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LE SOCIALISME DE LÉON WALRAS

Jean-Pierre Potier

Altern. économiques | « L'Économie politique »

2011/3 n° 51 | pages 33 à 49
ISSN 1293-6146
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-l-economie-politique-2011-3-page-33.htm
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L’Economie politique
Trimestriel-juillet 2011

un hétérodoxe rejeté
Léon Walras :
p. 33

Le socialisme
de Léon Walras
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Jean-Pierre Potier,
professeur de sciences économiques
à l’université Lumière-Lyon 2.

 
S
i Léon WaLras sE disTinguE dEs économisTEs français [1] ce texte est
une version raccourcie
de son époque par la méthode, en utilisant l’outil des de « Léon Walras,
mathématiques, il s’oppose également à eux sur le fond [1]. un économiste socialiste
libéral », à paraître in
Loin du libéralisme prôné par ses collègues, il souhaite Jean-Louis fournel, Jacques
proposer une synthèse entre le socialisme et le libéralisme, et guillaumou et Jean-Pierre
Potier (dir.), Liberté(s),
entre l’individualisme et le communisme. Il prétend désigner sa libéralisme(s). Formation
et circulation des concepts,
théorie sous le nom de « socialisme synthétique ou de synthé- Lyon, Ens-Editions, 2011.
tisme » [Walras, 1896a, p. 206]. En 1909, le jour de la cérémonie
[2] sur les caractéristiques
de son « Jubilé cinquantenaire d’économiste » à l’université de du socialisme de Walras,
Lausanne, Walras déclare être finalement parvenu à construire un voir notamment Pierre
dockès [1994 et 1996].
« socialisme scientifique, libéral et humanitaire » [Walras, 1909,
p. 511]. Nous allons donc ici esquisser les contours de ce « socia-
lisme singulier » [2].

Le rachat des terres par l’Etat


Dans ses écrits, Léon Walras rappelle souvent que, sur le plan
théorique et économique, la solution de la « question sociale »
comporte deux problèmes à résoudre. D’une part, il s’agit de
rendre la production de richesse sociale « la plus abondante
possible », et d’autre part, il s’agit de rendre la répartition de
cette richesse sociale entre les hommes « la plus équitable pos- ›››

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p. 34 sible ». Cette démarche soulève le problème de la concordance


(de l’harmonie) entre le principe de l’intérêt ou de l’efficacité
économique et celui de l’équité ou de la justice sociale.

Selon Walras, contrairement à ce pensent les économistes


libéraux, l’homme n’existe que dans le cadre de la société, et
celle-ci existe indépendamment des individus. L’individu et l’Etat
représentent deux « types idéaux » naturels, absolument « équi-
valents », qui ont chacun leurs droits légitimes  [3]. Par ailleurs,
à côté de la démarche scientifique proprement dite, utilisée en
[3] Voir dockès [1996,
économie politique pure, qui consiste à partir de « types réels »
p. 69]. on a d’un côté pour dégager des « types idéaux » qui serviront à la déduction
les personnes individuelles
(individus, familles, des théorèmes, Walras se sert sur le terrain de l’économie
associations de toute sociale d’une « méthode de conciliation ou de synthèse ». Cette
sorte, de droit privé),
et d’un autre côté méthode, qu’il ne faudrait pas confondre avec un éclectisme
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les personnes collectives
(communes, Etats,
superficiel (qui adopte le « sens commun » comme critère),
de droit public). consiste à analyser de manière critique des théories opposées
pour en apprécier à chaque fois les
points forts et les faiblesses, puis à
Pour Walras, sur le plan scientifique, opérer « le rejet des parties fausses
le socialisme a raison contre et la synthèse des parties vraies »
le libéralisme en affirmant l’importance [Walras, 1868, p. 152].
de la question sociale, mais il a tort
en ce qui concerne les solutions Une telle méthode va être
politiques (autoritaires) proposées. appliquée au socialisme et au libé-
ralisme. En 1868, Walras affirme
ainsi : « Nous concilierons le socia-
lisme avec le libéralisme en introduisant la distinction entre la
science et la politique. Nous montrerons qu’en fait de science
c’est le socialisme qui a raison, qu’en fait de politique c’est le
libéralisme » [Walras, 1868, p. 154]. La science est le « monde
des idées et de l’idéal », tandis que la politique ou la pratique
est le « monde des faits et de la réalité », de l’imperfection [Cours
d’économie sociale, in Walras, 1996, p. 165 et 167]. La science doit
donc déterminer la société rationnelle, l’ « idéal social » [Walras,
1867-1868]. Selon notre auteur, sur le plan scientifique, le socia-
lisme a raison contre le libéralisme en affirmant l’importance de
la question sociale et en tentant de trouver des solutions ; mais
il a tort en ce qui concerne les solutions politiques (autoritaires)
proposées. Sur le plan politique, le libéralisme a raison contre
le socialisme en défendant la liberté contre les solutions autori-
taires ; mais il a tort sur le plan scientifique en niant l’existence
ou en sous-estimant l’importance de la question sociale.

