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RENCONTRE ET PSYCHOSE

Henri Maldiney

De Boeck Université | Cahiers de psychologie clinique

2003/2 - no 21
pages 9 à 21

ISSN 1370-074X

Article disponible en ligne à l'adresse:


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http://www.cairn.info/revue-cahiers-de-psychologie-clinique-2003-2-page-9.htm
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Pour citer cet article :
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Maldiney Henri , « Rencontre et psychose » ,
Cahiers de psychologie clinique, 2003/2 no 21, p. 9-21. DOI : 10.3917/cpc.021.0009
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ARGUMENT

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RENCONTRE ET
PSYCHOSE
Henri MALDINEY*

Je n’entends pas traiter du thème de la rencontre à propos de la


psychose, ni du thème de la psychose à propos de la rencontre, parce
que ni l’une ni l’autre ne sont des thèmes. Elles ne le deviennent qu’à
la suite d’une thématisation qui travestit en objets des existentiaux.
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La rencontre passe couramment pour le signe le plus certain de la

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normalité, alors que nulle part le pathologique et le normal ne se
côtoient d’aussi près que dans son absence. Mais nous n’apercevons
pas la profondeur d’absence de cette présence manquante à travers
notre présomptueuse certitude de normopathe. Elle y a perdu toute
profondeur. Elle apparaît, cependant, comme dans un éclair, dans
certaines situations psychiatriques, observées par Jacob WYRSCH
lors d’un premier entretien avec un patient. À travers des attitudes, des
allures, des expressions qui, d’autres fois, passeraient pour les indices
d’une dépression, percent des traits, furtifs mais rigides, dans lesquels
le psychiatre discerne le moment avertisseur d’une schizophrénie. Cet
homme qui parle de soi donne l’impression de ne pas y être, de ne pas
rencontrer les choses qu’il énonce ; l’impression est d’autant plus forte
qu’il s’applique davantage à se maintenir dans l’axe de la situation, à
mesure même qu’elle échappe à lui comme à l’autre. L’échec est
insurmontable, car si cet homme est à côté des choses, c’est qu’il est
à côté de lui-même. Comment peut-il y avoir, dans cet instant, un
discours sans personne ? Il y a un décalage entre la personne que cet
homme dénomme en parlant de soi et le personnage qui emprunte ses
paroles pour se nommer en lui et s’approprier ses aîtres.
Qu’est-ce donc que cette absence de personne ? La notion de
personne verbale se définit sur la base d’oppositions qui différencient,
* Psychanalyste, Vézelin
dans nos langues, les personnes que l’on appelle première, seconde et le Château, F–42590
troisième. Bien plus lucides et explicites, les grammairiens arabes Saint-Paul de Vézelin.

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distinguent celui qui parle, celui à qui il s’adresse et ce dont il est parlé,
qu’ils nomment, l’absent. Le propre de la parole est d’amener l’absent
à la présence que constitue la co-présence des interlocuteurs. Or, dans
les cas évoqués par WYRSCH, l’absent n’est pas présent, parce que la
personne du patient, dont celui-ci ne cesse de parler, ne se présente
jamais, pour cette raison simple qu’il n’y a pas de co-présence, faute
de rencontre entre les interlocuteurs. L’incapacité de rencontrer est au
fondement de la psychose. C’est pourquoi, tout événement étant une
rencontre, il n’y a pas d’événement pour un psychotique.
L’impossibilité de rencontrer alimente indéfiniment la plainte du
mélancolique, qui est sa seule façon d’exister. Elle détermine le
maniaque, pour en éviter l’épreuve, à en court-circuiter la possibilité
dans une existence en fuite. Le mélancolique se plaint de ne pouvoir
rejoindre les autres, de ne pouvoir, comme dit une malade de KUHN,
« accompagner ». Elle n’y réussit que parfois, lorsqu’elle participe à
un ballet et que son existence est suspendue au rythme générateur de
l’espace-temps de la danse. Alors il lui est possible d’accéder ou de
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s’accorder à la tonalité existentielle des autres. Quant à la fuite des
idées, à quoi se ramène presque tous les aspects de l’existence
maniaque, elle ne consiste pas, comme on pourrait le croire, en
échappées successives de la pensée. Celle-ci ne passe pas d’une idée
à une autre en sautant les intermédiaires, mais elle s’est toujours déjà
élevée d’un bond au-dessus du champ de l’expérience. Il ne s’agit pas
d’un vol ascensionnel, il s’agit d’un planement au-dessus de tout. Tout
s’offre au malade sans résistance, sans effort, comme un spectacle qui
est toujours déjà là, sans avoir dû jamais commencer. Tout est
immédiatement à sa main, à ceci près, comme dit PÉGUY, qu’il n’a
pas de mains, parce qu’il ne peut pas être en prise. Il est en osmose
perpétuelle avec ce qui se passe dans son entourage, comme celui qui
flotte dans une demi-ivresse, juché sur un haut tabouret de bar, et voit
le monde circuler en spectacle autour de lui. Seulement, l’immédiat
n’est pas le proche. La proximité implique une tension éloignante qui
ouvre une sphère de présence dans laquelle quelque chose peut être là.
Pour le maniaque, le lointain se perd dans l’informe. Ainsi, dans ce
rêve, que le rêveur lui-même interprète comme un rêve de mort et dont
BINSWANGER dit qu’il n’est déjà plus de l’ordre du rêve, mais de la
psychose : « Je me voyais dans un autre monde merveilleux, dans une
mer de mondes où je flottais sans forme. De loin, je voyais la terre et
les astres et je me sentais d’une fugacité prodigieuse avec un sentiment
de puissance illimitée ». Cette toute-puissance informe est une béance
et l’idée même de rencontre y est frappée de non-lieu.

