Sunteți pe pagina 1din 12

LA QUESTION COLONIALE ET LA PENSÉE ÉCONOMIQUE LIBÉRALE

FRANÇAISE (1830-1914)

Alain Clément

Altern. économiques | « L'Économie politique »

2014/4 n° 64 | pages 72 à 82
ISSN 1293-6146
ISBN 9782352401049
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.138.69 - 24/02/2020 13:18 - © Altern. économiques

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.138.69 - 24/02/2020 13:18 - © Altern. économiques


https://www.cairn.info/revue-l-economie-politique-2014-4-page-72.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour Altern. économiques.


© Altern. économiques. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.

Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)


L’Economie politique
Trimestriel - octobre 2014
Les économistes
et les colonies

p. 72

La question coloniale
et la pensée
économique libérale
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.138.69 - 24/02/2020 13:18 - © Altern. économiques

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.138.69 - 24/02/2020 13:18 - © Altern. économiques


française (1830-1914)
Alain Clément,
université de Tours et LEO, UMR du CNRS 7322.

L
A PÉRIODE 1870-1914 MARQUE L’APOGÉE DE L’EMPIRE COLONIAL
français. Mais c’est surtout dès 1880 que cette expan-
sion coloniale devient effective, avec la conversion
des Républicains à cette entreprise, incarnée notam-
ment à la tête de l’Etat par Jules Ferry et sa volonté affirmée et
cohérente d’expansion coloniale [Girardet, 1972, p. 79]. Sur le
plan politique, la majorité des républicains prend cause pour la
conquête algérienne [Liauzu, 2007] ; chez les hommes de lettres,
à l’instar de Lamartine ou de Balzac, on demeure favorable à
cette expansion, même si cette adhésion est assortie de critiques
contre la violence coloniale. De même, sous le second Empire, les
saint-simoniens soutiennent vivement la colonisation de l’Algérie
impulsée par Napoléon III [1].

Pourtant, dès les premières décennies du XIXe siècle, des


esprits majeurs de l’époque avaient pris fait et cause contre la
poursuite de la colonisation ; c’est le cas de Benjamin Constant,
[1] Voir à ce propos qui, dans un texte de 1814, De l’esprit de conquête et de l’usur-
l’article d’Abdallah
Zouache, pages 83-92
pation dans leurs rapports avec la civilisation européenne, mena
de ce numéro. une attaque violente contre les politiques expansionnistes.

L’Economie politique n° 64
L’Economie politique

Les économistes
et les colonies
Alain Clément
Mais avec la conquête de l’Algérie notamment, on assiste à p. 73
une « volte-face » des libéraux en France [Pitts, 2005]. C’est le
cas en particulier de Tocqueville, qui, dans De la démocratie en
Amérique (1835) et ses Lettres sur l’Algérie (1837), milite pour
l’expansion impériale et, surtout, pour une assimilation com-
plète des Algériens dans la société et la vie politique françaises.
Le fait colonial a ensuite de nombreux et ardents partisans dans
les milieux politiques, intellectuels et industriels de la France
du second Empire. Cette position colonialiste va davantage
s’épanouir dans les premières années de la IIIe République, se
matérialisant notamment par l’existence du parti colonialiste.
C’est à cette époque que se construit une vraie doctrine de
l’impérialisme français [Girardet, 1972, p. 52], un « esprit écono-
mique impérial » [Bonin et alii, 2008].
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.138.69 - 24/02/2020 13:18 - © Altern. économiques

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.138.69 - 24/02/2020 13:18 - © Altern. économiques


Une pensée économique libérale très ambiguë
à l’égard de la colonisation
Les économistes libéraux  [2] sont assez partagés. Présenter le
libéralisme économique de cette période comme opposé à toute
forme de colonialisme serait profondément inexact et réducteur,
car si l’hostilité est très nette s’agissant du premier empire colo-
nial, les positions des économistes libéraux, bien qu’influencées
par le message du père fondateur du libéralisme en France Jean-
Baptiste Say, ont globalement évolué avec les nouvelles formes
de colonisation.