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Walras poursuit son argumentation en ajoutant : « nous p. 35
concilierons aussi le communisme et l’individualisme en
introduisant la distinction entre les conditions et les positions
sociales » [Walras, 1868, p. 154]. Chaque homme possède sa
propre richesse naturelle, c’est-à-dire ses facultés personnelles
(son capital humain), et pour respecter l’« inégalité des posi-
tions », c’est-à-dire l’inégalité des situations personnelles, les
facultés personnelles, le service du travail qui en découle et les
salaires appartiennent de droit naturel à l’individu. En revanche,
les hommes doivent posséder en commun, par l’intermédiaire
de l’Etat, ce que la nature a donné à tous, les ressources natu-
relles. Pour respecter l’« égalité des conditions », c’est-à-dire
l’égalité des chances entre les individus, les terres, le service
de la « rente » qui en découle et les fermages appartiennent de
droit naturel à l’humanité. Tous les individus doivent profiter
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également des ressources offertes par ce capital naturel. En effet,
« Les terres n’appartiennent pas à tous les hommes d’une géné-
ration ; elles appartiennent à l’humanité, c’est-à-dire à toutes
les générations d’hommes […]. En termes juridiques, l’humanité
est propriétaire, et la génération présente est usufruitière des
terres » [Walras, 1896a, p. 189], et le représentant légitime de
l’humanité ne peut être que l’Etat.

D’après Walras, « Si la société était un fait conventionnel et


libre, les individus contractant pour l’établir pourraient décider
un partage égal des terres entre eux » [Walras, 1896a, p. 189].
Or, l’idée d’un contrat social (de Hobbes à Rousseau) est pour
lui absurde. Bien au contraire, la société est un « fait naturel », et
donc le système de la propriété privée du sol, aussi bien agricole
qu’urbain, constitue une violation permanente du droit naturel.
En d’autres termes, « laisser les terres aux mains des proprié-
taires, c’est perpétuer au sein de la société l’enrichissement
indéfini d’une classe parasite ; les remettre aux mains de l’Etat,
c’est faire bénéficier la communauté des résultats du progrès
social » [Walras, 1896b, p. 411].

A la suite de son père, Léon Walras se rallie à l’option de la [4] L’expression apparaît
sous la plume de Léon
« nationalisation du sol » [4]. Mais comment envisage-t-il concrè- Walras [voir par exemple,
tement l’attribution des terres à l’Etat ? En 1879, en s’inspirant de Walras 1896b, p. 407 ;
1898, p. 422].
la théorie d’Hermann Heinrich Gossen, il construit une « théorie
mathématique du prix des terres et de leur rachat par l’Etat ».
Il n’est pas question selon lui d’exproprier brutalement les
propriétaires, et il ne peut donc souscrire à la première revendi- ›››

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p. 36 cation du Manifeste du Parti communiste : « Expropriation de la


propriété foncière et affectation de la rente foncière aux dépenses
de l’Etat » [Marx et Engels, 1848, p. 87]. L’Etat doit racheter pro-
gressivement et systématiquement les terres au prix du marché,
en commençant par les terrains agricoles et urbains les plus ren-
tables. Mais ne pouvant pas payer cash, il devra émettre des obli-
gations rapportant intérêt. Il va donc emprunter massivement, et
les propriétaires seront indemnisés au moyen de ces obligations
émises au taux d’intérêt courant. L’Etat devient alors le proprié-
taire foncier collectif. Que va-t-il faire de ses terres ? Il ne va pas
les gérer lui-même, en créant des sortes de « sovkhozes », mais il
va louer par des baux à long terme (quinze, vingt ans ou plus) les
terrains agricoles et urbains, ce qui revient à vendre les services
fonciers (« service de la rente ») qui en découlent contre des
fermages agricoles et des loyers urbains [5].
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Pour le développement de l’agriculture française, Walras voit
un avantage considérable dans ce système. En effet, en France,
la petite exploitation, avec la confusion dans la même personne
entre le propriétaire foncier et l’entrepreneur de culture, pré-
domine au XIXe siècle [6]. Grâce au rachat des terres, la culture
extensive ferait place à la culture intensive, utilisant le progrès
technique sur de vastes exploitations, d’où la convergence des
règles d’efficacité économique avec les principes de justice
sociale.

