ISSN N°1289-3706
ARA
es rapports entre l’ethnologie et les médias ne sont pas toujours évi-
L dents (cf. Quand l’Ethnologie se donne à voir... et à Dire, Rencontres
de Charlieu, 6 déc. 1996). L’un des paris de ces émissions bimen-
suelles est de continuer à rendre accessible les travaux universitaires
en cours, ou achevés, sans pour autant les dénaturer, mais également de
décrire les liens étroits qui se tissent entre l’ethnologie et diverses profes-
sions. La préparation, bien qu’elle requiert un important travail, n’en
constitue pas moins une phase essentielle qui permet de cadrer conjoin-
tement le sujet et d’éviter les malentendus. Finalement, je prends le
risque d’affirmer que chaque invité a su -jusque là en tout cas- s’y retrou-
ver et captiver l’attention de celles et ceux qui, derrière leurs postes, ai-
ment voyager, s’aérer les neurones, sans avoir forcément besoin de se
déplacer.
Christophe HANUS.
A V E N I R
Le 11 janvier 2000
Louis NECKER, Ethnologue,
Dir. du Musée d’Ethnographie de Grenoble :
“Présentation du lieu et réflexion sur la muséographie .”
Le 25 janvier 2000
André JULLIARD , Ethnologue :
“La figure du Dieu unique dans les monothéismes.
Regard sur le religieux aujourd’hui .”
Le 8 février 2000
Françoise et Jean MÉTRAL, Ethnologues :
"La recherche anthropologique sur le Proche-Orient aujourd’hui."
Le 22 février 2000
Jérôme NICOLAS, doctorant en ethnologie :
"Carnaval et fêtes sociales ?
Comparaison entre les carnavals français et réunionnais."
Le 7 mars 2000
Jésus MIRANDA, Doctorant en ethnologie :
"Questions et controverses sur le vin de Tokaj en Hongrie."
Le 21 mars 2000
François LAPLANTINE, Anthropologue :
"Sur le métissage."
Le 4 avril 2000
Michel RAUTENBERG, Ethnologue :
"Retour sur son parcours de conseiller à l’ethnologie
à la DRAC Rhône-Alpes."
SI VOUS DÉSIREZ , VOUS AUSSI PRÉSENTER VOTRE RECHERCHE
AU COURS D’UNE ÉMISSION RADIO ,
CONTACTEZ CHRISTOPHE HANUS , NOTRE ANIMATEUR PRÉFÉRÉ AU 04 72 10 06 51
HIVER 1999 - 2000
NU M É R O SP É C I A L
N°44 - Prix : 30 F
L'
Elles ont déjà eu lieu
Sur Radio Couleur Tempo (Villeurbanne),
99,3 MHz, FM
Le mardi de 19 h. à 20 h.
• Frédéric JANISSET , Photographe et Jean Paul FILIOD ,
Ethnologue, à propos de : “Habiter c’est aussi mon affai -
re...”, exposition qui a eu lieu à la FNAC en automne 97
et à Saint-Priest à l’automne 98.
• Magali DEMANGET, Doctorante en ethnologie :
“Voyage dans l’univers des pratiques chamaniques chez
les indiens Mazatèques.” (Mexique).
• Gilles ARMANI, Doctorant en ethnologie : “Retour de
terrain : séjour chez les Amérindiens Chachis.”
(Equateur).
• Pierre SAPET , Historien de l’Art : “Culture et
Démocratie au Cambodge, Des Temples d’Angkor aux
Musées de la Paix.”
• Virginie MILLIOT , Anthropologue : “Regard d’une eth -
nologue sur le mouvement Hip Hop lyonnais.”
• Olivier GIVRE , Doctorant en ethnologie : “Des Saints,
des Bêtes et des Hommes.”
• Stéphanie BEAUCHÊNE, Doctorante en ethnologie :
“Le centre civique de Bucarest : histoire d’un imaginaire
politique.”
• Muriel FAURE, Doctorante en ethnologie : “Les fro -
mages dans les Alpes du Nord : de produits agricoles à
objets culturels.”
• Serge FOUILLAND, DESS Sociologie Appliquée au
Développement Local : “Le jeu des acteurs de la valori -
sation du patrimoine radelier : de la recomposition pa -
trimoniale à l’outil de développement local.”
• Jacques HAINARD , Conservateur et Ethnologue au
Musée d’Ethnologie de Neuchâtel : “A travers les exposi -
tions de “La Différence” et de “Derrière les images”, re -
gard d’un ethnologue sur le monde.”
• Evelyne LASSÈRE et Claude GUIOUX, Doctorants en
Ethnologie : “Corps en action : L’expérience et l’inter -
prétation du religieux au travers de l’exemple d’associa -
tions de Yoga.”
Les émissions sont disponibles auprès de
Christophe HANUS ,
1, rue Dumont d'Urville, 69004 Lyon,
Tél. : 04 72 10 06 51
contre l’envoi d’une cassette 90 mn
(2 programmations par cassette),
et d’une enveloppe affranchie avec votre adresse.
REGARDS SUR LES EUROPE :
Avec
la participation
UNE ANTHROPOLOGIE IMPLIQUÉE
DANS LES BALKANS
A S S O C I AT I O N R H Ô N E- A L PE S D 'A NT H R OP OL OG I E
S o m m a i re LE S C ON TA C T S
DE L’ARA
(http://www.mygale.org/05/araa)
Présidence
Muriel FAURE
89, rue d'Angleterre
L ' A N T H R OP O LOGIE PRAT I Q U E . . .
• Editorial ............................................................................................................................................................... 3 73000 Chambéry
Gilles ARMANI, Muriel FAURE, Serge FOUILLAND, Marie-Christine MONNERET, André VINCENT
Tél. : 04 79 69 55 18 B O N D E C O M M A N D E
(mfaure@suacigis.com)
• ALYASPECO ........................................................................................................................................................ 4 Vice-Présidence A photocopier et à retourner accompagné de votre règlement à l’adresse suivante :
Association LYonnaise d’Anthropologie Sur les Pays d’Europe Centrale et Orientale Serge FOUILLAND
6, rue Julien Peyhorgue Association Rhône-Alpes d’Anthropologie (ARA)
• Du crime contre l’autre au crime contre l’Autre. Réflexions sur le crime contre l’humanité ................ 6 69100 Villeurbanne Heikki JAHI / 38, rue Nicolas Sicard / 69005 Lyon / Tél. : 04 78 25 36 67
Bernard VANDEWIELE , Ethnologue, Psychanalyste Tél. : 06 62 42 49 67
(s-fouill@etu.univ-lyon2-fr)
• Les Droits de l’Homme, prêt-à-penser ? ......................................................................................................... 8 Secrétariat
Nom et adresse du destinataire de la commande Adresse de facturation si différente du destinataire
Olivier GIVRE, Doctorant en Ethnologie à l’Université Lumière Lyon 2 Diego SINISCALCHI
30, rue de la Rize
• De l’utilisation idéologique de la notion de culture en général, et dans les guerres en ex-Yougoslavies 69003 Lyon
en particulier ..................................................................................................................................................... 11 Tél. : 06 14 40 12 55
(reato@free.fr)
Dejan DIMITRIJEVIC , Maître de conférence SOLIIS-URMIS, Université de Nice-Sophia Antipolis
Abonnements - Adhésions
• Kosovo 1999 : les bombes à retardement d’un modèle politique occidental dans les Balkans .............. 15 Heikki JAHI
Marianne MESNIL , Professeur d’anthropologie de l’Europe à l’Université Libre de Bruxelles, Directeur du Centre de Recherche 38, rue Nicolas Sicard PUBLICATIONS DATE ÉDITION QUANTITÉ PRIX UNITAIRE TOTAL
69005 Lyon
en Ethnologie Européenne Tél. : 04 78 25 36 67 Actes des XIe Rencontres de L’ARA à Charlieu :
• Le rôle de la violence dans la question balkanique ...................................................................................... 19 (heikki.jahi@ish-lyon.cnrs.fr)
Quand l’ethnologie se donne à voir... et à dire 1997 60,00 F
Georges PRÉVÉLAKIS, Géographe, Université de Paris-Sorbonne, Université de Boston Responsable de publication
Muriel FAURE Numéro Spécial : Pour une anthropologie impliquée : 1998 30,00 F
• Kosovo : la poudrière ........................................................................................................................................ 22
Cécile MARIN, Géographe, Cartographe
Comité de rédaction argumentations face aux extrémismes
de ce Numéro Spécial
• Ethnicité et Nation dans les Balkans ............................................................................................................... 24 Gilles ARMANI, Serge FOUILLAND, Numéro Spécial : Regards sur les Europe :
Heikki JAHI, Marie-Christine MONNERET,
une anthropologie impliquée dans les Balkans 1999 30,00 F
Dominique BELKIS, Anthropologue, C.R.E.A., Université Lumière Lyon 2 Diego SINISCALCHI, André VINCENT,
et
• Retour sur le bon voisinage ............................................................................................................................. 26
Stéphanie BEAUCHÊNE, Dominique BELKIS
Xavier BOUGAREL, Chercheur CNRS-GREMMO Olivier GIVRE Jésus MIRANDA PARTICIPATION AUX FRAIS D’ENVOI 1 exemplaire 11,50 F
• Trianon… Fin de siècle ..................................................................................................................................... 29 Marie-Pierre REYNET d'ALYASPECO (entourer la somme correspondante) 2 à 4 exemplaires 21,00 F
et l'aide ponctuelle de
Jésus MIRANDA, Doctorant, CREA, Université Lyon 2 Muriel FAURE, Valérie PASTUREL
5 à 12 exemplaires 28,00 F
• La question du “premier occupant” dans les Balkans .................................................................................. 32 Jean-Paul FILIOD, Edith PLANCHE, 13 à 19 exemplaires 33,00 F
Stéphanie MAHIEU, Anthropologue, Doctorante au Centre de Recherches en Ethnologie Européenne, Université Libre de Bruxelles et la collaboration indispensable de tous 20 exemplaires et plus 54,00 F
les auteurs...
• La Bulgarie. Réflexions d’anthropologie historique et politique ................................................................. 35 Vous voulez nous faire part de votre expé - TOTAL COMMANDE
Joseph YACOUB, Professeur de sciences politiques à l’Université catholique de Lyon, Institut des Droits de l’Homme rience, recherche, point de vue, etc.
Ecrivez nous :
• Le rêve des mandarins des Balkans : Kosovo = Transylvanie ....................................................................... 38 vos contributions sont à adresser en ver- REMISE DE 30 % : Date Cachet et Signature du Payeur
Jenõ FARKAS, Professeur de Littérature roumaine, Université Eötvös Loránd de Budapest sion imprimée, accompagnées d’une dis- ■ pour les librairies.
quette format PC ou MAC, word 6 ou RTF.
• Aux “Deux cerfs”. Une note sur le racisme et l’exotisme ........................................................................... 40 N’hésitez pas à nous envoyer vos clichés ■ pour les commandes de plus de 25 exemplaires d'une brochure.
Ivan COLOVIC , Ethnologue, Université de Belgrade (noir et blanc ou couleur, tirage papier ou RÉGLEMENT :
diapositive, tous formats.)
• La Culture dans tous les sens ............................................................................................................................. 42 Pour plus d’informations, ■ Bon de commande administratif ci-joint.
contactez un des membres du bureau.
• L’ARA sur les ondes ........................................................................................................................................... 44 ■ Chèque bancaire ou postal libellé à l'ordre de :
Les opinions diffusées dans la Lettre de
l’ARA n’engagent que leurs auteurs. L’ARA, CCP Lyon n° 10.566.86 V
Et pour l’émission du mardi soir sur RCT,
voir dernière page...
B U L L E T I N D ' A D H É S I O N 2 0 0 0

T ASSEMBLÉE GÉNÉRALE ANNUELLE

L’ARA vous convie à son

ELLE AURA LIEU LE

SAMEDI 15 JANVIER 2000
° Photo de couverture : Arrivée de réfugiés de République
Fédérale de Yougoslavie en Macédoine dans la région de
Blace. UNHCR/29004/03.99/Auteur R. Lemoyne.

COMPOSITION DU
CONSEIL D’ADMINISTRATION
Étudiant ( + justificatif)
N’hésitez plus à vous abonner ou à proposer l’adhésion à vos amis !
(Bon à photocopier et à envoyer).

■ 50 F Nom, Prénom ou raison sociale :

Présidente :
à la Bibliothèque Municipale de La Part-Dieu
30, Bld. Vivier Merle, 69003 Lyon
Muriel FAURE Abonnement et adhésion ..................................................................................
Salle des conférences - (Rez de chaussée, au fond à gauche) Vice-Président : ..................................................................................
Serge FOUILLAND
de 10 H à 13 H. Particulier ■ 100 F Adresse :
Secrétaire :
À l’ordre du jour : Abonnement et adhésion ..................................................................................
Diego SINISCALCHI
- Bilan moral, présenté par la présidente, puis soumis au vote de l’assemblée.
- Bilan financier, présenté par le trésorier, puis soumis au vote de l’assemblée. Trésorier : ..................................................................................

U
DISCUSSION DÉBAT HeiKki JÄHI Institution* ..................................................................................

Y Abonnement ■ 150 F Téléphone : .................................................................

