Sunteți pe pagina 1din 16

TABLE

Michel Schneider A quoi penses-tu? 7


Vincent Descombes La pensée est-elle chose mentale? 37
Jean-Claude Lavie Afflux 49
Christian David Pulsation 61
Paul-Laurent Assoun Trouble du penser et pensée du trouble 77
Wladimir Granoff Penser, c’est croire qu’on a le temps 107
René Laloue La pensée malade de la peste 117
Bernard Lemaigre Imre Hermann : pensée, cramponnement et préférence
périphérique 141
Masud Khan Du vide plein la tête 161
Jean-Luc Donnet Le psychophobe 199
Didier Anzieu Un cas de triple méprise 215
Jean-Michel Sterboul Un rêve d’énigme 223
Sylvie Nysenbaum Une pensée qui va et vient 229
Michel Gribinski L’interdit de penser que portent les petits mots 253
André Green La double limite 267
Wilfred R. Bion Attaques contre les liens 285
Sami-Ali Penser le somatique 299
Piera Aulagnier Condamné à investir 309
Harold Searles Différenciation entre pensée concrète et pensée méta­
phorique 331

Deux lettres de Maurice Blanchot 355


Wilfred R. Bion

ATTAQUES CONTRE LES LIENS

Dans un précédent article [1], j’avais eu l’occasion de parler, à propos de la part


psychotique de la personnalité, des attaques destructrices que le patient lance contre
tout ce qui lui paraît avoir pour fonction de lier un objet à un autre. Je voudrais
montrer ici l’importance de cette forme d’attaque destructrice dans la production
de certains symptômes que l’on observe dans la psychose borderline.
Le prototype des liens dont je veux parler ici est le sein et le pénis primitifs.
Cela suppose que l’on connaisse les conceptions de Melanie Klein sur les fantasmes,
chez le nourrisson, d’attaques sadiques contre le sein [4], sur le clivage de ses objets,
sur l’identification projective, mécanisme par lequel des parties de la personnalité
sont clivées et projetées dans des objets extérieurs; que l’on connaisse, enfin, ses
vues sur les stades précoces du complexe d’Œdipe [3]. Le thème développé ici sera
le suivant : les attaques fantasmées contre le sein sont le prototype de toutes les
attaques contre les objets servant de lien, et l’identification projective est le méca­
nisme utilisé par la psyché pour se débarrasser des fragments du Moi produits par
sa propre destructivité.
Pour commencer, je décrirai des manifestations cliniques, dans un ordre dicté
non par la chronologie de leur apparition dans le cabinet de consultation, mais par
la nécessité d’exposer ma thèse aussi clairement que possible. Je présenterai ensuite
un matériel montrant l’ordre que suivent ces mécanismes lorsque leurs rapports
les uns aux autres sont déterminés par la dynamique de la situation analytique. Je
terminerai avec des observations théoriques sur le matériel présenté. Les exemples
sont tirés de l’analyse de deux patients, pris à un stade avancé de leur analyse. Pour
préserver leur anonymat, je ne ferai pas de distinction entre les patients et j’intro-
* Cet article dont le titre original est « Attacks on Linking » a paru pour la première fois dans
YInternational Journal of Psycho-Analysis, vol. 40, 5-6, 1959. Repris in Second Thoughts, Heine­
mann, 1967. Publié ici avec l’aimable autorisation de Mrs. Francesca Bion.
Les chiffres entre crochets renvoient aux références bibliographiques qu’on trouvera à la fin de
l’article.
286 LE TROUBLE DE PENSER

duirai des modifications factuelles qui, je l’espère, ne nuiront pas à l’exactitude de


la description analytique.
L’observation de la disposition du patient à attaquer le lien entre les objets est
simplifiée par le fait que l’analyste a à établir un lien avec le patient, qu’il le fait
par la communication verbale et avec son expérience psychanalytique. De cela dépend
la relation créatrice et l’on devrait donc pouvoir observer les attaques portées contre
elle.
Je ne m’occuperai pas de la résistance aux interprétations, mais des attaques
destructrices contre la pensée verbale elle-même, et pour cela, je ferai largement
référence à mon article sur la « Différenciation entre la part psychotique et la part
non psychotique de la personnalité » [1].

Exemples cliniques

Je rapporterai maintenant les circonstances qui m’ont permis de donner


au patient une interprétation (qu’à ce stade il pouvait comprendre) concernant
un comportement destiné à détruire un lien, quel qu’il fût, entre deux objets.
Voici les exemples :
1° J’avais motif à donner au patient une interprétation explicitant son affection
et l’expression de cette affection à sa mère pour la capacité de celle-ci de venir à
bout d’un enfant rebelle. Le patient essaya de dire qu’il était d’accord avec moi,
mais, alors qu’il n’avait à prononcer que quelques mots, il fut interrompu par un
balbutiement si prononcé qu’il lui fallut à peu près une minute et demie pour expri­
mer sa remarque. Les bruits émis ressemblaient à un halètement; les halètements
étaient entrecoupés de glouglous comme s’il était sous l’eau. J’attirai son attention
sur ces bruits, il reconnut qu’ils étaient étranges et il suggéra lui-même la description
que je viens d’en faire.
2° Le patient se plaignait de ne pas pouvoir dormir. Il dit, donnant des signes
d’appréhension : « Je ne peux pas continuer comme ça. » Certaines remarques
donnaient l’impression que, superficiellement, il avait le sentiment qu’une catas­
trophe arriverait s’il ne pouvait pas dormir davantage, peut-être quelque chose
comme la folie. Me reportant au matériel de la séance précédente, je suggérai qu’il
craignait de rêver s’il s’endormait. Il nia et dit qu’il ne pouvait pas penser parce
qu’il était une lavette (wet) Je lui rappelai qu’il avait employé le terme de « lavette »
pour exprimer son mépris à l’égard de quelqu’un qu’il trouvait faible et sentimen­
tal. Il dit qu’il n’était pas d’accord et que l’état auquel il faisait allusion était exac-

