction immédiate ne dure que quelques heures (d’une à six heures le plus souvent, et, pour
simplifier, moins de vingt-quatre heures). Dans les trois quarts des cas, elle est normale, adaptative
(quoique grevée de symptômes neurovégétatifs gênants) ; mais, dans un quart des cas, elle peut
s’avérer pathologique, et inadaptée. On la désigne alors sous le nom de stress dépassé (Crocq, 1999,
2012).
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La réaction immédiate adaptative, dénommée stress adapté, est une réaction d’alerte, de mobilisa-
tion et de défense (Crocq, 2012). Elle double l’alarme et la mobilisation biophysiologiques d’une
alerte et d’une mobilisation psychologiques. Sur le plan psychologique, l’alerte et la mobilisation
se manifestent dans les quatre sphères cognitive, affective, volitionnelle et comportementale. Dans
la sphère cognitive, il se produit - spontanément, sans décision volontaire - une élévation rapide
du niveau de vigilance, une focalisation de l’attention sur la situation présente et une exacerbation
des capacités d’évaluation, de raisonnement et d’élaboration décisionnelle. Dans la sphère affective,
il se produit – à la faveur de la décharge biologique d’adrénaline - une bourrasque émotionnelle
relativement perturbante mais qui entretient l’état d’alerte du narcissisme menacé et inspire des
sentiments d’appréhension ou de peur contrôlée, et aussi de combativité, voire de colère. Dans la
sphère volitionnelle, la réaction immédiate se traduit par un désir impérieux de passer à l’action. Dans
la sphère comportementale enfin, cela se traduit par une séquence d’attitudes et de gestes adaptés :
attitude d’alerte et de préparation à la défense, gestes de défense et de combat, ou gestes de retrait
ou de fuite raisonnée, ayant pour but soit de réduire ou faire disparaître la menace, soit de mettre le
sujet à l’abri.
On peut donc dire que la réaction psychologique immédiate est a priori adaptative, voire salvatrice (et il
convient de débarrasser le mot stress de la connotation péjorative que lui attribue le langage courant).
Elle permet au sujet menacé de se défendre ou de se retirer, et, en tout état de cause de se sauver
et de sauver autrui. Mais c’est une réaction d’exception, grevée de symptômes gênants et coûteuse en
énergie. Les symptômes gênants sont ceux qui accompagnent l’activation neurovégétative déclenchée
par la décharge d’adrénaline et par l’excitation du système nerveux sympathique : l’accélération des
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rythmes cardiaque et respiratoire, l’élévation de la tension artérielle, la fuite de la masse sanguine de


la périphérie vers les organes internes, se traduisant par de la pâleur. De même, l’activation du système
sympathique donne lieu à des sensations pénibles de « boule dans la gorge », de striction thoracique
et à des spasmes viscéraux (« nœud sur l’estomac », envie impérieuse d’uriner). Outre ces symptômes
neurovégétatifs, on note aussi des symptômes psychiques, tels que vécu d’irréalité (certains sujets se
pincent pour se persuader qu’ils sont bien dans le réel), et surtout tension psychique pénible, liée à la
prise de conscience de la gravité de la situation ; et des symptômes psychomoteurs, tels que lenteur
ou imprécision des gestes et altération de la voix. La réaction immédiate est coûteuse en énergie ;
en énergie physique, car elle épuise les réserves de glucides de l’organisme, et en énergie psychique,
car elle épuise les capacités d’attention soutenue, de mémorisation, de maîtrise émotionnelle et de
contrôle moteur. D’ailleurs, dès qu’elle se termine, elle débouche sur un état psychique ambigu qui
mêle un vécu de soulagement euphorique (« quitte pour la peur ») avec une sensation d’épuisement
physique et psychique (impression d’être « vidé »).
108 D E L’ ÉVALUATION À LA PRISE EN CHARGE

Les réactions de stress dépassé

Mais, si le stress est trop intense, trop prolongé ou répété à de courts intervalles, il épuise les capacités
de résistance biologique et psychologique et se mue en réaction de stress dépassé, inadapté (Crocq,
1999, 2012). Cette réaction immédiate inadaptée peut se présenter sous quatre formes, qui sont la
sidération, l’agitation, la fuite panique et l’activité d’automate.
" La sidération saisit le sujet d’un coup, d’emblée, dans toutes ses facultés. Sur le plan cognitif, il
est stupéfait, incapable de percevoir, d’évaluer, de penser, de s’exprimer. Il ne sait plus qui il est,
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ni où il se trouve. Sur le plan affectif, il est stuporeux, au-delà de la peur, dans une espèce d’état
second. Sur le plan volitionnel, ces sujets sont sidérés, frappés d’une paralysie de la volonté, d’une
suspension de leur faculté de décider et de prendre une initiative. Sur le plan comportemental, ils
sont comme paralysés, pétrifiés ; ils demeurent immobiles dans le danger, sous les balles ou dans
les flammes, ne devant leur salut qu’à leurs camarades qui les plaquent au sol ou les roulent par
terre. Dans le mythe grec antique, la Méduse « pétrifiait » d’effroi quiconque croisait son regard.
" L’agitation est la réaction inverse. C’est un état d’excitation psychique, de désordre affectif et d’anar-
chie volitionnelle. Le sujet agressé et stressé a envie d’agir, mais son stress est trop intense pour
lui permettre de bien comprendre la situation et d’élaborer une décision. Alors il libère sa tension
anxieuse dans une décharge motrice désordonnée : il gesticule, crie, s’agite en tous sens, court dans
une direction puis revient dans une autre, profère des propos incohérents. La terreur et l’affolement
se lient sur son visage, et sa relation à autrui est très perturbée : il sait qu’il est parmi les autres,
mais il ne les reconnaît pas toujours, ne les écoute pas et n’obéit pas.
" La fuite panique est une réaction de course éperdue, inadaptée. Il est normal, pour un sujet qui
a repéré une source de danger, de vouloir s’éloigner de ce danger. Mais ce qui n’est pas normal,
c’est de s’en éloigner dans une fuite impulsive, irraisonnée, éperdue, en bousculant, renversant
et piétinant autrui, et sans même savoir où on va. Si quelqu’un arrête le fuyard et tente de le
raisonner, ce fuyard montre un faciès hagard, un regard vide, et une expression d’incompréhension
totale. Dès qu’on le relâche il reprend sa course et ne s’arrête que quand il sera épuisé (en gros une
demi-heure de course à pied). et il ne conservera qu’un souvenir confus de sa fuite.
" Le comportement d’automate est quatrième mode de réaction immédiate inadaptée. De prime abord,
il n’attire pas l’attention car il ne donne pas lieu à des gestes spectaculaires. Les sujets qui adoptent
cette réaction semblent avoir un comportement normal : ils évacuent sans bousculade ni panique ;
ils obéissent aux ordres ; ou encore ils aident autrui, soit qu’ils en aient reçu l’ordre, soit qu’ils en
aient imité l’exemple donné par un autre. Mais un observateur exercé remarquera que leurs gestes
sont répétitifs et inutiles, et que l’expression de leur visage est « absente », comme s’ils ne se
rendaient pas compte de la réalité. Si on leur parle, ils semblent écouter mais ils n’enregistrent
pas ce qui vient d’être dit. Eux-mêmes demeurent silencieux. Et, une fois l’action terminée, si on
leur demande de dire ce qu’ils viennent de faire, ils en sont incapables, ou encore ils n’en n’ont
conservé qu’un souvenir flou et lacunaire.
Ces quatre réactions immédiates inadaptées, ou stress dépassés, sont de durée variable. Le plus
souvent, elles ne dépassent pas quinze minutes ; parfois elles perdurent une heure ou plus. Dans
la plupart des cas, la réaction de stress dépassé témoigne d’un vécu traumatique, avec effraction
Tableaux cliniques et prise en charge des traumatisés psychiques 109

et débordement des défenses psychiques, dont la défense qui consiste à reconnaître, ou chercher à
reconnaître, le sens de l’événement.
!

Tableau clinique de la période post-immédiate (du 2e au 30e jour)

La réaction immédiate débouche, passé les quelques heures qu’elle dure, sur des états psychiques
qui relèvent de la période post-immédiate, et qui peuvent s’étendre sur quelques jours à un mois,
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aboutissant soit au retour à la normale, soit à la constitution d’une névrose traumatique ou état de
stress post-traumatique durable (Crocq, 2012). Dans nos nosographies modernes, la dixième révision
de la Classification Internationale des Maladies Mentales (ou CIM-10, 1992) inclut implicitement cette
période post-immédiate dans les états de stress post-traumatiques, transitoires ou durables. Mais le
DSM américain (version de 2013, dite DSM-5) l’identifie sous le vocable d’ » état de stress aigu »
(Acute stress disorder), avec des critères cliniques combinant la persistance de symptômes dissociatifs
apparus dans l’immédiat et l’apparition de symptômes d’état de stress post-traumatique, et des critères
temporels d’apparition des symptômes dans les quatre semaines suivant l’événement et de persistance
pendant un créneau de durée de deux jours à quatre semaines.

La réaction de stress adaptative évolue pendant la phase post-immédiate vers le retour


à la normale

On assiste en général, en moins de vingt-quatre heures, à la sédation des symptômes neurovégétatifs


gênants du stress. Sur le plan psychologique, le rescapé ne ressent plus la sensation désagréable de
tension psychique et sa pensée n’est plus monopolisée par le souvenir brut (images, odeurs, sensations
tactiles, sursauts) de l’événement. Il y pense parfois, et c’est légitime, mais il peut aussi penser à
autre chose et il est capable de reprendre ses activités habituelles. Enfin, on ne constate aucun trouble
du sommeil : ni retard de l’endormissement, ni réveils nocturnes angoissés, ni cauchemars.
Il arrive que ce retour progressif à la normale soit émaillé de décharges émotionnelles différées,
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

qui ont pour but de libérer la tension émotionnelle contenue pendant l’action. En effet, pendant les
instants critiques d’exposition au danger, le sujet est totalement occupé par la mise en œuvre de
gestes et conduites de sauvegarde, et il doit négliger voire réprimer toutes les réactions spontanées
qui compromettraient ces conduites : tremblement, agitation, cris, envie de pleurer, besoin d’uriner,
etc. ; mais, une fois que l’action est terminée et que le sujet est à l’abri du danger, il peut alors
liquider ces arriérés émotionnels et laisser libre cours à toutes les impulsions qu’il a dû réprimer
pendant l’action (Crocq, 1999, 2012). On voit ainsi des rescapés ou même des sauveteurs, plusieurs
heures après la fin de la réaction immédiate, se mettre à trembler, à crier, ou s’effondrer en pleurs sur
un tas de gravats, ou être sujets à une crise de nerfs ou de colère. Il peut s’agir aussi de débâcles
neurovégétatives, telles qu’accès de sudation intense, nausée et vomissement et perte d’urine.
110 D E L’ ÉVALUATION À LA PRISE EN CHARGE

La deuxième éventualité de la période post-immédiate est la persistance des symptômes


dissociatifs, accompagnée de l’apparition de symptômes traumatiques

Après une réaction immédiate de stress dépassé, l’état initial de dissociation persiste, au moins sous
la forme d’une certaine perplexité. et on voit apparaître les premiers symptômes psycho-traumatiques,
tels que reviviscences intrusives, cauchemars, état d’alerte, sursauts et phobies spécifiques (en rapport
avec l’événement), tandis que le sujet ne peut détacher sa pensée du souvenir de l’événement et qu’il
est incapable de reprendre son travail ou ses occupations d’avant. Cette éventualité débouchera sur
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l’éclosion d’une névrose traumatique.
Parfois cliniquement silencieuse à ses débuts, cette période était considérée par les auteurs anciens
comme faisant partie de la névrose traumatique, dont elle constituait la « phase de latence », phase
que Charcot dénommait période d’incubation, de méditation, de contemplation ou de rumination,
et que Pierre Janet imputait à l’ » émotion retardante » (1919). Il s’agissait le plus souvent de sujets
qui demeuraient isolés, repliés sur eux-mêmes, perplexes, peu expansifs. Des entretiens cliniques
rétrospectifs ont permis d’explorer le vécu de tels sujets, dont on peut dire, selon le mot de Ferenczi
(1916), « qu’ils n’étaient pas revenus de leur effroi ». Ne sachant trouver les mots pour formuler
l’indicible, ils y renonçaient, tout entiers accaparés par la fascination de la scène qu’ils venaient de
vivre.
Une variante clinique du temps de latence est la forme « euphorique-agitée ». Le sujet, rescapé, se
sent euphorique de s’en être sorti « quitte pour la peur », et il manifeste cette euphorie de façon
exubérante, logorrhéique, recherchant la compagnie des autres pour leur ressasser son histoire. Cette
euphorie de mauvais aloi est suspecte : elle cache la fixation du sujet à son trauma, malgré ses efforts
superficiels et désordonnés pour s’en dégager ; et elle conduit immanquablement à l’installation d’une
névrose traumatique.
La revue de nombreux cas ayant présenté des symptômes au décours d’une exposition « potentiellement
traumatisante » a mis en évidence la grande disparité des durées de la période post-immédiate, dans
ses deux variantes : soit retour à la normale, soit phase de latence d’une névrose traumatique. Le retour
à la normale peut s’effectuer en quelques heures, une journée ou plusieurs jours, voire une semaine,
rarement plus. La phase de latence d’une névrose traumatique présente une variabilité beaucoup plus
large : d’une journée (pour les cas précoces) à deux mois et parfois davantage (Sivadon, 1953, a
signalé des temps de latence de six mois chez des déportés des camps nazis).
Et cela nous amène à considérer les facteurs de la latence. Le premier facteur est la disparité entre
individus, ou entre personnalités. Certains individus sont rapides à improviser de nouvelles défenses
(dont la répétition) là où les défenses classiques du stress ont échoué ; d’autres seront plus lents à
se réorganiser et à agir ainsi. Un second facteur est lié à la conjoncture : par exemple, tant que le
soldat est sur le front et qu’il est soumis quotidiennement à de nouveaux dangers, il donne priorité à
sa sauvegarde et il remet à plus tard la tâche d’affronter l’arriéré de son expérience traumatique. Un
troisième facteur, plus subtil peut-être, est lié à l’absence d’autonomie du blessé, dans les cas où il y
eu à la fois blessure physique et blessure psychique, comme cela est fréquent dans les attentats. Tant
que le blessé physique est hospitalisé et « materné » dans le cocon des soins hospitaliers (surtout
en réanimation), il ne dispose pas de l’autonomie psychique nécessaire à la reprise en main de la
Tableaux cliniques et prise en charge des traumatisés psychiques 111

souvenance de son trauma. C’est une fois sorti de l’hôpital et rentré chez lui, ou une fois transféré
du service de réanimation dans un service permettant plus d’autonomie, qu’il aura ses premiers
cauchemars, ses premières phobies spécifiques et ses premières altérations de personnalité (Crocq,
1999, 2012).
!

Tableau clinique de la période différée-chronique : névrose traumatique


(ou trouble stress post-traumatique)
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La névrose traumatique est un syndrome différé et durable apparaissant chez des sujets qui ont
été soumis à un événement potentiellement traumatisant et qui l’ont vécu comme un trauma. Cela
implique non seulement un premier critère, concernant le fait d’avoir été exposé à un événement
potentiellement psycho-traumatisant (c’est-à-dire un événement exceptionnel violent et menaçant
pour la vie ou l’intégrité physique ou psychique de l’individu), mais aussi un deuxième critère :
l’avoir vécu sur le mode du trauma, dans l’effroi, l’horreur, le sentiment d’impuissance et l’impression
d’absence de secours.
Le tableau clinique de la névrose traumatique (ou syndrome de stress post-traumatique) comprend
trois volets, qui sont : les reviviscences intrusives, l’altération de la personnalité et les symptômes
non spécifiques (Crocq et al., 1988 ; Crocq, 1974, 1999, 2012).

Les symptômes de reviviscence intrusive

La reviviscence intrusive et répétitive du trauma, c’est-à-dire le fait pour le patient de revivre son
expérience traumatique intensément, contre sa volonté et de manière itérative, est pathognomonique
de la névrose traumatique. La reviviscence du trauma peut se manifester sous sept modalités cliniques,
qui sont 1/la reviviscence hallucinatoire, 2/l’illusion, 3/le souvenir forcé, 4/la rumination mentale,
5/le vécu comme si l’événement allait se reproduire, 6/l’agir comme s’il se reproduisait, et 7/le
cauchemar de répétition.
1. La reviviscence hallucinatoire s’impose souvent comme une hallucination visuelle subite qui repro-
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duit la scène de l’événement traumatisant, et dans laquelle le patient se voit (il croit y être). Au
départ elle exclut toute critique, et le sujet adhère complètement à l’hallucination. Les images
sont très précises, c’est la reproduction du même décor, des mêmes personnages et de leurs
gestes. et c’est une scène dynamique, non figée, qui se déroule « comme un film ». Parfois, cette
hallucination visuelle est accompagnée d’hallucination auditive (les mêmes bruits, les mêmes cris),
d’hallucination olfactive (l’odeur de la poussière ou du sang), d’hallucination sensitive (la chaleur
de l’incendie) et même d’hallucination gustative (le goût du thé sur la langue).
2. La reviviscence par illusion se démarque de l’hallucination pure en ce sens que le sujet hallucine la
scène traumatique ou l’agresseur sur un paysage ou une silhouette réellement perçue. Par exemple,
il croise un passant dans la rue et il le perçoit comme son agresseur venant sur lui.
3. Le souvenir forcé se distingue des reviviscences par hallucination ou illusion en ce sens que c’est
l’idée de l’événement qui surgit à l’esprit, sans image ni son ; ou encore c’est le nom d’un camarade
ou d’un parent décédé dans l’événement.
112 D E L’ ÉVALUATION À LA PRISE EN CHARGE

4. La rumination mentale au sujet de l’événement, de ses causes ou de ses conséquences, peut


également être une forme de reviviscence ; elle se manifeste souvent sous le forme d’interrogations
incessantes qui s’imposent à l’esprit de la victime (« Pourquoi moi ? Pourquoi les agresseurs m’ont-ils
choisi ? Si j’étais arrivé cinq minutes plus tôt ou plus tard, j’y aurais échappé ») et les lamentations
répétées (« depuis que cela m’est arrivé, je ne suis plus comme avant », ou « personne ne me
comprend ni ne m’aide... »).
5. Le vécu comme si l’événement allait se reproduire est une autre forme du syndrome de répétition :
subitement, le sujet a l’intuition que l’événement va survenir à nouveau, et il éprouve la même
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détresse.
6. L’agir comme si l’événement se reproduisait peut-être un agir élémentaire, tel que réaction de
sursaut ou l’impulsion à se recroqueviller ; mais il peut consister aussi en un agir plus complexe :
fuite panique, récit répétitif (toujours les mêmes mots, lassant l’entourage) ou mises en scène
itératives, contemplation obstinée de photographies de l’événement en cause et, chez l’enfant, jeu
répétitif reproduisant l’accident ou l’agression.
7. Enfin, le cauchemar de répétition, intensément vécu plutôt que simplement contemplé, fait revivre
l’événement au sujet, suscitant la même frayeur et les mêmes gestes de défense : les victimes
croient revivre leur trauma, elles s’agitent dans leur sommeil, crient, se débattent et tombent de
leur lit, réveillées en sursaut, le cœur battant fort.
Toutes ces manifestations de reviviscence sont vécues dans les trois registres de la détresse psychique,
de l’orage neurovégétatif (sueur, pâleur, tachycardie, impression de gorge serrée, spasmes viscéraux,
etc.), et du raidissement de l’attitude du corps. et toutes peuvent survenir soit spontanément (selon
une dynamique inconsciente propre à chaque sujet), soit en réponse à un stimulus qui rappelle le
trauma (le son d’une sirène d’ambulance, la vue d’un reportage télévisé, une conversation), soit
enfin à la faveur d’un abaissement du niveau de conscience (il est bien connu que les reviviscences
hallucinatoires surviennent plus facilement au moment de l’endormissement, lorsque la conscience
vigile commence à fléchir). Il y a des patients qui présentent toutes ces manifestations de reviviscence,
et d’autres qui sont « fidèles » à certaines seulement. Concernant la fréquence et le rythme de ces
reviviscences, le patient peut les présenter chaque jour, ou plusieurs fois par jour, ou une ou deux fois
par semaine, ou plus rarement.
On s’est interrogé sur la signification et le rôle du syndrome de répétition. S’agit-il d’une tentative
vainement réitérée pour maîtriser sur sa « représentation » un événement qui n’a pas pu l’être lorsqu’il
est survenu dans le réel, avec ses effets de surprise et de débordement des défenses ? Ou s’agit-il
d’un effet direct du trauma, d’une malédiction, par laquelle le patient reste fixé à la souvenance de
son expérience traumatique, qui reste enfouie au sein de son psychisme comme un « corps étranger »
et dont il ne parvient pas à se débarrasser ? Janet (1919) illustrait bien cette fixation au trauma en
reprenant le célèbre vers de la cinquième épître de Boileau : quand un homme, harcelé par quelque
mauvais souvenir, cherche à le fuir en partant au loin, « le chagrin monte en croupe et galope avec
lui ».
Tableaux cliniques et prise en charge des traumatisés psychiques 113

L’altération de la personnalité

La plupart des traumatisés déclarent avoir « changé de personnalité » depuis leur trauma. En fait,
il ne s’agit pas d’un changement de personnalité au sens propre du terme, comme dans les cas de
« personnalités alternantes ». D’ailleurs, déclarer avoir changé de personnalité implique que l’on
se souvienne de l’ancienne, que l’on s’y réfère, et donc qu’on l’ait peu ou prou conservée. et leur
entourage les trouve changés. Cette altération de la personnalité sous l’impact du trauma a été
remarquée par les plus éminents cliniciens de la névrose traumatique. Simmel (1918), admirateur de
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Freud, observant ses névrosés de guerre à l’hôpital militaire de Poznan, disait qu’un « ensevelissement
de leur personnalité » avait succédé à l’ensevelissement physique provoqué par l’explosion de l’obus ;
et il parlera même de « changement d’âme », pour souligner l’importance de ces altérations. Plus
tard (1972), le psychanalyste américain Shatan identifie la « transfiguration de la personnalité »
comme perturbation profonde, sous-jacente aux symptômes du post-Vietnam syndrome des vétérans du
Vietnam. et nous-mêmes (1974) avions dénommé « personnalité traumato-névrotique » ce qu’était
devenue la personnalité après l’impact du trauma : sans autonomie, dépendante, régressive et irritable.
Pour Fenichel (1945), la névrose traumatique effectue un triple blocage des fonctions du moi : fonc-
tions de filtration de l’environnement, fonctions de présence au monde et fonctions libidinales d’amour
et de relation à autrui. En effet, primo/le traumatisé n’est plus capable de filtrer, dans l’environnement,
ce qui est dangereux de ce qui est anodin : tout lui est danger et menace ; alors il est sans cesse en
état d’alerte, il sursaute au moindre bruit et il résiste désespérément à l’endormissement le soir, car
s’abandonner au sommeil c’est laisser n’importe quel agresseur vous approcher. Secundo/Le traumatisé
a perdu sa volonté de présence dans le monde. Le monde lui paraît lointain (voire même irréel) et sans
intérêt. Le traumatisé délaisse ses loisirs et ses occupations jadis motivantes, et l’avenir lui paraît
bouché. et tertio/, le traumatisé a perdu sa capacité de relation équilibrée avec autrui, c’est-à-dire la
capacité de considérer autrui comme un autre soi-même. Les auteurs anciens soulignaient la régression
libidinale du traumatisé qui, atteint dans son narcissisme, consacre tout son amour à la réparation
de son moi blessé et n’est plus disponible pour aimer vraiment autrui, qu’il assaille de ses demandes
d’amour et de protection jamais rassasiées. En fin de compte, depuis l’expérience traumatique, le
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patient n’a plus la même façon de percevoir le monde, de le penser, d’y aimer, d’y vouloir et d’y agir.

Les symptômes non spécifiques

On les dénomme ainsi car on peut les observer aussi dans d’autres affections mentales (Crocq, 1974,
1999, 2012). Il s’agit de l’asthénie, de l’anxiété, des symptômes psychonévrotiques, des troubles
psychosomatiques et des troubles des conduites.
1. Tous les traumatisés sont devenus asthéniques, fatigués, épuisés. Il s’agit d’une triple asthénie,
physique, psychique et sexuelle.
2. Les traumatisés sont devenus des anxieux, avec des crises d’angoisse et un état de tension anxieuse
intercritique. Ils appréhendent toujours le pire. Et, de temps à autre, sans raison ni motif déclen-
chant (et en cela ces crises anxieuses se distinguent des reviviscences), ces sujets sont en proie à
114 D E L’ ÉVALUATION À LA PRISE EN CHARGE

des accès d’angoisse, à la fois psychiques (impression de danger imprécis mais imminent) et soma-
tiques (sensation de resserrement laryngé et de striction thoracique, tachycardie, pâleur, sueur,
tremblement, spasmes viscéraux, etc.).
3. Beaucoup de traumatisés enrichissent leur tableau clinique de manifestations psychonévrotiques
empruntées aux névroses de transfert : crises ou conversions hystériques, phobies, rituels obses-
sionnels. Ces « complications psychonévrotiques » (Fenichel, 1945) sont-elles facilitées par les
propensions d’une personnalité prédisposée, qui colorerait sa névrose traumatique de sa psycho-
névrose antérieure ? Ou sont-elles suggérées par l’expérience traumatique elle-même qui serait
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légitimement hystérogène (un sujet contusionné au bras lors de l’événement fera plus facilement
une conversion motrice sur ce bras), ou phobogène (telle victime d’un attentat terroriste dans le
métro aura ensuite la phobie de ce mode de transport), ou enfin générateur de rituels vérificatoires
de protection, obsessionnels (telle victime d’agression se relèvera de son lit plusieurs fois de suite
chaque soir pour vérifier la fermeture des portes et des volets de son domicile).
4. Beaucoup de traumatisés émettent par la suite des plaintes somatiques (céphalées, dorsalgies,
gastralgies, etc.), et une proportion non négligeable d’entre eux présente dans les jours ou les
semaines qui suivent leur trauma des troubles psychosomatiques caractérisés, avec lésion d’organe :
asthme, hypertension artérielle, angor, ulcère d’estomac, eczéma, urticaire, psoriasis, canitie, alo-
pécie, et même goitre et diabète. La lésion psychosomatique serait un langage, un appel à l’aide,
chez des sujets dont la culture réprime l’extériorisation de la souffrance psychique, ou chez des
personnalités « alexithymiques », sans propension à la verbalisation, ni à la pantomime, ni à la
représentation mentale : il ne leur reste, pour se plaindre, que le langage de l’organe.
5. La quasi-totalité des traumatisés présente ensuite des troubles des conduites et des troubles
caractériels. Il s’agit d’abord de conduites alimentaires : anorexie ou boulimie, avec modification
pondérale importante en quelques mois. Il s’agit ensuite d’autres conduites orales de consommation
excessive de tabac, d’alcool ou de drogues diverses (toxicomanie post-trauma). Il s’agit ensuite
de conduites d’auto-agressivité (tentatives de suicide) ou d’hétéro-agressivité (altercations, rixes,
agressions).
Dans le DSM-5, le diagnostic « trouble stress post-traumatique » (Posttraumatic Stress Disorder ou
PTSD) correspond à peu de chose près à la névrose traumatique des nosographies européennes. Ainsi,
la nouvelle rubrique « altérations négatives des cognitions et de l’humeur associées à l’événement trau-
matique » correspond en gros à l’altération de la personnalité de la névrose traumatique. Enfin, le DSM
considère comme « symptômes associés » les symptômes non spécifiques de la névrose traumatique.
La névrose traumatique peut avoir une évolution chronique très longue. Des statistiques sur des
populations de traumatisés (Kessler et al, 1995) montrent que 50 % des cas guérissent en moins
d’un an et encore 25 % dans l’année suivante, tandis qu’un quart des cas va connaître une évolution
traînante sur trois ans et plus. Dans notre pratique, nous avons eu affaire à des anciens combattant
de 1914-18 qui, cinquante ans après leur trauma, avaient encore leurs nuits hantées de cauchemars
de guerre (Crocq, 1999, 2014). Deux psychiatres américains (Hamilton et Workmann, 1995) ont même
observé le cas d’un ancien combattant de 1918 qui souffrait encore de PTSD soixante-quinze ans
plus tard, alors qu’il était devenu nonagénaire. Dans de nombreux cas, des sujets dont la névrose
Tableaux cliniques et prise en charge des traumatisés psychiques 115

traumatique s’était apparemment assagie avec l’âge en connaissent une recrudescence lors de leur
mise à la retraite, ne disposant plus du dérivatif procuré par la profession et se retrouvant seuls face
à leurs souvenirs alors que les enfants devenus adultes ont quitté le foyer parental.
On a parlé de « résilience », ou faculté de rebondir après un trauma et de reprendre une vie normale,
débarrassée de ses symptômes (Cyrulnik, 1999). Il ne faut pas confondre la résilience avec la résis-
tance : la résistance est le fait d’un sujet qui, confronté à une situation potentiellement traumatisante,
y répondra par un stress adapté, sans séquelles ; la résilience est le fait d’un sujet qui répond à une
situation potentiellement traumatisante par un stress dépassé (ou traumatique) et parvient ensuite à
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se débarrasser de ses symptômes tout seul, avec le soutien de sa famille (Delage, 2001) ou avec l’aide
d’un thérapeute.

P RISE EN CHARGE DES VICTIMES PSYCHIQUES TRAUMATISEES


!

Les cellules d’urgence médico-psychologique

En général, dans les catastrophes, les attentats et les accidents de grande ampleur, les premiers soins
aux blessés psychiques sont assurés par les personnels des cellules d’urgence médico-psychologique
(CUMP), psychiatres, psychologues cliniciens et infirmiers spécialement formés à la psychiatrie de
catastrophe. Mais il peut arriver que ces personnels ne puissent accéder au site, notamment en cas
d’attentat si ce site n’est pas sécurisé. Les cellules d’urgence installeront alors leur poste d’urgence
médico-psychologique (PUMP) sur un lieu autorisé, le plus près possible du lieu de l’attentat (exemple :
à la mairie du XIe arrondissement lors de l’attentat du Bataclan à Paris le 15 novembre 2005) ; et ce
sont les pompiers qui vont commencer le soutien psychologique des victimes. Pour les accidents de
moindre importance et les agressions individuelles, les services d’urgence hospitaliers sont dotés de
psychologues cliniciens compétents en matière de trauma qui assurent les premiers soins médico-
psychologiques aux victimes. Il en est de même dans les unités médico-judiciaires pour l’accueil des
victimes de viol.
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Les cellules d’urgence médico-psychologiques ont été créées après l’attentat de la station RER Saint-
Michel à Paris (25 juillet 1995) dans les circonstances suivantes : le lendemain de l’attentat, le
Président de la République Jacques Chirac, accompagné de son ministre à l’action humanitaire d’ur-
gence Xavier Emmanuelli, vint rendre visite aux blessés hospitalisés à la Salpêtrière, pour leur témoigner
sa compassion et son soutien. Là, il se rendit compte que, si les blessures physiques et les brûlures
avaient été parfaitement traitées, rien n’avait été fait pour les atteintes psychiques. Les blessés étaient
encore sous le coup de leur choc émotionnel, certains tremblaient, d’autres étaient secoués de sanglots,
d’autres, hallucinés et le regard fixe, revivaient leur instant d’effroi. Bref, le Président Chirac et tout
le corps médical présent redécouvraient cette évidence : le devoir de tout soignant est de soulager la
souffrance psychique au même titre que la souffrance physique. Le Président Chirac chargea alors le
ministre Emmanuelli d’organiser et de mettre en place un dispositif adéquat pour la prise en charge
des chocs psychiques lors des attentats, catastrophes et accidents collectifs. Alors, Xavier Emmanuelli,
approuvé par plusieurs médecins présents, pensa tout de suite au Médecin Général Louis Crocq pour
116 D E L’ ÉVALUATION À LA PRISE EN CHARGE

créer ce dispositif de soins psychiques d’urgence pour les victimes. Louis Crocq était connu en tant
que psychiatre militaire pour ses travaux sur les traumatismes psychiques de guerre, tant chez les
combattants qu’au sein de la population civile ; et il avait créé en 1987 dans le service de psychiatrie
de l’Hôpital Saint-Antoine à Paris, à la demande du professeur Jean-Marc Alby, une consultation
spécialisée dédiée aux victimes d’attentats terroristes (Crocq et al., 1988). Il assurait en outre, en tant
que professeur associé à l’Université René Descartes (Paris-V), un enseignement sur le traumatisme
psychique (pour les psychiatres et les psychologues). Le soir même, Xavier Emmanuelli le chargeait
officiellement d’élaborer avec lui le dispositif des « cellules d’urgence médico-psychologique », vocable
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qu’il a créé dans l’instant (Crocq, 1998).
D’emblée, Crocq dit à Xavier Emmanuelli que la prise en charge des victimes psychiques ne devait
pas se limiter à la période immédiate des premières heures ou du premier jour, mais qu’elle devait
couvrir aussi la période post-immédiate (du 2e au 30e jour) et la période différée-chronique (au-delà
du 30e jour). En effet, il est bien connu que certaines victimes, dans l’euphorie initiale de se sentir
indemnes, déclinent la première offre de soins ou de soutien psychologique qui leur est proposée
(« moi, je vais bien, occupez-vous plutôt des autres »), mais se décompensent dans les jours qui
suivent sous l’effet funeste des souvenirs obsédants de l’événement violent, avec apparition d’une
angoisse phobique et cauchemars de reviviscence (Crocq, 2012). On sait enfin, par expérience, que
cette pathologie psycho-traumatique est tenace, se chronicisant dans de nombreux cas de « névrose
traumatique », et peut perdurer pendant des années.
Or, cette pathologie du trauma est méconnue des psychiatres du temps de paix. Au lendemain des
armistices de 1918 et de 1945, la population a honoré ses morts et ses blessés physiques, mais
n’a accordé aucune compassion pour les blessés psychiques, suspectés de couardise ou de lâcheté,
et eux-mêmes honteux et taisant leurs troubles. et cette désaffection s’est fait sentir jusque dans les
manuels de psychiatrie des années 1950 à 1990, où on pouvait vainement chercher les diagnostics de
névrose de guerre et même de névrose traumatique (Crocq, 1999).
Aussi Xavier Emmanuelli précisa-t-il ces trois périodes dans le libellé de la mission qu’il confiait
au Médecin Général Crocq. La mission comportait aussi l’application du dispositif à l’ensemble du
territoire français (les 100 départements), avec éventualité d’interventions outre-mer pour secourir
des ressortissants français choqués lors de guerres ou de catastrophes se produisant à l’étranger.
et elle prescrivait en outre d’élaborer un programme d’enseignement spécialisé sur le trauma, les
catastrophes et la violence, et d’organiser une série de stages de formation pour les personnels (psy-
chiatres, psychologues, infirmiers) affectés à ces cellules. La mission prévoyait enfin l’établissement
de contacts réguliers avec le corps soignant – principalement urgentistes, psychiatres et infirmiers –
public et privé, et avec les représentants d’autres ministères pouvant être intéressés et activés lors
d’attentats et de catastrophes.
Deux jours plus tard, Xavier Emmanuelli réunissait dans son ministère un groupe de travail de dix
psychiatres et psychologues choisis en fonction de leur compétence en matière de trauma. Le ministre
avait convoqué aussi le professeur Geneviève Barrier, urgentiste dirigeant le SAMU de Paris, ainsi que
son adjoint le professeur Pierre Carli. Lors de cette réunion inaugurale, Emmanuelli et Crocq exposèrent
les objectifs du groupe de travail et établirent un calendrier des réunions à suivre.
Tableaux cliniques et prise en charge des traumatisés psychiques 117

En outre, pour plusieurs grandes villes (Paris, Lille, Lyon, Marseille, Toulouse) un tour d’astreinte fut
établi pour les psychiatres et les psychologues volontaires, avec instruction de rejoindre le SAMU
au plus vite lorsqu’ils seraient appelés. Cette disposition ne tarda pas à s’avérer judicieuse lorsque,
quelques semaines plus tard, survint l’attentat de l’avenue Friedland à Paris : véhiculés par le SAMU, un
psychiatre, un psychologue et une infirmière purent intervenir rapidement sur place, assurer les soins
adéquats aux victimes psychiques et procéder à l’évacuation d’une victime particulièrement choquée ;
et, lorsque d’autres attentats à l’explosif se produisirent à Paris pendant l’été et l’automne 1995 :
bombes rue Richard Lenoir (3 septembre), à Villejuif (7 septembre), Place d’Italie (6 octobre), au métro
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Maison Blanche (7 octobre) et au métro Orsay (17 octobre) ; ainsi qu’à Lyon : bombe le 7 septembre
1995 devant une école juive de Villeurbanne (7 septembre 1995).
Le groupe avait aussi convié à ses débats les professeurs de psychiatrie titulaires de chaire de Paris
et de province, pour recueillir leurs avis en matière de psychiatrie d’urgence et de catastrophe. La
plupart d’entre eux, intéressés à ce nouveau champ d’activité de leur discipline, acceptèrent et vinrent
régulièrement participer aux réunions. Des urgentistes furent aussi invités à venir donner leur avis
sur la perspective de gérer les CUMP au sein des SAMU. Ils furent d’avis que le poste d’urgence
médico-psychologique (PUMP) devait être installé à proximité du PMA (poste médical avancé), mais
non pas en son sein : les urgentistes des SAMU ne tenaient à voir leur PMA encombré de rescapés
physiquement indemnes mais psychiquement choqués et éventuellement agités.
Au bout de dix mois, le 1er juin 1996, le groupe remettait son rapport au ministre Emmanuelli
et au ministre de la santé. Le rapport présentait l’ensemble des cent CUMP du territoire national
comme constituant un « réseau », ce qui impliquait une unité de doctrine, des échanges scientifiques
et, surtout, la possibilité pour une CUMP départementale débordée par une catastrophe de grande
ampleur de demander de l’aide aux CUMP des départements voisins, voire au niveau national. Chaque
CUMP départementale était dirigée par un « psychiatre référent départemental », motivé, volontaire
et formé à la psychiatrie de catastrophe et à l’intervention en urgence. Les autres personnels CUMP
(psychiatres, psychologues cliniciens et infirmiers) constituaient un vivier de volontaires, eux aussi
motivés et formés par le psychiatre référent qui avait répercuté sur eux la formation spécialisée qu’il
avait reçue à Paris. Le SAMU devait assurer le transport des personnels CUMP sur le terrain, ce qui
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impliquait pour ces personnels appelés l’obligation de se rendre au SAMU et de s’y équiper (chasubles,
mallettes d’urgence psy). Suivit alors une période d’un an de réunions au ministère de la santé, au
cours desquelles le groupe, soutenu par les professeurs de psychiatrie, défendait les dispositions
prévues dans son rapport, tandis que les agents du ministère transcrivaient ce rapport en termes
administratifs et, surtout, réduisaient les coûts initialement prévus.
Ce n’est que le 28 mai 1997 que parurent l’arrêté portant sur la création du comité national de l’urgence
médico-psychologique en cas de catastrophe, et la circulaire relative à la création du réseau national
de prise en charge de l’urgence médico-psychologique, ces deux documents étant co-signés par le
secrétaire d’état à l’action humanitaire d’urgence, et le secrétaire d’état à la santé et à la sécurité
sociale. Le comité national, présidé par un fonctionnaire du ministère de la santé, comprenait trois
représentants de l’administration quatre psychiatres référents des CUMP, un psychologue d’une CUMP,
un infirmier d’une CUMP, deux médecins urgentistes chefs de SAMU, et des fonctionnaires représentant
118 D E L’ ÉVALUATION À LA PRISE EN CHARGE

divers ministères concernés (intérieur, défense, éducation nationale, transports, etc.). Les fonctions
du comité national étaient de :
1. définir les objectifs et la doctrine d’intervention des CUMP ;
2. veiller à la cohérence de l’ensemble du dispositif de prise en charge ;
3. veiller à l’évaluation des actions conduites ;
4. superviser les formations des psychiatres, psychologues et infirmiers des CUMP ;
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5. mettre en œuvre un programme de recherches en psychiatrie de catastrophe ;
6. assurer la liaison avec les autres ministères intéressés.
La circulaire définissait le réseau des CUMP, couvrant les 100 départements du territoire national
et comprenant d’une part 7 cellules permanentes interrégionales (régions de Lille, Paris, Nancy, Lyon,
Marseille, Toulouse et Nantes) dotées chacune d’un demi-poste de psychiatre, de psychologue et de
secrétaire ; et d’autre part 93 CUMP départementales, dirigées par un psychiatre référent volontaire.
Dans toutes les cellules devaient être établies des listes de volontaires psychiatres, psychologues
et infirmiers. Les missions des CUMP étaient :
1. de se rendre rapidement sur le terrain de la catastrophe (véhiculées par les SAMU),
2. de prendre en charge les blessés psychiques, et de les trier pour assurer l’évacuation de ceux dont
l’état l’exigeait,
3. d’assurer la surveillance de ces blessés psychiques pendant les trente jours de la période post-
immédiate,
4. de préparer les relais thérapeutiques ultérieurs (ou, à défaut, d’assurer la prise en charge spécifique
des victimes traumatisées pendant la période différée-chronique).
Au bout de quelques années d’exercice des CUMP, on s’est rendu compte que les moyens qui leur
avaient été alloués s’avéraient insuffisants, tellement la demande était forte, quoique filtrée par la
régulation des SAMU pour refuser les demandes abusives. D’où la nouvelle circulaire du 20 mai 2003,
relative au renforcement du réseau national de l’urgence médico-psychologique en cas de catastrophe.
Le nombre des CUMP dotées de moyens en personnels (demi-postes de psychiatre, de psychologue
et d’infirmier) et de moyens en matériel (communication, équipement) passait de 7 à 33 (une pour
chacune des 22 régions administratives, plus une pour chacune des 11 grandes villes de plus d’un
million d’habitants présentant un haut risque de catastrophe). Les missions des CUMP régionales
étaient celles qui étaient précédemment dévolues aux CUMP interrégionales, les ARH étant chargées
de la gestion de ce nouveau dispositif « régional ».
Puis, dix ans après, le 7 janvier 2013, un décret (n° 2013-15) « relatif à la préparation et aux réponses
aux situations sanitaires exceptionnelles » intégra (section V) le dispositif des CUMP dans l’organisa-
tion générale des urgences sanitaires. Un arrêté préalable (7 août 2012) avait supprimé le comité
national de l’urgence médico-psychologique, dont les fonctions devaient être désormais assurées par le
département des urgences sanitaires du ministère de la santé. Les agences régionales de santé (ARS)
devaient prendre en charge les urgences médico-psychologiques. Le réseau des CUMP était hiérarchisé
Tableaux cliniques et prise en charge des traumatisés psychiques 119

aux trois niveaux : départemental, régional et zonal (zones de défense). Sur le plan des moyens, les
dispositions préalables accordant des moyens aux CUMP des 22 régions et des 11 grandes villes à
risque étaient maintenues, sous réserve de rentabilité. Le décret stipulait en outre que les CUMP
« n’ont pas vocation à assurer le suivi des patients au-delà des soins immédiats et post-immédiats »,
et que le relais de la prise en charge devait faire l’objet d’une organisation en liaison avec les équipes
de secteur. Enfin, un référent national était chargé de la coordination du réseau.
De 1995 à 2017 les CUMP ont effectué en moyenne 1 000 interventions par an, soit à l’occasion de
grandes catastrophes soit à l’occasion d’accidents et d’incidents limités mais à forte répercussion
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sociale (par exemple le suicide d’un élève sur les lieux de l’école).
Pour ne citer que les interventions les plus notables : le soutien aux enfants rescapés d’une avalanche
dans les Alpes (Les Orres, février 1998) et aux familles endeuillées ; l’intervention de la CUMP de Rouen
à l’occasion d’une collision meurtrière d’une centaine de véhicules dans le brouillard sur l’autoroute de
Normandie (Bourg-Achard, mars 1998) ; l’intervention de la CUMP de Lyon à l’occasion de l’incendie du
tunnel du Mont-Blanc (24 mars 1999) ; plusieurs interventions des CUMP départementales et régionales
à l’occasion d’inondations dans l’Aude, le Gard et le Tarn (1998 et 1999) ; l’intervention des CUMP de
Paris, du Val d’Oise et des départements alsaciens (personnels germanophones) lors du crash de l’avion
Concorde à Roissy, le 25 juillet 2000 ; l’intervention de la CUMP du Nord en avril 2001 auprès de la
population de Vimy évacuée en hâte à cause de l’écroulement d’un entrepôt d’obus de gaz datant de la
Première Guerre Mondiale ; l’intervention de la CUMP de Haute-Garonne et des CUMP des départements
voisins lors de l’explosion de l’usine AZF à Toulouse le 21 septembre 2001 ; l’intervention pendant
plusieurs jours de la CUMP de Vendée et des CUMP des départements voisins, auprès des rescapés, des
sinistrés et des endeuillés de la tempête Xynthia, survenue sur la côte atlantique le 27 février 2010
et ayant causé la mort de 47 personnes. Ces dernières années, les CUMP sont intervenues à l’occasion
d’attentats terroristes, dont celui de Charlie Hebdo le 7 janvier 2015, celui du magasin juif hypercasher
à Paris porte de Vincennes (9 janvier 2015), celui du Bataclan à Paris (13 novembre 2015) et celui de
la Promenade des Anglais à Nice (14 juillet 2016) ; et, plus récemment, à l’occasion de l’ouragan Irma
dans les Antilles (Îles Saint-Barthélémy et Saint-Martin, septembre 2017).
Les CUMP sont intervenues aussi à l’étranger, à la demande du ministère des affaires étrangères,
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pour le soutien de ressortissants français attaqués ou menacés lors d’événements de guerre et de


catastrophe, et pendant leur rapatriement. Dans les années 1998-2007, ce furent des événements
de guerre au Congo, en Côte d’Ivoire et au Liban. D’autres missions ont prescrit d’accompagner des
familles endeuillées sur les lieux d’un crash aérien à l’étranger : par exemple le crash aérien de Charm-
el-Sheik (Égypte, 224 morts) en janvier 2004, celui de Maracaïbo (Venezuela, 152 morts) en août 2004,
celui du vol Rio-Paris du 31 mai 2009 (221 disparus) et celui d’un avion au large des Comores, le
30 juin 2009 (152 morts et une seule survivante, adolescente). Trois interventions prolongées ont
été assurées aussi : à l’occasion du Tsunami du 24 décembre 2004 sur les côtes de l’Asie du Sud-Est
(Indonésie, Malaisie, Thaïlande, Sri Lanka), où il s’agissait d’assurer le defusing des rescapés et leur
soutien psychologique dans les vols de rapatriement, de les accueillir à Roissy et de soutenir les
familles endeuillées ; à l’occasion du séisme d’Haïti de janvier 2011, où s’est posé le délicat problème
du convoyage et de l’accueil (Roissy et Orly) des orphelins adoptés. Le 13 janvier 2012, ce fut le
naufrage du paquebot de croisière Concordia au large de l’île de Giglio (Italie), faisant 32 morts sur
120 D E L’ ÉVALUATION À LA PRISE EN CHARGE

3 250 passagers dont 460 Français ; la CUMP de Paris a dépêché des personnels sur place, et les
CUMP des départements des Alpes Maritimes, du Var et des Bouches du Rhône sont allés accueillir les
rescapés français à leur arrivée en autocar à la frontière italienne. Il convient aussi de mentionner
l’activation des CUMP pour l’accueil et le debriefing d’otages libérés (Philippines, 1999 ; Mer Rouge,
2008 ; Afghanistan, 2012 ; Iraq, 2012 ; Nigeria, 2013 ; Cameroun, 2013).
!

L’intervention médico-psychologique en période immédiate


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Les fondements scientifiques de la prise en charge immédiate des blessés psychiques découlent des
principes de la psychiatrie de l’avant (Crocq, 2005). La psychiatrie de l’avant consiste à entreprendre
le traitement des blessés psychiques de guerre au plus tôt, avant que leurs ruminations mentales
solitaires n’exercent un effet morbide qui les enfonce dans leur pathologie. Inaugurée par la force
des choses pendant la guerre russo-japonaise (1904-1905) parce que le chemin de fer transsibérien
inachevé s’arrêtait à 500 km du front, elle fut redécouverte sur le front allié en 1917, alors que les
blessés psychiques évacués sans soins vers l’arrière étaient livrés à eux-mêmes, s’obstinaient dans
leur pathologie et finissaient par constituer une fonte d’effectifs non négligeable. Les psychiatres
militaires anglais, français et italiens installèrent des ambulances neuropsychiatriques près du front
et instaurèrent un traitement précoce des psychiques. L’Américain Thomas Salmon (1917) édicta
les cinq principes de cette « forward psychiatry » : immédiateté (immediacy), proximité (proximity),
simplicité (simplicity), espérance de guérison (expectancy) et centralité (centrality). L’immédiateté
avait pour but de ne pas laisser s’amorcer la méditation solitaire et oisive qui suggère le renforcement
des symptômes prometteur d’une échappatoire au devoir. La proximité était fondée sur l’opportunité
de maintenir le sujet dans l’atmosphère du front, quitte à ce qu’il continue d’entendre le bruit de la
canonnade, pour bien le convaincre qu’il n’était pas retiré de la bataille, mais seulement soustrait pour
une courte parenthèse nécessaire à sa récupération. L’espérance de guérison impliquait que le patient
devait être convaincu qu’il allait certainement guérir de sa pathologie fonctionnelle et transitoire,
et tout le personnel médical devait s’employer à inculquer cette conviction lors d’entretiens persuasifs
répétés. La simplicité impliquait qu’on ne devait pas recourir, dans ces centres de l’avant, à des
équipements ni à des méthodes compliquées ; un local rustique et doté de moyens appropriés à
assurer une hygiène rudimentaire devait suffire. Par rapport à l’enfer des tranchées, un tel refuge
apparaissait déjà comme un paradis, où le malade pouvait se laver, s’épouiller, dormir et recevoir une
nourriture chaude et saine. Le principe de simplicité prescrivait aussi de centrer la thérapie sur les
circonstances de combat qui avaient provoqué les symptômes, et de ne pas s’égarer dans l’exploration
des conflits affectifs de l’enfance. Le cinquième et dernier principe, centralité, impliquait l’existence
d’une organisation générale cohérente, échelonnée depuis les antennes de l’avant vers les centres
de traitement de l’arrière-front, puis vers les hôpitaux de l’intérieur et les camps de réentraînement,
et - seulement pour les patients non récupérables - vers les hôpitaux des États-Unis. Enfin, centralité
signifiait aussi unité de doctrine et sentiment d’appartenance de chaque centre et de chaque praticien
à un système homogène, où chacun devait mettre en œuvre la formation commune et tenir le même
langage. En 1986, le psychiatre américain Robert Sokol rajouta un sixième principe, brièveté, aux
Tableaux cliniques et prise en charge des traumatisés psychiques 121

cinq principes de Salmon et, agençant astucieusement l’ordonnance de ces six principes, constitua
l’acronyme mnémotechnique BICEPS.
La psychiatrie de l’avant fut appliquée dans les armées alliées pendant la seconde guerre mondiale
(à partir d’avril 1943, circulaire Bradley) et la guerre de Corée (1950-1951). Puis elle fut appliquée
aussi pendant la guerre américaine au Vietnam (1964-1973), mais de façon superficielle et sans
aborder la question du trauma, d’où ses échecs. et elle fut appliquée enfin avec succès au sein des
troupes Américaines, anglaises et françaises pendant la guerre du Golfe (1991) ; et elle est appliquée
systématiquement par les armées occidentales pour leurs opérations extérieures (OPEX) et Afghanistan
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et au Mali par exemple.
La transposition de la doctrine de la psychiatrie de l’avant aux situations traumatiques du temps de
paix ne soulève aucune difficulté, sauf pour le principe de proximité, qu’il convient de tempérer :
quand on traite une victime civile sur place, il n’est pas bon de le faire dans un paysage de destructions,
dans l’effervescence des actions de sauvetage et face au spectacle des cadavres et des blessés ; aussi,
autant que possible, le thérapeute de l’urgence psychiatrique doit-il installer son poste à l’abri de ces
stimulations nocives, et dans un endroit calme et protégé. Quoi qu’il en soit, dès 1992, la statistique
de Bouthillon portant sur une cinquantaine de victimes des attentats de 1986, montrait que toutes
celles qui avaient pu parler au médecin dès le stade des premiers soins (abréaction précoce) ne
présentaient ensuite que des séquelles psychiques modérées, voire pas de séquelles du tout, tandis
que celles qui avaient été murées dans leur silence étaient ensuite atteintes de séquelles graves.
Le soin psychique immédiat a pour but le déchocage du sujet et le désamorçage du risque d’évolution
défavorable, ces deux objectifs étant condensés dans le mot anglais « defusing » (Crocq, 2012). Les
buts du defusing sont :
1. assurer une présence calme, sécurisante, cette présence exerçant la fonction de contenant contre
toute nouvelle menace d’effraction, et contre le risque de débordement émotionnel ;
2. inviter le sujet à s’exprimer, c’est-à-dire lui offrir une activité qui l’arrache à son inhibition et répond
à son besoin de transformer son expérience sensorielle en mots (fonction cathartique) ;
3. apaiser (au besoin par médicaments) et rassurer ;
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4. informer sur l’événement, et sur les symptômes, oralement et par notice (remettre une fiche d’infor-
mation, la lire et la commenter au besoin), et indiquer les éventuels relais pour la suite de la prise
en charge (débriefing, aide sociale...) ;
5. dépister les traumas, c’est-à-dire identifier les symptômes de stress dépassé, évocateurs de trauma ;
6. trier : les sujets à renvoyer vers les aides sociales, les sujets à surveiller pendant un temps court
et les sujets à évacuer.
!