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Rencontre et psychose 13

Pour ce qui est de la schizophrénie, parmi les trois formes de


présence en échec topiquement schizophréniques analysées par
BINSWANGER, le maniérisme, la Verstiegenheit et la
Verschrobenheit, je choisirai seulement le maniérisme. Le manié-
risme, disait BINSWANGER, c’est la pose. Et, de fait, celui qui doit
comme modèle garder la pose cesse de se dépasser vers un monde, de
se prêter aux variations de l’Umwelt et aux appels du Mitwelt. Le
malade schizophrène, qui, pour se donner une contenance, se donne
une manière d’être, est entièrement absorbé en elle. Elle est à la fois
son modèle intérieur et sa façon d’exister. Il s’enlace à son propre
schème d’immanence, mais extériorisé. Il s’institue son personnage.
Il joue son propre personnage et le personnage qu’il joue, c’est lui
acteur. Dans cette tautologie ludique, l’idée même de rencontre est
aberrante.
Pourtant, elle hante le schizophrène, elle est le point critique de son
ambivalence. Il en déplore l’absence dans le moment même qu’il s’y
dérobe. Un malade de Roland KUHN se plaint de ne pouvoir joindre
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le national et l’international, le privé et le public, soi et l’autre. C’est
pour cela qu’il a dessiné les plans d’une ville autonome, autarcique,
qui ne dépendrait que de soi. Et ceci, dans le dessein de joindre, à
travers les rues de sa ville, les autres ou les choses. Or, les choses y sont
exposées, dans des espèces de stands, comme des noms, comme des
mots, comme des « incorporels » qui n’offrent aucune prise et ne
mettent en prise sur rien ; sans que les mots, réduits à l’état d’objets,
débouchent sur des choses, sans que les choses, étiquetées par les
mots, soient appelées par leur nom à entrer en présence. C’est une
façon qui est commune, d’ailleurs, aux schizophrènes et aux mélanco-
liques : tout a perdu sa tournure. Rien n’est tourné vers nous, ni nous
vers rien. Cet homme n’est pas ouvert aux autres, ni les autres à lui. Pas
de co-existence dans un monde disjoint. Aussi est-il institué, « pour
joindre le commencement et la fin », une procession rituelle qui fait,
tous les six mois, le tour de la ville. Elle en assure les limites, en
consacre le péribole. Mais, c’est du même coup la fixer, l’incarcérer
en elle-même. La répétition périodique introduit dans le temps la
même fermeture que dans l’espace. Il ne peut être question de
rencontre. Le malade ne peut pas rencontrer parce qu’il lui est
impossible d’être présent, en raison de la désarticulation de sa tempo-
ralité. La déchéance de la dimension temporelle (et spatiale) de
l’existence est constitutive de la psychose.
La temporalité du mélancolique se dénonce dans la forme canoni-
que de la plainte : « Ah ! si seulement je n’avais pas… je n’en serais