Le rejet du pacte colonial et la défense du libre-échange


La liberté du commerce comme mode de relation avec les colo-
nies revient comme un leitmotiv dans tous les écrits des écono-
mistes libéraux de l’époque, à l’instar de Frédéric ­Bastiat : « Le [2] Les libéraux
système colonial doit s’écrouler devant la liberté des échanges » français au XIXe siècle
constituent
[(1847) 1862, vol. II, p. 216]. L’année suivante, il poursuit : « Nous un ensemble assez
hétérogène
sommes profondément convaincus que le libre-échange, c’est et on ne peut parler
l’harmonie des intérêts, nous avons confiance, la certitude même d’un corpus théorique
homogène tant
que la liberté commerciale tend à accroître et à égaliser le bien- les doctrines des uns
être au sein de toute nation qui l’adoptera » [(1848) 1862, tome 2, et des autres ont varié
et se sont opposées
p. 194]. Adolphe Blanqui, qui fut pourtant considéré comme sur différents points.
Cependant, il existe
un libéral modéré, écrit quant à lui : « La liberté du commerce un thème commun
devrait être, à mon sens, le plus puissant auxiliaire de la coloni- à tous les libéraux
de cette période :
sation » [1840, p. 82]. Pour l’économiste libéral belge Gustave la défense
de ­Molinari, collaborateur du Journal des économistes, il faut du libre-échange.

renoncer à une exploitation unilatérale et étatique des colonies.


Il le rappelle vivement dans l’article « Colonies » qu’il rédige pour ›››

Octobre-novembre-décembre 2014
L’Economie politique

Les économistes
et les colonies
Alain Clément

p. 74 le Dictionnaire de l’économie politique, publié chez Guillaumin


en 1853 : « Les colonies furent considérées à l’origine comme des
établissements que la mère-patrie pouvait exploiter à sa guise
à son seul profit ; en conséquence, toutes relations leur furent
interdites avec les étrangers et des règlements furent établis pour
rendre leur exploitation exclusive » [p. 395].

La raison essentielle tient aux résultats négatifs de cette


forme de colonisation. Molinari explique que les restrictions
économiques ont ralenti la prospérité des colonies. Adolphe
Blanqui [1837, p. 475] et Joseph Garnier [1873, p. 466] partagent
le même type d’argument.

Mais pas le rejet de la colonisation


Le rejet du pacte colonial ne signifie pas pour autant tout rejet
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.138.69 - 24/02/2020 13:18 - © Altern. économiques

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.138.69 - 24/02/2020 13:18 - © Altern. économiques


de la colonisation par la théorie économique libérale, car il
existe des potentialités importantes
Le rejet du pacte colonial ne peu exploitées par les indigènes. Pour
signifie pas pour autant tout rejet Molinari et d’autres, c’est une justifica-
de la colonisation par la théorie tion première de la colonisation : « Il est
économique libérale. utile que des nations qui se trouvent à
l’étroit dans les limites de leurs territoires
s’épandent au dehors ; il est utile aussi qu’elles aillent occuper et
cultiver des terres fertiles que des races encore barbares laissent
en friche » [Molinari, 1853, p. 399].

Mais les économistes les plus libéraux font de la colonisation


une démarche avant tout personnelle, et la seule entreprise accep-
table relève du volontariat et de l’intérêt purement individuel, « la
colonie doit être libre et volontaire » [Blanqui, 1840, p. 71]. Et pour
Bastiat encore, il faut laisser l’initiative individuelle libre, car c’est
l’intérêt qui guide les choix les plus judicieux. Le choix personnel
est plus en conformité avec des prises de décision économique-
ment efficaces. La décision du colon potentiel s’apparente à une
sorte de calcul économique entre les avantages potentiels et
personnels tirés de la colonisation et les avantages (ou l’absence
d’avantages) estimés de l’activité métropolitaine. Car il existe
des freins positifs à la colonisation et Joseph Clément Juglar les
souligne parfaitement, surtout s’agissant de la France : « Si notre
population ne cherche pas plus à émigrer avec les facilités, les
subventions qu’on lui offre, c’est que son existence est assez bien
assurée en France, sans qu’elle éprouve le besoin de changer de
pays pour l’améliorer » [1853, JDE tome 36, août, p. 232].

