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LES OPÉRATIONS
D’ÉVACUATION
DE RESSORTISSANTS
libres réflexions
Kolwezi,
ou la première évacuation de ressortissants
doctrine
Les opérations d’évacuation de ressortissants
au cœur des principaux engagements des forces terrestres
étranger
Un vol vers l’inconnu - L’opération LIBELLULE
>> Retour d’expérience Les enseignements tirés du déploiement du CRER au Tchad en avril 2006
Sommaire n° 16
Doctrine Retour d’expérience
La planification des opérations d’évacuation de ressortissants p. 13 Opération CHARI BAGUIRMI - L’évacuation de 1 750 ressortisants
au Tchad en 2008 p. 60
La conduite des opérations d’évacuation de ressortissants p. 15
Une opération d’assistance et d’évacuation au Liban
RESEVAC - La vision de la marine nationale p. 17 L’opération «Baliste» (juillet-août 2006) p. 62
Le centre de regroupement et d’évacuation des ressortissants p. 20 Opération BALISTE - Une complémentarité interarmées
indispensable p. 66
Protection et évacuation des ressortissants - Quel cadre juridique ? p. 24
Les enseignements tirés du dernier déploiement d’un CRER
Principaux signes et acronymes p. 27 (Gabon février 2008) p. 69
Bibliographie p. 31
Libres réflexions
Les officiers publient
La recherche opérationnelle au service de l’évacuation
de ressortissants p. 73
La guerre au 21e siècle -
Entretien avec le général (2s) Philippe Voute p. 32 L’attaché de défense, médiateur opérationnel p. 76
Les opérations d’évacuation de ressortissants La complémentarité des feux vue par les Anglais p. 90
Le point de vue britannique p. 39
Pour une arme du renseignement p. 93
Un vol vers l’inconnu - l’opération LIBELLULE p. 44
Capacités duales et forces africaines de développement p. 98
Directeur de la publication : Général (2S) Claude Koessler - Rédactrice en chef : Capitaine Marie-Noëlle Bayard : 01 44 42 35 91
Diffusion, relations avec les abonnés : Major Catherine Bréjeon : 01 44 42 43 18 - Relecture des traductions : Colonel Daniel Vauvillier
Maquette : Christine Villey : 01 44 42 59 86 - Création : amarena - Crédits photos : 1re de couverture : SIRPA Terre - 4e de couverture : Nanci Fauquet
Schémas : Nanci Fauquet : 01 44 42 81 74 - Diffusion : établissement de diffusion, d’impression et d’archives du commissariat de l’armée de terre de Saint-Etienne
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Tirage : 2 500 exemplaires - Dépôt légal : à parution ISSN : 1959-6340 - Tous droits de reproduction réservés.
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C•D•E•F
E
ntre le 19 et le 20 mai 1978, le 2e REP au complet
sautait en deux vagues sur Kolwezi. Cette opération
d’envergure avait été ordonnée sur bref préavis,
par le Président de la République française. Elle permit
d’évacuer 2 800 ressortissants français, belges et
occidentaux, pris au piège d’une lointaine rébellion aussi
sanglante que complexe. Elle marqua le point de départ
d’une série d’autres opérations d’évacuations de
ressortissants, toujours au cœur de bon nombre
d’engagements des forces terrestres françaises.
Depuis 1990, celles-ci ont participé à vingt-six opérations
d’évacuation de ressortissants, soit une à deux par an,
en moyenne.
A
ujourd'hui, aucun engagement en cours ne doit
nous distraire de cette nécessité de conserver en
permanence des forces disponibles pour effectuer, en cas
d’urgence, une opération d’évacuation de ressortissants.
Cette mission peut être lancée sans délai, avec notre pays
comme nation cadre ou au sein d’un dispositif coalisé.
Elle peut mettre en œuvre des moyens divers, terrestres,
maritimes, aériens. Le plus souvent, elle se déroule dans
une ambiance de forte insécurité, donc de rapidité.
C
e numéro de la revue Doctrine veut apporter un
éclairage doctrinal sur leur déroulement et aborder
les principaux enseignements tirés par ceux-là mêmes
qui les ont conduites ou vécues : commandants de forces,
acteurs militaires, fonctionnaires du ministère des Affaires
étrangères, à Paris ou en poste diplomatique.
PAR LE GÉNÉRAL DE DIVISION THIERRY OLLIVIER, DIRECTEUR DU CENTRE DE DOCTRINE D’EMPLOI DES FORCES
ne opération d’évacuation de ressortissants est une “opération de sécurité ayant pour objectif
U de protéger des ressortissants résidant à l’étranger en les évacuant d’une zone présentant une
menace imminente et sérieuse risquant d’affecter leur sécurité, lorsque l’Etat dans lequel ils sont
localisés n’est plus en mesure de la garantir1”.
D
ans le cadre de leurs missions per-
manentes, les forces terrestres
sont souvent amenées, sur très
court préavis et parfois dans l’urgence,
à y participer. Les récentes interventions
ont confirmé avec pertinence que l’éva-
cuation de ressortissants constitue
une véritable opération militaire dans
laquelle les forces terrestres jouent un
rôle déterminant permettant notamment
la maîtrise de l’espace physique et du
milieu humain.
C
Localement, cette situation impose d’une es opérations d’évacuations de ressortissants mettent en exergue les
part une préparation aussi précise que actions des forces armées, au premier rang desquelles figurent les
possible et d’autre part une claire forces terrestres, au service de la communauté nationale à l’étranger,
répartition des responsabilités, notam- qui sait pouvoir compter sur leur intervention en cas de crise
ment entre les forces armées et les repré- menaçant sa sécurité.
sentants du MAEE.
PAR MONSIEUR PATRICK LACHAUSSÉE, DIRECTEUR ADJOINT DU CENTRE DE CRISE DU MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET EUROPÉENNES
I
l est 23 heures et les téléphones sonnent toujours en cellule de crise. Les familles nous appellent,
toujours aussi inquiètes. L’officier de liaison de l’état-major des armées est là avec nous pour suivre
la situation. Nous échangeons régulièrement nos différentes analyses et informations.
Quand la réalité dépasse nos plus à Pointe-Noire ont été renforcés, de même des entreprises dans le domaine agroali-
grandes inquiétudes : la crise que les moyens d’accueil. Le plan de sécu- mentaire avec des équipes travaillant
rité est à jour et vérifié, l’îlotage opéra- parfois dans des zones dangereuses.
tionnel. Des contacts sont pris avec les com-
a cellule de crise est ouverte depuis munautés religieuses et la grande majorité A la fin du dernier journal télévisé, le
es dernières opérations d’évacuation de ressortissants menées par les forces françaises ont mis
L en œuvre une doctrine interarmées (PIA 03.351) rédigée en 2004. Globalement, ce document a
répondu aux attentes et a permis d’intégrer les nouvelles exigences de ce type d’actions.
Néanmoins quelques évolutions méritent d’être prises en compte et intégrées dans la conception
et la conduite des RESEVAC. La nouvelle version, en cours d’approbation, s’appuyant sur les idées-
forces introduites dans la version de 2004, a mis en exergue la coordination interministérielle, la
coopération multinationale et la communication opérationnelle à tous les niveaux.
a présence de citoyens français à l’ex- si les engagements récents ont confirmé La pertinence de la doctrine relative aux
sément entre les cellules chargées de mais un volet relatif aux opérations d’in-
mettre en œuvre les mesures décidées formation. Corollaire d’une coordination
dans un cadre toujours interministériel, interministérielle accrue et d’une gestion
ainsi qu’au niveau local entre l’ambassa- centralisée de la crise au niveau gouver-
de, les services consulaires et les forces nemental, la communication doit prendre
projetées ; concrètement, une gestion en considération quelques développements
conjointe de l’évacuation par les orga- complémentaires : communiquer vers qui
Enfin, les propositions qui visent soit à nismes des deux ministères est recher- et pour exprimer quoi ?
déployer un PC de terrain pour cette struc- chée et l’adoption de mesures de pré-
ture modulaire dans le but de faciliter la caution se traduit par la recherche de Tout d’abord, une opération d’évacuation
coordination entre les différentes cellules l’envoi simultané du module EVAC INFO de ressortissants est un signal politique
impliquées dans le processus d’évacua- du centre de regroupement et d’évacua- fort qui peut affecter l’équilibre précaire
tion, soit à clarifier l’organisation du com- tion des ressortissants, sorte de harpon de l’Etat hôte. Son déclenchement va direc-
mandement sur le théâtre permettant une organisationnel et logistique, et des élé- tement interpeller les autorités locales bien
répartition des responsabilités simple et ments d’appui à la gestion de la crise sûr, mais aussi les éventuels entrepreneurs
lisible entre l’attaché de défense et le com- dépêchés par le MINAE en renfort de l’am- de violence potentiellement responsables
mandant de la force projetée et ses adjoints, bassade. Il s’agit bien de faciliter la de la dégradation de la situation sécuri-
s’agissant du CRER, doivent être validées. conduite de l’opération sur le terrain en taire, les populations autochtones, les res-
déchargeant le plus tôt possible soit l’am- sortissants installés dans le pays et les
bassade des modalités organisationnelles, medias locaux ou internationaux présents
La coordination interministérielle soit la force militaire de la gestion “tech- sur place.
nique” des ressortissants.
et la coopération multinationale En second lieu, pour les ressortissants,
- D’autre part, la décision du conseil l’annonce et la présentation de l’opé-
Dans le cas des RESEVAC, ces deux des affaires générales de l’Union euro- ration peuvent être lourdes de consé-
domaines de la coordination et de la coopé- péenne 2 de mettre en œuvre le concept quences : entre une évacuation à la
ration, étaient déjà au cœur des préoccu- “d’Etat pilote” en matière consulaire en charge de l’Etat et une “incitation au départ
pations doctrinales puisque ce type d’opé- cas de crise confère à un Etat désigné volontaire” à la charge des intéressés, les
rations associe, par nature, au moins deux comme pilote le rôle de protection des modalités de mise en œuvre auront forcé-
ministères agissant dans des sphères com- ressortissants de l’UE et de coordination ment une influence sur leur décision. En
E
n France les rôles dévolus aux différents ministères réservent une place particulière aux forces armées 3 dans la
mesure où les théâtres qui pourraient nécessiter le déclenchement d’opérations d’évacuation de ressortissants,
en raison des risques d’une montée brusque et imprévisible aux extrêmes, exigent une très grande réactivité.
Cette réactivité, caractéristique de l’intervention militaire, bénéficie d’un prépositionnement judicieux, qu’il soit
permanent ou circonstanciel, d’une planification d’anticipation très complète et d’un régime d’alerte des différentes
composantes modulé et bien maîtrisé.
Ainsi, les évolutions doctrinales envisagées ne relèvent que de l’adaptation d’idées fortes déjà éprouvées. En effet,
le caractère soudain de ces opérations allié à l’ampleur des RESEVAC actuelles tout autant que leur caractère
multinational impose une coordination de plus en plus étroite avec le MAEE, un effort préalable de préparation de
cette mission (planification prédécisionnelle et opérationnelle pour les militaires et préparation des plans de défense
par les consulats) et une prise en compte plus globale de la dimension communication.
Il restera à diffuser et bien faire connaître cette nouvelle publication interarmées au sein des armées et des
organismes concernés. Ceci a déjà été commencé au ministère des Affaires étrangères et européennes qui demande à
l’EMA de venir lui exposer cette conception des RESEVAC au cours du stage des agents consulaires et au ministère de
la Défense qui sensibilise les futurs attachés de défense durant leur stage de préparation.
u 2 au 7 février 2008, les forces françaises ont permis, dans une ambiance très tendue, parfois “sous le
D feu”, l’évacuation de quelque 1 700 ressortissants de plus de 70 nationalités, dont la vie se trouvait
menacée par les âpres combats se déroulant dans la capitale tchadienne.
Cette réussite repose sur un certain nombre de facteurs pouvant être rassemblés comme suit : des forces
militaires entrainées, présentes sur le théâtre des opérations au moment du déclenchement des troubles,
bénéficiant de l’appui et du soutien immédiat des forces pré-positionnées (les forces françaises au Gabon)
et d’un renforcement rapide venant de métropole, appliquant des plans à jour, bâtis avec une coordination
toujours plus étroite entre le MINAE et le ministère de la Défense. Sans vouloir atténuer le mérite des
différents acteurs qui ont tous fait un travail formidable, nous pouvons donc remarquer que les conditions
de cette RESEVAC étaient particulièrement favorables.
Peu de pays sont aujourd’hui capables de mener de telles opérations, notamment sur le continent africain.
Certes, nos forces prépositionnées sont un élément déterminant dans cette capacité, mais la réussite de
telles opérations dépend aussi de leur prise en compte au niveau interministériel et de leur degré de
préparation.
La sécurité des ressortissants résidant à l’étranger, une priorité sans cesse réaffirmée
ans nos sociétés modernes, la sécurité des ressortissants résidant à l’étranger est une priorité sans cesse réaffirmée.
D Aussi, le Livre blanc 2008 ne peut-il faire l’économie de la prise en compte d’un scénario de type déstabilisation limitée
d’un pays, nécessitant l’engagement de l’Etat pour évacuer la communauté de ses ressortissants, par des moyens civils, cas
le plus favorable, mais aussi parfois sous la protection de ses forces armées comme il l’a fait de nombreuses fois au cours
de ces vingt dernières années.
D
u 2 au 7 février 2008, en étroite
collaboration avec le ministère des
Affaires étrangères et européennes,
les armées françaises ont permis à
1 753 ressortissants dont un tiers de Français
de quitter le territoire tchadien. De fait, il s’agis-
sait d’un “classique” sur le théâtre africain.
photo fournie pa l’auteur
Une responsabilité de l’Etat... Assumée le plus souvent dans semble des ressortissants européens en
temps de crise (information, regroupement,
un cadre européen... évacuation le cas échéant). Actuellement,
C
omme le rappelle la décision du les Etats membres expérimentent ce
conseil de l’Union européenne du L’évacuation est bien de la responsabilité concept dans des pays où ne sont pré-
17 juin 2007 : “C’est en premier lieu nationale, toutefois, l’opération menée au sentes au maximum que deux représen-
aux États membres qu’il incombe d’assu- Tchad a permis une application du concept tations diplomatiques de l’UE. C’était le cas
rer la protection de leurs ressortissants”. européen d’Etat pilote. au Tchad où seules la France et l’Allemagne
Conformément à ce principe du droit inter- Ce dernier a, en effet, été adopté par sont représentées.
national, la sécurité des ressortissants à le Conseil de l’Union le 18 juin 2007. Il offi-
l’étranger est d’abord de la responsabilité cialise le principe de solidarité des Etats
de l’Etat et incombe en France au minis- membres et l’extension de la notion de Conduite en interministériel...
tère des Affaires étrangères et euro- bénéficiaires de plein droit à l’ensemble
péennes. En effet, le caractère multinatio- des ressortissants de l’UE. Il vise ainsi à
nal d’une opération ne dédouane pas l’Etat améliorer la protection des ressortissants Ces opérations sont donc anticipées et pla-
de ses responsabilités. des Etats membres de l’Union européen- nifiées, mais aussi conduites en intermi-
ne en temps de crise dans les pays tiers, nistériel. Outre sur le théâtre proprement
Ainsi, “l’évacuation des ressortissants” est notamment lorsque certains Etats membres dit2, la coopération des deux ministères
et restera toujours une décision politique n’ont pas de représentation dans le pays se concrétise au niveau stratégique par
prise au plus haut niveau, impliquant, dans concerné. des réunions de crises des responsables
sa mise en œuvre, l’utilisation des moyens La mission de l’Etat pilote consiste à coor- (niveau S/C opérations de l’EMA - direc-
civils ou militaires. donner les mesures de protection de l’en- teurs du ministère des Affaires étrangères)
G
râce au dispositif des forces prépositionnées, les opérations d’évacuation de demain se dérouleront dans des
contextes différents et la dimension interministérielle sera vraisemblablement encore plus prégnante, sachons donc
nous y préparer. Toutefois, comme par le passé, nous aurons à les conduire sous de fortes contraintes, dans l’urgence
et avec les seuls moyens immédiatement disponibles. Dans ce cadre, le dispositif des forces prépositionnées confère une
extrême réactivité qui, dans la majeure partie des cas, a fourni les forces projetées dans les premières 24 heures. Comme
le rappelle le Livre blanc8 : “les dispositifs prépositionnés confèrent des avantages opérationnels qui dépassent le seul
champ de la fonction de prévention. Ils contribuent au soutien et à l’aide logistique des interventions et aux actions de
protection et d’évacuation de ressortissants”.
Quatre-vingt pour cent des populations des grandes agglomérations, des centres commerciaux
et stratégiques de première grandeur sont déjà concentrés dans la frange littorale, près des
ports en particulier. En 2030, soixante-cinq pour cent de la population mondiale vivra en zone
urbaine susceptible d’être atteinte par la mer. Dans ce contexte, les opérations d’évacuation de
ressortissants réalisables depuis la mer se multiplieront.
