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LA PHILOSOPHIE ET LE SENS

DE SON HISTOIRE
LA PHILOSOPHIE ET LE SENS
DE SON HISTOIRE.
Études d’histoire de la philosophie autour de
Jean-François Marquet et Jean-Luc Marion

Sous la direction de Patrick Cerutti

¤
SOMMAIRE

JEAN-FRANÇOIS MARQUET
Y a-t-il un fil directeur de l’histoire de la philosophie moderne ? . . . . . . . . . . 7

JEAN-LUC MARION
La compatibilité des points de vue en histoire de la philosophie . . . . . . . 17

Autour de Jean-François Marquet

ÉLÉONORE DISPERSYN
Jean-François Marquet interprète de Schelling :
une pensée des profondeurs. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43

CHARLES THÉRET
La géographie philosophique de Jean-François Marquet :
la mort de la philosophie et sa résurrection . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62

Études

© ZETA BOOKS, 2013 PATRICK CERUTTI


Zeta Books, Bucarest L’histoire de la philosophie nous aide-t-elle à penser l’unité
www.zetabooks.com de l’homme ? Schlegel, historien de l’idéalisme allemand . . . . . . . . . 85
http://zetabooks.metapress.com (Online Access)
PHILIPPE SOUAL
Tous droits de traduction, de reproduction
L’histoire de la philosophie comme exégèse de soi . . . . . . . . . . . . . . . 106
et d’adaptation réservés pour tous pays.

ISBN: 978-606-8266-52-7 (paperback) CLAUDE VISHNU SPAAK


ISBN: 978-606-8266-53-4 (ebook) Philosophie et histoire de l’être chez Heidegger. . . . . . . . . . . . . . . . . 131
6 SOMMAIRE

PAULA LORELLE Y A-T-IL UN FIL DIRECTEUR


Hegel et Levinas : D’une histoire de la philosophie à l’Autre . . . . . . . 155
DE L’HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
LAURENT VILLEVIEILLE MODERNE ?
Heidegger et la poésie :
Histoire d’une histoire de la métaphysique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 178
Jean-François Marquet
CLAUDIA SERBAN
Plus haut que la possibilité se tient l’effectivité :
la critique hégélienne du statut du possible dans la Je voudrais tout d’abord atténuer ce que l’intitulé de cette
philosophie transcendantale de Kant. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 203 communication peut avoir apparemment de trop ambitieux. Je
ne prétends pas, bien sûr, avoir trouvé le fil directeur de l’histoire
JULIEN FARGES de la philosophie moderne ; simplement, il y a une trentaine
La philosophie et le sens de son historicité selon Husserl . . . . . . . . . . 223 d’années, à l’occasion d’un cours sur Nietzsche, il m’a sem-
blé que le destin de ce moment de la philosophie (qu’on peut
LES AUTEURS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 246 faire commencer avec Hegel et qui va jusqu’à Heidegger) était
comme aimanté par un mot-clé, celui de singularité (Einzel-
nheit, Einzigkeit), que je n’ai cessé de retrouver sur ma route. Ce
fut donc pour moi un fil directeur, mais que je n’ai jamais eu
l’outrecuidance d’ériger comme le seul. Je voudrais aujourd’hui
le présenter une fois de plus de manière récapitulative, quitte à
remonter parfois en amont de Hegel : j’aurais en effet tendance à
penser avec Schelling (dans son cours de Munich sur « L’histoire
de la philosophie moderne [der neueren Philosophie] ») que le
développement de la philosophie depuis Descartes se présente
comme un événement unique où on ne saurait introduire de
coupures, et que par conséquent l’instauration hégélienne (fort
peu prisée, au demeurant, par Schelling) n’est en fait qu’une
réponse à une question antérieure.
Me conformant, peut-être par un vieux réflexe profession-
nel, à la tradition universitaire, c’est cependant de Hegel que je
partirai. Or quel est chez lui la catégorie ultime, le nom le plus
propre de l’Absolu ou de Dieu ? Précisément le Singulier (das
Einzelne), troisième terme d’une articulation qui comprend aussi
l’Universel (das Allgemeine) et le Particulier (das Besondere) et
154 CLAUDE VISHNU SPAAK

dit rien de tel »33. Et pourtant, il ne faut peut-être pas en conclure HEGEL ET LEVINAS : D’UNE HISTOIRE
trop rapidement que la dissimulation de la vérité soit fondée sur DE LA PHILOSOPHIE À L’AUTRE
une manifestation première. À la toute fin de sa carrière de phi-
losophe, Heidegger envisage plutôt que pour penser la vérité, nous
devions atteindre le domaine de l’inapparent. Ce qu’il s’agit de Paula Lorelle
faire entrer en présence par la pensée, c’est alors justement l’entrée
en présence elle-même de la vérité ! Et Heidegger de conclure, à la
suite de Parménide, que la philosophie s’accomplit dans « la pensée
tautologique »34. Au fond, la vérité de l’être se situe par-delà ses
marques destinales qui font advenir les époques de l’histoire, et en Entre Hegel et Levinas, il semblerait tout d’abord qu’il faille
cela la philosophie de l’histoire de Heidegger ne pourra jamais être choisir. Choisir entre une pensée systématique d’un côté et une
confondue avec un historicisme. Mais la résurgence d’une vérité pensée critique de l’autre1 ; voire même, aux dires de Levinas, entre
anhistorique ne doit pas pour autant être mésinterprétée comme une pensée « totalisante » et une pensée « éthique ». Choisir donc
une forme nouvelle et raffinée de transcendantalisme asubjectif, entre un discours philosophique qui cherche à tout embrasser,
dans la mesure où le domaine de l’inapparent n’est au fond pas un et un discours philosophique qui cherche à s’extraire de ce tout.
domaine du tout, si on entend par là quelque chose qui se cache Pourquoi donc aborder ce thème de l’histoire de la philosophie
derrière la présence et la rend possible ; le domaine de l’inapparent depuis le constat de l’impossibilité d’une rencontre entre ces
est le mouvement d’advenue de la présence lui-même, mouve- deux pensées ? Penser ensemble Hegel et Levinas, ne serait-ce
ment qui se retire en faveur de la présence, mais qui ne se donne pas, au dire de Levinas lui-même, avoir à faire à deux extrémités
pas moins à penser comme tel, pour autant que l’homme post- du discours philosophique ? À moins que ces deux extrêmes du
métaphysique s’y décide : discours philosophique ne se rejoignent à cette extrémité même.

