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978-2-10-075729-9
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Table des matières
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LISTE DES AUTEURS XI

INTRODUCTION 1

PREMIÈRE PARTIE
FONDEMENTS THÉORIQUES
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1. Communication 7
Thierry Servillat
Théories de la communication 7
Communiquer, 7 • Le modèle émetteur-récepteur, 8 • La notion
d’information, 9 • La notion de contexte, 11 • Perception, 11 •
Influence : fluide, information, énergie ?, 12 • Suggestibilité, 13 •
Communication orchestrale, 14 • Interaction, cybernétique, systémie, 14
Niveaux de communication 15
Notion de contenu, 15 • Notion de métacommunication, 16 •
Différences de niveaux d’abstraction (ou de niveaux logiques), 16
IV TABLE DES MATIÈRES

Le digital et l’analogique vers la communication hypnotique 17


Deux modalités, 17 • Comparaison des deux modalités, 19 •
L’impossibilité de ne pas communiquer, 20 • Place de l’hypnose en
communication thérapeutique , 21
Bibliographie 23

2. Langages 25
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Arnaud Gouchet, Julie Morvan
Formes du langage 25
Le langage verbal, 26 • Le langage non verbal, 29 • Le langage
para-verbal, 30 • Interdépendance des langages, 30
Congruence et non-congruence des langages 31
Chez le soignant, 31 • Chez le patient, 31
Rhétorique spécifique 32
Puissance du non-verbal 33
Des postures aux métaphores corporelles 34
Le langage de la posture, 34 • Le sens de la métaphore, 36 • Le
corps comme instrument métaphorique à double sens, 37 • De l’usage
de la posture comme métaphore corporelle, 38
Des « compléments » au langage 40
Le dessin, 40 • La musique, 41
Conclusion 42
Bibliographie 43

3. Interactions langagières 45
Isabelle Prévot-Stimec
Langage et qualité du langage 45
Créer le réel, 45 • Le rapport, 46 • La qualité du langage, 46
Communiquer de manière sécurisée 48
Sécurité externe, 48 • Sécurité interne, 49 • Ne pas être iatrogène, 49
Communiquer bénéfiquement 51
Attribution, 51 • Reformulations et recadrages, 52
Communiquer de façon fluide 53
Un discours qui coule musicalement, 53 • Compréhension et empathie, 55
Table des matières V

Tenir compte des niveaux de conscience 56


Repérer les fluctuations, 56 • Utiliser la dissociation, 57
Communiquer pour motiver 58
Changer de niveau, 58 • Complimenter, 59
Bibliographie 60

4. Relations et alliances 61
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Antoine Bioy
Travail de la suggestion, travail de l’influence 61
Comprendre la suggestion, 61 • De Bernheim à Freud, 63 • La suggestion
est-elle éthique ?, 64 • L’autosuggestion, une relation de soi à soi ?, 66
Alliance et travail thérapeutique 68
De la perception jusqu’au viscéral, 68 • L’alliance thérapeutique, 69
Clinique de l’incertitude 72
Principe et enjeux, 72 • Vers un autre positionnement, 75
Bibliographie 77

5. Présences 79
Antoine Bioy
Une posture, une attitude 79
Apports de Rogers, 79 • Les 10 questions de Rogers pour construire
une posture, 81 • Importance de la peur, 84
L’empathie, la grande affaire 88
Qu’entendre par « empathie » ?, 88 • La créativité relationnelle, 89
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Être présent à l’autre, le grand enjeu 91


Enjeu, 91 • La présence à l’autre, pour quoi faire ?, 92
Bibliographie 94

DEUXIÈME PARTIE
EN PRATIQUE

6. Mener un entretien 97
Philippe Aïm
L’autre et la bonne distance 97
Chaque mot compte, chaque geste aussi, 97 • La « bonne distance », 99
VI TABLE DES MATIÈRES

Quels objectifs ? 100


L’objectif négocié : les termes du patient, les limites du thérapeute, 101
• L’objectif recadré : positif, concret, raisonnable, 103 • Poser

les bonnes questions, 104


Étapes et séquences d’acceptation 105
Évaluer l’entretien 108
Limites et atypicités de la communication thérapeutique 109
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Le confort du thérapeute n’est plus assuré, 109 • Le patient n’a pas
besoin de thérapie, 110 • Le patient n’est pas positionné
en demandeur, 111
Bibliographie 113

7. La relation d’aide 115


Philippe Aïm
Fluidité du discours 115
Deux écueils à éviter : Le monologue, 115 • Deux écueils à éviter :
l’interrogatoire, 116 • Constructionnisme, 117
Rebondir 117
Les mots qui activent, les mots qui bloquent 119
Évoquer, suggérer, expliquer, 121 • Reformuler, recadrer, répéter, 124 •

Ordonner et prescrire, 126


Être attentif aux effets, aux différences, aux intuitions 130
Bibliographie 131

8. Sortir du cadre 133


Isabelle Prévot-Stimec
Cadre des stratégies pour sortir du cadre 133
Décentrer 134
Sortir du cadre, 134 • Macroscope et position méta, 135
Surprendre 137
Mettre en mouvements, 137 • Provoquer par les sens, 138
Le jeu des paradoxes 139
Pour en sortir, 139 • Pour les utiliser, 140
L’humour et la confusion 141
Humour, 141 • Confusion, 142
Table des matières VII

Utilisation des médias 143


Une pratique en expansion, 143 • À tous âges, 145
Bibliographie 146

9. Gestion des conflits et communication non violente 147


Élise Lelarge, Thierry Servillat, Isabelle Prévot-Stimec
Principes 148
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Prévenir la violence, 148 • Une opportunité pour la créativité, 150
Enjeux identitaires 152
Une notion complexe, 152 • Identité et stéréotypes, 154 •
L’individuation : devenir soi-même, 154 • Examiner le point de vue
de l’autre, 155 • Sauver la face, 156 • « Tu comptes pour moi », 156 •

Savoir être explicite, 157


Escalade, qui est le premier de cordée ? 157
Surenchères, 157 • Tout pour gagner, 158
Résolutions langagières 159
3 ingrédients, 159 • Le facteur temps, 160
Résolutions par la posture 160
Importance du non-verbal, 160 • Un langage verbal précis, 162
Bibliographie 163

10. Le pluriel des thérapies communicationnelles 165


Bernadette Audrain-Servillat, Élise Lelarge, Thierry Servillat
Thérapies brèves 165
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Fondements, 165 • École de Palo Alto, 167


Thérapies stratégiques 168
Distraction, 168 • Fragmentation, 169 • Progression, 169 •

Suggestion, 170 • Réorientation, 170 • Utilisation, 171


Thérapie provocative 171
Hypnose conversationnelle et PNL 173
Saisir l’unicité, 173 • Travail conversationnel, 175 • Et la PNL ?, 175
Autres approches : orientations solutions, approche narrative 175
Orientation solutions, 176 • Approches narratives, 178
Bibliographie 180
VIII TABLE DES MATIÈRES

TROISIÈME PARTIE
EN APPLICATION

11. Le domaine du soin 183


Julie Morvan
La place de la communication thérapeutique dans le domaine du soin 184
Le soin comme expression d’une technicité
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ou comme relation morale ?, 184 • De l’éthique à la communication
dans le soin, 185
Soins aigus et soins itératifs 186
Soins aigus, de quoi parle-t-on ?, 186 • Une illustration clinique, 187 •
Une communication de l’ici et maintenant, 191 • Soins itératifs et trace
mnésique, 192
Éducation thérapeutique et prévention 194
Bibliographie 197

12. Le domaine médical 199


Arnaud Gouchet
L’entretien médical 199
Introduction, 199 • Consultation : principes généraux, 200 •

Consultation de médecine générale, 203


L’anesthésie 208
Consultation d’anesthésie, 208 • À la visite pré-anesthésique, 212 •

Au bloc opératoire, 213 • En postopératoire : SSPI et service


d’hospitalisation, 216
Comment dire dans les soins 217
Lexique du vocabulaire positif dans les soins, 217 • Phrases positives
dans la conversation dans les soins, 220
Applications 222
Application en chirurgie, 222 • Application en obstétrique, 224 •

Application en médecine du travail, 227


Bibliographie 230
Table des matières IX

13. Spécificités du chronique 231


Élise Lelarge, Thierry Servillat
S’inscrire dans une autre temporalité 231
Voir autrement, 231
Accompagner les changements identitaires 235
Comprendre pour expliquer, 235 • Élargir notre vision, 237
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Accompagner les adaptations limitantes 237
Un travail de patience, 237 • Inclure le contexte, 240
Accepter le non-changement 241
Le paradoxal comme une norme, 241 • Accepter les non-dits, 242
Jusqu’où espérer le thérapeutique ? 243
Confort de la position basse, 243 • Alterner les positions, 244
Bibliographie 245

14. Spécificités de la pédiatrie 246


Bernadette Audrain-Servillat
Engagement du thérapeute 246
Pouvoir entrer dans le monde de l’enfant, 246 • Être créatif pour être
pertinent, 248
Les métaphores thérapeutiques 249
Des approches anciennes et puissantes, 249 • De nombreux outils
créatifs, 251
Créer un espace transitionnel : le jeu 252
Une occupation très sérieuse, 252 • Aux multiples dimensions, 253
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Le thérapeute et « son enfant intérieur » 254


Dimension systémique 256
Une communication multiniveaux, 256 • Jusqu’à la thérapie
familiale, 258
Bibliographie 259

15. Les psychothérapies 260


Thierry Servillat
Une communication psychothérapique ? 260
Psychisme, âme, ou esprit ?, 260 • Évolutions conceptuelles, 261 •
Thérapie, 262 • Éclairages des autres langues, 262 • L’esprit inscrit
X TABLE DES MATIÈRES

corporellement, 263 • Des réponses multiples..., 263 • Un autre sens,


qui complexifie encore, 263
Ce que l’on veut mobiliser 264
Prendre en charge les besoins, 264 • Activer les ressources, 265 •

Mouvement et cycles de changement, 266


Ce que l’on mobilise 268
Choisir, 268 • Désirer, vouloir, orienter, 268 • Être libre, décider,
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préférer, 269 • Être attentif et motivé..., 270
Les principaux messages thérapeutiques 270
Valider 272
Confirmer, 272 • Complimenter, féliciter, célébrer, 272 • Valider
les aidants, 273 • Valider les thérapeutes et les thérapies, 273
Bibliographie 274

CONCLUSION 275
Liste des auteurs
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Philippe Aïm
Psychiatre et psychothérapeute, ancien Praticien Hospitalier et Chef de Clinique
à la faculté de médecine de Nancy. Créateur de l’Institut U.T.Hy.L (Institut
pour l’Utilisation des Thérapies brèves et de l’Hypnose en Lorraine). Directeur
pédagogique au CHTIP (Collège d’Hypnose et Thérapies Intégratives de Paris).
Bernadette Audrain-Servillat
Psychothérapeute ARS au Centre Interdisciplinaire de Thérapie Intégrative (CITI)
à Rezé (Loire Atlantique). Formatrice à l’institut Milton H. Erickson de Rezé.
Antoine Bioy
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Professeur des universités (université de Bourgogne Franche-Comté, Laboratoire


de Psychologie – Dynamique Relationnelle et Processus Identitaires). Docteur
en psychologie clinique et psychopathologie, psychothérapeute ARS. Conseiller
scientifique à l’UNESCO (chaire 918 – Santé sexuelle et droits humains).
Arnaud Gouchet
Médecin anesthésiste-réanimateur, référent en hypnose médicale au CH de Saint-
Brieuc. Formateur à l’Institut Français d’Hypnose.
Élise Lelarge
Psychiatre-psychothérapeute au CITI. Formatrice à l’institut Milton H. Erickson
de Rezé.
XII L ISTE DES AUTEURS

Julie Morvan
Psychologue clinicienne. Formatrice et responsable pédagogique du cycle hyp-
nose médicale et hypnoanalgésie de l’Institut Français d’Hypnose.
Isabelle Prévot-Stimec
Psychiatre-psychothérapeute au CITI. Formatrice à l’institut Milton H. Erickson
de Rezé.
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Thierry Servillat
Psychiatre-psychothérapeute au CITI. Directeur pédagogique et formateur à
l’institut Milton H. Erickson de Rezé. Ancien président de la Confédération
Francophone d’Hypnose et de Thérapies Brèves (CFHTB).
Introduction
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C E LIVREn’est pas un livre sur l’hypnose. Enfin, pas immédiatement. Mais,
avertissons le lecteur, sa lecture risque fortement de l’y mener. Voyons ici
pourquoi.
La communication est devenue omniprésente dans notre monde, sous de mul-
tiples formes : commerciales, publicitaires, journalistiques, politiques, et aussi
amicales, amoureuses, conjugales, familiales...
Le monde de la santé et du soin, qui ne s’intéresse que depuis relativement peu
de temps à la relation (relation médecin-malade, relations du patient avec son
environnement, etc.), est encore largement réticent à considérer l’importance
de la communication. Une telle attitude peut se comprendre, mais nous pensons
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

qu’elle est susceptible d’aggraver ce qui pourrait la justifier.


Méconnaître la communication expose en effet à ne plus être en mesure de la
critiquer et d’en connaître les imperfections et les limites, et de renforcer la
méfiance qui peut encore exister envers elle.
Ce livre vise à contribuer à la sortie d’un tel paradoxe, et au final, à dissiper
cette réticence à considérer la communication comme une réelle composante de
toute activité soignante. Il est écrit par une dizaine de praticiens (psychiatres,
psychologues, psychothérapeutes, et aussi un médecin anesthésiste) bien sûr
tous expérimentés, et qui surtout partagent deux points communs.
Le premier est qu’ils portent un fort intérêt pour ce qui se passe dans l’intégralité
de la personne du patient : son psychisme (ou, comme il est de plus en plus dit
par les chercheurs en neurosciences, son esprit), et aussi son corps.
2 I NTRODUCTION

Le second point commun des auteurs de ce livre est une appétence particulière
pour les solutions et les processus d’amélioration, voire de guérison.
Exerçant aussi comme formateurs depuis plusieurs années (20 ans pour les plus
anciens), ceux-ci ont souhaité obtenir une clarté pédagogique optimale au cours
de leurs différents chapitres qui visent à préciser et détailler les bases de la
communication thérapeutique.
Communication thérapeutique ? Remarquons d’emblée les deux sens possibles,
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au moins, d’une telle locution :
1. Communication pratiquée par les thérapeutes et les soignants dans l’exer-
cice de leur profession : un médecin, une infirmière communiquent bien
sûr, ils expliquent, préviennent, donnent des conseils ; un psychologue, un
psychothérapeute parlent eux aussi, certains peu, d’autres beaucoup.
2. Un second sens, plus fort, va aussi, et d’ailleurs principalement, être envisagé
dans ce livre. Car ses auteurs en sont persuadés, construisant leur pratique
quotidienne sur celui-ci : la communication est thérapeutique. En tout cas
elle peut l’être.
Pour examiner ce potentiel thérapeutique de la communication, trois parties ont
été conçues pour ce livre qui, plus qu’un manuel, se veut une première référence
dans ce domaine.
D’abord seront précisés les fondements théoriques. En terre cartésienne, il est
recommandé de penser avant d’agir, et nous nous conformerons à cette habitude
garante de sérieux.
Ensuite, nous nous attacherons à la mise en pratique. Le lecteur aura compris
qu’il peut directement commencer par cette seconde partie, pour lire la première
quand il en éprouvera le besoin.
La dernière section du livre s’intéressera aux différents domaines du soin et
leurs spécificités, avec des focus sur la communication thérapeutique lors des
traitements des pathologies chroniques, en pédiatrie, et lors de la pratique
psychothérapique.
Notre ambition de faire référence n’échappe – nous l’espérons – à la vanité
que parce que, jusqu’à maintenant, un tel sujet n’a vraiment été envisagé que
dans les pays anglo-saxons, et sous un angle très réduit : essentiellement pour
enseigner aux infirmières comment elles doivent faire, et leur indiquer les erreurs
qu’elles doivent éviter lorsqu’elles s’adressent à leurs patients.
Introduction 3

Nous nous situerons ici dans une perspective plus large, qui englobera la relation
soignant-patient dans le monde du soin, et aussi la pratique psychothérapique,
dans une démarche unifiante, pluri et transdisciplinaire.
Cet élargissement est, en particulier de nos jours, permis par les apports de
l’hypnose. Cette approche thérapeutique dont le regain est maintenant évident –
notamment dans le développement actuel de l’approche éricksonienne – apporte
aux différents auteurs de ce livre un socle dans leur pratique soignante et une
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philosophie porteuse de sens et d’un enthousiasme communicatif.
Nous nous positionnerons ainsi dans une attitude dynamique, en suggérant
aux lecteurs d’explorer, et de passer à la communication thérapeutique. Comme
on passe à – dans ces temps de changements technologiques constants – un
nouveau logiciel plus créatif, inventif, faisant reculer les limites existantes.
L’hypnose est là pour nous y aider.
Car l’hypnose est mouvement. De vie, de guérison. Elle anime, suscite, porte.
Ce livre est voulu comme une opportunité pour faire découvrir, ou approfondir,
ces deux pratiques mutuellement fécondes.

Thierry Servillat, Antoine Bioy


PARTIE I

Fondements théoriques
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Chap. 1 Communication . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
Chap. 2 Langages . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
Chap. 3 Interactions langagières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
Chap. 4 Relations et alliances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61
Chap. 5 Présences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79
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Chapitre 1

Communication
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Thierry Servillat

A VANT QUE D’ENVISAGER qu’elle puisse être thérapeutique, et à une époque où


elle est omniprésente, il convient de préciser ce qu’on va désigner, tout au
long de ce livre, par le mot « communication ».

T HÉORIES DE LA COMMUNICATION

Communiquer
!

« Communiquer » semble a priori un mot dont le sens serait évident, dans une
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société qui ne cesse de l’utiliser, de façon croissante. Même si nous n’apprenons


pas vraiment communiquer à nos enfants, ni à l’école, ni au collège ni dans les
lycées, et rarement après !
Cette apparence d’évidence est trompeuse : le sens du mot est très riche et plutôt
subtil. En effet : communiquer, c’est au Moyen Âge partager des « charges »,
c’est-à-dire les tâches nécessaires à la vie du groupe. Dans cette ancienne
acception, la communication rend donc possibles la survie et l’existence des
membres de ce groupe. Il s’agit bien d’une nécessité qui va fonder la notion
de communauté humaine. Communiquer peut même revêtir un sens plus fort de
communion, d’harmonie au sein du groupe. Celui-ci devient uni : le monde est
alors « comme un ».
8 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

Ces significations sont anciennes et ont depuis évolué. Mais « communiquer »


désigne toujours aujourd’hui l’acte qui met en relation, unit, crée du lien (notam-
ment de coopération) entre les gens.
Il a pourtant fallu attendre la fin de la deuxième guerre mondiale pour que
naissent les premières études et théorisations sur la communication, particu-
lièrement grâce aux recherches sur le codage et le cryptage des messages. Ces
techniques avaient joué un rôle déterminant pour l’issue de ce conflit, notam-
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ment avec le travail d’Alan Turing pour décrypter les codes de la machine de
chiffrage allemande Enigma1 . Se sont alors succédés plusieurs modèles pour
concevoir scientifiquement ce que c’est de communiquer. Ces modèles ont été
peu à peu enrichis grâce aux notions d’information, de cybernétique, puis de
système.

Le modèle émetteur-récepteur
!

Ainsi, la première théorie de la communication a été, à la fin des années 1940,


celle du modèle du télégraphe (Claude Shannon et Warren Weaver, 1949) : un
émetteur émet un message vers un récepteur chargé de le recevoir. L’émetteur
code le message ; le récepteur le décode, le décrypte. Cette première théorie est
plutôt simple et fonctionne dans de très nombreux cas.
Initialement, la notion de code était en rapport avec l’écriture, mais elle peut
aussi s’utiliser pour la communication orale. En pratique, un code est un langage,
c’est-à-dire un système de signes destinés à l’expression et à la communication
(cf. chapitre suivant).
Un message désignait, au Moyen Âge, la personne chargée d’aller porter au
destinataire une communication. Cette communication pouvait concerner une
connaissance, la manifestation d’un accord, ou au contraire la déclaration d’un
désaccord voire d’une guerre. Peu à peu le sens a évolué, et le message s’est mis
à désigner le contenu de ce que la personne envoyée allait porter.
Dans ce premier modèle, le but de la communication est qu’une première per-
sonne puisse faire parvenir à une seconde (réceptrice) un message que celle-ci
comprenne. Les deux personnes ont donc un rôle complémentaire l’un de l’autre.
Cette complémentarité est nécessaire au bon fonctionnement de la communica-
tion dans ce modèle.

1. Ces travaux ont été décrits, de manière romancée, dans le film Imitation Game de Morten
Tyldum (2014).
Communication 9

En effet, si les deux personnes émettent en même temps, il va résulter un dysfonc-


tionnement de la communication, personne n’écoutant ce que dit l’autre, ce qui
créera du malentendu, de l’échec et de la frustration, un éventuel découragement
ou la possibilité d’une dispute, voire d’un conflit violent et ses conséquences en
terme de rupture de la relation. On qualifie ce premier trouble de la communica-
tion d’escalade symétrique (Watzlawick et al., 1967).
À l’inverse, s’il n’y a aucun émetteur, il ne se passera rien. La symétrie des deux
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participants, deux récepteurs qui n’ont alors aucun message à entendre, aboutira
à une non-communication, voire une non-relation. Les récepteurs frustrés pou-
vant même interpréter le silence de l’autre comme de l’indifférence, du mépris,
de la haine, etc.
Par ailleurs, dans ce modèle émetteur-récepteur, outre la complémentarité, est
nécessaire aussi l’investissement des deux participants :
➙ plus l’émetteur émet un message simple et concis, plus la personne réceptrice
sera à même de le recevoir (comme nous le développerons plus loin) ;
➙ et aussi, le récepteur devra être actif dans son travail de décodage, prenant
l’initiative de poser, si nécessaire, des questions destinées à faire préciser à
l’émetteur ce qu’il veut dire (questions de clarification) : « Que voulez-vous
dire par (tel mot) ? ».

Encodage Décodage
Émetteur Boîte Récepteur
à message
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Figure 1.1. Modèle de la communication selon Shannon et Weaver

La notion d’information
!

La notion d’information vient compléter ce premier modèle de communication.


En effet, un message peut être, et c’est normalement son but, une information.
Mais pour que cela soit le cas, le message doit remplir un certain nombre de
critères. À défaut, il risque non seulement d’être inutile au récepteur, mais il
peut même – nous le verrons – lui devenir nuisible.
La notion d’information renvoie aux sciences physiques, et particulièrement
au deuxième principe de la thermodynamique énoncé en 1850 par Clausius,
10 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

qui concerne la notion d’entropie. L’entropie désigne la tendance spontanée


qu’a toute chose concrète à perdre sa structure, son organisation, sa forme,
aboutissant au dérèglement, à l’informe, à la mort s’il s’agit d’un objet vivant.
L’information est justement ce qui va lutter contre cette tendance entropique
et, dit positivement, pour le maintien de la structure, de la forme, de la vie.
Œuvrant contre la tendance à l’entropie, on dit que l’information est source de
néguentropie.
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L’information est donc, dans cette première conception, une sorte d’énergie
positive, car structurante. Elle est en science physique conçue en termes de
quantité, et un certain nombre d’équations mathématiques ont eu pour but
d’aider à déterminer l’information en terme de quantitatif.
La notion de néguentropie, et de ce fait celle d’information, ont évolué pour
être remplacées par des conceptions qualitatives. Ainsi, pour reprendre Gregory
Bateson, l’information peut utilement être vue comme « une différence qui crée
de la différence ».

Figure 1.2. Notion de différence et d’information. La vision binoculaire :


c’est la différence entre la vision des deux yeux qui crée la profondeur de champ
et permet la vision en 3D

Concrètement, lorsqu’on reçoit une vraie information (c’est-à-dire pas simple-


ment une donnée dont on ne sait que faire), on se sent changé et notre point
de vue, notre perception, se sont modifiés.

LA LOI KOUCHNER
Par contre, à notre époque qui est caractérisée par une abondance massive de flux
d’informations, la loi Kouchner réaffirme le devoir du médecin d’informer son patient.
Et les malades, comme nous tous, reçoivent beaucoup de données qui ne les informent
pas vraiment, qui ne créent pas de différences dans notre vie concrète. Eux, comme
aussi nous, soignants, peuvent avoir l’impression d’être saturés, voire noyés sous
ces données (ces data, comme disent les Anglo-Saxons) n’ayant pas de sens, et qui
peuvent désorganiser et immobiliser. On peut ainsi considérer ces données comme
polluantes, et même pathogènes (générant de l’anxiété, du stress et de la dépression).
Ceci doit nous amener à réfléchir à la façon dont nous pourrions rendre le monde du
soin plus écologique sous cet angle (Citton, 2014).
Communication 11

Il n’existe pas qu’un seul risque avec la profusion communicationnelle qui existe
de plus en plus actuellement. Il y a celui, inverse, d’une fermeture excessive à
l’information et qui engendre un repli sur soi, voire une attitude autistique pour
se protéger (de manière inadaptée) de l’excès informationnel.
On peut dire qu’une information doit pouvoir être utilisée par le patient, sinon
elle n’en est pas une. La solution pour pouvoir emprunter une voie intermédiaire
entre ces deux extrêmes, est le filtrage des données, un « tri » par la mise en
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place d’une attention sélective qui va attribuer ou non de la valeur à une donnée
(Citton).

La notion de contexte
!

Le sens d’un message, savoir déjà s’il est ou non une information, dépend aussi
du contexte dans lequel le message est émis. Le récepteur doit en tenir compte
pour effectuer un décodage correct et éviter le risque d’erreur (malentendu).
Le contexte d’un message est l’environnement, la situation, l’ensemble des
conditions et des circonstances dans lesquelles il est émis, et aussi dans lesquels
il est reçu par le récepteur. Le contexte renvoie aux circonstances naturelles,
culturelles, historiques, sociales. Le décodage d’un message doit situer celui-ci
« dans son contexte » pour être mis en perspective et être effectué correctement.
Il existe en effet souvent, pour bon nombre de messages, plusieurs angles sous
lesquels ils peuvent être examinés et compris, et il importe pour l’émetteur (et
aussi le récepteur) de ne pas se tromper d’angle sous peine de se construire une
représentation erronée de ce que l’émetteur a voulu exprimer. Cette importance
du contexte est particulièrement utilisée en hypnose (Bioy, 2013). Ainsi, devant
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un symptôme comme une peur par exemple, le thérapeute va volontiers proposer


à son patient l’idée qu’à une certaine époque de sa vie, cette peur a été utile,
protectrice, et que maintenant elle comporte plus d’avantages que d’inconvé-
nients. Cette construction de sens va pouvoir amener le patient à remercier sa
peur pour ce qu’elle a fait pour lui et la prévenir qu’il va bientôt l’inviter « à
aller vivre ailleurs sa vie ».

Perception
!

La réception d’un message nécessite que le récepteur soit doté d’organes senso-
riels : vision, audition, tact (pour le langage Braille par exemple). L’olfaction est
un sens utilisé par de nombreux animaux, mais l’est peu chez l’humain (exception
12 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

faite des phéromones). La gustation est encore moins sollicitée. Les informa-
tions sont, dans notre civilisation, surtout visuelles (de façon prédominante)
et, mais beaucoup mais moins, auditives. Le tact et la kinesthésie (sens de
la position et du mouvement des parties de notre corps) sont les troisièmes
« canaux sensoriels » par ordre d’importance.
Nos sens reçoivent de l’information :
➙ de manière souvent passive, les informations pouvant alors rester dans de
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nombreux cas inconscientes : c’est le cas de la très grande majorité d’entre
elles ;
➙ de manière possiblement active aussi, le récepteur pouvant orienter son
attention en choisissant, en sélectionnant ce qu’il va observer, écouter, capter,
saisir. Ainsi, le caractère possiblement actif de la réception d’un message
renvoie à la notion de perception. Comment le récepteur va-t-il organiser les
informations contenues dans le message, les mettre ensemble (ce qui est le
sens littéral du mot « comprendre »). Ainsi, lors de la construction d’un lieu
sûr hypnotique, une possibilité est de demander au patient de laisser venir à
lui, dans chacun des registres sensoriels, un élément lui évoquant la sécurité.
Il peut par exemple avoir l’image d’un arbre, le son du tic-tac rassurant de la
pendule de ses grands-parents, la texture du pelage de son chat, le parfum
d’un bouquet de rose, l’arôme du chocolat qu’il buvait dans son enfance.

Influence : fluide, information, énergie ?


!

Un message a généralement un effet sur son récepteur. C’est généralement le


but de l’émetteur, qui veut exercer une influence sur le destinataire. En commu-
nication thérapeutique, cette influence est voulue comme bénéfique sur la santé
(voir troisième partie), et ce de manière la plus durable possible. La durabilité
de l’effet de l’information est acquise si le message modifie la perception du
récepteur.
La compréhension de la manière dont une information peut exercer une influence
sur un être humain, et notamment un effet thérapeutique, est plutôt récente. Il y
a encore deux siècles, et dans la continuité des conceptions de la médecine de la
Renaissance (effet thérapeutique des aimants), c’est une explication physique qui
prévalait : le « fluide magnétique » de Mesmer. La notion d’énergie fut proscrite
par la médecine occidentale (mais a continué d’être très utilisée dans beaucoup
Communication 13

d’autres médecines, notamment en Orient) ; elle regagne actuellement du ter-


rain, les effets du rapport royal de 17841 condamnant implicitement2 l’énergie
commençant à être très largement atténués. Par ailleurs la notion d’énergie
semble étymologiquement (« force en action ») pertinente. Ne parle-t-on pas
d’un remède dont on souhaite qu’il soit « énergique » ? Et, s’il s’agit d’imagi-
nation (comme l’affirment la majorité des hypnothérapeutes contemporains),
n’évoque-t-on pas la « force » de celle-ci (Malebranche, 1674) ?
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Ainsi une réflexion nouvelle (Courtial, 2011) combine actuellement les notions
d’information et d’énergie pour expliquer l’utilité de la communication théra-
peutique ou l’efficacité de l’hypnose. Une équivalence importante existe actuel-
lement entre ces deux notions, et une réflexion est en cours sur ce qui les
différencie.
La notion d’influence, en tout cas dans un modèle émetteur-récepteur, est au
centre de la réflexion éthique. La question de savoir si une influence est bonne
ou mauvaise sera étroitement corrélée avec celle de l’éthique, en plus, bien sûr,
des compétences, de l’émetteur qui doit être au service du récepteur et de ses
besoins de santé.

Suggestibilité
!

D’un point de vue technique, la question de savoir si tous les récepteurs sont
également influençables est importante et renvoie à la notion de suggestibilité,
voire de crédulité. Communiquer implique que l’émetteur fasse le nécessaire pour
que le message qu’il souhaite faire passer puisse effectivement être communiqué.
Des aspects techniques, voire technologiques, feront l’objet de ce livre. Dans
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la perspective du modèle émetteur-récepteur, un patient est plus ou moins


suggestible (voir chapitre 4). Il peut même être très réticent, voire résistant !
Cette notion de résistance doit le plus souvent être relativisée et tenir compte
de la question de la compétence du soignant. Ce livre vise à aider le praticien à
devenir le plus compétent possible dans ce domaine.

1. En 1784, devant l’immense succès populaire du Magnétisme Animal, Louis XVI commanda à
de grands savants de l’époque (tels que Jussieu, Lavoisier, Franklin...) un rapport qui conclut à
l’efficacité du procédé, mais à l’inexistence du « fluide », alléguant que les effets thérapeutiques ne
résultaient que de l’imagination. C’est cette médecine par l’imagination que les hypnothérapeutes
exercent aujourd’hui.
2. Mesmer ne voyait pas son « fluide » comme de nature énergétique mais nombre de ses
successeurs l’ont envisagé de telle manière.
14 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

Communication orchestrale
!

Au premier modèle de communication, émetteur-récepteur, dont nous avons


vu la simplicité et la pertinence déjà importante, s’est ajouté un autre, très
utile également, complémentaire car plus complexe et plus riche : celui nommé
« modèle de la communication orchestrale » (Birdwhistell, 1970).
Dans cette conception, il n’y a plus de dualité émetteur/récepteur : il y a possi-
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bilité que plusieurs émetteurs émettent simultanément. L’exemple type est celui
des musiciens qui jouent ensemble : les musiciens d’un orchestre de chambre
(nombre faible d’émetteurs) ou d’un orchestre symphonique (nombre important
d’émetteurs).
Dans de telles situations, on sait effectivement que les musiciens, à la fois
émettent un ou des sons, et écoutent le ou les sons produits par les autres
collègues de l’orchestre. Même s’il faut dans tous les cas une organisation, c’est-
à-dire des règles.
Outre le domaine musical, ce type de communication peut exister dans tout
groupe : une famille, une équipe faisant une réunion de mise en commun d’idées
(« brainstorming »), un groupe de patients en éducation thérapeutique ou en
psychothérapie, etc.
Lorsque la communication est verbale un sens peut, dans certaines conditions,
émerger de ce type de communication qui peut toutefois rester cacophonique,
c’est-à-dire confus et donc plus ou moins désagréable. Ce sens, quand il existe,
n’est pas la somme de chaque message émis, le cerveau humain n’étant pas
capable d’effectuer une sommation des différents messages. Cependant ce dernier
fait mieux que cela : il va pouvoir identifier ce qui émerge. Encore mieux que
cela encore, il va participer à la construction du sens émergent. Comme le font
les musiciens de jazz qui improvisent pendant un concert, influencés les uns par
les autres et aussi par les applaudissements, les cris d’enthousiasme, le silence
du public excité, ravi, admiratif...
On comprendra qu’en tel fonctionnement communicationnel puisse être très riche
de nuances, d’inattendu, et de modulations...

Interaction, cybernétique, systémie


!

Les modèles de communication ont donc progressivement évolué pour se com-


plexifier. Peu à peu, la notion d’interaction est apparue et est devenue au premier
plan. Elle illustre bien que la communication est un comportement actif réalisé
par plusieurs personnes et qui a un effet sur chacune d’elle. Dans le modèle
Communication 15

émetteur – récepteur, ce dernier va souvent souhaiter émettre à son tour un


message qui aura un effet sur l’émetteur. Il peut même comme nous l’avons
vu métacommuniquer, ou donner un feed-back sur le message qu’il a reçu, ou
changer de sujet. Dans les modèles plus complexes, les interactions entre les
acteurs provoquent un phénomène d’émergence de sens. L’interaction est donc
une relation et une expérience commune (voir chapitre 5). Elle peut être modéli-
sée par des simulations avec des machines (cybernétique) qui représentent des
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systèmes d’éléments interagissant entre eux.

N IVEAUX DE COMMUNICATION

Après avoir envisagé les grands modèles théoriques de la communication, il est


maintenant utile de présenter quelques notions complémentaires et indispen-
sables.

Notion de contenu
!

Lors d’une séquence de communication simple et habituelle, celle-ci porte sur


un contenu, c’est-à-dire un message qui peut varier en richesse et complexité,
selon le type d’informations qu’il véhicule et la façon dont il est construit et
émis.
Si le contenu d’une séquence de communication est idéalement un message
décodable, précis, utile, il arrive souvent que cela ne soit pas le cas !
Pour être aisément décodable, un message :
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➙ doit être suffisamment court pour correspondre aux capacités mnésiques du


récepteur ;
➙ son émetteur doit être clairement identifié. Particulièrement, si le message est
verbal, le « je » est bien sûr plus explicite que le « nous » (ce dernier pouvant
toutefois l’être si les personnes qu’il désigne ont été nommées récemment),
et encore bien plus que l’impersonnel et ambigu « on », très insécurisant pour
le récepteur ;
➙ la phrase gagnera en clarté en étant structurée sur le mode sujet-verbe-
complément(s) ;
➙ un verbe devra figurer, qui précise l’action ;
16 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

➙ le complément, comme son nom l’indique, complète le message en précisant


le ou les objets de l’action, les circonstances, l’agent, le nom, le pronom,
l’adjectif, le verbe, l’interjection éventuels.

Notion de métacommunication
!

Certaines séquences de communication peuvent porter sur la relation existant


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entre les personnes. Cette « communication sur la communication » est pour
cette raison qualifiée de métacommunication. « Ne tenez pas compte de ce que
je viens de dire » est un exemple de métacommunication.

Différences de niveaux d’abstraction (ou de niveaux logiques)


!

Lorsqu’une séquence de communication possède un contenu et aussi des élé-


ments de métacommunication, cette deuxième prime sur le contenu en impor-
tance. Dans l’exemple qui vient d’être cité, cela paraît évident. Mais cette pri-
mauté peut être plus subtile. Ainsi, un médecin disant à un patient : « Aujour-
d’hui je vais vous prescrire des antibiotiques, et ensuite nous ne nous reverrons
plus. » Le patient va accorder plus d’importance au deuxième élément de la
phrase, se demandant pourquoi le médecin ne le reverra plus. Veut-il se débarras-
ser de lui ? Lui est-il antipathique ? Etc. On dit que le message sur la relation est
de niveau logique supérieur (ou a un niveau d’abstraction supérieur) et inclut le
niveau contenu. Si le patient n’est pas très vigilant, il peut ne pas entendre sur
le moment ce métamessage et ne le réaliser qu’après. Il aura été « manipulé ».
Par ailleurs, certaines communications peuvent présenter des contradictions, et
aussi des paradoxes tels que celui, célèbre, du Crétois (voir chapitre 8) déclarant :
« Tous les Crétois sont des menteurs. » Si c’est un Crétois qui dit cela, donc il
ment. Mais alors tous les Crétois ne seraient pas des menteurs, certains Crétois
disent peut-être vrai, et donc on ne peut plus être sûr que ce Crétois ment. Le
sens devient indécidable.
Pour se préserver de telles difficultés et des troubles qui peuvent en découler, on
considère qu’on ne doit pas émettre de message se contredisant sur des niveaux
d’abstraction différents.
Et lorsque des difficultés arrivent, il est nécessaire de métacommuniquer, de
communiquer sur la communication : « Comment voulez-vous que nous fassions
pour mieux communiquer ensemble ? »
Communication 17

Je mens

Il dit
la vérité
A

A B
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Figure 1.3. Le sens peut être indécidable

Ainsi la situation imaginaire, souvent évoquée par Paul Watzlawick, d’un homme
qui se voit offrir deux cravates par sa mère : une cravate bleue et une cravate
rouge. Le premier jour il met la cravate bleue et croise sa mère. Celle-ci se
montre désolée, lui demandant ; « La cravate rouge ne te plaît donc pas ? »
Compréhensif, l’homme met le lendemain la cravate rouge, et croise de nouveau
sa mère qui se montre toujours aussi affligée et lui demande « Mais alors, tu
n’aimes pas la magnifique cravate bleue que je t’ai offerte ? » Ne pouvant mettre
les deux cravates à la fois (il serait vu comme bizarre, voire fou), et risquant
une réaction maternelle pire s’il n’en met aucune, la seule possibilité est que
l’homme demande à sa mère de lui dire comment elle pense qu’il doit faire.

L E DIGITAL ET L’ ANALOGIQUE
VERS LA COMMUNICATION HYPNOTIQUE
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Deux modalités
!

Il existe deux grandes modalités pour communiquer, que l’on nomme communi-
cation digitale et communication analogique.
➙ Le qualificatif de digital renvoie au numérique. En effet, initialement, les
humains comptaient sur leurs doigts. La communication digitale est donc
basée sur un système de codage. Ainsi la communication informatique est
basée sur un code à deux chiffres, binaire, c’est-à-dire reposant sur une seule
alternative : zéro ou un. C’est un bit.
➙ Dans le domaine de la communication humaine, le code est plus riche. Il est
verbal : ce sont les mots. Il implique de les connaître, de les avoir appris
18 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

dans l’enfance (langue maternelle) ou plus tard. Le but de cet apprentis-


sage est de savoir utiliser ces mots en construisant avec eux des phrases
(syntaxe), connaissant leur sens (sémantique) en sachant aussi leurs effets
(pragmatique).
➙ La communication analogique, elle, utilise des éléments compris par tout
individu, sans (ou avec très peu) de connaissance prérequise d’un code. Elle
ne nécessite quasi aucun apprentissage. Ainsi poser l’extrémité d’un doigt sur
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sa bouche évoque, suggère, voire ordonne de faire silence, et ce pratiquement
dans toutes les cultures.
➙ Une analogie est en effet un rapport entre deux choses qui ont une simi-
larité. C’est la communication non-verbale par les images, les postures, le
tact (haptique), les gestes et mouvements (kinésique), les mimiques, et
aussi la communication para-verbale (ton de la voix, accentuation, pauses et
silences). La communication analogique est beaucoup plus puissante que la
communication digitale (voir chapitre 2).
Communication
digitale analogique

06:15

Figure 1.4. Les 2 types de communication

La proxémie concerne la gestion de l’espace par une personne en train de commu-


niquer. Elle concerne notamment la distance entre les individus. La communica-
tion entre ceux-ci sera optimale si cette distance est adaptée au type de relation
qu’entretiennent ces individus. Hall a proposé 4 types de distance : intime (15 à
45 cm), personnelle (45 à 120 cm), sociale (1,20 à 2,10 m) et publique (3,6 m
à 7,5 m).
Les métaphores sont des figures de style fondées sur l’analogie. Elles désignent
une chose par une autre, et ainsi suscitent une activité de recherche de sens,
cette dernière n’était pas forcément consciente. Les métaphores sont donc des
outils particulièrement adaptés à la communication indirecte qui peut contourner
les oppositions du patient pour lui faire passer un message utile pour sa santé.
De même, raconter des histoires, des contes (pour enfants mais parfois aussi
Communication 19

utiles pour les adultes) permet aussi de communiquer indirectement. Raconter


des anecdotes peut aussi jouer ce rôle, c’est-à-dire des histoires réellement
arrivées (ou censées l’être), ce qui fera peut-être qu’elles seront plus facilement
acceptées par le patient. Histoires et anecdotes pourront insister sur certains
détails qui capteront l’attention du patient, et qui créeront éventuellement une
diversion utile pour amoindrir la résistance au message principal.
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Comparaison des deux modalités
!

Ainsi nous pouvons envisager combien la communication analogique peut être


plus subtile, plus riche de possibilités en terme d’effet, plus susceptible d’être
l’objet de stratégies communicationnelles techniques et possiblement sophisti-
quées. La pragmatique de la communication analogique est donc particulièrement
féconde. Elle est susceptible d’avoir réellement des conséquences actives.
La communication digitale est plus ouverte, c’est-à-dire que son effet est plus
facilement identifiable par le destinataire. Elle est plus directe. Il importe de
l’utiliser quand elle fonctionne, ce qui fera gagner du temps au patient. Outre cet
avantage, elle est souvent plus respectueuse. Plus simple, elle présente moins
de possibilités manipulatoires. Ainsi, pour donner de l’information au patient
sur sa pathologie, il est préférable, quand il peut les comprendre, de lui donner
des éléments scientifiques plutôt que de lui raconter des comparaisons ou des
métaphores.
Mais la communication digitale est rarement suffisante lorsqu’il s’agit d’expliquer
des choses complexes. Elle est généralement trop limitée pour faire vivre aux
interlocuteurs une expérience, pour proposer un cadre dans lequel ceux-ci vont
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notamment pouvoir permettre un apprentissage.


Dans la même lignée, et s’intéressant particulièrement à la notion d’expérience,
l’approche narrative (White et Epston) est une démarche récente et stimulante
dans le domaine de la communication thérapeutique. Elle conçoit la vie humaine
comme un texte que chacun a à écrire par les choix qu’il fait, ses comportements,
ses actes. La façon dont le patient parle de lui, ses récits, font l’objet d’une
attention particulière. Les productions écrites (y compris poétiques bien sûr),
et aussi picturales, musicale, créatives quelles qu’elles soient, sont valorisées,
notamment par l’organisation d’événements divers : rencontres, fêtes, cérémo-
nies et célébrations (remises de diplômes, qui souvent incluent une dimension
d’humour quand cela est possible) (voir à ce propos le chapitre 8).
20 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

L’impossibilité de ne pas communiquer


!

Les recherches sur la communication de l’école de Palo Alto sont rapidement


parvenues à une conclusion importante : il n’y a pas de possibilité d’être vraiment
neutre, c’est-à-dire de n’exprimer aucun message. Ainsi, un silence peut être
lourdement significatif, par exemple un moyen pour manifester une désappro-
bation ou un désaccord. Ne pas se rendre à une réunion peut, particulièrement
dans certains contextes, signifier qu’on ne la considère pas comme importante,
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ou qu’on souhaite s’opposer à la réussite de celle-ci et donc à la personne qui
l’organise.
La neutralité, tant souhaitée par certaines approches psychologiques et psycho-
thérapeutiques classiques, serait-elle en fait impossible ? C’est ce qu’ont affirmé
les chercheurs dans les années 1950-1970. Même un intervenant silencieux,
n’exprimant aucune mimique particulière, ne faisant aucun geste notable, dirait
quelque chose par son comportement non verbal (analogique) par la façon dont
il se tient, la manière dont il est habillé, coiffé, et toutes une multitude de
détails, appelés généralement des micro-indices, que les autres remarquent, le
plus souvent inconsciemment, et qui exercent des conséquences sur eux.
Aussi, ces conclusions sur l’impossibilité de ne pas communiquer ont-elles révo-
lutionné les bases, les a priori sur lesquels fonctionnaient bon nombres de
pratiques thérapeutiques, et mené à une démarche nouvelle : puisque la neutra-
lité n’est pas vraiment possible, autant assumer ce que nous pensons, ce que
nous ne pouvons pas nous empêcher de montrer, et engageons-nous dans la
communication de manière volontaire, consciente, responsable et efficace en
pratiquant ces nouvelles approches communicationnelles qui ont pleinement
exploité les découvertes sur la puissance de la communication interhumaine. Tel
est l’esprit de cet ouvrage.
Toutefois, avant d’aller plus loin, il est important de tempérer quelque peu
ce « principe d’impossibilité de ne pas communiquer » en apportant un regard
actuel et un peu critique : ceci doit être relativisé. On peut parfois communi-
quer pour ne rien dire, ne pas dire, dissimuler. L’immense développement de la
communication dans notre monde a montré comment il est possible d’inonder
d’innombrables récepteurs de flux massifs d’informations qui sont en fait des
données sans véritables significations. « Trop d’informations tuerait l’informa-
tion » en quelque sorte. Dans le domaine médical, c’est de plus en plus le cas
également. Un exemple en est la communication par de nombreux chirurgiens
de tous les risques chirurgicaux possibles, même ceux rarissimes, d’une interven-
tion. Ou chez un nombre croissant de médecins l’énoncé au malade de la liste
Communication 21

des effets indésirables et des risques possible d’un traitement médicamenteux.


Après avoir reçu un certain nombre d’informations, le patient devient saturé
et n’écoute plus, s’extrait de la communication notamment pour se préserver
d’un excès d’informations qu’il est incapable de traiter et d’intégrer, ou même
pire, de possibles effets de suggestion négative. Dans de tels cas, la notion de
consentement éclairé se trouve pervertie devant l’excès de communication qui
se vide de son sens, aboutissant au contraire à de la confusion et donc à de
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l’obscurité. La relation médecin patient se trouve alors déshumanisée (Bellet,
2015) au nom d’une application littérale de recommandations appliquées sans
discernement. Au nom aussi du principe de précaution, principe de plus en plus
critiqué pas simplement dans le domaine de la santé.
Dans le futur il sera donc utile d’évoluer vers une information adaptée, au cas par
cas, personnalisée en fonction des besoins et des capacités de chaque patient,
au lieu d’une démarche protocolisée, standardisée et donc mécanisée.

Place de l’hypnose en communication thérapeutique


!

L’hypnose thérapeutique peut être vue comme une communication d’excellente


qualité, à la fois entre le patient et son thérapeute, et aussi entre lui-même
et ses ressources et compétences intérieures. Cette qualité est permise par une
extrême personnalisation des moyens mis en œuvre par le professionnel. Milton
Erickson évoquait, en empruntant la métaphore des couturiers, la nécessité
du « sur-mesure » versus un « prêt à porter » peu et insuffisamment efficace.
La communication hypnotique vise donc à l’excellence, que cela soit avec les
techniques, digitales et analogiques, et que cela soit aussi par la pertinence des
messages délivrés.
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Le praticien de l’hypnose thérapeutique a en effet patiemment appris, pendant


une formation qui dure de nombreuses années, les techniques de communication
et donc d’influence les plus puissantes. Parmi ces techniques figurent déjà celles,
non spécifiques de l’hypnose, destinées à établir la relation avec le patient, et à
construire puis entretenir l’alliance avec celui-ci (voir chapitre 4).
Il y a aussi celles qui sont spécifiques de l’hypnose, telle par exemple le signal-
ling. Cette technique permet au patient, après qu’en aient été convenues les
modalités entre le patient et son thérapeute, de communiquer de manière non
verbale, le plus souvent par des mouvements de la main : « Pour me dire oui,
vous bougerez un doigt de la main droite ; pour me dire non, vous bougerez un
doigt de la main gauche, et pour me dire je ne sais pas, vous bougerez les deux
mains. » Ainsi, cette modalité de communication permet au patient de rester
22 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

absorbé dans la tâche intérieure qu’il est train d’effectuer, tâche de recherche
interne qui caractérise, selon les travaux de Roxanna Erickson sur le travail de
son père, la thérapie hypnotique.
Cette excellence communicationnelle est une des multiples définitions possibles
de l’hypnose, cette pratique qui connaît actuellement un essor intense en méde-
cine et en psychothérapie. Milton Erickson, qui en a été une de ses grands
concepteurs, avait l’habitude de dire que s’il gardait son patient au moins deux
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heures en consultation, celui-ci se mettait en hypnose sans que rien de particulier
ne soit fait pour cela.
Il est utile de considérer pour la pratique clinique, comme le fait Rossi, qu’il
survient, parmi les différents rythmes de l’être humain, et toutes les 120 minutes
environ, un rythme ultradien faisant survenir un fonctionnement hypnotique
spontané. Ce qui explique notamment la nécessité, lors des importants déplace-
ments en automobile, que le conducteur effectue une pause à peu près à cette
fréquence.
Outre l’aspect formel des techniques, l’hypnose se caractérise par une excellence
dans le choix du message thérapeutique délivré. En effet, pour susciter, obtenir
ce travail intérieur de communication du patient avec ses propres ressources
internes, le thérapeute doit savoir identifier les messages nécessaires et utiles
qu’il doit faire passer à son patient. La motivation étant actuellement identifiée
(Ryan et al., 2011) comme le facteur le plus déterminant d’efficacité d’une
thérapie (quel que soit d’ailleurs son type d’approche), on ne s’étonnera pas que,
dans l’approche ericksonienne de l’hypnose, le message le plus souvent délivré
au patient soit : « Le changement est possible ».
La notion de base d’Erickson (Rosen), était la notion d’« esprit inconscient »
créatif, plus intelligent que l’esprit conscient, assez autonome mais ayant quand
même besoin d’être sollicité et orienté. On ne sera donc pas non surpris de savoir
que le conseil le plus fréquemment répété par Erickson à ses étudiants soit :
« Faites confiance à votre inconscient. »

L’hypnose, en prêtant particulièrement attention aux différents outils de communica-


tion, a donc une position actuellement d’avant-garde dans l’invention de pratiques
thérapeutique nouvelles. On a pu dire qu’elle était la « matrice » de toutes les thérapies
(E Morin).
L’apprentissage de l’hypnose peut être vu comme une école optimale pour maîtriser la
communication thérapeutique. Il n’est pas étonnant qu’elle soit actuellement en vogue
à une époque de prise de conscience de très nombreux professionnels de santé de
leur absence de formation à la communication durant leurs études initiales.
Communication 23

B IBLIOGRAPHIE

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4 mars 2002, disponible sur legifrance.fr
Chapitre 2

Langages
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Arnaud Gouchet, Julie Morvan

P OUR S’EXPRIMER,
les individus ont besoin d’utiliser un langage. Le langage est
un système de signes qui permet l’expression et la communication. Il s’agit
de ce fait d’une notion importante à définir.

F ORMES DU LANGAGE

Le terme « langage » dérive du logos (λόγος ) de la Grèce antique, qui désignait


à la fois le langage et la pensée. Étudier le langage, c’est donc s’y intéresser
en tant que support de nos pensées, qui en permet à la fois l’expression et le
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partage et, par extension, tout ce qui en découle, notamment sur le plan de la
relation et de la communication.
L’expression de la pensée s’appuie donc sur le langage, qui lui-même implique
la parole et le geste. Le geste constitue le langage non verbal : mouvements du
corps, postures, mimiques, tonus musculaire, expression du visage, démarche,
respiration, etc. La parole est le support du langage verbal (vocabulaire employé
pour dire les choses) et du langage para-verbal (débit de parole, intonations de
la voix, silences, volume sonore, scansion du discours, etc.).
Notre pensée est volontiers partagée entre une logique de type « rationnel »
et une logique de type « émotionnel » ; nous pouvons poser que le discours
rationnel est du domaine du langage verbal, « digital », tandis que l’expression
des émotions relève plutôt du non-verbal et du para-verbal, « analogiques ».
26 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

Le langage verbal permet la précision, la justesse, par le choix de mots et d’une


rhétorique spécifiques, calculés et adaptés ; il relève du domaine des cognitions,
il est l’expression de ce que l’on sait et, du point de vue du thérapeute, de ce
que l’on cherche à obtenir.
Le langage non verbal ajoute une dimension plus nuancée, plus « floue » dans
sa logique interne, qui vient moduler et assouplir la signification du langage
verbal ; il relève du domaine des comportements, il est l’expression de ce que
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l’on fait, de ce que l’on sait faire.
Le langage para-verbal vient précisément à la jonction des langages verbal et
non verbal, des cognitions et des comportements ; il relève du domaine des
émotions, il est l’expression de ce que l’on ressent, de ce que l’on pense.
Au-delà des mots en tant que simples signifiants, le langage autorise une cer-
taine latitude dans l’attribution de sens ; il est porteur de représentations, de
connotations, de suggestions. Il a une dimension métaphorique, tant dans le
langage verbal que non verbal.
C’est un moyen d’interférer avec la pensée d’autrui, à trois niveaux.

Le langage verbal
!

Il est représenté par le vocabulaire utilisé par celui qui parle. On peut distinguer
plusieurs « registres » de langage verbal : familier, courant, soutenu. C’est l’un
des premiers aspects à repérer chez le patient, à la fois comme indicateur socio-
éducatif et développemental, et comme outil relationnel, puisqu’il s’agira pour
le soignant de réutiliser en partie le vocabulaire du patient.
Le vocabulaire a une valeur métaphorique, donc le soignant sera à l’écoute des
métaphores portées par le discours du patient. En effet, puisqu’il est impossible
de partager le symptôme, le patient ne peut que le décrire, avec des mots, des
métaphores, des analogies (« c’est comme si... »). La dimension métaphorique
peut concerner le symptôme lui-même (caractères d’une douleur), les effets
secondaires d’un traitement, les représentations de la maladie ou du symptôme
(dimension cognitive, attribution de sens), et le mode même d’expression de
la plainte : plutôt de type « comportemental » chez certains (postures, faciès,
geignements, mutisme), plutôt de type « discursif » chez d’autres (logorrhée,
vocalisations diverses). Ces éléments d’orientations sont importants, puisqu’il
s’agira de les reprendre afin d’établir avec le patient une communication efficace
et réellement aidante.
Langages 27

C’est sur le langage verbal que s’appuient le langage positif, négatif, et les
formes du discours généralisateur. Ces structures doivent être repérées dans le
discours du patient (chez les soignants également) pour être reformulées. Les
techniques de reformulation s’appuient essentiellement sur le langage verbal (et
para-verbal également, dans une certaine mesure).
Le saupoudrage (ajout volontaire dans le discours de mots – adjectifs ou
adverbes – connotant du positif sans modifier le sens logique de la phrase)
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relève également du langage verbal ; il s’agit d’insérer dans le discours des
mots (adjectifs ou adverbes) qui ne changent pas le sens de la phrase, mais qui
apportent leur lot de connotations positives. La répétition à intervalles (réguliers
ou non) d’un mot ou d’un silence relève aussi du para-verbal ; la survenue
de plus en plus espacée du mot ou du silence suggère un ralentissement, un
apaisement, qui vient comme un élément de méta-communication.
La reformulation utilise le vocabulaire du patient, auquel une nuance va être
apportée ; la nuance est assurée par le vocabulaire (langage verbal) et/ou la
diction (langage para-verbal).

Un exemple de saupoudrage
Thérapeute : Voilà... vous pouvez vous installer ici... tranquillement... et profiter pour
observer... simplement... le rythme de votre respiration... tranquille... et poser vos
mains de part et d’autre de vous... confortablement...
Un exemple de reformulation :
Patient : J’ai tellement échoué dans la vie que je n’espère plus réussir cela.
Thérapeute : Si j’ai bien compris, vous vous dites que vos échecs antérieurs vous
poussent à un certain fatalisme, c’est bien cela ?
La reformulation est parfois confondue avec l’interprétation. Cette dernière consiste à
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supposer un sens dont on pose l’hypothèse au patient. Une interprétation n’est pas
un savoir et bien un questionnement à la recherche d’un sens. Elle demande à être
élaborée puis validée ou rejetée par le patient. Par exemple, une interprétation pourrait
être ici :
Thérapeute : Est-ce que l’on pourrait dire que vous perdez espoir face à un avenir que
vous percevez comme bouché ?

De manière générale, le discours négatif et/ou généralisateur mérite toujours


d’être reformulé à un moment ou un autre de la relation, ne serait-ce que pour
rechercher (ou suggérer) une exception, notamment face à un symptôme chro-
nique, décrit comme permanent et/ou omniprésent (« Je ne dors pas », « J’ai
mal partout », etc.).
28 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

L’art de poser les questions s’appuie également sur les langages verbal et para-
verbal : alternance et dosage des questions ouvertes et fermées, questions affir-
matives (« Vous êtes bien à jeun ? »), interrogations négatives (« Vous n’avez
pas froid ? »), etc. La manière de poser une question peut orienter (voire condi-
tionner) la réponse : « Y a-t-il du nouveau depuis la dernière fois ? » n’est pas
équivalent à « Qu’est-ce qui a changé depuis que l’on s’est vus ? ». La seconde
formulation implique que quelque chose a changé (voir à ce propos dans cet
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ouvrage le chapitre « mener un entretien »)
Le langage verbal est un indicateur du fonctionnement sensoriel de l’individu.
Notre appareil sensoriel (VAKOG pour Vision, Audition, Kinesthésie, Olfaction,
Goût) est un important outil de relation au monde, celui par lequel nous prenons
connaissance de notre environnement, en temps réel. Il a un rôle ontologique
fort, en permettant à l’individu d’adapter son comportement à l’environnement,
notamment en cas de menace.
Chaque individu se construit une « image du monde » qui lui est propre. Certains
sont plus « sensibles » aux aspects visuels, auditifs, ou kinesthésiques d’une
situation donnée ; ces différences peuvent transparaître dans le discours, au
travers des mots utilisés pour décrire les choses et les événements, et donc les
modalités sensorielles auxquels ils se réfèrent.
L’écoute attentive et le repérage des sensorialités sont donc utiles au soignant
pour ajuster son discours à celui du patient ; la communication est plus efficace
lorsque l’orientation sensorielle du patient est respectée.
Le langage verbal du soignant est vecteur d’un grand nombre de suggestions et
de connotations, le plus souvent péjoratives lorsque l’on n’y prend pas garde. Les
professionnels disposent d’un vocabulaire qui leur est propre, c’est le vocabulaire
professionnel, truffé de termes techniques et de « raccourcis » sémantiques
variés. Les mots employés peuvent revêtir une signification toute différente pour
le patient : que faire d’un « billot » (coussin d’appui du corps utilisé pendant
une intervention chirurgicale), d’une « potence » (également appelée « pied à
perfusion »), d’un « pistolet » (urinal), d’une « barrière » (dispositif fixé au côté
du lit pour éviter les chutes du patient) ?
Rappelons-nous que les patients sont hautement suggestibles, et nous com-
prendrons aisément pourquoi un discours de ce type alimente efficacement des
contenus de pensée négatifs ! Nombreuses sont les connotations péjoratives
amenées par le discours « standard » du soignant pensant bien faire en expli-
quant le soin au patient. Il y a donc dans cette démarche « par défaut » quelque
Langages 29

chose de contre-productif, dans la mesure où le soignant va éveiller ou alimenter


des craintes en se pensant rassurant.
Comme on l’a bien compris, le langage verbal est un outil de suggestion ; du
soignant vers le patient, et à l’inverse également.

Le langage non verbal


!
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En deçà des mots, l’apparence même d’une personne peut susciter des pensées,
des émotions, avant que ne soient échangés les premiers mots. Une allure, une
posture, une mimique, un regard, valent parfois mieux que mille mots. Le langage
non verbal ne s’écoute pas, il s’observe. Il s’agit donc pour le soignant d’observer
(donc de conscientiser) tout ce que le patient donne à voir, consciemment ou
non. Ce travail d’observation, contemporain de l’écoute, demande une totale
disponibilité envers le patient.
Parfois, le soignant aura intérêt à cesser – transitoirement – d’écouter le patient,
car notre attention est volontiers accaparée par le discours du patient (et son
aspect précis, quantitatif, « digital »), tandis que des éléments forts de son non
verbal nous échappent totalement (indices plus subtils et fugaces, qualitatifs,
« analogiques »).
L’apparence du patient, ce qu’il donne à voir de lui, de manière consciente (déli-
bérée) ou non, englobe des éléments aussi variés que : sa démarche, la façon de
se tenir (assis ou debout), l’expression de son visage, son regard (fixe, mobile,
présent, absent, fuyant...), sa gestuelle (le corps est-il animé de mouvements ?),
sa respiration (lente, rapide, ample, superficielle, abdominale, thoracique ?), sa
tenue vestimentaire, et les « apports » cosmétiques (bijoux, maquillage...). Il y
a donc un mélange d’indices qui peuvent être maîtrisés, choisis par le patient,
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

et d’autres, totalement incontrôlés et inconscients pour le patient (et, parfois,


également pour le soignant). Bien sûr, l’état de santé du patient peut être
déterminant sur certains aspects (dyspnée, douleurs articulaires, blessures...).
L’observation globale du patient et de sa manière de se déplacer et de bouger
reflète assez fidèlement son « rythme interne » ; le soignant devra d’emblée repé-
rer et adopter ce rythme, quitte à le faire changer par la suite. La consultation
est un contexte favorable à ce travail, notamment pour l’observation du patient
en salle d’attente et dans ses déplacements jusqu’au bureau de consultation. Le
patient est d’autant plus spontané qu’il considère que, la consultation n’ayant
pas officiellement débuté, il n’y a pas nécessité de contrôler quoi que ce soit.
La proxémie relève également du langage non verbal. Ce terme désigne la ges-
tion de la distance entre les personnes : distance physique, distance psychique,
30 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

distance émotionnelle. Le positionnement et la posture des corps sont une


métaphore de la dynamique relationnelle qui s’instaure ; elles en sont à la fois
la mise en scène et l’instrument.

Le langage para-verbal
!

Si le discours de celui qui parle s’écoute au premier degré (langage verbal), il


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s’écoute également au deuxième degré : langage para-verbal. Cette dimension du
langage concerne les intonations de la voix, le rythme (rapide, lent), le ton (fort,
chuchoté), la scansion (accents toniques, silences, soupirs), et leurs variations
au long du discours.
Le langage verbal reflète principalement les phénomènes cognitifs ; le langage
non verbal implique de manière privilégiée le corps ; le langage para-verbal vient
à l’interface des deux, entre cognitions et comportements, c’est un indicateur
de l’état émotionnel du patient : discours précipité et saccadé dans l’anxiété ;
rapide et bruyant dans la colère ; hésitant et chaotique dans la tristesse ; enjoué
et rythmé dans la joie, etc.
Les variations du langage para-verbal traduisent la diversité des émotions asso-
ciées au discours du patient.

Interdépendance des langages


!

Comme nous l’avons vu plus haut, la maîtrise des langages est inversement
proportionnelle à leur impact ; le langage non verbal échappe beaucoup plus à
notre contrôle et notre conscience que le langage verbal. On remarque cependant,
chez les soignants soucieux d’utiliser un langage verbal neutre ou positif, un
changement progressif et – en partie – inconscient des langages para-verbal et
non verbal.
Là où le soignant prend désormais l’habitude de choisir ses mots, s’installent
bientôt de nouvelles habitudes de langage. Le langage positif devient naturel et,
dans le même temps, tout se passe comme si l’image du monde du soignant se
modifie ; partant, son langage para-verbal change en conséquence, de même
que son langage non verbal. C’est ainsi toute une attitude hypnotique qui se met
en place et qui se développe chez le soignant. Cette attitude hypnotique est
le résultat de la congruence des trois langages, qui expriment la même chose,
traduisent le même état d’esprit, le même contenu émotionnel des pensées.
Langages 31

C ONGRUENCE ET NON - CONGRUENCE DES LANGAGES

S’il semble évident que les langages doivent exprimer – ou suggérer – les mêmes
pensées, émotions ou états d’esprit, il arrive que des « décalages » surviennent ;
les langages ne sont alors pas congruents. En cas de discordance entre un
message verbal et un message non verbal simultanés, l’individu a tendance,
intuitivement, à privilégier le message non verbal (Richard et Lussier, 2005).
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Plusieurs cas de figure peuvent être envisagés : l’opposition entre un non-verbal
sérieux et un verbal comique accentue la drôlerie du comédien ; l’opposition
entre le verbal réassurant du soignant et un non verbal fébrile sonne faux, et
accentue la fébrilité au détriment de la crédibilité du soignant. Cette congruence
relève notamment de l’empathie ; l’empathie du soignant suppose l’apparition
chez lui d’émotions en rapport (congruentes) avec celles du soigné (voir à ce
propos le chapitre 5 de cet ouvrage). Ces émotions viennent alors « colorer » les
langages verbal et non verbal du soignant, qui restent congruents. Rappelons que
la compréhension des émotions du patient passe par la sensibilité au décodage
du langage non verbal du patient, canal préférentiel d’expression des émotions
(Hall, 1995).

Chez le soignant
!

Si le médecin annonce au patient « Je vous écoute », il devra simultanément


montrer des signes manifestes d’attention et d’intérêt : posture du corps, faciès,
contact visuel, intonations de la voix. Ces signaux contribuent à l’écoute active
et augmentent notablement l’efficacité et la facilité de la communication.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Chez le patient
!

Il est également important pour le soignant de repérer les éventuelles discor-


dances entre les niveaux de langage chez le patient. Une plainte exprimée
oralement par un patient souriant doit faire s’interroger le thérapeute sur le rôle
réel du symptôme, sur l’intention du patient et sa motivation à coopérer. Par
exemple, cette patiente très souriante, maquillée, vêtue avec beaucoup de goût
et de soin :
Patiente : « Vous savez, Docteur, c’est terrible, et j’ai mal tous les jours... C’est terrible
parce que je ne peux plus rien faire, je ne sors plus de chez moi, je ne vois plus
personne... d’ailleurs plus personne ne vient à la maison... je n’ai plus envie de rien,
de toute façon... c’est pareil tous les jours... même mon mari ne sait plus quoi faire ! »
32 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

Thérapeute : « Si je comprends bien, vous avez des douleurs au quotidien, qui vous
empêchent de faire des choses, de voir du monde... et en même temps, je remarque
que vous êtes vêtue et maquillée pour sortir... c’est intéressant... »

Ici, le thérapeute va « méta-communiquer » en reformulant le langage verbal et


en verbalisant le non-verbal, sous la forme d’une « confrontation », pour amener
expliciter la discordance entre le verbal et le non-verbal de la patiente.
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R HÉTORIQUE SPÉCIFIQUE

Elle permet à la fois d’appuyer et d’étayer la logique verbale, en la rendant


éventuellement pseudo-cartésienne, accessible à la logique floue de la pensée
émotionnelle. Cette rhétorique, qui relève essentiellement du langage verbal et
para-verbal, peut également être appuyée par le non-verbal.
L’usage mesuré de conjonctions et d’adverbes choisis permet d’amener des sug-
gestions relevant de cette fausse logique ; doubles liens, implications, choix
illusoires, fonctionnent grâce à la structure du discours, permise par le recours
à des mots et expressions comme « déjà », « surtout », « tandis que », « et »,
« en même temps », « donc », etc., ainsi que le jeu des silences judicieusement
placés.

Un exemple de double lien thérapeutique


Thérapeute : « Préférez-vous entrer en hypnose avec les yeux ouverts ou fermés ? »
Un exemple d’implication (figure liant un événement observable à un phénomène qui
ne s’est pas encore produit) :
Thérapeute : « Vous êtes installé dans ce fauteuil (truisme), et là, déjà... vous pouvez
remarquer quelque chose... ou pas... ».
Un exemple de choix illusoire (forme interrogative qui porte sur un faux enjeu) :
Thérapeute : « Préférez-vous que j’installe la perfusion à la main droite ou à la main
gauche ? »
On comprend ici que le choix illusoire est un double lien « gagnant-gagnant », par
opposition aux doubles liens pathologiques, qui posent des choix cornéliens et
n’amènent que des solutions perdantes.

Le « si » conditionnel doit être évité, puisqu’il laisse l’éventualité de la condition


non remplie, donc de l’échec... Le « dès que » comporte une implication, plus
opérante : « Dès que vous vous sentez prêt... ».
L’usage des silences, associé à l’emploi des verbes du premier groupe, permet par
exemple de laisser un flou concernant le degré de directivité ou de permissivité
Langages 33

dans une phrase, laissant ainsi le choix au patient de reconnaître la permissivité


qu’il recherche, ou la directivité qui le guide. Par exemple :
« Quand vous vous sentez prêt, vous pouvez... fermer les yeux... » : permissivité.
« Quand vous vous sentez prêt, vous pouvez... Fermez les yeux ! » : directivité.

P UISSANCE DU NON -VERBAL


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À ses débuts, le cinéma a d’abord été muet : seul le langage non verbal était
utilisé, et l’on sait avec quelle finesse, quelle subtilité et quelle justesse les
sentiments et émotions des personnages étaient ainsi restitués, soutenus par
une musique à jouer à même le cinéma. Puis, sont apparus la musique et les
sous-titres, avant la sonorisation et les dialogues. La peinture, la sculpture, le
dessin et la photographie sont autant de moyens de restituer des ambiances,
des sentiments, des émotions, avec subtilité ; là encore, seul le non-verbal est
représenté, qui propose au spectateur une expression, une interprétation.
Les trois langages (langage verbal, LV ; langage para-verbal, LPV ; langage non
verbal, LNV) ne sont pas égaux en termes d’impact : Albert Mehrabian (1967) a
pu ainsi estimer la part respective de chaque langage, dans l’impact global d’un
message exprimé : 7 % reviendrait au LV, 38 % au LPV et 55 % au LNV sur une
population cependant très restreinte : 10 femmes (les résultats ne sont donc
bien entendu pas, de l’aveu même du chercheur, généralisables).
En fait, les impacts respectifs des langages non verbal et verbal dépendent du
contexte. Le degré́ de persuasion nécessaire influe considérablement l’impact
des deux différents types de langage.
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Par exemple lors d’une présentation importante, la répartition des sources d’im-
pact s’inverse. Le langage du corps est de 32 %, le ton de la voix de 15 % et le
message (les mots) est estimé à 53 % d’impact (Burgoon et al., 1996).
C’est lors d’un premier contact que le langage du corps a la plus forte influence.
En effet quelques secondes suffisent pour se forger une première impression
de son interlocuteur. Cette première impression est pratiquement immédiate et
automatique, basée sur un nombre très limité d’informations (Bargh, 1988).
Ce premier contact se déroule selon un rituel très codifié : nous regardons d’abord
le visage (notamment les yeux), puis le corps et les vêtements, nous serrons la
main, ensuite seulement nous écoutons la voix et la façon de parler, pour enfin
nous intéresser au contenu du message.
34 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

Dans ce rituel, la poignée de main joue un rôle prépondérant. Les travaux de


Eibl-Eibensfeldt analysent la poignée de main comme « l’humanisation d’un geste
de soumission » (1979). Dans la civilisation occidentale, la poignée de main
est avant tout un cérémonial d’accueil, qui laisse transparaître des signes de
personnalité́.
Dans le contexte des soins, notre interlocuteur est le plus souvent un patient,
dont le mode de pensée à cet instant est plus gouverné par une logique émotion-
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nelle que rationnelle ; le pouvoir suggestif du langage non verbal s’en trouve
augmenté. Ainsi, le premier contact que représente le temps de la poignée de
mains est crucial. Au non-verbal s’associent le verbal et le para-verbal, pour
alimenter les trois principaux canaux sensoriels : la Kinesthésie (« consistance »
de la poignée de mains), l’Audition (intonations de la voix, volume sonore) et
la Vision (contact visuel, posture, mimique, sourire...). Nous pouvons instanta-
nément et massivement suggérer des intentions positives, de l’empathie, une
ouverture d’esprit, une disponibilité, ou leurs contraires.
Le tableau ci-contre (Mills, 2000) propose un décodage de l’état d’esprit de
votre interlocuteur, à partir du langage corporel. Il s’agit d’indices, qui doivent
toujours être remis dans leur contexte, car ils ne possèdent pas en soi de fon-
dements scientifiques. Ils sont justes une façon de s’interroger sur le niveau
de congruence ou d’incongruence entre ce qui est dit et ce qui est fait... qui
accompagne le dit.

D ES POSTURES AUX MÉTAPHORES CORPORELLES

Le langage de la posture
!

