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Revue d'histoire et de philosophie

religieuses

Réflexions sur le principe scripturaire et son application au ministère


de la Parole
Pierre Scherding

Citer ce document / Cite this document :

Scherding Pierre. Réflexions sur le principe scripturaire et son application au ministère de la Parole. In: Revue d'histoire et de
philosophie religieuses, 36e année n°3,1956. Hommage au Professeur Jean-Daniel Benoît à l'occasion de son 70e
anniversaire. pp. 208-231 ;

doi : https://doi.org/10.3406/rhpr.1956.3465

https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_1956_num_36_3_3465

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REVUE D'HISTOIRE ET D,E PHILOSOPHIE RELIGIEUSES

Réflexions sur le principe scripturoire

et son application au ministère de la Parole

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àd'homilétique,
siècles
dire
qui
qualifier
ressentie
écrit
de
quelque
l'objet
faire
au
de

souvent assez péniblement par les uns, alors qu'elle devient


désastreuse pour d'autres qui ne l'éprouvent pas. Personne n'est
peut-être mieux placé pour l'apprécier que celui qui, en raison
de ses fonctions, ne se voit pas seulement appelé à prêcher, mais
aussi à préparer d'autres au ministère de la Parole, les entend
prêcher, et constate combien le danger de la routine, blâmée
tacitement par la parole citée, les guette. Or, telle qu'elle est
formulée, la remarque de Goethe met en dernier lieu le principe
scripturaire en cause. Pour voir si cette mise en cause est
réellement fondée, nous aurons à examiner :
Dans quel sens la Bible elle-même justifie le principe, quelle
est l'application qu'il a trouvée dans l'Église protestante, y com¬

pris
la
pratiques
chrétienne
verselle
dans
ditéseule
Aucun
du
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le Canon
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dit
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Ecritures
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révélation
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immer Predigtlehre,
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Kaiser-München,
Kanzelmänner,
zum Gegenstand
welche
1948, ihrer
p.sich
198.
Tätigkeit
eine seit
PRINCIPE SCRIPTURAIRE ET SON APPLICATION AU MINISTÈRE 209

première vue absolument identiques, mais qu'en est-il du texte


scripturaire ?
La révélation se définit comme l'acte par lequel Dieu veut
entrer en relation avec l'homme ; Dieu ne se manifeste pas
comme une sorte de puissance neutre, mais comme une volonté
personnelle qui, pour entrer au plus profond de la vie et de la
conscience humaines, choisit un point d'attaque et adresse
ainsi au peuple élu sa Parole en forme d'enseignements,
d'ordres, d'avertissements, de promesses. Elle est Parole d'appel
en quête d'une réponse, elle poursuit un but, Israël doit devenir
le peuple-témoin, l'histoire sainte est l'histoire de son éducation
et de sa préparation à ce rôle qui lui est échu. Si à certains
moments la révélation fait irruption dans le monde immanent
avec une singulière intensité, elle ne se présente pas moins dans
l'ensemble
retenue, demande
comme à
une
être
action
fixée.continue
La Parole-Acte
et cohérente
se cristallise
qui, pourdans
être
la Parole-Ecriture qui reproduit l'histoire sainte. Cette histoire
de la révélation se confond si intimement avec l'histoire du
peuple d'Israël que tout ce qui se rapporte à cette dernière
s'insère dans le même cadre ; le contenu de la Bible comportera
finalement toute l'œuvre littéraire du peuple élu avec tous les
genres littéraires dans lesquels le génie d'une nation a l'habi¬
tude de s'exprimer. Action divine et réaction humaine se
compénètrent ainsi d'une manière inextricable. Le dialogue se
poursuit de façon à ce qu'il n'y a pas seulement acceptation
docile de la part de l'homme, mais aussi incompréhension et
opposition latente, la Parole n'est pas simplement enregistrée
telle quelle. L'Esprit de Dieu, qui inspire, ne se substitue pas à
l'esprit
cela à l'état
humain,
d'instrument
il s'en sert,
inerte.
le subjugue
Il s'adresse
sansà leune
réduire
conscience
pour

libre, attend une réponse sincère où l'homme est présent avec


toute sa pensée, sa volonté, sa sensibilité humaines. La révé¬
lation adopte le langage humain avec toutes ses imperfections,
mais elle ne chemine pas seulement sous l'habit terrestre qui
rend souvent l'hôte céleste méconnaissable, il peut même
s'établir un certain antagonisme entre les deux éléments divin
et humain. De par ses imperfections humaines, la révélation
transmise oralement, puis par écrit, invite l'homme à s'occuper
* d'elle, et voilà qu'elle est interprétée, commentée, systématisée
et synthétisée, les commandements de Dieu donnent lieu à une
ample législation, la Parole de Dieu devient de plus en plus
objet de l'effort humain qui essaye de la capter pour en faire
un acquis dont on dispose. A « l'Eternel dit » s'oppose alors
210 revue d'histoire et d,e philosophie religieuses

1« « scriptum est ». Cette tension latente peut mener à des


conflits tragiques, quand la révélation se voit obligée à s'affran¬
chir de l'emprise
nouvelle alliance où
humaine.
la loi sera
Jérémie
inscrite
conçoit
dans le
la cœur
nécessité
même d'une
des
enfants d'Israël et non seulement — pouvons-nous compléter
la pensée du prophète — sur des tables de pierre et des rouleaux
de parchemin. En effet, la révélation se libère de la captivité
dans laquelle les hommes de la loi l'avaient tenue.
La Parole se fait chair, en s'incarnant en Jésus-Christ, elle
gagne toute son intensité, Jésus ne dit pas seulement la vérité,
il est la Vtérité, il incarne et la sainteté et l'amour de Dieu, sa
volonté de se donner à l'homme et de le sauver à tout prix.
En réalité, l'incarnation a été un événement bouleversant.
Certes, on attendait le Messie qui devait venir, mais ce Messie
qui est venu était inattendu. Cela perce déjà dans le fait que
les trente années de sa préparation au ministère se passent dans
l'oubli. Nous voyons bien les évangélistes s'adonner avec ardeur
à la tâche de fonder leur message sur la preuve scripturaire,
mais les rapprochements qu'ils établissent entre les détails de
la vie et de la mort de Jésus et certains textes bibliques nous
paraissent souvent, pour ne pas dire le plus souvent, forcés et
arbitraires. Il est vrai que l'Evangile plonge ses racines profon¬
dément dans la tradition biblique, en sorte que Jésus a bien pu
dire qu'il est venu accomplir la loi. Il n'est pas moins vrai qu'il
avait des opinions très libérales concernant les lois de purifi¬
cation, le commandement du sabbat, l'utilité du culte sacrificiel 3.
On ne l'a pas condamné pour cela. Plus lourde était l'accusation
qu'il aurait parlé de la destruction du temple, décisive a pu être
la prétention d'être le Messie. On se faisait une idée très nette
de ce que devait être le Messie et de l'œuvre qu'il avait à
accomplir. Ce que l'on sut de Jésus de Nazareth correspondait
à première vue si peu à l'œuvre spectaculaire et grandiose
qu'on attribuait au descendant de David. Si une part de jalousie,
de mépris,· de haine, ont joué leur rôle chez les dirigeants du
peuple, beaucoup d'entre eux ont sans doute cru avoir des
raisons sérieuses pour le juger coupable et, versés dans les
Ecritures auxquelles ils se sentaient liés, c'est en raison d'un
« scriptum est » qu'ils l'ont en dernier lieu condamné. La
religion du Code sacré semblait avoir triomphé de la religion
de l'Esprit.

Ruprecht,
3 Cf. E.
1942.
Lohmeyer, Kultus und Evangelium, Göttingen, Vandenhoeck und
PRINCIPE SCRIPTURAIRE ET SON APPLICATION AU MINISTÈRE 211

Nous avons appris à interpréter l'ancienne Ecriture à


travers l'Evangile codifié et connu. Partant de cette impression
qu'en Jésus-Christ le mouvement de la révélation a gagné son
point culminant, puisqu'en Lui habite corporellement, comme
dit l'épître aux Colossiens, la plénitude de la divinité, on ne peut
manquer de voir comment toutes les lignes qui partent de l'his¬
toire des patriarches, de la loi, des prophètes, du psautier,
convergent vers ce centre. En Christ, les Ecritures trouvent leur
unité profonde, mais en même temps la Parole divine redevient
événement. L'Evangile n'est pas en premier lieu une doctrine,
mais une histoire. Cette histoire comporte un sens infiniment
riche, elle est pleine d'enseignement, chaque parole de Jésus
est un acte et tout acte qu'il accomplit est une leçon. En plus,
son Evangile se situe dans la même mesure hors du temps que
sa personne s'élève au-dessus des contingences de son époque.
Il n'est ni juif, ni grec, il est l'homme tout court, il domine le
temps. Et cela précisément parce qu'il résume tout le contenu
de la révélation, il en dégage le sens absolu et éternel. L'histoire
sainte, comme histoire de la révélation, s'arrête en Lui, main¬
tenant que tout est dit et que tout est fait. En Jésus-Christ, par
l'œuvre de la rédemption, Dieu offre gratuitement le salut au
monde. Il ne reste qu'une seule tâche à accomplir : répandre
la lumière qui s'est miraculeusement fait jour en ce point isolé
et perdu de la terre habitée.

