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Dialogues d'histoire ancienne

Montagnards et nomades d'Iran : des «brigands» des Grecs aux


«sauvages» d'aujourd'hui
J. P. Digard

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Digard J. P. Montagnards et nomades d'Iran : des «brigands» des Grecs aux «sauvages» d'aujourd'hui. In: Dialogues d'histoire
ancienne, vol. 2, 1976. pp. 263-273;

doi : https://doi.org/10.3406/dha.1976.2743

https://www.persee.fr/doc/dha_0755-7256_1976_num_2_1_2743

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J.-P. DIGARD :
MONTAGNARDS ET NOMADES D'IRAN : DES «BRIGANDS» DES
GRECS AUX «SAUVAGES»D'AUJOURD'HUI.

Amours tumultueuses, riches en ruptures et en retrouvailles, et qui ont


engendré plus d'un monstre, que celles de l'histoire et de l'ethnologie.
Aujourd'hui en convalescence du structuralisme, l'anthropologie semble
vouloir et pouvoir renouer avec son aînée des relations privilégiées fondées
sur la reconnaissance d'une problématique théorique unique pour toutes
les sociétés, quel que soit leur éloignement dans le temps ou l'espace. De
cette entente (en voie d'être) retrouvée, et dont plusieurs travaux récents
témoignent (1), on souhaite que naisse enfin la Méta-Science prônée par
M. Godelier : «Une seule science est désormais en chantier qui sera à la fois
théorie comparée des rapports sociaux et explication des sociétés concrètes
apparues dans le temps irréversible de l'histoire, et cette science combinant
histoire et anthropologie, économie politique, sociologie et psychologie sera
tout aussi bien ce que les historiens entendent par histoire universelle ou ce
que les anthropologues visent et ambitionnent de réaliser sous les termes
d'anthropologie générale» (2).
Mais - est-il besoin de le préciser ? - l'abolition des frontières entre les
disciplines, appelée à grands cris, et à juste titre, par tous, est encore loin
d'être passée dans la pratique scientifique. Je veux dire : dans la pratique
consciente. Car, après tout, il ne manque pas d'ethnologues qui s'intéressent,
quand ils le peuvent, à l'histoire des peuples qu'ils étudient ; mais ils se
contentent trop souvent de demander à celle-ci, presque machinalement, pour
leurs travaux, un simple acte de présence, au titre des coquetteries
universitaires : l'histoire n'apparaît alors que comme «tiroir» supplémentaire de la
monographie traditionnelle, à côté de juste ce qu'il faut, pour sacrifier
aux règles du genre, d'écologie (confondue parfois avec la géographie) et de
technologie - on dit parfois encore : de «culture matérielle», expression qui
suggère une distinction erronée entre le matériel d'une part, et le social,
l'intellectuel ou le spirituel d'autre part. En fait d'histoire, il s'agit le plus
souvent d'un simple cadre chronologique. Ou bien d'une étude du
«changement», de ce change cher aux auteurs anglo-saxons (desquels, je crois, la
tradition nous vient) qu'assez curieusement la plupart des anthropologues
s'entêtent à distinguer de l'histoire (3) et dont ils traitent en des Uvres ou des
chapitres séparés (4), comme s'il pouvait se concevoir aujourd'hui une
anthropologie qui ne fût pas précisément une anthropologie du changement. Aux
écueils sur lesquels butent encore les anthropologues - eux surtout, car il
me semble en gros que les historiens peuvent se vanter d'avoir jusqu'à présent
mieux réussi en ethnologie que les ethnologues en histoire - correspondent,
outre les avatars idéologiques auxquels il vient d'être fait allusion et les
difficultés, réelles, qui tiennent aux sources (le plus souvent non écrites),
des questions théoriques dont l'importance ne doit pas être sous-estimée. Je
me contenterais d'en relever une seule, qui paraîtra peut-être naïve à
l'historien, mais qu'un anthropologue touchant à l'histoire ne peut pas manquer
de se poser : qui, de l'anthropologue ou de l'historien, est le plus
indispensable à l'autre ? Je m'explique. Dans la curiosité que j'éprouve pour les
Cosséens, les Ouxiens, les Elyméens, etc., populations qui ont précédé dans
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le Zagros celles, actuelles, que j'étudie en tant qu'ethnologue, entre l'espoir,