Durant un certain nombre d’années, les fermages agricoles


et les loyers urbains ne suffiraient pas au versement des intérêts
des obligations, et la dette de l’Etat s’accroîtrait. Pour répondre
[5] une partie à l’objection, Walras se réfère à la situation nouvelle de l’agri-
des terres doit être louée
à des « consommateurs » culture avec le passage de l’humanité au stade du « régime
(construction
d’habitations, jardins…)
industriel et commercial » : « l’agriculture doit s’y effectuer sur le
en ville ou à la campagne. pied d’un très large emploi de capital afin de nourrir une popu-
La plus grande partie
des terres, cependant, lation beaucoup plus nombreuse. Je crois que cette évolution,
doit être louée qui aura pour résultat une plus-value nouvelle de la rente, sans
à de grands entrepreneurs
dans l’agriculture augmentation dans la rareté ni dans la valeur des produits agri-
(fermiers), mais aussi coles […], n’a pu être encore escomptée par les propriétaires. Je
à des entrepreneurs
des villes dans l’industrie crois donc que si l’Etat rachetait les terres avant l’évolution dont
et le commerce.
il s’agit […], il trouverait amplement dans la plus-value nouvelle
[6] Léon Walras déplore le moyen d’amortir le prix d’achat » [Walras, 1885, p. 325]. L’Etat
que la vente des biens
nationaux sous la révolution se trouverait donc dans la situation d’un spéculateur pariant sur
ait été une occasion
manquée pour faire revenir
la hausse du prix des terres. Dans le même temps, avec l’abon-
les terres à l’Etat. dance de capital, le taux de l’intérêt devrait diminuer au cours

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du temps. Donc, grâce à la hausse des fermages et des loyers p. 37
urbains et grâce à la baisse du taux d’intérêt, l’amortissement de
la dette publique deviendrait effectif. En fait, Walras ne s’aper-
çoit pas que la marche des économies occidentales au cours du
XIXe siècle a démenti complètement ses prévisions ; les prix des
terres agricoles et les fermages déclinent, en particulier durant
la Grande Dépression (1873-1895).

Cependant, Walras pense que lorsque le grand emprunt sera


remboursé, le seul montant des fermages permettrait à l’Etat de
financer tout à la fois les dépenses courantes et d’investisse-
ment. L’Etat disposerait alors de son revenu propre, et il devien-
drait possible de supprimer tous les impôts sur les revenus et
sur le capital. A ce stade, « L’intérêt social et la justice sociale
seraient absolument satisfaits, l’idéal social serait réalisé »
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[Walras, 1881, p. 305].

En effet, d’après Walras, l’impôt est un phénomène anormal


et injuste. Le travailleur vivant exclusivement de son travail subit
l’impôt sur le salaire et se trouve
empêché d’épargner, donc de deve-
nir partiellement capitaliste ; il est L’Etat doit racheter
réduit à l’état de prolétaire, ce qui progressivement et systématiquement
équivaut presque à celui de serf ou les terres au prix du marché,
d’esclave. Au nom du droit naturel, en commençant par les terrains
Walras repousse tout particulière- agricoles et urbains les plus rentables.
ment l’impôt sur les revenus, pro-
portionnel ou progressif. Le seul
impôt qui trouve grâce à ses yeux est celui sur les fermages, qu’il
défendait d’ailleurs dans sa jeunesse, dans une communication
au congrès de l’impôt à Lausanne [Walras, 1860] et dans sa Théo-
rie critique de l’impôt [1861]. Pourquoi ? Parce que le principe
de l’impôt foncier peut être interprété comme une co-propriété
de l’Etat sur les terres. Tant que le rachat des terres ne peut être
réalisé, Walras accepte l’impôt foncier, l’Etat partageant avec les
propriétaires fonciers la plus-value des fermages [Walras, 1873,
p. 378-387 ; 1896b, p. 413 ; 1898, p. 424-425].

Le « plan » de Léon Walras fera l’objet de critiques par plu-


sieurs économistes. Charles Gide, théoricien de la coopération,
s’est exprimé à plusieurs reprises à ce sujet. En 1883, il estime
que l’Etat ne pourra jamais équilibrer les recettes des fermages
et les charges d’intérêts à venir, et qu’il devra emprunter à ›››

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p. 38 nouveau ou lever de nouveaux impôts. De plus, suite aux aléas


climatiques, des réductions des fermages seront réclamées à
l’Etat et les gouvernements démocratiques devront s’incliner.
Gide ne recommande pas de tenter l’expérience en France, où
l’on trouve une « armée de paysans propriétaires », mais suggère
plutôt de la tenter en Angleterre et dans les pays neufs et les
colonies [Gide, 1883, p. 192-196]. En 1897, il ajoute de nouveaux
arguments : le rachat des terres par l’Etat ne peut résoudre la
question sociale (les capitalistes ne sont pas concernés) et
la suppression des impôts a le double inconvénient de priver
l’Etat de ressources suffisantes et de briser la solidarité entre les
individus liée au paiement des impôts [Gide, 1897, p. 301-307].

