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I. Bilan de la situation
[Doc.1]
Pour construire ce bilan, on a notamment eu recours à des éléments mis en ligne par l’UIP,
l’Union InterParlementaire, qui est l'organisation internationale des Parlements, créée en
1889. Foyer de la concertation interparlementaire à l'échelle mondiale, l'Union œuvre pour la
paix et la coopération entre les peuples et l'affermissement de la démocratie représentative en
étroite collaboration avec l’Organisation des Nations Unies. Notons qu’on s’intéresse ici
principalement à la représentation des femmes dans les instances législatives. Il en va
autrement de l’accès au pouvoir exécutif…
En février 2008, M. Anders B. Johnsson, secrétaire générale de l’UIP, déclarait en présentant
les statistiques des femmes dans les parlements et les gouvernements à la presse à New York :
« À ce rythme, on n'atteindra pas la parité au Parlement avant 2050 ». Au 1er janvier 2010,
19 % des parlementaires dans le monde sont des femmes, un niveau record certes, mais une
avancée insuffisante. Après les renouvellements intervenus dans 63 pays (78 Chambres) en
2007, une progression du nombre de femmes a été enregistrée dans 58 % des cas, les femmes
emportant 16,9 % de tous les sièges parlementaires renouvelés en 2007. Depuis, la situation a
encore évolué dans le sens d’un progrès en faveur d’une meilleure représentation des femmes
dans ces instances législatives, où elles sont maintenant 19 %.
Il faut souligner que le mode de désignation choisi a de l’importance. Ainsi, parmi les femmes
ayant emporté des sièges parlementaires, 1 764 ont été élues au suffrage direct, 116 au
suffrage indirect, et 133 ont été nommées. On parle de suffrage indirect, comme c’est le cas
en France pour les élections sénatoriales, lorsque ce sont de « grands électeurs » qui votent.
Dans ce cas, il faut déjà être élu pour pouvoir voter : les femmes étant moins nombreuses que
les hommes à assumer des charges électorales, elles sont peu nombreuses à être « grandes
électrices », ce qui s’en ressent dans la composition des chambres hautes qui sont souvent
élues au suffrage indirect.
Les femmes emportent 30 % ou plus des sièges à renouveler dans 24 chambres (basses ou
uniques). Fait intéressant, 7 parlements peuvent se vanter aujourd'hui de compter plus de
40 % de femmes dans leurs rangs. Rejoignant le Rwanda et la Suède, en tête depuis plusieurs
années maintenant, Afrique du Sud a élu 40 % de femmes à sa chambre basse, et Cuba,
l’Islande, les Pays-Bas et la Finlande suivent de près.
Les chambres hautes du Parlement ont également enregistré d'importants progrès. Au Sénat
du Burundi, les femmes occupent 43,6 % des sièges, et il y a 47,2 % de sénatrices au Sénat
bolivien.
l'Islande ont élu un nombre important de femmes. Les Etats insulaires du Pacifique ont le plus
faible taux de femmes au Parlement en 2007, soit 1,8 %. Aucune femme n'a été élue dans les
Etats fédérés de Micronésie et à Nauru.
Les avancées les plus marquées ont été réalisées en 2007 par le Kirghizistan, où l'on est passé
de l'absence totale de femmes au Parlement au chiffre de 25,6 % suite aux élections tenues en
2007. Cela s'explique par l'introduction de la représentation proportionnelle où les partis
politiques sont tenus de présenter au moins 30 % de femmes sur leurs listes.
B. Le cas rwandais
[Doc.3 et Doc.4]
Le Rwanda est le pays le plus paritaire du monde depuis les élections législatives d’octobre
2003, les premières après 9 ans de gouvernement de transition post-génocide (1994). À cette
date, 39 femmes sont élues sur 80 sièges, soit 48,8 % de femmes élues à la Chambre des
députés. Depuis, de nouvelles élections législatives se sont tenues en 2008, confirmant que le
pli de la parité était pris : les femmes sont même plus nombreuses que les hommes au
parlement rwandais (56,3 %) ! Il faut dire que le Rwanda s’est doté en juin 2003 d’une
Constitution prévoyant un quota de 30 % de femmes élues, quota largement atteint et même
dépassé. Avant cette date, les femmes représentaient 25,7 % des femmes élues au Parlement.
