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De Surgy Albert. La relation au conjoint idéal et le statut de l'imaginaire chez les Evhé. In: Journal des africanistes, 1980, tome
50, fascicule 2. pp. 73-105;
doi : https://doi.org/10.3406/jafr.1980.2004
https://www.persee.fr/doc/jafr_0399-0346_1980_num_50_2_2004
Abstract
Abstract The relationship with the Ideal Spouse and the Statuts of the Imagination among the Ewe The
Ewe join every human being with an invisible spouse from the time when the individual taking form in
the womb, existed only in a psychic world in the underground dwelling of a great goddess-mother. The
rites for négociation and reconciliation with this spouse reveal the individual's «imaginary» life in this
dwelling-place and its subsistence as the secret, constant basis of his or her personality from birth till
death. The very frequent consultations with the soothsayer and consequent religious acts all have the
unique goal of rediscovering the way to get into touch with this prenatal experience in order to better
adapt the subject's existence to the ideal that it represents. The choice, among the subject's friends
and relatives, of representatives of those with whom he or she had kept company before birth brings to
light within the social context a reserve of relations with the imaginary world. The subject has to
maintain ties with these representatives, and this contributes to his mental well-being.
ALBERT DE SURGY
I
Présentation des croyances relatives au conjoint idéal
Les Evhé en effet associent à tout être humain un conjoint invisible appelé
dzogbemesrô, c'est-à-dire le conjoint (srô) de dzogbe, OU conjoint du lieu
ou du temps de l'origine, le suffixe gbe étant un déterminatif de lieu ou de
temps. Pour l'homme il s'agit d'une dzogbemesi (épouse de dzogbe) ; et pour
la femme d'undzogbemetsui (mari de dzogbe).
Dans la mesure où la condition du futur être humain dans le pays qu'il
doit quitter pour aller prendre corps dans le monde des vivants est identique
à celle qu'il éprouve après la mort4 , ce conjoint invisible idéal est aussi connu
sous le nom de rjolimesrô, ou conjoint du pays de goli, rjoli désignant ce
qui subsiste avec l'essence particulière de l'homme après sa mort.
On l'appelle aussi parfois semesrô, conjoint selon le destin, ou bien
gbesrô, conjoint de la vie. Cependant le terme de semesrô est assez
fréquemment utilisé pour qualifier un conjoint réel semblable au conjoint idéal, car
c'est là le conjoint conforme au destin de l'individu5 ; et le terme a gbesrô
est plutôt utilisé pour désigner le représentant vivant du conjoint idéal,
distinct du conjoint réel6 .
Bien qu'il garde la nature imaginaire des êtres du monde de l'origine quitté
par l'individu, le conjoint idéal reste lié à ce dernier durant toute son
existence et est particulièrement sensible à ses aventures conjugales. On attribue
la réussite d'un mariage soit au fait qu'il a été réalisé en parfait accord avec
les conjoints idéaux des deux époux7 , après acquittement de toutes les
obligations contractées à leur égard, soit à une excellente adéquation de chaque
conjoint réel au conjoint idéal du partenaire.
4. En effet après la mort, plus exactement après les funérailles, l'homme se dépouille des
composantes spirituelles et matérielles qui lui ont été attribuées pour prendre naissance parmi les vivants.
5. Tel est notamment le cas à Togoville, Abolève, et Vo-Kponu.
6. Tel est notamment le cas à Bê, Abolève, et Vo-Kponu.
7. Cet accord est du genre de celui donné parfois par la première épouse au choix d'une autre
épouse, ou de celui par lequel un conjoint, après règlement satisfaisant du divorce, accepte de céder la
place à un autre.
LA RELATION AU CONJOINT IDÉAL ET LE STATUT DE L'IMAGINAIRE 75
pp. 39-47.8. Voir, à ce sujet, A. DE SURGY, La géomancie et le culte d'Afa chez les Evhé du littoral
9. Ibid, p. 53.
10. En matière d'échanges matrimoniaux les coutumes varient d'une région à l'autre. Pour
beaucoup d'Evhé
comme mariage
de préférentiel
l'intérieur le
chez
mariage
les agio.
entre proches cousins . croisés reste évité alors qu'il est recherché
76 A. DE SURGY
Par les déterminations de caractère culturel qui lui sont ainsi attribuées,
en raison même de son appartenance à une société image de la société réelle,
nous voyons que le conjoint idéal ne peut être considéré comme un compagnon
unique créé par Dieu en même temps que l'âme, avant tout engagement de
celle-ci dans le devenir. C'est dans un monde déjà marqué parles contingences
de la vie sociale, du moins telles qu'elles sont imaginées ou décrétées avant
d'être vécues, qu'il prend naissance, et en dépendance de celles-ci.
On s'aperçoit d'autre part que toutes les difficultés de relation avec le
conjoint idéal sont attribuées au sujet lui-même dans la mesure où il a rompu
sans ménagement avec lui pour prendre le chemin du monde visible, dans la
mesure où en ce monde il ne respecte pas les promesses particulières qu'il lui
.a faites, enfin dans la mesure où il ne se conforme pas avec son conjoint réel
aux règles du bon usage ou au style particulier de relations matrimoniales
qu'il a eu l'occasion d'idéaliser.
Le conjoint idéal n'est pas un personnage autonome ; il n'a jamais eu
l'initiative d'exiger quoi que ce soit du sujet ; il n'intervient dans l'existence
de celui-ci que pour l'obliger à respecter toutes sortes de conventions ou
d'engagements particuliers dont il lui a laissé prendre l'entière responsabilité.
Il ne se présente donc en aucun cas comme un compagnon imposé par Dieu
(indépendamment de toute expérience et pour toujours), mais comme un être
projeté par chacun près de lui par la propre force de son activité imaginaire...
De là vient son assimilation, en tant que cause de problèmes, à une certaine
catégorie de demande ou de promesse prénatale appelée g bets i (voix dite,
ou voix particulière)11 .
11.' Seke Axovi, maître géomancien dzisa à Angola, considère sept variétés de demandes
prénatales ou gbetsi, dont quatre d'entre elles vont retenir ci-dessous notre attention :
— tasi gbetsi, ou engagement pris vis à vis de la tante paternelle du pays mythique (fetume),
— evhui gbetsi, ou engagement pris vis à vis de l'épouse appartenant à la famille paternelle du pays
mythique.
— asidza gbetsi, ou engagement pris vis à vis de l'épouse appartenant à la famille maternelle du pays
mythique,
— vhemega gbetsi, ou engagement pris vis à vis de l'époux du pays mythique,
— gbetsi bludzedo, ou engagement pris de reprendre le chemin du pays mythique, après l'existence sur
Terre, à une date donnée,
— gbetsi wodhodho, ou engagement pris devant la Souveraine de ne pas avoir de mémoire, ou d'être
inutile, ou d'être fou, ou de ne trouver ni enfant, ni épouse, ni travail.
— se gbetsi ou résolution pernicieuse d'agir toujours contrairement à son destin.
