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Dossier
Le développement durable
à l’épreuve de la crise
NI RÉGRESSION BRUTALE NI FLAMBÉE : LES ENGAGEMENTS DES ENTREPRISES EN MATIÈRE DE
RESPONSABILITÉ SOCIALE SE RÉVÈLENT PLUTÔT STABLES DANS LE CONTEXTE DE CRISE.
> Olivier Delbard et Fabienne Fel études menées depuis 2008 sur ce sujet
epuis quelques années, les enjeux vont à l’encontre de cette hypothèse, à l’ex-
Olivier Delbard est professeur associé aux départements Langages et civilisations, et Sciences juridiques, économiques
et sociales du campus de Paris d’ESCP Europe. Il est responsable des projets et enseignements liés au développement
durable sur ce campus.
Fabienne Fel est professeur associé au département Information, technologies et modélisation du campus de Paris d’ESCP
Europe et directeur scientifique du mastère spécialisé en stratégie et pilotage des opérations (achats, supply chain, qua-
lité). Ses recherches actuelles portent sur la fonction développement durable dans les entreprises.
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l’essentiel, à des valeurs sûres et réalistes. on pour autant en déduire que le dévelop-
On le voit d’ailleurs dans les campagnes pement durable s’en trouve renforcé ?
publicitaires actuelles, notamment de la
part des constructeurs automobiles. Un levier de transformation
Pour ce qui est de la poursuite des solide ?
actions engagées par les entreprises, toutes L’autre posture devenue rapidement
les enquêtes convergent dans le même dominante dans les médias a consisté à
sens : la crise n’a quasiment pas eu d’im- voir dans la crise une opportunité unique
pact négatif. Dans une enquête (1) réalisée d’accélérer la mise en œuvre du dévelop-
auprès des directeurs du développement pement durable dans l’économie. L’embal-
durable engagés, seuls 9 % pensent que lement sur la croissance verte, les points de
cette démarche est une contrainte supplé- vue convergents sur la nécessité d’un
mentaire en temps de crise. Dans l’enquête
menée par Care France fin 2009 (2) sur les Les points forts
conséquences de la crise sur la responsabi-
lité sociale des entreprises, seules 12 % des Les entreprises n’ont pas mis de coup
entreprises y voient un impact négatif. d’arrêt à leur politique de développement
En outre, l’enquête montre que les bud- durable, mais elles n’ont pas non plus saisi
gets dédiés au mécénat sont globalement l’opportunité de la crise pour transformer leur
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maintenus. L’étude réalisée par Admical modèle de développement.
en mars 2009 sur « mécénat et crise » affine Les situations sont contrastées selon
ces conclusions : si pour la plupart des l’importance stratégique de la démarche de 21
entreprises les budgets sont stables, les développement durable et son degré
Dossier
>> terme de l’économie et du développement. sur l’impact de la crise sur la RSE se répar-
Autant de notions centrales au concept de tissent à peu près de manière égale entre
développement durable ! Certains n’hési- celles qui y voient un impact positif et
tent d’ailleurs pas à franchir le pas et voir celles qui n’en voient pas de particulier, ni
dans la RSE et le développement durable dans un sens ni dans l’autre. Enfin, l’en-
des leviers de sortie de crise. quête menée par Enablon révèle que si la
Par ailleurs, la crise économique touche majorité des entreprises ne voient pas de
directement les consommateurs, atteints corrélation positive entre politique de RSE
dans leur pouvoir d’achat, dont l’avenir et protection face à la crise, plus de 80 %
est menacé par les pertes d’emploi, et qui en revanche pensent que les valeurs du
en tant que citoyens sont choqués par ce développement durable dans leurs entre-
que révèle la crise, écœu- prises restent au moins intactes,
rés par les profits obs- 42 % allant même jusqu’à affirmer
cènes engrangés par le De nombreuses qu’elles en sortent renforcées.
monde de la finance, études montrent Ainsi, si la crise ne conduit pas
sans parler des bonus systématiquement à une montée
des fameux traders…
la volonté des en puissance du développement
Ces mêmes consomma- consommateurs durable au sein de l’entreprise, elle
teurs remettent peu à d’acheter ne marque pas non plus un coup
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tions se sont essentiellement faites au pro- choisi d’interroger pour tenter de mesurer
fit d’entreprises situées dans des pays à l’impact de la crise sur les politiques de
bas coût de main-d’œuvre, où se posent développement durable de leurs entre-
aujourd’hui d’importants problèmes de prises (voir encadré page suivante).
pollution, et où la législation du travail ne
garantit pas toujours le respect des droits Avant la crise. Le degré d’engagement des
de base des salariés. entreprises dans les démarches de déve-
Tant par sa capacité à contribuer à la loppement durable était très hétérogène
réduction des coûts que par sa mission de avant la crise : il s’agissait d’un axe straté-
sélection des fournisseurs, la fonction gique prioritaire pour 17 % d’entre elles,
achats a acquis depuis une dizaine d’an- d’un axe important mais non stratégique
nées un rôle beaucoup plus stratégique pour 28 %, et ce n’était qu’une démarche
que par le passé. Les entreprises sont en début de déploiement pour d’autres.
