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Alexis Keller
BARI 2 2010/2011
Introduction :
• Les objectifs visés par l’étude de l’émergence du concept moderne de l’Etat sont au
nombre de trois :
• Le plan du cours est divisé en trois parties et suit le schéma identifié par John S. Mill : dans
leur opposition philosophique, les traditions scholastiques et humanistes issues de la
Renaissance italienne vont laisser à leurs successeurs des grilles de lecture pour définir ce
que Hobbes appellera l’Etat ; cette définition, Hobbes y culmine grâce aux arguments de
Machiavel sur la république, des réformistes sur le pouvoir et la résistance et de Jean Bodin
sur la souveraineté ; les philosophes des Lumières vont alors débattre sur l’idée d’un Etat
juste et libre, idées qui se verront matérialiser par la plume des révolutionnaires américains
dans la Constitution des Etats-Unis ; depuis lors, des progrès incrémentaux issus de débats
continus vont permettre de peaufiner le concept d’Etat, considéré comme achevé dès le
milieu du XIXème siècle.
PREMIERE PARTIE : LA NAISSANCE DU CONCEPT D’ETAT
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Chapitre I - La Renaissance italienne :
Introduction :
• Le cadre théorique de la création du concept d’Etat est initié par deux traditions
philosophiques qui apparaissent pendant la Renaissance italienne : la tradition scholastique
et humaniste.
• Définition : res publica : littéralement chose publique, il s’agit d’un concept qui se réfère à
un Etat gouverné au moins partiellement en fonction du bien du peuple, par opposition à un
Etat gouverné en fonction du bien privé des membres d'une classe ou d'une personne unique.
• La tradition scholastique émerge en Europe au XIIIème siècle autour d’un corpus très
particulier ; en effet les scholastiques réfléchissent au politique (res publica) et au droit à
partir de la bible. Ce mouvement éminemment ecclésiastique est largement basé sur la bible
mais aussi sur les lectures d’Aristote qu’on « redécouvre » avec la Renaissance. La pensée
scholastique se développera dans les monastères de France et d’Italie du Nord et sera porté
principalement par des moines qui constituent l’essentiel de l’intelligentsia du monde
catholique médiéval.
• Les scholastiques vont se pencher sur des questions telles que l’autorité religieuse et/ou
politique, la place de l’église dans la société, le rôle du chrétien et d’autres : ils emploient un
langage de religieux et d’institutionnel, qui sont les deux thèmes centraux de leur pensée. La
philosophie scholastique pose quatre propositions :
iii). Une res publica doit pour survivre privilégier l’union à la discorde ;
iv). L’essentiel d’une res publica réside non pas dans ses citoyens ou ses
gouvernants, mais dans ses institutions ;
• Face à la tradition scholastique va se construire la tradition humaniste qui voit le jour dans
les cités de l’Italie du Nord. Les humanistes vont critiquer les scholastiques sur trois points :
- Ils dénoncent l’abstraction juridique des scholastiques et leur lecture erronée du droit
romain ;
- Ils refusent l’adéquation entre richesse et vertu prônée par les scholastiques ;
- Ils opposent la vision linéaire de l’histoire qu’ont les scholastiques par une vision
cyclique ;
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• La philosophie humaniste se caractérise par cinq affirmations fondamentales :
i). L’homme est autonome : il est maître de sa volonté et peut décider de son propre
destin.
ii). La liberté politique est centrale et doit être défendue à tout prix :
iii). Pour préserver cette liberté politique, les citoyens d’une res publica doivent être
prêts à la défendre et participer à l’élaboration des règles qui leur sont imposées.
iv). Un cadre institutionnel pertinent et juste ne suffirait pas pour assurer la viabilité
d’une res publica, encore faut-il des citoyens et des gouvernants vertueux.
• Parmi les philosophes politiques que produira la tradition humaniste, le plus éminent est
sans doute le florentin Machiavel. Ce dernier jouera un rôle central dans l’émergence du
concept d’Etat à travers les nombreux écrits qu’il laissera à la postérité.
a). Biographie :
• Nicolas Machiavel (1469-1527) naît à Florence le 3 mai 1469 au sein d'une famille
aisée, rattachée par son père à la corporation des notaires et des juges ; ses aïeux
paternels ont occupé de nombreux postes dans le gouvernement et l'administration de
la République. De sa formation, on ne connaît guère que son initiation aux humanités
latines ainsi qu'aux mathématiques et, sous l'impulsion de son père juriste, ses études
de droit [un parcourt humaniste des plus typiques].
• Après 14 ans de vie publique, c'est alors que commencera une retraite forcée de
près de 15 ans, hormis quelques rares et éphémères rentrées en grâce auprès des
Médicis ; c'est alors surtout qu'il composera ses principaux ouvrages de pensée
politique (Le Prince (1513/1532) et les Discours sur la première décade de Tite-Live
(1512-1519/1531) entre d’autres. Il laissera par ailleurs une œuvre littéraire non
négligeable de poésie (Les Décennales ; les Capitoli et l'Ane d'Or) et de comédies
(La Mandragore ; Clizia).
• Machiavel meurt le 21 juin 1527 et est enterré dans l'église Santa Croce ; son
tombeau porte l’épitaphe suivante : "Nicolas Machiavel : aucun éloge ne saurait égaler
ce seul nom" (Tanto nomini nullum par elogium).
- Dans ces lettres aux dirigeants florentins, Machiavel fait part de ses
préoccupations et les met en garde contre leur indécision et leur perception
illusoire de la réalité. Il souligne la nécessité de forger une politique étrangère
réaliste et concertée, capable de se décider rapidement et adéquatement afin
de promouvoir au mieux les intérêts de la nation.
• En 1502, il est envoyé auprès de César Borgia, Duc de Romagne, qui s’est éprit de
l’ambition de conquérir Florence.
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- Machiavel est frappé par l’incapacité de ce jeune Duc bien trop confiant à
saisir la réalité des rapports de force et le danger de la duplicité du futur Pape
Jules II, qui tout en le manipulant va finir par le trahir et l’abandonner.
• En 1505, Machiavel est envoyé vers le nouveau Pape Jules II, afin d’évaluer la
fidélité de ce dernier à son alliance avec Florence face au gain d’influence de la
Coalition espagnole dans la Péninsule italienne.
c). Le Prince :
• Machiavel stipule que pour conserver son pouvoir, un prince doit avant tout
posséder deux éléments essentiels : la fortuna et la virtu. La fortuna, du nom de la
Déesse romaine du destin et de la chance, est un concept antique que Machiavel fait
ressurgir en l’opposant à la providence catholique : bien que la fortune ait un rôle à
jouer, la volonté des hommes demeure largement autonome, leur libre arbitre
orientant leur destin, en partie du moins. Ensuite, Machiavel féminise la conception de
la fortuna, et déclare que le prince doit la séduire s’il veut s’attirer ses bonnes grâces ;
pour se faire il doit impérativement cultiver un ensemble de vertus, culminant à la
virtu. Aussi, il met en garde ceux de ces lecteurs qui comptent trop sur la fortune :
celle-ci est changeante, ce qui appelle à la vigilance, à l’anticipation et à une
adaptation constante aux caractéristiques changeantes du temps.
• Cependant, si la plupart des humanistes prônent la sagesse, la justice et l’honnêteté,
Machiavel va réfuter ces vertus tout en prônant des attributs bien plus pragmatiques :
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il faut que le Prince apprenne à ne pas être bon. Cette phrase lourde de
conséquences marque l’innovation de Machiavel et annonce ces principes de
distinction entre le pouvoir et l’apparence du pouvoir d’une part, et entre la fin et les
moyens d’un dessein d’autre part : c’est là le fondement du machiavélisme.
- « … [C]elui qui laisse ce que l’on fait pour ce que l’on devrait faire,
apprend plutôt à se perdre qu’à se préserver : car un homme qui veut en
tous le domaines faire profession de bonté, il faut qu’il s’écroule au
milieu de gens qui ne sont pas bons. Aussi est-t-il nécessaire à un prince,
s’il veut se maintenir, d’apprendre à pouvoir ne pas être bon, et à en user
et n’en pas en user selon la nécessité. »
- « Il est nécessaire pour le prince d’être assez sage pour pouvoir fuir le
mauvais renon des vices qui lui ôteraient le pouvoir, et pour se garder de
ceux qui ne le lui ôteraient pas, si possible ; ne le pouvant pas, il peut s’y
laisser aller avec moins de crainte. […] Car, tout bien considéré, on
trouvera certaine chose qui apparaîtra une vertu, et qui, à la pratiquer,
sera sa chute, et telle autre qui semblera un vice et qui, à la pratiquer, lui
procure sécurité et bonheur. »
- Dans les chapitres XVI, XVII et XVIII, Machiavel promeut les « nouvelles
vertus » du prince que sont l’hypocrisie, la ruse, la parcimonie (ou radinerie) et
un rapport judicieux entre la cruauté et la pitié. S’il défend la nécessité d’être
réputé généreux, il met ses lecteurs en garde contre les dangers d’une
libéralité excessive qui, tout en appauvrissant le prince, ne lui donnera pas
nécessairement la renommée souhaitée. En ce qui concerne la cruauté et la
pitié, ou la crainte et l’amour du prince, les deux seraient souhaitables :
- « [Bien qu’il soit] beaucoup plus sûr d’être craint qu’aimé, si l’on doit
manquer de l’un des deux […], chaque prince doit désirer être réputé
miséricordieux et non pas cruel : néanmoins, il doit prendre garde de ne
pas faire un mauvais usage de la pitié. »
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• Dès 1513, Machiavel adhère à un groupe de philosophes humanistes dont la
question centrale sera non pas la controverse des vertus d’un prince, mais du destin
des républiques. Ce cercle intellectuel va s’interroger sur les conditions d’existence et
de corruption d’une république en prenant pour modèle la Rome antique.