La posture peut être traduite comme une pensée incarnée, corporelle ; une mise
en scène des opérations de pensée à l’œuvre dans l’énonciation du langage et par
extension des émotions qui s’y rattachent. Les marques posturales du langage
signifient ainsi le discours, motivées par des représentations métaphoriques
conscientes ou inconscientes. En ce sens, Bouvet (2001) évoque la dimension
polyphonique du langage : « Les entendants ne se parlent pas seulement avec
des signes audibles. »
Lakoff et Johnson soulignent la nature par essence métaphorique de notre
système conceptuel ; cette faculté à comprendre quelque chose à partir de repré-
sentations métaphoriques dont notre système conceptuel s’est préalablement
doté au fil de sa construction. Parler, écouter, communiquer, interagir consistent
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Tableau 2.1. Indices aidant le décodage corporel

Ennui, Nervosité́,
Franchise Agressivité́ Attitude défensive Aisance Frustration Confiance
indifférence incertitude

Faible poignée de
Sourire Plisser les Regard fixe sans Regard fixe dans
Peu de regards Regard franc Mains jointes main,
chaleureux sourcils expression le vide
main moite

Regard soutenu, Assis, penché en


Penché en arrière
pupilles Les yeux ne avant, les mains Mains dans les Se racle la gorge
Bras décroisés Corps rigide mains jointes
contractées, clignent pas sur les cuisses ou cheveux en continu
derrière la tête
regard fixe les genoux

Courtes Fier, se tient droit,


Jambes Tête dans la Expression
Poings serrés Mains serrées inspirations et les mains jointes Peu de regard
décroisées paume de main faciale vivante
expirations derrière le dos

Tapote avec ses Debout la veste


Bras allongés, les
Bras fermement doigts, donne des ouverte, les mains
Buste en avant mains saisissent Se tord les mains Tête haute Rire nerveux
croisés petits coups de reculées sur les
le bord de table
pied hanches

Tapote avec ses


Fronce les Proximité de
Corps détendu Tête basse Peu de regards Lèvres pincées Jambes étirées doigts
sourcils l’interlocuteur
sur la table

Chevilles
Regard direct Assis sur le bord Profondes Se dominant
Index pointé fermement Les yeux bas Soupire
pupilles dilatées de la chaise respirations physiquement
croisées

Décontracté/ Mains sur les


Les jambes Exprimer son Mains fermement Penché en arrière Croise les bras et
veste retirée (pour hanches en se
croisées accord serrées de sa chaise. les jambes
les hommes) tenant debout

Se déplace dans
l’espace Tripote des objets
Distrait Regard continu
personnel de ou des vêtements
l’autre
Langages
35

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36 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

à produire, transmettre et interpréter des métaphores à un niveau plus ou moins


conscientisé.
« L’essence d’une métaphore est qu’elle permet de comprendre quelque chose en
terme de quelque chose d’autre. » (Lakoff & Johnson, 1985)

Ainsi, pour mettre du sens à ce qui lui échappe, l’individu fonctionne intuitive-
ment de manière métaphorique ; l’expression posturale contribue au chemine-
ment de pensée et aux modalités de communication métaphorique. « Certes le
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corps est visible comme un objet dans l’espace, mais on oublie ce qui le marque, le
porte dans le temps [...] le sens de ses gestes nous conduit à réévaluer le statut
du sensible » : le corps étaye les mots et apporte un sens supplémentaire, une
expression plus symbolique de l’être (Cornu, 2004).

Le sens de la métaphore
!

Le regard clinique invite à observer certains mouvements, postures, mimiques


comme des métaphores ; la mise en scène d’un transfert, au sens de dans et
par le corps, de la dynamique profonde du sujet et des exigences ou émotions
parfois contradictoires qui l’animent.

Présentation initiale
Patient douloureux chronique souffrant de lombalgie ; le corps d’apparence voûté, la
mobilité entravée, le tronc comme plié vers l’avant dans une expression de blocage et
de déséquilibre. Il se présente de façon identique lors des premières consultations.
La posture comme métaphore
Lorsque ce même patient arrive quelques séances plus tard, visiblement plus redressé,
offre au regard du clinicien la vision d’un équilibre différent, plus probable, alors
même que le discours reste inchangé, la plainte réitérée, la vision des choses encore
enkystée... dans et par le corps, ce patient énonce pourtant déjà quelque chose de
l’amorce du changement en lui.

La posture devient donnée qualitative et nourrit la démarche de communication


thérapeutique. Watzlawick postule ainsi que la justesse d’observation et la créati-
vité du thérapeute permettent de convoquer les processus de changement par le
biais du langage d’image sans passer par le langage intellectuel conventionnel.
Langages 37

Le corps comme instrument métaphorique à double sens


!

Le travail du langage métaphorique peut s’initier en partant de l’observation


de la posture du sujet. Admettant que ce procédé langagier peut transformer
la représentation de la réalité du sujet et donc modifier son rapport au monde,
alors la posture corporelle elle-même peut être comprise comme indicateur du
changement de posture psychique. Il n’est pas rare de constater le mouvement par
le corps avant même qu’il soit énoncé par les mots ; la manière dont un patient
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se présente, se tient, marche, occupe l’espace, sont de précieux indicateurs, si
ce ne sont prédicateurs du changement thérapeutique initié.
Similairement,
➙ des mots du thérapeute à l’attention du corps du sujet,
(suggestions d’amplitude respiratoire, suggestions de légèreté, suggestion de
relâchement musculaire...) ;
➙ puis de la posture corporelle comme métaphore de changement,
(expérience motrice de réponse quasi-automatique).

Suggestions motrices suggérées Réponse quasi-automatique

Vous pouvez vous installer Observer le réajustement d’une


confortablement et vous sentir libre position, à l’issue de l’énonciation de
de réajuster votre position si cela est la suggestion ou plus tard, simplement
nécessaire. parce que la proposition a été faite
initialement.

C’est surprenant comme on peut Observer le patient se relâcher à


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identifier des zones confortables et certains niveaux de son corps ou


détendues alors même qu’une partie encore installer une respiration plus
du corps nous indispose... calme, plus profonde.

C’est toujours étonnant de réaliser Observer quelques manifestations


comme le simple fait d’évoquer la automatiques de mouvement vers le
légèreté dans une main peut initier haut en réponse à la suggestion de
quelques mouvements légèreté.
automatiques...
L’expérience singulière de la suggestion motrice valide l’idée d’un langage à
double sens. Émetteur et récepteur, corde et caisse de résonnance, l’instrument
corporel communique à double sens. La singularité et la particularité musculaire
38 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

de la suggestion motrice en hypnose permettent au sujet de découvrir des expé-


riences nouvelles et insoupçonnées ; une proposition posturale prenant la valeur
d’une métaphore de changement possible. Si mon bras peut léviter, aussi léger
qu’un ballon, en dehors de toute action volontaire, l’idée que la douleur puisse
se modifier devient alors plus envisageable (le terme de lévitation, emprunté
au vocabulaire de l’hypnose, renvoie ici à l’expérience observable de réponse
quasi-automatique de mouvement ascendant d’un doigt, d’une main ou d’un bras,
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initiée par la suggestion motrice de légèreté, la proposition de visualisation
créatrice d’images de ballons accrochés à la main par exemple).

De l’usage de la posture comme métaphore corporelle


!

Cette intrication entre langage postural et sens des mots engage le thérapeute sur
le chemin de la créativité et l’usage des métaphores corporelles et de l’analogie
comme outil thérapeutique.
Illustrons à présent l’usage de la posture observable ou prescrite à la métaphore
thérapeutique :

Postures Objectifs Métaphores corporelles


obser- (à évoquer sous forme d’anecdote,
vables de « comme si »)

Dos voûté, Se Image du chat qui fait le dos rond et s’étire, puis
affaissé redresser reprend sa posture classique et souple.
Image d’un pont-levis qui se lève.
Images de légèreté, ballon qui s’envole, bulle de
savon, plume qui virevolte.

Nuque raide S’assouplir Image de la girafe qui tend le cou pour manger les
feuilles les plus hautes et courbe le cou pour boire
l’eau du lac.
Image des pâtes déshydratées, raides, dures,
plongées dans l’eau qui s’assouplissent, se
ramollissent au fil des minutes qui passent.
« Et tel que je vous vois aujourd’hui, cela me rappelle ce patient qui avait un
chat et dont il me parlait beaucoup... Ce chat dont il évoquait la posture enroulée,
en boule le soir, parfois coincé entre deux coussins... cette faculté improbable
qu’ont les chats à courber le dos, le rendre rond, bombé à l’extrême, dans un
Langages 39

mouvement presque figé... pour s’étirer ensuite de tout leur long jusqu’à la pointe
des pattes... dans un mouvement inverse, souple, allongé, étiré... une flexibilité
retrouvée, une belle souplesse. Et c’est parfois surprenant comme il peut être juste
agréable d’y penser... »

Mots du Postures Objectifs Métaphores corporelles


patient prescrites (à évoquer sous forme d’anecdote,
de « comme si »)
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« Je suis Partir de la Flexibilité et Comme des élastiques tendus qui se
tendu » tension détente détendent.
ressentie et Comme un arc tendu à l’extrême
observable dont la corde se détend en souplesse
au départ de la flèche.

« Je me Partir de la Décompression Comme l’image d’un bout de bois


sens compres- et souplesse comprimé dans un étau qui reprend
com- sion sa forme alors que l’étau se desserre
primé » ressentie et progressivement.
observable Comme l’image d’un corset,
comprimant la taille, que l’on
délasserait progressivement.
« Vous me parlez de cette compression... un peu comme l’action de l’étau sur le
bois finalement ?... je ne sais pas si vous connaissez le bois et si vous appréciez
ce matériau vivant. C’est surprenant comme le bois est finalement malléable
au-delà de son apparence rigide. J’ai déjà vu des pièces de bois comprimées par
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l’étau, un étau serré, parfois trop... un bois marqué... et pourtant... observer


comme le bois lorsque l’étau se desserre progressivement, un peu plus, et encore
davantage se relâche... comme le bois peut être capable de reprendre sa forme
initiale, se repulper... les marques disparaissent progressivement et le bois respire
à nouveau... »
Le corps s’utilise alors comme outil de communication thérapeutique. Il s’ex-
prime, nous renseigne, tandis que le thérapeute laisse émerger à la conscience
les impressions et les images que la personne physique éveille en lui. Le théra-
peute invite à la métaphore corporelle, le corps devient le lieu de la rencontre ;
le sujet convoque ainsi la manifestation somatique par le biais de la posture
ressentie et suggérée, de l’image analogique, du mouvement métaphorique, de
40 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

la transformation suggérée. La zone douloureuse est convoquée, mise au service


du langage du changement.

D ES « COMPLÉMENTS » AU LANGAGE

Le dessin
!
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Le dessin, en tant qu’illustration imagée, symbolique et métaphorique constitue
l’un des moyens de communication convoqués par l’être humain lorsqu’il exerce
cette faculté spécifique qu’est le langage, au sens de moyen d’expression.
Témoin du développement cognitif affectif, social et culturel de l’enfant, le
dessin émerge habituellement au cours de la seconde année de vie comme une
modalité de représentation et d’expression et évoluera tout au long de l’enfance.
À l’entrée à la puberté, l’activité graphique libre et créatrice semble souvent
s’éteindre au profit d’un mode de communication plus économique qu’est le
langage verbal (Badly 2011 ; Joley, 2010).
L’enfant qui dessine part à la recherche de traces mnésiques de satisfaction,
laissées par sa sensorialité, sa motricité, son « inconscient corporel » au fil de
sa construction psychique. L’inconscient corporel s’érige en effet sur les bases
de l’expression pulsionnelle, s’originant dans le corps, comme une exigence de
travail corporel, une action « à faire », une forme de mise en mouvement (Reich,
1945). Le dessin créatif permet à l’enfant, plus tard à l’adulte, de reconvoquer
ces traces mnésiques, les réactiver, les mettre au service d’une modalité de
communication différente. Le sujet qui dessine est alors dans un corps à corps
avec l’image. L’image figurant la pensée, le dessin devient le prolongement du
langage, un acte de communication à part entière.
Par ailleurs le processus de dessin se réfère au champ du symbolisé, tourné
davantage vers un mode de fonctionnement primaire (par opposition au secon-
daire de la pensée en mot), au service de la représentation de choses. La théorie
de Gibello propose d’adjoindre à la représentation de choses la capacité de
transformation par la notion d’action, de stratégie motrice ; la maîtrise du geste,
le lâcher du trait, son appui, son maintien, sa rupture, agrémentent les possibi-
lités d’expression et de communication par le dessin, au-delà des mots (Gibello,
1977).
Dans la pratique clinique par exemple, le langage scientifique et raisonné autour
de la souffrance semble parfois imprécis ou incomplet au regard du patient qui
souhaite exprimer la singularité de son ressenti. La proposition de représentation
Langages 41

en image, par le dessin, permettra souvent de mieux communiquer sa perception,


permettant au soignant de s’ajuster et se figurer plus justement la perception de
l’Autre.

La musique
!

Le langage articule des signes et la musique articule des notes, des sons. Rythme,
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sonorité, harmonie sont autant de termes musicaux que l’on utilise pour évoquer
le langage verbal.
La musique s’apparente à un mode d’expression de la vie intérieure. Qu’elle
soit véhiculée par l’instrument ou les cordes vocales, elle figure l’émotion et
communique un sens à celui qui écoute. Au-delà de la culture et de la langue
parlée, la rythmicité d’une prière, la musicalité enveloppante d’une berceuse
convoque l’universel, le partageable, le reconnaissable.
À l’attention de l’enfant en âge pré-verbal, de la personne démente, de l’Autre
dont on ne partage pas la langue, la musique et le recours au rythme sont des
moyens privilégiés de communication.
Le signe linguistique devient secondaire, la musicalité de la parole, tel un poème
que l’on récite, passera au premier plan : « C’est dans la poésie que va s’effectuer
la transmission du sens profond des choses, dans la mesure où, en elle, la musique
va en quelque sorte prendre le relais et compenser les insuffisances de la seule
parole. » (Philonenko, 2007).
On évoque le langage des couleurs, ou encore celui des fleurs. Y a-t-il un langage
de la musique... ?
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S’il est évident que le sens strict du terme est ici galvaudé, c’est en ce sens
plus métaphorique que certains auteurs (Escal, 1979, Green, 2006) emploient le
terme à propos de la musique, considérant qu’en tant que fait de culture, elle est
un langage, en ce qu’elle assume une fonction communicationnelle et sociale.
Enfin, comme le souligne Fubini (2007), si le langage verbal conserve une part
de musicalité indéniable qui se fond avec le pouvoir dénotatif de la parole ; la
musique, quant à elle, sait « se faire autonome, conserve encore le souvenir d’un
certain renvoi au monde des sentiments et des émotions, un renvoi perceptible,
quoique polysémique, vague et parfois ambigu [...] une sorte de langage qui vient
avant le langage » ; « la musique n’est pas le contraire d’un langage, elle est
plus que cela, elle est hyperlinguistique, langage des dieux, eût-on dit autrefois »
(Mâche, 1963).
42 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

C ONCLUSION

Le langage est un élément indispensable à la communication entre les individus.


Dans le même temps, on l’a vu, il est en lien étroit avec la pensée. Notons au
passage que le terme « langage » désigne le plus souvent la communication
verbale, bien que les trois langages (LV, LPV, LNP) sont indissociables.
Le langage a une fonction sociale ; il sert à renforcer les liens à l’intérieur
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des groupes humains. Le langage aurait ainsi apporté un avantage dans le
développement des relations sociales pour l’espèce humaine.
Le langage a une fonction cognitive ; il sert à représenter des informations, à
les stocker et à les communiquer. Le langage aurait donc représenté un avan-
tage pour le développement cognitif de l’espèce humaine, sans que l’on puisse
déterminer si c’est le développement du langage qui a précédé celui de la
pensée, ou inversement si c’est l’apparition d’une pensée élaborée qui a initié le
développement du langage.
À l’instar de la sensorialité qui permet d’accéder à la connaissance de l’envi-
ronnement, le langage est une interface qui permet à un individu d’établir et
d’entretenir des relations avec ses congénères, et d’échanger des pensées, des
sentiments, des émotions et des informations.
Si ces aspects sont peut-être l’apanage du langage verbal, les comportements
relèvent du langage non verbal, et sont une adaptation à l’environnement et
aux conditions locales, perçus au moyen de la sensorialité, et éventuellement
interprétés par le biais de processus cognitifs et/ou émotionnels.
On voit ainsi que langage, sensorialité, pensée et émotions sont étroitement
liés, tant par le développement de l’individu et de l’espèce, que des interactions
sociales.
Langages 43

B IBLIOGRAPHIE

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Chapitre 3

Interactions langagières
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Isabelle Prévot-Stimec

L E LANGAGE VERBALest une composante majeure de la communication thérapeu-


tique, même si les aspects non verbaux et para-verbaux sont également
primordiaux (voir chapitre 2 de cet ouvrage) nous aborderons dans ce cha-
pitre comment le langage construit et influence la relation thérapeutique afin
d’améliorer la sécurité, la motivation du patient tout en tenant compte de ses
différents niveaux de conscience.

L ANGAGE ET QUALITÉ DU LANGAGE

Créer le réel
!
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Le langage contribue, dans une perspective constructiviste, c’est-à-dire dans


laquelle on considère que la réalité n’est pas une donnée totalement objective
mais résulte aussi de la manière dont on l’observe, à créer le réel, comme a pu
l’évoquer le psychologue Thierry Melchior (1998). Ainsi, aider un patient pourrait
consister à construire avec lui (notion de co-construction) une réalité qui lui per-
met des possibilités nouvelles. La souffrance du patient peut, à certains égards,
être considérée comme liée à un vécu de ne plus avoir de choix. Les interactions
langagières entre patients et thérapeutes visent à cette co-construction d’une
ouverture de choix possibles.
Le langage permet, en premier lieu, d’établir la relation avec le patient, et ceci
dès les premières interactions avec celui-ci, que ce soit au téléphone pour une
46 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

prise de rendez-vous, ou lors de l’accueil dans la salle d’attente, et aussi au


cours des entretiens ou des consultations thérapeutiques. Une relation était
initialement un récit, une narration, un rapport fait par une personne à une autre.
Secondairement, le mot s’est mis à désigner le rapport qu’entretiennent deux ou
plusieurs personnes. Nos relations sont donc au départ faites d’histoires...

Le rapport
!
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L’être humain est un être relationnel. Notre existence est en grande partie
constituée par les relations que nous entretenons avec les autres. Le domaine
thérapeutique n’échappe pas à cette vision. L’aspect relationnel a toujours été
central en médecine, et les auteurs du XIXe siècle ont abondamment parlé du
rapport que le médecin devait d’abord établir avec son patient.
En communication thérapeutique, c’est cette construction d’une expérience com-
mune au patient et au thérapeute, dans laquelle le langage s’inclut, qui permet
le changement souhaité par le patient.
Le langage revêt ensuite une importance toute particulière, que ce soit dans ses
composantes verbale ou corporelle, pour adresser des messages thérapeutiques.
Il va permettre de créer un contexte, une expérience unique et positive, qui
commence par l’établissement de l’alliance thérapeutique. Le patient pourra alors
requalifier sa propre problématique et sa propre expérience, avec de nouveaux
mots, un langage renouvelé, permettant ainsi de créer un terreau favorable à un
changement thérapeutique durable. Le choix des mots, les moments où ils vont
être dits, la façon de les dire, leur éventuelle répétition ou le jeu autour des
mots, sont autant d’éléments qui vont permettre cette délivrance du message
utile au patient, et permettre à ce dernier de modifier ses perceptions et ses
croyances d’une manière qui lui soit bénéfique.

La qualité du langage
!

Chaque séquence d’interaction langagière est unique et non reproductible. Elle


est propre à chaque séance, et à chaque binôme patient-thérapeute. Tout comme
la rivière qui va connaître des fluctuations de débit en fonction des saisons,
la musicalité, la qualité de chaque interaction langagière est unique et non
reproductible d’un patient à l’autre, mais également pour un même patient. Elle
doit s’adapter à lui, et prend en compte l’instant et le contexte dans lequel elle
se déroule, même si on peut cependant modéliser certains paramètres de ces
interactions, voire même parfois, de façon stratégique, reproduire ou réutiliser
Interactions langagières 47

certaines séquences d’interactions (il s’agira alors d’une stratégie volontaire de


la part du thérapeute).
S’intéresser à la qualité du langage à déployer avec le patient et à la manière
de le faire consiste d’abord à prendre en compte les particularités du patient. Il
s’agira de s’intéresser à son univers, son âge, son métier, son environnement,
paramètres qui vont influencer le patient dans le choix de ses mots et des méta-
phores qu’il utilise. Par exemple, avec un garagiste ou un amateur de mécanique
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auto, on pourra assez aisément utiliser des métaphores telles que « péter une
durite », « mettre de l’huile », etc.
Il y aura aussi à tenir compte de son niveau de langage :
➙ soutenu ou peu développé,
➙ à haut contexte (c’est-à-dire se situant d’emblée à un niveau global, ou
« méta »), ou à bas contexte, s’ancrant sur un détail ou un exemple précis,
de façon à s’adapter à celui-ci. Car l’enjeu de la communication, qu’elle soit ou
non thérapeutique, est d’être compris par l’interlocuteur.
Il semble évident qu’on ne pourra pas s’adresser de la même façon à un enfant
qu’à un adulte. De même à une personne ayant fait des études supérieures comme
à un patient ayant fait peu d’études. Également, un patient maîtrisant mal le
français, ou ayant des déficits auditifs (ou d’autres problèmes entravant le champ
du langage), ne pourra pas être abordé de la même façon qu’un patient n’ayant
aucune de ces difficultés.
Cette différenciation met en lumière la nécessité d’une adaptation de la part
du thérapeute au langage (et à la posture non verbale) de son interlocuteur.
Cette qualité d’adaptation devra être constamment entretenue et développée,
notamment par un intérêt porté à différents domaines : littéraires, artistiques,
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scientifiques y compris en dehors du champ de la thérapie et du soin.


Le caractère unique des interactions langagières et la nécessité d’adaptation
amènent le thérapeute à fréquemment adopter une position basse, voire une posi-
tion de non-savoir (not knowledge attitude). En effet, ce type de positionnement
permet un respect du point de vue et des besoins du patient (notamment son
besoin d’autonomie) vis-à-vis de sa propre problématique. Inscrire le langage et
la thérapie dans cette dynamique relationnelle génère un dépassement du simple
raisonnement causaliste et mécaniste dont nous connaissons les limites dans
un grand nombre de disciplines soignantes. Cela permet aussi une adaptation
constante de la posture corporelle et langagière du thérapeute afin de conserver
l’alliance thérapeutique nécessaire pour que le patient puisse jouer un rôle actif
dans son traitement.
48 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

Pour développer des interactions langagières thérapeutiques et efficaces, mais


également fluides et pacifiques, il est nécessaire d’être attentif à différents
paramètres tels que le contexte de sécurité, de bienveillance dans lequel se
déroule la communication, et la sécurisation de la communication. Il faudra
l’être autant à la manière de délivrer des messages bénéfiques et utiles pour le
patient. Dans une approche thérapeutique ericksonienne, on portera également
particulièrement attention aux niveaux de conscience du patient comme du
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thérapeute, ceci afin de saisir les moments les plus propices à délivrer des
messages utiles. Et comme le langage thérapeutique sert avant tout à faire
passer ces messages aux patients, les interactions viseront à être bénéfiques à
ceux-ci, positives, et à augmenter la motivation du patient.

C OMMUNIQUER DE MANIÈRE SÉCURISÉE

La communication doit en premier lieu ne pas nuire au patient et aux bénéfices


du travail thérapeutique en cours. Elle ne doit pas aggraver ni entretenir les
difficultés pour lesquelles celui-ci a été amené à consulter. D’une façon assez
évidente, il s’agira donc de ne pas être blessant de façon volontaire ou invo-
lontaire, ni agressif ou violent, ce qui semble a priori évident mais ne l’est pas
forcément en pratique ! Communiquer de façon non iatrogène (c’est-à-dire sans
que les difficultés ressenties par le patient soient causées de façon directe ou
indirecte par le thérapeute) est en effet une tâche souvent difficile.
Produire une communication efficace, qui sera bénéfique à la fois pour le patient
et pour le thérapeute, repose avant tout sur la notion de sécurité :
➙ sécurité externe, matérielle, concrète,
➙ et sécurité interne liée à la relation elle-même et à la qualité des interactions.

Sécurité externe
!

La sécurité externe concerne tout d’abord les lieux, les conditions dans lesquels
se déroulent ces interactions. En effet, délivrer un message de qualité nécessite
de le faire dans un contexte propice, dans lequel l’émetteur du message et son
récepteur sont disponibles pour l’émettre et le recevoir. Un lieu accueillant, calme
et confortable, créera une atmosphère plus utile pour les échanges beaucoup
plus aisément qu’un lieu agité et bruyant. La présence d’un stagiaire, l’irruption
en cours de consultation d’un collègue ou d’une secrétaire, sont également des
Interactions langagières 49

événements qui peuvent dans l’espace de la consultation altérer la sensation de


sécurité du patient comme du thérapeute.

Sécurité interne
!

Il est nécessaire pour cela que le thérapeute ait réfléchi à son propre confort et
à sa sécurité :
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➙ si le thérapeute est lui-même en inconfort, physique par exemple, une partie
de lui-même sera absorbée par cet inconfort et cela viendra perturber la
qualité relationnelle ;
➙ ou s’il est mal à l’aise avec la possibilité que survienne un appel téléphonique
ou que quelqu’un frappe à sa porte, cette insécurité intérieure absorbera une
partie de son attention ;
➙ de même, s’il se ressent en insécurité dans son lieu de travail, voire en
danger à certaines heures de la soirée ou de la journée, alors qu’il n’existe
aucune difficulté objective (cela est fréquent dans le syndrome d’épuisement
professionnel ou burn out), le soignant sera également en hypervigilance et
aura donc une aptitude relationnelle moindre, Cette remarque concerne bien
sûr également le patient, qui peut par exemple le milieu hospitalier comme
angoissant, associé à l’idée de danger, etc.

Ne pas être iatrogène


!

Par ailleurs, communiquer de façon sécurisée inclut également le fait de ne


pas être iatrogène. Être iatrogène consiste dans ce contexte à provoquer ou à
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aggraver un état de santé psychique et/ou physique qui est déjà altéré, par des
propos venant augmenter les inquiétudes et/ou les sensations physiques qui s’y
rapportent.
Les interactions entre le patient et le thérapeute viseront donc, au contraire,
tout particulièrement à aider le patient à maintenir ou améliorer son état de
santé.
Par exemple, lors des interventions thérapeutiques dans le champ de la douleur,
les mots, questions, évaluations se rapportant à celle-ci peuvent augmenter, faire
perdurer la sensation douloureuse, le langage du soignant attirant l’attention du
patient cette douleur :
➙ Depuis quand avez-vous mal à cette jambe ?
➙ À combien évaluez-vous votre douleur ?
50 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

➙ Et depuis 20 minutes, avez-vous remarqué que cela augmentait ?


Même si, à certains moments, notamment au début de la prise en charge, de
telles demandes peuvent être tout à fait utiles, ce type de questions peut ensuite
beaucoup favoriser son aggravation en orientant exagérément et inutilement
l’attention du patient vers sa douleur (cf. chapitre 3.6).
Il en est de même avec des affirmations telles que :
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➙ Je suis inquiet pour votre jambe,
➙ Vous ne vivrez plus jamais comme avant avec votre jambe,
➙ C’est très grave,
➙ ou même : C’est possible que ce soit un cancer, il faut attendre, etc.
Autant d’exemples de propos pouvant être iatrogènes, qui ne sont pas utiles en
tant que tels au patient, et qui contribuent à augmenter le niveau d’inquiétude
général, voire l’intensité de sensations physiques pénibles.
Il en va de même, bien évidemment, pour les problématiques psychiques :
➙ C’est très grave, on vit toute sa vie avec l’angoisse,
➙ C’est en vous : ça ne changera jamais,
➙ Pourquoi n’avez-vous toujours pas fait votre deuil ?
➙ Comment avez-vous fait pour vous faire agresser ?
Pendant les soins aigus, également :
➙ Je vais vous piquer,
➙ Ça va faire mal,
➙ Ça brûle lorsque le produit passe,
souvent augmentent, voire créent la sensation douloureuse.
Certains professionnels de santé peuvent parfois avoir malgré eux des propos
dévastateurs pour le patient, en figeant des symptômes ou en les faisant exister,
là ou une attention particulière au langage peut générer, en favorisant l’intégra-
tion de, l’expérience vécue, une dissipation des émotions et/ou des sensations
désagréables.
Un autre paramètre essentiel pour créer une communication sécurisée est la
notion de congruence, déjà abordée précédemment (chapitre 2). Les propos du
thérapeute, comme les signaux de communication non verbaux qui en émanent
doivent être congruents, c’est-à-dire coïncider, aller dans le même sens, pour
Interactions langagières 51

être efficaces et respectueux. Sauf si cela bien sûr correspond à un choix thé-
rapeutique prédéfini, ce qui peut être le cas avec des patients ambivalents par
exemple.
« Je pense ce que je dis et je suis ce que je pense » pourrait illustrer cette notion
de congruence interne qui permet au patient de se sentir en sécurité, mais
également d’oser vivre l’expérience relationnelle avec le thérapeute et d’expéri-
menter le changement. Imaginons un thérapeute disant à son patient : « Bien
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sûr, vous allez y arriver, c’est un bon objectif », tout en pensant intérieurement
que le patient n’y arrivera jamais, créera probablement une distorsion entre
ses communications non verbale et verbale. Et le patient retiendra préféren-
tiellement le message non verbal, ce qui engendrera une perte de confiance
dans le thérapeute de façon inconsciente. Et le patient pourra alors se sentir
en insécurité avec lui, sans nécessairement connaître la raison de celle-ci, la
perception de l’incongruence restant très souvent gênée par la confusion que
celle-ci génère.

C OMMUNIQUER BÉNÉFIQUEMENT

La communication et les interactions qui s’y rapportent dans un contexte théra-


peutique visent à créer un changement positif pour le patient. C’est ce que le
patient attend de la thérapie : un changement interne qui lui permettra de faire
des choix et d’orienter sa vie de façon plus satisfaisante, des apprentissages
nouveaux, des compétences nouvelles qui lui permettront de réussir ses objectifs.
La communication thérapeutique doit donc être bénéfique, et avoir une influence
positive sur le patient.
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Attribution
!

Un des éléments important de cette influence positive repose sur l’attribution


des réussites obtenues en thérapie au patient lui-même. Cela nécessite pour le
thérapeute, d’une part d’être en position basse, ou position de non-savoir, et
d’autre part de valoriser ce que le patient a réussi à faire lui-même, c’est-à-dire
à mobiliser ses ressources :
➙ Vous pouvez être fier de vous,
➙ Vous avez déjà réussi cela, etc.
52 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

Dans cet effet de valorisation, le choix des mots et des tournures de phrase
sont déterminants (tout en pouvant sembler anecdotiques). Par exemple : « Vous
pouvez être fier de vous » (le patient peut s’attribuer le mérite de la réussite et
en ressentir de la fierté) aura un impact plus profond et plus durable que « Je
suis fier de vous » (qui suggère que ce sentiment est conditionné au regard, au
jugement de l’autre).
Et même, pour aller plus loin que « Vous avez réussi », on peut préférer « Vous
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avez su mobiliser toutes les ressources nécessaires pour atteindre votre objectif. »
Par ailleurs, lorsque le patient peut être amené à souhaiter remercier le théra-
peute pour les progrès réalisés : « On a fait un bon travail d’équipe », qui permet
de suggérer que le rôle joué par le patient et par le thérapeute est équivalent en
terme d’effort, est préférable à « Merci » qui valide le fait que la réussite repose
sur le travail du thérapeute.
Enfin, il est nécessaire aussi de préciser que la position haute peut, avec cer-
tains patients (notamment ceux qui sont anxieux) être très recommandée, voire
indispensable. Et en hypnothérapie, la renommée du thérapeute (effet d’aura),
une position haute, peuvent être parfois très thérapeutiques. Cela peut même
inclure dans certains cas l’usage de la pensée magique si elle est très présente
chez le patient.
Ces attentions langagières vont générer une influence positive, bénéfique, car
elles vont augmenter l’estime de soi et la confiance dans les ressources.

Reformulations et recadrages
!

De même, les reformulations et les recadrages, permettent au patient de mieux


cerner ce qu’il a réussi, mais aussi de minimiser ou d’écarter certains paramètres
de sa problématique, tout en l’amenant à considérer ses ressources. Comme un
zoom, une mise au point de plus en plus précise sur l’objectif de changement.
Car il arrive très fréquemment que, lors de la description d’une situation, le
patient se mette à faire des liens inutiles ou des suppositions infondées qui
alourdissent le problème et aggravent son état émotionnel. Plus le thérapeute
améliorera la mise au point, plus cela sera bénéfique pour le patient.
Cela peut être fait très simplement par des propositions telles que :
➙ Si j’ai bien compris...,
➙ Pour être sûr de bien comprendre...,
➙ Est-ce que, si je reformule ainsi, cela vous convient, correspond à votre objectif ?
Interactions langagières 53

Le psychologue Carl Rogers a abondamment promu l’usage de ces reformulations.


La notion de recadrage a été élaborée par Paul Watzlawick et son équipe : il s’agit
d’une intervention langagière destinée à modifier la signification. Par exemple,
avec un patient qui se lamente d’aller plus mal : « Une rechute est toujours une
opportunité pour solutionner une difficulté qui n’a pas été prise en compte »
Dans une perspective ericksonienne, les approches solutionnistes (comme évoqué
précédemment) sont orientées vers ce qui marche, ce qui est utile, et non vers le
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problème et sa description. Milton Erickson considérait que le rôle du thérapeute
est, plus que de supprimer le problème (il conseillait d’ailleurs d’en laisser tou-
jours un peu !), d’amplifier ce qui va bien, rejoignant en cela les principes de la
médecine traditionnelle chinoise. Cette orientation solution permet une commu-
nication bénéfique pour le patient, en imprégnant la relation thérapeutique d’un
climat de réussite. Cet aspect du langage qui augmente, valide, amplifie « ce qui
marche », influence le changement attendu en permettant de faire expérimenter
au patient le sentiment d’être capable.
Il peut donc parfois être nécessaire d’interrompre les descriptions du problème
par le patient pour les recentrer sur des moments plus utiles au patient, en
centrant l’interrogatoire sur les moments où il n’y a pas ou peu de symptômes.

C OMMUNIQUER DE FAÇON FLUIDE

Un discours qui coule musicalement


!

Une bonne fluidité du discours du soignant contribue à une qualité d’écoute


optimale de la part du patient, et donc à une communication de qualité. La
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

notion de fluidité fait appel à différents éléments de la communication qui


sont la musicalité de la conversation, des paroles, la prosodie, ainsi que l’accor-
dage patient-thérapeute (via l’empathie et les neurones miroirs) qui donne le
sentiment d’être compris et que « c’est fluide entre nous ».
La conversation, les échanges verbaux, les récits, comportent un rythme, une
musicalité, une dynamique. Les humains sont très tôt sensibles à la voix, à son
aspect mélodique et chantant, ainsi qu’au rythme des paroles prononcées par les
adultes, la particulièrement la mère, ainsi qu’en attestent de nombreuses études.
Ces paroles rassurantes, affectueuses, prononcées avec un ton de voix parti-
culier et à un rythme adapté favorisent l’apaisement et/ou l’endormissement
du nouveau-né, créant une sorte de bercement vocal. Cela ancre ou favorise le
sentiment de sécurité et l’attachement sécure à ce parent qui nous berce à la
54 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

fois physiquement, mais aussi mélodiquement. Ce bain de langage, de parole,


permettra à l’enfant de reconnaître la voix de ses parents, mais aussi d’apprendre,
par imitation, lui aussi à parler. Il suffit d’observer un enfant qui commence à
vocaliser pour percevoir ses tentatives, d’abord infructueuses, puis de plus en
plus réussies, pour reproduire une mélodie qui ressemble au rythme d’une phrase
ou d’une conversation.
Nous conservons à l’âge adulte, avec des variations individuelles, cette sen-
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sibilité auditive aux paroles et à la voix, au bercement, à l’effet produit par
certaines intonations : l’enthousiasme pour certains chanteurs/chanteuses, ou
acteurs/actrices tient autant à la performance vocale que tout simplement à la
chaleur ou la sympathie, l’enveloppement contenu dans la voix. Et la langue
française se prête tout spécialement à générer une prosodie particulière.
Le thérapeute va donc chercher à générer cette musicalité dans son discours,
aussi pour donner un rythme, une dynamique à la consultation :
➙ D’une part dans les caractéristiques vocales. Si le thérapeute adopte une voix
forte et dynamique, cela produira un certain effet interactif et tonique. S’il
adopte en revanche une voix basse, calme, et lente, cela pourra favoriser
l’introspection ou augmenter l’attention de l’interlocuteur qui apprécie de
continuer à entendre une voix douce.
➙ D‘autre part, il en est comme dans une partition où, entre les notes, les
moments mélodiques, sont inclus des pauses et des silences qui donnent toute
leur singularité à ces moments. Jouez un concerto de Mozart au piano sans
les pauses et vous perdrez toute respiration, toute sensibilité pour n’obtenir
qu’un amas de notes sans âme, ou du moins sans génie musical. Comme en
musique, le discours du thérapeute doit inclure ces pauses, ces silences, qui
permettent à la fois de prendre le temps pour l’intégration des messages
thérapeutiques, mais aussi de les mettre en valeur.

Le thérapeute doit donc créer et jouer sa propre partition musicale lors de ses
échanges avec son patient, en étant porté par son intention thérapeutique.
Progressivement, le patient va entrer dans cette musicalité, et jouer lui aussi un
ou plusieurs mouvements musicaux, générant ainsi un espace, voire une transe
commune au patient et au thérapeute.
Une autre métaphore utile et bien connue des orthophonistes, lorsque l’on
évoque la fluidité du langage et de la communication, est celle de l’eau et de
son écoulement. Une même rivière peut avoir des variations dans son débit,
sa largeur, sa déclivité, en fonction des variations de terrain sur lesquels elle
s’écoule. Parfois rapide et tonique, parfois lente, parfois avec un faible débit...
Interactions langagières 55

Cette métaphore est particulièrement utile pour le thérapeute qui s’observe dans
sa relation thérapeutique : ma rivière conversationnelle est-elle forte, ou douce,
lente ou rapide ? Est-ce mon intention ? Cela sert-il mon but thérapeutique ?
Faut-il que je rajoute quelques pierres à la rivière pour en diminuer le débit car
le patient n’a pas le temps d’intégrer les suggestions proposées ? Cette attention
particulière est nécessaire, tant lors de séances d’hypnose formelle que lors
d’hypnose conversationnelle. Et en hypnose viendra se rajouter à cette notion
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de musicalité celle de respiration. Le thérapeute pourra utiliser le rythme respi-
ratoire de son patient, entre autres, pour induire cette musicalité et favoriser la
diffusion de message thérapeutique.

Compréhension et empathie
!

Cette notion de fluidité dans les interactions langagières amène à celle de


compréhension et d’empathie. De nombreuses expressions traduisent ce besoin
de proximité dans la conversation, notamment vis-à-vis d’un interlocuteur dont
on est proche sur le plan affectif et/ou dont on souhaite se sentir compris :
➙ On est sur la même longueur d’onde,
➙ C’est fluide, c’est cool, c’est sans prise de tête,
➙ La parole circule (pour une famille).
Cette fluidité-là repose sur la sensation que, si l’on doit tout expliquer, tout
réexpliquer, cela va alourdir l’interaction d’une part, et va aussi amener à un
désintérêt pour la conversation et l’objectif initial de cette conversation.
Par exemple, si vous tentez d’expliquer à votre conjoint en quoi ce magnifique
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paysage vous émeut et qu’il ne comprend pas, cela amène assez généralement à
un : « Laisse tomber, tu comprends pas » au bout d’un temps variable et indexé
sur la patience des protagonistes.
Pour obtenir sur le plan thérapeutique une communication fluide qui donne le
sentiment de partage et de validation du ressenti et des émotions, il faudra mobi-
liser les différents éléments abordés dans ce chapitre, mais aussi d’autres notions,
évoquées ailleurs dans ce livre, relatives à empathie et la synchronisation à
l’autre.
56 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

T ENIR COMPTE DES NIVEAUX DE CONSCIENCE

Repérer les fluctuations


!

Nous connaissons tous des fluctuations de notre niveau de conscience, allant


d’un état de conscience attentive à un état de transe, dissociatif, au cours d’une
même journée. Elles nous permettent de nous concentrer sur une tache, ou bien
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de nous régénérer et nous reposer, d’accéder spontanément à nos ressources. Ces
fluctuations s’opèrent naturellement, sans que l’on réalise une action particulière
pour cela. Cela correspond notamment aux cycles ultradiens qu’Ernest Rossi a
beaucoup popularisés dans le milieu des hypnothérapeutes.
On peut aussi, bien sûr, influencer la survenue de ces fluctuations par la pratique
de l’autohypnose. Celle-ci permet d’induire un état de transe à un moment où
notre organisme n’en a pas particulièrement besoin en tant que tel.
Lorsque nous communiquons, nous entrons en interaction avec l’autre en étant
dans un certain état de conscience, à un instant précis. Si nous nous trouvons
dans un état de dissociation légère, voire profonde, cela peut amener de la part
de notre interlocuteur, qui lui est à un niveau d’association élevé, différentes
réactions du type : « Tu es dans la lune », « Tu ne m’écoutes pas », « Tu as oublié
ce que je t’ai dit ».
On peut imaginer le comique d’une conversation entre deux interlocuteurs disso-
ciés sans avoir en être conscients, et qui tentent de discuter sérieusement. Il
pourra s’ensuivre une amnésie partagée de la séquence de communication, ou
une impression chez l’un d’avoir parlé d’un sujet pendant que l’autre pourra être
persuadé d’avoir parlé d’autre chose.
De même, au cours d’une séquence de communication, notre attention varie,
et aussi notre degré de conscience. Entrer en communication avec l’objectif de
délivrer un message thérapeutique repose donc sur la nécessité de repérer dans
quel état de conscience se trouve l’interlocuteur, et dans quel état on se trouve
soi-même en tant que thérapeute.
Pour métaphoriser ces états de conscience, on peut se représenter par exemple
le conscient comme un cavalier, et l’inconscient1 comme son cheval. En fonction
des personnalités et des moments de la journée :

1. L’inconscient, dans l’approche ericksonnienne, qualifie une partie de nous qui contient notre
potentiel de ressource et de compétence. C’est une partie, dans le langage hypnotique, qui est
100 % positive et bienveillante à notre égard, et qui sait ce qui est bon pour nous, qui sait prendre
soin de nos besoins.
Interactions langagières 57

➙ parfois le cavalier est pleinement aux commandes du cheval, sans laisser


d’autonomie à celui-ci,
➙ parfois le cheval conduit pendant que le cavalier se repose,
➙ parfois les deux coopèrent et travaillent en harmonie.
On délivrera donc un message adapté, en fonction de si l’on souhaite s’adresser
au cheval, au cavalier, ou à un binôme cavalier-cheval équilibré.
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Car le thérapeute peut choisir délibérément de s’adresser à l’inconscient de son
patient (ce que permet l’hypnose), quand bien même le patient est sur un mode
« cavalier ».

« S AISIR » LES MOMENTS DISSOCIATIFS

Le thérapeute doit pouvoir repérer lors de l’entretien thérapeutique les fluctuations


de l’état de conscience de son patient. Lorsqu’il peut repérer un moment d’intériorité,
de ralentissement, de fixité du regard par exemple (car d’autres phénomènes hypno-
tiques peuvent se produire lors d’un échange thérapeutique), il pourra alors profiter
de l’opportunité pour glisser des suggestions hypnotiques, des messages qui viendront
s’adresser directement à l’inconscient du patient pour favoriser une entrée en transe,
pour induire une transe, ou tout simplement pour permettre au patient de prendre
conscience de la pertinence de ces ressources. Ces moments d’hypnose conversa-
tionnelle suivent un certain rythme propre à chaque patient, mais se reproduisent à
plusieurs moments d’un entretien. Les repérer et les favoriser est d’une grande aide
pour la thérapie.

Utiliser la dissociation
!
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Par ailleurs, certaines problématiques créent de la dissociation. C’est le cas


notamment des angoisses et des traumas. Le patient traumatisé arrive dans un
état déjà dissocié, et le thérapeute s’adressera alors directement à l’inconscient
du patient. Il pourra aussi faire le choix d’aider ce patient à se réassocier pour
amener la conversation thérapeutique vers un niveau plus conscient.
Repérer ces niveaux de conscience est par ailleurs utile au-delà des suggestions
ou des choix thérapeutiques. Car, dans un état de transe :
➙ l’inconscient ignore les négations. Par exemple : « Ne fumez pas » suggère de
fumer. Seul le mot encadré par ces négations est entendu ;
➙ le littéralisme augmente : il existe moins de « second degré », les mots sont
pris pour ce qu’ils sont.
58 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

Le thérapeute devra donc adapter son vocabulaire et ses formulations pour


s’adresser directement à l’inconscient du patient de façon sécurisante, confor-
table, et conçue pour délivrer un message thérapeutique qui sera entendu et
décodé convenablement.

C OMMUNIQUER POUR MOTIVER


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Changer de niveau
!

Communiquer de façon thérapeutique sert aussi à motiver, encourager, soutenir


le patient dans sa démarche de changement et dans les efforts qu’il produit pour
obtenir celui-ci. On sait à ce sujet que la motivation du patient est le premier
facteur pronostique positif (cf. chapitre précédent) pour un soin visant à une
modification de comportement. Obtenir et maintenir un changement, quel que
soit le moyen thérapeutique, est toujours le fruit d’une motivation personnelle
forte.
Les notions d’efforts et d’apprentissages actifs sont au cœur de la thérapie, et
plus particulièrement de l’hypnose ericksonienne. Bon nombre de métaphores
utilisées par Erickson lui-même reposent sur des apprentissages précoces tels
que la marche ou la lecture, et les efforts qu’il a fallu fournir corporellement ou
intellectuellement pour que cet apprentissage s’opère.
De façon métaphorique, on pourrait dire que lorsque l’on cherche à transformer
de l’eau en vapeur d’eau dans sa cuisine, c’est-à-dire à obtenir un changement
d’état, encore appelé « changement de niveau 2 » (dans le cas de la vapeur d’eau,
une transformation physique), il faut savoir patienter et se retenir d’éteindre
le feu sous la casserole tant que l’état de vapeur n’est pas obtenu, car on
risque sinon de n’observer qu’un « changement de niveau 1 » (de l’eau en eau
bouillante, c’est-à-dire sans changement d’état des molécules d’eau).
Motiver consiste donc, pour filer cette métaphore, à (entre-autre) aider le patient
à ne pas éteindre le feu. Savoir l’encourager à maintenir ses efforts, à observer les
plus petits signes de changement (l’eau qui frémit, quelques volutes de vapeur
qui apparaissent), à ne pas céder à l’impatience et à l’impulsivité en arrêtant
le gaz ou en envoyant promener la casserole, repose aussi sur la croyance, la
certitude absolu que le changement va survenir, dès lors que l’on a mis en place
ce qu’il fallait pour y arriver (c’est-à-dire s’assurer au préalable que le patient a
bien de l’eau, une casserole et un feu, pour rester sur cette image).
Interactions langagières 59

Cette certitude s’ancre sur la conviction que l’inconscient ericksonien est bien-
veillant et dispose de toutes les ressources dont le patient a besoin pour y
arriver, et que seul le paramètre du temps compte : le thérapeute ne sait pas
quand le changement va se produire, mais il est sûr qu’il va se produire.

Complimenter
!
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Motiver repose également sur ce que les thérapies brèves appellent les compli-
ments (cf. chapitre 10). Certains patients n’ont jamais été complimentés pour
leurs qualités, leurs réussites, que ce soit par leur famille, ou leurs enseignants
et autres éducateurs. Plus encore, ils ont été découragés par ceux-ci. Utiliser
largement les compliments, verbaux (d’un modeste « Super ! » à un enthousiaste
« C’est génial, vous avez réussi, bravo ! ») ou non verbaux (tels que des sourires,
applaudissements ou tirer son chapeau) permet d’entretenir la motivation au
changement. Nous avons tous besoins d’être motivés, encouragés dans nos
processus d’apprentissages et de changement, et les enfants sont les premiers
à y être sensibles. Cela renforce l’estime de soi du patient, entretient l’alliance,
valorise les efforts fournis comme efficaces.
Motiver consiste également à pointer, à aider à faire ressortir les expériences
réussies. Soutenir l’effort par des métaphores d’apprentissages réussis dans l’en-
fance (qui, comme nous l’avons dit sont des métaphores classiques d’Erickson,
comme celle de l’enfant qui apprend à marcher, l’acquisition de la lecture, le
vélo etc.), permet à la fois de valoriser la capacité à apprendre, la capacité à
avoir réussi, mais permet également de reprendre conscience des efforts faits et
de la nécessité de garder en tête l’objectif. Si l’enfant qui fait ses premiers pas
n’était pas animé par une volonté physique, farouche de marcher, nul doute qu’il
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renoncerait dès les premières chutes. Or cette métaphore est très efficace, car
nous avons tous appris à marcher avec succès. Nous sommes donc tous capables
de déployer les mêmes efforts, et la communication hypnotique va permettre ce
transfert de compétence à la situation qui est vécue dans le présent (notion de
« pont »).
Par ailleurs, motiver peut également consister à aider le patient à prendre
conscience de la notion d’étape dans la thérapie et le changement. En effet,
certains patients perfectionnistes ou dépressifs (ou les deux, car souvent le
perfectionnisme est une voie d’entrée classique pour la dépression), ne réalisent
pas les progrès déjà effectués, en étant centrés uniquement sur le résultat final,
l’objectif ultime. Or ce dernier est parfois difficile à obtenir ou nécessite du
60 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

temps, et négliger les étapes intermédiaires de changement entraîne rapidement


un découragement.
Il est donc recommandé d’utiliser des métaphores incluant :
➙ la notion d’étapes : comme la randonnée par exemple, qui nécessite de passer
chaque soir une nuit au refuge pour arriver à la destination finale ;
➙ ou des critères de maturation ou d’évolution cachée, tels que l’iceberg dont on
ne voit que la face émergée, mais dont la partie immergée est la plus impor-
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tante, ou le potager (il se passe beaucoup de choses utiles dans la terre en
préparation, qu’on ne voit pas mais qui permettent à des légumes superbes de
pousser). Ils permettent d’introduire la notion d’étape ou de temps nécessaire
d’intégration avant le changement et donc de créer un vocabulaire commun
au patient et au thérapeute (à la consultation suivante on pourra simplement
demander où en est la préparation de la terre), renforçant ainsi l’alliance et
maintenant la motivation.

Porter une attention particulière au langage est donc, comme nous l’avons vu néces-
saire au thérapeute pour l’établissement, la création, le maintien de la relation théra-
peutique, mais aussi pour permettre au patient d’atteindre ces objectifs de changement
et d’expérimenter une relation bénéfique et bienveillante.

B IBLIOGRAPHIE

ISEBAERT L., CABIE MC. (1997), Pour une thé- WATZLAWICK P., WEAKLAND J., FISCH R. (1974),
rapie brève. Le libre choix du patient comme Change: Principles of Problem Formation and
éthique en psychothérapie, ERES, Paris, réed. Problem Resolution, Norton, New York Trad.
2015. Fr. Changements. Paradoxes et psychothérapie,
MELCHIOR T. (1998), Construire le réel. Hypnose Seuil, Paris, 1975 Réed. Point Seuil 1981.
et thérapie. Couleur Psy, Seuil, Paris. WATZLAWICK P. (1976), How Real is Real?, Nor-
ROGERS C. et KINGET G.M. (1962), Psychothéra- ton, New York Trad. Fr. La réalité de la réa-
pie et relations humaines. Théorie de la thérapie lité. Confusion, désinformation, communication,
centrée sur la personne, Beatrice-Nauvelaerts, Point Seuil, Paris, 1978 Reed. Point Seuil 1984.
Louvain Réed. ESF, Paris, 2013.
Chapitre 4

Relations et alliances
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Antoine Bioy

L ES HUMAINS sont des Êtres relationnels : toute notre construction et notre


parcours se font en lien avec les autres. La relation est donc une dimen-
sion clef lorsque l’on parle d’accompagnements, de suivis thérapeutiques, de
psychothérapies, que le cadre soit celui centré autour du soin ou d’un enjeu
psychologique. Poser l’importance de la relation est en fait poser la question
de l’influence : qu’est-ce qui, dans le contact avec l’autre, modifie chacune des
personnes en lien, même si d’apparence, il n’y a pas d’échanges ? L’enjeu de ce
chapitre est d’offrir un regard sur la relation, c’est-à-dire l’influence, pour montrer
en quoi cette relation est au cœur de tous les processus communicationnels et
de changement.
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T RAVAIL DE LA SUGGESTION, TRAVAIL DE L’ INFLUENCE

Comprendre la suggestion
!

Lorsque l’on demande à quelqu’un « Ferme la fenêtre s’il te plaît », « Pourrais-tu


fermer la fenêtre juste derrière toi ? », « J’ai un peu froid, il y a comme un
courant d’air, tu ne trouves pas ? », il s’agit de trois variations autour d’une
même figure de style : la suggestion. On la trouve ici de la forme la plus directe
(ordre) à la forme la plus permissive (suggestion indirecte, d’autant plus appuyée
que l’on regardera la fenêtre en la prononçant). La suggestion est donc une
forme de langage, par ailleurs porteuse d’un désir de mouvement, d’actes : on
62 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

souhaite que quelque chose se produise et on l’exprime. En cela, on pourrait dire


– à la suite de Freud – que la suggestion est le véhicule du principe d’influence :
en l’exprimant, on favorise la survenue de quelque chose chez l’autre (ici l’acte
de fermer la fenêtre qui ne serait pas venu, ou en tout cas pas à ce moment
précis, si je n’avais pas influencé sa survenue en formulant mon désir sous la
forme d’une suggestion). La suggestion est, comme on s’en doute, une figure
très banale de toute communication humaine, y compris dans le cadre d’un
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suivi en santé. D’ailleurs, le simple fait de recevoir un patient répond déjà à la
suggestion que l’on pourrait quelque chose pour l’autre...
Si le terme de suggestion est apparu au XIIe siècle, il faut cependant attendre
Hippolyte Bernheim (1840-1919), agrégé de médecine, pour que soit réellement
conceptualisée la notion de suggestion. Il la décrit comme faisant partie de la
dynamique psychique de tout individu, participant tant de la vie normale comme
pathologique. Ainsi, il écrit en 1884 :
« Les phénomènes suggestifs ont leurs analogues dans la vie normale et patho-
logique ; la nature les produit spontanément. Les paralysies, les contractures,
l’anesthésie, les illusions sensorielles, les hallucinations, se réalisent dans le som-
nambulisme naturel, dans l’hystérie, dans l’aliénation mentale, dans l’alcoolisme,
dans d’autres intoxications ; ils se réalisent chez nous tous dans le sommeil normal ;
endormis naturellement, nous sommes tous suggestibles et hallucinables par nos
propres impressions ou par les impressions venant d’autrui. »

Bernheim va proposer la définition de la suggestibilité, que nous vous proposons


de conserver, tant elle est toujours d’actualité :
« La suggestibilité, c’est l’aptitude du cerveau à recevoir ou évoquer des idées et
sa tendance à les réaliser, à les transformer en actes. » (Bernheim, 1911, p. 18)

Il ajoutera plus tard :


« En toutes circonstances le cerveau psychique intervient activement, chacun
suivant son individualité pour transformer l’impression en idée et pour élaborer
celle-ci ; chaque idée suggère d’autres idées et ces idées se transforment elles-
mêmes en sensations, émotions, images diverses : cette association d’idées, de
sensations, d’image aboutit à une synthèse suggestive que chaque individualité
réalise à sa façon. » (Bernheim, 1916, p. 27)

On voit combien, dès cette première description, suggestion et influence sont


liées, et combien la suggestion est porteuse d’une intention, d’un désir, que
quelque chose se produise. Une fois cette simple intention exprimée, mise en
œuvre, des transformations peuvent avoir lieu qui sont de nature différente :
sensations, émotions, cognitions...
Relations et alliances 63

Mais d’où vient cette suggestion, porteuse d’influence ? Selon Bernheim toujours
(1884), la suggestion trouverait son origine dans le lien mère/nourrisson : dans
les interactions premières et dans la notion de relation qui se bâtit dès ce jeune
âge. En percevant, et en percevant en relation à l’autre, on apprend le monde
et on apprend à modifier le monde qui nous entoure. La suggestion obéirait par
ailleurs à la loi qu’il nomme idéodynamisme, soit la tendance d’une idée à se
traduire en acte (1907), ce qui, pourrait-on dire, est ce qui donne une dimension
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« tangible » à la suggestion, qui ne resterait pas au statut de percepts ou de
mots, mais qui prendrait littéralement corps dans l’expérience globale du sujet à
un moment donné de son existence.

De Bernheim à Freud
!

L’empreinte de Bernheim sur Freud est indéniablement importante, puisque c’est


Bernheim qui a ouvert à Freud la compréhension d’une primauté psychologique
plutôt que physiologique sur certains troubles (comme l’hystérie), et qu’il lui a
permis de conceptualiser la méthode des associations libres (Freud, 1925). Mais
c’est aussi parce que Bernheim a confondu hypnose et suggestion que Freud a
dit un temps s’éloigner de l’hypnose (en fait, du principe de suggestion) alors
qu’il continua à s’intéresser voire à pratiquer l’hypnose jusqu’à la fin de sa vie
professionnelle (Bioy et al., 2005 ; Bioy, 2008). Tout le paradoxe est là : Freud
était beaucoup moins à l’aise que Bernheim avec la suggestion, souhaitant même
l’écarter des suivis thérapeutiques. Pour se faire, Freud pensa trouver une solution
à la suggestion en lui substituant la notion de transfert : à l’influence anarchique
et non contrôlable de la suggestion, répond une dynamique transférentielle qui
semble – elle – être analysable, ce qui en fait un levier thérapeutique fiable. Pour
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

autant, Freud eut une attitude pour le moins ambiguë concernant la suggestion
et il ne la rejeta pas si radicalement que cela, et va même y revenir partiellement1
(Fiorentini, 2002). On pourrait certes un peu rapidement synthétiser les choses
ainsi : trop de suggestions est néfaste à la dynamique thérapeutique, mais elle
ne saurait pour autant être totalement écartée.
D’ailleurs, Ferenczi et Rank proposent de l’intégrer explicitement au travail psy-
chanalytique (1924). La question reste cependant toujours épineuse (Neyraut,
2004 ; Roussillon, 1992 ; Roustang, 1980 ; Roustang, 1991) avec un consensus
pour bien distinguer ce qui relèverait de la suggestion par rapport au principe

1. Dont évidemment sa célèbre phrase de 1918 au congrès de Psychanalyse de Budapest où il


reconnaît qu’il est parfois nécessaire de mêler l’or pur de l’analyse au cuivre de la suggestion.
64 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

de sujétion (rapidement dit, d’emprise : Le Guen, 1986). Despland, quant à


lui, fait une distinction fine entre suggestion et persuasion dans l’approche
freudienne, tout en arrivant à la même conclusion : la place de la persuasion
dans la cure analytique n’est pas encore à ce jour totalement élucidée (Despland,
2008). Autrement dit, lorsqu’on souhaite l’éviter en « inventant » de nouvelles
figures de style (transfert, interprétations psychodynamiques...), on ne fait en
fait qu’en masquer l’usage, mais le principe actif, l’influence, reste à l’œuvre.
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Toute la question est donc de savoir jusqu’où aller dans l’influence, à quel
moment suis-je dans les bénéfices ou dans l’influence aveugle, sauvage, voire
non intentionnellement malveillante ? Le corollaire à ces questions est celle de
se demander jusqu’où aller dans le « masquage » de l’influence que l’on exerce ;
cela est abordé au premier chapitre de cet ouvrage.

La suggestion est-elle éthique ?


!

La suggestibilité est considérée actuellement comme un trait de personnalité1 .


Bernheim l’avait suggéré, et en effet nos travaux semblent bien montrer qu’il
existe un lien entre suggestibilité et relations précoces2 , et particulièrement
entre la dimension sécure/insécure des premiers liens et la capacité du sujet
à répondre au principe de suggestion. Par ailleurs, le rôle de la suggestion
dans le processus de mémoire est particulièrement étudié, avec notamment un
intérêt pour la question du témoignage en justice et de la façon dont un récit
peut être modifié par les questions de l’interviewer. Également, certains auteurs
expliquent en grande partie l’éclosion du diagnostic de « personnalité multiple »
à la façon dont les entretiens sont menés avec les patients, et notamment
de l’influence exercée par les questions posées, autrement dit le principe de
suggestion (Mulhern, 1995). Ces quelques illustrations montrent bien la place
de la suggestion dans nos vies psychiques et relationnelles, simplement car
elle serait constitutive de l’individu lui-même, patiemment construite au fil du
développement de la personnalité normale ou pathologique.

1. Elle est notamment mesurable par les échelles dites de Stanford, et plus récemment par la Mul-
tidimensional Iowa Suggestibility et la Short Suggestibility Scale. Les enfants ont particulièrement
fait l’objet d’études, montrant leur haut niveau de suggestibilité (influence des pairs et du groupe,
influence des questions répétées d’autant plus qu’elles sont directives, tendance à se conformer
aux attentes des adultes à leur égard).
2. Travaux de recherche en cours de réalisation, avec des premiers résultats formalisés au moment
de la rédaction de cet ouvrage.
Relations et alliances 65

Bien que très présente dans nos vies, la suggestion est entachée depuis le
XIIe siècle d’une réputation sulfureuse (Bloch et Von Wartburg, 1932). De quoi
a-t-on exactement peur lorsque l’on parle de suggestion ? Essentiellement qu’elle
serait porteuse d’un principe d’influence dont la forme, insidieuse, diminuerait
voire annihilerait le libre arbitre de celui qui en serait le destinataire. Le patient
serait alors mis peu ou prou sous le joug du professionnel, car il serait incapable
du discernement nécessaire pour faire la part des choses entre une relation à
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l’influence mesurée et une relation d’emprise. En fait, la question qui se pose
ici est finalement celle des limites (d’un exercice professionnel, d’un acte de
communication, d’une interrelation) et celle de l’intention de celui qui énonce la
suggestion. Clairement, les limites doivent rester celles dictées par la profession
(aspects légaux et réglementaires), en construisant un cadre professionnel adé-
quat (Bioy et Maquet, 2003). Concernant la question de l’intention, on pourrait
reprendre la célèbre métaphore du briquet : le même instrument peut allumer
une bougie d’ambiance ou un feu de forêt dévastateur. Est-ce le briquet qui
est réellement à blâmer ou l’intention de celui qui l’emploie ? Autrement dit,
est-ce l’influence qui est à observer ou les intentions de celui qui la formule ? Ce
n’est donc pas la suggestion qui est un instrument non éthique mais la possible
attitude du professionnel ayant peu de recul sur sa pratique, ne s’interrogeant pas
sur sa démarche thérapeutique, ou bien sûr qui serait volontairement malveillant.
Le danger ne vient pas de cet outil de communication mais de celui qui l’emploie.
Et ce serait un bien mauvais procès que de penser que la seule suggestion est
négative en soi, même s’il est encore de bon ton de devoir parfois justifier son
usage notamment en médecine (Shamy, 2010).
Bernheim écrivait en 1884 :
« Entre la suggestion fatale et la détermination absolument volontaire, tous les
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

degrés peuvent exister. Et qui pourrait analyser tous les éléments suggestifs qui
interviennent à notre insu dans les actes que nous croyons issus de notre initiative !
Volonté, libre arbitre, responsabilité morale : graves et palpitantes questions !
Pénible doute philosophique qui étreint la conscience humaine ! »

De ce que nous avons dit précédemment, on peut donc conclure que si l’écoute et
l’analyse de la suggestion ne sont pas faites, c’est au risque que cette dernière ne
devienne sujétion, c’est-à-dire l’expression d’une maîtrise, d’un contrôle aveugle
du praticien envers le patient. « Douter » est probablement le grand principe
éthique qui agit comme une vigie à ce risque de débordement aveugle d’in-
fluence. Le questionnement par rapport à ses intentions, des moyens en œuvre,
et un certain regard réflexif à distance de la consultation elle-même, permettent
d’éloigner ce risque de débordement qui peut, précisons-le, être suscité par le
66 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

patient lui-même, du fait d’une souffrance qui empêche d’avancer seul ou par
inclination personnelle vers un besoin de support. Ce qui se dessine est donc la
nécessité d’une démarche éthique, d’une interrogation première sur l’influence
que l’on exerce et celle que l’on reçoit, et qui justifie notamment qu’au moins
les premiers pas dans la vie professionnelle « des psy » soient accompagnés
par d’autres professionnels plus expérimentés (supervisions, intervisions) et que,
pour tous les praticiens, des dispositifs soient pensés tout au long de la vie
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professionnelle pour penser la relation au travers de la question de l’influence
(groupes Balint, d’analyse psychodynamique de la pratique...).

LA SUGGESTION EN MÉDECINE

La suggestion est présente dans de très nombreuses situations et actes dans le champ
de la médecine. Il est maintenant montré que les mots employés par des soignants
vont avoir un impact sur l’état mental du patient, notamment au décours d’une pro-
cédure de soins (Lang, 2005 ; Richter et al., 2010). Ainsi en est-il par exemple de ce
rituel de la consultation qu’est la prescription. En effet, la prescription est le véritable
prolongement du médecin et de la relation de soin qui s’est nouée (et qui peut concer-
ner les liens entre le patient et une équipe). Elle suggère notamment au médecin que
quelque chose a bien été fait et que le changement peut survenir (effet rassurant).
Également, lorsque le patient paie, cela suggère que ce qui devait être fait l’a été et
que l’expertise n’a plus besoin – temporairement – de se poursuivre. Toute annonce
médicale (diagnostic, pronostic) est aussi modulée par les suggestions faites, la forme
prise par les mots et les idées ; également, demander au patient d’évaluer ce qui
va mieux ou de ce qu’il a récupéré n’est pas la même chose que de lui demander
d’évaluer où en est sa douleur ou ses incapacités. La suggestion de mieux-être est plus
importante dans le premier cas que dans le second. Enfin, l’effet placebo est le lieu
même de la suggestion. L’acte mis en œuvre induit des attentes, un désir, un décorum
propice à l’apparition d’effets qui ne sont pas attribuables à la seule molécule prise
(Bioy et Fouques, 2009). Là comme ailleurs, la suggestion étant inévitable, la question
n’est pas tant de s’en prémunir que de ne pas influencer négativement. Il s’agit donc
de pouvoir développer des modalités d’analyse autour de sa propre pratique pour ne
pas être dans quelque chose de l’ordre d’une stratégie d’emprise sur l’autre.

L’autosuggestion, une relation de soi à soi ?


!

Émile Coué est sans doute la personne qui a le plus travaillé la notion d’auto-
suggestion. Si sa pensée est souvent caricaturée, elle mérite en fait qu’on s’y
attarde du fait de la finesse de ses observations et de ses analyses. En parti-
culier, pour Coué, l’imagination est une notion centrale en pratique de santé,
Relations et alliances 67

car elle serait plus puissante que la volonté. Et ce qu’il entend exactement par
« imagination » est en fait un principe de visualisation créatrice. On peut aussi
le comprendre comme une capacité non seulement à anticiper, mais à créer par
anticipation une occurrence telle qu’on la souhaite. Pour cela, Coué propose une
méthode qui consiste à structurer cette visualisation créatrice dans un contexte
d’autosuggestions facilitantes. Les suggestions en question doivent être réalistes
pour pouvoir initier ou nourrir un changement. Ainsi la phrase « demain, je
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vais guérir » n’a pas de sens au regard de la méthode Coué. On lui préférera
une phrase comme « dès aujourd’hui et pour les jours à venir, je mobilise les
forces qui vont dans le sens de mon mieux-être ». Lorsque l’on accompagne le
patient pour qu’il se construise ses propres autosuggestions, cette question du
« potentiel réel » des phrases construites est capitale. En guise d’illustration,
rappelons la préconisation qui va rendre célèbre Coué :
« Tous les matins au réveil et tous les soirs, aussitôt au lit, fermer les yeux et, sans
chercher à fixer son attention sur ce que l’on dit, prononcer avec les lèvres, assez
haut pour entendre ses propres paroles et en comptant sur une ficelle munie de
vingt nœuds, la phrase suivante : “Tous les jours, à tous les points de vue, je vais
de mieux en mieux”. »

Comme on le voit, il s’agit d’allier un contexte ritualisé, régulier, et cherchant la


dissociation, pour se délivrer une suggestion afin de faciliter un processus auto-
thérapeutique. La pratique de l’autohypnose venait de naître, à partir de cette
pratique d’autosuggestion que l’on « s’administre » dans un contexte donné.
Pour autant, il serait naïf de penser que les mots auraient un pouvoir en soi, à
moins bien sûr de basculer du côté de la pensée religieuse, ou sorcière. En fait,
si les autosuggestions portent, c’est bien qu’elles ont été construites dans le
lien relationnel avec un thérapeute. En questionnant le patient sur son souhait,
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en travaillant avec lui la formulation d’une ou plusieurs autosuggestions, en


réfléchissant de concert au rituel qui permettra sa formalisation, on donne
une consistance thérapeutique et relationnelle à l’enchevêtrement de syllabes
qui seront prononcées une fois le patient plongé dans une situation propice
à recevoir les mots qu’il aura préparé pour lui-même, à deux. Autrement dit,
l’autosuggestion répond au principe de visualisation créatrice telle que formulé
par Coué, dans un cadre qui reste éminemment relationnel.

LA PRATIQUE DE L’ AUTOHYPNOSE

Avec Coué et ses autosuggestions naissaient l’autohypnose (entrer par soi-même dans
un état de conscience modifiée avec une intention thérapeutique – du moins dans
le cadre qui nous pour cet ouvrage). Cette pratique a finalement assez peu évolué
68 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

jusqu’à nos jours ; simplement, on comprend actuellement mieux ce qu’elle est et ce


qu’elle n’est pas. En particulier, on sait à présent que l’état hypnotique n’est pas une
thérapeutique en soi : il facilite des processus et stratégies mais n’a pas « d’action
propre » (Bioy & Wood, 2008 ; Spiegel, 2012). Son action réside dans le fait que
l’autohypnose prolonge la relation thérapeutique, la reconvoque.
Par ailleurs, l’autohypnose s’installe toujours dans une présence à l’autre. Ainsi, s’il
est possible par soi-même de se mettre en état de conscience modifiée de façon plus
ou moins intuitive et naturelle, pour autant cela ne suffit pas à définir l’autohypnose.
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Ce qui définit l’autohypnose est en effet ce cadre d’état de conscience modifiée, mais
dans lequel va prendre place « autre chose » qui a été travaillé dans la relation au
patient (dont les autosuggestions, comme nous l’avons vu).

A LLIANCE ET TRAVAIL THÉRAPEUTIQUE

De la perception jusqu’au viscéral


!

La relation, la démarche éthique qui accompagne la pratique d’influence, ne


prend évidemment pas place dans un contexte non spécifique et/ou banal. Il
s’agit d’une relation de travail où chacun des deux partenaires va être amené
à percevoir des choses de l’autre, de la situation dont il est question, etc.
Particulièrement dans des circonstances « hypnoïdes » (de laisser-aller et de
laisse faire ce qui est là), cette activité de perception constitue une première
expérience, que l’on pourrait qualifier de gratuite dans le sens où elle ne semble
pas avoir d’intention ni de valeur. Puis cette expérience va se secondariser, au
travers de la parole que l’on porte dessus, du récit que l’on en fait. Simplement
car ce qui en est dit non seulement sort du champ du ressenti pur pour être en
partie pensé, mais également car ce « pensé » est dit à un autre que soi. On
observe ce que l’on a perçu et on dit à l’autre le résultat de ce perçu. Il s’agit là
d’une élaboration complexe qui va tenir compte du contexte de la rencontre et
de ce que cette rencontre peut avoir d’évocatrice au moins pour soi, jusqu’à des
contenus pleinement transférentiels (que nous pourrions définir avec nos mots
comme la réactualisation de modalités relationnelles antérieures ; le transfert
sous-tend deux mécanismes : la régression et la projection). Tout ferait trace et
ces traces seraient susceptibles d’être ravivées dans certaines circonstances.
Ce cadre particulier de travail, dès lors qu’il convoque du relationnel, serait donc
« à risque transférentiel » dans le sens où, a minima, il convoque des schèmes
relationnels antérieurs, où même l’acte premier de perception a aussi à voir avec
la façon dont un nouveau-né organise le vivant en lui, au regard d’un extérieur
Relations et alliances 69

qu’il ne sait pas encore organiser, mais dont il perçoit la présence. Maintenant,
toute dynamique de cette nature ne demande pas à être l’objet spécifique d’une
attention, d’un travail voire à devenir « névrose de transfert ». C’est en cela où
nous entendons par exemple les propos de Jacques Palaci (1978) ou de François
Roustang (1994) qui énoncent que, dans certains dispositifs tels que l’hypnose,
le transfert ne se retrouve pas dans son registre névrotique, œdipien, et qu’il
y a quelque chose de plus premier à aller éveiller (dans la perception même).
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Dans ce schéma, il y a un « viscéral » qui s’organise en présence de l’autre où
émergent des pré-formes que l’on nommera au gré des évocations : intuition,
identifications primaires, synchronie émotionnelle, mouvements empathiques...
Comment organiser cela ?

