Sunteți pe pagina 1din 197

PIE IX

ET

LES ÉTUDES CLASSIQUES


APPEL

AUX PÈRES DE FAMILLE ET AUX INSTITUTEURS DE LA JEUNESSE

gr
Par M GAUME
PR0T0N0TA1RE APOSTOLIQUE, DOCTEUR EN THÉOLOGIE

Qut7ion est mecum, contra me est.


Qui n'est pas avec moi est contre moi.
Luc, xi) 23.

PARIS
GAUME E T Cie É D I T E U R S
3, RI K ni-; i ' . \ n i m i : , 3

1874
Droil? de traduction et de reproduction réserve.
Biblio!èque Saint Libère

http://www.liberius.net
© Bibliothèque Saint Libère 2007.
Toute reproduction à but non lucratif est autorisée.
Chez les rnf-mos K«li t e n i r -

LA RÉVOLUTION
RECHERCHES IIISTORIQIES S I II LA PROPAGATION 1)1. MAL F.N FIHOPI
DEPUIS L \ UKNAISSVNCE J L S Q I A NOS J O I N S

r
Par M* G A U M E
PI» TONOTA1RK APOSTOLIQI K, DOLiKLR HS THEOLOGIE

12 vo*. in-8 42 tr.

Les titres suivants donneront une idée générale do l'ouvrage:


T. I. — La Révolution française, sa „'énéalo£>io. — Son doubV
travail do destruction religieuse et de destruction sociale — Etats gé-
néraux. Constituante, Législative, Contention. — Persécutions et régi-
cide.
T. I L — L a Révolution française, sou travail do reconstruction
l igieuse. — Religion olficielie do Chaumette et do Robespierre. —
Fêtes. — Religion des théophilanthropes. — Dogmes et liturgie. —
Polythéisme de Quintus Aucler.
T. m. — La Révolution française, son travail do reconstruction
sociale. — Constitutions. — Lois, institutions, costumes, langage.
T . I V . — La Révolution française, son travail d'affermissement.
— Éducation. — Théâtres. — Mœurs privées et publiques. — Trium-
virs*, proconsuls, victimes. — Biographies do Robespierre, Saint Just,
Camille Desmoulins, Charlotte fcorday, etc.
T . V. — Le Voltairianisme, ses caractères. — Sa généalogie.
Voltaire, Rousseau, Mably, Montesquieu, etc. — Doctrines et biogra-
phies.
T. VI. —- Le Césarisme, sa définition, sa généalogie. — Machia\el,
Bodin, Bochanan, etc. — Biographies. — Doctrines politiques des der-
niers siècles.
T. VIL — Le Protestantisme, son origine. — Ulrich de Hutten. —
Luther, Zwingle, etc. — Biographies et doctrines.
T. V I I I . — Le Rationalisme, sa généalogie. •- \ > t i c e s u - les prin-
cipaux rationalistes. — Caracter.es et progrès de leurs d o c t r i n e s .
T . I X . — La Renaissance, son origine. — S e s caractères. — Bio-
graphies des principaux renaissants dans toute l ' E u r o p e .
T. X . — L a Renaissance, propagation de >o'.\ esp'it. — enseigne-
ment. — Pièces de collège. — Littérature. — Théâtres. — Ballet*. ~ -
Modç§. — Arts libéraux et mécaniques. — Fûtes publiques et d o m e s -
tiques.
T. X L — La Renaissance, nouvelle édition des Vies de Piutarque
ou Biographies ch s principaux auteurs qui servirent de modèle h la
Renaissance. — Analyse de leurs ouvrages.
T. Xlf. — La Renaissance, ses adversaires. — Biographies.
Écrits. — Témoignages. — Conclusion générale.

rODBSIL. — Tv>>. «*t S»tT. ill* < HLn I1I.>.


AVANT-PROPOS

En date du 22 avril 1874, le Souverain Pontife a


daigné nous adresser un Bref relatif à la réforme
chrétienne des études classiques. Dans ce Bref inat­
tendu, sont reproduites et confirmées les prescriptions
de l'Encyclique du 21 mars 1853. Nous allons mettre
sous les yeux des lecteurs ce Bref important, avec les
réflexions dont les journaux catholiques Font accom­
pagné.

{
C H A P I T R E PREMIER

BREF ET RÉFLEXIONS.

PIJU I X , P A P E .

« Cher fils, salut et béaédiction apostolique.


« Nous avons reçu avec joie la lettre filiale et les offrandes
que, en votre nom et au nom des pieux fidèles dont vous
dirigez la conscience, vous Nous avez adressées. En vous
voyant si plein de sollicitude pour Nous, Notre ardent
désir est que vous jouissiez de cette félicité de l'âme, que
ni l'iniquité des temps ni la haine des hommes ne peu-
vent ôter aux justes et aux sages.
« Aussi, que les oppositions et les critiques malveillantes
de quelques-uns ne vous émeuvent pas, puisque, comme
vous le dites, le but unique de vos écrits a été de défen-
dre, dans la question des études, les règles que vous saviez
être par B O U S approuvées : savoir, faire étudier à la jeu-
nesse, avec les ouvrages classiques des anciens païens,
purgés de toute souillure, les plus beaux écrits des au-
teurs chrétiens.
« C'est pourquoi nous jugeons à propos que vous ban-
nissiez toute anxiété, bien plus, que vous reposiez dans
une parfaite tranquillité. Car ceux qui dans leur conduite
ne se proposent que la gloire de Dieu et le salut des âmes,
sont assurés de s'acquérir de grands mérites devant Dieu
et une solide gloire aux yeux des hommes sages. Et ce
4 FIE IX ET LES ÉTUDES CLASSIQl ES.

sont des titres d e gloire préférables à c e u x q u i r e p o s e n t


sur les vains jugements et opinions d u v u l g a i r e .
« Soyez donc plein d e courage et d ' a r d e u r , et rece\ez
comme gage des faveurs divines la b é n é d i c t i o n a p o s t o -
lique, que Nous vous donnons dans toute l'effusion de
Ndtre cœur, à vous et aux fidèles nommés p l u s h a u t , q u i
se sont unis à vous pour N M S offrir l'hommage de l e u r
piété filiale.
f Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 2 2 avril 1874.
De Notre pontificat l'année vingt-huili^nie.

PIE IX, Pape ( i ) . »

l/imporUace de cette lettre* si paternelle et en môme


temps si explicita, ne peut échapper à personne : c'est
(1) Voici le TESTE latin de ce bref:

PIUS PP. I X

Dilecte fili, salutem et apostolkam benedictionem

Àccepimus liùenti animo officia lit ter arum tuaruro, et oiunera quae
Domine teo et piorum fîdelium, qui te conscientiœ suœ moderatore
utuoter, Kobi* obtulisti. Quum autem videamns te de Nobis admodum
esse sollicitum, vehemeirter cptamus, ut ea fruaris animi jucunditate,
quatn neque iniquitas lemporum, neque bominum iavidia a probis et
prudentibus viris au ferre pôssunt.
Neque vero te movere debent maîevoî» quorumdam obtrectaticnes ;
quanâo qaidem, uti refera, hoc unura in scriptis tuis propositum ha-
buisti, ut e&s normaa in ratione studiorum defenderes, quas a Nobis pro-
bataa noriatl : nempe ut ita cum classicis veterum ethnicorum exem-
planbus, quavis labe purgatis, auctorum etiam chri&tianorum opéra
elegajîtiora studiosis juveoibti* legenda proponantur.
Quapropter judicamus par ea&e, utomnem animi angorem abjicfas;
faHe in tranquillitate conquiescas. Nam qui ita se gerunt, ut glorfam
DFRFAI nominis et animnrum salutem uuice quœrant, ingens profecto
meiitnm ajrod Deum, et solidam apud *i#os sapientes aibi comparant
fcloriam. H » c vero laudis orn&menta potiom auut iis, q u » levibcs vulgi
judidis et opinionibus innituntuV.
Cors igitur ut aJacri erectoque aoimo sis, et divin» benignitatis nus-
PIE IX ET LES ÉTUDES CLASSIQUES. a

un événement. Après vingt-deux ans d'oppositions


inouïes, d'injures, de calomnies et môme de persécutions,
Mgr Gaume voit la thèse capitale de la réforme chré-
tienne des études, telle qu'il T a posée et invariablement
soutenue, consacrée, une seconde fois, de la manière la
plus authentique.
« Elle l'avait été une première fois par l'Encyclique du
21 mars 1853« Sans se laisser émouvoir par le tapaçe qui
se faisait alors autour du Ver rongeur, Pie I X prescrivait:
Ut adolescentes... nonsolum germanam dicendi scribendique
elegantiam eloquentiam, tum ex sapientisstmis Sanctorum
y

Patrumoperibus, tum ex clarissimis ethnicis scriptoribus ab


omni labe purgatis, addiscere... valeant.
« Tous les vrais catholiques, et môme les hommes qui
ont souci de l'avenir, se réjouiront avec raison de ce
nouvel acte de notre grand etbien-aimé Pontife; car la
réforme radicalement chrétienne de renseignement des
classes sociales qui, par leur supériorité, font le peuple à
leur image, est le seul moyen humain de préserver l'Europe,
et surtout la France, de nouvelles catastrophes.
c Devant la parole du Saint-Père, toute fin de non-rece-
voir disparaît. Seuls parmi nous, les catholiques l&éraux
pourraient se permettre de la tenir pour non avenue et
continuer d'enseigner comme ont enseigné nos pères.
« Quant aux adversaires de bonne foi, et j'ai été du nom-
bre, ils reconnaîtront loyalement leur erreur. De leur
côté, les établissements ecclésiastiques d'éducation, col-

picem babeto Apostolicam benedictionem, quam tibi, et praedictîs


fittaUbus, qui tecura fllialis pietatis officia nobis exbibuerunt, peraman-
ier impertimus.
Datum Rom» apud sanctum Petrum, die 22 aprilis 1874.
Pontiflcatus nostri anao vice&imo octavo.
PIUS PAPA IX.
« PIE IX ET LES ÉTUDES CLASSIQUES.

léges catholiques, institutions, petits séminaires, se feront


un devoir de conscience de prendre désorm lis pour règle
invariable les prescriptions pontificales, en faisant entrer
sérieusement, et non plus en doses homœopathiques, ou
même en l'excluant complètement, l'élément littéraire
chrétien dajs les études grecques et latines; de plus, en
ne laissant entre les mains de la jeunesse aucun auteur
qui ne soit purgé de toute souillure, quavis labe purgatus.
a Roma locutaest, causa finita est. »

UN ANCIEN ENNEMI DU Ver rongeur (.).

Aux réflexions qu'on vient de lire, il importe d'ajouter


l'explication du titre et de l'épigraphe de cet ouvrage:
nous l'adressons aux pères de famille et aux instituteurs
de la jeunesse.
Aux pères de famille. — Plus que personne les parents
sont intéressés à savoir si l'enseignement qu'on donne
à leurs enfants est conforme aux règles tracées par le
Saint-Siège. Ils savent, ou du moins ils doivent savoir,
que de renseignement classique dépendent, cent fois sur

(1) Voir le Monde et VUnivers, 28 mai 1874.


PIE IX ET LES ÉTUDES CJ 'SSIQUES. 7
dix, la conduite future de leurs iils, l'honneur ou le déshon-
neur, le vice ou la vertu, la conservation ou la ruine de la
fortune, le salut ou la perte éternelle de ce qu'ils ont de
plus cher.
C'est pourquoi ils seraient inexcusables de s'en rap-
porter aveuglément aux prospectus de tel ou tel éta-
blissement, à la réputation et au caractère de tels ou tels
instituteurs. En plaçant leur fils dans une maison d'édu-
cation, telle quelle *oiY, le plus sacré de leurs devoirs est
de se renseigner sur les doctrines dont on nourrira sa
jeune âme ; d'exiger qu'on éloigne de lui tout auteur dont
le commerce pourrait lui fausser l'esprit, par de fausses
admirations pour de fausses vertus et de faux grands
hommes; ou lui corrompre le cœur par l'étude de
choses qui, suivant l'Apôtre, ne doivent pas môme être
nommées parmi les chrétiens : Nec nominetur in vobis ;
d'exiger, enfin, qu'on ne le laisse pas grandir dans l'igno-
rance de tout ce qu'il lui importe de connaître : le chris-
tianisme, avec ses bienfaits, son histoire, ses gloires mo-
rales, artistiques, intellectuelles et ses admirables lois.
Que ces renseignements, obtenus dans un sens favora-
ble, soient la condition sine qua non de rentrée de l'enfant.
n
Dans le cas contraire, que le père reprenne son e ^ant et
se relire, en disant la noble parole que nous avons en-
tendue : « Puisqu'il en est ainsi, mon fils ne sera pas
bachelier, mais il sera chrétien. »
Père vraiment digne de ce nom, ne craignez pas : si
vous le voulez, votre fils sera bachelier et chrétien. Pour
devenir bachelier, il n'est pas nécessaire d'être empoi-
sonné de paganisme. Jointe à la parole du Saint-Père,
l'expérience le prouve : nous vous le montrerons. En tout
cas, s'il y a dans le monde un bachelier de moins, il y
aura un homme de plus.
S PIE IX ET LES ÉTUDES CLASSIQUES.
Aux instituteurs de la jeunesse. — Prêtres, religieux
et laïqs.es, songez devant Dieu à toute la responsabilité
qui pèse sur vous. C'est entre vos mains, plus encore que
sur les genoux de la mère, que se forme l'avenir de l'enfant
I b d e la société. «L'adolescent, dit le Saint-Esprit, mar-
étlera dans sa voie, et il ne s'en écartera même pas dans
!a vieillesse : Adolescens juxta viam suam, etiam cum se-
nuerit.non recedet ah va. Kemarquez-le bien : le Saint-Es-
prit ne dit pas puer o\i paruulus, mais adolescens.
9
L enfaat vous est remis à l'âge de la formation. Suivant
qu'elle sera bonne ou mauvaise, chrétienne ou païenne,
réducal ion que vous lui donnerez développera ou étouf-
fera celle de la mère. En preuve de ce que je dis, rappe-
lés-vous ce terrible exemple. Tous les impies d j dernier
siècle, tpus les démocrates de 93, avaient eu, trois ex-
ceptés, d'Alembert, d'Holbach et lielvétius, des mères chré-
tiennes, Eux-mêmes furent chrétiens jusqu'à leur entrée
m collège. L'éducation qu'ils y reçurent en fit des Bru-
Uis, des régicides, ét frais païens. Il n'en pouvait, il n'en
pourra jamais e t » wrtiwaent, les mêmes circonstances
étant données. Dis-moi qui tu fréquentes, je te dirai qui
tu es. Aussi, quand une génération fait fausse route, on de-
mande aussitôt par gui elle a été élevée.
Désormais, comment pourriez-vous dormir tranquil-
les, si, vous croyant plus sages que le Pape, vous éliminiez
des études l'élément littéraire chrétien, ou si vous ne le
donniez que dans la proportion d'un verre de bon vin,
versé dans un tonneau de vinaigre? si, trahissant et votre
conscience et la confiance des parent» chrétiens, vous
laissiez entre les mains des enfants confiés à votre s )llici-
tude des auteurs non purgés de toutes ces souillures,
dont une seule peut ternir pour jamais l'innocence d'un
jeune cœur, et si vous leur faisiez étudier en latin ce
PIE IX ET LES ÉTUDES CLASSIQUES. *

que vous rougiriez de leur laisser lire en français ?


Expliquons maintenant l'épigraphe de notre ouvrage, et
la manière dont seront accueillies les prescriptions ponti-
ficales.
CHAPITRE II

CELUI QUI N ' E S T P A S A V ^ G MOI EST CONTRE M O I .

Avant tout, je dois faire remarquer qat je suis désor-


mais complètement désintéressé dans la question des
classiques. Depuis le Bref, elle est tout entière entre le
Souverain Pontife et les instituteurs de la jeunesse, évo-
ques, prêtres et laïques. J'ajoute seulement que la réforme
chrétienne des études est,aux yeux du Docteur infaillible,
la question capitale du moment. «Nous vous lélicilons
spécialement, écrivait naguère Pie I X à un de nos évoques,
de* ce que vos préoccupations se soient tournées vernie
point où gît le plu? grave péril de la société humaine, à
savoir l'éducation de la jeunesse. »
Cela noté, venons à notre sujet.
Il y a «aujourd'hui, dans le monde, deux religions bien
tranchées : la religion du respect et la religion du mépris.
Le disciple de la religion du respect ne raisonne pas
l'Obéissance, Quand le Pape a parlé, il dit : « J e crois tout
ce que croit le Pape ; j'observe tout ce qu'il prescrit;
j'approuve tout ce qu'il approuve ; je blâme tout ce qu'il
blâme; je condamne tout ce qu'il condamne. » Du respect
filial de cette première autorité naissent ' r o i choses : le
respect de toutes les autorités inférieures, ecclésiastiques,
sociales, domestiques; la lumière de l'intelligence et la
certitude de ne pas s'égarer ; Tordre universel avec la paix
intérieure et extérieure ; car la paix, suivant la belle dé-
PIE IX ET LES ETUDES CLASSIQUES. il

finition de saint Thomas, n'est que la tranquillité de Tor-


dre : Pax tranquillitas ordinis.
L'adepte de la religion du mépris raisonne l'obéissance,
la discute, ne l'accepte que sous bénéfice d'inventaire.
Quand le Papea parlé, il dit : « J e ne crois pas tout ce que
croit le Pape ; je n'observe pas tout ce qu'il prescrit ; }e
n'anprouve pas tout ce qu'il approuve; je ne blâme pas
#
tout ce qu'il blâme • je ne condamne pas tout ce qu il
condamne. » Du méf ris do celle première autorité naissent
trois choses : le mépris plus ou moins marqué de toutes
les autorités inférieures, ecclésiastiques, sociales, domes-
tiques; le trouble do la raison .jui se prend elle-même
pour guide, et le danger de tomber dans des erreurs con-
damnables : schisme, hérésie, incrédulité, Catholicisme
libéral; le désordre intérieur et extérieur. Car ce qui est
dit de Dieu, doit être dit de son Vicaire : Qui lui résiste,
et jouit de la paix? guis resisiitei, et paCem h&butt ?
Appliquant ces principes généraux au fait particu-
lier q-i va nous occuper, nous disons que la réforme des
études, dans le sens du Saint-Pèr<> acceptée ou refusée,
f

fera connaître les disciples de la religion du respect et les


adeptes de la religion du mépris; les catholiques tout court,
et les catholiques libéraux, vingt fois condamnés. Les pre-
miers disent : « Le Saint-Père a parlé, il suffit ; nous obéi»*
sons : Jloma locuta est, causa fniia esi. s
Les seconds tiendront un autre langage. Ponr se dis-
penser d'obéir, ils diront : « Sans doute, le Bref exprime la
volonté du Saint-Père, et trace les règles à suivre dans
l'enseignement de la jeunesse ; mais ce Bref, adressé à
une seule personne, n'est pas une autorité souveraine.
Nous pouvons donc «ans scrupule et sans péril continuer
d'enseigner comme ont enseigné nos pères et comme
nous enseignons nous-mêmes. » ^
12 PIE IX ET LES ÉTt'DES CLASSIQl'ES.
Il est vrai; dans le sens rigoureux du mot, le Bref ne
fait pas loi. Mais il y a une Encyclique, qui parle comme
le Bref, et dont l'autorité ne peut être méconnue par per-
sonne. Que faut-il de plus pour déterminer la conduite
des vrais enfants de l'Église?
D'ailleurs, à la voix du Saint-Père se joignent, pour
demander d'urgence la réforme chrétienne des études,
bien d'autres Voix, d'une* incontestable autorité.
Voix de la rabon : Pour la généralité des générations
formées le mal est fait. On ne redresse pas les vieux
chênes; on ne fait pas remonter les torrents vers leur
source. L'espoir de l'avenir, Tunique espoir, est dans les
jeunes générations, viçrges encore de Terreur e du vice,
A moins qu'elles ne soient élevées autrement que les gé-
nérations actuelles, c'est à-dire à moins qu'elles ne soient
formées pajr une éducation solidement chrétienne, com-
plètement chrétienne, dans les hommes et dans les livres,
chrétienne à tous les degrés: attendez-vous à voir ce
que nous voyons et pis encore. Babel en permanence,
des révolutions et des catastrophes sans cesse renais*
santés suivies d'un effondrement général des croyances
et des mœurs : Qui sème de Tivraie, récoltera de Ti-
vraie.
Voix de l'Europe entière : Quelle est cette grande
lépreuse, couverte de plaies et qui crie : « Voyez s'il est
une douleur comparable à la mienne ! » Qui es-tu ? J e suis
l'Europe, je suis la France de Charlemagne et de saint
Louis, la reine des nations. Blessée dans toutes les parties
de mon être, hérétique, schismatique, incrédule, révolu-
tionhée et révolutionnaire, de la tête aux pieds je ne
êttis qu'un ulcère purulent : je me fais peur à moi-môme.
Comment suis-je si différente de ce que j'étais autrefois ?
Prene* compassion de moi ; et si vous connaissez la
PIE IX ET LES ÉTUDES CLASSIQUES. 13
cause de mes malheurs, si vous possédez le remède à mes
maux, par pilié guérissez-moi.
La pauvre Europe n'a que trop raison : elle n'est plus
ce qu'elle fut autrefois. D'où est venu ce dép'orable chan-
gement? Quand on veut faire disparaître un arL.'e, on le
déracine. Pour faire disparaître la vieille Europe, l'Eu-
rope si puissamment catholique, qu'a-t-on fait ? on a
coupé la chaîne de ses traditions. Les traditions se con-
servent par l'enseignement. L'enseignement, c'est la parole
et l'exemple des pères, fidèlement transmis aux enftnts
et par eux religieusement gardés.
Tant que l'enseignement fut catholique, exclusivement
catholique, l'Europe demeura catholique. C'est ainsi que
le juif est resté juif ; l'Arabe, mahométan ; le Chinois,
chinois, et qu'ils resteront tels, tant que leur enseigne-
ment sera exclusivement juif, mahométan, chinois.
Ce qui est vrai d'un peuple quelconque est vrai de la fa-
mille. Qu'un fils abjure les traditions paternelles, il coupe
la chaîne qui l'rnit au passé, et la famille qu'il forme ne
sera plus la famille de laquelle il est sorti. Le nom res-
tera, mais la chose aura disparu.
Voilà ce qui est arrivé pour l'Europe. Au lieu de lui con-
server, par l'enseignement, ses antiques traditions catholi-
ques, soit en religion, soit en politique, en histoire, en
philosophie, dans les arts et dans les lettres, on l'en a
d é g o û t é U n nouvel enseignement religieux, politique,
historique, philosophique, artistique et littéraire lui a c t e
donné. De là lui sont venues de nouvelles manières de
juger des choses, des admirations nouvelle , des ten-
dances nouvelles, une civilisation nouvelle, et l'Europe a
cessé d'ôtre ce qu'elle était pour devenir ce qu'elle est,
une lépreuse qui fait peur et pitié.
Quand, comment et par qui ce malheureux enseigne-
14 PIE IX ET LES n i T D E S CLASSIQUES.

ment lui a-t-il été donné ? Nous l'avons dit trop souvent
pour le répéter ici. Il est venu non du voltairianisme, non
dû protestantisme, non du rationalisme; il est venu d'une
cause antérieure, mère de toutes ces erreurs, la Renais-
sance. « J'ai pondu l'œuf, disait Érasme, Luther Ta fait
felore: Egopeperiovum, Lutherus exclusit. » Il est venu de
Uk Renaissance, parce que la Renaissance, essentiellement
pédagogique, inspira de son esprit et forma à son image
les jeunes générations, devenues plus tard, et très-logi-
quement, anticatholiques, voltairiennes, protestantes,
rationalistes et païennes.
Le mal venu de l'enseignement ne peut être guéri que
par l'enseignement, et, entendons-le bien,par l'enseigne-
ment desclasses sociales qui, par leur supériorité, font le
peuple à leur image et conduisent le monde. Non, mille
fois non, ce n'est ni le laboureur, ni l'artisan, ni l'homme
en blouse, ni la femme qui forment l'esprit public et font
les révolutions en bien ou en mai : c'est l'apanage des
hommes qui portent des habits de drap, qui ont fait des
études classiques, et qui se mêlent de manier u n e plume.
« C'est la pensée des sages, disait Raynal, q u i prépare les
révolutions; et c'est le bras du peuple qui les exécute. »
A force d'évidence, c'est là une vérité qui éblonit. Par
quel incompréhensible mystère ne s'imposerait-eile pas
ans catholiques, aux prêtres, aux religieux chargés de
l'éducation de la jeunesse, puisqu'elle frappe les hommes
du monde les moins suspects, leur inspire les observa-
tions les plus justes et leur arrache les cris d'alarme les
mieux fondés ? Le chapitre suivant offrira, quelques-unes
de leurs paroles à la méditation des professeurs de grec
et de latin.
CHAPITRE lit

TÉMOIGNAGES NON SUSPECTS.

La France, n'est plus la France; l'Italie, n'est plus l ' I -


talie; l'Espagne, n'est plus l'Espagne ; l'Autriche, n'est
plus l'Autriche ; l'Allemagne, n'est plus l'Allemagne ;
l'Angleterre, n'est plus l'Angleterre ; l'Europe, n'est plus
l'Europe. Pourquoi ? Nous l'avons dit : parce que l'édu-
cation a cessé d'être catholique et nationale. Telle est la
rupture à jamais déplorable que signalait, aux premiers
jours de ce siècle, Charles de Viflers.
Il voit, en gémissant, la jeunesse de l'Europe nourrie,
depuis la Renaissance, des rêveries mythologiques, for-
mer son esprit et son goût sur des modèles complètement
étrangers à nos mœurs et à nos croyances. «Ainsi, s'écrie-
t-il, a été tranché le fil qui attachait notre culture poétique à
la culture poétique de nos pères. Nous devînmes infidèles à
leur esprit, pour nous livrer sars réserve à un esprit étran-
ger, que nous entendions mal, qui n'avait aucun rapport
avec notre vie réelle, avec notre religion, avec nos mœur*,
avec notre histoire. L'Olympe, avec ses idoles, remplaça le
ciel des chrétiens et les miracles.
« Notre nature propre et originaire combat toujours
sourdement cette vie artificielle, qu'on nous a forcés de
revêtir. Nous ne sommes plus d'un seul jet : l'unitéde notre
existence est troublée, et nous ressemblons au monstre
d'Horace. Qui voudrait y regarder de près trouverait peut-
être qu'à la longue, c'est de là qu'est né ce refroidissement
16 PIE IX ET LES E U D E S CLASSIQUES.

des âmes pour la religion, pour la simplicité et la sainteté


de l'Évangile, pour tout ce qui est vraiment grand, noble
et humain, dont le gigantesque, l'ampoulé et le maniéré
ont pris Ja place dans l'opinion (1). »
Le peut-être de Charles de Villers est une certitude pour
le père Grou, jésuite. Bjen que nous l'a}on* plusieurs fois
cité, le témoignage du révérend Pore est tellement im-
portant, qu'on nous pardonnera de le citer encore. «Notre
éducation, écrit l'ancien professeur de rhétorique, est
toute païenne. On ne fait guère lire aux enfants, dans les
collèges et dans l'enceinte des maisons, que des poètes,
des orateurs et des historiens profanes. J e ne sais quel
mélange confus se forme dans leurs tètes des vérités du
Christianisme et des absurdités de la Fable ; des miracles
de notre religion et des merveilles ridicules, racontées par
les poêles ; surtout de la morale de l'Évangile et de la
morale humaine et toute sensuelle des païens (2).
« J e ne doute pas que la lecture des anciens n'ait con-
tribué à former grand nombre d'incrédules, qui ont
paru depuis la renaissance des lettres. Ce goût pour le
paganisme, contracté dans l'éducation publique ou privée,

(1) Mages. Encydop., 1850, t. V .


(2) Dans le numéro du 30 arril 1852, le journal des Débats demandait
fièrement : a Entre la morale de Socrate et la m raie de l'Évangile,
Quelle est donc la différence essentielle et caractéristique? La morale de
Socrate est la morale humaine par excellence,la morale de ce monde et
de cette vie; la morale de l'Evangile est la morale surhumaine, la morale
de l'autre monde et de l'autre vie. L'une a pour but la vertu laï jue ;
l'autre, la perfection mystique ; Tune fait des hommes; l'autre fait des
saints. Or, est-il écrit que tous Jes hommes sont des vases d'élection?
Sommes-nous tous prédestinés à vivre en odeur de sainteté?... La consé-
quence à tirer de là, c'est que l'éducation commune a pour base néces-
saire, la morale commune et naturelle. Aux laïques, les devoirs et les
vertus laïques; aux mystiques, les devoirs et les veitus mystiques. »
Comment ce jargon blasphématoire a-t-il pu se trouver sur les lèvres
d't.r rhrélie i? Le per^ Grou vient de noe; le <«ir:.
PIE IX ET LES ÉTUDES CLASSIQUES. 17

se répand ensuite dans la société. Nous ne sommes point


idolâtre», il est vrai ; mais nous ne sommes chrétiens qu'à
l'extérieur, si môme la plupart des gens de lettres le sont
aujourd'hui; et dans le fond nous sommes de vrais païens,
et par l'esprit, et par le cœur, et par la conduite (1). »
A la rupture des traditions catholiques de l'Europe, la
Renaissance ajoute la rupture de ses traditions littéraires
et sociales. Envisageant l'enseignement classique, au
point de vue purement littéraire, le savant éditeur de
Bouterweck lui attribue avec raison «ces littératures mo-
dernes, hybrides ou décolorées, tantôt composées d'é-
léments hétérogènes et péchant par la base môme de leur
institution ; tantôt formées sur un type étranger à nos
idées, à notre manière d'ôtre ; n'offrant, en un mot,
qu'une littérature grecque en caractères occidentaux, mau-
vais calque de la littérature des anciens, littérature d'em-
prunt, sans saveur et sans force, comme les fruits exoti-
ques qu'on élève dans nos serres (2). »
A peine sorti des ruines sanglantes, accumulées sur le
sol de l'Europe, grâce au terrible essai de restauration
païenne, qui s'appelle la Révolution française, le dix-neu-
vième siècle, par la bouche de Bernardin de Saint-Pierre,
signale hautement la cause de la catastrophe. « Cest le
collège, dit-il, qui a produit la Révolution, avec tous les
maux dont elle est la source. Notre éducation publique
altère le caractère national. Elle déprave les jeunes gens.
Elle remplit leur esprit de contradictions, en insinuant,
suivant les auteurs qu'on explique, des maximes républi-
caines, ambitieuses et désastreuses.
« On rend les jeunes gens, chrétiens par le catéchisme,
païens par les vers de Virgile ; grecs ou romains par Té-
(1) Morale Urée de S. A>tg., t. I, ch. vm.
(2) Essai sur la lit t. espayu. Iiurod., p. XL et suiv.
18 PIE IX ET LFS ETUDES CLASSIQUES.

tude de Cicéron ou de Démoslhène : jamais français. L'effet


de cette éducation si vaine, si contradictoire, si atroce,
est de les rendre pour toute leur vie bavard*, cruels
trompeurs, hypocrites, sans principes, intoléiants. Ils
n'ont emporté du collège que le désir de remplir la pre-
mière place dans la société. Ainsi tous les maux sortent du
collège (1). »
L'auteur a raison. Le collège fait l'éducation ; l'éduca-
tion fait l'homme; l'homme fait la société, et aujourd'hui
la société, c'est la révolution. «Les deux foyers révolu-
tionnaires, écrit, dans ses Mémoires, le malheureux Orsini,
sont les collèges et les sociétés secrètes. »
Pour paralyser le mauvais esprit qui se forme au con-
tact des auteurs païens, la présence d'un aumônier, les
catéchismes, les instructions et les pratiques religieuses
ne suffisent pas. Tous ces moyens extérieurs ne sont,
pour rappeler le mot du père Possevin, qu'un verre de
. bon vin jeté dans un tonneau de vinaigre. « Ne nous y trom-
pons point, dit M . de Kératry, ce n'est pas la présence
dans les écoles, à jour fixe, d'un ecclésiastique, quelque
respectable qu'on le suppose, qui inculquera aux enfants
un esprit religieux de quelque durée. Celui-ci ne s'ac-
quiert que par la continuité d'un enseignement, où la loi
divine se trouve infuse. Les études, fussent-elles purement
littéraires, doivent s'en ressentir. »
Le protestant Kératry parle comme le jésuite Possevin.
Écoutons encore un autre protestant. Le système d'é-
tudes qui, n'étant ni national ni chrétien, fausse non-seu-
lement le goût, mais encore l'esprit et le cœur de toute
la jeunesse de l'Europe, fait dire à M. de iiisparin : « Ce
sera un des étonnements de l'avenir, d'appiendre qu'une

(1) Œuvres posthumes, p. 447, éd. 1840.


PIE IX ET LES É T t D E S CLASSIQUES. 19

société qui se disait chrétienne, a voué les sept ou huit


plus belles années de la jeunesse de ses enfants à l'étude
exclusive des païens (1). »
« Que voulez-vous, en effet, ajoute M. de Lamartine,
que devienne l'homme moral et intellectuel dans u n état
d'enseignement où l'enfant, comme ces fils de barbares
qu'on trempait tour à tour, en naissant, dans l'eau bouil-
lante et dans l'eau glacée, pour rendre leur peau insen-
sible aux impressions des climais, est jeté tour à tour et
tout à la fois dans le christianisme et dans le paganisme?
Il sort de la maison d'un père, peut-être croyant, peut-
être sceptique ; il a vu sa mère affirmer et son père nier;
il entre dans un collège divisé en deuxenseignements...
« Il lui faudrait deux âmes, et il n'en a qu'une. O n la
tiraille et o n la déchire e n sens contraires. Les deux ensei-
gnements se la disputent ; le trouble et le désordre se
mettent dans ses idées. 11 s'étonne de cette contradiction
et se prend à douter qu'on lui joue une grande comédie :
que la société ne croit pas un mot de ce qu'elle enseigne;
que le paganisme est la religion des grands hommes et des
grands peu pies elle christianisme la religion des médiocrités,
y

des femmes et des enfants.


« Il ne lui reste d'une pareille éducation que juste assez
des deux principes, opposés dans l'âme, pour que cette
âme soit une guerre intestine de pensées contraires, sans
qu'il puisse vivre en paix avec lui-même, dans une vie qui
a commencé par l'inconséquence, et qui se prolonge dans
la contradiction (2). »
Pour mettre fin à cette guerre intestine, principe de
toutes les guerres intellectuelles et morales, qui désolent

(1) Avenir du protestantisme.


("2) Disc, à la ChamOre des député*, I b i i .
20 PIE IX ET LES ÉTUDES CLASSIQUES-

l'Europe uauelle et la France en particulier, le savant


Falster ne voit qu'un moyen : c'est de bannir de renseigne*
ment les auteurs païens. « Beaucoup de personnes sageo,
dit-il, pensent qu'il faut extirper de l'enseignement la litté-
rature païenne, comme une plante vénéneuse, et qu'on
doit ôter des mains des enfants tous les écrits des païens,
pour leur faire étudier exclusivement les auteurs chré-
tiens : Stripta omnium gentilium de manibus juniorum excu-
tienda, christianis scriptoribus operam unice dandam (1). »
Ce bannissement serait, d'une part, conforme aux règles
tracées par les Constitutions apostoliques; et, d'autre part,
il n'est pas contraire au Bref que nous avons reçu.
On nous écrit de Rome : « L'Église n'a pas imposé l'usage
des classiques païens, elle l'a toléré :La Chiesa non ha imposto
tuso de* classicipagam\ lo ha tollerato. Elle ne regardera
donc pas comme une injure, si on éloigne d'elle ce qui
était en elle, mais qui ne venait pas d'elle : Se si élimina da
esta ciô che era in essa, e non proveniva da essa. L'usage des
classiques païens fut imposé par les exigences du siècle,
et à grand regret adopté par les pasteurs spirituels. Que
ne fit pas saint Charles pour exclure du programme d'é-
tudes de son séminaire les auteurs païens ? Par une pru-
dente condescendance, il dut cependant tolérer qu'on les
y introduisît» »
Terminons par le jugement d'un homme qui n'est ni
prêtre ni même chrétien, à en juger par ses écrits. « Il
est temps, dit-il, plus que temps de changer de fond en
comble une éducation qui riapprend rien, qui ne sert à
rien qui n'arme contre rien. »
f

EH* n'apprend rien de ce qu'il importe de savoir pour


(I) Ce n'est pas saint Jérôme qui aurait réclamé centre ce bauui&se-
men?,luiqui dit: «Sœcularis pliilosopliia, cannina poetarum, rhKûrico-
rum pompa'verborum, ci bus est daemoniorum. » Epist. deduob. filiis.
PIE IX ET LES ÉTUDES CLASSIQUES, 24

être homme de sa religion, de son pays et de son temps.


Elle apprend à connaître les oies du Capitule et les pou-
lets de Claudius; mais elle laisse ignorer le nom des
douze apôtres.
Elle ne sert à rien ; pas une des idées qu'elle transmet
qui soit applicable à la vie privée, h la vie de famille, à la
vie sociale, telles que le christianisme les a faites.
Elle n'urme contre rien : <t Quel est, demandait 3 é -
nèque, il y a bientôt deux mille ans, le vers de Virgile ou
d'Homère qui a fait triompher d'une tentation? »
CHAPITRE IV
LE BREF ET LES CATHOLIQUrS LIBÉRAUX.

Connaissant la manière dont les catholiques libéraux


reçoivent les Brefs du Saint-Père, il nous était facile de
prévoir l'accueil qu'ils feraient à. celui dont nous avons
été honoré. À peine connu, une Revue française a pris h
tâche, pour dispenser de l'obéissance, d'en atténuer l'im-
portance et Pà-propos. Suivant les rédacteurs de cette
revue, la.lettre pontificale a simplement pour but de con-
sacrer et non de modifier l'enseignement classique, tel
qu'il se donne aujourd'hui, dans les maisons chrétiennes.
« Le Saint-Père, disent-ils, rappelle la solution qui a
rallié tous les catholiques, depuis qu'il Ta lui-même pro-
posée dans l'Encyclique Inter multipliées, adressée à tous
les évoques de France, en 1853. *
Celte affirmation suppose que tous les catholiques en-
seignants ont réellement pris pour règle de conduite les
prescriptions pontificales. En est-il ainsi ? Nous nous en
rapportons à la réponse que la conscience des rédacteurs
eux-mêmes fera aux questions suivantes.
1° Est-il yrai que le Saint-Père demande aujourd'hui,
comme en 1853. l'introduction sérieuse des auteurs chré-
tiens dans l'enseignement classique ?
2° Est-il vrai qu'il demande aujourd'hui, comme en
1853, l'expurgation ab omm labe des auteurs païens ?
3* Est-il vrai que, sur ces deux points, les maisons chré-
iennes d'éducation : institutions, collèges catholiques,
PÏE IX ET LES ÉTUDES CLASSIQUES. 23

petits séminaires, se sont religieusement conformées aux


intentions du souverain Pontife ?
4° N'est-il pas vrai, au contraire, que dans la plupart
des programmes, on ne trouve pas un seul Père latin ; et
que les Pères grecs y figurent seulement pour un ou deux
discours ?
5° N'est-il pas vrai que, tout le reste étant païen, cette
petite dose de christianisme est loin de remplir les vues
du Vicaire de Jésus-Christ? N'est-ce pas toujours le verre
de bon vin, jeté dans un tonneau de vinaigre ?
6* N'est-il pas vrai que les classiques païens sont loin
d'être, comme l'exige le Saint-Père, purifiés de toute souil-
lure, a quavis labe purgati ?
7° N'est-il pas vrai, pour citer un seul exemple, qu'un
des plus dangereux, au jugement d'Ovide lui-même, bon
juge en matière d'immoralité, le chaste Virgile est tout
entier entre les mains des élèves ?
C'est le programme d'un célèbre collège catholique,
programme que j ' a i sous les yeux, qui m'autorise à faire
ces questions, auxquelles il serait aisé d'en ajouter beau-
coup d'autres.
Si la connaissance de ce qui se fait dans les autres éta-
blissements du même genre, permet d'affirmer que la ré-
forme exigée par le Souverain Pontife est reçue, non pas
seulement en principe, mais en pratique, on a raison d'af-
firmer que la solution donnée par Pie I X , en 1833, a rallié
tous les catholiques. Dès lors, le Bref, rappelant simple-
ment ce qui est, non pas ce qui doit être, peut paraître à
certaines personnes d'une importance si minime, qu'on
peut ne pas en tenir compte.
Mais s'il en est tout autrement; si, comme le Saint-
Père ne saurait l'ignorer, car c'est u n fait aotoire, l'im-
portante Encyclique de 1853, est restée lettre morte dans
21 PIE IX ET L E S ÉTUDES «ILASSIQl E S .
presque tous les établissements d'éducation : est-il per-
mis de dire qu'elle a rallié tous les catholiques ?
Noo, le bref n'a pas aussi peu d'importance qu'on vou-
drait le faire croire. Comme il confirme, en les rappelant,
les prescriptions de l'Encyclique, c'est, à n'en pas douter,
un avertissement paternel, donné à ceux qui jusqu'à ce jour
ont négligé de les observer. En môme temps qu'il consa-
cre de nouveau la thèse des classiques, telle que nous l'a-
vons posée et invariablement soutenue depuis 1851, il met
à néant toutes les objections, toutes les critiques mal-
veillantes, toutes les moqueries de mauvais goût, dont
nous avons été l'objet, nous et nos amis, pendant tant
d'années.
Désormais il demeure bien établi que la retentissante
levée de boucliers contre le V E R RONGEUR a été inspirée, non
par le zèle delagloiredeDieu et l'intérêt de la société, mais
par l'ignorance des uns, parles préjugés des autres ,et sur-
tout par l'intérêt de métier et l'esprit de corps (1). A au-
cun prix, on ne voulait entendre dire que tout ce que nos
pères ont fait, n'était pas bieu fait; et, malgré l'expé-
rience, malgré les protestations les plus énergiques et les
alarmes les mieux fondées, on soutenait avec passion
qu'il n'y avait pas un iota à changer dans la manière d'é-
lever la jeunesse.
Pour s'autoriser dans la fatale quiétude du statu quo, on
s'est bien gardé de lire nos écrits : il était beaucoup plus
commode d'en parler sur ouï-dire. On a regardé comme
non avenue l'Encyclique de 1853, et on nous a fait dire ce
que nous n'avons jamais ni pensé, ni dit. Croirait-on qu'a-
près une polémique de vingt-deux ans, le rédacteur de la
Bévue qui nous occupe, donne encore à entendre que les
(1) 1) faut ajouter : par une ténébreuse intrigue ghllicaue contre Je
retour à la liturgie romaine.
PIE IX ET LEl3 ÉTUDES CLASSIQUES. 25

soutiens de la réforme demandaient l'exclusion absolue


des auteurs païens ? « Jamais, dit-il, Pie IX non plus que
Tépiscopat français, n'a songé à déposséder les chefs-
d'œuvre païens du rang que l'expérience des siècles et
l'Église elle-même leur ont attribué. »
Coflune l'auteur de l'article, ainsi que nous le supposons,
n'avance rien sans preuve, il connaît sans doute le défen-
seur de la réforme qui a demandé une pareille exclusion.
Livrer son nom à la publicité, serait rendre un service aux
adversaires, en justifiant quelques-unes de leurs attaques.
En attendant, nous allons voir, dans le chapitre suivant,
que les hommes les plus éminents parmi les catholiques
4
tout court, jugent le bref d'une tout au re manière que
res catholiques à épùhète.
CHAPITRE V
LETTRE IMFQRTANTE D'UN É V Ê Q U E .