• Machiavel, qui s’est intéressé aux vertus d’un homme, va appliquer la même grille
de lecture à un régime politique avec les deux questions suivantes : « quelles sont les
conditions qui permettraient à une république de se maintenir ? » et « existe-il des
vertus pour le corps social tout entier qui permettraient à cette république de ne pas
se corrompre ? ». De ces deux questions en découlera une troisième, celle de la
liberté du citoyen.
• Il tentera de répondre à ces grandes questions non pas en se basant sur sa propre
expérience, mais sur l’histoire de la Rome antique à travers les écrits de l’éminent
historien romain Tite Live. En étudiant l’histoire romaine, qui l’inspire et le fascine,
Machiavel aboutit à trois conditions qui permettraient à une république de se maintenir
et de prospérer :
• Bien qu’humaniste, Machiavel donne son lot d’importance aux lois et aux institutions,
qui lui semblent non moins importantes que la nature du titulaire de pouvoir : si le
second est éphémère, les premiers perdurent. La loi doit prévaloir, garantissant la
liberté aux citoyens (en leur donnant la capacité de participer à l’élaboration des lois),
protégeant la république et le peuple des méfaits de la corruption.
- La corruption, ou dégénérescence, occupe une place centrale dans les
discours de Machiavel : elle serait une cause primaire de la faillite des
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républiques. Si la corruption des élites au pouvoir est tolérable dans un premier
temps, (elle tient souvent du titulaire du pouvoir, et le peuple peut y remédier
par la rébellion), la corruption du peuple, cependant, est dévastatrice, car elle
perdure et ne peut être purgée : elle ne peut être que contenue le temps du
règne d’un chef vaillant, mais ressurgit aussitôt que ce dernier est détrôné,
laissant le pays sombrer dans la tyrannie.
• Machiavel n’est pas opposé à la guerre : elle serait nécessaire pour préserver la
république. Il justifie non seulement la guerre préventive en cas de menace, mais
aussi la guerre expansionniste : selon lui, une république devrait être conquérante
pour se préserver.
• Martin Luther est le père fondateur de ce mouvement qui changera le cours de toute la
civilisation occidentale et se répandra à travers d’éminents réformateurs tels que Jean
Calvin, Ulrich Zwingli, John Knox et bien d’autres. Ensemble, ils ouvriront la voie non
seulement à une nouvelle foi mais aussi à une nouvelle vision politique avec ses théories
propres.
a). Biographie :
• Alors que son père le destine à des études de droit, il décide à la suite d'une grave
crise personnelle d'entrer au couvent des Augustins d'Erfurt en 1505. Ordonné prêtre,
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il commence des études de théologie à Erfurt et les poursuit à l'Université de
Wittenberg, où il est promu docteur en théologie en 1512 et se voit attribuer une chaire
d'Ecriture Sainte ; c'est à ce titre qu'il enseignera et commentera pendant des années
les différentes parties de la Bible, dont il donnera à partir de 1521 la première
traduction en allemand.
• Invité à se rétracter, il refuse, participe à quelques disputes publiques et finit par être
condamné par le Pape en 1520. C'est la même année qu'il publie ses grands écrits
réformateurs exposant sa conception de la foi et de l'Eglise : l'Appel à la noblesse
chrétienne de la nation allemande sur l'amendement de l'état chrétien, le Prélude à la
captivité babylonienne de l'Eglise et le De la liberté du chrétien. Cité à comparaître
devant la Diète impériale par l'Empereur Charles-Quint, il se rend à Worms à mi-avril
1521, où il rend témoignage de sa foi ; bientôt mis au ban de l'Empire, il ne doit la vie
sauve qu'à l'Electeur de Saxe, qui le fait enlever et cacher au château de la Wartburg.
• S'il entame alors sa traduction de la Bible en allemand, ses thèses ne tardent pas à
susciter des interprétations radicales, aussi bien chez les anabaptistes que chez les
paysans qui en attendent des réformes sociales. Revenu à la vie publique, Luther, qui
quitte en 1524 l'habit monastique et se marie en 1525 avec une ancienne cistercienne
Katharina von Bora, est contraint de préciser ses thèses dans un sens autoritaire
à l'égard des uns et des autres, soulignant la nécessité du pouvoir temporel et le
devoir de soumission à son égard : Sincère Admonestation à tous les chrétiens de se
garder de toute émeute et de toute révolte (1522) ; Traité de l'Autorité temporelle
(1523) ; Exhortation à la paix en réponse aux Douze Articles des paysans de Souabe
(1525) ; Contre les bandes pillardes et meurtrières des paysans (1525) ; Missive sur
le dur opuscule contre les paysans (1525) et Si les Gens de Guerre peuvent être aussi
en état de béatitude (1526).
• Toujours plus conservateur sur le plan politique et social, Luther entre par ailleurs en
conflit sur la question du libre-arbitre avec Erasme (Du libre arbitre (1524)), auquel
il répond par son traité Du serf-arbitre (1525) ; il ne s'en oriente pas moins vers une
réforme relativement plus modérée sur le plan religieux, s'en remettant aux Princes
temporels pour l'organisation extérieure de l'Eglise. Poursuivant son activité de
traducteur de la Bible en allemand comme de professeur à la Faculté de théologie de
Wittenberg et publiant encore son traité Des Conciles et de l'Eglise et son
Commentaire sur la Genèse, Luther voit cependant les dernières années de sa vie
assombries par des polémiques toujours plus virulentes avec ses adversaires ; il
meurt le 18 février 1546 dans sa ville natale, laissant une œuvre immense de
théologien, d'exégète, de liturgiste et de polémiste, mais aussi de juriste et de politique,
qui comprend près de cent volumes in octavo.
• Ainsi la fondation de la Réforme protestante démarrée par Martin Luther a trois
moments clés :
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- En 1517, le mouvement réformateur éclot avec l’affichage des 95 thèses à
Wittenberg dénonçant les pratiques de l’Eglise catholique, notamment sa
volonté de contrôler la vie du chrétien par le dogme et surtout sa prétention de
pouvoir gérer l’accès au paradis des croyants par le commerce des
indulgences.
• Luther défie l’ordre catholique médiéval et l’autorité toute puissante de l’Eglise. Son
idéologie s’inspire de l’éminent théologien du Vème siècle Saint Augustin, et se base
sur une vision très pessimiste de la nature humaine. Il refuse l’idée que l’homme
puisse comprendre d’où il vient ni où il va : son propre destin lui est inconnu : tout le
pouvoir vient de Dieu (omni potestas Deo). L’homme est condamné au moins que
Dieu ne décide autrement.
• Il s’oppose à l’autonomie de la volonté, au libre arbitre, et pense que seul Dieu peut
décider du sort des hommes. Vers 1520, il va contourner le problème de la
prédestination avec la doctrine de la justification par la foi seule : si l’homme ne peut
pas recevoir l’amour de Dieu par ses propres actions (Dieu seul décide), il peut
néanmoins se sauver grâce à sa propre croyance et dévotion. La foi assure au
croyant l’indulgence divine et lui laisse une petite marge de manœuvre. Une nouvelle
théologie chrétienne apparaît : l’homme attire l’attention de Dieu par la prière, et non
par la perpétuation de traditions sous le contrôle de l’Eglise.
• Avec cette nouvelle croyance, Luther prône un double rejet : rejet de la culture
humaniste et de son idéal d’autonomie humaine et rejet de la doctrine en vigueur
soutenue par Tommaso d’Aquino qui croit que l’homme puisse comprendre la volonté
de Dieu, ce qui conduira aux conséquences suivantes :
- Dieu a bien décidé de se révéler par la Bible, mais en même temps Il reste
invisible : les hommes ne peuvent dans aucune façon Le comprendre, hormis à
travers le texte sacré.
• Pour Luther, il n’existe rien au fond que l’homme puisse faire pour changer son
destin. L’homme ne peut pas être sauvé par ses propres actes car il est prédestiné, et
seuls la prière et la foi véritable peuvent lui accorder la grâce divine : c’est là le
fondement du concept luthérien de la justification par la foi.
c). Dimension politique de Luther :
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• On voit donc l’émergence d’une nouvelle vision de l’Eglise : si seule notre foi peut
garantir notre salut, le rôle de l’Eglise, se voit infiniment réduit. La foi créant un lien
direct entre Dieu et les hommes, le rôle de l’Eglise en tant qu’intermédiaire est révolu.
En vérité, l’Eglise ne devient rien qu’une assemblée de Chrétiens qui devraient
s’organiser comme bon leur semble. Le prêtre perd son caractère sacramentaire, et
ne devient qu’un simple guide : l’autorité suprême de l’Eglise catholique, institution
majeure d’organisation politique est sociale de l’Europe occidentale en est brisée.
• Luther rejette radicalement l’idée que l’Eglise détienne une quelconque autorité
juridictionnelle sur le chrétien (droit de canon) et sur le pouvoir temporel (politique).
Après avoir ainsi déterminé la division nette entre pouvoir temporel et spirituel, Luther
prend clairement position pour le premier en lui faisant gagner d’importance.
- Dans une premier temps, Luther reste très vague sur le sujet et préfère ne
pas y répondre clairement, il avance néanmoins le principe de la possibilité de
désobéir à un prince qui se détache des préceptes chrétiens. Le verdict du
patron de la réforme sur cette question était capital à un moment dominé de
tensions religieuses marquant le prélude des guerres de religion.
