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Par Petimuel
Ce court traité de technique poétique a pour unique et modeste ambition de donner aux
novices en matière de poésie les principes fondamentaux de cette discipline, afin que ceux qui
ignorent totalement comment s’écrit ou se lit un poème, ou qui en ont seulement quelques
bases, puissent comprendre rapidement et clairement la plupart des mécanismes de l’écriture
poétique.
Ce guide s’adresse donc aux lecteurs de poésie comme aux auteurs en herbe, que
ceux-ci se sentent des penchants pour la poésie classique ou qu’ils se destinent à la création en
vers libres ou à la prose poétique. Celles-ci, en effet, requièrent un minimum de connaissance
sur les règles de la poésie formelle, et je ne saurais trop conseiller, à tout le moins, la lecture
de la première partie de cette petite synthèse, à tous les poètes novices, lecteurs, et curieux en
tous genres.
La plupart des gens ont de la poésie une idée si vague que ce vague même de leur idée
est pour eux la définition de la poésie. Paul Valéry
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Il m’est impossible d’entreprendre un tel projet sans commencer par définir la poésie,
mais cet exercice est particulièrement ardu et sujet à caution. J’essaierai donc de rester général
afin de ne point soulever de débats. La question de savoir ce qu’est exactement la poésie n’est
du reste pas l’objet du présent article.
Le Petit Robert donne de la poésie la définition suivante : « Art du langage, visant à
exprimer ou à suggérer par le rythme (surtout le vers), l’harmonie et l’image. » C’est une
définition honnête, mais qui tend à trop se confondre avec la prose, notamment dans les
évocations dites « poétiques ». Car il est évident que la prose aussi peut exprimer et suggérer
par le rythme l’harmonie et l’image. Or la poésie ne se peut plus définir par le vers, depuis
Aloysius Bertrand qui, au XIXe Siècle, inventa le poème en prose.
La différence ne serait donc qu’une question de degrés ? Un texte de prose un peu trop
élevé pourrait-il basculer soudainement dans la poésie ? A moins peut-être d’en isoler une
seule phrase, c’est inconcevable. J’y ajouterai donc ma propre définition, qui vaut ce qu’elle
vaut : tandis qu’un texte de prose est centré sur le récit, le texte de poésie n’existe que par et
pour lui-même, embarquant le cœur du lecteur en son sein. On pourra certes me répondre que
nombre de poèmes ont un fort penchant narratif (Victor Hugo, L’année Terrible, « Sur une
barricade »), et qu’à l’inverse la prose peut n’être intéressée que par son style, selon par
exemple Louis Ferdinand Céline. Mais tout ici est question de priorités : si virtuose que puisse
être le style d’une prose, il est toujours là pour envelopper, développer et soutenir un récit : il
est motivé par son signifiant. Le texte de poésie, lui, se motive lui-même.
Par souci de clarté, mettons immédiatement au point une règle orthographique simple
mais parfois négligée : « la poésie » s’écrit avec un accent aigu, « un poème » avec un accent
grave.
I. 2 Présentation
Loin des débats houleux qui peuvent exister quant à l’essence même de la poésie, cette
synthèse a seulement pour but d’enseigner les rouages techniques de la poésie française
versifiée, théâtre compris. Ceux qui préfèreront écrire des poèmes en vers libres ou même en
prose sauront y glaner également quelques renseignements utiles – je recommande tout de
même de commencer par maîtriser les formes fixes, que l’on désire continuer à en faire où
évoluer vers autre chose ; c’est une base extrêmement importante. Certains pensent que pour
faire de la poésie, il suffit de faire des rimes et/ou d’écrire des histoires d’amour à l’eau de
rose. Ceux-ci pourront se convaincre de l’invalidité de la première moitié de cette idée à la
simple lecture de ce traité, ce qui leur donnera de bien meilleurs jalons pour commencer à en
écrire, s’ils en ont envie. Une fois que les mécanismes principaux sont assimilés, en effet, il
devient aisé d’évoluer et de créer, et la seconde idée reçue sur la poésie tombera d’elle-même
lors du processus d’écriture – sans quoi, pour s’en convaincre, il suffit de lire à peu près
n’importe quel poète, Verlaine compris, ô combien !
Cet article se divise en deux sections, la première regroupant les règles de base,
essentielles, que chacun doit lire avant de se lancer dans quoi que ce soit. Les règles de la
poésie étant nombreuses, j’ai dû créer, tout naturellement, une seconde partie, décrivant la
technique poétique de manière plus minutieuse. Cette seconde partie n’est pas à proprement
parler un « bonus » : elle est importante également et compte aussi dans la création tout
comme dans l’analyse poétique. Seulement, elle est trop lourde à digérer pour un véritable
novice, et mieux vaut ne pas s’y heurter immédiatement. Ceux qui savent déjà les rudiments
de la poésie peuvent s’y référer directement, en sautant la première partie.
Bonne lecture à vous !
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Comme je viens de l’indiquer, cette partie se centrera sur les quelques règles
indispensables à la création et la compréhension de toute œuvre poétique, si modeste soit-elle.
Je vais d’abord parler des règles régissant la structure interne de son élément majeur : le vers ;
avant de parler de la composition générale du poème. Je finirai sur une partie qui, au premier
abord, semble plus abstraite : l’image en poésie, ce qui me permettra de développer la
métaphore et d’évoquer d’autres figures de styles importantes.