L’intervention médico-psychologique en période post-immédiate

Pendant la période post-immédiate, les personnels des CUMP (et tout soignant psy) assurent la
surveillance et le suivi médico-psychologique des victimes, dont ils ont recueilli les coordonnées
et consigné les symptômes initiaux sur la fiche de première intervention. Certaines victimes, qui
122 D E L’ ÉVALUATION À LA PRISE EN CHARGE

avaient refusé l’offre de soins dans l’immédiat, voient leur état psychique se détériorer dans les jours
ou semaines et ressentent alors le besoin d’être traitées, par leur médecin généraliste, un psychiatre ou
– mieux - par les personnels des CUMP. Beaucoup de victimes acceptent l’offre de debriefing mentionnée
sur la notice.
Le terme de débriefing est emprunté au vocabulaire militaire opérationnel de la seconde guerre
mondiale. Il était utilisé en particulier dans l’aviation pour désigner les séances de bilan technique
des équipages de bombardiers au retour de mission. Avant de partir en mission, les équipages se
faisaient prescrire et préciser leur mission dans une séance dite de briefing ; et, au retour de la mission,
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ils rendaient compte de son exécution, des résultats, des pertes subies, etc., dans une séance de
débriefing. Il s’agissait d’évaluer les aspects techniques de ces missions de bombardement, mais il est
certain que des données telles que les dangers encourus, le choc émotionnel du combat et la mort
de camarades conféraient à certains de ces débriefings un aspect psychologique. À la fin de la guerre
(1944), l’historien S. L. A. Marshall avait appliqué cette méthode de debriefing aux soldats d’infanterie
de marine qui venaient de connaître un combat éprouvant sur le théâtre d’opérations du Pacifique. Sa
méthode, qu’il dénommait Historical group debriefing, (debriefing historique de groupe), avait pour but
de procurer aux participants une description objective et chronologique (d’où l’utilisation de l’adjectif
« historique ») permettant de comprendre le déroulement d’un combat qui jusqu’alors s’était présenté
au soldat comme un chaos. Dans sa méthode de narration historique, Marshall demandait à chacun
de décrire le plus précisément possible sa vision de la bataille, dans son déroulement chronologique,
et d’écouter les autres raconter ce qu’ils avaient vu. Ainsi se constituait à partir du groupe une
reconstruction chronologique et objective de la bataille, où chacun pouvait mieux se situer et sur
laquelle il pouvait exercer une première maîtrise mentale, à savoir la compréhension. Marshall estimait
que cette méthode de verbalisation « dissipait le brouillard du combat » et que les participants s’en
sortaient soulagés et confortés dans leur self-estime (Marshall, 1947).
En 1983, le psychologue et pompier américain Jeffrey Mitchell eut l’idée de reprendre la technique de
Marshall pour définir et codifier des procédures de débriefing applicables aux équipes de sauveteurs
civils, pompiers et policiers. Son but était de réduire les perturbations émotionnelles immédiates ou en
incubation au lendemain des « incidents critiques » survenus pendant les opérations de secours et de
faciliter la reprise de leurs pleines capacités au travail et la bonne réinsertion au sein de leurs familles
(Mitchell, 1983). Dans une publication de 1988, Mitchell a affiné sa méthode et en a édicté les normes
d’application (Mitchell, 1988). Par la suite, la méthode a été adoptée aux États-Unis et dans les pays
de langue anglaise par des psychologues, des médecins et des cadres, dans des applications diverses,
ce qui fait qu’il est difficile d’en distinguer les applications de routine des applications de prévention,
voire de thérapeutique. En principe, Mitchell préconise sa méthode à l’usage des personnels de secours
à des fins de prévention, mais ne l’envisage pas comme outil thérapeutique.
Pour Mitchell, le débriefing des incidents critiques s’appuie essentiellement sur la reconstruction
cognitive de l’événement et l’information du caractère normal des pensées, réactions et symptômes
manifestés à l’occasion de cet événement. Elle consiste à faire raconter l’incident par chaque partici-
pant, à savoir ce qu’il a vu, ce qu’il a fait, ce qu’il a pensé et ce qu’il a ressenti, ce qui lui permet,
en écoutant le récit des autres, de reconstituer objectivement l’événement, de s’apercevoir que les
comportements et symptômes des autres ont été semblables aux siens ; puis – après avoir écouté les
Tableaux cliniques et prise en charge des traumatisés psychiques 123

explications fournies par le leader – de mieux comprendre l’incident, de critiquer ses propres réactions,
et, ayant établi une synthèse ainsi éclairée par les apports de la connaissance, de sortir de la séance
soulagé des préoccupations gênantes issues de l’incident et prêt (psychologiquement mieux armé) à
faire face aux nouveaux incidents à venir.
Le moment opportun pour mettre en œuvre la procédure de débriefing est, pour Mitchell, 24 à 72 heures
après l’incident, une fois que les sujets ont émergé du halo d’irréalité inhérent à l’incident, une fois
qu’ils commencent à se sentir moins perturbés, et une fois qu’ils commencent à prendre un peu de
recul. Le lieu du débriefing doit être un lieu « neutre » ; il ne doit pas être le lieu de l’incident, et si
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possible il ne doit pas être le lieu de l’institution à laquelle appartiennent les personnels impliqués. Il
doit s’agir d’un endroit calme, sécurisant, et à l’abri des stimulations parasites, telles que sonneries
de téléphone, sirènes et autres bruits. D’ailleurs, pendant le débriefing, dont la durée est en général
de deux à quatre heures, il est demandé aux participants de ne pas s’absenter de la salle et de ne pas
téléphoner ni recevoir d’appels téléphoniques. Sur le plan de l’aménagement matériel, le mieux est de
disposer d’une petite salle pourvue d’une grande table, ronde, ovale, carrée ou rectangulaire, autour
de laquelle les participants et les personnels de débriefing sont assis, ce qui permet à chacun de voir
tous les autres et de pouvoir appuyer les mains sur la table pour se donner une contenance
Les personnels qui assurent les débriefings sont des personnels de santé mentale, psychiatres, psy-
chologues ou assistants sociaux ; mais ils peuvent être aussi des sauveteurs motivés pour apporter
un soutien de pair (peer support) à leurs camarades traumatisés et recrutés parmi les métiers à haut
risque (police, armée, pompiers et sauveteurs spécialisés dans les catastrophes). Tous ont reçu une
formation spécialisée en débriefing. Le débriefing doit être dirigé par un leader, psychologue, médecin,
assistant social ou cadre, spécialement formé à cette mission de direction. Si possible, ce leader
ne doit pas relever de l’institution à laquelle les personnes à débriefer appartiennent ; il doit venir
d’un organisme extérieur à l’institution. De toute façon, il ne doit en aucun cas avoir été impliqué
dans l’incident ; en particulier, le chef de l’équipe impliquée dans l’incident ne peut pas être désigné
pour assurer le débriefing de son équipe, même si sa fonction lui impose de procéder par ailleurs à
un débriefing « technique » de la mission. Le leader se fait seconder par un ou plusieurs personnels
de débriefing, également spécialement formés à ces procédures, et chargés d’observer les réactions
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et comportements des participants.


Pour Mitchell, le débriefing se distingue de l’intervention thérapeutique par quatre points :
1. déroulement strict (du débriefing) versus déroulement souple (de la thérapie),
2. raconter l’événement versus le revivre,
3. ne pas interpréter versus interpréter,
4. expliquer, dédramatiser et conseiller versus écoute neutre.
Le débriefing peut être appliqué individuellement, pour un seul sauveteur ou une seule victime. Plus
souvent, il est effectué en groupe, à tout le groupe ou toute l’équipe, cadres et exécutants inclus, qui
a été concerné par l’incident. L’optimum de fonctionnement du débriefing se réfère à un effectif de
cinq à douze personnes, ce qui permet à chacun de s’exprimer plusieurs fois suffisamment longuement
124 D E L’ ÉVALUATION À LA PRISE EN CHARGE

pendant une séance de deux à quatre heures. Si l’effectif est plus important, il est recommandé de le
répartir en sous-groupes de sept à dix personnes.
La procédure du débriefing selon Mitchell se déroule en sept étapes :
1. La première étape, dite « d’introduction », consiste à présenter aux sujets le cadre, la démarche
et les règles de la méthode ; leur dire qu’il ne s’agit ni d’une enquête, ni d’une thérapie pour des
malades, mais d’une discussion de bilan, pour des sujets normaux ; les assurer de la confidentialité
absolue qui couvrira tout ce qui sera dit ; leur annoncer que les démarches narratives vont permettre
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aux sujets de se dégager de l’aspect « absurde » de l’incident.
2. La deuxième étape, dite « des faits » consiste à faire décrire par chacun des sujets ce qui s’est
passé avant l’événement, pendant et après. Chacun doit dire aussi ce qu’il a fait, et ce qu’ont
fait les autres, ou du moins ce qu’il a vu ou entendu les autres faire. Ainsi, en racontant, il se
rend compte qu’il n’était pas seul ; et, en écoutant les récits des autres, il se rend compte que,
maintenant encore, il n’est pas seul. Peut-être aussi, dès ce moment, est-il en mesure de compléter
et de corriger sa vision partielle de l’événement par les apports cognitifs venant d’autrui.
3. La troisième étape, dite « des cognitions », consiste à demander au sujet de dire ce qu’il a pensé
avant, pendant et après l’événement, et ce qu’il en pense maintenant.
4. La quatrième étape est celle « des réactions » ; il s’agit pour les sujets d’identifier leur vécu, et de
l’exprimer, et aussi de parler de leurs relations aux autres à ce moment. Au cours de cette étape, le
leader intervient pour expliquer la normalité de ces réactions (« réactions normales à une situation
anormale »).
5. La cinquième étape, dite « des symptômes », fait rapporter et inventorie les divers symptômes,
somatiques et psychiques, ressentis au cours ou au décours de l’événement.
6. La sixième étape est celle de « l’enseignement » : en termes simples, le leader expliquer ce qu’est
le stress, son utilité et ses excès, ainsi que son impact sur le travail et la vie du sujet. Il insiste sur
le caractère « normal » des symptômes et malaises ressentis, « dédramatise » leur vécu et signale
le rôle bénéfique de l’hygiène de vie et du soutien social (social support) apporté par l’entourage.
7. La septième et dernière étape est celle du « retour d’expérience » et de la synthèse. Le leader
explique aux participants qu’en parlant et en écoutant les autres raconter ce qu’ils avaient vu,
et exprimer ce qu’ils avaient ressenti, ils ont acquis une meilleure connaissance, objective et com-
plète, de l’événement, qu’ils ont compris la « normalité » de ce qu’ils avaient ressenti, et que,
maintenant, ils ressortent plus forts de cette expérience.
Pour cette conduite du débriefing, Mitchell insiste sur le fait que l’on ne doit pas confronter d’emblée
les sujets avec leur vécu émotionnel ; que l’on doit partir du niveau sécurisant et impersonnel des
faits, puis passer au niveau personnel des pensées, descendre ensuite au niveau sensible des émotions
et des symptômes, avant de remonter à celui de l’explication et de ces émotions, puis au niveau de
l’explicitation des pensées (de telle manière que des pensées rationnelles se substituent aux pensées
inadéquates) et revenir enfin au niveau des faits, éclairés cette fois de toutes les informations et expli-
cations nécessaires, de telle manière que le sujet soit débarrassé de sa vision partielle et erronée de
l’événement, pour la remplacer par la connaissance objective de cet événement. et il illustre cette
Tableaux cliniques et prise en charge des traumatisés psychiques 125

démarche par une courbe en V, où le haut des deux branches du V se situe au niveau narratif, la partie
médiane de chaque branche au niveau cognitif, la pointe du V au niveau affectif : on part à gauche
dans le narratif, on descend dans les cognitions, on descend plus profond dans les émotions, puis on
s’explique sur les émotions et les symptômes, remonte à droite dans les cognitions (cognitions sur
les émotions) et on termine au niveau narratif de la description objective et armée de connaissances,
dédramatisée et ouverte sur un avenir positif.
Les schémas de Marshall et de Mitchell sont applicables aux équipes de policiers, de pompiers et de
secouristes qui ont connu un incident critique pendant leur mission. Ces personnels sont sur leurs
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gardes, ils ne veulent pas paraître faibles aux yeux de leurs camarades et ils redoutent que l’étalage de
leur affectivité ne compromette leur aptitude à poursuivre le service. Aussi s’accommodent-ils bien de
la consigne qui impose un long préalable narratif et descriptif avant l’expression des émotions. Et, le
style narratif étant adopté, ils livrent ensuite au debriefing non pas l’expression de ces émotions, mais
un discours narratif neutre sur ces émotions. Ce debriefing narratif ne peut être appliqué aux victimes
de violence, qui ont besoin d’exprimer tout de suite l’émotion qui leur monte aux lèvres, et des méta-
analyses (De Clerq et Vermeiren, 1999) ont montré que ces schémas étaient inefficaces pour réduire
les symptômes des victimes traumatisées, qui relèvent d’un schéma thérapeutique. D’où l’élaboration
de méthodes de debriefing psychodynamique (Crocq, 2004) ou intervention psychothérapique en
post-immédiat (I.P.P.I., Duchet, 2004).
Le debriefing psychodynamique (Crocq, 2004), peut être pratiqué individuellement ou en groupe. Ses
objectifs sont les suivants :
1. ménager un espace-temps intermédiaire entre l’événement traumatique et le monde normal ;
2. conforter la personne (l’assurer qu’elle n’a pas été abandonnée, mais qu’elle doit recouvrer son
autonomie) ;
3. inciter à la verbalisation du vécu (une énonciation spontanée plutôt qu’un récit factuel) ;
4. informer sur les symptômes et les lieux de consultation ;
5. faciliter l’identification du sujet aux autres victimes (dans le cas d’un debriefing de groupe) ;
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6. renforcer la cohésion du groupe (en évitant que le groupe n’adopte une attitude hostile vis-à-vis
du monde extérieur) ;
7. aider à réduire les sentiments d’impuissance, d’échec et – dans une certaine mesure – de honte
et de culpabilité ;
8. préparer le sujet à affronter sa famille et son entourage, et éventuellement les médias ;
9. repérer les sujets fragiles (et, en a parte, leur proposer un soutien) ;
10. inviter le sujet à mettre un point final à son aventure. Le debriefing doit être assuré par des
psychiatres et des psychologues spécialement formés à cette procédure, tels ceux des CUMP.
126 D E L’ ÉVALUATION À LA PRISE EN CHARGE
!

Prise en charge et traitement pendant la période différée-chronique

La prise en charge pendant la période chronique doit être assurée par des personnels soignants bien
au courant de la pathologie psycho-traumatique. Or, bien que, par comparaison aux années 1990,
la pathologie et la thérapie du trauma soient mieux connues des psychiatres, certains praticiens
persistent à le traiter comme une affection psychique banale, endogène ou remontant aux conflits
de l’enfance. Beaucoup de victimes traumatisées que nous avions adressées à des praticiens « tradi-
tionnels » sont revenues nous voir, déçues, en disant : « mon psychiatre ne m’interroge pas sur mon
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trauma, il s’obstine à vouloir me faire parler de mes relations d’enfance avec mes parents ».
L’attitude du psychiatre ou du psychologue doit être empathique, se démarquant de la classique
« neutralité bienveillante ». La victime traumatisée est en pleine détresse et elle a besoin d’une
compréhension ouvertement empathique ; et elle risque de vivre comme une rebuffade la tradition-
nelle « neutralité bienveillante » derrière laquelle se sera retranché le thérapeute. Certains praticiens
se contentent de réduire les symptômes gênants d’insomnie, d’anxiété phobique et d’inhibition par
la prescription de médicaments somnifères, anxiolytiques ou antidépresseurs ; mais les symptômes
réapparaissent dès que le traitement cesse ; et, de toute façon, on n’a fait qu’écrêter le tableau
clinique sans aborder la question du trauma (Crocq, 1999).
La pathologie des syndromes psycho-traumatiques (névrose traumatique ou trouble stress post-
traumatique) est particulière, proche de la pathologie psychiatrique de guerre ; et sa réduction
exige des approches thérapeutiques adaptées, visant non pas à faire oublier le trauma, mais à faire
s’en souvenir autrement. La leçon des apports de Janet (1889, 1919) et de Freud (1895, 1920) est
primordiale : il s’agit de faire revivre l’événement traumatique in statu nascendi, tel qu’il a été vécu
sur le moment et, surtout, de faire établir des associations d’idée à son sujet ; et par conséquent
de faire transcrire en langage et en symboles le vécu brut, sensoriel, de l’expérience traumatique
inaugurale. C’est à ce prix qu’on obtiendra la catharsis, ou soulagement éclairé, dont parlait Aristote
au sujet du dénouement de la tragédie antique, lorsque le chœur ou le coryphée énonce une morale
qui apporte vérité et sens là où il n’y avait que l’absurde et l’incompréhensible (Aristote, 335 av. J-C ;
Crocq, 2003). En fin de compte, à bien y regarder, toutes les thérapies efficaces du trauma sont peu
ou prou cathartiques : hypnose (Simmel, 1918), relaxation, narco-synthèse, EMDR (Eye Movement
Desensitization Reprocessing), contrat comportementaliste, psychothérapie de soutien centrée sur le
trauma, et même psychothérapie d’inspiration psychanalytique explorant le trauma ; et toutes visent
à faire opérer l’élaboration résiliente (Crocq, 2012).
Chapitre 11

Témoignage et crédibilité
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dans l’évaluation expertale

Jean-Luc Viaux

L E MENSONGE N’EST PAS LE CONTRAIRE DE LA VÉRITÉ,mais plutôt son paradoxe, puisqu’il est la vérité que le
sujet qui ment veut vous faire entendre. La vérité d’un sujet n’est pas « une », pas plus que ne
l’est la vérité sociale ou judiciaire, comme le montrent tous les jours les médias. La crédibilité est
dans une position quasi semblable : est crédible ce qui peut être cru et non ce qui est vrai. Mais il est
des domaines, comme la justice, où le « crédible » détermine le vrai, et vient subvertir la dialectique
du témoignage, en tant qu’il serait « objectif ». Sauf que nous sommes tous de plus ou moins bon
témoins. Dès lors que la justice est saisie d’un délit ou d’un crime il lui faut une ou des preuves,
lesquelles seront la pierre angulaire de la « vérité judiciaire » : mais surtout quand le crime ne laisse
pas de trace, il faut que les témoignages soient authentifiés comme recevables, d’où la question de la
crédibilité.
Ainsi, que l’on détermine ou non que les propos d’un sujet (et non le sujet lui-même, ce qui est
une expression impropre) soient « crédibles », ne change rien au problème de la vérité. D’une part la
vérité judiciaire et la vérité psychologique ne sont pas forcément au diapason, et d’autre part, il n’est
jamais question de la crédibilité des propos des agresseurs présumés... comme s’ils étaient exempts
de toute tentative de falsification délibérée ou inconsciente, de mythomanie, voire de tromperie (item
incontournable chez les personnes s’exprimant sur un mode psychopathique), et alors qu’il est admis
qu’un mis en examen a le « droit » de mentir.
Mais en réalité la clinique psychopathologique n’est pas compétente en matière de « crédibilité »,
parce qu’elle s’intéresse avant tout au sujet et à sa subjectivité. La clinique travaille sur le sens
que prend une parole dans un contexte (familial, social, judiciaire...) et la vérité du sujet est la
seule avec laquelle le clinicien travaille en toutes circonstances. La vérité judiciaire est autre chose,
Témoignage et crédibilité dans l’évaluation expertale 129

et se nourrit du témoignage, en tant qu’approche de l’objectivité. Il existe une science du témoi-


gnage mais elle n’est pas dans le champ de la clinique mais de la psychologie sociale et cognitive
(Perception/développement cognitif/mémoire/manipulation etc.).
En demandant donc au même expert psychiatre ou psychologue d’examiner un sujet dans le but de
déterminer ses souffrances psychiques, spécifiquement centrées sur une victimisation présumée, et en
même temps de déterminer si cette victimisation a bien eu lieu, la justice produit à chaque fois un
nouvel épisode de « Mission Impossible » : faire de l’objectif avec du subjectif.
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Compte tenu d’un célèbre procès le terme de crédibilité a été rayé du vocabulaire judiciaire (encore
que... il revient parfois) mais pas la question posée à l’expert. On pourrait en faire un florilège mais
la plus récurrente est « Dire si aucune perturbation n’entache la validité de ses déclarations » ou
plus directement « la victime est-elle capable d’affabulation », « souffre-t-elle de mythomanie ». Si
la réponse est oui il va de soi que l’accusé sera moins en peine pour se défendre. C’est évidemment
en matière d’agression sexuelle que cette question est la plus cruciale, soit parce que les faits sont
anciens, soit parce qu’il n’y a pas eu défloration – seul indice objectif propre à « faire vrai ». Les
traces matérielles n’existant pas ou plus il ne reste que la « conviction » de celui qui accuse et celui
qui se défend, l’ADN apportant la preuve du contact entre plaignants et accusé(e), le sperme la preuve
de la relation sexuelle, mais pas du consentement. Comme la justice est équitable elle n’hésite pas
à traiter l’un comme l’autre, l’enfant de 5 ou 10 ans comme son père incestueux : elle confronte
leurs dires autant de fois qu’il faut. et n’en pouvant mais de savoir « qui ment de papa ou toi »,
comme l’a demandé un juge d’instruction à une petite fille de 8 ans (« avec insistance » note-t-il
scrupuleusement dans son PV), la justice préfère envoyer l’enfant se faire crédibiliser ailleurs, chez le
psy-expert.
Dans un autre registre, la question sur la connaissance de la plaignante ou du plaignant en matière
sexuelle est indistinctement posée à propos de femmes, mères de famille, ayant dépassé l’âge des
premiers émois depuis deux décennies et de filles ou de garçons de 5 ans. Si dans un cas c’est une
simple commodité d’employer des questions standards dans l’autre il s’agit bien de mettre en doute
que l’enfant ait pu tout seul parler de pratiques sexuelles sans qu’un adulte ne l’ait influencé pour le
dire. Car bien entendu la plupart des adultes même professionnels s’imaginent que les enfants de 5
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

ans ne savent rien de la sexualité. et quand le clinicien explique le contraire sans vouloir pour autant
dire qu’il n’a pas subi d’agression ce n’est pas forcément ce qui est entendu.

LA PROCÉDURE TELLE QU ’ ELLE SE PRATIQUE

Dans la pratique de la psychologie légale, le clinicien se trouve donc confronté à cette double tâche
assez contradictoire éclairer le magistrat ou l’OPJ qui ordonne l’expertise sur le témoignage (sa
qualité, sa validité) produit par la victime – surtout dans les cas de victimisation sexuelle - et d’autre
part évaluer les dégâts causés par la victimisation, à supposer qu’elle soit celle que décrit la ou le
plaignant(e).
Notons qu’aucun texte n’est équivalent à l’article 81 CPP concernant la personne mise en examen qui
cadre l’examen médical et psychologique d’une personne soupçonné de délit ou de crime. L’absence
130 E XPERTISE ET ÉVALUATION DU TÉMOIGNAGE

de cadre spécifique ne signifie pas l’absence de règles générales pour l’expertise. Mais légalement si
l’article CPP-706-48 prévoit la possibilité d’une expertise, dite médico-psychologique, pour apprécier
la nature et l’importance du préjudice subi, qui peut être ordonnée par le Juge d’Instruction ou
par le Procureur au stade de l’enquête préliminaire, elle ne prévoit pas d’investigation expertale
sur le témoignage. Cette pratique qui avait déjà cours avant la loi du 17 juin 1998 par le biais des
réquisitions (article 77-1 CPP) peut tout aussi bien être détournée de la question du préjudice à celle
de la « crédibilité » car l’OPJ ou le magistrat reste libre de ses questions : les missions vont donc
mêler l’examen des conséquences d’une victimisation et l’examen de l’éventuelle propension à mentir
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du sujet victime (pudiquement baptisée « mythomanie »).
Le seul garde-fou est la déontologie de l’expert qui ne fait pas l’instruction à la place du juge1 , y
compris s’il est amené à se prononcer, sans que les mots soient employés littéralement, sur la crédibilité
et le discernement d’une victime. Or le fait de décrire un(e) victime comme mythomane, hystérique
(au sens de la névrose, bien évidemment) ou peu fiable dans ses récits par déficience cognitive, va
avoir des conséquences fondamentales pour la poursuite de la procédure. Le risque est donc grand sur
le plan éthique – que l’expertise soit bien ou mal faite – que psychologue ou psychiatre, le clinicien
ne devienne l’acteur central du processus judiciaire en stoppant ou encourageant la poursuite de la
vérité par mise en doute de la crédibilité du sujet victime.

É TUDE DE LA VALIDITÉ D ’ UN TÉMOIGNAGE OU DE L’ APTITUDE À TÉMOIGNER

Il faudrait une fois pour toutes cesser de considérer qu’un sujet est crédible ou pas, comme s’il s’agissait
d’une dichotomie, mais seulement que dans un contexte donné la parole d’un sujet reste la parole d’un sujet
(subjectivité) et qu’elle a valeur de témoignage dont le sens est éclairé par les circonstances. En d’autres termes
ce n’est pas le sujet qui est « crédible » mais le témoignage qu’il délivre sur une situation qui est recevable –
ce qui sera en premier et dernier ressort la tâche du juge ou du jury non d’un expert. Un enfant de 7 ans peut
à la fois dissimuler sa conduite (désagréable) à l’école ou celle de son frère, mais être le bon témoin d’une
agression commise sur lui ou un de ses proches.
Concernant la victimisation sexuelle le temps du dévoilement – donc le moment du témoignage premier -
n’a rien à voir avec le temps de l’abus, qui peut être plus ou moins ancien, comme le montre la vague de
révélations dans les derniers mois de 2017. Or le temps modifie la perception d’un fait, autant que son
organisation dans la mémoire, et la répétition du même récit modifie l’économie de ce récit (importance
des détails par rapport à la structure du récit). Du fait même de la nécessité du travail de protection de
l’enfant ou de la femme vulnérable, et de la procédure le temps de la « répétition » chez le sujet victime (Viaux
1992) commence avec le dévoilement. La validité du témoignage et l’aptitude à témoigner diffèrent donc en
fonction de paramètres très divers comme les circonstances et le délai de dévoilement, et la nature des aides
et procédures mises en place pour la victime, le soutien (ou hostilité) à un enfant par sa famille, et le moment
de cette évaluation.

1. Faut-il rappeler ce que certains avocats font semblant d’ignorer pour mieux se servir des experts comme bouc-émissaire :
le juge, tout comme le tribunal, n’est en rien lié par les expertises techniques. L’usage immodéré dans certains cas des
contre-expertises et les citations à la barre de « sachants », parmi les plus médiatiques des cliniciens, montre bien que l’on
cherche à obtenir au bout du compte moins une expertise fiable qu’une caution à la conviction.
Témoignage et crédibilité dans l’évaluation expertale 131

La victime examinée à quelque stade que ce soit d’une procédure ou du dévoilement, est non seulement
forcément « adaptée » (négativement avec décompensation de troubles ou positivement, sans troubles actuels),
mais prise dans un réseau complexe d’aides (de professionnels et de l’entourage) ou de rejets (de l’entourage),
de prises en charge du système social, qui se surajoutent aux réactions initiales du sujet. Il est donc très discu-
table, au plan de la cohérence, de se fonder sur une « étude » spécifique et isolée de l’aptitude à témoigner
« en soi » d’un sujet (est-il mythomane ? a-t-il une propension à la falsification ?), si ne peuvent être pris en
compte l’ensemble des éléments du contexte pré-victimisation post-victimisation, familial et socio-judiciaire.
Le travail du psychologue légiste, sollicité de valider le témoignage d’un sujet enfant ou adulte va donc se
trouver nécessairement confronté à la gestion du « temps du témoignage » (moment où cet examen est sollicité
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par rapport au dévoilement et à la commission des faits), à la gestion de la répétition (nombre d’entretiens
déjà produits par la victime et procédé de recueil par lui-même) et enfin à la gestion de la cohérence du
témoignage.

L’ APTITUDE À TÉMOIGNER DE L’ ENFANT : LE RECUEIL

Au début du siècle le psychiatre Dupré (inventeur du concept de mythomanie), ou le psychologue


belge Varendonck, ont érigé l’enfant comme mauvais témoin constitutionnel. De nombreux travaux
(Dent et Flint, Goodman, Loftus, Saywitz, abondamment cités en français par Bertone et al., 1995,
et par Ceci et Bruck, 1999) ont montré que l’enfant pouvait être comme l’adulte un bon témoin à
condition que l’on pratique une audition correcte centrée sur lui et son vécu et avec des méthodes
inspirées de la psychologie cognitive du témoignage.
En dépit de maints travaux sur son aptitude à témoigner l’enfant-victime, reste cependant un témoin
pris dans un réseau de représentations ingérables : soit il est suspect de n’être que l’objet manipulé
d’un adulte soit il est emblématisé comme figure de la souffrance que l’on doit croire a priori (position
parfois prévalente en France en matière d’abus sexuel).
Ce qui a été démontré assez facilement est l’adaptation progressive de l’enfant aux exigences de
l’adulte en matière de « véracité du récit » et ce, en fonction de son développement : l’enfant accède
peu à peu à un mode d’appréhension du monde conforme à celui des adultes par la répétition du récit -
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ce qui n’est pas une surprise. Ce développement spécifique comme tout autre peut donc être mesuré
(Halperin, 1997 ; Ollivier, 2000) - ce qui signifie qu’à tel niveau de développement de telles et telles
fonctions cognitives et affectives correspond une « proportion » suffisante de capacité à témoigner
d’un évènement. L’autre démonstration à retenir est l’influence négative de l’émotion dans la capacité
à témoigner (Blatier, Py, Joguet-Recordon, 1995), en ce qu’elle amoindrit le nombre d’éléments d’une
situation correctement restitués, effet limité quand on emploie des techniques spécifiques d’entretien
« cognitif » (rappel libre d’une situation avec consignes de remise dans le contexte de la situation
et notamment le contexte émotionnel). Par ailleurs une étude (Mc Nichol, S., Shute R., Tucker A.,
2000) a montré que quand une situation insolite se répète, l’enfant garde en mémoire les différents
détails de cette situation insolite, mais est incapable de les situer dans le temps (chronologie, ordre
d’apparition)
Toutes ces études sur le témoignage dans des situations de stress, font apparaître que dans un groupe
d’enfants mis dans une condition X, le pourcentage d’identification correcte et de résistance à la
132 E XPERTISE ET ÉVALUATION DU TÉMOIGNAGE

suggestion par rapport à tel événement « émotionnel » après diverses périodes de temps est de Y. À
l’évidence, dans un groupe donné un nombre variable, mais minime, de sujets se situent en dehors de
cette capacité globale, pendant qu’une très grande majorité d’enfants est fiable : si un de ces sujets,
minoritaire et en quelque sorte « hors norme », devient victime... quel sera le taux de restitution
valable à lui accorder ? et comment savoir si l’enfant fait partie de la majorité ayant une capacité
correcte à témoigner ou au contraire du groupe minoritaire ?
Les études convergent vers le fait que le récit libre, organisé de telle façon que le sujet se replace dans
le contexte de l’évènement favorise la restitution du maximum d’éléments de celui-ci. (Py & Ginet,
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1995) Par récit libre il ne faut pas entendre récit « spontané » qui existe rarement (et qui, lorsqu’il
est très organisé systématique et invariable dans le temps est plutôt un signe de « fabrication » que
d’authenticité), mais récit se déroulant sans questionnement sur le fond. H. Van Gijseghem a montré
dans une étude sur des enfants de 6 à 8 ans qu’il est difficile d’obtenir plus de 40 % de récit libre
dans un entretien avec des jeunes victimes, et que le maniement des relances est donc délicat pour
augmenter les « parts libres » du récit (Van Gijseghem, 2000).
Ceci & Bruck (1999) ont rapporté de nombreuses expériences sur la suggestion et les modifications
de témoignage d’enfants jeunes par la répétition de questions. Dans une expérience baptisée « Sam
Stone », des enfants de 3 à 6 ans voient apparaître dans leur garderie un nommé Sam Stone durant
2 minutes. Cet homme fait le tour de la pièce dit « bonjour et « au revoir » et ne touche à rien.
Interrogés à plusieurs reprises durant un mois, les enfants sont délibérément suggestionnés au 5e
rappel, où quelqu’un qui ne les a pas encore interrogés leur demande ce que Sam Stone a fait à un
livre ou un ours en peluche : 10 % des 3-4 ans racontent alors des actes que Sam Stone n’a en fait pas
fait. Une partie des enfants mis au défi de dire s’ils ont réellement « vu » Sam Stone le faire changent
leurs déclarations (seul 2,5 % persistent), alors que les 5-6 ans ne racontent rien de cette sorte. Mais
si l’on suggère plusieurs fois à des enfants avant et après la visite de Sam Stone que celui-ci est
particulièrement maladroit, puis qu’on leur fait voir les objets cassés dans leur salle après la visite,
25 % attribuent ces méfaits à Sam Stone, et un mois après, avec des questionnements répétés, 72 %
des enfants de 3-4 ans attribuent formellement ces forfaits à Sam Stone, dont 11 % persistent même
si on leur fait observer qu’ils ne l’on pas vu faire réellement.
Ceci et Bruck concluent de cette expérience qu’il n’y a donc que peu d’influence jusqu’au bout de la
répétition d’interrogatoire et de la suggestion pour une grande partie des enfants. Mais le fait qu’une
partie non négligeable d’un groupe d’enfant puisse changer ses déclarations au fil des répétitions
suggestives pose un réel problème pour le processus judiciaire : une seule contradiction relevée par un
enquêteur qui « piège » un jeune témoin, peut effondrer le témoignage ou confirmer une accusation
(sous le prétexte, classiquement invoqué, que l’enfant n’aurait pas « osé » avant cette question dire
la vérité par exemple).
La conclusion générale de ces auteurs sur cette question et la suivante : « [la] littérature expérimentale
indique que les procédés interrogatoires suggestifs peuvent amener des jeunes enfants à faire des
fausses déclarations à propos d’évènements réellement vécus, y compris sur les interactions incluant
des contacts physiques avec des adultes. Cette même littérature montre que peu d’enfants fabriqueront
des faux comptes rendus détaillés en réponse à une ou deux questions légèrement tendancieuses (...)
si cela arrive, c’est après que l’enfant a été longtemps exposé à un interrogateur partial ».
Témoignage et crédibilité dans l’évaluation expertale 133

Or cette situation est une réalité banale. Face à des révélations d’une maltraitance physique ou
sexuelle par un membre de la famille, les adultes hésitent souvent à aller d’emblée porter plainte.
De bonne ou de mauvaise foi, ils ont tendance à faire répéter aux enfants parfois pendant plusieurs
semaines les actes dont ils se plaignent. Ainsi se construit un « discours » avant la plainte formelle :
quand le premier enquêteur intervient les suggestions sont déjà en place, et comme l’enfant n’est
pas forcément cohérent ou qu’il est résistant au questionnement il va être interrogé plusieurs fois.
La première tâche de validation du témoignage serait donc de décrypter l’ensemble des déclarations
disponibles du témoin, et de vérifier les conditions de recueil.
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Le travail de l’expert est ici compliqué car peu conforme à la procédure judiciaire : il est difficile de
faire entendre aussi bien aux magistrats qu’aux enquêteurs que, lorsqu’il y a doute sur la validité du
témoignage, il faut disposer de toutes les déclarations de l’enfant-témoin-victime. Donc non seulement
des éventuelles observations professionnelles (s’il est suivi par un service de protection de l’enfance
ou en pédopsychiatrie) mais aussi de toutes les déclarations des témoins ayant entendu l’enfant « dire
que... », avec au besoin la possibilité d’accéder à ces témoins pour vérifier les conditions dans lesquels
ils ont dialogué avec l’enfant. Or par manque de temps et de moyens et aussi par incompréhension de
la problématique, c’est très rarement possible.

Exemple classique
Une jeune fille de 13 ans dans sa déposition devant le Juge d’Instruction a dit (du moins c’est ce qui est
consigné) que son père avait abusé 20 fois d’elle. Comme les faits remontent à une période bien située de
plusieurs années en arrière et s’étendent sur deux ans, je lui demande comment elle a fait ce compte du
nombre d’agressions. et elle me raconte que le juge voulait absolument qu’elle lui dise un chiffre, ce qu’elle ne
pouvait faire, il lui a donc cité des chiffres 5, 10, 20, 50 etc. en lui demandant de choisir... Donc c’était faux (le
chiffre), et pourtant vrai (l’inceste), puisqu’en réalité le père avait reconnu avoir pratiqué des attouchements :
le nombre d’actes importait peu mais l’excès de précision dans le questionnement et la suggestion aboutissait
à une fausse déclaration.

Une autre enfant est accusée par son agresseur de mentir parce que dans une déposition il a été
question de « pénétration », alors qu’un certificat médical montre qu’elle est vierge. Elle me dit :
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« Vous comprenez, je ne pouvais pas m’expliquer, il fallait que je réponde aux seules questions qu’on
me posait, même si on n’est pas d’accord avec les questions. » En effet le PV montre des questions
fermées où la réponse ne peut être que oui ou non. Or le mot pénétration ne signifie rien pour cette
très jeune fille impubère et donc elle ne comprend ni ce qu’on lui demande ni la portée de sa réponse
puisqu’elle ne sait pas non plus quels sont les signes physiques de la virginité. Mais pour beaucoup
d’enfants, être agressé dans ses parties intimes se dit « viol », ce qui est en effet le cas au plan
psychologique mais pas au plan de la définition judiciaire, d’où des confusions entre les mots du
témoignage (langage émotionnel) et sens des évènements vécus et relatés. C’est donc la connaissance
des contextes éducatifs des enfants, de dialogues (cliniques... pas d’auditions à questions fermées)
avec l’entourage que l’on peut au de-là de l’examen comprendre comment l’enfant interagit avec
l’adulte, sa confiance ou sa défiance et comment il met en mot habituellement ses émotions que peut
apparaître le sens des différents propos qu’il a tenu sur sa victimisation. Si l’expertise n’était pas
cet artisanat solitaire conditionné par des questions standardisées et une procédure conçue pour des
auteurs adultes et non des victimes enfants, il serait facile de clarifier tout cela, d’user d’une méthode
134 E XPERTISE ET ÉVALUATION DU TÉMOIGNAGE

rigoureuse en s’appuyant sur ces connaissances rapidement résumées. Ce n’est pas le cas, et donc
l’expert se doit de dire au mieux les limites de ce qu’il est possible dans le cadre qui lui et donné,
notamment en se souvenant que :
La validité du témoignage de l’enfant victime provient de deux constructions :
1. Le recueil par un praticien d’un récit libre autour de ces évènements en utilisant l’entretien cognitif
non suggestif et la reprise avec le sujet de toutes les sources disponibles de ses déclarations pour
en vérifier l’attribution.
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2. L’étude des caractéristiques interne du témoignage non de façon unique et « en soi » mais tout au
long de la procédure en cours après le dévoilement, comme on le sait depuis les années quatre-vingt
(cf. Benedek et Schetky, 1987)
Et il est nécessaire d’avoir recours à des méthodes éprouvées d’entretien pour parler avec un enfant
victime et recueillir son récit sans le suggestionner ni mélanger témoignage et émotion. On peut
notamment citer le protocole américain du NICHD1 et quelques règles simples d’entretien (Viaux,
2016).
Ceci étant ce qui vaut pour l’expertise de l’enfant vaut pour l’adulte.

L ESADULTES SONT- ILS DES TÉMOINS PLUS FIABLES


ET PLUS FACILES À COMPRENDRE ?

« De nombreuses recherches en psychologie ont montré que nous possédons tous, en fonction de notre
vécu, des connaissances stéréotypées plus ou moins élaborées concernant des scènes de la vie quoti-
dienne, c’est-à-dire que nous avons une représentation mentale assez précise du scénario d’un événement
particulier, tel que celui de la sortie au cinéma par exemple. Ce scénario est appelé par les psychologues
« script » ou encore « schéma », celui-ci contenant l’organisation temporelle des actions comprises dans
l’événement ainsi que les caractéristiques des individus et des objets qui y sont impliqués (...). « Les
scripts que nous possédons en mémoire concernent à la fois nos activités de tous les jours mais aussi des
événements que nous n’avons pas vécus personnellement » (Przygodzki-Lionet, N. 2014).

Il n’est pas nécessaire d’avoir vécu un braquage de banque par exemple pour savoir comment les
choses se passent, puisque le cinéma nous le montre depuis un siècle, il est donc peu probable que ce
« savoir » n’influence pas les témoins adultes, car il est tout aussi évident que nous percevons d’abord
ce dont nous avons déjà une représentation (image et contexte) dans nos cognitions.
Mais que se passe-t-il si un crime ne correspond pas tout à fait au script que nous en avons ? De
récentes études montrent que les témoins rapportent bien les éléments non conformes à leur schéma
de crime mais seulement s’ils sont questionnés rapidement. Il importe donc d’être particulièrement
vigilant aux témoignages tardifs, ceux-ci pouvant contenir des informations, certes plausibles car

1. NICHD Protocol : International Evidence-Based Investigative Interviewing of Children. Protocole NICHD pour les interviews
de victimes d’abus sexuel présumées (version 3.0) Michel E. Lamb, Catherine J. Sternberg, Phillip W. Esplin, Irit Hershkowitz
et Yael Orbach (2000). Une version française a été proposée par JL Viaux au Ministère de la justice dans le rapport de
recherche sur les allégations d’abus sexuel dans les contentieux de divorce (2002).
Témoignage et crédibilité dans l’évaluation expertale 135

consistantes avec le scénario classique de l’événement criminel considéré, mais néanmoins erroné ».
Ainsi il est clair que dans les « savoirs » communs et une représentation simpliste un voleur à l’arraché
ou un violeur sont des êtres violents, ou qu’un agresseur d’enfant est un pornocrate lubrique mais
pas un père de famille « respectable » etc. Mais ce n’est pas l’existence d’un ou de plusieurs détails
« subjectifs » qui font qu’un témoignage est peu plausible et le témoin un « menteur » : l’adulte
comme l’enfant a intérêt parfois à masquer qu’il a eu telle ou telle attitude l’ayant mis en danger, ou
le présentant sous un mauvais jour.
Beaucoup d’adultes sont interrogés sur des évènements dont ils ont été les victimes dans un passé plus
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ou moins lointain, la loi permettant notamment la plainte 20 ans après la majorité pour un viol subit
avant 18 ans. : La tâche de l’expert à qui il est demandé si « les facteurs de nature à influencer les
dires de la plaignante et notamment s’il existe des éléments évocateurs d’une suggestibilité ayant pu
opérer sur les circonstances dans lesquelles ont été recueillies ses déclarations initiales », relève donc
de l’exploit scientifique et technique. Comment 5, 10 ou 20 ans après un vécu d’effraction et l’effroi
du viol, dégager la partie émotionnelle (stress, peur, douleur psychique et physique) du témoignage,
du contexte de réalité et de ce qui a déclenché aussi bien le silence que le douloureux rappel de la
nécessité d’en parler ? Est-ce d’ailleurs possible ?
« Un des résultats majeurs des recherches en psychologie du témoignage souligne que, malgré la fragilité
de la preuve testimoniale et la difficulté à repérer une fausse déclaration, on a tendance à surestimer la
validité des dépositions des témoins, et ce d’autant plus si ces derniers se montrent sûrs d’eux (...). Ce
n’est pourtant pas parce que quelqu’un est affirmatif qu’il a forcément raison, et inversement, quelqu’un
qui manque d’assurance n’a pas forcément tort : la corrélation entre la certitude du témoin et l’exactitude
de son témoignage est faible. » (Przygodzki-Lionet, 2014)

Ce qui vaut pour les témoins non impactés par un évènement vaut évidemment pour les témoins-
victimes – avec cet inconvénient que se mêle aux biais de réminiscence la souffrance de la réminiscence.
Les victimes de violences conjugales et/ou sexuelles doivent, si elles veulent être entendues, faire
appel à leur raison cognitive, alors qu’elles se plaignent parce que leur vécu traumatique les a conduites
psychiquement à parler par débordement émotionnel : double contrainte psychique impossible qui
donne à certains récits des allures de fantasmes. Or ce vécu est empreint de pensées et sensations
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non objectivables voire « fausses » au regard de l’observateur : impression d’être suivie par l’agresseur,
parasitage de la pensée par des réminiscences dans des contextes sans rapport avec l’évènement,
continuité des relations avec l’agresseur membre de la famille pour ne pas avoir à révéler sa souffrance
à la famille etc.
L’expert clinicien ne peut que travailler sur la subjectivité. La question de croire ou ne pas croire
ne se pose pas en terme clinique : un trauma se constate au vu d’un ensemble syndromique parfai-
tement référencé dans la littérature. L’explication de ce trauma relève de l’hypothèse et non de la
« croyance » dans une crédibilité objectivable, d’où la nécessité d’argumenter la partie discussion de
l’expertise : en l’absence d’autres évènements connus, et éventuellement objectivés, justifiant que le
sujet puisse souffrir d’un syndrome traumatique, le récit du sujet quelle que soit son imperfection
est, par hypothèse, relié à sa souffrance psychique. Mais à l’inverse de la personne victime l’expert
peut facilement faire appel à la cognition : nous savons que toutes (pour ne pas dire la plupart)
des agressions sexuelles ne sont pas violentes, et que le détournement de la séduction, l’état de
136 E XPERTISE ET ÉVALUATION DU TÉMOIGNAGE

faiblesse momentané ou chronique sont des « moyens » pour l’auteur de parvenir à ses fins. C’est donc
moins dans la recherche d’une intentionnalité de falsification qu’il faut aborder la question de ce qui
« influence » la parole de la personne plaignante que dans la mise à jour de ses processus émotionnels
et de pensée, y compris ce qui est souvent au premier plan du silence : la peur de ne pas être crue.
L’éthique de l’expert est de toujours prendre en compte la parole du sujet, de penser qu’elle fait sens,
et de replacer avec raison cette parole dans un contexte.
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C ONCLUSION

L’expertise à plusieurs buts contradictoires, telle que pratiquée en France, n’est pas un paradoxe
c’est un risque : la souffrance d’un sujet relève de la clinique psychopathologique, pas de la logique
judiciaire, et elle ne se déploie que dans un espace d’intersubjectivité entre le sujet et le clinicien.
Cette souffrance (quelles qu’en soient les causes) s’accommode mal de « vérifications » : la validité
sociale de ce que dit le sujet sur un délit ou un crime suppose une technique d’analyse des enjeux de
son témoignage qui ne relève pas de la clinique. Ce que l’expert apporte à la logique de la « vérité
judiciaire » c’est l’analyse des processus psychiques et de la construction cognitive d’un « évènement »
et de son contexte.
Le malentendu n’est pas que vérité subjective et objective s’affrontent, mais de vouloir ou de pré-
tendre que l’une puisse avoir lien, effet, valeur subversive de l’autre : la victime a besoin de vérité
psychologique, c’est-à-dire de reconnaissance de sa subjectivité de souffrance, la justice a besoin de
la vérité, pour combattre les passions. L’acceptation de cette inévitable contradiction engendrerait
moins de désillusion, moins de sur-victimisation, donc de douleur, surtout si on différenciait analyse
de la souffrance, du travail sur le témoignage. La justice dispose de l’éternité pour juger les crimes
contre l’humanité qui sont imprescriptibles, le sujet n’a qu’une courte vie, et n’a pas dans cette vie
deux enfances, pour s’accommoder de cette déception : la vérité judiciaire, le respect des droits de
l’enfant ou des droits de l’homme, ne remplacent et ne rétribuent aucune vérité du sujet.
Chapitre 12

Expertise et analyse du témoignage


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Roland Coutanceau

B ait été questionné et critiqué, dans le cadre de la commission VIOUT


IEN QUE LE TERME DE CRÉDIBILITÉ
faisant suite notamment à l’affaire d’Outreau, il n’en reste pas moins qu’un regard psychologique
sur le témoignage est un élément central d’un examen de sensibilité psycho-criminologique.
Et dès lors la question est la suivante : l’expert a-t-il quelque chose à dire sur le témoignage ? et de
façon corollaire se pose la question de la méthodologie du recueil de la parole, celle de la restitution
et enfin, celle de son interprétation.

L ES DIFFÉRENTS POSITIONNEMENTS DES EXPERTS

Mais analysons tout d’abord les différentes positions expertales sur ce sujet sensible de l’évaluation
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de la crédibilité, ou plus concrètement de l’évaluation du témoignage.


On peut distinguer trois positionnements différents ; le troisième pouvant également se scinder autour
de deux sensibilités.
!

Ne pas répondre à la question

Certains experts refusent de répondre à la question, ne la considérant pas comme étant de l’ordre de
leur identité professionnelle ; se considérant comme spécialistes du fonctionnement psychologique,
de la psychopathologie de la personnalité mais non de l’analyse du témoignage.
Cette position est assez classique, compréhensible, respectable, mais ne répond pas au défi qui est
finalement en filigrane celui de l’examen médico-psychologique d’un enfant (ou d’un plaignant) à
savoir apprécier le poids qu’on peut attribuer à son témoignage.
138 E XPERTISE ET ÉVALUATION DU TÉMOIGNAGE
!

Répondre sur la crédibilité, au regard de la personnalité

Certains experts répondent sur la crédibilité en général, tentant de mettre en évidence certaines struc-
tures de la personnalité où pourraient être présentes des fabulations ou une réalité mythomaniaque
(dynamiques hystériformes avec inauthenticité, manipulation) ; avec plusieurs repérages classiquement
répertorié : enfant mythomane, « débile vaniteux », tonalité psychopathique avec aspect hystériforme
marqué entre autres).
Ce positionnement est légitime dans son principe mais a un inconvénient : est-ce que quelqu’un
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de crédible en général (quand on a éliminé les problématiques pathologiques de fabulation ou de
mythomanie), dit forcément la vérité ? On voit qu’il peut y avoir une ambiguïté problématique : la
crédibilité en général excluant toute problématique pathologique du mensonge n’est en aucun cas
suffisante pour affirmer la réalité d’un témoignage allégué.
!

La crédibilité sur le fond

Certains experts s’attaquent ou répondent à la crédibilité quant au fond.