D
ans la conception d’une évacuation de soutien des ONG. façon ostensible, les bâtiments sont en
de ressortissants, l’action mariti- effet un vecteur essentiel de la diploma-
me est très souvent complémen- Avec les BPC3, la France dispose d’un outil tie navale dite coercitive. Ils adressent un
taire des autres modes d’action, en parti- réactif, polyvalent et modulable permet- signal fort vers les zones de crise et influent
culier compte tenu des spécificités tant au décideur de gérer l’incertitude qui sur le développement de situations pou-
suivantes : prévaut dans ces crises. A la fois capacité vant conduire à une opération d’évacua-
de commandement, d’emport de matériel tion de ressortissants. Cela a été en parti-
Liberté d’action humanitaire et d’embarquement de res- culier le cas par exemple en février 2007
sortissants ; il permet aussi de disposer avec le déploiement du Siroco qui a désa-
Le déploiement de troupes ou d’aéronefs d’une capacité de raid héliporté particu- morcé la crise guinéenne.
sur le théâtre d’une zone de crise, avec des lièrement adaptée pour certaines opéra-
effectifs réduits la plupart du temps, s’ap- tions RESEVAC et enfin, c’est une plate- Le positionnement de bâtiments au large,
parente bien souvent à un pari osé, avec forme hospitalière incomparable. en appui de la politique gouverne-
des risques importants : le parachutage du mentale, est facilement exploitable au
2e REP sur Kolwezi, opération parfaitement La polyvalence des bâtiments à vocation niveau stratégique ; il rassure les popula-
réussie par ailleurs, en est un exemple. amphibie contribue de façon efficace au tions locales, permet de développer des
Une opération par voie maritime, lorsqu’elle maintien d’un dispositif interarmées de contacts locaux avec les autorités diplo-
est possible, reste une opération à risques, vigilance et d’appréciation de situation matiques, politiques et militaires locales
mais permet de les minimiser en adaptant autonome au plus près des zones de crises. et contribue au retardement des échéances
l’empreinte à terre aux conditions rencon- ultimes.
trées, par nature évolutives. Elle permet Il est probable que ces atouts conduiront
de compléter efficacement une évacuation à un investissement plus important de la Un bâtiment de la marine est aussi une
par voie aérienne et de desserrer ainsi la composante amphibie dans des tâches parcelle du territoire français, avec un sta-
pression sur ce mode d’évacuation. non strictement militaires exigeant une tut particulier. Son poids politique est bien
meilleure connaissance des zones sen- perçu par les pays en crise. Un déploie-
Cette action maritime présente l’avantage sibles et toujours davantage de réactivité, ment préventif permettra toujours d’en-
certain de libérer le décideur de contraintes de souplesse d’emploi et de polyvalence. tretenir sans contraintes diplomatiques
multiples : la force navale jouit d’une d’un Etat d’accueil, un dispositif crédible
grande autonomie ; elle ne dépend pas de Diplomatie coercitive de prévention, capable de mener des
la terre et peut attendre au large selon la actions immédiates, tant dans le domaine
posture la plus à même de permettre au Le prépositionnement de moyens militaires de la défense, que celui de la diplomatie.
politique de négocier la crise ; elle lui per- outre-mer, dans les DOM-COM comme dans
met aussi de basculer sans renfort lourd les points d’appui représente une garan-
vers des opérations de sortie de crise avec tie de sécurité certaine pour les ressortis-
soutien humanitaire et déploiement d’ONG. sants français à l’étranger. Les BATRAL Deux domaines essentiels dans les
constituent ainsi un moyen important pour
Cette liberté d’action découle directement des opérations de moindre ampleur com- opérations de RESEVAC maritimes
de la capacité de “sea basing” des bâti- me ils l’ont démontré pour l’évacuation des
ments : soutenir depuis la mer des opéra- ressortissants d’Haïti. Les bâtiments Enfin, les opérations de RESEVAC
tions à terre, tant sur le plan tactique que déployés dans une zone maritime sont tous maritimes nécessitent de considérer deux
dans le domaine du commandement, entraînés à ce type d’opérations de domaines essentiels.
du renseignement, de la logistique en circonstances comme l’a démontré l’éva-
déployant un volume de force strictement cuation de 700 personnes conduite par un Sortie de crise
adapté au besoin pour préserver la réver- aviso en Sierra Leone ou par la frégate Jean et niveau de commandement
sibilité souvent fondamentale dans ces de Vienne au Liban. La polyvalence des uni-
opérations. tés et des équipages permet sans diffi- Bien que ces considérations soient en
culté la bascule d’une mission à une autre. marge des opérations RESEVAC propre-
Capacité à durer et polyvalence ment dites, la gestion post-crise doit être
Demain, la réduction probable du format des anticipée lors de la conception d’une tel-
Les forces navales nécessitent davantage forces permanentes prépositionnées outre- le opération. Or, les opérations RESEVAC
d’anticipation que d’autres composantes mer viendra sans doute renforcer le besoin d’une certaine ampleur sont souvent sui-
pour être déployées à temps dans ce type de prépositionnements d’anticipation occa- vies d’opérations de sortie de crise. Faisant
de crise mais sont davantage aptes à durer sionnels de forces navales. Il ne s’agit pas appel à des composantes des trois armées,
sur zone pour les raisons évoquées dans bien sûr de déployer a priori et en perma- le choix du niveau de commandement
le paragraphe précédant. nence des capacités d’intervention ; il s’agit n’est pas anodin.
orsque le pouvoir politique décide d’évacuer d’une région en crise les ressortissants, nationaux ou de
L pays alliés, les forces armées peuvent être requises pour en conduire l’exécution. Il leur incombe de les
regrouper dans une zone sécurisée et d’initier leur évacuation secondaire. Le centre de regroupement et
d’évacuation des ressortissants, ou CRER, est la structure interarmées qui est déployée pour conduire cette
phase de l’opération.
évacuation de ressortissants Cette structure est le CRER, armé équipé sit placée sous la responsabilité des forces
les distances sur lesquelles il faut les trans- en œuvre à plusieurs reprises au cours des
porter et le climat d’insécurité dans lequel dernières années, en Côte d’Ivoire en 2004, La structure de commandement
elle se déroule généralement, nécessite une au Liban et au Tchad en 2006 ou au Gabon
planification rigoureuse et une coordination et à nouveau au Tchad en 2008. Dans une opération RESEVAC, la respon-
interministérielle méticuleuse. sabilité des forces armées s’étend de la
En complément de la PIA 03.351, l’armée sortie des points de regroupement à la
Elle est régie, en termes de doctrine, par de terre a développé le “manuel de mise sortie du CRER. Dès le transfert de l’auto-
la publication interarmées (PIA) 03.351, en œuvre du CRER”. Ce document de doc- rité du CEMA au commandant de la force
intitulée “directive traitant des opérations trine précise la place et le rôle du centre (COMANFOR), le centre est placé sous le
d’évacuation de ressortissants”, approu- au sein de l’opération, ses missions, son contrôle opérationnel de ce dernier, qui
vée par le CEMA en 2004. Publiée dans la fonctionnement et sa composition. peut, en déléguer le contrôle tactique à son
bibliothèque électronique de l’armée de adjoint soutien interarmées (ASIA). Le chef
terre (BEAT), cette directive est en cours du CRER, officier supérieur généralement
d’actualisation par le centre interarmées Le rôle et la place du CRER d’un état-major de brigade logistique, est
de coordination de la doctrine et des études le conseiller du COMANFOR pour le
(CICDE). dans le système RESEVAC déploiement et la mise en œuvre du centre.
Il dispose de deux adjoints, un pour le site
L’opération requiert, pour être conduite, Le CRER, point-clé d’une RESEVAC consti- et un pour les opérations de synthèse infor-
une structure projetable, si possible sur tue à la fois la dernière étape de l’éva- matique.
court préavis, et adaptable à toutes les cuation primaire et le point d’initiation de
situations, qu’il s’agisse de la zone dans l’évacuation secondaire, avant le rapa-
laquelle elle sera déployée, du volume de triement des ressortissants, phase finale Les missions du CRER
ressortissants qu’elle aura à traiter ou de l’opération conduite par le ministère
du niveau de menace auquel elle sera des Affaires étrangères et européennes Les missions du CRER couvrent quatre
confrontée. (MAEE). Il constitue l’ultime zone de tran- grands domaines.
G
arant de la capacité du pays à évacuer ses ressortissants si la situation l’exige, le CRER est un remarquable outil
militaire et humanitaire. Mais il est également un vecteur de communication et de politique étrangère. Il permet,
enfin, aux forces armées de montrer concrètement leur capacité à assurer la sécurité des citoyens expatriés, où
qu’ils puissent se trouver.
Le CRER peut et doit être considéré comme une démonstration manifeste de la capacité des forces armées à porter
assistance aux citoyens français voire à les secourir partout dans le monde dès que la situation l’exige. Mais il est
également un extraordinaire outil politique, sur le plan national et international pour les forces armées comme pour
le gouvernement.
Il permet aux premières d’être l’interlocuteur privilégié du gouvernement, même si la responsabilité globale d’une
RESEVAC incombe au MAEE. Il leur confère aussi, dans le cas d’une opération multinationale, la capacité indiscutable
d’en revendiquer et d’en assurer la conduite.
Il offre au second une double possibilité, vis-à-vis des expatriés et vis-à-vis de pays alliés.
Parce qu’il peut leur garantir qu’ils seront évacués rapidement et sur court préavis en cas de besoin, le gouvernement
peut encourager ses concitoyens à s’expatrier, participant ainsi à développer la présence de la France dans le monde.
Il peut aussi, pour la même raison, ne pas précipiter leur évacuation et attendre d’être certain que celle-ci est
indispensable pour la déclencher. Ce point participe de la préservation des intérêts nationaux dans la région
concernée.
Il lui offre, de surcroît, la possibilité d’aider des pays alliés qui n’auraient pas la capacité d’évacuer ses propres
ressortissants, confortant la dimension internationale de la France.
evant la déliquescence d’un certain nombre d’Etats, incapables d’assurer sur leur territoire
D leurs fonctions régaliennes, nous assistons à un “renouveau” des interventions armées au
profit des ressortissants.
De nombreux Etats occidentaux ont employé la force pour protéger leurs ressortissants sur un
territoire étranger : intervention armée de la Belgique au Congo en 1960, des Etats-Unis en
République dominicaine en 1965 et au Liban en 1976, d’Israël à Entebbe en 1976 et de la France
au Zaïre en 1978. Plus récemment, le 22 septembre 2002, un communiqué de presse du
ministère de la Défense français indiquait que “dans le cadre des mesures de précaution
décidées par les autorités françaises pour assurer la sécurité des ressortissants français en Côte
d’Ivoire, l’état-major des armées a renforcé le dispositif militaire stationné à Abidjan”1.
Les bases juridiques2 de ce type d’intervention ne sont pas définies aussi clairement que le
recours à la force. Pourtant toutes les forces armées des Etats européens se préparent à ce type
d’action, considérant ces opérations de leur propre responsabilité. De plus, que ce soit dans un
cadre national ou multinational, les différentes opérations d’évacuation menées ces dernières
années ont même élargi la notion de ressortissants.
L’ intervention armée pour la protection et l’évacuation des ressortissants ne connaît pour limites de sa présence
sur un territoire étranger que le libre choix des personnes à vouloir être évacuées et la capacité des forces à
assurer l’évacuation. Cependant il serait très facile de sortir de la légalité invoquée pour la protection et
l’évacuation des ressortissants et violer les règles du droit international.
En effet, un Etat qui interviesndrait avec ses forces armées sur le territoire d’un autre Etat pour soustraire à un conflit des
personnes civiles ressortissantes de l’Etat en guerre aussi bien que ses ressortissants dont les droits fondamentaux
seraient violés, violerait à son tour les règles du droit international10.
Une telle justification est avancée aujourd’hui par les promoteurs du «droit d’ingérence».
CPCO Centre de planification et de conduite Joint Operations Planning and Command and
des opérations Control Center
FANCI Forces armées nationales de Côte d’ivoire Ivory Coast Armed forces
FINUL Force intérimaire des Nations unies UNIFIL United Nations Interim Force in Lebanon
au Liban
LURD Libériens unis pour la réconciliation LURD Liberian United for Reconciliation and
et la démocratie Democracy
MAEE Ministère des Affaires étrangères Ministry of Foreign and European Affairs
et européennes
Centre de RETEX des Marines américains MCCLL Marine Corps Center for Lessons Learned
Réseau Internet non protégé NIPRNET Non secret internet protocol router network
ONUCI Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire UNOCI United Nations Operation in Côte d’Ivoire
OTAN Organisation du traité de l’Atlantique Nord NATO North Atlantic Treaty Organization
Instruction 6 000 - Evacuation des ressortissants français à l’étranger approuvé en 2000 sous le n° 632/DEF/EMA/EMP.3/NP
et sous le n°00118/DEF/EMA/EMP.3/NP du 29/06/2000.
Directive interarmées sur la prévention des crises et la diplomatie de défense (INS 11 00) approuvée sous les références
n°001100/DEF/EMA/EMP.1/NP du 03 juillet 2002 (PIA 00 204).
PIA 03.351 - Directive traitant des opérations d’évacuation de ressortissants sous le n° 975/DEF/EMA/EMP1./DR
du 21 septembre 2008.
Manuel de mise en œuvre du centre de regroupement et d’évacuation des ressortissants approuvé le 03 juillet 2007 sous
le n°277/ELT/DEP/DOC/MVT-RAV.
LIBERIA : Les soldats français évacuent les étrangers de Monrovia enseignements tirés du Figaro du 11/06/03.
TCHAD : les ressortissants français évacués sont soulagés. Sources : La Tribune du 03/02/08.
RCI : Licorne 1er RIMa. Sources : Extrait Action terrestre, ADC Chesneau, Sirpa Terre.
Opération RESEVAC en RCI 2004. Source doctrine N°08 mars 2006, par le CNE Vincent FABRE du CDEF/DREX/B.ENS.
Iris CHANG, Le viol de Mankin.1937. Un des plus grands massacres du XXe siècle. Paris, Payot 2007.
Pierre SERGENT, La légion saute sur Kolwezi. Paris Presses de la Cité, 1978.
Ronald COLE, Operation Urgent Fury-Grenada, Washington DC Joint History office JCS, 1997.
Collectif, War in peace. An analysis of warfare from 1945 to the present day, Washington DC Orbis, 1985.
Mon général, pourquoi vous être ne et américaine ainsi que sa grande expé- Pouvez-vous nous donner un
rience professionnelle, dans les instances
intéressé à cet ouvrage ? stratégiques décisionnelles comme dans
exemple de ces constantes ?
les centres universitaires de recherche, me
Lors de mon séjour aux Etats-Unis à la fin semblaient constituer des atouts certains Oui, c’est le fait que la guerre constitue
des années 1990, j’ai participé à des sémi- pour que ce sujet prospectif soit traité avec une donnée permanente de la condition
naires cherchant à établir les menaces aux- compétence et sérieux. C’est ce que l’au- humaine ; ainsi les raisons de faire la
quelles l’armée de terre américaine pour- teur a fait ... et de main de maître. guerre se réduisent-elles toujours à la tria-
rait être confrontée à l’horizon 2025-2030, de de Thucydide : «l’honneur, la peur et
et donc à définir des organisations, des l’intérêt». Permettez-moi aussi d’insister
missions et des doctrines possibles (c’était Mais, on ne peut pas prédire sur l’approche tout à fait clausewitzienne
le programme Army After Next). Mon pas- de l’auteur qui fait la différence entre la
sage en deuxième section des officiers l’avenir stratégique avec certitude ! nature immuable de la guerre - un acte de
généraux n’a pas subitement effacé mon violence organisé à des fins politiques - et
intérêt pour la guerre dans le futur ou le Non, d’ailleurs Colin S. Gray met en garde son caractère variable en fonction du
futur de la guerre. En outre, ma passion contre le manque d’humilité de certains et contexte géographique, culturel, social ou
pour la culture historique - sur laquelle nos contre les prophéties à la mode. Il cite ain- technique du moment.
armées semblent faire l’impasse depuis si une série de prévisions passées qui
presque deux décennies - ne pouvait que constituent autant de morceaux d’humour
me rendre sympathique un auteur qui esti- involontaire. Mais, ce qu’il affirme c’est que A ce propos, n’est-ce pas le déve-
me que l’Histoire est notre meilleur guide l’Histoire nous fournit des constantes, des
vers le futur, voire même le seul. tendances dans l’évolution des domaines loppement technique qui consti-
qui nous intéressent, ainsi que des tuera le facteur essentiel et trans-
exemples de rupture ; que vous nommiez formera le futur de la guerre ?
Peut-être, connaissiez-vous déjà le ces ruptures «révolutions dans les affaires
militaires, ou les affaires stratégiques,
professeur Colin S. Gray ? ou les affaires de sécurité, etc.» ! A nous Vous me rappelez une excellente bande
d’envisager et de rechercher ce qui demeu- dessinée des années 1970 sur le dévelop-
Non, en dépit de ses liens avec le Strategic rera constant, ce qui évoluera, enfin ce qui pement de l’armement, depuis la massue
Studies Institute de Carlisle (Pennsylvanie) se situera en rupture totale avec le passé jusqu’aux armes nucléaires, dont toutes
auquel il continue à collaborer, je ne me ... sans oublier que la surprise et l’impré- les pages se terminaient immuablement
souviens pas de l’avoir jamais rencontré. visible ne sont pas seulement probables par la formule «avec une arme pareille, la
En tout cas, sa double culture européen- mais inévitables. guerre devient impossible» ! Plus sérieu-
e 12 juillet 2006 marque, avec l’attaque du Hezbollah contre un poste frontière israélien et la riposte
L israélienne contre le Liban, le début de la guerre israélo-Hezbollah.
Face à la montée de la menace et faisant suite à la demande du Department of State du 14 juillet 2006,
CENTCOM (Central Command), le grand commandement régional américain responsable de la zone, a
déclenché une opération d’évacuation des ressortissants (Non-combattant Evacuation Operation ou
NEO) présents au Liban. Pour cette mission, CENTCOM a désigné logiquement la 24th MEU (Marine
Expeditionary Unit)1 qui constituait à ce moment son élément de réaction rapide.
Participant à l’exercice Infinite Moonlight en Jordanie, la 24th MEU a mis en place dès le 15 juillet, un
élément précurseur d’une centaine d’hommes sur l’île de Chypre2. Le dimanche 16 juillet 2006, trois
hélicoptères CH-53 du Marine Corps ont évacué 25 ressortissants américains de Beyrouth vers Chypre
après avoir mis en place un détachement de 80 hommes pour renforcer la sécurité de l’ambassade.
Le 20 juillet, les premiers bâtiments américains ont débuté les évacuations depuis les côtes du Liban
et le 21 juillet, l’ensemble des moyens de l’ESG Iwo Jima était arrivé dans la zone d’opération.
Au bilan en 33 jours d’opération, la Combined Task Force 59 (CTF 59), mise en place par les forces
américaines, a conduit avec succès l’évacuation de 14 776 citoyens américains et 499 ressortissants
de pays tiers entre le 15 juillet et le 20 août 2006.
* Le colonel SUSNJARA était Officier de liaison auprès du corps des Marines américains de 2005 à 2008.
RESEVAC : un rappel succinct Dans ce cadre, les MEU (Marine La MEU est organisée classiquement en
sur le concept américain Expeditionary Unit) sont une pièce quatre éléments ; un élément de com-
maîtresse dans le dispositif militaire mandement (Command Element ou CE), un
américain. En effet, force aéroterrestre élément de combat terrestre (Ground
En cas de crise, les opérations d’évacua- embarquée, la MEU constitue une force Combat Element ou GCE), un élément
tion de ressortissants ou Non Combattant de réaction rapide capable de remplir un de combat aérien (Air Combat Element ou
Evacuation Operation (NEO) sont confiées grand éventail de missions, dont l’une ACE) et enfin un élément de soutien logis-
au grand commandement interarmées des principales est l’évacuation de ressor- tique (Combat Service Support Element
régional responsable de la zone consi dérée. tissants3. ou CSSE4).