L’alliance thérapeutique
!

Le terme d’alliance thérapeutique n’est que l’un des avatars permettant de


nommer, et donc d’analyser et de comprendre ce que l’on nomme autrement
« relation ». Elle n’est qu’un terme, un signifiant, et non une réalité, mais ce
terme a permis nombre de recherches pour comprendre les enjeux de la mise
en relation à vocation thérapeutique (psychothérapeutique ou dans un cadre
somatique).
Historiquement, la notion d’alliance thérapeutique est née dans le champ psy-
chanalytique ; et Freud fut un des premiers à affirmer la nécessité de mettre
en place une collaboration de travail avant toute autre forme d’action (dont
un travail sur le transfert). Cette alliance n’est pas thérapeutique à elle seule,
mais elle constitue un levier sur lequel le patient s’appuie pour adhérer au suivi
et ainsi investir et prolonger sa prise en charge (Bordin, 1979). Il faut sans
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doute voir l’alliance thérapeutique comme un processus, une mise en mouvement


vers un objectif fixé. Il s’agit d’une collaboration mutuelle, d’un partenariat,
voire d’une négociation entre le patient et le thérapeute dans le but d’accomplir
les objectifs fixés au cours d’une rencontre temporaire. Bordin, dès 1979, en a
identifié les 3 axes :
➙ des buts ou « goals » fixés par la rencontre, en lien avec la demande ;
➙ des tâches ou « tasks » à effectuer pour atteindre les buts fixés ;
➙ du lien ou « bond » : c’est la relation entre patient et intervenant.
Cette alliance agit comme un médiateur du changement ; elle commencerait à
se former lorsque le patient se sent compris par le praticien. Le cadre devient
alors sécurisant et contenant en présence de son interlocuteur, le sujet pouvant
70 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

exprimer des aspects de lui-même non identifiés jusque-là (Bachelart, 2012). La


notion de sécurité du cadre est sans doute l’une des dimensions reines, bien
plus que la notion de « confiance » pourtant souvent avancée. D’abord parce
que la confiance ne se décrète pas : seul le patient peut décider d’accorder ou
non sa confiance, mais le professionnel ne peut décider pour le patient s’il doit
avoir confiance en ce qu’il réalise dans le cadre de l’accompagnement. Également
car la confiance n’est pas un grand modulateur de l’alliance thérapeutique et
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par contre se trouve très sollicitée pour créer une relation... de domination
sur une personne que l’on souhaite soumettre ! Cette notion est tout autant
vraie lorsque l’on parle de communication hypnotique que de relation théra-
peutique plus formalisée. Schématiquement, on pourrait dire que communiquer
ne consiste pas à rentrer en relation avec un autre que soi, mais d’entrer en
relation avec un autre dans un cadre donné. La solidité ressentie de ce cadre va
influencer l’impact de la communication ; solidité qui peut dépendre de facteurs
aussi formels qu’une proximité physique propice à créer une « bulle » sans être
intrusive, l’expression d’un sourire d’ouverture, etc. Dans son ouvrage Presence
(2015), le Pr Amy Cuddy fait la synthèse de ses travaux qui ont notamment
démontré que, particulièrement en situation professionnelle, la compétence est
considérée comme la valeur reine de ce qui fait qu’un professionnel cherche
le plus souvent à montrer son tact, son intelligence, pour prouver qu’ils sont
compétents. En fait, elle montre que la rencontre est plus déterminée par deux
réponses qui surviennent assez rapidement chez un interlocuteur, celles aux
questions : est-ce que je peux avoir confiance en cette personne ? Est-ce que je
peux la respecter ?
L’important dans le cadre qui nous concerne est de comprendre que l’alliance
est avant tout une question de coopération : entrer en relation dans un cadre
thérapeutique est favorisé lorsque non seulement on partage un objectif avec
un patient, mais aussi une tâche avec lui ou elle. Par exemple, un dessin partagé
(comme le squiggle de Winnicott, particulièrement intéressant lorsqu’il est réalisé
dans un cadre hypnotique), une production narrative (nous incluons les contes
co-construits dans cette catégorie) ou encore un exercice de respiration ou de
visualisation que l’on fait en même temps que le patient. Cette notion nous
semble tellement fondamentale que l’on peut rappeler qu’elle est au cœur des
pratiques traditionnelles de transe : la transe du praticien accompagne (et sans
doute aussi nourrit) celle du patient, et cet élément est un vrai pivot pour se
rendre ailleurs, vers un différent, vers le changement. Dans nos sociétés, l’hyp-
nose et ses cousins (relaxations, sophrologie...) vont aussi vers cette notion :
être soi-même en état de conscience modifiée facilite le travail thérapeutique (et
Relations et alliances 71

dans certains cas, l’autorise). Les patients ne s’y trompent pas, et plusieurs sont
capables, en connivence avec le praticien, de « sentir » quand leur thérapeute
est « là » ou non, c’est-à-dire s’ils se laissent porter par la petite musique de
la transe dans un cadre partagé ou s’ils gardent une position plus « haute »,
autrement dit qu’ils ne quittent pas leur position de « sachant ». En communi-
cation thérapeutique, on sent « que l’on y est » lorsque l’on s’entend parler en
même temps que l’on parle, c’est-à-dire que l’on découvre ses paroles en même
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temps qu’on les prononce... Du côté du patient, l’observation permet de voir
si la communication thérapeutique est accompagnée par la transe légère qui
est attendue pour faciliter les processus : le regard qui regarde sans voir (part
« dans le lointain » avec une certaine fixité), l’articulation est plus difficile, une
certaine lenteur psychomotrice est là.
Dire cela amène une autre notion qui nous semble centrale : l’importance du
jeu dans les processus thérapeutiques. Comme nous le rappelons dans le cha-
pitre 5, la difficulté (la souffrance), devient une peine difficile à franchir car
elle s’accompagne d’une fixité, d’un phénomène de sclérose, de repli sur soi.
Autrement dit, une rigidité s’installe qui fixe les processus à l’œuvre. Retrouver
de la flexibilité par le jeu, on pourrait même dire retrouver la capacité à jouer,
est sans doute l’essentiel, le « carburant » du changement. Winnicott ne s’y
est pas trompé et a particulièrement étudié cette notion de jeu en lui donnant
une importance majeure dans la prise en charge de l’enfant, que nous pouvons
étendre en sécurité auprès des adultes. Nous pensons – à sa suite – que le
processus thérapeutique est en écho avec un potentiel de jeu. Nous pouvons
soutenir cela par la question suivante : si le jeu est un processus spontané,
naturel, qui transcende les cultures et les époques, n’est-ce pas simplement car
il serait un constituant du vivant ? Pour nous, la réponse est évidemment : oui.
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LE « PETIT THÉÂTRE DE L’ HYPNOSE »


Et si finalement on prend le principe que des thérapies comme l’hypnose ramènent
à un cadre perceptif analogue à celui du nourrisson vis-à-vis de son environnement
(tel que nous l’avons décrit), on peut aussi se dire que l’espace thérapeutique ins-
tauré a valeur d’espace transitionnel (premier « non-moi » que l’enfant peut investir
et posséder). Dans cet espace va se déployer le jeu qui permet de retrouver une
forme de toute puissance. Cette toute puissance est importante et même nécessaire à
l’hypnose : le patient doit croire au pouvoir du thérapeute pour s’installer dans le petit
théâtre de l’hypnose. Peu à peu, il va comprendre que tout le pouvoir est en lui, que le
potentiel dont il est question est le sien et non celui de l’autre qui accompagne. Cela
se fait notamment grâce à la pratique toujours très recommandée de l’autohypnose.
Cette dernière n’a pas de vertu en soi, si ce n’est qu’elle suggère indirectement au
72 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

patient qu’il peut faire des choses pour lui (mise en place de la position de sujet, en
sortant d’une forme de passivité et d’un sentiment d’impuissance) et de revisiter la
relation thérapeutique, cette fois en situant le pouvoir du côté de soi et non de l’autre.
En communication thérapeutique, le statut du praticien lui donne l’ascendant sur le
patient. Lorsque le patient possède une représentation de la pratique de l’hypnose,
alors il entre dans ce processus de « toute puissance » accordé à l’autre du fait de
la maîtrise de cette pratique toujours entachée de magie et de mystère quand bien
même l’hypnose ne serait pas formelle. Erickson avait observé que la réussite à des
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tests d’hypnotisabilité était meilleure si le patient savait qu’il s’agissait d’hypnose par
rapport à la situation où il l’ignorait. Gandhi et Oakley vont montrer là aussi que
cette connaissance améliore la façon dont les sujets trouvent des solutions aux tâches
proposées (2005).

Dans ce schéma emprunté à Winnicott, l’objet transitionnel serait la transe : un


potentiel porté par le thérapeute que le patient intériorise peu à peu jusqu’à
ne plus avoir besoin du chemin vers la transe, il l’a intériorisé. C’est cet objet
qui ouvre vers des expériences nouvelles. Winnicott « testait » d’ailleurs cette
capacité de jeu en attirant l’attention du jeune patient vers un objet brillant
sur son bureau et observait comment le patient en jouait (Winnicott, 1941).
Comment le patient se joue de la transe ? C’est aussi à observer et notamment,
comme nous le voyons à présent, son rapport à l’incertitude.
« Il ne faut jamais oublier que jouer est une thérapie en soi. Faire le nécessaire
pour que les enfants soient capables de jouer, c’est une psychothérapie qui a une
application immédiate et universelle ; elle comporte l’établissement d’une attitude
sociale positive envers le jeu. Mais il faut admettre que le jeu est toujours à même
de se muer en quelque chose d’effrayant. Et l’on peut tenir les jeux (games), avec
ce qu’ils comportent d’organisé, comme une tentative de tenir à distance l’aspect
effrayant du jeu (playing). » (Winnicott, 1975)

C LINIQUE DE L’ INCERTITUDE

Principe et enjeux
!

Nous pouvons définir l’incertitude comme étant la part de non prévisible dans
le déroulé d’une pathologie, le devenir des thérapeutiques, et l’ensemble des
dimensions qui interviennent dans la situation d’accompagnements mais aussi
de soins (dont les relations entre le patient et les professionnels de santé).
Il est vrai que cette notion a principalement été développée dans le champ de
la psychologie de la santé, domaine qui concerne le regard que les sciences
Relations et alliances 73

humaines portent sur la pratique en médecine auprès de patients atteints de


pathologies somatiques : cancer, douleur chronique, sclérose en plaques, asthme,
hyperthyroïdie, handicaps... Et elle connaît de nombreuses avancées actuelle-
ment (Bioy, 2012), dont justement la clinique de l’incertitude. Dans un ouvrage
récent que nous avons coordonné (Barruel et Bioy, 2013) se trouvent développées
les différentes dimensions que la notion d’incertitude recouvre, ses enjeux en
pratique soignante, et enfin les pistes/orientations qui soutiennent la clinique.
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Cette notion se construit en lien avec la méthodologie interdisciplinaire, définie
comme une synergie :
« Le regroupement de plusieurs intervenants ayant une formation, une compétence
et une expérience spécifiques qui travaillent ensemble à la compréhension glo-
bale, commune et unifiée d’une personne en vue d’une intervention concertée à
l’intérieur d’un partage complémentaire des tâches. » (Hebert, 1997)
Hors champ de la psychologie médicale, la notion d’incertitude est moins étudiée
pour l’instant, mais également bien présente dans la relation entre le patient
et son praticien. Les mouvements internes, de vie, d’adaptation au suivi et à ce
qu’elle mobilise etc. ne peuvent être anticipés. Plus que cela : vouloir le faire
serait – pour l’un ou l’autre des partenaires – raviver et croire que le contrôle
peut avoir un intérêt lorsque la souffrance met à mal une vie. Or précisément,
c’est de l’inverse dont il s’agit : une forme de souplesse est à acquérir par
rapport aux événements et à ce qui émerge le temps du suivi. Pourtant, il n’est
pas simple de donner une place à la notion d’incertitude car les enjeux sont
importants : l’équilibre, la santé, l’autonomie, dans certains cas la vie... Il est
parfois plus simple de se donner l’illusion que l’on peut facilement prévoir et
contrôler. En médecine par exemple, c’est ainsi que l’on peut comprendre l’usage
de termes tels que : « idiopathique », « iatrogène », « raptus (suicidaire, par
exemple) » ou encore « troubles psychosomatiques » qui bien souvent possèdent
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un même contenu : on ne sait pas ce qui est à l’œuvre, mais la nomination


donne l’impression de contrôler et l’illusion de la maîtrise. En psychopathologie
également, nous pourrions nous interroger sur le besoin parfois de multiplier les
appellations pour désigner certes des tableaux cliniques dont certains éléments
peuvent varier, mais dont la dynamique générale obéit à des indices communs.
Sans doute que s’interroger sur le processus qui voit certains troubles apparaître
chez un individu donné est moins facile que de faire un diagnostic différen-
tiel entre schizophrénie, schizotypie et schizoïdie, par exemple. Ou encore, on
observe dans un autre champ une fréquence exponentielle absurde du diagnostic
d’hyperactivité, dont la pose est sans doute plus simple que d’analyser une
dynamique familiale dans sa globalité pour approcher les enjeux qui se cachent
derrière la plupart des tableaux cliniques.
74 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

C OMMUNIQUER POUR NOMMER LA PATHOLOGIE

On a souvent l’impression que l’acte de nomination est « rationnel ». En fait, Edouard


Zarifian rappelle dans Les jardiniers de la folie (1988) que la nomination d’une patho-
logie est éminemment un acte de subjectivité, puisqu’elle est faite par un être humain
doté d’un psychisme. Nous pensons et ressentons l’autre d’une certaine façon ; bien
sûr qu’il est toujours possible de mettre « la part de l’autre en nous » de côté, en
s’appuyant sur des critères qui semblent objectifs. Et pourtant, c’est bien le praticien
qui va décider de donner plus ou moins d’importance à tel ou tel signe clinique,
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qui va même parfois les susciter dans une certaine course pour vérifier ses a priori
conceptuels, et qui va mener un acte d’interprétation clinique. L’ensemble prend corps
dans une relation à l’autre, ce qui en fait un acte de co-construction et non un acte
d’expertise individuelle comme on pourrait le penser de prime abord. Vouloir l’oublier
reviendrait là aussi à tenter d’évacuer la part d’incertitude qui entoure toute approche
et compréhension de l’autre.

Dans la clinique qui nous est plus spécifique, l’hypnose, on peut aussi se deman-
der si la lutte contre le principe d’incertitude ne permettrait pas d’expliquer
le besoin parfois curieux d’avoir recours à des protocoles, canevas d’exercices,
scripts détaillés d’hypnose classés par indication, plutôt que de se laisser porter
par la clinique individuelle – certes variable – des sujets. Certes, en début de
formation, voire de pratique, cela peut s’expliquer. Mais l’expérience venue du
processus clinique de l’hypnose, ces textes de référence, peuvent facilement
devenir une fausse sécurité pour le professionnel, qui ressent plus de facilité à
s’y reporter pour trouver la réponse aux interrogations posées par une situation
complexe, que de construire une réponse en résonnance relationnelle avec le
patient.
En fait, l’usage au moins un temps nécessaire de protocoles, de guides à la
pratique, etc. ne doit pas masquer que l’incertitude reste au cœur de la pratique
clinique : le devenir de la thérapeutique, l’histoire d’une pathologie, l’adaptation
d’un patient etc. sont en partie non planifiables et non anticipables, et font
donc partie intégrante des suivis. Ils nécessitent d’être abordés avec tact dans
les échanges avec les patients, dès le début. Bien malin le professionnel qui, dès
le premier entretien, pourrait prédire l’adéquation d’un patient à sa situation, au
temps de la souffrance et de son possible soulagement, aux stratégies thérapeu-
tiques qui seront proposées. Et pourtant, lorsque l’on est « sachant », il n’est
pas simple de renoncer à cela, c’est-à-dire de prendre le risque d’un non-savoir.
Quelle contenance reste-t-il si l’on prend le risque de perdre les habits de celui
qui se fantasme comme repère pour l’autre ? Y a-t-il un moyen de demeurer ce
repère tout en prenant ce risque ?
Relations et alliances 75

Vers un autre positionnement


!

Une étape importante est dans un premier temps de reconnaître l’incertitude


comme une dimension au centre de toute situation de santé. Celle-ci relève de
fonctionnements individuels comme collectifs. Au niveau individuel, l’humilité
face à notre « non-savoir », l’ouverture à la parole de l’autre entendue comme
une vérité à la fois subjective et absolue, la sensibilité relationnelle, l’authenti-
cité thérapeutique, la possibilité de dire ce que l’on sait comme ce que l’on ne
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sait pas du tout (en apportant aux patients une garantie de non-abandon et de
soin), seront autant d’aspects utiles pour reconnaître l’incertitude et instaurer
des rapports de confiance.
Cela induit que des réponses aux questions sur ce dont il est possible qu’il fasse
l’expérience durant une transe hypnotique n’ont pas lieu d’être apportées. L’idée
est en effet d’inviter le patient à sortir de la « sûreté » de son symptôme. Sûreté
le plus souvent acquise du fait qu’il faut bien trouver un sens à ce qui est vécu,
et donc une croyance, même débutante, émerge du côté du patient dès lors que
la chronicité d’un trouble s’installe. Son expérience de la souffrance, et le récit
à ce propos, se modifient peu à peu pour installer des points de certitudes qui
permettent d’avancer même s’ils sont délétères voire pathogènes. Par exemple :
➙ la croyance que la solution viendra des autres peut créer des patients qui
organisent avec talent une course aux techniques différentes : mobiliser le
plus de spécialistes possibles en oubliant de se mobiliser soi ;
➙ la conviction qu’un trauma infantile imprègne de façon absolue les difficultés
rencontrées (sans indices autres qu’une souffrance qui ne trouve pas d’expli-
cation par ailleurs) et qui focalise donc les énergies à déceler quelque chose
d’encore non identifié, sans savoir si le chemin emprunté est le bon ni même
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dans quelle direction commencer à regarder ;


➙ l’énergie absolue mise à comprendre, savoir, rationaliser, en imaginant que
le savoir suffira à museler la souffrance ressentie, quitte à se couper de son
« moi corps », de son ressenti, du besoin de faire l’expérience perceptive du
changement pour pouvoir l’intérioriser.
Lorsque donc il s’agit d’aider le patient, non pas à abandonner ses croyances,
mais à l’aider à continuer à les respecter (elles renvoient à ses valeurs) tout en
vivant un autre possible, positionner le patient au centre d’une transe incertaine
peut avoir un intérêt majeur. Autrement dit, en organisant le contexte relationnel
de façon suffisamment sécure, il est possible d’amener le patient à « se jeter dans
le grand bassin », autrement dit à faire l’expérience de cette confrontation à
l’incertitude pourtant tant redoutée. L’induction est simple : proposer au patient
76 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

d’être simplement là, en compagnie de ce qu’il est, de ses certitudes comme


des questions qui n’ont plus lieu d’être, etc. et on laisse le perceptif organiser
l’expérience du patient. Le chemin est finalement aisé en soi, mais n’est pas
toujours une évidence pour le patient. C’est finalement le positionnement du
praticien, lui-même au centre de l’incertitude (entendue finalement comme une
somme de possibles) qui peut sinon aider le processus, au moins inviter le
patient dans cette démarche. Est-ce vraiment tout ? Et bien oui... Comme nous
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le verrons dans le chapitre 5 cela facilite l’empathie, la créativité, autrement dit
installe le patient et le praticien dans une forme de continuité entre eux et le
contexte.
Le contexte justement n’est bien sûr pas anodin. Il ne suffit pas que l’on reste
« là » à attendre. Il suffit certes d’attendre, mais dans un cadre qui n’est ni
aléatoire ni neutre. Sans que nous allions trop loin autour de travaux que nous
avons déjà menés (Bioy & Keller, 2009), nous avons montré que l’analogie est au
centre de la pratique de l’hypnose, à la fois bien sûr dans les métaphores mais
aussi dans les suggestions et les pratiques qui utilisent le mouvement, le geste
(dont l’approche de François Roustang et celle de Gaston Brosseau). Donnons
deux exemples simples, l’un utilisant des figures métaphoriques et l’autre un
simple exercice de posture.
1. Un patient venu consulter pour un tableau de trouble panique. En consulta-
tion, il sent un premier emballement du rythme de son cœur et son comporte-
ment devient fébrile. Nous lui demandons alors de focaliser sur les battements
de son cœur et lui proposons l’enchaînement de suggestions métaphoriques
suivantes : mettre deux doigts sur son poignet opposé et prendre le pouls de
ce qui se passe, des manifestations aussi anticipées que craintes, comme si
le tempo de son corps devenait dissonant, un mauvais élève multipliant les
fausses notes et que l’on aurait du mal à corriger car l’on sait que corriger
un élève dissipé ne sert pas à grand-chose. Mais peut-être percevoir ce qu’il
veut dire, pourquoi il donne l’impression de tout casser, et bien sûr cela fait
peur à l’adulte que nous sommes. Un temps suit, focalisé, sur le rythme du
cœur qui bien sûr va reprendre un rythme naturel ; il ne reste alors plus au
patient qu’à intégrer l’expérience qu’il vient de vivre.
2. Une patiente venue consulter avec une demande concernant son couple : elle
n’arrivait pas à faire un choix concernant une situation source de souffrance
par sa régularité. Parce qu’elle dit lors de la consultation : « Je suis à la lisière,
maintenant je sais que je dois partir ou rester [...], je suis sur le fil depuis
des années et je ne bouge pas ». Nous lui avons proposé de s’avancer sur le
fauteuil, jusqu’à se mettre à la lisière de ce dernier, jusqu’au point où elle
Relations et alliances 77

sentait bien que cette lisière était celle dont elle nous parlait. Devant elle, le
vide de l’inconnu, tomber ou avoir l’énergie de se redresser ; ou bien s’installer
dans le confort du dossier, bien lovée dans une immobilité protectrice ; ou
enfin rester sur le fil et chercher un équilibre comme un funambule pourrait
le faire avec toute l’expertise de son entraînement. Puis nous avons laissé la
patiente ressentir le travail de sa posture sur ce fauteuil jusqu’à ce qu’elle
finisse par trouver et accepter la position qui pour elle à ce moment-là lui
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semblait la plus appropriée ; le choix était fait.
Dans les deux cas, la construction d’une analogie entre le problème proposé et
une image/une posture permet dans le processus hypnotique d’aller vers une
expérience autre et de remettre en mouvement quelque chose qui n’était plus.
L’incertitude a ainsi été apprivoisée.

Finalement, ce que nous exposons consiste en une forme d’éthique de la relation, qui
peut exister en soi et se trouve facilitée par le processus de la transe hypnotique. Au
creux d’une alliance de travail, la relation se déploie sans que l’on puisse anticiper
vraiment son devenir. Le travail de la suggestion, des métaphores, des figures de
l’analogie, permettent cependant de nourrir les liens dynamiques qui tissent peu à
peu un ouvrage, celui du changement. En effet, même si la situation ne change pas,
ce qui est l’un des possibles d’un suivi, le patient va néanmoins vers le changement :
la thérapie, en tant qu’expérience relationnelle, sera intégrée à son vécu et il n’est
déjà plus le même en repartant, à l’image du thérapeute lui-même qui apprend et
change au contact avec ses patients. On ne peut pas ne pas changer !

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Chapitre 5

Présences
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Antoine Bioy

U NE POSTURE , UNE ATTITUDE

Apports de Rogers
!

Quelle place nous est assignée lorsque nous rencontrons un patient ? Il est assez
compliqué de répondre à cette question car il ne peut y avoir que malentendus
entre ce que nous prête le patient (de qualité, de compétence...) et la réalité ;
entre ce dont nous héritons (le passif thérapeutique, là où en est le parcours)
et l’instant présent, moment inaugural de notre rencontre avec le patient. On
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pourrait bien sûr faire le travail inverse pour envisager l’écart existant entre
l’image que l’on se fait du patient et la réalité ; la façon dont nos expériences
passées influent sur la façon dont nous vivons et comprenons la réalité.
Nous rejoignons très volontiers la perspective de Rogers pour qui l’important
n’était pas tant de construire un mouvement vers le patient mais de savoir
travailler sa propre posture (même s’il n’emploie pas ce terme). Rogers est bien
sûr l’auteur qui a défini la relation d’aide, et il serait bien compliqué d’écrire un
ouvrage sur la communication thérapeutique sans au moins citer ce qu’il en dit.
Rogers définit ainsi la relation d’aide :
« J’entends par ce terme des relations desquelles l’un au moins des deux protago-
nistes cherche à favoriser chez l’autre la croissance, le développement, la maturité,
un meilleur fonctionnement et une meilleure capacité d’affronter la vie. L’autre,
80 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

dans ce cas, peut être soit un individu, soit un groupe. On pourrait encore définir
une relation d’aide comme une situation dans laquelle l’un des participants cherche
à favoriser chez l’une ou l’autre partie, ou chez les deux, une appréciation plus
grande des ressources latentes internes de l’individu, ainsi qu’une plus grande pos-
sibilité d’expression et un meilleur usage fonctionnel de ces ressources. » (Rogers,
1966)

Globalement, la relation d’aide désigne donc toute forme de relations où l’objec-


tif est de faciliter une forme d’adaptation, qui peut parfois devenir facteur de
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croissance et de changement. Quatre éléments sont pour lui constitutifs de la
relation d’aide :
1. Le degré de compréhension empathique.
2. Le degré d’affectivité positive (considération positive inconditionnelle).
3. Le degré de congruence (d’authenticité).
4. Le degré de concordance dans l’intensité affective de la relation du thérapeute
avec les paroles du patient.
On se rend compte à l’énoncé de ces dimensions qu’elles concernent toutes en
premier lieu le professionnel : sa capacité à être dans une disposition empathique,
à installer une dynamique d’accueil très ouverte, tout en se situant authen-
tiquement et librement par rapport à l’autre. Vaste programme qui nécessite
sans nul doute entraînement et expérience, pour être suffisamment intériorisée
pour devenir naturelle. Nous la pensons pour notre part assez indissociable d’un
état d’autohypnose, à entendre comme le fait de s’asseoir et d’être là, de se
centrer dans l’instant et d’ouvrir ses perceptions, sans pensées ni affects (nous
y reviendrons).

DE QUEL ÉTAT PARLONS - NOUS LORSQU ’ ICI NOUS ÉVOQUONS L’ AUTOHYPNOSE ?

Prenez un livre de photographie ou de peinture que vous ouvrez au hasard (ou sur
un moteur de recherche, tapez un thème et faites un tirage d’une œuvre qui vous
attire l’œil, quelle qu’en soit la raison). Posez-la devant vous, à hauteur de regard
et observez-la négligemment. Que voyez-vous ? Qu’est-ce que cela vous évoque ?
Comment la recevez-vous ? Observez ce qui vous vient, vos pensées et sentiments
lorsque vous observez négligemment l’œuvre. Si vous êtes habile, vous pourrez même
contextualiser votre observation : ressentir en même temps la position de votre corps,
ou l’environnement sonore dans lequel vous vous trouvez alors que vous observez, par
exemple. Continuez jusqu’à ne plus prêter aucun intérêt au contenu de vos pensées
et de vos sentiments. Vous observez jusqu’à ne plus être que votre regard. Vous êtes
votre regard. Vous êtes en autohypnose.
Présences 81

Une fois entraîné à cela, installez-vous, fermez les yeux et convoquer l’image d’un
patient avec qui vous sentez une communication bloquée, bouchée. Observez-le de la
même façon que vous avez appris à observer avec l’œuvre d’art, et une fois absorbé
par l’acte d’observation, considérez qu’il s’agit de l’ultime fois où vous rencontrez le
patient et que vous êtes à cinq minutes de la fin. Que souhaitez-vous lui communi-
quer ? Que souhaitez-vous partager avec lui ou elle pour ensuite quitter cette dernière
rencontre thérapeutique ? Quel essentiel reste-t-il à partager avec l’autre lorsque
vous êtes simplement là, cet sur l’instant, ouvert à vos perceptions, sans pensées ni
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affects car tout est contenu dans votre seule présence observante ?

Penser une communication thérapeutique consiste, de fait, à s’inscrire dans une


relation d’aide. Il s’agit donc, pour suivre le fil qui nous est proposé par Rogers,
de considérer que toute communication commence par un acte où l’on se centre
sur ce qui est présent chez soi, pour s’ouvrir ensuite au monde, dont fait partie
le patient. Autrement dit, Rogers propose de percevoir que la seule chose sur
laquelle le praticien peut jouer est lui-même.
Finalement, ce que propose Rogers est :
« que le praticien en relation d’aide travaille sa posture : il doit identifier ses
contenus internes et s’ajuster en fonction, avec le plus d’authenticité possible. Ce
travail est à percevoir comme une invitation au changement adressée à l’autre.
C’est parce que le praticien fait évoluer sa posture en relation avec un autre en
souffrance et paralysé par sa situation qu’il installe une invitation à ce que, de
concert, l’autre trouve aussi en lui les ressources qui vont l’autoriser à vivre les
choses autrement. » (Bioy, 2014)

Les 10 questions de Rogers pour construire une posture


!
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Pour aider le praticien à effectuer ce centrage, préalable à la rencontre avec


l’autre, Rogers (1966) propose dix questions. Nous les rappelons ici car elles nous
paraissent essentielles. En premier lieu puisqu’elles invitent le praticien à ce
mouvement de « mise en posture » personnelle. Également car elles constituent
une forme de « check-list » qui, effectivement, installe une disposition à l’accueil
de l’autre que ce soit pour un temps plus ou moins court. Autrement dit, nous
voyons ces questions comme une forme de préalable à la notion de présence,
une disponibilité qui, pour s’ouvrir à l’autre, doit avant tout exister pour soi.
Voici ces questions1 :

1. Nous reprenons également les commentaires que nous avions déjà faits chez ce même éditeur
(Bioy, 2014).
82 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

1. « Puis-je arriver à être d’une façon qui puisse être perçue par autrui comme
étant digne de confiance, comme sûre et conséquente au sens le plus pro-
fond ? ». Il s’agit là finalement d’installer chez soi une forme de congruence
que Rogers définit ainsi : « j’entends par ce mot que mon attitude ou le senti-
ment que j’éprouve, quels qu’ils soient, seraient en accord avec la conscience
que j’en ai. Quand tel est le cas, je deviens intégré et unifié, et c’est alors que
je peux être ce que je suis au plus profond de moi-même ». Notons un point
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important qui est que la congruence amène chez le consultant un sentiment
de sécurité, dont va découler la notion de confiance.
2. « Mon expression de moi-même peut-elle être telle que je puisse communiquer
sans ambiguïté l’image de la personne que je suis ? ». Rogers pose ici la
question des défenses chez soi : non identifiées par le thérapeute, elles ne
permettent plus l’authenticité nécessaire et maintiennent une situation de
blocage. Le praticien se défend du patient et/ou de la situation évoquée, et
de ce fait réduit son espace de liberté et d’ouverture à l’autre. Il ne s’agit pas
de ne pas avoir de défenses, mais de les identifier pour pouvoir les intégrer à
ce que l’on est en capacité d’exprimer de soi.
3. « Suis-je capable d’éprouver des attitudes positives envers l’autre : chaleur,
attention, affection, intérêt, respect ? » Rogers situe que ces attitudes sont
souvent perçues comme difficiles, risquées, non professionnelles. Il suggère
également que les techniques d’évaluation, le recours au diagnostic à tout
crin, seraient des façons de se défendre de cela. Au contraire, pour lui, il est
possible d’éprouver les sentiments cités en toute sécurité.
4. « Puis-je avoir une personnalité assez forte pour être indépendant de l’autre ?
Suis-je capable de respecter bravement mes propres sentiments, mes propres
besoins aussi bien que les siens ? » Il s’agit d’une question aussi centrale que
complexe. En effet, ressentir que l’on est séparé de l’autre est la condition
à une forme de sécurité : celle de ne pas être menacé par les sentiments de
l’autre, en même temps que le professionnel peut comprendre l’autre, parce
que justement ce dernier peut tout exprimer en relation avec le praticien sans
que ce dernier vive dans la crainte de se perdre soi-même.
5. « Ma sécurité interne est-elle assez forte pour lui permettre, à lui, d’être indé-
pendant ? » Il s’agit ici d’autoriser le patient à être dans une liberté d’être,
notamment parce que l’on n’est pas soi-même dans une volonté de conseil,
que le patient nous prenne comme modèle ou bien qu’il soit dépendant du
praticien.
Présences 83

6. « Puis-je me permettre d’entrer complètement dans l’univers des sentiments


d’autrui et de ses conceptions personnelles et le voir sous le même angle que
lui ? » Cette question est importante car elle induit bien sûr la notion de
compréhension empathique, qui éloigne le besoin de jugement, de catégori-
sation, etc. Mais aussi le fait que la confrontation n’est pas nécessaire, elle
éloigne même du changement.
7. « Suis-je capable d’accepter toutes les facettes que me présente cette personne.
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Puis-je la prendre comme elle est ? Puis-je lui communiquer cette attitude ?
Ou ne puis-je l’accueillir que conditionnellement, acceptant certains aspects de
ses sentiments et en désapprouvant d’autres tacitement ou ouvertement ? »
Rogers précise que ce qui empêche souvent ce mouvement est la peur ou le
sentiment de menace que ressent le praticien. Comme toujours chez l’auteur,
ce ne sont pas ces sentiments qui sont négatifs en soi mais leur absence de
reconnaissance, d’identification, pour ce qu’ils sont et en résonnance avec la
situation présente ou évoquée.
8. « Suis-je capable d’agir avec assez de sensibilité dans cette relation pour que
mon comportement ne soit pas perçu comme une menace ? » L’idée générale
est aussi que c’est lorsque le patient est sécurisé dans son environnement
qu’il peut alors « commencer à éprouver et à affronter les conflits internes qui
lui apparaissent menaçants. »
9. « Puis-je le libérer de la crainte d’être jugé par les autres ? » Cela passe par
une abstention dans le jugement que l’on pourrait porter aux choses, autant
négatif que positif. En effet, Rogers précise que même un jugement positif
peut être perçu comme dangereux dans le sens où l’énonciateur, s’il prend la
liberté d’exprimer un jugement dans un sens, pourrait aussi en exprimer un
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autre dans un sens moins agréable. Ne pas exprimer de jugement permet aussi
d’amener le patient progressivement à l’idée que le seul lieu du jugement (et
donc la notion de responsabilité) qui soit pertinent est en lui-même.
10. « Suis-je capable de voir cet autre individu comme une personne qui est en
devenir ou vais-je être ligoté par son passé et par le mien ? » Il s’agit en fait
pour Rogers (qui reprend Martin Buber) de « confirmer l’autre », c’est-à-dire
d’accepter toutes les potentialités de l’autre sans l’infantiliser ni l’enfermer
dans quelque chose de figé (diagnostiqué, classé, déjà déterminé par son
passé). C’est le réinscrire dans un mouvement et un ensemble de ressources
propres.
Le second aspect est qu’une relation à l’autre est une relation en mouvement,
en construction, jamais idéale mais qui tend à l’être. Il suffit que le praticien
84 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

travaille à être aidant pour que le patient le ressente et que, précise Rogers, le
processus de changement se mette en place. Cela installe une façon d’envisager
la relation profondément dynamique et évolutive. Et finalement, les trois notions
centrales : empathie, attention positive inconditionnelle et congruence sont à
percevoir comme des postures adaptatives et malléables avec le temps.
Nous concevons ces questions comme une forme de solfège relationnel ; l’alpha-
bet de toute communication thérapeutique qui travaille une posture relationnelle.
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Cela peut sembler laborieux, il s’agit néanmoins d’une étape importante et pour
beaucoup, nécessaire. Il ne s’agit pas bien sûr d’avoir une fiche dans sa poche et
d’égrener la check-list avant toute mise en relation avec un patient. Cela peut
être un ou deux principes à chaque fois qui peuvent revenir, que l’on choisit
de travailler. D’ailleurs, Rogers précise qu’il ne s’agit pas pour un professionnel
de répondre positivement aux dix questions pour être dans une relation d’aide
opérante, mais de « travailler dans la direction d’une réponse positive ». Être sur
le chemin est finalement le lieu de l’expérience, et non le moment où la ligne
d’arrivée est franchie.
Expérience après expérience, gamme après gamme (pour reprendre l’idée que
l’on s’entraîne à ce solfège), une fois ce mouvement de « mise en posture »
intériorisé, il s’efface ne laissant plus place qu’à cet espace de disponibilité et
d’ouverture plein et entier, que nous nommons bien volontiers « transe ».

Importance de la peur
!

L’approche de Rogers nous paraît aussi très intéressante car elle travaille un
sentiment qui pour nous est central : la peur. La peur existe potentiellement des
deux côtés lorsque l’on communique en situation thérapeutique.
Du côté du patient bien sûr pour qui la peur est le frère jumeau de la souffrance :
il a peur de ce qui se passe, de ce qu’il ressent, de ce qui pourrait advenir, de
ne jamais pouvoir s’en sortir. Peur de la rencontre aussi : le thérapeute va-t-il
accepter de le prendre en charge, va-t-il s’intéresser à lui ? Peut-il quelque chose
pour lui ?
Du côté du professionnel, il s’agit de la peur de ne pas comprendre, de ne pas
savoir faire, de ne pas pouvoir aider. La peur de ne pas être à la hauteur, de
ne pas être assez compétent. La présence de l’autre en souffrance n’est pas si
simple que cela à vivre...
Présences 85

H YPNOSE ET PEUR

La peur est certainement le sentiment central de l’hypnotisabilité. Disant en premier


lieu qu’il s’agit d’une émotion fortement dissociative (d’ailleurs recherchée en hypnose
de spectacle pour faciliter les mises en scènes). Également, les études portant sur
les représentations de l’hypnose montrent que les premiers items convoqués sont la
menace et le fantastique/la magie (Descloux et Grosjean, 2012). On connaît tous ces
croyances : « Ne me regardez pas, vous allez m’hypnotiser », « Est-ce que vous pourrez
me demander de faire tout ce que vous voudrez ? » « Je voudrais que vous parliez à
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mon inconscient et qu’enfin l’origine de ma souffrance s’en aille, mais je ne veux pas
me souvenir », etc.
Les véhicules culturels de l’hypnose ne s’y trompent d’ailleurs pas, et montrent un
personnage qui a un pouvoir un peu mystérieux l’autorisant à prendre possession
d’un autre. On comprend la peur !
D’ailleurs, le marquis de Puységur décrivait un mouvement en deux temps : d’abord
une approche qui se devait d’être paternelle, plus directive, plus cadrante, puis une
fois l’effet obtenu, plus maternante, enrobante, contenante.
Sans doute que jouer de façon éclairée sur ces croyances en lien avec l’hypnose de
pouvoir et de domination, croyances fortes et sources de craintes, est sans doute une
façon simple de suivre la vague des représentations du patient pour mieux les épouser
pour ensuite amener une forme de travail différente, cadrée dans un environnement
que le patient aura, séance après séance, appris à familiariser et à sécuriser. En
apprenant cela, il a appris à faire avec une part de son mode interne et acquis une
nouvelle compétence.

Il n’est bien sûr pas question ici d’effroi ou de peur panique, bien entendu, mais
de ce sentiment mêlant crainte et insécurité et dont le résultat est une mise en
tension qui rend difficile l’émergence d’autres émotions ou pensées tant qu’elle
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n’a pas trouvé un début de résolution. Il s’agit alors de prendre sa place pour
ne plus avoir peur. Qu’est-ce à dire ? Il s’agit en premier lieu de construire un
sentiment de familiarité avec l’environnement, de prendre ses repères, d’appri-
voiser sa place dans ce qui nous entoure. Avant tout acte de communication
(ou lorsque la relation devient tendue), sentez l’appui de vos pieds sur le sol à
mesure que vous marchez, sentez l’air qui arrive aux narines, observez la couleur
des murs, les odeurs, l’atmosphère du lieu, sa température. Familiarisez-vous
avec la « carte d’identité de ce lieu » et laissez votre « bonjour » résonner en
vous avant qu’il ne devienne sonore. Percevez-le avant même de le prononcer.
Là vous êtes à votre place, à la « bonne place ». Comment le saurez-vous ? Car
vous allez éprouver un sentiment de sécurité.
86 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

Si au cours d’un entretien en position assise avec le patient vous sentez que la
communication bloque, que vous ne vous comprenez pas, quittez le raisonnement,
l’entendement de la situation, et réinstallez-vous. Lorsque l’on sait s’asseoir, on
touche au fondement des choses ! Ressentez combien la situation a pu vous
mettre physiquement en instabilité : sur le bord de la chaise, non adossé ou
autre. Retrouvez un axe central, la place du sol, des accoudoirs, l’appui du dos,
etc. et laissez la situation s’écouler tranquillement un peu de temps. Vous serez
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certainement surpris de la façon dont « cette bonne place » a modifié votre
vécu et ouvre vers d’autres voies de communication, une relation différente. Et
si vous proposiez au patient de faire de même ?
Il est un autre temps où la notion de peur est centrale, celui où le changement
n’est pas seulement un souhait, mais une éventualité qui tend à se concré-
tiser. En effet, même s’il peut être souhaité du fait d’une souffrance intense,
le changement est le plus souvent source de peur. Notamment dans les suivis
psychothérapeutiques (et sans doute dans la plupart des suivis chroniques), il
arrive ce que nous nommons le « trigger point Indiana Jones » qui condense cette
dialectique entre confort de la souffrance (ou de la plainte, dirait Roustang) et
inconnu du changement source de peur.
En effet, pour beaucoup, les suivis amènent les patients à mieux saisir les racines
de leur souffrance, les conditions du mal-être, et à envisager avec une certaine
justesse les bénéfices et inconvénients à ne rien bouger, comme les bénéfices et
inconvénients au changement, c’est-à-dire à envisager une autre position par
rapport à leur difficulté. Le travail du thérapeute, à notre sens, et de les amener
à ce point gâchette (« trigger point ») où tout est là, présent, pour que soit
prise la décision ultime : que tout reste en l’état, ou que cela change. Dans cet
acte de décision, le thérapeute n’a plus son mot à dire, ne peut rien faire pour
le patient. Lui seul peut prendre la décision et poser un acte vers une direction
où l’autre. Un moment bien illustré dans le 3e opus du cycle cinématographique
« Indiana Jones ».

LE CHANGEMENT, CE « G RAAL »

Dans « Indiana Jones et la dernière croisade1 », le héros se retrouve face à la dernière


épreuve avant de rejoindre la salle où se trouve le Graal. Au bord d’une falaise, il doit
rejoindre l’autre versant séparé de lui par un gouffre d’une vingtaine de mètres. Le
seul moyen de passer est de quitter toute intellectualisation (Y a-t-il un pont ? Puis-je

1. 1989, réalisé par Steven Spielberg, production Lucasfilm Ltd et Paramount Pictures.
Présences 87

sauter et m’agripper sur l’autre rive ?), et de s’en remettre à soi. Prendre le risque de
mettre un pas en avant et de voir ce qui se passe : basculer dans le vide ou aller sur
l’autre rive, sans que l’on saisisse encore comment cela va pouvoir être possible. Là se
situent à un moment donné nos patients : sans aide, sans que l’intellectualisation ne
soit plus aidante, avec toutes les cartes en main, la seule question est : vais-je prendre
le risque du changement ? Est-ce que j’ose poser un pas incertain vers l’avenir, sans
garantie de ce que je vais trouver mais avec la perception que je pourrais m’y perdre ?
C’est un moment charnière, important, et bien souvent d’ailleurs, la dernière étape
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de la psychothérapie, vers leur Graal. Une fois ce pas posé, les autres suivront quoi
qu’il arrive.

On voit donc, avec cette référence métaphorique, que le changement est pour le
patient perçu, sinon comme une nécessité, au moins comme un besoin, mais qu’il
s’accompagne d’une peur : celle de devenir autre, que « l’actuel soi » disparaisse
dans un gouffre. Changer, c’est prendre un risque et cela impose un acte dans sa
réalité pour marquer que les choses bougent, et que l’on va vers ce mouvement.
Dans ce contexte, il est une difficulté à annoncer « le changement » comme
perspective au suivi thérapeutique, puisque cette perspective est certes le sou-
hait manifeste du patient, mais au niveau latent ce qui est réveillé est la peur
de s’y perdre, de perdre son identité, de basculer du « soi » vers le « non soi ».
Autrement dit, il y a une difficulté immédiate du patient à penser le changement,
même s’il est souhaité car par définition, on ne peut se penser autre. On peut
par contre penser la différence, c’est-à-dire un soi qui conserverait une partie de
ce que l’on est, tout en allant vers autre chose. Il est alors toujours intéressant,
aux débuts des suivis, de travailler autour de cette différence : qu’est-ce qui
concrètement va changer pour vous ? Quels indices vous donnez-vous pour savoir
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que vous allez vers autre chose ? Au moyen de techniques comme la visualisation
en hypnose, on peut travailler très directement cette notion avec le patient, en
le projetant dans ce qui n’est pas encore, et vers quoi ce conditionnel va bien
pouvoir ressembler.
Nous pouvons conclure de cette exploration de la place de la peur dans la relation
thérapeutique qu’il est le plus souvent utile de ne pas viser un « absolu » (« je
veux ne pas y penser », « je ne veux rien ressentir », « je souhaite que ce soit
comme avant », etc.) mais un objectif raisonnable, partiel le plus souvent, en
tout cas réaliste, mais dont on sait qu’il apportera satisfaction. Une petite étape
remportée est plus source d’accomplissement qu’une grande étape soldée par un
échec... Ne pas être stressé avant un examen important peut ainsi être remplacé
par le fait de garder une vigilance qui ne démobilise pas, par exemple.
88 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

L’ EMPATHIE , LA GRANDE AFFAIRE

Qu’entendre par « empathie » ?


!

L’empathie ne vient pas avec un diplôme, elle n’est pas non plus automatique
et ne peut non plus être intentionnellement créée (malgré les oukases absurdes
que l’on entend ou lit parfois : « Il faut être empathique » !). L’empathie est une
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notion complexe, qui concerne à la fois le motivationnel, l’affectif et le cognitif,
l’intersubjectif comme les neurones miroirs, et se trouve étudiée tant par les
sciences de la vie que les sciences humaines. Rogers la définit ainsi :
« L’empathie ou la compréhension empathique consiste en la perception correcte
du cadre de référence d’autrui avec les harmoniques subjectives et les valeurs
personnelles qui s’y rattachent. Percevoir de manière empathique, c’est percevoir
le monde subjectif d’autrui “comme si” on était cette personne – sans toutefois
jamais perdre de vue qu’il s’agit d’une situation analogue, “comme si”. La capacité́
empathique implique donc que, par exemple, on éprouve la peine ou le plaisir
d’autrui comme il l’éprouve, et qu’on en perçoive la cause comme il la perçoit
(c’est-à-dire qu’on explique ses sentiments ou ses perceptions comme il se les
explique), sans jamais oublier qu’il s’agit des expériences et des perceptions de
l’autre. Si cette dernière condition est absente, ou cesse de jouer, il ne s’agit plus
d’empathie mais d’identification. » (Rogers, 1962, p. 197)

Nous dirions assez volontiers que l’empathie est un muscle : présent chez tous, il
n’est cependant pas présent au même niveau « de base » d’une personne à l’autre
(car dépend du développement cognitivo-affectif, des épisodes de vie qui l’ont
plus ou moins aiguisé, etc.). Mais que l’on soit « naturellement empathique »
ou non, le travail et l’entraînement permettent de développer ce « muscle ».
La métaphore possède cependant une limite, car ce terme désigne une double
réalité clinique : elle est certes une aptitude, mais également un processus. En
effet, en situation relationnelle, on désignera le processus empathique comme
la qualité d’ouverture au monde interne de l’autre qui permet de faire de son
corps une « caisse de résonnance » des éléments appartenant à l’autre (ressentis,
émotions, images...). Autrement dit, il s’agit d’un lien viscéral où l’on se met
en disposition de ressentir le monde interne de l’autre en soi, « comme si » il
s’agissait du sien. Un espace pour l’autre est devenu disponible en soi, pour
mieux percevoir l’autre.
Cette aptitude à l’empathie comme le processus empathique sont d’un intérêt
capital, et qu’il s’agisse des études psychodynamiques, sur la relation d’aide ou
autre, toutes les disciplines notent son importance à la fois pour fluidifier la
Présences 89

communication mais aussi pour accompagner le changement, offrir à l’autre ou


s’offrir de nouvelles perspectives, autrement dit ouvrir des possibles.

H YPNOSE , EMPATHIE ET PRÉSENCE À L’ AUTRE

Une très bonne manière de développer son empathie est de s’entraîner à une auto-
hypnose « vierge ». C’est-à-dire susciter un état hypnotique en soi et être dans une
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simple perception de l’instant et de l’environnement, en laissant de côté toute question,
tout désir, toute volonté de faire. Être là et permettre à sa sensorialité de s’exercer à
« tout » percevoir est une très bonne façon de s’ouvrir vers l’extérieur et d’accueillir
de cet extérieur. En relation avec une personne, nous parlons volontiers de cet état
comme d’une forme de « présence à l’autre », comme nous le voyons un peu plus loin
dans ce chapitre.
Comment faire ? Posez-vous sur un fauteuil et laisser vos sens simplement observer
ce qui peut être perçu (éléments visuels, sonores... mais aussi cenesthésiques) comme
cela vient, sans ordre, de façon finalement assez analogue à un bouchon de liège qui
se laisserait bercer au fil des vagues. Avec l’entraînement, trois minutes suffisent pour
laisser son attention faire cet exercice, et ainsi se recentrer dans un environnement
auquel on s’est ouvert.

Pour autant, il ne s’agit pas de se focaliser sur l’empathie comme étant l’objectif
à atteindre à tout prix. Être en disposition d’empathie est l’essentiel, car le
patient perçoit que l’on installe une disponibilité à le recevoir, à une forme
d’écoute pleine et entière. Si des contenus empathiques apparaissaient au cours
de la mise en lien, c’est parfait car cela va grandement faciliter le processus
communicationnel à l’œuvre. Mais pour autant, cela n’est pas indispensable,
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simplement aidant.

La créativité relationnelle
!

De la même façon que l’empathie est l’affaire de tous, la créativité appartient à


chacun. Être créatif consiste à assembler des connaissances, perceptions, etc.
d’une façon nouvelle. En cela, la créativité procède sinon d’une transgression, au
moins d’une pensée divergente. Elle possède sans doute un lien avec l’intuition
que l’on pourrait définir comme le fait de savoir, sans savoir pourquoi nous
savons.
Créer consiste à explorer une direction différente, en acceptant l’incertitude :
cette voie peut ne rien donner de consistant, mais elle constituera quoi qu’il en
90 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

soit une expérience à part entière. Certainement que l’un des processus psycho-
logiques parmi les plus délétères pour l’humain est l’évitement ; lorsque l’on y
pense, c’est évidemment ce que font la plupart des patients que cet évitement
soit effectif (ne plus se confronter à une difficulté) ou recherché (ne plus penser
à, vouloir créer « autre chose »...). La plupart des suivis consistent en fait à
réaménager cet évitement pour aller vers des vécus expérientiels différents,
parfois plus difficiles à vivre pour un temps, mais assumés. Du côté du prati-
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cien, la créativité engage une forme de liberté que l’on s’accorde et qui serait
antinomique d’une forme d’évitement. Créer « en dehors » de la problématique
du sujet serait un pari bien risqué, il s’agit plutôt à partir de ce que l’on sent
comme étant possible, que cela inclut très directement la difficulté ou non. Par
exemple, si l’on souhaite travailler par l’écriture avec le patient, cet écrit peut
certes concerner un dialogue avec la part de soi qui souhaite aller mieux, comme
il est possible de dialoguer avec celle qui fait que cela empire. Si l’on explore
les ressentis corporels avec le patient, la créativité amène à se sentir aussi libre
en explorant et travaillant les sensations agréables comme celles qui pâtissent
de l’existence de la difficulté.
Vouloir être créatif relationnellement consiste donc à entrer dans une perception
différente et novatrice de l’autre, maintenir une forme de curiosité et de naïveté
pour l’autre, en même temps que toute rencontre y compris avec une même
personne doit être initiée comme si il s’agissait de la première fois. Se mettre en
disposition de redécouvrir l’autre permet la créativité puisque tout pourra être
assemblé de façon presque inédite à chaque nouvelle rencontre. Il s’agit donc
finalement de préserver une forme de fraîcheur qui bien sûr ne doit pas confiner
au délire : bien sûr que dans la situation de suivis réguliers, une antériorité
influence la relation à l’œuvre. Mais cette antériorité ne doit pas empêcher de
reposer une question, de proposer une interprétation alternative à une situation
déjà vue, de proposer un exercice déjà vu si on ressent que l’expérience à en
attendre peut conduire à un vécu différent, nouveau ; à ce que sa réalité soit
vécue autrement.
Comme nous l’avons vu au chapitre précédent, la notion de « jeu » est très
importante en pratique thérapeutique. Et évidemment le ludique est le lieu par
excellence de la créativité en relation avec le patient. On pense bien sûr à
toutes les situations « à médiation » (dessin, écriture, atelier de marionnettes,
musique...), mais c’est aussi la place du mouvement : mimer une difficulté,
devenir la statue d’une émotion et laisser un mouvement apparaître vers une
autre émotion, transformer une situation en danse dont on travaille l’équilibre
Présences 91

et le tempo, etc. mais également plus directement dans le champ de la commu-


nication, la capacité à surprendre, le jeu de mots, le paradoxe, sont autant de
façon de remettre du « jeu » via le langage et de permettre un vécu différent à
travers une expression, par exemple.

Ê TRE PRÉSENT À L’ AUTRE , LE GRAND ENJEU


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Enjeu
!

La communication thérapeutique est une affaire de mise en relation et d’inter-


relation, elle est aussi affaire de posture, voire de placement : comment se placer
en position thérapeutique ? Il existe bien sûr une dimension très factuelle :
savoir s’asseoir en confort, en équilibre, dans un lieu avec lequel on entretient
un lien de familiarité, à la bonne distance avec le patient (physique, symbolique,
psychologique). La question revient donc à se demander comment se placer puis
s’utiliser intuitivement et en conscience, afin de laisser se déployer le processus
thérapeutique ? Pour nous, la réponse est perceptive : on le sait lorsqu’on le sent.
L’expérience perceptive guide jusqu’à sentir que l’on a la bonne place, celle apte
à produire de l’inédit. La stratégie thérapeutique serait finalement dans cette
acception des choses la capacité à construire un cadre où cet inédit pourrait se
produire. Un contexte où l’on est en capacité de laisser venir, de laisser aller
l’ensemble des processus et des perceptions pour ouvrir les possibles et se forger
une expérience nouvelle. Pour notre part, nous considérons que la transe est
l’atout majeur qui précisément favorise la survenue de cet inédit ; d’avoir accès
à une fluidité suffisante pour se réinventer, d’initier un mouvement vers un
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

autre réel. Cela peut être initié de façon aussi simple (comme pourrait le faire
Roustang) que de demander au patient de s’asseoir autrement, de laisser le corps
se réinscrire dans un mouvement vers une position inédite, en intelligence1 .
Nous avons ailleurs parlé du fondement psychologique à cette méthode : le
principe d’analogie (Bioy et Keller, 2010), nous n’y revenons pas ici, car elle ne
nous semble pas utile pour aller plus loin.
Peut-être est-ce ici que pour notre part nous allons nous éloigner un peu de
Rogers, pourtant l’un de nos auteurs princeps. En effet, dans la perspective
que nous sommes en train de dessiner comme étant selon nous la base de la

1. L’intelligence étant pour nous la capacité d’adaptation d’un individu à un environnement, une
situation, particulièrement lorsque cette dernière est inédite.
92 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

communication thérapeutique (son processus nodal), l’attention du praticien n’a


pas à être « centrée sur la personne » mais centrée sur le contexte, la transe qui
porte, le percept qui se déploie. Ce lien à la sensorialité est évidemment central,
elle fait lien avec la vie et ses substrats (la nature, les vivants...) ; il existe nous
dit Hegel une sensorialité universelle dont l’entendement nous éloigne (Hegel,
1817) ; elle serait à retrouver lorsqu’il s’agit d’inviter l’autre à faire de même.
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La présence à l’autre, pour quoi faire ?
!

On pourrait définir la notion de présence à l’autre comme le fait d’être « sim-


plement là ». Il s’agit pour le thérapeute de se laisser porter par le cadre, la
situation, le contexte. Il s’assoit confortablement, trouve son axe d’équilibre, il
peut s’aider des questions de Rogers pour travailler sa familiarité et sa sécurité
avec l’environnement qui inclut le patient. Et puis ? Et bien c’est tout ! Plus de
questions, plus de souhait de comprendre, de bien faire, de désir pour l’autre de
guérir. Toute sa posture doit être une invitation formulée au patient pour faire de
même : enlever ses émotions, ses pensées et ne plus se réduire qu’à l’état d’Être
Vivant, de sentir la vie le traverser. Brosseau utilise l’analogie du « reset » des
machines : un espace de réinitialisation auquel cette méthode amène (Brosseau,
2012).
Bien sûr, cette invitation est désarçonnante pour le patient, et c’est bien là
l’important : en travaillant son indétermination, il entre dans le paradoxe, une
confusion qui pourrait se formuler ainsi : « Pour agir, il ne faut rien faire. »
En incarnant cette confusion, en l’assumant et la vivant, le patient ouvre ses
possibles et se trouve en capacité de réinventer sa vie, d’être créatif au sens où
nous l’avons défini : faire avec du même de l’inédit.
À notre sens, cette présence à l’autre est le niveau « basal » de toute com-
munication thérapeutique. Elle ouvre vers d’autres possibles, d’autres schémas
d’intervention, comme elle peut se suffire à elle-même. Pour autant, la pré-
sence à l’autre n’est pas un renoncement immédiat : il faut avoir appris pour
désapprendre, il faut avoir réfléchi à une situation pour pouvoir se laisser porter
par elle. La présence à l’autre engage cependant qu’au moment de la rencontre
avec le patient, l’individualité du thérapeute s’efface autant que possible et
nécessaire face au patient. Seul compte l’espace que ce dernier prendra.
Trois qualités nous semblent importantes pour s’inscrire dans ce cadre :
➙ Être paresseux : ne pas céder au réflexe de vouloir faire, d’être efficace, et
d’aller vers une économie de moyen. Simplement installer le contexte et
pourrait-on dire, presque cela.
Présences 93

➙ Être confiant : le contexte installé agissant : il est un espace vivant où peut


se déployer l’inédit, comme un sol fertile qui n’a pas besoin d’être entretenu
pour « prendre possession et soin » de la graine que l’on voudra bien y faire
tomber.
➙ Être ambitieux : vouloir le bien est à la portée de tous... Il faut plus que
cela : renoncer à se vouloir avec l’absolue conviction qu’il n’est pas nécessaire
et même peut empêtrer les patients (avoir l’impression de ne pas être à la
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hauteur de ce que l’on attend d’eux, par exemple).

Lorsque ces trois qualités sont réunies, le thérapeute n’est plus qu’un élément du
contexte. Cela ne veut pas dire qu’il n’a pas d’influence, mais cette dernière est
plus mise au service de ce contexte dont nous avons parlé. Engager le patient
vers une nouvelle façon de sentir la situation, par exemple.

E XEMPLE D ’ UNE SUGGESTION COMMUNIQUÉE À L’ AUTRE

Dans cette perspective, la suggestion n’est pas une injonction plus ou moins appuyée.
Elle ne peut être qu’une proposition (thérapeutique) pour vivre une nouvelle expé-
rience. Par exemple, demander au patient que sa main ressentie comme lourde (par
analogie avec la lourdeur du symptôme) « gagne en légèreté, comme une liberté » à
chaque mouvement de respiration n’a pas pour but que la main devienne légère...
Mais que le patient fasse une expérience singulière lorsqu’on lui « rend » la dialectique
lourdeur/liberté sous couvert d’un exercice en transe. Que va-t-il ressentir ? Comment
va-t-il s’adapter ? Pourra-t-il aller vers l’inédit d’un mouvement qui jusque-là n’arrive
pas à se trouver ? Pourra-t-il simplement s’éveiller à cette possibilité ? Le travail du
thérapeute a juste été ici de proposer un contexte pour faire l’expérience de ces ques-
tions, sans aller plus loin dans son influence pour que quelque chose apparaisse – si
tant est que cela serait possible.
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Il y a toujours relation, y compris lorsque le thérapeute se met en position de


percevoir les choses et uniquement cela, dans un simple mouvement d’accueil,
sans avoir besoin de savoir ce qu’il se passe. Il n’est pas en retrait mais il se laisse
porter (et parfois transformer) autant que le patient par le contexte hypnotique,
dans le cadre d’une influence réciproque. Il s’agit vraiment d’une « danse à
deux » pour reprendre une image éculée, un moment où chacun participe à
l’environnement perceptif de l’autre.
94 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

La notion de présence est une sorte de socle élémentaire et essentiel à la communi-


cation thérapeutique. Elle fuit l’idée qu’il suffirait de se lancer pour être juste relation-
nellement avec un patient, mais qu’il s’agit de travailler sa posture. Cela engage à
travailler dans un contexte où la transe possède une place privilégiée. Elle permet à
l’un et l’autre des protagonistes de se laisser porter par l’essentiel en soi : la capacité
à rejoindre une sensorialité globale, donnant accès à une perception continue, une
conscience élargie et fluide, en mouvement.
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B IBLIOGRAPHIE

BIOY, A. (2014), La relation d’aide. In JY. Cha- DESCLOUX F, GROSJEAN A. (2012), Les représenta-
gnon (Ed). 38 commentaires de textes fonda- tions sociales de l’hypnose : une réflexion sur
mentaux en psychologie clinique. Paris : Dunod. son acceptation dans les soins. Travail de bache-
lor en physiothérapie. Haute École de Santé de
BIOY, A., & KELLER, P.-H. (2010), Hypnose cli- Suisse Occidentale, Lausanne.
nique et principe d’analogie. Bruxelles : De
HEGEL GW. (1917/2005), Le magnétisme animal.
Boeck.
Paris, PUF.
BROSSEAU, G. (2012), L’hypnose, une réinitiali- ROGERS C. (1966), Le développement de la per-
sation de nos cinq sens. InterÉditions : Paris. sonne. Paris, InterÉditions (2005).
PARTIE II

En pratique
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Chap. 6 Mener un entretien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97
Chap. 7 La relation d’aide . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115
Chap. 8 Sortir du cadre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133
Chap. 9 Gestion des conflits et communication non violente . . . . . . . . . 147
Chap. 10 Le pluriel des thérapies communicationnelles . . . . . . . . . . . . . . . 165
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Chapitre 6

Mener un entretien
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Philippe Aïm

N OUS VOICIface à notre patient. Au-delà des principes, il nous faut adopter
des attitudes et des formulations qui contribueront à ce que l’entretien se
déroule de façon constructive.
Même si le titre de ce chapitre conserve, par habitude et convention, l’expression
consacrée, il ne s’agit pas tant de « mener » l’entretien, ce qui mettrait le théra-
peute dans le rôle du seul maître-à-bord ; mais de trouver un compromis entre :
les besoins du patient à s’exprimer ; nos besoins d’informations et de cadre ; et
la négociation d’objectifs et de moyens pour nous y diriger. Cette démarche a
lieu, selon nous, en s’adaptant non pas tant au « problème » présenté, mais à la
façon dont s’engage la relation.
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L’ AUTRE ET LA BONNE DISTANCE

Chaque mot compte, chaque geste aussi


!

En étudiant l’hypnose et les thérapies brèves qui s’en sont inspirées (comme la
systémie ou l’orientation solution), l’on comprend rapidement que chacun de
nos mots compte et que chacun de nos gestes comporte des informations. Cette
communication à plusieurs niveaux concerne les messages qui passent entre les
interlocuteurs et renseigne sur ce qui se joue dans la relation. Le changement
n’est pas dicté par le thérapeute. Il n’est pas non plus le seul fait du patient
(aurait-il sinon besoin d’un thérapeute ?).
98 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

C’est au sein de la relation qu’émerge un changement. Non pas un changement


des faits, souvent immuables, mais bien de la façon de lire les faits. En somme,
nous créons un contexte qui favorise l’émergence d’une nouvelle réalité par
l’entretien thérapeutique.
Non que celle-ci soit plus « réelle » que la précédente, mais juste différente et,
on le souhaite, plus bénéfique pour le patient. Il ne s’agit pas pour l’hypnothé-
rapeute d’expliquer ce qui fait souffrir, mais d’aider à le considérer autrement.
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Le changement dans la façon d’en parler étant significatif d’une façon différente
de l’interpréter, ce changement de communication est à la fois le but, le moyen
et le témoin du processus thérapeutique. Ainsi, le thérapeute induit littéra-
lement le changement, en choisissant ses mots et ses postures, tout au long
de l’entretien, y compris donc hors d’une hypnose ratifiée par les deux parties.
La séance de thérapie commence dès l’accueil et se termine sur le pas de la
porte. Un thérapeute en hypnose soigne donc bien plus sa communication que
sa connaissance de la psychopathologie quand il mène un entretien1 .
Il y a enfin une dimension tout à fait stratégique à la communication dans
l’entretien. Le thérapeute aussi a un objectif : se connecter au monde du patient
afin de créer un « espace relationnel » à l’intérieur duquel le patient pourra
mener un changement de point de vue, vers un avenir désiré ou du moins
préférable pour lui. Ainsi, l’usage fait que le thérapeute s’occupe du cadre et
possède des outils, mais son but est bien que le patient mène sa thérapie.
Choisissons donc attentivement les mots et attitudes qui permettent de mener
l’entretien de façon constructive.

1. Si la communication digitale (le contenu du discours) peut être un tant soit peu modifiée
volontairement (tout le monde peut apprendre un texte), en revanche la communication analogique
(la forme du discours, le langage non verbal, la prosodie, les sous-entendus que charrie le texte)
doit attirer toute notre attention. Moins facile à dissimuler et plus révélatrice de nos pensées
inconscientes, elle est aussi celle qui résonne le plus avec le patient, qui participe le plus à la
construction de l’ambiance relationnelle. Il n’y a pas de recettes sur la question du langage corporel
et il est particulièrement difficile de l’expliquer de façon théorique sans passer par l’expérience ou
l’entraînement. C’est pourquoi, au sein d’un livre, nous ne pouvons qu’attirer l’attention du lecteur
sur son langage analogique pour qu’il prenne garde au message qu’il envoie, parfois sans le vouloir.
Par ailleurs, il y a là aussi un encouragement à prolonger l’apprentissage de la communication
thérapeutique par la formation avec de « vrais » formateurs et collègues.
Mener un entretien 99

La « bonne distance »
!

Celle-ci peut être physique et charrier un message : faut-il ou non un bureau


entre les protagonistes ? Quelle distance entre les deux sièges pour être ni trop
envahissant ni trop distant ? À quels moments s’adosser ou se pencher vers
l’avant ? Il n’y a pas, encore une fois, de réponse absolue, mais ces questions
doivent nous faire réfléchir régulièrement et réaménager si besoin le dispositif
thérapeutique pour le rendre le plus optimal possible.
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Mais la « juste distance » est un concept plus global, relationnel, en lien avec
l’investissement humain du thérapeute.
L’abord de cette distance est généralement perçu sous l’angle quantitatif : plus
ou moins (psychiquement) proche. Notion souvent vue comme un corollaire de
la notion d’empathie. Celle-ci est la capacité de résonnance émotionnelle : de
ressentir en soi le pathos, la souffrance de l’autre, sans pour autant (théorique-
ment) la confondre avec la nôtre. C’est une capacité extraordinaire du cerveau
humain, qui permet de se comprendre les uns les autres et de saisir les ressentis
de façon immédiate. Appliqué à la relation, il y aurait donc :
➙ un « manque d’empathie » marquant une trop grande distance. Trop « loin »
de lui, le patient pourrait trouver le thérapeute froid, peu impliqué ;
➙ une sorte « d’excès d’empathie », une distance trop proche ou l’émotion sub-
merge. Trop « près », le thérapeute est envahissant, voire envahi lui-même par
les émotions du patient. L’empathie se transforme en contagion émotionnelle
qui mène le thérapeute-éponge au burn-out. À force de ressentir ce qu’il
ressent, je ressens sa souffrance. J’en souffre donc... à cause de lui ! Dès lors,
je peux souhaiter me surinvestir pour apaiser sa souffrance afin de calmer la
mienne, ou bien je peux souhaiter ignorer sa souffrance, m’en éloigner car
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elle m’est insupportable. Ce sont bien les prémisses du burn-out vu comme


maladie de l’empathie chez le soignant ;
➙ quelque part entre les deux, la « bonne distance ».

Mais à quelle distance, à combien de « centimètres d’empathie » se situe le bon


thérapeute ? Comment pourrait-il se mettre délibérément dans une émotion (qui
est par définition ressentie spontanément !) et, de plus, au bon dosage ? Quid
des situations où il ne ressent spontanément pas assez d’empathie ? Ou trop ?
Contrôler l’incontrôlable.
Les études (Ackermann, 2003) mettant en avant les qualités attendues d’un
thérapeute par les patients montrent que celui-ci se doit d’être souple, hon-
nête, respectueux, digne de confiance, chaleureux, intéressé et ouvert. Rien de
100 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

spécifique à une approche particulière. Pas non plus spécifiquement d’émotions


empathiques. Rien donc sur la « quantité » de distance, mais quelques indices
sur sa « qualité ».
Nous l’avons dit, l’empathie n’est pas choisie, donc encore moins dosable à
l’intérieur de soi-même. Elle est ressentie sans qu’on le veuille, puisqu’elle est
de l’ordre émotionnel et affectif. En revanche, l’on peut choisir de montrer
son respect, son écoute, son absence de jugement, son honnêteté. Tout cela
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relève bien de la communication. Il s’agit non seulement d’entendre respectueu-
sement le patient mais de pouvoir lui faire passer le message qu’on l’entend
respectueusement.
Quant aux dispositions mentales nécessaires, elles sont ici plus cognitives qu’af-
fectives : perception d’un besoin, altruisme (motivation à aider l’autre à moins
souffrir). Pour reprendre la phrase d’un grand hypnothérapeute français, Fran-
çois Roustang : « Non pas “je ressens ce qu’il ressent”, mais “je ressens qu’il
ressent.” ».
En tant qu’ericksonien, l’on serait tenté de proposer une approche utilisationnelle
de l’empathie. Si je la ressens sans la choisir, elle peut cependant me donner une
information. L’empathie pourrait être considérée comme un signal d’alerte m’in-
formant qu’ici une difficulté, une souffrance, un besoin s’exprime chez le patient.
Je peux alors orienter (pourquoi pas tout à fait consciemment, cognitivement
et non pas émotionnellement) ma pensée, mon acte et ma communication vers
l’accueil attentif de cette difficulté et la mise en place d’une aide. Encore une
fois l’altruisme remplace progressivement l’empathie.
Les patients n’ont pas besoin qu’on ressente leur souffrance, que l’on en souffre
avec eux ; mais ils ont besoin qu’on l’accueille, l’écoute, la respecte, qu’on les
aide et les guide, sans jugement et avec bienveillance, vers leurs objectifs.

Q UELS OBJECTIFS ?

Il n’est pas inutile de rappeler la nécessité de définir un objectif à la démarche


thérapeutique. Trop de thérapies s’en dispensent, engageant les personnes dans
une démarche longue, coûteuse et dont on ne peut même juger de l’évolution,
faute de critères définis.
Ainsi, la première question permettant de définir des objectifs serait : « Si notre
thérapie devait vous être utile, comment verrez-vous qu’il est atteint ? Comment
Mener un entretien 101

vous rendrez-vous compte qu’un changement a eu lieu ? » Cette question laisse


entrevoir tous les critères d’un objectif travaillable en thérapie.
Observons à présent les caractéristiques des objectifs travaillables en thérapie.