L’Economie politique n° 64
L’Economie politique

Les économistes
et les colonies
Alain Clément
Un certain nombre d’économistes préfèrent accompagner la p. 75
démarche individuelle d’investissements publics pour renforcer
l’attractivité et les chances de réussite de l’entreprise coloniale.
Car la plupart du temps, la colonisation concerne des espaces
peu peuplés, peu exploités par les indigènes, et ces espaces
sont le plus souvent inhospitaliers a priori, même si les poten-
tialités sont immenses. Pour attirer les candidats au départ, des
incitations, des investissements sont estimés nécessaires, car
l’installation des colons pose un certain nombre de contraintes
matérielles qui peuvent faire obstacle à la colonisation.

La colonisation a un coût économique élevé


Le coût de la colonisation est estimé très élevé, car il y a des
coûts directs et indirects. Il y a des coûts publics liés aux
dépenses militaires, mais aussi des coûts liés aux dépenses
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.138.69 - 24/02/2020 13:18 - © Altern. économiques

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.138.69 - 24/02/2020 13:18 - © Altern. économiques


d’infra­structure et de fonctionnement durant les premières
années – « l’Etat ne peut faire des conquêtes, retenir sous sa
domination des pays lointains, détourner le cours naturel du
commerce par l’action des douanes, sans multiplier beaucoup
le nombre de ses agents » [Bastiat, (1846) 1862, p. 117] – aux-
quelles doivent s’ajouter les dépenses induites.

Il y a ensuite un manque à gagner qui repose sur le fait que


la colonisation consiste à détourner des investissements de la
France vers les colonies. En raison des subventions accordées,
on rend artificiellement rentables des investissements qui ne le
seraient pas autrement : « Des intérêts naturels disparaissent
sur un point, des intérêts factices se créent sur un autre »
­[Bastiat, (1850) 1862, p. 118]. Molinari développe le même
argument de la rentabilité artificielle des investissements
coloniaux : « En se chargeant d’établir à leurs frais des colonies
et de pourvoir à leur sûreté, les gouvernements d’Europe accor-
daient de véritables subventions aux entreprises de colonisa-
tion. Quel était le résultat de ces subventions ? C’était de donner
aux capitaux de la métropole une direction artificielle, direction
plus mauvaise, moins fructueuse que celle qu’ils auraient
prises d’eux-mêmes. […] En subventionnant la colonisation, les
gouvernements d’Europe dépouillaient certaines branches de
travail pour en favoriser d’autres qui étaient en réalité moins
productives » [1853, p. 400].

Finalement, la colonie est plus une sorte d’excroissance


artificielle dont on devrait se débarrasser au plus vite en ›››

Octobre-novembre-décembre 2014
L’Economie politique

Les économistes
et les colonies
Alain Clément

p. 76 raison des bases fragiles sur lesquelles elle repose. Bastiat


le résume très bien d’ailleurs en prenant soin de souligner
que la colonisation n’est pas seulement un investissement
subventionné mais qu’elle est aussi une opération hostile
la plupart du temps, et donc fragile : « Lorsque pour se créer
des débouchés, une nation a recours à la violence, elle ne
doit point s’aveugler : il faut qu’elle sache qu’elle soulève au-
dehors toutes les énergies sociales, et elle doit être préparée
à être toujours et partout la plus forte, car le jour où cette
supériorité serait seulement incertaine, ce jour-là serait celui
de la réaction » [(1844) 1862, tome 1, p. 367].

Une exception dans la pensée économique libérale :


Paul Leroy-Beaulieu
Au cours de la période 1870-1914, qui marque l’apothéose de
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.138.69 - 24/02/2020 13:18 - © Altern. économiques

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.138.69 - 24/02/2020 13:18 - © Altern. économiques


l’empire colonial français, le mouvement libéral ne semble
plus vouloir modifier sa position dominante qui est celle de
l’anticolonialisme [Liauzu, 2007, pp. 69-80], mais un auteur
libéral va marquer cette période par sa défense de l’empire :
Paul Leroy-Beaulieu. L’œuvre majeure qu’il va écrire sur le sujet,
De la colonisation chez les peuples modernes, sert de référence
à tout défenseur des colonies. L’ouvrage est publié en 1874 pour
la première fois, puis constamment augmenté et réédité jusqu’en
1908. Il va représenter pendant plus de quarante ans une pièce
majeure du débat colonial, à la fois chez les économistes et dans
les milieux politiques.