- Il finit par affirmer que tout ordre social et politique découle directement de la
volonté de Dieu, et qu’il serait donc injustifiable de s’opposer aux lois et aux
actes des princes car ces derniers tiennent leur puissance de la volonté divine.
• Luther divise les hommes en deux mondes : le monde de Dieu, qui regroupe tous les
chrétiens et qui appartient entièrement au pouvoir spirituel d’une part, et le monde qui
regroupe tous les autres d’autre part. Le pouvoir temporel regroupe les deux mondes
et ressort come le grand gagnant de cette doctrine car ici le religieux est soumis au
pouvoir politique. Le pouvoir temporel, à travers la loi, permet aux hommes de vivre
ensemble. Quelque part, la loi est légitimée par Dieu, donc personne ne peut y
résister. Le luthéranisme incarne donc l’affirmation du pouvoir temporel et le refus
total de toute théorie de résistance.
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• Il s’agit d’un discours de type biblique et religieux, à la différence de celui de
Machiavel). Luther utilise un vocabulaire choisi minutieusement pour être le plus
précis possible dans ce texte qui est écrit sous la forme d’une incitation aux princes
allemands à la Reforme.
• Il commence avec une critique de l’idée que l’homme puisse à travers sa raison se
mettre en contact avec Dieu et explique la chute des anciens gouvernants avec leur
excessive confiance dans leur force et l’oubli de l’omnipotence de Dieu.
• Il continue avec une critique de l’idée que l’homme puisse avoir une volonté
autonome et affirme que la seule façon de vivre sereinement, c’est de faire confiance
à Dieu et craindre Dieu.
• Il passe ensuite à une critique détaillée des romanistes et de l’Eglise catholique qui
se sont construits autour de trois murs philosophiques pour se protéger des ses
attaques :
- Tout pouvoir vient de Dieu : donc le pouvoir temporel a été voulu par Dieu.
- Un chrétien doit faire tout son possible pour honorer la loi, même s’il n’en a
pas besoin, car il doit aider et servir le prochain et la loi est utile à un système
composé d’une majorité de non-chrétiens. Les chrétiens doivent aider et servir
le pouvoir temporel, lui être utiles et nécessaires car Dieu en a décidé ainsi.
• Dans un autre ouvrage, l’Exhortation à la paix, Luther fini par réfuter entièrement
toute possibilité de résistance légitime :
- « Si quelqu’un commet une injustice envers nous, il n’est pas suffisant, pour
que nous punissions ce méfait, que notre cause soit juste et que nous soyons
dans le bon droit ; il faut encore que nous ayons le droit et le pouvoir du glaive
et qu’il nous ait été donné par Dieu. »
• D’un autre côté, les réformés radicaux réagissent en formulant une théorie de la résistance
politique qui fait une lecture radicale de la Réforme contestant le discours de non-résistance
politique. Cela s’explique par le changement du contexte historique : entre 1535 et 1560, les
réformés perdent de plus en plus de pouvoir et dans certains lieux ils se voient
persécutés violemment. La doctrine radicale naît pour sauver la Réforme initiée par Luther et
bloquer la remonte de l’Eglise catholique. L’un des représentants les plus emblématiques de
ces protestants radicaux sera le Français Jean Calvin.
a). Calvin :
• C'est l'année suivante que se situe son ralliement aux milieux évangéliques
humanistes et réformistes parisiens (1533), puis dans sa conversion à la nouvelle foi.
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En mai 1534, il entame une nouvelle existence itinérante au service de sa foi.
• C'est aussi que Calvin, en relation épistolaire avec ses coreligionnaires de toute
l'Europe, n'en poursuivra pas moins son œuvre de pasteur et de docteur, travaillant
aux rééditions successives de son Institution chrétienne comme à ses Commentaires
de l'Ancien et du Nouveau Testament ; ce faisant il ne tardera pas à faire de Genève le
« Séminaire des Eglises réformées de France » et la métropole du protestantisme.
Laissant une œuvre considérable de plus d'une cinquantaine de volumes, Calvin meurt
le 27 mai 1564, non sans avoir pourvu à sa succession à la tête de la Vénérable
Compagnie des Pasteurs, en la personne du Recteur de l'Académie, le Bourguignon
Théodore de Bèze (1519-1605).
• Calvin est le plus éminent des Réformateurs radicaux et contestera la théorie de non
résistance luthérienne dès 1536, avec la publication de son Institution de la Religion
chrétienne. S’il souligne clairement la nécessité d’obéir à l’autorité politique et reprend
l’argument « Omni potestas Deo » de Luther, il introduit néanmoins une ambiguïté qui
ouvre la porte au droit de résistance, sous forme d’exceptions à la règle générale.
- En 1598, l’Edit de Nantes signé par Henri IV de France met fin aux guerres de
religion 1ui ont ravagés la France pendant une demi siècle en accordant aux
protestants la liberté du culte, prévoyant l’amnistie et des indemnités vers aux
Huguenots.
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- Ils défendent l’idéal d’un régime mixte, tel que la « constitution mixte » de la
République romaine prôné par Machiavel. Les monarchomaques sont tous
partisans d’un équilibre des pouvoirs pour toutes nations, aussi bien pour les
républiques que pour les monarchies.
- Comme Calvin, ils estiment que l’autorité politique d’un Etat repose sur l’idée
d’un contrat social entre les gouvernants et les gouvernés : il n’y a pas d’autre
fondement légitime de l’autorité politique.
- Leur innovation sera de dire qu’un tyran peut être déposé de son pouvoir par
des instances compétentes, voir même de princes étrangers.
- Le pouvoir royal légitime est en fait borné par un « Conseil public » des
composantes majeures du royaume, tels que les Etats généraux,
représentant le clergé, la noblesse et le peuple. La monarchie absolue
est donc illégitime, même du point de vue du droit public royal.
ii). Du droit des magistrats sur leurs sujets, de Théodore De Bèze (1574) :
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- La tyrannie par usurpation est notamment l’un de ces cas et appel à la
déposition de l’usurpateur : ici, l’avis de De Bèze est partagé par tous.
• Cependant, la résistance ne peut être légitime que dans le cas où elle est
déléguée : le peuple ne peut donc pas refuser d’obéir à un gouvernant de son
propre élan, mais a le devoir de s’adresser à un corps que Théodore De Bèze
appel les « magistrats inférieurs » : même dans la résistance, un certain ordre
doit être maintenu.
a). Biographie :
• Jean Bodin (1530-1596) naît à Angers, il fait des études de droit à Toulouse où il
enseigne à partir de 1548. C’est à Paris qu'il se rend pour faire carrière dans le barreau,
mais n'ayant que peu de succès en plaidoirie, il revient à l'étude du droit et s'intéresse
à la philosophie politique et à l'histoire. Ainsi, dans son livre Methodus ad facilem
historiarum Cognitionem qui paraît en 1566, il étudie les régimes politiques dans une
perspective comparatiste et essaie d'en comprendre les changements, les succès et les
échecs ; il affirme aussi sa croyance au progrès matériel de la société. Ses premiers
ouvrages lui valent une grande réputation, ainsi que plus tard l'estime d'Henri III.
• En 1571, il devient Conseiller du Duc d'Alençon, un des chefs du parti des
« politiques », qui, se voulant à l'écart des querelles religieuses, aspire au
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rétablissement du royaume de France autour de l'autorité royale. Bien que de religion
catholique, il est inquiété en 1572 lors du massacre de la Saint-Barthélemy. En 1575,
il se fixe à Laon où il se marie. Il y exerce la fonction de procureur du roi.
• En 1576 paraît son ouvrage principal, les Six livres de la République, où il donne une
définition de l'Etat et formule l'un des premiers la doctrine de la souveraineté. Il s'y
attache aussi à l'étude des régimes politiques dans une perspective originale,
marquant par ailleurs sa préférence pour la monarchie absolue. Il faut noter que
Jean Bodin n'a pas été seulement un publiciste, il s'est également intéressé à la magie
et à la sorcellerie, et c'est ainsi qu'on lui doit en 1579 une Démonomanie, ouvrage qui
fera longtemps autorité dans les procès de sorcellerie, ainsi qu'un ouvrage de
physique Universae naturae Theatrum publié en 1596. Victime de la peste, il meurt
peu de temps après et sera enterré au couvent des Cordeliers à Laon.
- A partir de 1560, il commence à se poser une question qui hante les juristes
dans le sillage des guerres de religion, qui sera : « est-ce qu’il existe un pouvoir
qui ne pourrait être exercé par plus d’une personne ? ». Il y répondra en
puisant dans les arguments des traditions scholastiques et humanistes pour en
faire une synthèse qui le portera vers sa formulation de la souveraineté
indivisible du titulaire de pouvoir.
• L’une des motivations premières de Bodin est de clarifier dans ses écrits des notions
ambiguës et source de confusion. Sa volonté de « mettre les points sur les i » va le
pousser à définir clairement des concepts clés de la pensée politique en se basant
avant tout sur la raison, ouvrant de ce fait les portes d‘une « science juridique
universelle ».
- Bodin clarifie très clairement les prérogatives des pouvoirs publics : les rôles
de chacun (magistrats, institutions, etc.) sont spécifiés
- Bodin se base sur une relecture de l’histoire romaine pour attaquer l’éloge
que font les humanistes de la constitution mixte de la République romaine : le
partage de la souveraineté est selon lui un non-sens qui a conduit la chute de
la République et à l’avènement de l’Empire.