De son côté, dans Les Systèmes socialistes (1902-1903), l’éco-


nomiste ultralibéral Vilfredo Pareto, à travers une critique des
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théories de la nationalisation des
terres, vise implicitement Walras.
« Je tiens à vous faire savoir Selon lui, rien ne permet d’affirmer
que c’est le désir de repousser que le prix des terres serait durable-
les applications mal fondées ment orienté à la hausse. Et, dans
et inintelligibles de la libre concurrence l’hypothèse où l’Etat parviendrait
faites par des économistes orthodoxes à devenir propriétaire des terres,
qui m’a conduit à l’étude il devra affronter les pressions de
de la libre concurrence en matière l’ensemble des locataires : « On
d’échange et de production. » ne conçoit guère comment un gou-
vernement reposant sur le suffrage
universel pourra résister au vote de
tous les cultivateurs et de tous les locataires de maisons deman-
dant une réduction de loyer » [Pareto, 1903, p. 311]. On retrouve
ainsi une objection de Gide. Par ailleurs, la suppression des
impôts est un projet utopique, car les besoins de l’Etat « sont
infinis, plus on en satisfait, plus il y en a à satisfaire » [ibid.].

Le principe de la libre concurrence et ses exceptions


Dans les Eléments d’économie politique pure, la théorie de
l’équilibre économique général débute par l’échange pur et
se complexifie avec la prise en compte de la production des
marchandises. Walras y expose un « régime hypothétique de
libre concurrence absolue », le marché étant envisagé comme
un « type idéal » sans frottements, comme en mécanique pure.
Mais Walras craint que les lecteurs de ce livre ne le prennent pour
un partisan inconditionnel du « laissez faire, laissez passer ». En
1883, il met en garde Wilhelm Lexis à ce sujet : « il m’a semblé

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Léon Walras :
que vous me considériez comme un partisan de la libre concur- p. 39
rence absolue (en raison de ce fait que j’étudie très attentivement
et très minutieusement les effets de la libre concurrence). Quoi
qu’il en soit, je tiens à vous faire savoir que, tout au contraire,
c’est plutôt le désir de repousser les applications mal fondées et
inintelligibles de la libre concurrence faites par des économistes
orthodoxes qui m’a conduit à l’étude de la libre concurrence en
matière d’échange et de production » [lettre à W. Lexis, 17 mars
1883, in Jaffé, 1965, vol. I, l. 548, p. 746].

Quand Walras se penche sur le « principe » de la libre concur-


rence, il se situe sur le terrain de l’« économie politique appli-
quée », définie comme la « théorie de la production économique
de la richesse sociale ». Selon lui, la libre concurrence repré-
sente, dans certaines limites, un « mécanisme automoteur et
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autorégulateur de production de la richesse sociale » [Walras,
1886, préface, p. 60], mais tout comme pour le soleil, il faut
favoriser les effets bénéfiques en se préservant de ses effets
nuisibles. Walras explique ici : « Laisser faire ne doit pas signifier
ne rien faire, mais laisser agir la libre concurrence. Là donc où la
libre concurrence ne peut agir, il y a lieu, pour l’Etat, d’intervenir
afin d’y suppléer ; et là où la libre concurrence peut agir, il y a
lieu, pour l’Etat, à intervenir afin de l’organiser, d’assurer les
conditions et le milieu de son fonctionnement » [Walras, 1880,
p. 388]  [7]. La libre concurrence, « organisée » par l’Etat devrait
sans doute empêcher les entreprises d’atteindre une trop grosse
taille et la formation de monopoles « artificiels ».

Selon Walras, le principe de la libre concurrence doit norma- [7] Les soulignés sont
de Léon Walras.
lement régir la production de la plupart des « services et produits
d’intérêt privé », l’Etat étant investi ici d’une mission complexe [8] compte tenu
de ses objectifs propres,
de législation, de réglementation. Par exemple, concernant le l’Etat a donc pour mission
marché du travail, Walras est favorable à l’existence de syndi- légitime de fixer la durée
maximale du travail
cats, à l’existence d’une législation du travail, car le « laissez pour les travailleurs
adultes. Walras, qui n’est
faire » conduit à un allongement sans aucune limite de la durée pas hostile à la journée
journalière du travail  [8]. Une « entente internationale » entre de huit heures, pense
que l’Etat doit aussi limiter
plusieurs pays permettrait sans doute de résoudre plusieurs la durée du travail
questions de réglementation du travail (éviter le dumping social). des femmes et des enfants
dans les usines.
Walras pense aussi que la libre concurrence s’accompagne
logiquement du libre-échange, mais il n’est pas applicable
immédiatement et intégralement à des pays comme la France ;
en effet, il ne faut pas se focaliser uniquement sur les produits
industriels et il faut songer aux produits agricoles exportables. ›››

