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Bull Acad Natl Med (2020) 204, 486—492

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www.sciencedirect.com

REVUE GÉNÉRALE

Inégalités sociales de santé. État des lieux,


principes pour l’action夽
Social inequalities in health: State of the knowledge,
principles for action

A. Spira

Académie nationale de médecine, 16, rue Bonaparte, 75272 Paris cedex 06, France

Reçu le 19 février 2020 ; accepté le 11 mars 2020


Disponible sur Internet le 19 mars 2020

MOTS CLÉS Résumé Les inégalités de santé découlent des conditions dans lesquelles les personnes
Inégalités ; naissent, grandissent, sont éduquées, vivent, travaillent et vieillissent. Elles sont sociales,
Santé ; territotiales, environnementales et liées au genre. Leurs déterminants biologiques, sociaux,
Pauvreté ; comportementaux et le faible recours à la prévention et aux services de santé les amplifient.
Précarité ; Le niveau de revenus de l’ensemble de la population détermine en partie l’ampleur des inégali-
Genre ; tés de morbidité et de mortalité, ainsi que le niveau d’éducation, la position professionnelle, les
Migrations comportements à risque. Les enfants et les femmes sont particulièrement sensibles aux consé-
quences des conditions de vie précaires sur leur santé. Les immigrés cumulent les désavantages
sociaux et les difficultés d’accès aux systèmes de santé, expliquant leur grande vulnérabilité, en
particulier dans le domaine de la santé mentale. Les stratégies de lutte pour la préservation de
la bonne santé doivent concerner les populations les plus fragiles par des réformes économiques
de redistribution fiscale ; des politiques des revenus et de protection sociale dirigées vers les
enfants, les personnes fragiles, vulnérables, précaires ; d’amélioration du système éducatif par
la prise en compte des inégalités sociales ; d’accès facilité aux services sociaux et sanitaires
pour tous. Ces politiques doivent être d’un universalisme proportionné, pour permettre aux
plus défavorisés de rattraper les catégories les plus favorisées, alors que le fossé entre les plus
pauvres et les plus riches ne cesse de se creuser.
© 2020 l’Académie nationale de médecine. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

夽 Cet article a été écrit à la suite du colloque du 22 janvier 2020 sur les inégalités sociales en santé. Il ne représente pas la position de

l’Académie nationale de médecine, qui ne s’est pas prononcée sur les propositions qu’il contient et il n’engage que son auteur.
Adresse e-mail : alfred.spira@gmail.com

https://doi.org/10.1016/j.banm.2020.03.012
0001-4079/© 2020 l’Académie nationale de médecine. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Synthèse du colloque « Inégalités sociales de santé » du 22 janvier 2020 487

Summary. — Health inequalities arise from the conditions in which people are born, grow up, are
KEYWORDS educated, live, work and age. They are social, territorial, environmental and gender related.
Inequalitiés; They are amplified by their biological, social and behavioral determinants and the low use of
Health; prevention and health services. The level of income of the entire population partly determines
Poverty; the extent of inequalities in morbidity and mortality, as well as the level of education, pro-
Insecurity; fessional position, risky behaviors. Children and women are particularly sensitive to the health
Gender; consequences of poor living conditions. Immigrants combine social disadvantages and difficul-
Migration ties in accessing to health systems, explaining their great vulnerability, particularly concerning
mental health. Strategies for the preservation of good health must concern the most vulnerable
populations through economic reforms of fiscal redistribution; income and social protection poli-
cies aimed at children, the fragile, vulnerable and precarious; improving the education system
by taking into account social inequalities; easier access to social and health services for all.
These policies must be proportionately universal, to allow the most disadvantaged to catch
up with the most advantaged categories, while the gap between the poorest and the richest
continues to widen.
© 2020 l’Académie nationale de médecine. Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