II.I Le vers
Le vers doit faire l’amour dans la tête des populations. Léo Ferré
I. 1 La métrique
Le plus difficile au début est d’assimiler clairement et surtout d’appliquer les règles de
métrique. Commençons donc par comprendre comment se décompose un vers à forme fixe.
Le vers fixe commence toujours par une majuscule, même s’il est en milieu de phrase.
Le vers fixe est découpé en syllabes, et jamais en pieds, contrairement à ce que
beaucoup croient. Le pied est l’élément métrique de la poésie latine. En poésie française, il a
bel et bien un rôle, lequel est exposé dans la partie Techniques avancées, mais en aucun cas il
ne correspond à une syllabe.
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Ce vers est donc très naturellement composé de douze syllabes : c’est un alexandrin.
Ceux qui ont des doutes doivent voir qu’il se découpe ainsi :
Des /cieu /zul /tra /ma /rins /aux /zar /dent /zen / to /nnoirs
• Si le « e » muet est suivi d’une voyelle, il ne se prononce pas. « L’ombre agile » : trois
syllabes (L’om /bra /gile)
• Si le « e » muet est suivi d’une consonne, il se prononce. « L’ombre fragile » : quatre
syllabes (L’om /bre /fra /gile)
Au pluriel, pour un nom comme pour un verbe conjugué, les accords peuvent sembler
plus difficiles à faire, mais en vérité ils découlent de la même logique. Donc :
Vous êtes à présent en mesure de constater par vous-même que les quatre vers
suivants font tous exactement douze syllabes :
1.B Exceptions
Il existe bien sûr plusieurs exceptions ou autres cas litigieux, parmi lesquels nous
pouvons noter ceux-ci :
• Les mots commençant par un « h ». Il y a deux types de « h » : ceux qui viennent des
mots grecs, qui ne comptent pas (ex : l’hégémonie), et ceux qui viennent des mots
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germaniques qui, eux, comptent (ex, je suppose : le haricot). Mais il y a d’autres cas
plus litigieux, auquel cas c’est souvent au choix du poète que de le compter comme
consonne ou pas.
• Les césures. La césure peut donner lieu à la prononciation de la liaison ou pas. Voir la
sous partie « le rythme et les césures », un peu plus loin.
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• Huit syllabes : octosyllabe
« Mais où sont les neiges d’antan ? »
François Villon, « Ballade des dames du temps jadis »
Il n’est évidemment pas interdit d’aller pousser plus loin le nombre de syllabes par
vers, mais l’exercice devient périlleux, notamment parce que la grande longueur de vers fait
perdre de leur force aux rimes et écarte les accents principaux les uns des autres ; la lecture du
poème risque de devenir plus monotone et plus fade.
Notons tout de même que Verlaine, avec beaucoup d’humour, s’est essayé au poème
de treize syllabes. Ce poème s’intitule « Boiteux », et son premier vers est le suivant :
« Ah ! vraiment c’est triste, ah ! vraiment ça finit trop mal. »
Pour les débutants qui hésiteraient sur le type de mètre à choisir, voici une rapide
évocation de leurs différences.
Les mètres courts (en deçà de huit syllabes) ne réclament pas de césure, ce qui peut
être plus aidé à négocier pour un débutant, qui pourra tranquillement laisser des « e » muets
en fin de vers. En revanche, ces vers demandent beaucoup de travail pour leur trouver des
rimes, car elles sont plus nombreuses mais ne peuvent pas se permettre d’être moins
travaillées. D’une façon générale, ces mètres courts conviennent bien aux poèmes aux allures
tendres et pastorales, mais peuvent aussi évoquer la frénésie.
Les mètres plus longs demandent d’être césurés, ce qui peut être un brin ardu à
négocier au premier abord mais qui s’avère très confortable une fois que la technique est
acquise.
Les mètres longs au nombre de syllabes pair sont de loin les plus aisés à composer, car
leur rythme, une fois trouvé, s’impose de lui-même. On est libre de trouver ou non, à l’instar
de Verlaine, que l’impair est « plus fluide et soluble dans l’air » ; le pair aussi peut fournir une
musique souple et fluide.
L’alexandrin en général est très confortable, assez large pour pouvoir y agencer ses
phrases, très régulier, aisé à césurer et très musical. S’il a dominé la poésie depuis Ronsard, il
est tout de même intéressant de savoir que son prédécesseur était le décasyllabe, plus difficile
à négocier mais très musical aussi. L’octosyllabe, enfin, est souple et confortable, et se prête
bien aux compositions proches de la chanson.
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Après cette longue explication sur les syllabes et le mètre, expliquons brièvement
comment le vers se compose. Je ne vais ici exposer que les rudiments du découpage du vers,
reportant la plupart des informations, plus difficiles à digérer et moins essentielles dans un
premier temps, dans la partie Techniques avancées.
A partir de l’octosyllabe, donc, le vers doit avoir une césure. La césure est intangible,
mais réelle et extrêmement importante : c’est une pause séparant le vers en plusieurs parties
(généralement deux).La césure de l’octosyllabe se situe à sa quatrième syllabe ; celle de
l’alexandrin à sa sixième ; dans ces deux cas là, la césure est située à l’hémistiche : au milieu
du vers.