Jésus
Quelle
auront
estlacette
mission
Parole
d'annoncer
qui sauve
? Elle
et a
que
comme
les disciples
contenu de
la

nouvelle que le Royaume des cieux est tout proche et qu'on


entre dans l'accomplissement des promesses eschatologiques.
L'attitude de Jésus s'oppose ici à celle des hommes de la loi.
Ceux-ci considèrent que toutes les chances de salut sont données
dans les textes de Moïse par la bouche duquel Dieu a parlé,
en sorte que la révélation est essentiellement chose faite. La
justice qui justifie devant le Dieu transcendant, remplacé en
quelque sorte sur terre par le livre sacré symbolisant sa pré¬
sence, découle de l'obéissance stricte à la lettre de cette loi.
Jésus a lu la Bible avec d'autres yeux ; pour Lui, la Parole a
conservé son caractère dynamique, elle vise plus loin vers un
avenir qui se situe au-delà des limites des Ecritures proprement
dites. Ce but à partir duquel elle veut être comprise est atteint,
la Parole n'est plus promesse, elle est accomplissement, les
Ecritures sont dépassées par l'Evangile, qui signifie que Dieu
le Père est présent dans la personne et l'œuvre du Fils. Aussi
les apôtres auront-ils à parler moins en interprètes d'un livre
212 revue d'histoire et d,e philosophie religieuses

sacré qu'en témoins de ce qui s'est passé et de ce qui se passe


sous leurs yeux ; ils prêcheront le Christ mort et ressuscité pour
nous.

Remarquons cependant que la notion de l'incarnation


implique le fait que l'œuvre de la rédemption, en entrant dans
l'histoire, participe comme événement historique au destin des
phénomènes historiques qui, insérés dans le courant du temps,
se voient
l'oubli. Unefatalement
nouvelle Ecriture
refoulésdevait
dans le
nécessairement
passé et menacés
se former
par

pour retenir intact le souvenir des événements passés. Un Nou¬


veau Testament s'ajoutera à l'Ancien. Pourtant la Parole de
l'Evangile est plus que le document historique du N.T. Pour la
simple raison que le Christ n'était pas devenu pour les chrétiens
une figure du passé, un Messie qui devait accomplir sa mission
ici-bas pour disparaître ensuite et se taire. L'ascension ne
signifie pas tant l'absence de Jésus que son élévation — n'a-t-il
pas promis d'être auprès des siens jusqu'à la fin du monde ?
L'action du Rédempteur se poursuit dans celle du « Kyrios »,
qui envoie aux apôtres son Esprit, les dirige et les inspire. Sa
résurrection est un événement éternellement actuel, donnant le
départ à une vie de résurrection dont tous les croyants bénéfi¬
cient. Le vrai témoin est celui qui a été appelé et instruit par
le Ressuscité et qui, guidé par l'Esprit et ayant fait l'expérience
de la puissance régénératrice de la foi en Christ, rend témoi¬
gnage de cette puissance. Ce genre de témoignage, semble-t-il,
n'est lié à aucune période limitée et devra sans doute se pro¬
longer à travers toute l'histoire de l'Eglise chrétienne. L'Evan¬
gile est donc premièrement Parole-acte. Luther l'a bien souligné
quand il dit que l'Evangile est avant tout une rumeur, « ein
Geschrei », et A. Niebergall 4 dit avec raison du réformateur :
« L'Ecriture dans le sens rigoureux du terme est (pour Luther)
1Ά.Τ., tandis que le N.T. est cette Parole qui à vrai dire ne
devrait être transmise qu'oralement. » Cette transmission orale
n'exclut nullement la production d'une littérature sacrée qui
transmet l'héritage du passé aux générations futures, transmis¬
sion qui se fait naturellement par écrit. « Scripta marient ».
Puisque la Parole est une parole agissante, elle a des répercus¬
sions profondes et variées, elle ne provoque pas seulement
l'assentiment, mais aussi la critique et la contradiction, elle est

genommen
eigentlich
dürfte.
buch4 des
A.» Niebergall,
evangelischen
nur
ist nur
durch
das
Geschichte
A.T.
die
Gottesdienstes,
Schrift,
mündliche
der christlichen
während
Stauda-Cassel,
Verkündigung
dasPredigt,
N.T. 1955,
das
weitergegeben
en Wort
: p.Leiturgia,
258
darstellt,
: « werden
Streng
Hand¬
das
PRINCIPE SCRIPTURAIRE ET SON APPLICATION AU MINISTÈRE 213

exposée aux déformations et aux falsifications. Ce fut donc


absolument nécessaire de délimiter la sphère des documents
vraiment authentiques, ce qui mena inévitablement à l'établisse¬
ment du Canon néotestamentaire. Car, pour rester saine, il
fallut que la tradition conservât sa source pure. C'est en se
rapportant au témoignage apostolique que tout message chrétieu
devait pouvoir se légitimer : on peut affirmer que la formation
du Canon néo testamentaire n'a pas seulement répondu à un
besoin impérieux, mais qu'elle s'est sans doute produite sous la
direction même du Saint-Esprit. A vrai dire, la fixation du
Canon ne répond pas à un ordre formel contenu dans les
Ecritures mêmes. S'il faut l'attribuer à l'initiative du Saint-
Esprit, cette démarche s'exécute en dehors de ce que dit expres¬
sément l'Ecriture. C'est déjà le Saint-Esprit agissant dans l'Eglise
qui témoigne en faveur de son œuvre propre.
Mais agissant de cette manière, il énonce, nous semble-t-il,
une double vérité : Comme livre de révélation, la Bible n'est
complète que lorsqu'on ajoute à l'A.T., au livre de l'attente, de
l'espérance et de la promesse, le N.T. comme le dernier chapitre
qui apporte la réponse, le « Oui » que Dieu a prononcé dans
l'Evangile à l'inquiétude humaine. L'A.T. n'est que la voie
ascendante qui conduit vers un sommet. Le sommet est lié à la
base sur laquelle il repose, mais le fondement n'est rien sans
le sommet qu'il porte. D'autre part, lorsqu'on aura vu par quelles
difficultés, par quelles ténèbres la lumière de la révélation
divine a dû se frayer un chemin pour pouvoir enfin répandre
sa clarté victorieuse, on comprend qu'une fois apparue dans
toute sa pureté, elle a dû être garantie contre toutes les obnu¬
bilations possibles qui pouvaient survenir plus tard. Comme il
y a un chemin ascendant, il y a aussi un chemin descendant qui
mène vers les bas-fonds dès que l'œuvre de Dieu devient objet
d'une discussion à laquelle les passions et les intérêts humains
se mêlent. Pour cette raison, le Saint-Esprit n'a pas pu se
contenter de désigner un certain nombre de témoignages authen¬
tiques, il a aussi dû clore la série. La Bible ne peut servir de
miroir
dans cette
purstricte
de la limitation.
révélation En
qui cela
s'accomplit
encore s'affirme
en Jésus-Christ
le caractère
que
d'événement de la Parole révélatrice, l'événement a une durée
circonscrite.
Voilà l'un des aspects à envisager et en voici l'autre. Si la
fixation du Canon s'est effectuée comme nous venons de le
constater plus haut, cela signifie que par cette démarche le
Saint-Esprit affirme son action libre. Il ne se trouve pas enfermé
214 REVUE D'HISTOIRE ET Όβ PHILOSOPHIE RELIGIEUSES

dans les Ecritures, mais plane en quelque sorte au-dessus d'elles.