confusément ressenti, de trouver dans les matériaux de l'historien, sinon des
réponses, du moins un éclairage nouveau pour les interrogations du présent.
De son côté, si l'historien qu'est P. Briant m'invite à un dialogue, par-delà
la bagatelle de quelques deux millénaires, n'est-ce pas dans l'attente plus ou
moins implicite que je pourrai, grâce à une connaissance directe des sociétés
actuelles, confirmer ou corriger certaines de ses analyses du passé ? De ce
dialogue, historien et ethnologue peuvent-ils tirer autant l'un que l'autre ?
Sinon, lequel se trompe sur l'autre et court le plus grand risque de voir ses
espérances déçues ?
La première démarche, celle de l'ethnologue, relève en gros d'une forme
d'empirisme spontané, classique dans les sciences de l'homme. J'aurais
tendance (à la réflexion sinon toujours, hélas, dans la pratique) à lui préférer la
seconde et à penser, avec M. Godelier, que «l'histoire n'est [ ... ] pas une
catégorie qui explique, mais qu'on explique» (5) : ce n'est qu'après avoir
démonté les rouages du capitalisme que Marx, par exemple, a pu proposer,
quoiqu'on puisse aujourd'hui penser de celui-ci, un schéma d'évolution des
sociétés. C'est donc l'anthropologie qui expliquerait l'histoire, en quoi
d'ailleurs elle trouveiait sa fin ultime ; l'anthropologie serait finalement et
avant tout une science historique ou de l'histoire. Conclusion flatteuse mais
quelque peu déroutante pour l'ethnologue puisqu'elle l'invite,
paradoxalement en apparence et contre la tendance à l'empirisme traditionnel de sa
discipline, à renoncer à l'histoire pour rendre compte des réalités du présent ;
conclusion périlleuse aussi, puisqu'elle m'ordonne, contrairement à mon
projet initial et spontané, de servir l'historien ! Dans ce premier débat que je
lui propose -et où je crains déjà d'avoir adopté une position trop nette,
relativement aux possibilités de ma pratique effective -, je demande à l'historien
de lire l'embarras dans lequel il a placé, en le prenant au mot, un ethnologue
qui se piquait (imprudemment ?) d'histoire (6).
Mais entrons enfin dans le vif du sujet, après avoir précisé toutefois que
je n'ai de compétence, si je puis dire, que pour les Mardes de Perside, les
Ouxiens, les Elyméens, les Cosséens et les Kardouques, qui vivaient dans des
régions correspondant à peu près - j'y reviendrai - à celles qu'occupent
aujourd'hui les populations qui me sont familières (à des degrés divers,
d'ailleurs). L'étude approfondie, la première à ma connaissance, que P.
Briant leur consacre aujourd'hui constitue une importante contribution à
l'histoire, dans le Sud-Ouest de l'Iran, du «nomadisme» et des «tribus» -
termes d'utilisation plus courante qu'exacte et qui recouvrent en fait, suivant
les époques, des réalités fort différentes. De cette histoire, dont on doit la
première esquisse d'ensemble au géographe X. de Planhol (7), il n'est peut-
être pas inutile de rappeler ici les grands traits.
Dans la répartition, qu'il juge inhabituelle et inexplicable par un
déterminisme simple, des principaux groupes nomades de l'Iran contemporain -
«rares dans les grands déserts du centre du pays, et très nombreux par contre
dans les milieux beaucoup plus attractifs que constituent les chaînes du
Zagros, pourtant vouées par la nature à la vie sédentaire» (8) -, cet auteur
propose de voir l'héritage de «bédouinisations» médiévales d'une
exceptionnelle ampleur. Aux bases, de filiation et d'expansion néolithiques, d'une
occupation sédentaire des montagnes iraniennes, ni les Aryens des Ile et 1er
millénaires, emigrants plutôt que conquérants, nomades lents du type Fahrer,
à chariots tirés par des bœufs, plutôt que du Reiter, ni les Arabes des armées
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musulmanes du Vile siècle, équipés de dromadaires inaptes à une pénétration


durable des milieux froids, n'apportèrent, semble-t-il, de sérieuses retouches.
Par contre, à partir du Xe et surtout du XlIIe siècle, et grâce notamment au
métissage du chameau et du dromadaire et à la maîtrise des techniques
d'équitation, les Turcs et les Mongols trouvèrent dans ces montagnes un
milieu à leur convenance, provoquant le passage, par imitation ou par
réaction, d'une grande partie de la population locale - comme cela est attesté
pour le Grand Lorestân (actuel pays Bakhtyâri) - à un genre de vie nomade
à hivernage (qesklâq) sur les piémonts et estivage (yeylâq) en altitude, qui
subsiste encore aujourd'hui (9). C'est cette transformation qui aurait conduit,
par une suite de réactions en chaîne touchant également les bases
technoéconomiques et l'organisation sociale et politique de l'occupation des
montagnes, à la situation sub-actuelle : généralisation du grand nomadisme
montagnard, regroupement des nomades au sein de vastes tribus ou confédérations
de tribus belliqueuses et expansionnistes, dotées de structures étatiques
capables de rivaliser avec l'État central iranien (10).
Quelles précisions ou, éventuellement, quelles retouches l'étude de P.
Briant nous permet-elle d'apporter à cette esquisse ? D'abord, se trouve
globalement confirmée l'idée d'une occupation à dominante sédentaire,
villageoise même, et agro-pastorale du Zagros aux époques achéménide et
hellénistique. Or, c'est principalement dans ces deux caractéristiques - séden-
tarité et agro-pastoralisme - de la vie des montagnes iraniennes aux époques
pré -médiévales que se trouve contenu le principe dynamique sur lequel
repose le processus dont les grandes lignes viennent d'être rappelées. En
effet, c'est parce que son adoption a dû entraîner à l'époque un changement
radical des anciennes bases - sédentaires précisément - d'utilisation de l'espace,
et des forces productives en général, que la pratique du grand nomadisme
pastoral a pu conduire, en quelques siècles, à la formation dans le Zagros
des énormes et puissantes unités socio-politiques, à fortes différenciations
internes, qui y sont aujourd'hui la règle : Qashqâ'i, Bakhtyâri, etc.
Changement donc, mais non rupture, car l'adoption de ce nomadisme, l'assimilation
des apports zootechniques correspondants et leur généralisation rapide et à
grande échelle n'ont pu être le fait que de populations déjà familiarisées avec
des techniques d'élevage assez élaborées et diversifiées (11). Cette condition,
c'est-à-dire la pratique préalable d'une activité donnée, est d'ailleurs donnée
par plusieurs auteurs comme généralement nécessaire à la fixation d'un
emprunt dans le domaine considéré (12). Or les populations décrites par P.
Briant pratiquent l'élevage, et même un élevage assez important si l'on en juge
par le tribut qu'Alexandre, selon Arrien, ne craint pas d'exiger des Ouxiens :
100 chevaux, 500 animaux porteurs et 30 000 moutons par an ! Ce dernier
chiffre surtout semble élevé : en supposant qu'il corresponde au tiers du
croît annuel - hypothèse la plus défavorable aux Ouxiens, dans la limite
toutefois de ce que peut supporter une production pastorale pour subsister
normalement -, on parviendrait, compte-tenu du taux moyen des pertes
enregistrées dans les élevages très rustiques de ces régions, au total de
150 000 animaux adultes. A titre indicatif, un recensement effectué dans les
années 1960 chez les Bakhtyâri (dont le territoire correspond à peu de chose
près à celui des anciens Ouxiens) donne un cheptel ovin de base de 850 000
têtes pour 135 000 familles (13).
Tout - y compris la présence de ces «animaux [bœufs] porteurs» (hypo-
zugia) mentionnés par Arrien - indique par ailleurs que cet élevage se fondait
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sur l'utUisation successive, au cours de l'année, de pâturages différents,