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pas là » ; mais tout est accompli depuis le commencement, y compris


le temps lui-même. Dans ce temps sans tension de durée, rien n’est en
voie d’accomplissement, sans cesse de l’accompli se verse en accom-
pli. Le « Là » où en est le mélancolique est le même qu’au départ, où
tout est consommé. Le présent de la mélancolie ne s’ouvre pas au sortir
du passé, non plus que son avenir au sortir du présent : il n’y a pas de
sortie. Le présent mélancolique est un présent de pure décadence,
d’incidence nulle, comme il n’en existe dans aucune langue du monde.
Il ne peut émerger de l’aspect du participe passé : ce qui, souvent,
conduit à dire que l’existence mélancolique est tout en rétentions. Cela
est faux. Toute rétention est celle d’un présent tré-passé mais retenu à
la façon d’une ombre sous l’horizon d’antériorité qu’ouvre, à partir de
soi, le présent vivant actuel en incidence. Pas davantage, l’existence
maniaque ne consiste, symétriquement, qu’en protensions. Apparem-
ment, le maniaque est toujours pressé de communiquer. En réalité, il
n’y parvient jamais. Il a toujours l’air d’être en avance sur l’instant, de
précéder l’événement, de l’anticiper. En réalité, il s’arrange toujours
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pour n’être jamais rejoint par le temps, pour que rien jamais n’arrive,
pour que le présent n’ait pas le temps d’arriver. Le temps arrive du
futur. La pensée réagit en remontant le temps : elle l’inverse. Quand
ce contre-mouvement est infini, la pensée rencontre toujours du temps
qui arrive, mais toujours aussi l’inverse. Cela est toujours possible au
futur : le futur remonté en sens inverse de son incidence rencontre bien
indéfiniment devant lui du futur incident qui vient, mais indéfiniment
ce futur s’inverse. Mais ce qui convient au futur disconvient au
présent. Là où le temps incident qui vient ne se verse pas en temps
décadent qui s’en va, la discrimination des deux n’a pas lieu et il n’y
a pas de présent. Loin donc de devancer le temps, les impulsions
maniaques sont des actes conjuratoires dirigés contre l’avènement du
présent et l’événement d’une rencontre.
L’espace, comme le temps, déchoit dans la psychose. Dans la
schizophrénie, sa déchéance revêt deux formes opposées. Par exem-
ple, dans le cas de Suzanne Urban, on peut dire que la crise éclate, dans
la salle attenante au cabinet de l’urologue, au moment où celui-ci lui
apprend avec une mimique effroyable, sans un mot et en lui coupant
la parole, que son mari est dans un état désespéré. Cette salle close dont
la porte s’ouvre brusquement pour donner passage au médecin est un
lieu scénique à l’intérieur duquel tout se passe et duquel on ne peut
s’évader. Elle aura ensuite sa résurgence dans l’espace scénique du
délire, dont toutes les issues sont gardées par les persécuteurs. Entre
les deux, à l’inverse, le seul lieu d’existence est un espace purement

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atmosphérique, un espace où Suzanne Urban flaire partout des dan-


gers, comme les âmes flairent dans l’Hadès, où tout est devenu fumée :
il n’y a pas de distance entre la menace et le monde même. Le monde
est devenu entièrement menace et on peut dire que le terrifique ici est
absolu. Pour se donner un espace de relâche, la malade démultiplie le
terrifiant en persécuteurs nombreux. Or, ceci a un équivalent dans la
dissociation du corps. C’était le cas d’une malade que j’ai vue
plusieurs fois à l’hôpital psychiatrique du Vinatier, la même qui
demandait aux étudiants stagiaires : « Est-ce que j’existe ? ». À de
certains moments, elle se retirait pour aller, disait-elle, retrouver sa
bête, qui la dévorait de l’intérieur. Son corps était une espèce de sac-
cercueil, de corps-sarcophage se dévorant soi-même ; c’est-à-dire
qu’elle endurait sa résorption en soi. À l’inverse, elle gardait toujours
avec elle les broderies qu’elle avait faites et qui représentaient ses
organes (cœur, foie, poumons, estomac) séparés, alignés les uns à côté
des autres, illustrant la dissociation de l’image du corps, que Gisela
PANKOW a analysée, et qui apparaît comme une tentative pour sortir
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de cet état de résorption, d’involution totale.
Tout cela marque l’incapacité totale de rencontre, en même temps
que les contradictions déchaînées par l’obsession, impossible à conce-
voir autant qu’à satisfaire, d’une rencontre lointaine. Nous parlons de
rencontre, mais dans notre monde institutionnalisé, où les relations
sont de plus en plus normées, une rencontre est-elle encore possible ?
Qu’appelons-nous rencontre ? Nous parlons de rencontre à propos
d’un match de football, d’une bataille, à propos d’une rencontre au
sommet, d’un meeting, mais ces rassemblements supposent une
espèce de solidarité pré-contrainte qui interdit absolument ce que l’on
peut appeler la rencontre de deux existants. Sans doute. Mais si nous
nous interrogeons sur ce que peut être une rencontre authentique, il
faut bien voir ce qu’elle implique essentiellement de mystère. Ce mot
est employé par François TOSQUELLES dans le sens de Gabriel
MARCEL pour désigner une situation dans laquelle je me trouve
engagé, mais telle que je ne peux pas l’énoncer, que je ne peux pas la
signifier. Et, de fait, une rencontre est insignifiable. C’est ce qu’avaient
très bien vu les stoïciens, quand ils disaient : une langue ne peut
exprimer que ses propres exprimables, institués avec elle. Mais, elle
ne peut jamais dire les choses mêmes à quoi nous avons affaire, les
pragmata, qui sont justement l’objet du tygchanon, de la rencontre.
Celle-ci échappe aux mots. À l’intérieur d’une langue instituée, il n’y
a pas de rencontre. Notre savoir du monde est codifié par le système
de la langue. Mais il n’enveloppe pas l’acte propre du dire. Il serait