Les césures sont ici situées aux hémistiches : on peut les symboliser ainsi :
« L’insecte net // gratte la sécheresse »
« Plus douce qu’aux enfants // la chair des pommes sures »
Selon Lancelot, du XVIIe Siècle, « il faut [...] qu' on s'y puisse reposer ». La césure
est véritablement un temps au milieu du vers, en conséquence de quoi elle ne doit
traditionnellement pas être placée au milieu d’un mot ni, surtout, au milieu d’une liaison en
« e » muet, car sa prononciation serait dérangeante et ridicule. A la lecture, la césure doit être
traitée comme une virgule.
En revanche, et toujours selon Lancelot, « il n'est pas nécessaire que le sens finisse à la
césure », autrement dit elle peut fort bien se situer en plein milieu d’une proposition.
La césure se situe ici entre un nom, « probité », et son adjectif, « candide », sans que
cela ne pose de problème à la lecture. En revanche, cela influe sur l’accentuation des mots,
comme nous le verrons plus loin. Mieux vaut tout de même ne pas finir son premier
hémistiche (la première partie du vers avant la césure) par un article, car la pause deviendrait
alors très gênante.
Bien sûr, la césure n’est pas nécessairement à l’hémistiche. Dans le cas des
décasyllabes, par exemple, elle est souvent placée à la quatrième syllabe (4//6) mais peut aussi
l’être à la sixième syllabe (6//4) ou à la cinquième (5//5).
L’alexandrin est un dodécasyllabe césuré en 6//6, mais ce dernier peut aussi être
césuré différemment, notamment en 4 // 4 // 4. C’est une façon de césurer qui se répand avec
le Romantisme du XIXe siècle, mais il en est un unique exemple dans la poésie classique :
Notons que les deux mots de part et d’autre de la césure sont potentiellement
accentués, et doivent donc être choisis avec soin. La césure est une sorte de demi rime, qui
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permet donc de mettre des mots en exergue. Les deux ne le sont pas nécessairement : l’un
d’entre eux peut s’effacer au profit de l’autre.
Les césures des vers 2 et 3 mettent en exergue les deux mots ou noms accompagnés de
leur article qui les flanquent chacune : « amoureux » / « de vivre », « criaient » / « la
France » : la pause donne de l’importance à ces mots. En revanche, la rime du vers 1 ne met
pas en exergue sa suite immédiate, car le premier nom est situé trop loin d’elle : « frères ».
Celui-ci est bel et bien accentué, mais par une autre méthode, plus complexe, décrite dans les
Techniques avancées.
I. 3 Diérèses et synérèses
Pour en finir avec le vers, il faut savoir une autre règle qui, avec les « e » muets,
assouplit sa forme : les synérèses et diérèses.
Il s’agit de la confusion qui porte sur les mots comprenant un « i » suivi d’une syllabe.
« Lion » doit-il être prononcé en une seule syllabe, /lj /, ou en deux syllabes, /li / ? C’est au
choix de l’auteur. Le premier cas, la contraction du groupe de voyelles, s’appelle une
synérèse, et le second cas, sa séparation, est une diérèse.
Rien n’indique jamais si un mot doit subir l’une ou l’autre, mais avec l’habitude de
lire les vers, le lecteur trouve automatiquement la seule forme compatible avec le mètre
choisi.
Les classiques avaient certaines règles, et chaque mot avait son application propre ;
même si cela reste une habitude que l’on peut prendre, rien n’oblige effectivement à garder
toujours le même mode de prononciation pour tel mot, et l’on peut fort bien choisir
d’employer les synérèses et les diérèses à son gré, fût-ce sur le même mot dans le même
poème.
Ainsi le fit Victor Hugo qui, dans le « Mariage de Roland », fit une synérèse sur le
mot « duel » et sur le mot « hier », sur lesquels la règle classique exigeait de faire des
diérèses, pour des raisons évidentes de commodité :
Toutefois, les voyelles doivent être distinguées après un groupe de consonnes ; ainsi
« plions » se lit nécessairement /plij /.
Abordons rapidement le cas des vers hétérométriques et des vers libres. Il s’agit de
savoir les distinguer :
Le vers libre date du XIXe Siècle. Il a été inventé par Arthur Rimbaud. Ce vers
s’émancipe de toute contrainte, que ce soit le mètre, le « e » muet, ou la rime. Le poète qui
veut écrire en vers libre pourra bien entendu choisir de conserver telle ou telle contrainte
formelle, en oubliant les autres.
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« Les chars d' argent et de cuivre -
Les proues d' acier et d'argent -
Battent l'écume, -
Soulèvent les souches des ronces-
Les courants de la lande,
Et les ornières immenses du reflux,
Filent circulairement vers l' est,
Vers les piliers de la forêt, -
Vers les fûts de la jetée,
Dont l'angle est heurté par des tourbillons de lumière. »
Arthur Rimbaud, Les illuminations, « Marine »
Le vers hétérométrique lui est bien antérieur. Il s’agit simplement de varier les
mètres, soit de façon régulière (un poème construit avec des alexandrins et des octosyllabes
qui s’alternent, par exemple) ou totalement fantaisiste. Jean de la Fontaine, au XVIIe Siècle
(était-il besoin de le préciser ?) était friand de cet exercice de style. Prenons exemple sur sa
fable des « Animaux malades de la peste » :
Mais vous aurez noté qu’ici, outre la conservation de l’ensemble des règles classiques,
il y a une certaine intelligence du mètre : La Fontaine passe d’un mètre à l’autre (jusqu’au
trisyllabes, unique en son genre) mais sans abolir la structure métrique du poème : il s’agit
d’un enchâssement de vers différents dont chacun est réfléchi, et non d’une disposition
uniquement rythmique et débarrassée de toute contrainte métrique. La Fontaine compte ses
syllabes, le vers libre les oublie.