12. Voir à ce sujet A. DE SURGY, La géomancie, p 382-397.
LA RELATION AU CONJOINT IDÉAL ET LE STATUT DE L'IMAGINAIRE 77
Selon cette conception, l'âme (luvho), caractérisée déjà pai une certaine
grandeur (mesurée par un a fa du), n'existera d'abord que comme forme pure.
Elle est ensuite introduite en Terre. Elle en est un jour arrachée pour être
descendue sous terre13 où elle commence par bénéficier de la vie imaginative
en participant à l'existence d'une cité mythique, toute de luminosité, qui
n'est autre pour les géomanciens que celle de fétu me14, théâtre des contes
d'Afa.
Cette cité, l'amedzophe connue encore sous les noms de b о m e oudenolime,
occupe l'intérieur d'une boursouflure montagneuse analogue à un ventre ;
et son débouché à l'air libre est situé à l'est, du côté où le soleil paraît émerger
des profondeurs. Elle est gouvernée par une souveraine considérée comme
l'épouse du Ciel ou comme l'épouse de M awu16 , couramment appelée bomeno
ourjolimenô (mère de borne ou de q olim e), mais parfois encore dada sebgo 17 .
Aussitôt que l'âme y est introduite, elle y est dotée de ce qu'il est permis
d'appeler — puisque le monde qui est dès lors le sien est semblable au monde
visible — une corporéïté psychique. Cette corporéïté, distincte de la corporéïté
sensible au toucher, est celle d'une sorte de «matière fantastique»17 accordée
par la grande Mère, venant nourrir la forme pure ou céleste de l'âme, et
transformant ainsi le nombre binaire, ou a fa du, qui mesure cette forme en к poli.
Ce к poli, identifié par l'une des 256 figures géomantiques (a fa du) est un
principe dynamique de souveraineté personnelle18 qui porte tout être humain
à l'existence de sa naissance à sa mort, et l'accompagne même au delà de la
mort ; mais seule l'initiation à Afa qui est une manière de tout reprendre dès
l'origine, permet à un homme ou une femme de le découvrir. Sous son
impulsion voici Pâmé entraînée dans un devenir purement imaginaire mais dont
13. La communication entre le Ciel et la Terre, ou plus exactement entre le Ciel et le monde
souterrain des origines d'où le Soleil sort chaque matin, et avec lui les gbetsi ou engagements prénataux
personnifiés venant rappeler à l'ordre ceux qui négligent de s'y conformer, est placée sous le
gouvernement du Dieu de la foudre et de sa parèdre.
Le Dieu agit dans le sens de l'excitation et de la manifestation. D règne au dessus de terre, où il forge
les aërolithes, et d'où il précipite la foudre sur les méchants. La Déesse agit dans le sens de l'apaisement
et de la gestation cachée. Elle règne sous terre ou dans la mer, là où le Soleil, nous dit J. SPIETH (Die
Ewe Stámme, p. 555) se rend au cours de la nuit rendre compte à la Déesse sodza, épouse du forgeron
sogble maître de la foudre, de ce qu'il a vu pendant le jour.
14. Mot qui signifie «dans la moelle de fe ».
Certains disent plutôt fetome (dans la montagne de fe), ou fedome (dans le trou de fe).
15. Cf. J. SPIETH, Die Ewe Stámme, p. 505.
Mawu et cette Déesse représentent respectivement le principe céleste (celui du ciel invisible) et le
principe terrestre.
16. da, ou dada, signifie couramment en Evhé «mère» ou «maman»
segbo signifie «boule du destin» ou «grand destin».
17. On ne saurait se priver du recours à la notion d'une «matière fantastique» pour rendre
subjectivement compte non seulement des formes de la vie psychique mais du mouvement de la vie
psychique elle-même quand elle se développe sur le pur plan de l'imaginaire.
18. kpoli signifie «léopard affermi». Le léopard (kpo) est chez tous les peuples d'origine Adja
le symbole par excellence de la souveraineté.
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elle n'est pourtant pas le seul auteur, puisqu'il se développe dans un monde
soumis à des lois analogues aux lois physiques, peuplé d'âmes ayant leurs
propres querelles et leurs propres conventions. Pas plus qu'il ne conçoit d'être
isolé, l'Evhé ne conçoit en effet d'imagination strictement individuelle ; il ne
conçoit une imagination qu'en relation stimulante avec d'autres sujets
imaginants.
Cette vie imaginative, poursuivie à l'intérieur de la cité mythique restera
le fondement de la personnalité humaine, car l'homme ne saurait éprouver
dans le monde visible aucune expérience qui n'y soit préfigurée (et ne trouve
par là en lui, dans l'intimité de sa conscience, une structure d'accueil). Elle
se développe peu à peu à travers une cascade d'aventures représentées par les
32 contes théoriquement associés à chaque к poli, et cela jusqu'à l'aventure
suprême qu'est pour la personne, dès lors pleinement constituée19 , l'évasion
hors des murailles de cette cité pour prendre la route du monde des vivants.
Le lieu d'évasion de la cité mythique est représenté lors des cérémonies
de l'initiation à Afa par le lieu sacré entouré d'une palissade, qualifié de lieu
«au portail fermé» à l'intérieur duquel le sujet découvre son к poli et se fait
réciter tous les contes de ce к poli. Quant à l'évasion elle-même, elle est
symbolisée par l'acte du sujet qui en sort en repoussant un panneau de la clôture,
comme un poussin brise sa coquille pour venir au jour.
Au moment de quitter la cité mythique, la personne est dotée par Dieu :
d'une part d'un souffle subtil, ou gbogbo, qui lui donne le dynamisme vital
nécessaire pour supporter l'existence qu'elle doit mener, et dont la qualité est
19. La personnalité de l'homme est identifiée par la somme des expériences qu'il est suppose
avoir vécues dans la cité mythique. Cette somme, invariante de la conception à la mort, oriente
l'élaboration de sa personnalité apparente à la façon dont le génotype oriente, au gré des circonstances,
l'élaboration du phénotype.
Dans le monde des vivants la personne (ame) devient amegbeto (personne qui possède la vie). Après
avoir vécu elle devient ameku (personne mořte). Mais finalement abandonnée par l'âme au seuil de
la cité mythique, elle se décompose au sein de celle-ci comme le corps physique, abandonné dans le
monde visible s'y est déjà antérieurement décomposé. Et de même que les éléments décomposés du corps
physique sont repris comme éléments par de nouveaux corps, les éléments de la personne, ou du corps
psychique de l'homme, rendus à l'empire de la grande Mère du monde y sont repris comme éléments
par de nouvelles personnes en voie de constitution qui les organisent d'une autre manière. En aucun cas
il n'y a donc, selon la conception Evhé, de réincarnation de la personne humaine.
Seule l'âme (luvho), mais qui après avoir abandonné toute personnalité et toute limitation
microcosmique n'est plus qu'un membre obéissant du Tout, peut éventuellement revenir.
En tant qu'âme rationnelle issue de chez Dieu, elle retourne finalement chez Dieu (à mawuphe), рад
delà la constellation des Pléiades qui est la porte de l'hypercosmos, porter intellectuellement témoignage
de la vie qu'elle a menée. En fonction de l'empire qu'elle y a exercé sur l'irrationnel, en acquérant
notamment la connaissance initiatique, elle adopte en toute justice une nouvelle grandeur avec laquelle elle
pourra de nouveau être précipitée dans le sein de la Terre.
