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COLLOQUES INTERNATIONAUX DU CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE Sciences Humaines WITTGENSTEIN ET LE PROBLEME D'UNE PHILOSOPHIE DE LA SCIENCE AIX-EN-PROVENCE, 21-26 JUILLET 1969 SDITIONS DU CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE 15) QUAL ANATOLE-PRANCE — PARIS Vit 1970 4 EME. D'UNE, PINILOSOPHIE DE LA SctENCE» organisé dans le cadre des Colloques Internationaux du Centre National de la Recherche Scientifique, & Aix-en-Provence, du 21 au 26 juillet 1969, par Monsicur G. Granoer, Professeur a la Faculté des Lettres d’Aix, ct publiés dans la Rerue Internationale de Philosophie, 23¢ année, 1969, fase, 2-3, 1 88-89. © Cenre National de la Recherche Scientifique, Paris, 1970, WITTGENSTEIN ET LE PROBLEME D'UNE PHILOSOPHIE DE LA SCIENCE Les textes qui suivent constituent les Actes d'un Colloque international du Centre national de la Recherche scientifique (France), organisé par le Séminaire d' Epistémologie de ta Faculté des Lettres et stiences hu- maines d' Aixeen-Provence, du 21 au 26 juillet 1969 ('). En en prenant Uinitiative, on a souhaité contribuer au développement qui Stannonce, en France, des Etudes willgensteiniennes, et d'une assimilation critique de Uhéritage du phi Gilles Gaston Graxcer. PARTICIPANTS AU COLLOQUE Prof. M. Buack Cornell University, Hhaca (Etats Unis) Prof. J. Bouveresse Faculté des Lettres de Paris-Sorbonne Prof. M, Cuaveun Faculté des Letires de Rennes (France) Prof. Ph, Devaux (*) Faculté de Philosophie et Letires, Uni versité de Lidge, 3 Place Cockerill, Litge (Belgique) Prof. G. Grancex. Faculté des Lettres d'Aix en Provence (France) Prof. J. Harter Uni d’Aathus (Danemark? Prof. B. F, McGutvess ‘The Queen's College, Oxford (Grande Bretagne) (1) Nous remercions te CNRS qui bien voulu permettre Ia publications de ces ce sous forme d'un numéro de Is Revue intrmationale de Philamphi, et advection de fextie Revue, qui nous a proporé cet arrangement, (2) Le Profaseur Devaux, empéché, n'a pu paniciper au Colloque. 8 LISTE DES PARTICIPANTS AU COLLOQUE Prof. Mi! C. Invent Ecole Normale Supérieure de Jeunes Filles, Paris Prof. J.-C. Paniewre Faculté des Lettres cle Clermont-Ferrand (France) Prof. A. R. Raocto Université de Cérdoba (Argentine) Prof. E. K. Spectr ‘Université de Bonn (Allemagne Fédérale) Prof. J. Vurutemin Collage de France, Paris, Prof. G. HL von Warcirr Suomen Akatemia, Helsinki (Finlande) Secrtaves scientifiques: Mee Francoise Ricorur et Elisabeth Scrwanrz, assistantes-agrégées Ala Faculté des Lettres d’Aix en Provence M. Philippe N'Guven Van Maw, Collaborateur technique C.N.RS Séminaire d'Epistémologie de la Faculté des Lettres d’Aix en Pro- Secrtaivesinterprdte: 'M. Jacques PLaanpon, Département de Philosophie, Faculté des ‘Ants, Université de Sherbrooke, Québec Les Communications sont ici imprimées dans leur texte original, alle- mand, anglais ou frangais. Elles sont suivies d'un compte-rendu résumé de Ia ‘discussion, en frangais, bien que les langues de travail du Colloque t &té anglais et le frang PHILOSOPHY OF SCIENCE IN THE TRACTATUS by B. F. McGUINNESS The Tractatus was clearly much influenced by writings on the philosophy of science, notably by those of Hertz. Indeed Wittgen- stein is said to have thought that Hertz’s name ought to have been added to those of Frege and Russell as one of the ‘begetters* of the book. To be sure, such ancedotes do not prove very much he also spoke of Paul Ernst, a figure now little known outside Germans speaking lands, as a name that ought to have been mentioned. And there are other influences of great importance—Schupenhiatter, for example — if not quite so many as the more imaginative expo nents of Quellerforschung have been able to discover : Hic liber est in quo quaerit sua dogmata quisque, Tnvenit et pariter dogmata quizque sua. But to return to Hertz: many excellent discussions — 1 will _signalize only that of Mr. J. P. Griffin — have brought out just what Wittgenstein got from him. Hertz thought that our minds were capable of making pictures or representations of reality and in such a way that the possible variations or alterations of the clerients in the representation faithfully mirrored all the different possibilties for the physical system in question. Witigenstei 1 generalized this and took it not merely for an account of how natural science was possible for us but for something much more general, an account of how thought and language were possible. This was one respect in which the human race could not err: we can indeed say false things, but they are at any rate false. We can often not be sure that they are true: we can always be sure that they are either truc or false, This insight — the i thar there was a framework within which the world was contained, the knowledge of which framework was logic, that logic, in this 36 EK. SPECHT M. Buaew : En effet, tout ceci est lié A une idée primitive de lespace. Nous ne pouvons méme pas imaginer une vie sans ces néeesiitts. M, Rowvenrss.: Que devient Ia présentation axiomatique telle qu'on la trouve chez Hilbert. Des deux axiomes xy = (Px) = POD)s fon déduit la symétrie et la transitivité de Tidentité. Quel rapport exact I entre les conventions primitives et les conventions dérivées ? Crat-A-dire quel ext le statut des régles d'inférence, quelle cat Ia mature du passage des “conventions originaires” aux “conventions dérivées" ? M, Bux: La logique pure et simple. M, Seecier ae tion A Monsieur Black imerais maintenant poser une question cur Black, concernant vente Nowsomoes accords Fe pro et wander. Mais comment changer une expérience en standard ? M. Bivwe 1 y a en effet des cas explicites, mais le probleme résout les autres cas, estalire les eas synthétiques, Le seul fait qu’on les maintienne absolument est pas suffsant. Par exemple, certaines propositions empiriques seront rmaintenues plus longtemps que d'autres qui sont @ prieri: on abandonnera plutat telle propriété de lespace (comme le recouvrement d'un triangle Ssocéle par lui méme) que Ia proposition "je suis vivant". BERGSON ET WITTGENSTEIN par JC. PARIENTE, 1 Un philosophe n'est pas irrationaliste par cela seul qu'il reconnatt qu'une partie de Ja réalité échappe aux prises de I'entendement et quill existe de I'inconnaissable ; Descartes ou Kant ont mime pu se donner pour tache de définir les limites de la raison sans ccesser d’étre et de passer pour des rationalistes. Dans I’ Essai sur les données immédiates de la conscience (1889), Bergson concluait & "ineffabilité de la durée et de tout ce qui reléve delle, en particulier Vindividualité et la liberté; il n’aurait peut-tre pas pour autant 4té considéré comme un penseur romantique et quasiemystique si, d’une part, on ne tenait pas les théses de I"Exai pour une simple préfiguration de celles de I'£oolution cratrice (1907) et des Deus sources de la morale et de {a religion (1932), et si, d’autre part et surtout, on évitait de couper les conclusions de leurs prémisses et de ne retenir du premier bergsonisme qu'une image singuliérement muti lée. Les conclusions de I'Essai ne sont pas, en effet, posées arbi- trairement ; elles ne résultent pas d'une intuition incontrétable, ais elles se fondent sur une analyse cohérente des conditions de possibilité d'un discours signifiant : si Bergson affirme Mineffabilité de la durée et des réalites qui lui sont liées, c'est parce qu'il découle de cette analyse qu’aucun discours ne peut & la fois les prendre pour objet et présenter un sens. On s’efforcera ici de reconstituer cette analyse et d’en éclairer la logique en la confrontant avee celle du Tractatus ; mais on ne ménera pas cette confrontation sans espérer qu’clle contribue en retour & mettre en évidence les lignes de force et originalité du Tractatus Telles qu'elles viennent d’étre rappelées, les conclusions de I" Essai posent une question délicate, Considérons seulement le cas de la 38 JG, PARLENTE liberté : Bergson ne cherche ni & la définir ni A en démontrer la réalité, Il éablit au contraire qu'on ne peut pas la définir et qu'on doit se borner & Ia constater (!) ; elle ne fait probléme que lorsqu’on essaie de« rendre I'idée de liberté dans une langue od elle est evidemn- ment intraduisiblen (p. 166): c'est en ce sens que la liberté est ineffable. Mais il est constant que la liberté n’est pas simplement ineffable, et qu'elle est objet de discours en ceci au moins que Bergson dit qu'elle cst ineffable. Ne doit-on pas se demander si pour étre pleinement d’accord avec lui-méme, Bergson n‘aurait pas dd observer tun silence total sur la liberté? et lexistence du troisi¢me chapitre de I’ Esai : « De Porganisation des états de conscience. La liberté», ne met-elle pas aussi gravement en danger les théses mémes. qui y sont défendues que le font les affirmations du Tractatus sur le langage pour la théorie de la proposition comme image ? Comment peut-on done valablement dire de Ia liberté ou, en général, d'un objet A quiil est ineffable, c'est IA un des problémes les plus difficiles que pose I'Exai. On accordera en effet que Mineffabilité n'est pas une propriété qu’on puisse ajouter sans précaution aux autres propriétés qu'on a déa attribuées & A, comme la rondeur ou la petitesse. Un énoncé comme «A est rond, petit et ineffable» est un non-sens parce que attribution des deux premitres propriétés présuppose cela méme qu’exclut attribution de la troisitme: qu’on peut dire quelque chose de A. Un tel non-sens ne se confond pas avec la contradiction qu'il y aurait & affirmer que A est rond, petit et grand (ou carré) : dans ce cas, les propriétés attribuées & 4 seraient sur le méme plan mais incompatibles entre elles. Entre «ineffable» et « petite il y a une différence de plan qui vient de ce que le prédicat de petitesse est accordé ou non a A en vertu d'une comparaison entre A et d'autres objets du monde, tandis que le prédicat d'ineffabilité est ou non en vertu d'une comparaison entre A et les ressources descriptives ou expressives du langage dont on dispose pour parler, ou essayer de parler de lui. La preuve la plus nette de cette différence de plan, c'est que « petit» exclut seulement «grand» mais n'interdit ni«rond» ni «carré», alors que« ineffable» interdit également chacun (1) CX ue, 53° 6d, Paris, 1946, p. 165: «Toute definition de ta liberté donnera tion au déterminiame> et p. 166: «La lberé ext done un fait, et, parm le fits que Yon constae, i n'en est pat de plus clair. RERGSON ET WITTGENSTEIN 39 de ces quatre autres termes. En bref, sur le plan linguistique, «A est petit» présente Ia méme forme que «A est ineffable» ; mais, sur Ie plan logique, on constate que ces deux énoncés n’ob¢issent pas aux mémes conditions : 1) parce que, si le premier est constructible dans un langage L, Ie second reléve d'un niveau métalinguistique par rapport & L; 2) parce que, si le second énoncé est vrai, il interdit que soit formé en L un énoncé quelconque portant sur A. Il est done impossible d’affirmer Vineffabilité de A en considérant tour A tour chacune des propriétés que le langage L permet de lui accorder jusqu’A ce qu'on découvre V'ineffabilité parmi alles. Dans ces conditions, comment peut-on former I’énoncé « A est in- effable ? il n’existe, semble-t-il, qu'un moyen dy parvenir : établir, en considérant sculement la fagon dont A nous est donné, qu'il ne peut faire objet d'un énoncé signifiant en L. Il est clair que les énoncés concernant les conditions dans lesquelles A nous cst donné ne doivent pas étre formulables dans le langage L: sans quoi, on se heurterait A nouveau aux difficultés signalées dans le parag phe précédent quand on affirmerait I'ineffabilité de A en L. Si Von considére ce point comme accordé, le processus conduisant a l’énoncé «A est ineffable» pourrait se décomposer de la maniére suivante : 1) on établit les conditions dans lesquelles A est donné ; 2) on établit qu’elles sont incompatibles avec les conditions dans lesquelles les énoneés de L ont un sens ; 3) on conclut que A est ineffable en L. Il semble que ce soit un processus de ce genre qui est & l'ccuvre dans aphorisme (1) 4.1212 du Tracfatus : «Ce qui peet etre montré ne peut pas etre dit» ; Wittgenstein affirme que la forme logique de la proposition ne peut pas étre dite parce qu'elle se donne par monstration et qu'il y a incompatibilité entre la monstration et Vénonciation. On voudrait établir que Bergson suit dans I'Essai une démarche tout A fait proche de celle de Wittgenstein. 2) Nous euivons tet une auggention terminologique de Mr. in, Pari, 1969, p. 22 3» Granger ef. Wittgene 0 JC. PARIENTE, u Crest sur le plan du concept, et non de I"énoncé, que se situc In problématique de I'Essai, La question de savoir si un énoncé est signifiant s*identifie & celle de savoir si une relation peut étre établie centre le sujet et le prédicat de cet énoneé. Pour résoudre ce pro- blame a son niveau le plus général, il faut définir les conditions de application des concepts aux objets; cette tache accomplic, fon possédera un critére permettant de déterminer si le concept P est applicable & l'objet S: si oui, Pénoncé ott le nom de S figure Comme sujet et P comme prédicat aura un sens; si non, ce méme énoncé sera un non-sens. Il n'est donc pas surprenant qu’on trouve dans I’ Exai les éléments principaux d'une doctrine, d'ailleurs tra- ditionnelle, du concept. Sur ce point, le seule originalité de Bergson réside dans la forme polémique et ctitique qu’il donne & la présentation de ccs éléments, Quand il reproche au concept d’étre «banal», «brutal», d'écraser la sensation & laquelle il est appliqué, il ne fait que reconnaftre existence de lextension des concepts ; si ces reproches sont meérités, est en effet parce que les concepts se différencient des termes singulicrs en ce qu’ils valent pour une classe d’objets, et non pour un objet unique : dés lors, ils n'ont pas pour fonction de représenter un objet dans les moindres nuances de sa singularité, Mais on re voit pas de quelle utilité serait un élément de représentation itérable A tous les membres d’une classe si, en passant d’un membre AVautre, cet élément se modifiait ; nous ne nous servons des concepts que parce que nous sommes assurés de leur invariance : c'est elle qui s'exprime dans leur compréhension, c’est-A-dire dans la présence d’un nombre défini de traits pertinents propres A chaque concept et le différenciant des autres, Bergson fait allusion & cette seconde caractéristique des concepts quand il parle de leur stabilité, de leur fixité, ct, plus particuligrement, quand il insiste sur la nettcté avec laquelle les concepts se distinguent les uns des autres. Car C'est 18 un des points sur lesquels Bergson revient le plus fréquem- ment : la pensée conceptuelle est lide & la possibilité de distinctions tranchées ; et, si nous ne pouvons recourir a elle dans l'appréhension des données immédiates de la conscience, c'est que ces données se résentent & nous selon des modalités qui n’excluent pas la distinction, puisqu’elles possédent un certain type de multiplicité, mais qui excluent les distinctions nettes, RERGSON ET WITTGENSTEIN 41 Sur la nature du concept, Ia doctrine de I'Etsai ne manifeste donc point d’originalité. Le bergsonisme proprement dit commen: ce avec la réponse qu'il donne A la question de appli concepts: quels sont les caractéres que Ia réalité doit présemter Pour que nous puissions l'exprimer & l'aide de concepts? car "Essai se propose d'établir que toute réalité qui se laisse exprimer par concepts est de nature spatiale. Comment se présente alors ta spatialité? Pour bien comprendre I'analyse qu’en donne Bergson, il semble utile de partir de la distinction qu'il introduit entre Vespace ct Métendue. Liétendue, c'est le milieu dans lequel se déplace l'animal qui parcourt plusicurs kilometres pour regagner sa demeurc ; c'est @galement le milicu dans leque! nous distinguons spontanément notre droite de notre gauche, alors méme que nous échouons & les définir abstraitement. L'étenduc n'est done pas lie & "homme, mais elle reéve du vivant en général. Sans étre absolument hété- rogéne, comme le sera Ia durée, elle envelope des differences qualitatives dont la perception constitue le fond de notre expérience du monde (Essai, p. 71-72). Le lien qu'elle entreticnt ave a qualité distingue rigourcuscment Iétendue de l'espace, car lespace a pour traits essentiels d'etre un milicu homogine et indéfii «Il n'y aguére d’autre définition possible de lespace : c'est ce qui nous permet de distinguer une de autre plusicurs sensations identiques et simultanées» (op. cit., p. 70-71), Méme si l'on n'est pas sir de comprendre clairement & quelle expérience Bergson fait ici allusion, le sens de son propos est assez net: les sensations sont identiques afin de ne point sc distingucr les unes des autres par des diflérences de qualité, elles sont simultanées afin que soit écartée la possibilité de les distinguer dans le temps; si, dans ces conditions, nous réussissons quand méme A les dlistinguer, c¢ ne peut étre qu’en les situant chacune en un point défini de Mespace. Et deux points de espace, non de l'étendue, n’ayant pas d’autre relation que d’étre différents l'un de autre tout en étant simultanés, placer les objets dans espace revient & instaurer entre eux tin rapport dextériorité réciproque en quoi consiste In différence & l'état pur ou, plus exactement peut-étre, dans sa forme vide. Si elle est vide de contenu, la différenciation qui se réalise dans l'espace offre en revanche Mavantage de se laisser pousser aussi loin qu'on le désire : tant indéfiniment divisible, espace permet en effet de resserrer toujours davantage les mailles du filet dans lequel nous captons 2 IoC. PARIENTE, les objets, de constituer des syst#mes de référence aussi fins qu'on le souhaite. Arrétons-nous maintenant & l"homogénéité, En tant qu’homogene, espace n'admet pas les différences qualitatives, Mais 'homogéndité lement responsable d’une autre propriété de espace, son p. 73). L'importance de cette propriété pour la question qui nous occupe apparaltra mieux plus loin ; disons simple- ment ici que c’est elle qui permet A Bergson d’écrire sans métaphore que le temps de la physique est un espace (*). C'est qu’il ne saurait y avoir plusieurs milieux homogénes et différents les uns des autres : pour differ, ils devraient se distinguer par quelque qualité, et, Sils présentaient des qualités, ils cesteraient d'etre homogénes, Lihomogén¢ité dans I'Essai, cfest plus que Tuniformité dans la qualité, c'est l'absence de toute qualité (p. 73), car au fond, pour Bergson, la qualité est incompatible avec I'uniformité. Quand on pergoit la vigueur, on dirait volontiers la brutalité, avec laquelle Bergion use de cette opposition entre qualitatf et spatial, on est surpris que sa pensée ait pu passer pour indécise ou floue. Quoi qu'il en soit, il résulte de cette analyse que espace est le milicu dans lequel, et dans lequel seul, des invariants peuvent se répéter. Dans la durée, en tant qu'elle est distinguée dur temps de la science, on ne peut escompter la répétition en deux instants différents d'un élément identique & lui-méme, car, en méme temps qu'il passe du premier au second instant, élément considéré se transforme. La durée est un milieu dans lequel la différenciation se cumule sans cesse avec elle-mtme, de sorte que les catégories du méme, de Videntique, de la répétition n'y peuvent aucunement avoir cours, Par son indifférence foncitre & la qualité, l'espace est au contraire propice & Videntité et & la répétition. On comprend alors sans peine la complicité et comme la conna- turalité du conceptuel et du spatial. Si le concept est un invariant itérable, il ne peut s’appliquer correctement que 1A ot il rencontre des réalités capables de rester identiques a elles-mémes tout en se répétant ; et, si de telles réalités n’appartiennent qu’a 1’¢ le langage ordinaire ne peut par conséquent exprimer que les objets donnés dans espace. «Il y a... une corrélation intime entre la (2) « Leapace employé A cet usage et précatment ce qu'on apple le temps homo- ine (ct, p. 90). RERGSON ET WITTCENSTEIN 43 faculté de concevoir un milieu homogene, tel que Vespace, et celle de penser par idées générales» (op. cit., p. 122-123). Quoique divers passages de I"Essai trahissent une certaine inquiéwude, Bergson ne s'y demande jamais franchement comment cette théorie du langage est compatible avec la rédaction d'un livre od il prétend bien tenir ‘un discours signifiant sur des réalités non-spatiales. Mais l'intention de ensemble apparatt clairement : il s'agit d'établir que nous ne pouvons former dans le langage quotidien d’énoncés signifiants que si nous parlons des objets matériels, donnés dans espace. C'est 1 Te seul eas 00 nos énoneés soient assurés d'avoir un sens, parce que c'est le seul cas 08 soient identiques les conditions de possibilité de lexpression et celles de lexprimé. La proposition douée de sens posside selon le Tractatus Ia méme forme logique que le fait dont elle ext l'image : la thése bergsonienne se rapproche singuliére- ment de celle de Wittgenstein, sil est vrai que les éléments communs ‘au conceptuel et au spatial résident dans la relation positive qu’ils entretiennent I'un et l'autre avec les catégories de lidentité et de fa répétition. Mais Wittgenstein se montre plus exigeant que Berg- son: la présence du sens ne dépend pas selon lui d'une simple affinité d’ensemble entre les mots et les choses, affirmée une {ois pour toutes et en général ; elle requiert (ef. Tractatus, 4.04) que soit vérifide pour chaque proposition Videntite de sa forme logique avec celle du fait correspondant, alors que Bergson définit une ‘condition trés large, valable pour tout concept et pour toute chose donnée dans espace. Tl n’en reste pas moins que tous les deux placent la signifiance dans une communauté de forme logique entre expression et Nexprimé, ‘Dans ces conditions, on ne tiendra pas pour une rencontre fortuite le fait que Bergson soit lui aussi amené & employer le terme d'image (Essai, p. 135) pour caractériser la représentation adéquate du réel; on verra plutét dans cette coincidence terminologique le résultat et t'indice de la convergence que nous essayons de décrire. Liusage que fait Bergson de la notion dimage se comprendra mieux si Yon suit le réseau dont elle forme I'un des noeuds. Lorsque se réalise Videntité de forme entre expression et exprimé, Bergson qualific expression d'immédiate. « Immeédiat» n'est pas dans I'Exsai symonyme de «accessible dés la premigre inspection » ou de «super- ficieln, Liimmédiateté n’est pas une qualité des choses, mais de Ja fagon dont nous es appréhendons ; et notre appréhension en est, comme le veut Pétymologie, immeédiate, lorsqu’elle se réalise “4 Je. PARIENTE, conformément & la nature de la chose appréhendée, c'est-a-dire lorsqu'elle se réalise en un milicu identique au milieu dans lequel la chose existe et qu’elle ne fait done pas appel & un milieu de re- Présentation qui serait différent du milieu d’existenee. Crest pour- quoi est dite immédiate Mappréhension de la durée sous forme qualitative (op. cit, p. 95); mais est également dit immédiat le dénombrement d'objets matéricls, puisque, pour les compter, suffit de les situer dans lespace auquel ils appartiennent dé par nature (ibid., p. 65). Au contraire, une représentation qui ne Sobtient qu’en déployant ou en projetant l'objet considéré dans un milieu différent de son milieu d’existence propre est une représenta- tion symbolique : nous ne pouvons pas nombrer les faits de con- science sans les étaler dans l'espace. Une représcntation symbolique ext donc le contraire d'une représentation immédiate ; lle n’est pas adéquate au représenté et, pour revenir au terme méme de Bergson, elle n'en est pas une image. L'exemple qui illustre cette opposition entre symbole et image ne laisse aucun doute sur la portée que Bergson lui reconnaft. Un trait reliant deux points est une image de la marche d'une armée entre deux villes: la sirmul- tandité des deux points figure convenablement celle des deux villes, et le trait peut étre aussi sinueux que l'est éventuellement le trajet suivi par l'armée, En revanche, le méme trait tracé entre les deux _mémes points ne peut étre qu'un symbole de Pactivité d'une conscience qui délibére: d'une part, en effet, pour arréter le trait, il faut se donner son terme aussi bien que son origine, et pour se donner le terme, il faut considérer la décision comme prise, alors qu'on pré- tendait figurer le mouvement méme de la délibération ; d’autre Part, le moi qui délibére se transforme sans cesse, et rien dans le schéma ne correspond A cette altération continue (il faudrait, par exemple, que notre trait change sans cesse de couleur), de méme, du reste, que rien n'y correspond & la constante cumulation de son expérience avec elle-méme (il faudrait peut-étre un trait qui aille en s'épaissisant toujours). En projetant sur lespace ce qui reléve de la durée, nous défigurons au lieu de figurer : rien détonnant dés lors si les énoncés dans lesquels nous commentons un tel schéma n’aboutissent qu’a des non-sens. Bergson ne définit donc pas expressément la proposition signifiante comme une image du fait ; mais il se conforme & une inspiration bien proche de celle de Wittgenstein puisqu’il reconnaft que 1a proposition signifiante ‘st dans son ordre ce que l'image est dans le sien, une représentation RERESON FE WITTGENNT FIN 8 dont tes conditions de possibilité sont identiques & celles de objet représenté, et puisque, & ce titre, il les oppose toutes les deux au symbole, Pris en ectte acception, le symbolisme dans I"Essai se trouve du cdté de ce que le Tractatus appelle non-sens. Sans doute, Witteen- stein distingue-t-il plusieurs espéces de non-sens, et le non-sens cles propositions portant sur des propriétds ou relations internes (4.122) pas de méme nature que celui des propositions concernant les valeurs (6.41). Mais dans l'un ot Mautre cas, il y a non-sens parce que nous avons prétendu dépeindre quelque chose qui n'est pas de V'ordre des fats. Parallélement, les non-sens que dénonee Essai ont pour origine commune la volonté d’appliquer & des faits qui relévent de la durée des concepts qui relévent de lespace. Le clivage n'est pas le méme chez les deux philosophes: il passe pour Bergson entre Mespace et Ia durée, ct pour Wittgenstein entre ce quoi convient et ce & quoi ne convient pas la catégorie du fait. Mais, cette différence aclmise, l'argumentation suit les mémes lignes de force. Tout le troisitme chapitre de I" Essai est consacré & I'analyse des non-sens que l'on profére inéluctablement chaque fois qu’on essaie de définir la liberté, Bergson n'utilise pas le terme méme de non- sens; il parle de «question vide de sens» ou de mots qui perdent «toute espéce de signification». Mais il est notable que, 4 un moment ou a un autre, il utilise ces formules & propos de chacune des trois definitions de la liberté qu'il critique successivement. Veut-on definir Vacte libre comme celui qui aurait pune pas étre accompli ? «je répondrais que la question est vide de sens» (Essai, p. 135). Si Von se tourne d'un autre cOté, we'est done une question vide desens que celle-ci: Pacte pouvait-il ou ne pouvait-il pas étre prévu, étant conné ensemble complet de ses antécédents» ? (p. 142). Lracte libre serait-il alors celui qui n'est pas nécessairement déterminé par sa cause? mais «l'idée méme de détermination nécessaire perd ici toute esptce de signification» (p. 179). Ainsi I’ Essai se termine- til par Vélucidation de quelques échantillons d'une utilisation pathologique du langage. Bergson ne se contente pas, comme le Wittgenstein du Tractatus, de poser les bornes au dela desquelles régne le non-seus ; il péndtre dans son domaine, et met en évidence Je mécanisme qui est responsable, dans chacun des trois cas discutés, de la production du non-sens. A titre d’exemple, nous le suivrons ici dans examen de la premitre 46 [-G. PARIENTE, définition de la liberté, dont nous avons déja évoqué le principe (op. cit., p. 131-137), Pourquoi est-ce un non-sens de considérer Vacte libre comme celui qui a donné lieu & hésitation, A choix entre les deux termes d'une alternative ct qui aurait pu ne pas ttre accompli? Parce que cette définition repose sur une figuration symbolique au cours de laquelle on projette la durée sur l'espace : on se représente le moi arrivant au point O et trouvant devant lui deux directions OX et OY également ouvertes entre lesquelles M il doit choisir. Mais c’est précisément 1A que se trouve Pillusion : pour le moi concret et vivant, au moment ob il traversait instant de sa durée ° figuré par le point O, les points X et Y n’avaient pas d'existence réelle, puisque Vinstant O est antérieur A I'instant od le moi accomplit l’acte X Y —— choisi; ¢ fortiori, n’étaient-ils pas nettement séparés comme deux points d’une carte, En représentant les instants par des points, nous traitons comme simultands des moments de expé- ce qui dans la réalité étaient successifs, et nous annulons I’essen- la maturation continue au cours de laquelle le moi a créé la direction qu'il a en fin de compte prise : ainsi naft le non-sens. Sur Ia base qu'il fournt, les énoneés pathologiques vont proliférer. ‘On ne pourra éviter la contradiction que pour tomber dans la tautologic. Contradiction: car si l'on presse la représent: spatiale qu'on vient de donner, on ne peut aboutir qu’au détermi- nisme (p. 134). Supposons en effet que le moi ait finalement opté pour X: si l'on veut obtenir un schéma fidéle & I’'ensemble des données, il faut done placer en O non une subjectivité indifférente, mais une subjectivité inclinant déja vers X. Das lors, méme si l'on admet que la voie OY lui reste ouverte, il lui est en réalité impossible de la prendre: la représentation spatiale de la liberté se transforme, sit0t qu'elle saffine, en représentation déterministe. Pour échapper A Ia contradiction, il faudra rétorquer que, avant que le moi se soit engagé dans Ia direction OX, il n'y avait pas de direction OX, que, par suite, il serait erroné de placer en O 'origine d’un vecteur orienté vers X. Mais c’est dire simplement que, avant d’étre accom- pli, acte ne 'éait pas (p. 137) et s'en tenir A cette tautologie. Comment s'étonner que d’un non-sens ne puisse découler aucun énoncé correct ? On voit ici 1a rigueur avec laquelle Bergson applique les résultats de son analyse, et comment il utilise la thése de I’unicité de I’espace. BERGSON FY WITTGENSTRIN Co Cette thise affirme l'identité de espace logique, celui dans lequel les concepts se distinguent les uns des autres, avec espace des choses, dans lequel se rangent les objets matériels de notre expérience, D’od il résulte que ce qui ne se trouve pas dans l'espace des choses n'admet non plus aucune relation avec l'espace logique, et ne se préte donc pas & la conceptualisation, C'est pourquoi sera non-sens tout énoncé portant sur une réalité que sa nature interdit d'wima- ginerm ; or, imagination qui est & I'eeuvre sous le langage étant de nature spatiale, ce qui reltve de la durée refuse d’étre imaginé et ne peut donner lieu qu’A des non-tens si l'on entreprend den parler. Sitdt qu’on a reconnu que quelque chose appartient & ordre de la durée, il faut renoncer & l'exprimer conceptuellement et en avouer lineffabilité : telle est la réponse bergsonienne & la question de savoir comment on peut dire d'un objet qu’ll est ineffable. Nous ne nous demanderons pas ici quel est alors le statut du langage dans lequel Bergson parle de la liberté. Meme si lon remarque que ce qu'il dit est trés fréquemment négatif, il reste dans V'Essai quelques pages qui visent a décrire positivement l'acte libre, e moi profond ou la durée et qui soulévent, on I'a déja dit, une question difficile. Nous nous bornerons, pour poursuivre le paralléle avec Wittgenstein, & signaler que Bergson a également noté l'existence d’énoncts «vides de sens» bien différents des non-sens critiqués dans VExsai. Mais ce n'est plus dans "Essai, c'est dans La penste et le mouvant (1934) que cette catégorie d'énoncés est examinée par Bergson. Il y enscigne (p. 49) qu'un concept «se videra de toute signification dés qu'on l'appliquera & la totalité des choses» : nous ne pouvons former une proposition comme «tout est mécanismen ou «tou: est volonté» qu’a condition de prendre le prédicat en une acception si large que son sens en soit complétement exténué. Bien que Bergson emploie dans les deux cas expression « vide de sens» ou des expressions parentes, il est évident que le cas des énoncés relatifs & la liberté est bien different de celui des énoncés qui prétendent & la validité universelle : les premiers n’c de sens, on a vu pourquoi ; les seconds représentent, dire, une variété dégénérée, car leur prédicat a en lui-méme un sens bien déterminé qu'il ne perd que parce qu'on croit pouvoir Vappliquer d'un seul coup a la totalité du réel. De tels énoncés correspondent A ceux que le Traclatus appelle lui aussi «vides de sens» (sinnles) ; car ils partagent avec la tautologie ou la contradic- tion wittgensteiniennes la propriété de ne rien dire sur le réel, de 48 JG, PARIENTE n'apporter sur lui aucune information, Certes, ces énoncés ne jouent pas dans le bergsonisme une fonction aussi importante que dans le Tractatus ob la théorie de la logique est lige & I'analyse de ces propositions-limites que constituent les tautologies et les contra~ dictions ; la tautologie, en particulier, indique, comme le signale 6.124, quelque chose au sujet du monde en déterminant Ia structure de espace logique. Mais il est notable que Bergson ait été lui aussi amené A définir un usage limite du langage, un seuil de signi- fiance que les énoncés doivent avoir franchi pour étre capables de véhiculer une information. “ee prenant tun peu de recul, on constate done Ia présence dans Vauvre de Bergson comme dans celle de Wittgenstein du méme dispositif logique. Ce que nous entendons par «dispositif logiquem, Crest cette tripartition des énoncés en non-sens, énoncés signifiants et énoncds vides de sens. Sa présence chez les deux Blips autant plus remarquable qu'il n'y a pas lieu de parler d’in- tence réspraque Le Tractets date de 1921 et n'a été publié A Londres