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LA RECHERCHE DE LA "BONNE MONNAIE" EN EUROPE DU XVIE AU

XVIIIE SIÈCLE : CONTEXTE ET IDÉES

Jérôme Blanc et Ludovic Desmedt

Altern. économiques | « L'Économie politique »

2014/4 n° 64 | pages 93 à 104


ISSN 1293-6146
ISBN 9782352401049
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L’Economie politique
Trimestriel - octobre 2014
Les pensées monétaires
entre les XVIe et XVIIIe
p. 93

La recherche de la « bonne
monnaie » en Europe
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du XVIe au XVIIIe siècle :
contexte et idées
Jérôme Blanc,
université Lumière Lyon 2 – Triangle,
et Ludovic Desmedt,
université de Bourgogne – LEDI.

C
ET ARTICLE ENTEND TIRER QUELQUES LEÇONS GÉNÉRALES DU [1] Ouvrage mené
sous la direction
travail mené dans Les pensées monétaires dans de Jérôme Blanc
l’histoire. L’Europe, 1517-1776 [1], ouvrage qui présente et Ludovic Desmedt,
coll. Bibliothèque
une synthèse étendue des idées monétaires dans de l’économiste,
l’ensemble de l’Europe de 1517 à 1776 à partir d’une lecture des Classiques Garnier,
2014. Il comprend
textes d’origine. Il resitue ces idées dans leur contexte historique des contributions
de Louis Baeck, Jérôme
et cherche à réévaluer les discours d’auteurs méconnus ou consi- Blanc, Niall Bond,
dérés comme secondaires. José Luís Cardoso,
Jean Cartelier, Ludovic
Desmedt, Lucien
Au début du XVIe siècle, le Polonais Nicolas Copernic affirme : Gillard, Gilles Jacoud,
Claudia de Lozanne
« Nous voyons fleurir les pays qui ont de la bonne monnaie, Jefferies, Antoin
Murphy, Anders Ögren,
tandis que ceux qui n’en ont que de mauvaise, tombent en Sevket Pamuk, Danila
décadence et dépérissent » [Copernic, 1526, p. 65]. Ce thème Raskov, Joël-Thomas
Ravix, Leif Runefelt,
de la bonne monnaie traverse l’espace et le temps de l’Europe André Tiran
de la Renaissance à la fin du XVIIIe siècle. C’est la thématique et Carl Wennerlind.

monétaire centrale, d’où se déploient toutes sortes de décli-


naisons : s’agissant du métal, de la circulation, des prix, des ›››

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entre les XVIe et XVIIIe
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p. 94 contrefaçons, etc. Tout auteur d’écrits monétaires regrette le


mauvais état du système sur lequel il se penche avant d’élaborer
sa conception de ce que devrait être une bonne monnaie. La qua-
lité de la monnaie est de ce fait essentielle. Tout le problème est,
bien entendu, de savoir comment se définit cette « qualité » et ce
qui est « bon » : ici entrent en jeu les particularités d’un temps
et d’un espace, ici se séparent de multiples courants de pensée,
qui d’ailleurs ne se réduisent pas à la pensée économique à
proprement parler tant la monnaie renvoie à la constitution de
la société dans son ensemble. Cette question est donc autant
politique qu’économique.

Or les manuels pour économistes – mais aussi bien des textes


de recherche – présentent trop souvent les auteurs « préclas-
siques » et plus particulièrement les « mercantilistes » comme
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dénués d’idées pertinentes. John Stuart Mill, par exemple, les
condamne sans appel : le mercantilisme « ressemble à l’une de
ces idées indigestes et grossières de l’enfance, qui s’évanouissent
par un seul mot de raison d’une grande personne » [1848, pp. 3-5].
Au contraire, l’économie classique
Il faut se déprendre de cette conception serait une théorie adulte, une doc-
négative d’auteurs préclassiques trine mature, conduisant à voir le
enfoncés dans une pensée primitive, système mercantile comme un
préscientifique et manquant de agglomérat d’ingérences commer-
cohérence ; on ne peut que la contester. ciales renforcées par des sophismes
monétaires. Depuis le XIXe siècle, de
nombreux auteurs ont propagé cette conception. Avant de clore sa
Théorie générale, Keynes propose au lecteur une « note » visant
à réhabiliter ces pensées, mais cette tentative n’a pas eu d’écho
durable auprès de ses pairs [1936, p. 331].