répartis altitudinalement, entre lesquels les hommes (ou au moins une partie
d'entre eux) et leur bétail se déplaçaient saisonnièrement. Mais il ne s'agissait
là, probablement, que d'un semi-nomadisme de vallée, à court rayon d'action,
pratiqué à partir et autour des villages (comparable peut-être à celui qui
subsiste encore par endroits chez les Kurdes, les Lor, les Boyr-Ahmadi) et
fort éloigné en tout état de cause du système importé plus tard par les
Turcs, où les hautes terres froides d'estivage sont situées parfois à plusieurs
centaines de kilomètres des piémonts occupés en hiver. On se demande
d'ailleurs comment, concrètement, ce système a pu se mettre en place, en
particulier dans le Zagros central, quand on sait l'imposante barrière naturelle
qu'y constitue le massif du Zarde-Kuh et les épreuves que représente aujourď
hui encore pour des dizaines de milliers de nomades Bakhtyâri avec leurs
troupeaux son franchissement deux fois l'an, par des cols perpétuellement
enneigés à quelques 4 000 m d'altitude (14). Or, l'étude de P. Briant nous
apprend que les populations anciennes du Zagros avaient déjà des étages
supérieurs de la montagne, qui ne constituaient pourtant pas leur habitat
normal, une connaissance assez approfondie, puisqu'ils s'y réfugiaient en cas
de besoin, qu'ils y disposaient de cavernes plus ou moins aménagées (comme
en ont encore les nomades actuels) et qu'ils étaient capables d'y subvenir à
leurs besoins par des activités de remplacement telles que la chasse et la
cueillette.
Il ne fait pas de doute que notre connaissance du genre de vie des
populations du Zagros ancien gagnerait beaucoup à un examen plus serré,
cartes en main, sur le terrain au besoin, de la question des limites ou de la
localisation de leurs territoires. Approximativement, ceux-ci devaient
correspondre, pour les Cosséens au Lorestân actuel, pour les Elyméens au Khu-
zestân Bakhtyâri, pour les Ouxiens «de la montagne» à la partie occidentale
du Kuh-Giluye (Boyr-Ahmadi) et de la région des Mamassani, et pour les
Mardes de Perside au Fars méridional (Qashqâ'i), soit presque toujours à
des zones de moyenne altitude, situées sur le versant Ouest du Zagros et
utilisées par les nomades d'aujourd'hui comme terres d'hivernage. La seule
note vraiment discordante de ce tableau est donnée par Strabon, selon qui
le Pasitigre (Karun) prendrait sa source dans le territoire des Ouxiens. Or,
cette source (Ab-e Kuh-Rang), grosse résurgence vauclusienne surgissant d'un
petit glacier, est située à près de 3 000 m d'altitude, sur le flanc oriental du
Zarde-Kuh ; la région, recouverte de plusieurs mètres de neige d'octobre à
mars, est fréquentée en été par les Bakhtyâri mais se vide de toute population
durant le reste de l'année. Cela m'amène à formuler, quant aux Ouxiens,
trois hypothèses. La première, la plus vraisemblable, est que Strabon se
trompe sur l'emplacement exact de la source du Karun - erreur qu'il n'aurait
pas été, loin de là, le dernier à commettre (15). La deuxième hypothèse est
que la région de Kuh-Rang aurait pu constituer, pour une partie des Ouxiens
restés exclusivement chasseurs et cueilleurs (et donc conformes à la
description que donnent de ce peuple la plupart des textes grecs), un habitat
permanent ; cette hypothèse reste néanmoins très improbable en raison de
la rigueur d'un climat dont on sait qu'il impose, même au gibier, des
migrations hivernales vers les vallées (16). La dernière hypothèse, qui consiste
à voir dans cette région de haute montagne une zone d'occupation
temporaire, soit saisonnière, soit de refuge, est la plus intéressante ; elle implique
en effet que les Ouxiens connaissaient déjà des voies d'accès au versant
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oriental du Zagros. Or, il se trouve que, du Kuh-Giluye (où la majorité des