Dans un premier sous-groupe certains recherchent la présence d’un tableau clinique, associant reten-
tissement clinique et retentissement psychologique ; indiquant ensuite que ces éléments cliniques
s’inscrivent comme symptomatologie post-traumatique ; traduisant donc indirectement la réalité d’une
agression subie.
Mais là encore quand on considère les différents éléments d’une symptomatologie post-traumatique, on
voit bien qu’ils ne sont en aucun cas caractéristiques de façon absolue d’une réalité post-traumatique.
Pour être plus concret, développons-les de façon synthétique :
" Troubles du sommeil, aussi bien troubles de l’endormissement, que troubles du ré endormissement
lors du réveil au milieu de la nuit.
" Existence de cauchemars thématiques ponctuant les différentes périodes de sommeil paradoxal au
cours de la nuit avec nécessité de décrire de façon concrète les scénarios et les représentations
émergents au cours de ces cauchemars.
" Réévocations spontanées de tout ou partie de la scène traumatique ; que ce soit sous la forme de
flashs ou d’idées obsédantes au décours de la vie diurne.
" Troubles de l’efficience dans l’activité scolaire avec son cortège de troubles de la concentration,
troubles de la mémoire, difficultés d’acquisition...
" Troubles fonctionnels divers plus présents chez l’enfant (boule dans la gorge, spasmes gastriques,
troubles intestinaux, bouffée anxieuse...)
" Troubles du comportement plus caractéristiques de l’adolescent avec des tableaux assez variés (irri-
tabilité, troubles du comportement, fugues, problématiques addictives, troubles de l’alimentation
aussi bien à type de boulimie ou d’anorexie, comportements à tonalité prostitutionnelle...)
" Enfin, troubles de la vie affectivo-sexuelle avec inhibition, mal être dans la vie affective, blocage
dans la sphère psycho-sexuelle.
Expertise et analyse du témoignage 139

On le voit, aucun de ces signes cliniques n’est totalement caractéristique d’une histoire traumatique.
De plus même les plus concrets peuvent être des éléments allégués.
On ne peut donc, à notre sens, faire l’économie d’une manière concrète et pragmatique d’apprécier
et de recueillir le témoignage.
Dans un second sous-groupe s’inscrivent ceux des experts qui se confrontent au recueil et à l’analyse
du témoignage.
Le débat est alors celui de la méthodologie dans la relation d’écoute à l’enfant ; de la recherche
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d’éléments cliniques les plus significatifs ; éventuellement d’une appréciation interprétative ; et donc
hypothétique, en tout état de cause, du matériel recueilli.
Ils sont des trois ordres : des signes somatiques, certains arguments biologiques, des arguments d’ordre
psychique (symptomatologie post-traumatique ou syndrome psycho traumatique, décrit sous le nom
PTSD dans la classification américaine DSM4).
Les caractères du discours et notamment la construction du récit, la structure du discours, la qualité
du vocabulaire, la question de la variabilité du discours.
De la même manière, nous avons tenté de proposer cinq critères :
1. Qualité du récit, avec notamment aspect concret, précis, détaillé même s’il est fragmentaire ;
et prononcé dans le vocabulaire même du plaignant.
2. Expression d’affects émotionnels (angoisse, peur, gêne, honte, culpabilité) au moment de l’agression
alléguée et au moment de sa restitution
3. Éléments psychologiques d’accompagnement (questionnement dans la subjectivité du sujet, pensées
ou affects en circuit fermé : avoir pensé le dire, à qui... en fait tout ce que peut produire le travail
psychique entre le moment de l’agression supposée et son dévoilement.
4. Analyse du moment du dévoilement et compréhension de la dynamique qui a amené l’enfant ou
l’adolescent à parler à ce moment-là
5. Symptomatologie post-traumatique clinique et psychologique.
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Sur le plan clinique, rappelons les éléments essentiels : troubles du sommeil, cauchemars thématiques,
réévocation des scènes subies, majoration anxieuse, symptomatologie dépressive ou anxio-dépressive,
signes fonctionnels chez l’enfant, troubles du comportement chez l’adolescent, troubles de la vie
psycho-sexuelle.
Certains de ces critères méritent d’être précisés :
Qualité du récit : il s’agit non seulement d’obtenir le maximum de concrétude dans la description d’une
scène réaliste, circonstanciée, en se focalisant sur des scènes ou souvenirs particuliers, dont l’enfant a
un souvenir aigu plutôt que d’avoir l’exigence de restituer l’ensemble des situations ou la totalité d’un
évènement ponctuel. Ainsi pour respecter la variabilité de la qualité de remémoration chez l’enfant, il
nous semble plus pertinent de zoomer sur une scène facilement remémorée en tentant par un échange
maïeutique d’en faire émerger tous les éléments de concrétude plutôt que de vouloir être exhaustif.
Le repérage de cette scène dans un espace-temps : là encore, la précision de ce qui est restitué peut
dépendre du niveau de développement de l’enfant comme de son développement intellectuel mais
140 E XPERTISE ET ÉVALUATION DU TÉMOIGNAGE

l’expert doit tenter de situer ce qui peut être le plus repérable plutôt que de tenter de faire dater des
souvenirs qui restent flous, dans la difficulté de l’enfant de donner un repère chronologique.
La capacité à restituer le jeu relationnel dans ce que l’enfant a pu percevoir de ce qui se joue entre un
adulte potentiellement abuseur et lui-même : pression psychologique, mot inducteur, chantage affectif,
manipulation.
Recherche également de scènes à contenu sexuel explicite. Là encore, sans être suggestible ni poser de
questions intégrant une thématique concrète, il s’agit d’accompagner de façon empathique la capacité
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de l’enfant de préciser de façon suffisamment concrète les scènes sexuelles subies.
Enfin, pertinence de respecter le vocabulaire même de l’enfant dans la manière dont il est à même
de restituer ce dont il peut se souvenir. et là, on n’insistera jamais assez sur l’importance de ne pas
polluer le questionnement censé aider l’enfant à expliciter par des mots du registre de l’adulte ou des
manières adultomorphes d’évoquer la sexualité humaine. À défaut, les questions à contenu doivent
être à choix multiple pour éviter toute suggestion.

R ECHERCHE D ’ ÉLÉMENTS ÉMOTIONNELS

Il s’agit d’une part, par un interrogatoire maïeutique facilitant l’explicitation des émotions de faire
nommer les éléments émotionnels présents au décours même du souvenir allégué : qu’est-ce que tu
as ressenti ? Qu’est-ce que tu as éprouvé ? Comment tu pourrais le dire autrement ? Qu’est ce que tu
ressentais profondément ? Est-ce que tu peux mettre un mot sur ce que tu ressentais ?
Et également de noter les émotions émergeant en situation d’expertise au moment de la restitution par
l’enfant du souvenir évoqué (mal-être, blocage, interruption du discours, larmes aux yeux, moments
de pleurs...).

É LÉMENTS PSYCHOLOGIQUES D ’ ACCOMPAGNEMENT

Le repérage théorique est ici de postuler qu’entre le moment du souvenir traumatique allégué et le
moment du dévoilement, le fonctionnement psychique ne peut pas ne pas avoir été perturbé par
tout un parasitage de représentations ou de questionnements. Une des plus simples est la question :
« as-tu pensé le dire à quelqu’un ? » et non « L’as-tu dit à quelqu’un ? » (qui pourrait être vécu comme
un reproche quand l’enfant n’a pas été en mesure de le faire).
L’expérience montre que dans le fonctionnement psychique humain, en parler à l’autre n’est parfois
pas pensé mais le plus souvent a été pensé puis rejeté ou inhibé au moment de la mise en acte. Ainsi,
par exemple, une petite fille indiquera « j’ai pensé le dire à maman mais après j’ai pensé qu’elle en
parlerait à papa qui nierait. et maman me croirait peut-être pas. Puis j’ai pensé le dire à grand-mère
parce que je l’aime bien, je parle facilement avec elle quand je la vois tous les mercredis. Mais après
j’ai pensé : grand-mère, c’est la maman de maman, elle va le lui dire et ensuite maman en parler
à papa et peut-être elle ne me croira pas si papa nie ». Il y a une richesse du travail psychique à
Expertise et analyse du témoignage 141

objectiver dans la tête de l’enfant. Certains enfants pensent qu’ils n’ont pensé à rien mais en réponse
à des questions maïeutiques font émerger des éléments d’un travail psychique entre le moment des
faits et le moment du dévoilement.

A NALYSE DU MOMENT DU DÉVOILEMENT

Les éléments psychologiques du pourquoi et du comment du dévoilement sont fondamentaux à consi-


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dérer.

Vignette
Une petite fille a été agressée par son père entre 9 ans et 12 ans. Les faits se sont interrompus à l’âge de 12
ans, au moment où elle a dit à son père : « je pourrais être enceinte ». Il semble que cette phrase de sa part
a pu interrompre l’agression subie pendant plusieurs années. De fait, le père aurait cessé tout acte incestueux.
Elle nous révèle qu’à l’âge de 9 ans, elle pensait que tous les papas faisaient ça. Puis elle a compris à 11 ans
que ce n’était pas le cas, constatant que sa meilleure amie ne lui faisait pas des confidences de ce type. Après
avoir pensé le dire à sa mère, elle y a finalement renoncé, pressentant que ça serait un choc pour elle. Elle
indique ensuite qu’entre 12 et quinze ans, elle y pensait de moins en moins puis plus du tout. et au moment
d’une première expérience sexuelle avec un adolescent de son âge et dont elle était très amoureuse, elle s’est
sentie bloquée, incapable de s’abandonner dans ses bras, alors qu’elle le souhaitait, fondant en larmes. Devant
l’attitude compréhensive du jeune adolescent qui était aussi amoureux d’elle, elle lui confie ce qui s’est joué pour
elle entre 9 et 12 ans avec son père. On voit là des éléments psychologiques extrêmement concrets qui donnent
un sens de forte probabilité au souvenir traumatique mis en avant.

S YMPTOMATOLOGIE POST-TRAUMATIQUE CLINIQUE ET PSYCHOLOGIQUE

Cette recherche est incontournable. Mais en même temps, cette symptomatologie n’est pas caracté-
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ristique de façon absolue d’une agression subie pouvant s’inscrire dans nombre de tableaux anxio-
dépressifs, indépendamment de toute réalité traumatique.
Si on proposait de hiérarchiser la valeur des 5 critères ci-dessus, il me semble que notre « quinté »
théorique serait le suivant, en situant ces critères du plus significatif, au moins probant :
1. éléments psychologiques d’accompagnement entre le moment de l’épisode traumatique allégué
et le moment du dévoilement,
2. analyse de la dynamique du moment du dévoilement,
3. qualité du récit des faits en question,
4. existence d’éléments émotionnels aussi bien dans la restitution de l’épisode qu’au moment où il
réémerge au moment de l’expertise,
5. existence d’une symptomatologie post-traumatique.
142 E XPERTISE ET ÉVALUATION DU TÉMOIGNAGE

On le voit, l’élément essentiel utilisé par certains experts (recherche d’une symptomatologie post-
traumatique) est pour nous le moins significatif ; quand on tente d’analyser la qualité du témoignage
en lui-même.
Ainsi dans cette perspective, l’examen est essentiellement un recueil par l’expert psychiatre ou
psychologue des éléments de pensée, des éléments psycho-émotionnels, des éléments cliniques ;
et non de donner un avis ou une appréciation sur le témoignage. En ce sens, une expertise qui
restitue les éléments cliniques, les éléments psychologiques, les éléments de discours, les éléments
psycho-émotionnels est une expertise scientifique de recueil, au sens où selon Karl Popper, elle peut
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être discutée, argumentée et contre-argumentée. Elle est un objet intellectuel qui peut être interprété
par chaque partie. A contrario, une expertise qui ne restitue pas le contenu observé, les éléments de
discours ne peut être contredite ; ne pouvant s’appuyer que sur la compétence supposée d’un sachant,
qui n’a pas l’humilité de décrire ce sur quoi il fonde son jugement, quelle qu’en soit la pertinence.
Puis, on peut (ou pas) dans la conclusion proposer une phrase à type d’hypothèse de travail (et
seulement d’hypothèse de travail) qui peut résumer l’appréciation par l’expert de la clinique observée.
Restituer, décrire, citer tous les éléments recueillis permet à tout lecteur, à toute partie du procès
judiciaire, d’apprécier, le cas échéant, les éléments livrés de façon différente. Ainsi, on retrouve là un
élément de prudence épistémologique : toute démonstration non réfutable n’est pas scientifique.
En centrant son intérêt sur le recueil des données, l’expert éviter le trancher d’une appréciation,
dont on ne comprendrait pas l’argumentation ; appréciation qui serait en quelque sort proposée sans
véritable discussion médico-légale.

EN CONCLUSION

Dans l’esprit du débat autour de la crédibilité ayant amené la suppression du mot, on peut proposer
une pratique expertale de constat, de restitution, de citations qui permet le débat contradictoire dans
l’appréciation, dans l’interprétation des éléments cliniques, psycho-émotionnels et des éléments de
récit livrés ; et ce même si l’expert se risque à livrer dans la conclusion sa propre lecture des éléments
recueillis.
Plaidoyer donc pour une pratique de l’expertise s’articulant autour du recueil de données, ouverte à
l’argumentation et à la contre-argumentation, ouverte au contradictoire.
Chapitre 13

Syndrome d’aliénation parentale


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ou logiques d’influence

Déconstruire le syndrome d’aliénation parentale,


tout en le reconnaissant

Roland Coutanceau

C OMME AUPARAVANT LA QUESTION DES FAUSSES ALLÉGATIONS,


le syndrome d’aliénation parentale a émergé
dans un certain contexte : faisant polémique et déclenchant des débats passionnels entre tenants
du syndrome d’aliénation parentale (certains voulant même tenter de l’intégrer dans la classification
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des maladies mentales) et opposants critiquant sa réalité en elle-même.


Parallèlement, la question de la fréquence des fausses allégations comme du syndrome d’aliénation
parentale a donné lieu à des controverses, parfois irrationnelles.
En arrière-plan de ce questionnement est présent la réalité ou pas d’éventuelles agressions sexuelles
ou physiques, pas toujours objectivables dans le champ social.
Dès lors, se pose dans la pratique la question de la compréhension de certaines réticences ou refus de
l’enfant de voir un des parents.
La polémique est le plus souvent d’autant plus passionnelle que la garde est souvent attribuée à la
mère ; alors que c’est le plus souvent des hommes qui sont agresseurs sexuels ou violents sur leur
compagne ou sur leurs enfants.
Notre propos est de dépassionner le débat pour tenter de décrire de façon concrète les situations
psychologiques et relationnelles rencontrées.
144 E XPERTISE ET ÉVALUATION DU TÉMOIGNAGE

En filigrane, s’inscrit la question de savoir si un enfant peut être influencé dans sa réticence ou son
refus de voir l’autre parent, alors que dans la majorité des situations familiales l’enfant a plaisir de
voir l’un et l’autre parent, quelle que soit l’attribution de la garde et du droit de visite.

LE SYNDROME D ’ ALIÉNATION PARENTALE


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Pour cerner la réalité ou pas de cet éventuel syndrome, envisageons les différentes définitions qui lui
ont été données.
Dans une première définition il s’agit de « l’ensemble des manifestations psychopathologiques observées
chez les enfants soumis à des séparations parentales très conflictuelles, en premier lieu le rejet injustifié
ou inexplicable d’un parent par un enfant. »
Cette première définition souligne deux aspects :
! un contexte de séparation parentale « très conflictuelle »
! un rejet qualifié « d’injustifié ou d’inexplicable », ce qui reste, pour le moins à démontrer.

Dans la deuxième définition, celle de Richard Gardner pédopsychiatre américain, le syndrome


d’aliénation parentale est « une campagne de dénigrement d’un enfant contre un parent. » Cette
campagne est injustifiée et résulte d’un plus ou moins subtil travail de manipulation pouvant aller
jusqu’au lavage de cerveau, avec le mélange, en des proportions variables de contributions personnelles
de l’enfant.
Dans cette deuxième définition, l’hypothèse de rejet par l’enfant est clairement affirmée, étant présenté
comme « campagne de dénigrement » ; avec comme mécanisme relationnel « la manipulation pouvant
aller jusqu’au lavage de cerveau ». Dit autrement, dans cette définition, un parent est clairement
accusé de manipuler l’enfant.
Enfin dans une troisième définition, on situe le syndrome d’aliénation parentale comme toute situation
dans laquelle « un enfant exprime librement et de façon persistante des sentiments et des croyances
déraisonnables (rage, haine, rejet, crainte) envers un parent ; ces sentiments et/ou croyances étant
disproportionnés par rapport à l’expérience réelle qu’a vécue l’enfant avec le parent rejeté ».
Cette définition apparaît plus neutre et plus descriptive ; en donnant à voir les éléments psycho-
émotionnels mis en avant par l’enfant ; mais en les qualifiant de « disproportionnés », ce qui est un
élément d’évaluation, d’appréciation et non de description.
Les trois définitions sont intéressantes dans leur diversité parce qu’elles permettent de mieux appré-
hender les variations de ce qui peut éventuellement se jouer. On le voit, Richard Gardner a été le plus
tranché.
Suivons-le un instant dans la sémiologie du syndrome d’aliénation parentale tel qu’il le définit.
Syndrome d’aliénation parentale ou logiques d’influence 145

C RITÈRES DIAGNOSTICS DE R ICHARD G ARDNER


Les 8 éléments précisés par Richard GARDNER sont intéressants à considérer sur le plan de l’observation
clinique :
1. Désir affirmé de ne plus voir le parent rejeté dit aliéné ;
2. Rationalisation absurde et parfois futile pour disqualifier le parent rejeté ;
3. Manque d’ambivalence naturelle de l’enfant, avec une vision binaire et manichéenne (l’un est entièrement
bon, l’autre est entièrement mauvais). Au maximum l’enfant est incapable de retrouver ou raconter un bon
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souvenir, en compagnie du parent rejeté ;
4. Le phénomène du penseur dit indépendant avec dénégation spontanée de la part de l’enfant « c’est moi
qui pense là, personne ne m’a influencé » ;
5. L’enfant se présente comme le soutien inconditionnel du parent aliénant, cette attitude étant le plus souvent
spontanée ;
6. L’animosité s’étend à l’ensemble de l’univers du parent aliéné par exemple la famille dans son ensemble ;
7. On note une absence troublante de culpabilité par rapport à la dureté de l’attitude envers le parent aliéné
(l’enfant se montre plus que distant : il semble avoir déclaré la guerre au parent rejeté) ;
8. Présence de scénarii empruntés au parent aliénant et repris par l’enfant, présentés comme les siens.

Toutes ces réalités cliniques sont effectivement rencontrées en situation de séparation parentale
très conflictuelle ; le tout est d’apprécier si ce qu’on observe peut être expliqué de façon rationnelle
(antécédents de violence, difficultés relationnelles compréhensibles avec un parent) ou si on ne
retrouve aucune réalité concrète pouvant sous-tendre les éprouvés et les sentiments mis en avant.
S’appuyant sur ces éléments sémiologiques mis en avant, Richard GARDNER va définir toutefois trois
stades (léger, modéré, sévère) ; seul le troisième pouvant, à notre sens, est considéré comme un
syndrome d’aliénation parentale stricto sensu.
"
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Trois stades de gravité

Sont donc définis trois stades :


1. Un stade léger et souvent facilement réversible. On constate, à ce niveau :
➙ quelques critères définis ci-dessus ;
➙ troubles du comportement passager au moment des transitions (ennui ou réticence affichée,
tristesse, anxiété de séparation avec l’autre parent). Mais au bout d’une période souvent assez
courte, cette attitude de réticence disparaît souvent présente tant que l’enfant est en présence
du parent dit aliénant avec ensuite des relations sans problème particulier durant la période du
droit de visite. Dans sa forme la plus light, l’enfant semble réticent à distance, un peu froid face
à un parent tant que l’autre est là ; mais son attitude change radicalement dès que le parent a
disparu de la pièce ou de son entourage.
2. Le stade modéré (correspondant à la majorité des observations observées). On y constate :
146 E XPERTISE ET ÉVALUATION DU TÉMOIGNAGE

➙ un nombre significatif des items précisés ci-dessus


➙ l’hostilité l’emporte sur la tristesse
➙ les transitions sont pénibles
➙ la qualité des périodes en compagnie du parent rejeté se détériore et devient difficile à gérer.
➙ souvent les attitudes et les comportements de l’enfant observés se répètent et se cristallisent
s’ils sont investis voire surinvestis par le parent « préféré ».
Dans la même dynamique, l’attestation de médecin ou de psychologue traitant décrivant les attitudes
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en question permettent l’instrumentalisation de ces certificats par un des parents.
On peut souligner ici le fait que tout certificat peut éventuellement constater ou décrire une réalité
clinique, psychologique, émotionnelle voire faire part de phrases prononcées ; mais que la véritable
question est celle de la réalité clinique qui sous-tend, le cas échéant, tel ou tel tableau clinique
observé.
Ces attitudes psycho-affectives de l’enfant sont-elles compréhensibles et si oui en fonction de
quelle réalité clinique, psychologique ou psycho-relationnelle entre l’enfant et le parent rejeté ; ou
apparaissent-elles sans sens, peu compréhensibles, irrationnelles, pouvant éventuellement résulter
d’une logique d’influence. Telle est la question.
3. Le stade sévère avec la question de la cristallisation du tableau clinique et la difficulté à revenir
en arrière : impossible réversibilité ou résolution impossible ? À ce niveau, on constate :
➙ l’ensemble des items énumérés ci-dessus
➙ un affect de haine ou d’indifférence la plus totale.
Nous préciserons un peu plus loin les conduites à tenir en fonction de chaque situation.
À ce stade de notre analyse, on pourrait proposer une manière de considérer ces trois réalités psycho-
relationnelles de l’enfant en les situant comme des degrés éventuels d’une influence subie et en les
reformulant d’une autre façon :
Au premier stade, on observerait simplement un enfant ne s’autorisant pas d’être naturel avec un
de ses parents, sous le regard de l’autre comme s’il ne pensait pas ou avait constaté qu’il pouvait se
manifester de l’affection pour l’autre parent
S’inscrirait ici ce que certains ont appelé un conflit de loyauté mais là encore, il nous semble inutile
de cristalliser cette réalité tant elle est mouvante et labile dans le quotidien des relations de l’enfant
avec l’un et l’autre parent.
Au deuxième stade d’influence, l’enfant refuserait les visites, soit pour faire plaisir à l’un de ses
parents avec lequel le plus souvent, il vit de façon principale (l’influence est statistiquement le plus
souvent mise en place par le parent qui a la garde, mais pas toujours). Le parent peut être également
craint ou redouté ; et l’enfant s’efforce d’être au diapason du rejet que ce parent semblerait souhaiter
dans le rejet de l’autre parent.
Enfin le syndrome d’aliénation parentale stricto sensu ou à proprement parler qui s’inscrirait comme
une manipulation ou un endoctrinement réussi. Ce n’est qu’à ce niveau de description que serait
attribué ce repérage existant mais discuté du syndrome d’aliénation parentale.
Syndrome d’aliénation parentale ou logiques d’influence 147

A SPECTS PSYCHO - DYNAMIQUES DE COMPRÉHENSION

Premier repérage, nous allons tout d’abord proposer en contrepoint, de définir quatre niveaux
d’influence possible dans les relations humaines et donc dans toute relation enfant.
Nommons donc tout d’abord les différents niveaux :
! Influence indirecte par imbibition ou capillarité : l’enfant entend parler un de ses parents avec un
discours très critique sur l’autre. Mais le parent adulte ne s’adresse pas directement à lui ;
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! Influence avec tentative de convaincre. Là, l’enfant est l’objet d’une adresse répétitive voire quasi
permanente d’un parent pour lui démontrer telle ou telle chose concernant l’autre parent ;
! Manipulation : attitude régulière pour mettre l’enfant dans son jeu de façon systématisée en utilisant
les processus, tel le harcèlement ou le chantage affectif ;
! Endoctrinement s’inscrivant dans un mode relationnel permanent du même type que l’endoctrinement
sectaire aboutissant à une véritable adhésion avec conviction inébranlable.
Deuxième repérage : qu’est-ce qui permet de faire l’hypothèse d’un rejet peu compréhensible ?
L’interrogatoire éliminera des situations d’abus (sexuels ou physiques), des violences psychologiques,
ainsi que des comportements passés pouvant avoir été vécu comme désagréables par l’enfant en
présence du parent. Ce qui frappe dans la sémiologie la plus objectivable, c’est l’existence d’un rejet
affectif affirmé, sans possibilité de l’étayer sur un comportement psycho-relationnel mis en avant,
qu’on prêterait au parent rejeté.
Finalement dans sa forme la plus pure, la plus simple c’est l’affirmation d’un affect de rejet, de
désamour, voire de haine ; sans mobile apparent.
Enfin troisième repérage, la compréhension de ce type de situation d’influence mérite qu’on s’intéresse
aux réalités psychologiques possibles du parent influant, rejetant ou manipulateur.
Comme souvent dans l’analyse psychologique du comportement humain, la notion de contexte est
importante. En l’occurrence celle de séparations parentales très conflictuelles à savoir l’existence de
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

sentiments négatifs suite à la séparation s’adressant tout d’abord à l’autre parent.


Ainsi, dans cette optique, dans ce contexte l’enfant est un enjeu dans la séparation conflictuelle entre
adultes et donc d’une certaine manière l’avoir de son côté peut s’inscrire comme un soutien ou encore
une compensation ou encore une manière d’atteindre l’autre pour le dénigrer ou le détruire. Cette
agressivité plus ou moins légitime d’un des parents peut être lisible ou alors masqué (ce qui complique
alors l’analyse de la situation).
Enfin même si cela semble étonnant, par rapport au repérage social, de la nécessité d’un enfant d’avoir
accès à ses deux parents (repérage souvent conforté par le droit, par la loi), il y a parfois la tentation
chez certains parents d’exclure l’autre parent, de rêver d’une éducation de l’enfant en faisant table rase
de l’autre, en excluant totalement la présence de l’autre parent (tout au moins d’en avoir l’intention).
Là encore cette intentionnalité peut être explicite (avec alors parfois une motivation s’appuyant sur
des violences réelles ou supposées exercées par l’autre parent sur l’enfant ou être dissimulées voir
déniées.
148 E XPERTISE ET ÉVALUATION DU TÉMOIGNAGE
"

Conduite à tenir dans les situations parentales très conflictuelles

Nous allons proposer la démarche diagnostique suivante :


➙ Éliminer les causes compréhensibles d’un éventuel rejet (violences sexuelles, violences conjugales,
maltraitances, violences psychologiques caractérisées)
➙ Analyser le discours de l’enfant en constatant soit la cohérence entre une affectivité mise en avant
et des souvenirs relationnels soit en constatant des affects négatifs mais sans appui sur une réalité
relationnelle.
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➙ Appréciation d’éventuels certificats de médecin ou psychologue faisant état d’un mal-être de l’enfant
➙ Attitude du parent investi (soit corroborant le rejet, soit restant passif devant l’enfant rejetant
l’autre parent, soit présent pour tenter de relativiser le discours de l’enfant)
En ayant envisagé successivement ces différents éléments, émerge une représentation soit d’un rejet
compréhensible, en tout cas étayé, soit d’un rejet plus énigmatique, pouvant être considéré comme
irrationnel.
"

Conduite à tenir face à un enfant ambivalent, réticent, rejetant


ou carrément opposant au regard du lien avec un parent

Au premier stade, après une période diagnostique, on peut proposer :


➙ une médiation avec les deux parents faisant état des éléments constatés et ouvrant sur une compré-
hension de l’affectivité de l’enfant. Il est intéressant que le médiateur puisse avoir son appréciation
de ce qui se joue chez l’enfant même si cet enfant est évalué par un autre professionnel.
➙ des entretiens parent-enfant dans le cadre d’une espace psychothérapique pouvant être à durée très
déterminée, en introduisant ensuite le parent investi une fois la situation déminée.
De façon plus large dans le champ expertal ou dans une logique d’entretien préliminaire, il est intéres-
sant de voir chaque protagoniste seul (père, mère, enfant) puis de mettre en place des entretiens à
deux (mère-enfant, père-enfant) ; et enfin un entretien à trois une fois la situation décantée.
Au deuxième stade, il nous semble fondamental de pouvoir confronter le parent investi avec l’analyse
évaluative de la situation pour pouvoir apprécier son attitude et in fine soit le mettre en responsabilité
pour soutenir le principe de la nécessaire relation de son enfant avec l’autre parent, voire d’une
certaine manière d’utiliser une forme de dissuasion pour le recadrer. En ce sens cette idée simple que
celui des deux parents qui a la garde doit veiller à faciliter la relation de l’enfant avec l’autre parent
(qui a le droit de visite) nous semble particulièrement pertinente.
À défaut, laisser entendre que le droit de garde pourrait être modifié n’est parfois pas inutile. et cet
entretien avec le parent investi peut se faire dans divers lieux (avec l’expert, avec un psychothérapeute,
dans le cadre éducatif, avec son conseil, et bien sûr au cabinet du juge).
Progressivement émerge la nécessité d’une ponctuation de la loi. Celle-ci s’avère probablement néces-
saire au stade d’un syndrome d’aliénation parentale stricto sensu ; où il semble difficile de modifier la
situation sans poser des actes. Dans cette situation les jeux relationnels (expertaux, thérapeutiques,
Syndrome d’aliénation parentale ou logiques d’influence 149

éducatifs) ne suffisent plus. Il faut poser des actes. Comme dans toute situation cristallisée qui a
dégénéré, les changements ne sont pas sans risque même s’ils peuvent être tentés. Ils sont tous du
registre du magistrat. Le premier peut être un changement de garde avec un accompagnement éducatif
de l’enfant en milieu ouvert parallèlement.
Le second peut apparaître encore plus brutal, c’est celui d’un placement semblant viser à proposer un
sas de décontamination, une exfiltration devant un enfant pouvant être considéré comme endoctriné.
Tels sont les différentes dynamiques pour accompagner ces situations extrêmement variables dans
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leur intensité et bien évidemment la prévention ou plus simplement le dépistage précoce est de loin
préférable.
En synthèse, si la parole de l’enfant doit toujours être écoutée, il existe des discours, des affects notam-
ment dans les situations de séparation parentale conflictuelle qui doivent être décryptés. L’enfant non
encore construit dans son développement peut subir des influences. Cette influence peut être indirecte
ou simplement conjoncturelle ; mais aussi résulter d’une manipulation voire d’un endoctrinement.
Il nous a semblé plus lisible de considérer certaines influences banales comme étant dans l’ordre des
choses même s’il y a alors lieu de les relativiser, des les infléchir pour isoler une forme caractérisée ou
extrême d’influence, celle d’un éventuel syndrome d’aliénation parentale qui ne peut être dénié dans
son existence, même s’il fait parfois polémique ou déclenche les passions.
En contrepoint, s’inscrit la réalité ou pas d’éventuelles violences que la société ou la justice ne
parviendrait pas à objectiver.
Dans chaque cas particulier, il nous semble utile qu’il y ait un temps d’évaluation (recueillant les
discours, les affects, les attitudes de l’enfant) ; permettant ensuite de proposer une hypothèse de
compréhension puis d’accompagner le retissage du lien grâce à différents modes d’accompagnement
(la médiation, l’entretien parent-enfant, des entretiens familiaux, les soutiens éducatifs).
Favoriser, après évaluation, la continuité du lien de chaque enfant avec ses deux parents (en l’absence
de problématique majeure) est un objectif qui doit réunir tous les professionnels dans un esprit de
pluridisciplinarité.
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Et parallèlement à l’espace relationnel des professionnels du champ de la santé et de l’éducation, il


y a l’importance du rôle de l’avocat-conseil de chacun. Enfin le juge reste la clé de voûte, dont la
ponctuation de la situation est essentielle.
Plaidoyer pour un partage de l’évaluation des situations et pour un partenariat complémentaire dans
l’interdisciplinarité pour la résolution de ces situations parfois douloureuses.
Chapitre 14

Des effets du trauma sur le transfert


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Liliane Daligand

L en psychanalyse par S. Freud à partir de 1900. Cette notion est


E TERME DE TRANSFERT A ÉTÉ INTRODUIT
née de l’observation du récit du cas Anna O. par Joseph Breuer où le transfert a une fonction
essentielle. Mais c’est avec l’analyse de Dora en 1905 que Freud fait l’expérience du transfert, même
si cette expérience a été négative puisque, opposant une résistance, il s’est refusé à être l’objet du
transport amoureux de sa patiente.

LE TRANSFERT

Le transfert est donc l’établissement par l’analysant d’un lien actuel au cours d’une cure avec l’analyste.
C’est une ré-actualisation des signifiants qui ont porté ses demandes d’amour dans l’enfance. Cet
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établissement de ce lien affectif est indépendant de tout contexte de réalité et, selon Lacan, le patient
fait une demande qui marque sa position dans le transfert puisqu’il s’adresse à un autre, sujet supposé
savoir.
Si le transfert se constate en dehors de l’analyse à travers toutes sortes de relations humaines, on
peut dire que le transfert est bilatéral et ignoré de l’un comme de l’autre, chacun des deux en étant
inconscient. Dans le cas du traitement analytique, l’analyste qui par sa cure personnelle connaît
comment il noue ses relations aux autres, va éviter d’interférer avec le transfert de l’analysant et par
là même va pouvoir repérer les diverses figures que son patient projette sur lui.
Ainsi Freud, parlant de ces figures transférentielles, écrit dans Dora. Fragment d’une analyse d’hystérie
en 1905 :
« Ce sont de nouvelles éditions, des copies, des tendances et des fantasmes qui doivent être éveillés
et rendus conscients par les progrès de l’analyse et dont le trait caractéristique est de remplacer une
personne antérieurement connue par la personne de l’analyste. »
154 C ADRES THÉRAPEUTIQUES ET THÉRAPIES SPÉCIALISÉES

Le psychanalyste ne se met pas à cette place pour intervenir, mais son intervention montre à quelle
place l’a mis le patient.

LE TRANSFERT ET L’ INTERPRÉTATION

L’analyste maintient et sa place et celle du rôle dans lequel il est mis et crée ainsi un écart qui permet
à l’analysant de percevoir le transfert et de modifier sa position. Le transfert va donc être l’occasion
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pour le patient d’expériences successives et de s’ouvrir à la complexité de la demande qu’il fait à
l’analyste en position d’Autre, celle de l’origine de la Parole, du Symbolique. Il va consentir à ce
que sa demande reste sans réponse du fait de « son rapport au langage en tant que sujet parlant
qui le confronte irréductiblement au manque de signifiants dans l’autre. », selon le dictionnaire de la
psychanalyse.
!

Transfert, névrose et psychose

La notion de transfert est donc typique de la clinique de la névrose et plus particulièrement de


l’hystérie où l’on retrouve la structure lacanienne de l’Imaginaire, du Réel et du Symbolique avec les
notions de fantasme, de refoulement et d’inconscient.
Dans la psychose ces termes sont inadéquats et c’est pour cette raison que la psychose a souvent
été considérée comme hors champ de la psychanalyse. Freud parlant des psychonévroses de défense
a montré l’impasse qu’il y a à calquer le transfert psychotique sur le transfert névrotique. Or l’état
traumatique, comme nous le soulignons dans « l’être et le traumatisme », est l’annulation de ce qui
parle au corps de l’homme et l’apparente pour un temps à la position psychotique.

Réel et trauma

Les cliniciens qui ont entendu des victimes d’agressions traumatiques, ont pu avancer que « le fer
de lance » pénétrant l’être avait à voir avec la mort. Une mort nue, absolue, parce qu’ayant perdu
tout rapport à la vie. Une sensation totalitaire à la force irrésistible dont le débordement, l’inattendu,
l’absolutisme la rendent insymbolisable, non intégrable dans le langage.
La dislocation du rapport vie-mort est le premier signe du dysfonctionnement de l’être : un Réel comme
extérieur, hors de toute symbolisation et de tout lien avec l’Imaginaire. Hors de tout rapport avec les
deux autres instances, le Réel fait intrusion sous sa forme pervertie et destructrice : l’être ne bute plus
sur le fait qu’il est vivant et mortel mais sur la certitude aveuglante d’une mort déjà là et à l’œuvre.
C’est ce que le clinicien retrouve dans le dire du traumatisé qui se présente comme mort-vivant.
Le Réel est ce sur quoi l’homme bute et qu’il ne peut représenter : la vie et la mort, le sexe -le masculin
et le féminin-, la vérité et le mensonge. Mais, symbolisé, il est élément fondateur de l’être humain.
Le Réel l’ouvre à cette question fondatrice : qui suis-je ? D’où viens-je ? Où vais-je ? Non symbolisé il
ouvre un gouffre : pourquoi m’avoir donné la vie pour me la reprendre à coup sûr ? Pourquoi m’avoir
Des effets du trauma sur le transfert 155

fait sortir du chaos pré-existentiel pour me précipiter dans le néant, sans que je puisse acquérir de
quelque façon que ce soit un espoir d’éternité ?
!

L’annulation de la question de l’homme

La gravité du traumatisme se mesure à cette annulation de la question de l’homme. Celui qui n’est
plus placé dans le monde comme vivant et mortel, n’a plus de désir puisque son destin est scellé
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et que seule la mort s’impose. À partir de là, toute sa structure se délite. Le monde de l’imaginaire est
vain face à un Réel écrasant. En clinique ceci correspond à « je ne suis rien, rien qu’une apparence, le
fantôme de moi-même... » La parole devient inutile puisqu’elle n’est plus soutenue par une demande
et que l’autre est réputé être réduit à la même illusion. Ainsi le traumatisé peut parfois discourir mais
n’adresse plus de parole à l’autre dont il n’a plus le désir.
Cette exclusion du Symbolique apparente cet état à une structure psychotique. J. Lacan dans le
séminaire sur les structures freudiennes des psychoses, commentant le cas Schreber, cerne la difficulté
du transfert dans la psychose :
« Le maniement actuel de la relation d’objet dans le cadre d’une relation analytique conçue comme duelle
est fondé sur la méconnaissance de l’autonomie de l’ordre symbolique, qui entraîne automatiquement une
confusion du plan imaginaire et du plan réel... Authentifier ainsi tout ce qui dans le sujet est de l’ordre
imaginaire c’est à proprement parler faire de l’analyse l’antichambre de la folie. »
!

Au risque de la folie

Il est nécessaire d’être prudent et de ne pas s’engager avec les traumatisés dans un processus de
cure psychanalytique car l’analysant ne peut se référer au symbolique qui pour un temps est forclos.
Tout thérapeute devra être conscient que la victime de par sa position appelle le contre-transfert
et que très vite il pourra solliciter non une parole mais un discours imaginaire fascinant du fait de ses
contenus dramatiquement douloureux.
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Le risque là est de prendre cet imaginaire pour le symbolique et de dévoyer le traumatisé en le


fixant à ses représentations de victime. Alors loin de le déloger de ses fantasmes, le thérapeute
l’aide à s’identifier à jamais à cette image qui attire les regards et fait croire mensongèrement au
(re)surgissement de l’être. La victime est en risque de n’avoir plus qu’une identité victimaire.
!

L’exclusion

Prisonnière de cette représentation victimaire, elle est dans un isolement qui s’affirme parfois jusqu’à
l’exclusion. Plus rien n’existe que la blessure invisible. Comme me le dit une victime :
« Je ne savais pas localiser la blessure, ni même qu’elle était là, plaie sèche, aride et destructrice. Comment
se sauver de ce qui n’affleure pas. Comment se réparer lorsque la blessure ne fait pas souffrir car elle s’est
substituée à tout et que vous n’êtes plus que cette blessure. Comment vivre lorsque toute cette douleur
vous a modelée jour après jour ; que chacune de vos pensées, que chacun de vos mouvements, de vos
engagements ne sont qu’une réponse à la béance de cette plaie ?
156 C ADRES THÉRAPEUTIQUES ET THÉRAPIES SPÉCIALISÉES

Comment soigner la douleur lorsqu’elle n’a même plus de manifestations parce qu’elle fait table rase de
tout et que plus aucune échelle de valeur du plaisir ou de déplaisir ne permet de savoir qu’elle est là
et qu’elle règne car ma vie n’est pas la mienne. La blessure a pris ma place et je lui dénie le droit de se
nommer ma vie. Elle est l’assassin et non l’essence consentie. »

Ainsi toute victime est en risque d’être victime de ce processus d’exclusion opéré au sein même de sa
personne par elle-même. « J’ai la sensation d’être exclue, mais pas par les autres : ça vient de moi ». Il
est nécessaire d’insister sur le fait que l’élément d’exclusion premier n’est pas le fait d’autrui, même si
l’autre participe à l’agression, même s’il est l’agent de la violence.
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Avant toute exclusion sociale, la victime est comme énucléée d’elle-même. Son exclusion va se dire,
sous ces termes peut-être, mais sous la forme de la culpabilité et de la honte. La victime a honte car
elle est dans une position d’infériorité ou même de non-communauté avec les autres qui ont gardé
leur pleine capacité d’être. « Je ne peux pas me défaire de la culpabilité, j’ai honte de m’être laissée
faire, d’être restée passive ». La victime en son extrême position est exclue du groupe social. Elle est
marquée du signe d’amoindrissement dans sa chair, et d’étrangeté dans son âme.
L’exclusion de la place entraîne un enfouissement dans un monde imaginaire désormais sans lien avec
le monde extérieur. C’est un ensemble qui tourne sur lui-même lors de répétitions sans fin : un monde
circulaire fermé à celui des autres. « Je veux sortir du vase clos familial où je suis enfermée depuis des
mois ». Cet imaginaire, replié sur lui-même dans son totalitarisme impérieux maintient l’exclusion.
La victime réduit son corps à une tête où tournent sans fin les leurres successifs des images. « Je
n’arrête pas de penser : mon cerveau a peut-être besoin de repos ». L’être est reclus dans sa tête (peine
capitale). L’exclusion s’accompagne toujours d’une réclusion dans la prison mouvante des images
cérébrales. L’exclu est reclus dans la prison de ses pensées.
Recevoir en urgence une victime quelle qu’elle soit permet de renouer le lien de parole avec elle. La
soigner est la reconnaître dans la place qui est sienne et dont elle signifie la perte par la culpabilité
et la honte. La culpabilité et la honte qu’elle offre malgré elle à son interlocuteur constituent toujours
des ouvertures possibles au langage.
Sortir de l’exclusion c’est renouer avec le langage possiblement véhicule de parole, se soumettre aux
dures exigences du Réel et replacer l’Imaginaire dans ses rapports avec les deux autres ordres du Réel
et du Symbolique. Il n’y a pas de thérapie sans cet effort de sortie de l’exclusion personnelle.
!

La reconnaissance

La reconnaissance est le terme qui synthétise l’œuvre judiciaire. Car cette œuvre de re-connaissance est
le rétablissement dans la volonté du savoir (connaissance) de toute la capacité humaine de l’agresseur
et de la victime que l’acte délinquant avait amoindri pour l’un et pour l’autre.
Au commencement de la vie, chacun était dans la plénitude de développement des capacités humaines
mais les actions délinquantes qui sont toujours des agressions de l’un et de l’autre, agresseur et victime,
ont amenuisé ces capacités. L’action de justice a à les replacer dans leurs droits et leurs devoirs
initiaux d’êtres humains. C’est le processus de re-co-naissance.
Des effets du trauma sur le transfert 157

La reconnaissance est le maître mot du travail de restauration du sujet dans l’ordre de son vécu
intime et dans celui de sa place sur la scène sociale. La psychothérapie qui invite le sujet à se dire
pour un autre est en elle-même un acte de reconnaissance : le sujet est amené à reconstruire sa
texture signifiante. Ce qu’il va être invité à reconnaître et à faire reconnaître, c’est la blessure que le
traumatisme lui a infligée.
L’articulation entre la thérapie et le judiciaire permet au processus de la plainte, si elle est entendue,
accompagnée, de mener à la reconnaissance de la victime. Comme me l’a écrit Sabrina, 28 ans après
sa thérapie :
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« Les mots que vous avez prononcés, ce que vous me disiez jour après jour m’ont ré-humanisée. Vous avez
ré-ouvert pour moi la porte de l’humanité. Vous m’avez accompagnée jusqu’au procès et son verdict de 18
ans de prison. Les 18 ans de prison ont été pour moi bien moins réparateurs que votre présence à mes
côtés. Vous m’avez permis de commencer à me reconstruire, ce chemin fut long, j’y ai souvent été très
seule (qui ne l’est pas ?), mais j’y ai trouvé aussi beaucoup d’aide et d’amour. Après le procès, j’ai décidé
que cette histoire, aussi douloureuse soit-elle ne serait ni un étendard, ni une identité. »

La réparation est essentielle à la reconnaissance. Réparer, étymologiquement, ouvre sur partager,


donner sa part, et se connote avec mettre au monde (de parere, partus : enfantement, partition,
parturiente). C’est permettre à un enfant de participer, prendre part à la création du monde des
hommes.
Ré-parer, c’est permettre à nouveau à l’être de prendre part à la vie communautaire humaine. C’est
ré-affirmer cet être, comme membre à part entière de l’espèce, appartenant à une culture, à un groupe,
parlant une langue.
C’est le ré-conforter, comme être humain, dans son droit à la parole, à laquelle il est ouvert dès
l’origine, qu’il ne peut prendre sans avoir à la tenir d’un autre. Il a sa place dans le langage où il se
trouve porté par sa parole qui lui donne sens.
!

Le soin
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Le soin véritable à apporter à la victime n’est pas dans la négation du trauma ou son effacement, ni
dans son exploration symptomatique, mais dans la reconnaissance de la personne et dans la renaissance
de son être de parole. Cependant il ne suffit pas à la victime de parler de son vécu traumatique,
d’évacuer ainsi ses émotions, pour retrouver la pleine dignité de l’être parlant.
La thérapie n’est pas de l‘ordre de l’exorcisme, de l’abréaction ou de la catharsis. Toutes ces notions
ne prennent en compte que l’expression dans le langage d’un seul personnage, la victime sollicitée
techniquement par celui qui se croit en position de soignant.
Or une parole suppose deux personnes dans une différence radicale qui leur interdit de se confondre,
avec la présence en cet espace créé entre elles d’un tiers commun : l’Autre. Cet Autre c’est la part
d’altérité de la victime et du thérapeute qui se reconnaissent l’un et l’autre comme parlant, la parole
naissant de leur origine commune. C’est ce qui les met à égalité et en différence. Le soignant doit
prendre le risque de sa parole et non pas de cette écoute statufiée qui aurait tous les pouvoirs et en
plus l’avantage factice de mettre le thérapeute à l’abri de toute implication personnelle.
158 C ADRES THÉRAPEUTIQUES ET THÉRAPIES SPÉCIALISÉES

La consultation de victimologie, où sont adressées les victimes de violence, affirme l’articulation de


la médecine et du droit. L’importance du rapport du soin à la loi doit être soulignée car il s’agit du
rétablissement du sujet de la parole et donc de la loi. La jouissance prise par un agresseur au corps
de la victime entraîne la confusion : l’agression tend à l’annulation de la différence entre les êtres que
la loi fondamentale affirme. Le soin vise à son rétablissement.
Le soin accepté est rupture du silence d’anéantissement, et retrouvaille avec les mots. Comme l’écrit
Françoise Dolto :
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« Mettre des mots sur la souffrance d’une épreuve, pour qui peut entendre ces mots, et prêter son attention
au sujet qui parle en lui faisant confiance, cela apaise son angoisse. Et, sans angoisse, la vie, la survie,
permet à celui qui a dépassé l’aigu de l’épreuve de trouver la solution par lui-même. »

La fonction initiale du premier entretien, temps d’expression émotionnelle, est la contenance, l’écoute
de « ce qui est » afin de permettre l’apaisement de l’angoisse, en accueillant les affects exprimés
(détresse, frayeur, douleurs, colère, sentiment d’impuissance, culpabilité, étrangeté, sentiments de
morcellement...). Cette fonction de réassurance ne vise pas à étouffer, limiter ou interdire l’expression
traumatique, mais au contraire à la contenir.
Le nouage du transfert est fondamental pour la réussite de ce premier entretien. Pour certaines
victimes qui affirment que « tout va bien » ou que « ça va passer », ce temps leur permet parfois de
s’autoriser à reconnaître qu’elles sont sans recours, vulnérables et d’accepter l’aide d’un tiers.
La victime peut alors retrouver l’énonciation, être sujet de l’énoncé, construire un récit autour du
fait souvent vécu comme arbitraire : « pourquoi moi ? » et garder ainsi l’expérience en mémoire. Les
victimes veulent savoir et comprendre ce qui leur est arrivé. La thérapie n’est ni oubli ni édulcoration
du souvenir. Au contraire, les entretiens à visée thérapeutique aident le sujet à s’interroger sur la part
subjective qui lui revient dans l’évènement traumatique qu’il vient de traverser, comme une sorte de
retour sur la question de sa participation, « pourquoi pas moi ? ».
Confronté au néant par la perte de ses repères fondamentaux et privé de sa capacité de symbolisation,
le sujet est en risque de se trouver dépouillé de son humanité même. La restauration du sentiment d’ap-
partenance, la ré-humanisation passent par le respect de l’expression traumatique et des mécanismes
de défense exprimés.
Le patient est à réinscrire dans une dynamique de tension entre « avoir un corps », être dominé par
celui-ci (position passive) et « être un corps parlant ». Cette dualité s’avère indispensable pour retrou-
ver un statut d’« être au monde », et retourner dans la « communauté des vivants ». Le rétablissement
d’un lien entre corps et parole apparaît essentiel pour le retour du sentiment d’unité du corps chez les
victimes de violence. Car, comme le dit Françoise Dolto, les mots sont le ciment du corps.
Ainsi, au-delà de la fonction de contenance, les entretiens psychothérapiques visent à réamorcer la
capacité de sujet à mobiliser les ressources nécessaires pour intégrer, élaborer l’évènement, et lui
permettre de prendre sur soi, d’être à nouveau être de désir (de vie). Si l’évènement prend sens pour
le sujet, il pourra se dégager de sa position de victime, d’objet assujetti. En se re-positionnant à
cette place de sujet l’individu reconnaît son parcours de vie en y intégrant le trauma, condition
indispensable à la résolution du trauma psychique et de la ré-ouverture au désir (de vie).
Des effets du trauma sur le transfert 159

Pour le thérapeute, il est possible et même souhaitable qu’il intervienne auprès des instances exté-
rieures, police, justice, assurances, employeur, etc. Comme l’écrit D. Zucker :
« Il ne s’agit pas d’être « psychothérapeutiquement correct », il s’agit plutôt d’une question d’éthique.
Est-on en droit de rester en dehors de la réalité, lorsque la place que nous occupons nous permet peut-être
d’être davantage entendu. Il n’est pas question d’agiter la bannière de la toute-puissance en partant en
croisade contre les « mauvais ». Depuis quelques années, nous nous sommes engagés activement dans
un travail de réseau. Ceci ne signifie pas que nous nous contentons de téléphoner à un psychologue
ou à un psychiatre pour organiser le passage des entretiens psychothérapeutiques à moyen terme vers
une psychothérapie au long cours. Il s’agit plutôt de prendre contact avec toutes les instances qui sont
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impliquées. (...). Nous nous faisons aider par les organisations existantes d’aide aux victimes. »
« Le traitement psychothérapique a très clairement un effet contenant. Cependant, il semble que, lorsqu’il
y a une traduction dans la réalité de la reconnaissance de la souffrance, l’effet thérapeutique soit stable. »

D. Zucker ajoute :
« Nous avons pu observer que les patients se sentent alors très soulagés et « suffisamment » contenus
et soutenus pour affronter les supplices de la procédure : d’une part, par l’intervention psychothérapeutique
au cours de laquelle ils peuvent sentir que nous sommes à l’écoute de ce qu’il y a de plus pénible en eux
et, d’autre part, grâce à l’intervention vis-à-vis de l’extérieur qui vise à insister sur le statut de victime.
Nous n’avons pas une affection particulière pour l’expression « statut de victime ». Nous avons toujours
trouvé qu’il y avait là des relents péjoratifs sous-entendant la complaisance de la victime. Pourtant, cette
expression est nécessaire pour affirmer qu’il y a souffrance. »
!