S’il est une thèse que conduisent à défendre les travaux


développés dans Les pensées monétaires dans l’histoire, c’est
qu’il faut se déprendre de cette conception négative d’auteurs pré-
classiques enfoncés dans une pensée primitive, préscientifique
et manquant de cohérence ; on ne peut que contester Mill et ses
successeurs. Pour la plupart des auteurs classiques, il convient de
déchirer le voile monétaire pour laisser apparaître les « véritables »
lois économiques. Au contraire, pour la majorité des « préclas-
siques », il n’existe pas de valeur préexistante à l’échange, pas de
norme stable autour de laquelle les relations sociales devraient
s’ordonner. Ces auteurs développent une vision dynamique et
symbiotique de l’activité et de la création monétaire.

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Pour présenter de façon extrêmement synthétique les p. 95
apports des Pensées monétaires dans l’histoire, on commencera
par identifier qui écrit sur la monnaie et pour quelles raisons,
avant d’évoquer le rôle central des « mauvaises monnaies »
au sein des conceptions économiques de l’époque. En effet, la
dégradation des espèces circulantes handicape sérieusement
le développement du crédit. Sans préservation d’une « monnaie
fiable », on craint de s’engager financièrement sur le long terme.
Or, si les idées monétaires s’enracinent dans un contexte histo-
rique particulier, elles guident les réformes : ce sont des moteurs
de transformation du système monétaire.

La « foule très mélangée » des auteurs d’écrits


monétaires
Sur cette longue période de l’Europe moderne couverte par le
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livre, les pensées monétaires affichent des spécificités natio-
nales fortes que favorise le retrait du latin comme langue de
l’écrit. La question de l’unification de la circulation monétaire,
par exemple, n’est jamais davantage traitée que dans le Saint
Empire romain germanique ; celle des banques est surtout l’objet
de réflexions en Angleterre, en Suède et aux Provinces-Unies, etc.
Néanmoins, des questions communes traversent le continent et
concourent à la diffusion de conceptions partagées.

Afin de mieux saisir la diversité des approches tout en caté-


gorisant les auteurs, on peut se référer à leur distance à l’égard
du pouvoir. Considérons ici cinq catégories pour ordonner la
« foule très mélangée » de ces auteurs d’écrits monétaires  [2].
Trois d’entre elles renvoient à des personnes situées hors des
cercles du pouvoir, même si cela n’est pas contradictoire avec
certaines influences, directes ou indirectes, sur les décisions
politiques. Les deux autres catégories évoluent à l’intérieur
des sphères du pouvoir, bien qu’avec des points de vue et des
situations différents : s’opposent ici ceux qui se concentrent sur
la monnaie et ceux préoccupés par le financement de l’Etat. Il est
[2] L’expression
bien évident que le parcours biographique d’un auteur peut le est empruntée
conduire à traverser plusieurs de ces catégories. à Schumpeter,
qui l’applique
aux pamphlétaires
Hors des cercles du pouvoir : théologiens, intellectuels [Schumpeter,
1954/1983, vol. I,
et praticiens p. 229].
Un premier ensemble d’auteurs se trouve pour l’essentiel hors
des cercles du pouvoir. Certains, cependant, ont pu chercher
à obtenir une position d’influence, voire à pénétrer les cercles ›››

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p. 96 du pouvoir, permettant l’ascension sociale par l’intégration à


la noblesse.

