Sunteți pe pagina 1din 222

1

2
3
4
5
6
SOMMAIRE Pages

1 - Lettre d'Enid Blyton 9


2 - Dépêchez-vous, Clan des Sept! 11
3 - Monsieur Papillon s'amuse 17
4 - Mots carrés syllabiques 18
5 - La toile d'araignée 20
6 - Quand maman regarde à sa fenêtre 22
7 - Fondons un club (I) 23
8 - Carte du pays des fées 25
9 - Connaissez-vous la nature? (I) 29
10 - Une nuit mouvementée 31
11 - Le moulin à vent de Mademoiselle Anna 41
12 - Agneaux et queues d'agneaux 43
13 - Un cas embarrassant 45
14 - Le petit lutin aux groseilles 49
15 - Habitants des étangs 57
16 - Éclair, le poney 59
17 - Fées et digitales 62
18 - Le mystère de la roche percée 63
19 - Le petit mineur 73
20 - La prière des animaux 75
21 - Faisons un gâteau pour les oiseaux 76
22 - Arabelle veut jouer Shakespeare 78
23 - Ploum le lièvre 83
24 - Fondons un club (2) 87
25 - Un bon tour de Jeannot Lapin 92
26 - Une aventure du Club des Cinq 96
27 - Feuilles d'automne 103
28 - Poème devinette 105
29 - « Aidez-moi monsieur Papillon! » 106
30 - Flottille de noix 107
31 - Mademoiselle Anna et les coiffures de Peaux-Rouges 111
32 - Mots en losange - Mots en parallélogramme 111-112
33 - Les ours sont lâchés 113

Enid Blyton, 1934-1961.

Golden Pleasure Books Ltd, 1961, pour l'illustration, le choix des textes et la
présentation de cette Anthologie.

Librairie Hachette, 1963, pour le texte de l'édition en langue française. Publié par les
Éditions Graphiques Internationales (E.G.I.), Paris.

7
34 - Berceuse pour un prince 116
35 - Oui-oui et le cheval de bois 117
36 - Une bande de jeunes vauriens 119
37 - Magie 122
38 - Plus malin que le magicien 123
39 - La vie secrète des loutres 129
40 - Des traces dans la neige! 133
41 - La légende du sapin 135
42 - Mots en losange 137
43 - Monsieur Létourneau et le chien 139
44 - L'avaleur de flammes 142
45 - Heureux canards 143
46 - Les quatre Sages et leur Serviteur 146
47 - Le secret de l'île verte 147
48 - Les chevaux de bois de Mademoiselle Anna 155
49 - Crac l'épagneul 157
50 - En route pour le lac Vert 158
51 - La première églantine 159
52 - Bêtasson n'est pas bien malin 165
53 - Brindilles et bourgeons 167
54 - Le bon tour de Mam'zelle 169
55 - Connaissez-vous la nature? (2) Un bouquet de fleurs 173
56 - La grande frayeur de Monsieur Groddy 177
57 - Oiseaux et fleurs en avril 182
58 - Un petit aquarium 188
59 - Fanfan 189
60 - L'aventure des berlingots 193
61 - Mlle Nanou roule sa bosse 195
62 - Tu es trop malin, Compère lapin! 197
63 - Feu de joie le soir 201
64 - Sur la colline. Solution des jeux 203
65 - Une nuit sur le rocher des tempêtes 204
66 - Jacques le voisin 210

FAITES UNE COPIE DE CET


OUVRAGE CAR LA MISE EN PAGE
EST TRES FRAGILE

8
Lettre d'Enid Blyton
livre du Souvenir : « J'aimerais un livre —
mais un gros — qui me rappellerait tous ceux
que j'ai aimés. » Eh bien, le voici! Je n'ai pu y
introduire tous les personnages qui vous sont si
familiers, mais j'ai essayé de choisir ceux que
vous préférez.
Dans vos milliers de lettres, la même
question m'est sans cesse posée : « Comment
avez-vous commencé à écrire, Mademoiselle, et
pourquoi avez-vous décidé d'écrire pour les
enfants? Comment imaginez-vous vos
personnages? Sont-ils réels? Où se trouve l'île de
Karnak? Kiki est-il un vrai perroquet ? Où vivent
les Cinq ? Que j'aimerais connaître Claude! » Et
ainsi de suite. Presque chacun de mes livres me
vaut un questionnaire. Ses personnages vous
semblent aussi réels qu'à moi-même lorsque je le
compose. Je vais maintenant pouvoir répondre à
quelques-unes de vos questions.
J'ai commencé à écrire parce que rien ne me
(Photograph by Dorothy Wilding) plaisait autant, et parce que je possède ce que
doit avoir tout vrai conteur d'histoires : de
l'imagination. Je ne suis jamais plus heureuse que
Mes chers enfants, lorsque je raconte une histoire — une histoire
avec de nombreux personnages qui paraissent
Des milliers d'entre vous m'écrivent chaque vivants, une histoire toute pleine d'incidents
année. Pourtant, il m'est impossible, hélas! de passionnants, de drôleries, de mystères et
répondre à chacune de vos lettres. Mais d'aventures que je partage avec mes personnages.
l'occasion s'offre à moi de vous adresser par ce J'ai même l'impression d'être l'un d'eux, de voir
livre une lettre personnelle et de vous remercier ce qu'ils voient, d'éprouver leurs sentiments les
de toutes les lettres intéressantes, amusantes et plus intimes. Tous les conteurs vous en diront
affectueuses que vous m'envoyez toutes les autant.
semaines. Les gens nés conteurs ont bien de la chance !
Vous êtes non seulement mes lecteurs, mais Ils n'ont pas besoin de faire de plans. Leurs
aussi mes amis. personnages jaillissent de leur cerveau, vivants et
Que je vous parle un peu de ce nouveau vrais, menant une vie toute personnelle, que
livre. Les éditeurs croient en avoir eu l'idée. Ils l'auteur peut observer comme s'il voyait un film
se trompent! Vous y avez songé bien avant eux, sur un écran de cinéma.
et depuis longtemps! Ce livre s'appelle une Vous me dites parfois : « Comment
Anthologie, c'est-à-dire un recueil de toutes commencez-vous une histoire, Mademoiselle? La
sortes d'écrits — poésies, contes, histoires. Vous voyez-vous tout de suite en son entier ?» — Non!
ne l'appeliez pas une Anthologie, mais vous lui Je ferme mes yeux de chair, et je regarde avec
donniez des titres variés. Un des meilleurs me fut l'œil de l'esprit. Presque tout de suite, j'aperçois
adressé par une fillette de douze ans. « Un livre- mes personnages — aussi nettement que je
plongeon, Mademoiselle, où se trouveraient tous pourrais vous voir!
les personnages que nous connaissons, si bien Quelques-uns de mes personnages ne sont
que nous pourrions ouvrir le livre à n'importe pas complètement imaginaires, niais m'ont été
quelle page, et y faire un petit plongeon. Nous inspirés par des gens qui m'ont fait impression.
reverrions le Club des Cinq, Kiki le perroquet, Claudine, par exemple, le garçon manqué qui
Toufou, Fatty, et tant d'autres. » Un adolescent s'appelle Claude dans les livres des " Cinq " et
me parlait d'un qui possède un chien, Dagobert, elle est vraie!
Elle désirait passionnément être un garçon et se
conduisait comme tel. Un jour, elle apparut

9
soudain dans le premier livre des " Cinq ". La En été, j'écris surtout au jardin, ma machine
véritable Claudine était devenue une Claude à écrire sur les genoux. Je regarde les poissons
imaginaire ! Fatty dans les livres de la série " rouges sauter dans mes étangs. Ils sont si
Mystères ", a pour origine un petit garçon dodu, apprivoisés qu'ils mangent dans ma main et
ingénieux [et très amusant que j'ai connu viennent même la caresser quand je n'ai pas de
autrefois. Kiki, le perroquet, était un vrai nourriture pour eux. Mes deux chats
perroquet qui disait des choses ridicules, tout m'accompagnent, et touchent l'eau de la patte et
comme celui du livre. la secouent, dégoûtés de la savoir humide! Ils
La plupart des animaux de mes histoires sont sont avec moi, à l'heure présente, gravement
en partie réels ; je les ai connu et aimés. Je étendus, regardant mes doigts, actifs. Ah! l'un
n'introduis pas cependant délibérément ces vient de faire un bond! Il poursuit un papillon.
enfants ou ces bêtes dans mes histoires. Je ne dis Maintenant, ils viennent de rentrer à la maison, et
pas : « Oh! je me servirai de ce garçon si les oiseaux du jardin vont recommencer à voler.
amusant dans mon prochain livre ! » II apparaîtra Nous en avons tant ici, de toutes sortes, même
probablement dans l'un d'eux le jour où je n'y des martins-pêcheurs et un héron aux longues
penserai pas et je me dirai : « Eh! bien, voici ce pattes, qui vient parfois de bonne heure, à la
garçon que j'ai vu au bord de la mer, il y a deux rosée, attraper mes poissons rouges! Le martin-
ans, et qui avait des oreilles décollées! » Ou pêcheur en prend aussi, mais de minuscules. Je
peut-être un singe comique fera irruption dans sais quand le héron est près de l'étang, car il
une histoire que je serai en train d'écrire. Je m'éveille en disant : « Cronc! Cronc! »
m'arrêterai et m'exclamerai : « Mon petit singe, Les oiseaux construisent des nids partout
je vous ai vu il y a bien longtemps avec le joueur dans mon jardin, en dépit des chats. Merles,
d'orgue de barbarie! Vous étiez assis sur grives, pinsons, mésanges bleues se logent dans
l'instrument; votre queue affectueusement les abris construits pour eux. Mésanges
enroulée autour du cou de votre maître, vous lui charbonnières, moineaux-friquets, gobe-
chuchotiez à l'oreille. Et maintenant vous voici, mouches, que d'oiseaux je vois lorsque je les
grandeur nature! Et je vous avais oublié! Vous nourris le matin! La sittelle vient chercher des
vous étiez caché jusqu'à aujourd'hui dans un coin noisettes sur les coudriers et le grimpereau des
de ma mémoire! » bois ne cesse de monter et descendre les troncs et
d'en faire le tour. Je pourrais écrire un livre entier
sur mes petits visiteurs couverts de plumes, de
poils ou d'épines (tel le hérisson qui apparaît
toutes les nuits). Ils vivent d'une vie secrète et
heureuse dans le jardin des Haies Vertes.
Voici une bien longue lettre! Mais j'ai pensé
que vous seriez contents de connaître cette
Anthologie et son auteur, tout comme je suis
heureuse de vous connaître. Nombre d'extraits
vous seront familiers puisqu'ils sont en grande
partie tirés de livres que vous avez lus. Certaines
pages, cependant, sont inédites. Si vous désirez
savoir de quels livres proviennent les histoires de
cette Anthologie, vous trouverez la liste de mes
ouvrages à la fin de ce volume. J'espère que ce
recueil vous procurera autant de joie que j'en ai
eu à le composer. Et si vous désirez que j'écrive
un nouveau roman sur un sujet qui vous tient à
cœur, dites-le-moi!
Avec toute mon affection et mes meilleurs
vœux.

10
(Le Clan des Sept — ceux qui ont lu les Les enfants se faufilaient dans la cohue, se
livres où il en est question le savent bien — est perdaient, se retrouvaient. Le panier de
constitué par sept enfants, fondateurs d'une Jeannette faisait des siennes et valait des
société secrète pour rire. Voici une de leurs remarques désobligeantes à sa propriétaire.
aventures, partagée par Moustique, leur « Faites donc attention! Un peu plus mes
épagneul.) bas étaient déchirés ! Des bas tout neufs ! »
s'indigna une jeune campagnarde qui avait mis
Les Sept venaient de faire un pique-nique sa robe du dimanche pour venir en ville.
à la campagne. Moustique, remuant « Donne-moi ton panier! ordonna Babette
joyeusement la queue, les accompagnait. Il qui s'en coiffa sur-le-champ. Voilà! Au moins
aimait se trouver seul avec Pierre et Jeannette, il me protégera du soleil... »
mais il était plus content encore lorsque les Pendant ce temps, les garçons
Sept étaient au complet. Il y avait alors poursuivaient un énorme cochon qui venait
toujours quelqu'un pour s'occuper de lui, le d'échapper à son propriétaire, gros fermier
caresser ou lui parler. essoufflé, incapable de rattraper le fuyard à lui
« Je constate avec plaisir que nos paniers seul. L'animal, cerné, dut renoncer à la liberté
sont beaucoup plus légers au retour qu'à l'aller, et rentrer en grognant dans la camionnette. Les
dit Jeannette, brimbalant le sien... Oh! pardon, enfants furent enchantés de l'incident.
Colin. Je ne savais pas que tu étais juste « Seigneur! que j'ai chaud! dit Colin,
derrière moi. s'épongeant le front en riant. Quelle histoire!
— Tu ferais mieux de laisser Moustique C'était une scène à filmer!
porter ce panier-là, dit Colin. C'est la troisième
fois que tu me le lances dans les jambes.
— Rentrons-nous à la maison par les
champs ou par la ville? demanda Pierre.
— Par la ville! » dirent-ils à l'unisson. Ils
avaient tous la même idée : « Si nous allions
manger des glaces chez le pâtissier? »
Aussi prirent-ils le chemin de la ville.
C'était jour de marché. Quelle foule dans les
rues! Les gens couraient de-ci de-là, chargés
de paquets, se hélant, marchant sur la
chaussée, si bien que les voitures ne pouvaient
avancer.
« Qui est cet homme ? Le sais-tu ? »

11
comme sept. Je m'attendais à te voir
— Tu as failli te faire écharper par cette étouffer à tout instant!
vieille dame au chapeau mauve qui prenait le — C’est ta faute. Tes sandwiches étaient
parti au cochon s'exclama, 'Pierre. Il s’en est trop bons. Et tu oublies que, moi, j'ai la
fallu de peu qu'elle ne te cassât son parapluie malchance d'être pensionnaire... Il faut bien
sur le dos! Que j'ai ri lorsqu'elle a frappé par que je me rattrape pendant les vacances!
malchance le fuyard ! Je lui ai dit que j'allais — C'est bon, gave-toi, alors! Si le fait de
porter plainte à la Société Protectrice des manger comme un ogre peut t'empêcher de
Animaux! devenir complètement idiot, je t'invite à
— Partons! Nous sommes trop bousculés venir t'empiffrer chez le pâtissier, intervint
ici, gémit Jeannette. Je croyais que nous Colin. Venez tous! J'offre le goûter, ajouta-t-il
allions chez le pâtissier... d'un air triomphant.
— Tu as trouvé une mine d'or
aujourd'hui?
— Oui, en un sens. Ma marraine est
venue hier à la maison, répliqua le garçon.
Naturellement...
— Inutile d'achever ta phrase, mon
vieux... Nous avons parfaitement compris! Tu
as su l'apitoyer sur l'aspect lamentable de ton
portefeuille... Eh bien, puisqu'elle te l'a si bien
gonflé, nous acceptons sans scrupule ton
invitation. En avant, Clan des Sept! »
II y avait foule aussi chez le pâtissier. Ils
durent attendre longtemps à la porte avant de
« Il s'appelle M. Barrière ? » demanda pouvoir se faufiler dans la boutique. Toutes les
Jeannette ». tables étaient occupées par dès campagnardes
nullement pressées de regagner leur village.
- Bien sûr! Allons-y! dit Georges, mais « Tant pis pour les glaces, dit Babette.
allons chez celui de la Grand-Rue, il est bien Achète des gâteaux, Colin, nous les mangerons
meilleur! Une bonne glace nous rafraîchira. près d'une fontaine publique. Elle nous
Cette course au cochon nous a donné chaud. rafraîchira mieux que des glaces, ajouta-t-elle
— Une glace, et des gâteaux, corrigea sans enthousiasme.
Pierre. J'ai l'estomac dans les talons.
— Quoi ? après tout ce que tu as ingurgité
à une heure? demanda Babette, moqueuse. Tu
as mangé comme quatre, je veux dire

12
Les sept enfants descendirent la route au galop; la ligne du chemin de fer s'étendait devant eux.
Les enfants, décontenancés par ce
nouveau mystère, retrouvèrent la foule de la
— Entendu, choisissez tous », dit le place, toujours aussi dense. Ce fut alors que se
garçon d'un ton superbe, fouillant dans la
poche de sa veste, à la recherche du
portefeuille. Ses compagnons le virent devenir
écarlate, puis blême. Il tâta chacune de ses produisit l'accident qui leur fit oublier
poches, et dit enfin d'une voix étranglée : leur mésaventure.
« Si l'un de vous m'a joué une farce, Un cycliste descendait rapidement la
j'avoue que je la trouve complètement rue, actionnant son timbre, en homme très
idiote...» pressé, et les gens s'écartaient de son chemin.
Hélas ! Il lui fallut reconnaître vite que Pierre eut à peine le temps de faire un saut de
ses amis n'étaient pour rien dans la disparition côté pour éviter d'être renversé. Il se retourna,
de sa fortune. Et aucun d'eux n'était en fonds indigné :
ce jour-là. Ils avaient tout juste assez d'argent « Pour un peu, il me jetait par terre! »
pour acheter une petite glace de rien du tout... commençait-il, mais il n'eut pas le temps de
Ils quittèrent la boutique aussi penauds que continuer ses récriminations. L'accident venait
consternés. de se produire.
« Je parie que cet homme qui t'a Patatras ! Le cycliste, heurtant une
bousculé tout à l'heure sur la place était un voiture, avait été projeté sur la route. Une
pickpocket, suggéra Jeannette. Il a détalé à femme poussa un cri perçant. Les passants
toute allure et a disparu dans la ruelle du Pot- accoururent.
d'Étain... Les enfants eux aussi s'approchèrent
— Tu as peut-être laissé ton en toute hâte. L'homme gisait sur la chaussée,
portefeuille dans lé pré du pique-nique ? à demi inconscient. Il avait au front une
— Allons voir, dit Pierre, toujours profonde entaille. Un gendarme s'avança.
optimiste. « II allait trop vite! dit une femme.
— Non, non, je suis sûr que je l'avais Pour pressé, il l'était! Je ne crois pas qu'il ait
tout à l'heure sur la place! vu la voiture. »
— Eh bien, retournons-y, fit L'homme s'efforçait de parler. Le
Babette. Quelqu'un a pu le trouver et le porter gendarme, penché sur lui, tendait l'oreille,
au commissariat... » intrigué.
Ils rebroussèrent chemin, se rendirent « II ne cesse de répéter " Barrière ",
au poste de police, mais personne n'avait dit-il. Serait-ce son nom? Quelqu'un le
apporté de portefeuille. connaît-il? »
« Revenez demain, dit l'agent D'autres curieux s'assemblèrent. Le
compatissant. Ou téléphonez. On peut gendarme les repoussa.
l'apporter plus tard. Qui sait ? » « Allons, allons! Circulez! dit-il. Ah!
voici un médecin! Allez-vous circuler, vous

13
autres gamins? Laissez ce pauvre homme «Jamais plus je ne pédalerai trop vite,
revenir à lui. » déclara Babette. J'ai compris comment les
Les Sept s'éloignèrent avec les autres accidents arrivent.
enfants. — Qui était cet homme? Le savez-
vous? demanda Pierre.
— Je ne l'ai jamais vu, dit Pam.
— Eh bien, moi, j'ai l'impression de le — Mais alors, s'écria Pierre, qui va les
connaître, dit Georges, perplexe. J'en suis manœuvrer au passage du prochain train?
même sûr. Seulement, je ne peux pas dire qui J'espère qu'il y a quelqu'un... Voilà
c'est au juste. pourquoi M. Guillaume était si pressé, je
- Il me semble aussi l'avoir déjà vu, suppose : il voulait arriver à temps!
dit Jacques, fronçant les sourcils. Mais qui — Le train de six heures quinze va
donc peut-il être? bientôt passer, dit Colin, et mon père est
— N'y pense plus! s'exclama Pam. dedans !
Cela n'a aucune importance! Il n'est pas en — Retournons vite prévenir le
danger. Un médecin et le gendarme s'occupent gendarme! s'exclama Jeannette, épouvantée à
de lui. Que te faut-il de plus? la pensée que le train heurterait les barrières et
- J'ai beau faire, dit Georges, je ne me pourrait dérailler.
rappelle pas où je l'ai vu. Pourtant, j'ai idée que — Pas le temps! dit Pierre, regardant
c'est un employé du chemin de fer... Peut-être sa montre. » Puis, en bon chef, il prit une
un des porteurs de la gare ? décision rapide.
- Non! dit Jacques qui les connaissait « Cela peut être grave, dit-il. S'il n'y a
tous. Ce n'est ni un porteur, ni l'employé du personne pour ouvrir les barrières, il y aura
guichet, ni le chef de gare. Malgré tout, je crois sûrement un accident au passage du prochain
que tu as raison. Il travaille certainement au train. Même si le train ne déraille pas, les
chemin de fer. barrières seront mises en miettes. Allons,
- Oh! ne vous tourmentez donc courage! Courons jusqu'à la maisonnette pour
pas tant! s'écria Pam. Je ne demande voir s'il y a quelqu'un... »
qu'à oublier cet accident. C'était horrible! » Les sept enfants, suivis de Moustique
Ils reprirent leur route, balançant qui courait derrière eux en aboyant
paniers et sacs. Colin était pensif. Pierre et furieusement, dévalèrent la route au galop et
Colin se mirent à parler du dernier match de prirent le tournant. Ils gravirent une petite
football; les trois filles écoutaient. Soudain colline, dégringolèrent le versant. Devant eux
Georges les interrompit : s'étendait la ligne de chemin de fer.
«Je sais! s'écria-t-il. Je me rappelle qui « Courage! dit Pierre haletant. Nous y
est cet homme ! Nous ne nous étions pas sommes presque! Il nous reste quelques
trompés, c'est bien un employé du chemin de minutes avant le passage du train. »
fer! II arriva le premier à la maisonnette,
— Il s'appelle M. Barrière? située tout près du passage à niveau. Elle était
demanda Jeannette. bien jolie, entourée d'un minuscule jardin.
- Non, dit Georges. Il s'appelle Pierre se mit à crier tout en courant :
Guillaume. C'est le garde-barrière du passage à « II y a quelqu'un?... Garde-barri
niveau qui se trouve au tournant de la route de ère!...»
Blainville.
— Celui qui n'est pas fait comme
les autres? demanda Babette.
— Oui. A cause du virage, les
barrières sont en travers des voies et on ne les
ouvre que lorsqu'un train va passer. A ce
moment-là, elles viennent se mettre en travers
de la route.
— C'est vrai, dit Jacques. Nous
avons quelquefois regardé ce M. Guillaume
alors qu'il faisait pivoter les grosses barrières
de fer.

14
Il se rendait compte que les trois fillettes
étaient nerveuses et inquiètes. Il fallait réagir.
Tous devaient reprendre leur sang-froid; tous
devaient aider. Les grosses barrières de fer
étaient très lourdes.
Colin jeta les yeux autour de lui pour voir
s'il y avait quelqu'un tout près, capable de les
aider. Un homme vigoureux serait le bienvenu!
Mais il n'y avait âme qui vive, à part une petite
fille qui les dévisageait gravement.
« Georges! Jeannette! Venez avec moi à la
barrière de droite et aidez-moi à l'ouvrir! cria
Pierre. Jacques, va vers l'autre avec Pam,
Babette et Colin. Dépêchez-vous! Le train doit
arriver dans une minute! »
Jacques réussit le premier à ouvrir la barrière

Les sept enfants s'attaquèrent aux lourdes


barrières. Il fallait d'abord faire basculer un
grand anneau, en haut du poteau, puis lever un
gros loquet de fer dont la tige s’enfonçait en
terre, et enfin faire pivoter la barrière sur ses
gonds.
« J'entends" le train! cria soudain
Jeannette. Les rails commencent à trembler.
Vite, vite! »
Jacques, avec ses trois aides, réussit le
premier à déverrouiller sa barrière et à la
pousser lentement en travers de la route,
dégageant ainsi la voie. Mais, du côté de
Pierre, la barrière pivotait mal et le jeune
garçon n'arrivait pas à vaincre sa résistance.
« Le train arrive! cria Pam à tue-tête. Le
train arrive! Va-t-en, Pierre, va-t'en! »
Oui, le train arrivait à toute vitesse,
sifflant, grondant, menaçant.
Tous vinrent au secours de Pierre et,
unissant leurs efforts, réussirent à ouvrir la
C'était un gendarme à bicyclette.
barrière juste à temps. Pam poussa un cri aigu
quand le train fila devant eux, en déplaçant
l'air. Un chauffeur surpris regarda du haut de la
Il frappa de grands coups à la porte.
locomotive les enfants placés le long de la
Personne ne vint ouvrir. Alors Colin courut
voie. Puis le long convoi les dépassa dans un
jusqu'à la fenêtre et regarda à l'intérieur.
bruit de tonnerre.
« II y a quelqu'un? » cria-t-il à tue-tête.
En un instant, le train avait disparu. Il
Puis, se retournant : « La maison est vide! dit-
s'arrêterait bientôt à la gare, quinze cents
il.
mètres plus loin. Le père de Colin replierait
— Je comprends pourquoi M. Guillaume
son journal et descendrait.
répétait: "Barrière! Barrière!" dit Jeannette.
«Je me demande si papa m'a vu? dit Colin,
Qu'allons-nous faire?
alors que le train s'éloignait en grondant.
— Ouvrir les barrières nous-mêmes, bien
— Je crois que je vais m'évanouir », dit
sûr! » dit Pierre, s'efforçant de garder tout son
soudain Babette. Elle s'assit par terre près
calme.
d'une barrière. « Oh! que je suis sotte!

15
— C'est l'émotion, dit Pierre, dont - Nous avons tout juste réussi, dit Jacques!
le cœur battait si fort dans la poitrine qu'il je suis trempé de sueur. Elles étaient lourdes,
pouvait à peine parler. Ma foi, nous n'avons eu ces barrières!
guère de temps. Mais nous avons réussi! » - Je suis tout en eau aussi, dit Babette,
Un cri parvint à leurs oreilles. Ils se toujours assise, mais moins pâle et moins
retournèrent. C'était le gendarme, à bicyclette, tremblante.
suivi de deux ou trois hommes en voiture. - Qui êtes-vous, mes enfants? demanda un
« Hé! là-bas! Que faites-vous sur la voie, autre homme, grand et corpulent, qui les
les enfants? Les barrières sont-elles regardait avec curiosité. Vous avez vraiment
fracassées? beaucoup de courage et de sang-froid!
— Non. Nous avons tout juste réussi à les Grâce à vous, un grave accident a été évité.
ouvrir à temps pour le passage du train, - Nous sommes le Clan des Sept, dit
répondit Pierre. Pierre fièrement, montrant son insigne.
Toujours prêts à l'ouvrage, à n'importe quel
moment.

— Ah! j'ai déjà entendu parler de vous,


dit l'homme. Je suis un ingénieur de la
compagnie des chemins de fer, et je vous
adresse toutes mes félicitations. Sans vous,
nous aurions peut-être un déraillement à
déplorer.
— Je suis joliment content qu'il n'ait pas
déraillé, ce train! dit Colin. Mon père était
dedans. Quand nous lui raconterons l'histoire
ce soir, comme il sera surpris !
— Eh bien, avant de la lui raconter,
voulez-vous me rendre un autre service? dit le
gros homme en lançant un clin d'œil à ses deux
« Mous sommes le Clan des Sept. » compagnons.
— Lequel? demanda Pierre, imaginant
- Eh bien, c'est une chance! » dit le quelque nouvelle aventure passionnante.
gendarme mettant pied à terre au moment où — Aidez-moi à manger quelques glaces! dit
les trois hommes sautaient de la voiture. l'homme. Vous avez l'air d'avoir bien chaud!
« Avez-vous pensé aux barrières quand vous Vous avez besoin de vous rafraîchir. Et c'est
avez découvert qui était le blessé? demanda une bonne méthode que je vous propose,
Pierre. n'est-ce pas?
- Oui, l'homme a enfin réussi à nous — Oh! oui! dirent-ils tous. » Babette se leva
renseigner, dit le gendarme. Je suis parti tout tout de suite. Elle se sentait disposée à manger
de suite et ces messieurs sont venus dans trois glaces si elles lui étaient offertes !
leur voiture dès qu'ils l'ont pu. Ma parole! Les deux hommes qui accompagnaient le
Quand j'ai vu foncer le train, j'ai cru tout fonctionnaire remirent les barrières en place,
perdu! Je m'attendais à entendre les barrières afin de livrer passage aux piétons et aux
craquer, mais non! Le train a passé voitures. Le gros homme sauta dans sa voiture
comme à l'habitude. et invita les enfants à le suivre chez le glacier
— Est-ce vraiment vous, les enfants, qui les du bas de la rue.
avez ouvertes? dit l'un des hommes Ils furent bientôt assis tous ensemble,
ébahi. Comment y avez-vous pensé? dégustant des glaces si énormes qu'ils avaient
— Nous nous sommes rappelé qui était peine à en croire leurs yeux.
l'homme, Guillaume le garde-barrière, dit « C'est la plus grosse glace que j'aie eue de
Georges. Alors nous avons pensé au train qui ma vie ! s'exclama Pierre.
allait passer, et nous avons couru comme des — Vous la méritez bien, mon garçon, dit le
lièvres pour les ouvrir. gros homme, qui en savourait aussi une.

16
Comment diable avez-vous réussi à ouvrir ces —- Et sur toute la ligne, dit Colin, qui se mit
barrières à temps? Vous n'aviez que à rire. Clan des Sept, rendez-vous demain à
quelques minutes pour parvenir jusqu'au quatre heures chez le pâtissier de la Grand-
passage à niveau et manœuvrer ces lourdes Rue...
barrières! Cela tient du prodige!
— Oui, vous avez raison, monsieur,
répondit Pierre pensif. Je ne sais vraiment pas
comment nous nous y sommes pris! Mais le
fait est que nous avons réussi! Nous avons eu
de la chance!

Monsieur Papillon s'amuse


« Nous avons tant entendu parler de vous!
M. Papillon, petit homme aux oreilles Nous savons que vous parcourez le monde
pointues, est une sorte de lutin qui s'en va de pour réparer le mal, aussi avons-nous pense
par le monde, secourant malheureux et pouvoir compter sur vous. Oh! monsieur
opprim.es. II vit avec un chat fort aimable, Papillon, je vous en prie, venez a notre
Ramonat, son fidele serviteur. Dans cette secours!
histoire, il vient en aide à deux fillettes bien
embarrassées.

M. Papillon était un jour assis auprès du


feu, occupe a lire, lorsqu'il entendit frapper a la
porte de devant. Ce n'était qu'un petit coup
timide : " rat - a - tat - tat... "
« Ramonat, dit M. Papillon a son gros chat
noir, va voir qui frappe, s'il te plait! »
Ramonat se précipita vers la porte et
1'ouvrit.
Deux petites filles, passablement
effrayées, se tenaient sur le seuil.
« Oh! dit 1'une d'elles, en voyant Ramonat,
nous sommes certainement chez M. Papillon,
car nous savons qu'il a, pour le servir, un chat
nomme Ramonat. Vous êtes bien Ramonat,
n'est-ce pas?
— Je le suis, dit le chat noir. Entrez
donc! »
Les deux petites franchirent le seuil de la
porte et s'essuyèrent très soigneusement les
pieds sur le paillasson. Ramonat les introduisit
dans la pièce ou se trouvait M. Papillon. Celui-
ci sourit.
« Oh! que vous ressemblez au monsieur
Papillon de nos histoires! s'exclama 1'une des
petites.
— J'en suis fort heureux! En fait, je
ressemble toujours à moi-même,
naturellement! Comment vous appelez-vous ?
— Moi, Katie, et elle Patricia. Nous
sommes venues vous demander de nous
aider, monsieur. »

17
M. Papillon, tout comme vous le feriez vous-
même si vous étiez dans l'embarras...
« Voici l'affaire, dit Katie. Il y a dans notre
village deux garçons très méchants et très
cruels, monsieur Papillon. Ils lancent des
pierres aux chats et aux chiens, dénichent les
œufs d'oiseaux, se cachent aux coins des rues,
sautent sur nous et...
- Et ils frappent aux portes et se sauvent,
et ils vont chez le fruitier et lui volent des
pommes et des oranges quand il a le dos
tourné, dit Patricia. Et, hélas! depuis peu, ils
nous guettent, Katie, moi et d'autres
petites filles, et ils nous prennent nos poupées!
- Et ils ont cassé la mienne, dit Katie, les
larmes aux yeux. Ils l'ont jetée sur le trottoir.
Aussi sommes-nous venues vous demander
votre aide. Nous avons toutes si peur de
Tom et de Pierre!
- J'espère que vous ne croyez pas que nous
vous racontons des histoires, dit Patricia. Nous
ne savons que faire ! Et maintenant, ces
garçons font peur aux bébés dans leur voiture ;
ils les huent en passant. Le pire, c'est que leurs
parents pensent qu'ils sont des garçons
admirables et ne croient pas un mot de ce
qu'on leur dit. Alors, que pouvons-nous faire?»

MOTS CARRÉS SYTLLABIQUES

Mon premier est la reproduction,


Sérieuse ou frivole,
De certains traits ou de quelque action
Qui plaît aux yeux et quelquefois console.
Mon second offre une institution
Où résident parfois des ressources entières,
Industrie et commerce et puissances guerrières
D'une importante nation.
Mais ce n'est pas dans mon troisième
Qu'on la peut rencontrer.

- Mais bien sûr », dit M. Papillon.


Et s'adressant à son chat :
« Ramonât, apporte donc de la citronnade
et des biscuits. »
Tout en dégustant biscuits et citronnade,
les deux petites confièrent leurs ennuis au bon

18
est méchante, vous êtes aussi une vilaine
petite fille... Et une maman qui est sotte a de
méchants enfants parce qu'ils ne la respectent
pas et ne l'écoutent pas! »
L'horloge sonna quatre heures. Katie se
leva immédiatement.
« Nous devons vous quitter, monsieur, ou
nous serons en retard pour le goûter et nos
mamans s'inquiéteraient. Merci, merci,
monsieur Papillon! Vous avez été bien bon de
nous écouter et de nous offrir de la limonade et
des biscuits!
- Oui, merci beaucoup, monsieur, dit
Patricia à son tour.
Les deux petites contèrent leurs ennuis au — Quelles charmantes mamans
bon M. Papillon. vous devez avoir! dit M. Papillon. Mais
pourquoi rougissez-vous? Ne m'avez-vous pas
M. Papillon prit un air grave. Pour la dit que les gentilles mamans ont de gentils
troisième fois, il offrit des biscuits. enfants? Et je m'aperçois que vous êtes toutes
« C'est très sérieux, dit-il. Sérieux pour vous deux bien mignonnes. Donc, je sais ce que sont
parce que vous avez peur, et aussi pour ces vos mamans! »
galopins ! En grandissant, ils deviendront de Les deux fillettes partirent enchantées.
véritables vauriens! Humm! Il faut que je Elles avaient confiance en M. Papillon!
réfléchisse ! Celui-ci était bien décidé à mettre fin aux
— Que ferez-vous? demanda Katie. agissements des deux gamins. Il réfléchit
— Je n'ai pas encore pris de décision, dit M. longuement et appela Ramonât.
Papillon. Je songerai à votre problème. Ces «Je pars pour le village qu'habitent les
parents devraient traiter leurs fils plus deux petites, lui dit-il. Je vais me rendre
sévèrement. Vous le savez, lorsque des invisible ! Je trouverai les deux garnements et
enfants deviennent des garnements, c'est leurs parents, et je leur ferai une belle surprise!
généralement la faute de leurs parents! Je reviendrai dès que j'aurai mené mon œuvre
— Oui, nous l'avons remarqué, dit Katie. à bien, Ramonât!
— Si votre maman est gentille, vous êtes — Oui, Maître, répondit Ramonât, Je
aussi gentille, d'habitude. Et si votre maman vais tout de suite brosser votre chapeau. Ah ! si
seulement il y avait davantage de gens comme
vous sur terre, le monde n'en irait que mieux! »
M. Papillon s'en fut. Ramonât ne put voir
son maître franchir la grille car il s'était déjà
rendu invisible.
Ah! M. Papillon pouvait voir bien des
choses curieuses, puisque personne ne
soupçonnait sa présence!
Il découvrit bientôt les deux gamins.
Et pourtant on y voit quand même Cachés derrière un mur, ils attendaient une
Des quais, une onde, où vont se mirer vieille femme, pistolets à eau en mains. Au
Des hauts sommets verts et fleuris
moment où la vieille dame contournait le mur,
ils lui lancèrent un jet d'eau.
Comme en un coin du Paradis.
L'eau se répandit sur le visage de la vieille
Tous les sujets de ma deuxième
Son à coup sûr mon bon premier. femme. Elle en perdit le souffle et laissa choir
Sont à coup sûr mon bon premier. son panier. Les œufs qu'il contenait se
Du bois articulé ou même de l'osier cassèrent et le jaune se répandit sur le trottoir.
Présentant forme humaine offrira mon
troisième
(Voir la solution page 203)

19
M, Papillon escortait Pierre et Tom. Ils
allèrent, à pas de loup, jusqu'à une porte et
tirèrent violemment la sonnette. Puis ils
décampèrent, s'en allèrent jusqu'à une autre
porte et agirent de même. M. Papillon, les
sourcils froncés, descendit la rue en leur
compagnie.
Quand les galopins passèrent dans la
grand-rue, M. Papillon se remit à crier :
« Où sont les deux garçons qui ont tiré les
sonnettes et se sont sauvés? Où sont-ils?
« Qu'on s'en saisisse et qu'on les punisse !
»
Tous les gens sursautèrent en entendant
Épouvantés, les garçons sautèrent de cette voix soudaine surgie de nulle part.
l'autobus. Terrifiés, les deux enfants se retournèrent et les
gens se mirent à les montrer du doigt:
« Voici les deux coupables, regardez donc!
« Oh! oh! que se passe-t-il? On a tiré sur Quelqu'un doit les poursuivre! »
moi! Oh! que m'est-il arrivé? » gémit la vieille Les garçons prirent la fuite sans plus
dame, s'asseyant sur le bord du trottoir, la tête attendre. Toujours invisible, M. Papillon les
entre les mains. suivit.
M. Papillon s'assura que quelqu'un venait
au secours dé la pauvre femme. Il suivit
rapidement les deux garnements qui s'étaient
sauvés tout de suite en riant. Ils sautèrent dans
un autobus. M. Papillon y sauta aussi.
Personne, absolument personne ne le vit, bien
sûr. Il s'assit juste derrière les gamins.
Il attendit le départ de l'autobus, et parla
alors d'une voix haute et furieuse.
« Quels sont les garçons dans cet autobus
qui viennent d'effrayer une vieille dame ? Qui
a tiré sur elle avec un pistolet à eau et lui a fait
tomber son panier et casser ses œufs? »
II se fit un silence. Surpris, les voyageurs
regardaient autour d'eux, se demandant qui
venait de parler ainsi. Rougissant jusqu'aux
oreilles, les enfants osaient à peine respirer.
Qui connaissait leur méfait? Était-ce un agent?
« Je vois ces gamins, reprit M. Papillon
d'une voix haute et sévère. JE LES VOIS... »
Epouvantés, les garçons sautèrent de
l'autobus. Papillon, toujours invisible, les
suivit.
« II nous faut maintenant retourner chez
nous à pied! grommela l'un des gamins. Qui
nous grondait ainsi dans l'autobus?
— Bah! qu'est-ce que ça fait? fit l'autre.
Allons, Pierre, tirons quelques sonnettes et
sauvons-nous! »

20
Au tournant de la rue ils rencontrèrent une — Qui vient d'aller au garde-manger et a
petite fille avec un chiot. Pierre se jeta sur le goûté aux confitures et aux prunes de la tarte?
petit chien et la petite poussa des cris perçants. dit soudain une grosse voix. Où sont les
« Non ! non ! Ne lui faites pas de mal ! Il garçons qui ont agi ainsi ? Ce sont des voleurs,
est si petit! » vous dis-je! »
Tom s'empara d'une vieille casserole II y eut un silence. Les parents se
gisant dans un fossé et l'attacha à la queue du regardaient, tout ébahis. Les gamins devinrent
chiot épouvanté. L'animal tenta de le mordre et aussi rouges que des tomates.
aboya. Pierre le frappa. « Qui vient de parler? dit enfin l'un des
La voix tonnante de M. Papillon se fit papas. Quelle voix étrange! Allons-nous-en au
entendre à nouveau. cinéma!
« Où sont ces garçons? Où sont ces petits
chenapans? »
Pierre et Tom se cramponnèrent l'un à
l'autre, pris de frayeur. Encore cette voix! Qui
les suivait? Ils laissèrent la petite et le chiot
apeuré et descendirent la rue au galop.
La petite fille sentit un baiser sur sa joue et
une pièce de monnaie fut glissée dans sa main.
« Allez acheter des bonbons! » murmura
une voix bienveillante à son oreille. Mais elle
ne vit personne!
M. Papillon suivit les gamins qui entrèrent
tous deux dans la même propriété.
« Papa et maman sont chez toi, dit Pierre.
Nous irons tous ensemble au cinéma ce soir.
Alors, je t'accompagne!
— Ah! ah! fort bien! » pensa M. Papillon.
Lui aussi poussa la grille, contourna la maison
et pénétra à l'intérieur par la porte de la «II se passe quelque chose d'étrange! » dit
cuisine. Les garçons, naturellement, l'un des papas.
ignoraient sa présence.
Ils claquèrent la porte, entrèrent à grand
bruit sans s'essuyer les pieds sur le paillasson. Vous avez tous l'air épouvanté! Je suis sûr
Pierre, ricanant, se dirigea vers le garde- que nos fils ne dévaliseraient pas le garde-
manger. Tous deux plongèrent leurs doigts manger!
sales dans un pot de confitures et les léchèrent. — Mais si! Mais si! N'ai-je pas raison,
Puis ils prirent les prunes qui garnissaient une enfants?» dit la voix sévère. Les garçons,
tarte et les mangèrent. tremblant, restèrent muets.
« Chut! » fit Tom, clignant de l'œil. Ils L'un des pères se leva, tout pâle. « Allons,
entrèrent alors au salon où se trouvaient leurs partons ! Il se passe ici quelque chose de bien
parents. étrange! Quelqu'un crie-t-il à la fenêtre ou du
« Eh! bien, avez-vous été sages haut de la cheminée? »
aujourd'hui? demanda l'une des mamans. Ils sortirent tous et montèrent dans un
— Oh! oui, dit Tom. Nous avons eu les autobus. M. Papillon les imita. Dès qu'ils
meilleures notes de toute la classe, et nous furent tous assis, il se remit à crier :
sommes rentrés tout droit chez nous, comme « Où sont les garnements qui ont fait peur
vous nous l'aviez dit ! à la fillette et ont attaché une casserole à la
queue de son petit chien ? Où sont-ils ! Qu'on
me les amène!»
Tom et Pierre se remirent à rougir et à
trembler. Tout le monde les dévisageait. Un
homme, dans un coin, éleva la voix : « Qui
veut connaître ces méchants garçons?

21
Ils sont là-bas, sur ces sièges, tremblant de - C'est nous! C'est nous! sanglotèrent
tous leurs membres. Venez les chercher! » Pierre et Tom, à demi morts de peur. C'est
D'un bond, les enfants épouvantés nous qui agissons ainsi!
quittèrent l'autobus, suivis de leurs parents - Nous ne le ferons plus! Plus jamais! J'y
troublés et intrigués. Ils entrèrent sans dire mot veillerai, dit le père de Tom.
dans la salle de cinéma, mais papas et mamans - Il faut les fouetter, dit le papa de
réfléchissaient. Pourquoi cette voix les suivait- Pierre. Nous n'avons pas été assez sévères!
elle? Pourquoi les garçons étaient-ils si - Oh! oh! Tom! Pierre! Comment avez-vous
rouges ? De quoi avaient-ils honte ? pu agir ainsi? gémirent les mamans.
Grands dieux! La voix se trouvait dans la - C'est en partie de votre faute, dit la voix.
salle! Pourquoi ne surveillez-vous pas mieux vos
Dès qu'un silence se produisait, la voix enfants? C'est moi qui les surveillerai! e dirai à
résonnait près des enfants et des parents! tout le monde ce que sont ces enf...
« Qui a épouvanté la vieille femme en se - Non! non! hurla Pierre. Allez-vous-n!
servant d'un pistolet à eau? Vous me faites peur! Partez!
« Qui a tiré les sonnettes et s'est enfui? Je m'en vais, dit M. Papillon, gravement. Je
« Qui a fait peur à la petite fille et à son m'en vais. Je m'en vais... » Sa voix devenait de
chien ? plus en plus faible. Puis soudain,
« Quels parents ignorent les méchants
tours de leurs fils?
« Qui est allé au garde-manger et... »
Pierre se mit à pleurer. Tom pâlit.
Bouleversés, les parents ne purent suivre le
film. Les uns après les autres, ils se levèrent et
sortirent.

« De quoi s'agit-il ? demanda le père de QUAND MAMAN REGARDE A SA


Tom. D'où vient la voix ? » FENÊTRE

De sa fenêtre ma maman
M. Papillon les suivit chez Pierre. Pense me voir tout bonnement.
Les parents regardèrent leurs fils. Mais non! Je suis un commandant
« Que se passe-t-il ? D'où vient cette voix? Sur la passerelle de mon bateau!
Dit-elle la vérité? Elle peut voir un cow-boy,
— Non, dit Pierre.
— Non, fit Tom, baissant la tête. elle se fit terrible : « Mais je reviendrai si
— Qui ment à ses parents ? reprit la voix. vous manquez à votre parole. Oui! JE
Qui guette les petites filles et casse leurs REVIENDRAI! »
poupées ? Qui jette des pierres aux chats et aux II retourna très fatigué dans sa petite
chiens? QUI? QUI? QUI? maison, auprès de Ramonât.

22
« Je crois que tout est arrangé, dit-il à son A la poursuite de gibier.
chat. Mais sait-on jamais? » Elle dit : « Pierrot, viens, mon garçon ! »
Ce bon M. Papillon! Il a certainement tout Mais Pierrot (c'est moi) est en avion,
arrangé. Ces garçons — et leurs parents aussi Quel fameux pilote !
— ont complètement changé. Oh ! Seigneur! Le soir, pourtant, je suis Pierrot,
J'espère de tout mon cœur que jamais je Car il serait vraiment vilain
n'entendrai la grosse voix tonnante de M. Qu'elle embrassât un chef indien!
Papillon me reprochant une vilaine action! Que
j'aurais honte! Et vous aussi, n'est-ce pas, vous
seriez bien confus en pareil cas!

( Vous trouverez une autre histoire de M.


Papillon à la page 106 de ce livre.)

Chevauchant tout seul, ma foi !


Ou un chef indien emplumé

— Eh bien, nous commencerons par


« Si nous fondions un club ! suggéra Marc choisir des membres sympathiques! Pas Fred!
à son ami Jacques. Un tout petit, qui Il n'est jamais sérieux. Et pas Jeanne! Elle ne
comprendrait cinq ou six membres. Ce serait si cesse de ricaner...
amusant! — Faut-il que nous ayons des
— Je ne demande pas mieux. Mais filles ? demanda Jacques.
comment nous y prendrons-nous? demanda — Eh bien, j'aimerais que Mariette, ma
Jacques. sœur jumelle, fît partie d'un club fondé par

23
moi, dit Marc. Elle ne rit pas bêtement,
comme tant de filles! Elle est très amusante, et Ils allèrent trouver Catherine, l'invitèrent à
elle ferait volontiers nos insignes... se joindre à eux, et elle inclina sa tête aux
- Oh! ce n'est pas une mauvaise idée, dit boucles courtes en signe d'assentiment. Elle
Jacques. Nous voici déjà trois. J'aimerais eut un large sourire! « Merci. Oui, j'en suis
demander à ce vieux Patrick de se joindre à ravie, dit-elle; d'autant plus que Mariette sera
nous. C'est un excellent élève, et qui ne se un des membres.
'vante jamais! En outre, il est très — Nous pensons avoir une brève réunion
serviable. Ce serait un bon membre! après la classe dans le garage aux bicyclettes,
- Oui, Patrick me plairait beaucoup après le départ des élèves, dit Marc. D'accord?
aussi, dit Marc. Et nous ferions bien d'inviter - D'accord, dirent les filles. »
Catherine, la meilleure amie de Mariette. C'est Marc s'en fut trouver Jacques qui était en
presque un garçon. Elle grimpe aux arbres et compagnie de Patrick et d'Éric. Tous deux se
court plus vite que moi. déclarèrent enchantés du projet.
— D'accord. En voici cinq. Qui d'autre? » « Réunion après la classe, cet après-midi,
dit Jacques. dans le garage aux bicyclettes », dit Marc. Les
autres firent « oui » de la tête. Éric était si fier
d'avoir été invité qu'il ne put s'empêcher de
sourire tout l'après-midi. Comme il boitait, il
ne pouvait grimper aux arbres, courir, se livrer
à certains jeux, et pourtant ses amis désiraient
Ils réfléchirent intensément pendant une qu'il devînt membre du cercle! Que sa maman
minute. serait contente !
« Et si nous choisissions Éric ? dit Marc. La classe terminée, les six se réunirent
Je sais bien qu'il boite parce qu'il a eu la pour la première fois dans le garage, vide à
poliomyélite. Il ne pourrait faire de longues cette heure. Ils échangèrent des sourires.
promenades avec nous, ou grimper aux arbres, « Ce n'est pas une véritable réunion, dit
mais il a l'esprit vif, et il est si drôle! Marc. Il nous faut simplement prendre
Choisissons-le donc! rapidement quelques décisions importantes.
— Bien sûr, dit Jacques. On le laisse Nous
souvent de côté, aussi je voudrais qu'il fût
membre du club. Ça va! Nous sommes six! Il
nous faut maintenant demander à chacun son
assentiment. »
Marc demanda donc à sa sœur Mariette, à
Catherine et à Éric ce qu'ils pensaient de leur
projet. Mariette fut enchantée.
« Un club! Oh! j'ai toujours souhaité en
fonder un ou appartenir à l'un d'eux. Ce sera
charmant d'avoir Catherine aussi. Je ne
voudrais pas m'y inscrire sans elle!
Je le sais, dit Marc. Et je ne voudrais pas
d'un club sans toi, Mariette! J'invite Éric aussi,
et Jacques va en parler à Patrick. Nous serons
six.
— C'est passionnant! dit Mariette. Ne
ferons-nous pas bien les choses ? N'aurons-
nous pas des insignes et un lieu de réunion,
etc. ?
— Bien sûr que si!" dit Marc. Nous
devrions avoir la première réunion bientôt,
choisir un nom pour le club, et prendre des
décisions importantes... »

24
Après la classe, les Six se réunirent dans
le garage

25
Les visages s'éclairèrent immédiatement.
Oui. C'est ce qu'il nous faut, dit Marc. Dire que
nous n'y avons pas songé, Mariette! D'accord.
C'est décidé. Va pour le poulailler.
Et maintenant, quand nous réunirons-
nous? - Demain soir! dit Jacques. A cinq
heures et demie. Nous déciderons du
règlement. Sapristi! Il faut que je m'en aille! Il
est tard. Au revoir, membres du club! Nous
n'avons pas encore de mot de passe, mais cela
ne tardera pas. Au revoir! »
Les Six filèrent à bicyclette, l'esprit tout
occupé de cette nouvelle idée.
Le lendemain soir, à cinq heures et demie,

Catherine balayait énergiquement le poulailler.

devons tout d'abord avoir un lieu de


réunions convenable, où nous puissions être Près de la Fontaine des Fées.
seuls et à l'abri des dérangements. Quelqu'un
Prenez le chemin en lacets
a-t-il une idée?
- Oui! Pourquoi pas mon garage? » Qui vous mène à la Fin du Jour.
suggéra Patrick. Vous ferez là un joli tour,
Les autres réfléchirent et Jacques secoua la Si vous connaissez le chemin.
tête. Cette carte, scrutez-la bien :
« Non, il conviendrait s'il était vide, mais C'est celle du Pays des Fées.
la voiture de ton père s'y trouve presque En trouverez-vous le chemin
toujours, Patrick. Nous pourrions Par un beau jour ensoleillé?
l'endommager et avoir des histoires. Voyons, Parcourez-le en sûreté :
quelqu’un a-t-il un appentis, une cabane? » Détournez-vous de la demeure
Deux enfants en avaient, mais une cabane Où vit l'Enchanteur à toute heure.
à outils était toujours fermée à clef et l'autre
Eloignez-vous de la Sorcière.
était en si piteux état que la pluie y pénétrait.
Elles ne pouvaient donc pas servir. Passez le pays des Lutins!
« Quel casse-tête! dit Marc, se grattant la Gardez-vous du Fossé magique.
tête pour activer ses idées. Il nous faut Méfiez-vous du Chemin tragique!
absolument un lieu de réunions! Il conduit chez le Magicien...
— Dans les bois, peut-être, sous un grand Ne formulez pas un souhait
arbre? suggéra Catherine.
— Non. Trop de gens s'y promènent, dit
Patrick. J'ai trouvé! Ton vieux poulailler,
Marc? Celui qui ne sert plus... »

26
la maman de Marc fut surprise de voir tant si j'avale un peu plus de poussière! »
d'enfants se diriger vers le vieux poulailler. Ils furent bientôt tous dans la cabane. Il ne
Elle appela Marc et Mariette : « Mes s'y trouvait qu'une caisse et un perchoir pour
enfants! si vous allez dans ce sale poulailler, les poules. « Nous apporterons une vieille
pour l'amour de Dieu, balayez-le! Vos couverture ou un tapis, dit Catherine, et une
vêtements seront dégoûtants! caisse ou deux.
— Oui, maman, cria Marc, tout en souriant — Et nous installerons une ou deux
d'un large sourire. Je savais ce que dirait planches pour nos accessoires, dit Marc.
maman, et j'y ai déjà mis un vieux balai! — Quels accessoires? demanda Éric.
Mariette a promis de nettoyer. » — Eh bien, des calepins peut-être, une
Le poulailler n'était pas grand, et boîte en fer pour y mettre notre argent, une
certainement poussiéreux. Tous les membres, bouteille d'orangeade et des biscuits! dit
sauf Mariette, durent attendre dehors tandis Marc, souriant d'une oreille à l'autre. Qui sait
qu'elle donnait un vigoureux coup de balai. ce que nos mamans nous donneront? Elles
« Pouah! dit Éric en toussotant. Je vais me seront ravies d'être débarrassées de nous
mettre à glousser comme une poule pendant des heures de suite...
- Que ce sera amusant! dit Catherine.
Maintenant, commençons, Marc.
- D'accord, dit Marc. La réunion débute.
Nous avons plusieurs décisions à prendre :
chercher un nom pour notre club, choisir
l'insigne, nous le procurer, élire un chef.
Nous pouvons commencer par là si vous
voulez. Il nous faut un mot de passe, peut-être
aussi un signal secret quand nous nous
rencontrerons. Il serait bon aussi d'avoir un
but.
— Qu'est-ce que tu veux dire? demanda
Catherine.
— Oh! bien, nous discuterons de ce point
à l'occasion, dit Marc. Quelqu'un a-t-il une
suggestion à faire?
- Non. Choisissons notre chef, dit Éric.
J'ai apporté des bouts de carton et des
crayons pour tous. Commençons!
— Bien, dit Mariette. Je craignais d'avoir
à aller en chercher à la maison. Passe les
cartes, Éric. Tu penses toujours à tout. »
Éric distribua les bouts de carton,
découpés dans des cartes postales, et les
crayons.
« Maintenant, écrivez le nom de celui que
vous aimeriez avoir pour chef, dit Marc
solennel. Et n'oubliez pas qu'il doit être
quelqu'un non seulement que vous aimez mais
que vous respectez assez pour lui obéir, et le
suivre. C'est ce que dit mon père. Un chef doit
être aimé, respecté, obéi. Naturellement
personne ne votera pour soi-même, c'est
entendu. »
Bientôt les six enfants gribouillaient sur

27
leurs cartes. Ils les plièrent en deux et les
tendirent à Éric.
« Les ouvrirai-je ? » dit Éric, jetant les
yeux autour de lui.
Tous approuvèrent. Il ouvrit donc la
première et lut à haute voix : « Marc »,
annonça-t-il. Marc rougit de plaisir. Grâce à
Dieu, quelqu'un avait voté pour lui! Ce devait
être Mariette, pensa-t-il. Éric déplia une autre
carte : — « Marc. Ah! déjà deux votes pour
toi, Marc! »
II ouvrit une troisième carte : — « Patrick.
Deux bulletins pour Marc, un pour Patrick. » II
ouvrit les trois autres : tous avaient le même
nom inscrit :
« Marc ! Marc ! Marc ! Cinq bulletins pour
toi, Marc, et un pour Patrick, dit Éric, épanoui.
C'est ce que j'espérais. Félicitations !
— Je te remercie d'avoir voté pour moi,
Marc, mon vieux, dit Patrick, satisfait.
— Comment sais-tu que Marc a voté pour
toi? Ça aurait pu être n'importe qui! dit
Catherine.
— Non. Marc ne pouvait voter pour lui-
même, aussi a-t-il voté pour Patrick, dit
Éric. Ai-je raison, Marc ?
— Tout à fait raison, dit Marc, rouge de
plaisir. Eh bien, vous avez été chic de voter
pour moi! Je tâcherai d'être un bon chef. Et
maintenant, choisissons le nom de notre club.
Les " Six Quelque chose ". »
Les idées jaillirent. Chacun criait avec « Maintenant, écrivez le nom de celui que
ardeur : « Le Clan des Six ! hurla Catherine. vous aimeriez avoir pour chef. »
— Non, trop pareil au Clan des Sept, dit
Marc.
— Le Club des Six, cria Patrick. Les quatre garçons regardèrent les fillettes
— Non, trop pareil au Club des Cinq, dit avec insistance et elles ne les firent pas
Marc. Ayons un nom bien à nous. attendre.
— Pourquoi pas les Six tout court? « C'est bon. Nous savons ce que vous avez
proposa Éric. en tête! dit Mariette. Vous voulez que nous
- Oui, pourquoi pas ? répondit Marc. Que fabriquions tous les insignes? D'accord!
ceux qui sont d'accord lèvent la main. » - Comment vous y prendrez-vous?
Toutes les mains se levèrent. Marc fit un demanda Jacques.
signe d'assentiment. « Fort bien! Je proclame — C'est facile! dit Catherine. Nous nous
que nous six présents avons fondé un club procurerons six boutons identiques. Nous
appelé les Six. » découperons des petits bouts d'étoffe, y
Mariette, ravie, sourit à la ronde. « Marc broderons le chiffre 6 et nous en recouvrirons
est déjà un bon chef, annonça-t-elle. Je les boutons; nous coudrons à l'intérieur une
proclame qu'il est... petite épingle de sûreté que nous fixerons à nos
— Tais-toi, je t'en prie, Mariette, dit manteaux. Ne serons-nous pas fiers de porter
Marc. Et nos insignes? Il faudra y inscrire le nos insignes?
chiffre 6. Quelqu'un a-t-il une suggestion?» — Merci beaucoup, dit Marc. Et le

28
mot de passe? Quelqu'un a-t-il une idée? « Je regrette, mais la réunion est terminée.
- Poulailler! suggéra Éric, en regardant les Rendez-vous ici vendredi soir, à cinq heures et
perchoirs. demie. Nous discuterons alors du but de notre
- Œufs frais pondus! » dit Catherine, et tous organisation, de nos entreprises, et au besoin
se mirent à rire. d'un signal secret. Et maintenant, partons! Il
« Résolu! dit Marc. est temps de filer si nous voulons faire nos
- Cot! Cot! Codac! » dit Mariette. Il y eut de devoirs ce soir! »
grands éclats de rire. Le mot de passe fut Ils sortirent tous du poulailler, enchantés et
adopté sans hésitation. surexcités.
« Que penseront les gens quand ils nous «Je suis tellement content que tu sois notre
entendront murmurer " Cot-cot-codac " ? dit chef, Marc! s'exclama Éric. Tu as le génie de
Catherine. l'organisation! Eh bien, les Six ont leur club et
— Oh! il ne nous servira que pour entrer au je suis ravi d'être un des membres! »
lieu de réunion, dit Marc. A l'avenir, nul ne
pourra entrer sans prononcer le mot de passe. ***************************
Alors ne l'oubliez pas, je vous en prie !
- Choisirons-nous maintenant un signal Je vous dirai plus tard ce que décidèrent les
secret? » s'enquit Patrick, mais Marc regarda Six à leur seconde réunion. Si vous aussi,
sa montre. Il fit non de la tête. entre-temps, avez pris la résolution
d'organiser un club, vous saurez comment
vous y prendre...

29
Les quatre observateurs
d'oiseaux
CONNAISSEZ-VOUS LA NATURE (1)

Jean et Alice habitaient la villa des Noise- — Une grive ! vociférèrent tous les
tiers et Jeanne et Richard étaient leurs voisins. enfants, à la mention des taches de rousseur.
Ils avaient beaucoup d'amitié les uns pour les — Diable! Vous devinerez les réponses
autres et adoraient sortir ensemble. avant que je n'aie posé les questions, si cela
L'hiver vint et chaque famille dressa la continue, dit la maman. Maintenant,
table des oiseaux. La maman de Jean affirmait voyons... je pense à un oiseau assez bruyant,
que c'était la meilleure façon d'apprendre à
reconnaître les oiseaux de jardin les plus
communs. « Tant que vous n'en connaîtrez pas
au moins douze, vous ne pourrez prétendre les
aimer, dit-elle.
— Je vous poserai une " colle " dans un
mois. Vous aurez donc bien des études à
faire si vous voulez avoir d'excellentes notes. »
Les quatre enfants aplatirent le nez contre
les vitres pour voir quels oiseaux fréquentaient
la table.
« Je crois que je connais tous les oiseaux
maintenant, dit enfin Richard. Que votre mère
nous pose des colles !
qui ne chante pas, mais siffle, bredouille et
— Parfait, dit Jean qui s'en fut trouver sa
gargouille. Il a la taille d'une grive, une queue
mère.
courte, des plumes de toutes couleurs,
— Invite tes amis à venir goûter à la
pourpres, vertes, violettes, bleues...
maison cet après-midi », dit-elle. Peu après le
— C'est l'étourneau! dit soudain
goûter, ils firent cercle, et la maman posa les
Alice.
questions. (Tâchez, vous aussi, d'avoir
— Tu as raison, dit la maman. Maintenant
d'excellentes notes.)
je songe à un très joli, tout petit oiseau, à la
« Voyons, dit la maman, j-e songe à un
tête d'un bleu vif, aux joues blanches, avec
petit oiseau brun dont le bec est mince comme
une ligne sombre entre les yeux et autour
celui du rouge-gorge; il a la curieuse habitude
du cou. Ses plumes sont vertes et jaunes et il
de traîner ses ailes; il crie " pip! pip ! " et
est un merveilleux...
chante une petite chanson joyeuse.
— Acrobate! interrompit Richard. C'est la
— Le moineau-friquet ! crièrent
mésange bleue. Je la connais bien, parce
ensemble Jeanne et Richard.
qu'elle vient à notre table des oiseaux et se
— C'est bien, dit la maman. Maintenant,
balance la tête en bas sur la ficelle où sont
je pense à un oiseau plus grand, brunâtre aussi,
suspendues les noix. Elle ne cesse de dire "
avec des taches d'un brun sombre — telles des
pim-im-im-im-im ".
taches de rousseur sur la poitrine, et...

30
— Tu es trop malin, dit la maman. Eh — Très, très beau! dirent-ils en
bien, cette fois-ci je songe à un petit oiseau chœur. Le merle, bien sûr! Vous ne pouvez pas
familier, à la belle gorge rouge, et... nous prendre au dépourvu!
— Le rouge-gorge ! hurlèrent-ils, si — Deux questions encore, et la colle
bien que la maman n'acheva point sa phrase. sera finie, dit la maman. Je songe à un petit
—- Vous m'assourdissez! dit-elle. Je oiseau, de la taille d'un moineau — oh ! c'est
ferais mieux de vous poser une question très une jolie créature, au gilet noir brillant, à la
difficile. Voyons, il s'agit d'un petit oiseau, très tête et au cou noirs, à la queue grise, à la
soigné, vêtu de blanc et de noir, à la longue poitrine jaune et au dos d'un vert superbe. Il
queue qui... aime noix et graisses. Il crie " puter,
— La pie ! dit Jeanne. Mais les autres puter, puterpi ", ou " pinque-pinque " et...
lui jetèrent un regard de mépris. - La mésange charbonnière!
— Les pies ne viennent pas à la table s'écrièrent ensemble Jeanne et Alice. C'est une
des oiseaux! Maman parlait d'un petit oiseau, acrobate aussi, comme la mésange bleue.
non d'un grand! » — Bien répondu, dit la maman.
La maman continua : « II a une longue Et le dernier, maintenant. Un oiseau qui ne
queue qu'il ne cesse d'agiter de haut en bas, et vient pas à la table des oiseaux, mais qui
il court rapidement sur... descend parfois sur la pelouse de grand matin.
— La bergeronnette ! dirent-ils C'est un grand oiseau brun, avec une petite
tous en chœur. huppe qu'il peut dresser ou aplatir. »
— Bien sûr! dit la maman. Ta pie m'a Personne ne répondit. Ce ne pouvait
fort surprise, Jeanne. Je pensais que tu la être une grive. Il fallait pourtant deviner la
connaissais mieux. dernière question!
— Oui, j'ai été bien sotte, avoua la « Quelques détails encore, s'il vous
petite. Continuez s'il vous plaît. plaît, implora Richard.
— Cette fois-ci, il s'agit d'un autre — Généralement, continua la maman,
petit oiseau dont le chant est étonnamment il n'est qu'un petit point, haut dans le ciel, et
fort. A le voir ramper sous les broussailles, nous connaissons son chant mieux que lui-
vous le prendriez pour une petite souris même.
d'un brun rougeâtre. Il possède un drôle de — L!'alouette! cria chacun. Bien sûr!
petit bout de queue relevé... Eh bien, nous les avons tous devinés!
— Le roitelet! Le roitelet! Le - Excellent, vraiment, approuva
roitelet!» cria Jean. la maman. Vous avez vingt sur vingt!
Il avait raison. — Madame, dit Richard d'un ton
« Eh bien, j'avoue que vous répondez solennel, j'ai une petite colle pour vous. Je
fort bien! dit la mère. Et voyons celui-ci! pense à un oiseau, très, très petit. Il a le dos
J'aperçois un joli petit oiseau très soigné qui rouge...
crie " pinque-pinque ! " à voix haute, et dont le - Un dos rouge? dirent-ils,
chant est rapide et gai. Il porte un gilet brillant, intrigués.
d'un brun rosé, et lorsqu'il vole vous apercevez — Oui, un dos rouge, avec des
des barres blanches à ses ailes... » taches noires, continua Richard; il a six pattes
II y eut un silence. « La mésange et...
charbonnière dit " pinque-pinque ", mais elle — Ne fais, pas l'imbécile, Richard.
n'a pas de gilet rosé, dit Richard. Voyons... Qu'est-ce que c'est? questionna Jeanne.
Oh! je sais! Le pinson, bien sûr! — C'est une coccinelle! » dit Richard.
— C'est juste. Maintenant un petit Tous lui tombèrent dessus à bras raccourcis.
oiseau brun, bruyant, que nous voyons partout « Allons ! Allons ! dit la maman.
et nous l'entendons pépier et... Laissez ce pauvre garçon tranquille. Vous allez
— Le moineau! crièrent-ils tous. l'étouffer ! Préparez-vous pour la prochaine "
C'est facile ! colle " et montrez votre science! »
- Et maintenant, un oiseau à la robe
d'un noir luisant, au bec d'or vif dont le chant
est...

31
UNE NUIT
MOUVEMENTÉE
Voici un extrait du roman : Le mystère de l'hélicoptère. Quatre enfants, Jacques, Henri,
Denise et Lucette, passent ensemble les grandes vacances dans les montagnes du Pays de Galles. Ils
partent camper avec Ludovic, vieux berger Gallois. Ils ont des ânes, un perroquet Kiki, et un jeune
chevreau Blanchet qui ne quitte jamais Henri.

Quand les campeurs se réveillèrent le Ludovic se mit alors à produire une


lendemain matin, le soleil brillait gaiement série de bruits assez terrifiants qui firent sauter
dans le ciel. Tout en aidant à préparer le Kiki et Blanchet en l'air. Les enfants
déjeuner, Jacques demanda à Ludovic : considérèrent le petit guide avec stupeur. Ne se
« Que s'est-il passé cette nuit? Qu'est- moquait-il pas d'eux? Mais non, Ludovic leur
ce qui vous a si fort effrayé? expliqua encore, avec beaucoup de gestes, que
— Des bruits, répondit Ludovic, c'est en allant voir si les ânes étaient bien
comme la veille. installés pour la nuit qu'il avait entendu ces
— Mais quelle sorte de bruits ? bruits étranges.
insista Henri. Nous avons eu beau écouter, « Voilà qui explique pourquoi les
nous n'avons entendu que le vent qui bruits en question ne pouvaient s'entendre d'ici,
soufflait.»

