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Nicolas Gallois
2011/3 n° 51 | pages 7 à 32
ISSN 1293-6146
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-l-economie-politique-2011-3-page-7.htm
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un hétérodoxe rejeté
Léon Walras :
p. 7
L’école française
contre Walras,
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A
La fin du XiXE siècLE, LE débaT économiquE EsT dominé
dans notre pays par ce que l’on appelle l’« école
française ». On la présentera en détail ci-après, mais
contentons-nous pour l’instant de rappeler que les
économistes qui en font partie constituent la référence de l’ana-
lyse économique de l’époque, tant par leurs théories que par
leurs positions institutionnelles. Considéré, avec le Britannique
Stanley Jevons et l’Autrichien Carl Menger, comme l’un des pères
fondateurs de la théorie économique dominante d’aujourd’hui,
Léon Walras est alors considéré comme un hétérodoxe par rap-
port aux canons de la « bonne science économique » de son
époque, tels que définis par l’école française. Il va de ce fait
développer une attitude ambivalente vis-à-vis de ce réseau, cher-
chant à s’intégrer dans cette école dominante en prenant part à
ses activités... tout en faisant tout pour s’attirer ses foudres, en
présentant une approche économique et sociale différente de
l’orthodoxie en vigueur.
Juillet-août-septembre 2011
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Et ils ont tenu leurs places pendant de nombreuses années : p. 9
Joseph Garnier enseigne pendant cinquante ans à l’Ecole supé-
rieure de commerce de paris, Paul Leroy-Beaulieu dirige L’Econo-
miste français pendant quarante-deux ans, Louis Wolowski tient
sa chaire au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam)
pendant trente-sept ans, Gustave de Molinari est rédacteur en
chef du Journal des économistes pendant vingt-huit ans, etc. De
plus, ils bénéficient d’une longévité exceptionnelle ! Gustave de
Molinari vivra quatre-vingt-treize ans, Jean-Gustave Courcelle-
Seneuil, soixante-dix-neuf ans, Paul Leroy-Beaulieu soixante-
treize ans, Léon Say, soixante-dix ans, etc., ce qui leur permet
de régner durablement sur l’analyse économique française. A
l’origine de ce réseau, il y a d’abord Jean-Baptiste Say.
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retrouvent dans des institutions prestigieuses et publient dans p. 11
leurs revues. Mais en ce qui concerne le partage des idées, la
situation est plus délicate car « les membres [de l’école fran-
çaise] étaient en profond désaccord sur la plupart des points
fondamentaux de l’économie politique […]. Ces doctrinaires n’ont
point de doctrine » [Breton, 1986, p. 27] !
S’il existe bien une chose qui les caractérise, c’est qu’ils
ont chacun une approche spécifique de l’analyse économique.
Auguste Walras écrira dans ce sens à son fils : « il n’est que trop
vrai que les économistes [de l’école française] ne sont d’accord
entre eux ni sur l’objet de leurs recherches, ni sur la nature et les
limites des questions qu’ils doivent agiter » [Walras, 2005, p. 628].
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point te hâter de t’affubler d’une couleur politique. Il vaut mieux p. 13
attendre que l’occasion se présente pour soutenir une politique
conforme à tes connaissances et à tes convictions, que de t’ex-
poser à multiplier les concessions, les réticences, et quelquefois
les dissimulations, pour ne pas blesser le parti avec lequel tu te
trouverais engagé » [Walras, 2005, p. 363, oct. 1859].
Les premières références du début du XIXe siècle ne pro- [2] Léon Walras
et Stanley Jevons, dans
posent pourtant pas de faire des mathématiques « la » méthode leur article de 1878 dans
en économie politique. En effet, l’utilisation (simple) des le Journal des économistes
sur les ouvrages
mathématiques ne couvre que le chapitre III de Nicolas-Fran- relatifs à l’application
çois Canard sur la détermination du prix des choses, soit à des mathématiques
en économie, font
peine 10 % de son ouvrage. Mais ces trente pages ont eu le référence à huit auteurs.
