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Introduction
Nous nous sommes réunis ce soir autour d’un mot « démocratie »
Nous ne nous connaissons pas forcément, mais au moins nous savons que nous avons
un point commun : nous nous sentons très concernés par l’idée de démocratie.
Nous sommes très concernés par la démocratie parce que nous avons à faire avec la
démocratie – notre Etat ne s’affirme-t-il pas démocratique ? – Constitution article 3 :
« La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et
par la voie du référendum. »
Or la démocratie se définit comme la souveraineté du peuple sur le pouvoir public – le
pouvoir qui organise la vie sociale.
Qi’est-ce que la souveraineté ? C’est l’instance de décision ultime concernant les choix
publics.
Au-delà de ce que proclame la Constitution, sommes-nous effectivement en
démocratie ?
Des doutes :
J’ai lu dans la presse que le gouvernement tardait à mettre en route le processus de
recueil des signatures concernant le RIP voté par les parlementaires sur le projet de
privatisation de l’ADP.
Sans parler du non-respect du résultat du référendum de 2005.
Je vous propose qu’on ne s’arrête pas à cette question, du moins maintenant, mais que
l’on considère comme acquis que nous sommes en démocratie :
Par déférence envers nos aînés qui ont vécu le nazisme Nous pouvons débattre
librement ce soir de la bonne manière de s’organiser en société. Et cette liberté, nos aînés ne
l’avaient plus, et ils se sont battus durement pour la retrouver et nous la léguer.
Mais ceci étant posé la question de ce soir – « Comment penser la démocratie
aujourd’hui ? » – suppose que l’on ne vit pas la démocratie comme la solution à notre
problème de vivre-ensemble, mais qu’elle fait elle-même problème.
En tant qu’elle est une manière d’élaborer le pb contemporain de la démocratie, la
réponse à la question – « Comment penser la démocratie aujourd’hui ? » – a 2 versants, un
versant rétrospectif et un versant prospectif, autrement dit :
1– Comment la démocratie en est-elle arrivée à poser ainsi problème ?
2– Comment faire évaluer la démocratie pour qu’elle réalise ses promesses ?
La réponse à 1 devant éclairer les possibilités de réponse à 2.
Qu’on note bien que notre approche est philosophique : nous cherchons à déterminer
la bonne idée de la démocratie, compte-tenu des déboires que cette idée, telle qu’elle a été
comprise par le passé, à occasionnés hier et aujourd’hui. L’approche philo vise toujours
l’universel : nous voulons aller vers la bonne idée de la démocratie, celle qui puisse être
reprise toujours et partout.
Ainsi nous n’avons pas la même démarche que notre voisin le sociologue J. Viard qui
vient de publier « l’implosion démocratique » M. Viard part des faits sociaux contemporains
– la révolution numérique, la crise écologique, la crise identitaire post-effondrement du
communisme – et propose des pistes de réforme pour réaliser une démocratie vivante.
Nous nous poserons plutôt la question : qu’est-ce qui était défaillant dans l’idée
démocratique, pour qu’elle nous amène aux impasses contemporaines ?
Viard se préoccupe plutôt de mesures politiques pour sortir de l‘impasse, nous voulons
penser valeurs qui devraient nous guider pour ne pas y entrer.
Cependant nous revendiquons une supériorité de l’approche philosophique car,
comme le dit Castoriadis (1983) « penser sans restriction est la seule manière d’aborder les
problèmes et les tâches »
La démocratie moderne
Spinoza
Spinoza apparaît être le premier à promouvoir l’Etat démocratique à l’époque
moderne.
Le point de vue selon lequel est abordé le problème politique à l’époque moderne n’est
plus comme dans l’Antiquité, le point de vue de la collectivité, mais le point de vue du sujet
individuel (Descartes est passé par là).
Spinoza montre que l’individu ne peut que chercher à satisfaire ses désirs. C’est son
droit naturel. Mais c’est aussi le droit naturel de chacun de ses congénères. C’est pourquoi il
rencontre inévitablement conflits, haine, violences, et finalement une existence précaire et
misérable au lieu d’obtenir simplement les satisfactions qu’il visait.
