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http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=ESLM&ID_NUMPUBLIE=ESLM_120&ID_ARTICLE=ESLM_120_0095
2001/2 - N° 120
ISSN 1157-0466 | ISBN 2-913062-57-1 | pages 95 à 101
Jean-Daniel LELIÈVRE
En France 70 % des décès ont lieu à l’Hôpital. Les cancers représentent l’ar-
chétype de pathologie lourde conduisant au décès « prévisible » d’un patient à plus
ou moins longue échéance. On estime à 200 000 le nombre de nouveaux cas de
cancer diagnostiqués en France chaque année, dont la moitié sans possibilité cura-
tive définitive. Si les patients souffrant de cancers sont préférentiellement hospi-
talisés dans des services spécialisés, cette orientation n’est pas systématique et est
en priorité réservée aux patients devant bénéficier d’un traitement lourd dans l’op-
tique d’une guérison définitive. Cela explique que si 20 % des cancers en Ile de
France entre 1982 et 1986 étaient traités dans des centres d’oncologie, seuls 2 % des
décès liés à ces cancers survenaient dans ces mêmes centres (1). Le vieillissement
actuel de la population générale en France conduit par ailleurs à l’hospitalisation de
patients de plus en plus âgés, aux pathologies complexes, présentant le plus souvent
une altération plus ou marquée des fonctions supérieures et une dégradation de leur
état physique conduisant rapidement à une issue fatale. Les services de médecine
polyvalente comme le sont les services de Médecine Interne sont ainsi confrontés
à la prise en charge quotidienne de patients qui, du fait de la nature même de
l’affection dont ils souffrent et/ou de leur âge avancé, sont en fin de vie.
La décision de mise en place des soins palliatifs doit être évidemment replacée
dans le contexte plus général des rapports médecin-malade. Le premier contact
avec un malade porteur d’une maladie potentiellement non curable est souvent
source de situations psychiques conflictuelles à l’origine de mécanismes de défense
de la part du patient – dénégation de la situation, déplacement de l’angoisse sur
d’autres réalités, mise en place de rites obsessionnels, attitude de régression, agres-
sivité ou au contraire indifférence, enfin dans le pire des cas clivage du moi – mais
aussi de la part des soignants – mensonge sur la gravité des faits ; optimisme
excessif ou au contraire catastrophisme ; enfin attitude d’évitement (2). Maîtriser
ces difficultés est primordial car c’est au début de la relation avec un patient dont
on sait le pronostic réservé qu’il faut, de manière explicite ou non, envisager la
possibilité d’une issue fatale afin de mieux pouvoir l’aborder quand elle surviendra.
Il en découlera une véritable alliance thérapeutique, telle qu’elle est envisagée dans
les commentaires du code de déontologie médicale (3).
Dans quel contexte intervient une demande d’euthanasie ? Les patients présen-
tant une pathologie physique invalidante manifestent fréquemment un désir de
mourir au début de leur maladie, bien que celui-ci puisse survenir lors de toute
modification de leur état. Cette demande est plus souvent liée à l’existence d’un
syndrome dépressif – plus ou moins marqué – que la conséquence de l’existence de
symptômes physiques imparfaitement contrôlés. Des enquêtes américaines effec-
tuées – faisant appel à des critères diagnostiques différents de ceux utilisés par les
psychiatres français – ont montré que 90 à 95 % des personnes suicidées souffraient
à l’époque de leur décès d’une affection ou de troubles psychiques potentiellement
curables (4). Outre l’évidente souffrance psychologique de patients conscients de
leur un certain nombre d’autres souffrances, physiques celles-ci, sont susceptibles
d’être présentes au moment de leur décision :
- Des douleurs dont l’expression peut être très diverse.
- Un état de cachexie confinant à une dépendance parfois totale.
- Une dyspnée source d’inconfort et d’angoisse.
- Des nausées et des vomissements incoercibles, spontanés ou provoqués par les
traitements.
- D’autres symptômes invalidants comme des épisodes d’occlusion digestive ou
des signes neurologiques déficitaires.
