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Le Dieu football
Ses origines, ses rites,
ses symboles
Les origines…
AVEC UN CRÂNE ?
Dès le début de l’histoire de l’humanité, les hommes ont dû
jouer. Pour être plus précis, en remontant à l’aube des temps, le
jeu débuta sans doute quand les premiers humains commencè-
rent à se transformer de chasseurs-cueilleurs en paysans-agricul-
teurs. Le temps des loisirs devint un élément de la vie
quotidienne. Les jeux et les activités récréatives, individuels ou
collectifs, apparurent dans une société où jusqu’alors les indivi-
dus et les groupes étaient seulement préoccupés par la quête de
nourriture, la protection contre les éléments et les ennemis, et
l’affirmation de leur supériorité sur la nature.
Se jeter les uns les autres un os, un fruit ou un morceau de bois
devait faire partie de ces jeux primitifs. Les hommes préhisto-
riques avaient sans doute essayé de se passer des pierres, et
probablement des pierres plutôt sphériques. Dans les sociétés
traditionnelles, toutes les activités sont marquées par les rites et
le sacré. Nous verrons que les jeux de balle originels n’échappent
pas à cette règle, en étant adroitement associés à des rituels reli-
gieux.
À Kingston-on-Thames, en Angleterre, on raconte une histoire
tenace. Au XIe siècle, les Saxons vainquirent les Vikings qui
venaient de débarquer et allaient envahir le bourg. Le chef viking
eut la tête coupée par les vainqueurs. Les seigneurs saxons, selon
la légende, poussèrent sa tête à coups de pieds dans les rues du
village, comme un vulgaire ballon de foot. Bien avant cette triste
histoire, dès que l’homme se tint sur ses deux jambes, on a dû
jouer avec un crâne humain, d’abord avec les mains, ensuite avec
les pieds. Livingstone, dans un de ses récits de voyages africains,
décrit un groupe d’indigènes qui jouent avec une tête à un jeu de
balle au pied, après avoir décapité une victime innocente 1. En
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LE KEMARI JAPONAIS
Il y a plus de 2 500 ans, les Japonais pratiquaient aussi un jeu
de balle au pied : le kemari. Cette activité était bien distincte
du tsu chu chinois, puisque c’était un divertissement plus
« paisible », et non pas un entraînement militaire suivi de
punition. Les joueurs pratiquaient le kemari avec beaucoup de
courtoisie. La balle était en bambou recouverte de cuir. Pour y
jouer, les princes et les courtisans, vêtus de costumes tradi-
tionnels, se réunissaient dans une cour ou un terrain bien
délimité. L’objectif était de ne pas laisser tomber la sphère
d’environ vingt centimètres de diamètre, à terre. Pour y parve-
nir on pouvait utiliser la tête, le genou ou le pied. Ce jeu, hau-
tement symbolique, n’avait pas la violence du voisin chinois.
Il était joué par huit personnes, au plus. Le terrain de jeu
s’appelait le kikutsubo ; il était de taille rectangulaire avec un
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1. Cité par Tachibana Naruse dans le Kokon chomon shû (recueil de chroniques
fameuses du Japon).
2. Dans la NBA, la ligue professionnelle de basket américain, on retire et on
suspend les maillots des joueurs vedettes, comme celui de Michael Jordan
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L’EPISKYROS GREC
Les traces les plus précises du football historique remontent à
l’Antiquité grecque. En visitant le siège de la FIFA, à Zurich, on
peut admirer, dans la salle d’accueil, une sculpture offerte par la
Grèce à l’occasion de sa qualification à la phase finale de la
Coupe du monde 1994 aux États-Unis. Il s’agit d’une reproduc-
tion d’un bas-relief en marbre de 450 avant J.-C., dont l’original
est au musée national d’archéologie d’Athènes. Il fut trouvé au
Pirée, en 1836. La stèle représente un athlète nu jonglant avec
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appelé ephebike, fut pratiqué en Grèce dès 800 avant J.-C. Une
L’HASPARTUM ROMAIN
Rome s’est beaucoup inspirée du monde grec sur les plans artis-
tique, religieux et politique. Rien d’étonnant à ce que l’on
retrouve l’episkyros et l’hasparton dans l’ancienne Italie, dans une
variante différente appelée haspartum, qui signifie en latin « le
jeu à la petite balle ».
séparé par une ligne centrale. Les pieds étaient bien sûrs utilisés.