C’est pourquoi sa raison lui fait voir qu’il lui est plus utile de renoncer à la puissance de
satisfaire ses désirs pour la transférer totalement à la société. Il sera dès lors tenu de se
conformer, dans ses comportements au commandement de cette société. La démocratie
c’est l’union – qu’il présente comme un pacte, au moins tacite (toujours le présupposé
individualiste) – des hommes qui forment un Etat en se soumettant au commandement du
souverain. « Dans cet État en effet nul ne transfère son droit naturel à un autre de telle sorte
qu'il n'ait plus ensuite à être consulté, il le transfère à la majorité de la Société dont lui-même
fait partie ; et dans ces conditions tous demeurent égaux, comme ils l'étaient auparavant
dans l'état de nature. »
En effet transférer ainsi sa puissance d’agir ce n’est pas renoncer à sa liberté, c’est lui
donner sa forme la plus raisonnable. L’essentiel de la liberté : la liberté de penser et de
donner publiquement son opinion est en effet inaliénable. En effet l’Etat démocratique qui
est l’émanation de sa raison ne saurait s’en priver. Un Etat qui supprimerait la liberté
d’opinion se condamnerait lui-même, car le pacte qui le légitime serait rompu.
Avec une précision essentielle : la liberté d’opinion est bien sûr reconnue qu’autant
qu’elle relève de la raison : on doit pouvoir argumenter l’opinion qu’en exprime en public.
Mais le souverain peut et doit même réprimer les opinions qui ne sont que l’expression de
passions (comme le font nos lois contre le racisme, contre le révisionnisme historique, etc.)
L’Etat démocratique est le plus naturel parce qu’il exprime l’égalité de l’état de nature
et permet la liberté.
Le grand combat de Spinoza c’est déjà, 1 siècle avant les Lumières, la lutte de la raison
contre la superstition. Et la superstition qui est toujours l’expression de passions liées à la
peur – « La cause d'où naît la superstition, qui la conserve et l'alimente, est donc la crainte »
Montesquieu
Les grands bouleversements des siècles précédents – les grandes découvertes, les
guerres de religion ont remis en cause l’idée portée par l’idéologie thomiste, qu’il pouvait y
avoir un seul gouvernement, une seule vérité, et des lois valides partout et toujours.
Dès lors vers quoi se tourner pour trouver des lois légitimes ? En tous cas Montesquieu
est le penseur qui a décroché les lois qui organise une société de toute réalité transcendante,
que ce soit les Idées de Platon, ou le Dieu du christianisme.
Il les a rapportées aux conditions de vie des peuples auxquelles elles doivent
s’appliquer. C’est le sens de sa célèbre définition : « les lois sont les rapports nécessaires qui
découlent de la nature des choses » ( et non d’un surnaturel quel qu’il soit)
Dès lors la diversité des législations n’est plus un scandale (comme l’exprimait Pascal
écrivant : « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà »)
Cela constitue une puissante ouverture démocratique car ceux qui connaissent le
mieux la nature des choses sont ceux qui vivent au milieu d’elles avec elles, soit les habitants
d’un territoire.
De même le pouvoir politique ayant perdu toute légitimité transcendante, n’étant plus
adossé à des croyances, pourrait aisément devenir arbitraire et tyrannique – car tout
pouvoir, s’il n’est pas limité du dehors tend à l’abus. Montesquieu montre que le seul remède
est une organisation institutionnelle qui sépare clairement les pouvoirs éxécutif, législatif et
judiciaire.
La démocratie est une république (nature du gouvernement : où le premier magistrat
est élu pour un temps déterminé) où le peuple a la souveraine puissance (source du pouvoir)
Le peuple peut élire, peut voter des lois, mais ne peut agir d’où la nécessité d’un sénat
(au sens romain : fonction exécutive)
De toutes façons, pour que la démocratie fonctionne, il faut une vertu politique du
peuple, soit un amour de la patrie qui la fasse préférer à soi-même.