Les soins palliatifs, résumés par Vannier comme : « Tout ce qu’il reste à faire
lorsqu’il n’y a plus rien à faire » (5) s’inscrivent dans ce contexte d’un patient en
état de souffrance. Initiés en Angleterre par C. Saunders qui fonda l’hospice Saint-
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Christopher dans les années 1940, les soins palliatifs sont d’institution récente en
France. La loi hospitalière n° 91-748 du 31 juillet 1991 a inscrit leur pratique dans
les missions du service public hospitalier : l’article L. 711- 4 du code de la santé
prévoit en effet désormais que les établissements de santé assurant le service public
hospitalier « dispensent aux patients les soins préventifs, curatifs ou palliatifs que
requiert leur état et veillent à la continuité de ces soins, à l’issue de leur admission
ou de leur hébergement ». Les soins palliatifs outre qu’ils font appel à une évidente
notion relationnelle forte restent une discipline médicale à part entière. Cela ne
signifie pas qu’ils doivent être perçus comme une spécialité nécessairement séparée
des autres disciplines médicales mais qu’ils se fondent sur la connaissance et l’uti-
lisation de bases scientifiques et techniques éprouvées. Le ministère de l’ensei-
gnement supérieur et de la recherche a d’ailleurs consacré, par une circulaire
DGES/DGS n°15 du 9 mai 1995, le traitement de la douleur et les soins palliatifs
comme thèmes prioritaires devant faire l’objet de séminaires au cours des études
médicales. Les soins palliatifs ne se limitent pas en effet à l’utilisation exclusive de
dérivés de la morphine à hautes doses, lieu commun venant à l’esprit de beaucoup
parmi lesquels bon nombre de représentants du corps médical. La prise en charge
« palliative » d’un malade repose sur des connaissances médicales comportant
notamment l’acquisition de notions sur la physiopathologie de la douleur et l’uti-
lisation d’un arsenal thérapeutique qui, s’il est réduit, nécessite un maniement
rigoureux tant est important, dans ce cadre, la nécessité de maîtriser les effets indé-
sirables des médicaments : effets anxiogènes et ralentisseur du transit des morphi-
niques, sécheresse buccale induit par ces mêmes médicaments ou les
neuroleptiques par exemple.
Les patients hospitalisés en fin de vie sont de plus en plus nombreux dans les
services de médecine. Prendre en charge un malade en fin de vie, c’est s’exposer à
plusieurs problèmes : l’acharnement thérapeutique, la non-assistance à personne en
danger et l’euthanasie « abusive ». La décision éventuelle de pratiquer une eutha-
nasie ne saurait s’envisager comme un acte soudain venant brutalement inter-
rompre une démarche thérapeutique qui serait dans une impasse. Cette fin de vie est
souvent la résultante d’un cheminement progressif durant lequel le traitement
spécifique d’une maladie laisse place à la recherche d’un traitement visant à opti-
miser la qualité de vie des patients et à contrôler au mieux leurs souffrances tant
morale que physique (6). Cette instauration progressive des soins palliatifs de
même que la parfaite maîtrise de leur utilisation permet non seulement au médecin,
de soulager les souffrances de son patient, mais évite également que naisse dans sa
pratique professionnelle une dichotomie entre son activité « curative » et son acti-
vité « palliative ». Cette continuité est importante pour le médecin lui même mais
également pour l’image qu’il donne à son patient. L’institution des soins palliatifs
a permis à n’en pas douter une meilleure prise en charge des patients en fin de vie
et la disparition d’un certain nombre de demandes d’euthanasie. Certains auteurs
estiment d’ailleurs qu’un accompagnement palliatif adéquat suffit à abréger toutes
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EN PRATIQUE DE MÉDECINE HOSPITALIÈRE
Jean-Daniel LELIEVRE
Docteur en Médecine
spécialiste en Médecine Interne
Service de Médecine Interne
Hôpital Bichat Claude Bernard
75877 Paris Cedex 18
BIBLIOGRAPHIE
01. CHEVALIER J., (1992), Le malade cancéreux en phase terminale : analyse des lieux de
décès en 1976: Comparaison avec 1982, Association PETRI (Prévention et épidémio-
logie des tumeurs en région Ile-de-France).
02. RUSNIEWSKI M., (1995), Face à la maladie grave, Paris, Dunod.
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EN PRATIQUE DE MÉDECINE HOSPITALIÈRE
RÉSUMÉ
La prise en charge de patients en fin de vie est de plus en plus fréquente dans
les services hospitaliers de médecine polyvalente. Les réalités de l’accueil et
du suivi des patients en fin de vie à l’hôpital peuvent conduire par nécessité ou
par impuissance à laisser la place à une vision économique de la fin de vie.
Cette fin de vie s’accompagne parfois d’une demande d’euthanasie à laquelle
un abord attentif des patients et la mise en place progressive de soins palliatifs
permet le plus souvent de surseoir. Toutefois même correctement pratiqués les
soins palliatifs ne peuvent répondre à toutes les demandes d’euthanasie repla-
çant alors le médecin dans la situation d’un homme « ordinaire » confronté à
la mort d’un autre homme.
ABSTRACT
Taking care of patients at the end of their life is more and more frequent in
polyvalent medecine world. But the reality of follow-up of terminally ill patients
may give a larger place to an economic view by necessity or lake of power.
After asking for an euthanasia another solution may be found in leastening the
patient. But even well done, palliative care cannot answer to all euthanasia
demands. The physician is then placed in the « ordinary man » situation confron-
ted to the death of another one.