32
commenta Jacques... Ça ressemble à des « Si nous continuons, dit Jacques, nous
cris d'animaux sauvages, s'il faut en croire finirons par nous perdre tout à fait. Je ne suis
l'imitation qu'en fait Ludovic. même pas sûr que Ludovic saurait encore nous
- Des animaux sauvages! gémit Lucette, ramener à la ferme si nous le forcions à
apeurée. Oh ! Jacques, crois-tu qu'il puisse y s'enfoncer davantage dans cette région
en avoir par ici? » désertique.
Jacques sourit et repoussa une mèche - Tu as raison, soupira Lucette. Il vaut
rousse qui lui tombait sur le front. Lucette mieux retourner sur nos pas alors qu'il en est
- qui était aussi rousse que son frère — temps encore.
avait un peu pâli et les taches de rousseur de - Ou nous résigner à camper ici plutôt que
son visage n'en ressortaient que mieux. dans la vallée des Papillons », suggéra Henri
« Mais non! répondit Jacques de sa voix la en regardant autour de lui.
plus rassurante. Si tu entends par " animaux Les enfants se trouvaient alors sur le flanc
sauvages " des lions, des tigres ou des d'une montagne abrupte, qu'ils avaient pu
panthères, tu peux dormir sur tes deux oreilles. gravir jusque-là mais qui, à partir de l'endroit
Mais si, comme Denise, tu considères les où ils étaient, s'élevait tellement à pic qu'il
couleuvres, les renards et les hérissons comme semblait impossible d'atteindre son sommet.
des bêtes féroces, alors, bien sûr, il faut te
méfier.»
Lucette respira, soulagée.
« Bon, dit-elle. Dans ce cas, je n'ai rien à
craindre. Mais ces bruits de Ludovic m'avaient
effrayée pour de bon.
— Je suppose qu'il a dû faire un mauvais
rêve. Il doit prendre peur facilement. »
Cela, du moins, était vrai. Ludovic était un
petit homme timoré. Il semblait redouter d'aller
plus avant. Du doigt, il montra le chemin de
retour. Désormais, avec le soleil qui brillait, il
paraissait sûr de retrouver le sentier qui les
ramènerait à la ferme. Mais les enfants ne
l'entendaient pas ainsi. Plus que jamais ils
avaient envie de camper dans cette mystérieuse
vallée des Papillons. Ludovic céda à
contrecœur.
Tandis qu'il chargeait les ânes d'un air
renfrogné, Jacques consulta la carte du pays.
Hélas! la vallée des Papillons n'y était pas
marquée. Ce devait être un endroit peu connu,
sans désignation officielle peut-être, et auquel
les gens de la région avaient donné ce nom
poétique... Ludovic se précipita dans la tente des
On se remit donc en route. Peut-être la garçons, leur causant une affreuse émotion.
vallée suivante serait-elle celle qu'ils
cherchaient... ou encore celle d'après. Ils « Quelle étrange montagne! fit remarquer
finiraient bien tout de même par la trouver! Denise. Elle paraît inaccessible... D'accord,
Cependant, à la fin de cette nouvelle journée, Henri. Campons ici. Ça nous reposera. Il y a
ils durent s'avouer leur échec. une source et de l'herbe. Tant pis pour la vallée
On continuait à n'apercevoir aucun sentier des Papillons ».
et les montagnes environnantes se Ludovic déchargea les ânes et les enfants
ressemblaient toutes. Ce soir-là, les jeunes montèrent leurs tentes. Après un bon repas,
campeurs tinrent une sorte de conseil de guerre tous se couchèrent sans traîner. Ils n'en
: que convenait-il de faire le jour suivant? pouvaient plus de fatigue.

33
Soudain, au milieu de la nuit, une sorte de Les loups — si c'étaient vraiment des
grognement réveilla Lucette. Qu'est-ce que loups — n'avaient laissé aucune trace de leur
cela pouvait être ? Les animaux sauvages que passage... Et soudain quelque chose arriva.
Ludovic avait entendus?... Et puis un long Ludovic poussa un cri aigu et se cacha la
hurlement s'éleva. Les garçons l'avaient figure dans les mains. Les garçons, retenant
entendu aussi. Ils aperçurent soudain Ludovic leur souffle, crurent apercevoir un mouvement
qui entrait précipitamment dans la tente, aussi parmi les buissons alentour.
effrayé que la nuit précédente.
« Lobos! leur cria-t-il. Des loups!... près
des ânes!
— Voyons, c'est impossible ! répondit
Jacques. Il n'y a plus de loups dans les
Pyrénées depuis belle lurette. »
Cependant, de nouveaux hurlements
s'élevaient dans la nuit. Ludovic saisit Jacques
par le poignet et l'obligea à sortir de sa tente.
Son doigt tremblant désigna une troupe
d'animaux qui reniflaient et grondaient, non
loin des ânes.
Henri avait suivi Jacques et, comme son
ami, ne pouvait en croire ses yeux. Ces
animaux ressemblaient bien à des loups!
Blanchet tremblait autant que Ludovic. Quant
à Lucette et à Denise, réveillées elles aussi,
elles n'osaient sortir de leur tente et se
contentaient de regarder de loin le terrifiant
spectacle, qu'éclairait la lune pâle.
Le seul être vivant qui ne semblait pas
avoir peur était Kiki. Tout au contraire, poussé
par sa curiosité naturelle, le perroquet se
précipita vers les animaux grondants dont les
prunelles vertes lançaient des éclairs. Il se mit
à tournoyer au-dessus d'eux en criant :
« Essuie-toi les pieds ! Essuie-toi les
pieds! »
Puis il leur donna sa brillante imitation
d'une locomotive sous pression... La nuit Kiki se mit à tournoyer au-dessus des
s'emplit d'un sifflement terrible. Ce fut au tour animaux.
des loups de paraître effrayés. D'un même
élan, ils firent demi-tour et disparurent dans
l'obscurité. Kiki leur cria encore de ne pas Ludovic poussa un autre cri, écarta les
oublier de fermer la porte ! mains de son visage, jeta un coup d'œil
« Ils sont partis, constata Jacques, soulagé. épouvanté autour de lui et sauta à califourchon
Mais ces bêtes sont-elles bien réelles ? Il me sur un des ânes. Puis, tournant le dos au
semble avoir rêvé! » ruisseau près duquel il se trouvait, il galopa à
Bien entendu, les enfants ne purent se toute vitesse vers les tentes.
rendormir de la nuit. A l'aube, Ludovic se « Escaparse ! » cria-t-il aux enfants. Puis
rendit près des ânes qu'il trouva sains et saufs il ajouta : « Noir, noir! »
mais plus nerveux que d'habitude. Il les Henri, Jacques, Denise et Lucette, réunis
détacha et les conduisit au ruisseau voisin pour en groupe devant la tente des garçons, ne
les faire boire. comprirent rien à ce qu'il voulait dire et

34
s'imaginèrent que le pauvre homme avait — Avez-vous compris ce qu'il nous a
perdu la tête. Là-dessus Ludovic montra aux crié? demanda Denise. Je n'ai pu saisir qu'un
enfants les ânes qui le suivaient, comme pour mot, qu'il a répété deux fois d'ailleurs : " Noir,
leur conseiller de les enfourcher et de partir noir! "
avec lui. Puis il talonna sa monture et s'éloigna — Oui, c'est ce qu'il a dit. Mais noir...
à bride abattue. Pendant un instant, on quoi? s'inquiéta Lucette.
n'entendit que le bruit des sabots de l'âne qui — Il n'a dit que ça : " Noir! "... Si nous
s'enfuyait. Les autres ânes restèrent un moment descendions jusqu'au ruisseau pour essayer de
indécis et puis, à la grande consternation des voir ce qui lui a fait peur? proposa Jacques.
enfants, se précipitèrent sur les traces de — Oh! non, s'écrièrent les filles.
Ludovic et de sa monture. — Bon, alors j'irai seul, décida Jacques,
« Hé, là! s'écria Jacques. Revenez! Henri restera avec vous... »
Revenez! » II s'éloigna aussitôt et les trois autres le
L'un des ânes fit mine de s'arrêter, mais il suivirent des yeux, en retenant leur souffle...
se trouva poussé en avant par ceux qui Ils virent Jacques examiner avec soin l'endroit
venaient derrière. En un clin d'œil tous où Ludovic se trouvait au moment où il avait
disparurent. Les enfants se regardèrent, un peu poussé son cri de frayeur. Puis le jeune garçon
pâles. Ils se trouvaient dans une situation peu se tourna vers eux, secoua la tête et leur cria :
réjouissante.
« Ludovic nous a lâchés ! » constata
machinalement Henri qui n'en menait pas
large.
« Et il est parti avec les ânes! souligna
Denise.
— Qu'allons-nous faire à présent? » gémit
Lucette, prête à fondre en larmes.
Jacques lui passa son bras autour du cou et
la fit asseoir auprès de lui sur l'herbe.
« Ne te tourmente pas, Lucette. Nous
sommes dans le pétrin, c'est vrai, mais nous
nous en tirerons. Nous avons connu des
situations pires que celle-là!
— Bien sûr, renchérit Denise. Au pis aller
nous serons forcés de rester ici quelques jours.
Au fond, ça ne change en rien nos projets.
— Et au bout de quelques jours ?
demanda Lucette.
— Eh bien, René viendra nous chercher,
affirma Henri qui reprenait confiance. Ludovic
doit être parti droit à la ferme. René et maman
le forceront à s'expliquer. Il conduira René où
nous sommes et nous retournerons sur nos pas
avec eux, voilà tout.
- C'est heureux que les ânes n'aient pas Ludovic talonna sa monture et s'éloigna
encore été chargés, constata Denise. Nous à bride abattue.
avons quantité de provisions... et aussi notre
matériel de camping.
- Je me demande ce qui a bien pu « II n'y a rien! Rien du tout! Ludovic doit
effrayer Ludovic à ce point! dit Jacques. Quel avoir eu des visions! »
froussard! II revint en courant vers ses compagnons.
— Oui, il faut qu'il ait eu une peur terrible « Je n'ai vraiment rien remarqué ».
pour décamper ainsi! approuva Henri.

35
« Enfin, dit Henri, cette histoire de loups, — Mais ce pauvre Ludovic... aura-t-il de
cette nuit... elle était bien réelle, non? Nous quoi manger en route? s'inquiéta Lucette. Il n'a
avons vu ces animaux. Nous n'avons pas pu emporté aucune provision.
rêver tous les quatre! » — Nous pouvons lui faire confiance pour
Denise était une fille pratique. se débrouiller! Il se nourrira de baies sauvages!
« Avant tout, dit-elle, déjeunons. Nous Et puis, à l'allure où il allait, il sera vite arrivé
nous sentirons mieux après avoir mangé. » à la ferme, je t'en réponds! » dit Jacques en
Le déjeuner fut assez silencieux. riant.
Les enfants mangeaient sans entrain. Kiki
lui-même ne parvenait pas à les distraire. La
montagne qui les dominait de sa haute masse
leur semblait de moins en moins accueillante.
« Je n'aime pas beaucoup cette montagne,
dit soudain Lucette, exprimant ainsi tout haut
ce que les autres pensaient tout bas.
— Pourquoi ? demanda Denise.
— Je ne sais pas. Elle me déplaît, voilà.
J'ai une sorte de pressentiment... »
Henri, Jacques et Denise se mirent à rire.
Lucette avait souvent ce qu'elle appelait " des
pressentiments ", et elle y croyait dur comme
fer. Mais cette fois-ci elle n'était pas la seule à
trouver étrange l'endroit où ils campaient : rien
que cette histoire de loups aurait effrayé de
moins braves que les enfants... Ludovic l'avait
bien prouvé!
Henri, cependant, tenta de réconforter
Lucette. Kiki, soudain, se jeta sur le pauvre
« Voyons, voyons, quel pressentiment Blanchet en poussant des cris de rage.
pourrais-tu bien avoir? Toutes les montagnes
se ressemblent.
— Sauf qu'il n'y en a pas beaucoup où l'on Sa boutade dérida ses compagnons. Ils
rencontre des loups! » riposta Lucette. tinrent un conseil de guerre.
De nouveau, un sentiment de malaise pesa « Restons ensemble, conseilla Lucette.
sur les jeunes campeurs. Ils achevèrent de Avec ces loups, on ne sait jamais. Si l'un de
déjeuner, puis Jacques demanda : nous s'écartait, ils pourraient le dévorer!
« Qu'allons-nous faire en fin de compte? Je — Que tu es donc sotte, Lucette! s'écria
crois que le plus sage est de nous en tenir à Henri. Tout le monde sait bien que les loups
notre décision de tout à l'heure : restons ici sont affamés seulement en hiver!
jusqu'à ce que René vienne nous chercher. — Tu peux toujours plaisanter, Riquet!
Nous ne pouvons pas essayer de rentrer par répliqua Lucette. N'empêche que... »
nos propres moyens : d'abord parce que nous Elle n'alla pas plus loin. Au même instant
ne connaissons pas le chemin, ensuite parce une série de faits curieux se déclencha... Cela
que nous ne pourrions pas emporter assez 'de commença par un bruit sourd, semblable à un
nourriture pour tenir jusqu'au bout. fort grondement, qui semblait provenir du
— Oui, approuva Henri. Il est préférable cœur de la montagne. Puis le sol trembla un
de rester sur place. Je suis sûr que, lorsque peu. Les quatre enfants sentirent nettement la
Ludovic aura recouvré ses esprits, il sera terre frémir sous eux. Très effrayés, ils se
capable de conduire René jusqu'à nous. Ces rapprochèrent les uns des autres. Kiki s'envola
montagnards savent retrouver les pistes... en criant. Blanchet sauta sur un rocher et y
demeura, prêt à bondir.

36
Le sol cessa de trembler. Le bruit s'éteignit « Écoute, Jacques, dit Henri à voix basse
peu à peu. Puis, soudain, il reprit plus fort, pour n'être pas entendu des filles. Il faudrait
mais toujours assourdi par la grande trouver une grotte où nous pourrions allumer
profondeur où, semblait-il, il prenait naissance. un feu pendant la nuit. L'idée de ces bêtes qui
La terre bougea à nouveau. Blanchet parut rôdent autour de nous - - que ce soient des
s'envoler et atterrit sur un autre roc, encore loups ou autre chose — ne me plaît pas
plus haut que le précédent. Le pauvre petit beaucoup.
animal était terrifié. • Tu as raison, répondit Jacques. Dans une
Les quatre enfants aussi avaient peur. grotte, nous serions plus à l'abri que n'importe
Lucette, toute pâle, s'accrochait à Jacques et à où ailleurs. »
Henri. Denise, de son côté, se serrait contre
son frère.
Enfin les étonnants phénomènes cessèrent.
Les oiseaux, qui s'étaient arrêtés de chanter,
recommencèrent à pépier dans les arbres du
voisinage. Blanchet, ses terreurs dissipées, vint
en cabriolant retrouver Henri. Kiki regagna sa
place favorite, sur l'épaule de son maître.
« Diable ! s'écria Henri. Je me demande ce
que c'était que ça! On aurait dit un
tremblement de terre. Vrai, j'ai eu peur!
— Oh! Riquet! gémit Lucette. Cette
montagne est peut-être un volcan, tu ne
crois pas?
— Jamais de la vie ! Il n'y a pas de volcan
dans les Pyrénées, affirma Jacques. C'est tout
de même curieux... ce grondement et ces
secousses du sol ! Je me demande ce qui a pu
les provoquer... »
Personne ne put lui répondre. En silence,
les enfants se levèrent, rangèrent la vaisselle
du petit déjeuner après l'avoir lavée, puis
allèrent se débarbouiller dans le petit ruisseau.
Le vent fraîchit soudain et, en levant la tête, les
quatre amis aperçurent de gros nuages noirs
qui accouraient dans leur direction.
« Nous allons avoir de la pluie! prophétisa
Jacques. Et si le vent se met à souffler en
tempête, gare à nos tentes ! Elles ne resteront
pas longtemps debout.
— Si tu crois vraiment que les tentes Les enfants allèrent se débarbouiller
risquent d'être emportées, répondit Henri, dans l'eau claire et limpide du petit ruisseau.
nous ferions peut-être bien de chercher un
endroit pour nous abriter : un bouquet
d'arbres ou une grotte, par exemple. » Tous deux se mirent à fureter dans les
Le soleil avait disparu derrière les nuages anfractuosités rocheuses, à flanc de montagne,
et il fit soudain très froid. Les enfants mais aucune n'était suffisante pour leur donner
n'attendirent pas plus pour se mettre en quête asile. De plus, la paroi elle-même était si
d'un refuge. Les garçons marchaient en tête, abrupte qu'on ne pouvait y grimper sans
escortés par Blanchet qui gambadait à son risque. Ah! si les garçons
habitude.

37
avaient eu le pied aussi sûr que Blanchet! permanence. D'ici, nous verrons très bien
« Regarde-le, Jacques ! Il est perché sur ce si René et Ludovic arrivent. C'est un poste de
rocher, au-dessus de nous, et il semble tout à guet épatant. Et puis, au moins, nous y serons à
fait à l'aise... Hé! Blanchet! Redescends par ici, l'abri des loups... si loups il y a.
veux-tu! » - C'est une chance ! » se réjouit tout haut
Mais au lieu d'obéir à Henri, le chevreau se Lucette.
contenta de remuer sa petite queue, fit demi-
tour... et disparut brusquement.
« Où est-il passé ? murmura Jacques,
stupéfait. Ah! le voici qui revient. Henri, il doit
y avoir une grotte là-haut, c'est certain, sans
quoi Blanchet ne pourrait pas disparaître et
reparaître comme ça! »
Les deux amis se hissèrent non sans mal
jusqu'à l'endroit où les attendait le chevreau et
là, ainsi que Jacques l'avait deviné, ils
trouvèrent une grotte longue et basse, dont
l'ouverture se dissimulait derrière un gros
rocher. Des fougères et de la bruyère
encadraient l'entrée. Entre le rocher protecteur
et cette entrée s'étendait une sorte de
plateforme assez spacieuse.
« Épatant! s'écria Jacques, ravi. Cet endroit
fera parfaitement notre affaire! »
Suivi d'Henri, il pénétra à quatre pattes
dans la grotte. A l'intérieur, le plafond était
assez haut pour qu'on pût y circuler courbé.
Cela valait tout de même mieux que de se
traîner sur les mains et les genoux.
« Nous pourrons allumer notre feu sur la
plate-forme devant l'entrée, fit remarquer Ils trouvèrent une grotte longue et
Henri. Nous devons une fière chandelle à basse, dont l'ouverture se dissimulait
Blanchet, mon vieux Jacques. Sans lui, nous derrière un gros rocher.
n'aurions jamais trouvé cet abri! »
Jacques, cependant, réfléchissait.
«Je me demande, dit-il enfin, comment Les quatre enfants avaient visité la grotte
nous allons faire pour monter ici notre et s'apprêtaient à redescendre à leur
matériel. Nous avons déjà eu du mal à y campement lorsque Kiki parut apercevoir
grimper avec les mains libres. quelque chose au-dessous et s'envola de
— C'est vrai. Ah! si nous avions encore l'épaule de Jacques en poussant des cris
nos ânes. Ces bêtes-là sont comme des perçants. Blanchet, de son côté, bondit sur ses
chèvres. Même lourdement chargées, elles quatre pattes et parut écouter.
trouvent partout un point d'appui. » « Que se passe-t-il? murmura Lucette,
Effectivement, le transport des vivres effrayée. Est-ce que les loups reviendraient
posait un problème. Les garçons hélèrent déjà... en plein jour? »
Lucette et Denise, et les aidèrent à se hisser Tous se mirent à écouter, comme
jusqu'à eux. Blanchet. Sous les arbres, parmi les buissons,
« Regardez! dit Jacques. Blanchet a trouvé on entendait un animal — ou des animaux —
cette grotte où nous pourrons passer la nuit. mener grand tapage.
Rien ne nous empêche même de l'habiter en « Rentrez dans la grotte, conseilla Jacques
à Denise et à Lucette. Et n'en bougez plus. »
Les deux filles rampèrent dans l'obscurité

38
relative de l'abri et se tinrent coites. Les enfants s'installèrent au bord du
Henri et Jacques, tous leurs sens en alerte, ruisseau pour pique-niquer. Blanchet, Kiki et
s'interrogeaient en vain. De quel animal même Tout-Doux eurent leur part du festin.
pouvait-il s'agir? D'après le bruit qu'il faisait, il Après le repas, Jacques, Henri, Denise
devait être gros. et Lucette flânèrent longtemps au soleil. Puis
Tout à coup, Blanchet émit un Jacques conseilla avec sagesse :
bêlement et sauta du roc sur lequel il était « Nous devrions ramasser du bois pour
perché avant qu'Henri ait eu le temps de le cette nuit. Il nous en faudra un gros tas si nous
retenir. Les garçons le virent disparaître dans voulons entretenir notre feu jusqu'à l'aube.
les^ buissons au-dessous d'eux... Soudain, un Faisons des fagots : Tout-Doux se chargera de
son éclatant parvint à leurs oreilles : " Hi-han! les monter.
Hi-han! " - Brave vieux Tout-Doux! »
« Sapristi, c'est un âne! s'écria Jacques. soupira Denise, reconnaissante.
Nos bourricots seraient-ils de retour... et Les enfants ramassèrent autant de bois
Ludovic avec eux ? » qu'ils purent. Bientôt un stock impressionnant
Les deux garçons se laissèrent glisser de branchages se trouva prêt à servir sur la
jusqu’en bas où ils ne tardèrent pas à découvrir corniche située devant l'ouverture de la grotte.
ce qu'ils cherchaient : Tout-Doux, l'âne de Jacques et Henri dressèrent une sorte de
Denise, se tenait parmi les buissons, bûcher, mais, bien entendu, ils ne l'allumèrent
apparemment content de retrouver Blanchet. pas encore.
Mais ni Ludovic ni les autres ânes n'étaient là. Cependant, le soleil déclinait déjà et il
Henri appela les filles. ne tarda pas à disparaître derrière les
« Tout-Doux ! Comme tu es gentil montagnes. Quelques instants encore et ce fut
d'être venu nous rejoindre! s'exclama Lucette, le crépuscule. Alors les enfants se retirèrent
toute joyeuse. dans leur refuge. Ils ne pouvaient s'empêcher
— Ce n'est pas nous mais son ami de penser aux loups et se rappelaient aussi le
Blanchet qu'il est venu retrouver, rectifia cri angoissé de Ludovic : « Noir, noir! » Que
Henri. Ne te fais pas d'illusions, Lucette... Ces pouvait-il donc avoir vu?
deux-là se sont toujours bien entendus! Dans la journée, les enfants avaient été
Regarde comme notre chevreau fait fête à trop occupés pour penser à tout cela. Mais,
notre âne... et avec quelle tendresse Tout-Doux avec la nuit, ils sentaient leurs craintes
flaire Blanchet! C'est égal, voilà qui nous renaître... Blanchet et Kiki ne se firent pas
arrange. Mon vieux Tout-Doux, tu nous prier pour suivre Henri et Jacques à l'intérieur
aideras à transporter les affaires dans la de la grotte. Il fallut laisser dehors Tout-Doux,
grotte.» trop gros pour y pénétrer. Le petit âne s'installa
Tout-Doux était vraiment un gentil donc sur la plate-forme, à quelque distance du
petit âne et, s'il était en effet revenu pour voir foyer que les garçons allumèrent. Par bonheur,
Blanchet, il parut content aussi de la présence le bois était sec et de joyeuses petites flammes
des enfants. se mirent à danser dans l'air.
Avec docilité, il se laissa charger par « Je suis bien contente d'être ici,
les garçons qui le firent ensuite grimper jusqu'à déclara Lucette. Je m'y sens en sûreté, avec ce
la grotte. Il s'en tira très bien, quoique parfois feu qui nous protège. »
il éprouvât du mal à franchir un pas difficile. Il Les autres pensaient comme elle.
fallut deux voyages pour transporter l'essentiel Après un dîner qui revigora les quatre enfants
en lieu sûr. et les rendit encore plus optimistes, chacun se
« Merci, Tout-Doux, dit Jacques glissa dans son sac de couchage et ne tarda pas
lorsque la corvée fut terminée. A présent, il est à s'endormir. Personne n'avait songé à veiller
temps de nous mettre à table. » en sentinelle.
II était en effet près de midi. Par Aussi, ce qui était à prévoir arriva. Le
bonheur, le vent avait chassé les nuages et le feu
soleil brillait de nouveau dans le ciel dégagé.

39
déclina, faute de combustible. Henri se recommencèrent à baisser et Henri se leva
réveilla quelques heures plus tard et, voyant le pour ajouter du bois. La lune s'était enfin
feu presque éteint, se leva pour l'alimenter. Les décidée à paraître. Henri contourna le feu, là
flammes bondirent à nouveau dans l'air calme. où il était encore bas, et fit quelques pas en
Leur clarté permit au jeune garçon de constater direction de l'âne pour voir si tout allait bien de
que Tout-Doux était couché, bien tranquille. ce côté-là.
Tout semblait normal. Soudain, il entendit du bruit derrière lui. Il se
Henri, cependant, ne se rendormit pas retourna et, à sa grande frayeur, s'aperçut qu'un
aussitôt. Il s'était recouché, Blanchet blotti loup s'était glissé entre lui et la grotte, lui
contre lui, et regardait les flammes dansantes. coupant toute retraite.
Par moments, le vent qui soufflait au-dehors Le loup restait immobile, regardant Henri.
rabattait la fumée dans la grotte et Denise Henri, de son côté, pouvait détailler l'énorme
toussa sans s'en rendre compte dans son bête, bien visible au clair de lune. Il se
sommeil. demandait comment se défendre en cas
Puis Henri entendit l'âne remuer. Il se d'attaque, quand une chose vraiment
redressa sur un coude, attentif à ce qui se inattendue arriva : le loup se mit à remuer la
passait non loin de lui. Son cœur commença à queue. Henri n'en revenait pas. L'animal ne lui
battre à grands coups... Car voilà qu'il était pas hostile. Une fois de plus le
apercevait, au-delà de la zone de lumière, des magnétisme du jeune garçon opérait à la façon
formes souples et silencieuses qui se glissaient d'un charme. Mais sur un loup! C'était tout de
dans sa direction. même extraordinaire!
Que représentaient ces ombres ? Étaient-ce Après précaution, Henri tendit la main.
les loups? En tout cas, s'ils ne tentaient pas Malgré ses craintes, il était désireux de savoir
encore de franchir la barrière de feu, du moins ce qui allait arriver. Le loup avança de
ne semblaient-ils pas en avoir très peur. Et quelques pas et lui lécha la main. En même
soudain, Henri vit les prunelles vertes et temps, il poussa une sorte de petit
phosphorescentes briller dans les ténèbres. Il gémissement.
ne pouvait plus y avoir de doute. C'étaient bien Maintenant, Henri voyait l'animal de tout
les loups! près. Il avait un pelage sombre, des oreilles
Sans doute leur flair les avait-il conduits pointues et un long museau. Était-ce vraiment
jusqu'à la grotte où s'étaient réfugiés les jeunes un loup ? Le jeune garçon commençait à en
campeurs. Qu'allaient-ils faire maintenant? Ils douter. Et puis, tout à coup, il sut à quelle sorte
n'avaient pas attaqué Tout-Doux, ce qui était de bête il avait affaire.
encore une chance. L'âne ne semblait même « Ma parole! s'écria-t-il à mi-voix. Tu es un
pas très effrayé. Il s'agitait seulement avec berger allemand! J'aurais bien dû m'en douter
nervosité. plus tôt. Je savais bien qu'il n'y avait pas de
Les ombres silencieuses continuaient à aller loups dans la région! Où sont les autres? Ce
et venir au-delà du foyer. Henri n'osait bouger. sont aussi des bergers, bien sûr! Brave chien!
Il ne pouvait que faire des vœux pour que les Beau chien! Nous allons être amis, tu veux? »
loups, tenus en respect par les flammes, L'énorme berger allemand posa ses pattes de
abandonnent l'idée d'entrer dans la grotte. devant sur les épaules d'Henri et lui lécha le
C'est ce qui arriva. Au bout d'un moment, les visage. Puis il leva la tête et poussa un long
terribles animaux disparurent. Henri poussa un hurlement. C'était un cri qui ressemblait assez
soupir de soulagement Comme il avait eu à celui d'un loup mais, cette fois, Henri savait à
peur! Et quelle chance qu'il ait pu ranimer le quoi s'en tenir.
feu à temps...! Il se promit de veiller jusqu'à Ce hurlement était un appel aux autres
l'aube pour l'empêcher de s'éteindre. chiens. Tous surgirent aussitôt des buissons
Une heure plus tard, en effet, les flammes qui poussaient en contre-bas de la grotte et
s'empressèrent autour du garçon. Constatant

40
Quant à Lucette, elle faillit fondre en
larmes sous le choc de l'émotion.
« Oh! Riquet, j'ai cru que c'étaient des
loups et qu'ils allaient te dévorer!
— Tu es bien vaillante d'être ainsi venue à
mon secours, déclara Henri, tout attendri en
voyant l’inoffensif petit bâton dont Lucette
s'était armée pour le défendre. Mais regarde...
le chef de file des chiens est devenu mon ami
et les autres suivent son exemple... Et ils
semblent vous adopter aussi... »
C'était vrai. Les chiens paraissaient
décidés à ne pas s'éloigner de la nuit. Henri ne
savait trop qu'en faire.
« Nous ne pouvons pas songer à les faire
coucher avec nous dans la grotte. Il n'y aurait
plus moyen de respirer!
— Je pense bien! s'écria Denise, horrifiée
à cette seule pensée.
- Alors, sortons nos sacs de couchage et
passons le reste de la nuit à la belle étoile, à
côté de Tout-Doux. Les chiens nous garderont.
Sapristi, ils sont dix. Je me demande ce qu'ils
font, à rôder en liberté comme ça. C'est
Tous les chiens surgirent des buissons. bizarre! »
Les enfants couchèrent donc dehors. Les
chiens s'allongèrent près d'eux. Celui qui
semblait être le chef de la meute s'assit
que leur chef le traitait en ami, ils se
majestueusement tout contre Henri, d'un air
mirent à leur tour à sauter pour le lécher.
qui semblait dire : « Ce garçon est mon ami.
Au bruit fait par la meute, Jacques, Denise
Passez au large. » Blanchet, effrayé, se réfugia
et Lucette se réveillèrent en sursaut. Ils
aux côtés de Jacques. Kiki, lui, préféra aller se
regardèrent dehors et, à leur grande horreur,
percher sur un arbre. Il y avait là beaucoup
aperçurent Henri qui semblait soutenir une
trop de chiens pour son goût!
lutte contre les loups.
La lune contempla cette nuit-là un bien
« Vite! cria Jacques. Ils attaquent Henri!»
curieux spectacle : quatre enfants, un chevreau,
Tous trois, sans souci du danger, se
un perroquet, un âne et dix chiens réunis !
précipitèrent au secours de leur ami. Lucette,
animée d'un courage admirable, ramassa un
bâton et le brandit en s'écriant :
« Tiens bon, Riquet! Tu n'es pas blessé, au
Mais pourquoi Ludovic avait-il eu si
moins ?
peur? Que faisaient les dix bergers allemands
- Ça va ! Ça va ! cria Henri en retour. Je ne
dans la montagne ? Vous pourrez lire le reste
risque rien. Ces animaux me font fête. Ce ne
de l'histoire dans l'ouvrage complet : Le
sont pas des loups mais des bergers allemands!
mystère de l'hélicoptère.
Des chiens, des braves chiens!
— Nom d'un... chien! » fut tout ce que
Denise, rassurée, trouva à dire tout bas.

41
— Si j'allais les occuper?
suggéra Mlle Anna. Cela me ferait plaisir. »
Les trois enfants regardèrent Mlle Anna,
perplexes. Elle leur paraissait bien vieille! Ils
ne croyaient pas qu'elle réussirait à les
intéresser.
Mlle Anna leur sourit. Que son sourire
était charmant! Bien sûr, il ajoutait des rides à
son visage et pourtant il le rendait plus jeune et
plus gai!
« Eh bien! Mademoiselle Anna, si cela ne
vous ennuyait pas trop, je vous serais
reconnaissante de les accompagner à leur salle
de jeux. Vous leur trouverez peut-être une
occupation, dit la maman.
— Eh bien, venez! » dit Mlle Anna; et
elle monta avec les enfants. « Maintenant, dit-

Le Moulin elle, qu'allons-nous faire? Je fais très bien


beaucoup de choses.
— Quelle espèce de choses?
A vent demanda Jean.
— N'importe quoi! Cela m'est égal! dit
Mlle Anna, à la surprise des enfants. Dites-moi
de Mademoiselle Anna ce que vous voulez avoir et je vous montrerai
à le faire...
— Non, faites-nous quelque chose,
dit Lucie qui était maladroite.
— C'est bien plus amusant de fabriquer
Un après-midi horrible, venteux, pluvieux. soi-même un objet, dit Mlle Anna. Allons,
Les trois enfants, maussades, regardaient par la vite! Dites-moi ce que vous aimeriez faire... »
fenêtre de la salle de jeux. Jean, debout près de la fenêtre, vit une
« Impossible d'aller jouer dehors », dit enfant qui descendait la rue en courant. Elle
Jean, âgé de douze ans. avait en main un moulin à vent en papier de
Jeanne, qui en avait dix, répliqua : « Nous couleurs vives, tenu par un bâton et qui
avons déjà fait une affreuse promenade. tournait au vent tandis qu'elle courait.
— Je voudrais bien m'amuser, dit Lucie, « Je sais ! cria-t-il. Fabriquons des moulins
qui avait huit ans. à vent! Lucie en serait ravie. Tu aimes ces
— A quoi nous amuser ? répondit Jeanne. moulins, n'est-ce pas, Lucie, qui tournent et
Ne nous demande pas de jouer au " jeu des tournent !
familles ", parce que nous n'en avons nulle — Oh! oui, dit Lucie.
envie. Ou à la " bataille ", ou à " la vieille Mademoiselle Anna, savez-vous en faire?
fille". Ce sont des jeux stupides, tout juste — C'est très facile, répondit Mlle Anna,
bons pour les bébés. Voyons, que nous faut-il ? Du bon papier
— Allons demander à maman de venir bien dur, des crayons de couleur, des
jouer avec nous, dit Jean. » Ils descendirent punaises et des bâtons.
trouver leur mère. Elle était fort occupée avec — J'irai chercher les bâtons, dit Jean. Je
Mlle Anna, leur ancienne gouvernante, sais où il y en a dans la cabane à outils. Je mets
qui venait parfois travailler à la maison. mes bottes et mon imperméable et j'y vais.
« Maman, venez jouer avec nous, dit — Et moi, je vais vous procurer du gros
Lucie.
— Oh! mes chéris, c'est impossible, dit la
maman.

42
papier. Il y en a beaucoup dans nos en faire une pointe, l'aplatir — comme
pupitres. Lucie, cherche des crayons de ceci, regardez ! C'est la première pointe de,
couleurs et des punaises, dit Jeanne. » notre moulin à vent. »
Tous les accessoires se trouvèrent bientôt II n'était pas facile de tirer la pointe, mais
sur la table. si vous regardez la figure 3 vous saurez
« Voyons, dit Mlle Anna, nous n'avons comment vous y prendre.
guère de temps avant le goûter. Aussi, « Maintenant, retournez vos papiers et
faites bien attention! » Elle donna une tirez une autre pointe de la même manière,
feuille de gros papier raide à chaque dit Mlle Anna. Il vous faut d'abord replier
enfant. les carrés de côté, bien sûr. C'est parfait!
« Elles ont la bonne dimension, dit-elle. Maintenant la troisième pointe et la
Environ trente centimètres de côté. Êtes- quatrième! Aplatissez bien toutes les
vous prêts ? Pliez vos papiers en seize pointes! »
carrés. Jean se tira fort bien d'affaire. Jeanne,
— Oh! Oh! Mais comment après la première pointe, déclara que c'était
cela? demanda Lucie. facile, mais Lucie s'embrouilla. Mlle Anna
— Quel bébé tu es! s'exclama dut l'aider. «Voilà comment on tire les
Jean. Comme ceci! Tu plies d'abord ton pointes, dît-elle. Et aplatissez-les.
papier en deux. Et tu le replies en deux. - Ma parole, voici un joli moulin à vent,
Compris? dit Jean. Et tout à fait simple à faire, aussi !
— Oui, dit Lucie, imitant Jean. » Jeanne Je suppose que nous n'avons plus qu'à les
agissait de même. colorier et à les attacher à nos bâtons avec
« Maintenant, plie-le en deux, et puis des punaises.
encore en deux, de l'autre côté, dit Jean. - Mais oui, ce sera tout, » dit Mlle Anna.
C'est bien. Ouvre maintenant ta feuille, et « Mettons nos manteaux et faisons le tour
tu as seize carrés (Voyez figure 1) Et du jardin en courant avec nos moulins,
ensuite, mademoiselle Anna? dit Jeanne, désirant se rendre compte si son
- Maintenant, un pli en diagonale, d'un moulin fonctionnait. Nous avons juste le
angle à l'autre, dit Mlle Anna. Et un autre temps. Mille fois merci, mademoiselle
encore, en partant des deux autres angles. Anna! »
C'est bien! Maintenant, ouvrez le papier! »
(Voyez figure 2.)
Ils ouvrirent leur papier et regardèrent
Mlle Anna. Que fallait-il faire maintenant?
« Repliez la rangée supérieure des carrés
», dit-elle. Ils lui obéirent. « Maintenant,
repliez la rangée droite des carrés. » Ils la
replièrent.
« Maintenant, il y a une petite difficulté!
dit Mlle Anna. Il vous faut tirer le carré
supérieur,

43
44
45
Un cas embarrassant
Cette histoire se passe en Angleterre. Fatty,
Larry, Daisy, Pip, Betsy et Foxy le chien, sont — Entendu! dit Daisy, refermant
les meilleurs amis du monde. Rien ne les son livre. Si nous allions aussi chercher
enchante autant que de résoudre des énigmes. Pip et Betsy?
M. Groddy, le policeman de la localité, les
- Nous passerons chez eux, dit Larry qui
déteste. Ces gamins sont toujours en train de
se mêler de ce qui ne les regarde pas ! Voici
s'en alla trouver sa mère. Maman,
une de leurs aventures qui vous offrira la clef nous allons nous promener, mais nous
d'un mystère ! serons de retour à l'heure du déjeuner! »
Ils se rendirent chez Pip, occupé avec
Betsy à nettoyer la cabane aux outils.
« Allons chez Fatty! dit Larry à Daisy. « Nous allons chez Fatty, dit Larry. Nous
Peut-être viendra-t-il en promenade avec nous ennuyons à mourir! Il nous amusera
nous. Il fait bien trop beau pour rester toute sans doute, car, avec lui, il se passe
la journée à la maison! toujours des choses drôles!
— Nous vous suivons, dit Betsy. J'en ai
par-dessus la tête de nettoyer cette
sale vieille cabane! Maman nous a dit
de la ranger, mais nous finirons notre
travail au retour. Ne suis-je pas trop
malpropre pour sortir ?
- Oh si! » dit Daisy, l'époussetant d'une
main vigoureuse. La poussière s'envola en
d'épais nuages. « Là, c'est mieux! Tu as
une marque noire sur la joue. Pas de
mouchoir ? Tiens, sers-toi du mien. »
Ils partirent tous quatre et se rendirent
chez Fatty. Ils sifflèrent sans succès.
« II doit être dans la remise », dit Larry.
Ils se dirigèrent vers le fond du jardin où
l'atelier de Fatty était dissimulé par des
arbustes et des arbres. Foxy, le chien, était
avec son maître. Il aboya joyeusement en
entendant les pas des visiteurs :
« Ouah! ouah! ouah!»
Fatty, tout souriant, ouvrit la
porte.
« Hé! bonjour! Je pensais bien que c'était
vous! Foxy était fou de joie. Que se passe-
t-il? Rien de sensationnel ?
Fatty, tout souriant, ouvrit la porte : — Rien du tout, Fatty, dit Larry. Nos
« Hé ! bonjour! Je pensais bien que
c'était vous ! »

46
vacances sont ennuyeuses. Il fait si M. Groddy prévient-il tout le monde
beau! Si nous allions faire un tour? Foxy que les chiens ne doivent pas divaguer.
pourrait venir avec nous. Il a besoin d'une - Foxy a bien trop peur des moutons
cure d'amaigrissement. pour leur chercher chicane! dit Fatty. Il a
- Ouah! aboya Foxy, toujours prêt essayé une seule fois et ce sont les
à aller se promener. moutons qui l'ont pourchassé ! Je n'ai
- Alors, partons tout de suite! dit Fatty, jamais vu Foxy courir aussi vite! »
fermant à clef la porte de son atelier. Je Ils descendirent la route, Foxy galopant
m'ennuie aussi. Il ne s'est rien passé devant, agitant la queue. Une énorme
de passionnant pendant ces vacances, et silhouette vêtue de bleu sombre apparut au
elles se terminent dans huit jours. Je n'ai tournant, montée sur une bicyclette et
même pas vu notre ennemi intime. actionnant le timbre avec vigueur. Foxy
- Qui? Oh! le gros aboya joyeusement et se jeta sur la roue de
policeman, M. Groddy ! dit Betsy. Il est devant.
très occupé, à ce qu'il paraît. Il fait la «Attends un peu, toi!» grommela une
tournée des propriétaires de chiens. voix bien connue, et un gros soulier fut
— Des chiens? En quoi nos lancé vers Foxy. La bicyclette zigzagua.
chiens le concernent-ils ? dit Fatty, Fatty rappela son chien :
surpris. Tu entends, Foxy? Méfie-toi! « Ici, Foxy! ici! Pardon, monsieur
— Eh bien, les fermiers se plaignent Groddy. Vous avez pris le tournant à une
de ce que les chiens pourchassent les telle vitesse que vous avez épouvanté mon
moutons et effraient les agneaux, dit vieux Foxy.
Betsy. Aussi — Encore un de ces maudits chiens!
dit

47
le gros policeman en sautant à bas de son sont absents, et la maison est fermée! — Oh!
vélo. Je venais justement vous avertir qu'il c'était une voiture de livraison, sans doute. Et
fallait enfermer votre chien. Les fermiers sont personne n'a répondu, dit Pip. Filons en
mécontents. Les chiens harcèlent leurs vitesse, ou M. Groddy nous rattrapera! »
moutons. Je vous préviens que si je vois un
chien errant, j'aurai quelques mots à dire à son
propriétaire ! II. VIENS ICI, MINET !
— Foxy n'est pas un chien errant. Il nous
accompagne, répliqua Fatty. De toute façon, il
ne sort jamais seul. Les cinq enfants se réfugièrent dans un petit
— Alors, tenez-le en laisse ! chemin et attendirent que M. Groddy, le visage
ordonna M. Groddy. violacé, les eût dépassés.
— Je n'en ai pas sur moi! » dit Fatty, « Dieu merci! il est parti, dit Betsy, qui
rejoignant ses camarades. Foxy gronda et craignait le gros policeman à la voix
M. Groddy remonta précipitamment sur sa tonitruante. Descendons ce sentier et nous ne
bicyclette, décochant un coup de pied au petit le reverrons plus.
chien. C'en fut trop pour Foxy. Il
s'attaqua aux chevilles du policeman avec
entrain. Le gros homme, descendant la rue tout
en lançant des coups de pied en direction de
Foxy ne vit pas une camionnette qui
franchissait la grille d'une propriété.
« Attention à la camionnette ! » cria Fatty.
La voiture freina brusquement, et Groddy,
effrayé, tomba de sa bicyclette. Foxy,
enchanté, sauta sur lui, et Fatty dut le' rattraper
par son collier. La camionnette contourna M.
Groddy et fila à toute vitesse. Le policeman
était trop furieux contre Foxy pour se soucier
du véhicule.
Betsy prit Foxy dans ses bras et se sauva en
courant. Si le policeman allait se saisir du
chien et le mettre à la fourrière! Les autres
enfants remirent M. Groddy sur pied, et Fatty
l'épousseta.
« Cette camionnette a failli vous renverser,
dit-il. Sortir ainsi d'un portail à toute allure! Et
sans corner! Vous auriez pu être tué, monsieur
Groddy! Avez-vous vu le numéro de la
Ils traversèrent la rivière et débarquèrent.
voiture?
— Non, grommela le policeman en
remettant son casque. Où est passé ce chien?
— Très bien, dit Fatty. Nous irons jusqu'à la
Je... je... »
rivière et nous flânerons au bord de l'eau. »
Mais les enfants avaient filé et laissé M.
Ils s'en furent donc jusqu'à la rivière et
Groddy remonter sur son vélo, marmottant des
longèrent la berge. L'eau bleue clapotait; la
imprécations. Le coin tourné, Fatty songea tout
matinée était ensoleillée. Foxy courut
à coup qu'il s'était passé quelque chose
joyeusement jusqu'au hangar aux canots pour
d'étrange. Il s'arrêta net.
voir son ami Tom, le batelier.
« Dites donc, d'où sortait cette camionnette?
« Hé! bonjour, Foxy! dit Tom. Où est ton
Les propriétaires de la maison
maître ? Ah ! vous voici, monsieur Frédéric.

48
Voulez-vous une barque ce matin? voir si le chat est encore dans, l'arbre?
— Eh bien! ce serait une bonne idée. proposa-t-elle à Fatty. Il est encore tout petit.
Traversons la rivière et allons dans le bois, dit Peut-être ne saura-t-il pas redescendre tout seul
Fatty. Je parie qu'il y a des milliers de coucous ou se fera-t-il du mal en tombant. — Mais oui,
par ce beau jour de printemps. Betsy, nous repasserons, assura Fatty en
— Vous pouvez prendre la Belle souriant.
Impertinente », dit Tom.
Les cinq enfants montèrent dans la barque
avec Foxy qui courut à l'avant et s'y dressa,
telle une figure de proue. Il adorait le canotage.
Ils traversèrent la rivière et débarquèrent.
Ayant amarré leur bateau, ils se dirigèrent vers
la colline boisée, et passèrent devant une
grande maison inhabitée, la villa Bellevue.
Une pancarte était accrochée à un des piliers
du portail ouvert : "A vendre ".
« Voyez donc toutes les jonquilles dans le
jardin! s'exclama Daisy. Quel spectacle!
— Entrons les regarder, dit Betsy. Ma
parole, si cette propriété était plus près de la
ville, les gens ne manqueraient pas de
cueillir ces jonquilles, sachant que la maison
est inhabitée et à vendre! »
Mais personne n'avait touché aux centaines
de fleurs jaunes. Les enfants les admirèrent.
Foxy ne pouvait comprendre pourquoi ils
restaient là, immobiles, à regarder des fleurs
sans intérêt! Il courut explorer seul le domaine,
dérangeant un chat endormi au soleil sur
l'appui d'une fenêtre. A la vue de Foxy,
aboyant sous la fenêtre, l'animal épouvanté
poussa de longs miaulements. Le chat fut sur l'arbre en un rien de temps.
Foxy bondit; le chat sauta par-dessus lui et
se réfugia dans un chêne. Le chien aboyait
furieusement au pied de l'arbre, enfonçant ses Foxy est un imbécile. Il sait qu'il ne peut
griffes dans le tronc. jamais attraper ni chats, ni lapins, mais il ne
Les cinq enfants accoururent. cesse de les poursuivre ! Viens ! Allons
« Foxy! Tu sais qu'on t'a défendu de chercher des primevères dans les bois! »
pourchasser les chats! s'écria Betsy. II y en avait des millions sur la colline, et les
— Oh! regarde, Fatty, le pauvre minet a cinq amis en cueillirent d'énormes bouquets
grimpé jusqu'en haut de l'arbre! pour la maison. Puis ils retournèrent vers la
- Eh bien ! espérons qu'il saura en rivière.
redescendre, dit Fatty. Allons-nous-en! Il « N'oublie pas que nous devons aller voir si
quittera son perchoir après notre départ. » le chat est encore dans l'arbre », dit Betsy.
Ils partirent, jetant un dernier coup d'œil aux Fatty acquiesça d'un signe de tête. Ils
centaines de jonquilles qui bordaient l'allée. franchirent de nouveau le portail de la grande
Betsy se retourna, espérant que le chat était maison vide, longèrent l'allée des jonquilles, et
redescendu, mais elle ne l'aperçut pas. allèrent jusqu'à l'arbre où avait grimpé le chat.
« Si nous passions par ici au retour, pour

49
« Pas le moindre signe de chat, dit Fatty. Il a
dû redescendre, Betsy. Allons! Il est temps de
rentrer. »
Mais au moment où ils repartaient, un son
parvint à leurs oreilles : « Mi..a..ou...
Mi..a..ou.. !

Larry, habitué aux escalades, n'éprouvait


nulle crainte.

- Le chat! dit Daisy. Où est-il? C'était un


miaulement de terreur, j'en suis sûre. »
Ils levèrent les yeux vers l'arbre, et, soudain,
Pip aperçut le minet.
« Regardez! le voilà! Sur le toit de la
maison, près de cette cheminée! cria-t-il. Vous
voyez la branche qui touche le toit? Il doit
l'avoir longée et sauté de là sur le toit. Il a peur
et n'ose plus redescendre.
— Je ferais mieux de monter et de le
prendre», dit Fatty déjà prêt à grimper.

50
Mais Larry sauta sur une basse branche et
bondit dans l'arbre avant lui. Il était excellent
grimpeur et fut bientôt tout en haut. Il appela le
chat d'une voix caressante :
« Minet! Viens, minet! Viens vers moi, et je
te descendrai! Minet! Minet!
— Mi... a... ou! » fit le chat sans bouger. Il
était perché sur le toit, près d'une lucarne, et
semblait décidé à y demeurer toute la journée.
Larry glissa le long de la branche jusqu'au
toit, et Betsy retint son souffle en le voyant
prendre pied sur les tuiles.
« Attention, Larry! » cria Fatty, inquiet.
Mais Larry, habitué aux escalades,
n'éprouvait nulle crainte. Il se trouvait
maintenant sur le toit, et s'approchait lentement
du chat : « Minet! dit-il. Allons, viens ! » II
était près de la lucarne, à moins d'un mètre du
chat. Il étendit le bras, et le minet effrayé sauta
du toit sur la branche, de là sur un mur et
disparut.
Mais Larry, au lieu de redescendre, s'assit
près de la lucarne et jeta un coup d'œil surpris
dans la mansarde.
« Qu'y a-t-il, Larry ? Descends ! cria Fatty,
impatient. Allons! courage! »

III. DES TAPIS !

« C'est bon! Je viens! répondit Larry. Quel


farceur, ce chat! M'obliger à grimper jusqu'ici
pour des prunes! »
Se laissant glisser du toit, il descendit de
branche en branche à toute vitesse. Daisy et « Des tapis! s'exclama Fatty, stupéfait. Que
veux-tu dire ? »
Betsy furent bien soulagées de le voir sain et
sauf à leurs côtés.
« Que j'ai eu peur pour toi! dit Betsy.
— Je suppose que les propriétaires les ont
Comme tu paraissais loin sur ce toit !
fourrés là en attendant de vendre la maison, dit
— J'ai vu quelque chose de bien étrange en
Daisy. Ils épargneront ainsi les frais d'un
regardant par la lucarne, dit Larry. La
garde-meubles. Cela coûte beaucoup d'argent
mansarde était pleine de tapis roulés ! Croyez-
"de mettre des objets de valeur dans un garde-
vous que les anciens propriétaires les aient
meubles.
oubliés ?
- Eh bien! s'ils ne vendent pas bientôt leur
— Des tapis ! s'exclama Fatty, stupéfait.
maison, les mites mangeront certainement
Que veux-tu dire? N'y avait-il pas aussi de
leurs tapis, dit Larry. Fatty, si nous parlions de
vieux meubles, des caisses, l'espèce de fouillis
ces tapis au gérant de l'Agence immobilière?
qu'on trouve dans tous les greniers ?
Peut-être ont-ils été oubliés? Ce serait bien
— Non, rien que des tapis. Et splendides !
dommage que les mites s'y mettent !
De ceux qu'on appelle persans. Bonne-
— Entendu. Nous irons chez le gérant cet
maman en a un dans son vestibule, et elle dit
après-midi. Nous n'avons pas le temps
qu'il a une grande valeur.
maintenant.

51
Hâtons-nous, où nous serons en retard. - A propos, demanda Fatty, n'aurais-tu pas
C'est ta faute, Foxy! Poursuivre ainsi un chat! un vieux bout de tapis pour mon atelier,
— Ouah! ouah! » aboya Foxy sur un ton maman? »
lamentable. Son maître était-il fâché? Ils La maman oublia tout de suite l'intérêt
descendirent vite jusqu'à la rivière et la manifesté par son fils pour les tapis persans, et
traversèrent rapidement. Bientôt, ils couraient jusqu'à la fin du repas, elle parla longuement
tous vers la maison, oubliant l'incident des des carpettes usagées dont il pourrait disposer.
tapis. Mais Fatty, lui, y songeait. Fatty, surpris, n'avait jamais pensé qu'elle en
Il y pensait encore pendant le déjeuner, possédait tant!
assis en face de sa mère. Le déjeuner achevé, il se rappela qu'il
« A quoi réfléchis-tu si profondément ? devait passer avec ses camarades à l'Agence
demanda-t-elle enfin, lasse de son mutisme. immobilière pour avoir des renseignements sur
— A des tapis persans, répondit Fatty. la villa Bellevue. Sachant le nom des
— En voilà une idée! s'écria sa propriétaires, il pourrait leur écrire ou leur
mère stupéfaite. téléphoner, et résoudre le mystère des tapis.
— Ils ont une grande valeur, n'est-ce pas ? Mais était-ce un mystère?
s'enquit son fils. On ne devrait pas les laisser Il allait enfourcher son vélo lorsque Foxy
dans une maison vide, n'est-ce pas? se mit à aboyer rageusement. Quelqu'un
— Bien sûr que non ! dit sa maman, franchissait la grille à bicyclette. « C'est M.
encore plus étonnée. Personne n'ayant un grain Groddy! dit Fatty, étonné. Qu'est-ce qu'il veut
de bon sens n'agirait ainsi. Les mites les donc? Il ne vient pas se plaindre de l'attitude
abîmeraient sans tarder. A quels tapis songes- de Foxy ce matin, j'espère? »
tu? II s'en fut à la rencontre de M. Groddy,
— Oh! à ceux dont me parlait Larry, dit n'ayant nulle envie que sa maman entendît les
vivement Fatty, craignant que sa maman ne lui plaintes du gros policeman. Celui-ci sauta à
posât des questions gênantes. bas de son vélo et lança des imprécations à
— Seigneur! J'ignorais que Larry Foxy.
s'intéressât aux tapis persans! » dit-elle. « Va-t'en, sale bête! Tu verras ce qui se
passera si je te prends à courir après les
moutons! Ça sera ta fin! »
Fatty sentit la moutarde lui monter au nez.
Pourquoi M. Groddy criait-il toujours et se
montrait-il si désagréable?
Il siffla Foxy et le fit asseoir près de lui.
« Qu'y a-t-il encore, monsieur Groddy?
demanda-t-il sèchement. Ne criez pas tant, s'il
vous plaît. Maman se repose.
— J'ai bonne envie de vous envoyer la
note du teinturier, dit M. Groddy. Mon
uniforme est tout sali. Regardez ce qui est
arrivé quand votre cabot m'a fait tomber ce
matin! »
II montra une tache qui couvrait presque
toute sa manche.
« C'est la camionnette qui est la cause de
votre chute, dit le garçon. Ce n'est pas Foxy.
— Je veux justement vous poser une
question au sujet de cette camionnette, dit
Foxy se mit à aboyer rageusement; Groddy, toujours tempêtant. Avez-vous pu lire
quelqu'un franchissait la grille à bicyclette. le numéro?

52
- Non. Et vous? J'ai vu le nom du
propriétaire, cependant, sur le côté. Mais
pourquoi tant d'histoires? Voulez-vous
dresser procès-verbal au conducteur parce
qu'il a débouché trop vite sur la route?
— Ah! ah! Vous avez vu le nom du
propriétaire de la voiture, hein ? dit Groddy.
Dites-le-moi à l'instant!
- Répondez-moi d'abord, dit Fatty.
— Eh bien, parfaitement, je veux coffrer
ce conducteur, répliqua Groddy, important. Lui
et son complice, ils ont enfoncé la porte de la
maison, sachant les propriétaires absents, et ils
sont partis avec tous les tapis ! Et mieux
encore, c'est leur troisième vol!
Alors, dites-moi à qui appartient cette
camionnette-là? »
Le garçon se mit à rire.
« C'est celle du boulanger! Vous suivez
une mauvaise piste, monsieur Groddy ! Notre
boulanger ne volerait pas de tapis! Ah! il s'agit
de tapis! Eh bien! voilà une nouvelle des plus
intéressantes!»

« Ce chien-là ne vaut pas mieux que vous !


toujours prêt à entraver la loi!»
IV. DE FINS LIMIERS !

Mais il changea d'avis en entendant


Le gros policeman dévisagea Fatty. les paroles suivantes :
« Ce n'était pas la camionnette du « Si votre cabot ne m'avait pas attaqué ce
boulanger, dit-il incrédule. En tout cas, ce matin, j'aurais pu interpeller le conducteur de
n'était pas lui qui conduisait. Je l'aurais la camionnette, l'arrêter, reprendre les tapis,
reconnu. et...
— Alors, dit le garçon, c'est que le voleur — Allons donc! Vous ne saviez même pas
a pris sa camionnette. Je suppose qu'il que le voleur avait emprunté la camionnette.
emprunte un véhicule différent chaque fois — Je l'aurais deviné, sans votre cabot! Ce
qu'il dérobe des tapis chez les gens qu'il sait en chien-là ne vaut pas mieux que vous, toujours
voyage. prêt à entraver la loi!
— Il est allé chez Lady Burnet, hier, dit — Monsieur Groddy, si vous
Groddy. Deux domestiques s'y trouvaient; le l'aviez demandé gentiment, j'aurais pu vous
conducteur leur a dit qu'il venait chercher des donner quelques renseignements utiles, mais je
tapis à nettoyer, de la part du teinturier, et on n'en ferai rien. Je m'adresserai à
les lui a remis. Cette fois, il s'est servi de la l'inspecteur Jenkins. Je crois savoir où trouver
camionnette du teinturier. -Il l'avait prise juste le voleur. Au revoir, monsieur Groddy! »
devant la boutique, s'il vous plaît! Et on Là-dessus, Fatty lui tourna le dos et s'en
l'a retrouvée vide près de la rivière!» alla dans son atelier, suivi de Foxy. Le
Fatty réfléchit rapidement. Devait-il ou policeman, furieux, le regarda partir. « Je n'en
non dire à M. Groddy ce qu'il savait? Lui crois pas un mot! hurla-t-il, pas un traître mot!
parler des tapis aperçus dans le grenier de la Vous n'aviez même pas entendu parler des
villa Bellevue? Ce serait mieux peut-être... tapis! »

53
Le garçon ne lui répondit pas. Il se remiser les tapis volés, et de la barque pour
demandait s'il devait aller voir tout de suite son les transporter la nuit de l'autre côté de la
ami l'inspecteur. Non, peut-être pas. Il aurait rivière ?
l'air d'un imbécile si les tapis du grenier de - Tu dois avoir raison, Pip, dit Fatty. Si
Bellevue n'étaient pas des tapis volés. Le oui, nous devrions trouver des tapis dans la
mieux était de se rendre à l'Agence péniche, qui seraient transbordés cette nuit ! »
immobilière. Dix minutes plus tard, il filait à Ils pénétrèrent dans la crique, tentèrent de jeter
bicyclette chercher ses amis. un coup d'œil par les fenêtres de la péniche
« Daisy, viens donc avec moi. Nous appelée Balançoire, Les rideaux des fenêtres
demanderons un renseignement quelconque, et cachaient complètement l'intérieur. On ne
nous aurons l'adresse des propriétaires qui pouvait rien voir! Les portes étaient solidement
veulent vendre le domaine. » cadenassées.
Ils allèrent à l'agence. Fatty, après avoir
salué poliment la jeune employée assise
derrière un bureau, s'enquit de l'adresse des
propriétaires.
«Je regrette, dit-elle, mais il y a déjà des
acquéreurs pour Bellevue. Ils ont les clefs
depuis huit jours, et ils ont téléphoné
aujourd'hui, demandant à les garder jusqu'à
demain. Ils sont presque décidés à acheter la
propriété. Il est donc inutile que je vous donne
l'adresse des propriétaires.
— Merci », dit Fatty. Il sortit avec Daisy,
réfléchissant intensément. « II y a huit jours
qu'ils ont les clefs! Ils les gardent jusqu'à
demain! Ils vont donc déménager les tapis
cette nuit même! Quel toupet ils ont! Ils
volent des voitures, pénètrent dans les maisons
vides, s'emparent des tapis et les cachent là où
ils savent que personne n'ira les chercher, dans
une propriété à vendre dont ils ont les clefs!
— Comment y introduisent-ils les tapis?
demanda Daisy. Traversent-ils le pont en
voiture ou se servent-ils d'un bateau?
— Voilà la question! dit Fatty, méditatif.
Non, pas le pont! On y pourrait remarquer les
voitures volées. Ils traversent la rivière. Ils Ils tentèrent de jeter un coup d'œil par les
doivent avoir un bateau quelque part, dont ils fenêtres de la péniche.
se servent la nuit. Dis donc, si nous nous
promenions le long de la rivière? Nous « Rien à faire, dit Pip déçu. On ne voit
pourrions peut-être apercevoir leur bateau ? » rien!
Ils déclarèrent tous l'idée excellente, aussi — Attends! dit soudain Larry. Regarde!
longèrent-ils la berge, en compagnie de Foxy. Qu'est-ce que c'est que ça? Il montrait du doigt
Ils trouvèrent bientôt ce qu'ils cherchaient. la rambarde qui entourait le pont du bateau.
« Regardez! Une petite péniche! dit Pip, Tous regardèrent et Daisy poussa un petit cri.
montrant du doigt une petite crique bien — Des bouts de laine! Ils ont dû hisser les
abritée. Et une barque à côté ! Les voleurs ne tapis par-dessus la rambarde! L'un d'eux s'est
se serviraient-ils pas de la péniche pour y accroché à un clou et a laissé ces

54
brins de laine! C'est la preuve que nous ne — Nous ne voulons pas vous mystifier, dit
nous trompons pas! » Fatty de cette voix polie qui exaspérait l’agent.
Ils remontèrent sur la berge, très excités.
Pip montra du doigt un champ, derrière eux. «
Des traces de roues, dit-il. Voyez ! Ils ont dû
descendre ce sentier là-bas, passer par cette
barrière, et traverser le champ jusqu'à la
rivière! L'endroit est si désert qu'il n'y avait pas
une chance sur cent pour qu'on les aperçoive !
- Allons voir l'inspecteur tout de suite, dit
Fatty enchanté. Vite, à la maison ! Je lui
téléphonerai. Ma parole! Jamais nous n'aurons
résolu un mystère aussi vite! »

V. QUELLE SUCCESSION
D'AVENTURES !

Les cinq enfants nièrent à bicyclette


jusqu'à la ville. Fatty téléphona à la police
régionale, mais, hélas ! l'inspecteur était
absent.
« II ne reviendra que ce soir, lui répondit
le policeman de service. S'il s'agit d'une affaire
urgente, voyez M. Groddy. »
Cette suggestion n'enchanta point les
enfants. Ils tinrent conseil : « II n'y a pas de
temps à perdre, dit Fatty. Les voleurs
décamperont sans doute après ce dernier coup.
Rappelez-vous ! Ils ont dit qu'ils rendraient les
clefs demain. Ils emporteront leur butin cette
nuit à Bellevue, reprendront les tapis cachés
dans le grenier, les entasseront probablement
dans une voiture de déménagement — encore
une voiture " empruntée ", sûrement — et
personne n'en entendra plus parler!
— Mais nous ne pouvons pas les en
empêcher à nous tout seuls, dit gravement
Larry. Nous sommes bien obligés d'avertir M. « Mous jouerons cartes sur table », dit Fatty.
Groddy. »
Aussi, bien malgré eux, les cinq enfants se
rendirent au poste de police après le goûter, Nous jouerons cartes sur table. Oui, nous
Foxy courant à leur côté. M. Groddy se montra savons où se trouvent les tapis. Nous savons
extrêmement surpris de leur visite. qui les a volés. Et nous savons que si vous
« Que voulez-vous? dit-il rudement. Vous n'agissez pas ce soir même, vous arriverez sans
venez sans doute me raconter une histoire à doute trop tard!
dormir debout à propos de ces tapis volés ? - Je suis surpris que vous ne racontiez pas
Vous savez où ils se trouvent, peut-être ? Je tout ça à l'inspecteur, dit le policeman
vous préviens tout de suite que je ne me soupçonneux. Cela ne vous ressemble pas
laisserai pas raconter des balivernes ! Je sais
que vous avez beaucoup d'imagination !

55
de venir me trouver ! Je ne suis pas décidé à Fatty sourit et raccrocha. Mais si, il se
vous croire, mes petits amis ! mêlerait de l'affaire, et Larry, et Pip aussi!
— Très bien, dit Fatty, exaspéré. Voici Mais pas les filles! C'était aux garçons de
nos renseignements. Faites-en ce que vous en s'occuper de cette histoire-là et on verrait de
voudrez! Le dernier lot de tapis est caché dans quoi ils étaient capables.
la péniche Balançoire, en amont du
pont. Ils seront transbordés cette nuit et
emmenés de l'autre côté, sur la colline, dans
une propriété dénommée " Bellevue ". Il s'y
trouve déjà des douzaines de tapis volés,
probablement de grande valeur, entassés
dans une mansarde ! Il y a des chances qu'on
les emporte cette nuit, ou demain matin au plus
tard.
— Je n'en crois pas un mot! affirma
Groddy. Pas un traître mot! Personne ne
pourrait savoir tout ça! Vous voulez me
faire marcher, une fois de plus! Et je sais
quelque chose, moi, qui prouve que vous
vous trompez!
— Quoi donc? demanda Fatty, surpris.
— Personne n'habite la villa Bellevue,
dit Groddy triomphant. Vous avez choisi la
mauvaise maison, monsieur le malin! Elle est
vide. Et maintenant, débarrassez-moi le
plancher, vous autres ! Je ferai mon rapport à
l'inspecteur ce soir! Et il vous lavera la tête,
vous verrez! Allez, cirrrculez! »
Betsy parut épouvantée. Fatty se hâta de
faire sortir ses amis, craignant de se mettre en
colère s'il restait une seconde de plus. En tous A sa terreur, une main vigoureuse agrippa son
cas, il avait agi de son mieux. Il lui fallait bras.
maintenant attendre le soir pour téléphoner à
l'inspecteur. Pourvu que ce ne fût pas trop tard! Aussi vers huit heures, à la nuit tombante,
M. Groddy réussit à voir l'inspecteur avant les trois garçons traversèrent-ils la rivière et se
lui. Celui-ci écouta toute l'histoire, ébahi. « dirigèrent vers Bellevue.
Pourquoi Frédéric vous raconterait-il des Ah! qu'y avait-il donc dans l'allée, près de la
blagues? demanda-t-il. Il y a peut-être du vrai porte de service de la maison? Une petite
dans son histoire. Je vais lui téléphoner chez voiture de déménagement! Fatty poussa Larry
ses parents. » C'est ce qu'il fit. Il écouta Fatty et Pip dans un bosquet et souhaita que la police
avec le plus grand intérêt. arrivât à temps.
« M. Groddy n'a pas cru un mot de ce que A sa terreur, une main vigoureuse agrippa
nous lui disions, monsieur, dit le garçon. Mais son bras de derrière les buissons. Le garçon se
je suis sûr que nous avons raison! Pouvez-vous raidit, tout glacé. Les voleurs se cachaient
envoyer des agents à Bellevue avant qu'il ne donc là ? Une voix siffla à son oreille :
soit trop tard ? Je ne serais pas surpris si les «Je t'avais bien dit de ne pas t'en mêler! »
voleurs déménageaient cette nuit. Ouf! C'était l'inspecteur aux aguets avec six
- J'y enverrai mes hommes, ne t'inquiète de ses hommes ! Un large sourire épanouit le
pas, promit l'inspecteur. Mais ne te mêle pas visage de Fatty. Et maintenant, qui diable
de l'affaire, Frédéric! » descendait l'avenue, à grands pas lourds?