Notons tout de même que Rimbaud, inventeur du vers libre, connaissait parfaitement,
et maîtrisait à la perfection, l’ensemble des règles classiques. On sait que sa « carrière » de
poète se fit dès l’âge de seize ans, et qu’elle s’ouvrit avec des poèmes tels que le « Bateau
Ivre », long poème de vingt cinq strophes régulières, ou « Ma Bohème (fantaisie )», sonnet
parfaitement ciselé.
Le vers libre puise sa source créatrice et régénératrice dans l’émancipation des
contraintes classiques, ce qui suppose d’y avoir tout d’abord été astreint. Seuls les poètes
s’étant imposé les règles fondamentales de la poésie peuvent s‘en libérer, au lieu de spéculer
dans le vide et l’irréalité d’une destruction supposée de normes qui n’ont jamais été
véritablement établies. L’usage fécond de la poésie en vers libre suppose d’avoir au moins un
minimum d’expérience avec des vers maîtrisés, et c’est entre autres pour cela que je me suis
attelé à la rédaction de ce guide.
II.II Le poème
Après ce long exposé concernant les règles de base de la composition du vers, élément
majeur de la poésie dite « traditionnelle » quoiqu’elle puisse être tout à fait moderne, étudions
la structure du poème tout entier.
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II. 1 Les rimes
Placées en bout de vers, rappelées entre elles par un jeu d’écho, les rimes sont un
élément essentiel du poème et ne doivent pas être laissées au hasard, ni traités avec trop de
désinvolture. Le mot à la rime est le mot majeur d’un vers, celui sur qui l’accent sera mis. Il
convient de n’y pas mettre n’importe quoi. Choisissez donc ce mot avec soin : il doit être le
plus important de votre vers. Pour plus de précisions et plus de subtilités, reportez-vous à la
partie Techniques avancées.
La rime n’est pas la seule répétition d’un son en bout de vers. Il existe trois types de
rimes :
• Les rimes pauvres n’ont qu’un son en commun (vélo / bedeau)
• Les rimes suffisantes ont deux sons en commun (vélo / salaud)
• Les rimes riches ont trois sons ou plus en commun (salon / ballon)
Vous constaterez que toutes ces rimes possèdent une voyelle, seul son ample
permettant de déterminer la proximité des sons. Imaginez une rime n’étant qu’une consonne
(rhinocéros / source) : ce n’est tout simplement pas une rime. En revanche, cette voyelle n’est
pas obligée d’être située en bout de vers : on peut imaginer une rime avec une consonne
précédée d’une voyelle (rhinocéros / féroce).
Une règle simple pour enrichir ses rimes est de donner aux voyelles une consonne
d’appui, une consonne commune précédant la ou les voyelles sur laquelle elles peuvent
s’adosser, ce qui leur donne plus de force et marque donc plus nettement la rime.
« Là l'
hymen, les chansons, les flûtes, lentement,
Devaient la reconduire au seuil de son amant. »
André Chénier, « La jeune tarentine »
Il n’est pas interdit de prendre un autre schéma de rimes mais cela les écarterait de
plus de deux vers les unes des autres, et l’oreille y perdrait. C’est donc un choix risqué.
Il est bien sûr parfaitement autorisé de changer de schémas de rimes au cours du
poème (l’Ode, par exemple, alterne les rimes embrassées et suivies), mais je déconseillerais
de profiter de cette liberté pour créer un véritable chaos, choisissant ses rimes au petit
bonheur-la chance au fil de la plume ; l’oreille en effet s’habitue au schéma de rimes et risque
d’être dérangé si ses attentes sont sans cesse bouleversées.
2.A Enjambements
Les vers bien entendu sont rarement des phrases complètes, et c’est au sein des
strophes qu’ils s’organisent entre eux.
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Parfois, les vers constituent une proposition à eux seuls, mais cela n’est pas toujours le
cas : l’on doit souvent faire usage d’enjambements pour construire sa syntaxe.
A l’inverse, le contre-rejet place un mot ou court groupe de mots esseulé sur un vers
et poursuit la phrase sur le ou les vers suivants :
Les vers 2, 3 et 4 ont ici leur début dans le mot à la rime du vers 1, qui est ainsi
doublement souligné.
2.B Structure
A l’intérieur de la strophe peuvent donc s’agencer les phrases chevauchant les vers. La
plupart du temps, la strophe s’achève avec la phrase, à l’instar du paragraphe de la prose.
Cependant elle n’est pas exactement son équivalent, et il est possible d’étirer une phrase sur
plusieurs strophes : on parle alors d’enjambement strophique.
C’est alors que peut se poser la question de la taille des strophes : comment doivent-
elles être ? Comme on l’entend. Le plus commode est de faire des strophes de quatre ou de
huit vers (des quatrains ou des huitains), afin d’y agencer confortablement ses rimes, mais
tout est permis, y compris des strophes de cinq vers (quintiles) sur un schéma de rimes en
ABBAB, par exemple ; ou alors en reprenant le même vers tel quel au premier et au dernier
vers, ce qui se fait assez couramment.
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Sème de fleurs les bords béants du précipice ;
Allons, mon pauvre coeur, allons, mon vieux complice ! »
Paul Verlaine, Poèmes Saturniens, « Nevermore »
C’est le type de poème le plus aisé à faire : il suffit de se décider pour un type de
strophes – généralement le quatrain, donc –, avec un mètre et un schéma de rimes, et d’en
faire autant que l’on veut jusqu’à achèvement du poème. Simple et efficace.
