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BAUSCH PHILIPPINE dite PINA (1940-2009)

Dans le monde du spectacle, il n'y a par génération qu'une ou deux révélations artistiques, qui,
d'un coup, bouleversent durablement la façon de percevoir le monde et de le représenter. Et c'est
parfois une seule œuvre qui crée ce choc générateur d'expressions nouvelles. Ainsi, en 1972,
l'Américain Bob Wilson étonna avec Le Regard du sourd, œuvre étrange et profondément
novatrice, privilégiant le geste à la parole, qui allait changer le cours du théâtre contemporain.
Puis, à peine quelques années plus tard, la danseuse et chorégraphe allemande Pina Bausch, après
quelques ballets déjà violemment décapants, tels Les Sept Péchés capitaux (1976) de Bertolt
Brecht et Kurt Weill, va à son tour s'imposer avec l'inoubliable Barbe-Bleue, inspiré de l'opéra de
Béla Bartók. Créée en 1977 et présentée deux ans plus tard à l'étranger, notamment à Paris, cette
première œuvre de « théâtre dansé », avec ses belles sorcières aux longs cheveux, ses matamores
calamistrés et dérisoires projetés contre les murs d'un implacable huis clos, concentrait à elle seule
tant de révolutions qu'elle ne passa pas sans scandale. Car la révolution était d'abord dans la
forme, éclatée et chaotique, pulvérisant toutes les données traditionnelles du ballet, éliminant le
concept de récit, la danse devenant à son tour matière et sujet unique d'une autre sorte de récit,
généré par le spectacle lui-même et n'existant pas en dehors de lui.
VIOLENCE, DÉSESPOIR, ALIÉNATION

D'emblée, la violence du mouvement, le désespoir, l'aliénation exprimés par les corps dansants
imposent un contenu en rupture totale avec ce qui est d'ordinaire montré dans la danse. Et les gens
de théâtre ne s'y trompent pas ; très vite, ils reconnaissent l'ampleur de la secousse et son intensité,
prenant en compte une influence dont personne désormais, ni dans le théâtre ni dans la danse, ne
pourra faire l'économie.
Pourtant, comme tout ce qui est neuf, il faudra quelque temps pour identifier l'art de cette longue
jeune femme silencieuse, jaillie des austères paysages industriels de la Ruhr, où elle est née un
jour de juillet 1940. Malgré la guerre, elle gardera du restaurant familial de Solingen, où elle passe
toute son enfance, un souvenir à la fois émerveillé et triste. Émerveillé, car, blottie sous les tables,
elle peut observer tout à loisir le monde des adultes, à ses yeux fascinant : une posture qu'elle
gardera en quelque sorte toute sa vie. Triste, parce qu'elle est une enfant solitaire, qui garde au
cœur une indéfinissable nostalgie, plus tard traduite, et de quelle façon bouleversante, par Café
Müller.
Douée pour la danse et attirée par le théâtre, elle entre à quatorze ans à la Folkwangschule
d'Essen, alors dirigée par Kurt Jooss, le fondateur de la danse expressionniste, de retour dans son
pays après avoir fui sous le nazisme. À dix-neuf ans, elle part deux années à New York, grâce à
une bourse d'études qui lui permet de fréquenter la célèbre Juilliard School, l'un des lieux les plus
importants d'enseignement de la danse contemporaine. Par ailleurs, elle travaille avec des
chorégraphes comme Paul Sanasardo et Paul Taylor, avant d'être engagée à l'école du ballet du
Metropolitan Opera, dont le chorégraphe britannique Antony Tudor assure alors la direction
artistique.
De retour en Allemagne, elle entre dans la compagnie que Kurt Jooss vient juste de reconstituer.
Danseuse, puis chorégraphe, elle obtiendra le premier prix au concours chorégraphique de
Cologne en 1969. Elle y poussera sa recherche technique, avec deux interlocuteurs hors pair, Hans
Zullig et Jean Cébron, purs produits de l'expressionnisme selon Jooss. Quatre ans plus tard, elle
est appelée comme chorégraphe au Wuppertaler Bühnen et jette bientôt les fondements du futur
Tanzteater.
Après quelques œuvres fort belles mais conçues selon les règles traditionnelles du ballet, le «
système Bausch », cette manière inimitable de produire du spectacle à partir du matériau brut
apporté par les danseurs, s'élabore peu à peu. Si la chorégraphie d'œuvres comme Iphigénie en
Tauride (1974), Orphée et Eurydice (1975) ou Le Sacre du printemps (1975) est encore
entièrement déterminée par la musique, celle des créations qui vont suivre, à commencer
par Barbe-Bleue, relève d'une tout autre démarche. Le spectacle s'élabore à partir des
improvisations des danseurs, elles-mêmes suscitées par les innombrables questions que Pina leur
pose, au cours d'un très long travail préliminaire.
À partir de là, la machine est lancée et la matière ininterrompue du théâtre selon Pina Bausch va
se déployer d'une pièce à l'autre, avec des sommets comme Café Müller (1978), pièce considérée
par beaucoup comme le chef-d'œuvre de la chorégraphe, et aussi, la même année, Kontakthof,
suivi d'Arien (1979), de 1980, de Bandoneon, l'une de ses œuvres les plus puissantes, de Walzer et
de Nelken (1982).
« Je cherche à parler de la vie, des êtres, de nous, de ce qui bouge en nous, se plaît à dire la
chorégraphe au regard gris. Et ce sont des choses dont il n'est plus possible de parler en respectant
une certaine tradition de la danse. La réalité ne peut être toujours dansée. » Pas d'harmonie forcée
en somme, mais une forme juste pour exprimer ce qui doit l'être, même si cette forme n'a plus de
rapport avec la danse, et même si seuls des danseurs de haut niveau peuvent pourtant la servir. «
J'ai un immense respect pour la danse, insiste-t-elle, et c'est pourquoi je l'approche avec de plus en
plus de timidité. »
Dès 1983, Pina Bausch accepte de reprendre la direction de la Folkwangschule d'Essen, où,
comme par le passé, elle privilégie l'enseignement classique, base de l'entraînement de ses propres
danseurs, mais aussi l'enseignement contemporain, ainsi que l'ouverture aux autres arts, se situant
sur ce dernier point dans la meilleure tradition de la danse allemande des années 1920, celle qui
jamais n'hésita à se porter quand il le fallait sur le champ de la réflexion et de la politique. Tout le
travail de Pina s'est d'ailleurs inscrit dans la lignée de cette danse contestataire, faisant flèche de
tout bois, du cabaret grinçant, de la performance ravageuse et des numéros d'acteur de la grande
tradition du lyrisme expressionniste comme de l'usage renouvelé de l'espace scénique.
Personne, en effet, n'a su comme elle lancer ses danseurs dans des diagonales irrésistibles ou des
avancées frontales conquérantes. Personne avant elle n'a su utiliser de manière plus significative
les objets les plus hétéroclites, les musiques les plus hardiment populaires, les défroques les plus
provocantes, talons aiguilles et satins moulants, robes du soir rutilantes et vieux pardessus
informes. Personne n'a su autant qu'elle faire de l'eau, de la terre, des feuilles mortes, de l'herbe et
des fleurs les éléments indispensables à l'élaboration du sens, plaçant la collaboration avec des
scénographes inventeurs comme Rolf Borzik et, plus tard, Peter Pabst, au cœur du processus
créateur.
LE SPECTACLE DU MONDE