56
« C'est Groddy! chuchota Larry à son oreille. Pourquoi, pourquoi donc, n'avait-il pas
Il s'est dit qu'il ferait tout de même mieux de ajouté foi à ce que lui avait raconté ce gros
venir voir sur place... Hé! Fatty, que se passe-t- garçon? Mais aussi, quelle histoire étrange! «
il? » Je dois inspecter la maison et la fermer ensuite,
Bien des choses se passaient en même monsieur l'inspecteur, dit-il, et aviser les
temps. Trois hommes portant des ballots propriétaires. J'ai fort à faire! Ramenez plutôt
apparurent soudain à la porte de service, les enfants! »
éclairés par la lumière d'une lampe. Groddy les
interpella :
« Hé! là-bas! Qu'est-ce que vous faites?»
En un clin d'œil, les hommes lâchèrent leurs
ballots et sautèrent sur le policeman. Il tomba,
hurlant, et fut promptement jeté dans le
camion, et les tapis par-dessus. Fatty put
entendre ses cris étouffés et furieux. Il surprit
un petit rire derrière lui. L'inspecteur s'amusait
bien!
« Groddy a compris maintenant que vous lui
disiez la vérité, Frédéric, chuchota-t-il. Restez
tous dans vos buissons, surtout. Nous allons
nous occuper de ces gens-là. »
II lança un coup de sifflet strident qui fit
sursauter Fatty et ses camarades. Puis, tous
ensemble, inspecteur et agents se portèrent
rapidement vers les voleurs stupéfaits. Il y eut
des cris, des coups, mais tout se termina très
vite — beaucoup trop vite au goût des garçons!
En un rien de temps, les trois hommes furent
bouclés dans leur propre camion de
déménagement et emmenés au poste de police.
L'inspecteur tapota le dos de Fatty. Trois hommes apparurent soudain à la porte
de service.
« Beau petit travail, Frédéric, hein? dit-il. Je
te remercie! Un peu plus, et nous arrivions trop
tard! Puis-je vous reconduire chez vous? La Enchantés, Fatty, Larry et Pip revinrent chez
voiture de police est là tout près, sous les eux dans la grande voiture noire de la police. «
arbres, en bas de la route. Encore un mystère résolu, hein, Frédéric? dit
— Mais vous feriez peut-être mieux l'inspecteur.
d'emmener ce pauvre M. Groddy, dit — Oh! ce n'était pas un bien grand mystère,
généreusement Fatty. Il ne doit pas se sentir monsieur, dit Fatty, modeste. Disons tout
trop bien après avoir été fourré dans cette simplement un cas embarrassant! »
voiture sous les ballots de tapis! Il est assis sur
le talus, là-bas, tout gémissant!
— Il est plus vexé que souffrant, dit
l'inspecteur. S'il n'avait vraiment pas cru Vous trouverez
ce que vous lui avez dit, il n'avait qu'à ne pas une outre histoire de Fatty
venir ici ce soir! Allons, je ferais peut-être
mieux de l'emmener... Groddy! Relevez- LA GRANDE FRAYEUR
vous! Je vous ferai place dans ma voiture.
— Non, merci, monsieur l'inspecteur », DE M. GRODDY
dit Groddy, se relevant en chancelant.
(pages 177 à 181)

57
58
59
Francis, un grand ami des bêtes, possède La pompe à incendie n'était pas
quantité d'animaux dans son jardin. Mais son encore arrivée.
désir a toujours été de posséder un poney. « Les communs où le fruitier garde
Vous lirez ici comment ce jeune garçon réussit
à sauver la vie de l'un d'entre eux.
ses marchandises et le hangar à
bicyclettes de ses commis flambent! dit
un homme. Comment cet incendie s'est-il
Une nuit, en s'éveillant, Francis déclaré? Le fruitier a été emmené à
aperçut une étrange lumière dans le ciel. l'hôpital aujourd'hui et sa femme passe la
Il bondit hors de son lit et, regardant par nuit auprès de lui. Quel malheur !
la fenêtre, s'aperçut qu'il y avait un — Il n'y a donc personne dans la
violent incendie non loin de là. boutique et à l'appartement? questionna
« II faut que je m'habille, pensa-t-il. une femme. Eh bien, nous devons tâcher
Étant scout, je dois proposer mon aide. Je de les empêcher de brûler! C'est déjà
pourrai tout au moins, emplir des seaux bien assez triste que les réserves du vieux
d'eau avant l'arrivée des pompiers! » Miller flambent! Et lui qui est à
II fut bientôt dehors. Il n'avait réveillé l'hôpital!»
personne chez lui. Sa maman et sa grand- Un homme arriva, traînant un tuyau
mère s'alarmeraient et son papa ne d'arrosage. Francis courut l'aider. Des
pouvait être d'aucun secours. Rex gémit, gens faisaient la chaîne, se passant des
car il désirait accompagner son petit seaux d'eau. Le bouillonnement de l'eau
maître mais, pour une fois, Francis fit la sur les flammes était violent. Une
sourde oreille en passant près du chenil. horrible odeur de fumée se répandit et
L'incendie s'était déclaré derrière la Francis crut étouffer.
fruiterie. Une foule de gens allaient et Il s'éloigna en toussant. Ce fut alors
venaient, criant, s'efforçant d'être de qu'il entendit un son qui lui alla droit au
quelque secours. cœur.

60
Il caressa les naseaux veloutés, parla d'une
Un cheval hennissait, affolé. Un cheval! voix basse et douce, proférant des mots
Où se trouvait-il? Pas dans les hangars, dépourvus de sens, mais que le poney semblait
assurément ! comprendre et qui le rassuraient. Soudain, il
Francis courut vers les hommes qui appuya la tête sur l'épaule de l'enfant et l'y
formaient la chaîne. laissa. Francis fut profondément ému. Il lui
«J'ai entendu un cheval hennir! Y en a-t-il semblait que le petit cheval venait de lui dire :
un dans les parages? Vite! Dites-le-moi! - Oh! « C'est bien! Tu es mon ami. J'ai confiance en
ça pourrait être Éclair, le petit poney, répondit toi et je t'obéirai! »
un homme. Nous n'y pensions plus ! Je L'homme qui l'avait aidé à briser la porte
suppose que le vieux Miller le loge dans un s'en vint trouver Francis. « Eh bien, jeune
des appentis. Pauvre petite bête! » scout! dit-il. Tu as accompli une bien belle
Francis s'enfuit au galop, le cœur battant. action en sauvant ce petit animal terrifié!
Il entendit à nouveau un hennissement et Comment va-t-il maintenant?
courut dans cette direction. Le son semblait — Bien, je crois. Que va-t-il
parvenir du dernier hangar où les flammes devenir?
commençaient à en lécher le toit. - Qui sait? dit l'homme. Tous les hangars
Francis s'y rendit. Oui, le poney était à sont détruits! Même celui où logeait le poney.
l'intérieur. Il entendit un bruit affolé de sabots : Nous avons préservé la boutique et le
l'animal courait en rond dans le hangar, lançant logement pourtant. Pauvre vieux Miller, il n'a
de grands coups de pied contre les parois; il ne pas eu de chance!
cessait de hennir. - Non, quel malheur! Mais qu'allons-
Le garçon avait pris son bâton de scout. nous faire du poney, Monsieur? Si je m'en
S'apercevant que la porte était cadenassée, il vais, il se sauvera...
assena de grands coups contre la vieille porte - Où pourrait-on le mettre? demanda
de bois avec son bâton. Des éclats de bois l'homme, perplexe. Il faudrait l'enfermer
volèrent et Francis en arracha d'autres. Les pour la nuit. »
flammes s'approchaient et l'enfant haletait tout
en martelant la porte.
Un homme vint à son secours. Comme il
était grand et fort, il parvint bientôt à briser la
porte. Francis se faufila dans le hangar tandis
que l'homme agrandissait la brèche. Il eut vite
fait de trouver le poney, l'animal épouvanté se
jetant vers lui et manquant le renverser.
Francis le saisit fermement par la crinière.
Il parla d'une voix apaisante à la pauvre bête. «
Tout va bien... Tu es en sûreté avec moi!
Allons, viens! ».
Il parvint - - jamais il ne sut comment -à
faire sortir l'animal par la brèche. Il se
cramponnait à la crinière du petit cheval affolé
qui avait envie de foncer tout droit, mais était
retenu par la crainte de perdre son sauveteur.
Francis conduisit le poney loin du lieu de
l'incendie et l'obligea à s'arrêter. L'animal
tremblait; Francis ne pouvait bien le voir dans
l'obscurité. Il se rendait seulement
compte que la bête était petite, avec une Un homme vint l'aider à briser la porte.
longue et épaisse crinière.

61
Francis, tout à coup, eut une idée brillante. sur le poney. « Là! dit-il. Reste debout et
Les vieilles écuries des Vertes Prairies ! dors, ou bien couche-toi! A ta guise! Je ne
« Je sais ce qu'il faut faire, dit-il à l'homme. connais pas tes habitudes! »
J'habite les Vertes Prairies, cette vieille grande II referma la porte de l'écurie et rentra
maison, vous savez, tout près des nouveaux doucement chez lui. Personne ne s'était
pâtés de maisons de rapport. Nous y avons de réveillé! Francis se déshabillait quand il
vieilles écuries. Je pourrais installer le poney entendit un bruyant hennissement provenant
dans l'une d'elles, pour la nuit! des écuries éloignées.
— Excellente idée! dit l'homme. J'avertirai la Éclair n'aimait pas la solitude. Il se rappelait
police qui s'est informée du poney. Un agent les flammes, la confusion, la chaleur. Il se
viendra vous voir demain à son sujet. » sentait isolé et inquiet dans ces écuries. Il
A la faible lueur d'un croissant de lune, désirait la présence du garçon.
Francis emmena le petit poney aux Vertes « Voyons ! Je ne peux pas le laisser hennir
Prairies. Le cheval le suivit volontiers. Il toute la nuit. Il éveillera tout le monde, songea
aimait l'enfant et se fiait à lui. Ses petits sabots Francis. Je ferais mieux d'aller le rejoindre.
résonnaient le long de la route. Ils entrèrent par J'aurai besoin d'un tas de couvertures! »
la grille et s'avancèrent jusqu'aux écuries. II enfila sa culotte, deux chandails, sa longue
« Entre, Éclair! dit Francis. C'est bien! et épaisse robe de chambre, prit sa
Maintenant, tiens-toi tranquille pendant que je courtepointe et alla chercher deux couvertures
t'attache au poteau. Je ne peux pas te laisser dans le placard. Il n'aurait sûrement pas froid!
vagabonder, tu sais! Je vais te chercher de la Rex l'entendit se glisser le long du sentier et
paille. Veux-tu boire ? » aboya dans son chenil. Allons, bon! Il allait
Éclair ne demandait pas mieux! Il avait soif réveiller toute la famille! Francis s'en fut
et but à longs traits l'eau du seau. Le garçon se trouver le chien.
demandait ce qu'il pourrait lui donner à « Tais-toi, imbécile! C'est moi! Tu veux
manger. Il se souvint alors qu'il y avait des m'accompagner? C'est bon! Mais n'épouvante
pommes dans le grenier de l'écurie pas Éclair! »
- toutes ratatinées et peu appétissantes -car Ils s'en furent aux écuries. Éclair était étendu
c'était le mois d'avril. Pourtant, Éclair parut les sur la paille, tout éveillé. Il hennit en entendant
apprécier. Il en mâchonna quatre avec plaisir et Francis et le flaira.
remercia d'un " Hrrrumph " retentissant. Il Le garçon se fit un lit de paille auprès de lui,
n'avait pas faim, mais c'était là un régal y posa une couverture, et s'y enfonça. Il
inattendu en pleine nuit ! s'enveloppa de la courtepointe et étendit la
Il faisait froid dans les écuries dont les portes seconde couverture sur lui. Rex se coucha sur
restaient toujours ouvertes. Francis alla ses jambes, le réchauffant. Éclair s'installa de
chercher une vieille couverture et la posa l'autre côté, lui communiquant aussi sa
chaleur. En fait, Éclair avait si chaud que
Francis rejeta sa couverture!
Le poney était heureux et paisible. Son ami
était auprès de lui. Il était en sûreté. Il y avait
bien là aussi un chien, mais comme c'était le
compagnon du garçon, il ne protesta point!

Vous serez heureux de savoir que le petit


Eclair vécut dans le verger de Francis après
son aventure. Francis, son frère et sa sœur,
l'aimèrent et en eurent grand soin.
Le poney était heureux et paisible.

62
moucherons ne pourraient y pénétrer, car les
poils leur paraîtraient une forêt touffue!
- Quelle bonne idée, dirent les digitales ! Nous
allons en installer. Mais peut-être alors les bour-
dons ne pourront-ils trouver leur chemin jusqu'au
cœur de nos clochettes...
— Eh bien! ayez de grosses taches de vives
couleurs jusqu'au lieu où se trouve votre miel,
dirent les fées. Les bourdons les verront et les
suivront. Nous avertirons les bourdons.
- Merci! » dirent les digitales. Et elles se
hâtèrent de faire paillassons velus et sentiers aux
taches vives.
« Nous allons mesurer vos clochettes. Nous
verrons si elles sont assez grandes pour que le
corps d'un bourdon puisse y pénétrer », dit Fleur
des Pois, déroulant une mesure en ruban.
Elle mesura d'abord une clochette, puis un
bourdon gros et gras, de ses amis.
« II faudrait un tant soit peu élargir vos
clochettes », s'écria-t-elle, et les digitales
Des fées couraient et voletaient dans le bois approuvèrent d'un signe de tête.
autour des digitales. Les fleurs étaient beaucoup « Merci, dirent-elles. Maintenant notre miel
plus grandes, et les fées s'arrêtèrent pour les sera en sûreté! Les poils éloigneront les petits
regarder. insectes, les taches de couleur guideront les
« Voyez! dit Fleur des Pois, se penchant pour bourdons, et ils pourront pénétrer aisément au
ramasser une clochette de digitale qui gisait sur cœur des fleurs que nous allons élargir... Prenez
l'herbe. Ne serait-ce pas un joli doigt de gant? Si autant de clochettes tombées qu'il vous plaira,
nous en cousions cinq ensemble, nous aurions petites fées, et faites-en des gants pour mesdames
des gants délicieux pour nous autres, petites les fées! »
fées ! Oh ! mettons-nous à la besogne! Les digitales s'appellent aussi gants de bergère,
- Les digitales y trouveraient peut-être à vous le savez peut-être? Les fées, qui sont
redire, suggéra Perle. fantasques, ont-elles renoncé à porter cette sorte
- Eh bien! nous leur demanderons la de gants ? En ont-elles fait cadeau aux fillettes
permission », répliqua Point d'Alençon. Et, à qui gardaient leurs moutons dans ces parages ?
haute voix, elle s'adressa aux digitales Qu'importe! Allez tout de même regarder les
somnolentes. digitales au mois de juin.
« Digitales, dormez-vous? Écoutez! Pouvons-
nous prendre vos clochettes tombées à terre et en
faire des gants?
— Que nous donnerez-vous en retour?
demandèrent les fleurs.
— Qu'aimeriez-vous avoir? interrogea
Fleur des Pois.
— Eh bien! nous voudrions un conseil.
Comment pourrions-nous empêcher petits
insectes et moucherons de pénétrer dans nos
clochettes et de nous dérober notre miel? Nous
ne voulons d'autres visiteurs que les bourdons,
mais tant de petits insectes viennent voler le miel
que nous réservons aux bourdons...
— Nous allons réfléchir à ce problème »,
dirent les fées. Elles surent bientôt ce qu'il fallait
faire.
« Si vous aviez un petit paillasson de poils à
l'entrée de vos clochettes, dit Fleur des Pois, les

63
Afin de dissiper l'atmosphère lourde de la talents, il se mit à chanter d'une voix de
salle, des danseuses et des chanteuses firent fausset Au clair de la Lune. On eût dit qu'une
suite à la représentation du prestidigitateur. douzaine de matous miaulaient éperdument.
Puis Iris apparut de nouveau. Pendant que les spectateurs s'esclaffaient,
« Maintenant nous arrivons au dernier Iris continuait imperturbable :
numéro de notre spectacle. Probablement le « Vous pouvez faire n'importe quoi,
meilleur. Le concours réservé aux enfants. chanter, danser, réciter, jouer du piano, nous
Gomme d'habitude nous donnerons deux prix raconter des histoires drôles ou même essayer
de dix francs. Un à la fillette ayant • montré le de surpasser M. Miracle. Avancez! Avancez!
plus de qualités, l'autre au garçon le mieux Qui veut passer le premier? »
doué. » Deux petites filles et un garçon se
A ce moment-là, le clown se précipita sur présentèrent. Peu après deux nouvelles fillettes
scène. Il demanda lui aussi à prendre part au suivirent. Roger donna un coup de coude à
concours. Il se disait plus pauvre que les Toufou.
enfants de l'auditoire. Pour montrer ses «Eh bien, qu'attends-tu? »

64
Mais Toufou se sentait trop nerveux. Il trompette et des taches de rousseur. C'est le
répliqua brutalement à Roger : meilleur joueur de banjo de l'univers. »
« Je ne vais pas me rendre ridicule devant Dans la salle chacun se démanchait le cou
cette foule. Tais-toi donc! » pour essayer de voir Toufou. Celui-ci devint
Les concurrents se montrèrent très plus rouge que sa tignasse.
médiocres. Seule, une petite fille, qui dit « Allons, mon enfant, monte! lui cria le
s'appeler Geneviève, fit quelques pas de danse clown. Tu semblés plus timide qu'une fillette.
assez réussis. Viens nous jouer un air avec ton banjo. Le
« Personne d'autre ne veut essayer de- pianiste t'accompagnera.
gagner les dix francs? Voyons, aucun nouveau - Vas-y, Toufou, chuchota Roger. Il faut
garçon ne veut tenter sa chance? - Laissez-moi que tu t'exhibes, les autres garçons étaient
chanter, laissez-moi chanter, mademoiselle, épouvantablement mauvais. »
insista le clown. Je peux aussi siffler, si vous Assez embarrassé, Éric se leva et rejoignit
aimez mieux. Je n'ai jamais été plus en forme. le clown. Il se plaça en face de l'auditoire
» tandis que le clown lui avançait une chaise.
II arrondit ses lèvres mais aucun son n'en « C'est pour y mettre ton pied, lui dit-il.
sortit. Alors prenant un sifflet à roulette dans Avec un instrument aussi pesant tu dois avoir
sa poche, il se mit à souffler avec tant de force besoin d'un point d'appui. Que vas-tu nous
que Mlle Iris sursauta. Une nouvelle fois, les jouer? »
spectateurs éclatèrent de rire. Toufou, soudain, entra dans la peau de son
personnage. Il se mit à rire :
« Eh bien, commençons par Sur le pont
d'Avignon. Je vais accorder mon banjo », dit-il
en pinçant les cordes imaginaires, puis,
s'adressant au pianiste : « Prêt? En sourdine,
s'il vous plaît! »
Et alors, tandis que de sa bouche sortaient
des sons qui ressemblaient étrangement à ceux
d'un banjo, ses mains s'activaient comme si
elles jouaient sur un instrument réel. Le plus
étonnant, c'est qu'il tenait parfaitement la
mesure et qu'il formait avec le pianiste un duo
extraordinaire.
L'accord final plaqué, Éric enleva son pied
de la chaise et s'inclina profondément devant le
public. Un public enthousiaste, qui lui fit un
accueil presque plus chaleureux qu'à M.
Miracle.
« Ne vas-tu pas nous jouer encore un
morceau ? demanda le clown. Tu n'as rien
d'autre?
Solennel, Toufou tendit les cordes de son - Mais si, il se trouve justement que j'ai
banjo. apporté aussi ma cithare », dit Toufou
solennellement. Il déposa à terre son banjo
imaginaire pour saisir une non moins
« Un garçon encore, un garçon, et nous imaginaire cithare. « Pour cet instrument, je
décernerons le prix », répéta Mlle Iris. dois m'asseoir. »
Le clown vint se placer à côté d'elle. Il Et de nouveau ce fut un numéro d'une
regarda fixement Toufou avant de pointer son exceptionnelle qualité que tout le monde
doigt sur lui : écouta avec ravissement.
« Regardez, Iris. Vous avez là la huitième
merveille du monde. Vous le voyez? Ce
garçon aux cheveux roux, avec le nez en

65
Mlle Dupoivre n'en croyait pas ses oreilles.
Elle n'arrivait pas à comprendre comment cet
hurluberlu de Toufou pouvait tenir en haleine
toute une salle. Quant à Roger et Nelly, ils se
sentaient très fiers d'avoir un cousin aussi
brillant.
Dès que les applaudissements et les bravos
se turent, le clown s'avança sur la scène.
« Maintenant, mesdames et messieurs, nous
allons proclamer les vainqueurs de ce tournoi.
Le prix pour les fillettes a été décerné à la
petite Geneviève qui a si bien dansé. »
Cette annonce fut accueillie avec réserve par
le public.
« Pour les garçons, le prix va naturellement à
notre jeune maestro... »
Le reste se perdit dans un tonnerre
d'acclamations. Plus rouge que jamais, Éric
empocha les dix francs avec satisfaction.
Quelle soirée! Jamais il n'aurait cru que sa
manie de contrefaire le son de quelques
instruments de musique lui vaudrait, un jour,
un succès pareil. Et dire qu'à la maison il se
faisait traiter d'idiot à cause de cela! Il prit
donc le chemin de l'hôtel dans un état de
grande surexcitation.
« Ne te monte pas trop le coup tout de
même, lui dit Roger, craignant que son cousin
ne devînt désormais insupportable. Il ne te faut Toufou retourna chez lui, tout étourdi par
pas oublier que tu ne sais réellement jouer ni son triomphe. Il se prenait pour un vrai
du banjo ni de la cithare. Et qu'au piano tu musicien.
tapes d'un seul doigt. Tu n'es donc pas un vrai
musicien.
- J'espère que, maintenant, tu ne te mettras Et le tambour? Il était sûr qu'il pourrait
pas à faire tes singeries à tout bout de champ. imiter son superbe boum-boum. Il commença à
Les pensionnaires n'apprécieraient guère ces s'exercer tout bas, mais soudain, il ne put y
exhibitions », ajouta Nelly. résister : il lança un boum sonore.
Mais Toufou ne prêta aucune attention à ces Et alors quelque chose d'effrayant arriva. En
remarques malveillantes. réponse au boum de Toufou, un autre boum
Une fois dans sa chambre, Toufou ne retentit. Un peu sourd mais terrifiant celui-là.
parvenait pas à s'endormir. Tandis que Roger Toufou s'assit sur son lit, le cœur battant.
ronflait paisiblement, lui se tournait et se « Une bombe, pensa-L-il. Impossible. Que je
retournait dans son lit, la tête pleine de projets suis bête! Sans doute des expériences à la base
merveilleux. Il se promettait de s'exercer à sous-marine comme l'autre jour. » II réfléchit
jouer quantité d'instruments imaginaires. Il se un instant et se dit qu'au milieu de la nuit on ne
voyait sur de vastes scènes... à la radio... non, s'amuserait tout de même pas à provoquer des
la télévision vaudrait mieux, ainsi les gens explosions pareilles au risque de réveiller le
pourraient constater qu'il n'avait en réalité ni village entier.
banjo ni cithare en main. Pourtant le bruit ne semblait pas avoir

66
inquiété Roger. Il continuait à dormir à vague odeur de tabac flottait dans l'air. Ce
poings fermés. Nelly non plus ne paraissait pas n'était pas croyable. Qui donc pouvait fumer
remuer dans sa chambre. dans les parages à cette heure insolite?
En revanche, la déflagration avait Personne assurément. Et pourtant... et
également alerté Mlle Dupoivre. Mais, comme pourtant... En reniflant, le gamin allongea le
le bruit ne se renouvela pas, rassurée, elle se cou. Un point incandescent brillait à peu près à
rendormit. la place où s'ouvrait la trappe. Une cigarette
Eric, lui, ne parvenait pas à trouver le allumée... C'est donc que quelqu'un avait aussi
sommeil. Il avait beau s'enfoncer dans les entendu la déflagration et était venu voir!
draps, l'instant d'après, il recommençait à- Éric allait héler l'inconnu pour signaler sa
gigoter. Soudain, une idée traversa son esprit. présence. Il se retint à temps. Si jamais Mlle
Pourquoi ne pas grimper sur le toit par le petit Dupoivre apprenait son escapade, elle serait
escalier? De là-haut, il pourrait probablement furieuse et capable de le priver de dessert
apercevoir ce qui se passait dans la baie pendant toute la durée des vacances.
interdite. Il se glissa hors du lit et ouvrit la Mais qui pouvait bien être cet observateur
porte avec précaution. Le palier était plongé nocturne ? Toufou avait beau écarquiller les
dans les ténèbres. Personne. Aucun bruit. Le yeux, impossible de l'identifier! Il devinait
couloir avait l'air désert. Contrairement à ce vaguement une tête qui brusquement disparut.
qui aurait dû se produire, la déflagration Le gamin, consterné, entendit le bruit mou que
n'avait point dérangé la maisonnée. faisait l'abattant en se refermant. Juste Ciel! Le
Les bras étendus devant lui, Toufou pauvre gosse se voyait déjà condamné à passer
avançait à tâtons, comme un aveugle. Il finit le reste de la nuit sur ce toit inhospitalier. Et si
par sentir sous sa main les marches du petit d'aventure il lui arrivait de s'y assoupir, il ne
escalier qu'il se mit à gravir avec précaution. manquerait pas de rouler jusqu'en bas et de se
Arrivé en haut, il fit glisser le panneau de la rompre les os. Rien que d'y penser, son sang se
trappe et sortit la tête. glaçait.
Mon Dieu! Là-bas, au milieu de la baie, En hâte, Toufou se mit à ramper vers la
quelque chose était en train de brûler. Des trappe. Il l'avait presque atteinte lorsqu'une
projecteurs promenaient ça et là leurs pinceaux fenêtre s'éclaira de l'autre côté d'une courette.
lumineux. Quelque affreux accident était sans Éric s'arrêta net. Qui venait d'allumer ?
doute arrivé. Pour mieux voir, le gamin grimpa Probablement le mystérieux fumeur de tout à
sur le toit. A quatre pattes, il se hissa sur le l'heure qui avait sans doute regagné sa
faîte, tout contre une cheminée encore chaude. chambre. La curiosité de Toufou fut plus
Agréable surprise, car de la mer soufflait une grande que son angoisse. Il décida de
brise glaciale. Toufou était bien content de découvrir l'identité de cet individu. Il alla en
pouvoir se réchauffer un peu. Il grelottait dans rampant se mettre face au rectangle lumineux
son pyjama. placé un peu en contrebas. En dépit des
A son grand désappointement, il ne voyait rideaux à moitié tirés, il lui fut ainsi possible
toutefois pas beaucoup mieux de là-haut. Il ne d'apercevoir une partie de la pièce.
pouvait que se livrer à des suppositions sur les « Sapristi! mais c'est le professeur! faillit-il
causes du sinistre. Un sous-marin avait peut- s'écrier. J'ai bien fait de ne pas me signaler à
être sauté... Bien qu'assez effrayé de se trouver son attention. Il n'aurait rien eu de plus pressé
seul en cet endroit en pleine nuit, Toufou que de me moucharder auprès de -Mlle
décida de prolonger sa veille. Qui sait si une Dupoivre. »
autre explosion n'allait pas se produire? Il se Après cette constatation, il fallait s'assurer
pelotonna de son mieux pour donner le moins une voie de retraite. Toujours à quatre pattes, il
de prise possible au froid qui le transperçait. revint sur ses pas en murmurant : « S'ouvrira,
Soudain, ses narines palpitèrent. Une s'ouvrira pas... » II en transpirait d'effroi.
D'une main tremblante, il

67
essaya de soulever ce maudit panneau. Là!
avec un énorme soupir de soulagement, le Toufou estima donc préférable dé
gamin le sentit bouger sous ses doigts. Il eut retourner se coucher. Les émotions qu'il venait
tôt fait de le repousser complètement pour se d'éprouver l'avaient brisé.
glisser à l'intérieur. Après l'avoir refermé Le lendemain matin tout l'hôtel était
soigneusement, il regagna sa chambre bouleversé. Les journaux annonçaient avec de
silencieusement. Roger dormait toujours. gros titres :
Mais juste au moment où il fermait sa
porte, Toufou aperçut un rai de lumière sous Une terrible explosion dans la Baie du
celle de M. Miracle. Mystère. S'agirait-il d'un sabotage ? Nos
secrets militaires sont-ils bien gardés ? Les
habitants des villages environnants ont failli
être projetés hors de leurs, lits.

« Quelles balivernes! dit Toufou. C'est à


peine si mon sommier a tremblé légèrement. Et
toi, tu ne t'es même pas réveillé! Moi, en
revanche...
— Ah! tu as entendu? l'interrompit
avidement Roger. Raconte un peu... Comment
ça a fait, en réalité?
- Eh bien, le bruit a été terrible,
épouvantable, répondit promptement
Toufou, pour ça, les journaux disent la vérité.
Oh! bien sûr, pas au point d'arracher les gens à
leurs draps! Tu t'en serais aperçu toi aussi si tu
t'étais retrouvé sur le plancher. Mais tout de
même...
— Alors, qu'as-tu fait?
- Je me suis levé et j'ai grimpé sur le toit. Il
y avait un feu d'enfer dans la baie. Et des tas
de projecteurs qui éclairaient comme en plein
jour...
- Chut! Pas si fort! Mlle Dupoivre va
t'entendre. Elle serait furieuse d'apprendre que
tu te promènes la nuit sur les toits.
- Bah! Elle ne fait pas attention à nous, et
puis elle est trop loin. »
Le vieux professeur, lui, en revanche, se
trouvait à proximité. Mais puisqu'il était
Il monta l'escalier prudemment. sourd... M. Miracle et le clown étaient aussi
dans le voisinage. A la rigueur ces derniers
Encore un qui avait entendu l'explosion auraient pu saisir quelques bribes de la
probablement! Le garçon hésita un instant. conversation. Mais il était peu probable qu'ils
Malgré ses griefs, il aurait bien voulu faire un connussent l'existence de l'escalier dérobé.
brin de causette avec cet homme intéressant. « Pendant que j'étais là-haut, un autre est
Réflexion faite, il jugea plus prudent de s'en monté aussi. Le vieux professeur, à ce qu'il m'a
abstenir. M. Miracle était un être trop étrange, semblé. C'est drôle, quand on y pense, que ce
trop sinistre même, pour qu'on se hasardât sourd ait entendu l'explosion et toi pas du tout.
ainsi seul dans son antre au milieu de la nuit. - C'est la vibration de l'air qui l'aura sans
Dieu sait à quel angoissant tour de passe-passe doute réveillé », dit Nelly. Elle posa son
il serait capable de se livrer...

doigt sur le journal. « Quel désastre ! Un anéanti. Le spectacle devait être


de nos plus modernes sous-marins a été

68
impressionnant. Pourquoi ne m'as-tu pas « Quelle triste journée, dit Toufou.
appelée, Toufou ? Qu'allons-nous faire? Si je vous offrais une
- Il ne faisait pas bon sur le toit. Tu aurais séance de banjo?
eu peur, riposta son cousin. Il s'agit d'un - Ah non! Ça suffit! Tu nous casses les
sabotage, vous ne croyez pas? ajouta-t-il. oreilles avec tes éternelles rengaines, grogna
- Probablement, dit Nelly. J'aurais tout de Roger. N'est-ce pas, Nelly? »
même cru cette base mieux gardée. Nelly ne voulait pas vexer son cousin Éric
- Après tout, c'est peut-être un accident, après le brillant succès de celui-ci en public,
remarqua Roger. On ne réalise pas mais, au fond, elle trouvait aussi qu'on pourrait
d'expériences sans casse. Pensez à celles qu'on chercher une autre distraction.
fait souvent à l'école. Il y en a qui ratent. « Bon, bon. Alors montons sur le toit voir
- Oui, mais la plupart du temps c'est si ce pauvre sous-marin brûle toujours,
voulu. Tandis que dans ce cas... » Toufou, proposa Toufou.
pensif, ne termina pas sa phrase. « J'aimerais - Une bonne idée! » s'écrièrent les deux
mieux croire à un accident, reprit-il après autres.
un silence. Il est plutôt sinistre de penser Ils se précipitèrent tous ensemble sur le
que nous sommes entourés d'horribles palier conduisant à l'escalier dérobé. Toufou
malfaiteurs. tourna la poignée de la porte. Celle-ci résista. «
— Est-ce que, par hasard, tu aurais peur Qu'est-ce qui se passe? Elle doit être soudée! »
d'être encore mêlé à une autre aventure dit-il en tirant de toutes ses forces. Il fit tant et
mystérieuse? demanda Roger d'un air assez si bien que le bec-de-cane lui resta dans la
sardonique. main. Déséquilibré, le gamin tomba à la
- Peur, moi! Jamais de la vie! J'adore les renverse sur le malheureux Crac qui se mit à
machinations ténébreuses... » pousser des hurlements.
Ce jour-là, les enfants se procurèrent tous « Espèce d'idiot! Tu n'en fais jamais
les journaux possibles. Mais la presse ne d'autres! s'écria Roger en colère.
donnait aucun éclaircissement. - Est-ce ma faute si les choses se
détraquent dès que je les touche ? Qu'allons-
nous faire, à présent ? demanda Toufou
tristement.
- Il ne te reste plus qu'à descendre chez
Mme Dodu pour lui avouer ton méfait, dit
Nelly. Puisque tu as eu le courage de
déambuler sur le toit, tu peux bien aussi
affronter notre hôtelière. Elle ne te mangera
pas! »
Bon gré mal gré, Toufou fut obligé d'aller
trouver Mme Dodu. Il la découvrit dans son
bureau en train d'additionner des colonnes de
chiffres. L'arrivée du gamin ne sembla pas la
ravir. Celui-ci, assez embarrassé, lui expliqua
sa mésaventure.
« Pourquoi as-tu tiré si fort? » demanda-t-
elle d'un ton sévère. Sa face massive reposait
sur ses cinq mentons. Toufou se sentait tout
chétif en face de ce personnage imposant. Il
aurait bien voulu, lui aussi, posséder un
assortiment de doubles mentons. Quel aplomb
Il vit le bout rougeoyant d'une cigarette. ceux-ci ne lui donneraient-ils pas au

Au contraire. On semblait vouloir


minimiser l'incident.
Le temps se mit à la pluie.

69
- Oui, mais pas vraiment. Le mien est un
instrument imaginaire. Quelque chose d'unique
au monde », ajouta-t-il en riant. Là-dessus, il
se mit en devoir d'improviser une de ses
imitations dans un charivari de sons dignes du
meilleur jazz.
Ce concert déchaîna la gaieté de Mme
Dodu. Elle avait une étrange façon de rire, ma
foi, fort plaisante, qui semblait venir du plus
profond d'elle-même par ondes successives de
plus en plus sonores pour atteindre finalement
ses bajoues opulentes.
Toufou s'arrêta, s'inclina et sourit.
« Tu es un drôle de numéro, lui dit-elle
lorsque son hilarité se fut un peu calmée. Va
vite à la recherche de Félix. Et en sortant, je
t'en prie, ne ferme pas trop violemment. La
porte pourrait te rester entre les mains. »
Son entretien avec Mme Dodu avait
réconforté Toufou. Au fond, cette dame valait
mieux que son attitude ne le laissait supposer,
II trouva Félix à la cuisine en train
d'astiquer les cuivres. Comme entrée en
matière, Éric lui offrir son aide :
« Tu sais, je suis très bon pour ce genre de
Le lendemain., il ri était bruit dans tout V travail. » Mais l'autre secoua la tête en
hôtel que de l'explosion.
souriant.
« Au fait, as-tu appris que j'ai gagné un
prix hier soir ? » poursuivit le gamin.
lieu de cet air de méchant petit garnement
Dès qu'il entendit ces mots, Félix se mit lui
qu'il devait sans doute avoir aux yeux de
aussi à jouer d'un banjo imaginaire. Toufou ne
l'hôtelière.
fut pas trop surpris de voir l'imitation de son
« Ma foi, j'ai tiré parce que je ne pouvais
ami à peine inférieure à la sienne. Sylvain lui
pas ouvrir, répondit Toufou. C'est sûrement
avait raconté que ce dernier, au cirque, était de
fermé à clef.
première force dans l'art de cet instrument.
- Fermé à clef! Mais elle doit être dans la
Quand il eut fini, Félix laissa tomber ses
serrure! s'écria Mme Dodu.
mains le long de son corps et parut se plonger
- Mais non, justement, elle n'y est pas. J'ai
dans on ne sait quels vagues souvenirs...
supposé que c'était vous qui l'aviez fait
Toufou le rappela à la réalité :
enlever. En attendant, j'ai cassé la poignée de
« A propos, il faut que je te dise pourquoi
cette porte. Je le regrette, madame. Il me reste
je suis venu te trouver. N'aurais-tu pas en
encore l'argent gagné hier au music-hall. Vous
réserve une poignée ? J'ai cassé celle qui ouvre
croyez que cela suffira pour en acheter une
la porte du petit escalier menant au toit.
autre?
Toit?... » fit Félix. Il réfléchit un instant,
— Probablement. Mais va donc demander
puis se pencha et murmura d'une voix rauque :
à Félix s'il n'en aurait pas une vieille de
« Attention! Mauvais homme là-haut. Mauvais
rechange. Il pourra la poser facilement.
homme... »
Puisque tu es là, je tiens à te féliciter pour le
prix que tu as gagné hier soir. C'est du banjo
que tu jouais ?

70
Toufou recula, effrayé. Félix sourit et hocha le « Fermée, dit Toufou. La clef a disparu.
chef. Mais rapidement sa mine changea, se fit Qui a bien pu s'en emparer? Et pourquoi? La
grave. nuit dernière, il y a eu un tas d'allées et venues
« Mauvais, mauvais, mauvais, chuchota-t-il de mystérieuses dans ce coin.
nouveau. Félix voit, Félix surveille, Félix - C'est vrai? Et qui étaient ces
suit... Mauvais... » personnes? » demanda une voix derrière lui.
Toufou jeta un regard perplexe sur son Le gamin sursauta et pivota sur lui-même.
interlocuteur. Pauvre diable. Il divaguait! M. Miracle se tenait sur le palier près de sa
Absurde de l'imaginer sous l'aspect d'un porte. Toufou ne manquait pas de présence
policier à la poursuite de quelque redoutable d'esprit. Il se dit immédiatement que mieux
malfaiteur. valait garder sa langue dans sa poche. Trop
parler cuit... ou nuit... Il se borna à prendre un
petit ton dégagé pour répondre :
« Oh! personne. Des blagues. Je m'amusais
à faire peur à notre bon vieux Félix en lui
racontant des histoires. Mais dites-moi,
monsieur Miracle, comment avez-vous fait,
hier soir, pour deviner tous ces objets? Et
surtout les chiffres ? Ça, c'était fort. J'en suis
encore tout éberlué.
- Les secrets du métier... », jeta
l'illusionniste, l'air absent. Puis il
demanda : « As-tu entendu l'explosion?
- Bien sûr, dit Toufou, et vous?
- Moi, pas du tout. »
Cette réponse surprit beaucoup le gamin.
« Pourtant j'ai vu de la lumière sous votre
porte. » Zut ! "Une remarque qu'il n'aurait pas
dû faire. Cela lui avait échappé. Et à présent,
impossible de rattraper sa gaffe. Toufou se
serait donné des gifles.
« Ah ! vraiment ? Et que faisais-tu au
milieu de la nuit sur le palier?
- J'étais sorti à cause de l'explosion,
Le bouton de porte lui resta dans la main. répondit Toufou avec autant d'indifférence que
possible. Vraiment, monsieur, vous ne voulez
pas m'expliquer comment vous arrivez à lire
Mais le jeu l'amusait et il se mit aussitôt au ces numéros les yeux bandés? » II n'y eut point
diapason de Félix. Toufou enchaîna donc : de réponse. M. Miracle avait disparu, laissant
«Toufou voit, Toufou surveille, Toufou Toufou pantois. Vexé, celui-ci tira la langue à
suit...», déclara-t-il sur le même ton solennel. la porte close. Après quoi, il planta là Félix et
Les yeux de Félix se mirent à pétiller. Une se retira dans sa chambre.
lueur ironique semblait danser au fond de ses Quelques jours s'écoulèrent paisibles et
prunelles. Ce que voyant, Toufou lui dit : heureux. Soudain, une rumeur courut dans le
« Dis donc, nous nous exprimons comme pays : des policiers venus de Paris enquêtaient
des Peaux-Rouges sur le sentier de la guerre... au sujet du sous-marin sinistré. En définitive, il
Pour en revenir à mon affaire, as-tu une se confirmait qu'il s'agissait bien d'un
poignée de porte, oui ou non ? Je suis un peu sabotage. On prétendait que des secrets
pressé. » concernant la base avaient filtré au-dehors.
Oui, Félix en avait une qu'il alla chercher
dans l'appentis aux outils. Il monta avec
Toufou pour la fixer, ce qu'il fit en un
tournemain. Lorsqu'il appuya dessus, la porte
refusa encore de s'ouvrir.

71
On allait même jusqu'à chuchoter qu'un
traître se cachait probablement parmi le
personnel...
Les trois détectives étaient descendus à
l'hôtel de La Pomme d'Or. Toufou ne tenait
plus dans sa peau. Quelle aventure! Lorsqu’il
les croisait, il les contemplait, bouche bée, les
yeux ronds. Dieu sait ce qu'ils avaient
découvert! Qui étaient les suspects?... On
assurait qu'ils avaient interrogé des forains...
« Sylvain a toujours prétendu que ses
anciens patrons étaient malhonnêtes, dit Roger.
Rien d'extraordinaire que d'autre part la police
se méfie... »
Mme Dodu avait mis une chambre à la
disposition de ces messieurs. Un jour, Toufou
surprit le professeur sortant de cette pièce. Il
semblait fort préoccupé et ne remarqua pas le
garçon.
« II vient d'être interrogé, songea Toufou
qui le suivait du regard tandis que cet homme
remontait chez lui. Il est sans doute aussi sur la Félix était dans la cuisine où il astiquait les
liste des suspects. Parbleu! Qu'est-ce qu'il cuivres lorsque Toufou vint le retrouver et lui
proposa son aide.
faisait sur le toit la nuit de l'incendie? N'aurait-
il pas fallu le signaler? »
Après réflexion, il renonça, mais à regret,
à aller le dénoncer. Somme toute, il n'avait pas - Merci, nous en prenons bonne note », dit
vu de ses propres yeux le professeur. Rien que l'un d'eux. Dès que M. Miracle fut parti, il
le bout incandescent d'une cigarette et puis sa s'adressa à Sylvain : « J'ai appris que tu as
fenêtre éclairée. Pas assez pour l'accuser... travaillé chez les forains. Je voudrais te poser
Mais Toufou se promit d'ouvrir l'œil... quelques questions au sujet de tes anciens
Un autre fait éveilla l'intérêt du gamin. patrons. »
Depuis l'arrivée des policiers, Félix avait Mais Sylvain ne put que leur faire part de
disparu. Personne ne savait ce qu'il était ses impressions. Il leur avait trouvé un air
devenu. louche.
Furieuse, Mme Dodu se lamentait : « As-tu vu quelqu'un leur rendre visite?
« II m'a déjà fait ce coup la fois où un — Certainement. Cependant je n'ai pas
gendarme était venu se renseigner au sujet d'un entendu ce qu'ils disaient », répondit Sylvain.
chien perdu. Je me demande pourquoi il a une Il réussit néanmoins à donner une bonne
telle peur des autorités. C'est bien ennuyeux description de deux matelots, venus à plusieurs
pour moi. S'en aller juste au moment où il reprises s'entretenir avec les forains.
m'est le plus nécessaire. Comment me « Et à présent, tu es au service de M.
débrouiller avec tant de travail? » Miracle. Dis-moi, tu t'entends bien avec lui?
Sylvain proposa son aide à condition que — Oui, monsieur. Il est très bon pour
M. Miracle fût d'accord. Ce dernier n'y voyait moi. Le travail me plaît beaucoup.
pas d'inconvénient. Il alla même jusqu’à vanter — Bon, tu peux disposer, jeune homme. »
les qualités de son aide aux policiers : Sylvain monta dans sa chambre. Il habitait
« C'est un garçon débrouillard. Il se rend maintenant sous les combles de l'hôtel, pas
utile de mille façons. Je vous le recommande loin des enfants Verdier. Mais il prenait ses
tout particulièrement. repas avec le personnel. Depuis quelque

72
temps, pensait Sylvain, tout marchait répliqua Toufou, puis après un
comme sur des roulettes. Si, en outre, M. silence : « Je donnerais beaucoup pour
Miracle arrivait à avoir des nouvelles de savoir où est passé Félix.
son père, bonheur serait parfait. - A l'heure qu'il est, il doit être à
« La police vient d'interroger Miss l'autre bout du pays, dit Roger.
Twist, dit Toufou le lendemain matin. Il - Il a pourtant laissé toutes ses
paraît qu'ils lui ont posé toutes sortes de affaires ici... Brave Félix. Je l'aimais
questions. Elle en a été tout éberluée. bien, affirma Toufou.
Je parie qu'ils n'ont pu rien tirer de — Moi aussi, j'ai eu une petite
raisonnable d'elle, fit Roger. Ce qui est entrevue avec ces messieurs, fit soudain
étrange, c'est qu'on ne nous ait pas Mlle Dupoivre.
questionnés, nous. Il est vrai que nous ne - Pas possible! s'exclama Toufou.
savons pas grand-chose. Pourtant Ils interrogent donc tout le monde ? Vous
Sylvain, lui, a été croyez qu'ils soupçonnent une personne
•se au crible, et il n'en savait pas plus étrangère à la base d'être en rapport avec
long. - Oh! si, Sylvain a travaillé à la les saboteurs?
foire », - Je ne sais pas, dit Mlle Dupoivre. La
police semble suivre une piste. Ce qui
l'intéresse surtout, c'est d'apprendre
comment les renseignements secrets
parviennent à l'extérieur, car chacun est
soigneusement fouillé avant de franchir
la porte de sortie. De toute manière, je ne
crois pas que le coupable se trouve dans
cet hôtel.
- Ah ! mais si, moi je parie ce que
vous voulez que je le connais, affirma
Toufou d'un petit air mystérieux.
- Ne dis pas de bêtises, Éric,
répliqua Mlle Dupoivre. Tu ne sais rien
du tout... Oh! bonjour monsieur Miracle,
vous avez aussi été interrogé? Voilà
Toufou qui prétend en savoir plus long
que la police!
— Et que savez-vous, jeune
homme? demanda M. Miracle avec un
étrange sourire en coin. Lequel d'entre
nous est l'espion ?
— Ceci est mon secret. »

*******************
Si cela vous intéresse, sachez que Toufou
et Sylvain réussirent à résoudre le mystère de
la Base Sous-marine mais après bien des
émotions et des aventures fort étranges.

73
74
75
76
Faisons un gâteau pour les oiseaux

Toinet et Mariette étaient à la campagne,


en visite chez leur oncle Jean et leur tante
Jeanne qui habitaient une jolie petite maison.
Tante Jeanne avait promis aux enfants de
leur montrer comment faire un splendide
gâteau de maïs pour les oiseaux qu'il faut
nourrir en hiver.
« Toinet et moi avons nettoyé la table des
oiseaux; nous y avons répandu des graines et
mis de l'eau fraîche dans la cuvette, dit
Mariette. Les oiseaux sont enchantés, mais ils
nous ont dit qu'ils aimeraient un gâteau!
- Eh bien, vous comprenez parfaitement « Et maintenant, hachez ces noix, dit tante
leur langage! dit tante Jeanne en riant. Alors, Jeanne. Ce sont des cacahuètes. Et vous
venez tous deux et vous ferez leur gâteau de trouverez des noix du Brésil dans le compotier
maïs! » de la salle à manger. Va en chercher sept ou
Tante Jeanne posa un grand bol sur la table huit, Toinet. »
de la cuisine, et tira d'un placard des sacs et Les enfants furent bientôt tout occupés à
des boîtes. Mariette y jeta un coup d'œil. hacher les noix avec des petits couteaux de
« Qu'y a-t-il dans ces sacs? demanda-t-elle. cuisine. Que c'était amusant! Mais il fallait
- De la farine de maïs, répondit la tante, faire bien attention pour ne pas se couper les
en versant une grosse quantité dans le doigts !
récipient. Elle est très bon marché et tous les « Maintenant, ajoutez les noix hachées, dit
marchands de graines en vendent. Les oiseaux tante Jeanne. Vous les avez coupées bien fines,
en sont très friands. » c'est parfait! »
Elle ouvrit un autre sac : « Vous savez ce Les noix furent jetées dans le bol.
que c'est? dit-elle, secouant les petites « Que faut-il mettre encore? demanda
semences brunes. Mariette. Cela paraît bien bon, n'est-ce pas ?
- De la graine de chanvre, dit Toinet. — J'ai de la graisse qui fond sur le feu, dit
Nous en mettons tous les matins sur la table la tante, la graisse des rôtis de la semaine
des oiseaux. dernière. Nous la verserons dans notre
- Oui, dit tante Jeanne. Et ces petites mélange !
semences, dures et rondes, qui sont dans cette — Oh! laissez-moi la verser », s'écria
boîte sont des graines de millet. Les oiseaux Toinet. Mais tante Jeanne secoua la tête.
qui se nourrissent de graines en sont fous! « Non, dit-elle, il n'est pas permis aux
- Ouvre l'autre boîte, Toinet, s'il te enfants de toucher à la graisse bouillante. C'est
plaît, et nous ajouterons le mélange de graines moi qui la verserai. Si je n'avais pas de graisse,
pour canaris. je me servirais d'eau bouillante. - Tante
— Pouvons-nous vous aider à mêler le tout Jeanne, permettez-moi d'y mettre quelques
? » demanda Mariette, regardant le bol. Tante raisins de Corinthe, dit soudain Toinet, voyant
Jeanne y consentit. Les enfants pétrirent alors un sac de ces raisins sur le buffet. Les oiseaux
les divers ingrédients jusqu'à ce qu'ils fussent qui sont friands de baies les aimeraient!
bien mélangés. Ils aimaient sentir rouler sous — Je crois bien ! dit tante Jeanne. Les
leurs doigts les petites graines dures! grives et les merles ne refusent jamais de
goûter aux raisins. Eh bien, mets-en

77
Quelques uns pendant que je vais chercher « Oh! qu'il est beau! s'écria Mariette. Il est
la graisse. » Toinet en jeta une bonne quantité, dur et granuleux. Regarde! Il est parsemé de
et lui et Mariette tournèrent encore bien le graines et de raisins!
mélange. Enfin, tante Jeanne revint avec le — Il a une drôle de forme! dit Toinet.
poêlon de graisse bouillante. Elle la versa avec Mais tant pis!
précaution sur le mélange, et l'incorpora à — Allons le montrer à tante Jeanne! » Ils
l'aide d'une cuiller en bois. le portèrent à leur tante qui leur donna une
« Là! dit-elle, notre gâteau est achevé! vieille assiette en émail pour l'y poser.
— Allons-nous le mettre au four « Maintenant, vous en couperez une
maintenant? demanda Mariette. tranche pour la table des oiseaux, dit-elle.
— Inutile! dit la tante. C'est un gâteau Mariette, coupe la première! Demain Toinet en
bien agréable à préparer! Nous allons le coupera une autre. »
mettre dans une toile où il séchera. Mariette en coupa un bon morceau. Qu'il
était appétissant ! « J'en mangerais bien une
bouchée, dit-elle.
— Non, non, dit tout de suite tante
Jeanne. Ce n'est pas un gâteau pour enfants! Il
est dangereux de goûter à la nourriture des
bêtes et des oiseaux. Il peut y avoir des baies
dans un gâteau pour oiseaux. J'en mets
souvent, et les baies sont souvent nocives!
— Mettons notre tranche sur la table des
oiseaux », dit Toinet. Ils allèrent au jardin et
mirent le morceau au milieu de la table. Puis
ils se rendirent à la salle à manger et, postés
devant la fenêtre, firent le guet.
Tous les oiseaux, sans exception,
raffolèrent de leur gâteau! Moineaux et
Ensuite, je retirerai le linge, et couperai pinsons picorèrent les graines. Les mésanges
une tranche du gâteau quand vous voudrez en choisirent les noix hachées. Les merles et les
nourrir vos oiseaux. grives s'emparèrent des raisins, et les
— Mais se gardera-t-il? demanda étourneaux dégustèrent la graisse. Les rouges-
Mariette. gorges eux-mêmes vinrent goûter à ce gâteau.
— Tout l'hiver! » dit la tante. Elle prit une Que c'était amusant de les observer tous!
vieille nappe à thé et y vida le mélange. Puis «Je crois que notre table a plus d'invités
elle l'attacha, bien serrée, et dit à Toinet d'aller que n'importe laquelle dans tout le pays! » dit
la suspendre dans la cabane à outils. Mariette.
« Lorsque le gâteau sera sec, vous
le retirerez de la toile et vous pourrez
l'admirer.
— Oh! tante Jeanne, qu'il était facile à
faire! s'écria Mariette. N'est-il pas surprenant
qu'il n'y ait pas beaucoup plus de gens qui en
fassent? C'est si amusant!
— C'est parce qu'ils ne savent pas, dit
Toinet. Je le dirai à tout le monde, maintenant.
Viens, Mariette, nous allons mettre notre
gâteau à sécher! Merci beaucoup, tante
Jeanne. »
Au bout d'un jour ou deux, la toile était
complètement sèche et les enfants en retirèrent
le gâteau.

78
Arabelle veut jouer Shakespeare

Cette histoire se passe en Angleterre, au


Collège de jeunes filles de Malory. Arabelle
est nouvelle venue dans la classe de
quatrième. Cette surprenante petite
Américaine regarde de très haut ses jeunes
compagnes anglaises qu'elle estime des,
enfants sans expérience, alors qu'elle se
considère comme une grande personne. Aussi
lui fait-on la vie assez dure. Il lui arrive
souvent des aventures aussi curieuses que
ridicules. En voici une.

Quelle agitation parmi les élèves lorsqu'elles


lurent la note affichée sur le tableau! Miss
Peters, le professeur d'anglais, convoquait les
élèves pour une répétition de Roméo et
Juliette, de Shakespeare. Toute la classe de
quatrième devait se rendre à la salle de dessin
pour une première lecture des différents rôles.
« Zut! » s'exclama Daisy. Elle n'aimait guère
Miss Peters qui lui reprochait souvent ses
manières affectées. « J'espérais qu'elle ne
pensait plus à cette pièce ! Quel temps elle va
nous faire perdre!
— Pas du tout! dit Arabelle, rayonnante.
C'est passionnant de jouer une pièce de
théâtre, quand on a du talent, et je n'en
manque pas! Dans le rôle de lady Macbeth,
je... « C'est passionnant de jouer une pièce de
— Oh! nous le savons! l'interrompit théâtre ! » dit Arabelle.
Daphné. Ou nous devrions le savoir. Tu
nous l'as assez souvent rabâché!
— Je parie que tu te vois déjà jouant un des
rôles principaux, dit Alice. Eh bien! tu vas Arabelle était mélancolique depuis quelque
au-devant d'une déception! Enfin, si temps, mais elle recouvra tout son entrain à la
Arabelle a tant de talent, elle sera Juliette... à pensée de se révéler une grande étoile dans
condition de parvenir à corriger son accent Roméo et Juliette. Elle prit grand soin de sa
américain. » petite personne, et passa de longs moments
Arabelle parut inquiète. « Croyez-vous que devant sa glace. Elle tenta même de se
je ne pourrai pas avoir un beau rôle à cause de débarrasser de son accent traînant!
ma façon de parler ? demanda-t-elle. Toute la classe s'en amusa. Jusqu'alors,
— Ma foi, je ne me représente pas la Arabelle ne s'était pas donné la moindre peine
Juliette de Shakespeare s'exprimant avec un pour parler à la manière anglaise et s'était
accent américain à couper au couteau! dit même moquée de l'accent anglais
Alice. Pourtant, si tu lis très bien le rôle, il te
sera peut-être attribué! »

79
qu'elle déclarait ridicule. Maintenant elle Tu dois valoir... euh ! comment s'appelle
harcelait les élèves pour qu'elles lui apprissent cette star que tu aimes tant? Ah oui! Lossie
à prononcer les mots correctement. Laxton!
Arabelle essayait de parler anglais avec la — Je ne la vaux peut-être pas encore, dit
prononciation britannique, au grand Arabelle ébouriffant ses cheveux à la manière
étonnement de Miss Peters. Le professeur était de Lossie. Eh bien, Daisy, allons dans une des
satisfait des efforts faits par son élève pour se salles de musique! »
maintenir au niveau de la classe, mais s'irritait Mais elles étaient toutes occupées; des
que la jeune Américaine attachât autant notes jaillissaient de chacune, sauf de celle du
d'importance à sa toilette et à sa coiffure. Elle fond. Irène s'y trouvait, déchiffrant une
n'aimait pas non plus cet air de grande partition avec une attention soutenue.
personne adopté par Arabelle, ni la supériorité « Dis, Irène, fit Daisy en entrant, est-ce
qu'elle affectait envers ses compagnes. Ces que tu pourrais... ?
petites écolières! semblait-elle penser... — Va-t'en! cria Irène, furieuse. Je suis
«Je vais leur montrer ce que je vaux! se dit occupée !
Arabelle, étudiant le rôle de Juliette avec une - Mais tu n'as pas besoin de piano,
extrême attention. Elles verront que j'ai raison voyons! dit Arabelle. Est-ce que tu ne pourrais
quand j'affirme que je serai un jour une des pas travailler ailleurs ?
plus grandes étoiles du cinéma! » — Non. Impossible. J'aurai besoin du
Miss Peters se donnait un mal infini pour piano dans un instant. Allez-vous-en! Oser
les représentations scolaires. Chaque, classe m'interrompre ainsi! »
jouait à tour de rôle, et les résultats étaient Arabelle fut surprise. Jamais elle n'avait vu
excellents. Les actrices seraient les élèves de Irène aussi exaspérée. Mais Daisy savait
quatrième ce trimestre-ci. La pièce serait jouée qu'Irène ne pouvait supporter d'être dérangée
juste avant les vacances. lorsque sa chère musique l'absorbait.
« Miss Peters choisit-elle les actrices dès la « Viens, partons! dit-elle à Arabelle.
première répétition? demanda Arabelle. - Oui, partez! dit Irène, montrant un
— Oh non ! Elle nous fait lire presque visage crispé. Vous m'avez interrompue juste
tous les rôles plusieurs fois^ et cela pour au moment où ma composition commençait à
deux raisons, répondit Hélène. De cette prendre tournure!
façon, elle trouve celle qui convient pour — Eh bien, Irène, il me semble que tu
interpréter chaque personnage; et nous savons pourrais nous céder la place, si tu t'amuses tout
bien tous les rôles et notre équipe est ainsi bien bonnement avec du papier et un crayon,
meilleure ! commença Arabelle. Je veux réciter quelques
— Chic! dit Arabelle. J'ai étudié le rôle de vers de Juliette, et... »
Juliette. Il est délicieux ! Aimerais-tu que je Irène alors se mit en rage. Elle lança sa
t'en récite quelques vers ? partition, son crayon et son cartable à la tête
— Je regrette! Il faut que j'aille à d'Arabelle.
l'entraînement de hockey, dit Hélène. « Tu m'agaces! hurla-t-elle. Je devrais
Demande donc à Alice, elle est libre à cette renoncer à mon heure de musique pour que tu
heure-ci. » puisses jouer la comédie ! Oh oui ! je sais, tu
Mais Alice n'avait nul désir d'entendre seras une merveilleuse étoile de cinéma, tu
Arabelle dans le rôle de Juliette. Elle se leva paraderas vêtue d'admirables toilettes, tu
précipitamment. « Excuse-moi, Arabelle, je n'auras que des idées stupides en tête, si encore
dois me rendre à une réunion. Mais je suis sûre tu es capable d'en avoir! Mais quelle
que tu sera " sublime "! importance cela a-t-il, en comparaison de la
— Je vais t'écouter, Arabelle, dit Daisy, musique! Je te dis que je... »
saisissant l'occasion de se faire bien voir par la Mais Arabelle et Daisy n'entendirent pas la
jeune Américaine. Allons dans une des salles fin de la phrase. Elles avaient pris la fuite.
de musique, où personne ne nous « Eh bien! fit Arabelle. C'est le comble!
dérangera. Je serai ravie de te voir jouer! Je Irène est complètement folle!
suis sûre que tu as un énorme talent!

80
Daisy avait bien envie de rire, mais elle
gardait son sérieux, sachant qu'Arabelle serait
- Mais non, dit Daisy. Seulement, très vexée si son amie cédait à cette envie. La
lorsqu'elle est inspirée, et qu'elle trouve un air, jeune Américaine allait et venait, majestueuse,
elle est obligée de le transcrire tout de suite. le rideau bleu balayant le parquet, telle une
Elle a un tempérament d'artiste, je suppose! traîne, ses cheveux lui cachant presque
- Moi aussi, répliqua promptement complètement un œil.
Arabelle. Mais je n'ai pas de crises de folie! Je Bessie, une élève de sixième, passa la tête
ne l'aurais pas crue capable de se conduire par la porte. Elle était venue faire ses gammes,
ainsi! mais à la vue des deux élèves de quatrième,
- Elle n'y peut rien, dit Daisy. Il ne faut elle s'enfuit. Entra ensuite Mary-Rose, une
pas la déranger. Tiens, voici Lucie qui sort élève de troisième, nullement intimidée, mais
d'une des salles. » surprise au plus haut point d'apercevoir
Elles y pénétrèrent; Daisy s'assit, prête à Arabelle ainsi accoutrée.
écouter Arabelle pendant des heures afin de lui « Je viens faire mes exercices, dit-elle
plaire et de gagner son amitié. La jeune promptement. Filez! »
Américaine prit un air langoureux et Arabelle s'arrêta, indignée. « File toi-
commença : même, dit-elle. Quel toupet tu as ! Ne vois-tu
« Veux-tu donc me quitter? Il n'est pas pas que je répète mon rôle ?
encore jour.
C'était le rossignol et non point l'alouette
Dont le chant pénétrait ton oreille Arabelle prit un air langoureux et
craintive, commença
II chante chaque nuit sur notre grenadier;
Crois-moi, ô mon amour! C'était le
rossignol!»

Daisy écoutait, feignant le ravissement et


l'admiration. Elle n'aurait su dire si Arabelle
avait une bonne diction ou non, mais
qu'importait? Elle était prête à toutes les
louanges.
« Admirable! dit-elle, lorsque Arabelle
s'arrêta enfin pour souffler. Comment as-tu
réussi à retenir tant de vers ? Seigneur ! Que tu
joues bien ! Et ce rôle te convient à merveille,
avec tes cheveux, et tout, et tout!
- Vraiment? » dit Arabelle, enchantée.
Elle prenait tant de plaisir à jouer un rôle. «
Sais-tu ce que je vais faire? Je vais étaler mes
cheveux sur mes épaules. Et je m'envelopperai
dans ce tapis de table! Non! Il n'est pas
assez grand! Le rideau de la fenêtre fera
l'affaire. »
Au grand amusement de Daisy, Arabelle
décrocha le rideau bleu et le drapa au-dessus
de sa blouse d'écolière. Elle dénoua ses
cheveux brillants et s'en couvrit les épaules.
Finalement, elle se para aussi du tapis de table.
Ah! maintenant, elle avait vraiment
l'impression d'être Juliette! Levant les mains,
pathétique, elle récita un autre passage. Elle
était un peu ridicule, car tout en s'efforçant de
parler avec un accent anglais, elle reprenait
constamment son ton traînant.

81
rien à faire ici lorsqu'il s'y trouve une élève de
troisième! Quant à vous, Arabelle, si je vous y
reprends je ferai mon rapport à Miss Grayling !
De pareilles scènes ! Lancer des livres ainsi! »
Les élèves ne pouvaient rien dire, car
l'économe parlait, parlait avec une folle
rapidité. D'une main ferme, elle poussa Mary-
Rose vers le tabouret, chassa Daisy de la pièce
comme un petit chien importun, et saisit
fermement Arabelle, par l'épaule.
« Accompagnez-moi ! Nous verrons si
vous avez déchiré le tapis ou le rideau! Si oui,
vous resterez dans mon bureau et vous le
réparerez! Et je vous surveillerai! Et à propos,
si vous ne reprisez pas mieux vos bas, je vous
donnerai des leçons! »
Furieuse et gênée, la pauvre Arabelle dut
suivre l'économe dans le corridor, tâchant de
se dépouiller de son rideau et de son tapis.
Comme elle eût souhaité relever ses cheveux !
Mais l'économe ne lui en laissa pas le
temps! Cette petite Américaine orgueilleuse et
maniérée l'avait si souvent exaspérée qu'elle
était ravie de lui donner une leçon. Tant mieux
si tout le monde la voyait ébouriffée et
ridicule!

— Non, dit l'élève. Et si un professeur


t'aperçoit emmaillotée dans ce rideau, il y aura
du vilain ! Allons ! Filez toutes les deux ! Je
suis en retard! »
Arabelle décida d'imiter Irène. Elle se
saisit du livre de Shakespeare et le lança à la
tête de Mary-Rose.
Par malheur, l'économe passait alors, et à
son habitude, jeta un coup d'œil dans la pièce
pour s'assurer que les élèves étudiaient leur
piano. Elle resta stupéfaite à la vue d'une petite
personne drapée dans un rideau et dans un
tapis, les cheveux épars, et qui lançait un livre
à la tête d'une élève prête à étudier son
morceau de musique.
Elle ouvrit la porte d'un coup sec, et les
enfants sursautèrent.
« Que se passe-t-il? Que faites-vous? Oh!
c'est vous, Arabelle? Pourquoi, je me le
demande, êtes-vous enveloppée de ce rideau ?
Avez-vous perdu la tête? Et vos cheveux! Plus
mal coiffée encore qu'à l'ordinaire! Mary-
Rose, faites vos exercices! Daisy, vous n'avez

82
Et malheureusement pour Arabelle, elles
croisèrent un groupe d'élèves de cinquième
qui, toutes surprises, dévisagèrent la
pauvrette en s'esclaffant.
« Qu'a-t-elle fait? Où l'emmène l'économe?
Pourquoi est-elle déguisée ainsi? »
demandèrent les petites de douze ans.
Arabelle, la pauvre Arabelle les entendit,
rougit et chercha des yeux Daisy. Mais,
Daisy avait disparu.
Elles rencontrèrent " Mam'zelle ", le
professeur de français au tournant de l'escalier.
Tiens! dit-elle, étonnée. Que se passe-t-il,
Arabelle? Vos cheveux!
- Oui, je m'occupe d'elle, Mam'zelle », dit
l'économe d'un ton ferme. Elle et •
Mam'zelle " étaient généralement à couteaux
tirés; l'économe ne s'arrêta donc pas pour lui
parler, mais elle entraîna Arabelle son bureau
à toute allure, laissant •Mam'zelle" ébahie.
Heureusement pour Arabelle, le rideau et le
tapis n'avaient souffert nul dommage.
L'économe fut déçue. Elle recoiffa la petite
américaine qui se soumit sans mot dire tant la
vivacité et la loquacité de l'économe la
stupéfiaient !
L'économe partagea les cheveux d'Arabelle
en deux énormes nattes. L'Américaine, qui
n'avait jamais été ainsi coiffée, en fut horrifiée.
« Voilà! dit enfin l'économe, satisfaite,
attachant le bout des tresses avec du cordon
bleu. Elle recula. Maintenant, vous voici
devenue une élève convenable, Arabelle. Vous
avez l'air raisonnable et vous avez fort bonne
façon ! Je me demande pourquoi vous avez
envie de paraître âgée de vingt ans! »
Arabelle se leva, les jambes tremblantes.
Elle s'aperçut dans la glace. Quelle horreur!
Était-ce vraiment son image qu'elle
contemplait? Elle n'avait plus l'air d'une jeune
fille! Elle ressemblait à n'importe quelle
écolière anglaise! Elle sortit furtivement du
bureau de l'économe et courut à son dortoir
pour arranger sa coiffure.
Elle rencontra Miss Peters qui la dévisagea
comme si elle la voyait pour la première fois.
Arabelle eut un pâle sourire et tenta de passer
sans dire un mot.

Elle se saisit du livre et le lança.

83
PLOUM LE
LIÈVRE
Richard et Suzanne aiment tous les
animaux. Leur grand ami, Zacky, le bohémien,
connaît toutes les bêtes et tous les oiseaux de
la région. Il leur présente Ploum, le lièvre.

