DE LA PULSION DE MORT À LA PULSION ANARCHISTE

Quatre questions à Nathalie Zaltzman

Jean-Claude Polack

ERES | « Chimères »

2008/1 n° 66-67 | pages 89 à 92

ISSN 0986-6035
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-chimeres-2008-1-page-89.htm
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POLITIQUE
JEAN-CLAUDE POLACK

DE LA PULSION DE MORT À LA
PULSION ANARCHISTE
Quatre questions à Nathalie Zaltzman

Chimères

1. Les pulsions freudiennes articulent (questions de limites,

de frontières, mais aussi de liens) des poussées physiques
partielles, localisées, avec leurs « représentations » ou effets
psychiques « subjectifs ». La pulsion de mort, si nécessaire à
la Métapsychologie, semble souvent utilisée comme un
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concept par défaut, une panacée explicative des désordres
psychiques meurtriers (mélancolie, masochisme et suicides,
tueurs en série…) ou de catastrophes collectives (émeutes
de banlieue, fanatismes sacrificiels, guerres, conflits eth-
niques). Freud lui-même ironisait : « Singulière pulsion que
celle qui s’occupe de la destruction de sa propre demeure orga-
nique ! » La dialectique du sexuel et du Moi, puis celle
d’Eros et Thanatos semblait buter sur une insoluble aporie.
Le coup de force de votre pulsion anarchiste nous paraît
donc aussi séduisant que l’hypothèse deleuzo-guattarienne
d’un processus de production commun au Capitalisme et à
la Schizophrénie. La pulsion anarchiste appartient en
même temps au corps et au groupe, à l’organique et au Nathalie Zaltzman est
auteur du livre De la
social. Vous en usez d’ailleurs pour parler des expériences- guérison psychanaly-
limite de l’univers concentrationnaire. Est-ce que la pulsion tique, Paris, PUF, 1998.

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2- Gilles Deleuze,
Différence et répétition, anarchiste serait une pulsion de mort non mortifère, une
Paris, PUF, 1968. pulsion de survie?
2. Vous paraît-il nécessaire de conserver ici la distinction
fondamentale du Besoin et du Désir? Pourrait-on dire, en
inversant l’axiomatique freudienne, que le premier est le
rejeton – la production – du second? Est-ce que le besoin
de survie n’est pas le « dur désir de durer »?
3. Dans Différence et Répétition, Gilles Deleuze, bien avant
le thème des machines désirantes – forgé avec Félix
Guattari – peut dire qu’« Il y a moi dès que s’établit quelque
part une contemplation furtive, dès que fonctionne
quelque part une machine à contracter, capable un
moment de soutirer une différence à la répétition2. » Il met
l’âme dans les comportements cellulaires, voire molécu-
laires… Est-ce que la pulsion anarchiste ne revendique pas
une certaine autonomie des « subjectivités » partielles, dis-
persées mais utiles, qui résistent parfois, comme dans les
psychoses, aux totalisations subjectives et vulnérables du
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Moi? Est-ce une pulsion de multiplicité?
4. La pulsion anarchiste ne cherche-t-elle pas à repenser les
productions de subjectivité dans le contexte écologique des
relations des humains avec la nature, au delà ou en deçà de
leur capture par l’institution structurante de l’épreuve œdi-
pienne?
Nathalie Zaltzman
Grâce à vous je me suis plongée dans Deleuze avec beau-
coup de curiosité et beaucoup de difficulté. J’ai pris des
notes et des notes, avant même de recevoir vos quatre ques-
tions. Hélas, plus j’avançais plus il m’apparaissait – à tort et
à raison – que l’appareil conceptuel philosophique et
l’appareil métapsychologique n’ont pas la même contrainte
à se rendre saisissable un réel non encore pensé.

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Puis j’ai reçu vos questions et le renversement que vous

évoquiez du désir au besoin m’a beaucoup stimulé. J’ai
repris des notes, particulièrement autour de la clinique des
psychoses, espérant ainsi rejoindre, même de loin, la
construction deleuzo-guattarienne du processus de produc-
tion, etc. Fiasco total. Plus je travaillais et plus les idées me
quittaient.
Vous écrivez : « la pulsion de mort si nécessaire à la
Métapsychologie ». Est-ce à la Métapsychologie qu’elle est
nécessaire et pas, plutôt, la Métapsychologie nécessaire à
baliser le champ de la pratique, quitte à la laisser tomber
quand ce qui apparaît n’est pas rendu intelligible par ce
qu’on avait construit?
Freud, écrivez-vous, ironisait : « singulière pulsion que celle
qui s’occupe de la destruction de sa propre demeure orga-
nique ». Il me semble que ce sont plutôt les freudiens, après
Freud, qui ont traité cette notion sur le mode ironique, en
refusant de la prendre au sérieux jusque dans ses sources
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organiques, ce qui nous renvoie à la discussion besoin/désir,
à l’antériorité effectivement renversable de l’un sur l’autre.
Mais il faudrait reprendre tout le rapport entre besoin
d’auto-conservation et désir subvertissant parfois la voie
psychique au détriment de la conservation de la vie. Mais
tout ça a déjà été pensé et repensé…
Quant à ce que vous qualifiez d’aporie entre Eros et
Thanatos, pourquoi « aporie »? Thanatos est bien ce qui
résiste à la force unifiante, normalisante, anonymisante du
social et des civilisations, et ce qui fissure le béton armé des
idéaux et des vérités établies.
Oui, la pulsion de mort appartient au corps, au plus sub-
jectif (c’est la pulsion par excellence) et à la psychologie col-
lective. La pulsion anarchiste est une variante mobilisable

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par l’urgence critique d’un lien d’emprise sous le signe

d’Eros.
On peut donc inverser l’axiomatique freudienne, le besoin
deviendrait le rejeton du désir. En théorie on peut toutes
les audaces. En pratique il faut bien reconnaître que l’hal-
lucination ne maintient pas en vie, que la petite fille aux
allumettes meurt de froid dans le feu d’artifice de ses créa-
tions désirantes, que le délire et le phantasme ne cèdent pas
le pas à la priorité vitale des besoins, sauf dans ce que
j’appelais les expériences-limite.
Mais plus j’avance avec vos questions, plus je ne sais plus de
quoi nous discutons.
Ne m’en veuillez pas, mais je ne sais pas ce que vous dési-
gnez par « contexte écologique des relations des humains avec
la nature ».
Pour moi l’enjeu essentiel de la pulsion anarchiste était la
critique d’une pratique psychanalytique qui veut traiter
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toutes les conflictualités psychiques en termes de
« sexuel/narcissique », alors que la pulsion de mort est une
composante inéluctable de la vie inconsciente, et qui par-
fois doit être déchiffrée, en tout cas recevable en priorité.
Ce n’est pas pour rien que Sigmund Freud est passé de
l’Inconscient-lieu des refoulements sexuels, au « ça », lieu
des pulsions – avec celles de mort.
Je ne saurais en dire davantage.
Merci de m’avoir mis au travail de la question.
Manifestement elle n’est pas (ou trop) d’actualité.

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