De nombreuses et chaudes félicitalions nous ont été


adressées au sujet du Bref pontifical. Louange à Dieu et
reconnaissance à nos amisl Prêtres et pères de famille, tous
proclament l'importance de la lettre du Saint-Père et la
nécessité de la prendre pour règle de conduite. Gomme
nous n'avons cessé de le répéter, depuis quarante ans, ils
comprennent que s'il reste un moyen humain d'arrêter
l'Europe sur le penchant de l'abîme, ou du moins de pré-
server quelques ?mes de la contagion anti-catholique,
dont les ravages s'étendent à vue d'œil, c'est la réforme
immédiate et radicalement chrétienne de l'éducation.
Parmi ces précieuses félicitations, il en est que nous ne
pouvons passer sous silence. Nous les publions comme un
puissant encouragement pour tous les défenseurs de la
cause capitale, au triom^ae de laquelle nous avons consa-
cré notre vie. Elles sont contenues dans la lettre suivante
d'un grand évêque, qui fut une des gloires du concile du
Vatican. Voici en quels termes le savant prélat fait res-
sortir Timportance ell'à-proposdu Bref apostolique.
J.M. J.
Aquila 24 mai 1874.

Mon très-cher et très-vénéré Seigneur,


« Superabundo gaudio,}e surabonde de joie et de recon-
FIE IX ET L E S ÉTUDES CLASSIQUES. 27

naissance, pour l'exemplaire que vous m'avez envoyé du


magnifique Bref, dont notre Saint-Fère le Pape vous a ho-
noré, en date du 22 avril de cette année. A mon humble
avis, il est la consécration authentique de la thèse que,
depuis vingt-deux ans, vous avez si sensément et si vail-
lamment défendue dons vos nombreux et excellents ouvra-
ges: tantôt directement, comme dans le Ver rongeur, les
r
Lettres à M* Dupanloup et la Révolution; tantôt, par inci-
dent, comme dans tous vos autres précieux opuscules, y
compris le Cimetière, etc.
p
« Vous, en effet, et en suivant votre impulsion M ' rt'À-
ranzo, moi, et bien d'autres évoques en Italie, dans les
nation* étrangères et môme en France, nous n'avon? ja-
mais prétendu autre chose que de nous conformer aux
intentions du Souverain Pontife, en mettant en pratique
les Prescriptions de sa vénérable Encyclique du 21 mars
1853 : savoir, à l'étude des classiques païens purgés de
toute souillure, ab omni labe purgati, unir largement et
sur une grande échelle l'élément littéraire chrétien, par
i'introduction dans les classes des chefs-d'œuvre de la lit-
térature chrétienne latine et grecque : Tum ex sapientis-
simis sanctorum Patrum operibus, tum ex clanssimis ethnicis
scriptoribus ab omni labe purgatis (1).
« C'est d'après ces règles que l'illustre et savant évo-
que de Calvi et Téano, moi-môme dans ma faiblesse et
les autres évoques indiqués plus haut, avons réglé et dirigé
les études de nos séminaires. Nous en avons obtenu les
plus excellents résultats, non-seulement pour l'instruc-
tion de l'esprit, mais enc >re pour l'éducation du cœur de
nos jeunes gens.
(t) L'ordre de cette phrase n'est pas l'effet «*u hasard. Quelques jours
après la publication de l'Encyclique, le Saint-Père disait à Mgr de Saliiiis :
J'ai placé en première ligne les auteurs chrétiens, afin qu'ils soient les
premiers entre les mains de la jeunesse.
28 VIE IX ET LES ÉTUDES CLASSlQl ES.
« Il est vrai que vous et nous, avons été regardés d'un
œil de compassion, et je pourrais dire de mépris, par q uel-
ques-uns, qui sont arrivés jusqu'à dire et à écrire que
Vintroduction des classiques chrétien? dans les écoles serait le
signal de la décadence de la belle littérature et du retour
à la barbarie; que la question des classiques chrétiens était ju-
9
gée, eC qu*il n*y avait plus à s en occuper.
«Il est vrai encore que le plus grand nombre, sans avoir
jamais lu sans prévention, et pour former leur jugement,
vos différents ouvrages (1), par conséquent sans avoir ja-
mais voulu approfondir votre thèse, vous ont fait dire ce
que vous n'avez jamais dit : savoir, que vous bannissiez en-
tièrement les auteurs païens de l'instruction de la jeunesse;
et cela, après que vous aviez publié deux forts volumes,
contenant les morceaux choisis des classiques païens, pro-
sateurs et poètes, complètement expurgés, ab omni labe
purgatif comme couronnement du plan d'instruction par
vous indiqué.
« Malgré tout cela, ni vous, ni nous, ne nous sommes
;
la ssés ébranler par de semblables clameurs. Regardant
comme chose très-sérieuse, et plus sérieuse qu'on ne
pense, l'instruction à donner aux enfants chrétiens, à des
âmes baptisées et rachetées du sang de Jésus-Christ, nous
ne nous sommes point arrêtés dans notre route, et nous
nous en sommes trouvés, comme nous nous en trouvons
encore, toujours parfaitement satisfaits.

(I) Rien n'est plus vrai. De tous les livres parus depuis vingt ans, le
Ver rongeur est certainement celui qui a fait ie plus de. bruit dans le
inonde. Toute la presse, bonne ou mauvaise, européenne et américaine,
s'en est longtemps occupée. Cependant la première édition du Ver ron-
geur, publiée il y a vingt-trois ans, et tirée seulement à 2,000 exem-
plaires n'est pas encore épuisée. Preuve péremptoire que sur 10 > per-
sonnes qui en ont parlé, il y en a 98 qui ne le connaissent que par
ouï-dire : manière honorable de juger un ouvrage !
FIE IX ET Ï E S ETÎ S CLASSAMES. M
« Maintenant, après le témoignage » thentique qui vous
est rendu par le Pasteur suprême du bercail de Jésus-
Christ, vous pouvez être bien tranquille,m tranqu\llitatecon-
quiescas. Vous pouvez, de plus, tenir pour certain, ,omme
vous en assure le Saint-Père, qu'en soutenant votre grande
thèse (je me permets d'ajouter, et nous en rappliquant),
T
vous avez toujours suiw les ^gles établies par sa suprême
autorité, et acquis, à n'en p*s douter, un grand mérite de-
vant Dieu et une solide gloire aux yeux des sages:/n^'**
merùum apud Deum, et solidam apud viras sapientes gloriam.
« Oui, un grand mérite devant Dieu, puisque vous avez
consacré votre docte plume à prêcher la croisade contre
le paganisme ressuscité, pour la destruction duquel le Verbe
éternel se fit homme et descendit sur la terre, comme dit
saint Jean : In hoc apparuit Ftlius Dei, ut dissolvat 0}>era dia -
boli; une solide gloire aux yeux des sages, vraiment sages,
qui regardent les choses sous leur véritable point de vue,
et que ne rend pas insensés la sagesse de ce monde appelée
par le Docteur des nations une folie devant Dieu, Stultitiam
apud Deum.
« Réjouissez-vous donc dans le Seigneur, je vous le d i -
de nouveau ; et que ce témoignage si authentique qui
vous a été rendu par le Maître et le Docteur infaillible de
l'Église, vous dédommage abondamment de tous les
mépris, de toutes les injures, de toutes les calomnies qui,
pendant vingt-deux ans, se sont accumulés sur votre tête,
et par ricochet, sur la nôtre.
« J e pourrais vous en dire davantage. Ainsi, je pour-
rais vous dire que par ce Bref solennel du Vicaire de
Jésus-Christ, sont mises à néant toutes les objections
contre le plan d'instruction que vous avez toujours dé-
fendu, et réfutées, à nos propres yeux, par les succès en
tout genre des jeunes gens élevés d'après cette méthode.
30 PIE IX ET L E S ÉTUDES CLASSIQUES.
J e pourrais ajouter, que suivant mon humble avis, ce Bref
est une douce et paternelle mise en demeure pour les 7naisons
chrétiennes d'éducation, qui jusqu'ici ne se sont pas conformées
ûux prescriptions souveraines du Chef de ï Eglise, et même les
ml regardées comme non avenues. Mais si je touchais ce
point, ma lettre deviendrait un traité, dont je n'ai ni le
temps ni la volonté de m'occuper, et dont vous n'avez pas
besoin.
a Seulement pour ma consolation et la vôtre, je me
er
permettrai de répéter ce que le 1 septembre 1864, j'eus
le courage de proclamer hautement devant l'auditoire le
plus choisi, dans la grande salle de l'archigymnase ro-
main, et que la triste expérience des dix dernières années
a rendu plus évident que le jour.
t Plût à Dieu, disais-je, que sans retard, partout et à la
lettre eussent été mises en pratique les invitations et les
prescriptions du Maître et Docteur universel, en intro-
duisant dans renseignement de la jeunesse, l'élément lit-
téraire chrétien avec toute l'ampleur qui convient ! Qui
sait?C.ombien déjeunes gens, qui maintenant, comme au-
trefois, donnent dans toutes les audacieuses et criminelles
folies de la Révolution, eussent été les soutiens de notre
pauvre Italie, j'en dis autant du reste de l'Europe, pendant
les douze années consumées à sa ruine !
«Qu'on ne l'oublie pas, les principes chrétiens gravés
dans leur âme tendre, pendant le temps de leur éducation,
auraient produit d'excellents fruits de modération et de
sagesse; et ils eussent été mis en garde contre les sé-
ductions des sectaires, qui les prennent dans leurs fiM.
avec l'appât trompeur des idées païenn j liberté et de
patrie, puisées de bonne heure dans leurs classes et re-
çues sans défiance.
« En vous renouvelant les sentiments de m a plus sin-
FIE IX ET LES ÉTUDES CLASSIQUES. 31

cère estime et de ma cordiale amitié, je me dis de nou-


veau, tout vôtre en N.-S. J . - C .
F, Louis, évoque d'Aquila. »

Cette lettre nous dispense d'en citer d'autres (1).

(1) Voici en quels termes un autre évoque, non moins illustre, nous
parle du Bref pontifical. Nous le laissons s'exprimer dans sa propre
langue : « Horicevuto ronoriflcentissîmo Brève di S. Santità indirixzato
ajV. S . Renda. Esso ô veramente preziozo in quanto alla questione dei-
rinsegnamento cUssico. Il Tum e tum lia ricevuto una spiegazione au-
tentica da non potersi desiderare piùchiara. Resta ora fermo che l'in-
tenzione deU* Augusto Pontefice è questa : che gli autori cristiani sieno
studiati, una cum i pagani ab omni tamen labe puryatis... Ricevete in-
tanto le tnie congratuiazioni per tanto incorraggiamento e cosi alto. »
7 Giugno, 1S74. — B. dWvanzo. vesc. di Teano.
CHAPITRE VI
PREMIER PRÉTEXTE : L E S EXIGl N C E S DU BACCALAURÉAT.

D'après les prescriptions de l'Encyclique et du Bref,


les chefe d'établissement ont, pour se mettre en règle
avec le Saint-Siège, plusieurs choses à faire, à faire loya-
lement et sans délai: 1° Introduire largement l'élément
littéraire chrétien dans les études ; 2 ° expurger complè-
tement les auteurs païens. Ces deux choses sont explici-
tement commandées. Il en est deux autres qui le sont im-
plicitement, parce qu'elles entrent dans l'esprit de la loi :
enseigner chrétiennement les auteurs païens et supprimer
daas les collèges les représentations théâtrales.
A l'accomplissement de ces devoirs, plus impérieux
aujourd'hui que jamais, s'opposeront peut-être dans l'es-
prit de quelques-uns, d'ailleurs disposJs à la soumission
la plus filiale, dilférents prétextes, dont il importe de
faire justice. Le premier: Les exigences du baccalauréat;
le second, V inutilité et les inconvénients delà réforme ; le
troisième, le manque de classiques chrétiens ; le quatrième,
Vintérêtde la belle latinité. Nous ne parlons ni de la rou-
tine, ni du parti pris, ni de l'esprit de corps. Ces prétextes,
n'étant ni avoués ni avouables,,échappent à la réfutation.
La conscience seule doit en faire justice.
Les exigences du baccalauréat. — Dans l'éloquent dis-
cours qu'il a prononcé cette année, à la réunion des Co-
mitéê catholiques, l'honorable député, M. Chesnelong, di-
sait : « L'éducation chrétienne est l'instrument néces
saire de la régénération de notre pays. »
IME IX ET LES É Ï T D E S O U S b I Q l ES. X)

Rien n'est plus vrai, non-seulement pour la France,


mais pour l'Europe entière. La question de l'éducation
n'est pas une simple question de science et de littérature :
c'est une question de souveraineté morale. A qui appar-
tient l'éducation, appartiendra l'avenir. De là, ce mot de
,0 ;
Leibnitz: « Celui qui réformera rédu« .l on, réformera le
monde. » La raison est facile à cou'i endre : l'homme
étant un être enseigné, l'éducation lait l'homme, el
l'homme fait la société.
Que 1 homme soit un être enseigné, nous en sommes
tous la preuve. En venant au monde, dit saint Thomas,
Pâme humaine est comme une table rase, tanquam tabula
rasa, prôœ à recevoir, sans opposition, tous les caractères
qu'on veut y imprimer. Pourquoi sommes-nous catholi-
ques? Parce qu'on a écrit dans nos jeunes âmes le Catho-
licisme. Pourquoi d'autres sont-ils Luthériens, Calvinistes,
0
'Juifs, Mahomélans, Idolâtres Parce qu'on a gravé dans
leurs âmes ces différentes erreurs.
Si donc on veut que la France et l'Europe redevien-
nent chrétiennes, il leur faut avant tout une éducation
chrétienne, complètement chrétienne dans les hommes
et dans les livres, chrétienne à tous les degrés de l'échelle
sociale, chrétienne surtout pour les classes élevées qui,
par leur supériorité, font le peuple à leur image.
C'est dans ce but que les comités catholiques demandent
avec instance la liberté d'enseignement. Pour eux, cette
liberté capitale consiste dans la fondation d'universités
catholiques, jouissant du privilège de conférer des
grades reconnus par le gouvernement, et la suppression du
baccalauréat. Rien de mieux; mais ne l'oublions pas : il
y a quarante ans qu'on lutte avec énergie pour obtenir ces
concessions et toujours en vain.
Aujourd'hui môme elles sont tellement opposeesà Tes-
3V PÏC IX ET L E S ÉTUDES CL\SSIQUES.

prit qui domine la France officielle <M môme l'Europe,


que les efforts des Catholiques n'aboutiront, si môme ils
aboutissent, qu'après beaucoup de longueurs et avec de
grandes difficultés. Ce n'est pas une raison de se décou-
rager : au contraire, c'est une raison de s'armer d'une in-
domptable persévérance. En attendant le succès désiré,
une chose est immédiatement possible ; et cette chose est
bien plus nécessaire que la pleine liberté d'enseigner,
c'est de rendre l'éducation, çtu dépend du clergé, complè-
tement chrétienne.
L'éducation qui dépend du clergé, est celle qui s^
donne dans les nombreux établissements, soustraits, du
moins en grande partie, au despotisme universitaire, et
tenus par des prêtres séculiers ou par des congrégations
religieuses : institutions, collèges catholiques; petits sé-
minaires. L'éducation sera complètement chrétienne,
lorsqu'elle sera conforme aux prescriptions du souverain
Pontife. Inutile de les rappeler ici. Espérons qu'enfin
l'Encyclique de 1853, confirmée par le Bref de 1874, ne
sera plus lettre morte.
Depuis quarante ans surtout, l'expérience démontre
avec la clarté du jour l'indispensable nécessité de pratiquer
loyalement la réforme demandée. S i , au lieu de faire la
sourde oreille, on l'aVait prise au sérieux, nous aurions
aujourd'hui deux générations qui nous serviraient de
point d'appui, tandis que nous ne sommes entourés que
d'ennemis ou de lépreux, au milieu d'une société qui
tombe en lambeaux.
Nous le disons à regret : on n'a tenu presque aucun
compte de la volonté du Saint-Père. Dans les huit dixiè-
mes des maisons d'éducation, môme dirigées par des
prêtres séculiers et réguliers, les programmes ne présen-
tent pas un seul auteur latin chrétien ; et les Pères grecs y
PIE IX ET LES ÉTUDES C L A S S A T E S . 3:i

figurent à peine, pour un ou deux discours de saint Chry-


sostôme et de saint Basile, admis plus tôt pour la forme
que pour le fond et destinés à une ou deux classes.
Quant à l'expurgation consciencieusement obligatoire de<
auteurs païens, môme oubli des ordres du Saint-Père. A
peu de chose près, ces auteurs sont ce qu'ils étaient avant
l'Encyclique. Un des plus dangereux, au jugement d'Ovide
lui-môme, bon juge en matière d'immoralité, Virgile n'a
subi aucun retranchement, et il se trouve tout entier entre
les mains des élevés. Il en est ainsi d'Homère, que Platon
excluait sévèrement de toutes les écoles de sa république.
Sans suppressions, les différents livres de l'Iliade sont
entre les mains de jeunes chrétiens, auxquels des maîtres
pieux expliquent sans rougir le double enlèvement d'Hé-
lène et de Briséis, base de tout le poôme.
Une pareille conduite est-elle catholique tout court?
N'est-elle pas au premier chef catholique-libérale ? Dieu
peut-il la bénir ?
Ajoutons que la réforme demandée par le souverain
Pontife et par tous les hommes désintéressés, qui ont
quelque souci de l'avenir, est immédiatement applicable.
Qu'on ne réponde pas que le baccalauréat s'y oppose :
cette fin de non-recevoir est encore du catholicisme li-
béral le plus pur. D'une part, c'est pour la France en par-
ticulier qu'a été donnée l'Encyclique de 1853, et c'est à
un Français qu'est adressé le Bref de 1874. Ce n'est pas
sans doute pour rester lettre morte, que ces pièces impor-
tantes sont émanées du Saint-Siège ; mais bien afin de
devenir une réalité salutaire à notre pays, dont apparem-
ment le souverain Pontife connaît aussi bien que personne
les pressants besoins, le remède à ces maux et la difficulté
des temps. D'autre part, prétendre qu'en introduisant lar-
gement les auteurs chrétiens dans les études et en expur-
.{G PIE IX ET LES KT1 M > CLVSSIQI ! > .
géant complètement les a u t o u r s puions, on ne peut pas
faire des bacheliers : un pareil r a i s o n n e m e n t n'est pas
seulement faux, il est impie.
Il est faux; il ne repose que sur un préjugé, fruit di la
routine, et nullement sur l'expérience. S'il est une seule
maison qui ait mis sérieusement en pratique les p r e s c r i p -
tions pontificales, et qui ait vu ses élèves échouer au b a c -
calauréat, dans des proportions plus fortes que c e u x des
autres établissements: qu'on la nomme (1). Nous soute-
nons, au contraire, et nous le soutenons hardiment, qu'a-
vec des auteurs chrétiens et des classiques païens purgés
de toute souillure, on fera non-seulement des bacheliers
tant qu'on voudra ; mais surtout, ce qui ne se fera jamais
avec le système actuel, des hommes vraiment grands, et
des générations chrétiennes dignes de c e BCHtn.
À l'appui de cette vérité, qu'on me permette de signa-
ler un fait, remarqué par les esprits habituel à réfléchir :
Nous N'AVONS PLUS D'BOMMES.
«Il nous faut des hommes, dit-on, et n o u s n'avons que
des bacheliers... » Vraie dans un sens, cette phrase à effet
n'est pas correcte: elle sent le naturalisme. Grâce à l'in-
vention révolutionnaire du baccalauréat, notre éduca-
tion classique n'est plus le développement de l'intelli-
gence, elle en est l'étouflement. Ceci est incontestable :
qui trop embrasse, mal étreint. Mais pour sauver la société,
il faut autre chose que des homm/s, il faut des chrétiens,
et des chrétiens d'une foi carrée. Avec l'enseignement
actuel, suppression même du baccalauréat, vous n'aurez
jamais des chrétiens de ce caractère. Les preuves sont
sous nos yeux, sous les yeux de l'Europe entière qui doit
parler comme la France.
(\) Dans un discours synodal, que nous citerons plus tard, Mgr de
Salinis réfute ce raisonnement par des faits inec astables.
PIE I X ET LES ÉTUDES CLASSIQUES. 37
Le commerce avec les auteurs païens, commerce intime,
journalier, obligatoire et à peu près exclusif, pendant les
années décisives de la vie, ne produira jamais que des chré-
tiens ignorants, étiolés, incomplets, roseaux sans résistance
et girouettes à tout vent. En échange, vous aurez à foison
des républicains, des démocrates, des ambitieux avides de
places, d'argent et de bien-être; des écrivailieurs, des pé-
dants, et, comme disait Érasme, des bavards incapables
d'obéir, plus incapables de commander. Tels maîtres, tels
disciples.
C'est un fait; depuis que le paganisme a envahi l'ensei-
gnement classique, l'Europe n'a plus, ou peu s'en faut,
de vrais grands hommes, c'est-à-dire de ces grands chré-
tiens, si communs dans les siècles de foi. Elle est pauvre,
très-pauvre de ces hommes, grands par leur caractère,
grands par leurs conceptions, grands par leurs entre-
prises, grands par leur désintéressement; grands par leurs
vertus'chrélîaîmes, et non moins grands dans l'expiation
de leurs fautes. îl n'en peut être autrement : Dis-moi qui
tu fréquentes, je te dirai qui tu es.
Pas, non plus, de générations chrétiennes dignes de ce
nom. La preuve en est également sous nos yeux. Vouloir
former des chrétiens sans christianisme, ou avec un chris-
tianisme administré en doses homœopathiques, n'est-ce
pas tenter l'impossible? Pour prospérer, chaque plante
demande sa terre, sa culture, son climat. Il en est ainsi
de Pâme. Voulez-vous qu'elle soit chrétienne? que pour
elle la terre, la culture, le climat, tout soit chrétien. Reste
à dire quelle est, pour développer chrétiennement toutes
les facultés de l'âme, la meilleure terre, le christianisme
pur, ou le christianisme mêlé, aux trois quarts, de paga-
nisme ?

3
CHAPITRE VII
SUITE DU PRÉCÉDENT.

Le raisonnement que nous réfutons est faux à un autre


point de vue. Les auteurs païens, exigés pour le bacca-
lauréat, sont ceux qu'on voit dans les deux, tout au plus
dans les trois classes supérieures. Ainsi, jusqu'à la qua-
trième inclusivement, il y a toute liberté de faire étudier
exclusivement des auteurs chrétiens. Sous le rapport lit-
téraire, comme sous le rapport moral, c'est môme la meil-
leure préparation à l'étude des auteurs païenr. D'une
part, l'étude du latin chrétien ARME en la développant la
foi de l'enfant ; d'autre part, elle lui facilite singulière-
ment l'étude des auteurs profanes.
Pour plusieurs raisons, le latin chrétien est plus fa-
cile à apprendre que le latin païen : 1° il est moins ellip-
tique et moins transpoèitif ; 2° il est le père de nos lan-
gues modernes, particulièrement de la langue française,
qui conserve de nombreuses traces de sa glorieuse généa-
logie; 3° il exprime des idées dont le germe, plus ou
moins développé, existe dans l'âme de l'enfant, soit par le
baptême, soit parles instructions maternelles, soit parle
catéchisme paroissial ; 4° en retrouvant dans >es auteurs
ces idées vraies et en rapport avec les siennes, le com-
mençant trouve ainsi la satisfaction de la tendance in-
née dans l'homme pour la vérité, par conséquent la
rémunération de son labeur, c'est-à-dire une augmenta-
tion de vie : bienfait de premier ordre que ne lui procu-
ru; IX ET LES ÉTUDES CLASSIQUES. 39
rera jamais le latin païen. Au lieu de le désorienter, de
l'ennuyer, de le dégoûter, l'étude lui plaît; c l , en assu-
iant les progrès de l'élève, elle dispense le professeur de
la pénible obligation de le faire marcher à coups de pen-
sums ou de retenues.
Le raisonnement en question n'est pas seulement faux,
nous osons dire qu'il est impie. Prétendre que pour assu-
rer le succès du baccalauréat, il faut exclure de rensei-
gnement les auteurs chrétiens et laisser sans une com-
plète expurgation les auteurs classiques païens, en sorte
que les jeunes chrétiens puissent, contrairement à la vo-
lonté formelle du Saint-Père, et au risque de perdre la
foi, les mœurs et môme le sens social, lire les erreurs et
les obscénités, répandues dans ces Jifférents auteurs:
n'est-ce pas une impiété? Dire qu'on ne leur explique
pas les passages dangereux, ce n'est pas répondre. Ils les
ont entre les mains, ils peuvent les lire, et ils les lisent.
Croit-on se justifier en disant, comme nous l'avons en-
tendu, qu'il est nécessaire de laisser, tels qu'ils sont, les
classiques païens entre les mains des jeunes gens, dans
la crainte de les voir échouer au baccalauréat, s'ils ve-
naient à être interrogés sur quelque passage qu'ils n'au-
raient pas expliqué ? Cette prétendue justification suppose
qu'on explique d'un bout à Vautre, les auteurs désignés
pour le baccalauréat : ce qui est absolument faux.
Elle suppose, en outre, que le jeune homme, après avoir
étudié longtemps les principales parties d'un auteur, sera
incapable d'expliquer,sans l'avoir appris,un passage quel-
conque du même auteur. S'il en est ainsi, il faut conve-
nir qu'en étudiant, pendant plusieurs années, les auteurs
païens, on ne devient pas très-fort en latinité; et que
s'il n'y a rien à gagner en adoptant les classiques chré-
tiens, il n'y a du moins rien ;\ perdre.
*° l*IE I X K T L E S E T L U E S C Ï . A S H O ! E S .
Que dis-je? il y a tout à gagner. N V s t - i l pas vrai, nous
ledemandons de nouveau, que meilleure est la terre, plus
vigoureuse est la végétation ? Reste à dire, quel est, du
christianisme ou du paganisme, le meilleur élément pour
développer toutes les facultés de l'âme, l'esprit, le cœur, le
goût, l'imagination?
Non, mille fois non, l'étude assidue de ce qu'il y a de
plus beau et de meilleur dans les monuments de la litté-
rature chrétienne, ne gâtera ni le style, ni le goût des
jeunes gens. Au contraire, elle formera excellemment
l'un et l'autre ; et fortifiera les études, tout en conservant
le privilège exclusif de faire des hommes et des chrétiens :
l'expérience est là.
Dans son discours synodal du 23 juin 1853, Mgr de
Salinis, expliquant les actes du dernier concile d'Amiens,
s'exprimait en ces termes : « Je me suis occupé aussi de
développer l'élément chrétien dans renseignement des
lettres, et j ' a i cru que cette amélioration, si importante
sous (tautres rapports, ne pouvait être que favorable aux
études profanes elles-mêmes. L'expérience faite a Saint-
liiquierest bien significative.
à Ceux de nos élèves, et ce ne sont pas les plus distingués,
qui se sont présentés pour le baccalauréat, ont été reçus
dans une proportion plus forte, que celle qu'on observe dans
d'autres collèges. Ce résultat ne m'a pas étonné. Le com-
merce journalier avec les auteurs chrétiens fortifie la rai-
son des élèves, parce qu'il la nourrit de notions plus
saines, et aussi parce que ces notions touchent à toutes
les réalités de la société, au milieu de laquelle ils doivent
vivre ; tandis qu'ils rencontrent dans les auteurs païens
une foule de choses, qui ne sont pour eux que des abstrac-
tions stériles, des idées mortes, tout à fait étrangères au
monde social créé par le christianisme. L e u r esprit ac-
PIE IX Kl LES ETUDES CLASSIQUES. H
quicrt plus de séve, parce qu'il plonge des racines dans un
sol plus fécond, et il s'opère en eux, sous ce rapport, une
plus grande végétation intellectuelle, qui se fait sentir à
toutes les branches des études ( I ) . »
Or, une expérience de quarante ans, ayant démontré
que vouloir obtenir du gouvernement la suppression du
baccalauréat, c'est se casser la tète contre un mur, il
reste à trouver un moyen de tourner la difficulté La Re-
ligion et la société en font un devoir impérieux et immé-
diat. Qu'on se mette donc h l'œuvre, à moins qu'il ne pa-
raisse plus commode de se voiler la tôle et de tomber, en
gardant le statu quo, dans l'abîme où la révolution nous
entraîne à grande vitesse, nous et les générations nais-
santes.
Quel est ce moyen? Nous le connaissons : c'est de
pratiquer sérieusement les prescriptions pontificales. Ne
mettre jusqu'à la quatrième inclusivement, entre les mains
des enfants que des auteurs chrétiens, et purger de toute
souillure les auteurs païens (2), réservés pour les classes
supérieures, tout en faisant marcher de front l'étude des
auteurs chrétiens. Cette expurgation, soit dit en passant,
ne regarde pas seulement les auteurs de littérature ; elle
doit s'étendre à la plupart des cours de philosophie qui
prétendent démontrer, à l'aide de la raison seule, les plus
importantes vérités métaphysiques et pratiques, sans par-
ler de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le précepteur du genre
humain. C'est la séparation systématique de l'homme

(1) Nous apprenons à l'instant que sur 19 présentations au baccalau-


er er
réat, du 1 août 1873 au 1 août ^874, le collège de l'Assomption de Nîmes
a obtenu 16 diplômes. — C'est une preuve de plus qu'avec des au-
teurs chrétiens on peut très-bien faire des bacheliers.
(2) Il est étrange et profondément regrettable que tant de chefs re-
commandables des maisons chrétiennes d'éducation, ne se soient pas
encore conformés aux règles tracées par le Saint-Siège.
42 PIS IX. ET I E S ÉTUDES CLVSSIni ES.

d'avec Dieu; ou, comme dit le P. Curei, jésuite, de la


Civikà cattolica, le net et pur paganisme, puro e pretto pa-
ganesimo.
Contre l'emploi du moyen indiqué, qu'on n'objecte pas
que deux ou trois ans d'étude des auteurs païens, sont in-
suffisants pour préparer un jeune homme au baccalau-
réat. Une pareille objection n'est pas sérieuse. 1° Le ter-
rible examen se réduit à une simple version d'une page
ou d'une page et demie avec une dissertation latine ou
française. 2° Les examinateurs ne sont pas très-féroces.
Fils de leur éducation, ils n'ignorent pas dans quel
abaissement sont tombées parmi nous les études lati-
nes et ils ont égard à la faiblesse connue des candidats.
3° Quand, malgré tout, un jeune homme échoue au
baccalauréat, que fait le père? Afin de ne pas perdre le
fruit de ses sacrifices, il le confie à un préparateur, qui
s'engage à le faire recevoir dans trois ou six mois : et
huit fois sur dix, il réussit. Comment donc, môme en ad-
mettant les conditions les moins favorables, ne pourrait-
on pas, après deux années d'étude des auteurs païens,
obtenir ce que l'on obtient en quatre fois moins de temps ?
Est-ce que les auteurs chrétiens fermeraient l'âme à llin-
telligence des auteurs païens? Poser une pareille question,
c'est la résoudre.
Au reste, il y a quelque chose de plus nécessaire que
la suppression du baccalauréat et la liberté de l'enseigne-
ment; c'est la christianisation de l'enseignement. Puis-
qu'on ne peut avoir, pour le moment, qu'une demi-liberté,
c'est un devoir plus pressant que jamais d'en profiter afin de
christianiser, dans la mesure du possible, l'enseignement
secondaire : nous venons d'indiquer le moyen d'y réussir.
Si on refuse de l'employer; si on continue d'enseigner
comme ont enseigné nos pères, avec les mômes auteurs ni
PIE IX ET LES ETl DES C L V S S K j l E S . W

plus ni moins, la liberté d'enseignemeut ne fera que mul-


tiplier les sources malheureuses, où se sont empoisonnée*,
suivant l'expression du Père Possevin, les générations mo-
dernes.
Qu'on ne l'ouohe pas, la France n'a pas sombré en ÏJ3,
parce que l'éducation n'avait pas été libre; mais parce
qu'elle n'avait pas été assez chrétienne. La Révolution,
qui ne fut que la mise en scène des éludes de collèges, en
est la terrible et immortelle preuve. « C'est, dit Charles
Nodier, un témoignage que la philosophie du x v n r siècle
ne put s'empêcher de rendre aux jésuites, à la Sorbonne
et à l'Université »
Par l'organe du Père Grou, les jésuites, il est juste de le
rappeler, se rendirent, quoiqu'un peu tard, le même té-
moignage. Dans le passage que nous avons cité (2), l'an-
cien professeur reconnaît que le goût du paganisme
contracté dans l'éducation, s'était répandu dans la société,
en sorte que la plupart des lettrés n'étaient plus chrétiens
qu'à l'extérieur; et que dans le fond ils étaient de vrais
païens.
Sans doute, ajoutaii-il, nous ne sommes point idolâtres!
Patience, mon révérend Père ; attendez quelques an-
nées, et vous verrez la France officielle, la France for-
mée dans les collèges, matériellement idolâtres, adorant
la déesse Raison, sur l'autel de Notre-Dame, et bâtissant
un temple à Cybèle, au carré des Champs-Elysées. Cela
devait être : l'éducation fait l'homme et le culte intérieur
appelle le culte extérieur.
Cé fait écrasant pour l'éducation classique, fut rappelé,
avec une éloquence impitoyable, dans la discussion de la
g r
loi de 1850, sur la liberté d'enseigneineni. M Parisis,
(1) Souvenirs, t. I, p. 88.
(2) Chapitre n.
PIE IX ET LES ET IDE** CLASSIQUES.

plaidant contre le monopole, fit un t a b l e a u effrayant de la


génération élevée par l'Université, l ' a c c u s a n t d ' i m p i é t é ,
d'immoralité, et notamment d ' a v o i r fait les j o u r n é e s de
juin, où Paris avait failli s'engloutir d a n s le s . m g .
II n'avait pas fini qu'rne voix s'élève et c r i e : J e demande
la parole : c'était M. Crémieux, « l'honorable préopinant,
dit-il, vous a tracé un tableau effrayant d e la g é n é r a t i o n
élevée par l'Université, l'accusant entre autres d ' a v o i r fait
les journées de juin. Il a oublié de nous dire q u i avait élevé
îa génération qui fit 93 ! Alors, l'Université n'existait pas.
Alors il n'y avait pas de monopole, ou, s'il y en a v a i t un,c'é-
tait en faveur du clergé. Alors t o u t e l'éducation était e n t r e
les mains des prêtres et des ordres religieux. Alors vous
étiez riches; vous aviez des hommes capables, vous jouis-
siez de la sympathie des familles et de l'appui du g o u v e r -
nement : et vous avez fait 93 ! Cessez donc de récrimi-
ner : si l'Université ne fait pas mieux que vous, elle ne
fera jamais plus mal. »
E l l'évêque se tut.
M'ayant rencontré immédiatement après la séance : Ja-
mais, me dit le digne prélat, pareille tuile ne m est tombée
sur la tête. J e me permis de répondre : « Votre Grandeur
pouvait l'éviter. Il suffisait de vous rappeler ce que v o u *
avez si bien écrit contre l'éducation classique, et de dire :
«On a mal saisi ma pensée. Ce n'est ni l'Université actuelle
qui a fait les journées de juin, ni l'ancien clergé qui a
lait 93 : c'est le système d'enseignement. Aux d e u x é p o -
ques, les vrais éducateurs de la jeunesse ont été les démo-
crates de la Grèce et de Rome. Les professeurs en toge ou
en soutane, n'ont été et ils ne seront jamais que des répé-
titeurs.
« La preuve en est que le premier acte des élèves des
anciens collèges, fut de proscrire leurs maîtres vivants, et
PIE I X E T L E S ET PI) E S C L A S S I Q U E S . ro

d'élever sur le pavoi, les héros antiques présentés à leur


jeune admiration. De môme aujourd'hui, si les élèves de
l'Université ont tenté de renverser l'ordre social,c'est qu'ils
ne l'ont pas trouvé conforme à celui dont le commerce
avec les anciens avait fait miroiter à leurs yeux les ad-
mirables perfections. N'avez-vous pas vu comme moi,
qu'ils se sont empressés de renouveler autant qu'ils ont
pu, dans le langage, dans les fêtes politiques, dans les pa-
rodies religieuses, dans la haine des plébéiens et des patri-
ciens, les souvenirs de la belle antiquité ?
« Qu'on nous accorde la liberté d'enseignement, c'est
notre droit; mais avant tout, que les catholiques et l'Uni-
versité se réunissent pour réformer radicalement un sys-
tème d'éducation, qui dans les mains du clergé, comme
dans celles des professeurs universitaires, donne de si
déplorables résultats. Le salut de la France est à ce piix. »
« Tel est, ce me semble, le terrain sur lequel, il fallait
amener la discussion et des faits indéniables vous ren-
daient victorieux. » — « Vous avez raison, me répondit
l'excellent évoque; mais je n'y ai pas pensé. ;>
Terminons par un fait actuel, qui con'-rme tous les
précédents. Ce fait, qui met au-dessus de to • e discussion,
la nécessité plus urgente que jamais de christianiser l'en-
seignement secondaire, dans la mesure immédiatement
possible : quel est-il? C'est Pie IX prisonnier au Vatican, et
la Louve de lîomulus trônant au Capitole.
En 93, la déesse Raisor sur l'autel de Notre-Dame; en
1874, la Louve de Romulus au Capitole, c'est-à-dire, le
paganisme en chair et en os, présenté à l'admiration du
monde. Aux deux époques, et après dix huit siècles de
christianisme, voilà, qu'on en convienne ou non, le der-
nier mot logique des études classiques : et nunc intelligite.
On récolte ce qu'on sème : quœ seminavcrit homo, hœc
46 PIE IX ET L E S ETUDES CUSSIQUES.

et metet. Ils reçoivent donc un éclatant démenti, ceux qui


disent que tout lemal vient du protestantisme. S'il en était
ainsi, la Révolution, qui sait ce qu'elle est, et qui, mieux
que personne, connaît sa généalogie, aurait place au Ca-
pitole la statue de Luther, ou de Calvin, ou de quelque
autre Père de la réforme ; mais non, elle y a placé la
Louve de Romulus.
CHAPITRE VIII
SECOND P R É T E X T E : t / l N U T I L I l É E T L E S I N C J N \ E N ! E N T S
DE LA RÉFOUMT.

En nous voyant revenir sans cesse sur l'indispensable


nécessité de réformer chrétiennement l'instruction secon-
daire, plusieurs, avec une politesse qui les honore, nous
ont comparé à ce chevalier de la Manche, dont la bra-
voure militaire s'exerçait contre des moulius-à-vent,
a Vous vous cassez la tète contre une muraille, ont-ils dit ;
vous vous exagérez la puissance de l'éducation pour sau- y

ver la société : il est trop tard. »


Il est trop tard ! — Etant donné l'état actuel de 1° so-
ciété en France et en Europe, dites-nous donc, grands
philosophes, quel moyen humain vous connaissez de ra-
jeunir les nations, s'il est possible de les rajeunir; et de
sauver le monde, si le monde peut être sauvé. Si vous
possédez ce précieux secret, hâtez-vous de le publier : le
cacher serait un crime. Voilà quatre-vingts ans surtout,
que nous marchons visiblement à la dérive. Vous avez
dépensé beaucoup d'encre, beaucoup de papier beaucoup
de paroles et même beaucoup de talent, pour arrêter
les progrès du mal : qu'avez-vous gagné ?
Interrogez les faits, interrogez les statistiques, interro-
gez les manifestations de l'esprit public, interrogez vos
propres pressentiments. De tout cela s'élève une voix qui
vous crie : Le mal est toujours allé en augmentant aussi
bien dans l'ordre de la foi que dans l'ordre des mœurs.
48 PIE IX ET LES ETUDES CL VSSTQI/ES.

Après de nombreuses révolutions et de terribles catastro-


phes, ie monde, en général, est demeuré impénitent ; et,
comme Dieu aura le dernier mot de notre opiniâtreté dans
le mal, nous sommes à la veille de châtiments tels que
l'esprit le plus ferme n'ose les envisager.
Si au lieu d'une guerre stérile des partis les uns con-
tre les autres, guerre chaque jour renaissante, pour des
questions de personnes ou d'intérêts secondaires, les écri-
vains catholiques, journalistes et autres, s'étaient sérieu-
sement attachés à mettre à découvert !a vraie racine du
mal, à unir leurs efforts pour l'extirper et indiquer le re-
mède à la lèpre païenne qui dévore les peuples modernes :
croyez-vous qu« nous en serions où nous en sommes?
À moins de supposer l'humanité atteinte d'un aveuglement
incurable, la lumière se serait faite, des hommes de cœur
auraient pris en main la cause de la religion et de la so-
ciété, en leur préparant par uu enseignement solidement
cU
rétien, de nombreux et énergiques défenseurs.
est trop tard ! Il n'est jamais trop ta»\l d'obéir, et de re-
f&n naître qu'on a fait fausse route. Mieux vaut lard que
jamais; et l'homme qui avoue franchement une faute,
mérite plus d'estime que celui qui en est exempt.
Il est trop tard! Si le présent est condamné, est-il per-
mis d'être indifférent au salut de l'avenir? Si la réforme
chrétienne ne prépare pas de nobles vainqueurs, elle pré-
parera de nobles victimes.
Il est trop tard ! S'il en est ainsi: à qui la faute? qui a
honni, repoussé, persécuté les courageux apôtres de la
réforme?qui s'est opiniâtrement refusé à l'embrasser ? qui
est allé jusqu'à interdire la vente des ouvrages qui la sou-
tenaient? Il y a de longues et très-longues années, que les
hommes graves, en observant ie mouvement des esprits
et la marche des choses, ne cessent de répéter que le sys-
PIE IX ET LES ETl'DES CLASSIQUES. *9

ième moderne d'éducation conduit l'Europe à la Barbarie.