Jules Ferry, ardent partisan de la colonisation, va largement


s’inspirer de ses analyses [Girardet, 1972, p. 92]. C’est autour
de la revue d’inspiration libérale L’Economiste français, fondée
par Leroy-Beaulieu en 1873, que se retrouvent les partisans
procoloniaux, hommes d’affaires, députés représentant les
régions françaises, mais aussi Juglar, cofondateur du journal
et qui prit position en faveur de la colonisation de l’Algérie
dans les années 1860. Dans un compte rendu de la cinquième
édition de l’ouvrage, paru dans la Revue d’économie politique,
Charles Gide parle d’un auteur qui « n’a pas peu contribué à
orienter l’opinion publique, d’abord incertaine, et le Parlement,
d’abord hostile, vers les grands horizons de la politique colo-
niale. En cela il s’est séparé de la plupart des économistes de
son école, de l’école libérale » [Gide, 1903, vol. V, p. 353]. Car si
Leroy-Beaulieu est bel et bien un économiste libéral, adepte du
laissez-faire, il n’hésite pas à se contredire pour prôner l’inter-

L’Economie politique n° 64
L’Economie politique

Les économistes
et les colonies
Alain Clément
ventionnisme dans les colonies. Gendre de Michel Chevalier, p. 77
proche des idées saint-simoniennes, il en subit l’influence, car
imprégné d’un certain industrialisme. Sa position colonialiste,
quelque peu insolite pour un libéral, peut en partie être expli-
quée par une telle proximité.

Priorité à une argumentation politique


C’est sur le terrain de la politique des Etats que la colonisation
trouve sa justification première chez Leroy-Beaulieu. L’intérêt de
toute nation passe par la conquête coloniale. Leroy-­Beaulieu,
après avoir évoqué « la vocation civilisatrice de la France et
ses facultés colonisatrices » [1874, p. VI], insiste sur le fait que
« dans la période de l’histoire que nous
traversons, un grand Etat prévoyant et Selon Leroy-Beaulieu, l’excès de
riche ne peut absolument se désinté- capitaux dans la métropole conduit
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.138.69 - 24/02/2020 13:18 - © Altern. économiques

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.138.69 - 24/02/2020 13:18 - © Altern. économiques


resser de la colonisation » [1891-1892, à une rentabilité faible. Leur emploi
p. 451], car la formation des empires dans les colonies peut contribuer
coloniaux est l’expression de la concur- à revaloriser le taux de profit.
rence exacerbée entre les Etats-nations
européens. De plus, Leroy-Beaulieu voit dans la colonisation
« une action profonde sur un peuple et sur un territoire, pour
donner aux habitants une certaine éducation, une justice régu-
lière… » [ibid., p. 450]. C’est une des raisons pour lesquelles
Leroy-Beaulieu n’est pas hostile à l’intervention de l’Etat dans ce
domaine et rejette toute initiative exclusivement individuelle, car
les individus seuls « ne peuvent exercer une action méthodique,
prolongée, synthétique, sur tout un pays barbare ou sauvage »
[ibid., p. 450]. La colonisation doit rester avant tout une action
organisée d’un Etat sur un Etat.

Charles Gide, dans son article de 1886, met en évidence ce


facteur politique au détriment d’une argumentation économique
qu’il a plus de mal à justifier : « Je n’hésite pas à penser que
la politique coloniale est une nécessité politique pour certains
pays » [p. 45]. Cette nécessité tient au fait que selon lui, « l’avenir
appartient aux grands Etats » [p. 49], d’où la nécessité d’avoir
un empire colonial. Joseph Chailley-Bert, peu enclin à voir dans
l’expansion coloniale un idéal pour l’humanité et davantage
un moyen d’assurer la prospérité économique de la France,
affirme que « dans un temps plus ou moins proche et pour une
période plus ou moins longue, l’empire du monde appartiendra
précisément aux races qui auront le plus ou mieux colonisé »
[1891-1892, p. 439]. ›››

Octobre-novembre-décembre 2014
L’Economie politique

Les économistes
et les colonies
Alain Clément

p. 78 Léon Walras, qui n’est pas un farouche partisan de la coloni-


sation, considère aussi cette entreprise, sous certaines condi-
tions, comme un moyen de faire entièrement « disparaître la
barbarie devant la civilisation » [1863, p. 169]. Plus tard, il écrit
dans ses Etudes d’économie politique appliquée, à la rubrique
« Colonisation », que celle-ci est « le dada des économistes
sans idées et des politiciens au jour le jour ». Mais il ajoute
cependant que « quand la vraie science et la vraie politique
seront à l’œuvre, on fera encore de la colonisation, mais en
vue d’initier les peuples arriérés à la civilisation, et non en les
exterminant pour leur ravir leurs terres par des procédés qui
sont la honte de l’humanité et qui feraient douter que l’homme
soit autre chose que la plus féroce des bêtes féroces » [1898,
pp. 431-432]. Il souligne le caractère toutefois violent et donc
contradictoire de cette mission civilisatrice, encadrée par la
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.138.69 - 24/02/2020 13:18 - © Altern. économiques