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temps que nous songions à rendre la langue au langage. Or, tout ce que
nous avons entendu ces dernières années au sujet de la langue n’est pas
fait pour y conduire.
En quoi suis-je impliqué dans une rencontre ? Me voici en présence
d’un autre, un autre qui se présente en tant qu’autre, c’est-à-dire tel que
je ne peux pas l’inventer. Si je peux l’inventer, il se dissout. Et qu’est-
ce que je ne peux pas inventer ? Au sens propre, un visage, qui n’est
pas une image. Une image est la thématisation du visage que je mets
à ma disposition. Mais dans une rencontre, l’expression de l’autre est
un visage qui parle. Même un visage qui se ferme exprime en lumière
noire sa propre fermeture, qui m’éclaire, en lumière noire, douloureu-
sement. Mais lorsque l’autre reste ouvert, son visage rayonne l’espace
où s’ouvre mon regard. En ce regard que je porte sur l’autre et qui se
tient dans cette ouverture, je ne rencontre l’autre qu’à m’y trouver moi-
même. L’épiphanie d’un existant dans le regard d’un autre exige
l’autophanie de celui-ci dans ce même regard.
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C’est justement ce à quoi, dans l’exemple de WYRSCH, se heurtent

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généralement les psychiatres. Car, dans l’impossibilité de rencontrer
l’autre, chacun éprouve ce manque, ce manque à exister, comme une
possibilité de sa propre existence. Et, cela il ne peut pas le supporter.
Pour échapper à cette épreuve en évitant l’occasion de la rencontrer,
il est deux façons du regard : le regard par en-dessous, au sens propre
hypo-crite, qui enferme le visage de l’autre dans une image close,
finie, dont j’ai la maîtrise, que je peux posséder (cf. la caricature) et le
regard survolant qui le traverse sans le voir. Le regard par en-dessous,
armé, est souvent celui de la psychiatrie. Toutes sortes de techniques
« scientifiques » d’évitement permettent au psychiatre de se dérober
à l’ouverture à l’autre, laquelle le révèle à soi. Or, cette révélation en
chiasme de l’autre et de moi, c’est tout simplement le moment de
l’existence. C’est là que l’existentiel se sépare du pulsionnel. Il n’y a
pas de rencontre au plan pulsionnel, il n’est de rencontre que d’existant
à existant. Nous pouvons dire que « dans l’état actuel de nos connais-
sances », non : de nos positions psychiatriques, tout est conçu et
organisé pour éviter la rencontre et pour en évacuer l’idée dans une
perspective d’objectivation universelle. Objectiver l’autre, en faire un
objet d’observation, un objet d’étude, un objet de soin, de traitement,
c’est se mettre à l’abri soi-même comme sujet supposé, et passer outre
à l’homme malade pour lui substituer la maladie, pour faire de son
visage, et de tout ce qui peut témoigner de son visage, un panel de
symptômes.