Le roi Louis-Philippe disait : à VAntropophagie.
11 est trop tard 1 Malgré l'expérience, vous allez donc
continuer ad majorem Dei gloriam, une méthode d'ensei-
gnement, improuvée par le Vicaire de Jésus-Christ 1 Et
vous dormirez tranquilles!
Pour se dispenser d'obéir, les catholiques libéraux, prê-
tres et laïques, se cramponnent à un nouveau prétexte.
«Laréforme,disent-ils,auraitdegraves inconvénients. Elle
éloignerait du clergé les gens du monde, qui verraient
avec défiance l'abandon d'une méthode d'enseignement,
consacrée par les siècles. » C'est ainsi qu'ils crient sur les
toits que le Syllabw et le dogme de l'infaillibilité pontifi-
cale ont jeté la perturbation en Europe, et occasionné
de nombreuses défections, en rendant impossible la con-
ciliation de l'esprit moderne avec l'esprit de l'Église. Ré-
futer de pareilles accusations, ou entreprendre de dissiper
des craintes imaginaires, serait perdre le temps.
Venons aux prétendus inconvénients de la réforme, en-
visagée en elle-même : on les cherche et on ne les trouve
pas. La réforme consiste à obéir avec une docilité filiale
au souverain Pontife, chargé de la direction intellectuelle
et morale de l'humanité, et qui mieux que personne con-
naît les besoins de la société et le remède à ses maux.
Où est l'inconvénient?
Elle consiste à faire rentrer dans son domaine, c'est-à-
dire, dans les idées, dans les mœurs, dans la littérature,
dans l'histoire, dans la philosophie, dans la société, le Roi
immortel par qui tout a été fait et à qui tout appât tient.
Où est l'inconvénient?
Elle consiste à mettre le nécessaire, avant l'utile; le
principal, avant l'accessoire, par conséquent à faire régner
Tordre dans les âmes, afin de le faire régner dans les faits.
50 PIE IX ET LES ETUDES CLASSIQUES.
Où est l'inconvénient ?
Elle consiste à mettre la jeunesse en rapport, beaucoup
plus habituel et beaucoup plus intime, avec les hommes et
les choses du christianisme, qu'avec les hommes et les
choses du paganisme; à faire étudier pour la formation de
l'esprit et du cœur, les grands génies qui s'appellent saint
Augustin, saint Chrysoslôme, beaucoup plus que les petits
grands hommes, qu'on appelle Virgile et Horace.
Où est l'inconvénient?
Elle consiste à faire connaître, au lieu des narrations
mensongères des historiens profanes, quid non audet in/as-
toria Grœcia mendax? les véridiques récits de nos livres
saints, trame merveilleusement tissue de l'histoire uni-
verselle •
Où est l'inconvénient?
Elle consiste à nourrir la jeunesse, au lieu des fables ho-
mériques, virgiliennes, ovidiennes, fables absurdes et mai-
propres, des vérités sublimes, contenues dans nos auteurs
chrétiens, surtout dans les actes des martyrs: vérités tou-
jours anciennes et toujours nouvelles, éloquemment sou-
tenues devant les tribunaux païens, et signées du sang de
nos pères.
Où est l'inconvénient?
Elle consiste en un mot, tout en faisant des bacheliers,
à former de solides chrétiens, en développant les âmes
dans le sens de leur baptême ; à les faire vivre dans le sur-
naturel et non dans le naturalisme ; à les diriger sérieuse-
ment, pendant les années décisives de la vie, vers le but
immortel pour lequel elles ont été créées; et à leur faire
mieux connaître, plus aimer, plus admirer, plus fidèle-
ment pratiquer la religion, qui a tiré le monde de la bar-
barie, qui l'empêche d'y retomber, et qui est, pour le pré-
sent, comme pour l'avenir des individus et des peuples, la
PIE IX ET DES ETl DES CLASSKjl E S . .'il

source unique de toutes les vertus, de toutes les félicités


et de toutes les gloires.
Où est l'inconvénient?
Vous craignez cependant, dites-vous, que la réforme ne
soit pas du goût des gens du monde, et qu'ils ne vous re-
tirent leurs enfants pour les placer dans les établissements
universitaires. Non, vous ne le craignez pas sérieusement.
Quoi ! un genre d'éducation, seul propre ù former des en-
fants instruits, vraiment chrétiens, respectueux, affection-
nés, soumis, laborieux, s'il était connu des pères et surtout
des mères de famille, ferait déserter les maisons où il se-
rait mis en pratique! c'est le contraire qui aurait lieu. Pour
retenir ses élèves, l'Université s'empresserait de moditier
son enseignement. J e le répète, c prétexte n'est pas sé-
rieux, et des faits authentiques m'autorisent à y donner
un démenti absolu.
Cela étant, on se demande d'où vient l'engouement pour
l'antiquité païenne? Pourquoi on exalte par-dessus tout
les auteurs païens? Pourquoi on s'efforce de trouver dans
leurs ouvrages des beautés, qu'eux-mêmes n'ont peut-être
jamais soupçonnées? Pourquoi on ne soutfre pas qu'on
dise du mal d'eux ? Pourquoi on les aime comme Michas
aimait ses dieux, au point de se lamenter lorsqu'on craint
de les voir descendre du rang qu'ils occupent dans l'édu-
cation des jeunes chrétiens ?
Un pareil engouement nst-il inspiré par le Saint-Esprit?
Trouve-l-il sa justification dans l'exemple des saints Pères,
dans les approbations de l'Église, dans les résultats qu'il a
produits ? La conscience, l'histoire, 1 expérience ont ré-
pondu.
CHAPITRE IX

TROISIÈME PRÉTEXTE : LE MANQUE HE CLASSIQUES CARÉniNS.

Bien qu'il ait été combattu avec autant d'ardeur, que


s'il avait attaqué le mystère de la très-sainte Trinité, le
Ver rongeur n'a pas été sans influence. Dans toutes les clas-
ses de la société, en France et à l'étranger, des hommes
non aveuglés par le parti pris, ont reconnu hautement le
danger de l'étude, à peu près exclusive, des auteurs
païens (1), Avec une loyauté qui les honore, d'éminents
professeurs eux-mêmes ont demandé pardon à Dieu et
aux hommes, du mal qu'ils avaient fait en les enseignant.
D'autres se sont mis à l'œuvre pour éditer des classiques
chrétiens.
Au nom des premiers, nous citerons seulement la lettre
suivante, qui parut au plus fort de la lut's. Elle est d'au-
tant plus significative, qu'elle ne nous est point adressée
et qu'elle est l'expression d'une longue expérience.

« Vaieosole,le lû août 1852).

Messieurs,
«Ayant été supérieur de deux petits séminaires,Forcal-
quier et Ajâccio, j ' a i suivi avec un vif intérêt la polémique
que vous soutenez sur le choix des ouvrages, qu'on doit
mettre entre les mains de la jeunesse. J'adhère complète-

(1) Lire leurs paroles dans le XH« vol. de ta lUoolution.


IMK IX ET DES ÉTUDES CLASSIQUES. .i3
ment à la doctrine du Ver rongeur de M. Gaume et à la
tbèse que vous avez développée avec tant de savoir.
« Combien de fois, professant ies humanités, n'avais-je
pas dit à mes élèves : « Mes enfant, je jette le poison à
pleines mains dans vos poitrines ! Et pourquoi inclinons-
nous nos fronts marqués du signe du Christ, devant les
prétendus chefs-d'œuvre des siècles de Périclès et d'Au-
guste, tandis que nous avons là, sous nos mains, dans les
Pères de l'Église, toute une littérature chrétienne? C'est
là que nous pourrions recueillir l'or à pleines majns, si
nous n'étions pas esclaves de vains préjugés.
« Oh ! comme mon cœur de prêtre gémissait, alors que
j'avais à expliquer les odes, les satires et les épîtres de ce-
lui qui, se rendant justice à lui-môme, disait: Ego degrege
porcorum Epicuri! Jusque dans cet Homère tant vanté, dans
ce Virgile estimé si sage, je trouvais des pages infectées
de luxure. Combien de fois, au tribunal de la pénitence,
n*étais-je pas condamné à combattre dans mes pauvres en-
fants, les impressions funestesqu'ils avaient reçues en classe,
de l'étude des auteurs païens î Du moins, que, pendant les
classesde grammaire, c'est-à-dire jusqu'à la troisième inclu-
sivement, on tienne nos jeunes chrétiens loin de ces sources
impures, loin de ces livres qui, sous de belles formes, ca-
chent,le venin le plus mortel, véritables sirènes qui, avec
leur voix enchanteresse, entraînent tant de malheureux à
leur perte !
« J'ai pris la peine de faire un extrait de tous les livres
classiques que le paganisme nous a légués, et qui se trou-
vent disséminés dans toutes les classes, à commencer par
Phèdre lui-même, et de les envoyer à quelqu'un de'nos il-
lustres devanciers, avecprière de m'en donner la traduction.
« J e ne sais quel sens catholique on pourrait donner à
ce vers :
54 r i K 1\ ET LES ÉTUDES CLASSlni E S .

Et matrtmarum casta dvlibn o v W . * 1

Comment expliquera-t-il le Marte gravis de Virgile et in


eamdem devenere speluncam, du môme ; et la scène hi-
deuse qui se passa sur le mont Ida entre Jupiter et Junon,
parée de la ceinture de Vénus ; et ce vers si souvent re-
pété dans Homère :

et tout l'Olympe convoqué au spectacle des turpitudes de


Mars et de Vénus; et le persiflage de Lucien, et les saletés
de Juvénal, etc., etc.
« J e disais ces jours-ci toute ma pensée ù un des plus
savants évoques de France, et je vis avec bonheur qu'il
gémissait sur l'étrange thèse soutenue par de si bons ca-
tholiques.
« Pendant plus de vingt ans, j ' a i été condamné à feuil-
leter ces livres déplorables. J e connais tout le poison
qu'ils renferment, et ce serait calmer un remords de ma
conscience, si, avant de mourir, il m'était donné de répa-
rer le mal que j'ai fait à mes chers et bien-aimés élèves,
alors que, me laissant entraîner par un fatal courant, je
les initiais aux funestes doctrines de ceux que saint Paul
a si bien caractérisés lorsqu'il a dit : Volentes esse sapientes
stulti facti sunt.
« Si vous croyez que ces courtes réflexions, inspirées
par une longue expérience, puissent être publiées, je vous
donne toute liberté de faire usage de ma signâtuie. Vous
me feriez même plaisir, en tant que ce serait une protes-
tation contre un enseignement, auquel je me suis associé
r
de trop longues années contre le cri de ma consci ice. »
SILVE, Chanoine, curé (2).
(1) Phèdre, Fable x x , l i v . I V .
(2) Cette excellente lettre ne donne qu'un très-léger échantillon des
PIE I \ ET L E S F T T D E S 'lUASSIOl K S . ."i.'i

Une lois les yeux dessillés par l'apparition du 1er


rongpur, d'autres personnes voulurent rendre pratiques
les prescriptions pontificales. Dans ce but, on a édité
un certain nombre de classiques chrétien*. Nous n'avo îs
pas à faire l'éloge de ces ouvrages. Conçus dans d'excel-
lentes intentions, ils sont dignes du zèle et du bon goût
des auteurs, dont ils prouvent les connaissances en ma-
tière d'enseignement. Toutefois on nous permettra de le
dire: quelque estimables qu'ils soient, ces m u r a g e «le
plusieurs mains, ne forment ni un tout complet, ni un en-
chaînement logique, tel, ce nous semble, que doit être
un plan d'éducation pour donner des résultats sérieux.
Cette lacune regrettable, nous avons essayé de la com-
bler, en publiant, en trente volumes, notre Bibliothèque des
classiques chrétiens, latins et grecs, pour toutes les classes.
Voici la pensée mère de notre travail : elle fera juger si
nous a\ons réussi.
Tout peuple a été fait par un livre, et par un livre reli-
gieux, dont il est devenu la vivante incarnation. Le Juif
a été fait par la Bible ; le Chinois, par les livres de Con-
fucius ; l'Indien, par les Védas ; le Parsis, par les livres
de Zoroastre ; le Grec et le Romain, par leur mythologie ;
le Turc et l'Arabe, par le Coran : ainsi des autres peu-
ples.
Pour chaque peuple, son livre originel a été le foyer
de la vie dans toutes ses manifestations : vie religieuse,
vie politique, sociale, domestique, philosophique, scien-
tifique, artistique et littéraire. Tout part de ce principe
vital, et tout y ramène. De là vient que ces peuples sont
souillures morales, sans compter les souillures intellectuelles, répandues
dans les classiques. Si on veut en avoir une connaissance moins incom-
T
plète, on peut lire nos Lettres à M* Dupanloup, in-8, 1852. On y trouvera
des confessious sembla Mes à celle du \emrable supérieur, entre autres,
celle du célèbre Père Tliomassin.
pie ix e t l e s eti ; h i . u x s i o r E s .
tout d'une pièce; et tant qu'on ne leur a p>s oie ce livre,
qu'on ne les en aura pas dégoûtés; tanl qu'il sera l'élé-
ment exclusif de leur éducation, ils resteront ce qu'ils
furent.
A son tour, le peuple chrétien a été formé par rÉvan-
gile. Dans ce livre divin, il a puisé sa vie. Ses croyances,
sa science, sa philosophie, ses arts, sa littérature, s i
politique, ses institutions publiques et privées, sa civilisa-
tion, en un mot, ont été l'épanouissement de ceUe vie,
aussi supérieure à la vie de tous les autres peuples, que
l'Évangile est supérieur à tous les autres livres.
Si, de nos jours, toutes ces choses sont déformées ; si
elles portent le cachet trop évident de l'antiquité gréco-
romaine, c'est que l'Évangile a cessé d'être le livre vital
des peuples chrétiens, que dans l'éducation o j l'a forte-
ment mélangé d'idées étrangères. Veut-on mettre un
terme à cette funeste déformation? Il faut de toute né-
cessité que l'Évangile redevienne notre foyer vital, notre
éducateur. Tout doit en partir, tout doit y ramener.
Parce qu'il est le foyer de la vie, l'Évangile est u ie loi.
Toute loi a besoin de commentaire. II y a deux sortes de
commentaires : le commentaire oral et le commentaire
pratique. C'est d'après ces principes incontestables qu a
été composée noire bibliothèque.
L'Ancien Testament esta l'Évangile, ce qu'est la rose
en bouton, à la rose épanouie ; la racine, à l'arbre ; la
figure, à la réalité ; le commencement, à la fin. De là cette
parole de Notre-Seigneur : « J e ne suis pas venu abolir
la loi, mais la compléter (1). »
Aussi, le premier livre que nous mettons aux mains de
l'enfant, est la petite Bible : Biblia parvula. Écrite non en
(I) Nolite putare quontam vani solvere lcgem aut prophetus : non veni
soivere„sed adimplere. Matth., v. 17.
PIE 1\ ET L E S K T l i M - * iWSblQl'ES. o7

latin (lu dix-huitième siècle, tomme VEpitnme hitoriœ


sacra; mais en latin de s a ' U Jérôme, ede offre le texte
môme de la Vulgate, re\isé av*c soin, débanassé & tout
ce qui ne pourrait ^onvc ir, et accompagné de uOtes
qui en éclairassent les parties obscures. Klle coin >rend
les plus intéressants récits depuis la Création du Monde,
jusqu'aux Rois,
Avec elle, l'enfant marche du connu à l'inconnu Que
dis-je? il est en plein pays de connaissance.
Gr4ce à son catéchisme, il sait à peu nrès le f >nd de
ces histoires, dont la traduction lui devient facile. Homme
les enfants, on pourrait dire les grandes personne., ne se
lassent jamais d'cnlcntfie les merveilleux récits ce l'An-
cien Testament, la mémoire vient en aide aux di Acuités
c
de sa traduction, et soutient de ses ouvenirs lésé forts de
l'étude grammaticale.
Des récits primitifs de la Bible, nous passons a îx livres
proprement historiques: les Rois, Tobie, Judith les Ma-
chabées, dont les beautés de fond et d*> forme sont au-
dessus de tout éloge. Ajoutons que ces livres divi is ont un
mérite que n'a jamais eu et que n'aura jamais *ucun au-
teur païen, c'est de donner à l'enfant la vraie notion de
l'histoire. En les étudiant, il apprend que l'histo re, si m : J
connue et si mal définie de pos jours, est : la Biographie du
genre humain déchu et se régénérant sous Vinfluena de Faction
divine.
Cette biographie elle-même se résume en ceux mots.
Comme tous les fleuves tendent à l'Océan, les quarante
siècles de l'antiquité judaïque et païenne ten lent à pré-
parer le règne du restaurateur universel ; Il maintenir
et l'étendre, est la raison d'être de tous les shcles posté-
rieurs.
Viennent ensuite les livres didactiques ou sapientiaux.
58 PIE IX KT LES ÉTTDES CLASSIQl'ES.
Là, sous des formules d'or, tour ;\ tour les plus simples,
les plus saisissantes et les plus poétiques, se révèlent à
l'enfant, toutes les règles de la sagesse religieuse, humaine,
sociale, personnelle. Devant cette philosophie de la vie,
disparaissent, comme les ombres de la nuit devant les
feux du jour, toute la philosophie morale des païens,
absorpti sunt juxta petram, comme parle^aint Augustin.
L'Ancien Testament, avec ses riches enseignements et
ses intéressants récits, n'est que l'initiation à l'étude de
la loi loyale, l'Évangile. Le jeune enfant apprend à la
connaître dans saint Matthieu et dans saint Luc, dont
nous donnons le texte, accompagné des commentaires de
saint Jérôme et de Bède : double chef-d'œuvre de clarté
et de profondeur.
A tant de trésors, nous ajoutons les plus beaux écrits des
Pères de l'Église, saint Cyprien, dans ses lettres, saint Gré-
goire le Grand,dans ses inimitables homélies ; saint Bernard
qui, dans ses lettres, nous apprend à connaître notre Eu-
rope, nos villes, nos aïeux, notre France; Tertullien, dans
ses deux immortels ouvrages, YApologétique et les Pres-
cription*; incomparables monuments, toujours anciens et
toujours nouveaux, et plus que jamais nécessaires à con-
naître, si on veut former les générations actuelles à une
lutte victorieuse contre les mêmes ennemis, dont nos
pères eurent à soutenir les assauts. Tel est, avec les Pères
grecs, saint Basile, saint Chrysostôme, saint Grégoire
de Naxianze, le commentaire oral de la loi évangélique.
Si excellent qu'il soit, il n'est pas le meilleur. Il y en
a un plus parfait encoA, c'est le commentaire pratique.
L'en&nt le trouve dans les actes des martyrs et dans quel-
ques fleurs des Vies des Saints. En nous montrant en
action, la foi et la loi de notre baptême, les actes des
martyrs ne sont pas seulement tout ce qu'il y a au
PIE IX ET L E S ÉTUDES CLASSIQUES. 39

monde de plus dramatique, ils ont encore l'immense


avantage d'être le seul monument qui nous reste de la
langue parlée des Romains. Que sont-ils en effet? des
procès de cours d'assises, des dialogues vrais et sans phra-
ses, recueillis par des sténographes. Si on se souvient que
les réponses des martyrs leur sont inspirées par le Roi des
martyrs, on ne sera pas étonné que dans la bouche de
simples femmes, de jeunes enfants, éclatent des traits
d'une sublimité et d'un à-propos, qui ravissent l'admira-
tion du prétoire, et qui déconcertent les juges.
Les classiques grecs sont disposés suivant la même
échelle, un peu plus tardive, d'après l'usage de nos clas-
ses. Outre la petite Bible et les actes des martyrs en
grec, toutes les richesses de l'éloquence et de la haute
philosophie de l'Orient sont offertes à l'enfant chrétien,
dans les ouvages, en prose et en vers, des grands génies
que nous avons cités plus haut.
Comme nous n'avons jamais demandé que la jeunesse
demeure complètement étrangère à la connaissance de
l'antiquité, et comme réponse à l'accusation matérielle-
ment fausse d'avoir voulu le bannissement complet des au-
teurs profanes, notre Bibliothèque comprend deux volu-
mes de classiques païens, prosateurs et poètes, complète-
ment expurgés, annotés, rédigés en vue du baccalauréat
et contenant plus de matière qu'on n'en voit dans toutes
les classes.
Tous ces ouvrages sont gradués suivant les classes; et de
la huitième, conduisent, par une route uniforme, le jeune
élève jusqu'à la rhétorique. Ainsi, se trouve levée la diffi-
culté que les adversaires opposaient aux défenseurs des
auteurs chrétiens. C'est la remarque d'un écrivain distin-
gué, c Le grand reproche, écrivait-il récemment, adressé
aux défenseurs de la réforme des études, c'est que les
60 PIE IX ET LES ÉTUDES CLASSIQUES.

livres manquaient. Ce n'est pas tout d'avoir de grands


écrivains, de grands poètes, de grands historiens, il faut
«D accommoder les œuvres aux besoins de renseignement.
Il faut qu'une main expérimentée reprenne ces chefs-
d'œuvre, les revise, les range par catégories, les annote
et en fasse des livres de classes. Aujourd'hui cette beso-
gne est faite. »
Tient ensuite l'éloge de notre Bibliothèque, ce ta plus com-
plète, fort ingénieusement cqnçue, et comprenant l'Ancien
et le Nouveau Testament, les actes des Martyrs, les vies
des Saints et des extraite des Pères de l'Église et du Pon-
tifical, dont la langue est si belle qu'on la croirait tombée
du ciel, s Ainsi, elle fait connaître aux - èves la langue
historique, la langue oratoire, la langue parlée.
« Il faut ajouter la langue poétique, car elle comprend
deux volumes de poésies chrétiennes, depuis les premiers
Pères de l'Église, jusqu'aux grands poètes du moyen âge,
saint Thomas et Adam de Saint-Victor (1). »
Gomme le bon sens ne vieillit pas, on apprendra sans
surprise que notre programme d'études, nous sommes
heureux de le dire, est le même qui fut écrit par le Père
Possevin, dans sa Bibliotheca selecta : De ratione studiorum.
Publié à Rome en 1593, dédié au pape Clément VIII, ap-
prouvé par le maître du sacré palais, recommandé par le
général de la Compagnie de Jésus, qui l'appelle opus ad glo-
n o m Dei perutile, cet ouvrage est destiné par un de leurs
plus illustres Pères, à servir de directoire aux Jésuites dans
l'éducation de la jeunesse (2).
Puisque le plan d'études, seul capable de faire des hom-

(1) M. Btfelet, Monde, 16 Juin 1844.


(2) Voir pour les détailo le t. XII de la Révolution, ch. vin, p. 128
et saiv.
PIE IX ET L E S ÉTUDES CLASSIQUES. 01

mes et des chrétiens, est aujourd'hui nettement tracé, et


que les livres ne manquent pas : que faut-il pour met­
tre immédiatement en pratique les prescriptions pontifi­
cales ?
D E LA CONSCIENCE.
CHAPITRE X

QUATRIÈME PRÉTEXTE : L'INTÉRÊT DE LA BELLE L X T I S I T È .

Si le proverbe est vrai, vrai surtout pour la jeunesse :


Dte-moi qui tu fréquentes, je te dirai qui tu es : est-il possi-
ble d'admettre que les jeunes chrétiens, mis, pendant les
années décisives de la vie, en rapports journaliers, in-
times, obligatoires avec ce qu'il y a, parmi les chrétiens,
de plus beau et de plus substantiel dans la littérature, de
plus distingué par le génie et de plus gra? J par la vertu,
ne deviennent pas des hommes et des chrétiens dignes de
ce nom?
Le programme d'études, tracé avant nous par le Père
Possevin, n'est pas moins avantageux aux maîtres qu'aux
élèves* Dans l'explication de nos auteurs, îe jeune profes-
seur trouve à nourrir sa foi, à entretenir en lui l'esprit
chrétien, et à s'enrichir d'idées qui lui seront d'un grand
secours, soit pour sa conduite personnelle, soit pour l'ins-
truction et la direction des autres.
Au contraire, quel séueux avantage pour son esprit et
pour son cœur, lui procure l'explication journalière,
pendant plusieurs années, des fables d'Ésope, des méta-
morphoses d'Ovide, des odes d'Horace, du Tityre, tu patulœ
recubans de Virgile et du Quousque tandem de Cicéron ?
Et puis, s'il est consciencieux, quelle tâche insipide que
d'arrêter à chaque instant l'élève pour lui dire : « Sachez
bien que ce que dit votre auteur ^st une ineptie. Ne vous pré-
occupez pas de cette histoire, elle est fausse ; cette maxime
PIE IX ET L E S ETLDES CLASSIQUES. 63

de morale est insuffisante, pour faire des chrétiens. Ces ha-


rangues républicaines, sont absurdes et antisociales ; ce
Jupiter était un imbécile, et cette Vénus une coquine.
Ne vous inquiétez ni de leurs actes, ni de leurs discours, et
ne goûtez que le charme des mots, la grâce de l'adjectif
et la belle altitude du verbe ! »
Comme si l'enfant était armé d'un emporte-pièce, pour
prendre la forme et laisser le fond ! Hélas ! non ; l'enfant
n'a pas d'emporte-pièce, ou s'il en a un, c'est pour prendre
en même temps le fond et la forme. Voyez vous-mêmes,
ce que sont, depuis la renaissance du Paganisme classique
les générations lettrées, dans l'Europe entière, et particu-
lièrement en Italie, au centre même du catholicisme t
Néanmoins Yintérèt de la belle latinité, est le prétexte qui
rend sourd à la voix du Vicaire de Jésus-Christ, et con-
damne le professeur à un travail stérile pour lui, et plein
de dangers pour les élèves. Coûte que coûte, il faut de
beau latin. Mais quel est ce beau latin et où le trouve-
t-on ? c'est ce que nous allons examiner.
Commençons par faire remarquer une inconséquence
des humanistes chrétiens.
Le christianisme n'a rien détruit de ce qui est naturel-
lement bon. La grâce, dit saint Thomas, ne détruit pas la
nature, elle la perfectionne : gratia non tollit naturam, sed
perficit. Cç que Notre-Seigneur a dit de la loi mosaïque,
qu'il n'était pas venu pour la détruire, mais pour la per-
fectionner : Non ueni solvere legem aut prophetas, s'ap-
plique très-justement à la langue du monde païen, Une
Va pas détruite, il Va perfectionnée. Ainsi, à proprement
parler, il n'y a pas deux langues latines, il n'y en a qu'une,
que le christianisme a perfectionnée pour en faire l'or-
gane d'une société bien supérieure à la société païenne.
Pour le fond comme pour la forme, le perfectionne-
<54 P I E I X ET L E S ÉTUDES CLASSIQUES.

ment a été complet. D'une part, le christianisme n'a pas


fait les choses à demi ; d'autre part, il serait contradic-
toire dans les termes de supposer la perfection du fond,
sans admettre la perfection de la forme, puisque la
forme, inhérente au fond, n'est que le rayonnement de
ridée : pulcrum splendor vert.
De là ressort l'inconséquence des humanistes chrétiens.
Forcés de reconnaître que le christianisme a élevé l'huma-
nité tout entière à une perfection inconnue des anciens :
élévation dans les idées et dans les mœurs, dans les ins-
titutions, sociales et domestiques, ils prétendent qu'il n'a
pu exprimer ce magnifique ensemble de vérités nouvelles,
qqe dans un langage fort imparfait, pour ne pas dire à
moitié barbare.
De cette prétention injurieuse, un grand évoque a fait
«éloquemment justice.
« Nous étions encore sur les bancs du collège, écrivait
r
M* Parisis, que déjà nous nous demandions comment il
se pouvait faire que l'esprit de mensonge eût seul reçu
le privilège des grâces du langage ; et lorsque ensuite
nous fûmes chargé d'enseigner aux autres cet art de bien
dire, qui, considéré dans son principe, est une communi-
cation merveilleuse du Verbe de Dieu, nous nous refusions
à croire que ce Verbe fait chair, qui avait bien voulu don-
ner ce talent en partage à ses ennemis, comme il le fait
souvent pour les autres dons de la nature, l'eût cepen-
dant refusé à c ette Église qu'il s'est acquise par son sang,
et qu'il s'est unie au point que, selon l'étonnante expres-
sion de saint Jean, il en a fait son épouse.
«Voilàquelles étaient nos pensées à une époque de notre
vie, où, sous l'empire de préventions reçues dès notre bas
âge, nous ne pouvions pas encore apprécier les trésors lit-
téraires de TÉglise,que,d'ailleurs, nous connaissions à peine.
PIE I X ET L E S ÉTUDES CLASSIQUES.

(( Mais à mesure que, nous élevant au-dessus de nos


propres convictions, nous avons examiné avec une im-
partialité calme et consciencieuse, les écriL de nos doc-
teurs et de nos pères dans la foi, notre étonnement a
changé d'objet.
«Nous nous sommes demandé, non plus comment l'É-
glise de Dieu n'avait pas eu les hautes qualités du lan-
gage, tout aussi bien que les églises de Satan; mais
comment il était arrivé qu'an sein même du christianisme
on eût délaissé, dédaigné, méconnu, et, du côté de l'éduca-
tion, tout à fait oublié les nombreux et incontestables
chefs-d'œuvre de la littérature chrétienne..*
« Ce que nous ne pouvons admettre et que cependant
on a 'ongtemps laissé croire, c'est que le don du tangage
soit le privilège de l'erreur. Nous savons, pour la consola-
tion de notre foi, et nous proclamons aujourd'hui pour
l'acquit de notre conscience, qu'il n'en est pas ainsi (i). »
Non, i) n'en est pas ainsi. « J'ai exprimé, nous écrivait
M . de Montalembert, les mêmes pensées que vous sur la
supériorité de ce latin chrétien, créé par les Pères
de l'Église, et si admirablement adapté à tous les be-
soins intellectuels par les écrivains du moyen âge. Il y a
vingt ans, on riait au nez de ceux qui osaient mettre
la cathédrale de Reims au-dessus de Saint-Pierre de
Rome ; et je me souviens d'avoir été à peu près traité
d'impie et d'imbécile par un homme respectable, h qui
j'avais manifesté cette préférence en 1839. Dans trente
ans, on rira au nez du chrétien qui hésitera à mettre
sous tous les rapports, les pères et les grands écrivains du
moyen âge, au-dessus des auteurs classiques et de leurs
imitateurs modernes (2). »
(1) Lettre aux sup. et prof, de son petit sémiw'rc.
[2) Lettre, 25 octobre 185».
06 PIE IX ET L E S ÉTUDES CLASSIQUES.

Kn faveur de la supériorité de la langue latine chré-


tienne, il serait facile de citer vingt autorités non moins
respectables, entre autres le concile d'Amiens, qui a for-
mellement condamné les détracteurs de la langue de
l'Église.
A l'autorité se joint le raisonnement. Qu'est-ce que le
latin chrétien? Nous l'avons dit: c'est la langue païenne
perfectionnée pour le fond comme pour la forme; de môme
que le monde chrétien, c'est le monde païen transformé
et perfectionné sous tous les rapports par le christianisme.
Que la langue latine chrétienne soit la langue païenne
perfectionnée, la preuve en est drns les faits suivants :
i° Quant au fond, dans toute langue, il y a deux choses :
le fond et la forme ; l'idée et la parole qui l'exprime. De
gré ou de force, tout le monde convient que, pour le fond,
la langue latine chrétienne est, sans comparaison possible,
plus riche que la langue latine païenne. Ce qui veut dire,
en d'autres termes, que l'humanité chrétienne possède des
trésors de vérités que le paganisme ne connut jamais.
Ce point acquis, tout est gagné. Dès qu'il est prouvé
que l'idiome chrétien l'emporte, pour le fond, sur l'idiome
païen, nous avons pleine raison de le faire étudier de pré-
férence à la jeunesse. Lequel vaut mieux en effet : l'ini-
tier à une langue riche de vérités, ou à une langue riche
seulement de mots et n'exprimant que des vérités incom-
plètes ou des idées inapplicables à la vie publique et privée
des peuples chrétiens ?
À d'autres points de vue, la langue latine chrétienne
est le perfectionnement de la langue latine païenne, en ce
sens qu'elle a conservé tous les mots de la langue latine
païenne,'élevé la signification d'un grand nombre, et créé
un* riche nomenclature de mots nouveaux. Nous ne sau-
rions trop le répéter : le christianisme n'a rien détruit que
PIE IX ET L E S ÉTUDES CLASSIQUES. 67

le mal. Ce qui était naturellement bon, il Ta religieuse-


ment conservé et amoureusement perfectionné. Or, les
mots de la langue latine païenne étaient, dit saint Augus-
tin, des vases innocents du mal que h malice du démon
y avait déposé, et que la corruption de l'homme en faisait
découler. Voilà pourquoi tous ont été conservés.
Mieux encore : l'Église a élevé la signification d'un grand
nombre de mots en latin païen. Comme elle a fait l'édu-
cation de l'humanité, elle a fait celle du langage. Dans le
paganisme, il en était des mots comme de toutes les créa-
tures. Innocents par eux-mêmes, comme vient de le dire
saint Augustin, ils gémissaient d'être obligés, malgré eux,
de servir àla vanité et à l'iniquité, en n'exprimant que des
choses purement naturelles, sensuelles, fausses et trop
souvent coupables; tandis qu'ils étaient condamnés à un
mutisme absolu, à l'égard du monde surnaturel et des
splendides vérités dont il est l'inépuisable trésor.
Qu'a fait ie Rédempteur de toutes choses? il les a déli-
vrés de l'esclavage, en les tirant du cercle étroit où ils
étaient renfermés. A ces enfants de Dieu, il a ouvert la
bouche pour parler non plus seulement le langage de la
terre, de la matière, de l'humanité déchue, mais la langue
du ciel, de.l'esprit, de l'humanité relevée et purifiée.
En preuve de cette éducation philologique, d'où résulte
une des supériorités les plus incontestables de la langue
latine chrétienne, citons quelques mots, pris au hasard.
Le sens nouveau dont le christianisme les a enrichis, les
fait briller dans le langage humain, comme les étoiles aux
r
votftes du firmament : Deus, fides,spes, caritas,g atia, vir-
%
tus, kumilitas, ordinatio, mansuetudo, dies natalis,p> opheta f

apostolus, pontifex, sacerdos Ecclesia, communio^statio^vigi-


9

liœ, confessio, pœnitentia, sacramentum, conftrmatio, myste-


rium ascensio assumptw meritum / ainsi d'une foule d'autres.
f 9 y
68 VIE IX ET L E S ÉTUDES CLASSIQUES.

Ce n'est pas tout. En possession d'innombrables vérités,


inconnues des païens, l'Église a créé, pour les exprimer,
une riche nomenclature de mots nouveaux ; et ces mots,
nous le disons sans hésiter, sont les plus beaux de la
langue humaine. Ils sont beaux non-seulement par l'har-
monie irréprochable de leur forme et par leur sens nette-
ment déterminé ; ils sont beaux, surtout parles hautes
vérités qu'ils expriment. Si ces mots divinement lumineux
tenaient à disparaître, le monde civilisé retomberait dans
la nuit de Terreur, et dans les tâtonnements éternels de
tous les peuples dont le langage en est dépourvu.
Tant qu'ils subsisteront, l'bomme connaîtra avec certi-
tude son origine, son histoire, sa chute, sa rédemption, sa
destinée, ses devoirs envers Dieu, envers lui-même et en-
vers ses semblables. Voici quelques exemples : Btblia, pec-
cator, incarnatio Chrutus salvator, Evangelium, christianus,
y }

baptima, eucharistia, cœmeterium, salas, orphanv*, wpha-


notrophium, xenodochixtm.
îlien ne serait plus facile que de prolonger cette glorieuse
nomenclature. Mais il est temps de passer à d'autres su-
périorités de la langue latine perfectionnée par le chris-
tianisme.
CHAPITRE X I

SUITE DU PRÉCÉDENT.

La clarté, l'onction, la spiritualité sont de nouvelles


qualités dont la langue latine est redevable au christia-
nisme.
L a clarté. A juste titre, on reproche au latin païen, ou
non régénéré, de manquer souvent de clarté. Il nous a
passé sous les yeux une collection de classiques latins, tra-
duits par un académicien de Paris, dans laquelle on ren-
contre un grand nombre de contre-sens et de sens hasar-
dés. Entre autres causes, cela vient du défaut de clarté, inhé-
rent au latin païen, expression d'un génie tout différent du
nôtre, et de l'ignorance où nous sommes de certains usa-
ges de la vie publique et privée des anciens.
Suivant la juste remarque de M. deBonald, les langues
peuvent se diviser en deux catégories : les langues trans-
positivée et les langues analogues.
Les langues transpositives sont celles dont la construc-
tion logique est désordonnée. Elle est désordonnée, en ce
sens que le premier objet qui frappe les sens ou l'imagi-
nation commence la phrase, sans tenir compte s'il en est
le nominatif ou le générateur. De là, des inversions con-
tinuelles qui nous obligent à faire ce qu'on appelle la
construction, ou plutôt la destruction de la phrase, pour la
ramener à l'ordre généalogique des idées. On voit par là,
comme dit encore M. de Bonald, que les langues transpo-
sitives sont les langues de?* peuples qui vivent beaucoup
70 PIE IX ET L E S ÉTUDES CLASSIQUES.

plus par le sens que par la raison. Elles sont les langues
des peuples non élevés, des peuples enfants.
On appelle tangues analogues celles dont la syntaxe est
conforme h la génération métaphysique de la pensée.
Exemple : Je vous aime. Ces langues sont le privilège des
peuples élevés, et qui parlent, non plu> d'anrès les impres-
sions* des sens, mais d'après la conception naturelle des
idées*
II s'ensuit que, le langage étant donné à l'homme pour
exprimer sa pensée, plus une langue est analogue, plus
elle est claire et en rapport avec sa destination. À ce point
de vue fondamental, le latin païen laisse grandement à
désirer: sa construction transpositive est une source
d'obscurité. De plus, il est essentiellement ami de l'ellipse
OU que retranché, nouvelle source d'obscurités et d'équi-
voques. On connaît la phrase : Aio ie Eacida, Romanos vin-
%

cere poste.
Au contraire, le latin élevé par l'Église, incontestable-
ment plus analogue dans sa marche, plus sobre d'ellipses,
est beaucoup plus clair, d'une entente plus facile, se rap-
proche davantage de l'institution divine du langage, et,
sous ce rapport, l'emporte évidemment sur le latin non
régénéré.
L'onction. Sous ce nouveau rapport, la supériorité du
latin chrétien est incontestable. Organe d'une société pro-
fondément égoïste, qui méprisait le pauvre, qui n'avait
pas un hospice pour le malade, qui se jouait de la vie de
l'esclave, qui buvait avec délices le sang humain, et dont
le vœ victù était ia maxime guerrière, le latin païen est
sec, dur, hautain, froid et poli comme le marbre : on sent
que ceux qui le parlaient étaient sans entrailles, ou n'en
avaient que pour leurs intérêts personnels.
Il vistt surtout à caresser l'oreille ou à frapper l'imagi-
PIE I X ET L E S ÉTUDES C L A S S I Q I E S . 71

nation. Que la phrase soit périodique, imagée, sonore, ca-


dencée : 'il suffit. Si ce n'est par rares exceptions, jamai.
le paganisme ne sut parler à l'âme. La langue ne s'est
attendrie que lorsque la charité, inconnue des païens, eut
pénétré le cœur humain de ses divines influences. Inutile
d'ajouter que cette onction se fait sentir à chaque page de
nos Pères, de nos Saints et de nos Livres sacrés.
La spiritualité. De môme que l'homme est d'autant plus
parfait qu'il se spiritualise davantage, ainsi une langue est
d'autant plus belle qu'elle est plus spiritualiste. Ce point
établi, il restera démontré que la forme païenne, cette
chèrô idole des humanistes modernes, loin d'être une qua-
lité, est relativement un défaut. Or, une langue est d'au-
tant plus spiritualiste qu'elle se montre, d'une part, plus
dégagée des formes accessoires qui obscurcissent la pensée,
ou qui constituent la beauté sensuelle; et que, d'autre
part, elle est plus apte à exprimer toutes les idées méta-
physiques et à peindre les charmes de la beauté surnatu-
relle.
Ainsi, la vraie beauté, le vrai mérite de l'architecture
chrétienne, est de spiritualiser en quelque sorte la matièi*e %

tandis que l'architecture païenne matérialise la pensée.


J e veux dire que l'architecture chrétienne ne conserve de
la matière, que ce qui est rigoureusement nécessaire pour
servir d'appui à la pensée et au sentiment. Son mérite
est de la manier, de i assouplir, de la découper, de la
dominer; en un mot, de s'en jouer, comme le Créateur
lui-même s'est joué des éléments, pour en former les mer-
veilleux ouvrages, qui réfléchissent avec tant d'éclat ses
adorables perfections (t).

(1) Cette différence entre Part païen et l'art chrétien fut un jour ad-
mirablement exprimée pai notre regrettable et éloquent ami, M. Com-
balot. Prêchant dans une do nos belles cathédrales, il s'écria : « L'art
72 PIE IX E T L E S ÉTUDES CLASSIQUES.

