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De la violence dans l’art

Gilles Chambon

Réflexion initiée à partir d’un article publié par G. Chambon sur son blog
http://art-figuration.blogspot.com/2008/10/de-la-violence-dans-lart.html

L’homme a toujours eu un rapport très ambivalent à la violence. Les sociétés


modernes la condamnent et la répriment, mais en font cependant usage sous des formes
indirectes, ou hypocrites : c’est le « système » qui est violent, pas les individus. Ainsi, au
quotidien, les animaux d’élevage vivant dans de véritables camps de concentration, et abattus
en masse et sans remords lorsque se profile la plus minime alerte épizootique. Ou encore
notre impuissance coupable, dédouanée par une compassion affectée, devant la misère
persistante des plus démunis ou les sordides conditions d’incarcération d’un grand nombre de
détenus. Mais aussi, et le siècle passé nous l’a montré, la formidable technologie de mort
élaborée par nos industries d’armement, et l’utilisation dévastatrice qui en est faite en cas de
conflit entre états. Les sociétés traditionnelles ou archaïsantes, généralement moins
pusillanimes devant l’idée de la violence, la canalisaient cependant à travers des pratiques
initiatiques mutilantes ou des codes pénaux inflexibles, détaillant parfois les châtiments
corporels les plus atroces ; à travers des rituels sacrés, aussi, dans lesquels la sauvagerie des
sacrifices concentrait la violence sur un bouc émissaire, sorte de paratonnerre permettant aux
nuées humaines de se délester momentanément de leur charge de haine.

C’est pourquoi il ne faut pas croire que la civilisation ait pour vocation d’éradiquer la
violence. Son rôle est plutôt de lui donner un sens, de séparer la violence rédemptrice de la
violence destructrice. En un mot de la mettre en scène, pour qu’elle structure positivement
l’imaginaire collectif. Avons-nous bien conscience qu’au sein de la culture chrétienne, il
semble normal d’admirer et de montrer aux petits-enfants la représentation du Christ torturé
sur la croix, quand la plupart des parents ne supportent pas qu’ils voient au journal télévisé
des scènes de violence ordinaire ? C’est que l’art, justement, transcende le réel en lui donnant
une dimension mythique universelle.

L’histoire sainte relate cataclysmes, crimes, trahisons, tortures, et martyrs ; mais, grâce
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à l’art qui la représente, qu’il soit peinture, sculpture, musique, ou psaume cette histoire si
violente devient une sorte de conte enchanté. L’horreur disparaît derrière la grâce,
l’événement sordide devient légende, aventure, ou manifestation de justice divine. La
souffrance se change en émotion, l’écœurement disparaît devant le mystère sacré. Comme le
langage, en nommant les choses, permet de s’en détacher et de les maîtriser, l’art, en
sublimant le réel qu’il représente, permet d’en apprivoiser les forces maléfiques. Enchanter le
monde, ce n’est pas en faire un univers insipide où tout serait beau et gentil, comme le croient
parfois écologistes et pacifistes, mais c’est y reconnaître la poésie, la profonde beauté, et
derrière la mort, la part d’éternité.

Curieusement, face à la violence, l’art contemporain suit la plupart du temps une


démarche diamétralement opposée à celle des arts traditionnels, qui tentaient de la sublimer.
Tout en s’adressant de fait à un monde de privilégiés, d’intellectuels et de grands bourgeois
qui ont amorti au maximum dans leur réel quotidien le rapport aux violences sociétales et aux
agressions naturelles (maladies), l’art contemporain n’a de cesse de les culpabiliser, en les
renvoyant, comme une mauvaise conscience universelle, à cette violence à laquelle ils
échappent dans leur vie courante. Il surfe sur un imaginaire des hommes du XXe siècle
dominé par l’ombre géante des massacres de masse : ceux de Verdun et d’Hiroshima, ceux
d’Auschwitz et du Goulag. Pour l’homme contemporain, il ne s’agirait donc plus d’exorciser
la violence, mais au contraire de s’y replonger symboliquement à travers le rituel de l’art.

Ainsi l’exposition « Personnes » de Christian Boltanski, qui s’est tenue il y a quelques


mois au Grand Palais de le cadre des manifestations Monumenta. On y voit des milliers de
vêtements étalés par carrés bien ordonnés, et, à l’endroit qui pourrait être le chœur (s’il
s’agissait d’un lieu de culte) une montagne de fripes remuées au sommet par une mâchoire
d’acier suspendue à un treuil. Au lieu de nommer et de raconter, Boltanski se tait et met en
scène une énorme allusion à la Shoah. Cette œuvre, bien que très différente par l’échelle, est
dans la lignée de « la chaise de graisse » de Joseph Beuys. L’artiste met en scène les traces
poisseuses du massacre ; c’est une sorte de voyeurisme au second degré.

