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David Bastidas

Master Europhilosophie
Université Toulouse II-Jean Jaurès

Esquisse d’introduction générale : Sur les multiplicités chez Gilles Deleuze

Comme on le sait depuis Qu’est-ce que la philosophie ?, la philosophie est l’art de former,
d’inventer et de fabriquer des concepts (QF : 81). D’héritage grec, le philosophe et celui qui
se veut comme l’ami du concept, le prétendant d’une curieuse amitié, d’un singulier goût
pour la sagesse ou le vrai. Le philosophe est celui qui connaît l’épreuve du concept : en
possession ou en absence de concepts « il sait lesquels sont inviables, arbitraires ou
inconsistants, ne tiennent pas un instant, lesquels au contraire sont bien faits et témoignent
d’une création même inquiétante ou dangereuse » (QF : 9). C’est pourquoi, plus strictement,
la philosophie est pour Deleuze et Guattari la discipline qui consiste à créer des concepts
toujours nouveaux, création qui renvoie au philosophe comme à celui qui a la puissance ou la
compétence pour effectuer cet acte. Cette conception de la tâche proprement philosophique
implique que les concepts ne nous attendent jamais tout faits, les concepts ne sont pas de
trouvailles, de formes ou de produits déjà fabriqués, « il n’y a pas de ciel pour les concepts »
(QF : 12). Chaque concept est, d’une certaine manière, une question à développer et un
problème à déplier jusqu’à ses ultimes conséquences : la tâche de la philosophie s’impose au
philosophe comme une création qui convoque son créateur, comme un monde possible qui
appelle son démiurge pour se réveiller à l’existence. De ce point de vue, la philosophie est, en
dernière instance, une singulière entreprise de pullulation conceptuelle, c'est-à-dire, une
création toujours renouvelée de toute sorte de concepts. Le philosophe sera donc celui qui se
lance dans cette extraordinaire entreprise : ami et créateur des concepts.

Nous croyons que cette définition de la philosophie encapsule à grands traits le projet
philosophique deleuzien. Dans toute son œuvre Deleuze n’a jamais cesser d’inventer, de
fabriquer et de créer des concepts toujours nouveaux. Son corpus est lui-même la preuve
d’une extraordinaire pullulation conceptuelle : la différence, la répétition, l’expression, le pli,
le corps sans organes, le devenir, l’agencement, le plan d’immanence, entre autres, sont des
concepts philosophiques qui porteront à jamais la signature de Deleuze. Chaque concept est
ici un événement philosophique qui détient une consistance, une historie, un devenir et une
articulation propres ; chaque concept déroule une problématique singulière, chaque concept
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Dans ce texte nous utilisons les abréviations suivantes : QF pour Qu’est-ce que la philosophie ? (Deleuze &
Guattari, 1991), B pour le Bergsonisme (Deleuze, 1966), Pp pour Pourparlers (Deleuze, 1990) et DRF pour
Deux régimes de fous (Deleuze, 2003)

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est la solution que la pensée se donne comme sa puissance créative face à une situation
déterminée. Parmi tous ces concepts nous trouvons qu’il y en a un qui est particulièrement
remarquable. Il s’agit de la notion de multiplicité. D’un certain point de vue, nous croyons
que la philosophie de Deleuze peut être définie non seulement comme une philosophie de la
différence, de l’évènement, de l’immanence, ou, plus récemment, de mouvements aberrants,
mais encore comme « une philosophie de multiplicités », une philosophie qui thématise la
notion de multiplicité en tant que telle. Depuis son introduction en 1966 dans le deuxième
chapitre du Bergsonisme (cf. B : 29-44) la notion de multiplicité traversera l’œuvre
deleuzienne comme l’un de ces concepts clé, comme l’un de ces opérateurs conceptuels qui
deviendra une constante fondamentale dans la construction de cette philosophie. D’origine
riemannienne et bergsonienne, la notion de multiplicité s’insère au cœur du système
deleuzien, opérant un rôle déterminant dans des notions telles que l’Idée ou l’intensité, dans
Différence et répétition, ou encore dans des complexes tels que le plan de consistance ou le
plan d’organisation, dans Mille plateaux. Au fur et à mesure que Deleuze complexifie son
système, la notion de multiplicité complexifie elle aussi sa trame et sa consistance. Il y a
certainement un devenir de la notion de multiplicité que la pensée de Deleuze développe et, à
cet égard, nous nous proposons de l’interroger, de suivre son parcours et de reconstruire son
articulation au sein de cette philosophie. En ce sens, l’objet de notre mémoire sera le chemin
et l’itinéraire que prennent les multiplicités à travers la philosophie deleuzienne.