Eh bien ! tandis q u e la langue latine païenne, comme


l'architecture païenne, expression d'une société matéria-
liste, donne tout, ou presque tout, à la beauté o u à la forme
matérielle, en demeurant inhabile à rendre la beauté de
Tordre spirituel; la langue latine chrétienne, comme l'ar-
cbitecture chrétienne, organe c'une société spiritualiste, se
montre beaucoup moins esclave de la forme, et infiniment
propre à rendre tout ce qui est de l'ordre spirituel. En
deux mots : comme nulle construction n'est plus dégagée
de la matière, n'est plus aérienne, qu'une belle église
ogivale, la sainte Chapelle de Paris, par exemple ; de
même, mile langue n'est plus spiritualiste que la langue
de l'Église, par conséquent plus belle de la vraie et solide
beauté.
J'insiste sur ce point essentiel, et je dis : Sans doute,
comme l'homme païen avait une beauté naturelle, la
langue latine païenne a sa beauté ; mais il y a beauté et
beauté. Une société dominée par la chair ne connaît,
n'admire, et, dans les arts, ne cultive guère que la beauté
matérielle : son horizon ne s'étend pas au delà. L'an-
tique société païenne était profondément enfoncée dans
les sens. Expression de cette société, la langue latine
païenne traduit la beauté matérielle, les sentiments
naturels, les charmes physiques de l'homme et de la
nature. Elle recherche cette beauté, elle la reflète, elle
la peint à sa manière et de son mieux. Les preuves de
ceci abondent dans Homère. Comme l'art lui-même,
simple écho, elle ne peut redire autre chose : le redire
avec toute la vérité possible constitue sa beauté propre.
Ainsi, la forme, ou la beauté de la langue païenne, en

païen n'a su faire que des taupinières ; tand's que Part chrétien prend
une pierre, la lance à trois cents pieds dans les airs, et lui oit : Reste là
«I prie!»
PIE IX ET L E S ÉTUDES CLASSIQUES. 73

ce qu'elle a de proprement païen, est de la môme nature


que la forme ou beauté de l'art païen. C'est la beauté
matérielle, sensible; c'est la forme arrondie, potelée, sen-
suelle des Vénus et des Cupidons ; la forme anatomique
du Méléagre ou de l'Apollon du Belvédère. C'est une
beauté, sans doute, mais non de l'ordre le plus élevé.
Loin d^être le rayonnement du .nonde spirituel elle est
trop souvent le Lenocinium qui matérialise l'esprit, au
lieu de spiritualiser la matière.
N'admirer que ce genre de beauté, dans la langue
oomme dans l'art, c'est en fait de goût tenir le christia-
nisme pour non avenu, rétrograder de dix-huit siècles,
et montrer qu'on n'a nul sentiment de l'esthétique.
Organe d'une société éminemment spiritualiste, le latin
devenu chrétien reflète au môme degré la beauté spiri-
tuelle. 11 la cultive, il la traduit, il la peint à sa manière
etdeson mieux. Comme l'art lui-même, simple écho, il
ne peut redire autre chose. Le redire avec toute la vérité
possible, constitue sa beauté propre.
Ainsi, la forme ou beauté du latin chrétien, en ce qu'elle
a de purement chrétien, est de la même nature que la forme
ou beauté de l'art chrétien. Dans la langue écrite c'est la
beauté du TeDeum, du Lauda Sion, du Dies irœ. Dans la lan-
gue peinte ou sculptée, c'est la beauté des Vierges deGiotto,
de Lippo Domenicano, du B . Angelico ; c'est la beauté de
de l'ogive ; la beauté de nos splendides cathédrales du
treizième siècle; c'est la beauté de l'ordre le plus élevé, la
beauté du mondé supérieur, entrevu par les yeux de la
foi.
De ces considérations, il résulte que dans la langue
latine chrétienne, la forme l'emporte autant sur la forme
païenne, que l'idée chrétienne l'emporte sur l'idée
païenne.
CHAPITRE X I I

FIN DU P R É C É D E N T .

f o i c i de nouveaux et incontestables faits, qui tranchent


la question de la supériorité de la langue latine chrétienne
sur la lange latine païenne; ou plus clairement : la supé-
riorité du latin perfectionné par le christianisme, sur le
latin non perfectionné.
Comme l'homme chi étien est supérieur à l'homme païen,
ainsi le latin chrétien est supérieur au latin païen: 4° parce
qu'il est l'expression à une société plus parfaite ; et qu'il se
rapproche plus près de l'institution divine du langage ;
2° qu'il se compose de meilleurs éléments ; 3° qu'il a été
fait par des ouvriers plus habiles.
I* Société plus parfaite. Une langue n'étant, comme il
a été dit, que l'expression d'une société, on doit affirmer,
a priori, que la langue d'une société est d'autant plus
belle, que cette société elle-même est plus parfaite. Or,
le latin chrétien est l'expression de la société !a plus éclai-
rée, la plus vertueuse, la plus puissante, en un mot, la
plus parfaite qui fût jamais.
Par la somme de vérités qu'elle possède, l'Eglise s'élève
de cent coudées au-dessus de la société païenne. De cet
incomparable privilège, la langue latine chrétienne reçoit
les qualités supérieures qui la distinguent. Glaire, précise,
logique, noblement imagée, elle rend la pensée transpa-
rente, et se rapproche ainsi de l'institution divine d u b n -
PIE IX E T L E S ÉTUDES CLASSIQUES. 75

gage. En effet, la langue est un miroir, plus ce miroir


est clair, plusilest parfait.
Telle est la pensée de Fleury, qui, à ce propos, fait les
réflexions suivantes sur la langue hébraïque. « Leur langue
naturelle, dit-il, suffisait aux Hébreux. Les mots en sont
simples, tous dérivés de peu déracines, mais sans aucune
composition. Elle a une richesse merveilleuse dans ses
verbes, dont la plupart expriment des phrases entières :
Etre grand, faire grand, être fait grand, sont des mots
tout simples, que les traductions ne peuvent exprimer par-
faitement.
« La plupart des prépositions et des prénoms ne sont
que des lettres ajoutées au commencement ou à la fin des
mots. C'est la langue la plus courte que nous connais-
sions ; est par conséquent la plus approchante du langage
des esprits, qui n'ont pas besoin de paroles pour se faire
entendre. Les expressions sont nettes et solides, donnant
des idées distinctes et sensibles : rien n'est plus loin du
galimatias (1). »
Quiconque a pratiqué le latin chrétien sait combien
ces qualités le distinguent avantageusement du latin
païen.
2° La langue latine chrétienne composée de meilleurs
éléments. A la naissance du christianisme trois peuples
sur fout, comptaient dans le monde intellectuel. L'Evangile
transforma ces trois peuples, et en fit, du moins en partie,
le peuple chrétien. En s'emparantde leur âme, il s'empara
de leurs langues, de leurs arts et de leur littérature.
Toutes ces choses, il les transforma également et les fit
siennes.

Par un nouveau conseil de la Providence, ces trois peu-

Ci} Mœurs des Israël, éducat., p. 67.


76 PIE IX ET LES ÉTTDES CLASSIQUES.

pies ont prêté directement leur langue à la formation de


la langue latine de l'Ecriture et de l'Eglise. L'hébreu pour
le fond, le grec et le latin pour la forme Notre latin chré-
tien est donc le reflet de ces trois langues, le* plus belles
que l'homme ait parlées jusqu'au christianisme, et les
seules qui méritèrent de figurer sur l'écriteau de la
croix.
3° La langue latine chrétienne faite par les ouvriers les
plus habiles. Quels sont-ils ? Le Saint-Esprit lui-même,
l'Eglise épouse du Verbe et les plus beaux génies de
l'univers.
Le Saint-Esprit. En parlant des Martyrs, Notre-Seigneur
disait : <i Ne vous mettez point en peine de ce que vous
aurez à répondre ; le Saint-Esprit lui-mâme vous donnera
une parole et Une sagesse à laquelle vos ennemis n'au-
ront rien à répliquer. » Après les saintes Ecritures, rien
n'est donc plus respectable, pour le fond, que les actes des
Martyrs. Quant à la forme, apparemment le Saint-Esp.it
a su la donner convenable aux pensées qu'il suggérait.
L'Eglise. Si le Saint-Esprit formait la langue des Mar-
tyrs, n'est-il pas juste de conclure qu'il forma celle des
conciles auxquels il présidait? Gomment en douter, quand
on lit les actes de ces grandes assemblées; qui réunis-
saient l'élite de l'humanité par les lumières, par la gravité,
par le savoir «e? par la vertu? En particulier, comment avoir
le moindre doute à cet égard, quand on connaît la langue
particulière, la langue sacrée, en un mot la langue litur-
gique de l'Eglise ? En l'étudiant dans le Pontifical, dans
le Missel, on se demande à chaque page si cette langue
d'une fraîcheur, d'une grâce, d'une poésie, d'une philo-
sophie, d'une théologie, d'une éloquence, d'une transpa-
rence inimitables, n'est pas tombée du ciel ?
Les grands Génies. Plus habile est l'ouvrier, plus par-
PIE IX ET L E S ÉTUDES CLASSIQUES. 77

fait est l'ouvrage. Sans parler de ces glorieux Papes de la


primitive église, ni de ces diacres régionnaires, choisis
avec tant de soin, ni de ces notaires apostoliques si habiles
à manier leur langue : quels ouvriers que Terlullien,
saint Cyprien, Minutius Félix, Lacfance, saint Augustin,
saint J é r ô m e , saint Léon le Grand , saint Grégoire le
Grand, Bède le Vénérable, saint Bernard, saint Thomas,
pour n'en pas nommer d'autres? Chez quel peuple trou-
ver une pareille succession d'hommes supérieurs ?
Ainsi, le Saint-Esprit lui-même, l'Église, les grands gé-
nies : tels sont les créateurs de la langue latine chrétienne,
plus belle que la langue latine païenne, de toute la beauté
qui distingue l'Église catholique des sociétés purement hu-
maines. C'est là cette langue merveilleuse dont le Prophète
disait : Eloquia Domini, eloquia casta, argentum igné exa~
minutuni, purgatum sejjtuplum.
CHAPITRE XIII

EXAMEN DES OBJECTIONS.

C'est avec un superbe dédain que les humanistes de la


Renaissance, laïques, prêtres et religieux, traitent la langue
latine chrétienne. Si on leur demande d'où leur vient ce
mépris? leur réponse est invariable, a Nous méprisons la
langue latine chrétienne parce qu'elle n'est pas belle.
Elle n'est pas belle : 1° parce qu'elle ne ressemble pas à
la langue latine païenne; 2° parce qu'elle a des mots in*
connus des bons auteurs ; 3° parce qu'elle emploie des
tournures nouvelles et parfois incorrectes ; 4° parce qu'elle
ne possède ni la cadence poétique, ni la rotondité des pé-
riodes, ni le faire achevé qu'on trouve dans les auteurs
païens. »
Avant de passer à l'examen de chacune de ces objec-
tions, il faut dissiper un préjugé qui jette la confusion
dans les esprits. Ecce nova faeio omnia : « J e renouvelle
toutes choses. » Le Rédempteur le dit lui-môme : « J e suis
venu pour sauver tout ce qui a péri, les langues aussi
bien que les âmes. » Il convient donc de repéter ici ce
que nous avons insinué ailleurs. La langue latine chré-
tienne n'est pas, à proprement parler, de tout point, une
langue nouvelle : c'est la langue païenne, non pas défor-
mée, comme on le prétend, mais perfectionnée. Nous ne
reviendrons pas sur les preuves que nous en avons don-
nées.
PIE IX ET LES ÉTUDES CLASSIQUES, 79

1° La langue latine chrétienne n'est pas belle parce


qu'elle ne ressemble pas à la langue latine païenne, Ën
parlant ainsi, on ne sait pas ce qu'on dit. Non, elle ne
lui ressemble pas, parce qu'elle ne pouvait ni ne devait
lui ressembler. Pour cela, vj>us dites qu'elle n'est pas
belle. Préjugé absurde. Selon vous le type exclusif du
beau latin est dans les auteurs profanes; doue tout ce qui
s'en écarte est défectueux ou barbare. C'est ainsi que les
renaissants ont raisonné, pendant trois siècles, de l'archi-
tecture chrétienne, comparée à l'architecture païenne.
Comme le vôtre, leur raisonnement était un sophisme,
fruit du préjugé. Ils posaient en principe ce qui est en
question. Aujourd'hui, insister plus longtemps sur cette
première objection serait superflu.
Toutefois, je dois justifier cette assertion que la langue
latine chrétienne ne pouvait ni ne devait ressembler i la
langue latine païenne, sans être pour cela moin:, parfaite,
au contraire. Faite pour exprimer le total assez somma :t
des vérités conservées dans le monde ancien, la langue
latine païenne était trop étroite pour contenir le flot de
lumières, que la révélation chrétienne versa dans l'esprit
de l'homme. En exprimant ces vérités ardentes, l'idiome
de Cicéron et de Virgile craqua, comme un vin trop géné-
reux fait éclater les vieilles outres, dans lesquelles on
essaie de le renfermer.
Les mots se forcèrent pour ajouter le sens surnaturel
divin au vieux sans matériel qu'ils avaient porté. La
vieille charpente de la phrase latine se disloqua dans cette
puissante végétation de la pensée renouvelée. C'est ainsi
que des éléments de la langue ancienne, façonnés et dis-
ciplinés parles mains de l'Église, sortit vne ! <jue nou-
velle, belle des grâces de la jeunesse, brillante des ardeurs
de la foi, douée des promesses de l'éternité, et, sans se
T ;
80 P I E IX ET L ! > E T I ' h h S CI.XSSloi ,S.

donner la peine tiarrorulir ses périodes < ( de polir* sr>


désinences, courant à la conquête du m o n d e .
Des martyrs lui donnèrent la fermeté; «les docteurs ins-
pirés lui donnèrent l'élévation; des orateur* y firent passer
la foi qui brûlait leurs âmes; des dialecticiens im,)ito\able>
la martelèrent dans tous les sens sous le choc de leurs syl-
logismes, afin de lui faire exprimer, avec une précision ma-
thématique, une vérité qui i. ^ comportait pas d'alliage. L a
gamme de la pensée humaine fut prolongée de la terre
au ciel, et la langue dut l'exprimer. C'est ainsi que se
ibrma et dut se former cet idiome m e r v e i l l e u x , qui a n*<;u
et qui conserve tout ce qr'il y a de vérité sur la terre; qui
est la langue môme que l'Église parle à Dieu : et c'est
celle-là que nous dédaignerions et que nous proclamerions
indigne de nos études !
2° La langue latine chrétienne n'est pas belle parce
qu'elle a des mots nouveaux, inconnus des bons auteurs.
Toujours même refrain. Nous disons, nous, que ces mots
sont de bonne race; qu'ils sont une nécessité, et, de plus,
une gloire du latir chrétien.
Ils sont de bonqe race. Cicéron a introduit dans la
langue latine un grand nombre de*mols nouveaux. Direz-
vous que ces mots ne sont pas d e r e bonne latinité, ou
même qu'ils ne pas latins? Qui êtes-vous? et de quelle
autorité refuserez-vous aux Pères de l'Église, et à PÉglise
elle-même, le droit de faire ce qu'a fait si hardiment le
célèbre avocat et ce qu'Horace lui-môme permet? Le latin
n'était-i! pas la langue maternelle des formateurs du latin
chrétien? Pour le génie, TertuUien, saint Augustin, saint J é -
rôme et tant d'autres,ne valent-ils pas mieux queCicéron?
Ils sont une nécessité. Pour rendre des idées nouvelles,
il faut des mots nouveaux. Le christianisme, vous ne pou-
vez le nier, a répandu sur le monde des trésors d'idées
pie ix e t l e s e ï i im-> < : l \ s s i o ï ' e s . si

nouvelles. Ne les connaissant pas, le paganisme, pour les


exprimer, était muet. D'une part, ne pouvant pas laisser
sans organe les idées chrétiennes; d'autre part, ne vou-
lant pas vous servir de la langue chrétienne pour les ex-
primer, vo'*s avez, dans votre fanatisme classique, créé un
jargon ridicule, pour ne pas dire sacrilège.
Comme la mémoire pourrait vous faire défaut, il est
bon de remettre sous vos yeux un échantillon de vos
chefs-d'œuvre. Au lieu d'employer les mots consacrés de
la langue latine chrétienne, vous appelez, pour parler en
beau latin : le parrain, Pater Instruits ; la marraine, Mater
lustrica; la messe, Sacrum; la messe des morts, Piaculare
Sacrum; l'enfer, Orcus;\es âmes du purgatoire, Pu mânes 9

les âmes des damnés, Umbrœ ; l'ange gardien, Geniuf


cvstos ; les livres prophétiques, Libri fatidici; le pécheur
Noxœ reus (peccator latinum non est); le vendredi saint
Vies Veneris sancta. Si vous y tenez, on peut vous citer cent
autres exemples.
Comment ne voyez-vous pas que ce beau langage païen,
cette belle forme païenne, ne peuvent s'adapter h l'idée
chrétienne, sans la rendre ridicule : comme se rendrait
ridicule l'homme du xix« siècle, qui se draperait en
romain, avec la toge, le manteau court, et la chlamyde
sur les épaules? Aussi, tonales humanistes modernes qui
ont voulu encadrer la pensée chrétienne dans la foi me
païenne, scit en prose soit en vers, n'ont fait que de
mauvais calques, dont le goût a fait justice : œuvres hy-
brides ensevelies dans l'oubli.
Ps sont une gloire du latin chrétien. Des mots nou-
veaux supposent des idées nouvelles; et des idées nou-
velle* gont pour un peuple, par conséquent pour une lan-
gue, des richesses nouvelles; ceci est particulièrement
vrai des idées chrétiennes.
82 P I E I X ET L E S ÉTUDES CLASSIQUES.

T^ut le monde surnaturel, avec ses incomparables ma-


gnificences, ignoré ou faussement connu des païens, res-
plendit dans la langue latine chrétienne. Le passé, le
présent et l'avenir de l'humanité, sous le gouvernement
de la Providence, trouvent dans le latin chrétien, et ne
trouvent que là, leur expression toujours belle, parce
qu'elle est toujours juste. Ces mots nouveaux qui vous
choquent,sont donc pour le latin chrétien une gloire, que
n'eut jamais la langue latine païenne.
#
3 La langue latine chrétienne, c'est-à-dire la langue
païenne perfectionnée par le christianisme, n'est pas belle
parce qu'elle emploie des tournures nouvelles et parfois
incorrectes. Des tournures nouvelles du latin chrétien, il
faut raisonner comme des mots nouveaux : elles sont légi-
times, nécessaires et glorieuses. Si, à l'égal de Cicéron, les
Pères de l'Église et les grands écrivains du moyen âge, ont
eu le droit d'euiployer des mots nouveaux, pourquoi n'au-
raient-ils pas eu celui d'employer des tournures nouvelles?
La disposition de nos cathédrales, les nervures, les ar-
catures, les ogives, les clochetons, les frontispices, les
tours et les flèches qui les décorent n'étaient pas connus
des hommes du Siècle d'or, et ne rappellent en aucune
façon les différentes parties des temples païens. Comme
on l'a fait si longtemps, et avec tant d'assurance, oserait-
on encore aujourd'hui soutenir que ces tournures de phra-
se, introduites dans notre langue Architecturale, sont in-
correctes ou barbares ?
Or, il en est absolument de môme de notre langue
écrite. Expression de pensées nouvelles et d'un génie nou-
veau, elle a dû employer des tournures nouvelles; et à
moins de prouver qu'elles ne rendent pas bien les senti-
ments et les idées dont elles sont le rayonnement, nul n'a
le droit de les dire incorrectes ou barbares.
PIE IX ET LES ÉTUDES CLASSIQUES. 83

Sur ce point important, écoutons un professeur de


l'Université. « Une expérience manque probablement
aux détracteurs des lettres chrétiennes, qui les rendrait
moins iaconséquents. Pour notre part, occupé depuis
plusieurs années à l'étude des Pères, nous sommes reve-
nu sur bien des préventions inexplicables, que nous
conservions à l'égard de cette latinité corrompue, dont
nous avions, sur la parole du maître, accepté la condam-
nation.
« Après avoir abordé cette étude avec tous les préju-
gés possibles, convaincu d'avance de la barbarie insigne
de cette littérature des martyrs, des docteurs, des apo-
logistes de notre foi, dont nous avions peu usé, nous
avons éprouvé quelque confusion de notre ignorance
systématique, et du parti pris de notre critique littéraire.
<( Dans nos annotations, à première vue, nous souli-
gnions, par exemple en toute sûreté, telle ou telle tour-
nure, comme contraire à la syntaxe latine. L e nombre de
ces remarques augmentait toutes nos timidités de pu-
riste et de cicéronien* Il fallait cependant nous prouver
ces formes étrangères, ces locutions forcées, sans anté-
cédent dans les bons auteurs.
s On sera étonné, sans doute, mais jamais autant que
nous le fûmes nous-môme, lorsqu'on saura que le Thé-
saurus de Robert Etienne, et l'excellent dictionnaire de
MM. Quicherat et Daveluy nous justifièrent par des exem-
ples de Plaute, d'Ennius, de Lucrèce, de Virgile, d'Ho-
race, de Cicéron, de Salluste, d i César, deTite-Live, de
Yarron, la signification donnée aux mots qui nous avaient
paru employés dans un sens nouveau ; la propriété de
beaucoup d'impropriétés; le légitime usage de plusieurs
termes, que nous avions supposés contraires à l'usage.
« Notre étonnement s'accrut encore en compulsant
8* IX ET L E S É T U D E S C L A S S I Q U E S .

les éditions Variorum auxquelles nous convoquaient


Nicolas Linguet, Rigault, Psaft, Thysius, Keller, Meur-
sius, Barmann, Le Nourry, Duchéne, Bellaise, Rosweyde,
Jérôme de Prato, Havercamp, etc., dans leurs éditions ou
commentaires de Lactance, d'Arnobe, de saint Augustin,
de saint Ambroise, de saint Jérôme, de saint Cyprien, de
Tertullien, de Minutius Félix, Sulpice Sévère, Sedulius,
Prudence, etc., etc. (i) ».
4° La langue latine chrétienne n'est pas belle, parce
qu'elle ne possède ni la cadence poétique, ni la rotondité
des périodes, ni le faire achevé qu'on trouve dans les au-
teurs païens. Cela veut dire, en d'autres termes : L e chris-
tianisme qui a perfectionné toutes choses, non-seulement
n'a point perfectionné la langue ; mais il Ta déformée.
Rappelons d'abord que cette proposition, injurieuse au
chriblianisme, a été condamnée par le concile d'Amiens.
Yenons ensuite à l'examen de l'objection.
Les qualités qu'on vient d'énumérer ne sont qu'acces-
soires. Dépendant du talent plus ou moins réel de l'écri-
vain, elles ne constituent pas la beauté essentielle d'une
langue. Quand il en serait privé, le latin chrétien ne serait
pas sérieusement inférieur au latin païen. Mais est-il bien
certain qu'il manque de ces beautés accessoires? Non* en
appelons sans crainte au jugement de quiconque a
étudié, sans parti pris, notre littérature chrétienne.
Malheureusement, la plupart de ceux qui l'étudient, ne
se livrent à cette étude qu'avec des idées préconçues et
après s'être* comme saint Augustin le dit de lui-même,
faussé le goût en étudiant les auteurs païens. C'est ainsi
que les architectes de la Renaissance ont traité de bar-

(!),M. Moonier, profess. agrég. de TUniv., Revue de renseiyn* chrét. f

p. I .
PIE IX ET L E S É T U D E S C L A S S I Q U E S .

bares tous les monuments construits en dehors des


règles de Vitruve.
A u reste, dans saint Léon, dans saint Bernard, dans
Sédulius, dans Prudence, dans saint Ambroise, dans saint
Thomas, dans Adam de Saint-Victor et dans beaucoup
d'autres poètes, récemment tirés de l'oubli, on trouve
toute la cadence poétique des auteur profanes (1).
Quant à ce qu'on appelle la rotondité de3 périodes,
la propriété des mots, l'élégance des tournures, nous
savons qu'on les trouve, à différents degrés de perfec-
tion, dans les livres païens. C'est môme pour cela, uni-
quement pour cela que, dans la septième règle de l'index,
v
l'Église en permet, ou mieux enjolère l explical:on.
Mais elle në veut pas dire qu'elles ne sont que là. Minu-
tius Félix, saint Cyprien, Lactance, saint Jérôme, saint
Léon, saint Bernard, pour ne pas en nommer d'autres,
vous offrent de toutes ces qualités des modèles, qui ne
laissent rien à envier aux auteurs les plus renommés de
l'antiquité profane.
De tout cela il résulte que le faire achevé qui vous sé-
duit dans les classiques païens, brille d'un éclat non moins
vif dans nos auteurs chrétiens. Un jour, entre autres, nous
en fîmes l'expérience. Parmi les habiles humanistes de
ce temps, le regrettable monsieur Diibner, si connu par
ses travaux philologiques, tenait peut-être le premier
rang. Étant venu me voir, je le priai de s'asseoir, de fer-
mer les yeux et d'ouvrir les oreilles, pour écouter une
lecture latine.
11 consent, et la lecture achevée, je lui demande de
qui est le morceau? — J** ne sais à qui l'attribuer; mais,

(1) Voir Carmina Poetar. christ. 2 vol. in-12. Publiés, annotés et


traduits par M. Félix Clément et qui font partie de notre Bibliothèque
des classiques chrétiens.
86 PIE IX ET L E S ÉTUDES CLASSIQUES.

j'affirme qu'il appartient au beau siècle de la littérature


latine. — Vous le dites ? — J e l'affirme de nouveau.— Lisez.
C'était une page des actes du martyre de saint Georges.
Préjugé donc; préjugé aveugle ; préjugé injurieux qui
prétend que le christianisme, au lieu de perfectionner la
langue latine, l'a déformée et rendue barbare ; préjugé
plus inexplicable et plus dangereux aujourd'hui que
jamais.
N'imitons pas ces grecs du bas empire qui, pendant
que Mahomet était aux portes de Constantinople, se dis-
putaient sur des questions de grammaire. Nous avons à
e
sauver la société des Turcs du X I X siècle. Nous ne la
sauverons, si elle doit être sauvée, qu'en la rendant chré-
tienne. Nous ne la rendrons chrétienne que par l'éduca-
tion, et l'éducation ne sera chrétienne qu'autant qu'elle
-sera donnée conformément aux règles tracées par le Doc-
teur infaillible. C'est à prendre ou à laisser : Qui non est
rnecum, contra me est.
CHAPITRE XIV
ÉRASME ET LE LATIN CHRÉTIEN.

Si, malgré les études qui précèdent, il pouvait rester, ce


qui nous paraît impossible, un doute quelconque dans
l'esprit d'un homme de bonne foi, sur la supériorité de
la langue latine chrétienne comparée à la païenne, toute
incertitude disparaîtrait devant un nouveau genre de preu-
ves : l'autorité des hommes les plus compétents en ma-
tière de latinité. Nous pourrions citer un bon nombre de
témoignages qui confirment notre jugement : un seul
suffira, celui d'Érasme.
Le sentiment d'Érasme a d'autant plus de valeur, qu'il
fut un des pères de la Renaissance, et que sa passion
pour la belle antiquité est connue de tout le monde.
Érasme passa toute sa vie à étudier le latin, à écrire le
latin, à enseigner le latin, à parler le latin, à expliquer,
annoter, éditer du latin, Sa réputation d'excellent latiniste
est au-dessus de toute contestation. Dans ce qu'on appelle
la république des lettres, l'opinion générale est qu'Érasme
avait plus de latin dans son petit doigt, que tous les autres
humanistes dans leurs cervelles.
Or, Érasme a écrit un livre pour montrer : 1° que le la-
tin chrétien est du très-bon et très-beau latin ; 2° que c'est
le seul latin qui puisse servir de truchement aux sociétés
modernes ; 3° que c'est un énorme contre-sens de préten-
dre de former des Cicérons, c'est-à-dire de bons latinistes,
en étudiant, d'une manière à peu près exclusive, Gicéron
88 P I E IX ET L E S É T U D E S CLASSIQUES.

et les auteurs païens; 4° que les études classiques exer-


cent sur la religion et sur la société l'influence la plus
désastfeuse.
Nous abrégeons les preuves de ces quatre piopositions,
dont on peut lire le développement en tête de nos lettres
classiques de S . Bernard.
i ° Le latin chrétien est du très-bon et très-beau l a -
tin. « Pourquoi, je vous prie, demande Érasme, ne
serait-il pas du bon et du beau latin? — Parce qu'il em-
ploie des mots nouveaux et des tournures inconnues de
Cicéron et des auteurs du siècle d'Auguste. — Mais s'il
faut regarder comme barbare tout ce qui est nouveau,
tout, ce qui est récemment introduit dans le langage, il
n ' y a pas un mot, pas une tournure qui ne fût autrefois
barbare.
« Combien ne trouvez-vous pas de ces nouveautés dans
Cicéron lui-même, surtout dans les ouvrages où il traite
de l'art oratoire et des matières philosophiques? Quelle
oreille latine avait entendu, avant Cicéron, les mots béati-
tude, vision, espèce, proposition, occupation, contention, corn-
plexion? C'est lui. qui a osé forger ces mots, ou leur
donner une signification jusqu'alors inconnue des R o -
mains (1).
« Combien d'autres mots ont été introduits dans la lan-
gue latine par Plaute, si fort admiré de Cicéron, par Ovide,
par Catulle, par Sénèque, par. Pline, par Tacite et par les
meilleurs écrivains ! Horace lui-môme justifie toutes ces
innovations et en trace les règles. Pourquoi refuserez-vous
aux grands écrivains du christianisme un droit que per-
sonne ne conteste à ceux de l'antiquité ? Devaient-ils em-
prisonner le génie chrétien dans les entraves du génie

(1) De optimo dicendi génère, p. 99.


HE I X ET L E S É T U D E S CLASSIQUES. 80

païen, ou laisser sans expression cette foule d'idées nou-


velles que le christianisme a révélées au monde?
« Et moi, je vous dis que le beau latin consiste, chez les
chrétiens, à employer les mots et les tournures convena-
bles pour exprimer les choses chrétiennes; de môme que,
pour les païens, le beau latin était celui dont les mots et
les tournures exprimaient le mieux les choses païennes.
Cicéron lui-même, s'il vivait aujourd'hui, trouverait le
nom de Dieu le Père, tout aussi élégant que celui de J u -
piter très-bon et très-grand. Il croirait que le nom de
Jésus-Christ donne pour le moins autant de grâce au
discours, que celui de Romulus ou de Scipion. Ne faussons
pas le goût de la jeunesse, et, sous prétexte de la ren-
dre cicéronienne, prenons garde de ne pas la rendre
païenne (1).
« Qu'elle soit d'abord fortement nourrie d'études chré-
tiennes, et alors rien ne paraîtra plus magnifique que la
religion. Nous ne trouverons rien de plus suave que le
nom de Jésus-Christ, rien de plus éloquent et de plus
beau que les mots employés par les grands hommes du
christianisme, pour exprimer les choses chrétiennes. Nous
sentirons alors que nulle langue n'est belle, qu'autant
qu'elle est en rapport avec la personne qui parle et avec
les choses dont elle parle. Nous sentirons même que c'est
quelque chose de monstrueux d'exprimer les choses de la
piété avec les paroles des impies, et de défigurer le chris-
tianisme avec les colifichets du paganisme » (2).
Voilà pour les mots nouveaux et pour les pédants qui,
dans leurs dictionnaires, ont eu la sacrilège audace d'éli-

(1) Ne simplex ac rudis estas Ciceroniani nominis prœstigio decepta,


pro Ciceroniana fiât pagana, p. J02.
s
(2) « Mous tros us etiam ^ li res pietatis tractât verbis impiorum, gui-
que materiam christianam paganicis nugis contaminât. » P . 213.
90 P J E IX E T L E S É T U D E S CLASSIQUES.

miner ou de stigmatiser les mots de la langue latine chré-


tienne. Quant aux nouvelles tournures de phrase, c'est le
même raisonnement; car les auteurs chrétiens ont eu à
cet égard le même droit que les auteurs païens.
« Direz-vous, demande Érasme, que pour être latines
toutes les tournures de phraso doivent ressembler à cel-
les de Cicéron? Dans ce cas, ni César, ni Salluste, ni Tite-
Live, ni Quinte Curce, ni Sénèque, ni Pline, ni Tacite, ne
savent écrire le latin, puisque leurs tours de phrase ne
ressemblent nullement à ceux de Cicéron (1).
«Les tournures employées par les auteurs chrétiens, ne
ressemblent pointa certain type que vous vous êtes formé;
et pour cette raison vous les traitez de barbares! A vous
plutôt revient cette qualification. C'est merveille de-vous
entendre décrier les Pères de l'Église, les grands écrivains
du moyen âge : vous n'avez pas assez de voix pour dénon-
cer leur barbarie. Pourtant, la chose examinée de sang-
froid, ces grands hommes j u i ne se vantent ni d'être élo-
quents, ni d'être Cicéroniens, sont plus Cicéroniens que
vous tous ensemble, qui voulez passer non-seulement
pour des Cicéroniens, mais pour des Cicérons.
« N'est-il pas vrai, de votre propre aveu, que celui-là
est un autre Cicéron qui dit trè$-bi?n quel que soit le su-
9

jet qu'il traite? Or, pour bien dire, deux choses sont es-
sentielles : connaître à fond son sujet, avoir un cœur et
une conviction qui fournissent les paroles. Tel est le prin-
cipe d'Horace lui-même et de Fabius; et d'ailleurs, sans
l'autorité de personne la c'iose est évidente.
«Comment donc peut-il prétendre au titre de Cicéro-
nien, celui qui ne connaît pas le fond des choses aont il
parle, qui ne les aime pas avec ardea* : quedis-je? qui

(I) Page 78.


PIE I X E T L E S É T U D E S C L A S S I Q U E S , 91

les ignore et qui les hait?Comment voulez-vous qu'un


peintre, bon artiste d'ailleurs, fasse le portrait d'un
homme qu'il n'a pas contemplé avec attention, ou qu'il
n'a peut-être jamais vu?
« Ainsi, la première chose à faire pour les Cicéroniens,
c'est, à l'exemple des grands -hommes que j ' a i nommés,
d'étudier à fond .les mystères du christianisme et de la so-
ciété actuelle; de ne pas mettre moins d'ardeur à feuil-
leter les livres chrétiens, que Cicéron n'en mettait à feuil-
leter les livres païens. C'est ainsi que Cicéron devint
Cicéron. Et nous qui, grâce à notre éducation, ne tou-
chons pas même du bout du doigt les lois du Christianisme,
bases de notre ordre social, ni nos prophètes, ni nos his-
toriens, ni nos commentateurs, qui mémo les méprisons
et les avons à dégoût; par quel miracle deviendrons-nous
des Cicérons? »
On le voit, mots et tournures, tout est irréprochable
dans nos grands auteurs chrétiens; leur latin est donc du
très-bon et du très-beau-latin, c'est-à-dire, dans son genre,
tout aussi cicéronien que celui de Cicéron.
« Qu'on ne dise pas, ajoute Érasme, Cicéron ne parle
pas ainsi. Cette objection est bonne pour des enfants.
Qu'y a-t-il d'étonnant que Cicéron ne parle pas ainsi, puis-
que l'idée lui manquait? Quelle multitude de choses nous
avons à dire, chaque jour, auxquelles Marcus Tullius n'a
jamais songé ! Mais s'il vivait, il les dirait tout comme nous
les disons : Si viveret, nobiscum eadem toqueretur » (1).

C) Page 63.
CHAPITRE X V

É R A S M E E T L E LATIN CHRÉTIEN (sUlTfc).

2* L e latin chrétien est le seul qui puisse servir de tru-


chement aux nations chrétiennes*.
« La raison en est, dit Érasme, que la langue latine
chrétienne est, par son génie, en rapport avec l'état reli-
gieux, social et scientifique des nations modernes, et
parce qu'elle seule renferme tous les mots nécessaires à
l'expression de nos idées.
« Voyez quel péché nous commettons contre le sens
commun, en imitant les païens dans leurs arts, dans leur
langage, dans leur littérature! Prenez un peintre de l'an-
tiquité, Apelles, par exemple; supposez qu'il revienne au
monde et qu'il peigne nos Allemands, comme il peignait
les Grecs, ou qu'il donne à nos rois modernes le costume
d'Alexandre : que pensericz-vous de lui? Et s'il peignait le
Père éternel, comme il peignait Jupiter; ou J^sus-Christ,
comme Apollon : approuveriez-vous ses tableaux ? Et si
un artiste ornait nos églises de statues, copiées sur celles
dontLysippe décorait les temples des dieux, représentant
sainte Thècle sous les traits de Lais : diriez-vous que le
sculpteur est un autre Lysippe? Non à coup sûr ; et cela,
parce que les statues ne seraient pas en harmonie avec les
sujets. )>
Tel est pourtant le contre-sens sacrilège qui a été com-
mis des millions de fois depuis la Renaissance.
PIE I X ET L E S ÉTUDES C L A S S I Q U E S . 93

« De môme, pour être beau, éloquent, irréprochable,


le langage doit être en parfaite harmonie avec les choses,
les temps, les hommes et les idées. Or, que vous en sem-
b l e ? L'état actuel du monde ressemble-t-il au temps, où
vécut et parla Cicéron? Religion, forme sociale, institu-
tions,, philosophie, sciences, lois, mœurs, goût, tout
n'a-t-il pas changé?
« De quel front \ient-on nous dire que la seule langue
qui puisse bien exprimer toutes ces choses, c'est la langue
de Cicéron? N'est-il pas, au contraire, de la dernière évi-
dence que, la scène du monde ayant été bouleversée de
fond en comble, le seul moyen pour nous de parler con-
venablement, c'est de parler tout autrement que Cicéron?
Vous avez beau nier qu'on puisse bi en parler latin, à
fc

moins de parler le latin du siècle d'Auguste, les choses


elles-mêmes vous crient que nul aujourd'hui ne peut bien
parler latin, s'il ne s'éloigne beaucoup du latin de Cicéron
et du siècle d'Auguste (1).
« J e vous en fais juges; de quel côté que je me tourne,
j e vois que tout a changé. Que ferai-je ? Chrétien, je dois
parler à des chrétiens de choses chrétiennes. Pour parler
convenablement, imaginerai-je que je vis au temps de
Cicéron, que je parle au milieu du Sénat, en face de la
Roche tarpéïenne; et m'en irai-je arracher des harangues
de Marcus Tullius quelques membres de phrase, quelques
images, quelques mots, quelques tournures ?
«Mais je parle devant un auditoire composé déjeunes
filles, de femmes, de veuves; je traite du jeûne, de la pé-
nitence, de la prière, de l'aumône, de la sainteté du ma-
riage, du mépris du monde, de l'étude des lettres sacrées :
de quoi me sert ici la langue et l'éloquence de Cicéron ?
(i) Res ipsa clamitat neminem passe bene dicere, riisi prudens recé-
dai ab exempte Ciceroms. P. 83.
94 P I E I X E T L E S ÉTUDES C L A S S I Q U E S .

Ignorant les chose.s dont j'ai à parler, il n'a pas les mol*
pour les rendre. Ces mots sont nés avec les choses elles-
mêmes : et quel ridicule, quel froid orateur celui qui pour
les exprimer,coud ensemble des lambeaux enlevés à Cicéron !
« S'il s'agit d'un sujet profane, même difficulté. J e
parle du mariage, d'une élection de magistrats, de la paix
ou de la guerre. Est-ce qu'un orateur chrétien peut, au
milieu des chrétiens, parler de toutes ces choses, comme
Cicéron païen en parlait au milieu des païens? S'il l'es-
sayait, il parlerait fort mal. »
Tout cela est si vrai, qu'on peut mettre au défi le pre-
mier latiniste de l'Europe de faire, en latin cicéronien, un
cours d'histoire, de rhétorique, de philosophie, de droit
canon, de théologie, dephysiaue, de médecine, de chimie,
ou même d'écrire une simple lettre d'affaires en latin païen.
c Et puis, ajoute Érasme, si vous ne voulez que des
mots et des tournures de la belle antiquité, combien de
choses que vous ne pourrez pas dire, ou que vous direz
d'une manière'fort ridicule et dangereuse ! Ainsi, dans la
langue latine païenne vous ne trouvez nulle part les
mots Jésus-Christ, Saint-Esprit, Trinité, Évangile, Moïse,
Prophète, Pentateuque, Psaume, Évoque, Archevêque,
Diacre, Archidiacre, Acolyte, Exorciste, Église, Foi, E s -
pérance, Charité, Hérésie, Symbole, Baptême, Confirma-
tion, Eucharistie, Absolution, Excommunication, Messe
et une foule d'autres, qui expriment toute la vie religieuse
et sociale des nations chrétiennes.
« Que fera l'admirateur exclusif du beau latin de l'anti-
quité? Pour Dieu le Père dira-t-il, comme cela s'est fait :
Jupiter très-bon et très-grand? (i). Pour Dieu le Fils,
(1J On confiait ce vers de Dante :
O somma Giove che fosti crocefisso per noi.
Et cette phrase récente d'un professeur du collège romain, qui .lisait que
PIE IX ET L E S É T U D E S C L A S S I Q U E S . 9»

Apollon ou Esculape; pour la Reine des vierges, Diane;


pour l'Église, la république sacrée; pour païen, rebelle;
pour hérésie, faction ; pour schisme, sédition; pour foi,
persuasion; pour excommunication, proscription; pour
excommunier, dévouer aux dieux infernaux ; pour le Sou-
verain Pontife, flamen de Jupiter; pour les cardinaux, les
Pères conscrits; pour prophéties, oracles des dieux.
« Que fera, je le répète, l'admirateur exclusif du beau
latin antique ? Se taira-t-il, ou changera-t-il de cette façon
les mots reçus parmi les chrétiens? Dans ie premier cas,
à quoi lui servira son latin? Dans le second, ne verrons-
nous pas ce que nous voyons déjà, les anciennes hérésies
renaître et le monde retourner au paganisme (i) : Le
moins que puisse dire l'homme de bon sens qui nous j u -
gerait avec équité, c'est qu'avec cette imitation servile
du latin païen, nous deshonorons la majesté du chris-
tianisme » (2).
Érasme en donne un exemple. «Vous prétendez, dit-il,
que le latin chrétien est une langue à moitié barbare; e*
que, pour bien parler, il faut lui substituer la langue de
Cicéron. Faisons donc une expérience, et prenons pour
exemple, cette simple phrase de la langue latine chré-
tienne, :
Jésus Chris tus, Verbum et Filius œterni Pat ris, juxta Pro «
phetias venit in mundum et factus homo sponte se in mortem

pour trouver la source du droit, il fallait remonter ad mentem summi


Jovis.
(1) Videmus enirn... sub hoc fuco... repullulare veteres hœreses* sud-
aîio paganitatem. P. 213. (Ce trait de génie est justifié par l'expé-
rience : La révolution des mots conduit infailliblement à la révolution
des choses.)
(2) Si quis nobiscum summo jure contendat citius diceret Ciceronis
y

verbù, figuris ac numeris, chrittianœ philosophiœ majestatem fœdari.