3.B Le sonnet
Le sonnet est peut-être le type de poème le plus répandu, hors la simple succession de
rimes. Il se compose de deux quatrains suivis de deux tercets (strophes de trois vers). Les
rimes des deux tercets peuvent être disposées « à la française », en rimes croisées (AAB
CBC), ou « à l’italienne », en rimes embrassées (AAB CCB). Les trois rimes peuvent aussi
être suivies (AAB BCC), mais c’est plus rare.
Il est de coutume de conserver les mêmes rimes au sein des deux quatrains, mais ce
n’est pas une obligation.
L’important dans le sonnet est de montrer une rupture entre les quatrains, qui sont en
quelque sorte des strophes d’exposition, et les tercets, qui révèlent la véritable motivation du
poème. Cette rupture peut être une progression de la narration, l’arrivée du sujet du poème, le
changement de sujet par une métaphore etc.
Ainsi l'
homme varie, et ne sera demain
Telle comme aujourd' hui du pauvre corps humain
La force que le temps abrévie et consomme
3.C La ballade
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La grande ballade se compose de trois dizains (strophes de dix vers) suivis d’un
quintile, appelé « envoi », tous de décasyllabes, et repose sur quatre rimes ; les mêmes tout au
long du poème, A, B, C et D. Les strophes sont organisées de la manière suivante :
ABABBCCDCD dans les dizains, CCDCD pour l’envoi.
La petite ballade se compose de trois huitains suivis d’un quatrain, également appelé
« envoi », tous d’octosyllabes (il s’agit en fait d’avoir le même nombre de syllabes dans un
vers que de vers dans une strophe), et repose sur trois rimes, les mêmes tout au long du
poème : A, B et C. Les strophes sont organisées de la manière suivante : ABABBCBC pour
les huitains et BCBC pour l’envoi.
Dans les deux cas, le dernier vers (en rime D pour la grande, C pour la petite) de
chaque strophe, y compris de l’envoi, doit être exactement le même tout au long du poème,
comme un leitmotiv.
L’envoi est une adresse, une strophe destinée à quelqu’un. La poésie classique dit
qu’elle doit commencer par « un joli mot », mais après tout l’appréciation de la beauté du mot
est pour l’essentiel laissée à la discrétion de l’auteur. Dans la plupart des cas cependant,
l’envoi commence par « Prince », comme le veut la coutume. Quoi qu’il en soit, il est
préférable qu’il commence par son destinataire, afin de souligner le fait que c’est une adresse.
Prince Jésus, qui sur tous a maistrie, Prince, il est un bois que décore
Garde qu' Enfer n'ait de nous seigneurie : Un tas de pendus enfouis
A lui n'
ayons que faire ne que soudre. Dans le doux feuillage sonore.
Hommes, ici n' a point de moquerie ; C'est le verger du roi Louis !
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre
Théodore de Banville, « Ballade des pendus »
François Villon, « Ballade des pendus »
3.D Le rondeau
A côté des géants que sont le sonnet et la ballade, le rondeau est un genre mineur, mais
il a aussi son importance, et ses attraits.
Le rondeau est un poème de trois strophes : deux quintiles entourant un tercet, ou deux
quatrains suivis d’un quintile. Dans les deux cas, donc, le poème compte treize vers. La
particularité du rondeau est que la fin des deuxième et troisième strophes doit reprendre
exactement le premier hémistiche du premier vers du poème, ce qui lui donne un effet de
ritournelle agréable et permet de nombreux jeux poétiques pour faire d’un début de phrase
une fin de strophe.
Une autre version consiste à reprendre les deux premier vers pour clore la seconde
strophe, puis le premier vers seul pour clore la première.
Votre beau thé, moins rare que vos yeux, Ma foi, c’est fait de moi, car Isabeau
Votre thé vert, fleuri, délicieux, M’a conjuré de lui faire un rondeau.
Qui vaut quasi dix mille francs la livre, Cela me met en une peine extrême.
Moins que la fleur de vos yeux il enivre Quoi ! treize vers, huit en eau, cinq en ême
Et fait rêver qu'
on s'en va dans les cieux. Je lui ferais aussitôt un bateau.
Je vous voyais passer parmi les Dieux, Si je pouvais encor de mon cerveau
Dans un grand char aux flamboyants essieux ; Tirer cinq vers, l’ouvrage serait beau ;
Et sous la roue en or, n'osant vous suivre, Mais cependant je suis dedans l’onzième,
J'
ai mis mon front, et j'ai cessé de vivre Et ci je crois que je fais le douzième ;
En bénissant, écrasé mais joyeux, En voilà treize ajustés au niveau.
Votre beauté. Ma foi, c’est fait.
Jean Richepin, Les caresses, « Rondeau » Vincent Voiture, « Ma foi, c’est fait… »
Pour nous reposer de toutes ces considérations techniques, parlons un peu des images
et du style en poésie. Ici encore le but n’est pas de se quereller quant à la notion de « style »
mas uniquement de décrire les procédés stylistiques à employer.