Point sur les activités de l’ARA, pertinence et évolutions, Trésorier-adjoint :
suggestions quant à de nouvelles actions, questions ouvertes... André VINCENT
- Élection du Conseil d’Administration. Membres Actifs :
Adhésion ■ 150 F Télécopie : ..................................................................
- Élection du Bureau Directeur. Gilles ARMANI - Delphine BALVET * Si vous représentez une institution, merci d’indiquer les deux noms.
L’ARA se fera un plaisir de vous inviter à son pot rituel suite à l’Assemblée Générale ; les questions portant Isabelle CHAVANON - Jean Paul FILIOD Chèque adressé à l’ordre de l’ARA, CCP Lyon n° 10.566.86 V, à l’adresse suivante :
sur l’avenir de l’association pourront alors continuer à être débattues dans la joie et la bonne humeur... Pascal LÉCAILLE - Valérie PASTUREL
Edith PLANCHE.
ARA - Heikki JAHI - 38, rue Nicolas Sicard / 69005 Lyon / Tél. : 04 78 25 36 67
Crédits photographiques : UNHCR, KFOR, OTAN, Kelil AITOU, Olivier GIVRE, Stéphanie MAHIEU, ”Le Monde Diplomatique”, Johan BODIN, Serge FOUILLAND.

2 A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E ■ ■ A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E
43
 LA CULT U R E DANS TOUS LES SENS
MANIFESTATIONS PUBLIQUES
La ferme du Vinatier, saison 1999-2000
■ EXPOSITION
• Sept propos sur le septième ange, une histoire du Vinatier . Du
26 novembre 1999 au 25 juin 2000, du mardi au dimanche, de
14 h 00 à 18 h 00, à la ferme du Vinatier. Visites guidées sur
RDV. Groupes le matin.
■ TUMULTE ET SILENCES DE LA PSYCHIATRIE
• Journées nationales du patrimoine.
Les 18 et 19 septembre 1999. De l’asile à l’hôpital psychiatri -
que : quelles citoyennetés ? Table ronde dimanche à 16 h au
Vinatier. Visites guidées du site sur réservation.
• Entretiens histoire et psychiatrie
Mercredi 8 décembre 1999. Question à la révolution psychia -
trique, en partenariat avec le Centre d’histoire Pierre LÉON
(Université Lyon 2 - CNRS). De 9 h à 18 h à la Maison des
Sciences de l’Homme. Entrée libre.
• Entretiens architecture et psychiatrie
Les 14 et 15 janvier 2000. Architecture et psychiatrie. L’hôpital :
espace de soin, espace urbain, en partenariat avec le Centre
Thomas More. De 9 h 00 à 17 h 00 au CH Le Vinatier.
• Entretiens anthropologie et psychiatrie
5 Avril 2000. Tohu-Bohu de l’inconscient ; paroles de psy -
chiatres, regard d’anthropologues , en partenariat avec le centre
de recherche en anthropologie. De 9 h 00 à 18 h 00, à
l’Université Lyon 2 - Bron. Entrée libre.
• Entretiens société et psychiatrie
Deux conférences à la ferme :
Mardi 23 mai 2000 : Les figures de l’archipel et du réseau pour
comprendre les transformations de la psychiatrie .
Mardi 16 mai 2000 : L’adolescence, âge des déviances ?
A la bibliothèque Lyon Part-Dieu, entretiens bio-médecine et so-
ciété : La place du cerveau en psychiatrie . Mardi 6 juin 2000.
• Cafés-mémoire
Rencontres avec les anciens du Vinatier à la ferme, à 16 h 30 les
mardi 11 janvier, 8 février, 14 mars, 11 avril, 9 mai et 13 juin,
précédées de visites de l’hôpital et de l’exposition menées par
Lyon Découvertes et la Ferme du Vinatier.
Programme 2000 de l’ARCE, Atelier de Rencontres et
de Recherche Comparatives en Ethnologie
■ AU JAM À 20 H 30
100, rue Ferdinand de LESSEPS, Montpellier - Tél. 04 67 58 30
30. Ouverture à partir de 19 h 30.
• Merc. 12 janvier - Elikia M’BOKOLO, Historien, Directeur
d’études à l’EHESS, Paris. Ethnie et identités : l’exemple de
l’Afrique des Grands Lacs.
• Merc. 2 février. Martin DE LA SOUDIERE , Chargé de recherche
au CNRS. Docteur en sociologie. Le temps qu’il fait : une ap -
proche ethnographique.
■ À LA COMÉDIE DU LIVRE
Sous chapiteau, Esplanade Charles DE GAULLE, 34000
Montpellier.
• Vend. 26 mai 2000 à 18 h 30 ENTRÉE LIBRE - Anne-Marie
THIESSE, Directrice de recherche au CNRS. La création des
identités nationales en Europe.
• Merc. 8 mars - Yves DELAPORTE, Directeur de recherche au
CNRS. Les sourds et la langue des signes : un nouveau regard.
• Merc. 5 avril - Isac CHIVA, Directeur d’études à l’EHESS, Paris.
De la recherche au patrimoine : un ethnologue dans le siècle.
• Merc. 3 mai - Anne-Christine TAYLOR, Chargée de recherche au
CNRS en ethnologie amérindienne. L’ennemi nourrisson : la
chasse aux visages chez les Jivaro d’Amazonie.
• Merc. 1 juin - Eduardo ARCHETTI, Professeur d’anthropologie
sociale à l’Université d’Oslo. La viande et la cuisine hybride en
Argentine.
Chaque causerie est retransmise par Divergence F.M. le premier
vendredi de chaque mois à 19 h.
■ A CLERMONT-L’HÉRAULT
Théâtre Municipal. Allée Roger SALENGRO 34800 Clermont-
l’Hérault.Tél : 04 67 96 39 18.
• Vend. 16 juin 2000 à 20 h 30 ENTRÉE LIBRE - Pascal DIBIE,
Maître de conférence en ethnologie à l’Université Paris VII. En
quoi sommes-nous en l’an 2000 ? Approche ethnologique d’un
siècle à venir.
MUSÉE DAUPHINOIS. OCTOBRE 1999-JUIN 2000
■ EXPOSITIONS ET ANIMATIONS :
Pour que la vie continue... Greniers et protections dans l’Atlas
Marocain. D’Isère et du Maghreb. Mémoires d’Immigrés . Musée
Dauphinois. Octobre 1999-Juin 2000.
■ AUTOUR DES EXPOSITIONS :
> VISITESGUIDÉESDESEXPOSITIONS . Tous les dimanches à 16h30, de
novembre 1999 à mars 2000.
> L ES CONFÉRENCES : (Lieu Chapelle Sainte-Marie-d’en-Haut à
20 h 30 : ENTRÉE LIBRE.)
42
• Le 18 novembre 1999 - Immigration algérienne en France . Un
enjeu dans la relation France-Algérie. Avec Mohamed HARBI,
historien, ancien membre du FLN.
• Le 16 décembre 1999 - Le monde berbère . Avec Bert FLINT, col-
lectionneur et Michael PEYRON, spécialiste de la littérature orale
berbère.
• Le 13 janvier 2000 - De l’islam en France à l’islam de France.
Avec Mohamed ARKOUN, islamologue, professeur émérite de la
Sorbonne.
• Le 10 février 2000. - L’immigration des Maghrébins : héritage de
la colonisation ? Avec Benjamin STORA, historien.
• Le 16 mars 2000. Les Maghrébins en France : quelle intégra-
tion ? Avec Françoise LORCERIE, chercheur au CNRS.
• Le 13 avril 2000. Amour, raffinement et art de vivre en islam.
Avec Malek CHEBEL, écrivain.
• Le 18 mai 2000. Architecture vernaculaire dans l’atlas maro-
cain. Avec Claude BEURRET, architecte.
• Le 8 juin 2000. - Langues et langages : du Maghreb à l’immigra -
tion. Avec Henriette WALTER, directeur de recherche au CNRS.
> LES RENDEZ-VOUS CONTÉS.
Les 13 novembre, 11 décembre, 8 janvier, 12 février, 11 mars, 8
avril, et 13 mai à 15 h 30.
• Contes pour enfants . Inscriptions : 04 76 85 19 01.
• Au printemps 2000, Une nuit du conte du Maroc et du Maghreb .
Musiques Nomades. Mardi 18 et mercredi 19 janvier 2000 à
20 h 30. Ténéré. Chapelle Sainte-Marie-d’en-Haut. Renseigne-
ment et réservation : 04 76 51 12 92.
> C INÉMA : Du 27 mars au 2 avril 2000, Ethnologie et cinéma.
Musée Dauphinois.
> PUBLICATION .
• Un ouvrage : Pour que la vie continue... D’Isère et du Maghreb -
Mémoire d’immigrés. Ouvrage collectif, 128 p., 100F, Éd. Musée
Dauphinois. Conservation du Patrimoine de l’Isère.
• Un tiré à part : un cahier du numéro 5 de la revue l’Alpe publiée
par les Éditions Glénat et le Musée Dauphinois est consacré au
grenier et protections dans l’Atlas marocain.
Sur internet : site du Musée Dauphinois : http//www.musée-dau-
phinois.fr
OUVRAGES
- Art, architecture, urbanisme 2 cent sites , Mégalopole cahier 20 ,
Institut Art et Ville, Maison du Rhône, Givors, Hiver 1999.
- Le Rhône. Un fleuve et des hommes, Le Monde alpin et rhoda-
nien 1er - 3e trimestres 1999 , Centre alpin et rhodanien d’ethno -
logie en collaboration avec le Centre pour une anthropologie du
fleuve-Maison du Rhône, Grenoble, 1999.
- Le Vinatier, un hôpital en travail, sept propos sur le septième an -
ge*, une histoire du Vinatier , réalisé et édité par la Ferme du
Vinatier, Centre Hospitalier Le Vinatier, 1999.
- Je, Nous et les Autres , de François LAPLANTINE, Éditions Le
Pommier, 1999.
- Peuplement et migration N° 1 , publication dirigée par Daniel
PELLIGRA assisté de Nadine GUIGARD. Illustrations : Monique
BOLLON-MOURIER. Strip : Alexandre LAGNEAU. Photogra-
phies : Chafia AKKAZ, Lila BENCHARIF, Virginie MILLIOT-
BELMADANI, Daniel PELLIGRA. Sept. 1999. Tél. : 04 78 79 52 79
- E-mail peuplement-migrations@wanadoo.fr
- La chirurgie des âges. Corps, sexualité, et représentation du sang ,
par Véronique MOULINIÉ. Collection Ethnologie de la France.
Mission du Patrimoine Ethnologique. Éditions de la Maison des
Sciences de l’Homme, Paris, 1998.
- Canton de Crémieu, Isère . Collection Images du Patrimoine,
Service régional de l’inventaire. D.R.A.C. Rhône-Alpes / District
de l’Isle-Crémieu, 1998.
- Errances Bédouines par Daniel PELLIGRA, Éditions de l’Art,
Collection Carnet de Voyages, 1998.
- Récit et connaissance, F. LAPLANTINE, J. LÉVY, J.-B. MARTIN, A.
NOUSS, PUL, MV, 1998.
- Actes du colloque Tricentenaire Charles PERRAULT. Les grands
contes du XVIIe siècle et leur fortune littéraire , Press Editions,
1998.
- Totémismes, Systèmes de pensée en Afrique Noire , décembre
1998, n° 15.
- Dictionnaire du français régional de l’Ain , MARTIN J.-B, C.
FRÉCHET, Paris, 1998.
- Patrimoine et modernité , POULOT, D., (Éd.) L’Harmattan, 1998.
- Actes du symposium international “Observation de l’environne -
ment de montagne en Europe”, Observatoire de Montagne de
Moussala, OM2, numéro spécial, Borovetz (Bulgarie), n° 8, 1998.
- À propos du patrimoine agriculturel rhônalpin. Les actes des ren-
contres régionales du 13 et 14 novembre 1997 sont publiés dans
le cadre de la convention Agriculture/Culture par la section ingé-
nierie culturelle du Complexe Régional d’Information Pédago-
gique et Technique Rhône-Alpes. Renseignements au LEGTA de
CIBEINS, (04.74.08.88.31).
- Les Aléas du lien social. Constructions identitaires et culturelles
dans la ville, ouvrage collectif coordonné par Jean MÉTRAL,
A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S
Ministère de la Culture et de la Communication, diffusion La do-
cumentation Française, Paris, 1997.
- La maison rurale des Monts du Lyonnais. Mémoire domestique ,
par Michel RAUTENBERG, Collection Transversales, Éditions
P.U.L., 1997.
- Photographier la Drôme . Photographies de J.P. PAGNAC, M.