- Par ailleurs, il est poussé à endurcir son discours par la publication des écrits
monarchomaques qui tendaient à faire de la résistance politique un véritable
droit, voir même un devoir, des propos qui ne font que catalyser le chaos dans
son pays. Bodin s’est efforcer de contester ces ouvrages en réaffirmant la
souveraineté inaliénable du roi par sa contre-attaque littéraire.
- Il commence par affirmer qu’aucun acte de résistance n’est justifié : tout acte
de résistance est nécessairement illicite et intolérable car pour garantir la
stabilité du royaume il faut que les sujets respectent le souverain.
• La question se pose alors de savoir qui dans un royaume, ou une république, détient
cette souveraineté indivisible absolue et perpétuelle : Jean Bodin fait du prince le
titulaire de l’imperium, et procède ensuite à une théorisation complète de la monarchie
absolue. Pour Bodin, la souveraineté royale réside dans le pouvoir législatif.
- L’innovation de Bodin sera dans la distinction qu’il fait entre la personne qui
est le titulaire du pouvoir et l’institution qui la souveraineté : il parle de
monarchie, ou alors de couronne, mais pas de roi en tant qu’individu. Cet
argument reprend l’adage « le roi est mort, vive le roi », ce qui implique que la
souveraineté n’est pas forcement liée à un individu, mais à une institution :
Hobbes reprendra cet argument en disant que l’Etat détient la souveraineté.
• Puis, Jean Bodin va compléter son œuvre précédente en définissant le cadre, ou les
limites de la souveraineté. Le détenteur de la souveraineté doit être « encadré par des
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freins », qui sont dans le cas de la France par trois lois fondamentales :
- les lois naturelles : il s’agit de lois non écrites qui sont supérieures aux lois
humaines, telles que la loi divine, et les lois qui proviennent de la nature même.
Ce concept clé implique que chaque être humain a, du fait de son existence,
certains droits fondamentaux inaliénables : les droits naturels, ancêtres des
droits de l’homme. Parmi ces droits, Bodin liste le droit de propriété (dominium).
• « Cela fait, la multitude ainsi unie en une personne une, est appelée un Etat, en latin civitas.
Telle est la génération de ce grand Léviathan, ou plutôt (pour parler avec plus de déférence)
de ce dieu mortel, auquel nous devons, sous le dieu immortel, notre paix et notre défense. En
effet, en vertu du pouvoir conféré par chaque individu dans l’État, il dispose de tant de
puissance et de force assemblées en lui que, par la terreur qu’elles inspirent, il peut
conformer la volonté de tous en vue de la paix à l’intérieur et de l’entraide face aux ennemis
de l’étranger. En lui réside l’essence de l’État qui est (pour le définir) une personne une dont
les actions ont pour auteur, à la suite de conventions mutuelles passées entre eux-mêmes,
chacun des membres d’une grande multitude, afin que celui qui est cette personne puisse
utiliser la force et les moyens de tous comme il l’estimera convenir à leur paix et à leur
défense commune. Celui qui est dépositaire de cette personne est appelé souverain et l’on dit
qu’il a la puissance souveraine ; en dehors de lui, tout un chacun est son sujet. » - Léviathan
• Il s’agit là de la première définition de l’Etat en tant que personne morale à l’origine des lois
et dissociée du titulaire du pouvoir : la fondation historique de la théorie de l’Etat étant
terminée, Hobbes est celui qui posera dans le Léviathan la pierre angulaire de l’édifice. Ce
faisant, il a révolutionné le droit de son époque, et établira une nouvelle science du politique.
a). Biographie :
• Thomas Hobbes, (1588-1679) second fils d'un ministre anglican, naît à Malmesbury,
en Angleterre ; son père s'étant enfui consécutivement à une querelle avec un
ecclésiastique voisin, le jeune Hobbes sera élevé, avec sa sœur et son frère, par son
oncle Francis. Il fréquente tout d'abord l'école de l'église de Wesport, puis une
école privée, pour terminer enfin ses études à Oxford, qui était, à cette époque, le
théâtre de grandes disputes théologiques avec les Puritains (protestants radicaux).
• Ses études achevées, Hobbes est engagé comme précepteur du fils aîné de William
Cavendish, comte de Devonshire. Il deviendra l'ami et le confident du jeune homme.
- 22 -
En 1610, il visite en sa compagnie la France, l'Allemagne et l'Italie. De retour en
Angleterre, son élève le prend comme secrétaire. Hobbes se plonge alors dans la
littérature classique. Il étudie Démocrite et plus spécialement Thucydide, dont il
publiera une traduction en 1629. En 1631, il devient le précepteur du fils aîné de
son ancien élève et, en 1634, il l'accompagne sur le continent et séjourne à Paris
où il fréquente les cercles philosophiques de la capitale (Marin Mersenne). C'est à
cette époque qu'il étudie la géométrie et la physique et qu’il acquiert une vision
mécaniciste et matérialiste de la nature, ce qui influence massivement sa philosophie.
• En 1637, il rentre en Angleterre, mais les troubles qui agitent le pays compromettent
le développement de sa pensée philosophique. En 1640, il doit fuir à cause de
ses opinions royalistes. Il se rend à Paris où il deviendra le professeur de
mathématiques du futur roi Charles II. Il y sera aussi en relation avec Descartes.
C'est en 1642 qu'il fait imprimer le De Cive et c'est aussi à cette époque qu'il se
met à composer le Léviathan qu'il fera paraître au milieu de l'année 1651, après la
révolution anglaise de 1649. En 1655, il publie le De Corpore un traité de physique et
en 1658 le De Homine, un traité de psychologie. Après la Restauration, en 1660,
il reçoit une pension du roi Charles II et jouira dès lors de la protection de ce
monarque. Il y aura recours en 1666 lorsque les Communes dénoncent l'athéisme
de certains livres offensants comme le Léviathan. Il doit toutefois promettre au Roi de
ne plus publier d'ouvrages de caractère politique ou religieux.
• À l'âge de 84 ans, il écrit son autobiographie en latin et, à 86 ans, achève une
traduction de l’Illiade et de l'Odyssée. En 1675, il quitte définitivement Londres pour
passer le reste de sa vie dans le manoir de la famille du comte de Devonshire.En
1679, il est atteint de paralysie et meurt le 4 décembre de la même année.
• Influencé par les troubles politiques qui gagnent l’Europe (Guerre de trente ans
1618-1648 et Guerre civile anglaise 1641-1649) ainsi que la Première Révolution
Scientifique et ses grandes découvertes en mathématiques, physique, astronomie et
méthodologie l’inspirent à faire sa contribution aux sciences du droit et de la politique.
- Qu’est-ce que c’est le droit naturel ? (est-ce que existent des droits
inaliénables de l’individu ?)
- Quelle est la place de la loi dans la société ? est-ce qu’elle peut gérer les
passions humaines ?
- Sans Etat les hommes sont animés par la crainte qu’ils ont les uns des autres.
• L’état de nature serait donc « une guerre de tous contre tous » car, l’homme étant
par nature animé par des désirs illimités et dénué de raison, il va poursuivre ses
intérêts par la force du simple fait qu’il en est capable et qu’il en a le droit, ce qui va le
porter tout naturellement à la crainte, la méfiance et à la confrontation. Ce serait la
raison qui pousserait les hommes à quitter ce monde obscure pour survivre et trouver
à terme, dans la vie commune, une certaine sécurité. La nécessité nous pousserait
donc à passer un contrat social nous dépossédant de certains de nos droits à une
personne morale assurant le vivre ensemble : le Léviathan, ou l’Etat.
- « […] presque tout le monde se plaît à en voir une fausse image, et se laisse
charmer à une mauvaise représentation ; et qu'elle a été cultivée par des
excellents esprits plus que toutes les autres parties de la philosophie. »
- « Comme donc ces inconvénients sont fort considérables, les avantages qui
nous reviennent d'une meilleure information de cette science, sont d'une très
grande importance, et son utilité en est toute manifeste. »
- « Vu donc qu'il naît tous les jours de telles opinions, qui sont de pernicieuses
semences de dissension dans la société civile ; si quelqu'un écarte ces nuages, et
montre par de très fortes raisons, qu'il n'y a aucunes doctrines recevables et
authentiques touchant le juste et l'injuste, le bien et le mal, outre les lois qui
sont établies en chaque république ; qu'il n'appartient à personne de s'enquérir
si une action sera bonne ou mauvaise, hormis à ceux auxquels l'État a commis
l'interprétation de ses ordonnances. »
- « Quant à ce qui regarde la méthode, j'ai cru qu'il ne me suffisait pas de bien
ranger mes paroles, et de rendre mon discours le plus clair qu'il me serait
possible : mais qu'il me fallait commencer par la matière des sociétés civiles,
puis traiter de leur forme et de la façon qu'elles se sont engendrées, et venir
ensuite à la première origine de la justice. Il me semble en effet qu'on ne saurait
mieux connaître une chose, qu'en bien considérant celles qui la composent. Car,
de même qu'en une horloge, ou en quelque autre machine automate, dont les
ressorts sont un peu difficiles à discerner, on ne peut pas savoir quelle est la
fonction de chaque partie, ni quel est l'office de chaque roue, si on ne la
démonte, et si l'on ne considère à part la matière, la figure, et le mouvement de
chaque pièce. »
- « les esprits des hommes sont de cette nature, que s'ils ne sont retenus par la
crainte de quelque commune puissance, ils se craindront les uns les autres, ils
vivront entre eux en une continuelle défiance, et comme chacun aura le droit
d'employer ses propres forces en la poursuite de ses intérêts, il en aura aussi
nécessairement la volonté. »
- « Nous voyons que tous les États, encore qu'ils aient la paix avec leurs voisins,
ne laissent pas de tenir des garnisons sur les frontières, de fermer leurs villes de
murailles, d'en garder les portes, de faire le guet, et de poser des sentinelles. A
quoi bon tout cela, s'ils n'avaient point d'appréhension de leurs voisins ? » Dans
cette parenthèse, Hobbes pose la fondation de ce qui deviendra la théorie
réaliste des relations internationales. »
- Si ce n'est donc que l'on veuille dire, que la nature a produit les hommes
méchants, parce qu'elle ne leur a pas donné en les mettant au monde les
disciplines, ni l'usage de la raison, il faut avouer qu'ils peuvent avoir reçu d'elle
le désir, la crainte, la colère, et les autres passions de l'âme sensitive, sans qu'il
faille l'accuser d'être cause de leur méchanceté. Ainsi le fondement que j'ai jeté
demeurant ferme, je fais voir premièrement que la condition des hommes hors
de la société civile (laquelle condition permettez-moi de nommer l'état de
nature) n'est autre que celle d'une guerre de tous contre tous […]. »
• La pensée politique de Hobbes, qu’il annonce pour la première fois dans le De cive
et qu’il aboutir neuf ans plus tard dans le Léviathan va irriguer un débat inédit dans
tout les domaines des sciences humaines : sa méthode scientifique sera largement
reprise par tous les débats pour promouvoir ou contester ses postulats et ses
corollaires dans les domaines politiques et juridiques, mais aussi anthropologiques,
philosophiques et sociologiques et ce pendant des siècles.