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.138.69 - 24/02/2020 13:18 - © Altern. économiques


force. C’est ce qu’il dit en filigrane quand il parle de la colo-
nisation américaine : « La France ne doit pas recourir, à leur
égard, aux procédés honteux et déshonorants de la colonisation
américaine » [1863, p. 170].

Mais il y a aussi des raisons économiques


à la colonisation
Leroy-Beaulieu reprend l’argumentation de John Stuart Mill et
de Robert Torrens à propos de la surabondance des capitaux
et la thèse de la revalorisation du taux de profit. Selon lui, le
décalage dans la métropole entre les opportunités effectives
d’investissement et la masse trop importante de capitaux
conduit à une rentabilité faible et à une baisse des profits. Leur
emploi dans les colonies peut contribuer à revaloriser le taux de
profit : « Les capitalistes du vieux monde qui ont ainsi exporté
une partie de leurs épargnes en retirent, s’ils ont été avisés,
une rémunération double, triple, quadruple, décuple parfois de
celle qu’ils auraient pu obtenir en employant ces fonds autour
d’eux. Il se constitue ainsi toute une créance considérable des
vieux pays sur les pays neufs » [Leroy-Beaulieu, 1874, p. 537].
Par ailleurs, le faible développement des pays neufs, peu dotés
en capitaux, conduit à terme à une réduction des débouchés de
ces pays pour la production de la métropole, si bien qu’investir
dans les colonies conduit indirectement à une augmentation
des débouchés pour la production métropolitaine : « Ces
mêmes capitaux qui, partis d’Europe, allaient exploiter les pays
nouveaux créaient, en même temps, dans ces derniers, une
demande pour nos produits » [ibid., p. 538].

L’Economie politique n° 64
L’Economie politique

Les économistes
et les colonies
Alain Clément
Pour illustrer cette analyse, Leroy-Beaulieu prend p. 79
l’exemple des colonies américaines qui, selon lui, ont gran-
dement contribué au développement du Royaume-Uni. Cette
analyse est cependant assez peu partagée. Frédéric Passy
conteste la « bonne » rentabilité des capitaux dans l’empire
[1886, p. 296] ; de même, Charles Gide, qui n’est pas un
adversaire farouche, considère à son tour que les colonies ne
constituent pas un bon placement. Il faut pour Frédéric Passy
que nous gardions « chez nous nos capitaux et nos hommes,
[…] dans notre pays où il y a encore tant à faire et où nous
avons besoin de nos forces vives, […] au lieu de cela, on envoie
mourir, sous des climats redoutables, des milliers d’hommes
jeunes, forts, qui auraient, dans leur pays, contribué un jour
ou l’autre à produire » [ibid., p. 297].
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.138.69 - 24/02/2020 13:18 - © Altern. économiques

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.138.69 - 24/02/2020 13:18 - © Altern. économiques


Ultime argument en faveur de la colonisation, les flux com-
merciaux qu’elle favorise et la production qu’elle induit : « La
grande utilité des colonies, […] c’est de donner à son commerce
un grand essor, d’activer et d’entretenir son
industrie et de fournir aux habitants de la Ultime argument en faveur
mère patrie, industriels, ouvriers, consom- de la colonisation pour
mateurs, un accroissement de profits, de Leroy-Beaulieu, les flux
salaires, de jouissances » [Leroy-Beaulieu, commerciaux qu’elle favorise
1874, p. 542]. En fait, le commerce est la et la production qu’elle induit. 
raison première de la colonisation et comme
le dit très justement Chailley-Bert, « presque toutes les colonies
débutent par le commerce : la colonisation ne vient que plus
tard. […] On les a conquises à cause des débouchés qu’elles
offraient, quelques-unes même à cause de la route qu’elles
fournissaient pour aller trouver, par-delà, une riche clientèle […]
et pour que ces débouchés ne leur échappent pas, on s’efforce,
autant que le peut la diplomatie, de les protéger, dans les colo-
nies, contre les rivaux étrangers » [1902, p. 97]. De plus, les
marchés coloniaux présentent pour la métropole une supériorité
par rapport aux autres marchés étrangers, notamment parce
qu’il existe « [des] liens naturels du langage, de la race, de la
capitalisation, la communauté d’éducation, d’idées, de mœurs,
l’analogie des besoins et des goûts, ce sont là les meilleures
garanties, […] les seules possibles, de relations commerciales
durables et profitables à tous » [Leroy-Beaulieu, 1874, p. 564]. Il
s’agit en fait d’un commerce plutôt captif et ce commerce avec
les colonies présente plus de sécurité, moins d’aléas ; ainsi,
par exemple, « la métropole n’a pas à redouter de se trouver en ›››