Cette importance que nous accordons à la notion de multiplicité n’est pas étrangère aux avis
de Deleuze sur son propre projet philosophique. Il accordait un rôle crucial à la notion en
question lorsqu’il dit en 1985, dans un entretien pour le Magazine littéraire no 257, qu’il
« [conçoit] la philosophie comme une logique des multiplicités » (Pp : 201) ; ou, plus encore,
lorsqu’il avoue en 1993, dans la lettre-préface au livre de Jean Clet Martin, que l’essentiel
pour lui, ce sont les multiplicités (DRF : 339). Chez Deleuze cet intérêt pour les multiplicités
se concrétise toujours dans une nette distinction entre deux types de multiplicités. L’essentiel
pour notre auteur est de distinguer clairement les deux types de multiplicités qui se croisent,
se mêlent et se confondent dans chaque situation, dans chaque « mixte » qu’il aura à analyser.
C'est ainsi que se dessinent, d’une façon assez sommaire, les grandes distinctions qui
composent l’itinéraire de la notion de multiplicité : dans le Bergsonisme nous trouverons,
d’un côté, les multiplicités continues, hétérogènes et qualitatives propres à la nature de la
durée et, d’autre côté, les multiplicités discontinues, homogènes et quantitatives propres à la
nature spatiale ; dans Différence et répétition cette distinction s’exprimera dans la différence

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entre les multiplicités virtuelles-intensives et les multiplicités actuelles-extensives ;
finalement, dans Mille plateaux, cette distinction expérimentera, pour ainsi dire, une
« extension du domaine de la lutte » : on retrouvera, d’un côté, les multiplicités
rhizomatiques, acentrées, plates, de meute, lisses propres du plan de consistance, et, d’autre
côté, les multiplicités arborescentes, centrées, numéraires, de masse, striées propres au plan
d’organisation. La philosophie, comme logique de multiplicités, consiste donc à « faire la
différence » entre ces deux types de multiplicités, distinction qui rend la notion de
multiplicité toujours multiple à son intérieur : une multiplicité est toujours une multiplicité
dans chaque multiplicité. Ce chemin de la notion en question nous montre la transversalité
que prend ce concept à l’intérieur de la pensée deleuzienne : la multiplicité s’articule aussi
comme une distinction clé qui permet de tisser et de construire les grands concepts de cette
philosophie tel que la Différence ou le Rhizome. De cette manière, cette notion peut être
conçue aussi comme un outil ou un opérateur conceptuel qui traverse plusieurs registres de la
philosophie deleuzienne, qui détient une place décisive dans l’articulation du système et qui
se développe au fur et à mesure que les problèmes de cette philosophie se développent eux-
mêmes aussi.

Vu l’importance accordée à cette logique des multiplicités que développe Deleuze, il n’est
pas étonnant de constater que déjà plusieurs auteurs ont souligné la pertinence que ce concept
joue au sein du deleuzianisme2. En ce sens, l’intérêt que nous portons à l’égard de cette
notion n’est pas du tout quelque chose du nouveau. On a même déjà souligné le parcours que
nous voulons entreprendre (cf. Sasso & Villani, 2003, pp. 260-265 et Zourabichvili, 2003, pp.

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Parmi les œuvres en français qui ont souligné et développé explicitement la notion de multiplicité dans la
pensée deleuzienne nous pouvons mentionner, entre autres, les suivantes : 1) Variations : la philosophie de
Gilles Deleuze (Martin, 1993, pp. 179-184), 2) Gilles Deleuze ou le système du multiple (Mengue, 2008, p.45,
pp. 69-76, pp. 95-96), 3) Deleuze : une philosophie de l’événement (Zourabichvili, 1994, pp. 82-90), 4)
Deleuze : la clameur de l’Être (Badiou, 1997, pp. 7-15), 5) La guêpe et l’orchidée (Villani, 1999, pp.85-91), 6)
Gilles Deleuze: L’épreuve du temps (Laporte, 2005, pp. 41-56), 7) Deleuze: l'empirisme transcendantal
(Sauvagnargues, 2009, pp.99-105), 8) La philosophie transcendantale de Gilles Deleuze (Lleres, 2011, pp.31-
36, pp.82-89). Il faut mentionner aussi que le mot « multiplicité » est repris dans les deux dictionnaires du
vocabulaire deleuzien parus en français : 1) Le vocabulaire de Gilles Deleuze (Sasso & Villani, 2003, pp. 260-
265), 2) Le vocabulaire de Deleuze (Zourabichvili, 2003, pp. 51-54). Même si ces travaux remarquent
l’importance et le parcours de la notion de multiplicité depuis son émergence dans le Bergsonisme jusqu’à son
rôle dans Qu’est-ce que la philosophie ? il nous semble précisément que ce parcours même n’a pas été
complétement développé et problématisé. Par exemple, on prend souvent pour acquis la relation de continuité
que Deleuze établit entre Riemann et Bergson dans le Bergsonisme ; on tend à confondre le rôle, la nature et la
connexion d’une multiplicité dite virtuelle et d’une multiplicité dite intensive dans le contexte de Différence et
répétition , et on ne se demande jamais sur la signification d’une multiplicité comme « quantité intensive » ; on
ne détermine pas assez clairement la nature de l’articulation, l’importance des distinctions et la logique des deux
types de multiplicités à l’œuvre dans chaque plateau dans Mille plateaux. Il nous paraît que, même si on
reconnaît que Deleuze est le « philosophe de multiplicités », la nature de ce concept et les distinctions où il est
développé n’ont pas été suffisamment explorés.