P. 102.
D6 P I E I X ET L E S É T U D E S C L A S S I Q U E S .

tradidit ac redemit Ecclesinm suqm, offensique Patris iram


avertit a nobis eique nos reconciliavit, ut per gratiam jldei
justificati et a tyranmde diaboli liberati inseramur Ecclesiœ,
et in Ecclesiœ communione persévérantes, post hanc vitam
consequamur regnum cœlorum.
Mettons cette phrase, écrite en pur latin barbare, en
pur latin du siècle d'Auguste, et voyons tout ce qu'elle
gagne en harmonie, en exactitude, en beauté de fond et
de forme :
Optimi maximique Jovis interpres ac filius, servator rex,
juxta vatum responsa ex Olympo devolavit in terras, et ho-
minis assumpta figura sesepro salute Reipublicœ sponte devo-
vit Dits mdnibus, atque ita liempublicam suam asseruit in
libertatem, ac Jovis optimi maximi vibratum in nostra capita
fulmenrestinxit, nosque cum illo redegit in gratiam, ut per-
suasionis munificentia adinnocentiam reparaît et a sycophan-
tis dominatu manumissi cooptemur in civitatem;et in Reipu-
-blicœ socielate persévérantes, qïium fata nos evocarint ex hac
vita in deorum immortalium consortio, rerum summa po-
tiamurn ( i ) .
Ce ridicule, ce dangereux, cet inintelligible jargon,
vous l'aurez partout où vous entreprendrez de faire servir
le latin païen, de truchement aux idées chrétiennes. V o u -
lez-vous en avoir la preuve? essayez de mettre en latin
-cicéronien les Homélies de saint Grégoire le Grand, les Pré-
faces du Pontifical, le Dies ira, le Lauda Sion, le Credo, le
Pater, YImitation, les Paraboles de V Évangile, celle, par
exemple, de YEnfant prodigue. Cet essai décisif, nous ve-
nons de le voir, a été fait par un des pius célèbres lati-
nistes des temps modernes.
Sans vouloir blesser personne, nous ajoutons qu'au-

(1) Page 96.


PIE IX E T I E S ÉTUDES C L A S S I Q U E S . 97

jourd'hui nul ne pourrait se flatter de le faire avec le


même succès. En voyant la décadence actuelle du latin,
la pauvreté det études latines, tristement prouvées par
les examens du baccalauréat i en songeant qu'on ne parle
plus le latin, qu'on l'écrit très-peu, et comment 1 on peut
dire avec le Père Ventura : «Encore un peu de temps, et
il n'y aura personne en Europe, capable de faire en bon
latin l'épitaphe de la langue latine. »
D'où vient ce progrès rétrograde ? il vient de ce qu'on
a répudié la langue latine chrétienne, la seule que les na-
tions chrétiennes pouvaient écrire et parler, qu'elles écri-
vaient et qu'elles parlaient bien; pour la remplacer par
la langue de la société païenne, parfaitement incapable de
servir de truchement à la société chrétienne.
Fatigué de lutter contre l'impossible, le bon sens a mis
de côté le latin païen; et comme on ne savait plus le latin
chrétien, on a fini par ne plus savoir ni latin chrétien ni
latin païen. Ceci rappelle le mot de saint Augustin, par-
lant des juifs, au moment de la mort de Notre-Seigneur :
Temporalia perdere timuerunt, zt vitam mternam non cogita-
verunt, ac sic utrumque amiserunt (1).
Ajoutons que l'oubli du latin chrétien est un malheur
social et un péché contre le sens commun.
Sous le rapport scientifique et même littéraire, la lan-
gue latine perfectionnée par le christianisme est, au fond,
la seule qu'il nous importe de connaître. Cette langue est
la mère de la plupart de nos langues modernes. En l'étu-
diant nous trouvons l'étymologie de nos mots, les règles
de notre syntaxe et même la raison de notre orthographe.
De plus, c'est dans la langue latine chrétienne qu'ont
été écrits tous les anciens monuments de notre histoire

(1) Tract, in Joan., 49.


6
98 P I E I X ET L E S É T U D E S CLASSIQUES.

et de celle de l'Europe : les chartes, les diplômes, les ac-


tes de la vie publique et privée. C'est la langue qui, pen-
dant de longs siècles a parlé toutes les sciences. Les con-
ciles , les papes, les grands docteurs n'ont pas eu d'autre
organe.
La langue latine païenne, au contraire, n'a plus rien à
nous apprendre. Sous tous les points de vue, les connais-
sances qu'elle peut nous procurer, sont aux vérités dont
le latin chrétien nous met en possession, ce que l'ombre
est h la réalité, le bégaiement à la parole nette et franche ;
le plomb vil ou tout au plus quelques paillettes d'or,
chargées d'alliage, à l'or purifié au feu du creuset.
La forme même, la forme qu'on y cherche, n'est plus
en rapport avec notre génie, nos habitudes, notre goût. Il
serait parfaitement ridicule le député ou l'avocat qui,
voulant imiter Cicéron, commencerait son discours par
Quousquç tandem abtitervt, Catilina, paiientia nostra ; non
ipoins ridicule le poète qui ferait des églogues, calquées
sur celles de Virgile, ou des idyllesà la façon deThéocrite.
Ainsi, pourvu que nous sachions le latin dont nous
avons besoin, que nous importe celui dont nous n'avons
que faire! Taxer d'ignorant celui qui, comprenant bien les
Pères de l'Église, lit péniblement Pline ou Tacite, est
aussi raisonnable que traiter d'ignorant le Français, qui
qui ne comprend ni le chinois ni le sanscrit.
CHAPITRE X V I

ÉRASME ET LE LATIN CHRÉTIEN (FIN).

3° Les études classiques exercent sur la religion et sur


la Société l'influence la plus désastreuse. — La plupart
n'ont voulu voir dans la question des classiques qu'une
simple affaire de pédagogie et de littérature, tandis qu'elle
est avant tout une question religieuse et sociale au pre-
mier chef : La férule du maître, est le sceptre du monde.
Aussi, envisageant à son vrai point de vue la Renais-
sance, Érasme, .qui la connaissait bien, disait, ii y a plus
de trois siècles, ce que nous ne cessons de crier de-
puis quarante ans : « Notre engouement pour l'antiquité
païenne nous pervertit: Paganitasnostra nos seducil. Sous
le prétexte d'apprendre la belle littérature, nous cessons
d'être chrétiens pour devenir païens : Ut pro christianis
reddamur pagani (1). »
« Voyez où nous en sommes venus dans la littérature
et dans les arts! Cicéron ne fait pas difficulté d'orner ses
livres et ses discours de citations d'Homère, d'Euripide,
de Sophocle, d'Ennius, des philosophes et des historiens;
et nous, nous croyons souiller nos discours, si ces mêmes
ornements que Cicéron païen demandait aux auteurs
païens, nous les prenons, nous chrétiens, dans les pro-
phètes, dans Rioïse, dans les Psaumes, dans l'Évangile ou
dans les épîires des Apôtres.

(1) Vlatin., Epist. ad Joan. P. 2.


100 PIE IX ET L E S ÉTUDES C L A S S I Q U E S .

« Nous regardons, comme autant de perles, les sen-


tences de Socrate que nous pouvons enchâsser dans nos
écrits : et comme des taches les maximes des Proverbes
de Salomon I Est-ce donc qu'en présence de Socrate, Sa-
lomon nous sent mauvais ; Anprœ Socrate nobis putet Sa-
lomon? Qu'un motdePindare ou d'Horace vienne se mêler
à nos paroles, et le discours brille d'une grâce infinie :
et il sera grossier et de mauvais goût si c'est un mot de
David cité à propos I À nos yen:; une maxime de Platon
rapportée dans un ouvrage, lui donne du poids et de la
majesté : et il la perd si c'est une maxime tirée de l'Évan-
gile! D'où vient cette dépravation du sens et du goût? La
sagesse de Platon est-elle pour nous plus admirable que
celle de Jésus-Christ?
<t Si nous voulons être vrais, cet étrange renversement
vient de l'éducation : Paganitas est quœ ista persuadet
auribus atque mentibus nostris (1). On nous dit que les
mots des auteurs païens sont polis et de bon goût, et ceux
des auteurs chrétiens grossiers et barbares. C'est le paga-
nisme, croyez-moi, c'est le paganisme qui nous persuade
ces choses en trompant nos oreilles et en faussant nos
esprits.
« Nous ne sommes chrétiens que de nom : Titulo dun-
taxat sumus christiani. Notre corps a été purifié par les eaux
du Baptême, mais notre esprit ne l'est pas! La Croix est
marquée sur notre front, mais notre âme en rougit. Nous
confessons de bouche Jésus-Christ, mais nous portons
dans le cœur Jupiter et Romulus (2).
c En effet, si nous étions vraiment ce que nous préten-
dons être, quel nom, sous le Soleil, nous serait plus agré-
(I) Page 106.
(5) Corpus aqua sacra tinctum est sed Mot a mens est ; frons crua
t

signata est, sed Jovem. 0 . M. et Homulum gestamus in corde 'Jbid.).


PIE IX ET L E S ÉTUDES CLASSIQUES. 101

ble à prononcer et à entendre que le nom de Jésus! Et


nous e n sommes T e n u s à croire que ce nom, mille fois
adorable, est une tache au discours, tandis que nous re-
gardons comme ses plus beaux ornements les noms de
Camille et d'Annibal! Chassons ce paganisme de notre
cœur. Voilà jusqu'à quel point nous trompe en littérature,
notre imagination paganisée et nos tendances désormais
peu chrétiennes.
« Quant aux arts, quel spectacle nous donnons ! Nous
ouvrons de grandes bouches et de grands yeux, à la vue
d'une statue des anciens démons, ou même d'un fragment
de leurs statues : et c'est à peine si nous regardons sans
dédain les statues de Jésus-Christ et des Saints! Comme
nous admirons une inscription ou une épitaphe, gravée
sur quelque vieille pierre rongée, par le temps ! Quoique
pleine de paganisme et même d'ineptie, nous la baisons,
nous la vénérons, nous allons presque jusqu'à l'adorer,
comme une relique de la belle antiquité : et les religues
des saints Apôtres, nous nous en moquons 1
c Nous sommes heureux et fiers si nous possédons, sur
quelque médaille, l'effigie d'Hercule ou de Minerve, de la
Fortune ou de la Victoire, d'Alexandre ou de n'importe
quel César : et nous traitons de superstitieux, et nous
tournons en ridicule, ceux qui conservent, comme des
objets précieux, du bois de la vraie Croix ou les images
des Saints I
« S i jamais vous avez visité, à Rome et ailleurs, les
musées des Cicéroniens, rappelez-vous si vous y avez vu
une statue de Jésus-Christ ou des Apôtres. Tous sont
pleins des monuments du paganisme : Paganismi monu-
mentis plena reperies omnia (i).
c Et dans les tableaux, Jupiter changé en pluie et sé-
(l)Page 110.
102 PIE IX ET L E S É T U D E S CLASSIQUES.

duisant Danaé attire bien plus les regards, que l'Ange


Gabriel annonçant à la Sainte Vierge le mystère de l'In-
carnation. Ganymède enlevée dans l'Olympe p a r l'aigle de
Jupiter, nous délecte bien autrement que Jésus-Christ
montant au Ciel. Nos regards s'arrêtent avec bien plus de
plaisir sur les fêtes de Bacchus ou du Dieu Terme, toutes
pleines de turpitudes et d'obscénités, que sur Lazare r a p -
pelé du tombeau, ou sur le Fils de Dieu baptisé par saint
Jean.
« Voilà les mystères qui se cachent sous le voile de
l'amour et de.l'admiration pour la belle antiquité. Croyez-
moi, sous ce beau prétexte, on tend des pièges aux
simples et on séduit l'innocente jeunesse. N'osant pas
faire profession publique de paganisme, nous nous dé-
guisons sous le nom de Cicéroniens. Combien mieux vau-
drait pour nous être muets, que de manifester une pa-
reille tendance (1)! »
Ainsi parlait Érasme, il y a plus de trois siècles. Que
dirait-il s'il vivait aujourd'hui ? Si, comme nous, il voyait
le paganisme en pleine floraison dans le champ de l'Eu-
rope, et se personnifiant aujourd'hui dans un fait que le
monde chrétien n'aurait jamais soupçonné? Quel est ce
fait? J e vais le dire de nouveau.
Entre toutes les manifestations de l'esprit païen dont
nous sommes témoins en politique, en philosophie, en
négations historiques, religieuses et sociales, il vient de
s'en produire une plus étrange, plus imprévue, plus in-
croyable que les autres, sans être moins logique, et dont
il forme la fidèle sjnthèse.

(1) Pet spectosi tituli prœtextum insidiœ tenduntur simplicibus et ad


fmudem idoneis adolescentibus. Paganitatem profiteri non audemus,
Ciceromani cognomen obtendimus. At quanto satius esset^ vel mutos
esse nos, quam in hune affectum venir e! » P. 110.
PIE IX ET L E S ÉTUDES CLASSIQUES. 103

Dans son Encyclique du 8 décembre 1849, Pie I X , exilé


à Portici, avertissait le monde que le but de la Révolution
était de reconduire l'Italie au paganisme ; Quô Italia pris-
tinum veterum temporum, id est ethnicorum, splendorem
iterum acquirere posait. Maltresse de Rome, la Révolution
s'empresse de justifier les prévisions du Pontife. Par son
esprit radicalement hostile à tout ce qui est chrétien, par
ses actes, par ses discours, par ses blasphèmes, par ses
aspirations servilement imités des Césars et de leurs fa-
rouches proconsuls, elle se proclame la fille et la résur-
rection de l'antiquité païenne.
Afin que personne dans le monde ne puisse s'y mépren-
dre, que fait-elle? Par ses ordres des chasseurs battent
les forêts d'Italie. Ils prennent une louve vivante. On l'ap-
porte religieusement à Rome et on l'installe solennellement
au Capitole, où elle est nourrie aux frais de l'État.
Quelle est la signification de ce fait, ridicule seulement
et sans importance pour les esprits superficiels; mais
d'une haute éloquence pour quiconque veut réfléchir. Par
la présence au Capitole de cette bêle légendaire, la Révo-
lution dit : « J e suis païenne. Pour moi les dix-huit siè-
cles de Christianisme sont non avenus, ou ne comptent
que dans les annales de la barbarie et de la superstition.
Fille de l'antiquité païenne, je retourne à mon origine ;
je renoue la chaîne de ma généalogie; je vénère ma nour-
rice et glorifie mon berceau. »
Rien de plus vrai : la Louve au Capitole, c'est la déesse
Raison à Notre-Dame de Paris. C'est le paganisme en
chair et en os, représenté à l'admiration et au culte de
l'Europe actuelle.
J'ajoute que si rien n'est plus honteux, rien n'est plus
logique. Libre de se choisir un maître, l'homme n'est pas
libre de n'en avoir aucun. Jésus-Christ ou Bélial : pas de
104 PIE IX E T L E S É T U D E S C L A S S I Q U E S .

milieu. S i Jésus-Christ sort par la porte, Satan entre par


la fenêtre. Créé pour adorer, l'homme, quoi qu'il fasse,
adore quelqu'un ou quelque chose. S'il n'adore pas le
fiieu Très-HauV il adore le dieu très-bas; s'il n'a dore
pas le Dieu esprit, il adore le dieu chair. Chrétien ou
païen : l'alternative est impitoyable. L'histoire l'enseigne
à l'esprit et la mappemonde le montre aux yeux.
Mais comment, après dix-huit siècles de christianisme,
la louve, emblème tivantd'un nouvel oMre de choses pour
Rome et l'Italie, est-elle remontée triomphante au Capi-
tol e ? Par les mêmes causes qui, en France, il y a quatre-
vingts ans, placèrent une courtisane sur les autels de la
Vierge. Aux deux époques, les fils de la Révolution, qui,
mieux que personne, connaissent leur généalogie, tiennent
un langage identique.
« Nous ne sommes ni insensées, ni inconséquentes, di-
sent ces malheureuses générations, nous sommes logiques.
Nous ne nous sommes pas faites nous-mêmes; nous som-
mes ce qu'on nous a faites. Si on nous avait enseigné le
judaïsme, nous serions juives; le luthéranisme, nous se-
rions luthériennes; le mahométisme, nous serions maho-
métanes; le catholicisme et rien que le catholicisme, nous
serions catholiques.
« S i nous sommes païennes, c'est que dès l'enfance on
nous a enseigné le paganisme, on nous a appris à chanter
le paganisme, à admirer le paganisme. Nous transmettons
ce que nous avons reçu et nous glorifions ie paganisme,
nous admirons le paganisme, nous retournons au paga-
nisme. »
A qui la faute? on récolte ce qu'on sème. L'éducation
fait l'homme; et l'homme fait la société. Si les disciples
vous semblent absurdes M coupables, quels noms mé-
ritent ceux qui les ont formés ?
PIE IX ET L E S É T U D E S C L A S S I Q U E S . iOH

En résumé : Pie IX prisonnier au Vatican, et la louve de


Romulus trônant au Capitole : voilà le fruit de l'amour du
beau latin et le dernier mot des éludes classiques, philo-
sophiques et littéraires.
A tous les académiciens de l'univers, on porte le défi
d'expliquer autrement ce double phénomène, qui nous en
prépare bien .'autres : Et nunc intelligite?
CHAPITRE XVII

E N S E I G N E M E N T C H R É T I E N DES AUTEURS PAÏENS HT


EXPURGATION COMPLÈTE DE C E S DERNIERS.

Enseigner chrétiennement les auteurs païens, est une


obligation qui découle nécessairement, non-seulement
de l'Encyclique de 1853, et du Bref de 1874 ; mais encore
du dictement de la conscience et même de la notion la
plus élémentaire du sens commun. Qu'est-ce qu'enseigner
chréliennement les auteurs païens ! C'est les enseigner de
manière à les rendre, non pas nuisibles, mais utiles aux
jeunes chrétiens. Pour atteindre ce but difficile et d'une
importance extrême, voici les règles qui doivent être re-
ligieusement observées.
Le professeur doit faire tout le contraire, à peu près, de
ce;qui s'est fait jusqu'ici. En parlant de l'antiquité gréco-
romaine, l'éducation classique ne semble avoir d'autre
but que de la faire admirer. Elle nous montre toujours le
dessus des cartes, jamais le dessous. Le maître conscien-
cieux commencera donc par dire à ses élèves, ce qu'était le
monde païen, ce que sont les auteurs païens, ce que ren-
ferment, en général, leurs ouvrages en prose et en vers.
i* Ce qu'était le monde païen. — Au lieu de mentir en
vantant l'antiquité païenne, comme la plus brillante épo-
que de l'humanité, il dira la vérité. Or, la vérité est que
l'antiquité païenne fut la plus malheureuse époque de
l'humanité. Trois grands fié uix la dominèrent constam-
PIE I X ET L E S É T U D E S C L A S S I Q U E S . 107

ment : l'esclavage, l'adoration du serpent, le sacrifice hu-


main. Dans Tordre social, l'esclavage le plus dur. Dans
l'ordre religieux, l'adoration universelle du serpent en
chair et en os, du serpent vivant, entouré de mille autres
divinités, ridicules, infâmes, cruelles. A ces milliers de
démons, adorés sous des noifts divers, omnes dii gentium
dœmonta, étaient offerts, chaque année, en Orient et en
Occident, des milliers de victimes humaines.
Il s'ensuit, d'une part, que le monde païenne fut qu'un
sépulcre blanchi, don! l'intérieur était rempli de pourri*
ture et d'ossements ; d'autre part, que la résurrection to
taie ou partielle de ce monde serait le plus grand des
fléaux; et l'admiration pour ce monde, l'erreur la plus
grossière et la plus funeste. 11 faut ajouter que de son vi-
vant, ce monde fut notre implacable ennemi. Pour e m -
pêcher l'établissement du christianisme, auquel nous de-
vons tout, il n'épargna, pendant plusieurs siècles, ni les
calomnies, ni les proscriptions, ni les tortures, ni le sang
de nos pères. Le seul sentiment que nous lui devions, est
celui qu'il inspirait à Dieu lui-môme, une profende pitié :
Tempora quidem hu/us ignorantiœ despiciens Deus (1).
2° Ce que sont les auteurs païens. — Ils sont les hom-
mes de leur temps; organes des idées, des croyances et
des mœurs d u monde païen. Comme tels, ils racontent,
ils aiment, ils admirent, ils chantent, ils enseignent ce
que disait, faisait, aimait, admirait le monde païen et ce
qu'ils faisaient eux-mêmes. Que faisaient-ils ? Turpe est
et dicere. Alors même qu'ils flétrissent le vice ou prêchent
la vertu, leur conduite démentant leur parole, ils ressem-
blent à ces peintres bambocheurs qui font des tableaux
d'église. Quelle confiance peuveni-ils inspirer? Comme il

(1) Act. X V I I , 30.


106 P I E I X ET L E S É T U D E S CLASSIQUES.

est de son devoir, le professeur consciencieux ne peut se


dispenser de lire le portrait, tracé par saint Paul, de ces
grands païens de la Grèce et de Rome, si admirés dans les
collèges. Afin de ne pas tromper ses élèves, il devra même,
autant que la conscience peut le permettre, leur en décou-
vrir une partie.
Puisque dans les mots le latin brave rhonnêteté, tandis
que le lecteur français veut être respecté, nous lui offrons
en latin quelques traits du tableau apostolique.
« Quum cognovissent Deum, non sicut Deum glorifica-
verunt; sed evanuerunt in cogitationibus suis, et obscu-
ratum est insipiens cor eorum... proplerea tradidit illos
Deus in passiones ?gnominiae. Nam fœmiiup eorum immu-
taverunt naturalem usum, in eum usum qui est contra
naturam. Similiter autem etmasculi, relicto naturali usu
fœminœ, exarserunt in desideriis suis in invicem. mas-
cul i în masculos turpitudinem opérantes... Repleli omni
iniquitate... qui talia agunt digni sunt morte (1).
Pline le Jeune confirme de tout point les paroles de
l'apôtre. Le vertueux Pline s'amusait à faire des poésies
tellement obscènes, que Rome elle-même en était scan-
dalisée. Un de ses amis, Ariston, lui écrit le mauvais effet
que produisaient dans le public ses vers et sa conduite.
E n réponse, Pline lui adresse la lettre suivante : « II est
vrai, j e fais quelquefois des vers peu cbastes; je regarde
les mimes, je lis les lyriques, je comprends les sodati-
ques (2). J e suis peu touché de l'opinion qu'ont de mes
mœurs, ceux qui ne savent pas que les plus savants, les
plus graves, les plus saints personnages ont composé de
semblables vers : Doctissimos, gravissimos, sanctissimos ho»
(1) Rom. I , 21 et seqq.
(2) Espèce de poéaie tellement obscène, que Quintilicn a rougi d'en
tracer les règles.
PIE IX ET L E S ÉTUDES CLASSIQUES. 109

mines scriptuasse. Mais j'ose me flatter que ceux qui con-


naissent le nom et le nombre de mes modèles, me par-
donneront aisément si je m'égare sur leurs pas.
« J e neveux nommer personne entre les vivants, pour
ne pas me rendre suspect de flatterie ; mais dois-je rougir
de faire ce qu'ont fait Cicéron, Caius Calvus, Asinius
Poîlion, Messala, Hortensius, Brutus, Sylla, Catulus, Sce-
vola, Sulpicius, Varron, Torquatus, ou plutôt les Tor-
quatus, Memmius, Lentulus, Gétulicus, Sénèque, et de
;
nos jours encore Virg nius Hufus?
« Les exemples des particuliers ne suffisent-ils pas? J e
citerai le divin César', le divin Auguste, le divin Nerva,
Titus. J e n<> parle point de Néron ; et cependant un goût
ne cesse point d'être légitime pour être quelquefois celui
des hommes méchants, tandis qu'une chose reste hono-
rable par cela seul que les gens de bien en ont souvent
donné l'exemple. Entre ceux-ci on doit compter avant
tout Virgile, Cornélius Nepos, et précédemment Ennius
et Accius. Il est vrai qu'ils n'étaient pas sénateurs, mais la
sainteté des mœurs n'admet ni distinction, ni rang : lnter
quos vel prœcipue numerandus est P. Virgilius> etc. (1).»
Quel cynisme ! mais quelle révélation ! Tous ces saints
de l'antiquité, tous ces hommes qu'on donne pour maî-
tres aux jeunes chrétiens, des infâmes et des corrupteurs !
et à leur tête le chaste Virgile ! En effet, c'est à leur
exemple que, dans ses vers, Pline le Jeune chante les
garçons et les plus odieuses turpitudes de l'amour déshon-
nête (2). Bien des professeurs en toge et en soutane vont
être scandalisés d'une pareille révélation. Ce n'est pas ainsi

(1) Epist., lib. V , epist. VIL C'est une preuve de pli;s qu'il serait l'au-
teur ou un des auteurs des Priapœia.
(2) Epist., lib. VII, epist. IV ad Pontium.
7
HO P I E I X ET L E S ÉTUDES CLASSIQUES.

qu'ils parlent ni qu'ils ont entendu parler du cygne de


Mantoue. Qu'ils s'en prennent à Pline, qui le connaissait
mieux qu'ils ne Je connaissent, et me permettent de ré-
péter que l'éducation ne nous montre que le dessus des
cartes, jamais le dessous.
J'ajouterai que tous ces saints personnages pratiquaient
sans pudeur ce qu'ils chantaient. On peut le voir dans le
onzième volume de notre ouvrage La Révolution, qui con-
tient leur Biographie. Appuyée sur des faits authentiques,
elle est telle qu'elle conduit à la conclusion suivante : En
vertu des articles 86, 332, 333, 334, 340, 351, 301 de no-
tre Code pénal, qui pourtant n'est pas sévère, tous les
dieux de la belle antiquité, à commencer par Jupiter, se-
raient aujourd'hui à Cayenne ; toutes les Déesses, à Saint-
Lazare. E n vertu des mômes articles, tous les grands
hommes, tous les grands orateurs, tous les grands poëtes,
tous les grands philosophes de la belle antiquité, ces maî-
tres acclamés de la jeunesse chrétienne, s'ils existaient
aujourd'hui, seraient au bagne ; et, s'ils avaient vécu, il y
a cent ans, ils eussent été brûlés vifs.
3° Ce que contiennent, en général, leurs ouvrages en
prose et en vers. — De tous on peut dire ce que Martial
disait de ses épigrammes : Sunt quœdam bona, sunt medio-
cria, sunt mata plura. Outre beaucoup de souillures mo-
rales, ils fourmillent de souillures intellectuelles. Il n'en
peut être autrement: la bouche parie de l'abondance du
cœur.
Que trouve-t-on dans les poètes? des romans, des fa-
daises, des contes à dormir debout, les chants de l'or-
gueil et de la volupté.
Dans les philosophes? A part quelques vérilés tradi-
tionnelles et quelques maximes de vertus purement hu-
maines, les doctrines les plus fausses et les plus dange-
PIE IX ET L E S ÉTUDES CLASSIQUES. Hi

reuses, sur la création, sur Dieu, sui la providence, sur la


nature et l'immortalité de l'âme, sur le suicide, le régi-
cide, le droit des gens, le droit social et domestique. Le
rationalisme, le naturalisme, le sensualisme, le fatalisme,
le panthéisme, forment le fond de la philosophie antique,
dont le cinquième concile de Latran a dit avec raison, que
les racines, comme celles de la littérature, sont infectes :
Philosopkiœ et poeseos radiées esse infectas (1).
Dans les historiens et dans les orateurs? Des récits de
guerres et de batailles, et toujours des récits de guerres et
de batailles, vrais pour la plupart comme les bulletins de
la grande armée de Napoléon. Tel est, outre le témoi-
gnage des anciens, le jugement de la critique moderne :
des harangues déclamatoires, supposées, ou vendues à
prix d'argent, ou rédigées sans conscience, et sans intérêt
pour nous; des diatribes haineuses contre la richesse et
contre l'autorité; la justification des actes de cruauté et
de mauvaise foi ; le travestissement de la religion par mille
superstitions honteuses et ridicules; par des sacrifices in-
humains; par les invocations et les interventions olympi-
ques, surtout par l'empire terrible et terriblement redouté
du Daimion.
Saint Jérôme n'exagère denc pas, lorsqu'il résume par
ces mots énergiques, la philosophie païenne, la poésie
païenne, la littérature païenne: Secularisphilosopha, car-
mina poetarum rhetoricorum pompa verborum, eibus est
y

dœmoniorum (2).
Admirons maintenant le bon sens de l'Europe moderne
et son respect pour la jeunesse. L'enfant baptisé est l'enfant
de Dieu, le temple du Saint-Esprit, une fleur divine qui
doit s'épanouir aux rayons du soleil de la vérité et de la
(1) Const. Regim. apost.
(2) Epist. du Duob. filiis.
112 PIE IX ET L E S ÉTUDES CLASSIQUES.

grâce; un candidat du ciel, dont toute l'éducation doit ôtre


une œuvre sainte, parce qu'elle doit être le développe-
ment de la vie surnaturelle qu'il a reçue au baptême. A u
lieu de le confier à des maîtres saints et sanctificateurs,
les docteurs et les grands écrivains de l'église, on le met
à Técole de maîtres corrompus et corrupteurs, les libres
censeurs et les libertins du paganisme !
À moins de ne rien comprendre à sa mission, voilà ce
que tout professeur doit savoir, et ne pas perdre de vue
dans son enseignement, sous peine d'encourir une grave
responsabilité en faussant l'esprit de ses élèves.
CHAPITRE XVIII

SUITE DU P R É C É D E N T .

Gomment faire pour enseigner chrétiennement les au-


teurs païens? — A i n s i que nous venons de le dire, au mi-
lieu de tant de misères, de tant de souillures et d'erreurs,
on découvre çà et là dans les auteurs païens, quelques
t

maximes de sens commun, quelques justes appréciations


des hommes et des choses, quelques actes de vertus h u -
maines, quelques vérités incomplètes, très-rarement des
vérités complètes et applicables à la vie réelle, telle que
l'a faite le christianisme : Parmi tant d'ordures, comment,
sans se souiller, recueillir ces quelques perles ?
i ° Il faut, suivant la règle tracée par le Saint-Père, com-
mencer par enseigner les auteurs chrétiens. Quand on
voyage dans un pays infecté de la peste ou infesté de rep-
tiles venimeux, il esi nécessaire d'être muni de préserva-
tifs. Il ne faut donc, suivant la pensée de Quintilien, faire
étudier les dangereux auteurs dont nous parlons, que
lorsque les mœurs sont en sûreté : Dum mores sint in
tuto.
« Pour cela, dit le père Possevin, la première chose
qu'il faut verser dans l'âme innocente et pure des enfants,
c'est la vérité chrétienne, afin qu'ils connaissent la source
de laquelle les païens ont tiré ce qu'il y a de bon dans
leurs livres, s'il y a quelque chose de bon : Fontem unde
ethnici derivarunt in suos libros, si quid boni deprompsere.
Il importe extrêmement qu'ils boivent le lait chrétien
.14 P I E I X ET L E S É T U D E S CLASSIQUES.

avant le païen. Ceux qui sont élevés autrement, ont, plus


tard, une très-grande peine à se laisser instruire par la
sagesse divine, qui devait être leur première maîtresse (i).
Ici, le père Possevin commence l'exposition du plan
d'études, tel que nous l'avons .ious-môme réalisé.
A l'autorité du père Possevin se joint le témoignage
d'un homme, de tous le moins suspect. « Puisqu'il faut
tout dire, puisque tous les préjugés doivent aujourd'hui
disparaître, l'étude longue, approfondie des langues des
anciens, étude qui nécessiterait la lecture des livres qu'ils
nous ont laissés, serait peut-être plus nuisible qu'utile.
Nous cherchons dans l'éducation à faire connaître des vé-
rités, et ces livres sont remplis d'erreurs. Nous cherchons à
forme, la raison, et ces livres peuvent régarer. Nous
sommes si éloignés des anciens, nous les avons tellement
devancés dans la route de la vérité, qu't/ faut avoir sa rai-
son dé/à tout armée, pour que ces précieuses dépouilles
puissent l'enrichir sans la corrompre... Qu'est-ce, en effet,
que des modèles qu'on ne peut imiter sans examiner sans
cesse, ce que la différence des mœurs, des langues, des
religions, des idées oblige d'y changer?... Prononcez main-
tenant, si c'est aux premières années de la jeunesse, que les au-
teurs anciens doivent être donnés pour modèles. »
L'homme qui parle ains< s'appelle Condorcet(2).
2° Conformément à la raison et pour entrer dans la pen-
sée du souverain Pontife, il ne faut pas donner l'élément
littéraire chrétien en doses homœopathiques; ce serait,
suivant le mot pittoresque du père Possevin, fêter un verre
de bon vin dans un tonneau de vinaigre. N'est-ce pas ce
qu'on fait dans un très-grand nombre de bonnes maisons
d'éducation? Entre les mains des commençints, on met

(1) Hiblioth., etc. c. X V I , Jib. I V .


(2) Rapport sur forgeons, de Pinstr.
PIE I X E l L E S É T U D E S C L A S S I Q U E S . H 3

VEpitome historiée sacrœ, petit opuscule, rédigé en latin du


dix-huitième siècle; après quoi l'enfant est, pendant
toutes ses classes, privé du lait chrétien : et on croit avoir
accompli toute justice !
On dit : Nous choisissons souvent dans les faits de
l'histoire chrétienne des sujets de thèmes, de versions et
de discours. Ce n'est là qu'un palliatif, un moyen de juxta-
position. Tant que le christianisme ne sortira pas des
études journalières, comme le parfum sort de la fleur,
vous n'aboutirez qu'à de tristes mécomptes. Est-ce que
dans le dernier siècle, les ordres religieux enseignants ne
prenaient pas, de temps à autre, dans le christianisme
des sujets de composition? et cependant, dit le père Grou,
ils n'ont formé que des païens.
Afin de prendre au sérieux le christianisme littéraire,
et les prescriptions pontificales, tous les classiques doi-
vent être chrétiens, au moins jusqu'à la quatrième inclusi-
vement. Sans cela on ne fera rien de solide. L'élément
païen restera dominant, et nous aurons des géaérations
lettrées toute païennes, comme nou.s les voyous depuis
la Renaissance. Cette obstination de pédant à repousser
nos auteurs chrétiens, ou à ne les admettre que dans des
proportions insignifiantes, pénétrait de douleur et d'indi-
gnation le grand docteur, Gabriel du Puy-Herbault.
« Chez les chrétiens, dit-il, l'éducation doit commencer
par l'étude des auteurs chrétiens, autrement le monde
croira que, comme nous p r ê t o n s la littérature païenne
à la littérature chrétienne, ainsi nous aimons les dieux,
les idoles, les vices des païens, plus que notre Dieu...
Quelle est donc cette démence : Quœ ergo vesania est? aller
chercher, pour élever des enfants chrétiens, des livres
étrangers, tout pleins de paganisme, c'est-à-dire vains,
futiles, blasphématoires, et mépriser ceux que nous de-
116 PIE IX ET L E S ÉTUDES CLASSIQUES.

vrions emprunter, si nous ne les avions pas ! aller chercher


à l'étranger d'actifs poisons, tandis que nous avons chez
nous des aliments excellents : Aliunde asciscere venenatis-
simos, cum domi habeas plurissimos bonœ frugis 1 Qu'est-ce
que cela? sinon prendre en haine la vie, la santé, le bon-
heur, et se précipiter volontairement dans la mort: An hoc
est aliud quant vitam, salutem, felicitatemque suam aversari
}

et sponte ad exitum properare ? (1).


3° A aucun prix et sous aucun prétexte, il ne faut met-
tre entre les mains des enfants que des auteurs païens,
purgés de toute souillure, a quauis labe pargati. Quelle
effrayante responsabilité pour les directeurs, supérieurs
et professeurs des maisons d'éducation, qui laissent entre
les mains des élèves, des livres, où ils étudient en grec et
en latin, ce qu'ils regarderaient comme un péché mortel
de leur laisser lire en français I E n parlant de l'étude des
prosateurs païens, latins et grecs, le père Possevin que
nous aimons à citer, signale les nombreux dangers qu'elle
présente, indique une foule de précautions à prendre pour
les neutraliser, et arrive aux poètes. Reproduisant un mot
célèbre, il ne craint pas de les appeler des séducteurs
effrontés, plus coupables que les entremetteurs et les
proxénètes : Perniciosissimis lenonibus détériore*.
« L'expurgation de ces auteurs, dit-il, est dangereuse,
et même impossible. Dangereuse : il y a quelques années,
on a publié à Rome les poètes profanes expurgés, obscœ-
nitate sublatà, mais on n'a pas obtenu ce qu'on espérait. Les
vers supprimés ont été remplacés par des étoiles ou par
des blancs. Ces lacunes ont été un aiguillon pour la c u -
riosité du lecteur : il a voulu voir les passages toutentiers.
De plus, on accompagne ces classiques expurgés de corn*

(1) De tollendis et expungendis libris, ia-8, 1549.


PIE I X E T L E S É T U D E S C L A S S I Q U E S . 117

mentaires et de dictionnaires remplis des infamies sup-


primées dans le texte : Pœditatibus eisdem scatentia (1).
c Elle est impossible ; pour masquer les suppressions,
il en est qui ont imaginé de substituer aux vers ou aux
mots impurs de l'original, des termes plus honnêtes. J e
n'approuve nullement ce stratagème : non probatur. D'une
part, ce travail est absurde, attendu qu'on ne peut jamais
déguiser la pieuse fraude; d'autre part, il est impossible,
attendu que, quelle que soit l'expurgation, la pièce dont
le sujet est obscène, retient toujours quelque chose de son
odeur primitive : Quia quantacumque adhibeatur purga-
tio, semper tamen liber euJus arqurnentum turpe sit, pristi-
num ac nativum redolet odorem.
« Le3 mots, les images, les allusions, les sentiments,
tout l'ensemble de la pièce, imprégnés du virus dont
l'âme de l'auteur était remplie, se versent goutte à goutte
dans celle du lecteur, alors même qu'il n'y pense pas : Quod
virus hauserunt ab auctoris anima, id in lectoris mentem,
quamvis ea de re nihil cogitantem, lat enter instillant (2). »
Puisqu'au jugement du Père Possevin, un des plus
grands hommes de la Compagnie de Jésus, l'expurgation
des classiques païens est dangereuse ou impossible,
comment exécuter l'ordre plusieurs fois répété du Sou-
verain Pontife, de les purifier de toute souillure a quavis
labe purgati?ll n'y a qu'unmoyen : c'est de composer les
livres de classe d'extraits des auteurs païens, desquels il
n'y a rien à retrancher. Nous l'avons fait; et sur ce point,
comme sur tous les autres, nous sommes heureux de
nous trouver d'accord avec l'illustre religieux que nous

(1) Cela se fait encore aujourd'hui. Voir, par exemple, VAppendix de


dits de Jouvency, et les notes virgiliennssd'Abram, etc.
(2) Ubi suprà.
7.
H8 PIE IX ET LES ÉTUDES CLASSIQUES.

venons de citer, et même avec le concile de Trente, dans


la septième règle de l'Index.
4° En expliquant ces extraits, purgés de toute souillure,
le devoir du professeur sera de faire trois choses : 1° mon-
trer l'infériorité intellectuelle des peuples païens. Leurs
plus belles pages sont des descriptions de choses maté-
rielles, l'expression de sentiments purement h u m a i n ; mais
les beautés de l'ordre surnaturel, mais les idées \s sen-
timents qui élèvent l'homme au-dessus de lui-L.ème et
qui sont, tout à la fois, le foyer de la vraie poésie et 11
source de la grande éloquence, presque toujours sont pour
eux lettre morte.
a
2 Quant aux vérités de croyance et de sentiment, dissé-
minées dans les classiques païens: remarquer que Dieu n'a
jamais abandonné entièrement l'humanité, et que, pour
assurer son existence, la Providence a toujours conservé
à l'enfant prodigue quelques débris de son riche patri-
moine. Ainsi, tous ces vestiges de vérités, échos plus ou
moins affaiblis des traditions primitives, sont autant d'an-
neaux de la chaîne divine qui s'appelle la Religion, et sus-
pend la terre au ciel. Cette démonstration de la foi par le
témoignage même des païens, est une perle précieuse que
le professeur tirera de leurs écrits.
3° Paire sans cesse entrevoir aux élèves la profondeur
de l'abîme, d'où le christianisme a tiré le monde, et dans
lequel le christianisme seul l'empêche de retomber. De la,
une reconnaissance sans bornes pour le Dieu qui a placé
leur berceau au sein du christianisme ; une fidélité à toute
épreuve aux devoirs qu'il prescrit, et un amour filial pour
le Verbe Rédempteur, dont le sang a été le prix de leu?
bonheur dans le temps et dans l'éternité.
Que le professeur suive religieusement ces différentes
rtgles, et non-seulement il aura dégagé sa esponsabilité
A
PIE IX ET L E S ÉTUDES CLASSIQUES. 119

devant Dieu et devant les hommes; mais il aura mérité


les bénédictions de ses élèves, des familles, de la religion
et de la société. Bien mieux que tous les législateurs en-
semble, il aura contribué à ramener, sur la terre de la
vieille Europe, le règne de Dieu, règne de la paix, de la
prospérité et de la civilisation, parce qu'il est exclusive-
ment le règne de Tordre.
Reste une faute à éviter dans renseignement des au-
teurs païens : nous en parlerons dans le chapitre suivant.
CHAPITRE X I X

FIN DU PRÉCÉDENT.