Ces progrès très sensibles sont rendus possibles notamment par le travail effectué en
partenariat avec l’Union interparlementaire et le Programme des Nations unies pour le
développement (PNUD).
On peut tenter de dégager quelques facteurs explicatifs spécifiques1 :
- la garantie constitutionnelle
- un système de quotas
- des structures électorales innovantes
L’étude de ce cas un peu particulier permet de mettre en évidence les mécanismes à l’œuvre,
et notamment de souligner les liens qui existent entre la représentation des femmes politique
et un mouvement des femmes organisé, qui a permis d’obtenir des changements significatifs
des rôles de genre dans le Rwanda d’après-génocide, ainsi que l’engagement particulier du
parti au pouvoir au Rwanda , le RPF (Rwandan Pa triotic Front, le Front Patriotique
Rwandais, dont le président Paul Kagamé est membre2), en matière de genre.
Les femmes rwandaises ont joué un rôle spécifique dans le génocide (800 000 morts en 100
jours). D’abord, elles y ont participé activement, ce qui a choqué un certain nombre
d’analystes surpris de voir des femmes faire preuve d’une telle violence (contre l’idée d’une
nature féminine douce…). Ensuite, et surtout, elles en ont été des victimes spécifiques.
Catherine Newbury et Hannah Baldwin signalent : « On ciblait toutes les femmes tutsi
simplement parce qu’elles étaient tutsi3. Un grand nombre d’entre elles ont été tuées, souvent
après avoir subi violences sexuelles et tortures. Mais on attaquait aussi les femmes de l’élite,
les femmes éduquées, sans distinction ethnique. Les soldats du FPR ont assujettis les femmes
hutu à la violence pour se venger des violences commises par les hommes hutu ».
L’anthropologue Christopher Taylor note lui aussi que le fait de prendre pour cible les
1
Elizabeth Powley, « Rwanda :Women Hold Up Half the Parliament »
http://docs.google.com/viewer?a=v&q=cache:-
JJ9Squ9QOoJ:www.genreenaction.net/IMG/pdf/FAITmemoire_revision_21.pdf+femmes+%2B+politique+%2B
+%22cas+rwandais%22&hl=fr&gl=fr&pid=bl&srcid=ADGEEShhoEOlThkhXJOhGDaRILoUu3kpaZNnqvNE0
wWPLzPF057wO_V0FfOrnn2Lky9yuYsvcR1FM64O2pfKVtPrQIptu_AUVe6ZsvVuMxAsjBgq1uMWYUxEC
udgsRx59aEhw4NsHpXO&sig=AHIEtbQr3_9YYXYmCr5CG1G8CfzqJFFpSA
2
Plutôt sensibilité de gauche. Élu avec 93 % des voix en 2010 après la disqualification de la plupart de ses
adversaires : jeu démocratique douteux…
3
L’essentiel des populations massacrées sont tutsis, les massacreurs étant hutus, mais il ne faut pas aller trop
vite…
3
femmes est un phénomène qui différencie les violences de 1994 de celles de 1959, 1964 et
1973. Si l’utilisation du viol comme stratégie d’agression délibérée dans la guerre civile
yougoslave a attiré l’attention internationale (selon les estimations, entre 20 000 et 50 000
femmes auraient été violées à cette occasion), s’agissant du conflit au Rwanda, il faudrait
selon Human Rights Watch multiplier ce nombre par cinq (100 000 à 250 000 femmes
violées). L’ampleur de la violence est encore plus surprenant si on prend en compte le fait
que, historiquement, dans les discours nationaliste rwandais, on conceptualisait les femmes
comme des entités sexuées mais pas ethnicisées. En effet, le terme kinyarwanda nyampinga
faisait référence aux femmes en tant que citoyennes dépourvues d’une identité ethnique.