Elément de commandement
Command Element
Lors des opérations d’évacuation de ressor- d’action de la force par rapport à la zone mandement unique. Cette décision a
tissants, le CSSE est responsable de l’or- d’action traditionnelle de la 6e flotte améri- permis à l’Air Officer (AO) de la MEU
ganisation et de la mise sur pied de caine en Méditerranée. d’élaborer des plans d’emploi des moyens
l’Evacuation Control Center (ECC)5. Dans son aériens cohérents et surtout d’éviter des
organisation, le commandant du MSSG ou La CTF 59 a été constituée autour du pertes de temps inutiles.
CSSE dispose de deux équipes pouvant noyau dur composé de l’ESG Iwo Jima. Enfin un détachement de soutien psy-
armer chacune un ECC de 36 personnes6. Elle disposait du commandement opéra- chologique (Incident Support Team ou IST),
tionnel (OPCON) sur la 24th MEU ainsi que formé à partir d’une unité PSYOPS de l’Army,
sur les navires amphibies de l’ESG a été placé sous OPCON de la force.
La Combined Task Force 59 ou Amphibious Squadron 4 (PHIBRON-4).
Dans ce cadre, NAVCENT a établi une
relation supported/supporting ou La majeure partie des opérations a été
Conformément à la doctrine des forces «menant/concourant» entre la 24th MEU et planifiée et conduite par la MEU après
armées des Etats-Unis, l’évacuation des le PHIBRON-4. Afin de remplir au mieux sa validation finale de CENTCOM. Dans ce
ressortissants américains du Liban a été con- mission d’évacuation et de transport, contexte, la présence de deux échelons
fiée à CENTCOM (Central Command). Pour la CTF 59 a été renforcée par un bâtiment intermédiaires (CTF 59 et NAVCENT) a pu
cette mission, CENTCOM a désigné logique- de transport de chalands de la 6e Flotte, apparaître comme générateur de friction.
ment la 24th MEU (Marine Expeditionary Unit) l’USS Trenton (LPD14), par le navire à grande Pourtant, le rôle de la Task Force s’est avéré
qui constituait à ce moment son élément de vitesse ou High Speed Vessel (HSV) Swift essentiel pour la MEU. L’état-major d’une
réaction rapide. ainsi que par des navires civils affrétés. Ces telle Task Force, particulièrement réduit
navires ont été mis sous commandement (environ 20 personnes), ne dispose pas des
CENTCOM a désigné le commandant de la tactique du PHIBRON-4. moyens pour planifier et conduire des
composante navale (NAVCENT) comme Le commandant de la CTF 59 disposait opérations. En revanche, il agit comme un
responsable des opérations. Celui-ci a également du commandement tactique filtre protecteur pour la MEU contre les
ensuite désigné le commandant de (TACOM) sur les bâtiments de combat de demandes et interventions diverses des
l’Expeditionary Strike Group (ESG) présent l’ESG. Ces bâtiments ont été regroupés sous échelons supérieurs ou des autres
dans la zone comme commandant de le commandement du CDS 60 (Commander ministères.
l’opération d’évacuation de ressortissants. Destroyer Squadron) auxquels ont été
Selon la terminologie propre à l’US Navy, adjoints l’USS Barry (DDG 52) de la 6e Flotte.
cet ESG, sous les ordres du général de Un autre bâtiment de la 6e Flotte, l’USS Déroulement et organisation
brigade du Marine Corps Carl Jensen, était Gonzalez (DDG 66) est resté sous TACON
connu sous le nom de Combined Task Force de la CTF 59. des opérations
59 ou CTF 59.
L’état-major de la 24th MEU en exercice en
Bien que la CTF 59 n’ait pas eu le statut de La force a également reçu le renfort d’un Jordanie a commencé à planifier une opéra-
force opérationnelle interarmées (Joint Task détachement du 352e groupe des opéra- tion d’évacuation de ressortissants du Liban
Force), une zone d’opérations interarmées tions spéciales de l’US Air Force (352 SOG). avant même d’en recevoir l’ordre de
ou Joint Operating Area (JOA) a été définie Ce détachement a été placé sous TACOM CENTCOM (Executive Order en date du
incluant Chypre, le Liban et la zone mari- de la 24th MEU par le commandant de la 15 juillet). Cette planification a permis à la
time comprise entre les deux pays. Ce force afin de disposer de l’ensemble des MEU d’anticiper et de réagir dans des
découpage a permis de délimiter la zone moyens aériens disponibles sous un com- délais particulièrement courts. Ainsi dès le
Au cours des 3 années qui ont suivi la création du CPCO britannique (PJHQ) le 1er avril 1996, celui-ci
a planifié et projeté des unités lors de 25 opérations menées dans 14 pays et réparties sur
3 continents. Sur ces 25 opérations, 11 ont été des opérations d’évacuation de ressortissants. Étant
donné la fréquence relativement grande de ces opérations, le PJHQ a élaboré la Directive de
planification interarmées 1 (JPG1) pour la planification et l’exécution de telles opérations. Toutefois,
c’est l’expérience de l’évacuation réussie en Sierra-Leone - en tant qu’élément de l’opération
PALLISER - au début de l’année 2000 et son RETEX (Retour d’expérience), qui ont mis en évidence
le besoin de réviser la doctrine provisoire. Cela s’est traduit par la publication du Mémento
britannique sur les opérations interarmées 3-51 - Les opérations d’évacuation de ressortissants. Il
s’agit d’un projet mené en collaboration entre le FCO (bureau des Affaires étrangères et du
Commonwealth) et le ministère de la Défense britannique. Remplaçant le JPG1, il en a élargi le
spectre mettant en avant la primauté du bureau des Affaires étrangères et du Commonwealth pour
de telles opérations et incluant les procédures, les techniques et la tactique interarmées intervenant
dans la planification et l’exécution d’une opération d’évacuation de ressortissants.
Cet article repose sur la doctrine britannique actuelle relative aux opérations d’évacuation de
ressortissants. Il a pour objectif de fournir une vue d’ensemble de ces opérations et de mettre ce
concept en relief du point de vue britannique, en l’illustrant d’un bref cas concret d’évacuation
réussie, intervenant au début de l’opération PALLISER au Sierra-Leone en mai 2000, et dont découle
le dernier document.
Le contexte et le lieu sûr peut se trouver dans le pays opération d’intervention limitée (LIO). Ces
même. Les personnes évacuées sont le plus actions d’urgence complexes se produisent
souvent des Britanniques et d’autres généralement dans des pays instables et
ne opération d’évacuation de res- ressortissants dont le gouvernement bri- peuvent être menées dans le cadre d’opé-
WWW.Defenceimages.mod.uk
ou la défaite, ont de fait cessé de
fonctionner ou bien ont été renversés sans
avoir été remplacés. Dans un tel conflit, le
niveau d’intensité varie et les différentes
factions, aux motivations et aux pro-
grammes en opposition les uns avec les
autres, peuvent être parties prenantes de
la violence. Dès lors qu’une opération d’éva-
cuation de ressortissants est lancée, le peuvent tenter de faire obstruction à l’éva- exigences diplomatiques. Les liaisons, aux
théâtre peut connaître dans certains cuation. Par conséquent, dans des envi- différents échelons du commandement,
endroits des périodes imprévisibles et spo- ronnements incertains ou hostiles, le grou- doivent assurer une interface civilo-mili-
radiques de haut niveau d’intensité, ou voir pement de forces interarmées doit être en taire efficace et surmonter les malenten-
les conditions se détériorer rapidement et mesure de parer à toute éventualité. dus éventuels liés aux besoins exprimés,
basculer définitivement dans un conflit de aux capacités et à la chronologie.
haute intensité. Toutefois, tout plan doit
être souple et pouvoir s’adapter facilement Les caractéristiques
à une situation changeante et complexe. La multinationalité
Le niveau de la menace ou de l’opposition
à l’opération détermine la nature de celle- La culture et les valeurs Par définition, les opérations d’évacuation
ci et l’environnement dans lequel elle est de ressortissants sont multinationales.
menée. On peut difficilement s’opposer à Il est nécessaire que les agences civiles et D’autres pays sont immanquablement
une opération d’évacuation de ressortis- les militaires impliqués dans une opéra- impliqués à divers degrés, outre celui qui
sants menée à la suite d’une catastrophe tion d’évacuation de ressortissants tra- fait l’objet de l’évacuation. Les pays voisins
naturelle ou de troubles. Dans de telles cir- vaillent en équipe, pour que la conduite de doivent être consultés sur un grand nombre
constances, on dispose de l’accord d’une celle-ci soit réussie. Au Royaume-Uni, cela de questions, telles que les autorisations
nation-hôte et très vraisemblablement d’un signifie que le ministère de la Défense et de survol ou le lieu de montée en puissance
soutien pour l’évacuation de ceux qui sou- le FCO travaillent ensemble. Il est néces- de la force. D’autres pays peuvent envisa-
haitent partir. Des avions et des navires saire que chacun reconnaisse la culture et ger de projeter une force pour évacuer leurs
civils réguliers ou affrétés sont utilisés si les valeurs de l’autre partie et s’en accom- propres ressortissants, ou encore peuvent
possible. Bien que l’on soit peu suscep- mode. Le FCO, dont la finalité est de pro- demander à d’autres pays de le faire à leur
tible de requérir des moyens militaires pour mouvoir les intérêts britanniques, souhai- place. Le moment où d’autres pays ont l’in-
assurer la sécurité, on peut en avoir besoin tera rester engagé diplomatiquement le tention de mettre en œuvre leurs plans
à des fins logistiques, telles que les soins plus longtemps possible et cherchera à d’évacuation peut avoir une influence sur
et les transports médicaux d’urgence. éviter les signaux politiques accidentels et le calendrier précis de toute décision d’éva-
Malheureusement, toutes les opérations les engagements non nécessaires. Le minis- cuation. Toutes les opérations d’évacua-
de ce type ne sont pas susceptibles d’être tère de la Défense, dont la finalité est de tion britanniques récentes ont dû faire l’ob-
aussi simples et la planification des grou- défendre les intérêts britanniques, favori- jet d’un compromis ou d’une coordination
pements de forces interarmées doit tou- sera une planification militaire en temps à plus ou moins grande échelle avec les
jours prendre en compte des situations où opportun, une projection précoce, en par- opérations menées par les autres pays.
l’on ne peut disposer du soutien d’une ticulier d’unités de liaison et de recon-
nation-hôte et où les autorités civiles et naissance, et des actions préventives. Toute
militaires locales ont perdu le contrôle, ou demande diplomatique de déploiement Les contraintes
ont entièrement cessé de fonctionner et où d’un groupement de forces interarmées,
la loi n’est plus appliquée. Les personnes presque toujours considérée comme inter- De telles opérations sont toujours sujettes
évacuées peuvent devenir immédiatement venant en dernier ressort, peut ne pas se à un certain nombre de contraintes poli-
des cibles et leurs vies se trouver mena- présenter au meilleur moment du point de tiques, juridiques et pratiques. L’importance
cées. Dans certains cas, des factions armées vue militaire. Cela peut provoquer une ten- des forces engagées et les contraintes impo-
ou même des forces de protection locales sion forte entre les besoins militaires et les sées sont décidées à la lumière des recom-
La réaction britannique
Le gouvernement britannique s’est initia-
lement tourné vers les Nations unies pour
coordonner l’opération internationale.
Toutefois, le Conseil de sécurité des Nations
unies a exprimé le 4 mai dans une réunion
d’urgence qu’il envisageait que le Royaume-
par la suite de s’occuper des personnes cuation. Toutefois, il ne doit pas retarder le
Uni résolve la crise. Cela s’est traduit par
évacuées, tout en accueillant les renforts processus d’évacuation ou mettre inutile-
ment en danger les personnes à évacuer, le plus grand déploiement unilatéral de
ou les réserves. Une BSA (base de soutien forces britanniques à l’étranger depuis la
avancée) est mise en place dans la zone le personnel diplomatique ou les person-
nels militaires. Au centre de traitement des guerre des Malouines en 1982. L’opération
d’opération, afin d’assurer le soutien des a impliqué la projection d’une force d’env-
opérations tactiques. évacuations, le FCO reprend la responsa-
bilité des personnes à évacuer, aidé par le iron 4 500 hommes, comprenant un porte-
groupement de forces si nécessaire. Puis, avions, un groupe amphibie organisé autour
Le RETEX
L’opération d’évacuation de ressortissants en Sierra Leone s’est soldée sans équivoque par un succès. Mais il a
fallu pour cela de la chance, de l’initiative, de la confiance dans l’intuition des militaires, et accepter une certaine
dose de risque. D’autres paramètres ont contribué à rendre l’évacuation rapide et relativement facile et en faire une
réussite. Les installations à Dakar et la disponibilité du Haut commissaire britannique se sont avérées très
précieuses dans le sens où le temps normalement nécessaire pour mener l’opération a été réduit. Une solide
coordination, mettant en œuvre plusieurs services gouvernementaux à différents niveaux et dans divers domaines,
a permis l’obtention d’une réaction rapide pour déclencher l’opération. Tout a bien fonctionné mais des points faibles
ont été identifiés que les services ministériels et les militaires ont dû prendre en compte. La conséquence de cette
évaluation honnête a été le projet commun FCO/Ministère de la Défense consistant en la publication d’une nouvelle
doctrine britannique interarmées sur les opérations d’évacuation de ressortissants quelque 3 mois plus tard.
Une crise soudaine le 13 mars à la Bundeswehr de procéder certes les événements dans l’Albanie en
à l’évacuation sous commandement natio- crise, mais personne ne semblait considé-
nal. Suite à cela, le soir du 13 mars, le Centre rer un engagement dans ce secteur com-
E
n mars 1997, la situation politique d’opérations de la Bundeswehr (FüZBw) me une option réaliste. Les soldats du pre-
intérieure en Albanie, engendrée par donna l’ordre au commandant national sur mier contingent GECONSFOR (L) étaient à
des opérations financières fraudu- le théâtre de Bosnie et Herzégovine (NatBef cette date affectés depuis six à dix semaines
leuses, dans lesquelles étaient également i.E.)de procéder à l’évacuation hors de Tirana sur le secteur. Ils avaient été soigneuse-
impliqués des éléments du gouvernement, le 14 mars. Dans la nuit du 13 au 14 mars, ment sélectionnés et avaient bénéficié en
était devenue incontrôlable. Les forces le groupement tactique fut alors constitué Allemagne d’une formation préliminaire
armées étaient en pleine déliquescence, à partir des éléments du contingent alle- complète. Pour une partie des soldats, il
les stocks d’armes avaient été pillés, la paix mand de la SFOR stationnés sur le camp s’agissait de leur deuxième, pour certains
civile et l’ordre n’étaient pratiquement plus de Rajlovac et l’opération préparée. Le matin même de leur troisième affectation.
assurés, des fusillades éclataient dans les du 14 mars, le groupement tactique fit mou-
rues. Personne ne se risquait à faire de pro- vement vers Dubrovnik. Le même jour Les acteurs principaux au sein de l’état-
nostic sur l’évolution de la situation dans à 19h30, après le retour du dernier héli- major du commandant national de théâtre
les jours qui allaient suivre. coptère à Dubrovnik, l’action pouvait être à Rajlovac, à Bonn au centre d’opérations
considérée comme terminée, 20 heures de la Bundeswehr (FüZBw) et à Coblence
Le ministère fédéral des Affaires étrangères après la réception de l’ordre écrit. La au commandement des forces terrestres
donna des instructions à l’ambassade phase d’évacuation réalisée à Tirana même, (HFüKdo) se connaissaient déjà en partie
d’Allemagne à Tirana, pour que celle-ci pro- particulièrement critique, exigea moins pour avoir accompli des missions com-
cède immédiatement aux préparatifs d’éva- d’une demi-heure. munes auparavant, coopéraient étroite-
cuation des ressortissants allemands et ment, et il régnait une grande confiance
d’autres nations qui désiraient quitter le L’opération se déroula avec succès, toutes mutuelle. Cet élément devait s’avérer ulté-
pays. Par la suite, plus de 100 ressortis- les personnes à évacuer le furent par la voie rieurement être un facteur décisif pour le
sants allemands et étrangers désireux de des airs. Un hélicoptère fut endommagé par succès de l’opération.
quitter le pays se rassemblèrent à Tirana. un tir de fusil. Il n’y eut pas de pertes ni de
Le 12 mars, l’ambassade informa le minis- blessés à déplorer dans les rangs amis. Lors du briefing de la soirée à l’état-major
tère fédéral des Affaires étrangères qu’une du commandant national de théâtre arriva
évacuation par voie terrestre, maritime ou à 18h15 une communication téléphonique
recourant au transport aérien civil ne lui Camp de Rajlovac, 13-14 mars 1997 urgente du chef du G3 HFüKdo à l’atten-
paraissait plus envisageable en termes de tion du chef d’état-major. Il informait que
garantie de sécurité, ajoutant que la situa- Pour le contingent allemand de la SFOR sur le ministère de la Défense envisageait de
tion devenait menaçante pour l’intégrité le camp de Rajlovac, au nord-ouest réaliser ou tout au moins de soutenir dans
physique des personnes. de Sarajevo, le 13 mars 1997 s’annonçait les prochains jours une opération d’évac-
Au terme d’un processus décisionnel à comme un jour ordinaire. L’état-major du uation hors de Tirana en recourant aux
Bonn, le Chancelier fédéral ordonna commandant national de théâtre suivait forces du contingent allemand de la SFOR.