Au cours du XVIe siècle, des dominicains de l’université


de Salamanque renouvellent la scolastique. S’ils continuent
de travailler la question ancienne de l’usure, ils abordent de
plus en plus la modernité marchande en reconnaissant ses
pratiques. Certains, comme Azpilcueta et Mercado ou le jésuite
Mariana, abordent directement les questions de change, de prix
et de manipulation de la valeur de la monnaie. En 1609, Juan de
Mariana dénonce la souveraineté absolue et la capacité qui en
résulte de modifier le rapport métal/unité de compte. Celles-ci
sont vues comme des falsifications opérées par les monarques
et seules des circonstances exceptionnelles peuvent justifier
des manipulations, qui doivent demeurer temporaires et réver-
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sibles. Sa position est métalliste, au sens où l’unité de compte
(comme le maravédi) n’est que l’expression d’un étalon métal-
lique (or ou argent) qui lui donne sa valeur. L’analyse écono-
mique doit dès lors se fonder non sur les grandeurs nominales
mais sur les grandeurs estimées en poids de métal étalon.

Hors de la scolastique, des savants écrivent aussi sur la


monnaie. Certains, qu’on peut qualifier de philosophes de
l’économie, sont des érudits connus principalement pour leur
contribution aux débats économiques et monétaires, comme
Montchrestien [1615], qui est le premier à avoir employé le
terme « économie politique ». D’autres savants sont d’abord
connus pour des travaux de nature très variée, de la méta-
physique à la physique. Mais, alors que Nicolas Copernic,
Gottfried Wilhelm Leibniz ou Isaac Newton ne connectent pas
explicitement leurs réflexions économiques et monétaires
avec leurs autres travaux, d’autres comme John Locke ou
­Montesquieu en font une partie indissociable d’une pensée
plus large qui articule la politique monétaire au pouvoir poli-
tique. Au fil de la période, ces penseurs sont de plus en plus
spécialisés et développent des analyses de plus en plus fines
et systématiques. Ils constituent, au XVIII e siècle, l’avant-
garde d’une classe d’économistes au sens de spécialistes
d’une science autonome (par exemple, Richard Cantillon et
James Steuart). Leur rôle dans les débats économiques a sou-
vent été plus important que leur rôle institutionnel ; certains
textes d’intervention comme ceux de Jean Bodin et de John
Locke constituent des étapes d’une analyse plus profonde des

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questions monétaires que la simple participation à chaud à p. 97
des débats très vifs.

Enfin, bien des textes sont des pamphlets qui ne construisent


pas des systèmes théoriques mais interviennent dans les ques-
tions économiques et monétaires du moment en formulant des
conseils et en fournissant parfois des vues nouvelles voire des
concepts nouveaux sur des problèmes tels que la « révolution
des prix » du XVIe siècle, les mutations monétaires, la balance du
commerce, etc. Beaucoup de ces auteurs défendent les intérêts
de leur groupe social. C’est ainsi que les marchands fournissent
un contingent abondant de pamphlétaires : c’est un moyen d’ob-
tenir des mesures qui leur sont favorables. Certains d’entre eux,
cependant, sont des intellectuels prenant part ponctuellement
au débat en matière économique et monétaire. Les propositions
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très disparates des pamphlétaires restent généralement sans
influence sur les politiques.

Dans les cercles du pouvoir :


la monnaie contre la finance
Les deux catégories suivantes sont constituées d’officiers, de
conseillers et de gouvernants centrés pour certains sur les ques-
tions monétaires et pour d’autres sur les questions financières
– dans le sens premier du terme correspondant aux modes de
financement du prince ou de l’Etat. Cela engendre des construc-
tions théoriques très différentes, sinon opposées.