« Que l’avènement soit sans destin ne dit donc pas que lui fait défaut La pensée lévinassienne peut-être dite « critique » au sens large défini par
toute mobilité, cela dit bien plutôt que c’est avant tout la manière la Blanchot comme cet « espace de résonnance dans lequel un instant se trans-
forme et circonscrit en parole la réalité non-parlante, indéfinie de l’œuvre ».
plus propre à l’avènement de se mouvoir – qui est de tourner dans le
M. Blanchot, Lautréamont et Sade, Éditions de minuit, p. 12. Cf. aussi l’article
retrait – qui se montre à la pensée comme ce qui est à penser. Mais il
d’Alain David qui nous inspire cette citation et la commente dans notre sens.
est dit par là que pour la pensée entrant dans l’avènement, l’histoire Alain David, « S’orienter dans la pensée. Notes sur l’extériorité », Emmanuel
de l’être est terminée, sans préjuger du fait que la métaphysique peut Levinas, Éditions de l’Herne, 1991, p. 226-240. Notamment, p. 227 : « On
bien demeurer telle quelle : là nous n’y pouvons rien »35. se réfèrera maintenant à une définition du dire critique, pris en son sens le
plus large par Blanchot : “la parole critique est cet espace de résonnance dans
lequel un instant se transforme et circonscrit en parole la réalité non-parlante,
indéfinie de l’œuvre. Et ainsi, du fait que modestement et obstinément elle
33
 Martin Heidegger, « Séminaire de Zähringen » (1973), Questions III et prétend n’être rien, la voici qui se donne, ne se distinguant pas d’elle, pour la
IV, op. cit., p. 483. parole créatrice dont elle serait comme l’actualisation nécessaire ou, pour parler
34
 Ibid., p. 487. métaphoriquement, l’épiphanie”. On pourrait donc en fin de compte admettre
35
 « Protocole à un séminaire sur la conférence “Temps et être” », op. cit., ceci : le registre dans lequel parle Levinas est comparable à celui dans lequel
p. 249. parle Kant, c’est le registre d’expression de l’extériorité, c’est le registre critique ».
156 PAULA LORELLE Hegel et Levinas : d’une histoire de la philosophie à l’Autre 157
Ne pourrait-on pas dire que ces deux « extrêmes se touchent », et où ce dernier y est chaque fois reconduit d’un simple argument
qu’ils se touchent à l’extrémité même du discours philosophique ? antiphilosophique, à un moment de la philosophie elle-même.
Ce ne serait donc pas un hasard si Levinas et Hegel, alors Hegel, dans son introduction à La Phénoménologie de L’Esprit,
qu’ils s’opposent en tous points, se retrouvent quand il s’agit de commence par donner les quelques arguments supposés nous induire
penser cette extrémité du discours philosophique qu’est le discours à douter de la possibilité d’une connaissance de l’absolu – arguments
sceptique. C’est du moins la question d’un tel hasard que nous qui présupposent tous une séparation entre la connaissance et
souhaiterions poser en partant, chez Hegel, de l’article de 1802, l’absolu. Et, si Hegel pense devoir répondre à cette mise en cause
La relation du scepticisme avec la philosophie et de l’introduction sceptique de la science, c’est moins au moyen d’une critique ou d’un
de la Phénoménologie de l’Esprit ; et en partant, chez Levinas, du contre-argument, qu’au moyen d’une phénoménologie. La science
dernier chapitre d’Autrement qu’être ou u delà de l’essence, et ne doit pas commencer par répondre à ces objections, mais doit
plus précisément de sa dernière section intitulée « scepticisme et au contraire se présenter, se manifester dans son développement.
raison ». Le scepticisme, personnage principal de ce qu’il faudra Développement dont cette objection sceptique se révélera alors ne constituer
penser comme ces deux « histoires de la philosophie », nous ne que l’un des moments. L’argument sceptique contre la possibilité
le ferons pas parler pour lui-même. Nous ne chercherons pas à de la connaissance de l’absolu se voit réduit à l’expression d’un
confronter ces interprétations à la réalité historique des théories moment du développement de la connaissance absolue elle-même.
sceptiques – si Hegel y fonde son interprétation, Levinas ne la Néanmoins, si le scepticisme est « méprisé » comme « argument »,
mentionne pas. Mais nous les confronterons entre elles seulement, ou méprisé en lui-même puisqu’il n’est pas considéré comme
eu égard à la place qu’elles accordent au scepticisme dans la étant susceptible de s’opposer à la possibilité de la connaissance de
philosophie et dans son « histoire ». l’extérieur, il n’est pas pour autant méprisé comme moment de cette
C’est depuis la communauté de ces deux interprétations du même connaissance. Il en est au contraire un moment nécessaire.
scepticisme, depuis cette rencontre de l’extrême, que nous penserons Hegel, dans son article de 1802, reprochant au scepticisme moderne
l’arrière-fond d’opposition radicale sur lequel elle s’opère et qu’elle de ne considérer le scepticisme que dans une stricte opposition au
nous révèle. Comment le scepticisme peut-il être une même condition dogmatisme de la philosophie spéculative, affirmait déjà qu’au
à deux pensées diamétralement opposées ? Comment peut-il être un contraire, « le scepticisme lui-même est foncièrement un avec toute
même moment au sein de deux conceptions opposées de l’histoire philosophie vraie »2.
et de la temporalité ? Ces deux interprétations du scepticisme nous Du point de vue exactement inverse, Levinas se préoccupe
révèleront donc une opposition radicale entre deux conceptions de moins de garantir la possibilité d’une connaissance absolue, que
l’histoire de la philosophie – opposition dont il faudra finir par se de garantir la possibilité d’en sortir. Derrida, dans « Violence
demander s’il nous est nous-mêmes possible d’en faire l’histoire, et et Métaphysique », mettait en cause la possibilité de sortir du
quelle histoire. logos philosophique, de le critiquer et de le dépasser sans devoir
aussitôt l’employer. De ce point de vue, Autrement qu’être ou
*** au-delà de l’essence pourrait être entendu comme une réponse en
Si ces deux « histoires de la philosophie » se rencontrent au 2
 G.W.F Hegel, La relation du scepticisme avec la philosophie, trad. B. Fau-
lieu de leurs interprétations du scepticisme, c’est dans la mesure quet, Paris, Vrin, p. 34 (Cité RSP).
158 PAULA LORELLE Hegel et Levinas : d’une histoire de la philosophie à l’Autre 159
partie performée aux arguments que Derrida mobilisait contre le scepticisme à un moment de cette pensée au-delà de l’être dont
une telle possibilité. Et c’est dans l’objection derridienne à la l’énoncé sceptique illustre justement la possibilité. La réfutation du
possibilité de sa propre pensée que Levinas reconnaît les objections scepticisme, représentante du règne de l’être et de l’essence au sein
« faciles » et « bien connues » qui « accablent depuis la naissance de la pensée, trouverait sa place et sa raison d’être au sein même
de la philosophie le scepticisme »3. De même qu’il reconnaît dans de la pensée qu’elle cherche à réfuter – à savoir, au sein de cette
l’objection qui lui est adressée par Derrida, l’objection contre le pensée au-delà de l’être dont la possibilité est illustrée par l’énoncé
scepticisme, Levinas reconnaît dans l’énoncé sceptique, une preuve sceptique6. Ce procédé consiste donc, ici aussi, à reconduire
de la possibilité de sa propre pensée – preuve de la possibilité d’une l’argument à un simple moment de ce contre quoi il s’érige. De même
pensée capable de signifier au-delà de l’être et dont Autrement que dans l’introduction de la Phénoménologie de l’Esprit, l’argument
qu’être ne cherche qu’à déployer la possibilité. Il s’agit donc moins sceptique contre la possibilité de la connaissance était reconduit à
pour Levinas de défendre la possibilité de la connaissance face aux un moment du développement de la connaissance elle-même, dans
arguments sceptiques, que de défendre la possibilité de l’énoncé Autrement qu’être, l’objection derridienne anti-sceptique contre la
sceptique contre ces objections « faciles et bien connues » qui l’ont possibilité d’une pensée sceptique qui signifierait au-delà de l’être,
toujours accablé. est reconduite à un moment de cette pensée elle-même. Cette
L’on peut déceler deux principaux arguments contre ces pensée au-delà de l’être, dit Levinas, signifie comme l’alternance
objections. Le premier consisterait à y dénoncer une pétition
irréductible entre le scepticisme et sa réfutation. Alternance au sein
de principe  : l’objection contre le scepticisme présupposerait
de laquelle le scepticisme se fait ici aussi, un moment7.