Contrairement à ce qui est parfois cru par des débutants ayant peu ou n’ayant pas lu de
poésie, celle-ci n’est pas uniquement composée de textes d’amour à l’eau de rose. Aussi, en
croyant faire de la provoc’ ou de l’innovation, certains débutants enfoncent en fait des portes
ouvertes et tombent dans le lieu commun. La poésie se délecte aussi de sujets plus sérieux,
voire macabres. On cite souvent « Une charogne », de Baudelaire, mais longtemps avant lui
ce genre de sujet funeste et déchiré était déjà exploité ; je n’en veux pour seule preuve que la
« Ballade des pendus », de François Villon, présentée un peu plus haut.
En fait, les mots refusés par la poésie seraient plutôt les mots, non violents, mais
vulgaires, au sens de commun, sans intérêt, etc. ; impropres à l’exaltation poétique. Au
XVIIIe siècle, le mot « mouchoir » était ainsi le comble de la vulgarité. Aujourd’hui, son
équivalent se trouverait plutôt du côté de « sous-vêtement », « maillot de corps » ou « caleçon
à pois ». Mais des tournures peuvent justifier ce genre d’emploi en le mettant en contraste, par
exemple. Dans « Monsieur Prudhomme », Verlaine a bien écrit :
« Et le printemps en fleurs brille sur ses pantoufles. »
III. 2 La métaphore
Son effet brut et spontané peut permettre à la métaphore de jouer beaucoup sur les
sens des termes concernés, plus encore que la comparaison qui est cousue de fil blanc.
L'
un a la pourpre de nos âmes
Dérobée au sang de nos cœurs
Quand je brûle et que tu t'
enflammes ;
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« Je sens dedans mon âme une guerre civile,
D'un parti ma raison, mes sens d'autre parti,
Dont le brûlant discord ne peut être amorti
Tant chacun son tranchant l'un contre l'autre affile. »
Jean de Sponde, « Je sens dedans mon âme… »
La métaphore filée peut aussi trouver son écho d’un bout à l’autre du poème, ou
encore servir de glissement du comparant vers le comparé.
L’on ne doit pas hésiter à avoir régulièrement recours à la métaphore, plus marquante
et plus souple que la comparaison, même si cette dernière semble parfois s’imposer d’elle-
même.
Une métaphore trop usée devenue banale s’appelle une catachrèse. L’exemple le plus
frappant est sans doute celui de la « flamme » prise pour la passion. Le langage courant
regorge également de catachrèses, tels les « pieds » de la chaise.
Voici quelques-unes des principales figures de style utilisées en poésie (pour une liste
plus complète, reportez-vous à la partie Techniques avancées)
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• L’anaphore : répétition d’un même mot
« Rome, l'
unique objet de mon ressentiment !
Rome, à qui vient ton bras d'
immoler mon amant !
Rome qui t'
a vu naître, et que ton cœur adore !
Rome enfin que je hais parce qu' elle t'
honore ! »
Corneille, Horace, IV, 5
• La métonymie : Emploi d’un mot pour un autre mot qui lui est lié par contiguïté (plus
de précisions en Techniques avancées). Cause-effet, contenant-contenu, etc. « Boire
un verre »
• La synecdoque : Emploi d’un mot pour un autre mot qui lui est lié par inclusion :
partie pour le tout, tout pour la partie, etc. (Plus de précisions en Techniques avancées)
Voilà, après tout cet exposé vous avez en main l’ensemble des éléments nécessaires
pour pouvoir lire un poème ou en composer un sans faire de fautes, quelle que soit sa taille.
La partie qui va suivre vous exposera des rouages plus fins et des éléments plus subtils pour
pouvoir maîtriser encore un peu mieux l’art de la poésie.
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Est poète celui auquel la difficulté inhérente à son art donne des idées, - et ne l’est pas
celui auquel elle les retire.
Paul Valéry, Tel Quel II, Rhumbs, Littérature
Nous allons étudier ici quelques éléments plus subtils pour composer le poème. Je
n’en recommande la lecture complète qu’à condition de bien maîtriser les techniques de base,
sans quoi la composition d’un poème risque de vous sembler un casse-tête désespérant, et ce
n’est pas le but de la manoeuvre. Toutefois, vous pouvez jeter un œil à la partie sur les figures
de style, et notamment sur la liste de celles-ci, qui pourrait éventuellement vous être de
quelque utilité ; mais n’en faites tout de même pas grand cas avant de ne plus avoir le moindre
problème avec les techniques de base.
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Il ne suffit pas de savoir césurer un vers pour pouvoir le former correctement ; pour
parvenir à cela, il faut d’abord savoir exactement comment le prononcer, autrement dit, le
scander.
Cela a une importance capitale en poésie car les accents découpent le vers. Il s’agit
évidemment d’appuyer plus encore sur les accents que dans le langage courant. Il y a dans le
vers au moins deux accents fixes et un nombre variable d’accents mobiles ; généralement
deux aussi.
Les accents fixes sont situés à la rime et à la césure. Les syllabes qui s’y trouvent sont
automatiquement accentuées.
Les accents mobiles sont placés entre ces deux accents fixes. Ils sont tout aussi
accentués que la césure ou la rime. Dans l’alexandrin traditionnel, ils se situent aux syllabes 3
et 9, pour découper le vers en 3/3 // 3/3.