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Rencontre et psychose 17

Ceci marque la rupture de « l’être avec ». La rupture de « l’être


avec », nous la rencontrons aussi bien dans le domaine historico-social
que dans le domaine psychiatrique. Dans le domaine historico-social,
nous assistons aujourd’hui à la fission de la rencontre, qui se trouve
divisée, par une véritable Spaltung, en deux domaines disjoints : l’un
de logicisation et l’autre de sensibilisation, où, dans le second, le
pathique et, dans le premier, le logique s’est émancipé. Or, il n’y a de
logique que de l’objet et, de l’autre côté, la tectonique des plaques
pulsionnelles détermine des contacts, non des rencontres, comme il en
va aujourd’hui dans le monde incertain de l’adolescence. Ou bien des
adolescents, prématurés de tout âge, fusionnant par contagion affec-
tive, s’agitent dans une bulle matricielle, en rabattant le plus souvent
le sur-moi sur le ça, ou bien le moi est court-circuité au niveau
paroxysmal sous la forme épileptoïde du trépignement devant la loi,
de l’implosion ou de la décharge d’affects violents, sans être capable
d’instaurer une autre loi qui puisse valoir pour un monde. Mais à
l’opposé, règnent les adultes-maîtres et, pour ce qui actuellement nous
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occupe et nous préoccupe, les décideurs de la Santé publique, et plus
particulièrement les organisateurs et les administrateurs de l’institu-
tion psychiatrique, dont l’autorité fait loi. Je citerai comme exemple
l’usage mondialisé du D.S.M., les codes de procédure, les passations
collectives du test de Rorschach, dont les planches projetées sur écran
sont tout ce qui subsiste ironiquement en lui de projection – avec, bien
entendu, le choix d’avance testé entre trois réponses-modèles prééta-
blies.
Cette distinction psycho-sociale entre deux âges de l’homme re-
joint celle qu’établissait l’ancienne psychiatrie allemande entre
Gemütskrankheiten et Geisteskrankheiten, entre les maladies du Gemüt,
du cœur, et les maladies de l’esprit. Qu’il s’agisse de la santé plus ou
moins équilibrée du « on » ou d’affection pathologique, dans les deux
cas, la contagion affective, d’une part, et l’objectivation, de l’autre,
excluent la communication comme l’a montré – pour ce qui est de la
seconde – Georges LUKÀCS dans son étude des comportements
esthétique, théorique, pratique, (moral). L’objectivation est la caracté-
ristique de l’homme théorique. Dans le comportement logique-théo-
rique, la relation sujet-objet est telle qu’il n’y a pas vraiment de sujet :
il n’y a qu’un objet. « Chaque comportement théorique se dirige à
chaque fois sur un objet, mais sa vérité exige implicitement l’ajuste-
ment de cet objet à l’ordre du monde, de sorte que l’objet de la
connaissance théorique est toujours l’intégrale des énoncés vrais. Le
comportement théorique est un procès infini inachevable. Le sujet qui

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lui correspond est une pure construction et non pas un sujet réel ». Son
accomplissement « en réalité » est irréalisable. Cette situation a un
analogue dans la schizophrénie : l’Oberbegriff (supra-concept) de
BLEULER, dans lequel « tous les projets sont suspendus, annulés, en
faveur de la représentation d’un seul concept-objet », à quoi tout se
ramène et où, désormais, l’expérience est prise dans un système
d’associations dont elle ne peut plus sortir. Il a bien son équivalent,
dans ce qu’on appelle intégrale des propositions vraies. La conscience
transcendantale n’est la conscience de personne. Jamais dans la
connaissance théorique, je m’éprouve réellement Moi.
C’est seulement dans le comportement esthétique que je suis en
présence : en présence d’une œuvre d’art, en co-présence avec elle. Je
me surprends à exister d’une existence propre, insubstituable. Je parle
d’une œuvre d’art qui en est une : un losange de MONDRIAN ou une
Sainte-Victoire de CÉZANNE ou Sainte Sophie de Constantinople. À
ce moment, cette œuvre, unique, et moi, unique, nous sommes frappés
de réalité. Parce que sa présence est insurmontable, que je ne peux pas
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l’inventer, mais qu’irrévocablement elle s’ouvre à moi, j’ai la révéla-
tion que j’existe. J’existe dans cette ouverture. Je l’existe. L’espace de
l’œuvre est la courbure unique de toutes ses formes. La première
condition qui fait qu’une œuvre d’art existe est qu’elle transcende, non
seulement moi qui la regarde, mais aussi son auteur. Et, au fond,
pourquoi resterais-je en contemplation, en ouverture, ou à CEZANNE
ou à MONDRIAN ou à n’importe qui ? Alors qu’il n’a lui-même la
révélation de son œuvre qu’au moment où elle le dépasse et où il est
surpris de l’avoir fait, en disant : c’est impossible.
C’est donc à ce moment que se produit le véritable rapport où moi
et l’œuvre nous sommes tous les deux réels. Nous n’existons pas toutes
les minutes. Il est assez rare que nous nous surprenions à exister, sinon
dans des moments dramatiques ou dans des moments de joie excep-
tionnelle. De toute façon, il y a là une rencontre comme entre l’œuvre
et moi. Mais, une dissociation se produit entre elle et moi dès lors que
s’établit entre nous un rapport de sujet à objet et qu’elle est devenue
un objet de représentation ou d’estimation. Elle cesse alors d’exister
comme cesse d’exister l’autre dont l’homme théorique fait un thème
objectivable. C’est de la même façon qu’il est porté atteinte à « l’être
avec », et le malade le ressent comme l’atteinte la plus grande qu’on
puisse porter à son existence même.
Faire d’un homme malade un exemplaire de maladie, c’est ne
pouvoir ni ne vouloir savoir rien de son épreuve existentielle. Car,