LA RELATION AU CONJOINT IDÉAL ET LE STATUT DE L'IMAGINAIRE 79
20. D'où le sacrifice à l'Année (ephe) avant que le sujet ne sorte du lieu de l'initiation à afa.
Selon la conception Evhé, l'homme est marqué par la qualité du souffle cosmique subtil qu'il
reçoit en partage au moment où il est accouché des entrailles de la Terre, bien avant d'être conduit dans le
ventre d'une femme. Il lui faudra toujours passer par l'intermédiaire du principe d'une telle catégorie
de Souffle pour prendre contact avec son propre lieu ou temps d'origine (dzagbe), contact sans lequel
il perdrait la vie.
21. Qui, comme le note J. SPIETH, Die Ewe Stà'mme, p. 511, est difficile à distinguer de dzogbe.
Selon certains aklama est double. Son aspect agréable est dzogbenyui, et son aspect
désagréable dzogbevoe (B. Agudze Vioka, article : «De la conception de la vie et de la mort chez les Evhé», p. 124).
dzogbe n'est autre que le point d'attache particulier de l'homme au monde des origines.
22. Lors d'une consultation d'afa les notions de maladie qui dérange et de maladie qui mène à
la mort sont représentées par deux symboles divinatoires différents (les vodzi dokui et petit os).
23. Certes les entités intermédiaires entre le monde des vivants et le monde de la vie (ancêtres,
tro, esprits errants, petits jumeaux de la forêt) peuvent également déranger ou «saisir» quelqu'un. Il
n'en reste pas moins que le bien-être ou le mal-être éprouvés dans le monde visible dépendent au premier
chef du respect de l'idéal ou projet prénatal auquel veille aklama en favorisant tout ce qui y correspond
et en écartant tout ce qui n'y correspond pas.
Notons que le bien-être, ou être conformément à sa propre loi, n'exclut pas l'épreuve et même
le malheur qui atteint alors «froidement» l'individu sans l'enfiévrer ou le troubler.
«Toute souffrance provient du manquement de l'homme à son aklama» nous dit J. SPIETH
après nous l'avoir présenté comme le «protecteur constant de l'homme dont le bien-être l'absorbe tout
entier». En effet : «Ce n'est pas aklama lui-même qui inflige ces souffrances, il ne fait qu'y abandonner
ses protégés» (Die Ewe Stàmme, p. 510). Et il ajoute (p. 511) : «A Ho et dans ses environs aklama
jouit d'une grande considération tout en étant l'objet d'un culte plus grand que celui réservé aux fétiches».
80 A. DE SURGY
Du rapide exposé qui vient d'être fait, retenons pour notre propos ce qui
suit :
— la vie préempirique, de l'ordre de l'imaginaire, développée par l'âme
à titre de projet d'existence, l'est à partir du к poli qui n'est autre qu'une forme
remplie par la grande Mère de la cité mythique d'une substance instable,
possédant comme la sienne la nature en constant devenir cyclique des 4
«éléments»25 propre à engendrer à plaisir dans le temps une multitude d'apparences
mortelles.
— cette vie psychique n'est pas développée isolément mais dans le cadre
d'une société des âmes qui est inévitablement semblable à la société des kpoli.
L'individu doté de tel к poli s'imaginera une existence définie par le même
faisceau de relations que celui qui unit son к poli aux autres к poli.
— Parmi ces relations, la plus importante est sans aucun doute celle qui est
illustrée par le rangement en couples des principaux к poli d'après la forme
numérique qui permet de les identifier ; nous pouvons y voir le principe même
de la relation privilégiée de tout être humain à un conjoint idéal.
— De même que l'individu constitue lui-même sa personnalité limitée en
la fondant sur son к poli — et puisque rien ne saurait être défini en dehors
d'une relation — il est amené à constituer aussi l'image (simple ou multiple) de
l'être dont il ne pourra s'empêcher de rechercher la présence complémentaire ;
et il le fait en projetant sur la forme du к poli apparié au sien, conservé près
de lui sous le mode privatif, toutes les caractéristiques nécessaires à son étoffe-
ment.
Le conjoint idéal existe donc bien conformément au principe de jumelage
de toute entité à une entité complémentaire qui la met en valeur par contraste ;
mais il n'a pas le même statut que le sujet ; il est une propre création du sujet
24. La mort peut être violente ou non. Si elle n'est pas violente elle peut être naturelle ou être
provoquée par des sorciers qui séparent l'homme de son dzogbe et consomment pour eux-mêmes la vie
qui y prend source.
26. Ceux définis matériellement dans le vodu kpoliga, ou kpoli suprême, générateur de tous les
kpoli (Cf. A. DE SURGY, La géomancie et le culte d'Afa..., pp. 374-376).
LA RELATION AU CONJOINT IDÉAL ET LE STATUT DE LTMAGINAIRE 81
et a été accordé par Dieu à la demande du sujet. N'étant pas un alter ego, (ou
âme sœur) venu en même temps que l'homme prendre naissance dans le monde,
mais une création imaginaire de celui-ci, nous comprenons pourquoi il est
toujours distinct du conjoint réel, et jugé appartenir à jamais au monde de
fêtume, bom e, OU ijolime.
En aucun cas en effet, que ce soit avant le premier mariage ou à la suite de
difficultés conjugales pouvant être résolues par un nouveau mariage, on ne
demande à un devin d'identifier une femme ou un homme réel, conforme à
l'idéal du sujet, pour conseiller au sujet de l'épouser. L'Evhé juge ainsi, semble-
t-il, parfaitement vaine toute recherche dans le monde visible d'un être idéal,
prenant garde de ne pas mélanger le réel et l'imaginaire, ce qui se ferait au
détriment de l'un ou de l'autre, ou des deux. Son problème est d'ajuster son
comportement à l'idéal qu'il porte au fond de lui-même de façon à faire de
sa vie la meilleure expression possible de sa personnalité ; il n'est pas de
chercher cet idéal à l'extérieur de lui comme pour ne rien voir de la réalité
extérieure elle-même et n'y retrouver que l'image de son propre monde
intérieur : ce serait là régresser vers l'imaginaire originel dont il a précisément
projeté de s'évader, du temps où il y était confiné, exigeant alors un mode
d'existence plus riche en même temps que plus dur : celui de plus authentiques
aventures.
De plus, lorsqu'un devin est amené à désigner un représentant vivant du
conjoint idéal, appelé comme nous le verrons à jouer le rôle de ce dernier au
cours de rites destinés à engager avec lui une réconciliation, il le choisit certes
de sexe opposé au sujet, mais toujours parmi des cousins non croisés que le
sujet ne peut aucunement prétendre épouser et avec qui toute relation sexuelle
lui est interdite.