Le groupement tactique LIBELLULE avait GECONSFOR (L) procède à l’évacuation en A cet instant, l’embarquement des personnes
entre-temps fait officiellement l’objet auprès utilisant Podgorica entre 141500A-mar-97- à évacuer était encore censé être effectué
du SHAPE d’un retrait du contingent SFOR, 141699A-mar-97 hors de Tirana, dans le but avec l’appui des Américains à proximité de
et avait été placé sous commandement de faire quitter le pays à des ressortissants l’ambassade. Lors de l’affectation des héli-
national. Peu après 07h30, l’hélicoptère allemands et étrangers. Attendre l’ordre coptères, il était important de débarquer avec
leader s’éleva dans le ciel gris du mois de pour le rassemblement. l’atterrissage de la première machine le gros
mars et prit le cap vers Dubrovnik, laissant Vers 12h00, un colonel arriva de Bonn, qui, de la section de commandement et une gran-
Sarajevo de côté. La première phase de quelques jours auparavant, était encore de partie de la section de protection, afin de
l’opération LIBELLULE avait commencé. conseiller militaire du gouvernement alba- pouvoir garantir immédiatement à partir du
nais. Il avait avec lui des cartes dont nous sol la conduite et la sécurisation de l’opéra-
avions un urgent besoin et devait, en regard tion d’évacuation.
Escale à Dubrovnik et Podgorica de ses remarquables connaissances du
théâtre, s’avérer être d’une grande utilité lors D’autres éléments de sécurisation suivi-
A 09h20, le dernier des appareils atterris- de la planification et ultérieurement égale- rent dans les hélicoptères 2 à 5, afin que
sait à Dubrovnik. La frégate Niedersachsen ment lors de l’exécution de l’opération. Pour l’on puisse également disposer d’éléments
avait établi le contact pendant la nuit et celle-ci, les unités furent subdivisées en trois de sécurisation débarqués lors d’éventuels
entrait dans les eaux proches de la côte groupes : Dubrovnik, Podgorica et Tirana. atterrissages. Tous les éléments de sécu-
albanaise. L’aéroport de Dubrovnik s’avéra risation, à l’exception des deux mitrailleurs
être pour nous tout à fait adéquat, car : Des informations de situation concernant de bord que compte chaque hélicoptère,
la ville de Tirana étaient disponibles grâce étaient débarqués pendant la durée de
- on pouvait y établir immédiatement des à la connaissance de l’endroit dont disposait l’opération.
liaisons par télécommunication, l’ancien conseiller militaire. Ainsi, l’itinéraire
- les unités étaient totalement protégées d’approche précédemment défini fut-il modi- D’autre part, il y avait au minimum un
dans une zone annexe de l’aéroport, rapi- fié juste avant le départ grâce à ses infor- médecin dans chaque appareil. Dans
dement réquisitionnée, mations. Sans cela, la trajectoire de vol eût l’hélicoptère d’évacuation de grande capa-
- l’hébergement et le soutien étaient directement survolé des positions antiaé- cité, dont l’atterrissage n’était prévu qu’en
parfaitement assurés, riennes albanaises permanentes. cas de détresse et sur mon ordre, se trou-
- un soutien généreux et efficace fut accor- vaient quatre médecins. Il y avait deux
dé par un petit détachement français Les règles d’engagement définitives n’ar- médecins dans l’hélicoptère de comman-
et le personnel croate de l’aéroport, rivèrent que quelques minutes avant le dement. Pendant toute la durée de l’opé-
- l’approvisionnement en carburants et décollage, juste à temps pour être com- ration, un médecin était présent à mes côtés
ingrédients était garanti. muniquées aux commandants. à terre, également en qualité de conseiller
pour les cas d’urgence. Il y avait également
Personne ne nous posa de questions. Nous A 11h30, je donnai l’ordre N° 2 pour la mis- des moyens de transmission dans chaque
n’y aurions de toute façon pas répondu. A sion. Le sous-alinéa 3a stipulait : hélicoptère.
09h20, la décision me fut communiquée - rallier par mouvement aérien et avec six
d’effectuer, conformément à ma proposi- CH-53 en trois vagues la zone au-dessus Le gros de la section de commandement et
tion, le vol aller et retour vers Tirana via de FORWARD OPERATIONG BASE de la section de sécurisation devait ensui-
Podgorica/Montenegro pour le ravitaille- PODGORICA, te redécoller avec le dernier hélicoptère,
ment en carburant, et qu’un détachement - atterrir à proximité de l’ambassade des après que les appareils 1 à 4 aient embar-
de l’ambassade d’Allemagne à Belgrade ferait Etats-Unis, qué jusqu’à 30 civils.
E
n 1993, il y avait eu un dur débat de politique intérieure quant à la question de savoir s’il était légitime d’engager
des forces allemandes avec une mission militaire hors du cadre du territoire de l’Alliance atlantique. A peine
quatre années plus tard, le Chancelier fédéral décida, dans une situation de crise, et soumis à une forte
pression dictée par l’urgence, de prélever des éléments allemands du contingent SFOR en ex-Yougoslavie et de les
engager dans une opération nationale d’assistance à des ressortissants, afin de les évacuer d’une Albanie secouée
par des troubles proches d’une guerre civile. D’autre part, la direction politique décida de garder cette opération
secrète jusqu’à son terme.
L’objectif de l’évacuation était en l’occurrence non seulement de porter assistance à des citoyens allemands, mais
aussi d’évacuer des ressortissants de différentes autres nations. Cette opération fut menée sur fond d’une situation
non entièrement clarifiée et était en partie incertaine. Cette opération fut menée à un moment ou d’autres nations
interrompaient leurs propres opérations d’évacuation, car le risque potentiel leur paraissait trop élevé. L’opération
LIBELLULE ne fut pas interrompue, car côté allemand, le risque restait encore considéré comme admissible. Un
éventuel engagement armé avait été intégré dans les réflexions et préparé par les militaires avec maîtrise et
circonspection. Le groupe tactique sut accomplir ses tâches avec professionnalisme et une grande maîtrise. Les
défis de cette opération - manque de sommeil, pression de l’urgence, incertitude par rapport à la situation, situation
chaotique sur le point d’embarquement, engagement du feu et risque personnel - les soldats ont su maîtriser tous
ces paramètres et montrèrent une grande solidité. En terme de qualité, ils n’avaient rien à envier à nos alliés qui sont
depuis longtemps rompus à de telles missions.
Le HFüKdo et le FüZBw ont assumé la conduite de manière souveraine, en l’occurrence fourni les moyens nécessaires
et défini le cadre, tout en accordant une grande marge de manœuvre au commandant de l’opération. Les analyses
effectuées sur le théâtre et les décisions prises ont immédiatement été acceptées, en particulier lors des moments
critiques. Personne n’a cédé à la tentation d’abuser des moyens de télécommunications pour imposer une décision,
ni d’établir des diagnostics à distance concernant l’estimation de la situation faite par les unités sur le théâtre. La
confiance établie entre les officiers responsables au HFüKdo et au FüZBw et les commandants sur le théâtre fut selon
moi un facteur décisif. Les alliés ont par la suite souvent fait part de leur étonnement concernant la dose selon eux
très élevée de liberté d’action accordée au commandant du théâtre dans une telle opération. On avait en l’occurrence
affaire à un commandement par objectif de première qualité.
Cette opération avait certes été harmonisée avec d’autres Etats, mais elle fut conduite dans un cadre purement
national. La responsabilité du succès ou de l’échec incombait entièrement aux Allemands. Ce faisant, on avait
accepté, avec toutes les conséquences, d’assumer la responsabilité de l’intégrité physique de ressortissants d’autres
pays. Le consentement du Bundestag ne put être recueilli qu’après la conclusion heureuse de l’opération, en raison
de l’urgence et de la nécessité de préservation du secret. Seuls les présidents des groupes parlementaires des partis
représentés au Bundestag avaient été informés avant l’opération.
Le vol de LIBELLULE vers Tirana éclaire d’un nouveau jour l’évolution du rôle dévolu à la République fédérale
d’Allemagne dans le concert de la politique internationale.
D
ans l’histoire des grands pays occidentaux, la notion d’évacuation de ressortissants semble
une idée neuve et une préoccupation récente. Pourtant, quoi de plus naturel et de plus
essentiel que l’obligation d’un État de protéger et secourir ses ressortissants ? Retour sur
les évolutions d’une pratique dont l’esprit a connu de profonds bouleversements.
S
ous l’Antiquité grecque et romaine se dissimulent des volontés impérialistes.
ou dans l’Europe médiévale, à une
époque où la notion d’État se déve- Nul étonnement à ce que le devoir de
loppe, la tâche du souverain ou du sei- protection ne tienne pas ou peu compte
gneur tient dans la nécessaire protection des possibilités d’évacuation. Il est
donnée aux citoyens ou aux sujets. Déjà, d’ailleurs rare ou exceptionnel que les
pendant la Guerre du Péloponnèse (431- colons demandent à être évacués. Au
404 avant notre ère), les agriculteurs de contraire, ils exigent de pouvoir rester et
l’Attique sont protégés par la cavalerie vivre en toute sécurité. Les interventions
athénienne qui les conduit à l’intérieur des militaires visent d’autres buts que le sau-
photo fournie par l’auteur
Une lente transformation s’opère dès AVEC LA COLONISATION, En juin 1900, le mouvement des Boxers,
UNE NOUVELLE CONCEPTION
le XVIe siècle, à l’heure où se constituent antieuropéen et soutenu par l’impéra-
de grands empires coloniaux. Les nations trice Cixi, atteint Pékin où la population
européennes fondent des comptoirs en La conception même de l’État moderne, se soulève. Les prêtres étrangers sont mas-
Afrique, aux Amériques et en Asie, y fondée sur les théories de Hobbes sacrés, le chancelier japonais Sugiyama
installent leurs colons et bientôt, déve- (Léviathan, chapitre XVII) et reprise par est assassiné le 6 juin, suivi du baron alle-
loppent une véritable administration Adam Smith dans les Recherches sur la mand von Ketteler le 20. Le quartier des
calquée sur les modèles métropolitains. nature et les causes de la richesse des légations se trouve assiégé par des mil-
Dans cet esprit qui se nourrit de la lente nations (1776), exige du souverain qu’il liers de Boxers où se retranchent les
imprégnation d’idées politiques et philo- défende «la société de tout acte de vio- Occidentaux. Pour leur porter secours,
sophiques sur les devoirs des souverains lence et d’invasion de la part des autres 20 000 soldats - principalement britan-
et des États envers leurs sujets, l’armée sociétés indépendantes» et protège niques mais aussi allemands, italiens, fran-
joue un rôle essentiel dans la protection «chaque membre de la société contre çais, japonais, américains ou russes -
des «nationaux» par rapport aux indigènes. l’injustice ou l’oppression de tout autre débarquent dans le port de Tianjin le
C
es deux exemples, tous deux américains, mettent en lumière les principes d’une évacuation de
ressortissants. D’abord, une volonté politique forte, soutenue par une pression médiatique
importante qui conditionne la mise en œuvre rapide d’une telle opération. Ensuite, une gestion
interministérielle souple et réactive, où les
diplomates et les militaires travaillent en parfaite
collaboration. Enfin, des moyens adéquats pour
assurer le succès de l’opération : un nombre
important de soldats déployés, une panoplie de
matériels (navires d’accueil, hélicoptères, véhicules
de ramassage...).
n octobre 2004, la crise ivoirienne dure depuis deux ans et le pays est coupé en deux par la «zone
E de confiance» (ZDC) sur laquelle veillent les forces de l’ONUCI2 appuyées par les forces françaises.
Le blocage politique conduit le camp présidentiel à tenter de reprendre l’avantage au moyen d’une
offensive : l’opération Dignité, à laquelle les «forces impartiales» (françaises et de l’ONU) ne peuvent, ou
ne savent, s’opposer.
L’opération débute le 4 novembre dans la matinée par des raids aériens sur le Nord à partir de
Yamoussoukro, d’où les FANCI3 opèrent avec deux avions de combat Sukhoï 25. Le 5 novembre,
parallèlement aux raids aériens, les FANCI pénètrent dans la ZDC en direction de Bouaké dont elles
atteignent les faubourgs le 6 dans la matinée. A 13 h 30, sans que rien n’ait pu le laisser prévoir, un SU 25
tire un panier de roquettes sur le camp français installé dans le lycée Descartes d’où on retire dix tués
(neuf soldats français et un civil américain) et trente-trois blessés. A 14 h 00, après s’être posés sur
l’aéroport de Yamoussoukro sans, apparemment, s’inquiéter de la présence d’une unité française qui y
stationne, les deux SU 25 sont détruits par celle-ci.
A Abidjan, dès que la nouvelle est connue, des bandes de pillards s’en prennent à tout ce qui représente
la France et envahissent les quartiers à forte concentration d’expatriés. Les établissements scolaires
français sont saccagés et en partie détruits. Les entreprises et les domiciles sont pillés.
e 43e BIMa5 déclenche le plan Citadelle de défense du camp de Port Bouët. A 16 h 00, une de ses sections est attaquée sur
L l’aéroport par des militaires ivoiriens. Le combat tourne à l’avantage des Français qui déplorent deux blessés légers et un
Transall gravement endommagé par un tir de roquettes. Le 43 reçoit, alors, l’ordre de s’engager à l’extérieur du camp et
de prendre le contrôle de l’aéroport afin de préserver la capacité à accueillir des renforts et à évacuer les ressortissants.
Articulé en sous-groupements interarmes, le bataillon se déploie avec un PC principal sur le camp et un PC tactique sur
l’aéroport confié au chef opérations. En dépit de la faiblesse des moyens, il faut réaliser deux missions impératives : contrôler
l’aéroport pour le lendemain à l’aube et défendre le camp de Port Bouët.
simultanéité des pillages. Victimes des dont les caractéristiques techniques Une approche militaire
exactions, de nombreux chefs d’îlot ne peuvent être les seuls critères. des évènements
n’ont pu tenir leur rôle et coordonner les Satisfaisant à bien des égards (capacité
regroupements. En partie livrés à eux- d’accueil, proximité de la lagune, aires Dans la plupart des évacuations de
mêmes ou se rassemblant comme ils le de poser), le choix de cet établissement ressortissants, les armées interviennent
pouvaient, les ressortissants ont été présentait, cependant, des risques qui en coordination avec les autorités diplo-
victimes d’un brigandage généralisé auraient dû conduire le commandement matiques dans une crise dont elles ne
qui, bien que parfois très violent, n’a à ne pas le retenir comme pivot de sa sont pas partie prenante mais un acteur
pas dégénéré en meurtres. Les points manœuvre au nord des ponts. Emblème extérieur et temporaire. Le 6 novembre
de regroupements retenus ont rarement d’un âge d’or et d’une richesse révolus, 2004 fut, d’abord, une attaque des
pu être activés car les familles n’avaient situé dans un cul-de-sac à moins de forces ivoiriennes contre la force
plus la capacité de s’y rendre ou parce cinq cents mètres de la résidence prési- Licorne suivie d’une confrontation
qu’ils étaient, eux-mêmes, neutralisés dentielle, siège de services d’écoute armée généralisée impliquant une part
par la présence des émeutiers. D’autres aux ordres d’un pouvoir qui logeait là de la population ivoirienne en parallèle
points se sont spontanément créés ses caciques, l’Hôtel Ivoire est devenu à des agressions de grande ampleur
comme à l’hôtel de La Pergola sur le en quelques heures le symbole absolu contre la population expatriée. Les
boulevard de Marseille où des cen- d’une Côte d’Ivoire - et de son président caractéristiques essentielles de l’éva-
taines de personnes ont trouvé refuge - debout face à «l’agression» française. cuation d’Abidjan furent, ainsi, l’impli-
sous la protection de l’ONUCI dont Tout entier mobilisé sur les aspects cation de la force Licorne comme
c’était le PC. Cependant, même par- militaires de la protection des ressortis- acteur principal et l’instantanéité de la
tiellement mis en œuvre, le plan de sants et n’ayant qu’une connaissance confrontation. Elles ont entraîné une
sécurité a joué un rôle important car il a «power-point» du terrain, le comman- priorité donnée à la dimension militaire
servi de cadre de référence à beaucoup dement de l’opération a enfermé le de l’action et à la réaction de très court
et généré des reflexes salvateurs dans GTIA 1 dans un piège et, involontaire- terme au détriment, non seulement de
le chaos du moment. ment, permis au pouvoir ivoirien de la protection initiale des ressortissants,
L’épisode dramatique de l’Hôtel Ivoire reconquérir une légitimité médiatique mais aussi d’une réflexion tactique plus
a mis en évidence la nécessité d’une et une victoire politique que la tournure vaste et de l’implication des acteurs
connaissance de l’environnement dans des évènements avait, d’abord, mis au civils français ou de l’ONU. Dès la pre-
le choix de points de regroupement crédit des forces françaises. mière minute, et de manière délibérée, le
n avril 2006, le front uni pour le changement (FUC), poussé par le gouvernement de Khartoum, tente de
E renverser le président Deby ce qui provoque la rupture des relations diplomatiques tchado-soudanaises.
De violents affrontements opposent alors les partisans du président Déby et les rebelles, provoquant des
centaines de morts. Dans ce cadre, la France prépare une opération d’évacuation de ses ressortissants qui
finalement n’aura pas lieu, le pouvoir politique décidant de ne pas évacuer.
Ces événements ont permis de rappeler quelques vérités qui, sans être nouvelles, méritent d’être évoquées
pour nourrir une réflexion plus poussée sur le concept et la pratique des RESEVAC. La pertinence du
prépositionnement des forces françaises et l’appropriation de l’esprit de la mission par les EFT1 apparaissent
comme les facteurs principaux qui auraient conduit à la réussite de l’évacuation si celle-ci avait été conduite.
A l’épreuve des faits qui ont secoué le Tchad en avril 2006, provoquant le montage d’un CRER A par l’armée
française, des enseignements ont été tirés. Ils ont permis de conduire rapidement et avec efficacité l’évacuation
de ressortissants au Tchad en février 2008.
DÉROULEMENT DES FAITS (CPCO) donne l’ordre d’engager le CRER sées et une diminution des moyens
Alpha au Tchad. Simultanément, des déta- humains nécessaires au fonctionnement
Le 11 avril 2006 vers 13 heures, une colonne chements de liaison (DL) du groupement de l’ensemble. Son plan est accepté.
d’une centaine de pick-up rebelles prove- terre sont envoyés sur les points sensibles
nant du Darfour attaque la ville de Mongo répertoriés dans le plan d’évacuation bapti- Le dimanche 16 avril matin, la chaîne
située à 350 Km à l’est de N’Djamena. sé «Chari Baguirmi». Le jeudi 13 avril est mar- consulaire et le CRER A sont installés. En
L’armée nationale tchadienne (ANT) déploie qué par de violents affrontements dans la début d’après-midi, le système informa-
alors préventivement ses blindés dans la capitale ; à 18 heures, le CPCO ordonne la tique EVAC INFO3 permettant l’enregistre-
banlieue sud-est de la capitale. Les éléments projection du CRER. Le samedi 15 avril à 16 ment des ressortissants est déployé.
français au Tchad (EFT) sont mis en alerte. heures, l’avion le transportant atterrit sur Compte tenu du retour à la normale dans
Les unités en tournée de province (TP) sont la base militaire de N’Djamena. N’Djaména, l’ambassadeur de France au
recomplétées en munitions par HM2. Le Tchad décide de ne pas procéder à l’éva-
même jour à 22 h 30, deux C130 déposent à Une reconnaissance est conduite sans délai cuation des ressortissants.