qu’en 1922; Bergson avait & cette époque presque achevé sa carrigee philosophique. Mais il reste que Wittgenstein avait tune certaine connaissance de l'eeuvre de Bergson. Dans un récent centretien, Mr. G. H. von Wright a bien voulu nous confier que Wittgenstein lui avait un jour parlé de Bergson comme d'un amauvais architecte en philosophicw (a bad philosophical architect). Il serait certes passionnant de savoir en quoi consistait aux yeux de Wittgenstein architecture du bergsonisme. Mais, quelle que soit acceptin dans laquelle il employait ce mot, la forme meme son propos (*) suggére que Wittgenstein acceptait certains aspect & ems ‘Ges aspeets talent peulette bien differents de ceux que nous avons pris ici pour base de comparaison ; du moins, Te mot de Wittgenstein atteste-til que In comparaison n'est pas dénuée de sens. C'est pourquoi nous la poursuivrons en essayant de préciser, pour conclure, les lignes selon lesquelles se séparent les deux pensées que nous avons jusqu‘ici rapprochées. (4) Nous remercions le profescur von Wright de nous avoir autorsé A en faire dat, RERGSON EV WITLGENSTHAN 49 MW aussi surprenant de prendre conscience que ce dispositif a été mis au point par un et par Mautre pour des raisons bien différentes. Chez Bergson, c'est une analyse du concept, ct chez Wit C'est une analyse de la proposition qui fonde Ia tripartition des énoneés. En se placant sur un plan historique, il est facile de rattacher cette différence a celle qui sépare la logique aristotélicicnne de La logique de Frege et Russell : Bergson réfléchit dans le cadre de In premigre, et Wittgenstein dans le cadre de Ia seconde, meme s'il Ta critique sur des points importants. Bergson va du concept la Proposition : pour savoirsi une proposition a un sens, il faut selon lui déterminer si la relation qu'elle institue entre un sujet et un prédicat se conforme ou non aux conditions générales de l'application des concepts aux objets. Wittgenstein place, quant & lui, au centre de son analyse une théorie de la proposition, et cette particularité cexplique une partie des divergences qui le séparent de Bergson. Ces divergences apparaissent nettement dans le cas des énoneés vides de sens, car il est clair que l'exemple qu’en donne Bergson ne serait pas admis par Wittgenstein au rang des tautologics. Soit la proposition : «tout est volontés ; si Bergson considére qu’clle a perdu toute signification, c'est simplement au nom de Ia tradition- nelle «loi» de variation inversement proportionnelle entre extension et compréhension d'un concept. La compréhension diminue a mesure que lextension augmente. A la limite done, si le concept vaut pour tout, il n'a plus aucune comprehension : dit seul fa quelle confére au prédicat une extension universelle, la proposition citée le prive et, par 1A méme, se prive de toute signification, Tout se passe donc ici comme si la signification était concentrée dans le concept qui figure comme prédicat, I proposition n'intervenant que pour en délimiter lextension et, de ce fait, en déterminer la comprehension, I est certain que le Tractatus dicte une autre analyse de la méme proposition. «Tout est volonté» n’y posséde pas le statut de tauto- logie, car la tautologiec n’a rien & voir avec la généralité ou la parti- cularité de la proposition (cf. 6.1231 et 6.1232) : «tout est volonté» ne détient que la validité générale accidentelle, et non la validité 50 JoC. PARLENTE générale essentielle qu'exigent les lois logiques. Le caractére tauto- logique ne dépend pas de la quantité de la proposition considérée, mais seulement du jeu des conditions de vérité : si, comme la con- tradiction du reste, elle ne dit rien et n'a pas de sens, c'est que sa valeur de vérité n'est pas en rapport avec les faits du monde. En revanche «tout est volonté» posséde un sens dans la mesure od, replacée dans un cadre de référence convenable, cette proposition écrit un état de choses qui peut etre vérifié ou non, Ainsi, c'est la théorie de la. proposition-image de la réalité qui ~ est responsable de Vattitude de Wittgenstein, ce n'est pas une théorie du concept comme chez Bergson. Les deux analyses paraissent bien éloignées. Pourtant, comment ne pas noter ici également une = parenté certaine dans Tidée qu'elles se font de la signification, dans le sens du sens ? Il arrive & Bergson de se demander pourquoi tun concept étendu a la totalité des choses se vide de sa signification, — Ilrépond & cette question, en termes assez rapides, par une allusion Ala dualité du conceptuel :«les concepts vont d'ordinaire par couples et représentent les deux contraires» (La penste et le mowvant, p. 198 ; cf. p. 207). «Volonté» aurait un sens de par son opposition & cinvolontaire» et aux mots qui lui sont apparentés : une propesition comme «tout est volonté» serait vide de sens en ce cas parce qu'elle exclurait la possibilité que 4, B ou C etc. soit privé de volonté, Si Ton voit dans le concept une question pratique & laquelle Ia réalité «répondra... par un oui ou par un non» (ep. cit, p. 212), ii s'ensuit qu'une proposition qui exclut, comme c'est le cas ici, que la réalité réponde négativement, est une proposition vide de sens. Bergson passe malheureusement trop vite sur des points aussi diffciles pour qu’on puisse tre assuré de saisir sa pensée ; car il est bien clair que, si j’affirme que tout est volonté, la réalité peut répondre par la négative et que, dans cette mesure, mon affirmation n'est pas vide de sens, Peut-tre est-ce une erreur — propre & Bergson ou & notre lecture? — de lier la doctrine de la dualité du conceptuel & celle de la disparition du sens. Quoi qu'il en soit, ce qui sous-tend cette doctrine, c'est I'idée que la présence du sens est lige & Ia possibilité d’un choix entre différentes éven- tualités ; et cette méme idée est l'une de celles sur lesquelles repose le Tractatus. «La réalité doit etre déterminée grice & la proposition au moyen d’un oui ou d'un non» (4.023) ; mais, dans le Tractatus, ce choix entre éventualités ne peut se faire qu’au niveau de la proposition, et non A celui de ses éléments (cf. 3.144). BERGSON ET WITTGENSTEIN at La question du choix entre diverses éventualités ne peut selon Witigenstein se poser que dans le cadre d'un espace logique prédé- terminé au scin duquel se déploic l'ensemble des états de choses possibles. En revenant sur ecrtains aspects de leur analyse dle ta spatialité, on apercevra peut-étre une des lignes les plus nettes selon lesquelles se séparent Bergson et Wittgenstei La doctrine bergsonienne de lespace pose un probléme de nature historique. Comment s’expliquer que Bergson, qui avait une solide formation mathématique, ait gardé les yeux fermés devant les géo- métries non-cuclidiennes ?. Comment se fait-il que leur surgissement au cours du xix sigcle ne lui ait pas apparemment posé de probléme, pas assez. en tout cas pour qu'il renonee A tine conception monoli- thique de la spatialité? (*) Parler d'un euclidisme de I’ Essai serait Peut-tre abusif puisque, par exemple, une propriété comme la tridimensionnalité de T'espace n'y joue pas de réle assignable, sauf dans l'allusion mentionnée plus haut au paradoxe des objets symétriques. Si cuclidisme il y a, c'est, en quelque sorte, par défiue : dans la mesure of Bergson ne ménage aucune place & I'idée despaces differents les uns des autres. Ce défaut est lié a ta thése de Punicité de espace, Nous avons déja dit avec quelle rigueur elle fonctionnait pour plaquer les uns sur les autres tous les modes dela spatialité et les réduire & unité, Elle s’exprime ds I’Avant-propos de I'Essai : on le langage cxige que nous établissions entre nos idécs les mémes distinctions nettes et précises, la méme discontinuité qu’entre les objets matériels» (*) et elle en commande quelques-unes des princi- pales articulations. Appuyée sur des prises de position pragmatistes, elle contraint Bergson & identifier I'espace logique — ot sont en relation les concepts — & espace des choses, et & faire de la relation extériorité réciproque la base fondamentale de toute spatialité, L'Ezsai affirme certes lexistence d'une région de la réalité extéricure A la spatialité, il refuse de faire de l'espace la forme de toute ré: et, en ce sens, il réduit importance de espace. Mais temps, on peut penser qu'il accorde trop sinon a la spatialité elle- méme, du & la conception qu’il en propose, quand il refuse (6) Examinantla philowphie Letpwonienne de ls vc, A, Canguilhesn sétonne 6s ment que Bergiow nuit pas su peeentie Tappui que ta biologie pow kes géométries nouvelles cunime dans In topotogic. Cf, Bader distine cd: philaaphiy ‘es scenes, Pais, 1968, p. 963. (6) Seuligné por nous, 52 -C, PARIENTE abruptement d’introduire en elle la moindre nuance, la moindre variation, «A soi parcil», tel est pour Bergson comme pour Mal- Tarmé espace. Le statut de la spatialité dans le Tractatus (*) est bien différent : d'abord parce que Wittgenstein ne considére pas la spatialité comme tune dimension privilégiée des objets, ensuite parce qu'il introduit des distinctions 14 ob Bergson visait A unifier. Dans le Trartatus, la spatialité est souvent mise sur le méme plan que la temporalité {par exemple, en 6.3611) ; elle est méme parfois associée & la couleur, ou plutét & la possession d'une couleur, comme forme de objet, en un aphorisme (2.0251) of Wittgenstein récuse la dilférence classique des qualités premieres ct des qualités secondes. La spatialité n’apparait done pour lobjet que comme une forme parmi d'autres, objet considéré pouvant obtenir de plusicurs maniéres différentes son occurrence dans tel ou tel état de choses. Méme en ce qui concerne les objets matéricls, il n'y a pas lieu sclon Wittgenstein d'attribuer & la spatialité le privilege qui lui conlérait I'Essai, Diautre part, le Traclatus admet une conception pluraliste de la spatialité. Méme au niveau de espace géométrique, il ne se représente pas l'espace comme détenant des propriétés déterminées tune fois pour toutes. On se rappelle que Bergson voyait dans le paradoxe des objets symétriques un argument en faveur de la dis- tinction de I'espace et de 'étendue : différenciées par la perception, bien que l'entendement ne puisse les discerner, la droite ct la gauche sont des qualités qui, comme telles, ne relévent pas de espace homogéne, On comparera avec ce passage de I'Essai I'aphorisme 6.36111 of Wittgenstein traite lui aussi du paradoxe kanticn, mais pour souligner qu'll disparaft quand on se donne un espace & quatre dimensions. Ainsi le méme philosophéme est-il employé par l'un pour appuyer sa thése de I'unicité de espace, et par l'autre pour relativiser et pluraliser la notion d’espace. Mais la différence peut-étre la plus importante entre les deux philosophes réside dans leur analyse de l'espace logique. On a vu que, pour Bergson, ce qui en tenait lieu possédait les mémes propriétés que espace od sont les choses. Pour Wittgenstein au contraire, V'espace logique ne se confond aucunement avec ce () Sue ce point, voir G. Granger, Le probline de Pespace lgiqar dons le Tracer de Wingensvin, soa L’Age de la scr, 1968, 0° 8. BERGSON ET WITTGENSTELN 33 dernier : le premier définit un systémede repérage valable puur tout monde possible, le second est lié au monde récl ; chaque point die premier est occupé par un fait, chaque point du second par une chose (#). C'est ce qui cxplique que le clivage fondamental du point de vue de la signification ne soit pas le méme dans les deux systémes. Pour Bergson, il passe entre cc qui est dans lespace des choses et, par suite, aussi dans lespace logique, et ce qui n’en reléve pas. Pour Wittgenstcin, il passe entre ce qui est et ce q pas un fait. Selon I'Essai, les concepts sont unis entre ceux par la méme relation que les choses matérielles entretiennent entre elles. Sclon le Tractatus, pour qu'tine proposition ait un sens, il faut qu'elle partage avec le fait dont elle est Pimage une méme forme logique, mais non néccssairement une forme spatiale (2.182). A cet égard, une bréve comparaison des deux analyses de la causalité peut étre aussi éclairante que celle qu’on a esquissée plus haut & propos des objets symétriques. Car Bergson et Wittgenstein sont daccord pour affirmer que le principede causalité n’oflre pas de caractére nécessaire (voir Essai, pp. 156 sgg. ; Tractalus, 5.134 — 5.1361). Mais, sclon Bergson, fidéle au clivage entre spatial ct non-spatial, on croira & sa nécessité si l'on supprime I'action de la durée en projetant les phénoménes dans lespace. Selon Witigen- stein, cette croyance est superstition parce que la nécessité ne peut tre que logique : le Tractatus se place toujours au point de vuc des propositions et de leurs relations dans I'espace logique. On voit donc comment cette différence des deux conceptions de la spatialité commande toutes les différences que nous avons rele- vvées entre I'Essai et le Tractatus. Ce dont on peut parler (A Vaide du langage ordinaire), dit le premier, est ce qui est dans espace le second réplique : ce dont on peut parler, c'est le fait, et le se situe dans Nespace logique, non dans I'espace des chose: ce point, Bergson et Wittgenstein sont bien éloignés l'un de Mais espace logique, n’est-ce pas encore un espace? et, pour qu'on puisse employer expression méme d'wespace logique», ne faut-il pas que ce qu’clle désigne ait des caractéres communs avec espace des choses, du monde ct de la perception? On r¢pondra qu'il ne s'agit que d'une métaphore ; mais alors pourquoi cette métaphore? Qu’est-ce que le spatial? et qu’est-ce qui fait du () CE, Stenius, Wingnsin’s Tracts, 2° €d., Londres, 1964, p. 4243, PARIENTE 54 bec. 1 répondent diffé- mais spatial le prototype du dicible ? C'est parce qu’ remment A ccs question que I'Essai et le Tractatus divergent ; Crest parce quiils nous interdisent de les oublier quis sont des classiquies. Glermont. Ferrand. DISCUSSION Président : J. Vuillemin M, Voruuesine: Mon réle de Président me donne le priilége d'ouvrir le débat par trois remarques : 1) Sur la question des énoncés vides de sens, on peut noter une analogie vee In théorie des concepts formels de CARNAP. 2) Sur la question des expaces logique et géométrique il faut, par noter que BeRcson les confond alors que Wrrroensrem les oppose. ‘En fait, d'une part, nous avons deux formes 'intuitionisme trés différentes. Diautres part, ily a aussi des différences qui concernent le rdle de la science, dans ces deux doctrines. Nous le voyons dans la querelle qui a opposé Bexo- son et Ewsrain. Berosow voulait, li, reconstituer une métaphysique par Vintuition, Werroensrein, pour sa part, fonde sa mystique sur Ia science. 3) Pour terminer, 'ajoute simplement que chacune accorde un réle tout different a Vineffable, ‘Sur ce point Russet a trés bien exposé dans son Introduction au Traclatus le point de vue de Wrrroexsrein Cf. Tracatws, XX. En fait, son attitude envers lineffable se développe & partir de la théorie concernant la logique pure. ‘Chez Berason cst différent puisque lineffable n'est pas lit au probleme de la mise en forme. En résumé, il est juste de dire quill n'y a pas une théorie de T'intuition chee Wirrcen-ren. M, Panuesre : Peutetre extie une obsesion mais je erois toujours que ces différences sont toutes Hides A la spatialité. En elfet, le clivage passant chez Bergson entre Vespace et Ia durée, Vineffable se voit astigner un domaine positif, celui des chotes qui relévent de la durée. Chez Witigenstein au contraire, aucun fait n'est inefable, M. Vow Wricier: J'aimerais poser deux questions La prenitre concerne Bergson, Si j'ai bien compris ce que M. Pariente conan icraaire de In ripe fa temporal Voit a raison, Ne pourei-on pas étahlt entre Mende de Vespace ‘un rapport analogue & ecu que Derguon elit ent lx dun ee tempa (Ceci vapotiqerait suas! aux thorer des concept et des propesions Par exemple, nus pownsions avoir des conecpis qui se rapporteraien det points de espace ov A des points da tmp Nov arons done une paate Smee, Pourquoi Bergin stil wu le rapport lurée-temps” et non pas l'autre ? M, Partesrt : Pour Bergson il sulfit de réfléchir aux rapports “étendue-espace”, “durée- ‘temps pour s'apercevoir que ces rapports ne sont pas symétri ‘quons en effet que, pour lui, le temps de Ia science est du cdté de lesapee. est la durée qui constitue un probléme or continuité. Bergson associe continuité et hétérogéndité: par le souvenir nous obtenons toujours, d’instant en instant, quelque chose de nouveau, ‘Ainsi Minant ne peut étre homogéne A Tinstant puisqu'il en differe au moins clans Ic fait qu’en Vinstant présent ta mémoire garce présente Finstant passé, Pour Bergson, donc, il n'y a jamais de répétition dans la durée, M. Buack : Il me semble quiit y a ici une question de logique. Prenons exemple une sonate de Havnx.... Une note est joue en un temps. Se pourraital ‘que la méme note soit jouge en un second temps. Bien sir ells ne sont pas idemtiques. Mais Vhomogénété n'est pas Tidentité. C'est eela quil faut remarque. [Et alors ne pourrions nous pas argumenter de la meme fagon en c€ qui conceme lespace. Deux points n'y seront jamais identiques. M. Vuntes Je crois que Pradine répond & cette objection dans un article sur In Sub- Mantialité de la durée. Tl faut surtout noter que la remémoration appartient la nature de Ia durée. M, Buack: “Autre exemple : Si je prends ta température d'un homme & que Fobtienne le méme résultat, développement de son organisme. ment nous aurions Midentité, ‘PAS, Pour autant, to) cexige la difference M. Graxcen: Je crvis que M. Black tramforme la durée en temps, qui et expare. 7 56 JC. PARIENTE M. Busck: 11 faut pourtant pouvoir parler de In durée. La position extréme sera ‘qu‘on n’en puisse rien dire. Je ne crois pas que Bergson adopte cette pasition, auquel cas nous pourrions lui répondre que si on ne peut parler de répétition, ‘on ne peut davantage parler de non-répétition. ‘Alor, peu import le sujet, on peut toujours distinguer entre deux sujets se répétant, M. Pantente ‘Si vous introduisez des distinctions entre deux moments qui se répétent, vous étes dans I'espace. Cela Bergson vous le refuse. M, Buaex: Méme Bergson devrait pouvoir dire, par exemple, j'ai été heureux et maintenant je suis malheureux. M, Grancer : Tne fe peut pas M. Buace: ‘Alors c'est un mysticisme comple, il esaie de dire ce qui ne peut se dire. M, Vor Waicirr: Bergson accorde une égale importance & la temporalité et & la spatialité, Bien que je sis en sympathie avee cette idée, je conserve Tes mémes doutes due le profeseur Black. Mais pourquoi Rergion refusetil une distinction similaire en ce qui concerne extension ? M. Pantene: En un sens on peut rapprocher étendue et durée. Cependant, ill y a une grande différence: dans l'étendue les qualités sont simultanées, dans le temps elles sont successves. ‘M. Vor Watcirr: Creat IA une petite diffévence, M. Parmewre : Pour Herpon, cat une grande diférence, Dans le temps les qualité sont cumulatives, M, Buack : En effet, M. Vox Waucur : Jen viens & ma seconde question. Elle concerme ls rapports espace tem ‘et langage chez Wittgenstein, pas " n'y a pas de devenir dans Mespace. RERGSUN EV WITTGENSTEIN 37 En fait, Vimage logique n'est pas lige a Tespace : toute image spatiale ‘est image’ logique, mais toute image logique n'est pas spatiale. Ces és sérieuse. Il semble bien que la re linguis re lige aw temps et & espace. spatiale et la parole est orale. Comment détacher le langage clu temps ct de espace? Pour ma part, Je ne le crois pas possible. M. Buac : ‘Sans doute ma réponse paraitra-telle plus mystérieuse que la question. Néceseairement une image est! un fait. Alors ce doit étre un non sens (au sens d'erreur) de dire qu'un Git est dans Mespace ou dans le temps. Sans impossibilité de la forme logique. M. MeGumwess : Tout fait peut étre une image pourvu quill ait une forme correcte. Pouvons nous alors penser un fait qui ne serait ni spatial ni temporel? Ce que Wittgenstein avait en téte c'était la pensée. I n'y a rien dans notre pensée qui lempéche de n’étre ni spatiale, ni temporelle, M, Vox Wricirt: Tr me semble que la pensée est toujours habillée dans des signes. me sembe impossible qu'il y ait pensée sans signe. M. McGuinness : Voyons 3.1 du Tractatus, 11 semble bien qu'on pourrait penser sans signe. M, Vow Watcnt Comment y aurait-il représentation sans les signes? M. Buack : En un sens, M. McGuinness a raison. Jirai méme plus loin que hi Dans le Tractatus, la pensée eat représentation, Il y a fx faity qui sont Yes marge, les en et Tes images, Tl y a ensuite les relations prajctives entre les marques et les objets. ‘Mais de méme que lea objets ne sont pas dans Tespace ou dans le temps, de méme la pensée n'est pas dans Vexpace ou dans le temps. I nest pas de sa nature dPétre lige & tel type de représentation, Crest pour cette raison qu'une pensée peut étre remise en question. M. Vow Waren: D'accord sur ce point. M. Buacn : Comment intégrer cela dans te Tracatus? M, Bouvenssse: ‘Alors comment donner un sens au mot “configuration” dans des expressions comme : “la proposition élémentaire est une configuration de noms”, “Le fait élémentaire est une configuration dobjets”. Tl semble bien y avoir Wun clément spatial iréductible. M, Buacx: ‘Non, A mon avis “configuration” ne suggére rien qui tot spatial. Pensons Ja musique par exemple: “Configuration” a putt le sens de “concaténa- Ainsi la proposition “the eat is on the mat”. Crest un fait sur le papier. Rien n'indique pourtant que c'est une proposition. Il faut pour cela le saisir comme un tout, L'HERITAGE FREGEEN DU 7RACTATUS par CL. IMBERT Froge a donné trois interprétations de son idéographie ("). Dans le Tractatus, Wittgenstein donne une analyse souvent divergente dun appareil symbolique analogue A celui de Frege, la langue lo- gique n’étant pas remise en cause dans ses traits essentiels mais soumise & plusicurs simplifications. Test curicux de constater qu'une langue, créée de toutes pices, ait pu demeurer opaque a ses auteurs et il m'a para intéressant dexaminer le déplacement de lanalyse quand on progresse de Frege & Wittgenstein, péripétie au cours de Inquelle cette langue d'abord miroir de arithmétique ct des constructions de la pensée pure fut enfin présentée comme un miroir du monde et Munique instrument de Pactivité philosophique, si l'on en croit la proposition 42: « La philosophie est lanalyse logique des pensées. » Je me propose d’examiner : 1) Le contenu de ces « idéographies » successives,afin de discerner la tradition exacte qui va de Frege & Wittgenstein. Jentends par 14 aussi bien ensemble des symboles et régles quc les arguments, d'intention sémantique, qui furent donnés en justification par les deux philosophes. 2) Je mrenflorcerai ensuite de caractériser les buts auxquels ces idéographies devaient satisfaire, Elles sont responsables des parentés et des différences tout autant que la technique logique elle-méme. (1) Dans ta suite nous appelont iddographie la «langue par formutes de la raison 60 Ga oman 3) Enfin je voudrais soumettre quelques conclusions suggérées par ce parallle et susceptibles de nourrir le débat qui nous a été propose : Wittgenstein et le probléme d'une philosophie de la science. On a pu dire quela Begriffischrifl, le bref opuscule de 1879, eréait on quelques pages le calcul des propositions sous sa forme axiomatique — calcul dont on peut sans doute trouver ailleurs quelques anticipations malhabiles — mais surtout inventait ex wii la théorie de la quantification, Il est certain que, dés 1879, la distinction entre variable libre et variable lige, la régle de généra- Tisation et les axiomes spécifiques du calcul des prédicats sont correc- tement énoneés. Il n'empéche que, jusqu'au terme de sa vie, Frege n'a cessé d'analyser la puissance de ce langage et de vérifier son aloi. Les trois versions de 'idéographie sont le fruit d'une réflexion poursuivie quarante ans durant. La premitre se lit dans la Begriffischrift méme, au fil de "exposé du symbolisme. Le propos de Frege, apparent dans le sous-titre de louvrage, était de construire une langue qui exprimat par formules les contenus de la pensée pure. Sclon Frege, il faut entendre par 18 aussi bien le contenu d'une proposition — par’ exemple une équa- tion arithmétique — que le lien déductif entre les propositions. En revanche on négligera tout ce qui n’appartient pas & la preuve des propositions, par exemple la modalité et la dramaturgie stylis- tique. La premitre section donne les symboles et régles, la deuxitme les axiomes et quelques propositions logiques qu’on en peut déduire, la troisitme «applique» l'idéographie — le terme est de Frege — Ia définition de la suite (Reihen in einer Folge). On verra plus Join ce quill faut entendre par «application», Frege ne s’en étant Jamais expliqué. Ce premier résultat est donné de manidre abrupte, ‘sans que rien ne permette de le prévoir. Bien plus Frege s*était contenté, dans la premiére section, d'utiliser le procédé de la ‘quantification pour traduire le quaterne aristotélicien des pro- positions générales. On ne pouvait soupgonner qu'on sortirait hardiment des limites de la syllogistique. La définition de la série apparalt comme un exploit unique dont Frege ne semble pas avoir analysé le mécanisme en sa généralité, Quant a Ia logique des propositions, elle n'est pas étudiée pour élle-méme, mais noyée dans une théorie de la déduction dont elle est Minstrument. Frege ignore alors les notions essenticlles de A CWERUIAGE FREGLES DLS TRAGIALLS. 6 JSonction de obrité (2) et de valeur de vérité qui sont, semble-til, indi pensables & la conception d'un calcul autonome des propositions — bien qu’elles n'y suffisent pas comme on le verra plus loin Bref Frege avait crée en 1879 une langue capable de déprindre des contenus rationnels, et afin qu'aucun raisonnement ne soit dis mulé comme il arrive dans les ellipses de la langue imposa quelques tournures privilégiées et explicites, celles-Id mémes qu'induisent les axiomes et la régle de détachement. Mais lenver- gure de cette langue — je veux dire le ou les domaines scie 0 elle trouve son emploi — les caractéristiques intrinséques des contents qu'elle peut véhiculer, tout cela échappa aux rares lecteurs de la Begriffischrift et, particllement, & Frege lui-méme. Preuve en est le choix méme du nom, «Ecriture des concepts» que Frege regretia plus tard (correspondance avec Jourdain), car cette langue exprime bien autre chose que des concepts, & savoir des objets et des constructions qui different profondément des conecpts au sens classique. Lorsque Frege dut se défendre (*) — contre Schréder en parti culier —d'avoir redécouvert & grand renforts d'obscurités ce que Yon savait faire depuis Boole, il fit argument du double aspect de sa langue; a la fois caractéristique — au sens de Leibniz — ct calcul, «calculus ratiocinator », sans que W'on sache ce en quoi ¢' "est tune caractéristique et ce en quoi c'est un calcul. Ainsi Frege s'appuie dune part sur l'autorité de Leibniz, d’autre part sur la {écondité de sa langue — aucune autre langue symbolique n’ayant su définir la suite, — Mais il n'avance aucune raison sémantique, rien qui Justific le choix des signes primitifs ni I’étrange disposition tabulaire. Une deuxigme version de lidéographie se dessine dans les Fonde- ments de Parithmétique (1883/4), elle est achevée dans les années 90. Frege public alors et presque simultanément les articles Sens et déwotation, Fonction et concept et le premier tome des Lois Fonda- mentales dont les 52. premiers paragraphes constituent ce que j'ap- pellerai Ia deuxitme idéographie. Les principaux caractéres me semblent étre les suivants : — Frege donne une analyse de la quantification qui manifeste tun génie extrémement moderne. (2) Les termes fonction de erie soour de rhitd apparaisent dans les articles Fowtion ‘tsenrpt R91) et Ses et dvatation (1022). (3) Voir Ueber den Zunch der Briar (1882). 62 cL. wen Dfautre part il parvient A une détermination plus précise encore imparfaite du « calcul logique™. m: ‘Ayant montré dans les Fondements, sclon une analyse bien connuc ("), qu'il y a analogie entre attribution d'un nombre cardinal et une affirmation d’existence, Frege caractérise syntaxiquement la quanti fication comme une fonction de second niveau. Quantifier existen- ticllement, c'est énoncer quelque chose d’un concept, affirmer qu’ n'est pas vide. On retiendra cette singularité de l'idéographic fré- + géenne qu'il est possible d’exprimer dans la langue une propriété dun concept de cette langue, La raison donnée est que, de fait, les mathématiciens utilisent de telles propositions d’existence ; et Kant est critiqué au passage de ne s’en étre pas avisé. Dire, par exemple, que Méquation du second degré a deux racines réclles fou imaginaires c'est affirmer qu'il existe quelque x tel que ax* + bx -+ c= 0, c'est dire que 'énoncé & une variable libre constitué par le polynome égalé & zéro définit un concept non vide, On conviendra que c'est IA une proposition fondamentale de l'algebre. Plus généralement, le lien est alors rompu entre Ia quantification et le paradigme sur lequel elle fut d’abord congue, les propositions générales aristotéliciennes. Le sens de la quantification git dans son emploi, et elle est utilisée dans les Fondements aux § 71 & 73 pour définir Ia notion générale d’application, puis. d’application bijective. Dans les Lois Fondamentales, la notation pour la généralité {cst ainsi que Frege appelle fa quantification universelle) est intro- duite avec la régle de généralisation universelle qui est sa véritable in d’étre. Et on paraphraserait librement en termes modernes, mais sans trahison, la définition que Frege donne de la “géné- ralité” au § 8 en disant : Si une fonction ® (x) est vérifiée pour tous ses arguments alors (x) © (x), c'estad-dire il existe une application qui envoie tous les points arguments de la fonction sur le point vrai. Au § suivant {§ 9), la quantification universelle d’unc identité est utilisée comme definiens de Tidentité entre extensions de concept. Ici encore on pourrait paraphraser :si deux fonctions sont vérifiges pour les memes arguments ct ceux-la seuls, alors la section sclon la deuxiéme coor- donnée de Tune et autre fonction coincident. C'est Id le sens de (4) Voir Fondoumis de Perhmdique (1084), § 46 et 53. wine 1 TREGFEN DU TRAGTATUS © 63 la loi V. Ainsi tout Pappareil symbotique du caleul des prédicats trouve sa raison d’étre en ce qu'il dépeint des opérations algébriques —A savoir Ies différents types d'application dont Frege a cu le génic de comprendre le caractére fondamental. A peu prés A la méme date que Dedekind, ct ind¢pendamment, il en a donné un algorithme beaucoup plus délicat ; et & ce point de analyse on peut se demander si Frege a inventé une caractéristique logique ou complété la caractéristique algébrique qui n'avait pas de termes, sinon métaphoriques, pour dépeindre les applications et les ensem- bles sur lesquels elles sont définies. En conséquence immeédiate, lordre sériel dont la Begriffsschrift donné la formule idéographique est défini comme une spy ion particuligre, Et Dedekind ne s'y est pas trompé lorsqi reconnut, dans la préface 4 la seconde édition de « Was sind und was sollen die Zaklen», la parenté profonde mais masquée par le vétement du symbolise frégéen entre la définition de la suite et sa pro- pre conception de la chain Les valeurs de yérité, vrai ct faux, apparaissent alors dans un contexte bien particulier. La manitre dont Frege définit lextension du concept revient & définir un ensemble au moyen de sa fonction caractéristique. Plus précisément les valeurs V et F sont les points de Vensemble arrivée de la fonction caractéristique et c'est sur cette donnée que Frege définit les fonctions de vérité — les deux seules qui lui importent : "implication et la négation. Ce sont des fonctions qui ont pour argument et pour valeur une valeur de vérité. Le vrai et le faux sont présentés comme des objets dont la seule caractéristique est lantagonisme — et les critiques de Wittgenstein frappent de plein fouct (#) — mais ils ont pour raison d’étre d'articu- ler le calcul des propositions au calcul des prédicats en faisant du premier un complément du second. En effet les fonctions des diff. rents niveaux font passer des arguments aux valeurs de vérité et les connectcurs propositionnels & leur tour des valeurs de vérité & une valeur de vérité. Chaque proposition de Vidéographic doit donc se lire comme une fonction composée ct "idéographie de Frege ‘a pour objet de représenter des produits de fonction qu’on pourrait schématiser par un diagramme de féches comme on cn trouve (8) Voie Tractons lopiosphileaphica, proposition 4.439. 64 cL meet dans les modernes manuels d'algébre. Ce schématisme apparait ailleurs chez Frege, dans les Lois Fondamentales (*). ‘Ainsi, malgré la terminologic: valeur de vérité, fonction de vérité, Frege n'a pas cong! un calcul des propositions indépendant. On peut le vérifier par une breve analyse des conférences Sens et énatation, et Fonction et concept. Elles résument les modifications apportées & la premitre idéographie ; et nous tenterons d'y vérifier Vhypothése selon laquelle idéographic frégéenne est extension maximale de la caractéristique algébrique, une vaste théorie des Equations en tant qu'elle est de raison pure. ; La promire conférence traite de lidentité en tant que le juge- ment d'identité ost un acte productif de connaissance. Ce principe nest jamais remis en cause par Frege, mais il lui faut & la expliquer comment advient ce gain de connaissance. Identifier, nous est-il dit, cest rrconnaitre une méme dénotation sous deux sens différents, « Apparemment la thése de Frege reléve de analyse linguistique, «en réalité elle codifie et généralise le procédé usuel de solution des Equations. . . En effet Frege'déclare que I'explication vaut pour trois catégories d'expressions : les descriptions définies, —et on l'admet volon- tiers car exemple de «!'