Octobre-novembre-décembre 2014
L’Economie politique

Les économistes
et les colonies
Alain Clément

p. 80 guerre avec elles » [ibid., p. 565]. C’est une argumentation qui


se situe aux antipodes de celle défendue par les plus libéraux,
à l’instar de Bastiat.

Conclusion
Le débat théorique sur la question coloniale en France est
sans doute moins riche à cette époque qu’il ne l’a été en
Grande-­Bretagne. En effet, avec des auteurs comme Torrens ou
Wakefield, le débat porte surtout sur les nouvelles opportunités
d’investissement et l’amélioration du taux de profit, aspects
assez peu abordés en France. On prend plus conscience du fait
que les colonies pourraient être une source de matières pre-
mières permettant de faire tourner les usines et une source de
débouchés pour les produits, mais avec beaucoup de circons-
pection cependant. Seule exception, l’Algérie, qui apparaît, en
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.138.69 - 24/02/2020 13:18 - © Altern. économiques

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.138.69 - 24/02/2020 13:18 - © Altern. économiques


dépit des désillusions initiales, porteuse d’espoirs.

Leroy-Beaulieu est le représentant incontestable de cette


nouvelle pensée coloniale où le joug des colons serait remplacé
par l’intégration ou l’association. Gide et Walras, les deux
grands économistes libéraux de cette fin du XIXe siècle et dont
les œuvres eurent une influence majeure, ne se déclarèrent
ni partisans, ni pourfendeurs des conquêtes coloniales, ne
pesant que très peu sur le débat politique. La force de Leroy-
Beaulieu est d’avoir su concilier esprit libéral et colonisation.
Mais ce dernier semble guidé par un « impérialisme défensif »
autant politique qu’économique, car au-delà de son œuvre,
c’est bien l’argumentation non économique qui est première,
et on peut affirmer que le raisonnement économique n’appa-
raît plus comme réellement autonome. Le débat entre écono-
mistes resurgira beaucoup plus tard, bien après la période de
décolonisation, avec les premiers bilans économiques de la
colonisation. ■

L’Economie politique n° 64
L’Economie politique

Les économistes
et les colonies
Alain Clément
p. 81
Bibliographie

Bastiat, Frédéric, Œuvres complètes modernes », in Pénin, Marc (dir.),


mises en ordre, revues et annotées Œuvres de Charles Gide.
d’après les manuscrits de l’auteur, Vol. V : Contributions
Paris, Guillaumin, 6 tomes, à la Revue d’économie
1re édition 1854-1855, 2e éd. 1862 politique (1887-1931), Paris,
(référence des renvois de pages). L’Harmattan, 2003, pp. 73-86.

Blanqui, Adolphe, 1837-1838, Gide, Charles, 1886,


Cours d’économie industrielle, « A quoi servent les colonies »,
Paris, Angé Editeur, 2 tomes. Revue de géographie,
janvier, pp. 36-52,
Blanqui, Adolphe, 1840, Rapport et février, pp. 141-147.
sur la situation économique
de nos possessions dans le nord Girardet, Raoul, 1972,
de l’Afrique, Paris, Coquebert. L’idée coloniale en France
de 1871 à 1962, Paris,
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.138.69 - 24/02/2020 13:18 - © Altern. économiques

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.138.69 - 24/02/2020 13:18 - © Altern. économiques


Bonin, Hubert, Hodeir, Catherine La Table ronde.
et Klein, Jean-François (dir.),
2008, L’esprit économique Girault, Arthur, 1895,
impérial (1830-1970), Paris, Principes de colonisation
Société française d’histoire et de législation coloniale,
des outre-mers. Paris, Larose.