don d’agacer et de bloquer pendant presque un siècle le déve-
loppement de cette méthode en France. Il faut attendre une
trentaine d’année pour voir la première utilisation sérieuse des
mathématiques en économie [2], avec la contribution d’Antoine- ›››
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développement, plus particulièrement à partir des années 1880, p. 15
ne seront reconnues qu’à partir de la fin de la Première Guerre
mondiale. Même si un grand nombre d’économistes français
appartiennent à la Société de statistique de Paris (Michel Che-
[3] Ces ouvrages annuels,
valier, Hippolyte Passy, Louis Wolowski, Léon Say, Paul Leroy- dont la publication a été
Beaulieu, Clément Juglar, Emile Levasseur en seront présidents), confiée à Maurice Block
pendant de nombreuses
publient dans le Journal de la Société de statistique de Paris (créé années (1856-1879),
en 1860), travaillent au Bureau de la Statistique générale de la sont divisés en quatre
parties qui donnent
France, éditent tous les ans l’Annuaire de l’économie politique (à respectivement la
substance des documents
partir de 1844), qui devient rapidement (en 1847) l’Annuaire de officiels sur la France,
l’économie politique et de la statistique [3], édité par Guillaumin, les informations de la ville
de Paris, les informations
ils garderont une vision très restreinte de la statistique, voyant en sur les pays, et enfin
elle uniquement un moyen de collecter certaines informations et des discussions
sur des questions
toujours dans un objectif de démontrer les idées de cette école d’économie politique.
de pensée.
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Les institutions d’enseignement p. 17
L’Athénée royal
L’Athénée royal est une institution privée d’enseignement
supérieur fondée en 1781 [4]. L’objectif est d’instaurer une école
pratique des sciences pour encourager les découvertes appli-
cables à la vie matérielle. En 1815, l’Athénée royal devient un
centre de discussion de la politique libérale et se retrouve ainsi,
avec son grand représentant Jean-Baptiste Say, un lieu privilégié [4] Les informations
sur cette institution sont
pour enseigner l’économie politique [5]. minces puisque les archives
ont brûlé, et que les traces
de l’enseignement
Le public, qui appartient à la bourgeoisie libérale aisée et en son sein sont très rares.
Pour des informations
cultivée, vient nombreux à ses leçons où, à travers les détails de la plus détaillées, consulter
vie économique, Say parvient à faire entrer les points de doctrine l’ouvrage de Dejob [1894].
les plus importants. Deux cents à trois cents auditeurs assiste- [5] Sa place dans
ront à chaque séance, avec un public (l’Athénée est un lieu de cette institution lui permet
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Cette école va être l’un des points d’entrée des futurs grands
économistes de l’école française dans le monde de l’enseigne-
ment. Le premier à succéder à Jean-Baptiste Say et son « Cours
d’économie politique » (1816-1817 ; 1818-1820) est Charles
Dunoyer, avec son cours de « Morale et économie politique »
(1824-1826). Il est suivi par Adolphe Blanqui : « Histoire de la
civilisation industrielle des nations européennes et économie
politique » (1827-1829). Le futur enseignant au Conservatoire
des arts et métiers laissera la place à Auguste Walras pour
l’année 1836-1837, avec son cours d’« Economie politique ».
Cette position sera très bénéfique à ce dernier, qui sera reconnu
comme un économiste par les grands représentants de l’école
française. Cette place lui permettra de s’intégrer sans aucune dif-
ficulté dans ce réseau qu’il a fréquenté avec succès. L’expérience
lui permettra également de connaître parfaitement les rouages,
les attentes, les envies de cette école. Il ne deviendra pas for-
cément un économiste de l’école française mais un intellectuel
respecté. En bafouant ouvertement les valeurs de cette école,
Léon détruira le travail initié par son père dès les années 1830.
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Léon Walras a également participé à ces tentatives d’ensei- p. 19
gnement en obtenant une autorisation par le ministère de
l’Instruction publique pour faire des conférences, en 1864,
sur la question des associations ouvrières. Il propose de faire
trois conférences au Cercle des sociétés savantes, en évoquant
la consommation, la production et le crédit [8]. « Il parlera du
principe économique de ces associations, de leur organisation
financière, de leur constitution légale et des associations en
France et à Paris » [Courtois, 1892, p. 24].