Ou encore :
Mais on peut évidemment imaginer une autre disposition, par exemple en 2/4 // 2/4
Mais comment deviner la disposition des accents mobiles ? Je sens en effet venir le
scepticisme de certains qui, j’en suis sûr, auraient volontiers découpé ce dernier vers en 3/3 //
3/3, comme suit :
La Parque t’a tuée, et cendres tu reposes
Mais cela ne peut pas être, et pour la même raison qu’il est gênant de mettre un « e »
muet à la césure : pour être clair, disons que c’est parce qu’il serait ridicule d’insister sur un
« e » muet. Cela reviendrait à prononcer le vers ainsi :
La Parqueuh t’a tuée, et cendreuh tu reposes
… En appuyant volontiers sur les « euh », bien sûr, ce qui serait d’une élégance que je
vous laisse imaginer.
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De la même façon que ce qui sépare deux accents fixes (ou un accent fixe au début du
vers) est un hémistiche, ce qui sépare deux accents, fixes ou mobiles, s’appelle un pied. Le
pied, je le répète n’est donc pas une syllabe : un alexandrin n’aura jamais douze pieds !
Pour rependre l’exemple de Ronsard ci-dessus, il a quatre pieds : on dit que c’est un
tétramètre :
Afin que les choses soient définitivement claires, expliquons brièvement pourquoi le
second hémistiche de ce vers n’est pas découpé en, par exemple, 4/2 ou 2/4. C’est tout
simplement par symétrie : si le premier hémistiche est accentué en 3/3, ce qui est le cas ici, le
deuxième l’est aussi. Du reste, il est net qu’il est forgé pour le tétramètre régulier : une
découpe en 2/4 aurait porté l’accent sur « les », qui n’a aucune espèce d’importance, et celui
en 4/2 l’aurait porté sur une syllabe brève, dont l’accentuation serait peu harmonieuse, surtout
après un « fu », souple et élastique, qui se prête si bien à l’accentuation.
De la même façon, précédé par la syllabe « taient », elle aussi grandement élastique,
« vingt » aurait paru trop faible et trop étriqué pour pouvoir se prêter convenablement à son
accentuation.
I. 2 Mots en exergue
C’est en jouant sur les accents fixes et mobiles qu’il est dès lors possible de disposer
ses mots essentiels au sein de la phrase. Il s’agit de les placer sur les accents, et de laisser les
articles, les mots de liaison et autres babioles sans importance se glisser entre les interstices.
Bien sûr, quoique pareillement accentués, les mots bénéficiant des accents fixes (rime
et césure, donc) sont plus importants que les autres, du fait de leur position dans le vers.
Jean de Sponde ici élimine systématiquement tout le mots secondaires qui ne servent
qu’à lier les mots essentiels entre eux. Ces mots essentiels, à l’inverse, sont tous accentués :
« enfle, moy, assaut, tente, Monde, Chair, Ange, révolté, etc. » Dans le premier vers, de plus,
« moy » est placé en plein sur l’hémistiche, il est donc tout particulièrement accentué, et, pour
cause, il est constitutif du poème –d’autres mots bénéficient de ce traitement (Chair, effort,
etc.), mais il s’agit ici du premier vers de la première strophe du poème, ce qui n’est guère
anodin.
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L’assimilation de la règle des accents permet plus de finesse dans la composition du
vers, grâce aussi à la maîtrise plus grande de sa propre musique.
J’en profite pour récapituler les bases de cet exercice dont je n’ai pas parlé dans la
première partie.
En poésie en effet, plus encore qu’en prose, il est important de penser aux sonorités
des mots que l’on emploie, le plus souvent afin de les faire accompagner leur sens. Ainsi des
sonorités sèches et claquantes (des dentales) seront bienvenues dans des passages de même
calibre, par exemple.
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• L’allitération est la répétition de sons-consonnes
« Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ? »
Racine, Andromaque
• L’harmonie imitative est l’imitation par les sonorités de la réalité qu’ils désignent
Il est bien sûr possible de prolonger ces effets sur toute une strophe, ou des séquences
plus longues encore. Ainsi, la description des duellistes dans Le mariage de Roland fait grand
usage d’une allitération en [r], achevant d’inscrire cette description (hé hé) dans le registre
épique :
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III.II L’art de la rime
La rime a ce grand succès de mettre en fureur les gens simples qui croient naïvement
qu’il y a quelque chose sous le ciel de plus important que les conventions.
Paul Valéry, Tel Quel I, Littérature, Rhétorique
A l’instar des noms communs, les rimes comptent deux genres : le féminin et le
masculin. Seulement la rime n’est pas le mot, et un nom masculin mis à la rime peut fort bien
constituer une rime féminine. Comment donc les reconnaître ?
Une rime est féminine lorsque le mot à la rime s’achève sur un « e » muet dans son
singulier. Par exemple : « songe » sera une rime féminine, et, partant, son pluriel également :
« songes » est une rime féminine. Il en va de même pour les verbes : « songent » est une rime
féminine.
Dans tous les autres cas, une rime est masculine.
A quoi cela sert-il, de savoir distinguer le genre d’une rime ? C’est qu’en poésie
traditionnelle l’on respecte l’alternance du genre des rimes, c’est-à-dire qu’une rime
masculine sera suivie d’une rime féminine, et ainsi de suite.
Le schéma le plus simple est un schéma en ABAB avec une rime A féminine et une
rime B masculine (ou l’inverse), mais on peut aussi corser le jeu en ayant une alternance du
genre des rimes décalée par rapport au schéma de rimes. Par exemple, une alternance du genre
f – m – f – m sur des rimes en ABBA ou AABB, ou à l’inverse des rimes en ABAB dont le
genre aurait une alternance embrassée en f – m – m – f , ou m – f – f – m, etc. .