En effet, dans toute l’Europe des XVIe et XVIIe siècles, les


officiers de la Monnaie et les conseillers réguliers des institutions
exerçant un pouvoir sur la monnaie ont développé des arguments
métallistes. En Angleterre, le financier Thomas Gresham indique
dans un courrier à la reine les dangers que l’avilissement peut
faire peser sur le stock métallique du pays [Gresham, 1558] : si
on accorde à des pièces de moindre teneur en métal fin le même
pouvoir libératoire que des pièces anciennes, dont la compo-
sition est plus « riche », celles-ci seront exportées ou fondues [3] Hauser évoque
pour être échangées à l’extérieur. Donc, en cas d’avilissement, « la loi fameuse
qu’avait découverte
et si la quantité de mauvaises monnaies excède les besoins de Copernic et dont
on a fait honneur
transaction courants, « les mauvaises monnaies chassent la à Gresham » [Hauser,
bonne ». ­Gresham ne formule là qu’une opinion déjà largement 1932, p. xli].

répandue  [3]. De manière générale, et pour résoudre les crises


monétaires fréquentes, les conseillers demandent que la monnaie
soit solidement ancrée dans le métal et bénéficie ainsi d’une ›››

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p. 98 valeur fixe. La réforme monétaire française de 1577, dans laquelle


l’officier des Monnaies Thomas Turquam a joué un grand rôle,
est le produit de ces exigences, bien éloignées d’une pensée
mercantiliste. Avec les stabilisations monétaires du XVIIIe siècle,
qui signent la victoire politique des métallistes, et l’émergence du
papier-monnaie, les analyses et propositions des maîtres et autres
officiers de la Monnaie ont été moins sollicitées.

Au contraire des officiers des Monnaies, diverses gens des


finances, depuis les simples officiers jusqu’aux gouvernants,
ressemblent aux mercantilistes tels qu’ils sont généralement
identifiés. Ils sont titulaires d’une charge, conseillers permanents,
parfois conseillers privés de princes ; certains sont en charge du
budget, du financement et de l’impôt ; certains sont ministres. Ils
sont directement impliqués dans la recherche de la puissance du
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prince ou de l’Etat, pour le court ou
Pour Colbert et certains de ses épigones le long terme. Un Trésor abondant
au Portugal ou dans le Saint Empire, est à la fois le résultat et une condi-
c’est par une circulation étendue tion de pouvoir financier, lequel
et efficace des monnaies dans l’économie suppose la capacité de lever des
que le Trésor sera bien approvisionné. fonds principalement par de mul-
tiples formes d’impôt, par l’emprunt
et, dans une moindre mesure, par le seigneuriage prélevé sur la
frappe des pièces. Pour Colbert [1670] et certains de ses épigones
au Portugal ou dans le Saint Empire, c’est par une circulation
étendue et efficace des monnaies dans l’économie que le Trésor
sera bien approvisionné. Les approches sont chartalistes au sens
où la monnaie est d’abord une créature de l’Etat. Cependant, au fil
du XVIIIe siècle et de l’avènement des Lumières apparaissent de
nouvelles positions parfois fortement libérales, comme la figure
de Turgot, en France, un temps contrôleur général des Finances.

Les pensées monétaires dans l’histoire tente de rendre jus-


tice à la diversité des auteurs, de remettre en lumière certains
d’entre eux méconnus ou oubliés et de situer les débats dans un
contexte élargi, que nous allons évoquer maintenant.

La prolifération des mauvaises monnaies


et ses conséquences
Ce qui rend particulièrement riches les trois siècles qui
séparent les années 1500 des années 1800 en Europe, c’est
le glissement qui s’opère entre deux types de monnayages.
En début de période, il existe une forte dépendance vis-à-vis

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du métal, et le « système de monnayage marchand » s’impose p. 99
[Benetti et Cartelier, 1980]. Ce système domine l’Europe occi-
dentale jusqu’aux alentours du XVIIe siècle. Il y a donc une
dépendance des frappes monétaires vis-à-vis du métal extrait
ou acquis. Avec le déplacement du centre de gravité écono-
mique vers le nord de l’Europe, on assistera au développement
d’un « système de monnayage capitaliste ». Dans ce nouveau
système, la création de monnaie s’effectue via la monétisation
de créances : un banquier acquiert des garanties à son actif et
émet un moyen de paiement plus ou moins largement accepté
à son passif (sous forme de billets).