En France, la différence d’espérance de vie entre les 5 % En 2016, le Conseil scientifique placé auprès du Président
des hommes les plus pauvres et celle des 5 % les plus riches de la Commission européenne a déclaré que la santé des
s’élève à 13 ans [1]. Le ralentissement de l’augmentation immigrés qui ont été contraints à la migration, les immi-
de l’espérance de vie à la naissance depuis 2008 dans les grés « forcés », quelle qu’en soit la raison, constituaient
pays le plus développés, sa stagnation voire sa baisse dans une « Priorité pour la recherche en santé »1 .
certaines régions, mettent en évidence les conséquences Parce que les inégalités sociales en santé sont une
sanitaires de la crise économique, de l’austérité, de la préoccupation constante et majeure dans tous les pays,
dégradation de l’alimentation, des conditions de travail, de l’Académie nationale de médecine a souhaité y consa-
l’environnement et des services de santé qui ont conduit à crer le premier colloque organisé dans le cadre de son
l’augmentation des inégalités sociales de santé [2] et à ce bicentenaire2 . Il avait pour but d’offrir un large panorama
que « The Guardian » a qualifié de « Shit-life syndrome » (lit- des connaissances dans le domaine des inégalités sociales,
téralement « Syndrome de vie de merde ») [3]. En 1823 déjà, territoriales, de genre et environnementales en santé, en
Louis René Villermé avait, devant l’Académie royale de France, en Europe et dans le monde, avec un focus sur les
médecine, présenté sa découverte, alors très contestée, questions concernant la santé des immigrés3 . Une attention
selon laquelle la durée de vie était sous la forte dépendance particulière a été portée aux interactions entre les détermi-
de l’aisance, c’est-à-dire des revenus, des conditions de tra- nants sociaux, éducatifs, économiques, comportementaux
vail, du niveau d’éducation [4]. On attribuait jusque là le et environnementaux des inégalités de santé. Le but était de
déterminisme de la longueur de la vie aux pouvoirs divins, permettre de dresser un panorama des défis actuels pour la
ou aux humeurs, vents, biles et phlegmes. recherche et pour l’action publique, pour permettre à tous
Les inégalités en matière de santé découlent des condi- de bénéficier des meilleures conditions d’accès aux droits
tions dans lesquelles les personnes naissent, grandissent, et au système de santé, tant préventif que curatif. Ceci
sont éduquées, vivent, travaillent et vieillissent. Elles sont fait suite au rapport qui avait été adopté par l’Académie
sociales, mais aussi territoriales, environnementales et liées en 2017 sur les problèmes de santé liés aux situations de
au genre. Les déterminants biologiques, sociaux, comporte- pauvreté et de précarité [6].
mentaux et le faible recours à la prévention et aux services
de santé les amplifient et contribuent à leur persistance.
Les mécanismes en cause sont complexes, en particulier
en ce qui concerne les poids respectifs des liens entre la
fragilité sociale et les altérations de la santé : devient-on 1 Bernard Charpentier, Académie nationale de médecine.
malade parce qu’on est vulnérable, devient-on vulnérable 2 Cet article est une synthèse du Colloque « Inégalités sociales
parce qu’on est malade ? Quelles sont les chaînes de causa- de santé » qui s’est tenu à l’Académie nationale de méde-
lité, quels sont les facteurs de confusion, de médiation, de cine lors de son bicentenaire, le 22 janvier 2020. Le programme
modération de cette relation ? Quel est le rôle du contexte ? est accessible sur le lien suivant : (https://www.dropbox.com/s/
Au sein des inégalités de santé, ls immigrés occupent 8q6wvdwl3jw74as/2020.01.22%20ISS%20Livret.pdf?dl=0). L’auteur
de ce texte remercie l’ensemble des personnes qui sont interve-
une place particulière [5]. Leur santé dépend des facteurs
nues lors de ce colloque. Leurs contributions sont référencées par
structurels et politiques qui déterminent la migration, des
une note en bas de page.
conditions de voyage et d’accueil dans les pays de destina- 3 Jean-François Mattei, Académie nationale de médecine ; Jean-
tion. François Allilaire, Académie nationale de médecine.
488 A. Spira

État des connaissances sur les inégalités importantes inégalités de mortalité observées dans les pays
du Nord et de l’Est de l’Europe.
sociales de santé