1. Le mot wet en anglais signifie : 1° mouillé, humide, 2° (au sens argotique) : lavette, andouille,
fou, cinglé. (N. d. T.)
ATTAQUES CONTRE LES LIENS 287
tement le contraire. Étant donné ce que je savais de ce patient, j’eus l’impression
que la correction qu’il avait apportée là était valable et que, d’une manière ou d’une
autre, l’humidité renvoyait à une expression de haine et d’envie telle qu’il l’asso­
ciait avec les attaques urinaires contre un objet. C’est pourquoi je dis qu’en plus de
la crainte superficielle qu’il avait exprimée, il avait peur du sommeil parce que,
pour lui, c’était la même chose que perdre l’esprit. Comme le montrèrent d’autres
associations, il avait l’impression que les bonnes interprétations données par moi
étaient si régulièrement et minusculement fragmentées par lui qu’elles devenaient
une urine mentale qui s’écoulait d’une façon incontrôlable. Le sommeil était donc
inséparable de l’inconscience, elle-même semblable à un état de stupidité auquel on
ne pouvait remédier. Il dit : « Je suis sec (dry) maintenant. » Je lui répondis qu’il
se sentait éveillé et capable de pensée, mais que cet état satisfaisant n’était que
précairement maintenu.
3° Dans cette séance, le patient avait produit un matériel suscité par la
précédente interruption du week-end. Le fait qu’il eût conscience de ces stimuli
externes n’était devenu attesté qu’à un stade relativement récent de l’analyse.
Jusqu’alors, on pouvait se demander dans quelle mesure il était capable d’apprécier
la réalité. Je savais qu’il avait un contact avec la réalité parce qu’il était venu de
lui-même en analyse, mais son comportement durant les séances n’était guère
probant à cet égard. Lorsque j’interprétai certaines associations en disant qu’il
avait l’impression d’avoir été témoin, et d’être encore témoin, d’une relation
sexuelle entre deux personnes, il réagit comme s’il avait reçu un coup violent. A ce
moment-là, je ne pouvais pas dire exactement où il avait ressenti le coup, et même
maintenant, mon impression n’est pas nette. On peut logiquement supposer que le
choc avait été produit par mon interprétation et que, par conséquent, le coup
venait de l’extérieur, mais il me semble que pour lui, le coup venait de l’intérieur;
le patient ressentait souvent ce qu’il décrivait comme une attaque à coups de
couteau venant de l’intérieur. Il s’assit et regarda fixement l’espace. Je lui dis qu’il
semblait voir quelque chose. Il répondit qu’il ne pouvait pas voir ce qu’il voyait.
Grâce à une précédente expérience, je pus interpréter qu’il avait le sentiment
de « voir » un objet invisible et mon expérience ultérieure m’a convaincu que,
chez les deux patients dont il est question ici, des événements se sont produits où
le patient a eu des hallucinations visuelles-invisibles. J’expliquerai plus loin
pourquoi je suppose que, dans cet exemple-ci et dans le précédent, des mécanismes
similaires étaient à l’œuvre.
4° Au cours des vingt premières minutes de la séance, le patient fit trois
remarques isolées qui ne signifiaient rien pour moi. Il dit ensuite qu’une fille qu’il
avait rencontrée semblait compréhensive. Cette remarque fut aussitôt suivie d’un
violent mouvement convulsif qu’il fit semblant d’ignorer. Cela ressemblait à l’attaque
à coups de couteau mentionnée dans l’exemple précédent. J’essayai d’attirer l’at­
288 LE TROUBLE DE PENSER