N’Djamena la 4e compagnie du 8e RPIMa, sur la zone prévisionnelle d’implantation
prépositionnée en mission de courte durée du CRER. La solution qui avait été préco-
à Libreville. Les rebelles continuent leur nisée par des reconnaissances antérieures ENSEIGNEMENTS PRINCIPAUX
progression dans la nuit du mardi 11 au n’est pas retenue pour des raisons essen-
mercredi 12 avril. À 10 h 30, le lycée fran- tiellement pratiques. Une réunion de crise Une parfaite maîtrise
çais de N’Djamena (Montaigne) ferme ses se tient alors entre le consul, le chef du du plan Chari Baguirmi
portes. À 11 h 20, sur ordre de l’état-major centre d’évacuation (CENTREVAC) et le chef
opérationnel terre (EMO-T), le comman- du CRER. S’appuyant sur son expérience Tout d’abord, chaque contingent arrivant
dement de la force logistique terrestre personnelle acquise lors du montage du sur le théâtre effectue la reconnaissance
(CFLT) fait passer le centre de regroupe- CRER à Abidjan en novembre 2004, le chef des points de regroupement ainsi que des
ment et d’évacuation des ressortissants du CRER propose de mettre au point un itinéraires permettant de rallier le camp
(CRER) en alerte à 24 heures au lieu de nouveau dispositif intégrant un resserre- Kosseï. A l’issue, un exercice est mené
48 heures. À 17 heures 47, le centre de pla- ment des modules prévus, une disponibi- au profit des unités, permettant l’appro-
nification et de conduite des opérations lité instantanée des infrastructures utili- priation de la mission d’évacuation.
La prise en compte
des enseignements de
novembre 2004 en RCI
Ainsi, la structure projetée en avril 2006 au Tchad a permis de valider le principe même du déploiement d’un
CRER A. Les autorités politiques françaises ayant décidé de ne pas évacuer les ressortissants, le CRER A a été
démonté et le personnel est rentré en France. Le prépositionnement des troupes et françaises au Tchad et la
bonne connaissance du milieu ont permis l’accueil et le déploiement rapide du CRER A.
L’expérience acquise avec la projection et l’installation du CRER a permis de conduire dans d’excellentes
conditions l’évacuation des 1 384 ressortissants du 1er au 8 février 2008.
lors que de violents combats opposent la rébellion tchadienne à l’armée nationale tchadienne et que
A l’opération EUFOR Tchad RCA monte en puissance, le groupement terre 21e RIMa participe à l’évacuation
de 1 750 ressortissants, dont le tiers de Français, de Ndjamena du 1er au 8 février 2008. Dans ce cadre,
l’action du 21e RIMa est évidemment déterminante mais elle n’est pas exclusive. En effet, elle s’inscrit dans un
cadre global interarmes, interarmées et international très favorable qui lui a fourni les moyens logistiques, et
humains indispensables à la réussite de l’opération.
Fondamentalement, l’expérience vécue par le groupement terre n’est pas exceptionnelle, l’armée de terre
possède de multiples exemples similaires dans son passé récent ; elle remet simplement en lumière quelques
vérités : la nécessité de l’entraînement, la liberté d’action et l’indispensable fluidité de l’information sont trois
points toujours essentiels.
En conclusion, cette RESEVAC a été à l’image de toutes celles que l’armée de terre a eu à conduire dans le passé ;
soudaine et violente elle a nécessité savoir-faire et réactivité. Entraînement, liberté d’action et fluidité de
l’information sont évidemment indispensables. Faut-il souligner qu’ils ne seraient rien s’ils n’étaient réalisés par des
hommes motivés et bien encadrés, dans une organisation aux qualités avérées et dans un environnement maîtrisé ?
e 12 juillet 2006, après une incursion en territoire israélien ayant conduit à la capture de deux
L Israéliens par des combattants du Hezbollah et provoqué la mort de huit autres soldats, les hostilités
éclatent, très violentes, entre Israël et le Hezbollah dans le sud du Liban. L’aviation israélienne attaque
méthodiquement les positions du Hezbollah - en particulier le quartier chiite de Beyrouth et le village de Bent
J’Bail au sud du Litani. Elle fragilise ou détruit plus d’une centaine de ponts routiers dans tout le Liban,
bombarde une usine dans la plaine de la Bekaa. Elle frappe également la centrale électrique de Jiyé, située
en bord de mer, provoquant ainsi une marée noire qui souille la côte vers le nord jusqu’à Tripoli. Le Hezbollah
réplique par des tirs de roquettes qui atteignent le territoire israélien de façon aveugle. Ces actions
provoquent, d’une part, un exode important de la population libanaise du sud du Litani vers Beyrouth et
le nord du Liban et, d’autre part, un déplacement limité de réfugiés israéliens vers le sud d’Israël.
L’opération Baliste, décidée par le gouvernement français dès le 14 juillet, a pour objectif initial de porter
assistance à nos ressortissants qui fuient les bombardements au sud du Liban, d’acheminer du fret
humanitaire vers les zones les plus touchées par les combats et d’apporter un soutien à la force intérimaire
des Nations Unies au Liban (FINUL). Cette dernière est dans une situation précaire et particulièrement
inconfortable du fait de son positionnement géographique, exactement entre les deux protagonistes, au cœur
de la zone des combats.
Deux C-160 Transall et trois EC-725 Caracal sont projetés immédiatement sur la base britannique d’Akrotiri
à Chypre et le Jean de Vienne reçoit l’ordre d’appareiller dans l’heure. Une compagnie du 7e bataillon de
chasseurs alpins et une compagnie du 2e régiment d’infanterie de marine, chacun avec ses éléments de
soutien, reçoivent l’ordre de rejoindre le Siroco et le Mistral à Toulon. Le Siroco appareille dès le 16 juillet,
le Mistral et le Jean Bart appareillent le 19, sitôt leur chargement effectué.
Dès que l’ensemble du dispositif militaire est en place, les opérations d’évacuation prennent une dimension
beaucoup plus professionnelle grâce à la présence et au travail précis et méthodique des centres de
regroupement et d’évacuation des ressortissants (CRER). L’organisation est cohérente et répond de façon
efficace à la situation d’urgence - les ressortissants sont immédiatement rassurés par le calme des soldats,
l’impression qu’ils maîtrisent la situation, la puissance et le sentiment de sécurité qui se dégagent du
dispositif. C’est le fruit de l’expérience acquise par l’armée de terre lors des diverses opérations d’évacuation
de ressortissants auxquelles elle a participé au cours des dernières années, en particulier en Afrique.
Au bilan, ce sont plus de huit mille ressortissants de soixante et une nationalités différentes qui sont
évacués par les moyens militaires, mille quatre cents tonnes de fret humanitaires qui sont acheminées vers
les ports de Beyrouth, Tyr, Saïda et Naqourah, le tout dans un contexte très tendu.
Comme dans toute opération réelle, les choses ne se sont pas passées exactement comme elles avaient été
planifiées et les surprises se produisaient comme toujours à l’endroit où on ne les attendait pas.
* Etat-major de la marine. Le CA Magne était 2 Une «unité logistique» (UL) représente de quoi commis aux vivres et des cuisiniers. On y trouve
COMANFOR de l’Opération BALISTE. nourrir 300 personnes pendant 10 jours. vivres frais, congelés et quelques conserves.
La variété des aliments qui sont proposés dans La première UL a été acceptée sans trop de
1 La phase «urgence» a duré du 14 juillet une «UL» résulte d’études rigoureuses faites conviction, la seconde a été commandée avec
au 14 août 2006. conjointement par des nutritionnistes, des enthousiasme !
Au-delà de la construction des ponts Bailey, l’action de notre force s’est également orientée vers une
coopération bilatérale avec l’armée libanaise. Il était important de les intégrer dans cette phase de
l’opération car l’armée libanaise avait besoin d’une légitimité forte vis-à-vis de sa population. Elle avait
aussi besoin de prendre confiance en ses capacités d’action et d’intervention sur son territoire et ses
approches maritimes. La coopération bilatérale a été initiée, de part et d’autre, dans un esprit de solidarité,
de respect de l’autre et de partage du savoir-faire. Cette coopération, qui s’est appuyée sur des liens créés
il y a plus de trente ans entre de jeunes aspirants français et libanais à l’Ecole navale de Lanvéoc-Poulmic,
était empreinte d’une confiance mutuelle qui permettait un dialogue optimal entre les deux marines. En
prenant une part active aux opérations de reconnaissance de plages le long de leur littoral, les marins
libanais obtenaient estime et reconnaissance de leur savoir-faire par une marine amie qui compte pour eux.
Cette coopération nous a ainsi permis d’apporter soutien à la motivation des marins libanais, de les aider
à retrouver la fierté légitime d’œuvrer à la sécurisation de leur espace maritime et de leur garantir notre
estime pour leur professionnalisme malgré leurs contraintes matérielles.
Opération interarmées depuis la mer, l’opération BALISTE a vu les trois armées œuvrer sans préavis à partir
des bâtiments déployées au large du Liban durant plus de huit semaines sur le théâtre Est-Méditerranée
dans un cadre initialement non permissif évoluant favorablement avec pour résultat l’aide au départ du Liban
dans de bonnes conditions de plus de huit mille ressortissants français ou étrangers.
D
éployée sur deux bâtiments d’exercices et d’instruction (qualifi- - opérations de soutien au transport et
amphibies, le BPC1 Mistral et le cation du personnel navigant, prépa- débarquement de fret humanitaire de
TCD2 SIROCCO après un déclen- ration d’une opération amphibie sur la la fondation «Raffik HARIRI».
chement de l’opération en urgence hors côte du Liban et exercice sur carte
programmation le 17 juillet 2006, la pour l’état-major tactique, service des Au bilan, si l’ensemble de la force
participation de la composante terre armes et soins au combat pour la terrestre était en mesure de conduire à
centrée sur le 2e RIMa3 stationné au troupe, maintenance des matériels à terre une évacuation de ressortissants
Mans s’élevait à près de 600 personnes. Le la mer) ; depuis la mer, l’opération peut être
GTE4 «Richelieu» était articulé de manière considérée comme une aide au départ et
équivalente à un groupe amphibie de - appui aux opérations de rapatriement on peut en retirer les enseignements
niveau 2. Il était en conséquence en des ressortissants dans les fonctions suivants.
mesure de fournir tout l’éventail de de protection, d’accueil, de filtrage, de
capacités opérationnelles allant de la guidage, depuis Beyrouth au lycée
conception et la conduite d’opérations français et sur le port, à la jetée de
amphibies de niveau CATG-CLG5 jusqu’à Naqourah, lors de l’embarquement et ENSEIGNEMENTS TERRE
la mise sur pied d’un centre d’évacuation du débarquement à Mersin en Turquie
autonome ou de cellules de rapatriement et à Chypre, en liaison avec le Les principaux enseignements ont été
en soutien du MINAE, en passant par le personnel du ministère des Affaires les suivants :
raid blindé et héliporté de niveau GTE étrangères en ambassade ; - réactivité indispensable des troupes
dans une ambiance non permissive. pour servir hors programmation ;
- protection rapprochée des bâtiments
Si la directive BALISTE ouvrait toutes les lors des mises à quai de ceux-ci ; - expérience impérative du cadre de vie
possibilités d’action avec une dominante et d’emploi des autres armées pour le
d’action amphibie, pour le 2e RIMa, avec - évacuation sanitaire héliportée de succès initial et dans la durée de la
son chef de corps commandant de la personnel à terre au Liban de jour mission en raison de la promiscuité et
force terrestre embarquée, les opéra- comme de nuit vers les bâtiments ; de la charge de travail à bord. Les
tions durant les 45 jours de mission dont caractéristiques d’ouverture d’esprit
37 en zone d’opération ont été succes- - transport par hélicoptère tactique et de disponibilité méritent d’être
sivement centrées autour des activités d’autorités civiles ou de personnel soulignées et sont indispensables
suivantes : militaire spécialisé ; pour ce type de mission interarmées ;
- intégration opérationnelle, technique
et humaine des différentes compo- - opérations amphibies de mise à terre - compétences de fond à acquérir et
santes du groupement terrestre en de personnel et de moyens n’appar- entretenir au préalable dans la durée,
vue d’opérations amphibies dans un tenant pas à des formations spécia- sous réserve de prise de risques forts
cadre de haute intensité au moyen lisées ; par improvisation (compétences am-
ENSEIGNEMENTS INTERARMÉES
Une opération d’évacuation de ressortissants se définit comme une opération de sécurité ayant pour objectif
de protéger des ressortissants résidant à l’étranger en les évacuant d’une zone présentant une menace
imminente et sérieuse risquant d’affecter leur sécurité.
Lorsque dans un Etat en crise, cette sécurité est gravement exposée, l’autorité politique française peut décider
d’en évacuer la communauté de ressortissants. Si le climat d’insécurité locale ne permet pas d’envisager une
évacuation par des moyens civils, l’autorité politique peut requérir l’emploi des forces armées pour en assurer
l’exécution.
CADRE GÉNÉRAL
Or, l’instabilité politique de nombreux pays, conjuguée à
A
ussi, dans le cadre de leurs missions générales, les l’augmentation constante du nombre de ressortissants
armées doivent être en mesure de participer, sur déci- nationaux, notamment ceux résidant de façon ponctuelle
sion politique, en tout temps et tous lieux à la sécurité des hors des frontières, rend cette mission sans cesse plus
ressortissants français à l’étranger. Le cas échéant, l’action complexe.
des forces armées
consiste à planifier et
conduire une opéra-
tion visant à évacuer
les ressortissants,
depuis chez eux ou à
partir de points de
regroupement, par des
moyens militaires vers
une zone sécurisée où
se déploie générale-
ment le centre de re-
groupement et d’éva-
cuation de ressortis-
sants (CRER) ; cette
phase est baptisée
extraction ou évacua-
tion primaire.
Au final, ce sont 1 384 personnes qui ont été extraites de N’Djamena représentant 79 nationalités différentes.
Tous les éléments, position géographique du CRER, collaboration étroite avec le MAEE, l’ambassadeur et le
consul de France, les autorités gabonaises, étaient réunis pour faire de ce déploiement une réussite largement
soulignée par les ressortissants eux-mêmes, mais aussi par l’ensemble des ambassadeurs ou autorités
consulaires d’autres nations présentes à Libreville et qui ont pu assister et accompagner leurs propres
compatriotes dans ces moments difficiles.
omposante de l’aide à la décision, la recherche opérationnelle est la discipline des méthodes scientifiques
C utilisables pour élaborer de meilleures décisions grâce à l’étude, la compréhension et la résolution de
problèmes complexes. L’armée de terre fait régulièrement appel à des chercheurs opérationnels pour trouver
des solutions optimisées principalement dans le domaine organique. Cependant, le domaine opérationnel est
un champ d’application potentiel de ces techniques, notamment pendant les phases de stabilisation qui
s’inscrivent dans la durée.
est pourquoi, au cours de son plan de charge annuel, la division simulation et recherche opérationnelle
C’ (DSRO) a engagé une réflexion de fond sur l’emploi des techniques de recherche opérationnelle au
profit de l’engagement des forces dans le cadre de la planification opérationnelle et de la conduite des
opérations. L’instabilité politique de nombreux pays et le nombre croissant de Français expatriés ont
augmenté la probabilité d’opérations d’évacuation de nos ressortissants. On peut estimer que quinze
opérations de ce type pourraient avoir lieu dans les vingt prochaines années !
est donc tout naturellement qu’une étude concernant l’évacuation des ressortissants a été initiée en
C’ liaison avec le commandement de la force logistique terrestre (CFLT1), en charge de la mise sur pied de
quatre centres de regroupement et d’évacuation des ressortissants (CRER). Le premier volet de cette étude
consiste à développer un démonstrateur permettant d’optimiser le déploiement et le fonctionnement du
CRER.
* anciennement au CDEF/DSRO
Placée sous la responsabilité des armées, d’évacuation des ressortissants. L’objectif est de
l’évacuation primaire est mise en œuvre entre créer un logiciel d’aide à l’organisation, à la
le PE et un CRER implanté à proximité planification et la conduite du CRER.
immédiate d’infrastructures aéroportuaires
ou maritimes. Jouant un rôle central dans la Le CRER est situé en zone sécurisée. Il s’agit à la
procédure RESEVAC, le CRER est le point à fois d’un refuge et d’une chaîne de traitement
partir duquel les ressortissants quittent le ayant un but bien précis : celui de faire évacuer
territoire après y avoir rempli des formalités les personnes recevant l’autorisation de retourner
administratives simples et effectué un en France par les moyens mis en place par l’Etat.
contrôle sanitaire. Lorsque les conditions de Certains réfugiés peuvent y rester plusieurs jours
sécurité le permettent, le CRER peut être quand d’autres y séjournent seulement quelques
colocalisé avec un PE. heures, et ce, pour des raisons de priorité et
d’accord politique entre nations. Pour le
Enfin, le ministère des affaires étrangères commandant de ce centre, l’organisation est un
organise l’évacuation secondaire entre le véritable casse-tête.
CRER et la métropole.
En effet, les ressortissants doivent être fouillés
avant d’entrer dans le centre pour endiguer toute
Par leur nature et la multiplicité des acteurs, les menace d’attentat. Ils doivent recevoir
opérations d’évacuation de ressortissants sont l’autorisation du consulat ainsi que le niveau de
complexes et conduites dans un environnement priorité lié à leur statut. Ils sont ensuite recensés,
interarmées, interministériel voire multinational. et une liste de passagers embarquant sur le
L’opération Baliste menée au large du Liban en vecteur d’évacuation (avion, bateau...) doit être
2006 a en effet mis en relief la dimension éditée afin de tenir informées les autorités et les
interarmées de l’évacuation de ressortissants. Il familles. Les blessés doivent être soignés, et enfin
peut être utile d’élaborer un outil d’aide à la les détenteurs d’informations relatives à la crise
planification et à l’organisation de l’évacuation sont interrogés par le groupement de recueil de
de ressortissants à destination de l’attaché de l’information (GRI). Le GRI pourra alors suivre
défense. l’évolution de la menace et prendre en compte les
familles encore isolées dans le pays.