justement ce que le scepticisme met en cause – le règne de
Chez Hegel comme chez Levinas, au sein de deux démarches
l’essence, ou l’impossibilité de signifier au-delà de l’être4. Le
pourtant inverses, le scepticisme est reconduit d’un simple argument
deuxième argument, sur lequel nous reviendrons plus longuement,
antiphilosophique à un moment de la philosophie elle-même. Il
dénonce une mécompréhension de l’énoncé sceptique et de sa
temporalité5. Mais Levinas use également d’un troisième procédé n’est plus seulement cet Autre non philosophique – autre contre
contre ces objections – procédé qui consiste moins en une forme lequel la philosophie s’éveille comme le dit Kant, ou qui, de la
d’argumentation qu’en une façon de reconduire l’objection contre philosophie n’aurait gardé que le nom et non la tâche comme le dit
Husserl. Il jouit d’un autre genre d’altérité, non plus contre, mais
3
  Emmanuel Levinas, Autrement qu’être ou au-delà de l’essence, La Haye, au sein même de la pensée philosophique. Pensée philosophique au
Martinus Nijhoff, 1974, p. 242-243 (Cité AE).
4 6
 AE, p. 243 : « L’objection supposerait alors ce qui est en question : la réfé-  Ibid., p. 244 : « Mais il est temps de montrer la place que cette synthèse
rence à l’essence de toute signification ». Ou encore, p. 20 : « En fait, exiger une purement apophantique, source de la subreption qui confère à l’ontologie le lieu
telle simultanéité, c’est déjà ramener à l’être et au ne pas être, l’autre de l’être ». du questionnement ultime, cette synthèse plus formelle que le formel, occupe
Levinas ne parle pas lui-même de petitio principii. Pas plus d’ailleurs que ces dans la pensée pensant au delà de l’être. Ce n’est pas par hasard, ni par niaiserie,
remarques apparaissent dans le texte d’Autrement qu’être comme de véritables ni par usurpation que l’ordre de la vérité et de l’essence – où prétend se tenir le
« arguments » contre les réfutations du scepticisme. Mais, pour n’en avoir pas présent exposé lui-même – est au premier rang de la philosophie occidentale ».
l’allure, ces remarques en jouent pourtant le rôle, puisqu’il s’agit bien de nous 7
 Ibid., p. 256 : « Dans un mouvement alternant, comme celui qui mène du
éveiller à la possibilité d’une pensée au-delà de l’être à laquelle la philosophie scepticisme à la réfutation qui le réduit en cendres, et de ses cendres à sa renaissance,
fut aveugle jusqu’ici. la philosophie justifie et critique les lois de l’Être et de la Cité et en retrouve la si-
5
 Ibid., p. 20 ; p. 242-243 ; p. 260-261. gnification qui consiste à détacher de l’un-pour-l’autre absolu, et l’un et l’autre ».
160 PAULA LORELLE Hegel et Levinas : d’une histoire de la philosophie à l’Autre 161
sein de laquelle il exerce dans les deux cas une fonction de passage, certitudes dogmatiques de la conscience naturelle. La conscience
d’élargissement. Et ceci, du fait de son essentielle contradiction8. naturelle n’a qu’une connaissance finie des choses. Elle considère
la réalité comme étant figée dans des déterminations qui excluent
toute opposition. Le scepticisme, en dénonçant la diversité des
*** déterminations finies, en en dénonçant les contradictions internes,
fait vaciller les certitudes figées de la conscience naturelle. Dans
Chez Hegel, c’est d’abord du point de vue de son discours que
le scepticisme peut être pensé comme moment de la contradiction. l’introduction de La Phénoménologie de l’Esprit, Hegel définit
Toujours dans son article de 1802, s’opposant au concept moderne le scepticisme comme la « perte d’elle-même » de la conscience
de scepticisme, Hegel définit l’énoncé sceptique comme étant par naturelle qui se prenait pour la conscience du savoir ; ou encore,
essence contradictoire ou auto-réfutant. Il est, dit-il, dans l’essence comme perte de sa vérité phénoménale, « pénétration consciente
même de l’énoncé sceptique que de s’inclure et de se nier lui-même : dans la non-vérité du savoir phénoménal  »11. La conscience,
reconnaissant la contradiction interne à sa connaissance
« Le fait est que ce sont les sceptiques eux-mêmes qui s’expriment phénoménale d’entendement, entreprend de la nier et de nier
là-dessus de la façon la plus nette, comme M. Schulze l’indique avec elle toute phénoménalité. Dans ses Leçons sur l’histoire de la
lui-même au début de sa note : leurs énoncés habituels ( tout est philosophie, Hegel dira du scepticisme qu’il est la « dialectique de
faux, rien n’est vrai, tout aussi peu ceci que cela, etc.) s’incluent
également eux-mêmes à leur tour (…) et se nient eux-mêmes à leur tout déterminé »12. Là où la pensée d’entendement, régie par le
tour (…), doctrine qui, outre qu’elle est inhérente au scepticisme principe de non contradiction, avait figé les déterminations en en
lui-même, était également, d’un point de vue externe, absolument excluant toute opposition, le scepticisme en révèle la contradiction
nécessaire contre les dogmatiques qui reprochaient aux sceptiques interne. En révélant la contradiction interne à toute détermination
d’avoir un dogme… »9.
finie, il révèle le principe de non-contradiction, comme principe
Ce caractère essentiellement contradictoire ou auto-réfutant de simplement formel, non encore rationnel13. Le scepticisme est un
l’énoncé sceptique n’est pas néanmoins signe de son absurdité. Il moment nécessaire, condition de toute philosophie véritable. Il est
est au contraire conforme à son appréciation de la réalité comme le moment de la contradiction qui permet à la pensée de dépasser
diversité10. Les tropes sceptiques ont pour fonction d’ébranler les la conscience naturelle ou la pensée d’entendement, pour atteindre
la rationalité.
8
  Je laisse ici de côté la question par ailleurs centrale de savoir si cette
caractérisation du scepticisme comme étant par essence contradictoire, carac- pensée ne peut rien et l’assume pour trouver l’ataraxie, Hegel va présenter les
térisation presque commune à toute l’histoire de la philosophie – de Hume à contradictoires pour montrer l’accès au cœur négatif de chaque chose ». Ou
Husserl, en passant par Kant – est, comme l’affirme Jean-Paul Dumont dans encore : « D’une méthode visant à résorber en néant tout discours – en reve-
Le scepticisme et le phénomène, le fait d’une continuelle mésinterprétation du nant au point d’indifférence – Hegel va faire une manière ontologique de lire
pyrrhonisme. Il s’agit moins ici de confronter ces interprétations à la réalité le réel. Plus que cela même, le réel va s’y reconnaître lui-même ».
11
historique du scepticisme, que de les confronter entre elles.  G.W.F Hegel, La phénoménologie de l’Esprit, trad. Jean Hyppolite, Paris,
9
 RSP, p. 40-41. Aubier Montaigne, p. 69 (Cité PG, avec renvoi à cette traduction).
12
10
 Je renvoie à cet égard aux remarques éclairantes de Bertrand Quentin  G.W.F Hegel, Leçons sur l’histoire de la philosophie IV, trad. Pierre Gar-
dans son ouvrage Hegel et le scepticisme, L’Harmattan, Paris, 2008, p. 52 : « Là niron, Vrin, Paris, 1975, p. 760.
13
où le Sceptique présente seulement les contradictoires pour prouver que la  RSP, p. 38-39.
162 PAULA LORELLE Hegel et Levinas : d’une histoire de la philosophie à l’Autre 163
L’approche lévinassienne du scepticisme consiste également à à la réfuter définitivement, et que le scepticisme renaît sans cesse des
en expliciter la contradiction. Et cette contradiction n’est pas non cendres de sa réfutation17. Et c’est parce qu’il renaît sans cesse face
plus le signe d’une simple absurdité logique à réfuter. Levinas loue à une pensée synchronique qui n’a de cesse de le réfuter, qu’il se
au contraire l’audace de l’énoncé sceptique pour autant qu’il ose fait l’un des moments irréductible de ce mouvement.
assumer la contradiction entre le contenu de son énoncé – qui Hegel et Levinas conçoivent tous deux la possibilité d’une
affirme l’impossibilité de tout énoncé – et l’acte d’énonciation pensée « philosophique » authentique, susceptible de signifier
– qui réalise cette impossibilité14. Oser une telle contradiction au-delà du principe logique de non-contradiction sans pour autant
selon Levinas, c’est révéler l’impuissance du principe de non- sombrer dans l’absurdité. Et ils pensent tous deux le scepticisme
contradiction à la réfuter. Si cette contradiction échappe en effet comme condition à l’atteinte d’une telle pensée, ou comme preuve
à toute réfutation logique, c’est pour autant qu’elle n’a pas lieu de sa possibilité – de la possibilité d’une pensée philosophique plus
entre deux énoncés, mais entre l’énoncé et son acte d’énonciation. large qui comprendrait tout à la fois la pensée logique régie par le