Montesquieu n’y croit pas trop la république démocratique ne conviendrait qu’à des
Etats petits, vivant dans la frugalité.
Condorcet
Progrès de la raison -> progrès des sciences -> liberté des hommes
-> Accès au savoir pour tous ->
délitement des relations de pouvoir -> égalité de droit et de devoir=> démocratie sans
restriction – persistance d’une inégalité de richesse et de culture, mais réduite, elle sera une
stimulation au progrès et non un obstacle.
Paradoxe de Condorcet : faiblesse du scrutin uninominal lorsqu’il y a plus de 2
candidats alors que les préférences des électeurs sont partagées. Le vainqueur n’est pas
indiscutable : A peut être élu alors que 65% des électeurs plaçaient B devant A.
Elections présidentielles de 2007 : Sarkozy a été élu alors qu’une majorité d’électeurs
préféraient Bayrou à Sarkozy ; Mais Bayrou n’a pas été au 2d tour pcq parmi ceux qui ne
voulaient pas voter S, une majorité préférait Royal à B ; d’autre part parmi ceux qui ne
voulaient pas voter R, une majorité préférait S à B. Pour autant une majorité des électeurs
préférait B à R.
On dit que B était le vainqueur Condorcet de ce scrutin : par rapport, à l’un ou l’autre
des 2 autres candidats une majorité d’électeurs préférait B. Il n’a pas été au 2D tour à cause
de la dispersion des voix.
Remèdes possibles : voter pour une liste de préférence, ou noter chaque candidat de 1
à 10.
Les ennemis de la liberté sont la superstition et le despotisme. Son amie est la science.
Libéralisme économique, démocratie et égalité
1781, « Réflexions sur l’esclavage des Nègres. » : condamnation de l’esclavage.
1790, SUR L’ADMISSION DES FEMMES AU DROIT DE CITÉ, Pour une entière citoyenneté
des femmes à l’égal des hommes.
« Le perfectionnement indéfini de notre espèce est comme une loi générale de la
nature »
Condorcet nous parle d’une société pleine d’avenir alors que nous sommes dans une
société sans avenir.
Rousseau
À l’opposé de Condorcet, R considère que l’histoire n’est le discours du progrès général
de l’humanité, mais plutôt d’une dégradation de la condition humaine dont le résultat est
l’intolérable inégalité entre les hommes actuellement : « L’ho est né libre et partout il est
dans les fers »
L’homme n’es pas naturellement sociable mais les contingences de son histoire l’ont
amené à vivre en société. Il n’en reste pas moins que l’état de société est artificiel et ne peut
fonctionner qu’au moyen de conventions contraignantes
Perspective de sa philo politique : partir de ce fait que les hos sont aujourd’hui
contraints de vivre en société, et chercher les bonnes conventions, celles qui peuvent rendr
el’état de société légitime -> Du contrat social – 1762
Contrat ? Le droit ne doit pas être fondé sur la force, résulter de rapport de domination
car cela est contradictoire : »Qu’est-ce qu’un droit qui périt quand la force cesse ? » Donc
adhérer librement aux lois par contrat.
La liberté est inaliénable (cf Spinoza) : « renoncer à sa liberté, c’est renoncer à sa
qualité d’homme »
Contrat social : « chacun s’unissant à tous, n’obéit qu’à lui-même et reste aussi libre
qu’auparavant » Ce qui ne peut marcher qu’à condition que chacun se donne tout entier (du
coup le don est égal)
Pour chacun sa volonté propre devient une expression unique qui est la volonté
générale (cf Spinoza)
La personne publique formée par ce pacte devient République.
Les contractants (citoyens) prennent collectivement le nom de peuple.
Chaque contractant de vient citoyen – il est engagé comme membre du souverain à
l’égard des particuliers, et comme membre de l’Etat à l’égard du souverain.
Le souverain ne peut avoir d’intérêt contraire aux particuliers qui le composent : ce
serait s’anéantir
Celui qui refuserait d’obéir à la volonté générale y serait contraint par tout le corps : on
le forcera à être libre.