Destiné à agir dans l’urgence et dans des Une fois toutes ces tâches effectuées, les
conditions de déploiement difficiles, le CRER ressortissants figurant sur la liste de passagers
apporte un précieux concours pour assurer la sont appelés puis transportés vers le site
sécurité des personnes et leur évacuation. La d’embarquement (aéroport, port...).
projection d’un CRER d’urgence composé de Cette situation d’urgence doit être planifiée et
trente militaires en novembre 2004 en Côte maîtrisée afin d’être conduite dans les
d’Ivoire a montré la pertinence d’une telle meilleures conditions.
structure, avec plus de 4 800 ressortissants
évacués en 10 jours. La DSRO va donc mettre au point un
démonstrateur qui permettra à son utilisateur,
L’expérience montre que les délais induits par la de créer un CRER virtuel, dans lequel il pourra
prise de décision de RESEVAC et la projection du indiquer pour chaque tâche les caractéristiques
CRER limitent ce dernier à n’être opérationnel nécessaires à la simulation (nombre de postes,
qu’après les premières rotations d’évacuation. Or durée de la tâche, capacité de traitement...).
le CRER doit être opérationnel immédiatement
après son déploiement et la mise à disposition Ce CRER sera modélisé par un organigramme où
d’outils simples pourrait permettre d’emblée chaque tâche sera représentée par un bloc et où
d’optimiser l’emploi de ses ressources et son chaque lien entre deux blocs représentera le flux
organisation. de ressortissants allant d’une tâche à l’autre (voir
schéma ci-contre). Cette modélisation permettra
de déterminer la répartition des ressortissants
dans le CRER à un instant donné. Par expérience,
La démarche adoptée par la DSRO le chef du CRER est en permanence en train de
calculer ces flux à la main. La visualisation des
étapes et des flux sera une aide précieuse pour
S’appuyant sur le retour d’expérience d’officiers prévoir et anticiper l’hébergement, l’alimen-
ayant eu des responsabilités en Côte d’Ivoire et tation, les moyens de transport ainsi que les
au Liban, la première étude de la DSRO consiste effectifs à consacrer à chaque tâche, optimisant
à modéliser le centre de regroupement et ainsi l’utilisation des ressources.
Une fois les informations saisies, l’utilisateur aura chaîne de traitement, afin que les passagers
accès à un panel de fonctionnalités. Grâce à elles, appelés soient tous sur le site d’évacuation au
on pourra notamment déterminer les ressources moment où le vecteur est prêt à partir. Cela aura
nécessaires au bon fonctionnement du CRER comme conséquence de minimiser le temps de
(nombre de véhicules, nombre de repas à stationnement des vecteurs d’évacuation et donc
produire, assignation des postes...). On pourra de réduire leur vulnérabilité tout en diminuant
également déterminer l’heure à laquelle lancer la les coûts engendrés.
Comme nous l’avons vu, ceci est une première approche. Il est également possible d’étudier chaque point clef de
l’évacuation : du théâtre à l’arrivée en France (ou toute autre destination qui permet de sécuriser les familles). Ces études
successives permettront d’améliorer sensiblement l’évacuation, et ainsi de rapatrier plus rapidement les ressortissants
tout en réduisant les dépenses liées à une telle opération.
Plus généralement, la phase décisive de stabilisation s’inscrit résolument dans la durée afin de recréer les conditions
nécessaires et suffisantes à un retour à la normale. Elle se caractérise aussi par une plus grande stabilité permettant ainsi
aux chercheurs opérationnels d’étudier tous les types de problèmes génériques. La recherche opérationnelle peut trouver
dans les opérations actuelles un vaste champ d’application en s’inscrivant toujours dans une logique d’aide à la décision
préservant toujours in fine la capacité de prise de décision.
Question : quels sont les 2 pays du monde dont les capitales sont géographiquement les plus proches ?
Ceux qui ont un peu bourlingué en Afrique savent qu’il s’agit de la République du Congo et de la République
démocratique du Congo dont les capitales Brazzaville et Kinshasa séparées par le fleuve Congo sont
éloignées de 4 kilomètres seulement.
Ces deux villes comptent chacune plusieurs millions d’habitants et sont depuis 40 ans le théâtre régulier
d’affrontements ethniques et de lutte pour le pouvoir qui plongent à chaque fois la population, déjà très
pauvre, dans une insécurité insoutenable.
La présence d’une communauté occidentale et en particulier française importante a amené la France,
durant ces périodes de troubles, à réaliser des opérations militaires pour permettre l’évacuation de ses
ressortissants, chacune des capitales servant, alternativement et suivant le cas, de base de départ et de
base de transit pour les opérations d’extraction.
Ce fut le cas en fin d’année 1998 où Brazzaville a permis l’évacuation des ressortissants français de
Kinshasa alors que les opposants armés à Laurent Désiré Kabila étaient annoncés aux portes de cette
capitale.
Cette opération fut particulière par son opportunité et les circonstances qui nous ont demandé d’agir à
front renversé.
1 En poste à Brazzaville
de 1998 à 2001.
Une opération militaire à double effet Le Président de la RDC, Laurent Désiré Kabila,
soutenu à l’époque par le Rwanda, avait pris le
pouvoir également par la force quelques années
a situation politique de la zone était à cette auparavant mais subissait aujourd’hui la pression
Denis Sassou N’Guesso, le Président du Congo Brazzaville sortait d’une guerre civile très grave.
Brazzaville, venait de reprendre par la force le La ville entièrement pillée et dévastée par ses
pouvoir à Pascal Lissouba et devait à ce moment là habitants eux-mêmes, tentait de renaître de ses
faire face à une opposition venant du sud du pays cendres. La population, à peine revenue des
et menée par un certain Pasteur N’Toumi qui, avec campagnes où elle s’était réfugiée, vivait dans une
des groupes armés très mal équipés mais très grande précarité et s’apprêtait à subir un nouvel
motivés, menaçait la capitale après avoir fait subir épisode de guerre du pouvoir. La ville était
aux forces du Président en place quelques revers intensément contrôlée et cloisonnée par des
importants. barrages filtrants tenus par des hommes armés
de nos amis du ministère des Affaires étrangères Ce rôle est à mon sens totalement incompatible
prompts à mettre en évidence la supériorité de avec les fonctions de contrôleur opérationnel
l’esprit de négociation qui les anime. qu’on pourrait parfois vouloir lui faire tenir et qui
On comprit assez vite la raison de la facilitation lui fait prendre trop visiblement parti. Même si,
des uns et de l’opposition des autres. Les pour l’intéressé, cela peut être justement
ressortissants évacués étaient pour la presque considéré comme éminemment valorisant et s’il
totalité des binationaux congolais dotés pour la est sans doute nécessaire de tenir cette place en
plupart de passeports relativement neufs dont tout début de mise en place de la force, il doit
l’authentification posa nombre de problèmes à pouvoir très vite la transmettre.
l’adjoint de l’ambassade chargé de cette délicate
mission.
Dans un contexte comme celui-là, l’ambassadeur
En quelques jours, près de 2 000 personnes de France aura toujours tendance à retarder
furent acheminées, posant le problème de leur l’arrivée des forces alors que les militaires
sécurité, de leur alimentation et de leur sortie de voudront avoir un temps d’avance le plus
ce pays d’accueil exsangue qui ne pouvait important possible. Expliquer à l’un que l’arrivée
supporter leur installation durable. La France ne des troupes laissera encore de la place à la
pouvant quant à elle pas non plus accueillir la négociation et à l’autre que la mise en place
majorité d’entre eux, faute d’une nationalité discrète ne l’empêchera pas de prendre en main
totalement prouvée et faute de moyens de son terrain n’est pas chose facile. L’attaché de
subsistance avérés dans notre pays, une solution défense est bien la seule personne capable de
de transit par le Gabon fut alors trouvée. pratiquer cet exercice de funambule car en pleine
connaissance des intérêts de l’un et de l’autre.
La mission des soldats français se limita alors Cela n’est possible cependant que s’il a réussi à
à la sécurisation et au transport de ces instaurer une relation de confiance avec son
ressortissants entre le port, lieu d’arrivée, le ambassadeur, son seul supérieur, et si sa
centre culturel français, base de transit, et compétence opérationnelle est reconnue par
l’aéroport pour l’acheminement vers le Gabon au l’EMA.
sein d’une ville où l’insécurité régnait et avec une
posture non agressive pour ne pas déclencher
d’accrochage avec les bandes armées locales ce
qui eût été catastrophique.
PAR MONSIEUR MATTHIEU GRESSIER DU CENTRE DE CRISE DU MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET EUROPÉENNES
ans un environnement sécuritaire fortement dégradé, où menaces terroristes, tensions politiques, alertes
D sanitaires et catastrophes naturelles se sont multipliées au cours des dernières années, la sécurité des
ressortissants français à l’étranger, qui compte parmi les plus hautes priorités de l’action gouvernementale,
est un défi permanent pour le ministère des Affaires étrangères et européennes.
elever ce défi exige des réformes pour être à l’avenir plus efficace face aux crises de très grande ampleur
R et surtout lors des opérations d’évacuation de ressortissants. Ces réformes sont déjà engagées à travers
la mise en place du nouveau centre de crise (CDC).
Rôles et responsabilités leur sécurité, lorsque l’Etat dans lequel ils sont
localisés, n’est plus en mesure de la garantir.
Les opérations d’évacuation de ressortissants
peuvent se définir comme une action de mise en Au niveau politique, ces opérations d’évacuation
sécurité des ressortissants résidant à l’étranger sont décidées à la demande de l’ambassadeur et
en les soustrayant d’une zone présentant une conduites par le ministère des Affaires étrangères
menace imminente et sérieuse risquant d’affecter ou, s’il y a engagement de forces militaires, sous
l’autorité du chef d’état-major des armées
(CEMA).
Au cours des dernières années, nombreux ont été décidé de l’envoi immédiat d’une équipe de
les Français impliqués dans des situations de crise soutien en situation de crise (E.S.S.C). Tel a
à l’étranger : touristes, expatriés, volontaires notamment été le cas au Tchad et au Gabon en
d’organisations non gouvernementales, au Liban, février 2008. Cette équipe doit être capable de
en Haïti ou encore en Afrique, en Asie ou en renforcer l’ambassade, de constituer une antenne
Amérique latine. Ces situations de crise exigent sur place, voire un poste consulaire autonome,
une capacité permanente d’intervention. dans un environnement dégradé. Elle est
principalement amenée à gérer les points de
Lorsque dans un Etat en crise, la sécurité de ses regroupement, diffuser des consignes de sécurité
ressortissants est gravement exposée, l’autorité à la communauté française, assurer un accueil
politique française peut décider d’en évacuer la logistique (coordination des équipes médicales),
communauté de ressortissants. Si le climat déterminer, si nécessaire, les bénéficiaires
d’insécurité locale ne permet pas d’envisager une d’une évacuation, apporter une assistance aux
évacuation par des moyens civils, l’autorité ressortissants sinistrés (relogement, eau,
politique peut requérir l’emploi des forces nourriture, renouvellement de documents
armées pour en assurer l’exécution en lien avec d’identité), et participer à la recherche des
les autorités diplomatiques. Le cas échéant, victimes ou encore rassurer nos compatriotes et
l’action des forces armées consiste à planifier et soutenir les familles des victimes.
conduire une opération visant à évacuer les
ressortissants par des moyens militaires vers une
zone sécurisée.
Retour d’expérience sur la crise politique
Par la suite, les autorités consulaires sont en
charge d’organiser leur rapatriement, en principe au Tchad : aide aux départs des ressortis-
vers leur pays d’origine. Or l’instabilité politique de sants français et étrangers
nombreux pays, conjuguée à l’augmentation
constante du nombre de ressortissants nationaux, Les événements de février 2008 au Tchad ont
notamment ceux résidant de façon ponctuelle confirmé l’importance de maintenir un dispositif
hors des frontières, rend cette mission toujours efficace pour assurer la sécurité de nos
plus complexe. En outre, les évolutions tant ressortissants à l’étranger, priorité absolue du
politiques que militaires conduisent à envisager ministère des Affaires étrangères et européennes.
désormais ce type d’opération dans un cadre Cette crise politique constitue un exemple-type
résolument multinational. d’évacuation.
Ne pas vivre dans la peur des crises, c’est avant Pilotée par la cellule de crise du quai d’Orsay,
tout intégrer la notion de risque, et apprendre à le l’opération de rapatriement des ressortissants
mesurer et à l’anticiper. étrangers a été coordonnée sur place par les
armées françaises en lien avec les autorités
Pour être efficace, l’anticipation doit s’accompagner diplomatiques et consulaires. Comme toujours, 1 Le plan de sécurité,
outil indispensable
d’une nécessaire transparence vis-à-vis de nos la procédure s’est déroulée en trois phases, selon dans les opérations
concitoyens, en vue de les sensibiliser aux risques des plans prédéfinis à l’avance. d’évacuation, vise
et de les informer sur les dispositifs de protection à faire en sorte
que la mission
mis en place. Cette transparence vaut, bien sûr, Dans un premier temps, le ministère des Affaires diplomatique soit
pour les quelque deux millions de Français étrangères et européennes a demandé aux en mesure de
expatriés mais également pour les vingt millions ressortissants français, via l’ambassade, de fonctionner dans
un contexte de crise
de touristes français qui sillonnent le monde rejoindre les points de regroupements (PR) découlant de
chaque année et qui peuvent être confrontés à préalablement définis dans les plans de sécurité1 désordres civils ou
des situations de crise dans les pays où ils au sein desquels l’armée française a pris position d’une catastrophe
naturelle qui
séjournent. pour sécuriser les ressortissants au fur et à mesure menaceraient la
de leur arrivée. Ces points de regroupement sécurité de nos
Selon la gravité de la situation, et bien avant que peuvent être par exemple des hôtels, des écoles, compatriotes et
de surmonter les
la décision d’engager une opération d’évacuation des centres culturels, etc. difficultés
de la communauté française soit prise, il peut être La deuxième étape a consisté à transférer les inhérentes.
A l’ère de la construction européenne, il devient Dans cette perspective, il était donc prévu qu’un
de moins en moins envisageable d’évacuer nos dispositif conciliant les exigences d’une veille
seuls ressortissants. A l’avenir, une coopération permanente et les nécessités d’une réaction
et une étroite coordination seront nécessaires à immédiate en cas de crise soit mise en place.
toute action d’évacuation commune décidée par
les autorités politiques. Anticipant cette demande, l’arrêté du 11 juillet 2007 a
créé un centre opérationnel de veille et d’appui à la
gestion des crises, le centre de crise (CDC). Le centre
Le concept d’Etat pilote de crise est conçu comme le point d’entrée privilégié
au ministère pour les postes diplomatiques et
consulaires, les autres administrations et les
Lors de la crise politique au Tchad en février partenaires extérieurs intervenant en situation de
2008, la France a proposé le vendredi 1er février crise à l’étranger.
2008, à Bruxelles, à ses partenaires européens,
d’assurer le rôle d’Etat-pilote en matière de Depuis le 1er juillet 2008, le centre de Crise est
protection consulaire. doté d’une cinquantaine d’agents, résultant
d’une fusion entre la sous-direction de la sécurité
Le concept d’Etat-pilote a été adopté par le des personnes de la direction des Français à
Conseil de l’Union européenne le 18 juin 2007. Il l’étranger et des étrangers en France d’une part et
vise à améliorer la protection des ressortissants de la délégation à l’action humanitaire d’autre
des Etats membres de l’Union européenne en part.
temps de crise dans les pays tiers, notamment
quand certains Etats membres n’ont pas de En effet, le CDC n’a pas seulement vocation à traiter
représentation dans le pays concerné. La mission les crises touchant les ressortissants français à
d’Etat-pilote consiste à coordonner les mesures l’étranger, mais aussi les crises humanitaires ou la
de protection de l’ensemble des ressortissants partie humanitaire d’une crise (ex : catastrophe
européens en temps de crise (information, naturelle impliquant des ressortissants français et
regroupement, évacuation le cas échéant). A ce nécessitant également d’apporter une aide à un
stade, les Etats membres expérimentent ce pays démuni).
concept dans des pays tiers où deux membres, au
plus, de l’Union européenne sont présents. C’est
le cas au Tchad où seules la France et l’Allemagne
sont représentées.
Dans sa lettre de mission adressée au ministre des A l’avenir, pour mettre en place ce type d’opération et rapatrier
Affaires étrangères et européennes le 27 août 2007, ainsi des milliers de Français et d’Européens à des milliers de
le Président de la République a souhaité que «le kilomètres, il est indispensable qu’un travail d’équipe tel que
ministère des Affaires étrangères et européennes
celui évoqué plus haut puisse se déployer, sur des bases
se dote d’une capacité de gestion des crises lui
pérennes, en associant différents ministères et notamment celui
permettant de remplir pleinement son rôle de
coordination de l’action extérieure», afin de de la Défense.
répondre efficacement aux crises de toute nature.
1 Ancien officier de Marine, M. GELINET est à la fois chargé du secteur Afrique et expert sur les questions de sécurité maritime au sein de la direction de
la sûreté générale.
Spécialiste des opérations pétrolières, M. GABERT est un opérationnel du groupe Total qui, dans une première partie de carrière, a passé 25 ans dans
les différentes filiales du Groupe à l’étranger. Cette expérience acquise, il est devenu le responsable de la coordination et de la gestion de crise pour
l’ensemble du groupe.
À ce titre, ils ont accordé à la revue Doctrine cet entretien. Ils y évoquent notamment comment les collaborateurs d’un des premiers groupes français
dans le monde sont préparés à faire face à l’éventualité d’une évacuation du territoire où ils sont déployés, comment ils font face à ces situations
de crise et quels sont les principaux enseignements qui ont été tirés des dernières opérations vécues.