étoile du soir est la méme que létoile du matin» bénéficie de I’évidence — elle vaut aussi pour les équa- tions oft les termes sont des propositions ¢t pour les équations arithmé- tiques. Or il semble difficile, dans ce dernier cas d’accorder un sens aux termes de I"équation : ash ct dans autre cas daccorder une dénotation aux propositions, sauf A admetire des objets tels que le vrai et le faux, Le chemine- ment de la pensée de Frege semble étre de montrer qu'un procédé usuel dela langue commune, ott de son usage par les astronomes, identification des descriptions «toile du soir» et « étoile du matin» reléve du méme principe que Péquation arithmétique a = b. Le bénéfice est double, D'un c8té il semble qu'on ait atteint le fondement logique de Tidentité puisque ce mécanisme régit tous les langages, d'un autre ebté si crest bien le processus général lié Ala structure logique de I'équation il admet une extension au cas (6i Voir Lets fondamentah de Perduntiqur, Tome 1, p. 72, § 5. AGE FRPGEEN DF HK 8 les termes sont des propositions. Nous touchons ici au p méme du «logicismen de Frege, qui est de mettre en évides tour de pensée si général qu'il vaille pour tur les langages et partant, émane directement de la pensée pure. Or ertte thise de Frege en enveloppe une autre jamais énoncée. Sl est fructueux d’établir que a = b ct siil ne s'agit ni d'une identité des noms, ni identité des objets — car deux objets identiques scraient confion- dus — il faut admetere que a, b représentant des expressions douées de sens, et puis quill s'agit d'expressions algébriques, représentant des polynomes ; quitte & voir dans a et b des formes triviales de Polynomes réduits & un de leurs paramétres. En ce cas, tant les descriptions définies que les propositions relevent de l’analyse poly- nomiale et sont A comprendre comme des fonctions de leurs élé ments, C'est bien Id la vertu d'un langage régulicr dont les régles de construction sont des fouctions de termes, ou plus simplement des opérations. Il sulfit de citer le (émoignage de Wittgenstein (3.318) : «La proposition est pour moi — comme pour Frege ct Russell, fonction des expressions qui y sont contenucs», En résumé poser une égalité ce n'est pas, pour Frege, oir lidentité analytique au sens leibnizien de ses deux membres mais reconnaitre * & quelles conditions I'égalité est vérifiée. Passer & la dénotation C'est résoudre une équation. LA est le gain de connaissance. D'autre part, attribuer une valeur de vérit — le vrai ou le faux —& toute proposition est la condition & laquelle le calcul des propositions s'inscrit dans Malgébre générale, Malgré l'intro- duction des «valeurs de vérité» Frege n'a pas congu un véritable calcul des propositions, unc algébre de Boole dont les lois et I'enseme ble de définition doivent étre soigncusement stipulées. On tirera la méme conclusion de la deuxiéme conférence, Fonction et concept. L'intention générale de cette conlérence fut d's. bord de lever une confusion entre une fonction et la valeur de ka fonction pour un argument. Dans expression y = 3 x x, y est Ia valeur dela fonction mais non la fonction méme. La fonction est une correspondance. Ce principe admis, toute correspondance dont l'ar- rivée est univoquement définie est une fonction. On peut done appe- ler fonction les concepts et les connecteurs propositicnnels. Et c'est en exemple A cette généralisation que Frege cite 'implication matériclle. Tout comme Mégalité, elle est un cas particulier de fonction de premier niveau — c’est-A-dire qui a pour argument 66 cL. iMnERT des objets. Encore une fois, malgré le terme de « fonction de vérité », Frege n’en a pas vu la spécificité. On le conclucrait également 4 lire le tableau des fonctions primitives donné au § 39 des Lois Fondamentales. a idéographie de Frege s'est révélée etre directement inspirée de la méthode algébrique et représente tous les éléments qui la carac- Aérisent, l’€quation, l'application et il faudrait ajouter la quotienta- tion par une relation d’équivalence qui intervient dans la définition du nombre cardinal. Toutes ces opérations s'écrivent dans la dimension latérale de ta page. Frege y a joint une théoric de la déduction contenue dans les axiomes ct les régles de l'idéographic afin que soit recouvert le champ du raisonnement algébrique. De 1 tes traits particuliers mais aussi les insuffisances de son idéographic. Sa principale vertu est d’avoir fondé le calcul des prédicats sur tune sémantique absolument générale, celle des graphes de fonctions, «Crest IA Pébauche de espace des choses — ou de son dual, espace “des états de choses, Lorsque Frege cherche & illustrer les fonctions de différents niveaux que distingue sa syntaxe, il cite un graphe ~cartésien ou une intégrale définic. Chaque proposition de I'idéo- » graphie exprimant un contenu de la pensée pure énonce une pro- position de la théorie des fonctions. ; ‘Sa principale insuffisance est celle du calcul des propositions : les opérations algébriques auxquelles sont soumises les propositions ne sont pas distinguées des opérations définies sur les objets et, invertement, les fonctions définies sur les objets au sens usuel le sont aussi sur les valeurs de vérité. Il y avait IA un principe d’in- cohérence et nous pensons avoir montré, dans un autre trava que Tinconsistance du systtme frégéen repose, partiellement a moins, sur cette confusion. I reste A montrer comment Wittgenstein, poursuivant les re- cherches sémantiques de Frege en vint & distinguer deux espaces logiques (") — ou si lon veut deux algebres, celles des chotes et celle (7) Voir G. Graces, Le problime de Pesper lopigur dans le Trecatus de Witcutrn, dans Lge de le ximer, 1968, 3. LIMERITAGE FREGEFS DIY © TRACTATUS » 67 des faits — et donna enfin au calcul des fonctions de vérité un “ fondemen: parfaitement clair. Mais aussi le rapport entre les deux espaces, tel que l'impose Ia thése de latomisme logique — que toute proposition est unc fonction de vérité des propositions ¢lé- mentaires, ampute largementlalogique fregécnne et ampute d'autant le champ de la pensée pure. Nous laisserons de c6té la troisitme interprétation de l'idéographic. Elle est incomplete, la rédaction de la quatrime Recherche logi- que ayant trait A la quantification ayant été interrompue par la mort de Frege. De plus ces Recherches sont vraisemblablement, ct pour les trois dernieres shrement, postéricures ala lecture que Frege fit du Tractatus. Il faudrait alors retourner notre question ct examiner Vinfluence de Wittgenstein sur Frege sans étre assuré que la question soit bien déterminée. Je remarquerai seulement que Frege omet désormais de dire que le vrai est valeur de vérité ct dénotation d'une proposition. On pourrait penser, mais c'cst 18 une pure hypothése, que Frege s‘approchait d’une sémantique saine du calcul des propositions, tout comme les difficultés vaincues dans la définition du nombre cardinal lavaient conduit & une sémantique ensembliste des contenus propositionnels. Les critiques de Wittgenstein concernent lidéographie des Lois Fondamentales, De 1& aussi viennent les emprunts. Il semble méme ‘que les critiques naissent d'une application systématique des emprunts et dans une certaine mesure opposent Frege & Frege lui-méme. L'un des progrds les plus remarquables de la deuxiéme idéographie frégéenne fut de distinguer entre deux catégorics de variables, entre les variables assignées 4 un domaine mais dont les valeurs ne sont pas stipulées et les variables qui ont pour réle de rendre sen- sible une forme logique en maintenant ouvert le lieu ou tel type de variable appartenant a la premitre catégorie (argument, prédi- cat, relation, lettre de proposition) peut étre inscrit. Ces variables syntaxiques permettant de présenter une forme logique sans recourir ni A une description métalinguistique — qui peut intervenir A titre de commentaire, et ni Frege ni Wittgenstein ne s'en privent — ni au procécé du paradigme qui montre une forme dans le mode niatériel cu discours. Il va de soi que de telles variables ne sont jamais argument et il devrait aller de soi qu’elles ne peuvent jamais figurer que dans des expressions od tout élément est syntaxique. Toute forme logique doit s'exprimer ainsi, qu'il s'agisse des éléments 68 cu. inneRT qui la constituent ou de la forme totale, Et Ia forme générale de la proposition est donnée par Wittgenstein dans une formule syntaxique (*) indiquant les opérations applicables aux propositions élémentaires. La logique est syntaxe et il n’y a donc pas de son- stantes logiques. Pourquoi donc T'idéographic frégéenne en com- portc-t-clle? Toutes les critiques de Wittgenstein maissent de cette question, Elles visent les constantes du calcul des propositions et par voie de conséquence les axiomes ct régles de déduction qui régissent four emploi, elles visent aussi les constantes du calcul des prédicats : la relation d’égalité et les constantes formelles telles que le signe d'extension de concept et de nombre cardinal. Dans chaque cas Witigenstein stigmatise un défaut d’analyse. Je tenterai d’examiner quelques-unes des critiques touchant au calcul des propositions. La proposition 3.143 du Tractatus remarque qu’on a méconnu. la nature du signe propositionnel, & savoir qu'il est un fait ; on ‘a mangué de voir que la proposition est articulée et c'est pour- quoi Frege a pu appeler la proposition un nom composé. La méme critique revient en 5.02: Frege, dit Wittgenstein, a con- fondu argument d'une fonction de vérité et l'affixe d'un nom. L’articulation dont il stagit n'est évidemment ni la premiére ni Ia seconde articulation des linguistes. Celle-ci sont respectées par Vécriture ordinaire et disparaissent dans I"écriture symbolique. Il agit de articulation d'une proposition en ses propositions élé- mentaires, celle que cache la structure apparente des propositions sparlées mais que lanalyse — au sens russellien — met en évidence et que le signe propositionnel doit présenter au regard. La com- paraison que Wittgenstein propose en 3-141 entre l'articulation propositionnelle ct celle d’un théme musical confirme I'interpréta- tion s'il en est besoin : il s’agit de cette articulation esthétique des thémes sensible dans le phrasé mélodique. D’od il suit que le signe propositionnel, s'il est adéquat, doit étre un schéma d'articulation. ‘Mais Ja langue naturelle est fallacicuse car elle dissimule cette articulation essentielle dans le rapport de complétude qui soude au tout les partics d'une phrase. Illusion & laquelle Frege a succombé, analysant Ia fonction de vérité comme la partic insaturée d'un nom, Si donc Frege a introduit des constantes logiques c'est en (8. Voir Trades lepicephiorphirss, proposition 4442. UHERITAGE FREGEEN DU © TRACTATUS = 6 vertu d'un définition trop étroite, malgré sa généralité de la fonction et c'est pour n’avoir pas pénétré le sens de la composition propo: tionnelle, Quand celle-ci est analysée correctement elle est repré- sentable par un tableau de sémantique dont la proposition 4-142 donne un exemple. Toute cette critique est reprise en 5-42 of Frege et Russell sont accusés conjointement de n'avoir pas compris Je sens des connecteurs, raison pour laquelle ils furent contraints de les définir les uns par les autres. La critique me semble juste, mais elle est d’autant plus troublante que la Begriffsschrift avait ébauché une définition du signe d'im- plication matérielle par I'examen des cas de vérité de la proposition complexe que ce foncteur cimente. Wittgenstein! ¢ constate dans la proposition 4.432 que je traduis librement : «La proposition est I'expression de ses conditions de véritén, (Frege a cu raison de s’en servir pour expliquer les signes de son idéographie. Mais c'est 'explication du concept de vérité qui est fausse chez Frege. Si «le vrai et «le faux» étaient véritablement des objets et arguments dans —p etc. alors le sens de ~p ne serait nullement défini si Pon s’en tenait & la manitre dont Frege le défi- nit) "ne Liargument me semble étre que le signe propositionnel donne la formule d'une probabilité tandis que chez Frege le signe de négation est un opérateur aveugle qui nous envoie du vrai au faux ou du faux au vrai sans que —p véhicule dans sa seule présentation tune quelconque information. A T'inverse, la probabilité d'un état de choses est une information. A cette critique est liée celle de la vacuité du signe de jugement qui ne saurait appartenir la logique ‘car une proposition ne peut pas dire d’elle méme qu'elle est vraie. Entendons : ou bien elle est tautologique et on le voit dans e tableau sémantique qui l'analyse ou bien elle n'est pas tautologique ct elle n'est pas non plus une proposition de la logique. Pourquoi donc Frege s'est-il arrtté en chemin et contenté d'un calcul des propositions? On résoudra la difficulté en rappclant quelle conception il s'est fait du calcul logique et d’autre part ce qu'il a demandé a 'idéographie, Pour Wittgenstein le calcul logi- que n'est soumis qu’aux régles des signes, et il est développable au regard. C'est un calcul dont on peut construire l'abaque sous réserve qu’on dispose d'un tableau infini. Pour Frege le calcul 70 cL immer «est une économie de pensée, ce en quoizil est leibnizien, c'est la caractérisation aveugle des cheminements canoniques de la pensée et il n'en faut pas réveiller le sens ; le vrai ct le faux sont des points @arrét du calcul, et comme un bilan des calculs qui précédent. D’ot il suit qu'une proposition n'est jamais soumise & une analyse de vérité mais regoit sa vérité comme un index de par sa place dans la preuve. Et le signe vertical de jugement témoigne de insertion d'une proposition vraie dans la chatne verticale des propositions qui précédent. Wittgenstein raison de dire que le sens de ce signe s*€vanouit dans un systtme purement logique — car la preuve de la proposition est dans son tableau vérité — mais ce signe garde son sens dans ce que Frege appelle «!'application» de T'idéographie, c'est--dire les preuves sous hypothéses. Or tel est bien son intérét principal, et jamais démenti par Frege. Une proposition est analytique dit Frege — donc produit de la pensée pure, donc logique — si elle dépend des seules lois logiques et des définitions. Or quand on introduit une définition telle que celle du nombre ou de la suite on introduit avec lui comme hypo- théses tout ce qui préside A sa construction, c’est-A-dire, si nous ne nous sommes pas trompée, toute I’algbre des applications. Lensemble des critiques de Wittgenstein contre linutilité du calcul axiomatique, des constantes logiques, des signes de jugement (pour employer les termes du Tractatus (Prop. 6.123) porte quand il agit des preuves de propositions logiques mais non contre let preuves logiques des propositions. Cette distinction recouvre exacte- ment celle des preuves logiques pures et des preuves sous hypo- théses dont Frege ne pouvait pas se priver, et dont aucun mathé- maticien ne se privera non plus. Il semble donc que l'impureté de la logique frégéenne, la présence de constantes, d'axiomes, de ragles de déduction, le fait que Frege tout en ayant inventé la syntaxe n’ait pas voulu que celle-ci absorbe la logique tienne & son intention premiére : représenter la pensée pure — c'est A dire celle de arithméticien, ni plus ni moins. ‘L'idographie a voulu saisir la mathématique dans ’épure de ses raisonnements, la déduction par modus ponens et la résolution ensembliste des équations. Aussi ne répugne-t-elle pas A admettre dans son vocabulaire les signes sans doute métalinguistiques de Pégalite, de Mextension de concept et du nombre cardinal. ‘Si l'on demande quelles ressources ces deux conceptions de Ia Jogique pourraient offtir 4 une philosophic de la science on tiendra LIHERTIAGE FREGEEN DU « TRACTATUS «© a qu’elles contiennent l'une et l'autre un type d’analyse & laquelle fon pourrait soumettre le texte d'une science, Le Tractatus a donné tous les jalons d'une réduction analytique menée A son terme, Elle s'appliquerait A un langage od l'on pour- rait stipuler des propositions élémentaires et qui scrait limité au premier ordre. Sa logique serait syntaxe pure, elle ne laisserait aucii trope inanalysé, pénétrerait de ses rayons les sous bois axio- matiques et n’admettrait d'autres constructions que les opérations booléiennes et les définitions inductives. Cette généralisation de I’analyse russellienne porte en elle-méme ses limites. Les unes, énoncées par Wittgenstein sont résumées dans la thése de latomisme logique. Les autres, connues plus tard, ont pris Ia forme des théorémes de limitation. Depuis le Tracatus le champ de l'analyse effective a fait peau de chagrin, Aucune langue naturelle, aucune langue scientifique d'usage ne respecte la cloture du premier ordre A l'exception peut-ttre de la théorie des fonctions récursives, mais alors on se donne les nombres. Cette connaissance négative est précieuse en elle-méme et c'est merveille qu’on y soit parvenu, mais on peut penser que les conclusions maintenant bien connues sont définitives et ce chapitre clos. De Iautre c6té, la logique frégéenne associe théses logiques et ragles de syntaxe, elle codifie des procédés qui ne relévent pas de la dépiction — par exemple la quotientation d'un ensemble par une relation. Mais au prix de ces impuretés elle traduit en clair les segments élémentaires de la pensée pure qui sont comme gelés ou naturalisés dans la caractéristique et font tableau pour une Philosophie de la science qui vouchait les y chercher. Or celle-ci semble menacée de devoir choisir entre deux présup- posés philosophiques qui ne semblent ni lun ni lautre entitrement adéquats, Ou bien sur la legon kantienne les actes de la raison pure sont tenus pour des manifestations de Ia subjectivité transcen- dantale et, en conséquence dun raisonnement analogue & celui qui va de la fumée au feu, la philosophie de la science risque de s'€puiser en une psychologic de la raison. Ou bien les actes intel- lectuels sont décrits métaphoriquement comme les actes de l’ouvrier, c'est A dire comme une praxis. Or dans le cas de Palgebre, si métaphore devait étre entendue a la lettre elle se ruinerait d'elle méme. Que serait une praxis dont le matériau est tout objet? Et comment expliquer I'insolence royale du mathématicien eu égard & histoire ou & la consommation qui sera faite de son produit ? En un ° principal. * appris a lire un traité d'algebre comme un monument, 2 cL. IMBERT ‘mot un probléme ne résiste pas comme un bois noueux. L’artisanat se perfectionne par bricolage et on hésiterait & voir la le ressort de T'invention conceptuelle. Le travail n’est pas ici l'empoigne di- recte de Ia chose, il est dans la synchronic des déterminations con- ceptuelles. Il en va peut-étre de la science comme de la vertu et de la danse pour les Stoiciens : in se tota conversa est. 1 faut done comprendre la praxis comme le style de traitement d'un probléme. Qu'est-ce alors sinon lensemble des tournures et opérations d'une science manifestées dans son langage ? Lorsqu’une caractéristique est assez ductile pour qu'on puisse y énoncer les axiomes d’une seience elle en donne comme en diagramme toute architecture conceptuelle. Au philosophe alors de voir par quels principes d'économie interne les concepts s‘appellent I'un l'autre ou, si l'on ose dire, s'inventent un autre. D'ou aussi létrange idée de Frege d'écrire par formules la pensée pure. Liinspection d'une langue formulaire n’est sans doute pas le seul objet d'une philosophic de la science, mais c'en est un objet Et sachant que les styles sont éphéméres nous avons Paris. Ecoles Normale Supérieure de jeunes filles. DISCUSSION Président: M. Vuillemis Le Président de stance, M. Vuillemin prend la parole pour demander si la notion dapplication fait effectivement partie des concepts primitifs chez Frege ou n'y est quiimplicte, ‘Mv Claude Isaserr La notion de correspondance ext dans les concepts primiti® si la régle de generalisation y est. Cf. Grandlagen, § 71-73. ‘A la question de savoir si ces notions algébriques figurent explicitement dans les concepts primitié de Vidéographie on peut répondre oul, car pour Frege © (x) eat une application en méme temps qu'un concept, Mais cc serait une description grossitre de ce que fait effectivement Frege. On semblerait admettre qu’il suppose toute V'algebre et construit la logique & partir de algebre alors que sa démarche est & Vinverse, Il vaudrait mieux dire qu'l pose parmi des signes primitify de Widéographie certaines constantes fonc- tionnelles (par x: =, ou les connecteurs propositionnels usuels). Quant UWERITAGE FRECEEN DU © TRACTATUS = 3 4 la notion méme d’application elle appartient d'emblée & Ia syntaxe de Viddographie. M, Grancen: demande un éclaircissement sur le point exsentiel du confit qui oppose ‘Wittgenstein & Frege, c'est-A-dire la conception de objet. Comment carae- triser cette difference. M! + Frege a une conception grammaticale de Vobjet. Exemple : Husserl ironise sur l'affirmation que le nombre existe comme Ja mer du Nord. Pour Frege le nombre figure dans es propositions de 'arith- métique avec le méme statut que la mer du Nord dans les propositions du stographe. (V, Fondenents, § 26). M, Granozr: ‘Que penser de objet comme étant le “Vrai" ou le “Faux”? Mite Tumerr: Ioenene au Tse donne le Vrai et le Faux ‘comme des “objets logiques” c'est 4 dire qui sont susceptibles de constituer argument ou la valeur d'une fonction. Il peut alors construire au moyen du concept s' # x un autre objet, & savoir ensemble vide. Ce concept ayant toujours pour valeur le faux, son extension est vide, Puis il construit ensemble contenant l'ensemble vide ; on obtient ainsi fe 1, et par le pro- cbdé de la «suite sériellen 2, 3, 4, 5, ete. Frege marque en définitive un grand 8 pour Tutilisation de ta Begriffuchrift comme traitement du langage commun. La pierre de touche du logicisme est qu'il veut mettre en evidence des procédés rigoureux, et quills appartiennent & tout langage. Crest peut-ttre une faute d’accentuation de ma part que de n’avoir pas it fonds sur Vopposition entre Frege et Wittgenstein. Mais les hommages de Wittgenstein & Frege dans les textes sont éloquents: il a vu que tous deux sont anti-formalistes, que Frege avait donné une doctrine sémantique saine du calcul des prédicats, une syntaxe pour le ealeul des propositions dont fui, Wittgenstein, a donné les raisons sémantiques, les tables le vérité, M. Burc: ‘rmet quelques réserves sur le type d'admiration de Wittgenstein pour Frege, ‘en qui il reconnaissait un adversaire plus séricux, et partant plus aise & combatire, que Russell, plus métaphysicien et plus insaisisable. Quant & la technique logiq intéress# Ramsey, ce n’est pas du tout ce qui fascinait Wittgenstein dans Frege. Mie Tuner : ‘Wittgenstein n’était sans doute pas intéressé par le détail de la technique. Mais s‘agissant de distinctions profondes comme celles entre V'espace lo- a" cL. IMBERT ique et lespace des faits, par exemple, on peut varier sur la question de savoir si elles sont techniques ou philosophiques. Disnns que Wittgenst 1 reconmu dans Frege celui qui eut le sens précis de Ia maniére dont fonc- tionne un langage, Et quant aux finewes russelliennes, on peut les trouver quasi toutes chee Frege. Un dernier point concemant son réalisme: il est douteux. Ses fonctions sont des correspondances; sl parle dobjets, c'est comme un arithméticien, ct il n'y a auetme philosophic Hidewous, je veux dire aucune ontologie. M, Raccio: Si le vrai et le faux sont les seuls objets, le processus de génération se limite done au fini, sinon le processus récursif exigera un axiome de Fnfini. MMe Tuner: (On ne peut dire ni que Frege soit limité au fini, ni quil exige un axiome de Vinfini. 11 définit tes cardinaux finis, puis il pane A Aleph-zéro défini ‘comme le nombre qui appartient au concept équinumérique 4 la série natue relle des nombres. Outre le vrai et le faux, Frege admet comme objets lo- siques toutes les extensions de concept construites par 'idéographie. Or fon peut définir une classe d'équivalence sans énumérer effectivement les Aéments qui la constituent. M, Vunesme: Crest done le procédé de Ia chaine. M, Voruuesin : Comment se passer alors d'un axiome de I'infini ? (MMe Inert: sition pout demander faut Paine A son axiomatque i une classe d'équivalence ext construite comme une chaine, son nombre cardinal et inf M, Vor Wrtcsrr: + ose le probléme de lorigine historique de la notion de fonction de vérité. Si Frege ne s'en est jamais servi au sens wittgenstein, qui 'a introduite entre Frege et Wittgenstein ? Elle ne se trouve pas dans Ia I" édition des Principia. Estce A dire que le 1 emploi au sens modeme se trouve effectivement dans le Tracotus? Mie Innere: Crest assurément A Wittgenstein qu’on doit le mérite de analyse “truthe fonctionnelle” dana son originalité, qui comsiste A I'ausocier aux tableaux de verité, UMERITACE FREGEEN DU « TRACTATUS © 75 M. Granoen : Mais pourquoi en refuser le mérite aux Stoiciens? Mie Iaesert : Leur grand mérite est d'avoir, pour des raisons grammaticales et morales, donné une analyse du conditionnel ; mais la théorie du reléve pas d'une théorie dépictive. M. Buace: revient & Ia question de lanti-réalisme de Wittgenstein. 11 résume les chefs opposition de Wittgenstein & Frege: 1) La propasition comme nom complexe. 2) La distinction Sinn- Bedeutung. Majoute La polémique avec Peano-Schroder montre bien que Frege était un logicien “Yintensionnel” : pas de théorie des ensembles au sens moderne, se fonet rhe sont pas des correspondances mais des “‘entités non saturées”. Une lecture extensionnelle ne peul-ttre faite qu’aprés coup. Mie Taner: 1) Dans la Begriffschift Frege considére bien les fonctions comme des Alements insaturés, mais le paradoxe est qu'il ait eu le génie d'inventer cette langue sans savoir encore tout ce qu'elle pouvait énoncer et décrire. Par Ia suite, il avait en tous cas une notion extensionnelle et ceci dés les Fondements (1884), 2) Méme it nassocie pas toujours les éléments idéographiques aux realités algébriques, Frege a vu clairement qu'il fallait commencer par définir les nombres cardinaux. Crest sa conception, somme toute pessimist, de la langue, qui hui stein, 3) Quant aux ensembles et & Ia polémique avec Cantor et Schréder, Frege dit qu'on ne doit pas confondre ensemble et classe. Cette mise au point atteste que Frege a une vue tris claire de ensemble. Un ensemble n'est pas pour lui une entitt abstraite mais un élément technique de calcul permettant dutiliser lex applications. Sion définit "ensemble comme clase a'Aéments, comment défnir ensemble vide? Comment distinguer Tene semble contenant un seul élément et cet élément lui-méme ? Certes Frege a payé cher ses maladresses, par exemple d'avoir appelé du vicux nom “extension de concept” ee que lex modermes cherchent & décrire par le terme: ensemble. Il les a payées du mépris de Cantor. Le ‘compte rendu que ce demir ft dea Fondmens était xi injuste que Zermelo, éditant Cantor ne put que le déplorer: cette querelle était indigne d'un grand esprit. 1 8 ch IMBERT M, Cuavenin : Peut-on admettre, & votre avis, une unité des critiques de Wittgenstein Et i oui ne pourrait-on pas dire que ces critiques dérivent toutes d' point de vue unique, qui n'est pas I'amélioration de la science logique, mais fe désir d'utiliser Ia logique : en somme ces critiques ne viseraient-clles pas abord & conférer une valeur absolue & cette doctrine logique dont Wittgen- stein a besoin pour mener & bien son entreprise philosophique ? Mite baer : Les critiques ponctuelles ont certes une unité en ceci, que, pour Wittgen- stein, i ext intenable que la logique soit & Ia fois syntaxe et science ayant tn contenu, Wittgenstein demande qu'on powse Vanalyse jusqu'au bout. ‘Quant A la Begriffischrift, Wittgenstein ne s’est pas intéressé comme I'a dic M. Black A la technique logique : ila utlisée comme moyen d'analyse Bu sena rusllien du terme. M, Ciavenin et MM¢ Inment: ‘concluent & leur accord sur la question soulevée. WITTGENSTEIN ET LA METALANGUE par GILLES GRANGER Le probléme de la métalangue sera considéré ici surtout en vue de comprendre, plutdt que de critiquer, la position de Wittgenstein, tant A lépoque du. Tractatus que postérieurement. Touchant cette Evolution, ’hypothése que nous pensons avoir l'occasion de confir- mer est qu'il faut envisager la philosophic de Wittgenstein comme tun tout, dont les problémes initialement présentés par le Tractatus continuent de jouer un role essentiel dans les Recherches. Mais ils sont alors replacés dans une autre perspective, qui en modific quelquefois profondément 1a forme et I'incidence. Nous nous con- formons, du reste, en ceci, & Vindication du philosophe lui-méme, recucillie dans un texte connu du Blue Book : «Every new problem which arises may put in question the position which our previous partial results are to occupy in the final picture, One then speaks of having to reinterpret ‘these previous results; and we should say : they have to be placed in different surroundings» (BI. B., p. 44) ("). A la question: un usage métalinguistique du langage est-il posible? la réponse du philosophe est toujours, apparemment, demeurée négative ; mais la position méme du probléme, plus importante ici sans doute que la réponse, s’est transformée assez radicalement du Tractatus aux Recherches (*). (1) Abvéviatons désormals wists: 2. G, M, (Bennkingen the &e Gnndagr der Madematit); BL. . (Ble Bok); M.B. (Notoats) ; Ph. B. (Phlsephichs Beerngr); Ph. U. (Phiphiche Unternchangn). (2) Nous ratacherons aux Rechrces philowphiqus lea textes pntscurs & 1929, qui 4 teaucoup dgardy repentant difrena au dela penpectve nouvelle. Aus tien ne Fayitil pus fel examiner une ation, mals de compare deux atime de pente. 