Selon une tradition commune à une grande partie de la population de
Dzita et d'Angola, l'homme s'est forgé une épouse idéale appelée vhui26
correspondant à l'usage de recevoir une épouse de sa famille paternelle, de
préférence la fille d'une tante paternelle ; or le devin cherche à en identifier une
représentante parmi les filles d'un oncle paternel qui, appartenant au même
lignage que le sujet, ne doivent pas lui être offertes en mariage.
Il s'est forgé d'autre part une épouse idéale, appelée asidza,
correspondant à l'usage de recevoir une épouse de sa famille maternelle, de préférence
la fille d'un oncle maternel ; or le devin cherche à en identifier une
représentante parmi les filles d'une tante maternelle qu'il n'est pas non plus d'usage de
lui offrir en mariage, le mariage préférentiel localement adopté ne
concernant que les cousins croisés.
26. Ce mot est formé sur le radical vhu qui signifie «sang».
A.DESURGY
S'il est vrai que la femme n'épouse qu'un seul homme (à la fois) et ne
s'imagine donc qu'un seul conjoint idéal, elle ne se l'est pas moins imaginé
aussi comme appartenant à sa famille paternelle ou à sa famille maternelle,
et le devin cherche pareillement à en identifier un représentant parmi les
fils de son oncle paternel l'appelant alors vhemega, ou parmi les fils de sa
tante maternelle, l'appelant alors comme plus haut asidza .
Ainsi la relation au conjoint idéal, même quand elle est illustrée par une
relation avec un être réel, ne vient-elle interférer en aucune manière avec les
échanges matrimoniaux usuels. Elle ne se déroule, sur le mode symbolique,
que dans une sorte d'univers parallèle.
Mais si le conjoint idéal nous apparaît comme une projection du désir
constitutionnel le plus puissant qui soit, celui de relations sexuelles, il n'y a
pas de raison que d'autres personnages imaginaires, fruit d'une projection de
désirs (ou de craintes) moins puissants, ne viennent suivre aussi le sujet comme
autant d'autres idéaux et ne contribuent à leur manière à orienter ses
comportements ou à troubler son existence.
Ce n'est pas seulement en effet un conjoint idéal (ou deux) que l'homme
s'est défini avant de venir au monde, mais éventuellement des représentants
idéaux d'autres personnages importants de sa vie terrestre, notamment une
tante paternelle, ou tasi, appelée qolimetasi ou semetasi.
Plus rarement certains considèrent que chacun a aussi sa propre mère du
pays de l'origine (q o lim eno) et son propre père du pays de l'origine (q olim eto).
On voit encore admettre parfois des camarades du pays de l'origine.
J. Spieth (Die Ewe Stàmme, p. 503) fait état d'une mère, d'une tante,
d'un père, d'un grand'père, d'un oncle, et même d'un groupe de jeunes
guerriers (qolimesoha) de l'origine.
Bref c'est tout un entourage idéal que l'individu s'est créé et dans lequel
il a baigné au pays d'origine de sa personne, la nature de tels idéaux venant
déterminer grandement les rapports satisfaisants ou insatisfaisants qu'il
entretient ensuite dans la vie avec son entourage réel.
Effectivement, appartenant à une société analogue à celle des к poli, l'âme
y est définie non seulement par opposition privilégiée de son к poli à un autre
к poli, mais aussi en relation avec tout l'ensemble structuré des autres к poli.
II
Examen d'un échantillon de rites de réconciliation
avec des personnages du monde de l'origine
1. Rites de disjonction
32. П est naturel que l'on représente les hommes du pays de l'origine, et ceux qui reviennent au
pays de l'origine, ou pays d'en-dessous, par des figurines de terre ou d'argile fraîche.
De telles figurines sont utilisées pour renvoyer de mauvais gbetsi ou personnification de projets
prénataux défavorables. On invite alors le gbetsi à s'en emparer au lieu de saisir le sujet, (cf. A. DE
SURGY, La géomancie et le culte d'Afa, pp. 150-151).
33. J. SPIETH, Die Ewe Stàmme, p. 513.
34. La somme désignée par le devin, comptée en enfilades de 40 cauris (appelées hoka), ou en
paquets de 50 enfilades de 40 cauris (paquets appelés hotu), ou en corbeilles de cauris, ou en sacs de
cauris, est représentée par des cailloux.
Les jarres de vin de palme sont représentées par des moitiés de papaye verte évidées.
Les esclaves par des statuettes d'argile fraîche.
Les autres objets de la dot par des miniatures oudes produits naturels qui les évoquent.
35. J. SPIETH, Die Ewe Stàmme, p. 509 ; et voir aussi p. 514.
86 A. DE SURGY
2. Rites de réunion
Alors que les rites précédents semblaient repousser le conjoint idéal au pays
de l'origine, mais avaient en fait pour but de repousser dans ce pays, après
lui avoir accordé une satisfaction symbolique, l'agent invisible venu faire
souffrir l'individu en conséquence d'un mauvais acte ou d'un mauvais choix
prénatal38, les rites que nous allons exposer à présent ne remettent pas le
36. Sacrifice destiné à se préserver d'un mal, ou d'un échec dans ses entreprises, qui a sa cause
dans une aventure supposée vécue au pays de l'origine relatée dans un conte d'afa. Il est la suite
normale de toute consultation d'afa et permet au sujet de tirer le meilleur parti du premier afadu (nombre-
oracle) trouvé, (cf. A. DE SURGY, La géomancie et le culte d'Afa, pp. 1 76-196).
37. Les échantillons de produits agricoles, que nous avons déjà vu offerts à la Mère du pays de
l'origine, et qui font partie de tout vosa, sont en relation avec Г «élément» Terre qui correspond au
monde originel d 'en-dessous où tout est retenu d'abord en puissance.
38. Dans bien des cas le programme prénatal ne résulte pas directement du choix du sujet, mais de
la sanction décidée par Dieu, par la grande Mère, par la tante ou par le conjoint du pays de l'origine, à
l'encontre du sujet après qu'il ait librement commis un acte reprehensible.
Ainsi celui qui aura refusé de soigner la maladie de sa tante se verra infliger une fois sur terre
la même maladie. Et celle qui aura refusé de s'occuper des enfants de là-bas se verra imposer comme
destin la mort en bas-âge de tous ses enfants. Voir J. SPIETH, Die Ewe Stâmme, p. 505.
LA RELATION AU CONJOINT IDÉAL ET LE STATUT DE L'IMAGINAIRE 87
choix prénatal en cause : ils n'ont d'autre but que d'en favoriser l'exécution en
rappelant constamment au sujet la présence vigilante des personnages idéaux
en relation avec lesquels ce choix fut élaboré.
a — «Dans beaucoup de cours, note J. Spieth, on remarque sous la saillie
du toit de la maison habitée par l'homme un cône peint de blanc, creux à
l'intérieur... Ce cône représente la maison de la femme de l'au-delà ; il est
orné d'une chaîne de cauris et recouvert d'un morceau d'étoffe bleue. De
temps en temps l'homme y glisse des cauris pour la dzogemesi, sa compagne
invisible... De même que l'homme construit une maison pour sa vraie femme,
de même il doit en bâtir une chez lui pour sa femme de l'au-delà ; c'est-à-dire
sa compagne invisible. Après avoir édifié une telle maison, l'homme donne un
vêtement à sa véritable femme tout en remettant deux hoka (=2x40 cauris)
et un morceau d'étoffe à sa femme de bome résidant dans le cône. Mais pour
cela il a besoin d'un intermédiaire. Il invite une femme à qui il remet les
présents qu'il destine à ladzogbemesi...»