La thérapie des enfants victimes

L’enfant agressé, réduit au silence, qui n’a plus d’autre mais seulement quelqu’un qui le confond avec
lui-même, voit son désir quasiment sans objet se débiliter. Il perd le sens de sa vie. La thérapie
réordonne le langage à sa chair pour lui permettre de retrouver les voies du désir et de la parole.
Toute rencontre langagière avec un enfant est délicate. Les adultes qui ne savent pas parler à un
enfant, lui faire adresse, le savent bien d’expérience puisque leur échange se fait le plus souvent sous
la forme de l’interrogatoire. Il ne s’agit plus là d’écouter la parole de l’enfant mais d’aller chercher
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dans le fouillis expérimental du petit ce que l’on veut y trouver, au risque que cette trouvaille n’en
soit pas une du fait même que l’interrogation porte avec elle sa réponse.
Dès que l’enfant peut se projeter en dessin sur la surface blanche d’une feuille de papier ou former dans
la pâte à modeler un objet par ses mains, il propose au thérapeute un lieu relationnel où peut surgir
du sens entre lui et l’autre. Par la mise en forme de l’objet intersubjectif, il sort ainsi de lui-même,
il existe (ex-sistere : sortir de). Sa production est non seulement l’expression imagée et commentée
de ce qu’il a subi, du travail qu’il fait à partir de la situation première, mais c’est le lieu multiplié
où ça parle. Son corps parlant entre en résonance avec le corps du thérapeute. Il ne s’agit plus là
d’explication. La vie et la parole ne sont pas dans l’explication, dans la logique de la raison, mais dans
la lumière de la résonance.
Le dessin est une activité habituelle et fréquente de l’enfant dès qu’il peut mettre en rapport un
crayon et une feuille de papier. D’autres supports plus directs et plus simples peuvent être utiles pour
commencer, comme par exemple le maniement d’objets, de jouets, de marionnettes, de pâte à modeler.
160 C ADRES THÉRAPEUTIQUES ET THÉRAPIES SPÉCIALISÉES

Le dessin est intéressant parce qu’il est un support figuré du conflit, c’est-à-dire une représentation
visuelle -perceptible par un autre- des troubles, de ses causes parfois, et de ses conséquences aussi.
Mais l’enfant va, de plus, pouvoir marquer dans ses dessins ce qui fait conflit en lui et malgré lui, les
barrages à la parole. Il va pouvoir figurer répétitivement des formes qui constituent un symptôme,
c’est-à-dire ce qui vient en place de ce qui ne peut se dire.
Le dessin ne suffit pas, il ne s’agit pas d’un test de capacité intellectuelle ou de mesure de la souffrance,
même si certains dessins sont poignants par ce qu’ils signifient directement. Le dessin en thérapie est
un support pour la verbalisation de l’enfant et ce qu’il en dit dépasse ou transforme ce qui est vu par
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le thérapeute qui ainsi ne reste pas sous l’emprise de son propre Imaginaire.
Le travail psychothérapique se fait à partir d’une figuration qui s’apparente à l’écriture et permet
à l’enfant une sorte de lecture de ce qu’il dessine en même temps qu’il le conçoit et ajoute des
paragraphes séance après séance. Cela est rendu possible par le dynamisme transférentiel qui s’appuie
sur l’ouverture du thérapeute à la production graphique et verbale de l’enfant. Le thérapeute ne reste
pas muet. Il se montre interrogatif sur une forme graphique énigmatique, il propose son ressenti sur
les évocations dessinées de l’enfant et énonce sa propre interprétation des mots de l’enfant qui en
naissent.
Le thérapeute devient un co-participant qui ouvre petit à petit à ce qui est représenté et sinon
resterait opaque pour celui-là même qui en est l’auteur. Le thérapeute est un témoin du travail de
l’être empêtré dans la structure bouleversée par le traumatisme. Il dit à partir d’un support pluriel
petit à petit, ce qui se manifeste au-delà de la représentation et articulé à elle toujours en référence
avec ce que l’enfant ressent dans ses expériences et traduit dans l’acte de parole.
Le travail est souvent entravé par des parents, père, mère ou autres qui veulent aussi faire dessiner
des enfants, leur demandant même de dessiner par exemple la situation traumatique pour que ce
dessin soit une sorte de preuve de ce que l’enfant a subi. Or le dessin comme le rêve n’est jamais une
allégorie. C’est une écriture qui comme toute écriture ne représente pas ce qu’elle transmet. C’est une
manifestation limite entre l’Imaginaire et le langage d’où sourd la parole. D’ailleurs, il est frappant de
voir que des enfants qui commencent à dessiner, mais ne savent pas écrire, veulent souvent ajouter
dans leurs dessins des gribouillons qui se veulent écriture. C’est la manifestation de l’accroche au
symbole. La sortie de la confusion est bien montrée dans les dessins où les premières formes dessinées
sont voilées pale gribouillage second, qui révèle la difficile séparation en coupure des différents
éléments structuraux.
Traiter l’être de l’enfant réduit à la figuration de lui-même par l’effet du traumatisme, n’est pas une
reconstitution comme en chirurgie esthétique, c’est le replacement dans le jeu, le mouvement à
nouveau possible, entre le moi et le sujet, entre l’un et l’autre interlocuteur.
Jérémy a 6 ans lorsqu’il me rencontre à la demande de son avocate en 1992. Il a été violé par un
inconnu trois semaines auparavant. Il me parle de cet homme, de sa peur, de ses cauchemars. Il
me pose des questions : Dieu existe-t-il ? Son agresseur lui ayant fait croire qu’il était Dieu. Autre
question qui le taraude : est-ce que je ferai ça moi aussi quand je serai grand ?
Dans ses premiers dessins, il se représente minuscule, sans visage, transparent, sans organe des
sens, sans signe d’identité, alors que son agresseur est lui coloré, avec une énorme bouche, celle
Des effets du trauma sur le transfert 161

du mensonge. Sa famille est dessinée également en couleurs, il en est éloigné, tenant un chien en
laisse. Il va revenir très régulièrement en thérapie malgré la distance car il habite loin, en montagne.
Pendant plusieurs mois, il se représente toujours attaché à un chien, prisonnier de l’animalité, celle
de son agresseur soumis à sa pulsion animale non marquée du sceau de l’humanité.
Il a des moments de désespérance car rien ne se passe, il se croit oublié. Mais un juge d’instruction
remarquable va l’entendre à domicile et Jérémy va hisser les drapeaux sur ses dessins de l’hôpital et de
l’hôtel de ville. Il croit à nouveau en ces institutions.
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Peu à peu, il abandonne le lien au chien dans ses dessins qui sont de plus en plus colorés, vivants,
joyeux. Il évolue, abandonne les symptômes psycho traumatiques, réussit bien en classe, participe à
des compétitions de ski.
Après deux ans de thérapie et de procédure judiciaire, il me demande s’il peut assister au procès de
son agresseur. Il me demande également de l’accompagner, ce que j’accepte bien sûr. Justice lui a été
ainsi rendue. Il a assisté à tout le procès, à la sanction de 18 ans de prison pour son agresseur.
À l’issue, il démontre en parole et en dessins, quelques jours plus tard, qu’il a été rétabli comme
sujet de la loi et de la parole. Il se représente pour la première fois « corps parlant » à d’autres corps
parlants, par la grâce de la justice articulée à la thérapie.
La thérapie d’enfant victime permet de transformer l’ébranlement traumatique en expérience de soins :
de passer du désarroi, du désemparement, à l’emparement (empowerment de Winnicott), de l’état de
vulnérabilité, de l’emprisonnement et/ou de l’éclatement à celui de l’encouragement, l’unification,
de l’état d’isolement, de perte de maîtrise, de perte de liberté de choix, à celui d’être en relation,
à la liberté de choisir. Passer du non-sens, du mensonge, au sens de l’événement, à la vérité, à la
continuité du lien. En somme à l’autonomisation, l’enfant devenant sujet de la loi et de la parole.
Chapitre 15

La psychanalyse dans un Service d’aide


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aux justiciables et aux victimes

Jacques Roisin

J ’AI TRAVAILLÉ VINGT ANS dans un Service d’aide aux justiciables et aux victimes, de 1993 à 2012.
J’y avais reçu la mission d’ouvrir la consultation pour victimes d’agressions mais j’ai travaillé
également avec la population justiciable composée de prévenus, de détenus et de libérés de prison.
J’ai également été coresponsable de l’aide aux réfugiés du Kosovo pendant l’année de leur exil en
Wallonie. À cette occasion mon équipe et moi avons improvisé, toujours avec l’aide d’interprètes, des
modes d’intervention divers en fonction des situations qui se présentaient : groupes de rencontre entre
Kosovars et Belges, échanges entre quelques familles en détresse, consultations plurielles, intégration
des jeunes dans le réseau communautaire scolaire ou extrascolaire, etc. Pendant toutes ces années, j’ai
reçu et aidé un grand nombre de femmes qui ont été violées ou abusées dans leur enfance. Dès mon
engagement au service, j’avais proposé des groupes de paroles pour victimes d’agressions sexuelles. Je
peux dire que pendant vingt années, à chaque rencontre, individuelle ou de groupe, je me suis donné
à fond pour que la chose puisse se mettre au travail analytique : le décalage de l’emprise traumatique
inconsciente est possible, éprouver l’espoir de s’en sortir n’est pas un leurre !

C OMMENT JE SUIS ENTRÉ EN TRAVAIL ANALYTIQUE


AVEC DES PERSONNES EN TRAUMA

Mes tout premiers patients ont ouvert mes oreilles à la longueur d’onde du trauma. La première
patiente était une victime de tortures, elle m’avait été amenée par sa famille comme un paquet
inerte, des bandes Velpeau lui recouvraient le visage, ne laissant que deux ouvertures à l’endroit
des yeux. La jeune femme ne sortit de son silence qu’en fin de séance après que je lui eus serré
La psychanalyse dans un Service d’aide aux justiciables et aux victimes 163

chaleureusement la main : « J’aurais dû être morte ! » Je lui répondis : « J’ai déjà entendu d’autres
personnes parler comme vous, c’étaient des rescapés de camps d’extermination. Mais comment dois-je
entendre vos paroles ? Regrettez-vous d’avoir survécu ? Me signifiez-vous avoir vu la mort ? Je l’ignore
mais j’aimerais que nous puissions en reparler ensemble. » Le deuxième patient était un chauffeur de
taxi. Poignardé lors de son travail de nuit, il avait dû maintenir son dos contre la banquette arrière du
véhicule afin de ne pas se vider de son sang. Un de ses collègues était arrivé sur les lieux après avoir
été alerté par micro. Persuadé que le chauffeur agressé était en train de mourir, il lui répéta jusqu’à
l’arrivée des secours : « Tiens bon, pense à ton fils, pense à Jimmy, ne pars pas, reste avec nous. »
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« Oui. Il savait que Jimmy, c’est mon fils : c’est ce qui me tient le plus à la vie », me disait le chauffeur
de taxi agressé que je rencontrais à son domicile. Dans les consultations quotidiennes du Service
d’aide aux victimes, j’allais entendre un grand nombre de personnes maltraitées, violées ou abusées
dans leur enfance, m’adresser, elles aussi, un « Je suis morte », « Peut-on ressusciter ? » ou « Je ne
vis pas Monsieur, je survis ! ». J’ai pensé que j’avais à laisser provisoirement ma théorie classique
au vestiaire afin d’entendre ces personnes, je dirais qu’elles m’ont initié aux retentissements intimes
du traumatisme, à savoir que le trauma concerne la vie, la mort et la survie psychiques. Mais dans
mon travail auprès de rescapés de guerres du Rwanda, d’Algérie, du Kosovo, j’allais entendre le ravage
que la destruction des liens d’humanité produit dans le psychisme : que la souffrance traumatique
liée à la situation psychique spécifique de l’agressé naît de la désespérance de l’Autre, de la rupture
avec la communauté humaine. En 1994 alors que le génocide avait cours au Rwanda j’ai animé un
groupe de parole avec des rescapés. Une des participantes ne présentait aucun signe du PTSD selon le
DSM, elle servait le café, accueillait les gens avec le sourire. À la 3° séance elle change de voix, elle
nous lance d’une voix monocorde, inhabitée d’affect comme venant d’outre-tombe : « Que valent les
humains : aujourd’hui ils se présentent devant vous en disant : « Je suis votre ami, votre voisin, votre
mari, votre prêtre ». Demain ces mêmes humains seront vos traîtres ! » Elle avait ajouté encore : « J’ai
laissé ma vie là-bas, plus jamais je ne ferai confiance à personne, à personne et jamais. ».Cet exemple
souligne avec netteté que la cassure avec la communauté humaine peut emporter le sentiment de
l’appartenance et qu’une victime peut cacher sa rupture d’humanité sous un grand silence trompeur.
Nous voici orientés vers deux axes essentiels de l’impact traumatique qui indiquent deux directions de
la cure.
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C OMMENT J ’ AI
ASSUMÉ EN PSYCHANALYSE DEUX AXES ESSENTIELS
DE TRAVAIL SUR LE FOND TRAUMATIQUE DES PERSONNES
!

Du côté de la vie, la mort et la survie

En recevant la réaction traumatique aux événements violents non intégrés. C’est-à-dire en authentifiant
la menace vitale éprouvée pour le bien précieux mis à mal (la féminité de la femme violée, le statut
d’enfant chez le mineur abusé...), l’effraction psychique et la destruction mortifère qui s’en est suivie
vécue comme une mort, au-delà d’une perte et d’un deuil à effectuer, comme une mort irreprésentable
pour laquelle le terme de mort réelle convient au sens où le terme de « réel » vise ce qui du psychique
échappe à toute représentation (« Il n’y avait personne dans le trou noir et pas de mot ! »).
164 C ADRES THÉRAPEUTIQUES ET THÉRAPIES SPÉCIALISÉES

En analysant ensemble, avec les personnes en travail, la survivance, c.-à-d. l’organisation de défense
de survie face à l’expérience d’anéantissement et à sa fascination. Alors, par exemple, l’enfermement
dans la honte chez la femme violée se révèle relever d’une « identification de survie » : s’identifier à ce
qui peut s’introjecter de la situation terrorisante même honteuse plutôt que de rester néantisée. Ainsi,
s’identifier à l’image d’une pute, d’une violée, d’un tas de sperme, est mieux que de ne pas être (dans
l’expérience d’anéantissement psychique). En Algérie, une psychologue qui s’occupait de victimes
de terroristes m’a demandé un entretien individuel : « J’ai été moi-même violée par les terroristes.
Depuis un écriteau est fixé sur mon front « Femme violée, vous pouvez vous servir ». Des propos en
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tous points identiques sont entendus à la consultation en Belgique. Ne plus être qu’« une femme
violée » est comme une nouvelle carte d’identité qui est psychiquement indispensable à ces femmes
tant qu’elles demeurent en trauma, il s’agit de ne pas la leur confisquer mais d’entendre avec elles la
nécessité vitale du maintien de cette identification honteuse.
En analysant les élans pulsionnels de vie et de mort qui habitent les personnes. Je pars des expériences
de destruction rencontrées dans leur vie et j’accueille la fascination mortifère qui gît au cœur de ces
expériences, la fascination de la pulsion de mort qui cogne dans le fond du psychisme (« Je voulais
imploser, j’aurais voulu disparaître »). et je reçois les élans qui poussent à mordre dans la vie au sein
même de ces expériences mortifères (Eux : « Je voulais mourir ! ». Moi : « Qu’est-ce qui vous a tenu à
la vie ? »). Il s’agit parfois de retourner à ce qui fondamentalement lie la personne au désir d’être en
vie ; dans mon livre De la survivance à la vie. Essai sur le traumatisme psychique et sa guérison(Roisin
2010), j’ai nommé ce point d’accroche vitale, « l’ombilic du désir de vivre ». C’est bien quand réussit
la liaison d’Eros et de Thanatos que l’expérience de destruction anénantissante peut faire angoisse
et non plus effroi. Je dirais que par ce travail analytique nous sommes des ambassadeurs du monde
des vivants au royaume des morts.
!

Du côté de la rupture d’humanité

J’illustrerai mon travail analytique dans l’axe de la rupture avec la communauté humaine par l’exemple
d’une victime de tortures sexuelles survenues 27 ans avant la consultation. Cette femme avait été
kidnappée, séquestrée et soumise à des sévices sexuels par trois hommes cagoulés. Elle me répétait
uniquement : « Je veux mourir ! » Je l’engageai dans un travail d’expression qui prendrait plusieurs
séances et concernerait ce qu’elle ressentait vis-à-vis de ses trois tortionnaires : quelles sont ses
éventuelles envies de vengeance ? À une autre femme je proposai de s’adresser à une chaise puis à
moi-même afin de pouvoir jouer les fantasmes de vengeance car je prends la chose par le bout et la
modalité mobilisables, différents pour chacun. Le bureau se transforma en salle de torture, il fut
question de mises en pièces de corps masculins : torture des corps et des pénis, émasculation, hachage
des pénis, le mien également. C’est qu’il s’agit avec les victimes d’agression de permettre l’expression
des envies barbares qui au fond de l’inconscient dévorent l’énergie de la victime. L’expression jusqu’à
ses extrémités pulsionnelles inconscientes, sans complaisance partagée et dans la garantie que la
victime réalise le caractère purement imaginaire de l’exercice, permet très souvent un effet cathartique
rapide. Mais il ne sera profondément intéressant et durable que s’il est suivi d’un travail analytique
La psychanalyse dans un Service d’aide aux justiciables et aux victimes 165

concernant les composantes ambivalentes du lien des personnes au pacte social : dans quelles réfé-
rences subjectives aux lois de la communauté humaine sont-elles prêtes à accomplir ou à refuser la
vengeance : « Vous la feriez cette vengeance, et pourquoi « oui ! », pourquoi « non ! » » ? Ainsi
peut s’effectuer une reliance véritable à la loi d’humanité, à ce que Freud a admirablement nommé
une « aptitude à la vie civilisée » (Freud 1915). J’analyse aussi avec ces personnes la possibilité
pour elles de renouer des liens sociaux, de se lier à un groupe respectueux qui puisse incarner une
mini-communauté humaine. Je conclurai que par ce type de travail analytique nous sommes des
ambassadeurs de l’humanité auprès des déshumanisés.
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La difficulté avancée par beaucoup de cliniciens dans le travail avec des personnes en trauma me semble
relever d’une sidération devant l’horreur de l’anéantissement psychique. À propos des contre-transferts,
je voudrais faire remarquer qu’il m’a semblé utile de distinguer des contre-transferts-résistances, les
contre-transferts-ressources comme outils précieux dans le travail - on peut se reporter à ce sujet
au chapitre 3 de mon livre (Roisin 2010). Il est vrai que nous avons à travailler au bord du trou
noir, je veux signifier que le trauma est comme le trou noir de la physique moderne. Dès qu’un
objet, fut-il un rayon lumineux, est avalé par le trou noir, il sort du champ de la conceptualisation
possible des événements, il dépasse une limite que la physique nomme l’horizon des événements
(conceptualisables). De même au cœur du trauma a été vécue une expérience sans représentation
et sans affect : une expérience d’anéantissement psychique, suite à une rencontre effractante de la
mise à néant d’un objet vital, et non de perte d’objet, car ne nous méprenons pas : les traumatisés
ne sont pas des endeuillés ! Heureusement la plupart de personnes n’étaient pas entièrement dans
cette expérience néantisante : seules celles qui y sont mortes l’étaient, elles ne sont plus là pour
témoigner du trauma radical. Mais il faut réaliser que les mots et l’affect d’effroi ont eu lieu en deçà
de l’horizon de l’événement : les personnes traumatisées sont en même temps anéanties et vivantes !
De la même façon notre travail s’effectue au bord du gouffre, du trou noir s’il veut être pertinent...
La physique moderne aime imaginer un cosmonaute s’approchant de l’horizon des événements, son
corps s’allongerait dans un étirement infini juste avant de dépasser la frontière du trou noir et de
disparaître, c’est l’effet spaghetti nommé « spaghettification ». L’image vaut comme métaphore de la
proximité éprouvée avec le néant psychique : ainsi les témoignages des traumatisés qui rapportent
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avoir vécu l’événement dans un espace et un temps qui s’étirent à l’infini ; ainsi la déstabilisation
inquiétante proche d’une déréalisation ressentie par les professionnels qui osent accompagner leurs
patients jusqu’au bord...
Le courage est dans la mise au travail analytique : entendre l’engluement dans le choc traumatique
(engluement psychique paralysant comme l’incarnent corporellement les postures catatoniques des
combattants traumatisés de la première guerre mondiale) et entendre le travail de survivance, inter-
peller le positionnement du sujet dans son fond pulsionnel archaïque de vie et de mort, plutôt que de
se rassurer de sa propre absence de mobilisations, par des énoncés censés justifier le recul devant le
gouffre : « le réel est inabordable ! », « les faits monstrueux rapportés sont-ils authentiques ? » alors
que nous n’avons pas à nous intéresser aux faits mais au vécu traumatique, pourquoi vouloir occuper
une position d’expert...
166 C ADRES THÉRAPEUTIQUES ET THÉRAPIES SPÉCIALISÉES

C OMMENT CONCEPTUALISER CE TRAVAIL ANALYTIQUE ?

Il ne s’agit pas de « psychanalyse appliquée » : quelle aberration que de placer des patients ou
analysants dans une position où le discours que l’on tient à leur sujet ne serait pas issu de leurs
propres paroles mais d’un savoir qui leur est extérieur (la cure classique), et réservons ce type de
démarche à l’analyse d’artistes décédés puisque dans ce cas les hypothèses interprétatives ne peuvent
se baser que sur les productions des créateurs étudiés, elles ne sont pas issues de paroles qui nous sont
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adressées en cours de séances. Mon livre De la survivance à la vie. Essai sur le traumatisme psychique
et sa guérison témoigne de ce qu’une clinique hors cadre classique peut elle-même enrichir des pans
obscurs du savoir psychanalytique sur l’inconscient. Prenons par exemple le concept d’aphanisis, par
lequel Lacan souligne le mouvement de fading, évanouissement ou éclipse du sujet en tant que réel, lié
à sa représentation possible dans le jeu des signifiants (« Il n’y a de surgissement du sujet au niveau du
sens que de son aphanisis en l’Autre lieu, qui est celui de l’inconscient »). La clinique du trauma révèle
que la supportabilité de l’anéantissement est une condition de possibilité pour que l’aphanisis soit
effective car, lorsque les thèmes du discours concernent des expériences qui éveillent l’insupportabilité
de l’anéantissement, la parole signifiante est absente. et lorsque chez les personnes en proie au trauma
l’expérience d’anéantissement se subjective enfin, les traces répétitives - traces sensorielles qui ne
sont que des restes biographiques traumatiques élevés en remparts devant l’horreur - se transforment
en signifiants. Par ailleurs, cette clinique traumatique révèle le fonctionnement d’un autre niveau de
l’inconscient que celui du refoulé. Ceci m’a fait soutenir qu’il y a de l’inconscient réel, constitué de
l’expérience psychique irreprésentable parce qu’affecté par les questions de vie et de mort en-deçà de
la question du manque et de la castration symbolique, et qui, de ce fait, développe des mécanismes
de défense en deçà du refoulement, comme le renversement de la passivation en omnipotence sur le
cours de la réalité, les clivages et dénis de survie, les introjections et identifications de survie...
La pratique analytique qui travaille sur les pulsions de vie et de mort relève d’une « clinique analytique
hors cadre classique ». Le cadre y est subverti. Avant tout par le caractère d’urgence psychique qui
surgit entre les personnes et nous lorsqu’elles sont aux affres avec le trauma insupportable. Mais que
ceci nous relance à interpeller sans attendre le fond pulsionnel inconscient car l’urgence à mettre la
chose au travail se sépare de suite de ce que Freud a dénoncé comme furorsanandi (Freud 1914), à
savoir l’empressement éprouvé à devoir guérir et extirper les symptômes... Alors nous pouvons dire
qu’ici aussi nous travaillons sur la façon de désirer inconsciemment les choses, les choses de la vie,
de la mort. Nous ne sommes pas là pour rassurer, pour soutenir, pour materner, pour déculpabiliser
les personnes, du style « c’est à l’auteur à se sentir coupable, pas à vous ! », quand nous avons à
dégager le sens défensif de survie au cœur de leur culpabilité traumatique ! Il s’agit également d’être
là, de ne pas laisser les personnes se rigidifier dans un silence de mort : ici le silence n’est pas celui
du temps nécessaire à ce que la parole vienne à la maturité d’une énonciation, nous réagissons à
l’indignité humaine de leur situation, nous mobilisons les ressources de vie, les leurs et les nôtres...
et si le désespoir se présente par son comble, je propose de remplacer l’adage « Tant qu’il y a de la
vie, il y a de l’espoir » par « Tant qu’il y a du désespoir, il y a de la vie » !
La spécificité de ce travail analytique ne se dit pas dans l’opposition classique de la psychothérapie
analytique à la psychanalyse, psychothérapie analytique entendue comme « mélange du cuivre à l’or
La psychanalyse dans un Service d’aide aux justiciables et aux victimes 167

pur de la psychanalyse » (Freud 1919), au sens où le cuivre est métaphore de la suggestion, de la


relation de maîtrise ou de l’utilisation du transfert plutôt que l’analyse du transfert. Non ! Le travail
est du côté de la psychanalyse ! Car occuper une place de psychanalyste ne se réduit pas à être défini
comme celui qui fait des psychanalyses - entendu dans un cadre classique -, mais aussi comme celui
qui pose des interventions et des actes analytiques y compris hors cadre classique. Autrement dit, ne
confondons pas « faire une ou des psychanalyses » et « faire de la psychanalyse » ! Il s’agit de saisir
ce qui peut interpeller le positionnement inconscient particulièrement issu des pulsions de vie et de
mort, « au vif », parce que nous sommes dans une clinique « au vif du sujet ».
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Chapitre 16

Victimes de violences conjugales :


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celles qui restent, celles qui partent

Marie-Odile Besset, Hayet Zaaf

Ê TRE THÉRAPEUTE AUPRÈS DE VICTIMES, HOMMES OU FEMMES,


de violences conjugales, nous confronte aux
situations où des victimes restent 15, 20 ans à vivre avec l’auteur des violences et celles qui, au
contraire, les quittent après 2 ou 3 ans de vie commune.
À travers deux vignettes (l’une relatant l’histoire d’une victime qui est restée et l’autre relatant
l’histoire d’une victime qui est partie) ainsi que notre expérience clinique, nous allons tenter de
dégager quelques éléments de compréhension de ces choix.

V IGNETTES CLINIQUES

Mme D (Hayet Zaaf)


Mme D est une femme de 34 ans, mariée depuis six ans. Il s’agit d’un mariage arrangé par son père avec un
homme de son village natal en Algérie. Aînée d’une fratrie de cinq enfants, elle se décrit comme proche de son
père : » j’étais la chouchoute, je l’ai toujours rendu fier parce que j’ouvrais la voie à mes frères et sœurs ». Son
mari est un ami de la famille, perçu comme un homme bien par son père dont elle explique avoir accepté l’idée.
Bien qu’elle reconnaisse la violence subie, Mme D ne l’attribue pas à son mari mais à la France qui aurait engen-
dré chez son mari « un oubli des traditions ». Alors qu’elle possède un bac+4 de science et économie option
économie internationale, elle quitte son pays pour rejoindre cet homme en France en 2012, selon la volonté
de ce dernier. Cependant, elle ne trouve pas d’emploi et vit des revenus de son mari actuellement au chômage.
Sans emploi tous les deux, elle se retrouve alors à vivre de manière précaire aux côtés d’un homme « qui claque
l’argent pour l’alcool ». Lorsqu’elle tente de lui parler, il se fâche, se braque et disparaît parfois durant plusieurs
semaines. Il arrive qu’il s’en prenne physiquement à elle, des gifles plusieurs fois, des coups de poing, un poignet
Victimes de violences conjugales : celles qui restent, celles qui partent 169

cassé. Il la menace régulièrement de lui faire retirer ses papiers d’identité française, qu’elle a pu obtenir suite à
un regroupement familial. Ainsi, elle subira un chantage permanent au papier, au logement, dès lors qu’elle
tentera de se rebeller, elle demeurera longtemps convaincue de risquer l’expulsion si elle demande le divorce.
Elle subit ces violences régulièrement et tente de leur donner un sens par des rationalisations diverses : « je pense
qu’il ne va pas bien, c’est difficile de ne pas avoir de travail, peut-être que je lui mets trop la pression pour trouver
du travail ». Mme D se remet souvent en question, et pour cause, cet homme choisi par son père est forcément
bon. Elle attribue systématiquement une causalité externe à la violence de son mari : « je n’arrivais plus à lui
parler » pour s’adapter à ces violences, Mme D est contrainte à se réajuster, elle ne s’affirme plus et contient ses
émotions. Sur les conseils de son assistante sociale, elle prend rendez-vous pour un suivi psychologique mais
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parvient difficilement à clarifier ce qu’elle peut en attendre. Sa demande est la suivante : « j’aimerais arranger les
choses avec lui, qu’il comprenne que le chômage n’est pas une catastrophe » ou « je veux qu’il comprenne que
c’est mal ». Convaincue qu’il peut changer, elle parle de lui comme d’un homme à deux faces « l’une gentille
et l’autre méchante », qui a su « être le mari parfait un temps ».
Après un épisode de violences intenses, Mme D appellera son frère : « quand mon frère est arrivé il a dit on ne
tape pas une femme comme ça et purée comme ça fait mal d’entendre un homme dire ça ! Un homme qui dit
on ne tape pas une femme ». Grâce à cet événement, Mme D aurait découvert que son mari, jusqu’alors perçu
comme tout puissant, serait intimidable. Pourtant, aucune plainte n’a jamais été posée. Elle n’a d’ailleurs jamais
songé à prévenir les autorités judiciaires et lorsque la question lui est posée, elle dira se débrouiller « seule ».
Elle adopte une stratégie pour se prémunir de la violence en le menaçant chaque fois de prévenir ses frères s’il
s’aventurait à la frapper de nouveau. Depuis il disparaît de plus en plus longtemps et fait preuve de cruauté
verbale à chacun de ses retours.
« Un jour », il m’a dit, « tu verras je vais rester là jusqu’à ce que tu meures et je vais t’envoyer chez tes parents
dans un cercueil ». « Ce jour-là, je n’étais plus faible, je lui ai répondu qu’à partir de maintenant s’il me tape ou
casse quoi que ce soit c’est lui qui partirait dans un cercueil. J’ai juré qu’il allait souffrir comme il m’a fait souffrir.
Petit à petit j’ai changé, jusqu’à devenir plus forte que lui. Il a été condamné à un mois de prison puis il a eu un
sursis d’un an et demi. S’il ne respectait pas son sursis il allait cinq ans en prison. Depuis que j’ai su ça, c’est
moi qui ai commencé à le provoquer. Je ne lavais plus ses vêtements, je ne dormais plus dans la chambre. J’ai
inversé la situation, je l’ai retournée contre lui parce que j’ai trouvé le soutien de gens plus forts ».
Récemment, elle l’a menacé de faire intervenir un oncle s’il n’arrêtait pas de boire suite à quoi il l’aurait à son
tour menacée avec un couteau avant de quitter le domicile, en lui disant « je vais te tuer à mon retour ». Face à
la dangerosité de la situation, elle dira « Il dit ça mais il ne fera rien, à chaque fois il revient et il s’excuse. Il ne
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sait pas être sans moi, vous savez moi j’en ai marre de lui. Au début je supportais et j’ai supporté longtemps
mais j’ai vu que c’était toujours la même chose alors j’ai changé. Je suis devenue distante. Parfois je lui dis de
me laisser mais il ne veut pas. Il me dit qu’il ne trouvera pas quelqu’un comme moi parce que depuis longtemps
j’ai supporté et malgré ça je l’ai toujours aidé. Sans moi il n’est rien, ça, je l’ai bien compris mais le problème
c’est qu’il est trop attaché à moi alors on reste ensemble ».

Chloé (Marie Odile Besset)


Chloé est une femme de 30 ans, employée de mairie, elle a une fille de 12 ans. Sa mise est correcte, bien
que dénuée de tout élément de féminité. Son visage est peu expressif, elle se tient bien droite sur le bord de sa
chaise. « Alors voilà, je viens de quitter mon mari, je suis allée au commissariat déposer plainte pour violences
conjugales. J’ai vu la psychologue, c’est elle qui m’a dit de venir vous voir ». Chloé a quitté son domicile, elle s’est
installée chez sa mère « en attendant ». Elle pose sa tête dans ses bras croisés sur le bureau, sa belle assurance
vient de la lâcher, elle s’effondre en larmes. Intarissable, à peine essaye-t-elle d’articuler un mot qu’elle est
170 C ADRES THÉRAPEUTIQUES ET THÉRAPIES SPÉCIALISÉES

aussitôt à nouveau submergée. Elle s’excuse « je ne suis pas venue pour pleurer (...) je suis désolée je vous fais
perdre votre temps » je ponctue par quelques mots de réassurance et l’invite à se laisser aller à ses émotions.
Les trois quart d’heure de notre première rencontre se dérouleront de cette manière, beaucoup de larmes, peu
de mots. Par la suite elle m’apprend qu’il s’agit de son second mari. Elle s’est mariée une première fois parce
qu’elle était enceinte « j’étais jeune, tout juste 18 ans, je suis tombée enceinte, il était plus âgé que moi, il avait
un boulot, un appart, quand il m’a proposé de m’épouser j’ai dit oui j’ai cru que c’était le prince charmant ».
Après l’arrivée de l’enfant, la situation se détériore, Bernard oublie souvent de rentrer et lorsqu’il le fait, il crie
beaucoup, lui fait des reproches, l’insulte. Il ne lui donne que peu d’argent, elle se décide à faire des ménages
« chez des gens âgés parce que j’avais ma fille, ils acceptaient plus facilement ».
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« Parfois il passait quatre cinq jours avec nous, il achetait des vêtements et des jouets pour la petite, on faisait la
fête, j’étais contente » cette situation perdure durant plusieurs années. Puis tout bascule le jour anniversaire des
huit ans de l’enfant.
« Il est venu, il m’a dit t’es bonne à rien, j’ai plein de jolies copines qui n’attendent que moi, on va divorcer,
tu as deux mois pour vider les lieux, il a claqué la porte et il est parti ». Bernard ne reviendra plus. Chloé ne
prendra pas au sérieux les propos de son mari, ne sera alerté par aucun courrier dans la mesure où tout est
à son nom à lui et qu’elle n’ose pas l’ouvrir. La seule chose qui l’inquiète vaguement c’est qu’il ne vienne plus.
Un jour, le gardien sonne à sa porte et lui demande s’il est possible de faire visiter l’appartement. « Là, ça a
été un électrochoc, dans ma tête j’ai entendu ce qu’il m’avait dit la dernière fois avant de partir ». Le gardien
lui précise qu’il ne lui reste plus qu’un mois de préavis. Chloé est déboussolée ne sait plus quoi faire. L’une des
vieilles dames chez qui elle travaille va l’aider, car elle s’est attachée à la fillette. Elle lui prête la chambre de
bonne qu’elle a au sixième étage « vous pourrez venir vous doucher et manger avec moi ». Une assistante sociale
prend le relais. Bref, tant bien que mal Chloé se récupère, deux ans ont passé. Elle décroche un emploi à la
mairie, obtient un logement. Puis, elle rencontre Kévin, il a 30 ans, travaille en intérim dans diverses branches en
fonction des missions qui se présentent. Il partage un appartement avec sa sœur aînée dont ils ont hérité. Assez
vite, Kévin s’installe chez Chloé et tout aussi rapidement, il se révèle violent. « Lui, il me frappait, mon ex n’avait
jamais fait ça. Ma fille me disait de ne pas me laisser faire, mais comme c’était déjà le deuxième je voulais
vraiment que ça marche entre nous. Le premier bon j’étais jeune, une erreur de jeunesse ça arrive ». Puis le coup
de trop survient. « Une fois il me frappait, ma fille s’est enfermée dans les toilettes et a appelé la police avec son
portable. Elle m’a dit qu’elle avait eu peur ». Chloé porte plainte, rencontre à l’association ni putes ni soumises
une avocate. Une mesure d’éloignement et d’interdiction de tout contact est prononcée à l’encontre de Monsieur.

C ELLES QUI RESTENT

Les victimes qui restent, le plus souvent, ne repèrent pas les premières violences, généralement,
psychologiques, en tant que telles c’est-à-dire en tant qu’acte violent. J’ai eu l’impression que leur
curseur sur l’axe de la violence n’était pas situé au même endroit que la majorité des individus.
Elles supportent des comportements de leur partenaire, qui conduiraient un grand nombre d’autres
à, si ce n’est rompre d’emblée la relation amoureuse, du moins à manifester leur colère ou dans une
moindre mesure à pointer fortement leur désapprobation. De même, face au premier coup physique,
elles reconnaissent l’acte comme violent mais pas la violence du partenaire, elles la banalisent, la
rationnalisent. Pourtant elles ne sont ni folles, ni masochistes, alors qu’est ce qui contribue, au fait
qu’elles supportent toute cette violence ? Que leur curseur semble décalé ?
Victimes de violences conjugales : celles qui restent, celles qui partent 171

Probablement le fait que, le conjoint violent, n’est bien souvent pas le premier individu à exercer des
violences à leur encontre. Il est très fréquent de trouver dans leurs histoires personnelles d’autres
violences subies. Un père ou une mère maltraitants, qui humilie, injurie, enferme, frappe, agresse
sexuellement. Un tel vécu n’est pas sans laisser de traces dans le psychisme de l’enfant. La confusion,
voire l’inversion, entre plaisir et déplaisir s’y déploie.
Cette violence prend place dans le lien familial, elle crée du lien, au point que les deux finissent
parfois par se confondre nous dit Serge Hefez.
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Le curseur dérape.
D’autre part, avoir grandi, s’être construit dans un tel contexte rend la violence familière, elle est
parfois le seul geste parental, le seul moment où l’enfant se sent exister pour son parent. Si bien que
paradoxalement, elle peut devenir inconsciemment rassurante.
Enfin, les violences subies entraînent souvent chez les victimes des phénomènes de dissociation qui
sont, certes des défenses vitales, mais qui économiquement ont un coût élevé, puisque les victimes
se retrouvent coupées de leurs ressentis émotionnels et sensoriels. Ce qui les expose davantage à la
violence du partenaire.
Sans oublier, que plus les victimes subissent de violence, plus leur seuil de tolérance à la violence
augmente.
Le curseur s’affole.
Être victime de violences conjugales est un état difficile à s’avouer à soi-même et aux autres. Sociale-
ment, les représentations véhiculées sont souvent extrêmes. Des violences qui conduisent à l’hôpital,
voire au cimetière. Telle cette campagne de sensibilisation télévisée de 2007 avec pour slogan « Parlez
avant de ne plus pouvoir le faire ». Pas facile de se sentir concerné par un tel message. Certes il existe
des lois contre les violences psychologiques mais dans les mentalités en sommes-nous massivement
déjà là ? Le spot télévisé émanant du ministère des Droits des femmes de 2017 ne montre que des
victimes ayant des traces de coup.
De plus, être victime n’est ce pas être faible, incapable de... dire non, se défendre, riposter etc.
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L’accepter porte un coup au narcissisme, à un coût narcissique.


De même, les violences sont vampiriques, insidieusement mais de manière répétitive, elles pompent
l’énergie vitale des victimes. Ce qui les amène à lâcher prise dans différents pans de leur vie, pro-
gressivement de plus en plus ; sur du long terme, elles se trouvent être dans un état d’épuisement
psychique et physique aisément constatable. Réagir leur devient de plus en plus difficile, ardu, voire
impossible. Même la douleur corporelle d’un petit doigt fracturé à plusieurs endroits pour se protéger
le visage d’un jet d’objet par le partenaire, ne suffit pas à les faire se sentir victimes.
La rationalisation de la violence permet à la victime de lui donner sens et de diminuer son angoisse
en ayant l’illusion qu’elle peut interférer sur la violence de son partenaire. « Il était fatigué, je l’ai
trop questionné, je n’aurai pas du ». Ce faisant, elles tentent de se protéger de l’impact traumatogène
de l’effet de surprise, de l’imprévisibilité des violences.
Ne se sentant pas victime, son partenaire n’est pas un agresseur, sa violence est contextuelle il
suffit d’être patiente, de se comporter suivant son désir. Cette illusion la conduit à des tentatives
172 C ADRES THÉRAPEUTIQUES ET THÉRAPIES SPÉCIALISÉES

d’adaptation à la situation. « J’étais obéissante et douce » dit Mme F, « un soir il m’a giflée parce que
je ne l’accueillais pas à son retour. et quelques jours plus tard il m’a giflée parce que j’étais encore
debout ».
Leur espoir tant de fois bafoué, les conduisent à mettre en place des stratégies d’évitement et d’adap-
tation qui peuvent aller jusqu’à la soumission et la non-affirmation de soi. L’emprise du partenaire est
à son comble.
Cependant de manière sous-jacente, il existe une forme de toute puissance face au défi qu’elles
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s’imposent : retrouver, rétablir la sérénité au sein de leur couple. Seules, envers et contre toutes
violences, elles vaincront.
Autre élément contribuant à rester avec un partenaire violent sont les considérations culturelles. Dans
les sociétés où la fille appartient d’abord à son père puis la femme à son mari, elle quitte une autorité
pour en retrouver une autre. A un « tais toi c’est ton père » suit un « ce n’est pas grave c’est ton mari »
comme une sorte de conditionnement à l’impuissance. Dans les sociétés où la femme est considérée
comme vulnérable, incapable sans un homme près d’elle : « une amie m’a dit de le quitter mais moi
j’avais peur du divorce, du travail, de rester seule, des responsabilités d’un foyer. Le fait d’avoir un
homme qui rentre à la maison me rassurait ».
Dans ces conditions, peu d’entre elles envisagent le divorce, perçu comme un échec accompagné d’un
sentiment de honte ne serait-ce que sociale. Partir c’est prendre la responsabilité de faire éclater la
famille, c’est prendre le risque d’être rejetée par les siens.
De même, les victimes restent parfois pour des raisons économiques. S’il est vrai qu’actuellement des
couples sans violence restent sous le même toit car se déclarant financièrement incapable d’assumer
seul leur existence, il n’empêche qu’après les quelques mois nécessaires à l’organisation du départ, le
maintien d’une cohabitation a sûrement d’autres motifs, difficiles à s’avouer à soi-même, inconscients
parfois. Tels des bénéfices secondaires, comme le confort matériel auquel certaines victimes ne veulent
pas renoncer.
Dernier élément, elles ne quittent pas le partenaire violent à cause des enfants, quelques fois pour ne
pas les priver de leur père, quelques fois car elles pensent que les enfants ne savent rien, quelques
fois car elles ont peur de perdre leurs enfants surtout lorsque le père profère des menaces : « si tu me
quittes, tu peux dire adieu à tes enfants » ou encore les enfants adoptent de plus en plus les attitudes
et propos de leur père. Les enfants sont dans la majorité des situations un puissant moyen de pression
au service de la violence.

C ELLES QUI PARTENT

Les victimes qui partent sont celles qui identifient le partenaire comme violent. La violence déployée
n’est pas due à leur comportement, leur discours, ou que sais-je encore ? Elles ne se perçoivent pas
comme l’unique responsable des violences. Le partenaire agit, réagit avec violence dans sa relation
de couple. Ce constat n’est pourtant pas si aisé qu’il y parait car il entraîne la victime à reconnaître
qu’elle s’est trompée dans son choix amoureux. Or être capable d’une telle reconnaissance nécessite
Victimes de violences conjugales : celles qui restent, celles qui partent 173

confiance et estime de soi, ce que bien des victimes perdent le plus rapidement. De manière générale,
quitter son partenaire de vie, nécessite d’avoir pu développer dans l’enfance, un mode d’attachement
suffisamment sécure et donc d’avoir une crainte de l’abandon supportable. Les victimes ayant une telle
expérience risquent moins de rester dans une relation violente par crainte de la solitude.
Le quitter lorsqu’il est violent, est un choix souvent douloureux que quelques victimes font, il s’agit
de choisir entre vivre leur amour au prix de la violence ou d’affronter la vie toute seule. Le choix est
cornélien en ce sens qu’il repose, à ce moment-là de leur vie, sur le fait de choisir entre deux peurs :
subir la violence ou affronter la solitude ? Ainsi pour le quitter, elles doivent être encore en capacité
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de protéger leur intégrité au détriment de leur sentiment : « je suis obligée de le quitter pas parce
que je ne l’aime plus mais parce qu’il me détruit ».
Autre élément, ces victimes appréhendent les violences de manière brute et relativement objective.
Leur accès à la réalité nue et crue leur permet de mettre à distance le partenaire violent, c’est-à-
dire à le penser isolément d’elle mais également de s’en éloigner « penser au mal que j’avais ça me
faisait du bien quand il me manquait ». La violence cycliquement répétitive n’entretient plus l’espoir
de voir changer le partenaire mais leur permet de prendre conscience, que ce qui ne va pas, vient
principalement de lui.
De même, celles qui partent ont à leur disposition ou peuvent envisager d’autres modèles de couple
que celui de dominant-dominé ou du moins n’en veulent-elles plus « je ne veux pas vivre comme ma
mère, je ne sais pas trop ce que je veux, mais pas ça ». D’autres plus radicales envisagent leur futur
sans aucun partenaire.
Il y a aussi le fait que certaines se décident à partir après ce que j’appelle le coup de trop « je m’étais
promis qu’il ne me frapperait plus » ou le coup qui leur fait craindre la mort « là, j’ai vraiment cru
qu’il allait me tuer » ou encore l’insulte insupportable « il m’a traitée de chienne, ça non ! Pourtant il
m’en a balancé des insultes mais quand même je ne suis pas un animal ».
La question des enfants est également un élément qui les incite à partir. Lorsqu’il s’en prend aux
enfants « il a frappé les enfants, il était déchaîné, je n’arrivais pas à l’arrêter ». La violence sur elle
soit, mais sur les enfants non. Ou encore lorsque les violences risquent de les dévaloriser en tant que
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mère aux yeux de leur enfant : « si je refusais une relation sexuelle, il faisait tout plein bruit qui
réveillait les enfants. L’institutrice de ma fille m’a dit qu’elle dormait en classe, qu’il fallait que je la
couche plus tôt, en pleine sortie d’école, devant tous les parents. »
Lorsque plusieurs de ces éléments sont réunis, elles envisagent de partir, sans très bien savoir
comment. Parfois elles sont aidées par l’intervention d’un tiers, lorsqu’un voisin finit par appeler la
police et qu’elles peuvent se saisir de cette intervention pour partir, déposer plainte et éventuellement
demander une ordonnance de protection. Certaines cherchent à s’aider par elle-même, en contactant
des associations, en regardant des émissions sur le sujet, en lisant « je m’informe, je lis pour savoir
parce que je suis complètement perdue ». D’autres en parlent plus ou moins clairement, de manière
générale ou plus centré sur elle, aux amis, à la famille, à une assistante sociale.
Le soutien des proches permet aux victimes d’accéder à d’autres réalités que la leur, soutenant ainsi
une remise en question plus efficiente du partenaire.
174 C ADRES THÉRAPEUTIQUES ET THÉRAPIES SPÉCIALISÉES

Enfin, d’un point de vue plus pratico-pratique, l’extérieur procure des aides d’éloignement du partenaire,
d’accompagnement dans les démarches, de soutien financier et d’étayage affectif.
Vous avez pu voir, à travers ces deux choix présentés, quels peuvent être les éléments, les facteurs, les
aspects qui conduisent à prendre l’un plutôt que l’autre. Cependant quel que soit leur choix, il nous
appartient à nous, thérapeutes de le respecter tout au long de nos thérapies, de leur donner, redonner
goût à la liberté qui ouvre sur tant de possibles qu’elles n’ont parfois jamais ne serait-ce qu’imaginés.
Il nous revient de les accompagner au travers d’un travail thérapeutique afin de développer une
subjectivité mise à mal, et pourquoi pas, construire un couple avec un partenaire non-violent celui-là.
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Chapitre 17

Les bénéfices de la double prise en charge


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groupale et individuelle en Victimologie

Adeline Laloum, Marie Abita-Pelette, Ouahida Gretter

I L A ÉTÉ CRÉÉ AU SEIN DUCMP un pôle Victimologie qui prend en charge les victimes de violences
sexuelles et ou conjugales.
Les consultations peuvent être individuelles ou en groupes, et sont non sectorisées.
Un premier entretien permet d’évaluer avec le patient la prise en charge la plus adaptée.
À travers cet article, nous allons mettre en exergue l’importance de combiner les deux approches
thérapeutiques, à notre sens essentielle dans le processus de résilience.
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LA PRISE EN CHARGE INDIVIDUELLE

Elle ouvre un espace où le patient peut tout dire (pas tout faire), ce qui implique de la part du
thérapeute une capacité de contenance, de fiabilité, d’empathie. Cette attitude a pour but d’établir
une relation de qualité, compréhensive et chaleureuse, d’étayage afin d’aider à (re)narcissiser.
Il est important de montrer que l’on ne met pas en doute ce qui est dit, que l’on entend et comprend
ce qu’il a ressenti et vécu, et de rassurer quant à la « normalité » des réactions décrites.
La parole ne peut se libérer et le trauma ne peut se mettre en mot que si la personne éprouve d’emblée
un climat de sécurité, qui vient radicalement en opposition au caractère terrorisant de l’agression
subie.
Cette écoute est particulière en ce qu’elle ne peut pas être neutre. Il s’agit d’éviter la distance et le
silence qui peuvent paraître froids et angoissants (comme le parent indifférent), de tenter de mettre en
176 C ADRES THÉRAPEUTIQUES ET THÉRAPIES SPÉCIALISÉES

mots l’émotion qui n’est pas reconnue ou non acceptée et de prendre partie pour la victime (distinguer
la victime de l’agresseur).
Le travail thérapeutique va aborder différents axes en fonction de la singularité et du rythme de
chaque patient :
! l’impact traumatique qui conduit, la plupart du temps, à l’anesthésie de la pensée ;
! la répétition transgénérationnelle ;
! le quotidien (prendre soin de soi/de son corps, s’autoriser à avoir des plaisirs/à dire non, gagner
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sa vie, accepter un partenaire, apprendre à partager avec autrui sans être seulement dans le don,
d’être « gentil » avec les autres pour en obtenir de la reconnaissance, la tolérance à la frustration,
accepter l’autre comme différent de soi...) ;
! les relations à la famille originelle et actuelle ;
! l’incompréhension de ce qui a été subi « je n’ai pas compris sur le moment, je n’ai pas réalisé » ;
! les défenses « protectrices » qui évitent de « penser » « sentir » « réfléchir », et posent les dis-
tances avec l’extérieur, avec l’autre. Pour cela le travail consiste à faire émerger les ressentis en
lien avec l’évènement traumatique pour libérer par la parole la souffrance « enfouie » qui s’exprime
par d’autres biais (somatisations, difficultés sexuelles, agressivité, crainte de l’autre...) ;
! aider à mettre en mot les affects : la haine, la colère, le doute, la révolte, la peur, la dépression, la
honte, l’ambivalence ;
! laisser exprimer les fantasmes tels que le meurtre ou la torture de l’agresseur ;
! la culpabilité a un rôle essentiel dans le processus psychique du patient parce qu’elle permet de ne
pas se sentir complètement objet et détruit par l’agresseur. Elle devient un mécanisme de survie
d’où l’importance de ne pas être dans la déculpabilisation. Elle se fera naturellement au décours du
travail thérapeutique ;
! la responsabilité : « On n’est pas responsable des actes des autres mais on l’est des siens » ;
! la reconnaissance de son statut de victime, qu’il faudra dépasser à un moment donné afin de devenir
acteur et non plus passif dans sa vie.

T HÉRAPIE DE GROUPE

La qualité du thérapeute et les thématiques abordées en individuel se retrouvent dans les thérapies
de groupe. Le groupe constitue pour certains patients un espace plus facile à appréhender puisqu’ils
sont moins sollicités qu’en relation duelle. De plus, il permet à chacun d’avancer à son rythme dans le
travail thérapeutique mais aussi de bénéficier du travail d’élaboration des autres, tout en s’identifiant.
En outre, le groupe comme cadre thérapeutique impose des limites (limitation de l’espace ; séparation
dedans/dehors) et la prise en considération de l’autre. Il peut être aussi un moyen de socialisation
et de ne plus se sentir seul. L’effet miroir permet de se sentir compris et d’accéder à un sentiment de
« normalité » (au sens où ils se retrouvent dans des réactions similaires). Le groupe met à l’épreuve
Les bénéfices de la double prise en charge groupale et individuelle en Victimologie 177

l’interaction avec l’autre, il favorise la (re) création de liens non pathologiques. Le cadre suffisamment
sécure engendre des expériences sociales qui permettent de redéfinir leurs relations aux autres.
Le groupe est à notre sens, un outil essentiel dans un processus de résilience. Toutefois, il est contre-
indiqué en cas de vécu mortifère. Celui-ci peut empêcher de reconnaître la souffrance et les limites de
l’autre, et générer des mouvements intrusifs voire agressifs.

V IGNETTES
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CLINIQUES

Alix
Alix 40 ans, a été agressée dans l’enfance par son grand-père et par son frère, et a, de plus, vécu jeune adulte,
une relation d’emprise avec un enseignant beaucoup plus âgé.
Elle intègre d’abord le groupe de victimes d’agressions sexuelles. Lors des séances elle est extrêmement confuse
dans son discours, les repères temporels sont altérés, il y a un amalgame entre les agressions. Elle a des difficultés
à se reconnaître comme victime. Elle est par ailleurs prise dans un système familial dont elle ne repère pas les
dysfonctionnements incestueux qui pourraient mettre ses enfants en danger.
Le groupe lui pointe sa confusion et son ambivalence, mais nous sentons qu’il lui manque un espace lui permet-
tant d’élaborer ce qui lui est renvoyé. Nous décidons alors de l’orienter vers un suivi individuel.
Alix présente de nombreuses résistances psychiques allant jusqu’à nier ce qu’elle a subi et l’absence de protection
parentale. De prime abord, l’accent est porté sur les dysfonctionnements des grands-parents qui mettent en
danger ses propres enfants. Au fur et à mesure, elle commence à ouvrir les yeux sur le mode de fonctionnement
incestueux familial. Un travail sur la généalogie et sur l’expression de ses ressentis à ses parents à travers des
lettres écrites en thérapie, lui permet de nommer ce qui ne lui convient pas et de leur poser des limites.
L’articulation du groupe et de l’individuel lui a permis de clarifier sa représentation des agressions et de se
reconnaître comme victime, de se libérer de l’emprise familiale et de se positionner très clairement comme adulte
protecteur vis-à-vis de ses enfants.
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Manon
Manon est une femme de 26 ans, célibataire. Elle a été violée à partir de l’âge de 13 ans par un membre de la
famille. Elle présente des troubles du comportement alimentaire, une consommation régulière d’alcool et une
hypersexualité, dans une démarche de destruction et de lutte contre l’angoisse. Elle n’a pas informé ses parents
des agressions et n’a pas porté plainte. Elle entame en même temps, à sa demande, une thérapie individuelle
et en groupe.
À son arrivée dans le groupe, Manon exprime une très forte culpabilité par rapport aux agressions sexuelles
subies « je l’ai cherché » « je l’aguichais » « j’ai pris du plaisir » « je suis souillée, dégoûtante... ». Dans un premier
temps, nous ne cherchons pas à lutter directement contre sa culpabilité, mais nous interrogeons les patientes sur
ce que les auteurs des agressions ont pu utiliser comme manœuvres manipulatoires. Manon évoque notamment
des massages proposés par l’agresseur en raison de ses problèmes de dos, une autre participante des jeux dans
l’eau, induisant une proximité physique propice aux agressions, une autre encore une manipulation affective.
Manon maintient être responsable de ce qui est arrivé, mais dégage les autres de toute responsabilité et le
groupe lui renvoie sa contradiction.
178 C ADRES THÉRAPEUTIQUES ET THÉRAPIES SPÉCIALISÉES

Au fur et à mesure des séances, Manon oscille entre la tristesse, la colère contre elle-même et le sentiment
d’injustice. Dans le travail individuel, elle est extrêmement ambivalente, alternant entre la régression avec le
besoin d’être contenue, la colère et le rejet. Elle se sent accueillie et comprise dans le groupe, où elle dit pouvoir
enfin évoquer ce qu’elle a vécu, sans se sentir jugée. En écoutant les membres du groupe parler de leur colère
contre leur mère qui n’a pas su les protéger, Manon parvient à reconnaître sa propre colère contre sa mère
défaillante, mais profondément aimée. Cela va lui permettre de prendre conscience de l’ambivalence dans la
relation thérapeutique et de s’autoriser à faire confiance et à nommer ses besoins, ses désaccords, ses peurs.
Le groupe met également en lumière le rapport à son corps, qu’elle ignore « je ne sens pas mon corps, il est
comme anesthésié », « je ne le regarde pas », qu’elle déteste « je suis grosse, suante, puante » ou qu’elle maltraite
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(abus d’alcool, de nourriture, prostitution...). C’est en entendant les autres nommer le besoin de punir leur
corps vécu comme « écœurant », « faible », voire comme « un traître », que Manon fait le lien entre son mal-être
vis-à-vis de son corps et l’agression subie. En thérapie individuelle, nous travaillons alors à apprivoiser ce corps,
à se le réapproprier (le regarder, l’habiller, le toucher, le masser, faire du sport, danser...). Son rapport à la
nourriture se transforme peu à peu, Manon commence à « manger pour se nourrir, pas pour se remplir et ne
pas sentir l’angoisse ».
Puis Manon, à partir des expériences des autres et du miroir du groupe va progressivement accepter de se
reconnaître victime des agressions sexuelles, qu’elle a des difficultés à reconnaître comme telles. Elle ne considère
pas comme des viols les agressions vécues dans l’enfance : « c’est de ma faute, je l’ai cherché, je n’ai pas
dit non ». Lorsqu’un homme lui met la main aux fesses dans la rue et se frotte contre elle : « ce n’est pas une
vraie agression et puis je ne souffre pas ». Elle excuse les agresseurs « les pauvres, s’ils en ont envie, ils ne
peuvent pas se frustrer toute leur vie », « les pauvres, ils sont paumés ». Le groupe l’interpelle sur l’importance du
consentement dans une relation sexuelle, qu’elle reconnaît pour les autres, mais pas pour elle « c’est comme
si mon corps ne m’appartenait pas ». Certaines patientes nomment leur colère envers les agresseurs, ce qui la
fait réfléchir, car elle n’en ressent pas. Elle a l’impression d’avoir pris en elle la puanteur, la saleté, les pensées,
l’excitation de l’agresseur (identification à l’agresseur) et est rassurée que cela soit partagé par certaines patientes
du groupe (« je suis normale alors ? »). Portée par l’expérience des autres, Manon décide de parler à ses parents
et de porter plainte. En thérapie individuelle, elle commence alors à pouvoir aborder et travailler les agressions,
dont les souvenirs reviennent ou se précisent. Puis elle entre dans une période dépressive, qui bien que très
douloureuse, lui permet d’envisager une guérison possible notamment au regard des évolutions possibles :
« avant j’étais dans le déni, c’était plus facile, mais je ne pouvais pas envisager que je pouvais guérir, maintenant
je vais mal, mais je sais pourquoi et quand je vois que les autres vont mieux, je peux me dire que ça va aller ».
Depuis, Manon a quitté le groupe (« je vais mieux, j’ai moins besoin de m’appuyer sur les autres »), tout en
continuant le suivi individuel, elle se sent « plus adulte », plus épanouie dans son travail, a retrouvé un sentiment
de compétence, prend soin d’elle, de son corps, a diminué la consommation d’alcool et de nourriture, pose des
limites avec les autres (collègues, amis...), peut se projeter dans une relation amoureuse.