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Léon Walras :

p. 40 Notre auteur critique ici le dogmatisme des économistes libéraux


qui souhaitent l’instauration immédiate du libre-échange. Mais,
comme l’avait vu l’Ecole de Manchester, libre-échange et paix
universelle sont très liés. En 1895, dans la « Théorie du libre
échange », Walras fait du rachat des terres par l’Etat et de la
suppression des impôts la condition préalable du libre-échange
absolu, intégral et, par conséquent, de l’instauration de la paix
universelle [Walras, 1897a, p. 274-275 et 278-279 ; voir aussi
1909, p. 510-511].

Mais là où la libre concurrence ne peut agir, il y a lieu, pour


l’Etat, à intervenir afin d’y suppléer : c’est la question des
« exceptions ».

Les « exceptions à la libre concurrence »


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Tout d’abord, rappelons que, pour Walras, l’Etat doit fournir
gratuitement les services publics, au sens ancien du mot : les
fonctions régaliennes, telles que l’administration, la justice, la
police, la défense nationale, l’instruction publique (secondaire
et supérieure), mais aussi la construction des travaux d’infras-
tructure et des principales voies de communication. Les activités
mentionnées ici correspondent à des « monopoles moraux », car
ils sont fondés sur le droit naturel. Pourquoi ?

D’abord, parce que les services publics correspondent à la


satisfaction de besoins collectifs identiques et égaux pour tous
les individus. Ils relèvent donc de l’Etat, qui doit préparer le
milieu d’accomplissement des destinées humaines en établis-
sant les « conditions sociales générales ». Ensuite, parce que
l’utilité des services publics ne peut pas être correctement per-
çue « dans toute son étendue » par les individus. Enfin, il existe
aussi des biens et des services dont l’utilité sociale dépasse les
utilités ressenties par les individus (allusion aux externalités).

En second lieu, l’Etat doit intervenir en ce qui concerne les


monopoles naturels et les chemins de fer. A partir du milieu
des années 1880, Walras en fait une véritable question sociale
à résoudre. L’intervention de l’Etat se justifie ici au nom de
l’efficacité économique, de l’« intérêt social ». Concernant les
monopoles naturels privés, Walras se réfère en particulier à
l’exploitation des carrières, des mines, des sources d’eau miné-
rale, du gaz. Ces activités se caractérisent par l’existence de
coûts fixes élevés et par la présence de rendements d’échelle

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croissants. Une ville ne peut pas autoriser plusieurs entreprises p. 41
à enfouir leurs tuyaux d’eau. S’il existe plusieurs entreprises, la
concurrence acharnée entre elles va conduire à leur disparition
progressive et un monopole privé finira par s’imposer. Le mono-
poleur pratique alors un prix de vente supérieur au prix de revient
en services producteurs (réalisant un « bénéfice maximum » au
détriment des consommateurs) et se livre à des discriminations
tarifaires.

L’Etat doit intervenir aussi dans des activités relevant à la


fois des services publics et des monopoles naturels : il s’agit des
chemins de fer. Ce transport offre tout d’abord un service privé
(transport de voyageurs et de marchandises). Il offre également
un service public avec la défense nationale et la police, mais
aussi avec le transport des participants aux congrès scienti-
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fiques et aux expositions industrielles ou artistiques (voyageurs
« dans l’intérêt de la société »), ainsi
que la diffusion de la presse sur
l’ensemble du territoire national. Pour Walras, l’Etat doit fournir
Walras est l’un des premiers éco- gratuitement les services publics
nomistes à s’intéresser, sur le plan tels que l’administration,
théorique, à la distinction entre le la justice, la police, la défense
réseau ferré (infrastructure) et la cir- nationale, l’instruction publique,
culation, et il estime qu’en pratique mais aussi la construction
les deux questions ne sont pas dis- des travaux d’infrastructure.
tinctes l’une de l’autre, car dans les
deux cas il s’agit d’un monopole
naturel. En effet, l’existence de multiples réseaux représente un
gaspillage de ressources ; les entreprises ont besoin de la puis-
sance publique pour exproprier les terrains et l’Etat ne pourra
pas autoriser un nombre indéfini d’entreprises à exproprier. Par
ailleurs, il n’est pas possible d’autoriser plusieurs compagnies à
circuler sur la voie. Sinon, on retrouvera la marche au monopole :
la concurrence tue la concurrence.