Par ailleurs, ajoute-t-il, «Si la véritable femme s'est une fois rendue
coupable d'une faute à l'égard de son mari, elle offre sur l'ordre de la prêtresse
deux hoka et de la farine de maïs à son mari de l'au-delà auquel, en outre,
elle fait l'aveu suivant : «J'ai fait ceci ; j'ai fait cela ; et par cela j'ai failli. C'est
là une faute que jamais je n'aurais commise sciemment. Je t'apporte donc ces
dons pour me réconcilier avec toi». Sur ce la femme dépose de la farine de maïs
et les cauris devant la demeure de son mari invisible39 .
b — En de nombreux autres lieux, notamment à Bê, à Aboleve et à Anloga,
l'accent est mis sur le rôle de Г «intermédiaire» trop rapidement mentionné
par Spieth.
Quand un sujet est supposé avoir manqué aux engagements, considérés
comme des g bets i40, qu'il a pris envers son conjoint idéal dès avant de quitter
le pays de l'origine, le devin désigne dans son entourage une personne de sexe
opposé, de même génération que lui, mais inépousable par lui, qui en
représentera pour le restant de ses jours le conjoint idéal. C'est par l'intermédiaire de
cette personne vivante que le sujet devra satisfaire ce conjoint comme il l'a
promis, et pour cela il devra simplement jouer avec elle au rétablissement
puis éventuellement à l'entretien de relations d'affection profonde tenant
lieu de culte de l'entité délaissée.
Après un rite entièrement exécuté par eux-mêmes, comportant
l'accomplissement symbolique de l'acte sexuel et de quelques autres actes les plus courants
de la vie conjugale, rite qui pourra être répété un peu plus tard si les difficultés
qui l'ont motivé se renouvellent, le sujet et la personne désignée auront toute
liberté de prolonger la relation ainsi amorcée entre eux avec l'intensité et selon
les modalités qui leur plairont.
En cas de difficulté avec son épouse idéale, selon une première coutume
pratiquée à Angola, l'homme se procure des pagnes, des fichus, de l'argent,
de la boisson sucrée, de l'alcool, 16 cauris qu'il enfile sur une fibre de raphia ;
et il confectionne une grossière statuette d'argile, sans bras ni jambes séparés du
corps, appelée dzogbekoe («boule de dzogbe)41 qui le représente sous son
aspect d'être du pays de l'origine.
Il dépose le tout dans une grande écuelle et la confie à un enfant qui la
transporte devant lui sur sa tête jusque chez la femme que le devin lui a désignée
comme représentante de son épouse idéale42 .
La femme prie tout d'abord en versant sur le sol des libations d'alcool :
«X..., dit-elle, m'a choisie comme rjolime srs. Toutes les choses qu'il m'a
apportées, je les reçois de bon cœur... Tout ce qui se gâte autour de lui, que
cela fasse place à de bonnes choses ! Que son travail prospère, et qu'il gagne
de l'argent !...»
Puis elle prend possession des pagnes et des fichus. Elle accroche au-dessus
de l'entrée de sa case les 16 cauris enfilés. Elle emporte le dzogbekoe à
l'intérieur de sa case pour le déposer à la tête de son lit ou de sa natte, et prononce
alors quelques mots, déclarant que voici son mari, et qu'elle le reçoit avec
confiance.
Avant de se séparer, l'homme et la femme échangent les pagnes qu'ils
portent : la femme couchera avec le grand pagne de l'homme et l'homme
couchera avec le petit pagne de la femme.
Jadis la femme venait réellement passer la nuit dans la case de l'homme ;
mais cela ne se fait plus car on craint que, moins respectueux qu'autrefois
des interdits, celui-ci n'en profite pour aller au delà d'une simple relation
d'amitié et n'accomplisse avec elle l'acte sexuel.
Le lendemain la femme se rend chez l'homme, munie du grand pagne
avec lequel elle a passé la nuit ; et elle lui balaie sa case comme le ferait une
épouse attentionnée.
L'homme lui procure alors de la petite carpe séchée (poissonakpa-togo)43
et de la farine. La femme prépare du dzesikplé" au poisson et tous deux
mangent ensemble à la même petite table.
Après ce repas chacun reprend son propre pagne et la cérémonie est
terminée. Mais l'homme n'en sera pas moins tenu, chaque fois que la chance lui
sourira, d'y faire participer la femme en lui apportant de petits cadeaux.
En contrepartie la femme aura désormais pour interdit 'de voir le panier
(kusi) avec lequel l'homme se rend travailler aux champs ou sur l'eau.
41. Qu'il faut sans doute rapprocher du vokoe («boule du va»), utilisé pour les v3sa.
42. vhui ou asidza.
43. Nourriture la plus commune des anciens Adja, ancêtres des Evhé du littoral.
LA RELATION AU CONJOINT IDÉAL ET LE STATUT DE L'IMAGINAIRE 89
Selon une seconde coutume d'Anloga, il est précisé que l'homme doit
habiller le dzogbekoe qui le représente d'un petit pagne de raphia (ela)44, et
que, consommant en compagnie de la représentante de son épouse idéale le
même plat de carpe séchée (akpa-togo) et de dzesikplé qu'elle lui a préparé,
il doit éviter de lui toucher la main en saisissant en même temps qu'elle la
nourriture. Enfin la femme doit prendre soin de laver le pagne de l'homme,
exerçant en cela une activité d'épouse, avant de le lui rendre.
En cas de difficulté avec l'époux idéal, selon une première coutume
d'Anloga, la femme achète simplement de belles choses et vient les offrir à l'homme;
mais elle ne lui apporte aucun dzogbekoe qui la représente45 .
Plus tard de petits cadeaux continueront d'entretenir la relation d'amitié
ainsi engagée.
Selon une seconde coutume d'Anloga, l'homme et la femme partagent
comme plus haut un repas de poisson (akpa-togo) et de dzesikplé dont la
femme éparpille les restes pour conclure dans sa propre case.
Pour cuisiner un tel repas elle s'est procuré des tiges de manioc séchées
(atite nake). Elle accroche ensemble plusieurs morceaux des tiges qui lui
restent et les entoure de trois fils sur chacun desquels elle a enfilé 7 cauris
(ce qui fait au total 21 cauris) ; on doit attacher cela au dessus de la porte
de la case de l'homme, à l'extérieur de celle-ci46 .
Enfin tous deux procèdent aussi à l'échange temporaire de leurs pagnes.
Lorsque les difficultés, au lieu de provenir du conjoint idéal, proviennent
de la tante paternelle idéale (la rjolim etasi), on cherche pareillement, que ce
soit à Aboleve ou à Anloga, à identifier parmi les tantes paternelles vivantes du
sujet une femme qui la représente.