• La question centrale que Hobbes se pose dans le Léviathan est celle des raisons et
des moyens qui portent l’homme à quitter le monde obscure et chaotique qu’est l’état
de nature pour une société civile structurée et gouvernée par un Etat, terme qu’il
définira une fois pour toutes dans cet ouvrage qui le rendra mondialement célèbre :
- « La nature, qui est l’art pratiqué par Dieu pour fabriquer le monde et le
gouverner, est imitée par l’art de l’homme, qui peut ici, comme en beaucoup
d’autres domaines, fabriquer un animal artificiel. Puisqu’en effet la vie n’est
qu’un mouvement des membres, dont l’origine est dans quelque partie interne,
pourquoi ne pourrait-on dire que tous les automates (ces machines mues par
des ressorts et des roues comme une montre) ont une vie artificielle ?
-« En lui réside l’essence de l’Etat qui est (pour le définir) une personne une
dont les actes ont pour auteur, à la suite de conventions mutuelles passées entre
eux-mêmes, chacun des membres d’une grande multitude, afin que celui qui est
cette personne puisse utiliser la force et les moyens de tous comme il l’estimera
convenir à leur paix et à leur défense commune. […] Celui qui est dépositaire de
cette personne est appelé souverain et l’on dit qu’il a la puissance souveraine ;
en dehors de lui, tout un chacun est un sujet. »
• L’innovation de Hobbes sera donc de dire qu’au moment même où le pouvoir est
transféré des mains des individus constituant la société au souverain, la société civile
devient liée à l’Etat, ce qui la met dans l’obligation de se destituer de certains droits et
de certaines libertés au nom de la sécurité et du vivre-ensemble que procure l’Etat.
- Hobbes affirme, comme Bodin, que le souverain est à l’origine des lois : il en
est à la fois l’initiateur, le législateur et l’exécutant.
- L’Etat, par la loi civile, décide de ce qui est juste ou qui ne l’est pas : Hobbes
affirme donc que la justice, dans le sens philosophique, est réellement le
- 27 -
produit exclusif de la loi humaine, et non divine.
- Pour Hobbes, le souverain doit être au dessus des lois : il en est le créateur et
le maître et non le sujet.
- L’Etat doit assurer une forme de liberté (liberty) à ses sujets, à savoir que
l’Etat se doit de protéger l’individu contre l’exercice arbitraire de l’autorité.
- L’Etat doit assurer à ses sujets l’égalité devant la loi et les charges publiques ;
• Hobbes étant obsédé par l’ordre, auquel il accorde la place centrale de sa pensée
politique, il va penser tous les rapports concernant l’Etat en les hiérarchisant de sorte
à ce que l’ordre soit maintenu à tout prix. Ce leitmotiv poussera notamment Hobbes à
repenser le rapport entre le pouvoir spirituel et temporel afin que l’Etat devienne le
titulaire et le responsable des deux à la fois, ce qui vaudra à Hobbes un nombre
d’ennemis dans le milieu ecclésiastique.
• Dans les chapitre XVIII du Léviathan, Hobbes approche l’Etat d’un point de vue
juridique : en se basant sur sa définition de l’Etat et du contrat social, il va faire voler
en éclats les arguments du droit de résistance des protestants et monarchomaques
en les déclarant illicites, car celles-ci entravent les « droits des souverains
d’institution » :
• Hobbes passe alors en revue les caractéristiques des droit des souverains :
- Le droit de faire des règles par lesquelles les sujets sauront ce qui appartient
en propre à chacun, de sorte que nul autre ne pourra se l’approprier sans
injustice ;
- C’est à lui que revient aussi le droit de juger et de trancher des litiges, de faire
la guerre et la paix, de choisir tous les conseillers et les ministres, de
récompenser et punir ainsi que de déterminer l’honneur et le rang ;
• En ce qui concerne les lois civiles, Hobbes déclare que le souverain en est l’unique
législateur, détient le monopole sur leur interprétations et n’en est pas lui-même sujet.
Il rajoute d’ailleurs que les lois naturelles et les lois civiles se contiennent les unes
dans l’autre. Il fait aussi la distinction entre droit, ou liberté, et loi, ou obligation.
• John Locke (1632-1704) naît à Wrington le 26 août 1632 ; fils d'un greffier de
justice et de paix, capitaine dans les régiments parlementaires pendant la guerre
civile. Au cours de ses études à Oxford, dont il n'apprécie guère la philosophie
aristotélicienne, ni les disputes scolastiques, le jeune Locke découvre Descartes, qui
lui donne le goût de la philosophie. Il s'intéresse également aux écrits de Wallis
sur la géométrie et à ceux de L. Ward sur l’astrologie.
• Effrayé par l'ampleur des querelles confessionnelles, il opte à la même époque pour
la tolérance religieuse. Destiné à la carrière ecclésiastique, il y renonce pour la
médecine, qu'il pratiquera à Oxford avec un ancien ami de collège.
• C'est en 1666 qu'il fait la connaissance de Lord Ashley, futur duc de Shaftesbury, avec
qui il se lie d'amitié et dont il deviendra le médecin privé, tout en étant chargé de
s'occuper aussi des affaires du futur duc. Comme Lord Protecteur de la Caroline, Lord
Ashley demande à Locke en 1669 de rédiger la Constitution de cette colonie. À
cette époque, il fait son premier voyage en France. Il y retourne en 1675, mais doit
rentrer en Angleterre à la demande de Lord Ashley qui a été nommé président du
Conseil privé du roi.
• Quelques années plus tard, lorsque pour des raisons politiques Lord Ashley est
accusé de complot et doit fuir en Hollande, des soupçons se portent aussi sur Locke
qui quitte alors l'Angleterre pour la même destination. Il se fixe ainsi en 1683 à
Amsterdam, puis à Rotterdam, où il préside un petit club philosophique.
• Comme Hobbes, John Locke sera le témoin de troubles majeurs dans son pays : du
Commonwealth à la Restauration et de la Glorieuse Révolution de 1688 destituant les
Stuarts absolutistes et instituant la monarchie constitutionnelle de la maison de
Hanovre au Bill of Rights, fondement de la démocratie anglaise. Tous ces
évènements auront une influence majeure sur sa pensée.
• Pour répondre à la première question, Locke va, tout comme Hobbes, partir d’une
réflexion sur la nature humaine en avançant sa propre théorie du droit naturel :
- Comme Hobbes, il commence par affirmer que les hommes naissent égaux ;
- Contrairement à Hobbes, Locke croit que la nature humaine est dirigée non
par les passions violentes et la crainte, mais par raison et la tolérance :
l’homme serait donc par nature libre et n’est pas par essence conflictuel ;
- Au contraire, l’homme est un être profondément rationnel, ce qui le pousse à
se reprocher de ses semblables, car il comprend la nécessité de l’échange et la
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possibilité de créer une communauté qui porte à chacun le bien être, la sécurité
et la paix. La création de l’Etat, ajoutera Locke, n’est possible qu’en présence
du consentement ;
- doit être constitué grâce au consentement des individus qui délèguent leurs
pouvoirs pour lui permettre de garantir les droits fondamentaux et acceptent de
se faire gouverner par la majorité ;
- ceci implique que la souveraineté, qui réside avant tout dans le pouvoir
législatif, doit être divisée entre plusieurs institutions, concept qui débouchera
sur la création de la séparation des pouvoirs ; Locke soutient le modèle du
parlementarisme anglais, qui permet à un organe représentatif d’édicter des
lois, et à un autre organe, l’exécutif, de les appliquer ;
- à travers le contrat social, l’Etat reçoit en dépôt le pouvoir des citoyens sous
le contrôle du parlement ;
• John Locke cherche à résoudre les conflits religieux ainsi que le problème qui se
pose entre le politique et le religieux : la solution réside donc dans un Etat séculaire. Il
constate que la religion peut être source de grands troubles. Pour y remédier, Locke
prône la tolérance en tant que nécessité à la fois chrétienne et politique. Cependant,
pour favoriser la tolérance, une division nette entre politique et religieux est
nécessaire. Il est un défenseur acharné de la liberté religieuse, il dénonce la
prétention des croyants fondamentalistes à connaître l’unique et seule vérité et
pousse vers l’acceptation du caractère subjectif et personnel de la foi religieuse.