« La première faute à éviter dans l'explication des au-


teurs païens, c'est, continue le Père Possevin, de les louer
avec emphase. Les louanges exagérées qu'on leur donne,
.faussent le jugement de la jeunesse. Habituée à croire ses
maîtres sur parole, elle imagine que les hommes du pa-
ganisme sont tels qu'on les lui fait admirer. Ainsi, ceux
qui donnent à Platon le nom de divin, et qui citent en sa
faveur certains témoignages des Pères de l'Église, no-
tamment de saint Augustin, sans rapporter ce que plus
tard ils ont écrit contre lui, lorsqu'ils ont reconnu le ve-
nin de sa philosophie, ceux-là font un mal immense à la
philosophie et à la religion : Sanè philosopliiœ atque re-
tigioni magnopere incommodant. »
Cette faute, si judicieusement signalée par l'illustre
religieux, .et si imprudemment, pour ne pas dire si ef-
frontément commise partout, depuis la Renaissance, nous
l'avons vingt fois signalée nous-même (1). Nous osons
ajouter que nous l'avons rendue désormais impossible à
tout homme qui se respecte, en montrant tels qu'ils sont
les prétendus grands hommes de l'antiquité gréco-
romaine.
Mais on dit : ce qui est l'objet de nos louanges dans les
auteurs païens, ce n'est pas leur vie ; c'est leur beau style,

(1) Voir entre autres les 9 et 10 vcl. de notre ouvrage : La Révolution.


PIE I X E T L E S É T U D E S CLASSIQUES. 121

la pureté de leur langage, la supériorité de leur forme


littéraire. C'est le môme refrain que pour l'architecture
chrétienne. À cette objection, vingt fois réfutée, un très-
savant homme, du dix-septième siècle, se contente d'op-
poser la négation la plus nclte, de la part des juges les
plus compétents en matière de littérature. « Ils tiennent,
dit-il, d'un commun accord, que c'est être mauvais esti-
mateur des bonnes et belles choses, d'accorder plus de
génie aux païens et plus de perfection à leurs ouvrages,
qu'aux plus éloquents personnages de notre religion.
« Il faut être stupide pour ne pas savoir que l'Eglise est
aujourd'hui assez riche en toute sorte de bons livres,
composés par ses propres enfants, et dignes d'être les vé-
ritables modèles de la jeunesse, également parfaits dans
l'éloquence et assurés dans la doctrine, selon la longue et
puissante démonstration que le docte Bozius en a faite
dans ses écrits : Iniqui sunt censores qui ingeniis et studiis
ethnicorum plus tribuunt quàm christianorum (1). Et on
veut que la jeunesse chrétienne s'abaisse ventre à terre
pour boire les eaux troubles du N i l , quand nous avons de
belles sources dans la Palestine (2) ! »
Ces admirations qu'on inspire aux enfants pour la
phraséologie des auteurs païens sont très-souvent fausses,
et toujours plus ou moins dangereuses. Fausses, elles re-
posent sur certaines beautés qui sont, bien plus souvent
dans l'imagination du professeur, que dans la pensée
même de l'auteur. Fausses encore, parce qu'elles sont
ordinairement exagérées, attendu que le professeur se
fait un devoir et un mérite de les faire valoir outre me-
(1) Cassiod. Reth., lib. III, c. v.
(2) Personne n'a mis cette vérité dans un plus grand jmir que le
P . Dumas, dont nous \enons de citer les paroles. Son o u v a g e est inti-
tulé Triomphe de ^académie chrétienne sur la profane , îo-8 4. Bor-
deaux, 1641.
122 PIE I X ET L E S ÉTUDES CLASSIQUES.

sure aux yeux des élèves. Fausses enfin, parce qu'on ne


parle jamais des beautés égales et même supérieures des
auteurs chrétiens.
Dangereuses, parce que les élèves se persuadent que,
sous le rapport de l'éloquence et de la poésie, le chris-
tianisme n'a produit que des médiocrités. De là, leur
mépris pour la littérature chrétienne, qu'ils n'effleure-
ront jamais du bout des lèvres. Immense malheur pour
eux, qui vivront et qui mourront dans l'ignorance de ce
qu'ils devraient savoir ; et pour la société qu'ils peuple-
ront d'utopistes, d'înrîliférents en matière de religion,
pour ne pas dire d'impies et de païens.
Dangereuses : l'admiration des mots conduit à l'admi-
ration des choses, des idées et des hommes. I c i , est le
plus grand danger des admirations de collège. Tous les
révolutionnaires peuvent dire avec le régicide Chazal :
« Enfants, nous avions admiré les républicains de la
Grèce et de R o m e ; hommes, nous ne pouvions que les
imiter. » La Révolution française, qui ne fut, d'un bout h
l'autre, que la mise en scène des études de collège, restera
comme le monument éternel, et éternellement épouvan-
table des admirations, inspirées par des maîtres pieux à
la jeunesse chrétienne, pour les paroles, les choses et les
hommes du paganisme.
Dangereuses, parce que dans l'ordre littéraire, philoso-
phique, historique, elles produisent, même chez des es-
prits éminents, les plus étranges aberrations. Entre mille,
citons quelques exemples.
Au dix-septième siècle, un digne religieux datait la c i -
vilisation de l'Europe de l'époque de la Renaissance et il
écrivait : tt Avant ce temps-là, les hommes étaient à moitié
bêtes. » Saint Thomas, une demi-bête I Saint Louis, Char-
lemagne, des demi-bêtes !
PIE I X E T L E S É T U D E S C L A S S I Q U E S . 123

Avec la même bonne foi, d'autres enseignaient que


« Nous n'avons cessé d'être barbares, qu'à mesure que nous
sommes devenus Romains. »
Un autre était si enivré d'admiration pour le beau latin
du siècle d'or, qu'il le regardait comme devant être la langue
du ciel : Beatos in cœlo latine locuturos probabile est.
Un autre appelle Virgile « le plus grand des théologiens,
lé plus grand des ascétiques. 0 On pourrait remplir des vo-
lumes de ces éloges insensés et souverainement dange-
reux.
Encore quelques exemples des aberrations auxquelles
sont conduits de graves esprits, par les éloges pédan-
tesques des hommes du paganisme, de leurs vertus, de
leur caractère et de leurs institutions. Prêtons l'oreille :
« Vantiquité a eu des vertus dont notre siècle nest point ca-
pable. Ce n'est pas à nous à faire les Camille, ni les Caton :
nous ne sommes pas de la force de ces gens-là. A u lieu d'ex-
citer notre courage, ils désespèrent notre ambition ; ils
nous ont plutôt bravés qu'ils ne nous ont instruits. En nous
donnant des .exemples, ils nous ont donné une peine inu-
tile: ces exemples étant d'une telle hauteur qu'il est i m -
possible d'y atteindre.
« Il peut y avoir une âme privilégiée, une personne ex-
traordinaire, un héros ou deux en toute la terre; mais il
n'y a pas une multitude de héros, il n'y a pas un peuple
de personnes extraordinaires. / / n'y a plus de Home ni de
Romains. Il faut aller les chercher sous des ruines et
dans les tombeaux : IL FAUT ADORER LEURS RELIQUES.
€ ADORONS CES GRANDS MORTS, ces antiques exemples, et
portons notre encens où l'on cherche leuri temples. Ce
serait une satisfaction sans pareille (1) de savoir les choses
(1) Pas même celle d'avoir entendu le Fils de Dieu conversant avec
les apôtres.
121 PIE IX ET L E S ÉTUDES CLASSIQUES.
qui se disaient entre Scipion et Lélius, Atticus et Cicéron
et les autres honnêtes gens de chaque siècle. Nés dans r e m -
pire, nourris dans les triomphes, tout ce qui sortait (Yeux
portait un caractère de noblesse; tout était remarquable et
de bon exemple, voire leur secret et leur solitude, L A LIE
MÊME D'UN TEL PEUPLE ÉTAIT PRÉCIEUSE»
« J e le dis comme je le pense, ils ne faisaient pas un
gesteni nepoussaientpas un mouvement au dehors, qui fût
indigne de la souveraineté du monde. Ils riaient même
avec une sorte de dignité.
« Vous ne. permettrez point à votre esprit de rien trou-
ver de mauvais, non pas môme de médiocrement bon, de
ce qui vient de la bonne antiquité. Voici un de vos
dogmes et auquel j ' a i souscrit il y a longtemps : C'EST
UNE ESPÈCE DE SACRILÈGE DE NE PAS ASSEZ ESTIMEU LES
ANCIENS.
((Dissimulons, déguisons, cachons, s'il est possible, les
petits manquements des grands personnages, à tout le
moins en public et pour donner bon exemple au monde.
En certaines occasions, soutenons contre notre avis par-
ticulier, contre le témoignage de nos yeux, contre les objec-
tions de notre dialectique et de notre grammaire, que ces
grands hommes rCont point fait de fautes, ou que leurs
fautes ont été belles; qu'ils n'avaient point de défauts, ou
que leurs défauts étaient plutôt des vertus imparfaites que
des vices (2).
« Quand nous croirons être obligés de nous départir de
leurs sentiments, dorons et parfumons nos objections. D e -
mandons permission d'avoir des scrupules, d'hésiter, de
douter; parlons de nos doutes comme les peuples pré-

(t) L a cruauté, la luxure, l'usure, le suicide, la sodomie : belles fau-


tes, vertus imparfaites I
PIE IX ET L E S ÉTUDES CLASSIQUES. 125

sentent leurs requêtes à leurs souverains. Ne disons pas


qu'ils s'égarent, disons que nous ne pouvons pas les
suivre; que les aigles volent trop haut et que les hommes les
perdent de vue. »
Le mépris le olus picfond dos âges chrétiens était le
corollaire obligé ue ce fanatisme pour l'antiquité païenne.
L'auteur l'exprime en ces termes : « Mon dessein n'est
pas <tabrutir le monde (i). J e ne veux point faire revenir
cette nuit obscure qui couvrait la terre, lorsque les princes
de Valois et ceux de Médicis furent divinement envoyés
pour chasser la barbarie des siècles passés. J'aime bien
mieux un grain de sel de nos amis de l'antiquité, un mor-
ceau de leurs ragoûts, que vos rivières de lait et dè miel,
que vos montagnes de cassonnade et toutes vos citrouilles
confites. »
Ne serez-vous pas stupéfait, qui que vous soyez, en
lisant ces lignes si insultantes pour le christianisme, hau-
tement accusé de n'avoir produit, dans l'ordre moral, ni
un caractère, ni une vertu, ni un sage, ni un héros com-
parable aux Grecs et aux Romains; et, dans l'ordre litté-
raire, de n'avoir donné au monde que de la cassonnade
et des citrouilles ?
Vous le serez plus encore, quand vous saurez que ces
lignes sont sorties de la plume d'un homme, dont le
siècle de Louis X I V ne prononçait le nom que chapeau
bas ; qu'elles sont, en grande partie, adressées à cette cé-
lèbre marquise de Rambouillet dont l'hôtel, fréquenté par
tous les beaux esprits de l'époque, était l'école du goût, le
sanctuaire d'où sortaient les oracles régulateurs de Topi-

(l) Raoul Rigault disait à un prêtre arrêté comme otage : Il y a dix-


huit siècles que vous nous abrutissez, il est temps que cela finisse. Où
ie farouche procureur de la Commune avait-il appris cela? Est-ce dans
les auteurs chrétiens ?
126 PIE IX ET L E S ÉTUDES CLASSIQUES.

nion; où, enfin, il fallait, comme Bossuet lui-même et


tant d'autres, faire une sorte de stage pour entrer avec
distinction dans le monde lettré.
Cet homme est le grand Balzac, un des fondateurs dy
l'Académie française (1) 1
Balzac ne s'était pas fait lui-même : il était ce qu'on
l'avait fait. Victime de mensonges i m p u d e n t , il avait,
dès l'enfance, appris, comme tant d'autres, de ses respec-
tables maîtres : que le moyen âge était une époque ou les
hommes étaient à moitié bêtes; que nous n'avons cessé d'être
barbares qu'à mesure que nous sommes devenus Romains;
que nos plus grands hommes dans tous les genres ont été ceux
qui les ont le mieux connus et le plus copiés ; et cent autres
éloges non moins insensés.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, cette
apothéose de l'antiquité païenne, jointe au mépris des
siècles chrétiens, n'est ni une aberration individuelle, ni
un fait passager. Depuis quatre siècles, les renaissants,
1
fils de leur éducation, pensent et écrivent comme Balzac.
e
« C'est à vous, madame, s'écriait le roi du x v m siècle,
Voltaire, c'est à vous à conserver les étincelles qui restent
encore parmi nous, de cette lumière précieuse que les an-
ciens nous ont transmise. Nous LEUR DEVONS TOUT (2). »
« L e prêtre du moyen âge, ajoute Helvétius, se saisit de
l'autorité, et, pour la conserver, discrédita la vraie gloire
et la vraie vertu. Il ne souffrit plus qu'on honorât les Mi
nos, les Codrus, les Lycurgue, les Aristide, les Timo-
léon... 0 V É N É R A B L E S THÉOLOGIENS I Ô BRUTES (3) !
(c Ne traitons pas d'insensé, continue d'Holbach, l'en-

(1) Œuvre*, 2 vol. in-fol., édit. 1865, t. I I , p . 429, 435, 443; pré-
face du Socrate chrétien et le Prince, ch. m et x m .
(2) (Rien au christianisme.)— Lettre & la duchesse du Maine.
(3) De rhomme, zect. I , ch. J X , p . 35.
PIE IX E T L E S É T U D E S C L A S S I Q U E S . 127

thousiasme de ces génies vastes et bienfaisants qui no>*s


ont guéris de nos erreurs. Arrosons de nos pleurs les urnes
des Socrate, des Phocion ; lavons avec nos larmes la
tache que leur supplice a faite au genre humain. Répan-
dons des Ceurs sur le tombeau d'Homère. ADORONS
L E S VERTUS DES T l T U S , DES T R A J A N , DES A N T O N I O , DES J U -
LIEN (1). »
Voici le bouquet : a Athènes, Home et Sparte sont les
seuls points lumineux, qui brillent au milieu de la barba-
rie universelle du genre humain : DEPUIS SOCKATE JUSQU'À
NOUS, I L T A UNE LACUNE DE TROIS MILLE ANS (2). »
Continuons d'exalter les auteurs païens ; faisons des
Alliances pour réimprimer leurs ouvrages à bon marché;
nourrissons-en la jeunesse; ne tenons aucun compte des
ordres du saint Père ; ne changeons rien à nos pro-
grammes; enseignons comme ont enseigné nos Pores ; éle-
vons les générations naissantes, comme celles qui nous en-
tourent et qui nous conduisent à l'abîme : Lavons-nous les
mains et dormons tranquilles!
Hâtez-vous : votre sommeil ne sera pas long. Avant peu
vous vous réveillerez au bruit des catastrophes.
On a beau faire : l'ivraie produira toujours l'ivraie. Les
aberrations nées de l'éducation de collège, sont toujours
anciennes et toujours nouvelles. Au jour marqué, elles
produiront inévitablement leurs fruits.
Plaidant contre la liberté d'enseignement, M. Thiers,
proclamait aux applaudissements d'une chambre fran-
çaise, les énormités suivantes : « L'antiquité, osons le dire w

à un siècle orgueilleux de lui-même., Y antiquité est ce qu'il


y a de plus beau au monde. Laissons, Messieurs, laissons
l'enfance dans l'antiquité, comme dans un asile calme,
(I) Système de la nat. t. I , p. 298.
f

(•<) Lavicomterie, Disc, sur la morale calculée.


128 PIE IX ET L E S ÉTUDES CLASSIQUES.

paisible et sain, destiné à la conserver fraîche et pure (i). »


L'antiquité où les trois quarts du genre humain étaient
esclaves! L'antiquité où tous les peuples adoraient le plus
affreux reptile, le serpent en chair et en os ! L'antiquité où
toute la terre était rougie du sang de victimes humaines!
L'antiquité où toutes les passions étaient déifiées ! Cette
antiquité, la chose la plus belle, la plus pure, la plus saine
qu'il y ait au monde! Le christianisme qui a détruit c tte
chose a donc été un fléau pour l'humanité! Qu'on s'é-
tonne maintenant de la haine universelle dont il est
l'objet !
Victime des mêmes admirations, Jules Simon, naguère
ministre de l'instruction publique, est l'écho des mêmes
pensées. Dans sa circulaire aux recteurs de l'Université,
il écrit : « Ce n'est pas à titre de curiosité historique et
comme objet d'érudition, que nous voulons maintenir les
langues anciennes dans le programme commun, et en faire
la base de toute instruction libérale : c'est parce que les
civilisations grecque et romaine sont la forme la plus parfaite
du développement de F esprit humain, et qu'on ne saurait re-
noncer à les étudier dans leur propre langue, et à recevoir
directement de tant de maîtres incomparables, les plus
hautes leçons de l'art, de la morale et de la logique. »
Pour stigmatiser de pareils blasphèmes, la parole refuse
de sortir des lèvres et l'encre remonte dans la plume (2).

(1) Moniteur, 14 juillet 1844.


(2) A u moment où nous écrivons ces lignes, nous arrive le discours
prononcé le 5 août, au grand concours, par le nouveau ministre de l'ins-
truction publique, \ dp Cumont. O r y trouve ce qui suit ; « Les rapports
de chaque jour a : les grands hommes de t'antiquité, l'étude des maxi-
mes austères de a doctrine stoïcienne; le commerce constant avec des
philosophes comme Platon et Cicéron; la lecture des plus belles pages
des Pères de l'Église, laissent dans l'âme de nos jeunes gens une ineffa-
çable empreinte» »
Le seul moyen d'excuser de pareilles paroles dans la bouche d'un
PIE IX ET L E S É T U D E S CLASSIQUES. 129

Qu'on juge maintenant de la responsabilité dont se


charge les panégyristes du génie, des vertus et du beau
style de ces hommes qui nous ont fait tant de mal, et dont
saint Augustin a dit : Laudantur ubi non sunt, cruciantur
ubisunt.

chrétien, est de dire qu'il ne connaît pas un seul des prétendus grands
hommes de l'antiquité ; qu'il n'a jamais lu une ligne de Platon, l'au-
teur grec le plus effrontément matérialiste dans ses ouvrages De Re-
publica et de Legibus; et si peu sur dans sa philosophie, que S. Grégoire
de Nazianze, qui apparemment le connaissait aussi bien que M. de
Cumont, l'appelle une plaie d'Egypte dans l'Église.
Même ignorance à l'égard de Cicéron. Qu'on l'appelle *un habile dis-
coureur, soit ; mais un philosophe, ceci passe la permission. Cicéron un
philosophe! lui qui, sectateur de Caméade, n'est qu'un sophiste in
utramque partent ; qui pose en principe que nous ne pouvons avoir la
certitude de rien; que tout ce que nous pouvons espérer c'est d'arriver
à la vraisemblance; qui professe l'amour infâme : Nos autern qui, con-
cedentibus antiquis philosophis adolescentulis delectamur; qui ensei-
y

gne le suicide ; préconise le rigicide; nie les peines de l'autre vie !


Voilà le ridicule qu'on se donne aux yeux des gens instruits, quand on
se borne à être l'écho inconscient des enseignements de collège 1 ce qui
n'empêche pas d'être ministre de l'instruction publique.
Le sous-secrétaire parle comme son chef de file. Après s'être livré
devant les élèves du collège Louis-le-Grand à un pathos incroyable sur
le progrès, qu'il a eu tout l'air de considérer comme le résultat fatal de
ce que les darwinistes appellent les mouvements évolutionnistes, Al. Des-
jardins a déclaré en se frappant la poitrine et en invoquant les dieux
immortels, que l'esprit qui anime et animera toujours l'enseignement
dp l'Université est Vesprit païen, et que, sous ce rapport, nous devons
considérer les Grecs comme nos ancêtres et les Romains comme nos
père?.
M. le sous-secrétaire d'État au ministère de l'instruction publique
peut être tranquille. Des indices nombreux prouvent aux moins attentifs
que le paganisme ancien, perfectionné par le matérialisme contempo-
rain, fait des progrès considérables dans le cœur de notre jeune géné-
ration, et que d'ici à peu de temps l'enseignement actuel pourra nous
offrir la plus riche collection do communards qu'on ait encore vue.
CHAPITRE X X

LE THÉÂTRE EN GÉNÉRAL.

Enseigner chrétiennement les auteurs païens est un de-


voir, renfermé implicitement dans les prescriptions ponti-
ficales: Nul ne saurait en douter. Il en est un autre dé-
coulant de la même loi et non moins impérieux que le
premier : c'est d'abolir dans les collèges les représentations
théâtrales. En effet, ces représentations présentent deux
graves inconvénients: elles font entrer par tous les sens
le paganisme dans l'âme des jeunes gens; et elles inspi-
rent le goût des spectacles.
Depuis la Renaissance, on a fait jouer dans les collèges
des milliers de pièces de théâtres, comédies et tragédies :
c'était comme le résumé et le bouquet des études de l'an-
née. Dans ces pièces, toute l'antiquité païenne paraît sur la
scène, vivante et animée, avec ses dieux, ses déesses, ses
personnages historiques et mythologiques, ses idées reli-
gieuses et politiques, ses harangues et ses coutumes.
Pour remplir leur rôle, les jeunes chrétiens sont obligés
de s'identifier avec les personnages qu'ils représentent ;
d'endosser leur costume et de parader aux yeux du public,
drapés en Grecs ou en Romains; d'épouser leurs senti-
ments, leurs antipathies ou leurs sympathies ; d'imiter leur
langage, leur pose, leur attitude; en un mot, de se faire
païens, autant que la chose est possible : mieux ils y
réussissent, plus ils sont applaudis.
PIE IX ET L E S ÉTUDES CLASSIQUES. 131

Les écoliers oublient assez vite leurs thèmes ot leurs


versions. Il n'en est pas ainsi des rôles qu'ils ont joués
avec quelque succès. Nous avons connu un vénérable
prêtre qui, après cinquante ans, se souvenait d'avoir été
Yéturie, mère de Coriolan, et qui nous récitait mot à mot
les supplications de cette dame à son fils !
Malgré le ridicule et le danger qui en sont Inséparables,
ces pièces païennes se jouent encore aujourd'hui dans de
bonnes maisons d'éducation. Dernièrement, le jour des
Rameaux, après la grand'messe, pour fêter l'arrivée d'un
supérieur, une de ces maisons donnait la pièce suivante.
Dans cette pièce exclusivement païenne, un des élèves
était Pluton ; un autre, Mercure; un autre, César; un au-
tre, Lucien ; un autre, Misoponus ; un autre, Ménippoïde :
et la scène se passait au Tartare, devant le tribunal du
dieu des enfers 11
Pour y croire, il faut avoir eu, comme nous, la pièce
entre les mains.
Inutile d'insister sur le premier inconvénient des tra-
gédies ou comédies païennes, jouées dans les collèges.
Quelque soit.le fond de la pièce, ces représentations théâ-
trales ont un autre très-grave inconvénient: c'est d'inspi-
rer le goûL du spectacle. Or, tout le monde le sait, avec la
Presse, le Théâtre est la plus large source de corruption
des temps modernes. Qu'on nous permette de signaler les
ravages incalculables de cette institution, dont les nations
chrétiennes sont redevables au paganisme. Afin de n'être
pas taxé de rigorisme, nous laisserons parler les home tes
les plus graves, et ceux qui ont le mieux connu le théâtre,
les auteurs dramatiques et les acteurs.
Lorsque le chritianisme parut, la terre était couverte de
théâtres, et le monde païen, j'entends le monde policé,
était tellement passionné pour les spectacles qu'il ne de-
132 PIE IX ET LES ÉTUDES CLASSIQUES.

mandait que deux choses : du pain pour vivre, et de* spec-


tacles pour jouir : Duas tantum res anxiioptât, panent et
cwenses. Mais alors le règne du démon était à son apogée
et l'homme était devenu chair. Entre hicn d'autres,
le fait que je rappelle en est un signe. Ébranlés p a r la
voix des Apôtres et des Pères de l'Église, ces t r m p l e s du
sensualisme disparurent sous les coups des terribles m i s -
sionnaires de la justice divine, qu'on appelle les barbares,
et qui furent nos aïeux. Fidèles à leur baptême, les
peuples chrétiens n'eurent garde de rebâtir ces lieux de
corruption. Jusqu'à la renaissance du paganisme, au
milieu du XV* siècle, il ri y eut pas un seul théâtre en Eu-
rope.
A cette époque, le prince de l'ancien monde commença
de reprendre ouvertement son empire, et les théâtres re-
parurent. Aujourd'hui l'Europe en est couverte. C'est donc
un fait digne de remarque: tant que le Saint-Esprit règne
sur le monde, point de théâtres; quind l'esprit mauvais
prend sa place, des théâtres partout. Indépendamment de
toute autre preuve, il en résulte bien évidemment que ce
ri est pas le Saint-Esprit qui a bâti les théâtres. Cela seul
suffit pour les rendre suspects. Voilà pourquoi l'ancien
peuple de Dieu, les Juifs n'eurent jamais [ni théâtres, ni
cirques, ni amphithéâtres, ni spectacles profanes.
Le nouveau peuple de Dieu, les chrétiens, tant qu'ils fu-
rent chrétiens, n'eurent, comme les Juifs, d'autres spec-
tacles que des spectacles religieux. Ce n'est que lentement
et à la suite de la corruption des mœurs, que le spei uH .
profane parvint à se rétablir. Il COMMENÇA DANS L I S COLLÈGES,
de là, il passa dans les hôtels des grands seigneurs et dans
les palais des princes. En 1600, Paris vit s'élever au Ma-
rais, quartier de la noblesse, un théâtre où fut représenté
Alélite, première pièce de Pierre Corneille. S o u * l'empire
PÏE I X ET L E S É T U D E S C L A S S I Q U E S . 133

de Hichelieu, on joua la tragédie de Mirome, à laquelle


Paris fut redevable de la première salle de spectacle un
peu régulière*
Toutefois l'esprit chrétien opposa une longue résistance
à la reconstruction des théâtres en Europe. Sous Henri 111,
une troupe de comédiensitaliensvint à Paris, pour y jouer
des pièces, bien moins m a u v a i s que celles qu'on repré-
sente aujourd'hui. Ils surprirent des lettres patentes pour
leur établissement. Le parlement refusa de les enregistrer
et repoussa les comédiens : « Comme personnes que les
bonnes mœurs, les saints canons et les Pères de l'Église
avaient toujours réputées infâmes, et leur défendit de
jouer sous peine de dix mille livres (Tamende, applicables
aux pauvres. »
En 1641, Louis X l l l , ayant cru pouvoir tolérer leur éta-
blissement dans la capitale, met pour condition que : «Les
pièces soient toutes exemptes d'impuretés et de paroles
lascives ou à double entente, afin que le désir qu'ils au-
ront d'éviter le reproche qu'on leur a fai' jusqu'ici, leur
donne autant de sujet de se contenir dans le devoir,
que la crainte des peines qui leur seraient inévitables. »
Il parait que les comédiens ne se conformèrent pas long-
temps à l'ordonnance royale. Dans une lettre à Racine,
Boileau nous apprend qu'ils furent obligés de déloger de la
rue Guénégaud. L a Sorbonne exigea l'éloignement de leur
théâtre, du collège des Quatre-Nations. Les curés de Saint-
Germain l'Auxerrois et de Saint-André ne permirent pas
qu'ils s'établissent sur leurs paroisses. 11 en fut de même
:
des Grands-August ns qui les firent éloigner de lenv quar-
tier. Tous les bourgeois, qui étaient gens du palais, sou-
tinrent les Augustins.
Enfin, après avoir marchandé des places dans cinq ou
six endroits, leur théâtre fut placé au faubourg Saint-Ger-
8
!34 PIE IX ET L E S ÉTUDES CLASSIQUES.

main, dans la rue des Fossés M. Le Prince, qui fut en


suite appelée rue de la Comédie. Le curé de Saint-Suîpice
qui n'avait pu éviter d'avoir ce théâtre sur le territoire
de sa paroisse, fit une protestation publique, et ne voulut
pas que la procession du Saint-Sacrement continuât de
passer dans cette rue.
A u milieu du xvni* siècle, le Parlement de Paris mon-
trait encore la môme opposition aux théâtres* En 1761,
un de ses avocats voulut, dans une consultation impri-
mée, innocenter la profession de comédien et défendre les
théâtres. L a célèbre compagnie, qui se regardait m m ne
la gardienne des mœurs publiques, condamna la consul-
tation à être lacérée et brûlée par le bourreau, et raya
l'auteur du tableau des avocats.
Neuf ans plus tard, le chancelier Séguier, dans son ré-
quisitoire du 18 août 1770, prédisant les malheurs que
l'impiété ne tarderait pas à attirer sur la France, com-
battit énergiquement les théâtres. «Ils renforcent, disait-
il, les maximes pernicieuses dont le poison acquiert un
nouveau degré d'activité sur l'esprit national, par i'af-
fluencedes spectateurs, et l'énergie de l'imitation. »
En 1754, l'impératrice Elisabeth, reine de Hongrie, de-
vançant le parlement de Paris, avait compris les dangers
du théâtre et leur opposition au véritable esprit du chris-
tianisme. E n conséquence, elle rendit une ordonnance par
laquelle furent interdits les comédies, opéras et autres
spectacles publics: 1° tous les vendredis de Tannée;
2° pendant l'A vent; 3° le jour de Noël, le jour des Rois,
tout le Carême, le jour de Pâques, les jours des* Roga-
tions; 4° les jours de la Pentecôte, de la Trinité, toute
l'octave de la Fête-Dieu; 5° les fêtes de la sainte Vierge et
leurs veilles ; 6° les jours des Quatre-Temps, le jour de
la Toussaint et celui des Trépassés.
PIE IX E T L E S É T U D E S C L A S S I Q U E S . 13H

À Rome, avant l'invasion révolutionnaire, les m ô m e s


règlements étaient encore en vigueur.
Les protestants eux-mêmes, c'est une justice à leur ren-
dre, ne se montrèrent pas moins opposés que les viais c a -
tholiques, au rétablissement des théâtres. Dans un de leurs
traités de discipline, ils s'expriment en ces termes : « Ne
sera loisible aux fidèles d'assister aux comédies et aux
jeux, joués en public ou en particulier, vu que de tout
temps cela a été défendu entre les chrétiens, comme ap-
portant corruption de bonnes mœurs. »
Déjà, au temps de Léon X , ils s'étaient déclarés fortement
contre les spectacles. En cela du moins, ils ne furent pas des
novateurs, (ils ne firent que soutenir avec fidélité la disci-
pline de l'église catholique. Genève elle-même, la Rome
protestante, proscrivit les spectacles et les comédiens,
comme une peste publique ; et jusqu'à la fin du dernier siècle
ne permit sur son territoire l'établissement d'aucun théâtre.
Si les magistrats, si les hérétiques eux-mêmes ont com-
battu les spectacles avec tant de persévérance, on peut
deviner ce qu'a dû faire l'Église. Pour enregistrer ses aver-
tissements, ses protestations, ses défenses, des volumes ne
suffiraient pas. Contentons-nous de rappeler qu'il n'y a pas
un Père de l'Église, pas un concile, pas un théologien,
pas un catéchisme qui ne les condamne.
« Il est faux, dit Bossuet, que les Pères n'aeint blaaié
dans les spectacles que l'idolâtrie et les impudicités m a n i -
festes. Ils y ont blâmé l'inutilité, la dissipation, la com-
motion de l'esprit, le désir de voir et d'être vu, les choses
honnêtes qdi enveloppent le mal, le jeu des passions et
l'expression contagieuse des vices. »
L'Église ne se déjuge pas : ce queile condamnait dans
les spectacles des premiers siècles, elle le condamne en-
core aujourd'hui: elle le condamnera toujours.
CHAPITRE XXI

D I V E P / J U G E M E N T S SUR L E T U É À T B E .

A la voix de Bossuet, se joignent des témoignages peut-


être plup graves encore. Après une expérience de cin-
quante années, ie fameux comédien Iliccoboni déclare
que le seul moyen de réformer le théâtre, c'est de le suppri-
mer, et il désire ardemment celte suppression, a J e crois,
dit-il, que c'est à un homme tel que moi, qu'il convenait
d'écrire,sur cette matière. Et cela, par la môme raison
que celui qui s'est trouvé au milieu de la contagion, et
qui a eu le bonheur de s'en sauver, est plus en état d'en
faire une description exacte... J e l'avoue donc avec sincé-
rité, je sens dans toute son étendue le grand bien que
produirait la suppression entière du théâtre, et je conviens
sans peine de tout ce que tant de personnes graves, et
d'un génie supérieur, ont écrit sur cet objet. »
Au nombre des personnes graves dont parle Iliccoboni,
nous pouvons placer Racine. Éclairé par l'expérience, il
veut préserver ses enfants des écueiïs dont il a connu le
danger. «Croyez-moi, mon fils, quand vous saurez parler
de romans et de comédies, vous n'en serez guère plus
avancé, et ce ne sera point par cet endroit-là que vous se-
rez plus estimé... Vous savez ce que je vous ai dit des opé-
ras et des comédies; on doit en jouer à Alarly. Le roi et
la cour savent le scrupule que je me fais d'y aller; et ils
auraient mauvaise opinion de vous, si à l'Age où vous êtes,
vous aviez si peu d'égards pour moi et pour mes senti-
PIE IX ET L E S É T U D E S C L A S S I Q U E S . Î37

ments... Pensez-vous que les hommes ne trouvassent pas


étrange, de vous voir pratiquer des maximes différentes des
miennes? Songez que M . le duc de Bourgogne, qui a un
goût merveilleux pour toutes ces choses, n'a encore assisté
à aucun spectacle. »
Un autre auteur dramatique, membre comme Racine
de l'Académie française, Gresset, ne condamne pas avec
une sincérité moins touchante, le théâtre et les auteurs
dramatiques. « J e vous avouerai, écrit-il, que depuis quel-
ques années, j'avais beaucoup h souffrir intérieurement
d'avoir travaillé pour le théâtre... Il s'élevait souvent des
nuages dans mon âme sur un art si peu conforme à l'es-
prit du christianisme, et je me faisais, sans le vouloir, des
reproches infructueux, que j'évitais de démêler et d'appro-
fondir. Toujours combattu et toujours faible, je différais
de me juger, par la crainte de me rendre et par le désir
de me faire grâce...
« J e cherchais à étouffer cette voix des remords, à la-
quelle on n'impose point le silence ; ou je croyais y ré-
pondre par de mauvaises autorités que je me donnais pour
bonnes... J'aurais dû reconnaître, dès lors, comme je le
reconnais et le vois aujourd'hui, sans nuage et sans en-
thousiasme, qu'on ne parviendra jamais à justifier la com-
position des ouvrages dramatiques et la fréquentation des
théâtres... Tout fidèle quel qu'il soit, quand ses égare-
ments ont eu quelque notoriété, doit en publier le désa-
veu, et laisser un monument de son repentir...
« J e rétracte donc solennellement tout ce que j'ai pu
écrire d'un ton peu réfléchi dans mes bagatelles aimées.
L'unique regret qui me reste, c'est de ne pouvoir point
assez effacer le scandale que j ' a i pu donner à la religion
par ce genre d'ouvrages... Les gens du bon air, les demi-
raisonneurs, les pitoyables incrédules peuvent à leur aise
8.
438 P I E I X ET L E S É T U D E S CLASSIQUES.

se moquer de ma démarche. J e serai trop dédommagé de


leur peitte censure, et de leurs froides plaisanteries, si les
gens sensés et vertueux, si les âmes honnêtes et pieuses
voient mon humble désaveu, avec cette satisfaction pure
que fait naître la vérité dès qu'elle se montre.»
Écoutons un dernier témoin. C'est Jean-Jacques Rous-
seau, écrivante Dalembert pour s'opposer à l'établissement
d'un théâtre à Genève, sa patrie. « Demander si les spec-
tacles sont bons où mauvais, il suffit, pour décider la ques-
tion, de savoir que leur objet principal a toujours été d'a-
muser le peuple... Il faut, pour leur plaire, des spectacles,
non qui modèrent leurs penchants, mais qui les favori-
sent et les fortifient... Il n'y a que la raison qui ne soit
bonne à rien sur la scène... Le théâtre purge les passions
qu'on n'a pas, et fomente celles qu'on a. »
Rousseau conclut sa longue et éloquente lettre, en di-
sant : <( A u théâtre tous nos penchants sont favorisés, et
ceux qui nous dominent y reçoivent un nouvel ascen-
dant. Les continuelles émotions qu'on y ressent nous eni-
vrent, nous affaiblissent, nous rendent plus incapables de
résister à nos passions, détruisent l'amour du travail, ins-
pirent le goût de vivre sans rien faire. On y apprend h ne
couvrir que d'un vernis de procédé la laideur du vice, à
tourner la sagesse en ridicule, à substituer un jargon de
théâtre à la pratique de la vertu, à mettre toute la morale
en métaphysique, à travestir les citoyens en beaux es-
prits, les mères de famille en petites maîtresses, les filles
en amoureuses de comédie. »
On ne peut infirmer ni l'impartialité, ni la compétence
des témoins que nous venons d'entendre. Si la froide rai-
son, ou plutôt, ce qui devrait être, si l'esprit chrétien dis-
cutait seul la question des spectacles, la cause serait j u -
gée. Malheureusement la passion se met de la partie. Or,
PIE IX ET L E S É T U D E S C L A S S I Q U E S . 139

la passion ferme les oreilles pour ne pas entendre et op-


pose une fin de non recevoir aux plus graves autorités.
Toutefois, il y a des degrés dans le parti pris. A ceux et à
celles qui ne sont pas résolus à tout nier, offrons de nou-
velles lumières. Elles se trouvent dans les écrils de ceux
qui soutiennent les théâtres, dans l'aveu de ceux qui les
ont le plus fréquentés, enfin dans la nature même des
spectacles.
C'est un fait dont chacun peut se convaincre. Tout l'art
des auteurs dramatiques consiste à éblouir par des subti-
lités et des sophismes; on-sait que Terreur n'a'pas d'au-
tres armes.. E n voici une preuve. Jeune encore, Racine
avait eu la faiblesse de composer en faveur des théâtres
une lettre, où il avait mis toute la chaleur d'un poète,
intéressé à défendre l'honneur de ses lauriers. Boilcau, à
qui il l'avait communiquée, lui fit cette réponse : «Votre
lettre est très-bien écrite, mais vous défendez une très-
mauvaise cause. » Racine reconnut la justesse des obser-
vations de son ami et déchira sa lettre en présence de
Boileau
Un homme du monde, ancien magistrat, M . le Franc,
écrivant à Louis Racine, s'exprime ainsi : w Un auteur
chrétien ne saurait sous aucun prétexte, ni {.ar quelque
ouvrage que ce puisse être, concourir au soutien du théâ-
tre, sans se rendre lui-même responsable des abus qui y
sont attachés, ni contribuer à l'entretien des acteurs, sans
partager le mal qu'ils font...
«On s'efforce, depuis longtemps, de réduira en problème
théologique cette question: Si c'est un péchi d'aller à la
comédie? On ne manque pas d'appuyer la négative de tou-
tes les distinctions possibles, de t o " ' ^ 1*5 conditions ca-
pables de rassurer. On exige qu'il n'y ait rien de déshon-
nête, ni de criminel dans la pièce; que celui qui va au
140 PIE IX ET L E S ÉTUDES CLASSIQUES.

spectacle n'y apporte point de penchant au vice, ni une


âme facile à émouvoir ; qu'il y soit maître de son cœur, de
ses pensées et de ses regards ; que rien de ce qu'il entend,
de ce qu'il voit ne soit pour lui une occasion de chute ni
de tentation. Cette théorie est certainement admirable!
Qui me répondra de la pratique? Sera-ce notre casuiste?
Qu'il aille plutôt au spectacle : au retour, je m'en rappor-
terai à lui. »
Cet homme du monde a pleinement raison. Quel est le
fond de toutes les pièces de théâtres, tragédies, comédies,
drames, mélodrames? Il y a une passion la plus terrible
de toutes, la plus commune et tellement dangereuse que
l'apôtre saint Paul ne veut môme pas que son nom, et
riea qui s'y rapporte, soit nommé parmi les chrétiens :
Nec nominetur in vobis. Cette passion, c'est l'amour pro-
fane. O r , à très-peu d'exceptions près, elle est le fond
de tous les spectacles.
Ainsi le veut le public qui les fréquente. Voltaire lui-
même, le croirait-on? se plaint d'un pareil désordre, dont
il rend les femmes responsables. DansJa dissertation qui
précède sa tragédie de Sémiramis, il dit : « D'environ
quatre cents tragédies qu'on a données au théâtre, depuis
qu'il est en possession de quelque gloire en France, il
n'y en a pas dix ou douze qui ne soient fondées sur une
intrigue d'amour. C'est presque toujours la même pièce,
le même nœud formé par une jalousie et une rupî ire, et
dénoué par un mariage... C'est une coquetterie perpé-
tuelle. Les femmes qui parent nos spectacles, ne veulent
point souffrir qu'on leur parle d'autres choses que d'a-
mour. »
Tant il est vrai, d'une part, que ce n'est pas l'auteur,
dramatique qui commande au spectateur, mais le spec-
tateur qui commande à l'auteur dramatique; d'autre part,
PIE IX ET L E S É T U D E S C L A S S I Q U E S . 141

que le théâtre né du paganisme, qui était le règne de la


chair, est demeuré fidèle à l'esprit de son origine. On
connaît la réponse de Racine à Arnaud, qui lui reprochait
d'avoir fait Hippolyte amoureux. « E h ! monsieur, lui dit
Racine, sans cela qu'auraient dit nos petits-maîtres? »
CIIAPITRF XXII

UNE L E T T R E Ii'ALEïANDRfi! DUMAS F i L S .