Richard et Suzanne se promenaient avec


leur ami Zacky, le bohémien. Ils pénétrèrent
dans un fourré de genêts et d'églantiers. Il s'y
trouvait de grosses touffes d'herbe haute où ils
trébuchaient. Zacky s'assit sur l'une d'elles et
prit son appeau.
« Zacky! » dit Suzanne, mais il fronça les
sourcils et elle se tut, alarmée par le son de sa
propre voix qui résonnait en ce petit coin
désert. Elle resta immobile, telle une souris
effrayée.
Zacky porta à ses lèvres son étrange petit
objet. Les enfants s'attendaient à entendre un
sifflement mais il en sortit un curieux son,
sourd et régulier.
" Oont, oont, oont ", disait l'appeau. Zacky
« Vous voici devenue une élève convenable, s'arrêta quelques secondes, replaça l'instrument
Arabelle ! »
entre ses lèvres et le son étrange se fit à
nouveau entendre : " Oont, oont ".
« Oh! mais c'est Arabelle! » s'exclama Miss
Il y eut alors un léger bruissement
Peters, comme si elle ne pouvait en croire ses
provenant d'épaisses ronces non loin de là. Les
yeux.
enfants retinrent leur souffle et écarquillèrent
Arabelle l'entendit et fila le long du corridor,
les yeux. Deux grandes oreilles apparurent,
implorant tous les saints du Paradis de ne plus
puis deux énormes yeux. Le lièvre!
rencontrer personne.
Zacky reprit son appeau. Au même
Daisy était dans le dortoir et elle aussi
moment, le lièvre sauta du buisson, regarda
regarda Arabelle comme si elle voyait un
Zacky et, d'un bond immense, s'installa sur ses
fantôme.
genoux.
« Est-ce l'économe qui t'a coiffée? demanda-
« Ploum! » dit doucement Zacky, de cette
t-elle. Oh! Arabelle, que tu es changée! Tu as
voix particulière qu'il réservait aux bêtes et aux
l'air d'une vraie collégienne anglaise,
oiseaux. « Ainsi, tu habites toujours ces
maintenant! Je vais dire à tout le monde que
parages? Et comment va ta patte, Ploum?
l'économe a natté tes cheveux! - Si tu le dis, je
Cours-tu toujours aussi vite? »
ne te parlerai plus jamais! » cria Arabelle d'une
Le lièvre reproduisit le son même de
voix si furieuse que Daisy prit peur.
l'appeau : " Oont ". Les deux enfants
La jeune Américaine se hâta de défaire ses
respiraient à peine. De leur vie ils n'étaient
nattes.
restés aussi immobiles. Ils n'avaient pas assez
« Quel horrible pensionnat! Jamais, je ne
d'yeux pour regarder le grand lièvre!
pardonnerai à l'économe! »

84
« Le voici parti », dit Zacky, rangeant son
appeau. « Avez-vous remarqué qu'il saute de
côté de temps en temps ? C'est pour brouiller
la piste!
- Zacky, qu'il est ravissant! dit Richard. Je
n'avais jamais vu même un lapin d'aussi près.
Parlez-nous de votre ami Ploum! Il ne vit pas
dans un terrier comme un lapin, n'est-ce
pas?
- Oh! non! C'est une créature de plein air,
dit Zacky. Il habite les fourrés et les champs.
Allons voir si nous pouvons découvrir son
gîte près d'ici. On l'appelle une forme.
Qu'il était beau! Le poil du dos était d'un — Et pourquoi ? demanda Suzanne.
brun rougeâtre; ses longues oreilles avaient - Parce que c'est un renfoncement dans le
l'extrémité noire. Ses yeux immenses sol qui épouse exactement la forme du corps
examinaient les alentours. Rien d'étonnant qu'il du lièvre, expliqua Zacky. Tenez! en voici
perçut un danger, même éloigné, avec de une, mais j'ignore si c'est la forme de mon ami
pareils yeux! Ploum! »
Richard remarqua les vigoureuses pattes Il leur montra dans les hautes herbes un
de derrière de l'animal qui lui permettaient de renfoncement qui avait les dimensions et la
sauter haut et loin. L'enfant eût aimé caresser
le lièvre comme le faisait Zacky. Le bohémien
chatouillait la fourrure sous le menton du
lièvre qui tendait le cou, prenant plaisir à ces
caresses.
Et puis, soudain, l'animal disparut!
Effrayé, il fit un saut prodigieux et dévala la
colline.

qu'une dépression du sol, mais les enfants qui


savaient maintenant ce qu'ils cherchaient, se
forme du long corps d'un lièvre. L'animal rendirent bien compte qu'il s'agissait du gîte
avait choisi cette place, s'y était traîné le temps d'un lièvre. Le contour du corps s'y voyait
nécessaire pour y creuser une dépression et nettement.
s'en servait comme de cachette. Les brins « Lorsque la hase - - c'est la femelle du
d'herbe dissimulaient en partie la " forme ". lièvre - - a des petits, dit Zacky, ils ne lui
« II a trouvé un excellent endroit! dit donnent pas trop de soucis ! Ils sont couverts
Richard. Et je suppose que la couleur de sa de poils, et leurs yeux sont grands ouverts.
fourrure lui est aussi d'un grand secours, n'est- Drôles de petites créatures, à demi adultes, dès
ce pas Zacky, lorsqu'il se cache dans les leur naissance! En un rien de temps, ils
champs ? Croyez-vous que nous pourrons quittent leur mère et se font de petites formes
trouver une forme dans ce champ là-bas? bien à eux. Ils y restent étendus toute la
- Peut-être, dit Zacky. Allons voir! » Ils en journée et attendent que la maman vienne les
trouvèrent une presque tout de suite dès qu'ils voir!
eurent quitté les fourrée de genêts. Ce n'était

85
- Que j'aimerais en voir un! dit Suzanne piste et tourne, tourne, tournera, jusqu'à ce
avec envie. qu'il ait le vertige espérant toujours attraper le
- Oh! vous les aimeriez! dit Zacky. Ces lièvre ! La piste est parfaite, en un cercle, vous
animaux sont si jolis ! J'en ai attrapé un, une comprenez !
fois, de ces levrauts, et je l'ai nourri au - Que c'est malin! s'exclama Richard.
biberon! Je l'ai gardé longtemps. Il gambadait Très malin! Le chien, je suppose, ne peut
et frétillait comme un agneau ! imaginer que le lièvre a fait un bond de côté!
- Je voudrais bien avoir la même chance ! Et que fait encore le lièvre?
dit Richard. Où s'en est allé Ploum, dites, — Eh bien, le vieux Ploum revient parfois
Zacky ? sur ses traces! Il s'en va en ligne droite,
s'arrête, se retourne et revient en arrière. Puis il
bondit de côté et disparaît dans un marais où sa
piste se perd!
— Je comprends ! Le chien suit la piste,
ignore que le gibier poursuivi est revenu en
arrière, et reste planté là, se demandant où sa
— Il est peut-être bien à des lieues d'ici, proie a pu disparaître, dit Suzanne.
répondit le bohémien. Il en fait du chemin avec - Écoutez! dit soudain Zacky, les yeux
ses longues pattes et ses bonds! Quand il le brillants. Nous avons de la chance! Écoutez !»
veut, il peut faire un saut de quatre mètres Ils dressèrent l'oreille, immobiles comme
cinquante! Rien d'étonnant si le renard des statues. Des sons étranges leur parvinrent,
renonce à le poursuivre! portés par le vent du soir, un mélange de
— Mais le renard ne peut-il le suivre à la grognements et de sifflements. Richard les
piste? demanda Suzanne. reconnut.
— Je vous ai fait remarquer que le lièvre « Ils ressemblent à ceux de votre appeau,
fait des bonds de côté de temps en temps, dit
Zacky. Il brouille ainsi la piste et déroute
renards et chiens. J'ai vu parfois un lièvre
tourner en rond à plusieurs reprises et puis
faire un saut de côté et filer. Le chien suit la

86
87
dit-il. J'entends ces " oont, oont, — Oh! ne regrettez rien, dit Zacky, ils
oont"! avaient presque terminé leurs ébats. Eh
- Oui! Ce sont deux lièvres qui s'ébattent! bien, vous avez eu de la chance ce soir
dit Zacky. Asseyez-vous ! Nous les d'assister à une pareille représentation!
verrons peut-être. Vous avez entendu - Oh! je vous en prie, prêtez-moi votre
l'expression : " Fou comme un lièvre au mois appeau, supplia Suzanne. Je me demande si je
de mars "? Eh bien, vous en verrez, j'espère, pourrais faire venir Ploum! »
agir comme des fous dans un instant! » Zacky essuya son appeau et le lui tendit.
Ils s'assirent derrière un églantier et, ,à Elle le porta à ses lèvres. Il en sortit un son
travers les branches, regardèrent le versant mélancolique : " oont, oont, oont... >:
herbeux de la colline. Et soudain, deux lièvres « On dirait que cet instrument crie : Non !
apparurent! Suzanne, ébahie, écarquilla les Non! Non! dit Richard. Le lièvre qui a été
yeux. Ces lièvres étaient assurément fous! rossé aurait dû crier " non! non! " au lieu de se
Ils ne cessaient de bondir, déjouer à saute- mettre à glapir!
mouton, de tourner en rond, de se dresser sur — Les lièvres blessés ou effrayés
leurs pattes de derrière et de s'élancer l'un sur poussent des cris aigus ou perçants, dit Zacky.
l'autre. " Oont, oont ", disaient-ils, dansant et C'est ainsi que j'ai trouvé Ploum un soir. Il
batifolant. était pris au piège et criait comme un enfant
« Ils jouent à saute-mouton! » pensa qui souffre, pauvre petite bête!
Suzanne qui n'osait souffler mot. Cela était — Et qu'avez-vous fait? demanda
plus amusant qu'une représentation de cirque! Suzanne, bien qu'elle devinât la suite de
Et voici qu'un troisième lièvre entrait en l'histoire.
scène! Il se joignit au jeu, mais fut fort mal - Je l'ai cherché, trouvé, et emporté dans
reçu par l'un d'eux qui, se précipitant sur ma roulotte, dit le bohémien. Sa patte
l'intrus, le frappa. blessée a fort bien guéri, comme vous avez pu
En un clin d'œil, les deux adversaires se en juger par vous-mêmes. C'est un de mes
dressèrent sur leurs pattes de derrière et se fidèles amis, ce vieux Ploum! Il ne m'a
livrèrent à un combat de boxe! Les enfants les jamais oublié! »
regardaient, pris de stupeur. Eh! quoi, des
lièvres! Boxer! Mais l'un, changeant soudain
de tactique, se retourna et assena de vigoureux
coups de pattes à son ennemi.
Celui-ci s'affala, tout étourdi, puis
poussant un cri aigu, se releva, regarda son
vainqueur et s'en alla au petit trot. Il n'avait
nulle envie de reprendre la lutte !
Richard éclata de rire. Les deux lièvres
dressèrent leurs longues oreilles et nièrent à
toute allure! Ils descendirent la colline,
traversèrent un champ, prompts comme le
vent! Qu'ils paraissaient donc grands, tout en
courant, les oreilles mouvantes, le corps
allongé !
« Oh! Richard, dit Suzanne, furieuse, tu
leur as fait peur!
- C'est vrai, mais je n'ai pu m'empêcher de
rire, avoua Richard, déçu lui aussi. Je n'ai
jamais vu un spectacle plus drôle! Mais je ne
voulais pas les effrayer!

88
Dans la première partie de cette histoire, plastique qu'il mit fièrement sur une
un groupe d'enfants, fort semblables à vous-
planche. Quant à Éric, il exhiba un sac de
mêmes, ont fondé un club. Dès leur première
réunion, ils ont élu un chef, choisi un nom bonbons à la menthe.
pour leur cercle et un mot de passe. Ils ont « On se sent bien ici chez soi!
aussi décidé de porter un insigne. Vous lirez s'exclama Mariette, examinant le
ici quels buts ils ont résolu de poursuivre lors poulailler avec complaisance. Je ferai un
de leur seconde réunion. Ils résoudront aussi rideau pour notre petite fenêtre! »
d'autres problèmes, tels que leurs signaux Marc était arrivé le premier, à cinq
secrets et l'emploi de leur temps libre.
heures vingt-cinq, afin d'accueillir les
membres et leur demander le mot de
passe. Il se rendait compte qu'une
certaine formalité s'imposait pour éviter
que le club ne dégénérât en une réunion
où ne s'échangeraient que des paroles
sans intérêt.
Les six enfants étaient enchantés Les Six — telle était son intention —
d'appartenir à un club — enchantés de se serait un excellent club, respecté de tous,
réunir, de chuchoter le mot de passe : " et non ce genre de cercle stupide,
Cot-cot-codac ! " Bientôt ils allaient dépourvu de règlement, de discussions
porter leur insigne que les deux fillettes intelligentes et de but défini. Certes,
préparaient avec soin. Le vendredi Marc était un bon chef, et ceux qui
viendrait-il jamais ? Enfin, ce jour tant l'avaient élu ne l'ignoraient point!
attendu arriva et, à cinq heures et demie, « La réunion va commencer
les Six se retrouvèrent dans le poulailler maintenant, dit-il, dès que tous se furent
du jardin de Marc. installés. Parlons d'abord de nos
Que son aspect était changé! insignes.»
Catherine y avait posé un vieux tapis, Mariette et Catherine les exhibèrent
Marc apporté un tabouret branlant et fièrement. Elles avaient demandé à la
deux caisses, Patrick une bouteille maman de Mariette six gros boutons tous
d'orangeade et deux gobelets en semblables, les avaient recouverts de
tissu bleu marine, et

89
brodé le chiffre 6 en rouge vif. De petites — Qu'est-ce que c'est? dit Mariette.
épingles doubles permettaient de les attacher — Le voici ! Il toucha légèrement ses
au revers d'une veste. deux épaules de chaque main qu'il laissa
« Mille fois merci, Mariette et Catherine, retomber tout de suite.
dit Marc, distribuant les insignes. Ils sont Voyons », dit Catherine. Jacques répéta le
épatants ! mouvement d'une façon si rapide et légère
qu'on eût dit qu'il enlevait un peu de poussière.
« Eh! oui, c'est un bon signal, qui n'attirera
pas l'attention des non-initiés! »
Tous approuvèrent et Jacques fut ravi de
son idée.
« Fort bien ! Nous adoptons ce signal alors
! proclama Marc. Un signe de reconnaissance,
qui peut se voir de loin. Ne ferions-nous pas
bien de décider que, s'il est répété, il signifie
que quelque chose d'important s'est produit et
que les membres du club doivent tout de suite
conférer tous ensemble?
- Bonne idée! » s'exclama Catherine qui
avait une passion pour les mots de passe, les
signaux secrets et toutes les coutumes d'un
club. Elle se toucha les épaules trois ou
quatre fois de suite, comme si elle avait à se
mettre en rapport de toute urgence avec
l'un des membres.
« Abandonne tes exercices de
gymnastique, Catherine ! dit Marc, et chacun
de rire aux éclats. Et maintenant, occupons-
nous de l'affaire suivante! Quels seront les buts
de notre club? Un cercle n'est d'aucune utilité
s'il n'a un but bien défini...
— Si nous étudiions les oiseaux du lac?
suggéra promptement Éric.
- Très bonne suggestion, dit Marc
immédiatement. Nous nous intéressons tous
aux oiseaux. Nous pourrions les observer
régulièrement et écrire des articles pour la
revue de l'école. Nous signerions ces articles "
les Six ". Quelqu'un a-t-il une autre idée?
Les Six se retrouvèrent dans le poulailler — Ne pourrions-nous recueillir des
du jardin de Marc. timbres oblitérés et du papier d'étain pour
l'hôpital ? demanda Catherine.
L'administration les vend et achète des jouets
Je suis joliment fier du mien! fit Patrick. avec le produit de la vente pour les enfants
Oh! Éric, tu as prononcé notre mot de passe " malades. Mariette et moi nous en occupons
Cot-cot-codac ", tout à fait comme une poule déjà, bien sûr, mais si nous apportions tous
en me rencontrant dans le couloir de l'école vieux timbres et papier argenté à chacune de
hier! Tu m'as presque fait sauter en l'air! nos réunions, nous en aurions vite d'énormes
- Allons-nous choisir un signal secret? quantités!
demanda Jacques. J'en ai trouvé un! — D'accord! » crièrent-ils tous.
Marc

90
regarda Catherine. « Tu auras cette Notre pièce nous procurera de l'argent pour
responsabilité, lui dit-il. Apporte un sac pour le la bibliothèque scolaire. Mais celui de la
papier d'étain, s'il te plaît, et une boîte en fer braderie, à quoi servira-t-il?
pour les timbres oblitérés. Tu les laisseras ici. - Quelqu'un a-t-il une idée ? » demanda
Nous te donnerons timbres et papier à chaque Marc.
réunion. Toi et Mariette porterez le sac et la Elles jaillirent de toutes parts.
boîte, une fois pleins, au secrétaire de l'hôpital.
- Oui, Marc », dirent ensemble les fillettes.
Ah! elles auraient bientôt une belle collection !
« Et si nous donnions une représentation
théâtrale, ou une fête, payante bien sûr, fit
Jacques. Vous vous rappelez que le directeur
nous a dit l'autre jour que nous devions gagner
de l'argent pour acheter de nouveaux .livres
dont la bibliothèque scolaire a grand besoin. »
La proposition enchanta tout le monde. «
Oh! oui! Nous jouerons une pièce! Le
directeur nous y autorisera! Ma parole, nous
allons être occupés, maintenant! Mais ne
ferions-nous pas bien d'attendre Noël pour
donner notre représentation? »
Ils discutèrent l'affaire à fond. Marc
regardait ses amis, satisfait. Qui aurait pu
croire que, dès la seconde réunion, les
membres du club montreraient tant d'énergie,
d'intelligence et d'intérêt ? Les idées? ! mais il
en pleuvait ! Il mit fin à la discussion, après
avoir écouté les suggestions de tous.
« Si j'ai bien compris, vous souhaitez
Jacques toucha légèrement ses deux
presque tous jouer la pièce à Noël, dit-il. Nous
épaules de chaque main.
aurions ainsi de quoi nous occuper le trimestre
prochain, quand les soirées seront longues! Eh
bien, prenons une décision! Que lèvent la main
« Pour le Foyer des petits aveugles! Pour les
ceux qui veulent donner la représentation au
enfants des hôpitaux! Pour acheter une radio
plus tôt! »
au vieux père Cressot, l'aveugle qui s'ennuie
Personne ne leva la main ! « La
tant! Pour... pour...
représentation sera-t-elle donnée vers Noël? »
- Cela suffit, dit Marc, levant la main. Que
dit Marc, souriant. Toutes les mains se
d'excellentes idées! Pourquoi ne les
levèrent!
adopterions-nous pas toutes? La braderie
« C'est .décidé, alors ! Mais que pourrions-
terminée, nous ferons nos comptes, et nous
nous entreprendre cet été? Une vente de fruits
pourrons partager le total de nos recettes
et de légumes de nos jardins? Ou quoi?
entre ces diverses œuvres.
— Oui! Oui! s'écrièrent ensemble Mariette et
- Oui, et nous pourrons même gagner encore
Catherine. Une braderie serait une idée
de l'argent d'une autre façon, dit Catherine.
merveilleuse! ajouta Mariette. Toutes ces
Par exemple, papa m'a promis de me donner
vieilleries se vendent comme des petits pains!
un franc par semaine si je lui nettoyais sa
Il n'est pas difficile d'aller de porte en porte
bicyclette. Je suis toute prête à donner cette
demander aux gens s'ils veulent se défaire de
somme pour une de nos œuvres !
leurs objets inutiles. Ainsi nous organiserons
— Et moi, je promènerai les deux chiens de
une vente pour aider... pour aider... qui? quelle
la vieille Mme Lucie tous les soirs, dit
œuvre?

91
Éric, et je gagnerai un franc cinquante par nous trouvons encore le temps d'aller en
semaine! classe, ce sera un miracle! dit Éric
- Et moi aussi je pourrai contribuer à nos sérieusement. Bien sûr, Marc, je serai fier
œuvres en lavant la vaisselle, dit Mariette. d'être le trésorier. Je suivrai tes directives, et je
Maman me donnera bien un franc à un franc garderai l'argent enfermé dans un tiroir! Je
cinquante pour cette besogne! donnerai même un double tour de clef!
- Et moi, dit fièrement Patrick, si je le veux, - J'ai une vieille tirelire chez nous, dit
je gagnerai quatre francs en lavant la voiture Catherine. Je l'apporterai demain à l'école, et je
de mon oncle deux fois par semaine ! » te la donnerai, Éric. Elle ferme à clef!
Tous découvrirent le moyen de se procurer — Très bien, merci », dit Éric, plus heureux
de l'argent pour des œuvres, et ils se mirent à que tous ses amis. Il savait ne pouvoir se
parler tous à la fois! Marc dut imposer le joindre à toutes leurs activités, à cause de sa
silence. « II ne doit pas y avoir un club plus jambe infirme. Mais ils l'avaient choisi, lui
animé que le nôtre dans tout le pays! avaient confié une importante fonction! Aussi
— Je n'aurais jamais cru que c'était si était-il aussi fier que joyeux.
amusant de discuter tous ensemble! dit La réunion s'acheva par des rires. Mariette
Mariette, le visage rouge de plaisir. Écoute, courut chercher à la maison quelques autres
Marc! Je pourrais aller à pied à l'école et
économiser ainsi le prix d'un billet d'autobus,
et...
- Mariette! te tairas-tu, voyons! supplia
Marc. Toutes vos idées sont excellentes, et je
me rends compte que notre club sera très
vivant. Mais ne parlons pas trop! Une chose à
la fois! Bien sûr, gagnons autant d'argent que
nous le pourrons, et utilisons-le au mieux, mais
il nous faut un trésorier qui s'occupera de nos
finances ! L'un de nous devra récolter l'argent
et tenir les comptes. Il est toujours préférable
qu'une seule personne soit responsable.
- Je propose Éric comme trésorier, s'écria
Patrick. Il a la bosse des mathématiques.
Personne ne vient à sa cheville quand il s'agit
de chiffres!
- Oui! Oui! Très bonne idée, approuva
Marc. Veux-tu te charger des fonctions de
trésorier, Éric ? Nous te procurerons un petit
livre de comptes, nous t'apporterons nos
gains à chaque réunion, tu inscriras les
sommes reçues, feras les comptes, et tu nous «Je n'aurais jamais cru que c'était si
feras un rapport. Nous saurons alors amusant de discuter tous ensemble », dit
exactement ce que nous aurons en caisse et Manette.
lorsque nous aurons une somme suffisante,
nous en disposerons pour l'une de nos œuvres.
- Eh bien! observer les oiseaux, ramasser gobelets et un pot d'orangeade. Sa mère
timbres et papier d'étain, nettoyer des vélos, l'appela :
laver la vaisselle, promener des chiens, « Quelle joyeuse réunion! Mariette, dit-elle.
organiser une braderie et jouer une pièce de Je vous entendais parler et rire d'ici! Seriez-
théâtre à Noël, si, avec toutes ces occupations, vous contents d'avoir des biscuits?

92
J'en ai une boîte toute pleine que j'ai faits parents peuvent être de quelque utilité, dites-
moi-même ! le ! Je serais contente de vous aider. Les
- Oh! maman, que tu es gentille, s'écria la parents peuvent rendre des services, tu sais,
petite, enchantée. Oh! maman, que nous avons quand il s'agit d'une braderie, par exemple!
donc un club sympathique! Si tu savais — Maman, comment as-tu pu deviner
tout ce que nous projetons! Et Marc est un chef notre projet? demanda Mariette, au comble de
merveilleux! la surprise.
— Eh bien, si vous réalisez vos projets et — Oh! je n'ai pu m'empêcher de vous
obtenez de bons résultats, je serai fière de entendre! Vous parliez si haut, répliqua la
vous, dit la maman. Mais tant de clubs maman en souriant. Tiens ! Voici les biscuits !
débutent bien, et puis... se disloquent peu à Va-t'en vite! »
peu... Mariette retourna au poulailler à toute allure,
- Oh ! pas avec un chef tel que Marc, dit et bientôt les six enfants grignotaient des
Mariette fièrement. Tu devrais le voir présider biscuits, buvaient de l'orangeade et suçaient
nos réunions, maman! Et maintenant, nous des bonbons à la menthe. Marc, les regardant
avons même un trésorier! C'est Eric... les uns après les autres, se sentit vraiment
heureux.
« Voici le genre de club qu'il nous fallait,
songeait-il. Tous bons amis, intelligents, prêts
à travailler à une œuvre commune. Nous ne
perdrons pas notre temps! Nous
entreprendrons des choses qui en valent la
peine! Je suis fier d'être le chef des Six! »
Vous avez raison, Marc! Et votre école sera
aussi fière de vous tous, et vos amis vous
envieront de porter ces brillants insignes, au
chiffre 6 brodé en rouge!

cccccccccccccccccccccccccc

Je voudrais bien savoir ce qu'auront fait les


Six à la fin de l'année ? Combien d'argent
auront-ils gagné ? Combien d'oiseaux auront-
ils dessinés dans leurs albums ? Combien de
timbres et de papier d'étain auront-ils
ramassés ? Le vieux père Cressot aura-t-il son
poste de radio ? Leur braderie sera-t-elle un
succès ? Leur pièce recevra-t-elle un accueil
enthousiaste ?
Qu'en pensez-vous ? Leur club continue de
fonctionner très bien. Ils se réunissent une fois
par semaine et le livre de comptes d'Éric
montre d'impressionnantes recettes !
Rien n'est amusant comme d'être membre
Mariette courut chercher à la maison d'un club ! Maintenant que vous savez
quelques gobelets et un pot d'orangeade. comment en fonder un, pourquoi n'auriez-vous
pas aussi le plaisir d'en créer un ?
— Ma parole! Vous avez donc un véritable
club! dit la maman. Eh bien, si vos cccccccccccccccccccccccccc

93
« Brou! Qu'il fait froid, dit Jeannot Lapin, « Tu as volé mes carottes ! Je le sais,
jetant un coup d'œil par sa fenêtre. Je vais Compère Ours ! Je sens l'odeur de ton ragoût
m'habiller bien chaudement pour aller chercher de poulet qui mijote dans ta marmite! Et je sais
des carottes dans ma réserve! » que tu aimes y mettre quelques carottes!
II mit donc son écharpe la plus épaisse — Tu te trompes! gronda l'ours. Je suis
autour du cou, enfila deux paires de dégoûté des carottes! J'ai mis des navets dans
chaussettes, de gros vieux souliers et sortit. la marmite! Va voir dans mon hangar! Il est
Mais lorsqu'il pénétra dans sa réserve, il rempli de navets, et non pas de carottes. »
ouvrit de grands yeux flamboyants de colère. « Jeannot Lapin s'en fut au petit hangar et en
Quelqu'un est venu cette nuit me dérober une ouvrit la porte. Assurément, il s'y trouvait des
bonne moitié de mes carottes ! Saperlipopette! navets ! Jeannot Lapin fouilla dans le tas, mais
Je suis sûr que le Compère Ours m'a joué ce ne put découvrir une seule carotte! Il retourna
tour-là! » au jardin, et quelle fut sa surprise en
Jeannot Lapin examina la neige, espérant y apercevant quelques navets épars sur la neige!
voir les empreintes des grosses pattes de Pourquoi n'avaient-ils pas été recouverts par la
Compère Ours, mais il y avait eu une nouvelle neige matinale?
chute de neige ce matin-là qui avait effacé « Compère Ours, je sais ce que tu as fait de
toute trace de pas. mes carottes ! cria-t-il, dansant sur la neige,
« N'importe ! Je suis certain que Compère fou de rage. Tu les as volées cette nuit! Et tu es
Ours est le coupable! » songea Jeannot Lapin allé chez Compère Renard et tu les as
et, à grands pas, il s'en fut immédiatement à la échangées contre ses navets. Mais si, mais si!
maison de Compère Ours. Voici les navets de Maître Renard, je les
Celui-ci fut surpris de voir Jeannot Lapin reconnais! J'aperçois les empreintes des pattes
entrer si hardiment dans son jardin. de Renard se dirigeant
L'apercevant à sa fenêtre, Jeannot Lapin hurla :

94
une belle émotion ! Qu'est-ce qui te prend ?
» Jeannot Lapin lui conta sa mésaventure. « Ce
voleur de Compère Ours a dérobé mes carottes
pendant la nuit et les a troquées contre les
navets dont Compère Renard nous a tant parlé,
dit-il.
— Eh bien, va chercher les carottes! dit
Commère Tortue. Vas-y cette nuit, Jeannot
Lapin !
— Il verra les traces de mes pattes, dit
Jeannot Lapin. Tu ne peux aller nulle part dans
la neige sans laisser d'empreintes!
— Emporte-moi chez toi, auprès de ton bon
feu, et je te dirai comment t'y prendre pour
parvenir à tes fins ! Je suis enfouie dans la
neige, et je suis glacée! »
Jeannot Lapin souleva donc Commère
Tortue et la porta chez lui. Ils s'assirent devant
un beau feu et parlèrent tout à loisir.
-« Écoute-moi, Jeannot Lapin ! dit la vieille
tortue qui avait plus d'un tour dans son sac.
Mets tes plus gros souliers ; découpe de grands
morceaux dans du carton, donne-leur la

vers ton appentis! Tiens! il en a laissé


tomber quelques-uns sur la neige!
— Tu dis des bêtises », dit Compère Ours,
refermant sa fenêtre violemment.
Jeannot Lapin était si furieux qu'il longea la
route en lançant de grands coups de pattes dans
la neige. Il se blessa en heurtant un objet dur et
se mit à glapir.
Une petite tête sortit de la neige... c'était
l'amie de Jeannot Lapin, Commère Tortue !
« Hé! cesse de flanquer des coups de pattes!
dit Commère Tortue. Tu m'as donné

95
forme d'énormes semelles, et attache-
les solidement aux semelles de tes
souliers!
- Et pourquoi donc? demanda Jeannot
Lapin.
- Mais alors tes empreintes seront tout aussi
grandes que celles de Compère Ours lorsqu'il
porte ses grosses bottes! Vois-tu, Jeannot
Lapin, tu passeras pour être un ours ! Tu
iras reprendre tes carottes dans. l'appentis
de Compère Renard, la nuit venue, et il
croira que Compère Ours est venu les voler!
- Ah! Commère Tortue, que tu as
d'esprit ! Tu es joliment maligne, ma parole !
D'accord! Je vais me fabriquer des semelles en
carton et, tandis que j'irai reprendre mon bien,
tu resteras chez moi à te chauffer et à
entretenir le feu!
- Entendu! Et je ferai du bouillon. Et nous
festoierons grâce à tes carottes », dit
Commère Tortue, enchantée.
Ce soir-là, donc, Jeannot Lapin chaussa ses
plus gros souliers et y attacha les énormes
semelles. Quelles immenses empreintes
s'apercevaient dans la neige! On eût dit celles
de Compère Ours!
Il s'en fut chez Compère Renard et tout
doux, tout doucement, entra dans l'appentis. Il
fourra les carottes dans son sac, mais le renard
en avait déjà mangé, aussi le sac n'était-il
guère plein. « Eh bien, se dit Jeannot Lapin,
j'irai maintenant chez Compère Ours chercher
quelques navets! Il me les doit bien. »
II gravit la colline qui conduisait au logis de
Compère Ours, laissant toujours derrière lui
d'énormes empreintes. Parvenu chez son
ennemi, il acheva d'emplir son sac avec les
navets.
Puis il redescendit, épanoui. Quel bon tour il et rentra chez lui en ayant soin de marcher
venait de jouer aux deux filous ! Le lendemain dans les grosses empreintes, afin de ne laisser
matin, Compère Renard verrait sur la neige de nul indice de son passage! Allons! quelle
grosses empreintes qu'il pourrait suivre jusqu'à satisfaction il aurait à savourer une bonne
la maison de la colline où logeait Compère soupe aux carottes bien chaude!
Ours! Ah! si seulement lui, Jeannot Lapin, Commère Tortue rit de bon cœur en
pouvait assister avec Commère Tortue à la entendant son ami lui raconter ses hauts faits.
rencontre des deux larrons! Tous deux émincèrent les carottes et les
Devant la porte de Compère Renard, Jeannot jetèrent dans le bouillon préparé par Commère
Lapin se défit des semelles de carton Tortue.

96
empreintes! J'ai compris qui était mon
« Hum! Quelle odeur délicieuse, s'exclama voleur. »
l'hôte! Quelle soupe exquise! » Là-dessus, ils se jetèrent l'un sur l'autre,
Le lendemain matin, Jeannot Lapin s'en fut tandis que Jeannot Lapin sautait de joie
promener du côté de chez Compère Renard derrière son arbre en les regardant se battre
qu'il trouva fou de rage. « Sais-tu ce qui avec tant d'énergie. Pif! Paf! Boum! Brou!
m'arrive? hurla-t-il debout devant son appentis « C'est bien fait pour eux, se dit-il. Ah ! ils
vide. Ce coquin de Compère Ours est venu ne reviendront pas de sitôt me dévaliser! Vas-
cette nuit me voler ma provision de carottes! y, Compère Ours. Voici un coup bien assené,
Regarde! Voici l'empreinte de ses énormes Compère Renard! Eh bien, quelle tempête de
pattes! Ah! il ne perd rien pour attendre! Rira neige ! C'est à peine si je peux vous voir avec
bien qui rira le dernier! toute cette neige qui tourbillonne autour de
— Le voici qui descend la colline, dit moi ! Votre combat fini, je pourrais vous
Jeannot Lapin, se réfugiant d'un bond derrière inviter à dîner — mais je n'en ferai rien, J'AI LA
un arbre. Eh! Ho là là! Je ne l'ai jamais vu si MEILLEURE SOUPE AUX CAROTTES DU MONDE!»
furieux! Ecoute-le donc! Comme il grogne! » A ces mots, les combattants cessèrent la
Compère Ours dévalait la colline à toute lutte.
allure, faisant sur la neige des empreintes « Une soupe aux carottes? Où diable as-tu
toutes semblables à celles qu'avait laissées trouvé des carottes? s'écria Compère Ours. Ton
Jeannot Lapin la veille au soir. appentis est vide!
« Où est Compère Renard ? Où est ce — Il est à nouveau bien garni, mais j'y ai mis
voleur? rageait-il. Ne lui avais-je pas donné un bon cadenas maintenant, Compère Ours,
mes carottes en échange de ses vieux navets hurla Jeannot Lapin. Oh! Oh! Que ma soupe
tout moisis? Et le voilà revenu cette nuit me aux carottes est donc DÉLICIEUSE! Au revoir! »
chiper la moitié de mes navets? Ah! quand je Et il s'enfuit à toute allure, faisant gicler la
l'attraperai! » neige, et riant si fort que les petits moineaux
Compère Renard hurlait lui aussi. « s'envolèrent épouvantés. Pauvre Compère
Compère Ours, tu as eu le toupet de venir me Renard ! Pauvre Compère Ours ! Mais certes,
dérober mes carottes! Ne t'avais-je pas donné ils méritaient une bonne leçon, n'est-ce pas?
mes navets en échange? Brigand! J'ai vu tes

97
Les Cinq se trouvaient à la villa des noisettes... Rien ne me plaît autant qu'une
Mouettes pour y passer quelques jours de grande promenade.
vacances. Filles et garçons se réjouissaient — Ouah ! » fit Dagobert, mettant une patte
d'être ensemble encore une fois. sur le genou de Mick. Il entendait toujours
« II arrive bien rarement que nos vacances avec joie ce mot magique : " Promenade! "
coïncident et que nous puissions les passer « Allons-y! dit Annie. Tante Cécile, si nous
ensemble ! dit Annie. Et quelle chance que le faisions un pique-nique? Mais nous allons te
temps soit si beau au début de novembre! donner un surcroît de travail!
— Quatre jours de liberté! s'exclama — Pas du tout, si vous m'aidez, dit sa
Claude. A quoi allons-nous les employer? tante, se levant de son fauteuil. Venez avec
— Nous prendrons des bains de mer! moi! Nous tâcherons de vous préparer un
dirent ensemble François et son frère Mick. déjeuner froid! Mais rappelez-vous que la nuit
— Que dites-vous? s'écria leur tante, tombe vite en cette saison.
horrifiée. Vous baigner en novembre? Avez- Les Cinq se mirent en route une demi-heure
vous perdu la tête ? Je ne te le permettrai pas, plus tard. François portait un sac à dos
François, entends-tu? contenant sandwiches et gâteaux. Mick avait
— C'est bon ! c'est bon ! répliqua François, pris un panier pour rapporter son éventuelle
souriant d'une oreille à l'autre. Ne te tourmente récolte. Sa tante lui avait promis une tarte aux
pas, tante Cécile. mûres s'il en trouvait.
— Si nous allions jusqu'au sommet de la Dagobert ne se tenait pas de joie. Il trottait
colline des Quatre-Vents? proposa Michel. de-ci de-là, flairant et aboyant. Il découvrit un
C'est une magnifique promenade! Nous hérisson roulé en boule dans le creux d'un
trouverons peut-être encore des mûres et des talus.

98
« N'y touche pas ! cria Claude. Tu Ils déjeunèrent au sommet de la colline
devrais avoir appris à tes dépens que tu ne dois des Quatre-Vents. Il y soufflait un vent assez
pas tourmenter les hérissons! Ne le réveille fort, aussi s'abritèrent-ils derrière une
pas! Il a l'intention de dormir tout l'hiver! grosse touffe de genêts.
— Quelle belle journée ! dit Annie. Et « Nous serons au soleil ici, et nous ne
au début de novembre encore! Les arbres ont risquerons pas de prendre froid, dit François.
encore leurs feuilles. Et quelles couleurs ! Des Etale la nappe pour le déjeuner, Annie!
rouges, des jaunes, des bruns! Et les hêtres ont — Je meurs de faim, déclara Claude.
l'air d'être en or... Tu es sûr qu'il n'est qu'une heure, François?
— Voici des mûres! dit Michel Cela m'étonne.
apercevant un buisson dont les branches — C'est pourtant l'heure qu'indiqué
traînantes étaient encore chargées de fruits ma montre, répliqua-t-il, prenant un sandwich.
noirs. Goûtez-les! Elles sont douces Ah! ah! jambon et laitue! C'est ce que je
comme du miel! » préfère! Va-t'en, Dago! Je ne peux pas
A la vue des mûres, les Cinq déjeuner pendant que tu essaies de grignoter
ralentirent le pas. Les baies étaient énormes et mon sandwich! »
délicieuses! La vue était splendide du haut de la
colline. Tout en déjeunant, les quatre enfants
contemplaient la vallée qui s'étendait à leurs
pieds. Une petite ville s'y blottissait
douillettement, abritée par la colline. Des
fumées montaient paresseusement des
cheminées.
« Regardez! Voici un train en marche,
là-bas, tout là-bas, dit Claude. On dirait un
jouet!
— Va-t-il s'arrêter à la gare? demanda
François. Oui, il s'y arrête. Vraiment, il
ressemble à un jouet!
— Il repart maintenant en direction de
Kernach, je suppose, dit Michel. Y a-t-il
encore des sandwiches ? Quoi ? Il n'en reste
plus? Quel dommage! Alors, donne-moi un
« N’y touche pas ! » cria Claude.
morceau de gâteau, Annie. »
Ils bavardèrent, nonchalants, heureux
« Elles vous fondent dans la bouche,
de se retrouver tous ensemble. Dagobert allait
dit Claude. Tiens, goûte à celle-ci, Dagobert. »
de l'un à l'autre, attrapant une friandise ici, un
Mais Dago, écœuré, cracha la
bout de jambon ailleurs.
mûre.
« II me semble apercevoir un autre
« Tu as oublié tes bonnes manières,
petit bois de noisetiers, de l'autre côté de la
Dagobert », fit Michel. Le chien remua la
colline, dit Claude. Allons voir si nous y
queue, tout en gambadant joyeusement.
trouvons des noisettes. Il sera temps ensuite de
Les Cinq se remirent en marche, sans
rentrer. Le soleil est bien bas, François!
se presser. Ils découvrirent un bouquet de
- Oui, et c'est d'autant plus étrange
noisetiers et emplirent le panier des noisettes
qu'il. n'est guère que deux heures », répondit
qui jonchaient le sol. Deux écureuils, perchés
François regardant le rouge soleil de
dans un arbre voisin, manifestèrent leur
novembre, à peine au-dessus dé la ligne
désapprobation par des cris aigus. Les
d'horizon. « Dépêchons-nous! Cherchons
noisetiers étaient leur domaine!
encore quelques noisettes et rentrons par ce
« Vous pouvez bien nous offrir
sentier tortueux des falaises que j'aime tant! »
quelques-unes de vos noisettes ! leur cria
A leur grande joie, ils trouvèrent
Annie. Je suis sûre que vous en avez déjà
quantité de noisettes dans le petit bois.
enterré des centaines pour vos provisions
Dagobert
d'hiver! »

99
les réverbères étaient allumés. Ils se
dirigèrent vers la gare, descendant la grand'rue
au petit trot.
« Regarde l'affiche du cinéma, dit Annie.
On joue Robin des Bois! Mais regarde donc !
- Que se passe-t-il dans la grande salle, de
l'autre côté? demanda Claude. Dagobert, ici!
Oh! il traverse la route! Ici, Dago! »
Mais Dagobert escaladait le perron de
l'hôtel de ville. François se mit à rire. .
« II y a une exposition canine à la mairie et
Dago entend concourir!
- Il a senti l'odeur des chiens, dit Claude,
« Flûte ! J'ai dû oublier de la remonter ! » agacée. Allons vite le rechercher ou nous
manquerons le train. »
fouillait l'herbe de son nez et rapportait des Les murs de la mairie se paraient d'affiches
noisettes dans sa gueule. Il les offrait à Claude. montrant des chiens de toutes les races.
« Merci, Dago, disait Claude. Tu es très François s'arrêta pour les regarder tandis que
malin, mais tu le serais encore plus si tu savais Claude se mettait en quête de Dagobert.
distinguer celles qui sont bonnes de celles qui « II y a là des chiens de grande valeur, dit-
sont creuses ou véreuses! il. Certains sont superbes! Regarde la
- Dites donc, s'exclama bientôt Michel, le photographie de ce caniche blanc! Ah! voici
soleil s'est couché! Il fait presque nuit. Dago, il a l'oreille basse. Il comprend qu'il
François, es-tu sûr que ta montre est bien n'aurait pas le moindre prix de beauté. Si l'on
réglée ? » donnait des prix d'intelligence, ce serait une
François regarda sa montre. autre affaire!
« Elle marque toujours deux heures! dit-il — C'est cette odeur canine qui lui a donné
surpris. Flûte! j'ai dû oublier de la remonter. envie d'aller voir ce qui se passait, dit Claude.
Elle est complètement arrêtée! Il était furieux qu'on eût refusé de le laisser
- C'est malin, s'écria Michel. Rien entrer!
d'étonnant à ce que Claude ait trouvé le temps - Vite! Partons! J'entends le sifflet du
long avant le déjeuner! Nous n'arriverons train », dit Michel.
jamais à la maison avant la nuit, et nous Ils galopèrent jusqu'à la gare,
n'avons pas de lampes de poche. heureusement proche. L'employé donnait un
- Le sentier de la falaise est dangereux le coup de sifflet et agitait son drapeau lorsque
soir, dit Annie. Nous risquerions de tomber les enfants se précipitèrent sur le quai. Michel
dans la mer. ouvrit la portière du dernier compartiment et
- Partons tout de suite, ordonna François. ils s'y entassèrent tous, haletants.
Je suis désolé! Je n'avais aucune idée que ma «Nous l'avons eu de justesse, lança
montre était détraquée. Michel, se laissant tomber sur la banquette.
— Savez-vous ce que nous devrions faire? Fais donc attention, Dago! Un peu plus, et tu
dit Claude. Si nous descendions le sentier qui me jetais par terre! »
conduit à la ville? Là, nous prendrions le train Les quatre enfants ayant repris leur
jusqu'à Kernach? Si nous rentrons tard, maman souffle, examinèrent le compartiment. Il n'était
s'inquiétera et téléphonera à la gendarmerie. pas vide, comme ils l'avaient cru tout d'abord.
- Tu as une bonne idée, Claude, dit Deux autres personnes occupaient les coins
François. Vite! Descendons le sentier pendant près de la fenêtre, un homme et une femme. Ils
qu'on y voit encore un peu! Il nous mènera regardèrent les nouveaux venus d'un air
tout droit en ville ! » mécontent.
Les Cinq se mirent à courir et arrivèrent en « Excusez-nous! dit Annie, s'apercevant
ville à la nuit. Mais qu'importait? Tous

100
sur la banquette, geignant et lançant des
coups de patte à la femme. L'homme bondit de
son siège, furieux.
« Ne frappez pas mon chien, ne le frappez
pas, ou il mordra », cria Claude.
Heureusement le train s'arrêtait dans une
gare.
« Changeons de voiture », dit Annie,
ouvrant la portière.
Les quatre enfants descendirent, suivis
d'un Dagobert récalcitrant. Ils allèrent
s'installer dans un wagon de tête. Claude fit les
gros yeux à son chien.
Ils s'entassèrent dans le compartiment, « Qu'est-ce qui t'a pris, Dago? dit-elle.
haletants. Jusqu'à présent, les bébés ne t'ont jamais
intéressé? Couche-toi et ne bouge plus! »
que la femme portait une sorte de paquet Surpris de la voix mécontente de Claude,
enveloppé d'un châle. J'espère que nous Dagobert se faufila sous la banquette et n'en
n'avons pas réveillé votre bébé! Nous avons eu bougea plus. Le train s'arrêta à une petite halte
notre train de justesse! » où plusieurs personnes descendirent.
La femme berça dans ses bras la petite « C'est la halte des Genêts, dit Michel,
créature invisible, tout en chantonnant, et jetant un coup d'œil au-dehors. Tiens!
rajusta le châle, assez malpropre, ainsi que le l'homme, la femme et le bébé sont sur le quai!
remarqua Annie. La tête même du bébé était Je n'aimerais pas beaucoup avoir un père et
invisible. une mère de ce genre-là!
« Elle va bien? demanda l'homme. Couvre- - Il fait nuit noire maintenant, dit Claude.
la mieux encore, il fait froid dans ce train. » Quelle chance que nous ayons pu attraper le
« Là! là! là! » chantonna la femme, train! Maman doit commencer à s'inquiéter... »
resserrant encore le châle. Qu'il était donc agréable de se retrouver
Les enfants, se désintéressant du groupe, dans le salon confortable de la villa des
se mirent à bavarder. Dagobert, immobile à Mouettes, de dévorer un énorme goûter et de
côté de Claude, s'ennuyait. Tout à coup il se raconter les incidents de la promenade à la
mit à renifler et se dirigea vers la femme. Il mère de Claude qui avait été ravie des
sauta sur la banquette auprès d'elle et lança des noisettes et des mûres. Les enfants parlèrent
coups de patte vers le châle. La femme poussa aussi, bien sûr, des voyageurs désagréables et
des cris perçants et l'homme grogna : de l'étrange comportement de Dagobert.
« En voilà assez! Descends de là! A bas les « II s'est bien mal conduit aussi avant, dit
pattes! Eh! dites donc, les gosses, occupez- Annie. Tante Cécile, il y avait une exposition
vous de votre gros chien! Il va donner des canine à Guennolé, je suppose que Dagobert
convulsions au bébé!
— Ici, Dagobert », ordonna Claude, « C'est la halte des Genêts », dit Michel.
surprise de le voir s'intéresser à un bébé.
Le chien gémit, se dirigea vers sa jeune
maîtresse sans cesser de regarder la femme. Un
petit cri lamentable sortit du châle, et la femme
fronça les sourcils.
« Là, vous l'avez réveillé », dit-elle, et elle
se mit à parler à l'homme d'une voix dure et
discordante.
Que Dagobert était donc désobéissant!
Avant que Claude eût pu intervenir, il sauta

101
a lu les affiches et a eu envie de concourir, C'était plutôt le gémissement d'un chiot
car il a traversé la rue comme une flèche et que celui d'un enfant! Rien d'étonnant à
s'est précipité dans l'hôtel de ville où avait lieu ce que Dagobert ait été aussi excité! L'odeur
l'exposition! qu'il sentait l'avait renseigné! Il savait qu'il
— Vraiment? dit sa tante en riant. Eh s'agissait d'un chien!
bien! il a peut-être voulu retrouver le — Voilà qui est passionnant! dit François,
merveilleux petit pékinois blanc qui y a été se levant. Si nous allions à la halte des Genêts
volé aujourd'hui! Mme Charpentier m'a pour faire une enquête dans ce petit village ?
téléphoné tout à l'heure pour m'apprendre la — Non, dit tante Cécile, d'un ton ferme.
nouvelle. Cela fait toute une histoire! Le Je ne le permettrai pas. Il fait noir comme dans
petit chien qui vaut une très grosse somme un four, dehors, et vous ne passerez pas ces
était blotti dans sa corbeille, une seconde quelques jours de vacances à rechercher des
après il en avait disparu! Personne n'a été voleurs!
témoin du vol, et bien qu'on ait fouillé la
mairie de fond en comble, on n'en a pas trouvé
la moindre trace!
— Par exemple, en voilà un mystère ! dit
Annie. Comment quelqu'un a-t-il pu s'emparer
d'un chien sans être vu?
— C'est bien facile, riposta Michel.
Enveloppe-le dans un manteau ou fourre-le
dans un panier à provisions, rabats le
couvercle, faufile-toi dans la foule, et
personne ne soupçonne rien.
- Ou emmitoufle-le dans un châle, fais
semblant de porter un bébé, comme celui du « Tiens! l'homme, la femme et le bébé
train qui se trouvait dans le fichu malpropre, et sont sur le quai!»
le tour est joué! dit Annie. Mais dites donc,
nous avons pensé qu'il s'agissait d'un bébé! — Oh ! voyons ! dit François,
Cela aurait pu être un chien, un chat, ou un affreusement déçu.
singe! Nous n'avons pas vu sa tête! » — Téléphone à la gendarmerie! suggéra
II y eut un silence. Tous dévisageaient sa tante. Raconte ton histoire. Les
Annie et réfléchissaient. François donna sur la gendarmes découvriront vite la vérité. Ils
table un grand coup qui fit sursauter toute la savent quels gens ont des bébés aux Genêts.
famille. — C'est bien », fit François, désolé de
« II peut y avoir du vrai dans ce que tu renoncer à une aventure.
viens de dire, Annie, s'exclama-t-il. Cela vaut Il se dirigea vers le téléphone, maussade.
la peine d'y penser! Quelqu'un a-t-il aperçu le Quel dommage que tante Cécile leur interdise
visage du bébé, ou ses cheveux? Réponds, d'aller aux Genêts ce soir-là! C'eût été si
Annie, tu étais assise tout près de lui. amusant!
- Non, dit Annie surprise, non! J'ai Les gendarmes manifestèrent un grand
essayé de l'apercevoir, parce que j'aime bien intérêt et posèrent de nombreuses questions.
les bébés, mais le châle lui recouvrait François donna toutes les précisions
complètement la tête. demandées pendant que toute la famille
- J'y pense ! Vous vous rappelez comme l'écoutait avec la plus grande attention. Enfin il
Dagobert était intéressé? dit Claude au reposa le récepteur et se tourna vers ses
comble de l'émotion. Il ne prête nullement auditeurs, ayant repris toute sa gaieté.
attention aux tout petits, mais il ne cessait de « Ils ont été très contents de ces
sauter et de lancer des coups de patte sur le renseignements! dit-il. Ils partent pour les
châle! Genêts à l'instant dans une voiture de police.
— Et vous rappelez-vous la façon dont le Ils nous tiendront au courant. Tante Cécile,
bébé geignait? nous ne

102
pourrons pas aller nous coucher avant de
savoir ce qui s'est passé!
— Sûrement pas ! s'écrièrent les
autres enfants, et Dagobert fut de leur avis,
aboyant et sautant frénétiquement.
— Très bien, dit tante Cécile en souriant.
Quels enfants extraordinaires vous êtes!
Vous ne pouvez pas aller en promenade
sans qu'il ne vous arrive des aventures!
Jouons aux cartes en attendant d'avoir des
nouvelles. »
Ils y jouèrent donc, mais ils ne cessaient de
tendre l'oreille, guettant la sonnerie du
téléphone. Ils attendirent en vain.
« C'est une fausse piste, je suppose, dit
Mick d'un ton lugubre. Nous nous sommes
trompés! »
Mais soudain Dagobert courut vers la
porte en aboyant.
« Voici quelqu'un, s'écria Claude. Ecoutez!
Une voiture! »
Ils dressèrent l'oreille et entendirent une
voiture qui s'arrêtait devant la grille. Puis des
pas montèrent l'allée, et la sonnette de la porte
d'entrée tinta. Claude, d'un bond, quitta le Il défit le châle.
salon et ouvrit la porte.
« Ce sont les gendarmes, cria-t-elle.
Entrez, entrez donc », dit-elle ensuite aux Le porteur nous a informés que quatre
nouveaux venus. personnes étaient descendues du train, dont un
Un brigadier corpulent pénétra dans le couple. La femme portait un bébé. Il nous a
vestibule, suivi d'un subordonné qui portait un donné leur nom et leur adresse : aussi sommes-
paquet recouvert d'un châle. Dagobert sauta en nous allés à leur petite maison...
gémissant vers son fardeau. - Ouah!» interrompit Dagobert, essayant
« Ce n'était donc pas un bébé! » s'écria une fois de plus d'attraper le minuscule animal;
Annie. mais personne ne lui prêta la moindre
Le gendarme sourit en secouant la tête. Il attention.
défit le châle et apparut, profondément « Nous avons regardé par la fenêtre de
endormi, un adorable petit pékinois. derrière, continua le brigadier, et nous avons
« Oh! quel amour! s'écria Annie. Éveille- aussitôt découvert ce que nous cherchions! La
toi, mon petit chou! femme faisait boire du lait au chien, et elle
- Il a été drogué, dit le gendarme. Je devait y avoir mis un soporifique, parce que la
suppose que ses ravisseurs ont eu peur qu'il ne petite bête s'est endormie tout de suite.
gémisse la nuit et ne les trahisse! — Aussi, nous sommes entrés, dit le
— Dites-nous ce qui s'est passé, supplia second gendarme, souriant à la ronde. Le
Michel. A bas les pattes, Dagobert! Claude, couple a été si épouvanté qu'il a avoué tout de
ton chien est par trop excité. Il veut jouer avec suite. Ces gens-là avaient reçu de l'argent pour
le pékinois! voler le chien. Ils ont donc pris le châle de leur
— Après avoir reçu votre coup de propre bébé; en ont enveloppé un coussin, et
téléphone, dit le brigadier, nous nous sommes ont volé le chien sans la moindre difficulté
rendus à la halte des Genêts. pendant que le jury attribuait le

103
prix des bergers allemands! Ils ont
emmailloté le chiot dans le châle, comme vous
le pensiez, et sont rentrés chez eux par le
train...
- Oh! que j'aurais aimé vous accompagner
au village! dit François. Savez-vous qui avait
donné l'ordre à ces gens-là de voler le petit
chien?
- Oui! Et nous allons de ce pas aller
trouver cette personne! Elle sera bien surprise
de nous voir, dit le gros brigadier. Nous
avons fait savoir à la propriétaire du pékinois
que nous avions retrouvé son chien, mais cette
dame a été si bouleversée par toute cette — Eh bien, si votre maman ne s'oppose
histoire, qu'elle ne se sent pas la force de venir pas à ce que vous ayez deux chiens dans votre
le rechercher ce soir. Alors, nous vous chambre, tout est pour le mieux! » dit le
demandons si vous ne voudriez pas le garder brigadier, faisant signe à son subordonné de
cette nuit? donner le chien enveloppé dans son châle à
— Oui ! oui ! s'écria Claude, enchantée. une Claude rayonnante de joie.
Oh ! maman, je le prendrai dans ma chambre Elle le prit avec précaution et Dago se
et Dagobert pourra veiller sur lui. remit à bondir.
« Non, Dago! Attention! dit-elle. Vois
donc, ce n'est pas un bébé! »
« Nous avons regardé par la fenêtre de Dagobert regarda le petit pékinois
derrière. » endormi, et très doucement le lécha du bout de
sa langue rosé. Mais oui, c'était le minuscule
chien qu'il avait senti dans le train, tout
enveloppé d'un châle! Dagobert, lui, avait
deviné la vérité du premier coup!
« Je ne sais pas comment tu t'appelles, dit
Mick, caressant la petite tête soyeuse du chiot.
Mais j'ai bonne envie de te nommer " Le
Rescapé du train de Kernach! " Le malheur,
c'est que je ne sais pas traduire ce nom en
chinois ! »
Les deux gendarmes éclatèrent de rire.
« Allons! Bonsoir, Madame! Bonsoir les
enfants! dit le brigadier. Mme Charpentier, la
propriétaire du chien, viendra le chercher
demain matin. Son pékinois a remporté
aujourd'hui un premier prix ! Aussi, je suppose
qu'elle vous donnera une belle récompense!
Bonne nuit! »
Les Cinq, bien sûr, ne voulaient point de
récompense, niais Dagobert en eut une pour
avoir veillé le petit pékinois toute la nuit. Il la
porte maintenant autour du cou : c'est le plus
beau collier clouté qu'il ait jamais eu de sa vie!
Ce bon vieux Dagobert!

104
105
106
107
L'enfant fit " oui " de la tête^ mais ne
AIDEZ-MOI souffla mot.
« Assieds-toi, dit M. Papillon, et
maintenant, parle-moi de tes ennuis.
— S'il... s'il... s'il vous plaît, ai...
ai... aidez-m... m... moi, dit le petit, bégayant.
- Mais oui, dit M. Papillon. Qu'y a-t-il?
Qu'est-ce qui te tourmente?
, — G'... c'... c'est que je bé... hé...
bégaie, dit le garçon, nerveux. Je ne p... p...
peux pas m'en empêcher! Et tout le m... monde
se m... moque de moi, et a... alors, je bé...
bégaie de plus en plus. Et ma m... m... ma...
maman se fâche, et je bé... bé... bégaie sans
cesse !
— Ce n'est pas de chance, dit M.
Papillon. Mais ne t'énerve pas en ma présence.
Tu seras content d'apprendre que je peux te
M. PAPILLON guérir très facilement de ton bégaiement.
- Le p... p... pou... pouvez-vous? dit
Voici encore M. Papillon, cet homme si
l'enfant abasourdi.
serviable, gui secourt les infortunés et les
- Comment t'appelles-tu? dit M.
victimes de l'injustice. Il vient ici à l'aide de
Papillon. Où habites-tu? Je vais t'envoyer
Marc Bréan.
un remède très efficace.
— Je m'... m'... m'appelle M... M... Marc,
«Monsieur Papillon! Monsieur! dit
B... B... Bréan, dit le garçon, montrant un
Ramonât, le chat, entrant dans la pièce où son
visage rayonnant.
maître faisait un petit somme. Auriez-vous
— Un nom bien gênant à prononcer
l'obligeance de vous réveiller juste une
pour une personne qui bégaie, dit M. Papillon,
minute?
avec un clin d'œil malicieux. Je t'ai dit de ne
— Eh ? Eh ? Ma parole ! Étais-je
pas t'énerver avec moi! Respire profondément
endormi ? dit M. Papillon, se réveillant en
et redis ton nom, bien lentement!
sursaut. Qu'y a-t-il, Ramonât? Un visiteur?
— Marc Bréan, dit le petit. Qu'est-ce
- Eh bien, il y a ici un petit garçon qui
que v... v... vous allez m'envoyer, monsieur?
paraît avoir besoin de votre aide. Mais il est si
timide que je ne comprends rien de ce qu'il dit!
- Introduis-le », dit M. Papillon.
Ramonât sortit de la pièce en courant et s'en
fut jusqu'à la grille où se trouvait un petit
bonhomme d'environ neuf ans, jetant des
coups d'œil inquiets vers la maison.
« Entrez, entrez, dit Ramonât. Et tâchez
de vous exprimer de façon intelligible, ou vous
ferez perdre son temps à mon maître! »
L'enfant suivit Ramonât dans la petite
maison. Il rougit de plaisir à la vue de M.
Papillon. Oui, c'était vraiment M. Papillon, en
chair et en os! M. Papillon aux oreilles
pointues, aux yeux verts et au large sourire.
« Eh ! bonjour, mon garçon, dit M.
Papillon. De quoi s'agit-il? Il paraît que tu
« Eh ! bonjour, mon garçon », dit M.
veux me voir? »
Papillon.

108
Il choisit un chiot bien dodu, au poil
soyeux, aux oreilles tombantes et aux yeux qui
eussent attendri un cœur de pierre ! Ce même
soir, M. Papillon porta le petit épagneul chez
Marc et le confia à sa maman. Celle-ci avait
préparé une petite corbeille ronde et y avait
placé une couverture bien douce et bien
chaude. Elle était fort reconnaissante

Il téléphona à la maman de Marc.

— Ah ! une créature vivante ! dit M.


Papillon, refermant le carnet où il avait inscrit
le nom et l'adresse de Marc. Un être qui
voudra comprendre chacune de tes paroles, qui
ne se moquera jamais de toi, qui désirera que
tu lui parles sans cesse et de façon si
intelligible qu'il puisse obéir au moindre de tes
ordres.
— Est-ce un être magique? demanda Maman avait des noix dorées.
Marc, si surpris qu'il oublia de bégayer. Elle me donna les coquilles.
— Tu verras, dit M. Papillon, et Je vais en faire des voiliers.
maintenant, file! Je veux que tu reviennes me J'en aurai toute une flottille !
voir dans un mois, et que tu me rapportes le
présent que je vais te donner, afin que je puisse
me rendre compte si tout est pour le mieux! »
Marc s'en alla, à la fois ravi et intrigué.
Qu'avait voulu dire M. Papillon? Oh! que cet
homme était donc bon! Que ses yeux
scintillaient ! Que sa voix était joyeuse ! Oui, il
était sûr que M. Papillon le guérirait de son
bégaiement, sans gronderies, sans moqueries, Des allumettes me suffisent.
sans longs exercices. Les voiles sont de papier blanc.
M. Papillon, Marc une fois sorti, téléphona J'ai toute une flotte à présent
tout de suite à la maman de l'enfant. Elle fut Grâce à ces coquilles de noix !
surprise lorsqu'il lui eut dit son nom, et plus
encore d'apprendre que Marc était allé le voir.
« II se tourmente tant au sujet de son
bégaiement, dit M. Papillon. Je puis l'en guérir,
si vous m'autorisez à lui envoyer un cadeau. »
II lui expliqua quel genre de cadeau il
voulait offrir à Marc. La maman promit de le
transmettre à son fils immédiatement, bien Mes bateaux sont dans la cuvette.
qu'elle fût incapable de comprendre comment Je souffle, et voici la tempête !
un tel présent pourrait aider Marc à vaincre son Ah! si je pouvais embarquer,
bégaiement. Et en pleine mer naviguer !
M. Papillon s'en fut ensuite à une ferme
voisine, et demanda à voir les chiots de
Floppy, la belle épagneule dorée. Qu'ils étaient
jolis à voir dans leur corbeille, jappant, se
tortillant de-ci de-là! M. Papillon désirait
vivement en acheter un pour lui-même, mais il
savait que Ramonât, son chat, serait furieux.

109
II bondit hors du lit et se pencha sur le
naissante, mais avec quelle curiosité elle chiot. Le petit animal se blottit contre lui,
examina les oreilles pointues de M. Papillon, geignant encore. Alors Marc vit une grande
qui apparaissaient sous son chapeau haut de enveloppe blanche dans la corbeille et s'en
forme! Quel étrange petit bonhomme! Et que saisit. « De la part de M. Papillon, pour Marc
son visage était empreint de bonté! « Ce petit », lut-il sur l'enveloppe qu'il se hâta d'ouvrir.
chien ne pourra corriger Marc de son « Voici le remède que je te prescris pour
bégaiement, bien sûr, dit-elle. Mais que c'est ton bégaiement, Marc, disait la note. Il faut
donc gentil de le lui donner! Je crains fort, que Bonny comprenne nettement chacun des
hélas, que vous ne puissiez vous-même le mots que tu prononceras. Il ne bégaie pas!
débarrasser de ce défaut! Nous avons tout Enseigne-lui tout ce qu'un chien doit savoir. Ta
essayé, et sans le moindre résultat. maman te transmettra mes ordres. Avec toute
- N'importe! Donnez ce chiot à Marc, et l'affection de M. Papillon. »
dites-lui qu'il s'appelle Bonny! Marc, ayant lu ce billet, regarda
- Oh, mon Dieu! il ne pourra jamais longuement le
prononcer ce nom-là! dit Mme Bréan. Le « B minuscule chiot.
» est une des lettres qu'il ne parvient pas à dire Il le berça dans
sans s'y reprendre à plusieurs fois. ses bras, le
— Le chien s'appelle Bonny, dit M. Papil- câlina, et posa le
lon d'un ton ferme. En aucun cas, il ne faut lui menton sur la
choisir un autre nom. Dites à Marc qu'il doit tête douce du
dresser son chien convenablement, ou je petit chien.
reprendrai l'animal à la fin du mois. Il doit lui « Bonny,
enseigner le sens de beaucoup d'ordres : dit-il
Assis ! Couche-toi ! Tais-toi ! A bas les tendrement. Tu
pattes ! Suis-moi ! Je désire que Bonny obéisse es Bonny. Que
à tous ces ordres d'ici un mois. Et je vous ce nom te va
prierai de donner cette lettre à Marc. bien ! Voici
- Oh! monsieur, il ne pourra jamais dire donc le présent
un seul de ces mots sans bégayer, dit Mme de M. Papillon!
Bréan. C'est impossible! » »
M. Papillon souleva son chapeau, fit ses Le chiot
adieux et partit. Il se demandait que dirait gémit et se
Marc à la vue du chiot. blottit plus près
Tout doucement, Mme Bréan monta encore de
l'escalier, portant Bonny dans sa corbeille. Le l'enfant. Il
petit animal dormait profondément. Elle posa éprouvait de
sans bruit la corbeille dans la chambre de Marc l'affection pour
et sortit. L'enfant, lui aussi, était plongé dans le ce garçon
sommeil et ne bougea point. sympathique,
Bonny dormit paisiblement. Mais au amical et
milieu de la nuit il s'éveilla, cherchant sa mère. bienveillant.
Où était-elle ? Il ne pouvait ni la toucher, ni la C'était l'espèce
flairer. Il se sentit affreusement seul. Il s'assit d'enfant que tous
dans sa corbeille et se mit à geindre. Marc se les chiens
réveilla tout de suite et se dressa dans son lit. aiment.
Quel était ce bruit? Il dressa l'oreille, surpris au « Je ne peux
plus haut point. On eût dit le gémissement d'un pas te laisser
chien! dormir tout seul
Il alluma sa lampe de chevet et, tout de dans ta
suite, il aperçut le minuscule épagneul assis corbeille, cette
tristement dans sa corbeille, appelant première nuit, dit Marc. Tu vas coucher avec
sa maman. moi dans mon lit. J'espère que maman ne sera
« Oh! dit Marc, je rêve! Il n'y a pas de pas fâchée!
doute, je rêve! »

110
« Tu verras », dit « Oh! permets-moi de la prendre dans mes
M. Papillon. bras, Marc! »

Je ne le ferai plus jamais! » Et pourtant, lorsque tu parles à Bonny, tu


II caressa encore le petit chien, admirant son parles comme tout le monde! Donc, tu peux
poil doux et soyeux et ses belles oreilles. «Je t'empêcher de bégayer!
n'ai pas bégayé une seule fois, n'est-ce pas? — Je ne le p... p... peux pas quand je
dit-il. Tu ne m'en voudrais pas, mais tu serais p... p... parle à des p... p... personnes telles
bien étonné si je t'appelais B... b... b... Bonny, que toi, qui se m... m... moquent de moi,
dis? Tu aurais même peut-être peur? Tu ne te répliqua Marc. Je n'ai pas peur que B... Bonny
moqueras pas de moi, tu ne seras pas fâché rie de moi!
contre moi! Tu seras mon ami, et je serai le — Ecoute, Marc. Si tu me prêtes Bonny de
tien. Si seulement je pouvais dire à M. Papillon temps en temps, je te donnerai ma parole
combien je suis heureux. » d'honneur de ne plus jamais me moquer de toi,
Marc était si content le jour suivant qu'il dit Janine. Je ne t'imiterai pas non plus. Plus
avait peine à cesser de chanter et de siffler. jamais!
Bonny le suivait comme son ombre. Toute la — Entendu, alors. G... cela m'aidera à
maisonnée raffolait de la minuscule créature, me corriger, dit Marc.
surtout Janine, la sœur de Marc, véritable
garçon manqué.
« Oh ! permets-moi de le prendre dans mes
bras, Marc, je t'en prie, dit-elle.
- N... n... n... non, dit Marc se remettant à
bégayer.
- Là! tu recommences, dit Janine.

Il racontait à Bonny tout ce qui s'était


passé en classe.

- Bonny, je te présente ma sœur! Elle


t'aimera beaucoup elle aussi ». Chose
surprenante, Marc ne bégayait jamais lorsqu'il
parlait à Bonny. Il se mit vite à le dresser. Tout
d'abord, le garçon se demandait s'il arriverait à
prononcer les ordres correctement. Pourrait-il
dire : « A bas les pattes ! A bas les pattes! »
sans bégayer? Mais il ne se tourmentait pas
trop à ce sujet. M. Papillon devait avoir raison,
une fois de plus.
Marc se rappelait que M. Papillon lui avait
recommandé de beaucoup parler au chiot afin
que celui-ci comprît toutes les paroles de son
petit maître. Aussi, dès son retour de l'école,
l'enfant appelait Bonny, l'emmenait dans la
salle de jeux, jouait avec lui et lui parlait sans
cesse.
Il racontait au chien tout ce qui s'était passé
en classe. Il lui apprit à jouer à la balle et ne
cessait de lui conter par le menu sa visite à M.
Papillon. Sa mère l'entendit un jour converser
ainsi, et passa la tête par la porte pour écouter.