Mais au préalable, le système monétaire est dualiste. Il arti-


cule une monnaie de compte (appelée « monnaie imaginaire »)
et des moyens de paiement (ou « monnaies réelles ») qui ne
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portent pas mention de cette unité de compte. L’unité est défi-
nie par un poids de métal précieux, tandis que les espèces sont
frappées dans des métaux plus ou moins purs, où l’on trouve
principalement l’argent, plus abondant en Europe que l’or et le
cuivre – à l’exception notable, pour le cuivre, de la Suède puis
de la Russie. L’unité de compte royale et donc les décisions
du souverain sont au centre du système. En effet, le dualisme
permet de réaliser de multiples manipulations, qualifiées de
« mutations » lorsqu’elles émanent du prince : « nominales »
lorsque ce dernier modifie le cours légal des espèces sans
toucher son contenu métallique ; « réelles » lorsque le prince
fait fondre ou refondre des monnaies avec un contenu métal-
lique différent. Du fait des besoins financiers des différentes
couronnes en Europe, les mutations vont très largement dans
le même sens : celui d’une hausse des cours légaux ou d’une
baisse des contenus métalliques des espèces.

Dans ce cadre, un fait remarquable est qu’une quantité


impressionnante d’auteurs qui vivent dans ce système dualiste
dénonce très généralement les mauvaises monnaies, assimi-
lées à de la fausse monnaie. On ne peut comprendre ce fait
massif si l’on n’a que la contrefaçon crapuleuse en tête. De fait,
la notion de fausse monnaie telle qu’elle est employée alors
recouvre plusieurs types de situations :
– l’altération des monnaies, par un cours légal supérieur à
la valeur en unité de compte de leur contenu métallique, par
mutation nominale ou mutation réelle. Cette pratique très cou-
rante a marqué des périodes de crise un peu partout : vague ›››

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p. 100 de debasement en Angleterre, mutations françaises, crise des


vellóns espagnols… ;
– leur dégradation, par un contenu métallique non conforme
aux ordonnances royales engendré par des pratiques telles que
le rognage (qui consiste à prélever du métal sur les espèces) ;
– leur contrefaçon, les pièces étant forgées par des particu-
liers non dépositaires du droit souverain de frapper monnaie :
le pouvoir de battre monnaie peut passer aux mains de la mul-
titude des faussaires.

Dans tous ces cas de falsification, la fiduciarité des mon-


naies métalliques [4] peut se déliter, mais pas pour les mêmes
raisons : mauvaise gestion et abus (monnaie altérée), crime
(monnaie dégradée), voire crime de lèse-majesté (monnaie
contrefaite). Dans les cas extrêmes de contestation du privilège
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de « battre monnaie », les crises éclatent (Kipper und Wip-
perzeit dans le Saint Empire [5], crise de la fin du XVIIe siècle en
Grande-Bretagne, « temps des troubles » russe…).

Les sujets reconnus coupables de contrefaçon monétaire


[4] L’expression
encourent des supplices (en France, les faux-monnayeurs
est d’Andreau, peuvent être rôtis et bouillis, en Russie, on verse de l’étain en
Carré, Carrié,
Lamouroux [2008]. ébullition dans leur gorge, en Espagne, leur cas est traité par
la Sainte Inquisition…) et les princes qui abusent des muta-
[5] « Les temps
des coupeurs tions risquent l’infamie. Par exemple, Philippe le Bel, dont
et des rogneurs »
d’espèces, lors de la
la postérité a retenu les manipulations extraordinaires, est
guerre de Trente Ans. qualifié de faux-monnayeur par Dante dans la Divine comédie.