L’augmentation des inégalités sociales et donc de santé La pauvreté


est « massive », du Royaume-Uni aux Pays-Bas en passant
par la France et les pays nordiques [5]. Des disparités qui La pauvreté touche encore les enfants dans de nombreux
proviennent de l’amplification des différences de revenus, pays européens aujourd’hui, même parmi les plus riches
d’éducation, de la dégradation des conditions de travail, de et constitue une véritable menace pour leur santé5 [7,8].
l’environnement, de l’accès à la santé, tant en Europe qu’en L’UNICEF estimait en 2014 qu’un enfant sur quatre est à
Amérique du Nord. Ces inégalités demeurent, elles n’ont en risque de pauvreté dans les 41 pays « riches » de l’UE et
rien diminué et ce en dépit de la montée en puissance de de l’OCDE [9]. Ce sont les « enfants de la récession », qui
l’« État-providence » (« Welfare State ») et des systèmes de sont exposés aux risque de privations, d’éducation inadé-
protection sociale implantés partout en Europe. Non seule- quate, d’insécurité alimentaire. Les données concernant
ment elles perdurent, mais elles ont continué à croître, avec les familles dont tous les membres sont au chômage et
une accélération marquée au cours de la dernière décennie, l’inactivité forcée des jeunes adultes apportent des preuves
après la crise économique et sociale de 2008. L’ « État- des conséquences sanitaires de cette situation. Il s’agit en
providence » a atténué les écarts liés aux « conditions de particulier de la mauvaise santé perçue par le personnes
vie matérielles » au milieu du XXe siècle, mais pas celles elles-mêmes, des accidents, de la mauvaise santé mentale,
incluant les systèmes éducatifs, les activités culturelles, de des suicides, des prises de risque et violences sexuelles,
loisirs, les connections sociales, les habitudes alimentaires, des grossesses adolescentes, des consommations de tabac,
les comportements à risque, l’accès à la santé. . . Or les per- d’alcool et de drogues. . . La mortalité infantile a augmenté
sonnes vulnérables ont aujourd’hui un moindre accès aux de façon inédite dans les régions les plus frappées depuis
ressources matérielles et, de façon plus importante encore, 2008 par la crise économique et la récession du fait de
aux ressources immatérielles qui ne cessent de prendre de l’augmentation de la pauvreté.
l’importance, de façon plus marquée et rapide pour les plus
hauts revenus. Ceci contribue à la persistance et au creuse-
Le genre
ment des inégalités.
Les inégalités sociales de santé concernent également le
genre6 [10]. Ces inégalités se construisent tout au long
Les inégalités de ressources de la vie, selon la manière dont se construit socialement,
l’exposition aux risques dès la petite enfance et les repré-
Les inégalités de ressources entre le plus riches et les plus sentations de la santé, le recours au système de soins et la
pauvres sont encore très importantes4 . Les changements prise en charge des maladies [11]. L’espérance de vie à la
dans la structure des sociétés ont modifié la composition naissance des femmes est supérieure de 6 ans à celle des
et le désavantage relatif des groupes socio-économiques hommes (86 ans vs. 80 ans), alors que la hiérarchie entre les
défavorisés et les écarts de santé entre les plus et les sexes est inverse dans de nombreux autres domaines tels
moins favorisés. Il y a eu des améliorations massives de que l’emploi, les responsabilités sociales et politiques, etc.
la santé mais, au-delà des progrès de l’hygiène et de la Mais cette différence est moindre parmi les catégories supé-
médecine, elles dépendent en partie des changements de rieures (4 ans entre femmes et hommes), pour l’espérance
comportements, plus facilement réalisés par les groupes de vie en bonne santé (1 an entre femmes et hommes) et
socio-économiques les plus favorisés. variable selon l’importance de diverses pathologies (mala-
Le niveau de pauvreté de l’ensemble de la population des dies cardiovasculaires, dépression, etc.). On ne dispose que
pays ou régions semble déterminer en partie l’ampleur des de peu d’éléments théoriques pour expliquer ces différences
inégalités de mortalité, principalement chez les hommes. De qui sont associées, outre des différences génétiques et bio-
plus grandes inégalités de revenus expliquent en partie les logiques, à des inégalités sociales de santé tout au long de la
inégalités de mortalité plus importantes observées dans le vie. Elles sont la manifestation d’une hiérarchie sociale des
Centre et l’Est de l’Europe. Les changements des niveaux corps, qui est en interaction non seulement avec le genre,
d’éducation concernent d’abord les plus riches et ont mais aussi la classe sociale et l’appartenance « raciale »,
accru le désavantage de mortalité des personnes les moins conduisant à des représentations différentielles de la santé
instruites, qui sont devenues un groupe plus « défavorable- et de l’attitude des services de santé, pour les procédures
ment » sélectionné. L’amélioration du niveau d’éducation de diagnostic et de traitements [12].
et la croissance sociale plus rapide des classes les plus favo-
risées explique en partie des inégalités plus importantes de
mortalité dans les pays socialement avancés. La consomma- Les migrations
tion de tabac et de substances délétères pour la santé a un
effet individuel important sur la santé et la mortalité. Les Les migrations concernent environ 260 millions de personnes
différences de consommation de tabac expliquent les plus dans le monde, plus de 90 millions en Europe [13]. Des dis-