111
Quelle ne fut pas sa surprise! Marc n'avait pas « Oh! m... m... maman. Tu m'as fait s...
bégayé une seule fois ! sur... sursauter ! »
Mais lorsque Marc aperçut sa mère, il se
mit immédiatement à bredouiller. « Oh !
M... m... maman, tu m'as fait s... sur...
sursauter !
— Je le regrette, Marc, dit sa maman. Je
t'ai écouté parler à Bonny, et tu n'as pas du tout
bégayé!
Je lé sais! dit Marc. Mon bégaiement ne
l'agacerait pas, mais pourrait le déconcerter. Et
puis, quand je suis avec lui, j'oublie que je
bégaie! Il est mon ami. Je sais qu'il ne se
moquerait pas de moi. Aussi, je n'hésite pas à
parler, je n'ai pas peur, et je ne bredouille pas.
Maman, il va me guérir!
— J'en suis sûre, dit Mme Bréan.
M. Papillon avait raison! Continue à bavarder
avec Bonny, Marc. Et bientôt, tu seras si
habitué à parler normalement que tu n'auras
plus peur de bégayer, même quand tu parleras
à des inconnus! »
Au bout du mois, Marc était certain de sa
guérison. Il avait tant parlé à Bonny, lui avait
appris à comprendre tant de mots qu'il
n'éprouvait nulle crainte et nulle nervosité. Il
s'exprimait aussi bien que Janine, avec autant
de rapidité et d'assurance.
M. Papillon regardait avec attention.
« C'est un véritable miracle, dit Mme
Bréan.
— Volontiers, car s'il est mal dressé, je le
- Non. Tout simplement du bon sens,
reprendrai! »
répliqua son mari. J'aimerais faire la
Marc donna toute espèce d'ordres au petit
connaissance de ce M. Papillon! »
Bonny : « Assis ! Couché ! Aboie ! Du calme!
Mais Marc alla tout seul revoir l'excellent
Suis-moi! Attention!»
petit homme, accompagné de Bonny. Le chiot
M. Papillon regardait avec attention et
savait déjà suivre son maître et était sage
écoutait.
comme une image.
Marc se tourna vers lui, le visage rouge et
« Hé! bonjour! Je suis content de te revoir,
les yeux brillants. « Voilà, monsieur, dit-il. Je
lui dit M. Papillon. Eh bien, es-tu guéri ?
puis le garder, n'est-ce pas? J'aime Bonny.
- Oh! tout à fait! Je ne bégaie plus
Nous sommes bons amis. Il m'a guéri, tout
jamais. Dois-je vous montrer comment j'ai
comme vous me l'aviez promis!
dressé Bonny?
— C'est très bien, Marc. Bien sûr, tu
peux le garder! Tu le mérites. Laisse-le
parfois à Janine!
— Oui, dit Marc. Elle m'a aidé aussi, car
elle ne s'est plus moquée de moi, dès l'instant
où je lui ai permis de le cajoler. Je suis bien
guéri, n'est-ce pas?
— Il n'y a pas le moindre doute! Tu es
même bavard, maintenant! Tu ouvriras
toi-même la porte, car Ramonât n'aime pas les
chiens. Au revoir!
— Au revoir, monsieur. Je vous remercie
de tout mon cœur! Et je dirai à tout le monde

112
qu'il suffit de parler à un chiot pour ne plus — De quoi avons-nous besoin pour
jamais bégayer! » fabriquer nos coiffures? demanda
Jeannot.
Commençons tout de suite ! Oh ! je
voudrais porter la mienne sans tarder!
- Il nous faut des plumes,
naturellement, dit Mlle Anna. Plus elles
seront brillantes, mieux cela vaudra. Je me
demande si la cuisinière n'en a pas de
faisan? Sinon, nous prendrons des plumes
de poule, tout simplement, et nous les
teindrons!
— Oh, j'ai des quantités de plumes de
toutes sortes, dit Jeanne joyeuse. J'en fais
collection depuis des années et je n'ai
Mademoiselle Anna jamais pensé qu'elles seraient si utiles! J'en
ai de poule, de canard, de faisan, et
et les coiffures de même de perroquet! La vieille Mlle Bigot
Peaux-Rouges avait un perroquet autrefois, et lorsque
Jacquot perdait des plumes, elle me les
Les enfants des voisins possédaient des donnait toutes.
costumes et des coiffures de Peaux- — C'est parfait, dit Mlle Anna. Va les
Rouges, et même un merveilleux wigwam chercher! » Jeanne revint bientôt avec une
qui faisait l'envie de Jeannot et de ses admirable collection de plumes de
sœurs, Lucie et Jeanne. toutes couleurs et de toutes dimensions.
« Ce sont ces coiffures emplumées que « II nous faut d'abord préparer le
je préfère, dit Jeannot. Ne sont-elles pas bandeau », dit Mlle Anna. Elle trouva des
ravissantes, mademoiselle Anna ? Je me morceaux d'étoffe dont elle fit de longues
demande si vous sauriez en faire? bandes. Puis elle prit le tour de tête de
— Mais bien sûr, dit Mlle Anna. chaque enfant.
Puisque vous désirez tant en avoir, je vous
en ferai. Rien n'est plus facile!
— Oh! quelle chance, s'écrièrent les
trois enfants.
— Ce que je veux, c'est une coiffure
de " brave ", dit Jeannot, vous savez, celle
qui a des plumes non seulement tout autour
de la tête, mais aussi jusqu'au bas du dos!
Mais les filles ne peuvent en porter. Elles
sont tout bonnement des squaws. Elles
ne peuvent avoir que des bandeaux ornés
de plumes !
— Ce n'est pas juste, dit Jeanne
immédiatement.
— Mais si, répliqua Mlle Anna. Seuls
les " braves " ont le droit de porter des
( Voir solution page 203)
plumes au dos. Les squaws ne le peuvent,
puisqu'elles ne vont pas au combat. Mais
j'espère que Jeannot vous prêtera sa
coiffure.

113
« II nous faut plier en deux chacune de — Mais je ne sais pas coudre! dit
ces bandes, dit-elle. Les plumes seront Jeannot alarmé.
insérées dans le pli et cousues ensuite.

pousser des cris de guerre si féroces que


- Eh bien! tu trieras les plumes et les leur maman regarda par sa fenêtre, toute
placeras dans les plis, répondit Mlle Anna. Tu surprise d'entendre pareil vacarme.
mettras les plus grandes sur le devant,
naturellement! Choisis des couleurs vives! Les
petites et moi les coudrons ensuite. » « Ah! voici donc pourquoi ils ont été si
Jeannot eut vite fait de trier les plumes les tranquilles tout l'après-midi, se dit-elle. Eh
plus belles et les plus grandes et de les placer bien! ils se dédommagent maintenant en
dans le pli de l'étoffe. Mlle Anna et les fillettes criant comme de véritables
les cousirent alors solidement. Et il n'y eut plus sauvages!»
qu'à coudre les extrémités de la bande.
« Vous devriez décorer vos coiffures de
grands points de broderie et de perles de verre!
conseilla Mlle Anna. J'ai vu des perles dans ta
boîte qui conviendraient admirablement,
Jeanne. Va les chercher! Jeannot, trie d'autres
plumes qui compléteront ta coiffure. Il t'en
faudra beaucoup, car elles doivent descendre
jusqu'au bas du dos. »
Mlle Anna coupa une autre bande d'étoffe,
beaucoup plus longue que les précédentes, où
seraient cousues les plumes.
Avec quelle adresse elle cousait chaque
plume, et avec quel intérêt les enfants la
regardaient! Les petites décorèrent leurs
coiffures qui furent bientôt tout étincelantes de
perles et de points de broderie!
Lucie jeta un coup d'œil au-dehors.
« Oh! regardez donc! La pluie a cessé! Oh!
vite, sortons dans le jardin! Jouons à être des
Peaux-Rouges ! Portons nos coiffures !
Comme nos petits voisins vont être jaloux!
Nos coiffures sont cent fois plus belles que les
leurs! »
Ils sortirent tous en courant, ornés de leurs
plumes splendides, et en vérité, ils étaient
magnifiques! Ils se mirent à hurler et à

114
(Voir solution page 203)

L'un des ours n'avait pas encore quitté la


cage brisée et se contentait de gronder.

115
Les ours sont
Quatre amis, Lucette, Denise, Jacques et
lâchés
Henri, ont été enlevés d'une maison où ils
passaient leurs vacances en compagnie du monde semblait être au courant des ambitions
prince héritier du royaume de Tauri-Hessia. du comte.
Emmenés dans ce lointain pays en même Au repas du soir la maman de Pedro apprit une
temps que le prince, ils sont retenus prisonniers triste nouvelle aux deux garçons : Fank, le
dans un sinistre château. Jacques parvient à se dresseur d'ours, était malade et le " patron " se
sauver, et recueilli par un cirque ambulant il se montrait très ennuyé.
lie d'amitié avec Pedro, le garçon de piste. Avec « Pourquoi? s'étonna Jacques. Fank ira peut-
son aide, il fait échapper ses amis qui, à leur être mieux demain et, en mettant les choses au
tour, entrent dans la troupe du « Mondial- pire, les ours ne paraîtraient pas, voilà tout!
Circus». - Les ours sont une des attractions principales!
expliqua Pedro. Nous aurons une moins bonne
Jacques constata bien vite que Pedro faisait recette si l'on supprime leur numéro. Mais il y a
un compagnon charmant. Ce n'était qu'un garçon pire : Fank est le seul ici à avoir ses ours en
de piste, aux manières assez rudes, mais il avait main. Une fois déjà il a été malade et les ours ont
du tact. Comprenant que Jacques ne désirait pas refusé de se laisser approcher par quiconque. On
donner de détails sur son séjour en Tauri-Hessia n'a pas pu changer leur litière, ils n'ont pas
et devinant qu'il devait avoir un secret, il ne lui voulu manger, ils se sont battus entre eux et ont
posa pas des questions. Jacques lui en fut menacé de briser leur cage et de prendre la fuite.
reconnaissant. Fank a dû se traîner hors de son lit pour les
Le cirque leva le camp dans la soirée. calmer. Il a failli en mourir.
Chemin faisant, il posa des questions à - Pauvre Fank! Espérons que rien d'aussi
Pedro. A combien de kilomètres était-on de terrible n'arrivera cette fois-ci et qu'il guérira
Borken? A qui appartenait le château? Était-il vite.
très vieux? Pouvait-on le visiter? — C'est un excellent dompteur et ses bêtes
« Ce château, expliqua Pedro, ainsi que la l'adorent, déclara Pedro. Il sait aussi bien
ville de Borken et toutes les terres alentour, dompter les tigres et les lions que les ours. C'est
appartiennent au comte Paritol. Celui-ci vit au un charmeur d'animaux. J'ai vu une panthère
château et, ajouta-t-il en riant, il ne permet à féroce venir lui manger .dans la main !
personne de le visiter. Je crois que si un - Je connais un garçon dans le genre de Fank,
imprudent se hasardait seulement à s'arrêter dit Jacques en pensant à Henri. Les bêtes
devant la porte il serait fourré en prison avant l'adorent.
d'avoir pu dire ouf! - Je suppose qu'il n'a jamais eu affaire à des
— Eh bien, commenta Jacques d'un air animaux féroces? questionna Pedro. Il est plus
sombre, il ne semble guère accueillant, ce comte facile d'apprivoiser des chiens, des chats et des
Paritol! » souris que des ours ou des tigres.
II songeait que si ses amis avaient été — C'est exact, répondit Jacques. Mon ami
conduits dans la place, ils ne devaient pas être ne s'est jamais mesuré avec des animaux de
très heureux avec un tel gardien. grande taille, mais peut-être réussirait-il aussi à
« Oui, reprit Pedro, le comte est puissant et il se les attacher... Enfin, je fais des vœux pour que
a une volonté de fer. Il déteste le roi, qui Fank se rétablisse vite!... »
gouverne sagement et empêche les nobles trop Dans la soirée, la représentation eut lieu
turbulents de s'agiter. Il aimerait bien que ce soit comme d'habitude, à cela près que, cette fois
le petit prince Aloysius qui règne. Comme ça, le encore, les ours de Fank ne figuraient pas au
comte pourrait gouverner en fait le pays. » programme. La recette s'en trouva
Décidément, en Tauri-Hessia, tout le considérablement diminuée.

116
Enfin, le spectacle se termina. Après avoir
englouti à la hâte le souper que leur servit la
mère de Pedro, Jacques et son ami allèrent
dans leur caravane attendre les deux acrobates.
C'est alors qu'une immense clameur s'éleva
au-dehors.
« Les ours! Les ours se sont échappés! »
Toni arriva en courant.
« Fank ne peut pas quitter son lit,
expliqua-t-il. Il faut qu'Henri fasse quelque
chose. »
Bien entendu, Henri n'était pas encore au
courant de cette histoire d'ours. Jacques la lui
expliqua en quelques mots.
« Ce serait une terrible perte pour le
cirque, dit-il en conclusion, si l'on n'arrivait
pas à mater ces animaux et s'il fallait les tuer.
Essaie de les ramener à la raison! »
L'un des ours n'avait pas encore quitté la
cage brisée et se contentait de gronder.
Personne n'osait l'approcher. Les autres
rôdaient autour de la caravane du patron,
enfermé à l'intérieur. Henri réfléchit
rapidement.
« Où pourrais-je me procurer de la
viande ? demanda-t-il. Ou encore du miel?
— Je ne sais pas, dit Pedro, mais il y a un
seau de mélasse là-bas. Attends! Je vais le
chercher! »
Lorsque Henri eut le seau, il se rapprocha
un peu des ours qui tournèrent la tête vers lui.
Jacques lui cria quelques conseils de prudence
et le regarda faire de loin, fasciné. Henri releva
ses manches et plongea ses bras jusqu'au coude
dans l'épais sirop. Puis il se rapprocha
davantage des ours et s'assit par terre, le seau à
côté de lui. Il attendit. Les fauves grognèrent
un peu plus fort. Les gens du voyage
regardaient de tous leurs yeux, prêts à
intervenir en cas de nécessité absolue.
Soudain, l'un des ours flaira la mélasse,
cette friandise que Fank leur donnait parfois.
Comme Henri avait pris la précaution d'en
répandre un peu autour de lui, l'animal se mit
soudain à lécher l'herbe. Son compagnon se
précipita pour prendre sa part du régal.
Bientôt, les deux ours furent tout près du jeune
garçon qui restait strictement immobile. Ils
L'ours léchait paisiblement la s'arrêtèrent alors et tendirent le
mélasse.

117
museau. Henri avança la main avec une
lenteur calculée et l'agita de manière que les
fauves sentissent bien l'odeur de la mélasse.
Puis il se mit à parler, de cette voix spéciale
que, prétendait Denise, il prenait toujours pour
" charmer les bêtes ". Il s'adressait aux ours
d'un ton monotone, envoûtant. Les animaux
écoutèrent. Puis ils recommencèrent à grogner,
se turent et écoutèrent encore. Henri parlait
toujours.
Au bout d'un moment, avec l'odeur de la
mélasse, la propre odeur d'Henri arriva aux
narines des deux plantigrades. Cette odeur leur
plut autant que l'autre : c'était celle d'un ami.
Alors, le premier ours s'avança soudain et
lécha la main d'Henri. L'autre ours se risqua lui
aussi et, à son tour, se régala de mélasse. Par
une suite de mouvements imperceptibles qui
lui prirent un certain temps, Henri se releva
alors et, sans cesser de parler, trempa à
nouveau ses mains dans la mélasse et les tendit
aux ours.
Puis, reprenant le seau, il se mit à marcher
à reculons, versant à terre au fur et à mesure un
peu du sirop parfumé. A mi-chemin de la cage,
il s'arrêta, tendit le seau à un ours et, de sa
main libre, caressa la tête de l'autre. Un frisson
parcourut la foule angoissée. Chacun tremblait
pour le courageux garçon.
Mais les ours ne réagirent pas. Ils n'avaient
plus peur. Ils n'étaient plus en colère. Ils
avaient trouvé un ami qui leur permettait de se
régaler après leur long jeûne.
De son côté, Henri comprenait qu'il tenait
la victoire, à condition, bien entendu, que la
foule conservât son silence et son immobilité...
Il se remit en marche, répandant toujours de la
mélasse sur ses pas. Les ours le suivirent,
dociles.
Arrivé à la cage, Henri poussa le seau à
l'intérieur, et les ours se précipitèrent à la suite
de la friandise. Celui qui était resté dans la
cage cessa de grogner pour participer au régal.
Alors Jacques passa deux barres de fer qui
se trouvaient là en travers de la porte démolie
et s'essuya tranquillement les mains avec son
mouchoir.
De la foule une vibrante acclamation
s'éleva.

Les ours le suivirent en se léchant les


babines.

118
119
Oui-Oui roulait un jour sur une petite route
de campagne lorsque sa voiture fit un bruit « Qu'est-ce donc? dit Oui-Oui, s'arrêtant
étrange et s'arrêta net. pour écouter.
« Hélas! que se passe-t-il? » dit Oui-Oui — Aïe! aïe!... Hrrrumph! A l'aide!
inquiet, sautant à bas de son siège pour voir de - Ma parole, se dit Oui-Oui, c'est un cheval
quoi il s'agissait. « Tes pneus ne sont pas en peine. »
crevés ! dit-il à sa chère petite voiture. Tu as II se faufila au travers de la haie. Il n'y
autant d'essence qu'il te faut! Alors, veux-tu avait pas de doute. Un petit cheval de bois
me dire pourquoi tu ne veux pas rouler? hennissait et renâclait dans le champ.
— Plop! Plop! » fit la voiture d'un ton « Que t'arrive-t-il ? cria Oui-Oui.
lugubre, et elle se tut après avoir poussé un — J'ai marché dans la partie marécageuse
profond soupir. du champ et regarde! Mes pattes de devant se
« II va falloir que je te conduise au garage sont enlisées dans la boue et je ne peux pas les
et que je te fasse réparer, dit Oui-Oui. Tu es dégager! »
détraquée, c'est certain! Mais je vais être Oui-Oui accourut. « Je te délivrerai ! De
obligé de te pousser tout le temps, car je ne quel côté dois-je te tirer?
peux pas espérer le moindre secours sur ce — Tire-moi par la queue, dit le cheval.
chemin désert! » Elle est très solide! Cramponne-toi et tire!
II se mit donc à pousser son auto, à Tire! tire plus fort! C'est bon! Mes pattes
pousser sans relâche, à grand-peine et tout sortent de la boue! »
haletant. «Je souffle comme le moteur d'un Oui-Oui tira plus fort encore sur la queue
camion qui grimpe une forte côte! se disait-il. du cheval de bois et, soudain, les pattes de
Misère! Jamais je n'arriverai à te mener l'animal se dégagèrent complètement de la
jusqu'au garage! » fondrière et le cheval s'assit brusquement sur
II poussa la voiture jusqu'au tournant du Oui-Oui.
chemin et entendit soudain un bruit. " « Ho! Ho! Ho! cria Oui-Oui. Me voici plat
Hrrrumph! Hrrrumph...! " comme une crêpe! Lève-toi, cheval de bois!
Ne reste pas ainsi sur moi!

120
Mais moi, je n'ai pas eu de chance avec
mon auto! Une panne de moteur, je suppose, et
maintenant, je dois la pousser jusqu'à
Miniville, au pays des Jouets ! Seigneur !
Seigneur ! ce que je serai éreinté!
— Pas du tout, dit le cheval de bois. J'ai
l'habitude de tirer les voitures! Je tirerai la
tienne, si tu veux, jusqu'au garage. Je serai ravi
de te rendre service!
— Oh merci! merci! dit Oui-Oui. Que
j'ai de la chance! Viens! Je prendrai mes
cordes et je t'attellerai à l'auto. Comme ce sera
drôle! »
Et voici maintenant Oui-Oui assis dans sa
voiture, et le petit cheval trottant à l'avant,
tirant de toutes ses forces! Les passants écar-
quillaient les yeux à la vue de ce spectacle!
« N'ai-je pas de la chance? leur crie Oui-
— Je te demande pardon, dit le cheval, se Oui. J'ai eu une panne, et j'ai trouvé un petit
relevant. Tu as été vraiment bien obligeant! cheval de bois qui est venu à mon secours !
J'ai eu de la chance que tu sois passé en voiture - Oui, tu as de la chance, Oui-Oui, mais tu
juste au bon moment! es toi-même si serviable, et les gens serviables
- Oui, assurément, dit Oui-Oui. ont toujours de la chance! »

Sampson Low, Marston and Company Ltd. 1955

121
UNE BANDE
DE JEUNES
VAURIENS
II s'agit d'une bande déjeunes vauriens.
Malheureusement, Bob se laisse entraîner
par eux et devient membre de ce groupe.
Cette cachette procura le plus grand plaisir
à la bande. Les enfants apportèrent leurs
Il y avait au bas de la ville une petite
trésors : un jeu de cartes sale et poisseux, une
bande de gamins dont le plus jeune avait huit
petite locomotive, des illustrés et un téléphone
ans et l'aîné quinze. Ils étaient au nombre de
qui appartenait à Fred, le plus âgé de tous. Il
quatre, Paul, Jeannot, Fred et Patrice. Ils se
l'avait aperçu dans un magasin de jouets et
réunissaient tous les soirs, et passaient
l'avait dérobé quand la boutique était pleine de
ensemble le samedi et le dimanche. Leur
clients et que personne n'avait regardé de son
terrain de jeux favori était un îlot de maisons
côté.
délabrées, condamnées à être démolies.
Il avait vu, au cinéma, des riches hommes
Sous l'une de ces maisons se trouvait une
d'affaires dont le bureau était encombré
cave. Les garçons la découvrirent un jour par
d'appareils téléphoniques, et bien qu'il n'eût
hasard et en furent enchantés.
jamais téléphoné lui-même, il lui semblait que
« Mince, alors! Regardez donc! s'écria
le téléphone était le signe de la puissance et de
Paul, examinant l'escalier de pierres. Qu'est-ce
la richesse. Il lui fallait avoir un de ces
que c'est? Un tunnel? Un souterrain? Allons-y
appareils, même si ce n'était qu'un jouet
jouer aux espions! Quelle belle cachette nous
d'enfant!
avons ici! »
Aussi le jouet était-il installé sur une
C'en était une excellente, assurément. Au
caisse, et les trois autres garçons retenaient
bas de l'escalier se trouvait une petite cave en
leur souffle, écoutant de toutes leurs oreilles
pierre, très sombre et nauséabonde. Les murs
lorsque Fred donnait par téléphone des ordres
suintaient d'humidité; l'odeur du moisi y
à des espions ou à des bandits imaginaires. Il
régnait. Mais les gamins se souciaient peu de
imitait alors l'accent américain.
ces inconvénients. C'était une cachette, un
Les enfants apportaient parfois dans la
endroit où personne ne pourrait jamais les
cave des provisions qu'ils se partageaient. Ils
trouver.
projetaient aussi des vols dans certains jardins
Jeannot eut l'idée d'en faire leur lieu de
à la saison des fruits, et des farces stupides,
réunion habituel et proposa de la meubler.
comme de frapper aux portes et de s'enfuir à
« Nous pourrions nous procurer des
toute vitesse, une fois leur coup fait.
caisses, hein? Et chiper un bout de vieux tapis
Paul était le plus jeune de tous, et son frère
quelque part! Et apporter une bougie. M'man
Fred, le plus âgé. Jeannot avait onze ans,
m'en donnera bien une.

122
Patrice, si amusant et si rusé, violent, à la
voix bruyante, en avait douze.
Paul et Fred n'avaient point de père. Ils
étaient de véritables sauvages. Leur mère ne se
souciait absolument pas d'eux. Ils la traitaient
avec insolence, lui volaient de l'argent
lorsqu'elle laissait son porte-monnaie à portée
de leurs mains et ne faisaient que ce qui leur
plaisait.
Patrice était orphelin de mère, mais son
père ne s'occupait de lui que pour le battre
régulièrement « afin de le dresser », disait-il.
Aussi l'enfant haïssait-il son père et le fuyait-il.
Jeannot, lui, avait père et mère, deux frères
et trois sœurs. Mais comme toute la famille
vivait dans deux pièces, le garçon s'échappait
de chez lui aussi souvent qu'il le pouvait. Ces
deux pièces étaient sales, malodorantes et dans
un état de perpétuel désordre. Personne n'y
pouvait manger, dormir ou lire
confortablement. Jeannot détestait son foyer, et
bien qu'il aimât sa mère, il ne pouvait
supporter ses gémissements et son expression
lamentable. Pauvre femme! Elle avait depuis
longtemps abandonné tout espoir de trouver un
logement suffisant pour sa nombreuse famille
et n'avait plus de goût à rien! Que le garçon
cherchât ailleurs des satisfactions ne pouvait Bob travaillait beaucoup et fort bien.
surprendre. Pour lui, la cave était le Paradis!
Aucun de ces enfants n'était intelligent.
Patrice était rusé, et rendait des services à la «Tu es bien le numéro 61045? disait Fred
bande, mais il devait agir avec prudence, car de la voix sèche qu'il réservait pour de
lui et ses compagnons craignaient fort les deux semblables occasions. C'est le chef des quatre
agents du quartier et s'esquivaient à leur Terroristes. C'est le chef qui parle. Voici mes
approche. ordres. Tu vas prendre cinq hommes et la
« Nous sommes " la bande des quatre grosse voiture; tu iras trouver le Balafré et lui
Terroristes ", annonça Fred un soir. Nous obéiras sans répliquer. Alors tu... »
n'avons peur ni des " flics ", ni de personne. Ne Cette conversation durait environ deux
l'oubliez pas! minutes. Fred reposait alors le récepteur et
— Nous n'avons peur de personne! » disait : « Parfait! Tout est décidé, mes gars!
répéta Patrice. C'était faux, bien sûr. Ils Les hommes sont sur l'affaire! »
craignaient leurs instituteurs, les " flics " et La bande avait toujours besoin d'argent
quelques commerçants qui les malmenaient pour se procurer des provisions et aller au
parfois, et Patrice éprouvait une véritable cinéma. Voir un film était leur plus grand
terreur de son père. Mais qu'il était agréable de plaisir. Être assis confortablement dans une
prétendre être intrépide! Ils se sentaient alors salle bien chauffée, assister à des poursuites et
tout-puissants, et supérieurs! à des tueries, voir des chevaux lancés au galop,
Fred se saisit du récepteur, et des voitures roulant à 130 à l'heure, des
immédiatement ses trois " hommes " se turent aéroplanes s'écrasant au sol, que pouvait-on
respectueusement tout en écoutant avec un souhaiter de mieux? Ils n'avaient pas à penser,
extrême intérêt. Fred était vraiment à se servir de leur cerveau, ils n’avaient qu’à
impressionnant lorsqu'il téléphonait. rester assis et ouvrir les yeux…

123
Ce fut à cette bande de vauriens que Bob Presque tous les soirs, Bob errait seul dans
se joignit un soir par hasard. Depuis environ la ville. Son sac d'écolier au dos, il flânait dans
huit jours, sa mère fermait à clef la porte de la les rues, sombre, lançant des coups de pied
maison lorsqu'elle se rendait à son travail, et contre les murs. Il regardait les vitrines des
son fils ne pouvait rentrer au logis avant six boutiques, il s'arrêtait devant les maisons où il
heures et demie, heure du retour de la maman. voyait des salles de séjour éclairées, et des
Elle lui laissait une tartine sur un rayon de familles réunies. Cela devenait une obsession :
l'appentis, mais il n'y touchait jamais. II y avait des gens qui vivaient tous ensemble,
«Je ne suis pas un chat, pour qu'elle me pleinement heureux de se retrouver le soir!
traite ainsi! grommelait-il. A son retour je veux Un soir où il pleuvait à verse, Bob se
un repas convenable, même si elle est trop trouva dans le bas de la ville. Irait-il chez lui,
fatiguée pour le préparer! » s'asseoir dans l'appentis, ou se rendrait-il chez
II ne savait à quoi passer son temps les Michel? Non, mille fois non! Il découvrirait
lorsqu'il revenait de l'école l'après-midi. Les bien un abri quelque part!
soirées étaient sombres et froides en cette Il parvint à un groupe de maisons en
saison de l'année. ruines. « Je trouverai un refuge ici », pensa-t-
« Pourquoi n'irais-tu pas chez les Michel? il. Il escalada un monceau de briques pour
lui disait sa mère. Ils seraient contents de te chercher quelque coin habitable dans une
garder, Dieu sait pourquoi! » pièce.
Mais Bob avait honte d'avouer qu'il ne Et soudain, il entendit une voix qui
pouvait rentrer dans sa propre maison, aussi semblait monter du sol, juste au-dessous de lui.
n'alla-t-il qu'une fois chez ses voisins, Une voix sèche, saccadée, lançant des ordres
lorsqu'ils l'invitèrent à goûter et à les aider à brefs. Bob fut ébahi.
terminer un travail. Il s'acquitta si bien de sa « Eh bien! le numéro 678 345...? Le chef
tâche que M. Michel fut émerveillé. te parle. Qu'est-ce que ça signifie? Tu devrais
« Reviens nous voir, dit-il. Tu es adroit de déjà être ici! Nous t'attendons depuis plus
tes mains. Tu as travaillé deux fois plus vite d'une heure! As-tu peur d'être sacqué pour
que le vieux Léon ! Tu seras toujours le avoir raté ton affaire? Tu sais ce qui arrive aux
bienvenu. Tu m'aideras à terminer ce bateau hommes qui ont les foies ? Ou bien tu viens
pour la Noël! » tout de suite, ou attends-toi à des ennuis! Les
quatre Terroristes te feront ton affaire! »

124
Bob demeura immobile, stupéfait. Que se invita le nouveau venu à s'asseoir. «Je
passait-il? Qui parlait ainsi? suppose que tu m'as entendu téléphoner? dit-il.
Puis il aperçut une faible lumière filtrant — Oui, dit Bob. Mais je n'y comprenais
au travers du plancher. Il se pencha et aperçut rien! Je me demandais si tu téléphonais
un escalier de pierre qui menait au sous-sol. Il vraiment! »
fut passionnément intéressé. Venait-il de Fred ne répondit point. Il lui arrivait de se
découvrir une cachette? Prudemment, il mit le persuader qu'il téléphonait à des membres de la
pied sur la première marche, puis il descendit bande, et il lui répugnait d'avouer que ce n'était
lentement. La pluie tombait à flots et couvrait qu'un jeu. Il vivait dans un monde étrange qui
le bruit de ses pas. n'avait aucun rapport avec la réalité.
Il se trouva enfin devant une cave et ouvrit « II pleut à verse, fit Bob. Est-ce que tu me
de grands yeux. Il vit une sorte de petite salle permets de rester ici un moment? Cet,
carrée, aux murs suintants. Des caisses étaient endroit me plaît! Il est intime. —- On s'y sent
posées ça et là, et le sol était couvert d'un tapis chez soi!
moisi. Au centre, en guise de table, se trouvait - Reste aussi longtemps que tu voudras, dit
une grande caisse, sur laquelle s'empilaient des Fred. Maintenant, nous sommes tous copains
illustrés et une chandelle fichée dans une ici! »
bouteille de limonade. Sur une autre caisse,
trônait le téléphone - - ce jouet dont Fred était
si fier !
Quatre gamins étaient assis dans la cave
éclairée par une chandelle. Tous lisaient des
illustrés. C'était d'ailleurs presque leur seule
lecture. Bob demeurait debout, les dévisageant.
Que cet endroit lui paraissait confortable,
intéressant et surprenant!
Patrice leva soudain les yeux et l'aperçut.
Il s'écria : « Hé, dites donc! regardez! Qui est
ce gamin-là? »
Bob eut alors une idée de génie. Il fit un
large sourire, et dit :
« Je suis le numéro 678 345 ! Vous venez
de me téléphoner à l'instant même. Je suis
venu faire mon rapport au chef. »
Un silence de mort régna dans la cave. Les
quatre galopins regardaient Bob, tout surpris
de ce qu'il venait de dire. Qui était cet intrus ?
Comment connaissait-il leurs affaires ? Venait-
il vraiment faire un rapport au chef?
Fred se montra à la hauteur de la situation.
Il comprit tout de suite quel genre de garçon
était Bob; un enfant un peu au-dessus de son
propre milieu social, un risque-tout qui ne
manquait pas d'esprit. Que de services il
pourrait leur rendre!
« Entre, numéro 678 345, dit-il. Tu as bien
fait de venir. J'allais envoyer quelqu'un te
chercher! »
Bob pénétra dans la cave, et pour lui faire
place Fred ôta le téléphone de la caisse et

125
Voici comment Jean-Jacques Brun centimes par semaine tout bonnement
l'emporta sur un magicien fort habile appelé parce qu'elle lui portait une grande
M. Parle-Toujours. Ce prodige s'opéra un affection.
samedi alors que Jean-Jacques venait de Si bien que ce matin-là il avait trois
recevoir son argent de poche hebdomadaire. pièces de monnaie qu'il faisait tinter dans
Son père lui donnait un franc par semaine sa poche. Il avait décidé d'aller jusqu'à la
lorsqu'il apportait un excellent bulletin ferme, sur l'autre versant de la colline, pour
scolaire. Sa mère lui remettait aussi un franc acheter du grain, car il avait trois poules,
après qu'il eût fait toutes ses commissions sans Blanche, Grisette et Roussette.
manifester la moindre mauvaise humeur, et sa
grand-mère lui offrait également cinquante

126
« Je passerai par la forêt, se dit-il. Je me « Eh bien ! entrez ! Mais essuyez-
demande si je reverrai cette drôle de petite vous les pieds ! »
maison que j'ai aperçue un jour, cachée
Si je croyais aux magiciens et aux
entre les arbres et que personne ne semble sorcières — mais je n y croîs pas — je
connaître. » penserais que cette cape-là appartient à un
II ne réussissait pas à découvrir la sorcier! Allons faire une petite visite à ce
chaumière. Mais soudain, il aperçut un homme personnage! »
courant à toute vitesse entre les arbres. Une II alla jusqu'à la chaumière, et frappa-
cape noire et rouge vif flottait autour de lui. « à grands coups sur la porte.
Qui donc peut-il être? se demanda Jacques. « Qui est là? Qui vient m'importuner
Il courut derrière la cape noire et rouge qui ce matin? Allez-vous-en! Je suis très
se gonflait au vent, tandis que son propriétaire occupé! Je déteste recevoir des visites!
continuait sa course éperdue. Et tout à coup, Peste des visiteurs! Par tous les dieux, ne
Jean-Jacques aperçut la chaumière aux six restez pas planté ici, mais... »
cheminées qu'il avait tant cherchée! La cape « Quel bavard ! » songea Jean-Jacques.
noire et rouge disparut à l'intérieur, et une Il frappa à nouveau et cria à tue-tête : «
porte se referma en claquant. Pourriez-vous me donner un verre d'eau,
« Ah! voici la chaumière! Cet homme s'il vous plaît?
déguisé en est sûrement le propriétaire, se dit — Oh! c'est un enfant! hurla une voix
Jacques. de l'intérieur. Eh bien! entre! Mais essuie-
toi les pieds, s'il te plaît! »
La porte s'ouvrit toute grande, un long
bras apparut et soudain Jean-Jacques se
trouva dans la chaumière. Quelle ne fut pas
sa surprise en jetant les yeux autour de lui!
« Eh bien! moi qui croyais que c'était
une chaumière! Mais cette maison est
immense », dit-il. La pièce où il se trouvait
était en effet très grande, si grande qu'il s'y
trouvait six cheminées, une pour chacun
des six murs!
« Mais, voyons! comment votre
maison peut-elle être si petite vue de
l'extérieur, et si grande à l'intérieur? C'est...
— Oh! tais-toi! » dit le personnage
qui l'avait attiré chez lui. Quel être
étrange! Très haut de taille, coiffé d'un
bonnet rouge étincelant, il portait encore
cette cape noire et rouge éblouissante. Ses
mains s'agitaient sans cesse. Ses yeux
brillaient comme ceux d'un chat.
« Dites donc, monsieur, quels énormes
yeux verts vous avez?
— Ne parle pas comme si tu étais
le Petit Chaperon Rouge s'adressant au
loup! dit l'homme aux yeux verts. N'as-tu
jamais vu de magicien? Que t'apprend-on à
l'école? Et pourquoi veux-tu un verre
d'eau? Tu n'as pas soif! Tu n'es qu'un
curieux!
— Oh! je vous en prie! Cessez de
parler pendant une minute, dit Jean-
Jacques inquiet. Laissez-moi vous
expliquer! Je voulais seulement...

127
— Non, tu n'en veux pas! tu n'en as L'eau est toujours mouillée. Si elle ne
jamais voulu ! l'était pas, ce ne serait pas de l'eau! Et, de
toute façon, à quoi pourrait servir de l'eau
sèche?

— Mais suppose que tu fasses la


lessive avec de l'eau déshydratée? s'écria le
magicien. Tu n'aurais pas à la suspendre à
une corde pour qu'elle séchât, voyons!
Pense aussi que tu n'aurais pas à essuyer la
vaisselle, ni à te servir de serviette de
toilette après avoir lavé tes mains ou ton
visage, ou...
- Je vous en prie, permettez-moi de
dire un mot ! dit Jean-Jacques. J'aime la
magie, mais non pas celle qui est stupide!»
A ces paroles, le magicien fut si
furieux qu'il se saisit d'une baguette
scintillante - une baguette magique — et
en porta un coup à Jean-Jacques. « Je te
changerai en hippopotame, et t'enverrai
vivre dans la rivière la plus mouillée du
monde! » commença-t-il. Mais Jean-
Jacques lui arracha la baguette des mains.
« Je la garde ! dit-il. Combien de
souhaits peut-elle réaliser?
— Rien qu’un, répondit ne Parle-
Toujours. Pose-la sur une table. Tu es
un garçon dangereux! Et pourtant, tu me
plais! Aimerais-tu voir quelques-uns de
mes tours magiques?
- Bien sûr! dit Jean-Jacques,
gardant toujours la baguette.
Jean-Jacques lui arracha la baguette des
Commencez!
mains.
— Que veux-tu que je fasse? Mais
ne t'attends pas à ce que je déchaîne la
répliqua le magicien. A propos, mon nom
tempête. J'ai peur du tonnerre et des
est Parle-Toujours! Inutile de me dire le tien.
éclairs!
Je le vois écrit dans le calepin que tu as dans ta
— Entendu. Mais voyez-vous
poche. Jean-Jacques Brun ! En voilà un nom!
cette théière sur la table? Faites-la voler en
— Vous ne pouvez sûrement pas lire ce
l'air et répandre le thé! »
qu'il y a dans le calepin ! dit Jean-Jacques,
Parle-Toujours se mit à chanter à tue-
étonné. Êtes-vous un vrai magicien? Vous
tête toute une kyrielle de mots magiques et,
livrez-vous à la magie?
tout à coup, la théière s'éleva lentement en
- Toute la journée! C'est mon passe-temps
l'air, se dirigea vers Jean-Jacques en un arc
favori! dit Parle-Toujours. La magie; les
de cercle et, du goulot, un flot de thé se
charmes, les baguettes magiques sont à mon
répandit sur le garçon.
service! Maintenant j'essaie de fabriquer de
« Oh! là là! je ne vous avais pas
l'eau sèche! L'eau, tu le sais, est tellement
demandé de m'inonder de thé, protesta
mouillée! C'est parfait si tu veux te baigner,
Jean-Jacques, s'écartant en toute hâte.
mais...
Vous êtes méchant!
— Cela me paraît une expérience stupide!
— Pas du tout! J'aurais pu faire en sorte
interrompit Jean-Jacques.
que le thé fût brûlant, dit Parle-Toujours. Il
était tout bonnement tiède. Théière,
retourne à ta place !

128
« II ne manquait plus que cela, s'écria
le magicien. Plus de feu! Quel enfant
stupide tu es! Vois le résultat de ta
demande!

Et qu'aimerais-tu me voir faire encore,


Jean-Jacques ?
— Euh! voyons! Que tous vos feux
s'éteignent à la fois! Il fait bien trop chaud J'ai envie de te garder ici toute la
dans cette pièce. » journée et de t'obliger à rallumer les feux
Parle-Toujours recommença ses et à les entretenir ! Un petit sot tel que toi
incantations, les mots magiques sortaient de sa ne peut être d'aucune autre utilité!
bouche avec une rapidité vertigineuse. Et alors, Pourquoi ai-je dit que tu me plaisais? Ce
en un clin d'oeil, des flots d'eau se déversèrent n'est pas vrai! Tu es une petite peste et
sur les six feux qui se mirent à grésiller. Des un...
nuages de fumée noire emplirent la pièce et — Oh! cessez de parler! dit
Jean-Jacques toussa et crut étouffer. Jacques. N'êtes-vous pas assez bon
«Arrêtez l'eau! Tout de suite!» dit-il entre magicien pour rallumer ces feux sans
deux quintes de toux. bois?
Parle-Toujours agita les mains de-ci de-là, — Non, dit tristement Parle-
et d'une voix rauque prononça quelques mots. Toujours. Je n'ai pas encore appris la leçon
Lui aussi était sur le point d'étouffer! L'eau qui traite de la " Manière d'allumer du bois
disparut, la fumée se dissipa peu à peu et, mouillé ". Elle se trouve à la fin de mon
naturellement, les feux étaient éteints. livre de magie. Et, de toute façon, qui es-tu
pour me poser de pareilles questions? Je
puis faire mille tours dont tu serais
incapable. Ha! ha! ha!
— Ha! ha! ha! répliqua Jean-
Jacques. Voulez-vous parier que je saurai
faire un tour que vous ignorez?
— Vas-y! Montre-le-moi! Si je peux
le faire, je suis prêt à... à...
— A me donner votre baguette
magique, pour que je puisse réaliser
un souhait, acheva Jean-Jacques. Ah!
vous avez peur de dire oui, parce que vous
craignez que je ne connaisse un tour
dont vous n'avez jamais entendu parler!
— Sottise! Bêtise! Idiot de gamin!
Dis-moi de quoi il s'agit, et tu verras si je
ne ferai pas ce tour-là à l'instant! s'écria
le magicien dont les yeux brillaient
comme ceux d'un chat la nuit.
— Fort bien. J'ai besoin d'un verre, s'il
vous plaît. Ce verre sans pied conviendra
parfaitement. » Parle-Toujours alla le
chercher et le posa sur la table couverte
d'une nappe verte. «Et puis après? dit-
il.
— Il nous faut une pièce de cinquante
centimes, et deux autres de un franc, dit
Jean-Jacques, tirant l'argent de sa poche.
Des pièces de cinq centimes suffiraient,
La théière s'éleva lentement en l'air. mais je n'en ai pas.

129
— Ne te sers pas de ces pièces, dit Parle- la pièce de cinquante centimes sans
Toujours, d'un ton furieux, elles pourraient être toucher aux autres pièces ou au verre ? »
magiques! Parle-Toujours regarda fixement verre
— Allons donc! Si vous croyez que mon et
argent est magique, vous êtes bien naïf! pièces de monnaie. Il se frotta le
menton, fronça les sourcils et dit enfin :
«Je ne connais pas les mots magiques.
Mais je vais réfléchir et je trouverai!
- Non, dit Jean-Jacques. Allez-y.
Essayez vos incantations ! Nous verrons ce
qui arrivera! »
Parle-Toujours, agitant les mains,
marmotta quelques mots étranges.
Lentement, le verre devint vert pomme,
mais la pièce ne bougea point.
« Hum! hum! dit le magicien. Le
charme n'a pas agi. Essayons autre chose!
» II prononça d'autres paroles curieuses qui
firent frissonner l'enfant. Ces mots
magiques pourraient-ils avoir un effet sur
la pièce ? Il la regarda; elle restait
immobile, mais les pièces de un franc
étaient devenues noires!
« Votre magie n'est pas bien
merveilleuse, dit Jean-Jacques méprisant.
- Eh bien! demanda Parle-Toujours
d'un ton maussade, de quels mots te sers-tu
pour déloger la pièce de cinquante
centimes, sans toucher le verre et les autres
pièces? Dis-le-moi!
— Fort bien ! Tout à votre service ! Je
dis tout bonnement : Viens! viens, ma
petite pièce, viens donc vers moi!
— Je n'en crois rien! Mais j'essaierai!
» II agita les mains au-dessus du verre et
chanta d'une voix criarde : « Viens,
viens, ma petite pièce, viens donc
vers moi! »
Jean-Jacques tira l'argent de sa poche. La pièce ne bougea point, elle gisait là,
sous le verre devenu vert pomme entre les
Je ne suis pas magicien, mais écolier! J'ai pièces de un franc noires.
souvent joué ce tour-là à mes camarades de Jean-Jacques se mit à rire. « Vous
classe. Je vais maintenant vous le montrer! » pourriez redonner au verre et aux pièces
II mit sur la table la pièce de cinquante leur couleur habituelle, dit-il. Je vais vous
centimes, la recouvrit du verre, posé à l'envers, montrer ce qu'il faut faire. C'est tellement
en ayant soin que la pièce fût bien au centre. simple !
Puis il glissa les deux pièces de un franc sous - Si c'était simple, j'aurais pu le faire!
les bords du verre, afin que celui-ci reposât » répliqua Parle-Toujours, faisant la moue.
bien en équilibre sur elles. Il marmotta quelques paroles, agita les
« Là, dit-il. Vous voyez la pièce sous le mains, et le verre redevint transparent, et
verre, juste au centre ? Les bords du verre les pièces brillèrent.
reposent sur les pièces de un franc qui sont à « Merci, dit Jean-Jacques. Maintenant,
moitié en-dehors, à moitié sous le verre! regardez bien! Je vais prononcer mes mots
Maintenant écoutez-moi! Pouvez-vous retirer

130
magiques et gratter légèrement la nappe avec - Eh bien! il y a un commencement à
mon doigt. L'effet est des plus surprenants!» tout, répliqua Jean-Jacques empochant son
argent et serrant bien fort dans sa main la
baguette magique. Au revoir, Parle-
Toujours!
J'ai passé une charmante matinée!
— Moi aussi, dit le magicien. Tu me
plais vraiment, Jean-Jacques. Reviens me
voir un de ces jours ! Je t'enseignerai
Il se pencha au-dessus de la table, posa la
quelques tours !
main tout près du verre sur la nappe et se mit à
— Ah! vous voulez dire que je
gratter de l'index. Tout en grattant, il
pourrais vous en montrer quelques-uns!
chantonnait : « Viens, viens, ma petite pièce,
dit Jean-Jacques en riant. Entendu! Je
viens donc vers moi! »
reviendrai vous voir. En attendant,
Et voici que la pièce bougeait sous le
exercez-vous au tour que je viens de
verre, sortait de sous le bord en glissant,
vous apprendre. Et n'oubliez pas les
passant entre les deux pièces de un franc! Elle
mots magiques! »
se trouvait libérée de sa prison sans que Jean-
Là-dessus, il s'en fut avec sa baguette.
Jacques eût touché le verre, ou l'une
Quelle belle surprise allait avoir sa
quelconque des trois pièces!
maman!
« C'est merveilleux ! dit le magicien ébahi.
Quant au magicien, il s'exerce encore.
Inimaginable! Admirable! Où as-tu appris ce
Vous pourriez l'entendre dire tous les
tour magique?
jours: « Viens, viens, ma petite pièce, viens
- Mon grand-père me l'a montré, dit
donc vers moi! »
Jean-Jacques. Et beaucoup d'autres encore! Eh
Essayez donc aussi, et tous vos amis
bien! il est temps que je parte! Mille mercis
seront bien surpris!
pour la baguette magique! »
II s'en saisit, mais Parle-Toujours protesta.
« Non, non! Attends! Je ne croyais pas que tu
pourrais réussir un tour pareil! Non! je ne puis
te donner ma baguette. Elle peut encore
réaliser un vœu ! Si tu me souhaitais quelque
effroyable malheur?... Tu pourrais m'expédier
dans la lune, qui sait?
Je le pourrais, mais je n'en ferai rien! dit
Jean-Jacques. J'ai de la sympathie pour vous,
Parle-Toujours ! Mais je vous dirai quel
souhait je ferai, si vous voulez.
- Oui, dis-le-moi. Je serai plus tranquille,
dit le magicien qui paraissait fort tourmenté.
- Eh bien! rentré à la maison, j'agiterai la
baguette au-dessus de maman et je lui
souhaiterai d'avoir une machine à laver, dit
Jean-Jacques. Ah! vous souriez! Je pensais
bien que vous alliez rire, mais maman rira
aussi, et de plaisir! Tout le travail qu'elle a les
jours de lessive à laver mon linge sale, celui de
mon frère, de ma sœur et de papa! Voilà ce
que je ferai de la baguette! Je ne gaspillerai pas
son unique souhait pour vous jouer un vilain
tour!
- Non, non, bien sûr, je comprends ! Mais
il n'est pas habituel de se servir d'une pareille
baguette pour se procurer une machine à
laver!

131
« Viens, ma petite pièce, viens donc
vers moi! »

132
133
La vie secrète
des loutres
Au joli mois de mai, que les haies étaient lorsqu'il faisait encore partie de la rivière;
belles! Les feuilles de l'aubépine étaient d'un aujourd'hui encore, certaines s'y rendaient,
vert éclatant, les ronces lançaient de-ci de-là attirées par les aulnes qui le bordaient. Mais
leurs branches gracieuses, couvertes déjeunes elles devaient traverser les champs pour y
feuilles tendres, et le lierre sombre luisait au parvenir. Heureusement, sous les racines des
point qu'on l'eût dit verni. arbres se trouvaient de belles cachettes où les
Le chêne était maintenant tout feuillu. De loutres pouvaient se reposer paisiblement, à
tous les arbres, c'est le dernier à montrer ses l'abri de tout regard. Oui vraiment, cet étang
feuilles délicates qui font songer à des plumes. était merveilleux!
Les oiseaux qui se nichaient parmi ses L'automne précédent, deux loutres étaient
branches étaient heureux de s'y abriter. Ils venues s'y loger. Le petit peuple des haies les
aimaient la douce lumière verte que connaissait bien, les ayant vues souvent dans
répandaient ses feuilles s'agitant au vent. l'eau ou sur les berges, mais les oiseaux les
Quelle bonne fortune que de posséder un nid ignoraient, car les loutres sont des créatures
dans le chêne en mai! nocturnes et la plupart des oiseaux dorment la
Sur le talus, que de fleurs jouissaient du nuit. Seul le hibou était bien renseigné à leur
bon soleil! L'angélique sauvage étalait ses sujet et hululait parfois lorsqu'il entendait les
ombelles légères et, dans les fossés humides, loutres s'appeler en sifflant.
les grosses touffes de renoncules levaient la Ces créatures étaient couvertes d'une
tête vers le soleil. Les primevères dansaient du fourrure brun sombre si épaisse que nulle
matin au soir dans les prés. Le coucou lançait goutte d'eau ne mouillait leur corps bien
son appel toute la journée, et ce cri réjouissait chaud. Elles étaient grandes, longues d'environ
le petit peuple des haies. un mètre vingt. Le hérisson, toujours curieux,
Au coucher du soleil, lorsque les boutons reniflait souvent les empreintes laissées par les
d'or brillaient encore avec plus d'éclat, l'ombre loutres dans la vase, sur la berge de l'étang.
du chêne était si longue qu'elle atteignait la Ces empreintes montraient que les loutres
moitié du champ. S'entendait alors un son avaient des pattes arrondies et palmées.
étrange, un sifflement clair et léger, tel celui D'admirables nageuses, ces bêtes!
d'un oiseau. Il provenait du grand étang non Parfois, au coucher du soleil, le rouge-
loin du chêne. Le petit peuple des haies gorge apercevait deux têtes noires et plates se
l'entendait et le reconnaissait. mouvant à la surface de l'étang. Il savait alors
La loutre sifflait pour appeler son que les loutres étaient éveillées. Il les regardait
compagnon. Elle vivait dans l'étang, très nager et jouer, tourner en rond, aussi habiles
profond par endroits et où se trouvaient de gros que les poissons! Ces bêtes au corps huileux
poissons. Cet étang avait fait partie d'une nageaient en se servant seulement de leurs
rivière qui se jetait dans un fleuve voisin, mais pattes de devant, leur longue queue aplatie leur
ce coin d'eau avait été détourné, si bien que tenant lieu de gouvernail. Quel spectacle
l'étang était tout ce qui restait de la rivière merveilleux!
d'antan. Les aulnes connaissaient aussi fort bien les
Autrefois, dans les temps très anciens, de loutres qui avaient installé leurs terriers sous
nombreuses loutres avaient nagé dans cet étang

134
leurs racines. Ils soupiraient au vent et Ils étaient souvent allés jusqu'au bord de
évoquaient les souvenirs d'antan. La mère l'eau qui clapotait à l'entrée de leur trou. L'un
loutre ayant découvert un trou profond avait d'eux s'y était même laissé choir et, l'ayant
appelé son compagnon pour lui montrer sa repêché, sa mère l'avait bien grondé et même
trouvaille. Il fallait plonger dans l'eau, et se mordu pour le punir de son imprudence. Mais
livrer à une escalade pour pénétrer dans la c'était la première fois qu'ils s'aventuraient tous
chambre intérieure, ce qui n'était pas trop aisé, ensemble hors de leur petit logis sombre sous
la fosse étant en pente et couverte d'un réseau les racines d'aulne, à la découverte de ce vaste
de racines. Mais la partie supérieure était monde!
spacieuse et sèche.
« Voilà qui conviendra parfaitement à nos
enfants! dit la loutre à son compagnon.
Personne ne pourra nous découvrir ici! Et nous
serons au large! J'apporterai des joncs, de
l'herbe et la fleur violette des grands roseaux
pour faire un nid douillet à nos petits! »
Et cet hiver-là, pendant une période assez
chaude, la mère loutre eut trois rejetons dans
ce grand trou noir sous les aulnes. Ils étaient
aveugles alors, mais déjà couverts d'une
fourrure douce et chaude. La mère, très fière,
les léchait avec amour. Le père faisait de
même. Quelle bonne odeur avaient ces
minuscules loutres, et qu'elles étaient gaies !
« II faut que tu ailles à la pêche, dit la
mère à son compagnon. Il fait froid ce soir, et
si je laissais nos petits, ils risqueraient de
s'enrhumer. Va nous chercher du poisson! J'ai
faim! »
Le père plongea dans l'étang, ayant soin de
protéger ses oreilles courtes et rondes afin que
l'eau n'y pût pénétrer. Il se dirigea vers la
partie la plus profonde; il savait y trouver de
gros poissons, et eut vite fait d'en attraper un. «Allons! Venez!» dit la loutre à ses
Et vite de retourner au logis ! enfants. Elle se laissa glisser dans l'eau et, l'un
La mère loutre mordit avidement le après l'autre, les petits la suivirent. Ils ne
poisson, en commençant par le haut et le sentirent pas le froid, car ils étaient alors
mangea tout entier, sauf la queue, bien pourvus d'épais manteaux. Chacun en
entendu, car dans la famille des loutres il est possédait deux, l'un de poils courts, et l'autre
malséant de manger la queue! Les bébés s'en de fort longs!
vinrent flairer les restes, tout joyeux. Quelle Tout d'abord ils pataugèrent, se demandant
affriolante odeur! ce qu'ils devaient faire, mais leur mère fut très
Les aulnes sentaient souvent les petites patiente. Elle les fit remonter à la surface,
loutres escalader leurs racines et ils y prenaient sachant qu'ils ne pouvaient encore rester
plaisir. Et un soir, juste après le coucher du longtemps sous l'eau sans perdre le souffle.
soleil, lorsque le ciel à l'ouest était encore Puis elle expliqua de quelle manière ils
teinté d'or et de rouge, la mère emmena ses devaient nager.
petits pour la première fois dans l'étang. Quelle « Servez-vous de votre queue en guise de
aventure! gouvernail, dit-elle, et de vos pattes de

135
devant pour nager. Vos pattes de derrière, Elle eût tant voulu lui montrer leurs
laissez-les tout bonnement traîner! » enfants devenus vigoureux; elle eût aimé nager
Les jeunes loutres se montrèrent d'abord et jouer avec lui pendant ces nuits douces et
très maladroites, mais elles n'en furent pas chaudes! Mais il l'avait quittée...
moins enchantées de leur aventure. Que le La chaleur vint. L'étang se dessécha. La
monde était beau! Elles regardèrent leurs chambre souterraine, privée d'eau, n'était plus
parents nager avec tant de grâce, évoluer dans une cachette sûre. Mère loutre en chercha une
l'eau avec tant d'aisance! Elles ouvrirent de autre, mais n'en put trouver une assez grande
grands yeux surpris à la vue d'un gros poisson pour loger quatre loutres.
pourchassé et attrapé par leur père, et « II faut nous séparer, dit-elle à ses
tremblèrent en voyant leur mère se lancer à la enfants. Vous êtes assez grands pour vous
poursuite d'une poule d'eau qui eut tout juste le débrouiller seuls! Vous savez nager, plonger,
temps de s'envoler! pêcher, et marcher pendant des lieues au
Tout ce printemps-là, les jeunes loutres besoin! Nous vous avons appris, votre père et
eurent bien des leçons à apprendre! Les moi, à éviter les pièges, et aussi à vous laisser
parents leur enseignèrent à soulever de grosses porter par le courant de la rivière. Vous avez
pierres pour y trouver des écrevisses, à se aussi trouvé de bonnes cachettes. Il est temps
tortiller et à se retourner rapidement dans l'eau maintenant que vous vous tiriez d'affaire tout
pour se saisir d'un poisson nageant à toute seuls !
vitesse. Les petits furent conduits dans les — Mais où iras-tu, demanda la plus petite
champs et découvrirent qu'ils pouvaient des loutres ?
aisément courir en se servant de leurs pattes - Peut-être irai-je jusqu'à la mer, tout
palmées. Ils attrapèrent des grenouilles et comme votre père! On y trouve bien des
devinrent gros et gras. choses à manger, inconnues par ici!
Un soir, le père siffla pour appeler sa Y a-t-il des poissons? demanda la plus
compagne et lui dire adieu : grosse des jeunes loutres, avidement.
« Nos enfants sont grands maintenant. Je - Des quantités énormes, répliqua la
vais aller jusqu'à la mer! mère. Je reviendrai à l'automne, peut-être dans
- Et pourquoi? demanda la mère. ce même étang. Et qui sait? Votre père pourrait
- L'étang commence à se dessécher, m'y rejoindre et jouer encore avec moi comme
répondit-il. Si l'été est chaud, il n'y aura plus auparavant. Ah ! remonter les rivières à
d'eau du tout! Même le niveau de la rivière l'automne est un merveilleux plaisir ! A cette
baisse et, comme j'ai l'intention de me laisser saison-là, les anguilles descendent vers la mer,
porter par le courant, il est temps que je parte. et il n'est pas meilleure friandise!
Je passerai l'été dans une grotte marine - Au revoir! » dirent les jeunes loutres,
que je connais bien, et où vivent quantités sifflant longuement; et elles s'éloignèrent de
de chauves-souris. A l'automne, je leur mère à la nage. L'une traversa les
reviendrai auprès de toi... » champs, gagna la rivière et disparut. Une
Le père sortit de l'étang, se secoua tel un autre retourna dans la cachette sous les
chien pour se sécher, et disparut dans les aulnes et s'y étendit, songeant tristement à sa
hautes herbes. Il avait pris la direction de la famille perdue. La troisième découvrit un
rivière. Le rouge-gorge qui jouit des longs marais, à une lieue de là, et se logea dans une
crépuscules d'été le suivit, voltigeant le long de plantation d'osier.
la haie; il le vit pénétrer dans la rivière au La mère fit tout le tour de l'étang qu'elle
cours rapide et se laisser emporter par l'eau, les connaissait si bien et, sifflant, s'en fut vers la
pattes de devant pressées sous le menton. rivière.
Sa compagne fut bien navrée du départ du «Je reviendrai à la fin de l'automne, lança-
père loutre. Le petit peuple des haies l'entendit t-elle au rouge-gorge curieux. Nous nous
souvent siffler et l'appeler en ces tièdes soirées reverrons ! »
de mai où les lueurs du soleil couchant
s'attardaient dans le ciel.

136
137
138
La légende du sapin
Les enfants aidaient leur maman à décorer « Alors, il regarda le visage de l'enfant
le sapin de Noël. qu'ils avaient reçu la veille, et s'aperçut que
« Maman, demanda Suzanne, qui a inventé son visage brillait d'un éclat surnaturel. C'était
l'arbre de Noël? C'est une si bonne idée! l'Enfant Jésus lui-même!
— Excellente, dit la maman, coupant de « Saisis d'une crainte respectueuse, le
petits bouts de ficelle de couleur qui bûcheron et sa femme observèrent l'Enfant
serviraient à suspendre les cadeaux au sapin. avec attention. Il sortit, se dirigea vers un
Eh bien ! je ne sais qui a eu cette idée, mais il sapin, en cassa une branche qu'il enfonça dans
y a une très jolie légende à ce sujet... le sol.
- Oh! je t'en prie, raconte-la! dit Anne. « - - Voyez, dit-Il. Vous avez été bons
— La voici, dit la maman. Il y a bien pour moi; vous m'avez donné chaleur,
longtemps, un bûcheron et sa famille étaient nourriture et abri. Voici maintenant mon
assis auprès d'un bon feu, une veille de Noël. présent. Cet arbre, à la Noël, portera des fruits,
Le vent soufflait furieusement au-dehors, et la et vous serez toujours dans l'abondance.
neige avait rendu la forêt toute blanche. « Et, depuis, l'arbre de Noël brille avec
Soudain, quelqu'un frappa à la porte. Chacun éclat et porte des présents de toute sorte. »
leva les yeux, surpris. La maman se tut et jeta un regard autour
« — Qui donc peut se trouver dans la forêt d'elle. Tous les enfants écoutaient et oubliaient
à cette heure? dit le bûcheron, fort étonné. Il de décorer leur arbre.
alla ouvrir la porte. « Quelle belle histoire! dit Anne. J'aurais
« Dehors, se trouvait un petit enfant, tant aimé recevoir la visite de l'Enfant Jésus!
frissonnant, épuisé, affamé. Le bûcheron, Je lui aurais donné mon lit, et tous mes jouets
ébahi, le prit dans ses bras et le porta dans la aussi !
pièce bien chauffée. - L'arbre de Noël porte-t-il vraiment des
«--Voyez! dit-il. Un petit enfant! Qui peut- fruits ? demanda Pierre, cherchant à se
il être? souvenir. Le nôtre n'en a pas; il n'a que des
« -- II faut qu'il passe la nuit chez nous, dit branches aux aiguilles piquantes!
sa femme, tâtant les mains glacées de l'enfant. - Oh! tu as certainement vu les cônes des
Nous lui ferons boire du lait très chaud, et nous épicéas! s'exclama Suzanne. Mais bien sûr,
le coucherons. petit sot!
« — Donnez-lui mon lit, dit Hans, le fils — C'est vrai, dit Pierre. Mais oui! Ils
du bûcheron. Je dormirai par terre cette nuit. pendent aux branches, n'est-ce pas?
Que l'enfant dorme dans mon petit lit qui est si - Ceux de l'épicéa, oui, mais pas ceux du
douillet! sapin argenté, répondit Michel qui avait la
« L'enfant affamé et gelé fut donc nourri, passion des arbres. Ceux-là se dressent, au
réchauffé et couché dans le lit de Hans. Toute contraire. Tu peux toujours distinguer l'épicéa
la famille alla dormir, et Hans s'étendit sur le du sapin argenté, en regardant la cime.
plancher près du feu. L'épicéa a un sommet pointu; celui du sapin
« Le matin, en s'éveillant, le bûcheron argenté forme une touffe.
entendit des sons étranges. On eût dit des voix — Oh! je m'en souviendrai, dit Anne.
chantant toutes en chœur. Il réveilla sa femme Mais pourquoi notre arbre de Noël n'a-t-il pas
pour qu'elle entendît cette douce mélodie. de cônes, Michel? J'en serais ravie! Je les
« — II me semble écouter le chœur des argenterais et qu'ils seraient donc jolis!
anges! murmura le bûcheron. - L'arbre est bien trop jeune, dit Michel, il
ne peut avoir déjà des cônes. Si nous le
plantons dans le jardin, au bout d'un certain

139
nombre d'années, il en aura, bien sûr! d'objets qui doivent être tout droits
Plantons-le! Il a de bonnes racines et se eux aussi. Pourriez-vous m'en nommer
développera bien une fois qu'il sera en quelques-uns ?
plein air. — Des mâts de navire ! dit Michel
- Alors nous pourrons avoir toujours promptement.
le même arbre à la Noël, dit Anne. Cela — Des poteaux télégraphiques!
me plairait. ajouta Suzanne.
J'aime ses feuilles piquantes, dit — Des poteaux pour les
Pierre. Regarde, Anne, ne dirait-on pas échafaudages! cria Pierre.
qu'elles ont été peignées, et qu'on leur a — Vous avez énuméré toutes les
fait une raie au milieu? Tu te coiffes de choses que j'allais dire, fit Anne. Ils
la même manière! » ont raison, n'est-ce pas, maman ?
Tous se mirent à rire. Pierre avait —- Absolument, le tronc du sapin
raison. On eût dit que chaque petite sert à tout cela^ dit la maman. Et,
branche avait une raie au centre des autrefois, ses branches résineuses étaient
feuilles épaisses, toutes pareilles à des employées comme torches.
aiguilles! — Avez-vous remarqué que les
« Le sapin sert à bien d'autres choses racines du sapin sont très superficielles ?
qu'à nous procurer un arbre de Noël, dit demanda Michel tout en attachant à une
maman. Son tronc, si droit, s'utilise pour branche un ornement doré.
quantité

140
doré. Elles sont souvent au-dessus du sol
dans les forêts. Je suppose que les sapins
doivent tomber facilement les jours de grosse pays ensuite. C'est ce genre d’idée belle et
tempête. simple qui se répand peu à peu partout. Nous
— Eh oui ! dit la maman. Et lorsqu'un ignorons qui y a d'abord songé, et à quelle
sapin est ainsi abattu, il en heurte un autre qui époque. Elle peut être très ancienne, mais ce
tombe à son tour, et ainsi de suite, si bien que qu'il y a de sûr, c'est que nous autres Français
la forêt est jonchée d'arbres gisant sur le sol. ne décorons les sapins à l'a Noël que depuis le
— Tout comme une rangée de dominos se siècle dernier.
font tomber les uns les autres, dit Anne se - Maman, puis-je mettre les petites bougies
rappelant qu'elle s'était souvent amusée à les dans les bougeoirs de Suzanne ? demanda
mettre en rang, avait poussé le premier domino Anne.
et, fait ainsi tomber tous les autres d'une seule — Notre arbre n'est-il pas déjà bien joli ?
chiquenaude. s'écria Suzanne, reculant pour le mieux
— Je vais mettre l'étoile au sommet de contempler. Comme tous ces ornements
l'arbre, maintenant, dit Michel, prenant une brillent! Les guirlandes argentées luisent,
chaise. Maman, je suppose que cette étoile et l'étoile étincelle! Oh! que je serai contente
représente celle de Bethléem, n'est-ce pas? lorsque toutes les bougies seront allumées! »
— Oui. Chaque arbre de Noël devrait La matinée entière se passa à décorer
avoir la brillante étoile de Bethléem à sa cime, l'arbre, mais chacune des minutes fut une joie
dit maman. pour tous! La décoration achevée, chaque
— Y a-t-il des centaines et des centaines rameau s'ornait d'une bougie ou d'un présent.
d'années que l'on décore ainsi le sapin de La neige artificielle et les guirlandes en papier
Noël ? Est-ce une aussi ancienne coutume que d'argent donnaient à l'arbre un éclat qui
celle qui consiste à orner la maison de gui et de ajoutait à sa beauté.
houx pour cette fête ? demanda Anne. L'étoile étincelait à la cime; au-dessous se
— Oh! mais non, répondit maman. Il trouvait une petite poupée couronnée d'argent,
n'y a pas beaucoup plus d'un siècle que le aux ailes d'argent, et ayant en main la baguette
premier arbre de Noël a été introduit en magique, également d'argent. Les petits
France. Cette tradition nous vient d'Allemagne présents destinés aux membres de la maison
et elle a été adoptée par bien d'autres étaient suspendus, ça et là, enveloppés dans
des papiers aux vives couleurs.
« Ceux-là sont de " véritables " présents,
dit maman, non point de ces cadeaux utiles
qui, selon les vieilles croyances, ne devraient
jamais se trouver sur l'arbre lui-même. Ne sont
suspendus que les jolis présents destinés à faire
la joie et le bonheur de chacun.
— Oh! qu'il est joli! s'écria Anne, dansant
autour de l'arbre. Oui vraiment, il est
magnifique, maman ! Je ne serais pas du tout
surprise si les arbres du jardin s'approchaient
de la fenêtre pour regarder notre sapin de Noël
lorsque les bougies seront allumées!
— Quelles drôles de choses tu dis!»
s'exclama Michel en riant.
Mais il n'en pensa pas moins que l'idée
d'Anne était charmante, et il se représenta les
houx et les ifs, les bouleaux et les chênes se
pressant contre les vitres des fenêtres pour
contempler leur bel arbre de Noël tout
illuminé!

