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Irigaray Luce. La production de phrases chez les déments. In: Langages, 2ᵉ année, n°5, 1967. Pathologie du langage. pp. 49-
66;
doi : https://doi.org/10.3406/lgge.1967.2872
https://www.persee.fr/doc/lgge_0458-726x_1967_num_2_5_2872
phèmes lexicaux imposés et que l'on compare les résultats obtenus avec
ceux des sujets « normaux » de même niveau socio-culturel.
Notons d'abord que l'échec est très fréquent surtout lorsque le nombre
de lexemes dépasse 2 : le malade refuse de répondre, avoue son
impuissance à satisfaire à la consigne, se fâche, etc. On peut conclure alors à
l'incapacité pure et simple de produire une phrase, du moins d'une
certaine complexité.
Plus intéressants sont les résultats obtenus avec des sujets un peu
moins atteints, et chez qui les structures génératives subsistent
partiellement. On peut esquisser la hiérarchisation suivante 1 :
b) Coordonnées :
— (bureau, ouvrir, tiroir) J'entre dans le bureau et je ferme
les tiroirs. — (froid, hiver) II fait froid car c'est l'hiver.
c) Subordonnées :
— (docteur, fauteuil, asseoir) Quand je suis chez le docteur
et que je suis assise, je vois que c'est bien. — (enfant, hôpital)
Quand on est enfant, on va à l'hôpital.
a) Phrases anomales :
— (crayon, écrire, bleu, feuille) J'écris une feuille en
couleur bleue. — (idem) Nous écrivons avec la feuille de papier. —
(arbre, vert, feuille, voir) J'aime voir le vert de l'arbre. —
(idem) L'arbre vert met sa feuille au printemps. — (table, livre,
être) Sur la table, le livre est resté. — (froid, hiver) L'hiver est
froide. — (table, mère) La jolie table de maman est jolie. — (lampe,
lumière) La lumière de la lampe éclaire la lumière.
b) Phrases correctes :
— (crayon, écrire, bleu, feuille) Avec le crayon bleu,
écrivez sur la feuille. — (fauteuil, docteur, asseoir) Le docteur est
assis dans son fauteuil devant son bureau. — (bureau, ouvrir,
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A. — Anomalies interpropositionnelles.
A la consigne de générer une seule phrase, la plus simple possible,
avec x termes donnés, le dément répond le plus souvent par un énoncé
complexe, composé de plusieurs propositions (phrases), juxtaposées,
coordonnées, subordonnées dans le cas où la cohérence apparaît la plus
forte. Mais qu'en est-il au juste de la forme et de la nature de la
relation établie entre les diverses propositions?
1. Propositions juxtaposées.
2. Propositions coordonnées.
La cohésion entre les phrases est ici assurée par une conjonction
comme et, ou, mais, etc. qui forme une redondance du morphème posi-
tionnel. Mais la coordination additive, chez les sujets détériorés,
équivaut souvent à une juxtaposition; la cohésion entre les phrases s'y résout
en une pure et simple succession temporelle. Parfois, il semble même que
le et évite ce premier degré de cohérence et qu'il accentue, au contraire,
l'aspect de simple « juxtaposition » de deux énoncés : Une table et une
maman. — Le froid et l'hiver. — La table et les livres. On ne peut
s'empêcher alors de songer à deux objets que l'on poserait l'un à côté de l'autre
sans qu'aucune relation ne les unisse.
Ceci dit, on retrouve parmi les phrases coordonnées les sous-ensembles
définis plus haut. Évidemment, le fait qu'on attende une redondance plus
grande entre deux messages explicitement coordonnés accentue le cas
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3. Propositions subordonnées.
1. Anomalies syntaxiques.
Elles sont relativement rares et n'existent que chez les sujets les
plus détériorés du moins au niveau de la phrase simple. Bien que de types
divers, elles semblent toutes relever en définitive de la difficulté d'établir
et d'exécuter un programme d'une certaine complexité ou longueur.
a) Phrases inachevées.
D'énoncés grossièrement inachevés (Les arbres sont... — Ouvrir le
tiroir avec...), qui se retrouvent dans le langage spontané, on peut
rapprocher des phrases présentant des agrammaticalités plus fines par absence
des déterminants : Chez moi, dernièrement, j'ai fait une installation avec
tubes et fils, avec un interrupteur. Les arbres sont verts, les feuilles dans
les bois, apparaît également comme agrammatical dans la mesure où il
ne semble pas que l'élision de sont permette d'expliquer le manque de
verbe dans P2.
b) Anacoluthes.