tention du patient sur son mouvement, mais il ignora mon intervention comme
il avait ignoré l’attaque. Il dit ensuite que la pièce était pleine de vapeur bleue '.
Un peu plus tard, il fit remarquer que la vapeur avait disparu, mais il dit qu’il était
déprimé. J’interprétai qu’il se sentait compris par moi. C’était une expérience
agréable, mais le sentiment agréable d’être compris avait été instantanément
supprimé et éjecté. Ainsi que je le lui rappelai, nous avions vu récemment qu’il
avait employé le mot blue pour qualifier, sous une forme condensée, une conver­
sation sexuelle injurieuse. Si mon interprétation était correcte — et la suite des
événements a permis de supposer qu’elle l’était —, cela signifiait que l’expérience
d’être compris avait été fragmentée, convertie en particules d’injure sexuelle et
éjectée. Jusqu’à ce point, j’eus l’impression que l’interprétation était très proche de
son expérience. Une interprétation que je donnai ensuite — selon laquelle la dispa­
rition de la vapeur était due à une ré-introjection et à une conversion en dépres­
sion — parut avoir moins de réalité pour le patient (cependant que des événements
ultérieurs confirmaient qu’elle était correcte).
5° Comme dans le dernier exemple, la séance commença par trois ou quatre
déclarations factuelles, du genre « il fait chaud », « mon train était bondé » et
« c’est mercredi »; cela occupa trente minutes. L’impression qu’il essayait de garder
un contact avec la réalité se confirma lorsqu’il poursuivit en disant qu’il craignait
une dépression (nerveuse). Un peu plus tard, il dit que je ne le comprendrais pas.
J’interprétai qu’il avait l’impression que j’étais mauvais et que je ne prendrais
pas ce qu’il voulait mettre en moi. J’utilisai délibérément ces termes car il avait
montré dans la séance précédente que, pour lui, mes interprétations étaient une
tentative d’éjecter des sentiments qu’il souhaitait déposer en moi. En réponse à
mon interprétation, il dit avoir l’impression qu’il y avait deux « nuages de proba­
bilité12 » dans la pièce. J’interprétai qu’il essayait de se débarrasser du sentiment
que ma mauvaiseté était un fait. Cela signifiait, dis-je, qu’il avait besoin de savoir
si j’étais vraiment mauvais ou si j’étais quelque mauvaise chose venue de l’inté­
rieur de lui. Bien que, sur le moment, la question n’eût pas été d’une importance
cruciale, je pensai que le patient essayait de savoir s’il avait une hallucination
ou non. Cette angoisse, qui revenait périodiquement dans son analyse, était associée
à la crainte que l’envie et la haine pour ma capacité de compréhension ne le
conduisent à prendre l’objet bon et compréhensif pour le détruire et l’éjecter —
processus qui avait souvent abouti à la persécution par l’objet détruit et éjecté. Le
fait que mon refus de comprendre ait été une réalité ou une hallucination n’était
important que parce que cela déterminait les expériences pénibles qui s’ensui­
vraient.

1. Le mot blue signifie en argot : porno, obscène. (N. d. T.)


2. Two probability clouds.
ATTAQUES CONTRE LES LIENS 289
6° La moitié de la séance se passa en silence; puis le patient annonça qu’un
morceau de fer était tombé sur le sol. Là-dessus, il fit une série de mouvements
convulsifs sans dire un mot, comme s’il se sentait physiquement attaqué de l’inté­
rieur. Je lui dis qu’il ne pouvait pas établir de contact avec moi à cause de sa peur
de ce qui se passait en lui, ce qu’il confirma en disant qu’il avait l’impression qu’on
était en train de l’assassiner. Il ne savait pas ce qu’il ferait sans l’analyse car elle
lui faisait du bien. Je lui dis qu’il nous enviait tellement, lui et moi, de pouvoir
travailler ensemble à le faire aller mieux qu’il nous prenait tous deux en lui comme
un morceau de fer mort et un sol mort qui s’unissaient non pour lui donner vie mais
pour le tuer. Il devint très angoissé et dit qu’il ne pouvait pas continuer. Je lui
dis qu’il avait l’impression de ne pas pouvoir continuer parce qu’il était ou bien
mort, ou bien vivant et alors tellement envieux qu’il devait arrêter la bonne ana­
lyse. L’angoisse diminua nettement, mais le restant de la séance fut occupé par
des déclarations factuelles décousues qui me parurent à nouveau être une ten­
tative pour maintenir le contact avec la réalité extérieure et ainsi nier ses fan­
tasmes.

Les traits communs aux exemples précédents

J’ai choisi ces épisodes parce que, dans chacun d’eux, le thème dominant était
l’attaque destructrice contre un lien. Dans le premier, l’attaque s’est manifestée
par un balbutiement destiné à empêcher le patient d’utiliser le langage comme lien
entre lui et moi. Dans le second, le sommeil était ressenti par le patient comme
identique à une identification projective qui se poursuivait sans qu’aucune tenta­
tive de contrôle de sa part pût rien y changer. Pour lui, le sommeil signifiait
que son esprit, scindé en minuscules fragments, s’écoulait en formant un courant
menaçant de particules.
Les exemples que je donne ici éclairent la question du rêve chez les schizo­
phrènes. Il semble que le patient psychotique ne fasse pas de rêves, ou du moins
qu’il n’en rapporte pas, jusqu’à un stade relativement tardif de l’analyse. Mon
impression aujourd’hui est que cette période apparemment dépourvue de rêves
est un phénomène analogue à l’« hallucination visuelle-invisible ». En effet, les
rêves sont constitués d’un matériel fragmenté en si minuscules particules que la
composante visuelle fait défaut. Lorsque le patient fait un rêve et qu’il peut le
rapporter parce qu’il a perçu des objets visuels au cours du rêve, il semble consi­
dérer que ces objets ont avec les objets invisibles de la phase précédente le même
rapport que celui que, pour lui, les fèces semblent avoir avec l’urine. Le patient
considère que les objets apparaissant dans les expériences que nous appelons rêves
sont solides et, en tant que tels, contrastent avec le contenu du rêve qui forme
un continuum de minuscules fragments invisibles.
290 LE TROUBLE DE PENSER