Le sujet ira lui offrir solennellement, une première fois, de l'argent et des
pagnes ; puis continuera à volonté à lui offrir périodiquement de petits cadeaux.
с — On rencontre à Szita des rites toujours conçus pour satisfaire le conjoint
idéal en s'acquittant des promesses qui lui ont été faites, ou en calmant sa
jalousie, mais cela surtout pour qu'il cesse de venir déranger le sujet et que
celui-ci puisse l'oublier.
Ils ne se prolongent par l'entretien d'aucune relation symbolique positive
avec la personne choisie pour en illustrer l'existence ; et ils ne laissent
éventuellement de trace matérielle près de la case que pour rassurer le sujet sur la
réalité de leur exécution. De ce fait ils établissent moins une réunion qu'une
sorte de coexistence séparée entre le visible et l'invisible.
44. De même le fidèle de Xebieso qui, sous l'effet d'une offense, est renvoyé en brousse en la
condition originelle, ainsi devenu alaga, s'habille de raphia.
45. Car c'est le mari qui va coucher dans la case de sa femme et non l'inverse.
46. Comme le dzogbekoe auprès du lit de la femme représentait la présence sexuelle de l'homme
auprès de son épouse de l'origine, cela représente le bois de chauffage et la monnaie rapportée du marché
qui attestent la présence de la femme auprès de son époux de l'origine.
90 A. DE SURGY
3. Rites complexes
53. Ces deux buttes, dont la réalisation est très fréquente dans les cultes Evhé, symbolisent le
portail du monde des origines, du moins les deux principes, mâle et femelle, commandant au lieu (dzogbe)
d'où l'âme accomplit son évasion vers le monde visible.
54. Le nombre sept est le symbole des principes mâles (3) et femelle (4) qui coexistent à ce niveau.
Bien que la notion d'aklama, ou de kla, au service de l'origine de l'être humain, soit liée au
cycle de l'année (cf. J. SPIETH, Die Ewe Stámme, p. 510 : «L^nom du jour où un homme est né est
le nom du kla qui l'a accompagné en ce monde. A Peki et à Anum les gens célèbrent annuellement ce
jour par un banquet qu'on appelle klatsilele» (saisir l'eau du kla), ce nombre sept symbolise surtout le
cycle de sept jours d'après lequel sont nommés les enfants (kofi, komla, etc..) et qui est en relation
avec les sept types de «terres» d'origine d'où ils peuvent provenir.
55. novi désigne à proprement parler un frère de même mère. Modèle du camarade par excellence,
aklama, qui représente auprès du sujet l'idéal du sujet, est une sorte de double ou de frère
jumeau de celui-ci.
56 A Dzolo, pour préparer des ama, on y crache toujours du mil. A Anloga on ne crache du mil
que sur les ama des vodu Da et Adela (dont on doit se souvenir de la relation au cycle annuel qui forme
comme une ceinture ou un rempart autour du ventre de la Terre) et sur les ama (nugbema) de
purification d'une mésentente.
57. A Dzolo on ne connaît pas asidza.
LA RELATION AU CONJOINT IDÉAL ET LE STATUT DE LTMAGINAIRE 93
Après quoi ils comptent 7 fois les am a , les déposent dans un pot et, ayant
à nouveau compté 7 fois, versent de l'eau dans le pot.
Puisant dans le pot à l'aide de leur main droite, ils prennent une gorgée
d'eau et crachent chacun 7 fois de suite sur, le sujet.
En crachant ainsi sur le sujet, ils disent par exemple : «Aujourd'hui nous
crachons sur toi l'eau d'à klama. A partir d'aujourd'hui que ton œil s'ouvre
(ou que des enfants te viennent) !»58. Si tes produits agricoles ne sont pas
bons, qu'à partir d'aujourd'hui ils soient bons !...»
Prenant tous deux les mains du sujet, ils les présentent vers l'est, disant :
«Pour les mauvais !», vers l'ouest, disant : «Pour ceux du soir (fié) !», et
ajoutent : «Ce n'est pas le soir d'aujourd'hui, c'est le soir d'il y a très
longtemps !»
Puis, ayant compté sept fois, ils plongent les mains du sujet dans l'eau du
pot.
L'agbesrô et l'akiamaxolo prennent à nouveau une gorgée d'eau et la
crachent une fois dans le pot.
Après eux le sujet boit à son tour un peu d'eau, en crache cette fois par
terre, et enfin s'en lave tout le visage.
Ils déposent finalement le pot à la tête du lit du sujet et demandent la
permission de rentrer chez eux.
Si le sujet est malade il devra se laver encore pendant 13 jours (au total
pendant 14 jours) avec l'eau du pot.
A sa mort, ce pot d'aklama, qu'il aura conservé là sans en renouveler les
am a , devra être jeté de façon à n'être utilisé par personne d'autre.
Il est important de souligner que les relations avec l'a klam axola ou
l'agbesrô ne prennent pas fin avec l'achèvement du rituel :
Le sujet est tenu d'offrir de temps en temps à boire à son aklamaxob ;
et chaque fois qu'il tue à la chasse une biche ou une antilope il doit lui en
donner la patte de devant. Si son aklamaxolo meurt, il ne doit pas voir son
cadavre.
A son agbesrô il doit faire porter par sa femme, de temps en temps, un
panier de maïs, des ignames et des bananes plantains. Et de tout gros animal
qu'il tue à la chasse, il doit lui offrir 3 côtes d'un côté et 2 côtes de l'autre
côté (au total 5 côtes). Il ne doit jamais avoir de rapports sexuels avec son
agbesrô, et si son agbesrô meurt, ni lui-même ni sa femme ne doit en voir le
cadavre.
Le représentant vivant d'Age auprès de la femme
On ne cherche pas à identifier ; à Dzolo, le conjoint idéal d'une femme,
considérant que la femme a nécessairement pour représentant de son conjoint
58. Les principales maladies attribuées à aklama sont la cécité et la stérilité qui privent l'homme de
participation à l'expression de la vie.
94 A. DE SURGY
59. Il ne suffit pas que les âmes humaines soient acheminées vers le sein d'une femme (pendant
la période des menstrues associée à la période de nouvelle lune). Il faut encore que le «fardeau» qui
y a été introduit y soit «attaché» par l'acte sexuel du mari (pendant la première phase du cycle ovarien
associé au premier quartier de la lune qui symbolise le morceau de calebasse éclatée avec lequel l'individu
est sorti de sa première matrice). Cet «attachement» n'est pleinement acquis qu'à compter de la phase
ultérieure du cycle symbolisée par la plénitude de la lune.
60. Comme les petits êtres de la forêt conduisent à l'existence tout ce qui sort du monde des
origines, et comme en particulier ils portent âgé"
chance aux chasseurs en conduisant éventuellement vers eux le
gibier, les relations sont très étroites entre ou adela et aklama.
D'une part aklama est vénéré dans le cadre du culte du vodu adela. D'autre part les sanctuaires privés
d'adela, où les chasseurs déposent les têtes des gros animaux qu'ils ont tués, et où l'on peut voir une
représentation en bois des jumeaux de la forêt, se nomment adeklamakpoe (le petit enclos de l'aklama du
chasseur).