Durant les années de la Grande Dépression du XIXe siècle, de


fréquents débats s’instaurent en Europe sur le thème du rachat
ou non des chemins de fer par l’Etat. Selon Walras, en ce qui
concerne les monopoles naturels et les chemins de fer, l’Etat
aurait le choix entre plusieurs formes possibles d’organisation :
une entreprise privée est titulaire d’une concession de l’Etat,
attribuée après une procédure d’adjudication, soit au rabais sur
les tarifs offerts à la clientèle, soit à l’enchère sur le fermage à ›››

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Léon Walras :

p. 42 payer à l’Etat [Walras, 1875, p. 213 ; et Cours d’économie politique


appliquée, in 1996, p. 512], et dans ce cas, l’entreprise conces-
sionnaire doit respecter un cahier des charges rédigé par l’Etat,
indiquant par exemple les tarifs maxima à pratiquer ; la ou les
sociétés privées sont « nationalisées », et l’exercice du monopole
est assuré soit directement par l’Etat (une régie), soit par une
compagnie fermière.

En 1875, la solution d’une entreprise privée concessionnaire


semble particulièrement appropriée, selon Walras, pour les
monopoles naturels et les chemins de fer ; la seconde solution,
consistant à faire racheter par l’Etat les mines, les sources
d’énergie, les chemins de fer, représente à ses yeux une option
possible [1875, p. 213-214]. En revanche, plus tard, dans les
années 1896-1898, Walras envisage la seconde solution sous
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un angle plus favorable, par exemple pour les chemins de fer.

Toutefois, dans le cas de l’entrepreneur collectif, lorsqu’une


entreprise est non seulement la propriété de l’Etat mais est
gérée, par exemple, sous la forme d’une régie, elle devrait opérer
comme en concurrence, donc à l’enchère et au rabais, en faisant
varier son offre en fonction de ses bénéfices et de ses pertes, en
visant le bénéfice nul dans la mesure où l’intérêt des particuliers
est visé.

Une critique du marxisme


Dans les années 1895-1898, Walras se livre à une lecture critique
du « collectivisme marxiste ». Mais il n’est pas question pour lui
de procéder à la manière des libéraux orthodoxes, qui pensent
que « le collectivisme doit être et rester absolument imprati-
cable » et qui s’amusent à « supposer l’établissement d’une
direction universelle des subsistances publiques, formant un
ministère spécial et siégeant dans un monument de Paris, d’où,
par un vaste système de tubes d’appel et de renvoi, elle rayonne
sur la France entière » [9] ! En réalité, le collectivisme est possible
selon Walras, mais à certaines conditions.

Notre auteur repousse la théorie de la valeur des marchan-


[9] Léon Walras, page dises de Marx, dans la mesure où elle consisterait à retenir le prix
supprimée du manuscrit du travail et à évacuer le prix des autres services producteurs,
de la « Théorie
de la propriété », in Etudes le « profit » et la « rente », considérés comme des « exactions »
d’économie sociale,
vol. iX, Paris, Economica,
commises au détriment des travailleurs. Un tel système rend
1990, p. 471. impossible l’égalisation entre l’offre et la demande et la fixation

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Léon Walras :
du prix de certains biens, qu’il faudra même renoncer à pro- p. 43
duire, comme par exemple les bouteilles de château-lafite ou
de château-margaux ! Dans sa « Théorie de la propriété », Walras
affirme aussi : « Comment, dans le système marxiste, l’Etat-entre-
preneur saura-t-il d’avance quels sont les produits qui peuvent
figurer sur sa liste, et quels sont ceux qu’il en doit éliminer ? Pour
être fixé sur ce point, il lui faudrait non seulement les éléments de
l’offre, qu’à la rigueur il peut calculer, mais ceux de la demande,
lesquels consistent dans les besoins des consommateurs que
ceux-ci ne sauraient lui annoncer par la raison qu’ils peuvent
changer d’un moment à l’autre. Cette incertitude sur le rapport
de l’offre avec la demande une fois la production effectuée n’a
pas d’inconvénient dans le système de la détermination des prix
sur le marché, puisqu’on en est quitte pour équilibrer alors l’offre
et la demande par la variation du prix » [Walras, 1896a, p. 200].
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Mais si les collectivistes acceptaient de prendre en compte
les différents services producteurs et l’équilibration du système
économique par la hausse et la baisse de prix, alors une possibi-
lité d’entente avec eux deviendrait
possible. En effet, dans la 4e édi-
tion des Eléments d’économie poli- Walras propose que l’on organise
tique pure, en 1900 [Walras, 1874- une « grande expérience »
1877, 1900, p. 284], Walras affirme destinée à connaître quelles activités
qu’un entrepreneur unique peut, seraient plus efficacement gérées
tout comme de multiples entrepre- par l’Etat-entrepreneur collectif
neurs, conduire à l’équilibre de la ou par des entreprises privées.
production en mimant le compor-
tement concurrentiel. Comment ?
La fixation des prix sur les marchés des biens et sur les marchés
des services fournis par les facteurs de production (les salaires,
par exemple) s’effectuerait selon le mécanisme théorique décrit
par Walras dans les Eléments d’économie politique pure, inspiré
par le système de la criée à la Bourse : si l’offre est supérieure
à la demande, réduction du prix (« rabais » à l’initiative du côté
vendeur), et si la demande est supérieure à l’offre (« enchères »
à l’initiative du côté acheteur), augmentation jusqu’à l’établis-
sement du prix d’équilibre. A l’état d’équilibre de la production,
les prix couvrent les différents coûts, sans bénéfices ni pertes.