Ouxiens devait vivre) vers Kuh-Rang, la voie la plus directe est aussi la moins
difficile puisqu'elle contourne par le Sud et par l'Ouest le massif du Zarde-
Kuh, en suivant les vallées longitudinales et notamment celle du cours
supérieur du Karun ; à cette voie correspond aujourd'hui l'itinéraire le plus
méridional des Bakhtyâri, itinéraire qui est emprunté également, en raison
justement de sa praticabilité, par les éleveurs arabes de buffles et turcs de
dromadaires qui ont à traverser le Zagros pour gagner leurs pâturages
saisonniers. Il n'en reste pas moins - et c'est la principale faiblesse de l'hypothèse -
que la distance Kuh-Giluye-Kuh-Rang s'élève, à vol d'oiseau, à environ
150 km et, par l'itinéraire auquel je pense, à 250 km au moins, ce qui
représente, à pied, avec famille, animaux et bagages, une marche d'une vingtaine
de jours au bas mot ; c'est là, me semble-t-il, beaucoup de chemin pour des
sédentaires, même en quête d'un refuge. Ce point reste donc à éclaircir.
Les renseignements d'ordre démographique, habituellement si précieux,
sont rares ici et difficilement utilisables. P. Briant nous dit sans plus de
précision - c'est à ses sources que le grief s'adresse - que les montagnards
sont «nombreux dans les armées du Grand Roi» (17). Une information,
cependant, retient l'attention : c'est celle que donne Strabon de la
fourniture par les Cosséens d'un renfort de 13 000 archers aux Elyméens à
l'occasion de la prise de Suse en 147 av. J.-C. Or, ce chiffre paraît
énorme si l'on pense que, même au faite de leur puissance, les Bakhtyâri,
tribu forte de près d'un demi-million de personnes, n'ont jamais pu aligner
plus de 10 000 combattants : 9 000, selon la tradition locale, dans la guerre
dite précisément «des neuf mille» (Jang-e noh hezâr) vers 1840, 5 000 au
«siège» de Téhéran en juillet 1909 (18). Est-il raisonnable de croire que les
Cosséens étaient si nombreux ? Ou bien faut-il déplorer - comme le faisait
déjà Ibn Khaldoun à propos de l'armée d'Israël (19) - la propension des
auteurs anciens à gonfler les chiffres ? J'en appelle sur ce point à l'historien.
Toutefois, si l'on reprend le résultat de 150 000 ovins auquel j'étais
parvenu plus haut et qu'on le divise par le nombre moyen d'animaux par
famille chez les Bakhtyâri, c'est-à-dire par six, on obtient pour les Ouxiens
un total de 25 000 familles, soit quelques 125 000 personnes. Mais il est
superflu, je pense, d'insister sur le caractère aléatoire de ce genre de calcul.
Les auteurs grecs - P. Briant le souligne - donnent peu d'indications
sur l'organisation sociale des montagnards. S'agissant apparemment de
«confédérations de villages» (communautés fondées sur l'occupation du
sol ?) et en l'absence d'évidence d'une classe dominante de guerriers - mais
qui sont alors les interlocuteurs mardes, ouxiens, cosséens, etc., du Grand
Roi et d'Alexandre ? -, il semblerait qu'on puisse trouver ici un cas d'une
relative correspondance de ces deux communautés que Marx distinguait
dans les Formen, à propos de la société germanique : communauté dans la
production, douée d'une existence économique, et communauté «existant
en soi», préalable à toute production et déterminée par «la descendance,
la langue, le passé commun, l'histoire, etc » (20). Je crois peu, dans ces
conditions, à la différenciation, intérieure à Vethnos (comme chez les Mardes,
selon P. Briant), des agriculteurs et des pasteurs en deux groupes de
producteurs distincts économiquement et socialement. Par contre, le processus de
différenciation en deux ethnè, attesté notamment pour les Ouxiens (Ouxiens
«de la plaine» et Ouxiens «de la montagne»), est bien connu et a pu être
étudié en détail dans plusieurs sociétés contemporaines (21). De tels processus
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nécessitent en général qu'un groupe social contrôle les conditions ultimes de