« Le citoyen n’est plus juge du péril auquel la loi veut qu’il s’expose, et quand le Prince
lui a dit : il est expédient à l’Etat que tu meures, il doit mourir »
Le Prince : le peuple désigne – élit – les magistrats chargés de faire appliquer les lois.
L’exécutif ne doit pas être législateur. Nécessité d’un sage législateur pour écrire la
Constitution.
Avantage du petit Etat
« Un peuple est toujours maître de changer ses lois »
Religion nécessaire mais essentiellement pour un culte personnel, intérieur, afin
d’affermir les principes moraux du citoyen.
La démocratie est la seule constitution où le pouvoir exécutif est joint au législatif. Elle
suppose un Etat très petit. Suppose un peuple de Dieux – peut-être un gouvernement si
parfait ne convient-il pas aux hommes ?
« Il n’a jamais existé de véritable démocratie, et il n’en n’existera jamais. »
Rousseau préfère l’aristocratie élective dont lalégitimité serait l’aptitude à gouverner –
de ce point de vue il privilégie l’expérience se référent par exemple au conseil des sages (ou
des anciens) des sociétés amérindiennes, ou au Sénat dans la république romaine.
Avènement des démocraties modernes
L’article VI de la Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen de 1789
précise : « La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de
concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation »
L’article XXV de la Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen du 24 juin
1793 précise : « La souveraineté réside dans le peuple »
Dans la France révolutionnaire, tous les législateurs, les administrateurs
départementaux et de districts, les juges et le personnel des tribunaux, les juges de paix et
leurs assesseurs, et les municipalités étaient élus ; cependant, seules les deux dernières
catégories étaient élues directement, tous les autres administrateurs, législateurs et
juges l’étaient indirectement par les assemblées électorales. (…) Si on ne mesure la
démocratie qu’au nombre de postes élus, elle a avancé plus loin en France qu’en Amérique.
Les constitutions françaises de 1791, de 1793 et de 1795 ont établi des élections
fréquentes et avec un renouvellement partiel. Cependant, la constitution de 1795 a établi un
système général de « durée limitée. » Des électeurs et des fonctionnaires pouvaient être
réélus seulement après un intervalle de plusieurs années. Election plus fréquentes en France
qu’en Amérique.
En France, toutes les constitutions, sauf celle de 1791, étaient ratifiées au suffrage
direct et a ratification a été faite au suffrage masculin quasi universel.
Aux États-Unis, le suffrage masculin blanc universel a été réalisé dans la période qui
suit la Révolution française et avant la Guerre de Sécession.
France : Le suffrage établi en décembre 1789 a traduit la philosophie selon laquelle
seuls ceux ayant une volonté indépendante ont été autorisés à voter. Ceci a été
mesuré par l’imposition. Les citoyens étaient divisés en quatre catégories : 1* citoyens
passifs qui ont eu des droits civiques seulement ; 2* citoyens actifs qui ont eu seulement le
droit de vote ; 3* éligibles, qui pouvaient être élus ; 4* ceux qui pouvaient être élus député.
Toutes les élections étaient indirectes, exceptées celles pour les municipalités et les juges de
paix.
En raison de l’insurrection du 10 août 1792, la France est devenue une République,
comme les États-Unis. La suppression de la distinction entre citoyens actifs et citoyens passifs
a mené les historiens à conclure que le suffrage masculin universel avait été établi . Ceci est
cependant exagéré parce que les votants à la Convention nationale devaient vivre d’un
revenu ou du produit de leur travail. Les domestiques étaient exclus, de même que les
femmes, les non-résidents, les travailleurs ambulants, les chômeurs, et les enfants
mineurs. Âge du vote à vingt et un ans.
Bien qu’elle n’ait jamais été appliquée, la Constitution de 1793 a fait de la France la
première république démocratique dans l’histoire moderne. Les domestiques n’étaient plus
exclus. Pour la première et seule fois pendant la Révolution, des députés devaient être élus
directement – comme les membres du Congrès américain. Les lois devaient être soumises à
une sorte de référendum. La Constitution de 1793 était la première constitution française
soumise à la ratification populaire. 30 % d’hommes adultes ont voté la ratification de la
Constitution française de 1793.