6 1 . Jour de rang pair, ou femelle, bon pour le culte des défunts.
LA RELATION AU CONJOINT IDÉAL ET LE STATUT DE L'IMAGINAIRE 95
et en répand le sang autour des deux petites cases. Puis ils disposent en étoile,
devant chacune d'elles, trois morceaux de bois qui forment ce qu'on appelle
un dzotikpekpe, comme les campeurs en préparent pour cuisiner.
Un peu plus loin ils dressent un autre dzotikpekpe, un vrai celui-là, auquel
ils mettent le feu pour cuire les poulets et préparer du dzesikplê"62 à l'aide
d'une spatule, taillée pour la circonstance dans un bois a teti, destinée à être
abandonnée sur place.
Ils consomment la nourriture ainsi préparée, en déposent un peu à
l'intérieur de chaque petite case, puis reviennent à la maison.
Dans la cour, à proximité de la chambre de la femme, ils édifient une
petite clôture en se servant à nouveau de branchages d'arbustes акрэкрэ
et ex и ; et devant cette clôture édifient deux cases miniatures recouvertes de
paille63 .
Ils déposent dans la clôture une écuelle où ils placent trois am a : tasroe,
a fia to g a (muni cette fois de ses racines) et le même troisième am a que pour
aklam a.
Et ils déposent dans chaque case miniature un petit pot rouge.
A nouveau ils égorgent une poule puis un coq blancs dont ils versent le
sang sur le bord de l 'écuelle (contre laquelle ils collent des plumes) et devant
les cases miniatures.
Ils préparent du dzesikplê en se servant d'une nouvelle spatule taillée
dans un bois a teti.
Ils mangent d'abord eux-mêmes la nourriture, puis en éparpillent à
l'intérieur de la clôture et devant les petites cases.
Alors le devin fait une dernière prière en versant des libations d'eau
enfarinée, de vin de palme et d'alcool ; et il fait porter à la femme un grand pagne
blanc et un turban blanc.
Il dit : «anipa kokodhoko. IL a un seul pied ; il a un seul bras. Il est venu
la déranger. Il veut qu'on lui fasse sa maison. Nous étions partis faire une
partie en chemin. Il a demandé qu'on lui fasse (ici) une clôture et un lieu pour
boire (tsinophe)64. Nous avons tout terminé ici. Si c'est vous (anipa)
réellement qui l'avez rendue malade, faites que sa maladie disparaisse !».
La femme pourra revenir par la suite prier là et se laver avec l'eau de
l'écuelle d'à nip a.
Elle apportera de temps en temps de petits cadeaux à son anipaxob ; et
il lui restera interdit d'avoir avec lui le moindre rapport sexuel.
III
s expriment
«leçons»
65. sous
Il de
a forme
pour
mille de
contenu
façons
contes
constamment
l'ensemble
d'afa. des
renouvelées
situationsdans
ou les
événements
contes populaires,
possibles transformés
pour un Evhéen tels
autant
qu'ils
de
larve 66.
dans Ilsonestcocon.
symbolisé par le grain que l'on entend remuer à l'intérieur de la noix de karité, ou par la
l'homme
des
noustradmons
67. pas
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LA RELATION AU CONJOINT IDÉAL ET LE STATUT DE L'IMAGINAIRE 97
68,1 La notion abstraite d'habit est celle de klenu, chose qui se fait voir, chose qui brille, ayant
pour symbole divinatoire un bout de tissu, une touffe de plumes, ou la gousse de poivre de Guinée qui
représente par ailleurs les herbes et les feuilles. Elle s'oppose à la notion d'être non manifesté, ou
seulement signifié, représentée par des graines. Entre elle et ce contraire s'interposent les puissances
complémentaires qui ont pour emblème le sang et l'eau.
69. Comment définir un environnement brut ou en soi ? La valeur de ce que l'homme possède ou
de ce qu'il rencontre autour de lui ne peut trouver aucune mesure objective ; elle dépend du contexte
social et de la façon dont il y trouve place.
70. Si l'homme n'a pas à lutter pour imposer, si peu que ce soit, dans les faits sa vision personnelle
du monde, pour acquérir et défendre un territoire qui ne soit pas uniquement un territoire physique,
pour laisser sa trace quelque part, à moins de pouvoir prétendre à la qualité de «renonçant» il sombre
rapidement dans l'ennui ou devient malade de solitude. Le monde perd pour lui son sens. et par là tout
intérêt s'il n'a pas à le- proclamer autour de lui de la façon dont il souhaite le voir briller dans les yeux
des autres.
98 A. DE SURGY
71. Le reflet non déformé, ou la représentation dite objective (mais en fait tout simplement
rationnelle) du monde est du domaine de l'intellect, et non pas de celui de l'imaginaire... bien que l'intellect
contribue à configurer l'imaginaire et que l'imaginaire vienne brouiller les représentations intellectuelles.
72. Le conte d'aia lié au kpoli par lequel le géomancien trouve que le problème du sujet est
sup orté n'en exprime souvent que la bonne facette ; et le géomancien recommande simplement au sujet d'imiter
le comportement du personnage auquel il juge devoir l'identifier.
Dans le monde des origines, en effet, tous les cas et toutes les solutions possibles sont imaginés
à l'avance — comme on s'y emploie de nos jours lors d'une «recherche opérationnelle» — par
production, selon les principes de la divination par afa, de toutes les combinaisons. Il suffira de se référer ensuite
à la bonne solution ; celle qui, au prix souvent d'une petite astuce, fera basculer en faveur du sujet le
cours des événements.
LA RELATION AU CONJOINT IDÉAL ET LE STATUT DE L'IMAGINAIRE 819
73. Ce thème de l'inévitable évasion hors de la cité originelle, où l'homme est condamné bientôt
à souffrir, a largement influencé la tradition historique de la dispersion des Evhé depuis Notsie en
l'assimilant à une sorte de libération des enfers.
74. La localisation habituelle de fetume dans une partie du monde (l'intérieur de la Terre vers
lequel conduisent les puits profonds où il est dangereux de regarder) qui est elle aussi une production
de fetume, par conséquent extérieure à fetume, est purement symbolique, faite pour montrer que fetume
est le véritable support de toute chose et est absolument invisible sans pouvoir pour autant être rejeté à
l'extérieur du monde, dans la partie hypercosmique du ciel. Certains en admettent aussi bien l'existence
dans la moitié cachée du ciel, en direction du nadir ; et d'autres refusent de le localiser, car invisible et
fondamentalement présent, il est à la fois partout et nulle part.
75. La vie est en effet considérée comme le plus grand des biens (cf. R. PAZZI, L 'homme Evhé...
et son univers, pp. 85 et 287).