Breton, Yves et Lutfalla, Juglar, Joseph Clément, 1853,


Michel (dir.), 1991, L’économie « De la colonisation en Algérie »,
politique en France au XIXe siècle, Journal des économistes,
Paris, Economica. tome 34, janvier-mars,
pp. 40-73 ; tome 35,
Chailley-Bert, Joseph, 1891-1892, avril-juin, pp. 80-101 ;
« Colonies », in Say, Léon tome 36, juillet-septembre,
et Chailley-Bert, Joseph (éds), pp. 89-113 et 215-233.
Nouveau dictionnaire d’économie
politique, Paris, Guillaumin, Lanessan, Jean-Louis de, 1897,
2e édition 1900, pp. 432-446. Principes de colonisation,
Paris, Alcan.
Chailley-Bert, Joseph, 1902,
Dix années de politique coloniale, Leroy-Beaulieu, Paul, 1874,
Paris, Armand Colin. De la colonisation chez les peuples
modernes, Paris, Guillaumin
Dunoyer, Charles, 1830, et Cie, 2e édition 1882
Nouveau traité d’économie sociale, (référence des renvois de pages),
Paris, A. Sautelet et Cie. 3e édition 1886, 4e édition 1891,
5e édition 1902, 6e édition 1908.
Garnier, Joseph, 1873, Traité
d’économie politique, sociale Leroy-Beaulieu, Paul, 1891-1892,
ou industrielle, Paris, « Colonisation au XIXe siècle »,
Garnier Frères et Guillaumin. in Say, Léon et Chailley-Bert,
Joseph (éds), Nouveau
Gide, Charles, 1903, « Compte dictionnaire d’économie
rendu de Paul Leroy-Beaulieu, politique, Paris, Guillaumin,
De la colonisation chez les peuples 2e édition 1900, pp. 448-451.
›››

Octobre-novembre-décembre 2014
L’Economie politique

Les économistes
et les colonies
Alain Clément

p. 82
Bibliographie

Liauzu, Claude, 2007, Histoire impériale (1770-1870),


de l’anticolonialisme en France L’Atelier-Les Editions ouvrières,
du XVIe siècle à nos jours, Paris, 2008.
Armand Colin.
Rossi, Pellegrino, 1836, Cours
Molinari, Gustave de, 1853, d’économie politique, Paris,
« Colonies », in Coquelin, Guillaumin, 4e éd., 4 volumes.
Charles et Guillaumin,
Gilbert (dir.), Dictionnaire Singaravélou, Pierre, 2009,
de l’économie politique, Paris, « Le moment “impérial”
Guillaumin, 2 tomes. de l’histoire des sciences
sociales (1880-1910) », Mil neuf
Passy, Frédéric, 1868, Le principe cent. Revue d’histoire intellectuelle
de population. Malthus et sa n° 27 (1), pp. 87-102.
doctrine, Paris, Hachette.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.138.69 - 24/02/2020 13:18 - © Altern. économiques

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.138.69 - 24/02/2020 13:18 - © Altern. économiques


Walras, Léon, 1863,
Passy, Frédéric, 1886, « De l’utilité « De la constitution de la propriété
ou de l’inutilité des colonies », en Algérie », in Dockès, Pierre
contribution au débat et alii (éds), Œuvres économiques
de la Société d’économie complètes d’Auguste et Léon
politique, Journal Walras. Vol. VII : Mélanges
des économistes, tome 33, d’économie politique et sociale,
4e série, janv.-mars, Paris, Economica, 1987,
pp. 290-298. pp. 164-175.

Pitts, Jennifer, 2005, Walras, Léon, 1898,


A Turn to Empire. The Rise « Colonisation », in Dockès,
of Imperial Liberalism in Britain Pierre et alii (éds), Œuvres
and France, Princeton University économiques complètes
Press, trad. française : d’Auguste et Léon Walras.
Naissance de la bonne conscience Vol. X : Etudes d’économie
coloniale. Les libéraux français politique appliquée, Paris,
et britanniques et la question Economica, 1992, pp. 431-433.

L’Economie politique n° 64

S-ar putea să vă placă și