Dans son action se manifestent le règne du Christ et la présence
de Dieu. Nous touchons là au centre de la pensée paulinienne,
à ce qui pour l'apôtre découle directement du fait de la résur¬
rection et de l'élévation du Christ. Le Christ exerce son pouvoir
par le moyen de l'Esprit qui est un esprit prophétique, donc un
esprit qui parle, et en principe l'Esprit est accordé à chaque
croyant. Dans ces conditions, l'achèvement du Canon scriptu-
raire peut-il signifier que dorénavant Dieu ne parlera plus que
strictement à travers ce livre, qu'il n'y aura plus d'autre Parole
de Dieu que celle qui se trouve confinée dans le texte des Ecri¬
tures saintes et que le rôle de l'Esprit se restreindra essentielle¬
ment à l'interprétation de cette Parole écrite, que l'inspiration
sera par conséquent le privilège spécial des commentateurs des
Ecritures, lorsqu'ils parleront en chaire ? Le Saint-Esprit ne
reniera certainement jamais son œuvre propre et c'est bien à
travers la bouche de Jésus et des apôtres qu'il nous parle le
langage absolument authentique. Le prédicateur se liera donc
au témoignage de ce livre. Mais la Parole de Dieu ne s'y enferme
pas.faire
de Le principe
de l'Ecriture
scripturaire
un véritable
risque, « s'il
testament
n'est pas
» attestant
bien défini,
la

disparition du testateur. Il paraît certain que le Canon de l'A.T.


marquait à un certain moment l'absence de Jahvé, la loi étant
pratiquement considérée comme le succédané de la Parole
vivante de ce Dieu qui s'était retiré dans le septième ciel. Mais
en Christ, Dieu est présent, l'accès au Père est libre, et si déjà
dans l'Ancienne Alliance il se définit comme le Dieu-Esprit qui
parle, il est difficilement admissible qu'il change tout d'un coup
de nature. La conformation du N.T. nous paraît à ce sujet assez
significative. Les évangiles se prolongent dans le Livre des Actes.
Or, l'histoire des Actes exaltant cette œuvre de Dieu qui se
manifeste comme la répercussion de l'événement de la Pentecôte
n'a pas de fin, elle reste ouverte comme pour indiquer que
l'action commencée doit se poursuivre ainsi sans qu'on puisse
en attendant lui poser de terme. La partie épistolaire donne
l'exemple de la prédication de l'Eglise telle qu'elle s'opère dans
l'ère chrétienne, alors que l'apocalypse désigne le but final vers
lequel l'histoire du monde évolue. Le Canon du N.T. reste nor¬
matif, il offre le critère indispensable quand il s'agit de discerner
les esprits prophétiques, mais cette nécessité de discerner les
esprits suppose que le phénomène du prophétisme aille en se
poursuivant.
L'Eglise primitive reconnaît donc pleinement l'autorité dè
PRINCIPE SCRIPTURAIRE ET SON APPLICATION AU MINISTÈRE 215

l'A.T., et pourtant dans un certain sens le stade des Ecritures


paraît en principe surpassé. Si les évangélistes et les apôtres
peuvent affirmer que la Bible aurait été écrite essentiellement
à l'intention de la génération présente, en vue d'apporter la
preuve qu'en Jésus les temps sont accomplis, elle a rempli sa
fonction. En effet, l'Ecriture est avant tout envisagée comme le
livre de la prophétie, elle annonce les mystères qui en ce moment
ont été dévoilés. C'est en raison de leur signification eschato-
logique que les Ecritures intéressent le prédicateur chrétien.
Appartenant à la période révolue de l'attente et de l'espérance
messianiques, elles ont au moment où les prophéties se sont
réalisées une valeur spécifiquement démonstrative servant à
l'apologétique et la polémique. Certes, maintenant qu'on peut
les lire « à visage découvert », comme dit Paul, pour compren¬
dre leur profonde signification, elles représentent un livre d'en¬
seignement incomparable et leur valeur édificative et exemplaire
est très grande. Mais à côté d'elles, il y a la Parole vivante de
l'Evangile qui leur prête en réalité sa lumière et sa vie. L'épître
aux Hébreux désigne les faits et les institutions de l'Ancienne
Alliance comme des ombres, ombres de ce qui se trouve pleine¬
ment réalisé dans la Nouvelle, et pourquoi s'attacherait-on aux
ombres, quand on a la lumière ? Le règne du Code sacré fait
place au règne de l'Esprit.
Il est intéressant d'observer l'emploi que fait l'apôtre Paul
de l'A.T. Notons que nous ne savons pas grand'chose de la
prédication des apôtres, qui était la plupart du temps allocution
missionnaire. Il semble pourtant ressortir des documents néo¬
testamentaires qu'elles n'étaient pas ce que nous appelons
aujourd'hui une interprétation de texte, et cela pour cause, mais
un énoncé de l'Evangile du Christ. Néanmoins, l'A.T. tient dans
l'enseignement de Paul une place importante, surtout dans la
controverse avec ses interlocuteurs juifs. La preuve scripturaire
l'emporte chez lui sur tout autre genre d'argumentation. Mais
si nous passons en revue toutes les citations bibliques pour
examiner sa méthode d'interprétation, qu'il s'agisse des psaumes
auxquels il se rapporte dans l'épître aux Romains, du sperme
d'Abraham et des figures de Sara et d'Agar dans l'épître aux
Galates ou du bœuf foulant le grain, 1 Cor. 9 9, son exégèse
frappe par le fait qu'elle n'est pas une vraie explication du texte,
dictée par le souci de rechercher le sens que devait avoir une
parole pour celui qui la disait ou ceux qui l'entendaient. Son
exégèse est inspirée dans ce sens que son esprit est à ce point
rempli de la vision des réalités spirituelles faisant l'objet de
216 REVUE d'histoire et de philosophie religieuses

sa foi, que cette vision se transporte automatiquement sur les


données de l'A.T. qu'il interprète. C'est la méthode allégorique
ou typologique qui permet à l'apôtre de donner au principe
christocentrique une extension très large, en sorte que Paul peut
découvrir le Christ, le baptême, la Cène à maints endroits de
l'A.T. où nous ne les aurions jamais soupçonnés. Nous devons
reconnaître aujourd'hui que l'emploi de cette méthode répondait
à une nécessité, passagère, mais d'autant plus impérieuse, néces¬
sité qui imposait à l'A.T. la fonction que plus tard le N.T. devait
assumer· et que seul le N.T. était capable de remplir. Mais le
N.T. n'existant pas encore, ΓΑ.Τ. a dû faire figure de livre du
Christ. Cependant, ce qui a été légitime dans une certaine
situation ne l'est pas forcément pour toujours. Le même sens
historique qui nous fait comprendre ce besoin nous permet aussi
de mesurer tous les risques de ce procédé5. Il a été dicté à
l'apôtre par la tendance christocentrique de sa prédication. Ce
même principe qui lui impose occasionnellement cette méthode
d'interprétation a pour conséquence que dans l'ensemble l'inter¬
prétation typologique tient dans la prédication de l'apôtre une
place assez modeste. L'essentiel est pour lui de se savoir en
parfait accord avec les Ecritures. Aussi, au moment où il a cru
pouvoir constater que la mort ignominieuse de Jésus à la croix
était prévue dans l'économie du salut et que le principe de la
justification par la foi était fondé dans les Ecritures, sa
conscience était tranquillisée et il a pu porter son attention vers
le présent. Et ce présent n'est plus un simple point quelconque
dans l'éternel flux du temps, destiné à se confondre demain avec
le passé, car c'est le présent des temps accomplis, qui reste
présent par le fait que le Règne de Dieu s'est définitivement
implanté dans le monde. La victoire du Christ sur le péché et

nouvelle
l'exégèse
de
Moyen-Age
bien
étranges
intérêt
leurs,
donner
et
N.T.
nitude
historique
lution
gination
l'Evangile
lala
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dans
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historique
de
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donner
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Mais
le
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bibliques.
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chrétienne
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réalité
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que
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phénomènes
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qui
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tout
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révélation
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Combien
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propre,
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utilise
Christ
l'ima¬
D'ail¬
l'évo¬
aussi
anous
plé¬
une
un
du
le
PRINCIPE SCRIPTURAIRE ET SON APPLICATION AU MINISTÈRE 217