MOURIN, sur les textes de C. JALABERT-PIALAT, J-L TEYSSIER.
Conservation départementale, Conseil Général de la Drôme,
Valence, 1997.
- Quand l’ethnologie se donne à voir... et à dire. Aspects, formes
et enjeux de la média(tisa)tion . Actes des XI ème Rencontres de
l’ARA, 6 décembre 1996, Charlieu, Association Rhône-Alpes
d’Anthropologie.
Créée en 1997, la collection Une ethnologie en Lorraine , publiée
par les Éditions Pierron (Sarreguemines), se donne pour objectif
de présenter des recherches soutenues par le Ministère de la
Culture - D.R.A.C. de Lorraine, en partenariat avec des institu-
tions régionales. Désireuse de rendre compte des différentes
formes d’écriture en ethnologie cette jeune collection à déjà pu-
bliée plusieurs ouvrages dont :
- Bois de mine, Ethnographie d’un chantier d’abattage dans les
mines de charbon en Lorraine , de Catherine ROTH, 1997.
- Comment la musique vient aux instruments. Ethnographie de
l’activité de lutherie à Mirecourt , de Lothaire MABRU, 1998.
EXPOSITIONS
- L’Amour du Rhône, à la Maison du Rhône, depuis le 23 janvier
1999 et jusqu’à juin 2000, (1, Place de la Liberté, 69700 Givors ;
04.78.73.70.37).
- Regards Croisés, Deuxième Biennale Photographie et Ethnologie ,
du 9 octobre 1999 au 3 janvier 2000, Prieuré de Salagon ;
04 92 75 70 50.
MUSIQUE
LYON LES SUD
Compilation des musiques issues de l’immigration en Rhône-Alpes
Huit artistes du Brésil à l’Afghanistan en passant par les caraïbes, le
Maghreb, l’Espagne, et l’Afrique noire.
RCT et ISM (inter service migrants) éditent avec l’aide du FAS et de
la DRAC Rhône-Alpes une compilation regroupant des artistes issus
de l’immigration dans la région.
JIRIPOCA BAND (Brésil), Mingo FERNANDEZ (cuba), Mustapha
AISSI (Algérie), Omar EL MAGREHBI (Maroc), SHAMS (Afgha-
nistan), Annie Flore BATCHELILLYS (Gabon), NATTY (Antilles),
AQUADULCE (Espagne) ont participé à ce CD qui comporte trois
enregistrements originaux.
Réalisation : B. DAUTANT (RCT), G. RAMOS (ISM). Contact : RCT
BP 2001 69603 Villeurbanne Cedex, Tél : 04 78 89 59 48, Fax : 04
72 44 34 42. Production-réalisation : RCT 99.3 F.M. et Inter
Service Migrants.
NOUVELLES DES COUSINES
Pour ceux qui seraient de retour d’un lointain
et long terrain sur une terre coupée du reste
du monde, ou qui n’auraient pas remis les
pieds depuis plus d’un an à la faculté de
Sociologie et d’Anthropologie de l’Université
Lumière Lyon 2, nous vous annonçons la
création de l’association Nus, Féroces et
Anthropologues, (NFA). Pour les autres, nous
vous invitons à la contacter sur un de ses sites
internet :
http://sentiers-nte.univ-lyon2.fr/nfa ou /et : http://nte-socio.univ-
lyon2.fr ou /et : E-mail : nfa@univ-lyon2.fr
■ ■ ■
Pour les fanas du développement local ou plus simplement pour
ceux qui se préoccupent de se professionnaliser dans ce secteur,
nous avons le plaisir de vous annoncer la constitution d’une nou-
velle équipe jeune et dynamique à la tête du conseil d’administra-
tion de l’ASADEL, Association des étudiants de la formation de
DESS SADL de la faculté de Sociologie et d’Anthropologie de
l’Université Lumière Lyon 2. L’ASADEL reste le lieu de rencontre
entre la formation de DESS de Sociologie Appliquée au
Développement Local et les métiers qui en découlent, constituant
ainsi un réseau d’étudiants et de partenaires du développement lo-
cal qui autorise l’échange d’expériences, la confrontation entre des
réalités issus des terrains et l’idée que chacun s’en fait, et plus lar-
gement la réflexion sur la professionnalisation dans ce secteur. La
création d’un site internet est en cours, véritable plate-forme tour-
nante de l’information concernant le développement local. Les
Mardis de l’ASADEL, soirées de débats conviviales qui se conclues
autour d’un bon repas seront relancées, avec une première date
programmée le mardi 8 février 2000, sur le thème de la politique
de la ville.
Contacts : Laurence GAUTIER, présidente : 04 78 53 96 03.
D ' A N T H R O P O L O G I E ■ ■
Ce Numéro Spécial de l’ARA s’inscrit dans la continuité de l’engagement amorcé l’an dernier au travers du Numéro
Spécial intitulé : “Pour une anthropologie impliquée, argumentations face aux extrémismes”. Son objectif était alors la dé-
construction du discours d’extrême droite, apparu au grand jour en région Rhône-Alpes comme dans divers points de
l’hexagone.
L’écho favorable qu’a rencontré ce numéro, nous a encouragé à poursuivre cette réflexion en 1999, avec toujours en pers-
pective l’idée d’une anthropologie impliquée, sur une actualité très médiatisée : les Balkans. Sarajevo hier, le Kosovo au-
jourd’hui, il en est fait de la diabolisation de la péninsule balkanique par l’Occident. Les troupes serbes ont envahi extrê-
mement rapidement la province, perpétrant les pires exactions, renouant avec les déportations, le “nettoyage ethnique”,
semant la mort et la désolation. Les “médias” se sont immédiatement chargés de réinscrire ce conflit dans une histoire
propre à l’Europe de l’Est, et plus précisément aux Balkans. L’Europe, les États Unis d’Amérique, l’OTAN, après s’être
émus, sont intervenus en mêlant ingérence militaire et aide humanitaire.
Face à la profusion journalistique et au discours unilatéral, nombre d’entre nous affirmaient ne pas comprendre le sens
même de ce conflit, ainsi que les motivations de ses différents protagonistes. Dans un contexte où d’une part, la propagan-
de est devenue une arme stratégique de première importance, et où d’autre part, l’information arrive en temps réel, il de-
vient difficile de prendre le recul nécessaire à la compréhension.
Aussi pour amorcer une réflexion anthropologique sur ces conflits, avec comme ambition la déconstruction du discours
portant sur les Balkans, il nous a paru indispensable de solliciter des spécialistes de ces régions. C’est donc par une action
conjointe et complémentaire avec l’association ALYASPECO que ce travail a pu être réalisé. (1)
Les contributions de chercheurs et professionnels travaillant sur des terrains d’Europe orientale permettent ainsi l’élabora-
tion d’un point de vue différent sur ces territoires et ces peuples. Leurs recherches nous amènent à repenser les représenta-
tions et constructions collectives élaborées de notre côté du mur sur cet “Autre”. Cet échange autorise l’inscription du dra-
me yougoslave dans une problématique plus vaste, à l’échelle des Balkans, de l’Europe de l’Est, voire des relations Est-
Ouest. Il nous informe également sur la manière dont les ethnologues bosniaques, croates, serbes, albanais ou grecs prati-
quent l’anthropologie dans un tel contexte et sur la façon dont ils traitent des notions utilisées ici telles celles d’identité, de
territoire, de mémoire, d’éthique, d’altérité ou de patrimoine...
Les contributions à ce numéro sont diverses, quant à leur thème, quant aux limites géographiques et culturelles des ter-
rains étudiés, et quant aux périodes de l’histoire auxquelles elles se réfèrent. Effectivement, il apparaît nécessaire pour
nombre d’auteurs, de prendre un recul historique, de retracer les différentes étapes de l’évolution des peuples en question.
Il ne s’agit pas pour nous, de reproduire le jeu des historiens dont le système vise à construire une représentation commu-
ne et légitime, au milieu du fracas des perceptions individuelles. Il ne s’agit pas non plus de choisir et de donner crédit à
une version historique en particulier, mais de rendre compte de la complexité des conflits. Au regard de ces textes éclai-
rants, le discours dominant paraît véritablement amputer ces peuples de tout un pan de leur passé, et ne s’arrêter qu’à une
réalité contemporaine de façade.
La succession des dominations byzantine, ottomane et soviétique, qu’a connue la région des Balkans, l’imbrication des
différents peuples et leurs mouvements, ne peuvent autoriser un discours simplificateur. D’ailleurs il est vain de s’évertuer
à chercher les origines des populations, ou de retracer une certaine hiérarchie temporelle des peuplements ; cette quête
des origines ne peut être que source de conflits. En outre, les auteurs de ce numéro tendent davantage à penser cette ré-
gion dans une tradition de métissage. Ils dénoncent la façon dont l’Occident associe les sociétés d’Europe de l’Est et en
particulier les Balkans, à une logique de l’enfermement, et la facilité avec laquelle il inscrit le conflit comme faisant partie
de “leur” culture.
Or, nous savons que l’Occident n’est pas étranger à cette situation, que ce
soit au travers de ses ingérences politiques ou armées, mais aussi de ses in-
fluences idéologiques. Effectivement, par leur approche historique, les au-
teurs nous donnent une image de ces peuples fonctionnant sur un modèle
d’État pluri-ethnique. L’idéal de la mono-identité serait davantage la consé-
quence de l’importation de notre modèle occidental d’État-nation “mono-
ethnique”, que l’aboutissement de leur propre modèle culturel.
Ainsi si ce travail de collaboration entre chercheurs “d’ici et de là bas”, nous
permet de mieux saisir la réalité des Balkans, il nous instruit aussi sur notre
fonctionnement vis-à-vis de cette “autre Europe”. La crise du Kosovo a
abouti, d’un certain point de vue, encore une fois à une mise en scène de
ces figures de l’imaginaire ethnologique que sont le “bon sauvage”, le
Kosovar, le “mauvais sauvage”, le Serbe, et “le civilisé“, l’Occidental ou
l’”Otanien”. Le sauvage, bon ou mauvais, est l’une des figures classiques de
l’”occidentalocentrisme”, qui fonctionne autant à la condamnation (rejet du
non-civilisé) qu’à la condescendance (exaltation de l’authentique) mais de-
meure un perpétuel opérateur d’exclusion.
Gilles ARMANI, Muriel FAURE, Serge FOUILLAND,
Marie-Christine MONNERET et André VINCENT
—————————
1) Association LYonnaise d’Anthropologie Sur les Pays d’Europe Centrale et Orientale.
A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N TH R O P O L O G I E
3
 ■ RE GAR DS SUR LES EUROPE : UNE ANT HRO POLOG IE IMPLIQUÉE D ANS LES B ALK ANS ■ ■ REGA RDS SUR LES E UROPE : UN E ANTHRO POLOG IE IMPL IQUÉ E DAN S LES BAL KANS ■