5 Dame Margaret Whitehead, Université de Liverpool.


4 Johan Mackenbach, Académie royale des Pays Bas. 6 Nathalie Bajos, INERM, Paris.
Synthèse du colloque « Inégalités sociales de santé » du 22 janvier 2020 489

parités très importantes existent entre les différents pays, gereux que les hommes, arrivant dans des pays d’accueil
à la fois quantitatives et qualitatives, pour les flux migra- où elles bénéficient moins souvent d’un statut administra-
toires et les personnes concernées7 . Par exemple, alors que tif légal, d’autorisation de travailler, d’accès au logement.
l’Allemagne se situe au 2e rang européen pour le nombre Leurs risques de mortalité maternelle et de morbidité sévère
annuel moyen de décisions positives d’hébergement depuis pendant et après la grossesse sont entre 1,2 et 4 fois plus éle-
2015 (par million d’habitants et compte tenu de la richesse vés que pour les femmes nées dans le pays d’accueil [23]. Par
du pays), Malte occupant la première place, la France se rapport aux femmes nées en France, leur accès au dépistage
situe au 15e rang et le Royaume-Uni au 18e rang. Ces dispa- du cancer du sein ou du cancer du col est significativement
rités, parfois en contradiction avec les idées reçues et même réduit, leur suivi périnatal est près de deux fois plus sou-
les discours officiels, témoignent de l’absence totale de vent insuffisant. Une recherche menée parmi les femmes
stratégies concertées entre des pays qui collaborent étroite- immigrées et réfugiées hébergées en hôtel [24] a permis de
ment dans de nombreux autres domaines (comme la France, montrer une altération de l’état de santé physique et psy-
l’Allemagne et la Grande Bretagne par exemple). Cette chologique des femmes qui croît avec la durée de séjour
situation est la conséquence d’une adaptation différenciée en France. Plus de 80 % d’entre elles déclarent avoir été
et souvent tardive des États aux événements susceptibles de exposées à une forme de violence grave au cours de leur
se traduire par d’importants mouvements de populations, vie. Près de 30 % sont à risque de grossesse non désirée du
qui ne sont pas sans conséquences sur la santé. fait du faible recours à la contraception et 3 femmes sur
La santé des personnes immigrées est une priorité pour 4 déclarent connaître d’importantes difficultés financières
l’OMS [14,15]. L’Union européenne lui consacre un budget pour l’accès aux dépenses essentielles (alimentation, loge-
important, dont la plus grande partie est utilisée pour le ment, vêtements. . .), une absence de titre de séjour valide,
contrôle des frontières et non pas pour le bien-être et la des troubles à type de dépression, une absence de suivi
santé, alors que celle-ci est un droit humain fondamental social, etc. Ces constatations appellent la mise en place
reconnu par les traités internationaux et européens [16]. de stratégies adéquates de façon à protéger et préserver
Alors que l’accès à la santé est garanti pour les réfugiés, il la santé de ces femmes et de leurs enfants.
ne l’est pas pour les immigrés irréguliers, de façon diffé-
rente selon les pays auxquels appartiennent les choix dans
ce domaine. Un accès facilité aux services de santé consti- L’accès aux services de santé
tuerait une source d’économies, de même que l’intégration
sociale et économique des immigrés [17]. L’accès des personnes précaires et vulnérables aux services
Les altérations de la santé mentale constituent le de santé constitue un important sujet de préoccupation,
domaine le plus préoccupant concernant la santé des tant au niveaux français qu’européen10 .
personnes immigrées8 . Entre 20 % et 50 % des enfants, En France, l’ensemble des publics précaires (familles
selon les études, souffrent de stress post-traumatique vivant à la rue ou dans des bidonvilles, hommes isolés
consécutif à la migration, de psychoses deux fois plus ou sans-papiers, enfants et adolescents non accompagnés,
fréquentes que parmi les non-immigrés, de consomma- demandeurs d’asile, personnes soumises à des migrations
tion importante de produits psycho-actifs, de troubles de itératives pour respecter la « procédure Dublin » [25],
l’humeur et d’anxiété, de retards scolaires et sociaux déboutés de l’asile, travailleuses et travailleurs du sexe,
importants [18,19]. La cohorte nationale représentative habitants des zones rurales isolés et précarisés) rencontrent