Walras propose que l’on organise une « grande expérience »


destinée à connaître quelles activités seraient plus efficacement
gérées par l’Etat-entrepreneur collectif ou par des entreprises ›››

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Léon Walras :

p. 44 privées. Dans les secteurs où le dynamisme industriel est impor-


tant, l’initiative privée l’emporterait, tandis que dans les secteurs
où la régularité, la fidélité à la tradition sont importantes, l’initia-
tive de l’Etat prévaudrait.

Un défenseur du statut coopératif


Cependant, on pourrait penser a priori que le « socialisme
libéral » de Léon Walras se situe au moins en partie dans les
coopératives de production. En effet, dans Les Associations
populaires de consommation, de production et de crédit [Walras,
1865], Walras expliquait que le sociétaire d’une coopérative
cumule deux fonctions. Comme
travailleur, il reçoit un salaire au
Walras n’a jamais renié son engagement taux du marché, et comme capi-
dans le mouvement coopératif. taliste, il reçoit des intérêts en
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Entre 1870 et 1900, il se prononce fonction de sa quote-part dans le
en faveur de l’association coopérative capital social, et éventuellement
de production et de consommation une part des bénéfices (ou bien il
à plusieurs reprises. doit contribuer aux pertes). Comme
travailleur, il reste salarié, mais
comme capitaliste, il devient asso-
cié. Les sociétaires pris ensemble
sont à la fois capitalistes et entrepreneur collectif. Les coopé-
ratives ne constituent pas un secteur protégé par l’Etat ; elles
fonctionnent dans l’environnement concurrentiel. L’administra-
tion de la coopérative doit être confiée à un conseil nommé et
contrôlé par les sociétaires, mécanisme que l’on peut désigner
sous le nom de « self-administration » [Walras, 1865, p. 72-73].

L’association joue un rôle éducatif important et représente


une école de démocratie. Walras n’a jamais renié son engage-
ment dans le mouvement coopératif. Entre 1870 et 1900, il se
prononce en faveur de l’association coopérative de production et
de consommation à plusieurs reprises [cf. Walras, 1874, p. 242 ;
1879, p. 482 et 484 ; 1896a, p. 205 ; 1897b, p. 261]. Mais les diffé-
rents courants socialistes français (fouriéristes, proudhoniens…)
ont eu le tort à ses yeux de concevoir l’association comme un
nouveau « principe d’organisation du travail » et la solution
pratique de toute la « question sociale ». En effet, selon lui, la
coopération ne relève pas de l’initiative collective, mais de l’ini-
tiative individuelle ; son adhésion est facultative. Cependant, elle
complète très utilement les deux réformes sociales. Walras, qui
ne cache pas sa croyance dans le progrès inévitable à long terme

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Léon Walras :
de l’homme et de la société, restera toute sa vie persuadé que le p. 45
« socialisme scientifique et libéral » fera un jour « sa vendange ».

Conclusion
Les positions en matière de rachat des terres par l’Etat, de prise
en charge de monopoles naturels et des chemins de fer par
l’Etat, conduisent Walras à s’opposer aussi bien aux libéraux
orthodoxes qu’aux différentes composantes du socialisme.