Un fétichisme « light » de l’horreur. Les vêtements, par métonymie évidente, renvoient aux
corps entassés, comme la graisse sur la chaise renvoyait aux crématoires. On se trouve devant

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un art qui sacralise la morbidité de la violence, au lieu de s’en emparer pour lui rendre un
sens, ou même pour s’en moquer. Son but - avoué ou non - est de mettre mal à l’aise,
d’angoisser, et de donner à tout cela une sorte de dimension sacrée. Mais une sacralité sans
dieu, sans autre transcendance que celle du grand artiste contemporain, devenu deus ex
machina.

Le travail de Boltanski est l’exacte antithèse du travail cinématographique d’un


Benigni dans La vie est belle. Ce magnifique film, que l’on pourrait aussi associer au
« Dictateur » de Chaplin, transcende l’horreur par le conte, comme le faisait l’art classique.
Toute la poésie du monde et toute l’humanité sont là, vivantes face aux ténèbres et à
l’inhumanité. La poésie et l’humour (un des grands atouts de l’art moderne depuis Dada et les
surréalistes) sont une véritable rédemption, ils aident à surmonter le poids de la tragédie
historique. Comme disait Brassens, en parlant de la « camarde », ils sèment « des fleurs dans
les trous de son nez ».

D’aucuns penseront sans doute, à la suite d’Adorno, que cette forme « légère » d’art
ne convient pas pour parler de choses graves, où pire, que ce n’est pas de l’art, puisqu’on s’y
distrait, qu’on y sourit, et qu’on y verse des larmes. Il est vrai que l’Art Contemporain, depuis
une trentaine d’années, s’est fait un point d’honneur à ne plus émouvoir, à remplacer la
contemplation par le déchiffrement, le bouleversement par l’écœurement, le ravissement par
l’ennui, l’enthousiasme par la mauvaise conscience. Il préfère provoquer et dénoncer plutôt
qu’étonner et dépayser. Peut-être les temps veulent-ils cela ; peut-être l’art n’a-t-il plus
vocation à émerveiller et à convertir ; peut-être n’est-il plus là pour donner de la profondeur
au réel quotidien. Peut-être cherche-t-il, en voulant appuyer toujours sur les zones sensibles
de la mauvaise conscience, à se mettre au-dessus de tout soupçon. En affichant son
indéfectible engagement contre tous les travers de la société occidentale, il se dédouane d’une
certaine perte de substance, liée au fait qu’il devient un simple rite de passage vers le monde
de l’équivalence universelle.

Dans ce monde, la valeur des choses artistiques tient essentiellement aux spéculations
intellectuelles et médiatiques auxquelles elles donnent prise, et la violence est un thème favori
pour ces spéculations. Mais de fait, elle a toujours été un thème majeur de l’art, parce qu’elle

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est un thème majeur de la vie. Ainsi dans la peinture renaissante et classique, les sujets
violents sont légions : crucifixions, martyres de saints, massacres des innocents,
représentations de l’enfer et du jugement dernier, scènes bibliques montrant sacrifices et
sauvageries diverses ; mais aussi scènes profanes de guerre et de batailles, et scènes
mythologico-historiques, comme la chute de Troie où l’enlèvement des Sabines. Ce qui
caractérise tous ces tableaux, au moins jusqu’au Deux et trois mai 1808 de Goya, qui marque
un tournant, c’est le décalage entre la neutralité, voire la douceur de l’expression picturale et
de la mise en scène, et la violence du sujet.

La peinture de batailles, par exemple, a rarement eu vocation à représenter la véritable


horreur du combat. Elle était même, en quelque sorte, le contraire de ce qu’est aujourd’hui le
photoreportage. Lorsque Léonard de Vinci peignit pour la Seigneurie de Florence la bataille
d’Anghiari, qui opposait Florentins et Milanais (et que l’on connaît par la copie qu’en a donné
Rubens, d’après un dessin italien), il ne cherchait ni la vérité historique de la représentation,
ni la vraisemblance cruelle de l’affrontement de deux armées, mais une composition
personnalisée dont le réalisme accuserait les émotions des personnages, et dont la dynamique
picturale, théâtralisée, impressionnerait, et forcerait l’admiration des spectateurs.