A l’époque de la séance en question, le thème principal n’était pas l’attaque


contre le lien, mais les conséquences qu’une telle attaque, qui avait eu lieu aupara­
vant, avait entraînées : elle l’avait privé de l’état mental nécessaire à l’établissement
d’une relation satisfaisante entre lui et son lit. Bien que cela ne soit pas apparu
dans la séance que je rapporte, l’identification projective incontrôlable, qui était ce
que signifiait le sommeil pour le patient, était considérée comme une attaque des­
tructrice contre l’état mental des parents accouplés. Il y avait donc une double
angoisse : l’une issue de sa crainte de perdre l’esprit, l’autre de sa crainte d’être
incapable de contrôler ses attaques hostiles — son esprit fournissant les munitions
— contre l’état mental qui formait le lien entre le couple parental. Le sommeil et
l’état de non-sommeil étaient pareillement inacceptables.
Dans le troisième exemple où il est question d’hallucinations visuelles d’objets
invisibles, nous sommes en présence d’une forme d’attaque réelle contre le couple
sexuel. Pour autant que je puisse en juger, mon interprétation était ressentie par le
patient comme s’il s’agissait de sa propre sensation visuelle d’un coït parental;
cette impression visuelle est fragmentée et aussitôt éjectée en particules si petites
qu’elles forment les composantes invisibles d’un continuum. L’ensemble du pro­
cessus a eu pour fonction d’empêcher l’éclosion des sentiments d’envie vis-à-vis
de l’état mental des parents par l’expression instantanée de l’envie dans un acte
destructeur. J’aurai d’autres choses à dire sur cette haine implicite de l’émotion et
le besoin d’en éviter la prise de conscience.
Dans mon quatrième exemple, les remarques sur la fille compréhensive et la
vapeur, ma compréhension et le bien-être psychique du patient ont été ressentis
comme un lien entre nous qui pourrait engendrer un acte créateur. Le lien a été
considéré avec haine et transformé en une sexualité hostile et destructrice rendant
stérile le couple patient-analyste.
Dans le cinquième exemple, celui des deux « nuages de probabilité », le lien
qui est attaqué est la capacité de compréhension, mais le fait intéressant ici est
que l’objet lançant l’attaque destructrice est étranger au patient. En outre, le
destructeur attaque une identification projective ressentie par le patient comme
un moyen de communication. Dans la mesure où mon attaque supposée contre ses
méthodes de communication est peut-être ressentie comme secondaire par rapport
à ses attaques envieuses contre moi, le patient ne se défait pas de sentiments de
culpabilité et de responsabilité. Autre point : l’apparition du jugement, que Freud
tient pour un trait essentiel de la suprématie du principe de réalité, parmi les
parties éjectées de la personnalité du patient. Le fait qu’il y ait eu deux nuages
de probabilité resta inexpliqué sur le moment, mais le matériel apporté au cours
de séances ultérieures m’a amené à supposer que ce qui, à l’origine, avait été une
tentative de séparer le bon du mauvais survivait dans l’existence de deux objets,
mais qu’ils étaient maintenant semblables, chacun étant un mélange de bon et de
ATTAQUES CONTRE LES LIENS 291
mauvais. Avec le matériel de séances ultérieures, je peux tirer des conclusions qui
n’étaient pas possibles à l’époque; pour le patient, sa capacité de jugement, qui
avait été fragmentée, détruite avec le reste de son moi, puis éjectée, était semblable
à d’autres objets bizarres comme ceux que j’ai décrits dans mon article « La diffé­
renciation entre la part psychotique et la part non psychotique de la personnalité ».
Il craignait ces particules éjectées à cause de la manière dont il les avait traitées. A
son sens, le jugement aliéné — les « nuages de probabilité » — indiquaient que
j’étais probablement mauvais. Il soupçonnait que les nuages de probabilité étaient
persécuteurs et hostiles, et ceci l’amenait à douter de la valeur d’information qu’ils
lui procuraient. Ils pouvaient lui offrir une évaluation juste, ou une évaluation
délibérément fausse, et, par exemple, qu’un fait était une hallucination ou vice
versa; ou bien ils pouvaient produire ce que, d’un point de vue psychiatrique, nous
appelons des idées délirantes. Les nuages de probabilité avaient en eux-mêmes
certaines qualités du sein primitif; ils étaient ressentis comme énigmatiques et
intimidants.
Dans le sixième exemple — le morceau de fer tombé par terre —, je n’ai pas eu
l’occasion d’interpréter un aspect du matériel avec lequel le patient était devenu
familier à cette époque. (Peut-être devrais-je dire ceci : je savais par expérience
qu’il y avait des moments où je supposais que le patient était familier d’un certain
aspect de la situation dont nous parlions, pour découvrir qu’en dépit du travail
qui avait été fait à ce sujet, il l’avait oublié.) Le point connu de lui que je n’ai pas
interprété, mais qui est important pour la compréhension de cet épisode, est le sui­
vant : l’envie du patient vis-à-vis du couple parental avait été évitée par une substi­
tution de lui-même et de moi à ses parents. L’évitement a échoué, car l’envie et la
haine étaient maintenant dirigées contre lui et moi. Pour le patient, le couple est
engagé dans un acte créateur et il partage une expérience émotionnelle enviable;
le patient, identifié également à la partie exclue, vit une expérience émotionnelle
douloureuse. En maintes occasions, le patient a manifesté, à travers des expériences
comme celle-ci ou pour des raisons sur lesquelles je reviendrai plus loin, une haine
de l’émotion et, par extension, de la vie elle-même. Cette haine contribue à l’attaque
meurtrière contre ce qui lie le couple, contre le couple lui-même et contre l’objet
engendré par le couple. Dans l’épisode en question, le patient souffre des consé­
quences de ses attaques précoces contre l’état mental qui forme le lien entre le couple
créateur et de son identification à des états mentaux à la fois de haine et de création.
Dans cet exemple et dans l’exemple précédent, certains éléments suggèrent la
formation d’un objet — ou d’un agrégat d’objets — persécuteur et hostile, lequel
exprime son hostilité d’une manière qui contribue fortement à rendre prédominants
les mécanismes psychotiques chez un patient; les caractéristiques dont j’ai déjà
investi l’agrégat des objets persécuteurs ont la qualité d’un Surmoi primitif, et même
meurtrier.
292 LE TROUBLE DE PENSER