Quel est le cadre général de votre action ? ils sont complétés par des exercices : à titre
d’exemple en 2007, 50 exercices d’alerte et de
Le groupe Total est aujourd’hui une entreprise gestion de crises ont été conduits au niveau des
comprenant 110 000 collaborateurs, présents branches du groupe ; au niveau de la direction de la
souvent en famille sur l’ensemble des continents sécurité générale, nous avons régulièrement
dans 130 pays, répartis sur 1 200 sites, l’occasion de participer à des exercices organisés
222 terminaux et 23 000 Km de pipelines. par les armées et qui comportent systématiquement
un volet évacuation de ressortissants. Cette
collaboration nous permet de tester en grandeur
Quelle est la nature des crises auxquelles nature la complémentarité de nos plans avec ceux
des autorités diplomatiques et consulaires. En
vous devez être prêts à faire face ? effet, des plans de management des crises sont en
place dans chaque filiale avec des dossiers
Compte tenu de la diversité de ses activités qui complets comportant la désignation du personnel
vont de l’exploration à la distribution en passant qualifié, la définition des missions, des outils
par la production, la transformation et le disponibles dans les différentes salles de crise et
transport de produits souvent dangereux, le des fiches de méthodologie pour faire face au
groupe Total peut être confronté à des risques de plus large panel d’incidents possibles. Ces plans
toute forme et de toute nature, qui peuvent répondent bien à la nécessité d’entretenir un
concerner tant la sécurité (industrielle par système permanent d’alerte.
exemple) que la sûreté de ses collaborateurs et
de leurs familles dans un pays étranger. Il est clair
également que notre groupe travaille dans un Pourriez-vous nous décrire
environnement sécuritaire contraint dans plus
d’une centaine de pays, sans toujours pouvoir le processus de gestion de crise
bénéficier de la présence éminemment rassurante dont vous êtes le coordinateur ?
de troupes françaises prépositionnées. Or, le
groupe Total doit en permanence pouvoir garantir La multiplicité des crises possibles nous conduit à
sa capacité à déployer des compétences à développer en permanence une prise en compte
l’étranger dans des conditions souvent du risque sécuritaire de chacun des pays où le
exigeantes. C’est la raison pour laquelle le groupe Total est présent. Pour cela, nous avons
groupe dispose de ses propres capacités à faire mis en place un dispositif fondé d’abord sur la
face à un large éventail de crises, cette capacité veille et l’analyse, ensuite sur la planification
étant le gage de la sérénité de leurs familles, des mesures à prendre et enfin sur des outils de
corollaire de l’adhésion de nos collaborateurs gestion de crises.
expatriés. Ceux-ci sont très attachés aux capacités
dont dispose le groupe pour pouvoir non seulement
assurer l’analyse de l’évolution des pays dans Quelles sont les capacités de veille
lesquels il évolue, mais également la sécurisation
des familles, voire leur rapatriement. et d’analyse dont vous disposez ?
Les capacités de veille et d’analyse sont assurées
Comment vous préparez-vous à faire face grâces à une parfaite synergie entre le siège du
groupe, les filiales qui sont sur le terrain et les
à une situation qui se dégrade ? organismes extérieurs comme le ministère des
Affaires étrangères et celui de la Défense.
Dans notre groupe, la gestion de crise est une S’agissant tout d’abord du groupe, nous
activité que nous avons totalement démystifiée : disposons au sein de la direction de la sécurité
c’est en effet l’affaire de tous. Depuis le drame qui générale d’une capacité d’expertise permettant
a touché en 2002 à Karachi le personnel expatrié l’analyse et la compréhension des crises possibles
d’un chantier naval, chacune et chacun d’entre dans les domaines politiques, institutionnels,
nous se considère plus encore comme un acteur économiques et sociaux. Les informations dont
potentiel d’une crise et s’attache à acquérir avec disposent les filiales permettent ensuite de valider
professionnalisme la culture de la précaution et ces analyses en liaison avec les partenaires
de la prévention avec rigueur, réactivité et souci extérieurs (consultants, ministères concernés...).
du travail en équipe. Ceci se concrétise d’abord Ce travail débouche ainsi sur un dossier par pays
par un effort de formation à la gestion et à la permettant de dresser la liste des risques dont
communication de crise. Des stages réguliers celui-ci fait ou pourrait faire l’objet. Cette capacité
d’une semaine sont organisés au sein du groupe ; à entretenir une veille stratégique et à disposer
Ainsi, à titre de prévention, on peut décider un généralement imprévisible dans son déroulement
rapatriement limité aux familles et aux particulier, seule une bonne connaissance des
collaborateurs essentiellement impliqués dans le procédures à appliquer permet d’éviter de céder à
back office. Ceci permettra la poursuite de la la panique. Cela peut tenir à des choses simples
production et la mise en sécurité des comme par exemple de disposer en temps réel
installations. d’une parfaite connaissance des collaborateurs
présents sur le site ainsi que de leur famille. C’est
Lorsqu’il estime en effet que la sécurité de ces ce que nous appelons le personnel on board
derniers est en question, comme ce fut le cas en (POB). Quelle que soit la précision des plans
République de Côte d’Ivoire en 2004 ou au Tchad d’évacuation réalisée, il est toujours délicat de
en 2008, l’évacuation est alors décidée, connaître, à l’instant où se déclenchent les
généralement par les autorités diplomatiques en opérations, les effectifs présents effectivement.
liaison avec les forces militaires chargées
d’assurer la sûreté des points de regroupement.
Il convient aussi de souligner l’importance des
moyens de communication. Il est en effet
Quels sont les principaux enseignements indispensable dès le début de la crise d’avoir la
liaison avec l’ensemble de nos collaborateurs
que vous avez pu retirer de ces opérations? d’une part et avec les autres parties prenantes
(ambassades ou consulats, forces militaires pré-
Le premier enseignement tiré des rapatriements positionnées et le cas échéant, forces militaires
ou des opérations d’évacuation vécus par le ou de police locale). Disposer de ces liaisons
groupe Total est la nécessité de disposer d’un résout une bonne partie des problèmes, permet
système d’alerte permanent et d’un réseau local de donner des consignes et de rassurer.
permettant d’anticiper toute dégradation de la
situation. Nos responsables de filiales portent D’une manière générale, nous sommes bien sûr
ainsi un intérêt tout particulier à la prise en particulièrement attentifs à l’exploitation des
compte par chacun de nos collaborateurs des enseignements tirés des différentes opérations
mesures à adopter en cas d’urgence, qu’il auxquelles nous avons été confrontés. Le retour
s’agisse des points de regroupement à connaître d’expérience montre ainsi toute l’importance à
et de l’intégration dans l’îlotage organisé par accorder à la rigueur dans l’organisation, la
l’ambassade ou le consulat. solidarité dans le travail d’équipe, la réactivité à
cultiver, les réseaux à entretenir pour être
Le second enseignement tient à l’indispensable efficace, l’importance d’une communication
capacité à conduire au niveau local et dans externe et interne parfaitement maîtrisée et
l’urgence la gestion d’une crise. Celle-ci étant transparente.
Enfin, en conclusion, je voudrais souligner l’excellente coopération entre le groupe Total et ses
Le jour du 30e anniversaire de l’opération aéroportée sur Kolwezi et à la demande du Figaro, j’avais écrit un article,
pour expliquer le triple pari que constituait à l’époque cette opération. Sans en reprendre in extenso les termes et
notamment sa conclusion, je me permets de revenir sur ce sujet, non pas pour raconter une fois encore mes
campagnes, mais plutôt pour évoquer cet événement à travers la ‘‘grille de lecture’’ des évacuations de
ressortissants, car tel était bien le premier but de cette opération, le saut en parachute ne devant pas occulter sa
finalité.
Bonite, en effet, fut la première ‘‘RESEVAC’’, qui, malheureusement fut suivie par de nombreuses autres. J’emploie
volontairement le terme de ‘‘malheureusement’’, car toute opération d’évacuation, aussi brillante soit-elle sur le
plan tactique, reste cependant un échec politique et humanitaire, et même plus que cela, elle est en effet parfois,
notamment pour le pays qui a été le théâtre de l’évacuation, un ‘‘accélérateur de crise’’, puisque le départ des
ressortissants, européens pour la plupart, entraîne des pillages supplémentaires et l’arrêt de nombreuses petites
entreprises.
Pour en revenir à Kolwezi, il ne faut pas oublier le triple pari que constitua à l’époque cette opération et qui explique
sans doute son retentissement international, car le succès n’était pas garanti d’avance.
tactiques du largage, deux seulement sont cette opération, le pari tactique. A cette époque,
français. Si les moyens aériens sont précaires, les en effet, ceux qui ont connu le feu, dans les rangs
autres le sont tout autant, puisque une fois au sol de l’armée française et même au 2e REP, que ce
les légionnaires ne peuvent compter que sur eux- soit en Algérie ou au Tchad, sont une poignée ; à
mêmes et leur sens de la débrouillardise. En fait, titre d’exemple, au sein de la 4e compagnie à
il s’agit d’un vol sans retour possible ; une fois le laquelle j’appartenais, seul l’adjudant d’unité
largage décidé et effectué, les légionnaires ne avait une expérience opérationnelle.
peuvent espérer ni soutien, ni appui feu, ni renfort
à moins de deux ou trois jours. Ce pari tactique a été gagné, car le REP palliait
cette absence d’expérience opérationnelle
Or le 2e REP va gagner ce pari stratégique par concrète par plusieurs facteurs qui furent
une opération militaire exemplaire, alliée à une prépondérants : un entraînement continuel, dans
mission humanitaire remarquable ; en effet, en toutes les circonstances, par tous temps et dans
moins de 24 heures, les unités vont s’emparer tous les domaines ; le régiment, sans prétendre
rapidement de quelques points majeurs de la ville, en avoir le monopole, était ‘‘surentraîné’’. Il avait
qui seront autant de ‘‘points de regroupement’’, et aussi une excellente forme physique, ce qui a
qui, en déstabilisant l’adversaire, visent à lui faire permis d’encaisser sans difficulté l’accumulation
arrêter les massacres. Dans les jours suivants, une de fatigue liée à la projection, aux nuits courtes,
fois la majorité des civils mis à l’abri ou évacués, le au stress du saut dans l’inconnu, au poids des
régiment devra sécuriser les faubourgs et les munitions à transporter, et aux déplacements à
villages environnants, pour repousser l’ennemi pied. Enfin, troisième facteur essentiel, le moral
sur ses bases de repli en Angola. du régiment, car si nous n’avions que peu de
renseignements sur l’adversaire, nos forces
morales, renforcées par la justesse de notre
Le pari tactique… cause, nous conféraient une ardeur, et même plus
que cela une force d’âme, qui était palpable
simplement dans le regard des légionnaires,
Les décisions politiques les plus pertinentes et les embarqués dans le bruit assourdissant des
manœuvres les mieux conçues ne peuvent réussir moteurs, équipés pour le saut, chargés comme
que si elles se concrétisent par une exécution des mulets, et volant vers une destination connue
rigoureuse, et c’est bien ce qui va se passer mais incertaine.
durant l’engagement ; c’est le troisième pari de
2 Chaque compagnie
avait une couleur, en Alors ceux qui se plaignent aujourd’hui de ne pas disposer de toute la panoplie requise pour
l’occurrence Gris pour
la 4e compagnie, et conduire une instruction de qualité, qu’ils se consolent et qu’ils se disent que les GMC de leurs
comme je commandais
la 2e section, mon anciens ne les ont pas empêché de s’entraîner et de sauter à Kolwezi !
indicatif à la radio était
Gris 2.
‘‘Il nous manquera toujours un sou pour faire cent sous !’’
La complémentarité
des feux vue par les Anglais
PAR LE LIEUTENANT-COLONEL OLIVIER FORT, OFFICIER DE LIAISON À LARKHILL (ROYAUME-UNI)
A
l’heure où la France se prépare à des décisions majeures concernant les capacités de ses forces armées,
décisions qui lui imposeront d’optimiser ce qu’elle conserve, il est primordial de recueillir l’expérience de nos
plus proches alliés.
Depuis la bataille de Castillon en 1453, il n’y a pas de victoire sans la maîtrise des feux.
Ceux-ci revêtent des formes variées, artillerie classique, aviation légère (hélicoptères armés), avions, missiles,
roquettes et demain drones armés. Cette variété est une source de complexité. Si cette dernière est bien assumée,
elle garantit le juste effet au bon moment et devient l’outil décisif, a contrario elle peut être contreproductive,
générant indécisions, dommages collatéraux ou tirs fratricides.
C’est la problématique à laquelle ont été confrontés les Américains en Irak et les Anglais en Afghanistan. C’est
cette dernière expérience que vont développer les lignes qui suivent.
En juin 2007, les Britanniques déployaient leur nouveau système d’artillerie, tirant des roquettes à 70 km, avec une
précision inférieure à cinq mètres. Cela a véritablement révolutionné les appuis, rappelant qu’en tactique, si les
principes demeurent, les modalités d’exécution dépendent des capacités mises en œuvre.
L’artillerie est l’arme de la surprise. L’expérience L’artillerie offre une meilleure garantie
2 Les armes guidées de nombreux micro-engagements montre que d’autonomie dans le domaine des appuis
par GPS sont pendant le survol des zones de combat, les
complémentaires
des armes guidées Taliban se protègent et se dissimulent ; en La présence d’artillerie permet au chef de la force
par laser, il ne s’agit revanche, ils sont totalement surpris par l’arrivée terrestre de disposer d’une autonomie et donc
pas de les opposer. d’obus ou de roquettes. d’une capacité de réaction instantanée, capacité
3 L’usure pour qui n’est pas garantie dans un contexte
le pilote est La précision de la roquette et sa moindre létalité multinational (les moyens CAS d’une autre nation
également morale ; par rapport aux munitions aériennes sont auront tendance à être redirigés en cours de
il est arrivé que des
pilotes dussent parfaitement adaptées au tir au voisinage des mission pour appuyer les unités du même
abandonner des troupes amies, cela permet de contrarier la contingent prises à partie).
alliés avant de leur tactique des Taliban, qui vise à s’approcher au
fournir l’appui
indispensable parce maximum de la cible, afin de réduire le L’artillerie est un type d’appui économique
qu’ils étaient déséquilibre en moyens d’appui.
déroutés pour une Elle vient en complémentarité des aéronefs.
priorité nationale.
L’artillerie (canon et roquettes) permet de Lorsque ces derniers sont les seuls appuis
graduer la réponse à une attaque disponibles, ils sont soumis à une très forte
pression qui use physiquement l’engin et son
La présence de l’artillerie permet de graduer la pilote3. L’engagement de l’artillerie permet aux
riposte face à une attaque ennemie et d’employer appuis aériens de se concentrer sur leurs
des moyens efficaces, sans recourir d’emblée à missions spécifiques. Cela réduit de façon
l’usage de munitions à très haut pouvoir de significative les coûts des opérations, tout en
destruction. augmentant de manière sensible la capacité
opérationnelle. Evitant ou limitant au juste
niveau, la présence d’aéronefs
en alerte dans le ciel,
l’artillerie redonne une grande
liberté d’action au chef
interarmes, qui peut de
nouveau disposer de moyens
pour sa manœuvre.
mages collatéraux réguliers- est un reproche fait à Bien sûr la comparaison avec l’artillerie française 4 L’intervention type est
la coalition par le président Karzaï. L’artillerie est n’est pas valide tant que nous ne disposons pas de l’unité standard qui
permet un effet
adaptée à toutes les phases d’un conflit tant que la roquette unitaire. Il faut néanmoins souligner que tactique. La différence
subsiste une menace, même résiduelle. depuis 2005, les Américains ont en moyenne tiré d’appréciation entre
8 roquettes unitaires par mois -l’intervention les Américains et les
Britanniques est à la
type4 étant égale à trois- tandis que depuis le fois culturelle et
Complémentarité des feux tirés du ciel 12 juillet 2007 les Britanniques ont tiré 48 financière. L’approche
L’expérience britannique ne minimise pas le rôle des forces aériennes, qui est essentiel, mais montre
l’intérêt de la complémentarité de l’artillerie et de l’appui air-sol dans toutes leurs composantes. Cette
complémentarité pourrait même se traduire par la mise sur pied de petites équipes interarmées de
«contrôle des feux» s’appuyant sur la structure des équipes d’observation d’artillerie, destinées à
mettre en place l’ensemble des feux d’appuis qui peuvent être coordonnés sur un théâtre. Cette
intégration interarmées, idéale à long terme, demande une longue acculturation du personnel de l’armée
de l’air aux procédés tactiques de l’armée de terre, il est en revanche très rassurant pour le pilote de
savoir que l’équipe qui le guide connaît bien ses modes d’action.
Sous la pression des engagements, les Américains, Canadiens, Allemands et Britanniques ont déjà
confié à l’artillerie cette responsabilité interarmées, créant de facto un standard OTAN. C’était le thème
principal du dernier symposium international d’artillerie à Fredericton au Canada. Les autres armées
occidentales, dont la France, mènent également des réflexions qui vont dans le même sens.
En Grande-Bretagne 14 contrôleurs aériens se trouvent dans les unités d’artillerie, en 2008 les droits 7 Une traduction littérale
ouverts augmentent de 25, et augmenteront encore par la suite pour arriver au total de 56. Les par équipe d’appui feu
ne convient pas à la
contrôleurs aériens britanniques sont des artilleurs, la plupart du temps sous-officiers et sont intégrés réalité française
(il pourrait y avoir une
aux nouvelles Fire Support Teams7, qui comprennent également des observateurs d’artillerie, de confusion avec des
mortiers et d’appui hélicoptère d’attaque. Ces équipes remplacent les équipes d’observation équipes d’infanterie)
il est préférable
traditionnelles. Leur efficacité repose sur leurs multiples compétences techniques, mais surtout sur leur d’utiliser une
formulation : équipe
connaissance des troupes appuyées et du milieu humain dans lequel elles évoluent. Sans fermer la porte de coordination et de
à la participation de spécialistes issus de l’armée de l’air, elles sont donc, par nature, des forces contrôle des appuis
feux rapprochés.
terrestres.
L e XXIe siècle est né à Berlin en 1989 car, alors que certains se ruaient bien imprudemment sur la récolte
de dividendes de la paix imaginairement réalisés, la guerre faisait son retour. On la crut morte pendant
45 ans, éliminée par l’effet démultiplicateur de puissance de la bombe atomique. Les «petites guerres» qui
ont jalonné l’après-second conflit mondial étaient confinées à des espaces où l’Alliance atlantique et le
Pacte de Varsovie choisissaient de s’interdire la montée aux extrêmes. Mais la bipolarité menaçante et
stabilisatrice a laissé place au désordre (qui n’a pas été imaginé durable) avec la disparition de l’empire
soviétique. L’éclatement de l’ex-Yougoslavie dès 1991 est la première expression du retour de la guerre. Le
monde ne s’en est pas vraiment rendu compte. Ce n’est pas la guerre clausewitzienne, qui est de retour.