Léa
Léa 23 ans, étudiante, d’origine vietnamienne, a été adoptée à l’âge de 5 ans. C’est une jeune femme frêle,
souriante, gracieuse avec une timidité de contact. Elle vient consulter en thérapie individuelle suite à un conflit
avec ses parents qui refusent d’accepter ce qu’elle a subi de la part de son frère aîné. Léa a été violée et frappée
par ce dernier à partir de l’âge de 9 ans durant plusieurs années. et avait déjà subi au Vietnam durant sa petite
enfance deux agressions sexuelles.
À l’adolescence Léa s’est montrée rebelle en s’alcoolisant, en se mettant en danger et en s’opposant à ses
parents. La crise s’est apaisée jusqu’à ce qu’à la réévocation de son passé avec ses parents, qui l’ont banalisé.
Les bénéfices de la double prise en charge groupale et individuelle en Victimologie 179

Léa a quitté le domicile familial mais reste dépendante financièrement, ce qui lui pèse fortement. Dans un
premier temps, le travail va porter sur l’omertà familiale et l’emprise, notamment financière qui l’empêchent de
s’extraire du fonctionnement familial qu’elle entretient par son ambivalence. Grâce à son travail thérapeutique
elle s’émancipe, décroche un travail alimentaire et rompt les liens avec ses parents (auxquels elle ne répond plus
malgré leurs sollicitations récurrentes). Parallèlement, à travers le dessin, Léa aborde les agressions subies, elle
parvient à les décrire mais d’une manière desaffectivée. D’un point de vue intellectuel, Léa a une réelle avancée
thérapeutique mais est entravée par une impossibilité d’accéder à ses émotions, ce qui amène son orientation
en groupe thérapeutique afin d’être confrontée aux expériences émotionnelles des autres.
Dès son arrivée dans le groupe, Léa nomme qu’elle a pour la première fois l’impression de partager une
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expérience commune, d’être comprise. Elle n’a jamais raconté les agressions subies à son entourage et le faire
dans le groupe va être pour elle un moment important de son processus thérapeutique.
Elle évoque en effet une histoire difficile (abandon par le père, viol à 6 ans, décès de sa mère, orphelinat, viol à
12 ans, adoption, viol par son frère, pression de ses parents adoptifs pour qu’elle ne parle pas des agressions),
sans émotion apparente, calme et souriante. Le groupe est d’abord sidéré, puis débordé d’émotions diverses
(flashbacks, crise d’angoisse, envie de boire, colère, tristesse...), qui sont nommées tour à tour. Cela permet à
Léa de réaliser à quel point elle est coupée de ses émotions et de faire le lien avec le processus de dissociation
mis en place lors des agressions pour se protéger (impression de sortir de son corps). Cela va lui permettre de
se percevoir également comme « une personne à part entière et pas seulement une victime de viol ». Cela a
également été vécu comme une étape symbolique consistant à briser la règle du secret imposé par ses parents.
Le processus thérapeutique va également être favorisé par l’émergence d’une émotion et son accueil par le
groupe. Alors qu’une patiente raconte que ses parents ont proposé de payer les frais d’avocats dans la procédure
pénale engagée, Léa se met à pleurer. Elle a des difficultés à identifier ses affects, aussi nous nous appuyons sur
les sensations du corps (mauvaises sensations dans le ventre) et sur son goût pour le dessin pour lui demander
de quelles couleurs pourraient être ces sensations « noires avec un point rouge, comme un puits sans fond, sans
repère », ce qui lui fait penser à la tristesse et au manque de ne pas avoir été soutenue par ses parents. Léa
nomme qu’elle a eu l’impression d’apprivoiser son ressenti qui lui fait peur et qu’elle a pu se laisser aller parce
qu’elle a vu les autres le faire et être contenues par les thérapeutes et le groupe lui-même.
Puis, Léa est absente à plusieurs séances et ne prévient pas. À son retour, elle explique que suite à une discussion
dans le groupe sur l’identité et les conséquences des agressions, elle a décidé d’effectuer un voyage au Vietnam
pour tenter de retrouver ses origines. Depuis, elle ne se sent pas bien et vit son mal-être comme un échec ; elle ne
s’est pas sentie capable de l’avouer au groupe. Elle s’interroge alors sur son incapacité à exprimer une difficulté
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

dans le groupe et prend conscience de son besoin de se présenter comme forte, voire parfaite. Nous l’invitons à
le travailler en thérapie individuelle. À la séance suivante, elle raconte son voyage au Vietnam. Léa est connectée,
centrée, nous voyons les images, avons presque les sensations du sable sous nos pieds. Cet instant est vécu
comme « magique » par le groupe. Pour Léa c’est un moment important, elle se sent en lien avec elle-même,
les autres, ses émotions (tristesse, colère, joie). Peu de temps après, Léa arrête le groupe, considérant qu’elle a
évolué, le groupe lui ayant permis de se reconnecter à ses émotions. Elle continue la thérapie individuelle durant
un an pour consolider ses acquis. Elle fait une rencontre amoureuse, obtient ses examens et trouve du travail
dans sa branche.

Notre expérience clinique nous a montré que dans la majorité des situations rencontrées l’articulation
des deux modes de prise en charge est complémentaire et particulièrement efficace.
Les deux thérapies se nourrissent et se renforcent l’une l’autre.
Chapitre 18

Maltraitance et violences envers les enfants


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État des lieux de la littérature et avancées thérapeutiques

Gabrielle Douieb

D ÉFINITION

Gilbert, Widom, Browne, Fergusson, Webb & Janson (2009) définissent la maltraitance comme :
« Tout acte commis directement ou par omission par un parent ou par un autre gardien, qui a pour
conséquence un dommage ou la menace d’un dommage pour un enfant, ce dommage n’ayant pas besoin
d’être intentionnel. »

Ils précisent qu’aux États-Unis, 82 % des cas de violences envers enfant ont été commis par un parent
ou par une personne s’occupant de l’enfant (« caregiver »).
La maltraitance peut être de différents types :
! Physique
! Sexuelle
! Négligence
! Psychologique

On peut aussi définir des sous types encore plus caractéristiques comme :
! Le syndrome du bébé secoué
! Le syndrome de Münchhausen par procuration
Maltraitance et violences envers les enfants 181

É PIDÉMIOLOGIE

Quelle est la prévalence de la maltraitance à l’heure actuelle ?


Nous allons nous intéresser à des études récentes faites à un niveau international mais aussi à des
études concernant la zone européenne ou les pays à hauts revenus puis enfin aux données concernant
la France.
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"

Mondialement

Il a été estimé par l’OMS (2014), selon une approche triangulaire de collecte et de comparaison de
112 études ayant eu lieu dans 96 pays, que dans le monde, au moins 1 million d’enfants de 2 à 17
ans aurait été victime de violences (de tous types) en 2014. L’OMS (2014) estime ainsi que 36,3 %
d’enfants ont été victimes de violences psychologiques, 23 % de violences physiques, 18 % des filles
et 8 % des garçons de violences sexuelles et 16 % de négligence.
Stoltenborgh, Bakermans-Kranenburg, Alink & H. van Ijzendoorn (2013) dans une méta analyse de
plus de 244 études (“self report” et non pas des études officielles gouvernementales) ont estimé que
dans le monde 12,7 % des enfants ont été victimes de violence sexuelle (7,6 % de garçons et 18 %
de filles), 22,6 % de violences physiques, 36,3 % de violence psychologique, 16.3 % de négligence
physique et 18.4 % de négligence émotionnelle ; ce qui rejoint les chiffres estimés par l’OMS.
Les auteurs retrouvent une grande différence entre les données des études gouvernementales et les
études « self report ».
Ces données mettent donc en avant l’importance de ce phénomène, présent mondialement.
"

À l’échelle européenne
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Selon, la métanalyse conduite par Gilbert, Widom, Browne, Fergusson, Webb & Janson, sur la fréquence
de la maltraitance dans les pays à hauts revenus, chaque année, 4 à 16 % des enfants seraient victimes
de violence physique, 1 enfant sur 10 serait victime de négligence ou de violence psychologique., 15
à 30 % des filles et 5 à 15 % des garçons subiraient des violences sexuelles (de tous types).
Mais, à nouveau, quand on s’intéresse aux statistiques gouvernementales de la plupart de ces pays,
les taux officiels retrouvés sont bien plus faibles.
L’OMS a retenu pour la zone Europe ces taux de prévalence : maltraitance sexuelle : 13,4 % pour
les filles, et 5,7 % pour les garçons ; maltraitance physique : 22,9 % et maltraitance psychologique :
29,1 %.
182 C ADRES THÉRAPEUTIQUES ET THÉRAPIES SPÉCIALISÉES
"

En France

Concernant la France, l’ODAS a effectué plusieurs enquêtes nationales se basant sur les signalements
effectués (ce qui exclut, de fait, les enfants en danger non signalés) : en 2006, il y aurait 19 000
enfants maltraités et 79 000 enfants à risque, soit 98 000 enfants en danger.
Dans cette même enquête, l’ODAS (2007) distingue les différentes formes de maltraitance et observe
que, sur les 19 000 enfants maltraités, 6 300 seraient victimes de violences physiques (soit 33 %),
4 300 de violences sexuelles (23 %), 5 000 de négligences lourdes (26 %) et 3 400 de violences
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psychologiques (18 %).
Ces chiffres, forcément largement sous-estimés puisqu’on sait que de nombreux enfants victimes de
maltraitance ne sont pas repérés, soulignent qu’actuellement en France un nombre important d’enfant
est victime de maltraitance.
Selon l’audition publique de la HAS (2011), 180 à 200 syndromes de bébé secoué seraient repérés
chaque année en France et selon un sondage de l’association AIVI/IPSOS (2009), 5 % des femmes
et 1 % des hommes en France déclarent avoir été victimes d’inceste.
Ainsi, la maltraitance et les violences envers les enfants sont des phénomènes mondiaux, d’une forte
importance et ayant des conséquences dévastatrices.
En 2002, l’OMS a estimé qu’au moins 31 000 enfants de moins de quinze ans ont été victimes
d’homicides. Selon le rapport Innocenti qui estime ce nombre dans les pays à hauts revenus, il y en
aurait 3 500 par an, pour la France le pourcentage serait d’1,4 enfants sur 100 000. Anne Tursz (2010)
estime qu’il y aurait plus de 250 homicides de nourrissons de moins de 1 an en France chaque année
(période 1996-2000).
Qu’est ce qui explique alors les différences entre les chiffres gouvernementaux et les études type self
report ?
Cela peut s’expliquer à la fois par des difficultés d’ordre méthodologique et organisationnelle.
D’abord, les définitions des violences envers les enfants ne sont pas consensuelles à la fois d’un point
de vue mondial mais aussi à l’intérieur de chaque pays.
De plus, le système de soin contribue peu au chiffrage de la maltraitance alors que ce sont des lieux
où peuvent être repérés les enfants en danger. Le diagnostic de maltraitance n’est parfois pas fait ou
trop tard, soit par manque de formation ou de moyens du personnel.
Il semble important aussi de s’intéresser au phénomène des violences conjugales. C’est seulement
dernièrement que la question des enfants exposés à ces violences se pose alors qu’on sait que ces
enfants sont aussi plus à risque d’être victime d’un autre type de violence...
Maltraitance et violences envers les enfants 183

C ONSÉQUENCES DES VIOLENCES ENVERS LES ENFANTS

Nous avons seulement sélectionné des études récentes (2013 ou ultérieures) pour essayer de dresser
un tableau des conséquences multiples de ces violences.
L’étude de Felitti V.J et al. qui porte sur plus de 17 300 personnes (d’un niveau socioéconomique
moyen et résidant en Californie) a mis en avant un lien fort entre le nombre d’expériences négatives
vécues dans l’enfance (comme des violences) et le tabagisme, l’obésité, la consommation de toxiques,
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les tentatives de suicide et les IST.
Ils ont aussi montré que plus les expériences vécues dans l’enfance étaient négatives et plus il existait
un risque de développer des troubles somatiques graves comme le cancer, le diabète, des problèmes
hépatiques ou cardiaques.
Dans une étude sur les expériences négatives pendant l’enfance (ACE) en Grande Bretagne, les auteurs
(Bellis et al, 2013) ont montré l’impact de ces expériences sur la vie des adultes interrogés. Ceux
ayant vécu ce type d’expérience (en particulier les violences) auraient 4 fois plus de risque de boire
et de fumer de manière conséquente, 9 fois plus de risque d’avoir été incarcéré, 31 fois plus de risque
d’avoir contracté une IST.
Ils étaient aussi plus à risque d’avoir un statut socioéconomique précaire, de développer des troubles
psychiques, des maladies chroniques ou encore des grossesses non désirées...
Ainsi, les conséquences à la fois sur le plan psychologique et somatique sont nombreuses et graves.
Nous allons nous intéresser plus en détail aux conséquences psychologiques et comportementales.
De nombreuses études ont pu montrer les liens qui existent entre maltraitance et malêtre psycholo-
gique.
Ainsi, Amado, Arce et Herraiz (2015) ont trouvé une corrélation significative entre violence sexuelle
et troubles internalisés, ainsi les personnes ayant été victimes de viol ou d’agression sexuelle auraient
plus de 70 % de risque de développer des troubles dépressifs et/ou anxieux par rapport à une personne
n’ayant pas été victime de violences sexuelles.
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Boyda et Mc Feeters (2015) ont mis en évidence un lien entre maltraitance et le développement
de symptômes psychotiques et de déficits dans le fonctionnement social. Ce dernier facteur venant
modérer la relation entre les deux premiers facteurs, ce qui serait un point très intéressant à étudier
dans une optique de prise en charge thérapeutique.
L’importance des troubles psychiatriques (troubles de l’humeur, troubles anxieux, PTSD, troubles de
la personnalité...) chez des personnes ayant été victimes de violence a pu être démontrée dans de
nombreux pays comme le montre la méta analyse conduite par Verdolini et al (2015).
Hoeve, Collins et al. (Pays-Bas, 2015) ont mis en avant les liens existants entre maltraitance et dif-
ficultés psychologiques dans une population d’adolescents délinquants. Ainsi, leurs difficultés sont
directement liées à leur vécu traumatique dans l’enfance.
Une étude de 2015 menée à Hong Kong (Ky et al.) a montré le risque pour des adolescentes victimes
de violences sexuelles de développer des comportements d’hypersexualisation ou d’anxiété sexuelle,
de PTSD ou encore d’estime de soi basse...
184 C ADRES THÉRAPEUTIQUES ET THÉRAPIES SPÉCIALISÉES

L’étude de Lanier et al. (2015) a mesuré la qualité de vie de 129 enfants aux états-unis en utilisant
l’échelle PedsQL et a montré que, comparé à une population d’enfants n’ayant pas reporté de maltrai-
tance, les enfants pris en charge pour cela reportaient des scores beaucoup plus bas, que ce soit pour
leur santé physique ou psychique.
Dans une étude menée en Norvège, Thorensen et al. (2015) ont trouvé que les adultes ayant été
victimes de violences dans l’enfance étaient beaucoup plus à risque d’être à nouveau victimes de
violence (2,2 à 5 fois plus). Une corrélation a aussi été retrouvée avec le développement de troubles
anxieux et dépressifs.
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L’étude de Zaouche et Paul (2014) portant sur un échantillon de 46 enfants exposés à des violences
conjugales, retrouve que 82,6 % d’entre eux manifestent des problèmes intériorisés et 50 % des pro-
blèmes extériorisés, « les troubles extériorisés font référence à l’expression des problèmes de l’enfant
vers l’extérieur, dirigés vers les autres tels que l’agressivité ou les comportements dits « délinquants »
ou tout au moins inadaptés. Les problèmes intériorisés concernent l’internalisation des difficultés
vécues, qui caractérisent les enfants repliés sur eux-mêmes comme l’anxiété, la dépression, les plaintes
somatiques ou encore les crises d’angoisse. »
On retrouve, dans ce contexte de violence conjugale, la problématique du conflit de loyauté De Becker :
« Un conflit intrapsychique dont l’origine est liée à l’impossibilité de choisir entre deux solutions possibles,
choix qui engage le niveau des affects envers des personnes fondamentales en terme d’attachement, à
savoir chacun des parents. »

Selon Karen Sadlier (2015), lorsqu’on est face à un contexte de violence dans le couple, l’enfant se
situe plus dans un conflit de protection que dans un conflit de loyauté, c’est-à-dire que l’enfant est
sans cesse tiraillé entre des questions liées à sa sécurité et à celle de chacun de ses parents. Elle
explique que ce conflit de protection peut aussi coexister avec un conflit de loyauté en tant que tel.
Ce sont des attitudes que l’on retrouve régulièrement quand on travaille en protection de l’enfance,
comme ont pu l’expliquer Nouvel et Dessons (2009). S’appuyant sur les travaux de Myriam David et sa
notion de « mal de placement », ces auteurs illustrent comment ces conflits d’appartenance, ces
conflits de loyauté multiples se retrouvent chez tous les acteurs d’un placement : l’enfant, les parents,
la famille d’accueil ou encore l’équipe éducative.
Concernant l’enfant plus particulièrement, il se retrouve tiraillé entre sa famille d’origine de laquelle
il a été séparé et sa famille d’accueil et/ou ses éducateurs. Comment concilier sa loyauté originelle
avec cette famille qui s’occupe de lui actuellement ? Se sentir bien dans sa famille d’accueil, est-ce
trahir/rejeter sa famille d’origine ? Reconnaître de l’attachement pour ses parents, est-ce trahir ses
éducateurs ?
On voit aussi apparaître le phénomène de parentification (concept développé par Boszormenyi-Nagy
et Spark (1973) et qui se définit comme un renversement des rôles entre parent et enfant, ce dernier
étant amené à jouer le rôle de parent).
Comme résumé par Doucet et Fortin (2010), dans une étude pourtant sur des enfants exposés à des
violences conjugales, « plus l‘enfant est exposé à des violences sévères, plus il est parentifié, ce qui,
en retour, prédit l’ampleur de ses troubles ». (p. 64).
Maltraitance et violences envers les enfants 185

De multiples études ont pu montrer que l’enfant parentifié était plus à risque de développer certains
troubles (Peris, Goeke-Morey Cummings & Emery, 2008).

P RISE EN CHARGE THÉRAPEUTIQUE

Tout d’abord, l’ensemble de cette revue de littérature et les difficultés rencontrées dans une bonne
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évaluation épidémiologique du phénomène de maltraitance mettent en évidence la nécessité d’une
meilleure détection, repérage et prise en charge de ces enfants.
Quelles sont alors les prises en charge possibles pour ces enfants ayant été victime de maltraitance ?
De nombreuses thérapies existent, influencées par divers courants théoriques qui ont toutes prouvé
leur efficacité (en tenant compte des spécificités des enfants, âge, type de trauma, contexte de la
prise en charge) : il existe des psychothérapies individuelles d’orientation analytique ou cognitivo-
comportementales ; des thérapies de groupe ; des thérapies familiales systémiques.
Nous allons faire un focus ici sur trois différentes thérapies récentes.
"

TF-CBT (Trauma-Focused Cognitive-Behavioral therapy)

La TF-CBT (Cohen et al., 2006) est une thérapie multidimensionnelle qui combine des éléments des
thérapies cogntives, comportementales et familiales. C’est une thérapie qualifiée de brève, dont les
séances (de 12 à 18 environ selon les besoins de l’enfant) durent entre 30-40 minutes à la fois pour
l’enfant et pour les parents (qui n’ont pas participé à la violence) ou la personne prenant soin de
l’enfant et des sessions conjointes parent/enfant.
Cette thérapie serait adaptée pour des enfants entre 3 et 18 ans.
De nombreuses études ont démontré l’efficacité de cette thérapie sur la réduction de la symptomatolo-
gie traumatique.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

! Hébertal & Daignault (2015) ont mené une étude portant sur 25 enfants victimes d’agression sexuelle
(âge préscolaire) et ont montré que les symptômes tant intériorisés qu’extériorisés tout comme les
symptômes dissociatifs diminuaient après leur participation à cette thérapie. Les effets chez les
parents étaient aussi intéressants (diminution de la détresse psychologique et de symptômes de
stress post-traumatique). Tous ces effets se maintiennent, selon les auteurs, plus d’un an après.
! Rosner (2016) a mis en évidence l’efficacité de cette thérapie sur la réduction de symptômes
(utilisation d’échelles standardisées comme la CAPS-CA sur l’intensité des symptômes psychotrau-
matiques ou la CDI, l’échelle de mesure de la dépression chez l’enfant) sur des enfants de 7 à 17
ans consultant dans des centres de soin en Allemagne et ayant été victimes de différents types de
violence.
186 C ADRES THÉRAPEUTIQUES ET THÉRAPIES SPÉCIALISÉES
"

L’EMDR

L’EMDR (Eye Mouvement Desensitization and Reprocessing (mis au point par Shapiro) est une thérapie
standardisée en 8 phases qui vise, par des stimulations visuelles bilatérales (ou d’autres stimula-
tions comme le tapping), à prendre en charge les cognitions et émotions du patient lié au souvenir
traumatique.
Dans une étude comparant l’efficacité du TF-CBT et de l’EMDR, les auteurs (Diehle, Opmeer, Boer,
Mannarino & Lindauer, 2015) ont trouvé que ces deux thérapies étaient tout aussi efficaces dans la
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prise en charge de ces enfants.
L’efficacité de l’EMDR dans la prise en charge d’adultes victimes de traumatisme a été prouvée à de
nombreuses reprises mais concernant les enfants les études sont plus rares et restent à approfondir.
Concernant plus spécifiquement la prise en charge d’enfants victimes de violences au sein de la famille,
une étude extrêmement intéressante a été faite en Colombie utilisant un protocole EMDR spécifique
(EMDR-IGTP en groupe) et adapté à cette population d’enfants ayant vécu des violences physiques ou
sexuelles importantes. Les auteurs mettent en avant la réduction des symptômes traumatiques et une
amélioration du bien-être psychique de ces enfants (Jarero, Roque-López, Gomez, 2013).
Une autre étude portant sur des jeunes filles iraniennes de 12 à 13 ans victimes de violences sexuelles
(Jaderghaderi, Greenwald, Rubin, Zand et Dolatabadi, 2004) a montré que la thérapie EMDR permettait
une diminution des symptômes traumatiques et des troubles du comportement.
"

L’ICV

La thérapie par Intégration du Cycle de la Vie (ICV, en anglais lifespan integration) a été développée
par Peggy Pace et est une thérapie psychocorporelle se basant sur l’utilisation de la ligne du temps
du patient qui récapitule ses souvenirs. « Son objectif est de permettre l’intégration psychique des
expériences autobiographiques, notamment traumatiques et/ou précoces. pour permettre l’intégration
psychique de ces derniers grâce à l’utilisation de l’imagerie mentale et à l’activation des différents
états du Moi » (Smith, 2017).
L’ICV étant une thérapie récente, peu de recherches d’envergure ont pu encore être fait concernant les
enfants. Citons l’ouvrage de Joanna Smith qui consacre un chapitre à l’utilisation de cet outil avec
des enfants et des adolescents.
Maltraitance et violences envers les enfants 187

C ONCLUSION

Miller-Graff & Campion (2016) mettent en avant un point essentiel dans leur méta analyse portant sur
l’efficacité de différentes thérapies. En effet, leurs résultats indiquent que les thérapies individuelles
et celles relevant d’un paradigme cognitivo-comportemental seraient les plus efficaces mais que cela
serait nuancé par la sévérité des symptômes et par l’âge des enfants (les plus jeunes montrant de
moins bons résultats). Les auteurs concluent donc par la nécessité de prendre en compte la spécificité
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de chaque enfant (à la fois au niveau de son niveau de développement et du type de traumatisme)
pour pouvoir proposer une prise en charge la plus adaptée possible.
En effet, plus que le type de la thérapie utilisée, la connaissance des mécanismes de la violence et de
la maltraitance ; de la diversité des conséquences à court et à long terme ; de la spécificité de la
violence intrafamiliale par le thérapeute mais aussi son attention et sa contenance nécessaire pour
chaque enfant, semblent au cœur d’une prise en charge efficace et adaptée.
De plus, une prise en charge plurielle pouvant proposer différentes techniques et différents espaces
semble aussi extrêmement appropriée à la complexité de ce phénomène, qui, on le rappelle reste un
phénomène majeur et dévastateur dans nos sociétés.
Chapitre 19

Psychothérapie des victimes


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Approche systémique

Michel Delage

V ICTIMES ET BLESSÉS PSYCHIQUES

L’aide aux victimes constitue aujourd’hui un sujet majeur de préoccupation, tellement notre société
est insécurisée par des catastrophes en tous genres, des actes terroristes à répétition.
À vrai dire le sujet n’est pas nouveau. Depuis notamment l’attentat du métro Saint-Michel en
juillet 1995, on s’est préoccupé de créer, en France, des cellules d’urgences médico-psychologiques
(les CUMP) intégrées aux SAMU.
On a développé différentes approches thérapeutiques comportant dans les suites immédiates et à court
terme d’un grave événement, des techniques de débriefing, des groupes de paroles, puis ensuite des
thérapies cognitivo-comportementales, l’E.M.D.R, l’hypnose. On a connu aussi, et on connaît encore
des techniques fantaisistes, et même parfois l’enrôlement de certaines victimes dans des pratiques
sectaires.
Par ailleurs, malgré les efforts entrepris, un plus ou moins grand nombre de victimes est exclu des
interventions.
D’autres deviennent victimisées par les enjeux socio-judiciaires complexes qui se nouent parfois dans
certaines situations. et il arrive aussi que certaines victimes adoptent des attitudes militantes qui
rendent difficiles une approche objective et un travail thérapeutique convenable.
Plusieurs points méritent des précisions.
Psychothérapie des victimes 189

Q U ’ EST- CE QU ’ UNE VICTIME ?


C’est une personne qui subit un dommage dont l’existence est reconnue par autrui, et dont elle-même n’est
pas toujours consciente (Audet, Katz 1999).

C EPENDANT QU ’ APPELLE -T- ON DOMMAGE ?


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Il peut s’agir d’une atteinte psychique. La souffrance est alors plus difficile à évaluer, d’autant plus lorsque
celui qui souffre n’a été que témoin d’un événement, qu’il n’a pas été destinataire d’une agression.

C’est finalement la reconnaissance sociale et juridique qui fait de la personne une victime. Cette
reconnaissance peut être difficile et longue à établir, responsable lors d’une victimisation exacerbée
par la non-reconnaissance du dommage subi.
Nous allons ici considérer des personnes dont on peut dire qu’elles sont blessées psychiquement. Elles
développent différents symptômes qui conduisent à évoquer le traumatisme psychique. Cependant ce
terme recouvre plusieurs réalités.
!

Les traumatismes

S’il est habituel de décrire chez l’individu, le syndrome de stress post-traumatique, il faut aussi
considérer la notion de traumatisme collectif : toute une population, toute une communauté peut
être lourdement impactée lors de conflits guerriers ou à la suite d’une catastrophe naturelle de grande
ampleur ; parfois, c’est une famille entière qui est concernée par une expérience dommageable.
On a beaucoup décrit les conséquences de l’exposition à une situation traumatique unique, correspon-
dant à l’acceptation classique de la rencontre avec « le réel de la mort » (Barrois, 1988).
Mais on peut retenir aussi comme traumatique l’exposition répétée à des situations adverses comme
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dans la maltraitance infantile, ce qui correspond selon Léonor Terr (1991) au traumatisme de type II,
par distinction du précédent qualifié de traumatisme de type I.
En même temps, on doit reconnaître la spécificité des manifestations traumatiques chez l’enfant,
notamment au stade précoce du développement, lorsqu’avant le langage, s’établissent de graves
dysfonctionnements émotionnels conservés en mémoire procédurale (Bonneville 2010).
!

Le travail systémique

Les soins nécessitent souvent une approche multidisciplinaire capable d’aborder les souffrances
individuelles et les difficultés relationnelles qu’elles engendrent.
L’approche systémique se justifie de 2 manières.
Dans les catastrophes de grande ampleur, l’accès aux soins est susceptible d’être entravé par différents
obstacles, notamment :
190 C ADRES THÉRAPEUTIQUES ET THÉRAPIES SPÉCIALISÉES

" les difficultés d’organisation des secours,


" les difficultés de coordination des dispositifs,
" les difficultés de la circulation de l’information,
" l’impact de la situation sur les intervenants eux-mêmes.

Dans les suites des attentats de Paris survenus en janvier 2015, une étude (Boussaud et coll. 2016)
montre une faible demande de soins chez les enfants, un défaut de coordination entre CUMP et CMP,
tandis qu’est préconisée une démarche active dans le repérage de troubles chez les personnes exposées.
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Après l’attentat de Nice, on souligne le retentissement chez des enfants très jeunes (Battista et coll.
2017) et les difficultés dans l’organisation des prises en charges (Guesnier 2017).
Dans les catastrophes privées, circonscrites à une famille, l’accès aux soins est souvent insuffisant. Les
professionnels axent leurs interventions sur des aides individuelles. Ils ont peu la culture du travail
groupal, intersubjectif, systémique et ils ont des difficultés à aborder les souffrances collectives,
d’autant plus lorsque quelqu’un dans la famille est désigné comme le malade à traiter, comme la
victime qu’il faut aider.
!

Les aspects spécifiques de la temporalité

Un ou des événements se produisent qui créent une rupture dans le mouvement du temps, il en va
tout ou moins ainsi dans le traumatisme de type I. C’est celui qui va d’abord nous intéresser dès lors
que nous allons mettre l’accent sur l’existence de dommages de grande ampleur, touchant un large
groupe humain, l’ensemble d’une communauté. Il y a donc ce qui s’est produit qui va venir rompre
ce qui était avant, tandis que désormais ce qui va venir ne peut pas s’inscrire dans la continuité du
passé. Trois périodes sont toujours à distinguer, au plan collectif, comme au plan individuel :
Il y a le post-immédiat et l’avenir à court terme : c’est le temps d’une sorte d’urgence psychique liée
à l’intensité des éprouvés des uns et des autres. Le temps ici s’est comme arrêté. Cette période peut
durer de quelques jours à quelques semaines.
Le moyen terme est de l’ordre de quelques semaines à plusieurs mois, et même jusqu’à un ou 2 ans.
C’est le temps où l’on tente désormais de vivre avec ce qui s’est passé, ou malgré ce qui s’est passé.
Différents mécanismes de défense se mettent en place, plus ou moins adaptés. On tente de soigner
les blessures, on cherche à réparer comme on peut, on colmate, on développe parfois des symptômes
de stress post-traumatiques.
Le long terme enfin concerne le temps des cicatrices, des souffrances qui n’en finissent pas, des
transmissions problématiques d’une génération à l’autre.
Nous allons ici nous intéresser aux deux premiers temps car ils nécessitent le développement d’une
attitude professionnelle particulière que je désigne comme clinique de l’offre.
Psychothérapie des victimes 191

C ATASTROPHES COLLECTIVES ET TRAVAIL DE RÉSEAU


!

Le post-immédiat et le court terme

Lors d’une catastrophe des aides spécifiques sont aujourd’hui rapidement mises en place, et on ne rate
jamais l’occasion, dans les médias, de souligner la présence sur le terrain des CUMP.
Il est d’abord question d’une crise sociale.
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Les émotions collectives de grande ampleur diffusent dans le champ social. Le traumatisme dans sa
dimension collective, se mesure à ses effets désorganisateurs. Plusieurs niveaux logiques se désarti-
culent (Guitton 1996). Ce n’est pas seulement que les institutions, les dispositifs concernés par ce
qui vient de se produire sont confrontés à l’urgence. C’est qu’ils sont confrontés à la déstabilisation.
L’imprévisibilité de ce qui vient de se produire ne permet pas d’anticiper calmement les conséquences.
Dans les années quatre-vingt-dix, se sont développées les sciences du risque, qu’on a nommé les
cyndiniques (du grec kindunos, danger), avec notamment les travaux de Kervern concernant l’hyperes-
pace du danger (Kervern, 1991). Plusieurs axes sont simultanément concernés et peuvent conduire à
des lacunes, à des disjonctions, à des blocages dans leur articulation. On peut notamment évoquer
l’axe culturel, celui des modalités d’organisation des secours, celui de l’information du traitement
médiatique de la situation, celui du retour d’expériences (Guitton, 2002). On a vu par exemple, ces
dimensions à l’œuvre dans les attentats de Nice et les écarts entre les réactions de l’état, du ministère
et celle de Monsieur Estrosi à la mairie de Nice.
À la lumière de ce qui s’est produit dans le passé, on cherche donc ici et là, au niveau d’une grande
entreprise, à l’échelon territorial d’une municipalité, d’une région, à anticiper une possible catastrophe,
à réfléchir sur des processus de prévention.
Toutefois, quelle que soit la réflexion, quel que soit le plan pour organiser les secours, aucune
catastrophe ne ressemble à une autre. Toujours surgit de l’imprévu, une ampleur à laquelle on ne
s’attendait pas. On a pu encore en faire l’expérience avec les ravages provoqués il y a quelques mois
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par les ouragans dans les îles de la Martinique.


Concernant plus spécifiquement l’organisation des soins psychiques, on peut souligner les points
suivants :
" Les dispositifs d’urgence mis en place, le sont parfois dans des conditions mal adaptées en raison
de contraintes imprévues imposées par la situation. Ainsi lors des attentats de Nice, certaines
personnes ou familles ont dû être reçues, faute de mieux, dans un local où ont été entreposés les
corps des victimes décédées.
" L’organisation du travail de soutien nécessite des coordinations institutionnelles parfois difficiles
à réaliser, notamment lorsque plusieurs membres d’une même famille sont lourdement impactés,
à plus forte raison lorsque des enfants sont concernés, et que doivent par exemple s’articuler les
CUMPS, les CMP, d’autres institutions ou associations susceptibles de venir en aide à différents
niveaux.
192 C ADRES THÉRAPEUTIQUES ET THÉRAPIES SPÉCIALISÉES

" Lorsque se profile la nécessité de soins devant être poursuivis au-delà du soutien immédiat, il
faut pouvoir orienter vers des réseaux d’acteurs potentiels intervenant dans différents domaines.
Les acteurs de première ligne, ceux qui interviennent dans les C.U.M.P doivent sans doute donner
des noms, des adresses, des numéros de téléphone pour que les victimes aillent consulter si des
symptômes apparaissent. Mais est-ce suffisant ?
" Il est sans doute souhaitable qu’interviennent ici des acteurs de 2e ligne se préoccupant de relayer
les précédents en effectuant un nécessaire travail de réflexion sur les suites à donner et en se
préoccupant d’organiser ces suites.
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" Le risque est toujours le débordement et la confusion.
" Enfin, les intervenants de première ligne sont susceptibles d’être eux-mêmes impactés, contaminés,
gagnés par les nombreuses souffrances dont ils sont les témoins. Ils ont besoin d’être eux-mêmes
« débriefés », soutenus, accompagnés dans ce qu’ils vivent, aidés à rajouter leurs propres émotions
et un sentiment d’insuffisance, ou d’échec ou d’impuissance qui peut les gagner.
Au bout du compte l’organisation des soins psychiques nécessite que puisse se réfléchir une rassurante
fonction d’autorité pensée selon plusieurs niveaux (Guitton, 2002).
Le niveau déontique (celui qui apparaît garant pour tous) de l’état et de ses représentants locaux
et régionaux.
Le niveau des dispositifs de secours, mis en place et suffisamment coordonnés entre eux.
Le niveau des acteurs de terrain, des actions et de l’information circulant entre les uns et les autres.
Et sans doute le niveau de tiers susceptibles d’aider au nécessaire travail de réflexion. C’est la place ici
de conseillers en sécurité, de systémiciens, capables d’aider aux réajustements des dispositifs et des
modalités d’action en fonction de l’évolution de la situation.
!

Le moyen terme

C’est en fait le temps fort de l’aide thérapeutique. Évidemment les projecteurs sont braqués sur le
premier temps quand soudain l’imprévisible s’est produit et que, sans relâche, les informations tournent
en boucle dans les médias.
Puis, dans la société, le temps reprend son cours, ponctué par d’autres événements, d’autres informa-
tions. Les professionnels de l’aide, un moment déployés sur le terrain, réintègrent leurs institutions.
Les dispositifs spécifiques qui avaient été mis en place cessent leur fonctionnement. Que deviennent
les victimes ?
Beaucoup d’entre elles ne consultent pas. On peut penser que finalement, tout en ayant vécu des
choses terribles, elles trouvent peu à peu les ressources personnelles pour repartir dans la vie. On peut
penser, que même les plus atteintes, s’engagent dans un travail de reconstruction, selon l’expression
aujourd’hui consacrée.
Mais il est des victimes qui ne consultent pas bien qu’elles aillent mal. Elles ne savent pas bien à
qui s’adresser, elles redoutent de parler de ce qui s’est passé, parce que c’est encore plus douloureux
d’évoquer la douleur, elles ne sont pas satisfaites de certaines tentatives de rencontre parce qu’elles
Psychothérapie des victimes 193

ne se sont pas senties comprises, elles n’ont pas rencontré de professionnels leur étant apparus
suffisamment disponibles.
Le moyen-terme après une catastrophe nécessite de penser un travail « écosystémique » susceptible
de se déployer dans un temps prolongé et comportant nécessairement de multiples éléments. On doit
pouvoir prendre en compte ensemble ce qui relève des souffrances individuelles et ce qui relève des
souffrances collectives. Il s’agit ici de développer une approche contextuelle qui comporte :
Le repérage et la coordination de diverses associations et dispositifs de soutien dans le tissu commu-
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nautaire.
La mise en place de groupes de parole, de groupes multifamiliaux visant le réconfort mutuel et le
déploiement de ressources collectives.
Le développement d’initiatives chez les victimes ; il est toujours aidant pour elles de retrouver une
prise sur la réalité, au lieu de rester submergés par ce qu’elles subissent ;
La constitution parfois de « familles soutiens », c’est-à-dire de familles ressources pouvant constituer
les points d’appui pour ceux qui sont le plus en difficulté.
L’aide aux procédures administratives et judiciaires, dont on doit se préoccuper pour qu’elles ne soient
ni trop complexes, ni trop longues, afin que surviennent dans un délai raisonnable des reconnaissances
claires des responsabilités, les indemnisations et réparations nécessaires.
On est toujours ici dans l’offre d’aide, l’engagement actif. De nombreux acteurs et dispositifs doivent
être mobilisés durablement. La difficulté est toujours d’organiser en un ensemble suffisamment cohé-
rent les différents niveaux logiques concernés. Cela suppose un pilotage réunissant des spécialistes
de diverses disciplines capables de penser ensemble la diversité des problèmes posés afin de définir
des actions organisées et cohérentes.
Deux objectifs doivent pouvoir être visés.
La réduction de la chaîne des réactions négatives qui suivent une catastrophe, quand se cumulent des
conditions défavorables d’existence auxquelles alors il s’agit de pallier :
" conditions matérielles insuffisantes,
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" difficultés des enfants à suivre une scolarité,


" dysfonctionnalités familiales liées aux troubles développés par les uns et les autres.
!

L’augmentation de la chaîne des réactions positives

Certaines compétences doivent être repérées pour être amplifiées.


Des plans d’action peuvent être développés, par exemple en mettant en place des activités sportives
et culturelles.
Les solidarités doivent être favorisées, encouragées. Des initiatives peuvent surgir ici et là, susceptibles
d’être diffusées pour peu qu’elles soient connues.
Finalement, on peut dans tout ce travail retenir 4 points susceptibles défavoriser un processus de
résilience à un niveau collectif :
194 C ADRES THÉRAPEUTIQUES ET THÉRAPIES SPÉCIALISÉES

1. La mise en valeur des connexions sociales.


2. Le rétablissement de rythmes et routines collectives.
3. La participation à des récits collectifs dans lesquels chacun doit être reconnu dans ce qu’il a vécu,
et doit être validé dans son expérience personnelle.
4. L’orientation ver des projets, leur matérialisation et une vision plus positive du futur.
On peut résumer les aspects collectifs du traumatisme et le travail de réseau qu’ils rendent nécessaire
en se référant au modèle écosystémique de Bronfenbrenner. Ce modèle est constitué de sphères
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concentriques.
Au centre de toutes les sphères, se trouve l’individu, constituant par ses caractéristiques génétiques,
biologiques et génétiques, un ontosystème.
Puis le groupe familial constitue un microsystème. Il est à son tour entouré par une sphère plus
extérieure, celle constituée par la famille élargie, les relations familiales, c’est-à-dire le mésosystème.
Une sphère encore plus extérieure, l’exosystème, est représentée par l’école, le milieu professionnel.
Enfin, la société avec ses normes et valeurs culturelles constitue le macrosystème. Ces différentes
sphères sont interconnectées et connaissent des interactions variables au fil du temps, lequel constitue
le chronosystème.
Les différentes sphères de ce modèle sont plus ou moins impactées par une catastrophe de grande
ampleur. Les interactions entre les unes et les autres sont plus ou moins bouleversées. Le rétablisse-
ment d’une fonctionnalité suffisamment efficiente, nécessite de réfléchir à l’articulation des boucles
systémiques pouvant parcourir les différentes sphères :
La boucle administrative concerne les dispositifs mis en place et devant être coordonnés entre eux.
La boucle technique concerne les professionnels intervenants sur le terrain et à leur tour suffisamment
en capacité de coordonner leurs actions.
La boucle clinique est celle qui concerne le développement des souffrances psychiques dans l’entre-
croisement de l’individuel et du collectif, de l’intrapsychique et de l’interpsychique.
C’est cette boucle qu’il s’agit maintenant d’étudier.

LA DIMENSION FAMILIALE DU TRAUMATISME


!

Le traumatisme psychique attaque les liens

On n’a pas en général mis suffisamment l’accent sur la dimension intersubjective du traumatisme
psychique. La vie relationnelle est susceptible d’être plus ou moins altérée selon 3 occurrences (Delage,
2008).
Lorsque quelqu’un dans une famille est victime d’un grave dommage, il lui est souvent difficile de
faire part de ce qu’il éprouve, tandis que ses proches justement parce qu’ils sont proches, souffrent
de le voir souffrir. Il est question d’un traumatisme dans la famille. Parfois, fort heureusement, des
Psychothérapie des victimes 195

ressources sont développées pour venir en aide à celui qui est psychiquement blessé, mais parfois
certains dans la famille sont trop débordés par leurs propres émotions pour pouvoir venir en aide. Il
se produit des effets de contagion, de contamination, susceptibles d’aggraver la situation. Il ne s’agit
plus alors d’un traumatisme dans la famille, mais d’un traumatisme familial.
Il arrive que toute une famille subisse une situation très dommageable, lors d’une catastrophe natu-
relle, d’un accident, d’une agression ou en ayant été exposée comme témoin à une situation très
dommageable. À nouveau, il est question d’un traumatisme familial.
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Enfin, il arrive que la source du traumatisme soit à l’intérieur de la famille. Par exemple un enfant
est victime d’abus sexuel de la part d’un proche, ou il est maltraité ; ou encore se développe la
violence conjugale. On est ici en présence de traumatismes complexes. Les relations intrafamiliales
sont dysfonctionnelles et s’accompagnent de troubles du développement chez l’enfant.
Précisons les choses. Une famille est un ensemble de personnes liées entre elles de différentes manières.
Bien sûr, il y a les liens de parenté. Mais il y a aussi les liens affiliatifs, ceux qui se construisent
et permettent aux uns et aux autres de se sentir appartenant à un « espace psychique familial » dans
lequel ils échangent et partagent différents éléments qui les rendent familiers les uns aux autres. Cela
signifie que l’autre est suffisamment lisible et prédictible, qu’on le comprend sans qu’il ait forcément
à s’exprimer, de sorte qu’on peut s’ajuster les uns aux autres sans trop vraiment y penser. Ainsi se
régulent presque automatiquement, les émotions, celles positives qu’on éprouve dans la satisfaction
d’être ensemble, celles négatives que chacun peut éventuellement ressentir, notamment quand il est
confronté au stress.
En même temps, l’échange verbal permet de clarifier à plusieurs ce qui a été vécu, de créer de nouvelles
significations, de développer des capacités de mentalisation.
Ces dernières sont liées à la fonction réflexive et elles se déploient selon trois dimensions :
1. La différenciation permet de se sentir bien distinct d’autrui en même temps que s’opère une bonne
séparation entre cognitions et émotions.
2. La liaison permet de se sentir lié à l’autre, en même temps que s’articulent cognitions et émotions.
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3. La flexibilité permet de mettre en perspective les états mentaux des uns et des autres, sans les
confondre, avec ce qui appartient en propre à chacun et à soi-même.
La confrontation à une situation dommageable, où le développement de l’agression et de la violence au
sein de la famille peut avoir pour conséquence ce que je considère comme une déchirure de « l’intime
familial » (Delage, 2008). Cela signifie que se produit dans la famille des zones de rupture en raison de
blocage cognitifs qui ne permettent plus la reprise langagière de l’expérience, tandis que par ailleurs
se vivent des émotions débordantes. En effet les éprouvés sont trop intenses, ou trop complexes, ou
trop contradictoires. Il est difficile de partager quand l’un est désespéré et que l’autre est en colère. Il
est difficile de partager quand on éprouve la honte et la culpabilité. Il est difficile de partager, quand
un interdit est mis par un agresseur sur ce qu’il vient de commettre.
La déchirure de l’intime que réalise l’atteinte traumatique des liens, c’est la perte de la lisibilité et de
la prédictibilité pour chacun et pour tous dans la famille, c’est l’incapacité à réguler et à mentaliser
les émotions.
196 C ADRES THÉRAPEUTIQUES ET THÉRAPIES SPÉCIALISÉES
!

La temporalité post-traumatique au sein de la famille

On va retrouver ici les 3 temps déjà individualisés.


Dans les suites à court terme toutes les familles soumises à une grave épreuve peuvent connaître le
temps de rupture qui vient d’être évoqué. Toutefois, le plus souvent, la mobilisation de ressources
chez certains, le développement de stratégies adaptatives permet de colmater certaines blessures,
puis de s’engager dans des processus de réparation, de reconstruction. Des soutiens extérieurs sont
ici précieux, de même que l’existence de facteurs de protection, lorsque des attachements de bonne
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qualité ont pu se développer antérieurement dans la famille, qu’une fonctionnalité efficiente permettait
avant le drame une bonne adaptation à la vie quotidienne.
Le temps du moyen terme est donc un temps d’une grande importance. C’est dans ce temps que la
famille parvient peu à peu à se remettre de ce qui l’a bouleversé. Mais c’est aussi dans ce temps
que certaines familles demeurent enlisées par ce qui est arrivé. L’espace intime est durablement
déchiré. De telles familles risquent finalement l’explosion c’est-à-dire l’éclatement, la séparation ; ou
bien l’engagement dans des dysfonctionnalités durables. On peut dire de ces familles qu’elles sont
enfermées dans le « piège traumatique » (Delage). Le piège est à l’origine un appareil qui se referme
sur l’animal piégé et l’enserre sans qu’il puisse se dégager. Le piège traumatique ici réside dans le fait
que chacun est isolé dans sa souffrance, en même temps que la famille entière est repliée sur son
intimité blessée non seulement on ne parvient pas à échanger les uns avec les autres, mais on ne
peut pas davantage échanger avec l’environnement. Cela paraît trop difficile, trop douloureux. Les
professionnels sont vécus comme ne pouvant pas aider. Ils ne peuvent pas changer l’irréparable qui
s’est produit.
Une telle fermeture de la famille sur son malheur est d’autant plus à craindre dans les situations où la
source traumatique est à l’intérieur de la famille et où se développent alors des relations d’emprise,
des dysfonctionnalités durables ne permettant pas la mise en place de stratégies de protection pour
ceux qui sont victimes.
Le risque qu’une famille confrontée à un grave dommage puisse, en silence, s’orienter vers la souffrance
chronique, l’éclatement ou la dysfonctionnalité rend souhaitable de réfléchir à une clinique de l’offre
(Delage, 2012). Selon cette clinique les professionnels de l’aide se préoccupent de prendre soins
de ceux qui sont susceptibles d’être psychiquement blessés après la confrontation à une situation
dommageable.
Remarquons ici la prise en compte insuffisante des catastrophes privées.
Une catastrophe publique suscite la mise en place des dispositifs déjà évoqués. Il s’agit ici de réfléchir
à des aides plus spécifiques du moyen terme, développant notamment des capacités de prise en charge
cohérente et coordonnée des individus et des familles.
Mais les catastrophes privées sont quotidiennes. Elles sont circonscrites à une famille. Elles ne donnent
pas lieu à la mise en place d’un dispositif spécifique. Il s’agit des situations de maltraitance et de
violences intrafamiliales, des deuils traumatiques après un accident, un suicide : il s’agit de souffrances
relationnelles liées à une maladie grave évolutive, dans les situations de handicaps chroniques, bref
tout un ensemble de situations médicales pouvant ou devant nécessiter une clinique relationnelle
Psychothérapie des victimes 197

selon laquelle on se préoccupe de la souffrance d’un malade et de celle de son entourage, avec les
effets de circularité entre les uns et les autres.
Le long terme, celui que l’on compte en années, est donc celui du temps qui passe et des récits qui
transmettent plus ou moins ce qui s’est passé dans la famille, ou ce à quoi elle a été confrontée.
L’activité narrative a pu parfois transformer les souffrances individuelles et familiales en une histoire
que ceux qui n’ont pas vécu le drame peuvent s’approprier.
Toutefois, quand il n’a pas été possible de dépasser la crise traumatique, il arrive que les souffrances
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se cristallisent, que le mouvement de l’existence reste durablement bloqué, qu’une dysfonctionnalité
chronique entrave l’épanouissement des plus jeunes. Les processus d’élaboration, de transformation
mis en défaut ne permettent pas l’historisation des événements. Dans de telles familles, celles qui
sont restées durablement enfermées dans le piège traumatique, on transmet de la souffrance entre les
générations, ou des stratégies défensives d’évitement de la souffrance. C’est alors que s’établissent
des non-dits, des secrets et leurs effets transgénérationnels négatifs.
Je laisserai ici, faute de place, les aspects spécifiques de ces situations pour me centrer sur les
interventions thérapeutiques pouvant être développées dans le moyen terme, dans ce temps où la
mobilisation des ressources et l’orientation vers un processus de résilience sont davantage possibles
qu’à la phase de cristallisation et d’encryptage qui caractérise le long terme.
!

Les interventions thérapeutiques

Elles doivent d’abord se préoccuper d’une réponse à la souffrance repérée ici et maintenant, tant chez
les individus, que dans l’ensemble du groupe familial. Il faut d’abord créer les conditions d’un apaise-
ment émotionnel, pour que dans un 2e temps un travail d’élaboration psychique et de reconstruction
soit possible.
Il s’agit pour le thérapeute de se proposer, grâce à son engagement, à l’attention qu’il manifeste,
comme une base de sécurité capable de suppléer, pour un temps, les déficiences familiales liées à la
propagation des émotions négatives entre les uns et les autres.
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4 éléments doivent être alors travaillés.