Curiosité, arrogance et stupidité


Comme je le disais dans l’article que j’ai présenté au Congrès international
de 1957 [2], l’analogie faite par Freud entre une psychanalyse et une recherche
archéologique est féconde à condition de considérer que nous mettons à décou­
vert non pas tant une civilisation primitive qu’un désastre primitif. L’analogie perd
un peu de sa valeur du fait que, dans une analyse, nous sommes confrontés moins à
une situation statique qui permet qu’on l’étudie à loisir, qu’à une catastrophe qui,
simultanément, reste activement vitale et incapable de se résoudre dans l’état de
repos. Cette impossibilité de progresser dans l’une ou l’autre direction doit être en
partie attribuée à la destruction d’une capacité de curiosité et à ce qui en résulte,
l’incapacité d’apprendre. Mais, avant de poursuivre sur ce sujet, je voudrais dire
quelque chose à propos d’une question qui n’intervient pratiquement pas dans les
exemples que j’ai cités.
Les attaques contre le lien ont leur origine dans ce que Melanie Klein appelle
la phase schizo-paranoïde. Cette période est dominée par les relations d’objet
partiel [6]. Le fait que le patient a une relation d’objet partiel avec lui-même autant
qu’avec des objets qui ne sont pas lui, ce fait permet de comprendre des expressions
telles qu’« il semble », couramment employées par le patient profondément perturbé
en des circonstances où un patient moins perturbé dirait « je pense » ou « je crois ».
Quand il dit « il semble », il se réfère en général à un sentiment — le sentiment
qu’« il semble » — qui fait partie de sa psyché et qui, cependant, n’est pas vu comme
faisant partie d’un objet total. Concevoir l’objet partiel comme analogue à une
structure anatomique — conception favorisée par le fait que le patient prend pour
unités de pensée des images concrètes — est une source de confusion car la relation
d’objet partiel ne se fait pas avec des structures anatomiques seulement mais avec
une fonction, elle ne se fait pas avec l’anatomie mais avec la physiologie, pas avec
le sein mais avec l’allaitement, l’empoisonnement, l’amour, la haine. C’est ce qui
donne l’impression qu’il s’agit d’un désastre dynamique et non statique. Le problème
qu’il faut résoudre à ce niveau précoce, et cependant superficiel, doit être énoncé
en termes adultes par la question : « qu’est quelque chose? », et non par la question
« pourquoi est quelque chose? », parce que le « pourquoi », à travers la culpabilité,
a été détaché. Les problèmes, dont la solution dépend d’une connaissance des
causes, ne peuvent donc être énoncés sans être résolus. Ceci produit une situation
où le patient paraît n’avoir d’autres problèmes que ceux posés par l’existence de
l’analyste et du patient. Ce qui le préoccupe, c’est de savoir ce qu’est telle ou telle
fonction, dont il a conscience bien qu’il soit incapable de saisir la totalité dont la
fonction fait partie. Il s’ensuit que la question ne se pose jamais de savoir pourquoi
le patient ou l’analyste est là, ou pourquoi quelque chose est dit, fait ou pensé, de
ATTAQUES CONTRE LES LIENS 293
même qu’il ne peut être question d’essayer de modifier les causes de tel ou tel état
mental... Comme à la question « quoi? », on ne peut jamais répondre sans un « com­
ment? » ou un « pourquoi? », d’autres difficultés surgissent. Je laisserai ce sujet de
côté pour considérer les mécanismes utilisés par le nourrisson pour résoudre la ques­
tion « quoi? » lorsqu’elle se pose par rapport à une relation d’objet partiel avec
une fonction.