A LY A S P E C O s’emparer de votre esprit après vous avoir

arraché les larmes et le coeur” ; dans ces
chansons-là, comme le veut l’exotisme
Sarajevo, “un être auquel la nature a donné
les charmes les plus rares”, et qui, pour fuir
une mort certaine, a du quitter sa ville nata-
autres voyageurs qui, accompagnés de
guides et de traducteurs, pénètrent dans nos
contrées- puisqu’ils se laissent à nouveau
Association LYonnaise d’Anthropologie Sur les Pays d’Europe Centrale et Orientale oriental, se croisent “la nostalgie slave et la
tristesse arabe”. Le voyageur a d’ailleurs re-
le et y laisser son mari musulman, puisque -
dit-elle en racontant sa peine à notre voya-
décrire, de même qu’un siècle et demi au-
paravant, comme un peuple radicalement
levé les titres de certaines de ces chansons, geur- les musulmans fanatisés d’IZET- différent des Européens civilisés, comme
parmi lesquelles deux ont été créées pour BEGOVIC, “avaient chassé chaque Serbe, une figure d’anti-Europe. Dans les récits
Une Association Lyonnaise d’Anthropologie les films de A. PETROVIC (J’ai même ren -
contré des Tsiganes heureux) et de E. KUS-
et aussi les Croates, qui auraient pu oppo-
ser un refus catégorique à la loi du Coran”.
exotiques, cette différence radicale est in-
terprétée comme quelque chose qui joue
TURICA (La maison des pendus). Bien que la présence de cette jeune femme en faveur des Serbes, qui les flatte, car ils
L’Association LYonnaise d’Anthropologie Sur les Pays d’Europe Centrale et Orientale , créée en 1997, représente d’un côté l’aboutis- Mais ses exclamations les plus enthou- paraisse déplacée parmi les clients à demi s’y révèlent meilleurs, et non pires, que les
sement logique de l’intensification des échanges entre le département d’anthropologie de l’Université Lyon 2 et les différentes univer- siastes - “Oh, que la Serbie était belle cette ivres du café, elle trouve quand même une Européens civilisés, ce que l’on peut égale-
sités des pays de l’est européen, et de l’autre l’acte de création d’un projet collectif dans lequel tous les étudiants et jeunes cher- nuit-là !“, “Oh, comme j’ai aimé tout cela ! place logique dans le récit de SCHIFFER, ment relever dans les propos de certains na-
cheurs travaillant dans les PECO sont engagés. Passionnément ! Follement ! “ - SCHIFFER puisque ses souffrances non méritées, ainsi tionalistes et racistes européens. Mais cela
les réserve aux femmes serbes, ces “ga- que d’autres images de la vie des “abori-
En effet, depuis 1991, les échanges universitaires n’ont cessé de se développer et de s’élargir : d’abord avec la Roumanie, puis avec ne peut pas cacher l’affinité profonde qui
zelles douces et superbes”, au moment où gènes” serbes, simples et innocents, servent
existe entre exotisme et racisme. L’un et
la Bulgarie, la Hongrie, l’Albanie, et à présent la Pologne et la Lettonie. Des stages de maîtrise aux thèses de doctorat, des travaux de elles “commencent à danser sur les tables à souligner de façon dramatique la mé-
l’autre signifient en fin de compte l’exclu-
recherche dans ces pays ont été menés, ou sont en cours depuis neuf ans maintenant. Ainsi, nous pouvons faire le bilan suivant de (...) avec les mains sur les hanches et les chanceté et la perfidie de l’Occident civili-
sé. Les Occidentaux, ces hommes sans sion de l’autre : sa “diabolisation”, comme
cheveux dénoués sur les épaules”. Elles
ces neuf années : on dit souvent aujourd’hui, ou son “angéli-
sont “plutôt sauvages que provocantes”, âme, “prétendument civilisés”, ont décidé
- 9 étudiants ont pu faire leur stage de maîtrise dans une institution universitaire ou muséographique de Roumanie, Bulgarie, leurs lèvres rouges “telles des fraises des de punir, d’isoler, d’emprisonner cette fem- sation”, comme on pourrait aussi le dire.
bois à demi ouvertes sur des dents plus me si belle et si vertueuse, ainsi que les Bons ou méchants, les hommes et les
Hongrie et Albanie.
blanches que les pétales du lys”. Ainsi, au autres comtesses au pied nu et braves femmes que Daniele Salvatore SCHIFFER
- Grâce aux possibilités qu’offraient ces stages notamment, 5 recherches ont abouti à un DEA en sciences sociales. centre de ce récit de voyage apparaît un to - hommes qui chantent leur tristesse et leur avait prétendument trouvés dans le café des
- Actuellement, 4 thèses de doctorats sont en cours : une en Roumanie consacrée au Centre civique de Bucarest (Stéphanie BEAU- pos d’exotisme, propre aussi bien à ses va- passé aux “Deux cerfs”, et même tous les “Deux cerfs” restent quand même les bar-
riantes orientalistes qu’à ses variantes primi- Serbes, “tout un peuple si vivant et si bares. Et lui aussi, de retour en France, au-
CHÊNE), une en Hongrie sur la patrimonialisation du vin de Tokaj (Jesus MIRANDA), une en Bulgarie sur la place du religieux et
tivistes : le topos de la “comtesse au pied beau”. Ils sont, explique SCHIFFER, “expo- rait pu dire ce qu’avait avoué l’ami le plus
notamment des Saints dans la vie quotidienne (Olivier GIVRE), et une en Grèce sur la circulation des Karakatchanes entre Bulgarie célèbre des bons sauvages, ROUSSEAU :
nu”, de la femme naturellement noble et sés au mépris, au dédain, par la civilisation
et Grèce (Marie-Pierre REYNET). De plus, une thèse de Doctorat a été soutenue il y a un an par Dominique BELKIS : A la re - voluptueuse provenant du Levant ou d’une à laquelle j’appartiens” ; elle les appelle “Je sens trop en mon particulier combien
cherche des Mégléno-roumains, une approche anthropologique de l’ethnicité balkanique. tribu sauvage. Les symboles les plus forts de “barbares” et manifeste par là “le pire sadis- peu je puis me passer de vivre avec des
Ces échanges se sont peu à peu formalisés et structurés, ceci grâce au soutien de la Mission du Patrimoine Ethnologique, ainsi que son attraction érotique et subversive, face à me”. hommes aussi corrompus que moi”(3).
la vieille Europe de convenances et de cal- Dans le récit de SCHIFFER, les Serbes exo- —————
du Conseil Régional de Rhône-Alpes dans le cadre des programmes TEMPRA-PECO mis en place entre notre faculté et l’Université
culs, ce sont les pieds nus, les cheveux dé- tiques, dont la vie est pleinement humaine, 1) Eothen.
de Bucarest, puis avec l’Université de Budapest. Ces programmes nous ont permis d’accueillir des collègues de Roumanie et de noués et la danse sur une table de café ; le non corrompue, jouent le rôle d’antipodes 2) T. TODOROV, Nous et les autres, p. 297.
Hongrie (enseignants-chercheurs et étudiants) au sein du département d’anthropologie, et également d’effectuer des missions de plu- pendant masculin en est Zorba le Grec. idéaux des Européens dégénérés et avilis. 3) J.J. ROUSSEAU, “Lettre à Philopolis”, in Deuxième
sieurs mois sur nos terrains respectifs. Parmi les comtesses au pied nu du café des Ce rôle, les Serbes contemporains peuvent discours sur l’origine des inégalités entre les hommes,
“Deux cerfs”, se trouve une jeune Serbe de le remplir -si l’on en croit SCHIFFER et les p. 235.
De notre implication dans le CREA (Centre de Recherches et d’Études Anthropologiques) et du soutien que nous avons reçu de ses
membres, est née une volonté concertée d’organiser chaque année des séminaires consacrés aux recherches dans les PECO. C’est
dans cette effervescence parfois disparate que nous avons décidé de créer une association qui rendrait davantage visible notre grou-
pe, et qui nous permettrait de mieux nous organiser afin de mener à bien nos projets collectifs de recherche et de manifestation pu-
blique. Ainsi, nous sommes nous donnés un cadre qui nous a permis de travailler dans deux directions : nous avons d’abord élaboré
des axes de recherche communs, tant il est vrai que nous étions tous confrontés aux mêmes problèmes théoriques et méthodolo-
giques sur nos terrains respectifs, problèmes propres aux sociétés post-communistes d’Europe (transitions socio-économiques et poli-
tiques, traditions intellectuelles différentes voire opposées...). Nous avons pu ensuite, grâce à ce travail collectif et à la mise en com-
mun de nos réseaux, organiser des séminaires publics pour présenter nos travaux et accueillir nos collègues des pays de l’est (février
1997, séminaire du CREA, Pays d’Europe centrale et orientale et mars 1998, séminaire du CREA, Interroger la mémoire : regards croi -
sés sur l’Europe Centrale et Orientale).
Cette année, notre projet est plus ambitieux puisqu’il aboutit ces 26 et 27 novembre à des Rencontres Internationales sur le thème
Ruralité et Urbanité en Europe Centrale et Orientale. Nous accueillerons pendant deux jours nos collègues des pays de l’est ainsi que
des chercheurs occidentaux qui travaillent en Europe centrale et orientale (voir programme ci-joint). Ces rencontres ont pour objectif
de faire connaître l’anthropologie telle qu’on peut la pratiquer en Europe centrale et orientale, mais également de tenter de mettre en
place les modalités d’une réelle collaboration avec les chercheurs des pays de l’est, considérant qu’actuellement l’ethnologie euro-
péenne reste à définir.
UN NUMÉRO SPÉCIAL DE LA LETTRE SUR LES BALKANS
Ce Numéro Spécial de l’ARA se révèle très important pour l’ensemble des membres d’ALYAS PECO. La volonté des membres de
l’ARA d’éditer un numéro consacré à la situation dans les Balkans répondait à notre souhait de nous exprimer en tant qu’ethnologues
“spécialistes” de cette région, et de donner au public quelques éléments de compréhension des événements, ceci face aux discours
majoritairement simplificateurs que l’on trouvait dans les médias français.