Le rôle des femmes dans le génocide de 1994 au Rwanda, en tant que victimes ou criminelles,
peut être analysé en partie en fonction du rôle joué par les femmes dans la conception de
l’origine communes d’une nation ou d’un peuple. Leur statut de reproductrices et le rôle
qu’elles jouent dans la procréation pour le groupe mène à des exactions particulières contre
elles, en tant que victimes, et par elles, en tant qu’auteurs des crimes. Amina Mire souligne
l’importance symbolique du corps féminin dans le discours nationaliste/anticolonial, qui
l’identifie uniquement dans sa capacité reproductive, la tâche principale des femmes étant de
donner naissance aux fils de la nation et aux agents du corps politique. Par conséquent, les
femmes sont entrées dans l’imaginaire politique non pas comme des sujets ayant leurs propres
buts politiques, mais comme les mères des enfants de la nation et les femmes des hommes qui
sont les vrais sujets politiques. Dans le cas de Rwanda, le désir d’une pureté ethnique relayé
par les extrémistes Hutu a été l’un des catalyseurs de la violence. Les propagandistes faisaient
souvent référence à la Révolution de 1959, encourageant la population hutu à « finir le
boulot ». Nina Yuval-Davis4 explique que ceux qui sont préoccupés par la pureté de la race
sont aussi souvent préoccupés par les rapports sexuels entre les membres des différentes
communautés. De son côté, dans son analyse des aspects « genrés » du génocide, Taylor5
aussi remarque qu’« avec l’intensification du processus de dichotomisation des identités dans
les années ayant précédé le génocide, les femmes tutsi sont devenues quelque peu liminales,
susceptibles de subvertir complètement la différenciation des catégories de Hutu et de Tutsi ».
Cette préoccupation, ainsi que la question des rapports entre les sexes, est un cadre d’analyse
important pour comprendre la violence sexuelle que les femmes rwandaises ont subie.
L’importance des rapports sexuels et des capacités reproductives dans le discours des conflits
ethniques explique aussi le rôle que les femmes ont joué en tant que participantes dans le
génocide. Les femmes en effet reproduisent non seulement la nation ou le groupe ethnique de
manière physique, mais encore elles sont les reproductrices de la culture. En tant que telles,
elles ont le pouvoir d’exercer un contrôle sur d’autres femmes pouvant être considérées
comme des déviantes (et donc présenter un danger pour l’intégrité culturelle du groupe ou de
la nation).
La sexualité et le corps féminins fournissent souvent des espaces symboliques au travers
desquels les rapports de pouvoir entre hommes sont articulés et contestés. Dans les périodes
de conflit, les combattants s’en servent souvent comme un autre champ de bataille. En mars
1993, à l’occasion de la Journée internationale de la femme, Boutros Boutros-Ghali déclarait
ainsi : « Si l’on a considérablement progressé dans la formulation et la réalisation des droits
de la femme dans nombre de pays, dans d’autres la barbarie a ressurgi. La violence sexuelle
systématique contre les femmes a, dans certains cas, servi d’arme de guerre pour dégrader et
humilier des populations entières. Le viol est le crime le plus abject contre les femmes ; le
viol systématique est une abomination ».
4
S. Blizzard, Women’s Roles in the 1994 Rwanda Genocide and the Empowerment of Women in the Aftermath,
M.A. Thesis.
5
Christopher Taylor, Terreur et sacrifice : une approche anthropologique du génocide rwandais, Octarès
Éditions, Paris, 2000.
4
Dans la littérature sur les rapports entre les conflits et le genre, on note aussi que les
organisations des femmes – formelles et informelles – émergent souvent dans les périodes de
conflit pour subvenir aux besoins de leurs familles et leur communautés. Cette émergence
s’accompagne d’une expansion des rôles et des responsabilités des femmes dans la sphère
publique. En l’absence des hommes, les femmes prennent la direction des institutions
politiques locales ou, pour soutenir leurs soldats, elles organisent les meetings ou les
défilés/manifestations et mobilisent l’opinion publique au nom de l’idéologie ou du
nationalisme. Pourtant, le plus souvent, dans la période post-conflit, les femmes se retirent de
leurs nouveaux rôles (hypothèses explicatives : une nostalgie de l’ordre social traditionnel et
un retour des hommes qui réaffirment leur place et leur rôle traditionnel).
Cela n’a pas été le cas au Rwanda, pour plusieurs raisons. D’abord, suite aux massacres, les
femmes représentent une proportion élevée de la population (70 %). Mais surtout, leurs
organisations ont bénéficié d’un soutien important du gouvernement du FPR. Ainsi, il existe
un Ministère du Genre et de la Promotion de la Femme (MIGEPROFE) qui est responsable
pour la coordination des efforts gouvernementaux sur les questions de genre. À la suite du
génocide, le gouvernement a chargé le MIGEPROFE, avec le soutien des organisations des
femmes, de mener une série d’action spécifique. Un représentant du ministère a été nommé
dans chaque préfecture et chaque commune. Une politique de gender mainstreaming s’impose
dans toutes les politiques nationales, pour la mise en place d’un cadre juridique pour l’égalité
entre les hommes et les femmes, et favorable à un pouvoir accru des femmes dans les secteurs
économiques, sociaux, et politiques.