L’objectif négocié : les termes du patient, les limites


!

du thérapeute
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Si le thérapeute est, espérons-le, utile, c’est à l’objectif du patient. Le thérapeute
est détenteur d’outils, de techniques communicationnelles et relationnelles, mais
l’objectif doit être compatible avec le monde du patient.
Un objectif uniquement exprimé en fonction de critères cliniques, médicaux,
psychologiques, est un objectif de thérapeute. Il place le thérapeute en « posi-
tion haute », en position de savoir. Il sait ce qui est bon pour le patient du
fait de ses connaissances. C’est ainsi que semble fonctionner a priori la relation
soignant-soigné la plupart du temps.
Ce genre d’objectif est intéressant et utile dans les interventions où le thérapeute
fait directement quelque chose au patient, tel une opération chirurgicale, une
prescription médicamenteuse. Mais dans le domaine psychique, relationnel, l’on
préférerait que le patient fasse lui-même, et pour lui-même, quelque chose.
Et cela n’est pas seulement le cas quand le problème est de nature psycholo-
gique ! Établir une relation de confiance, favoriser l’observance thérapeutique,
maintenir une motivation pour le soin, sont autant de domaines que le soignant,
quel que soit son domaine, doit favoriser, mais dont il appartient au patient de
se saisir.
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Si, sur le plan relationnel et psychique, le patient accepte un objectif « de


thérapeute » exprimé en langage médical, deux possibilités émergent :
➙ le patient n’atteint pas l’objectif : ayant placé le thérapeute de facto en
position haute. Un sentiment d’échec supplémentaire peut survenir. « Déjà
que je vais mal, j’ai en plus l’impression de ne pas avoir réussi ce qui semble,
d’avis d’expert, bon pour moi. ». L’estime de soi ne peut pas s’en trouver
améliorée !
➙ le patient atteint l’objectif. Possibilité presque pire ! Il existe un risque que
sa motivation n’ait pas été personnelle mais uniquement due à la position
(haute) dans laquelle il a placé le soignant. Il a, par sa réussite, validé le
système du thérapeute, la théorie médicale ou psychologique à laquelle, en
102 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

quelque sorte, il se soumet1 . La motivation n’étant pas personnelle, la réussite


est entièrement dépendante de la continuation de la relation au thérapeute.
Le succès est moins stable, moins durable, moins approprié. La victoire n’est
pas la sienne, ou pas mesurée avec ses critères. Peut alors s’installer une
dépendance thérapeutique (« Je n’y arrive pas sans vous et vos recommanda-
tions. ») et une difficulté plus grande à rendre le patient autonome. On peut
littéralement « déplacer le problème » et faire de la solution un obstacle à
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l’autonomie.
En somme, si les objectifs sont dictés par la médecine quand il s’agit d’intervenir
sur le patient, en revanche, pour les problématiques d’ordre psychique et pour
la part relationnelle, les objectifs doivent être ceux du patient.2
Cela ne veut pas dire non plus que toutes les demandes, telles que formulées
initialement, doivent être acceptées ! L’objectif doit être compatible avec les
limites du thérapeute, il doit être « travaillable » c’est à dire que le thérapeute
doit pouvoir accepter le « mandat » qui lui est fait sur l’objectif. Il s’agit donc
d’un objectif recadré et négocié.
Distinguons trois typologies d’objectifs qui peuvent se présenter d’emblée quand
on reçoit le patient :
1. Les objectifs impossibles : il s’agit de demandes liées à une limitation de la
réalité, et sur lesquels le thérapeute ne peut agir directement. « Il est mort,
je veux qu’il revienne », « Je veux effacer ma mémoire, je voudrais que ça ne
soit jamais arrivé », « Je ne veux plus jamais d’angoisse ». Dans ces cas, il
s’agit de rappeler les limitations de notre intervention de façon respectueuse
et modeste, ce qui pourra aider à faire émerger un objectif acceptable pour
la thérapie.
2. Les objectifs de vie : il nous faut respecter la possibilité du patient d’avoir
des objectifs qui le motivent, même si ceux-ci sortent de ce qu’on pourra
travailler directement en thérapie. Ce sont des objectifs à long terme, dif-
ficilement quantifiables. « Une vie heureuse », « Plus de sérénité », « De
l’équilibre », « Fonder une famille ». On peut alors les accepter et chercher
avec le patient les premiers signes qui iraient dans ce sens, c’est alors une
question qui pourra mener à des objectifs travaillables en thérapie.

1. Et l’on sait, surtout depuis les fameuses expériences de Milgram, que tout un chacun peut
assez spontanément suivre aveuglément une autorité qui a une image scientifique.
2. Ils sont ceux du patient, ou du moins réappropriés par lui après négociation et « co-création »
entre patient et thérapeute. Il reste important qu’au final, et même après recadrage et négociation,
le patient s’y reconnaisse.
Mener un entretien 103

3. Les objectifs de thérapie : ils sont compatibles avec le monde du patient


et avec les capacités du thérapeute. Ils doivent donc mettre d’accord les
deux parties, le thérapeute acceptant le mandat que lui confie le patient
pour l’aider ; et le patient acceptant le mandat consistant à s’investir dans la
thérapie sur cette base, en quelque sorte à aider, en miroir, le thérapeute à
l’aider.
Les objectifs sont donc négociés, et de préférence sur la base des caractéristiques
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suivantes (largement inspirées du travail de M.-C. Cabié et Luc Isebaert, cités
en bibliographie, et pionniers dans la francophonie sur l’approche centrée sur la
solution).

L’objectif recadré : positif, concret, raisonnable


!

Un objectif doit préférentiellement être exprimé en termes positifs


Positif ne veut pas dire ici bon ou désirable, mais veut dire « en plus ». « Tout
le monde préfère gagner quelque chose que perdre. »
Ainsi un objectif est la présence ou l’augmentation de quelque chose, et non pas
une diminution ou un arrêt. La raison en est simple et provient d’une tendance
de notre esprit à ne pouvoir empêcher à une pensée qu’on évite de s’imposer.
C’est ce que l’on nomme « l’effet ours blanc1 » (car si je vous dis de ne pas penser
à un ours blanc...). Un objectif défini comme une diminution ou une absence,
attire l’attention sur ce dont on cherche à constater l’absence. Si je décide
d’observer à quel moment j’aurai moins d’anxiété, je vais en vérité focaliser sur
les moments d’angoisse. Tentez de regarder dans la rue à quel point il y a peu
de voitures rouges, et vous ne verrez plus que cela.
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À l’inverse, si le patient souhaite « moins de douleur » et que je peux amener


vers l’objectif, apparemment équivalent de « plus de confort », on attire alors
l’attention vers les moments améliorés, donc vers les réussites. Pour « recadrer »
et amener le patient vers une autre formulation, il ne s’agit pas de lui refuser
frontalement et de lui laisser entendre qu’il pense mal son objectif, mais plutôt
d’accepter ce qu’il nous amène et de l’enrichir d’une autre formulation possible.

1. Il s’agit du nom donné au mécanisme psychologique selon lequel les tentatives délibérées
d’inhiber ou de supprimer certaines pensées les font émerger plus volontiers. L’article princeps à
ce sujet est celui du professeur de psychologie D. Wegner en 1985. On trouvera aussi un résumé
et des explications à ce sujet sur la chaîne YouTube « CommPsy ».
104 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

! La question clé, si le patient propose un objectif en termes négatifs, est :


« Oui, et dans ce cas que voudriez-vous/qu’y aurait-il à la place (de l’angoisse,
de la peur, de la cigarette, des pensées parasites) ? »

Un objectif doit préférentiellement être défini en termes concrets


Si l’objectif, en termes positifs, semble flou, il sera difficile d’évaluer de son
avancement. L’on rentrera donc possiblement dans un cercle vicieux du « jamais
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assez ». « Je me sens plus confortable, mais je voudrais être un peu plus confor-
table. ». Si, éventuellement, « plus confortable » signifie quelque chose pour
vous, il n’est pas certain que cela soit la même perception que celle du patient !
L’objectif se doit d’être concret et donc observable.

! La question clé si le patient propose un objectif en termes positifs mais vagues


ou larges est : « Oui, et comment cela se verrait-il ? / Comment sauriez-vous que
vous [...] ? ». Un objectif observable peut l’être par le patient ou son entourage.
Cette question peut donc être « Qui verrait que [...] ? Comment le verrait-il ?
Comment saurez-vous qu’il l’a vu ? »

Un objectif doit être raisonnable


Entendons par cela qu’il doit être réaliste et théoriquement réalisable dans un
délai de quelques semaines ou mois. À défaut, l’on peut retomber dans les objec-
tifs « de vie » ou bien dans un objectif trop large pour qu’on voie la thérapie
être effective, et qu’on risque le sentiment d’échec.

! La question clé peut alors être : « Quel serait le premier signe qui vous
montrera que [...] / que vous allez dans la direction de [...] ? »

Poser les bonnes questions


!

Dès le début de l’entretien, une phrase comme « À quoi puis-je vous être utile ? »
est une phrase clé de la définition de l’objectif. Cette question dit déjà les carac-
téristiques des objectifs : à quoi renvoie au caractère observable de l’objectif,
vous rappelle que l’objectif, le bénéfice de la thérapie revient au patient. Enfin,
le thérapeute se demande juste s’il sera éventuellement utile à cette démarche
du patient. Elle est l’équivalent de la question présentée dans ce début de partie :
« Si notre thérapie devait être utile, à quoi le sauriez-vous ? » Ou encore : « Que
voudriez-vous que je vous aide à faire ? ».
Mener un entretien 105

Exemple schématique de dialogue


T : À quoi puis-je vous être utile ?
P : J’aimerais avoir moins d’angoisses, ça me paralyse ! (termes négatifs)
T : Ok, et si vous aviez moins d’angoisses, que ressentiriez-vous à la place ?
P : Plus de... sérénité j’imagine ? (terme vague, abstrait)
T : Très bien, et comment saurait-on qu’il y a de la sérénité ?
P : Eh bien j’aurai retrouvé un emploi, je serai moins irritable à la maison... (objectifs
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larges)
T : Je vois. Et qu’est-ce qui serait le premier signe que vous allez dans cette direction ?
P : Je me lèverais un peu plus tôt le matin, je regarderai les annonces d’emploi...

En concrétisant et en ajoutant d’autres signes, on arrive à un objectif qui


correspond à nos critères. Il ne faut pas oublier non plus qu’aussi petit soit-il,
un objectif n’est pas encore accessible en l’état. S’il se produit déjà, c’est qu’il
s’agit d’une exception au problème. S’il est déjà réalisable, il peut devenir une
tâche thérapeutique.

É TAPES ET SÉQUENCES D ’ ACCEPTATION

Si nous devions résumer l’essence de la thérapie en deux mots uniquement, je


dirais qu’il s’agit de dire « Oui et ».
Ces deux mots expriment l’essence même de la thérapie : accepter ce que le
patient amène, s’affilier avec lui ; puis ajouter, augmenter sa vision et ses
possibilités.
Car il existe un certain nombre d’écueils à éviter, qui consistent à refuser fronta-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

lement la vision du patient. Encore une fois, celui-ci ne doit pas percevoir par
notre attitude qu’il pense mal : sa vision est légitime, quelle qu’elle soit. Il ne
s’agit pas de lui enlever sa vision, de la contredire (un « oui mais » peut être
entendu comme un « non »), mais de l’accepter. C’est non seulement générateur
d’alliance et d’affiliation, mais c’est déjà la première partie de la stratégie. En
effet, le patient présente souvent une tendance au « refus » de sa souffrance.
Ceci est totalement légitime bien sûr, c’est ce refus qui le pousse à agir pour
que cela change ! Mais souvent, le refus devient déni de l’existence même de
cette souffrance.
En cherchant à la contrôler, la réduire, l’éliminer, au fond à ce qu’elle n’existe
plus, l’attention est en fait attirée dessus (encore un effet ours blanc). Ceci
est générateur d’un grand nombre de souffrances psychiques comme l’anxiété
106 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

anticipatoire (peur d’avoir peur), le deuil pathologique ou la dépression (une


souffrance morale à l’idée d’être triste), l’évitement absolu dans le traumatisme,
la focalisation sur la douleur physique et l’organisation de la vie autour du symp-
tôme, etc. Ce phénomène entraîne logiquement des « demandes impossibles »
d’arrêt total immédiat et définitif de toute peur par exemple.
L’idée de l’acceptation n’est pas tant « d’accepter la vie telle qu’elle est » sans
rien vouloir y faire. Au contraire, il est question d’accepter l’existence de la
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souffrance, d’inclure la difficulté pour mieux y faire face. Et même s’il s’agit de
se battre, on ne combat bien que ce dont on a reconnu l’existence.
Comme toute communication thérapeutique, celle-ci est plus subtile et analo-
gique que directe et frontale.
Dans un premier temps, le thérapeute va donc, pour s’affilier à la souffrance du
patient, montrer son acceptation. Il n’y a pas besoin de déborder d’empathie, et
il ne s’agit jamais de mentir, mais de marquer qu’on est à l’écoute. « Quand je
vous vois, et que je vous écoute, j’ai l’impression d’être face à quelqu’un en grande
souffrance... »
Parfois, quand le patient semble avoir particulièrement besoin d’être reconnu
dans sa souffrance, le thérapeute sera amené à presque exagérer (sans jamais
se moquer du patient !) : « Cette situation a dû vous sembler terrible ! » « Avec
cette angoisse vous avez dû vous dire que vous ne pourriez même pas rentrer chez
vous ! »
La subtilité de l’approche est qu’accepter sa vision du monde (uniforme, monoli-
thique, imposée par le problème) oblige fatalement à la questionner. L’accepta-
tion est un préalable au changement.
« Cela doit être difficile pour vous... à tel point que je me demande comment vous
tenez le coup ? » (Bien plus efficace que si le thérapeute avait dit « bon, vous
êtes quand même là, il doit bien y avoir quelques points positifs quand même ! »)
« La situation vous semble désespérée, c’est cela ? » « Oui... » « Et comment
trouvez-vous la force de consulter tout de même ? » (Bien plus efficace qu’une
interprétation du style « Mais si vous êtes venu consulter c’est bien la preuve que
vous avez un espoir de vous en sortir ! »)
On peut trouver sincèrement admirable que le patient ait tenu le coup en dépit
de sa souffrance et admirer le fait qu’il ait fait tous ces efforts vains sans se
décourager !
L’acceptation évite l’escalade et permet l’obtention d’informations et d’alliance.
L’acceptation est une sorte d’expérience de pensée qui dirait : « Supposons,
affirmons que ce soit vrai (la pire situation/la douleur permanente / l’anxiété
Mener un entretien 107

totalement paralysante), dès lors, comment (tenez-vous / avez-vous réussi à


consulter / attendez-vous quelque chose de la thérapie) ? »
La seconde partie de la stratégie, le « et », revient à proposer plus d’une vision,
ou au moins une vision de plus. Amené au bon moment, ce recadrage peut
amener la clé de la thérapie. En effet, comme nous l’avons dit, si l’on ne peut
changer les faits, on peut proposer plusieurs lectures. C’est la possibilité de
plusieurs lectures (et non pas l’imposition d’une lecture alternative normée par
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le thérapeute) qui aide le patient. Avoir en somme plusieurs cartes, pour lire le
même territoire.

Exemple schématique de dialogue


« À quoi puis-je vous être utile ? »
« C’est pour ma douleur au pied... »
« Et elle vous fait souffrir depuis longtemps ? »
« C’est insupportable ! »
« Je n’ose pas imaginer. En vous regardant on voit que vous souffrez... »
« Oui c’est terrible... »
« Du coup vous n’arrivez même pas à en situer le début c’est cela ? »
« Si, cela fait 2 ans... deux ans d’horreur... »
« Je vois... et ça ne vous lâche jamais ? »
« Quasiment... un peu de répit parfois... »
« Ah ? Et c’est comment ce répit ?... »
« J’en profite même pas ! Je peux juste faire les tâches quotidiennes... »
« Si je comprends bien, la douleur est terrible la plupart du temps et vous utilisez des
améliorations rares et partielles pour faire ce qui est le plus nécessaire ? »
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

En vérité c’est l’acceptation qui permet de mettre d’abord un peu de nuance dans
une réalité décrite comme uniforme et qui, petit à petit, peut être recadrée et
utilisée en hypnose pour un changement (par exemple pour travailler sur des
moments moins difficiles, se projeter dans un avenir plus agréable, métaphoriser
le problème, un répit et une amélioration...). Si le patient « résiste », c’est
probablement qu’il faut une « dose » de plus d’acceptation avant de proposer un
changement.
108 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

É VALUER L’ ENTRETIEN

Les phénomènes interpersonnels ont toujours une résonance1 chez les deux
protagonistes. En ce sens, le thérapeute peut évaluer par son propre ressenti
la qualité de l’entretien. En fin d’entretien il peut être possible de demander
au patient d’évaluer son ressenti à ce sujet, en demandant tout simplement au
patient comment il se sent.
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Certains autres indices nous éclairent sur la qualité de l’entretien. Si l’entretien
semble se dérouler comme une conversation (et pas un interrogatoire ni un
monologue), le contact visuel est établi entre les protagonistes, une ambiance
de collaboration s’installe et les informations nécessaires arrivent assez sponta-
nément.
En revanche si le patient regarde ailleurs ou par terre, soupire, s’épuise, devient
agressif, se replie et se referme, autant d’indices que l’entretien se déroule mal.
Du côté du praticien, au fur et à mesure, les questions sont de plus en plus fer-
mées, il ne retient pas les informations, l’entretien « part dans tous les sens » et
de la frustration s’installe. Il est important dans ces cas-là de métacommuniquer,
c’est-à-dire de communiquer sur la qualité de la communication.
« Peut-être êtes-vous mal à l’aise ? Puis-je faire quelque chose pour que ce soit
plus simple pour vous ? »
« Ma question était maladroite peut-être. Si vous voulez, nous parlerons de cela à
un autre moment. »
« C’est difficile de parler de... »
Dans tous les cas, pour se sortir d’un entretien qui se passe mal : éviter les longs
silences, éviter de demander au patient de se justifier (« Que vous arrive-t-il ? »),
et penser qu’il faut augmenter la qualité d’alliance de façon très prioritaire à
la collecte d’informations d’anamnèse. Ainsi l’on pourra par exemple éviter au
début les questions trop sensibles.
Concernant le fond de l’entretien, il peut être judicieux, en fin d’anamnèse, de
laisser le patient évaluer si on lui semble s’être affilié avec ce qu’il souhaite
vraiment travailler en thérapie. Je pose de façon quasi systématique la question
suivante : « Y a-t-il quelque chose qui vous paraît important que je sache, et que
j’aurais oublié de vous demander ? ».

1. C’est à dire qu’ils retentissent, évoquent, éveillent un ressenti chez l’individu, voire une émotion
ou une réaction.
Mener un entretien 109

Il est possible aussi de demander sous forme d’échelle : « Supposons qu’à zéro je
n’ai rien compris et qu’à 10 nous avons ce qu’il nous faut pour travailler à votre
objectif. Où en sommes-nous ? »
En général, un score inférieur à 8 nécessite de poursuivre en demandant au
patient « où l’a-t-on perdu ». Vous remarquerez aussi l’emploi intentionnel du
« je » dans la première partie de la phrase. Les patients sont pleins de culpabilité
et, par ailleurs, même si le thérapeute est responsable du cadre, les patients sont
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les seuls à devoir s’attribuer la réussite de la thérapie si on veut les autonomiser
en dernier lieu. C’est pourquoi les thérapeutes « brefs » préfèrent généralement
que leur communication laisse entendre qu’un échec du cadre thérapeutique leur
est dû, tandis qu’une réussite vient du patient ou de la relation de collaboration.

L IMITES ET ATYPICITÉS DE LA COMMUNICATION


THÉRAPEUTIQUE

Le but de la communication thérapeutique est d’être... thérapeutique ! Elle est


au bénéfice du patient. C’est lorsqu’il ne serait pas au bénéfice du patient d’user
de ces techniques et stratégies que la communication atteint sa limite. Voici
quelques situations spécifiques.

Le confort du thérapeute n’est plus assuré


!

Le thérapeute ne peut être efficace que s’il se sent un minimum à l’aise. Dans
l’inconfort, on ne peut que risquer de transmettre cet inconfort et d’échouer dans
l’application de toute technique. Aussi, de façon « politiquement incorrecte »,
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

mais ferme et déterminée, nous irons jusqu’à dire que le confort du thérapeute
et primordial et prioritaire. Si vous avez déjà pris l’avion, vous aurez noté qu’en
cas de dépressurisation il faut mettre le masque à oxygène. Et d’abord à vous-
même avant les enfants, quitte à heurter votre fibre parentale sacrificielle. Tout
simplement car si vous perdez connaissance, vous ne serez plus en état de sauver
qui que ce soit. En somme, pour aider quelqu’un il faut être en état de le faire.
Sachez donc connaître vos limites et dire qu’elles sont atteintes si elles le sont :
le patient doit en être informé et l’entretien doit s’arrêter. Ne travaillez pas
dans des situations que vous ne souhaitez pas traiter. Ne travaillez pas dans des
situations de violence, de menace, de séduction si vous ne savez pas les gérer
ou dans des situations qui dépassent le cadre acceptable que vous vous êtes fixé
(par exemple lieu neutre, horaire raisonnable etc.).
110 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

Le patient n’a pas besoin de thérapie


!

La souffrance présentée par le patient peut être un problème qui, comme nous
l’avons montré, nécessitera un changement de point de vue, une ouverture. Un
problème est généralement répétitif et a même tendance à s’aggraver quand
on essaie de lui appliquer des solutions de bon sens. Un problème présente
une solution et celle-ci survient souvent quand on le recadre, quand on le lit
différemment1 .
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En revanche le patient peut faire face à une limitation, c’est-à-dire à un événe-
ment de vie auquel on ne peut rien (décès, maladie, événement extérieur). Une
limitation n’a pas de solution. Dans ces cas-là, la limitation devra être accueillie
avec bienveillance pour aider le patient à accepter les limites de notre action...
et de la vie. Il n’y a plus là de communication thérapeutique dans sa dimension
stratégique, mais essentiellement du bon sens et de l’acceptation.
Il peut s’agir également d’une difficulté. Celle-ci est généralement une consé-
quence de la limitation. C’est par exemple la tristesse après la perte d’un proche,
les moments d’opposition d’un enfant de deux ans, la perte de revenus suite à
une impossibilité de travailler...
La difficulté peut se résoudre partiellement ou totalement, non pas en changeant
la grille de lecture comme pour un problème, mais en agissant directement dessus.
C’est dans ces moments que le thérapeute sera amené à informer le patient où
à le conseiller. Même s’il ne s’agit pas de communication thérapeutique avec
une dimension stratégique, l’on pourra bien sûr y mettre les formes. Mais dans
ce cadre, on ne vise pas un changement de point de vue, de « règles du jeu »,
contrairement au problème dans lequel la souffrance vient non seulement des
faits, mais essentiellement de la façon dont ils sont interprétés ou vécus2 . On
peut aussi placer dans ces difficultés toutes les problématiques médicales qui
nécessitent une approche technique et médicamenteuse, c’est un acte direct que
l’on opère sur le patient et une information que l’on lui donne. Un problème ne
survenant là que si une difficulté d’observance ou un problème de relation de
confiance nécessite un changement de point de vue.
En somme, il faut rester attentif : une limitation doit orienter la conversation
vers l’acceptation des limites.

1. Ce que les systémiciens ont appelé un « changement de type 2 », un changement de « règles


du jeu ».
2. On vise donc dans les difficultés un changement de type 1 « un peu plus de la même chose ».
Mener un entretien 111

Une difficulté doit entraîner, lorsque c’est possible une information, un conseil
ou une action appropriée. User de thérapie au sens d’un recadrage n’est pas
forcément utile ou adéquat. L’intervention n’a pas à changer le cadre de lecture.
Un problème en revanche nécessite un changement de point de vue. Donner un
conseil peut se solder facilement par une mise en échec. C’est à ce moment-là
que toute la question thérapeutique entre en jeu.
Limitation/difficulté/problème s’intriquent dans la conversation, et le thérapeute
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doit parfois dénicher le problème qui se cache derrière1 .
Par exemple ce cas d’Erickson où il rencontre une jeune fille paralysée suite à une
section de moelle lors d’un accident de la route.
« Que voudrais-tu que je fasse pour toi ? »
« Aidez-moi à marcher à nouveau... » (demande autour d’une limitation)
« Et si je ne peux t’aider à marcher à nouveau ? »
« M’aider pour ma douleur ? » (difficulté conséquence inévitable de ses lésions neuro-
logiques)
« Qu’est-ce qui aggrave ta douleur ? »
« Quand je suis déprimée... » (problème sur lequel Erickson travaillera en explorant le
point de vue et en métaphorisant l’amélioration).

Autre exemple schématique


« Voilà, j’ai un enfant (limitation). Mais c’est compliqué... il a deux ans, il est en oppo-
sition (difficulté, qui pourrait à ce stade se résoudre par des conseils éducatifs ou de
l’information). Mais plus je lui dis d’arrêter, plus je m’énerve, plus je sévis et plus il
en rajoute, quand je cède c’est pire... » (problème qui nécessite un changement de
comportement et de pattern relationnel : à ce stade, de simple « conseils éducatifs »
ne fonctionneraient pas ou aggraveraient le problème.)
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Le patient n’est pas positionné en demandeur


!

Il s’agit de tous les cas où le patient est « envoyé » par une autre personne ou
une institution et qu’il ne souscrit pas à cette demande. C’est fréquent dans les
addictions, chez les adolescents ou dans des problèmes de couple ou familiaux
(Doutrelugne et Cottencin, 2013 ; Dolan et Pichot, 2003) ; c’est aussi bien sur
le cas dans toutes les démarches de soins sous contrainte (Seron et Wittezaele,
1998).

1. Cette distinction Limitation/Difficulté/Problème est une synthèse de plusieurs notions et est


développée avec d’autres éléments de communication dans notre ouvrage Écouter, parler : soigner
(Vuibert) cité en bibliographie.
112 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

Dans ces cas-là, impossible d’emblée d’user de toutes les démarches de com-
munication habituelles : le patient estime qu’il ne devrait pas être là ! Rien à
accepter puisqu’il ne se plaint pas, pas d’objectifs puisqu’il ne voit pas pourquoi
il ferait la démarche.
La communication thérapeutique est alors différente. Elle consiste à faire naître
et travailler sur la seule plainte travaillable : être contraint de venir. On interroge
alors la relation avec le référent (membre de la famille, tiers, institution) et on
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entre dans le monde du patient.
« Si je comprends bien vous ne vouliez pas être ici c’est (référent) qui vous y
envoie, et ça ne vous plaît pas / vous trouvez cela inutile. Je me retrouve aussi,
nous nous retrouvons tous les deux obligés de nous rencontrer pour cela. Que
faudrait-il que nous fassions / qu’il se passe, pour que (référent) n’ait plus de
raison de vous pousser à venir ? »
Il n’y aura pas d’autre objectif, pas de tâche, mais un travail qui pourra progres-
sivement s’ouvrir malgré l’absence initiale de demande.

Malgré une apparente technicité, les techniques de communication doivent ouvrir à


une forme de « spontanéité » ! De fait, les apprendre consciemment, s’entraîner, est un
passage obligé. Il est recommandé au lecteur-praticien souhaitant progresser dans le
domaine, de les expérimenter l’une après l’autre, d’en retenir une et l’essayer pendant
plusieurs entretiens pour s’y familiariser, avant de revenir au texte et de passer à la
suivante. C’est un bon moyen de s’en souvenir, pour pouvoir les « oublier » et les
utiliser spontanément.
Mener un entretien 113

B IBLIOGRAPHIE

ACKERMAN et al. (2003), « A review of thera- tings, The Haworth Clinical Practice Press, New
pist characteristics and techniques positively York Trad. Fr. La thérapie brève centrée sur
impacting the therapeutic alliance », Clin Psy- la solution, dans les services médico-sociaux,
chol Rev.Fév ;23(1):1-33. SATAS, Bruxelles.
ISEBAERT L., CABIE M.C. (2008), Pour une thé- MILGRAM S. (1974), Obedience to Authority: An
rapie brève, Érès Relations, Paris, réed. Érès Experimental View, Tavistock, Londres Trad. Fr.
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poche 2015. Soumission à l’autorité, Calmann-Levy, Paris.
DOUTRELUGNE Y. et COTTENCIN O. (2013), Théra- SERON C., WITTEZAELE J.J. (1998), Aide ou
pies brèves : principes et outils pratiques - 3e contrôle : l’intervention thérapeutique sous
édition. Masson. Paris. contrôle, De Boeck, Bruxelles.
DOLAN Y. et PICHOT T. (2003), Solution-Focused
Brief Therapy: Its Effective Use in Agency Set-
Chapitre 7

La relation d’aide
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Philippe Aïm

L s’établit avec notre patient ; Dès lors, comment la rendre aidante ?


A RELATION
Comment choisir mots et attitudes pour que le patient se sente entendu,
que le thérapeute puisse respecter le cadre nécessaire aux soins, et que les
deux interlocuteurs aient l’impression que la conversation est constructive ? Cela
passe essentiellement par des éléments du discours qui, mis bout à bout, font
que la forme du discours est la mieux à même de porter le message thérapeutique.

F LUIDITÉ DU DISCOURS
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Deux écueils à éviter : Le monologue


!

Le premier est le monologue. Le patient parle seul, le thérapeute approuve


parfois, ou se tait. Beaucoup d’entre nous ont rencontré des patients ayant
connu des thérapeutes silencieux qui leur ont semblé les mettre face au vide.
Pour les patients anxieux cela peut être déstabilisant. Certains modèles thé-
rapeutiques ont eu la « neutralité » comme idéal. Si le patient doit travailler
et élaborer par lui-même, alors tentons de le déranger le moins possible. Mais
l’intervention la plus minimale est déjà influente. Les systémiciens nous ont
appris qu’on « ne peut pas ne pas communiquer », et que nous le faisons à
plusieurs niveaux (notamment sens des mots et langage non verbal). Un certain
nombre d’expériences étonnantes nous ont montré que nous ne pouvons pas ne
116 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

pas influencer. L’on pense bien sûr au célèbre effet Rosenthal1 dans lequel la
conviction communiquée à l’enseignant qu’un étudiant est particulièrement doué,
entraîne une réelle augmentation des performances. Citons aussi la surprenante
expérience de Greenspoon (1955) dans les années 19502 , qui donna des indices
sur l’influence du thérapeute sur le discours du patient y compris jusque dans
ses petits assentiments, les fameux « mmh, hmm » qui font si souvent partie de
la caricature qu’on fait des « psys ». Deux sujets sont l’un derrière l’autre. Celui
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de devant, le sujet, ne voit donc pas celui de derrière, l’opérateur. Le sujet a
pour consigne de prononcer de façon aléatoire tous les mots qui lui passent par
la tête, pendant 50 minutes. L’opérateur a pour consigne (à l’insu du sujet) de
faire un « mmh hmm » d’approbation à chaque fois que le mot prononcé est au
pluriel et de se taire si le mot est au singulier. La plupart des sujets, à la fin de
l’expérience, n’ont pas compris en fonction de quoi l’opérateur acquiesçait ou
non. Et pourtant, ils se sont mis à prononcer de plus en plus de mots au pluriel,
sans s’en rendre compte, au fur et à mesure de l’expérience !
Dans une autre condition expérimentale, l’opérateur émet un murmure désap-
probateur pour les mots au pluriel... qui deviennent de plus en plus rares. Si
une communication aussi minimaliste qu’un murmure, exprimant une idée aussi
simple que l’approbation du pluriel produit un effet, combien plus faut-il tenir
compte de notre influence dans cet échange plus complexe, quand le patient
attend quelque chose de nous et que nos théories sont plus élaborées !
Le pari de la communication thérapeutique est que l’influence est inévitable, et
qu’il vaut mieux la rendre féconde, l’utiliser de façon créative, plutôt que la subir.
Il faut donc sortir de l’illusion de la neutralité et user à bon escient de la
communication.

Deux écueils à éviter : l’interrogatoire


!

Mais un second écueil à éviter est de mener un interrogatoire. Dans cette moda-
lité, le thérapeute, de ce qu’il faut faire, demander, obtenir, finit par mener
l’enquête. Il « cuisine » le patient pour obtenir les informations qu’il veut, et
dans l’ordre qu’il souhaite. Le procédé est habituel et a même montré une réelle

1. L’article original de Rosenthal (Rosenthal R., Jacobson LF., « Teacher Expectation for the
Disadvantaged », Scientific American, 1968, vol. 218, no 4, p. 19-23) se trouve assez facilement
sur Internet. Voir aussi une explication en vidéo sur la chaîne YouTube « CommPsy ».
2. Greenspoon J. « The reinforcing effect of two spoken sounds on the frequency of two res-
ponses. » Amer. J. Psy. 1955, 68, 409-16.
La relation d’aide 117

efficacité lorsqu’il s’agit de soins physiques, de gestes techniques ou de pres-


criptions. Mais, dès lors que nous souhaitons voir le patient faire par lui-même,
opérer un changement à partir de lui-même et dans sa propre vie – bref, dès qu’il
est question des aspects psychologiques, psychothérapeutiques, relationnels,
que l’on souhaite que le patient s’approprie –, il nous semble préférable que le
patient ne soit pas soumis à un « plan » que le thérapeute ait l’air de suivre.
Erickson (Vesely, 2014) se méfiait beaucoup des théories, reprenait ses étudiants
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à chaque fois qu’ils interprétaient excessivement, allant jusqu’à dire qu’il faudrait
« une théorie par patient » pour éviter le risque de le figer dans une (notre)
vision du monde pas assez individualisée pour lui.
La communication est un cadre dans lequel peut émerger une différence que le
patient pourra in-corporer.
Il ne s’agit pas que de difficultés psychiques bien sûr, mais aussi de tout ce qui
relève de la relation au sein même des soins en général comme la confiance, la
sécurité relationnelle, l’observance.

Constructionnisme
!

Pour échapper à ces écueils, l’on peut proposer de demeurer résolument


« constructionnistes » en reconnaissant que les croyances en thérapies ne
doivent pas être pensées en fonction de leur vérité, mais bien en fonction de
leur utilité et de l’effet qu’elles produisent.
Quand le cadre même de la conversation est plus favorable, quand il n’est
ni un monologue anxiogène ni un interrogatoire impersonnel – bref, quand
il se déroule comme une conversation –, il est l’outil le plus important de la
communication thérapeutique et du changement.
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Une grande partie de l’efficacité de la démarche psychothérapeutique repose


donc sur la fluidité du discours.

R EBONDIR

L’outil le plus important à cet effet consiste à rebondir sur les propos du patient
lors de l’anamnèse. Quand nous cherchons des informations, le faire dans un
ordre qui nous paraît logique peut laisser penser que nous suivons notre plan
et détenons la solution. Si nous sommes convaincus que celle-ci appartient au
patient et qu’il doit se l’approprier, tenir un cadre trop rigide dans l’interrogatoire
est à proscrire.
118 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

« Rebondir » signifie que l’on va poser une question en rapport avec la dernière
réponse du patient. Le principe paraît simple, mais son application demande un
effort d’autant plus grand que l’on recherche des informations, parfois nécessaires
(comme les antécédents médicaux ou l’historique du symptôme).

« Votre douleur est présente depuis longtemps ? »


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« Ah si je n’avais que cette douleur ! Je me sens aussi très fatigué ! »
Possibilité 1
« Mais pour cette douleur, combien de temps que ça dure ? »
« Ah oui, pardon, euh, donc ça fait 6 mois... »
Possibilité 2
« Il y a donc aussi de la fatigue ? »
« Oui...je me sens épuisé, surtout le matin... »

Rebondir montre qu’on écoute attentivement. Pousser le patient à répondre


dans un ordre qui nous convient peut sembler un signe de professionnalisme et
donne le message que nous avons la clé ou la juste façon d’aborder le problème.
Il faudra alors assumer...
Par ailleurs, rebondir nous laisse respecter la ligne de pensée du patient. Cela
nous renseigne sur sa façon particulière d’aborder sa difficulté actuelle et lui
facilite ce moment. Cela n’empêche pas d’avoir une check-list, mais cela doit
rester notre problème de reconstituer la hiérarchie des données même si elles
ne nous ont pas été données dans l’ordre idéal.
Pour prendre un exemple un peu similaire, les médecins savent que dans leurs
premières années d’étudiant, ils examinaient le patient (sans même parler de
l’entretien préalable) dans un ordre « logique », celui dans lequel on leur deman-
derait de présenter leurs observations. L’appareil cardio-vasculaire, l’examen
pulmonaire, neurologique, moteur... Chacun de ces éléments peut nécessiter
d’examiner le patient tantôt assis, debout, couché. C’est donc une véritable
gymnastique pour notre patient qui a accepté de se prêter au jeu d’être utile à
l’apprentissage du jeune carabin. Peu à peu, le médecin en formation apprendra
à examiner le patient, par exemple « des pieds à la tête », et à le faire se lever
et s’asseoir une seule fois pour toutes. Il comprend que c’est à lui de démêler
et d’ordonner toutes ces informations de l’examen clinique en fonction de son
prisme de lecture. Il en va de même pour l’entretien : privilégier un ordre naturel,
La relation d’aide 119

confortable pour le patient, et par la suite faire votre opération de remise en


ordre, si vous avez besoin d’un tel plan.
Enfin, le fait de rebondir permet, malgré tout, d’orienter la conversation. Il
faudra cependant le faire de façon discrète et subtile, en choisissant un aspect
de la réponse du patient pour notre questionnement suivant. Par exemple la der-
nière « réplique du patient » que nous venons de présenter nous ouvre plusieurs
possibilités.
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« Oui, je me sens épuisé surtout le matin. »
Possibilités :
1 : « Y a-t-il encore d’autres symptômes ? » pour continuer à explorer la plainte.
2 : « C’est le matin aussi que la douleur commence ? » si nous voulons revenir sur la
douleur.
3 : « Cette fatigue a commencé à la même époque ? » si nous continuons à nous
intéresser à la chronologie.
4 : « Eh bien tout cela accumulé doit être difficile ! » si l’on souhaite renforcer l’alliance
tout simplement.
Etc.

Nous pouvons donc souvent obtenir les résultats que nous souhaitons, en rebon-
dissant toujours, de façon respectueuse et fluide.

L ES MOTS QUI ACTIVENT, LES MOTS QUI BLOQUENT


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La communication thérapeutique présente des aspects techniques, dont l’un des


plus pointilleux est l’attention qui doit être portée à ne pas donner exactement
le message que l’on veut éviter.
Le parcours est donc balisé. Les psychologues s’intéressent depuis longtemps à
ce qu’on nomme « l’effet ours blanc », qui fait qu’une pensée que l’on cherche à
éviter (comme un ours blanc mais cela pourrait être aussi une panthère rose)
s’impose quand on la repousse. De ce fait, il est recommandé de ne pas faire
passer un message par la négation de son contraire. Et pourtant, c’est ce que
nous faisons à longueur de temps. La phrase la plus répétée dans les hôpitaux
étant probablement : « Ne vous inquiétez pas », suivie de près par : « Ça ne fait
pas mal ».
120 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

Un enfant peu farouche, entendant son parent l’accompagner chez le dentiste en


lui disant « ça ne fait pas mal, n’aie pas peur, le monsieur n’est pas méchant »,
n’aura l’empreinte mentale que des mots « peur, mal, méchant ».
Optez donc pour des phrases comme « rassurez-vous », ou bien pour des descrip-
tions réalistes comme « ça pique un peu au début ». De même, tout « détourne-
ment de l’attention » doit se faire au profit de ce à quoi il faut penser à la place
plutôt que des formulations comme « pensez à autre chose que votre stress/vos
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douleurs, etc. »
Plus subtile et tout aussi importante, la nécessité de retirer le mot « mais » du
vocabulaire. Ce mot a le même effet qu’une négation sur la première partie de la
phrase, qu’il vient en fait exclure plus que compléter...
Chacun connaît les exemples de la vie quotidienne, bien malheureux, comme
« c’est du bon travail mais... » ; « j’apprécie ce que tu fais mais... ». Dire « mais »
c’est dire « non ».
Ainsi, si l’on souhaite vraiment réduire, minimiser, exclure, l’usage du « mais »
est possible. Quand, en revanche, on veut ajouter quelque chose, nuancer une
affirmation, amener une différence sans nier les propos et le point de vue de
l’interlocuteur (surtout quand il s’agit du patient !) alors remplacer systémati-
quement le « mais » par « et » est une habitude indispensable.
Songeons à la différence, tout simplement, entre « vous allez très mal en ce
moment mais vous êtes venu ? » qui sera potentiellement compris comme une
négation ou atténuation de la souffrance du patient. Tandis que « Vous allez très
mal en ce moment et vous êtes venu ? », formulation qui souligne le courage du
patient d’être venu en surmontant pour cela ses difficultés, ce qui est bien le
message que l’on souhaite lui donner.
Pas besoin ici de démultiplier les exemples. Chacun peut faire par lui-même
l’essai de remplacer mais par et, puis d’évaluer la différence.
Enfin, l’on peut attirer l’attention sur le mot « si ». Celui-ci contient en lui-même
une part d’incertitude et de probabilité et peut être utilement remplacé par
« quand », lorsqu’on souhaite parler d’un événement souhaitable.
« Si vous allez mieux, que ferez-vous ? » / « Quand vous irez mieux, que ferez-
vous ? »
Reste aussi la possibilité de s’intéresser aux mots problématiques : ceux qui
contiennent une connotation trop immédiate par rapport à la durabilité (rem-
placer le mot « plaisir » par « agréable ») ; ceux qui contiennent une notion de
probabilité d’échec (« tenter », « essayer ») ; ceux qui expriment le problème
La relation d’aide 121

de façon trop frontale (il est classique de remplacer la « douleur » par « l’incon-
fort », « quelque chose qui dérange dans le corps ») ; ou de préférer orienter
sur le but que sur la lutte contre (remplacer le problème « dont on veut se
débarrasser » par le but « que l’on souhaite atteindre » ou même « que l’on n’a
pas encore atteint »).
Si chaque mot compte, alors une véritable « asepsie du langage » peut se mettre
en place.
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Cependant il convient d’avertir le lecteur, il vaut mieux se tromper un peu, dire
« mais » ou « lâcher » une négation ou un mot qui parle un peu trop durement
du problème ; plutôt que d’avoir un discours très emprunté, saccadé parce qu’on
réfléchit à chaque morceau de phrase. Policer les conversations, craindre des
« erreurs » de façon obsessionnelle, nuirait précisément à la fluidité que l’on
recherche ! Certes, chaque mot compte, il est évident qu’en matière de commu-
nication, « le diable (ou Dieu selon les versions) se cache dans les détails » ;
cependant la tenue globale de la conversation et l’impression générale de fluidité
peuvent être encore plus importantes pour la création de la relation. Ces outils
sont d’excellents moyens au service d’une fin plus globale, que l’on ne doit pas
perdre de vue.
La concentration que cela demande dans les débuts, associée à l’entraînement des
entretiens, rendront vite ces petits « tics de langage » tout à fait automatiques,
et les conversations prendront très facilement, vous le verrez une tout autre
tournure.

Évoquer, suggérer, expliquer


!
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Quand la commission Lavoisier a analysé méthodiquement le « magnétisme » de


Mesmer à la fin du XVIIIe siècle, elle a affirmé dans son rapport que le magnétisme
(en tant que phénomène tel que décrit par son inventeur) n’existait pas et qu’on
pouvait attribuer les effets de cette médecine à l’imagination. La « médecine
de l’imagination » fut méprisée, comme si c’était une insulte, ce qui a sûrement
décalé de quelques décennies les recherches sur le pouvoir de l’imagination (et
de l’esprit en général) sur la guérison. Mais avec du recul, on apprécie à sa
juste valeur cette première reconnaissance par les autorités scientifiques de la
possibilité qu’imaginer soit thérapeutique.
L’hypnose, la thérapie brève mais aussi le constructionnisme et les prophéties
auto-réalisantes, les neurones miroirs, la production de faux souvenirs, les tech-
niques de communication dans leur ensemble nous ont amenés petit à petit à
122 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

confirmer que l’évocation d’une réalité possible pouvait grandement contribuer


à la créer dans notre réalité subjective.
Aujourd’hui on peut revendiquer l’usage de l’évocation, de la suggestion et de
l’imagination comme outils à part entière. Évoquer permet de laisser le patient se
saisir de ce qu’il a besoin et de la façon qui lui sied le mieux. L’hypnose n’hésite
pas à métaphoriser le problème, la ressource et la solution, sans expliquer
clairement au patient le lien entre l’histoire racontée et sa situation.
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Mais, hors des métaphores construites et complexes, on ne saurait trop encoura-
ger le praticien à raconter, comme elle lui vient, une histoire, même en rapport
assez lointain avec la situation, afin de voir si le patient s’en saisit. Je suis avec
une patiente à qui je demande comment elle se sent depuis la dernière séance.
Elle me répond « Parfois c’est un peu comme... je ne sais pas... comment dire,
parfois je ne sais pas... »
Je m’entends alors lui répondre « C’est bizarre cela me rappelle quand hier j’ai
voulu me préparer un café, la machine fait un drôle de bruit et ne démarre pas, je
me demande ce qui se passe mais je ne sais pas, puis encore un autre bruit et là,
je ne sais pas... finalement, j’ouvre le couvercle et m’aperçois que j’ai oublié de
sortir la capsule de café de la veille qui est restée coincée, comme collée... j’essaie
de la décoller et finalement il a fallu que je force un peu, mais une fois décollée,
la machine a redémarré... »
Dans le pire des cas, la patiente ne comprend pas pourquoi vous parlez de cela.
Mais elle peut aussi se saisir de l’histoire pour se demander ce qu’on peut
chercher plus avant quand on ne sait pas / ce qui peut parfois rester collé (du
passé ?) et empêche de redémarrer / ce pourquoi il faut se forcer parfois, etc.
On a souvent tort de ne pas évoquer l’analogie qui nous vient spontanément.
Utiliser donc les anecdotes vues dans des films, lues dans des livres ou même dans
la vie quotidienne (Erickson était un maître en la matière). L’on peut toujours
demander l’autorisation pour introduire l’analogie (« je ne sais pas pourquoi, ça
me rappelle une histoire, si vous permettez je vous la raconte ? »), et si l’histoire
ne prend pas, il est toujours possible d’en prendre acte (« je ne sais pas si cela
peut vous aider, mais c’est ce qui m’est venu comme ça, en vous écoutant... »).
C’est aussi ce qui justifie qu’une tâche thérapeutique possible soit la prescription
d’aller voir tel film ou de lire tel livre, d’écouter telle chanson...
Évoquer peut-être aussi appeler un futur résilient ou sans le problème, de façon
directe ou même analogique « tiens ce serait un peu comme si... ». Cette formule
presqu’enfantine nous rappelle qu’une part de nous reste en enfance. L’incons-
cient a un aspect enfantin pour Erickson, et il est le mieux à même d’aider.
La relation d’aide 123

« Imaginons votre thérapie finie... », « Imaginons que cette séance vous soit
profitable... » : une histoire co-construite sur ce thème aiderait le patient à y
voir plus clair dans ses objectifs, à différencier ceux qui sortent du domaine du
possible et ceux qui sont déjà partiellement accessibles.
Le patient aussi évoque également, notamment des images qu’il faut prendre au
sérieux, analogies ou métaphores, mais aussi langage corporel. Un geste vaut
de nombreux discours. Par exemple un patient parle d’un ressenti, « comme une
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sorte de... » et accompagne cette expression d’un geste. Le thérapeute peut alors
reprendre ce geste à chaque fois qu’il en sera question. « Et donc ce (geste), cela
vous est déjà arrivé auparavant... » « Quoi de nouveau en ressentant ce (geste) ».
Le langage non verbal dans son ensemble est une suite d’évocations, il en a
déjà été question précédemment, c’est une part de la communication à ne pas
négliger. Il s’agit simplement d’y être attentif et d’accorder autant d’importance
à ces messages apparemment implicites qu’aux mots explicites.
L’évocation et même la suggestion peuvent aussi se faire à partir de ce qu’O’Han-
lon appelle des « mots-colis »1 , un mot employé par le thérapeute, volontaire-
ment polysémique, qui laisse le loisir au patient de s’en saisir pour en garder
quelque chose de personnel et adapté. Vous envoyez un colis au patient qui
l’ouvre et y découvre quelque chose. Par exemple « Vous ressentez alors une
sensation très particulière », formulation vague s’il en est mais qui évoque claire-
ment quelque chose à celui qui ressent. « C’est une expérience intéressante », « Il
y a comme une différence ». Les hypnopraticiens sont coutumiers de ce genre de
formulations, en réalité respectueuses et dans l’acceptation du vécu du patient.
Parfois cependant, l’évocation implicite doit laisser place à l’explication explicite.
Erickson, dit-on, affirmait faire de l’hypnose un tiers du temps et passer un autre
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tiers du temps à donner de l’information, ce qui n’est pas négligeable.


Il est parfois dans notre rôle d’informer un patient qui manquerait de certaines
connaissances, sur ce qui lui arrive (en termes psychologiques ou médicaux si
besoin), sur ce qu’il est courant de faire en telle situation, sur ses besoins. Par
exemple, il peut arriver d’informer le patient sur la notion d’intimité si elle ne
lui a pas été transmise, sur la façon d’entendre les besoins d’un enfant ou de
marquer des limites s’il n’a pas d’expérience constructive dans le domaine, sur la
façon de faire certaines démarches, sur ses propres besoins (la nécessité d’un
rythme ou de certaines conditions pour avoir un meilleur sommeil, la nécessité

1. Parmi d’autres techniques hypnotiques de communication décrites dans son livre cité en
bibliographie.
124 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

d’équilibrer son alimentation...), informations sur les symptômes (par exemple,


les flash-back sont des phénomènes hélas courants après un traumatisme), etc.
L’on s’appuiera alors parfois sur notre propre expérience. Nous avons réussi
certaines choses, à commencer par aboutir à notre métier, nous débrouiller dans
notre vie, même avec nos faiblesses et nos échecs inévitables, et même sans
avoir à « raconter notre vie », nous avons des compétences, une expérience, des
réponses que le patient vient parfois chercher.
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En vérité, c’est lorsque les solutions de bon sens échouent ou aggravent le
problème qu’une simple information-conseil ne suffit plus et est à proscrire. Dans
ces cas, la thérapie prend tout son sens, avec sa stratégie. Mais il serait dommage
qu’une démarche plus simple, comme l’information, ne soit pas exploitée dans
les situations adéquates.

Reformuler, recadrer, répéter


!

Reformuler, est parfois un des seuls conseils que l’on donne au psychothérapeute
débutant, en expliquant rarement l’utilité, les modalités ou l’objectif de cet outil.
La reformulation ne veut pas dire qu’il faut simplement répéter ou paraphraser les
propos du patient. La reformulation, comme toute technique de communication
s’inscrit dans une stratégie, avec un objectif.
" En premier lieu, il s’agit de s’assurer d’avoir bien compris ce que le patient
a à dire. Reformuler, passer ses paroles par le filtre de notre compréhension,
sert avant tout à s’accorder. De ce fait, il faut que la reformulation entraîne
un acquiescement (au moins un assentiment d’un léger mouvement de tête
ou d’un regard) pour s’assurer qu’elle atteint son but.
" La reformulation peut aussi servir à mettre l’emphase sur une partie du propos,
ou réorienter la conversation si elle est une reformulation partielle.

Exemple
« J’ai vraiment eu mal depuis deux semaines, je ne sais pas si c’est en lien avec le
stress de mon licenciement...je ne m’attendais pas à ça, j’ai failli ne pas venir... »
Ce genre d’énoncé ouvre plusieurs portes, dont certaines peuvent être :
« Donc, la douleur s’est aggravée depuis deux semaines par rapport à avant. »
(recherche de l’historique du symptôme)
« Le licenciement a donc été plus stressant que prévu... » (réorientation sur le contexte
de survenue)
« C’est la même douleur en plus intense donc...et vous ne l’aviez pas connu comme
ça par le passé... » (Interroge sur les antécédents)
La relation d’aide 125

« Ça a l’air vraiment dur pour vous. Et vous êtes quand même venu. » (empathie,
alliance, souligne la difficulté du patient, peut être complété par une question comme
« comment tenez-vous ? » qui est indirectement un compliment.)
La dernière partie de la phrase à elle seule permet diverses possibilités.
« Vous aviez mal au point d’hésiter à venir aujourd’hui... »
« Vous n’étiez pas certain que la séance vous aiderait peut-être. »
« Vous avez dû faire de gros efforts pour venir jusqu’ici. »
Etc.
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! Plus la reformulation amène ou met l’emphase sur une idée nouvelle, bref, plus elle
« recadre1 le propos », et plus il faut y mettre de parachutes. Nous entendons par
ce mot les précautions oratoires qui précèdent la reformulation. Elles ont pour effet
de demander une sorte d’autorisation, qui est aussi une autorisation de se tromper.
« Si je comprends bien / Arrêtez-moi si je me trompe / Il me semble donc com-
prendre que / On pourrait dire [...] que malgré vos difficultés grandissantes, vous
n’avez pas renoncé à espérer que la thérapie pourrait vous amener quelque chose... »
Il en va évidemment de même pour les recadrages « réels », s’appuyant moins sur
une reformulation directe des propos.
P : « Je suis tellement en colère contre elle... »
T : « En vous écoutant, on a l’impression, mais arrêtez-moi si je me trompe, que vous
avez cherché de l’appui auprès de cette personne, vous avez été déçu et cela vous a
même semblé injuste qu’elle ne vous aide pas en ces circonstances ? »
P : « Oui, exactement... »
T : « Donc la notion de justice, d’équité, on peut dire que c’est quelque chose d’impor-
tant ? C’est bien cela ? »
L’acquiescement sera un signe clair de renforcement de l’alliance autour d’une nouvelle
compréhension. Mais les parachutes permettront de se tromper sans que le patient
vous en tienne rigueur.
« Non, plutôt la notion d’entraide, de solidarité... »
! Répéter exactement ce que le patient vient de dire est une technique d’usage
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plus rare. Elle doit servir à renvoyer au patient ses propos afin qu’il puisse « les
entendre ». Mais cela implique de répéter précisément ce qui est dit, par exemple
en disant « je » si le patient a dit « je ». Cette façon de faire induira une certaine
« confusion » et plonge littéralement le patient dans ses propos. Cela est utile
quand un propos semblant nouveau, surprenant ou « fort » est prononcé.
L’effet de recadrage peut parfois être étonnant. Lors d’une récente séance, une
patiente me dit : « J’ai rien fait de ma vie...j’ai rien fait... »
Je lui réponds « J’ai rien fait de ma vie...j’ai rien fait... »

1. Il faut entendre ici recadrage comme un changement, un décalage de cadre d’observation,


métaphore photographique ou cinématographique ; et non pas comme remettre, réaffirmer le cadre
d’intervention comme on peut le comprendre le plus souvent dans le milieu de l’éducation ou de
la prise en charge psychiatrique.
126 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

Elle : « J’ai rien fait, c’est vrai, j’ai rien fait pour mériter tout ça... »
Moi : « J’ai rien fait... »
Elle : « Alors que vais-je faire ? »
Nous passions alors de la plainte à la demande.
Le plus fréquent est de l’utiliser pour souligner un recadrage spontané du patient ou
un nouveau progrès.
P : « J’étais vraiment bien, c’est étonnant ! »
T : « C’est étonnant, j’étais vraiment bien »
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P : « Oui, ça me fait bizarre de le dire... »

Ordonner et prescrire
!

Nous voudrions ici distinguer deux cas.


D’une part, celui de la prescription qui intervient dans un contexte médical,
soignant, souvent somatique, et qui constitue le soin qui apparaît au soignant
le plus adapté pour le patient. Il peut s’agir d’une prescription médicamenteuse
mais aussi d’une décision d’hospitalisation, de conseils hygiéno-diététiques...
Quand elle émane du médecin, elle se fait souvent sur une « ordonnance », mot
qui en dit long sur l’asymétrie de la relation. L’enjeu est donc ici que le patient
s’approprie ce qui émane du soignant et de son raisonnement pour qu’il y ait
acceptation, observance, confiance.
D’autre part, la « prescription de tâches » en thérapie. Il est en effet très fré-
quent, dans de nombreuses formes de psychothérapies que le thérapeute donne
au patient une tâche, une mission entre cette séance et la suivante. Il s’agit
en théorie de tâches « sur mesure », émanant théoriquement de la situation du
patient, et visant à avancer de façon spécifique. Nous rappellerons là uniquement
quelques règles générales à ce sujet.

De l’ordonnance à l’observance

De la même façon que la confiance envers le thérapeute émane du patient, le thé-


rapeute ne pouvant que créer les conditions pour qu’elle survienne ; l’observance
thérapeutique également1 est l’affaire du patient. Charge pour le thérapeute de
créer les conditions pour que le patient accepte, s’approprie et se motive pour
cette « ordonnance » qui devient sienne.
Quelques éléments peuvent aider.

1. Hors du cadre très particulier des soins sous contrainte.


La relation d’aide 127

Exprimer l’ordonnance en fonction des besoins du patient plutôt que des théories
du soignant
Le soignant se doit de se demander sans cesse ce que veut vraiment le patient
(cela paraît simple mais l’expérience montre que cette question ne se pose pas
assez) et ce dont il a besoin. Il est rare qu’il l’exprime spontanément dans des
(nos ?) termes médicaux, psychologiques ou techniques ! Pour la même pres-
cription la présentation sera différente selon le patient. Par exemple, souvent à
partir du même symptôme on peut se demander si le patient est plus en attente
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d’une amélioration fonctionnelle ? D’un plus grand confort face à la douleur ?
D’un meilleur sommeil ? D’une prévention de nouvelles crises/rechutes ?
Nous proposons la façon suivante, qui n’a pas valeur de protocole mais d’exemple
pour nous aider à conjuguer les besoins du patient et les contraintes de notre
cadre de travail :
➙ Ratification des symptômes et de la plainte principale (« vous souffrez »).
➙ Exprimer un objectif (« ce qu’on veut à la place »).
➙ Ratifier du côté du soignant l’expression des symptômes et de l’objectif (« je
constate également que »).
➙ Faire un pont entre besoin et prescription (« c’est pour cela que je vous
propose ce traitement »).
« Si j’ai bien compris vous avez (symptômes, plaintes, difficultés)...
Parmi cela vous êtes particulièrement gêné par (plainte majeure) et vous aimeriez
donc (objectif, besoin, exprimé en termes positifs)...
En vous examinant/écoutant j’ai bien vu (éléments exprimés simplement qui
justifient la plainte/l’objectif/prescription)...
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Donc pour vous aider au mieux par rapport à (besoin) je vous propose (prescrip-
tion). »
Cette façon de faire dénote d’un état d’esprit général.

En position haute sur la théorie, en position basse sur la pratique


Nous restons experts de notre domaine de compétence, nous gardons nos connais-
sances, nos savoirs, mais le patient est un expert de sa propre vie et du domaine
d’application de la prescription, de l’intégration de celle-ci à son contexte, de
l’adéquation avec ses objectifs personnels.
Donc nous restons en position « haute » sur les aspects techniques (nous savons
parfois ce qui est le plus recommandé scientifiquement sur de tels symptômes),
128 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

mais toujours en position « basse » dès qu’il s’agit de la vie du patient. Et c’est
lui qui mettra la prescription dans sa vie.

L’accompagner d’une tâche d’observation


Pour impliquer le patient « jusqu’au bout », on peut recommander au patient
d’être attentif aux signes de changement. Dans une perspective constructiviste,
cette attention portée à ce qui change, ce discours attendu sur les changements,
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va les mettre en valeur voire littéralement les construire.
« Je vous recommande d’être attentif à (tâche d’observation des changements,
éventuels rendez-vous suivants pour parler de ces changements). »

Exemples :
« J’entends que ces voix qui vous parlent vous gênent, surtout celle qui vous menace.
Je sens en vous écoutant que vous semblez très inquiet par tout cela. Pour vous aider
à ce que “ça parle moins fort”, je peux vous proposer un traitement qui est efficace
pour les patients qui ont ce genre de problèmes. Si vous voulez, je vous reverrai dans
quelques jours et vous me direz quelles sont les différences que vous noterez. »
« Vous êtes de plus en plus fatigué et votre prise de sang me questionne. Pour que
nous en ayons le cœur net, j’ai un examen à vous proposer, un peu contraignant
mais qui nous permettra d’en savoir plus. Quand vous l’aurez passé, nous repren-
drons rendez-vous pour lire les résultats et avoir votre avis sur les options qui seront
possibles. »
« Donc si je comprends bien votre douleur dans la poitrine s’aggrave. Cela vous
inquiète, c’est bien normal. De mon côté j’ai lu votre électrocardiogramme. Il s’agit
bien d’un infarctus. Nous sommes à un stage où l’on peut agir. Pour vous aider au
mieux il faudrait rapidement vous transférer en cardiologie. Une fois là-bas, je vous
joindrai pour me tenir au courant et que vous me racontiez comment les choses se
sont déroulées. »

De la prescription à la thérapie

Prescrire une tâche dans une psychothérapie revient à valider, sur le plan analo-
gique, l’idée que l’essentiel de la thérapie se passe entre les séances et du fait
du patient lui-même.
Elles sont aussi le moyen pour le patient de vivre des expériences.
Si vous êtes un thérapeute stratégique aguerri vous savez déjà le raisonnement
qui permet d’aboutir à la prescription d’une tâche, éventuellement paradoxale,
qui constituera en elle-même une expérience de changement.
La relation d’aide 129

En revanche, si vous prescrivez (ou souhaitez prescrire) régulièrement des tâches


thérapeutiques sans méthodologie trop complexe, voici quelques règles de pres-
cription pour tirer le meilleur des tâches thérapeutiques simples.
" Ne donnez pas de tâches si vous ne savez pas laquelle donner. Mieux vaut
laisser agir la séance elle-même plutôt que donner une tâche incertaine,
inefficace et à laquelle on ne « croit » pas.
" Donner une tâche accessible au patient pour éviter le sentiment d’échec.
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" Présenter la tâche (ou le traitement à suivre ou autre) comme difficile. Cela
donnera de la valeur à la réussite et diminuera le sentiment d’échec.
" Les tâches « passe-partout » sont les tâches décrites plus haut visant à
observer les changements, les exceptions. Cet exercice de focalisation donne
corps aux exceptions, aux ressources dont elles témoignent et enrichissent la
conversation à la séance suivante.
" On peut penser à prescrire une tâche en séance, en compagnie du prati-
cien si cela s’y prête, que l’on discutera comme n’importe quelle expérience
correctrice.
" Ne donner des tâches dites « paradoxales » (prescription de symptôme, pres-
cription d’aggravation, tâches illogiques...) seulement si : a) le patient est
très « client », motivé par la thérapie, disposé à travailler et b) si la tâche
mène à un arrêt des tentatives de solutions qui aggravent le problème (les
« solutions de bon sens » que le patient a essayé, de façon de plus en plus
importante, et qui généralement n’ont fait qu’amplifier la focalisation sur le
sentiment d’échec, au point qu’elles deviennent elles-mêmes le problème).

Que faire si le patient ne fait pas la tâche ?


© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Dans une perspective stratégique, la tâche est au cœur du processus thérapeu-


tique, elle nécessite d’être faite car elle enclenche le mécanisme du recadrage.
Parfois elle peut être « désobéie », et prescrite à cet effet, ce qui mène au
changement.
Mais là aussi, si vous n’êtes pas un stratégiste accompli, de façon plus globale
il faut savoir rattraper la tâche non faite. Toute question, toute tâche, toute
séquence de thérapie doit pouvoir être « biodégradable », c’est-à-dire ne pas
laisser de trace dans l’environnement du patient.
" Si la tâche prescrite n’a fait que renforcer le problème. C’est souvent qu’on a
participé aux « solutions de bon sens » plutôt qu’à un vrai recadrage. Cela peut
être aussi que la tâche a révélé un problème plus gênant qui était « masqué »
130 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

par la demande initiale. Dans ces cas-là, en profiter pour signaler au patient
que, grâce à cela, « on comprend mieux comment le problème fonctionne. »
" « Qu’avez-vous fait d’intéressant à la place ? » est une question clé qui
permettra de mettre en avant la démarche personnelle du patient. Rien ne nous
dit que notre tâche aura le résultat escompté. Aussi, il peut être intéressant
d’envisager ce que le patient a préféré faire par/pour lui-même.
" Si le patient semble mettre en échec la tâche et chercher plutôt une recon-
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naissance de sa souffrance que témoigner d’une motivation infaillible au
changement. C’est parfois que la relation de confiance, basée sur l’affiliation
à la souffrance du patient, n’était pas assez établie. Il s’agit donc de faire
un pas en arrière en direction de l’acceptation. « Peut-être la tâche était trop
difficile ? J’ai dû sous-estimer la gravité de ce qui vous arrive. Je vois encore
plus clairement que votre problème est difficile... C’est pour cela que j’avais
donné un travail difficile... Mais je vois que c’est encore plus difficile que ce
que je pensais... ». L’acceptation, l’exagération presque, de la souffrance du
patient permet de s’affilier à nouveau. Il vaut mieux prendre le risque de
« trop » percevoir la souffrance et que le patient nous rassure que l’inverse...

Ê TRE ATTENTIF AUX EFFETS , AUX DIFFÉRENCES ,


AUX INTUITIONS

Parfois, ce que l’on dit, ce que l’on fait, ce que l’on communique, a un effet
alors qu’on ne l’attendait pas, provoque des résultats alors qu’on ne saurait à
peine expliquer notre démarche. Nos interventions parfois par hasard, parfois
inexpliquées, inexplicables produisent des résultats qui nous rappellent que
c’est bien le patient qui fait la thérapie et finalement se prescrit à lui-même la
guérison, faisant de notre intervention un « prétexte au changement », que l’on
n’a pas toujours besoin de comprendre et expliciter.
La règle la plus absolue est donc, selon le mot attribué à Erickson : « Observer,
observer, observer », être attentif à tout indice, à toute différence.
Au fait, certains se demandent peut-être depuis quelques paragraphes ce qu’Erick-
son faisait le dernier tiers de son temps avec les patients. Eh bien ce dernier
tiers du temps, il affirmait, dit-on, ne pas savoir exactement ce qu’il faisait. Sa
clinique témoigne que cette liberté qu’il se laissait, celle de ne pas toujours
savoir, de ne pas toujours comprendre et d’agir quand même selon son ressenti,
donnait des résultats réels. Il ne s’agit pas de faire « n’importe quoi », car c’est
bien la maîtrise exceptionnelle de la thérapie qui lui permettait d’être inventif,
La relation d’aide 131

comme un musicien qui, connaissant parfaitement ses gammes, pourrait alors


improviser et se laisser aller avec créativité.
Au sein d’une pratique de communication qui présente d’évidents aspects tech-
niques à intégrer, puisse cette idée nous apporter un peu de liberté et de
spontanéité.
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Poncif s’il en est : chaque individu a une personnalité unique. Chaque rencontre l’est
donc encore plus. Rien ne saurait résumer, contenir la magie et la complexité d’une
rencontre, qui plus est dans ce contexte. On ne peut pas la réduire à des « recettes
rationnelles ».
Ce n’est pas pour autant qu’il n’y a rien à en dire ni rien à apprendre à ce sujet ! Même
l’art, même l’improvisation sont maîtrisées par ceux qui connaissent les techniques
et s’y entraînent. Nous l’avons dit, il s’agit de les apprendre, puis de les oublier pour
pouvoir s’en rappeler spontanément au bon moment. Avec quelques idées et outils
raisonnablement stratégiques, généraux et adaptables, c’est la relation elle-même qui
devient thérapeutique.

B IBLIOGRAPHIE

AÏM P. (2015), Écouter, parler : soigner. Guide de tings, The Haworth Clinical Practice Press, New
communication et de psychothérapie à l’usage York Trad. Fr. La thérapie brève centrée sur
des soignants. Vuibert ESTEM, Paris. la solution, dans les services médico-sociaux,
SATAS, Bruxelles.
DE JONG P. KIM BERG I. (1997), Interviewing for
Solutions, Brooks/Cole, Pacific Grove CA Trad. ISEBAERT L., CABIE M.-C., DELUCCI H. (2015),
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Fr (2009) De l’entretien à la solution. SATAS, Alliance thérapeutique et thérapies brèves, ERES,


Bruxelles. Paris.
DOUTRELUGNE Y. et COTTENCIN O. (2013) Théra-
pies brèves : principes et outils pratiques, 3ème O’HANLON W.H. (2009), L’hypnose orientée vers
édition, Masson, Paris. la solution. SATAS.

DOLAN Y. et PICHOT T. (2003), Solution-Focused VESELY A. (2014) The Wizard of the Desert, Noe-
Brief Therapy: Its Effective Use in Agency Set- tic, DVD.
Chapitre 8

Sortir du cadre
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Isabelle Prévot-Stimec

I L ARRIVE PARFOIS, au cours d’une relation thérapeutique, que le patient soit


bloqué dans la problématique qui l’a amené à consulter. Il faut alors trouver
et mettre en place d’autres stratégies qui vont permettre de retrouver un élan,
une dynamique dans cette relation. Les motifs de ces situations de blocages
peuvent être vastes, et l’objectif de ce chapitre n’est pas d’en établir la liste
exhaustive : il s’agit le plus souvent de la perception d’une absence de choix
possibles, quelles qu’en soient les raisons.

C ADRE DES STRATÉGIES POUR SORTIR DU CADRE


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Ces stratégies différentes vont amener :


➙ soit le thérapeute à sortir de son cadre habituel de consultation,
➙ soit le patient à sortir de son propre cadre, au sens de la norme intégrée, des
idées reçues, préjugés, croyances limitantes ou encore de son mode de vie, ou
de ses pensées autoréalisatrices. Un exemple de pensée autoréalisatrice peut
être de considérer que mon voisin ne m’aime pas. Cette assertion va amener
mon comportement à se modifier : je vais me méfier de mon voisin, et mon
langage non verbal va s’en trouver affecté, ce que percevra alors ce fameux
voisin qui, en retour va se méfier de moi, ce qui confirmera ma crainte. Paul
Watzlawick a très bien décrit ce phénomène.
Concernant le thérapeute, nous travaillons tous avec un cadre donné, qui corres-
pond le plus généralement à notre lieu d’exercice, à la durée de la consultation,
134 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

au montant des honoraires demandés, et au type de pratique que l’on utilise.


Sortir de son cadre va consister pour le thérapeute à changer une ou plusieurs
données de son exercice habituel. Par exemple, augmenter le temps de la consul-
tation pour tel patient, ou diminuer le montant des honoraires pour tel autre,
voire parfois se déplacer à l’hôpital ou au domicile d’une personne alors que cela
ne fait pas partie de la pratique habituelle. Bien évidemment ces « sorties de
cadre » du thérapeute s’appliquent le plus souvent à des situations de patients
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qui sont exceptionnelles, et elles n’ont pas pour objectif de devenir reproductible
d’un patient à l’autre. Elles doivent également être un choix délibéré de la part
du thérapeute qui, sûr du bien-fondé de son cadre habituel, pourra choisir dans
une situation donnée de le modifier (car un des axes de travail principal d’un
thérapeute consiste à tenir son cadre de travail). Ces moments où le thérapeute
sort de son cadre thérapeutique habituel correspondent à la notion ericksonienne
de « faire du sur-mesure » pour chaque patient, et sur le fait d’être centré sur ce
qui va lui être utile.
Le patient, de son côté, va être amené à sortir de son cadre habituel de pensée
par le thérapeute, via les outils thérapeutiques que celui-ci va mettre en œuvre
au cours de l’entretien. Il ne s’agit donc pas du tout des mêmes processus.
Plusieurs de ces outils peuvent être utiles pour permettre au patient cette
remise en cause nécessaire de certaines de ses croyances limitantes ou de son
mode de vie. Jay Haley, dans Un thérapeute hors du commun, nous rappelle que
recadrer un problème consiste à la rendre soluble. Il est en de même lorsque l’on
amène un patient à sortir de son cadre : nous lui permettons de dissoudre son
problème dans des considérations d’un autre niveau. Nous verrons donc comment
décentrer ou surprendre son patient, comment utiliser l’humour, les paradoxes
ou la confusion, ou bien encore utiliser les différents médias.

D ÉCENTRER

Sortir du cadre
!

Les patients sont, la plupart du temps, focalisés sur leur problème. Ils ont
aussi construit une représentation particulière de celui-ci, représentation qui
tient compte de leurs croyances limitantes et de leurs préjugés, mais aussi de
leur famille, de leur histoire, et de ce qu’ils ont appris à l’école et dans leur
métier. Nous aussi, soignants, sommes concernés par un tel fonctionnement :
un médecin du SAMU aura tendance à considérer qu’une douleur thoracique est
très possiblement un infarctus, alors qu’à l’inverse, un psychiatre aura tendance
Sortir du cadre 135

à penser que ces mêmes douleurs sont probablement une expression corporelle
d’angoisse. On raisonne en fonction de son contexte, en privilégiant certaines
possibilités.
Cette tendance est généralement utile. Il vaut mieux d’abord envisager ce qui
est le plus probable compte tenu du contexte. Dans notre exemple, un tel
fonctionnement permet au médecin d’aller plus vite. Mais il a aussi un effet
réducteur, en fermant des choix possibles.
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Les patients ont, eux aussi, parfois des sortes de certitudes comme, par exemple,
celle-ci : « Je ne peux pas changer de travail, car si je change, ma femme va
cesser de m’aimer. » Une telle crainte peut, dans certains cas, être fondée. Mais,
le plus souvent, cette croyance limitante (terme qu’utilisait Erickson) va être un
frein au changement et donc cause de problèmes. La thérapie va donc consister
à faire vivre au patient une expérience lors de laquelle il va déconstruire cette
croyance en s’aventurant en toute sécurité hors de son cadre de pensée limitant.
Un exercice bien connu pour appréhender cette notion de croyance limitante est
l’Exercice des neufs points (cité fréquemment en exemple, notamment par Paul
Watzlawick). Il consiste à demander au patient de tracer sur l’espace d’une feuille
neuf points, de façon à former un carré de trois points de côté, avec un point
central. Il lui est ensuite demandé de relier ces neufs points par quatre droites,
sans lever le crayon du papier.
La plupart du temps les personnes se restreignent à l’espace seul des neufs
points et n’arrivent dont pas à effectuer la consigne demandée. Ils n’utilisent
pas le reste de la feuille, restant centrés sur un a priori (pourtant non inclus dans
l’énoncé) qu’il fallait rester à l’intérieur des neufs points. Or bien évidemment,
dès lors que l’on inclut dans la tâche l’espace de la feuille en y incluant celui
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

hors du cadre des 9 points, cela devient évident. Un recadrage fort utile pour
le patient, afin de l’inviter à oser. Et aussi pour nous, thérapeute, pour nous
stimuler à être créatifs et imaginatifs !

Macroscope et position méta


!