la mort, confirmée d'une manière si éclatante par le miracle de


la résurrection, inaugure une ère nouvelle pénétrée par les
forces régénératrices de l'Esprit. Là où souffle l'Esprit, l'ancien
temps est comme démonté, ses ressorts sont brisés. Le présent
en tant qu'il a encore une durée n'est que la liquidation d'un
passé qui court rapidement vers sa fin, son sort étant réglé —
peu importe le nombre de jours ou d'années que prend cette
liquidation — et qui permet aux apôtres d'accomplir leur tâche
missionnaire et aux nouveaux convertis d'évoluer vers leur per¬
fectionnement. Mais celui qui est en Christ vit, agit et parle
d'abondance. Ce n'est plus tant le livre sacré, document d'un
passé qui est la source principale de l'inspiration, la prédication
se nourrit essentiellement des faits nouveaux qui se sont pro¬
duits, elle prêche bien la croix et la résurrection du Christ, mais
non comme de simples événements historiques qui reculent de
plus
émanent
en plus
sans
dans
cesse
l'ombre
des forces
du passé,
vivifiantes.
mais comme
C'est des
comme
faits si
dont
le

temps n'existait plus que pour l'homme naturel, alors que la foi
élève déjà le croyant au-dessus des limites de l'existence tem¬
porelle. On comprend l'attitude de l'apôtre en face de PA.T. Il
appartient d'une part à l'ère révolue comme le livre qui raconte
l'histoire du peuple d'Israël selon la chair et qui contient la loi
avec ses innombrables prescriptions ; cette loi, qui donne à
toute une période sa marque, est périmée, le chrétien en est
Mais
affranchi
cetteetParole
doit se de
garder
l'A.T.
decomme
ne plus Parole
tomberdu
sous
Dieu
sa domination.
vivant doit

forcément avoir ung portée éternelle et, comme telle, elle ne


peut prêcher que l'Evangile, elle le fait soit ouvertement, soit
sous une forme symbolique ou sous le masque de la loi. Parce
que toute l'Ecriture est pour Paul inspirée, le fait de se savoir
lié à l'autorité des Ecritures lui impose cette exégèse susceptible
de dépouiller un texte de son sens original, parce que seule cette
interprétation lui permet de maintenir l'autorité absolue du
texte scripturaire. Mais la vraie notion dè ce qu'est l'Evangile
et tout ce qu'il contient lui vient du Christ et de la tradition
vivante qui s'attache à son œuvre. Le règne de la lettre qui tue
a fait place au règne de l'Esprit qui vivifie.
Or, si c'est bien son expérience chrétienne profonde qui a
incité Paul à distinguer de cette façon entre l'aspect passager
de la révélation répondant aux contingences de la situation
historique et regardant uniquement le peuple d'Israël avant la
venue du Christ et l'Evangile éternel vers lequel évolue l'histoire
du salut, ne sommes-nous pas autorisés à faire une distinction
218 REVUE D'HISTOIRE ET D.E PHILOSOPHIE RELIGIEUSES

analogue au sujet de ce qui par rapport au témoignage aposto¬


lique est de nouveau devenu Ecriture. Car l'activité de Paul
a inauguré contre sa propre attente sans doute une nouvelle et
longue période historique. Si sa propre position apparaît alors
comme transitoire, caractérisée par le fait qu'il prêche l'Evangile
sans qu'il existe encore le N.T., l'attitude de l'apôtre nous engage
à ne pas davantage nous attacher aux aspects du message
conditionnés par une pareille situation passagère. La distinction
entre ce que Paul appelle loi et Evangile est donc toujours à
refaire, parce que l'Evangile lui-même est susceptible de devenir
loi, dès qu'on s'apprête à le maintenir coûte que coûte dans la
forme concrète qu'il a dû revêtir pour répondre à la situation
du moment. D'autre part, il n'est Parole du Dieu vivant qu'à
condition de gagner son actualité par le caractère concret qu'il
épouse. Cela résulte du fait que la Parole divine n'est pas un
enseignement abstrait, mais Parole-acte.
Et là une autre leçon se dégage encore de l'attitude de Paul.
Si c'est lui qui a affranchi la foi chrétienne des entraves du
judaïsme, c'est le fait d'avoir vécu la situation de son temps
d'une manière particulièrement intense qui l'en a rendu capable.
Cette affirmation n'a pas besoin d'être démontrée. On peut en
déduire que ce n'est pas la science exégétique, ni la spéculation
abstraite ou mystique, qui nous permettent de dégager des
Ecritures l'Evangile qui sauve, mais en même temps une sagesse
éprouvée qui est le fruit du contact le plus intime avec le monde
dans lequel nous vivons. C'est dans ce monde que luttent les
forces vivantes de l'Evangile et créent une nouvelle tradition.
L'Evangile a dû être fixé pour servir de norme, mais cela ne
change rien au fait que l'Evangile demeure en même temps la
Viva Vox Dei, Evangile qui se prêche en quelque sorte lui-même
par les miracles qu'il opère au sein de l'Eglise. Depuis Jésus,
il y a un courant de vie nouvelle qui est une source de béné¬
dictions et qui a pris naissance au moment où la Parole s'est
faite chair pour habiter parmi nous. Il y a donc à côté de la
possibilité de rencontrer Dieu dans le livre saint le fait d'une
autre présence divine, il y a une double possibilité de prendre
contact avec le Christ : C'est la Bible qui nous conduit au Christ
et nous rend attentifs au pouvoir qu'il exerce dans le monde,
ou bien c'est le pouvoir du « Kyrios » exerçant son Règne
caché dans le monde qui nous saisit d'abord, et ensuite la
révélation scripturaire nous éclaire et nous aide à donner à
cette puissance mystérieuse qui nous cherche son vrai nom de
Jésus-Christ et à bien interpréter son action. Nous voyons ainsi
PRINCIPE SCRIPTURAIRE ET SON APPLICATION AU MINISTÈRE 219

se former un cycle : le Christ présent nous ramenant par l'action


du Saint-Esprit aux Ecritures qui témoignent de Lui et nous
donnent la pleine connaissance de sa personne et de son œuvre,
et la Bible nous renvoyant de nouveau vers le Christ présent
en proclamant son Règne actuel et nous rendant attentifs aux
appels qu'il est susceptible de nous adresser au sein de son
Eglise.
Parole
La de
Bible
Dieu elle-même
et Ecriture.nous
La Parole
engagedudonc
Dieu àvivant
distinguer
est à laentre
fois
moins étendue que l'Ecriture et elle la déborde. L'Ecriture est
appel et réponse, action divine et réaction humaine, but et
chemin. La révélation trouve son expression parfaite et défi¬
nitive dans le Verbe incarné en la personne de Jésus-Christ.
L'Evangile tel qu'il se reflète dans le témoignage pur du N.T.
devient norme pour la prédication chrétienne ; mais celle-ci est
plus qu'une interprétation de textes sacrés, elle témoigne de
l'action généreuse et régénératrice de l'Esprit qui signifie la
présence
Les réformateurs
du Christ au sein
ont de
rencontré
son Eglise.
dans la Bible le Christ
vivant. La lecture attentive du N.T. leur a permis de mesurer
tout l'écart qui séparait l'Eglise romaine du christianisme pri¬
mitif. Cependant, tout en proclamant hautement l'autorité
absolue des Saintes Ecritures, ils n'ont pas réussi à définir clai¬
rement le principe scripturaire et à circonscrire sa portée. Ce
qui pour Calvin rend l'Ecriture indubitable, c'est en dernier
lieu le témoignage du Saint-Esprit. « En écoutant les Ecritures,
dit-il, nous sentons là une expresse vertu de la divinité montrer
là sa vigueur, sentiment qui ne peut s'engendrer que de révéla¬
tion céleste aussi
sentiment ; l'Ecriture
notoirea de
et quoi
infaillible
se faire
comme
connaître,
ont les
voire
choses
d'un
blanches et noires de montrer leur couleur et les choses douces
et amères de montrer leur saveur » e. Mais l'expérience prouve
bien que l'Esprit ne témoigne point sans distinction ni avec la
même
Il nousforce
ramène
en faveur
infailliblement
de n'importe
vers quel
le Christ,
passagesidenous
la Bible.
nous

laissons conduire par lui dans l'étude attentive des Ecritures,


mais en cela même il agit en critère pour nous faire sentir ce
qui dans les Ecritures est le plus directement Parole de Dieu.
Il nousderrière
raître aide à opérer
l'autorité
un du
choix,
Livre
en finalement
sorte que nous
cellevoyons
de la Vérité
appa¬

telle qu'elle s'esf incarnée en Jésus-Christ, et que l'autorité qui

β J. Calvin, Institution de la Religion chrétienne, livre 1, chap. VII.