78 G. GRANGER Le gystlme du Tractatus et la métalangue «Was sich in der Sprache spiegelt, kann sie nicht darstellem» (Tr. # 121). posant V'llégitimité de la métalangue : le langage ne peut exprimer ses propres propriétés, du moins celles qui lui sont essentielles. On observe tout d’abord que cette impossibilité ne s’applique nullement & une description du langage comme fait; toute pro- position correcte est une image, et toute image est clle-méme un (fait articulé (2 141). Le langage, totalité des propositions (# 001), ‘peut donc parfaitement se représenter lui-méme en tant que partie du monde. Mais sil n’est nullement indifférent qu’il en puisse @tre ainsi, on voit bien cependant qu'une telle description des événements linguistiques laisse échapper essentiel: une propo- sition, en effet, ~~ comme tout signe du langage — posstde des traits essentiels et des traits accidentels (3 34) ; ce sont ces traits acciden- tels qui seront représentés dans la description Iégitime du langage par luieméme (*). oe Tl convient done, d’autre part, de marquer que I'illégitimité — Vimpossibilité logique — d’une métalangue en général, ne saurait ttre confondue avec le non-sens spécifique dérivant d’une auto- référence de la proposition, telle qu'elle est dénoncée en 3 332 et 3-333, Le paradoxe du Menteur est rapporté par Wittgenstein a la violation d’un interdit particulier, lié & I'un des traits de la représentation par signes: un signe propositionnel ne saurait se Contenit lusméme. Le théme nest pas développé par Vauteur du. Tractatus, mais il est intéressant de voir qu'il renverrait en fin de compte & une péoccupation finitiste : car un signe ne peut se contenir effectivement lui-méme que s'il se représente indéfiniment lui-méme, “en abisme”, faute de quoi le signe intérieur ne saurait identique au signe enveloppant. i OO asap La rent son illégitimité ne fait aucun doute dans le Tractatus. Ce qui se refléte et se montre sans s'exprimer dans les propositions est de la nature des propriétés et des relations internes ; ce sont des carac- tres aformels», qui déterminent sa «relation projectiven au monde, Cec ot expen frm dane toons & Moore Norte: 2 eho hts Bd sen pfion Bel ly pls Be eto aT dearth woking» (NB. 1, WITTGENSTHIN 1 LA MELALANGIE, 9 et cette relation n'est pas un fait. C'est ainsi qu'on ne saurait ‘exprimer un concept formel au moyen d'une “fonction” qui ne présenterait jamais que Ia propriétés d'un objet ou une relation entre objets. «L’expression (') d'une propriété formelle est un trait de certains symboles» (# 126). Un bon exemple de cette situation est fourni par la notion d'identité, développée de 5 53 4 5 534: Videntité de deux objets, qui n'est pas une propriété de ces objets mais une relation formelle, se monire par Videntité (Factuelle) de deux signes. Un symbole d'identité est donc superflu, et partant dépourvu de sens; il appartiendrait A un usage métalinguistique de fa langue. On peut saisir par un autre biais I'illégitimité d'un tel usage. En effet, les propriétés internes du langage sont constitutives de celui-ci, comme elles le sont du monde qu'il représente. On ne peut conc penser, c'est & dire représenter les faits dans le langage, sans implicitement faire fond sur les propriétés de celui-ci. Or, pour les désigner et les décrire, il faudrait pouvoir les faire apparaftre ar contraste avec des propositions qui ne les posséderaient pas : «Il faudrait un langage qui n’aurait pas les propriétés en question, et il est impossible que ce soit 14 un vrai langage. » (Notes dictées & Moore, en avril 1914, in N.B. p. 107). Impossibilité souvent. expose dans le Tractatus lui-méme sous une forme un peu diffe férente sil faudrait sortir du langage pour en exprimer les propriétés. Un métalangage correct est donc en ce sens inconcevable. Il en découle des conséquences, dont deux semblent particuliérement Propres & compléter un exposé de la thése elleméme au niveau du Tractatus, et & nous fournir les termes de comparaisons ulté- rieures, Crest d'abord le statut des taulologies. Ne décrivant pas des fait, elles ne sont pas des propositions véritables, mais montrent par leur structure la forme logique inexprimable qui sert de cadre toute description du monde. Elles n'appartiennent done plus au langage, dont elles constituent pour ainsi dire a limite; en celles, le contenu d'information s'est évanoui au bénéfice de la seule indication d'un systéme de référence, Ce ne sont pas pourtant des non-sens sans aucune relation représentative avec le monde: Ja «méthode de projection» qui leur est propre consiste justement (0) cdusércke, pris il en wn seas géatral nomtechnique. Un tel trait, ea effet, ne esprine pas, ve mente, 80 G. GRANGER en ce qu’elles ne montrent rien d’autre que la forme logique vide dans sa généralité, D'une certaine maniére, elles jouent donc le ‘role expressions métalinguistiques, Ce sont, en effet, des aformes de preuves» (Tractatus 6 1264, et aussi N.B. p. 108), qui montrent comment une proposition suit d'une autre. Par exemple, “si notre tautologic est de la forme pg, on peut voir que ¢g suit de p” (N.B., p. 111). La tautologie cst ainsi le substitut d'une impossible description des enchafnements logiques, et, en général des propriétés interes du langage. On le vérifierait en différents endroits du Tractatus, comme en 5525 entre autres, ob Wittgenstein reproche A, Russell de traduire: «(E x). fi» par: atx est possiblen. Car, dit-il, «la certitude, la possibilité lite d'une situation ne s'exprime pas par une pro- , mais par la propriété qu’a une expression d’étre une tautologie, une proposition pourvue de sens ou une contradiction». Ainsi Pune des valeurs métalinguistiques de la tautologie est-elle *d'indiquer la nécessité, Si la tautologie est une forme de preuve et non un énoncé pourvu de sens, on congoit qu’un exposé déductif de la logique du type axiomatique doive apparattre comme arbitraire, puisqu'il privilégie sous le nom de propositions primitives des combinaisons de signes dont le choix n'est pas pleinement justifié, Il n'y a pas deaconstantes logiques», mais seulement des réalisations différentes du processus de preuve, et cest ce que résume la forme générale de la proposition et qu’explicitent les tableaux de vérité. De ce point de vue, on notera que l'exposition de la logique la plus conforme aux vues *de Wittgenstein serait certainement celle de la «déduction naturelles “de Gentzen, ou celle des tableaux sémantiques de Beth. Aussi bien, la forme générale de la proposition indiquée par le Tractatus n’est- elle pas, & vrai dire, une matrice, un moule & remplir, mais un schdme d'opération iterative, comme le montre clairement le commentaire, en 6 001, 6 002 et 6 O1. Mais Vidée d'un caleul des prédicats (*) (5) La théorie wittgnsteinienne du asigne de généralsation® nous parsit asex obacure, 1H ext dit en 9.26 quil acontient un prototypen (Urbid), et en 5.522 qu'l «indiquen ce Drototype et amet en vedet des constantesn, Tl semble qu'on pulse en conclure qu'il ne joue de rile qu’au niveau de Ia proposition tolée, dtwociant lor le domaine de variation des noms, et uae forme fixe (d'ol von anslogle avec les sgnes d'arrument. (5623-4 ¥.B, p. 25), «La géaéralisation eat exentcllement lie hla form Elémentairen, WITIGENSTEIN EF LA MELALANGUE a est absente du Tractatus, de sorte que notre remarque tourt ne s'appliquant en fait qu’au cas trivial du calcul proposi Le statut des énoncés mathématiques, dans son rapport avec ka thése sur le métalangage, fera lobjet d'une seconde observation, Dans le Tractatus il est dit en effet que les énoncés mathématiques ne sont pas des propositions pourvues de sens-elles n’expriment pas des pensées, c'est & dire qu’elles ne décrivent pas des faits (6 21) ; elles montrent sous forme d’équations ce qui est aussi montré par les tautologies, c'est & dire la alogique du monde » (6-22). Qu’est-ce alors qui distingue I"équation d'une tautologie? L'égalité indique la substituabilité de deux expressions (6 28). Elle nous renvoie done & une procédure symbolique possible, elle montre ce que devrait exprimer la métalangue. Dans le Tractatus, 'énoncé mathématique ct alors un cas particulier de cos énoncés vides qui, n’étant pas des non-sens mais des formes limites de la proposition légitime, tiennent la place d'énoncés métalinguistiques inadmissibles, Les tautologies dessinent le cadre des combinaisons propositionnelles possibles ; les équations désignent certaines opérations linguistiques. Crest ainsi que le nombre est défini comme «Iexposant d'une opération » itérée, c'est A dire index de répétition de cette opération, du reste quelconque (6 021). C'est un pseudo-concept, purement formel, qui concerne simplement une procédure nécessaire du langage, Pas plus que des «constantes logiques», on ne saurait parler cor. Feetement de «concepts mathématiques», Et, en un sens assez clair, dans le systtme du Tractatus les mathématiques tout entiéres sont un substitut de la métamathématique. Ainsi Villégitimité de cette dernitre est-elle, en fin de compte, déterminée par l'impossibilité d’exprimer autre chose que des faits ce qui concerne essentiellement le langage étant de la nature des propriétés internes nest pas de lordre des faits. Mais il est, dans le systéme du Tractatus, une autre maniére de n’étre pas un fait. Telles sont les propriétés du monde pris comme totalité. «Le sens du monde, est-il dit en 6 41, doit se trouver en dehors du monden. dite Nokook (p. 38), em soulignant le mot: forme jl faudrat au sans douterouligner e mots démentaire, est done dans une logique de «espace dea chosca» qu'il intervendrait, et non dans tune logique de « Pespace des fats. Sur cette distinction des expaceslogiques du Trar- tata, ch Grawoen, in PAe de le sine, 31968. 82 G. GRANGER semble bien que ce qui est nommé naleur par Wittgenstein cotncide justement avec la notion de sens du monde. Or, donner un sens a ‘une proposition portant sur le tout du monde, ce serait représenter ce dernier dans un systéme de référence qu'il ne remplirait pas & lui seul. De méme que la tautologie est vide de sens parce qu'elle montre formellement l'ensemble des possibles, de méme une proposi- tion de valeur, éthique ou esthétique,parce qu'elle semble décrire le rapport de la totalité du monde au vouloir d'un sujet qui n’en est que la limite formelle, est un non-tens. Car la violation des régles de la signification est ici plus radicale : la tautologie conservait les conditions formelles du sens, en neutralisant seulement le contenu ; elle indiquait encore valablement le -ystine des opérations démon- stratives applicables & des propositions pourvues de sens, La propo- sition de valeur n’indique rien ; car il n'y a pas de sytdme des trans- formations globales qu'un ego ferait subir au monde, systéme qui jouerait, comme cadre de référence de «faits pratiques», un réle symétrique & celui que joue Vespace logique pour les tautologies. Les énoncés de valeur ne renvoient donc ni & un contenu, ni a une forme assignable. Ils marquent seulement, par leur inanité, la limite de l'expérience exprimable, et si «le monde d'un homme heureux» différe dans sa totalité de celui d'un homme malheureux, cette différence est au-dela du langage. Mais cet au-dela ne peut meme pas manifester sa forme dans un simulacre de langage, comme y parvient le transcendantal logique au moyen de la tautologie et de I'équation, En fin de compte, la thése sur la métalangue nous conduit, dans le Tractatus, & distinguer trois usages diversement incorrects du langage. 1) Un usage proprement mélalinguistique, qui consiste & vouloir ésigner des formes et des opérations, & tenter de décrire en somme ce qui, du dangage, est indescriptible. La plus grande partie du ‘Tractatus lui-méme consiste en un tel discours. 2) Un usage qu’on pourrait dire cisslinguistigue (‘), et qui est Vénoncé des tautologies. Tout le calcul logique tel que Iétend Wittgenstein serait de cette nature. Les énoneés y sont vides de (6) Priaque cer pecudo-propositions font weir lea conditions « piri qui sont ended du langage luisméme et te rendent posible. WITTGENSTEIN ET LA sESALANGUE 83 sens, mais pris comme figuration de schemes, ils aident cependant & micux voir ce qui se montre dans les énoncés corrects représentant des faits. 3) Un usage trans-linguistique enfin, qui prétend formuler des jugements de valeur, mais dont les énoncés sont rejetés comme Urs non-sens. Mutalangue et description des «Jeux de Langagen dans la philosophie des « Recherches» Dans les Recherches philesophiques, les problémes du Tractatur sont reptis selon une prespective nouvelle, qui se caractérise, en ce qui concemne la métalangue, par une modification de 'idée du langage lui—méme. Wittgenstein considére maintenant comme illusoire la recherche de la «forme générale de la proposition», car celle-ci n'est déterminée que dans tel sytéme de régles, Ces systtmes de ragles n’étant pas réductibles, d’ailleurs, A des contraintes combina. toires portant sur les signes, mais consistant aussi en schémes de conduite qui régissent des «formes de view. Ces différentes formes de vie ne sauraient étre ramenées au commun. dénominateur d’un ensemble de traits généraux; elles ont seulement un «air de fa- rille» qui fait qu’elles sont toutes des «jeux de langage» (Ph. U. 65 ct 135, par ex.). Il résulte, entre autres, de cette nouvelle perspec tive, que les langues vernaculaires vont tre effectivement prises aut sérieux, Certes, dans le Tractatus il est affirmé déja que le langage uusuel est «parfaitement en ordre tel qu'il est», et que la construction une Begriffischrift ne vise nullement & opposer une langue telle qu’elle devrait étre 4 la langue telle qu’elle est. Les Notebooks exprimaient dés 1915 la méme idée, et, selon une formule de portée plus générale, la méthode de Wittgenstein n'est pas de uséparer le dur du mou, mais de voir la dureté du mou». (N.B.p. 44), c'est A dire, ici Ia forme logique au sein de Vexpression naturelle. Toutefois, le Tractatus, comme on sait, se borne & supposer l'unicité radicale de cette forme dure, et s'abstient d'en vérifier la présence dans le langage usuel. La nouvelle perspective philosophique inaugu- rée par les écrits des années 30, et que préfiguraient déja, sur ce Point, les Remarks on logical form (1), consistera d'abord & découvrir (7) Mis Anscombe rapport des jugement sévtrs de WitigentcinIméme sr ct ‘qasl, I! a'en constitue pas moins le premier témoignage d'un développement et dune revision de la perpective du Trctt a G. GRANGER Ja multiplicité du langage et & tenter l’analyse de ses formes. Ainsi se trouvera remise Asa juste place la doctrine trop exclusive et trop rigide du Tractatus, sans pourtant qu’on la puisse considérer, dans son ensemble, comme réfutée. Le probltme de la métalangue se trouve alors reformulé, On lit par exemple dans les Remarques phileophigues : «Ich kann mit * der Sprache nicht aus der Sprache herausn (Ph. B. 1.6). Crest & dire, comme il apparalt par le contexte, qu'on ne peut enseigner I'usage de la langue seulement par la langue elle-méme, Ce qui ne signifie pas simplement qu'un langage est insuffisant pour se servir A lui- méme de métalangue,mais bien qu’aucun langage n'est métalangue + adéquate d’aucun autre, Dans ces conditions, le dessein meme de la philosophie qui demeure ici comme dans le Tractatus, critique du langage, s'infiéchit maintenant en une description des difficultés soulevées par les régles multiformes des différents jeux de langage, et rencontre de nouveau Vobstacle de 1a métalangue. Mais la question est cette fois assez différente, en raison du déplacement de la perspective d’ensemble. Le langage est maintenant saisi dans sa plénitude de jeu en situation, de conduite régiée par des conventions complexes, qui ne sont plus forcément entendues comme propriétés internes constitutives d’un langage en général. Non que Wittgenstein veuille & aucun moment substituer & la philosophie une psychologic behavioriste; il s'en défend au contraire, et veut bien plutot étendre & Venchevétrement du langage nature! I'analyse logique qui avait mis au jour Ia forme du jen de langage privilégié envisage par le Tracatut. On peut néanmoins se demander si la mise A nu des régles d’usage, la description des «faits grammati- caux» ne constitue pas une réhabilitation de I'usage métalinguistique du langage. TI faut en tous cas constater que les rapports du monde au langage et Asa grammaire ne sont plus ceux du Tractatus. Certes, le signe renvoie toujours au fait ; il n'ya pas d’intermédiaire entre le langage et la réalité qu'il représente : «die Zeichen, in wie immer komplizierte Weise, om Schluss doch euf die unmitlbarer Exfahrung bevichen, und nicht auf cin Mittlglied (ein Ding an sich)» (Ph. B. XXII225, p. 282). Mais ce rapport n'est plus assimilé & la similitude de l'image et du fait. «Der Sate, die Hypothese, ist mit der Wirklichkeit gekuppelt und mekr oder weniger lose » (ibid.). La proposition est qualifiée dans ce texte d’ehypothése — et le mot Sete semble intentionnellement otciller entre le sens général de proposition et celui, plus spécifique, WITTGENSTEIN ET LA METALANGUE, 85 insi que Wittgenstein donne comme exemple d'ahy- liegt cin Buchn, et ajoute : « Eine solche Darstellung gibt cin Ges et zm (ibid. p. 264). La proposition n'est plus l'image pure et simple d'un fait ; elle pose hypothétiquement une construc tion de fait A partir des différentes esquisses qu’en donne, ct cn pourra donner, l'expérience. «L’hypothése est un mode de repré- sentation de cette réalité, car une nouvelle expérience peut s'accorder fou non avec elle, et rendre ou non nécessaire sa. modification » (ibid., p. 285). Crest en ce sens que le «couplage» du langage et de la réalité est «plus ou moins ache» ; Vexpérience immédiate doit seulement vérifier et confirmer «une facette» de ce qui est exprimé (ibid, p.282). Ul semble bien, das lors, que la clause de stricte représenta imposée A tout usage correct du langage par le Tracatus soi considérablement affaiblie, En dernitre analyse c'est bien tou au monde que la proposition pourvue de sens doit renvoyer ; m: sil'on admet maintenant que la représentation n'est que partielle — et hypothétique — un certain glissement n’est-il pas autorisé, qui permette d’assimiler a l'une de ces facettes de la réalité quelques aspects essentiels du langage Iui-méme ? Et par ce biais cst légi timement que -le langage parlerait du langage. I nous semble que cette attitude plus libérale, sans qu'elle soit exactement for- mulée, sc manifeste dans le traitement des jeux de langage tel que le présentent les notes des Cahiers blew ef brun et les Recherches philoo- phiques. len est de méme en ce qui concerne l'idée de grammaire, désor- mais détachée de celles de rigeur et d’exactitude, «Une régle se présente comme un poteau indicateur. Celui-ci ne nous Iaisse-il aucun doute sur le chemin que nous devons suivre ?» (Ph. U. 1. 85, P. 39), L’assimilation de tout jeu de langage & un «calcul aux ragles strictes ext dénoncée dés ie Blue Book (p. 25) comme source de nos difficultés philosophiques. «Our ordinary use of language conforms to this standard of exactness only in rare cases». Les régles de grammaire qui déterminent un jeu de langage ne semblent done pas se réduire simplement & des relations formelles, et en tant que telles impossibles & énoncer. Il faut distinguer alors une «grammaire de surface» dune «grammaire profonden(*). La premigre, «qui nous (8) Distinction qui ne recouvre que trés imparfaitement celle quvintroduit Chomsky au moyen des mémes termes. (Cf. Carton linguistic, p. 31 499. N. York 1956). 86 G. GRANGER frappe immédiatement dans l'usage d’un mot, est le mode d’appli- cation de celui-ci A la construction de la proposition» (Ph. U. 664, p. 168). C'est en somme ce qui faisait objet du Tractatus. La grammaire profonde, qui occupe au contraire l'auteur des Recherches, concerne Musage des mots réintégré dans le jeu de langage effectif. ‘Ainsi la description du langage devient-elle Iégitime en tant que crest cet emploi des régles qu’elle vise, On ne décrit du reste, & roprement parler, un jeu de langage, qu’a quelqu’un qui soit ga capable dele pratiquer. Faute de quoi, on ne saurait le décrire : con enscigne (Zeliel 432, p. 76). Mais Wittgenstein n'a pas abandonné la thése fondamentale de V'illégitimité d'une métalangue rice sensu, puisqu’il écrit encore dans les Fiches: « Wie ein Wort verstanden wird, das sagen die Worle allein nichto, (Zetel 144, p. 26). Néanmoins, la langue naturelle, la langue de tous les jours peut et doit nous permettre de conduire cette description des jeux de langage aussi loin qu'elle peut I’étre : «quand je parle du langage (mots, propositions, etc.) il faut que jfemploie la langue de tous les jours», (Ph, U. I. 120, p. 48). Et la philosophic, comme jeu de langage consistant & parler ainsi du langage, n’exige pas une « phi- lsophie du second degré», puisque c'est le méme langage naturel qui décrira usage du mot «philosophic», tout comme l'ortho- graphe traite du mot « orthographe» lui-méme. (Ph. U. I. 121, p. 49). De cette réinterprétation de la thése sur la métalangue, il est naturel que découle un nouveau développement de la thése du Tractatus sur les mathématiques. Celles-ci sont apparemment 4 considérer comme jeu de langage particulier, dont le caractére spécifique est que tous ses énoncés, ou équations, «sont des régles de syntaxe». (Ph. B. 121). Une telle formule rend assurément le méme son que celles du Traclatus. Toute la difference est en ceci, que de tels énoncés, bien que ne renvoyant & rien hors d’eux-mémes, sont maintenant reconnus comme légitimes au sein d’un jeu de Tanguge ; ils ont droit désormais au titre de «propositions grammati- calesn (B. G. M, II, 26, p. 77). Différence qui n'est nullement de pure forme, car la proposition mathématique & maintenant une sorte de contenu, que Pinterlocuteur de Waismann, si l'on en croit les notes de ce dernier, paratt bien avoir caractérisé comme «intuition ddes symboles» (Wittgenstein und der Wiener Kreis, Anhang A, p. 219). Crest ce que confirme un texte des Philosophische Bemerkungen (XIII. 151, p. 176), od il ext dit que les uproblémes diffciles en mathéma- WITTCENSTEIN EY LA METALANGUE 87 tiques sont ceux pour la solution desquels nous n’avons encore aucun systéme éerit, Le mathématicien qui cherche posséde alors en quelque sorte un systtme de symboles mentaux de représentation «dans sa téte», et il s'efforce de les mettre sur le papier.» Le travail mathé- matique consiste done & transformer l'intuition symbolique en ragles explicites d'un jeu de langage. Ainsi la mathématique ne peut-clle se décrire : elle se fait. (Ph. B. 159, p. 188). Elle est 1a transcription actuelle d'un jeu de langage portant, en fin de compte, sur le langage lui-méme ; une proposition mathématique non sculement montre, mais encore expliite une démonstration. Il n'est done pas possible d’envisager une métama- thématique, dans la mesure od la mathématique est sa propre mé- talangue : «tout doit étre du méme type.» (Ph. B. I. 153, p. 180) crest A dire dans ce cas précis que langue objet et métalangue ne font qu'un. De Id cette thése déconcertante des Remargues sur le Jondement des mathénatiqus, que la mathématique n'a pas besoin de fondement. (B. G. M.'V. 13, p. 171). Cette boutade signifc qu'éant grammaire de part en part, et par conséquent, en ce sens, normatives, les mathématiques n'ont besoin que d’éclaircissements concernant la cohérence ct les limites de leur jeu. Mais de méme au’une philosophic de la philosophic serait pour Wittgenstein une réduplicaton inutile, de méme une mathématique des mathéma- tiques est pour Iui une notion vaine, celles-ci lui paraissant. te comme & Napoléon la stratégie, un art simple et tout extcution, Ainsi le probléme de la métalangue nous est-il apparu comme présent aux deux moments de la philosophie de Wittgenstein, I] trouve dans le Tractatus une solution dogmatique, en accord avec Je dessein du philosophe, qui est alors de rendre manifeste une forme logique universelle organisant tout discours objecti. Il s'agit bien ce niveau malgré les observations sur lordre des langues naturclles, de «séparer le dur du moun. Et c'est seulement dans les Recherches A con programme des Notebooks: faire “vuir ", La thése sur la métalangue prend ici un sens plus souple, qui autorise un discours philosophique Iégitime. Et si Wittgenstein se refuse alors 4 admettre une métamathématique, c'est qu'il croit pouvoir considérer les mathématiques comme une sorte de métalangue, qui se justiferait elle-méme par son propre jew. Aix-en-Provence. 88 G. GRANGER DISCUSSION Président: G. Von Watowt M, Vox Warowr 'M, Granger, avec raison, a su montrer que le meme probléme toujours préoccupé Wittgenstein, du Tracatur aux Investigatios, et exemple de la ré- {alangue illustre cela admirablement : 'attitude critique & l'égard de Ia possi- Bilite de ln métalangue ext la méme, mais l'argumentation differe. Tout se passe comme si Tidée centrale ait la suivante, Comment est-il pos ible pour le langage de signifier? (idée d’intentionalité) et le cocur de TVargument dans les demniers textcs peut se comprendre dans cette optique : quiestce que construire un métalangage? ‘Extece prendre une partie du langage et montrer comment le manipuler sclon des régles: Ia métalangue donne alors ces régles. Mais l'llusion con- siste A croire que tous deux soient des langages. Car faire un métalangue suppose que Von ait un langage, et tout ce qui est important philosophique- ment au tujet du langage a glisst du langage au métalangage, M, Racoto: 1) 11 faut je crois montrer la relation étroite existant entre absence d’un calcul des prédicats dans le Traciatus et le fait que les tautologies y jouent le role de métalangage. Concrétement on peut voir comment cette relation est simple pour une logique des énonets, oi Yon peut toujours compléter la construction des énoncés par celle des tables de vérité correspondantes (écrites au revers de Ja page). Mais le calcul des prédicats pose des problémes différents, comme celui de la complétude; les processus récursié sont liés A une construction ui ne s'achéve pas; dans le langage de Witigenstcin, la page serait infinie. D’od la liaison entre les deux thises qui permet de dire que si 'on reste & Vintérieur d'un langage finitiste, la position de Wittgenstein est acceptable, tandis que dans le cas de notions infinitistes elle ne Vest pas, 2) Dans la logique des séquences de Gentzcn, la ache est un signe mé‘alin- guistique, et, de plus, les hypothéses (dans la logique dite «naturelle») sont liées A argument par supposition qui implique un déroulement tempore! contraire A Midée de Wittgenstein selon laquelle un énoncé montre immédiate- ment sa structure, M. Granoer ‘Witgenstein ne surat s'opposer & cela pour sutant qu'il s'agit de pro- cesuu, car la «simple inspection» suppose une combinatoire latente, M, Buck, La posibilité de la métalangue, cet la posibilité d'exprimer les lois de 1a syntaxe logique. La philosophic une fonction négative dans le Tractatus: dénoncer le WITIGENSFHIN: ET LA METALANGUE 49 non-tens, Mais on peut néanmoins voir que Wittgenstein © ausi la fonction positive d'exhiber ecriains traits de la forme logique. 11 faut distinguer deux questions: — Un métalangage syntaxique extil possible ? — Un métalangage sémantique est-il possible? Dans le second on ne pourrait traiter les symboles comme symbolesinertes. Ces problémes logiques & propos du Tractatus proviennent de la maniére de comprendre le «showing» — la tautologie n'appartient pas au langage, dit_M. Granger — elle montre, elle ne dit pas. ‘On pourrait ausi dire que la monstration (showing) fait partie du langage. are interconnenion entre montrer t dre. Mais le montrer aa in Vintuitif — la confusion d’un langage peut étre levée par une technique particulire qui en manifeste la structure logique. De plus, on peut distinguer deux usages du langage : — usage de base (assertions) — usage permettant de montrer les connexons — le langage est une ité. ‘Les critiques de Wittgenstein contre le métalangage viennent de ce qu'il n’a pas su distinguer, le fait de justifer et le fait d'exprimer. Si Yon comprend qu'll ait nié la possbilité de justfier rationnellement le mé talangage, pourquoi auraitil nié Vaspect d'expression métalingwistique’ qui fonctionne de fait (au sens d'un métalangage sémantique sinon syntaxique) ? M, Granors Je n'ai certes pas voulu dire que les tautologies doivent étre rejetées du langage — mais qu’elles sont des formes limitées de propositions — de ppures monstrations qui n’expriment ri M, Black insite sur deux dimensions du langage — Wittgenstein en effet distingue deux aspects dans a compréhension : un aspect de type séman- tique (représentativité) et un aspect qui est cclui de Minterconnexion de symboles. Mais ces deux aspects se montrent. Ex il y a saisie de Venchainement syntaxique comme de la dénotation sé- ‘mantique. [Nous pouvons faire la distinction pour comprendre en quel sens un usage ‘miétalinguistique ext possible, lequel est admis en un sens au niveau du Trac- fatus. M, Speer: Le cas des énoncés grammaticaux suppose que I'on puisse corriger le sens d'un mot. Or, la plupart des énoneés mathématiques sont grammaticaux, done for- mulés dans un métalangage. M, Grane Liambiguité vient du fait que 'expressionde Ia régle grammaticales'effectue dans le langage objet, parce que celui-ci est un fait (du monde) et aussi parce 90 G, GRANGER ‘que la description d'une régle de langage se rapporte & une conduite qui ‘st une partie du monde, M, Brack : Prenons exemple du jeu d’échees — si je montre qu'une certaine position ‘at posible, je me sera de la pidce meme, nom de son nom — comme si je Joutis — seul le propos difere. Ce que Wittgenstein avait dans lesprit, c'est que lorsqu‘on utilise un mot fon ne parle pas de Iui (ici méme distinction entre assertion et démonstration ou exhibition des formes logiques). M, Grancer ‘On reste dana le langage objet méme si on 'éucide en variant les exemples afin de montrer la régle, car Ia méme forme peut étre présente dans Ia pro- duction de plusieurs schémas linguistiques. M. Racro: Je suis d'accord avec Iexemple du jeu d’échees mais le probléme intéresant (ci. Waisman) est que si l'on veut montrer qu'une configuration n'est pas possible, on ne peut le faire par déplacement de pidces, mais par une pensée sur le jeu —si la métalangue est une combinatoire, trés bien ; mais 3i lle suppose expression de raisonnements (ex.: ralsonnements par I'absurde), ily a diffculé. M. Buack (On peut ajouter au mouvement des pices un courant électrique empéchant par exemple que le roi ne marche d'une certaine fagon — il ext sir que certains énoneés de Gédel n’auraient pas de place dans Wittgenstein. Mais iy a place cependant pour une fonction positive de Ia philosophie dans le Tracatus. ELUCIDATION PHILOSOPHIQUE, ET «ECRITURE CONCEPTUELLE » LOGIQUE DANS LE 7RACTATUS par MAURICE CLAVELIN ‘On sait que pour Wittgenstein la philosophic n’est pas une doc- trine, mais une activité consistant en élucidations (4.112). Un util efficace — la logique eréée par Frege, reprise et perfectionnée par Russell — doit lui permettre de mener A bien cette tache. Ce rdle d’instrument par excellence de I'élucidation philosophique, Ja logique l'exerce en fait A deux titres : 1) En tant que description des formes logiques de la représen- tation, et notamment des formes logiques originelles des propositions (Urbilder) 5 2) En tant que science a priori de espace logique, c'es-d-dire du référenticl dans lequel s‘effectuent le répérage et la coordination des propositions représentant les faits. Si dans le second cas la logique est d’abord un calcul (6. 126), dans le premier, en revanche, elle est exsentiellement “écriture conceptuclle” ou Begriffsschrifi — Wittgenstein reprenant exacte- ment le terme de Frege. On voudrait ici caractériser et apprécier T'intervention de la Begriffsschrift logique dans le Tractatus : d'abord en montrant qu'elle soutient et oriente, pour une large part, le travail d’élucidation propre la philosophie ; ensuite en établissant que le réle privilégié que Wittgenstein est amené & lui reconnaltre, a non seulement des conséquences plus que discutables pour la science logique, mais prouve & Mévidence que Ventreprise philosophique du Tractatus est loin d’étre neutre. 92 1M, CLAVELIN Literture conceptuelle logique et la clarification des propositions 1. Philosopher, au sens d’élucider, c'est en premicr lieu «clarifier» les propositions (4.112). Or, on ne trahira pas le Traclatus, si Yon dit quill stagit 1A de faire voir, et d’abord au wioeay le plus général, ce qui fonde A la fois leur sens et leur capacité figurative (Bildhaftig- seit, 4.013). Un passage un peu négligé — de 3.31 4 3.318 — permet d'établir sans équivoque & quel point "analyse est d’entrée guidée et inspirée par Mécriture conceptuelle logique. Désignons en effet par expression» (Ausdruck) chaque partie d'une proposition déterminant son sens (3.31), étant entendu que la proposition elle-méme est une expression, soit simple soit com- plexe, Comme il est aussit6t manifeste qu'une expression quelconque peut appartenir & différentes propositions, on affirmera I¢gitimement de chaque expression qu'elle caractérise une, forme en méme temps qu'un contenu (3.31) ; présupposant ainsi «les formes de toutes les propositions dans lesquelles elle peut intervenir» (3.311), une ex- pression se définira finalement comme «la marque caractéristique commune d'une classe de propositions» (ibid.). Une illustration trés simple, aussi proche que possible d’une proposition élémentaire, sera l'énoneé «Pierre est plus grand que Paul»; «... est plus grand que...» représente de toute évidence I'«expression» constitutive de cette proposition, cestA-dire I'élément déterminant de son sens, signe d'une «forme en méme temps que d'un contenu», «marque caractéristique commune d'une classe de propositions», Considérons plus attentivement cet exemple. On accordera sans difficulté que l'expression «... est plus grand que ...» est uprésentée par la forme générale des propositions qu'elle caractérise™, soit ax est plus grand que y», dans laquelle d’ailleurs elle est une con- stante (3.312), Mais la forme «x est plus grand que y »est elle-méme une variable : on peut done dire, sans commettre d'erreur, que I'ex- pression est présentée par une variable dont les valeurs sont précisé- ment les propositions qui contiennent I'expression (3.312). Une telle variable, que Wittgenstein dénomme «variable proposition- nelle», n’est en fait rien d’autre que la fonction propositionnelle de Russell. D’od ce premier résultat, qu'une proposition du genre «Pierre est plus grand que Paul» apparait d’abord comme une des valours que peut prendre la variable propositionnelle «x est plus grand que y». Nous pouvons aller plus loin, Jusqu’ici nous n’avons remplacé ELUCIDATION PrnLoserHig. 93 par des variables que les signes de notre proposition qui renvoient Ades individus. Or, rien ne nous empéche de remplacer aussi par une variable les signes auxquels nous avions conservé un sens, dans le cas présent “.. est plus grand que...”. Par notre premiére substitution nous avions obtenu une variable propositionnelle ; cette fois, nous obtenons quelque chose de tout différent, savi ce que Wittgenstein appelle un prototype logique, une image logique originelle (logisehes Urbild), en symboles xRy. Nous touchons alors & Tressenticl. Contrairement & une variable propositionnelle, une image logique originelle ne contient plus que des variables: & travers elle se révélera donc, sous sa forme la plus générale, ce qui constitue la structure d'une proposition, et Iui permet de devenir eventuellement «l'image» d'un état de choses. «Il est évident, affirme par exemple 4.012, que nous ressentons une proposition de la forme «aRb» comme une image. Ici le signe est manifestement a Ja resemblance de la chose signifiden. Si nos propositions sont donc susceptibles d'avoir un sens et de représenter la réalité, c'est cans la mesure exacte of nous pouvons les considérer comme les valeurs de formes logiques originelles dont les variables ont successivement regu une valeur. Sans doute estil A peine besoin d'insister sur la part prépondé- rante qui revient dans toute cette analyse & I’écriture conceptuelle de la logique russellienne. Dans la démarche qui conduit tour tour de la proposition & la variable propositionnelle, de la variable propositionnelle & la forme logique originclle, puis A nouveau, par stipulation des variables, & la proposition proprement dite, elle four- nit tout ensemble le but et le fil conducteur. C'est bien cfle — et lle seule — qui permet } Wittgenstein de répondre & ce probleme fondamental : comment et pourquoi nos propositions sont-elles capa bles, en dernier recours, de représenter le réel? 2. Un résultat aussi général demande naturellement a étre vérifié. ftant donné une proposition quelconque, sommes-nous toujours en mesure de montrer qu'elle est construite & partir d'une forme logique originelle, et donc que grace & cette forme il lui est possible d’étre dans une «relation internede représentation aveclemonde» (*) ? Pour répondre & cette question par I'affirmative, il est aisé de voir (1) Expreson utilide en 4.014, 4 M. CLAVELIN qu'une condition s'impose impérativement: que le langage, & travers lequel s'expriment nos propositions, soit vraiment accordé a la logique de notre pensée. Or, sur ce point capital, la position de Wittgenstein ne laisse pas d’étre & la fois claire et difficile. D'un bt il est certain que le langage n'est pas étranger a Ia logique ; creprésenter dans le langage quelque chose d’étranger & la logique, lit-on en 3.0321, on ne le saurait pas plus que représenter en géomé- trie par ses coordonnées une figure contredisant aux lois de Pes pace ou qu’indiquer les coordonnées d’un point qui n’existe pas», ct en 5.5563 Wittgenstein n’hésite pas a écrire que atoutes les pro- positions de notre langage quotidien sont effectivement, telles qu’elles sont, dans un ordre logique parfait». Mais en méme temps, il est pas moins certain que le langage quotidien posséde, vis & vis de la logique de notre pensée, une autonomic trés large. «Le langage, reconnalt Wittgenstein, déguise la pensée, et en vérité de telle sorte que d’aprés Ia forme extérieure du vétement on ne peut conclure 2 la forme de Ia pensée travestien (4.002). La question est done celle-ci:: esteil toujours possible de repdrer, malgré les défauts lin- guistiques, la forme logique des propositions? Disposons-nous des moyens nécessaires pour résorber les «irrégulurités» du langage ordinaire ? 