Le personnel du MIGEPROFE organise des programmes de sensibilisation aux questions de
genre à de nombreux niveaux : pour les fonctionnaires du plus haut niveau au plus bas niveau
de l’échelle, dans les écoles publiques, les églises et les mosquées… Des fonds spécifiques
ont été dévolus à l’amélioration de la situation économique des femmes rurales (notamment
sous la forme de micro-crédit).
En 1996, les Conseils des Femmes sont instaurés. La structure des Conseils des Femmes
reflète celle des autres structures politiques. Au niveau de la cellule, toutes les femmes de plus
de 18 ans élisent 10 représentantes qui se rassemblent au niveau du secteur pour former
l’assemblée du secteur. 10 membres de cette assemblée de secteur sont choisies, qui
formeront l’assemblée du district. Au sommet de cette structure pyramidale se trouvent la
Présidente et Vice-Présidente nationale, qui sont membres de droit du Parlement. Ces conseils
jouent le rôle d’intermédiaire entre les femmes au niveau local et les autorités locales. Ils
s’assurent que les vues des femmes sur l’éducation, la sécurité, la santé, et d’autres sujets sont
entendues par les leaders locaux. Ils ont aussi pour objectif de faire en sorte que les femmes
prennent conscience de leurs droits et servent également de lieux de formation pour les
femmes. Ces conseils jouent un rôle essentiel en matière d’implication des femmes en
politique (véritable processus d’acculturation), en dépit d’un manque de ressource chronique
(les membres des conseils sont bénévoles, et doivent donc concilier ces responsabilités
politiques avec leur travail salarié et leurs responsabilités familiales).
En 2000, à la fin de la période transitionnelle, le Rwanda a établi une Commission
constitutionnelle de 12 membres dont trois femmes. L’une d’entre elles, Judith Kanakuze,
était la seule représentante de la « société civile » dans la commission et elle a joué un rôle
important de liaison entre les organisations des femmes au Rwanda. La Commission
constitutionnelle a été chargée de rédiger un document destiné à être ensuite proposé à la
population dans une série de consultations, à la fois pour solliciter l’opinion publique et
sensibiliser les citoyens à la signification et aux idées principales de la nouvelle Constitution.
Cette approche participative a permis aux organisations féminines, qui se mobilisèrent
activement, de s’assurer que l’inclusion des dispositifs promouvant l’égalité serait une pierre
angulaire du nouveau document. L’organisation « Collectif Pro-Femmes/Twese Hamwe » et
6
ses organisations membres s’allièrent avec les femmes au Parlement et le ministère du Genre
et de la Promotion de la Femme pour exercer une pression sur le processus constitutionnel.
Dans le préambule de sa Constitution, le Rwanda souligne son adhésion à diverses
conventions sur l’égalité des sexes et, plus largement, à la Déclaration universelle des droits
de l’homme (1948). Il est fait explicitement référence à la Convention sur l’élimination de
toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes de 1980. L’engagement est pris
d’« assurer l’égalité des droits entre les Rwandais, hommes et femmes ». L’article 9 du
deuxième chapitre établit aussi comme un principe fondamental de la nation l’égalité entre les
hommes et les femmes, principe qui doit se « refléter [dans] l’attribution d’au moins 30 % des
postes aux femmes dans les instances de prise de décision ». L’article 11 prévoit
expressément l’égalité et la liberté de tous les Rwandais en droits et en devoirs et prohibe
aussi la discrimination fondée sur le sexe. Cette disposition ne s’applique toutefois qu’en
matière de lois discriminatoires et d’actions discriminatoires par des autorités publiques : elle
ne s’applique pas aux actions d’individus ou d’autorités privées. Cette limitation est lourde de
conséquence pour les femmes qui souvent sont aux prises avec des formes de discrimination
et d’oppression multiples dans la sphère privée. L’article 54 stipule que les formations
politiques « doivent constamment refléter, dans le recrutement de leurs adhérents, la
composition de leurs organes de direction et, dans tout leur fonctionnement et leurs activités,
l’unité de la nation rwandaise et la promotion du gender ». Il est important de souligner
cependant que, même si la Constitution rwandaise est progressiste en termes d’égalité des
genres et de représentation des femmes, elle est restrictive dans d’autres domaines tel par
exemple celui de la liberté d’expression sur des sujets touchant à l’ethnicité ou au degré de
pouvoir exercé par le Président.
