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UNE MUSE DE MAETERLINCK

GEORGETTE LEBLANC

Evoquer un Maurice Maeterlinck, familier, intime, est entre-


prise malaisée : une telle gloire a besoin d'infiniment de respect.
Certaine vérité conserve ses droits.
Enfant, puis adolescent, j'ai bien connu Maurice Maeterlinck,
r
soit chez mon père Lucien Descaves, soit chez mon oncle le D Crépel,
qui fut l'un des premiers à préconiser et à utiliser les traitements
à l'électricité, et qui comptait dans sa clientèle les plus hautes
personnalités du monde de la Politique, des Arts et des Lettres :
de Briand à Clemenceau, de Tristan Bernard à Pierre Loti, de Gémier
à Claude Debussy. Les relations entre Lucien Descaves et Maurice
Maeterlinck dataient du Théâtre Libre, au lendemain du fameux
article d'Octave Mirbeau, paru dans le Figaro du 24 août 1890 :
« M . Maurice Maeterlinck nous a donné l'œuvre la plus géniale
et la plus naïve aussi, comparable et — oserai-je le dire ? — supé-
rieure en beauté à ce qu'il y a de plus beau dans Shakespeare. Cette
œuvre s'appelle La Princesse Maleine. Existe-t-il dans le monde
vingt personnes qui la connaissent ? »
C'était alors, un solide garçon de vingt-huit ans, de belle carrure,
fier de ses biceps, de ses exploits sportifs : cyclisme, boxe, natation
et dont les tenues, un peu voyantes, étonnaient la galerie : panta-
lons bouffants, chemises chamarées ; et fier, à l'époque, d'une mous-
tache — à la gauloise — attribut conquérant qu'il fit rapidement
disparaître. Il s'assagit également dans l'ordre de ses recherches
vestimentaires.
Quand je le vis, pour la première fois, aux environs de mes
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huit ans, dans le pavillon paternel de la rue de la Santé, i l arrivait


paré de tous les prestiges ; c'était « Monsieur — le — Poète » qu'avait
lancé Mirbeau. E t Mirbeau était l'un des Dieux de nos enfances.
Taquin, insolite dans ses questions, fracassant en ses propos, mais
toujours désireux de mettre en valeur celui qui était devenu son
ami, l'auteur de la 628-E 8 le nommait : « Maurice le Taciturne ».
Il l'accouchait littéralement, en évoquant sa vie bucolique, car lui
aussi aimait les fleurs. Sur la nature des cyclamens, des glaïeuls,
du chasselas avec greffes de pêches et d'abricots, le poète du Trésor
des Humbles était imbattable. Il conservait cependant, (même
quand il s'échauffait, ce qui était rare) un air d'absence. Ses yeux
très bleus prenaient volontiers une intense fixité. Une façon comme
une autre de se retrancher de ce qui ne l'intéressait pas et de vivre
sur son propre capital d'immense richesse intérieure. Certaine
rudesse de ton et d'allure, de traînantes syllabes héritées de son
enfance gantoise freinaient toute possibilité de confidence. Opulent
prodigue et soudain retenu par des vertus d'économie bien bour-
geoise, son attitude pouvait signifier : « J'ai déjà donné... Vous
repasserez. Tout ce que j'ai à formuler, je l'ai exprimé dans mon
œuvre... C'est là que vous me trouverez et pas ailleurs. On ne m'a
pas invité pour faire le paon ! ». Il cherchait, se cherchait ; il lui
avait suffi d'évoquer de pâles noms de malades, les pensées d'une
Princesse qui quête son pain, et tout le bleu des nuits bleues d'herbe
bleue, pour qu'on le tînt quitte. Chez lui, nulle pose. Ni ruse, ni
méfiance. Un silence dans lequel i l demeurait emmuré : visiblement
les histoires des autres ne l'intéressaient pas. D'où cette impression
qu'il s'ennuyait partout. Ne voyait-il pas des hommes égarés qui
ne savent où ils vont ? C'est là, l'explication de son « second souffle » :
il devint l'observateur des insectes et des fleurs. Un mot le mettait
en alerte ; celui de Bonheur ; thème qui le poursuivit sa vie durant,
avec toutes les variantes du doute et de l'espoir. « Etre heureux,
c'est avoir dépassé l'inquiétude du Bonheur ». Il adorait les mots
à majuscules. Le Bonheur 1 Pour en suivre la trace, ce Nordique,
ami de l'isolement, parcourut le Monde, surtout l'Amérique où son
œuvre était admirée.
Forcément, il effectuait à Paris de longs séjours, non pas tant
pour rester au contact de la vie littéraire, de ses chapelles, de ses
cafés ou de ses salons que pour y connaître la vie tout court — une
vie qu'il partageait alors avec sa compagne, l'inoubliable Georgette
Leblanc. Evoquer le Maeterlinck de ces années-là en négligeant
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celle qui est systématiquement oubliée, c'est injustement amputer