( Voir solution page 203)

141
142
M. Létourneau, ce bon 'vieillard, jardin, le chien trottant derrière lui. Parvenu à
cherche toujours à se rendre utile mais, quoi la grille, le pauvre homme découvrit qu'il
qu'il fasse, il ne fait jamais que des sottises. avait oublié ses lunettes. Il les avait
posées sur une table après les avoir nettoyées.
Mme Létourneau avait pris soin du chien Quel ennui !
d'une de ses amies pendant une huitaine de «Tant pis! Je m'en passerai! se dit-il,
jours. C'était un charmant petit animal, appelé toujours courant. Si nous ne nous dépêchons
" Gamin ", fort obéissant, qui s'essuyait pas, nous manquerons l'autobus! »
toujours les pattes sur le paillasson quand il Mais le chien rencontra bientôt une
rentrait à la maison, et ne manquait jamais de amie, ravissante petite pékinoise que Gamin
dire " Houf ! houf ! " quand on lui donnait son trouvait merveilleuse. Elle remua sa queue
dîner. empanachée, et Gamin remua aussi la sienne.
« Je suis vraiment navrée de m'en « Arrêtez-vous un instant, et parlons »,
séparer, dit Mme Létourneau, le caressant avec dit-elle.
tendresse. Mon ami, dit-elle à son mari, veux- Gamin se tortilla et réussit à se
tu le reconduire chez Mme Dupin? Elle débarrasser de son collier. Il courut vers la
aimerait le reprendre ce matin. pékinoise et lui lécha joyeusement le bout du
— Certainement, ma chère, nez. Il était tout disposé à' jouer.
certainement ! dit M. Létourneau. Partirai-je La pékinoise, stupéfaite, regarda M.
maintenant? Il passera un autobus d'ici Létourneau s'éloigner à la hâte.
dix minutes. « N'est-il pas contrarié de s'en aller sans
— Mais oui! Prends ton chapeau, vous? dit-elle.
et va-t'en! » dit Mme Létourneau. Elle donna - Je ne lui ai pas demandé la permission de le
un dernier biscuit au chien, un bon coup de quitter, répondit Gamin. Dites donc.
brosse, et attacha la laisse à son collier.
« Ah ! ah ! ah ! dit-elle, tâtant le collier.
Tu as dû engraisser cette semaine, Gamin! Ton
collier est trop serré! »
Elle défit le collier et assujettit la boucle
à un autre cran. Le chien fut enchanté, sachant
qu'il pourrait ainsi se libérer du collier!
« Bonne petite bête! s'exclama Mme
Létourneau. Maintenant, mon ami, dit-elle à
son mari, dépêche-toi ou tu manqueras
l'autobus! »
M. Létourneau alla chercher son
chapeau, jeta un coup d'œil à sa montre et se
rendit compte qu'il lui restait à peine cinq
minutes pour se rendre à l'arrêt de l'autobus.
Le chien rencontra bientôt une amie.
Saisissant la laisse du chien, il dévala l'allée du

143
Létourneau lui racontait une histoire pour être
n'est-ce pas comique de voir mon confortablement installé.
collier courir le long de la route tout seul? » Elle s'assit donc en face de lui, lui jetant
Et, d'un bond, Gamin tourna le coin de la des regards furieux. M. Létourneau se sentit
rue et s'amusa bien avec son amie. Quant à M. horriblement gêné.
Létourneau, inconscient de la disparition du « Je suppose que vous vous croyez
chien, il longeait la rue au petit trot, tirant la intelligent ! » dit-elle d'une voix glacée. Le
laisse et le collier vide, sifflotant tout en pauvre homme fut stupéfait. Il ne s'était jamais
guettant l'autobus. cru intelligent, et il se demandait pourquoi
Lui aussi rencontra un ami, M. Genty, qui , cette grosse femme l'accusait d'avoir de telles
ouvrit de grands yeux à la vue d'un Létourneau prétentions. Il se sentait de plus en plus gêné,
traînant un collier de chien. car la femme aux grands yeux noirs continuait
« Où allez-vous? lui cria-t-il. à le regarder avec fureur. Il se pencha et se mit
Je rapporte ce mignon petit chien à sa à parler à Gamin.
maîtresse, dit M. Létourneau, le visage Il faisait sombre sous la banquette, et
rayonnant de joie. N'est-ce pas une bonne comme M. Létourneau avait oublié ses
petite bête, trottinant si gentiment derrière lunettes, il ne put rien voir. Mais il dit d'une
moi ? » voix douce :
M. Genty se demanda si son ami n'avait « Bon chien-chien! Bon Gamin! Reste
pas perdu l'esprit, mais il n'eut pas' le temps de couché! »
formuler sa pensée, parce que M. Létourneau Nul son ne parvint de dessous la
courait de plus belle. M. Genty, regardant le banquette, ce qui n'était point surprenant.
collier courir aussi, éclata de rire. « Vous vous trouvez bien malin, hein? dit
Enfin M. Létourneau parvint juste à temps la grosse femme d'une voix méprisante. - Non,
devant l'arrêt de l'autobus. Il sauta dans le madame, non, je n'ai jamais pensé l'être, dit M.
véhicule, toujours tirant laisse et collier. Létourneau, qui se leva pour quitter l'autobus,
« Installe-toi sous la banquette, mon petit se demandant ce que cette femme pourrait
chien, et couche-toi! » dit M. Létourneau, encore bien lui dire. Viens, Gamin, fit-il,
s'efforçant de voir le chien. Il ne put viens!
naturellement apercevoir Gamin et se dit que — Attention! Il pourrait vous mordre! lui
l'animal s'était déjà réfugié sous le siège. lança la grosse femme. » II sauta de la voiture
« Bonne petite bête », dit-il au collier. Et, et, le nez en l'air, poursuivit son chemin.
s'adressant au receveur : « Donnez-moi, dit-il, « Hé ! là-bas ! Votre chien est allé
un billet pour moi-même et un autre pour mon poursuivre un chat! » cria un galopin
chien.
- Quel chien? demanda le receveur,
ébahi.
- Vraiment, certaines gens posent des
questions stupides ! s'exclama M. Létourneau.
Ne reconnaissez-vous pas un chien lorsque
vous en voyez un? Imaginiez-vous que
j'avais un chat ou un canari en laisse? »
Le receveur prit un air offensé. Puis il
songea que si vraiment M. Létourneau voulait
acheter un billet pour un chien inexistant, cela
le regardait! Il lui donna donc deux billets.
A l'arrêt suivant, entra une très grosse
femme avec un petit chien sous le bras. Elle M. Genty ouvrit de grands yeux à la
voulut s'asseoir à côté de M. Létourneau. vue de M. Létourneau traînant le collier de
« Madame, mon chien est sous la Gamin.
banquette, dit-il. Vous feriez mieux de vous
installer en face. Nos chiens pourraient se
battre. »
La grosse femme regarda sous le siège et
ne vit point de chien. Elle imagina que M.

144
« Eh bien! lui dit sa femme, dès qu'elle lui
eut ouvert la porte, où donc as-tu été? Ne
t'avais-je pas demandé de rapporter Gamin à
Mme Dupin?
— Mais c'est ce ,que j'ai , fait, dit
M. Létourneau, surpris. Il a été sage comme
une image pendant tout le trajet, et je l'ai laissé
chez Mme Dupin. Il est allé se fourrer sous le
coffre du vestibule!
— Ah, bon! Et je suppose qu'il a repris
l'autobus pour revenir chez nous avant toi! dit
Mme Létourneau, furieuse. Gamin ! viens ici!
»
Et, à l'intense surprise du pauvre M.
Létourneau, Gamin sortit au galop de la
cuisine, mit ses pattes de devant sur le ventre
de M. Létourneau et tenta de lui lécher le
menton !
« Mais je t'ai reconduit chez ta maîtresse, il
n'y a qu'un instant, s'écria le pauvre homme, si
effaré qu'il se laissa tomber sur une chaise. Il
M. Létourneau cligna les yeux à la vue du doit y avoir deux Gamin! Il n'y a pas de doute!
collier. — Heureusement qu'il n'y a pas deux M.
Létourneau, répliqua sa femme, fort
« Seigneur! Que les enfants sont donc grognon. Je vais être obligée de conduire moi-
stupides ce matin ! pensa le pauvre M. même Gamin chez lui ! Et sans collier et sans
Létourneau. Ah ! voici la maison de Mme laisse, encore! Vraiment, mon ami, tu
Dupin ! » mériterais une correction ! » >
II gravit l'allée et heurta le marteau de la Elle paraissait si mécontente que le pauvre
porte. Mme Dupin vint ouvrir. « Oh! entrez M. Létourneau se réfugia dans la cabane à
donc, dit-elle. Je me demandais si vous me outils et y resta toute la journée. Et il n'a pas
rapporteriez mon Gamin chéri aujourd'hui. encore compris pourquoi, ayant reconduit
— Mais oui, le voici! dit M. Létourneau Gamin chez Mme Dupin, il l'avait retrouvé
joyeusement, traînant le collier dans le chez lui à son retour !
vestibule. Il a été sage comme une image! »
II se retourna pour regarder Gamin, mais le
vestibule était sombre et il ne vit pas le chien.
« II a dû se glisser sous ce coffre, dit-il.
— Mais il n'est pas entré avec vous, dit
Mme Dupin, intriguée. Tout au moins, je suis
sûre de ne pas l'avoir vu!
— Il trottait derrière moi, dit M.
Létourneau. Il était en laisse! »
II tira sur la laisse, et le collier tomba à ses
pieds.
« Miséricorde! dit-il. Il a réussi à sortir la
tête du collier, ce petit coquin ! Eh bien ! il est
sous votre coffre, madame. Appelez-le! Il faut
que je m'en aille, ou je manquerai l'autobus!
Au revoir, Gamin, bon chien! »
II descendit au trot l'allée du jardin, tandis A la surprise du pauvre M. Létourneau^
que Mme Dupin cherchait en vain son chien. Gamin sortit de la cuisine au galop.
M. Létourneau prit l'autobus et fut bientôt de
retour chez lui.

145
L'AVALEUR DE FLAMMES
Voici une autre histoire des célèbres Cinq,
François, Mick, Claude, Annie et le chien
Dagobert. Ils passent leurs vacances en
voyageant dans une roulotte, et campent
maintenant tout près d'un groupe de forains.

Une silhouette massive se profila dans le


crépuscule. C'était Alfredo, l'avaleur de feu. «
Jo, es-tu là? demanda-t-il. Ta tante t'invite à
dîner, avec tous tes amis. Venez! »
II y eut un silence. Annie regarda François
avec appréhension. Allait-il encore faire le
fier? Elle espérait que non.
« Merci, dit enfin François. Nous
acceptons avec plaisir.
- C'est gentil de votre part, dit Alfredo.
Voulez-vous que je fasse mon numéro pour
vous amuser? J'avalerai du feu devant
vous! » « Ce sont ses flambeaux, dit Mme Alfredo,
C'était trop tentant! Tous les enfants se fièrement. Il avale le feu qui en sort. »
levèrent sans tarder et suivirent le grand Alfredo parla à voix basse au dresseur de
Alfredo jusqu'à sa roulotte. serpents, et trempa ses deux flambeaux dans le
« Vous allez réellement avaler du feu pour bol. Ils n'étaient pas encore allumés, et
nous ? demanda Annie. Comment vous y ressemblaient, à ce moment-là, à deux
prenez-vous? cylindres sombres. L'homme-aux-serpents se
- Oh! C'est très difficile! dit Alfredo. Je le pencha et prit dans le feu une brindille qui
ferai à la condition que vous me promettiez de brûlait. Il la lança dans le bol. Immédiatement,
ne pas essayer vous-mêmes. Vous ne voulez l'essence s'enflamma. Alfredo approcha du bol
pas avoir des ampoules dans la bouche, un flambeau, puis l'autre. Ils s'allumèrent
n'est-ce pas? » Maintenant, attendez-moi aussitôt et jetèrent de hautes flammes. Les
bien gentiment, je vais chercher mes yeux d'Alfredo brillaient d'un étrange reflet,
accessoires, et avaler du feu pour vous !» tandis qu'il tenait un flambeau dans chaque
Quelqu'un d'autre s'assit près d'eux. C'était main. Les cinq enfants regardaient, captivés.
Buffalo. Il leur sourit. Carmen arriva aussi, Puis Alfredo renversa la tête en arrière, et
puis le dresseur de serpents. Ils prirent place de ouvrit toute grande sa large bouche. Il
l'autre côté du feu. introduisit dedans l'un des flambeaux allumés,
Alfredo revint en portant quelques objets et ferma la bouche dessus. Ses joues devinrent
dans sa main. incroyablement rouges, éclairées curieusement
« On dirait un cercle de famille! dit-il. par les flammes qui étaient à l'intérieur. Annie
Maintenant, regardez, le spectacle poussa un cri étouffé. Claude et les garçons
commence!» retinrent leur souffle. Seule, Jo regardait sans
Alfredo s'assit dans l'herbe, à une certaine émotion apparente. Elle avait vu son oncle se
distance du feu. Il plaça devant lui un petit bol livrer à cet exercice bien des fois!
de métal qui sentait l'essence. Puis il éleva en Alfredo ouvrit la bouche, et des flammes
l'air deux objets qu'il montra aux enfants. en jaillirent.

146
147
Avec un flambeau allumé dans chaque
main, l'essence brûlant dans le bol, c'était un
spectacle extraordinairement impressionnant!
Il fit la même chose avec l'autre flambeau,
et une fois encore ses joues s'éclairèrent
comme une lampe. Puis le feu s'échappa de sa
bouche, et les flammes ondulèrent sous la brise
du soir. Alfredo ferma la bouche. Il, avala.
Puis il regarda autour de lui, ouvrit la bouche
pour montrer qu'il n'y avait plus de flammes
dedans, et sourit, satisfait. Il aimait son métier.
«Alors, qu'en pensez-vous ?» demanda-t-il
en rangeant soigneusement ses flambeaux. Le
contenu du bol avait cessé de brûler, et seul le
feu de camp éclairait encore la scène.
« C'est merveilleux, dit François avec
admiration. Mais ne vous brûlez-vous pas la
bouche ?
- Qui, moi? Non, jamais! s'exclama
Alfredo en riant. Les premières fois, oui, sans
doute, quand j'ai commencé, il y a bien des
années. Mais maintenant, non. Ce serait une
chose déshonorante pour moi que de me
brûler.
— Mais... comment faites-vous pour ne
pas vous brûler? » demanda Mick, piqué
Puis Alfredo ouvrit toute grande sa large
par la curiosité.
bouche.
Alfredo refusa de donner la clef du
mystère.
« Je sais avaler du feu », annonça Jo d'un
Annie poussa soudain un cri de frayeur.
air détaché. « Oncle Fredo, prête-moi l'un de
Un long corps cylindrique glissait entre elle et
tes flambeaux!
François! C'était un des pythons du dresseur de
- Jamais de la vie! rugit Alfredo. Est-ce
serpents, qui avait suivi son maître. Les
que tu veux risquer de te transformer en
enfants, très occupés, ne l'avaient pas
torche vivante?
remarqué. Jo l'attrapa et ne voulut plus le
— Non, et cela ne m'arrivera pas, répondit
lâcher.
Jo. Je t'ai observé et je sais comment tu t'y
« Laisse-le, dit le dresseur de serpents. Il
prends. J'ai déjà essayé.
veut revenir près de moi.
Tu te vantes! s'écria Claude.
— Je voudrais le tenir un moment, dit Jo.
— Écoute, dit Alfredo, si tu avales du feu,
Il est si doux et si froid... J'aime les serpents. »
je te ferai passer l'envie de recommencer.
La curiosité aida François à surmonter la
— Non, Alfredo, dit sa femme. C'est à
répulsion qu'il éprouvait, et il posa sa main sur
moi que Jo aura affaire si elle n'est pas
le reptile. Celui-ci était froid, en effet, et très
raisonnable. Écoutez-moi bien tous, et toi
doux au toucher, malgré l'aspect de sa peau
surtout, Jo : s'il y a quelqu'un d'autre ici qui
écailleuse. François en fut surpris.
avale du feu, ce sera moi, oui, moi, ta femme,
Le python monta en glissant jusqu'à
Alfredo!
l'épaule de Jo et ensuite redescendit le long de
- Non, tu n'avaleras pas de feu », dit
son dos. « Ne le laisse pas enrouler sa queue
Alfredo d'une voix forte, mais il craignait
autour de toi, avertit le dresseur de serpents. Je
visiblement que son exubérante épouse ne
te l'ai déjà dit.
passât outre.

148
— Je veux le porter autour de mon cou — Je ne le trouve pas répugnant, répondit
comme une fourrure », dit Jo, et elle tira sur le Claude. On s'y habitue très vite. »
serpent jusqu'à ce qu'enfin il fût posé selon sa La femme d'Alfredo se leva. « II est temps
fantaisie. Claude l'observait avec une de partir, dit-elle à l'assemblée. C'est l'heure du
admiration involontaire. Annie avait préféré dîner.
mettre quelque distance entre elle et Jo. Les « Alfredo a faim. N'est-ce pas, Alfredo? »
garçons regardaient, fascinés, et leur estime Celui-ci approuva. Il replaça la lourde
pour la petite gitane en fut augmentée. marmite sur le feu, et — tandis que les autres
Un chant très doux, accompagné à la saltimbanques regagnaient leurs roulottes —
guitare, s'éleva dans la nuit. C'était Carmen, la une si bonne odeur se répandit que les cinq
femme de Buffalo, qui chantait d'une voix enfants commencèrent à se sentir en appétit.
contenue une mélodie triste, avec un refrain « Où est Dagobert? demanda soudain
d'une gaieté inattendue que les saltimbanques Claude.
reprenaient en chœur. A peu près tout le camp — Il s'est sauvé quand il a vu le serpent,
était réuni alors, et il y avait là quelques dit Jo. Je l'ai vu partir. Dagobert, reviens !
artistes que les enfants n'avaient encore jamais Tout va bien! Dagobert!
vus. — Merci, je vais l'appeler moi-même, dit
C'était très amusant d'être assis autour d'un Claude. C'est mon chien! Dagobert! »
beau feu, d'écouter le chant bohémien qui Dagobert revint, l'oreille basse. Claude le
résonnait étrangement à leurs oreilles, en caressa et Jo aussi. Il leur lécha la main à
compagnie d'un avaleur de feu et d'un serpent toutes deux. Claude essaya de l'éloigner de Jo.
qui semblait, lui aussi, apprécier la musique! Il Dagobert témoignait toujours de l'affection à la
abandonna Jo tout à coup et s'approcha de son petite gitane, et ce n'était pas du goût de
maître. Claude.
« Oh! Balthazar », dit le curieux petit Le souper fut très réussi. « Qu'y a-t-il dans
homme en laissant le serpent glisser dans ses la marmite? demanda Mick en acceptant une
mains. « Tu aimes la musique, n'est-ce pas? seconde assiettée. Je n'ai jamais mangé un
— Regarde-le ! murmura Annie à Claude. aussi bon ragoût!
Il a de la tendresse pour cet animal-là! - Du poulet, du canard, du bœuf, du
Comment peut-on s'attacher à une bête aussi lard, du lapin, du lièvre, des oignons, des
répugnante ? carottes, des navets..., énuméra la femme
d'Alfredo. Je mets dedans tout ce qui me
tombe sous la main. Ça cuit et je remue, ça cuit
et je remue. Un jour une perdrix tombe dans la
marmite, le lendemain c'est un faisan, et...
- Tiens ta langue, femme », gronda
Alfredo, qui ne tenait pas à ce que les fermiers
des environs vinssent poser des questions au
sujet de quelques-unes des merveilles
contenues dans la marmite.
« Merci beaucoup pour cet excellent dîner
», dit François, quand il sentit qu'il était temps
de se retirer. Il se leva et les ' autres suivirent
son exemple.
« Et merci d'avoir fait votre numéro pour
nous, Alfredo, ajouta Claude. C'était
sensationnel ! Nous avons constaté avec plaisir
que cet exercice ne vous a pas coupé l'appétit!
— Me couper l'appétit? Quelle
plaisanterie ! » dit Alfredo.

« Je veux le porter autour de mon cou


comme une fourrure », dit Jo.

149
« C'est un serpent, hurla-t-il, épouvanté.
Comment pouvez-vous croire qu'il s'agisse
d'un rocher ou d'un arbre? Vous êtes fous!
Eloignons-nous! Je vous affirme que c'est un
serpent! »
Le quatrième Sage étendit lui aussi la main
et rencontra les défenses de l'éléphant.
« C'est une vache, déclara-t-il. Je touche
ses cornes. Quelle chance! Nous allons
pouvoir boire du lait!
— Un serpent a-t-il des cornes?
grommela le troisième Sage, méprisant.
— Je Vous dis que c'est un arbre, dit le
second, tâtant à nouveau la patte de l'éléphant.
— Mais non! C'est un gigantesque rocher!
affirme le premier », donnant de grands coups
II était une fois Quatre Sages qui de poings contre le flanc dur et résistant de
chevauchaient en pays étranger, accompagnés l'animal.
d'un domestique. La nuit venue, ils mirent pied Là-dessus, ils se mirent à se quereller et à
à terre et ordonnèrent à leur serviteur de leur se battre, tandis que le pauvre domestique les
préparer un abri où dormir. regardait, apeuré.
Tandis que s'affairait le domestique, les « Maîtres! Maîtres! cria-t-il. Vous ne
chevaux, soudain pris de peur, s'enfuirent au pouvez tous avoir raison, et vous ne pouvez
galop dans les ténèbres. Les Sages grondèrent tous vous tromper, étant si savants. Je vais
l'homme consterné et lui enjoignirent de allumer ma lanterne et nous verrons bien de
rattraper les chevaux. quoi il retourne!
« Mais, seigneurs, comment y parviendrai- — Imbécile », dirent les Sages.
je? demanda le serviteur. Il fait nuit noire et Et, une fois de plus, ils soutinrent qu'ils
j'ignore où ces bêtes s'en sont allées! avaient affaire à un rocher, à un arbre, à un
— Voilà ce que c'est que d'avoir un serpent et à une vache! Tout tremblant, le
imbécile pour vous servir! s'écria l'un des domestique alluma sa lanterne, la tint aussi
Sages. Si vous aviez été aussi savant que nous, haut qu'il put, et les cinq hommes regardèrent
chose pareille ne se serait point produite! » leur découverte.
A cet instant, il trébucha sur une masse « C'est un éléphant! s'écria le serviteur,
énorme, et demeura pétrifié d'étonnement... tout joyeux. Nous le monterons jusqu'à la ville
C'était un éléphant qui errait à l'aventure! Le la plus proche! Mais, maîtres, vous aviez tort
Sage tâta le vaste flanc de la bête, puis tenta de tous les quatre!
la repousser. L'animal ne bougea point. - Je vous dis que c'est un rocher, dit l'un.
« C'est un immense rocher! s'écria le Sage. — Non! un arbre. — Non! un serpent qui se
Nous y trouverons un abri pour la nuit. » tortille. — Non! une vache à cornes!
Ses compagnons s'approchèrent. L'un — Eh bien! je vous laisse à votre sagesse,
d'eux passa la main sur l'une des pattes s'écria le serviteur, montant sur le cou de
rugueuses de l'éléphant et se mit à rire : « Ce l'éléphant. Peut-être ne suis-je qu'un imbécile,
n'est pas un rocher, c'est un arbre! Ses mais il me semble que nous avons ici un
branches nous protégeront admirablement... » éléphant! Mieux vaut un sot en sûreté qu'un
Le troisième Sage se saisit de la trompe de Sage en danger ! Bonne nuit, maîtres ! »
l'éléphant qui se tortilla dans tous les sens. Là-dessus, il disparut, et personne n'a jamais
su ce qu'il advint des Quatre Sages!

150
LE SECRET DE L'ILE VERTE
Trois enfants se sont enfuis de chez eux.,
où ils étaient très malheureux, et, guidés par
Jean, un jeune paysan, ils se sont rendus
mystérieusement dans une petite île du lac où
ils ont l'intention de vivre tous ensemble. Mais
il leur faut d'abord construire un abri. En
lisant l'histoire vous découvrirez comment ils
parviennent à édifier au moyen de jeunes
saules, de bruyères et de fougères, une maison
solide à l'abri de la pluie et du vent.

Le parcours jusqu'à l'île était assez long.


Le soleil montait de plus en plus dans le ciel et
les jeunes aventuriers avaient de plus en plus
chaud. Finalement, Linette désigna quelque Quel plaisir pour les enfants, le lendemain
chose du doigt, qui se dressait dans l'eau droit
matin, de se réveiller dans leur île.
devant elle.
« L'île déserte! annonça-t-elle. Notre île
déserte! » Sur le moment, il se demanda où il était.
Guy et Jean cessèrent de ramer pour
Puis un sourire de satisfaction s'épanouit sur
contempler à leur tour l'île secrète. Puis ils ses lèvres. Il se trouvait sur l'île secrète...
empoignèrent à nouveau les rames avec un
Quelle chance!
regain d'énergie et bientôt la petite colonie « Nicole ! Linette ! Debout ! cria-t-il à son
débarqua sur la plage.
tour. »
Quel plaisir pour les enfants, le lendemain Ses deux sœurs se réveillèrent et
matin, de se réveiller dans leur île ! Jean fut le
regardèrent autour d'elles d'un air effaré.
premier à ouvrir les yeux, arraché en sursaut à Comment étaient-elles là? Où était passée leur
ses rêves par les trilles aigus d'un oiseau qui,
chambre? Que signifiaient ces arbres?... Et
perché sur un arbre voisin, s'en donnait à cœur puis, tout d'un coup, elles se rappelèrent... Bien
joie.
sûr, c'était là leur logis provisoire sur leur
Jean sourit et se tourna vers Guy. nouveau domaine!
« Hé ! Guy ! Debout, paresseux ! Le soleil
Bientôt les quatre enfants furent debout et,
est déjà haut dans le ciel. » pleins d'entrain, se préparèrent à commencer
Guy se mit sur son séant et se frotta les
une agréable journée. Tout d'abord, sur les
yeux. conseils de Jean, ils passèrent leur maillot pour
prendre un bain dans le lac. Ce fut une
Jean les fit se baigner dans le lac. baignade délicieuse bien que l'eau parût un peu
froide au premier contact.
Après s'être sèches à l'aide d'un morceau
de toile - - car ils ne possédaient pas de
serviette -- les jeunes Robinsons se sentirent
affamés.
Mais Jean n'était pas resté inactif. Il avait
préparé sa canne à pêche et mis sa ligne à l'eau
dès son réveil. Et, pendant qu'il nageait dans le
lac, il n'avait cessé de surveiller son bouchon
qui, à plusieurs reprises,

151
s'était enfoncé sous ses yeux. Et à présent,
non sans fierté, il pouvait exhiber quatre beaux
poissons. Il n'y avait plus qu'à allumer du feu
pour les faire cuire.
« Tu n'y songes pas ! se récria Nicole en
riant. Manger des poissons au petit déjeuner!
Non, non, nous allons les envelopper dans des
feuilles et les garder au frais pour le repas de
midi. Mais allume tout de même ton feu pour
faire chauffer de l'eau! »
Guy courut à la source pour y remplir la
bouilloire. A son retour, le feu flambait
gaiement et Nicole se hâta de délayer du café
en poudre et de distribuer des biscuits à
chacun.
« C'est bien agréable de manger ainsi en
plein air, soupira Linette, un instant plus tard,
en savourant son café brûlant.
— Sans doute, rétorqua sa sœur. Mais ce
serait plus agréable encore si nous avions du
lait à mettre dans notre café.
— C'est vrai! renchérit Jean. Le lait nous « Voici comment je m'y prendrai pour
manque beaucoup. Mais j'ai une idée dont je construire la maison », dit Jean.
vous parlerai plus tard. Pour le moment, je
propose que nous nous dépêchions de laver les
bols... et puis nous commencerons à construire Les trois petits Arnaud avaient écouté avec
notre maison.» une extrême attention ce que Jean leur
Tous se hâtèrent de ranger la vaisselle. expliquait. C'était presque trop beau pour y
Puis, à la file indienne, les enfants se glissèrent croire. Ils n'osaient se réjouir à l'avance et le
entre les troncs des saules et débouchèrent travail leur paraissait difficile.
dans la petite clairière que Jean leur avait «Jean! Penses-tu que ce soit aussi facile
montrée la veille. que cela? s'inquiéta Guy. Tout se présente si
« Et maintenant, dit celui-ci, je vais vous bien... ces saules sont espacés comme il faut...
expliquer comment il faut s'y prendre pour et leurs branches supérieures sont touffues et
bâtir une jolie cabane... Vous voyez ces jeunes assez rapprochées les unes des autres.
saules... un ici... deux là... et encore deux là... — Commençons donc tout de suite!
Eh bien, je crois que nous pouvons monter s'impatienta Nicole qui ne tenait plus en place.
dessus et en courber les branches de manière Je suis sûre que tout va marcher à merveille.
que les unes et les autres se rejoignent au — Je vais monter sur ce premier saule et
centre. Nous les entrecroiserons, puis nous les courber ses branches sous mon poids, décida
fixerons solidement ensemble. Ce sera la Jean. Vous autres, attrapez les rameaux dès
charpente de notre toit. Avec ma hache, qu'ils arriveront à votre niveau et tenez-les
j'abattrai quelques autres jeunes saules. Leur courbés tandis que je monterai sur un second
tronc et les branches les plus grosses serviront arbre. Quand toutes ces branches seront
à faire les murs : nous les planterons en terre, liées les unes aux autres, nous nous mettrons
entre les six saules utilisés au départ, et nous tout de suite à renforcer le toit. Je vous
comblerons les intervalles à l'aide de branches montrerai comment faire. »
plus petites. Enfin nous boucherons les creux Joignant le geste à la parole il se mit à
restants avec des fougères et de la bruyère. En grimper sur le saule le plus rapproché. C'était
fin de compte, nous aurons une jolie maison, un jeune arbre, avec un tronc mince,
avec un toit solide, et des murs à l'épreuve de
la pluie et du vent. Qu'en dites-vous? »

152
« Vous comprenez, les branches
principales faisant toujours partie de l'arbre
continueront à pousser et à s'épaissir.
Notre toit en sera d'autant plus solide.
N'est-ce pas épatant ? Notre maison ne possède
pas encore de murs mais, s'il vient à pleuvoir,
nous aurons toujours un abri.
— En attendant, je meurs de faim! s'écria
Nicole que ce travail au grand air avait mise en
appétit. Il est temps que j'aille faire cuire les
poissons que tu as attrapés ce matin, Jean!
— Nous pourrons y ajouter quatre œufs et
des pommes de terre, répondit le jeune garçon.
Nous ferons bouillir les œufs à la coque dans
une casserole. La même eau pourra servir
pour faire cuire nos pommes de terre... à moins
que nous ne les mettions sous la cendre. Et,
comme dessert, rappelez-vous que j'ai des
Ils abaissèrent les branches des saules. cerises.
- Un vrai festin! s'écria Nicole. Au fond,
et des branches longues et touffues, faciles tous nos repas sont des pique-niques, à présent.
à ployer. Guy et ses sœurs n'eurent aucun mal N'est-ce pas amusant? »
à les attraper et à les retenir. Jean se laissa Tout en parlant, les enfants avaient rejoint
alors glisser à terre et monta sur un autre. Il leur " camp " sur la plage. Nicole prit la
répéta l'opération précédente, courbant les direction des opérations.
branches du haut jusqu'à ce que ses camarades « Guy, va vite chercher de l'eau. Nicole,
les attrapent. aide-moi à peler les pommes de terre, veux-tu?
« Attache tous ces rameaux ensemble, Il n'y a pas assez de cendre chaude pour que
Guy! cria-t-il. Nicole, va chercher la corde que nous les fassions en robe des champs. »
j'ai apportée. » Quelques instants plus tard, le feu pétillait
Nicole se précipita et revint avec la corde gaiement et les œufs cuisaient dans la
réclamée. Guy s'en servit pour attacher casserole.
solidement les branches des deux arbres. Les poissons étaient déjà prêts... et les
« Ça commence presque à faire un toit! enfants s'en régalaient.
s'écria Linette, rouge de plaisir. Oh! j'ai envie « C'est à peine s'ils ont un léger goût de
de m'asseoir dessous. » fumée! s'écria Linette. Moi je les trouve si
Elle s'installa sous l'abri de feuillage mais bons que je te conseille d'en pêcher d'autres
Jean la rappela à l'ordre. pour ce soir, Jean. »
« Veux-tu te lever, paresseuse ! Nous Nicole prit un air soucieux.
avons besoin de toi. Je passe maintenant au « Je constate, dit-elle, que nous mangeons
troisième arbre. » comme des ogres. A cette allure, nos
II répéta une fois de plus la manœuvre. Les provisions ne dureront pas longtemps, j'en ai
branches que Nicole et Linette attrapèrent peur.
étaient encore plus touffues que celles déjà en — C'est un problème auquel j'ai réfléchi,
place. Tandis qu'elles les maintenaient répondit Jean en attaquant son œuf. Je crois
courbées, Guy les attacha aux autres. que, de temps à autre, il faudra que nous
Avec le quatrième arbre, la " charpente " allions à terre pour nous procurer des vivres.
du toit prit tournure. Toute la matinée fut Le potager de grand-père pourra nous fournir
consacrée à cette passionnante besogne. Vers pas mal de choses. Nous n'avons pas de
midi, les sommets des six arbres étaient réunis. voisins immédiats à qui laisser nos légumes et,
Jean montra à ses amis comment disposer lorsque ma tante emmènera grand-père, elle
d'autres branches, coupées, celles-là, afin que
le toit fût bien étoffé et étanche.

153
n'ira pas s'encombrer des carottes ou des
pommes de terre qui resteront. Nous pourrons
donc les prendre sans nuire à personne.
D'ailleurs, avant le départ de grand-père, j'irai
faire un raid dans le poulailler. Voyez-vous, je
possède quelques poules bien à moi et par
conséquent je peux en disposer comme je
veux. Elles nous donneront des œufs... Et
puis... savez-vous que j'ai aussi une vache?
-Grand-père me l'avait donnée alors qu'elle
n'était encore qu'un petit veau.
- Ça, par exemple, c'est de la chance!
s'écria Nicole. Ce serait tellement merveilleux Bientôt le feu flambait joyeusement et les
si nous pouvions avoir ici une vache et des œufs bouillaient dans la casserole.
poules! Cela signifierait du lait frais et des
œufs tous les jours. La maison n'était pas encore construite —
— Mais comment feras-tu pour amener il faudrait plusieurs jours avant qu'elle ne fût
toutes ces bêtes ici? demanda Guy en riant. En terminée — mais elle possédait déjà un toit et
tout cas, ton idée est bonne. Toi et moi une partie des murs. Les enfants pouvaient, dès
pourrons aller à terre de nuit et rapporter des à présent, se faire une idée de l'aspect général
provisions. qu'elle aurait une fois finie.
— Ce sera dangereux! gémit Linette. Les jeunes constructeurs se sentaient tout
Supposez qu'on vous surprenne? fiers d'eux-mêmes.
— Oh! nous serons prudents! « En voilà assez pour aujourd'hui! décida
promit Jean. Bon, voilà notre repas terminé. Jean en s'épongeant le front. Nous sommes
Vous, les filles, faites la vaisselle et tous fatigués. Retournons au camp. Je vais
rangez les affaires. Guy et moi retournons au préparer ma ligne et voir si je peux attraper
travail. Il faut que notre maison soit terminée quelques poissons. »
le plus tôt possible. » Mais si le jeune garçon avait compté sur
Linette aurait fait volontiers une petite une friture pour le repas du soir, il fut déçu :
sieste, mais elle n'osa pas protester et se mit à rien ne mordit à son hameçon.
l'ouvrage. Quand Nicole et elle eurent remis en « Tant pis, déclara Nicole. Il reste du pain,
place les plats du déjeuner et renouvelé la de la laitue, des cerises...
provision de branchettes pour le feu du soir, - La question du ravitaillement doit
elles coururent rejoindre les garçons. être réglée le plus tôt possible, dit Jean d'un air
Jean avait déjà fait du bon travail. Il avait pensif. Nous avons toute l'eau désirable, nous
abattu de très jeunes saules avec sa hache et en aurons bientôt un abri... mais nous
avait coupé les plus longues branches. manquons de nourriture et risquons de
« Nous allons les planter en terre pour mourir de faim. Bien sûr, je pourrais attraper
faire les murs de notre maison, annonça-t-il. des lapins...
Où est cette vieille bêche, Guy? Tu n'as pas - Oh ! non, Jean, ne fais pas ça ! supplia
oublié de l'apporter, au moins? Linette. Ils sont si gentils. Ce serait un crime
— Non, la voici! répondit Guy. Dois-je de les tuer.
faire des trous profonds? - Je n'y tiens pas plus que ça, avoua Jean.
- Oui, dit Jean. Assez profonds. » Guy se Aussi est-il urgent que je ramène dans l'île mes
mit à creuser avec courage, sous poules et cette vache dont je vous ai parlé. »
le soleil, tandis que les filles s'activaient à Guy, Nicole et Linette regardèrent leur ami
dépouiller de leurs feuilles les branches d’un air stupéfait. A la rigueur, Jean pouvait
coupées. Tout le monde travailla jusqu'à ce ramener des poules, mais quand il avait fait
que le soleil commençât à décliner. allusion à la vache, ils avaient pensé qu'il
plaisantait.

154
Jean sourit de leur mine surprise.
« Ne vous tracassez donc pas. J'ai mon
idée. En attendant, contentons-nous de ce que
nous avons ce soir. J'ai faim. Après, nous irons
nous coucher. Demain nous nous lèverons tôt
pour travailler à notre maison... et je songerai
aux problèmes sérieux. »
Les jeunes Robinsons, ce soir-là, firent un
frugal repas consistant en tartines de margarine
et en feuilles de laitue non assaisonnées. Ils se
privèrent même de cerises, préférant les
réserver pour le lendemain.
Après dîner, ils flânèrent un moment au Les quatre enfants travaillèrent avec
bord du lac, firent leur toilette au bord de l'eau ardeur toute la matinée.
puis gagnèrent leur chambre à coucher en plein
air. Nous en fabriquerons une avec des
La fatigue aidant, tous s'endormirent très branches souples entrecroisées et, avec deux
vite. bouts de fil de fer, je confectionnerai deux
Le lendemain matin, après le déjeuner gonds de façon à ce qu'elle puisse s'ouvrir et se
matinal, les enfants prirent quelques poissons fermer. Mais cela n'est pas pressé. »
dans le lac. Étant ainsi assurés d'une bonne Ce jour-là, les jeunes travailleurs se
friture pour leur repas de midi, ils respirèrent donnèrent tant de mal qu'ils finirent les quatre
plus à l'aise. Mais comme, par ailleurs, les murs de la cabane.
autres provisions tiraient à leur fin, Jean décida « Parfait! apprécia Jean en passant en
qu'il prendrait son bateau, le soir venu, pour revue le travail des filles. Vous avez fait de la
aller à terre voir ce qu'il pourrait rapporter. bonne besogne. Presque toutes les fissures sont
En attendant, tout le monde se remit avec bouchées. Ça ira comme ça, je suppose.
courage à la construction de la cabane parmi D'ailleurs, avec le temps, nos murs ne feront
les saules. Jean coupa encore plusieurs jeunes que devenir plus épais et plus solides. »
arbres pour faire les murs. Guy se remit à Guy regarda son camarade d'un air ébahi.
creuser des trous pour y planter les branches. « Que veux-tu dire? questionna-t-il. Un
Peu à peu, la cabane prenait forme. ouvrage ne peut s'améliorer tout seul!
Jean montra aux filles comment passer de — Nos murs, si! répondit Jean en riant, les
longues branches de part et d'autre des jeunes piquets que nous avons plantés en terre
saules plantés en terre, de manière à obtenir pousseront et donneront plus tard des feuilles
une sorte de cloison " tissée ", selon son qui consolideront nos murs.
expression. Il leur fit voir aussi comment Tu plaisantes! Des piquets ne peuvent pas
boucher les fissures à l'aide de bruyère et de pousser ! s'écria Guy de plus en plus surpris.
mousse. La besogne était facile en soi... mais - Mais si, je te l'assure... quand ces
elle donnait chaud! piquets sont en saule ! déclara Jean. Tu peux
Guy se rendit un nombre incalculable de très bien couper une branche de saule, la
fois à la source pour y remplir la bouilloire. dépouiller de toutes ses feuilles et de tous ses
L'eau était fraîche et les quatre amis ne se bourgeons et la planter en terre... eh bien, elle
lassaient pas d'en boire avec délice. Pourtant poussera et tu t'apercevras que, bien
l'ardeur du soleil était tamisée par les branches qu'elle n'ait pas de racines, elle donnera
des arbres alentour. naissance à un nouvel arbre : un saule complet!
« Allons, nous pouvons être fiers de notre Les saules sont pleins de vie et il est difficile
travail, déclara Jean au bout d'un moment. de les tuer!
Voyez, j'ai laissé ici un espace dans ce - Si ce que tu dis est vrai, s'écria Nicole
mur. C'est l'endroit où sera plus tard la porte.

155
avec pétulance, notre bois ne cessera de Nicole, Guy et Linette patientèrent donc en
grandir d'un bout de l'année à l'autre! Je trouve attendant le retour de Jean.
sensationnel d'habiter une maison dont les Son absence leur parut durer des siècles. Au
murs et le toit sont vivants... et qui se couvrira bout d'un moment, Linette s'enroula dans la
de feuilles nouvelles avec le temps! vieille couverture et s'endormit. Mais Guy et
— Comment appellerons-nous notre Nicole restèrent éveillés. Ils virent la lune se
maison? demanda Linette. lever et nimber le paysage de sa pâle clarté.
-r*; Je propose que nous la baptisions " Le L'île secrète se para d'une atmosphère
Chalet des Saules ", répondit Jean. C'est un mystérieuse. Les arbres projetaient une ombre
nom qui lui convient tout à fait. sur le sol. L'eau du lac venait lécher le sable,
— Oui, tu as raison, opina Nicole. Ce noire comme la nuit sur le bord, mais
nom me plaît. Tout d'ailleurs me plaît ici. Nous vaguement nacrée au large. Le spectacle était
vivons une véritable aventure. Rien que féerique et la douceur de l'air permettait aux
nous quatre... sur notre île secrète! enfants de rester immobiles sans avoir froid.
— Si seulement nous avions davantage à Enfin, un bruit d'avirons frappa les oreilles
manger! soupira Guy qui avait faim à toute des deux guetteurs. Guy courut vers la crique
heure du jour. Le ravitaillement! Voilà le point et aperçut le bateau qui glissait sans à-coup sur
faible de notre belle aventure! l'eau dans sa direction. Il héla Jean.
— Ne te tracasse donc pas ! conseilla Jean. « Ohé! Jean! Arrive droit sur moi. Tout s'est
Attends ce soir... » bien passé?
Après un dîner des plus frugaux, Jean - Oui, répondit l'interpellé. Et j'apporte des
déclara qu'il attendrait la nuit pour partir en nouvelles! »
bateau voir ce qu'il pourrait rapporter de la Le fond du canot racla le sable et les
ferme de son grand-père. cailloux. Guy le tira à lui et Jean sauta à terre.
Quand l'instant fut venu, il prit, avec lui une Il souriait de toutes ses dents. Nicole rejoignit
bougie, la fixa à l'intérieur d'une lanterne, mais les deux garçons.
ne l'alluma pas tout de suite de crainte d'être «J'ai quelque chose pour vous! annonça
aperçu du rivage. l'arrivant. Mets ta main dans le bateau, Nicole.
« Pour ce soir, dit-il aux autres, il vaut mieux Tâte dans ce sac... »
que je parte seul. Attendez-moi ici tout en Nicole obéit... et poussa un cri!
alimentant le feu... Mais ne le faites pas brûler « Qu'est-ce que c'est? J'ai senti comme un
trop fort pour ne pas trahir notre présence. Une plumage chaud, s'écria-t-elle.
simple lueur suffira. » - Il y a là-dedans six de mes poules!
expliqua Jean. Je les ai trouvées perchées dans
une haie et dormant si bien que, lorsque je les
ai attrapées, c'est à peine si elles se sont
débattues. Je les ai fourrées dans ce sac... A
présent, nous aurons des œufs! Et pas de
danger que mes poules s'échappent de notre
île. Ces bêtes-là n'aiment pas l'eau!
— Quelle chance! se réjouit Nicole tout
haut. Nous ne risquons plus de mourir de faim
à présent. Les œufs, c'est très nourrissant, vous
savez!
— Que rapportes-tu d'autre?, demanda
Guy.
— Du blé pour la volaille, et aussi des
graines de toutes sortes. Je les ai trouvées dans
la remise. Dans la réserve, j'ai pris
quelques boîtes de lait et aussi un gros pain
Quatre poules avaient pondu !

156
— C'est bien possible. Qui peut savoir? J'ai
toujours peur que la fumée de notre feu ne
nous fasse découvrir. Enfin, inutile de nous
tracasser avant que le pire ne se produise.
— Est-ce que les gendarmes nous
cherchent aussi? s'inquiéta Linette.
— Bien sûr! Personne n'a abandonné
l'espoir de nous retrouver. D'après grand-père,
on a regardé partout : dans les granges, dans
les meules de paille, dans les fossés. On a
même pensé que nous avions pu aller
jusqu'à la ville voisine et on a cherché là aussi.
Si les gens pouvaient se douter que nous
sommes tout près!
— Sais-tu si les Durieux sont ennuyés?
« Il nous faut achever " le Chalet des Saules " ».
demanda Nicole.
— Très ennuyés, c'est certain. Ils
de campagne... et dans le potager j'ai participent activement aux recherches. Ils
ramassé tout un sac de légumes. Ils ne feront savent que vos parents leur demanderont
pas défaut à grand-père car il ne pourra pas des comptes quand ils reviendront. Que diront
tout emporter. alors les Durieux pour expliquer votre
— Et tu as pensé à cueillir des cerises absence? Ils seront bien obligés d'avouer
aussi ! constata Linette qui s'était réveillée et qu'ils vous rudoyaient et vous faisaient
avait commencé à fouiller le bateau. travailler au-delà de vos forces! En tout cas, je
— Oui. Les cerisiers de notre potager suis bien content que grand-père soit sur le
croulent sous les fruits. départ. La ferme vide, je pourrai y aller de
— As-tu vu ton grand-père? s'enquit temps en temps sans risquer d'être
Nicole. aperçu.
— Oui, dit Jean en souriant. Mais lui ne m'a - Où allons-nous mettre tes poules? demanda
pas vu! Il se prépare à quitter la ferme pour Guy en aidant son ami à porter le sac des
aller vivre chez ma tante, pas très loin d'ici : à volailles sur la plage.
deux kilomètres à peine. Notre petite propriété — Nous pourrions les enfermer au Chalet
va être mise en vente, mais les animaux de des Saules jusqu'à demain matin, suggéra
la ferme, qui en font partie, seront nourris Jean. Il suffira de boucher l'ouverture de la
par les voisins jusqu'à ce que la vente en porte. »
question soit chose faite. Il ne faut pas que je L'idée parut bonne aux trois autres et les
tarde trop si je veux ramener ma vache ici. Je poules furent transportées dans la maison de
me débrouillerai bien pour y arriver. Après feuillage. Les enfants confectionnèrent une
tout, elle pourra faire la traversée à la nage! fermeture provisoire avec des branches et des
— Ne dis pas de sottises, Jean, s'esclaffa brassées de bruyère. Les poules se blottirent
Linette. C'est impossible, tu le sais bien. dans un coin, terrifiées par ce qui leur arrivait.
— Attends un peu et tu verras, répondit Elles avaient cessé de se débattre et ne
Jean. Et à présent, écoutez mes nouvelles! J'ai faisaient plus de bruit.
entendu grand-père parler avec deux de ses « Elles vont se rendormir, annonça Jean, et
amis et tous se demandaient où nous étions je ferai volontiers comme elles. Je suis mort de
passés. Il paraît que les fermiers des environs fatigue! »
ont battu le pays pour nous retrouver. Après s'être régalés de quelques poignées de
- Oooooh! murmurèrent les trois autres, cerises, les quatre Robinsons allèrent s'étendre
assez effrayés. Penses-tu que l'on viendra sur leur couche de fougères. Ils en avaient fait
fouiller par ici, Jean? sécher une telle provision

157
dans la journée que ces lits de fortune
étaient plus doux encore que la veille. De plus,
ils embaumaient.
Le lendemain, Nicole se réveilla la
première, tirée de son sommeil par un bruit
inhabituel.
« Mais ce sont les poules! » songea-t-elle.
Elle se leva doucement, enjamba les
garçons endormis et courut au Chalet des
Saules. Elle démolit la porte-barricade et
pénétra à l'intérieur. Effrayées, les poules
refluèrent en désordre. Alors Nicole poussa un
cri de joie... Les poules avaient pondu quatre
gros œufs.
Nicole ramassa les œufs, reconstruisit la
porte provisoire et courut rejoindre les autres
qu'elle trouva réveillés.
« Regardez ! Tes poules ont pondu, Jean !
A midi, nous ne mourrons pas de faim. Je ferai
des œufs et des pommes de terre. »
Les enfants prirent un bain dans le lac,
puis déjeunèrent.
« Et maintenant, dit Jean, n'oublions pas
qu'il nous reste à finir le Chalet des Saules, en
gros tout au moins. Il faut aussi penser à
construire un enclos pour les poules. Nous ne
pouvons pas les laisser errer dans l'île tant
qu'elles ne seront pas habituées à nous et à leur
nouveau poulailler. »
Ce poulailler fut la première tâche à
laquelle les enfants s'attaquèrent ce matin-là.
Ils confectionnèrent une barrière en branches
de saules, assez haute pour que les poules ne
puissent pas sauter par-dessus, et disposée en
forme de quadrilatère. Les poules eurent droit
à des perchoirs et à un grand plat d'eau fraîche.
Puis Jean leur distribua du grain.
« Elles s'habitueront vite, dit-il. Et
maintenant, pensons à notre propre maison! »
Les quatre Robinsons s'affairèrent si bien
toute la journée que, le soir venu, les fissures
des murs étaient entièrement bouchées et
qu'une porte façonnée avec habileté, et
pivotant sur deux gonds en fil de fer, défendait
l'entrée de l'abri de feuillage. Les enfants
fêtèrent ce beau résultat en faisant, dans la
soirée, un repas plus copieux que celui de midi
: poissons, pommes de terre, haricots, cerises Jean fixa la bougie à l'intérieur de la
et chocolat! Un véritable festin ! lanterne.

158
Mademoiselle Anna entra dans la salle de Lucie revint bientôt avec des brochettes.
jeux, à la recherche des enfants. Ils s'y Jeanne s'était procuré quelques bobines, des
trouvaient tous, regardant la fenêtre, lugubres. petites et des grosses. Jeannot alla voir dans le
« Mademoiselle Anna, n'est-ce pas placard s'il pouvait y trouver des boîtes en
enrageant? Nous voulions faire naviguer nos carton.
bateaux sur la rivière, et voici qu'il pleut des Il revint avec quelques boîtes à chocolats
hallebardes ! rondes que Mlle Anna déclara être «
— Oui, c'est bien fâcheux, répondit-elle. exactement ce qu'il leur fallait ».
Aussi suis-je venue tout exprès pour vous « Maintenant, dit-elle, vous n'avez qu'à me
demander ce que vous aimeriez faire cet regarder et à m'imiter. Chacun de nous fera son
après-midi ! propre manège. Prenez une grosse bobine, et
— Oh! quelque chose de introduisez votre brochette dans le trou de la
passionnant! Pouvez-vous vraiment fabriquer bobine. C'est le poteau central de notre
n'importe quoi, mademoiselle Anna? manège. » (Voyez la première figure.)
—- Beaucoup de choses, en tout cas. Elle distribua ensuite les boîtes rondes. «
Qu'aimeriez-vous entreprendre ? Découpez une jolie plate-forme, d'environ
— Oh! voyons! Euh!... Oh! j'y suis. Un trente centimètres de diamètre, dit-elle. Le
manège de chevaux de bois, dit Jeannot. fond de la boîte fera l'affaire! Il aura
Mais un manège qui tourne. Croyez-vous certainement les dimensions voulues, lorsque
que nous réussirions à en faire ? vous en aurez retiré les bords. »
— Bien sûr, répondit Mlle Anna. Ils eurent bientôt tous des cercles en carton
Il nous faudra des cercles en carton, des devant eux.
bobines et quelques brochettes à viande. Va « Bien! Et maintenant percez un trou
demander à la cuisinière si elle peut te donner exactement au milieu de votre cercle, dit
quelques brochettes en bois, Lucie! Sinon, Mlle Anna. Introduisez le cercle dans la
nous nous débrouillerons avec des tiges de brochette; il doit reposer sur elle. Voilà qui
coudrier. »
est parfait! Tourne-t-il facilement? Non, le

159
brochette, afin qu'elle tienne fermement la
plate-forme. » (Voyez la figure ci-dessous.)
Et bientôt, toutes les plates-formes
étaient en position, avec leurs magnifiques
animaux.
« Occupons-nous maintenant de
notre toit, dit Mlle Anna. Nous pouvons en
faire un avec le couvercle d'une boîte, mais il
doit être aussi coloré que possible.
Découpons une jolie bordure que nous
rabattrons ensuite. »
Ils colorièrent le toit en se servant de
teintes vives et le festonnèrent ensuite.
« Placez maintenant le toit sur la
tien est un peu serré, Lucie. Agrandis
brochette, dit Mlle Anna. Il vous faut
légèrement le trou! »
naturellement faire un trou au centre. S'il ne
Bientôt toutes les plates-formes
s'adapte pas très bien, nous le maintiendrons
tournaient aisément.
en place à l'aide de colle! »
« C'est bien! Retirez-les maintenant,
Bientôt, les toits étaient en place et
car nous devons y installer des animaux, dit
les manèges de chevaux de bois terminés.
Mlle Anna. Nous en découperons dans de
Qu'ils étaient ravissants !
vieux livres et nous les collerons au bord du
« Et à présent, faisons-les tourner »,
disque! »
dit Mlle Anna, et d'une chiquenaude, elle fit
Ils passèrent vingt minutes à
tourner le sien. Il tourna longtemps, et les
découper des animaux de formes et de
petits animaux faisaient de même. Jeannot,
couleurs variées et à les coller autour de la
Jeanne et Lucie imitèrent leur amie.
plate-forme.
« On dirait de véritables manèges,
« Remettez vos plates-formes sur les
s'écria Jeanne. Oh! mademoiselle Anna,
brochettes, et qu'elles s'appuient bien sur la
nous n'avons jamais rien fait de plus joli!
bobine, dit Mlle Anna. Ne sont-elles pas déjà
Qui aurait pu croire qu'il était aussi facile de
bien jolies? Prenez maintenant une bobine
fabriquer pareil jouet! »
plus petite et laissez-la glisser le long de la

160
Crac et insistait pour s'installer sur les jambes
de Roger. Puis ce fut le tour d'un immense
bouledogue qui ressemblait vaguement à M.

l’épagneul Toby. Il était plus supportable que le basset,


mais il bavait sans arrêt.
Il paraissait doué d'un naturel fort paisible
jusqu'au moment où il crut pouvoir
s'approprier un os que Crac rongeait. Alors il
Voici un autre extrait de l'ouvrage Le
poussa un grognement à vous glacer le sang
mystère de la roche percée de la série "
dans les veines. Même Toufou recula,
Mystère Enid Blyton ". Vous y verrez comment
intimidé. La pauvre Virginie, elle,
Crac, l’épagneul de Toufou, se lie d'amitié
complètement affolée, se réfugia illico sur la
avec tous les chiens du voisinage.
tête de son maître.
« Va-t'en! cria Mlle Dupoivre d'un ton
Les vacances filaient, filaient, pleines
ferme. C'est l'os de Crac. Va-t'en! »
d'événements palpitants. Huit jours s'étaient
Le monstre saisit tranquillement l'os que
écoulés avant que les enfants aient eu le temps
Crac, interloqué, avait lâché, et s'éloigna en se
de s'en rendre compte. Huit jours riches en
dandinant.
baignades, promenades à pied et en barque, en
« Tu n'es qu'un couard ! Même pas capable
flâneries délicieuses avec Sylvain et Virginie.
de défendre ton bien! » s'écria Toufou. Crac
Crac aussi avait eu sa part de
baissa le museau et fit le mort. Lorsqu'il vit
divertissements variés. Tantôt il creusait
que personne ne faisait plus attention à lui, il
fiévreusement des trous dans le sable dont il
s'éclipsa. Pour revenir peu après, l'air guilleret,
aspergeait tout le monde, tantôt il courait
accompagné de trois petits fox-terriers tout
patauger dans l'eau pour revenir au galop se
frétillants et fureteurs en diable.
secouer frénétiquement au beau milieu des
« Assez, Crac! s'exclama Toufou, indigné
Verdier.
de cette invasion... Qu'est-ce que c'est que ces
Il avait aussi une nouvelle manie, plutôt
manières? Allons, ouste, déguerpissez, vous
agaçante. Puisque brosses, napperons et autres
autres. Non, pas toi, Crac. Toi^ tu restes ici. Je
objets lui avaient été sévèrement interdits, il
vais de nouveau t'attacher au " transat " de
ramenait tous les chiens qu'il honorait de son
Mlle Dupoivre pour le restant de la journée.
amitié. On vit ainsi un étrange basset, aux
— Ah non, merci ! protesta cette dernière.
pattes quasiment invisibles et à l'énorme tête.
L'autre jour il m'a renversée. Lie-le plutôt à ta
Il sentait mauvais
cheville. »

161
EN ROUTE POUR
LE LAC VERT
Cet extrait du Club des Cinq et les
Saltimbanques vous raconte le départ des
célèbres Cinq en vacances. Nestor et
Annibal tirent les roulottes. Les voyageurs
rencontrent les gens du cirque...

Le voyage fut plein de charme. Les enfants


s'arrêtaient dans les endroits les plus agréables,
admiraient le paysage, se baignaient dans les
lacs qu'ils rencontraient sur leur route. Soudain, Claude aperçut le lac... Ses
Dagobert semblait s'amuser autant que les eaux étaient d'un vert surprenant.
enfants. Il sympathisait beaucoup avec
Annibal, le petit cheval noir. Quelquefois, « Nous ne sommes plus très loin du lac
celui-ci hennissait pour réclamer Dago qui Vert, dit François. Regardons sur la carte
s'empressait d'accourir. Le cheval aimait quelle distance il nous reste encore à
surtout voir le chien trotter près de lui, dans les parcourir.»
cotes. On eût dit que cela lui donnait du Quand toutes les têtes furent penchées sur
courage. la carte, François montra du doigt l'endroit où
Annibal faisait également bon ménage ils se trouvaient, puis le lac Vert, à une
avec Nestor, l'autre cheval. Quand on les vingtaine de kilomètres de là.
dételait, le soir, ils allaient toujours boire « Nous y arriverons probablement demain,
ensemble. Parfois, ils s'amusaient à se pousser si la route n'est pas trop dure, dit-il. J'espère
du museau. que nous y rencontrerons le cirque!
« Cela fait déjà quatre jours que nous — Moi aussi, je l'espère bien! dit Mick.
sommes partis, dit Annie un matin. Jamais Pancho sera heureux de nous faire connaître
nous n'avons été plus heureux! Et puis, nous ne tout le monde et de nous montrer ce qu'il y a
courons pas de grands risques. François d'intéressant à voir dans son cirque, j'en suis
s'imagine être le responsable de l'équipe, mais sûr! Peut-être aussi qu'il nous indiquera un bon
en réalité c'est moi qui veille à tout! Vous ne emplacement pour camper.
faites jamais vos lits et je me demande — Nous saurons bien le trouver
comment vous mangeriez sans moi! Vous vous nous-mêmes, dit François d'un ton
nourririez uniquement de sandwiches, pour ne assuré. De toute façon, je ne tiens pas à être
pas vous donner la peine de faire la cuisine! trop près des gens du cirque. Nous nous
- Ne te fâche pas, dit Claude, qui se sentait installerons un peu plus haut dans la montagne.
coupable de laisser la majeure partie du travail L'air sera plus vif et la vue plus belle. »
à Annie. Les trois autres l'approuvèrent. Pendant ce
Je ne me fâche pas, dit Annie. D'ailleurs, temps, Annibal cherchait Dagobert. Il le
ça m'amuse de prendre soin des roulottes. découvrit, couché sous la roulotte de Claude.
Tu es une gentille petite maîtresse de Dagobert, manifestement, ne voulait pas
maison, dit François. Il est certain que, sans bouger. Alors Annibal se coucha aussi près de
toi, tout irait de travers! » son ami qu'il le put. Le cheval paraissait
Annie rougit de plaisir. Elle versa dans les ennuyé de ne pouvoir se glisser lui aussi sous
bols le chocolat crémeux qu'elle venait de la roulotte.
préparer pour le petit déjeuner. « Nous ne Les enfants observaient son manège d'un
sommes plus très loin du lac Vert, dit François. œil amusé.
Regardons sur la carte quelle distance il nous
reste encore à parcourir.»

162
— Oui, répondit la jeune fille. Il a
traversé notre village la semaine dernière. Il
«, Dagobert, viens donc avec nous ! vient camper ici tous les ans. Quand la
appela Claude. Sors de là! » caravane passe, avec les cages des animaux,
Dagobert s'extirpa de dessous la roulotte, c'est un événement, dans notre coin, vous
et s'approcha des enfants, l'air quelque peu pensez! Tout le monde est dehors! Une année,
maussade. « Pas moyen de dormir tranquille! » ils sont venus avec des lions. Je les entendais
semblait-il dire. rugir la nuit. Ça me donnait la chair de poule!
Le petit cheval noir se leva aussi, et - Il y a de quoi », murmura Mick rêveur.
suivit Dagobert. Celui-ci se coucha près des Les garçons regagnèrent les roulottes, en
enfants. Annibal l'imita. Il s'installa bien près évoquant les rugissements des lions dans la
du chien, et lui donna quelques coups de tête nuit...
amicaux. Dagobert n'appréciait qu'à demi ces Le lendemain matin, les roulottes prirent
marques d'amitié. Pourtant, comme il avait bon le chemin du lac Vert. C'était la dernière étape.
caractère, il répondit poliment en donnant à Ils resteraient là-bas jusqu'à leur retour. Les
Annibal un grand coup de langue sur le nez. deux chevaux gravissaient lentement la route
Après quoi il se roula en boule, bien décidé à montante, aux virages nombreux. Soudain,
achever son somme, en dépit de tout le monde. Claude aperçut le lac...
Le jour suivant, les enfants regardèrent
se dérouler le paysage, fort joli, avec une
impatience grandissante. Ils avaient hâte
d'arriver au, lac Vert. Mais la route montait
d'une façon presque continue, ce qui fatiguait
les chevaux. Dans la soirée, ils parvinrent à un
village qui n'était plus qu'à quelques
kilomètres du lac Vert.
« II est préférable de passer la nuit ici, et
d'aller demain matin choisir un endroit
convenable pour camper au-dessus du lac,
décida François. Nous sommes tous fatigués,
surtout Nestor et Annibal!
— Oui, mon capitaine! dit Mick. Sortons
du village et tâchons de trouver une ferme qui
veuille bien nous accueillir.
-— Justement, il y en a une, dans ce
village, qui est indiquée sur le guide : la ferme
du Petit Moulin, dit François. Demande donc
où elle se trouve à cette femme qui vient
chercher de l'eau à la fontaine! »
Dix minutes plus tard, les deux garçons
se présentaient à la ferme du Petit Moulin. Une
rivière en bordait les terres. Au bord de l'eau se
trouvait un vieux moulin délabré, mais
pittoresque.
Le fermier accorda aux garçons la
permission d'installer leurs roulottes dans un
pré, en bordure de la rivière. Une jeune fille,
rosé et souriante — la fille du fermier — leur
vendit des œufs, du lait, de la crème et du lard.
Elle leur offrit aussi des framboises de son
jardin, à la condition qu'ils les cueillissent eux-
mêmes.
« Merci beaucoup, mademoiselle, dit
François. S avez-vous s'il y a un cirque qui
campe par ici? Quelque part près du lac Vert?

163
Ses eaux étaient d'un vert d'émeraude,
— Il n'y a pas de pancarte interdisant la
surprenant, magnifique. Jamais elle n'avait vu
baignade, remarqua François. Alors, allons-y!
un lac qui eût une si belle couleur!
»
« Oh! s'écria-t-elle. Voici le lac Vert!
Tous quatre se précipitèrent dans leurs
Comme c'est beau! »
roulottes, enlevèrent leurs vêtements et mirent
François et Mick, dans la roulotte
leur maillot de bain. Ce fut vite fait! Claude
de . tête, restaient muets d'admiration.
arriva la première au lac, suivie de près par les
« Dépêche-toi, François, cria Claude. J'ai
deux garçons et Annie...
hâte de le voir de près! »
L'eau était tiède au bord, et froide au
Ils prirent un chemin de terre, sur la droite,
milieu, comme il arrive souvent lorsqu'un lac
pour descendre au lac. Ils furent cahotés, mais
de montagne est assez profond. Ils en furent
ne songèrent nullement à s'en plaindre. Quand
surpris, mais réagirent en nageant
les roulottes furent rangées convenablement au
vigoureusement. Ils s'éclaboussèrent les uns
bord du lac, les enfants sautèrent de leur siège
les autres en poussant des cris de sauvages.
et allèrent admirer les eaux scintillantes sous le
Quand ils se furent bien ébattus, ils s'étendirent
grand soleil de juillet.
sur le sable fin qui bordait le lac. Le soleil les
« Prenons un bain? proposa Annie.
sécha bien vite. Dès qu'ils eurent trop chaud,

164
ils retournèrent dans l'eau, dont la fraîcheur Quand le repas fut terminé ils attelèrent les
leur fit pousser de joyeuses exclamations. chevaux et se mirent en route pour le camp du
« Quelle chance! Nous pourrons venir cirque.
nous baigner tous les jours ici! » dit Mick. Quand les enfants approchèrent de
Dagobert était de la partie, bien entendu, et l'extrémité du lac, ils virent de nombreuses
s'amusait tout autant que les enfants. Il heurtait voitures disposées en un large cercle, et des
quelquefois ceux qui nageaient sur le dos. tentes au milieu. L'éléphant était attaché à un
Maladresse ou taquinerie? Claude se le gros arbre. Les chiens couraient en tous sens.
demandait. Des chevaux trottaient sous l'œil de leur
« Annibal veut venir aussi! s'écria tout à dresseur, non loin du camp.
coup François. Regardez-le ! Il va entrer dans « Ils sont tous là! » s'exclama Mick, ravi.
l'eau avec sa roulotte si nous ne l'arrêtons pas... Annie se dressa sur son siège, pour mieux
>> voir.
Tous nagèrent précipitamment -vers le « Par exemple ! On dirait que le
rivage; ils arrivèrent juste à temps pour chimpanzé est en liberté, dit-elle. Non,
empêcher Annibal de prendre son bain avec la quelqu'un le tient en laisse. Je crois que c'est
roulotte. Pancho!
« C'est sa façon à lui de nous faire — Oui, c'est bien lui, dit François. Le
comprendre qu'il vaut mieux le dételer, dit chimpanzé porte un petit short blanc!
Claude. Après tout, les chevaux aussi ont bien Comme c'est comique! »
le droit d'aller se baigner! » Les enfants examinaient tout
Les deux chevaux, libérés, s'empressèrent curieusement. Peu d'hommes et de femmes
de boire et de s'ébrouer dans le lac. étaient dehors par ce chaud après-midi. Seuls,
Pendant ce temps, les enfants s'installaient le dresseur de chevaux, Pancho et quelques
pour pique-niquer. Tout en dévorant à belles mères de famille qui couraient après leur
dents, ils firent des projets. marmaille indisciplinée avaient renoncé à faire
« Où peut bien être le cirque? dit Claude. la sieste.
Je ne vois rien autour du lac... » Les chiens du cirque aboyèrent
Les enfants regardèrent de tous leurs yeux. bruyamment à l'approche du Club des Cinq.
Le lac était étroit et allongé. Il avait bien un Deux hommes sortirent des voitures et
kilomètre et demi de long. Tout là-bas, à la regardèrent les nouveaux arrivants d'un air
pointe extrême, le regard d'aigle de Claude surpris. Pancho et son chimpanzé
s'approchèrent des ' enfants.
« Bonjour, Pancho! lui dit François. Tu ne
t'attendais pas à nous voir, n'est-ce pas ? »
En entendant son nom, Pancho fut bien
étonné. Tout d'abord, il ne reconnut pas les
enfants. Puis, soudain, il poussa un cri de joie.

finit par distinguer une volute de fumée


qui s'élevait dans le ciel...
« Le camp doit être dans ce creux, de
l'autre côté de la colline qui est en face de
nous, dit-elle. Nous irons là-bas et puis nous
chercherons un endroit pour nous installer,
n'est-ce pas?
— Oui, répondit François. Nous aurons le
temps de bavarder avec Pancho et ensuite de
trouver un bon emplacement pour camper
avant la nuit. Je me demande ce que dira
Pancho quand il nous verra.
— Je suis persuadée qu'il sera content! »
dit Annie.