220 revue d'histoire et de philosophie religieuses

nous lie n'est en somme plus celle d'un texte, mais une autorité
personnelle. Luther dira : est Ecriture ce qui nous porte vers
le Christ, « was Christum treibet;». Or, l'opposition contre
l'Eglise romaine d'un côté et contre les spiritualistes de l'autre
a imposé aux épigones de Luther une conception trop formaliste
et rigoriste du principe scripturaire. La définition de l'Eglise,
qui doit se trouver là où l'Evangile est correctement enseigné
et où les sacrements sont correctement administrés, renvoie à
des textes (article VII de la Conf. d'Augsbourg) 7. Tout dépend
alors du sens qu'on donne au « recte ». On peut le définir :
conformément à l'esprit de l'Evangile ou aux ordres du Christ,
ou de façon à ce que l'enseignement reflète exactement tout le
contenu des Ecritures. L'identification trop hâtive de la Parole
de Dieu avec le texte des Ecritures, à laquelle les réformateurs
ont été entraînés dans l'ardeur du combat, a eu des suites
fâcheuses. On croyait devoir fonder l'autorité des Ecritures sur
la doctrine de l'inspiration verbale en proclamant hautement
la suffisance, l'évidence et l'efficace de la Parole écrite. Le
témoignage du Saint-Esprit était censé intervenir sans distinc¬
tion pour apposer à toute assertion dûment basée sur un texte
biblique le sceau de la vérité divine indiscutable. L'interpréta¬
tion des Ecritures devait en principe aboutir à l'élaboration
d'une doctrine achevée dans tous ses détails et parfaitement
homogène, excluant, vu l'assistance de l'Esprit postulée et
l'évidence admise, toute divergence sérieuse d'opinion. Il en
résulta doctrinale
vérité logiquemententrevue
qu'on ne
ainsi
put comme
pas facilement
évidente juger
dans une
son

essence sans tenir pour mal intentionné celui qui avançait une
opinion contraire, et s'il s'obstinait dans sa conviction, on était
vite prêt à le déclarer possédé par le diable, puisqu'on ne
pouvait lui accorder également le bénéfice de l'inspiration.
L'Eglise n'était rarement déchirée par des controverses, des
dissensions et des haines aussi profondes et violentes. Mais la
Bible ne se venge pas seulement de toute profanation qui la
rabaisse au niveau d'une œuvre humaine, mais aussi de toute
fausse divinisation. Examinée de près, la seconde tentative
rejoint la première, en attribuant aux Ecritures une infaillibilité
qu'elles ne réclament pas, nous sommes finalement obligés d'im¬
puter à Dieu les erreurs et les imperfections manifestes et à

miracle
dans7 sous
qui,
esprit Luther,
son
dequ'au
foi
un
Grand
etseul
d'après
milieu
deCatéchisme,
chef,
charité.
de
l'explication
ce monde
le Christ,
voit l'Eglise
qu'il
on rencontre
viventdonne
fraternellement
réalisée
duune
troisième
là communauté
où l'Esprit
unis
article
dansproduit
de
duunfidèles
Credo
Seul
le
PRINCIPE SCRIPTURAIRE ET SON APPLICATION A Ό MINISTÈRE 221

travers les Ecritures l'Eternel lui-même risque de prendre à


l'occasion les traits d'un être borné, jaloux, partial et cruel. La
divinisation des Ecritures mène à l'humanisation de la divinité.
En plus, consécutivement au malentendu intellectualiste par
lequel on assimilait la révélation à un système doctrinal clos
répondant d'une manière contraignante à tous les problèmes
pouvant intéresser la foi, on parvint finalement à attribuer à la
Bible la fonction de dire à l'homme la vérité sur tout. Puisque
la Bible était censée suffire à tous les besoins, le regard des
théologiens et des prédicateurs est devenu aveugle pour les
réalités de ce monde. L'Eglise ne s'apercevait même pas de la
révolution qui s'était opérée dans la conception de l'univers et
de la nature, des changements qui en résultaient fatalement et
qui modifièrent si sensiblement la manière de penser et de
sentir de l'homme8. L'attitude du piétisme qui s'est rendu
compte du changement et en a été effrayé a trop été une fuite
dans l'intériorité sentimentale pour arriver à combler l'abîme
qui s'était creusé entre les différentes couches de la population
chrétienne, tandis qu'au siècle des lumières, l'Eglise capitula en
partie devant les exigences extravagantes de la raison humaine
et contribua à la sécularisation de l'Evangile. Depuis le xve et
le χνιθ siècle, le monde a continué à s'émanciper et l'Eglise a
suivi le mouvement à sa façon en se confinant dans sa propre
province. Pourtant, elle n'a pas pu se désolidariser assez radi¬
calement du monde pour ne pas subir l'influence de ces nou¬
velles puissances qui donnent à l'époque moderne sa physio¬
nomie caractéristique. La critique historique et la science
exégétique, issues du même mouvement d'émancipation, ont
alors de plus en plus démantelé la doctrine de l'inspiration
verbale, la forteresse de l'ancienne orthodoxie. Plusieurs siècles
de critique biblique ont accumulé à tel point le nombre incal¬
culable des problèmes relatifs à la composition de la Bible, à
l'origine, l'authenticité, la transmission, l'interprétation des
textes, différentes disciplines se partageant dans ce travail, que
seuls les spécialistes peuvent encore se mouvoir sur ce terrain
avec quelqu' assurance. Le but de tous ces efforts était de rendre
le cadre qui contient la Parole divine toujours plus transparent
pour faire apparaître l'essence de la révélation dans la mesure
du possible à l'état pur. En réalité, le cadre s'est de plus en plus
épaissi, le chemin entre le terrain de départ et le but visé est

1950,8nicht
Zeit p.A. 180
D.mehr
: Muller,
« Das
an. Gottesbewusstsein
Grundriss
» der Prakt.
sprach
Theologie,
das Wirklichkeitsbewusstsein
Gütersloh, Bertelsmann,
der
222 . revue d'histoire et d,e philosophie religieuses

devenu plus long en s'encombrant de nouveaux obstacles à


vaincre, car les perspectives de la recherche scientifique sont
infinies. En plus, ce genre d'étude situe inévitablement l'objet
étudié dans le passé, et plus il gagne en forme concrète et en
couleur locale, plus il s'éloigne de nous et s'insère dans un
monde qui nous est étranger.
Cet état de faits crée pour le prédicateur une situation assez
embarrassante. Lié au texte des Ecritures, il ne sait, dans
certains cas, s'il doit se fier à cette science qui se fait forte de
le mener tout près de la réalité historique et du véritable sens
du texte, ou plutôt se méfier d'elle, parce que ses résultats
restent toujours douteux.
Au « recte docere » concernant l'Evangile correspond le
« recte administrare » se rapportant aux sacrements. Le recte
peut être synonyme de rite et signifier : scrupuleusement, selon
le rituel qui exige le prêtre consacré et prescrit chaque mot et
chaque geste, faute de quoi le sacrement ne pourra pas être
opérant. Cette conception catholique est exclue. Le terme pour¬
rait aussi dire : de façon à ce que la signification originale du
sacrement soit pleinement respectée et arrive à sa parfaite
expression. Mais sur ce point encore, la tendance intellectualiste
a prévalu. Il fallait administrer les sacrements en accord avec
la bonne doctrine. On a repoussé l'idolâtrie de la Messe romaine
et on s'est accroché, pour déterminer la signification de la
sainte Gène à un texte pour discuter sur le sens de ce « est »
qui n'existait même pas dans la langue que Jésus a sans doute
parlé. On s'est brouillé pour ne pas être arrivé à se mettre
d'accord et on a trahi ainsi l'intention de celui qui a institué le
sacrement eucharistique, afin qu'unis à sa personne, les chré¬
tiens puissent rester unis entre eux, comme la prière sacerdotale
le suggère. Dans l'Eglise primitive, la présence du Christ n'était
pas sacramentellement liée, elle était une présence personnelle,
présence du Christ-Kyrios qui règne dans son Eglise, élevé en
puissance par son ascension et non séparé des siens. L'image de
l'Eglise-corps du Christ ayant en Lui son chef illustre la relation
étroite qui unit les deux. Dans la Cène, la communion avec le
corps et le sang du Christ, rompu, versé pour nous, donne au
sacrifice accompli sur la croix pour notre rédemption la valeur
d'un événement éternellement efficace, dont la foi s'approprie
le bénéfice, elle affirme la présence invisible du Seigneur, parce
que c'est Lui qui invite, parle et offre. La présence dans le culte
de sainte Cène n'est donc pas une présence sacramentelle sui
generis, localisée, limitée et quasi enfermée dans les espèces,
PRINCIPE SCRIPTURAIRE ET SON APPLICATION AU MINISTÈRE 223