• Locke déclare que la religion est donnée aux hommes non pas pour leur permettre
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de parvenir à la domination ecclésiastique mais pour les engager à vivre suivant la
vertu et la piété : « tous ceux qui veulent s’enrôler sous l’étendard de Jésus Christ
doivent d’abord déclarer la guerre à leurs vices et à leurs passions ». On perçoit une
attaque voilée à l’Eglise catholique et à sa puissante hiérarchisation.
• Il critique aussi les protestants en s’opposant à leur volonté de convertir les âmes
des autres car cette volonté est poussée par des intérêts personnels et non par
l’amour ou la bienveillance. L’Evangile même porte un message de respect et d’amour
envers son prochain, quel qu’il soit : la tolérance est donc le devoir du Chrétien.
• L’Eglise est pour Locke une société d’hommes qui se joignent volontairement afin de
servir Dieu publiquement et lui rendre le culte qu’ils jugent lui être agréable et propre à
leur faire obtenir le salut. (idée très protestante). L’Eglise aussi nécessite un ordre et
des lois pour survivre. En cas de désaccord entre l’ordre religieux et l’ordre étatique
c’est le deuxième qui doit l’importer.
• Une innovation de John Locke sera de déclarer que la diversité religieuse est non
seulement inéluctable, mais elle est aussi bonne et désirable (elle est source de
liberté, de richesse spirituelle et d’inspiration) et aucunement la source du conflit
religieux. On voit là la modernité extrême qu’annonce la philosophie de Lumières, tout
à fait remarquable compte tenu du règne du dogme et de la persécution religieuses
qui marquaient cette époque.
a). Biographie :
• Dans les années qui suivent, il voyage à travers l’Europe, en Autriche, en Hongrie, en
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Italie, en Allemagne, en Hollande et en Angleterre, où il séjourne plus d'un an. À Paris,
Montesquieu fréquente les membres du club de l’Entresol, comme le marquis
d’Argenson, Bolingbroke et l’abbé de Saint-Pierre. Ils s’y transmettaient des
informations sur des questions de politique internationale, de commerce ou de
finance.
• Ses publications majeures incluent les Lettres persanes publié en 1721, Réflexions
sur la monarchie universelle dix ans plus tard (publication posthume) et les
Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence
(1734). En 1748, après 20 ans de travail, il publie De l’esprit des lois. Il se trouve
critiqué, attaqué et notamment condamné par la Sorbonne. L’œuvre est mise à l’Index
de l’Eglise, mais connaît néanmoins un succès retentissant. Montesquieu décède le 10
février 1755.
- Les débats centraux des penseurs de l’époque gravitent entre quatre thèmes
principaux : la souveraineté du titulaire du pouvoir, la légitimité des régimes
politiques, les vertus du commerce cosmopolite (globalisé) ainsi que la place
de l’Eglise face à l’Etat.
• L’esprit des lois est le plus éminent des traités juridiques du XVIIIème siècle, dans
lequel Montesquieu va proposer sa propre théorie générale et universelle de l’Etat, où
l’auteur décrit avec l’esprit d’un philosophe politique et la précision d’un juriste tous les
aspects d’un Etat qui pourrait garantir à ses sujets à la fois liberté et sécurité, ce
indépendamment du type de régime, pour autant que l’Etat soit un Etat de droit, qui
pratique la séparation des pouvoirs et respecte une constitution : concepts
révolutionnaires qu’il définira dans cette œuvre mémorable et instrumentale pour la
construction du modèle de l’Etat moderne. Néanmoins, l’esprit des lois sera publié
sous l’anonymat et se heurtera à une censure sévère.
• L’image que Montesquieu donne d’un Etat moderne est sensiblement différente de
celle de Locke. Contrairement à ses prédécesseurs, qui se basent sur le modèle
d’Aristote, Montesquieu propose une nouvelle typologie des régimes et des Etats : la
république (démocratique, ou aristocratique), la monarchie et le despotisme (une
grande innovation de la part de Montesquieu).
- « Après avoir examiné quelles sont les lois relatives à la nature de chaque
gouvernement, il faut voir celles qui le sont à son principe. […] Il y a cette
différence entre la nature du gouvernement et son principe que sa nature est ce
qui le fait être tel, et son principe ce qui le fait agir. L’une est sa structure
particulière, et l’autre les passions humaines qui le font mouvoir. […] Or le lois
ne doivent pas être moins relatives au principe de chaque gouvernement, qu’à
sa nature. »
• Tout comme Machiavel, qui l’inspire énormément, Montesquieu est préoccupé par le
danger de la corruption qui pourrait entraîner un Etat vers l’arbitraire du despotisme. Il
tente donc d’énoncer un modèle d’Etat qui empêcherai l’arbitraire et la corruption en
empêchant le principe de la crainte de l’emporter sur tous les autres principes.
- Au fil des pages, pourtant, Montesquieu fait apparaître l’idée que sa typologie
des régimes cache en fait une opposition binaire entre les régimes libres, ou
modérés, et les régimes arbitraires, ou despotiques. Ainsi, la question centrale
de l’ouvrage devient « comment prévenir la chute d’un régime libre vers le
despotisme ? »
• Lorsqu’il énonce les caractéristiques d’un Etat libre, Montesquieu apporte une
nouvelle innovation : pour lui, un Etat libre dois cumuler non seulement une dimension
juridique ou constitutionnelle de la liberté, mais aussi subjective, c’est-à-dire qu’outre
les lois, les citoyens doivent se sentir en liberté et en sécurité pour qu’on puisse parler
d’un Etat libre.
• Un autre concept tout à fait crucial pour les démocraties modernes que va avancer
Montesquieu est celui de l’Etat de droit. Tiré de la philosophie du droit allemande, le
concept d’Etat de droit (Rechtsstaat) peut être compris comme une situation
juridique dans laquelle toute personne dans un Etat, qu’elle soit
physique ou morale, est soumise au respect du droit, du simple individu
jusqu'à la puissance publique. Elle s’oppose au principe prévalent de
raison d’Etat stipulant que l’Etat peut prévaloir ses intérêts propres sur
toute autre considération, en affirmant qu’un Etat ne peut offrir liberté
et sûreté à ses citoyens que par le respect infaillible du cadre légal de
l’Etat tel que décrit dans sa Constitution.
• Plus loin, Montesquieu discute des lois qui forment la liberté politique dans le rapport
de l’Etat avec le citoyen, et souligne qu’il ne suffis pas d’avoir une constitution libre qui
énonce correctement la division et la balance des trois pouvoirs, il faut aussi que le
citoyen se sente libre et en sûreté. Pour cela, il est nécessaire que le pouvoir pénal de
l’Etat soit modéré et ses peines proportionnelles, pour éviter d’instaurer la crainte de
la puissance étatique aux citoyens ce qui conduirait à une dérive vers le despotisme.
• Outre tout ce qui a été dis précédemment, sur la séparation et l’équilibre des
pouvoirs, l’Etat de droit, la modération et le respect des droits fondamentaux,
Montesquieu va rajouter deux arguments qui favoriseraient l’éclosion d’un Etat libre et
moderne :
- Une nation qui s’adonne au commerce lui permet d’adoucir les mœurs et les
passions et à nouer des liens avec d’autres nations tout en s’enrichissant. On
voit là une fois encore la source d’inspiration qu’est le Royaume Uni pour
Montesquieu : pour lui, si le modèle parlementaire romain est bien admirable
pour son époque, il appartient néanmoins au passé, alors que le modèle
parlementaire britannique est l’avenir.
• Le modèle largement universel de l’Etat libre et modéré prôné par Montesquieu est
celui de l’Etat libéral : une forme de gouvernement qui va se répandre sur toute la
planète et deviendra la base même de la société civile contemporaine. Pourtant, un
autre philosophe des Lumières va reprendre et critiquer les arguments de Hobbes, de
Locke et de Montesquieu en proposant une vision plus révolutionnaire que novatrice :
le philosophe genevois Jean-Jacques Rousseau.
a). Biographie :
• En 1745, Rousseau se lie d’amitié avec Diderot ; c’est aussi le début de sa liaison
avec Thérèse Levasseur, qu’il mariera vingt ans plus tard. Au début des années 1750,
Rousseau publie un nombre d’ouvrages éminents, dont des articles pour
l’Encyclopédie, le Discours sur les Sciences et les Arts, ce qui lui vaut d’être couronné
par l’Académie de Dijon, et monte même une opéra pour le Roi Louis XV.
• Dès 1755 pourtant, Rousseau tombe en disgrâce devant ses amis et les autorités pour
ses arguments radicaux qu’il publie dans ses ouvrages éminents : Quelle est l'origine
de l'inégalité parmi les hommes et si elle est autorisée par la loi naturelle ? et Du
contrat social. Disgracié, censuré et expulsé d’un nombre d’Etats continentaux,
Rousseau finit par se réfugier en Grande Bretagne, aux côtés de son ami, collègue et
admirateur écossais David Hume en 1766.
• Après une brouille avec Hume, Rousseau est de retour en France, où il mène une vie
plus conforme et paisible et publie un nombre d’ouvrages scientifiques,
autobiographiques et plusieurs romans sentimentaux considérés comme fondement
de la tradition romantique, dont Emile, Julie, ou la nouvelle Héloïse, Confessions et
Rêveries du promeneur solitaire.