165
et les porta à sa bouche, comme pour un
cérémonieux baise-main... Seulement, il les
mordilla quelque peu, sans faire mal, et Claude
se libéra précipitamment. Tout le monde riait.
« II est farceur, mais il ne mord pas, ne
crains rien », dit Pancho à Claude.
Celle-ci, rassurée, se tourna vers son chien.
« Dagobert, je te présente Bimbo, dit-elle
gravement. C'est un ami. Gentil Bimbo! »
Elle flattait l'épaule du chimpanzé pour
bien faire comprendre à Dagobert qu'elle
aimait Bimbo. Le singe répondit à cette
marque d'amitié en lui caressant la tête et en
lui tirant une boucle.
Dagobert remua la queue. Il semblait
hésiter encore. Quelle était donc cette étrange
bête que sa maîtresse paraissait tant aimer?
Enfin, il fit un pas vers Bimbo, et, se
souvenant de ses bonnes manières, lui tendit la
patte. Bimbo la saisit et la secoua
vigoureusement. Puis il fit deux pas en
contournant Dagobert, attrapa la queue du
chien et la secoua non moins vigoureusement.
Dagobert, désemparé, ne savait que penser
d'un tel comportement. Ce n'était pas
précisément de son goût. Enfin! puisque
Claude s'avança et tendit la main. Claude

« C'est vous que j'ai vus la semaine


dernière sur la route! Qu'est-ce que vous êtes
venus faire par ici? »
Dagobert semblait inquiet. Il grondait
sourdement. Claude expliqua à Pancho :
« C'est la première fois que Dagobert voit
un chimpanzé. Crois-tu qu'ils pourront
s'entendre ?
Je n'en sais rien, dit Pancho. En général,
Bimbo aime bien les chiens. Quand même,
empêche le tien de montrer les crocs, il
pourrait lui arriver malheur! C'est très fort un
chimpanzé, tu sais!
- Il faudrait que je me mette bien avec
Bimbo, dit Claude. S'il consentait à me serrer
la main, Dagobert verrait qu'il est mon
ami, et il cesserait de gronder. Mais je ne sais
pas si ton singe voudra...
- Bien sûr que si! s'écria Pancho en
riant. S'il n'y a que ça pour arranger les
choses... Il est gentil, Bimbo, tu vas voir.
Tends-lui la main! »
Annie se demandait comment Claude avait
l'audace de tendre sa petite main au « Tu connais ces gosses-là ? »
chimpanzé. Celui-ci prit les doigts de Claude demanda Lou.

166
paraissait tenir à ce qu'il fût ami avec cette « C'est le comique du cirque, n'est-ce pas,
drôle de bête, mieux valait sans doute ne pas Pancho? dit François.
protester. Il se contenta de s'asseoir en — Oui, il n'arrête pas de faire des blagues
ramenant sa queue sous lui. Les enfants riaient de toutes sortes. Quelquefois, il met tout
aux larmes. Dagobert se consola en voyant sens dessus dessous... Il faut le voir avec mon
arriver Flic et Flac, les deux petits chiens oncle Carlos, qui est le meilleur clown de la
savants qu'il reconnut aussitôt. Eux non plus troupe, je vous l'ai dit. Bimbo, dans son genre,
ne l'avaient pas oublié. , « Tout va bien, est aussi un bon clown.
constata Pancho. Flic et Flac présenteront — Es-tu sûr que ton oncle te permettra de
Dagobert aux autres chiens du cirque. Nous nous montrer tous les animaux?
voilà tranquilles de ce côté-là. Hé! attention à — Je ne lui demanderai pas la permission,
Bimbo! » dit Pancho. Mais vous serez bien polis avec
Le chimpanzé s'était glissé derrière lui, hein? Il n'est pas commode quand il est en
François et introduisait sans se gêner sa main colère ! Il pique des rages terribles ! »
dans la poche du jeune garçon. Pancho, Annie fronça le nez.
courroucé, lui fit retirer sa main et lui donna « J'espère qu'il n'est pas là pour le moment,
une tape. dit-elle en jetant autour d'elle des regards
« Vilain singe! Voleur! » lui dit-il. inquiets.
Le chimpanzé se couvrit la face comme s'il — Non. Il est parti se promener je ne sais
était honteux de son geste. Mais les enfants où, dit Pancho. Il aime à être seul. Il n'a pas
s'aperçurent qu'il regardait à travers ses doigts beaucoup d'amis dans le cirque, seulement Lou
écartés et que son œil luisait, malicieux. l'acrobate. Tenez, Lou sort en ce
« Quand Bimbo viendra vous voir, méfiez- moment de sa voiture! »
vous toujours de lui. Il aime bien chiper ce Lou était un grand garçon maigre qui
qu'il y a dans les poches. Je n'arrive pas à l'en semblait tout désarticulé, avec un visage
empêcher! Dites-moi, est-ce que ces roulottes anguleux, assez laid, et des cheveux noirs
sont à vous ? Ce qu'elles sont belles ! frisés. Il s'assit sur les marches de la roulotte,
- Nous les avons louées, dit Mick. C'est en et se mit à lire un journal tout en fumant sa
voyant passer le cirque, avec toutes vos pipe. Les enfants- pensèrent que cet homme et
roulottes, que nous avons eu l'idée de nous les l'oncle de Pancho étaient en effet bien
procurer pour faire un petit voyage. assortis : aussi peu sympathiques l'un que
- Et nous avons eu envie de te retrouver l'autre.
pour que tu nous montres les animaux, « Est-ce que Lou est un bon acrobate ?
ajouta François. J'espère que cela ne t'ennuie demanda Annie tout bas.
pas. — De premier ordre! répondit Pancho
— Au contraire, je suis très content, dit avec une admiration évidente. Il peut escalader
Pancho en devenant rouge de plaisir. Ce n'est n'importe quoi, il monte à un arbre comme un
pas souvent que des enfants comme vous singe... Je l'ai même vu grimper le long de la
veulent devenir amis avec un pauvre gars gouttière d'un grand immeuble comme un
comme moi... Je vous montrerai tous nos chat ! Et il danse sur la corde raide. C'est
animaux, les singes, les chiens et les chevaux difficile, ça, vous savez! »
du cirque! Les enfants regardèrent Lou de tous leurs
- Oh! merci! crièrent quatre voix. yeux. L'homme sentit leurs regards peser sur
- Hep ! Bimbo ! Veux-tu rester tranquille ! lui, tourna la tête vers eux et fronça les
lança Pancho à l'adresse de son singe. sourcils.
Regardez-le taquiner votre chien! Il est « Eh bien, pensa François, c'est peut-être un
insupportable! » excellent acrobate, mais il n'est guère
Mais Dagobert ne se laissait pas faire. Il aimable ! Décidément, il ne me plaît pas plus
semblait même trouver un certain plaisir à que l'oncle de Pancho! »
déjouer les ruses du singe. Lou se leva et s'avança vers les enfants. Les
sourcils toujours froncés, il s'adressa
à Pancho :

167
« Tu connaisses gosses-là? Qu'est-ce qu'ils Bimbo avait déniché une boîte de bonbons
viennent faire ici? et se servait généreusement. Dès qu'il vit les
— Nous sommes venus dire bonjour à enfants, il enfourna une poignée de bonbons
Pancho », dit poliment François. dans sa bouche, poussa un grognement et se
Lou jeta un regard irrité sur François, et voila la face. Mais, en même temps qu'il
demanda brusquement : prenait cette attitude confuse, il suçait
« C'est à vous, ces roulottes? bruyamment les bonbons.
— Oui, répondit François. «Bimbo! Voleur! Tu mérites le fouet!
— Pas mal, apprécia Lou en connaisseur. Il s'écria Pancho.
y a bien quelqu'un qui vous accompagne ? — Oh! non, protesta Annie. C'est
— Non. C'est moi le responsable, dit un polisson, mais il est si amusant! Nous avons
François fièrement. beaucoup de bonbons en réserve. Prends-en
Dagobert s'approcha de Lou, en grondant donc aussi, Pancho.
sourdement. De toute évidence, l'acrobate ne — Merci! » dit Pancho en se servant sans
lui plaisait pas. Lou lui envoya un coup de se faire prier. Il sourit largement et ajouta : «
pied. Claude retint Dagobert qui déjà C'est chic d'avoir des copains comme vous!
bondissait. N'est-ce pas, Bimbo? »
« Si vous donnez des coups de pied à mon Personne n'eut envie de faire le tour du
chien, il vous mordra! cria Claude, furieuse. camp ce jour-là. Lou s'était montré si odieux !
Maintenant, il vaut mieux que vous évitiez de Ce fut Pancho qui visita les roulottes du Club
vous trouver sur son chemin, sinon vous des Cinq. Le jeune saltimbanque ne cacha pas
courrez des risques.,. » son admiration :
Lou cracha par terre en signe de mépris. Il « Ce qu'elles sont jolies! Ce qu'on doit être
dit en s'éloignant : bien dedans. Et il y a l'eau au robinet!
« Vous allez décamper en vitesse! Nous ne formidable! »
voulons pas de gosses ici, pour nous ; causer II ouvrit et ferma le robinet une bonne
des embêtements. Et je n'ai pas peur de votre douzaine de fois et poussait des exclamations
sale cabot! Je sais comment m'y prendre avec de joie en voyant l'eau couler. Il admira les
les bêtes dangereuses ! tapis et la vaisselle brillante de propreté. Il
— Que voulez-vous dire par là? » sauta sur les couchettes et s'y étendit de tout
demanda Claude. son long pour s'assurer qu'elles étaient
Mais Lou ne se souciait pas de donner des confortables. En somme il se comportait
explications. Il monta les marches de sa comme un invité exubérant, mais cordial, et le
roulotte et claqua la porte derrière lui. Club des Cinq se plaisait en sa compagnie. Flic
Dagobert se mit à aboyer de sa plus grosse et Flac se montraient convenables, obéissants,
voix, tout en tirant sur son collier que Claude et fort amusants. C'était des chiens vraiment
tenait toujours fermement. bien dressés.
« Ça y est, vous avez mis Lou en colère, dit Bimbo voulut aussi tourner les robinets,
Pancho navré. Vous feriez mieux de ne pas puis il défit les lits pour voir ce qu'il y avait
rester ici! Et prenez bien garde à votre chien, sous les draps. Il s'empara d'un pot d'eau et en
ou bien il disparaîtra... but le contenu à grand bruit.
- Dagobert, disparaître? Si tu te figures que « Tu te tiens mal, Bimbo, » lui dit Pancho
mon chien se laisserait voler par qui que ce en lui ôtant le pot des mains. Annie se mit à
soit, tu te trompes ! cria Claude. rire. Le chimpanzé l'amusait énormément, et,
— Bon, ça va. Je te prévenais seulement. Ce de son côté, le singe semblait avoir une
n'est pas la peine de crier. Si on allait voir ce particulière sympathie pour la fillette. Il la
que fait mon singe, qui vient d'entrer dans suivait, lui passait la main dans les cheveux,
votre roulotte verte? » lui parlait à sa façon, en émettant des sons
inarticulés mais, de toute évidence, cordiaux.
François regarda sa montre et dit :

168
« II est quatre heures et demie. Veux-tu
goûter avec nous, Pancho? Bêtasson n'est pas
- Oui, ça me ferait plaisir. Je ne goûte pas
souvent, avoua Pancho. Ça vous est égal que je
ne sois pas aussi bien nippé que vous, ni aussi
bien malin
bien débarbouillé?
- Ne t'inquiète pas pour ça, lui dit Mick. « Écoute, Bêtasson, si tu perds encore ton
- Nous sommes tous contents que tu mouchoir, je te fouetterai, lui dit sa maman,
restes avec nous, dit Annie, ravie. Comme d'un ton très mécontent. C'est aujourd'hui
l'air de la montagne nous creuse, nous allons mercredi, et tu as déjà perdu quatre mouchoirs
faire des sandwiches au jambon. Tu aimes les cette semaine...
sandwiches au jambon, n'est-ce pas - J'en suis bien fâché, m'man, dit Bêtasson.
Pancho ? — A quoi cela sert-il, si tu ne te corriges
— Si je les aime? Bien sûr! Et Bimbo pas ? répliqua sa mère. Si tu étais vraiment
aussi! Faites attention à lui, autrement il les fâché, tu ne devrais plus en perdre un seul!
mangera tous! » — Je n'en perdrai plus, m'man, promit
Ils s'assirent dans la bruyère, à l'ombre de Bêtasson, convaincu. Si je perds celui-ci,
la roulotte. Flic et Flac tinrent compagnie à fouette-moi, prends tout l'argent que j'ai
Dagobert. Bimbo se plaça près d'Annie, et prit dans ma tirelire pour acheter des mouchoirs
de sa main, fort poliment, des morceaux de neufs, et envoie-moi me coucher avec un
sandwiches. Pancho mangea plus de morceau de pain sec en guise de souper! Là!
sandwiches que tout le monde et parla sans maintenant, tu me croiras quand je te dis que je
arrêt, la bouche pleine. suis bien fâché et que j'ai l'intention de ne plus
Il fit rire aux larmes ses nouveaux amis en jamais perdre mon mouchoir! »
imitant son oncle dans quelques-unes de ses Sa maman le regarda longuement. «
clowneries. Il se mit la tête en bas, les pieds en C'est bon ! Je te crois, Bêtasson, dit-elle. Mais
l'air, et mangea un sandwich dans cette que de punitions tu risques de t'attirer!
position, au grand ébahissement de Dagobert.
Celui-ci tournait autour, flairant cette tête au
ras du sol.
Quand ils eurent fait honneur à un pot de
confitures, Pancho se leva.
« II faut que je m'en aille, maintenant, dit-
il. C'était un fameux goûter. Merci!
— Reviens nous voir! dirent les enfants.
—-Je ne demande pas mieux, dit Pancho.
Est-ce que vous allez camper ici
longtemps?
— Non, dit François. Nous voulons nous
installer plus haut dans la montagne. Il y fera
plus frais. Nous allons passer la nuit ici et nous
partirons demain matin. Peut-être pourrons-
nous visiter ton camp avant notre départ ?
— Pas si Lou est dans les parages, dit
Pancho. Il vous a dit de décamper; s'il vous
voit, il piquera sa crise. Mais si jamais il s'en
va de bonne heure demain matin, je viendrai
vous le dire et on fera ensemble le tour du
camp...
— Entendu! » dit François.
Il fit très bien les commissions.

169
chapeau. Le soleil était brûlant. Bêtasson
s'avançait avec peine, essoufflé.
Il rencontra Mme Lambin qui lui cria :
« Bêtasson! A quoi songe ta maman? Elle
te laisse sortir sans chapeau! Tu auras encore
une insolation ! Aussi sûr que le monde est
monde. »
Bêtasson porta la main à la tête. Ses
cheveux étaient brûlants. Miséricorde! Il avait
donc oublié son chapeau! Il serait à nouveau
malade et souffrirait d'atroces maux de tête!
« Je ne peux pas retourner jusqu'à la
maison! C'est trop loin! gémit-il. Que vais-je
faire? »
Soudain, il eut une idée magnifique! «
Voilà, je vais faire des nœuds aux quatre coins
Elle donna une énorme épingle à de mon grand mouchoir et j'aurai ainsi une
Bêtasson. casquette! Tout ira bien alors! »
II ôta la grande épingle pour retirer son
mouchoir, remit l'épingle à sa veste, fit quatre
Tu feras bien d'être très, très soigneux! nœuds au mouchoir et eut ainsi une charmante
Regarde où est ton mouchoir, maintenant ! » petite casquette qu'il mit sur sa tête brûlante.
Bêtasson regarda son mouchoir, prêt à Ah! comme il se sentait bien! Il s'en fut tout
tomber de sa poche. Il allait l'y remettre, puis heureux dans diverses boutiques, fier d'être si
changea d'avis et l'en tira. malin !
«Je l'épinglerai, m'man, dit-il. Comme ça Il fit très bien les commissions et rentra
je ne pourrai pas le perdre! chez lui, sûr que sa maman serait très contente
— Eh bien! voici ma plus grosse épingle de lui. Qui sait ? Elle lui donnerait peut-être
de sûreté, dit la maman, et elle en donna une même une tranche du gâteau aux fruits qu'elle
énorme à Bêtasson. Epingle. ton mouchoir venait de faire.
devant moi! » Au moment où il poussait la porte, il
Solennellement, Bêtasson attacha son éternua.
mouchoir sur le devant de sa veste et se donna « Atchoum! Atchoum! » II chercha son
un grand coup sur la poitrine. mouchoir, mais ne le trouva point. Bêtasson
« Ah, maintenant, tout va bien ! Ne te fais regarda sa veste, déconcerté !
pas de souci, m'man, je ne pourrai pas le « Voilà que j'ai encore perdu un mouchoir,
perdre, mon mouchoir! » Et il s'en fut chercher gémit-il. Mais comment a-t-il pu tomber! Il
le panier à provisions. n'est pas dans ma poche! Mon Dieu! Mon
Sa mère lui cria : Dieu! Je l'ai perdu! »
« Bêtasson! n'oublie pas de mettre ton Sa maman était sortie. Bêtasson se sentit
chapeau de paille! Le soleil est brûlant tout triste. Il se souvint de toutes les punitions
aujourd'hui, et si tu sors sans chapeau tu auras dont il avait parlé pour le cas où il perdrait ce
encore une congestion! mouchoir.
- Entendu, m'man! » répondit Bêtasson en Il posa les commissions sur la table, et se
allant chercher dans le placard le panier à coupa deux tranches de pain. Il vida : le
provisions. Il le prit et plaça la liste des achats contenu de sa tirelire sur la table de la cuisine
dans le fond du panier. Oh! il allait faire bien et écrivit un billet laconique: « Pour acheter un
attention maintenant! Il prouverait à sa maman nouveau mouchoir. »
qu'elle pouvait se fier à lui!
Il descendit la grand'rue, ayant oublié son

170
Puis, lentement, il monta jusqu'à sa
chambre, se déshabilla et se coucha. Sa maman
fut bien surprise à son retour de trouver
l'enfant au lit.
« Oh! m'man, dit Bêtasson tout en
pleurant, j'ai perdu mon mouchoir! Et pourtant
il était épingle! J'ai vidé ma tirelire, je me suis
couché avec un morceau de pain sec.
Maintenant tu vas me fouetter !
— Mais, Bêtasson, dit sa maman
intriguée, qu'as-tu donc sur la tête? »
Bêtasson porta la main à la tête. Il avait
complètement oublié qu'il s'était fait un
chapeau de soleil avec son mouchoir! Il l'ôta,
le regarda joyeusement, le visage tout rouge.
—Oh! m'man, je ne l'avais pas perdu,
après tout! Je peux me lever! Je peux reprendre
mon argent! J'avais oublié ce que j'avais fait de
mon mouchoir! Que j'ai donc été bête!
— Lève-toi tout de suite, Bêtasson, dit sa Bêtasson porta la main à la tête...
maman en riant. La plus grosse tranche de
gâteau que tu aies jamais vue t'attend sur la
table de la cuisine... »
Certaines gens font des choses bien
étranges, n'est-ce pas?

171
172
173
Le bon tour de Mam'zelle
« Mam'zelle », professeur de français au Mam'zelle prit la brochure et s'absorba dans
Collège de Malory, est très crédule. Souvent, la lecture. Elle sourit. Elle rit. Elle s'exclama "
ses élèves lui jouent des tours... et l'invitent à Tiens! " et " Oh! la la! " une douzaine de fois.
leur rendre la pareille. Elle n'a pas encore Miss Potts se remit au travail. Elle était
relevé le défi. Et voilà que l'occasion se habituée aux excentricités de Mam'zelle...
présente... Celle-ci n'avait jamais rien lu d'aussi
captivant! Elle pénétrait dans un monde
Mam'zelle s'assit à son bureau dans la salle nouveau, un monde où des machines pouvaient
des professeurs, et fit part de son projet. Elle scier les doigts des gens sans leur faire mal, où
allait faire un grand rangement. des cigarettes brûlaient sans être allumées, où
« II est grand temps! dit sèchement Miss taches d'encre et de confitures apparaissaient
Potts. De ma vie, je n'ai vu un tel ramassis sur des nappes aux yeux de mamans et de
d'objets hétéroclites! professeurs exaspérés et s'effaçaient sans
— Ah ! vous vous moquez de moi ? laisser de traces.
répliqua Mam'zelle avec humeur. Mam'zelle était captivée. Un tour la fit rire
— Non, je dis simplement ce que je aux éclats.
pense. » « Écoutez, Miss Potts, commença-t-elle.
Mam'zelle haussa les épaules et sortit de son — Non, Mam'zelle, répliqua Miss Potts d'un
bureau un tas de paperasses. Elles échappèrent ton sévère. J'ai vingt-trois devoirs de
à ses mains et se répandirent sur le parquet. mathématiques à corriger, d'abominables
Une brochure tomba aux pieds de Miss Potts devoirs, que les élèves de sixième ont eu
qui la ramassa et la parcourut avec amusement l'audace de me remettre aujourd'hui, et je ne
car la couverture en couleurs représentait un veux pas écouter votre lecture de farces
prestidigitateur se livrant à ses tours. « De puériles. »
nouveaux tours — d'anciens tours — des tours Mam'zelle soupira et retourna à sa brochure.
à jouer à vos ennemis — des tours à jouer à Elle relut les pages qui l'avaient tant intéressée.
vos amis », lut-elle à voix haute. Deux photographies les illustraient. La
Elle lança un regard surpris à Mam'zelle. première montrait un homme qui souriait en
« A qui avez-vous l'intention de jouer des exhibant ses propres dents. La seconde
tours? demanda-t-elle. montrait le même homme — pourvu de dents
— Je n'en ai pas l'intention », répondit fausses. Et quelles dents! Il avait l'air d'un
Mam'zelle en laissant tomber cent autres ogre.
papiers sur le parquet. « Tiens! voici le Elle relut encore la description : « Ces dents
programme de la pièce que les élèves de en celluloïd sont très habilement faites et
quatrième ont jouée il y a six ans ! recouvrent complètement les dents de la
— Que vous disais-je? riposta Miss Potts. personne qui les porte, mais elles pointent en
Vous trouverez probablement les discours avant, changeant complètement l'expression du
prononcés le jour de la fondation du visage. Le sourire devient étrange et
pensionnat au fond de votre bureau ! terrifiant.»
— Ne me taquinez pas! dit Mam'zelle. Je Mam'zelle étudia les photographies. Elle
déteste les taquineries. s'imagina parée de ces dents et répandant la
— Je ne vous taquine pas. Je parle terreur dans le pensionnat. Les élèves l'avaient
sérieusement. Dites-moi, où vous êtes-vous invitée à leur jouer un tour! Elle avait bien
procuré cette brochure? Regardez-la. Je suis envie de les prendre au mot !
sûre qu'Alicia et Betty y ont trouvé tous les Elle riait tant que tout son corps tremblait !
tours qu'elles vous ont joués! »

174
Ah! ah! ces petites vilaines qui lui avaient Miss Linnie stupéfaite hâta le pas. « Me
fait tant de farces ! Il était temps que leur suis-je trompée ? se demanda-t-elle. Ce n'était
pauvre vieille Mam'zelle prît sa revanche! pas Mam'zelle! Quelles dents affreuses! »
Elle fouilla dans son bureau en désordre et Mam'zelle décida de se lever et de marcher.
trouva son bloc de papier à lettres. De son Il faisait trop froid pour rester assise. De plus,
écriture penchée, elle écrivit pour demander le elle avait de nouveau envie de rire. Elle
râtelier et joignit un chèque à sa commande. comprenait maintenant pourquoi les élèves ne
Elle était enchantée. Elle ne confierait son pouvaient réprimer leur gaieté lorsqu'elles lui
secret à personne, pas même à Miss Potts. «Je faisaient quelque farce!
ne lui dirai rien. Je lui sourirai soudain — Elle longea le terrain de jeu et rencontra
comme cela — se dit Mam'zelle, et elle fit un Georgina et Clarisse. Elle répondit à leur
sourire féroce. Elle sursautera d'horreur à la sourire. Georgina s'arrêta net, comme
vue de mes dents monstrueuses ! foudroyée! Clarisse n'avait rien remarqué.
Mam'zelle dut attendre huit jours pour mettre « Clarisse! dit- Georgina après avoir fait
son projet à exécution. Enfin les dents lui quelques pas, qu'à donc Mam'zelle
parvinrent le jour du match de hockey. Elle fut aujourd'hui? Elle est horrible!
folle de joie mais le succès dépassa ses — Horrible? Mais comment?
espérances. Ah! ces dents! Mam'zelle les — Ses dents ! Tu n'as pas vu ses dents ? De
essaya tout de suite. On les aurait cru faites sur vrais crocs! »
mesure. Elles recouvraient complètement les Clarisse fut surprise.
siennes, mais elles étaient beaucoup plus « Retournons en arrière, et sourions-lui de
longues et saillantes. On ne les voyait pas nouveau », dit-elle.
lorsqu'elle avait la bouche fermée, mais Mais Mam'zelle, se rendant compte du but
lorsqu'elle souriait, elle prenait un air sinistre, de la manœuvre, se contenta d'un signe de tête.
étrange et féroce! L'économe s'avança vers elle.
Elle-même eut peur en se regardant dans la « Mam'zelle, savez-vous où est Gwen? Elle a
glace et se cramponna à sa coiffeuse. « Mais je reprisé sa culotte de gymnastique bleu-marine
suis un monstre! Je suis véritablement avec de la laine grise ! Elle sera en retenue cet
effroyable avec ces dents... » après-midi ! »
L'après-midi, elle les ajusta avec soin par- Mam'zelle ne put s'empêcher de sourire.
dessus les siennes et descendit sur le terrain de L'économe la dévisagea, comme si elle n'en
jeu, chaudement vêtue d'un manteau et d'une pouvait croire ses yeux! Mam'zelle ferma la
écharpe et coiffée d'un turban. Dora, en bouche et l'économe recula, profondément
l'apercevant, lui fit place sur son banc. troublée.
« Merci », dit Mam'zelle avec son plus « Gwen est là-bas », répondit Mam'zelle
aimable sourire. d'une voix épaissie par sa 'double rangée- de
Dora sursauta.1 En un clin d'œil, le dents.
professeur de français s'était transformé en L'économe, plus effrayée encore, disparut en
vieille sorcière. Mais elle referma la bouche et toute hâte.
reprit son aspect habituel. Dora crut avoir rêvé. Mam'zelle la vit échanger quelques mots
La petite Lydia, qu'accompagnait Suzanne, avec Miss Potts.
eut le bénéfice du second sourire. « Ah! ah! elle lui confie ses impressions,
« Oh ! » s'écrièrent les deux enfants pensa la Française. Miss Potts va venir me
horrifiées. Mam'zelle serra les lèvres. Elle regarder. Et je me mettrai à rire. Je le sais. Je
avait bien envie de rire, mais mieux valait pas. rirai sans pouvoir m'arrêter! »
Passa Miss Linnie, le professeur de couture. Miss Potts s'avança, examina sa collègue de
Elle fit un signe de tête à Mam'zelle qui ne très près et reçut son fameux sourire. Puis
put résister à la tentation d'exhiber ses dents. Mam'zelle serra les dents, cacha le bas de

175
son visage avec l'écharpe, tout en essayant
de maîtriser son envie de rire.
« Sentez-vous le froid ? demanda Miss
Potts, inquiète. Vous — euh! vous n'avez pas
mal aux dents, j'espère? »
Un bruit des plus étranges sortit de la
bouche de Mam'zelle. Elle luttait contre le rire
qui l'étouffait, et se sauva en toute hâte tandis
que Miss Potts la suivait des yeux avec
anxiété.
Mam'zelle descendit lentement le terrain
de jeux en s'efforçant de reprendre son calme.
Une sorte de hoquet lui échappa. Deux élèves
de cinquième qui passaient près d'elle se
demandèrent si elle n'était pas malade.
La pauvre Mam'zelle jugea que la farce
avait assez duré et décida de rentrer. Comme
elle se dirigeait vers le pensionnat, elle
aperçut, à sa profonde horreur, la directrice,
Miss Grayling, qui s'avançait vers elle, en
compagnie de deux mères d'élèves.
« Oh! voici Mam'zelle, dit la directrice de
sa voix mélodieuse. Je vous présente Madame
Jennings et Madame Petton. »
Force fut à Mam'zelle de s'approcher. Elle
n'avait plus aucune envie de rire! Sa farce
cessait tout à coup d'être drôle. Elle n'avait
plus qu'un désir : se débarrasser des
monstruosités qui encombraient sa bouche.
Mais comment faire ? Elle ne pouvait les
Mam'zelle sourit. Les élèves de
cracher dans son mouchoir devant les deux
seconde furent frappées de terreur.
visiteuses.
Mme Jennings lui tendit la main.
La directrice fut surprise. Elle examina
« J'ai si souvent entendu parler de vous,
Mam'zelle. La voix du professeur de français
Mam'zelle, et des tours que vous jouent ces
était pâteuse, comme si elle avait beaucoup
petites écervelées! »
trop de dents, se dit-elle, à cent lieues de
Mam'zelle tenta de sourire sans ouvrir la
penser qu'elle avait deviné la vérité.
bouche. Le résultat fut étrange. Un sourd
Enfin les mamans prirent congé. Une fois
grognement retentit. Mme Jennings leva des
de plus, Mam'zelle donna d'énergiques
yeux étonnés. Mam'zelle compensa l'absence
poignées de mains et dans son soulagement de
de sourire par une vigoureuse poignée de
les voir partir, elle leur octroya un large
mains.
sourire. Elles eurent tout le temps de
Elle se comporta de la même façon envers
contempler les horribles dents. La directrice
Mme Petton, maman bavarde, désireuse de
fut régalée du même spectacle. Elle ouvrit de
savoir si sa fille Thérèse faisait des progrès en
grands yeux épouvantés. Qu'était-il arrivé à
français. Tout en parlant, elle ne cessait de
Mam'zelle? S'était-elle fait arracher ses dents?
sourire et Mam'zelle, incapable de répondre,
Avait-elle un appareil? Mais quel effroyable
souffrait mort et passion. Elle se contenta de
dentier! Il lui donnait l'air du loup dans le
renouveler le sourd grognement dont elle avait
conte du Petit Chaperon Rouge!
gratifié l'autre maman.

176
Les deux mamans détournèrent promptement Elle rit de plus belle, et les autres élèves
la tête et partirent en toute hâte avec Miss firent chorus. Mlle Prougier ne partagea pas la
Grayling. La directrice était si préoccupée de joie générale.
s dents de Mam'zelle qu'elle n'entendait pas « Je ne comprends rien à cette plaisanterie,
un mot de ce que disaient ces dames. Elle dit-elle. Des dents sur l'herbe n'ont rien de
résolut de convoquer le professeur de français drôle. Quand de pareils accidents se
le soir même et de lui demander une produisent, il est temps d'aller chez le
explication. dentiste!.»
Soulagée de voir les mamans tourner les Elle s'éloigna. Ses paroles et son visage
talons, Mam'zelle ne fit pas attention à un réprobateur suscitèrent de nouveaux rires. On
groupe d'élèves de seconde qui retournaient au la vit se diriger vers le bureau de là directrice.
pensionnat et se trouva au milieu d'elles. Certainement elle allait raconter à Miss
« Bonjour, Mam'zelle, dit Gladys. Vous Grayling tout ce qu'elle avait vu.
rentrez, vous aussi? » Mam'zelle en fut effrayée. Que fallait-il
Mam'zelle sourit. Les élèves de seconde faire? Elle prit la décision d'aller expliquer
furent frappées de terreur. Elles la elle-même pourquoi elle avait décidé de jouer
dévisagèrent, muettes. Les dents avaient ce bon tour à ses élèves. Miss Grayling
légèrement glissé et plus que jamais comprendrait certainement.
ressemblaient à des crocs. Mam'zelle avait En effet, lorsque la directrice apprit, de la
l'apparence sinistre d'un méchant loup. bouche de Mam'zelle, comment elle avait
Elle se rendit compte de leur terreur. Un fou acheté ces horribles dents, et à quel point ce
rire la saisit. Elle haleta, s'étrangla, rugit. changement avait transformé son aspect, elle
Elle se jeta sur un banc pour se livrer à son se mit à rire à son tour sans pouvoir s'arrêter.
hilarité. Elle se rappelait l'expression de tant de « Quelle bonne farce vous leur avez jouée là,
visages. Plus elle y pensait, plus elle riait aux s'écria-t-elle entre deux crises de fou rire !
larmes. Les élèves l'entouraient, affolées. — Mais je crois que mesdames les
Qu'avait donc Mam'zelle? professeurs n'ont pas trouvé la plaisanterie à
Les dents de celluloïd se détachèrent, leur goût!
tombèrent sur le giron de leur propriétaire, et — Au fait, comment cette idée vous est-elle
de là sur l'herbe. Muettes de stupeur, les venue ? »
'enfants regardaient les dents, puis Mam'zelle, Mam'zelle raconta en détails l'histoire de la
redevenue normale. Elle n'avait plus que ses brochure qu'elle avait retrouvée en rangeant
dents petites et bien rangées. ses papiers, et comment son attention avait été
« C'est une farce! dit-elle enfin d'une voix attirée par la publicité pour les fausses dents en
aiguë, s'essuyant les yeux. Ne m'aviez-vous celluloïd.
pas invitée à vous en jouer une ? Eh bien ! L'après-midi fut un triomphe pour
voilà. Ces dents-là représentent ma farce! Oh ! Mam'zelle. Le bruit de sa farce se répandit
la ! la ! Laissez-moi rire. Oh ! mes côtes ! mon dans tout le pensionnat. Tout le monde lui fit
dos! qu'ils me font mal! » fête..., à l'exception du corps professoral...
Elle se balançait dans tous les sens en proie à « Quel manque de dignité! déclara Miss
un accès de folle gaieté. Les élèves l'imitaient. Williams. N'êtes-vous pas de mon avis?
Mlle Prougier s'avança, étonnée de voir l'autre — Elle ferait bien de ne pas se livrer trop
professeur de français rire ainsi aux éclats. souvent à ces pitreries! répliqua Miss Potts qui
« De quoi s'agit-il? » dit-elle, le visage grave prit la résolution de retirer, à la première
et réprobateur. occasion, toutes les brochures du bureau de
Irène montra les dents qui gisaient sur Mam'zelle. »
l'herbe. Mais les élèves n'en aimèrent que mieux leur
« Mam'zelle nous faisait une farce! ses professeur de français, et travaillèrent avec une
fausses dents sont tombées et l'ont trahie ! » ardeur accrue. Tout au moins, tel fut l'avis de
Mam'zelle!

177
Quelle triste journée de novembre! Les masses. Elle a huit pétales d'or brillants
quatre enfants étaient réunis auprès du feu. Ils et...
avaient joué et lu et, maintenant, ils — Le bouton d'or! s'exclama Richard
s'ennuyaient. sans réfléchir.
« Si nous jouions aux devinettes, proposa - Huit pétales, et le début du printemps !
Richard. Ta maman voudrait-elle nous poser Et nous avons exclu les boutons d'or! Pourquoi
des questions, Jeannot ? n'écoutes-tu pas, Richard? Je répète : huit
— Je vais voir », dit le garçon qui alla pétales d'or brillants et des feuilles en forme de
trouver sa mère. Elle arriva bientôt avec son cœur.
tricot et s'assit près d'eux. - La ficaire ! bien sûr, dit Alice
« Vous voulez donc jouer aux devinettes ? promptement. C'est mon tour, puisque j'ai
dit-elle. Le sujet sera les fleurs, mais chacun en deviné. Je songe à une autre fleur
décrira une à tour de rôle. Ainsi, je ne serai pas jaune, qui ressemble un peu à un petit
la seule à poser des questions! pissenlit. Elle a une tige écailleuse, et un
— Oh! oui! adoptons cette méthode, dit peu laineuse.
Jeanne. Mais, madame, ne décrivons pas des — A quoi ressemblent ses
fleurs trop communes, ce serait trop facile! feuilles? demanda Jeanne.
Choisissons-en que tout le monde — Elle n'en a pas!
devrait connaître. — Mais elle doit en avoir ! s'écria
— Fort bien. Nous laisserons de Jeannot. Tu dis des sottises !
côté boutons d'or, pâquerettes, violettes, — Mais non. Je n'en ai jamais trouvé
primevères, chardons et pissenlits, dit Mme quand j'ai cueilli la fleur.
Verdier. Tout le monde les connaît, je suppose. — Oh! je sais, dit Mme Verdier. Tu veux
Vais-je commencer? Vous pouvez trouver parler du pas-d'âne, Alice. Les feuilles
cette fleur en février ou mars; elle croît en viennent après la floraison. Tu as bien choisi ta
fleur.

178
— A votre tour, maman, dit Jeanne. — La germandrée! répliqua-t-il, très fier
— Eh bien! il s'agit d'une fleur dépourvue de de lui. Mon tour maintenant ! Je pense à une
pétales. Et cependant, on pourrait croire qu'elle drôle de plante qui porte capuche verte! Il se
en possède six ravissants, teintés de rosé ou de trouve une langue dans le centre de la capuche!
violet. Elle danse en avril dans les bois. Ses feuilles ont la forme d'une flèche et
- C'est drôle! s'exclama Richard. Une ont des taches violettes...
fleur sans pétales et qui semble en avoir! — Je sais, dit Mme Verdier. C'est l'arum
Qu'a-t-elle donc? tacheté...
— Des sépales qu'elle retourne pour -r- A ton tour, maman!
imiter les pétales. Et elle danse si joliment au — Je vous présente une jolie petite fleur
vent... qui croît le long des haies au printemps. Elle a
— L'anémone des bois! crièrent les cinq pétales échancrés, une petite tête
fillettes. délicate pendant d'une tige mince comme un
- L'anémone Sylvie, s'écria Jeannot en fil. Cette tige est très fragile. »
même temps. II y eut un silence. Qu'était-ce que cette
— Vous avez tous raison, dit la maman. A fleur? Personne ne devinait.
ton tour, Alice. « Elle fait songer à une étoile, dit Mme
- Ma plante est très ordinaire, dit Alice, Verdier.
rayonnante. Elle fleurit toute l'année. Elle a de — Oh! la stellaire, s'écria Alice.
minuscules fleurs blanches en haut d'un épi, Bien sûr! A mon tour, maintenant. Ma plante a
mais mieux que la fleur, on voit les silicules des grappes de fleurs blanches minuscules, à
qui contiennent les graines parce qu'on les quatre pétales, tout en haut d'une très grande
trouve tout le long de la tige. tige...
- Par exemple! Qu'est-ce que cela peut — La bourse-à-pasteur! dit Richard sans
être? demanda Jeannot, perplexe. Quelle est la réfléchir.
forme de cette silicule? — Mais nous l'avons déjà décrite!
— On dirait une petite bourse ou un protesta Alice.
portefeuille, dit Alice. — Tu pourrais nous mettre sur la voie,
—> La bourse-à-pasteur, bien sûr, s'écria répliqua Richard. Tu ne nous as pas donné
Jeannot. A mon tour, maintenant! Ma fleur est assez de détails.
aussi fort commune. La plante a des fleurs — Fort bien. Elle a de grandes feuilles en
vertes, qui paraissent enfilées sur une mince forme de cœur, et quand tu les écrases, tes
tige. Vous la trouvez fleurie en février ou mains sentent l'ail.
mars... — C'est l'alliaire! s'écria Jeannot.
- Des fleurs vertes! Veux-tu parler de -— Tu as raison. Que vas-tu nous faire
l'ortie? demande Alice. deviner maintenant?
- Tu te trompes. L'ortie ne fleurit pas en — Eh bien! je songe à une plante dont les
février ou mars, petite sotte! fleurs font penser à de la dentelle, ou de la
- Oh! je sais, je sais maintenant, s'écria gaze blanche! Elles sont minuscules et
Jeanne. C'est la mercuriale. poussent sur des tiges vertes et minces,
Et chacun d'applaudir. disposées comme lès baleines d'un parapluie!
- Très bien, dit Mme Verdier. C'est — Oh ! quelle description, dit Alice.
certainement une fleur très commune, mais Veux-tu parler de la petite ciguë?
que peu de gens remarquent. A ton tour, — Oui. Tu es astucieuse!
Jeanne. — A mon tour, dit Alice,
- Une fleur d'un bleu vif; quatre petits réfléchissant profondément. Ah! j'y suis!
pétales; un minuscule centre tel un œil Qu'est-ce que cette fleur? Elle porte chapeau
blanc. Qu'est-ce que c'est? vert avant d'éclore, et le rejette ensuite. Elle a
— La véronique! la véronique! hurla quatre pétales soyeux et quantité d'étamines à
Richard. tête noire...
— Laquelle? demanda Jeanne.

179
— De quelle couleur est-elle ? demanda
Jeannot.
- Écarlate.
- Un coquelicot! hurla Richard,
assourdissant tout le monde. C'est bon,
maintenant, devinez ! Je vous propose un
casse-tête chinois. Quelle est la plante qui a
des groupes de fleurs ayant la forme de pois de
senteur à raies rouges et de petites
feuilles à cinq échancrures ?
- Cinq? Ce ne peut être une espèce de trèfle,
alors, dit Alice, parce que ses feuilles n'en ont
que trois...
- Quelle est la forme de leur gousse?
demanda soudain Mme Verdier.
- Eh bien! elles ont un peu la forme d'un
pied d'oiseau, dit Richard, en grimaçant.
- Oh! Richard, c'est le lotier corniculé! dit la
maman. Et tu as raison; les feuilles ont cinq
folioles! Tu es bien malin de l'avoir
remarqué. Nous avons failli donner notre
langue au chat!
- C'est à ton tour, maman, dit Alice.
- Eh bien! je pense à une plante qui
collectionne de petits boutons jaunes! On
dirait que quelqu'un a arrache tous les
pétales des fleurs, ne laissant que le centre. Les
feuilles font un peu songer à celles des
fougères.
- Parlez-vous de la tanaisie? demanda
Jeanne, songeuse. C'est la seule fleur que je
connaisse qui réponde à cette description.
- Tu as deviné, Jeanne. Propose-nous un
problème maintenant.
- Ma fleur est jaune aussi, dit la petite, elle
est assez jolie et voyante. Ses pétales sont
couleur paille; elle a la forme d'une étoile.
- Cette description est trop vague, n'est-ce
pas, maman, se plaignit Jeannot. Comment
deviner? Il y a tant de fleurs jaunes...
- Eh bien! je vais vous donner d'autres
renseignements. Si vous tenez la feuille à la
lumière, vous y verrez partout de petits
trous...
- Oh! je sais alors, dit Mme Verdier, bien
que personne d'autre n'eût deviné. C'est
l'herbe de la Saint-Jean ou millepertuis.
- Bravo, madame, dit Jeanne! .Personne ne
vient à votre cheville!

180
— Je songe à une très jolie fleur, — Du pain beurré au miel! s'écrièrent les
dit Mme Verdier. Vous la trouvez en été. Elle enfants en s'asseyant à table. Que c'est bon!
est d'un bleu vif, mais vraiment très vif, et ses - Eh bien! moi, je vous propose une
pétales ont la forme d'une lanière. Sa tige est dernière devinette, dit Richard soudain.
extrêmement résistante. Quelque chose de joli, et qui serait très bon à
- La jacinthe des bois, dit Richard qui se manger. Des yeux couleur de myosotis. Une
fit huer. voix harmonieuse. Un nom qui fait penser aux
- Comment serait-ce possible ? Maman a oiseaux... Qu'est-ce que c'est?
dit " des pétales en forme de lanière et une tige - Cela n'a pas de sens, dit Jeannette,
très dure! " étalant du miel sur sa tartine. Joli... bon à
— La chicorée sauvage! la chicorée! la manger... des yeux bleus... une voix
chicorée ! chantonna Jeanne qui ne se trompait charmante...
point. Et maintenant, une bonne devinette pour - Et son nom fait songer aux oiseaux!
vous! La plante fleurit en hiver, en grosses Qu'est-ce que c'est, Richard ?
inflorescences d'un jaune verdâtre... » - Donnez-vous votre langue au chat? »
Personne rie devina. « Aucune plante ne demanda Richard.
fleurit en hiver, sûrement, dit Richard. Quelle Tout le monde répondit " oui ".
est la forme de ses feuilles ? « Mais c'est la première fois! dit Jeanne. Et
— En forme de feuille de lierre », attention, Richard! Si c'est une de tes sottes
dit Jeanne, sans réfléchir, et tout le plaisanteries, nous te mettrons à la porte !
monde éclata de rire, et hurla : « Le lierre, — Eh bien! je vais vous dire ce qui est
naturellement ! joli, aimable, bon à manger, et tout le reste, dit
— A qui le tour? demanda Richard. Richard, souriant d'une oreille à l'autre. C'est
Nous avons tous répondu en même temps. Madame Verdier! Et je parie que vous ne me
— Nous cessons le jeu, dit Mme Verdier. flanquerez pas à la porte pour cette
C'est l'heure du goûter. Venez à table, et je description.»
vous proposerai une colle sur le goûter! Ils n'en firent rien, naturellement. En fait,
Qu'est-ce qui est blanc et gras, qui reçoit une Mme Verdier affirma que c'était la plus jolie
couche de matière jaune et poisseuse, et... devinette qui eût été proposée!

181
La grande frayeur
de Monsieur Groddy
Fatty et ses amis sont entrés aux «"Cèdres »,
propriété qui vient d'être cambriolée, espérant
découvrir quelque mystère. Pendant qu'ils se
trouvent dans la maison, arrive M. Groddy, le
policeman de la localité. Il aperçoit les enfants
et se fâche tout rouge. Fatty, qui a des dons de
ventriloque, décide de se servir de ce talent
pour lui jouer une farce.

Fatty avait à peine eu le temps de descendre


que lui parvinrent, les furieux éclats de voix de
M. Groddy :
« Que faites-vous ici? Filez à l'instant! »
Foxy se mit à aboyer, et Fatty à rire. Que de
fois cette scène s'était déjà jouée! Les amateurs
de mystère occupés à fouiner, Groddy les
découvrant, leur intimant l'ordre d'avoir à
déguerpir, et Foxy protestant avec énergie ! Eh
.bien ! Foxy savait se défendre et défendre les
siens aussi! « Eh bien! allons, gamins! Que faites-vous
Fatty se demanda s'il réussirait à sortir par la ici? Filez à r instant ! »
porte de devant. Déjà M. Groddy était à la
porte de service.
« Mettre obstacle à la loi! Fourrer le nez j'espère? Tant mieux. Qu'il reste au lit!
partout! De quoi vous mêlez-vous, je voudrais Espérons qu'il aura une rechute. Allez-vous
bien le savoir ! Filez ! enfin rappeler ce cabot? »
- Mais nous sommes des voisins, dit Larry. Larry appela Foxy : « Viens ici ! Je peux te
Ce cambriolage nous intéresse. S'il y a des trouver des mollets plus appétissants si tu en as
cambrioleurs dans les parages, j'aimerais me envie! »
renseigner, pour le cas où il leur prendrait M. Groddy revint à la charge : « Quittez tous
fantaisie de venir nous voler aussi... ce jardin! Que je vous revoie ici et je ferai mon
— Allons donc! fit M. Groddy, incrédule. rapport! Oui, et j'irai voir vos parents, et les
Des mensonges! De mauvaises excuses pour vôtres en particulier, monsieur Philippe
vous mêler de ce qui ne vous regarde pas! Ce Hilton ! »
n'était qu'un travail d'amateur! Nul mystère! Pip se hâta de quitter le jardin de la villa,
Rien qui soit digne de vous! Et n'oubliez pas emmenant Betsy. Il n'avait nulle envie que M.
votre chien ou je pourrais me mettre en colère Groddy allât encore se plaindre. Ses parents
contre lui ! Sale petit cabot ! » pourraient prendre le parti du policeman! Larry
Fatty brûlait du désir d'être avec ses amis. et Daisy le suivirent, Larry tenant Foxy par le
Oser appeler Foxy un sale cabot! collier. Ils restèrent plantés devant la grille, se
« Où est le petit gros? demanda Groddy, demandant ce que Fatty pouvait bien faire!
autoritaire, se rendant compte tout à coup de Ce dernier n'avait pas de chance. Il ouvrait la
l'absence de Fatty. Couché avec la grippe, porte de devant au moment précis

182
où M. Groddy l'ouvrait de l'extérieur! Le Vous vous occuperez du chien! » Je vous
policeman dévisagea Fatty, comme frappé par laisse maintenant. J'ai fort à faire chez moi.
la foudre. Il ouvrit la bouche toute grande et Thème latin, version grecque, j'ai du pain sur
devint violet. Il avalait sa salive avec peine. la planche !
« Bonjour, monsieur Groddy, dit Fatty, — Venez m'aider à trouver ce chien, dit
affable. Entrez donc! Je refermerai la porte. » M. Groddy qui n'avait plus nulle envie de voir
Le policeman entra, toujours muet. Puis il le garçon filer. Deux personnes ne seront peut-
explosa. être pas de trop pour l'attraper! Bizarre que je
« Qu'est-ce que vous faites ici? Ici, dans ne l'aie ni vu ni entendu ce matin! »
une maison surveillée par la police? Vous avez Fatty sourit béatement derrière le large dos
envie d'être coffré, je suppose? Découvert dans de l'agent. Il se demandait s'il devait imiter le
une propriété privée avec de mauvaises cri d'un autre animal. C'était bien utile que
intentions, j'en jurerais! » d'être ventriloque!
Fatty recula, car M. Groddy postillonnait « Très bien, monsieur, dit-il. Si vous
dans sa fureur. estimez qu'il est de mon devoir de rester et de
« J'ai entendu miauler un petit chat, dit-il, vous aider, je m'incline. Je suis toujours prêt à
toujours poli. Et comme je suis membre de la répondre à l'appel du devoir... »
S.P.A. - - si vous savez ce que c'est — je suis M. Groddy lui fut reconnaissant. Il
naturellement venu ici pour le chercher. Il est s'avança sur la pointe des pieds dans la petite
de mon devoir de venir à l'aide d'un animal salle à manger. Fatty suivait. Il poussa soudain
affamé ou abandonné... un cri qui fit presque tomber le policeman à la
— Miaou ! » fit le chaton, sortant renverse.
obligeamment de dessous le guéridon. Il se « Regardez ! regardez ! Qu'y a-t-il là-bas ?
dirigea vers Fatty et se frotta contre ses Attention! »
jambes. Puis il regarda M. Groddy, grondant et M. Groddy, aussi désireux de sortir que de
crachant. Enfin, il fila, telle une flèche vers le faire attention, tomba presque sur le garçon en
premier étage, marmottant des imprécations et se précipitant hors de la pièce. Fatty se
des menaces. cramponna à lui.
« Quel comportement intelligent! dit Fatty. « Tout va bien! tout va bien! Je vous ai
J'espère que vous croyez maintenant à aperçu dans la glace là-bas, monsieur, et c'était
l'existence du minet? » un spectacle si terrible que j'ai cru que
M. Groddy fut bien obligé d'y croire. « quelqu'un nous guettait! Ah! Dieu merci,
Emportez-le, dit-il, et filez! J'ai à travailler. Et c'était simplement votre reflet! »
ne vous mêlez plus de rien, hein? M. Groddy, aussi furieux que soulagé,
— Vous vous occuperez du chien, n'est-ce lança un regard noir à son compagnon. «
pas, monsieur ? dit Fatty. Je ne sais où il se Recommencez un pareil tour, dit-il, et... » II
trouve, mais vous l'entendrez sans doute s'arrêta net.
grogner, ce qui vous permettra de mettre la Derrière lui, il venait d'entendre un sourd
main dessus. grognement, tel celui d'un cochon. Il se
- Il n'y a pas de chien ici ! dit M. Groddy, retourna. « Avez-vous entendu? demanda-t-il,
passant devant le garçon. haletant. Ce grognement! qu'est-ce que c'était?
Un grognement à vous glacer le sang Il semblait provenir du vestibule. - Oui ! dit
s'entendit tout à coup dans la maison. M. Fatty, se cramponnant au bras du policeman
Groddy s'arrêta subitement. qui sursauta. Passez devant, monsieur! J'ai
« Qu'est-ce que c'est que ça? dit-il. D'où ça peur... Ah! si j'avais su, je n'aurais pas mis les
vient-il? Ça semble venir du sous-sol. Vous pieds dans cette maison, non, pas pour tout l'or
avez entendu, aussi, n'est-ce pas, mon garçon? du monde... »
— On aurait dit un chien, répondit Fatty. M. Groddy n'était pas plus rassuré. Il se
Quel horrible animal ce doit être! Je m'en
vais, monsieur.

183
dirigea vers le vestibule sur la pointe des dit le policeman stupéfait. J'ai tout
pieds et trébucha sur le tapis-brosse. Il battit en retourné, cherchant des indices partout !
retraite dans la salle à manger, heurtant Fatty. Pourtant, je n'ai vu ni chien ni cochon! Il
Le grognement se fit entendre encore, mais faudrait peut-être aller au premier étage à la
assez loin. recherche du cochon?
« C'est un cochon! dit M. Groddy, pouvant - Oui, mais attention! Le chien pourrait se
à peine en croire ses oreilles. Le bruit jeter sur vous ! Passez le premier, monsieur
provenait du premier étage cette fois-ci. Groddy. »
Pensez-vous que ce soit vraiment un cochon, M. Groddy n'en avait nulle envie. Il poussa
monsieur Frédéric? » Fatty devant lui et regretta tout de suite ce
Plus M. Groddy était épouvanté et geste car un grondement féroce s'entendit
intrigué, plus il était poli. « Bientôt, il me derrière lui. Fatty se servait fort bien de son
saluera à chaque fois qu'il m'adressera la nouveau talent.
parole », se dit le garçon. Il avait une furieuse Bientôt un son nouveau ajouta aux
envie de rire, mais il retenait fermement ce rire tourments de l'infortuné Groddy. Une
qui lui chatouillait la gorge et menaçait voix - une voix gémissante — disait :
d'exploser. « Ce n'est pas moi qui ai fait cela! Non,
« Quel genre d'homme habitait ici, non, ce n'est pas moi! Oh! où est donc ma
monsieur? demanda-t-il innocemment. Aimait- pauvre tante ? »
il les animaux? Il semble avoir eu un chat, un Pétrifié, Groddy écoutait. Il avait
chien et un cochon, en tout cas... Quel étrange l'impression de vivre un cauchemar. Il
personnage! Qui a jamais entendu parler d'un chuchota à l'oreille du garçon :
cochon logeant dans une maison ? « II y a un homme ici, quelque part! C'est
— Mais comment n'ai-je pas vu le cochon le bouquet! Il nous faut du secours! Je ne vais
ce matin? pas rester ici avec des chiens, des cochons et
un homme qui gémit! Que s'est-il passé ici
depuis ma visite ce matin?
Vous voulez dire, que s'est-il passé dans
cette maison il y a près d'un demi-siècle,
monsieur? Des choses épouvantables! Je n'y
songeais plus ou, pour rien au monde, je
n'aurais mis les pieds dans cette demeure
maudite, s'écria le garçon. Je n'y resterai pas
une seconde de plus ! »
Et il fit mine de s'enfuir.
Groddy le rattrapa au moment même où
Frédéric tournait le bouton de la porte.
« Expliquez-vous, dit l'agent dont le visage
rouge tournait au vert. Que s'est-il passé ici
autrefois ? »
Fatty jeta autour de lui des yeux égarés.
« Monsieur Groddy, monsieur Groddy, les
revenants peuvent-ils parler? Peuvent-ils rôder
en plein jour? Je croyais qu'ils n'apparaissaient
qu'à la nuit... Le père d'Hamlet, le fantôme de
Banquo, les victimes de Richard III, les...
- C'est bon, ça suffit. Vous n'êtes pas à
l'école! Gardez ça pour vos cours de littérature
et répondez-moi... »

Au même moment Fatty ouvrit la porte.

184
Il connaît toute l'affaire, bien sûr, mais il n'a
jamais voulu nous en parler. Il dit que nous
aurions des cauchemars toutes les nuits. Tout
ce que je sais, monsieur Groddy, c'est qu'il y a
eu des crimes ici. Un innocent a été accusé
d'avoir fait disparaître sa tante, et d'avoir
commis bien d'autres forfaits ! C'est lui qui
revient, vous savez. La maison est hantée!
Voilà pourquoi elle est mise en vente si
souvent. Personne n'y peut dormir la nuit. Les
bruits qu'on y entend! Il y a de quoi devenir
fou ! »
Au même instant, un tintamarre troubla le
silence de la maison, et le pauvre Fatty
éprouva une frayeur aussi vive que passagère.
Le cri qu'il poussa fit écho à celui de M.
Groddy. Le policeman tomba plutôt qu'il ne
s'assit, sur une marche de l'escalier.
« Par tous les diables ! » dit-il enfin d'une
voix défaillante. Il ôta son casque, s'essuya le
front avec un vaste mouchoir.
Fatty réprima un sourire. Il avait un allié
dans la maison! Le chaton avait dû monter au
grenier à la poursuite de quelque souris. Quel
fatras il y avait sous les combles! Un
mouvement brusque de l'animal, et des objets
dégringolaient, causant le vacarme...
« Votre cambrioleur est revenu, monsieur,
montez lui mettre la main au collet », suggéra
le garçon.
Groddy se remit péniblement sur pied,
Groddy s'avança en trébuchant vers le appuyant à la rampe une main flageolante, et
leva les yeux. Ce qu'il vit n'était pas pour lui
téléphone et forma un numéro.
plaire : Là-haut, deux yeux, verts,
phosphorescents, le dévisagèrent, puis
Le garçon se laissa glisser dans un fauteuil,
agité d'un tremblement nerveux. disparurent. Il entendit un frôlement. Ce fut
tout. Il ne lui en fallut pas davantage pour se
« Tant mieux pour vous si vous ne croyez
pas aux fantômes, dit-il enfin d'une voix convaincre de la réalité des fantômes.
« Y a pas de cambrioleurs là-haut, que j'vous
mourante. Oh ! oh !» Il mit les mains devant
les yeux. Groddy se retourna, sursautant. dis, articula-t-il lourdement. C'est moi qui vous
l'dis...
« Je n'ai pas dit que je n'y croyais pas,
murmura-t-il, d'une voix qu'il eût voulu mieux — Mais alors, comment expliquez-vous ce
bruit extraordinaire, monsieur Groddy? -
assurée. Mais je ne vois pas ce qu'ils ont à faire
dans notre histoire... Justement. C'est extraordinaire. Ça s'explique
pas. Ça peut pas s'expliquer. Surtout en plein
- Vous ne le voyez pas? fit Fatty, incrédule.
Oh! c'est vrai, vous n'êtes pas du pays, jour! Ma mère qu'était née à Belfast, elle nous
a raconté des histoires pareilles. Mais ça se
monsieur, j'oubliais! Il s'est passé des choses
épouvantables, aux Cèdres, autrefois. passait la nuit, jamais à ces heures-ci... »
Vacillant, il s'en fut dans la cuisine, but coup
— Quelles choses? Que s'est-il passé?
Qu'est-ce que... » Fatty aurait bien voulu le sur coup trois verres d'eau, se lava le visage,
s'essuya lentement avec son mouchoir a
savoir !
« Heu! Heu! dit-il, l'imagination lui faisant carreaux
défaut. Mon père pourrait vous renseigner.

185
Resté dans l'antichambre, Fatty savourait sa Il se précipita sur le téléphone et
vengeance. Voilà ce que gagnait le policeman forma un numéro.
à traiter son chien de cabot ! Fatty l'entendit parler à un autre policeman.
« Nous devons pardonner à ceux qui nous Il sortit alors de la maison sur la pointe des
ont offensés, se dit-il, et je lui pardonne tous pieds, riant d'entendre la voix lamentable de
les vilains tours qu'il m'a joués! Mais quant à M. Groddy :
oublier ce qu'il a fait à Foxy, il n'en est pas « Envoyez quelqu'un ici immédiatement! Il y
question! Je défends mes amis... » a un chien féroce dans la maison, et un cochon
Ayant ainsi rassuré sa conscience, le garçon — oui, j'ai dit un cochon, C-O-C-H-O-N, oui, un
résolut de poursuivre son petit jeu. Le chien COCHON, imbécile ! Et un homme — ou un
hurla, le cochon grogna, et une voix étouffée fantôme — qui gémit et réclame sa pauvre
venue d'outre-tombe se lamenta. Groddy quitta tante — TANTE — Oui, j'ai dit tante.' Êtes-vous
précipitamment la cuisine, à la recherche d'un sourd, ou quoi? Comment saurais-je pourquoi
réconfort humain. Il vit Fatty appuyé contre le il la réclame ? Non, je ne suis pas fou, mais je
mur, claquant des dents, et roulant des yeux ne tarderai pas à le devenir si vous ne
épouvantés. m'envoyez pas d'urgence quelqu'un à cette
« Restez ici, monsieur Groddy, et je vais adresse. Oui, j'ai besoin d'aide. OUI, il y a un
chercher du secours, dit Fatty se dirigeant d'un chien ici, et un cochon, et une tante. Non, il n'y
pas ferme vers le vestibule.» Mais M. Groddy a pas de tante! Mais un homme qui réclame la
se cramponna à lui. sienne.. Oh! j'oubliais! Il y a aussi un petit
« Non, ne me laissez pas seul ici! Ne chat! »
pouvez-vous pas rester jusqu'à ce que je II y eut un silence pendant que M. Groddy
reçoive du renfort? écoutait quelques remarques à l'autre bout du
— Rappelez-vous votre devoir, dit Fatty. Il fil. Puis il recommença à vociférer :
se passe ici quelque chose d'étrange, et c'est « Une autre remarque impertinente, Ken-ton,
votre devoir d'enquêter. Mais ce n'est pas le et je fais un rapport ! Je ne plaisante pas.
mien. Je vais aller chercher de l'aide. Au Venez à l'instant! A L'INSTANT, vous
revoir! » entendez? »
M. Groddy se saisit de lui et ne le lâcha Fatty, qui écoutait ces paroles, comprit qu'il
point. A nouveau, la voix se fit entendre : lui fallait trouver un endroit où il pourrait rire
« Ce n'est pas moi qui ai fait cela! Non, non, tout son content. Il contourna la maison sur la
ce n'est pas moi! Oh! où est donc ma pauvre pointe des pieds, sachant pouvoir trouver un
tante? » Groddy se mit à trembler. appentis de ce côté-là. En passant, il vit la
« Qu'est-ce qu'il veut dire, avec sa pauvre fenêtre brisée par où le cambrioleur s'était
tante? chuchota-t-il. Allons, partons! Nous introduit dans la maison. Il y passa la tête, et
sommes dans une maison de fous! Restons ici lança à l'intérieur un effroyable hurlement.
encore un instant, et nous serons fous à lier. M. Groddy l'entendit, jeta les yeux autour de
Votre Hamlet, ça ne m'étonne pas qu'il ait lui et constata la disparition de Fatty. Il était
perdu la tête, monsieur Frédéric ! seul, seul dans cette maison où se passaient des
— Allons, allons, tâchons de garder notre horreurs! C'en fut trop pour lui. Il s'enfuit au
sang-froid, dit Fatty retenant mal .un fou rire. galop se rappelant toutes les histoires de
— Pourquoi ne téléphoneriez-vous pas fantômes que son irlandaise de mère racontait
pour avoir du renfort, monsieur? J'ai aperçu à voix basse le soir tombé, et ne ralentit que
tout à l'heure un appareil dans le vestibule. lorsqu'il se trouva au bas de la route.
Vous auriez tout de suite de l'aide. » Fatty l'entendit se sauver. Et alors il se mit à
M. Groddy fut si content de cette suggestion rire ! Jamais il n'avait tant ri de sa vie ! Ah!
qu'il faillit embrasser le garçon. Foxy était bien vengé!

186
Oiseaux et fleurs
en avril

Oncle Méry vit un matin trois enfants


surexcités entrer au galop dans son jardin. Il se
pencha à la fenêtre et leur fit un signe de la
main.
« Oncle Méry! Nous avons entendu le
coucou chanter! Nous avons entendu le
coucou! s'écria Pierre ravi.
— Nous l'avons tous entendu en même L'oncle Méry leva les yeux vers le ciel
temps! dit Jean. Quel plaisir c'était de d'avril, bleu et parsemé de nuages.
l'entendre à nouveau chanter! « Ce matin! dit-il. Je voulais travailler, mais
- Je l'ai aussi entendu », cria l'oncle. De comment pourrais-je rester entre quatre murs
violents aboiements qui provenaient de la lorsque trois enfants ravis viennent m'annoncer
pièce firent comprendre aux enfants que le le retour du coucou? J'ai besoin d'un jour de
chien Rip, lui aussi, avait entendu le coucou ! congé. Dans dix minutes je serai prêt! »
« C'est aujourd'hui samedi. N'allez-vous pas Ils furent bientôt tous dehors. Rip gambadait
nous emmener en promenade ? demanda comme un fou sur ses pattes courtes, remuant
Jeannette. Ce matin, ou cet après-midi? » la queue à une vitesse telle qu'elle devenait
presque invisible. Ils longèrent les sentiers
familiers; vertes étaient les haies d'aubépine; la
délicate stellaire jetait sa broderie sur les talus
et la ficaire, aux fleurs dorées, tournait vers le
soleil ses étoiles luisantes.
Jean ne pouvait marcher. Il sautait, courait,
trottait, cabriolait.
« Voici le coucou à nouveau, dit Pierre,
entendant l'exquise note doublée que portait le
vent. Ah! l'été n'est plus loin. J'adore le
coucou! Et vous, oncle Méry?
— Non, dit l'oncle. Ce n'est pas un de mes
favoris, bien que, tout comme toi, j'aime
entendre son appel au printemps. Le coucou,
vois-tu, mène une vie de paresseux. Il laisse à
d'autres oiseaux le soin de construire un nid et
d'élever ses petits.
— Il ne fait donc pas de nid? demanda Jean,
surpris. Je croyais que tous les oiseaux en
construisaient!
— Pas le coucou ! La femelle pond son œuf
dans le nid d'un autre oiseau, après avoir jeté
l'œuf qui s'y trouvait afin de faire de la place
pour le sien. L'oiseau qui possède le nid ne
semble pas remarquer la substitution. Et
quand l'oiselet éclot, tout noir et très laid,

187
les parents nourriciers l'aiment et l'élèvent
comme si c'était leur propre petit.
— Que c'est étrange! dit Pierre. Cela
n'est pas juste, n'est-ce pas?
— Non, dit oncle Méry. Et chose curieuse,
en grandissant, le jeune coucou devient
beaucoup plus gros que sa mère adoptive qui
doit s'installer sur l'épaule de l'oisillon pour lui
donner la becquée... »
" Coucou! coucou! "
Un grand oiseau gris à la poitrine barrée vola
au-dessus d'eux et lança son appel.
« Le voici! dit oncle Méry. Il vient sans
doute de retourner chez nous. Il a passé l'hiver
« Sont-ce aussi des hirondelles? demanda
bien loin, en un pays plus chaud où il s'est
Jean.
nourri d'insectes.
— Ces oiseaux appartiennent à la même
- Quels autres oiseaux vont nous revenir,
famille, dit l'oncle. Ce sont des hirondelles de
bientôt? demanda Jean. Je sais que les
fenêtre. Elles construisent des nids de boue
hirondelles nous quittent en automne, n'est-ce
sous le rebord des toits. Les autres, les
pas.
hirondelles de cheminée, placent leur nid sur
— Oui, et les martinets, les rossignols, les
les poutres ou les chevrons des granges et des
fauvettes-grisettes, les grands pouillots et
appentis. L'hirondelle de fenêtre aime loger
bien d'autres. Ecoute! Je crois entendre le
près de nos maisons. Il y a encore une autre
pouillot! »
espèce d'hirondelle, blanche et brune, qui
Ils restèrent immobiles, à l'écoute. Ils étaient
installe son nid dans le trou d'un talus ou d'une
entrés dans un taillis où beaucoup d'oiseaux
carrière.
chantaient.
- Je ne saurai jamais les reconnaître!
« A quoi ressemble son chant? chuchota
soupira Jeannette. Mais n'y a-t-il pas un
Jean.
autre oiseau qui ressemble aux hirondelles ?
— Il répète sans cesse " zip - zep - zap -zip
- Eh oui! dit oncle Méry, le martinet! Mais
", dit l'oncle. Tiens! Ecoute! »
il vient plus tard. Ce n'est pas une
Ils entendirent avec joie le chant du pouillot.
hirondelle. Il lui ressemble un peu, à première
« Maintenant, je reconnaîtrai toujours sa
vue, parce qu'il mène le même genre de vie
voix », dit Jean enchanté.
aérienne et a par conséquent besoin de la
Ils laissèrent le taillis et poursuivirent leur
même sorte d'ailes et de longue queue. Le
route. Rip fourrait la tête dans tous les trous
martinet n'est point bleu, mais noir-suie. Je
qu'il rencontrait. Soudain l'oncle s'arrêta, leva
vous le montrerai dès son retour.
les yeux, le visage rayonnant de plaisir. A leur
- Que de choses à apprendre ! dit Jeannette.
tour, les enfants levèrent la tête. Ils virent un
Comment pouvez-vous vous les rappeler
oiseau bleu-acier, à la longue queue, au vol
toutes, oncle?
rapide, et d'autres du même genre, juchés sur
- C'est parce que j'aime la campagne, que je
les fils du télégraphe, gazouillant " fite à fite,
sais regarder autour de moi et remarquer ce
fite à fite... ".
que je vois. En outre, j'ai des livres qui me
« Les hirondelles! dit l'oncle. Les voici
renseignent. Tu n'as qu'à m'imiter, et quand tu
revenues. Quelle joie! »
auras mon âge, tu en sauras peut-être dix fois
Les enfants éprouvaient la même joie à les
plus que moi ! »
voir voler, rapides, dans les airs, si élégantes
Jeannette pensa que ce serait chose
avec leur longue queue fourchue. D'autres
impossible.
oiseaux volaient avec elles, assez semblables,
mais aux reins et à la poitrine blancs, et à la
queue plus courte.