Le déni d'un degré normal d'identification projective

J’emploie le terme de « lien » parce que je voudrais parler de la relation du


patient avec une fonction plutôt qu’avec l’objet qui la favorise; je m’intéresse ici
non pas seulement au sein, ou au pénis, ou à la pensée verbale, mais à leur fonction
qui est de fournir le lien entre deux objets.
Dans ses « Notes sur quelques mécanismes schizoïdes » [5], Melanie Klein
souligne l’importance de l’utilisation excessive du clivage et de l’identification
projective dans la production d’une personnalité très perturbée. Elle dit aussi que
« l’introjection du bon objet, avant tout le sein de la mère », est une « condition
préalable du développement normal ». Je supposerai, d’une part, qu’il existe un
degré normal d’identification projective, sans définir les limites de la normalité,
et, d’autre part, que lorsqu’elle est associée à l’identification introjective, elle consti­
tue le fondement du développement normal.
Cette impression provient en partie d’un aspect de l’analyse d’un patient qui
était difficile à interpréter parce qu’il n’apparaissait à aucun moment de façon
suffisamment évidente pour pouvoir étayer une interprétation. Tout au long de
l’analyse, le patient recourut à l’identification projective avec une persistance qui
suggérait qu’il n’avait jamais pu suffisamment user lui-même de ce mécanisme;
l’analyse lui donnait l’occasion de se servir d’un mécanisme dont il avait été frustré.
Il ne s’agissait pas seulement d’une impression. D’après ce que certaines séances
m’amenèrent à supposer, le patient avait le sentiment qu’un objet l’empêchait d’uti­
liser l’identification projective. Dans les exemples que j’ai donnés — en particulier
le premier, celui du balbutiement, et le quatrième, celui de la fille compréhensive
et de la vapeur bleue —, certains éléments montraient que le patient avait l’impres­
sion que je refusais de laisser entrer en moi des parties de sa personnalité qu’il dési­
rait y déposer. Mais avant cela, il y avait eu des associations qui m’avaient amené
à cette idée.
Lorsque le patient chercha à se débarrasser de craintes de mort ressenties comme
trop fortes pour être contenues par sa personnalité, il détacha de lui ses craintes
et les mit en moi, l’idée étant, apparemment, que si elles pouvaient rester là assez
longtemps, elles seraient modifiées par ma psyché et pourraient ensuite être réin-
294 LE TROUBLE DE PENSER

trojectées en toute sécurité. Dans la séance à laquelle je pense, le patient avait eu


l’impression — probablement pour des raisons semblables à celles que j’ai données
dans mon cinquième exemple (les nuages de probabilité) — que je les évacuais si
rapidement que les sentiments n’étaient pas modifiés et qu’ils étaient au contraire
devenus plus douloureux.
Des associations datant d’une époque de l’analyse antérieure à celle d’où sont
tirés mes exemples révélèrent l’intensité croissante des émotions du patient. Ceci
provenait de ce qui, pour lui, était un refus de ma part d’accepter des parties de sa
personnalité. Il essayait donc de les introduire de force en moi avec un désespoir
et une violence accrus. Isolé du contexte de l’analyse, son comportement aurait pu
passer pour l’expression d’une agressivité primaire. Plus ses fantasmes d’identifi­
cation projective étaient violents, plus il était effrayé par moi. Il y eut des séances
où un tel comportement exprima une agressivité non provoquée, mais je cite cette
série parce qu’elle montre le patient sous un autre jour, sa violence étant une réac­
tion à ce qu’il ressentait comme une position d’hostilité défensive. La situation
analytique fit naître dans mon esprit le sentiment que j’étais témoin d’une scène
extrêmement primitive. Le patient, me sembla-t-il, avait eu dans sa première enfance
une mère qui répondait consciencieusement aux manifestations émotionnelles du
bébé. Cette réponse donnée consciencieusement comportait quelque chose d’impa­
tient, un « je ne sais pas ce que veut l’enfant ». J’en déduisis que, pour comprendre
ce que voulait l’enfant, la mère aurait dû considérer que les pleurs du nourrisson
étaient plus qu’une simple demande de présence. Du point de vue du nourrisson,
elle aurait dû prendre en elle, et ainsi éprouver, la crainte que l’enfant ne soit en
train de mourir. C’était cette crainte que l’enfant ne pouvait contenir. Il s’efforçait
de la détacher de lui, en même temps que la partie de la personnalité dans laquelle
elle siégeait, et de la projeter dans la mère. Une mère compréhensive est capable
d’éprouver un sentiment de terreur — que ce bébé s’efforçait de traiter par l’identi­
fication projective — et de conserver néanmoins une apparence équilibrée. Ce patient
avait eu affaire à une mère qui ne supportait pas d’éprouver de tels sentiments et
qui réagissait soit en leur interdisant l’entrée en elle, soit en devenant la proie de
l’angoisse qui résultait de l’introjection des sentiments du bébé. Je pense que cette
seconde réaction a été rare : c’est l’interdiction qui prédominait.
Cette reconstruction paraîtra à certains par trop fantaisiste; à mes yeux, elle
n’est pas forcée et elle répond à ceux qui objecteraient que j’insiste trop sur le trans­
fert au détriment d’une élucidation des premiers souvenirs.
Dans l’analyse, on peut observer une situation complexe. Le patient sent qu’une
occasion lui est offerte dont jusque-là il avait été frustré; le caractère poignant de
sa privation est, par l’analyse, rendu plus aigu, comme le sont les sentiments de
rancune contre la privation. La gratitude pour l’occasion qui lui est offerte coexiste
avec l’hostilité envers l’analyste qui ne comprendra pas et qui refuse au patient
ATTAQUES CONTRE LES LIENS 295
l’emploi du seul moyen de communication avec lequel, lui semble-t-il, il peut se
faire comprendre. Ainsi, le lien entre patient et analyste, ou entre nourrisson et
sein, est un mécanisme d’identification projective. Les attaques destructrices contre
ce lien proviennent d’une source extérieure au patient ou au nourrisson, à savoir
l’analyste ou le sein. Le résultat est une identification projective excessive de la part
du patient et une détérioration de ses processus de développement.
Je ne dis pas que cette expérience est la cause de la perturbation du patient;
celle-ci provient principalement de la disposition innée du nourrisson telle que je
la décris dans mon article déjà cité sur la « Différenciation entre la part psychotique
et la part non psychotique de la personnalité ». Mais je vois là un aspect essentiel
du facteur environnementiel dans la production de la personnalité psychotique.
Avant de parler de cette conséquence pour le développement du patient, je dois
évoquer les caractéristiques innées et le rôle qu’elles jouent dans la production des
attaques du nourrisson contre tout ce qui le lie au sein, à savoir l’agressivité
primaire et l’envie. Ces attaques deviennent plus graves si la mère manifeste cette
sorte de non-réceptivité que j’évoquais plus haut, et elles sont moins graves, sans
cependant disparaître, si la mère peut introjecter les sentiments du nourrisson et
rester équilibrée [7]; la gravité subsiste parce que le nourrisson psychotique est
débordé par la haine et l’envie face à la capacité qu’a la mère de garder l’esprit
tranquille bien qu’elle éprouve les sentiments du nourrisson. C’est ce que démontrait
clairement un patient qui exigeait que je subisse tout avec lui, mais qui fut rempli de
haine quand il sentit que je pouvais le faire sans m’effondrer. Nous avons là un autre
aspect des attaques destructrices contre le lien, le lien étant la capacité qu’a l’ana­
lyste d’introjecter l’identification projective du patient. Les attaques contre le lien
sont donc synonymes d’attaques contre la tranquillité d’esprit de l’analyste et, à
l’origine, de la mère. La capacité d’introjecter est transformée, par l’envie et la
haine du patient, en avidité qui dévore la psyché du patient; de même, la tranquil­
lité d’esprit devient de l’indififérence hostile. A ce stade, les problèmes analytiques
surgissent avec l’utilisation que fait le patient (pour détruire la tranquillité d’es­
prit tellement enviée) de l’acting-out, des actes de délinquance et des menaces de
suicide.