Les trois types de fausse monnaie


Catégorie juri-
Origine Définition dique adéquate
Monnaie Le souverain Cours légal supérieur à la valeur du contenu métallique. Rupture
altérée Cet écart dépend du brassage et du seigneuriage lors de contrat
de l’émission et s’accroît au fil des mutations, nominales et danger pour
ou réelles la foi publique
Monnaie Les officiers Contenu métallique non conforme aux ordonnances royales, Transgression
dégradée des Monnaies quelle que soit la qualité métallique définie par celles-ci, de la loi (crime)
ou les sujets du fait du détournement ou de la mauvaise application
par les officiers des Monnaies de ces ordonnances, du
rognage ou de l’usure naturelle de la pièce
Monnaie Les sujets Forgée par des particuliers non dépositaires du droit Transgression
contrefaite souverain de frapper monnaie de la loi (crime
de lèse-majesté)

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entre les XVIe et XVIIIe


Au début du XVIIIe siècle, en Russie, Ivan Possochkov critique p. 101
les manipulations monétaires autoritaires : « Ce n’est pas le
poids [des pièces] qui a la force mais la volonté du tsar. […] Chez
nous, c’est un vrai monarque omnipotent, pas un démocrate »
[Possochkov, 1724].

Si les falsifications peuvent provenir des princes eux-


mêmes, la variété des propositions de réforme monétaire en
Europe destinées à lutter contre la fausse monnaie s’applique
aussi à celle des princes… Prétendre construire un système
monétaire à l’épreuve de la contrefaçon peut ainsi masquer la
recherche d’un système monétaire à l’épreuve des mutations
monétaires princières.

La bonne monnaie et ses conditions :


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idées, projets et réformes
Au début de la période, le système monétaire dualiste est
vivement critiqué et connaît de multiples crises. La controverse
Malestroit/Bodin de 1566-1568 en France n’est que l’un des
moments forts des débats, que l’on trouve aussi dans le Saint
Empire, en Angleterre ou ailleurs au moins jusqu’à la fin du
XVIIe siècle. Ces débats indiquent une direction évidente : les
officiers et conseillers des Finances sont favorables au système
dualiste en cours et souhaitent pouvoir utiliser les possibilités
qu’il offre, en posant toutefois des limites à cet usage.

Parmi leurs contradicteurs, certains se positionnent véri-


tablement en rupture et promeuvent un système monétaire
réformé répondant à une approche métalliste avec des pistes
de sortie du système dualiste. Il s’agit alors de soumettre
totalement la monnaie à une règle de contenu métallique,
qui peut aller jusqu’à abolir tout seigneuriage. On retrouve
ici le mélange d’une recherche de solutions aux contrefaçons
des particuliers et aux falsifications princières. La voie métal-
lique doit en effet avoir pour avantage majeur d’empêcher les
princes d’opérer de nouvelles mutations. De façon différente,
cette voie est empruntée par trois « Jean » mémorables :
le Français Jean Bodin [1568], le jésuite castillan Juan de
Mariana [1609] et l’Anglais John Locke [1695]. Selon ces trois
penseurs de la souveraineté, dans le domaine monétaire, le
pouvoir doit garantir que le sceau qu’il appose sur les pièces
soit respecté sur le long terme. Des scolastiques tardifs, des
officiers de la Monnaie et quelques philosophes de l’économie ›››

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entre les XVIe et XVIIIe
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p. 102 promeuvent ce nouveau système de monnaie « purement »


métallique ou non « mutante », selon l’expression de Marc
Bloch [1954, p. 49].

C’est en empruntant cette voie métallique que sont opé-


rées les stabilisations monétaires en Europe sur une cinquan-
taine d’années à partir de la fin du XVIIe siècle et jusque dans
le premier tiers du XVIIIe siècle, c’est-à-dire qu’est stabilisé
le poids implicite des unités de compte en métal précieux.
Mais la stabilisation monétaire dans
Les banques modernes ont surtout un régime métallique engendre une
émergé sous la forme d’institutions grande rigidité de l’offre de mon-
émettrices de papier-monnaie naie : les outils d’ajustement fournis
convertible dans le métal stocké par le système dualiste ont disparu.
dans leurs coffres. Sur ces bases peuvent émerger de
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nouvelles propositions visant à intro-
duire une nouvelle forme de monnaie à base papier. Bien
que des expériences génoises aient été bien antérieures,
de nouvelles expériences émergent dans les années 1650, à
Stockholm notamment. C’est surtout chez les philosophes de
l’économie, chez les pamphlétaires ainsi que chez les officiers
des Finances que se trouvent désormais des propositions
allant dans trois nouvelles directions, qui chacune renvoie à
des expériences et des problématiques particulières.