Ce que les petits-maîtres du temps de Racine deman-


daient au théâtre, les petits-maîlres d'aujourd'hui c o n -
tinuent de l'exiger. Sous peine de se voir sifflé, l'auteur
dramatique est obligé de mettre en *cène la plus dange-
reuse des passions. Nous en trouvons l'aveu dans la lettre
suivante. Écrite, il y a quelques mois, par Alexandre Du-
mas, fils, à M . Cuvillier Fleury, membre de l'Académie
française, elle a été publiée dans les journaux. A raison
de son origine et de son actualité, on nous permettra d'en
extraire quelques,passages.
« L e théâtre est justement et exclusivement consacré à
la représentation et à la glorification de l'amour. Les
hommes et les femmes ne se réunissent au théâtre que
pour entendre parler d'amour et pour irendre part aux
douleurs et aux joies qu'il cause. Tous les autres intérêts
de l'humanité restent à la porte. Là, rien n'est au-dessu^
de l'amour, rien n'est égal à lui ; il règne en maître, c'^si
le Dieu de ce temple, dont la grande prêtresse est la
femme et où l'homme n'est jamais que la victime ou l'élu.
«•C'est là* par tradition des temps les plus reculés, que
la femme règne, officie et finalement triomphe; c'est là
qu'elle se moque et se venge du sexe fort qui lui est si
injuste, si oppresseur, si cruel, si barbare dans la vie
réelle; c'est là qu'elle a toujours raison. Ses charmes y
PIE IX ET L E S É T U D E S C L A S S I Q U E S . 443

ont une puissance irrésistible, ses fautes ont une excuse


toujours renaissante; c'est là que nous autres hommes
nous venons avouer notre faiblesse, reconnaître, proclamer
et subir celle puissance. Tout ce que nous faisons de bien,
sur ce terrain, c'est elle qui nous le fait faire; tout ce
qu'elle fait de mal, c'est par nous qu'elle le fait. Il est
donc juste que nous en souffrions, et, du moment qu'elle
pleure, nous devons être désarmés.
a Si l'œuvre représentée est une comédie, l'idéal du hé-
ros et sa récompense à la fin, sont de posséder l'héroïne.
Si l'œuvre est drame ou tragédie, le héros doit mourir
pour elle s'il l'a possédée, par elle s'il l'a abandonnée, avec
elle s'ils n'ont que ce moyen d'être l'un à l'autre. Elle,
toujours elle. A u théâtre, les maris sont des tyrans, les
parents sont des ganaches. Il n'y a pas encore eu, depuis
trois mille ans, un auteur dramatique qui ait eu l'audace
d'écrire une pièce en un acte seulement, où, un père et
une mère s'étant opposés au mariage de leur fille avec
l'homme qu'elle aime, ce soient les parents qui aient rai-
son et où la jeune fille te reconnaisse et les remercie à la
fin! Les jeunes filles ne se trompent jamais, au théâtre.
L'homme qu'elles aiment est toujours celui qu'elles doi-
vent aimer, et maman et papa sont forcés de s'incliner au
dénouement, devant cette éternelle clairvoyance de l'a-
mour. Bref, au théâtre, tout par l'amour, tout pour l'a-
mour. »
L'auteur signale ensuite le désordre, malheureusement
si commun, où entraînent infailliblement les représen-
tations théâtrales. Four être un peu fantastique, le por-
trait qu'il en fait n'est pas moins ressemblant. « J e vis une
bête colossale qui avait sept têtes et dix cornes, et sur ses
cornes dix diadèmes, et sur ses tôles des cheveux du ton
du métal et de l'alcool dent elle était née. Cette bête était
«4i P I E IX E T L E S É T U D E S C L A S S I Q U E S .

semblable à un léopard, ses pieds étaient nomme des pieds


d'ours, sa gueule comme la gueule d'un lion, et le dragon
lui donnait sa force. Et cette bote était vêtue de pourpre
et d'écarlate, elle était parée d'or, de pierres précieuses
et de perles, et tenait en ses mains blanches comme du
lait, un vase d'or plein des abominations et des impuretés
de Babylone, de Sodome et de Lesbos.
« Par moments, cette bote, que je croyais reconnaître
pour celle que saint Jean avait vue, dégageait de tout s o u
corps une vapeur enivrante, à travers laquelle elle appa-
raissait et rayonnait comme le plus beau des v îges de
Dieu, et dans laquelle venaient par milliers se jouer, se
tordre de plaisir, hurler de douleur et finalement s ' é v a -
porer les animalcules anthropomorphes, dont 11 naissance
avait précédé la sienne.
« Et cette bête formidable ne disait pas un mot, n e
poussait pas un cri 1 On entendait seulement le choc de
ses mâchoires, et, dans ses entrailles, le bruit rauque et
continu de ces roues des grandes usines qui tordent ou
fondent, sans le moindre effort, les métaux les plus durs.
« Et les sept têtes de la bête dépassaient les plus hautes
montagnes, et, formant une immense couronne, plon-
geaient dans tous les horizons. Ses sept bouches, toujours
entr'ouvertes et souriantes, étaient rouges comme Jes
charbons en feu ; ses quatorze yeux, toujours fixes, étaient
verts comme les eaux de l'Océan. On voyait passer dessus
les ombres des nuages, et le soleil ne pouvait qu'en faire
élinceler les surfaces sans en éclairer les profondeurs; et,
au-dessus de chacun des sept diadèmes, au milieu de toutes
sortes de mots de blasphèmes, flamboyait ce mot, plus
gros que tous les autres : PROSTITUTION.
« Or, cette bête n'était autre qu'une incarnation nou-
velle de la femme, décidée à faire sa révolution à son tour.
PIE IX ET L E S ÉTUDES CLASSIQUES. Uu

Après des milliers d'années d'esclavage et d'impuissance,


malgré les légendes du théâtre, cette victime de l'homme
avail voulu avoir raison de lu", et croyant briser Us liens
de l'esclavage en brisant ceux de la pudeur, elle s'éLait
dressée tout à coup, armée de toutes ses beautés, de toutes
ses ruses, de toutes ses faiblesses apparentes.
« Souriante et rugissante à la fois, elle se disait en elle-
même : « A h ! j ' a i besoin de toi, faux homme, et tu ne
veux de moi que le plaisir! Ah'! mes tendresses, mes d é -
vouements, mes aspirations, mes chastetés, mes larmes,
mes confiances, mes sacrifices, tout cela ne compte pas
pour toi ! T u me demandes cent mille écus pour être mon
époux, et tu m'offres cent sous pourêtre mon amant. Yailà
ce que tu appelles l'amour!
« En dehors de cela, pour moi, la mansarde, le travail à
vingt sous par jour, la misère, l'enfant dont tu te débar-
rasses en moi, l'hôpital et l'amphithéâtre ! Attends nn
peu, tu vas voir ce qui va se passer. T u n'auras plus de
mère, tu n'auras plus d'épouse, tu n'auras plus de fille» tu
n'auras même plus de maîtresse. T u n'auras plus que la
sensation incessante et implacable qui détendra tes mus-
cles, décolorera ton sang, empoisonnera tes os, obscurcira
ta raison, anéantira ta volonté, éleindra ton âme; car j e
ne te résisterai plus, ce sera là ma vengeance !
« Mais tu ne posséderas de moi que mou rouge, mon
blanc, mon noir,, mes faux cheveux, ma poudre de riz et
mes parfums de toilette, mes surfaces enfin, q,ue jë te
ferai parer et adorer; que tu montreras en public et dont
tu t'enorgueilliras à haute voix- Mon être intime te restera
obscur et fermé ; tu n'y pénétreras jamais. C'est là que
je puiserai inépuisablement les raisons de te haïr et les
moyens de te vaincre. Mon cœur ne sera plus un temple,
mais un sépulcre pie in de tes cendres et de mon silence^»
9
H6 P I E IX ET L E S É T U D E S C L A S S I Q U E S .

Qu'on nous pardonne d'avoir cité les extraits de cette


lettre; nous ne les avons écrits que la rougeur au front,
mais puisqu'on s'obstine à ouvrir, par les drames de col-
lège, le chemin des théâtres, il nous a paru nécessaire de
montrer l'abîme où trop souvent il aboutit.
Au ravage moral, le théâtre ajoute un ravage financier
dont l'occasion se présente de signaler la gravité, puis-
qu'aujourd'hui elle passe presque inaperçue. Nous voulons
parler des sommes fabuleuses, englouties par le théâtrs.
Jamais impôt plus scandaleux et peut-être plus lourd n'a
pesé sur un peuple. Bismarck qui a enlevé cinq milliards
à la France, et lui en a fait perdre autant par les ravages
de la guerre, n'est qu'une mouche en comparaison de ce
vampire qui, depuis trois siècles, suce le sang de l'Eu-
rope : Tenons aux faits.
Le comte de Maistre a dit qu'une époque où l'histrion
et le théâtre sont en vogue, est infailliblement une époque
de décadence. L a statistique suivante fera réfléchir à celte
profonde parole du penseur chrétien.
Le nombre des théâtres, pour l'Europe seulement, est
de 1,518. L e nombre des artistes dramatiques, lyriques,
musiciens,eraployés, danseursetdanseuses, vivant du théâ-
tre est de 2,157,800 femmes, et de 3,027,000 hommes : en
chiffre rond, six millions d historiens ! C'est tout un peuple,
plus nombreux que la Suisse, femmes et enfants compris.
Celui qui pourrait calculer, même approximativement,
ce qu'ont coûté la construction, la reconstruction, la dé-
coration des théâtres depuis la Renaissance ; ce que coûte
chaque année leur entretien; les sommes qu'on y dé-
pense chaque soir; les émoluments des acteurs et des
actrices; les cadeaux insensés et plus qu'insensés, faits à
quelques célébrités théâtrales : celui-là arriverait à des
Chiffres qui ie feraient reculer d'épouvante.
PIE I X ET L E S ÉTUDES C L A S S I Q U E S . 147

Mais si le passé échappe aux calculs, le présent nous


est connu : Voici ce qu'il nous apprend.
Il nous apprend que les recettes mensuelles des seuls
théâtres de Paris, s'élèvent, pendant les mois d'hiver, d'un
à deux millions.
Il nous apprend que, malgré leurs scandaleuses recet-
tes, ces théâtres figurent chaque année au budget des dé-
penses, pour des sommes considérables.
Il nous apprend que pendant sa carrière théâtrale, qui
ne fut pas très-longue, Rachel avait recueilli soit en ar-
gent, soit en objets de prix, environ douze millions.
Il nous apprend que c'est par centaines de mille francs,
qu'il faut compter les recettes annuelles de certains chan-
teurs, et de certaines cantatrices françaises et italiennes
Il nous apprend que, pour une saison, une loge à l'Opéra
se loue dix-huit cents francs.
Il nous apprend que la ville de Paris, dont les plus
beaux monuments, brûlés par la Commune, sont encore
en ruines, s'est empressée de voter cinq cent vingt mille
francs, pour rebâtir le théâtre Lyrique, tous les autres
étant déjà reconstruits.
Il nous apprend que la sage assemblée de Versailles,
après avoir refusé trente mille francs pour réparer de
pauvres églises, endommagées par la guerre, a voté, le
lendemain, quinze cent mille francs pour les danseuses
de l'Opéra.
Il nous apprend, ce qui est monstrueux, ce que coûte
à la France un seul théâtre de Paris, le grand Opéra :
voici les chiffres officiels. Dans la séance du 14 février 1874,
un député, M . Caillaux, donne lecture de son rapport sur
le nouvel Opéra et conclut à une demande de crédit de
3,500,000 fr, à inscrire sur le budget de 1 exercice 1874.
0
11 expose l'état des dé^ *nses déjà faites, àsavoir:! achat
H8 P I E I X ET L E S É T U D E S CLASSIQUES.

de terrain, 10,500,000 fr. ; 2° frais do construction.


33,500,000 fr.; 3° construction de machines, 2,500,000 fr.
Total, 46,000,000 £r.
Les alentours ont coûté à la ville de Paris 11,300,000 fr.
Cela ressort d'un rapport de M. Larabure. Il faudra ajouter
2 millions pour ameublement, archives, décorations et
achèvement du buffet, du fumoir; réfection* des décors,
musique, instruments, machines, etc., etc.
L'Opérai est trois fois plus grand que l'ancien. Il faudra
des dépenses plus grandes pour le chauffage, l'éclairage,
les décors, qui coûteront le double des anciens. La salle
contiendra300 places de plus; l'augmentation des recettes
sera de 3,000 fr. par soirée, Il faut en outre un crédit de
60,000 fr. pour déblayer les terrains de L'Opéra incendié.
Voilà ce que coûte à l'Europe et à la France en parti-
culier une seule idée païenne, et à quel prix elles paient
k u r corruption*
Outre la dégradation morale,J'effet immédiatde l'engoue-
ment pour le théâtre, c'est la diminution des aumônes. A u
lieu de passer aux pauvres, le superflu passe aux comédiens.
En diminuant le* aumônes, le théâtre provoque les mur-
mures du pauvre et sa haine du riche. Il ouvre son cœur
à la révolte et aeviené une semence de socialisme. Tel c „
le dernier terme auquel nous sommes menacés d'aboutir,
nous et l'Europe avec nous.
CHAPITRE XXHI

LES ACTEURS ET LES ACTRICES.

Dangereuses à la lecture, ces pièces de théâtre dans les-


quelles paraissent vivantes toutes les passions humaines,
l'amour, l'ambition, la haine, la vengeance, le sont bien
autrement sur la scène. Écoutons un homme qui en sa-
vait quelque chose. « J'assure, dit Riccoboni, que les
sentiments qui seraient les plus corrects sur le papier,
changent de nature en passant par la bouche des acteurs,
et deviennent criminels par les idées corrompues qu'ils
font naître dans l'esprit du spectateur même le plus in-
différent. »
Le poëte de la Motte confirme ingénument cette vérité
d'expérience. « Nous ne nous proposons pas, dit-il, d'é-
clairer l'esprit sur le vice et la vertu, en les peignant de
leurs vraies couleurs. Nous ne songeons qu'à émouvoir les
passions pir le mélange de l'un et de l'autre; et les hom-
mages que nous Tendons quelquefois à ia raison ne dé-
truisent pas l'effet des passions que nous avons flattées.
Nous instruisons un moment, mais nous avons longtemps
séduit; et quelque forte que soit la leçon de morale que
puisse présenter la catastrophe qui termine la pièce, le
remède est trop faible et vient trop tard. »
Beaucoup trop tard, en effet; ou plutôt, jamais. « J e
n'ai jamais compris, disait Fontenelle, la purgation des
passions, par le moyen des passions mêmes. » Jl avait
raison. Ne serait-ce pas dans l'ordre moral u n phéno-
150 PIE IX ET L E S ETUDES C L A S S I Q U E S .

mène fort singulier? J e voudrais au moins qu'on me ci L U


quelqu'un qui se fût purgé par cette voie-là, c'est-à-dire,
que le théâtre eût rendu meilleur. Cet homme ne s'est
jamais vu, il ne se verra jamais.
La raison en est que l'amour profane est le fond général
des pièces de théâtre. Or, cette passion la plus dangereuse
de toutes, devient plus séduisante encore par le caractère
de ceux qui en sont les interprètes. Qui dit comédien et
comédienne, acteur et actrice, n'éveille pas dans l'esprit
l'idée de la pure vertu. L'histoire du passé et l'histoire du
présent sont d'accord, pour nous apprendre ce qu'il faut
penser de cette classe de personnes.
La plupart sont de jeunes hommes et de jeunes femmes
ou déjeunes filles, obligés de se voir souvent pour pré-
parer leurs rôles et s'efforcer de les bien remplir : ce qui
veut dire épouser les passions qu'ils doivent personnifier,
afin de les faire passer dans l'âme des spectateurs. De là,
le soin d'étudier leurs manières, leurs gestes, le ton de
leur voix; de relever leurs grâces par les ornements les
plus séduisants et par une mise où la décence est loin
d'être respectée. C'est ainsi, qu'entourés de tous les at-
traits des passions, ils doivent paraître aux yeux de spec-
tateurs, avides de jouissances, et qui souvent ne craignent
pas d'acheter au poids de l'or de trop coupables faveurs.
« Les meilleures pièces, dit un auteur (si tant est qu'il
y en ait de bonnes), se trouvent comme dénaturées, lors-
qu'elles sont représentées par des acteurs et des actrices,
esclaves habituels de la volupté. Ce qu'il y a de plus pur se
corrompt par leur jeu et devient nuisible, ridicule ou
odieux. En parlant à'Athalie: a Qu'aurait pensé M. Ra-
cine, écrivait la comtesse de Caylus, s'il avait vu sa tra-
gédie aussi défigurée qu'elle m'a paru l'être par une
Josabeth fardée, par une Athalie outrée, et par un grand
PIE IX ET LES ETl'hES CLASSIQUES. i.'il

prêtre si peu digne de représenter la majesté d'un pro-


phète divin?» — <( De pareils sujets, ajoutait Madame
de Sévigné, ne conviennent pas à de pareils acteurs. Il
faut des personnes innocentes pour chanter les malheurs
de Sion, et des âmes vertueuses pour en voir avec fruit
la représentation. »
Le danger du théâtre ne vient pas seulement du côte
des pièces et des acteurs, il vient aussi du côté des spec-
tateurs. « Ce ne sont pas les sages, dit un célèbre auteur
espagnol, qui font la foule aux théâtres; c'est tout ce qu'il
y a dans une \MIe de plus vain, de plus frivole, de plus
oisif, de plus libre dans les deux sexes. Ksi-ce là une as-
semblée où Ton puisse se confondre sans scrupule et sans
péril? »
Croire que tous les spectateurs et toutes les spectatrices
ne sont attirés au théâtre, que pai le seul objet de la
pièce, serait une grande erreur. « Combien de gens, dit
Desprez de Boissy, qui ne fréquentent les spectacles que
pour jouir du coup d'œil des femmes que la coutume y
conduit, afin d'y disputer entre elles à qui l'emportera par
la richesse d?s pierreries, par le luxe de la toilette, par
les grâces, par la beauté, par l'adresse à suppléer aux agré-
ments que la nature a refusés, enfin par le nombre des
adorateurs. »
Au fond de l'amour des spectacles, se cache donc un
attrait de concupiscence, avoué chez les uns, déguisé
chez les autres, mais périlleux pour tous, et trop souvent
mal combattu. Afin de ne prendre qu'un délassement
honnête, à une scène dont le jeu réunit tant d'objets ca~
pables de faire des impressions contraires à ia modestie
chrétienne, quelle violence ne faut-il pas faire à ses
sens et à son imagination L Si on avait soin de se faire
cette violence nécessaire, on n'irait pas au spectacle, car
Cîî PIE IX ET L E S ETUDES ULA>SlyU E S .

on ne trouverait aucun plaisir à se contraindre si For-


tement.
Lorsqu'au commencement du xvn' siècle, on fui obligé
de reculer devant l'esprit païen qui envahissait l'Kuiope,
et d'antoriser dans les faubourgs de Paris l'établissement
de quelques salles de spectacle, les représentations noc-
turnes furent cependant défendues. L'ordonnance m.aie
de 1609 dit : « Les comédiens ouvriront leur porte à une
betrreaprès-midi, et qu'avec telles personnes qu'il y aura,
ils commenceront à deux heure? précises, peur que le jeu
soit fini avant quatre heures et demie. »
L'ordonnance fut bientôt violée. Les théâtres n'ouvrent
plus que pendant la nuit, en sorte que le spectacle est de
toute manière une œuvre de O'nrhres. Cela est si vrai que
si on jouait en plein jour, le spectacle perdrait la moitié
de son prestige, par conséquent la moitié du plaisir qu'on
y cherche et des dangers qu'on y court.
Ajoutez pour compléter les moyens de séduction, la
musique et la danse. La musique est une langue et une
langue puissante. Or, ii y a deux sortes de musique : la
musique qui élève l'âme et spirlualise ses affections et
la musique sensualiste, qui amollit et qui corrompt. La-
quelle des deux règne au théâtre ? Il est facile de le
savoir.
La musique du théâtre ne peut traduire que ics p a r o l e s
du théâtre. Or, les paroles du théâtre n'expriment en
général que des sentiments d'amour profane.
« On sait, dit Nadal dans la préface de la tragédie de
Marianne, qu'on ne peut faire réussir une pièce drama-
tique, qu'en flattant les passions. Peut-être môme qu'en
recherchant le mécanisme de celles de nos pièces qui
ont fait le plus de bruit, on trouvera que c'est en elles un
fond de ce môme libertinage qui produit dans la représen-
PIE IX ET LES ET II» ES C LASSIOKES. t^l

tntion, je ne sais quelle espèce d'illusion et d'ensor-


cellement. » La musique du théâtre est donc nécessai-
rement sensualiste, et d'autant plus dangereuse qu'elle
ébranle toutes les fibres corrompu°s delanature humaine.
Au jii^ement de Corneille Agrippa, « La musique de
théâtre est des plus propres et chéries ehambrièies du
vice. Avec la douce voix et le venin emmiellé des chant?,
c
sons et accords voluptueux de ses in 'rumenls, elle en-
flamme les désirs déréglés, et 6te toute fore* et toute ver-
tu à l'esprit, et corrompt en toute lasciveté et délices, per-
vertit les bonnes mœurs, excite impétueusement les
cupidités et affections désbotmêfces. »
Quant à la danse, elle est la digne compagne de la mu-
sique théâtrale. Exécutée, dans ce qu'on appelle les Bal-
lets, par de jeunes actrices, au costume plus que léger,
nous n'osons môme en parler. Di sons seulement qu'elle
doit, dans toute âme encore tant soit peu chrétienne, ex-
citer pour ces malheureuses créatures, les sentiments
douloureux qu'épreuvaiL à la vue des acteurs ordinaires,
la vertueuse Henriette de France. Obligée par sa position
à se trouver quelquefois aux spectacles de la cour, cette
excellente princesse disait in jour à une personne qu'elle
honorait de sa confi mee : a J e ne conçois pas comment
on peut goûter quelque plaisir aux représentations du
théâtre : pour moi c'est un vrai supplice. J e vous l'avoue,
aussitôt que je voisles premiers acteurs paraître sur la scène,
je tombe dans la plus profonde tristesse : Voilà, me dis je
à moi-même, des hommes qui se damnent de propos délibéré
pour me divertir! Cette réflexion m'occupe et m'absorbe
tout entière pendant le spectacle. Ouel plaisir pourrais-je
y goûter ? »
Oue conclure des exemples, des autorités et de toutes
les raisons alléguées jusqu'ici?
l,r* P I E IX ET L E S É . T D E S CLASSIQUES.

i* Que l'amour des spectacles est en raison inverse du


sens chrétien ;
2° Que les sophismes, que les noms plus ou moins im-
posants, dont on abuse pour justifier les théâtres, absoudre
la composition des ouvrages dramatiques et nier le danger
des spectacles, les textes prétendus favorables, les anec-
dotes fabriquées; tout cela n'est que du bruit, et un bruit
bien faible pour ceux qui ne refusent point d'écouter les
réclamations de la religion, et qui reconnaissent que
lorsqu'on est réduit à disputer avec sa conscience, on a
toujours tort, « Tous les suffrages de l'opinion, dit fîres-
set, de la coutume, de la bienséance, de la vertu purement
humaine fussent-ils réunis en faveur des théâtres, on aura
toujours à leur opposer la voix de l'Église, celle de 1 ex-
périence et les promesses du bapttme. Si les pompes du
démon, auxquelles nous avons renoncé, ne sont pas aux
théâtres : où sont-elles? »
Au reste, dans le chapitre suivant, nous examinerons
les prétextes qu'on apporte pour justifier la fréquentation
des spectacles.
CHAPITRE XXIV

S'IL EST PERMIS DE FRÉQUENTRR LES T U É A T I U . S .

Dans les chapitres précédents nous avons montré le


théâtre condamné, même par les auteurs dramatiques et
les acteurs. L'amour des spectacles est donc en sens in-
verse, du sens chrétien et du sens humain. Suivant notre
promesse, nous allons examiner les prétextes qu'on ap-
porte pour se justifier h soi-même, ou pour justifier dans
les autres ta fréquentation du théâtre. Nous parlerons
ensuite des comédies ou tragédies de collèges, de pen-
sionnats et de société.
Rappelons d'abord que les premiers chrétiens n'allaient
point aux théâtres. C'est un fait attesté par les auteurs
païens eux-mêmes, qui leur en faisaient un reproche. Sans
autres considérations, l'exemple d'aïeux si vénérables de-
vrait, ce semble, suffire pour régler la conduite de leurs
enfants. Connaissons-nous mieux que ces disciples immé-
diats des apôtres, le véritable esprit du christianisme ?
avons-nous reçu un autre baptême? avons-nous un autre
évangile à pratiquer? Cependant, si nous demandons à nos
pères la raison de leur conduite, ils nous répondront ce
qu'ils répondaient aux païens : « Vous nous demandez
pourquoi nous n'assistons pas à vos spectacles : C'est que
nous en connaissons tout le danger (1). » Or, ce danger
est le même aujourd'hui qu'autrefois.

(1) Minut, Félix, Oclav.y p. S.


!:;<> PIE ! \ ET L E S E T l ' H E S CÏ.\SSIn| ES.

Écoulons Tertullien, et la m a i n sur la c o n s c i e n c e , di


sons si le tableau des spectacles de son temps,, n'est-pas le
tableau des spectacles d e n o s jours : « L e t h é â t r e , dit-il,
est proprement le sanctuaire de l'amour profane. On n'y
va que pour chercher le plaisir. Le charme d u p l a i s i r
allume la passion, qui s'enflamme à son tour par l'attrait
du plaisir. J e suppose qu'on s'y tienne avec un extérieur
modeste; mais qui me répond que sous cet extérieur fleg-
matique, sous ce masque imposé par les c o n t e n a n c e s , le
cœur demeure impassible, et qu'il n'y ait pas nu fond île
l'âme une secrète agitation? On ne vient pas c h e r c h e r d u
plaisir, sans s'attacher à celui qu'on trouve. »
De quelle nature, en général, est le plaisir procuré par
le spectacle? De tous le plus dangereux. « Au théâtre,
continue Tertullien, l'amour impudique entre dans le
c œ u r par les yeux et par les oreilles. Là, des actrices s'im-
molent à l'incontinence publique, d'une manière plus
dangereuse que dans les lieux qu'on n'ose nommer. Quelle
mère, je ne dis pas chrétienne, mais tant soit peu hon-
nête, n'aimerait pas mieux voir sa fille dans le tombeau
que sur le théâtre? Quoi ! l'aurait-elle élevée avec tant de
soin, environnée de tant de précautions, pour la livrer
au public et en faire un écueil à la jeunesse? Qui ne re-
garde pas ces malheureuses comme des esclaves égarées,
en qui la pudeur est éteinte? Et voilà que, sans rougir
elles s'étalent elles-mêmes en plein théâtre, avec tout
l'attirail de la vanité! N'est-ce rien aux spcctateurs.de
payer leur luxe, d'entretenir leur corruption, de leur ex-
poser leur cœur en proie, et d'aller apprendre d'elles ce
qui! ne faudrait jamais savoir?
« Si nous devons avoir horreur de Timpudicité, peut-il
nous être permis d'aller entendre ou voir ce qu'il nous est
défendu de faire ou de dire, nous à qui il sera demandé
PIE IX ET L E S .'.Tn»ES r . u s S l Q l ' Ê S . l'iT

compte d'une parole oiseuse ? (le à quoi nous avons so-


lennellement renonce au baptême, il ne nous est pas
permis de le pratiquer, ni de l'exprimer, ni de le re-
garder de près ou de loin. Or, quel qu'en soit le nom,
tragédie ou comédie, pas une pièce dont l'intrigue n'ait
pour sujet une action contre les mœurs ou contre l'hu-
manité : faiblesses ou forfaits, voilà tout ce qu'elle pré-
sente.
« Que vous apprend, dites-moi, la tragédie? Rien que
des aventures controuvées ou exagérées qui ne rappellent
à l'esprit, la plupart du temps, que des actes violents ou
honteux, qu'il vaudrait bien mieux n'avoir jamais connus
ou fidèlement oubliés. Et la comédie, qn'expose-t-elle à
vos regards? L'adultère et l'infidélité, les intrigues de la
séduction et le déshonneur des époux, d'indécentes bouf-
fonneries, des pères joués par leurs valets et par leurs en-
fants, des vieillards imbéciles et débauchés? Quelle école
pour les mœurs (1) ! »
Après avoir montr., jusqu'à l'évidence, que le spectacle
est une occasion de péché et que les vœux du baptême l'in-
terdisent au chrétien, Tertullien examine les prétextes
qu'on allègue pour y justifier sa présence. Pas un des so-
phismes actuels, en faveur de la fréquentation du théâtre,
qui ne soit réfuté victorieusement par l'éloquent écrivain.
Comme son autorité est bien plus grande que la nôtre,
nous allons nous borner à analyser son immortel ouvrage.
On nous dit : « A mon âge, dans le rang que j'occupe,
avec la force de mes principes et mon heureuse constitu-
tion, je n'ai rien à redouter du spectacle. »
«Votre âge? Qui que vous soyez, il ne vous sauve pas
des dangers du théâtre. Jeune, c'est pour vous qu'ils sont

(1) De SpectocuHs.
i;>8 F I E IX ET L E S E T L D L S CLASSIQUES.

le plus à craindre. Éloigné de l ' o c c a s i o n , v o u s avez p e i n e


à parer les traits de votre ennemi : comment vous d é -
fendre des impressions de la volupté, qui, a u théâtre, vous
assiège par tous les sens et qui n'y trouve q u e des appro-
bateurs? Le devoir ne tiint pas contre des spectacles q u i
parlent plus puissamment à votre cœur que la c o n s c i e n c e .
La vieillesse elle-même n'est pas un sûr préservatif. N o n ,
les glaces de l'âge n'éteignent pas des feux dès longtemps
allumés, et dont le temps ne fait t r o p souvent qu'accroître
l'activité.
« Le rang que vous occupez V O U Ô e u fait, dites-vous, u n e
nécessité. — Et moi, je vous réponds que la foi chrétienne
ne connaît d'autre nécessité que celle d'obéir à la loi du
Seigneur.
« Votre rang? — Plus il est élevé, plus il vous oblige i
donner le bon exemple et à vous abstenir du théâtre, d e
peur qu'en y allant, vous n'en montiiez le chemin à ceux
qui sont au-dessous de vous.
«Il y a des circonstances où l'on ne peut se dispenser
d'y assister. — Et moi, je vous dis qu'il n'en est point où
il soit permis d'offenser Dieu.
t Mais la coutume m'y autorise. — Quelle coutume? qui
l'a établie? Qui l'autorise? Souvenez-vous que Jésus-Christ,
votre Dieu et votre juge, s'appelle la vérité et non p a s la
coutume.
o Vous vous croyez garanti par votre constitution. —
J'en appelle, moi, à l'expérience. D'après ses leçons jour-
nalières, je demande combien vous connaissez de per-
sonnes qui soient sorties du théâtre comme elles y étaient
entrées? »
Il y a quinze cents ans que saint Jéiôme disait : « Je
refuse de croire quiconque se vante de n'avoir pas été
blessé au spectacle : » Se nulli credere viro, si dieat se
PIE IX E T L L S E T l ' D E S C L A S S I Q U E ? . I-V.>

illœswn evasisse a spectaculis. Or, le spectacle n'a pas


changé, et la nature humaine est aujourd'hui ce qu'elle
élait autrefois.
« Si j'interroge votre propre conscience , continue
Tertullien, qu'auia-t-elle à me répondre? Qu'êies-vous
allé voir? Tout ce qui pouvait vous plaire, et tout ce quil
vous est défendu d'imiter. De bonne foi, est-ce là la place
d'un chrétien? Le soldat ne se trouve dans le camp ennemi
que lorsque, infidèleàson prince, il a déserté ses drapeaux.
Quoi ! vous étiez le matin dans l'Église de Dieu, et vous
voilà le soir dans le temple du démon! Quoi ! ces main
que vous éleviez naguère vers le ciel, elles ont pu battre
pour un histrion ! Cette bouche qui s'ouvrait pour chanter
nos saints mystères, elle a proclamé les louanges d'une
prostituée ! Qui désormais vous empêchera de chanter des
hymnes à la gloire de Satan! (i).
« Mais, dites-vous, je ne choisis que de bonnes pièces;
il y en a même qui sont de vraies écoles de morale. » Où
donc sont-elles ces bonnes pièces? Dites plutôt que vous
choisissez les moins mauvaises. Ici, le choix n'est pas
entre ce qui est bon ou mauvais, mais entre ce qui est
plus ou moins mal. Toutes ne respirent-elles pas plus ou
moins la plus perfide des passions? »
Aujourd'hui même, s'il arrive, ce qui est bien rare,
que le fond d'une pièce soit à peu près honnête, n'est-il
pas de règle qu'on l'assaisonne de quelque petite pièce
qui ne l'est pas, ou d'un ballet qui l'est encore moins? Et
puis, les pièces ne changent-elles pas de nature quand
elle: sont représentées ? Ne deviennent-elles pas dange-
reuses par les séductions qui les escortent?
<( Vous allez au théâtre, dit encore Tertullien, comme

(1) Vhi suj>rù.


I(tf> PIE IX ET L F S ÉTUDES CLASSIQUE?

à une école de morale! De quelle morale? Il n'y en .1


qu'une, la morale de l'Évangile. Et vous voudriez nous
faire accroire que vous allez au théâtre, pour chercher
des modèles de vertus chrétiennes! Les dignes interprèles
de l'Écriture que vos portes dramatiques! Les dignes or-
ganes du Saint-Esprit que vos acteurs et vos actrices i ( l ). »
fl) VU *uprh.
CHAP1TKK X X V

srm: i»r ruÉCÉni«:M.

L'arsenal des prétextes n'est point épuisé : quand la pas-


sion discute, elle n'est jamais à bout. « Ainsi vous ajoutez,
c'est toujours Tertullien qui parle. J e rais au spectacle
pour accompagner mes enfants. — Et Ce quel droit leur
permettez-vous d'y aller? N'était-ce donc pas assez de
leur avoir communiqué le feu de la concupiscence en
les engendrant, faut-il encore que vous l'attisiez en les
conduisant au foyer de toutes les passions?
<( Mais il leur faut des distractions. <> — Quelle distraction
que celle d'offenser Dieu, de le voir offenser et d'applaudir
h ceux qui l'offensent!
« Mais c'est pour leur faire entendre de belles voix et
une belle musique. » — Plus elles sont belles, ces voix
d'acteurs et d'actrices, plus elles sont dangereuses. Dan-
gereuses, parce qu'elles sont belles; dangereuses, par les
choses qu'elles chantent; dangereuses, par ies applaudis-
sements qu'on donne à la profanation publique de l'un des
plus beaux dons de Dieu. Quelle musique entendez-vous
au théâtre? La musique qui élève l'âme et qui purifie
le.* sens? Elle est inconnue au théâtre. La musique q;ii
seule y règne, c'est la musique des passions, la musique
<ler sensations, la musique qui caresse, qui éveille, qui
exalte tous les instincts mauvais de la natuie, et qui fait
circuler dans les veines le feu de la triple concupiscence.
« Mais c'est pour les former. » — Quoi former: leur
ltl! 1*1 E 1 \ ET L E S E 1 T I »'s CLASSIQUES.
esprit, leur cœur, leur caractère ? — You* n'y croyez pas.
Les former â quoi? A la ressemblance de Dieu, â l'image
de celui qui les a créés et qu'ils doivent exprimer en eux?
— Non; c'est aux belles manières. — Eh quoi? votre fille
ne peut-elle être formée aux belles manières, sans avoir
une comédienne pour modèle, et votre fils un comédien
pour précepteur?
« Mais le spectacle n'est pour moi qu'un passe-temps. »
— Le temps est-il votre propriété? vous e*t-il loisible d'en
user suivant vos caprices ou l'en'rainementde vos passions?
Ignorez-vous que le temps est un dépôt, dont vous devez
faire l'usage voulu par celui qui vous l a confié, et qui vous
en demandera compte? Sur les heures de ce temps, com-
bien Dieu vous en a-t-il réservées pour pécher on pour
vous exposer volontairement à l'occasion prochaine de
pécher ( ! ) ? •
«Mais je n'y fais point de mal.» Détrompez-vous : par
le seul fait de votre présence au théâtre, vous faites plus
de mal que vous ne pensez.
i° Le théâtre, vous ne l'ignorez pas, a toujours été
signalé comme une occasion de péché. L'expérience sur
ce point donne tristement raison à l'enseignement des
Pères, des conciles, des catéchismes et des confesseurs.
Or, vous est-il permis de vous exposer volontairement
au mal ? Etes-vous d'une nature différente de tant d'au-
tres, que le théâtre a pervertis et qu'il pervertit encore
chaque jour ?
2° Yous vous rendez coupable d'une dépense non jus-
tifiée. Pas plus que le temps, l'argent ne vous appartient.
Or, en allant au théâtre, vous dépensez indûment l'un et
l'autre. L'argent: vous le prodiguez soit pour acheter de

(1) Ubi suprà*


PIE ) \ ET LES ÉTPDES C L A S S l n L E S . ifU

riches toilettes, soit pour payer vos loges, tandis qu'autour


de vous de pauvres familles n'ont ni babils, ni feu, ni pain.
Le temps : dans nos villes actuelles la vie est tellement
organisée que les membres d'une môme famille vivent
habituellement isolés les uns des autres. Pendant la plus
grande partie du jour, le père est absent; le^ enfants
sont à l'école, à l'atelier ou en pension : la mère seule
garde le foyer ou trône au salon. Cet isolement, on le
comprend sans peine, est de nature à ruiner l'esprit de
famille. Resteraient pour l'entretenir les soirées passées
ensemble. Or, ce temps, précieux à tous tes points de
vue, vous le passez au théâtre. Et puis les familles se
désorganisent ; le mari se plaindra de sa femme, la femme
de son mari, les enfants deviendront ingouvernables : à
qui la faute ? demandez-le aux bals, aux cercles et surtout
au théâtre.
3° Vous VOUL rendez coupable non-seulement envers
;

les pauvres et envers vos enfants, mais encore envers vos


domestiques. Pendant que vous êtes au spectacle, une
bonne partie de la nuit, que deviennent vos domestiques?
que se passe-t-il dans vos maisons, surtout dans les mai-
sons du moderne Paris, où toute la domesticité de l'un
et de l'autre sexe est reléguée dans les combles ?Et cepen-
dant il est écrit : a Celui qui n'a pas soin de ses domes-
tiques, de leur âme plus encore que de leur corps, est
pire qu'un infidèle. » C'est là-dessus, ne l'oubliez pas, que
vous serez iugé.
4° Vous vous rendez coupable de mauvais exemple.
Vous aurez beau vous dire invulnérable aux atteintes
du théâtre, y assister avec indifférence, rougir môme de
la compagnie où vous vous trouvez : est-il moins vrai
que vous autorisez par votre présence ceux qui s'y ren-
dent? Plus vous passez pour honnête, estimable, même
HE !X ET L E S ÈTThES CUSSlyi'ES.
chrétien ou chrétienne, plus votre exemple devient con-
tagieux. Ce que votre pensée condamne, votre conduite
l'absout. On devient l'approbateur du mal, quand on se
rencontre de plein gré avec ceux qui le commettent. II
ne suffit pas de n'ôtre pas acteur, quand nous avons l'air
d'être complices. S'il n'y avait pas de spectateurs, il n'y
aurait pis d'acteurs.
Malgré l'évidence, vous persistez à dire que vous ne
faites point de mal au théâtre. Eh bien, voici une pierre
de touche, à l'aide de laquelle vous reconnaître/ infail-
liblement la nature du plaisir dont ous prenez la dé-
fense. C'est un principe de morale que nous pouvons of-
frir à Dieu nos actions les plus indifférentes : b boire, le
manger, la promenade. Y ^ulez-vous savoir si votre assis-
tance au théâtre est bonne ou mauvaise? Essayez de
v
l'offrir à Dieu. Dites: « Mon Dieu, je a i s dans un lieu
où tout respire la volupté, la vanité et d'autres passions;
je vais librement m'exposer à entendre et à voir des choses
qui sont pour moi des causes de tentation et des occa-
sions de péché ; je vais encourager de mon argeut et j ar
ma présence des âmes qui se perdent pour me divertir ;
je vais faire cela, 6 mon Dieu, conformément aux vœux
de mon baptême, pour votre plus grande gloire, pour
l'édification de mon prochain et pour le salut de mon
âme. Bénissez-moi et je pars. »
Si vous pouvez faire cette prière, allez au théâtre:
vous ne faites point de mal en y allant.
Après avoir réduit à leur juste valeur les prétextes,
communs ù tous les défenseurs du théâtre, qu'il me soit
permis de m'adresser aux femmes en particu'ier et de
leur dire : Mères de familles, jeunes personnes, qui que
vous soyez, vous avez un motif spécial et tout-puissant de
vous abstenir du théâtre.
P1K IX ET LES ETl'i;ES C L A S ^ y l E S . t<>

Toute femme honnête qui passe devant un théâtre,


doit détourner la tête et rougir.
Toute femme qui se permet de franchir le seuil d'un
théâtre, manque au sentiment de sa dignité.
Pourquoi ? parce que sur la porte de tous les théâtres
est gravée cette inscription : Ici on (iïshonorr la fcnu.te.
J e vais m'expliquer en toute franchise.
CHAPITRE X X V I
LE T ï l f ATftR I>E C O L L È G E .