ELFE permet de constater en France que les difficultés des difficultés importantes pour la prise en charge de leurs
psychologiques pendant la grossesse et la dépression du problèmes de santé [26]. Les plus fréquents de ceux-ci sont
postpartum sont 1,5 à 2 fois plus fréquentes parmi les des troubles digestifs dans 24 % des cas, ostéo-articulaires
femmes immigrées et leurs conjoints [20]. Les risques (20 % des cas) ou respiratoires (20 % des cas) [26]. Dans
d’autisme et de troubles du langage sont significative- plus de la moitié des cas ils ont un caractère chronique,
ment augmentés parmi leurs enfants. Ces troubles résultent une fois sur deux les soins ont été retardés pour des raisons
des difficultés rencontrées lors des phases de prémigra- financières et la nécessité de soins a un caractère urgent au
tion (expériences traumatisantes, persécutions, difficultés moment où ces personnes consultent. L’accès au système
économiques), de périmigration (violences/discriminations, de santé est rendu difficile par la complexité et le coût de
séparation et perte de réseaux sociaux), de postmigration l’accès à la Couverture santé solidaire (CMUc, ACS) pour les
(instabilité administrative, détention, difficultés socioéco- personnes en situation régulière (entre un tiers et la moi-
nomiques, (distance culturelle, exclusion sociale, stress) tié de non-recours) ou à l’aide médicale d’État (AME) pour
[21]. les sans-papiers (50 % de non-recours [27,28]). L’accès à ce
Les femmes immigrées sont particulièrement vulnérables dernier dispositif a été rendu encore plus difficile par une
aux risques liés à l’activité sexuelle, à la santé périnatale et réforme récente (novembre 2019 [29]) instituant un délai
à la prise en charge des violences vécues au cours de la vie9 de carence de trois mois pour les demandeurs d’asile et la
[22]. La moitié des migrants sont des migrantes, femmes qui nécessité d’une présence en situation irrégulière de 3 mois
ont connu des parcours migratoires plus longs et plus dan- consécutifs avant de demander l’AME. Les restrictions dans
l’accès à la couverture maladie ont des conséquences néga-
tives dans l’accès aux structures de soins : moindre accès
7 François Héran, Collège de France, institut des Migrations ; à la médecine de ville et à la prévention ; report vers les
https://journals.openedition.org/lettre-cdf/4187.
8 Maria Melchior, Inserm, Paris.
9 Armelle Andro, université Paris I. 10 Nathalie Godard, Médecins du monde.
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urgences et les permanences d’accès aux soins de santé santé trouvent leurs racines structurelles dans le système
(PASS) ; retard et refus de soins. fiscal, les règles du marché du travail et du logement,
le système éducatif, la planification urbaine, la gouver-
L’accès à la santé pour les immigrés en Europe nance politique et le fonctionnement des systèmes de
santé. Les politiques sociales influencent directement tous
les déterminants sociaux de la santé : éducation, reve-
L’accès à la santé pour les immigrés en Europe présente des
nus, logement, nutrition (en particulier celle des enfants),
spécificités variables selon les pays11 . Les personnes pré-
retraites, conditions de travail. . . Elles peuvent donc direc-
caires étrangères sont confrontées à une discrimination et
tement accroître ou réduire les inégalités de santé. Or les
une acculturation fréquentes dans le pays d’accueil. Les
politiques sociales ont développé des stratégies indépen-
immigrés ont un risque plus faible de mortalité par rapport
damment des bénéfices ou des détriments pouvant affecter
à la population générale du pays hôte (« Healthy migrant
la santé de personnes concernées. Parmi les politiques ayant
effect », SMR = 0,7), sauf en ce qui concerne les maladies
une influence directe sur les inégalités de santé, celles
infectieuses [30]. Des variations existent selon le statut
concernant les retraites, l’éducation et les transports sont
migratoire et le pays de destination. Leur santé perçue
importantes à considérer. Décider du recul de l’âge de
(subjective) est moins bonne que celle de la population
départ à la retraite augmente le risque de dépression de
non-migrante, ceci provenant de la très grande prévalence
6 % parmi les personnes qui seront impactées par cette
parmi eux des perturbations de la santé mentale, liées à
réforme, et cet effet est plus marqué parmi les classes les