Tout d’abord, à la suite de l’échec de travaux alchi-


miques visant à multiplier les métaux précieux, des propo-
sitions de banques foncières émergent dans l’Angleterre
des années 1650. Elles fournissent des crédits en billets aux
propriétaires terriens qui hypothèquent leur terre. En Ecosse,
en Irlande ou dans les colonies américaines dépourvues de
métal, cette solution sera proposée par John Law, George
­B erkeley, Benjamin Franklin ou James Steuart. Mais les
banques modernes ont surtout émergé sous la forme d’ins-
titutions émettrices de papier-monnaie convertible dans le
métal stocké dans leurs coffres.

Au fil du XVIIIe siècle, la multiplication des expériences en


Grande-Bretagne, dans le Saint Empire ou même en Russie
conduit un nombre croissant d’auteurs européens comme
Hume, Tatichtchev ou Galiani à en discuter la nature et les
conditions de viabilité : la question de la confiance dans
l’émetteur (et dans les limites au pouvoir d’émission) est

L’Economie politique n° 64
L’Economie politique

Les pensées monétaires


J. Blanc et L. Desmedt

entre les XVIe et XVIIIe


centrale. Les cités-Etats d’Italie, des Provinces-Unies ou p. 103
du Saint Empire sont des « laboratoires » scrutés depuis la
France ou l’Espagne. La proximité entre les dirigeants de ces
institutions et les détenteurs de comptes et les usagers des
moyens de paiements paraît essentielle. Pour les opposants
aux banques, ce système est difficilement transposable dans
les monarchies étendues, l’arbitraire y étant plus répandu que
dans les cités-Etats (c’est la position défendue par Montes-
quieu dans l’Esprit des lois).

Enfin, le papier-monnaie d’Etat inconvertible a été conçu et


proposé par des auteurs en nombre grandissant au cours du
XVIIIe siècle, opposant par là au système monétaire métallique
une vision chartaliste. Les promoteurs de ce type d’émissions
mettent l’accent sur l’importance d’une circulation abondante,
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de taux d’intérêt faibles stimulant l’activité économique et sur le
cloisonnement entre la sphère de circulation internationale (où
le métal est utile) et la circulation interne (où la circulation de
papier-monnaie est circonscrite).

Pour conclure
L’instauration de monnaies dont la valeur métallique a été
stabilisée en Europe au XVIIIe siècle a permis le développement
d’un système financier favorable à l’industrialisation. Michel
Aglietta [2002] a parlé à ce sujet de « révolution monétaire » :
le monnayage métallique marchand potentiellement soumis
aux manipulations princières a cédé la place à un monnayage
capitaliste où l’extension du crédit s’appuie sur un socle de mon-
naies fiables. Placer les discours en regard des faits monétaires
permet bien sûr de mieux saisir non seulement que les idées
ne se construisent pas hors des conditions monétaires dont
elles traitent, mais aussi qu’elles jouent un rôle majeur dans les
transformations des institutions. Même si cela nécessiterait une
analyse serrée qui n’est pas l’objet de ce texte, il semble difficile
de considérer que ces mêmes transformations se produisent par
le jeu fatal de mécaniques externes. Il y a un rôle pour l’inven-
tivité et l’intentionnalité humaines, les chemins ne sont pas
écrits. Cependant, adopter un regard européen sur une période
rarement abordée selon une vue aussi large permet de com-
prendre combien ces transformations ne peuvent provenir que
de forces et d’idées convergentes et comment les innovations
monétaires se diffusent entre cœur et périphéries – en partant
parfois de celles-ci. ■ ›››