d'une présence le passage sur la terre d'un poète qui alla'de l'an-
goisse à la paix.
Georgette Leblanc était la fille d'un armateur de Rouen et la
sœur du romancier Maurice Leblanc, « l'inventeur » de la série des
Arsène Lupin, très artiste, admirablement douée. Elle avait mené
fort loin ses études musicales. Engagée à Y Opéra-Comique, elle y
créa avec un grand succès le rôle de Françoise dans Y Attaque du
?
Moulin d Alfred Bruneau et fut étroitement unie au mouvement
littéraire français, avec une pointe de prédilection pour Les Rose-
Croix, le Sâr Peladan, Elimir Bourges, Maurice Rollinat, Armand
Point. Ayant lu et admiré les premiers liyres de Maurice Maeter-
linck, elle voulut se rapprocher de son idole littéraire et signa un
contrat avec Le Théâtre de la Monnaie de Bruxelles, où elle inter-
préta Carmen et Thaïs, puis où elle créa La Navariose de Massenet.
Enfin, elle rencontra le grand'homme de sa vie, celui qui satisfit son
rêve de perfection poétique. Elle a conté, elle-même, cette scène
qui se passa dans le salon du célèbre avocat belge Edouard Picard
à Bruxelles : «...Là, devant une cheminée, un homme se trouvait
debout, vêtu d'un macfarlane ; il fumait sa pipe ; sa taille était
haute ; ses épaules larges. Je vis à peine son regard qui fuyait,
un sourire écourté, une main timide qui s'avançait : — « Georgette
Leblanc — Maurice Maeterlinck ». Les présentations sont faites.
Deux destins vont s'unir et se confondre ». C'est ainsi que' Georgette
Leblanc devint la compagne du Poète, de 1895 à 1918. Pendant ces
vingt-trois années d'intimité amoureuse et spirituelle, elle fut la
collaboratrice et la muse de l'auteur de La Sagesse et la destinée
et de Pelléas. Elle fut aussi l'interprète des principales héroïnes
du Théâtre Maeterlinck : Monna Vanna, L a Lumière de L'Oiseau
Bleu... Musicalement, elle créa L'Ariane de Paul Dukas, à Paris, et,
à Boston, La Mélisande de Debussy. Enfin, elle organisa et présenta
les représentations de Saint-Wandrille, dont Macbeth de Shakes-
peare et Pelléas devaient marquer une date dans les tentatives
chères à Maeterlinck de théâtre joué dans des décors naturels.
C'est durant une période de dix années de 1908 à 1918 que j'eus
l'occasion d'approcher ce couple célèbre, surtout à l'époque où
fut éîéé au Théâtre de Paris le fameux Oiseau Bleu. Sur un fond
prestigieux, je retrouve la magnifique apparition de L a Lumière.
Georgette Leblanc l'incarnait avec une majestueuse grandeur,
pâle, diaphane, hiératique et superbe, dans ses longs voiles à la
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Loïe Fuller. Elle était incomparable dans ce rôle, non pas « en or »,