de multiples facteurs génétiques, culturels, sociaux, écono-
plus défavorisées [35]. Il en va de même pour les conséquen-
miques, etc. [31]. Ces phénomènes, très importants dans les
ces de l’augmentation de l’âge de scolarité obligatoire parmi
situations d’exclusion et de ségrégation sociale des immi-
les enfants des classes le plus modestes [36]. À l’inverse,
grés, diminuent dès lors que se réalise une intégration
la gratuité des transports en commun pour le personnes
et une acceptation du multi-culturalisme, accompagnées
âgées, en permettant de diminuer leur isolement social,
d’une réduction de l’homophilie des relations sociales [32].
s’accompagne d’une diminution des symptômes dépressifs
Il est donc important, au moins du point de vue de la santé,
et d’un ralentissement de la baisse des fonctions cognitives
d’agir en faveur de la diversité [33].
[37]. Ainsi, les politiques sociales peuvent avoir des effets
parfois non prévus sur la santé, indépendamment de leurs
Des principes pour l’action effets économiques directs.
Les professionnels de santé, médecins ou non, doivent
La bonne santé de tous contribue au développement indivi- impérativement être mieux formés à la compréhension et
duel et collectif. Des stratégies de lutte pour la préservation aux conséquences sanitaires des inégalités sociales de santé,
de la bonne santé existent, mais elles ne sont pas appliquées la façon de les appréhender, en lien avec le monde social,
dans tous les pays avec la même ampleur. Elles devraient associatif en particulier13 .
concerner les groupes de population les plus fragiles et pré- L’accès à un soutien et un traitement en cas de diffi-
caires : par des réformes économiques de redistribution culté psychologique et d’altération de la santé mentale, une
fiscale ; des politiques des revenus et de protection sociale, meilleure intégration sociale, pourraient contribuer à ren-
en particulier de protection des enfants, des personnes fra- forcer les personnes fragiles, les immigrés en particulier, et
giles, vulnérables, précaires ; d’amélioration du système protéger leur santé.
éducatif par la prise en compte des inégalités sociales ; Pour mieux comprendre les inégalités de santé liées au
d’accès facilité aux services sociaux et sanitaires pour les genre, une approche intersectionnelle considérant conjoin-
plus fragiles. Ces politiques doivent être d’un universalisme tement le genre, la classe sociale et l’origine ethnique doit
proportionné, pour permettre aux plus défavorisés de rattra- être favorisée, de façon à permettre de mieux compren-
per les catégories les plus favorisées, alors que le fossé entre dre la fabrication de ces inégalités sociales de santé et à
les plus pauvres et les plus riches ne cesse de se creuser. développer des stratégies permettant de les réduire [38].
La pauvreté est le facteur le plus délétère pour la santé, L’ensemble des constatations concernant les difficul-
celle des enfants en particulier, qui pourrait le plus faci- tés croissantes d’accès à la prévention et aux services de
lement évoluer [34], ce qui aurait des effets immédiats soins de santé en France conduisent à souhaiter la mise en
importants. Les politiques rendues nécessaires par cette place d’un système plus inclusif permettant l’intégration
situation existent, elles ne sont pas mises en place. Elles des bénéficiaires de l’AME dans la Sécurité sociale (PUMa),
concernent les systèmes de taxation et de redistribution fis- renforçant la médiation en santé, la formation des pro-
cale des richesses, l’investissement massif dans les systèmes fessionnels de santé aux problématique sociosanitaires, en
d’éducation, les politiques d’intégration sociale, l’accès s’appuyant en particulier sur les Communautés profession-
facilité aux services sociaux et de santé. Contrairement aux nels territoriales de santé (CPTS) de création récente, qui
mesures d’austérité, ces politiques constituent en fait des associent l’ensemble des professionnels du secteur.
investissements productifs pour l’ensemble de la société. Il est important, au moins du point de vue de la santé,
Les politiques sociales peuvent réduire (ou augmenter) d’agir en faveur de la reconnaissance et de la prise en
les inégalités en matière de santé12 . Les inégalités de compte de la diversité [39]. Cette stratégie peut être déve-
loppée au niveau de la politique d’accès aux soins qui doit