Les conséquences

Pour récapituler les traits principaux repérés jusqu’ici, l’origine de la pertur­


bation est double. D’une part, il y a la disposition innée du patient à une destruc­
tivité, à une haine et une envie excessives; d’autre part, il y a l’environnement qui,
au pire, interdit au patient l’utilisation des mécanismes de clivage et d’identification
projective. Parfois, les attaques destructrices contre le lien entre patient et environ­
296 LE TROUBLE DE PENSER

nement, ou entre différents aspects de la personnalité du patient, ont leur origine


chez le patient; d’autres fois, elles proviennent de la mère, bien que, dans ce dernier
cas et chez les patients psychotiques, la mère seule ne puisse en être l’origine. Les
troubles commencent en même temps que la vie. Le problème auquel est confronté le
patient est celui-ci : quels sont les objets dont il a conscience? Qu’ils soient internes
ou externes, ces objets sont en fait des objets partiels et, de façon prédomi­
nante quoique non exclusivement, ce que nous devrions appeler des fonctions et
non des structures morphologiques. Ceci est rendu obscur par le fait que la pensée
du patient se guide sur des objets concrets et qu’elle tend par conséquent à pro­
duire, dans l’esprit de l’analyste, l’impression que ce qui intéresse le patient, c’est
la nature de l’objet concret. Quant à la nature des fonctions qui excitent sa curio­
sité, le patient l’explore au moyen de l’identification projective. Ses propres sen­
timents, trop puissants pour être contenus dans sa personnalité, font partie de
ces fonctions. L’identification projective lui permet d’explorer ses propres senti­
ments dans une personnalité assez forte pour les contenir. L’impossibilité d’utiliser
ce mécanisme — soit parce que la mère refuse d’être le dépositaire des sentiments du
nourrisson, soit parce que la haine et l’envie du patient font que celui-ci ne laisse
pas la mère exercer cette fonction — conduit à la destruction du lien entre le nour­
risson et le sein et, en conséquence, à un désordre grave de l’impulsion de curiosité
dont dépend tout l’apprentissage. La voie est donc prête pour un arrêt grave du
développement. En outre, à cause de l’impossibilité d’utiliser la principale méthode
accessible au nourrisson pour traiter ses émotions trop puissantes, la conduite de la
vie émotionnelle, qui constitue dans tous les cas un sérieux problème, devient ici
intolérable. Des sentiments de haine sont donc dirigés contre toutes les émotions, y
compris contre la haine elle-même, et contre la réalité extérieure qui les stimule.
De la haine des émotions à la haine de la vie, il n’y a qu’un pas. Comme je l’ai
montré ailleurs [1], cette haine entraîne le recours à l’identification projective de
tout l’appareil perceptif, y compris la pensée embryonnaire qui forme le lien entre
les impressions des sens et la conscience. La tendance à l’excès d’identification pro­
jective quand les instincts de mort prédominent est ainsi renforcée.