reproduction de la commauté en question. Dans le cas des Chaldéens, ce
groupe social est l'État achéménide et/ou la classe dont celui-ci est
l'émanation. Pour les Ouxiens, la situation est moins claire. P. Briant soumet deux
hypothèses que je résume ici très grossièrement : soit les Ouxiens de la
montagne sont d'anciens agriculteurs entrés en dissidence et passés au pastora-
lisme, soit les Ouxiens de la plaine d'anciens montagnards assujettis (comme
les Chaldéens) au travail de la terre. Il serait évidemment d'un grand intérêt
pour l'historien de pouvoir trancher ; mais on pourrait dire à la limite - et
je compte sur P. Briant pour faire, dans mes propos, la part de la
provocation ! - que l'anthropologue n'y verrait pas grande différence, puisque,
dans une hypothèse comme dans l'autre, et pour le cas des Ouxiens aussi
bien que pour celui des Kardouques, c'est toujours à la conquête perse
qu'est imputée la coupure plaine-montagne. Or, sans chercher à nier
aucunement le poids de cette conquête, ni l'influence, en pareille situation,
des facteurs sociaux externes en général, on peut voir également dans ces
processus de différenciation, qui se traduisent d'abord par l'apparition de
nouvelles formes de division du travail élargies à l'échelle de populations
entières, le résultat des difficultés du contrôle social sur les conditions de
reproduction des unités familiales et/ou villageoises, autrement dit : le
déplacement vers la périphérie des contradictions existant entre forces productives
et rapports de production dans la reproduction domestique et/ou
communautaire. Au niveau, donc, des causes de la différenciation, il ne me semble
par conséquent pas possible d'évacuer - même quand l'information livrée par
les sources se révèle, comme ici, fort maigre - les facteurs internes qui agissent
en relation dialectique avec les facteurs externes.
Par contre, une fois le problème des causes dépassé et la différenciation
entre «montagnards» et agriculteurs des «terres amies» établie, l'étude de
P. Briant est particulièrement éclairante. Entre les termes indépendance et
conquête, dissidence et soumission, exclusion (marginalisation serait plus
juste) et assimilation, la contradiction n'est ici qu'apparente (22) : à cet
égard, le versement par le Grand Roi d'un «droit de passage» aux Cosséens
est riche de signification. Je ne reviendrai pas sur l'interprétation, comme
«don contraignant» , qui en est donnée et à laquelle je souscris, sinon pour
préciser que, contrairement à l'opinion qu'un archéologue me donnait
récemment sur ce point, l'idée du détour auquel le souverain s'obligeait,
volontairement, pour justifier ce versement ne me paraît nullement
invraisemblable ".jusqu'à une époque récente, les khân (chefs) Baxtyâri effectuaient
un parcours annuel de nomadisme que je qualifierai de apolitique», très
différent de celui, à vocation pastorale, suivi par l'ensemble de la tribu (23) ;
ce parcours les conduisait successivement aux principaux points névralgiques
des territoires soumis à leur juridiction, où étaient collectés les impôts (Ardai,
Kuh-Giluye, Ize, Andekâ, etc.), mais aussi, précisément, à Gotvand, Lalar,
Kotok, etc., auprès des groupes réputés hostiles et insoumis, auxquels ils
devaient visite et cadeaux ; ces cadeaux, qui dépassaient largement en valeur
la taxe souvent négligeable versée par ces groupes, n'avaient d'autre but que
de placer ostensiblement les khân en position de donateurs. On se trouve
donc ici aussi, du fait du jeu des deux obligations - de recevoir et de rendre -
complémentaires du don (24), en présence d'un cas de cette «hostilité
réglementée» dont les exemples fourmillent, des Achéménides à nos jours (25).
A la question de savoir pourquoi le Grand Roi entretenait des «relations
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spéciales» avec certains groupes de montagnards, P. Briant répond en


historien, en proposant l'hypothèse d'une survivance, héritée selon lui d'une
époque où Cosséens, Ouxiens, etc., auraient pu contrôler effectivement
les routes de la région. Une hypothèse de ce type, qu'au demeurant on ne
saurait exclure, présente aux yeux de l'anthropologue l'inconvénient majeur
de laisser entier le problème du rôle spécifique joué par ces relations dans
le fonctionnement de la société globale. Ces relations spéciales des Achémé-
nides avec les Cosséens, les Ouxiens, etc (de même que celles, dans l'exemple
précédent, des khân avec certains groupes mal soumis) me semblent pouvoir
être interprétées comme des rapports de clientèle correspondant en
l'occurrence à des modalités d'exploitation (fourniture de guerriers, etc.) plus
souples et mieux adaptées, si l'on peut dire,au cas particulier des montagnards
que les rapports tributaires fondés sur l'extorsion directe, en travail ou en
nature, d'une partie des surplus. Comme le note P. Briant avec raison, «la
dépendance était bien celle des montagnards à l'égard des Achéménides,
et non l'inverse» . Mais cette dépendance était soumise, en l'état des forces
productives de l'époque et du lieu, au maintien précisément d'une différence
entre montagnards et agriculteurs des «terres amies» . Je me demande même
- et je demande à l'historien - si, en dernière analyse, la condition de
reproduction de la société globale n'était pas justement la reproduction de cette
différence, condition dont le pouvoir achéménide s'assurait le contrôle,
notamment par l'établissement et le maintien de relations spéciales avec les
montagnards. Les événements du début de la période hellénistique me
semblent pouvoir être, en gros, interprétés de façon semblable : à la conquête
macédonienne aurait correspondu une période de crise dans le contrôle des
conditions de reproduction de cette différence, crise qui se traduisit, dans
les relations du pouvoir avec les montagnards, par la rupture épisodique de
l'état d'«hostilité réglementée» (campagne d'Alexandre contre les Cosséens,
etc.) et par l'instauration, sans doute temporaire, des moyens d'une
différenciation plus accentuée (renforcement de la ceinture des cités de garnison)
et de rapports plus directement tributaires (notamment pour les Cosséens).
Que le maintien de l'ordre social macédonien dans le Zagros se soit
fondé, comme son prédécesseur, sur la reproduction d'une différenciation
sociale entre agriculteurs de la plaine et montagnards me semble trouver
confirmation dans l'empressement des auteurs grecs à décrire, en
contradiction totale avec la réalité, ces derniers comme des barbares, exclusivement
«prédateurs» et brigands. Dans cette idéologie, que trahissent les
contradictions des témoignages et qu'un minutieux travail de décodage des textes -
qu'il nous faut saluer au passage - a permis de mettre en évidence, P. Briant
reconnaît une «idéologie de conquête», à vocation apologétique et
justificatrice, qui déforme la réalité pour imposer un ordre social. Mais n'est-elle
que cela ? Non, à mon avis. Car cette idéologie qui déforme est aussi
représentation, représentation - précise même - de cette différence dont j'ai dit
qu'elle m'apparaissait comme une condition de reproduction de la société du
Zagros achéménide et hellénistique. Ce point d'idéo-logique (26), qui touche
aux rapports entre idéologie et structure sociale, mériterait d'être débattu ;
mais, pour moi, l'idéologie n'est pas seulement le reflet déformant de la
structure sociale, extérieur à celle-ci ; elle est aussi la structure sociale (ou
partie ď) elle-même et la condition de son fonctionnement.
La pratique et la «théorie» achéménides et hellénistiques ne constituent
d'ailleurs pas, loin de là, un exemple isolé, dans l'histoire, de politique d'un
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État fondée sur la marginalisation/assimilation de ses pasteurs montagnards,