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51-54) . Et, donc, à quoi bon de nous intéresser à un sujet qui semble déjà traité ? C'est que
nous constatons que ce devenir de la notion de multiplicité dans la pensée de Deleuze n’a pas
été suffisamment problématisé. A ce propos, nous nous attachons à suivre et reconstruire pas
à pas l’itinéraire problématique des distinctions dans lesquelles les multiplicités s’expriment à
chaque stade de son développent conceptuel. En d’autres termes, nous voudrions parcourir le
chemin que traverse la notion de multiplicité en montrant, d’un côté, les types fondamentaux
de distinctions dans lesquelles se retrouvent ces mêmes multiplicités et, d’autre côté, restituer
le champ problématique qu’implique à chaque moment la distribution opérée par ces mêmes
distinctions.

C’est ainsi que nous nous bornerons à la problématisation du parcours de la notion de


multiplicité. Ce parcours que nous voulons suivre vise à restituer les dynamiques
d’articulation que le concept de multiplicité traverse : il s’agit de suivre le devenir de cette
notion pour lui restituer sa consistance, pour examiner son histoire et pour déterminer sa
précise singularité à chaque stade de son déroulement. Ainsi, nous porterons notre attention
sur trois moments clé dans la philosophie deleuzienne : 1) d’abord l’alliance que se tisse
dans le Bergsonisme entre la notion riemannienne de multiplicité continue et la notion de
multiplicité qualitative que Bergson développe dans l’Essai sur les données immédiates de la
conscience, alliance enveloppée dans la formule que Deleuze crée pour décrire la nature de la
durée, à savoir, « ce qui ne se divise qu’en changeant de nature, ce qui ne se laisse mesurer
qu’en variant de principe métrique à chaque stade de la division » (cf. B : 32) ; 2) puis nous
analyserons la formalisation que cette formule subit dans Différence et répétition à travers la
double voie qui s’ouvre à partir de la distribution de la « synthèse idéelle de la différence » et
de la « synthèse asymétrique du sensible » : on retrouve ici un double chemin pour les
multiplicités, soit du côté dialectique de l’Idée virtuelle, soit du côté esthétique de l’intensité
impliquante ou quantité intensive ; 3) finalement, nous voulons explorer la généralisation
qu’éprouve cette formalisation dans le contexte de Mille plateaux d’après la distribution
opérée entre multiplicités lisses et rhizomatiques et multiplicités striées et arborescentes.
Notre hypothèse consiste à croire qu’en parcourant les différentes distinctions dans lesquelles
s’exprime la notion de multiplicité nous pourrons découvrir et caractériser, en dernière
instance, la nature de ce concept, la logique qu’il déploie et les divers registres qu’il traverse
dans la philosophie deleuzienne. C'est ainsi que nous espérons faire justice et prendre au
sérieux ce concept, et, par conséquent, devenir aussi l’ami de ce concept lui-même.

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Références utilisées

Œuvres de Gilles Deleuze

Deleuze. G (1966). Le bergsonisme. Paris: P.U.F.

Deleuze. G (1968). Différence et répétition. Paris: P.U.F.

Deleuze, G. (1990). Pourparlers 1972-1990. Paris: Minuit.

Deleuze, G. (2003). Deux régimes de fous, Textes et entretiens 1975-1995 (édition préparée
par David Lapoujade). Paris: Minuit.

Deleuze, G. & Guattari, F. (1991). Qu’est-ce que la philosophie ?. Paris: Minuit.

Autres références

Badiou, A. (1997). Deleuze. La clameur de l’Être. Paris: Hachette.

Laporte, Y. (2005). Gilles Deleuze. L’épreuve du temps. Paris: L’Harmattan.

Lleres, S. (2011). La philosophie transcendantale de Gilles Deleuze. Paris : L'Harmattan.

Martin, J.C. (1993). Variations  : la philosophie de Gilles Deleuze. Paris : Payot & Rivages.

Martin, J.C. & Villani, A. (2003) « Multiplicité », dans Le Vocabulaire de Gilles Deleuze.
Paris : Vrin.

Mengue, P. (1994). Gilles Deleuze ou le système du multiple. Paris: Éditions Kimé.

Sauvagnargues, A. (2010). Deleuze. L’empirisme transcendantal. Paris : P.U.F.

Villani, A. (1999). La guêpe et l’orchidée  : Essai sur Gilles Deleuze. Paris : Belin

Zourabichvili, F. (1994). Deleuze: une philosophie de l’événement. Paris : P.U.F.

Zourabichvili, F. (2003). Le vocabulaire de Deleuze. Paris : Ellipses.

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