3, Il est fréquent, note par exemple 3.323, que dans le langage quotidien «le méme mot désigne d’une maniére différenten — enten- dons: qu'il fui corresponde, selon les contextes, des désignations différentes —, et quiinversement deux mots qui désignent de ma- nitres différentes soient «utilisés extérieurement de la méme maniére dans la proposition». Ainsi le mot «est » apparalt aussi bien comme copule, comme signe d'identité, comme expression d'existence ; ainsi encore dans une proposition telle que « Vert est vert», le méme mot, bien qu’utilisé extérieurement de la méme fagon, ren- voie dans chacune de ses occurences & des symboles totalement différents (ibid.). Un seul moyen permettrait en fait d’éviter pareilles confusions : substituer au langage ordinaire un «langage de signes» assez précis pour que jamais un méme mot ne regoive des désigna- tions différentes (3.325). Or, non seulement un tel langage existe, mais il n’est autre que 'écriture conceptuelle de Frege et de Russell qui, aprés nous avoir conduit aux formes logiques originelles des propositions, fournit encore le meilleur outil pour surmonter les irrégularités du langage quotidien. Méme si elle an’exclut pas ELUCIDATION ritiLosoPHigLt. 95, encore toutes Ies erreurs (ibid.), la Begriffischrift logique permet par exemple de distinguer sans ambiguité entre l'emploi d'un mot comme terme-sujet et son emploi comme terme-prédicat (cf. 4.24) ; de méme montre-t-elle définitivement que Mexistence n'est pas un prédicat mais une propriété du deuxiéme ordre, et cela en la faisant intervenir, non dans la construction des fonctions propositionnelles, comme l'un des préfixes & l'aide desquels une fonction propo- sitionnelle devient proposition. 4. Toutefois ce n’est 14 que l'irrégularité la plus simple, la plus facile & corriger aussi. Une autre irrégularité, et beaucoup plus grave, réside dans le fait que 'aspect linguistique de nos propositions peut tendre & imposer une idée totalement erronée de leur forme logique réelle. Un premier exemple est celui des propositions concernant un «complexen, selon expression de Wittgenstein, et dont Ia forme logique ne peut etre dégagée que grice & la description de ce complexe (3.24) ; encore que le Tractatus n'apporte aucune référence, tout indique qu'il s'agit de propositions telles que «l’au- tour de Waverley est un génie» — od «l'autcur de Waverley » est effectivement un complexe — et dont Russell avait donné en 1904 une interprétation célébre, A nouveau seul I'usage de Mécriture conceptuelle logique, en restituant clairement les affirmations con- stitutives d'une description, permet de discerner sa forme logique et de supprimer I'écran que représente ici le langage quotidien, «le inte de Ease, note & ce propos 4.0031, est d’avoir montré que la forme logique apparente de la proposition n’a i etre sa forme réallon ine Un autre exemple du méme danger — et qui appartient cette fois A Wittgenstein — ese celui de Videntité, Dans usage linguis- tique ordinaire, des termes tels que wétre identique a», “etre le méme que...", semblent bien exprimer directement, et sans qu'il y ait matiére A discussion, une relation. Aussi rien de plus normal, a Premidre vue, que de Ics traduire dans I'écriture conceptuelle logique par une fonction deux places d'argument, un prédicat binaire si l'on veut, symbolisé généralement par le signe “=”. ‘Mais considérons plus attentivement cette interprétation. Il est assez troublant déA que dans son utilisation effective, au niveau du langage logique, le signe de Videntité n'intervienne nullement comme une relation. Ainsi prenons la proposition : «(x) fx. ) X = an: ace que dit cette proposition, remarque Wittgenstein, 96 M. CLAVELIN est simplement que seul « satisfait ta fonction J, et non que scules les choses qui ont une certaine relation avec a satisfont la fonction fo (5.5301). Mais la vraie difficulté est plus générale. Si lidentité ait vraiment une relation, dire d'une chose qu'elle est identique a elle meme ou de deux choses qu'elles sont identiques devrait avoir un sens. Or, il est difficile de ne pas convenir, si l'on veut bien réfléchir un instant, que dire d'une chose qu’elle est identique a clle-méme, en d'autres termes qu’elle est la méme entité qu’elle~ méme, c'est ne tien dire du tout, et que dire de deux choses qu’elles sont identiques est une pure absurdité (5.5303). De bonnes raisons incitent done & rejeter lassimilation de Tidentité & une relation, et du méme coup & lui refuser toute place dans les formes logiques originclles des propositions. Pourtant, c'est & I'écriture conceptuelle logique qu'il revient une fois de plus de mettre les choses définitive- ment au point, Cédant aux suggestions du langage quotidien, on avait introduit Tidentité dans la Begriffeschrift sous Ia forme d'un prédicat binaire. Outre les confusions qu’entratne parcil expression, c'était rester aveugle & ce fait trés simple que le concept Cidentte, loin d'exiger un signe spécial, peat etre intkgralement resttul au | mayen de cet artifice d'crture quiest Videntté du signe (5.53). Ainsi, ce qui s'énonce maladroitement dans le langage ordinaire sous la forme «a est identique & by, s'écrira dans la Begriffssckrift, non pas af (a, b).a = by, comme le fait A tort Russell, mais tout simple- ment «f(a,a)» ou «f(bjb)» ; «a n’est pas identique A b», au lieu de sc noter af (a,b).~(a = b)», se notera tout aussi simplement ‘af (a,b)» (5.531) ; de méme encore caseul un x satisfait f ( )», s*écrira a(q x)cx: ~ (a ny). bx, fy» (5.5321). En «montrant», et sans les équivoques de la premitre interprétation, Videntité de Vobjet, de telles formules prouvent d’abord & coup str que «le signe de l'identité n'est pas un constituant essenticl de I"écriture conceptuelle» (5.533) ; cles prouvent également que celle-ci, en permettant de corriger les irrégularités du langage, quelles qu'elles soient, apporte bien dans tous les cas fa possibilité de mettre & jour Ia forme logique réclle des propositions (*). (2) Ba fat, ce que ertique Witgenstcin cst Mntroduction du signe “=” dans I'er- ture conceptuelle entendue comme le langage symbolique au moyen duquel nous ana- Tyaone lea formes logiques origineles swseptibles de reprisenter le fait; dans cette perspective le signe “m=” ne peut que signifier ee qu'on appelle ordinairementVidentité, tt done ta présenter comme une relation, ee qui ext sbaurde. En revanche, i at tout ELUCIDATION PILOsoPHgt 7 Likeriture conceptuelle logigue et ta délimitation des. pseudo-propositions Si pertinentes soient-clles, ces premiéres analyses souffrent pour- tant d'un défaut; vouées a Ia clarification des propositions, elles procédent en effet comme si toutes les propositions que notre ingage peut construire étaient également si atives. Une telle supposi- tion a sans doute de bonnes raisons méthodologiques : lle n’en devient pas moins arbitraire dés l'instant o@ la structure des propo- sitions significatives a été définie, Aprés la clarification des pro- positions, c’est donc tout naturellement que la philosophie — congue comme élucidation —se voit confier la charge de délimiter les pscudo-propositions, d'isoler nettement le domaine du sens ct celui du non-sens (4.112, 4.114). Or, il est possible de montrer que dans Yaccomplissement de cette seconde tache, le réle dévolu a I'écriture conceptuelle logique est & nouveau primordial. 1, Et d’abord, existe-til un critére auquel on puisse s'adresser en toute confiance pour repércr et éliminer les pseudo-propositions ? Acette question Ia lecture du Tractatus apporte en effet une réponse est dans la confusion des concepts formels et des concepts réels que réside d'une fagon générale la source des pseudo-propositions. Pour s'en convainere, il n'est que d’examiner & quel principe se réfere Wittgenstein quand il critique expréssement certaines théories ou certains énoncés, Prenons, par exemple, la critique qu'il dirige contre le mode de présentation adopté par Russell dans I'Introduc- tion et les premiers chapitres des Principia Mathematica. Son défaut capital est d’sintroduire & la fois le concept de fonction et des fone- tions spéciales en tant qu'idées primitivesn ; or, si le concept de fonction ne peut atre présenté comme une idée primitive — au meme titre que des fopctions spéciales — c'est qu'il est un concept formel, mieux, qu'il est uniquement un concept formel (4.12721) (°). gig ute dng mainte ty chet h hmtme ode eur bj entre su mit Tl de deo teulant dir qu agi clement de deur fags iret dre le meme che, Cat quel prposdons mahématius new rappotet pan drciement onde (620, mai ve borent Bon deploes« prt la lave (622) ala do pears toot stew eau — nom de objec ql tpn tot sigue decofnion ese = indiquantvevlement gut Ca Cxpreons sont outcast (623, 6225; 5475). Le meme sgn pet encore tre wl cerectment wae Sa te comenitons are 4241, (8) Pre Medea, 1p 1, pp, 18a p92. 98 M. CLAVELINY Le refus de la construction logiciste du nombre s'appuie sur des considérations analogues. Pour T'illustrer, examinons le cas le plus simple, celui du nombre 1. Au chapitre 52 des Prinipia Mathematica, Ruseell définit «la classe de toutes les classes unitaires» qu'il désigne par le symbole «1» ; mais c'est seulement au chapitre 101, c'est-d-dire quand a été introduit le concept «nombre cardinal», que «la classe de toutes les classes unitaires» peut tre identifiée explicitement comme lc nombre cardinal 1 (‘) ; il suffit alors de formuler la pro- position correspondant & cette identification, savoir «1 est un nom- bre», pour comprendre que seule Putilisation du concept de nombre, c'est-A-dire d’un concept formel, comme un concept réel, permet de mener lentreprise A son terme (4.1272). Enfin — et dans un registre plus vaste — le méme critére justifie que l'on caractérise les propositions philosophiques comme autant de pseudo-propo- sitions. Les concepts propres de la philosophic sont cn effet des concepts tels que «chose», «objet», «proposition», «fonction», «relation, «substancen, «fait», etc. — les propositions philosophi- ques types étant des affirmations du genre «il y a des objets» (4.1272), ou des questions comme «existe-t-il des propositions sujet-prédicat alysables»? (4.1274). Mais de tels concepts sont par essence des concepts formels, d’od il résulte aussit6t que les propositions philosophiques ne sauraient réellement étre pourvues d’un sens (*). Ans arrivons-nous au vrai probléme que pose la délimitation des pseudo-propositions dans le Tractatus: qu’entendre exactement par concept formel et par concept réel? Comment Wittgenstein obtient- il et justifie--il leur stricte opposition ? 2. Soient donc les formes originelles sous lesquelles nous écrivons ‘cles propositions élémentaires en tant que fonctions de noms» (4.24), cest-d-dire «f (x) », «p (xy) m, etc. Les signes utilis par de telles formes, cest-A-dire «fs, «p», «x», «y», sont clairement des variables car ils renvoient A des valeurs toujours stipulables, ct par lesquelles, selon les cas, il sera possible de les remplacer ; «f» ou «p>, notamment, renvoient & des propriétés ou a des rela- tions, autrement dit & des concepts, et comme ces concepts sont ceux grice auxquels les propositions peuvent étre des images de (4) Mid, Uh, p. 19. (5) ¥ compra, bien entendu, ter propositions du Tracts, ef 6.54, ELUCIDATION PIULOSOPIUQEE 99 la réalité (4) il séra normal de les appeler concepts réels. Ce premier , prenons alors la démarche inverse, et au lieu de partir les « f(x) », « g(x,y) », considérons directement leurs interprétations. «Plus vieux (Socrate, Platon)», «plus grand (Brésil, Mexique)» sont par exemple deux interprétations de la forme « p(x,y) », obtenues par la substitution aux variables , x,y de certaines valeurs. Mais les valeurs — si différentes soient-elles — qui remplacent une méme variable ont toutes quelque chose en commun, et qui dépend de la place qu’elles viennent occuper dans la proposition. Ainsi plus vieux» et «plus grand», qui corres- pondent & la variable g, ont en commun de coordonner par une relation leurs sujets respectifs: on dira que ce sont des fonctions, ici des fonctions dyadiques. Quant A «Socrate», « Platon», «Brésil», «Mexiquen, ils ont tous en commun de représenter des réalites détermindes auxquelles peuvent étre appliquées les fonctions «plus vieux» et «plus grand»: on dira que ce sont des objets. Fonctic et objet (pour nous limiter & ces deux exemples) sont done des concepts d'un genre bien particulier, dont le propre est d’exprimer certaines caractéristiques communes & diverses categories de va- leurs. Aussi ne saurait-t-on les confondre avec ces autres concepts qui, substitués aux variables f, 9, x ou y, sont susceptibles d’en- gendrer des propositions & l'image de la réalité; portant sur la forme des termes, et non sur leur contenu, ils seront correctement écrits sous le nom de concepts formels (’). Cette distinction, obtenu dans un cadre restreint, peut etre immé- diatement généralisée, Un examen, méme rapide, montre en effet que les concepts ordinaires de la philosophic coincident exactement avec les concepts formels qu'on vient de définir. Pour certains, qui comme ceux d’objet, gle fonction, de proporition, de rclation, te., viennent en droite ligne de lanalyse logique, Ia chose va de soi. Mais le cas des autres n’est en rien différent. Un concept comme celui de fait se borne & exprimer une propriété commune A chaque état de choses qui se produit réellement ; le concept de monde, de son coté, n’a d’autre but que d'exprimer une vertaine propriété de ces mémes états de choses, savoir la possibilité détre regroupés en une totalité; de méme encore le concept d'image (6) Au sera de 4.01. (7) Autres exemple: proposition, relation, propriété, etc. Sur ce probleme de» con- cepts formels, om peut consulter Jules Vosuisats, Lepons sar ks prmir pilphic de Russil, pp. 237 19, 100 1M. CLAVELIN n'est qu'une propriété commune toutes les propositions déterminées qui se trouvent dans une relation de représentation avéc les états de choses; il est inutile de multiplier les exemples : concept formel ‘et concept philosophique sont en fait des expressions interchangeables. 3. Notre probléme n'est cependant qu’a moité résolu, Nous venons de voir lorigine et la portée de la distinction entre concepts formels et concepts réels. Il reste & comprendre pourquoi toute proposition construite avec un concept formel est nécessairement ‘une pseudo-proposition. Revenons & Péeriture conceptuelle logique, et posons-nous la question suivante : peut-on exprimer, & partir des formes logiques originelles que met & notre disposition la Begriffischrift, le fait que «quelque chose tombe sous un concept formel en tant qu’objet de ce concept»? (4.126). Ou si l'on préfére : peut-on considérer que des énoncés tels que «p est une propositionn, «x est un objet» sont des interprétations légitimes et acceptables de la forme ori nelle af(x)»? La solution de Wittgenstein est aussi simple que radi- cale, Répondre positivement & la question posée, c'est en effet accepter de compter « étre une proposition», «étre un objet» au nombre des valeurs de substitution de f dans af(x)», en d'autres termes les traiter comme de véritables fonctions. Or, « proposition», «objetm, nous le savons, ne font qu’exprimer certaines propriétés ‘communes certaines classes de valeurs, et cela revient trés exact ment & dire qu’aucune représentation de la réalité, aucune proposi capable d'tire wraie ou fauste, ne sauraient jamais tire oblenues par leur moyen. Il est donc impossible de les traiter comme des fonctions, et par Id méme d’admettre que des énoncés comme «p est unc proposition, «x est un objet», ou encore «f est une fonction», soient des interprétations correctes et doudes de sens de «f(x)». Les concepts formels, résume Wittgenstein, ne peuvent pas étre représentés au moyen d'une fonction comme les concepts propre- ment dits» (4.126). Est-ce A dire qu’ils ne peuvent étre exprimés ou désignés d’au- cune fagon? Déa le langage quotidien laisse apparaitre qu'une certaine expression a bien lieu: «Que quelque chose tombe sous un concept formel en tant qu’objet de concept... se montre au signe de cet objet méme. (Le nom montre qu'il désigne un objet, le signe numérique qu’il désigne un nombre, etc.)» (4.126). Toute- fois c'est & nouveau dans le cadre de I’écriture conceptuelle que ELUCIDATION PHILOSOPHIQUE 101 Ton apercoit le plus nettement le caractére toujours indirect de cette désignation, Une variable logique a pour but d'exprimer le trait caractéristique commun A toutes les valeurs qui lui sont sub- stituables ; mais cc trait caractéristique commun est précisément ce que décrit le concept formel sous lequel tombent ces valeurs : c'est donc Ja variable, «dans laquelle ce trait caractéristique est constant» (4.126), qui fournira expression normale du concept. «Chaque variable, note Wittgenstein, est le signe d’un concept formel. Car chaque variable représente une forme constante que possédent toutes ses valeurs, et qui peut étre considérée comme une propriété formelle de celles-ci» (4.1271). «Le variable de nom x, continue-t-il, est le signe approprié pour le pseudo-concept objet», dont Ia conséquence immédiate est que «chaque fois od Je mot ‘objet’ est utilisé correctement, il est exprimé dans I'écriture conceptuclle par une variable de nom» (4.1272). Pereeptible dans les symboles, mais inexprimable 4 partir d’une forme logique réclle, le rapport qui unit un terme, quel qu’il soit, au concept formel dont il reléve, est de ceux qui peuvent étre montrés, mais jamais étre dits (*). 4, Dés lors nous comprenons pourquoi toute proposition fondéc sur un concept formel est inévitablement une pseudo-proposition. Pour avoir valeur représentative(*), une proposition doit coordonner Jes noms qui la composent au moyen d'une fonction, ce qu'un concept formel —on vient de le voir —ne sera jamais, Tout énoncé utilisant un concept forme! utilisera par conséquent une pscudo-fonction, et ainsi sera nécessairement une pseudo-proposi Mais du mgme coup toute construction intellectuclle qui, soit & son origine ‘oit dans son développement, fera usage de concepts formels sera condamnée A méler sans cesse propositions véritables et pscudo-propositions, et pour cette raison devra tre critiquée sans ménagement. Or, tel est bien le cas des Principia Mathematica () Wittgenstein insite & plusieurs reprise tur le fait qu‘aucun artifie ne permet exprimer dieectement dans Mécriture logique un concept forme! ow une propastion construite A aide d'un concept formel ; ef, en 5.5351 ta eritique de Russell qui dans The Prinipler of Mothmatis (p15) prétendalt exprimer «le non-iens®“p est une pro poriton’ sows Ia forme « p> pm» (9) Crestadire pour pouvoir ttre mise, éventuellement, en connexion avec un état de chores; ef. 4.03, 102 M. CLAVELIN qui en introduisant & titre d'idée primitive (Grandbegriff) le concept forme! de fonction, en mtme temps que des fonctions spéciales, contiennent dans leur fondement méme le germe de trés graves confusions. Tel est encore le cas, toujours dans les Principia Mathe- ‘atica, de la déduction proprement dite du nombre qui, pour par- venir & son terme, doit traiter le concept formel de nombre comme tun concept réel, donc comme une fonction, — alors que «le con- cept de nombre, rappelle Wittgenstein, n’est rien d’autre que ce qu'il y ade commun & tous les nombres, savoir la forme générale du nombre» (6.022). Enfin tel est bien le cas de la plupart des doctrines philosophiques qui, ne comprenant pas «la logique de notre langage » (4.003), échafaudent leurs propositions & partir de concepts dont elles ne percoivent pas qu’ils sont seulement des mots servant & décrire telle ou telle propriété commune & un ensemble dobjets ou de concepts. D’od ces énoncés qui consistent & parler du «nombre de tous les objets» (4.1272), ou méme plus simplement a déclarer qu'ail y a des objets» (ibid), et dont nous voyons nette- ment A présent qu’ils sont de purs non-sens. D’od encore —& tun niveau plus élevé d’abstraction — ces questions qui consistent se demander «si le Beau est la méme chose que le Bien» (4.003), ‘ou s'il existe une substance, ou deux, ou méme davantage (cf. 4.1274 et 4.128). A chaque fois c'est bien la méme équivoque : oubliant Torigine et la place particulidres des concepts formels, on les traite ‘comme des fonctions, et méme parfois comme des fonctions dont les arguments sont cux-mémes des concepts formels, — le comble du non-sens a cet égard étant peut-étre atteint par une proposition du type «il y a trois objets dans le monde» (19). Le réle dévolu a I’écriture conceptuelle logique apparalt désormais dans toute son ampleur. Qu’il s'agisse de la clarification des propo- sitions ou de la délimitation des propositions et des pscudo-propo- sitions, c'est bien en s'appuyant directement sur elle que Wittgenstein obtient ses conclusions essentielles. C'est d’elle — et de nulle part ailleurs — que vient la réponse A la question capitale: quelle est la structure d'une proposition douge de «capacité figurativen? Dielle — ct dielle seule — vient également le critére permettant de dire avec précision pourquoi certaines propositions sont par (10) CE. A ce sujet les remarquer de B, Russet. dans Hise de mes idles piorphiqes, p45, ELUCIDATION PINLOSOPHIQue 12 nature dépourvues de signification. Tout se passe ainsi comme si Pécriture conceptuelle de la logique avait le pouvoir constitutif de refléter — de présenter — les formes originelles grice auxquelles les propositions peuvent devenir des «pensées», cest-A-dire d'abord avoir un sens, puis, aprés comparaison avec le réel, se révéler vraies ou fausses. On ne commettra done aucune exagération, si Yon affirme que dans lentreprise philosophique du Tractatus I'écriture conceptuelle fournie par la logique est beaucoup plus qu'un simple auxiliaire: pourvue @ priori d'une validité hors de contestation, lle intervient finalement comme un véritable domaine de réftrence dans lequct la philosophic est assurée de toujours trouver les res- sources indispensables & laccomplissement de sa double tiche d'élucidation, De Mécriture conceptuelle logique & I'élucidation philosophique, la conséquence est fonciérement bonne pour Wittgen- stein, Consiquences et difficultes Une telle attitude a les mérites de Ia netteté, Elle est aussi trop absolue pour que le philotophe ne soit pas pris d’un doute. Le statut privilégié que Wittgenstein accorde & I'écriture conceptuelle logique donne certes les moyens de « rendre claires et de délimiter Figoureusement les pensées»: ce statut n’est-il cependant pas de nature & entrainer 4 son tour des conséquences imprévues? Est- il sor que la réflexion philosophique puisse utiliser aussi directement Ie symbolisme logique sans que cette utilisation, par ses exigences propres, n’impose en contrecoup & la logique de séricuses con- traintes? En un mot, la philosophic peut-elle se servir A ce point de la logique sans affecter en rien? Crest ces questions, aux- quelles conduisent nécessairement les précédentes analyses, quill faut tenter maintenant d’apporter une réponse. 1, Revenons une fois de plus A I’écriture conceptuelle logique, mais en oubliant le role qu’elle remplit dans le Tractatus. Isolée de ses applications, elle apparaft essentiellement comme un langage de signes — Zeichensprache, dit Wittgenstein, Arbitraires quant & leur forme (cf, 3,342), ces signes sont en revanche régis par une syntaxe — sans laquelle ils ne pourraient d’ailleurs déterminer aucune forme logique (3.327) — et qui, pour sa part, n'est nullement 104 M, CLAVELIN arbitraire (1), Ainsi Pusage correct de la Begriffsschrift est. insépa- rable d’un certain nombre de régles (ou ragles de signes, Zeichen- regeln) qui, prises ensemble, constituent la syntaxe logique propre- ment dite. Ces régles, il est vrai que Wittgenstein ne les a nulle part explicitement dégagées et définies ; du moins est-il possible, comme I’'a montré le professeur Black, d’¢noncer avec précision & quels critéres elles doivent obéir (#). Pour notre part, nous en retiendrons deux, que par convention nous appellerons respective- ment le critére de non-significatin et le critgre d'évidence, Selon le premier, «la signification d'un signe ne doit jouer aucun réle dans la syntaxe logique» (3.33), et conformément au second «les régles de la syntaxe logique doivent se comprendre d’elles-mémes» (3.334). Apparemment anodins, ces deux crittres entrainent en réalité des conséquences dévastatrices. La plus remarquable — la seule aussi dont on s’occupera vrai- ment — concemne la théorie des types. Aux yeux de Wittgenstein, son illégitimité n’a certainement d’égale que son absence de néces- sité, Introduite une fois Pédifice logique construit, pour barrer la voie & d’éventuelles contradictions, la théorie des types est l'exem- ple par excellence de la régle ad hoc ; loin de se «comprendre d’elle- mémep, elle n'est en fait qu’un artifice dont l’acceptation revient A porter Marbitraire au coeur de la logique. Incompatible avec le critére d’évidence, elle est dVailleurs tout autant avec celui de non-signification : Russell ne fait-il pas intervenir expressément, et & plusieurs reprises, dans son laboration, les significations des signes? (3.331). Or, il suffit d'écarter ces significations, ct de considérer le symbolisme logique en lui-méme, pour voir s'évanouir tout paradoxe. Le but de la théorie est d’empécher un signe pro- positionnel —en Toccurence une fonction —de se contenir lui- ‘méme comme argument (3.332) ; mais en choisissant le signe d’une fonction, nous choisissons en méme temps celui de son argument, et ce signe nécessairement est différent (3.333) : sauf intrusion illé- gitime des significations, le risque qu’une fonction puisse tre a elle-méme son propre argument est donc purement imaginaire. Crest constitutivement — de lintérieur en quelque sorte — que le (11) Sur te caractére abiol de Ia nyntaxe logique, oppost & I'aspect conventionnel dea signes du langage logique, ef. par exemple 4.1213 et 6.124. (12) Max Bracx, A Companion to Witgetin's Tracott, p. 139, ELUCIDATION PHILosoFigU! 105 symbolisme logique est prémuni contre apparition de toute for- mule antinomique (#). 2. Que cette conception de la syntaxe logique, ainsi que sa cone séquence immédiate, le rejet de la théorie des types, soient pleinc- ment accordées avec le role que Wittgenstein attribue & Mécriture conceptuelle logique, la chose est certaine, Pour que cette écriture puisse remplir la tache de clarification et de délimitation des pen- sées qui est la sienne, il est & coup str indispensable qu'elle ne pose par elle-méme, on tant que langage de signes, aucun probleme particulier. Car comment pourrait-elle jouer son réle d’élucidation vis A vis des propositions du langage naturel, si ses propres énoneés avaient eux-mémes besoin d'une élucidation? Celle-ci ne pouvant seffectuer qu’au moyen d'un nouveau langage de signes, neserait-on as entrainé dans une dangereuse régression? Et n’estece pas Ia possibilité de toute élucidation qui finalement s'évanouirait? En fait, s'il voulait éviter ce relativisme, mortel pour son projet, Witt- genstein n’avait qu'une issue : admettre que les régles de la syntaxe logique —done de la Begriffischrift comme langage de signes — sont par clles-mémes évidentes et ne requitrent jamais, pour étre dégagées, que l'on se référe de quelque fagon a Ja signification des signes. Quant au rejet de la théorie des types, il est facile de s'assurer qu'il répond & la méme exigence fondamentale, Accepter la théorie des types, cest bien reconnaltre que le langage logique, en tant que tel, doit étre l'objet d’une activité d’élucidation, done le priver 0 ipso de son statut privilégié. Plus généralement, c'est faire de {a logique une construction conventionnelle, une «doctrine» en langage wittgenstginien (cf. 6.13), et done dter & In philosophie son seul guide. Quand nous lisons dans le Traclatus qu’ail ne peut y avoir de surprise en logique» (6.1251), il faut bien voir aussi q est nécessaire qu'il n'y en ait pas. 3. Il reste toutefois une question capitale, et dont Mexamen, sous peine de confondre science ct philosophic,ne peut étre davantage différé. Si naturel que le rejet de la théorie des types ait pu paraltre A Wittgenstein, est-il récllement justifié? Les raisons qui ont (13) CE 6.113 (ct bien qu'il s'agive des tautologies dela logique propostionnell) : ‘«Crat a caractéristique des propositions logiques que Von puisse reconnaltre au symbole ‘seul qu'les sont vrais et efit renferme en lsméme toute la philorophie da logique 106 M. CLAVELIN imposé philesophiguement, sont-elles encore recevables scientifiquement ? Question capitale, disions-nous : car il est clair que si la réponse devait étre négative, c'est toute lentreprise philosophique de Witt- genstein qui se trouverait aussit6t remise en cause. Et d'abord que penser de I'argument selon lequel les paradoxes tirent leur existence de V'intervention illégitime de «la signification des signes»? Pour en décider, reprenons l'antinomie de Russell sous la forme que lui donne Carnap ('). Appelons «imprédicable» une propriété qui ne s'applique pas & elle-méme, ce que nous tra- duirons symboliquement sous la forme : Impr (F) = ~ F (F) a De cette expression nous ‘irons, comme conséquence logique, Ia proposition générale (F) Umpr (F) __ ~ F (F)) (1) enfin, appliquant & (II) la régle de spécialisation universelle, nous obtenons : Impr (Impr) = ~ Impr (Impr) (uy Le sens particulier de la propriété considérée — savoir le fait détre_imprédicable — explique-t-il vraiment, et A lui seul, la production de l'antinomic? La démarche suivie montre claire- ment, croyons-nous, qu'il n’en est rien. Certes, le sens de la pro- priété est directement intervenu lors de la construction de l’équiva- lence, mais comme il en va chaque fois ob partant d'une proposition du langage ordinaire nous cherchons & en donner une expression dans M'écriture conceptuelle logique. En revanche, une fois Péqui- valence construite, le sens de la propriété perd tout réle, et seules sont utilisées dans I’élaboration proprement dite de lantinomic des ragles de la syntaxe logique (1). En écartant la théorie des types pour une raison manifestement erronée, Wittgenstein semble bien prendre un risque redoutable, Peut-ttre objectera-t-on que ce risque est plus imaginaire que réel, et qu’d suivre strictement les (14) R. Cannan, The logical per of languane,p. 211 ; cf. ausi Irving Cort, Symbolic toric, p. 162. (15) «1a thtorie des types eat réllement une théorie des symbole, non des chon, rappel d'ailleurs B. Russet, The philscphy of logical atomim, in Lic nd Kaswledee, p. 267, ELUCIDATION PHILasopingur wr indications du Tractatus, on ne rencontrera jamais la moindre contradiction. Ainsi relisons le premier alinéa de 3.333: «Une fonction, nous dit Wittgenstein, nesaurait ¢tre son propre argument, pour fa raison que le signe de Ia fonction contient déja l'image originelle de son argument, et qu’il ne peut se contenir lui-mémen. En effet,soit la fonction «F (fx) »; si elle pouvait étre son propre argument, ily aurait alors une proposition «F (F((x))»; or, dans cette proposition, la fonction intéricure F et la fonction extéricure F ne peuvent qu’avoir des significations différentes, puisque la premidre a la forme « p (fx) » et la seconde la forme «y (p (fx)) »: fa lettre «F» ane désignant rien A elle seule», il n'y aurait ainsi aucun risque de méprise (3.333). Cette argumentation, ill faut Pavouer, n'est pas convaincante, Car de deux choses l'une : ou Wittgenstein admet qu'on ne peut substituer d'une maniére générale la fonction « F » aux fonctions af, « @» ou «y», pour la raison que ces demidres, par leur forme méme, appellent des arguments d'un ordre différent, et cela revient & imposer aux fonctions une classi- fication identique & celle de la théorie des types ; ou Wittgenstein ne veut rien dire de tel, et on ne voit vraiment pas au nom de quelle regle interdire Ia substitution de « F » aussi bien A«f» qu'a «p> ‘ou «yo, ce qui réintroduit directement la possibilité de formules antinomiques, La premitre hypothése pouvant étre exclue ('), tout paralt confirmer que le Tractatus, quoiqu’en dise Wittgenstein, laisse bel et bien la voie ouverte & la production d’expressions contradictoires au sein du symbolisme logique. 4, Test A peine nécessaire de souligner I'importance de ce résul- tat, L'élucidation philosophique que se propose le Traclafus repose, dans une large mesure, sur l'idée que I’écriture conceptuelle logique constitue un outil d'une absolue validité, et ce postulat, & son tour, implique une conception de la syntaxe logique incompatible avec la théorie des types. Or celle-ci — et tel est le sens de notre dernidre analyse — reste seule capable d'interdire 1a formation d’énoncés antinomiques & l'intéricur du symbolisme logique : dés lors quelle confiance continuer & accorder & I'écriture conceptuelle logique ? Et du méme coup quelle confiance continuer accorder aux résul- tats que l'on avait cru pouvoir établir grice A cette méme écriture (16) Eile raméne en effet toutes es diffcultés éoumértes plus haut as paragraphe?. 