mais signe et gage de la présence au sein de son Eglise de celui


qui n'a pas délaissé les siens, confirmation que sa promesse
d'être présent partout là où deux ou trois sont réunis en son
nom se réalise, et cette promesse ne se limite pas au sacrement.
Mais le sentiment de la présence permanente du Christ s'est
estompé en faveur d'une présence réelle enfermée dans l'acte
sacramentel et a limité ainsi la possibilité d'une rencontre avec
le Seigneur à la sphère strictement cultuelle, alors que la para¬
bole du dernier jugement, Matthieu 25, et le témoignage aposto¬
lique nous invite à rechercher le contact avec le Christ non
seulement en arrière par un simple acte de commémoration ou
en avant, par anticipation des biens éternels dont le sacrement
nous offrirait le gage, mais un contact qui s'opère avec Lui dans
la réalité de la vie présente.
Dans sa polémique contre l'Eglise romaine, qui substituait
son propre pouvoir au règne du Christ, l'Eglise protestante, en
préconisant le principe du retour aux sources et en essayant de
renouer directement avec l'Eglise primitive, a méconnu l'impor¬
tance de la tradition vivante, alors que l'image de l'Eglise du
Christ est représentée par ce que l'épître aux Hébreux appelle
la nuée des témoins, ou ce qui, d'après le Credo, est la commu¬
nion des saints. Le regard tourné vers le passé, elle a sérieuse¬
ment été menacée du danger de perdre l'intérêt pour le présent
et avec l'intérêt le contact fécond qui donne de l'influence.
Ignorée souvent du monde, elle s'est consolée à l'idée du retour
glorieux du Christ-Vainqueur, sans s'attacher à l'idée que
l'Esprit
dans toutes
du Christ
ses dimensions.
veut pénétrer et régénérer la vie du monde

On saisit le danger, la prédication a bien pour but de nous


annoncer le Christ vivant, mais en interprétant un texte biblique,
elle nous ramène, en l'expliquant, forcément en arrière, même
si la prise de position dans le passé n'est qu'un point de départ ;
ce départ obligatoire crée l'illusion que nous avons affaire à un
Dieu qui n'a parlé qu'autrefois et qui de proche qu'il était est
redevenu pour nous un Dieu lointain, en sorte que ce serait la
tâche du pasteur d'insuffler à ces vieux textes, avec l'assistance
du Saint-Esprit, une nouvelle vie. La prédication se présente
alors fréquemment comme un amalgame d'explication histori¬
que, de dogmatique popularisée et d'applications moralisantes
ou édifiantes. L'Evangile qui doit pourtant être la Bonne Nou¬
velle prend un air vieillot. Toujours le Dieu d'Israël, qui nous
donne rendez-vous dans un pays lointain, ne sommes-nous pas,
dimanche après dimanche, invités à faire un saut en arrière
15
224 REVUE D'HISTOIRE ET D,E PHILOSOPHIE RELIGIEUSES

par-dessus vingt siècles pour essayer de prendre pied sur le


terrain biblique ? En parlant par surcroît un langage qui n'est
plus de notre temps, comment n'éveilleronsrnous pas l'impres¬
sion pénible « de battre du blé vide »? Le sacrement eucha¬
ristique aurait pu contrebalancer le danger de l'intellectualisa¬
tion plus ou moins inhérent à la prédication liée au texte des
Ecritures, mais le culte de la Parole l'avait repoussé à
l'arrière-plan.
L'application du principe scripturaire à la prédication n'a
donc pas eu que des effets heureux. Conçu dans un esprit trop
étroit, il a, conjointement à d'autres facteurs, donné une pré¬
pondérance trop marquée à la prédication comme interprétation
de texte, il a favorisé la conception trop formaliste et intellec¬
tualiste de la Parole de Dieu, et retenu longtemps l'Eglise
protestante dans un biblicisme trop fermé.
En combinant ces dernières réflexions avec ce qu'il faut
retenir de la première partie de notre exposé, nous arrivons aux
conclusions suivantes : Le principe scripturaire lie le prédica¬
teur à la Bible, parce qu'elle est le Livre de la révélation divine.
Mais nous avons aussi dû constater que l'Ecriture se présente
à la fois comme le livre le plus divin et le plus humain. On fait
fatalement fausse route en fermant les yeux sur l'un ou l'autre
de ces deux aspects, car on aboutit soit à un acte idolâtre en
divinisant un objet, soit à la sécularisation de la Parole de Dieu
en l'assimilant à une œuvre humaine. La situation du prédi¬
cateur serait donc assez désespérée, s'il se sentait lié indistincte¬
ment à l'ensemble des textes scripturaires, puisqu'il se voit
bien obligé de distinguer entre l'élément humain et l'élément
divin, mais sans arriver à les séparer toujours nettement. Mais
l'Ecriture elle-même nous oriente vers un point culminant où
la révélation gagne avec son caractère de plénitude également
son autorité
Dieu vivant absolue.
au momentLa Bible
où l'Ecriture
devient pour
nous nous
mène Parole
à la ren¬
du

contre de Dieu en la personne de Jésus-Christ qui incarne


la révélation. Celle-ci ne peut plus être considérée comme
« inverbation » — sit venia verbo —, mais comme « incarna¬
tion ». Si le principe scripturaire nous renvoie aux Ecritures,
les Ecritures nous renvoient à leur tour infailliblement à
Jésus-Christ. Parce qu'il est la Vérité, on croit en Lui et croire
en Lui, c'est le suivre. Son Evangile, codifié dans le N.T., est
alors plus qu'une Ecriture. Il est l'annonce du Boyaume, annonce
qui se prolonge dans la prédication des apôtres, c'est-à-dire
dans leur témoignage vivant, démontrant que le Christ est
PRINCIPE SCRlPTURAlRE ET SON APPLICATION AU MINISTÈRE 225

présent et poursuit son œuvre dans l'action de l'Esprit-Saint.


Le N.T. renvoie lui-même en arrière vers l'A.T. qui révèle Dieu
comme le Dieu de l'histoire préparant son peuple à la mission
de donner au monde le Sauveur et il ouvre la perspective sur
l'avenir de l'Eglise qui sera l'histoire du Règne du Christ, Règne
caché encore, mais réel, car si les temps sont accomplis, le
Royaume doit se développer en silence, tout comme le racheté
est appelé à croître pour s'approcher par l'œuvre du Saint-
Esprit de la stature parfaite qui a en Christ, le premier-né de
la nouvelle création, son modèle. Si la prédication a sa norme
dans la révélation biblique, centrée en la personne du Christ,
elle a sa source d'inspiration également dans tous les faits qui
témoignent de la présence et de la puissance du Christ, chef
invisible de l'Eglise. Car si la Parole de révélation se confine
strictement dans les Ecritures, la Parole-acte du Dieu éternel
ne peut se limiter, il faudrait autrement, nous le répétons, que
le Dieu-Esprit changeât de nature, mais ce n'est que son mode
d'action qui change, et s'étant si visiblement rapproché du
monde en Jésus-Christ, son action ne doit pas être moins
sensible.

Si nous comprenons maintenant le principe scripturaire


dans ce sens qu'il nous affranchit du règne de la loi et de la
lettre pour nous engager d'une manière d'autant plus stricte
à nous conformer à l'esprit de l'Evangile et à rechercher les
facteurs constitutifs, les principes fondamentaux de la vie
chrétienne, l'examen attentif de la communauté chrétienne
primitive nous fait découvrir dans le sacrement eucharistique
le foyer de sa vie cultuelle. La Cène n'est sans doute pas encore
communion avec une substance céleste, mais à travers les élé¬
ments communion avec le Christ, un Christ qui veut entrer
dans notre vie nous donner l'assurance de sa présence et s'offrir
à nous comme Seigneur et Sauveur, comme il s'est offlert en
sacrifice pour nous à la croix. Ce n'est pas nous qui frappons
pour ainsi dire à la porte du ciel en tournant le dos au monde,
c'est Lui qui frappe à notre porte pour demander que nous le
recevions. Si dans le protestantisme, la sainte Cène a été dans
une si large mesure dépossédée à l'avantage de la prédication,
il ne s'agit certes pas maintenant de déposséder la prédication,
mais de lui donner son complément nécessaire, complément qui
revêt ce caractère de Parole-acte que revendique la Parole de
Dieu, qui, de ce Jésus qui a prêché l'Evangile, nous ramène
auprès du Christ présent, et qui assure de ce fait à la prédication
une plus grande efficacité, parce que le sacrement rend en
226 revue d'histoire et de philosophie religieuses