Octobre-novembre-décembre 2014
L’Economie politique

Les pensées monétaires


entre les XVIe et XVIIIe
J. Blanc et L. Desmedt

Bibliographie primaire
p. 104 Bodin, Jean, 1568, « La response de Locke, John, 1695, « Brèves observations
Maistre Jean Bodin advocat en la Cour sur un mémoire intitulé “Des moyens
au Paradoxe de Monsieur de Malestroit, d’encourager la frappe des monnaies
touchant l’encherissement de toutes en Angleterre et ensuite de l’y garder” »,
choses, et le moyen d’y remedier », in Locke, John, Ecrits monétaires, Tiran,
in Le Branchu, Jean-Yves (dir.), Ecrits André (dir.), trad. française de Florence
notables sur la monnaie (XVIe siècle), Briozzo, Paris, Classiques Garnier, 2011,
vol. I, Paris, Alcan, 1934, pp. 69-177. pp. 209-233.

Colbert Jean-Baptiste, Mémoire du roi sur Mariana, Juan de, 1609, Monetæ
les finances, in Clément, Pierre (dir.), Mutatione/« A Treatise on the Alteration
Lettres et instructions de Colbert, Paris, of Money », trad. anglaise de
Imprimerie impériale, tome 7, 1873. Patrick T. Brannan, Journal of Markets
and Morality, vol. 5, n° 2,
Copernic, Nicolas, 1526, Monete automne 2002, pp. 523-593.
Cudende Ratio, « Traité de la monnaie »,
in Wolowski, Louis (éd.), Traictié Montchrestien, Antoine de, 1615,
de la première invention des monnoies L’économie politique patronale. Traité
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de Nicole Oresme et Traité de la monnoie de l’économie politique dédié en 1615
de Copernic, Paris, Guillaumin, 1864, au Roy et à la Reyne mère du Roy,
pp. 48-83. Paris, E. Plon, Nourrit et Cie, 1889.

Gresham, Thomas, 1558, « L’avis de sir Possochkov, Ivan Tikhonovitch, 1724,


Thomas Gresham, mercier, concernant Kniga o skoudosti i bogatstvé ;
la chute du change », in Le Branchu, en anglais : The Book of Poverty
Jean-Yves (dir.), Ecrits notables and Wealth, traduction d’Alexis Peter
sur la monnaie, vol. II, Paris, Alcan, Vlasto et Lucian Ryszard Lewitter (dir.),
1934, pp. 7-11. Londres, Athlone, 1987.

Bibliographie secondaire

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de la monnaie », in L’avenir de l’argent, in La response de Jean Bodin
OCDE, Paris, pp. 35-79. à M. de Malestroit, Paris, Armand Colin.

Andreau, Jean, Carré, Guillaume, Carrié, Keynes, John Maynard, 1936, Théorie
Jean-Michel, et Lamouroux, Christian, générale de l’emploi, de l’intérêt
2008, « La fiduciarité des monnaies et de la monnaie, trad. française
métalliques : une comparaison et préface de Jean de Largentaye,
historique », in Théret, Bruno (éd.), Paris, Payot, 1942 (rééd. 1971).
La monnaie dévoilée par ses crises,
vol. I, Paris, EHESS, pp. 265-303. Mill, John Stuart, 1848, Principes
d’économie politique, trad. française Léon
Benetti, Carlo, et Cartelier, Jean, 1980, Roquet (dir.), Paris, Guillaumin, 1889.
Marchands, salariat, capitalistes,
Grenoble, PUG. Orléan, André, 2011, L’empire
de la valeur. Refonder l’économie,
Bloch, Marc, 1954, Esquisse Paris, Le Seuil.
d’une histoire monétaire de l’Europe,
Paris, Armand Colin. Schumpeter, Joseph A., 1954, Histoire
de l’analyse économique. L’âge
Cartelier, Jean, 1996, La monnaie, des fondateurs (vol. I), Gallimard,
Paris, Flammarion. Paris, 1983 (rééd. 2004).

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