4 A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A LP E S D ' A N T H R O P O L O G I E ■ ■ A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N TH R O P O L O G I E
41
 ■ R EGAR DS SUR LES EUROPE : UN E ANT HRO POLOG IE IMPL IQUÉE D ANS LES B ALK ANS
AUX “DEUX CERFS”
UNE NOTE SUR LE RACISME ET L’EXOTISME
" Que c’est beau d’être libéré de la civi-
lisation croupie de l’Europe !” Ainsi
s’exclamait, par une belle nuit d’été de
1835, le voyageur britannique William
KINGLAKE, auteur du livre De l’Orient,(1)
lors d’une étape dans un village serbe après
un jour de marche sur la route de Belgrade
à Constantinople. Cette nuit-là, KINGLAKE
avait trouvé beaucoup de bonheur en la
compagnie d’”aborigènes” parlant “un dia-
lecte slave”, lors d’un dîner servi par terre
et enfin dans le repos réconfortant d’un lit
improvisé lui aussi sur le sol. Le plaisir pro-
curé par la beauté simple et naturelle des
“images orientales” avait alors conduit
notre voyageur à une réflexion sur la misè-
re de sa propre civilisation, la civilisation
européenne, et “les hommes courbés sur
leur table à manger, ou serrés les uns
contre les autres dans les salles de bal, ou
encore cruellement fourrés sur les bancs de
l’église”. Il se réjouit de ne plus être un de
ces “pauvres diables dont la vie n’est
qu’une conventionalité complète”, et se fé-
licita d’avoir eu le courage d’entreprendre
cette “belle fuite” vers l’Orient.
Ces dernières années, la Serbie a de nou-
veau attiré les auteurs de récits de voyage
venus de l’Ouest. A leurs yeux, comme à
ceux de KINGLAKE, elle possède toujours
quelque chose d’exotique. Plus précisé-
ment, elle a retrouvé sa place dans l’Orient
imaginaire. Aujourd’hui comme dans le
passé, les écrivains européens à la re-
cherche de sensations exotiques -que nous
éprouvons prétendument à l’occasion de
rencontres avec un monde différent et
meilleur que le nôtre- n’ont nul besoin de
voyager, en rêve ou en réalité, au delà de
40
I v a n C O L O V I C
Ethnologue, Université de Belgrade
Belgrade et ses alentours. Le bruit court à
nouveau que l’on y trouve tout ce dont
l’exotisme littéraire et philosophique a be-
soin : la vraie vie, la vie authentique, dé-
voilée, qui n’aurait rien de commun avec
la vie occidentale. C’est un espace qui in-
vite le voyageur à une nouvelle naissance,
à une lucidité retrouvée, le convie à se ré-
veiller de sa léthargie, à se libérer des
contraintes, et enfin, à reconnaître la vanité
et la perversité de l’Europe.
Par une autre nuit d’été, plus d’un siècle et
demi après celle qui a valu tant de bonheur
à KINGLAKE, le 20 août 1992 pour être
exact, un autre voyageur, contemporain ce-
lui-ci, du nom de Daniele Salvatore SCHIF-
FER, dînait à son tour parmi les Serbes. Ce
souper est décrit dans un récit intitulé Le
voyage sur la braise, publié dans sa traduc-
tion serbe dans le journal Politika du 6 oc-
tobre 1996. Cet “Italien de culture françai-
se, philosophe, écrivain et journaliste”, ain-
si que le présente la notice biographique,
avait mis beaucoup moins de temps que
son lointain prédécesseur pour se retrouver
dans une ambiance exotique : de l’hôtel
Intercontinental, le taxi l’amena directe-
ment à Skadarlija, au café des “Deux
cerfs”. Cet endroit, qui est à Belgrade à peu
près ce que la place du Tertre est à Paris,
reconstruit et arrangé il y a peu d’après
l’idée que l’on se fait des goûts et des exi-
gences des touristes, apparut aux yeux de
SCHIFFER comme le refuge de tout ce qu’il
peut y avoir d’authentique, héroïque, origi-
nel, passionnel, sauvage, innocent, hono-
rable, spirituel et “aromatique”, tout ce que
l’Occident a en fait oublié et foulé aux
pieds.
A S S O C I A T I O N
Le récit exotique ne s’encombre pas de vé-
racité. Son auteur demande qu’on le croie
sur parole lorsqu’il prétend avoir retrouvé
quelque part, dans un pays, par exemple en
Serbie, à Belgrade, à Skadarlija, les vertus et
les valeurs authentiques que l’Occident a
perdues et dont il peut éventuellement gar-
der la nostalgie. Un tel pays possède en fait
tout ce qui manque à l’Occident. Dans
l’exotisme, comme le dit Tzvetan TODO-
ROV, il s’agit “moins de la description d’un
réel que de la formulation d’un idéal”(2).
Quand on sait cela, on comprend mieux
pourquoi le “voyageur exotique” SCHIFFER
a fait de Skadarlija le décor de paroles et de
scènes incroyables, surtout pour quelqu’un
qui connaît bien ce lieu. Là se trouvent, par
exemple, “les cafés somptueux de la fin du
siècle dernier, construits en bois anciens,
aux couleurs chaudes (...) imprégnés de
l’odeur des épices”. Dans ces cafés, SCHIF-
FER a rencontré des expressions d’une véri-
table et profonde humanité inconnue des
Européens. Il s’agit, entre autres formes de
cette humanité, d’un “débordement du sen-
timent accompagné par quelque vérité tsi-
gane”, d’une effusion dont “seuls les Slaves
du Sud sont capables”. Cela se manifeste
lorsque lesdits Slaves du Sud chantent,
“l’âme pénétrée d’une nostalgie indicible,
ces chansons en même temps hardies et
mélancoliques, imprégnées de la poésie
épique héroïque, aussi populaires qu’im-
mortelles, ces chansons pleines d’exploits
incroyables et de traditions indiscutables,
au contenu noyé dans le bruit du temps et
le murmure de la terre...” Ces chansons
sont bien sûr “anciennes” et “authen-
tiques”, “avec des harmonies faites pour
R H O N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E
■ ■ REGA RDS SUR LES E UROPE : UN E ANTHRO POLOG IE IMPL IQUÉ E DAN S LES BAL KANS ■
La plupart des membres d’ALYAS PECO était sur le terrain (Hongrie, Roumanie, Bulgarie et Grèce) lorsque les frappes de l’OTAN sur
la Serbie ont débuté en mars dernier. L’expérience de la guerre à proximité, vécue de ce côté-là de l’Europe, nous a tous profondé-
ment marqués, car les implications de l’action de l’OTAN s’étendaient immédiatement bien au-delà des frontières de la Serbie, et
l’ensemble de l’Europe orientale en a subi, par ricochet, les effets réels et symboliques. Mais l’expérience vécue là-bas pendant ces
trois mois fut finalement moins perturbante (car nous partagions avec les gens une situation qui bouleversait de la même manière le
quotidien de chacun) que le retour en France et la soudaine distance, voire indifférence, avec laquelle, ici, on considérait ces événe-
ments, ou encore la facilité avec laquelle les discours dominants s’étaient imposés.
Aussi, cette publication représente pour nous l’occasion d’exprimer ce que nous avons pu voir et vivre pendant la dite période. Mais
au-delà, nous avons voulu donner une tribune à ceux que l’on a bien peu entendu sur ce sujet, d’une part les anthropologues de ma-
nière générale -malgré le fait que les argumentations politiques aient largement utilisé le champ sémantique du discours anthropolo-
gique-, et davantage encore, les anthropologues des pays d’Europe centrale et orientale auxquels il n’a été donné jusqu’à présent que
bien peu d’espace d’expression.
Il ne s’agit pas de polémiquer sur qui sont les bons et qui sont les méchants dans ce conflit européen, mais de tenter d’apporter
quelques éléments de compréhension sur la réalité balkanique à ceux qui ne connaissent pas cette partie de l’Europe. Notre légitimi-
té à prendre la parole découle de la connaissance directe que nous avons de ces pays et des problèmes auxquels ils sont confrontés,
et des modes d’analyse que nous offre l’approche anthropologique. Si le lecteur veut bien nous accorder un tel crédit, il trouvera
dans ces pages, nous l’espérons, d’autres manières de regarder et de dire l’Europe balkanique.
CREA ALYASPECO
Centre de Recherches et d’Etudes Anthropologiques Association LYonnaise d’Anthropologie
Université Lumière-Lyon 2 sur les Pays d’Europe Centrale et Orientale
RENCONTRES INTERNATIONALES
L Y O N
26 et 27 novembre 1999
Université Lumière-Lyon 2 - Campus Bron Parilly
Bâtiment IUT Lumière - Salle des conférences
“Ruralité et Urbanité en Europe Centrale et Orientale”
Université Lumière-Lyon 2
5, Avenue Pierre Mendès-France CP 11 - 699676 Bron Cedex
Dix ans après la grande transition qui a marqué la fin de l’Union soviétique et des Démocraties populaires, il convient de re-
venir sur cette période qui a vu se multiplier les contacts entre les chercheurs européens que le Rideau de fer avait séparés
jusqu’en 1989 et de s’interroger sur ce qu’est, à l’heure actuelle, l’ethnologie européenne. Il va de soi qu’un tel questionne-
ment renvoie à une somme de bouleversements socio-politiques dont le plus dramatique est celui de l’ex-Yougoslavie, bou-
leversements qui affectent nécessairement l’anthropologie, la convoquent et nous conduisent à revenir sur nos pratiques.
C’est dans un souci d’élaborer de véritables collaborations scientifiques avec nos collègues des pays de l’est que nous orga-
nisons ces rencontres qui auront pour objet de questionner des univers à la fois concrets et conceptuels auxquels tout cher-
cheur se trouve nécessairement confronté lorsqu’il travaille en Europe centrale et orientale : la ruralité et l’urbanité.
La comparaison des différentes manières de définir, de penser et de vivre la ville et la campagne permet de mettre en pers-
pective le rapport rural-urbain. Cette problématique appelle par ailleurs une analyse différentielle des conditions historiques,
sociales et politiques d’émergence et d’utilisation de ce type de concepts.
ALYASPECO
(Association LYonnaise d’Anthropologie Sur les Pays d’Europe Centrale et Orientale)
Entrée Libre. Réservation au CREA auprès de Mme Annie PAUL
Tél. : 04 78 77 24 75
■ ■ A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N TH R O P O L O G I E
5
 ■ RE GAR DS SUR LE S EUR OPE : UN E ANTHRO POLOGIE IMPL IQUÉE D AN S LES BALK ANS
Du crime contre l’autre au crime contre l’Autre
RÉFLEXIONS
SUR LE CRIME CONTRE L’HUMANITÉ
B e r n a r d V A N D E W I E L E
Ethnologue, Psychanalyste
LIMINAIRE
N ous avions donné pour le récent numéro spécial de la
Lettre de l’ARA un article : “Sur le dévoiement culturaliste
de l’ethnopsychanalyse”(1), où malheureusement quelqu’un
de bien intentionné a décidé -corrigeant le manuscrit- de
mettre systématiquement une majuscule au mot “autre”. Or,
les psychanalystes qui se réfèrent à la théorisation lacanienne
-c’est le cas de l’auteur- font une distinction conceptuelle de
première importance entre l’autre (a, minuscule) et l’Autre (A,
majuscule). L’autre avec minuscule, c’est moi, toi, elle ou lui,
la collection des humains ordinaires. L’Autre, équipé d’une
majuscule, c’est ce qui a fait, et ne cesse de faire, l’humanité
de l’autre : la mienne, la tienne et la sienne. L’Autre, c’est la
puissance tierce qui intervient pour m’interdire la jouissance
narcissique de l’autre (qui d’ailleurs ne serait alors que le mê -
me), pour me contraindre à me constituer comme sujet en le
reconnaissant comme sujet. La culture est évidemment le vec-
teur principal de cette opération : interdit de l’inceste et pres-
cription de l’exogamie, plus généralement organisation sym-
bolique instituant des normes, références et différences.
C’est précisément cette manière de penser l’altérité que nous
mettons ci-après à l’épreuve, dans un effort d’expliciter le ma-
laise qu’avec beaucoup nous avons ressenti, face à la enième
démonisation d’un ennemi désigné du genre humain, cette
fois-ci “le Serbe”, et aux lancers de “to-
mahawk” censés le “frapper chirurgica-
lement”.
6 A S S O C I A T I O N
TUER LA VERMINE...
Pour des animaux qui n’ont d’hommes que l’apparence loin-
taine, nuls égards nécessaires, et c’est MONTAIGNE, au len-
demain des premières horreurs américaines, qui dénonce en
ses Essais “une boucherie, comme sur des bestes sauvages,
universelle, autant que le fer et le feu y ont pu atteindre.”(2)
Son contemporain Richard VERSTEGAN versifie sur le Théâtre
des cruautés du temps :
“Lorsque le Tout-puissant le genre humain créa
Son propre image en lui et vif portrait forma ;
De laquelle pourtant le méchant ne tient conte ;
Les hommes fait tirer comme autres animaux,
Leur ferrant les pieds nus comme on fait aux chevaux.”
Barbare XVIe siècle ? Le Turc fera aussi bien que l’Arménien
lors du premier génocide de notre siècle finissant, qui n’en fut
pas chiche... (3) Même logique toujours d’un programme profa -
nateur : vis-à-vis de l’autre et pour montrer que son humanité
n’est qu’illusion, user d’une cruauté dont l’usage est supposé
légitime contre un animal sans âme ni sensibilité. Animaliser
l’homme : le traiter comme un chien, un porc, ou une vermi-
ne, pour prouver qu’il n’était dès sa naissance que chien,
porc, vermine. Le véritable crime contre l’humanité vise moins
à tuer l’homme qu’à en récuser l’existence même en tant
qu’homme. André FROSSARD(4) , qui témoigna lors
du procès BARBIE, rapporte une scène
dont, détenu à Lyon au Fort Montluc, il
fut témoin :
R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E
■ ■ REGA RDS SUR LES EU ROPE : UN E ANT HRO POLOG IE IMPL IQUÉE DAN S LES BAL KANS
Tous deux subissent une forte “épuration
ethnique” de la part du peuple “rival”.
Pendant la deuxième guerre mondiale,
avec l’aide de l’Allemagne de HITLER, le
Kosovo et le nord de la Transylvanie sont
incorporés, l’un dans l’Albanie, l’autre dans
la Hongrie. Mais il faut souligner l’ampleur
des exactions serbo-albanaises, tout à fait
différente de celles perpétrées entre
Roumains et Hongrois. En ex-Yougoslavie,
pendant les années 70, la région du Kosovo
acquiert une autonomie assez importante.
La Roumanie des communistes créa une ré-
gion autonome Hongroise à l’intérieur du
pays, qui s’étendait principalement sur le
sud de la Transylvanie : mais en 1968, le
dictateur scinda administrativement la po-
pulation hongroise en plusieurs morceaux.
Les émeutes dirigées contre les Serbes par
des Kosovars à partir des années 68 mar-
quent une nette distinction par rapport à la
Transylvanie où le silence imposé par la
Securitate gagne toutes les couches de la
population. Pendant les années 1990, les
différences entre Kosovo et Transylvanie de-
viendront plus nettes encore, bien que les
“mandarins des Balkans”, MILOSEVIC et
ILIESCU, agissent selon un scénario iden-
tique : créer des zones d’exactions. Les
Kosovars, forcés par les circonstances, en-
trent dans le jeu. Mais la tolérance plu-
sieurs fois séculaires entre Hongrois et
Roumains, ainsi que la tradition démocra-
tique multiculturelle (entre Hongrois,
Roumains, Saxons) en Transylvanie, font
que cette situation ressemble davantage à
la Suisse qu’aux Balkans. L’écart est égale-
ment considérable en ce qui concerne le
nombre des Albanais au Kosovo, trois fois
supérieur a celui des Hongrois en
Transylvanie. La différence la plus manifes-
te reste qu’en 1990 MILOSEVIC ait réussi à
instaurer l’état d’urgence au Kosovo, alors
qu’ILIESCU, par contre, n’ait pu en saisir
l’occasion ! En Transylvanie, au mois de
mars 1990, des milliers de Hongrois de
Marosvasarhely (Targu Mures) descendent
dans la rue pour manifester silencieuse-
ment, un livre et une bougie à la main, en
exigeant un enseignement dans leur langue
maternelle jusqu’au niveau universitaire.
C’est l’occasion pour ILIESCU de semer le
désordre dans une grande ville de
Transylvanie, caractérisée par une forte po-
pulation hongroise. Il invoquera le danger
des “séparatistes hongrois” qui veulent
“l’écartèlement de la terre sainte de la pa-
trie”, le “démembrement du pays”. Le pou-
voir incite à la révolte les paysans roumains
censés “défendre” les droits des Roumains
à la ville. Le conflit sanglant a coûté la vie
de six personnes, et plusieurs centaines de
blessés ont été hospitalisées. Le pouvoir
jouait la carte de la pathologie collective
■ ■ A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S
■
qui ne fonctionna que quelques heures. La raison entre Kosovo et Transylvanie. Les
raison a été plus forte que la ruse d’un deux régions se sont éloignées en temps et
mandarin du pouvoir. Le maire de Cluj en espace politique. La Roumanie attend
(Kolozsvar), Gh. FUNAR, représentant d’être membre de l’OTAN et, pour y parve-
“illustre”, et créateur de pathologies collec- nir, seuls ses anciens “rivaux”, les
tives, n’a de cesse depuis six ans de tenter Hongrois, peuvent l’aider et la soutenir.
de faire se répéter les exactions de mars Hélas, le constat du journal suisse sur la si-
1990. Sans succès, heureusement ! Après tuation balkanique des années 1888 reste
une décennie, en 1999, la guerre du encore valable : la solution définitive n’est
Kosovo a contraint de nouveau les manda- pas pour demain. Seule une Europe sans
rins roumains à rêver, cette fois, à une op- frontière trouvera l’issue. Je me demande si
position confortable au Parlement. Ils rap- mon ami croate réussira à vaincre son aver-
pellent aux Roumains les tendances au sé- sion envers les Serbes. Je continue à croire
paratisme des Hongrois de Transylvanie, le et à espérer que “la rivalité hongro-roumai-
risque de démembrement du pays souve- ne” demeure un enjeu essentiellement au
rain, ainsi que le péril d’une lutte armée pa- niveau de la compétition entre historiens, et
reille à l’UCK. Cette fois-ci, la situation po- que mon ami de Bucarest, directeur d’une
litique est complètement modifiée. Le parti maison d’édition, aura plus confiance dans
des Hongrois de Transylvanie (Union dé- les vertus révolutionnaires de son peuple.
mocratique des Hongrois de Roumanie) fait Quant aux mandarins des Balkans, nous
maintenant partie de la coalition actuelle, devons veiller à ce qu’ils ne puissent plus
ce qui rend une guerre de sécession prati- s’emparer du pouvoir.
quement impossible. De plus, la population
hongroise forme une enclave compacte jus-
te au milieu du pays, cette guerre de séces-
sion n’a donc aucun sens. Enfin, la Hongrie
est devenue entre-temps membre de
l’OTAN, qui ne tolère pas de conflits régio-
naux au sein de l’organisation. Cet épisode
déclencha de nouvelles attaques vis-à-vis
de l’Occident et de l’OTAN. Les mandarins
postcommunistes s’évertuèrent de nouveau
à présenter l’image d’une Roumanie aban-
donnée par “l’Europe civilisée”. Le discours
de victimisation, cette fois-ci, ne marchait
plus. Ces mandarins tentèrent également de
jouer la carte de l’identité orthodoxe com-
mune entre Serbes et Roumains. C’est aussi
ce que fera la Russie. Les mesures de MI-
LOSEVIC, ainsi que l’apartheid imposée
aux Kosovars eurent de graves consé-
quences. L’intervention militaire des alliés
du 24 mars 1999 généra une situation tout
à fait nouvelle, ce qui exclut toute compa-
D ' A N TH R O P O LO G I E
39
 ■ R EGAR DS SUR LES EUROPE : UNE ANT HRO POLOG IE IMPLIQUÉE D ANS LES B ALK ANS ■ ■ REGA RDS SUR LES E UROPE : UN E ANTHRO POLOG IE IMPL IQUÉ E DAN S LES BAL KANS ■

LE RÊVE DES MANDARINS DES BALKANS : “Poussée vers la cave par un soldat en armes, toute une
famille traversait la cour. Tous allaient l’un derrière l’autre,
le grand-père, la grand-mère, le père, deux petits garçons
Pour la question du meurtre, ce que nous dit le mythe bi-
blique, c'est qu'après avoir tué son frère, Caïn est par le Dieu
créateur IHVH banni de la terre, mais aussi qu'il est marqué

KOSOVO = TRANSYLVANIE dont le plus âgé pouvait avoir dix ans. La mère fermait la
marche, un bébé dans les bras. [...]. L’Unterscharführer
croisa le cortège et s’écria, jovial, les bras au ciel : “Ach,
alles Israël !”, “Ah, c’est tout Israël !” [...] L’attitude de
J e n õ F A R K A S l’Unterscharführer n’avait rien de haineux. C’était l’excla -
Professeur de littérature roumaine. Université Eötvös Loránd de Budapest mation du passant devant le carnier débordant d’un chas -
au front par un signe protecteur. Nous avons ailleurs(8) inter-
prété ce signe non seulement, avec James-George FRAZER(9),
comme protégeant le criminel contre le fantôme de sa victi-
me, mais comme l'inscription indélébile d'une culpabilité seu-
le à même de faire passer le meurtre du registre du réel au re-
gistre du symbolique, avec une leçon essentielle : tuer l'autre