11 Vincent Lorant (UCLouvain).


12 Mauricio Avendano (King’s College, London et Harvard Univer-
sity). 13 Laurent Chambaud, EHESP, Rennes.
Synthèse du colloque « Inégalités sociales de santé » du 22 janvier 2020 491

être « migrant friendly », ainsi que par l’acquisition de com- health: a longitudinal analysis of the UK Millennium Cohort
pétences culturelles adéquates par les soignants qui doivent Study. Lancet Public Health 2017;2:141—8.
pouvoir adapter leurs pratiques à la diversité culturelle, [9] UNICEF Building the future. Children and the Sus-
sociale et linguistique des patients [40]. tainable Development Goals in Rich Countries; 2017
https://www.unicef-irc.org/publications/890-building-the-
L’analyse de l’évolution sanitaire des pays du Sud montre
future-children-and-the-sustainable-development-goals-in-
que le multilatéralisme indifférencié n’est pas la meilleure
rich-countries.html.
solution pour résoudre des questions spécifiques selon les [10] Le Talec JY, Authier D, Tomolillo S. La promotion de la santé
particularités des États, des régions, des populations, des au prisme du genre. Presses de l’EHESP; 1995.
cultures. Des politiques mieux adaptées aux besoins spéci- [11] Beaubatie E. L’espace social du genre. Sociologie 2019;10
fiques des groupes de populations doivent être développées, https://journals.openedition.org/sociologie/6076.
suivies, évaluées14 . [12] Singh-Manoux A, Marmot M. Role of socialization in explaining
Les évolutions que l’on peut prévoir du fait de social inequalities in health. Soc Sci Med 2005;60:2129—33.
l’importance croissante des dérèglements climatiques et de [13] Abubakar I, et al. The UCL—Lancet Commission on Migration
l’émergence de conflits et de crises sanitaires potentielle- and Health: the health of a world on the move. The Lancet
2018;392:2606—54.
ment importants devraient être collectivement anticipées,
[14] https://www.feam.eu/events/migration-health-and-
ce qui n’est pas encore suffisamment le cas. Leurs possibles
medicine-conference-22-november-2019/ [consulté le
conséquences doivent faire l’objet de politiques concer- 31/03/2020].
tées pour tenter d’apporter des solutions respectant les [15] http://www.euro.who.int/en/publications/abstracts/report-
droits des personnes et garantissant le bien-être individuel on-the-health-of-refugees-and-migrants-in-the-who-european-
et collectif de la façon la plus harmonieuse possible, tenant region-no-public-health-without-refugee-and-migrant-health-
compte de la diversité des populations concernées [41]. 2018.
Il revient au monde académique de montrer inlassa- [16] European Commission, A step-change in migration,
blement les effets néfastes de l’absence de politiques management and border security, https://ec.europa.eu/
adéquates concernant la santé des enfants et des adoles- home-affairs/sites/homeaffairs/files/what-we-do/policies/
european-agenda-migration/20190306 managing-migration
cents, des personnes les plus vulnérables, d’informer la
-factsheet-step-change-migration-management-border-
population et les décideurs sur les stratégies que l’on peut
security-timeline en.pdf.
mettre en place et sur leurs effets positifs et négatifs atten- [17] SANTE/Migrant health: https://ec.europa.eu/health/social
dus. Les scientifiques doivent « nager à contre courant », determinants/migrants en; https://ec.europa.eu/health/sites/
tous ensemble au niveau international, pour expérimen- health/files/social determinants/docs/migrants projects en.
ter et généraliser des politiques permettant de réduire les pdf.
inégalités de santé. [18] Hvidtfeldt C, Holm Petersen J, Norredam M. Norredam Prolon-
ged periods of waiting for an asylum decision and the risk of
psychiatric diagnoses: a 22-year longitudinal cohort study from
Déclaration de liens d’intérêts Denmark. Int J of Epidemiol 2019;6:1—10.
[19] Salas-Wright CP, Vaughn MG, Goings TC, Miller DP, Schwartz
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