Un autre aspect du décentrage consiste, pour le thérapeute, à se défocaliser du


patient en tant qu’individu isolé, pour aussi s’intéresser à son environnement, et
par là même l’amener aussi à s’y intéresser lui aussi. Prendre en compte l’autre
et l’entourage, pour les inclure dans la thérapie. Ce que Joël de Rosnay appelait
le macroscope.
136 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

Il s’agit aussi d’encourager les patients à prendre soin des autres, ou à fabriquer
des choses pour d’autres patients : stratégies efficaces de décentrage et de gué-
rison. On peut, par exemple, proposer à un adolescent de fabriquer des « boîtes
à bisous » en origami pour des jeunes enfants qui viennent en consultation ou
en hospitalisation. Ou penser au célèbre cas de la « dame aux violettes » à qui
Erickson (Haley, 1973), pour traiter sa dépression, avait suggéré qu’elle cultive
des fleurs pour les cérémonies paroissiales de son quartier. Ceci lui permit de
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diminuer ses ruminations et de trouver une place et un rôle social.
On peut également proposer aux patients un détour (Saiu, 2015) par l’art, la
littérature, le cinéma, la philosophie, et les aider ainsi à amener un regard
différent sur leurs problèmes, regard qui peut même venir bouleverser certains
préjugés ou croyances limitantes. Pour s’ouvrir au monde, à la créativité, et oser
vivre des expériences différentes.
Décentrer, c’est aussi apprendre aux patients à acquérir la position « méta »,
c’est-à-dire la capacité à se voir faire dans une situation donnée. Apprendre
à se regarder agir non plus de l’intérieur, mais comme si le patient pouvait
voir à travers une caméra qui filmerait l’ensemble de la situation. C’est une
défocalisation efficace, surtout lorsque le patient a tendance à ne voir qu’un
aspect du problème, ou lorsqu’il a une difficulté à concevoir qu’il peut être actif,
acteur de sa situation. On peut ainsi proposer la métaphore de la « caméra
au plafond », troisième des trois niveaux d’observation de Norma et Philipp
Barretta : s’observer, observer l’autre et observer la relation.
3
1 – Individualiste (moi de moi-même)
2 – De la relation (avec les autres)
Moi 3 – Global (qui tient compte aussi du contexte)
2 – Niveau « méta »
1

Figure 8.1. Les niveaux logiques/d’observation (Baretta)

Une très bonne façon de prendre de la hauteur et d’observer la vie en position


méta est contenue dans la tâche très souvent proposée par Erickson de monter
en haut du Squaw Peak. Cette montagne, située au sein de la ville de Phœnix
(USA), est d’ascension relativement aisée malgré un sol chaotique et la chaleur
extérieure. Erickson proposait régulièrement (Erickson et Keeney) cette tâche
pour tester la motivation de ses clients, mais aussi parce, parvenus au sommet,
leur vision de la ville devient bien différente. On perçoit les réserves indiennes
environnantes, et par là même une dimension importante de l’histoire de la ville.
Sortir du cadre 137

On voit les autres montagnes des alentours, mais aussi, tout autour, l’aridité
du sol qui contraste avec l’urbanisation. Bref, on prend conscience de tout
l’écosystème, de la dynamique, de l’étendue de la ville. Et lorsque l’on redescend
le sentier, notre regard a changé.
On peut faire cette expérience plus proche de nous, lorsque l’on monte en haut du
Mont-Blanc, de la tour Eiffel ou du Puy de Dôme, lorsqu’on vole en parapente, ou
même en prenant l’avion. Ce sont des bonnes façons métaphoriques d’apprendre
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cette position méta.

S URPRENDRE

Mettre en mouvements
!

Surprendre consiste à proposer au patient une expérience inhabituelle qui va


créer un effet de surprise, c’est-à-dire de déstabilisation par de la nouveauté
ou de l’imprévu. Le patient est pris au dépourvu et, s’il est bien accompagné
ensuite, va pouvoir s’ouvrir à une expérience à laquelle il était habituellement
fermé.
Ainsi, utiliser le mouvement, par exemple, lors de la consultation, peut créer
des changements dans la thérapie de façon inattendue. La plupart des patients
se représentent la consultation avec un « psy », et même avec de nombreux
médecins ou soignants, comme quelque chose de statique, installés dans des
fauteuils, en discutant ou en étant relâchés en état d’hypnose. Proposer de se
lever, de bouger dans l’espace du bureau de consultation, voire du cabinet entier
lorsque cela est possible, va mobiliser différemment les ressources du patient.
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On peut même proposer de faire de l’autohypnose en mouvement, encore appelée


hypnose alerte ou kinétique. Par exemple, pour un patient adolescent qui a besoin
d’un lieu sûr, et qui se sent en sécurité lorsqu’il fait du skateboard, on peut
lui suggérer de vivre physiquement, de façon dynamique, la sensation sur sa
planche, en refaisant les mouvements corporels associés à cette expérience.
On peut également favoriser chez le patient l’émergence d’un mouvement res-
source, en lui proposant de laisser venir en hypnose un geste ou un mouvement
bénéfique pour lui, sécurisant. En prenant tout le temps nécessaire pour vivre
ce mouvement, l’amplifier, l’ancrer.
Ou encore l’amener à se promener dans son « musée imaginaire », tout en bou-
geant au gré de l’expérience, d’un tableau à l’autre, comme s’ils étaient accrochés
au mur du cabinet.
138 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

Cette expérience de mouvement peut être bénéfique pour des patients dépressifs,
figés, qui se sentent « au point mort », qui ont la sensation que rien ne bouge
dans leur vie ou qui, du fait de la dépression, se sentent empêchés, inactivés.
Après avoir ressenti en consultation l’effet du mouvement, leur vécu devient
différent, car ils ont fait l’expérience qu’il était possible de bouger, en y trouvant
même un certain plaisir. Ils ne peuvent plus se dire qu’ils n’y arrivent pas !
Cette attitude est également utile pour des patients ayant un sens kinesthésique
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particulièrement développé : une particularité souvent négligée. En effet, on
pense la plupart du temps à utiliser des métaphores visuelles, parfois auditives.
Mais les personnes kinesthésiques, qui ont besoin de mettre leur corps en
mouvement pour faire des apprentissages, sont trop rarement prises en compte.
Leur proposer de bouger, d’expérimenter des mouvements permet, au-delà de la
simple surprise, de mieux ancrer l’expérience et l’apprentissage vécus.

Provoquer par les sens


!

On peut également créer la surprise en créant une expérience sensorielle différente.


Par l’utilisation des odeurs par exemple, au cours d’une séance d’hypnose formelle
ou conversationnelle. Ou par celle de la musique, en demandant au patient de
choisir un son ou une musique ressource, et en en partageant l’écoute avec lui.
Ou en lui proposant de créer la « bande-son » de son problème (Prévot-Stimec,
2015). Cette technique consiste à proposer de choisir plusieurs morceaux de
musique qui illustrent le problème, dans une approche « narrative » (cf. chapitre
10), permettant ainsi d’externaliser et de métaphoriser celui-ci.
Dans ce changement de cadre via des expériences sensorielles, on peut citer
également le test de Stroop. Il s’agit lors de cette épreuve de faire lire au patient
une liste de noms de couleur, ces noms étant écrits en lettres colorées : par
exemple ROUGE écrit avec des lettres bleues. On demande au sujet de dire la
couleur des lettres, et non de lire les mots. Bien évidemment, le test est conçu
pour créer un conflit dans le traitement de l’information, celui-ci générant du
trouble et de la confusion. Il faudra alors dire « bleu » et non « rouge » ! Ce
type de tâche vient déstabiliser nos automatismes : « Les choses ne sont pas ce
qu’elles semblent être » comme disait souvent Erickson. L’objectif de ces diffé-
rents moyens de surprendre est toujours de permettre d’activer les ressources,
ou d’en favoriser l’accès.
Autre possibilité particulièrement efficace de créer de la surprise : demander au
patient s’il accepte qu’on lui touche la main, ou le bras, pour favoriser une entrée
en transe, ou même seulement permettre une intégration plus sécurisante de
Sortir du cadre 139

l’expérience. Pour les thérapeutes qui sont, à l’origine, des somaticiens, cela peut
sembler superflu de parler du toucher comme d’une technique pour surprendre,
mais pour la plupart des « psy », toucher les patients est totalement inattendu
du patient. Or induire une transe en incluant un contact physique minimal, peut
amener une entrée en transe profonde et efficace. De nombreux thérapeutes à
l’origine kinésithérapeutes ou ostéopathes utilisent naturellement le toucher
comme mode d’induction.
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Surprendre, enfin, peut aussi consister à utiliser majoritairement un langage
non verbal. Mimer, exprimer corporellement ce qu’on souhaite véhiculer comme
message utile au patient, peut créer une expérience de surprise inédite. L’usage
des thérapies provocatives, développées dans d’autres chapitres de cet ouvrage
(chapitre 10 notamment), amène également de la surprise et un changement de
cadre de référence.

L E JEU DES PARADOXES

Pour en sortir
!

Le terme de « paradoxe » peut concerner :


➙ un avis qui est alors contraire aux opinions communément admises ;
➙ un fait qui défie la logique parce qu’il semble contradictoire (la victoire du
plus faible) ;
➙ ou une situation précise de logique qui fait référence à une situation impos-
sible à réaliser : par exemple un escalier qui ne fait que monter qui peut être
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dessiné mais non construit. L’anneau de Moebius est la seule figure paradoxale
qui peut être fabriquée.
Les paradoxes ont été compris à la faveur de la théorie des types logiques dévelop-
pée par Bertrand Russell et Alfred Whitehead. Leur travail a intéressé Bateson et
Watzlawick (Watzlawick et al., 1974 ; Watzlawick, 1983), notamment concernant
les paradoxes sémantiques qui s’introduisent dans le langage. Par exemple, si je
dis que « je mens », j’exprime à la fois que je suis en train de mentir et aussi que
je suis en train de mentir quand je dis que je mens. Cet énoncé simple à deux
niveaux d’expression. Un premier qui concerne ce qu’il affirme, et un deuxième
qui concerne ce qu’il fait tout en l’affirmant.
Dans l’énoncé « je mange » il n’existe pas de paradoxe. Il n’y a qu’un niveau
logique. Dans « je mens », il n’est pas trop difficile de voir que, si un tel message
140 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

est une injonction, il n’est possible d’y obéir qu’en y désobéissant. Et que, s’il
s’agit d’une définition de soi ou d’autrui, la personne ainsi définie n’est ce qu’on
la dit que si elle ne l’est pas, et ne l’est pas si elle l’est ! Rapidement nous arri-
vons dans une impasse communicationnelle, avec énoncé absurde, indécidable.
Quel intérêt donc ?
Le premier, et le plus important, est de savoir qu’il existe des différences de
niveaux logiques dans le langage. Il y a un premier niveau qui concerne les
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éléments particuliers d’un système, et un second qui fait référence à l’ensemble
des éléments, au système lui-même (cf. chapitre 1). Ces deux niveaux sont
souvent confondus et conduisent naturellement à des situations paradoxales
et des impasses. Aider les patients à se rendre compte de la confusion pour
déjouer les pièges des niveaux logiques est le plus utile dans la communication
thérapeutique. Par exemple, tout patient en cours de procédure judiciaire pour
un préjudice médical est dans une situation paradoxale. À un premier niveau, il
souhaite bien sûr aller mieux et c’est normal. À un second niveau, la longueur
des procédures judiciaires et le système d’expertise qui tient compte, non pas
du récit du passé, mais de la situation présente, actuelle au moment de l’exa-
men, l’obligent à continuer à aller mal tant qu’il souhaite faire reconnaître son
préjudice.
Ces situations sont fréquentes. Combien d’adolescents abandonnent une piste
pourtant judicieuse et qui tient compte de leurs envies et de leur personnalité,
juste parce qu’elle a été recommandée par un adulte, personne à laquelle, à cet
âge, on doit s’opposer quoi qu’il arrive ? Là encore, il y a contradiction entre le
niveau individuel et le niveau groupal. La logique de l’appartenance au groupe
« adolescent » empêche l’individu de répondre favorablement à un projet logique
au niveau individuel.
Ces contradictions internes aux situations ne sont pas perçues facilement par
les patients ni par leur entourage. Les nommer pour les dénoncer, permet une
première étape pour en sortir. La loyauté doit être respectée aux deux niveaux,
et des solutions élaborées dans ce sens doivent être trouvées Ces situations sont
fréquentes cliniquement, dès lors qu’un individu est dans un groupe, c’est-à-dire
presque tout le temps. Le groupe peut être représenté par le couple, la famille,
un établissement scolaire, une entreprise, la société...

Pour les utiliser


!

Le second intérêt est d’utiliser ces contradictions langagières, volontairement,


pour déstabiliser les sujets et favoriser du changement. Quand un système est
Sortir du cadre 141

tellement stable que le problème persiste, quand les patients ont l’impression de
faire tout pour résoudre leur problème sans succès, au prix parfois de vains et
longs efforts, c’est probablement qu’ils sont enfermés dans « toujours plus de la
même chose ». C’est comme cela que l’école de Palo Alto appelle ces comporte-
ments qui semblent différents, mais qui répondent tous au même niveau logique.
Par exemple, donner des conseils à un adolescent, même si ceux-ci changent du
tout au tout, est toujours une façon de donner des conseils à un adolescent. Or
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ceux-ci sont réputés pour ne pas écouter les conseils ! Il est alors intéressant de
changer de niveau logique dans l’intervention auprès de la personne. Utiliser les
paradoxes le permet. Ainsi le cas de cette aide-soignante rencontrée en service
de psychiatrie adulte, qui avait une relation thérapeutique de qualité avec ses
patients. Elle était très efficace à dépister leur niveau logique et à en prendre,
dès l’admission dans le service, le contrepied. Elle prescrivait du symptôme. Si le
patient était hospitalisé pour une clinophilie (refus de se lever), elle inventait
sur le champ un règlement intérieur au service, où les patients étaient confinés
dans leur lit les 48 premières heures, voire la semaine entière si elle sentait que
c’était utile.
Utiliser les paradoxes en communication thérapeutique est un jeu utile et efficace.
Il demande au soignant de faire preuve de souplesse dans sa vision du monde,
et d’accepter de se décaler pour entrevoir ou faire entrevoir la situation sous un
autre angle. Plus le thérapeute possède de référentiels (culturelles, artistiques,
historiques...) différents, plus il lui est facile de présenter la situation sous
un autre angle. C’est une approche ludique qui demande de l’imagination et de
l’aisance à entrevoir, à la fois ce qui est focalisé (niveau de l’individu) et ce qui
est diffus (niveau du groupe). Se contenter d’un seul niveau logique est risqué.
Un peu comme un navigateur qui aurait oublié d’enlever son œil de sa lorgnette
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pour contempler le paysage dans son ensemble risque de ne pas voir s’approcher
par le côté le bateau ennemi tant redouté. À l’inverse, s’il se contente de sa
vision globale, il ne discernera jamais, au loin, l’île sur laquelle il souhaite aller.

L’ HUMOUR ET LA CONFUSION

Humour
!

Directement liés au jeu des paradoxes, l’humour et la confusion sont deux outils
qui poursuivent le même but thérapeutique : favoriser le changement.
142 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

L’humour est provoqué par la surprise, la bizarrerie, le mélange des niveaux


logiques ou leur collision (Koestler). Il repose sur des impossibilités de la langue,
des doubles sens, l’absurdité ou le ridicule. Roustang explique que la thérapie
commence par les pleurs et se termine par le rire. Ce recul sur la situation, qui
permet d’en rire, est en effet un signe que de la souplesse a été retrouvée. Si
nous considérons la rigidité comme le problème humain le plus fréquent (rigidité
entendue ici à un niveau métaphorique), la souplesse est la solution la plus
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utile.
L’humour nécessite du tact et une relation de qualité. Il ne peut venir que dans
un deuxième temps, après que la relation thérapeutique a été établie (cela est
parfois rapide). Jamais le patient ne doit penser que l’on se moque. Là encore,
l’éthique est primordiale. Le but de l’humour, encore plus que les autres moyens
thérapeutiques, doit être à l’avantage du patient et le servir. C’est d’autant plus
important ici que l’humour est habituellement et facilement utilisé contre les
gens. S’y risquer en thérapie demande des précautions consistant généralement
en une relation non verbale de grande qualité et montrant de l’empathie en
dehors de toute ambiguïté. Le patient doit immédiatement sentir le bien-fondé
de la méthode et le but thérapeutique. Se sentant compris et soutenu non
verbalement, il est prêt à se laisser déstabiliser verbalement. Il permet que lui
soient renvoyés ses propres paradoxes.
g
in
bo

g
in
bo

g
in

g
in
bo

bo

g
in
bo

Figure 8.2. Sortir du cadre par l’humour

Confusion
!

La confusion, elle, est nécessaire quand le système est tellement rigide que
rien ne bouge. Plus le patient est enfermé dans sa logique linéaire, cartésienne
où « un plus un égale deux » et jamais rien d’autre, plus la confusion est
Sortir du cadre 143

utile. L’argumentation verbale étant systématiquement détruite par le patient


hyperlogique, trop logique, la communication multiniveaux est nécessaire. Cette
communication dit tout et son contraire en même temps. Elle joue entre le verbal
et le non-verbal, la contradiction et le flou. Elle propose des liens illogiques et
absurdes d’une façon tout à fait cohérente et en apparence naturelle.
La confusion est la base d’un genre littéraire bien connu : le surréalisme. Soit
vous n’entrez pas dedans et vous ne comprenez rien. Soit vous vous laissez
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guider dans un univers inattendu et vous faites un fabuleux voyage. Le lecteur
comme le patient a le choix, ce qui garantit, là encore, l’éthique de la méthode.
Dans les situations où le patient est déjà confus, cet outil est vivement décon-
seillé : il ne fera qu’aggraver le problème. Un excès de confusion ne permet pas
d’en sortir mais amène au contraire à s’y enfoncer encore et toujours d’avantage,
au risque de s’y perdre vraiment. Pour sortir d’une forêt, vous n’avez pas besoin
d’agrandir la taille de la forêt. C’est inefficace. Une boussole est plus utile. Il faut
savoir utiliser la confusion à bon escient, et se montrer extrêmement logique et
linéaire avec les gens confus.

U TILISATION DES MÉDIAS

Une pratique en expansion


!

L’usage des médias dans la thérapie est peu répandu actuellement en France.
Par usage des médias, on entend aussi bien l’utilisation, comme acteurs de la
thérapie, de tout ce que le matériel internet met à notre disposition : les jeux
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vidéo et consoles de jeu, mais aussi par l’utilisation des smartphones, tablettes.
Ces outils sont désormais parfaitement intégrés dans la vie des patients les plus
jeunes, et également des adultes. À tel point que nous ne questionnons plus
au quotidien sur leur utilité. Pour autant, leur usage en thérapie est encore
peu répandu. Or dans la préoccupation éricksonienne d’entrer dans le monde du
patient, de créer l’alliance thérapeutique, et d’utiliser tout ce qui est à notre
portée et qui permettra d’amener un changement, se priver de tout ce matériel
serait dommage.
Le contenu disponible sur internet (via des sites de vidéo ou de musique) est
très vaste. Même s’il est toujours bon de rester vigilant sur les informations
diffusées sur ces médias, de nombreuses vidéos peuvent être diffusées en séance,
ce qui permet une métaphorisation ou une mise à distance des problématiques.
144 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

Des vidéos spécialisées comme le court métrage d’Éric Monchaud La petite cas-
serole d’Anatole, tiré du livre d’Isabelle Carrier, sont disponibles et permettent
d’expliquer aux jeunes enfants et à leurs parents comment parfois la vie peut
être difficile.
De même, des dessins animés mettent en scène les conséquences de comporte-
ment addictif et bien d’autres choses encore.
On peut également visualiser avec le patient de courtes séances de dessin animé
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tels que le film Vice Versa qui symbolise les émotions primaires au travers de
personnages colorés, métaphores qui pourront servir plus tard au court de la
consultation ou qui permettront de développer un langage commun avec le
patient.
Mais on peut également se servir de chroniques ou vidéos humoristiques qui
vont permettre une mise à distance et un regard « hors cadre ». On peut citer
notamment les très bonnes chroniques (portant souvent sur de sujets « psy »
ou éducatifs) de Nicole Ferroni, qui intervient sur France Inter mais qui, étant
filmées, existent en format vidéo. Ce moment partagé de surprise et de recadrage
du problème au travers d’un outil média permet là encore de modifier sa vision
du monde.
On peut également utiliser, notamment avec les jeunes adolescents, l’univers
du jeu vidéo. De nombreux jeux en ligne comme Doodle Games permettent à
l’enfant ou l’adolescent de créer son propre univers. On peut alors cocréer avec
lui un jeu dans lequel son problème serait métaphorisé au travers d’un ennemi,
ou d’obstacle à éviter.
Lors de cette création de jeu, on s’attachera à inclure des ressources au héros,
directement tirées des ressources du patient ou de celles qu’il aimerait acquérir.
On peut également rajouter des personnages ressources directement inspirés de
la vie du patient et qui pourraient lui venir en aide dans le jeu, et également
inclure bien sûr un objectif à atteindre, une résolution. On peut imaginer par
exemple un problème d’énurésie. L’enfant serait attaqué par des « monstrapipi »
qu’il faudrait donc éliminer, et il pourrait pour cela avoir besoin de différentes
armes (alarme à monstre, changement de couleur du décor etc.) Une version
actualisée finalement du dessin solutionniste ! Il s’agit là aussi de faire du
« narratif », mais avec le support moderne du jeu vidéo qui parle à l’univers ado-
lescent. Cela permet, là aussi, une vision utilitaire, et d’ancrer cette expérience
réussie au travers du jeu lors de séances d’hypnose, le jeu lui-même pouvant
même servir de support à l’induction. Utiliser tout ce qui est utile au patient et
à la thérapie.
Sortir du cadre 145

À tous âges
!

De même, entrer en relation avec un adolescent en évoquant son smartphone,


son rapport avec lui (souvent le « doudou moderne »), son utilisation, permet
de surprendre, de sortir du cadre habituel de la consultation, et de créer une
alliance différente : tiens, le thérapeute s’intéresse à la musique que j’écoute,
aux réseaux sociaux que j’utilise (Garnier, 2015) !
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On peut créer en séance avec le jeune patient un ancrage, une ressource, un
bouclier de sécurité, qu’il pourra photographier et mettre en fond d’écran de
façon à réactiver cet ancrage à chaque utilisation du téléphone, ce qui chez les
adolescents est particulièrement fréquent. Ou choisir avec lui une musique qu’il
pourra également ancrer.
Mais on peut aussi s’en servir pour créer une triangulation et induire une transe,
comme on peut le faire à travers une image ou une peluche pour un enfant. En
mettant l’objet au centre de la relation thérapeutique et en s’en servant comme
inducteur de transe.
Chez l’adulte, l’utilisation de jeux vidéo thérapeutiques, des « jeux sérieux »
(serious games) tend à se répandre assez rapidement, notamment dans les
domaines de la dépression, des troubles du comportement alimentaire, de la
maladie d’Alzheimer.

Finalement, toutes ces techniques que nous avons explorées, de surprises, d’humour,
de confusion (etc.), ont pour objectif commun d’amener le patient à « sortir du cadre »
c’est-à-dire à s’autoriser, désobéir, faire des choix, changer de monde... Et aussi d’ac-
tiver différemment les ressources du patient, d’élargir sa vision du monde. Mais cela
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n’est possible que par l’entretien de la créativité du thérapeute, qui doit sans cesse être
vigilant à celle-ci, à rester connecté au monde extérieur, à la nature, à la société et
ce qui s’y déroule, à la vie elle-même, à augmenter lui-même ses propres ressources
internes et à garder vivante cette partie de lui créative et ludique qui permettra l’as-
pect unique et adaptatif de l’approche éricksonienne. Cette créativité est également
centrale pour le patient qui doit être soutenu, encouragé, mobilisé pour la développer.
Inventer des histoires, laisser flotter son imagination, jouer avec les mots, sont autant
de moyen de garder l’enfant intérieur vivant à l’intérieur de chacun de nous. Cela
améliore la plasticité cérébrale et la capacité d’adaptation. Cette plasticité apporte
et entretien un regard neuf et créatif sur les différentes expériences que la vie nous
amène à vivre.
146 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

B IBLIOGRAPHIE

ERICKSON B.A., KEENEY B. (2006), Milton H. Erick- PRÉVOT-STIMEC I. (2015), « Créer la bande son
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Trad. Fr. (2009) Le Dr Milton Erickson. Médecin février 2015.
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GARNIER P-H, (2012), « L’hypnose orientée mul- Carmen, Pixar Animation Studio, Walt Disney
timédia », Hypnose & Thérapies Brèves, No 25, Pictures, 2015.
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mai juin juillet 2012.
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chinson, Londres. vous-mêmes votre malheur, Seuil, Paris.
La petite casserole d’Anatole, film d’Eric Mont- WATZLAWICK P., WEAKLAND J., FISCH R. (1974),
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SAIU R (2015)., « Détour de transe : l’apport


d’Henri Wallon » Hypnose & Thérapies brèves
No 36, février 2015.
Chapitre 9

Gestion des conflits


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et communication non violente

Élise Lelarge, Thierry Servillat, Isabelle Prévot-Stimec

L est une dimension importante de la communication entre


A NOTION DE CONFLIT
êtres humains. Le conflit est la plupart du temps redouté ou craint, même
si certaines personnes sont à l’aise avec celui-ci, voire même le provoquent
volontiers.
Le conflit est fréquemment redouté pour ses conséquences relationnelles souvent
délicates, voire désastreuses. Il peut amener parfois à des décisions radicales
de rupture du lien, voire à de la violence physique. Pour autant, se focaliser
uniquement sur ces points pour fuir le conflit revient à oublier que celui-ci,
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

quand il est résolu, peut être une étape vers une meilleure compréhension de
l’autre et de soi-même, et aussi vers une meilleure organisation future de la
relation.
Lorsque l’on évoque les conflits interpersonnels et leurs résolutions, on fait
souvent appel également à la notion de communication non violente. Une telle
expression est en fait un pléonasme, la violence étant incompatible avec la
notion de communication.
La notion de non-violence a été diffusée par Gandhi, qui a utilisé le terme
sanscrit ancien d’ahimsa. Cependant, la traduction de ce mot est malheureuse,
car la pensée indienne ignore la notion de dualité, et ahimsa a un sens qui va
bien au-delà de la notion d’absence de violence : un sens positif qui, selon les
traducteurs, signifie « vérité », au sens de loi scientifique pour organiser une
148 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

société. Gandhi a considéré l’ahimsa comme un cheminement menant vers une


posture de compassion et d’amour, posture susceptible selon lui d’avoir une
réelle et importante puissance pour l’action politique. La notion a eu une très
large audience, et a été reprise notamment par Martin Luther King, puis par
Nelson Mandela, ce dernier s’en étant finalement démarqué par la suite.
Assez récemment, une technique de communication s’inspirant de la réflexion
gandhienne a été mise au point par le psychologue Marshall Rosenberg, élève
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de Carl Rogers. Elle repose sur la notion d’empathie et de communication établie
dans le but d’augmenter la bienveillance de chacun vis-à-vis de l’autre.
Après avoir exposé les notions de conflit et de communication non violente,
nous verrons dans ce chapitre quels enjeux identitaires sous-tendent les conflits,
et comment ils peuvent mener à une escalade conflictuelle. Nous aborderons
ensuite les techniques de communication qui permettent une résolution des
conflits et, enfin, les techniques non verbales ou encore posturales favorisant
leur issue.

P RINCIPES

Prévenir la violence
!

Un conflit est un choc, un heurt (latin conflictus) entre plusieurs – au moins


deux – points de vue. Ceux-ci sont perçus, au moins sur le moment, comme oppo-
sés et incompatibles. Cette différence peut se situer au niveau des sentiments,
des opinions, des intérêts, des valeurs.
Chaque personne participant à l’interaction conflictuelle peut avoir tendance à
maintenir sa position et à la renforcer, en vivant la position de l’autre comme
une attaque (vécu persécutif) ou comme un obstacle qu’il faut détruire. C’est la
possibilité d’une troisième voie qui est l’enjeu d’une communication constructive,
créative et potentiellement thérapeutique, lorsque le conflit intervient entre
thérapeute et patient, ou au sein d’un groupe de patients (thérapie familiale,
groupe thérapeutique, etc.)
Si le vécu est persécutif, une anxiété est générée, parfois cliniquement masquée
par de la colère. Si le processus n’est pas désamorcé suffisamment rapidement, la
personne peut adopter un comportement agressif dans le but de se défendre, en
faisant intervenir la force, que celle-ci soit verbale, para-verbale voire physique.
Si l’autre est vu comme un obstacle à détruire (absence de respect de l’autre),
il n’y a pas d’anxiété, et il peut même y avoir du plaisir à maltraiter l’autre :
Gestion des conflits et communication non violente 149

Moi

Les autres
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Figure 9.1. Posture propice à l’émergence de la violence dans la relation.
Je me considère comme plus important ou prioritaire sur les autres
(points de vue, besoins)

perversion qui peut aller jusqu’à provoquer le conflit dans le but de vivre cette
jouissance.
Dans les deux cas Il existe une lutte avec une alternative binaire : soit je gagne,
soit je perds. Ce que l’on appelle un jeu à somme nulle. Comme si les relations
et les interactions étaient des systèmes simples avec des causes et des effets
uniques, reproductibles et fiables.
Afin d’éviter cette bascule dans la violence :
➙ chaque protagoniste, ou en tout cas au moins un des deux, doit savoir repérer
le début d’un processus conflictuel,
➙ il doit pouvoir évaluer correctement une éventuelle peur : peur rationnelle,
peur rationnelle mais disproportionnée, peur irrationnelle,
➙ il doit pouvoir être en mesure de contrôler ses éventuelles pulsions perverses
à prendre du plaisir au conflit. Des thérapies souvent efficaces existent dans
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ce but pour les personnes qui ont une difficulté dans ce domaine.
Il est à noter que, lorsqu’il existe une peur rationnelle (la situation conflictuelle
risque réellement de comporter un danger de la part de l’autre), la personne doit
alors examiner la question de sa propre sécurité. Un des besoins de l’être humain
est, outre d’assurer sa propre sécurité, d’établir des frontières et des limites et
de les faire respecter quand cela est possible.
Lorsque l’autre n’est vu ni comme une menace, ni comme un obstacle à détruire,
situation heureusement la plus fréquente entre des individus adultes, le conflit
n’est bien sûr pas agréable à vivre (même pour celui qui aime la confrontation),
mais il ne constitue pas forcément un problème. On ne peut pas tout le temps
être d’accord avec l’autre. La vie inclut le désaccord, condition nécessaire pour
150 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

que puissent s’opérer la création d’accords et la construction de la paix : c’est la


notion d’accordage.

Moi
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Figure 9.2. Posture propice à la non-violence, aux échanges et à la coopération.
Je me considère comme faisant partie d’un ensemble où chaque élément
a la même valeur et participe à l’équilibre du tout (exemple du mobile)

Une opportunité pour la créativité


!

Le conflit fait donc partie de la vie. En un sens, la vie, de par les conflits qui y
surviennent, comporte une dimension violente. Ces deux mots semblent d’ailleurs
avoir une étymologie commune. « Violent » signifie initialement « utilisant la
force ». Mais l’usage de la force se fait-il toujours au détriment de l’autre ? Ce
chapitre gardera en filigrane quasi continu ce questionnement.
Apprendre à développer une attitude constructive dans cette situation est fon-
damental. Cela permet de privilégier la relation et la coopération. Dans cet état
d’esprit, nous avons changé de niveau logique. L’objectif de la communication
n’est plus d’avoir raison, mais d’être capable d’entretenir des relations de qualité
avec les autres, de respecter leurs différences et leur personnalité.
Le conflit, situation de désaccord, permet potentiellement une créativité qui
résulte d’une synthèse de points de vue ou, perspective plus riche encore, une
émergence de points de vue nouveaux, différents et inédits. Sa résolution sup-
pose que nous acceptons ce changement créatif qui nous est proposé.
Une telle créativité résolutrice de conflits ne peut donc survenir que dans un
climat sécurisé, dans lequel notamment tout point de vue est respecté. Cette
notion de respect est une valeur fondamentale, absolue, pour qu’une mise au
travail puisse se faire. Le respect pose que la différence avec l’autre ne justifie
en rien, à elle seule, de lui porter atteinte.
Bon nombre de facteurs sont susceptibles de perturber la créativité résolutrice
nécessaire dans ces situations. À un métaniveau, tout ce qui me fait, de façon
Gestion des conflits et communication non violente 151

un peu systématique, privilégier mon point de vue sur celui de l’autre, génère
de la violence dans la relation. Il serait trop simple de dire à ce niveau, de
façon simpliste : « Privilégions alors le point de vue de l’autre et tout sera parfait
dans le meilleur des mondes ». Certaines personnes choisissent cette posture de
retrait. Un retrait peut être satisfaisant pendant un certain temps, et permettre
une bonne qualité relationnelle. Malheureusement il a ses limites, comme un
matériau amortisseur capable d’encaisser les chocs continus qu’il subit. À un
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certain moment, perdant ses capacités plastiques, le matériau se casse de façon
brutale et imprévisible. Ces personnes qui se retirent de tout conflit atteignent
un jour elles aussi leur limite, de façon étonnante voire incompréhensible pour
l’autre, car souvent aussi brutalement que violemment.
La posture qui permet de sortir des situations de conflit est une posture complexe.
Avant d’en développer les particularités, examinons plus en détail les facteurs
particuliers qui favorisent les conflits.
Comme des catalyseurs de réactions chimiques, certains comportements ou évé-
nements favorisent les situations explosives. Le désaccord, nous l’avons vu, est
inévitable et doit être envisagé comme faisant partie des événements naturels
du quotidien avec lesquels il nous faut apprendre à composer. L’enjeu émotionnel
est un important pourvoyeur de violence. Ce sont souvent des situations du
passé qui s’invitent dans le présent. Ce qui se joue alors dépasse totalement
la situation actuelle, et les protagonistes ont à faire avec des éléments non
maîtrisés dont ils ne sont souvent pas conscients et qui agissent presque à leur
insu, de manière confusionnante.
Certaines personnes sont aussi sensibles que des silex et allument des feux au
moindre contact, alors que d’autres sont inertes comme le granit ou, telle la
craie, s’effritent. Le contexte peut être favorable, dans un climat de calme et de
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disponibilité, à répondre à la demande. À l’inverse, le stress, la précipitation, la


fatigue, ou la sursollicitation, fréquents dans nos rythmes de vie, sont autant
d’ingrédients qui vont participer à la dégradation de la qualité relationnelle
dans une escalade réciproque. L’incompréhension, souvent parce que l’on n’a
pas pris le temps de bien comprendre le message, l’interprétation trop rapide,
et la réaction tout aussi fulgurante, peuvent-elles aussi faire dégénérer une
situation même banale initialement. La confusion entre la demande de surface,
qui paraît irréaliste, et le besoin de fond qui est lui, légitime, mais maladroite-
ment exprimé, l’absence de reconnaissance de l’altérité ou de la différence des
valeurs, s’ajoutent dans les causes possibles à ces situations. Enfin, certaines
personnalités ressentent un besoin intérieur puissant de s’opposer, qui n’est pas
mauvais en soi mais doit être repéré par le partenaire communicationnel.
152 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

Au total, ces facteurs favorisant les conflits correspondent souvent à un enjeu


identitaire sous-jacent qui doit être démasqué pour que les comportements
puissent être modifiés.

E NJEUX IDENTITAIRES
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Une notion complexe
!

L’identité, par définition, est ce qui reste inchangé, ce qui est pareil. En psy-
chologie, cette notion est problématique depuis fort longtemps, et l’est encore
plus si on considère la vie comme un perpétuel changement. Bien des choses
ont été dites sur l’importance du nom, composante qui, toujours actuellement,
ne change généralement pas, d’autant plus à notre époque où bon nombre de
femmes gardent leur nom même en cas de mariage.
Il en est quasi de même pour le prénom même si, et il en est ainsi depuis
longtemps, bon nombre de personnes n’appréciant pas le leur se font appeler
par un autre prénom qu’elles préfèrent.
Le sexe, lui, est une composante de l’identité qui, depuis les réflexions sur le
genre commencées dans les années 1970 (Robert Stoller, Judith Butler), et les
pratiques, chirurgicales ou non, de changement de sexe (ou de jeu avec l’identité
sexuelle, jeux qui ne sont bien sûr pas nouveaux dans l’Histoire, mais qui sont
de nos jours moins dissimulés, en tout cas dans les pays occidentaux), perd
quelque peu de sa solidité.
La notion de Nation, elle aussi, est en crise. Et, avec elle, celle de nationalité.
Se revendiquer d’un pays pour en déduire une identité précise se heurte à de
nombreuses mises en question, et donne lieu à des positionnements variés entre
ces extrêmes que sont le nationalisme (éventuellement ultra) et un référentiel
exclusivement planétaire déniant toute importance à la notion de frontière.
Dans une vie où se fait de plus en plus fréquente la pratique successive de diffé-
rents métiers, et aussi à une époque où de nombreuses professions disparaissent
ou au contraire voient le jour, l’appartenance professionnelle fonde de moins
en moins l’identité personnelle. Conjointement, une tendance majeure consiste
à affirmer comme une composante forte de l’identité la pratique intense d’un
loisir, souvent présenté (surtout chez les jeunes mais pas seulement) comme
une « passion » : pratique d’un sport (surf), d’un instrument de musique, intérêt
pour un sujet ou un domaine de connaissance.
Gestion des conflits et communication non violente 153

Enfin, composante traditionnelle de l’identité, l’appartenance à une famille a


connu une très forte évolution ces dernières décennies. Beaucoup de parents sont
célibataires et plus ou moins isolés, vivant un fort éloignement géographique
d’avec leurs propres parents. De plus, la reconnaissance forte d’un droit personnel
à l’autonomie a conduit à l’abandon progressif d’une identité clanique pour un
positionnement individuel souvent difficile à effectuer s’il y a isolement social
d’une part, et un déficit d’activité réflexive (notamment sur le choix des valeurs
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personnelles) d’autre part.
Devant ces évolutions, deux tendances sont peu à peu apparues :
1. Une tendance à relativiser l’importance de l’identité, et qui emprunte gran-
dement sa réflexion à des éclairages culturels notamment orientaux. Elle
implique une relativisation voire une suppression de l’importance accordée
aux notions de moi, d’ego, voire d’individu.
2. Une autre tendance affirmant l’identité dans des comportements sociale-
ment visibles : vêtements, coiffure, accessoires, goûts culturels (notamment
musicaux) avec, récemment, une importance inédite de l’affirmation de l’ap-
partenance religieuse.
La notion d’identité se construit effectivement beaucoup, notamment à l’adoles-
cence, sur l’appartenance à un groupe.
Comme Deschavanes et Tavoillot ont pu le montrer, l’adolescence est une période
de la vie qui n’a cessé de s’allonger dans notre société, commençant de plus en
plus tôt (avec une sexualisation de plus en plus précoce des comportements,
dès l’école primaire), et finissant beaucoup plus tard qu’auparavant. Un nou-
veau terme a d’ailleurs à juste titre été créé : l’adulescence, période transitoire
avant l’âge adulte. On peut même considérer que bon nombre de personnes ne
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deviennent jamais adultes, et d’ailleurs ne le souhaitent pas.


Il est habituel de considérer que la pathologie mentale a, lors des cinquante
dernières années, beaucoup évolué en quittant relativement la sphère névrotique
pour celle des troubles psychotiques ou des situations dites limites ou borderline,
avec des symptômes de dépersonnalisation et des perturbations marquées de
l’adaptation au réel, perturbations souvent aggravées par l’usage de toxiques ou
de médicaments psychotropes.
154 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

Identité et stéréotypes
!

Face à cette évolution, nous voyons apparaître des comportements d’affirmation


très stéréotypés, cachant difficilement les troubles identitaires des personnes
concernées.
Un stéréotype est à l’origine la plaque de métal garnie de caractères qui servait,
au temps des presses traditionnelles (avant l’apparition des procédés numé-
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riques), à imprimer. Par extension, il désigne, en psychologie sociale, un com-
portement ou un ensemble de comportements adoptés et reproduits par un
grand nombre de personnes et qui a valeur d’affirmation identitaire. L’usage
du stéréotype fait l’économie d’une réflexion personnelle autonome (autonome
signifiant « qui se crée ses propres principes de fonctionnement »).
De tels fonctionnements ne peuvent que favoriser des crispations, voire des
conflits, lorsque la personne va croire, généralement à tort, qu’on ne la respecte
pas si l’on met en question certains de ses comportements ou attitudes.
Dans les domaines du soin et de la thérapie peuvent naître de ces situations
des problématiques conflictuelles fortes et potentiellement graves si, de part
et d’autre, une rigidité, une fermeture au point de vue de l’autre, voire un vécu
d’anxiété et de danger, s’installent. Dans les cas les plus graves une médiation
faisant intervenir une troisième personne sera indispensable.
Ainsi, en pratique, le soignant doit, autant que possible, pouvoir évaluer la
capacité, le potentiel d’ouverture au changement et au point de vue de l’autre,
avant que de pouvoir commencer, dans une sécurité suffisante, une intervention
thérapeutique mettant en œuvre un changement du comportement du patient.
Car, si une individuation suffisante n’existe pas chez ce dernier, aucune possibi-
lité de choisir n’existe non plus chez lui, et aucun travail thérapeutique solide
n’est susceptible de se faire.

L’individuation : devenir soi-même


!

L’individuation est le processus évolutif par lequel tout individu naît à lui-même.
Elle sous-tend toute thérapie, et est présente comme métaobjectif, quel que soit
le courant thérapeutique. C’est aussi un évident principe philosophique, bien
illustré par cet aphorisme que Nietzsche avait repris du poète Pindare : « Deviens
ce que tu es ».
Par le chemin de la thérapie, l’individu va être amené à grandir et à exister, à fonc-
tionner pour ce qu’il est dans son identité propre, affranchi des représentations
familiales, sociétales (etc.) dans lesquelles il est inscrit. Cet affranchissement
Gestion des conflits et communication non violente 155

se fait non pas au sens de rejeter ces représentations de façon brutale et sans
discernement, mais au contraire par choix de celles que la personne souhaite
conserver et qui seront liées à son identité.
Le processus d’individuation est assez bien illustré par la littérature ou le cinéma,
au travers de nombreuses histoires de quête de héros (Campbell), dont notam-
ment Stars Wars et Le Seigneur des anneaux. Mais, au-delà de ces narrations
récentes, les voyages d’Ulysse dans la mythologie grecque sont également de
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bonnes illustrations de cette quête du héros qui doit affronter des épreuves,
mais qui en fait se confronte surtout à lui-même et à ses propres peurs. Plus
l’individu va être avancé dans ce processus d’individuation, plus il pourra avoir
une vision « méta » de son comportement, sans être effondré dans son estime
de lui-même, et plus il sera également conscient de ses besoins et de ses travers.
Ces éléments changeront évidemment la nature et la durée des conflits dans
lequel l’individu sera pris, en permettant le plus souvent une issue sereine et
« adulte » (Tavoillot).

Examiner le point de vue de l’autre


!

Entreprendre une résolution de conflit sans sombrer dans la violence ou la


discussion stérile nécessite donc d’accepter d’examiner le point de vue de l’autre.
Cela repose sur nos neurones miroirs qui sont le support de notre empathie :
si j’étais à sa place, que ressentirais-je dans une situation similaire ? C’est un
effort pour entrer dans le monde de l’autre, pour voir le monde avec les yeux
de l’interlocuteur, comme si on l’échangeait nos paires de lunettes : « Ah ok, je
suis le voisin du dessous, je suis gêné par les bruits des enfants. Mais si j’avais
des jeunes enfants qui apprenaient à marcher et tombaient ou se déplaçaient en
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

tirant une petite chaise, que ressentirais-je ? ».


Accepter d’examiner le point de vue de l’autre repose aussi sur l’idée, fondamen-
tale en thérapie, et nous en reparlerons dans les chapitres suivants, qu’il n’existe
pas une réalité, ni, non plus, une vérité unique. Mais des réalités, des vérités.
Cette métaphore, bien connue, des aveugles qui touchent chacun une partie du
corps de l’éléphant, illustre cette notion : celui qui est au niveau de la queue
trouve cela poilu, un autre au niveau de la trompe trouve cela gluant, encore un
autre râpeux. Ils pensent ne pas décrire le même animal. Pourtant ils décrivent
tous un éléphant : c’est uniquement une question de point de vue.
Un outil très efficace pour faire percevoir cette notion sur la réalité et comment
elle peut générer du conflit, consiste à faire observer, à deux membres d’un
couple, un dé. Chacun nommera le nombre perçu sur la face qu’il voit. L’un
156 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

voyant le 2 par exemple, l’autre voit le 6. Les deux ont raison et sont d’accord
pour dénommer l’objet « dé ». Et pourtant ils ne voient pas la même chose et
l’acceptent, car ils connaissent bien cet objet familier.

Sauver la face
!

Bien souvent, un enjeu du conflit, que ce dernier se situe dans le champ familial
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ou dans le domaine social, est de ne pas perdre la face. Certaines personnes,
notamment celles ayant une faible estime d’elles-mêmes, ne supportent pas
de perdre la face et vont poursuivre l’argumentation et le conflit au-delà du
raisonnable, voire même au-delà d’un possible accord, uniquement pour ne pas
se retrouver en situation de perte de face.
Une issue positive au conflit repose sur l’importance, pour chacun des protago-
nistes, de repartir « la tête haute ». C’est une situation très fréquente avec les
enfants qui se retrouvent pris sur le fait d’un mensonge ou d’une bêtise. Certains
refusent d’avouer le mensonge, car ils se sentent alors extrêmement fragilisés
dans leur estime d’eux-mêmes. Ils ont peur de perdre l’amour du parent.
Ce qui est utile, dans ce cas, est de rester centré sur l’objectif final : ici la répa-
ration de la bêtise, par exemple, sans chercher à « gagner » la reconnaissance,
et encore moins l’aveu, de celle-ci. Ce qui peut être obtenu par les types de
propos suivants :
" Ok tu me dis que ce n’est pas toi qui as cassé ce verre, mais peux-tu m’aider à
nettoyer le sol ?
" Ok tu n’as pas pris cet argent, et ce serait bien que celui qui l’a fait, quel qu’il
soit, le remette dans mon porte-monnaie, quand il le souhaitera.
Ces situations avec les enfants, qui semblent fréquentes et évidentes, le sont en
fait tout autant avec les adultes. Elles ont les mêmes conséquences en termes
d’estime de soi et de crainte du rejet.

« Tu comptes pour moi »


!

Un grand enjeu du conflit interpersonnel, notamment (mais pas seulement) dans


les couples ou les familles, repose sur le besoin de sentir que l’on compte pour
l’autre. Parfois, cela sous-tend des demandes qui peuvent sembler stupides ou
inutiles, mais qui sont simplement des demandes indirectes de réassurance que
l’autre nous aime (ou en tout cas nous apprécie, nous reconnaît des qualités) et
souhaite-nous le témoigner. Ceci fait partie des besoins de tout être humain.
Gestion des conflits et communication non violente 157

C’est donc souvent un point important à l’origine de nombreux conflits de


couple :
➙ Peux-tu venir me chercher à la gare à mon retour de voyage ?
➙ Non, prends un taxi, ça sera plus rapide.
Suivent alors des échanges qui, bien souvent, dégénèrent en conflit. Ils naissent
souvent d’un malentendu.
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Savoir être explicite
!

Dans notre exemple, une demande directe et plus explicite aurait exprimé : « Tu
m’auras manqué pendant ce voyage, je serai pressé de te retrouver, peux-tu venir
me chercher ? » L’idée générale est d’avoir la preuve, ou en tout cas la manifesta-
tion, que l’autre a vécu la séparation avec autant de douleur que soi-même. Mais
dans de tels cas, la communication repose trop souvent sur l’idée que l’autre
devrait comprendre implicitement, qu’il n’y a normalement pas besoin d’être
aussi explicite : « S’il m’aimait il comprendrait sans que j’ai besoin d’avoir à lui
dire. » Une croyance limitante qui fait des ravages !

E SCALADE , QUI EST LE PREMIER DE CORDÉE ?

Surenchères
!

Le mécanisme même du conflit s’appuie sur une escalade (Watzlawick et al.


© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

1967 ; Watzlawick, 1983). L’un propose des mots qui vont interpeller ou blesser
l’autre et lui donner envie de réagir : « Tu m’avais dit de passer te chercher au
bureau. »
En général, plutôt que d’exprimer ce qui est ressenti face à ces propos (je me
sens agressé), l’autre va contre-argumenter, réagir, attaquer à son tour en étant
blessant : « Pas du tout, c’est toi qui as mal compris, de toute façon tu n’écoutes
jamais ». Ce qui va entraîner en retour une réaction : « Mais si ! J’écoute ! C’est
toi qui n’es pas fiable, et d’ailleurs, déjà la semaine dernière tu m’as fait le coup ! »
Aucun des deux protagonistes ne veut renoncer à ce qu’il estime être sa vérité
ou son point de vue, ni, tout simplement, à déplacer le débat de sur ce qui est
vécu au niveau émotionnel, là, maintenant.
158 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

Il s’ensuit alors une escalade : « Tu es franchement débile », « J’aurai dû me


méfier », « Je ne peux pas te faire confiance », « Tu es bien comme ta mère »,
etc.
Celle-ci se clôt en général par une crise émotionnelle (pleurs, ou accès de colère,
voire violence) liée, entre autres raisons, au sentiment aigu d’incompréhension,
laissant de ce fait des traces durables dans la relation et dans le corps des deux
protagonistes (tensions, maux de ventre, céphalées, etc.).
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Tout pour gagner
!

Cette succession de propos conflictuels est appelée escalade conflictuelle. Esca-


lade, car en général le ton monte, et la violence ou la brutalité des propos égale-
ment, et aussi, souvent, l’ancienneté des faits qui ressortent au fur et à mesure
du conflit. Partis d’un propos assez factuel, les protagonistes se retrouvent à
rediscuter encore et encore de conflits plus anciens.
Les principaux éléments de cette escalade sont :
" d’abord, l’absence de propos liés aux émotions ressenties,
" ensuite la recherche d’éléments conflictuels anciens qui déracinent, de ce fait,
le conflit de l’instant présent,
" et enfin, il existe, la plupart du temps, une succession d’argumentations,
de justifications qui donnent à l’autre l’envie de contre-argumenter et de se
justifier à son tour.
➙ « Tu n’es pas venu me chercher au bureau. » – Reproche
➙ « Je ne t’ai pas dit que je viendrai. » – Justification
➙ « Si, je m’en souviens parfaitement : c’était à table hier soir. » – Argumen-
tation
➙ « Pas du tout, je n’étais pas là, hier soir. » – Justification
➙ « De toute façon, tu n’es jamais là. » – Reproche
➙ « Comment ça, j’en suis jamais là ? Je suis bien plus présent que la plupart
des conjoints. » – Justification – « Et puis en plus, tu sais bien que je n’ai
pas de voiture. » – Argumentation
➙ « Ben c’est de ta faute, tu n’avais qu’à aller la récupérer chez le garagiste »
– reproche etc.

On voit bien, dans cette séquence banale du quotidien, que chacun cherche non
seulement à avoir raison, mais aussi à se justifier, et à « gagner » le conflit.
Gestion des conflits et communication non violente 159

Chaque argumentation va être prétexte à une nouvelle argumentation, une


nouvelle justification.

R ÉSOLUTIONS LANGAGIÈRES

3 ingrédients
!
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La première étape pour sortir du conflit de façon non violente est de rester bien
ancré dans l’idée que tout le monde à raison « de son point de vue ». Cela amène
naturellement à exprimer son point de vue en disant « je ». Et non pas, comme
c’est souvent la dérive, sous l’emprise de la colère, dire « tu ».
Dire « Je » donc, et reformuler : « J’ai compris que... », affirmer en s’engageant
personnellement « Je pense que... », « J’ai l’impression que... »
Par exemple, si vous avez l’impression que quelqu’un se trompe, le « Tu te
trompes », direct et donc accusateur, sera avantageusement remplacé par : « J’ai
l’impression que j’ai un autre point de vue sur la situation », « Je vois les choses
un peu différemment »...
Ensuite, la nuance est fondamentale. Il s’agit de sortir de l’alternative dichoto-
mique 0 ou 1, « J’ai raison » et donc « Tu as tort » (ou l’inverse), pour trouver
un point intermédiaire et plus souple. Les situations relationnelles ne peuvent
être considérées comme des matchs de football avec des scores, but ou pas
but. Ce sont, nous l’avons vu, des situations qui nécessitent une approche de la
complexité. Utiliser des mots qui adoucissent donc, qui nuancent, des verbes qui
proposent ou qui sèment des idées, plutôt que des accusations ou des verdicts.
Le troisième ingrédient indispensable est l’équilibre entre vos intérêts et points
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

de vue, et ceux de l’autre. Privilégier l’un est un facteur de tension à long terme.
La considération des intérêts et des points de vue est importante. Cela se fait
souvent au calme et seul. Il faut déjà avoir pris un peu de temps pour soi,
savoir ce qui nous tient à cœur et ce sur quoi nous pouvons lâcher du lest.
Ni dominer ni se soumettre, mais trouver un point intermédiaire satisfaisant
pour partager, écouter, découvrir. Apprendre à exprimer ses propres besoins et
renoncer à attendre que l’autre les devine. Formuler clairement et vérifier que
le message est passé. En même temps et réciproquement, vérifier ce que l’on a
compris de l’autre : « Si je comprends bien, et tu me diras si je me trompe, tu
as l’impression que... ». La reformulation des intérêts et des besoins de l’autre
permet de vérifier que nous sommes bien « sur la même longueur d’onde ». La
personne se sent alors écoutée et comprise. Elle s’apaise plus facilement si ses
160 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

besoins sont entendus. Cela ne veut pas dire que vous êtes d’accord avec elle ni
que vous allez vous soumettre à ses désirs.
Par exemple, prenons le cas d’un enfant qui veut aller au manège. Il suffit
de tester le « Non, nous allons au marché » ou le « J’ai l’impression que tu as
vraiment très envie d’aller au manège et nous avons prévu d’aller au marché »
pour expérimenter des résultats différents. La première phrase s’oppose direc-
tement et induit une réaction en miroir d’opposition réciproque. La deuxième
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valide la demande et apaise l’enfant qui se sent compris dans son besoin. L’idée
philosophique est ici que la relation est à privilégier sur la vérité. Il est plus utile
de développer de bonnes relations avec les autres que d’avoir raison. Dans la
tradition pragmatique (William James notamment), on considérera même que la
vérité sera le point de vue qui s’avérera être le plus utile à la relation.

Le facteur temps
!

Galilée lui-même a dû renoncer à une partie de la vérité pour rester vivant. Il


s’est soumis à l’idéologie du moment et le futur lui a donné raison. Même si ce
cas est extrême, il montre que le temps est le quatrième facteur clé à respecter :
le bon moment pour parler (Roustang, 2006). Si, adolescent impatient, vous
« sautez » sur un de vos parents qui rentre à peine et est bien sûr fatigué de sa
journée de travail, pour demander une autorisation de sortie pour le week-end,
vous avez plus de chance d’avoir un « non » que si vous attendez un moment
calme et tranquille, après avoir aidé à préparer le repas par exemple. À l’inverse,
si vous interrompez votre enfant de façon brutale et sans préavis, pour qu’il
vienne vous aider, c’est moins efficace que s’il est prévenu d’avance et dispose
de cinq minutes pour s’y préparer.

R ÉSOLUTIONS PAR LA POSTURE

Importance du non-verbal
!

La posture est le support de la communication verbale. Ce que nous venons de


développer à propos des mots à employer est vain si le non-verbal ne l’accom-
pagne pas. Le ton de la voix, le rythme des phrases, la gestuelle sont autant
de détails qui vont porter la communication vers le but : la compréhension et
l’apaisement.
Gestion des conflits et communication non violente 161

Les relations peuvent se développer sur deux grands terrains : la symétrie ou la


complémentarité :
1. La symétrie veut dire que je mime les comportements de l’autre. C’est l’esca-
lade. Le principe de la symétrie est de faire la même chose, mais plus. Cela
conduit facilement et rapidement à la violence, voire la guerre.
2. La complémentarité, elle, permet de s’accorder : comme dans un puzzle ou
chaque morceau doit trouver sa pièce complémentaire. Le héros n’est pas celui
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qui gagne en écrasant l’autre. C’est celui qui réussit à maintenir le dialogue.
Pour cela, la position basse est très utile. Elle consiste à renoncer, au moins
en surface et pour le moment. Ce n’est pas une posture de soumission à long
terme. C’est une attitude qui dit : « Je vois que tu n’es pas d’accord avec moi
et je te respecte dans ce désaccord ». Elle permet de se donner du temps.
Le temps de digérer, pour voir les choses autrement et ouvrir peut-être la
porte d’un accord. Si nous reprenons nos exemples précédents, ce serait par
exemple laisser l’enfant choisir le moment ou la pièce de la maison où il va
faire ses devoirs.
La colère est une émotion qui favorise l’emportement, les actes qui dépassent
les intentions, et les mots qui vont plus loin que les pensées et qui sont ensuite,
souvent, regrettés. Apprendre à gérer sa colère ailleurs que dans la relation est
une étape importante pour réussir en communication non violente. Le niveau de
la colère est inversement proportionnel à notre niveau intellectuel du moment.
Autant le dire directement, la colère nous rend « bête et méchant ». En adulte
responsable de nous-mêmes, protégeons les autres de la « bête » qui est en nous.
Le bouton « stop » doit être immédiatement enclenché, et des mesures efficaces
prises pour libérer la colère dans une activité sécurisée. Trop d’idées fausses
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circulent sur le fait qu’il est sain de laisser libre court à sa colère, qu’il faut
« que ça sorte ». Oui, la colère est saine (du moins certaines colères) et elle peut
être exprimée, mais pas en nous laissant emporter par le flot émotionnel brut.
Stop donc... Ensuite trouver un moyen de libérer la tension, souvent symbolique
(sport, art...). Revenir ensuite dans la relation pour la terminer, calmement et
exprimer ce qui a besoin de l’être.
Différer la réponse donc. Le cerveau a besoin de temps pour changer de point de
vue. La soupe est meilleure si elle a mijoté, et ma grand-mère pleine de bon sens
me disait toujours de « tourner 7 fois la langue dans ma bouche » avant de parler.
Réussir à attendre, à différer sa première réponse, est un apprentissage qui
devient ensuite naturel et facile. Dans les premiers temps, il peut être obligatoire
162 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

de mettre en place une sorte de rituel d’attente obligatoire, comme une règle de
conduite.
L’enjeu de notre posture résulte également d’une décision interne de refuser
d’entrer dans l’escalade conflictuelle. Toutes les techniques précédentes n’auront
aucune raison d’être si l’on ne décide pas, intrinsèquement, de ne pas entrer
dans le conflit. Les grandes figures de la communication non violente, telles que
Gandhi ou Mandela, ont d’abord été impliquées dans des conflits armés, durs. Et
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ayant observé la preuve de leur inefficacité, ils ont opté, de façon philosophique,
spirituelle presque, vers une posture et une gestion non violente du conflit.
Pourtant, au cours de leur parcours, le recours à la violence verbale ou physique
aurait pu être, probablement à court terme, aussi efficace. Mais ce n’est pas ce
choix de posture qu’ont fait ces deux grandes figures de la non-violence. Ne pas
entrer dans le conflit doit être une décision, un choix, tout comme entrer dans
un conflit d’ailleurs !

Un langage verbal précis


!

Pour éviter d’entrer dans cette escalade conflictuelle et générer de l’apaisement,


le langage verbal est évidemment primordial, par l’utilisation, comme nous
l’avons dit, de message « je », d’expression des émotions, ainsi que celle des
recadrages et reformulations. Mais le langage non verbal est également très
important. En effet, les signaux non verbaux véhiculent la majeure partie du
contenu de la communication ; il est donc important d’y accorder une attention
toute particulière.
De même la communication doit être congruente entre ce qui est exprimé au
niveau verbal et ce qui l’est au niveau non verbal : c’est ce qui permet de
véhiculer de l’authenticité et d’être cru dans son souci de faire cesser le conflit.
Bien évidemment, les signaux majeurs de violence et d’agressivité sont à pros-
crire (coups sur l’autre, coups contre un mur, doigt pointé agressivement vers
l’autre, etc.). Il en est de même pour les tentatives d’intimidation indirecte
profitant d’une différence de taille ou de force. Introduire des signaux non
verbaux d’apaisement peut consister, par exemple, à s’asseoir (position basse),
incitant l’autre à faire de même. Respirer, ralentir son rythme respiratoire et
cardiaque (qui ont tendance à s’emballer sous l’effet de la colère), modifier son
timbre de la voix et le rythme du discours qui devient plus fluide, moins aigu
et donc moins agressif. Porter également attention à son visage, aux zones de
crispations, et les détendre (sourcils, bouche) permet à l’autre de percevoir un
Gestion des conflits et communication non violente 163

visage plus avenant et inoffensif. Tous ces éléments contribuent à l’apaisement


du conflit et à la congruence entre les propos et le ressenti corporel.

Le traitement des situations conflictuelles et, à la clé, des problèmes de violences, est
au cœur de la complexité humaine et, de ce fait, dépasse très largement les limites de
ce livre. Nous pouvons penser, et nous espérons, que des progrès importants pourront
être accomplis à ce sujet dans le domaine du soin et de la relation d’aide.
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B IBLIOGRAPHIE

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TAVOILLOT P.H. (2011), Les femmes sont des
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WATZLAWICK P., HELMICK BEAVIN J., JACKSON D.D.
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(1967), Pragmatics of Human Communication,
Autobiographie ou mes expériences de vérité,
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PUF Quadriges, Paris, 2007.
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matisme. Champs Classiques, 2011.
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tion : A Language Compassion, Trad. Fr. Les vous-mêmes votre malheur, Seuil, Paris.
Chapitre 10

Le pluriel des thérapies


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communicationnelles

Bernadette Audrain-Servillat, Élise Lelarge, Thierry Servillat

B et l’utilisation des comportements tant verbaux que


ASÉES SUR L’INTERACTION
non verbaux, les thérapies communicationnelles sont multiples. Elles par-
tagent un socle commun, éthique et philosophique, né des travaux croisés de
Milton Erickson, de Grégory Bateson et de l’école de Palo Alto. Elles peuvent se
regrouper sous le terme de « thérapies brèves ».

T HÉRAPIES BRÈVES
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Fondements
!

La thérapie est dite brève par opposition à une thérapie qui ne se poserait pas
la question de sa fin. Elle n’est pas pour autant toujours courte, loin s’en faut.
Le mot « bref » renvoie à l’esprit du haïku japonais qui cherche à saisir l’instant,
tel celui du maître Bashô :
Le corbeau d’habitude je le hais
Mais tout de même...
Ce matin sur la neige
166 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

Cette forme particulière de poème capte, comme une photo, cette plus petite
décomposition possible du temps, qu’est l’instant. Et le thérapeute bref cherche
à saisir l’opportunité du changement, là maintenant, dans le présent de la séance.
Aussi, chaque consultation est envisagée comme étant potentiellement, possi-
blement, la dernière. C’est dans cet état d’esprit, actif, dynamique et concentré,
que se place le thérapeute. L’interaction patient-thérapeute est au centre de l’in-
tervention thérapeutique brève. Pour cette raison, celles-ci sont parfois appelées
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thérapies interactionnelles.
Par ses travaux anthropologiques, Gregory Bateson a mis en évidence l’impor-
tance des comportements et des relations dans la genèse des problèmes humains.
Il a expliqué qu’il était plus utile, plus facile, et plus efficace de s’intéresser
davantage à ce qui est directement observable dans l’interaction qu’à ce que l’on
suppose se passer dans la tête des gens. Les problèmes sont alors envisagés
en terme d’interaction (patient-environnement, patient-famille...), et non plus
en terme intrapsychiques. Ils deviennent observables ici et maintenant dans le
présent de la vie du sujet. Le « comment cela fonctionne » est privilégié sur
le « pourquoi » les choses sont ainsi. La recherche de la cause des troubles,
explication appartenant à un temps passé, perdu, inobservable, est abandonnée
au profit du « ce qui se passe ici et maintenant » plus directement utile à la
résolution des problèmes (Lambrette, 2015).
Là où la systémie s’intéresse à l’homéostasie du système, les thérapies brèves
s’efforcent d’aller plus loin, se posant en approches spécialistes du changement.
De Shazer (Référence ?) explique que la façon dont les systèmes restent stables
n’est pas tant intéressante que la manière dont ils changent. La notion d’objectif
est placée au cœur de cette pratique de la thérapie : qui veut quoi ? Le théra-
peute bref devient le spécialiste du « comment » obtenir ce que l’on souhaite
voir se produire dans sa vie. Il crée un contexte où le changement devient
possible. C’est le patient qui fixe le but. Dans cette optique, ce but de la thérapie
ne peut être la simple négation, ni juste la disparition du trouble (par exemple
ne plus fumer, perdre du poids, avoir moins d’angoisses...) : c‘est une vie libérée
du problème qui est visée.
Ainsi, certains types de questionnements spécifiques seront particulièrement
employés, qui visent à préciser, et donc à construire, du nouveau, du supplé-
mentaire : « À ce moment, lorsque vous serez prêt à arrêter de fumer, qu’est-ce
qui sera différent ? » « Que ferez-vous que vous ne faites pas actuellement ? Que
ferez-vous plus souvent ? » La notion de différence est en effet fondamentale en
thérapie brève. Créer de la « différence qui fasse de la différence » (cf. la notion
d’information, chapitre 1 de la première partie).
Le pluriel des thérapies communicationnelles 167

École de Palo Alto


!

Autre grand courant approche thérapeutique bref : celui de l’école de Palo Alto
et son approche centrée sur le problème. Il s’agit ici de repérer les « tentations
de solution inefficaces ». En effet, dans cette manière de voir, le changement
est continuel et inévitable. Si la difficulté ne change pas, cela est dû à des
processus qui les maintiennent en place. Ces processus sont justement ce que
les personnes et/ou leur entourage (conjoint, famille, collègues et amis...) font
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pour essayer de résoudre leurs problèmes et qui ne fonctionne pas. Ces comporte-
ments, tentatives de solution qui ne marchent pas, sont en fait les vraies cibles
de la thérapie, puisqu’identifiés comme les facteurs de maintien du problème.
Selon une logique paradoxale, mettre en place un comportement opposé (dit « à
180° ») à ces tentatives inefficaces devrait permettre de résoudre le problème.
Steve de Shazer et Insoo Kim Berg, avec l’approche orientée solution, mettent
de la souplesse dans ce modèle. Ils reprennent les idées d’Erickson. Il n’y a pas
forcément besoin du « 180 degrés » ; il suffit d’arrêter ce qui ne marche pas et
de faire autre chose. Autre chose, peu importe quoi, car l’être humain ne sait
que très difficilement s’arrêter de faire, même quand il voit que ça ne fonctionne
pas ! Et, de plus, un changement dans n’importe quel endroit d’un système
provoque un changement dans d’autres parties de celui-ci (« effet papillon »).
Les thérapies brèves s’inspirent du pragmatisme anglo-saxon. Notamment celui
qui a été formulé par le philosophe et psychologue américain William James et
qui met au premier plan la valeur fondamentale de l’expérience.
Des exercices (tâches thérapeutiques) sont ainsi proposés pendant et entre les
séances, pour favoriser l’apparition de nouveaux comportements plus utiles,
développer la créativité des patients, et augmenter les chances de réussite.
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Dans une vision naturaliste de la vie, notre existence peut être envisagée comme
une succession de difficultés. Il est utile de voir celles-ci comme des occasions
pour apprendre et pour grandir. Le patient est ici considéré comme ayant les
capacités internes pour faire face à sa situation, mais n’arrivant pas à utiliser
celles-ci.
La rigidité est considérée comme le problème humain le plus fréquent : répéter
des comportements inefficaces dans le but de surmonter une difficulté habi-
tuellement passagère, transforme rapidement celle-ci en problème persistant.
L’augmentation de la flexibilité et des capacités d’adaptation sont développées
comme un moteur de résilience.
Spécialiste du changement et utilisant l’interaction pour le provoquer, le thé-
rapeute bref s’autorise donc à voir différentes personnes d’une même famille,
168 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

et au-delà, toute personne susceptible de contribuer utilement à l’atteinte de


l’objectif du patient. Il recevra et travaillera surtout avec la personne la plus
demandeuse du changement, la plus volontaire pour faire des efforts pour que
celui-ci survienne. Cette personne n’est souvent pas celle qui a le symptôme et
donc considérée comme la personne à traiter.
D’ailleurs, dans la perspective des thérapies brèves dont la majorité s’inspire de
l’approche systémique, le symptôme est considéré, non comme une faiblesse
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individuelle intrinsèque, mais comme un moyen adaptatif à une situation inadé-
quate, un indicateur d’une volonté de changement, un moteur potentiel pour
une reconfiguration de la vie relationnelle et communicationnelle du patient et
de son entourage.
Enfin, le temps est appréhendé :
➙ soit dans son orientation vers le futur pour déterminer les objectifs et les
changements possibles ;
➙ soit dans l’instant du présent tel que le Kairos de Grecs : le bon geste, au bon
moment, dans le bon lieu.

T HÉRAPIES STRATÉGIQUES

Le travail de Milton Erickson en thérapie est déjà stratégique. Jay Haley a parti-
culièrement développé cette dimension du travail éricksonnien, en en décrivant
aussi les tactiques utilisées. Si Erickson était réticent à théoriser sa pratique,
par crainte de créer des dogmes limitants, s’il considérait chaque patient comme
unique, il utilisait préférentiellement six grandes stratégies thérapeutiques qui
ont été décrites par Roxanna Erickson-Klein, Betty-Alice Erickson et Dan Short
dans leur livre Espoir et résilience. Ces 6 stratégies sont : la distraction, la
fragmentation, la progression, la suggestion, la réorientation et l’utilisation. Ce
sont là six « méta-idées » à garder à l’esprit pendant la thérapie.

Distraction
!

Directement pragmatique comme nous l’avons vu, la thérapie stratégique part du


plus simple pour ne complexifier que si cela nécessaire. De Shazer explique ainsi
qu’une clé simple, un passe-partout, est souvent capable d’ouvrir des serrures
complexes. Et qu’il pouvait parfois suffire de distraire l’attention du patient de
son problème pour que celui-ci prenne moins d’importance dans sa vie, voire une
Le pluriel des thérapies communicationnelles 169

importance si faible qu’il serait possible de dire qu’il a disparu. Milton Erickson
choisit d’oser imaginer que le patient peut aller jusqu’à oublier son problème.
Distraire donc, mais comment ? Par tous les moyens qui vous semblent bons
pour distraire votre patient de son problème. Si ce dernier est défini comme une
focalisation excessive sur ce qui ne va pas, quels moyens utiliser pour détourner
son attention vers ailleurs ? L’art qui consiste à ce que le patient accepte de
détourner son attention vers ailleurs est décrit en détail dans cet ouvrage,
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et notamment les techniques de surprise. Retenons avant tout que créer une
relation de qualité, établir une communication optimale, sont les conditions
de départ pour obtenir du patient qu’il accepte de détourner son attention du
problème.

Fragmentation
!

Le problème semble trop gros ; le patient se sent au pied du mur, débordé... Le


thérapeute pourra alors s’orienter sur la transformation de la montagne infran-
chissable en une succession de collines qui peuvent être dépassées les unes
après les autres. Fragmenter est un art utile en thérapie stratégique. Découper
le problème en parties solubles. Reconnaître ce qui ne changera pas et avec
quoi il va falloir composer. Discerner ce qui va se résoudre naturellement avec
le temps, et savoir attendre. Identifier l’aide que je peux demander aux autres
pour certaines autres parts du problème. Me souvenir de situations que j’ai déjà
dépassées, et penser à réutiliser des solutions du passé qui ont déjà fonctionné
pour moi. Des questions bien posées permettront aux patients d’identifier les
différentes parties de son problème et de retrouver de l’espoir, donc de la
motivation à faire des efforts dans une direction qui sera efficace.
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Progression
!

Le changement étant permanent et apportant naturellement d’autres change-


ments, il sera ensuite facile d’établir un chemin, des étapes vers la solution.
Progresser dans la direction choisie par le patient. L’idée en thérapie brève n’est
pas d’accompagner le patient « jusqu’au bout ». Car la vie est considérée, dans
son ensemble, comme une opportunité pour découvrir et grandir. Accompagner
« jusqu’au bout » voudrait dire dans ce cas « toute la vie » ce qui bien sûr est
trop long. L’idée est ici de mettre « sur le chemin de », dans la direction. Le
patient, ensuite, retrouve son autonomie. Cette posture a une évidence éthique
de respect de la direction, de la vitesse et du chemin choisi.
170 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

Suggestion
!

Quel(s) est (sont) le(s) besoin(s) de mon patient ? Roxanna Erickson-Klein


insiste sur cette dimension dans le travail de son père et la façon dont elle a été
éduquée, dès son plus jeune âge à tenir compte des besoins des autres. Profitant
de l’unité de lieu entre son cadre de travail et sa maison, Milton H. Erickson a
utilisé la présence des patients à son domicile pour transmettre à ses enfants
des valeurs.
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La salle d’attente du cabinet médical est aussi la salle à manger familiale. Les
toilettes servent aussi bien pour les personnes qui attendent les consultations
que pour les enfants de la famille. Roxanna explique comment cette situation
de partage des mêmes lieux et la proximité avec la clientèle de son père lui a
appris à tenir compte des besoins des patients, prioritaires sur les siens. Si les
patients ont soif ou envie d’uriner, il est important qu’ils puissent être soulagés.
Milton Erickson avait confié ce rôle à ses enfants. Dans son travail de thérapeute,
Roxanna Erickson Klein a gardé cette orientation. Quel est le besoin de mon
patient ? Qu’est-ce qui bloque dans sa vie ? Quel message thérapeutique a-t-il
besoin d’entendre pour que ce qui le bloque et le limite se débloque et que le
mouvement de la vie puisse se redéployer ? La suggestion thérapeutique est
basée sur cette idée. Une fois le message thérapeutique trouvé, les suggestions,
qu’elles soient directes ou indirectes permettent de faire passer ce message. Elles
sont une sorte d’emballage qui cache plus ou moins ce que le patient a besoin
d’entendre. Plus la relation thérapeutique est bonne, moins le message a besoin
d’être dissimulé et plus la suggestion peut être directe. Tout l’art consiste à
communiquer efficacement son message pour le faire accepter par le patient.