Aujourd’hui que la poésie est plus libre, le poète peut faire le choix des règles qu’il
s’impose, et donc bien sûr tout à fait écarter celle de l’alternance du genre des rimes. C’est
vous qui voyez. Son dernier bastion demeure toutefois le sonnet, court condensé de fortes
contraintes qui font tout son charme : un sonnet n’est pas sonnet si le genre des rimes ne
respecte pas une alternance correcte.
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Même lorsque l’on est novice, il nous arrive parfois, en lisant de la poésie, de trouver
que telle rime est très grossière, et telle autre très fine, presque irréalisable, avec quelque-
chose « de plus », sans que l’on sache vraiment à quoi cela tient.
En vérité, cela vient de la définition même de la rime : « Deux mots le plus proches
possible par le son et le plus éloignés possible par le sens ». C’est-à-dire que cela dépend de la
tension de la rime.
Une rime est tendue lorsque les deux mots qui la composent sont éloignés par le sens
et par la nature (par exemple, un nom et un verbe conjugué). Exemple : « abominable / table »
A l’inverse, une rime est distendue quand les deux mots qui la composent se
rejoignent par le sens et la nature. Exemple : « abominable / effroyable ».
Il y a bien sûr plusieurs degrés possibles dans la tension ; l’exemple que je viens de
donner est celui d’une rime très distendue.
Ce point peut sembler mineur, mais en fait il est essentiel, et même lorsqu l’on ignore
cette règle on sent réellement la différence de qualité entre une rime tendue et une rime
distendue. Il est important de savoir à quoi cela tient, donc, au moment de composer ses
rimes. La tension des rimes donne une sorte de « vernis » au poème, comme un artifice
agréable dont le lecteur ne parvient pas à trouver les ficelles. Il est en effet plus aisé de voir
comment un poète a trouvé deux rimes distendues que deux rimes tendues, devant lesquelles
on reste en quelque sorte béat d’admiration, comme si elles n’avaient pas pu vraiment naître
d’un esprit humain (bon, là c’est quand c’est vraiment très bien exécuté.)
C’est ce qui fait que les deux quatrains du sonnet de Mallarmé qui vont suivre
paraissent très bien ciselés : leurs rimes sont très tendues quoiqu’elles se rejoignent
totalement.
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« Et la mer et l'
amour ont l'
amer pour partage,
Et la mer est amère et l'
amour est amer,
L'on s'abîme en amour aussi bien qu' en la mer,
Car la mer et l'amour ne sont point sans orage. »
Pierre de Marbeuf, « A Philis »
Dans cette strophe d’un sonnet de Marbeuf, construit sur de fort jolis parallélismes des
sons, les rimes sont bien pensées : d’une part elles reprennent ce parallélisme, avec la rime B
en « mer », mais aussi elles l’atténuent, et l’allitération en « m » présente tout au long de la
strophe est adoucie par la rime A avec la voyelle orale ouverte « a » débouchant sur une
consonne fricative suintante, « j ». Les rimes renforcent et contrastent en même temps
l’obsédante allitération du poème.
De plus et bien évidemment, c’est à la rime que se peuvent trouver le jeux de mots, car
c’est ici qu’ils seront le plus visibles.
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champs, à la nuit tombée (« La respiration de Booz qui dormait / Se mêlait au bruit sourd des
ruisseaux sur la mousse. / On était dans le mois où la nature est douce, / Les collines ayant des
lys sur leur sommet. », etc.), et toutes ces évocations permettent d’amener la métaphore finale
de la lune, qui se trouve alors parfaitement motivée et totalement en accord avec le reste du
poème :
Pour terminer cette petite synthèse sur les règles de la poésie classique, voici en vrac
quelques figures de style supplémentaires ; autant de cordes que vous pouvez ajouter à votre
arc. Cette liste n’est bien sûr pas exhaustive, ce ne sont que quelques exemples, parmi les plus
importants, de ce que la poésie offre de possibilités.
• La litote, elle, n’en dit le moins possible que pour en exprimer le plus possible :
• Le parallélisme :
« Songe aux cris des vainqueurs, songe aux cris des mourants
Dans la flamme étouffés, sous le fer expirants. »
Racine, Andromaque
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• La personnification consiste à attribuer à une chose ou un animal des qualités
appartenant à la personne humaine.
« Qu'
est ce que j'
oi ? - Ce suis-je ! - Qui ? - Ton cœur »
François Villon, « Le débat du cœur et du corps de Villon »
** Une fois n’étant pas coutume, je me suis cité moi-même, ma maigre érudition
n’ayant pas permis à ma mémoire de trouver à citer un vrai poète pour illustrer cette partie-ci
de mon guide.
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III. 1 Qu’est-ce qu’une image poétique ? ...................................................................... 14
III. 2 La métaphore........................................................................................................ 15
III. 3 Quelques autres figures de style........................................................................... 16
III.I La scansion du vers ...................................................................................................... 18
I. 1 Accents fixes et mobiles........................................................................................... 19
I. 2 Mots en exergue ....................................................................................................... 20
I. 3 La musique des mots ................................................................................................ 20
III.II L’art de la rime ............................................................................................................. 23
II. 1 Genre des rimes ........................................................................................................ 23
II. 2 Rimes tendues et distendues..................................................................................... 23
II. 3 Jeux de rimes............................................................................................................ 24
III.III Les figures de style................................................................................................... 25
III. 1 Figures diégétiques............................................................................................... 25
III. 2 Plus de figures de style......................................................................................... 26
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