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des contrats.
Alain Ghozi - Raymonde Vatinet
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Consultation publique ouverte par le Livre vert relatif aux actions envisageables en vue
de la création d’un droit européen des contrats.
On pourrait s’en tenir à cet argument pour contester dans son fondement
juridique toute initiative tendant à créer un code civil européen destiné à
remplacer, d’une manière ou d’une autre, le Code civil qu’un peuple de l’Europe
s’est donné ou à en détruire la cohérence par des adjonctions inappropriées. Il
faut cependant prolonger la réponse en évoquant l’initiative et le problème de
fond
Déjà, lors d’une précédente consultation, nombre des réponses ont insisté sur
l’inutilité de pareille entreprise. Pourquoi donc y revenir sans cesse ? Serait-ce
l’aveu du dépit éprouvé par ceux qui auraient souhaité une autre réponse ? Ou
s’agirait-il de légitimer a posteriori l’élaboration d’un code confiée à un groupe
de travail qui s’est employé à exclure de ses membres tous ceux qui étaient
susceptibles de proposer d’autres conceptions que les siennes ? On ne se laissera
pas abuser par ces réunions de juristes souvent auto-désignés, singulièrement
préférés à d’autres pourtant fortement investis dans des réflexions de cet ordre,
pour la seule raison de leur faveur ostensiblement affichée pour le projet sur
lequel porte l’actuelle consultation et que l’on présente abusivement comme une
entreprise ouverte. En réalité, on le sait, tout est déjà fait ; le code existe déjà,
effectivement : ses rédacteurs, aidés financièrement par les autorités compétentes,
sont connus ; leur talent tient dans leur aptitude à porter des idées qui semblent
correspondre à celles des autorités en place, à moins qu’ils ne les leur imposent en
laissant à croire qu’elles correspondent à un sentiment largement partagés ? Mais
les codes, les vrais, ne se décrètent pas ; ils expriment une légitimité sociale dans
laquelle ils puisent leur autorité.
Autrement dit, cette consultation n’est qu’un leurre. Elle est là pour laisser à
croire aux ignorants qu’il y aurait un grand projet à réaliser, un de plus, à même
de fédérer par le rêve ceux, de plus en nombreux, qui sont désenchantés par les
orientations retenues par les instances européennes depuis un certain temps déjà.
Il suffit de considérer la situation actuelle de l’Europe: elle se trouve aux mains
d’économistes qui croient trouver dans le mythe d’un marché, nécessairement
rendu uniforme par et pour les seuls besoins d’une concurrence débridée, la
réponse à toutes les questions sur lesquelles les peuples butent. Telle n’était
pourtant pas la finalité que les pères de l’Europe lui avaient assignée : il fallait
prolonger le succès de la communauté du charbon et de l’acier (Ceca) par de
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nouvelles solidarités créées par la libre circulation des personnes et des biens.
Pour preuve de ces dérives successives, les glissements du marché commun vers
un marché unique, qui lui-même est progressivement dilué dans le marché
mondialisé, sous l’autorité apparente de l’OMC et sous l’autorité réelle de la
concurrence par le moins disant social. Les personnes, les « citoyens européens »,
ne sont plus que des agents de production, constitutifs de la variable d’ajustement
de la rentabilité du capital à court terme !
Comment donc imaginer un code et un seul pour régir la vie civile de tant de
peuples aux cultures différentes ? Une telle entreprise supposerait que toutes les
relations de vie privée, du couple à la famille, du contrat aux successions, soient
asservies à pareille disqualification de la personne en un agent économique ; et les
relations devraient être subordonnées à ce que commande la conception de la
concurrence en vogue. Ces économistes eussent–ils réussi qu’on aurait pu
s’attarder à cette conception de la vie sociale ! Or, ils vont d’échec en échec, avec
pour seule solution la fuite en avant. Ainsi en dernier lieu «Vers un Acte pour le
Marché unique – Pour une économie sociale de marché hautement compétitive –
50 propositions pour mieux travailler, entreprendre et échanger ensemble » .
Abstraction faîte de la majuscule qui espère grandir le marché unique, quel
programme ! Que de bons et beaux sentiments! Que de rêves!
Il n’y a pas lieu d’aller plus loin dans l’asservissement à une concurrence qu’on
masque par le cosmétique des bons sentiments. Il n’y a pas lieu d’élaborer un
code civil pour tous dans le fol espoir de légitimer, pour les sauver, les excès de
la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. La proclamation de droits subjectifs
exacerbés demeurera pure incantation tant que l’homme sera réduit à sa seule
qualité d’agent économique ayant pour fonction d’alimenter la circulation des
instruments monétaires.
Les autorités européennes ne sont pas candides. Chaque fois qu’un besoin réel
d’harmonisation, voire d’uniformité, se présente à elles, elles interviennent sans
trop s’encombrer des avis des uns et des autres : ainsi des multiples interventions
en matière de transport, pour ne retenir qu’un exemple parmi tant d’autres. Elles
imaginent même pouvoir endiguer les effets des tempêtes de neige sur les
aéroports ! Elles savent aussi transformer tout agent économique en un
consommateur chaque fois qu’elles souhaitent élargir leur champ de compétence.
Du même coup, elles pervertissent, à des fins économiques, les finalités
théoriquement assignées aux règles de droit. L’exemple du droit de la
consommation est, à cet égard, significatif : il faut bien comprendre que, dans leur
conception, le droit de la consommation ne sert qu’à standardiser les droits du
client pour permettre au professionnel de prévoir la durée et l’étendue de sa
garantie. Or, comme la tradition romaine nous l’a enseigné, le professionnel n’est
vertueux qu’autant qu’il ne peut pas contrôler, à l’avance, les comportements de
ses clients. Ici, un abîme sépare les orientations exclusivement mercantiles du
législateur européen, de l’ambition moralisatrice ou à tout le moins
prophylactique d’un Code. Au reste, le programme déjà signalé « Vers un Acte
pour le Marché unique -Pour une économie sociale de marché hautement
compétitive- 50 propositions pour mieux travailler, entreprendre et échanger
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Un Code civil exprime des valeurs communes à tous, dans tous les domaines
de la vie civile. Ces valeurs sont forgées par l’histoire des peuples. Elles sont le
ferment d’un consensus sur lequel le corps social se retrouve. Le plus souvent, ces
valeurs se sont exprimées à travers des usages ou des coutumes avant d’être
consacrées par la loi. C’est ainsi, une fois encore, que les codes se font ; ils ne se
décrètent pas ! C’est dire que le projet de construire un code civil à l’échelle de
l’Europe est une entreprise parfaitement artificielle, conçue à l’initiative de
quelques professeurs en quête de notoriété (et de moyens financiers), indifférents
aux besoins réels du corps social.
Occulter des débats de cet ordre procède de l’argument d’autorité de celui qui
entend imposer sa volonté unificatrice envers et contre tous, en piétinant les
cultures juridiques nationales, en ignorant les besoins sociaux réels, en méprisant
les différences...
Puisque la concurrence envahit tous les domaines de la vie sociale, que les
autorités européennes, cohérentes avec leur dogme, veuillent bien maintenir
la concurrence des modèles juridiques, et respecter l’identité nationale des
Etats qui la constituent dans le respect de la Charte des droits fondamentaux.