nomades du désert ou autres «sauvages» vivant en des lieux plus ou moins
inaccessibles et «impropres à toute civilisation». Pour rester dans un domaine
géographique proche, à Byzance par exemple, les nomades sont
ostensiblement maintenus en situation périphérique, en marge de Г oôxouydvri ;
ils sont désignés par des termes péjoratifs - ávuópuxov e $v o s
(«nation inconstituée»), ÀnoTpLKov y^os ou e ■& v o s
(«race brigande»), etc. • et représentent l'image négative du «monde» :
Г àиоау иa .Or une analyse plus approfondie révèle que,
rement à ce qu'aurait pu laisser attendre un tableau aussi peu favorable aux
nomades, ceux-ci étaient l'objet des efforts incessants de Byzance pour les
attirer dans son orbite (27). Mais là encore, les deux démarches, en apparence
paradoxales, sont étroitement complémentaires et se nourrissent l'une de
l'autre. A l'époque contemporaine, la marginalisation des nomades s'effectue
sous d'autres formes et en d'autres lieux : folklorisation dans les «réserves»
pour touristes, clochardisation dans les bidonvilles, etc. - formes et lieux par
lesquels continue de passer la voie de l'assimilation. Depuis plusieurs
décennies, les politiques dites de développement s'attachent à gommer la différence
objective et à traiter le nomadisme par son contre-type, la sédentarisation
(comme les auteurs grecs de P. Briant ont prétendu que déjà Alexandre avait
fait). Mais il n'y a là qu'un déplacement du lieu de la différence, car ces
politiques se fondent toutes sur une appréciation subjectivement péjorante du
nomadisme, sur sa marginalisation idéologique : «Le nomadisme est un état
social primitif. Il affaiblit la production nationale et fait d'une partie
importante de la nation un membre paralysé et une entrave à son développement.
Le Parti lutte pour la sédentarisation des nomades en leur attribuant des
terres, pour l'abolition des règles tribales et pour l'application aux nomades
des lois de l'État» (article 43 des statuts du Ba'th syrien). En Iran, l'opinion
est répandue que les membres des tribus, les nomades, encore nombreux
aujourd'hui (15 à 20 % de la population du pays) sont des sauvages, au
mieux des «pecquenauds» (28), à tel point que les intéressés finissent par en
être plus ou moins intimement convaincus et se précipitent souvent d'eux-
mêmes au devant de leur absorption par le mode de production dominant.
Voilà qui illustre bien, me semble-t-il, la fragilité des distinctions trop
strictes entre infrastructure et super structure, et surtout de l'idée d'une
détermination exclusive de la seconde par la première (29).
J'ajouterai pour terminer - sinon pour conclure, car je me garderai
bien de priver l'historien de cette tâche délicate entre toutes - qu'il se trouve
aussi de nombreux épisodes de l'histoire où les nomades, loin apparemment
d'être exclus, ont fourni au contraire les élites politiques et les cadres des
États : en Iran notamment, les dynasties d'origine sédentaire furent
l'exception. Mais cette constatation ne contredit pas les analyses qui précèdent.
En effet, dans la plupart des cas, les classes dominantes nomades n'ont pu
se maintenir au pouvoir qu'en marginalisant à leur tour, et jusqu'à un certain
degré, leurs anciens contributes, sur lesquels ils s'étaient pourtant appuyés
(30). Cette permanence historique de l'exclusion comme principe et pratique
de l'assimilation des sociétés de pasteurs nomades me semble présenter au
moins une signification théorique majeure : elle révèle une relative
indépendance de ces sociétés à l'égard des modes de production dominants.
Considérés à tort comme des formes parasitaires ou dégradées de ces modes de
production ou comme des unités incomplètes ne pouvant être comprises
DIALOGUES D'HISTOIRE ANCIENNE 27 1

qu'au sein de formations plus larges, ces sociétés représentent plus


probablement une forme typique de voie spécifique de l'évolution historique (31).