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Rencontre et psychose 19

comme l’écrit François TOSQUELLES, « il n’y a pas d’attitude du


malade envers la maladie. Il y a attitude envers son vécu. Il ne lutte pas
contre la maladie. Il lutte pour établir, rétablir sa condition humaine ».
Surtout, définir une maladie revient à proposer un modèle pathologi-
que déterminé par une structure ou un complexe de structures. Mais en
réalité, il n’y a pas de structure pathologique. Il n’y a pas de structure
là où l’existence est en cause. Par exemple dans le langage, « dans la
langue, tout est procès », écrit Gustave GUILLAUME, « il n’y a pas
de substantif, il y a un processus de substantification d’une subtilité
extrême » et qu’il a lui-même suffisamment étudié pour en avoir
mesurer la complexité. De même, il n’y a pas de structure pathologi-
que, il y a une pathologisation, une pathologisation de l’existence qui
ne fait qu’une avec la métamorphose vécue mais non comprise, de
l’épreuve d’exister. Voilà pourquoi le psychotique ne peut avoir égard
qu’à son vécu, comme nous n’avons, nous aussi, égard qu’au nôtre
propre, et le vivre de son vécu est intransportable dans un monde tout
fait ; de même que notre existence est intransportable dans ce même
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monde tout fait.
Cette pathologisation revêt l’aspect d’une histoire, comme notre
existence aussi revêt l’aspect d’une histoire. Qu’est-ce qu’une his-
toire ? C’est le développement d’un projet, au sens de HEIDEGGER,
c’est-à-dire qu’elle est l’expression de ce qu’il nomme Dasein. Il faut
bien s’entendre sur ce terme. Il signifie « être le là », « être le là » de
tout ce qui a lieu, « être le là » du monde dans lequel tout arrive, y
compris mes actes, c’est-à-dire qu’il n’y a pas un seul de mes actes qui
n’implique et n’entraîne avec lui mon monde.
Cette situation est-elle universelle ? Eh bien, non. Il y a une
pathologie qui ne se laisse pas impliquer dans ce schème existentiel.
Roland KUHN, lors de ses premiers essais d’utilisation du Tofranil, en
1956, l’avait employé dans le traitement des schizophrènes. Il avait
alors constaté que la schizophrénie n’en était pas modifiée, mais
qu’avait disparu « la composante dépressive ». Ce qui avait disparu,
c’était un ensemble de symptômes dont il a reconnu l’unité spécifique
et le sens nodal originaire et qu’il a désigné par le terme de « dépres-
sion vitale ». Elle est plus familière sinon plus accessible aux méde-
cins généralistes qu’aux psychiatres. Elle consiste essentiellement à
n’avoir communication à rien, pas même et surtout pas à soi. Cet
homme, qui souvent vit encore dans le monde, est absent à sa propre
présence sans éprouver une présence d’absence. Il n’est pas perdu au
milieu de l’étant, mais l’être même est perdu. Cet état n’a pas d’âge ;