La communication

Elle doit pouvoir être ou devenir suffisamment claire et ouverte. Elle risque dans le traumatisme, d’être
saturée par les émotions et de devenir alors confuse et chaotique ; ou bien au contraire elle peut se
tapir et conduire à des attitudes de repli, de déni, « d’exclusion défensive » (Bowlby, 1978).
De toute façon, il est fréquent que chacun dans la famille, préoccupé par sa souffrance personnelle,
peine à différencier celle-ci de celle des autres.
Il appartient au thérapeute d’aider à la communication, à la mise en mots des ressentis, à la circulation
de l’information ; de ce point de vue, une attention particulière doit être accordée aux jeunes enfants.
Leurs propres souffrances risquent de ne pas être prises en compte, au motif qu’ils sont trop petits
pour comprendre, et qu’on les protège en évitant de trop parler de ce qui est arrivé.
198 C ADRES THÉRAPEUTIQUES ET THÉRAPIES SPÉCIALISÉES

L’expression des émotions et des sentiments

Elle doit pouvoir être suffisamment libre, de sorte que chacun puisse, s’il le souhaite faire part de ce
qu’il éprouve avec le souci d’un partage, tandis qu’en même temps il ne se sent nullement obligé à
s’exprimer par une quelconque pression que d’autres pourraient exercer sur lui.
Il est question ici d’une flexibilité qui n’est guère possible dans une famille envahie par l’insécurité
secondaire aux dommages subis.
Le thérapeute doit être spécialement attentif à l’émotionnalité de chacun. Il accueille et porte les
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émotions négatives des uns et des autres. Il vise à les restituer dans la verbalisation sous une forme
acceptable pour tous.
Cela suppose la possibilité d’un accordage affectif qu’on peut comprendre comme une « partialité
multidirectionnelle » (Boszormenyi-Nagy, 1984) selon laquelle chacun est aidé à exprimer ses ressentis
et ses attentes par rapport aux autres, tout en étant aidé aussi à respecter les attentes des autres,
tout aussi valides que les siennes.

La collaboration dans la résolution des problèmes

Une famille durement éprouvée par ce qu’elle a vécu doit, en même temps, gérer tant bien que mal la
vie quotidienne. Celle-ci tend à être désorganisée et constitue un facteur d’insécurité supplémentaire,
lorsque notamment certains membres de la famille, une mère, un père, ne sont plus en capacité de
jouer leurs rôles habituels, que doivent s’opérer des suppléances et de nouvelles complémentarités.
Maintenir une suffisante fonctionnalité familiale suppose de fixer des objectifs concrets, des tâches
précises à réaliser, la satisfaction des besoins biologiques, notamment des plus jeunes, le maintien ou
le rétablissement d’une rythmicité suffisante, concernant par exemple les repas, les temps de sommeil
etc.
Le thérapeute doit pouvoir ici évaluer la manière dont le quotidien familial est géré, et éventuellement
aider à l’établissement d’une meilleure fonctionnalité.

La suffisante ouverture et l’accès à des aides extérieures

Quand dans une famille suffisamment fonctionnelle on peine à trouver des solutions pour gérer les
problèmes de la quotidienneté, on garde en général une capacité à chercher un soutien, une aide dans
l’environnement, dans le réseau social. On sait évaluer les limites dans les possibilités de résoudre
les difficultés concrètes, et on a éventuellement recours à des membres de la famille élargie, à des
amis, à des professionnels de l’aide. Mais, je l’ai déjà précisé, le traumatisme tend à enfermer chacun
et la famille toute entière dans la souffrance. Il appartient au thérapeute d’évaluer la manière dont la
famille fait face aux problèmes concrets qui se posent à elle. Il est important qu’elle mentionne ou
trouve une suffisante sécurité matérielle, et que pour se faire elle puisse avoir suffisamment recours à
des aides extérieures.
Au fond, une famille atteinte par le traumatisme est une famille qui a besoin de protection. La
théorie de l’attachement constitue un bon modèle pour penser les troubles qui se manifestent dans
Psychothérapie des victimes 199

les relations entre les uns et les autres. Il s’agit alors, pour la thérapeute, de tenter de répondre à
ces troubles en comparant la famille comme un groupe d’attachement en souffrance en raison de la
plus ou moins grande insécurité qui s’y développe. La base de sécurité temporaire que peut alors
représenter le thérapeute doit pouvoir remplir 2 fonctions :
Une fonction de protection : il s’agit avec les membres de la famille d’identifier le plus clairement
possible les difficultés concrètes de la famille, les facteurs de vulnérabilité, mais aussi les facteurs de
protection sur lesquels elle peut s’appuyer.
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Une fonction d’exploration : précisément le repérage de certaines compétences permet d’axer un travail
groupal vers la nouveauté, la créativité et finalement vers un processus de résilience.
!

La mentalisation

C’est lorsque la famille se sent suffisamment protégée, qu’elle a pu maintenir ou établir une suffisante
fonctionnalité dans la gestion de la vie quotidienne qu’un travail de mentalisation peut s’effectuer,
c’est-à-dire un travail de mise en représentations communicables et partageables. Non seulement,
dans ces conditions, on parvient mieux à exprimer dans la famille ce que l’on ressent, mais surtout on
peut mieux mettre en pensée et engager un travail d’élaboration.
Cela suppose un ratissage et un ratissage des liens à partir de la reconnaissance mutuelle de la
souffrance et des besoins spécifiques des uns et des autres.
L’espace intime familial déchiré se restaure dès lors qu’il devient possible de développer une activité
narrative et l’organisation d’un récit collectif. Celui-ci est alimenté par les récits de chacun, en même
temps qu’en retour chacun puise dans les récits des autres des éléments alimentant ses propres
représentations et son élaboration personnelle.
Il arrive cependant que quelqu’un dans la famille, plus éprouvé que les autres, développe une sympto-
matologie post-traumatique envahissante et susceptible de bloquer le travail du groupe. Il faut alors
pouvoir associer une prise en charge individuelle à l’approche familiale. Notamment des techniques
brèves comme l’E.M.D.R se montrent ici particulièrement utiles (Silvestre, 2017). Dans une approche
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intégrative, il est parfois souhaitable que l’E.M.D.R puisse être entrepris avec un enfant traumatisé en
présence de ses parents, aidés alors, de leur côté, à la sécuriser. (Morris Smith et Silvestre, 2015).
Remarquons que l’activité narrative peut se déployer selon de multiples manières auxquelles peut
aider le thérapeute. On peut penser a priori à l’expression orale ou à la production d’écrits. Mais il
est possible que certains supports et objets médiateurs soient utilisés, comme la photo, la vidéo,
l’expression graphique et le jeu, notamment chez l’enfant.
Au bout du compte, il s’agit, avec la mentalisation et l’activité narrative, de pouvoir historiser les
événements vécus, de transformer le traumatisme en une histoire communicable.
200 C ADRES THÉRAPEUTIQUES ET THÉRAPIES SPÉCIALISÉES

Certains aspects particuliers méritent parfois un travail spécifique :


La spiritualité :
Elle est susceptible, pour peu qu’elle s’appuie sur des croyances réalistes, de constituer une ressource.
Croire qu’on peut s’en sortir confère une force aidant à mettre en œuvre certaines compétences, des
actions orientées par l’espoir.
Dans une famille, il est spécialement aidant de s’appuyer sur la confiance qu’on éprouve envers une
ou des personnes auxquelles on reconnaît des qualités particulières pour organiser des soutiens,
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faire preuve de créativité malgré la situation. Une personne parvient parfois à porter les espoirs, à
rassembler les énergies, elle porte des valeurs, elle suscite l’admiration ; on croit en elle.
Mais quelquefois aussi les forces familiales peuvent être mobilisées par la croyance, portée par certains,
en une transcendance, que celle-ci oriente vers une pratique religieuse ou non.
Le pardon :
Il peut faire l’objet d’un travail spécifique lorsque quelqu’un a été victime d’agression, de maltraitance.
Il s’agit ici de pouvoir vivre et exprimer la colère et la taire pour ensuite parvenir à reconnaître malgré
tout l’agresseur comme humain, susceptible d’être digne de compassion. Encore faut-il que celui-ci
puisse de son côté reconnaître le mal qu’il a fait, et puisse tenter de réparer l’offense dont il est
responsable.
Ainsi, dans une famille ou a été vécue la maltraitance, la violence, l’agression sexuelle, un processus
thérapeutique peut parfois s’engager avec l’ensemble familial après le traitement judiciaire de la
situation.
Il s’agit alors de l’expression du repentir du ou des agresseurs, de la reconnaissance de la responsabilité
et de la culpabilité de ceux qui n’ont pas su protéger une ou des victimes. Ces dernières peuvent
de leur côté se voir soulagées d’une honte et d’une souffrance désormais redistribuées au sein de la
famille au lieu d’être concentrées sur les seules victimes.
Le deuil traumatique :
Plusieurs éléments doivent ici être pris en compte :
La parole, la narrativité autour du ou des défunts et de ce qui est arrivé. Il s’agit ici de pouvoir donner
sens, peut-être à ce qui s’est produit, plus encore à la vie en général, tandis que le ou les défunts ont
désormais leur place dans le passé.
Les rituels destinés à pleurer le ou les pertes ; à permettre à la famille d’incorporer, de garder des
éléments du ou des disparus ; à symboliser la continuation de la vie.
Une pensée collective orientée vers l’avenir et les projets malgré les malheurs subis.
La protection des enfants que l’on s’efforce d’informer malgré les circonstances douloureuses, qui
doivent être écoutés et non pas écartés des conversations, et à qui on donne des éléments pour
comprendre, quand ils sont jeunes, ce qu’est la mort.
Psychothérapie des victimes 201

C ONCLUSION

Le traumatisme psychique attaque les liens.


Ceux qui en sont victimes courent toujours le risque de se sentir et d’être seuls au monde.
Les interventions thérapeutiques ont pour premier effet de maintenir les blessés psychiques au sein
de la communauté humaine grâce à l’engagement dont font preuve les thérapeutes pro-actifs.
Mais il est habituel que la souffrance se distribue dans la collectivité dès lors que les dommages
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subis revêtent une certaine ampleur. Il faut toujours penser l’entrecroisement entre les souffrances
individuelles et les souffrances collectives. Plus spécifiquement la famille est le lieu où peuvent se
circonscrire de telles souffrances. Mais c’est le lieu aussi où peut se développer une résilience. Celle-ci
suppose que des ressources spécifiques puissent être mobilisées par ceux qui souffrent grâce au recours
à de suffisantes ressources externes pourvu que celles-ci soient offertes par des dispositifs au sein
desquels on sait penser les besoins des victimes.
Chapitre 20

Prise en charge des victimes


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de psychotraumatismes aigus

Chroniques avec la psychothérapie EMDR

Cyril Tarquinio, Pascale Tarquinio, Camille Tarquinio

I NTRODUCTION

La psychothérapie Eye Movement Desensitization and Reprocessing ou EMDR (Shapiro, 2001 ; Shapiro,
2007), est aujourd’hui devenue une psychothérapie de choix pour la prise en charge des victimes
manifestant un psychotraumatisme récent ou chronique. Cette approche se développe fortement depuis
quelques années (Tarquinio & al., 2017). et si elle peut parfois nourrir les critiques les plus vives, dans
le même temps elle fait l’objet d’une idéalisation toute aussi discutable. L’objectif de ce chapitre sera
de présenter les fondements de l’EMDR, son approche thérapeutique et les données de la littérature la
concernant notamment pour ce qui est la prise en charge des victimes de psychotraumatisme d’une
part en ce qui concerne la prise en charge des patients souffrant de troubles de stress post-traumatique
(TSPT) et d’autre part les victimes d’événements récents, ce qui est un aspect moins connu de la
contribution possible de l’EMDR à la prise en charge des victimes.

L’EMDR : ORIGINE ET FONDEMENTS

Plus métaphorique que véritable support théorique, le modèle du Traitement Adaptatif de l’Information
(TAI) est le postulat de base de l’EMDR (Shapiro, 2001 ; Shapiro, 2007). Il a été développé à partir
Prise en charge des victimes de psychotraumatismes aigus 203

d’observations cliniques dans le but d’expliquer la rapidité des résultats obtenus. Basé sur l’idée que
le corps a jusqu’à un certain point, la capacité de se régénérer et de se guérir lui-même (exemple : le
processus de cicatrisation après une coupure !), le parallèle fut envisagé pour les capacités mnésiques,
notamment lorsque l’individu est confronté à des événements négatifs de nature ou non traumatique.
Ainsi, le psychisme aurait la faculté de « métaboliser » la majorité des vécus traumatiques. Lorsque
ce système ne fonctionne pas correctement, l’information resterait en suspens dans le psychisme,
influençant pensées, émotions et sensations, à travers des réseaux mnésiques dysfonctionnels. Chacun
de nous a vécu des événements négatifs dans sa vie. Certains d’entre eux avec le temps ont vu leur
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charge émotionnelle s’atténuer et parfois disparaître. Nous pouvons alors les évoquer sans prendre le
risque d’être submergé sur le plan émotionnel. D’autres en revanche, même après de très nombreuses
années sont restés intacts quant à leur niveau d’activation émotionnelle. Il suffit d’y repenser pour
être emporté par le flot des émotions comme au premier jour. Preuve que le temps n’y est pour rien !
Ainsi, le modèle TAI (Cornil, 2017) suppose que ces réactions émotionnelles négatives des patients
sont le fait d’expériences non résolues qui sont stockées de façon dysfonctionnelle dans les réseaux
neuronaux. Tout se passe comme si le mécanisme de traitement inné, qui lie les informations à des
réseaux neuronaux adaptatifs existants, n’était pas en mesure de traiter l’information. L’expérience
traumatique resteraient stockée dans un réseau neuronal spécifique, dans sa forme brute, avec les
images originales, les pensées, les sentiments et les sensations corporelles qui lui sont attachées.
L’information se fige dans le temps et ne change plus, comme si une « capsule de temps » s’était
créée (Croitoru, 2014).
Cette « capsule de temps » serait comparable à une boîte ou un tube métallique dans lequel les objets
sont enfermés ; ils y sont typiquement représentatifs pour une certaine période de temps. Il s’agirait
donc d’une temporalité dissociée. La capsule serait alors comme scellée et le contenu n’évoluerait
plus. Le temps serait comme suspendu dans tout une partie de ces réseaux de mémoire traumatique.
Pour Cornil (2017), chaque événement, situation ou indice de rappel susceptible de réactiver l’évé-
nement (cf. propriété de la mémoire épisodique) aurait la capacité d’ouvrir la capsule et d’activer le
réseau de mémoire dysfonctionnel engrammé au moment de la confrontation à l’épisode traumatique.
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Le modèle TAI est l’étendard de l’EMDR. En effet, il reste le seul référent un peu métathéorique
qui fasse autorité et qui donne a priori un semblant de substrat conceptuel à l’approche. Certains
chercheurs (Tarquinio & al., 2017) le considèrent comme hautement spéculatif. C’est bien là, une des
limites de l’approche qui a passé les 20 dernières années à chercher une validation expérimentale de
son efficacité, soit à travers des études contrôlées randomisées (considérées dans le domaine comme
le saint Graal1 ), soit via les neurosciences et l’imagerie cérébrale.

1. Actuellement, la communauté scientifique est consciente des forces des essais contrôlés randomisés notamment par le
contrôle des biais mais également de ses faiblesses, notamment le manque de validité externe. En effet, les patients recrutés
dans les essais contrôlés randomisés sont très différents de ceux traités dans la vraie vie. Il est actuellement reconnu que les
études observationnelles ont des avantages que les essais randomisés n’ont pas : elles sont plus proches de la vie réelle car
elles incluent des patients qui sont généralement exclus des essais randomisés. Elles permettent également un suivi plus long
que dans les essais randomisés. La tendance est d’ailleurs à la problématique des évaluations des interventions complexes
(Tarquinio et al., 2015), ce dont l’EMDR et les recherches sur les psychothérapies en général, feraient bien de s’inspirer.
204 C ADRES THÉRAPEUTIQUES ET THÉRAPIES SPÉCIALISÉES

Nous avons retenu trois pistes théoriques susceptibles d’être explicatives de ce qui se passe durant
l’EMDR :
1. L’hypothèse du sommeil REM : Un parallèle a été fait avec ce qui se passe dans le sommeil à
mouvements oculaires rapides (Rapid Eyes Movement - REM). En effet, les mouvements oculaires
rapides surviennent au cours des états de rêve et il existe de plus en plus de preuves montrant que
le rôle des rêves est d’élaborer et de digérer psychiquement les vécus de la vie réelle. Il semble
que lorsque des souvenirs pénibles apparaissent dans les rêves, les mouvements oculaires rapides
induisent un effet de détente qui permet le traitement psychique de ces expériences (Carskadon,
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1993 ; Wolpe, 1990, Wolpe & Abrams, 1991).
2. L’hypothèse de la consolidation/reconsolidation de la mémoire (Nader, 2003 ; Nader, et al.
20001 ) : la théorie de la reconsolidation propose qu’un souvenir réactivé (rappelé en mémoire)
redevient labile et doit par la suite être consolidé de nouveau (reconsolidé) pour exister dans la
mémoire des sujets. Ainsi, un souvenir perturbant peut être ravivé, puis ensuite dégradé, notamment
par le recours à des agents amnésiques (p. ex., bêta-bloquants comme le propranolol) ou d’activités
susceptibles d’interférer au moment de sa reconsolidation (Brunet et al. 2008 ; Poundja et al.,
2012). Les SBA activées en EMDR auraient cette fonction et conduiraient à une reconsolidation
des souvenirs traumatiques, qui seraient donc différents des souvenirs initiaux. C’est bien quelque
chose de cette nature qui semble en effet se passer avec l’EMDR, puisque les sujets rapportent
souvent que leur souvenir initial a changé et que sa charge négative a disparu.
3. L’hypothèse de la mémoire de travail : la capacité de la mémoire de travail est limitée, ainsi les
performances de stockage seront altérées si deux tâches simultanées entrent en concurrence. Si les
capacités attentionnelles de la mémoire de travail d’un sujet s’avéraient être saturées lors de la
confrontation à un événement négatif ou traumatique, il serait alors possible d’imaginer que le
traitement cognitif réservé à cet évènement dans les deux cas serait bien différent de celui opéré
si la mémoire de travail disposait de toutes ses ressources attentionnelles et mnésiques. Ainsi,
les mouvements oculaires et plus largement des SBA, activés lors de la désensibilisation en EMDR
pourraient avoir une fonction de saturation de la mémoire de travail. Les ressources de la mémoire
de travail étant limitées, tout se passe comme si la reconsolidation se faisait en dépouillant les
souvenirs de certaines caractéristiques, notamment leur charge émotionnelle qui à l’issue s’avère
moins intense (de Jongh & al., 2013).

1. Par exemple, dans l’étude de Nader et al. (2000), il y avait un conditionnement classique sur des rats au Jour 1, dans
lequel un son (stimulus conditionnel) était apparié à des chocs électriques (stimulus inconditionnel), de façon à ce que
le son produise par la suite une réponse de peur (réponse conditionnelle). Après 24 heures, alors que le souvenir de peur
était consolidé, le traitement a eu lieu : il y a eu présentation du stimulus conditionnel pour réactiver le souvenir de peur,
juste avant d’effectuer une injection d’anisomycin (groupe 1), ou d’une solution neutre (groupe 2) dans l’amygdale. Un
troisième groupe a reçu de l’anisomycin, mais sans réactivation du souvenir. Le souvenir des rats a été évalué 24 heures
après cette dernière séance : lors de la présentation du stimulus conditionnel seul, les rats du groupe 2 (solution neutre avec
réactivation) ont exhibé une réponse de peur conditionnée plus forte que ceux du groupe 1 (anisomycin avec réactivation).
Donc, les rats du groupe 1 (anisomycin avec réactivation) montraient une ‘amnésie’ du conditionnement de peur. Les rats
du troisième groupe (anisomycin sans réactivation), ont quant à eux conservé un souvenir intact (il y avait réponse de
peur), ce qui indique l’importance de la réactivation du souvenir avant l’injection de la drogue pour qu’il y ait une ‘amnésie’
post-réactivation.
Prise en charge des victimes de psychotraumatismes aigus 205

P ROTOCOLE ET PROCÉDURE EMDR

La psychothérapie EMDR utilise un modèle de traitement en huit phases (cf. Tableau 19.1). Ces phases
et ces volets temporels guident la conceptualisation de cas et le plan de traitement dans la prise en
charge (Rydberg, 2017). Le nombre de séances consacrées à chaque phase et le nombre de phases
abordées en une même séance varieront d’un patient à l’autre (Shapiro, 2001). Les huit phases
correspondent à la chronologie du déroulement de la psychothérapie, mais un certain chevauchement
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entre diverses phases sera inévitable. En effet, chaque phase vise des objectifs qui seront toujours
poursuivis et mis à jour tout au long du traitement. Les deux premières phases, le recueil de l’histoire
du patient (phase 1) et la préparation (phase 2) marquent le début de la psychothérapie et reflètent
les principes fondamentaux de toute prise en charge psychothérapeutique. En effet, comme dans toute
psychothérapie, il s’agit d’une part de construire une alliance thérapeutique et d’identifier des buts
psychothérapeutiques communs, fondés sur une construction partagée servant à expliquer les origines
de la souffrance actuelle ainsi que les actions à entreprendre pour modifier cette souffrance. D’autre
part, le praticien doit s’assurer que le patient dispose de ressources et de capacités d’autorégulation
suffisantes.
À cet effet, la technique la plus souvent enseignée et employée est celle du « lieu sûr », consistant en
la visualisation d’un lieu apportant sécurité ou calme, de manière très similaire à ce qui se fait dans
de nombreuses autres approches psychothérapeutiques (comme l’hypnose) et de relaxation (comme
la sophrologie), mais avec l’ajout de stimulations alternées d’attention double. Le lieu sûr s’installe
en plusieurs étapes. Penser à un endroit, réel ou imaginaire, qui induit un sentiment de calme ou de
sécurité, se centrer sur toutes les dimensions sensorielles associées à cet endroit, se laisser éprouver
les émotions qui y sont liées et identifier les sensations corporelles agréables, se concentrer sur tous
les éléments qui renforcent le sentiment de sécurité ou de calme, administration de plusieurs séries
de stimulations alternées d’attention double au patient pendant qu’il se concentre sur les ressentis
agréables, invitation à trouver un mot-clé qui représente le lieu sûr et à le répéter mentalement tout
en remarquant les ressentis agréables pendant que le praticien continue d’administrer des stimulations
alternées d’attention double.
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D’autres techniques de stabilisation et d’autorégulation peuvent également être enseignées au patient,


selon le choix du praticien : respiration abdominale, relaxation progressive, cohérence cardiaque,
méditation de pleine conscience, autohypnose, technique du faisceau lumineux, etc.
Les phases 3 à 7 (évaluation, désensibilisation1 , installation, scanner corporel et clôture) sont celles
qui utilisent les stimulations d’attention double (ou stimulations bilatérales alternées), communément

1. C’est le point prototypique du protocole EMDR, auquel on réduit d’ailleurs trop souvent l’approche. Le praticien invite le
patient à se centrer sur l’image (le praticien répète l’image) et sur les mots de la cognition négative (le praticien répète
les mots), à remarquer l’endroit de son corps où il ressent la perturbation (le praticien nomme cet endroit). Le praticien
commence alors à administrer les stimulations d’attention double par séries d’environ 24 allers-retours. À la fin de chaque
série, le praticien invite le patient à faire une pause et à respirer. Le but est d’aider la personne à « lâcher » ce qui lui est
venu pendant les stimulations d’attention double et à se réorienter dans le présent. Le patient rapporte « ce qui est là »
ou ce qui lui vient. Lorsque les associations deviennent neutres ou positives, de manière avérée (au moins deux énoncés
neutres ou positifs), le praticien invite le patient à se recentrer sur la situation initiale afin de vérifier si d’autres canaux
206 C ADRES THÉRAPEUTIQUES ET THÉRAPIES SPÉCIALISÉES

identifiées comme étant « de l’EMDR », pour ceux qui y voient une simple technique ou méthode
plutôt qu’une approche psychothérapeutique complète. Elles ne peuvent bien évidemment se déployer
que grâce aux phases précédentes qui ont élaboré une conceptualisation de cas définissant des buts
psychothérapeutiques ainsi que les moyens donnés pour y parvenir. Elles abordent directement la
désensibilisation et le retraitement des souvenirs, des déclencheurs et des éventuels obstacles à la
réalisation d’une action future souhaitée, jusqu’à une résolution adaptative, avec une augmentation
des connexions avec des réseaux mnésiques positifs. La dernière phase, la réévaluation (phase 8),
consiste à vérifier les effets thérapeutiques et permet, par les informations recueillies, de mettre à jour
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le ou les plans de ciblage définis en phase 1 et d’adapter ou d’ajouter des éléments tant au plan de
traitement (phase 1) qu’aux outils d’autorégulation émotionnelle (phase 2) (Shapiro, 2001 ; Shapiro,
2007).
La conceptualisation de cas, la définition d’un ou plusieurs plan(s) de ciblage (phases 1 et 2) et l’intro-
duction du traitement de la ou des cibles (phases 3 à 7) associée(s) à la réévaluation régulière (phase
8) permettent de continuellement ajuster l’identification du matériel à traiter (souvenirs, expériences,
impressions... tout élément de mémoire en lien avec la problématique décrite par le patient) afin de
répondre au mieux aux objectifs thérapeutiques (Shapiro, 2001 ; Shapiro, 2007).
Ainsi, parmi les 8 phases de l’EMDR, les deux premières et la dernière déterminent les objectifs
thérapeutiques, les cibles à traiter pour les atteindre et la réévaluation de ce plan de traitement,
tandis que les phases 3 à 7 permettront de traiter les cibles identifiées.

L ESRÉSULTATS DE LA RECHERCHE DANS LE DOMAINE DE LA PRISE


EN CHARGE DU TSPT

C’est au début des années quatre-vingt-dix, que bien que sujette à de nombreuses controverses, l’EMDR
s’est développée. Le soutien de Joseph Wolpe, initiateur de la désensibilisation systématique, et la
publication de plusieurs études présentant des conclusions positives indiquaient alors clairement
que l’EMDR était une forme prometteuse de psychothérapie. Grâce à l’accroissement des données
empiriques, les formations à l’EMDR se sont peu à peu structurées et développées aux États-Unis, en
Europe, en Australie, en Amérique centrale et en Amérique du Sud. Depuis 20 ans maintenant, l’EMDR
est reconnue par de nombreux services nationaux de santé mentale, ainsi que par les organisations
professionnelles comme un traitement efficace dans la prise en charge des traumatismes.
Plusieurs méta-analyses (Bisson & al., 2007) et recommandations indiquent que les effets thérapeu-
tiques obtenus par l’EMDR sont équivalents aux thérapies cognitives et comportementales (TCC) les
plus étudiées, et sont aussi durables. Environ 20 études contrôlées randomisées ont validé l’efficacité
de la thérapie EMDR dans le traitement du Trouble de Stress Post-Traumatique (TSPT). Les résultats
indiquent que l’EMDR est plus efficace que l’absence de traitement (Wilson & al., 1995 ; Wilson, &

associatifs s’ouvrent. Si c’est le cas il poursuit les séries de stimulations d’attention double. Cette procédure est répétée
jusqu’à ce que le retour sur la situation initiale ne suscite plus aucune perturbation et un SUD à 0 ou écologique.
Prise en charge des victimes de psychotraumatismes aigus 207

Tableau 20.1. Aperçu des huit phases de la psychothérapie EMDR


Phase Description
1. Recueil de l’histoire - Établir une alliance thérapeutique.
du patient - Obtenir des informations sur le passé et sur le contexte actuel.
- Déterminer l’indication de la psychothérapie EMDR.
- Formuler un plan de traitement comprenant un ou plusieurs plan(s) de ciblage (comprenant les
événements passés, les déclencheurs présents et les attentes futures en lien avec la problématique
actuelle). Chaque plan de ciblage reflète un axe, ou une problématique récurrente dans la vie du
patient.
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2. Préparation - Apporter des informations sur la psychotraumatologie, la psychothérapie EMDR et le modèle TAI.
- Enseigner des techniques d’autocontrôle ou d’autorégulation émotionnelle.
3. Évaluation - Accéder aux aspects principaux de la cible : image ou représentation sensorielle, croyance
négative, croyance positive, émotion et sensation corporelle.
- Obtenir les valeurs initiales sur les échelles de validité de la croyance (VOC) et d’unités de
perturbation subjective (SUD).
4. Désensibilisation - Retraiter les expériences ciblées jusqu’à résolution adaptative reflétée par l’absence de
perturbation éprouvée par le patient.
- Apporter des séries de stimulations d’attention double (mouvements oculaires, tapotements ou
sons) et évaluer le changement à travers les descriptions du patient.
- Revenir périodiquement à la cible pour accéder au matériel résiduel.
- Utiliser des interventions supplémentaires en cas de blocage manifeste du retraitement.
5. Installation - Poursuivre le retraitement en intégrant explicitement la croyance positive souhaitée.
- Apporter des séries de stimulations d’attention double (mouvements oculaires, tapotements ou
sons) et évaluer le changement à travers les descriptions du patient.
- Renforcer la validité de la croyance positive (VOC) souhaitée en lien avec l’expérience ciblée.
6. Scanner corporel - Retraiter toute perturbation résiduelle éventuelle en lien avec la cible et la croyance positive, telle
que manifestée à travers les sensations corporelles.
- Apporter des séries de stimulations d’attention double (mouvements oculaires, tapotements ou
sons) et évaluer le changement à travers les descriptions du patient.
7. Clôture - Assurer la stabilité du patient à la fin de chaque séance.
Informer le patient de ce qui peut se passer entre les séances et l’inviter à tenir un journal de bord.
- Utiliser les techniques enseignées en phase 2 au besoin.
8. Réévaluation - Vérifier le maintien de la stabilité et les effets thérapeutiques.
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- Vérifier l’absence de perturbation associée aux cibles traitées précédemment.


- Ajuster le plan de traitement si nécessaire.

al. 1996), ou la pharmacologie seule. L’EMDR est aussi efficace que des méthodes de traitement
comportementales ou TCC (Rothbaum & al., 2005). De nombreuses méta-analyses corroborent ces
données (Bisson & al., 2007, Bardley & al., 2005 ; Davidson, 2001 ; Maxfield & al., 2002 ; van Etten
& al., 1998) et mettent en évidence que l’efficience de l’EMDR est au moins équivalente aux thérapies
par exposition et autres TCC. Ces méta-analyses, comme le rappellent Bériault & Larivée (2005, 2017)
dans une revue de questions particulièrement bien documentée, ne constituent pour autant pas des
blancs-seings donnés à l’EMDR. La méta-analyse de Bradley et al. (2005) qui s’appuie sur 26 études
portant sur la prise en charge du TSPT, montre que la thérapie par l’exposition, la TCC sans exposition,
la TCC avec exposition et l’EMDR sont équivalentes en termes d’efficacité lorsque l’on compare les
participants avant et après traitement.
208 C ADRES THÉRAPEUTIQUES ET THÉRAPIES SPÉCIALISÉES

Pour Bériault & Larivée (2005) il est regrettable de constater que l’obtention par l’EMDR de résultats
parfois mitigés conduit les tenants de l’approche à l’analyser comme une mauvaise application du
protocole et une mauvaise observance aux canons dispensés lors des formations (de Jongh & al.,
1999 ; Greenwald, 1994). On peut aussi noter que les standards de formation exigés pour appliquer
l’EMDR n’ont pas cessé d’évoluer (plan de ciblage, rapidité ou non des mouvements oculaires, retour
à la cible...) en l’absence de toute évidence empirique et scientifique démontrant qu’une formation
additionnelle procure de meilleurs résultats thérapeutiques. C’est là un point sombre et discutable de
cette approche qui régulièrement fait l’objet d’évolution sans que l’on en connaisse véritablement les
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raisons et les justifications scientifiques ou cliniques. À cet égard, on ne peut que regretter le fait d’une
déconnexion entre ces évolutions et la recherche, cette dernière se faisant presque indépendamment
des décideurs qui d’en haut donnent les consignes de changement, répercutés souvent sans discussion
dans les différents instituts nationaux partout à travers le globe.
Les publications les plus récentes montrent également l’efficacité de l’EMDR dans le traitement des
états de stress aigus, et des conditions comorbides comme des dépressions, des phobies (de Jongh
& al., 1999), des troubles alimentaires et sexuels, des douleurs chroniques et de la schizophrénie
(Brennstuhl & al., 2013 ; De Bont & al., 2013). On observe des niveaux de preuve élevés mais
qui n’atteignent cependant pas encore le niveau maximum obtenu dans les recherches contrôlées
randomisées. Dans le cas des patients traités pour schizophrénie, la thérapie EMDR a été utilisée car
un grand nombre d’entre eux présentait des symptômes de TSPT (De Bont & al., 2013). On peut donc
envisager qu’un traitement par l’EMDR, ciblé sur l’ensemble des évènements traumatiques de la vie,
peut avoir des effets thérapeutiques dans différents types de troubles et de pathologies, ce qui en
justifie l’utilisation dans les différents troubles précités.
Alors que la plupart des études ont évalué l’impact de l’EMDR sur les adultes, plusieurs études montrent
des effets remarquables sur les enfants (voir pour une revue et une application exhaustive Morris-Smith
et Silvestre, 2015).
Prise en charge des victimes de psychotraumatismes aigus 209

EMDR ET FEMMES VICTIMES DE VIOLS CONJUGAUX (TARQUINIO & AL ., 2012)

Objectif : Mettre en évidence à partir du suivi de 6 femmes victimes de viols par leur conjoint, les effets positifs
de la thérapie EMDR, notamment en ce qui concerne la réduction des symptômes d’ESPT, d’anxiété et de
dépression. Toutes ces femmes ont d’une part fait l’objet d’une évaluation quantitative à partir d’échelles de
mesures (Hospital Anxiety and Depression scale (HAD), IES (Impact Event Scale, score total) et d’un indicateur
propre à la thérapie EMDR : le SUD. Ces évaluations étaient réalisées avant la prise en charge, ainsi, qu’à
l’issue de chacune des séances. Les victimes ont d’autre part également participé à deux entretiens plus
qualitatifs avant et après la prise en charge EMDR, afin d’évaluer plus précisément la présence ou non de
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symptômes relatifs à un ESPT sur la base des indications fournies par le DSM-IV (APA, 1994).
Résultats principaux : On observe une diminution significative et progressive des scores aux différentes
échelles (SUD, HAD anxiété et dépression et IES) au fur et à mesure des séances. Ainsi, comme on le rencontre
classiquement dans la littérature, le traitement EMDR conduit les sujets à s’auto-évaluer comme de moins en
moins perturbés au fur et à mesure que la psychothérapie progresse. Enfin, comme nous l’espérions, la prise
en charge psychologique réalisée à partir de la thérapie EMDR a conduit à une diminution notable du nombre
de symptômes liés au diagnostic d’un ESPT. Cette diminution s’est révélée homogène pour les 3 critères d’un
ESPT pris en compte (critère B, C & D).

Les recommandations sont aussi très nombreuses ! C’est le cas de la Clinical Resource Efficiency Support
Team of the Northern Ireland Department of Health (CREST - Équipe de soutien pour l’efficience des
ressources cliniques du ministère de la Santé d’Irlande du Nord) (CREST, 2003), de la Dutch National
Steering Committee Guidelines for Mental Health Care (Recommandations du Comité directeur national
des Pays-Bas pour les soins de santé mentale - 2003), de l’Institut national de la santé et de la
recherche médicale (Inserm, 2004), du British National Collaborating Centre for Mental Health (Centre
de collaboration national britannique pour la santé mentale) (2005) et du ministère de la Santé du
Royaume-Uni (2001). Aux États-Unis, l’American Psychiatric Association (Association américaine de
psychiatrie) (APA, 2004) et les Departments of Defence and of Veterans Affairs (Ministères de la Défense
et des Anciens Combattants) (2004) ont également reconnu l’intérêt et la pertinence de l’EMDR dans
la prise en charge des victimes. Il en va de même de l’International Society for Traumatic Stress Studies
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(ISTSS - Société internationale d’études du stress traumatique) qui a également intégré l’EMDR dans
ses recommandations (Foa & al., 2009). Notons encore que très récemment en 2013, l’OMS (WHO,
2013) a envisagé l’EMDR, tout comme les TCC, comme des psychothérapies à préconiser dans le cadre
d’une prise en charge des conséquences d’événements de nature psychotraumatique.

L’ INTERVENTION PSYCHOLOGIQUE PRÉCOCE AVEC L’EMDR

Le rapport Cochrane (Roberts et al., 2008) définit l’intervention précoce comme une intervention
psychologique entamée au cours des trois premiers mois suivant un événement traumatique, visant à
prévenir le développement d’un état de stress post-traumatique (ESPT) ou d’une détresse prolongée
chez les personnes manifestant des symptômes de stress post-traumatique ou un état de stress aigu, ou
qui sont à risque de développer un état de stress post-traumatique ou d’autres troubles psychologiques.
210 C ADRES THÉRAPEUTIQUES ET THÉRAPIES SPÉCIALISÉES

Cette conception de l’intervention rapide vise donc tant la prévention que le traitement (Rydberg,
2017a et b).
Certes, la plupart des personnes ayant reçu un diagnostic d’Etat de Stress Aigu (ou ESA), si elles ne
sont pas traitées, manifesteront un ESPT ou un trouble psychiatrique par la suite, mais seule une
minorité des personnes qui développeront un ESPT ou un autre trouble auront manifesté un ESA
antérieur, complet ou partiel (Roberts et al., 2009 ; Bryant, 2011).
Un traitement différé rend possible la sensibilisation, une intervention précoce est susceptible d’em-
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pêcher les mécanismes neurobiologiques qui sous-tendent le développement de l’ESPT (McFarlane,
2009, 2010).
Le rôle des antécédents et de la comorbidité est à cet égard à souligner par une étude australienne
sur l’évolution de l’ESPT qui a décrit un taux de rémission de 92 % dans un intervalle moyen de 14
ans (Chapman et al., 2012).
Donc, si la plupart des personnes exposées à un événement traumatique ne développeront pas de
trouble (ESPT ou autre), toutes sont potentiellement à risque d’un phénomène de sensibilisation,
puisque même celles qui ne manifestent pas de symptômes marqués pendant les phases aiguës ou
immédiates peuvent devenir sensibilisées et développer des troubles par la suite (Andrews et al.,
2007), voire transmettre à leurs enfants une vulnérabilité au stress (Yehuda et al., 2007a, 2007b).
L’intervention psychologique précoce semble donc ici avoir toute sa place.
Deux protocoles sont dans ce domaine particulièrement intéressants et fonctionnels, le protocole
EMDR modifié abrégé et le protocole URG EMDR
Le protocole modifié et abrégé de Kutz et al., (2008), ce dernier est administré en une séance unique
de 30 à 60 minutes ou plus à des patients présentant un ESA, dès les premières heures mais aussi
jusqu’à quelques mois après l’événement traumatique (Tableau 19.2). Les patients sont assis quand
c’est possible mais peuvent aussi rester allongés dans leur lit d’hôpital.
Facile à enseigner même à des non-praticiens EMDR, ce dispositif se révèle particulièrement efficace
et permet une réduction massive et rapide de la charge émotionnelle et notamment du SUD.
Un second protocole est l’URG-EMDR, développé par Tarquinio et al., (2012) et son équipe au sein du
laboratoire ESPAM/APEMAC à Metz. Ce dernier reprend de nombreux éléments des protocoles EMDR
d’événements récents, tout en se destinant à une prise en charge équivalente à l’objet du défusing ou
du débriefing (24 à 72 heures après l’incident critique). Plus précisément ce protocole relève d’une
approche intégrative qui combine les points clés du protocole standard de Shapiro (2001), du protocole
des événements traumatiques (RTE : Recent Traumatic Events) de Shapiro (2001), du protocole R-TEP
de Shapiro et Laub (2008), du protocole EMDR abrégé modifié de Kutz et al., (2008) et de la procédure
de réponse d’urgence de Quinn (2009), ainsi que de certains principes liés au débriefing psychologique.
En effet, il ne vise pas seulement à atténuer les effets du traumatisme, à permettre une ventilation
des émotions ou à offrir une démarche préventive pour éviter l’installation d’un trouble de stress
post-traumatique ; la finalité est plus ambitieuse car il s’agit aussi de contribuer directement au
processus de guérison pour faire retrouver un état de santé psychique presque comparable à l’état
antérieur du patient. Cependant, les auteurs reconnaissent que leur protocole ne pourrait permettre
Prise en charge des victimes de psychotraumatismes aigus 211

Tableau 20.2. Protocole EMDR modifié abrégé (repris de Rydberg, 2017a)


Phases EMDR Spécificités du protocole EMDR modifié abrégé
standard
Phase 1 Évaluation clinique brève et recueil d’éléments de l’histoire contrés sur les expériences traumatiques
Recueil de antérieures et sur d’autres facteurs de risque tels que les maladies ou les problèmes psychiatriques
l’histoire antérieurs, l’histoire familiale, les médicaments pris actuellement ou par le passé, la personnalité
prémorbide et le fonctionnement.
La présence et la force du système de soutien du patient sont également évaluées (sa famille, son couple,
ses proches...)
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Le praticien recueille des informations sur la nature et l’intensité de la réponse péritraumatique.
Phase 2 Le praticien décrit brièvement l’intervention proposée et avertit le patient que « l’intervention pourrait avoir
Préparation un effet bénéfique sur la détresse mais n’en aura pas nécessairement. » Une brève démonstration (une à
deux secondes) des stimulations bilatérales d’attention double (SBA) est possible.
Phase 3 Le praticien invite le patient à se centrer sur l’expérience sensorielle (image, son, odeur) ou corporelle
Évaluation (pression, étouffement, anxiété) ou sur la préoccupation cognitive la plus perturbante en lien avec
l’événement traumatique. Les patients en phase aiguë y parviennent sans difficulté car ce qui les
caractérise avant tout, c’est leur incapacité à se défaire de telles intrusions pénibles.
Le niveau de perturbation et la clarté de l’expérience sont évalués par l’échelle SUD.
Phase 4 Le praticien administre la première série de SBA tandis que le patient se concentre sur l’intrusion
Désensibilisation perturbante. Ensuite, le patient est invité à décrire ses émotions, sensations, idées et associations.
La détresse mentale causée par l’intrusion initiale est réévaluée au moyen du SUD. Si cette détresse n’a
pas changé, si elle a augmenté ou si elle n’a diminué que légèrement, une autre série est administrée. Si
la détresse disparaît totalement et que le patient ne parvient plus à détecter le moindre signe de détresse,
une série supplémentaire permet de s’assurer que l’atténuation persiste.
Si le patient décrit un nouvel aspect ou une nouvelle image mentale de l’événement traumatique, il est
invité à se concentrer sur cette expérience nouvelle et une nouvelle série de SAD est réalisée.
Si le souvenir d’un événement traumatique ancien émerge, le patient est invité à continuer à se centrer sur
le souvenir perturbant actuel et à essayer d’ignorer l’association plus ancienne.
Les séries (dont chacune dure 45-75 secondes) se poursuivent jusqu’à obtenir une amélioration marquée
et stable.
Six à huit séries peuvent être réalisées en l’absence d’une amélioration ou en cas d’une atténuation
partielle de la détresse. Ainsi la durée de la séance unique est variable, Dans le cas des patients qui
répondent rapidement et complètement et qui ne nécessitent que deux ou trois séries, la séance peut ne
durer que 30 ou 40 minutes. Lorsque le SUD ne se réduit pas rapidement et que des séries
supplémentaires sont nécessaires, la séance peut durer une heure ou plus.
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de faire l’économie d’une prise en charge EMDR complète, mais qui s’inscrit en amont d’une telle
démarche.
Puisqu’il est mis en œuvre dans les 24 à 72 heures après l’incident critique et qu’il consiste en une
séance unique, nous considérons qu’il appartient aux procédures d’urgence. S’il propose un traitement
plus complet que le précédent protocole. Il ne permet pas nécessairement un retraitement aussi
complet que les protocoles des événements récents dont il reprend des éléments, mais en se limitant
à une séance unique. En ce sens, il permet de traiter dans l’immédiat l’impact de l’incident critique en
lui-même, mais lorsque cet événement traumatique entraîne une série d’effets en cascade (impacts sur
l’image de soi, l’intégrité corporelle, l’identité et les relations affectives, sociales et professionnelles,
entre autres), un traitement en plusieurs séances pourrait s’avérer nécessaire.
212 C ADRES THÉRAPEUTIQUES ET THÉRAPIES SPÉCIALISÉES

Tableau 20.3. Protocole URG-EMDR (repris de Rydberg, 2017b)


Phases EMDR
Spécificités du protocole URG-EMDR
standard
Phase 1 L’anamnèse réalisée est plus sommaire que dans une prise en charge classique, centrée sur l’incident
Recueil de critique et sur tout antécédent traumatique ainsi que sur les ressources du patient. De plus, comme dans le
l’histoire protocole RTE (Shapiro, 2001), le patient est invité, en faisant le récit de l’incident critique, à identifier les
« moments sensibles ou perturbants » [hot spots] (fragments-cibles) qui constitueront les cibles de la
procédure en 11 points.
Phase 2 Comme dans toute prise en charge EMDR, des éléments de psychoéducation sont apportés au patient.
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Préparation
Phase 3 De manière proche du protocole RTE, iI est demandé à la victime d’imaginer (métaphoriquement) que
Évaluation l’événement traumatique a été enregistré dans sa mémoire de façon comparable à ce qui se passe avec
un caméscope. Il lui est alors demandé de rembobiner la cassette depuis le début, voire même jusqu’au
moment juste avant que cela ne débute (nuance tirée du R-TEP de Shapiro et Laub, 2008). Il est alors
demandé à la victime de visionner cette cassette et de s’arrêter avec sa télécommande virtuelle dès qu’elle
sera confrontée à un aspect de l’événement qui génère chez elle des émotions. Il est ainsi possible de
disposer, pour un même événement traumatique, de plusieurs fragments-cibles qui chacun peut avoir une
pondération plus ou moins importante. Comme dans le protocole EMDR modifié abrégé (Kutz, 2008),
aucune cognition n’est demandée. Vérification du SUD global primaire de l’événement traumatique dans
son ensemble : « À l’instant, vous venez de repasser l’ensemble de ce qui s’est passé devant vos yeux.
Sur une échelle de 0 à 10, où 0 correspond à pas de perturbation du tout et 10 à la pire des perturbations
que vous puissiez imaginer, à combien l’estimez-vous maintenant ? » Ensuite, pour chacune des
cibles-fragments, le thérapeute invite à évaluer :
- L’émotion : Quand vous revenez sur ce point critique [dire lequel], quelles sont les émotions que vous
ressentez ?
- Le SUD : « Lorsque vous pensez à ce point critique [dire lequel], sur une échelle de 0 à 10, où 0
correspond à pas de perturbation du tout et 10 à la pire des perturbations que vous puissiez imaginer, à
combien vous l’estimez maintenant ? »
Rien n’est évidemment demandé en ce qui concerne le siège corporel de la perturbation, comme dans
tous les protocoles d’urgence ou d’événements récents. Tant que toutes les cibles-fragments n’ont pas été
retraitées, on ne peut pas s’attendre à ce que le corps soit « calme » ou apaisé.
Phase 4 Désensibilisation d’un fragment-cible après l’autre. Si les réponses apportées par le patient sont en lien
Désensibilisation avec le fragment-cible, on poursuit la désensibilisation. En revanche, si les réponses ne sont pas en lien
avec le fragment-cible, on demande au patient de revenir sur le fragment-cible et de vérifier « ce qui vient,
ce qui est là maintenant. » Lors de chaque retour au fragment-cible, le thérapeute demande au patient
d’évaluer le niveau de perturbation (SUD) associé. Lorsque le SUD associé à un fragment-cible est égal ou
inférieur à 3, le patient est de nouveau invité à parcourir mentalement l’événement traumatique jusqu’à
identifier un autre fragment-cible. Une évaluation (phase 3) est réalisée pour ce nouveau fragment-cible
avant de procéder à sa désensibilisation (phase 4). Lorsque tous les fragments-cibles ont été
désensibilisés, le thérapeute invite le patient à évaluer le niveau de perturbation (SUD) associé à
l’événement traumatique dans son ensemble (SUD global final). L’espoir n’est pas d’avoir un SUD qui soit
forcément égal à zéro, mais il est impératif d’obtenir un SUD global final au moins trois fois plus bas que le
SUD global primaire.
Phase 5 Pas de question sur la cognition positive de l’événement traumatique.
Installation
Phase 6 Pas de question sur les sensations corporelles en raison des souffrances physiques réelles du patient.
Scanner corporel
Phase 7 Clôture adaptée à une fin de prise en charge.
Clôture
Phase 8 Réévaluation de certaines mesures par la suite pour les fins de la recherche.
Réévaluation
Prise en charge des victimes de psychotraumatismes aigus 213

Tableau 20.3. (suite)

C ONCLUSION

Il ne fait aucun doute que la psychothérapie EMDR doit prendre toute sa place dans le champ des prises
en charge des patients avec un psychotraumatisme. Cette thérapie bénéficie de résultats convaincants
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dans la littérature, même si ces derniers se limitent trop souvent à la question de la prise en charge
de l’ESPT, alors même que le spectre clinique du psychotraumatisme (Tarquinio & Montel, 2014) peut
s’avérer bien plus vaste et complexe. En outre, l’EMDR fait l’objet d’une diffusion partout dans le
monde ! Force est de constater donc, que les cliniciens ne s’y trompent pas et la considèrent comme
un soin psychique de premier plan pour améliorer et souvent faire disparaître les traces de l’ESPT.
Utilisée de manière précoce, cette approche peut aussi contribuer favorablement à la réduction des
réponses cliniques post-immédiates des victimes (comme l’ESA). Cependant, on ne pourra néanmoins
pas faire l’économie de considérations temporelles précises et d’aménagements spécifiques qui souvent
s’imposent au praticien. L’idée de l’existence d’un protocole standard n’a rien de commun avec la
question de la standardisation de la prise en charge, qui doit rester ouverte et toujours s’inscrire dans
une approche intégrative. Dans une telle perspective, l’EMDR peut n’arriver que tardivement, après
bien des précautions à prendre, voire pas du tout ! C’est par exemple le cas des prises en charges
souvent épineuses des patients qui souffrent de troubles dissociatifs (qui renvoient ici à la question
complexe de la dissociation structurelle). Ces patients nécessitent des ajustements majeurs sur le plan
clinique, que ce chapitre n’aborde pas, mais qui constituent le quotidien de bien des cliniciens. L’erreur
serait de croire que le psychothérapeute peut se « cacher » derrière un protocole « magique » ! C’est
malheureusement ce qui se passe parfois, alors même que c’est bien l’inverse qui devrait être de mise.
Avec un tel outil, il convient de disposer d’une formation solide sur le plan de la psychopathologie,
ainsi que d’un sens clinique affuté. De la même manière ne savoir exercer que l’EMDR constitue
en soi une erreur majeure qui ne ferait que signer l’insuffisance du praticien, réduit ici à l’état de
technicien. L’EMDR ne fait pas tout ! Ce sont le thérapeute et son patient qui restent à la manœuvre
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et qui inventent et créent au fur et à mesure de l’avancée de leur travail en commun, les conditions
optimales nécessaires à une prise en charge adaptée dans le respect de leur individualité et de leur
spécificité.
Chapitre 21

Traiter la dissociation à la racine


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La prise en charge des troubles de l’attachement par l’ICV

Joanna Smith

D ANS LE PRÉSENT CHAPITRE, NOUS MONTRERONSen quoi la notion de dissociation est utile à la clinique du
traumatisme, et comment il est possible de réduire la dissociation par le traitement des troubles
de l’attachement qui la sous-tendent. Nous prendrons pour illustrer cela l’exemple de la psychothérapie
par ICV (Intégration du Cycle de la Vie ou Lifespan Integration, Peggy Pace, 2014).

D ÉFINITION DE LA DISSOCIATION

Le concept de dissociation recouvre des réalités cliniques hétérogènes en psychologie et en psychiatrie.