• Rousseau est véritablement hanté par les postulats et les conclusions cyniques de
Hobbes et va répondre en formulant une conception nouvelle de l’Etat à partir d’une
vision de l’homme et de la société radicalement différente de tous ses prédécesseurs.
L’originalité de son discours et l’audace d’aller à contre courant de toutes les normes
établies de la pensée occidentale lui vaudront condamnation de ses contemporains,
mais aussi le titre du plus grand philosophe des Lumières et un père fondateur de
l’idéologie révolutionnaire française.
• La première grande œuvre politique de Rousseau est son Discours sur les Sciences
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et les arts, où Rousseau se lance dans une critique de la civilisation moderne et son
« progrès illusoire » ; aussi, il met en garde ses contemporains contre le commerce et
l’industrie, qui pourraient corrompre les hommes par l’égoïsme, l’avarice et le
mercantilisme qu’elles apportent.
b). Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755) :
- « Ils ont tous cherché de remonter à l’état de nature mais aucun n’y est arrivé,
parlant sans cesse de besoin, d’avidité, d’oppression, de désirs et d’orgueil, ont
transporté à l’état de nature des idées qu’ils avaient pris dans la société. Ils
parlent de l’homme sauvage et ils peignent l’homme civil ».
• Il continue en stipulant, comme Hobbes, que l’homme a l’état de nature est isolé est
insociable. Puis, il fait voler les postulats de Hobbes en éclats en déclarant que
l’homme à l’état de nature est en fait libre et heureux et que toute l’histoire de la
société est en vérité l’histoire de la dégradation de la liberté humaine.
• L’homme à l’état naturel aurait deux sentiments : l’amour de soi même (principe
d’autoconservation), et la pitié. Selon Rousseau, nous naissons tous avec ces deux
sentiments, mais l’exposition à la société nous dégrade et nous éloigne de cette
situation idyllique, et le grand coupable de cette dégradation est la propriété privée :
- « Le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire : ceci est à moi, et
trouva des gens assez simples pour le croire, fut le frai fondateur de la société
civile. Que de crimes, de guerres, [et] de misères […] n’eût point épargnés au
genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé eût crié à ses
semblables : gardez-vous d’écouter cet imposteur ; vous êtes perdus, si vous
oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n’est à personne. »
• Depuis que les hommes se sont persuadés de pouvoir posséder toute chose, ils ont
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commencé à se comparer et à envier l’un l’autre : ainsi, l’amour de soi-même s’est
transformé en amour propre :
• Parmi les raisons qui ont poussé à la dégradation des homme, Rousseau met
l’accent sur le langage (caractéristique à l’origine même du vivre ensemble) et sur la
capacité des hommes à se perfectionner (ce qui le distingue des animaux). La
particularité de Rousseau provient de sa connaissance extensive des sociétés
primitives qu’il tire de la littérature de voyage afin de réfuter le mythe du mauvais
sauvage en le contrant avec son interprétation idéaliste des sociétés traditionnelles :
en prônant les vertus et la variété des sociétés non occidentales, il démontre à ses
confrères « civilisés » qu’il y a en fait d’autres manières de vivre que ce qu’ils
s’imaginent.
- « [T]elle fut ou dut être l’origine de la société et des lois, qui donnèrent des
nouvelles entraves au faible et des nouvelles forces au riche. Détruisirent sans
retour la liberté naturelle, fixèrent pour jamais la loi de la propriété et de
l’inégalité, d’une adroite usurpation firent un droit irrévocable, et pour le profit
de quelques ambitieux assujettirent désormais tout le genre humain au travail,
à la servitude et à la misère ».
• « [L]'homme est né libre, et partout il est dans les fers. Tel se croit le maître des
autres, qui ne laisse pas d'être plus esclave qu'eux. Comment ce changement s'est-il
fait ? Je l'ignore. Qu'est-ce qui peut le rendre légitime ? Je crois pouvoir résoudre cette
question. »
• Rousseau commence ce nouveau traité par une remarque sur l’état de nature et à la
loi naturelle qui, hormis toutes ses vertus, possède néanmoins un défaut : celui de la
loi du plus fort. S’il ne s’agit pas d’un grand vice pour l’état de nature, les inégalités
entre les hommes étant négligeables et l’homme étant solitaire, le règne de la loi du
plus fort devient un mal fatal lorsqu’il transmet à la société civile.
• Il affirme ensuite que la loi du plus fort ne peut être un principe directeur
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d’une société car elle est incompatible avec l’intérêt général, et donc
avec le contrat social :
- « Le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître, s’il ne
transforme sa force en droit et l’obéissance en devoir. »
• Il conclue donc qu’un Etat et une société justes, libres et sûrs ne peuvent être
atteints que par la conclusion d’un nouveau contrat. Le profil de ce contrat social
légitime qui amènerait à un ordre social qui réduirait les maux de la civilisation et
compenserait les vertus perdues de l’état de nature par l’émergence de qualités de
l’état social est justement ce que Rousseau veut transmettre par cet ouvrage :
- « Je veux chercher si, dans l’ordre civil, il peut y avoir quelque règle
d’administration légitime et sûre, en prenant les hommes tels qu’ils sont, et les
lois telles qu’elles peuvent être. Je tâcherai d’allier toujours, dans cette
recherche, ce que le droit permet avec ce que l’intérêt prescrit, afin que la
justice et l’utilité ne se trouvent point divisées. »
• Pour Rousseau l’ordre politique et social créé par le contrat social légitime doit être
basé sur le consentement, servir à l’intérêt général et doit garantir la liberté et l’égalité
aux hommes ; pour y parvenir, il faut que chacun d’eux renonce par ce contrat à
tous ses droits naturels afin d’obtenir la liberté civile, garantissant
l’égalité politique à chacun par cette aliénation universelle :
- « Les clauses [du contrat social] se réduisent toutes à une seule : l’aliénation
totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté : […]
chacun se donnant tout entier, la condition est égale pour tous ; et la condition
étant égale pour tous, nul n’a intérêt de la rendre onéreuse aux autres. »
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- Inaliénable : la volonté peut être représentée que par le peuple entier ; le
pouvoir exécutif et judiciaire peuvent être délégués, mais pas le législatif.
(Rousseau est le premier qui assimile au concept de gouvernement celui de
pouvoir exécutif).
- La volonté générale est infaillible, à condition que les citoyens doivent être
correctement informés pour prendre une juste décision ;
- La deuxième par contre est utile d’un point de vue politique car elle enseigne
aux citoyens le respect de la loi et l’amour pour la patrie avec des dogmes
simples et positifs : il condamne l’intolérance car il s’agit d’un « dogme négatif »
- Pour Rousseau, parler d’une république chrétienne n’a pas de sens car
chaque mot exclut l’autre, le christianisme ne prêchant que servitude et
dépendance.
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TROISIEME PARTIE : L’EGALITE DES DROITS ET LA PERCEE
DE L’ETAT LIBERAL MODERNE
• Les treize Etats étaient réellement unis derrière le Congrès Continental pendant les années
de la guerre et au moment de la Déclaration d’Indépendance rédigée par Jefferson et signée
par le Congrès le 4 Juillet 1776, mais un an plus tard déjà, au moment de la signature des
Articles de la Confédération, traité fondateur des Etats-Unis d’Amérique, les premières
divisions apparaissent. La société américaine s’en trouve divisée entre les fédéralistes,
partisans de l’Etat fédéral fort, et les anti-fédéralistes, prônant un Etat plus axé sur une
confédération d’Etats autonomes.
• Au fil des années, le courant de pensée fédéraliste, dirigé par James Madison (rédacteur
principal de la Constitution et quatrième Président) Alexander Hamilton (fondateur du parti
fédéraliste) et John Jay (diplomate et co-rédacteur des Federalist papers) pris le dessus sur
le mouvement républicain-démocrate anti-fédéraliste dirigé par Patrick Henry (leader du
mouvement), Thomas Jefferson (troisième Président et rédacteur de la Déclaration
d’Indépendance) et James Monroe (cinquième Président). Les tensions entre les deux
mouvements vont se polariser au fil des années et finiront par diviser littéralement le pays en
deux lors de la Guerre de Sécession qui culminera au triomphe total de l’idée fédéraliste.
• Les fédéralistes prônent un Etat fédéral solide capable d’unifier sous sa coupe les
Etats très divers de la république. Afin d’assurer la sécurité et la prospérité à la nation,
ils justifient l’établissement d’institutions relativement centralisées et souhaitent le
développement du commerce, de l’industrie, d’une armée et d’une flotte puissantes.
Aussi, ils avancent une idée moderne de république et de la démocratie, par
opposition aux modèles antiques.
• Les fédéralistes partent avec le constat que toutes les démocraties de l’histoire se
sont avérées instables, surtout lorsqu’il s’agit de grands Etats. Ils prônent donc l’idée
novatrice d’une démocratie représentative gouvernant une république fédérative,
neutralisant les divergences politiques qui menacent l’unité et la stabilité de l’Etat : ils
conjuguent donc les principes de la souveraineté du peuple et de la représentation.
• Le fait que la Constitution de 1787 ait été rédigée principalement par des fédéralistes
a été un atout majeur pour le mouvement ; cependant, à cause de la contestation anti-
fédéraliste, cette constitution a faillit ne pas être ratifiée. C’est alors que les Etats-Unis
sont devenu la scène d’un duel intellectuel entre deux recueil de traités : l’un
fédéraliste, l’autre anti-fédéraliste. L’unité et la coordination du Parti fédéraliste finiront
par triompher de l’opposition lorsqu’en 1790, le neuvième et dernier Etat nécessaire à
l’entrée en force de la Constitution l’a ratifié.