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20 Rencontre et psychose

il n’a pas d’histoire. On l’observe chez des nourrissons comme chez


des vieillards.
La dite « mort subite des nourrissons » compte pour moitié des
morts survenues au cours de la première année. Toutes les enquêtes
aboutissent à mettre en cause l’attitude des parents. Ils ne se sont pas
impliqués – non par intrusion mais par résonance – dans les plis d’une
existence en attente ou en retrait, manifestée plutôt qu’exprimée par
des attitudes d’appel ou d’abandon, par exemple un cri. Ce cri, il est
aussi néfaste de ne pas l’entendre que de le combler par un apport
idéalement préconçu et d’en tarir la source. Il s’agit de lui accorder
l’accueil d’une présence structurante. Cette dépression originaire a un
correspondant dans ce que WINNICOTT appelle Break down (je vous
renvoie à « Jeu et réalité » et à la lucide préface de Jean-Bertrand
PONTALIS). Cette situation ne s’ouvre à partir d’aucun horizon
possible. Elle se découvre à celui qui l’éprouve sans qu’il y soit préparé
par une anticipation a priori de lui-même. Il est là, sans être le là de
l’abîme dans lequel il est jeté. En ce là de nulle part, il est passible de
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soi. Seul moment : l’exaiphnes (l’instantané sans temps). Et, ce
moment est peut-être le déterminant de toutes les psychoses, ce
« creux de l’être », comme dit WINNICOTT, « à partir duquel l’exis-
tence seulement peut commencer ».
La psychose n’en est pas le développement. Je cite WINNICOTT :
« On aurait tort de considérer l’affection psychotique comme un
effondrement, c’est une organisation défensive liée à une agonie
primitive ; agonie sous-jacente contre laquelle se constitue toute
tentative de structuration, tout syndrome psycho-pathologique. » C’est
la situation initiale, basale, de laquelle surgit aussi bien l’être malade
que l’être qui tente d’exister. Et, dans les deux cas, comment ? En
instituant une histoire. Parce qu’elle est une forme de présence, au sens
de « Dasein » (être le là), la psychose est l’ouverture d’une histoire.
Quand est-ce que HEIDEGGER a découvert sa propre pensée ? À la
sortie de la première guerre mondiale, au moment où il a découvert le
caractère dramatique de l’histoire constitutive du monde de tous et du
monde de chacun. « Normal » ou « pathologique », « die Welt weltet » :
le monde se fait monde. Aussi, l’idée de vie, d’abord retenue par
HEIDEGGER, ne peut pas en rendre compte. La vie n’implique pas
l’événement-avènement d’un monde. Seul l’implique, selon HEI-
DEGGER, ce qu’il nomme à partir de 1924 « Dasein ». Être le là de
ce qui a lieu d’être, c’est ouvrir le projet d’un monde auquel pouvoir
être, se faire projet de soi.

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Rencontre et psychose 21

« Le projetant, dit HEIDEGGER, est en jet dans son projet ».


Projet qui mène à quoi ? Non pas à une réalité existante, non pas à une
possibilité qu’il aurait à réaliser, mais à une ouverture, à la possibilité
de se rendre possible, d’instituer sa propre possibilité. Qu’est-ce qui a
sens ? Ce qui est inscrit, à une place déterminée dans un système de
possible. Mais, d’où ce système tient-il son être ? Aujourd’hui, nous
pouvons dire que l’homme entier, dans son projet fondamental, a
voulu être l’origine de toutes ses possibilités. Il est devenu l’unique
projet, le projet de soi. Seulement, au-dessous il y a ce « creux » dont
parlait WINNICOTT et celui-ci est irréductible au projet. Il n’y a pas
moyen de le signifier. La rencontre, non plus, ne peut être signifiée.
Pourquoi ? Parce qu’elle est le moment même de la réalité. La réalité
n’est pas ce qui, à priori, est possible, mais ce en quoi, surgissant, ce
qui est a lieu d’être.
L’homme malade et celui qu’on dit bien portant s’originent au
même « creux » existentiel. Au moment où la réalité est occultée, où
l’homme, engagé dans un divertissement désespéré, tend à devenir
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objet, la psychiatrie a pour tâche primaire de détourner le monde des
psy du chemin de l’objectivation et de résister à l’industrie psycho-
alimentaire de l’information et à l’entreprise générale de robotique.
L’existence, comme seul moment de réalité, est le point commun de
toute psychologie, qu’elle porte sur l’être qui se croit normal ou sur
celui qui se sent, et sans tricher, atteint dans son existence même.

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