On n’est là ni devant la violence du témoignage, ni devant une transposition réaliste de


cette violence. On est dans l’esthétique de la représentation, dans la poésie tragique, dans
l’épopée, dans la chanson de geste, dans cette sorte de distance ritualisée au réel et à la vérité,
caractéristique des productions artistiques qui racontent une histoire, depuis les bas reliefs
égyptiens jusqu’aux westerns italiens des années 1970. Ce que l’on appelle à tort une peinture
d’histoire, n’est pas là pour nous dire la vérité historique, ni pour nous informer sur la cruauté
du réel (bien qu’elle puisse parfois le faire, par inadvertance) mais pour nous emporter dans
un conte extraordinaire et irréel qui mythifie (et mystifie) tel ou tel moment important de
l’histoire collective.

« L’écorchement du juge corrompu » de Gérard David, est une scène horrible s’il en
est : le juge Sisamnès y est dépecé vivant par des bourreaux devant le roi Cambyse (qui fera
avec sa peau, selon Hérodote, les lanières du siège où s’assiéra le fils de Sisamnès, lui aussi
juge). Dans ce tableau de David, mis à part la grimace du supplicié, tout respire le calme et
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l’harmonie : composition intégrant un petit paysage verdoyant, visages sérieux mais
indifférents des spectateurs, raffinement de l’architecture et des costumes, équilibre parfait
des masses, des drapés et des couleurs. L’effet esthétique recherché est le même que dans tout
autre tableau de la Renaissance, que le sujet soit léger ou grave. Le peintre montre ici de
façon didactique à quel châtiment terrible la justice antique exposait le juge prévaricateur,
mais à travers ce récit, il n’en donne pas moins à voir un somptueux décor, ainsi qu’une
maîtrise de la représentation des personnages et du corps humain ; la mise en scène aurait pu
convenir à une cérémonie plus anodine. Je vois par là que l’artiste avait le souci de susciter
non l’épouvante, mais l’admiration ; la fable est certes cruelle, mais l’objectif en est moral. Et
d’ailleurs, on était à une époque où de tels supplices avaient encore cours, et se déroulaient en
public ; donc, aucun besoin pour le peintre de montrer ce qui était connu de tous, mais au
contraire, désir de sublimer le réel pour glorifier l’enseignement moral qu’il délivre.

On voit bien aussi la théâtralisation de la violence dans les représentations du


Massacre des Innocents. Sur certains tableaux du XVIIe siècle, ce monstrueux carnage
devenait une sorte de danse sacrée, où l’expressivité gracieuse et irréelle des corps déchirés en
faisait une joute rédemptrice, sublimant le terrible deuil naturel qui touchait chaque parent, à
cette époque où deux enfants sur trois mouraient en bas âge.

Les choses commencent à basculer à la fin du XVIIIe siècle : le morbide, qui avait
déjà sa place dans les salons de curiosités où l’on collectionnait volontiers les monstres,
revient à travers les mises en scènes macabres des écorchés que réalise l’anatomiste Honoré
Fragonard, cousin du célèbre peintre. Elles n’ont officiellement pas de vocation artistique,
mais l’homme de science les compose néanmoins comme un artiste, et certaines se vendent
aux amateurs.

Ces majestueuses et lugubres installations d’un chirurgien qui déclarait que « l’homme
n’est rien d’autre qu’un cadavre vivant », vont impressionner les peintres, et peu à peu,
l’expressivité de la violence va devenir un ressort de l’art pictural : les peintures noires de
Goya marquent un sommet du genre. Au début du XXe siècle, la violence de l’expression
devient un moteur de l’art, indépendant du thème représenté : les Fauves l’appliquent par

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exemple à des sujets anodins comme le paysage. C’est que l’écriture picturale violente
permet de libérer une énergie esthétique incontestable, sans pour autant renvoyer à une
quelconque horreur.

L’Art Contemporain a rompu avec ces relations somme toute positives à la violence :
plus de représentation mythifiée des récits violents, plus de sublimation théâtrale, plus de
fougue gestuelle, plus de jaillissements colorés ; en lieu et place de tout cela, une très
inventive panoplie de manipulations métonymiques à connotation scientifique ou industrielle,
mettant de préférence en scènes des objets ou des corps réels, pour renvoyer le plus souvent
au résultat de la violence, c’est-à-dire à la disparition de l’être, à la mort et à la putréfaction
comme formes obsessionnelles. Un peu comme le faisaient - mais à la marge, les crânes des
vanités dans la peinture du XVIIe siècle. Ce n’est pas un hasard si Damien Hirst, l’artiste de
l’Art Contemporain à ce jour le plus riche du monde, qui colle sur ses œuvres des mouches
mortes, ou réalise des installations en découpant en tranches des vaches et des cochons, a
aussi réalisé un crâne humain en platine couvert de diamants.

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