En effet, l’hypnothérapeute l’emploie pour qualifier un état de conscience transitoire ; le psychiatre-
psychanalyste considère la dissociation comme un symptôme de schizophrénie ; d’autres psychiatres
emploient le terme de dissociation pour qualifier l’état fragmenté d’une personne traumatisée ; certains
victimologues, enfin, emploient la dissociation pour qualifier un trait, un mode de fonctionnement
structurel fragmenté, lié à une histoire traumatique. C’est dans cette dernière acception que nous
emploierons le terme ici.
La dissociation, selon l’acceptation des victimologues, a été décrite il y a plus d’un siècle par Janet,
puis totalement oubliée au profit du concept de dissociation en tant que symptôme de schizophrénie
(« Spaltung ») (Kédia et al., 2010). C’est notamment sous l’impulsion des recherches et écrits de
cliniciens travaillant auprès de personnes souffrant de traumatismes complexes que le concept de
dissociation structurelle réémerge dans les années quatre-vingt-dix (van der Hart, Nijenhuis & Steele,
Traiter la dissociation à la racine 215

2010), puis se développe (Dell & O’Neil, 2009 ; Kédia et al., 2010 ; Salmona, 2012 ; Smith, 2016 ;
création de l’AFTD1 et de la revue European Journal of Trauma and Dissociation en 2017).
La dissociation est initialement décrite comme une caractéristique structurelle émanant d’une histoire
traumatique infantile chronique (notamment intriquée à l’histoire d’attachement). Les symptômes
dissociatifs peuvent être positifs (hypermnésie, intrusions...) ou négatifs (anesthésie, amnésie...) ;
psychoformes (flash-backs, dépersonnalisation, déréalisation...) ou somatoformes (douleurs, crises
pseudo-épileptiques...), (pour une synthèse, voir Boon & van der Hart, 2016).
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Dans un premier temps, les chercheurs ont constaté la coexistence de la dissociation structurelle
et d’antécédents de traumatismes et notamment de maltraitances infantiles, qualifiés de traumatismes
complexes. La dissociation et le concept de traumatisme complexe ont donc été liés, et l’on a eu
tendance à en tirer un rapport de cause à effet : l’idée était que la dissociation était le résultat d’une
histoire traumatique infantile lourde, de traumatismes répétés dans l’enfance, souvent survenus au
sein de l’environnement familial.
Pourtant, certains cas sont venus démentir cette théorie, présentant un profil dissociatif apparemment
sans antécédent traumatique majeur.
Ce sont les recherches en neurosciences affectives, portant en particulier sur la construction du cerveau
émotionnel dans l’enfance, qui ont permis d’éclairer la question sous un jour nouveau, que nous allons
développer ci-après (Schore, 1994/2009, 2003, 2009 ; Siegel, 2012 ; Cozolino 2006/2014).
Avant d’entrer dans le détail des neurosciences du développement émotionnel, reprenons quelques
bases sur le fonctionnement cérébral. A la suite du modèle proposé par McLean, il est possible de
décrire le cerveau comme organisé en trois zones principales, correspondant à trois niveaux différents
de fonctionnement :
Le premier niveau est constitué du cerveau dit profond, constitué par le tronc cérébral. Il régule les
fonctions essentielles à la survie de l’organisme : température, rythmes respiratoires et cardiaques,
etc. Cette zone cérébrale, également appelée cerveau reptilien, est déjà globalement mature et fonc-
tionnelle à la naissance.
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Le deuxième niveau cérébral est constitué du cerveau limbique, dit également « cerveau émotionnel »,
c’est-à-dire d’un ensemble de structures régulant l’activation et l’apaisement des émotions et notam-
ment de la peur. Ces structures (en particulier l’amygdale) interviennent dans les réactions face au
danger et le repérage des situations nécessitant l’activation du système de stress. Par l’intermédiaire
des systèmes sympathique et parasympathique, elles permettent la régulation des niveaux d’activation,
allant de l’hypoactivation à l’hyperactivation émotionnelle. Les symptômes dissociatifs sont tous des
manifestations d’hypoactivation ou d’hyperactivation des systèmes de stress. Ils sont le signe d’une
sortie de la fenêtre de tolérance. La fenêtre de tolérance (Siegel, 1999) qualifie la zone d’apprentis-
sage optimale, au sein de laquelle on est suffisamment stimulé émotionnellement pour mémoriser
l’expérience, tout en n’étant pas émotionnellement débordé (c’est-à-dire pas traumatisé).

1. Association Francophone du Trauma et de la Dissociation, http://www.aftd.eu.


216 C ADRES THÉRAPEUTIQUES ET THÉRAPIES SPÉCIALISÉES

Les voies du cerveau limbique constituent l’un des « circuits de la peur » classiquement décrits par
LeDoux et permettent une réaction très rapide aux situations de danger, reposant sur la mémoire
implicite et des réactions automatiques de fuite, de combat ou de figement. Ce cerveau limbique
n’est que partiellement mature à la naissance et va considérablement se développer au cours des trois
premières années de la vie.
Le troisième niveau cérébral est constitué du cerveau cortical, nous rendant capables de réflexion, de
prise de recul, de rationalité et de comportements contrôlés. Il comprend notamment l’autre circuit de
la peur décrit par LeDoux, permettant une régulation des réactions de peur « réflexes » mises en œuvre
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par le système limbique, grâce à une analyse plus fine (et plus lente) des situations potentiellement
dangereuses. Le cerveau cortical se développe sur une plus longue période, et on considère qu’il
est mature seulement vers 25 ans. Précisons que, même si à cet âge l’ensemble du cerveau va être
considéré comme mature, il est encore sujet à de nombreux remaniements et bien des apprentissages
sont possibles ultérieurement, du fait de la plasticité cérébrale.
L’ampleur des symptômes dissociatifs va donc s’expliquer d’une part, par la sensibilité (innée ou
acquise) du système de stress et de ses réactions sympathiques/parasympathiques (hypersensibilité ou
hyposensibilité) ; d’autre part, par la capacité du cerveau cortical à réguler les activations du système
de stress. Les études en neurosciences affectives ont permis d’éclairer comment cette interaction
se construit entre cerveau limbique et cerveau cortical. Elles ont mis en évidence le lien entre la
sécurité de l’attachement au cours des deux premières années de vie et les capacités de régulation
émotionnelle ultérieure, à l’échelle de la vie.

L’ APPORT DES NEUROSCIENCES AFFECTIVES :


LES LIENS ENTRE DISSOCIATION, ATTACHEMENT ET RÉSILIENCE

Les recherches en neurosciences affectives ont montré comment le cerveau est éminemment social,
dès le tout début de la vie : le développement cérébral va être modelé en fonction des stimulations
qu’il reçoit, en particulier au niveau interpersonnel. En anglais, on appelle cela « user-dependent
brain » : cerveau modelé par l’utilisateur.
En effet, le cerveau cortical est la partie du cerveau la moins déterminée par le génome et il est donc
très sensible aux influences environnementales, notamment interpersonnelles (Damasio, 1994/1995 ;
Delassus, 2011). Ceci fait de l’être humain un mammifère particulièrement adaptable à son environ-
nement et à la culture dans laquelle il grandit. En revanche, cette sensibilité précoce aux influences
environnementales le rend extrêmement vulnérable aux carences ou dysfonctionnements éventuels de
cet environnement. Ceci éclaire pourquoi la sécurité de l’attachement au cours des deux premières
années de la vie est nettement corrélée à la résilience tout au long de la vie (Cyrulnik & Jorland,
2012 ; Guedeney & Guedeney, 2016).
Le phénomène de la mémoire implicite (Lejeune & Delage, 2017 ; Smith, 2018) rend compte de la
manière spécifique dont les toutes premières interactions vont être emmagasinées pour créer une
« toile de fond » au psychisme, en modelant le fonctionnement cérébral pour s’ajuster au niveau de
stress ou de sécurité expérimenté. Le cerveau emmagasine l’expérience en s’y ajustant, développe les
Traiter la dissociation à la racine 217

circuits neuronaux nécessaires pour répondre et pour s’ajuster aux expériences rencontrées. Ainsi, il
se construit, à partir de son expérience, une représentation implicite du monde et de ce à quoi il peut
s’attendre dans la relation à lui-même et aux autres. Quand tout va bien, l’expérience implicite qui
est engrammée va fournir une impression globale positive des rapports à soi, aux autres et au monde.
L’attachement joue un rôle fondamental dans cette expérience implicite de « je mérite que l’on prenne
soin de moi », « l’autre est fiable » et « le monde est sécure » (ou dans l’expérience inverse dans les
cas d’attachement insécure).
Schore (2003, 2012) décrit comment l’accordage (Stern, 1985/2003) de la mère à son bébé aide ce
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dernier à revenir dans sa fenêtre de tolérance en cas de stress et, peu à peu, à développer la capacité
à s’auto-réguler. Lorsque la mère est accordée à son bébé, elle le stimule au cours de ses interactions
avec lui, mais elle lui permet également de s’apaiser lorsque les stimulations sont trop fortes.
Les célèbres expériences de Tronick, dites du visage impassible, mettent en évidence la grande
vulnérabilité du bébé aux états émotionnels de sa mère et aux difficultés de celle-ci à lui répondre de
manière émotionnellement adaptée. En effet, dans ces expériences, la mère d’un bébé de quelques
mois doit, après avoir interagi spontanément avec son bébé pendant quelques minutes, garder tout
à coup un visage impassible pendant 2 minutes. Le bébé commence par manifester sa surprise
face à ce changement soudain des mimiques de sa mère. Il l’appelle, tente de la faire revenir dans
l’interaction grâce à des mimiques, des vocalisations et des sourires, puis, devant son échec, face au
visage de sa mère qui reste impassible, le bébé détourne le regard, pleure, et finit par s’effondrer au
niveau postural1 . En l’espace de deux minutes, on a pu observer, en direct, la création d’une réaction
dissociative chez le bébé. En effet, en l’absence du soutien émotionnel de sa mère, le bébé devient
manifestement hyperactivé au niveau du système sympathique, puis s’hypoactive, ce qui se traduit
par son effondrement postural. Heureusement, l’état d’hypoactivation du bébé est réversible lorsque
la mère reprend son interaction spontanée. Néanmoins, lorsque l’état clinique de la mère l’amène, au
long cours, à être insuffisamment accordée aux besoins émotionnels de son bébé, il est probable que
de telles interactions entravent sévèrement le développement de la régulation émotionnelle de ce
dernier en favorisant le recours à la dissociation. C’est notamment le cas lorsque la mère est dissociée,
traumatisée, hyperanxieuse ou déprimée (Liotti, 2009).
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Le rythme cardiaque du bébé s’harmonise sur celui de sa mère. L’activation du système sympathique
du bébé s’appuie sur l’activation de celui de sa mère, notamment par l’intermédiaire des échanges
de regards (dilatation des pupilles), si importants dans l’accordage (Schore, 1994/2009 ; Hill, 2015).
Notre espèce se caractérise d’ailleurs particulièrement par la direction bien visible de notre regard,
grâce à nos iris qui se détachent sur un fond blanc.
La sécurité de l’attachement, si indispensable à la résilience et diminuant les risques dissociatifs, se
base donc sur la qualité des interactions précoces, notamment entre la mère et son bébé. Le cerveau
connaît en effet un développement considérable au cours des toutes premières années de la vie,
notamment au niveau du système limbique et de l’hémisphère droit, qui jouent un rôle clé dans la
régulation émotionnelle et l’ajustement des réactions de peur. La qualité de ces interactions précoces

1. Des vidéos de ces expériences peuvent être visionnées sur YouTube.


218 C ADRES THÉRAPEUTIQUES ET THÉRAPIES SPÉCIALISÉES

permet peu à peu au tout-petit de développer des schèmes cérébraux d’apaisement, sur le modèle de
ceux de sa mère. Si celle-ci présente une fenêtre de tolérance réduite, alors la régulation émotionnelle
du tout-petit risque d’en pâtir au long cours.
L’originalité de la thérapie par ICV est de prétendre réparer ces carences précoces, dans l’objectif
d’accroître la régulation émotionnelle du patient.

LE TRAITEMENT DES TROUBLES DE L’ ATTACHEMENT EN ICV


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ET SON IMPACT SUR LA DISSOCIATION

La plupart des psychothérapies verbales semblent essentiellement utiliser, comme moyen de diminuer
l’anxiété, le développement des fonctions corticales du patient : réflexion et élaboration. Elles ne
semblent pas modifier profondément les inscriptions mnésiques précoces de l’insécurité d’attachement,
elles permettent au patient de mieux réguler ses émotions, sans modifier véritablement ses réactions
émotionnelles automatiques (dépendant de l’amygdale). D’autres modalités thérapeutiques permettent
d’accroître la régulation émotionnelle en agissant directement sur l’activation du système de stress :
relaxation, méditation, hypnose notamment. Pourtant, là encore, il me semble qu’il s’agit plutôt de
« désamorcer » les réactions émotionnelles problématiques, plutôt que d’emmagasiner des expériences
alternatives nouvelles. Dans les cas extrêmes, comme par exemple le Trouble de Stress Post-Traumatique,
où la réponse de danger apprise par l’amygdale est très marquée, ces prises en charge thérapeutiques
s’avèrent souvent peu efficaces. Depuis les découvertes des neurosciences affectives, de nouvelles
modalités thérapeutiques se sont développées ou ont vu le jour. L’ICV en fait partie.
L’ICV (Intégration du Cycle de la Vie, traduction de Lifespan Integration) semble permettre au patient
de faire l’expérience dans son corps du temps qui a passé depuis l’événement traumatique, ce qui
débouche sur un apaisement de son système de stress face aux stimuli susceptibles de rappeler
l’événement. L’hypothèse sous-jacente est que cette expérience psycho-corporelle permet de relancer
le processus de « datation » de l’événement, notamment par l’hippocampe, processus qui est entravé
dans le TSPT. Ceci semble également pouvoir s’appliquer aux expériences précoces de trauma ou
d’insécurité, notamment au niveau de l’attachement.
En effet, l’originalité de l’ICV réside à mes yeux dans la possibilité qu’elle offre au patient de faire une
expérience nouvelle de sécurité de l’attachement, qui viendra peu à peu « concurrencer » l’expérience
d’insécurité de l’attachement précoce.
L’ICV a été développée par Peggy Pace, psychothérapeute américaine travaillant avec des victimes de
traumatismes complexes (Pace, 2014). L’outil spécifique à cette approche est la Ligne du Temps, une
liste chronologique de souvenirs de la vie du patient. Cette Ligne du Temps permet, par sa répétition,
l’intégration d’événements traumatiques, autrement dit non datés au niveau corporel : en effet, en cas
de trauma, le patient sait que l’événement est terminé, mais son corps réagit comme si l’événement
avait encore lieu, il ne sent pas que c’est fini : réactions de sursaut, dépersonnalisation, déréalisation,
anesthésie, sensation de peur, etc. sont toutes des tentatives de l’organisme de faire face à un danger
qui est en réalité passé. En thérapie par ICV, il s’agit donc de faire traverser au patient l’expérience
Traiter la dissociation à la racine 219

répétée d’événements chronologiques susceptibles de rattacher l’expérience traumatique au présent,


donc de développer la sensation « que c’est terminé » propre à tout souvenir non traumatique.
Pour réparer les traumatismes en lien avec l’attachement et réduire la symptomatologie dissociative,
nous combinons l’emploi de la Ligne du Temps avec un travail de reparentage, au cours duquel le
patient et/ou le thérapeute va venir réparer, de manière imaginaire, les États du Moi plus anciens
ayant été traumatisés ou carencés. Il s’agit d’associer à un réseau neuronal contenant une expérience
traumatique infantile, d’une part la sensation du temps qui a passé, et, d’autre part, le réconfort dont
le patient a manqué à l’époque. Dans le cas du traitement d’une violence sexuelle subie à l’âge de 6 ans,
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le patient va imaginer retourner en arrière retrouver son Moi Enfant de 6 ans dans la scène traumatique,
prendre soin de lui et lui montrer comment le temps a passé depuis, comment il est devenu adulte,
par l’intermédiaire de l’expérience répétée de la Ligne du Temps. Le patient peut imaginer prendre son
Moi Enfant dans ses bras, lui dire que c’est fini, que ce n’était pas de sa faute, ou même aller agresser
l’agresseur ou lui dire ses quatre vérités. Si la dimension de reparentage est commune à d’autres
modalités thérapeutiques, c’est la répétition de la Ligne du Temps qui est considérée comme l’élément
thérapeutique clé en ICV, permettant d’intégrer l’événement traumatique au sein de la biographie du
patient, et de lui donner la sensation de sécurité liée au fait que l’événement traumatique est bien
ressenti comme terminé. Illustrons maintenant ce processus par un cas clinique

I LLUSTRATION CLINIQUE

Françoise, cadre retraitée de 68 ans, me consulte pour traiter des réactions post-traumatiques à des
maltraitances et à un inceste datant de son enfance. En plus d’un tableau dépressif chronique, elle
présente de nombreux troubles anxieux : phobies, attaques de panique, troubles graves du sommeil
en particulier. De son enfance, elle a gardé d’importantes difficultés à se protéger, à prendre soin
d’elle et à se considérer en tant que personne digne de respect et d’affection. Au cours de sa vie,
elle a accumulé les relations amoureuses abusives (violences conjugales, violences sexuelles) et a
aujourd’hui peur de tous les hommes en général. Ceci coexiste de manière dissociative avec des
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comportements de mises en danger, qu’elle déplore mais ne peut pas contrôler, au cours desquels elle
va s’exposer aux violences d’hommes inconnus ou qu’elle sait être notoirement abusifs à son égard.
Au travail, avant qu’elle ne prenne sa retraite il y a 3 ans, elle était également victime de violences,
sous la forme de harcèlement et de moqueries de la part de collègues plus jeunes, également de sexe
masculin. Ces différentes situations de violences déclenchent une réaction dissociative de figement,
Françoise se sentant tétanisée et perdant alors tous ses moyens, elle ne peut se défendre.
Évidemment, ces réactions de peur, de mises en danger et de figement me semblent totalement
inadaptées à sa vie d’aujourd’hui, ce qui signe qu’elles émanent d’un passé traumatique au cours
duquel elles ont représenté les stratégies les moins inefficaces pour survivre, au moins psychiquement.
En effet, Françoise décrit avoir subi les violences de son oncle, qui vivait avec eux à la maison, au
vu et au su de ses parents. Ceux-ci semblent avoir été eux-mêmes terrorisés par cet homme qui était
alcoolique et parfois incontrôlable. Dans ce contexte de violences dont elle ne pouvait pas se protéger
et face auxquelles elle ne pouvait même pas solliciter la protection de ses parents, la réponse la
220 C ADRES THÉRAPEUTIQUES ET THÉRAPIES SPÉCIALISÉES

moins dangereuse semble avoir été, pour elle, la dissociation, sous forme d’anesthésie et d’amnésie
notamment, et l’hypervigilance. L’exposition inconsciente mais volontaire au danger semble avoir joué
le rôle d’une reprise de contrôle face à une forte impuissance initiale, puisque ni fuite ni combat
n’étaient possibles face à son oncle. Par ailleurs, la mère est décrite comme négligente et maltraitante,
globalement hostile. Le père est décrit comme plutôt absent, n’intervenant jamais pour défendre ses
enfants.
Françoise présente donc un tableau dissociatif assez typique d’une victime de traumatisme complexe.
Elle a subi de multiples violences infantiles au long cours, au sein de ses relations d’attachement. En
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termes de plan de traitement, on pourrait donc penser que l’intégration des événements traumatiques,
en particulier infantiles, va être décisive pour l’amélioration clinique. Pourtant, l’ICV met en évidence
que ceci n’est que partiellement vrai, et que traiter la dissociation à la racine passe par un traitement
de l’histoire très précoce d’attachement davantage que par l’intégration des événements traumatiques
infantiles (Janner Steffan, 2017).
Avec Françoise, nous commençons par un protocole ICV permettant une première approche de la
Ligne du Temps et une intégration globale de l’histoire multi-traumatique de la patiente. Ce protocole,
nommé protocole de Base, est ici répété durant 3 séances, suite auxquelles on assiste à une améliora-
tion des troubles du sommeil. Françoise décrit son sommeil comme réparateur, ce qu’elle dit n’avoir
jamais connu. Elle garde des cauchemars et des réveils précoces, mais se sent beaucoup plus reposée
au réveil et vit son sommeil comme moins agité, moins interrompu de réveils intempestifs.
Cette amélioration du sommeil est cruciale, d’une part parce qu’elle signe l’action de l’ICV sur son
système de stress d’une manière générale et, d’autre part, parce qu’elle aide Françoise à se sentir
moins facilement débordée au quotidien. En effet, l’un des enjeux thérapeutiques avec les personnes
souffrant de traumatismes complexes est de leur permettre, le plus rapidement possible, de mieux
faire face aux difficultés rencontrées au quotidien, au risque de voir la situation présente devenir de
plus en plus inextricable au fil des mois, ce qui entrave le travail de fond.
Après cette première phase de 3 séances, comme Françoise peut désormais traverser sa Ligne du
Temps sans être bouleversée (contrairement aux premières séances), nous lui proposons un travail
davantage axé sur l’attachement. Il s’agit de faire imaginer au patient comment il a pu se sentir à
l’âge de 15 jours, dans son univers affectif de l’époque. Dans ce travail en ICV, c’est le thérapeute
qui va prendre soin du Moi Bébé du patient, afin de lui donner la sécurité et la bienveillance dont il
peut avoir manqué. À cet âge, Françoise est avec sa mère à la maison ; ses deux sœurs aînées sont
scolarisées. S’imaginer dans cet environnement s’avère désagréable pour Françoise ; elle ressent une
boule dans la poitrine, sensation qu’elle a également lors de crises d’angoisses et parfois au cours de
ses insomnies. Lorsque je l’amène à imaginer que je viens la chercher bébé et la prendre tendrement
dans mes bras, elle réagit d’abord avec de la sidération, parce qu’elle éprouve la sensation que son
Moi Bébé, dans mes bras, est mort ou mourant. Ce vécu semble fréquent chez des bébés qui ont été
fortement négligés, voire maltraités.
Dans un deuxième temps, lorsqu’elle commence à percevoir son Moi Bébé dans mes bras comme étant
en vie, elle se met à éprouver des sentiments de persécution à mon égard, tout en étant consciente
de leur caractère transférentiel. En effet, lorsqu’elle s’imagine bébé dans mes bras, elle éprouve la
Traiter la dissociation à la racine 221

sensation que je suis hostile à son égard et que je vais la négliger, voire la maltraiter. Elle ressent
elle-même l’envie de jeter le bébé par la fenêtre ou contre les murs. La relation entre elle et moi
reste très positive par ailleurs, ce qui lui permet de me faire part du fait que sa mère avait tenté
d’avorter d’elle, et qu’on a pu lui rapporter que sa mère la laissait régulièrement seule à la maison
lorsqu’elle était bébé, pour faire une course ou le ménage chez une voisine. Un tournant a lieu lorsque
je lui propose de me regarder dans les yeux alors que je la regarde avec bienveillance, tout en portant
affectueusement le poupon qui la représente symboliquement dans mes bras. Dans un premier temps,
son regard est empreint d’une grande perplexité. Elle m’explique ensuite ne pas réussir à sentir ma
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bienveillance, avoir la sensation que je me moque d’elle (ce qui n’est évidemment pas du tout le
cas !). Néanmoins, dans la quinzaine qui suit, elle remarque qu’elle se sent différente avec un bébé de
son entourage, elle ressent pour la première fois une grande tendresse et une grande bienveillance à
l’égard de celui-ci. Elle ne perçoit désormais plus mon regard comme moqueur ou hostile.
Ce que je comprends à travers le transfert de Françoise, c’est à quel point son environnement précoce
a laissé en elle une attente implicite à être négligée voire maltraitée. Ceci semble sous-tendre les
difficultés à se défendre des agressions ultérieures et, en particulier, la répétition des agressions envers
elle-même au cours de sa vie. Il est très probable que les différentes personnes qui l’ont agressée au
cours de sa vie, que ce soit dans l’enfance ou à l’âge adulte, ont senti et exploité cette fragilité chez
elle. Partant sur cette hypothèse, je continue de lui proposer des séances d’ICV au cours desquelles je
prodigue des soins attentifs et affectueux à son Moi Bébé. Ces séances deviennent de plus en plus
agréables pour elle. Elle commence même à aimer son Moi Bébé.
En parallèle, Françoise rapporte s’aimer davantage, d’une manière générale, et prendre mieux soin
d’elle-même. Elle ne se met plus en danger comme avant : par exemple, elle se fait raccompagner si
elle doit rentrer tard chez elle ; ou encore, elle respecte davantage la signalisation routière (stop, feux
rouges...). Elle commente : « je réalise que je vivais comme si j’allais mourir demain, comme si je ne
méritais pas de vivre et je prenais énormément de risques, je me mettais en danger. Aujourd’hui, je
n’ai plus envie de mourir ou de me faire du mal ».
De fait, son attitude envers elle-même semble en effet avoir changé. La thérapie se poursuit par
le traitement de certaines scènes traumatiques infantiles et d’autres moments d’abandon parentaux.
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Néanmoins, l’essentiel de la symptomatologie dissociative s’est amélioré au cours du travail sur les
États du Moi préverbaux et sur la mémoire implicite de l’hostilité primitive qu’elle a subie au début de
sa vie.
Cette évolution est assez typique de ce que l’on observe en ICV dans le traitement des troubles
psychotraumatiques complexes et des troubles dissociatifs. Elle semble confirmer par la clinique ce
que les neurosciences ont mis en évidence : que la propension à la dissociation est le résultat d’un
accordage défaillant entre la mère et son bébé, et d’un attachement insécure.
222 C ADRES THÉRAPEUTIQUES ET THÉRAPIES SPÉCIALISÉES

C ONCLUSION

Les recherches menées en neurosciences affectives permettent de développer des modalités thérapeu-
tiques innovantes, plus précises dans leurs interventions que les psychothérapies classiques (Smith,
2016). Elles mettent en évidence l’importance des premières années de la vie dans la construction des
capacités de régulation émotionnelle, par le biais de la sécurité de l’attachement et de l’accordage
de la mère à son bébé. Elles soulignent combien ces expériences, lorsqu’elles sont délétères, rendent
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vulnérable à la dissociation ultérieure, sur l’échelle de la vie, ce qui est souvent méconnu dans la
clinique de la dissociation, qui a tendance à focaliser sur les traumatismes complexes comme cause de
la dissociation. L’expérience de l’ICV vient éclairer ces résultats de recherche par la clinique, et montre,
de manière empirique, qu’il est possible de remanier le cerveau limbique, davantage que l’on ne
l’espérait avant. La recherche visant à démontrer l’efficacité et les modalités de fonctionnement de
l’ICV au niveau cérébral n’en est qu’à ses débuts, et représente l’un des axes de travail importants à
développer désormais.
Chapitre 22

Hypnose ericksonienne et thérapie


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Victor Simon

L ’HYPNOSE ERICKSONIENNE (HE), DÉVELOPPÉE par le psychiatre américain Milton Erickson, se différencie
totalement de l’hypnose traditionnelle, telle qu’elle fut pratiquée par Freud, Charcot et Chertok :
ils utilisaient la suggestion directe dans le but de tenter d’obtenir une modification du comportement
ou des symptômes du patient.
Cette approche, était alors la seule psychothérapie existante, avant l’apparition de la Psychanalyse.
Elle était d’une utilité relative dans de nombreuses indications, mais s’adressait essentiellement à
des sujets hautement suggestibles. De nombreuses publications le prouvent à l’envi. Toutefois, le
pouvoir de la suggestion s’effaçait en quelques semaines, rendant ainsi le patient dépendant de son
Thérapeute, ne résolvant jamais son symptôme... quand il ne le déplaçait pas !
Milton Erickson, lui, développe une hypnose différente : son approche est systémique. Le symptôme
apparaît toujours dans un contexte de vie et une interaction pathologiques. Il est vain de tenter de le
faire disparaître tant que les deux paramètres n’ont pas changé.
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Le groupe de Palo Alto avec Gregory Bateson, Don Jackson et Paul Watzlawick utilisent le même
concept systémique dans le modèle de Thérapie Familiale, sans jamais connaître les travaux d’Erickson.
Leur rencontre permet de consolider les liens qui existent désormais entre l’Hypnose Ericksonienne
et la Thérapie Brève systémique, individuelle ou familiale.
L’approche ericksonienne se base également sur le concept d’un Inconscient, siège de tous nos
apprentissages, réservoir à ressources dans lequel nous puisons, en permanence, des solutions lorsque
nous sommes confrontés à un problème, de quelque ordre qu’il soit.
Le symptôme apparaît lorsque le sujet ne peut accéder à ses ressources inconscientes. Il est inutile de
chercher consciemment des solutions à un problème inconscient. Le Conscient et la volonté ne peuvent
exercer le moindre pouvoir sur l’Inconscient et ses systèmes de régulation mis en jeu par le biais de
sécrétions de neuromédiateurs (Sérotonine, Dopamine, Ocytocine, Endorphines, Acétyl Choline, etc.).
C’est à ces différents niveaux, systémique et psycho-biologique, que l’HE intervient en Thérapie.
224 C ADRES THÉRAPEUTIQUES ET THÉRAPIES SPÉCIALISÉES

L’état hypnotique est un état de conscience modifiée, que nous traversons spontanément plusieurs fois
par jour, au cours duquel nous nous dissocions, temporairement, pour entrer dans un état de rêverie,
qui nous permet de nous régénérer, par une ressource inconsciente, en nous abstrayant d’une situation,
ennuyeuse, contraignante, traumatique, tout en restant en contact avec la réalité environnante.
Le Thérapeute utilise cette capacité que chacun d’entre nous détient, afin de favoriser un travail à un
niveau inconscient au cours duquel, le patient, accompagné, accède à ses ressources pendant l’état
de dissociation hypnotique, puis reprend contact avec la réalité à la fin de la séance et se réassocie
spontanément.
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La spécificité de l’HE est d’utiliser un langage permissif, non directif, excluant la suggestion directe
qui est une atteinte à l’écologie et l’homéostasie psychiques, langage imagé, utilisant des suggestions
indirectes, ouvertes, que le patient, au cours de la transe est libre d’accepter ou refuser, puisqu’il peut
à tout instant, prendre la parole, énoncer des sentiments, des émotions, et surtout garder son libre
arbitre : il peut à tout instant sortir de la transe, et y retourner s’il en a envie.
La métaphore a une grande place dans l’HE : cette forme de langage véhicule un sens caché, que
seul l’Inconscient comprend, qui contourne le barrage du Conscient et permet d’accéder à une autre
interprétation de la situation problématique. La métaphore ericksonienne véhicule un changement : la
neige des glaciers qui fond au soleil du printemps, la cascade figée en hiver, la montagne blanche
qui reverdit et fleurit en été, le labour, les semailles et la moisson, sont autant de métaphores
thérapeutiques qui véhiculent l’idée d’un changement et du passage d’un état à un autre.
La régression en âge (RA), chère à Freud, permet d’explorer des situations anciennes, refoulées ou
déniées. Elle utilise des états émotionnels intimement liés à certaines situations, traumatiques, neutres
ou agréables. La madeleine de Proust en est le cas le plus évocateur. Nombre de parfums ou odeurs,
sons, images ou un simple contact physique, ramènent à des périodes ou des évènements du passé
et font émerger spontanément des états hypnotiques.
L’intérêt d’une RA bien conduite est primordial en Thérapie : elle entraîne le sujet vers une hypermné-
sie, extrêmement bien détaillée, des souvenirs refoulés, sans questionnement aucun de la part du
Thérapeute afin d’éviter de générer de faux souvenirs, une reviviscence de la situation passée dans
un état de dissociation complète. Le patient immergé dans son souvenir le revit totalement en ayant
l’âge de l’épisode revécu.
Dans cette situation, il a une amnésie totale entre la période où il est régressé et le moment présent,
ce qui signifie que s’il est régressé à l’âge de 8 ans, par exemple, il parle comme un enfant de 8 ans,
peut pleurer, invoquer l’aide de ses parents ou de ses ressources du moment, raconter la situation avec
le vocabulaire d’un enfant de cet âge, voire même parler dans sa langue maternelle d’origine, s’il est
d’origine étrangère.
Il ne sait plus qu’il a actuellement 45 ou 60 ans, par exemple ; il a 8 ans, et revit intégralement la
situation traversée dans cet état de dissociation totale hypnotique.
Une dissociation partielle est également possible, où le sujet raconte et décrit l’événement qu’il voit
se dérouler derrière ses paupières closes, tout en conservant son âge actuel : il est spectateur de
l’événement, sans y être inclus.
Hypnose ericksonienne et thérapie 225

Dans les deux situations le système émotionnel, activé, permet de travailler les émotions liées à ce
souvenir par le biais de recadrages, de consolation, de compréhension de certaines situations que
l’enfant a vécues, interprétées en fonction de son âge et du contexte dans lequel il évoluait, générant
souvent une idée fausse à laquelle il s’accroche pendant des dizaines d’années, au prix d’une souffrance
sans fin. et lui font répéter, sans cesse, des mécanismes et des comportements qui ne marchent pas.
et le font chuter.
Le thérapeute qui conduit une RA s’attache essentiellement à rechercher et mettre en évidence les
stratégies, les ressources personnelles utilisées par le sujet pour faire face, survivre ou trouver des
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solutions. Ce faisant, la réactualisation de ce « savoir-faire » permet au patient de reprendre contact
avec cette ou ces ressources anciennes, puis de les utiliser à nouveau, au présent, dans le but de
résoudre une situation qui le bloque dans son évolution. Une projection dans le futur, la fin de la RA
permet d’orienter le sujet vers les changements souhaités et souhaitables qu’il choisit dans le silence
de son travail.
L’HE s’attache également, par le biais de techniques centrées sur les douleurs et souffrances, à les
neutraliser, les faires disparaître, en modifiant l’interprétation que certaines aires cérébrales peuvent
en faire, l’imagerie fonctionnelle cérébrale en atteste l’activation.
La distorsion du temps engendrée par l’hypnose est également utilisée dans le but de réduire le
temps et l’intensité de la douleur, permettant ainsi de vivre pleinement les moments de bien-être tout
en ayant le sentiment que les moments douloureux se raccourcissent, changeant ainsi le vécu des
douleurs et souffrances chroniques.
Il existe également une multitude de techniques en HE, adaptées aux différentes souffrances rencon-
trées en Thérapie, utiles dans les situations de la vie ordinaire, telles que peurs, angoisses, anxiété,
stress aigu ou chronique, les troubles fonctionnels ou maladies psychosomatiques, mais aussi des
phobies, les TOC et addictions, certaines dépressions, notamment le burn-out, le harcèlement personnel
ou professionnel, la victimologie, la sexologie, les troubles du comportement, alimentaire ou autres.
Dans de nombreuses situations, l’HE permet une résolution de situations douloureuses à vivre. La
pratique de l’hypnose répond à une éthique qui est de poser avec certitude un diagnostic précis. Elle
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permet, avec une culture en psychopathologie, de prendre en charge de nombreux patients, sans
passer par une longue psychothérapie souvent non désirée.
L’association à la pratique de l’auto-hypnose, apprise au décours de chaque séance d’hypnose permet
au patient de continuer le travail initié avec son Thérapeute et surtout d’apprendre à prendre le
pouvoir sur certaines situations et les maîtriser.
Il s’agit d’une thérapie brève où l’on effectue rarement dix séances quand le patient coopère dans le
travail et l’objectif à atteindre : celui qu’il a choisi pour changer. et changer sa vie !
Chapitre 23

La Justice restaurative
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De la re-co-naissance des personnes impactées par le crime

Robert Cario

« La Justice restaurative offre à chacun(e)


l’opportunité de se (ré)envisager pour l’avenir »
« Rien n’est plus fort qu’une idée
dont l’heure est venue. »
Citation attribuée à Victor Hugo

L A JUSTICE RESTAURATIVE EST AU CŒUR de l’Œuvre de justice, en totale complémentarité avec le Droit
criminel. Elle est susceptible d’épanouir ses promesses autant dans le champ de la prévention, que
dans ceux de la répression et du traitement du phénomène criminel (Cario, 2008). L’attraction récente
qu’exerce la « Restorative Justice » peut se mesurer à l’aune des concepts qui fleurissent un peu
partout dans le monde pour tenter de la caractériser : réparatrice, restaurative, restauratrice, récréative,
transformatrice, créatrice, coopérative, reconstructive, reconstructrice, participative, compréhensive,
notamment. Un même bouquet coloré compose les définitions de la Justice restaurative, les unes
s’attachant aux processus à mettre en place, les autres aux résultats à atteindre.
Il demeure que l’intégration de la Justice restaurative est en cours, tant les ruptures avec les modèles
classiques sont porteuses de l’espoir d’une justice respectueuse de l’ensemble des protagonistes et sou-
cieuse de la réparation de toutes les conséquences directes de l’infraction et de ses répercussions.
C’est bien en ce sens que l’Assemblée générale des Nations Unies a été appelée à se prononcer sur
l’adoption de principes fondamentaux concernant le recours à des programmes de justice réparatrice en
matière pénale (ci-après dénommés Principes fondamentaux de justice restaurative), que la doctrine
ne cesse de perfectionner en vue de leur application universelle. La récente Directive du 25 octobre
La Justice restaurative 227

2012 du Parlement européen et du Conseil établissant des normes minimales concernant les droits, le
soutien et la protection des victimes de la criminalité l’a officiellement intégrée.
Les contours opératoires de la Justice restaurative, nettement identifiables, permettent de pointer
précisément les bienfaits qu’elle procure au système de justice pénale tout entier. La Loi du 15 août
2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales l’a consa-
crée par l’introduction dans le Titre préliminaire du Livre premier du Code de procédure pénale un
Sous-titre II, intitulé « De la justice restaurative ». La circulaire du 15 mars 2017 en précise les
modalités d’application.
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La Justice restaurative peut être définie, d’une manière provisoire et synthétique, au travers des
mesures qu’elle promeut. Inscrites dans un processus dynamique, elles supposent la participation
volontaire de l’infracteur, de la victime, de leurs proches, de tou(te)s celles et ceux qui s’estiment
concerné(e)s par le conflit de nature criminelle, afin d’envisager, ensemble, par une participation
active, en la présence et sous le contrôle d’un « tiers justice » et avec l’accompagnement éventuel d’un
« tiers psychologique et/ou social », les solutions les meilleures pour chacun, de nature à conduire,
par leur responsabilisation, à la réparation de tous afin de restaurer, plus globalement, l’Harmonie
sociale.
Il convient immédiatement de préciser, afin de répondre aux critiques, parfois acerbes, toujours
éloignées de la réalité restaurative, ce qu’elle n’est surtout pas. La Justice restaurative ne s’inscrit
pas en opposition avec le Système de justice pénale, mais en complémentarité avec ses missions
régaliennes. Ayant le souci de tous, elle n’est donc pas spécialement dédiée aux victimes mais suppose
la participation de l’infracteur. Elle n’est pas un copier/coller des pratiques anglo-saxonnes. Elle n’est
soumise à aucun dogme religieux et les valeurs spirituelles qui l’animent appartiennent à quiconque
se sent lié à notre humanité, en toute laïcité. Dans ce même esprit, elle n’est pas tournée vers le
pardon, celui-ci demeurant à l’appréciation libre et intime des intéressés. Elle ne saurait être réduite
à la seule médiation entre infracteur et victime. Le processus de mise en œuvre des mesures est
lui-même restaurateur, la rencontre n’étant pas leur but exclusif. Les infractions de faible gravité ne
constituent pas le domaine d’intervention exclusif de la Justice restaurative, bien au contraire. Son
objectif n’est pas seulement focalisé sur la lutte contre la récidive, quand bien même elle conduit à
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la réduire significativement. Elle n’a aucune velléité expansionniste : ce n’est pas une panacée mais
un outil parmi d’autres déjà performants, simplement adapté aux attentes et besoins des intéressés
relativement aux répercussions du crime. Enfin et pour l’essentiel, la Justice restaurative n’a aucune
ambition thérapeutique, pas davantage que le procès pénal (justicerestaurative.org).

G ÉNÉRALITÉS SUR LA J USTICE RESTAURATIVE

Les mesures de Justice restaurative sont nombreuses et peuvent être mises en place autant dans le
cadre de la prévention que dans ceux de la répression (procès pénal) ou du traitement (exécution des
peines). Reposant sur un protocole strict, elles offrent aux participants la possibilité de cheminer vers
un horizon d’apaisement.
228 C ADRES THÉRAPEUTIQUES ET THÉRAPIES SPÉCIALISÉES

La médiation victime – infracteur de la même affaire offre aux intéressés l’opportunité d’une rencontre
volontaire afin qu’ils discutent des caractéristiques, des conséquences et des répercussions du conflit
de nature pénale qui les oppose, quelle que soit la gravité du crime. Le but de la médiation vic-
time/infracteur est, tout d’abord, de rendre possible une telle rencontre ; d’encourager, ensuite, l’auteur
à mesurer l’impact humain, social et/ou matériel de son action et d’en assumer la responsabilité ; de
conduire encore chacun à reconsidérer le point de vue de l’autre et à en tenir davantage compte ;
d’amener, enfin et principalement, les intéressés à envisager les contours de la réparation de toutes
les conséquences et de toutes les répercussions causées.
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La conférence du groupe familial (ou conférence restaurative) poursuit les mêmes objectifs que
les médiations victime/infracteur mais réunit un nombre plus diversifié de participants autour de
l’infracteur, de la victime et du médiateur/facilitateur. Se joignent à eux toutes les personnes ou
institutions ayant intérêt à la régulation du conflit et/ou susceptibles d’apporter un support quel-
conque aux protagonistes directs. La conférence permet d’envisager les caractéristiques du soutien
que l’environnement familial ou social est susceptible d’apporter aux intéressés en vue de les aider à
retrouver leur place au sein de la communauté.
Le cercle de détermination de la peine (ou cercle judiciaire restauratif) s’élargit à tous les membres de
la communauté qui souhaitent y participer, en présence du juge. Ils permettent à chacun de s’exprimer
sur les conditions de l’émergence du conflit, ses conséquences et répercussions afin d’envisager
une résolution qui prenne en compte les intérêts de tous et consolide les valeurs communes de la
collectivité concernée (aux quatre plans affectif, physique, psychologique et spirituel).
Les rencontres détenus (ou condamnés) – victimes peuvent être offertes à un groupe de condamnés
(à une peine privative de liberté ou exécutée au sein de la communauté) et à un groupe de victimes
(quatre à cinq personnes respectivement), ne se connaissant nullement. À côté des animateurs, au
nombre de deux, la présence de deux membres de la communauté est requise, avec le souci d’un réel
équilibre entre les genres (V. Guide des membres de la communauté, pub. IFJR). De telles rencontres
n’ont pas véritablement les mêmes ambitions que les mesures précédentes dans la mesure où la
sanction, prononcée, est en cours d’exécution et la victime indemnisée. Ce que les uns et les autres
viennent chercher se trouve situé sur un autre registre susceptible d’être fortement réparateur : la
libération des émotions négatives consécutives au crime qui continuent de les submerger, à défaut
d’avoir été effectivement prises en compte par les professionnel(le)s jusqu’alors investis dans le procès
pénal.
Le Cercle de soutien et de responsabilité (CSR), sur proposition du coordonnateur, après accord du
détenu (auteur d’une infraction à caractère sexuel) et vérification de l’éligibilité de son cas, est mis
en place, avant la sortie de prison. De manière particulièrement attentive et assidue, des personnes
bénévoles de la communauté (de 3 à 5 généralement, spécialement recrutées et formées) (constituant
le cercle intérieur ou premier cercle) rencontrent le condamné (« core member » ou « membre princi-
pal ») et décident, ou non, de s’engager dans le cercle. En cas de difficultés rencontrées par le premier
cercle, des professionnels, bénévoles le cas échéant (psychologues, policiers, agents pénitentiaires,
travailleurs sociaux notamment) (constituant le cercle extérieur ou second cercle), les appuient par
leurs conseils. En la présence du coordonnateur, des rencontres hebdomadaires, voire plus fréquentes
dans les semaines suivant la sortie, ont lieu entre les bénévoles du premier cercle et la personne
La Justice restaurative 229

libérée, jusqu’à la reconquête de son autonomie. Les CSR sont spécialement dédiés aux auteurs
d’infractions à caractère sexuel. La création de cercles d’accompagnement et de ressources peut en
devenir une variante pour toutes les autres infractions graves, aux mêmes conditions (CAR) (V. La
justice restaurative. Une innovation au service de l’humain, pub. IFJR).

M ISE EN ŒUVRE DE LA J USTICE RESTAURATIVE


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Ces mesures de Justice restaurative se déroulent selon un protocole assez proche, à deux conditions
préalables pour toutes : que l’ensemble du processus soit maîtrisé par d’authentiques professionnels
spécialement formés selon les mesures et les rôles qu’ils/elles y tiennent ; que la préparation des
personnes et l’élaboration des modalités concrètes de la mesure soient des plus abouties.
Trois phases sont généralement identifiées, avec des variations parfois importantes selon que la mesure
est retenue dans le pré- ou le post-sententiel notamment. 1) La phase préalable consiste en la signature
entre tous les acteurs (Comité de pilotage) souhaitant s’impliquer dans un programme restauratif d’une
« Convention de partenariat ». Un « Groupe projet » est alors désigné avec pour mission de sensibiliser
les services accueillant les personnes victimes et auteurs en vue de leur orientation, ainsi que de
rédiger un « Cahier des charges » détaillé. 2°) La phase préparatoire, essentielle, conduit l’animateur
(au sens large) à recevoir les personnes orientées au cours de plusieurs entretiens. Après écoute
de leurs motivations, besoins et attentes, il les conduit à se choisir pour participer à la rencontre
retenue. Il vérifie l’absence de vulnérabilité des personnes afin d’éviter toute victimisation secondaire.
3) La phase opérationnelle est le lieu des échanges entre les participants. L’espace de parole qui leur
est ainsi dédié favorise la reconnaissance de l’humanité de chacun, l’empathie réciproque dans une
posture d’authentique empowerment.
Tout au long du programme, une supervision technique (et non clinique) est opérée par des profes-
sionnels expérimentés dans l’animation des mesures restauratives. De la même manière, un « filet
de protection psychologique et social » est disponible, en cas de besoin, aux participants qui le
souhaitent. Il va sans dire que l’évaluation du programme s’impose, tant en termes de satisfaction,
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

toujours subjective, des participants, de validation du programme comme bonne pratique que de
compréhension de l’impact de la mesure suivie sur les pratiques professionnelles des personnes les
ayant orientées (Services pénitentiaires, Associations d’aide aux victimes, notamment).
En complément du règlement des conséquences directes du crime de la seule compétence du juge, en
termes de sanctions et/ou réparations indemnitaires à venir ou de celles issues du jugement définitif,
les parties peuvent envisager, lorsque la mesure restaurative choisie le prévoit, des accords particuliers.
Ils dépendent étroitement du contexte criminel, de l’infracteur, de la victime et, plus généralement,
des personnes concernées par le crime et impliquées dans la mesure de Justice restaurative. Au
travers des échanges que permettent les mesures mises en œuvre, les questions du « pourquoi » et du
« comment » sont discutées. Elles sont essentielles pour les victimes et leurs proches, de même que
pour les proches de l’infracteur et l’infracteur lui-même, en termes de responsabilisation relativement
aux réalités concrètes des victimisations consécutives à son acte. Le cas échéant et selon les mesures,
les solutions les meilleures sont retenues afin de réguler, de manière très pragmatique, les aspects de
230 C ADRES THÉRAPEUTIQUES ET THÉRAPIES SPÉCIALISÉES

la vie quotidienne, fortement perturbée par le crime, tant au plan familial que social, d’autant plus
que les actes graves se déroulent entre personnes qui se connaissent dans la très grande majorité des
cas (famille, lieu de travail).
La satisfaction des intéressés ayant bénéficié de l’une des mesures restauratives précitées est réelle.
Évalués scientifiquement, les sentiments des protagonistes convergent : avoir obtenu justice, ressentir
un apaisement physique, psychique voire même psychosomatique, notamment (Rossi, Cario, 2016).
La reconnaissance offerte par le processus restauratif est soulignée par tous comme la condition
d’un possible retour (ou sa consolidation) parmi les autres êtres humains, car avoir la chance de
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pouvoir donner son point de vue est réparateur, d’autant plus si les graves sont graves et sérieux.
Magistrats et acteurs socio-judiciaires considèrent que la complémentarité entre les mesures de Justice
restaurative et celle de la Justice pénale est parfaitement viable, vecteur d’humanisation, facteur
de gain de temps pour tous. Ainsi socialisé, le désir de « vengeance vindicative et destructrice »
s’estompe pour laisser place au partage, à la réciprocité, à l’intercompréhension, à la vengeance
vindicatoire qui rend à nouveau actif, qui permet de reprendre le pouvoir sur sa vie. La peur du crime,
comme expérience vécue, s’estompe à l’écoute des infracteurs, de la sincérité de leurs regrets et de
leurs engagements pour l’avenir.
Des coûts judiciaires, sanitaires et sociaux sont ainsi incontestablement épargnés. Il importe encore
de remarquer – et ce n’est pas le moins important – que le taux de récidive est bien moins élevé,
grâce à la responsabilisation subséquente du condamné. Prenant conscience qu’il appartient à la
communauté, prête à l’accueillir après s’être acquitté de ses obligations, il mesure clairement que
c’est l’acte qu’il a commis qui est stigmatisé comme inacceptable, alors que lui-même demeure une
personne, ayant toute sa place parmi les autres êtres humains.

LA PROFESSIONNALISATION DES INTERVENANTS


EN J USTICE RESTAURATIVE

Un animateur au rôle bien défini selon les mesures restauratives à l’œuvre (entre facilitateur et média-
teur) assure le bon déroulement des échanges et la circulation effective de la parole entre tous,
récapitule, le cas échéant, les conditions de l’accord élaboré en commun par les intéressés et en
supervise l’exécution. Il doit posséder de réelles connaissances sur les collectivités locales impliquées
ainsi que sur leurs standards culturels. Mais il est essentiel qu’il s’agisse d’un authentique professionnel
du travail social ou, le cas échéant, qu’il ait acquis spécialement, en sus de sa formation initiale,
les bases conceptuelles et méthodologiques de l’intervention en justice restaurative. Par définition,
sa mission est marquée du sceau de l’indépendance, de l’impartialité et de la bienveillance. Il ne se
positionne en tant que tel ni du côté de la victime, ni de celui de l’infracteur, il veille bien plus
pertinemment à la satisfaction des besoins de tous. Les termes de l’accord qu’il validera, ou fera valider
par le juge principalement dans le pré-sententiel, seront d’autant plus librement et volontairement
acceptés par les parties en présence qu’ils émaneront de leur volonté même, le point de vue de chacun
ayant été entendu et considéré.
La Justice restaurative 231

Selon les mesures mises en œuvre, des membres de la communauté sont appelés, sans aucune délé-
gation de la société civile, à intervenir au sein du dispositif. Spécialement formés, ils ont pour
rôle, sans interférence avec celui des animateur(e)s, de manifester, par leur présence, la solidarité
de la communauté à l’égard des participants victimes et infracteurs, l’intérêt porté par la société
à la réparation la plus complète des répercussions du conflit né de l’infraction. Par leur empathie
inconditionnelle et leur présence, ils encouragent les participants dans leur implication et promeuvent
la reconstruction du lien social au sein de la communauté. Ils peuvent également témoigner auprès
de leurs communautés d’appartenance, le cas échéant, de l’équité du processus restauratif et des
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bénéfices retirés par la plupart des participants (V. Guide des formations, ENAP/IFJR/France Victimes).

L A RECONNAISSANCE DE LA PLACE DE LA VICTIME


ET / OU DE SES PROCHES

Elle est très opportunément restituée et valorisée par la Justice restaurative. La victime (et/ou ses
proches) va pouvoir obtenir les informations dont elle a besoin, recevoir des réponses aux questions
qu’elle se pose à propos de l’infraction : pourquoi est-ce arrivé ? Pourquoi moi ? Comment cela s’est
réellement passé ? Qui est l’infracteur ? Que ressent-il/elle ? Que compte-t-il/elle faire ? Ai-je fait
quelque chose pour que cela arrive, aurais-je pu l’éviter ? Qu’a-t-on fait depuis ? Comment envisager
mon avenir, ma réintégration dans la communauté ? Les questions du « pourquoi » et du « comment »
sont fondamentales. Les réponses qui leur sont apportées sont de nature à apaiser les peurs, souvent
diffuses, de la victime et à considérer l’infracteur comme une personne, jusqu’alors très souvent perçu
comme un « monstre ». La victime peut ainsi vérifier par elle-même, lors de la rencontre restaurative, la
sincérité de l’auteur. Elle souhaite l’entendre assumer pleinement la responsabilité de l’acte et s’assurer
qu’il réalise toutes les conséquences et répercussions qui en découlent, dont certaines persistent
toujours. Elle doit encore pouvoir dire la vérité car raconter l’histoire de ce qui est arrivé participe
de sa guérison et/ou de la symbolisation des affects nés de l’événement. Aussi souvent qu’elle le
souhaite, cette reconnaissance publique doit avoir lieu. La victime s’approprie ainsi la régulation du
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conflit, sans une stratégie d’empowerment, pour retrouver le pouvoir sur sa vie.
L’engagement dans la résolution de son affaire, tout au long du procès pénal, par l’apprivoisement
des dispositifs disponibles, est primordial pour pouvoir reprendre le contrôle de soi-même, de son
espace vital, affectif et social. Le crime a en effet privé la victime de ses biens, de son corps, de
ses émotions et/ou de ses rêves. Elle doit être réparée autant aux plans personnel, matériel que
symbolique. En prenant la responsabilité de réparer les torts causés, l’infracteur ôte toute possibilité
de blâmer la victime qui, par là même, peut se libérer de la culpabilité psychique que l’acte subi
a pu déclencher chez elle ou ses proches. Des excuses conduiront au même effet. La victime peut
encore, plus exceptionnellement, participer à l’élaboration de la sanction, de manière plus ou moins
prononcée selon les mesures restauratives retenues, dans le pré-sententiel notamment, en déclarant
la nature et l’ampleur des conséquences et des répercussions du crime sur sa propre vie et/ou celle de
ses proches (Cario, Ruiz, 2015).
232 C ADRES THÉRAPEUTIQUES ET THÉRAPIES SPÉCIALISÉES

LA RESPONSABILISATION DE L’ INFRACTEUR

La justice restaurative conduit à sa responsabilisation, de nature à favoriser la reconquête de l’estime


de soi et l’affirmation, plus généralement, de sa qualité de personne humaine. En ce sens, l’infracteur
a besoin que la Justice marque solennellement la désapprobation sociale de l’acte posé, nomme
l’infraction, le déclare responsable des actes commis, l’encourage à les assumer et réparer. La Justice
restaurative l’invite à avoir le souci de l’autre. Elle s’attache à transformer la honte consubstantielle de
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l’acte commis en force réintégrative. L’infracteur a également besoin de l’amour et du soutien de ses
proches, tout comme il apparaît essentiel que les personnes en qui il a une particulière confiance la lui
renouvellent. Il a encore besoin d’encouragements de la part de la Justice pour que son comportement
évolue : en réduisant les facteurs de risque l’ayant conduit au passage à l’acte agressif, en lui offrant
des opportunités de traitement et en consolidant ses compétences personnelles. L’infracteur a aussi
besoin d’encouragements et d’aide pour (ré)intégrer la communauté. Quelques-uns auront, enfin
et pour l’essentiel, besoin d’une privation temporaire de liberté, laquelle prendra tout son sens dans
ce contexte restauratif en facilitant son adhésion à la sanction prononcée, son appropriation du projet
d’exécution des peines qui lui sera proposé (Braithwaite, 1999 ; Faget 2006 ; Robert, 2015).