Réorientation
!

« Ce ne sont pas les choses qui nous posent problème, mais l’opinion que nous
avons des choses », dit Watzlawick, reprenant le philosophe grec Épictète. Dans
une perspective constructiviste, la réalité est envisagée comme une construction
subjective. Loin des conceptions positivistes, Erickson propose de changer le
point de vue du patient sur la « réalité ». La réorientation est une stratégie qui
consiste à proposer une autre lecture au patient ou à la famille. Une lecture plus
utile pour trouver des solutions. Par exemple l’idée que plus une situation est
complexe, plus la solution sera simple, est un recadrage utile dans beaucoup de
situations. Cela permet d’avoir de l’espoir et de la motivation, car l’aggravation
de la situation va dès lors favoriser l’émergence d’une solution. Nous sommes
Le pluriel des thérapies communicationnelles 171

bien là dans un état d’esprit, une façon d’envisager les choses pour semer de
l’espoir et de la résilience.

Utilisation
!

Demander à quelqu’un de changer provoque presque immanquablement de l’ani-


mosité. Utilisez la situation, le comportement, les réactions, les compétences ou
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les faiblesses, pour proposer des opportunités de changements : votre énergie
ne sera ainsi pas perdue. Dans toutes les informations et idées que lui apporte le
patient, le thérapeute doit apprendre à choisir ce qui sera utile à la construction
des solutions. Pragmatiquement, il utilise ainsi ce qui se présente à lui comme
des opportunités pour la croissance et transmet à son patient cette idée : les
difficultés de la vie sont des occasions pour découvrir et expérimenter.
Épistémologue avant de devenir thérapeute, Georgio Nardone étudie la thérapie
brève à Palo Alto. Passionné par ce qu’il y découvre, il poursuit l’aventure en
mettant en place en Italie l’étude de grandes cohortes de patients. Il développe
des approches stratégiques particulières pour chaque grand type de troubles :
phobique, dépressif, addictif... Il dégage de grandes lignes d’actions thérapeu-
tiques efficaces pour chaque trouble. On connaît un problème d’après sa solution,
dit-il. C’est quand il est résolu que l’on sait vraiment quel problème le patient
avait. L’objectif n’est pas, bien sûr, de connaître le problème, mais de soulager les
patients plus rapidement. Car chaque journée de vie meilleure est précieuse. Par
ses recherches, il s’intéresse à augmenter l’efficience (rapport entre le résultat
obtenu et le temps ou les moyens mis en jeux pour l’obtenir) de la thérapie.
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T HÉRAPIE PROVOCATIVE

Autre visage des thérapies communicationnelles, l’approche provocative de Franck


Farrelly se caractérise par l’utilisation intensive des stéréotypes. Appelés encore
lieux communs, ou clichés, ces généralités plus ou moins caricaturales sont, de
manière toujours bienveillante, affirmées au patient comme étant des vérités à
son égard, afin qu’il se mette au travail en envisageant de protester, mais en ne
le faisant pas forcément. Car l’expérience d’être provoquée de manière créative
peut être tout à fait intéressante, agréable, humoristique et/ou poétique !
Élève de Carl Rogers, Farrelly s’est trouvé confronté à des groupes thérapeutiques
de patients alcoolo-dépendants qui trouvaient le jeune psychologue bien falot
et qui le lui ont bien fait comprendre. Et le disciple du maître de l’indirectivité
172 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

a réfléchi et appliqué une des maximes des thérapies brèves : « Le thérapeute


doit survivre activement à la séance » ! Il arriva un matin en interpelant le
groupe avec un grand sourire et une attitude joviale : « Salut les pochtrons ! »
Les patients furent interloqués, sidérés, et commencèrent à prendre le jeune
psychologue au sérieux !
Personnellement, nous (Thierry Servillat) avons été amenés à vivre de nombreuses
expériences comparables dans le cadre de notre travail en Unité d’Évaluation de
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Traitement de la Douleur pendant 18 ans. Ce qui nous rappelle aussi le cas de la
patiente en soins palliatifs qui, à l’entrée de Milton Erickson dans sa chambre,
gémissait répétitivement : « Ne me faites pas mal ! », et à qui le « Sage de
Phœnix » se mit à induire une transe hypnotique apaisante en répétant à son
tour – bel exemple d’utilisation – : « Je vais vous faire mal ! »
La provocation surprend, et déstabilise. Le thérapeute accompagne le processus,
aide le patient à clarifier ses choix et est présent dans la prise de décision de
celui-ci, mais en le faisant douter. En l’empêchant de « fuir dans la guérison ».
Pratique déconcertante, certes, mais souvent d’une remarquable efficacité dans
les situations chroniques bloquées pour lesquelles tout semble avoir été essayé.
Et quand on a une certaine affection pour le patient, et qu’on pense, devant
l’échec, à se défausser en se mettant en position basse, ce peut être une ultime
tentative d’aide qui peut avoir un caractère très pédagogique pour le thérapeute
lorsqu’il a encore envie de tenter quelque chose : il repousse ses limites, invente
des interventions inédites pour lui, se surprend lui-même.
La provocation, enfin, peut avoir une fonction diagnostique. Notamment avec les
patients qu’on appelle « lisses », c’est-à-dire, parlant peu, n’exprimant pas de
parole vraiment « pleine », n’apportant pas de matériel utilisable. Les modalités
de réaction du patient fournissent alors très souvent des cliniquement précieux
pour mieux évaluer à la fois ses ressources – il en montre souvent bien plus
qu’on ne croit – et sa problématique.
Au total : la provocation thérapeutique fait partie de ce que nous appelons les
« thérapies de la colère », approches utilisant comme une ressource cette émo-
tion, qu’elle soit déjà présente chez le patient, ou qu’elle soit stratégiquement
suscitée. La colère peut en effet être vue comme une source d’énergie vitale
potentiellement très utile au patient afin que celui-ci fasse des choix, s’affirme,
établisse et entretienne des frontières et des limites, compétences dont tout
être humain à besoin dans ses relations avec les autres.
Le pluriel des thérapies communicationnelles 173

H YPNOSE CONVERSATIONNELLE ET PNL

Saisir l’unicité
!

Sortir des mythes sur l’hypnose est un enjeu actuel important. Considérer l’hyp-
nose comme un moyen de communication est une excellente façon de le faire.
Le mot « hypnose », de par sa référence au sommeil, est sûrement mal choisi
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pour désigner ce dont on parle quand les thérapeutes utilisent l’alliance entre
le langage, verbal et le non-verbal pour communiquer efficacement avec leurs
patients. De plus, son emploi est souvent gêné par le développement de pratiques
dénuées d’objectifs thérapeutiques (spectacle, manipulation).
Car c’est bien l’intention qui détermine l’éthique d’un outil. La manipulation
est bien sûr indissociable de la relation. Les travaux de l’école de Palo Alto sur
la communication l’ont montré. Toute relation, directement ou indirectement,
influence. Donc, s’il est accepté que nous influencions nos patients dès que
nous sommes en relation avec eux, apprenons à les orienter dans une direction
thérapeutique, à les y pousser, gentiment.
L’hypnose conversationnelle, qui repose sur l’utilisation de procédés hypnotiques
au fil de la conversation, et sans que le thérapeute précise au patient qu’il
utilise ceux-ci (hypnose non ratifiée), est un excellent moyen pour atteindre cet
objectif. C’est la relation qui soigne, comme a pu l’expliquer Cynthia Fleury au
congrès d’hypnose à Paris en 2015 en montrant particulièrement la continuité
entre les travaux freudiens et le développement de l’hypnose contemporaine.
Nous devons arrêter de vouloir soigner des maladies et nous intéresser à soigner
des sujets malades. Et elle ajoute : les hypnothérapeutes sont les spécialistes de
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

la relation. C’est de cela avant tout qu’il s’agit, devenir un expert de la qualité
de la relation. Utiliser les moyens hypnotiques pour orienter vers le but : la
« manipulation qui guérit » dit Roustang.
Comment obtenir cette qualité relationnelle qui va permettre la guérison ?
L’hypnose conversationnelle, pratique réservée aux hypnothérapeutes confirmés,
survient dans un climat subtil où le patient – voire le thérapeute aussi – évolue
dans un état de conscience modifiée qui n’est pas commenté mais se produit
en direct. Elle est en effet fondée sur une approche globale où le corps et
l’esprit voyagent ensemble, sont tissés de liens intimes, voire ne font qu’un. La
« danse thérapeutique » exprimerait peut-être mieux ce qui se passe. Si, par
cette appellation de danse, nous mettons l’accent sur le mouvement, que reste-t-
il du son, de la musique de l’hypnose et de ses images. Quel mot pourrait mieux
174 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

désigner cet accordage entre le patient et le thérapeute dans la « conversation


thérapeutique » ? Le moment où le thérapeute se met à l’écoute du monde du
patient, l’observe puis l’utilise pour entrer en contact avec lui et découvrir,
co-construire une autre réalité, favoriser l’adaptation et la résilience là où la
rigidité a fabriqué du problème.
Pour Bateson, anthropologue, c’est l’interaction qui est à considérer pour tenter
d’introduire du changement dans le système. Il s’intéresse à la façon dont les
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êtres et les choses sont connectés les uns avec les autres. Étudier quelque chose
sortie de son contexte, sans tenir compte de la relation de cette chose avec son
environnement, ne peut conduire qu’au désastre, prévient-il. Il est pour cela
en rupture – avec d’autres, comme Rogers – avec la démarche thérapeutique
antérieure aux années 1950, où les sujets étaient étudiés isolément, dans leur
intimité intérieure. Cette révolution épistémologique a conduit à changer pro-
fondément la démarche thérapeutique. La cybernétique (causalité circulaire) et
la notion de feedback nous obligent à repenser, réinventer ce que nous pensions
du monde. Il est plus intéressant, explique-t-il, de voir sa main, non pas comme
ayant 5 doigts (ce que malheureusement nous apprenons toujours à l’école
primaire), mais comme permettant 4 interactions entre les doigts.

LA MAIN DE B ATESON

Bateson propose de repenser le monde à la lumière des connections entre les choses.
Cela n’est pas simple, car ces connections ne sont pas directement visibles. Si vous
regardez votre main, la présence de vos cinq doigts est ce qui vient en premier, parce
que vous avez appris à penser comme cela, mais aussi parce que les doigts sont
palpables. Pourtant, si vous perdez votre pouce, vous entrerez, directement et dou-
loureusement, dans l’expérience que de qui était en fait utile dans votre main. Pas
le nombre de doigts, mais bien la pince, la relation du pouce avec les autres doigts.
L’hypnose moderne est née de cette étroite coopération entre cette recherche anthro-
pologique, l’école de Palo Alto et le travail d’Erickson.

Erickson, lui, se spécialise dans l’unicité de ce qui se passe. Comment utiliser


le moment présent et ce qui y survient spontanément, pour proposer un autre
regard sur le réel. Il refuse de développer un modèle. Il existe, dit-il, un nouveau
modèle en psychologie tous les ans, et ce modèle sera bientôt oublié pour être
remplacé par un autre. Se battre pour savoir qui a raison ne l’intéresse pas.
Il focalise son attention sur la relation qui permet au patient d’atteindre son
objectif. Tous les coups sont permis pourvu qu’ils soient utiles. La notion de but
Le pluriel des thérapies communicationnelles 175

est omniprésente. Tout ce que fait le thérapeute est orienté vers la guérison,
l’amélioration de la situation.

Travail conversationnel
!

Dans l’hypnose conversationnelle, le ton de la voix, le rythme du langage, la


respiration, la posture, les mots choisis seront autant de moyens pour établir la
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relation, proposer, autoriser ou permettre des adaptations nécessaires. Le théra-
peute et le patient discutent. Au premier abord, cette conversation peut paraître
non spécifique. Ce qui la rend unique est la façon dont le thérapeute observe
et utilise ce qu’il juge pertinent pour faire passer les messages thérapeutiques
efficacement. Ce patient peut-il entendre directement ce qu’il a besoin de savoir
ou faire ? Doit-on lui présenter le message dans une forme indirecte et cachée ?
C’est une approche globale qui tient compte de l’ensemble du système et des
interactions de celui-ci. Elle respecte les objectifs du sujet et ses besoins.

Et la PNL ?
!

Dérivée de l’hypnose ericksonienne, mais aussi de la thérapie familiale de Virginia


Satir et de la Gestalt thérapie de Fritz Perls, la PNL (Programmation Neuro-
Linguistique), a été élaborée par Richard Bandler et John Grinder dans les
années 1970, aux États-Unis. C’est un modèle de communication, qui évolue
et se restructure en fonction de l’évolution des besoins qu’elle rencontre et de
l’intérêt qu’on lui porte. D’abord centrés sur la thérapie, elle investit d’autres
champs d’action, notamment en entreprise, mais aussi en sport ou dans l’édu-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

cation. Pragmatique, elle cherche à modéliser les méthodes de communication


réputées les plus efficaces et à les transmettre au plus grand nombre. Elle classe,
nomme, organise et simplifie pour être transmissible aisément.

A UTRES APPROCHES : ORIENTATIONS SOLUTIONS ,


APPROCHE NARRATIVE

Deux approches très importantes et récentes, qui sont proches l’une de l’autre,
compléteront notre synthèse des thérapies brèves.
176 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

Orientation solutions
!

Dans les années 1980, sous l’impulsion de Steve de Shazer (sociologue) et


d’Insoo Kim Berg (psychologue), deux psychothérapeutes de Milwaukee (USA),
apparaît l’approche dite « orientée solution ». Ces thérapies « solutionnistes »
sont fondées sur la recherche de l’exception au problème, et sur l’anticipation
d’une situation où le problème sera absent. Cette approche repose sur différentes
stratégies de questionnement en se basant sur les jeux de langage.
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Le postulat de base est, comme dans la conception ericksonienne, que le patient
possède en lui les capacités au changement. Le travail du thérapeute est de
rechercher avec son patient les moments au cours desquels le problème est
un peu moins présent, voire totalement absent. À partir de cette exception
au problème, ils vont ensemble explorer les situations où, dans le passé, le
patient a pu résoudre ses difficultés par lui-même. Ensemble, ils travaillent sur
la possibilité pour le patient de commencer à imaginer son problème résolu.
L’approche solutionniste est tournée vers les objectifs du patient. Il ne s’agit pas
de fixer à la place de celui-ci un but que le thérapeute estimerait bon pour lui,
mais de le laisser décider par lui-même des objectifs qu’il veut atteindre. Quels
sont-ils ? En quoi cela sera-t-il différent lorsqu’il aura atteint ses objectifs ?
Et à quoi le reconnaîtra-t-il ? Le thérapeute doit veiller à ce que les objectifs
du patient soient réalisables, afin que celui-ci puisse tester une dynamique de
succès de résolution d’un problème.
Beaucoup d’outils ont été développés dans cette approche :

Questionnement sur les exceptions

➙ Après que le thérapeute ait écouté le ou les problèmes du patient, il pose ce


type de questions : où, comment, quand, avec qui le problème est-il moins
ou pas présent ? Qu’est ce qui est différent ? Comment avez-vous fait pour
que cela se produise ? De quelle manière votre journée est-elle différente
quand... ? Que dit votre entourage ?
➙ Le but est de trouver ou construire des exceptions significatives, des exceptions
qui aient du sens pour le patient, pour que sa perception d’incapacité soit
modifiée.
Le pluriel des thérapies communicationnelles 177

La question « miracle »

➙ Afin d’aider leurs patients à se représenter un avenir sans le problème, les


thérapeutes solutionnistes utilisent au cours de la séance ce que De Shazer
et Berg ont appelé la question miracle :
J’ai une question étrange, une question qui demande de l’imagination... Imaginez
que... ce soir ... après cet entretien... vous rentrez chez vous, et vous faites des
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choses habituelles... et vous allez au lit et vous vous endormez...
Et pendant que vous dormez, un miracle se produit...
Et les problèmes qui vous ont amené ici sont résolus, juste comme ça (claquement
de doigt)... Et, ceci s’est passé pendant que vous dormiez, donc vous ne savez pas
que le miracle a eu lieu...
À quoi, demain, en vous réveillant, remarquerez-vous que ce miracle a eu lieu ?
Tout le temps nécessaire doit être proposé et accordé au patient pour qu’il
réponde à cette question essentielle. Durant tout le temps où celui-ci y répond,
le thérapeute doit veiller à ce que les réponses soient concrètes et centrées sur
les modifications que le miracle produit en lui et autour de lui.
Lorsque les effets du miracle ont été explorés le plus largement possible, dans
un deuxième temps, il demande au patient quand, au cours des heures, des
jours, des semaines passées, un « petit bout de miracle » a eu lieu, et ce qui se
passait de manière différente pour lui ce jour-là : en quoi les choses étaient-elles
différentes ?
Dans cette approche une grande importance est accordée à l’attention portée aux
mots utilisés par le patient. Parler le langage du patient permet de se rapprocher
de lui et d’établir une communication de bon niveau.
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Les questions à échelles

➙ Les thérapies solutionnistes utilisent l’image des échelles (0 à 10 le plus


souvent) pour mesurer, par exemple, où en est le patient dans sa confiance
ou sa motivation à atteindre l’objectif qu’il s’est fixé.
➙ Ou, autre exemple : sur une échelle de 0 à 10 (0 étant une situation vraiment
dure et 10 une situation où cela va très bien pour lui), où se situe-t-il ? Si le
patient répond 4 : à quoi verrait-il qu’il est passé de 4 à 5 ?
➙ L’utilisation des échelles apporte des renseignements tout à fait utiles sur
ce que ressent le patient, sur comment il envisage le futur. Elle amène les
patients à se créer un nouvel avenir construit avec ses propres solutions.
178 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

➙ Les échelles ont pour but de faire expérimenter la création de différences dans
une situation. Elles permettent de diviser les problèmes et ainsi, de les faire
apparaître plus facilement résolubles.
➙ L’utilisation des échelles permet aussi de créer une marge de progression qui
rend l’objectif du patient atteignable.

Le compliment
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➙ Le compliment tient une place importante dans un entretien orienté solution.
Il doit être sincère et souligner la manière dont jusqu’à présent le patient a
pu résister au problème et tenir bon.

Détermination d’un objectif thérapeutique minimal

➙ Souvent, lorsqu’un patient vient consulter, il a souvent la conviction que


beaucoup de choses doivent changer dans sa vie pour qu’il se sente mieux. Le
rôle du thérapeute est d’aider le patient à construire un objectif minimal, et
donc le plus facilement et rapidement atteignable possible. Cette stratégie
vise à remettre le patient dans un vécu de réussite. Plus un objectif est élevé,
et plus le risque est grand de ne pas l’atteindre. Aussi procéder par petits pas
diminue beaucoup le sentiment d’échec.
➙ Pour cela, il va prescrire quelques tâches que le patient pourra effectuer d’ici
le rendez-vous suivant. Par exemple, le patient peut consigner dans un carnet
tout ce qu’il ne veut pas voir changer dans sa vie. Par cette prescription, le
thérapeute invite le patient à noter tout ce qui est bon pour lui dans sa vie
actuelle. La plupart du temps, tout dans sa situation n’a pas à être rejeté.
Cette tâche vise donc à inciter le patient à remarquer les aspects positifs
de sa situation. De manière analogue, le thérapeute peut aussi demander au
patient d’observer quand et où le problème est le moins présent, afin d’aider le
patient à prendre conscience que son problème ne se manifeste pas toujours
avec la même intensité, qu’il existe des variations, ouvertures de solutions
possibles si celles-ci sont répétées et/ou amplifiées.

Approches narratives
!

Autre éclairage récent, l’approche narrative prend ses sources dans la systémique,
mais le psychologue australien Michael White a reconsidéré la vie humaine
Le pluriel des thérapies communicationnelles 179

comme un texte que chacun de nous écrit par ses propres comportements, ver-
baux mais aussi non verbaux (l’approche valorise les productions artistiques :
dessins, peinture, sculpture, musique, et bien sûr poésie).
Bien sûr, tout comme les exercices que nous faisions à l’école primaire dans
lesquels nous devions compléter les mots manquants symbolisés par des petits
points, une partie de notre vie n’est pas vraiment choisie par nous, elle est
imposée. Mais il reste quand même ces « trous », quand même abondants, que
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nous pouvons remplir de manière créative, pour être quand même auteurs de nos
vies.
Mais, lorsque nous avons un problème, celui-ci peut dominer notre vie, l’op-
presser, l’envahir. Et nous avons à résister, par nos actes, nos productions, nos
relations, nos valeurs.
Parfois même il s’agit de reconquérir notre liberté, notre espace, reprendre
le pouvoir sur notre vie en chassant le problème. Michael White parle alors
d’externalisation.
L’approche narrative est assez proche de l’orientation solution, se construisant
beaucoup sur la notion d’événements uniques, partageant de nombreux points
communs avec celle d’exception. L’évènement unique peut par contre ici être
créé avec l’aide du thérapeute, et aussi dans un cadre groupal.
Ainsi, dans le domaine de l’anorexie mentale, et aussi de difficultés chroniques,
l’approche narrative peut être d’une grande aide, utilisant elle aussi une large
gamme de questions destinées à mobiliser les ressources des patients.
Chez l’enfant aussi, en favorisant des valeurs comme la solidarité, cet éclairage
suscite la délivrance de diplômes, comme par exemple celui de « dompteur de
monstres » pour un enfant qui aurait appris à surmonter ses cauchemars.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Assez proche quoique différente, la médecine narrative initiée par Rita Charon,
médecin et chercheuse en Littérature la Columbia University, prône l’écoute du
malade, de son vécu, considérant que celui-ci vit l’expérience de la maladie de
façon personnelle et unique, et que la façon dont il parle de celle-ci, dont il se
raconte, est essentielle pour la conception d’un soin humain et plein.

Souvent qualifiées de « nouvelles thérapies », les thérapies brèves développent effecti-


vement des innovations importantes qui amènent à espérer que nous entrons dans la
phase adulte de l’histoire de la psychothérapie. Reste à faire en sorte que les usagers
et les pouvoirs publics en soient mieux informés.
180 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

B IBLIOGRAPHIE

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Paris. deaux.
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DE SHAZER S. (1994), Words were Originally Magic,
Norton, New York Trad. Fr. Les mots étaient à
l’origine magiques, SATAS, Bruxelles, 1994.
PARTIE III

En application
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Chap. 11 Le domaine du soin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 183
Chap. 12 Le domaine médical . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 199
Chap. 13 Spécificités du chronique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 231
Chap. 14 Spécificités de la pédiatrie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 246
Chap. 15 Les psychothérapies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 260
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Chapitre 11

Le domaine du soin
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Julie Morvan

L A QUESTION DU SOINs’inscrit dans une relation dialogique entre le soigné, le


soignant, le cadre dans lequel s’établit le soin et les règles implicites et
explicites qui sous-tendent ce même cadre. Le principe dialogique interroge les
interdépendances égo/alter en jeu dans la mise en relation, l’essence même du
dialogisme prenant davantage source dans les relations que dans les entités
individuelles.
La communication thérapeutique recherchée sera, de fait, soumise aux mouve-
ments de cette relation dialogique dans ses aspects prévisibles, objectivables
mais aussi subtils, inattendus et invisibles.
L’asymétrie initiale de posture entre soigné et soignant, inhérente aux premiers
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

temps de la rencontre professionnelle, questionne les notions d’ancrage dans le


présent et de présence à l’autre.
À partir de quel moment envisage-t-on la communication thérapeutique dans le
soin ? S’entend-elle comme une technique dont la mise en œuvre se structure
par un début et une fin ou davantage comme une façon d’être en relation à
soi-même et à l’autre ?
À cette réflexion, est-il considéré comme possible d’en relater ici sa mise en
application dans le domaine du soin ? Peut-être au mieux l’illustrer ; comme
l’image du livre illustre les mots, elle est aussi, et peut-être même avant tout,
une porte vers l’imaginaire du lecteur, ses ressources propres, une ouverture aux
possibles, au-delà de l’histoire contée.
184 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

L A PLACE DE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE


DANS LE DOMAINE DU SOIN

Le soin comme expression d’une technicité


!

ou comme relation morale ?

Le soin constitue l’essentiel du travail de ceux très justement nommés « soi-


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gnants », s’inscrit dans leur rôle propre, interpelle la relation d’aide tout autant
que la technicité des actes. Par extension, le soin concerne tous les profes-
sionnels et aussi, d’une autre façon, les aidants, dans différents contextes
(institutionnel, libéral, domicile).
Le complémentarisme, décrit par Devereux, est présent dans les courants d’idée
qui font des soins tantôt le « complément » de la technique médicale tantôt la
technique en elle-même : penser le soin comme une coexistence de l’exigence
du geste et de l’exigence morale, humaniste (Devereux, 1972). Autrement dit le
complémentarisme invite à la stratégie de coordination entre l’être et le faire,
le visible et l’invisible de la prise en soins. L’invisibilité dont il est question
interroge la nature de la relation soignant-soigné, au-delà du geste technique
qui les réunit et l’effort de communication soignante, thérapeutique, instauré
par le professionnel.
À l’inverse des étapes protocolaires du soin, l’invisibilité et l’être énoncent
l’immatériel : la relation, l’observation, la disponibilité psychique, le non-verbal,
le choix des mots, l’imaginaire, le rapport au temps...
Mais la communication c’est aussi tout un immatériel : la singularité de la
relation de personne à personne, l’intersubjectivité, la mise en place d’une
relation sécure dans le but de favoriser la bonne mise en œuvre du processus
thérapeutique. Ceci s’inscrit dans une forme de perception de l’instant, de l’autre,
ce qui pour certains auteurs fonde une véritable démarche humaniste :
« Le fondement de l’humanisme ne peut être basé sur l’affirmation du « je », mais
sur la perception de l’autre. Cette relation est d’ordre éthique et en tant que telle
asymétrique. J’ai plus d’obligation envers l’autre que les liens qui l’unissent à moi
[...] Celui que je dois être est justifié et justifiable par l’autre. » (Walschütz, 1993)

L’influence des thérapies humanistes est ainsi prégnante dans le développement


des stratégies relationnelles et procédés de communication thérapeutique en
jeu dans la prise en soin.
L’humain est placé au cœur des préoccupations soignantes : le désir de mettre en
œuvre les meilleures modalités relationnelles possibles par conséquent mobilisé.
Le domaine du soin 185

C’est ce même désir complémentaire pour le bien faire et le bien-être, désir de


la posture soignante, qui engage de plus en plus de soignants sur la voix de la
formation à la communication thérapeutique dans le domaine du soin.

De l’éthique à la communication dans le soin


!

L’éthique, comme socle de réflexion permet de rappeler au soignant l’impact


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que peuvent avoir ses actes, son attitude, sa position (haute ou basse), ses
mots sur le soigné. Cet impact peut favoriser la dévalorisation, les craintes, le
doute, ou au contraire le maintien de l’estime, la confiance en soi et en l’autre,
et permettant de guérir ou au contraire de dépérir... (Desaulniers et Jutras,
2006). Les soins sont ainsi porteurs de la dimension d’éthique et d’altérité, « la
condition de l’autre au regard de soi » (Turco, 2003). Ils s’organisent notam-
ment autour des notions centrales d’empathie, de congruence et d’authenticité́,
référées implicitement à l’efficacité́ recherchée mais, également, de manière
explicite, à une exigence éthique « d’absence de savoir et de jugement sur l’Autre,
accueilli et respecté. » (Sirven, 1999).
Pour faire lien avec notre thème, nous soulignerons que l’acte de communiquer
revêt en lui-même le caractère éthique de la reconnaissance de l’interlocuteur ;
le soigné comme interlocuteur, sujet, au-delà d’objet de soin. La communication
implique donc des répercussions :
➙ thérapeutique : elle pourra favoriser, influencer positivement le processus de
soin ;
➙ automatisée et non pensée : elle pourra aussi endommager.

Tâche subtile et nuancée, la communication thérapeutique reste la grande


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absente de nombre de protocoles de soin. Ainsi, elle se pense et s’applique au


cœur même d’un paradoxe : la reconnaissance de son influence par des actions
de formation interne s’opposant à son absence d’évaluation et de temps reconnu,
dédié à sa réalisation lors de la prise en soin des patients.
Elle sera souvent abandonnée à l’appréciation de chacun, subjective et inter-
individuelle.
Au cœur d’une délicate gestion du temps, entre l’anticipé et le non évualuable du
soin, la communication thérapeutique assoit l’équilibre relationnel : être distinct
sans être distant.
En pratique : ne pas aller contre, mais avec ce qui émane du patient, quel que
soit ce que le patient donne à observer. Il n’est plus question d’être seul face
186 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

au patient, mais bien avec lui, dans le sens d’un partenariat établi sur les bases
d’écoute, d’humilité, d’authenticité, et de non-savoir.

S OINS AIGUS ET SOINS ITÉRATIFS

Soins aigus, de quoi parle-t-on ?


!
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Par définition, les soins aigus concernent la période durant laquelle, lors d’une
pathologie aigüe ou un accident, sont associées une indication médicale exi-
geant l’établissement d’un diagnostic médical et une médecine thérapeutique.
La période de soin aigu est limitée dans le temps : entre 30 et 60 jours.
De la nécessité diagnostique aux interventions curatives, le patient fait souvent
face à toute une série de soins aigus, ponctuels ou itératifs où la question de la
prise en charge de la douleur se pose inévitablement selon la distinction qu’en
propose Bourreau (2005) :
➙ la douleur induite (douleur de courte durée, causée par un soignant ou une thé-
rapeutique dans des circonstances prévisibles et susceptibles d’être prévenues
par des mesures adaptées) ;
➙ la douleur iatrogène (douleur causée par le soignant, ou le traitement, de
façon intentionnelle et n’ayant pu être réduite par les mesures de préventions
entreprises) ;
➙ la douleur provoquée (douleur intentionnellement provoquée par le médecin
ou le soignant, ayant pour objectif de contribuer à la compréhension de la
douleur elle-même).
La spécificité du contexte de survenue de la pathologie ou de l’accident, associée
à l’éprouvé émotionnel du patient, impacte la dimension psychologique de la
prise en soin et par conséquent la communication soignant/soigné en jeu. La
communication à visée thérapeutique sous-tend le travail de lien entre ce corps
en rupture, en souffrance, et ce désir de restauration identitaire du patient,
hier sujet. Le soignant, au cœur de l’expérience sensorielle et émotionnelle
des soins de son patient, ajuste ses mots, son propre corps dans cet effort de
compréhension pertinente de l’instant, afin de maintenir la position acteur du
patient et favoriser son sentiment d’autonomie.
Liés aux grands moments de la vie, la maladie, mais aussi la naissance et la
mort, les soins véhiculent une densité symbolique toute particulière et confère
au souci de communication thérapeutique une véritable dimension humaniste,
Le domaine du soin 187

quasi philosophique Les rites de passages marquent des changements de statut


dans la vie de l’homme : de l’enfant à l’adulte, du vivant à l’état de mort, etc.
Lorsqu’ils participent aux caractères rituels de certaines étapes de la vie, font
écho à l’héritage culturel, questionnent la place dans la société, les soins, et
surtout la dimension humaniste de ceux ceux-ci aident à conférer du sens aux
événements. Ils contribuent alors à l’accompagnement des patients, leur famille
et à la prévention de l’épuisement professionnel.
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Une illustration clinique
!

Trauma dentaire chez une enfant de 7 ans

Lou est une enfant âgée de 7 ans, qui se présente, accompagnée de sa mère, à 20h,
en service d’urgence odontologique dans le cadre d’un trauma dentaire survenu suite
à une chute sur sa terrasse. La prise en charge de cette enfant nécessite un examen
clinique, puis radiographique.
Ces derniers révèlent :
! impaction de l’incisive centrale définitive gauche ;
! tuméfaction importante de la gencive marginale (déplacement d’un lambeau de
gencive) ;
! tuméfaction et hématome au niveau du visage ;
! pas de signes radiologiques.

L’état actuel du bloc dentaire traumatisé ne laisse préjuger de son état futur et le pronos-
tic reste réservé. Un traitement anti-douleur est prescrit. Des conseils post-traumatiques
(alimentation, hygiène) ont été prodigués, et un calendrier de suivi pour contrôles à
une semaine, 1 mois, 3 mois, 6 mois et 1 an a été donné. Nous noterons que les soins
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relatifs à la singularité de ce cadre aigu impliquent :


! un minimum de douleur induite lors de l’examen clinique et radiographique. Douleur
objectivable du fait de l’hypersensibilité de la zone impactée et tuméfiée (bouche et
visage) ;
! une probable anticipation anxieuse des soins.

Du fait du caractère d’urgence de l’accident et de la localisation de la zone impactée


(le visage), la composante émotionnelle associée à la prise en soin est à considérer, les
parents et/ou l’enfant s’interrogeant souvent sur :
! le niveau de douleur induit par les soins eux-mêmes de prime abord ;
! au-delà des examens diagnostiques : la lourdeur du traitement thérapeutique ;
! les séquelles éventuelles physiologiques et esthétiques.
188 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

C’est dans ce contexte physiologique et émotionnel sous-tendu par les représentations


et croyances autour de l’odontologie (croyances véhiculées par l’inconscient collectif,
l’histoire de la douleur en odontologie, et la réalité du vécu familial) et associé aux
probables manifestations comportementales de l’expression de l’éprouvé du patient,
que le soignant interrogera le sens de sa communication. La communication thérapeu-
tique recherchée concernera tout autant l’enfant elle-même que le parent présent à des
moments et des niveaux différents.
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Ce qui peut être observé Ce qui peut être ajusté
Présentation
Soignant (À l’arrivée dans la salle d’examen. Le Soignant (À l’arrivée dans la salle d’examen – dans un
soignant regarde l’enfant avec le sourire, s’adresse coin, quatre chaises – le soignant invite la mère et
à la mère et l’enfant, debout dans la salle l’enfant à s’asseoir tout en prenant place sur une
d’examen, en commençant la préparation du chaise et s’adresse à l’enfant en regardant l’enfant et
matériel utile à l’examen clinique) : Bonjour, je sa mère) : Bonjour Lou, je m’appelle Nathalie et je
suis l’interne du service et je vais m’occuper de suis interne en odontologie. Ça veut dire que je suis
toi. Alors qu’est-ce qu’il lui arrive à cette quelqu’un qui apprend à être une spécialiste des
demoiselle ? dents et de la bouche. Parce que j’aime bien prendre
Mère (regardant alternativement son enfant et le soin des dents et de la bouche tu sais.
soignant. La mère s’interroge : à qui la question Es-tu d’accord pour m’expliquer ce qu’il t’est arrivé ?
est-elle adressée ? Elle répond) : Et bien elle a Lou (regarde sa mère, qui lui sourit, et explique -
fait une grosse chute sur la terrasse en montant parle en mobilisant peu ses lèvres, conservant la
les escaliers et sa bouche a tapé sur une marche. bouche semi-ouverte) : j’ai trébuché sur la terrasse
J’ai tenté de regarder mais c’est assez compliqué de la maison en remontant les marches de l’escalier.
pour moi d’évaluer les choses... J’ai ma tong qui est restée bloquée et je suis tombée
Lou (qui parle en mobilisant peu ses lèvres, comme ça (imite le bruit sonore d’une chute) sur le
conservant la bouche semi-ouverte) : j’ai trébuché bord de la marche.
et puis après y’avait du sang partout. J’ai ma Soignant : Tu es tombée sur la terrasse et je vois que
dent qui a bougé là (montre son incisive centrale) tu as un peu de difficulté à parler, comment ça s’est
et je sens plein de bouts de trucs dans ma passé pour la bouche et les dents ?
bouche... des bouts de gencives... et je crois que
Lou : J’ai ma dent de devant là (montre son incisive
ma dent est cassée... (sa main tremble. Elle
centrale) qui a tapé fort et je sais pas si elle est
regarde sa mère avec inquiétude.)
cassée, et c’est pas une dent de lait en plus ! ... il y
La mère de Lou, en réponse à l’anxiété de son avait beaucoup de sang et je sens des bouts de
enfant, lui tend la main. Lou saisit la main de sa gencives dans ma bouche. Et j’ai mal là (montre sa
mère et les larmes lui montent aux yeux. joue tuméfiée)
L’anticipation anxieuse du soin et probablement Soignant : Ok. C’est bien de réussir à m’expliquer les
de « l’après » est palpable chez le couple choses comme tu le fais. Et alors, dis-moi, qu’est-ce
parent-enfant. que ta maman a fait après cet accident ?
Lou : Elle m’a fait rincer ma bouche (regarde sa
mère) et a regardé ma bouche et mes dents... et m’a
dit que pour savoir comment la dent allait et avoir
les bons conseils on allait venir ici.
Mère : (comme invité par sa fille et le soignant à
compléter, la mère ajoute) J’ai observé que la dent
avait bougé (fait le geste d’un mouvement vers le
haut), que la gencive était abimée mais c’est
difficile d’évaluer davantage les choses pour moi...
(elle veille aux mots qu’elle utilise devant sa fille et
contient verbalement son inquiétude. Pour autant elle
apparaît souriante).
Le domaine du soin 189

Illustrée par la vigilance au contexte, la posture soignante, l’occupation de


l’espace, l’ajustement de la présence, l’attention portée au non-verbal et le
choix des mots, la communication thérapeutique durant ce temps de présentation
favorise un espace dialogique empathique où les informations cliniques émergent
de façon pertinente et structurée et participent d’emblée à l’instauration d’une
alliance thérapeutique. L’anxiété parentale apparaît contenue, l’anticipation
anxieuse du patient minorée par la qualité du lien. Le soignant investit le
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présent de la rencontre, l’écoute attentive de l’autre (couple parent/enfant) tout
autant que le souci clinique.

Examen clinique & radiologique


Soignant (en ajustant sa position sur le siège à Soignant (en montrant la table d’examen à côté) :
côté de la table d’examen) : Bon et bien nous Merci Lou pour tes explications, je vais te proposer
allons regarder ça. Tu t’allonges sur la table là et de t’installer sur mon fauteuil, tu vas voir il est
tu vas ouvrir bien la bouche que je puisse plutôt confortable, tu sais un peu comme un transat
t’examiner. quand tu as envie de te détendre au soleil.
Mère : la mère se tient debout à proximité de son Moi je vais me mettre à côté de toi (montre le
enfant. Elle observe très attentivement les faits et tabouret ajustable) et vous madame, je vous
gestes du soignant. propose de vous installer de l’autre côté si vous le
Lou s’allonge en conservant une raideur dans la souhaitez (il y a une chaise – la mère s’y assoit).
nuque et ajuste excessivement sa position pendant Comme je te l’ai dit tout à l’heure, j’aime bien
un long moment. Elle garde la bouche fermée. prendre soin des dents et des bouches. Alors je te
Soignant (en amenant ses mains au niveau de la propose de bien regarder ta bouche pour savoir
bouche de l’enfant) : tu ouvres ta bouche s’il te comment nous allons pouvoir prendre soin d’elle,
plaît ? parce qu’elle a besoin qu’on l’aide un peu cette
bouche je crois !
Lou ouvre timidement la bouche et grimace en
regardant sa mère dès les premières manipulations Lou (elle s’installe volontiers sur la table d’examen) :
de la lèvre supérieure. Elle montre des gestes Vous me dites si vous faites quelque chose ?
défensifs de douleur et/ou anxiété associés à Soignant : (en conservant les mains à distance) :
l’examen en conservant ses mains au niveau de son Oui, c’est un travail d’équipe tu sais. D’abord, on va
menton afin de retenir les gestes du praticien. faire de notre mieux toutes les deux pour que je
Soignant (en écartant les mains de l’enfant) : je puisse voir : toi tu ouvres ta bouche comme tu
regarde seulement (regarde et touche les dents, peux, et moi je vais soulever délicatement la lèvre
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écarte les lambeaux de gencive) tu ouvres mieux du haut. Tu es d’accord avec ça ? Et si ça n’est pas
la bouche s’il te plaît ? Ça ne va pas te faire mal, confortable, tu me dis et je fais autrement. Ok ?
mais j’ai besoin que tu me montres bien. Faut pas Lou : Ok. (elle ouvre la bouche et conserve les bras
avoir peur tu sais, c’est rien du tout, je ne vais le long du corps)
rien te faire, je regarde. Soignant : Très bien (elle soulève la lèvre supérieure
Mère (en tenant la main de sa fille, comme pour et observe sans manipuler). Bravo pour ta
justifier l’atttitude défensive de son enfant) : C’est collaboration. On fait une belle équipe. Et
assez sensible encore je crois ... et puis elle a maintenant je te propose de vérifier comment la
besoin d’être bien prévenue quand on fait les dent est bien en place dans la bouche. Je te propose
choses, ça la rassure. de m’autoriser à faire ce que je sais bien faire et si
Soignant (s’adressant à la mère) : Voyez là, la quelque chose est inconfortable tu peux soulever ta
dent a effectivement été impactée et est main par exemple. Et je ferai autrement. D’accord ?
remontée. Elle n’est pas cassée (manipule la
gencive pour montrer – l’enfant grimace), mais
pour savoir si la racine est touchée, il va falloir
aller faire un examen radiologique.
190 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

Mère : d’accord... et pour la gencive, est ce qu’il y Lou : D’accord (elle regarde sa main et la soulève
a quelque chose à faire ? comme pour valider le code avant la suite de
Soignant (s’adressant à la mère) dans l’immédiat, l’exploration).
il n’y a rien à faire de particulier, juste couper les Soignant (en manipulant la dent impactée, les
lambeaux, là, parce que de toute façon ils vont autres dents, puis en explorant l’état de la bouche et
tomber et puis le reste se recomblera au fil du de la gencive) Et peut-être que tu peux t’imaginer
temps. sur un transat d’ailleurs ?
Lou (affiche une expression de peur flagrante et Lou esquisse un sourire et se laisse manipuler.
manifeste un franc mouvement de retrait) : Ah Soignant : C’est agréable... d’imaginer que tu es au
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non, je veux pas qu’on coupe la gencive (regarde soleil, dans ton jardin ou ailleurs, ou sur la plage.
sa mère avec peur). Maman je veux pas qu’elle Et de te demander si tu sens la chaleur du soleil sur
coupe, ah non, non, tu la laisses pas couper ! ton visage, si tes pieds sont bien bien détendus...
Soignant (s’adressant à l’enfant) : mais c’est rien (L’examen clinique terminé. Le soignant retire ses
Lou, c’est un petit bout de gencive qui est déjà mains et réajuste la position du dossier pour l’enfant.
mort et tu ne sentiras rien du tout. C’est pour toi, S’adressant conjointement à la mère et à l’enfant) :
ça sera plus pratique dans la bouche après parce j’ai fini de vérifier ici ce que j’avais besoin de
que là ça va te gêner ! vérifier. Ta bouche va bien. Et toutes tes autres
Lou (en pleurs) non, je veux pas, je veux pas (elle dents vont bien aussi.
met les mains sur sa bouche). La dent qui a cogné est restée entière, elle a la
Mère (s’adressant au soignant) : Vous disiez que ça même forme qu’avant. Tu sens que ta gencive ici
va tomber à terme ? On va peut-être pas l’embêter (montre la gencive marginale) est différente et tu as
plus que ça ce soir, si ça n’a pas d’incidence sur le raison, les bouts de gencive dont tu me parlais sont
reste, on va laisser comme ça. Ok Lou ? effectivement comme quelques fils de gencive qui
Soignant (dans un mouvement de recul) C’est vous se sont enlevés et c’est ce que tu sens dans ta
qui voyez. C’est juste que ça ne sera pas très bouche. Maintenant ce que tu dois savoir, c’est qu’il
agréable en bouche... Bon et bien tu vas venir y a quelque chose de formidable dans les bouches
pour la radio maintenant. d’enfants : les gencives se réparent toutes seules.
Lou (regarde sa mère) : tu viens maman ? Et là, les petits bouts vont tomber d’ici quelques
jours et le reste de la gencive se réparera
Mère (s’adressant au soignant) : je peux venir avec
tranquillement avec le temps.
elle ?
Soignant : Si vous voulez mais c’est rapide Cela c’est pour la partie que je peux voir avec mes
(s’adressant à l’enfant) et ça ne fait pas mal la yeux, mais il y a une partie de ta dent, que je ne
radio. C’est comme une photo tu sais. peux pas voir avec mes yeux, c’est la racine. Tu sais
comment sont faites tes dents définitives ?
Lou (acquiesce). Oui il y a une racine dans la
gencive qui tient la dent et on les garde toute notre
vie.
Soignant C’est tout à fait ça. Un peu comme les
racines d’un arbre finalement, elle aide l’arbre à
tenir bien droit et pourtant on ne les voit pas, elles
sont cachées dans le sol. Et bien là les racines de
tes dents définitives sont cachées dans tes gencives.
Pour vérifier que la racine va bien, j’ai besoin de
faire comme une photo de la bouche : une radio.
C’est une photo un peu spéciale qui permet de voir
à travers les gencives. Grâce à cette radio, je
pourrai voir comment va la racine.
La radio se fait dans la pièce au bout du couloir, je
t’y emmène ? (s’adressant à la mère) Vous pouvez
nous accompagner si vous le souhaitez ?
Lou (regardant sa mère en souriant, confiante) : Tu
peux rester là. J’y vais toute seule.
Mère : (souriante) Très bien. Tu me raconteras après
alors.
Le domaine du soin 191

L’alliance initiée par la communication thérapeutique lors de l’espace de pré-


sentation fonctionne comme les fondations d’une construction : à peine visible
au démarrage de l’œuvre, elle est le socle solide sur lequel s’érige la suite du
bâtiment. Équilibre congruent entre temps des mots et temps du faire, elle
apporte une vigilance toute particulière à la cohérence du discours et des gestes,
et respecte la dynamique de confiance. Davantage perçu comme un partenaire,
le soignant devient suffisamment étayant au regard du patient : ses consignes et
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propositions sont accueillies positivement, mobilisant peu ou pas de mouvement
de défense.
Le premier modèle, davantage guidé par les étapes de l’exigence diagnostique,
répond à la définition du soin aigu mais pas à celle de la communication à
visée thérapeutique. Marquée par la composante émotionnelle, la majoration de
l’anxiété, et la rupture du lien de confiance, il laisse, à sa lecture, une trace
d’insatisfaction, au-delà de la recherche d’empathie initiale et de bienveillance
dans le soin.
Le second modèle illustre un avancement au gré des étapes du réel de la ren-
contre. Davantage guidé par les mouvements communicationnels, il permet de
conserver le bénéfice de l’alliance, de l’accroître, tout en répondant parallèlement
aux exigences diagnostiques. L’éprouvé associé à la prise en soin est positif,
satisfaisant. La relation soignant/soigné est équilibrée, préservant l’identité du
sujet au-delà de la place ponctuelle de patient.

Une communication de l’ici et maintenant


!

L’ici et maintenant rappelle que nous n’avons pas de pouvoir de remodeler le


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passé et encore moins de contrôler le futur. La communication associée aux


soins préconise de vivre l’instant présent dans la congruence, la pertinence de
ce qu’il apporte. Erickson confirme ainsi la notion de congruence rogérienne
décrite dans le modèle d’Approche Centrée sur la Personne, en y ajoutant celle
de la pertinence :
« La communication thérapeutique doit répondre à la double exigence de congruence
et de pertinence. » (Malarewicz, 2006)

Inscrit dans le présent d’une communication responsable et pertinente, la com-


munication à visée thérapeutique gomme l’idéalisation de la relation au profit du
réel de la rencontre, l’acceptation de l’impermanence émotionnelle en accueillant
l’éprouvé du moment, et en permettant, enfin, d’envisager d’autres possibles, du
changement :
192 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

➙ le soignant accepte l’idée du contrôle sur soi et non plus sur l’environnement,
en pensant sa communication sous un jour thérapeutique ;
➙ il s’applique à questionner et ajuster sa propre technique de communication
afin d’observer et évaluer l’ajustement de l’autre ;
➙ il se responsabilise pour favoriser l’émergence de l’autonomie.
La communication thérapeutique est de fait une réponse professionnelle à la
communication du soigné. Face à l’agressivité, la peur, l’opposition, le repli,
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le mutisme, la loghorée, l’hyperkinesthésie (etc.), elle constitue une modalité
d’écoute et de réponse adaptée.
Elle assoit notamment les bases de la relation hypnotique, et donne l’impulsion
aux techniques d’hypnose conversationnelle ou plus formelle qui se nourrissent
de la valeur relationnelle.
La communication thérapeutique dans le soin répondra alors à cette idée d’inten-
sité de présence et d’authentique qualité du lien, rendue précisément possible
par l’ancrage dans l’ici et maintenant (voir notamment dans cet ouvrage les
apports d’Antoine Bioy sur la question, chapitre 5).

Soins itératifs et trace mnésique


!

Par définition, les soins itératifs constituent des actes répétés. Intégrés au
parcours de soin coordonné entre médecin traitant et spécialistes, les soins
itératifs s’identifient dans le cadre d’un plan de soin ou d’un protocole de soins
lorsque le patient est en affection longue durée (ALD).
La perception diachronique du soin questionne le rôle de la communication
thérapeutique et techniques d’accompagnements associées lors du soin initial.
L’approche dite diachronique s’intéresse en effet à l’évolution de l’objet d’étude
au cours de son histoire, du temps qui passe et fait lien ; une mise en perspective
dynamique où le soin unique s’observe comme partie d’un tout, la répétition des
soins au cœur du parcours de soin constituant ce tout.
À ce titre, l’empreinte laissée par le vécu corporel et psychique, associé à la
première expérience de soin, est à observer de façon diachronique, influencée
par le processus de mémorisation.
Ce processus de mémorisation s’érige en quatre étapes successives :
➙ une phase sensorielle brève ;
➙ la mémorisation à court terme ;
➙ la mémorisation à long terme ;
Le domaine du soin 193

➙ le processus de rappel.
Cette trace initiale (faisant déjà écho aux expériences douloureuses primaires du
sujet) tend à perdre naturellement en intensité avec le temps. En revanche, si
l’expérience, vécue comme négative, est « intense et prolongée » (Boulu, 1990)
ou assimilée de façon itérative à un objet (par exemple, une seringue), la trace
mnésique se stabilisera ou s’intensifiera au fil du temps. Ainsi, l’expérience de
la douleur initiale et de l’anxiété associée dans un processus de soins itératifs
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conditionne le sujet et a une incidence sur la qualité de la relation, et par
conséquent sur le déroulement des soins à venir.
Par ailleurs, la notion de douleur questionne celle de la subjectivité inter-
individuelle. L’éprouvé douloureux renvoie aux notions de perception et d’in-
terprétation. L’accueil d’une annonce diagnostique, la position compliante du
sujet vis-à-vis de son traitement, son observance, sont aussi subjectivement
influencés. Une perception est fonction des expériences passées, des motivations
présentes et des anticipations, qui sont influencées par le filtre de la culture,
l’éducation, les croyances, le jugement du sujet qui interprète sa perception.
« L’anticipation, en tant qu’expérience tirée du passé et projetée sur l’avenir peut
donner la possibilité́ d’un certain contrôle » (Diel, 1985).
Le déroulement du soin initial, perception subjective de l’éprouvé du patient,
influencera le processus d’anticipation, anxieuse ou confiante, de ce dernier,
selon ses filtres interprétatifs associés. Ainsi, si la communication thérapeutique
prend soin de l’ici et maintenant, elle influence également la capacité de prévi-
sion dans sa dimension positive. Elle offre au sujet le bénéfice du contrôle, du
connu acceptable face à la répétition du soin.
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Suggestions positives et ressources du patient

Le soignant pourra poursuivre la communication thérapeutique au-delà du soin


réalisé et utiliser le registre de la suggestion pour valoriser les compétences du
sujet à faire face et suggérer l’accessibilité à ses ressources pour une meilleure
anticipation du soin à venir.

Communication thérapeutique et anticipation


Exemples de suggestions post-soin
Merci pour votre collaboration.
Et vous avez vraiment fait ça très bien.
194 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

Vous qui m’exprimiez vos craintes juste avant le soin... C’est incroyable de constater
comme on peut avoir peur et être tellement compétent à faire face à une situation tout
à la fois ! L’être humain est doté de tellement de ressources...
Et maintenant que les choses se sont très bien passées, vous pouvez sûrement trouver
une façon de conserver le souvenir de ce soin pour les soins à venir : un peu comme
si vous pouvez en un mot ou une couleur retrouver les ressources d’aujourd’hui...
peut-être juste trouver un mot ou la couleur de ce moment et y repenser quand vous
en aurez besoin.
Comment comptez-vous faire demain ? Pensez-vous utiliser à nouveau votre respira-
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tion comme vous l’avez si bien fait aujourd’hui ? Ou utiliser votre imaginaire, comme
vous pouvez aussi le faire pour vous remémorer un souvenir agréable ?
C’est drôle, j’ai connu une patiente, comme vous ... qui tout en parlant, en racontant
ses souvenirs de vacances, parlant de ses enfants, comme vous l’avez fait vous-
même... connectait tellement bien à son vécu qu’elle était capable de revivre les
choses un peu comme si elle y était...
Et c’est surprenant cette capacité à décrire les choses tellement bien qu’on peut
presque les ressentir à nouveau... comme la chaleur du soleil en été, ou entendre le
son de la voix de son enfant... je vous invite à vous servir à nouveau de cette belle
faculté la prochaine fois que vous aurez des soins. Comme un moyen de voyager
ailleurs tout en étant ici finalement...

De l’utilisation habile de la liaison aux techniques de choix illusoire, en passant


par les suggestions indirectes liées au temps ou l’invitation à la visualisation
créatrice, le soignant pourra orienter son patient à ancrer positivement le vécu
du soin et mobiliser chez lui ses ressources et compétences à renouveler cette
expérience. Ce travail de suggestion viendra soutenir la trace mnésique positive
du soin dans un contexte de soins itératifs.

É DUCATION THÉRAPEUTIQUE ET PRÉVENTION

« L’éducation à la santé » (Deschamps, 1984), a été́ longtemps entendue comme


une information visant l’instruction du patient et dont on espérait qu’elle suffirait
à engendrer des modifications de comportement. Fondée sur la transmission d’un
savoir plus ou moins technique au sujet considéré comme ignorant, l’approche
initiale uni-latérale a rapidement montré ses limites. Les données actuelles
en santé publique ont ainsi redimensionné l’éducation à la santé fonction des
demandes et des choix du patient dans une logique d’accompagnement théra-
peutique. L’acte éducatif est aujourd’hui reconnu comme un acte de soin (Bury,
1988), valorisant la dimension thérapeutique en lui conférant une dimension
humaine (Sandrin-Berthon, 2000). Il intègre les apports des sciences humaines
et sociales dans ses liens à l’éducation (pédagogie), la sociologie (théorie du
Le domaine du soin 195

changement), la psychologie (processus motivationnels). Le Haut Comité de


Santé Publique met d’ailleurs en 2002 l’accent sur la dimension d’altérité́ relative
à l’éducation thérapeutique et la démarche de prévention : « Dans cette approche,
c’est la personne, dans sa singularité́ et sa globalité́, qui est l’objet d’attention
des soignants et non seulement l’organe atteint. » L’éducation thérapeutique
répond alors au besoin :
➙ d’une meilleure efficacité du traitement ;
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➙ d’une augmentation de la sécurité des soins ;
➙ et de la diminution d’effets secondaires de traitement ;
mais aussi, l’éducation thérapeutique répond à un besoin d’information et de
participations du patient au processus de décision.
Le recours à la communication thérapeutique s’inscrit à nouveau dans cette
dimension humaniste, et confère à la démarche d’éducation et de prévention une
dimension relationnelle primordiale. Par la qualité du langage et l’authenticité
du lien, le soignant permet et accompagne le développement des compétences
d’auto-observation, de raisonnements, de décisions et d’auto-soins du patient. La
relation de confiance sous-tend l’estime de soi, les suggestions positives encou-
ragent les essais et les apprentissages, le renforcement positif et la valorisation
ancrent les bénéfices et assoit l’autonomie.
Le soignant peut ainsi travailler avec son patient le principe d’auto-suggestion
positive (lui permettant notamment d’identifier les mécanismes d’auto-suggestions
spontanées parfois négatives).
Ce qui peut être repéré Ce qui peut être ajusté
Autosuggestions spontanées négatives Autosuggestions positives facilitantes
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Je me sens nulle. J’apprends chaque jour un peu plus sur ce que je


suis capable de faire. Je peux être fière de moi.
Je n’arriverai jamais à sentir la crise venir. Je suis le mieux placé pour me connaître et
reconnaître ce qui se passe en moi.
J’ai tellement peur de faire cette piqûre moi-même, J’ai déjà appris des tas de choses dans ma vie. Ma
je sais que je ne vais pas y arriver. tête et mon corps sauront apprendre à faire cette
injection, comme j’ai su apprendre à lire, à faire du
vélo, à nager, à conduire... (exemple de réussite
d’apprentissage à définir avec le patient)
Ça me semble tellement compliqué, il y a trop de Je vais intégrer les choses pas à pas et je sais que
choses à retenir. je suis accompagné dans cet apprentissage, comme
dans une équipe.

Il peut également encourager le patient à recourir à la visualisation créatrice,


les images mentales, la manipulation de celles-ci par l’imagination pour accom-
pagner et influencer positivement les processus thérapeutiques.
196 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

Ce qui peut être repéré Ce qui peut être ajusté


Repérage des images métaphoriques du patient Invitation à la réification (manipulation) de
ces images
Soignant : et si Soignant : Très bien. Et si je vous proposais
cette crainte de ne pas arriver à vous faire cette maintenant de visualiser précisément cette couleur,
injection, ses nuances, et de changer juste un petit quelque
ou ce « blocage » dans l’auto-apprentissage des chose...
soins, Patient ; Oui, je peux visualiser cela... je peux
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ou ce tremblement lorsque vous commencez vos peut-être juste estomper un peu les zones noires...
soins... Soignant : Très bien. Et maintenant, un peu comme
c’était une couleur, ce serait laquelle ? un peintre, voudriez-vous bien faire goutter une ou
deux couleurs différentes dedans ? Peut-être du
Patient : Ce serait du rouge. Du rouge foncé avec des blanc ou du jaune ou une tout autre couleur qui
zones plus noires. vous plaît... Vous pouvez observer comme une seule
goutte de couleur différente change déjà la couleur
d’origine ?!
Patient : Oui, oui je peux voir que ça change, un
peu comme lorsqu’on mélange du lait ou de la
crème dans sa soupe (sourire)... Je peux voir ça.
Soignant : C’est vraiment très bien. Vous faites ça
très bien ! Et bien je vous propose de laisser votre
imagination faire le reste et laisser la couleur se
transformer, se mélanger, se modifier, s’estomper
jusqu’à devenir une couleur tout à fait agréable. La
couleur à laquelle vous pourrez penser lorsque vous
« préparez » vos soins. (utilisation délibérée du
temps présent pour accentuer la réalisation de la
prédiction – plutôt que de situer l’événement dans
un futur soumis à l’incertain)

Bien communiquer, accompagner et valoriser le patient dans son parcours d’autono-


misation influence l’ancrage émotionnel associé à la prise en charge. Utilisée comme
base de la relation hypnotique, associée aux techniques hypnotiques et notamment
l’apprentissage de l’autohypnose, la communication thérapeutique oriente le patient
vers une position d’acteur, de gestionnaire de sa santé.
Le domaine du soin 197

B IBLIOGRAPHIE

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Tempo médical n° 394, p. 7-8. fenêtres (ou bien ce sont des murs). Introduc-
BOUREAU F. (2005), Douleurs provoquées, iatro- tion à la Communication Non Violente, Paris,
Éditions La Découverte.
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Chapitre 12

Le domaine médical
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Arnaud Gouchet

L A NOTIONde « communication thérapeutique » désigne tout ce qui présente


des vertus thérapeutiques dans le champ de la communication entre un
patient et un soignant. Par extensions, nous pourrions inclure la communication
entre soignants et, pourquoi pas, entre soignés.

L’ ENTRETIEN MÉDICAL

Introduction
!
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Comme nous l’avons vu dans la première partie de l’ouvrage, le fait de com-


munication est vecteur de messages et d’informations (c’est le but premier),
mais aussi d’une multitude de messages délivrés involontairement et perçus
inconsciemment, tant par celui qui émet que par celui qui reçoit ; ces messages
ne sont rien moins que des suggestions. Ces suggestions sont d’autant plus
efficaces qu’elles s’adressent à un patient en situation de soin, donc hautement
suggestible, comme cela a été expliqué dans la première partie de l’ouvrage.
Dans le contexte singulier de la relation de soin, ces suggestions peuvent avoir
des propriétés tantôt aidantes, tantôt pénalisantes, pour celui qui les reçoit,
tant dans les idées et notions exprimées, que dans la façon dont elles sont
200 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

Structurer l’entretien

Développer la relation
Débuter l’entretien

Recueillir l’information

(Examen physique)

Expliquer et planifier
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Conclure l’entretien

Figure 12.1. Structure type d’un entretien médical,


d’après Silverma, Kurtz et Draper (1998)

exprimées1 : les modalités de la relation soignant-soigné ont une incidence sur


le devenir du patient (Kelley et al., 2014 ; Stewart, 1995).
Nous allons aborder les aspects de la communication hypnotique dans divers
contextes, notamment celui de la consultation (médecine générale, chirurgie,
anesthésie, médecine du travail) et celui des soins (chirurgie, anesthésie, obsté-
trique).

Consultation : principes généraux


!

La relation soignant-soigné peut être caractérisée de différentes manières ;


le psychiatre Jean Naudin par exemple distingue trois dimensions : asymétrie,
complémentarité, réciprocité.
" L’asymétrie de la relation de soin est inhérente au paradigme dans lequel tout
patient situe, par défaut, sa relation avec le soignant : position « haute »
du soignant, liée à son savoir et au pouvoir de guérir que le patient lui
attribue ; position « basse » du soigné, liée à sa condition de « malade », de
« demandeur », « ignorant soumis et passif ».
" La complémentarité, corollaire de l’asymétrie, rend compte précisément de
la dimension dynamique de l’interaction soignant-soigné ; elle suppose une
participation active, un investissement du patient (dans le processus de guéri-
son, par exemple), une collaboration avec le soignant, afin d’approcher (sinon
atteindre) un objectif commun.

1. Se référer notamment aux niveaux de langages.


Le domaine médical 201

" La réciprocité, comme lien entre les deux dimensions précédentes, qui rend
compte des interactions entre le patient et le soignant ; cette réciprocité
s’applique également à la confiance instaurée entre eux : confiance du patient
envers le soignant et ses compétences, et confiance du soignant envers le
patient, sa sincérité et ses ressources.

La relation hypnotique, on l’a compris, va chercher à inverser cette asymétrie


afin d’enrichir la relation de soin, d’un certain nombre de phénomènes et d’évé-
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nements, qui ne seraient pas envisageables autrement.
L’un des premiers objectifs de la rencontre est d’amener le patient à tenir une
position plus « haute », dans la dynamique relationnelle, c’est-à-dire tenir un
rôle actif dans la relation soignante.
Si la relation soignant-soigné s’insère dans des contextes très différents, nous
pouvons noter trois éléments essentiels et communs à toutes les situations,
trois prérequis indispensables à l’élaboration d’une relation soignante efficace
et « thérapeutique », quel que soit le contexte :
" Écouter l’Autre, c’est-à-dire distinguer le discours de la plainte du récit par le
patient de sa propre histoire, et se rapprocher du modèle bio-psycho-social,
modèle le plus actuel (Berquin, 2010), même si ses limites font qu’un autre
modèle commence à être pensé (Bioy, 2013).
Le fait de négliger le contexte psychosocial du patient équivaut à se priver
d’outils diagnostiques et pronostiques dont la pertinence a pourtant été docu-
mentée.
" Observer l’Autre, dès la salle d’attente, dès la poignée de mains, le premier
regard, etc. C’est dans ces moments, lorsque le patient ne se sait pas encore
« en consultation », qu’il ne se croit pas observé, qu’il est le plus spontané et
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expressif.
Observer l’Autre, mais aussi l’accompagnant éventuel...
" Être disponible à l’Autre, dès la première seconde, et jusqu’à la dernière, et le
lui montrer ; les premiers et les derniers instants sont souvent les plus riches
en informations « non médicales ».
L’ordre dans lequel les problèmes sont spontanément abordés par le patient ne
reflète pas leur importance clinique.

Le soin est prétexte à une rencontre qui se cristallise autour de l’acte, diag-
nostique ou thérapeutique, essentiellement technique ; cette rencontre devient
202 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

humaine parce que la technique et le savoir sont accompagnés d’un langage1


qui humanise la rencontre.
La parole, le regard, et le toucher font appel à nos trois principaux sens que
sont la vision, l’audition et la kinesthésie. L’humanisation du soin passe par le
langage des sens.
Remarquons aussi que la terminologie « relation soignant-soigné » est réductrice,
dans le sens où elle tend à réduire le patient à un « soigné », et le professionnel
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de santé à un « soignant », en faisant abstraction chez chacun de sa qualité
d’humain, d’individu. Il y a deux sujets chez le patient (le citoyen et le soigné),
auxquels doivent correspondre deux sujets chez le professionnel (le citoyen et
le soignant) et deux discours. C’est là un modèle de dissociation intéressant à
exploiter dans l’espace de la relation de soin, puisque se côtoient également
deux discours : celui de la plainte et celui du traitement.
Enfin, souvenons-nous que 70 % à 80 % des plaintes et poursuites judiciaires
médicales sont liées à des carences d’informations, de relation ou de communi-
cation (Beckman, 1994)...
La rencontre avec un patient commence toujours par un triple contact, visuel,
auditif, et kinesthésique : le premier regard, l’appel du patient par son nom, et
la poignée de mains. Une proportion importante de médecins ne serrent pas la
main des patient(e)s, pour diverses raisons.
Ce triple contact est un temps privilégié, qui permet de recueillir des informations
et de faire passer des messages, par la qualité du regard, l’intonation de la voix,
la consistance de la poignée de mains. Ces trois moyens de communication sont
porteurs de suggestions. L’observation du patient dans ses déplacements, sa
façon de se lever, l’endroit de la salle d’attente où il s’était installé, sa façon
de regarder le médecin, de répondre à l’appel de son nom, la poignée de mains
qu’il donne, etc. sont autant d’indices intéressants à relever. Le bref temps de ce
triple contact correspond à un moment de très haute suggestibilité du patient,
et une absence de maîtrise consciente de soi et de ses contenus de pensée ;
c’est donc un instant hautement hypnotique.
Les premiers échanges, anodins, peuvent ainsi débuter dans le couloir qui sépare
la salle d’attente du bureau de consultation. Chemin faisant, le médecin peut
déjà commencer à observer le patient, chercher à percevoir son rythme, en
marchant à côté de lui, du même pas. Ce travail de « pacing » prend place à
un moment où le patient ne se contrôle pas, car la consultation n’a pas encore

1. Verbal, para-verbal, non verbal.


Le domaine médical 203

officiellement commencé. C’est là un instant privilégié pour débuter le travail


d’observation et d’écoute à différents niveaux.
Typiquement, les premiers échanges porteront sur des sujets non médicaux, indé-
pendants du motif médical de la consultation : conditions climatiques, facilité à
se garer sur le parking, conditions de circulation, etc. Puis, progressivement, le
médecin va amener la conversation sur ce qui amène le patient. À la fin de la
consultation, la conversation reviendra sur les premiers éléments non médicaux
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qui ont alimenté les premiers échanges, comme pour venir refermer la parenthèse
ouverte. Cette précaution permet entre autres d’amener le patient à retrouver son
identité en quittant les lieux : il était temporairement devenu un « patient », il
redevient un « individu » à part entière, ce n’est plus seulement un sujet porteur
d’un symptôme qu’il faut faire disparaître.
Une étude canadienne a mis en évidence la nécessité pour les soignants d’adapter
leur discours et leur vocabulaire à ceux du patient : en effet, il apparaît que
21 % de la population n’a pas une littératie1 générale suffisante pour fonctionner
de façon approprée en société, et que 27 % auraient des capacités sur le seuil
de la littératie. C’est donc 48 % de la population qui n’a pas le niveau de litté-
ratie générale considéré comme nécessaire pour fonctionner dans une société
complexe (Gauthier, 2005). À titre d’exemple, en cancérologie, on estime ainsi
qu’environ 50 % seulement des informations délivrées puissent être comprises
et intégrées correctement par les patients (Davis, 2002).

Consultation de médecine générale


!

Les médecins généralistes reconnaissent eux-mêmes que la communication avec


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leurs patients est une de leurs principales difficultés (Doumenc, 1994), et que
la prise en charge des préoccupations de leurs patients n’est pas une priorité
pour eux (Lemasson, 2006).
Une étude déjà ancienne a montré que les médecins généralistes et leurs patients
ne s’entendent sur les motifs de consultation que dans moins de 50 % des cas
(Starfield, 1981).
La gestion du temps d’expression des patients est un problème connu des prati-
ciens.

1. Selon le Grand Dictionnaire Terminologique de l’Office de la Langue Française, le terme « litté-


ratie » se définit ainsi : « Ensemble des connaissances en lecture et en écriture permettant à une
personne d’être fonctionnelle en société ».
204 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

En 1984, Beckman et Frankel ont réalisé une étude qui reste une référence en
matière de conduite de consultation et d’écoute du patient.
Le message principal de cette étude était que les généralistes interrompaient
leurs patients en moyenne après 18 secondes d’expression initiale, pour les
orienter vers des réponses précises.
En 1999 (Marvel et al.), une étude comparable a confirmé ces résultats, en
retrouvant, dans un échantillon plus grand, un temps moyen d’écoute avant
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interruption de 23 secondes. Cette fois, les patients n’avaient que 6 secondes,
après cette interruption, pour répondre à la relance.
Lorsqu’on laisse les patients s’exprimer librement sans les interrompre, la durée
spontanée moyenne est de 92 secondes, et 78 % des patients cessent de parler
au bout de 2 minutes (Langewitz et al., 2002 ; Labarthe, 2004).
La première chose utile à faire avec le patient qui vient consulter est donc de
le laisser s’exprimer librement sans l’interrompre. Deux minutes (au maximum)
de parole libre permettent au patient de se sentir écouté, et au médecin de
recueillir bon nombre d’informations, ainsi que le motif principal de consultation,
du point de vue du patient.
Ce temps de parole libre du patient est aussi l’occasion pour le médecin d’obser-
ver le patient (langage non verbal), d’utiliser le pacing, le mirroring, de repérer
le registre lexical de son patient (langage verbal), de relever les variations
d’intonation et de fluence verbale (langage para-verbal).
Le médecin a tout loisir de colliger les éléments d’ordre médical dont il aura
besoin pour étayer sa démarche diagnostique et thérapeutique (et qu’il pourra
enrichir dans un deuxième temps par un interrogatoire bien mené) ; dans le
même temps, il trouvera des indices intéressants sur les contextes psychologique
et social du patient, dans lesquels le motif de la plainte peut trouver certains
fondements.
C’est ce contexte psychosocial qui sert de référence implicite au patient, sur
le plan comportemental, cognitif et émotionnel. Afin de bien comprendre la
problématique telle que vécue par le patient, le médecin devra se référer à ce
contexte spécifique, à savoir envisager son patient comme un individu dans un
contexte, et aider le patient à trouver les significations, les ressources et les
solutions en tenant compte de ce même contexte.
Ce travail est sans doute plus aisé lors d’une visite à domicile qu’à la consultation
au cabinet du médecin.
Le médecin sera attentif à formuler ses questions en remplaçant le « pourquoi »
par le « comment » : la question du « pourquoi » oriente vers une causalité
Le domaine médical 205

linéaire (volontiers simpliste et réductrice), le passé, l’immuable (on ne change


pas le passé) ; la question du « comment » suggère des mécanismes en cours
(donc actuels), des solutions, du changement, tout en étant implicitement
orientée vers l’avenir, l’à-venir.
Comment envisager le changement pour le patient sans ces conditions ?
Cette rhétorique du patient se retrouve un peu partout : « je suis diabétique »,
« je suis coronarien », « je suis insuffisant (rénal, cardiaque, respiratoire...) »,
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« je suis dépressif », « je suis fibromyalgique »...
La question « Pourquoi suis-je (devenu) lombalgique » devient « Comment se fait-
il que j’ai aujourd’hui des douleurs lombaires ». L’auxiliaire « avoir » a remplacé
« être », synonyme de constitutionnalité, donc d’immuabilité.
Dans le même ordre d’idées, la première question posée par le médecin, en guise
d’entrée en matière, oriente d’emblée la dynamique de la consultation qui va
suivre, et toutes les autres, car c’est à ce moment précis que le médecin définit
son rôle vis-à-vis du patient.
Le traditionnel « Comment ça va ? » n’a pas d’utilité dans une consultation. Il
ne peut amener de réponse que négative : « Mal ! Si ça allait bien, je ne serais
pas là ! ».
Les autres formulations habituelles ressemblent à « Que puis-je faire pour
vous ? », « Qu’attendez-vous de moi ? », « En quoi puis-je vous être utile ? », etc.
Implicitement, la médecine se place là en position haute (là où précisément
le patient a tendance à l’assigner), se définit comme ressource pour le patient,
et le dispense implicitement de toute initiative en lui assignant d’emblée une
position « basse », un rôle passif.
Une tournure plus « efficace » pourrait ressembler à « Qu’est-ce qui vous amène
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aujourd’hui ? ». Cette formulation renvoie le patient à ses propres conceptions


(pas besoin d’entrer dans le discours médical de la plainte pour répondre à
cette question), ses propres repères, en particulier temporels (« aujourd’hui »,
donc l’attention est d’emblée centrée sur les problèmes actuels ; le patient
commencera son discours par ceux-là).
La reformulation du discours du patient par le médecin est parfois capitale,
dès les premiers échanges ; c’est l’occasion de changer de rhétorique, donc de
conception des événements et de leur origine présumée, et de faire valider le
tout extemporanément par le patient.
La répétition est une autre technique facilitatrice simple et efficace, pour inciter
le patient à structurer, recadrer et préciser sa plainte, sans poser de question
intrusive ni aller à l’encontre du patient ou de ses cognitions :
206 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

– Bonjour Monsieur...
– Bonjour Docteur...
– Je vous écoute...
– Je viens vous voir parce que depuis un mois, je ne dors plus...
[Discours généralisateur, absence d’exception, ...]
– ... vous ne dormez plus... depuis un mois... un mois que vous n’avez pas dormi...
[Répétition et reformulations]
– Enfin, si... je m’endors en fin de nuit... juste avant que le réveil sonne... mais bon, je
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me réveille plus fatigué que je ne me suis endormi, si vous voulez...
[Recadrage spontané du patient, plainte plus précise, délimitée]
– Ah... donc si je comprends bien, depuis un mois, vous vous endormez vraiment très
tard dans la nuit, et vous ne dormez pas assez pour vous sentir reposé... c’est ça ?
– Oui, c’est bien ça... et là, je suis vraiment fatigué, vous savez...