De manière générale, il est clair que les femmes restent très minoritaires au sein des exécutifs
européens. À l’échelle mondiale, sur 150 chefs d'Etat début 2008, seuls 7 (soit 4,7 %) étaient
des femmes. La proportion est encore plus faible lorsqu'il s'agit des chefs de gouvernement,
avec 4,2 % de femmes, soit 8 femmes sur les 192 chefs de gouvernement que compte la
planète. S'agissant des présidentes de parlement, le total est d'environ 10 % – 28 femmes
présidant un parlement, dont près de la moitié sont des parlements d'Amérique latine et des
Caraïbes. Au niveau mondial, 16,1 % de tous les portefeuilles ministériels sont détenus par
des femmes, soit une augmentation globale de deux points de pourcentage par rapport à 2005.
Pour la petite histoire, c’est en Union soviétique qu’une femme est parvenue, pour la première
fois, à un poste ministériel, en 1916 (Alexandra Kollontaï, Commissaire du peuple à
l’Assistance publique, actuel ministère de la Santé). La Pologne suit le mouvement en 19186.
Ces conclusions sont tirées de la carte sur les femmes en politique en 2010 produite par l’UIP
et la Division des Nations Unies pour la promotion de la femme7. Le nombre de pays qui
n’ont pas de femmes ministres est passé de 19 à 13. La sous-représentation des femmes dans
les gouvernements est de plus en plus considérée comme une question politique clé.
Contrairement à ce qui se passe dans certains parlements, où différentes mesures ont été
prises pour assurer des sièges aux femmes, au plan gouvernemental, tout est affaire de
volonté.
Deux pays ont ainsi dépassé les 50 % de femmes aux postes ministériels : la Finlande avec
58 % et la Norvège avec 55,6 % de femmes. La Grenade (Antilles) arrive en troisième
position avec 50 %. Les trois têtes de liste sont suivies de près par la Suède, la France,
l’Afrique du Sud et l’Espagne, pays où les dirigeants politiques se sont fortement engagés en
faveur de l’égalité entre hommes et femmes.
22 pays ont plus de 30 % de femmes à des fonctions ministérielles – 12 en Europe et 6 dans la
région Amérique latine-Caraïbes. En 2005, seuls 17 pays – principalement en Europe –
avaient atteints les 30 %. En fin de liste, 13 pays n’ont toujours aucune femme ministre et huit
autres ont une proportion inférieure à 5 %. A l’échelon régional, le continent américain et les
pays nordiques ont plus de femmes ministres qu’en 2005. Sur le continent américain, elles
sont passées de 17 à 23 % et les pays nordiques peuvent eux aussi se vanter d’avoir enregistré
une augmentation de 5 %, passant ainsi de 42,5 à 47,5 %. Cette tendance, pays nordiques et
Amériques en tête, reflète la progression constatée dans les parlements. De leur côté, les Etats
6
C’est Irena Kosmowska, nommée ministre des droits sociaux. Viennent ensuite le Danemark (Nina Bang à
l’Instruction publique en 1924), la Grande Bretagne (Margaret Bondfield, travailliste et ministre du Travail, en
1929), les États-Unis (Frances-Perkins, ministre du Travail en 1933), l’Inde (Vijaya Lakshmi Pandit, sœur du
Premier Minsitre Nehru, et ministre du gouvernement local et de la santé publique en 1946), la France
(Germaine Poinso-Chapuis au ministère de la Santé publique et de la population en 1947). Le Front populaire
avait permis à des femmes d’accéder à des postes de sous-secrétaires d’État : Suzanne Lacore (sous-secrétaire
d'État à la Protection de l’enfance) Irène Joliot-Curie (à la Recherche scientifique) et Cécile Brunschvicg (à
l’Éducation nationale)
7
Elle se trouve en ligne sur le blog. Cette affiche présente une radiographie de la présence des femmes dans
deux des branches de l’Etat, l’Exécutif et le Législatif, au mois de janvier 2010. Elle a été publiée par l’Union
interparlementaire (UIP) et la Division de la promotion de la femme (ONU) à l’occasion de la 54e session de la
Commission de la condition de la femme. L’affiche présente des informations sur le pourcentage de femmes
dans les rangs ministériels, des femmes dans les parlements, des femmes aux plus hauts postes de prise de
décisions (femmes présidentes d’Etat ou de gouvernement, femmes présidentes de chambres parlementaires),
ainsi que des informations sur les portefeuilles ministériels détenus par les femmes dans le monde. La
représentation et l’utilisation des frontières sur la carte servant de support pour la présentation des données n’est
pas l’expression d’une prise de position sur le statut juridique de tout pays, territoire, ville ou zone, ou sur la
délimitation de frontières ou limites.