tenues de maîtriser leur supply chain, et L’ancienneté de ces démarches reflétait
l’opinion publique tend à leur imputer cette disparité, les entreprises les plus en
toute défaillance des fournisseurs, comme pointe ayant démarré plus de quatre ou
l’ont montré plusieurs exemples extrême- cinq ans avant la crise, alors que près des
ment médiatisés : Mattel a rappelé deux tiers des sociétés
des centaines de milliers d’acces- engagées ne l’étaient
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soires de la célèbre poupée Barbie, La fonction que depuis trois ans ou
peints par un fournisseur chinois achats a acquis moins. Sans surprise, la
avec une peinture contenant un très grande majorité de
taux trop élevé de plomb, Nike a
un rôle ces démarches concer-
23
Dossier
>> terme. Comment expliquer qu’un même Une crise différemment ressentie. La
phénomène – la crise – conduise à des crise n’a naturellement pas touché tous les
comportements en totale opposition ? Une secteurs avec la même intensité. Mais si
première explication concerne la façon 17 % des entreprises estiment avoir été
dont les entreprises ont été touchées. à peu près épargnées, il n’en va pas de
où les réponses de ces diverses catégories ne lement des actions concrètes en ce sens. Nous
diffèrent pas sensiblement quant à l’impact de la rejoignons ici les conclusions optimistes d’autres
24 crise sur les démarches de développement recherches sur la supply chain verte*.
L’Expansion Management Review
durable des entreprises, nous avons choisi d’étu- Nous avons également montré que les services
dier l’ensemble des réponses de manière globale. achats ne sont pas impliqués dès le démarrage
Tous les secteurs industriels et de services d’une démarche de développement durable, mais
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même pour les 50 % qui jugent avoir été prises en difficulté… Au terme de notre
moyennement frappées, ni pour les 33 % étude, le secteur bancaire est en effet celui
qui affirment l’avoir été durement ou très qui s’est le plus interrogé sur ses pratiques
durement. en matière de développement durable à la
Ce sont les entreprises frappées le plus lumière de la crise, seules 30 % des entre-
durement par la crise qui ont été les plus prises de ce secteur affirmant que celle-ci
nombreuses à privilégier d’autres objectifs n’a eu aucun impact sur leur démarche
que le développement durable, alors que RSE. Les réactions des autres entreprises
cette réaction n’a été le fait que d’une bancaires ont été beaucoup plus contras-
infime minorité des entreprises qui se sont tées que la moyenne : si 30 % d’entre elles
trouvées épargnées. Aujourd’hui encore, affichent un recul des préoccupations
par rapport à la moyenne de l’échantillon, de développement durable, 40 % à l’in-
ces sociétés donnent à leur service achats verse affirment avoir pris conscience de
davantage d’objectifs de réduction des la nécessité d’une telle démarche, ce qui
coûts, d’amélioration du BFR et représente un chiffre
d’augmentation du sourcing dans deux fois supérieur à la
les pays à bas coût. Un même moyenne de l’ensemble
Ce dernier objectif est difficile- phénomène peut des secteurs.
ment compatible, à court terme A l’autre extrémité du
induire des
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tout au moins, avec le développe- panel, c’est au sein du
ment d’une véritable démarche comportements secteur automobile, très
d’achats durables, au sens où radicalement durement touché par la 25
il conduit les entreprises euro- opposés. crise, que les entreprises
Dossier
>> La pression de l’opinion et des consom- nées à se poser des questions sur leur res-
mateurs. En effet, il apparaît que les entre- ponsabilité sociale et plus largement socié-
prises qui ont le moins remis en cause tale, et à tenter de redresser le cap. Mais la
l’importance de leur démarche RSE suite à mise en avant de politiques de développe-
la crise sont celles dont les clients sont des ment durable correspond-elle à une véri-
particuliers, puisque seules 5 % d’entre table prise de conscience, ou simplement
elles l’ont fait, contre 25 % de celles qui tra- à la volonté de redorer une image ternie
vaillent en B to B. Elles étaient par ailleurs par la crise ? L’étude ne peut pas le dire,
plus engagées que les autres avant la crise même si, indépendamment des véritables
dans des démarches RSE, et depuis plus motivations des responsables bancaires, on
longtemps. Aujourd’hui elles ont davan- ne peut que se féliciter de cette évolution.
tage déployé leur politique RSE aux
achats, et leurs objectifs de développement Un axe stratégique non remis en cause.
durable sont plus importants que ceux La dernière clé de compréhension quant
fixés aux acheteurs des entreprises B to B. aux différentes réactions des entreprises
Ces résultats sont à mettre en parallèle face à la crise nous semble résider dans le
avec l’ensemble des études qui montrent degré d’importance stratégique qui carac-
que les consommateurs se disent de plus térisait déjà leur démarche de développe-
en plus concernés par les enjeux du déve- ment durable : ainsi, les entreprises qui
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loppement durable dans leurs actes avaient défini avant la crise le développe-
d’achat. Bien que les comportements réels ment durable comme un axe stratégique
26 d’achats individuels puissent ne pas tou- prioritaire n’ont pratiquement pas modifié
jours refléter ces affirmations, il est vrai- leur vision des choses, puisque seules 13 %
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semblable que les entreprises qui s’adres- d’entre elles ont mis en avant d’autres
sent à ces consommateurs particuliers, et priorités depuis l’automne 2008.
qui sont donc en prise directe avec leurs En revanche, 55 % de ces entreprises
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cation réelle. Elle a conforté dans inexorablement chaque
leur position les entreprises qui année (7), il est urgent
voyaient déjà dans le développe- La crise semble pour ces dernières de 27
ment durable une véritable oppor- avoir joué comme regagner la confiance des