D
epuis un siècle les journalistes ne ces-
sent de comparer les conflits nationaux
de l’Europe Centrale et de l’Est. Vue de
Paris ou de Londres la situation paraît plus
simple qu’elle ne l’est. Seuls ceux qui ont
vécu in vivo les déchirements dans cette
partie du continent peuvent comprendre ce
réseau extrêmement riche et sophistiqué de
dissensions et de conflits qui se nourrit de
longues expériences collectives et histo-
riques.
Le Kosovo appartenait encore à l’Empire ot-
toman quand un journal politique, littérai-
re, et économique français de Budapest, La
revue de l’Orient (du 10 juin 1888), pu-
bliait dans sa rubrique permanente
(Courrier politique) un extrait de la Tribune
de Genève : “Il est bien malaisé de prévoir
quand la question balkanique trouvera sa
solution définitive. Le paysan du Danube,
malgré son bon sens, n’a pas réussi jusqu’à
présent à gagner les faveurs de l’Europe.”
Bien après, en 1969, en ma qualité d’inter-
prète de l’équipe d’élèves de Hongrie, par-
ticipant au concours international de ma-
thématique de Bucarest, j’ai pu observer
que les Croates ne voulaient pas prendre le
repas auprès de leurs collègues Serbes qui
faisaient pourtant partie de la même équipe
yougoslave : “Tu ne penses pas que je vais
manger auprès de ce Serbe rustre ! “, me dit
un Croate. Je n’ai jamais rencontré une hai-
ne si vive. Une note de journal et une expé-
rience personnelle distante de quatre-vingt
années, suggèrent le degré de difficulté de
la question. Quant au “paysan du Danube”
face à l’Europe, voilà une question plus
difficile encore ! Vers la fin du siècle der-
nier Jean PISANI écrivait dans un compte
rendu de l’ouvrage intitulé Magyars et
Roumains devant l’histoire d’A. de BERTHA
(Paris, Plon, 1899) : “La question magyaro-
roumaine n’est ni moins embrouillée, ni
moins irritante que la question macédo-
nienne, et les aspirations contradictoires
des peuples rivaux qui provoquent de part
et d’autre la publication d’ouvrages où sont
exposées les prétentions des compétiteurs.
(Roumanie, bibliothèque du Ministère des
affaires étrangères, Paris).
Au début des années 80, un ami roumain
de Bucarest me dit d’un ton confidentiel :
“Il n’y a que les Hongrois de Transylvanie
qui puissent s’insurger contre le Dictateur.”
La phrase m’a frappé. Je l’ai considérée
comme un geste amical envers les
Hongrois. Dix ans après à Budapest, devant
le poste de télévision, ces propos me sont
revenus à l’esprit en regardant les émissions
sur les événements de Timisoara au mois de
décembre 1989.
Ceux qui veulent comparer Kosovo et
Transylvanie devront suivre une démarche
propre à la logique “des mandarins des
Balkans”, des anciens et nouveaux déten-
teurs du pouvoir économique et politique
de la région. Nourrissant une véritable hai-
ne envers l’Occident et l’OTAN, ceux-ci
souhaitent une large balkanisation de
l’Europe de l’Est afin de s’assurer une domi-
nation comparable à celle qui s’appliquait
du temps des communistes. Néanmoins
toute comparaison impose une mise en pa-
rallèle de l’histoire des deux régions.
Pour des “raisons historiques”, ces pro-
vinces ont été considérées par leurs rési-
dants comme leur “terre sainte”, le “ber-
ceau” de leur civilisation : Kosovo pour les
Serbes et Transylvanie pour les Roumains.
Ces “prétentions” ont été largement expo-
sées au XIXe siècle, quand le discours de
victimisation de la part des Roumains et des
Serbes (dans le cadre de la monarchie aus-
tro-hongroise) jouait un rôle important, par-
tout en Europe. L’idée de la “petite sœur la-
tine” écrasée par “les Hongrois asiatiques”
avait un certain succès dans les disputes
hongro-roumaines à Paris et à Londres dans
la période 1849-1853, puis à la fin du
siècle, et surtout à la veille de la première
guerre mondiale. Du côté hongrois, une
vaste activité scientifique accompagnée de
sa vulgarisation reflétait et servait la cause
hongroise.
A partir de la première guerre mondiale, le
Kosovo et la Transylvanie figurèrent comme
des enjeux importants dans le choix de l’al-
liance des Serbes et des Albanais d’une
part, et des Hongrois et des Roumains de
l’autre. Les Serbes, en tant que nation, n’ont
réussi à conquérir le Kosovo qu’à l’occa-
sion des guerres balkaniques (1912-1913).
A cette époque, la Transylvanie faisait par-
tie de la Monarchie austro-hongroise (créée
en 1867), et connaissait un essor écono-
mique sans précédent. Cependant, les pro-
blèmes des minorités étaient à l’ordre du
jour au Parlement hongrois. Malgré la “for-
te magyarisation”, dont on a glosé pendant
toute la durée de la monarchie, en 1910
seulement 10% des 2,9 millions de
Roumains de la monarchie bicéphale (ex-
pression chère aux historiens des pays voi-
sins de la Hongrie) parlaient le hongrois. La
Transylvanie ne fera partie de la Roumanie
qu’à partir de 1918. Le Kosovo fera à son
tour partie de la monarchie serbe nouvelle-
ment créée cette même année. Après 1918,
les similitudes entre les peuples albanais et
hongrois de Transylvanie se multiplient.
seur : “Ah ! Où diable avez-vous trouvé tous les lapins
que voilà ! Ma parole, mais c’est toute la garenne !” Le
Juif n’était pas même un “Untermensch”, un sous-homme,
comme le Russe ou le Polonais. Exclu de la nature humai -
ne, il n’appartenait pas à l’espèce. Dans la meilleure hy -
pothèse, c’était un gibier, dans la plus courante, un nui -
sible.”(5)
Tel est ce que nous pourrions appeler le crime contre l’huma-
nité du premier type, mais il en est un plus accompli encore.
UN CRIME SANS VISAGE.
La guerre contre la Yougoslavie, après celle contre l’Irak, dans
la continuité logique des bombardements massifs anti-cités de
la Deuxième guerre mondiale, depuis les V2 sur Londres jus-
qu’aux bombes A sur Hiroshima et Nagasaki, nous a mis en
face d’une nouvelle donne concernant le crime contre l’hu-
manité : dans la stratégie anti-cités (dont nous rappellerons au
passage qu’elle est l’option de la dissuasion nucléaire françai-
se), l’autre n’est plus animalisé, on pourrait même dire qu’il
perd toute réalité animale de chair et de sang : il est simple-
ment compté(6).
Le mythe biblique de la Genèse nous introduit à une double
culpabilité de l’homme : dans un premier temps, à la culpabi-
lité liée à la différence des sexes et au désir ; dans un deuxiè-
me temps, à la culpabilité liée à la jalousie(7) et au meurtre du
rival. Dans ces deux récits mythiques, celui de la découverte
de la pudeur par le couple primordial, et celui du meurtre de
leur fils Abel par son frère Caïn, ce qui nous est donné à en-
tendre, c'est l'émergence de l'altérité en tant que telle : l'autre
prend stature d'autre comme objet de mon désir, ou comme
obstacle à mon désir.
Laissons de côté la question de l'Autre sexe, qui nous entraî-
nerait - momentanément en tout cas - trop loin de notre sujet.
n'est humain que s'il culpabilise. Autrement dit, le crime
contre l'humanité est accompli lorsque, déniant à l'autre son
humanité, je me traite tout autant comme inhumain, et en par-
ticulier comme simple exécutant d'une machinerie dont je ne
serais que la courroie de transmission irresponsable. La devise
du criminel contre l'humanité a été sobrement énoncée dans
l'affaire du sang contaminé : "Responsable mais pas cou-
pable". La culpabilité se perd dans le détour technique et bu-
reaucratique, et ses leurres aux allures de "fatum" à l'antique.
Le moment où le crime de guerre vire au crime contre l'huma-
nité, est celui où le meurtre de l'autre hors des "règles de la
guerre" vire au meurtre de l'Autre, c'est-à-dire se situe hors-la-
Loi, non celle qui est faite par les hommes mais celle qui les
constitue comme tels via le manque et le désir. Aujourd'hui,
par la grâce de la technologie et de l'idéologie du "zéro mort"
virtuel, délivré de toute haine et même à vrai dire de tout sen-
timent, criminel contre toute humanité à commencer par la
sienne propre, le guerrier est devenu un froid professionnel du
massacre technique, à l'égal du moderne tueur de boeufs dont
Noélie VIALLES a montré que l'organisation des abattoirs vise
à le soulager de toute précise mise à mort(10).
Par une ruse dont l'histoire est, on le sait coutumière, les
champions des Droits de l'Homme se retrouvent piétiner "in-
nocemment" le plus inaliénable de ces droits : voir le visage
de son bourreau, droit inséparable du devoir de l'homme de
guerre : affronter le visage de sa victime. Car, disait LEVINAS,
"c'est précisément dans ce rappel de ma responsabilité par le
visage qui m'assigne, qui me demande, qui me réclame, c'est
dans cette mise en question qu'autrui est prochain. [...]
Comme si j'étais voué à l'autre homme avant d'être voué à
moi-même".(11)

————
1) Bernard VANDEWIELE, “Sur le dévoiement culturalis-
te de l’ethnopsychanalyse”, Lettre de l’ARA, Hiver 98, n°
43, pp. 23-24. (ndlr)
2) Livre III, chapitre VI. Dans l’édition de Pierre VILLEY
(P.U.F., 1965), p. 913.
3) Cf Françoise HÉRITIER, De la violence, p. 16. Dans
un film d’Henri VERNEUIL, c’est la “réponse” de l’offi-
cier turc à un Arménien qui se plaint d’être pieds nus
lors d’une marche forcée.
4) André FROSSARD décrit le supplice d’un des Juifs dé-
tenus avec lui à Lyon, au Fort Montluc : “Deux taurillons
de la Gestapo, gras, le poil luisant, vides de tout senti-
ment identifiable, l’avaient pris pour souffre-douleur. Ils
survenaient inopinément dans la baraque, le bloquaient
dans un angle, et lui martelaient le crâne pour y faire en-
trer cette phrase que je crois extraite de Mein Kampf
[...et que] avant de rejoindre un jour un groupe d’otages
à fusiller, il dut répéter une dernière fois, devant des
sous-officiers hilares : “Le Juif est un parasite qui vit sur
la peau du peuple aryen, et il faut l’extirper”.” (Le Crime
contre l’humanité, pp. 52-53). On notera qu’à évoquer
des taurillons au poil luisant vides de tout sentiment,
FROSSARD n’échappe pas totalement à ce qu’il dénon-
ce. Celui qui nie l’humanité en l’autre nie dans le même
mouvement sa propre humanité, mais la lui rappeler
vaut mieux qu’entrer dans ce jeu.
5) Ibidem, pp. 54-55.
6) Et compté à part -à vrai dire “ça ne compte pas”- s’il
s’agit d’une victime d’un “dommage collatéral”, selon la
terminologie du Pentagone.
7) Le nom même de Caïn renvoie étymologiquement à
“jalousie”. Cf. EISENBERG et ABECASSIS : A Bible ou -
verte III, Albin Michel, 1993, p. 46.
8) Le Salut précaire de Marthe Robin, l’Autre incertain,
1994, pp. 90-93.
9) Le Folklore dans l’Ancien Testament, Paul Geuthner,
1924, pp. 31-42.
10) Le Sang et la chair, Maison des sciences de l’hom-
me, 1987.
11) Éthique comme philosophie première, Rivages-
Poche, 1998, p. 97.

38 A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A LP E S D ' A N T H R O P O L O G I E ■ ■ A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E
7
 ■ R EGARDS SUR LES EUR OPE : UN E ANT HROPOLOG IE IMPL IQUÉE D AN S LE S BALK ANS ■ ■ RE GA RDS SUR LE S EUROPE : UNE ANTHRO POLOGIE IMPL IQUÉE D AN S LES B AL KANS ■

turque. Les Bulgares continuent à ressentir eu pour enjeu la Macédoine. Au terme de claration commune en onze points, le 22

LES DROITS DE L’HOMME, PRÊT-À-PENSER ? comme “une trahison” le traité de Berlin,

et quoique virtuelle, la Bulgarie de San
Stefano reste toujours une référence pour
O l i v i e r G I V R E eux. A l’occasion, les responsables poli-
tiques affichent un nationalisme frustré et
Doctorant en Ethnologie à l’Université Lumière Lyon 2 affirment que “toutes les guerres viennent
du Congrès de Berlin”.
ces guerres, le traité de Bucarest (1913)
donna à la Turquie la Thrace orientale, à la
Serbie la Macédoine, à la Grèce la Thrace
occidentale, et à la Roumanie le sud de la
Dobroudja. La Bulgarie fut la grande per-
dante. La première guerre mondiale la mit
du côté de l’Allemagne et de la Turquie, et
février 1999 à Sofia, dans laquelle ils dé-
clarent leur volonté commune d’instaurer
des relations globales qui se développe-
ront en conformité avec les principes fon-
damentaux du droit international. Les deux
pays sont décidés à élargir leur coopéra-
tion dans tous les domaines. Depuis, la