8
arabes ont connu une amélioration de 1 %, et comptent désormais 8 % de femmes dans les
fonctions ministérielles, tandis que l’Asie marque le pas, également à 8 %.
Les femmes continuent à se voir confier des portefeuilles « de seconde importance ». La
plupart des ministères dirigés par des femmes ont trait aux affaires sociales, à la famille, à
l’enfance, à la jeunesse et aux affaires féminines. Viennent ensuite l’éducation et
l’environnement. Il convient toutefois de noter qu’il y a un plus grand nombre de femmes à la
tête des ministères du commerce, de l’emploi, des affaires étrangères et de la justice. La
défense demeure comme on l’imagine en bas de liste, et ne représente que 6 ministères sur les
1 022 détenus par les femmes à l’échelle planétaire.
[Doc.6]
affirme qu’il n’y a d’État que dans la distinction du privé et du public, et dans leur
harmonieuse articulation. La maisonnée, sous la direction de son chef, appartient donc à
l’ordre du privé, et aucun de ses membres n’en doit sortir, sous peine de compromettre
l’existence même du gouvernement. L’homme est le seul qui puisse passer de l’univers
familial à la participation à la chose publique, soit comme simple citoyen, soit comme
gouvernant. Il assure ainsi la communication entre les deux sphères.
Si l’on regarde de plus près la composition d’un ménage, on constate que les enfants sont
destinés, en grandissant, à sortir de cet espace privé (les garçons pour fonder leur propre
maisonnée, les filles pour entrer dans une autre famille par le mariage), que les serviteurs
peuvent aller servir ailleurs, et que les esclaves peuvent être affranchis. La seule qui soit
destinée à rester pour toujours à demeure, c’est la femme : s’il doit n’y avoir plus qu’un
individu au sein du ménage, ce sera elle. Elle est donc susceptible de définir, par son unique
personne, l’espace privé. Donc, elle doit en garantir la pérennité : sans elle, la distinction
privé / public, qui est le socle de l’existence même de l’État, disparaît. Implicitement, au fil
des pages de ses Six livres de la République, c’est la conclusion à laquelle arrive Bodin, qui
finit par faire de « la puissance du mari sur la femme », la « source et origine de toute société
humaine ».
Le commandement dans la famille n’est pas seulement origine, modèle idéal ou métaphore,
du commandement dans la République : il y a interactions, influences réciproques entre ces
deux types de gouvernement qui jouent sur le fonctionnement ou le dysfonctionnement de
l’État. Si les maisons sont bien administrées, chaque membre restant à sa place et « faisant
son devoir » sous l’autorité de son chef, l’État sera en bonne santé. Si, à l’inverse, l’épouse
prend le gouvernail de la famille, c’est l’État lui-même qui part à la dérive : la contagion se
répand d’une maison à l’autre, jusqu’au plus haut niveau politique… Le péril est encore plus
grand quand la femme ne se contente pas de faire la loi chez elle, et qu’elle se mêle d’affaires
publiques, soit pour influencer son mari dans la gestion étatique (cas de Théodora, épouse de
l’empereur Justinien, coupable d’avoir infléchi l’action de son mari en faveur du sexe
féminin), soit pour exercer elle-même le pouvoir, ce qui est encore pire. Le commandement
des hommes dans les ménageries perd, par contrecoup, sa légitimité. La société tout entière et
l’État se trouvent donc ébranlés. Bodin dénonce ainsi, sous le nom de « gynécocratie », ce
gouvernement de l’État par les femmes : « La Gynécocratie est droitement contre les lois de
nature, qui a donné aux hommes la force, la prudence, les armes, le commandement, et l’a ôté
aux femmes et la loi de Dieu a disertement ordonné que la femme fut sujette à l’homme, non
seulement au gouvernement des Royaumes et Empires, [mais] aussi en la famille de chacun
en particulier ». Plus loin il insiste : « Or, tout ainsi que la famille est reversée où la femme
commande au mari, attendu que le chef de famille perd sa qualité pour devenir esclave, [de
même] aussi la République, à proprement parler, perd son nom où la femme tient la
souveraineté, pour sage qu’elle soit. Et si elle est impudique, qu’en peut-on espérer ? ».