Le Surmoi

Le développement précoce du Surmoi s’effectue par cette sorte de fonctionne­


ment mental de la manière suivante. Comme je l’ai dit, le lien entre le nourrisson
et le sein dépend de l’identification projective et d’une capacité d’introjecter les
identifications projectives. L’impossibilité d’introjecter fait que l’objet extérieur
apparaît intrinsèquement hostile à la curiosité et à la méthode — c’est-à-dire, l’iden­
tification projective — par laquelle le nourrisson cherche à la satisfaire. Quand bien
ATTAQUES CONTRE LES LIENS 297
même le sein serait ressenti comme fondamentalement compréhensif, il a été trans­
formé par l’envie et la haine du nourrisson en un objet dont l’avidité dévorante a
pour but l’introjection des identifications projectives du nourrisson afin de les
détruire. C’est ce qu’on voit dans le cas où le patient croit que l’analyste, en compre­
nant le patient, cherche à le rendre fou. Le résultat est un objet qui, lorsqu’il s’ins­
talle chez le patient, joue le rôle d’un Surmoi sévère et destructeur du Moi. Cette
description ne convient pas pour tout objet dans la position schizo-paranoïde car
elle suppose un objet total. La menace qu’implique cet objet total contribue à l’in­
capacité, décrite par Melanie Klein et d’autres [8], où se trouve le psychotique
d’affronter la position dépressive et les développements qui l’accompagnent. Dans
la phase schizo-paranoïde prédominent les objets bizarres, composés en partie
d’éléments du Surmoi persécuteur tel que je le décris dans l’article sur la « Différen­
ciation entre la part psychotique et la part non psychotique de la personnalité » [1].

L’arrêt du développement

Le trouble de l’impulsion de curiosité dont dépend tout l’apprentissage, et


l’impossibilité d’utiliser le mécanisme par lequel elle cherche à s’exprimer, rendent
impossible le développement normal. Si le cours de l’analyse est favorable, un
autre aspect devient évident; des problèmes qui, en langage élaboré, s’énoncent par
la question « pourquoi? » ne peuvent être formulés. Le patient paraît n’avoir
aucune appréciation des causes, et il se plaindra d’états psychiques pénibles, tout
en persistant dans des lignes de conduite calculées pour les provoquer. En consé­
quence, lorsque se présente le matériel approprié, il faut montrer au patient qu’il
n’a aucun intérêt à sentir ce qu’il sent. La révélation des limites de sa curiosité
aboutit au développement d’un plus vaste champ de curiosité et à une amorce de
préoccupation des causes. Ceci entraîne une modification du comportement qui,
sans cela, prolonge la détresse du patient.

Conclusions

Les principales conclusions de cet article concernent cet état mental où la


psyché du patient contient un objet interne qui s’oppose à (et détruit) tous les liens,
quels qu’ils soient, depuis les formes de communication verbale et les arts les plus
primitifs (degré normal, comme je l’ai suggéré, de l’identification projective)
jusqu’aux plus élaborés.
Dans cet état, l’émotion est haïe; elle est ressentie comme trop puissante pour
être contenue par la psyché immature; aux yeux du patient, elle lie les objets et elle
298 LE TROUBLE DE PENSER

donne une réalité aux objets qui ne sont pas soi et sont donc opposés au narcissisme
primaire.
L’objet interne qui, à l’origine, était un sein externe refusant d’introjecter, de
retenir, et de modifier ainsi la force nuisible de l’émotion, est paradoxalement
ressenti comme intensifiant, par rapport à la force du Moi, les émotions contre
lesquelles il lance les attaques. Ces attaques contre la fonction liante de l’émotion
conduisent à un développement excessif, dans la part psychotique de la personnalité,
des liens qui ont une apparence logique, presque mathématique, mais qui ne sont
jamais raisonnables sur le plan émotionnel. En conséquence, les liens qui subsistent
sont pervers, cruels et stériles.
Il faudrait plus tard étudier l’objet extérieur qui est intériorisé, sa nature et
l’effet, lorsqu’il est ainsi établi, sur les méthodes de communication au sein de la
psyché et avec l’environnement.

WILFRED R. BIO N

Traduit de Vanglais par Brigitte Bost.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

(1) Bion, W. R. (1957), « The Differentiation of the Psychotic from the Non-psychotic
Part of the Personality ». Int. Journ. of Psycho-Anal, vol. 38, 3-4. Trad. fr. in
Nouvelle Revue de psychanalyse, 1974, n° 10.
(2) Bion, W. R. (1957), « On Arrogance ». In Second Thoughts, Heinemann, 1967.
(3) Klein, M. (1928), « Early Stages of the QEdipus Conflict ». Trad. fr. in Essais de psy­
chanalyse, Payot, 1967.
(4) Klein, M. (1934), « A Contribution to the Psychogenesis of Manic-Depressive States ».
Trad. fr. in Essais de psychanalyse, Payot, 1967.
(5) Klein, M. (1946), « Notes on Some Schizoid Mecanisms ». Trad. fr. in Développe­
ments de la psychanalyse, P.U.F., 1966.
(6) Klein, M. (1948). « The Theory of Anxiety and Guilt ». Int. Journ. of Psycho-Anal.,
vol. 29. Trad. fr. in Développements de la psychanalyse, P.U.F., 1966.
(7) Klein, M. (1957), Envy and Gratitude, chap. II. (Tavistock Publications, 1957.) Trad.
fr., Gallimard, 1968.
(8) Segal, H. (1950), « Some Aspects of the Analysis of a Schizophrenic ». Int. Journ. of.
Psycho-Anal., vol. 31, n° 4.

S-ar putea să vă placă și