C’est la guerre ancienne, antique, primitive, mâtinée de terrorisme mondialisé qui réapparaît.
«L’incertitude marque notre époque», écrivait le général De Gaulle en 1932, dans le Fil de l’Épée. Le
désordre international est tel aujourd’hui que l’hyper-incertitude marque le début du siècle nouveau,
pourrait-on dire.
* Anciennement au CDEF/DDo
9 «Les conflits seront menés par des terriens et non par des robots dans l’espace. Ils seront plus proches des affrontements qui survenaient dans les tribus
primitives que des guerres conventionnelles… dans la mesure où l’adversaire et les populations civiles s’interpénètreront, la stratégie clausewitzienne
restera sans objet. La simplification des armes, et non le contraire, ira croissant. La guerre ne sera pas menée par des hommes aux uniformes impeccables,
assis derrière des écrans, dans des salles climatisées et occupés à manipuler des symboles sur des claviers d’ordinateurs ; au contraire, les «troupes»
ressembleront davantage à des policiers (ou à des pirates) qu’à des spécialistes. La guerre ne se déroulera pas sur un champ de bataille, ce type d’espace
n’existe plus de par le monde, mais au sein d’environnements complexes, naturels ou artificiellement créés. Ce sera une guerre d’écoutes, de voitures
piégées, de tueries au corps à corps, dans laquelle les femmes transporteront des explosifs dans leur sac, ainsi que la drogue pour les payer. Elle sera sans
fin, sanglante et atroce».
10 RENS 210, doctrine du renseignement d’origine humaine, avril 2007.
Le constat objectif pourrait aujourd’hui se traduire moins erratique, cette organisation technique
ainsi : à un environnement opérationnel toujours interdit au renseignement tactique de
plus complexe, une organisation fonctionnelle progresser. La capitalisation des formations
aussi complexe ! On répond à la complexité par la (pourtant toujours plus longues et coûteuses
complexité. par nature) et des expériences ne se faisant
qu’au gré des circonstances et des aléas plus ou
En effet, dès lors que chacune des armes moins heureux liés aux besoins des armes, sans
d’origine continue à gérer le déroulement de continuité dans l’enrichissement professionnel et
carrière de ses ressortissants, le renseignement la réflexion, il devient extrêmement complexe
n’a d’autre alternative que de combler les vides d’identifier les besoins de progrès ou d’adaptation
structurels. Il est ainsi profondément choquant liés à la nature des combats. Par ailleurs, l’arrivée
qu’un officier supérieur, après sept ans au sein des unités multicapteurs impose également une
d’un régiment de renseignement d’origine polyvalence des hommes pour le commandement
électromagnétique de la brigade de de capteurs très divers et pour la capacité de
renseignement, puis trois ans à participer à la l’analyse dont on a déjà dit toute l’exigence. Il est
rédaction de la doctrine du renseignement, au aussi possible d’évoquer les capacités
moment où il rejoint le collège interarmées de linguistiques des acteurs du renseignement dont
défense, soit «récupéré» par son arme pour on pourrait attendre, sous réserve de cette
suivre une formation technique tout à fait autre. cohérence d’arme, qu’ils développent telle ou telle
Il est tout aussi choquant que, pour tenter de expertise à l’heure où il n’y a jamais assez
répondre à ces mouvements illogiques de d’interprètes (à l’exemple du corps des Marines
personnels, il faille affecter à des postes de américain qui fait dispenser des rudiments
renseignement opérationnel des spécialistes linguistiques à ses soldats). Enfin, une arme se
des relations internationales, considérant que caractérise par la conservation des traditions, la
«c’est à peu près la même chose». Les exemples mise en avant d’une culture et par conséquent,
semblables sont malheureusement nombreux. Il une vision d’avenir, une anticipation et donc des
ne s’agit évidemment pas de mettre en cause la objectifs de progrès partagés.
direction de l’armée de terre qui fait son travail
consciencieusement mais bien de relever les
conséquences immédiates et logiques de Il y a ainsi urgence à répondre organiquement
l’organisation actuelle. Il y a structurellement aux défis opérationnels que les guerres actuelles
une impossibilité à construire une carrière et futures posent en acceptant l’idée de la
cohérente et longue dans le renseignement. création d’une arme du renseignement.
qu’une gestion de la
ressource pour le
Capacités duales
et forces africaines de développement
PAR LE COLONEL HUGHES DE BAZOUGES1, ADJOINT AU DIRECTEUR EN CHARGE DES AFFAIRES INTERNATIONALES AUX ÉCOLES DE SAINT-CYR COËTQUIDAN
M
algré le développement économique et premières (pétrole2 – l’Afrique recèlerait 15% des
social de deux pôles diamétralement réserves mondiales –, minéraux rares, bois, etc.)
opposés, sur les rives de la Méditerranée et qu’il n’est guère utilisé pour tenter de résoudre
et à l’extrémité australe du continent, l’Afrique les maux fondamentaux dont souffre l’Afrique
subsaharienne (dans laquelle nous incluons la noire : le manque d’infrastructures, de moyens de
Corne de l’Afrique) demeure aujourd’hui la zone production et surtout de transformation, les
la plus meurtrie du globe, au regard du nombre de conséquences de la mutation des sociétés, de
1 Attaché de défense au
conflits, de personnes déplacées ou réfugiées, ou plus en plus jeunes et de moins en moins rurales Zimbabwe, en Zambie
encore des populations paupérisées souffrant de la (d’ici 2015, plus de 51 ou 52% de la population et au Malawi de 2003 à
2006. Auteur de
faim et nécessitant une aide alimentaire extérieure, d’Afrique subsaharienne sera urbaine ou péri- Madagascar, l’île de
sans compter celles n’ayant pas accès à l’eau urbaine), la dépendance alimentaire, conséquence Nulle-Part ailleurs,
Editions L’Harmattan,
potable, à l’éducation et celles exposées aux de l’inadaptation des politiques économiques par 1999.
pandémies. Bien sûr, des îlots de développement rapport à l’accroissement démographique incon- 2 Grâce au programme
américain Agoa (African
existent et l’Afrique subsaharienne enregistre trôlé (la population du Kenya étant passée de Growth Opportunity Act),
quelques remarquables success stories. Ainsi, la 8,5 millions en 1960 à 35 aujourd’hui…), la surex- les exportations
africaines vers
part du continent dans les échanges mondiaux ploitation des ressources naturelles, entraînant les Etats-Unis ont
progresse lentement (3% en 2007), comme son l’accélération de la déforestation ou l’épuisement progressé de 33 % en
2006. Mais la part des
taux de croissance économique supérieur ces des sols avec in fine des conséquences globales produits agricoles (+
dernières années à 5%. Cependant chacun sait portant sur le réchauffement de la planète, la 17 %) ne représentait
que 1 % des échanges
que ce progrès est fragile, voire factice (cf. le destruction irréversible de la faune et de la flore alors que les expor-
dernier rapport 2007-2008 du PNUD), car surtout ou encore les migrations de populations pouvant tations de gaz et de
pétrole comptaient
dépendant des exportations des matières se muer en formes d’invasion pacifique. pour plus de 80 % !
Car l’Afrique, malgré tous ces maux, déborde cours d’une conférence internationale biannuelle,
d’une étonnante vitalité : si 60% de sa population l’ensemble des programmes civiques de jeunes
a moins de 30 ans, c’est aussi la part la plus volontaires – 48 dont 15 pour l’Afrique – dont elle
touchée par les conflits (enfants-soldats, viols, cherche à faciliter et même à stimuler les
esclaves sexuels, etc.), le SIDA, l’analphabétisme, échanges. La 8e conférence de IANYS s’est tenue
l’extrême pauvreté ou encore le chômage. Dans un du 19 au 22 novembre 2008 à Paris, à la fondation
tel contexte, comment prétendre que cette même des Etats-Unis. Malheureusement, cette
jeunesse, organisée en «forces africaines de association exclusivement anglophone semble
développement», pourrait demain constituer un aussi ignorée des institutions françaises
espoir pour le continent et plus particulièrement qu’africaines qui viennent pourtant de se déclarer
un instrument de paix et un vecteur de dévelop- ouvertement en faveur de tels programmes
pement ? Les Africains seraient-ils capables de comme en témoigne la récente charte de la
mettre sur pied de telles formations ? La jeunesse africaine (African Youth Charter),
communauté internationale et en particulier l’Union adoptée en novembre 2006 par l’Union africaine.
africaine y verraient-elles un quelconque intérêt ? Celle-ci souligne en effet le soutien que les
Et existe-t-il des moyens financiers à y consacrer, Africains eux-mêmes doivent apporter à de tels
notamment au niveau de l’aide internationale ? programmes – dont l’encadrement peut être
composé de militaires et qui sont placés sous la
tutelle d’un ministère autre que celui de la
Les mouvements de jeunesse Défense – et les missions qui pourraient leur
être confiées :
pour les actions de développement3
En premier lieu, il existe à travers le monde un Article 15, alinéa h : Sustainable Livehoods and
certain nombre de mouvements de la jeunesse Youth Employment: «institute national youth
impliqués dans des actions de développement service programmes to engender community
et réunis au sein de l’International Association participation and skills development to entry
for National Youth Service (IANYS). Fondée à into the labour market»,
3 Les titres intermé- partir d’une initiative américaine lancée en 1992,
diaires ont été rajoutés
par la rédaction. cette institution regroupe de façon virtuelle
autour d’un site dédié, et plus concrètement au et
Article 18, alinéa f : Peace and Security: «mobilise La consolidation des forces africaines
youth for the reconstruction of areas devastated
by war, bringing help to refugees and war victims
déjà existantes
and promoting peace, reconciliation and
rehabilitation activities». Contrairement à une idée reçue, il s’agirait moins
de créer a nihilo que de consolider de telles
forces déjà existantes, bénéficiant parfois d’une
Ces services civiques ou forces africaines de solide expérience, aussi ancienne que celle de
développement auraient donc une capacité notre propre service militaire adapté (SMA) mis
duale, à la fois dans le cadre national de la en œuvre dans nos départements et territoires
bataille du développement et, au niveau régional d’outre-mer. Tel est le cas du Zambia National
ou continental, en soutien des forces de maintien service (ZNS), sans doute moins connu que les
de la paix, dans le cadre multinational d’une modèles francophones que sont le service civique
action humanitaire ou de la reconstruction d’un béninois, le service malgache d’aide au
état. développement (SMAD) ou encore le service
national adapté djiboutien, tous inspirés du SMA.
Créé en 1963 et donc aussi ancien que celui-ci, le
Organisées autour d’écoles des métiers du ZNS a surtout profité de la stabilité politique de la
développement durable, et encadrées par des Zambie qui a su en faire un modèle original
personnels militaires, ces unités auraient tout exempt de tout reproche ou de toute suspicion
d’abord la charge d’instruire les jeunes de manipulation politique ou de violence,
volontaires dans les domaines prioritaires en destinant cette institution de jeunes volontaires
Afrique subsaharienne : encadrés par des militaires au service de la
population, et souvent dans les zones reculées
- agriculture4 (soutien aux populations – dans d’un pays plus vaste que la France. Ainsi, placé
des zones où la force de travail a parfois sous la tutelle du ministère de la jeunesse et des
disparu du fait du SIDA, du paludisme ou de la sports, et bénéficiant du soutien direct du
sous-nutrition – pour les récoltes, Président de la République, dans le strict respect
l’aménagement de digues et canaux, la lutte de la loi, cette institution remplit toutes les
anti-acridienne, etc.) ; missions traditionnelles d’un service civique et a
même conduit récemment une expérience
- action sanitaire et médicale (infirmiers/-ères, remarquée au profit de la re-socialisation des
sages-femmes, assistants de vétérinaires, enfants des rues ou street kids.
ambulanciers, etc.) conduisant une action
ciblée en faveur du contrôle des naissances, de Le ZNS, déjà membre de IANYS, pourrait donc dès
la lutte contre le SIDA ou encore contre les à présent servir de modèle pour faire de la
maladies africaines endémiques ; jeunesse africaine l’acteur de son propre
développement en mettant ses capacités, son 4 «En cinq ans, les
- construction (dispensaires, écoles, marchés dynamisme et son enthousiasme au service des importations
couverts, étals, etc. utilisant des matériaux et organisations ou des agences internationales céréalières des pays
africains ont triplé…
des savoir-faire locaux) ; engagées dans la poursuite des objectifs du Cette dégradation
millénaire du développement, dont on sait […] touche 48 pays
- aménagement de pistes, de routes et qu’aucun ne sera atteint en 2015, date butoir. africains sur 53…» -
Salée, la facture
d’ouvrages d’art dans les zones reculées ou A la condition de l’aider à se hisser au rang de alimentaire ! in Jeune
désertées (perte d’une partie des récoltes du modèle continental en levant les obstacles qui Afrique n° 2488 du
fait de l’enclavement de certaines zones) ; entravent son développement… 14 au 20 septembre
2008.
5 Dont l’action
- gestion de l’eau (formation de plombiers, s’articule autour de
forage de puits, installation de pompes, trois pôles
d’excellence :
adduction et récupération d’eau, etc.) ; Les entraves à la création de telles éthique et
déontologie, sécurité
- aménagements électriques (installation de forces africaines de développement et Union
européenne, action
groupes électrogènes, de panneaux solaires, globale et forces
de réseaux de distributions dans des camps de Grâce à des études conduites récemment en terrestres.
réfugiés, équipement de bâtiments, halles, liaison avec le centre de recherche des écoles de 6 «Un Caracal testé en
bombardier d’eau»,
etc.) ; Saint-Cyr Coëtquidan5 et soutenues par le général in Armées
CoFAT et la fondation Saint-Cyr, on peut désormais d’aujourd’hui n° 325,
- alphabétisation, re-socialisation des orphelins identifier les entraves à la création de telles novembre 2007,
p 54.
du SIDA, des déplacés et autres réfugiés, etc. forces africaines de développement :
1) celles-ci souffrent en premier lieu d’un déficit trinement idéologique, mais, de plus, seules
d’image, souvent caricaturées à mi-chemin de telles forces sont susceptibles d’accueillir
entre les troupes de boy-scouts et les milices une part conséquente de jeunes femmes alors
d’enfants-soldats, quand elles ne sont pas que la population féminine représente
simplement ignorées des medias comme des désormais plus de 50% de la population de
institutions traitant de sécurité ; ce manque n’importe quel pays d’Afrique subsaharienne.
d’intérêt est d’autant moins compréhensible Celles-là mêmes qui doivent jouer un rôle
que notre pays a longtemps été pionnier dans essentiel dans le contrôle de la natalité, la
l’implication des militaires dans les actions prévention du sida ou l’assistance aux orphelins
de formation (enfants de troupe, chantiers du SIDA et autres enfants abandonnés,
de la jeunesse, service militaire adapté,
lycées militaires, défense deuxième chance…),
4) enfin, les détracteurs de ce projet prétendent
toujours qu’aucun fond ne saurait être utilisé
2) une aversion intellectuelle stigmatise le pour soutenir des forces africaines, fussent-
principe même de capacité duale alors que elles de développement. Or lors du séminaire
nos propres forces armées ont développé international organisé en novembre 2006 par
depuis près de trente ans une solide culture l’ambassade de France à Lusaka (Zambie), et
d’aide humanitaire et de sauvegarde des présidé par Monsieur Wiltzer, alors Haut
populations, créant même des unités de représentant pour la paix et la prévention des
sécurité civile dédiées ou expérimentant ce conflits, deux organisations africaines ont
principe sur de nouveaux équipements6, financé plus du tiers de cette manifestation. En
effet, l’ACBF (African Capacity Building
Foundation) et le COMESA (marché commun
3) mépriser la bataille du développement au regroupant une vingtaine de pays d’Afrique
profit des seules opérations du maintien de la australe et orientale), ont montré un intérêt
7 Démobilisation, paix ou de la réforme de systèmes de sécurité marqué, la première dans le cadre de son
désarmement,
rapatriement,
est une erreur d’appréciation du théâtre action en faveur du 2D3R7 et l’autre pour
réinstallation, africain et de ses spécificités : non seulement soutenir un projet intéressant l’égalité des
réinsertion cette jeunesse constitue les gros bataillons des chances entre hommes et femmes (gender
(DDRRR ou 2D3R).
futures vagues d’immigration ou d’endoc- equity). En d’autres termes, ces institutions
ont avant tout considéré les missions qui l’Union africaine, afin que, reconnues d’utilité
pourraient être confiées à ces forces, plus que publique et comme vecteur de stabilité, elles
les seules structures dont on prétend puissent être ensuite éligibles à deux types de
abusivement qu’elles ne peuvent être que financement :
militaires afin de justifier une fin de non-
recevoir systématique. • en faveur de l’action d’aide au développement
conduite sur le territoire national en privilégiant
l’éducation et la formation professionnelle de la
Il apparaît donc que l’effet majeur à rechercher jeunesse,
consiste à faire reconnaître une place légitime à
de telles forces africaines de développement • mais aussi au profit des opérations de maintien
dans le cadre de la réflexion sur la réforme des de la paix ou de la reconstruction d’un pays
systèmes de sécurité (RSS), et plus précisément sortant de crise.
au cœur de l’architecture de paix et de sécurité de
8 Cf. «Reconstruire
D
evons-nous, parce que nos moyens d’action sont limités, nous interdire
ensemble», in
d’investir ce «champ de l’ingénierie politico-institutionnelle»8 alors Doctrine n° spécial
2008/1.
que de toutes les nations occidentales la France est la seule à
posséder un laboratoire aussi précieux que le SMA ? Elle est surtout la plus
9 Nommant en août
impliquée dans la prévention et la résolution des conflits en Afrique9, non 2007 un «Haut
pas seulement du seul fait de sa présence militaire (forces prépositionnées, représentant pour
la prévention des
réseau d’attachés militaires, actions de coopération militaire, etc.) mais aussi conflits en
en raison des initiatives qu’elle multiplie en faveur du maintien de la paix et Afrique».
p. 7 - ECPAD
Le centre de regroupement et
d’évacuation des ressortissants
p. 23 - 121è RT
p. 56 - 43e BIMa
p. 65 - SIRPA Marine
C.D.E.F
Centre de Doctrine
d’Emploi des Forces