mais « en soleil ». Sa voix étrange à laquelle une carrière de chan-
teuse avait procuré un aigu d'une richesse déchirante se mariait
exactement avec les gestes, comme si, d'un astre miraculeux, elle
eut été l'émanation directe. Ses longs cheveux tombant sur ses
épaules et qui se soulevaient doucement lorsque d'un pas léger,
elle se déplaçait sur le plateau ajoutaient à la silhouette une mou-
vante et subtile draperie. C'était bien un symbole étrange, un sym-
bole vivant. C'était bien la Lumière ; la plus douce ; celle de l'âme.
Telle, elle se manifestait à la scène. A la ville, elle ne conservait
évidemment pas ces apparences de transfiguration poétique ; dans
les tapageuses toilettes de 1900-1914, elle se présentait comme une
amazone hardie et décidée. E n soirée, elle brillait toujours et ne se
faisait pas prier pour chanter quelques mélodies au piano. Enfoui
dans un fauteuil, un pied frétillant, concentré, Maeterlinck l'écou-
tait : « Elle joue et chante pour moi seul ». Tel était le sentiment
que l'on pouvait lire sur le vaste front lumineux qu'auréolaient des
cheveux prématurément blanchis. A u cours de vingt-trois années
de vie commune, elle se prodigua au détriment sans doute de sa
propre fécondité. Elle donna ! Mais que donna-t-elle ? De ce qu'elle
donna, que recueillit Maeterlinck ? Négligeons les interprétations
fracassantes de Bernard Grasset dans sa Préface aux Souvenirs
que publia Georgette Leblanc en 1931. Il n'est pas contestable
que cette artiste de haute qualité joua un rôle essentiel dans la
carrière de l'auteur du Trésor des Humbles. Le poète ne lui doit-il
pas, en grande partie, sa propre découverte, — la découverte de
soi ? Maeterlinck l'a reconnu : « Quand je pense aux choses que
j'ai écrites avant de te connaître, comme toutes ces petites œuvres
me semblent mortes et sans valeur... Je n'avais alors que des pressen-
timents de la vie véritable ; et je n'avais jamais cru qu'elle pût
exister. Je ne sais pas pourquoi il m'a été donné d'avoir parfois
raison dans mes ténèbres ; mais tout ce que j ' a i dit, et je l'ai dit sans
rien voir, et presque sans y croire : ce n'est que depuis ta venue que
j'ai vu que tout ce que j'ai dit de l'âme est mille fois plus réel encore
que ce que j'aurais cru dire, et c'est aussi depuis ce jour que j ' a i
été converti à moi-même ». Dans ce chaos de ténèbres, Georgette
Leblanc incarnait déjà la Lumière. Sans exagérer son influencé, il
est pareillement évident que Maeterlinck aurait été, sans elle,
Maeterlinck, mais sans aucun doute, un autre Maeterlinck,— en ces
périodes de mutation et d'inspiration. Georgette Leblanc pouvait,
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en tout cas, s'enorgueillir de ce message que lui adressait le poète:


« Le bonheur est le nom qu'on devrait donner à ton âme ». Ses amis
ne pouvaient pas oublier que la dédicace de Sagesse et Destinée
porte : « A Georgette Leblanc. Il a suffi que mes yeux vous suivissent
dans la vie! Ils y suivaient ainsi les mouvements, les gestes, les habi-
tudes de la Sagesse même ». E n 1926, lors d'une réédition, la dédi-
cace fut supprimée. On doit souligner avec quelle dignité, elle
accepta son sort d'héroïne sacrifiée. Elle désavoua les insinuations
d'une méchante préface de Bernard Grasset à ses Souvenirs. E n
examinant de près et avec impartialité le destin du grand poète,
il est permis de penser que, s'étendant de 1895, date de « la rencon-
tre », à 1918, date de la « rupture », s'est élaborée l'œuvre maîtresse
de Maurice Maeterlinck. Entre ces deux événements, s'étend sa
production la plus durable, correspondant à l'épanouissement de
sa force physique et de sa vigueur intellectuelle. Georgette Leblanc
savait d'ailleurs ses propres limites : « Mon ordre,.disait-elle, est de
passer, non de m'arrêter». Le témoin le plus clairvoyant fut Maurice
Barrés quand il lui confia : « Chère amie, vous auriez dû vivre à
Venise, au temps de la Renaissance ». E n grande dame, elle nô
réclama jamais rien. Elle pensait seulement qu'il fallait « soli-
difier le passé », le reconnaître « indestructible pour mieux le dépas-
ser ». A moi-même en 1931, lors de sa polémique avec l'abusif
Grasset, elle m'écrivait : « Je ne revendique rien de l'œuvre de
Maeterlinck ».
Je pense que tout a été dit ainsi sur cette séparation. Elle
demeure un cas assez fréquent dans la vie d'un couple d'artistes,
engagés sur des voies différentes et entre qui les besoins mêmes de
leur art élèvent un conflit permanent et toujours douloureux.
Mais, de mes propres souvenirs (puisque c'est de cela qu'il est
question) je ne peux dissocier le couple : je le revois rue de la Santé
ou Boulevard Malesherbes, elle, toujours en retard et ménageant
son entrée, avec chaque fois, un détail de toilette ou d'artifice
inédit. Lui, placide et comme absent ; l'air d'un homme qui ne se
soucie guère de l'apparat d'une réception ou de formelles obligations
mondaines. D'une grande courtoisie avec les femmes et sensible
à la bonne chère, i l se dégelait lorsqu'il appréciait un bon plat :
— « L a recette ? » demandait-il à ma tante Crépel. — « Voyez,
remarquait Tristan Bernard, voyez « la Recette ! » Encore un mot
d'auteur ! » Maeterlinck demeurait impassible. Non par pose, mais
parce qu'il poursuivait une manière de méditation bourrue. Quels
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que fussent les thèmes de la conversation, il ne s'y mêlait pas. Sur