Et puisqu’il n’y a pas selon Levinas, simultanéité entre l’acte principe de non contradiction et sa réfutation sceptique.
d’énonciation et l’énoncé, cette contradiction, pour pouvoir être
réfutée, « manque le “en même temps” des contradictoires »15. La
contradiction du discours sceptique fait signe vers le rejet d’une ***
pensée régie par l’idée d’une synchronie ou d’une simultanéité
entre l’énoncé et l’acte d’énonciation, et elle nous éveille à la Il ne s’agit pas pour autant de conclure à la proximité des
possibilité d’une pensée autre, habitée d’une autre temporalité : conceptions hégéliennes et lévinassiennes de la philosophie. Ce
serait mettre en question la façon dont la pensée lévinassienne s’est
« Le scepticisme qui traverse la rationalité ou la logique du savoir elle-même comprise en stricte opposition à celle de Hegel. C’est
est un refus de synchroniser l’affirmation implicite contenue dans bien à Hegel que Levinas s’oppose « en premier » dans Totalité et
le dire et la négation que cette affirmation énonce dans le Dit.
Contradiction visible à la réflexion qui la réfute, mais à laquelle
Infini, alors qu’il expose ce qui fera le cœur même de son projet
le scepticisme est insensible, comme si l’affirmation et la négation philosophique – à savoir, la radicalité de sa pensée de l’altérité.
ne résonnaient pas en même temps »16. Levinas définit cette altérité absolue, altérité métaphysiquement
désirée, par opposition à une altérité hégélienne seulement relative,
C’est parce que cette contradiction sceptique n’est pas simple altérité du Même, ou simple « jeux du moi ». Simple altérité
simultanée mais qu’elle révèle une différence irréductible entre la du Même à laquelle toute altérité est reconduite et dans laquelle
temporalité de l’acte d’énonciation et celle de l’énoncé – entre le le système hégélien selon lui se complait.
Dire et le Dit – que le principe de non contradiction est impuissant Conclure à une affinité des pensées hégéliennes et lévinassiennes,
14
ce serait également mettre en question la façon dont Levinas a
 AE, p. 20 : « Penser l’autrement qu’être exige, peut-être, autant d’audace
qu’en affiche le scepticisme qui ne redoute pas d’affirmer l’impossibilité de
compris l’œuvre de Hegel – en stricte opposition à la sienne. Contre
l’énoncé tout en osant réaliser cette impossibilité par l’énoncé même de cette l’interprétation lévinassienne du système hégélien comme système
impossibilité ». totalitaire clos et figé – interprétation dont on peut dire avec Robert
15
 Ibid.
16 17
 Ibid., p. 260.  Ibid., p. 256.
164 PAULA LORELLE Hegel et Levinas : d’une histoire de la philosophie à l’Autre 165
Bernasconi qu’elle est issue de la vague interprétative qui s’étend l’identité abstraite, immédiate, que la pensée d’entendement fige
de Kojève à Derrida18 – il faudrait défendre l’image d’un système dans des déterminations qui excluent toute opposition ?
dont la fluidité et la « plasticité »19 travailleraient sans cesse à assurer Contre une telle critique de la lecture lévinassienne, il faut selon
l’ouverture. Ou encore, il faudrait défendre une image de Hegel nous maintenir au contraire que c’est bien à l’infini rationnel et
comme penseur de la séparation, de la différence et de l’altérité non au simple infini d’entendement que Levinas se réfère quand il
– penseur presque plus lévinassien que Levinas lui-même20. Du accuse Hegel de n’avoir pensé qu’un infini totalitaire. En accusant
point de vue de cette seconde vague d’interprétation, on pourrait Hegel d’être un philosophe de la totalité, Levinas ne vise pas
reprocher à Levinas de ne s’être pas reconnu en Hegel et d’avoir une simple totalité d’entendement, une totalité qui exclurait la
réduit sa pensée à la pensée que ce dernier cherchait justement à différence, la contradiction, l’Autre – totalité vide et abstraite dans
dépasser – à savoir, à la pensée d’entendement figeante et figée21. laquelle l’Autre serait presque sauf du point de vue de Levinas.
Ceci revient en fait à se demander si cette pensée de l’identité, Mais il vise bien la totalité rationnelle – celle qui n’exclut pas son
dans laquelle Levinas accuse Hegel d’avoir englouti toute altérité, Autre mais qui l’engloutit, le comprend.
atteint le véritable concept hégélien d’identité concrète, rationnelle Cette interprétation lévinassienne de Hegel, que l’on s’accorde
– d’une identité dialectique qui comprend sa contradiction, sa ou non avec elle, témoigne moins d’une telle mécompréhension,
propre négation, ou son Autre –, ou s’il n’atteint pas seulement qu’elle ne fait signe vers un désaccord fondamental entre deux
pensées de l’infini et de l’altérité. Si, pour Hegel l’infini est ce qui
18
 Cf. Robert Bernasconi, « Hegel et Levinas : la possibilité du pardon et comprend son Autre, c’est, pour Levinas, l’Autre qui ne saurait
de la réconciliation  », Emmanuel Levinas, Paris, Éditions de l’Herne, 1991, être compris. Reste que, pour pouvoir penser cet Infini, la pensée
p. 328-342. Cf. p. 330 notamment : « Comme tant d’autres penseurs français doit dans les deux cas se dépasser elle-même ou s’excéder. Et le
et écrivains de cette génération, Levinas dans les années 30 a dû suivre, parfois,
les cours de Kojève sur La Phénoménologie de l’Esprit et était porté à penser
moment sceptique de la pensée est chaque fois condition ou preuve
trouver la clé de ce livre dans la dialectique maître/esclave ». de la possibilité d’un tel excès. C’est donc à l’endroit même de leur
19
 Cf. à ce propos : Catherine Malabou, L’avenir de Hegel, Paris, Vrin, 1996. rencontre quant à leurs deux interprétations du scepticisme, de
20
 Cf. aussi : Jean-Luc Nancy, La remarque spéculative (un bon mot de Hegel), leur rencontre à l’extrémité du discours philosophique, que cette
Éditions Galilée, 1973 ; et Hegel : l’inquiétude du négatif, Hachette, 1997. extrémité se révèle être celle d’une opposition radicale.
21
  Accuser Levinas de n’avoir compris Hegel que comme penseur de la
totalité, là où il est au contraire un penseur de l’infini, c’est ce que fait Ber-
trand Quentin dès les premières lignes de son ouvrage : « Il nous apparaît que
***
le propre de l’esprit ne réside pas dans une identité paresseuse avec lui-même
mais paradoxalement dans son accueil de ce qui est autre que lui-même. Cette
pensée est celle qui anime par exemple la philosophie d’un Levinas. (…) Le- De l’interprétation hégélienne du scepticisme, nous nous
vinas a cru que cette intuition fondamentale l’opposait radicalement à Hegel étions arrêtés au premier moment, celui qui considérait la nécessité
– dont il qualifiait la philosophie de “philosophie de la totalité” par opposition de sa négativité au sein de toute philosophie authentique. Or,
à une “philosophie de l’infini”. Retournement plaisant de situation : le philo- chez Hegel, cette négativité est tout aussi nécessaire qu’elle doit
sophe allemand qui cherchait sans cesse à retrouver le véritable infini par op-
position à l’infini d’entendement se voit maintenant accusé de n’avoir obtenu
nécessairement être dépassée. Hegel décrit le mouvement de ce
qu’un infini totalitaire par opposition au véritable infini ». (Bertrand Quentin, dépassement dans un passage fameux de l’introduction de La
Hegel et le scepticisme, op. cit.) Phénoménologie de l’Esprit :
166 PAULA LORELLE Hegel et Levinas : d’une histoire de la philosophie à l’Autre 167
« La présentation de la conscience non-vraie dans sa non-vérité commune, est parfaitement impuissant contre la philosophie. La
n’est pas un mouvement seulement négatif, comme elle est selon conscience naturelle posait une unité immédiate et abstraite qui ne
la manière de voir unilatérale de la conscience naturelle. Un comprenait pas encore sa négation, sa contradiction. L’unité que
savoir, qui de cette manière de voir unilatérale fait son essence,
est une des figures de la conscience imparfaite qui comme telle pose la raison est au contraire l’unité de cette identité immédiate et
rentre dans ses figures et se présentera au cours même du chemin. de sa négation. L’identité rationnelle n’est pas l’identité immédiate,
C’est justement le scepticisme, qui, dans le résultat, voit toujours abstraction faite de toute différence ou de toute diversité, elle est
seulement le pur néant, et fait abstraction du fait que ce néant l’identité de l’identité et de la différence. Si le scepticisme ne peut
est d’une façon déterminée le néant de ce dont il résulte. Mais le atteindre l’unité ou l’identité rationnelle en dénonçant sa diversité,