La clarification aurait également pu être utilisée dans ce cas :


– Bonjour Monsieur...
– Bonjour Docteur...
– Je vous écoute...
– Je viens vous voir parce que depuis un mois, je ne dors plus...
– ... depuis un mois vous ne dormez plus... comment cela ?
[Invitation à clarifier le propos]
– Et bien, depuis un mois, je ne m’endors plus comme d’habitude... là, je m’endors en
fin de nuit, alors qu’avant j’étais plutôt un bon dormeur !
– Avant...
[Répétition. Le médecin questionne les cognitions du patient, la cause qu’il
attribue au symptôme]
– Oui...

La reformulation est aussi un moyen de mettre en mots le non-verbal du patient :


– Bonjour Madame...
– Bonjour Doct... [suivent des sanglots, à moitié étouffés...]
– Ouh la la... Ça ne va pas du tout, aujourd’hui...
Installez-vous, asseyez-vous ici, prenez votre temps...
Laissez sortir ce qui a besoin de s’exprimer... jusqu’au bout...
[prescription du symptôme, le médecin reste silencieux, attentif, pour accueillir
les émotions]

Il est important également d’aider le patient à quitter le discours habituel de la


plainte « médicale », pour retrouver le récit de sa propre existence, c’est-à-dire
renouer avec sa condition d’humain, en cessant de n’être qu’un sujet « malade ».
La reformulation, la surprise (pour interrompre le patient et « reprendre les
Le domaine médical 207

rênes ») et la confusion permettent typiquement de redéfinir très vite et très


simplement le motif de la consultation.

Ainsi, l’exemple de ce jeune patient suivi par la Consultation Douleur du CHU, et


adressé en vue d’un accompagnement en hypnose pour le sevrage en antalgiques :
– Bonjour Monsieur...
– Bonjour Docteur...
– Qu’est-ce qui vous amène ?
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– Je suis un Crohn sévère...
– Et bien moi, je suis un Alsacien impatient !
... [Silence, le patient surpris ne sait pas quoi répondre. Le discours de la plainte
est interrompu, le médecin peut reprendre les rênes et poser le cadre de l’entre-
tien...]
– Donc, si j’ai bien compris, vous venez me voir car vous avez la maladie de Crohn...
une forme sévère de la maladie de – Crohn... C’est bien ça, n’est-ce pas ?
– Oui oui, c’est ça...
– OK, asseyez-vous.

Ici, en deux phrases (et quelques secondes), le contexte de la consultation a


changé du tout au tout ; dans la configuration (et la conception) initiale, tout
changement était illusoire (« je suis »), le patient était identifié à une maladie,
qui ne porte même pas son nom. À l’issue de l’échange (alors que médecin et
patient sont encore sur le pas de la porte du bureau, la consultation n’a pas
officiellement commencé, tandis que le travail de communication hypnotique est
déjà en cours), une définition nouvelle est proposée (et acceptée) ; un espace
propice au changement est installé. Le langage corporel joue ici une grande
importance : pendant tout l’échange, médecin et patient sont debout, face à
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

face, échangeant une poignée de mains, sur le seuil de porte ; le patient sera
symboliquement « autorisé » à entrer et à s’asseoir lorsque le médecin l’aura
décidé, en s’effaçant pour laisser entrer le patient et en l’accompagnant de la
main vers le fauteuil, par exemple.
Comme on l’a vu dans l’introduction, les patients ont tendance à enfermer les
médecins (et eux-mêmes avec) dans un paradigme de relation de soin dans lequel
le soignant est en position basse, et le soignant, en position haute, détenteur
d’un savoir et d’un pouvoir quasiment magique de résoudre son problème à sa
place.
208 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

L’ ANESTHÉSIE

Consultation d’anesthésie
!

Le médecin anesthésiste, comme l’anesthésie qu’il dispense, occupe une place


particulière dans le chemin clinique du patient, dans la mesure où son interven-
tion n’est pas curative ; l’anesthésiste rend possible un acte (diagnostique ou
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thérapeutique), sans toutefois apporter lui-même la « guérison » escomptée et
ce, au prix d’un risque spécifique qui s’ajoute au risque opératoire proprement
dit.
Il est donc en quelque sorte un prestataire de services, que nul n’a convoqué
(surtout pas le patient), et dont nul ne peut se dispenser (surtout pas le patient).
Le médecin anesthésiste partage avec le médecin généraliste un statut lui
permettant d’avoir une vision globale du patient, non cantonnée à un appareil,
un organe, un symptôme ou un membre. À la différence du médecin généraliste,
il connaît à l’avance le motif de la consultation : c’est l’intervention prévue.
Cette connaissance préalable est un élément important dans l’amorce de la
conversation. C’est l’occasion par exemple de placer une séquence d’acceptation,
qui présente aussi l’avantage de faire comprendre au patient que l’on connaît
bien son dossier.
L’introduction de la consultation d’anesthésie est l’occasion de justifier et requa-
lifier l’anesthésie, en la resituant dans le parcours du patient, centré sur l’in-
tervention prévue. Dans le même temps, il paraît souvent licite d’amener le
patient à valider l’intervention prévue, car cette étape est parfois omise dans son
parcours. En effet, le traitement chirurgical proposé est le plus souvent présenté
par l’opérateur comme une évidence implicite, au risque de priver le patient du
temps nécessaire à l’acceptation et la validation de l’intervention. Cette étape
préliminaire est un bon prétexte à l’utilisation d’une séquence d’acceptation
(yes-set), qui va servir d’entrée en matière.
– Donc, vous avez vu le Dr C pour votre hernie...
– Oui...
– Et il vous a expliqué qu’il est possible de vous en débarrasser ...
– Oui...
– Et vous avez décidé de vous faire opérer...
– Oui...
– Et vous avez choisi avec lui la date du 15 février...
– Oui...
– Et donc, aujourd’hui nous sommes ici pour préparer ensemble cette anesthésie...
Le domaine médical 209

L’objectif est de présenter la consultation comme un temps de collaboration entre


le patient et le médecin ; le patient se trouve implicitement placé en position
haute, puisqu’il va prendre une part active pendant cette consultation. Certaines
formes rhétoriques vont permettre de lui redonner un certain sentiment de
contrôle sur les choses : la séquence d’acceptation ci-dessus en est un exemple.
– Bien... donc vous avez rendez-vous avec le Dr C, dans dix jours, pour vous débarras-
ser de cette hernie qui vous gêne, c’est bien cela ? [Reformulation]
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– Oui... dix jours... c’est bientôt !
– Est-ce que vous avez eu le temps de prendre vos dispositions pour cette journée-
là ? Par exemple, qui va vous accompagner ? Qui va conduire la voiture, ce jour-là ?
[Anticipation]
– Eh bien, ce sera ma femme...
– Parfait... Combien de temps de route avez-vous, pour venir à l’hôpital ? [Focalisation,
projection]
– Environ 30 minutes...
– Très bien, donc vous partirez de chez vous vers 6 heures 30, c’est bien cela ?
– Oh oui, à peu près... Peut-être même 6 heures 15, pour être certain d’être à l’heure !
– Vous penserez aussi à prendre votre médicament pour la tension, avant de par-
tir, comme les autres matins. Uniquement celui-là. [Discours positif, consignes
simples]
Est-ce que le Dr C a évoqué l’anesthésie avec vous ?
– Oui, il m’a parlé d’une anesthésie générale, il m’a trouvé anxieux...
– En effet, on peut aussi envisager une anesthésie générale... Il y a plusieurs possi-
bilités dans votre cas. Je peux vous proposer une anesthésie du bas du corps, qui
vous permet de rester réveillé pendant l’opération, en compagnie du médecin ou de
l’infirmière anesthésiste, qui veillera sur vous et votre anesthésie pendant ce temps.
[Explications en langage positif ]
Qu’est-ce que vous en pensez, vous ?
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[Clarification des craintes du patient ]


– C’est-à-dire que comme je suis anxieux, je préférerais ne rien voir, ne rien savoir, ne
rien sentir, ne rien entendre... et me réveiller quand c’est fini !
– Vous pensez que vous seriez mieux avec une anesthésie générale, donc ?
[Validation des craintes, reformulation]
– Ben oui... Vous en pensez quoi, docteur ?
– C’est possible de faire une anesthésie générale pour vous...
[Ratification]
En même temps, dans votre situation, vis-à-vis de la bronchite chronique et de votre
poids, ça peut être intéressant aussi d’éviter l’anesthésie générale
[Confrontation de deux idées en apparence incompatibles].
Vous pouvez continuer de respirer normalement pendant l’intervention, de tousser si
besoin, vous pouvez échanger avec l’équipe autour de vous, parler d’autre chose, de
tout et de rien, un peu comme si vous étiez ailleurs, pendant que le Dr C s’occupe de
votre hernie. Qu’est-ce que vous aimez bien faire, par exemple ?
210 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

[Discours « actualisant » au présent de l’indicatif, recherche d’une activité-


ressource]
– Ah, ben moi, j’adore la pêche... la pêche en rivière... vous connaissez ?
Non, pas du tout...
[Position basse]
Et est-ce que ça vous ferait plaisir de profiter de l’intervention pour en parler avec
l’équipe ?
[Mentionner cette ressource sur le dossier d’anesthésie]
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– Pourquoi pas, si vous me promettez que je ne sentirai rien pendant ce temps-là...
– Avec une rachi-anesthésie, vous aurez peut-être la sensation qu’on touche le corps,
le ventre, là où il y a la hernie. Les autres sensations auront disparu. Et le bas du corps
se réveillera après la fin de l’intervention, et vous aurez des calmants par la suite pour
rester confortable.
Vous retrouverez rapidement le contrôle de vos jambes et vous pourrez vous lever, en
attendant de rentrer chez vous.
Le Dr C et le Dr A, votre anesthésiste, viendront vous voir pour vérifier avec vous que
tout va bien, avant votre sortie.
[Explications en langage positif]

Certaines situations nécessitent des recadrages, que l’on obtient en utilisant des
techniques de reformulation, de recherche d’exception, de clarification.
Ici, prenons le cas de figure d’une patiente ayant déjà été opérée à plusieurs
reprises, et qui déclare :
– Docteur, d’abord il faut que je vous dise... je suis toujours malade après les anesthé-
sies !
– Ah bon ?
[Accusé de réception du message]
De quoi avez-vous été opérée, madame ?
– De l’appendicite en 1987, de la vésicule biliaire en 1991, d’un nodule bénin au sein
en 1994, de la thyroïde en 2001, et du poignet gauche en 2009.
– OK... et comment ça s’est passé, après ?
– J’ai été malade à chaque fois... Ça me fait ça à chaque fois.
– Bien... Je note... Vous avez eu des nausées et des vomissements à plusieurs reprises,
à chaque fois que vous avez été opérée...
[Reformulation et recadrage]
– Oui, et puis là, de toute façon, je sais que ça va recommencer, je suis habituée, ça
me fait ça à chaque fois !
– Ah ? Bon...
[Ratification provisoire]

Il est bon alors de poursuivre le déroulement de la consultation, puis, au moment


de faire la synthèse, de dire par exemple :
Le domaine médical 211

– Donc, si je reprends tout ce que l’on a dit depuis tout à l’heure, je retiens que, jusqu’à
présent, après chaque anesthésie, vous avez eu des nausées et des vomissements,
c’est bien ça ?
[Nouvelle reformulation]
– Ah oui, tout à fait...
– Bien... Alors,
[Fausse logique]
vous savez que les anesthésies se suivent, et ne se ressemblent pas... Donc vous
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pouvez vous attendre à être étonnée, cette fois-ci...
– Ah ? Comment cela ?
– Vous verrez bien !
[Création d’une attente stimulant la curiosité]

Cette pirouette permet de modifier l’attente, en attisant la curiosité de la


patiente, tout en profitant de la focalisation pré-existante sur le trouble. Nous
avons quitté le discours généralisateur et l’effet de prophétie auto-réalisante
qu’il induit. L’anxiété diminue, car l’effet d’attente, s’il existe toujours, n’est plus
dans la même perspective : la patiente n’attend plus les nausées mais « quelque
chose de surprenant », donc de nouveau. La curiosité est attisée, et a remplacé
la crainte. L’anxiété a diminué, et l’on sait que c’est un facteur de risque de
nausées et vomissements postopératoires...
Avec d’autres patients, c’est la peur de l’anesthésie qui est au premier plan ;
parfois, les peurs sont encore plus diffuses, mal cernées, mal délimitées ; un vrai
travail de réassurance suppose que les craintes soient clarifiées et mieux identi-
fiées. Lorsque les craintes sont multiples, il faut identifier la plus importante et
faire porter le travail sur celle-ci ; les recadrages cognitifs sont là encore fort
utiles, comme dans cet exemple :
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– Dites, Docteur, ça va bien se passer, hein ?


– Qu’est-ce qui vous inquiète ?
[Ratification de l’inquiétude, clarification, réponse par une question]
– Oh, il y a l’opération, et puis l’anesthésie, aussi...
– L’anesthésie ?
[Formulation en écho, pour inciter le patient à préciser sa pensée, ses craintes]
– Ben oui, et puis j’espère aussi que l’opération ne va pas rater !
– Qu’est-ce que ça serait, pour vous, une opération « ratée » ?
[Clarification]
– C’est ma voisine qui m’a dit, sa sœur a été opérée de la hanche aussi, la même
opération que je dois avoir... et depuis, elle ne peut presque plus marcher !
– Est-ce que vous avez su exactement ce qui a pu se passer pour elle ?
[Ici débute un travail de recadrage des croyances et des cognitions, pour amener
la patiente à ne pas s’identifier à cette personne malchanceuse]
212 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

– ...
– Et vous me parliez tout à l’heure de vos préoccupations concernant l’anesthésie ?
[Importance d’y revenir, afin de ne pas laisser repartir le patient avec des
craintes injustifiées ou des croyances erronées]
– Oui, j’ai peur aussi de ne pas me réveiller !
– Connaissez-vous des gens à qui c’est arrivé ?
[Repérer les références internes]
– Non, mais on m’a dit que ça pouvait arriver...
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– Je vois que vous prenez chaque soir un comprimé pour vous aider à vous endormir...
Est-ce que ça vous est déjà arrivé de ne pas vous réveiller le lendemain matin ?
[Question saugrenue amenant la surprise]
– Et bien... non...
– Et bien voilà, avec les médicaments d’anesthésie c’est la même chose : votre foie les
détruit et vos reins les éliminent... Est-ce que vous avez un foie ?
– Oui, bien sûr...
– Est-ce que vous avez deux reins ?
– Et bien oui...
– Donc vous avez tout ce qu’il vous faut pour vous réveiller !

À la visite pré-anesthésique
!

Typiquement, la prise de contact avec le patient relève des mêmes principes que
lors de la consultation, et la séquence d’acceptation s’avère une fois encore fort
utile et constructive. Le médecin aura bien entendu pris le temps de fermer la
porte derrière lui, d’établir un « triple contact » avec le patient, d’ajuster son
langage non verbal et sa posture à ceux du patient...
– Bonsoir Monsieur P ! Je suis le docteur B. Vous avez rencontré mon collègue, le Dr
A, lors de la consultation d’anesthésie la semaine dernière.
– Oui, bonsoir docteur...
– C’était jeudi dernier, n’est-ce pas ?
– Euh... oui, c’est ça...
– Bien. Ce soir, nous allons vérifier ensemble tous les points importants concernant
votre opération et votre anesthésie de demain...
[Les questions usuelles concernant l’intervention, le côté, les allergies, etc.
seront abordées une à une, de manière à amener le patient à répondre posi-
tivement aux questions. Si des réponses négatives sont attendues, alors les
questions correspondantes devront être posées en premier, afin de terminer par
une séquence d’acceptation. Puis, avant de conclure l’entretien] :
– Avez-vous des questions à me poser ce soir ?
Y a-t-il des points que nous n’avons pas encore abordés ?
Est-ce que j’ai répondu convenablement à toutes vos questions ?
Le domaine médical 213

– C’est très bien, merci, je n’ai plus de question à poser...


– Alors je vous souhaite une bonne continuation.

Au bloc opératoire
!

Le premier contact du patient avec le bloc opératoire est le brancardier ; il est


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donc primordial que ce premier contact soit de très bonne qualité, car c’est lui
qui conditionne en grande partie la perception globale du bloc opératoire par
le patient, et de tout ce qui va s’y passer, indépendamment du déroulement
« objectif » des événements.
L’accueil du patient en salle d’opérations relève des mêmes principes et précau-
tions, avec peut-être encore davantage de vigilance, car la dissociation psychique
du patient est encore plus importante, ce qui le rend encore plus suggestible.
Le décubitus dorsal impose un champ visuel horizontal, qui prive le patient des
afférences visuelles habituelles, tout en amenant un report de l’attention vers
l’audition et la kinesthésie.
À chaque fois que possible, il sera bénéfique que le patient soit en position
assise ou demi-assise, et que les déplacements se fassent dans le sens du regard
du patient, donc avec les pieds vers l’avant.
Nous n’aborderons pas ici la venue du patient « debout » au bloc opératoire, ni le
maintien des prothèses (auditives et dentaires) et des lunettes, qui relèvent d’un
débat plus large. Cependant, nous noterons que la privation de ces prothèses
constitue une privation sensorielle et une entrave à la communication ; c’est
aussi une source majeure d’anxiété préopératoire (Cobley, 1991).
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Il a été établi que des niveaux importants d’anxiété préopératoire augmentent le


risque de complications postopératoires, ainsi que la survenue de troubles émo-
tionnels et comportementaux (Amouroux, 2010). L’approche du patient se voudra
donc essentiellement anxiolytique, tout en veillant à apporter du (ré)confort au
patient.
La prise de contact initiale suppose que le soignant se place dans le champ
visuel du patient (V) avant de s’adresser à lui (A) et de le toucher (K). En effet,
un signal sonore quelconque est d’autant plus « menaçant » qu’il est difficile
d’en localiser l’origine en la voyant. Ici encore, la poignée de mains a toute sa
place pour compléter le triple contact avec le patient.
214 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

La check-list au bloc opératoire1 est l’occasion d’une prise de contact avec plu-
sieurs membres de l’équipe soignante, et elle nécessite une série de questions ;
la répétition des mêmes questions (portant sur l’identité, l’intervention, le côté,
les allergies, le jeûne, pour ne citer que celles-ci) finit par être anxiogène pour le
patient, qui risque de douter de la qualité des transmissions entre professionnels.
Là encore, les explications préalables (avant le départ pour le bloc opératoire,
ou bien pendant le transfert depuis le service) sur l’utilité et l’importance de
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cette check-list amèneront un recadrage cognitif valorisant et sécurisant :
– Lorsque nous arriverons au bloc opératoire, c’est mon collègue D qui va vous
accueillir et s’occuper de vous. Lui et d’autres personnes encore vont vous poser
plusieurs fois les mêmes questions... Cela fait partie des précautions d’usage, des
sécurités qui sont mises en place, à tous les niveaux, pour tous les patients.
[Discours positif ]
En fait, nous connaissons déjà les réponses, mais nous vérifions tout cela avec vous !
[Sur le ton de l’humour]

Enfin, il sera intéressant et utile de faire de cette check-list une séquence


d’acceptation... Si la passation de cette check-list est obligatoire, les soignants
ont toute latitude pour formuler les questions de façon à ce que le patient
termine par une série de « oui »...
La mise en place des éléments de surveillance (monitorage) et l’abord veineux
est un temps fort pour le patient, et l’occasion d’utiliser quelques outils comme
les choix illusoires, la diversion, la surprise et la confusion. Il est assez simple
de commencer par une séquence d’acceptation, suivie d’un choix illusoire et
d’une confusion par surprise, chez cette patiente opérée en ambulatoire :
– Bonjour Madame, je suis le Dr A, votre anesthésiste...
– Bonjour Docteur...
– Vous êtes arrivée ce matin ?
– Oui...
– Quelqu’un vous a accompagnée ?
– Oui, mon mari...
– Et vous êtes bien à jeun ?
– Oui...
– D’ailleurs, on vous a déjà posé pas mal de questions, depuis votre arrivée...
– Oui...

1. http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_1019468/fr/version-2011-de-la-check-list-securite-
du-patient-au-bloc-operatoire.
Le domaine médical 215

– Oui, cela fait partie des sécurités habituelles du bloc opératoire...


Êtes-vous droitière ou gauchère ?
– Droitière !
– Et de quel côté préférez-vous que j’installe votre perfusion ?
– Plutôt à gauche...
– OK, très bien...
Voilà, alors je mets un élastique autour de l’avant-bras gauche...
Et je passe un produit sur le dessus de la main gauche...
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C’est un produit frais.
[Ratification des sensations]
Savez-vous à quoi il sert ?
– C’est un désinfectant ?
– Oui, c’est ça, un désinfectant...
Et un désinfectant, vous le savez, ça sert à éliminer des microbes, et des sensations,
aussi...
– Des sensations ???
– Combien est-ce que vous mettez de café dans votre sucre, le matin ?
– ... [Ponction veineuse, sans rien dire]
– Je bois mon café sans sucre !
– Ah ? Bon...
– Mais... Pourquoi est-ce que vous me demandez ça ?
– Oh... Comme ça, pour rien...

La confusion par surprise peut être amenée de diverses manières. Ici, on a


utilisé une question inattendue, en introduisant volontairement une inversion
des énoncés (café et sucre) pour accentuer la confusion du patient assez vigilant
pour la remarquer. Tous les coq-à-l’âne ont le même effet surprenant.
Au patient qui serre spontanément la main homolatérale, on demandera de serrer
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

l’autre main, pour créer une surprise et déplacer son attention vers le côté
controlatéral.
On peut aussi décrire extemporanément notre geste, avec un vocabulaire imagé
au moment même de la ponction veineuse :
– Je touche la peau...
Je tends la peau...
Je passe la peau...

La confusion peut être amenée par saturation de la conscience, chez le patient


anxieux hyper-vigilant :
– Alors, pendant que je termine d’installer les éléments de sécurité et de surveillance,
je vais vous demander de regarder l’écran, ici, au-dessus de vous... Le voyez-vous ?
216 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

– Oui...
– Alors, vous voyez (V), il y a des courbes et des couleurs... Trois courbes, de deux
couleurs différentes, et puis des chiffres aussi, certains d’une troisième couleur... Et
dans ces courbes, il y en a qui sont plus droites, on les appelle des lignes... des lignes
droites, et des courbes, à gauche... et des chiffres aussi.
Remarquez que les chiffres en haut à gauche changent tout le temps... un petit peu
plus... un petit peu moins... Le voyez-vous ?
– Oui...
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– Et en même temps, avec vos oreilles (A), vous entendez ces légères variations... un
petit peu plus rapide... un petit peu plus tranquille...
Entendez-vous comment cela accélère et ralentit ?
– Oui...
– Super... et en même temps, vous pouvez remarquer que ça dépend de votre respi-
ration... soyez attentif à percevoir (K) votre respiration... et à observer comment cela
modifie les choses à l’écran... quand vous inspirez... quand vous expirez...

En postopératoire : SSPI et service d’hospitalisation


!

Les principaux outils (et les plus faciles à utiliser) sont les plus simples : rati-
fication, verbalisation du non-verbal, utilisation du langage propre du patient,
congruence, pacing.
L’analgésie postopératoire mérite une attention particulière, dans son évaluation
et le langage employé pour l’évaluer.
Comme on l’a vu, le langage négatif a des vertus suggestives contraires à l’inten-
tion de celui qui l’utilise (le cerveau n’entend pas la négation). Par extension,
nous pouvons appliquer ce principe au discours du soignant qui administre un
antalgique et en évalue l’efficacité à l’aide d’une échelle visuelle analogique
(EVA).
Ainsi, cette manière fréquente de procéder :
– Alors, sur une échelle de 0 à 10, à combien évaluez-vous votre douleur ?
– 7...
– OK. Je vous fais un antalgique, et je reviens tout à l’heure.
– ...
– ...
– Et maintenant, au niveau douleur, vous évaluez à combien ?
– 5...

n’est pas équivalente à :


– Alors, sur une échelle de 0 à 10, à combien évaluez-vous votre douleur ?
Le domaine médical 217

– 7...
– OK. Je vous donne un médicament pour vous soulager. Dans quelques minutes, je
reviendrai pour évaluer avec vous son efficacité.
– ...
– ...
– Et maintenant, êtes-vous plus confortable ?
– Oui...
– Très bien... Comment est-ce que ça se passe, dans le ventre ?
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– C’est mieux que tout à l’heure...
– Quel chiffre conviendrait, maintenant ?
– 4...

L’évaluation d’un antalgique dans les termes de la persistance de la douleur est


contre-productive : en la citant, le soignant attire l’attention du patient sur
sa douleur ; lorsqu’il suggère le soulagement (effet attendu du médicament),
l’attention du patient ne se porte pas de la même manière sur les sensations
corporelles. C’est ainsi que l’on a pu montrer que l’utilisation d’échelles EVA
de soulagement amenaient plus rapidement (et avec des posologies moindres)
l’analgésie que lorsque des échelles EVA de douleur étaient utilisées, même
si cela pose des soucis en terme de réglementation portant sur la traçabilité
de la mesure de la douleur1 . Il semble y avoir une influence sur les effets
pharmacologiques de la portée suggestive du discours.

C OMMENT DIRE DANS LES SOINS

Lexique du vocabulaire positif dans les soins


!
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Négatif Positif

Soins généraux

Attendre Patienter, somnoler

Douleur, mal, anxiété Inconfort, sensation, ressenti

Peur Appréhension, préoccupation

1. Équipe d’anesthésie de la clinique de La Sagesse (Rennes), communication personnelle.


218 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

Barrières (de lit) Protections, sécurités

Toujours, jamais Souvent, rarement

Escarre Plaie

Couches, garnitures Protections


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Chimiothérapie Traitement (ou les propres mots du patient)

Pistolet Urinal

Potence Support de perfusion / Poignée

Purge (avant coloscopie) Préparation du côlon, potion magique

Déchocage Surveillance continue, rapprochée

Anesthésie et chirurgie

Gommette, médaille, décoration, pastille,


Électrode (ECG)
capteur

Ablation Retrait, débarras

Obus (oxygène) Bouteille d’oxygène

Ponction Prélèvement

Froid Frais, fraîcheur (qui peut être agréable)

Chaud Tiède, tiédeur (qui peut être agréable)

Luxation Déplacement

Table d’opération Matelas plus ferme

Chariot, brancard Lit roulant, tapis volant, carrosse

Attacher Sécuriser

Pince (oxymètre) Capteur, lumière


Le domaine médical 219

Bon courage ! À tout à l’heure !

Élastique, caoutchouc, bracelet, ruban,


Garrot
chouchou

Kalinox®, MEOPA®, Entonox®, air pur,


Gaz
oxygène
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Billot Oreiller, coussin, alèse, appui

Sangles, menottes Ruban élastique, ceinture, sécurités

Alarme Signal sonore

Cale-dents Protection, sécurité confiée au patient

Gouttières (appuie-bras) Accoudoirs, repose-bras

En obstétrique

Amniocentèse Prélèvement de liquide amniotique

Biopsie de trophoblaste Prélèvement de placenta

Évacuation du contenu de l’utérus,


Aspiration, curetage
vérification de la vacuité

Ventouse Chapeau pour guider le bébé


© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Épreuve du travail Tentative d’accouchement (par VB)

Modifications du RCF, signes de fatigue du


Souffrance fœtale
bébé

IVG Les mots de la patiente

Cuillères de Tarnier/Suzor, aides pour


Forceps (« les fers »), spatules guider le bébé, faciliter le travail, montrer
le chemin au bébé, ...

Table de réa bébé Table de (premiers) soins


220 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

Étriers Repose-jambes

Malformation Différence, particularité

Ralentissement du RCF Variations du RCF


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Phrases positives dans la conversation dans les soins
!

Négatif Positif

Soins généraux

Ne touchez pas à ceci Posez vos mains ici.

Vous n’avez pas envie d’aller aux Avez-vous besoin d’aller aux WC ?
toilettes ?

Je ne peux pas vous répondre... Ce que je peux vous dire...

Essayez de ne pas bouger. Ne faites rien, gardez la position,


Ne bougez pas, sinon il faut restez comme vous êtes.
recommencer à zéro !

Donnez-moi votre main. Prenez ma main.

N’ayez pas peur, ne vous inquiétez Vous pouvez vous rassurer, tout se
pas ! passe comme prévu. Parler au présent.

Vous n’avez pas de questions ?

Vous n’avez pas trop froid ? Avez-vous assez chaud ?

Vous n’avez pas mal ? Êtes-vous confortable ?

Vous n’avez pas encore... Avez-vous déjà...

Ne pleurez pas, ce n’est rien ! Accompagner et valoriser les pleurs.

Je vais vous prendre une petite Je mesure votre pression artérielle.


tension Choix illusoire du côté.
Le domaine médical 221

Si [condition] alors vous pourrez Dès que [condition] vous pouvez


sortir. sortir.

Anesthésie et chirurgie

Je ne fais jamais rien sans prévenir. J’explique les choses avant de les
faire.
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Ça va chauffer / piquer / brûler / faire Faire décrire les sensations, ratifier
comme une décharge électrique / ...

Ça ne va pas être long. Ça va être rapide

Vous n’allez rien sentir (après une Expliquer les sensations résiduelles
anesthésie loco-régionale - ALR). possibles.
Faire décrire les sensations, ratifier

Vous n’avez pas le droit de manger Pour votre sécurité, il faut être à jeun.

Ça peut brûler à la perfusion Il peut y avoir une main plus chaude


ou plus fraîche que l’autre...
Accompagner et ratifier le discours du
patient

C’est comment la douleur au ventre ? Comment vous sentez-vous ?


Ça se passe comment dans le ventre ?

Je vais attacher vos bras pour qu’ils Je sécurise vos bras.


© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

ne tombent pas pendant que vous


dormez

Faites attention à votre bras (ALR) Prenez soin de votre bras, soyez
attentif à votre bras

Regardez de l’autre côté pendant


qu’on vous pique

En obstétrique
222 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

Ne respirez pas Prenez une grande inspiration, et


bloquez l’air à l’intérieur

Ne mettez pas les mains derrière Gardez vos mains devant.


(pose d’une analgésie péridurale).

C’est un faux-travail. Ce n’est pas encore le moment pour


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votre bébé. C’est la phase des
changements imperceptibles.

Vous ne poussez pas bien / vous Time out ; un seul interlocuteur ; se


poussez mal poser, et expliquer
Mots à proscrire : essayer, attention, surtout (effet amplificateur), petit, toujours,
jamais (et tout le discours généralisateur), oui mais, mais non.

A PPLICATIONS

Application en chirurgie
!

Les principes de la consultation sont identiques à ceux présentés au chapitre


« Consultation : principes généraux », et dans le cadre de la consultation d’anes-
thésie ou en médecine générale.
Le chirurgien est volontiers perçu comme celui qui détient le pouvoir de guérir,
de résoudre les problèmes, de faire disparaître le symptôme.
Dans le même temps, en accaparant ce « pouvoir de guérir », le chirurgien
pénalise le patient, en ne lui laissant pas la possibilité d’inventer ses propres
solutions (Zarifian, 1999), ou en ne lui donnant pas l’opportunité de valider
et adopter les traitements envisagés. Il est donc important, sinon primordial,
d’amener le patient à énoncer lui-même l’éventualité de l’opération. Il ne restera
alors plus qu’à valider cette possibilité comme étant la bonne, en redonnant au
patient la notion qu’il a choisi lui-même la « bonne » solution, autrement dit,
que « sa » solution est « la » solution.
Le plus souvent, la décision d’opérer est prise par le chirurgien, de façon unila-
térale, et l’intervention est présentée comme une nécessité, une évidence. Les
choses ne sont pas si simples que cela, si l’on s’y attarde un tout petit peu.
Le domaine médical 223

En effet, la validation et l’acceptation des décisions médico-chirurgicales par


le patient sont primordiales ; les choix thérapeutiques doivent être présentés
comme des possibilités, des propositions qui sont faites, que le patient a toute
latitude d’accepter ou de refuser. En effet, il s’agit bien de propositions et non
d’obligations. Si la démarche thérapeutique coule de source pour le médecin,
l’évidence est tout autre pour le patient (et son entourage).
Les bénéfices de l’acte opératoire envisagé peuvent être, du point de vue du
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patient, occultés par les inconvénients, ou les contraintes que cela suppose :
personnelles, familiales, professionnelles, temporelles, etc. Lorsqu’il s’agit d’une
chirurgie fonctionnelle, il est primordial de s’assurer que le patient se sent prêt
à l’intervention. Si ce n’est pas le cas, alors il faut lui laisser le temps de se
préparer, voire l’y aider, par divers moyens. Souvent, il est possible de tempori-
ser l’intervention, de quelques semaines, afin que le patient soit parfaitement
préparé à l’intervention, sur le plan physique comme psychique et émotionnel.
Il arrive parfois que l’indication opératoire soit posée chez un patient qui se
trouve dans une période de vie difficile, avec déjà de multiples facteurs de stress
pré-existants (familiaux ou professionnels le plus souvent) ; même heureux, tout
évènement d’importance dans la vie d’une personne constitue un stress, qui
sollicite les stratégies du patient à y faire face. Ainsi, Holmes et Rahe (1967)
ont proposé une échelle de stress comportant 43 items, chacun d’eux étant
associé à un score de pondération. Cette liste a été réactualisée 3 décennies
plus tard (1997), et présente des changements notables, le principal étant une
augmentation moyenne des scores pondération de 45 %.
Si ces échelles ont été remises en question, il est bon de garder à l’esprit
la notion toujours d’actualité que tout évènement important, même heureux,
voire attendu, constitue un stress parfois majeur. Le risque de dépassement des
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

capacités de l’individu est réel, ce dépassement pouvant survenir à l’occasion


d’un stress en apparence modéré, à l’instar de « la goutte d’eau qui fait déborder
le vase ».
Les conséquences et effets secondaires d’un acte médico-chirurgical sont mieux
acceptées si le patient est dans une démarche active ; dans le cas contraire, les
suites médico-légales sont plus fréquentes, le patient se trouvant confronté aux
conséquences de choix qu’il n’a pas faits lui-même.
Proposer une intervention plutôt que l’imposer est une manière pour le chirurgien
d’adopter une position basse, et donc de redonner du contrôle au patient.
Au bloc opératoire, le discours des professionnels de santé est vecteur de très
nombreuses suggestions et connotations négatives. Les tableaux des pages
224 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

suivantes donnent quelques-uns des exemples les plus fréquents, et proposent


des formulations alternatives. Rappelons-nous que les patients sont dans un état
d’hyper-vigilance et d’hyper-suggestibilité.
Comme nous l’avons vu plus haut, le premier contact du patient avec le bloc
opératoire est le brancardier. Ce dernier a donc un rôle primordial auprès du
patient, et son intervention peut devenir véritablement anxiolytique. Nous ne
reviendrons pas sur les bénéfices directs et indirects de l’anxiolyse préopéra-
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toire ; retenons plutôt que le souvenir que le patient gardera de son passage
au bloc opératoire est fondamentalement conditionné par son état émotionnel ;
toute émotion associée à un soin résonnera d’autant plus qu’elle est du même
ordre que l’état émotionnel concomitant du patient. Une douleur sera perçue
avec davantage d’acuité chez un patient anxieux et tendu que chez un patient
serein et décontracté. La notion du temps obéit à la même règle, un moment
pénible paraissant toujours plus long qu’il n’a réellement duré. Le patient dans
un état d’esprit positif sera plus réceptif à des suggestions « positives » qu’à
des suggestions « négatives », et inversement dans un état d’esprit négatif.

Application en obstétrique
!

Les principes généraux de la consultation sont identiques à ceux présentés aux


chapitres précédents. On veillera au confort physique des parturientes, et à leur
installation sur la table d’examen. L’aménagement du bureau de consultation
revêt une importance accrue ici, puisque l’examen clinique nécessite un désha-
billage rendu parfois difficile par les conditions de la grossesse. En particulier,
l’espace dans lequel se trouve la table d’examen sera séparé du reste du bureau
de consultation par un paravent, ou un meuble suffisamment dimensionné pour
ménager une séparation formelle. La consultation commencera dans l’espace
« bureau », puis la patiente sera invitée à passer dans l’espace « examen » pour
s’y dévêtir et s’installer ; ensuite, une fois rhabillée, elle repassera dans l’espace
« consultation ».
Quelques situations spécifiques méritent une attention particulière. Si elles sont
abordées ici, elles concernent tout autant les sages-femmes, les obstétriciens,
les anesthésistes, que l’ensemble des personnels travaillant en maternité.

Césarienne non programmée

Selon le degré d’urgence, l’agitation et la précipitation des soignants peuvent


être extrêmes et engendrer un surcroît d’anxiété chez la patiente, déjà stressée
Le domaine médical 225

par l’annonce de la césarienne et fatiguée par le travail obstétrical. Comme dans


toute situation de crise, il faut limiter le nombre d’interlocuteurs simultanés au
strict minimum. À chaque fois que c’est possible, un seul membre de l’équipe
soignante entretiendra le dialogue avec la patiente. Sa mission est d’expliquer
les choses, en temps réel, en utilisant toutes les techniques de la communication
hypnotique, les niveaux de langage, la reformulation de tout ce qui se dit autour
de la patiente, etc., tout en maintenant un triple contact permanent avec la
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parturiente : contact visuel avec le regard, contact auditif avec la parole, contact
kinesthésique avec une main.
La césarienne est volontiers vécue par la jeune maman comme un échec ; c’est
l’occasion de présenter la situation comme le premier apprentissage du nouveau
métier de mère (s’il s’agit d’une primigeste) ou comme un rappel de cet apprentis-
sage (s’il s’agit d’une multigeste). Il est possible alors d’expliquer, par exemple,
qu’être une bonne mère consiste notamment à savoir choisir et accepter tout ce
qui permet de garantir le confort et la santé de l’enfant à naître, y compris donc
la césarienne...
Lorsque la césarienne a lieu avec une anesthésie médullaire, la patiente continue
de sentir les mouvements imprimés à l’abdomen, la pression, etc. Il est primordial
d’annoncer et de valider ces sensations résiduelles, comme étant normales, et
de les accompagner par des mouvements respiratoires par exemple.
L’oxygénothérapie mise en place avant la naissance de l’enfant est le prétexte à
une focalisation de l’attention à visée positive :

– Maintenant, madame, je place ceci sur votre visage. C’est de l’oxygène, comme de
l’air pur, que vous respirez pour votre bébé. Chaque respiration que vous prenez, vous
la prenez pour lui donner de l’oxygène en attendant qu’il soit avec nous. OK ?
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

– Oui...
– Très bien. Alors vous respirez tranquillement, le plus tranquillement possible, c’est-à-
dire que vous laissez bien le temps aux poumons de se vider complètement à chaque
fois...
[Pacing, mirroring, ratification]
– ...
– Voilà... Comme cela... Très bien... Chaque bouffée d’oxygène que vous prenez, c’est
pour votre bébé... Et en même temps, vous pouvez choisir une image, une pensée,
une intention, que vous placez dans chacune des inspirations, pour la donner à votre
bébé... une intention pour votre bébé... à chaque respiration...
226 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

Anesthésies médullaires

Le temps de la mise en place d’une anesthésie médullaire (analgésie péridurale


pour le travail obstétrical ou rachi-anesthésie pour césarienne) est un temps
fort pour la patiente qui, souvent, est dans une demande forte teintée d’anxiété
et d’appréhension, le tout dans un contexte de fatigue, de stress, de douleurs et
de modifications endocriniennes majeures.
Il est donc primordial de ratifier et valider tous les indices comportementaux du
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stress, de la fatigue, de la douleur. Dans le cas de l’analgésie péridurale, l’atten-
tion de la parturiente est spontanément focalisée sur le temps des contractions ;
il est donc logique de chercher à la focaliser sur l’intervalle de temps libre entre
deux contractions, en demandant par exemple à la patiente d’observer comment
la contraction commence à diminuer, puis comment elle finit par disparaître
complètement... et de profiter de ce moment pour accompagner cela avec une
détente corporelle délibérée et contrôlée.
L’installation de la patiente en position assise est aisément valorisable en termes
de communication aidante :
– Bien, pendant cette accalmie, vous allez profiter de vous installer le plus confortable-
ment possible, assise...
Vous pouvez poser vos pieds sur le tabouret, ou bien vous installer en tailleur. Qu’est-
ce qui est le plus confortable pour vous, maintenant ?
– Assise en tailleur...
– Très bien... Voilà, installez-vous, c’est très bien. Et puis, vous allez placer vos mains
devant vous, et elles vont rester posées devant...
[Bannir l’expression « Surtout, ne mettez pas les mains derrière ! », qui est une
tournure négative amenant immanquablement la patiente à passer ses mains en
arrière à la contraction]
Maintenant, je vous demande de basculer légèrement vers l’avant, puis vers l’arrière...
pour trouver le bon équilibre... la juste position du corps... bien posée, bien en équi-
libre... stable...
[Observer la patiente, donner éventuellement des petits appuis dans le dos avec
le pouce, pour amorcer ce balancement discret ]
Parfait... Profitez-en pour apprécier cette stabilité... pendant que je fais ce que j’ai à
faire... vous restez bien stable... et vous observez vos mains, qui sont posées devant.
– ...
– Et, maintenant, j’appuie avec mon pouce... mon pouce pousse le dos... et je vous
demande de pousser avec le dos, poussez mon pouce en l’arrière !
[Appuyer plus franchement avec le pouce, afin d’amener la patiente en appui, ce
qui évite les sursauts lors de l’anesthésie locale de la peau]

Dans le prolongement de cette proposition, il est possible d’installer un balance-


ment chez la patiente, qu’elle va ensuite entretenir elle-même pendant la pose
Le domaine médical 227

de la péridurale. Ce balancement a des propriétés relaxantes et hypnotiques,


du fait de la répétitivité du mouvement. On peut même faire le lien avec un
souvenir d’enfance agréable, pour focaliser davantage encore l’attention de la
patiente :
– Et quand je pousse comme cela, avec mon pouce, ça fait balancer doucement votre
corps d’avant en arrière... et d’arrière en avant... Est-ce que c’est agréable, ce balan-
cement ? Comme un bercement, que vous offrez à votre bébé... et à vous-même...
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[Suggestion directe]
– Oui... ça détend...
– Très bien. Alors je vous propose d’entretenir vous-même ce léger balancement, qui
peut être très, très discret... à peine perceptible... juste par vous-même...
– ...
– C’est parfait... exactement comme cela... un balancement très doux... pour vous et
votre bébé... pendant que je fais ce que j’ai à faire... vous faites ce que vous avez à
faire...
[Truismes et ratifications]
– Est-ce que vous aviez un cheval à bascule, quand vous étiez enfant ?
– Oui...
– Ah... Super... Et comment est-ce que vous l’aviez appelé ?
Etc.

Application en médecine du travail


!

La médecine du travail est un champ d’application dans lequel le médecin a


essentiellement un rôle de prévention et de dépistage de divers troubles, induits
par l’activité professionnelle du patient, qui se présente, le plus souvent, plutôt
comme un travailleur qui ne souffre d’aucun symptôme.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Dans certains cas, l’exposition aux contraintes professionnelles peut être à l’ori-
gine de certains troubles, dont l’expression somatique est essentiellement de la
douleur ; et l’expression psychique, des manifestations du stress (troubles du
sommeil, de l’humeur, fatigue, voire burn-out).
Si le médecin du travail (ou l’infirmière du travail) n’a pas toujours un rôle
thérapeutique direct, la communication hypnotique permet d’instaurer un climat
d’échanges propice à l’expression des difficultés rencontrées par le sujet, autre-
ment que par des symptômes somatiques et/ou psychiques ; autrement dit, il
s’agit de proposer au sujet un moyen de mettre ses maux en mots.
Si ce contexte relationnel n’offre pas de solutions immédiates en soi, il permet
d’amener le sujet vers une position de recherche de solutions, en le replaçant
dans un rôle actif.
228 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

L’hypnose conversationnelle et, partant, la communication hypnotique, joue un


rôle important et reconnu dans la prévention du risque psycho-social au travail.
Le lieu de travail est parfois aussi le lieu d’expression somatique de troubles,
tensions ou conflits internes au patient ; certains symptômes sont parfois (et
curieusement) plus invalidants au travail qu’à domicile ; le seul modèle biomédi-
cal ne permet pas de rendre compte de cette réalité autrement qu’en accusant
le patient d’une certaine forme de tricherie ; une approche basée sur le modèle
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bio-psycho-social telle que la communication hypnotique permet bien souvent
d’identifier les difficultés rencontrées par l’employé, parfois initialement à son
insu, et de les resituer dans un contexte plus global, incluant à la fois les
aspects professionnels, sociaux, familiaux et personnels du patient. En ce sens,
la communication hypnotique tend à ré-humaniser les liens entre l’employé,
l’employeur et la société en général.
Parfois, l’approche « hypnotique » permet assez simplement d’envisager des
solutions possibles. Ainsi, avec ce salarié convoqué en consultation de rou-
tine au service de Médecine du Travail de l’entreprise, en fin de consultation
« officielle » :

– Bien... Y a-t-il autre chose dont vous souhaiteriez que l’on parle aujourd’hui ?
[Après l’examen clinique et l’anamnèse « standard »]
– Je ne sais pas... J’ai remarqué, depuis quelque temps, j’ai des bourdonnements
d’oreilles quand je suis au travail... Ça m’ennuie de plus en plus...
– Ah bon ? Avez-vous consulté un ORL ?
– Oui... J’en ai parlé avec mon médecin traitant, qui m’a envoyé voir un ORL... J’ai fait
plein d’examens des oreilles... J’ai même passé une IRM... On m’a dit que tout est
normal, il n’y a rien...
– Il n’y a rien...
[Reformulation en écho]
– Non, on n’a rien trouvé !
– OK... Et donc ?
– Ben voilà, j’ai ce bruit dans les oreilles... Je reste avec ça, je ne sais pas quoi faire
mais ça me prend la tête. Ça fait un mois et demi, et ça commence à me fatiguer !
[Le médecin prend note de l’expression « ça me prend la tête », ainsi que de la
durée]
– À quoi cela ressemble-t-il ?
– Un bourdonnement... Assez aigu... Presque un sifflement... Un peu comme un truc
électrique sous tension... Vous voyez ?
– J’essaye d’imaginer... Ça pourrait être quoi, par exemple ?
– Je ne sais pas...
[Laisser réfléchir le patient]
Oui... un appareil électrique branché... qui ne sert pas, comme quand c’est en veille,
Le domaine médical 229

on entend le bourdonnement du transformateur...


Ou comme un moteur bloqué, sous tension...
[Le patient trouve lui-même des représentations métaphoriques de son symp-
tôme. Le médecin prend note de ces représentations]
– Et c’est tout le temps comme ça ?
[Recherche de l’exception]
– Oui... enfin... pas vraiment... J’ai remarqué que ça diminue parfois...
– Ah oui ? Quand par exemple ?
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– C’est surtout en fin de semaine que ça le fait le plus...
– Vous avez remarqué que ça augmente vers la fin de la semaine, c’est ça ?
[Reformulation]
– Oui... En général même, le week-end, ça va mieux...
– Ah... C’est intéressant ça... Qu’est-ce que vous en pensez ?
– Je ne sais pas trop... Je n’avais jamais eu ça, avant.
– Avant...
[Reformulation en écho]
– À mon ancien poste !
– Rappelez-moi, quand avez-vous changé de poste ?
[Aborder la question de la temporalité à un autre moment que le patient]
– Cela fait quatre mois.
– Quatre mois déjà !
[Ratification]
Et comment est-ce que cela se passe ?
– C’était un peu difficile au début, mais je m’y suis fait...
– Et avec vos nouveaux collègues ?
– Plutôt bien, aussi... Il y a juste eu un accrochage avec l’un d’entre eux, une histoire
bête de signature de contrat hors délai, il m’a pris la tête avec ça... je n’ai pas compris
sa réaction !
– Comment cela ?
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

– Et bien oui, il m’a fait porter le chapeau, alors que je n’y suis pour rien. Mais il ne veut
rien savoir... Il ne veut même plus qu’on en parle, pour lui c’est une affaire classée !
– Et pour vous ?
– Moi ça coince... Je sais que je bloque là-dessus, il m’a vraiment déçu...
[Remarquer la notion de « blocage » qui réapparaît, comme dans la métaphore
du symptôme]
– Et c’était quand, tout ça ?
– Ben maintenant qu’on en parle... Ça doit remonter à peu près à ce moment-là... Je
ne m’en suis pas rendu compte tout de suite... C’est au bout de quelques jours, en fait,
que j’ai remarqué les bourdonnements d’oreilles !
Vous croyez qu’il y a un lien, docteur ?
– Je ne sais pas... Qu’est-ce que vous en pensez, vous ?
– C’est vrai que c’est un peu idiot, cette histoire... Surtout, les proportions que ça a pris,
d’emblée... Je pense que je vais revoir ça...
230 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

Comme on le voit ici, c’est le patient qui trouve puis met en place lui-même
sa solution, sans intervention précise ni, surtout interprétation de la part du
médecin. Ce dernier a simplement replacé le patient au centre de sa situation,
pour l’aider à se la ré-approprier. Une écoute attentive, réactive et interactive a
été la clé de la dynamique de cette relation.

B IBLIOGRAPHIE
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Chapitre 13

Spécificités du chronique
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Élise Lelarge, Thierry Servillat

Q UAND LE PROBLÈMEne trouve pas sa solution, butte sur le réel et se met à durer,
il existe un moment où la dynamique change et où les moyens thérapeu-
tiques nécessitent d’autres outils que ceux de l’aigu. Pour le patient, il s’agit
d’entrer dans une démarche, un processus, une philosophie différents. Comme
d’emprunter un escalier qui va permettre, au prix d’efforts certains, de changer
de niveau et d’accéder à de nouvelles ressources permettant d’améliorer sa vie
et sa santé.

S’ INSCRIRE DANS UNE AUTRE TEMPORALITÉ


© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Voir autrement
!

Pour les problèmes chroniques, la durée des symptômes ou leur répétition ont
installé dans le corps des changements durables et une dynamique propre. Le
corps s’est modifié.
Ces changements peuvent :
➙ se voir : modification de la forme du corps, perte de la souplesse et de la
liberté de mouvement ;
➙ ou passer inaperçus au premier regard : modification des récepteurs cérébraux,
du fonctionnement des organes, douleur qui devient une maladie en elle-
même et non plus une simple alarme de danger de lésion.
232 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

Ces modifications corporelles obligent à une autre attente. Elles vont empêcher
la rapidité du changement. La matière, dont est fait le corps, a besoin de temps
pour défaire ce qu’elle a fait ou simplement le modifier pour faire autre chose. La
vitesse de réplication des cellules, la synthèse des protéines, les modifications
des parois cellulaires, la biologie du corps devient l’unité de mesure du temps
dans les possibilités d’adaptation. Il est important ici, donc, de revoir ses objectifs
à la baisse.
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Une situation à laquelle nous nous sommes habitués, voire qui est devenue la
norme, ne va pas se laisser si facilement bouleverser. Il ne s’agit pas seulement
ici d’une croyance. Il est facile de recadrer les croyances, changer l’opinion
des gens sur les choses, et cela rapidement. La croyance est une pensée. Les
pensées sont fluides. Par contre, dans les situations chroniques, c’est la réalité
biologique du corps qui est touchée. Comme si les croyances s’étaient ancrées
dans le corps.
Pour changer cela, être minimaliste dans son intention de changement est pour
le thérapeute une condition indispensable pour se faire accepter par le patient.
Tout objectif qui ne le serait pas sera aussitôt défini comme impossible, même
si, de son côté, le patient exprime souvent des demandes utopiques. C’est au
thérapeute de focaliser le patient sur le réalisme de ce qui est possible.
Décomposer, fragmenter, trouver le premier petit pas qui permettra ceux qui
suivront, le bout du fil de la grosse pelote enchevêtrée. Surtout ne pas tirer, cela
ne ferait que solidifier les nœuds... Patiemment, démêler, expliquer, construire
des étapes, des marches, acceptables. C’est cette acceptation d’une autre tem-
poralité, mais aussi, comme nous le verrons plus loin, de la nécessité d’un
autre type de comportement (monter l’escalier au lieu de rester assis devant le
bureau du médecin) qu’il s’agit d’obtenir. Contrairement à ce qui est souvent dit,
le patient ne refuse généralement pas d’accepter tout cela. Simplement, il ne
sait pas comment faire pour y arriver. Et c’est le rôle du soignant d’aider son
patient, et aussi, souvent, l’entourage (conjoint notamment) à parvenir à cette
acceptation, premier niveau dans la montée de l’escalier.
Des outils philosophiques sur la notion du temps vont aider le thérapeute comme
le patient :
➙ Voir le temps comme s’écoulant irrémédiablement de façon linéaire du passé
vers l’avenir est un élément réducteur et bloquant. Identifier ce qui tient du
Kairos, de l’instant, est plus utile. Peut-on obtenir un petit soulagement, ici
et maintenant, pour commencer ? Utiliser la fugacité de l’instant pour faire
expérimenter autre chose, en toute sécurité, puisque cela ne va pas durer.
Spécificités du chronique 233

➙ Voir le temps comme une boucle qui fait et défait les choses inlassablement.
Éduquer à la biologie du corps qui perpétuellement se refait. Nos cellules ne
sont jamais les mêmes. Il faut trois jours pour refaire entièrement sa paroi
digestive, trois semaines pour la peau. Les os eux-mêmes se renouvellent
perpétuellement, sinon les factures ne pourraient pas guérir. Inscrire le patient
dans ce qui ne se voit pas du corps permet de modifier ses perceptions de la
maladie, toujours dans la lenteur.
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➙ Distordre le temps est le troisième outil indispensable. Apprendre à modifier
son écoulement pour sortir du côté irrémédiable de la situation. Accélérer ou
ralentir, selon les besoins. Le flow, ou « état de fluidité », est ce processus
qui est bien connu des animaux ou des sportifs. Un processus lors duquel le
temps se ralentit pour permettre l’action bonne, au bon moment, s’effectuant
en toute sécurité. Distendre ainsi le temps dans les moments de confort, pour
profiter d’une accalmie, protège le corps de l’habitude du symptôme et lui
permet de commencer à se réparer.

La durée des troubles les connote d’un caractère inexorable. Le patient modifie sa
perception du temps. Il entre dans un espace du « toujours » où le symptôme sera
là, implacable, sans espoir. Cette perte de l’espoir est un facteur d’aggravation.
Le renoncement apporte la dépression. Celle-ci, par l’abandon qu’elle renforce,
entraîne un cercle vicieux qui emprisonne le patient. La pathologie se nourrit
d’elle-même et ne cesse de croître. La créativité est un moteur pour réintroduire
de la souplesse. Construire le temps comme un outil, créer du temps dans le
temps, ouvre des espaces pour de la différence qui réintroduit de l’espoir.
Une approche globale, multi et trans disciplinaire, est indispensable. Savoir que
le changement dans une partie du système provoque des changements dans
d’autres parties de celui-ci, permet de focaliser ses efforts de thérapeute sur
les parties du système qui sont encore capables d’adaptation ou de changement
(Malarewicz).
234 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

Monsieur A.

En pratique, pour illustrer notre propos, considérons le cas de Monsieur A.


Monsieur A, 40 ans, blessé il y a 3 ans suite à un accident de voiture sur le trajet de
son travail. Un autre véhicule lui a brûlé la priorité, engendrant un choc sur son auto-
mobile. Monsieur A. ressent depuis des céphalées et aussi des douleurs diffuses, une
humeur médiocre (mais il refuse le terme de dépression que lui a pourtant prudemment
évoqué son médecin traitant), des troubles sexuels (difficultés d’érection) pour lesquels
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son médecin lui a proposé du Viagra, proposition qu’il a refusée. Monsieur A n’a pas
vraiment repris son travail depuis l’accident, ressentant une recrudescence des douleurs
la veille de chaque tentative de reprise. Le bilan médical n’a retrouvé que des signes
légers d’arthrose cervicale, probablement en rapport avec une pratique intensive du sport
de haut niveau pendant l’adolescence. Les traitements antalgiques sont peu efficaces, et,
pour les plus puissants d’entre eux, génèrent des effets secondaires marqués à type de
somnolence et de constipation l’amenant à prendre des laxatifs de plus en plus irritants.
Récemment, il a accepté de venir consulter dans une Unité d’Évaluation et de Traitement
de la Douleur (UETD). La consultation initiale a consisté en un examen clinique et une
nouvelle analyse du bilan radiologique relativement récent. Ceux-ci n’ont pas mené à
des conclusions vraiment nouvelles par rapport aux démarches médicales précédem-
ment faites. Le médecin algologue, après la tenue du staff multidisciplinaire lors duquel,
notamment, le psychiatre a confirmé l’absence de trouble de l’humeur de type dépression
unipolaire ou bipolaire, a initié le dialogue suivant :

➙ Médecin thérapeute : Bon, alors aujourd’hui j’aimerais que vous me disiez à quoi vous
voulez que j’essaie de vous aider (tentative de travail sur la définition d’un objectif
thérapeutique, avec position basse pour favoriser une coopération)
➙ Patient : Bah, comme je l’ai déjà dit, moi je veux redevenir comme avant l’accident
(demande irréaliste. Négation de l’inexorabilité du temps)... Je n’ai rien à me repro-
cher ! (le patient se protège d’auto-reproches dépressogènes)
➙ MT : Bien sûr que vous n’avez rien à vous reprocher ! (ratification des mécanismes
de protection du patient) Ce n’est pas ça la question (défocalisation)... Ce qui est
par contre embêtant, c’est que moi je ne peux pas vous aider à redevenir comme
avant (mimique d’air « embêté », baisse le regard et légèrement la tête) (position
basse et empathique du thérapeute qui exprime ainsi son refus de prendre un mandat
(utopique)
➙ Silence... (le thérapeute maintient son refus et laisse au patient l’initiative de travailler)
➙ P : Quoi ? Pourquoi dites-vous ça ? (demande d’information, à comprendre comme
« Qu’est-ce qui vous faire dire ça ? »)
➙ MT montrant les paumes de ses mains et serrant ses lèvres pour montrer de l’impuis-
sance : je suis désolé, la médecine a malheureusement ses limites (premier message
informatif. Comme si le médecin incarnait la médecine et exprimait des regrets)... Il y
a des choses qu’elle ne sait pas faire (même message exprimé d’une autre manière)...
Remettre les choses comme elles étaient avant n’est jamais totalement possible. Il y
Spécificités du chronique 235

aura forcément des choses au moins un peu différentes de ce qu’elles étaient avant
(affirmation du caractère irréversible des changements)... Je ne peux vraiment pas
m’engager à ce que tout soit pareil qu’avant pour vous (réitération douce du refus du
mandat)...
➙ P (en colère) : Que me racontez-vous ? C’est inacceptable ! Je n’ai rien demandé à
personne pour avoir mon accident ! Je suis quand même un être humain ! Vous ne
pouvez pas me laisser souffrir comme ça ! (expression de la colère, émotion fréquente
dans les situations chroniques et qui doit être calmement accueillie par le soignant)
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➙ MT : Bien sûr que oui (accueil calme de la colère), nous sommes prêts à vous aider (le
soignant se redit disponible – implicitement pour un autre type de travail). Ce que je
suis juste à vous expliquer est que nous ne pouvons pas faire en sorte que vous puissiez
tout refaire comme avant dans votre vie (troisième répétition du message sur l’irréver-
sibilité du temps), et en tout cas pas tout de suite (introduction de la notion de travail
à plus long terme – prescription de temps), même si je sais que cela fait déjà 3 ans
que ça dure pour vous (nouvelle manifestation d’empathie et de professionnalisme)...
Mais justement, pour que ça avance, il faut que nous puissions travailler ensemble
sur une première avancée qui soit réaliste ! (première explicitation et proposition d’un
nouveau processus d’aide basée sur la coopération médecin-patient)
➙ P : Ah... Bon... Oui, je comprends... Au moins vous, vous êtes honnête... (première
étape d’acceptation, autorecadrage par le patient)
➙ MT : Oui Monsieur, c’est vrai, ici nous essayons de l’être... (maintien d’une position
basse et humaine, préservant la place pour un rôle actif du patient dans son soin)

A CCOMPAGNER LES CHANGEMENTS IDENTITAIRES

Comprendre pour expliquer


!
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Après ces premières considérations, examinons une dimension fréquemment,


bien que, heureusement pas toujours, présente dans la chronicisation.
Paradoxalement, il ne suffit pas qu’un problème soit ancien pour être un problème
chronique. Il existe en effet des situations anciennes, et même très anciennes,
où c’est toujours la dynamique de l’aigu qui s’applique. Les modifications iden-
titaires, quand le symptôme est devenu partie prenante de l’individu, sont
sûrement les signes d’une installation dans un processus « chronique ». Quand
le patient se présente socialement par sa maladie (« Je suis malade »), dans
le sens « d’être » la maladie, la thérapie, comme tous les types de traitement
d’ailleurs, vient menacer l’identité de la personne.
La situation est paradoxale en elle-même, car le patient vient pour supprimer
les symptômes qui sont devenus une partie de lui, dont il ne peut donc, si
236 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

facilement, se défaire. Ce double niveau de la demande doit être bien identifié,


et utilisé pour permettre des changements qui seront, nous l’avons vu, d’abord
minimes.
C’est la raison pour laquelle il est plus facile et plus rapide d’observer des
changements chez les enfants par rapport aux adultes. Ces premiers n’ont pas
encore construit leur identité. Ils sont plus souples et plus adaptables. Ils sont
en recherche d’améliorations constantes, et saisissent la moindre opportunité
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pour grandir.
Quand les symptômes sont devenus une partie de nous-mêmes, les choses sont
toutes autres. Si l’amélioration m’oblige à reprendre un travail que je n’aime plus,
menace ma sécurité financière (prime d’assurance) ou déséquilibre les relations
avec mon entourage, j’ai des motifs bien valables de ne pas changer. Quelle
posture thérapeutique adopter pour décrypter les interactions du patient avec la
maladie et son contexte, et pour observer dans quels domaines les modifications
vont pouvoir se produire ? Car, même si la situation pathologique apporte du
confort à un certain niveau, à un autre niveau, comme dans toute situation
paradoxale, la souffrance est réelle et la demande d’aide valable.
Expliquer au patient ces contradictions ou paradoxes est d’une grande importance
pour aider celui-ci à faire les choix qui vont lui convenir. Le faire en arguant
de sa nécessaire sécurité, matérielle et psychique : cela lui montrera que le
soignant est un vrai professionnel qui prend en compte tous les besoins, et pas
seulement la demande littérale.
Si le fonctionnement psychique du patient et/ou de son entourage l’exige, l’uti-
lisation des stéréotypes et la provocation bienveillantes (« Ah ces douloureux
chroniques, ils sont tous pareils ! Ils ne veulent plus avoir mal mais ils ne s’oc-
cupent pas de leur sécurité ! ») sont souvent indispensables pour enclencher
des leviers qui vont permettre des changements identitaires. Trouver la manière
adéquate pour nommer le paradoxe, pour aider le patient à en sortir. Choisir, dans
l’ensemble de la situation, les composantes qui sont utiles pour les conserver.
Délimiter les zones où le changement, aussi petit soit-il, est possible. Découvrir
les objectifs valables, cachés, de la situation. Démêler ce qui tient des objectifs
de ce qui tient des moyens. Construire d’autres moyens pour obtenir ces mêmes
objectifs. Hiérarchiser ce qui est négociable et ce qui ne l’est pas. Respecter ce
qui ne l’est pas.
Spécificités du chronique 237

Élargir notre vision


!

Si la philosophie est un outil précieux dans les soins, elle devient indispensable
dans le traitement les situations chroniques. Nos chances de succès thérapeu-
tiques augmentent si nous nous considérons que nous soignons des sujets, et
non plus des maladies. Ces sujets ont une vie à part entière, un contexte, une
famille, des relations... Tenir compte de l’ensemble du sujet et de sa vie, des
relations dans le système, et de l’identité du sujet, la façon dont il se définit
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lui-même, celle dont les autres le définissent. Et s’il veut changer, le « contexte »
est-il d’accord ?
Bateson l’anthropologue nous invite, dès 1950, à prendre en compte le sujet
dans son environnement, dans ses relations avec le contexte. Toute tentative
d’étudier quelque chose ou quelqu’un sans tenir compte de ses relations à l’envi-
ronnement ne peut conduire qu’au désastre, dit-il. Reprendre les mots du patient,
les répéter, permet souvent qu’ils prennent leur juste sens, que le patient les
entende. Est-ce qu’il utilise les bons mots ? Est-ce bien cela qu’il veut dire ?
Répéter certains mots, en changer d’autres, choisir des mots qui ouvrent une
nouvelle signification sur le monde, qui écrivent une nouvelle histoire. Cette
nouvelle histoire dans laquelle le patient sera plus à l’aise, l’identité pourra être
plus confortable, retrouver de la souplesse, se redéployer ailleurs que dans et
toujours la maladie.

Retrouvons notre patient et son algologue :

➙ MT : Alors, quel serait le plus petit changement qui pourrait déjà vous intéresser ?
➙ P : Bah, déjà ma femme, ça lui ferait quelque chose si je pouvais recommencer à
jardiner un peu pour lui faire pousser quelques fleurs...
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➙ Et vous est-ce que cela vous ferait aussi quelque chose ?


➙ Bah oui, bien sûr, (gêné), je redeviendrai un peu un homme qui honore sa femme...

A CCOMPAGNER LES ADAPTATIONS LIMITANTES

Un travail de patience
!

Dans ce redéploiement de la vie, il y a des séquelles, des zones interdites ou


impossibles. Un trouble est venu qui a limité la vie et ses possibilités. Ces
limitations sont plus importantes que ce qui était normalement attendu par
l’individu dans l’évolution prévue de sa vie. Soit elles réduisent et limitent les
238 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

possibles imaginés, en freinant la vie à un moment de croissance. Soit elles


restreignent une liberté qui avait été acquise et qui est alors perdue. L’espoir de
retrouver ce qui a été imaginé ou ce qui avait été acquis, est – nous l’avons vu
dans notre cas clinique – tenace, et les patients ne renoncent pas si facilement
à leurs projets.
Plus l’écart entre ce qui est espéré par le sujet et ce qui est possible dans la
réalité devenue réduite est grand, plus la souffrance est importante. C’est donc
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ici l’espoir et l’imagination qui font souffrir, éventuellement la comparaison avec
l’autre. « Je veux redevenir comme avant » est la phrase la plus entendue dans
ces situations. Elle énonce en elle-même son impossibilité. Encore un (mauvais)
tour joué par le temps. Le temps qui passe, Chronos, le passé qui ne sera jamais
plus.
La nature même de la vie rend impossible de retrouver ce qui est passé. Et
pourtant l’imagination, elle, le peut. Via le souvenir.
Nous sommes bien dans une adaptation, un deuil. Le deuil de ce qui ne sera
jamais, ou de ce qui a été et ne sera plus. Le paraplégique qui veut marcher sur
ses jambes est fortement limité. Celui qui prend un fauteuil roulant et apprend,
au prix d’un long effort, à s’en servir, redevient autonome. Nous ne disons pas,
bien sûr, que c’est pareil. Mais c’est ce qui est maintenant possible.
Sans négociation, rien n’est, par contre, possible. C’est le temps qui permet
au travail intérieur de se faire. Le temps, et un accompagnement sur le bon
chemin. Accompagner le patient sur les méandres du chemin, la colère, d’abord
et souvent, les déceptions, les surprises, le renoncement pour observer, parfois,
pas toujours, de petites modifications qui feront bientôt des différences.
Ailleurs, pas là où on les attendait ni les espérait.
Beaucoup de patients, dans les maladies chroniques, expliquent que la thérapie
n’a pas apporté d’amélioration directement sur les symptômes. Par contre, le
sommeil s’est reconstruit, l’angoisse est moindre, l’humeur plus gaie, les relations
avec l’entourage de plus en plus agréables... Autant de points qui permettent
parfois au patient, un à deux ans après, de dire que les symptômes sont finale-
ment moins gênants, voire pas gênants car intégrés à sa nouvelle posture dans
la vie.
Sur ce chemin-là, le thérapeute rencontre la colère du patient. Une colère justi-
fiée, liée à de l’injustice. La dépression, en tous cas la tristesse, est aussi une
rencontre à laquelle il doit s’attendre. Ces émotions sont normales compte tenu
du contexte, et représentent des étapes à franchir.
Spécificités du chronique 239

Souvent, la question, justifiée, de la vengeance ou de la mort est abordée. Parfois


de façon tranquille, quelquefois de façon plus violente. Là encore, le thérapeute
doit se préparer à ces conversations sur le sens de la vie, sa qualité, sa valeur,
son prix.
Être capable de sortir de toute position moralisatrice est indispensable pour
accueillir les réflexions du patient, quel qu’elles soient. Il ne s’agit ni de lui
donner raison, ni de lui donner tort : juste de l’écouter. Accueillir et discuter,
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sans tabou, de tout ce que le patient juge utile de dire à propos de ce qui se
passe dans sa vie.
Se donner du temps pour ce type d’entretien, dont la tension émotionnelle est
souvent intense.
Renoncer à apaiser, et laisser se déployer les émotions, les accompagner dans
leur ascension (sans les aggraver non plus) et, secondairement, observer leur
apaisement naturel dans un processus corporel de digestion.
Autoriser le patient à vivre dans son corps ce qu’il pense, sans oser parfois s’avouer
à lui-même ses propres idées. Lui permettre de vivre, simplement comme le dit
Jollien, la souffrance qu’il a à vivre. Les petits enfants savent faire cela. Quand ils
sont tristes, ils sont entièrement tristes. Ils sont tristes à fond. Et la souffrance
s’en va.
Être là, comme le conseille Roustang, juste là pour quelqu’un, est devenu si rare
dans notre société d’aujourd’hui. Être là et attendre, observer, le patient et aussi
nous-mêmes. Tenir, sans rien faire, jusqu’à ce que quelque chose se passe et qui
va pouvoir être utile à dépasser une situation paraissant perdue et sans issue.
Nous sommes tellement formés à faire et à agir. Nous devons apprendre à « faire
rien ».
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L’entourage, qui souffre souvent tout autant que le patient, a parfois plus besoin
d’aide lui aussi. De la même façon, il doit faire des deuils et s’adapter aux
nouvelles conditions de la vie. Parfois, il choisit de partir. Il a besoin de la même
façon d’être accueilli dans ses choix et ses besoins, respecté, quelles que soient
ses décisions.
240 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

Inclure le contexte
!

Suite de notre vignette

À la consultation suivante.
MT : Alors, qu’est ce qui va mieux (ton un peu enjoué)... ou qu’est-ce qui va moins bien
(ton plus calme, tonalité de voix plus basse) depuis notre dernière rencontre ?
P : Ah docteur écoutez, ça n’a pas été vraiment pas facile...
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MT : Ah bon ?
P : Oui, figurez-vous que mon couple est au bord de l’explosion...
MT : Vous voulez m’en dire plus ?
P : Bien sûr, je viens pour ça (voix claire, affirmée) ! Figurez-vous, avec les médicaments
et aussi, il faut bien le dire, la sorte d’électrochoc que vous m’avez fait la dernière fois...
MT : (l’air étonné puis protestant) Moi, un électrochoc la dernière fois ?
P : Oh bien sûr, vous le savez bien, en me disant que je ne pourrais pas être comme
avant... Allez, laissez-moi terminer s’il vous plaît. Donc quelques jours après la consulta-
tion, alors que je m’étais remis à arroser un peu le jardin, j’ai pu – je crois que je vous
en avais parlé – cueillir de quoi offrir un – petit bien sûr mais quand même – un bouquet
pour l’offrir à ma femme.
MT Oui, et alors, ça lui a déplu ?
P : Que non ! Bien au contraire ! C’est comme si son cœur avait fondu, et nous nous
sommes embrassés de nouveau, comme nous ne l’avions pas fait depuis des années.
MT : Oui, et alors que s’est-il passé pour que vous soyez dans un tel état ?
P : Eh bien docteur tout d’un coup ma vue s’est brouillée, ma tête s’est mise à tourner,
et j’ai même revu l’image de l’accident, une fraction de seconde, et j’ai dû m’assoir car
sinon je crois que j’allais faire connaissance.
MT : Et alors ?
P : Ma femme était furieuse... En fait je crois qu’elle était déçue...
MT : De quoi ?
P : Et bien, je ne vais pas vous faire un dessin...
MT : Je comprends, bien sûr... Et j’en suis désolé... Pourtant vous aviez réussi des choses
vraiment positives. Mais, oui, j’aurais dû vous dire de ne pas aller trop vite... Y’aurait-il
moyen que vous veniez avec votre épouse la prochaine fois. Je crois qu’il faut que je lui
donne un peu d’informations sur ce que nous faisons, ne croyez-vous pas ?
P : Oui docteur, oh oui... Ma femme ne va pas bien, elle a besoin d’aide...
MT : Oui, elle a aussi besoin d’aide. Et il faut aussi que je lui explique le temps que notre
travail va prendre, et les différentes étapes que nous allons faire ensemble.
Spécificités du chronique 241

A CCEPTER LE NON - CHANGEMENT

Le paradoxal comme une norme


!