une interrogation directe, il émettait d'abord un grognement et
lâchait une formule parcimonieuse, toujours la même : « C'est à
voir »...

"*

A Georgette Leblanc, devait succéder une charmante et délicate


jeune femme, qui avait fait du théâtre. Elle apporta paix et quié-
tude. Elle a survécu au poète, parti à l'âge de quatre-vingt-sept
ans et elle a su veiller, avec tact et autorité, sur la mémoire du
comte Maeterlinck. Elle vit à Nice. Maeterlinck adorait la Côte
d'Azur.
Il chercha longtemps avant de trouver sur le bord de mer,
à Nice, un ensemble de constructions (on a parlé des bâtiments
d'un Casino) qui le séduisit, par son emplacement et par les somp-
tuosités architecturales, style gigantesque. Pour baptiser ce qu'il
nomma son Palais, i l hésita entre les nobles et doux visages de
rêve : Alladine, Astolaine, Orlamonde. Ce fut pour Orlamonde
qu'il opta. Il eut désormais un décor à sa mesure, plus exactement
à son échelle. Non pas qu'il jugeât pour maintenir son extrême
popularité, qu'il lui fallait une perspective de nature royale. Jamais
les succès, ni les honneurs ne lui tournèrent (comme on le dit vul-
gairement) la tête. Une tête très solide — pas comme les autres,
car il y cachait tant de songes, de chimères secrètes, de rêves féeri-
ques. Il s'y promenait comme on circule dans une bibliothèque
gigantesque d'un château shakespearien, dont on possède toutes
les références et le classement méticuleux. Il avait besoin de ces
espaces, pour mouvoir librement sa pensée. Il pouvait aller de cette
tristesse méditative dont il ne se débarrassa jamais à cet opti-
miste panthéiste de gros fumeur flamand.
Des esprits malveillants prétendaient que, dans ce magnifique
et rutilant Palais d'Orlamonde, il passait des heures, bien calé sur
un trône, les armes gravées au-dessus de lui, solennel et méfiant.
« L a blague, disait Abel Hermant, est la honte de l'esprit boule-
vardier », en rappelant précisément les brocards prodigués à Maeter-
linck... On ne prête qu'aux riches. Le Poète, loin des foules et des
caquets a pu écrire à la fin de sa vie : « J'ai toujours agi, j'ai toujours
pensé comme si j'eusse dû m'en aller demain. Je n'ai pas d'injus-
tice à réparer. » A un ami, il disait : « J'ai vainement tenté de
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franchir ce qui me bornait. Je savais que, par-delà, se trouvait tout


ce que j'ignorais et que je ne voyais pas. Malgré mes années, j'essaie
encore de l'atteindre ». Et encore cette parole de fierté : a Si quel-
qu'un me juge, n'aurais-je le droit de le juger aussi ? »
En cette année de son centenaire, il ne s'agit plus de juger
Maurice Maeterlinck mais de bien mesurer l'importance de son
œuvre, de ce qu'il laisse au génie de l'univers. « Nous sommes les
trésors de ce je ne sais quel Dieu qui aime tout. » C'est là que palpite
cette vérité première, la grande leçon d'une lente évolution de
pensée. Le poète a cru au monde. Le monde est venu à lui. E t c'est
au monde qu'il a légué l'une des sonorités les plus proches de sa •
vérité... Grâces soient rendues à cette voix qui ne s'est pas tue.
« On dirait que ta voix a passé sur la mer au printemps. » Sa jeunesse
est éternelle.
P I E R R E DESCAVES.

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