Dans l’avant-propos de son livre Le Collectivisme, l’écono- [10] Pour faire connaître
en france la vie et l’œuvre
miste libéral Paul Leroy-Beaulieu n’hésite pas à déclarer au sujet de Walras, georges renard
de Walras : « Qui nous délivrera des conciliateurs, ces esprits a publié l’étude « un
économiste socialiste »
flottants et vides qui croient que le crépuscule concilie la lumière dans La Petite République,
le 7 novembre 1893.
et la nuit ? Cette manie de vouloir unir et fondre les contraires
est le signe le plus caractéristique de la débilité intellectuelle » [11] sur fragment
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d’enveloppe avec cachet
[Leroy-Beaulieu, 1884, p. VII]. Le jugement de Georges Renard, postal : « 1er octobre
ami de Walras et successeur de Benoît Malon à la direction de la 1909 », soulignés de Léon
Walras [2000, p. 574-575].
Revue socialiste, est bien différent de celui de Leroy-Beaulieu [10]. cependant, en 1896, le
vocable de « collectivisme »
Dans son compte rendu de la 1re édition des Etudes d’économie étant connoté avec
politique appliquée, paru dans La Lanterne du 27 septembre le système de marx,
Walras préférait la formule
1898 et réédité dans Discussions sociales d’hier et de demain, de « socialisme synthétique
il affirme à propos de Walras : « Semi-collectiviste, il veut rendre ou de synthétisme »
[1896a, p. 206].
à la nation la propriété du sol et du sous-sol ; et quant aux
entreprises nécessaires à la satisfaction des besoins généraux [12] Léon Walras,
« notice » jointe à la lettre
ou particuliers, tout en admettant qu’elles pourraient être toutes de candidature au prix
nobel de la paix, adressée
collectives, sans que cela eût rien de contraire à la liberté ni à la par E. roguin, m. millioud
justice, il croit préférable qu’elles soient partagées entre l’initia- et a. maurer le 20 juillet
1905 [Jaffé, 1965, vol. iii,
tive individuelle et l’intervention ou l’initiative de l’Etat ou de la l. 1595, p. 271-272].
commune » [Renard, 1909, p. 96].

A la relecture, vers la fin de sa vie, de ce commentaire,


Léon Walras réagit de la manière suivante dans ses « Notes
d’humeur » : « L’expression de Renard à mon endroit (“semi-
collectiviste”) est parfaitement exacte (p. 96). Je suis individua-
liste pour les facultés personnelles, collectiviste pour la terre,
semi-individualiste ou collectiviste pour le capital. Supprimer la
propriété individuelle de la moitié du capital (épargné), ce serait
supprimer la moitié de l’épargne et du capital » [11].

En avril 1905, Léon Walras prend la décision de concourir au


récent prix Nobel de la paix, décerné par la Norvège. Il fait par-
rainer sa candidature par trois amis de l’université de Lausanne
et prépare sur-le-champ une « notice »  [12] sur son œuvre éco- ›››

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Léon Walras :

p. 46 nomique « à la cause de la paix ». Le dossier parvient trop tard


pour être examiné en 1905, et le prix sera décerné à Bertha von
Suttner. En janvier 1906, Walras prépare une nouvelle tentative
et, à partir d’extraits de ses écrits, confectionne un texte intitulé
[13] dans une lettre « La paix par la justice sociale et le libre échange »  [13]. Cette
à Louise g. renard
du 18 juin 1906, Walras fois, le prix Nobel 1906 est décerné au président des Etats-Unis,
parle d’« un socialisme Théodore Roosevelt. Notre auteur ne se décourage pas et il
humanitaire qui conduit
par le rachat des terres à renouvelle la tentative l’année suivante. Mais le prix est décerné
la suppression des impôts,
et par la suppression
en 1907 au juriste français Louis Renault et au journaliste italien
des impôts au libre Teodoro Moneta. En 1909, encore, à la veille de sa mort, Walras
échange absolu, et à la paix
universelle (bien entendu tente d’attirer l’attention du comité Nobel sur ses travaux. Nous
pour n’y arriver qu’après avons retrouvé dans ses archives une esquisse de discours qu’il
une nouvelle période
de plusieurs siècles) » aurait prononcé en cas d’obtention du prix Nobel. Il s’intitule
[cité in Jaffé, 1965, « Conférence à Christiania. La paix ou la guerre »  [14]. On peut y
vol. iii, l. 1623, p. 301].
lire notamment : « J’ai exposé le système qui prépare et assure
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[14] L’existence
de ce manuscrit infirme la paix : justice sociale, rachat des terres, libre échange. Quant à
l’hypothèse [sandmo, celui qui mène à la guerre, c’est notre système actuel » [Walras,
2007, p. 225] selon
laquelle Walras pourrait 2000, p. 621]. Et Walras souhaite que la France prenne l’initiative
avoir compris qu’il
n’avait aucune chance
d’un mouvement pacifiste avec l’appui de petites nations, dont
d’obtenir le prix nobel la Suisse. Sept ans avant la Première Guerre mondiale… ■

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