J.-P. DIGARD

NOTES

(1) Comme J. LE GOFF et P. NORA (eds), Faire de l'histoire, 3 voL, en particulier


voL I : Nouveaux problèmes, Paris, Gallimard, 1974, et, plus spécifiquement,
l'ouvrage collectif offert à Ch. Parain, Ethnologie et histoire, Paris, Ed. Sociales,
1975.
(2) M. GODELIER, Horizon, trajets marxistes en anthropologie, Paris, Maspéro,
1973, p. 34.
(3) En résumé, l'histoire serait le privilège de quelques grandes civilisations,
l'européenne en tête ; les sociétés «primitives», elles «changent» et ne sauraient le
faire qu'au contact des premières. On reconnaît bien là une variante de la
définition traditionnelle, toute idéologique, de l'objet de l'anthropologie.
(4) Voir, par exemple, le manuel, très représentatif de l'anthropologie anglaise, de
L. MAIR, An introduction to social anthropology, Londres, Oxford University
Press, 1965.
(5) M. GODELIER, op. cit., p. VIII.
(6) Voir J.-P. DIGARD, Histoire et anthropologie des sociétés nomades : le cas d'une
tribu d'Iran, Annales : Économies, Sociétés, Civilisations, n. 6, 1973, p. 1423-
1435, et Campements Baxtyâri. Observations d'un ethnologue sur des matériaux
intéressant l'archéologue, Studia Iranica, voL IV, n. 1, 1975, p. 117-129, XXII-
XXIII.
(7) X. DE PLANHOL, Les fondements géographiques de l'histoire de l'Islam, Paris,
Flammarion, 1968, p. 196 sq.
(8) Ibid., p. 199.
(9) Voir notamment F. BARTH, Nomads of south Persia, Oslo, Universitetsforlaget,
1964, p. 4 sq., J.-P. DIGARD, Techniques et culture des nomades Baxtyâri
d'Iran, Paris, Institut d'Ethnologie (micro-édition), 1973, p. 20 sq. ; C.G. FEIL-
BERG, Les Papis, Copenhague, Nationalmuseets Skrifter (Etnografisk Roekke,
IV), 1952, p. 41 s?.
(10) Voir une analyse de ce processus dans J.-P. DIGARD, loc. cit., 1973.
(11) A l'appui de cette thèse : J.-P. DIGARD, X. DE PLANHOL et L. BAZIN, Éléments
turcs dans le vocabulaire pastoral des Baxtyâri, in : L 'acculturation turque dans
l'Orient et la Méditerranée : emprunts et apports, Colloque international du
CNRS, Paris, oct. 1975 (à paraître).
(12) Voir notamment le concept de «milieu favorable» introduit par A. LEROI-
GOURHAN, Milieu et techniques, Paris, Albin Michel, 1945, p. 382 sq., ainsi
que la première des «lois» dégagées par H.A.R. GIBB, Influence of islamic culture
on medieval Europe, Bulletin of the John Rylands Library (Manchester), voL 38
1955-56, p. 82-98.
272 J J>. DIGARD