108 1M. CLAVELIN conceptuelle? Crest tout le projet philosophique du Tractatus qui se trouve, semble+-il, irrémédiablement compromis. ‘A moins bien entendu qu'on ne choisisse de considérer comme illégitime et inutile cette partie de la logique of prennent précisé- ment naissance les expressions antinomiques. Car supposons que nous limitions la science logique & la logique fonctionnelle du premicr ordre, c'est-A-dire A une logique ne comportant aucune variable de propriété, ct ob jamais une propriété ne peut étre prédi- quée d'une autre propriété : il n’est pas douteux que nous bannirions aussitdt toutes les formules «F (F)» ou «~ F (F)», supprimerions par IA méme tout danger de contradiction et ainsi rendrions & Ventreprise philosophique du Tractatur une plausibilité qui parais- sait définitivement perdue. Indispensable pour que survive la conception wittgensteinienne de I'élucidation philosophique, cette réduction de la logique ne fait en outre que dégager explicitement une position impliquée de toute part dans le Tractatus. Prenons, par exemple, la distinction des concepts réels et des concepts for- els ; ces demiers, nous l'avons vu, ne peuvent jamais s'exprimer dans Mécriture conceptuelle logique au moyen de fonctions ; mais les propriétés de propriétés, A commencer par la notion de «pro- priété», ne sont souvent rien d'autre que des concepts formels : comment dans ces conditions ne pas juger illégitime cette partie de la logique traitant de propriétés de propriétés? A quoi s'ajoute qu’on voit mal quelle pourrait méme étre son utilité — le Tractatus repoussant comme dénuées de sens les taches spécifiques pour les- quelles une logique fonctionnelle générale paralt requise. S'agit-il de la construction logiciste du nombre? Wittgenstein en écarte sans hésiter Ia possibilité, S'agit-il de la formulation dans le langage logique des régles de la syntaxe logique? Wittgenstein ne lui cst ppas moins hostile, écrivant par exemple que «ce qui se refléte dans le langage, le langage ne peut lexprimern, ou encore que «ce qui s‘exprime par soi-méme dans le langage, nous ne pouvons l’exprimer par le langage» (4.121) ("). On ne viole donc d’aucune fagon la lettre et esprit du Tractatus si Yon affirme en fin de compte que pour asseoir fermement son entreprise philosophique, il n'est d’autre moyen que d’interdire toute extension de la logique au-deld de la logique fonctionnelle du premier ordre. SF CLR Cansap. Thr ghale prcer of lnemeg, p22. impote alors d'clle-méme, Si le statut privilégié accordé 4 I'écriture conceptuclle logique permet effectivement au Tractatus de remplit sa double tiche d’élucidation, il contient également en germe un dilemme dont les deux branches sont aussi dommageables l'une que autre. Car ou bien nous accordons la premitre place & la logique, et ds l'instant of nous constatons que le projet philosophique wittgensteinien signifie le retour inévi- table des antinomies, nous sommes contraints de l'abandonner ; ou bien nous donnons la priorité & ce projet philosophique, et alors nous n’avons d’autre resource que de procéder A une amputation difficilement acceptable de la science logique. Parti avec la volonté de fonder Iactivité philosophique sur Ia logique, Wittgenstein n'aboutit ainsi qu’ opposer, ct de manigre apparemment irréduc- tible, 1a premitre A la seconde. Tel est le prix que le Tractatus doit finalement payer pour les services de I'écriture conceptuclle logique. Nous rappelions en commengant que pour Wittgenstein Ia sophic ne peut étre une doctrine, mais seulement unc activité «Le résultat de la philosophic, ce n'est pas des ‘propositions philo- sophiques’, mais la clarification des propositions» (4.112). Si notre analyse est correcte, force est de convenir que les choses sont beaucoup moins simples, ct que la philosophie ne posséde nulle- ‘ment la neutralité voulue par une telle conception, Tout se passe au contraire comme si Pactivité philosophique, & peine engagée, conduisait & des choix qui sont exact équivalent d'une doctrine. Liinversion du rapport primitivement annoncé entre Ia philosophic et In logiq¥e en a fourni In preuve éclatante, puisque Ia logique, présentée comme le guide de la philosophie, se trouve contrainte, pour exercer sa fonction, de renoncer & une partic diclle-méme. Servante présumée de la logique, la philosophie en devient cn réalité la maftresse ! Pouvait-il d’ailleurs en aller différemment ? A travers le clarification et a délimitation des propositions, Witt genstein poursuivait un but bien précis: montrer de quoi dépend la capacité de certaines propositions & représenter Ia réalité, et, corrélativement, pourquoi d'autres propositions (les pscudo-pro- positions) sont sans portée sur le plan de la connaissance. Or. tune telle recherche — sous peine d’étre d’emblée condamnée — ho M. GLAVELIN cexige un outil dont on accepte sans restriction la validité. Quand donc il confére une valeur absolue & la science logique des Principia Mathematica, et notamment & son écriture conceptuelle, Wittgenstein ne fait d’abord qu’assurer la possibilité de son entreprise. Carnap, qui affirmera son accord avec la conception wittgensteinienne de la philosophie ('*), évitera cette difficulté en éliminant tous les pro- blémes que pose un éventuel rapport entre la structure des propo- sitions — ce qui fonde leur sens — et la réalité. Ainsi supprimera- til tout confit entre sa propre analyse et la science logique, se mettant du méme coup dans une bien meilleure position pour faire de la philosophie une simple activité d’élucidation. Peut-on con- sidérer qu'il ait réussi ? La philosophie devient-elle, entre ses mains, cette activité foncitrement neutre recherchée en vain par Wittgen- stein? Il est évidemment exclu d’en décider ici. Du moins une chose estelle sire: ce n'est pas dans la perspective du Tractatur qu’un tel programme pourra jamais prendre corps. Rennes. BIBLIOGRAPHIE Bisck, Max. A companion Witgestcia's Trectats (Cambridge, UniversitY Pres, 1964). Carsar, Rudolf. The logical syntax of language (Londres, Routledge and Kegan Paul, 1967). Graven, G. G. Le problime de Vespace lpique dans le Tractatus de Wittgenstein {L’Age de la Science, 1968, n° 3, Dunod é.). Reset, Bertrand. Lagic and Knowledge (Londres, George Allen and Unwin, 1964). Histoire de mes idles phileophiqus (Paris, NRF, “Esais"). 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ELucIDATION PHiLosoriigut. ut debra oop et te ts — Serer seit mae ten "ihped att nc mapteneqe op Cac ne Yr tte de Roe oy AST RET fen eres s'ensuivent-elles encore ? ee ee Mom J: ol que Witgestcin ne powrat pas admetire une tlle ston, ca. same en faisant abstraction de Tartifice quelle introduit dane la Bop, sri, elle paralt bien tomber tous la eriugue que Wittgenstein dee og ailleurs § Rusell: Je vewe dire, fire intervenir la. sgniBeation des signer M, Granoen : Non, car les proprits formelles de F seules interviennent. A travers le fait d'tre & droite, est visé un fait logique, non une signification. 1M. Cuaven: Comment alors répondre & Tl faut sti H Imp (F) = ~ FF) M. Grancen : La théorie des types a un aspect ontologique et c'est cela que Wittgenstein txt, Done ce que Pon vinerdit dans ete peeve, Cet sement M. Voruuzume : ‘Clavelin a raison, ef: Quine. M, Racato: La definition carnapéenne n'est pas bien construite (selon les critéres Lesniewaki: mination du defini). gi el M, Grancen : ‘Qui remontent & Pascal ! M, Buack: En 3.38 et dans les textes & Moore, Fa 58 4 dae to ‘Moore, on trouve un éeho de Frege. ! 2 M. GLAVELIN Done on me peut concevoir F (Fx) comme si Von rajoutait FA Fx déja complet. , TE on peut vie une iférence entre Ie der Fen un sens opto. Car une opération se répate. M, Grancen: Tl peut y avoir un substitut de Ia théorie des types qui ne soit pas ontologique mais purement formel (cf, stratification chez Quine). M, Coven ‘Bien str, mais cela ne change rien au fait essentel, savoir que es arguments ‘de Wittgenstein contre la théorie des types sont sans portée, et donc conduisent inévitablement au dilemme que j'ai décrit tout & I'heure : ou bien Iaisser au isme logique, & la Begriffischril, ln possibilté d’engendrer des anti- nomics, ou supprimer purement et simplement Ia logique fonctionnelle générale. ‘Seule ta théorie des types, ou un artifice équivalent, peut, pour reprendre exemple de Wittgenstein, «empécher In fonction» F(Gs) dre son propre t, et done interdire Ia construction de la proposition « F(F (fx)) ». Et c'est toute fa construction philosophique wittgensteinienne qui du méme ‘coup est remise en cause, M. vor Watonr: semble en effet que d'aprés les symboles de Wittgenstein, Ia logique de 2¢ ordre est imposible. M. Granoer : 1 n'y aurait méme pas de logique du 1* ordre. oa ‘Nous ne devons jamais oublier que le projet de Wigenstin o yrojet phil iique et qu'il doit étre apprécié comme tel. Berens oa ee a aw fle ae aa ee Pedra ch ‘et A son role essentiel dans fa philosophic selon Wittgenstcin ; le fond de a sa ee a ee liste incompatible avec cet usage de la Begriffsschrift. WITTGENSTEIN’S VIEWS ON PROBABILITY by G. H, VON WRIGHT 1) A singular “holisticity” and integratedness characterizes Witigenstein’s philosophy. Everything in it is connected with everything else. This is true of the Tractatus, and to an even greater extent of the Investigations. This, I think, is one reason why Wittgen- stein never succeeded in giving to his later philosophy the shape of one completed literary achievement ("). The Investigations is a torso. In most cases it is next to impossible to select a problem or topic and tell what were Wittgenstein’s views of this, without trying at the same time to interpret and understand the whole of his think- ing. ‘There are a few exceptions to this rule. One is the topic of pro- bability. But it is characteristic that Wittgenstein wrote systemati- cally on this topic only in the years before he began work on the Investigations. There are only two mentions of probability in that book, as we have it (*). And in the selected writings from roughly the same period which were published under the title Remarks on the Foundations of Mathematics there is no mention of probability at al, NS There are three main sources for a study of Wittgenstein’s views of probability. The first are propositions 5.15 — 5.156 of the Tractatus. The second is Section xxii of the Philasophische Bemerkungen written in 1929 or 1930 (*). The third is a typescript of 18 pages (!), presumably composed in the academic year 1932-1933 on the basis of manuscripts from the immediately preceding years. The type- (1) GF. the Preface to the fatigetins @) Sections 482 and 494. (@) FA, by Rush Rees, Basil Blackwell, Oxford 1964. (4) Here refered toas TS, Since this was written the typescript TS has been publibed. Ludwig Werrocerrem, Phlophische Grommait, Ed, by Rush Rivets, Subrkamp Verlag, Frankfurt am Main 1969, pp. 219-235, 152 M, BLACK ta détermination des objets, ni les propositions élémentaires ne sont, en effet, arbitraires. Or, rejeter le postulat d’extensionalite, c'est rejeter ce caractére non arbitraire, done rejeter le postulat d'analyse. M, Voruuaem Cratt ce que dit Rusell dans les Principles. Cela va & la fois contre Hegel et contre Bradley. 1M, Buack: ‘Crast difficile & dire. Il serait peut-tire posible d’en arriver & supprimer extensionalité en modifiant T'ontologie. Je crois qu'une autre ontologie ppermettrait vraiment de ne plus soutenir V'extensionalité, M, Voruewm: Y auraitil analyse dans ce cas? Je erois que ct univers de Wittgenstein qui éclaterait, En effet, com- prendre une proposition, c'est en demiére analyse savoir ai elle est vraie, M, Buscx: Bien str, cette modification n'est pas dans l'esprit de Wittgenstein, et le livre, sans ce pottulat, serait different, Mais Je erois toujours qu'il y a possl- iisoler ce principe. REMARQUES SUR 4.442 DU TRACTATUS par JULES VUILLEMIN Le paragraphe 4.442 appartient & un ensemble de textes qui expriment une conception absolue de Ia logique et qui ont é&é critiqués par les successcurs de Wittgenstein, en particulier par Garnap. On se propose ici d’expliquer ce que Wittgenstein écrit au paragraphe 4.442, d’analyser les critiques que sa théorie appelle, examiner si Yon peut tenir ces critiques pour valides ou si certains concepts du Tractatus conservent un sens pour nous, dans ce dernier cas enfin d’esquisser les problémes qui ne manqueraient pas de se poser & propos des concepts ainsi retenus. Explication du texte propost « Leexpression suivante, par exemple : est un signe propositionnel (La « barre de jugement » de Frege, «> 9 est logiquement dépourvue de signification ; elle indique seulement chez Frege (et Russell) que ces auteurs tiennent pour vraies les propositions ainsi décrites. « » » n’appartient donc pas plus & la contexture propositionnelle que, par exemple, le numéro dela proposition, [lest impossible qu'une proposition puisse énoncer d'elleméme qu’elle est vraic), Si la suite ordonnée des possibilités de vérité dans le schéma est fixée une fois pour toutes par une régle combinatoire, alors la der- nidre colonne suffi a elle seule A exprimer les conditions de vérité. an 154 J. von ens Si nous écrivons linéairement cette colonne, le signe propositionne! se change en: «(V V-V) (p,q)» ou plus clairement : «(V V F V) (p,q)». (Le nombre des places dans la parenthése gauche est déter- miné par le nombre des termes dans la parenthése droite) ». Wittgenstein donne ici un exemple de ce qu’il appelle un signe propositionnel et montre comment on peut abréger un tel signe. Dans la premitre parenthése, insérée dans le texte, il critique le signe correspondant choisi par Frege dans son Idéographie et accepté par Russell dans les Principles et dans les Principia, On rétablira explicitement la correspondance entre la partie positive et la partic négative du paragraphe en examinant successivement comment Witigenstein 1) substitue en logique & une méthode syntaxique tune méthode sémantique ; 2) croit, par cette substitution, résoudre la question du psychologisme ; 3) prétend ¢liminer ainsi les illu- sions linguistiques qui encombrent la philosophie de Frege et de Russell ; 4) est conduit enfin & lier mysticisme et logique. Frege et Russell avaient utilisé en logique laméthode axiomatique. Quelques axiomes et quelques régles de déduction étant convenable- ment choisis, ils en déduisaient tout le corps des lois logiques. On notera que les systémes proposés n’étaient pas indépendants et ron ne trouve pas, chez ces auteurs, d'éiude métalogique concernant les propriétés de cohérence, d’indépendance, de catégoricité des systémes d'axiomes. D'autre part si, chez Russell, la distinction centre les symboles qui appartiennent au langage-objet et ceux qui appartiennent au métalangage n’est pas toujours claire, elle I'est complétement chez Frege. En particulier, le signe d’assertion « » » st compté par Frege av nombre des symboles de la métalangue, ct par IA radicalement distingué du symbole de Ia négation «~» appartenant au langage-objet (ainsi que du symbole de I'affirmation, non écrit dans lIdéographie, ct supposé devant tout signe propos tionnel). Mais, en méme temps, les symboles de ces systtmes axiomatiques ne se trouvent jamais utilisés sans une interprétation tacitement supposée ; c'est pourquoi ces axiomatiques ne sont pas formalistes. Leur critique du formalisme fait conclure Frege et Russell que les études méta-logiques n’ont pas lieu d'etre, car evidence des lois logiques est telle que, sous peine d'une régression & Tinfini, c'est Ala logique elle-méme de pourvoir & son propre fondement. La logique est absolue. Witigenstein a senti qu'il existe une contradiction virtuelle entre la méthode et le contenu des doctrines de Frege et de Russell, REMARQUES SIR 4.442 pt: «-TRACTATUS » 155 Si Ia logique est absolue, alors on ne doit pas pouvoir parler sur la logique, c'est-A-dire se tenir un tant soit peu en dehors delle. Poursuivre avec rigueur le méthode axiomatique est inséparable «2 du formalisme. Celle-ci ne convient done pas A la logique. La seule méthode convenable sera celle qui fera voir dans le signe propositionnel lui-méme, non pas expression d'une assertion arbi- trairement accolée & la proposition, mais Ia structure fondamentale que, selon la théorie de l'image conformea l'idée de Logique absolue, toute proposition envelope. La proposition exprime une pensée ; lle représente donc Mexistence ou l'inexistence d'un état de choses. et son sens c'est-A-dire Ia structure orientée qui lui est propre, consiste dans la représentation de cette existence et de cette inexistence ‘ou encore dans la possibilité de l'accord ou du désaccord de la proposition avec l'existence ou I'inexistence de I'état de choses. Entre parentheses, j'emploierai dorénavant le mot sens dans c acception propositionnelle trés précise que lui donne Wittgenstein, Dés lors, pour étre adéquat, le signe propositionne! devra représenter sensiblement les diverses possibilités de cet accord et de ce désaccord, qu'il soit signe d'une proposition élémentaire ou d'une proposition composée de propositions élémentaires, Ainsi la technique des tables de vérité est scule propre & permettre un symbolisme adéquat pour décrire le monde dans une langue scientifique. L’abréviation du signe propositionnel, que mentionne le paragraphe 4.442 résulte immédiatement de la lecture de ces tables, une fois admises certaines conventions regardant l'ordre des symboles qui y figurent. Soit, par exemple, un signe propositionnel, dans lequel entrent deux termes différents : (1) «(V WF V) (p, a)», qui abrége le tableau du paragraphe ; on peut I'écrire dans le schéma verbal : «Si p, alors q», ou «p > q» (5.101). De méme, la négation de p s'exprimerait par le signe : (2) « (FV) (py. Une vérité logique ou tautologie aura pour signe une suite de 2° V dans la premiére parenthése, n étant le nombre de termes dans la seconde, ete, Une proposition montre donc quelles sont ses conditions de vérité, Par exemple non-p est vraie, d'aprés (2), si p est fausse. Et cette indication est effectuée par ct dans un langage unique. Au con- 156 Je VUILLENIN , utilise-t-on l'idéographie de Frege ou de Russell? On ne plus ce qu'exprime une proposition, car ses conditions de vérité n'apparaissent, comme c'est le cas de Frege, que dans les définitions des signes qui précédent I'/désgraphie (4.431) et qui n'appartiennent pas A la langue logique elle-méme ; ou bien elles sont présupposées tacitement dans linterprétation des axiomes laquelle et auxquels il faudra toujours remonter pour obtenir une décision quant au sens de la proposition considérée. L'innovation de Witygenstein, au contraire, inscrit dans V’écriture des signes pro- positionnels eux-mémes leur sens. Si comprendre une proposition Crest savoir ce qui a lieu quand elle est vraie, alors I’écriture de Wittgenstein fait comprendre les propositions, puisqu’elle en fait voir immédiatement les conditions de vérité, Le point de vue sémantique ne lemporte pas seulement sur le point de vue syntaxique par lintelligibilité de I'écriture. I! élimine aussi tout ce qui restait de psychologisme involontaire chez Frege et Russell. Lorsque ces auteurs, en effet, font précéder une pro- position par son signe «+ », ils manifestent seulement quills la tiennent pour vraie (!). Or quel est le fondement objectif de cette croyance? Crest que cette proposition peut-ttre dérivé & partir des axiomes du systtme au moyen des régles de déduction reconnues comme valables. Mais alors, comme le dit Aristote dans les Seconds Analytiques, un ordre subjectif est introduit dans la reconnais- sance de la vérité, Par exemple, selon qu’on choisira tel systtme ou tel autre, on parviendra plus ou moins rapidement a la vérité du principe de non-contradiction. Cet ordre analytique n’appar- tient nullement & la nature méme de la vérité scientifique : il carac- térise ma science, non la chose. C'est pourquoi le signe fregeen de assertion ne fait pas plus partie de la contexture propositionnelle que le numéro convenu que regoit la proposition dans une énuméra- tion ou dans une théorie démonstrative. De plus, en vertu de quel principe admettons-nous telle proposition comme un axiome? Russell parle d’évidence ; mais I'Einleuchten (5.4731) est un reste de psychologisme dans la doctrine, Le seul moyen que la logique posde d’éviter cette justification douteuse est d’empécher, da son symbolisme meme, toute faute logique. Or, tandis que les (1) On trouvera dans I'Appendice A aux Principles of Mathematics de Rusell ta source de In plopart des evitiques que Wittgenstein adrese A Prege — et & Rusell, REMARQUES SUR 4.442 pr | TRACTATUS » 157 écritures de Frege et de Russell ne montrent pas ce qu’elles signi- fient et ainsi en appellent toujours A un sentiment extérieur d'évi- dence, le signe propositionnel de Wittgenstein permet de «con- cevoir toujours la logique en sorte que chaque proposition soit sa propre preuve » (6.1265). Ainsi la conception sémantique réalise linguistiquement le programme spinoziste verum index sui. Du méme coup, les illusions linguistiques attachées & I'idéographi syntaxique vont se dissiper. Elles sont liées, selon Wittgenstein, 4 ce qu’on a incorporé dans le sens de la proposition le choix res- trictif du fait correspondant & Tune des situations, quand c'est tout ensemble de ces situations qui constitue précisément "espace logique ou le sens (4.061). Alors on se trouve entrainé dans les difficultés concernant la négation. C'est le cas pour Frege. Il transforme en un nom le concept propositionnel qui définit ta pensée, et ill incorpore la négation dans ce nom. L’assomption consiste ensuite A rapporter ce concept propositionnel au vrai et au faux. Enfin lassertion reconnatt cette vérité ou cette fausseté (1 Ainsi, selon Frege, assomption a pour référence le vrai et le faux, et pour signification la pensée. Mais alors, conclut Wittgenstein, la pensée n’a pas de sens (Sinn), & proprement parler, c'est-Aedire qu'elle est dépourvue de cette direction sui generis qui provient de ce quelle est susceptible précisément d'avoir deux valeurs de vérité ; elle n’a que la signification d'un nom et, méme si un nom incorpore Ia négation, on ne voit pas comment en lui-méme il aurait un sens (°). Dés lors, une pensée telle que «~p» ne contient pas dans sa signi- fication (Sin au sens de Frege) la détermination du sens proposi- tionnel (Sinn au sens de Wittgenstein) (4.431). En d'autres termes, en sépavant le sens de la signification, Frege fait d’une proposition nie une préparation & une proposition, att lieu d’y voir une pro- position proprement dite (4.0641). Or, cette erreur provient de ce qu'il considére le vrai ct fe faux comme des arguments dont est susceptible 12 variable propositionnelle dans une expression telle que a~p» (4.431). Mais lhypostase des valeurs de vérité pro- (2) Vole Prlaciples of Mathematics, § 477. (8) Voir a ertique de Russell (Princes, §479) qu a directement inspire Wittgenstein. Church, qui sdmet et protonge analyse de Frege concernant les propositions ext con traint A Faveu suivant: “Meme lonqutun énoncé et simplement asert, nous maintien- rons qu'il ext encore un nom, bien qu'il soit uilsé d'une fagon qui n'ewt pat probe pour d'autres nom” (Jatodaction o Mathoatical Lagi, £ 04, p. 241. 158 J. VUILLEMIN vient, & son tour, d’une erreur philosophique fondamentale, c'est- Avdire d'une erreur concernant les signes du langage. Le point de vue syntaxique est, en effet, vicié par le postulat suivant: de ce que le signe propositionnel est lui-méme un fait (3.14), on con- clut que la forme logique qu'il exprime est également un fait, et quill est donc possible d’exprimer objectivement ce que la pro- position a en commun avec la réalité (4.12). Le vrai et le faux sont précisément destinés & exprimer .Paccord ou le désaccord de la proposition avec la réalité. Ainsi, détournés de V'idée de logique absolue par Vattention qu’ils ont prétée aux calculs syntaxiques, Frege et Russell n'ont pas plus échappé au danger du formalisme qu’a celui du psychologisme, si vivement quiils aient pas ailleurs dénoncé ces doctrines. Il est temps, & présent, de tirer les conséquences métaphysiques de ce qui précdde. Elles tiennent dans la remarque suivante, purement linguistique en apparence. Dans les expressions (1) et (2), de la p. 3, rien de réel ne correspond aux complexes de signes tels que « (V V F V)» ou «(F V)» (4.441). Bien que le formalisme finisse toujours par réduire le langage & des inscriptions matérielles, it commence par Villusion qui nous porte & parler sur Ics signes linguistiques comme encore chargés de signification et auxquels on fait donc correspondre des entités particulitres. A cette illusion fon opposera le type d’analyse inauguré par l'article de Russell. On denoting : ces complexes n’ont de sens que dans unité proposi- tionnelle, et ils n'ont pas de référence. «II n'y a pas d’objets logi- ques» (4.441 et 4.0312). est aisé & présent d’apercevoir la raison d'ttre de Ia liaison apparemment étrange entre logique et mystique dans le Tractatus, Elle tient dans les propositions suivantes : 1) La logique est absolue ; on ne peut pas penser hors de la logique, avec une logique de second niveau (4.12); 2) La proposition peut montrer la forme logique ‘ou la refléter; elle ne peut la représenter (4.211) ; 3) Un signe pro- positionnel exprime un fait; il ne représente pas cette expression ; 4) all est impossible qu’une proposition puisse énoncer d’elle-méme qu'elle est vraie» (4.442 ct 3.332). Bref, le langage logique n'est pas réflexif. Gritique de Wittgenstcin Creat a Vintérieur du Cercle de Vienne que s'est développéc la critique interne du Tractatus, Elle peut se résumer ainsi: 1) On REMARQUES SUR 4.442 DU © TRACTATUS * 159 s'est d’abord interrogé sur la validité de son point de vue sémantique. 2) Les défauts de ce point de vue ont paru provenir d’une «mytho- logie » propre & Wittgenstein, 3) On aura raison de cette mytholo- gie en faisant apparattre illusion & laquelle elle est liée. 4) La jue, épurée de cette illusion, se détachera alors de la mystique et on pourra identifier ce qu'il y a de scientifique en philosophic avec la syntaxe et la sémantique du langage. Russell, le premier, mit en doute Padéquation du systéme de Wittgenstein au programme logiciste. A vrai dire, les difficultés commencent avec la logique des prédicats. Elles tiennent & cc que Wittgenstein a identifié, sans plus de proces, les vérités mathé- matiques et les tautologics logiques élémentaires, niant, en consé- quence, toute possibilité de surprise en logique (6.1261). On sait « comment les doutes exprimés par Carnap Ace sujet (*) furent fids théoriquement par le théoréme de Church. Or il n'a été possible d’analyser critiquement la logique formelle, c’est-A-dire de dis- tinguer avec exactitude les propriétés des systémes particls qui Ia constituent : logique propositionnelle, logique des prédicats A une place du premier ordre, logique des relations du premier ordre, logique des prédicats d'ordre supérieur, qu’en faisant de ces systémes cux-mémes un objet d’étude mathématique. Au point de vue syntaxique absolu de Frege ct de Russell s'est alors opposée une syntaxe réfidchie, non plus absorbée dans des opérations et dans la démonstration des théortmes, mais capable d’énoncer ses propres propriétés. C'est évidemment 'arithmétisation de la syntaxe par Gédel qui a permis au Cercle de Vienne de mettre en doute 'idée selon laquelle on pouvait seulement montrer Ia syntaxe, non I'ex- primer. Grace & cette arithmétisation, en effet, il devient possible de formuler et d’étudier Tintérieur d'un seul et unique langage, quoique sans tomber dans les contradictions, la syntaxe de ce langage (*). Le paragraphe 4.442, il est vrai, n’enveloppe aucune assertion interdisant d’exprimer avec cohérence Ia syntaxe d'un langage en luiméme : il ne fait allusion qu’aux paradoxes sémantiques de Richard et du Menteur. Or le théoréme de Tarski confirme appa- remment Wittgenstein, puisque si l'on peut prouver Pindécidabilité (4) The logical Sas of Lengsagr, London, 1987, pp. 101-1 (8) Camap, Did, p. 58. 2. 186, 160 J. VULLEMIN, d'une proposition, on ne peut, sans contradiction, définir sa vérité dans le langage méme od elle est exprimée. Toutefois, contre le veeu de Wittgenstein, cette impossibilité n’empéche pas qu'une telle définition redevienne légitime dans un méta-langage suffisam- ment riche contenant en particulier ce langage-objet comme sa partie propre. D'autre part, selon Wittgenstein, limpossibilité de définir la vérité dans un langage «fermé» n'est pas due & la fermeture de ce langage, mais & Pabsurdité de entreprise (3.332). Ene sens, comme il 'a dit plus tard (*), un théoréme comme celui de Gédel envelope, lui aussi, un déplacement du systtme de référence par rapport auquel une proposition est vite vraie. Et il cst tout aussi illégitime & ses yeux de rester dans la langage absolu de la logique pour y parler de sa syntaxe que d’en sortir dans un méta-langage pour parler de sa sémantique. Lorsqu’on décrit le point de vue du Tractatus comme un point de vue sémantique, il faut done préciser qu'on Poppose alors au point de vue syntaxique de Frege et de Russell, comme micux fait pour refléter ce qu’a d’absolu et d’unique le langage logique. ‘Au contraire, Wittgenstein —entratnant Frege et Russell avec ui — s‘oppose et au point de vue syntaxique de Gédel-Carnap et au point de vue sémantique de Tarski — et du second Carnap —. Ges deniers tiennent lidée de logique absolue et unique pour un mythe malgré les apparences et s'inspirent moins directement de Peeuvre des logiciens-philosophes, Frege, Russell et Wittgenstein, que de celle des logiciens mathématiciens et surtout des travaux formalistes de I'école hilbertienne. Or ta méthode de ces derniers est entigrement opposée & la précédente, Lorsque, payant sa dette & Wittgenstein, Camap dit qu'il lui a emprunté lidée d’espace de jeu logique, caractéristique précisément du signe propositionnel, il ajoute que, toutefois, Wittgenstein n’a pas donné de ce terme une définition syntaxique (?), Cette addition va sans dire. Car une telle définition syntaxique entrainerait des conséquences contraires A tout ce que suppose la «mythologies métaphysique, du Tractatus. Au lieu d'un langage logique absolu ct unique (*), elle obligerait cn effet & définir les concepts et & introduire les axiomes d'une (0) Remarks on the Foandotions of Mothmatis, Blackwell, Oxford, 1596, p. 50. (1) The logical Star of ho Language, p. 198. (6) Bid, p. $22 REMARQUES SUR 4.442 DU © TRACTATUS = 161 syntaxe et d'une sémantique relativement a un langage donné. Mais, de ce fait, au réalisme, elle substitucrait avec le principe de tolérance, le conventionalisme logique (*). Que si, A présent, nous admettons le relativisme linguistique imposé tant par la syntaxe que par la sémantique nouvelles, la critique que Wittgenstein faisait des propositions philosophiques en tant quillusions linguistiques va nous apparattre A la trois trop large et trop étroite. Trop large d’abord, puisque tout discours sur le langage devient illégitime. On ne corrigera cet excés que si Yon substitue & 1a notion de concept formel celle de concept syntaxique (!*), Considérons, par exemple, lassertion-méme de Wittgenstein, en vertu de laquelle on ne peut exprimer dans une Proposition une propriété ou une relation formelle (#4), ce qui fait qu'il n'y a pas d’objets logiques. En conséquence de cette assertion, Wittgenstein est conduit 4 en affirmer paradoxalement qu’elle est clle-méme un non-sens, mais qu’appartenant A la philosophie, elle est un non-sens «important», Au contraire, dis que nous ad- mettons la possibilité d'une syntaxe et d'une sémantique réfiéchies, nous constatons que l'obscurité de cette proposition tient simple- ment & son mode d’expression. Elle exprime une propriété formelle et doit done appartenir la syntaxe, mais elle paralt porter sur es choses-mémes, parce qu'elle est exprimée dans le mode matériel du discours. Traduisons alors assertion, du mode matériel dans le mode formel, c'est-A-dire dans le langage syntaxique. On obtient Ja proposition suivante: « Un énoncé dans lequel un mot de propriété d'un certain type apparaft n'est pas un énoncé » (#t). En diautres termes : « il est interdit de construire un énoncé dans lequel figure une mention syntaxique». Mais cette interdiction nest qu'un préjugé, dont le principe de tolérance nous libére, Ainsi Fopposition que le Tractatus établit entre «exprimer» et «montrer» ne résulte que d’une décision dogmatique, & laquelle ‘on peut s'opposer en affirmant (dans le mode matériel du discours) qu'une théorie syntaxique ou sémantique est aussi lgitime qu'une théorie géométrique (#), ) Bid, p. 31. (10) mid, p. 295. (i) Tra, 4.1265 4. (12) Caswar, ti, p 313. 