O
ccidental travaillant dans les Balkans,
la guerre du Kosovo m’a laissé pro-
fondément divisé. À la monstruosité
de la purification ethnique et la responsa-
bilité majeure, en définitive, des diri-
geants serbes dans la tragédie yougosla-
ve, ont répondu le cynisme des concepts
militaro-technologiques de l’OTAN et les
effets dévastateurs des “frappes”. Ce-
pendant, si toute position consistant à re-
lativiser l’un par l’autre me paraît dange-
reuse, car subsiste une différence de na-
ture entre le régime (à distinguer du
peuple) serbe et l’OTAN (pas question de
“victimiser” le premier et de “fasciser” le
second), subsiste aussi le malaise de la
justification morale dominante de l’inter-
vention occidentale : “la civilisation en
lutte contre la barbarie”, un “combat
pour la civilisation” (L. JOSPIN) qui réali-
se l’adéquation entre guerre et humani-
taire(1) au nom de valeurs constituant au-
tant de Raisons Suffisantes : le devoir mo-
ral, la protection du faible contre le fort,
le respect des droits de l’homme. Les
lignes qui suivent tentent de mettre ce
malaise en “perspective anthropolo-
gique”.
Tout d’abord, la manière dont les “droits
de l’homme” ont été invoqués lors de la
guerre me paraît révéler un certain
nombre de rapports mutuels entre les
Balkans et l’Occident. Selon de nom-
breux auteurs, le mode de relation déve-
loppé depuis 1989 vis-à-vis de l’Europe
Centrale et Orientale par l’Occident don-
ne l’impression que ce dernier aurait ga-
gné la “guerre froide”, et qu’en consé-
quence c’est tout son système politico-so-
cial qui aurait valeur d’exemple auprès
de voisins en rupture de civilisation. À la
figure du “sauvage balkanique”, bon ou
mauvais mais à civiliser, se superpose
celle d’un “sauvage politico-social” : le
communiste maintenant à peu près vain-
cu. L’engagement occidental au Kosovo
serait une étape dans la “conversion” au
modèle occidental de nations encore em-
pêtrées dans le crypto-communisme (MI-
LOSEVIC étant d’ailleurs qualifié de “na-
tional-communiste”) et dans des schémas
de pensée hérités de ce que l’on appelle
“l’expérience communiste”. Cette derniè-
re se caractériserait par la confiscation du
pouvoir au profit d’une Nomenklatura, la
censure, la propagande et le “gel” des re-
lations communautaires, notamment eth-
niques. Le drame yougoslave provien-
drait du “réchauffement” post-titiste de
toutes les identités figées durant un demi-
siècle : nationales, ethniques, religieuses,
linguistiques… Cette interprétation n’est
pas fausse en soi, mais elle conduit géné-
ralement à une dangereuse réification de
notre vision des choses, en posant d’un
côté l’Occident universaliste, démocrate
et libéral, de l’autre toutes les forces né-
gatives qui lui sont antonymes : le natio-
nalisme, le communisme, l’intégrisme, le
fascisme. L’évocation de ces étiquettes
“labellisées” ne conduit pas seulement à
des raccourcis sommaires (comparaisons
avec le nazisme, la Shoah, le stalinis-
me…), elle permet de se désigner un ou
des ennemis bien identifiés et surtout
bien distincts de soi, en puisant dans les
“leçons de l’histoire”. Elle permet de se
poser comme garant du droit et de la ver-
tu, “nous” contre “les autres”, “les droits
de l’homme” contre la “sauvagerie”. La
caractérisation d'entités monolithiques
sur fond de valeurs universelles est aussi
un procédé récurrent dans les sciences
de l'homme : tel obstacle guette notam-
La première Assemblée nationale bulgare
se réunit à Ternovo en 1879 et adopte une
Constitution. Le 22 mars 1878, Sofia de-
vint la capitale, marquant ainsi la fin du
joug ottoman. Au terme d’une révolution
qui éclate à Plovdiv en 1885, la Roumélie
orientale décide son rattachement à la
principauté. En 1887, l’Assemblée choisit
Ferdinand de SAXE-COBOURG, candidat
de l’Autriche-Hongrie, comme prince de
la Bulgarie. Prenant le titre de tsar, il pro-
clame l’indépendance de la Bulgarie en
1908. Cette fin de XIXe siècle verra une
lutte politique s’engager entre les
Russophiles et les pro-Occidentaux.
Président de l’Assemblée nationale, Stefan
STAMBOLOV, se fera le porte-parole de ce
nationalisme bulgare exacerbé par les in-
gérences russes. Premier ministre, il mour-
ra assassiné en 1896. Aujourd’hui, il reste
une référence principale par les Euro-
péistes bulgares.
C - UN VOISINAGE CONFLICTUEL ?
La Bulgarie a-t-elle une politique de co-
opération et d’intégration régionale avec
ses voisins ? Il est vrai que le contexte ré-
gional est particulièrement instable et son
voisinage difficile. Historiquement, les
Bulgares, les Serbes, les Turcs, et les Grecs
furent des peuples rivaux, et des haines sé-
culaires enveniment encore leurs relations.
Les frontières de ces pays ont suivi des
fluctuations géographiques constantes, et
les arguments historiques de revendica-
tions territoriales des uns et des autres ne
sont pas dénuées de fondements. Pourtant,
les responsables bulgares que nous avons
interrogé affirment qu’ils n’ont de conflit
territorial, frontalier, ethnique, ou religieux
avec aucun de leurs voisins.
Au XXe siècle, les Bulgares tentent à trois
reprises (1913, 1915 et 1940), mais en
vain, de prendre leur revanche sur l’injus-
tice infligée par le traité de Berlin. Les
deux guerres balkaniques (1912-1913) ont
———
1) Auteur, entre autres, de : Les minorités dans le monde. Faits et analyses, Desclée
de BROUWER, Paris, 1998, 928 p.
2) Cf. sa préface "La France, le Vatican et le réveil national bulgare" (p. XXIII) au livre
de Victorin GALABERT, Vingt-deux années parmi les Bulgares, Journal, T.I (1862-
1966), Département des Archives près le Conseil des Ministres, Sofia, Congrégation
des Assomptionnistes, Rome, en bulgare et en français, Les Archives parlent, I, Ed.
de l'Université SV. Kliment OKHRIDSKI, Sofia, 1998, 602 p.
3) Cf. son livre, Les Bulgares civilisateurs du monde slave, traduit en français par
Milen CHIPTCHANOV, Borina Editions, Sofia,1995,106 p.
4) Sur ces chefs de la nation bulgare voir : Spiritual leaders of Bulgaria. Ecclesiastics,
le traité de Neuilly (27 novembre 1919) Bulgarie a fourni des armes à la
l’amputa de nouveaux territoires qui furent Macédoine comme “cadeau et geste de
annexés par la Grèce et la Serbie. En bon voisinage” : 150 tanks et 120 pièces
1923, la Grèce expulse 250 000 Bulgares d’artillerie.
résidant en Thrace. Durant la deuxième La Grèce et la Serbie.
guerre mondiale, la Bulgarie s’aligne à La Bulgarie ne porte pas dans son coeur la
nouveau sur l’Allemagne espérant pouvoir Grèce ni la Serbie, en raison d’un lourd
réviser le traité de Neuilly. Elle sera par la contentieux historique. On reproche à la
suite en permanence perdante dans les Grèce de garder ses frontières hermétique-
conflits avant d’être “frigorifiée” durant ment fermées. En tout cas, nous dit l’am-
quarante-cinq ans par le communisme to- bassadeur Lyubtcho TROHAROV, “qu’on
talitaire. ne nous présente pas la Grèce comme mo-
Le problème macédonien. dèle de démocratie, nous rejetons son lea-
dership”. Et L. TROHAROV de plaider
La question macédonienne agite la vie po-
pour l’ouverture des frontières et pour une
litique bulgare. Pour Sofia, l’histoire de la
communication libre avec les pays limi-
Macédoine est falsifiée, d’où ses relations
trophes. Selon lui, le Mur de Berlin existe
ambiguës avec ce pays. Faisant preuve de
toujours : avec la Roumanie, malgré 200
nuance, la Bulgarie a reconnu un Etat ma-
km de frontières communes, il n’existe
cédonien mais non une nation, ni une
qu’un seul pont sur le Danube qui relie les
langue macédonienne. Car, la Macédoine
deux pays, un passage terrestre avec la
est tenue unanimement pour bulgare par
Macédoine, et deux points de contrôle
le gouvernement et l’opinion publique. Si
on la soutient, nous dit-on, c’est pour avec la Grèce.
“conserver son indépendance et la proté- POUR CONCLURE.
ger”. De ce fait, la question macédonienne
Aujourd’hui, ce passé devient le foyer de
est un sujet de tension qui risque à terme
toute argumentation dans les conflits, vi-
d’envenimer les relations de la Bulgarie goureusement alimenté par des forces po-
avec la Serbie et la Grèce. Il existe à Sofia
litiques et nationalistes, et des mouve-
un Institut scientifique macédonien ments sociaux et intellectuels. Il se profile
d’orientation nationaliste bulgare. Cet
derrière ce phénomène une fierté d'être
Institut a été fondé en décembre 1923, fer- Bulgare et en même temps des incertitudes
mé en 1947, et rétabli en mai 1990. Il pu-
face à l'avenir du pays. Formons le vœu
blie en permanence des travaux sur l’iden- que ce micro-nationalisme ne prendra pas
tité macédonienne, niant l’existence d’une
une tournure expansioniste.
langue macédonienne et dénonçant les 90
ans de “nettoyage ethnique” perpétrés par
les Grecs contre les Bulgares en Macé-
doine égéenne(6).
Mais depuis la victoire de novembre 1998
du VMRO-DPMNE aux élections législa-
tives à Skopje, les relations avec la
République de Macédoine semblent
s’améliorer. En effet, les premiers ministres
bulgare et macédonien, Ivan KOSTOV et
Ljubcho GEORGIEVSI, ont adopté une dé-
Educators, En lighteners, text by Boyan OBRETENOV, Kibea Publishing Company,
Heritage, Sofia, 1997, 67 p.
5) Le 3 mars est la fête nationale de la Bulgarie.
6) Cf.- Stoyan G. BOJADJIEF, 90 years Grec ethnic cleansing of Bulgarians in Aegean
Macedonia, Sofia, 1996, Macedonia Press, 64 p.
- lvan KOCEV, Otto KRONSTEINER, Ivan ALEXANDROV, The fathering of what is
known as the Macedonian literary language, Sofia, 1994, Macedonian Scientific
Institute, 63 p.
- Memorandum of the Macedonian Scientific Institute-Sofia concerning the relations
between the Republic of Bulgaria and the Republic of Macedonia, Regarding the
language dispute, Sofia, 1997, 24 p.