Ce type d'anomalie syntaxique intervient fréquemment dans le
langage spontané et il est proche de ce qui est regroupé sous la rubrique
« phrases inachevées ». Il témoigne de la difficulté qu'éprouve un dément
à poursuivre un programme de phrase : Avec une lampe, on l'allume. —
La lampe, je V éclaire. Sans doute, est-ce l'anacoluthe qui explique aussi
des énoncés tels que : Nous écrivons avec la feuille de papier, où le message
initié serait : Nous écrivons avec un crayon sur une feuille de papier.
L'anacoluthe est très fréquente dans les phrases complexes : Quand
c'est le soulier, il est sur la table; non pas sur la table, mais enfin il n'est
pas comme autre. — Faites attention, écrire sur un papier très propre. Etc.
c) Marques incorrectes.
La réitération (ou co-occurence) de marques que suppose la
définition d'un programme syntaxique n'est pas toujours respectée chez les
déments. Ainsi : L'hiver est froide. — Ils arrivent patiner hier. Tantôt
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3. Anomalies syntaxico-sémantiques.
Cette rubrique souligne la difficulté où l'on se trouve de fixer une
limite nette entre le domaine de la syntaxe et celui de la sémantique.
Elle regroupe les anomalies dont le statut ambigu doit être précisé afin
d'évaluer les répercussions que cette ambiguïté peut avoir sur la co-occur-
rence des classes grammaticales autant que sur le sens de l'énoncé. Ces
anomalies consistent dans le non-respect des concordances entre classes
grammaticales et classes sémantiques.
4. Anomalies sémantiques.
Si les anomalies de position, et surtout les anomalies syntaxico-
sémantiques, sont déjà correliées avec le sens, il paraît possible de
regrouper des anomalies plus nettement sémantiques : celles qui s'expliquent
par le type de rapport établi entre l'énoncé et le contexte
extralinguistique; celles qui s'expliquent par le seul recours à l'énoncé lui-même.
a) Rapport incorrect avec le contexte extralinguistique.
Sans doute est-il difficile de définir avec précision le contexte
extralinguistique; cependant, certaines anomalies apparaissent plus
particulièrement comme des erreurs sur le trajet du « monde » à l'énoncé. Ainsi :
Je vois un cheval bleu, un rouge, un jaune, il y en a de toutes les couleurs.
— Le miel (en désignant le ciel) est très bleu aujourd'hui. — On se trouve-
verait, chez les déments, devant une instabilité du réfèrent telle que la
communication deviendrait impossible. Évidemment, dans la constitution
même de ce réfèrent, il semble presque impossible de dissocier le rapport
au monde de l'établissement des compatibilités sémantiques.
e) Énoncés tautologiques.
Ces anomalies se rapprochent d'anomalies logiques dues à des
constituants lexicaux tautologiques. La tautologie se situe à divers niveaux :
— entre le sujet et le prédicat (SNj^ et SV) :
La jolie table de maman est jolie
La lumière de la lampe éclaire la lumière
— entre le déterminant et le déterminé :
Une forte lampe lumineuse
— entre le sujet et le circonstant (SNj^ et SN3) :
Une forte lampe près d'une forte lumière.
Le degré de l'anomalie varie suivant le lieu où la redondance se situe
dans la phrase. En fait, chez les déments, il semble qu'il s'agisse plus
d'inertie persévératrice et d'incapacité d'inhiber que de véritables
anomalies logiques. Encore qu'il n'est pas toujours aisé d'établir des limites
nettes entre les deux.
* *
Quel que soit le mode d'approche adopté, il semble que l'on puisse
conclure à une relative subsistance des patterns syntaxiques dans les
phrases des déments. Les enchaînements syntagmatiques y sont
correctement réalisés et l'appartenance aux diverses classes grammaticales le
plus souvent respectée. Par contre, la sélection des termes au moment
de la génération du message apparaît perturbée, ce qui entraîne des
anomalies syntactico-sémantiques et sémantiques d'autant plus grossières
qu'il s'agit des constituants relevant moins des normes d'intégration
syntaxique que de règles de sélection, tels les adjectifs. On peut donc
penser que si le dément conserve intacts les cadres de l'énoncé, il ne
peut pour autant les actualiser efficacement pour générer de nouveaux
messages. Cette hypothèse est confirmée par l'analyse de discours
spontanés, ou semi-induits, de sujets déments, qui se réduisent presque
essentiellement à une redite stéréotypée d'énoncés antérieurs.