quelque sorte toujours à nouveau à l'Eglise son chef, reconstitue


son unité et tourne en même temps son regard vers le monde
où il s'agit
Christ. Maisdesi combattre
elle doit avoir
le bon
cetcombat
effet, ilsous
fautlarestituer
bannièreà du
la
sainte Cène son vrai sens, effacer si possible l'opprobre qui lui
adhère, qu'en raison des doctrines qui diffèrent, elle est devenue
le sacrement qui a désuni l'Eglise et les divise. Autant que le
sacrement, la prédication a besoin de se libérer des liens qui
pourraient l'enserrer trop étroitement. Bien compris, le principe
seripturaire la met au large. Il place le prédicateur sous les
ordres du Christ et le Christ l'engage non pas à prêcher sur le
texte de toute la Bible, mais à annoncer l'Evangile et il cher¬
chera l'Evangile là où il se trouve. Si la Bible tout entière inté¬
resse le théologien, de larges parties ne sont pas matière à
prêcher. La tâche de dégager des textes qui restent le portrait
véridique du Christ et le contenu authentique de l'Evangile sera
encore assez lourde. Pour y suffire, nous devons recourir à l'aide
de la science théologique, et comme Paul pour interpréter des
textes a usé des méthodes de son temps, nous nous servirons de
celles qui de nos jours se sont avérées indispensables pour
l'étude historique et la critique littéraire. On interrogera les
textes bibliques aussi consciencieusement que possible au sujet
de leur authenticité, de leur contexte, de la situation historique
qu'ils supposent, etc., pour voir en quoi ils avaient jadis leur
actualité. Pour la plupart du temps, il est à présumer que ce qui
a rendu une vérité biblique actuelle, conserve cette qualité à
travers les âges, parce que la Parole de Dieu touche l'homme
dans la profondeur de son être où il ne change pas. Mais il y
a une actualité qui concerne l'application de cette vérité, la
question de savoir qui, où et comment elle touchera l'homme
d'aujourd'hui. L'intuition de ce sens actuel ne jaillit pas de
l'étude exégétique et historique. Là intervient sans doute l'expé¬
rience religieuse personnelle. Cette expérience a en dernière
analyse sa triple source en ce que les anciens appelaient la
meditatio, la tentatio, Yoratio. Le texte médité n'est pas seule¬
ment le texte bien interprété selon les méthodes les plus appro¬
priées de l'art exégétique et mis en rapport au centre de la
révélation, conformément au principe christocentrique, mais
appliqué à toute ma personne, vu à travers ma vie, mon destin,
mes besoins et ceux de mes contemporains. La tentatio n'est pas
celle de l'anachorète, du mystique ou encore du savant retiré
dans la tour d'ivoire de sa science, mais celle que subit l'homme
qui essaye de vivre courageusement sa vie de chrétien au milieu
PRINCIPE SCRIPTURAIRE ET SON APPLICATION AU MINISTÈRE 227

de ce monde et dont l'expérience mûrit dans l'épreuve. U oratio


c'est le contact vivant avec le Seigneur, toujours à nouveau
recherché par la prière. Pour être bien inspirés, nous ne faisons
pas tant appel à un Esprit-Saint qui sommeillerait pour ainsi
dire dans ce substrat littéraire de son œuvre d'autrefois qu'est
l'Ecriture, mais à cet Esprit qui signifie la présence du Christ
parmi nous. C'est du sentiment d'être en accord avec le Christ,
chef de son Eglise, que devrait nous venir l'inspiration pour
qu'il nous fasse sentir où en ce moment et comment la respon¬
sabilité de l'Eglise se trouve engagée dans la grande lutte des
esprits. A cet effet, il faut que nous nous tournions dans un acte
de condescendance vers le monde pour nous placer au bout de
la tradition vivante à ces points exposés où, pour parler au sens
figuré, le Christ lutte et chemine sous l'habit du pèlerin inconnu
pour mener au terme voulu l'œuvre accomplie en principe sur
la croix. Autrement dit, pour obtenir une réponse valable de ce
Dieu qui se tient derrière la Parole écrite, il faut que nous aussi
nous assumions ce monde dans sa misère, afin de pouvoir im¬
plorer Dieu sincèrement. La prédication exige ce double mouve¬
ment que de la part de l'humanité qui lutte et qui souffre nous
nous tournions comme son représentant vers Dieu pour qu'il
réponde à notre détresse, et que, de la part de Dieu et de sa
Parole, comme témoins de la Vérité qu'elle contient, nous nous
tournions vers l'homme de notre temps. L'interprétation inspirée
ou « pneumatique » n'est pas une exégèse qui élaborerait du
texte son sens suprahistorique et éternel, comme on l'a demandé,
mais juste ce sens actuel, celui qu'il prend en ce moment où,
force vivante, la Parole veut entrer dans la vie de ce monde
pour la transformer et la régénérer. Il entre alors toujours un
élément nouveau dans l'interprétation des textes, dû à l'action
de l'Esprit-Saint, quand il daigne visiter le prédicateur. L'intui¬
tion lui permet de tirer du texte plus que dans sa forme primi¬
tive il semblait vouloir dire ; il ne dit certes pas autre chose,
mais il le dit d'une manière nouvelle et inattendue, la prédication
redevient « Bonne Nouvelle ». Cela est possible, parce que la
Parole divine n'est pas un résidu figé, mais une entité vivante
et dynamique, et tout ce qui est vie se renouvelle.
Par ce que nous venons de dire, le principe de la fidélité
au texte ne doit pas être mis en cause. La prédication sera
scripturaire dans ce sens encore que la voie est tracée au minis¬
tre de là Parole par celle qu'a suivie la révélation biblique
elle-même, voie reliant le but au chemin et menant de la loi à
l'Evangile. C'est l'obéissance qui conduit à la liberté. La loi
228 REVUE d'histoire et de philosophie religieuses

pour le prédicateur, c'est l'obligation à l'étude biblique la plus


sérieuse et la plus soutenue, à l'effort de connaître le contenu
de la révélation scripturaire d'une manière toujours plus ample
et plus pénétrante pour suivre son mouvement, saisir le sens
de ses démarches, s'enraciner plus solidement dans son centre.
Le prédicateur ne sera jamais assez homme de la Bible. Sous
ce rapport, les études bibliques ne pourront être poussées assez
loin. Mais ce travail déjà affranchit d'une conception trop
rigoriste du principe scripturaire. L'Eglise elle-même est entrée
dans la voie des concessions en proposant aux prédicateurs un
choix de textes qui, à son avis, résument le mieux le contenu
de la révélation. Il y a en effet des textes de l'A.T. sur lesquels
on ne pourrait prêcher soit qu'en faussant leur vrai sens, soit
qu'en trahissant l'Evangile. Un travail critique et systématique
considérable a été nécessaire pour mettre en évidence la
substance de la révélation, alors que les esprits naïfs et sectaires,
qui ne sont pas rompus à cette discipline de la pensée, s'égarent
facilement dans les Ecritures comme dans un labyrinthe. Le
théologien apprend, lui, à choisir les textes pour y retrouver
l'Evangile, il les oriente vers l'Evangile, les complète ou en
élargit le sens, s'il le juge nécessaire. Encore que bon nombre
de textes ne nécessitent pas seulement la traduction d'une langue
étrangère dans la langue parlée par les croyants d'aujourd'hui,
mais il s'agit de traduire le fond d'une pensée des formes
d'une civilisation, avec sa manière de voir, de juger, de sentir,
dans celles de notre époque. Tant de difficultés qui précisément
ont donné lieu au développement d'une si importante science
biblique spécialement adaptée à l'étude des textes scripturaires
peuvent
le caractère
dérouter
d'évidence.
le laïque
Faut-il
et risquent
dans cesd'enlever
conditions
auxlier
Ecritures
à tout

prix le prédicateur aux textes scripturaires ? Nous croyons que


les raisons qui militent en faveur de cette exigence doivent
l'emporter, en ce qui concerne la prédication cultuelle, sur
l'objection que cette loi n'offre aucune garantie sûre qu'un
sermon roulant sur un texte biblique prêche aussi l'Evangile.
Mais on doit se demander, pour plus d'une raison, si cette
prédication cultuelle, telle qu'elle s'opère encore en plein xxe
siècle, comme si depuis 400 ans rien n'avait bougé dans le
monde, peut être considérée comme la seule forme légitime sous
laquelle l'Evangile doit être annoncé aux hommes. S'il est juste
que dans une large mesure l'Eglise a perdu le contact avec le
monde réel et que, partant du monde de la Bible pour aller à la
rencontre de l'homme moderne, il arrive au prédicateur qu'il
PRINCIPE SCRIPTU RAI RE ET SON APPLICATION AU MINISTÈRE 229