Dans les années 1790, les États-Unis et la France ont développé deux modèles
différents de démocratie. L’Amérique a développé un pluralisme, un bipartisme, une
politique de groupes d’intérêts. La France n’a pas embrassé ce modèle. Les révolutionnaires
ont rejeté les candidatures proclamées, les partis politiques et les campagnes électorales.
Solliciter les suffrages, briguer des postes étaient les moyens certains d’attirer le
discrédit.
Constitution 1848 : suffrage universel masculin (électeur de 21 ans minimum)
Tocqueville,
De la Démocratie en Amérique, vol II, (Quatrième Partie : Chapitre VI) (1840)
Arendt
" ...partout où le monde fait par l'homme ne devient pas scène pour l'action et la parole - par
exemple dans les communautés gouvernées de manière despotique qui exilent leurs sujets
dans l’étroitesse du foyer et empêchent ainsi la naissance d'une vie publique - la liberté n'a
pas de réalité mondaine. Sans une vie publique politiquement garantie, il manque à la liberté
l'espace mondain où faire son apparition. Certes, elle peut encore habiter le cœur des
hommes comme désir, volonté, souhait ou aspiration ; mais le cœur humain, nous le savons
tous, est un lieu très obscur, et tout ce qui se passe dans son obscurité ne peut être désigné
comme un fait démontrable. La liberté comme fait démontrable et la politique coïncident et
sont relatives l'une à l'autre comme deux côtés d'une même chose."
Ainsi, dans la perspective d'Arendt la démocratie est tout simplement l'engagement de tout
citoyen dans les problèmes du vivre-ensemble, et des règles en fonction desquelles il doit
être organisé.
On s'attache généralement aux contenus de l'activité humaine : pourquoi tu fais ceci et non
pas cela ? Mais on oublie que le plus important c'est le sens de l'activité humaine. Pour quoi
agit-on ? Autrement dit, pour quelle valeur ? Pour quoi coupes-tu cet arbre ? Pour exporter
lucrativement ou pour faire des lits à tes enfants qui grandissent. Or, explique Arendt, les
activités humaines peuvent être distinguées selon trois sens :
– le travail, dont le sens est la consommation, soit la destruction de son produit aux fins
d'entretenir sa vie et la reproduire.
– l'œuvre, dont le sens est la construction du monde humain. Le monde humain se construit
en effet d'œuvres humaines dont la valeur, collectivement reconnue (les lits !), permet aux
hommes de se sentir un peu plus chez eux dans cette univers en lequel ils n'ont pas de
biotope naturellement assigné. La première des œuvres est le langage.
– l'action, dont le sens est la réalisation de la liberté humaine. En effet le propre de la liberté
des humains est que, n'ayant pas de valeurs finales assignées par la biosphère (les souris et
l'hédonisme sont des valeurs finales assignées au chat), ils doivent les définir eux-mêmes.
L'action exige donc de définir en commun les valeurs finales en fonction desquelles on veut
vivre, et sur lesquelles on va fonder les règles communes.
Pour Arendt, l'action est donc identique à l'activité politique. C’est la forme par excellence de
la liberté. La liberté s’exerce donc en commun (ce qui est l’opposé de l’individualisme
(Tocqueville)
Le malheur de "la condition de l'homme moderne" (titre d'un livre dans lequel Arendt expose
cette distinction de l'activité selon le sens), est que son activité est massivement déportée du
côté du travail/consommation (pour des intérêts marchands), sens de l'activité qui nous est
commun avec les animaux, qui écrase les deux autres sens, ... et épuise la planète [3] !
Ainsi notre époque serait envahie par le travail au détriment de l’œuvre.
Cette thèse permet d’éclairer un certain nombre de caractères du monde actuel.