(13) Baresi ilât-o-' asàyer-e Baxtyâri, pisnahâdâti barâ-ye âbâdâni sarzamin-e ânhâ
(Etude des tribus Bakhtyâri, propositions pour le développement de leur
territoire), Tehran, Vezârat-e Abâdâni va Maskan (Ministère du Développement et
du Logement), 1348 (1969).
(14) Sur les itinéraires actuels de nomadisation : J.-P. DIGARD et A. KARIMI,
Documents pour l'étude de la répartition de quelques traits culturels dans le Zâgros
central, fasc. 2, P., Publications de la RCP 362 du CNRS ( = Programme
d'Établissement de Cartes Ethnographiques de l'Iran, I), 1975, p. 5 sq. et cartes 15 et 16.
(15) Jusqu'à H.-R. D'ALLEMAGNE, Du Khorassan au pays des Backhtiaris, Paris
1911, vol. IV, p. 173.
(16) Voir X. DE MISONNE, Analyse zoogéographique des Mammifères de l'Iran,
Bruxelles 1959 (Mémoires de l'Institut Royal des Sciences Naturelles de Belgique,
LIX) et, du même, Mammals, in : W.B. FISCHER (éd.), The land of Iran,
Cambridge 1968 (The Cambridge History of Iran, I), p. 294-304.
(17) D'après HÉRODOTE, Histoires, I, p. 84-87, cité par X. DE PLANHOL, op. cit.,
p. 201, les nomades ne forment qu'un dixième de la cavalerie de Xerxès.
(18) Voir ?M. SYKES, A history of Iran, Londres, Routledge & Kegan Paul, rééd.
1963, voL П, p. 417^19, et H.-R. D'ALLEMAGNE, op. cit., vol. IV, p. 230
sq. Pour les Qasqâ'i, tribu d'importance comparable à celle des Bakhtyâri, des
chiffres sensiblement du même ordre sont donnés par P. OBERLING, The
Qashqâ'i nomads ofFârs, La Haye, Mouton, 1974, p. 194, etc.
(19) IBN KHALDOUN, Prolégomènes, I, p. 74, cité par Y. LACOSTE, Ibn Khaldoun,
naissance de l'histoire, passé du tiers-monde, Paris, Maspéro, rééd. 1973, p. 192.
(20) 1С MARX, Formes qui précédent la production capitaliste, in : Centre d'Études
et de Recherches Marxistes (éd.), Sur les sociétés précapitalistes, Paris, Ed.
Sociales, 1970, p. 180-226 (voir en particulier p. 191).
(21) Voir notamment : R.B. EKVALL, Fields on the hoof. Nexus of tibetan pasto-
ralism, Washington, Holt, Tinehart & Winston, 1968.
(22) Cf., dans le même ordre d'idées, la place de la dialectique/protection menace dans
les analyses du «féodalisme oriental» développées par P. VIEILLE, La féodalité et
l'État en Iran, Paris, Anthropos, 1975. Par exemple : «Les rouages bureaucratiques
sont un instrument de menace, rejettent les individus vers le pouvoir et les
protecteurs» (p. 287) ; mais aussi : «Le supérieur tient son importance politique, en
partie du moins, de l'appui de ses protégés ; de trop grandes exigences ruinent son
pouvoir» (p. 297).
(23) Cf. le «nomadisme» du Grand Roi (Babylone-Persépolis-Suse-Ecbatane) qui
n'était certainement pas dicté non plus par des raisons d'ordre écologique
uniquement.
(24) M, MAUSS, Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, 1966, p. 161.
(25) Ne voit-on pas, depuis peu de temps, en France même, le pouvoir chercher à
imposer l'idée d'un «statut de l'opposition» ?
(26) De logique des idéologies, que M. AUGE distingue de l'idéologie, dans sa
présentation de l'édition française de J. MIDDLETON (éd.), Anthropologie religieuse.
Les dieux et les rites. Textes fondamentaux, Paris, Larousse, 1974.
(27) Sur ce point encore peu étudié : H. AHRWEILER, Le nomadisme et les nomades
à Byzance et face à Byzance (Xle-XIVe siècles), in : L 'acculturation turque ....
op. cit. (à paraître).
(28) Le mot persan utilisé dans ce sens, lor, n'est autre que l'ethnonyme correspondant
aux tribus qui occupent actuellement le territoire des anciens Cosséens.
(29) «La conscience humaine ne reflète pas seulement le monde objectif, mais aussi le
crée» (LÉNINE, Oeuvres, t. XXXVHI, p. 201).
DIALOGUES D'HISTOIRE ANCIENNE 273

(30) Analyses voisines dans Y. LACOSTE, op. cit. Pax exemple : «Alors qu'il [le chef
de tribu] a développé lui-même Vasabiya au sein de sa tribu et spéculé sur les
liens de solidarité qui la mettaient à son service, il va dès lors détruire cette
structure politique qui est devenue un obstacle important à l'établissement
d'une réelle monarchie absolue» (p. 153).
(31) C'est à une conclusion semblable qu'est parvenu le groupe d'ethnologie du Centre
d'Études et de Recherches Marxistes après plusieurs années de travaux consacrés
aux sociétés pastorales. Voir Études sur les sociétés de pasteurs nomades, Cahiers
du C.E.R.M., ПО109 et 110, 1973, et nol21, 1975, ainsi que les synthèses de
P. BONTE, Les sociétés de pasteurs nomades, La Pensée, iP 171, 1973, p. 158-
166, et Les civilisations nomades, La Recherche, rP53, 1975, p. 130-140.

P. BRIANT :
Une historienne, Monique Lévêque, et un ethnologue, J.-P. Digard, ont
accepté de publier ici sous forme de dialogue les remarques que leur a
inspirées la lecture du travail qui précède. Je les remercie très
chaleureusement de leurs interventions qui ouvrent des perspectives particulièrement
stimulantes. Pour avoir quelque chance d'être complète, ma réponse devrait
être fort longue : mais, précisément, j'entends non pas clore une discussion,
mais bien au contraire la poursuivre en espérant qu'elle s'enrichira par des
apports ultérieurs.

-I-

1.1. Je me dois tout d'abord, de façon très concrète et très personnelle,


comme l'a fait J.-P. Digard, de faire part de mes réactions devant les
considérations épistémologiques qu'il a développées sur les rapports entre
Ethnologie et Histoire. Il est indéniable que les déclarations d'intention ne cessent
de se multiplier depuis plusieurs années. Beaucoup d'ethnologues, - «en
convalescence de structuralisme», - ressentent le besoin de la temporalité -
(pour dire bref). Du côté des historiens, la boulimie anthropologique et
ethnologique est à son comble. Pour s'en convaincre, il suffit, par exemple, de
jeter un coup d'oeil sur les trois tomes de Faire de l'Histoire. J. Le Goff et P.
Nora écrivent dans le texte de présentation : «L'ethnologie exerce ici
l'attraction la plus séduisante, et, récusant la primauté de l'écrit et la tyrannie de
l'événement, tire l'histoire vers l'histoire lente, presque immobile, de la longue

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