188
Elle glissa une main dans celle de l'oncle tout nouveau pour eux, délicieux et suave.
Méry et' se dit que ce serait merveilleux d'en « La fauvette à tête noire, dit l'oncle, dressant
savoir autant que lui et d'être capable d'aimer l'oreille. Quelles notes claires et étendues! Ce
autant la nature. Elle commençait à chant est presque aussi beau que celui du
comprendre la profonde satisfaction et la joie merle, si velouté et si ample! Nous avons bien
intense qu'il éprouvait pour tout ce qui touchait de la chance d'avoir dans notre pays tant
à la campagne. Seuls pouvaient le comprendre d'oiseaux qui chantent!
ceux qui partageaient de tels sentiments, et — Oncle Méry, comment s'appelle celui-
Jeannette commençait à les partager. Grande là, qui ressemble à un moineau ? demanda
aussi était sa joie lorsqu'elle apercevait un tapis Pierre, montrant du doigt un petit oiseau qui
de ficaires aux fleurs dorées ou un cherchait des insectes dans un fossé.
enchevêtrement de stellaires, blanches étoiles
contre un talus vert. Elle serra la main de son
oncle.
« Quand je vois de pareilles beautés, il me
semble que je pourrais écrire un poème à leur
louange, murmura-t-elle, et ainsi les garder
toujours! »
L'oncle Méry baissa les yeux vers elle; ses
yeux bruns souriaient compréhensifs.
« Tu ressens ce qu'éprouvent les artistes
qui désirent peindre, dit-il. Ils voudraient saisir
la merveille que leurs yeux ont vue et la tenir — Il ne ressemble pas à un
prisonnière à jamais dans leur toile. Les poètes moineau, répliqua Jean promptement. Il est
tentent de la capturer et de l'enfermer dans des brun aussi, voilà tout! Regarde son bec mince,
mots, les musiciens dans des sons harmonieux. Pierre! Le moineau a un gros bec disgracieux!
Jeannette, un pareil sentiment est un don Cet oiseau ressemble davantage à un rouge-
précieux. Il faut le développer. » gorge.
« Eh bien! il se peut que je sois sotte - Jean, je pense parfois que tu es le plus
parfois, songeait Jeannette, mais, si j'étais malin de vous trois! Tu as le don
complètement stupide, oncle Méry ne me d'observation! Cet oiseau est un traîne-buisson,
parlerait pas ainsi! » et non un moineau. Regarde son bec, et vous
Les oiseaux chantaient à tue-tête ce matin- verrez qu'il se nourrit d'insectes et non de
là, bien que beaucoup fussent fort occupés à graines... »
édifier des nids. Les enfants les virent porter Ils examinèrent l'oiseau vêtu de brun
feuilles mortes et brins de mousse dans leur terne. Il agitait ses ailes d'une façon comique.
bec. Ils entendirent nombre de chants, et un « II les traîne, dit Jean.
- D'où son nom, répondit oncle Méry.
- Mon oncle! il s'est envolé dans cette
haie-là, dit Pierre. Pensez-vous qu'il ait bâti
son nid dans l'aubépine? »
L'oiseau en sortait en volant. L'oncle se
dirigea doucement vers la haie verte, et écarta
des brindilles. Il y vit un nid sur lequel un
oiseau était posé mais qui, effrayé, s'envola à
tire-d'aile. L'oncle fit un signe aux enfants.
« Je déteste déranger un oiseau qui couve,
dit-il. Mais il faut que vous voyiez un des plus
jolis spectacles que peut offrir la gent ailée.
Regardez! »

189
190
Les enfants virent dans le nid quatre œufs En effet, elles n'étaient point arrondies,
de traîne-buisson, aussi bleus que le ciel, du mais toutes découpées. On eût dit les doigts
bleu le plus vif qui soit, luisant dans le nid d'une main.
brun en forme de coupe.
« Oh! c'est exquis! s'exclama Jeannette.
Quelle perfection! »
Ils partirent pour que la mère pût retourner
à ses œufs et continuèrent leur promenade. Un
gros bourdon frôla Jeannette, qui retint un cri.
Rip, indigné, sursauta, car le bourdon avait
presque touché son nez.
" Zououououm! " dit l'insqcte, s'envolant
au loin.
« II a passé l'hiver à dormir dans un trou
du talus, dit oncle Méry. N'est-il pas ravissant
avec son manteau velouté d'épaisse fourrure ?
— Oncle Méry, dit Pierre, nous n'avons
pas vu une seule fleur! N'est-ce pas bien
étrange !
—- Eh non! dit l'oncle en riant. Nous
n'avons regardé que le ciel, à la recherche
d'oiseaux! Mais maintenant occupons-nous de
la terre! Qui découvrira le premier une
nouvelle fleur? »
Ce fut Jean, bien sûr. Il semblait remarquer
tout! Jeannette, parfois rêveuse, semblait
regarder sans voir! Pierre débordait d'ardeur et
de vie, mais parce qu'il n'observait rien
soigneusement, il se trompait souvent.
« Voici une jolie petite fleur », s'écria
Jean, en cueillant une près du talus.
La fleur était petite, et d'un rosé violet;
chacun des pétales était échancré au centre; les
feuilles, presque rondes et velues, étaient
profondément découpées au bord. «J'ai déjà vu ces feuilles en automne, elles
« C'est l'un de nos nombreux géraniums deviennent d'un rouge vif, n'est-ce pas, dit
sauvages, dit l'oncle, le géranium des bois; Jean?
communément appelé " bec de grue ". - C'est juste. Cette fleur est l'herbe à
- Mais pourquoi? s'enquit Jean. Je ne vois Robert, un autre géranium sauvage. Regarde
rien qui ressemble à un bec de grue. les deux fleurs de près, Pierre, et tu verras les
— Non, tu ne pourras le voir que lorsque différences. Vois les pétales échancrés du bec
les fruits seront formés. Alors un long bec sort de grue, ses feuilles arrondies, remarque les
du centre de la fleur, tout à fait un bec de grue! fleurs plus grandes de l'herbe à Robert et ses
- Et celle-ci, dit Pierre, cueillant une feuilles découpées! »
autre fleur, est-ce aussi le géranium des Les enfants trouvèrent ensuite bien d'autres
bois? » fleurs, entre autres l'une que Pierre appelait
Jean jeta un coup d'œil à la plante. une ortie jaune, parce qu'elle ressemblait à une
« Bien sûr que non, dit-il. La fleur est d'un ortie.
violet rosâtre, mais regarde les feuilles, petit « C'est l'ortie jaune, dit l'oncle; elle
sot! Elles sont très différentes! »

191
appartient à la famille des labiées. Ses disparut et derrière lui un nuage de terre
feuilles ne sont pas aussi dentelées que celles s'éleva.
de l'ortie blanche. Voyez la lèvre inférieure? Pierre s'en fut pour le tirer du trou, car Rip,
C'est une sorte de plate-forme où peut se poser sur le sentier de la découverte, oubliait tout ce
l'abeille. Regardez la lèvre supérieure. Vous y qui n'était pas aventure. Se penchant pour se
verrez pistil et étamines, ils sont saisir de l'arrière-train du chien, Pierre aperçut
soigneusement placés là, si bien que lorsque de grandes feuilles poussant près du terrier. Il
l'abeille cherche le nectar, son dos effleure le les regarda longuement.
pollen. Elle s'envole, toute saupoudrée de ce « Voyons, quelles sont ces feuilles-là? De
pollen et le frotte contre le pistil de la grandes feuilles qui font songer à des toiles
prochaine fleur d'ortie jaune qu'elle visite. d'araignée, ayant la forme d'un pied de
— Les fleurs sont bien intelligentes, dit quadrupède... songeait-il. Ah! j'y suis! Le pas-
Jeannette. Elles s'arrangent pour que les d'âne! se mit-il à crier.
insectes transportent leur pollen! C'est — C'est moi qui ai découvert les feuilles
merveilleux! Elles ont un cerveau, elles aussi, de pas-d'âne!
et des idées, tout comme nous! Que tout cela • Tu es malin, dit l'oncle, qui paraissait
est mystérieux! ravi. Te souviens-tu que les fleurs croissent
- C'est en effet très mystérieux, dit oncle bien avant les feuilles ? Regarde, voici des
Méry. Oh ! tenez, voici un coucou ! Moi aussi, graines. Je suis content que tu en aies trouvé,
je veux me vanter d'avoir découvert le premier Pierre! »
une fleur printanière! » Le garçon se sentit tout fier. Lui aussi avait
Le coucou se balançait au vent, blotti dans été complimenté par oncle Méry! Ils rentrèrent
la prairie. de fort belle humeur et juste avant qu'une
« Je sais qu'il appartient à la famille des averse d'avril ne vînt inonder toute la
primevères, dit Jeannette, se baissant pour le campagne.
cueillir. Oh! quelle exquise odeur! Il y en aura « Notre prochaine promenade aura lieu en
des milliers le mois prochain, et nous en mai, dit l'oncle. Et il nous faudra avoir cent
cueillerons de gros bouquets pour maman... » yeux car il y aura tant à voir alors! »
Les promeneurs étaient maintenant tout
près de la maison, leur tour presque terminé.
Rip gambadait en avant mais, tout à coup,
il s'arrêta à l'entrée d'un terrier. Sa tête y

192
Un petit
aquarium
Jean n'avait pas assez d'argent pour acheter
un véritable aquarium. Aussi, l'oncle Méry lui
donna-t-il un grand bocal à conserves, presque
aussi large que haut.
« Voilà, lui dit-il. Tu peux le transformer en
petit aquarium. Nous irons cet après-midi
chercher de quoi l'emplir, n'est-ce pas?
- Oh, oui ! dit Jean. Je voudrais un véritable
petit étang dans mon bocal, mon oncle!
Du sable, des cailloux et des algues dans le
fond et puis plein de linnées, de dytiques,
et même des têtards ! Lui et Jean mirent alors une couche de sable
Tu ne peux avoir tout, dit l'oncle. Pour deux bien propre au fond du bocal. Ensuite, le
raisons. Tout d'abord, ton bocal serait garçon alla chercher de tout petits cailloux
tellement encombré que les bêtes mourraient. qu'il lava sous le robinet et posa au-dessus du
Ensuite, tu dois y mettre des créatures qui ne sable. Et oncle Méry attacha des pierres à
se mangeront pas les unes les autres... Si tu l'extrémité des algues afin qu'elles se tinssent
avais un dytique par exemple, il avalerait rond droites dans l'eau.
tes têtards... « Occupons-nous de l'eau, maintenant, dit-il.
- Oh! quelle horreur! Que pourrais-je Il nous faut la verser très doucement dans le
mettre dans mon bocal alors, mon oncle ? bocal. Jean, place un morceau de gros papier
- Eh bien! ce serait une bonne idée d'y loger brun au-dessus du sable. Découpe un cercle
des têtards et des planorbes, dit l'oncle. Et une clans ce papier. Fort bien! là! maintenant l'eau
ou deux larves de phrygane, si nous pouvons ne déplacera pas le sable, ce qui obscurcirait le
en trouver. J'attacherai une ficelle autour du bocal pendant que je verserais l'eau. »
col du bocal et nous le plongerons dans l'étang. L'eau fut versée très doucement, et toutes les
Les habitants d'un étang ne se portent pas petites créatures aquatiques entrèrent clans leur
bien s'ils doivent vivre dans l'eau de nouvelle demeure. Les algues se dressèrent,
ville... » une fois le cercle de papier ôté; les têtards se
Ils partirent donc pour l'étang. Jean avait pris tortillèrent gaiement, et les planorbes se mirent
un filet et attrapa une vingtaine de têtards qu'il à ramper le long des parois. Quant aux larves
voulut mettre dans le bocal. Mais l'oncle Méry de phryganes, elles s'en furent explorer le fond
s'y opposa fermement. de leur minuscule étang.
« Six ou sept suffiront amplement! Regarde- « Oh! c'est charmant! s'écria Jean. Pierre!
les nager tout autour du bocal, Jean! Et Jeannette! Venez voir mon étang! N'est-il pas
maintenant, procurons-nous des planorbes. » beau? »
Ils en trouvèrent trois splendides, et l'oncle Naturellement, Jeannette et Pierre
réussit à prendre trois larves de phryganes, souhaitèrent avoir, eux aussi, un aquarium!
blotties dans leur étrange gaine dure. Il arracha «Je vous montrerai à en faire, leur dit Jean
des algues et les mit aussi dans le bocal. fièrement. Je sais comment m'y prendre, n'est-
« Maintenant, à la maison, dit-il. Tu auras un ce pas, oncle Méry?
charmant petit étang, Jean. » - Je l'espère bien, dit son oncle. N'oublie pas
De retour au logis, oncle Méry transvasa de mettre chaque semaine une pleine tasse
dans un seau, avec beaucoup de soin, le d'eau d'étang dans ton aquarium. »
contenu du bocal.

193
Fan fan est un petit tambour qui se promène dans le monde avec son chien Oua-Oua et
son tambour. Sa tante Clin-d' Œil l'a prié d'aller vendre au marché des ballons aux couleurs
vives. Il part donc, avec les ballons et son tambour.

« Qu'ils ont donc l'air bon à manger! dit-il.


Fanfan s'en fut jusqu'au coin du marché, y Puis-je en grignoter un?
trouva le tabouret de tante Clin-d'Œil, posa son — Certainement non », dit Fanfan. Mais,
tambour devant lui et s'assit, tenant par hélas! le petit cheval ne peut se retenir d'en
l'extrémité de leur longue ficelle les ballons grignoter un. Le ballon éclate! Boum! L'animal
qui s'agitaient au vent. Oua-Oua s'installa à ses s'enfuit, terrifié.
côtés et Fanfan se mit à chanter : « Tu me dois de l'argent », hurle Fanfan.
Le vent soufflait, léger, et les ballons
allaient et venaient telles des bulles de savon
aux couleurs éclatantes! Ils étaient si jolis que
les villageois vinrent tout de suite en acheter.
« Un ballon, un rouge, s'il vous plaît », dit
un petit singe. Regardez ! Il Fa attaché à sa
queue, et s'en va, suivi du ballon qui ballotte à
la brise!
Arrive ensuite Mme Marionnette qui
achète aussi des ballons pour ses quatre
enfants, enchantés de leur cadeau! Deux ours
en peluche s'avancent, bras dessus, bras
dessous. Eux aussi se procurent des ballons et
après eux arrive une autre cliente, une
ravissante poupée!
Puis un petit cheval de bois s'en vient au
galop et regarde longuement les ballons qui
sautillent.

194
Mais le petit cheval est bien trop bateau sens dessus dessous, avec des
épouvanté pour revenir. cheminées et des portes, et des fenêtres! Vous
Et maintenant, qui donc s'approche? Non, avez bien de la chance de vivre dans une
c'est impossible! Ce ne peut être... Mais si! pareille maison, capitaine!
c'est le capitaine Cormoran, le bon vieux — Eh bien! tu sais, je m'y trouve parfois
capitaine Cormoran, l'ami de Fanfan! bien seul, dit le capitaine Cormoran. Voilà
Le capitaine ne vit pas Fanfan tout d'abord pourquoi je m'en vais souvent en voyage; je
parce que le petit tambour était presque caché rends visite à des amis. J'allais rentrer chez
par ses ballons, et il fut bien surpris d'entendre moi quand je t'ai aperçu au milieu d'un nuage
son nom! de ballons. Quelle surprise ! Dis-moi ce que tu
« Capitaine Cormoran! Hé! Capitaine! fais ici, Fanfan? »
— Qui m'appelle? Qui me cherche? hurla Tout en dégustant deux autres glaces,
le capitaine. Fanfan parla de sa bonne tante Clin-d'Œil qui
- C'est moi, Fanfan, le petit tambour! » lui faisait un pâté en croûte tandis qu'il vendait
Les ballons s'écartèrent, chassés par le ses ballons.
vent, et le vieux loup de mer aperçut « J'espère qu'ils sont toujours attachés au
soudain le visage souriant de Fanfan sous son tambour, ajouta-t-il. Il fait pas mal de vent
képi rouge. maintenant... »
« Fanfan! Que fais-tu ici ? cria-t-il. Et ne Eh oui ! le vent était violent, et les ballons
voilà-t-il pas ton chien Oua-Oua aussi! Ah! par s'en donnaient à cœur joie! Ils sautillaient, se
exemple! » trémoussaient, se lançaient des coups les uns
Et il prit entre ses bras Fanfan, le chien et aux autres, tandis que deux petites souris
les ballons. Par miracle les ballons n'éclatèrent mécaniques les regardaient enchantées.
pas! Et soudain souffla un vent impétueux.
« Fanfan, viens prendre une glace! Tu me Hou!
diras toutes les nouvelles, dit Cormoran,
essayant de se dégager des ballons qui le
retenaient prisonnier. Viens! Allons, viens
donc!
- J'en serais ravi, dit Fanfan. Mais que
ferais-je de mes ballons, capitaine ? Je ne puis
les introduire dans une boutique !
— Laisse-les ici, alors! dit
Cormoran. Mets ton tambour sur le tabouret,
attache tes ballons à ton tambour ! Les ballons
veilleront sur le tambour et le tambour sur les
ballons !
— Quelle bonne idée! » dit Fanfan,
attachant au tambour les ficelles des
ballons. Comme ils s'agitaient au vent, pris du
désir de s'envoler!
Cormoran, Oua-Oua et Fanfan allèrent
chez le glacier, décidés à bavarder longuement.
Ah! si vous aviez vu les énormes glaces que
commanda le capitaine, et la quantité de
biscuits ! Oua-Oua lui-même eut sa glace et
autant de biscuits qu'il en put manger. Il ne
cessait de remuer la queue.
« Parlez-moi de votre maison-bateau, dit
Fanfan. J'y pense souvent. Ce n'est qu'un

195
Hou! Hou! Hou! Hou! Il descendit la rue ficelles très solidement. De fort méchante
en tourbillonnant et aperçut les ballons humeur, il n'en souffla que plus rudement, sans
ballottant de-ci de-là, au-dessus du gros cesser de chanter.
tambour. Les ballons s'agitaient furieusement et
Il souffla sur eux, et ils tirèrent sur leurs leurs ficelles tiraient le tambour tant qu'elles
ficelles de toutes leurs forces. Le vent chantait pouvaient. Et le tambour se mit à se
gaiement tout en soufflant. trémousser. Puis il fit un petit saut et retomba
Mais le vent ne pouvait arracher les sur le
ballons, parce que Fanfan avait attaché les

196
197
L'AVENTURE DES
BERLINGOTS
Les membres du Clan des Sept se réunirent
un matin après la classe dans la remise de
Pierre.
« Acceptons-nous l'invitation du vieux
professeur Bernard ? demanda Pierre, le chef
du Clan, II a proposé que nous allions ce soir
chez lui, il a un très beau télescope et il nous
montrera la planète Jupiter. Je me demande
pourquoi il nous a invités, nous des enfants ?
— J'ai déjà vu Jupiter à la télévision, dit
Colin, ce n'était pas palpitant! Elle montra à Pierre la façon de régler le
— Ce sera encore plus ennuyeux ce soir, télescope.
déclara Jacques. Le professeur n'est pas du tout
intéressant ! Il parle d'une voix si monotone!
Envoyons un mot pour nous excuser. Ce souhait ne se réalisa pas. Le ciel était
— Si nous refusons tous, ce sera nuageux, mais pas une goutte d'eau ne tomba.
très impoli, protesta Jeannette. Il voulait Les Sept firent contre mauvaise fortune bon
nous faire plaisir... cœur.
- Il va pleuvoir, je parie, dit Pam, en Ils se retrouvèrent devant la villa du
regardant le ciel. Les nuages cacheront les professeur Bernard. Elle s'appelait " La Planète
planètes. Nous ne verrons rien. ", ce qui les fit rire.
— S'il pleut, nous n'irons pas, Une domestique les introduisit dans un
décréta Pierre. Ce sera un excellent prétexte. petit salon et s'en fut à la recherche du vieux
Espérons donc qu'il pleuvra à verse! » professeur. Elle revint la mine déconfite.
« Le ciel est si nuageux, annonça-t-elle,
que le professeur ne s'attendait pas à votre
visite. Il est sorti. Mais Madame dit que si
vous êtes très soigneux, vous pourrez vous
servir du télescope. Elle vous expliquera
comment on le règle. Ah ! la voici qui vient...
»
Mme Bernard fut charmante. Tout d'abord,
elle leur offrit d'énormes berlingots. Puis elle
expliqua aux Sept la façon d'ajuster le
télescope pour voir différents points du ciel.
« Je sais à peu près où se trouve Jupiter,
leur dit-elle, si vous le désirez, je réglerai
l'instrument; la planète doit être de ce côté,
derrière les nuages. Lorsqu'ils se dissiperont,
vous pourrez l'apercevoir de temps en temps. »
La bouche remplie par les berlingots,
aucun des Sept ne pouvait prononcer un seul
mot. Pierre fit entendre un grognement poli,
espérant que Mme Bernard le traduirait par un
remerciement. Lorsqu'elle eut quitté la pièce,
« len à voï... », dit-il ils poussèrent un soupir de soulagement.

198
Jacques réussit à transférer son berlingot
de l'autre côté de sa bouche et bredouilla.
«Quoi... rions... el », dit-il, ce qui signifiait
: « Pourquoi regarderions-nous le ciel ? »
II ôta son berlingot de sa bouche et
expliqua :
« A quoi bon regarder un ciel couvert de
nuages? dit-il d'une voix nette. Inclinons le
télescope légèrement, et regardons le village,
les collines et la ferme. Ce serait si amusant !
Être si loin d'eux et les voir comme s'ils étaient
à portée de la main, serait vraiment drôle !
— Mais oui, essayons, dit Pierre. Nous
savons manœuvrer le télescope. Mais
attention, soyons prudents! Cet instrument vaut
une fortune! »
II y avait une fenêtre spéciale pour le
télescope, une immense fenêtre dépourvue de
vitres qui partait du plafond et descendait à
quelques centimètres du sol. Il suffisait de
desserrer une vis et en touchant du doigt le De petites flammes jaillirent.
télescope on le dirigeait du côté que l'on
voulait. « Ons... pou... au... ion... », dit Pierre sans
« Regardons la salle des fêtes du village, retirer son berlingot.
proposa Jeannette. Il y a bal ce soir; elle est Tous comprirent ce qu'il voulait dire, car il
tout illuminée. » tournait l'instrument avec précaution dans une
Elle avait ôté son berlingot de la bouche autre direction.
pour parler, et le remit vite en place. Pierre, La ferme sombre devenait visible. Une
craignant que le télescope ne fût sali par des seule fenêtre était brillamment éclairée. Les
empreintes poisseuses, tendit un mouchoir rideaux n'étaient pas tirés.
propre à Colin pour qu'il pût les effacer. « Cette gentille Mme Charpentier tricote,
La salle des fêtes paraissait toute proche. assise dans son fauteuil, dit Babette, regardant
On aurait dit qu'elle était dans le jardin. à son tour.
Babette ôta son bonbon de la bouche pour rire — Et M. Charpentier bourre sa pipe,
plus commodément. ajouta Colin. Je vois même la couleur de son
« Tiens ! voici Mme Richard, debout sur le tabac !
seuil de la porte. Et voyez donc! Henri vend - Ce n'est pas vrai! » protestèrent ses amis,
des programmes! Il a l'air bien emprunté, le d'une voix étouffée par les berlingots. Puis ce
pauvre! fut au tour de Jacques de regarder. Il examina
— Quel jeu merveilleux! » la ferme, la grange et une meule de foin qui se
Ils changèrent la direction de l'instrument. dressait près du bâtiment. Il poussa soudain
Une foire était installée dans le champ du une vive exclamation et avala son bonbon. Il
fermier, à quelque quatre cents mètres de là. faillit s'étrangler, tenta vainement de parler, et
« Elle semble si près de nous que j'ai montra du doigt le télescope. Surpris, Pierre se
l'impression d'avoir entendu éternuer l'homme pencha pour regarder. Pourquoi Jacques
du manège ! dit Jeannette. Je vois même Jean- faisait-il tant d'histoires ?
Louis et Daniel tendant leurs sous avant de Il eut tôt fait de comprendre. Un homme
monter sur les chevaux de bois ! » s'approchait de la meule. Un homme frottait
Ils regardèrent longtemps la foire, avec le des allumettes. De petites flammes jaillissaient
regret de ne pas profiter de tous ces
divertissements.

199
Pierre les renseigna :
« Tout le monde est arrivé! La meule flambe,
mais la grange est intacte. Les pompiers
inondent la meule maintenant. Miséricorde! Ils
ont attrapé l'incendiaire! Non, ce n'est pas lui!
Le coupable était petit, avait une barbe et
boitait. Ils ont arrêté un innocent! Rien
d'étonnant à ce qu'il se débatte! »
C'en fut trop pour les autres enfants. Ils
sortirent de la pièce au galop.
« Nous allons à la ferme! Quelle histoire
passionnante! »
Une minute plus tard, une voiture amenait les
gendarmes.

dans le foin sec ; elles se propageaient


rapidement. Pierre, haletant, avait oublié le
pauvre Jacques qui toussait à faire pitié. Son
œil était collé à l'instrument.
Il coinça son berlingot contre sa joue pour
pouvoir s'exprimer nettement.
« Un incendie! Un chemineau met le feu à la
meule du fermier ! et elle est tout près de la
vieille grange ! Voyez cette longue flamme.
Colin, téléphone tout de suite au fermier, et
ensuite à la gendarmerie! La meule sera
bientôt complètement détruite, et la grange
brûlera ensuite! »
Colin courut téléphoner dans le vestibule.
Pierre, l'œil collé au télescope, ne perdait rien
du spectacle. L'homme avait fait le tour de la
meule, sans doute pour mettre le feu de l'autre
côté.
Pierre le voyait très nettement.
Après avoir téléphoné au fermier, puis à la
gendarmerie, Colin revint vite rejoindre ses
amis.
Pierre suivait tout ce qui se passait à la
ferme. Quelle agitation! La porte de la maison
s'ouvrait toute grande, le fermier et son fils
sortaient en courant. Sa femme suivait, portant
des seaux d'eau. Une minute plus tard, une
voiture amenait les gendarmes. Les pompiers
les suivaient. Quel remue-ménage! Pierre
s'exclamait et ses amis pouvaient à grand-
peine réprimer leur impatience.
« Voyons, Pierre, ôte-toi de là! C'est notre
tour maintenant! Que se passe-t-il?»

200
Ils se rendirent donc sur les lieux du sinistre
et réussirent à voir la fin du drame. La moitié
de la meule avait été épargnée par le feu. La
grange était sauve. Un homme était aux prises
avec deux gendarmes.
« Je vous dis que je n'ai pas mis le feu à la
meule! » hurlait-il.
Jacques alla trouver le brigadier.
« Monsieur, je ne crois pas que cet homme,
soit coupable, dit-il. L'incendiaire boite. Il est
petit et barbu.
- Eh! quoi, ce serait Lucas? s'exclama la Sur les lieux du sinistre ils virent la fin du
fermière. Nous l'avons mis à la porte la drame.

semaine dernière parce que c'est un voleur!


» Les agents libérèrent l'homme. Le brigadier
leur donna l'ordre de se rendre à la chaumière
de Lucas. Puis il se tourna vers Jacques.
« Et maintenant, mes enfants, vous me
direz peut-être comment vous êtes au courant
de toute cette affaire ? demanda-t-il en
souriant. Vous êtes les membres du Clan des
Sept, n'est-ce pas ?
- Nous avons tout vu, grâce au télescope
du professeur Bernard, expliqua Jacques.
Pierre est encore là-bas, occupé à regarder... »
Mais il se trompait. Dès que Pierre se
rendit compte que ses amis étaient partis, il
n'eut plus qu'un désir : les rejoindre, et il partit
au galop, tout en achevant de sucer son
berlingot.
« Du bon travail, dit le brigadier, lorsque
Pierre lui eut raconté toute l'affaire. Vous avez
vu un spectacle autrement passionnant que
celui que pouvait vous offrir Jupiter, hein! Ah!
on ne sait jamais ce qu'on verra quand on se
sert d'un télescope!
- Oui, c'était une aventure palpitante,
mais très courte, dit Colin.
- En effet, approuva Pierre. Elle n'a pas
duré plus longtemps que mon berlingot!
Une aventure ne pourrait guère être plus
brève !
- Brève et bonne, comme le berlingot, dit
Jeannette en éclatant de rire. Appelons-la donc
" L'Aventure des Berlingots ". C'est un titre
excellent! N'êtes-vous pas du même avis ? »

201
Tu es trop malin
Compère Lapin

Compère Lièvre, étendu dans un champ de - On ne peut le quitter des yeux un


blé, se chauffait un jour au soleil lorsqu'il instant, dit Compère Renard. Ne m'a-t-il
aperçut trois têtes au-dessus de la haie voisine. pas dit que ma queue se détachait et que je
« Ah! ah! voici Compère Loup, Compère ferais bien d'y veiller! Et cet impertinent m'a
Renard et Compère Ours », se dit-il, même offert une épingle de sûreté pour
s'enfonçant un peu plus dans le blé pour cacher la retenir !
ses longues oreilles. Les épis s'agitaient au - Et à moi, il a dit que j'étais tellement
vent au-dessus de lui et il se sentait tout à fait gras que je descendrais plus vite la colline en
en sûreté dans sa cachette. me laissant rouler qu'en marchant! » grogna
Les trois compères s'avancèrent dans le Compère Ours.
champ et s'assirent, eux aussi invisibles. Le
fermier eût été furieux de les voir dans le blé. Compère Renard ne put s'empêcher de rire,
Compère Lièvre écoutait de toutes ses mais il reprit son sérieux en voyant Compère
oreilles. Que disaient-ils ? Ah ! ils parlaient de Ours le regarder avec fureur. « Pardon, dit-il.
ce coquin de Compère Lapin! Mais la réflexion était si 'drôle! Je vous vois
« Je ne peux plus le supporter, dit descendre en rou...
Compère Loup. Il s'est lancé sur moi l'autre - Cela suffit, dit Compère Ours. Nous
jour alors que je portais un panier de carottes nous sommes réunis ce matin afin de décider
qui se sont répandues sur la route. Oh ! il a été une fois pour toutes de quelle façon nous
fort poli, bien sûr, et les a ramassées, mais je pourrions nous saisir de Compère Lapin, et
n'avais plus que la moitié de mes carottes non pour nous amuser de ses plaisanteries
lorsqu'il a détalé après m'avoir dit adieu! imbéciles...

202
— Oui, oui, bien sûr, répliqua
humblement Compère Renard. Quels sont
vos projets, Compère Loup?
— Nous lui dirons que Messire Lion est à
sa poursuite, dit Compère Loup. Nous lui
dirons que Messire Lion se fait vieux et qu'il
crève de faim, n'a plus que la peau et les os,
qu'il se sent très faible et ne souhaite rien tant
que de se mettre sous la dent un bon lapin bien
gras...
— A quoi tout cela rime-t-il? demanda
Compère Ours.
— Nous dirons à Compère Lapin qu'il ne
doit en aucun cas traverser les bois en
empruntant son sentier habituel, continua
Compère

203
Loup, car Messire Lion a l'intention de
l'attraper lorsqu'il reviendra chez lui après
avoir fait ses emplettes. Compère Lapin devra
prendre un autre chemin, traverser le bosquet
de noisetiers en longeant le layon là-bas.
— Je ne comprends toujours pas la raison
de ces recommandations, dit Compère Ours. Il
me semble...
— Écoute, dit Compère Loup d'un ton si
féroce que Compère Ours le regarda
épouvanté. Nous irons tous trois dans le sentier
des noisetiers — nous y creuserons une
fosse — nous la recouvrirons de branchages, et
nous attendrons. Il marchera sur les
branchages du piège et tombera la tête la
première dans la fosse...
— Ah! quelle bonne idée tu as là,
s'exclama Compère Renard, admiratif. Et
je suppose que nous serons cachés derrière les
buissons, prêts à nous jeter sur lui?
— Non! Nous serons déjà dans la fosse!
dit Compère Loup, tout prêts à l'empoigner dès
qu'il tombera. Autrement, il ne ferait qu'entrer
dans la fosse et en sortir, et détalerait avant que
nous n'ayons pu contourner les buissons. Il
nous faut Y agripper au moment même où il
dégringolera dans le trou.
— Oui, oui, excellente idée,
approuva Compère Renard. Ce projet me
plaît. Eh bien ! si Compère Ours et moi allions
maintenant avertir Compère Lapin du danger
que représente pour lui Messire Lion? Pendant
ce temps, tu pourrais creuser la fosse,
Compère Loup...
- Non, dit Compère Loup. C'est moi qui
vais aller le prévenir, et vous deux, vous
creuserez la fosse! Commencez tout de suite,
et qu'elle soit assez profonde pour nous tous!
Allons, venez! Cela demandera du temps. Je
vous montrerai le bon endroit. »
Pendant que Compère Loup emmenait ses
complices, Compère Lièvre qui était resté tapi
dans le champ de blé et avait écouté de. toutes
ses oreilles, bondit à la recherche de Compère
Lapin. Ah ! il allait le mettre sur ses gardes.
Compère Lapin était chez lui lorsque son
visiteur se présenta. Il écouta toute l'histoire,
puis se mit à rire.

204
très bons termes avec Messire Lion. Ne le
sais-tu pas?
— Non. Et je ne te crois pas, dit Compère
Lièvre.
— Mais c'est vrai! protesta Compère
Lapin. Quelqu'un avait attaché la queue de
Messire Lion à un arbre, alors qu'il dormait. Je
passais par hasard de ce côté-là et j'ai compris
qu'on lui avait fait une vilaine farce. J'ai
réveillé Messire Lion, et lui ai rendu la liberté.
Il a été enchanté, et nous sommes maintenant
fort bons amis. »
Compère Lièvre regarda longuement son
cousin.
« N'avais-tu pas attaché sa queue, dit-il, et ne
l'as-tu détachée ensuite?
— Ne pose pas de question
embarrassante ! dit Compère Lapin, se levant.
Je vais aller trouver Messire Lion à l'instant.
Viens avec moi! »
Et Compère Lièvre, tremblant de peur, s'en
fut avec son cousin vers l'antre du lion.
Chemin faisant, Compère Lapin sauta sur la
branche épaisse d'un arbre mort et plongea une
timbale dans un trou. Des abeilles sauvages
voletèrent furieuses autour de lui, car leur nid
se trouvait dans cette cavité. Compère Lapin
en retira sa timbale pleine de miel!
« Un présent pour Messire Lion, dit-il. Il est
aussi friand de miel que Compère Ours...
Allons! poursuivons notre chemin! »
Messire Lion gisait au soleil devant son
antre et Compère Lièvre ralentit le pas, suivant
de loin son ami. Le Roi des animaux accueillit
son visiteur d'autant plus aimablement qu'il
sentait l'odeur du miel.
« Messire, comment se porte votre queue ?
demanda Compère Lapin. Et vous-même,
comment allez-vous? On m'a dit que vous étiez
à demi mort de faim, aussi vous ai-je apporté
un peu de miel pour vous soutenir. Le miel est
« Merci, Cousin Lièvre, dit-il. Et maintenant, bon pour les gens sous-alimentés qui n'ont que
accompagne-moi chez Messire Lion à l'instant. la peau et les os...
Et tu seras prêt à certifier que je lui dis la — Qui a dit cela ? rugit Messire Lion, se
vérité! levant et agitant une queue furieuse. La peau et
— Non! non! Je ne veux pas aller dans les os! Ai-je l'air de n'avoir que la peau et les
l'antre de Messire Lion! cria Compère os?
Lièvre, épouvanté. N'es-tu pas fou? — Non, non, point du tout, dit Compère
— Mais non, je suis seulement malin, dit Lapin, sincère. Eh! Compère Lièvre,
Compère Lapin. Je suis en ce moment en

205
approche et répète à Messire Lion ce que
les Compères Loup, Ours et Renard disaient de
lui! Tu les as entendus!
— Ils d... d... d... disaient que vous
n'aviez que la p... p... p... peau et les os, bégaya
Compère Lièvre tremblant de tous ses
membres, et que vous ch... ch... cherchiez
Compère Lapin pour le manger, et...
— Compère Lapin est un de mes bons
amis, hurla Messire Lion. Qu'ont-ils dit
d'autre?
- Eh bien ! dit Compère Lapin, je suppose
qu'ils imaginent que vous n'êtes plus bon à
rien, et que, l'oreille basse, vous allez
furtivement chercher des noix et des mûres
pour vous en nourrir, incapable que vous
êtes d'aller à la chasse, pauvre vieux miser... »
Messire Lion était si enragé d'entendre ces
paroles que sa queue fouettait les buissons, en
arrachait des feuilles et déplaçait l'air
violemment. Ses rugissements furent tels que
les créatures des bois tremblèrent et coururent
se cacher.
« Compère Loup a-t-il dit autre chose?
gronda-t-il, s'adressant à Compère Lièvre.
— Ne lui dis pas toutes ces horreurs! dit
Compère Lapin à son cousin. Ce pauvre
Messire Lion est déjà bien assez furieux.
Il irait sans tarder à la poursuite de ces trois
coquins !
- J'y cours à l'instant, fit le lion, répondant
aux espérances de Compère Lapin. Où se
trouvent-ils?
— Compère Lièvre, va voir où ils sont!
ordonna Compère Lapin. Et reviens nous le
dire ! Je servirai de guide à Sa Majesté ! »
Compère Lièvre fila comme le vent, tout
heureux de s'éloigner du féroce Messire Lion.
Il trouva Compère Ours et Renard creusant une
fosse déjà bien profonde. Compère Loup les
rejoignit, de fort méchante humeur.
« II n'y a personne chez Compère Lapin,
dit-il. Hé! bonjour, Compère Lièvre! Que fais-
tu par ici? Compère Lapin est-il dans le
voisinage ?
- Oui! Il va passer bientôt par ici, avec un
ami », répondit l'interpellé. Compère Loup
éclata de rire alors que Compère Lièvre
détalait.

206
« Ah ! ah ! Il va passer par ici avec un
ami! dit-il. Allons! vous autres, laissez-moi me
cacher aussi dans la fosse! Vite! Faites-moi de
la place! »
Mais il n'y avait pas assez de place pour
eux trois, aussi Compère Loup obligea
Compère Ours à sortir.
« Cache-toi derrière ce buisson-là, et
avertis-nous quand Compère Lapin arrivera,
dit-il. »
Compère Ours sortit du trou comme il put
et plaça des branchages sur l'ouverture,
pendant que ses complices se tapissaient dans
le fond.
Compère Lièvre était déjà retourné auprès
de Compère Lapin et de Messire Lion. Il
cligna de l'œil en direction de son cousin. « Je
les ai trouvés, dit-il. Je vais vous montrer le
chemin. »
II prit les devants, suivi de Compère
Lapin; Messire Lion fermait la marche. Ils
avaient fait tout juste quelques pas lorsque
Compère Lapin se mit à glapir et à boitiller.
« Ma patte! dit-il. Oh! ma pauvre patte!
Pourrai-je, Messire, monter sur votre dos
jusqu'à ce qu'elle cesse de me faire mal?
— Certainement », dit Messire Lion,
aimablement, songeant au miel qu'il venait de
recevoir. Compère Lapin sauta sur le dos de
Messire Lion et ils poursuivirent leur route.
Compère Lapin improvisa une petite
chanson :

« Cahin - caha - cahotant,


De-ci, de-là, balançant... »

Compère Ours, aux aguets derrière un


buisson, entendit la chanson et chuchota : « Il Furieux, il passa la tête entre les brindilles.
vient! Je l'entends chanter! Attention! Tous ses doutes s'évanouirent! Messire Lion
— Qui l'accompagne? » demanda descendait le sentier à l'amble, et Compère
Compère Loup du fond de la fosse. La réponse Lapin, juché sur son dos, chantait à tue-tête !
le surprit au plus haut point : « Hue! Messire Lion, criait Compère
«Oh! Compère Loup! c'est Messire Lion! Lapin, voyant pointer les oreilles du loup.
— Trêve de sottes plaisanteries ! Hue! donc! Vous allez rattraper Compère Loup
dit Compère Loup, mécontent. et ses amis sans tarder. »
— Il est sur le dos de Messire Lion! hurla A ce moment, Messire Lion marcha tout
Compère Ours, stupéfait autant droit sur les brindilles qui recouvraient la fosse
qu'épouvanté. Il se cramponne à sa crinière ! Il et tomba sur Compères Loup et Renard affolés.
joue avec ses oreilles! »
Compère Loup n'en crut pas un mot.

207
Quel remue-ménage s'ensuivit! Compère
Loup et Compère Renard tentèrent de sortir.
Messire Lion, tout aussi surpris qu'eux-mêmes,
se mit à rugir et à lancer des coups de patte de
tous côtés.
Vlan! Voilà pour Compère Loup. Vlan!
vlan! Te voici servi, Compère Renard! Puis
Messire Lion aperçut Compère Ours, paralysé
par la peur, près d'un buisson tout proche et
bondit sur lui. Vlan! vlan! et vlan! Compère
Ours tomba sur le dos, roula et s'enfuit au
galop.
« Vous êtes un lion très courageux!
Attaquer trois ennemis à la fois! » s'écria
Compère Lapin, rempli d'admiration. (Il s'était
réfugié dans un terrier avec son cousin pendant
le combat.)
Messire Lion rugit avec une force telle que
lapin et lièvre épouvantés disparurent au plus
profond du terrier.
« Je les attraperai tous ! » hurla Messire
Lion.
Et il fonça dans les bois, fracassant tout sur
son passage. Compère Lapin permit à ses
oreilles de pointer hors du trou tandis qu'il
regardait Messire Lion disparaître, tel un éclair
fauve.
Le lapin sortit alors du terrier et se lécha
les oreilles, mais son cousin était bien trop
épouvanté pour le rejoindre. « Eh bien! eh
bien! dit Compère Lapin, se dirigeant vers sa SOLUTION DES JEUX
demeure, j'espère que ces trois-là ont appris
leur leçon! Oser creuser une fosse pour 1. Mots carrés syllabiques (page 13).
m'attraper! Quelle audace, en vérité! »
I MA GE MU SUL MAN
Lorsqu'il revit plus tard Compères Ours,
MA RI NE SUL TA NE
Loup et Renard, il les dévisagea longuement. GE NE VE MAN NE QUIN
« Mais que vous est-il donc arrivé?
demanda-t-il. Tu as perdu la moitié d'une 2. Mots en losange (page 106).
oreille, Compère Ours, et ta queue, ta queue, A
ILE
Compère Renard! Elle est des plus étranges! Et ALORS
tu boites bien bas, Compère Loup! J'espère que ERE
mon excellent ami, Messire Lion, n'a rien à S
faire avec vos accidents? »
3. Mots en parallélogramme (page 107).
Et il s'en fut par les bois, chantant une ROSE
exaspérante chanson! MODE
Je préférerais me battre avec un lion LAME
qu'avec vous, Compère Lapin! Vous êtes PATE
vraiment par trop malin!
4. Mots en losange (page 132).

P
BAL
PAR I S
LIS
S

208
« Papa, dit Robert, nous voulons te une nuit! dit le père. Eh bien1, qu'en
demander une faveur'. Nous espérons pense votre mère?
tant que tu diras oui! - Elle nous a dit de te demander la
— Je ne promets rien avant de savoir permission, fit Robert. Oh, papa! dis oui,
ce dont il s'agit, répondit prudemment le je t'en prie! Rien qu'une nuit! Ce serait si
papa. amusant d'y camper seuls!
— C'est quelque chose de très — Nous prendrions des
simple, dit Brigitte. couvertures, et tout ce dont nous
— Oui, quelque chose que tu aurions besoin, dit Brigitte. "Nous
aimerais faire toi-même, dit Fred. Voilà ! choisirions une belle nuit tiède. Ce
Nous voudrions passer une nuit sur le serait délicieux de dormir là-bas!
Rocher des Tempêtes! » — Et votre vieux bateau? dit le
Le Rocher des Tempêtes était une père. Est-il en bon état? J'ai entendu dire
minuscule île rocheuse, non loin de la qu'il faisait eau...
côte. Les trois enfants possédaient un — Oh! il est en assez bon état, parce
bateau et ramaient souvent seuls. Ils que nous pouvons toujours écoper, dit
avaient été fréquemment pique-niquer Brigitte. Cela ne nous gêne pas. Et nous
sur le Rocher et le connaissaient de fond savons tous nager d'ailleurs.
en comble. — Mais je ne pense pas que notre
« Et maintenant, vous voulez y passer pauvre

209
vieux bateau puisse durer encore Des mouettes lançaient des cris perçants
longtemps, papa. Un neuf coûte cher, n'est- autour d'eux. La mer était très calme. A peine
ce pas? une houle légère soulevait-elle parfois
— Très cher, dit son père, ne comptez pas l'embarcation.
en recevoir un ! Vous vous débrouillerez avec Ils parvinrent enfin au Rocher des
votre vieux baquet. Mais, attention! S'il Tempêtes, et mirent le bateau à l'abri des
devient par trop mauvais, il faudra le mettre au vagues dans une crique minuscule. Brigitte prit
rebut. Inutile de courir des risques. couvertures et vieux manteaux et les étala sur
— C'est entendu. Mais pouvons-nous le sable, entre de hauts rochers.
passer une nuit sur le Rocher des Tempêtes? « Nous serons bien protégés ici, dit-elle. Et
demanda Fred. Tu n'as pas répondu à notre le sable est doux et chaud. Ne sera-ce pas
question. » merveilleux de dormir ici? Et si nous songions
Son père sourit. « Fort bien! Allez-y! au dîner? »
Emportez des provisions et des couvertures. Le repas, délicieux, se composait de
Tout ira bien. C'est amusant de camper dans saumon, d'ananas, de pain frais et de beurre, de
une petite île! chocolat et de limonade.
— Oh! merci, papa! Nous n'avions jamais « Cela vaut tous les repas mangés autour
cru que tu dirais oui.' » d'une table! affirma Fred. Et maintenant,
Enchantés, les enfants coururent rejoindre explorons le Rocher, et nous nous baignerons
leur mère pour lui annoncer la bonne nouvelle. quand nous aurons digéré notre dîner! »
« J'espère que tout ira bien, dit-elle. Vous Le Rocher des Tempêtes était une étrange
êtes assez grands pour vous débrouiller tout petite île. Ce n'était que rochers et baies. Il n'y
seuls. Robert a quatorze ans et il est très poussait guère que des ajoncs, mais en
vigoureux. Ne faites pas de bêtises, surtout! Et abondance! Les oiseaux de mer y venaient et
assurez-vous que votre vieux baquet tienne se plaisaient à se reposer sur les rochers les
bon! » plus élevés tout en contemplant la mer.
Les enfants se gardèrent d'avouer que leur « Qu'ils sont jolis! dit Brigitte, regardant
bateau était vraiment en mauvais état. Il leur une grosse mouette atterrir. J'aimerais être une
fallait écoper sans cesse pour qu'il ne sombrât mouette et nager, voler, patauger, glisser,
point! Pourvu qu'il durât le temps de leur plonger! Quelle belle vie! »
expédition! Ils se baignèrent et s'étendirent ensuite sur
Ils firent leurs préparatifs. Brigitte alla leurs couvertures; le crépuscule tiède était tout
chercher vieilles couvertures et vieux rougeoyant. Fred bâilla. « Par exemple, as-tu
manteaux. Fred demanda des boîtes de sommeil? demanda Brigitte. Je n'ai nulle envie
conserves à la cuisinière et des bouteilles de de dormir! Je tiens à savourer chaque minute
limonade. de cette merveilleuse soirée! Restons éveillés
« Ce sera merveilleux d'entendre les encore un bon moment!
vagues clapoter tout le temps autour de nous, — Bien sûr, dit Robert, grignotant un
dit Robert. Nous serons complètement seuls! » doigt de chocolat. Le soleil a disparu
Ils firent leurs adieux et s'embarquèrent. maintenant. Il ne reste pas un seul nuage rosé
N'avaient-ils rien oublié? Non, sûrement rien! dans le ciel. Mais il fait encore chaud.
Robert et Fred ramaient tandis que Brigitte ne — Les vagues clapotent si doucement tout
cessait d'écoper. « Au diable cette voie d'eau! autour du Rocher des Tempêtes! » dit
Elle ne cesse de s'agrandir! Je ne crois pas que Brigitte, d'un ton somnolent.
ce pauvre vieux baquet puisse durer encore Ils bavardèrent encore un instant, puis Fred
longtemps. bâilla encore, mais cette fois bruyamment.
— Yvon, le pêcheur, affirme qu'il « Je ne peux plus veiller, dit-il. Je le
est trop vieux pour qu'on puisse le radouber, voudrais bien, mais mes yeux ne cessent de se
dit Robert, ramant avec énergie. Quand tu fermer. Je parie que nous dormirons bien
seras fatiguée d'écoper, Brigitte, tu le diras et
je prendrai ta place. Tu n'auras qu'à ramer. »

210
cette nuit. Rien ne nous troublera que le La nuit n'est éclairée que par les étoiles,
clapotis des vagues... mais nous pourrons peut-être distinguer
- C'est bon ! Dors bien alors, dit Brigitte. quelque chose... »
J'ai sommeil, moi aussi. Je vais regarder Ils marchèrent sur les rochers avec
fixement cette étoile brillante là-bas, et je précaution et parvinrent à l'autre extrémité de
verrai combien de temps je pourrai rester la petite île. Ils purent voir une masse sombre à
éveillée! C'est délicieux d'être seuls ici, ne quelque distance. « Ce doit être le bateau !
trouvez-vous pas? Mais qui peut se trouver à bord ? Et pourquoi
Ils furent bientôt endormis tous les trois. venir là à cette heure de la nuit?
Les étoiles scintillaient, la mer clapotait sur les - Tout cela est bien mystérieux, dit
rochers. Nul autre son ne s'entendait. Robert. Réfléchissons. Où se dirige
Mais voyons! N'y avait-il pas d'autre son? l'embarcation ?
Robert s'éveillait en sursaut. Il demeura étendu — Vers les falaises rocheuses de la côte,
un instant se demandant où il se trouvait. Il dit Fred, sans doute vers cette partie toujours
était étrange de voir le ciel et non le plafond baignée par la mer que nous n'avons jamais pu
d'une chambre à coucher ! Puis il se souvint. explorer à fond.
Bien sûr! Il était dans l'île du Rocher! - Il pourrait y avoir là des cavernes, dit
Il allait se rendormir, quand il entendit à Robert. Mais je me demande d'où vient ce
nouveau le son qui l'avait réveillé. C'était un bateau. Il semblait venir de la mer, et pourtant
clapotement sonore. Il y en eut un autre et il n'a que des rames!
encore un autre. Un rythme régulier! —Sais-tu? Je parierais qu'il vient d'un
Robert s'assit. Un bruit de rames, non loin canot à moteur un peu plus loin, dit Fred
du Rocher des Tempêtes ! Puis il entendit des soudain. Ses propriétaires n'osent pas accoster
voix, des voix étouffées! Il se raidit, alerté. Un s'ils se livrent à quelque trafic illégal, car on
bateau près de l'île, des voix dans la nuit ! entendrait le bruit du moteur! Le canot reste
Qu'est-ce que cela signifiait? donc en mer et la barque vient en cachette avec
Doucement, Robert éveilla Fred et lui des marchandises d'une sorte ou d'une autre,
chuchota à l'oreille : « Silence! Un bateau va provenant sans doute d'un pays étranger.
aborder! » Les garçons s'assirent et écoutèrent, — Veux-tu parler d'articles de
mais le bateau n'accostait pas, après tout! Il contrebande? dit Robert, soudain passionné.
contourna l'île et les voix se turent. Le bruit Ma parole! Des contrebandiers!
des rames disparut. — Eh bien! il y en a des tas! Papa et
« Le bateau est du côté du continent maman en parlent quelquefois... Je te parie tout
maintenant, murmura Robert. Faisons le tour ce que tu voudras que nous avons
de l'île et voyons si nous pouvons l'apercevoir. entendu des contrebandiers passer ici avec tout
un chargement d'objets! Ils se dirigent vers les
falaises où ils ont une cachette, ou des
complices qui les attendent pour prendre
livraison des marchandises! »
Robert sifflota. Il regarda vers la terre
sombre, tache noire dans la nuit étoilée. « Oui,
tu as peut-être raison! Des contrebandiers. Dis
donc, que pouvons-nous faire?
- Allons réveiller Brigitte, dit Fred. Nous
discuterons tous ensemble. »
La fillette fut prodigieusement intéressée
par la nouvelle.
« Vous auriez pu me réveiller plus tôt,
protesta-t-elle, indignée. Croyez-vous que le
bateau des contrebandiers va repasser?

Les garçons s'assirent et écoutèrent.

211
— Je le suppose, dit Robert. Guettons ! »
Ils se dirigèrent vers l'autre extrémité de l'île
et tentèrent d'apercevoir les falaises éloignées.
Soudain Robert poussa une exclamation.
« Regardez ! Je suis sûr que je vois une
lumière, au pied des falaises! »
Ils écarquillèrent les yeux et, bientôt, Brigitte
et Fred purent aussi apercevoir une faible
lueur.
«Je parie que les contrebandiers sont là, avec
leurs marchandises », dit Robert.
Ils restèrent là longtemps, faisant le guet et
discutant. Puis la lumière disparut. L'ouïe
perçante de Robert distingua soudain un bruit,
et le garçon étreignit Brigitte et Fred, les
faisant sursauter.
« Ils reviennent! Chut! »
Un bruit de rames, un murmure de voix leur
parvinrent. Le bateau passa près d'eux dans
l'obscurité, tache indistincte sur l'eau. Les
enfants osaient à peine respirer. Lorsque le
bateau eut disparu, ils se mirent à chuchoter.
« Ils ont dû entreposer leurs marchandises
dans la caverne ! Dès le lever du jour, nous
irons à la découverte de leur cachette!
- Chut! Écoutez! Il me semble entendre un
bruit de moteur au loin ! Je parie que les
contrebandiers filent maintenant!
- Je voudrais déjà être au matin! J'ai envie
d'aller à la recherche des marchandises de
contrebande! »
Mais le jour était encore loin de poindre. Il
n'était guère que minuit et les enfants se
rendormirent. Le matin venu, ils eurent peine à Ils tentèrent d'apercevoir les falaises.
croire qu'un événement s'était produit la nuit.
« Mais nous n'avons pas rêvé, dit Brigitte, D'un côté de ce passage, il y avait une grotte,
puisque nous savons tous les trois ce qui s'est creusée dans la falaise, tout à fait invisible de
passé! Déjeunons, et allons ensuite explorer les la mer.
falaises. Nous pouvons nous en approcher de « Immobilise le bateau en te suspendant à ce
très près... » rocher, Fred, et j'irai explorer la caverne », dit
Le déjeuner terminé, ils partirent dans leur Robert. Il sauta du bateau sur un roc et regarda
vieux bateau. Ils ramèrent vers les hautes attentivement l'intérieur de la grotte.
falaises dont la mer battait sans cesse les bases, « Dites donc! Il y en a des tas de choses! Des
et ils les contournèrent, examinant aussi caisses, des ballots de toutes sortes! Voilà où
soigneusement qu'ils le pouvaient chaque les contrebandiers emmagasinent leurs
anfractuosité. marchandises! Je parie que quelqu'un vient les
Et ils trouvèrent ce qu'ils cherchaient! Ils chercher — probablement en bateau dès qu'il
aperçurent soudain une brèche et dirigèrent n'y a plus de risques à craindre! »
prudemment leur barque de ce côté-là. Une II retourna vers le bateau et y sauta.
vague les poussa dans une large et curieuse « J'aimerais ouvrir certaines de ces caisses,
ouverture, et ils se trouvèrent dans une sorte de dit-il, mais je suppose qu'il vaut mieux les
chenal, entre les falaises escarpées, tout juste
assez large pour que le bateau pût y naviguer

212
213
Les garçons ramaient avec fureur. Et juste « II y a peut-être un danger à courir, dit-il.
avant l'accostage, l'embarcation coula! Un échange de coups de feu, par exemple.
Ils durent patauger jusqu'au rivage, Tenez-vous à l'écart ! Je vous dirai tout ce qui
emportant ce qu'ils purent de leurs affaires. « se sera passé, n'ayez crainte! »
C'est vraiment de la malchance! dit tristement II tint parole et leur raconta une passionnante
Robert. J'aimais bien notre vieux bateau. Il est histoire la semaine suivante :
sûrement fichu, maintenant. Allons! Rentrons « Nous avons arrêté les hommes qui
à la maison et racontons à maman ce qui est venaient chercher les marchandises,
arrivé. Elle téléphonera à la police. » commença-t-il. Et nous avons aussi pris les
Leur mère fut stupéfaite. Quelle aventure ! contrebandiers. Ils étaient trois!
Elle fut aussi horrifiée d'apprendre que le — Les avez-vous pris dans leur bateau?
bateau avait coulé, et fort heureuse de les voir demanda Brigitte.
revenir sains et saufs. — Nous avons suivi leur barque qui
«J'ai peine à croire à cette histoire de retournait vers la pleine mer, dit l'inspecteur.
contrebandier, dit-elle. Mais je suppose que je Un joli canot à moteur les attendait. Nous
dois tout de même téléphoner à la police. Je avons cueilli toute la bande. Ainsi, plus de
vais le faire tout de suite pendant que vous contrebande à redouter pour l'instant, tout au
vous changerez. » moins dans notre coin...
Un inspecteur de police ne tarda pas à venir. - Nous avons joliment bien fait de passer une
Il écouta l'histoire que lui contaient les enfants nuit sur le Rocher des Tempêtes! dit Fred.
avec le plus grand intérêt. Mais nous avons eu bien de la malchance de
«Je pense qu'ils ont vraiment découvert- perdre notre bateau!
quelque chose, dit-il à leur mère. Nous savons — Oh! à votre place, je ne me ferais pas de
qu'on se livre à la contrebande dans les souci à ce sujet, dit l'inspecteur d'un ton
parages. Mais il est difficile de trouver une dégagé. Nous voulons vous donner une
piste. Je vais me procurer un bateau et me récompense. Vous la trouverez sur le rivage, si
rendre dans cette grotte. Je pourrais peut-être cela vous intéresse. Nous l'avons confiée à
emprunter le bateau des enfants et ils Yvon, le pêcheur. »
m'indiqueraient l'endroit exact? Les enfants galopèrent jusqu'à la plage où ils
— Il a coulé, répondit Fred tristement. Nous virent Yvon, souriant. A côté de sa barque, il
n'avons plus de bateau! Nous en sommes tout s'en trouvait une autre, peinte de frais et très
bouleversés! Yvon, le pêcheur, vous prêtera le élégante.
sien. Nous vous accompagnerons. » « Bonjour! dit Yvon. Vous êtes venus
L'inspecteur fut convaincu que les regarder votre nouveau bateau? Il est chic,
marchandises trouvées dans la caverne étaient hein! Ma parole, vous avez de la chance, vous
des objets passés en fraude. autres!
« Des bas de soie! De l'eau-de-vie! Des — Oh! oui! s'écria Brigitte, ravie. Je
parfums de toutes sortes! Ma parole! Voici un veux être la première à ramer! Oh! quelle
beau coup de filet! dit-il enchanté. Eh bien! splendeur! Allons, garçons! A l'eau! Nous
nous déménagerons tout cela cette nuit, quand partons! »
personne ne pourra nous voir, et nous Et ils partirent, légèrement bercés par les
guetterons les complices des contrebandiers! vagues. Ils allèrent au Rocher des Tempêtes,
Quels qu'ils puissent être, ils ne tarderont pas à tirèrent le bateau sur le sable et s'étendirent au
venir chercher tout cela! Et nous aurons des soleil.
agents sur le Rocher des Tempêtes, guettant le « Bon vieux Rocher des Tempêtes! dit Fred,
retour des contrebandiers. » frappant le sable de ses mains largement
Tout cela était palpitant! Les enfants ouvertes. Sans lui, nous n'aurions jamais eu ce
auraient voulu aller dans l'île avec les merveilleux bateau tout neuf! »
policiers, mais l'inspecteur s'y refusa.

214
JACQUES LE VOISIN
Jérôme avait une bicyclette superbe, mais
son voisin Jacques n'en possédait point. De
temps en temps sa grande sœur lui permettait
de monter sur la sienne, mais il n'en éprouvait
guère de plaisir, car ce n'était pas une
bicyclette de garçon. Aussi regardait-il
toujours par-dessus le mur le vélo de Jérôme et
suppliait-il son voisin de le lui prêter.
« Non, disait Jérôme qui n'aimait pas
partager. Je ne veux pas. Tu l'abîmerais. -
Mais non, répliquait le garçon. Et je le
nettoierais après m'en être servi!
— Je ne te le prêterai pas. C'est dit.
— Tu es égoïste, disait Jacques. Tu ne
partages jamais avec personne! Tu ne m'as
même pas laissé une seule fois jouer avec ton
ballon de football! »
Jacques avait raison. Jérôme était égoïste. Il — Je suis occupé! papa, cria Jérôme.
n'offrait jamais un bonbon. Il se refusait à faire J'irai dans une minute. »
les commissions de sa maman si elle ne le Mais il oublia naturellement de rendre ce
payait pas. Il ne songeait qu'à son propre service à son père.
plaisir. Plus tard, sa maman l'appela, elle aussi :
Un samedi où son papa était à la maison, «Jérôme! -Es-tu par ici? Veux-tu aller
Jérôme s'entendit appeler : chez bonne-maman et lui porter un message ?
«Jérôme! File à bicyclette chez le marchand Et chercher la viande au retour? J'ai tant à
de journaux. Tu lui diras que mon journal n'est faire aujourd'hui!
pas encore arrivé! — Moi aussi, maman! répliqua Jérôme. Je
suis très occupé. Décidément toi et papa, vous
me prenez pour un garçon de courses ! »
La maman ne répondit rien. Elle était peinée
et indignée. Son fils lui parlait ainsi! Mais le
papa avait entendu, lui aussi, et, fronçant les
sourcils, il alla chez les voisins et demanda s'il
pouvait parler à Jacques. Le garçon vint tout
de suite.
« Bonjour, monsieur! Puis-je faire quelque
chose pour vous ? Je vais au village acheter
différentes choses pour maman. »
M. Leclerc regarda Jacques qui avait en effet
un grand panier au bras.
« Et comment y vas-tu ? A pied ?
- Oui. Je n'ai pas de bicyclette, dit
Jacques. Je voudrais bien en avoir une
comme celle de Jérôme ! Ce ne serait rien
alors d'aller au village et de revenir à la
« Bonjour, monsieur ! Puis-je faire maison!
quelque chose pour vous ? »

215
te charger de quelques commissions pour
nous? Tu pourrais prendre la bicyclette de
Jérôme... Il y a un grand panier attaché au
guidon et un autre sur le porte-bagages.
— Oh! monsieur, est-ce que je peux
vraiment m'en servir? dit Jacques. Quelle
merveille! Ma parole, ce que je serai fier de
monter dessus! Ce sera la première fois!
Croyez-vous que Jérôme n'y trouvera pas à
redire ?
— Cela n'a aucune importance, dit
M. Leclerc. Tu peux la prendre, et je te suis
très obligé d'être si prêt à nous rendre service.
Tiens, tu laisseras ce message chez la grand-
mère de Jérôme. Tu sais où elle habite ?
Je veux mon journal, et voici la liste des
commissions. Peux-tu te charger de tout cela?
— Mais bien sûr ! Ce n'est pas une « C'est ma bicyclette! Quel toupet! Je ne
affaire, dit Jacques. Je rends bien d'autres t'avais pas permis de la prendre! Descends
services à maman! Avec la bicyclette de tout de suite! »
Jérôme, je pourrai aller plusieurs fois au
village ce matin! Merci mille fois, monsieur!
» Il alla chercher sa bicyclette, et ne la
Jérôme ne vit pas Jacques prendre sa trouva point! Le garage était vide. Il chercha
bicyclette. Il ne le vit point non plus partir, partout!
enchanté. Il ne sut pas que Jacques descendait « Maman ! ma bicyclette a disparu ! hurla-
fièrement la rue du village, appuyant sur le t-il. Et moi qui voulais aller acheter des
timbre, ayant le sentiment d'être un bonbons! Où peut-elle être? »
personnage. Personne ne lui répondit. Il courut jusqu'à
Bientôt, Jérôme se rappela soudain qu'il la grille et regarda dehors. Avait-il, par hasard,
voulait acheter des bonbons, car il ne lui en laissé sa bicyclette sur le trottoir?
restait même pas un. Et, soudain, il vit Jacques remonter la rue
sur la bicyclette, appuyant sur le timbre. Il
pouvait à peine en croire ses yeux! Il s'élança :
« C'est ma bicyclette! Quel toupet! Je ne
t'avais pas permis de la prendre! Descends tout
de suite ! Je le dirai à papa !
— Il le sait, répliqua Jacques en riant. Il
m'a dit de la prendre.
Jérôme, pris de rage, tenta de se saisir de
sa bicyclette.
«Donne-la-moi! hurla-t-il. Et gare à toi si
tu oses t'en servir encore! Tu me dis des
mensonges! »
II entendit, derrière lui, une voix sévère :
« Jérôme ! C'est moi qui ai dit à Jacques de
prendre ta bicyclette. Je t'ai demandé d'aller
me faire une commission et tu n'y es pas allé.
Ta mère t'a aussi demandé un service et tu lui
as répondu impoliment. Mais tu avais
Jacques partit, enchanté. l'intention d'aller acheter des bonbons pour toi-
même. »

216
Jérôme se sentit fort inquiet.
« Te rappelles-tu ta promesse lorsque nous
t'avons offert ta bicyclette? Tu avais juré de
faire toujours nos commissions, promptement
et joyeusement. Tu n'as pas tenu ton serment. »
Jérôme devint fort rouge. Et son voisin
entendait les reproches de M. Leclerc! Quelle
honte!
« Nous ne voulons pas de tes services s'ils
sont rendus de mauvais gré, continua le papa.
Aussi ai-je demandé à Jacques de faire nos
commissions en se servant de ta bicyclette. Il
ne demande pas mieux. Je suis sûr qu'il en aura
grand soin, n'est-ce pas, Jacques ?
— Bien sûr, monsieur, dit le jeune voisin.
Mais... heu... peut-être Jérôme voudra-t-il
faire vos commissions! « Ce que je veux, c'est un messager gai et
- Non, dit M. Leclerc. Il y a des semaines obligeant, tel que toi, Jacques... »
qu'il ne nous rend aucun service. Je n'ai nulle
raison de croire qu'il changera. En outre, je
veux un messager gai et obligeant, tel que toi, « Allons, pensa Jérôme, essayons toujours
Jacques. C'est un plaisir que de te demander de l'imiter! »
quelque chose, mon garçon... Jérôme eut l'occasion de se racheter. Vous
- Laisse-moi me racheter, papa, dit devriez le voir filer à bicyclette dès que sa
Jérôme à voix basse. mère a besoin de la moindre chose au village!
- Oh! oui, monsieur, dit Jacques. Après Elle ne peut s'empêcher de sourire. Mais elle a
tout, c'est sa bicyclette! Je me rends bien un autre sujet de satisfaction : Jérôme prête
compte de ce qu'il éprouve! Je serai toujours toujours son vélo à Jacques quand celui-ci en a
prêt à faire vos commissions s'il s'y refuse. envie. Ce n'est que justice d'ailleurs. N'est-ce
Mais donnez-lui l'occasion de se racheter! pas Jacques qui lui a permis de se racheter?
— Fort bien. Range la bicyclette Jérôme file à bicyclette dès que sa mère a
maintenant, Jacques, et entre à la maison. Un besoin de la moindre chose au village.
gâteau au chocolat et de la citronnade
t'attendent », dit M. Leclerc.
Il n'invita point Jérôme à entrer, et Jérôme
ne les suivit pas. Il avait soudain honte. Son
père et sa mère avaient dû prêter sa bicyclette à
Jacques pour qu'il fît les commissions dont il
n'avait pas voulu se charger! Il lui était
désagréable de songer qu'un autre garçon tirait
ses parents d'embarras. Jacques n'avait qu'à se
mêler de ce qui le regardait! Qu'il fît les
commissions de sa mère, on ne lui demandait
pas plus !
Puis Jérôme s'assit sur le mur qui séparait
sa maison de celle de Jacques et réfléchit
profondément.
Son père avait raison : Jacques était
toujours prêt à rendre service avec le sourire.

217
218
219
220
221
222

S-ar putea să vă placă și