Le théâtre moderne, renouvelé du paganisme, a fait et


continue de faire descendre la femme du piédesial de
gloire et de respect sur lequel le christianisme lavait
élevée. Par rapport au théâtre, la femme est actrice ou
spectatrice. Fst-il besoin de le dire? Du jour où elle a
consenti à paraître sur la scène comme actrice, la femme
a méconnu sa dignité. Elle s'est dépouillée de cette pu-
dique réserve, qui fait $ft défense et une partie essentielle
de ses attraits. La première fois, depuis sa rédemption,
qu'une femme bapt.iée parut en public sur la scène,
comme actrice, ce fut en 1600; et comme dmsen^e en
1081. E h b i e n ! ce jour-là môme, une fille de grande
maison, mademoiselle de Poitiers, qui, suivant le goùl de
Tépoque, représentait une Naïade, fut obligée d'entendre,
devant une partie de la cour, les vers qu'un Triton amou-
reux lui adressa, et que nous n'osons reproduire.
Ces vers toutefois ne sont qu'un léger échantillon de
ce que la femme, dans la personne des actrices, s'est
entendu dire des mi lions de fois depuis trois siècles.
Comment compter les mots à double entente, les expres-
sions passionnées, les provocations directes, les éloges
séducteurs dont elle a été l'objet, sur le théâtre môme,
en présence d'une multitude irrespectueuse et avide? Que
dire des paroles qu'on lui met sur les lèvres, des atti-
tudes qu'on lui fait prendre, des gestes qu'on lui impose,
PIE IX E T L E S É T l i i E S C L A S S I O I ' E S . l'w

du costume dans lequel on l'oblige à se montrer? Le


théâtre, dans la personne de ces victimes infortunées
dégrade la sœur, la fille, l'épouse, la mère de l'homme ;
et transformant la;igé!ique enfant de k Heine des vierges,
en instrument de grossières voluplés, la replonge dans
Pablme de honte et de dégradation d'où le christianisme
l'avait tirée.
Qu'est-ce en effet que l'histoire desaririces, depuis son
origine jusqu'à nos jours ? L'académie de danse, création
de Louis X I V , est à peine formée, que les écolières de-
viennent le jouet des rmît.es et des danseurs. « Lulli
soupire pour mademoiselle le Rochois, qui lui préfère
Le Bas; Préconrt se rencontre avec les plus grands sei-
gneurs chez Ninon. Le foyer des théâtres devient un
bazar, un temple de Gnide et dcCorinlhe, desservi par
des nymphes dont les charmes sont à l'enchère. Ce qu'il
fut au dix-septième siècle, il l'a été au dix-huitième, il
continue de l'être à notre époque, comme le prouve la
biographie des actrices célèbres. C'est à partir de cette
honteuse réhabilitation de la chair par le théâtre païen
que, suivant l'énergique expression de Mozart : Nous
voyons les nobles et les financiers dépenser leur argent pour
des Lucrèces qui ne se poignardent pas, et les royaumes de
rEurope gouvernés par des femmes qui ne sont ni vierges, tu
épouses, ni veuves.
Quant aux femmes qui, sans monter sur la scène, as-
sistent au théâtre, voici le rôle qu'elles y jouent et le
bénéfice qu'elles en retirent. Ce qu'il y a de plus noble,
de plus fort et de plus sacré dans la femme, c'est l'a-
mour. Dégradé dans le paganisme, l'amour avait été,
comme toutes choses, régénéré et ennobli par le chris-
tianisme. Le théâtre moderne, renouvelé des Grecs et des
Romains, dégrade de nouveau l'amour et le corrompt.
IHS P I E IX E T L E S E T U ) f c > *.L\>Shjl E S .

Ouel est. le fond ordinaire d u théâtre eréé par la lie-


naissance? N'est-ce pas le même amour mensuel, para-
dant constamment sur la scène, fascinant les \eux et ie>
cœurs, cl jouant le même rôle que surie théâtre anii.jue.
dans le même but et avec les môme? résultats ? Ces résul-
tats, quels sont-ils , sinon la dégradation de l'amour
chrétien, l'insulte et la honte perpétuelle de la femme?
On se demande avec anxiété d'où est venu ce théâtre
corrompu, inconnu de nos aïeux du moyen âge. Où f u -
rent placées ces premières chaires de pestilence? Telle est
la grave question qui nous reste à examiner. / > Uu'-ùtr*
publie est venu du théut *e prier, et c'est dans les collèges que
le théâtre privé a pris taissance. Se* pères furent les hu-
manistes païens de la tin du quatorzième siècle et du
commencement du quinzième; ses éducateurs, les pé
dagogues du seizième et du dix-septième siècle, f a n a t i -
ques, comme leurs devauciers, de 1'anliquité païenne.
Avoir pendant toute Tannée nourri la jeunesse chrétienne
d'études païennes ne leur suffisait pas.
Afin de l'enivrer d'enthousiasme pour la belle antiquité,
ils imaginèrent de mettre leur enseignement en action.
Dans ce but, ils composèrent des pièces de théâtre, imi-
tation ou calque inévitable du théâtre antique, qu'ils ti-
rent jouer à leurs écoliers. Pendant plus de deux siècles
et demi, ces représentations théâtrales ont été, surtout eu
France, le bouquet obligé des travaux de Tannée scolaire.
Études assidues de plusieurs mois, répétition^ fréquentes,
sujets, noms, rôle*, langage, cuctumes, décorations, tout
contribuait h identifier de jeunes imaginations, avec les
hommes et les choses du paganisme. Dans un grand
nombre de collège» chrétiens, ou trouvait, et 0:1 trouve
encore, « côté êe la chapelle, la salle de spectaae.
Cependant l'éducation fait l'homme. Les opinions, les
l'IE iX E T L E S E T ! ' D E S « : L A > H M | iiS. I H!>-

admirations, les goûts qu'il a puisés sur les bancs de l'é-


cole, surtout s'ils sont d'accord avec ses passions, il ne
s'en défait pas en quittant le collège. Il les porte dans la
société et ils deviennent la base de sa vie intellectuelle et
morale. Gemme tous nos préjugés en faveur de l'architec-
ture païenne, de la poésie païenne, de la littérature païenne,
l'amour du spectacle païen est né de l'éducation. Telle e>t
la généalogie du théâtre moderne: sorti du collège, il passa
dans les hôtels des grands seigneurs et, de là, dans le palais
des rois. Il y resta jusqu'à ce que, par le cours naturel
des choses, disons mieux, par le progrès de la corruption
des mœurs, il soit devenu une institution publùjw\
11 faut le dire à sa louange, notre ancienne Université
sentit de bonne heure le ridicule et le danger des specta-
cles de collège. Dès le commencement du dix-septième
siècle, elle interdit toute espèce de comédie et de tragédie
dans ses maisons d'éducation.
En 1703. le Parlement de Paris rendit un arrôt, con-
forme aux anciens statuts de l'Université, dans lequel il
s'exprime ainsi : « La distribution des prix se fera dans
chaque collège, à la lin de la tenue des classes, au jour
qui sera réglé par le bureau, Elle ne pourra être précédée
que d'un exercice de rhétorique ou d'humanités, sans
qu'il puisse, en aucun cas, conformément aux statuts de
l'Université de Paris, être représenté dans les collèges au-
cune tragédie et comédie. »
Aujourd'hui encore la même défense est eu vigueur.
Dans les établissements universitaires, collèges ou lycées,
la distribution des prix se fait sans représentations dra-
matiques.
La conduite de ces instituteurs laïques contraste avec
celle des corps ecclésiastiques enseignants. Il faut bien
l'avouer, ceux-ci ne comprirent ni le ridicule ni le danger,
lt>
PIE IX E T L E S ETl"DES CLASsIQl'ES.

reconnus dès le principe par l'Université. ll< continuè-


rent, jet plusieurs continuent encore, à faire jouer par
leurs élèves, des tragédies et des comédies plus ou moins
ridicules.
Cela môme ne leur suffit pa*. Cette annôc 1874, le 10 fé-
vrier, jour du lundi gras, on n'a pas rougi, dans un grand
établissement d'éducation, tenu par des religieux, d'appe-
ler des acteurs du Théâtre-Français, les frères Coquelin,
pour interpréter quelques œuvres des grands maîtres, en
amusant les élèves. Ceh\ veut dire, pour donner une re-
présentation théâtrale devant six cents jeunes g e n s , ren-
forcés de leurs mères et de leurs sœurs.
Nous le disons sans détour : c'est un scandale qui
pourrait avoir les conséquences les plus funestes, s'il du-
rait. « Croit-on, dit un journal Belge, que la jeunesse de
France sera par là moralisée, et que l'exemple de ces ac-
teurs, qui n'ont la plupart ni foi, ni dieu, sera capable de
lui inspirer l'amour d'une vie active, utile, sérieuse,
comme le demandent la loi chrétienne et la situation
présente ? »
Ailleurs, lorsqu'on ne fait pas venir les comédiens dans
l'établissement, l'établissement va chez eux. Les salles de
spectacle sont choisies pour la distribution des prix et les
représentations qui les accompagnent. « Cet abus, dit le
même journal, n'est pas moins grave que le premier. On
sent immédiatement ce qu'il y a d'inconvenant et de dan-
gereux dans cette pratique. Quoi i ce sont ces lieux, où
chaque jour*ia religion et les mœurs sont indignement
outragées, où l'on verse le poison dans les âmes par tous les
sens;ce sont ces lieux que l'Église,avec tous les honnêtes
gens, nomme des foyers de corruption, qu'on choisit pour
y couronner solennellement la vertu, et pour disposer
la jeunesse à lutter courageusement contre les. séduc-
PIE IX ET L E S ÉTUDES CLV^SIOl E S . 1TI

lions du monde et la fougue terrible des passions ! »


Ajoutons que les œuvres dramatiques de collège sont
innombrables. Dans plusieurs bibliothèques de Paris, il se
trouve, à notre connaissance, plus de deux mille ballet?,
comédies, tragédies de ce genre. Combien nous pourrions
citer de religieux, qui ont gravement consrcré de t r è s -
longues veilles à rédiger des Traités de comédie e' de tragé-
die, et à composer des pièces de théâtres, afin, disent-ils,
de former la jeunesse ad effonnandam juveniutehi (1) !
L'illusion de ces respectables maîtres ne pouvait être
plus complète. D'abord, ils oublaient que le goût du théâ-
tre privé donnerait infailliblement, comme l'expérience
l'a prouvé, et le prouve encore, le goût du théâtre public.
Comment le nier, quand nous voyons aujourd'hui dans
nos villes, les jeunes gens et les jeunes personnes raffoler
du théâtre, et des parents assez insensés pour leur pro-
mettre, comme récompense, de les conduire au spectacle?
De là vient, qu'il y a beaucoup plus de monde dans les
théâtres que dans les églises ; que pour avoir une place à
certaines représentations, il faut avoir soin de la retenir
plusieurs jours à l'avance; qu'une actrice en renom est
beaucoup plus courue que le prédicateur le plus élo-
quent; que tel qui se plaint de payer deux sous sa chaise
à l'église, paie volontiers quatre ou cinq francs une place
au théâtre. Voilà pour la formation de la jeuresse, et par
elle, de la société, au point de vue morale.
Comme si le théâtre public ne suffisait pas, nous avons
le théâtre domestique. Aujourd'hui on joue la comédie,
non-seulement dans les collèges et dans les pensionnats ;

(1) De ces pièces de théâtre on peut voir de nombreux spreimens dans


le t. X de notre Révolution. Là aussi se trouvent toutes les citations
de livres et d'auteurs, que nous avons omises pour ne pas grossir notro
ouvrage.
172 H E IX E T L E S ET 1*0ES r . L \ S S I 0 l E S .

ou la joue d a n s le* é c o l e s îles F r è r e * , d a n s les m a i s o n s b o u r -


geoises et d a n s les n o b l e s s a l o n s . O u n e r o u / i l m ê m e p a s
de faire venir, et de p a y e r fort c h e r , des a c t r i c e s , d e s
chanteuses, quelques-unes m ê m e d ' u n e r é p u t a t i o n p l u s
que suspecte, pour apprendre aux j e u n e * p e r s o n n e s à for-
mer leur chant, leur maintien et leurs .minières s u i v a n t
le goût du théâtre; et, comme d'habiles c o m é d i e n n e s , à
jouer leur rôle dans les pièces de famille. Rien de tout
cela ne doit étonner: L'éducation fait l'homme et l'homme
fait la société.
Les respectables instituteurs, d o n t n o u s p a r l o n s , o u b l i -
aient encore que ces exercices pédantesques f a u s s a i e n t le
goût littéraire. Sous ce rapport, il est bon de c o n n a î t r e le
jugement d'un homme non suspect. C'est une p r é c i e u s e
leçon pour ceux qui continuent de faire comme ont fait nos
pères. Cet homme est l'ancien B a l z a c , l'un des p r e m i e r s
fondateurs de l'Académie f - a i â Ç a i s c .
Passant en revue toutes ces comédies, tantôt païennes,
tantôt moitié chrétiennes et moitié païennes, dont n o s d é -
vots régents ont, pendant plus de deux cents ans, a m u s é
la jeunesse lettrée de l'Europe, il dit : « Au lever de la
lumière évangélique, tous les fantômes du paganisme se
sont enfuis; il ne les faut pas faire revenir Virgile n'a
jamais invoqué ni Milhra, n i Anubis : comme h s o n
exemple, nous ne devons pas faire entrer témérairement
dans nos compositions, des divinités étrangères; ni a p p e -
ler Hymen et Junon aux noces de Jacob et de Ilachel ; n i
donner Mercure pour guide à Tobie; ni dire Jupiter-Ton-
nant apparut à Moïse sur la montagne.
((Véritablement cette mauvaise coutume a besoin d'être
réformée et mérite bien que nous en considérions l ' i m -
portance. Cette bigarrure n'est pas recevable. E l l e tra-
vestit notre religion, elle choque les moins délicats et
PIE IX ET L E S E T l MES C L A S S I Q U E S . 173

scandalise les plus indévots. Ouand en cela la vérité ne


souffrirait rien, la bienséance y serait offensée; et si ce
n'est commettre un grand crime, c'est au moins porter
hors de temps une mascarade. »
Voilà pour le goût littéraire

10.
CHAPITRE XXVII
SUITE D U rKÉCÉDENT.

Au point de vue de l'éducation p r o p r e m e n t dite, un sa-


vant professeur du dernier siècle a très-bien montré que
les drames de collège se réduisent ;\ trois choses : fatitpn\
inutilité, danger.
Fatigue. Fatigue ue plusieurs mois pour le professeur
chargé de la composition ou de l'arrangement de la pièce,
de la mise en scène et des répétitions : le tout sans préju-
dice des soins de sa classe, s'il est laïque ; et s'il est reli-
gieux ou prêtre, sans préjudice de sa méditation, de sa
messe et de ses exercices de piété.
Fatigue, et fatigue de plusieurs mois pour les élèves,
obligés de se mettre dans la tête des rôles plus ou m o i n s
longs, plus ou moins intéressants, pour ne pas dire quel-
quefois plus ou moins burlesques, le tout sans préjudice
des devoirs ordinaires de classe. Pour accepter u n e pareille
tâche, on conviendra qu'il faut un grand amour du travail,
sinon il esta craindre qu'il n'y ait en cela un g r a n d fond
de vanité. Le spectacle de collège n'est donc un délasse-
ment que pour le public.
Inutilité. «Mais il fortifie la mémoire !» —N'y a-t-il pas
d'autre moyen de fortifier la mémoire q u e de faire ap-
prendre aux jeunes gens des rôles plus ou moins fantas-
tiques, dans lesquels, pour faire rire ^'auditoire, on ne
craint pas de forcer le naturel, de heurter le bon sens et
d'estropier la langue ? « L'éducation chrétienne, dit B a t -
HE IX ET LES ÉTUDES CLASSIQUES. 17:>

teux, l'éducation mondaine même, si elle est sérieuse et


décente, a-t-elle besoin, pour être parfaite, de legons de
comédiens? Ne peuvent-ils s'essayer devant le public,
sans prendre la voix aigre d'un vieillard quinteux, ou les
airs impertinents d'un faquin? En un mot, :.e peuvent-
ils entrer dans le monde honnête qu'en descendant du
théâtre? »
« Mais il forme à la déclamation! » — Oui, à la décla-
mation théâtrale. Mais l'éducation chrétienne a-t-elle pour
but de former des acteurs? Comme c'est ici le grand pré-
texte des dramaturges de collège, qu'iL écoutent ce que
leur répond un païen : « J e ne veux pas, dit Quintilien,
que le disciple à qui j'apprends Fart de prononcer, déguise
sa voix en celle de femme, ou la rende tremblante comme
celle des vieillards. J e ne veux point aussi qu'il contrefasse
les vices des ivrognes, ni le libertinage des valets, ni
qu'il apprenne le langage des passions d'amour, d'ava-
rice ou de crainte, qui ne sont point nécessaires à un
orateur, et qui peuvent borrompre l'esprit tendre des en-
fants dans leurs premières années; car ce qu'on imite
souvent passe en coutume. Et même toutes sortes de
gestes et de mouvements de comédiens ne doivent pas
être imités, parce que, encore que les gestes et les mou-
vements conviennent à l'orateur en quelqne manière, ils
doivent toutefois être fort différents de ceux des acteurs de la
scène. »
Qu'aurait dit ie grave rhéteur s'il avait su que, pour for-
mer à la déclamation les jeunes chrétiens, destinés à de-
venir des orateurs sacrés, on les transformait en héros
païens, en divinités olympiques, en républicains féroces,
•en bouffons de Rome et d'Athènes, jouant devant le pu-
blic des comédies de Plaute et de Térence, ou des tra-
gédies de Sophocle et d'Euripide?
I7tî P I E I X ET L E S ETl D E S r . L X S S i n p E S .

H Mais les exercices dramatiques donnent a u x j e u n e s


gens <;e l'aplomb et de la hardiesse ! » — P l u s i e u r s disent
qu'il f a u d r a i t plutôt leur en ôteiycar aujourd'hui la plu-
part n'en ont que trop. Le défaut dominant d e la jeu-
nesse actuelle n'est pas la timidité.
Danger. Les vices, les travers, les situations forcées sont
plus souvent en scène que les vertus, et surtout les vertus
de mise habituelle dans la société; et si les jeunes ac-
teurs sont bien pénétrés de leur rôle, s'ils y ont été ap-
plaudis, il esta craindre qu'il ne passe dans leurs a l l u m e s .
Ce danger est d'autant plus sérieux que, dans la d i s t r i -
bution des rôl?s, on s'est occupé surtout de choisir celui
qui allaii le mieux à l'extérieur, aux habitudes, au ca-
raclère de tel on tel, et qu'on s'est bien gardé de donner
!e rôle d'un fat à l'enfant timide ou modeste, et récipro-
quement.
Cette observation n'a point échappé au grave professeur
quenour avons cité. « La distribution des rôles, dit-il, est
la source de graves inconvénients. On choisit pour les
remplir ceux qui peuvent faire le mieux, et qui ont pour
certains caractères une disposition toute naturelle : Ce qui
leur assure un défaut, quelquefois même un vite pour toute
leur vie. Par exemple, un jeune homme est prétentieux,
petit maître : on le choisit à cause de cela pour faire le
petit marquis, le fat. Il est paresseux, indolent : on lui fera
jouer rindolence.il est haut: il fera le glorieux. Menteur:
il aura *e premier rôle dans la comédie de Corneille. Dur:
il jouera Atrée. S'il est dissipé, polisson, étourdi, il fera
le valet; de manière que des défauts on des vices qu'on
devrait corriger par l'éducation, se concentrent par ce
moven dans le caractère. »
Pourquoi donc tes drunes de collège et quels bénéfices
en revient-il? quand on regarde au fond des choses, on ne
rifc ÎX ET L E S ÉTUDES C L A S S I Q U E S . HT

t >eut voir dans ces représentations théâtrales, que la per-


sistance du mauvais goût introduit en Europe par la re-
naissance du paganisme. Plusieurs y voient une ,ydame.
Afin d'achalander la maison, on tient à faire briller aux
yeux du public, Jetaient des maîtres, qui composent les
pièces et l'habileté des élèves qui les jouent. Le populaire
ha! d**s mains, les mères pleurent de joie, les sœurs sont
hères de leurs frères; si tous les pères n'admirent pas, iis
sont subjugués par les influences domestiques, et une
riche recrue d'élèves est acquise a 1 établissement.
Il no:;s est consolant de pouvoir ajouter que le règne,
beaucoup trop long, du théâtre pédagogique incline ver?
sa fin. Bon nombre de communautés l'ont supprimé. Le
dernier archevêque de Lyon Ta interdit dans son diocèse.
Les évoques de Belgique, et, en Angleterre, l'illustre fer
chetôque ue Westminster, ont défendu, dans les établi
semenU placés sous bur juridiction, toute espèce de re-
présentations théàtraks. Espéioixs que re bon exemple
sera bientôt suivi partout.
Signalons uv autre abus, pius grave peut-être que le
précédent. Les pen&iontvUs de jeunes tilles ont voulu se
mettre ù la hauteur des collèges. On sait que, sur la de-
mande de madame de Maintenon, Racine écrivi! la tragé-
die à'Estker pour la maison royale 4q Saint-Cyr. Seule-
ment l'histoire ue dit pas qu'elle ait été jauée à u n e
distribution de prix. Quoi qu'il en soit, madame de Main-
tenon ne tarda pas à s'apercevoir des graves abus, que ce
genrede divertissement avait introduits à Saint-Cyr. Après
la quatrième représentation d'Est/èer, mademoiselle de
Caylus cessa d'y tigurer. « Elle faisait trop bien, dit ma-
dame de Sévigaé, elle était trop touchante. » Bientôt
madame de Maintenon elle-même écrivit à Racine :
« Monsieur, TJOS demoiselles ont joué hier Esther et y
US P I E IX E T L E S ÉTUDES C L A S S I Q U E S .

l'ont si bien jouée, qu'elles ne la joueront jamais plus, »


À cette occasion, madame de Maintenon reçut de M. Hé-
bert, curé de Versailles, puis évoque d'Agen, une grave
remontrance, dans laquelle il lui déclare que les repré-
sentations dramatiques doivent être proscrites de toute
bonne éducation.
« Votre grand objet, Madame, lui dit-il, est de porter
vos élèves de Saint-Cyr à une grande pureté de mœurs.
N'est-ce pas détruire cette pureté, que de les exposer sur
un théâtre aux yeux de toute la cour? C'est fortifier ce
goût, qu'il est si naturel à leur soxe d'avoir pour la parure,
que souvent les femmes les plus chastes, comme le dit
saint Jérôme, ont cette faiblesse; non, à la vérité, pour
plaire aux yeux d'aucun homme, mais pour plaire à elles-
mêmes. C'est leur ôter cette modestie qui les retient dans
le devoir. Une fille redoutera-t-elle un tête-à-tête avec
un homme, après avoir paru hardiment devant plusieurs?
Les applaudissemerts que les spectateurs prodiguent à !a
beauté, aux talents de ces jeunes personnes, ne doivent-
ils pas produire les plus mauvais effets? »
L'expérience justifia tes sages observations du vénérable
prêtre. Les dames de Saint-Cyr avouent, dans leurs J / e -
moires, que, sous l'influence de ces représentations théâ-
trales, leurs demoiselles étaient devenues fières, dédai-
gneuses- hautaine*, présomptueuses et peu dociles. Madame
de Maintenon parla à Louis X I V de finir ces divertis-
sements. Acteur lui-même dès son enfance dans tous les
ballets ao la cour, il s'y refusa*
Madame de Maintenon dut se contenter d'adresser les
recommandations le* plus sévères aux dames de Saint-
Cyr. « Renfermes, écrivait-elle, ces amusements dans votre
maison, et ne l"s faites ja- mais en public, sous quelque
prétexte que ce*soit. 11 sera toujours dangereux de faire
PIE IX E T L E S É T U D E S C L A S S I Q U E S . 179

voir à des hommes, des filles bien faites, et qui ajoutent


des agréments à leurs personnes, en faisant bien ce qu'elles
représentent. Ne souffrez donc aucun homme, ni pauvre,
ni riche, ni vieux, ni jeune, ni prêtre, ni séculier, je dis
même un saint, s'il y en a un sur la terre. »
CHAPITRE XXVIII

FIN DU PRÉCÉDENT.

Quel compte a-t-on fait de ces levons de la sagesse et de


l'expérience? Même dans certains pensionnats religieux,
comme dans certains collèges religieux, l'usage a prévalu
contre la raison. Il y a plus : dans certains couvents, com-
me dans les collèges, les représentations théâtrales, ayant
au fond pour but principal de plaire au public, plusieurs
pensionnats étudient le goût dominant et cherchent h s'y
conformer, au point d'oublier parfois toutes les conve-
nances. Ainsi, il y a quelques années, des danses plus que
suspectes faisaient fureur. Or, un jour de distribution de
prix, dans une pension de la capitale, et une bonne, les
élèves en âge d'actrices avaient figuré sur la scène. Res-
taient les petites. Pour satisfaire les mères et montrer que
la maison était au niveau du progrès, on imagina de leur
faire danser la polka/ Ce qui fut exécuté aux applaudis-
sements insensés de l'assistance.
«Mais, dit-on, c'est un simple amusement, et les enfants
n'en pensent pas plus long. » — Permettez-moi de ne pas
appeler timple un amusement trop souvent funeste dans
ses conséquences. Ne parlons ni de la vanité qu'il éveille
ou qu'il développe dans les jeunes personnes, ni de la
fausse direction qu'il donne à leur esprit, en leur faisant
perdre la modestie et la réserve, apanage providentiel de
h femme. Disons seulement que le théâtre de pensionnat
PIE IX ET L E S ÉTUDES CLASSIQUES. 181

fait naître dans les jeunes tilles le goût du théâtre public,


comme le théâtre de collège dans les jeunes gens, dont la
plupart, au sortir des bancs de l'école, se montrent beau-
coup plus assidus aux spectacles qu'aux offices de l'Église.
Plusieurs môme sont devenus acteurs et actrices de pro-
fession, uniquement pour avoir figuré avec succès sur les
théâtres de collège et de couvent. Nous ne parlons point
au hasard.
il y a peu d'années, une jeune personne, d'environ dix-
sept ans, vint nous consulter sur sa vocation. — J e désire,
nous dit-elle, embrasser la carrière dramatique. — Pour-
quoi?— Parce que je crois avoir un talent particulier,pour
interpréter sur la scène les chefs-d'œuvre de la littérature
française. — Comment le savez-vous? — J e sors de pen-
sion. Suivant l'usage du couvent, nous avons joué à. la dis-
tribution des prix une pièce, dans laquelle tout le monde
m'a vivement applaudie. Ce début m'encourage, et comme
mes parents n'ont pas beaucoup de fortune, je désire en-
trer au théâtre, où l'on dit qu'on gagne beaucoup d'ar-
gent. — Pauvre enfant! Dieu sait le temps et les soins
qu'il a fallu, pour calmer cette jeune imagination et faire
évanouir ce funeste projet 1
A quelque temps de là, je vois arriver chez moi une da-
me et une jeune personne, âgée de seize an$. « Vous voyez
devant vous, me dit cette dtftoe, une mère désolée. Ma
fille, que voici,.est sortie cette année du couvent. Actrice
dans la pièce qu'on joue à la distribution des prix, elle a
été, pour son malheur et le nôtre, fort applaudie. Depuis
ce moment, elle ne rôve que théâtre: à tout prix elb veut
être artiste dramatique. Voyant que son père et moi nous
nous opposions absolument à ce qu'elle appelle sa voca-
tion, elle s'est échappée de la maison paternelle. Bien que
nous habitions à trente lieues de Paris, nous avons supposé
il
182 P I E IX E T L E S ÉTUDES CLASSIQUES.

qu'elle était venue dans celte capitale. J'ai été assez heu-
reuse pour la retrouver, et je vous l'amène, afin que vous
ayez la bonté d'en prendre soin. J e resterai avec elle, sans
la quitter un instant. »
La jeune fille parut repentante et promit obéissance à sa
mère et à moi. Pendant un an, elle se montra très-régu-
lière. Rien ne laissait soupçonner la persistance de la ten-
tation, et sa mère la reconduisit en province. Quelle fut ma
douleur, locsqu'environ un an plus tard, cette pauvre mère
vint m'apprendre que sa fille s'é.ait échappée de nouveau
et qu'elle venait de la trouver 1 Paris, pensionnaire chez
une actrice! Qu'est-elle devenue? Dieu le sait.
Que n* pourrions-nous pas dire de plusieurs jeunes
gens, d \ v êtes familles, qui sont devenus acteurs pour
avoir pr.< a collège ou au petit séminaire le goût du théâ-
tre? Pauvres mères, j ' a i connu vos larmes, et seul je n'en
ai pas été témoin ! Naguère, un prêtre, vétéran de l'en-
seignement, nous disait : « J e connais plusieurs jeunes
gens, actuellement malheureux, qui perdirent leur voca-
tion sur les tréteaux de fin d'année scolaire. Quelle res-
ponsabilité t » N'est-ce pas le cas de répéter le mot du
P. Ventura : « Si les mères de famille savaient ce que
nous enseignons à leurs enfants, elles nous arracheraient
les yeux. »
Heureusement le théâtre de collège et de pensionnat ne
développe pas au même degré, dans tous les jeunes ac-
teurs, ni dans toutes les jeunes actrices, le goût du théâtre
public; mais ne suffit-il pas, pour le faire supprimer, qu'il
produise quelquefois, sans compensation, des résultats
f
comme ceux que nous venons de signaler? A tou le
moins, l'élan est donné sur la pente la plus glissante. la
pente des plaisirs. En rayerez-vous le char ainsi lancé?
Voilà, soyez-en sûr, plus d'un spectateur et plus d'une
PIE IX ET LES ÉTUDES CLASSIQUES. 183

spectatrice gagnés aux théâtres public*, des acteurs et des


actrices pour les théâtres de société, des partisans zélés
de tous ces divertissements si peu conformes aux vœux
du baptême. Faut-il ajouter, d'après l'aveu des maîtresses
les plus expérimentées, que la perte du temps, la dissi-
pation, un grand désir de briller, le dégoût de la prière,
la crainle des froides réalités de la vie, sont les fruits or-
dinaires des pièces de théâtre dans les pensionnats déjeu-
nes filles?
Suivant une damedu monde, elles sont de nature à pro-
duire un résultat spécial et non moins grave : c'est d'ap-
prendre à mentir. « Pour représenter un rôle, il faut dire
ce qu'on ne pense point, ce qu'on ne sent pas. ISon-seule-
r
ment il faut let aduire au moyen des paroles, mais.il faut
encore l'exprimer par Pair du visage, par le geste, par le
ton de la voix. Il faut que, l'imagination étant bien péné-
trée de son sujet, il devienne une réalité pour elle, et que
l'individualité tout entière obéisse à cette impression do-
minatrice. Eh bien, cette obligation de faire, pour ainsi
dire, filtrer le mensonge à travers toutes les nuances de
l'action, est-elle bien compatible avec la candeur d'une
jeune fille? Cette habileté à se contrefaire, si follement
applaudie, est-elle propre à corriger le penchant à la dissi-
mulation, trop naturel aux jeunes personnes (1)?» De là
pourtant dépend le succès.
A ce sujet nous citerons le trait suivant. Naguère deux
familles estimables étaient convenues d'un mariage. La
jeune personne finissait son éducation dans un des grands
couvents de Paris, l e jeune homme accompagne sa mère
à la distribution des prix : elle fut précédée u'un drame.
Au nombre des actrices figure celle qu'on lui destine pour

(1) M* de Gasparin, Choir des hn'jitud's de la vie.


m P I E IX ET L E S ÉTUDES CLASSIQUES.

épouse. Elle remplit son rôle avec une rare perfection.


Seul le jeune homme s'abstient d'applaudir. Au sortir de
la représentation, sa mère lui demande d'où lui est venue
la réserve, que tout le monde a pu remarquer et dont
elle-même est peu satisfaite. «Ma mère, lui dit le jeune
homme, jamais je n'épouserai une femme qui joue si bien
la comédie. » Et le mariage a été rompu.
Terminons en disant que le théâtre de pensionnat,
comme le théâtre de collège, commence <\ passer de mo-
de. Beaucoup de communautés l'ont formellement in-
terdit. Entre autres preuves, nous citerons la lettre
suivante, que nous recommandons ;\ tous les pensionnats
de jeunes filles, religieux ou séculiers. Bien que cette let-
tre ait été mibliée dans les journaux, nous la repro-
duisons; car on ne saurait lui donner trop de publicité.
«c Chère Sœur, selon vos désirs, j'ai sollicité pour vous la
permission de faire jouer un petit drame à la distribution
des prix. Voici la réponse de notre vénéré supérieur :
c Vous réciterez à genoux les sept psaumes de la péni-
tence, en expiation de votre coupable demande. Vous êtes
religieuse pour former des chrétiennes et non pas des
comédiennes. Ces exercices inspirent le goût du théâtre
et du roman, qui sont de nos jours deux écoles d'immo-
ralité. Les jeunes filles ne sont que trop habiles à se con-
trefaire; elles n'ont pas besoin que vous les dressiez à
exprimer des sentiments qu'elles n'ont pas et qu'elles ne
peuvent pas avoir. Elles n'ont pas besoin d'être déguisées
en princesses, pour aspire* à sortir de leur position, pour
ruiner leur fortune et leur vertu dans les folies d'une ex-
cessive toilette. Si la pièce est grave, elles l'exécutent
ridiculement; si elle est burlesque, elles contractent un
goût faux et vil; si elle est sentimentale, elles pleurent et
font pleurer en simulant.
PIE IX ET L E S E T ! >ES CLASSIQUES-

« Introduire ou tolérer de si lamentables abus, ce n'est


pas élever les jeunes fllles, c'est les dégrader. A vez-vons si
vite oublié toutes les afflictions que vous ont causées ces
maudits amusements, les jalousies, les plaintes, les ré-
voltes? Et les Infortunées qui vous ont quittée pour aller
se perdre parmi les actrices, auraient-elles eu ce malheur
si vous n'aviez pas ci Uivé leur talent naturel pour la décla-
mation? J e ne vous défends pas d'habituer les jeunes per-
sonnes à bien lire; mais vos constitutions vous interdisent,
avec raison, de leur apprendre à parler en public. Lais-
sez-leur la modestie, la timidité qui leur sont naturelles
et qui sont leur plus bel ornement. N'en faites ni des pré-
dicateurs, ni des avocats ni des viragos.
a Le temps passe vite! En leur enseignant ce qu'elles
doivent ignorer, vous les empochez d'apprendre ce qu'elles
doivent savoir. Soyez persuadée, chère Sœur, que vous
n'insistez pas assez sur le catéchisme, sur les travaux
mauuels auxquels elles auront à se livrer : tels que le tri-
cotage, la confection des robes, etc. ; et que vous vous
étendez trop sur la littérature, l'histoire profane., la géo-
graphie, la cosmologie, la minéralogie, la géologie, la bro-
derie, le dessin, la peinture, la musique, elc. »
« Voilà, chère sœur, le compliment que, sans le vouloir,
vous m'avez fait adresser ; l'équité m'oblige à vous le
transmettre. Veuillez lui faire bon accueil, et accomplir
à mon intention la pénitence des sept psaumes.
r
« Agréez, etc. S THÉRÈSE T U . . . »

]Le bon sons respire dans la lettre du vénérable supé-


rieur. Ce qu'il dit des drames de couvents, ce que nous
avons dit nous-mêmes, et tant d'autres avant nous, des
drames de collèges et de petits séminaires, s'applique aux
1*6 UIE IX ET L E S ÉTUDES C L A S S I Q U E S .

drames de société. Nous sommes donc dispensés de par-


ler de celte nouvelle aberration. Contentons-nous de dire
qu'il faut avoir perdu tout sentiment des convenances pour
appeler, comme on le fait, dans les salons les p l u s aristo-
cratiques, les acteurs, les actrices, les chanteuse** célèbres,
afin d*exerccr les grandes dames, les grandes demoiselles,
les grands messieurs, jeunes et vieux, à jouer la comédie.
Chrétiens des premiers siècles, chrétiens des âges de foi,
si vous reveniez au monde, que diriez-vous de pareilles
mœurs? Nous reconnaltriez-vous pour vos enfants et pour
les disciples de l'Évangile ?
Qui doit et qui peut, plus que personne, opposer une
digue au torrent? Les instituteurs de la jeunesse et les
mères chrétiennes.
CONCLUSION

Au nom de l'Église éplorée, parlant par la bouche du


Vicaire infaillible de Jésus-Christ; au nom de ia société,
qui court aux abîmes ; au nom des familles, en qui l'es-
prit chrétien s'éteint à vucd'œil; au nom des ? nés, qui
chaque jour périssent par milliers; au ncr.i de l'Europe
entière, menacée d'un effondrement général : nous venons,
pour la dernière fois, de démontrer, ce que nous n'avons
cessé de faire depuis quarante ans, la nécessité plus ur-
gente que jamais de la réforme radicalement chrétienne
et nationale de l'éducation, surtout des classes sociales
qui, par leur supériorité, font le peuple à leur image.
Nous en avons indiqué el fourni les moyens.
A tous les hommes qui conservent la faculté de lier
deux idées, nous disons : Tournez, retournez sous toutes
les faces le problème social; cherchez un remède humain
au mal qui nous dévore, un préservatif contre les fléaux
suspendus sur nos têtes ;
Législateurs, faites et défaites des lois; changez, mo-
difiez, rechangez les formes gouvernementales; suppri-
mez le suffrage universel; bâillonnez la presse; fermez
les anlres t'nébreux des sociétés secrètes;
Sages de toute école et ^e toute nuance, faites et dé-
faites des systèmes; tour à tour brûlez ce que vous avez
adoré et adorez ce que vous avez b ûlé ;
Écrivains à la vapeur, journalistes qui chaque matin
IM CONCLUSION.

et chaque soir, versez sur le monde vos salutaires élucu-


brations ;
Prêtres môme et évoques, dans d'éloquents écrits, dé-
plorez les ravages toujours croissants de la haine anti-
catholique; l'affaiblissement de la foi; la dépravation des
mœurs; priez; faites des pèlerinages; bâtissez des églises;
que faites-vous? Vous pourrez sauver quelques âmes;
mais prétendre sauver la société, sans la réforme radica-
lement chrétienne de l'éducation, vous jetez de 'a poudre
au vent; car vous n'atteignez pas le mal dans sa racine :
Vvdnca*ion fait l'homme, et l'homme fait la société.
t

Si les générations futures continuent d'être élevées


comme les générations actuelles, nous aurons ce que nous
avons et pis encore : rien n'est plus certain. Ou'avon^-nous?
L'emprisonnement du Pape; le dépouillement de l'Église;
le frémissement de toutes les nations contre le christia-
nisme; l'ébranlement de toutes les bases sociales; la fer-
mentation universelle de l'esprit révolutionnai»e; la for-
mation de plus en plus rapide du iègne anlichrétien :
Satan en haut, Dieu en bas.
C'est à prendre ou à laisser.

NOTA. — / / ne %'agit pas seulement de lo réforme de notre éducation


classique, mais encore de notre éducation philosophique, scientifique,
historique, artistique. Elle est tout entière à refaire, c'est-à-dire à
txndre chrétienne et française. Si j'ai demandé avant tout, ta reforme
de Céducat ion classique, c'est qu'elle est comme le biberon par lequel
fet jeunes ames sucent un lait qui, n'étant ni chrétien ni franc n
forment des générations hybrides, puissantes pour le mal, mais san\
énergie pour le him, parce qu'elles manquent de patriotisme et de foi.
A moins dépérir, il faut que nous redevenions ce que forent nos pères,
chrétiens et français. Le seul moyen de mus rendre tels, c'est une
éducation du ettPnne et française.
f
la géométiit n'a pas d'axtome p u* iwvntestnbte.

FIN.
TABLE DES MATIÈRES

AVA*T-PROPOS I
er
4
'IHPITRE 1 . — Bref » t r,'de\ions 3
4«HAPITRK II. — C e l u i ïjiii n > - t pas avec moi est coi tre moi 10
C H A P I T R E III. — T é m o i g n a g e s non s u s p e c t s 15
CHAPITRE IV. — Le bref et les catholiques l i b é r a u x 22
CHAPITRE V. — Lettre importante d'un évoque 26
CHAPITRE VI. — Premier prétexte: les exigences du baccalauréat. 32
CHAPITRE VII. — Suite du précédent 38
CHAPITRE VIII. — Second prétexte : l'inutilité et les inconvé-
nients de la réforme 47
CHAPITRE IX. — Troisième prétexte : lo manque de classiques
chrétien* «V2
CHAPITRE X . —Quatrième prétexte : l'intérêt de la belle latinité. (ri
CtiAPURE XI. — Suite du précédent 69
CHAIITRE XII. — Fin du précédent 74
CHAPITRE XIII. — Examen des objections 78
CHAPITRE X!V. — Érasme et le latin chrétien 87
CHAPITRE XV. - Ërasmo et le latin chrétien {suite) 92
CHAPITRE X V I . — fcrusme et lo lat:n chrétien (fin) *»9
CHAPITRE XVII. — Enseignement chrétien des autcur3 païens et
expurgation complète de ces derniers. !0<»
CHAPITRE XVIII. — Suite du précédent 113
190 TABLE DES CHAPITRES.
C H A P I T R E X I X . — Fin du précédent H<>
C H A P I T R E X X . — L e théâtre en général LV»
C H A P I T R E X X I . — D i v e r s j u g e m e n t s sur le théâtre 136
C H A P I T R E X M L — U n e lettre d'Alexandre Dumas lils :
(
C E A P I T R E X X I I I * - > L e s acteurs et les actrices j )
C H A P I T R E X X ÎV. — S')i est permis de fréquenter les t h é â t r e - . . li*>
C H A P I T R E X K V . — Suite du précédent H»l
C H A P I T R E X X V I . — L e théâtre de collège 1W>
C H A P I T R E X X V I L — Suite du précédent 17*
C H A P I T R E X X V I I I . — Fin du précédent 18v>
CONCMSIO.X 187

FIN DE LA TABLE.

COH»tlL. — Tir. IT f TEI. DK O U rit H I / ,


I C
GAI* ME E T C , É D I T M H S
v
3. R U F. D E L ' A i ; 1141R, A l'A R ! .

E P 1 T W \ii S
ET

EVANGILES
DES DIMANCHES ET DES FETES
S U I V I S D E MKSSK, V Ê P R E S , C O M P L I E S ET P R I È R E S D U S A L U T

A L'USAGE

DES É C O L E S , O E S C A T É C H I S M E S ET DiS PENSIONNATS

TRADUCTION NOl VELLE


A V E C I N T ROI) L O T I O N , S O M M « [ D E S E T N O T E S

PAR M. L ' A B B É GAUME


Chanoine de Pari*

canoniqucmcnt approuvuo

NEUVIÈME ÉDITION
1 vol. iii-18, cartomu'' CO c.

Ce. livre contient les Êpîlres et Evangiles des D i m a n c h e s et


des Fêtes au n o m b r e de 58. C ^ a m e ces Épîlreâ et Evangiles
s'apprennent seuls dans les classes, l'auteur n'a pas cru devoir
e n ajouter d'autres.
Cette édition est précédée d ' u n e introduction fort utile à
l'élude du livre sacré. Toutes les Épîtres et tous les Évangiles
sont précédés d ' u n sommaire q u i en donne le jens général*

S-ar putea să vă placă și