On ne peut exclure plus clairement les femmes de la participation à la chose publique. Deux
arguments sont principalement avancés :
- la « nature » féminine, qui sera amplement développée au XIXe siècle avec l’aide de la
médecine en particulier
- le rapprochement entre la « fille publique » (prostituée) et la femme qui sort du terrain
privé pour s’occuper de la chose publique (Ménagère ou courtisane, voilà la seule
alternative laissée à la femme, même chez le socialiste Proudhon qui s’oppose par
ailleurs sur tous les autres points à Bodin8)
8
Voir sur ce point son édifiante Pornoratie ou la femme dans les temps modernes (1875).
« Une femme ne peut plus faire d'enfants quand son esprit, son imagination et son cœur se préoccupent des
choses de la politique, de la société et de la littérature. » Sa vraie vocation est le ménage : « Nous autres
hommes, nous trouvons qu'une femme en sait assez quand elle raccommode nos chemises et nous fait des
10
Certes, les mentalités ont bien évolué depuis le XVIe, et même le XIXe siècle, encore que…
[Doc.8] On trouve aisément des anecdotes qui tendent à montrer le contraire, notamment les
attaques spécifiquement sexistes dont Ségolène Royal a pu faire l’objet lors de la campagne
de 2007. [Doc.9]
Les commentateurs actuels de Bodin passent souvent sous silence ses thèses sur le statut de la
femme, fondement de la distinction public/privé et du statut même de l’État. Pourtant, ce n’est
pas cette distinction, essentielle dans nos démocraties, qui est en cause, mais la définition du
privé qui régi l’articulation des deux sphères. La fin du confinement de la femme dans
l’espace privé doit-elle aboutir inéluctablement à la « gynécocratie » ? Celle-ci traduit plus les
hantises de Bodin que le vœu des femmes leur but n’est pas d’inverser le sens de la
domination, mais d’obtenir simplement la parité avec les hommes dans la gestion des affaires
publiques. Il s’agit non pas de « repenser le politique », mais bien d’en avoir une autre
pratique qui, à terme, modifierait la conception même de celui-ci. La conquête des droits
politiques par les femmes, l’exercice du droit de suffrage, la possibilité de l’éligibilité et de la
nomination de femmes à des postes de responsabilité constituent alors les passages obligés de
cette transformation.
biftecks ». Accorder à la femme le droit de vote serait « porter atteinte à la pudeur familiale » et Proudhon, qui a
fini par prendre pour épouse une ménagère, profère cette risible menace : « Le jour où le législateur accordera
aux femmes le droit de suffrage sera le jour de mon divorce ».
Il va jusqu’à prescrire aux hommes de mener la femme à la trique. Elle « veut être domptée et s’en trouve bien
[…] L’homme a la force ; c’est pour en user ; sans la force la femme le méprise[…] La femme ne hait point
d’être un peu violentée, voire même violée ».
La bête noire de Proudhon, c’est la femme émancipée, atteinte de « nymphomanie intellectuelle », qui imite les
manières masculines, la « virago », la femme de lettres, dont George Sand est, à ses yeux, le détestable
prototype.
9
On fait ici référence à une recherche effectuée par Réjane Sénac-Slawinski, « Les représentations des identités
sexuées. Genre et modèles de citoyenneté », in Genre, citoyenneté et représentation, Lyon, PUL, 2007, p.41-60.
11
comme un danger pour l’ordre général de la société (ordre naturel et familial, mais aussi
social et politique).
Dans ce cadre on peut espérer l’équité, i.e. une égalité des sexes qui n’est pas contradictoire
avec une inégalité de places et de missions entre les sexes (perçue come conforme à des
inégalités naturelles, donc inévitables et justifiées). Dans ce cas, on admet que l’asymétrie des
sexes crée un rapport hiérarchique entre eux.