La solidité du ballon est attestée par un récit de Cicéron qui a
ment citée aujourd’hui. Il avait hélas tendance à expliquer les maladies par
l’influence exercée par les quatre éléments (air, terre, eau, feu) et les quatre
qualités physiques (chaud, froid, humide, sec) sur les quatre humeurs (sang,
bile, pituite, atrabile).
Les origines… 43
typique des stades mayas. Dans les sites mayas, l’anneau est parfois rem-
placé par une ronde-bosse, elle aussi appelée marcador. Le jeu de pelote de
Copán, au Honduras, n’a que 26 mètres de long, mais il paraît beaucoup
plus large par suite de la forte inclinaison en arrière des deux banquettes.
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1. Sur le site de Tula, aux environs de Mexico, le terrain de jeu de ballon avait
une forme de T dont les branches verticales étaient opposées. Long de
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67 mètres et large de 12 mètres, il était limité de chaque côté par des murs
précédés d’une banquette (pour les remplaçants, les entraîneurs-prêtres ou
les seigneurs ?). Il était orné de reliefs figurant des joueurs de pelote,
richement vêtus, de hiéroglyphes de la planète Vénus et de porte-étendards.
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Ce jeu de balle rituel (appelé aussi ollama, de olla qui veut dire
« sang » ou « sève », le latex) était un jeu réservé aux nobles, sou-
vent accompagné de lourds paris. Les joueurs devaient jeter la
balle à travers l’anneau placé verticalement chez les Toltèques et
les Aztèques, obliquement ou horizontalement chez les Mayas,
Totonaques et Zapotèques : allez savoir pourquoi ? La balle était
en caoutchouc1, très compacte et très lourde. Les joueurs devaient
la réceptionner, semble-t-il, sur les articulations (coudes, hanches,
genoux, cheville) ou avec la tête, les épaules et peut-être les pieds.
Très violentes, les rencontres causaient souvent des blessures gra-
ves et, occasionnellement, des accidents mortels. En réalité, les
jeux de balle allaient peut-être des simples jeux récréatifs jusqu’à
des compétitions à gros enjeux durant lesquelles les capitaines
des équipes perdantes étaient décapités, tandis que les vain-
queurs étaient élevés au rang de héros. Du temps des Olmèques,
les rois étaient dépeints en joueurs de balle, portant des armures
de cuir. Il y avait sans doute des armures pour les guerriers et
d’autres pour les athlètes. Mais dans les temps anciens, la dis-
tinction entre un grand joueur, un grand guerrier et un grand
chef, n’était pas si… grande !
Les Espagnols interdirent le tlachtli, non seulement parce qu’il
déchaînait les passions, qui poussaient certains nobles à miser
leur fortune ou même leur liberté sur le sort d’une partie, mais
aussi parce qu’il s’agissait d’un rite païen évoquant le mouve-
ment de l’astre solaire. Le tlachtli, dont la signification mythique
et religieuse est complexe, est encore pratiqué dans certaines
1. Des jeux de balle avec des bâtons (sorte de « crosse »), appelés kapucha toli,
« jeu de balle avec un bâton » (sorte de hockey sur gazon), ont été pratiqués
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… ET AILLEURS
Rappelons aussi que les Esquimaux pratiquaient le asqaqtuk en
Alaska. Dans ce « football sur glace », il fallait pousser avec le
pied, sur d’immenses terrains aussi, une lourde balle de cuir
remplie de mousse, de poils de caribous et de lichens.
Des habitants des îles du Pacifique (dont les Maoris) disputaient
des matchs en utilisant des ballons fabriqués avec des vessies de
cochon gonflées et frappées avec les pieds et les mains.
En Indonésie, Malaisie et Thaïlande, on pratique le très populaire
sepaktakraw, un jeu avec une balle de bambou tressé d’une quin-
zaine de centimètres et qui se joue avec les membres inférieurs. Le
sepaktakraw (littéralement « balle tressée au pied ») est un sport
culte et roi dans toute l’Asie du Sud-Est. C’est à la fois un passe-
temps favori du peuple, une tradition ancestrale et une discipline
professionnelle de très haut niveau, née au Siam, au XIe siècle. Dans
ses récits de voyage, Marco Polo mentionne ce jeu pratiqué dans les
campagnes où les villageois se passent une balle en rotin avec les
pieds. Mélange entre le football et le volley-ball, il était aussi prati-
qué dès le XVe siècle par les indigènes malais. Chaque pays du Sud-
Est asiatique utilise son propre nom pour désigner ce sport : sipa
aux Philippines, ching loong en Birmanie, kator au Laos et rago en
Indonésie. C’est de très loin le sport national en Malaisie.