13) Mid, p 313 cp. 202, RIAD, op. it, p. 314, 162 J VUILLEMIN En revanche, Wittgenstein donne du non-sens un critére trop Grroit et il se prend lui-méme aux illusions linguistiques qu'il prétendait dliminer de la philosophie (4). Certaines de ses asser- tions sont irrémédiablement absurdes, et elles le sont parce que exprimées dans Je mode matériel, elles contredisent directement, Vopposition établie entre «exprimer» et «montrer » et que, traduites dans le mode forme, elles se trouveraient contredire encore leur propre traduction, comme c'est le cas, selon Carnap, des propo- sitions du Trerlatus qui évoquent la transcendance (das #oher). Hest arrivé a Wittgenstein par rapport au langage ce qui, dit-on, cst arrivé aux philosophes par rapport au monde. Les philosophes décrivaient le monde dans son étemnité, On leur a reproché de ne pas le transformer en se mélant aux événements de son histoire. Wittgenstein, c'est en ceci qu'il reste philosophe,a, de facon contra ie et fulgurante donné a voir la structure de la logique absolue. On le reprend de méme, pour n'avoir pas compté avec la relativité du langage qui lui eft permis de remplacer la philosophie par la science. Le Tractatus conserve-teil un sens ? le concept de sujet La cause est-clle entendue ? De examen qu'on a fait, on peut tirer un double bilan. Le premier a trait au formalisme logique et mathématique. Un mathématicien a dit de sa science qu'elle prouve l'existence de Diew en ce que sa puissance va de pair avec sa cohérence de fait, et Vexistence du diable en ce que cette cohérence ne peut lui étre garantie sans contradiction. Les théorémes de limitation .n’ont done pas diminué Pattrait des formalismes ni leur force. Mais ils ont montré qu'on ne peut pas fonder logiquement les mathéma- tiques, que la science 1a plus rigoureuse, la seule rigoureuse dans ses résultats, repose dans ses principes sur un acte de foi, que toute démonstration se fait dans un systéme formel dont les propriétés métathéoriques ne peuvent, dans les cas intéressants, étre elle-mtmes absolument fondées. Bref, pour reprendre Platon et pour lui ré- pondre, les mathématiques sont une science de I'entendement discursif, qui ne sauraient étre fondées par une raison intuitive, (14) Mid, p. 262, p. 304, p. $10. REMARQUES SUR 4442 DU WTRALTATUS «© 163. Le second bilan a trait & Wittgenstein, Sa doctrine logique est archaique. II maintient le réve logiciste, e'est-A-dire ta double affirmation que la logique est absoluc et qu’elle est suffisante pour fonder les mathématiques, quand ce réve doit étre abandonné, Aussi sa théorie reste élémentaire et n'est pleinement satisfaisante que pour le Calcul propositionnel. Il esquisse & peine la notion de quantification (5.521 sq). et postule que la totalité des objets est donnée (5.524), ce qui interdit tout infini actuel méme dénom-. brable. Il opte ainsi pour une philosophie intuitionniste des mathé- matiques extrémement restreinte. Cette restriction, intolérable pour tout mathématicien, apparaft clairement lorsqu’il répudi Ia théorie des ensembles (6.031) (#). Aussi rejette-teil comme Iaire la célebre définition des nombres naturels & partir de la notion de successeur immédiat et de la quantification sur les classes ou les propriétés (4.1273), mais il se trouve das lors contraint ou bien d'abandonner toutes les lois générales propres & 'arithmétique, ou bien de réintroduire subrepticement la notion de ef cactera que la définition fregéenne éliminait en acceptant les classes dans Punivers logique (5.2522 ; 6.02 et Notebooks 21 nov. 1916). Ainsi, - la théorie du. Tractatus est entidrement inadéquate & exprimer tout ce qui fait la spécificité des mathématiques militantes. Cette situation explique peut-étre que Wittgenstein ait abandonné, par la suite, ce qu'on peut appeler la théorie de la science pour s'at- tacher au langage naturel. On ne peut juger sans sévérité les textes (18) MG. Granger me fit remarquer que 6.031 rejete Ia thorie des clases et . we ie wit ‘at inexact d'en concure que Wittgenstein rete itl thrie des ensemble. Il sjoute: «Du moins Wiligenstein semble ne penser it qu’a Ia parte élémentaire qui ser & Ia definition dea enter. Il eat bien vei, du reste, qu'il parle de la thlorie des ensemble Mais 6051 sige que, puoq'on peut def le nee reanivement 02), a ticion da nombres fin par a eomderaon dea Caner (atthode de Dedeind et tmttode de Frege) a nue et iter rejete page encne dans le fas aque Ruvell rasa par Taxime de reduce (61239). Or une tale déiniion, thes Deelind come ches Frege cn rot ta es pop bk das tne orc en apple a Thre gre de cca, Tot sn! pour, loner Rosell eat deoater Meuvalence de co dftns avec la elon vicunie de Peano, Ive big diatodure Fusion de Fa rjc pes Whagewin (933), (On peut condare que 63] pore bien re Taare es enmmbls en tat quvn pre tend powelsy rere PAriaetgue a quaion interne du Trataact asvante; Eni al que 6.02 deft ea ‘catier en ne faisant appel qu’ des concepts logiques ? “ amen 164 J VUILLEMIN dans lesquels, reprenant inlassablement la proposition 4.041 du Tracatus, il affirme dogmatiquement I'illégitimité d'une application de la langue en elle-méme, et #efforce de décrire une activité mathé- matique restreinte & une portion étroite de l'expérience intuition- te. Mais, en substituant & I"iddographie les langages naturels, Wittgenstein prend conscience de I'une des raisons pour lesquelles sa tentative du Tractatus a échoué. En fait, les deux bilans qu'on a distingués, viennent alors se confondre dans lidée suivante : si le langage naturel est labsolu, s'il reflete la forme du monde sans pouvoir lexprimer, c'est & la condition qu’on renonce A l'interpréter Comme une image représentative pour linterpréter comme une action, comme un conduite de jeux. (Or cette nouvelle interprétation sauve le théme philosophique essentiel du Tractatus en sacrifiant ses intentions logiques. Ce thtme philosophique est celui du sujet. On peut larticuler dans trois propositions principales. 1) Le sujet est 'absolu, Il n'appartient pas au monde ; il en est la limite (5.632). Pas plus que la capacité ’étre image, il n'est tun fait qu’on puisse exprimer. 2) Le sujet ne peut étre réfiéchi, pas plus que l'image. On voit les objets du champ visucl. On ne voit pas l'oeil (5.633). Crest pourquoi aucune partie de notre expérience n'est a priori (5.634), contrairement a ce qu’affirmait Kant lorsqu'il décrivait, par exemple, espace et le temps comme des formes subjectives de la sensibilite, 3) Le solipsisme conséquent est le réalisme (5.64). Le Moi n'est pas un objet, mais tout objet est objet de mon expérience possible. Le sujet posséde donc les caractéristiques du signe propositionnel. ‘Mais, a la différence du signe propositionnel, il n’est pas un fait. (On peut le regarder comme ce qui reste du signe propositionnel lorsque, conservant de lui sa faculté d'incorporer une image, on Glimine sa nature de fait. Ce que, dans un autre langage philoso- phique, on a nommé objet intentionnel cotnciderat alors avec cette Tage, résidu du signe ; mais loin d'en étre te corrélat, le sujet ne sen distinguerait pas, Epurée du préjufé représentatif qui lui este lige dans le Tractalus, Vintuition de Wittgenstein pourrait done s'exprimer dans les termes suivants: c'est le langage qui donne aux choses leur structure, qui les intégre en un monde ; REMARQUES SUR 4.442 DU © TRACTATUS » 165 mais le monde et la vie ne font qu'un (5.621). Ce 621). Ce que le langage refldte et ne peut exprimer,c’est alors le sujet c'est-A-dire 'expéri piesa sjet c'est-A-dire lexpérience Ambiguités du concept de sujet (On concluera done que dans le Tracttus Witigenstein a vsé une théorie du sujet & travers une description de la langue logique, qui ne convenait pas A cette théorie. Mais il faut peuttre aller plus loin et se demander si le sujet, dégagé désormais des fonctions qu'il exergait au principe dels Logique absolue, correspond encore & la description qu’on en a donnée : si d'abord tout sujet est un Moi, encuite si tout Moi se manifeste dans la structure « Vrai-Faux » qui oriente la proposition ct lui conftre ce que Wittgenstein appelle son sens. Lesujet dont parle le Tractatur est un Moi (5.641), Crest pourquoi il apparait au niveau d’un langage. Or, d’une part In conscience est comparée au regard, & quoi il a déja été fait allusion (5.6331). De Faulre, pour assurer la thése de I'extensionalité et éliminer les attitudes proporitionnelles des énoncés qui paraissent les contenir, fon évoque les fameuses ambiguités Lides a la perception du dessin d'un cube, remarquées par Helmlholtz (") bien avant les «psycho- fogues de la Formen (5.5423). Pas plus qu'une perception, une croyance n’est une relation entre un sujet et un objet intentionnel ; et tout ce qui peut étre alors exprimé tient exclusivement dans les propriétés des objets et dans leurs relations : cette ardte vue avant cette autre ot cette demiére vue furtivement. Mais on peut dans ces conditions se demander si le sujet ne hante pas la perception autant que le langage naturel et méme avant lui, Les philosophes existentialistes et les philosophes ana- Iytiques paraisent s'accorder pour confondre les catégories de ces deux activivés, Mais cet accord résulte d'un préjuge, qui n'a pas éé suffsamment critiqué. Merleau-Ponty, d'ailleurs avait Glairement distingue les deux concepts de sujet et de moi. En dé- crivant le monde pergy, il croyait devoir en référer la possbilite une subjectivité anonyme incamée dans le corps propre. Si l'on (16) Voir ta discussion de Illusion de Schroeder par Heuimovre, Mendbuh d Dyslogihen Optik, Drite Aufl, Vou, Hamborg-Leipaig. 1910, ¢, 11. p. 299 «9, 166 J VUILLEMIN retient cette suggestion, il faudrait alors examiner si le moi n'est pas un produit du langage, coordonné au sujet, non confondu avec lui, puisqu’un sujet se trouve déja requis par la perception. En second lieu, Wittgenstein hérite du premier Russell sa con- ception des significations. ‘Toute signification est primitivement la signification d'une proposition — les significations des noms en particulier étant secondaires et seulement intelligibles dans le con- texte propositionnel —, et Ia signification d'une proposition est inseparable de son sens, de sa direction. Dans le systéme du Tractatus, ce sens est dérivé de la possibilité que posséde l'image de s'accorder ou de ne pas s'accorder avec le fait, Mais, en réalité le sens paraft caractériser une claste d'expressions linguistiques beaucoup plus large que les propositions théoriques indicatives, en sorte que ce trait caractéristique des propositions, considérées comme des entités linguistiques, est déja présent assurément dans les expressions du langage pratique et peut étre, plus profondément, dans le monde perceptif d’avant le langage. En revanche, il fait défaut & une classe ‘au moins de propositions pratiques qu’Austin et Benveniste ont appelée «performatify. En effet, la négation d'un performatif n'est pas un performatif, mais un descriptif, bien que la proposition régie par le performatif puisse naturellement étre on ne pas étre précédée par une négation, Ainsi: «Je promets de venir» (ou «de ne pas venir») est un performatif ainsi que «La stance est ouverten (prononcée dans certaines conditions). Mais expression «je ne promets pas de venir» (ou ade ne pas venir»), quoique, par figure, elle puisse tre une menace, n'est habituellement pas un performatif, mais un déclaratif et il en va généralement de méme pour I'énoncé «La stance n'est pas ouvertes méme quand elle est un rappel & ordre ("). En d'autres termes, si, dans le cas du performatif, énoncer c'est produire l'état décrit par I"énoncé, un énoncé négatif cst une impossibilité de principe. Or on peut montrer ('*) que, dans de telles expressions, Ie systéme linguistique des oppositions des personnes «Je-Tunse trouve neutralisé au profit d'une postulation absolue et non oppasitive-du Moi. Cette eréation d'un Moi, spéci- (87) On pourrait Gtendre ces remarques A des clases d'exprenions elles que we supe poser, dans certains de vs empls, (18) Sur ce. point, Vurizarm, Expreuioe Stalments (Phissophy end Phramenolpca Reser, Univ. of Bufo, vol, XXXIX, June 1969, n* 4, pp. 485-497) KEMARQUES SUK Hote UU + Enneintee «= fiquement linguistique, investirait le langage sans assujettir ter Propositions & avoir ce que nous avons appelé un sens. Performatifs dépourvus de sens, subjectivité anonyme du_percu tlle arate ls deux feats que rencontre fa thérie da ‘sujet, visée par Wittgenstein dans le Tractatus & travers l'analyse inappro- prige de la Logique mathématique. nie Gollage de France. DISCUSSION Prisident:B. F. McGuinness ‘M. McGunovess A Je mis paitement accord avec la premitre patie de Nexpost dont remerce Tauteur, ‘Quelquesremarques mur la seconde qui vont dans | cua entamée apris la conférence de M. Granger, ae = 1) Le rejet de la métalangue nest pas chez Wittgenstein dogmatiqui fuudrait Ih deans regarder sex demiers devs, Mal méme sila fog a itée aux tautologies, certaines de celles-ci peuvent demeurer surprenantes. Seances Wingate ae a fom rea fire ou tvidentes ou pauvres, mais 'evidence et posteseure Ala prove, non atrcure, la surprise peut donc jouer, en philosophie comme en mathé- tnatiques, ‘Wittgenstein n'a jamais dit que les fonctions de vérité suffisent & fonder Jes mathématiques; méme les vérités lea plus simples comme 7+ 5 = 12 sont pat & Ete construites comme des tautlogie. Co qu'il dre cet que dey mathématiques alent simplement & tre fondées Je voudrais émettre un Iéger doute quant a T'interprétation de 5.524, 11 veut dire simplement que parler de tous les objets n'a pas de sens. 2) Que devient le lien logique-myticame ? 8) Quant aux 3 propositions concernant le suet e dirais que ecli q on peut remarquer que le p de p > q eat hypo- thétique, et que le signe global ne Vest pas. 62 qa hypothéique oe nypotheique Ce qui n’exige pas encore un signe technique nouveau, Mais si on adoptait lune éeriture linéaire, sans distinguer les preuves, on aurait: p = p> q q par exemple, d’oi Ia néeessité de ponctuer : en | fun texte des Investigations : Wittgenstein dit que «le signe d'asertion de Frege marque le commencement d'une proposition». La fonction est done celle d'un point final. Si Wittgenstein avait été charitable, il aurait dit_non pas que le signe de ‘Russell et Frege était superflu,mais que sa fonction était suffisamment assurée par le fait quion passe A la ligne suivante. M, Vornuran : Je n'ai aucune objection. Cette prisentation de la nécenité de la barre werticale chee Frege pour arréter une régression & Vinfini m’a intérené, J'ai voulu seulement exposer la critique de Wittgenstein sans la prendre & mon ‘compte. Pour le défendre on peut dire: — que la priésentation de Rusell suscite une objection prychologique, mais de forme: si le signe manque, lénonct fonctionnel est assumption, il ne devient assertion qu’apris. Ce n'est done pas de Ia paychologie, mais c= sont des. mots prychologiques. — ce qui semble chez Wittgenstein une critique fondamentale, eest qu'il appelle psychologique le numéro dl'ordre des propasitions. Par exemple, 4a tautologie d'identité pourra etre prise comme axiome n° 7+ p> p. ‘Aprés les axiomes et les régles, on aura les théorémes ; tout cela, qui n'ap- partient pas Ala nature de la’ proposition, est donc mis au compte de la paychologie. Quand on rejette le point de vue syntaxique, on bloque lex ‘numéros avee le signe. REMARQUES SUR 4.442 DU « TRACTATUS » m1 M, Buace: Etily a.une différence entre le numéro et le signe. Mais pasons au second point — Si on suppose une lecture semantique de 4442 on a {PD @) = Ae. pest vrai et q ast rai. oo pest faux et q est vrai ou Pest faux et q est faux ‘en Otant Ia ligne 3 du tableau, Mais pour comprendre ced, il faut déj& ‘comprendre quelques constantes logiques. L'idée que cette présentation introduit les constantes logiques de manitre indépendante est totalement fausee. II faut comprendre déja “ou”, “et”, etc... pour comprendre le tableau. ‘Diautre part, et-ce méme une interprétation admisible dans le Tracahas? cle suppose un métalangage : «post vrai... q est faux», ce que le texte rejtte. Done Ia lecture correcte serait: - av (~P-@) v (~p. =a) Cest-Adire que Wittgenstein proposat en fait, une forme Normale Disjone- tive, et nullement une présentation sémantique. ‘Je voudrais ici apporter une citation. Dans le livre: Math. Note, (Lec ture Notes by N. Malcolm), & la page 72 Wittgenstein dit “Quand je me suis demandé ce qui fait qu'une proposition est une tautolo- fic, jal pensé que le symbolisme Vrai-Faux était un moyen de transformer le symbolisme de Rusell pour faire apparaltre des colonnes semblables, ‘Tout ce que j'ai fait, c'est de transcrire ses propositions dans wn symbolisme différent”. Done, it ne fait pas du tout de sémantique. Dans«truth-pos le mot trath fonctionne comarae index, et n'a pas de sens isolé. Et scule cette lecture me semble en accord avec le texte. M, Vornuzseoe: Je suis d'accord. Votre interprétation me tire d'embarras, ‘JVaimerais alors poser une question : pourquoi Wittgenstein ditil qu'il ‘et plus clair d'éerire «VV F Vs que «V V — V> M. Bunce: Peuttre voulat-il dire que espace vide eat un espace pour quelque chose. M, Voruzune: Mais que ferez-vous alors du 3° cas (exclu)? M, Beac : Reportez-vous au texte des Remarguer. Ce qui intérene Wittgenstein ce sont les tautologies, les suites «VV Vio» 172 J. VUILLEMIN. Pour les contradictions on aurait une suite vide... est en dehors. Mais il eat peut-tre vain de vouloir justifier tous les mots duu Tracatus.. M, Raooto: ‘Jaimerais apporter un point de vue conciliateur quant & 5-524 en distin- guant 2 finitismes. 1) le finitisme 1': il y a seulement un nombre fini d'objets et comme dit M. McGuinness, Wittgenstein n'y est pas conduit. 2) finitisme 2: s'il y a une totalité “in fier alors il y a une totalité fermée ndante. Ce qu’affirme 5-524 c'est le fnitiame 2, et en ce cas les dfficultesde construire tune logique des prédicats disparaissent. Ce qui lui est apparu quand il prit contact avec 'intutionnisme & Vienne par la Conférence de Brouwer. M, Voruissen Ltez-vous, Prof, McGuinness, d’accord avec le professeur Raggio sur ce point? M, McGunavess : LA NOTION DE «GRAMMAIRE» CHEZ LE SECOND WITTGENSTEIN par JACQUES BOUVERESSE Dans un article bien connu, consacré a Ja discussion d’un certain. nombre de questions théoriques pendantes considérées comme pré- Judicielles en linguistique ('), Chomsky fait figurer, aux c6tés de Bloomfield et de Quine, le second Wittgenstein comme un des représentants les plus caractéristiques de la conception dite «taxino- mique-behavioriste» de la nature du langage, conception qui ext récusée catégoriquement au profit d'une autre, diamétralement ‘opposée sur tous les points en litige, et qualifiée de «humboldtiennen, Chomsky évoque notamment un passage du Cahier’ Bleu (*) dans lequel Wittgenstein dénonce précisément la liaison nécestaire qui existe, de son point de vue, entre le présupposé, que nous pouvons & notre tour appeler «humboldtien», de la présence dans le sujet parlant du systme virtuel tout entier de la langue avec son organi- sation générative éventuelle, comme seule explication adéquate de la performance Tinguistique singulidre, et le mentalisme de type classique :«... La phrase n’a de sens que comme élément d'un syste de langage ; tout comme une expression singulidre & lintérieur d'un calcul. Des lors nous sommes tentés d'imaginer ce calcul, pour ainsi dire, comme un arriére-plan permanent pour chaque phrase que nous prononcons, et de penser que, bien que la phrase, en tant qu’écrite sur une feuille de papier ou parlée, se trouve isolée, dans Pacte mental de la pensée le calcul est 14 — tout en bloc. L’acte (1) Covent Lacs in Linge Theory in Foon and Kare (cditon), Th Smtr of Langue, Prentice-Hall, Ine, 1964; ef. p. 62. (2) Tutiisera la abrévatons mlvantes. (= T- Tracts logiephilwphins),P. U, (x Philtophische Untemchngen, BGM. (-« Bemekangen ther be Grandgr der Maho, BD, (ww The Blur and Broun Boos), 2. (= Zee. i” J. BOUVERESSE mental semble effectuer d'une fagon miraculeuse ce qui ne pour- rait tre effectué par aucun acte de manipulation de symboles. Or quand la tentation de penser que, dans un certain sens, le calcul tout entier doit étre présent au méme moment disparatt, il n'y a plus aucun intérét A postuler lexistence d'une espéce particuliére d'acte mental qui coure tout le long de notre expression» (BB., . 42). a conception taxinomique-behavioriste, les théoriciens de Ia grammaire générative reprochent essentiellement, comme on sait, son incapacité & rendre compte d’un des aspects les plus spectacu- ires et les plus fondamentaux de la compétence linguistique du sujet normal : Vaptitude & percevoir et A comprendre immédiate- ‘ment, & émettre spontanément et, en outre, & repérer, le cas échéant, comme grammaticalement déviantes, un nombre infini de phrases dont la plupart n'ont jamais été prononcées ni entendues par lui auparavant. Il est intéressant de rappeler que ce fait majeur, dont explication semble s‘imposer aujourd'hui aux théoriciens de la Tinguistique comme une vache primordiale, fournissait 4 Wittgen- stein, & V'époque du Tractatus, un de ses arguments les plus séricux en faveur de la théorie qui attribue au langage une forme de repré- sentativité «picturalen. «Il appartient a essence de la proposition de pouvoir nous communiquer un sens nouoeau» (T., 4.027), et cette capacité spécifique ne peut tre fondée que sur la propriété interne qu'elle a d’étre une configuration représentative d'un état de choses possible dont elle affirme ou nie existence. (On pourrait croire qu'une fois abandonnées les théses fondamen- tales de son premier ouvrage et, en particulier, la conception de a langue comme image de la réalité, Wittgenstein s'est préoccupé de trouver une autre explication & ce qui, de toute évidence, n'a ppas cessé de lui apparaltre comme un fait capital de la pratique Iinguistique courante, En réalité, et bien que cette affirmation sim- plifie peut-ttre abusivement son comportement philosophique, on peut dire que le second Wittgenstein n’était nullement & la recherche Ge solutions nouvelles & des problémes anciens, c'est-A-dire de termes nouveaux pour rendre compte de phénomenes demeurés préocc pants, mais soucieux au contraire de diagnostiquer en toute occasion dans la tentation et la prétention de « rendre compte de quoi que ce soit la maladie philosophique par excellence. Le théoricien de la grammaire générative affirme précisément que Je comportement linguistique usuel ne peut, & cause de son aspect LA NOTION DE = GRAMMAIKE » cssentiellement « eréateur», etre expliqué en termes de conditionne- ment, d’association, de projection «analogiquen, de généralisation, cte., bref, dans les termes d'une théorie empiriste de l'apprentissage, et que l'utilisation infinie qui est faite de moyens finis, le fait que le sujet parlant sait et sait faire beaucoup de choses qu'il n'a apprises impliquent de sa part la maltrise de processus récursifs susceptibles d'engendrer un ensemble infini de phrases et de leur faire correspondre automatiquement des descriptions structurales, Ici le profane est tenté d'objecter naivement (et il est essenticl, dit point de vie du second Wittgenstein, de considérer de cette fagon les suggestions philosophiques que les spécialistes font 4 propos de leur spécialité) qu’en raison de la liaison étroite qui existe entre les deux idées de récursivité et d’engendrement mécanique, le modéle proposé pour la compétence linguistique du sujet n'est A premiére vue pas, particuligrement adapté & son fonction, qui est précisément de rendre compte de 1a dimension «créatricen du cette compétence. Dune machine susceptible de faire passer un test de bonne formation aux mots d'une langue symbotique ou d'engendrer les. théordmes dun systéme formel, par exemple, nous ne serons généralement pas tentés de considérer qu'elle aun comportement «créateurm au sens uusuel du terme et dire que les régles de réécriture d'une grammaire syntagmatique correspondent & des algorithmes relativement sim- ples revient en un sens uniquement & mettre en relief aspect méca- nique, ou tout au moins partiellement mécanisable, de certains processus implicites de formation et d’analyse structurale. C'est que Vaspect eréateur dont il s'agit ici n'est précisément pas autre chose que aspect d’extension automatique & T'infini, alors que Wittgenstein, pour sa part, récuse le modéle mécanique, non seule- ment propos du langage usuel, mais également & propos des languet symboliques de type mathématico-logique, au nom de Ia créativité des phénoménes linguistiques entendue dans un tout autre sens. Dans Ventreprise qui aboutit, de facon assez paradoxale, A une rela- tive déshumanisation du fait linguistique, on peut peut-tre recon- naftre, du point de vue du philosophe qui nous occupe présente- ment, les effets cumuulés de deux assimilations erronées : l'une qui consiste & confronter, d'une maniére générale, la langue familitre au «moddle» d'une langue symbolique artifcielle et A rapprocher en particulier le probléme de la «grammaticalité» dans le cas de la premitre de celui de la« bonne formation» dans lecasdela seconde ; 176 J. BOUVERESSE autre qui consiste dans T'introduction et la généralisation de la présentation axiomatique, c'est-i-dire, pour Wittgenstein, dans la ‘amécanisation des mathématiques» (BGM., V, 9). Alors que la perspective de Wittgenstein est résolument finitiste et, si l'on peut utiliser ce mot A propos de la théorie du langage usuel, «intuition- iste», Chomsky et ses disciples veulent avant tout éviter de faire intervenir en chaque cas singulier la libre initiative du sujet parlant. ‘On peut lire & ce propos sous la plume de Stockwell dans un article au titre significatif: «Le modile transformationnel de la grammaire générative ou prédictiven (*): «Un ensemble fini de régles qui énumére un nombre indéfiniment grand de phrases dans un langage ext une grammaire géndrative. A la différence des types de grammaire dont Ia liste est donnée ci-dessus (‘), ces grammaires ne laissent pas au lecteur Ia construction de phrases nouvelles par «analogie» avec celles qui sont citées et analysées. Elles caractérisent explicitement les analogies permises, les régularités que les phrases nouvelles auront en commun avec des phrases anciennes ; elles ne laissent pas la tache cextensionnelle 4 Intelligence et & intuition du lecteur». Compte tenu de Fanalogie que Chomsky établit lui-méme entre les objectits cexplicatifs et prédictifs d'une grammaire & I'égard des faits de langage comme faits de la nature et ceux de la physique ou de l'embryologie, par exemple (*), un lecteur empiriste et malveillant pourrait etre tenté de lui demander pourquoi la créativité gouvernée par des régles dont la nature en général ne cesse de fournir des exemples éclatants, Cest-A-dire son aptitude @ produire indéfiniment des faits nouveaux selon des lois immuables, n’autorise pas & supposer également qu'elle a en quelque sorte «intériorisé» des principes d’uniformité et de ré- currence qui font partie de sa «compétence» générale, La tentation existe bien, moins toutefois dans Ie cas général que dans le cas perti- culier éminent du phénoméme linguistique humain, de prendre ce qui n'est peut-ttre qu'une hypothése qui régle notre comportement & égard des faits futurs pour une explication de ces faits. C'est ce type d'llusion que le Traclatus appelait « a superstition» (T., 5.1361). (9) The trsforatonal mal of generation o prediction gramar, ia Netwrel Language ond the Computer, ed. by P. L. Gavin, McGraw-Hill Book Company, Ine, 1963; ef. p.25. (4) I vagit des grammaires dite « presriptiven, «formalise» et «notionnelle (3) Ch Uwe coupon wanifermationle de ta stan, trad. frangnse dans Longege, 1° 4, décembre 1966, p. 55. LA NOTION DF. = GRAMMAIRE » wa ‘Une idée que Wittgenstein ne cesse de combattre dans des termes qui ne sont évidemment pas ceux qu’utilisent les linguistes actuels est précisément celle qui consiste & se représenter les phrases comme AGA formées et les enchatnements déductifs comme déja effectues dans une sorte de milieu éthéré plus ou moins mystérieux, celui de Ja langue par exemple, et comme devant étre simplement actualisés dans les instances de parole. Une représentation de ce genre ne constitue pas pour lui une explication, mais simplement une image parasitaire et peut-etre une assez bonne illustration de ce qu'il veut dire lorsqu’il caractérise, dans deux remarques apidaires des Zettel (450, 451) activité philosophique comme une sorte de gesticulation inadéquate qui accompagne le discours ordinaire, En réalité, ce n'est pas parce que les démarches réglementaires sont en quelque sorte déja faites que nous avons, pour notre part, la certitude absolue de pouvoir continuer, par exemple, une suite de nombres ou une multiplication et que nous pouvons, en ce qui concerne autrui, prédire avec certitude, en vertu de I'entrainement qu'il a subi, Ja manitre dont il procédera, méme s'il n’a jamais effectué cette démarche déterminée. C’est au contraire parce que nous avons la certitude en question que nous sommes tentésde croire que les démarches réglementaires sont, d’une maniére ou d'une autre, déja faites, un peu comme lorsque nous écrivons sous la dictée. Nous avons affaire 14 A une image (Bild) naturelle, mais dangereuse, pour un fait important, mais sans mystére (cf. BGM., I, 22). ‘Comme on I’a déja fait observer, personne n’a en vn sens autant insisté que Wittgenstein sur la eréativité du processus d’obéissance la régle, c’est-d-dire, en occurrence, sur le fait qu'il y a loin entre instruction et l'exécution et, plus généralement, entre le paradigme et Pexemplaire: «Entre ordre et Vexécution il y a une faille. Tl faut quielle soit comblée par Iacte de compréhension. Crest scuilement lorsqu’intervient V'acte de compréhension qu'il cst dit que nous devons faire CELA. L’ordre — ce ne sont en fait que des sons, des traits de plume. — » (P. U., 1, 431) «Nous pourrions dire également, lit-on dans les Remargues sur les fondements des mathé- matiques : Lorsque nous suivons les lois d’inférence (régles d’inférence), il y a toujours également dans le fait de suivre (in cinem Folgen) un acte dinterprétation (ein Deuten)». (BGM. I, 114) Nous sommes ici aisément tentés de confondre. deux processus trés différents : tun processus de simple reproduction au sens matérielduterme, comme par exemple celui qui consisterait & recopier une suite de nombres 8 J. BOUVERESSE ga écrite ov méme, de fagon plus élémentaire, A en repasser les caractéres & la plume pour les épaissir, et le processus qui comporte Tobéissance & des instructions récurrentes, comme par exemple celui qui consiste & écrire la suite des nombres pairs ou transcrire une suite donnée de nombres de la notation décimale dans la notation binaire. La différence essentielle entre ces deux types de processus réside dans le «faire la meme chose», qui n’a pas du tout le meme sens ici et IA. Dans le premier cas la suite des démarches & effectuer cst déterminée en ce sens qu’elles sont effectivement données au préalable, dans le second elle est déterminée uniquement en ce sens que nous avons appris A écrire tous le méme nombre lorsque nous appliquons, par exemple, le commandement « + 2» ou le commande- ment «élévation au carrém & un nombre donné, De ta confusion entre ces deux situations naft Tillusion classique que, dans I'écriture d’une suite de nombres, en tant que celle-ci est, par exemple, récursivement déerminée par les formules : 1) x, = 2, 2) xem = Xe + 2, ou d'une suite de formules représentant une déduction correcte, nous opérons en quelque sorte sous la dictée d'une instance mathématique ou logique supérieure, un peu comme les surréalistes prétendaient écrire sous la dictée de l'inconscient, ‘ou encore que nous consultons une sorte de texte intéricur préexistant ou de film, dans lesquels nous fisons (ablesen, cf. Z, 34) les démarches a effectuer, qui relevent alors de la simple transcription, ce qui expli- que la certitude que nous avons de pouvoir poursuivre correctement, Particuligrement propre A entretenir cette illusion est la conception ensembliste d'une suite comme une application dont l'ensemble de définition est ensemble des entiers naturels et dont ensemble de valeurs serait en quelque sorte donné d'un coup, par une opération ‘rigantesque, sous la forme d'une infinite d'objets qui, pour employer tune expression de Wittgenstein, «reposent dans un tiroir» (P. U., 1, 193) d’od nous pouvons en extraire autant que nous voulons. Wittgenstein ne cesse, sur ce point, de nous ramener de l'aspect de coexistence des entités A aspect de succession temporelle des processus, c'est-A-dire A la pratique concréte des jeux de langage qui sont ici en question. Sinous voulons obtenir d'un sujet convenable- ment entrainé 'écriture d'un segmentinitial de longueur indéterminée de la suite des nombres pairs, nous pourrons Iuidonner, par exemple, sous une forme évidemment moins pédante, un'exemple d'instructions du type suivant : 1) ferire le nombre 2, 2) A la suite de tout nombre nd@a écrit, écrire le nombre n + 2, 3) Appliquer la régle 2 jusqu’s nouvel ordre. Deux éléments importants sont ici & considérer : d'une part Ie fait quele jeu, ainsi concu, ne comporte pasde consigne d'arrét précise, d’autre part la certitude qu’a lesujet, sil"éducation arithmétique qu'll a recue est suffisante,de pouvoir appliquer indé- finiment la régle 2 dune maniére correcte. De la conjonction de ces deux éléments naft précisément Illusion infinitiste de type cantorien. En ce qui concerne le second, Wittgenstein observe qu’a la question de savoir ce que nous devons écrire & Ia suite de 2004 en vertu du commandement « + 2x, nous pouvons répondre sans la moindre hésitation : «2006» ; mais que «le fait que je n'ai aucun doute lorsque la question se présente & moi; ne signific juste> ment pas qu’elleavaitdgja recu sa réponse auparavant» (BGM.,1, 3). Pour en revenir au probléme de la nature de la compétence linguistique, nous pouvons effectivement considérer que le sujet normal a intériorisé une sorte de caractérisation récursive de I'en- semble infini des expressions hien formées (grammaticales) de sa langue. Wittgenstein récuserait probablement cette fagon de s'ex- primer en faisant remarquer -qu’un ensemble inductivement défini dlexpressions bien formées ne constitue pas un langage, mais tout au plus une certaine image statique d'un langage. Le probléme qui se pote ici est un probléme philosophique cardinal auquel le second Wittgenstein a consacré une part considérable de son activité thérapeutique, c'est celui de la réitération, de opération qui con- siste A «faire la méme chose», en tant qu'elle se distingue de la copie ou du décalque purs et simples, La question : comment savons-nous que, dans 1a continuation de la suite des nombres pairs, nous devons crite, aprés 2004, 2006, et non pas 2008 ? est analogue & la question : comment savons-nous que cette couleur est rouge? (cf. BGM., 1, 3) Le probléme pos¢ par les procédures récurrentes est d'abord celui de la «reconnaissance», de Videntification d'un objet ou d'une démarche singuliers comme exemplaires d'un paradigme «gram- matical», dans le sens tout a fait général que Wittgenstein donne au mot « grammatical ; et il se pose évidemment déja, non seule- ment & propos de I'écriture de la suite constante : 2, 2, ue mais encore A propos de n’importe quelle application singuliére d'une ragle, puisque nous devons faire, dans le cas précis, « la méme chose» que ce que dit la régle. La position bien connue de Wittgenstein sur ce point consiste & soutenir que les critdres de l'identité dans un cas singulier ne sont précisément pas autre chose que les critéres de application correcte de la ragle dans ce cas. Utilisées pour 180 J. BOUVERESSE Juger Ia performance de quelqu'un qui, dans le jeu de langage précédent, écrit normalement 2006 aprés 2004, les deux expressions «Ila fait la méme chose» et « II a suivi la régle» sont rigoureuse- ment synonymes. Une question insidieuse que se pose ici Wittgenstein est la suivante : A quoi nous sert de savoir avant, en un sens quelconque du mot “savoir”, ce que nous aurons & faire plus tard dans un cas concret ? Qu’est-ce qui nous garantit que nous saurons quoi faire de ce savoir le moment venu? Si Pautomobiliste sait ce qu'il doit faire en ce sens que, d’une part il sait conduire, d’autre part il a repéré son itinéraire sur un plan, il reste précisément A savoir ce qu'il fait de ce savoir au carrefour. Une question analogue se pose & propos du sujet parlant, dans la mesure od, comme le soulignent les intéressés eux-mémes, le modéle qu'il s'agit de construire est un modéle de sa compétence, c'est-A-dire de sa maltrise de la langue, et non de sa performance, c'est-d-dire de ses productions linguistiques effec- tives, Dans ces conditions, le grammaire générative aurait, du point de vue de Wittgenstein, le tort de vouloir répondre d’avance des questions qui resteront entiéres, en ce sens qu’clles n'ont d’exis- tence réelle que sur le moment. C'est diailleurs exactement le genre de reproche que