L’ IMPLICATION DES COMMUNAUTÉS D ’ APPARTENANCE

Les communautés elles-mêmes tirent des profits inestimables de la justice restaurative. Unies par
un sentiment plus ou moins fort d’appartenance, d’identification réciproque, les communautés sont
à comprendre dans leur dimension géographique locale, de voisinage, mais aussi ethnique et/ou
culturelle, quand elles ne sont pas activées par un événement très particulier ou dynamisées autour
d’associations voire de réseaux d’intérêts ou d’obligations mutuels. Le crime, par ses impacts, a
créé des besoins chez les membres impliqués (secondary victims). Or l’accaparement par l’État des
poursuites pénales traditionnelles détruit chez les individus tout sens de la communauté. Pourtant, les
membres de la communauté ont un rôle à jouer tout comme la communauté elle-même doit assumer
ses éventuelles responsabilités à l’égard des victimes, de l’infracteur et de l’ensemble des membres
eux-mêmes. Elle prend concrètement connaissance et conscience des facteurs qui risquent de conduire
au crime et s’investit alors davantage dans la consolidation du bien-être social, assurant par là même
la prévention plus globale du crime. et chaque fois que les membres de la communauté s’engagent
dans la régulation d’un conflit, c’est le lien social qui s’en trouve renforcé.
C’est pourquoi les communautés attendent de la Justice qu’elle prête attention à leurs victimisations
éventuelles, qu’elle leur offre des opportunités pour donner du sens aux notions de communauté et de
responsabilisation mutuelle, qu’elle les encourage à assumer leurs obligations quant au bien-être de
leurs membres – y compris victimes et/ou infracteurs – et à développer des politiques qui favorisent
des communautés saines et sûres. De réelles ressources doivent ainsi leur être allouées, par simple
redistribution finalement, au regard des bénéfices escomptés – et évalués – par la mise en œuvre des
mesures de Justice restaurative qui participent fortement à la réduction de la récidive
La Justice restaurative 233

L’ ÉPANOUISSEMENT DU S YSTÈME DE J USTICE PÉNALE

En son entier, il devient très heureusement bénéficiaire de la stratégie restaurative en ce qu’elle


offre à la résolution des conflits une justice plus humaine pour la victime et l’infracteur. Selon les
mesures mises en œuvre, la justice restaurative est de nature à rendre la justice pénale plus crédible
car elle permet de répondre à tous les conflits d’ordre pénal, y compris en cas de classement sans
suite, de non-lieu, de prescription, ou quand l’auteur est inconnu ou incapable psychologiquement
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de répondre de ses actes. et vraisemblablement moins coûteuse (Strang, Shermann, 2008) car elle
conduit à éviter le recours aux peines privatives de liberté de courte durée, massivement prononcées
aujourd’hui, le quantum moyen ferme de la peine privative de liberté s’établissant en ce sens à plus
de huit mois en 2015, ce dont atteste encore la proportion de détenus incarcérés en maison d’arrêt
(affichant de surcroît un taux de 20 % de détenus en surnombre), dans près de sept cas sur dix, au
titre de la détention provisoire ou de l’exécution de peines inférieures à un an ou dont le reliquat est
également inférieur à un an. Au regard du différentiel généralement observé entre le coût journalier
d’une mesure exécutée au sein de la communauté et celui d’une peine privative de liberté (de 1 à
10, voire davantage dans les institutions fermées réservées aux mineurs), rapproché des évaluations
prometteuses des mesures de justice restaurative, il y a peut-être aussi pour le système de potentielles
économies à réaliser en termes de cost/effectivness (relativement au fonctionnement des tribunaux
et de l’administration pénitentiaire). L’investissement dans une mesure restaurative offre un retour, en
termes d’économies pour le Système, de 8/1 (Shapland and al., 2008), comme cela a été de la même
manière évalué relativement aux programmes de prévention précoce, de 12/1 (Cario, 2004 ; Tremblay,
2008). La justice restaurative est plus proche des intéressés, plus proche de la société civile, plus
proche de la communauté. Justice de proximité, elle s’exprime là où le conflit s’est noué, là où la
réparation a lieu, là où les protagonistes continuent à cohabiter. Le reproche de la disparition de tout
rituel judiciaire ne semble pas fondé, non seulement parce que la mesure restaurative choisie est mise
en œuvre au sein même du Système de justice pénale mais encore et surtout par le fait, maintes fois
souligné, que la distance qu’il induit avec le justiciable est source d’incompréhension voire de rejet
(Garapon, 1986 ; Desprez, 2009). La victime et la communauté, par le sentiment partagé que justice a
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été rendue, retrouvent confiance dans le Système en son entier. La justice restaurative contribue ainsi
à apaiser, au cœur même de la communauté victimisée, au-delà de la peur du crime vécue comme
expérience concrète, le sentiment d’insécurité, à rétablir durablement la paix sociale.

L ES RÉALITÉS DE LA J USTICE RESTAURATIVE EN F RANCE

En France, comme dans la plupart des pays au monde, la crise des institutions judiciaires (au sens
large) est patente. Le diagnostic est objectivement incontestable... son interprétation subjectivement,
voire idéologiquement protéiforme. Conscient de l’insatisfaction des justiciables, la Loi dite Taubira
est venue intégrer dans le Code de procédure pénale les mesures que la justice restaurative promeut
depuis des millénaires, dans le respect des droits humains et des principes fondamentaux du droit
criminel (substantiel et formel). De concluantes expérimentations l’ont d’ailleurs précédé en quelques
234 C ADRES THÉRAPEUTIQUES ET THÉRAPIES SPÉCIALISÉES

territoires pionniers de notre pays, sous l’impulsion de l’Institut français pour la Justice restaurative
(IFJR) et de ses partenaires privilégiés.
!

La consécration législative de la Justice restaurative

Sous l’impulsion de divers acteurs, issus de la société civile (comme l’Institut Français pour la Justice
restaurative, la Plateforme française pour la justice restaurative ; justicerestaurative.org), provenant
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d’institutions publiques ou de fédérations associatives, le législateur a consacré la justice restaurative
dans le droit criminel positif. En une place très symbolique : au sein de la partie législative du Code
de procédure pénale, en Sous-titre II du Titre préliminaire consacré aux « Dispositions générales »,
ayant ainsi vocation à s’appliquer aux infracteurs majeurs comme aux mineurs. En ce sens l’article 8 de
la Loi n° 2014-896 du 15 août 2014, relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité
des sanctions pénales, élaborée à partir des travaux de la Conférence de consensus sur la prévention
de la récidive, lui dédie un nouvel article 10-1, applicable depuis le 1er octobre 2014 :
« À l’occasion de toute procédure pénale et à tous les stades de la procédure, y compris lors de l’exécution
de la peine, la victime et l’auteur d’une infraction, sous réserve que les faits aient été reconnus, peuvent
se voir proposer une mesure de justice restaurative.
Constitue une mesure de justice restaurative toute mesure permettant à une victime ainsi qu’à l’auteur d’une
infraction de participer activement à la résolution des difficultés résultant de l’infraction, et notamment à
la réparation des préjudices de toute nature résultant de sa commission. Cette mesure ne peut intervenir
qu’après que la victime et l’auteur de l’infraction ont reçu une information complète à son sujet et ont
consenti expressément à y participer. Elle est mise en œuvre par un tiers indépendant formé à cet effet,
sous le contrôle de l’autorité judiciaire ou, à la demande de celle-ci, de l’administration pénitentiaire. Elle
est confidentielle, sauf accord contraire des parties et excepté les cas où un intérêt supérieur lié à la
nécessité de prévenir ou de réprimer des infractions justifie que des informations relatives au déroulement
de la mesure soient portées à la connaissance du procureur de la République. »

De manière inégalée jusqu’alors, la participation à une mesure (plus génériquement à une rencontre)
restaurative peut être proposée (quel que soit leur statut) aux victimes et aux auteurs d’infractions
pénales tout au long du processus pénal. Il s’agit même d’un droit pour la victime lors de l’exécution
des peines (art. 707-IV, 2 °C. pr.pén.). Toutes les infractions sont concernées, l’évaluation scientifique
démontrant de surcroît que plus les faits sont graves, plus le cheminement vers l’apaisement de chaque
participant est important. Tout comme l’efficience restaurative du seul « processus », indépendamment
du « résultat » (la rencontre, pour autant qu’elle soit souhaitée). La Loi du 17 août 2015 portant
adaptation de la Directive du 25 octobre 2012 du Parlement européen et du Conseil établissant des
normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité
prévoit également que les officiers et les agents de police judiciaire informent par tout moyen les
victimes de leur droit d’obtenir la réparation de leur préjudice, par l’indemnisation de celui-ci ou
par tout autre moyen adapté, y compris, s’il y a lieu, une mesure de justice restaurative (art. 10-2-
1 °C.pr.pén.).
La mesure de justice restaurative vise à offrir une part active dans la « résolution » des « difficultés »
résultant de l’infraction, en d’autres termes à conduire à la réparation des « préjudices » de toute
nature résultant de sa commission. Ici encore, les termes retenus par le législateur ne sont pas en totale
La Justice restaurative 235

harmonie avec ceux de la Directive de 2012 précitée : « matters arising from the criminal offence » ne
signifie pas « difficultés » mais « questions » soulevées par le crime, lesquelles ne sont pas toutes de
nature à constituer des « préjudices », dont la définition et le régime sont très spécifiques en droit
positif français. Sans aucun doute, il revient au seul juge pénal de trancher sur les conséquences du
crime en termes de détermination de la nature, du quantum et du régime de la sanction, d’une part
et sur le montant de l’indemnisation pécuniaire de l’autre (de la compétence dorénavant du Fonds de
garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions – FGTI - ou de la Commission
d’indemnisation des victimes d’infractions - CIVI). Par contre et fort pertinemment, les participants
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(personnes infracteurs et victimes principalement) sont dorénavant susceptibles de négocier (dans le
pré-sentenciel) ou d’envisager (dans le post-sentenciel) la diversité et les caractéristiques des réper-
cussions du crime (d’ordre personnel, familial, scolaire, professionnel, culturel, relationnel et social
notamment), sans lien direct – juridiquement - avec le fait infractionnel. Partant, la présence de
professionnel(le)s apparaît inévitable, autant pour éviter toute forme de victimisation secondaire ou
répétée, d’intimidation ou de représailles à l’égard des intéressés, d’instrumentalisation des mesures
de justice restaurative, que de dérives dans l’appréciation des « préjudices » et des modalités de leur
« réparation » .
La Circulaire du 15 mars 2017 pour la mise en œuvre de la justice restaurative est venue éclairer
pertinemment les dispositions de l’article 10-1 du Cpp. Elle reprend nombre des préconisations que
l’Institut français pour la justice restaurative a co-construites avec les acteurs de terrain prenant
en compte les personnes infracteurs et les personnes victimes. Le contrôle de légalité de l’autorité
judiciaire est légitimement affirmé. La circulaire souligne surtout que les mesures de justice restaurative
ne sont pas des actes de procédure, car elles ne portent que sur les seules répercussions du crime.
Le traitement des conséquences (sanction et indemnisation) doivent en effet demeurer de la seule
compétence des juges.
!

Les garanties légales

Impliquant en première intention la victime et l’infracteur (et, selon les mesures, leurs proches ainsi
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

que des membres volontaires de leur-s- communauté-s- d’appartenance), les mesures de Justice
restaurative se démarquent positivement de la tendance qui affecte, de manière durable et regrettable,
les conditions du recours à la médiation pénale, n’exigeant plus que le seul accord de la victime.
Dans le même sens restrictif, la Directive du 25 octobre 2012 n’envisage le recours à une mesure
restaurative, très paradoxalement en cette matière, que dans le seul intérêt des victimes (art. 12-a).
Dorénavant, les personnes qui ont choisi, au cours des entretiens préparatoires avec le professionnel
dédié, de s’investir dans une rencontre restaurative en sont les acteurs primordiaux : lors de la
définition des modalités pratiques de la rencontre, lors de l’évaluation des ressentis et des attentes de
chacun, du contenu et des caractéristiques des échanges, lors de la négociation éventuelle sur la nature
et les modalités pratiques de réalisation de leurs engagements réciproques et lors de l’élaboration du
suivi éventuel des engagements de chacun.
Parce que les participants sont considérés comme compétents pour réguler leurs propres affaires, en
présence et avec l’accompagnement des professionnel(le)s formé(e)s (au sens large), les mesures
236 C ADRES THÉRAPEUTIQUES ET THÉRAPIES SPÉCIALISÉES

restauratives apportent, au sein du procès pénal, un espace sécurisé de parole, de dialogue. Identifier
et exprimer les souffrances subies par chacun, favoriser la compréhension mutuelle de ce qui s’est
passé (pourquoi ?) et rechercher ensemble des solutions disponibles pour y remédier (comment ?)
conduit bien plus effectivement à la restauration la plus complète possible des personnes.
Mais pour que l’Œuvre de justice s’accomplisse dans le respect des droits humains et des principes
de droit criminel, l’article 10-1 C.pr.pén. impose une série de garanties conditionnant le recours à
une mesure de Justice restaurative. L’exigence de la reconnaissance des faits par tous est formelle.
Elle ne doit toutefois pas être assimilée à un aveu ou à une auto-incrimination mais à une absence
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de dénégation. La généralisation de la césure du procès pénal, conduisant au prononcé rapide d’une
décision sur la culpabilité de la personne poursuivie, réclamée de longue date par les pénalistes,
aurait permis de lever toutes les résistances relatives au respect de la présomption d’innocence dès
le stade de l’instruction. Logiquement, une information complète sur la mesure envisagée doit être
donnée aux participants éventuels : déroulement du processus et garanties dont ils disposent ; suites
envisageables ; bienfaits susceptibles d’en être retirés et limites de leur participation. Le consentement
exprès des participants à la mesure restaurative choisie, essentielle à son bon déroulement, est le
gage de leur participation active. Constant tout au long du déroulement de la mesure, il est révocable
à tout moment. Ce qui n’exclut en rien les effets réparateurs du processus en lui-même, nonobstant
l’objectif initial de la rencontre. Lorsque les personnes informées souhaitent participer à une mesure
de justice restaurative, elles sont orientées vers les animateurs du programme, selon un protocole
précis (V. Guide de l’orientation vers une mesure de justice restaurative, pub. IFJR).
Le respect de telles conditions, non négociables, exige que leur recueil soit effectué par un tiers
indépendant formé à cet effet. Une telle formation ne s’improvise pas. Pour devoir posséder de
solides connaissances disciplinaires propres, professionnel(le)s et bénévoles de rencontres restau-
ratives devront encore compléter leur formation de base par l’acquisition de connaissances sur la
spécificité des protocoles de mise en place et de suivi des mesures restauratives. Les membres
bénévoles de la communauté devront également suivre une formation spécifique à leur rôle dans les
dispositifs restauratifs requérant leur présence. L’animateur de la rencontre, en charge également de la
préparation des participants, est le garant de son cadre et de son déroulement équitable, dignes et res-
pectueux de chacun. Son indépendance se manifeste vis-à-vis des participants : formation spécifique,
neutralité bienveillante, absence de relation de quelque sorte, libre de toute sujétion, pas d’influence
de la part du milieu professionnel d’appartenance. Elle provient encore de la gratuité de la mesure. Il
demeure tout autant indépendant de l’institution judiciaire ou des administrations mandantes. Il n’est
pas vain de noter que l’original de la Directive, rédigé en anglais, a fortement influencé le législateur
français. Curieusement l’ » impartial third party » est devenu « tiers indépendant », causant par là des
interprétations très restrictives quant à la possibilité, notamment, pour un personnel pénitentiaire ou
de l’Aide aux victimes d’embrasser un tel rôle. Or l’impartialité signifie généralement l’objectivité de
son animation, le souci d’équité et de justice, l’absence de parti-pris (quoiqu’en matière criminelle,
les souffrances des participants devraient sans doute conduire à une posture de co-partialité). L’in-
dépendance tend à souligner que l’animateur des rencontres restauratives (au sens large) n’est pas
tributaire des participants au plan matériel ou moral, ne se laisse pas influencer par ses appartenances
La Justice restaurative 237

politiques, religieuses ou par toutes sortes de pressions extérieures. Finalement, le « tiers justice »
doit à la fois être impartial et indépendant, ce qui clôt tout débat suranné de doctrine.
Le contrôle de l’autorité judiciaire ou, à la demande de celle-ci, de l’Administration pénitentiaire
consiste en la vérification du respect des principes généraux du droit criminel, des droits et intérêts
des participants tout au long du processus restauratif : atteintes au déroulement formel du processus ;
manquements à la déontologie de la part de l’animateur faisant grief à un participant ; homologation
– voire intégration dans la décision au fond – du protocole d’accord ; contenu de l’accord éventuel,
principalement. Un tel contrôle se heurte cependant au respect du principe de confidentialité, ne
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supportant aucune autre restriction, sauf « accord contraire des parties et excepté les cas où un
intérêt supérieur lié à la nécessité de prévenir ou de réprimer des infractions » commises, dont la
commission est en cours ou sur le point de l’être et présentant un danger pour les personnes. Le
procureur de la République en est le seul destinataire. Il s’applique à tous : médiateurs, coordonnateurs,
animateurs, membres de la communauté, participants. Il a pour corollaire l’interdiction de s’appuyer sur
la participation à une rencontre restaurative, y compris en cas d’échec, dans le cadre d’une procédure
pénale subséquente.
Ainsi, l’évolution amorcée par la Loi du 15 août 2014 manifeste une réelle convergence entre les
objectifs de la Justice pénale et ceux de la Justice restaurative. En ce sens, la peine a dorénavant pour
fonction « de sanctionner l’auteur de l’infraction ; de favoriser « son amendement, son insertion ou sa
réinsertion », « afin d’assurer la protection de la société, [de] prévenir la commission de nouvelles
infractions et restaurer l’équilibre social, dans le respect des intérêts de la victime » (art. 130-1
nouveau du C. pén.). Il s’agit bien là des fonctions assignées aux diverses rencontres restauratives :
responsabilisation de tous en vue de leur réintégration dans l’espace social ; réparation globale de
chacun des protagonistes, de leurs proches et/ou de leurs communautés d’appartenance ; diminution
significative de la récidive, rétablissement de la sécurité et de la tranquillité publique de nature à
conduire à la consolidation de la paix sociale.
Dans la mesure où aucune mesure de Justice restaurative n’est visée en particulier, toutes sont donc
éligibles, à l’appréciation raisonnée des praticiens formés pour déterminer, avec les participants
eux-mêmes, la plus adaptée à la situation donnée : médiation pénale, médiation restaurative (après
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poursuites), réparation pénale à l’égard des mineurs, conférences restauratives, cercles restauratifs
(lorsque l’action publique ne peut être introduite ou perdurer), rencontres détenus (ou condamnés)
– victimes, cercles de soutien et de responsabilité (dédiés spécifiquement aux auteurs de violences
sexuelles), cercles d’accompagnement et de ressources. La demande à se voir proposer une mesure de
justice restaurative est à l’initiative de tous : acteurs de la chaîne pénale, protagonistes, proches (V.
art. 5-2-a de la circulaire du 15 mars 2017). Le travail en partenariat devient alors princeps pour mener
à terme une telle approche holistique des réponses à apporter au crime. La Justice restaurative est bien
en marche dans notre pays. Offrons-lui l’épanouissement qu’elle promet en privilégiant l’optimisme de
l’action au pessimisme de l’intelligence. Par une rationalisation des coûts budgétaires, offrons-nous
parallèlement les moyens de mesurer – scientifiquement – son effectivité et son efficacité, car le
temps de la complémentarité pénale et restaurative est bien arrivé en France.
238 C ADRES THÉRAPEUTIQUES ET THÉRAPIES SPÉCIALISÉES
!

3. Les réalisations concrètes sur le territoire national

Avant même l’adoption de la loi du 15 août 2014, pour pallier les insuffisances – en nature et en
diversité – des mesures de médiation pénale et de réparation à l’égard des mineurs, de belles expéri-
mentations se sont développées dans notre pays, formellement organisées par des professionnels du
travail social (au sens large). La première expérimentation a eu lieu en 2010 à Poissy, dans le cadre
d’une Session de Rencontres détenus-victimes (RDV), associant l’Institut national d’aide aux victimes
et de médiation (INAVEM), la Maison centrale de Poissy, le Service pénitentiaire d’insertion et de
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probation (SPIP) des Yvelines, l’École nationale d’administration pénitentiaire (ENAP) et quelques
personnalités qui allaient créer quelques années plus tard l’Institut français pour la justice restaurative
(IFJR). La Session de six rencontres a concerné trois victimes et trois détenus, ne se connaissant
nullement mais réunis en tenant compte de la similitude des actes commis par les uns et ceux subis
par les autres. La seconde expérimentation s’est inscrite dans le cadre de cercles de soutien et de
responsabilité, mis en place par le SPIP des Yvelines début 2014. Des médiations restauratives sont
actuellement en cours sur le ressort de plusieurs départements. Depuis cette date, la mise en œuvre
de programmes restauratif se développe très rapidement au bénéfice des infracteurs majeurs. Il est
plus que probable que les services de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), ayant aujourd’hui
en charge les mineurs en situation de délinquance, rejoignent ce mouvement restauratif d’ampleur.
!

L’Institut Français pour la justice restaurative

Depuis sa création au printemps 2013, l’Institut Français pour la Justice Restaurative, fort d’un
réseau partenarial riche et conséquent au niveau national et international (que reflète son conseil
d’administration, justicerestaurative.org) et de l’investissement massif de ses membres (professionnels
du champ criminel ou social, pour la plupart bénévoles), impulse le développement de la justice
restaurative. Lieu de partage de connaissances scientifiques, praxéologiques et pratiques, il ambitionne
d’offrir à toutes celles et ceux qui souhaitent s’investir dans cette prometteuse voie restaurative un
ensemble d’outils destinés à guider leurs actions en sachant, de manière très pragmatique, comment les
mettre en œuvre. Les risques de revictimisation des participants, réels, supposent un professionnalisme
abouti des intervenants(e)s (aux plans éthiques et déontologique) : l’amateurisme, l’improvisation
et la précipitation ne sont pas de mise en cette matière qui, convient-il de le rappeler, repose sur des
protocoles stricts, sans aucune ambition thérapeutique ou prosélyte quelconque.
En ce sens, de nombreux séminaires de sensibilisation sont organisés en métropole et dans les
territoires ultramarins auprès de multiples institutions : pénitentiaires, aide aux victimes, visiteurs de
prisons, aumôneries, municipalités, notamment. De nombreuses formations aux principales mesures
restauratives sont mises en place, en convention avec l’Inavem (inavem.org) et l’École Nationale
d’Administration Pénitentiaire (enap.justice.fr). Au 30 novembre 2017, près de 1 400 professionnels
ont été formés, 309 d’entre eux ayant obtenu le certificat d’animateur en rencontres restauratives.
L’Institut participe également à la création, l’accompagnement, le suivi et l’évaluation de plusieurs
Services régionaux de justice restaurative (SRJR « Ile de France », SRJR « Pyrénées », « Corse »,
« La Martinique » notamment), d’autres devraient prochainement voir le jour. Il met en place des
La Justice restaurative 239

évaluations des mesures entreprises, conditions sine qua non de leur dissémination comme bonnes
pratiques... ou non. Grâce au soutien du Ministère de la Justice (Service de l’accès au Droit et à la
Justice et de l’aide aux victimes, SADJAV) et de généreux donateurs, des documents de communication
(films) ont été réalisés ou sont en cours (affiches, dépliants, guides, cahiers des charges, notamment)
à des fins d’information du plus large public en France entière : professionnels de la chaîne pénale,
auteurs et victimes et plus largement citoyens). Une conférence internationale de concertation sur la
justice restaurative, organisée en janvier 2017 à l’UNESCO, a connu un très vif succès.
Pour conclure sommairement, les innovations législatives de 2014, applicables depuis le 1er octobre
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2014, vont, à coup sûr, assurer la généralisation et la pérennisation des mesures que la Justice
restaurative promeut. La circulaire du 15 mars 2017 ne va pas manquer de les rendre effectives.
Elle consolide pertinemment le développement exponentiel des conventions de partenariat avec les
juridictions d’Appel et de Première instance, des formations, des programmes, en France métropolitaine
comme dans les Outre-mer.
Chapitre 24

Quête de sens et reconstruction résiliente


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après les traumatismes

Marie Anaut

L ES PREMIERS TRAVAUX SUR LA RÉSILIENCE (notamment de Garmezy, 1973 ; Werner, 1982 ; Rutter, 1990)
se sont intéressés aux enfants qui vivaient ou survivaient dans des situations d’adversité chro-
nique et qui parvenaient à se développer sans problèmes majeurs. Ces enfants semblaient s’adapter
et déployer des compétences pour contrer les effets négatifs de leurs contextes de vie pathogènes,
marqués par la précarité, les carences psychoaffectives, la maladie mentale d’un parent, des violences
ou des maltraitances. Par la suite, l’approche de la résilience a été utilisée pour comprendre les proces-
sus par lesquels des personnes parviennent à surmonter des chocs traumatiques et à se reconstruire.
Il peut s’agir de personnes confrontées à des évènements extrêmes, parfois hors du commun, tels que
des catastrophes (tremblements de terre, inondations, incendies), des conflits armés, des attentats,
des accidents ou des agressions.
Face à ces situations tragiques, lorsque des personnes parviennent à surmonter les épreuves et à
reprendre le cours de leur vie sans présenter de troubles psychiques ou comportementaux sévères on
considère qu’elles s’inscrivent dans un cheminement résilient. Ainsi, le terme de résilience qualifie
des sujets qui, malgré des épreuves majeures ou une accumulation de stress sévères, parviennent
à retrouver un équilibre psychique et à s’insérer socialement. Pour autant, peut-on considérer la
résilience comme l’expression de la tendance naturelle à l’auto-rétablissement chez les individus ?
Quelles sont les conditions de la mise en place de ce processus ? Enfin, quels sont les apports de
l’approche de la résilience dans le cadre des prises en charges des personnes victimes d’événements
traumatiques ?
Quête de sens et reconstruction résiliente après les traumatismes 241

DE LA DIVERSITÉ DES RÉACTIONS AUX CHOCS TRAUMATIQUES

Depuis quelques décennies, l’approche de la résilience est donc utilisée pour décrire le fonctionnement
des personnes qui se développent sans perturbations majeures, après avoir traversé des épreuves
traumatiques. Mais qu’en est-il des personnes qui ne parviennent pas à entrer dans ce processus ?
Au niveau individuel, les risques liés aux chocs traumatiques sont de développer des troubles psy-
chiques et/ou des troubles de la socialisation. Toutefois, l’observation des réactions des personnes
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confrontées à des situations traumatiques montre la diversité de leurs sensibilités et la singularité de
leurs réponses défensives et adaptatives. En effet, rappelons que la valeur traumatique d’un évènement
l’est avant tout en fonction de l’interprétation que va en faire la personne. L’impact émotionnel
dépendra du pouvoir traumatisant qu’elle lui attribue, selon sa sensibilité, ses caractéristiques, ses
mécanismes de défense, mais aussi en fonction des soutiens dont elle dispose dans son entourage
psycho-affectif. Ainsi, certains individus donnent à voir un mal-être psychique profond et développent
des troubles qui s’installent parfois dans la durée (SSPT). Alors que d’autres vont assez rapidement
reprendre le cours de leur vie sans présenter de troubles psychiques ou comportementaux importants.
Ces derniers semblent se rétablir rapidement et se disent parfois renforcés par les épreuves et les
souffrances qu’ils ont endurées. Face à des situations traumatiques, certains sujets semblent développer
un processus de résilience de manière spontanée ou naturelle, alors que d’autres n’y parviennent pas,
ou bien pas tout de suite, et souvent pas tous seuls, sans aide psychothérapique.
Voyons quels sont les mécanismes qui permettent à des sujets en contextes pathogènes de se protéger
des effets mortifères et quels étayages sous-tendent l’entrée en résilience.
Le processus de résilience peut être analysé selon deux courants théoriques. L’un se situe dans
le sillage des travaux de Michael Rutter et de la psychopathologie développementale. Il aborde la
résilience comme un phénomène contextualisé qui résulte de l’interaction entre les compétences de
l’individu et celles qu’il puise dans son environnement affectif et social. Cette approche correspond à
un modèle multifactoriel et composite de la résilience qui met l’accent sur la multiplicité des facteurs
internes et externes aux sujets. Dans cette perspective, la résilience dépendra, non seulement des
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caractéristiques du sujet (personnalité, mécanismes défensifs, aptitudes cognitives, sociabilité, etc.),


mais aussi de la qualité des soutiens dont il dispose dans son environnement relationnel (familial,
social et culturel).
L’autre courant théorique est davantage en lien avec la psychopathologie d’inspiration psychanalytique
et se centre avant tout sur le sujet et sur ses caractéristiques internes. Il s’intéresse notamment à la
compréhension de la démarche d’élaboration et de rétablissement intrapsychique qui permettra l’entrée
dans une démarche de résilience. Notons toutefois que ces deux approches s’articulent et peuvent
être considérées comme complémentaires. L’exploration des processus psychiques de la résilience chez
un individu se complète par la prise en compte des étayages de son contexte socio-environnemental.
Ainsi, la résilience se définit comme un processus dynamique et évolutif résultant d’un maillage de
ressources propres à l’individu mais aussi socio-environnementales. Dès lors, le processus de résilience
correspond à la mise en jeu de ressources et de compétences internes et externes trouvées/créés par
242 C ADRES THÉRAPEUTIQUES ET THÉRAPIES SPÉCIALISÉES

le sujet, qui lui permettent de se protéger face à des chocs mortifères et de se reconstruire sans
troubles psychiques ou comportementaux sévères (Anaut, 2015).

F ONCTIONNEMENT PSYCHIQUE DE LA RÉSILIENCE


EN SITUATION TRAUMATIQUE
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Du point de vue intrapsychique, le processus de résilience correspond à une démarche qui comprend
deux dimensions :
1. La première phase correspond à la réaction immédiate face au choc traumatique. Il s’agit de se
protéger de l’envahissement de l’angoisse et de résister à la menace de désorganisation psychique.
Face au choc psychologique et à la détresse occasionnée par l’événement traumatique, le sujet va
tenter de se protéger par la mise en jeu de procédures défensives. Il peut notamment recourir à
des mécanismes de défense d’urgence qui visent à préserver son intégrité psychique. Ainsi, il peut
passer par un état de sidération, être désorienté, stupéfié, il peut utiliser le déni ou le clivage.
Mais cet état, qui a pour fonction de protéger de l’effraction psychique, est transitoire chez le sujet
résilient.
2. La deuxième phase du processus se situe dans l’après-coup traumatique et concerne l’élaboration
du trauma et la quête de sens. À cette étape, le sujet va mettre en travail sa représentation du
choc et tenter d’intégrer l’expérience traumatique à sa trajectoire de vie. Il pourra recourir à des
mécanismes de défense plus adaptés à long terme, tels que la sublimation, l’intellectualisation, la
créativité, l’humour. Ce travail de mentalisation et de mise en sens du vécu traumatique permettra
la reconstruction psychique et la reprise d’un nouveau développement qui attestent du processus
de résilience.
Face à des situations de grande adversité (accidents, catastrophes, attentats, agressions...), le sujet
se trouve confronté à l’effroi du réel de la mort. Le danger vital vient faire effraction et menacer son
équilibre psychique. Le risque traumatique soumet les sujets à la nécessité de trouver des modalités
de protection pour résister à la désorganisation psychique et construire les bases d’un nouveau
développement. Différentes procédures salutogènes peuvent être convoquées pour endiguer le danger
psychique et se prémunir des conséquences mortifères des traumatismes. Parmi les mécanismes de
protection et d’élaboration dont disposent les sujets blessés, une place singulière est dévolue à
l’utilisation de l’humour (Anaut, 2014).
Entrer en résilience suppose de surmonter l’éprouvé mortifère et de se rétablir du point de vue
psychique et social. Toutefois, la reconstruction résiliente ne consiste pas à retrouver l’état antérieur
(celui d’avant le trauma), comme si rien ne s’était passé, comme si le trauma n’avait pas eu d’impact.
Cela correspondrait à une vision idéalisée et irréaliste d’individus invulnérables et résistants à tout,
tels des héros, ce qui apparaît bien éloigné de la réalité clinique. Il y a bien un avant le traumatisme
et un après, dans une trajectoire résiliente. Ainsi, après le choc traumatique et la phase d’élaboration
qui suit, le sujet entame une nouvelle trajectoire développementale qui intègre l’expérience adverse
Quête de sens et reconstruction résiliente après les traumatismes 243

comme faisant désormais partie de son histoire. Les parcours de vie des individus résilients se trouvent
en quelque sorte infléchis par les épreuves traversées et surmontées.

L IENS AFFECTIFS ET ATTACHEMENTS DANS LA TRAJECTOIRE RÉSILIENTE

Parmi les étayages internes des sujets dits résilients, l’attachement infantile sécure (ou sécurisé) est
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présenté comme une ressource adaptative importante et étayante. En effet, la théorie de l’attache-
ment (Bowlby, 1969 ; Fonagy, 1994) postule que le sujet qui a connu des expériences relationnelles
sécurisantes avec ses parents (ou principaux donneurs de soin) conservera en lui la mémoire de
cette sécurité, ce qui l’aidera ultérieurement à s’adapter aux aléas de l’existence et à réguler ses
émotions. Dans cette perspective, on considère que, face à des épreuves traumatogènes, la base de
sécurité intériorisée durant l’enfance procure un réservoir de confiance en soi et en les autres qui
favorisera le développement d’un processus résilient. Ainsi, on observe que les bouleversements dus
aux traumatismes sont plus facilement compensés et traités par les individus qui ont été sécurisés
et qui disposent de bonnes capacités de régulation émotionnelle. Alors que ce sera plus difficile pour
des sujets qui se sont construits avec des attachements infantiles insécurisés.
Toutefois, tout ne semble pas joué une fois pour toutes lors de la petite enfance. L’analyse des
trajectoires de vie des personnes montre que les styles d’attachement peuvent évoluer. Les sujets
ont des aptitudes à tisser des liens d’attachement tout au long de leur vie, ce qui rend possible de
trouver des attachements alternatifs qui apportent la sécurité et la stabilité qui faisaient défaut durant
l’enfance (Anaut, 2012). L’insécurité intériorisée au cours de relations inadéquates ou incohérentes
avec le ou les parents peut donner lieu à des réajustements plus tardifs. Au cours de sa vie, un
individu peut rencontrer des personnes bienveillantes et empathiques qui l’aideront à contrer les
effets de l’insécurité primaire. Il peut expérimenter de nouveaux arrimages affectifs qui faciliteront
sa reconstruction résiliente. Ainsi, nous pouvons souligner l’importance des liens d’attachement
sécurisants — d’origine infantile mais aussi ceux qui sont noués plus tardivement — qui forment une
niche affective structurante autour de l’individu en souffrance. Notons aussi que la sécurité intérieure
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peut évoluer de manière naturelle (grâce à de nouveaux liens sécurisants), mais également que cette
sécurité peut résulter d’un cheminement thérapeutique.
Pour déclencher un processus de résilience il est nécessaire de retrouver une certaine sécurité, une
stabilité, de recouvrer l’équilibre psychologique rompu par l’effraction traumatique. Mais ce nouvel
équilibre peut demander du temps et rencontrer des fluctuations au cours de la trajectoire de vie. Il
passera par des étapes qui seront différentes d’un individu à l’autre, non seulement dans leur forme
mais aussi dans leur déroulé et leur temporalité. Le processus de résilience se met en place plus ou
moins rapidement et varie en fonction des caractéristiques personnelles mais aussi du contexte de vie
des sujets, notamment de la qualité des liens affectifs et sociaux dont ils disposent. Ainsi, certaines
personnes semblent différer leur entrée en résilience, ce processus se manifestant parfois tardivement,
lorsque de meilleures conditions (internes et/ou externes) apparaissent.
244 C ADRES THÉRAPEUTIQUES ET THÉRAPIES SPÉCIALISÉES

M ÉCANISME DE SURVIE , SUR - ADAPTATION ET PSEUDO - RÉSILIENCE

Nous pouvons observer des phases de développement transitoires, qui précèdent parfois l’entrée en
résilience. Elles peuvent être envisagées comme des procédures salvatrices visant à mettre à distance la
souffrance intolérable. Elles se traduisent parfois par des comportements considérés comme inadéquats
ou marginaux par la société, comme des addictions (alcool, drogues, médicaments) ou des conduites
auto ou hétéro agressives. Si certains sujets développent des conduites à risque, chez d’autres, ces
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mécanismes de survie prennent la forme d’une hyper-adaptation. Ainsi, certaines personnes semblent
s’adapter et reprendre rapidement le cours de leur vie « comme si rien ne s’était passé » ou presque.
Ce sont des personnes qui foncent, qui vont de l’avant, mais un peu trop précipitamment. Elles
semblent (en apparence) peu marquées par les évènements adverses, mais elles risquent de s’effondrer
psychiquement plus tard. Elles s’activent pour ne pas sombrer. « J’ai voulu vite tourner la page en
reprenant le travail » déclarait une jeune femme qui avait perdu son compagnon lors des attentats
des Terrasses à Paris en 2015. Dans un premier temps, elle s’était empressée de reprendre ses activités
professionnelles avec avidité, mais quelques mois plus tard, elle faisait une tentative de suicide.
Du point de vue du fonctionnement psychique, les sur-adaptations, les suractivités, tout comme les
comportements à risque (addictions etc.) correspondent à des stratégies compensatoires et visent
à mettre à distance la souffrance liée au traumatisme. Elles s’accompagnent souvent de déni, de
clivage ou même de pensée magique. Ces comportements peuvent être considérés comme l’expression
d’une pseudo-résilience. Ils se caractérisent par une tentative de masquage de la souffrance psychique
derrière l’apparente adaptation ou la déviance. Ces mécanismes de survie et d’évitement restreignent
la démarche élaborative pourtant nécessaire au processus de résilience. La pseudo-résilience peut ainsi
passer chez certains sujets par l’hyperactivité et la sur-adaptation ou chez d’autres par le recours à
des comportements marginaux ou à risque. Comparées aux deux phases du fonctionnement psychique
de la résilience (vues plus haut), ces pseudo-résiliences correspondent à une fixation à la première
phase de la trajectoire résiliente, en répondant essentiellement à des stratégies de protection et/ou
de survie.
Lorsqu’elles s’installent dans la durée, ces stratégies défensives, en entravant le processus d’élabo-
ration, empêchent le cheminement vers la résilience. Ainsi, le chemin vers la résilience est parfois
chaotique et peut apparaître comme un parcours semé d’embûches pour bon nombre de sujets victimes
d’événements traumatiques. Des accompagnements de professionnels (psychothérapeutes) peuvent
alors être nécessaires. Toutefois, on observe que certains individus dépassent au bout d’un temps
variable cette phase qui est donc à considérer comme transitoire et apparaît comme un tremplin vers
la résilience. Ils vont alors s’ouvrir à leur rythme à la démarche d’élaboration, souvent en appuis sur
des rencontres étayantes.
Quête de sens et reconstruction résiliente après les traumatismes 245

DE LA RECHERCHE DE SIGNIFICATION ...

Pour cheminer vers la résilience, l’individu a besoin de donner un sens au vécu traumatique, de
situer les évènements et les épreuves traversées, en les intégrant dans sa trajectoire de vie. Pour
attribuer une signification à ce qui lui est arrivé, le sujet doit mettre en articulation des images,
des sentiments et des représentations associées au trauma dans une perspective qui lui permette de
donner de la cohérence aux événements. C’est la mise en jeu du processus de mentalisation mais
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aussi d’historicisation. Il s’agit de conférer un sens à la blessure. Donner un sens signifie pour un
sujet, sinon toujours de trouver des explications à la tragédie, du moins d’attribuer une signification à
l’expérience qui en résulte en l’inscrivant dans son histoire de vie.
Cette démarche réflexive, qui peut s’étayer sur l’accompagnement d’un psychothérapeute, aide le
patient à renouer avec la cohérence de son histoire personnelle et à lutter contre la détresse et la
confusion provoquées par la perte des repères. Bien des personnes déclarent à propos des épreuves
traumatiques : « Cela fait partie de moi ». Certaines vont l’inscrire de manière symbolique dans leur
chair. Ainsi, des personnes « rescapées » lors des attentats de 2015 à Paris, se sont fait faire des
tatouages. La quête de sens peut prendre de multiples chemins.
La quête de sens après une épreuve majeure peut utiliser différents vecteurs impliquant la créativité
et l’imaginaire. Ainsi, la nécessité d’attribuer du sens à la blessure peut passer par la métamorphose
de l’expérience traumatique à travers le récit de vie ou l’écriture. Mais ce travail de symbolisation peut
être médiatisé de diverses façons en fonction de la créativité des sujets. Parmi les supports médiateurs,
on trouve aussi bien l’écriture que la peinture, la sculpture, la musique, le théâtre, l’humour... Le
recours à l’imaginaire et à la symbolisation aide à historiser le traumatisme, à s’emparer de l’événement
traumatique en le transformant et le rendant partageable.
Les psychothérapeutes peuvent guider et encourager cette quête de sens, le sujet blessé ayant besoin
de se trouver en confiance pour développer cette réflexion. Ainsi, l’élaboration sur la souffrance
peut notamment passer par l’activation des potentialités créatrices, le développement de certaines
facultés (récits de vie, humour, création artistique...) qui permettent la transformation psychique
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de la souffrance humaine. Parmi les nombreuses thérapies qui peuvent être envisagées pour étayer
l’élaboration, les psychothérapies à médiation correspondent à des demandes fréquentes après des
traumatismes. Elles sont particulièrement intéressantes et adaptées pour la prise en charge des jeunes
(enfants ou adolescents), mais elles trouvent un public de plus en plus nombreux également chez des
adultes.
Donner du sens à une épreuve va contribuer à développer un sentiment de confiance dans la capacité
d’agir sur les événements. La personne « victime » va pouvoir reprendre une position d’acteur face à
des évènements qui ont été subis. Elle n’est plus en position d’objet soumis aux aléas de l’adversité,
mais (re)trouve une place de sujet actif. Attribuer un sens aux événements traumatiques et les resituer
dans sa trajectoire de vie devient un moyen de retrouver du pouvoir sur la réalité, de reprendre les
rênes. C’est aussi un moyen de réaffirmer son humanité face à des situations qui ont été vécues comme
déshumanisantes, comme c’est le cas en particulier pour les victimes du terrorisme.
246 C ADRES THÉRAPEUTIQUES ET THÉRAPIES SPÉCIALISÉES

V ERS LA QUÊTE DE SENS DE L’ EXISTENCE ...

L’effraction traumatique se traduit par des sentiments de perte d’identité et de sens de la vie. La
trajectoire de vie est donc parfois fondamentalement différente après une épreuve traumatique. Après
un choc traumatique, beaucoup de personnes réinterrogent l’orientation de leur existence. Le chemi-
nement résilient passe par la nécessité de revisiter sa trajectoire de vie et de redéfinir le sens de son
existence, en se donnant un but à atteindre, ce qui contribuera à la restructuration identitaire. En
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se fixant un objectif le sujet se projette dans l’avenir et met en acte une stratégie pour y parvenir
ce qui lui servira d’assise dans sa reconstruction. Le psychiatre Stanislav Tomkiewicz, qui a survécu
à la shoah, a déclaré dans son livre (L’adolescence volée, 1999) : « Je devais survivre, accomplir une
mission, devenir médecin ».
La quête de sens de l’existence, qui passe notamment par des démarches altruistes, peut s’observer
chez de nombreuses personnes qui ont été confrontées à des épreuves extrêmes. Ces mouvements
spontanés rappellent l’approche développée par Victor Frankl (psychiatre rescapé des camps de la mort)
qui soulignait combien trouver un but et donc un sens à sa vie correspond à un besoin fondamental de
l’être humain. Plus encore après des épreuves traumatiques, l’être humain a besoin de (re)trouver du
sens à son existence en se fixant une mission qui lui permette de dépasser l’atrocité des expériences
vécues et de réaffirmer son identité.
Certains sujets s’impliquent dans des actions humanitaires. Des personnes marquées profondément
par la perte traumatique d’un être cher et/ou qui ont été confrontées à la culpabilité du survivant (p.
ex. après un attentat terroriste) vont fonder un groupe d’entre-aide ou participer à des associations
d’aide aux victimes. Ces comportements, bien souvent animés par des sentiments altruistes, obéissent
également au besoin de partager et de transmettre.
Dans le cheminement vers la quête de sens, des personnes de l’entourage peuvent avoir un rôle
de « tuteurs de résilience » en accompagnant la personne dans son parcours de rétablissement.
Elles peuvent se rencontrer dans des domaines très divers. Ce sont parfois des amis, des personnes
de la famille, des relations affectives, les compagnons ou compagnes qui tiennent ce rôle. Mais, il
peut s’agir de bien d’autres personnes, qui seront des professionnels ou non. Ce sont des personnes
qui soutiennent, sans brusquer et sans juger, qui offrent des paroles de réconfort ou simplement une
écoute bienveillante et aident le sujet à reprendre pied dans la société. Ainsi, la démarche individuelle
de reconstruction psychique et sociale du patient peut s’appuyer sur l’aide de personnes empathiques
qui l’écoutent et le soutiennent. Elles constituent un réseau de soutiens externes qui peuvent, dans
certains cas, suppléer les défaillances ou les faiblesses internes du sujet et tutoriser sa résilience.
Notons cependant que le parcours de rétablissement résilient peut nécessiter un accompagnement par
des professionnels qui proposeront des psychothérapies et/ou des dispositifs d’aide spécifiques. Le
recours à des professionnels est notamment nécessaire lorsque l’entourage affectif immédiat (famille,
amis) est également impacté par l’évènement traumatique et ne peut donc pas faire office de tuteur
de résilience naturel.
Quête de sens et reconstruction résiliente après les traumatismes 247

D E L’ OBSERVATION DE LA RÉSILIENCE NATURELLE À SA PROMOTION

Les observations des sujets réputés résilients ont permis d’identifier des modalités de protection
et de reconstruction utilisées spontanément par les sujets en contextes traumatiques. Ces travaux ont
permis de constituer un modèle conceptuel permettant d’analyser les processus de rétablissement
après les traumatismes, centré sur l’identification des ressources et des facteurs de protection (internes
et externes) susceptibles de favoriser la reconstruction psychique et sociale. Les recherches sur ces
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processus de résilience naturels ont servi de base à des interventions cliniques destinées à promouvoir
la résilience chez des sujets qui n’ont pas rencontré les conditions favorables à son émergence. L’étude
des sujets qui arrivent à se rétablir de manière naturelle (sans l’aide de professionnels) a donc permis
d’explorer des pistes d’accompagnement pour aider les personnes qui n’ont pas trouvé le chemin de la
résilience.
L’aptitude à la résilience peut se concevoir comme un potentiel dont disposent tous les individus
(Lemay, 1998 ; Manciaux, 2001 ; Cyrulnik, 2001). Cependant, ce « formidable réservoir de santé »
(selon l’expression de Michel Lemay) sera plus ou moins développé selon les individus et les circons-
tances de leur vie. Ainsi, le potentiel de résilience peut demeurer à l’état latent et ne pas rencontrer un
terrain propice à son développement. Le chemin vers la résilience sera difficile à trouver pour certains
sujets, les conditions (internes et/ou externes) n’étant pas réunies pour permettre son déploiement.
Différentes sources de blocages peuvent entraver le cheminement vers la résilience (sentiments de
culpabilité, de honte). Cependant, des ressources mobilisables sont présentes, parfois à l’état de
braises de résilience (expression de Boris Cyrulnik) qui demandent à être attisées et accompagnées.
Après des épreuves traumatiques, bien des individus auront besoin d’aides extérieures, de soutiens
et/ou de psychothérapies pour devenir résilients.
L’aide et le soutien de professionnels (soignants, psychothérapeutes) sont donc parfois indispensables
pour étayer la démarche de reconstruction. Dès lors, si le processus de résilience ne se met pas
en place spontanément, il est possible de proposer des formes d’accompagnements (socioéducatifs,
thérapeutiques, soignants, groupes de pairs). Il s’agit pour les thérapeutes de co-construire avec les
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patients les modalités d’accompagnement spécifiques en fixant des objectifs thérapeutiques définis
et mutuellement acceptés.
Il existe de nombreux dispositifs d’aide psychologique, qui visent ouvertement ou non à promouvoir
la résilience. Ils peuvent être animés par des professionnels (psychothérapeutes, médecins, soignants,
éducateurs...) mais aussi par des non professionnels. Ce sont parfois des personnes qui ont connu éga-
lement des épreuves traumatiques qui proposent des groupes d’entraide (associations de « victimes » ;
groupes de « survivants » ou de « rescapés » etc.). Ces groupes, fondés sur les échanges entre pairs
et l’implication active des personnes, ont des effets structurants et aident les sujets en souffrance à
rebâtir leur existence. Ces groupes de soutien peuvent compléter une psychothérapie individuelle.
La prise en compte du potentiel de résilience chez un individu ne doit pas laisser croire qu’il suffit
de compter sur ses capacités à rebondir et à sortir des situations adverses. Considérer que tous les
individus peuvent être résilients représente un espoir important dans la prise en charge des victimes
et invite à mettre en place des accompagnements de la résilience. Toutefois, quel que soit le cadre de
248 C ADRES THÉRAPEUTIQUES ET THÉRAPIES SPÉCIALISÉES

la promotion de la résilience, il faut être attentifs à ne pas entrer dans une dynamique « d’injonction
à la résilience ». Ce qui serait contre-productif et risquerait de se heurter à des blocages et surtout de
renforcer les sentiments de culpabilité des patients.
Promouvoir la résilience suppose de respecter les caractéristiques et les besoins des individus et de
les accompagner en tenant compte de la singularité et de la temporalité de chaque sujet. L’objectif
est bien de réunir autour du sujet les conditions qui sont susceptibles de favoriser son processus
de résilience. Mais c’est lui seul qui pourra s’en saisir, s’en emparer pour développer sa trajectoire
résiliente dans toute sa singularité.
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Le processus de résilience est un phénomène complexe qui implique l’interaction de facteurs psy-
choaffectifs, relationnels et sociaux avec les caractéristiques internes du sujet (processus défensifs,
personnalité, ressources cognitives). Accompagner la résilience, passe donc par l’identification et la
mobilisation des ressources internes du patient mais également par l’exploration les modes de soutien
de son entourage affectif, familial et social. Cependant, il s’agira de prendre en compte les ressources
et les forces salutogènes existantes, mais aussi d’identifier les sources de blocage et d’être à l’écoute
de la détresse psychologique du patient.
Conclusion
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D EPUIS QUELQUES DÉCENNIES,l’approche de la résilience a trouvé sa place dans les prises en charges des
personnes confrontées à des situations traumatiques à la suite de circonstances de vies délétères :
maltraitances, catastrophes, accidents, maladies psychiques ou physiques. À l’heure actuelle, les
applications sur les terrains cliniques de l’approche basée sur la résilience se caractérisent par la
prise en compte de la flexibilité dans les modalités adaptatives et défensives et par la pluralité des
processus de protection et de reconstruction des patients.
L’approche de la résilience trouve des articulations avec d’autres approches théorico-cliniques connexes
axées sur les ressources des patients. C’est le cas, notamment de l’éducation thérapeutique du patient
(ETP) qui peut se concevoir comme centrée sur l’alliance thérapeutique avec le patient et la prise en
compte de ses potentialités de reconstruction lors d’une maladie. Nous sommes face à des champs
d’applications cliniques qui convergent vers la prise en compte des compétences des patients comme
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acteurs de leur rétablissement. Il s’agit donc d’accompagner une dynamique qui demeure avant tout
celle du patient, avec ses besoins, ses vulnérabilités et ses ressources, mais aussi avec sa temporalité.
Rappelons enfin qu’il n’y a pas de résilience type ou de parcours de résilience unique ! Dès lors,
dans le cadre des thérapies destinées à des patients victimes d’événements traumatiques, gardons-
nous des injonctions à être résilient. Les aidants (psychothérapeutes, soignants), en proposant des
accompagnements thérapeutiques centrés sur la résilience, doivent avoir le souci de s’inscrire dans une
démarche qui respecte les besoins spécifiques de chaque patient, avec sa singularité et sa temporalité.
La résilience se construit au cours du temps et chaque individu peut façonner sa trajectoire résiliente
à son rythme. Elle correspondra à un tissage singulier entre ses caractéristiques personnelles et celles
de ses soutiens extérieurs.
Bibliographie
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