En Australie, les aborigènes pratiquaient depuis des millénaires
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leur balle. Les citoyens âgés, les pères et les riches arrivaient à cheval
pour regarder leurs cadets s’affronter, et pour revivre leur propre jeu-
nesse par procuration : on pouvait voir leur passion s’extérioriser tandis
qu’ils regardaient le spectacle ; ils étaient captivés par les ébats des ado-
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Ledit ballon devait être joué autour d’un champ ou sur celui-ci,
afin d’assurer prospérité aux cultures. Il s’agissait donc de défen-
dre le ballon contre l’attaque de la partie adverse.
LA SOULE MÉDIÉVALE
La soule se développa au Moyen Âge, aussi bien dans les îles bri-
tanniques qu’en France. En Irlande, la soule proviendrait d’un
vieux rite solaire celtique. Ce rite celtique trouve des affinités
avec d’autres rites primitifs dans lesquels un disque ou un objet
globulaire symbolisent le soleil, source de vie. Aujourd’hui
encore, le premier mai, des balles d’or et d’argent, représentant
le Soleil et la Lune, sont promenées autour de certains villages
irlandais. En Irlande, on jouait au cad, dès le Xe siècle. Il s’agissait
de frapper dans la balle d’un bout de terrain jusqu’à l’autre. Le
football gaélique perpétue cette tradition. Il faut signaler que ce
dernier est encore très pratiqué en Irlande. Il est très apprécié des
catholiques, et aurait servi de refuge aux militants proches du
Sinn-fein.
la brutalité d’un jeu dont les acteurs laissaient des éclopés sur le ter-
rain et quelquefois des morts. »
La constitution des équipes était parfois surprenante : les céliba-
taires s’opposaient aux hommes mariés (nous reviendrons sur
cette référence au caractère sexuel latent du jeu de balle). La soule
se jouait souvent en juin, au retour de l’été et du soleil, quand
commençait la récolte des céréales, si décisive pour les commu-
nautés rurales.
En Bretagne, on prédisait aux vainqueurs des moissons abon-
dantes. Ils avaient le droit d’emporter le ballon pour que les
récoltes soient meilleures. Une des variantes bretonnes consistait
à déposer trois fois la balle dans un trou creusé dans la terre,
comme pour la « semer ». À Inveresk, en Écosse, on a retrouvé
les traces d’un jeu de balle pratiqué par les femmes, cette fois.
C’est un des seuls témoignages connus du Moyen Âge qui per-
mettait aux femmes de pratiquer ce jeu. Une des deux équipes
était constituée de femmes mariées, l’autre de célibataires. Il
s’agit sans doute d’un rite lié à la fécondité et ayant pour but de
conjurer la stérilité. Le football féminin est donc beaucoup plus
ancien qu’on ne le croit.
Les nobles jouaient rarement à la soule. Le roi Henri II y joua
avec Ronsard : « Le Roi ne faisait partie où Ronsard ne fut toujours
appelé de son côté. »1 Un poème de ce dernier contient ces vers :
« Faire d’un pied léger et broyer les sablons,
Et bondir par les prés et l’enflure des ballons…
Ore un ballon poussé vers une verte place… »
Les amours de Marie, XVIe siècle.
La suite de la citation est : « Entre autres, le Roi ayant fait partie pour jouer au
ballon au Pré aux Clercs où il prenait souvent plaisir, pour être un exercice des
plus beaux pour fortifier et dégourdir la jeunesse, ne voulut qu’elle fût jouée sans
Ronsard. »
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Bien qu’elle fût pratiquée par les nobles1 et même par les reli-
gieux, voire par les rois, la soule demeura un jeu du peuple. Les
rencontres étaient extrêmement violentes, et l’on conserve des
lettres de rémission du XIVe siècle accordant le pardon à des mala-
droits qui avaient fendu la tête d’un adversaire au lieu de frapper
le ballon ! Il faut dire que parfois on utilisait, pour s’emparer du
ballon, de bâtons recourbés à l’image de notre moderne hockey !
Comme en Angleterre, Philippe le Bel, en 1292, Philippe V, en
1319, et Charles V en 1369, interdirent le jeu de soule par décret.