néant, pris seulement comme le néant de ce dont il résulte, est en c’est parce que cette diversité est déjà contenue en elle. « Avoir dépassé
fait le résultat véritable ; il est lui-même un néant déterminé et a
un contenu. Le scepticisme, qui finit avec l’abstraction du néant le scepticisme – dit Bertrand Quentin – c’est, en un sens hégélien, le
ou avec le vide, ne peut pas aller plus loin, mais il doit attendre porter encore en son sein »23. Si le scepticisme n’atteint pas l’identité
jusqu’à ce que quelque chose de nouveau se présente à lui pour rationnelle et concrète que pose la philosophie, c’est parce qu’il est
le jeter dans le même abîme vide. Si, au contraire, le résultat est le moment de la différence déjà contenu en elle – moment de la
appréhendé, comme il est en vérité, c’est-à-dire comme négation différence au sein de l’identité de l’identité et de la différence.
déterminée, alors immédiatement une nouvelle forme naît »22. Chez Levinas au contraire, le scepticisme ne peut pas être
réduit à un moment d’une unité qui le dépasserait. Si la réfutation
Puisque le scepticisme ne considère le résultat de sa négation
du scepticisme manque chaque fois sa proie en dénonçant la
que comme pure néant, rien ne résulte pour lui de sa négation et
contradiction de son énoncé, c’est parce qu’à cette contradiction
il ne peut qu’attendre que quelque chose d’autre se présente à lui
«  manque le “en même temps” des contradictoires  ». Cette
pour pouvoir de nouveau le nier. Le scepticisme doit être dépassé, contradiction n’a pas lieu entre deux énoncés mais entre l’acte
pour autant qu’il ne voit pas que ce qu’il nie est en même temps d’énoncer – le Dire – et le contenu d’énonciation – le Dit. Or,
conservé dans sa négation. Or, toute la positivité du mouvement Dire et Dit ne sont pas simultanés. Leur contradiction témoigne
dialectique à laquelle le scepticisme est aveugle, consiste précisément moins d’une absurdité logique que d’une autre temporalité. Alors
en ce que la négation n’aboutit jamais à un pur néant mais toujours que rien n’échappe à la temporalité synchronique qui n’a de cesse
à un néant déterminé – néant déterminé résultant toujours de la de réduire ou d’intégrer son autre – dont l’autre n’est jamais que le
négation d’un contenu déterminé. Puisqu’elle conserve ce qui est produit du développement –, la temporalité autre ou temporalité
nié, la négation peut dès lors être dépassée dans l’unité de ce contenu diachronique qui sépare le dire sceptique de son dit est celle dont
déterminé et de sa négation. les moments restent à jamais irréductibles les uns aux autres, celle
C’est pourquoi le scepticisme, comme seul moment de la qui ne se fait jamais vraiment « histoire » au sens traditionnel du
diversité ou de la négation, victorieux contre l’identité immédiate terme, mais qui reste toujours « énigme ». Une énigme à jamais
et abstraite que pose la conscience naturelle, ne peut rien contre « insoluble » qui ne contient pas en elle-même la dissolution de
l’identité rationnelle qui résulte d’un tel mouvement dialectique. ses termes en une seule et même solution24. L’énoncé sceptique,
Ou, comme le disait déjà Hegel dans son article de 1802, le
scepticisme, victorieux contre les certitudes de la conscience 23
 Bertrand Quentin, Hegel et le scepticisme, op. cit., p. 72.
24
 AE, p. 263 : « Impossible simultanéité de sens, le non-assemblable mais aussi
22
 PG, p. 71. inséparable l’un-pour-l’autre, tiers exclu signifiant comme équivoque ou énigme ».
168 PAULA LORELLE Hegel et Levinas : d’une histoire de la philosophie à l’Autre 169
en osant la contradiction entre dire et dit, signifie vers une telle Du fait de l’irréductibilité de son dire à son dit, le scepticisme
temporalité. Et, c’est du fait de cette temporalité interne à la est donc le moment de la diachronie au sein d’une alternance
relation entre son dire et son dit, que le scepticisme ne peut pas elle-même diachronique entre le scepticisme et sa réfutation.
être définitivement réfuté : Le scepticisme, irréductible à sa réfutation, est le moment de la
diachronie au sein de la diachronie entre synchronie et diachronie.
« La philosophie ne se sépare pas du scepticisme qui la suit comme Alors que le scepticisme était, chez Hegel, le moment de la
son ombre qu’elle chasse en le réfutant pour la retrouver aussitôt différence au sein de l’identité de l’identité et de la différence, il est
sur ses pas. Le dernier mot n’appartient-il pas à la philosophie ? ici le moment de la différence au sein de la différence de l’identité et
Oui, en un certain sens, puisque, pour la philosophie occidentale de la différence. Le scepticisme est donc toujours ce même moment
le Dire s’épuise en Dits. Mais le scepticisme fait précisément
de la différence, mais au sein de deux « histoires » opposées. Histoire
une différence et met un intervalle entre le Dire et le Dit. Le
qui se fait identité chez Hegel, et qui chez Levinas – s’il est encore
scepticisme est le réfutable, mais aussi le revenant »25.
possible de parler d’histoire – se fait différence.
Cette temporalité autre qui habite le propos même du scepti-
cisme, quelque part entre son dire et son dit, est également celle qui le
***
sépare irréductiblement de sa réfutation. Au sein de cette temporalité,
l’irréductibilité du scepticisme à sa réfutation est préservée. Le Dire que le scepticisme est un moment de l’histoire chez Hegel
scepticisme ne pouvant être définitivement réfuté, ne peut que c’est dire qu’il est un moment du déploiement de l’Idée. Et, dire
revenir sans cesse. Le scepticisme et sa réfutation ne peuvent donc du scepticisme qu’il est un moment de l’histoire de la philosophie,
qu’alterner toujours. Loin de pouvoir être embrassé en une unité c’est dire qu’il est un moment de l’Idée telle qu’elle se déploie
supérieure à la diversité qu’il dénonce, comme chez Hegel, le exclusivement dans l’élément de la pensée. La philosophie c’est
scepticisme revient sans cesse. Il revient sans cesse – pour reprendre l’esprit de l’époque qui se pense et se connaît lui-même. L’histoire
hors contexte une expression de Jean-François Marquet – tel le de la philosophie c’est le développement de cette connaissance de
soi de l’Idée. Or, pour se connaître, l’esprit doit se séparer de lui-
« refoulé » de la philosophie qui fait toujours retour26.
même. Dans l’histoire de cette connaissance de soi, l’esprit se sépare
25
 Ibid., p. 260-261 : « Le discours sceptique qui énonce la rupture ou l’échec de lui-même et les moments de son développement sont autant
ou l’impuissance ou l’impossibilité du discours, se contredirait, si le Dire et le Dit de produits de cette auto-différenciation27. C’est cette séparation
n’étaient que corrélatifs, si la signifiance de la proximité, et la signification sue
et dite pouvaient entrer dans un ordre commun; si le Dire obtenait une pleine 27
  G.W.F Hegel, Leçons sur l’histoire de la philosophie I, trad. J.  Gibelin,
contemporanéité avec le Dit ; si le Dire entrait dans l’essence sans trahir la dia- Gallimard, 1954, p. 79 : « Cette séparation est, comme on l’a dit, la première
chronie de la proximité, si le Dire pouvait rester dire en se montrant savoir, c’est- condition et le moment de la conscience de soi ; c’est seulement du recueille-
à-dire si la thématisation entrait dans le thème en guise de souvenir. Or, le Dire ment de celle-ci en soi, comme penser libre, que peut naitre le développement
sceptique défait par la philosophie, rappelle précisément la rupture du temps de l’universel dans la pensée, c’est-à-dire la philosophie  ».  ; «  la philosophie
synchronisable, c’est-à-dire remémorable ». n’est pas un somnambulisme, bien plutôt la conscience la plus éveillée (…)
26
 Cf. Jean-François Marquet, « Husserl : le pôle et le flux », La gnose, une une élévation et un travail qui, en tant que différenciation continue de soi-
question philosophique. Pour une phénoménologie de l’invisible, dirigé par Jean- même, pour rétablir de nouveau l’unité par l’activité de l’esprit, exige le cours
François Marquet et Nathalie Depraz, Cerf, 2000, p. 183. du temps et même d’un temps fort long ».
170 PAULA LORELLE Hegel et Levinas : d’une histoire de la philosophie à l’Autre 171
de soi, nécessaire au déploiement de la connaissance de l’Idée par de l’extérieur – sujet qui ne peut dès lors que rester figé29 – dans
elle-même, qui explique la diversité des philosophies qui peuplent le savoir absolu, c’est le sujet qui se pose lui-même, dans un
sa seule et unique histoire. Ce qui explique que l’Idée soit définie mouvement qui n’est jamais que le sien :