100 A. DE SURGY
Les rites conseillés par le devin pour rétablir une bonne relation avec le
conjoint idéal, la tante idéale, ou le camarade idéal, mais bien d'autres rites
encore, notamment la plupart de ceux qui découlent de l'interprétation d'un
afadu, rendent omniprésent dans la vie quotidienne ce monde de l'imaginaire
dont nous rencontrons des témoins en bordure des chemins, à chaque portail,
à chaque coin de cour, à chaque coin de case... parsemant l'espace d'objets
ou de lieux sacrés, au sens où ils symbolisent dans notre monde un univers
fondamental séparé de lui.
De tels témoins toute religion nous en impose à sa façon, mais pas toujours
avec une telle proximité du comportement le plus banal. De plus la religion
évhé fait mieux ; elle ne nous présente pas seulement dans certaines choses
(lieux du culte, objets du culte, restes du culte...) et dans les personnes
consacrées, ou prêtres, qui réalisent ces choses, mais aussi dans les personnes
ordinaires, hommes ou femmes, chargées de représenter le conjoint, la tante, ou
le camarade du monde des origines.
L'insertion du sacré dans l'espace, par délimitation de lieux ou d'objets
échappant à l'usage profane, se complète donc par son insertion dans la société
en y faisant coexister avec les relations réelles entre ses membres, des relations
symboliques avec des représentants du monde de l'imaginaire. L'homme est
non seulement invité ainsi à se souvenir de l'existence d'un autre monde,
mais à se donner lui-même une représentation psychodramatique des rapports
qu'il ne saurait manquer d'entretenir avec les personnages les plus marquants
de cet autre monde.
LA RELATION AU CONJOINT IDEAL ET LE STATUT DE L'IMAGINAIRE Ю1
complet,
harmoni
due- depoint
76.
ses celui
de
parties.
Lesvue
termes
faitévhé,
en outre
de
la psyché
psychogenèse
d'esprit
ou la
(дЬэдЬэ)
personne
ou de et
construction
est chair
de entièrement
(elâ),
de la
reste
constituée
personnalité
à édifierdepuis
dans
ne conviendraient
lafêtume.
plus parfaite
Seul l'homme
pas car,
102 A.DESURGY
L'étude des rites, des problèmes qu'ils ont l'ambition de résoudre, et des
modalités de leurs prescriptions, nous conduit'à reconnaître le rôle capital de
l'imaginaire dans la conception évhé de l'homme et du groupe social.
L'imaginaire y est le point de mire de toutes les activités religieuses, qu'il s'agisse des
sacrifices proprement dits ou de simples conduites symboliques, collectives
ou privées ; en ce sens il définit le monde divin par excellence, celui duquel
tout prend naissance et autour duquel tout gravite, d'où sortent parfois des
entités pour punir l'homme ou le posséder.
Mais cette prééminence de l'imaginaire, sa plus grande ancienneté par
rapport aux réalités concrètes, ne doit pas faire oublier la grande valorisation
du monde sensible comme champ d'accomplissement, ou preuve de force, de
ce que le travail de l'homme doit y exprimer.
En paysan, artisan, chasseur ou pêcheur, habile et plein de bon sens, l'Evhé
accorde au monde extérieur gouverné par la nécessité et contre lequel les rites
restent impuissants78 toute la place qui lui est due. S'il prend soin de se réserver
dans le réel le champ d'une très large représentation de l'imaginaire, ce n'est
pas qu'il répugne à l'expérimentation et aux techniques ; considérons plutôt
qu'en lui donnant ainsi parallèlement libre cours, il libère la connaissance
scientifique, à laquelle il reste disponible, de toute interférence fâcheuse
avec la mystique et l'irrationnel.
par un78.щогсеаи
Ce casdécorrespond,
vieil ustensile
enbrisé.
divination par afa, à la rubrique : цй n'y a rien à faire», représentée
104 A. DE SURGY
Résumé
La relation au conjoint idéal et le statut de l'imaginaire chez les Evhé.
A tout être humain les Evhé associent un conjoint invisible qui aurait été le
sien du temps où, bien avant de venir prendre corps dans le ventre d'une
femme, il n'existait que sous le mode psychique dans la demeure souterraine
d'une grande déesse mère. Les rites de négociation et de réconciliation avec
ce conjoint mettent en lumière la nature, qualifiée dans le texte d'imaginaire,
de la vie poursuivie en cette demeure et la façon dont elle subsiste auprès de
chacun, de la conception à la mort, comme fondement secret invariant de
la personnalité.
Toutes les consultations, extrêmement fréquentes, du devin, et tous les actes
religieux qui s'ensuivent, n'ont pour but que de retrouver le chemin de cette
expérience prénatale pour mieux adapter l'existence du sujet à l'idéal qu'elle
représente.
De plus, le choix dans l'entourage du sujet de représentants des personnages
qu'il a fréquentés avant de naître, avec qui il lui est souvent prescrit
d'entretenir, selon des modalités de son choix, des relations purement symboliques,
nous révèle, inséré dans le contexte social, un champ préservé de relations
à l'imaginaire aux effets certains sur le bien-être mental.
Abstract
The relationship with the Ideal Spouse and the Statuts of the Imagination
among the Ewe
The Ewe join every human being with an invisible spouse from the time
when the individual taking form in the womb, existed only in a psychic
world in the underground dwelling of a great goddess-mother. The rites for
négociation and reconciliation with this spouse reveal the individual's
«imaginary» life in this dwelling-place and its subsistence as the secret, constant
basis of his or her personality from birth till death.
The very frequent consultations with the soothsayer and consequent
religious acts all have the unique goal of rediscovering the way to get into touch
with this prenatal experience in order to better adapt the subject's existence
to the ideal that it represents.
The choice, among the subject's friends and relatives, of representatives
of those with whom he or she had kept company before birth brings to
light within the social context a reserve of relations with the imaginary
world.
The subject has to maintain ties with these representatives, and this
contributes to his mental well-being.
LA RELATION AU CONJOINT IDÉAL ET LE STATUT DE L'IMAGINAIRE 105
OUVRAGES A CONSULTER
WARD В £.
1949 The social organisation of the Ewe speaking peoples, Chapitre IV, M. A. Thesis,
University of London.
1955 An example of a mixed system of descent and inheritance, Man, pp. 3-5.
MANOUKIAN M.
1952 The Ewe speaking people of Togoland and the Gold Coast, «Social organisation»,
London, IvA.1.
NUKUNYAG.K.
1964 Kinship and marriage among the Anlo-Ewe, London, The Athlone Press.
SPIETHJ.
1906 Die Ewe Stàmme Material zur Kunde des Ewe-Volkes in Deutsch Togo, Berlin,
D. Reiner (Ernst Vohsen).
La tribu des Ho, chapitre V, III, «Les dieux tutélaires personnels»,
1 . le lieu d'origine des hommes
2. les formes des dieux tutélaires personnels.
3. cultes rendus aux protecteurs personnels.
SPIETHJ.
1911 Die Religion der Eweer in Sud-Togo ; Gottingen, Vanderhoock und Ruprecht,
Leipzig, J. C. Hinrich'sche Buchandlung.
Chapitre IV, I, 1, «L'origine des âmes».
ibid., II, 1, «Adoration des formes dans le monde originel des âmes : adoration
de la «mère des esprits», adoration des hommes et des filles de l'au-delà».