Personne n'a su créer un univers aussi personnel à partir de danseurs choisis pour la force de leur
individualité et leur humour corrosif, tels les fidèles de la première heure, Jan Minarik,
Dominique Mercy, Lutz Förster, Beatrice Libonati ou Malou Airaudo. On citera aussi l'inimitable
Mechthild Grossmann, comédienne allemande menant une carrière personnelle, mais jamais bien
loin du Tanztheater Wuppertal. Et des figures historiques comme celles des Australiennes Meryl
Tankard et Josephine Ann Endicott, mémorables jumelles perverses de Kontakthof. Ou encore la
Suisse Anne Martin, la frêle accordéoniste de Nelken, devenue depuis musicienne à part entière.
Et tant de figures inoubliables avec l'Espagnole Nazareth Panadero, provocatrice à la voix de
stentor, le malicieux Polonais Janusz Subicz, les Français Jean-Laurent Sasportès, Helena Pikon,
Anne-Marie Benati, la Japonaise Kyomi Ichida, les Américains Ed Kortland, Arthur Rosenfeld.
Ces femmes et ces hommes de nationalités les plus diverses sont devenus au fil des ans comme les
icônes de notre propre histoire. Avec leurs peurs, leurs rires, leurs férocités, leur irrépressible
besoin d'amour et leur désespérante solitude, ils nous ont entraîné au-delà de la scène. Car on ne
regarde pas une pièce de Pina Bausch, on la vit. Même si, prenant la mesure du temps qui passe,
Pina Bausch a créé, des années 1990 à sa mort (30 juin 2009), des œuvres plus distantes, sinon
plus apaisées, et a choisi des danseurs très jeunes et très « techniques » telle l'étonnante
Indonésienne Ditta Miranda Jasjfi, ou encore la Coréenne Azusa Seyama. Parcourant le monde
avec sa compagnie, elle a rendu compte à sa façon de l'état de la planète, chaque résidence dans
une capitale se traduisant par une pièce en prise directe avec le pays visité. Après Palermo,
Palermo, qui inaugura le dispositif en 1989, on citera Le Laveur de vitres, (1997), issu d'un séjour
à Hong Kong, Wiesenland (2000), issu d'un séjour à Budapest, ou encore Ten Chi (2004),
impressionnant résultat d'un voyage au Japon.
Telle a été l'alchimie de cet art si particulier qui, à travers des formes et des images, a transporté
quelque chose d'une mémoire collective sans cesse réinventée. Telle a été aussi la force de cette
créatrice, qui, avec quelques écrivains et quelques cinéastes de sa génération, comme Botho
Strauss ou Rainer Werner Fassbinder, a su prendre le risque de la séparation, du morcellement, de
l'inquiétude fondatrice pour remonter, et de quelle façon magistrale, de la destruction à l'unité
première. Sans crainte du scandale ni de la transgression.

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