Il profite de côtoyer Léon Say pour entamer de nouvelles [8] Ces conférences
ont été imprimées par
conférences au début de l’année 1866 sur le thème des opéra- la maison d’édition
tions de la Caisse d’escompte des Associations populaires [9]. Guillaumin en 1866 et
1868. Elles figurent dans
Léon Walras a donc réussi à participer à ces conférences, qui les Œuvres complètes,
constituent les seules interventions qu’il fera en France. Même vol. VI.
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un mot, il n’avait pas écrit une ligne d’économie politique […]. p. 21
Non seulement il n’a jamais fait un cours suivi d’économie poli-
tique, mais les sujets détachés qu’il abordait étaient en quelque
sorte à côté et en dehors de la science » [Walras, 1987, p. 428].
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Bien que Léon Walras ait vivement critiqué cet aspect, notam-
ment ici en rapport avec l’accession aux chaires d’enseignement,
il ne faut pas oublier que, s’il a pu avoir des contacts avec l’école
française, c’est bien évidemment grâce à son père. Il faut bien
voir surtout que, pour obtenir un poste prestigieux, il ne suffit
pas d’être un membre de la famille : il faut surtout être quelqu’un
qui défend une orthodoxie irréprochable.
L’Université
Dès 1819, le gouvernement libéral prépare un projet de loi pour
créer un cours d’économie (optionnel) à la faculté de droit de Paris.
C’est seulement trente-neuf ans plus tard que le décret paraît, et il
faut attendre encore quatre ans pour que la première chaire offi-
cielle soit créée à Paris. Cette chaire est confiée à Anselme Batbie.
Cet homme, qui s’est davantage passionné pour la politique que
pour l’enseignement, a très vite laissé son poste (et non sa chaire
qu’il gardait) à différents économistes qui avaient pour mission
de continuer son travail. C’est d’abord Gustave Boissonade, puis
Paul Cauwès et Paul Beauregard qui s’en chargent.
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faculté de Lyon en 1875. Six autres chaires sont officialisées p. 23
en 1876. Le décret du 26 mars 1877 rend obligatoires les cours
d’économie politique dans toutes les universités.
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être de fins stratèges dans cette politique de diffusion, car ils ne p. 25
vont pas se contenter d’une revue spécialisée. Ils vont s’orien-
ter également vers la Revue des deux mondes et le Journal des
débats pour cibler une population beaucoup plus large que les
seuls économistes.
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souhaitant publier leurs travaux. Léon Walras, auteur pas tout p. 27
à fait orthodoxe pour l’école française, fera partie de ce dernier
noyau d’intellectuels, plus tolérés que plébiscités.
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La Société d’économie politique p. 29
Les publications permettent aux économistes de l’école française
de se faire reconnaître auprès des intellectuels français au même
titre que les scientifiques ou les hommes de lettres. Mais pour
que le réseau fonctionne convenablement, c’est-à-dire pour
qu’il puisse diffuser massivement son approche tant théorique
que pratique, il faut qu’il soit reconnu de manière officielle. Pour
cela, les économistes vont développer plusieurs stratégies, dont
la mainmise sur des institutions prestigieuses. La première est
une création issue des économistes de l’école française, une
société savante encore vivante actuellement : la Société d’écono-
mie politique (SEP). La seconde est une organisation officielle :
l’Institut de France, et plus particulièrement l’Académie des
sciences morales et politiques et sa section d’économie poli-
tique, dont nous ne traiterons pas ici faute de place.
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aux économistes, pour les distraire (comme les « paradoxes »). p. 31
Il se place à un niveau supérieur. Il souhaite démontrer ce que
jusque-là ces économistes n’ont fait qu’énoncer. En accomplis-
sant cet objectif par l’utilisation des mathématiques et surtout
par la prise en compte du socialisme, il se positionne clairement
comme un hétérodoxe, dont la postérité a fait un maître à penser
d’une pensée économiciste et favorable au pouvoir des marchés.
Ce qui a dû le faire se retourner dans sa tombe : « Il m’a semblé
que vous me considériez comme un partisan de la libre concur-
rence absolue (en raison de ce fait que j’étudie très attentivement
et très minutieusement les effets de la libre concurrence). Quoi
qu’il en soit, je tiens à vous faire savoir que, tout au contraire,
c’est plutôt le désir de repousser les applications mal fondées et
inintelligibles de la libre concurrence faites par des économistes
orthodoxes qui m’a conduit à l’étude de la libre concurrence en
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Bibliographie
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