comme « l’unité absolue des diversités ». Les moments de l’histoire
« Le savoir absolu – c’est-à-dire la présentation de toutes ces
de la philosophie, sont autant de moments du développement médiations de l’identité de l’identité et de la non-identité ne peut
auto-différenciant d’une seule et même Idée28. Dans cette histoire, être qu’énonciation de lui-même, par son propre mouvement »30.
le scepticisme comme moment de la différence, n’a en fait jamais
été absolument Autre. L’altérité dont il jouit n’est jamais que le C’est pourquoi la philosophie, pour se faire l’auto-
résultat de l’auto-différenciation d’une même Idée. Idée dont développement de l’Idée dans l’histoire, doit passer de la logique
l’histoire n’est que le déploiement auto-différenciant de l’identité. traditionnelle à la logique spéculative. Dans cette logique
L’histoire de la philosophie  – le développement de cette spéculative, le dire de cette histoire de la philosophie ne lui est
connaissance de soi de l’Idée – est philosophie – la connaissance de ce plus extérieur. Ca n’est plus le philosophe qui raconte l’histoire de
développement. Et, à l’inverse, la philosophie comme connaissance la philosophie, c’est la philosophie comme histoire qui se raconte
elle-même. L’histoire de la philosophie, pour autant qu’elle est
de ce développement, n’est autre que ce développement lui-même,
auto-développement d’une identité, est une histoire qui se raconte
à savoir, histoire de la philosophie. La philosophie n’est autre
elle-même, ou encore, en termes lévinassiens, une histoire sans
que l’exposition, par la pensée, de son propre mouvement. Or,
dire, toujours déjà dite.
conformément à ce que dit Hegel de la logique dans la préface Dire chez Levinas, que le scepticisme est un moment de
de La Phénoménologie de l’Esprit, la philosophie, pour se faire l’« histoire », c’est prêter à cette « histoire » une autre signification
présentation de son propre développement, doit de nouveau que celle que lui a conférée selon lui toute la tradition
dépasser la logique formelle. Non plus seulement son principe de philosophique. Dans la première partie de Totalité et Infini,
non-contradiction, mais sa « détermination extrinsèque ». Alors l’histoire est dite synonyme de système – elle est cette totalité
que dans la logique formelle, les prédicats sont attachés au sujet dans laquelle vient se résorber toute altérité. Totalité au sein de
laquelle l’idée de l’Infini ne peut pas signifier. Levinas précise
28
 Ibid., p. 48 : « La philosophie formée est ainsi constituée en soi. Dans que c’est dans un esprit impersonnel que l’histoire engloutit toute
son ensemble et tous ses membres, il y a une seule idée comme dans un indi-
vidu vivant une seule vie, un seul pouls bat dans tous les membres. Toutes les
altérité – impersonnalité de l’esprit et, comme nous venons de le
parties qui s’en dégagent et leur systématisation découlent d’une idée unique, voir chez Hegel, impersonnalité de l’histoire dans laquelle il se dit.
toutes ces particularisations ne sont que les miroirs et les copies de cette vitalité
29
(Lebendigkeit) une, elles ne trouvent leur réalité que dans cette unité et leurs  PG, p. 21 : « Le sujet est pris comme un point fixe, et à ce point comme
différences, leurs diverses déterminations concrètes (Bestimmtheitein) réunies à leur support les prédicats sont attachés ; et ils y sont par l’intermédiaire d’un
ne sont que l’expression de la forme contenue dans l’Idée. L’Idée est centre et mouvement qui appartient à celui qui a un savoir de ce sujet, mais qui ne peut
périphérie en même temps, c’est la source de lumière qui en toutes ses expan- pas alors être envisagé comme appartenant intrinsèquement au point lui-même.
sions ne sort pas d’elle-même, mais demeure en soi présente et immanente ; Constitué comme il l’est ici, ce mouvement ne peut pas appartenir au sujet, et
elle est le système de la nécessité et de sa propre nécessité qui est aussi sa liberté. d’après la présupposition de ce point fixe, le mouvement ne peut être constitué
La philosophie est donc un système en son développement; il en est de même autrement ; il peut seulement lui être extérieur ». ; (Cf. aussi p. 54-55).
30
de l’histoire de la philosophie… »  G.W.F Hegel, Leçons sur l’histoire de la philosophie I, op. cit.
172 PAULA LORELLE Hegel et Levinas : d’une histoire de la philosophie à l’Autre 173
Or, pour Levinas, tout comme l’infini ne peut signifier dans la C’est souvent lorsqu’il cherche des exemples dans l’histoire –
totalité, l’altérité d’autrui, radicale, absolue, ne peut signifier dans soit des quelques « éclairs » de pensée au-delà de l’être, soit de leur
l’histoire, et sa rencontre ou sa pensée nécessite de s’en extraire ou clôture dans le règne de l’essence -, que Levinas parle d’« histoire de
d’en être arraché : la philosophie ». Et, bien qu’il ne s’y réfère pas directement en ces
termes, c’est de l’« histoire de la philosophie » dont il est question
« Il n’y aurait pas d’être séparé si le temps de l’Un pouvait tomber dans le dernier chapitre d’Autrement qu’être et dans l’alternance
dans le temps de l’Autre »31. entre le scepticisme et sa réfutation. Le scepticisme n’est plus en
ce sens le moment d’une « histoire » de la philosophie comme le
L’altérité, pour signifier, exige une temporalité anhistorique,
moment d’une identité qui se déploie, mais comme le moment
non synchronique – temporalité diachronique dans laquelle le
d’une différence irréductible. Différence dont le mouvement dans
temps de l’Autre justement, ne se résorbe pas dans le temps de
l’histoire ne peut être qu’alternance – alternance sans identification,
l’Un. Cette temporalité, définie pas Levinas comme relation de la
sans réconciliation.
pensée à L’Autre, est moins « historique » qu’elle n’est « secrète »
Pour pouvoir dire cette différence, la philosophie doit réduire
ou « énigmatique ». Toutefois, si cette temporalité diachronique est
ce dit systématique dans lequel tout se résorbe toujours, au Dire
« anhistorique » – au sens où l’histoire serait synonyme d’identité,
qui le précède. Passage du Dit au Dire, exactement inverse à
de totalité, de système et de synchronie – il n’est pas impossible
celui, hégélien, de la proposition apophantique à la proposition
de parler d’« histoire » en un autre sens chez Levinas. Dans un
spéculative. Il ne s’agit plus de résorber tout Dire extrinsèque
passage de Le temps et l’Autre, Levinas identifiait déjà l’histoire
à ce qui est dit, dans le Dit lui-même – dit qui ne serait plus
à l’intersubjectivité ou au rapport entre humains, condition du
que l’exposition de son auto-développement. Mais il s’agit au
temps32. Il serait donc possible de parler d’histoire en un autre
contraire de réduire ce dit pour faire retour au Dire, ou à la
sens – d’une histoire régie par une temporalité diachronique.
différence irréductible qui le sépare du Dire. Réduction du Dit
L’« histoire » en ce sens lévinassien préserverait l’irréductibilité
au Dire qui exige un « dédire ». L’« histoire » de la philosophie,
de deux temporalités, l’intervalle infini entre ses deux instants
comme différence irréconciliable entre deux termes, ne devrait
– histoire énigmatique qui ne dissoudrait pas ses termes mais
plus se dire elle-même ou être toujours déjà dite, mais être dédite,
préserverait leur différence. Cette « histoire » diachronique serait la
aussitôt dite.
différence entre deux termes qui, ne pouvant jamais se réconcilier,
Néanmoins, chez Levinas, l’histoire de cette différence n’est-elle
ne peuvent qu’alterner toujours.
pas toujours histoire de la philosophie33 ? Levinas réussit-il vraiment
31
 Emmanuel Levinas, Totalité et Infini, La Haye, Martinus Nijhoff, 1971,
à sauver l’Autre de la philosophie ou l’Autre philosophie dans
p. 50 : « La séparation n’est radicale que si chaque être a son temps, c’est-à-dire cette histoire ? Il est en effet de nombreux passages de ce dernier
son intériorité, si chaque temps ne s’absorbe pas dans le temps universel ». chapitre d’Autrement qu’être dans lesquels cette ambivalence entre
32
 Emmanuel Levinas, Le temps et l’autre, Paris, Presses Universitaires de
33
France, 1983, p.  69  : «  la situation de face-à-face serait l’accomplissement  AE, p. 256 : « la philosophie – dans sa diachronie même – est la conscience
même du temps ; l’empiètement du présent sur l’avenir n’est pas le fait d’un de la rupture de la conscience. Dans un mouvement alternant comme celui qui