Wittgenstein fait & la métamathématique considérée par rapport & la praxis mathématique concréte. Cette position déconcertante et les attaques qu'elle vaut parfois 4 Wittgenstein de la part des linguistes et des logiciens, s'explique évidemment en grande partie par le fait que, meme dans le cas du discours mathématique, il ne s'intéresse pratiquement jamais aux aspects proprement formels du langage en question, mais se préoccupe au contraire essentiellement de dénoncer les illusions philosophiques qui naissent de I’habitude facheuse que I’on a de le considérer en dehors du contexte concret et familier de son utilisation, Pour lui une «grammaire» représente nécessairement ‘beaucoup plus qu'un systéme de réglementation formel de la parole et de Técriture, elle est une institution qui régit tous les aspects interdépendants d'un méme comportement social et ce que Witt- genstcin appelle la «grammairc» d’un sot, par exemple, c'est toujours les régles de son usage effectif dans un jeu de langage parti- culier. Entre autres métaphores significatives, il utilise & ce propos assez fréquemment celles de la vie et du flux du langage. La pre- mitre n'a évidemment pas grand chose & voir avec la métaphore organiciste des théoriciens romantiques du langage, elle signifie LA NOTION DE © GRAMMAIRE » 181 simplement que les phénoménes linguistiques en général et, pour prendre un exemple significatif, les techniques mathématiques en particulier, sont des manifestations dynamiques privilégies de existence collective. La seconde a pour but d’attirer I'attention sur le fait qu'il se passe quelque chose dans la parole, alors, pourrait- on dire, qu'il ne se passe & proprement parler rien dans la langue : «La conversation, l'application et l'interprétation des mots s'écou- lent comme un fleuve, et c'est seulement dans le flot que le mot asa. signification » (Z., 135) ; ou encore: « C'est seulement dans le flux de la pensée et de Ia vie que les mots ont une signification» (ibid., 173). Autrement dit, c'est seulement lorsqu’on le considére comme une abstraction que le langage posséde unité et systématicité, Dans la réalité il n'y a que la variété indéfinie des jeux de langage et des situations linguistiques singulidres. Liorigine implicite d’un certain nombre de méprises concer- nant les idées du second Wittgenstein sur les problémes précé- demment évoqués est A chercher dans ce que Putnam a appelé, a propos de I'shypothése d'innéité» de Chomsky, argument «Quoi d'autren? (*) : qu’est-ce qui peut bien rendre compte de laisance et de la rapidité avec lesquelles le langage est acquis, méme par les sujets les moins intelligents, sinon une sorte de programmation spécifique préalable du cerveau humain? Traditionnellement les philosophes se sont fait une sorte d’obligation professionnelle de ne jamais récuser un certain type d’explication sans en proposer immédiatement un autre pour le remplacer. Comme le leur repro- chait déja Wittgenstein & Mépoque du Tractatus, ils ont constamment refusé les réponses, mais rarement les questions. Ce n'est pas ai qu’en use Wittgenstein, pour qui les dires du philosophe n'ont rien & voir avec des affirmations ou des dénégations théoriques, mais doivent concerner uniquement des choses évidentes et que personne ne peut lui refuser : «On court toujours le risque en philosophie d'enfanter un mythe du symbolisme ou un mythe des processus men- taux, Au lieu de dire simplement ce que chacun sait et ne peut pas ne pas accorder» (Z., 211). (6) CE, The “inate peters” and explanetry modes in linguistic, Synthese, vo, 12, et, mars 1967, p. 15, 182 J BOUVERESSE, De ce que Wittgenstein nie, non pas existence de processus conscicnts, mais Ia nécessité pour cux de s'interposer dans (ous les cas entre expression linguistique et Ia réalité, on conclut & tort qu'il adhére implicitement au behaviorisme comme position théori- que. De sa polémique contre le platonisme mathématico-logique, on extrait un peu hativement une forme originale et particulidrement destructrice de conventionalisme. Qu’est-ce, en effet, qui peut rendre compte de la nécessité absolue des enchainements dans le calcul ‘ou la démonstration, une fois abandonéc l'interprétation réaliste, si ce n'est une sorte de contrat implicite dont Mexécution ne soufire aucune fantaisic ? Pourtant Wittgenstein rejette, semmble-til, une fois pour toutes les explications de type conventionaliste lorsqu'il dit que la concordance que nous observons ne provient pas d’une sorte de charte mentale, qu'elle n'est pas dans les fagons de penser, mais dans les actes, dans la pratique linguistique ou autre, c'est- A-dire dans la «forme de view (cf. P. U., 1, 241) et que le dernier mot ne peut étre que: «C'est tout simplement ainsi que j'agis» (P. U, I, 217) ov: «C'est ainsi que nous en usons» (BGM., II, 74), Sans doute Wittgenstein dit-il aussi que «le fondement de toute explication est le dressage (die Abrichtung)» (Z., 419). Mais c'est précisément une manidre de dire qu’il n'y a pas Vombre dune expli- cation au sens philosophiaue du terme et qu'il est vain de retarder Je moment of notre béche se heurte, comme il le dit, au «roc dur» de la simple constatation. C'est un fait que nous procédons tous de la méme maniére dans la continuation d'une suite déterminée de nombres ; mais nous n’utilisons, pour savoir ce qui est «le méme» et ce qui ne lest pas, aucun critére particulier (cf. BGA, V, 33), car il n'y en a pas, comme Vindique notre argument ultime, qui n’en est précisément pas un : « Mais tu vois bien que...» (ef. P. U., 1, 185, 231). Un probléme particuligrement délicat se pose, chez le second Wittgenstein, & propos de deux séries d’affirmations apparcmment incompatibles concernant le processus d'obéissance & la régle. D'un c8té, Wittgenstein dit, 8 propos de 1a continuation de la suite des nombres pairs, qu’au lieu de dire qu'une intuition est nécessaire en chaque point, il serait peut-étre plus exact dedirequ’une nouvelle décision est nécessaire en chaque point (cf. P. U., I, 186) ; de l'autre il souligne & maintes reprises que nous ne faisons pas le moindre choix, que nous suivons la régle aveuglément (cf. ibid., I, 219) et que nous n’avons méme pas de concept clair de ce que pourraient LA NOTION DE © GRAMMAIRE » 183 @tre une autre interprétation de la régle et un résultat contraire (cL. par exemple BGM, III, 29), précisément parce que la repré- sentation d'une déviation systématique est en fin de compte celle unc forme de vie systématiquement différente et qu'une telle représentation est excluc par notre «grammaires, Pour mesurer Je chemin parcours depuis le Tractatus sur un point & premigre vue particulidrement défavorable, celui de la déduetion logique, on peut comparer ce que Wittgenstein en dit dans les /nvestigations philosophiques et les Remarques sur les fondements des mathématiques avec la proposition 5.123 du. Tractatus : «Si un Dieu erée un monde dans Iequel certaines propositions sont vraies, il erée de cc fait également dé un monde dans lequel toutes les propositions qui en sont les conséquences sont vraies (stimmen). Et pareillement il ne pourrait point créer un monde dans lequel la proposition ‘ p” soit vraie sans créer Ia totalité de ses objets», A cette conception «leibniziennen du rapport de la proposition A ses consequences logiques, Wittgenstein oppose, dans les ouvrages de sa seconde, période une critique du fondement de la déduction qui est assez comparable & la critique malebranchienne et empiriste de Ia notion traditionnelle de causalité: nous n’observons jamais de connexions causales, mais simplement des consécutions qui se répitent. La question que se pose Wittgenstein est précisément Ia suivante: qu'est-ce qui subsiste de la famcuse opération de déduction lorsqu’on en a retiré le simple fait d’écrire une formule déterminée aprés une autre dans une suite conformément & une ragle? On peut dire en gros que la strategie de Wittgenstein con- siste sur ce point A ramener le mot «suivren (folgen) de son sens technique, (logique) & son sens familier : «' Oui, je comprends que cette proposition suit de celle-ci'.— Est-ce que je comprends pourquoi elle suit, ou bien est-ce que je comprends seulement qu’ctle suit» ? (BGM., 1, 145) ou encore : «* Mais nous déduisons (folgern) tout de méme bien cette proposition-ci de eelle-ld parce qu'elle suit (folgt) effectivement (tatsichlich) ! Nous nous persuadons tout de méme bien qu’elle suit '. — Nous nous persuadons que ce qui est écrit ici suit de ce qui est écrit 1a. Et cette proposition est employée temporellement» (ibid., 1, 23). Le supplément que nous sommes tentés d’évoquer ici, en sus de Pécriture effective des formules a la suite les unes des autres selon un paradigme déductif, est une sorte de processus occulte dans le- quel s'actualiseraient en quelque sorte des enchainements préexis- 184 Jk BOUVERESSE tants, Nous n’avons le droit de déduire que ce qui est effectivement déductible, nous ne pouvons inférer logiquement d’une proposition donnée autre chose que ses conséquences «réclles» : d’od l'idée d'une «structure logiques (ef. BGM, I, 8) du monde, extraordinain ment impéricuse, dont lentendement pur enregistrerait pour ainsi dire les directives implacables. Ici Wittgenstein s’en prend au conventionalisme classique, coupable de remplacer subreptice- ment le platonisme des entités par une sorte de platonisme des ‘opérations, en posant en principe que la comprehension des instruc- tions donne d’un coup la totalité des applications correctes : «* De tous’, sil est entendu de cette fagon, doit bien suivre cela’, — S'il cat entendu de quelle fagon? Interroge-toi sur la question de savoir comment tu lentends. Ici il te vient & esprit peut-étre encore une image — et c'est tout ce que tu as.— Non, cela ne doit pas (es muss nicht) — mais cela suit (es folgt) : Nous effectuons cette transi- tion» (BGM, I, 12). Ce n'est pas ce que la régle «veut dire» qui détermine ce que nous devons faire, c'est ce que nous faisons habi- tuellement, ce qu’on nous a enscigné A faire qui détermine ce que la régle aveut dire, c'est-A-dire ce que nous appelons « suivre la régle» (cf. P. U., I, 190). Ce sont les régularités observables qui font cen quelque sorte exister Ia régle, et non Vinverse, ‘A propos des régles d’inférence utilisées par exemple dans les Eléments d'Euclide ou dans les Principia Mathematica, Wittgenstein va jusqu’a écrire :.. la régle ne fait réellement que nous informer que dans ce livre seule cette forme de passage d'une proposition & tune autre est utilisée (c'est pour ainsi dire une information tirée de lindex) ; car la rectitude de la transition effectuée ne peut man- quer d'étre évidente sur les lieux mémes ; et expression de !a «loi logique fondamentalen est alors la suite des propestions elle-mémen (BGM., 1, 20). Cette remarque ne doit évidemment pas étre inter- prétée comme une allusion au caractére largement implicite des regles d'infércnce dans les Principia Mathematica, Elle est destinge A combattre T'illusion classique que nos rigles de déduction ont besoin d’étre« fondées» sur des lois logiques universelles, et que I'énon- c€ des régles en téte d'un systtme forme! lance en quelque sorte la déduction comme un wagonnet sur ses rails, alors qu'il faudrait dire plutét, selon Wittgenstein : nous appelons dans ce jeu cette suite d'écritures symboliques une application correcte de la rigle de substitution ou du modus ponens, par exemple. LA NOTION DE # GRAMMAIRE = 185 Cependant sila proposition : « Je comprends que, dans les Principia Mathematica, cette proposition-ci suit de celle-li», est utilisée tempo- rellement, parce qu‘elle fait partie d'un jeu de langage qui s'ap- prend : la lecture du livre en question (cf. BGM, 1, 18), le mot «sui- vren, dans lénoncé : « Cette proposition suit de celle-lA», est em- ployé inlemporellement, ct cela signific, dit Witigenstein, que l'énoneé ‘en question n’exprime pas le résultat d'une expérience (cf. BG.M., 1, 103), mais constitue un paradigme grammatical, tout comme Ténonef : «Blane est plus clair que noir». Le calcul et la démon- stration concernent en effet uniquement les propridés interes des structures (cf. BGM., 1, 99), c'est-A-dire celles qui sont rigoureuse- ment indépendantes de tout conditionnement extrinsdque, et en particulier de toute séquence événementielle empirique. L'énon- cé proprement mathématique est, pour Wittgenstein, ce qui per- met de dire, le cas échéant, au terme d'une expérience singulidre de calcul : «I! n'est pas possible que je ne me sois pas trompé», Ten est de méme de la démonstration : elle n'est pas une expérience, mais on peut dire qu'elle nous sert comme image (Bild) d'une expé- rience (ef. BGM. 1, 36); et la conviction spécifiquement mathé- matique est 1a conviction que le procédé dont nous avons vu en quelque sorte le film peut toujours étre effectivement répéré avec le méme résultat. Le travail d'une machine sur des nombres inacces- sibles n'entratne pas cette conviction, précisément parce qu'll ne peut servir comme image d'une expérience, mais représente tout au plus une expérience qui dépasse fe loisir et les forces de I'homme. Wittgenstein s'interroge dans des termes particuligrement sibyl- lins sur la nature et la fonction exactes de l'image que nous formons tanément d'une sorte de machine mathématique ow logique non limitée dans ses performances, dont on ne sait trop s'il faut dire qu’elle est en repos ou en mouvement perpétuel, et dont pour sa part, qu’elle n'est pas une machine, mais «l'image d'une machine» ou un «symbole de machine» (P. U., I, 193; BGM., I, 122). Une premidre remarque a faire concerne le travail présumé de cette machine que l'on peut imaginer poussée par les régles clles-mémes et obtissant A des lois uniquement mathématiques, et mon pas physiques. Mais, dit Wittgenstein, «le travail d' machine mathématique n'est que l'image du travail d’une machine. La régle ne travaille pas, car tout ce qui arrive selon la régle est une interprétation de la régle» (BGM., 11, 48). La deuxitme chose A observer est que la machine mathém: 186 J. BOUVERESSE, est Ie symbole de son mode d'action dans un sens ou Ia description structurale de la machine réelle au repos, par exemple, ne peut absolument pas ttre le symbole du sien, Wittgenstein ne cesse de rappeler que les enchainements logico-mathématiques et, par conséquent, les mouvements de la machine symbolique ne sont pas déterminés causalement, Mais cela ne signifie pas quiils soient ‘moins rigourcux; car la machine devrait posséder cette espéce d'ahyperrigidité» qui manque par essence A toutes les machines réclles et qui caractérise précisément les liaisons «grammaticalesn (cl. BGM., I, 128). La machine idéale s'oppose done sur ce point 4 la machine réelle un peu comme la cinématique, comprise comme une théorie des machines parfaitement rigides, & la mécanique empirique (cf. ibid, I, 121). La dureté du « Muss» logique est comparable & celle d'une image cinématographique, d'un dessin animé représentant les mouvements d’un mécanisme parfaitement résistant et inflexible, et que nous aurions décidé d'utiliser comme mode de description, quels que soient les faits. On pourrait, il est vrai, également dire, en fonction de cette demitre image, qui revient fréquemment dans les Remarques sur les fondements des mathls ‘matiques, que si les connexions et les transmissions grammaticales ne se laissent pas entamer, c'est parce qu'elles n’offrent aucune espace de résistance, parce que la notion de résistance relative ne s‘applique pas du tout & elles. C'est en cc sens que Wittgenstein it des « propriétés internes» qu’elles sont indestructibles comme Ja machine construite sur le papier ou encore « inattaquables comme des ombres» (BGM., I, 102). Le point capital est donc que Ia suite des mouvements futurs devrait étre donnée dans la machine idéale d'une tout autre maniére que dans la machine réelle, car elle ne doit pas y étre simplement prédéterminge empiriquement, Il faut qu'elle y soit ddja littérale- ment présente sous une forme mystéricuse. La possibilité d’un mouve- ment donné de la machine n’est pas ici simplement sa possibilité physique ni sa nécessité sa nécessité physique, telles qu'elles décottlent, par exemple, de la construction de la machine, de la configuration présente des pices et des impulsions regues. Dans le cas de la machine idéale la possibilité du mouvement est une sorte d’«ombre du mouvement» ; mais lombre du mouvement ne s¢ rapporte Pas au mouvement comme image A son objet, car on peut etre amené A sc demander si ceci est I'image de cet objet ou de celui-ia, alors que, comme le dit Wittgenstein, «Ia possibilité de ce mouve- LA NOTION DE # GRANMAIRE © 18s ment doit ttre la possibilité précisément de ce mouvements (P. U,, 1, 194). Nous pouvons nous préoccuper de savoir si tel dispositit mécanique, une rotule ou un palicr, par exemple, rend possible tel mouvement et, en dernier ressort, lexpérience pourra nous dire dans le deuxiéme cas, les coussinets laissent assez de jeu & larbre, Mais lexpérience ne nous dira jamais si ceci est la possibilité de ce mouvement-ci; par conséquent, dirons-nous, cc n'est pas un fait d'expérience. L’image trompcuse qui nous obséde, dans un cas comme celui-Id, est celle qui consiste se représenter I'événcment comme dja présent en coulisse et prét A entrer en sedne le moment vent, Nous avons du mal, dit Wittgenstein, & nous défaire de ta comparaison: «Der Mensch tritt ein —das Ercignis tritt cin» (Z., $9). L'aptitude & une action donnée apparatt comme une sorte d’ombre de Maction réelle, et, de méme, le sens de la proposition comme une ombre d'un fait ou la compréhension de l'ordre comme une ombre de lexécution. Dans lordre le fait projette pour ainsi dire son ombre annonciatrice. «Mais, souligne Wittgensttcin, cette ombre, quelle que soit sa nature éventuelle, n'est pas I'événement» (ibid., 70). ; Lorsque nous spéculons sur les propriétés de la machine symboli- ‘que, nous commettons lerreur d’analyser des expressions innocentes, comme, par exemple, I'expression « possibilité de mouvement », cen dehors de leur jeu de langage naturel, Crest ce qui se paste également avec 'affirmation :« Tout se passe comme si nous pouvions saisir d'un coup I'usage tout entier du mot», On imaginera peute atre ici une sorte d'automate «sémantique», qui serait cn réalité tun symbole d’automate et dans lequel seraient déja présents d'une manitre étrange tous les emplois futurs du mot, La scule erreur consiste, dit Wittgenstein, dans notre «d'une manidre étrange». Le sentiment d’étrangeté provient de ce que, d'une certaine maniére, dans lacte de compréhension, quelque chose devrait étre présent, et pourtant ne I'est pas. Nous disons que nous comprenons indubi- tablement le mot, et pourtant sa signification est dans son ‘qui n'est pas une réalité circonscrite ct actuellement donnée. les Remarques sur les fondements des mathématiques, Witigenste prochait incidemment cc cas de celui des événements du passé, qui sont en un certain sens présents et pourtant ne devraicnt pas Petre (cf. 1, 126). Tout comme lexpression : « L'usage du mot est présent en un sens quelconque dans I'acte plus ou moins instan~ tané de la compréhension», que nous utilisons occasionnellement 188 J. ROWERESSE, pour signaler un aspect important de notre comportement linguis- tique ordinaire, expression anodine : «Les événements des années passées me sont présents» peut aisément s'accompagner "une gesti- culation imaginative et verbale désordonnée qui naft pour Messen ticl de Timpossibilité de faire des comparaisons satisfaisantes et de trouver des modéles adéquats (cf. P. U., I, 191, 192). «Les vagues du langage», comme dit Wittgenstein, se lévent dangereusement lorsque nous ne nous contentons plus de dire: «en un sens quelcon- que», mais commencons & poser des questions comme: «En quel sens?» et «Comme quoi?», qui nous aménent fatalement a isoler de leur entourage normal des expressions usuelles, c'est-A-dire, en somme, & faire de la philosophie. En ce qui concerne les deux problémes, évidemment tout fait analogues de la continuation correcte d'une suite de nombres et de la continuation correcte d'une démonstration ou d'une dédi tion, on peut peut-étre dire finalement que le but essentiel de Witt- genstein est d'écarter deux modéles inadéquats particulitrement prégnants, D'une part celui de la machine réelle dans laquelle la succession temporelle des mouvements obéit & un déterminisme de type physique ; les opérations d'une calculatrice automatique sont évidemment conditionnées dans ce sens. D'autre part celui de la machine symbotique immobile qui, & la différence du mécanis- me empirique, réalise cn quelque sorte 1a coprésence intemporelle de ses mouvements successifs. Peut-ttre une machine de Turing urement théorique donnerait-elle une idée acceptable de cette seconde machine, en ce sens qu’a la différence de la machine de Turing réalisée, elle n'a pas d’états physiques ou structuraux, pour reprendre le terme utilisé par Putnam ("), mais seulement des états logiques et done un comportement exclusivement logique, mais qui est on réalité image d'un comportement. Le modéle de la machine réclle tend & imposer abusivement aux liaisons grammaticales une forme de dépendance par rapport a l'expérience réelle. Celui de la machine idéale nous incite & les faire dépendre d'une expérience ideale, une sorte d’«ultra-expérience», comme le dit Wittgenstein (cf. BGM., I, 8), Vexpérience purement intellectuelle d'une réalité «ultra-physiquen, la réalité logique qui pénétre mystérieusement (7) C& Minds end Macins, 1960; reproduit dans A. R. AnDenson (editor), Minds and Machines, Prentice-Hall, Inc, 1964; voir p. 82. LA NOTION DE © GRAMMATRE # 199 toute chose. Lorsque Wittgenstein insiste sur T'intervention néces- saire de Pinterprétation entre ordre et lexécution, il n’évoque. naturellement pas un processus herméncutique plus ou moins obscur ; il veut dire essenticllement que nous ne sommes contraints ni aw sens du mécanisme empirique, en tant que syatéme physique, ni au sens du mécanisme éthéré de la logique. Entre la machine qui consulte son programme et le promeneur qui consulte un poteau indicateur, il y a une différence de nature, méme si, dans la plupart des cas, ce dernier prend «machinalement», comme nous disons, le bon chemin. Nous retrouvons ici notre probléme initial, celui de la compétence linguistique, en tant qu’image naturelle née d'une certaine attitude que nous avons, dans le comportement linguistique normal, & Pégard de la suite infinie de nos performances potentielles. L'image de la compétence, c'est précisément celle d’une machine linguistique complexe, dans laquelle serait déj& donnée, d'une maniére mysté- rieuse, la totalité des performances futures. C'est en réalité sim- plement, dirait Wittgenstein, le sentiment de sécurité né de l'en- ‘trafnement acquis qui induit Ia représentation d'un «savoir» im- plicite disposant par avance de tous les cas. Ici s'applique tout particuligrement 'avertissement :« Ne pas pouvoir nous empécher — orsque nous nous adonnons & des pensées philosophiques — de dire ceci et cela, étre irrésistiblement enclins & dire cela, ne signifie pas étre contraints d'assumer quelque chose, ou avoir l'intuition immédiate ou le savoir d'un état de choses» (P. U., 1, 299). Cependant si nous nous demandons ce qui fait que ceci est une image de cela, on nous répondra probablement qu'il s'agit d'une Iiaison egrammaticalen objectivée dans une praxis effective : «Com ment saissje que cette image (Bild) est ma représentation du soleil? — Je l'appelle représentation du soleil. Je Vullise comme image du leit» (BGM., 1, 129). Et si nous voulons savoir ce qui fait que cette image de ce processus est recue comme une «explication» de ce processus, la seule réponse plausible est encore qu'il s‘agit d'un fait de grammaire pur et simple, donc d'un fait social particu La faiblesse de la position de Wittgenstein réside, comme il arris toujours en parcil cas, dans Ia relativité de son relativisme méme. Le cercle se trouve bouclé & son désavantage lorsqu'on a reconnu que nous pourrions avoir été «dressés» & admettre toutes les exp cations sauf le «dressage et avoir pour usage den rechercher par- tout sauf dans usage. Sorbonne, 190, J. BOUVERESSE DISCUSSION Président : B. F, MeGuinnest M. McGunoss : Vous semblez vouloir dénoncer un cercle. Pouvez-vous préciser ? M, Bouvenesse: ‘Crtait une boutade. Prenons le cas de la théorie des ensembles que Wittgenstein reette. On peut se demander s'il y a parmi les theses de Witt- fenstein quelque chose qui Pautorise a exclure cette théorie, dts lors quelle est devenue institution — et non plus seulement corps étranger A usage habi- tuel des mathématiques. 1M. Granoer : Crest peut-ttre que vous aver trop insisté sur un aspect d’insittion collec tive qui n'est pas préent comme tel chez Wittgenstein. La notion de pra- tique collective serait & éclaircir. M, Bowverssm : Pourtant la question Wittgensteinienne : pourquoi ceci est-il une expli- ‘ation de cela ? évoque bien un fait de_grammaire, donc un comportement linguistique. Si 'on tient compte de ce que dit W. lui-méme, lorsqu'l trate du théoréme de Gadel: je ne fais pas de mathématiques, je les prends comme elles se pratiquent, done je n’attaque pas le théoréme fui-méme, mais sa fonction, cela se rapporte bien & une idée d'institution. ‘Un point important en tous cas est celui de la « Verausicht», la prévision, Pourquoi vouloir prévoir en mathématiques? (prévoir les contradictions, tc... Nous trouvons la méme patition de Wittgenstein vir--vis de Ia méamathématique hilbertienne et de analyse du langage usuel: ce qui + se fait n'a pas A étre expliqué, prévu ou censuré, mais seulement décrit; (en cela, W. peut paraitre obscurantiste et rétrograde). M, Buck: Je suis intéressé par la question de savoir ce que W. appelle « suivre une rigle.» Car, s'agitil seulement de conventionalisme? Par exemple, si quelqu'un refuse d’éerire le «5» dans une suite d'entiers, il sera, dans la perspective oi les mathématiques sont « arbitraires », simplement un excen- trique. ‘Mais i la régle détermine application, c'est qu‘on est justine & corriger la deviation. I1y a du faux, non de Pexcentrique, dans le cas de I'éléve qui compte mal, Crest IA le caracttre normatif de la. régle La polémique contre les actions de la machine est différente. La régle 1 en effet differents sens. Et méme dans le easlimite de la copie, Videntité LA NOTION DE * GRAMMAIRE » 191 (entre copie et original) n'est qu'une possibilité, Il n'y a pas davantage dans ce cas de garantie contre la déviation. M, Bouvenesse Je pense qu’il faut distinguer radicalement le cas de la copie : Soit I tite de Fibonacci 141,23, 5,8, 18 Je peux demander & quelqu'un d'en repre un segment déj drt (par exemple le préctdent). Mais Je peux aus lui demander dele rune d'apris tes instructions: 4 (0) = 51) 3 (+2) = 4) 44004 D. Et Wittgenstein souligne avec raison que Ia différence ext déj& évidente dans le cas des deux données 2,2, 2.0 et s (0) M, Brack : Mais une machine pourrait faire ce travail de construction d'une suite, de méme qu'une machine peut copier en renversant les lettres. Le fait de ‘copier n'a pas un sens univoque — et reste sujet a interprétation. M, Bouvenesse : Dans les Remargues sur les Fondements des mathématiques, partie 1, § 22, Wittgenstein examine les deux cas suivants: celui oi la suite n'est pas donnée par avance (ex. : transcription de nombres décimaux dans le systeme binaire) et celui oi la suite est déja éerite, et ob le probléme n'est plus que celui d'une simple reproduction matériel, itgenstein distingue les dewx cas pour raisons « thérapeutiques » afin, de poser fa question de Vindétermination qui affecte la noton de «fre a mime chose». Vous avez tout & fait raison de dire que l'indétermination ‘existe bel et bien dans les deux cas, Mais elle est trés différente lonquion pase de l'un A autre. ‘La distinction sert A montrer qu'il n'y a pas de livre intérieur (analogue A Vécriture effective de la suite déja présente), permettant de lire es enchaine- ments. M, Buack : M, Racoro: I est peut-étre permis de faire une synthése des deux positions exprimées en se référant & I'évolution historique de Ia perspective axiomatique i plone deductive | Wigan serait le dernier moment dans le loppement critique de la philosophic mathématique & du bléme de la justification de Ia déduction logique. 192 i tape 2% tape OUVERESSE ‘Axiomatique classique. Justification ontologique. Hilbert des «Grundlagen, Interprétation ensembliste. Si B nratt pas conséquence de’A, ily a un ensemble vérifiant A et fabsifant B. Lrerreur a ici un sens different. + Axiomatique formelle. Hilbert des années 1920, Lutte contre Ia supposition d’entités: tout peut se ramener a la question operations correctes sur des signes. + Théorie des fonctions récursives. Nombres de Gtdel. Les signes n’ont plus le caractére empirique quills avaient en 3. + Wittgenstein: engendrement des nombres & partir de régls. Mais, tandis qu’a chacune des étapes précédentes correspond un ctitére de correction (done une erreurcdéviation (wrong) propre & chacune), le «wrong» dans cette étape ett vide: il n'y a plus de critére objectif pour affirmer ce qui est correct ou incorrect. «FAMILY RESEMBLANCE PREDICATES » MODALITES ET REDUCTIONNISME par ANDRES R. RAGGIO 1 La théorie des «family resemblance predicates» (frp.) constitue um des noyaux & partir duquel s'organise toute la demitre philo- sophie de W. Le fait que ce concept et celui de jeu linguistique soient introduits simultanément dans la page 17 du Blue Book n'est pas dO au hasard, mais il répond & une cxigence de sa philoso- phic. De méme, dans les Philosophical Investigation (Ph. 1.) Vexem- ple de frp. qui est analys¢ avec le plus de détail est préciscment celui de «jeu». Il stavére, en effet, que tous les concepts fondamen- taux de la dernitre philosophie de W. sont des frp., en particulier ceux de « penser », « vouloir dire», «imaginer », «se souvenir», etc. et — en général — tous les concepts qui correspondent aux activités dites «mentales» (Blue Book p. 70), parmi eux ceux qui s'expriment au moyen des «verbes psychologiques» (Ph, J, p. 221). La théorie des frp. appartient, done, & ce qu’on appelle «la logique de la philosophic», c'est-A-dire, 4 ce que W. aurait appelé «gram- maire du mot ‘philosophie'». Dans le travail présent, nous entendons analyser d’abord les rapports entre la conception wittgensteinienne des modalités ct sa théorie des frp. Les concepts modaux ayant toujours constitué le noyau théorique de tous les systémes philosophiques, lacceptation ‘ou le refus desdits concepts sont intimement liés & acceptation ou au refus de ce qu'on appelle aujourd'hui les «termes théoriques». Pour cette raison nous nous efforcons de montrer dans la deuxiéme partic comment W. et Carnap ont fait face au méme probléme, celui de la réduction de ces termes théoriques, ct comment les solu tions proposées — les frp. et les reduction sentences, respectivement — 216 AR. RAGGIO M, Racsto: Non, il et vrai que tous le termes ne peuvent pas &tre des « PRP», M. Von: Une remarque historique rend la remarque de M. Moti it He de M. Molino plus dificil 4 réfuter. Dans un texte d'Aristote, In notion de synonymie n'a paps ‘méme sens que celui qu'elle a dans les textes des logiciens ‘contemporains. Avjourd’hui, on donne un exemple comme la synonym entre le terme non mart et le terme wedltataien. Chee Arto il nen et pas sie, Arinote parle toujours adjectif.. Si on dit wun homme at blanc ot tune pierre et Blanche, «blanc» actil fe méme sens? Vell comment se pote le probleme chez Ariote. On trouve que la question de rexemblonce famille a quelque chose voir avec le concept aristoteliien de synonym La quaton et ce saison atuibue fsa pone ae are adjctf qui formeliement est le méme. M. Racoto: ‘Du point de vue moderne, le probléme n’ le méme. Du pont de we pro! ‘ot pas le méme. On ne peut BIBLIOGRAPHIE Une Bibliographic wittgensteinienne aussi exhaustive que possible a He pré= parle par K. T. Fann, et publide dans "International Philosophical Quarterly, vol. VIL, n° 2, juin 1967, p. 311-339. Elle a été récem- ment incorporée & la fin de son lis illgenstein's Conception of Philosophy (Oxford, Blackwell, 1969). On peut aistment s'y référer. Nous avons le privildge, avec Uautorisation de Vautewr, de publier le sup- plément pripart par celui-ci et qui couore les années ricentes jusqu'en 1969. Quil en soit ici chaleureusement remercié au nom de la Rédaction. SUPPLEMENT TO THE WITTGENSTEIN BIBLIOGRAPHY by K. T. FANN This is a sapplement to my Wittgenstein Bibliography which first appeared in Junc, 1967 issue of the /nternational Philosophical Quarterly and later republiched and brought up to date in my book: Witgenstcin's Conception of Philosophy (Oxford, Basil Blackwell Ltd. and Berkeley, University of California Press, 1969). 1, WorKs sy Werrornsteix Nachlass. The originals of the Wittgenstein papers are kept in the Wren Library, Trinity College, Cambridge, England. The total material microfilmed in twenty reels is now available from Cornell University library, Ithaca, New York. .\ micro- film copy can be obtained for $ 600 or a Xerox copy for $2300. An account of the scope and character of the Nachlass is given by Georg Henrik von Wright in “Special Supple- ment: The Wittgenstein Papers", Philosophical Review, 78 (1969), 483-503. Prototractatus. Notes written in 1918, forthcoming from Blackwell, 418 KeT. PANN Briefe an Ludwig von Ficker. Edited by G. H. vow Watonr and W. Merntact (Brenner Studien, 1, 1969). “Letters to Bertrand Russell”, in The Autobiography of Bertrand Russell, Vol. 11 (1914-44), 161-70. Filosnfiske Undersokelier. Danish edition of Philosophical Investigations, translated by Anfinn Stirs, 1967. TL. Books on Wrrrcenstein Axrisert, Dario, Dopo Wittgenstein — Dove va la Filosofia Anatitce Roma, Edizioni Abete, 1967. Arzu, Karl-Otto, Analytic Philosophy of Language and the Geistes- wissenschaften, (Foundations of Language Supplementary Se- ries, Vol. 4). Translated by Harold Hoisreitie. Dordrecht, D. Reidel Publishing Co., 1960. Bett, Richard H. 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