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3Pour mieux cerner ce qui fait le propre de l’amour, Grimaldi tente de le situer par rapport à la jalousie,
qui en serait une des modalités. Cette dernière est vaguement définie par lui comme étant la « douleur
de l’angoisse ». En d’autres termes, l’angoisse générée par l’absence de l’être aimé contribuerait à faire
de sa présence un besoin – besoin d’autant plus envahissant que l’aimé est inaccessible. L’amour, pour
sa part, serait le « besoin qu’on sent d’une autre personne pour n’avoir plus à souffrir de son absence ».
Aussi l’expérience de l’amour passerait-elle avant tout par la douleur de l’attente.
1 Conclusion qui résulte d’un raisonnement aristotélicien stipulant que la fin d’un être s’y trouve (...)
4En ce qui concerne la source d’une telle attente, le philosophe émet une première hypothèse et soutient
que « l’attente est la conscience même », en ce qu’elle serait à la conscience ce que la tendance est à la
vie – c’est-à-dire son principe 1. Notre disposition amoureuse résulterait alors de la conscience que nous
avons d’être sexués, qui se traduirait par « l’attente indéterminée d’un autre ». C’est dire que l’objet de
l’attente ne serait pas tant une personne qu’un élan ou un désir, celui-ci pouvant se manifester sous trois
différentes formes.
2 Quant à « ce qui ne laisserait plus rien à attendre », deux réponses sont possibles : l’absolu, et (...)
3 À ce sujet, il est possible de se référer à Grimaldi Nicolas, Métamorphoses de l’amour, op. cit., p (...)
5En premier lieu, l’attente, en ce qu’elle nous fait tendre vers l’avenir, suscite un « désir d’aventure » (se
traduisant par la délivrance de l’ennui). L’amour serait alors une « multiplication possible de soi-même »,
de sorte que l’on verrait à travers les personnes aimées une certaine promesse de vies diverses. En ce
sens, on pourrait parler d’« amour par métonymie », c’est-à-dire que nous n’aimerions pas tant une
personne pour elle-même que pour l’expérience qu’elle nous permettrait de vivre. En second lieu, toute
attente porte en elle le désir de ce qui ne laisserait plus rien à attendre ou, en d’autres termes, un désir
d’absolu2 et, donc, « nous dispose à l’amour en ce que l’amour est une secrète attente de l’absolu ».
L’amour serait alors une « révélation3 » dans la mesure où, unissant le sentiment de plénitude à
l’espérance d’éterniser l’instant, il nous permettrait de frôler l’absolu. En dernier lieu, l’attente nous
porterait à répondre à l’attente d’un autre. À ce propos, Grimaldi insiste sur le fait qu’il nous arrive
d’aimer une personne qui, pourtant, ne nous semble aucunement désirable : ce serait alors parce qu’on
imagine qu’en l’aimant, on comblerait son attente – comme si on en était la providence. De fait, nous
tirons une plus grande joie du plaisir que nous pouvons donner que de celui que nous recevons.
6Cette troisième figure de l’attente permet de mettre en contraste les deux ordres qui se partagent notre
existence, à savoir la représentation et la vie. D’un côté, il y a la « représentation » qui, tout en faisant
de notre conscience le centre du monde, sait nous persuader « qu’il n’y a d’objet que pour un sujet ».
Elle ne rend ainsi réelle notre existence que par la perception que les autres ont de nous. En ce sens, ce
que nous aimerions chez une personne serait l’amour qu’elle nous porte. D’un autre côté, il y a la
« vie », celle qui « ne s’enferme dans un individu que pour se communiquer à travers lui ».
Ainsi, participer à l’intensité d’une autre vie nous ferait sentir plus intensément la nôtre, de sorte que
chaque individu aurait son centre hors de soi. Aimer, selon toute vraisemblance, serait « avoir trouvé
hors de soi le centre de sa vie ». Grimaldi termine en affirmant que l’amour, dans sa forme la plus
achevée, ne s’observerait que lorsque « chacun croit avoir tout reçu de l’autre et n’aspire à rien tant qu’à
le faire rayonner ».
7À travers cette leçon de philosophie – qui s’avère une excellente introduction aux Métamorphoses de
l’amour –, Grimaldi nous offre dans une prose des plus envoûtantes une définition de l’amour d’autant
plus riche qu’elle se veut accessible à tous. Toutefois, même si la thèse selon laquelle l’amour se trouve
fondamentalement lié à l’attente est digne d’intérêt, nous pouvons nous questionner quant à l’écho que
laissera entendre cette sorte d’amour. Tout d’abord, s’il n’y a que des raisons d’aimer au sens intransitif
du terme, et non pas des raisons d’aimer une personne en particulier, ceci ne rendrait-il pas – en
quelque sorte – les personnes aimées interchangeables ? On peut ensuite se demander si la passion
amoureuse, ici considérée comme une sorte d’« aveuglement », serait vouée à l’éphémère. En effet, si
l’amour est une « déraison », se pourrait-il qu’une soudaine prise de conscience entraine le dénouement
d’une première passion, puis, successivement, d’autres passions semblables ? L’amour grimaldien
saurait-il « déraisonnablement » vaincre le joug du temps ? En ce sens, la durée de l’instant que la
relation amoureuse cherche à prolonger n’appartiendrait plus nécessairement à l’aimé (ou à un
quelconque « destin »), mais émanerait plutôt du cœur de l’amant. Un amoureux conscient du fait qu’il
pourrait être celui d’entre les deux qui conclurait l’histoire serait-il toujours prêt à aimer ? Pourrait-on
croire en notre éventuelle incapacité à colmater l’attente de l’être aimé et, par peur de décevoir,
renoncer à tout amour ?
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NOTES
1 Conclusion qui résulte d’un raisonnement aristotélicien stipulant que la fin d’un être s’y trouve dès le
commencement. À ce sujet, voir Grimaldi Nicolas, Métamorphoses de l’amour, Paris, Livre de Poche, coll.
« Biblio/Essais », 2012 (2011), p. 62-67 et Grimaldi Nicolas, Traité des solitudes, Paris, PUF, coll.
« Perspectives Critiques », 2003, p. 43-64.
2 Quant à « ce qui ne laisserait plus rien à attendre », deux réponses sont possibles : l’absolu, et la
mort. L’étude de l’amour se poursuivra toutefois en examinant seule la quête entourant l’absolu.
3 À ce sujet, il est possible de se référer à Grimaldi Nicolas, Métamorphoses de l’amour, op. cit., p. 76-
87.
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Référence électronique
Isabelle Cloutier, « Nicolas Grimaldi, L’Amour en quatre leçons de philosophie. Amour, Passion & Jalousie
(DVD 3) », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 24 octobre 2013, consulté le 26
mars 2021. URL : http://journals.openedition.org/lectures/12494 ; DOI :
https://doi.org/10.4000/lectures.12494
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DISCIPLINE
Philosophie
Sébastien Fleuriel, Jean-François Goubet, Stéphan Mierzejewski, Manuel Schotté (dir.), Ce
qu'incorporer veut dire [livre]
Bernard Manin, Loïc Blondiaux (dir.), Le tournant délibératif de la démocratie [livre]
RÉDACTEUR
Isabelle Cloutier
Étudiante au baccalauréat en philosophie à l’Université Laval
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