sujet seul, mais la relation intersubjective. La condition du temps est dans le mène du scepticisme à la réfutation qui le réduit en cendres, et de ses cendres à
rapport entre humains ou dans l’histoire ». sa renaissance… ».
174 PAULA LORELLE Hegel et Levinas : d’une histoire de la philosophie à l’Autre 175
le scepticisme et sa réfutation, loin d’être préservée, semble au ***
contraire réduite à un seul et même terme – celui de « philosophie ».
Cette alternance ou ambivalence supposée irréductible devient Le scepticisme est apparu dans un premier temps comme
le sens même d’une seule et unique pensée – sens de cette pensée un même moment au sein de deux conceptions plus larges de
authentiquement philosophique qui signifie la différence au-delà la philosophie ; et comme le moment de la différence ou de la
de l’être et au-delà de l’essence. C’est au sein de la pensée au-delà contradiction, nécessaire à cet élargissement. Est apparue ensuite
de l’être que la réfutation du scepticisme, pensée du Même, la profonde opposition qui séparait ces deux conceptions de la
représentante de toute la tradition philosophique occidentale, philosophie et de son histoire. Le scepticisme incarne le moment
trouve sa place : de la différence dans l’histoire comme identité chez Hegel, alors
qu’il incarne le moment de la différence, dans l’« histoire » comme
«  Mais il est temps de montrer la place que cette synthèse différence chez Levinas. Mais s’est également révélée, depuis cette
purement apophantique, source de la subreption qui confère à lecture lévinassienne du scepticisme, toute la difficulté qu’il y a à
l’ontologie le lieu du questionnement ultime, cette synthèse plus maintenir, au sein de la philosophie et au sein de ce que l’on pense
formelle que le formel, occupe dans la pensée pensant au delà de comme sa seule et unique « histoire », une différence irréductible
l’être. Ce n’est pas par hasard, ni par niaiserie, ni par usurpation
que l’ordre de la vérité et de l’essence – où prétend se tenir le entre la philosophie et cet Autre qu’est ici le scepticisme – voire
présent exposé lui-même – est au premier rang de la philosophie même, de façon plus générale, la difficulté qu’il y a à maintenir une
occidentale »34. différence irréductible d’une philosophie à l’Autre dans l’histoire.
Puisque, de l’aveu même de Levinas, cette différence est toujours
C’est à un moment de cette seule pensée au-delà de l’être, ou à réduite, à peine dite, il faudrait en fait, pour pouvoir faire une telle
un moment de la pensée lévinassienne de l’altérité, que la réfutation histoire, la défaire sans cesse.
du scepticisme, moment de la philosophie occidentale ou moment Le constat de cette difficulté à maintenir l’irréductibilité d’une
synchronique de réduction de toute altérité à l’identité, se voit philosophie à l’autre dans l’histoire, peut nous éveiller à deux types
elle-même réduite. Si cette pensée occidentale du Même n’est pas d’interrogations.
le fruit d’un hasard, c’est parce qu’elle occupe une place nécessaire Une première interrogation concerne ces histoires de la
au sein de la pensée de Levinas lui-même. En un sens, cette pensée philosophie elles-mêmes, quant à leur capacité à se faire plus que
du Même ou de l’identité, l’autre de la pensée lévinassienne de la la seule histoire de ces philosophies particulières – hégélienne ou
différence, est ici aussi réduite au Même. Autrement dit, la pensée lévinassienne – dont elles sont chaque fois l’histoire. Si nous avons
de l’Autre et celle du Même ne sont jamais que deux moments fini par souligner la difficulté qu’éprouve Levinas à sortir de l’identité
au sein d’une Même pensée – bien que d’une pensée de l’Autre. hégélienne, c’est parce que nous avions commencé par l’y opposer.
Il faudrait donc se demander si, malgré son intention et tel qu’il Une telle lecture de Levinas, comme s’opposant diamétralement à
l’assume par moments, Levinas ne finit pas, comme Hegel, par la conception hégélienne de l’histoire de la philosophie, tend bien
réduire toute philosophie autre ou toute philosophie passée à un entendu à l’y reconduire. S’il y a un bien un sens à penser ensemble
moment de l’histoire de sa propre pensée. ces deux conceptions de l’histoire de la philosophie opposées, c’est
pour autant justement qu’elles sont les deux extrêmes d’une seule et
34
 Ibid., p. 244. même opposition. Dans Autrement qu’être et du point de vue de la
176 PAULA LORELLE Hegel et Levinas : d’une histoire de la philosophie à l’Autre 177
conception de l’histoire de la philosophie qui s’y déploie, Levinas choisir entre leurs deux histoires – choisir entre une histoire de la
n’est pas « autrement qu’hégélien » – contrairement à ce qu’en philosophie hégélienne de l’identité au sein de laquelle Levinas ne
dit Ari Simhon dans son ouvrage Levinas critique de Hegel – mais serait jamais que le moment de la différence et une histoire de la
bien « anti-hégélien », et – puisqu’Hegel comprend toujours son philosophie lévinassienne de la différence au sein de laquelle Hegel
Autre – « hégélien ». Comme le dit Derrida dans « Violence et ne serait jamais que le moment de l’identité. Si une histoire de la
Métaphysique » : « dès qu’il parle contre Hegel, Levinas ne peut philosophie n’était jamais que l’histoire de sa propre philosophie
que confirmer Hegel, l’a déjà confirmé »35. Cette difficulté d’une – de celle de Hegel ou de celle de Levinas – il n’y aurait aucune
histoire de la philosophie à penser l’Autre philosophie dans toute réconciliation possible, d’une histoire de la philosophie à l’Autre.
la radicalité de son altérité, Levinas la reconnaîtrait. La question Resterait néanmoins à se demander si l’irréductibilité de ces
reste donc de savoir si l’on doit avec lui la déplorer. Finalement, deux conceptions de l’histoire de la philosophie interdit à la
si de ce point de vue Levinas se fait hégélien, ne peut-on dire que philosophie d’être pensée dans une seule et unique histoire, ou
Hegel se fait de même, en un sens, lévinassien ? Après tout, l’autre si elle ne permet pas au contraire d’espérer en la possibilité d’une
philosophie ne trouve-t-elle pas une place au sein de l’histoire histoire de la philosophie qui, comme histoire de ces histoires, se
hégélienne, bien qu’elle y soit aussitôt intégrée36 ? Réduire l’autre fasse à la fois éthique et systématique. La coexistence de ces deux
pensée à un moment de la sienne, est-ce la pire violence que l’on pensées de l’histoire au sein d’une même histoire ne permettrait-elle
puisse lui faire ? N’est-ce pas également un moyen de ne pas la pas d’espérer en la possibilité pour la philosophie de jouir d’un
passer sous silence, ou de ne pas la nier ? Intégrer la pensée de élargissement tout à la fois infini et généreux ? D’une générosité
l’Autre ou l’Autre pensée à la sienne, ne serait-ce pas le seul moyen lévinassienne grâce à laquelle l’Autre philosophie et son histoire
de la « comprendre » ? De la comprendre, et donc peut-être contre n’y seraient pas réduites au Même, et d’une infinité hégélienne
grâce à laquelle, aussi loin puisse-t-elle se perdre, de Hegel jusqu’à
Levinas, de pouvoir la respecter ?
Levinas même, la philosophie n’aurait de cesse de se retrouver
La seconde interrogation ne concerne plus seulement chacune
auprès d’elle-même, dans son histoire ?
de ces deux histoires de la philosophie, mais l’histoire même de leur
opposition – l’histoire de ces histoires. Si l’histoire de la philosophie
n’était jamais que l’histoire d’une philosophie particulière, il y
aurait autant d’histoires de la philosophie qu’il y a de philosophie
– à savoir, dans le seul cadre de notre opposition, au moins deux.
Il faudrait donc choisir entre ces deux philosophies pour pouvoir
35
 Jacques Derrida, « Violence et métaphysique », L’écriture et la différence,
Paris, Éditions du Seuil, 1967, p. 176.
36
 Et c’est bien ce que reconnaît Levinas lui-même dans Éthique et Infini :
« Les philosophes du passé avaient déjà été sauvé de leur archaïsme par Hegel.
Mais ils entraient dans la “pensée absolue” comme moments, ou comme étapes
à traverser ; Ils étaient aufgehoben, c’est-à-dire bel et bien anéantis, en même
temps que conservés  ». Emmanuel Levinas, Éthique et Infini, Paris, Biblio
essais, 1982, p. 34.
LES AUTEURS 247
LES AUTEURS Paula Lorelle
Après un double Master de philosophie à Boston College et à
l’université Paris-IV, Paula Lorelle est actuellement doctorante
contractuelle et monitrice à l’université Paris-IV, où elle prépare
une thèse de phénoménologie sur le concept de Raison chez
Patrick Cerutti Husserl, Heidegger et Levinas.