Mais dans ce même cadre initial de « l’harmonie naturelle », on peut vouloir l’équivalence,
principe fondé sur la transversalité des genres, le masculin et le féminin traversant les
barrières entre les sexes (qu’elles soient de droit, devant Dieu ou de « potentiel génétique »),
mais seulement dans la mesure où cela ne bouleverse pas l’ordre sexué toutefois.
- Le modèle « du droit à l’égalité »
Il se fonde sur la primauté de l’égalité qui doit être formelle et réelle, mesurée par des critères
concrets (place dans l’échelle sociale, niveau de rémunération, degré d’autonomie…). Dans
ce cas, l’égalité des sexes est pensée comme une exigence à atteindre, un horizon
démocratique à conquérir.
On peut considérer que l’ordre sexué n’a pas de légitimité substantielle, donc qu’il doit être
remis en question s’il justifie la perpétuation d’une hiérarchisation. Dans ce cas, il convient de
dénoncer les enjeux de pouvoir qui sont contenus dans la dimension sociale des identités
sexuées : un lien explicite est noué entre la dénonciation des inégalités enter les sexes et une
construction sociale fondée sur la loi du privilège.
On peut également estimer que le traitement social des différences hommes/femmes est
paradigmatique de l’infériorisation de ceux qui sont pensés comme « autre » (en raison de
leur sexe, de leur apparence physique, de leur orientation sexuelle, de leur origine ou de leur
identité sociale). Les femmes qui remettent en cause l’ordre sexué par leurs choix de vie sont
alors perçues comme des modèles pour tous ceux qui sont en situation de marginalité et
doivent s’affirmer contre l’ordre social. Et la capacité à penser les différences
hommes/femmes en termes d’égalité est vue comme un véritable défi démocratique : la
remise en cause de l’ordre établi paraît être la condition de l’établissement d’une société juste.
Il existe donc un multitude de manière de penser les différences hommes / femmes dans
l’égalité. Chacun des deux modèles présentés correspond à une vision spécifique (et
concurrente de l’autre) de la démocratie. Dans le premier type de modèle, le bonheur des
citoyens et l’équilibre social est fondé sur le respect de l’ordre établi. Pour le second type de
modèles, on doit entretenir un rapport critique à la réalité : c’est même la condition de
l’émancipation citoyenne.
favoriserait l’établissement de liens directs entre les élus et élues et l’électorat, privilégiant les
notables déjà implantés solidement sur le territoire. Par ailleurs, ce mode de scrutin conduirait
à des combats politiques singuliers au second tour, où les qualités pour l’emporter sont
connotées « virilement » (aptitudes à diriger un meeting, qualités d’orateur, etc.)
des femmes lors des législatives, en 1996). Par ailleurs, les Verts, en s’imposant la parité dès
leur création en 1984, on joué un rôle de concurrent indéniable dans le camp de la gauche.
Enfin, la perméabilité spécifique de l’ordre politique allemand aux nouveaux mouvements
sociaux (notamment l’écologie, mais aussi le féminisme) expliquerait que les femmes soient
mieux représentées en politique outre-Rhin : ces mouvements constitueraient pour elles un
tremplin d’accès privilégié aux charges électorales. À l’inverse, les féministes françaises ont
majoritairement refusé les stratégies d’intégration, et s’en sont donc privé.
Suggestion de lecture sur ce dernier point : Éric Fassin, « La démocratie sexuelle et le conflit
des civilisations », in Multitudes, 2006/3 (no 26)
Dans le monde postcolonial, et plus particulièrement depuis le 11-septembre 2001, une norme
libérale occidentale renouvelée ajoute aux droits de l’homme la « démocratie sexuelle » (une
conception lisse de la féminité à laquelle tend à s’adjoindre une conception lisse de
l’homosexualité). Imbriquée à la norme antiraciste, cette « démocratie sexuelle » tend un
piège redoutable aux sujets postcoloniaux qui auraient le malheur d’y déroger : accusés de
faire le jeu du racisme, ils se trouvent renvoyés à la barbarie et sortis du jeu. Zacarias
Moussaoui le sait et il le surjoue ; les jeunes filles françaises issues de l’immigration
maghrébine le savent et elles négocient au jour le jour (voile, choix des partenaires sexuels).
En ligne :
www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=MULT&ID_NUMPUBLIE=MULT_026&ID_ARTICLE=MULT_026
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