Parfois, rien ne change. Le soignant peut facilement s’en sentir frustré, ou


coupable, ou même déprimé. Il a donc à se protéger de ce vécu d’échec qui peut
miner sa santé mentale, voir physique. Comment peut-il faire ?
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« Les patients ont le droit de venir pour ne pas changer » dit Roustang. Comment
le thérapeute, spécialiste du changement, peut-il accepter cela ? Quel travail
intérieur cela suppose-t-il ?
Être suffisamment ouvert et disponible aux besoins du patient, loin d’un juge-
ment hâtif du thérapeute présupposant ce qui serait bien à la place du sujet.
Pour que même ce besoin-là, celui de ne pas trop changer, voire de ne rien
changer, en apparence paradoxal, puisse être accueilli comme tel ?
Paradoxal en apparence seulement. Car « [...] ne pas vouloir changer est, para-
doxalement, ce qui m’a le plus aidé à changer », nous dit Alexandre Jollien. À
ce moment où le patient renonce, dans ses pensées, dans son corps, dans tout
son être, il peut naître alors, parfois, un réaménagement à un autre niveau, qui
procure ce qui a longtemps été cherché ailleurs, activement et sans succès.
Car le patient chronique a généralement un équilibre. Celui-ci est précaire, vécu
comme fragile et aussi précieux. Il a souvent été obtenu de haute lutte, par
des victoires sur le découragement, la peur, la douleur... Et faire face à ce type
de demande souvent vécue comme ambiguë, double (« changez-moi mais ne
changez rien » est une étape complexe pour le praticien n’ayant appris que le
travail thérapeutique classique.
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C’est peut-être une des étapes les plus complexes à transmettre. Sans en avoir soi-
même fait préalablement l’expérience, comment se rassurer suffisamment pour
entrer dans cette expérience de l’attente, du non changement, du renoncement
à ce que l’on désire ?
Un travail de deuil nécessaire, parfois indispensable, pour accéder à un autre
niveau de solution dans une situation chronique. L’idée même de la chronicité,
de la durée du problème, sous-entend la présence d’une limite au déploiement
de la vie. La vie qui a changé de façon durable, définitive, et qui nécessite
une refondation des repères et des croyances antérieures qui ont perdu leur
sens1 . Cela équivaut à un changement de pays, de culture, de langue. Quelque

1. Ce que nous avons appelé « prendre l’escalier ».


242 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

chose a été perdu qui ne reviendra pas. C’est là que le non-changement prend sa
place. Un non-changement nécessaire à l’adaptation aux nouvelles conditions
de l’existence. Un non changement qui est une posture pour changer.
Comment comprendre cela ? Il est utile de faire un travail sur la volonté. Il faut
accepter que la volonté et le changement n’ont rien à voir, et que dans cette
situation, vouloir changer est sûrement ce qui empêche le plus de changer.
Si la volonté suffisait et qu’il fallait juste souhaiter, désirer, pour que cela
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survienne, la situation clinique ne serait pas chronique. De la même façon, les
efforts ne sont pas suffisants. Les efforts, les patients à cette étape-là de la
maladie en ont déjà fait beaucoup, et sont parfois épuisés de leurs efforts qui
sont inefficaces. Il faut donc sortir de cet adage populaire « Quand tu veux tu
peux ». Car, justement, la maladie est là pour dire et redire : « Même si tu veux,
tu ne peux pas ».
Le système est par définition complexe. Et, dans les systèmes complexes, la
logique est circulaire et paradoxale, et non plus linéaire comme dans les systèmes
simples. Dans un système complexe, il est logique de ne rien faire, d’attendre,
d’observer. Prenons l’exemple d’un mobile suspendu, qui est aussi un système
complexe : ne rien faire est la meilleure façon que le mobile se stabilise. Toute
action, effort ou volonté, n’a pour effet que de déstabiliser encore plus l’équilibre
fragile du mobile.
Le thérapeute doit donc travailler avec cette connaissance et cette posture,
faisant sienne la complexité de la situation, et acceptant le paradoxal comme
étant la norme. Il doit être à l’aise dans ces phénomènes qui sont peu enseignés
dans une médecine qui s’intéresse plus à l’aigu et aux solutions linéaires et
rapides.

Accepter les non-dits


!

MT : Bonjour ! Vous n’êtes pas venu avec votre femme ?


P : Hein ? Oh non ! Elle n’a pas voulu ! Elle m’a dit que ce n’est pas elle qui était malade !
MT : Oui, bien sûr, c’est évident ! Personne ici ne le conteste !
P : Oui docteur mais c’est plus que ça ! Ça l’a mis très en colère que je lui parle de venir !
MT : Oh, dites-lui s’il vous plaît que ce n’était pas mon intention, que je suis désolé.
P : OK je lui dirai... Mais en fait je crois qu’elle a peur...
MT : Peur de quoi d’après vous ?
P : Je ne sais pas. Il y a quelque chose que je n’ai jamais compris chez elle... Mais je n’ai
pas envie d’en parler...
Spécificités du chronique 243

J USQU ’ OÙ ESPÉRER LE THÉRAPEUTIQUE ?

Confort de la position basse


!

« Thérapeutique : partie de la médecine qui s’occupe des moyens propres à guérir


ou soulager les maladies » nous dit le Larousse1 . Et voilà que l’on se rend compte
que les médecins, souvent, trop souvent, se sont focalisés uniquement sur la
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première partie de la phrase : guérir.
Il est clair que nous, médecins, n’avons pas fait 10 ans d’étude pour soulager,
mais bien pour guérir. Nous sommes élevés, formatés, préparés pour GUÉRIR.
Quelle déception lorsque l’on passe de la théorie des études médicales à la
pratique, au terrain. Là, bien au contraire, c’est le simple soulagement, qui fait
référence à l’allègement et la diminution des symptômes, plus souvent qu’à leur
disparition, qui domine. Et le nombre de cas où même ce soulagement n’est pas
possible, confronte le (jeune ?) médecin à son impuissance et son échec.
Nous oublions trop souvent que nous avons obligation de moyens thérapeutiques
et non de résultat. Car nous sommes formés pour du résultat, pour guérir. C’est
la vie même qui est en cause et les maladies. La médecine est toute jeune et
encore bien incompétente. Des « miracles » bien sûr existent, et des vies sont
sauvées de façon spectaculaire. Ces situations dominent la scène médiatique et
participent à véhiculer cette idée de guérison, de résultat.
De leur côté, les patients ont, bien sûr, la même attente miraculeuse d’une
guérison, même si cela dure depuis plusieurs années. Si cela a été possible pour
telle personne, pourquoi ne peut-on rien faire pour moi ? De leur côté, c’est plus
acceptable, il n’existe pas de formation pour être patient2 ... Cet espoir est lié à
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

la vie même, car si l’espoir s’arrête, à quoi bon la vie ?


Les maladies, les accidents, le handicap sont autant de parties de la vie qui sont
livrées avec le reste, avec la mort aussi. Là encore, une réflexion philosophique
est indispensable pour soigner le sujet, devenir capable d’accompagner le patient
dans ce qu’est devenue sa vie.
Cynthia Fleury dans Les Irremplaçables, consacre tout un chapitre sur le deuil.
Elle explique comment seule, une construction herméneutique, littéraire, du réel
peut être efficace.

1. http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/th%C3%A9rapeutique/77749 2016.
2. Sauf, depuis peu, les cours de philosophie dispensés dans le cadre de la chaire tenue par
Cynthia Fleury à l’Assistance Publique/Hôpitaux de Paris (cf. plus loin).
244 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

Le deuil est un processus créatif et imaginaire. Le travail intérieur du thérapeute


est nécessaire pour qu’il revoie ses propres objectifs à la baisse, qu’il sorte de
l’idée reçue que les médecins sont là pour guérir.
La plupart des autres professionnels de santé, lors de leurs formations respectives,
sont beaucoup mieux préparés à accompagner ce qui se passe dans la vie des
sujets. Et même, au risque de paraître un peu provocants, nous ajouterons que
moins leurs études ont été longues, mieux les soignants y sont préparés. Ils sont
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alors plus proches du bon sens de la nature même de la vie, et mieux préparés à
ses difficultés réelles. Ils n’ont pas été formatés dans une toute puissance de la
guérison.
La position naturellement basse de certains soignants est un atout thérapeutique
majeur dans ces situations. Et la position haute est un handicap. Si je pense que
ne pas réussir à guérir mon patient est un échec personnel, comment puis-je
l’aider ?

Alterner les positions


!

Il existe bien deux postures :


➙ celle de l’aigu, du Samu ou des urgences, où la position haute, l’action, la
rapidité sont indispensables. C’est le soignant qui sait, qui décide et qui fait
en se passant de l’avis du patient ;
➙ sorti de ces situations, il devient utile de savoir se mettre de plus en plus en
position basse à mesure que la maladie n’a pas de solution simple et que la
situation ne trouve pas de solution rapide et définitive. Le patient lui, par
effet rebond, doit se mettre en position de plus en plus haute, et apprendre à
discerner pour lui-même ce qui est bon de ce qui ne l’est pas. Ce changement
de posture est progressif. Il nécessite un apprentissage et une autorisation à
penser et faire pour lui-même. Le patient doit être encouragé.
Souvent celui-ci change d’équipe, car ce ne sont pas les mêmes soignants qui
s’occupent de l’aigu et du chronique. Le changement de posture est trop fonda-
mental pour permettre à une même personne de travailler en même temps dans
les deux situations cliniques opposées.
Si l’on prend l’exemple de la douleur, comme nous avons choisi de le faire dans
ce chapitre, un cas extrême est le patient endormi au bloc opératoire, en train
d’être opéré (situation aiguë, position haute du médecin), et l’autre situation
est le patient à qui l’on donne une ordonnance avec la consigne d’expérimenter
lui-même ses médicaments (dans des bornes définies par le médecin en position
basse, situation chronique) pour devenir capable de dire ce qui l’aide le plus et
à quelle dose.
Spécificités du chronique 245

Le thérapeute doit s’entraîner, s’exercer au deuil de ce pour quoi il s’est lancé dans
des études médicales, et c’est très rarement pour accompagner les gens dans leur
souffrance et la mort... La position très basse, renoncer à savoir, être à l’aise dans la
confusion et le flou, les limites de la science, accepter que chaque cas soit unique, et
que ce qui marche pour l’un rate pour l’autre est utile. Cela s’apprend.

B IBLIOGRAPHIE
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BATESON N. (2011), An ecology of Mind, A Daugh- MALAREWICZ J.A. (2006), Quatorze leçons de thé-
ter’s Portrait of Gregory Bateson, DVD, Bullfrog rapie stratégique, ESF, Paris.
Film.
ROUSTANG F. (2000), La fin de la plainte, Odile
FLEURY C. (2015), Les irremplaçables, Gallimard, Jacob, Paris.
Paris.
JOLLIEN A. ( 2012 ), Petit traité de l’abandon,
Pensées pour accueillir la vie telle qu’elle se
propose, Seuil, Paris.
Chapitre 14

Spécificités de la pédiatrie
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Bernadette Audrain-Servillat

L présente de nombreuses particularités dont certains


E TRAVAIL AVEC L’ENFANT
d’entre elles ne sont que relatives. Néanmoins, dans ce contexte, le soi-
gnant doit pouvoir être à l’aise avec bon nombres d’outils. Il n’en est que
plus vrai lorsqu’il est nécessaire de prendre aussi en charge les besoins de son
environnement.

E NGAGEMENT DU THÉRAPEUTE

Pouvoir entrer dans le monde de l’enfant


!

Le travail avec l’enfant implique un engagement réel du thérapeute. Sa capacité


à entrer en contact avec le monde de l’enfant, parler son langage, jouer, dessiner,
va aller puiser dans deux sortes d’expériences :
➙ celles que les thérapeutes ont acquises en tant qu’adultes ;
➙ et celles peut-être plus éloignées, qui viennent de leur propre enfance.
Le monde de l’imaginaire est un univers qui est naturel à l’enfant. Ils vivent
dans « l’ici et maintenant » et sont intimement connectés à leurs expériences
sensorielles du moment. Il suffit de les regarder jouer pour s’en convaincre. Les
enfants répondent à un grand nombre de types d’approches, pour autant que le
thérapeute en ait la maîtrise et qu’il soit en mesure de créer un espace sécurisant
pour l’enfant, espace dans lequel des liens de coopération vont pouvoir se créer.
Spécificités de la pédiatrie 247

Le thérapeute raconte des histoires, manipule des marionnettes, utilise la terre


ou la pâte à modeler. Il va se servir des grandes compétences de l’enfant à
se dissocier, à se laisser absorber par le jeu, de telle sorte que de manière
« métaphorique » lui soient suggérées des histoires qui lui font du bien.
Une connaissance des différentes étapes du développement de l’enfant est néces-
saire pour affiner le travail thérapeutique (Olness et Kohen, 2009). Cela implique
une grande souplesse de la part du thérapeute qui va adapter ses interventions
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en tenant compte de l’âge de ses jeunes patients. Le langage d’un enfant de
quatre ans n’est pas le même que celui d’un enfant de douze ans par exemple.
Tout comme sont différents ses jeux, ses préoccupations, ses attitudes face à
un problème. Pour communiquer de manière efficace avec un enfant, il peut
être utile de s’asseoir et jouer avec lui sur un tapis, pertinent de s’informer sur
l’actualité de leur lecture ou de leurs jeux. Il ne s’agit pas, bien évidemment,
de les singer à tout prix ni de vouloir faire « jeune », mais de trouver les mots,
la posture suffisamment ajustés qui vont permettre une communication de bon
niveau.
Apprendre le langage de l’enfant et construire un cadre sécurisant peut s’effectuer
par l’observation et la répétition des mots que l’enfant utilise. Parler son langage
augmente grandement l’alliance que le thérapeute peut avoir avec son jeune
patient. S’exprimer avec des mots que l’enfant peut comprendre paraît tomber
sous le sens, mais cela nécessite un constant investissement du professionnel qui
reçoit l’enfant. Chaque patient est unique ; il peut être très jeune et utiliser un
langage varié et riche, tout comme il peut être plus âgé et s’exprimer avec un
langage plus simple. Pour mieux communiquer il paraît nécessaire avant tout de
bien observer les enfants. Le thérapeute a ainsi sans cesse à s’adapter, s’ajuster.
La communication passe aussi par l’inflexion ou le changement de tonalité de la
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

voix, et aussi en exprimant sur un mode descriptif ce qui se passe pour l’enfant,
que cela soit du point de vue de ses comportements aussi bien que de ce qu’il
ressent. Sans ces précautions de base, la communication risque fort ne pas être
congruente.

Coline, 8 ans, est venue au rendez-vous accompagnée par sa maman. Elle était peu
désireuse de venir. Ce qui a motivé sa venue est une grande difficulté à se séparer de
ses parents le matin pour aller à l’école, mais aussi à d’autres moments comme celui
d’aller à un goûter d’anniversaire ou dormir chez ses grands-parents. Le thérapeute
s’informe sur ce qui se passe au moment de la séparation et « comment » cela se passe.
Coline décrit un mal de ventre, une envie de vomir. Elle raconte comment concrètement
elle « s’accroche » à sa maman, en s’agrippant à sa taille. Son récit se poursuit en disant
248 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

qu’elle voudrait repartir en courant dans la voiture, qu’elle se sent triste et en même
temps en colère parce que personne ne la comprend.

Timotée, 12 ans, lorsque le thérapeute s’informe sur ce qui l’amène et l’encourage à


raconter concrètement « ce qui l’embête », décrit son problème de cette manière :
« Je n’arrive pas à me faire des copains, je reste seul sur la cour en lisant dans un coin et
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personne ne vient me parler. » « Que ressens-tu dans cette situation ? » « Je me sens nul,
je me dis que je dois avoir un truc qui fait fuir. Et là, j’ai carrément envie de pleurer. »

Être créatif pour être pertinent


!

S’intéresser à la description que les enfants font de leurs problèmes va aider le


thérapeute à affiner ses interventions d’une façon qui ait du sens pour l’enfant.
Tout comme il est également important de parler avec l’enfant de ce dont il
est fier, de ses expériences positives, car lorsqu’il vient voir un thérapeute, il
est (et plus encore sa famille) bien souvent focalisé sur le problème. Or les
expériences positives de l’enfant qui vient consulter sont une bonne base pour de
futures interventions, un très bon terreau dans lequel vont pouvoir être semées,
construites, des histoires thérapeutiques. En outre, s’informer sur ce que l’enfant
réussit le mieux à faire dans sa vie permet au psychothérapeute de faire passer
le message que ce qui l’intéresse en tant que professionnel ne se limite pas au
problème pour lequel l’enfant est amené à consulter. L’intéressent bien davantage
encore, les ressources, les compétences que l’enfant possède en lui-même, et
dont il peut se sentir fier. Il peut être très utile, par exemple, de savoir qu’une
enfant souffrant d’un trouble de l’apprentissage à l’école fait depuis peu du
vélo sans roulettes, ou que cet autre enfant qui est mis à mal par ses peurs a
gagné récemment une compétition sportive. Cela apporte de l’information utile.
Par ailleurs, en questionnant l’enfant sur ses réussites, de manière indirecte,
le thérapeute suggère que le problème n’est pas toujours présent, qu’il ne se
manifeste pas forcément tous les jours ou avec la même intensité. Un problème
ne peut pas définir un enfant (ni un adulte) en tant que personne. L’être humain
est bien plus riche que ce que la description du problème peut raconter de lui.
Le travail avec les enfants mobilise fortement la créativité du thérapeute. Une
manière pour lui de la mobiliser est de faire appel à son propre « enfant inté-
rieur » pour rejoindre les petits patients là où ils sont, les rejoindre dans leurs
jeux. Il semble difficile de recevoir des enfants si l’on n’accède pas soi-même
Spécificités de la pédiatrie 249

à l’enfant qui est en nous. Jouer ensemble amène à recueillir beaucoup d’in-
formations. D’un point de vue systémique, par exemple, il est très intéressant
d’observer ce qui se dit ou se fait autour d’une maison de poupée, de voir
comment l’enfant construit les interactions entre les personnages qui l’habitent.
Jouer nécessite qu’un espace soit disponible pour cela. Nous verrons plus loin
différentes possibilités pour créer cet espace.
L’effet de surprise ou l’humour sont bien souvent thérapeutiques. Rien n’est plus
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inintéressant et pénible pour un enfant qu’un thérapeute prévisible. Il saura le
débusquer rapidement et sûrement, et n’aura aucune difficulté à le mettre à mal
lors d’un entretien. Aussi, une dimension importante du travail consiste-t-elle à
proposer aux enfants des découvertes, une manière de parler des soucis qui soit
différente de ce qui en est dit tous les jours à la maison ou à l’école. L’enfant
ainsi en éveil est souvent prêt à faire de nouveaux apprentissages.
Dans le travail avec les enfants, comme pour celui avec les adultes, il est
important de s’assurer que les problèmes médicaux ont été pris en charge et
diagnostiqués. L’énurésie peut en effet masquer des fuites urinaires présentes
également dans la journée, en lien avec une malformation ou une infection
urinaire. De même, la rétention de selles peut être due à un problème médical de
constipation réflexe sur des douleurs de fissures ou d’hémorroïdes. Les problèmes
d’audition entrent aussi en ligne de compte dans les troubles de comportement.

L ES MÉTAPHORES THÉRAPEUTIQUES

Des approches anciennes et puissantes


!
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S’il est un outil extraordinaire que l’on peut privilégier dans le travail avec les
enfants, ce sont les images métaphoriques. L’utilisation des métaphores pour
décrire un problème, par exemple, permet une mise à distance de celui-ci, ou
suggère une autre manière de l’observer. Certains problèmes, comme l’énurésie
ou l’encoprésie, sont parfois difficiles à aborder avec certains petits patients :
➙ soit parce qu’ils en ont honte ;
➙ soit parce qu’ils en ont assez de voir que le problème est au centre de l’atten-
tion des adultes ;
➙ soit parfois parce qu’ils ne voient pas trop où est le problème.
Il peut être alors judicieux de parler de celui-ci d’une tout autre manière : « Ton
problème c’est comme quoi ? » Le renommer, lui donner un nom qui dit bien en
250 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

quoi ce problème est pénible (si c’est le cas), permet de parler des difficultés de
l’enfant d’une manière indirecte.
Si l’utilisation des métaphores est pertinente pour renommer un problème, pour
le recadrer, elle permet avant tout au thérapeute d’emprunter des véhicules
métaphoriques pour faire passer des messages. On appelle véhicules métapho-
riques, les contes, les histoires, les anecdotes, la musique... que les thérapeutes
racontent ou font entendre à leurs patients (petits ou grands).
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Comment cela fonctionne-t-il ?
Raconter des histoires est vieux comme le monde ; on retrouve l’usage des contes,
des allégories dans toutes les civilisations. La métaphore est une figure de style ;
c’est une évocation comparative mais qui n’impose pas la déduction.
« La métaphore est un aspect du langage, symbolique, qui fait comprendre une
idée de façon indirecte et qui paradoxalement en renforce le sens ... car elle va
droit au but mais d’une manière détournée. » (Joyce C. Mills)
L’utilisation des métaphores permet de redéfinir un problème. Les images, les
histoires métaphoriques invitent les enfants à réfléchir en proposant sans impo-
ser des alternatives, des idées. Raconter des histoires qui ne font directement
pas référence au problème des patients diminue leurs résistances et augmente
leurs choix.
Bon nombre d’ouvrages ont été écrits sur la question, mais on peut en substance
retenir quelques idées forces :
➙ les métaphores s’adressent à l’imaginaire et non à la logique de la personne à
qui l’histoire est racontée ;
➙ elles s’inscrivent dans le champ de la communication analogique ;
➙ lorsque le thérapeute crée ses propres histoires métaphoriques, il va faire en
sorte d’adapter le contenu de l’histoire à chaque problème de chaque patient ;
➙ dans ces histoires apparaissent des personnages ressources, qui aident à la
construction de solutions possibles ;
➙ le thérapeute ne dit pas pourquoi il raconte l’histoire, ni quel message il veut
faire passer; tout l’intérêt de raconter la métaphore repose sur le fait d’inviter
le patient à y trouver le sens qui lui convient. Une métaphore gardera tout
son impact si elle n’est pas expliquée.
Différentes formes de métaphores peuvent être envisagées :
➙ elles peuvent être sans rapport apparent avec le problème du patient ou faire
référence plus explicitement au problème ;
➙ elles peuvent être sans fin ;
Spécificités de la pédiatrie 251

➙ ou agies : c’est-à-dire mettant physiquement à contribution les patients ;


➙ elles sont parfois imbriquées (une deuxième histoire incluse dans la première
et aussi une troisième dans la deuxième).

De nombreux outils créatifs


!

Joyce C. Mills, psychologue et psychothérapeute américaine, a beaucoup travaillé


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sur les métaphores thérapeutiques pour les enfants. Elle a aussi développé une
approche autour du dessin qui est particulièrement intéressante :
➙ l’enfant est d’abord invité à dessiner sur une moitié de feuille de papier l’image
du problème pour lequel il vient consulter ;
➙ puis, sur l’autre partie de la feuille, il lui est suggéré de dessiner « le problème
quand tout va mieux » ;
➙ enfin, le thérapeute demande à l’enfant de dessiner ce qui à son avis aiderait
à passer de l’un à l’autre des dessins.
Autour de ce travail beaucoup de solutions émergent.
Joyce C. Mills a aussi fait travailler les enfants sur l’élaboration de leurs pots
à rêve. Les rêves sont représentés par des symboles par exemple. Outre le fait
que cette élaboration est plaisante (elle utilise le collage, le dessin), ce travail
renseigne énormément sur les besoins de l’enfant au moment où il consulte.
Et surtout, il permet de parler des problèmes d’une manière détournée, moins
pénible pour lui. Raconter des histoires, c’est aussi augmenter l’alliance théra-
peutique (figure 13.1).
Le problème : Un garçon qui a peur. Il a un petit peu peur, il est stressé. Il a
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peur de se faire gronder par la maîtresse.


La solution : Obelix donne de la potion magique pour rendre le garçon plus fort.
Le garçon déjà plus fort grâce à la technique1 de son papa.
La situation résolue : Le problème a disparu. Le garçon est joyeux. Il joue avec
ses copains. Il arrive avec un petit peu d’avance pour discuter avec ses amis. Il
sourit. Il est bien tranquille à l’intérieur. Il pense à autre chose que son papa et
sa maman.

1. En l’occurrence la technique de la « respiration magique ».


252 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE
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Figure 14.1. Dessin orientés solution
(à gauche le problème, à droite la situation résolue)

C RÉER UN ESPACE TRANSITIONNEL : LE JEU

Une occupation très sérieuse


!

On le voit, le travail avec les enfants invite le thérapeute à être souple dans ses
interventions, à s’ajuster en permanences aux besoins de ses petits patients. Et
s’il est un domaine où peut s’exprimer la créativité, aussi bien celle des jeunes
patients que celle du thérapeute, c’est bien le domaine du jeu.
Jouer ensemble est une manière d’interagir qui va encourager la coopération
et construire l’alliance avec l’enfant. Lorsque les parents amènent leur fils ou
leur fille en consultation, le thérapeute ne sait pas toujours ce qui lui a été
dit sur le pourquoi de sa venue. Certains enfants expriment rapidement leurs
difficultés, sources de souffrance dans leur quotidien. Mais pour d’autres, parler
est beaucoup plus pénible. Certains jeunes patients sont tout à fait désireux de
rencontrer quelqu’un qui va les écouter et essayer de les aider ; d’autres arrivent
en reculant au rendez-vous, bien décidés à ne rien dire. Pour entrer en contact
avec eux, le jeu offre beaucoup de possibilités ; il est un bon médium entre le
thérapeute et son patient car il favorise la communication, la collaboration et
l’échange.
Spécificités de la pédiatrie 253

Aussi, aménager un espace dans son lieu de travail où le jeu est possible, un
espace concret, ludique, attrayant, paraît être une bonne option lorsque l’on
reçoit des enfants. Si cela n’est pas possible, cela peut être aussi d’en co-créer
un avec l’enfant, par exemple de construire une cabane dans un coin de la pièce,
un endroit où l’enfant peut jouer et s’exprimer en toute sécurité.
Certains enfants ne se confient qu’au travers des jeux, et le thérapeute peut
avoir accès beaucoup d’éléments sur l’environnement dans lequel il évolue en
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jouant avec lui. Certaines thérapies ne passent que par le jeu.

Aux multiples dimensions


!

Un enfant qui joue apporte aussi bon nombre d’informations utiles. Par exemple,
s’il vient voir un thérapeute pour des problèmes d’apprentissage dus à un manque
de concentration à l’école et que ce même enfant est imbattable au Memory, ou
à des jeux de stratégie, on peut se poser les questions suivantes :
➙ Est-ce vraiment un manque de concentration ?
➙ Ne serait-ce pas plutôt un manque de motivation ?
Par ailleurs, l’univers du jeu est aussi un espace où ce qui va être abordé peut
l’être de manière plus légère, plus joyeuse. Les choses difficiles à dire ont parfois
besoin de supports ludiques pour être exprimées.
Les enfants apprécient souvent de dessiner, de découper, de coller. Plus jeunes ils
aiment à faire des bulles, utiliser des poupées, des marionnettes ou des peluches
(lesquelles peuvent parler de sujets que l’enfant n’aborderait pas directement).
Une poupée, une marionnette peut oser se mettre en colère au cours d’un
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échange, alors que l’enfant qui la manipule ne le fera peut-être pas.


Au travers de tous ces outils, bien des problèmes sont abordés de manière
indirecte. La façon que l’enfant a d’appréhender le jeu, le fait de jouer ou non
apporte beaucoup d’informations sur son état émotionnel. Un enfant incapable
de jouer ne va en général pas très bien.
L’enfant teste en permanence les compétences du thérapeute. Au cours du jeu,
il examine comment le thérapeute se comporte, il observe si la communication
du thérapeute est congruente ou non. Un enfant sait très bien détecter si le
thérapeute joue « pour de vrai » ou « pour de faux ». Il ne s’embarrasse alors
pas pour lui dire ce qu’il pense de sa façon d’être dans l’échange.
254 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

Partager un moment ludique, c’est aussi l’occasion pour un enfant de montrer


ses propres compétences, mais cela ne peut se faire que si le thérapeute « joue
vraiment le jeu ».
Le territoire du jeu est aussi un espace où l’enfant peut affronter ses peurs en
toute sécurité. Il peut par exemple dessiner et construire un bouclier protecteur
qui l’aide à surmonter ses craintes.
Les jeux les plus sophistiqués ne sont pas forcément les plus pertinents : un
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simple kaléidoscope permet d’observer le monde d’une manière différente, un
crayon sur le bureau peut se transformer en baguette magique, et un éventail
ouvrir tout un champ des possibles...
À partir d’objets de la vie quotidienne, ou que l’on trouve dans la nature, et
avec un soupçon d’imagination, vont naître des histoires : quelques pierres
du jardin se changent en « famille caillou qui vit sa vie de famille caillou »,
avec ses moments de joie et ses difficultés. Dans le son d’un verre qui vibre,
on entend le chant d’une sirène... Un jeu de mécano peut savamment être
employé à construire un système urinaire avec des vannes qui fonctionnent. Ou
des planchettes de bois s’élever dans la construction d’une tour des solutions
(Kapla)... Les dés racontent parfois des histoires (Storycubes) et les cartes d’un
jeu sont le support à la co-création de métaphores utiles (Dixit).
Un autre moment d’activité intéressant est tout ce qui peut être réalisé autour
de la maison de poupée. Ce jeu suscite et produit beaucoup d’interactions. Le
thérapeute qui observe et joue avec l’enfant accède à des informations parfois
sensibles. Ce que l’enfant raconte à propos de la maison, des événements qui
s’y tiennent, des personnages qui l’habitent, non seulement renseigne sur l’or-
ganisation sociale de la famille mais révèle aussi parfois des difficultés que
l’enfant doit affronter dans son propre environnement. Cela lève le voile sur
certains traumatismes. Avoir connaissance du cadre dans lequel évolue l’enfant
est important et à ce titre, la maison de poupée est plus qu’utile. En effet, si
un climat d’insécurité existe, il est nécessaire d’abord et avant tout de faire en
sorte que cette sécurité soit rétablie. Et ceci, bien avant de traiter un éventuel
traumatisme ou un syndrome anxieux.

L E THÉRAPEUTE ET « SON ENFANT INTÉRIEUR »

Le travail avec l’enfant sous-entend que le thérapeute puisse être suffisamment


à l’aise avec sa dimension enfantine, c’est-à-dire son histoire d’enfance, et aussi
sa capacité à se vivre – au moins en partie – comme un enfant dans son présent.
Spécificités de la pédiatrie 255

Dans une perspective éricksonienne, cette part enfantine du thérapeute cor-


respond à sa composante créative et ludique, se manifestant de manière plus
corporelle qu’intellectuelle. Le thérapeute pourra avantageusement poser que
cette forme d’intelligence en lui est totalement bienveillante et protectrice. Ainsi
Erickson considérait-il l’inconscient.
Durant son travail, le thérapeute qui voit des enfants est donc extrêmement
souvent en transe. Il joue, et ne se prend donc pas au sérieux. Il est absorbé sur
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ce qu’il fait, et est immergé dans l’interaction avec l’enfant.
C’est dans cet investissement qu’il va pouvoir ressentir, très corporellement, par
cette communication d’excellente qualité, ce qui peut survenir dans la vie de
l’enfant qui souffre, et aussi autour de lui. Il est à l’écoute de ses ressentis, des
idées, images (visuelles et aussi sonores) qui lui viennent.
Cette connexion au corps, déjà fondamentale avec tout type de patient, est
particulièrement cruciale avec l’enfant qui nous l’avons vu ne peut souvent s’ex-
primer que très peu verbalement. Et cela est encore plus vrai avec l’adolescent
souvent réticent à se faire aider.
Cette vie « en transe » du thérapeute d’enfant l’amène fréquemment à être par-
ticulièrement dans un monde imaginaire très créatif. Il met en œuvre ce qui lui
vient, qui vient en fait de l’autre : de l’enfant et de ce que celui-ci vit. Il utilise
(cf. chapitre 10), c’est-à-dire ajoute de l’information à celles qu’il recueille et
réintroduit cela dans l’interaction. Ce fonctionnement ludique du thérapeute
va s’équilibrer lors de ses rencontres régulières avec les adultes s’occupant de
l’enfant, en intégrant les contraintes s’exerçant sur l’enfant et auquel celui-ci
doit s’adapter.
Dans certains cas, le thérapeute pourra ressentir ces contraintes comme insup-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

portables, et il verra son rôle comme visant à diminuer celles-ci. Il aura alors à
faire un travail moins ludique et souvent plus laborieux : celui d’un intervenant
systémique.
Dans d’autres cas, il va ressentir au contraire une carence, un manque dans le
milieu de l’enfant, cela pouvant l’amener à conclure à la difficile décision de ne
rien pouvoir faire pour l’enfant, notamment lorsqu’il n’y a pas d’amour envers
lui, la question de sa mise en protection pouvant être posée.
256 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

Cadre thérape
utiq
ue

Moi Adulte

Thérapeute Enfant

Moi Enfant
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que
ra p euti
Interaction thé

Figure 14.2. Le thérapeute et son « enfant intérieur »

D IMENSION SYSTÉMIQUE

Une communication multiniveaux


!

Une des spécificités de la communication thérapeutique avec l’enfant est qu’elle


s’adresse toujours à plusieurs personnes, jamais à une seule. En tout cas dans
un premier temps. D’un point de vue systémique, lorsque l’on reçoit un enfant
en psychothérapie, il est indispensable de rencontrer les parents. Déjà pour
connaître le milieu de vie de l’enfant, avoir des informations sur son monde. Mais
aussi pour observer les mots utilisés par les parents pour décrire le problème.
Leurs croyances, leurs points de vue sont des éléments informatifs essentiels
pour le thérapeute. Recevoir les parents c’est aussi évaluer dans quelle mesure
ils sont prêts à être une aide pour leur enfant.
Un enfant n’est pas seul à exister dans son environnement. Il a autour de lui
des grands parents, des frères et des sœurs, des copains, des professeurs, des
moniteurs de sport qui ont souvent des informations utiles à communiquer.
Dans une perspective systémique, les problèmes sont vus en terme relationnels
(Ausloos, 1995 ; Berg, 1998 ; Duriez et Pauzé, 2014 ; Minuchin, 1998 ; Madanes,
1991). Et ce qui fait difficulté est la façon dont nous sommes en interaction avec
les autres. Aussi, afin de mieux aider un enfant, le thérapeute va s’attacher à
recueillir le maximum d’informations auprès des personnes qui entourent l’enfant
(si celui-ci en est d’accord bien évidemment).
La prise en compte de la famille est nécessaire et parfois suffisante pour amener
une amélioration dans la vie de l’enfant (Malarewicz, 1999 et 2003). Certains
d’entre eux expriment de la souffrance dans le but de faire bouger leurs parents
ou leur famille. On peut dire alors qu’ils agissent comme cothérapeutes, et qu’ils
Spécificités de la pédiatrie 257

sont même parfois, notamment lors de l’adolescence, les « réanimateurs » de la


vie parentale et familiale.
Si l’on considère par exemple qu’un enfant va mal par le fait que ses parents
traversent une grave crise de couple, il est difficile de ne pas tenir compte de
telles données ! On peut certes recevoir l’enfant seul ; mais si les parents ne
font pas le nécessaire de leur côté pour régler leurs problèmes, cela risque de ne
pas être très écologique pour l’enfant. Le recevoir seul quand ses parents vont
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mal, ou lorsqu’un frère ou une sœur aînée sont en difficulté, peut finalement
aggraver la situation de l’enfant.
Ainsi le choix du cadre peut dans certains cas être d’une extrême difficulté lors
qu’on s’occupe d’enfants.
Un enfant qui va mal cristallise autour de lui l’attention de ses parents et de son
entourage. Quelquefois, cela a malheureusement pour effet d’en faire un patient
désigné sur lequel reposent parfois tous les reproches, tous les griefs. Car un
enfant qui souffre peut vraiment mettre à mal tout le système familial.
Dans cette perspective, une communication à plusieurs niveaux peut être très
utile. On appelle communication à multiniveaux une communication dans laquelle
le thérapeute va s’adresser à une personne, tout en faisant passer des messages
à l’entourage mais d’une manière indirecte.
Un petit exemple d’intervention ou l’usage de la métaphore ainsi que la commu-
nication multi niveaux ont été pratiqués :

Valentine, presque cinq ans, est amenée en consultation par ses parents. Depuis quelques
semaines rien ne va plus : Valentine crie et pleure très souvent, elle ne veut pas se coucher,
« fait des comédies », et montre aussi de la tristesse. Ses parents en difficulté demandent
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

de l’aide. Après un petit moment d’échange :


Valentine : Ils (ses parents) ne font que se disputer, ils vont divorcer ! »
Le thérapeute : Ah bon, ils ne savent plus danser ensemble ?
V : Oui, et ils se marchent sur les pieds ! Ils se font mal aux pieds !
T : De quoi auraient-ils besoin pour leurs pieds ?
V : D’aller voir un docteur pour les pieds ! Et d’une crème !
T : D’une crème spéciale ?
V : Oui, une crème pour les pieds !
Quelques semaines plus tard : appel de la maman qui informe le thérapeute que son
mari et elle ont commencé une thérapie de couple...
258 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

Jusqu’à la thérapie familiale


!

Parler à l’enfant pour que les parents entendent, ou parler aux parents pour
que l’enfant entende, tel est le but de la communication multiniveaux. Celle-ci
peut se faire d’une manière encore plus élargie en s’adressant à toute la famille.
Pour optimiser cette communication, il va alors être très utile de construire
l’alliance thérapeutique avec chacun des membres de la famille par un travail
d’accordage. Celui-ci s’effectue d’abord par une observation fine de ce qui se dit,
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les mots et le ton employés, une observation des comportements, des gestes,
des positionnements de chacun. Le but étant pour le thérapeute de s’accorder
au plus près de chaque personne dans la famille. Par exemple, lorsqu’il reçoit un
petit patient avec ses parents, le thérapeute peut rapprocher sa chaise de celle
de l’enfant, utiliser les mots du papa et ajuster sa posture sur celle de la maman.
Ainsi chacun peut se sentir entendu et respecté.
Un autre aspect du travail systémique est le travail qui peut être engagé avec
les enseignants. Les enfants passent une bonne partie de leur temps à l’école, et
leurs professeurs les voient parfois plus que les parents eux-mêmes. Ils observent
les comportements, les difficultés de l’enfant dans un autre cadre que celui de la
famille. Dans ce contexte, être en contact avec un instituteur ou une institutrice
peut s’avérer très utile pour l’enfant et pour le thérapeute (Durrant, 2009). En
parlant aux professeurs, celui-ci va pouvoir mettre au jour certains problèmes
qui n’apparaissent qu’à l’école. Car celle-ci n’est pas nécessairement un « long
fleuve tranquille » pour l’enfant !
Cela peut renseigner aussi sur les tentatives de solutions qui sont mises en
place pour venir à bout d’un problème et qui ne sont pas toujours pertinentes
pour l’enfant. D’un point de vue systémique, une tentative de solution qui ne
fonctionne pas, au final, peut fortement aggraver un problème. Tout l’enjeu est
alors de pouvoir amener les parents, les enseignants, à changer de tentatives
de solutions. En travaillant avec eux, le thérapeute peut orienter ses question-
nements sur les compétences, les ressources d’un enfant, les interroger sur les
moments où le problème n’est pas ou est moins présent. Cette approche que l’on
dit « orientée solutions » a pour effet de remettre le problème dans une autre
perspective. Il permet de changer la perception que l’entourage de l’enfant a du
problème et de sortir d’une description saturée par les difficultés. Un problème
n’est pas toujours présent, ou ne s’exprime pas avec la même intensité suivant
les jours ou même les heures de la journée. Le thérapeute est alors comme
un orpailleur qui va chercher l’or des exceptions au problème, exceptions sur
lesquelles il pourra s’appuyer pour activer les ressources de ses jeunes patients.
Spécificités de la pédiatrie 259

B IBLIOGRAPHIE

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Érès, Paris. pie systémique. Le thérapeute familial et son
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Chapitre 15

Les psychothérapies
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Thierry Servillat

L A PRATIQUEde la communication thérapeutique, et celle de l’hypnose à laquelle


elle est une introduction, peut utilement être intégrée aux différentes
approches psychothérapiques. Cette intégration se fera dans un esprit pragma-
tique, dans l’intérêt du patient. Ce qui n’exclue pas de tenter une théorisation
de cette intégration.

U NE COMMUNICATION PSYCHOTHÉRAPIQUE ?

Psychisme, âme, ou esprit ?


!

Après avoir envisagé le potentiel thérapeutique d’une communication adaptée à


ce but, peut-on aller vers plus de précision et concevoir qu’une communication
puisse être psychothérapeutique ? Pour pouvoir examiner cette question, il nous
faut d’abord passer par la difficulté liée à ce dernier terme.
Classiquement, la psychothérapie a été définie comme une thérapeutique qui
utilise des moyens psychologiques. Peu à peu cependant, le mot s’est aussi mis
à désigner le traitement des troubles psychiques. Même si cet autre sens résulte
d’un glissement que nous trouvons regrettable et fâcheux, puisque source de
confusion, nous devrons l’examiner ici également.
En premier lieu donc, est psychothérapeutique ce qui soigne par des moyens
psychiques, ou psychologiques. Mais, une fois cette définition posée, qu’en est-il
aujourd’hui de la notion de psychisme (et donc de psychologique) ?
Les psychothérapies 261

« Psychisme » est un mot dérivé du grec ancien ψυχή, psyché, qui signifie
« âme ». Cette âme est vue initialement comme « souffle de vie », comme « ce
qui se meut soi-même » (Platon), qui est « cause du mouvement vital chez les
vivants » (Aristote). Remarquons donc dans ces fondements sémantiques la place
centrale de la respiration, qui est souvent perdue de vue dans nombre de théories
psychologiques ultérieures ! Notons également que « psyché » désignait aussi le
papillon, symbole de l’âme immortelle chez les Anciens, chez les Grecs comme
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aussi dans de nombreuses autres civilisations.
En Occident, cette conception grecque du psychisme a été largement reprise
dans le christianisme, avec le mot latin anima (âme), avant qu’apparaisse le
terme d’« esprit », du latin spiritus voulant lui aussi dire souffle de vie.
Bon nombre de considérations théologiques vont concevoir des sens différents
de l’âme et de l’esprit. Et leurs rapports entre eux et avec le corps vont être
envisagés de plusieurs manières. Ainsi, souvent, face au corps matériel et des-
tructible, l’esprit est conçu comme immatériel, l’âme pouvant selon les cas être
synonyme d’esprit ou vue comme ce qui unit l’esprit et le corps. Peu à peu, avec
le temps, et particulièrement lors du 4e concile de Constantinople en 869, cette
« trichotomie » est condamnée au profit d’une dichotomie corps/âme, certains
continuant cependant à utiliser le terme d’esprit.
Après une telle complexité conceptuelle, Descartes va ultérieurement envisager
deux « substances » distinctes. Il fonde les bases du dualisme occidental en
distinguant, voire en séparant :
➙ l’âme étant une substance pensante,
➙ et le corps étant envisagé comme une substance étendue, au sens de « s’éten-
dant dans l’espace ».
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Enfin, les neurosciences envisagent de nos jours fréquemment un monisme corps-


esprit, ceux-ci étant deux aspects d’une même entité.
Aussi, éclairés par cette évolution sémantique et conceptuelle des termes qui
nous préoccupent, nous pouvons maintenant examiner la signification du mot
« psychisme » et, par lui, de ceux de « psychologie » et de « psychothérapie ».

Évolutions conceptuelles
!

En fait, le terme de « psychisme » commencera à être utilisé au XVIIIe siècle,


mais le sera plus encore au XIXe , avec l’avènement de la psychologie scienti-
fique. Auparavant c’est la philosophie qui s’intéressait au psychisme, notamment
comme nous l’avons vu, en examinant les rapports entre le corps et l’âme.
262 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

Les premiers laboratoires universitaires de Psychologie (Wundt en Allemagne,


James aux États-Unis, et, bien plus tard, Beaunis en France), destinés à faire de
la recherche, apparaissent à la fin du XIXe siècle, et le mot « psychothérapie »
aussi, proposé par Bernheim, grande figure de l’hypnose et qui insista beaucoup
sur le rôle de la suggestion dans ce domaine. La communication (même si ce
mot n’existait pas à l’époque : cf. chapitre 1) fut donc d’emblée mise au premier
plan, la suggestion en étant comme nous l’avons vu un procédé majeur.
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Thérapie
!

Quant à la notion de thérapie, elle vient du grec qui veut dire « cure », avec
comme origine le dérivé de θεραπεύω, therapévô (« servir, prendre soin de,
soigner, traiter »), issu de θεράπων, therápôn (« serviteur »).
La communication pourrait donc soigner ?
Mais si la communication peut soigner, voire guérir, que cherche-t-on à mobiliser
par elle ?
Avant d’examiner cette question, examinons les termes d’autres langues, qui ont
grandement (et continuent de le faire) contribué au débat.

Éclairages des autres langues


!

En anglais, trois mots existent dans le domaine :


" Mind : esprit au sens de faculté de penser (cognitif) : désigne le mental.
" Spirit : esprit encore, mais au sens de tempérament, de ce qui caractérise la
personne comme « être connaissant ».
" Soul : âme, partie immortelle de la personne.

C’est donc essentiellement le terme de mind qui se rapproche du sens de psy-


chisme tel qu’on l’entend de nos jours. Ce mot est d’ailleurs utilisé dans la notion
de mindfulness, et Milton Erickson l’utilisait aussi pour désigner son concept
majeur d’esprit inconscient (unconscious mind).
Les psychothérapies 263

L’esprit inscrit corporellement


!

Examinons maintenant une complexité supplémentaire récemment apparue avec


les progrès des neurosciences : l’esprit serait inscrit corporellement, et pas uni-
quement dans le cerveau. En effet, les sciences cognitives, qui étudient fonction-
nement de l’esprit, se sont créées dans les années 1940 et 1950 en se modélisant
sur les ordinateurs qui étaient en train d’être inventés, et en posant ainsi les
bases de l’intelligence artificielle (IA). De tels modèles, basés sur des machines
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(modèles cybernétiques) excluaient bien sûr le corps. Et ce n’est que plus tard
que Varela a proposé cette notion d’« inscription corporelle de l’esprit ». La
cognition serait incarnée (embodiment) : nous ne penserions pas seulement avec
notre cerveau mais avec l’ensemble de notre corps. Une intuition déjà ancienne
chez certains philosophes, mais qui trouve peu à peu son assise scientifique.
Nous pouvons maintenant aborder la question de savoir si la communication
serait psychothérapeutique, au sens de traiter par des moyens psychologiques.

Des réponses multiples...


!

Disons-le tout de suite, la réponse est a priori négative. Pour la raison essentielle
que nous communiquons avec notre corps, déjà par la puissante communication
non-verbale. Et ensuite, nous communiquons verbalement... également grâce à
nos cordes vocales que fait vibrer notre respiration qui se fait grâce à un certain
nombre de muscles, etc.
Mais si on considère cette incarnation, notre réponse se trouve transformée :
toute approche corporelle se révèle être psychothérapique. Nos repères classiques
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se trouvent alors brouillés. Le médecin généraliste se trouve enfin reconnu dans


toute une partie de son travail, les ostéopathes, les kinésithérapeutes ayant une
approche non mécaniciste du corps aussi...

Un autre sens, qui complexifie encore


!

Enfin, terminons cette réflexion en envisageant le sens « glissé », comme nous


l’avons vu, du terme de psychothérapie, traitement des troubles psychologiques.
Là encore, la complexité est de mise. Une complexité stimulante et qui suscite
la créativité thérapeutique. En effet, qu’est-ce qu’un trouble psychologique ?
Une perturbation de ce qui anime notre corps ? Les psychothérapies, entendues
comme nous l’avons évoqué, effectivement les traiteraient...
264 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

Devant ce brouillage, un certain nombre de professionnels recourent de plus en


plus eu simple terme de « thérapie ». L’inconvénient est que l’acception de ce
mot est très large, désignant notamment aussi des traitements médicamenteux.
Mais est-ce vraiment un problème, finalement ? La communication peut effecti-
vement vraiment soigner, et parfois guérir. Elle fait partie de la thérapeutique,
et fait de plus en plus l’objet de procédures dans les services hospitaliers. C’est
un début.
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C E QUE L’ ON VEUT MOBILISER

Prendre en charge les besoins


!

Les psychothérapies peuvent être considérées sous de multiples angles de vue :


meilleure connaissance de soi, diminution ou disparition de symptômes, etc.
Dans une optique de communication, nous considérons la psychothérapie comme
destinée à changer des comportements. En d’autres termes, à mettre en œuvre
de nouveaux comportements favorisant la santé du patient concerné.
Au sein de la nature, l’animal se meut par lui-même, le végétal pousse, le
minéral lui-même bouge aussi par les mouvements tectoniques et, bien sûr, par
les énergies puissamment en œuvre au cœur de la Terre. L’humain est un être
particulièrement mobile. Mais ce qui semble le caractériser concerne en particu-
lier la richesse de ses relations. La souffrance existe lorsqu’elle perturbe notre
vie relationnelle. La psychothérapie humaine viserait donc au rétablissement
de cette vie relationnelle du patient lorsque celle-ci est altérée ou menacée,
et/ou à son enrichissement lorsque celui-ci est souhaité par l’individu concerné.
C’est en tout cas la perspective que nous proposons ici, dans le cadre d’un plein
examen de ce qui peut constituer des bases pour la pratique de la communication
thérapeutique.
Examinons maintenant les étapes de notre raisonnement et les développements
que nous serons amenés à effectuer.
La santé peut être envisagée pragmatiquement par la bonne prise en charge de
nos besoins. Ceux-ci sont multiples :
➙ certains sont universels, car physiologiques de base (être en sécurité, être
correctement hydraté, se poser et se reposer, dormir, se nourrir, faire de
l’exercice physique, avoir du plaisir) ;
Les psychothérapies 265

➙ d’autres sont moins immédiats mais quand même essentiels (établir et entre-
tenir des relations avec les autres, établir et maintenir des limites et des
frontières avec eux, vivre des choses nouvelles et des choses enrichissantes) ;
➙ certains sont d’importance différente selon les individus (besoin de com-
prendre, d’avoir du sens à sa vie) ;
➙ d’autres besoins sont, eux, déterminés par ce que la personne va choisir de
désirer, par les objectifs qu’elle s’est fixée : par exemple comprendre et parler
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au moins un peu la langue d’un pays dans lequel on va voyager).

Ce que nous cherchons à mobiliser est donc une prise en charge des besoins du
patient :
➙ ou par nous-mêmes,
➙ ou par un autre professionnel ayant les compétences requises si nous ne les
avons pas,
➙ voire par une personne de l’entourage qui pourrait être partante pour donner
cette aide.

Ces deux derniers aspects constituent la notion de travail en réseau. Construire


un réseau est une évolution majeure récente du système de soin. Et il reste bien
des progrès à effectuer dans ce domaine. Trop d’usagers croient encore qu’on ne
peut avoir qu’un thérapeute unique ! La nécessité du travail en réseau, impli-
quant la communication entre les intervenants pour une coordination optimale
de leurs efforts, apparaît pourtant à notre époque comme une évidence.

Activer les ressources


!
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Outre cette mobilisation externe, ce qu’on cherche à mobiliser sont les res-
sources internes des patients. Erickson précisait à leur sujet : « Ils ne savent
pas qu’ils savent ». Effectivement, les soignants ont appris durant leurs études
qu’ils doivent savoir les solutions pour leurs patients. Et implicitement que les
usagers des soins, eux, ne savent rien. Cette grave erreur pédagogique engendre
de plus en plus de difficultés, notamment en terme d’alliance thérapeutique et
d’observance ces traitements. L’approche éricksonienne, l’orientation solutions,
et plus récemment l’approche narrative et la médecine narrative, reposent sur la
conviction que les patients ont des savoirs personnels valables et utilisables.
Examinons maintenant plus précisément cette notion de ressource, si centrale
en hypnose et en thérapie brève.
266 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

Ressource vient du latin surgere, comportant une racine indo-européenne qui


signifie « droit » (Picoche). Ainsi le « rajah » indien est un roi dont la droiture
corporelle reflète la dignité liée à sa fonction. Dans « ressource », il s’agit ici de
quelque chose qui « rejaillit en droite ligne ». On retrouve ici une notion phy-
sique cinétique (mouvement). Une ressource est donc par définition ce qui peut
être mis en mouvement, avec possiblement cette connotation de jaillissement.
Cette connotation n’est pas sans évoquer la notion d’insight (Kohler) et celle
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d’illumination, problématique traduction de l’« enlightment » de Rossi.
La locution la plus utilisée lorsqu’on parle des ressources et la notion d’activation.
« Activer » est construit sur la racine indo-européenne ag qui veut dire « pousser
un troupeau devant soi », et provient donc du langage des bergers du Néolithique,
quand nos ancêtres effectuèrent la domestication des animaux. Par extension, il
s’agit justement d’agir, d’acte, d’action.
Activer les ressources du patient, les médicaments vont le faire, avec leur « prin-
cipe actif » quand celui-ci stimule une compétence, notamment un traitement
immunostimulant, ou une molécule stimulant l’ovulation dans le traitement
d’une infertilité. Les agents dopants aussi, chez le sportif estimant (ou dont
on estime) que les performances témoignent d’une activation insuffisante de
ses ressources, exercent une stimulation du corps, généralement au prix d’un
dérèglement de sa physiologie, particulièrement hormonale.
Dans l’hypnothérapie éricksonienne, c’est au patient que cela incombe d’ac-
tiver ses propres ressources, de « pousser devant lui » ses capacités et ses
compétences, de remettre en mouvement sa physiologie sans la dérégler.

Mouvement et cycles de changement


!

De dérèglement il n’y a pas ici, car la démarche hypnothérapique a pour but que
le patient remette sa vie en mouvement. Ou, pour dire la même chose autrement,
qu’il se remette dans le mouvement de la vie.
Vie qui est mouvement, à la fois dans la tradition hypnotique issue du patrimoine
culturel occidental, comme dans beaucoup d’autres traditions culturelles non
occidentales :
➙ « L’immobile se disperse et le mouvant demeure » hymne tibétain (cité par S.S.
le Dalaï Lama)
➙ La roue de la vie (indouisme)
➙ Yin et yang (taoïsme)
➙ Héraclite (Grecs) : « On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve »
Les psychothérapies 267

➙ Roue de la médecine (Medecine Wheel) des Indiens d’Amérique, etc.


Il y a encore du mouvement dans les notions de cycles de vie, telles qu’ils ont pu
être envisagés par Jay Haley observant le travail de Milton Erickson (Erickson/
Haley). Ce dernier voyait beaucoup l’existence humaine dans une perspective
dynamique, notamment comme un franchissement successif de caps.
Le mot du stoïcien grec Sénèque, « Il n’est pas de vent favorable pour celui qui
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ne sait où il va », est souvent utilisé par les thérapeutes brefs. Et le psychiatre
hypnothérapeute Bertrand Piccard, aérostier par ailleurs, parle volontiers des
« vents de la vie » et de la nécessité de souvent prendre de l’altitude pour trouver
ceux qui conviennent.
Dans une vision stratégique, l’école de Palo Alto, s’inspirant des conceptions
orientales, voyait la vie comme un changement continuel : on ne peut pas ne pas
changer. Et quelquefois, nous nous exonérerions volontiers de cette nécessité !
La question de ce qu’on cherche à mobiliser se pose donc dans un contexte où il
est permis de se demander s’il s’agit vraiment de mobiliser quelque chose, ou s’il
s’agit de ne rien faire de spécial (Roustang, 2008) pour se laisser mobiliser par
la vie elle-même vue comme mouvement.
Examinons maintenant davantage la notion de mouvement. Celle-ci semble assez
basique et évidente linguistiquement, appartenant étymologiquement à la même
famille que motivation, moment (qui initialement désignait le poids léger qu’on
jette sur un des plateaux d’une balance pour lui donner l’impulsion et l’incli-
naison, et devenu ensuite la petite fraction de temps où il faut se décider : le
moment décisif !). Émotion est aussi ce qui met en mouvement, et une promotion
est ce qui fait avancer, parvenir à une fonction et un grade plus élevé. Un motif
de consultation est ce qui met le patient en mouvement pour aller voir son
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médecin.
Ce bref aperçu de cette riche famille de mots autour de la notion de mou-
vement illustre combien ce vocabulaire est essentiel dans la vie humaine, et
particulièrement dans le domaine de la santé.
Enfin, précisons ici que, réciproquement, le mouvement peut aussi être un moyen
pour activer les ressources : c’est l’hypnose cinétique. Faire un geste (Roustang
2004), se lever, faire un mouvement-ressource (Servillat et Prévot-Stimec) est
depuis peu une pratique qui élargit les horizons de la pratique de l’hypnose
thérapeutique, illustrant par ailleurs la notion d’« agir pour comprendre » qui
inverse la conception traditionnelle du soin (nécessité de comprendre avant
toute action).
268 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

Mais, une fois abordés ces points de vue, devons-nous poser la question de ce
que, en thérapie, nous mobilisons réellement, d’abord, en premier lieu.

C E QUE L’ ON MOBILISE

Choisir
!
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Le thérapeute, dans une optique éricksonienne, et dans la continuité de Rogers,
ne fait pas la thérapie, il en fait le cadre : présent dans un lieu où il est en
présence du patient, il se comporte, non verbalement et verbalement, afin que
le patient puisse vivre des expériences utiles pour lui, pour sa santé, sa vie.
Cette utilité n’est pas vue comme normée par la société, et encore moins par
le thérapeute qui, au contraire, se montre permissif, c’est-à-dire encourageant,
ouvrant des choix possibles. Le rôle du patient et de faire les choix, ses choix.
« Choisir » est un mot d’origine germanique signifiant « éprouver » ; il est de la
famille du latin gustare, goûter. Quand on choisit, on fait le travail actif d’ex-
périmenter pour ensuite éprouver, et discerner ce qu’on trouve bon ou mauvais.
Comme Erickson l’indiquait, « l’expérience est notre seul professeur », et nous
savons l’importance de celle-ci dans notre développement et notre maturation.
Choisir c’est se positionner, c’est décider de ce qui est, pour soi, bon ou mauvais,
positif ou négatif, première grande distinction, qualitative, avant le second acte
cognitif de base, quantitatif (entre « peu » et « beaucoup » (Lankton).

Désirer, vouloir, orienter


!

Faciliter les choix du patient pour qu’il améliore sa vie, mais, il est important de
le repréciser : sa vie telle qu’il la veut, telle qu’il la désire.
Désirer est un mot au sens complexe, dérivé du latin sidus, sideris, qui signifiait
« constellation ». Il se serait construit sur le mot considerare, examiner avec
attention, avec un sens privatif deconsiderare : « cesser de voir », « constater
l’absence de », d’où : « chercher, désirer » (Picoche).
Quand on désire, on cherche. Ce que nous voulons, mais un vouloir actif donc,
pour trouver ce qui va donner du sens, c’est-à-dire une direction, à notre vie.
Notre désir oriente notre existence.
Les psychothérapies 269

Être libre, décider, préférer


!

Bien des choses ont pu être dites et écrites sur le désir. Notre psychologie
a notamment insisté sur la question de la genèse de notre désir. Celui-ci ne
serait pas libre, mais déterminé par un certain nombre de facteurs qu’il faudrait
retrouver pour avoir une chance – dans les hypothèses les plus optimistes – de
récupérer notre liberté.
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Les thérapies brèves et l’hypnose éricksonienne reposent sur un autre postulat,
beaucoup plus simple, que nous trouvons assez bien exprimé chez un philosophe
comme Robert Misrahi : tout être humain a un désir et peut choisir sur quoi il
va le faire porter.

Ce court échange clinique peut illustrer notre propos :


Thérapeute : Bonjour. Qu’est-ce qui vous amène ?
Patient : Je ne sais pas trop....
T : Ce n’est pas grave. Parfois cela est compliqué de savoir cela. Et pas toujours utile
d’ailleurs. Voulez-vous alors me dire ce que vous souhaiteriez en venant me voir ?
P : Bah... Je ne sais pas très bien...
T : Ce n’est pas grave... Même si vous ne savez qu’un peu, vous pouvez me le dire... Sauf
si vous préférez le garder pour vous.
P : Oh non, je peux tout vous dire... ! Mais c’est surtout que je n’en sais rien !
T : Mais alors comment pourrez-vous savoir s’il y aura du progrès dans notre travail ?
P : Bah... Je me sentirai mieux...
T : Bien. Et que ferez-vous de différent dans votre vie ?
Dans ce court exemple clinique, le patient est invité à désirer, dans la bienveillance et
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en toute liberté. Il n’est en rien obligé de vouloir du changement, mais s’il est là c’est a
priori, jusqu’à preuve du contraire, qu’il souhaite que sa vie change.
P : Bah, je ne sais pas... Vous savez, vu d’où je viens, ma vie elle est déjà quand même
bien ...
T : Ah bon ! Mais alors, ce qui pourrait vous intéresser, est-ce que ce serait déjà de
consolider votre situation actuelle ?
P : Oh oui ! Pour commencer, c’est ce que je préférerais... !
Préférer (littéralement porter en avant) est une décision, un acte valorisant un choix plutôt
qu’un autre. Le patient a opté pour stabiliser une situation qui a été difficile à construire.
Le thérapeute va aider à cela, ce qui pourra – ou non – donner lieu à un désir ultérieur
de changement.
270 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

Être attentif et motivé...


!

Ce que le thérapeute va aussi chercher à mobiliser chez son patient, c’est son
attention.
Considérer, on l’a vu, c’est examiner avec attention. Une plainte n’est pas forcé-
ment une demande d’aide. Il y a si besoin à l’expliquer au patient.
Si celui-ci a un besoin d’information et n’a pas par ailleurs de perturbation de sa
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fonction attentionnelle, il va focaliser son attention sur les informations que son
thérapeute lui délivre. Cette focalisation est d’ailleurs aussi une étape nécessaire
de la survenue du processus hypnotique permettant une réceptivité optimale
aux messages du thérapeute, ainsi qu’à leur intégration active (le patient pose
des questions de clarification s’il en a besoin) et critique (le sens critique étant
préservé par l’hypnose).
Nous avons évoqué la motivation et l’avons envisagé comme premier facteur
d’efficacité de la psychothérapie. Ceci peut paraître une tautologie puisque la
motivation est littéralement liée à la mise en mouvement. Pour aller plus loin,
précisons que celle-ci peut être faible dans un premier temps, et ensuite évoluer.
Le développement des thérapies brèves a permis de distinguer (de Shazer,
Lelarge) trois types de relations entre thérapeute et patient. Ces niveaux seront
aisément compris si on considère ce qui peut se passer devant un étal de
marché :
➙ visiteur : il est là pour regarder, ne cherche rien de particulier ;
➙ plaignant : il est en recherche, mais n’est pas prêt à décider quoi que ce soit ;
➙ acheteur : il est motivé pour mettre en œuvre des solutions, et pour faire les
efforts nécessaires.

L ES PRINCIPAUX MESSAGES THÉRAPEUTIQUES

Il existe une infinité de messages susceptibles d’être thérapeutique. Ils sont


basés sur l’identification de la croyance limitante du patient et visent à la
modifier dans un sens plus riche de possibilités.
Rappelons la nécessité de les enrober, les habiller pour faciliter leur acceptation
par le patient récepteur.
Parmi les messages souvent mis en œuvre :
Les psychothérapies 271

➙ Le changement est possible : c’est probablement le message le plus souvent


utilisé en communication thérapeutique. La souffrance étant un vécu d’im-
possibilité de changer, et notamment d’avoir du choix, ce message redonne
l’espoir et permet la motivation.
➙ Le changement est inéluctable. Ce message est particulièrement utile lorsqu’il
y a un désespoir possible (dépression) ou lorsqu’il existe de fortes résistances
chez le patient.
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➙ Le problème n’est pas toujours identique mais est fluctuant : utile chez les
patients dépressifs ayant une tendance la surgénéralisation.
➙ Vous êtes capable (d’apprendre notamment) : renforce l’espoir et la motiva-
tion.
➙ Il n’y a pas d’âge pour apprendre : donne de l’espoir aux personnes se trouvant
trop âgées pour changer.
➙ Ce n’est pas votre faute : aide dans les situations de culpabilité pathologique.
➙ Il n’y a pas de honte à avoir : aide à déconstruire la honte pathologique.
➙ Il ne faut pas aller trop vite : aide à ralentir le processus de changement afin
de permettre son intégration dans l’écologie du patient (entourage, gestion
de l’énergie).
➙ Il est nécessaire de commencer lentement pour pouvoir aller vite après : idem
que précédent.
➙ Vous êtes plus que votre histoire chez les patients ayant tendance à justifier
leur souffrance par leur histoire (Yapko).
➙ Le passé ne prédit pas forcément le futur : idem que précèdent (Yapko).
➙ C’est extraordinaire la force que vous avez eue pour pouvoir survivre à ce
que vous venez de me raconter : aide aux patients ayant été victimes de
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traumatismes.
➙ Vous pouvez vivre comme une victime, mais votre vie peut être plus agréable
si vous la prenez en charge : idem que précédent.
➙ Ce n’est pas la cigarette qui détend, ce sont les respirations profondes : aide
au patient tabagique qui, comme de très nombreux patients addictés, a des
croyances erronées sur les effets des produits.
➙ Vous êtes doué pour l’hypnose : rassure les patients qui ont souvent peur de
ne pas être hypnotisables.
272 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

V ALIDER

Compte tenu de ce qui précède, dans l’optique aussi où la thérapie est l’occasion
de construire une réalité nouvelle, et en filant cette métaphore de la construc-
tion, il devient facilement évident qu’une étape, ou en tout cas une dimension
majeure de la thérapie, réside dans le fait que le patient puisse attribuer de la
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valeur au travail qu’il fait.

Confirmer
!

Une situation fréquente est celle lors de laquelle, après que le thérapeute ait
formulé un avis, voire un conseil, le patient s’exclame avec satisfaction : « C’est
bien ce que je pensais faire ! ». Et qu’il complète éventuellement : « J’avais
besoin que quelqu’un d’autre que moi me le dise ! ». Ce besoin de validation est
universel. Il est souvent dit que les lecteurs réguliers d’un journal choisissent
celui-ci car ils trouvent dedans leurs propres opinions. L’être humain, être rela-
tionnel, a besoin de l’autre pour attribuer de la valeur à ce qu’il fait, à ce qu’il
est. Et les patients, qui sont en démarche de changement, en ont besoin bien
plus.

Complimenter, féliciter, célébrer


!

Souvent, cette validation doit prendre les allures d’une expérience interhumaine,
avec la dimension émotionnelle qui la caractérise. Pour qu’une validation soit
acceptée par le patient, il faut que celui-ci puisse la mettre en rapport avec une
action qu’il a faite. C’est le principe du compliment, ou, à un degré plus fort,
de la félicitation, dont les thérapies brèves font un large usage, du fait de leur
fort impact thérapeutique. En effet, recevoir et accepter un compliment est un
travail intense lors duquel le patient se demande s’il va accepter totalement ou
partiellement le commentaire positif que le thérapeute lui exprime. S’il l’accepte,
il recadre son point de vue sur lui-même en l’enrichissant de nouvelles com-
pétences et capacités. Notre culture, assez réservée, est encore peu habituée
à ce mode d’expression et de pratique thérapeutique. Bon nombre de patients
peuvent être un peu déconcertés lors qu’ils vivent cette expérience pour la
première fois.C’est à plus forte raison le cas lorsqu’un service hospitalier peut
célébrer la fin d’une hospitalisation d’un patient, ou la fin d’un programme de
soin. De telles approches, prônées par les thérapies narratives, ont bien du mal
à pénétrer dans notre système de soin.
Les psychothérapies 273

Valider les aidants


!

L’entourage (conjoint, parents) a également ce même besoin et il importe de le


prendre en charge, d’autant plus que le thérapeute ressentira une culpabilité ou
des doutes chez celui-ci. L’accueil fréquent de l’entourage pendant les séances
à ce but et permet, outre de soulager bien des souffrances, de permettre une
alliance thérapeutique généralement précieuse voire indispensable. Là encore,
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rappelons le célèbre « les patients font de leur mieux » d’Erickson, qui s’applique
bien sûr à toutes les personnes faisant partie de leur système.

Valider les thérapeutes et les thérapies


!

Enfin, la question de la validation du thérapeute et des modèles thérapeutiques


reste très délicate :
➙ Si l’on considère la maxime de la médecine, primum non nocere (d’abord ne
pas nuire), il convient effectivement, devant un bon résultat thérapeutique,
de considérer que le thérapeute n’a au moins pas empêché son patient d’aller
mieux.
➙ Par contre, un tel bon succès n’autorise en aucune manière à en retirer la
preuve que « c’était ça qu’il fallait faire ». Les manières pertinentes d’aider
un même patient sont en général –sauf dans les cas peut-être très graves-,
multiples.
➙ Quant à la validation personnelle du thérapeute, la question est d’une com-
plexité majeure, et souffre d’une recherche très pauvre. Nous espérons que
celle-ci progressera afin de permettre d’identifier les qualités nécessaires à ce
type de professionnel.

Le champ des psychothérapies vit actuellement un remaniement majeur accompa-


gné d’une forte créativité. L’impression de diversité qui en résulte peut parfois être
artificielle. Une telle situation rend nécessaire la mise en œuvre d’études compara-
tives susceptibles d’identifier les analogies, points communs et différences. De telles
connaissances aideront les patients à mieux s’orienter, ainsi que les étudiants en
formation pour qu’ils choisissent les approches dans lesquelles ils seront les plus
confortables et efficaces.
274 C ONSTRUIRE LA COMMUNICATION THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ HYPNOSE

B IBLIOGRAPHIE

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Conclusion
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J EAN-MARIE DELACROIX écrit :
« Moi thérapeute, j’entre dans la conscience de ce qui se passe pour moi en face
de toi qui est mon patient et je t’accompagne pour que tu développes toi aussi
ta capacité à être dans la conscience. Toi patient, tu développes la capacité
à être dans la conscience1 de ton expérience corporelle et intérieure en même
temps que tu me parles de toi, de ton histoire, de tes préoccupations et de ton
expérience en lien avec le fait que c’est à moi que tu te confies.Et à partir de
nous deux ensemble, nous développons la conscience de l’espace commun que
nouscoconstruisons instant par instant2 . » (Delacroix, 2015, p. 134)3

Il s’agit sans doute là d’une fulgurante synthèse de ce qu’est l’acte de commu-


© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

nication en tant que relation entre deux individus. Une expérience, une transe
corporelle, une aventure que l’on partage.
On l’aura compris à la lecture des différentes contributions de cet ouvrage, la
communication à vocation (ou à prétention ?) thérapeutique est un doux assem-
blage de données techniques, d’axes stratégiques, d’un espace de perception,
d’une rencontre interindividuelle et intersubjective. Finalement, communiquer
avec l’autre c’est lui proposer notre empreinte : chacun de nous possède sa

1. Que nous entendons comme attention, perception (« awareness »).


2. Merci à notre collègue et ami Alfonso Santarpia (auteur de : Introduction aux psychothérapies
humanistes, Dunod, 2016) de nous avoir guidé vers cet article.
3. Delacroix J-M. (2015), « Le pouvoir de la conscience dans le processus thérapeutique », Gestalt,
n°47, p. 133-148.
276 C ONCLUSION

signature relationnelle, que nous déclinons au grès des situations, véritable


empreinte dynamique qui nous caractérise. On ne le dira jamais assez, entrer
en relation avec l’autre, communiquer, est une expérience en soi. En cela la
rencontre est déjà porteuse de quelque chose de nouveau, d’un embryon de
changement qu’il va s’agir de laisser éclore et parfois d’aider à grandir. Com-
prendre et faire vivre cela, c’est épouser l’idée que (presque) tout est déjà là ; un
potentiel, des ressources, des possibles. Si le patient perd parfois la perception
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que ce (presque) tout est à sa portée, le thérapeute est celui qui se charge de lui
montrer le chemin pour retrouver cette perception. Acceptera-t-il de reprendre
contact avec cette sensorialité, reprendre le cours du Vivant en organisant un
mouvement vers le mieux pour soi ? La question appartient au seul patient.
Si la communication est un processus naturel, organiser un axe thérapeutique à la
communication ne s’improvise pas. Elle demande une formation, une expérience,
et un certain tact pour « saisir » l’instant. Nous espérons avec cet ouvrage
avoir participé de ce mouvement et nous vous souhaitons de jolies expériences
communicatives !

Antoine Bioy, Thierry Servillat

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