– Le travail étant l’activité en laquelle nous sommes – les moins libres – nous la
partageons avec les animaux – il est le terreau humain favorable au totalitarisme
– Les œuvres elles-mêmes ont tendance à être happées par la logique des biens de
consommation ; elles peuvent être consommées et jetées (la consommation
musicale) ; le nom d’un philosophe peut devenir une marque commerciale. Tout cela
met en danger la conservation de la culture qui est sa destination propre.
– L’homme n’exprime pleinement son humanité que dans l’œuvre et dans l’action. Le
fait que l’homme contemporain consacre l’essentiel de son énergie au travail le met
dans un « mal-être » permanent que ne peuvent masquer les plaisirs des
consommations.
– Cette concept Comme le cycle « besoin-travail-consommation » prend une place
croissante, et qu’il signifie prédation sur l’environnement et rejet de déchets, créant
le problème écologique global que nous connaissons.
La démocratie comme "action" légitime la procédure du tirage au sort pour désigner les
représentants populaires dans les instances de pouvoir. En effet Arendt montre que l'action –
la politique – est l'affaire, la grande affaire, de tout être humain. Donc chacun est
potentiellement motivé pour accepter des responsabilités dans le champ politique !
Lefort
La démocratie ne se révèle qu’en opposition au totalitarisme, tout au moins aux
tendances à l’organisation organiciste de la société.
– Elle distingue le pôle du pouvoir du pôle de la loi et du pôle du savoir
– Elle accepte la division sociale et le conflit
– Elle accepte l’hétérogénéité des mœurs et des opinions
– la loi ne provient plus d’une source extra-sociale et transcendante mais fait l’objet de
questionnements intempestifs sous forme de luttes indéfinies pour dire le juste et le
légitime.
– Le pouvoir y devient un « lieu vide », un pôle inappropriable à la jointure du réel et
du symbolique
Concept-clef d’indétermination démocratique : « La société démocratique moderne
m’apparaît, de fait, comme cette société où le pouvoir, la loi, la connaissance se trouvent mis
à l’épreuve d’une indétermination radicale(…). Il s’agit là par excellence de la société
historique. » Elle procèderait « d’un mouvement qui habite inexorablement la démocratie et
la pousse à se déborder sans cesse. » (Arthur Guichoux)
Ainsi, en démocratie, le conflit a une valeur en soi.
« Il est vrai, la démocratie, personne n’en détient la formule et elle garde toujours un
caractère sauvage. C’est peut-être là ce qui fait son essence »
Prétendre apporter une forme finale et indépassable à la démocratie reviendrait à l’achever
littéralement, au sens de porter un coup d’arrêt mortel
Alors que « le totalitarisme qui, s’édifiant sous le signe de la création de l’homme nouveau,
s’agence en réalité contre cette indétermination, prétend détenir la loi de son organisation et
de son développement et se dessine comme … société sans histoire »
Tel n’est-il pas le scientisme transhumaniste qui se donne ses bases aujourd’hui avec les GAFA
?
Expérience de l’indétermination démocratique :
– soit comme la mise à l’épreuve collective d’une indétermination foncière (Lefort)
– Soit comme la capacité d’un collectif humain à s’auto-déterminer (Castoriadis)
Jean-Claude Monod : « la démocratie n’a pas de fondement scientifique ou dogmatique,
mais elle a bien des fondements éthiques et philosophiques. La pensée grecque de la politeia
gouvernée en fonction du bien commun et sur fond d’égalité, les thèmes républicains
romains réactivés par les philosophes de la Renaissance et des Lumières, l’horizon
cosmopolitique, les droits de l’homme, la tolérance, l’idée d’une dynamique de l’égalité
constituent un fonds de valeurs et de pensées qui définissent un cadre pour l’expérience
démocratique. Celle-ci n’est donc ni si vide ni si indéterminée qu’on le dit souvent. »(Esprit,
2014/3 (Mars/Avril), p. 137-163). N’est-ce l’éthique de l’humanisme ?