Professeur agrégé et docteur en philosophie (Paris-Sorbonne, Archives


Jean-François Marquet
Husserl), Patrick Cerutti a notamment publié des traductions
Ancien élève de l’École Normale Supérieure de Saint-Cloud,
commentées de Jacobi (Des Choses divines et de leur révélation, Sur
professeur émérite de l’Université Paris-Sorbonne, lauréat du
l’entreprise du criticisme de ramener la raison à l’entendement (suivi de
Grand Prix de Philosophie de l’Académie française. Il est l’auteur
la Lettre à Fichte)), de Fichte (L’initiation à la vie bienheureuse) de
entre autres ouvrages de Liberté et existence (Paris, Gallimard, 1973
Schelling (Du rapport des arts plastiques avec la nature et autres textes,
[Cerf, 2006]), Singularité et événement (Grenoble, Millon, 1995) et
Monument de l’écrit des choses divines, Les Âges du monde).
Restitutions (Paris, Vrin, 2001).
Éléonore Dispersyn
Jean Luc Marion
Docteur en philosophie de l’Université Libre de Bruxelles, Eléonore
Membre de l’Académie française, est professeur émérite à
Dispersyn est actuellement chercheur postdoctoral au Fonds
l’Université Paris-Sorbonne (Paris IV), titulaire de la chaire
Ricoeur de Paris. Spécialiste du problème du mal, en particulier
Dominique Dubarle à l’Institut catholique de Paris et professeur
dans la philosophie allemande (Kant et Schelling), mais également
à l’Université de Chicago. Il est auteur d’une œuvre importante en
française (Ricoeur) et italienne (Pareyson). Elle a notamment publié
histoire de la métaphysique (Sur l’ontologie grise de Descartes, Sur la
« Le mal dans les Recherches philosophiques sur l’essence de la liberté
théologie blanche de Descartes, Sur le prisme métaphysique de Descartes,
humaine : risque et positivité » (Revue des Sciences Philosophiques et
Au lieu de soi. L’approche de saint Augustin) et en phénoménologie
Théologiques, 2010), ou « Du mal radical au salut dans la Religion
(Réduction et donation, Étant donné, De surcroît, Le phénomène
dans les limites de la simple raison : une instabilité créatrice. » (Revue
érotique, Certitudes négatives, Figures de phénoménologie).
philosophique de Louvain, 2011). Son livre : Aux frontières de la raison
– L’obscur nécessaire, études sur le mal, est en cours de préparation.
Claudia Serban
Julien Farges Agrégée de philosophie et doctorante à l’Université Paris-Sorbonne
Professeur agrégé de philosophie, a récemment soutenu une thèse de (Paris IV), est depuis septembre 2012 pensionnaire de Fondation
doctorat à l’Université Paris IV-Sorbonne portant sur les fonctions de Thiers et à ce titre rattachée aux Archives Husserl de Paris (CNRS).
la notion de monde de la vie (Lebenswelt) dans la pensée de Husserl. Ses travaux et recherches portent sur la philosophie classique
Outre la phénoménologie husserlienne, ses travaux portent sur le allemande (Leibniz et Kant en particulier), sur la phénoménologie
néokantisme de l’école de Heidelberg et la philosophie des valeurs allemande (Husserl, Heidegger) et sur la phénoménologie française
de Heinrich Rickert. (Levinas, Merleau-Ponty, Henry).
248 LES AUTEURS

Philippe Soual
Titulaire de l’agrégation, du doctorat et de l’habilitation, Philippe
Soual est professeur de philosophie en Première supérieure (Ulm)
et chercheur au Centre Hegel de l’université de Poitiers. Spécialiste
de Hegel, il a publié de nombreux articles et plusieurs ouvrages,
dont un commentaire sur la Logique et un autre sur les Principes de
la philosophie du droit.

Vishnu Spaak
A fait la première partie de ses études de philosophie à l’étranger
(BA à McGill University et MA à La Katholieke Universiteit
Leuven). Après son retour en France, il obtient l’agrégation de
philosophie et fait un Master 2 recherche à l’université Paris 1. Il
prépare actuellement une thèse de doctorat en phénoménologie à
l’université Paris IV-Sorbonne.

Charles Theret
Professeur agrégé. Participe à différents groupes de traduction des
œuvres de Fichte et Schelling et a fait paraître plusieurs articles sur
la philosophie de l’idéalisme allemand.

Laurent Villevieille
Ancien élève de l’École Normale Supérieure, agrégé et docteur
en philosophie, a soutenu une thèse consacrée à la structure
méréologique de Sein und Zeit. Il mène actuellement, à l’université
de Clermont-Ferrand (Blaise Pascal), et avec le soutien de la
Fondation des Treilles, des recherches postdoctorales qui portent
sur les origines aristotéliciennes du concept d’intentionnalité.

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