• Aussi, ils dénoncent la volonté des fédéralistes de former une république forte
s’étalant sur un grand territoire car une pareille république serait forcément d’instinct
expansionniste, ce qui rendrait la dérive vers un empire despotique quasi-inévitable.
Les fédéralistes rétorquaient que cette dérive serait impossible tant que le pouvoir
était proprement divisé et équilibré par des contre-pouvoirs.
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Chapitre VIII - John Stuart Mill, démocratie et limites de l’Etat libéral
Introduction :
• Avec l’entrée en force de la Constitution, les Etats-Unis deviennent un nouveau modèle
d’Etat républicain matérialisant une synthèse de l’œuvre de générations de philosophes
idéalistes. On peut dire alors que tous les concepts modernes de l’Etat, à savoir la
souveraineté, la nation, la séparation des pouvoirs, l’Etat de droit, la représentation, les
libertés fondamentales, le droit des gens, la constitution et la démocratie sont définis.
• Dans le XIXème siècle qui s’annonce, il ne s’agira pas tant de définir de nouveaux
concepts révolutionnaires (à l’exception prééminente de Karl Marx et des sociaux-
démocrates) que de combler des lacunes et élargir les concepts de la théorie politique
libérale, notamment en ce qui concerne les droits économiques et sociaux, la nécessité de la
régulation étatique dans le but de protéger, les droits des minorités, la question de
l’esclavage, et d’autres. L’un de ces philosophes émérites du XIXème siècle, l’utilitariste
britannique John Stuart Mill, proposera une nouvelle synthèse de la théorie politique
classique, dont il est l’un des derniers théoriciens.
a). Biographie :
• Fils aîné du philosophe écossais James Mill, John Stuart Mill (1806-1873) est né dans la
maison à Pentonville, Londres. Il a été instruit par son père, sur les conseils et avec
l'assistance de Jeremy Bentham et David Ricardo. Il lui a été donné une éducation
extrêmement rigoureuse et il fut délibérément protégé de relations avec des enfants de
son âge. Son père, adepte de Bentham et de l’associationnisme, avait pour but avoué d'en
faire un génie qui pourrait poursuivre la cause de l’utilitarisme et de ses applications après
sa mort et celle de Bentham.
• Son intelligence et sa culture furent exceptionnellement précoces ; son père lui avait
appris à l'âge de trois ans l’alphabet grec et une longue liste de mots grecs avec leurs
équivalents en anglais. À huit ans, il avait lu tous les classiques grecs et une grande
quantité d'ouvrages sur l'histoire. Toujours à l'âge de huit ans, Mill commença le latin,
étudia l’algèbre et fut chargé de l'éducation des plus jeunes enfants de la famille.
L'ouvrage de son père : Histoire des Indes, fut publié en 1818 ; immédiatement après, vers
douze ans, John commença l'étude de la logique scolastique, tout en parcourant les traités
de logique d’Aristote dans le texte. Les années suivantes, son père l'introduisit à
l'économie politique par l'étude s’Adam Smith et de David Ricardo et, finalement,
compléta sa vision économique avec l'étude des facteurs de production.
• À vingt ans, il est victime d'une dépression liée probablement au surmenage. Cet épisode
de sa vie l'amène à reconsidérer l'utilitarisme de Bentham et de son père : il en vient à
penser que l'éducation utilitariste qu'il avait reçue, si elle avait fait de lui une
exceptionnelle « machine à penser », l'avait dans le même mouvement coupée de son moi
profond et avait presque tari en lui toute forme de sensibilité. Dès lors, il tente de concilier
la rigueur scientifique et logique avec l'expression des émotions. Ce sont les oeuvres du
poète Wordsworth qui, dans un premier temps, l'aident à développer une « culture des
sentiments », puis l’affection salutaire que lui portera Harriett Taylor, sa future épouse,
qui vont faire (re)surgir en lui la vitalité du cœur, et l'amènent à se rapprocher de la
pensée romantique.
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• Sa charge de travail ne semble pas avoir handicapé Mill dans sa vie sentimentale : la
famille qu'il forma avec sa femme, et sa belle-fille Helen Taylor, a été considérée par ses
contemporains comme exceptionnellement réussie. Lui-même indique dans l'un de ses
ouvrages que « ceux-ci ne sont pas le travail d'un esprit, mais de trois ». Notamment, il a
décrit son essai De la liberté comme issu de la « conjonction » de l'esprit de sa femme
Harriet, et du sien, et souligne dans des pages émouvantes de ses Mémoires combien
l'amour qu'il lui portait se doublait d'une complicité intellectuelle intense.
• Il fut très affecté par le décès de sa femme à Avignon en 1858, morte d'une
congestion pulmonaire, et il resta dès lors en France, pour demeurer près d'elle jusqu’à
sa mort, en 1873.
• Dans cet ouvrage qui fera la gloire de John S. Mill, le philosophe se pose la question
de la place de l’Etat dans l’économie ; le livre peut être vu comme un prélude à De la
liberté, où l’objet ne sera plus l’économie mais la société et l’individu. A ce moment,
Mill est encore un défenseur du modèle libéral classique de l’économie, et pourtant, il
ouvre un certain nombre de pistes à l’Etat pour intervenir, massivement lorsqu’il le
faut, afin de réguler et corriger les failles du marché, ce qui sera d’une grande
inspiration pour Keynes.
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- Afin de combattre la misère et l’exploitation des travailleurs de son temps,
John S. Mill va proposer une nouvelle manière de calculer les salaires : on ne
pourrait pas soumettre au régime de libre concurrence des salaires pour des
métiers nocifs et pénibles qui iraient jusqu’à assimiler les travailleurs à des
esclaves. Il s’agit d’une hérésie sociale, conduisant inévitablement à la misère
humaine, ce qui n’est pas tant immoral que réellement nocif à toute la société.
- Mill défend l’idée qu’il faut massivement taxer les produits du sol, à savoir la
rente foncière. Les revenus issus de la propriété privée aboutissant à un capital
résiduel devraient être minimisés au nom du principe que « chacun doit
recevoir la valeur de son travail ». Mill ira jusqu’à parler de la nationalisation de
l’héritage : l’idée est bel et bien de réaliser une égalité des chances quasi-
totale, d’où la nécessité de confisquer l’héritage des générations précédentes.
• « Le sujet de cet essai n’est pas ce que l’on appelle le libre arbitre mais la liberté
sociale ou civile : la nature et les limites du pouvoir que la société peut légitimement
exercer sur l’individu. »
• L’objet principal de cet ouvrage est de proposer une nouvelle vision de la nature et
de l’étendue du pouvoir que l’Etat peut légitimement exercer sur la société et
l’individu. La question principale dans ce contexte de la Révolution Industrielle et de la
montée en force de la cause sociale, est de savoir comment conjuguer les droits
individuels avec la nécessaire obligation pour l’Etat de répondre à des tâches
économiques et sociales telles que la santé, l’éducation et la solidarité sociale.
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- Il réfute l’absolutisme protestant : les vérités absolues n’existent pas, ou du
moins elles sont insaisissables pour l’homme, qui ne peut appréhender que des
vérités partielles. Seul un débat ouvert peut révéler celle des vérités qui est la
plus utile à la société. D’ailleurs, Mill réfute l’idée rousseauiste du triomphe
absolu de la majorité : celle-ci peut se tromper.
- Il est impératif de remettre en cause nos opinions les plus profondes, parce
que c’est à ce prix-là qu’elles deviennent « vivantes ». Cette critique
permanente et constructive est la raison principale de sa préconisation d’une
liberté de pensée et d’expression absolues.
• Mill réfute le contrat social tel qu’il a été établit par de différents auteurs, car il s’agit
d’une idée abstraite et théorique. Néanmoins, il avance que tout ceux qui vivent
dans la société lui sont redevables de ses bienfaits et doivent donc
respecter certaines règles nécessaires au vivre ensemble, à savoir le
respect d’autrui et le devoir d’assurer sa part de travail et de sacrifice
envers la société.
• Bien qu’il affirme que personne ne peut dire à quiconque ce qui est bon pour lui et
que l’homme doit rester entièrement libre, il met au point le concept de non-nuisance :
l'unique motif valable au nom du quel on peut contraindre un individu
à faire ou ne pas faire quelque chose serait la nuisance causée à autrui
par son comportement.
• L’une des plus grandes contributions de Mill dans De la liberté est son énoncé de la
liberté positive, concept qui contrairement à la liberté de Hobbes, qui stipule que
l’homme est libre tant qu’il n’est pas restreint par une loi, désigne la possibilité et les
ressources nécessaires pour agir afin de réaliser son potentiel personnel, ce qui
détruit la thèse libérale avançant que l’Etat et les lois ne font que nuire à la liberté.
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Conclusion :
• Avec l’effondrement du bloc socialiste, la globalisation et la contraction de l’Etat providence,
les penseurs et les politiciens contemporains se demandent si l’Etat, sous sa forme actuelle, a
encore une place pour l’avenir, et s’il ne serait pas devenu entièrement obsolète. Quelles que
soient les réponses, qui sont d’ailleurs encore à venir, la réflexion porte notre regard vers les
contributions de nos ancêtres qui ont façonné ce concept si fondamental pour l’histoire humaine,
car on ne peut savoir où l’on va, si on ne sait pas d’où l’on vient.
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