manque le but, n'est-il pas légitime qu'on essaye de faire le


chemin dans le sens inverse pour partir, en se libérant des
exigences que pose l'interprétation d'un texte, de la situation
concrète de l'homme d'aujourd'hui pour rejoindre ainsi les
vérités éternelles de l'Evangile ? Car ce monde est aussi le
monde de Dieu. Ce chemin n'est viable, bien entendu, que si
l'Evangile biblique reste la norme et que l'interprétation fidèle
de cet Evangile nous donne une vision toujours plus pure de
ces vérités et une notion plus précise de ce que le Seigneur nous
demande. On ne peut donc pousser assez loin la connaissance
de ce monde et de cet homme qui est notre frère et c'est l'amour
chrétien qui nous donne les yeux pour voir et pour comprendre.
Ce chemin parait d'autant plus justifié que, si la loi, comme
nous venons de le dire plus haut, mène à l'Evangile, l'Evangile
affranchit de la loi, et l'obéissance à la lettre des Ecritures nous
conduit à la liberté en Christ. C'est précisément en allant
jusqu'au bout du chemin de la loi, comme Paul, en essayant de
ne tabler que sur ce que nous apporte comme résultat la pure
science, que nous échouons. Le prédicateur, lui aussi, et lui en
premier lieu, n'est justifié que par la foi. Ce qui sauve notre
prédication et en fait un moyen de salut pour les autres, ce n'est
pas l'œuvre, le travail le plus acharné sur le plan des différentes
disciplines théologiques, mais le don de la foi qui fait de notre
prédication un témoignage, le fait que le Christ s'est révélé à
noùs. Le but de tout ce travail ne peut être que de préparer le
chemin à celui qui vient. Mais s'il est juste que la foi qui nous
lie au Christ nous délie de toute autre loi, l'obligation qui nous
lie à un texte ne peut plus avoir la signification d'une loi absolue,
ce n'est donc pas davantage la conformité parfaite au texte qui
fait
à travers
d'une elle
prédication
la voix Parole
du Christ.
de Dieu, mais que nous entendions

La prédication de l'Eglise témoigne-t-elle de cette liberté en


Christ, et savons-nous y conduire ceux qui s'engagent dans la
voie du ministère de la Parole ? L'étudiant en théologie est
renseigné sur les difficultés mentionnées, sait-il également les
vaincre, surtout qu'elles sont en partie d'ordre pratique ; si les
études tendent à faire de lui un homme de la Bible, réussissent-
elles aussi à lui apporter la connaissance de ce monde actuel,
ne sont-elles pas souvent trop orientées vers le passé sans suffi¬
samment se soucier du problème d'examiner comment le passé
nous a valu juste ce présent ? Il est vrai que la pratique fait
seulement le vrai pasteur, cependant, au début de cette pratique,
où il doit lutter avec tant de difficultés, ne se sent-il pas souvent
230 REVUE D'HISTOIRE ET D.E PHILOSOPHIE RELIGIEUSES

laissé seul, et c'est alors que la routine le guette. Rien ne rem¬


place l'expérience intérieure approfondie, sans elle, tous les
moyens de renouveler le message biblique demeurent vains ;
les consécrations hâtives ne coïncident pas obligatoirement
avec la consécration d'en haut, et les signes de l'autorité ne
confèrent pas l'autorité réelle. Il semble qu'en face des formi¬
dables moyens de publicité et de propagande dont se sert l'esprit
φι
de contact
siècle, l'Eglise
avec le amonde
compris
et de
la nécessité
varier lesde
formes
multiplier
et les ses
méthodes
points
de son enseignement. Pourtant, dans le domaine de la prédi¬
cation, ne reste-t-elle peut-être pas encore un peu trop crainti¬
vement attachée, nous ne dirons pas à la révélation ou aux
vérités ou aux exemples bibliques, mais à la matière scriptu-
raire ? Il est sans aucun doute urgent de réapprendre au peuple
protestant à lire la Bible avec intelligence et intérêt par l'orga¬
nisation des cercles de lecture et d'étude biblique. Cependant,
la Bible ne lui est-elle pas devenue étrangère, en partie au moins,
parce qu'on a laissé se creuser un trop grand vide entre le passé
et le présent, sans penser à s'appuyer sur les valeurs de la tradi¬
tion qui relie l'un à l'autre. La Bible a rempli auprès du peuple
d'Israël une double fonction, d'un côté comme livre de la révé¬
lation divine, et de l'autre côté comme livre réunissant les
témoignages de ceux qui avaient à se louer des bienfaits de Dieu
à leur égard. En continuation de ce livre de témoignages qu'est
aussi l'Ecriture sainte, une histoire n'aura-t-elle pas place, qui
ne montre pas seulement comment les différentes Eglises chré¬
tiennes se sont constituées, séparées et combattues, mais, très
simplement, comment, dans toutes ces Eglises, en dépit des
divergences souvent assez profondes d'ordre constitutionnel et
doctrinal, l'Evangile s'est avéré comme puissance victorieuse et
régénératrice ? C'est de ce témoignage encore que la prédication
veut se nourrir, car la foi réclame un Dieu présent et le N.T.
affirme une présence divine. La présence du Christ ou l'action
du Saint-Esprit, il est vrai, ne se démontrent pas publiquement,
elle est affaire d'expérience personnelle. Voilà pourquoi aussi
cette nouvelle Bible ne s'écrit pas si vite. Chacun doit donc se
constituer lui-même ce trésor de témoignages et d'expériences
valables pour lui, afin de pouvoir y puiser. Mais là encore, nous
touchons au caractère personnel et charismatique du ministère
pastoral.
Il y aurait certainement encore beaucoup à ajouter à ces
remarques qui ne donnent qu'un aperçu très rudimentaire sur
le problème évoqué, elles suffiront au moins pour nous faire
*

PRINCIPE SCRIPTURAIRE ET SON APPLICATION AU MINISTÈRE 231

comprendre en quoi le jugement de Goethe, duquel nous som¬


mes partis, est erroné, en quoi il paraît fondé. L'image est
certainement fausse en tant qu'elle définirait la véritable tâche
du prédicateur, elle est assez pertinente en cela qu'elle caracté¬
rise un fait qui se réalise chaque fois que l'exercice de la
prédication se trouve plus ou moins dégradé au niveau d'un
art ou d'une pratique routinière. La foi vit du sentiment d'une
présence divine ; l'eschatologie chrétienne est une eschatologie
déjà amorcée. Or, si le sacrement affirme la présence du Christ,
seule la
efficace. prédication
Mais si le sacramentarisme
donne à cette présence
est une son
fuitesens
devant
et son
la

responsabilité du serviteur engagé, la prédication est, elle aussi,


une arme à double tranchant. En réalité, le principe scripturaire
veut affranchir et non enchaîner, il est une loi qui doit mener
à la liberté. Le but des études théologiques est donc de déblayer
le terrain en vue d'une aventure plus grande, la rencontre avec
le Christ présent. Cependant, c'est là que se produit alors
fréquemment le court-circuit fatal. Les examens théologiques
ne sanctionnent que le succès des études faites en quelque sorte
sous le signe de la loi, ils ne peuvent signifier la consécration
du prédicateur. Sa véritable formation se poursuit et s'achève
dans la pratique et par l'expérience, mais cette période de
transition délicate demande des ménagements, des directives,
des surveillances, des possibilités de réflexion et de concentra¬
tion. Il ne faut pas que les exigences d'ordre intérieur soient
sacrifiées à des nécessités extérieures. Trop vite lancés dans
une activité chargée de toutes les responsabilités, les jeunes
ministres de la Parole risquent d'adopter une attitude de fausse
défense en face d'un monde incompris, s'ils ne subissent pas
tout simplement son emprise. C'est à la fois à l'Eglise et aux
facultés de Théologie de veiller à ce que l'exercice de la prédi¬
cation ne soit pas livré à la routine qui, dans notre monde
actuel avec son rythme de vie effréné et son esprit mécaniste,
menace de plus en plus toute action libre. Autrement Goethe
aurait eu raison de plaindre les bons hommes de la chaire.

Université de Strasbourg. Pierre SCHERDING.

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