« Reconnaître qu’il ne saurait exister de fondement incontestable de l’ordre social et
politique implique en effet de rompre le fil téléologique qui parcourt de nombreux courants
de pensées, suivant, par des chemins parfois opposés, le postulat d’une marche inéluctable
vers le progrès, de l’avènement d’un grand soir ou d’une descente aux enfers imminente.
Indéterminée mais pas vide de sens, la démocratie serait inachevée car inachevable, ce qui
revient à dire que son inachèvement fait fond sur un horizon non pas indépassable, mais
immaîtrisable » (Arthur Guichoux)
Castoriadis
« Une société juste n’est pas une société qui a adopté, une fois pour toutes, des lois justes.
Une société juste est une société où la question de la justice reste constamment ouverte –
autrement dit, où il y a toujours possibilité sociale effective d’interrogation sur la loi et sur le
fondement de la loi » cf Aristote
– Le peuple par opp. aux « représentants pour : la dimension des Etats modernes ; contre
« la représentation est un principe étranger à la démocratie » synthèse : niveaux de décision
du local au national chaque niveau envoyant des délégués au niveau supérieur avec un
mandat déterminé
– Le peuple par opp aux experts La politique se détermine toujours par rapport à des
valeurs – le bon et le juste (Aristote) : il ne saurait y avoir des experts sur ces
questions, seulement des voies de sagesse pour lesquelles quiconque est habilité à se
prononcer. L’expertise est toujours liée à une question technique spécifique
(concernant donc les moyens) l’expert n’a donc d’autorité que dans son domaine
technique.. D’autre part « le bon juge du spécialiste n’est pas un autre spécialiste
mais l’utilisateur
– La communauté par opposition à l’« Etat » La distinction n’est pas à faire entre un
Etat et une population qui lui serait séparée, mais entre le corps constitué des
citoyens comme personne morale aux habitants vivant et respirant de l’autre. En effet
l’administration vouée à exécuter les décisions n’a aucun rôle dans les choix
politiques.
– Création d’un espace public, i.e. d’un espace proprement politique qui appartient à
tous , mais où les intérêts particuliers n’ont pas lieu d’être.(Aristote : Athènes décision
de faire la guerre, habitant limitrophes) – d’où liberté de parole, de pensée,
d’examen, de questionnement, sans limites, à condition que ce soit dans le registre
du logos.
– Création d’un temps public Apparition de l’historiographie :
–
–
1– Noter le décalage engendré par le passage de la cité à l’Etat. Ne peut-on pas dire
que dans la cité chacun peut connaître tous les autres, alors que l’Etat est le règne de
l’anonymat ?
Cette différence n’est-elle pas décisive ?
2– Ne faut-il pas diagnostiquer une démocratie contemporaine essentiellement
réactive – d’ailleurs toute relative. Un Etat démocratique est un Etat qui n’interdit pas a
priori, et c’est à ce critère qu’on parle de Droits de l’homme. Mais l’activité démocratique,
n’est-elle pas essentiellement positive ?
3– Le libéralisme a besoin de la démocratie pour libérer la production, la circulation et
la consommation de marchandises, mais il ne peut l’accepter que dans certaine limites, celles
qui préservent un impérialisme – voire un totalitarisme – économique. C’est pourquoi la
démocratie se heurte continuellement au mur de l’économisme.
On pourrait dire aussi que le libéralisme a besoin de la rationalité, mais non de la
« raisonnabilité ».
Libéralisme = dérive individualiste, laquelle finit par miner la démocratie Elle s’exprime
dans l’opposition entre la compétition entre egos (égaux !) et le sens de l’intérêt public.
-> crise de la citoyenneté (abstention électorale)
Sommes-nous en démocratie ? Si, on le concède, alors il faut admettre que c’est une
démocratie bien malade où chaque semaine il y a des manifestations depuis plusieurs mois,
émaillées de violences avec des blessés graves qui se multiplient.
Car la démocratie c’est bien cela : le débat pour décider des orientations collectives
plutôt que des rapports de force : c’est comme ça qu’elle est née en Grèce. Cf Vernant.