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Qu'est-ce qui pousse les éditeurs à réimprimer des textes plus ou moins anciens,
comme ceux de Mounin (1955,1963), de Cary (1958), de Ladmiral (1979), de Berman
(1984), alors même que la traductologie connaît depuis presque trois décennies une
certaine effervescence, que l'édition est friande de "nouveautés", que la concurrence
universitaire est soumise au diktat du publish or perish?
Dans Les Belles Infidèles, G. Mounin inaugure une double réflexion: historique
— sur certaines options traductionnelles au XVIIIe et au XIXe siècle, et théorique —
sur les contraintes et les enjeux liés à ces options. Cette réflexion rétrospective et
systématique est assez rare, tant historiens et théoriciens de la traduction s'ignorent
fréquemment, le travail des uns étant vite réduit à une sorte d'historiographie fac-
tuelle, celui des autres à une abstraction sans effets. Mounin fait donc œuvre de
novateur en 1955 et apparaît encore comme tel en 1995.
Son essai, assez polémique (essentiellement dans les chapitres 1 et 2), parfois
même franchement de parti pris, par exemple en faveur de Rivarol, de Leconte de
Lisle, contre Paul-Louis Courier, les universitaires, etc., annonce sa thèse (1963):
problématique de la possibilité de traduire, arguments dits polémiques, historiques et
théoriques de cette problématique, recours à la linguistique (d'alors) pour réfuter
certaines positions sur l"'intraductibilité" (p. 13), etc. Mais si le second ouvrage est
"linguistique", de facture assez conventionnelle, le premier est plutôt "littéraire",
l'auteur se faisant l'avocat d'une cause, sans se soucier nécessairement de respecter
les normes du discours de recherche, la logique de la démonstration rigoureuse. On y
trouve même par endroits des arguments spécieux, des jugements de valeur catégori-
ques (voir par exemple les pp. 44-47, 77-78, 84-85). Ainsi le chapitre 1, clé de voûte
pourtant de l'ensemble, est un montage de citations sur les "difficultés", les "dan-
gers", les "insuffisances" de la traduction, qui amalgame des déclarations du XVIe et
du XVIIIe siècle: d'où alors affirmer 1'"impossibilité" de traduire, comme si c'était
une "théorie" absolue, transmise de génération en génération? La nécessité de la
traduction n'est-elle que purement "culturelle" (chapitre 2.1)? La littérature se con-
fond-elle avec la poésie? La dénonciation du "fétichisme" chez certains de l'ordre des
mots, de l'expressivité phonétique suffit-elle à convaincre des potentialités et de la
flexibilité de toutes les langues prises, pourrait-on dire, dans des textes à traduire? Les
exemples tirés d'époques différentes ne justifient-ils pas trop facilement et complai-
samment la profession de foi de Mounin? Des critiques ont déjà été émises sur la
nature, le type des arguments supposés réduire tout effort de traduction à néant (par ex.
Ladmiral 1979: 85-114; Ladmiral 1995; Larose 1989: 33-74, 153-155) et avancés,
manipulés par Mounin en réponse à sa propre question (métaphysique, anhistorique)
sur la possibilité de traduire. Il n'empêche que ses convictions linguistiques, sa
pratique de traducteur, ses connaissances historiques de la traduction confèrent à sa
démarche un certain souffle, donnent à sa démonstration une certaine force.
Selon une dialectique très pédagogique (Chapitre 1 : La traduction est-elle possi-
ble? Chapitre 2: La traduction est possible), l'auteur en vient à proposer une typologie
des manières de traduire (Chapitre 3: Comment traduire?), partie richement illustrée
(surtout de traductions d'Homère et de Dante), définitivement originale — même si on
peut penser que les deux manières principales de traduire ont donné lieu depuis à toute
une série d'écrits sur les ciblistes et les sourciers. Mounin pose sa question mais selon
un angle de vue différent par exemple de Cary (1958): il s'agit moins d'une descrip-
tion de certaines tactiques ponctuelles ou prescriptives même, énoncée dans des
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Références