Pendant la guerre de Trente Ans entre l’Angleterre et la France,
de 1338 à 1453, les rois punirent ceux qui s’adonnaient au foot-
ball, étant donné que ce passe-temps favori de leurs sujets les
empêchait de pratiquer l’exercice nécessaire pour faire d’eux des
soldats accomplis. Cela concernait particulièrement le tir à l’arc
ou à l’arbalète, vu que les tireurs étaient des pièces essentielles du
dispositif militaire. Tous les rois écossais, au XVe siècle, se senti-
rent obligés de publier des sommations et interdictions énergi-
ques contre le football. L’édit publié par le Parlement convoqué
par Jacques Ier, à Perth, en 1424, est tout particulièrement
célèbre : « Personne ne doit jouer au football. »
Mais tout cela fut inutile. La fièvre du football se développa,
aussi bien dans le peuple que chez les nobles et les clercs. À Sens,
on joua même au ballon dans une église 2. À Auxerre, on sait que
jusqu’au XVIIe siècle, on jouait un jeu de ballon dans la cathé-
drale. Les chanoines et les choristes s’y livraient un farouche
combat pour la conquête du ballon. Rabelais, dans Gargantua,
au chapitre XXIII, évoque aussi la soule : « Se desportaient es près
et joueaient à la balle, à la paume, à la pile trigone, galamment
s’exerçant les corps comme ils avaient les âmes auparavant exercé. »
LE CALCIO FLORENTIN
À la Renaissance, en Italie, on pratiquait le gioco del calcio (« le
jeu du coup de pied »). Les villes de Florence ou Sienne s’adon-
naient à ce jeu lors des fêtes de mardi gras ou de Pâques.
Le match le plus célèbre eut lieu le 17 février 1530 ; alors que les
troupes de Charles Quint assiégeaient Florence, une partie de
calcio fut organisée. En 1580, le Comte Jean de Bardi di Vernio
écrivit le Discours sur le jeu de calcio florentin ; c’est sans doute la
première publication des règles écrites sur le football. Les futurs
papes Clément VII, Léon XI et Urbain VIII y participèrent.
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que dès les collèges on s’y prépare. Il faudrait des collèges hors des villes, en plein
champ. Voyez ceux de Paris : je trouve une cour, point de jardin, point de pré où
un air libre vienne rafraîchir les poumons d’une jeunesse bouillante. » Les
révolutions se font ensuite à Paris !
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autorisé. Les parents acceptaient ces jeux violents car ils contri-
buaient à former le caractère et à « éduquer » leur progéniture !
L’Angleterre, à cette époque, dominait le monde ! Il n’y avait
toujours pas de règles universelles ; chaque école possédait la
sienne, concernant l’organisation, le nombre de joueurs, la taille
du terrain et la durée des parties. La force physique primait…
En 1846, à Rugby, on établit les règles du jeu. Mais on continue
à autoriser le hacking. Le jeu de main était également permis
depuis qu’en 1823, William Webb Ellis, le père du rugby
moderne, se saisit du ballon avec la main, à l’étonnement de
tous ses camarades. Enfin, en 1863, à l’université de Cambridge,
on codifia réellement les règles du football, scellant ainsi la sépa-
ration d’avec le rugby. Les violences et les coups à l’adversaire
furent interdits ainsi que l’usage des mains pour porter le ballon
ou s’en saisir.
Fin 1863, toujours dans la même année de la codification des
règles donc, le 26 octobre exactement, des représentants des
divers clubs anglais se réunirent à la taverne des francs-maçons.
Ils adoptèrent les règles de Cambridge et fondèrent la Football
Association (FA). En décembre, les tenants du rugby se séparè-
rent de la FA.
La différence entre le rugby et le football est née de la variété des
terrains sur lesquels on pratiquait le dribbling game. Quand il y
avait des pelouses gazonnées, les placages, les corps à corps indi-
viduels ou les mêlées étaient presque « sans danger ». Dans ces
collèges, le jeu évolua donc vers le rugby. Ailleurs, les cours
étaient dallées ou pavées. Les chutes y occasionnaient des acci-
dents fréquents. Ces conditions différentes se reflétaient dans
les règles particulières à chaque établissement. De là aussi
découle le début de la différenciation entre le football, « sport
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1. Dans le roman Le Lys rouge, d’Anatole France, publié en 1894, on peut lire :
« Mais je le connais, ce monsieur, dit Miss Bell. C’est Monsieur Le Ménil. J’ai
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dîné près de lui deux fois, chez Madame Martin, et il a causé avec moi, très
bien. Il m’a dit qu’il aimait le football ; que c’est lui qui a introduit ce jeu en
France, et que maintenant le football est très à la mode. »
2. Jules Rimet, op. cit.
64 Le Dieu football
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1. Idem.