8 A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E ■ ■ A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E
37
 ■ REGAR DS SUR LE S EUR OPE : UN E ANTHRO POLOG IE IMPL IQUÉE D AN S LES BALK ANS
avait dénoncé dans une encyclique, la
présence concurrente de missionnaires la-
tins en Bulgarie. A ce propos, Hrabar
MARCOV IVANOV, assomptionniste bul-
gare, auteur d’un “projet de calendrier uni-
versel perpétuel”, nous déclare son hostili-
té à la latinisation de la Bulgarie par
Rome. “La nomination de Photius comme
patriarche de Constantinople à la place
d’Ignace, destitué, sert de prétexte à ses
ennemis pour se tourner vers Rome. Rome
utilise cette occasion pour exiger que la
Bulgarie toute entière passe sous sa juri-
diction : prétention inacceptable pour
Constantinople. Il s’ensuit une dissension
entre Rome et Constantinople qui jusqu’à
nos jours n’est pas encore totalement écar-
tée”.
Les Bulgares ont vécus sous l’emprise de
deux royaumes successifs slaves chrétiens,
voisins et ennemis de Byzance. Le premier
royaume bulgare, fondé par Khan ASPA-
RUH, date de 681 et s’étendait de la
Thrace à la Macédoine (y compris
Ochrid). Sa capitale était Pliska et il dura
jusqu’en 1018. Converti au christianisme
byzantin en 865, le roi Boris Ier (852-889),
très estimé par les Bulgares, se fit baptiser
par Byzance et imposa la religion chrétien-
ne de rite slavo-byzantin à son peuple en
870. Clément d’Ochrid (840-916) et
Nahoum, disciples de Cyrille et Méthode,
avaient introduit cette religion en Bulgarie.
A partir de 885, le pays fut désormais de
culture slave. Sa langue liturgique, le sla-
von, était alors considérée comme le vieux
bulgare. Dès le départ, la Bulgarie s’orga-
nisa en Eglise nationale et érigea en 924
(jusqu’en 1019) un premier Patriarcat au-
tonome. Le tsar Siméon (893-927), fils de
Boris Ier, établit la Grande Bulgarie au Xe
siècle et est couronné comme basileus. En
926, Siméon prend le titre de tsar et établit
sa capitale à Preslav. Mais les Byzantins
conquirent de nouveau la Bulgarie sous
Basile II en 1019, supprimèrent ainsi le
Patriarcat établi à Ochrid, et dominèrent le
pays jusqu’en 1186. Ce fut une lutte sans
pitié entre deux Etats de même obédience
chrétienne en rivalité permanente. La
Bulgarie reprochait à Byzance de vouloir
l’assimiler dans le creuset grec. Basile II
(958-1025), dit le Bulgarochtone (tueur de
Bulgares), en lutte contre le roi bulgare
Samuel, creva les yeux de quelques 15
000 soldats bulgares, et les renvoya dans
leur pays, guidés par des borgnes.
Le second Empire bulgare (1187-1393)
s’organise autour de la ville de Ternovo
(Veliko-Ternovo) qui en fut la capitale. En
1235, on rétablit derechef le patriarcat au-
tocéphale à Ternovo (1235-1393) sous le
36
tsar Ivan Assen II (1218-1241). Mais à par-
tir du XIIIe siècle, la Bulgarie se morcelle
en principautés indépendantes (Ternovo et
Vidin), et l’Eglise bulgare perdra toute au-
tonomie sous la domination phanariote de
Constantinople jusqu’en 1860. Cependant,
une figure émerge au XIVe siècle ; Eftimi
(1325-l404), dernier patriarche bulgare qui
résista, mais qui dut prendre le chemin de
l’exil en 1393. Durant la période ottoma-
ne, l’Eglise s’hellénise et abandonne le sla-
von.
B - RÉVEIL NATIONAL BULGARE :
À LA CONQUÊTE DE L’INDÉPENDANCE.
Le sentiment national bulgare se caractéri-
sa dès l’origine par “une double lutte vis-à-
vis de l’Empire turc et du haut clergé grec
qui contrôlait l’Eglise orthodoxe bulgare”.
Il s’agissait donc de s’affranchir du joug
politique des Turcs et de la domination ec-
clésiastique des Grecs. Le monastère de
Rila fut l’un des foyers les plus actifs de la
résistance aux Turcs.
En vertu du traité de Kaïnardji (1774), la
protection des orthodoxes de l’Empire ot-
toman fut accordée à la Russie. A la même
époque, le mouvement national bulgare
appuyé par la Russie voit le jour. Une litté-
rature se développe à partir du XVIIIe
siècle, et les prémisses d’un nationalisme
culturel bulgare apparaissent lentement
provenant principalement des monastères.
En 1762, le moine Païssiy, du couvent de
Khilendar (1722-1773) au Mont Athos, ré-
veille la conscience nationale au travers
de l’exaltation de l’Histoire slavo-bulgare
(1762), cette période correspondant au dé-
but de la Renaissance bulgare. Il célèbre le
passé glorieux de son peuple et stigmatise
ses compatriotes jusque là honteux de par-
ler leur langue maternelle. Il dénonce à la
fois la domination grecque dans l’Eglise, et
A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S
le joug ottoman. Cet appel à la fierté bul-
gare, il le résume par cette phrase :
“Pourquoi avez-vous honte de vous appe-
ler Bulgares ? “
Parallèlement, un mouvement religieux
contre l’hellénisme se fait jour au sein du
clergé en vue de sa bulgarisation, prônant
le retour à la liturgie slavonne, l’enseigne-
ment de la langue bulgare, et l’indépen-
dance de l’Eglise bulgare. Ce mouvement
est représenté par l’évêque Sofroniy de
Vratsa (1739-1813), disciple de Païssiy. En
1870, est fondé un exarchat bulgare auto-
nome, précédé en 1861par la naissance de
l’Eglise uniate. La première imprimerie
bulgare date de 1835, et la première revue
en langue bulgare de 1844.
Des patriotes bulgares posèrent à partir de
1870 le problème de l’indépendance d’un
Etat bulgare. Quelques artisans de cette
œuvre émancipatrice méritent d’être men-
tionnés. Le premier fut Georgi RAKOVSKI
(1821-1867) qui organisa le premier comi-
té bulgare de propagande à Bucarest. Il se-
ra suivi par Vassil LEVSKI (1837-1873) qui
structura en 1871 le premier mouvement
révolutionnaire clandestin à Sofia, contre
les Ottomans, mais qui sera pendu à Sofia
par la police turque le 19 février 1873, à
l’endroit même où se dresse aujourd’hui le
monument élevé à sa mémoire. Il est de-
puis considéré comme le premier grand
martyr de la cause nationale bulgare. Le
poète Hristo BOTEV (1848-1876), membre
du premier comité révolutionnaire s’oppo-
sa énergiquement au clergé grec. Il faut
mentionner aussi Ivan VASOV (1850-
1921) qui marque la fin de la domination
ottomane(4) . Le mouvement national bul-
gare déclencha une révolte en avril 1876
avec l’appui de l’armée russe. 200 000
Russes meurent pour la libération de la
Bulgarie du joug ottoman. La répression
turque fut d’une grande férocité. Par le
traité de San Stefano (3 mars 1878)(5)
conclu après la libération de la Bulgarie
du joug ottoman, la Russie oeuvre pour la
création, sous son hégémonie, d’une
Grande Bulgarie du Danube à la mer Egée,
englobant Ochrid et allant jusqu’aux
portes de Salonique. La Bulgarie est alors
l’enjeu d’antagonismes majeurs entre les
grandes puissances. Mais en raison des ri-
valités austro-russes, les grandes puis-
sances européennes révisent ce traité et lui
substituent la même année le traité de
Berlin (13 juillet 1878) qui ampute le pays
et le morcelle en trois parties : une princi-
pauté de Bulgarie sous suzeraineté ottoma-
ne, la province autonome de Roumélie
orientale (autour de Plovdiv), et la
Macédoine maintenue sous domination
D ' A N T H R O P O L O G I E
■ ■ REGA RDS SUR LES EU ROPE : UN E ANT HROPOLOG IE IMPL IQUÉE DAN S LE S BAL KANS
ment l'anthropologue en quête d'altérité.
Ce type de démarche conduit par
exemple le sociologue Stjepan MES-
TROVIC(2) à dériver d'une critique cultu-
relle du communisme potentiellement
riche vers une sorte de phrénologie cultu-
relle censée déceler de la barbarie chez
les Serbes et de la démocratie chez les
Croates. Je prends cet exemple à dessein,
car la méthode qui consiste à déterminer
des “types culturels” perdurant dans le
temps s'accompagne en général de
points de vue moraux, et la notion de
“droits de l'homme”, parce qu'elle
semble redoubler la conception de
l'homme mise en œuvre par l'anthropo-
logie, constitue souvent le point de réfé-
rence de l'“observateur”.
Un détour ethnologique par les Balkans
met à jour certaines ambiguïtés du
concept de “droits de l’homme”, qui est
au cœur de questions aussi fondamen-
tales que “piègeuses”. Il semble indécent
de le mettre en question, tant il demeure
au fondement de notre “modernité” phi-
losophique et politique, et universel de
par sa portée ; un impératif catégorique
dont toute critique (au sens de “mettre en
crise”) s’apparente à une transgression.
En même temps, il participe concrète-
ment de ce que RIESMAN nomme le
“cosmopolitisme provincial” de l’Occi-
dent, soit la promulgation par un modèle
culturel particulier de valeurs absolues
censées s’imposer à l’humanité. En cela,
il se trouve régulièrement associé à toute
une myriade de tendances représenta-
tives de l’institution occidentale du mon-
de, du triomphe annoncé de l’économie
de marché aux vertus de la démocratie
en passant par la transmission massive de
standards culturels. Enfin, en tant que jus-
tification morale d’une opération militai-
■ ■ A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S
re, les “droits de l’homme” vus depuis les
Balkans servent de concept-écran à une
“formation discursive” (FOUCAULT) de-
puis longtemps synonyme d’ingérence,
d’hétéronomie, de mise sous tutelle voire
d’impérialisme. C'est que de l’Empire ot-
toman à l’Empire soviétique en passant
par les jeux d’influence occidentaux, on
peut dire que l’histoire des Balkans se
fonde sur de multiples traumatismes dans
la manière de considérer “soi” et
“l’autre” : occupations étrangères, muse-
lage des identités nationales, impossibili-
té d’accéder à l’autodétermination. Une
région qui se considère “trop-pleine
d’histoire” et trop-pleine d’altérité, une
région où la question de l’identité et de
l’altérité est omniprésente et “moderne”,
ce qui ne laisse pas de mettre à mal l'ac-
ceptation occidentale de cette question
subsumée dans l’universalisme, un mode
de pensée qui place l’Homme au-dessus
des hommes. Bien sûr, on a toujours beau
jeu de caractériser sous le signe de la
bienveillance ce qui serait notre côté de
l'Europe : parlons plutôt d'une tendance
discursive largement répandue (et confi-
nant parfois au chauvinisme !), non pas
d'une réalité concrète ou même d'une
conviction évidente. Néanmoins, en
règle générale, l'ethnicité, la nation, la
religion, la langue, le territoire, tous ces
critères de la vision de “soi” par rapport
aux “autres” sont dans les Balkans en im-
brication beaucoup plus étroite et consti-
tuent autant de facteurs de différencia-
tions réels qui rendent d'autant plus abs-
traite la vision d'une humanité unitaire
appelée à transcender les “humanités
particulières”.
Qu'est-ce qui a pu permettre une inter-
prétation des “droits de l’homme” com-
me ingérence, outre le fait qu'ils se pré-
D ' A N T H R O P O L O G I E
■
sentent, dans le discours politique, com-
me notion allogène, étrangère et idéolo-
gique et réitèrent en outre tous les juge-
ments de valeurs “sauvagisants” portés
sur “l’humanité balkanique” comme
“l’autre de l’Europe” ? L'un des corrélatifs
de cette interprétation réside dans ce que
Mattijs VAN DE PORT qualifie d’”altérité
obstinée”, telle qu’il a pu la saisir en
Serbie : une façon de définir son humani-
té particulière comme irréductible à toute
humanité générale, donc incompréhen-
sible de l’extérieur, notamment pour…
l’anthropologue(3). Il faut être critique à
l'égard de recours aussi lourds de consé-
quences à la notion d'altérité, que ce soit
du point de vue de l'ethnologue que de
celui des gens qu'il côtoie. Car l'altérité
sert avant tout de mise en scène du rap-
port à l'étranger, a fortiori dans des cir-
constances telles qu'une guerre. Elle n'a
selon moi pas d'autres existence que
comme objet de discours, et constitue le
cas échéant une “arme antianthropolo-
gique” efficace : J’ai pu mesurer moi-mê-
me, en mai dernier, l’irréductibilité de
certains points de vue sur le conflit vu
depuis les Balkans, à quel point il est aisé
de se laisser duper par les fictions de
l'identité et de l'altérité, réitérant toutes
les catégories de jugement dualistes qui
fonctionnent si bien dans des situations
“agonistiques”. En Grèce, par exemple,
où les réactions anti-occidentales étaient
parmi les plus virulentes, lors d’une dis-
cussion avec un journaliste au discours
bien rôdé : ”Vous voyez les résultats des
bombardements ?”, “Vous pensez que les
Américains veulent du bien à l’Europe ?”,
“Pourquoi agissez-vous seulement main-
tenant ?”, “Pourquoi ne faites-vous rien
en Turquie ?”... Transparaissait la flexibili-
té du point d’observation : un même fait,
9
 ■ R EGAR DS SUR LES EUROPE : UN E ANT HRO POLOG IE IMPL IQUÉE D ANS LES B ALK ANS
des regards différents ; plus encore, ce
sont les tenants et aboustissants moraux
ou humains qui basculaient : la purifica-
tion ethnique ne pesait pas le même
poids que les risques de déstabilisation
de toute une région ; on en venait à lui
accorder plus d’importance en tant qu’ef-
fet, qu'en tant qu’horreur ; enfin selon
cette logique discursive, elle n'était mê-
me pas tant le fait des serbes que le résul-
tat des “frappes”. Le tout aboutissant à
une nouvelle désignation des responsabi-
lités qui nous implique directement cul-
turellement : moi Français, suis aussi
comptable de ces actes de guerre , ne
suis-pas coupable, en fin de compte, de
la situation des Kosovars ?
Autre exemple, en Bulgarie, où ma pre-
mière réaction à chaud concernait la li-
mite de ma conception des droits de
l'homme et de la “compréhensibilité” du
point de vue de l'autre. J’ai véritablement
senti la limite de ma conception des
droits de l’homme et de la “compréhensi-
bilité” du point de vue de l’autre. A table
chez un ami, : “Oui, MILOSEVIC est un
dictateur, mais est-ce que tu sais que
l’UCK est financée par le trafic d’héroïne
et que RUGOVA habite un véritable pa-
lace à Pristina [sic !] ?”, “Oui, l’exil des
Kosovars est tragique, mais est-ce que tu
sais que le Kosovo est la terre d’origine
des Serbes et que les Albanais l’ont litté-
ralement envahie depuis le début du
siècle ?”, “Oui, il faut un règlement de
cette question, mais est ce que tu sais
que le Kosovo est un problème de poli-
tique intérieure yougoslave, et que l’on
agresse en ce moment une nation
d’Europe ?”… Je dois bien avouer mon
effarement d'alors, non pas du fait des ar-
guments en eux-mêmes, mais de la sou-
daine relativité, de la réversibilité de ce
qui me semblait, bon gré mal gré,
l'“ordre des choses”. Il m'était tout bon-
10
nement insupportable que les exactions
serbes se trouvent presque justifiées, du
moins ramenées à un échange de mau-
vais procédés avec la population albanai-
se du Kosovo. L’humanisme, “l’universa-
lisme” version occidentale, ma version
des droits de l'Homme s'arrêtaient à cette
table. Serait-ce là cette “altérité obsti-
née” ? Mais si elle existe, n'est-ce pas en
regard de l'“identité obstinée” dont font
preuve, aux yeux de mon ami, les “occi-
dentaux”, dans l'imposition de leur “mo-
dèle de civilisation”.
L'universalisme, lorsqu'il conduit par ab-
solutisme à qualifier ce qui y déroge sous
le signe d'une altérité radicale, aboutit à
l'inverse de ce qu'il prétend défendre.
Car chacun y va dès lors de son utilisa-
tion particulariste des “droits de l'hom-
me”, ce qui en annule du coup la valeur
intrinsèque : d'où le brouillage perma-
nent, dans le cas concret du Kosovo, des
positions respectives de chacun dans les
ordres victime/coupable ou faible/fort im-
posés à la pensée et à la sensibilité par la
logique de guerre.
En sont l'illustration : le ralliement massif
des Serbes derrière MILOSEVIC (d'ordi-
naire peu populaire) lors des bombarde-
ments, les manifestations pro-serbes qui
ont émaillé le conflit, dans les Balkans et
ailleurs, ou au contraire des expressions
d'antiserbisme basées non pas sur la dé-
fense des Kosovars albanais mais sur des
litiges ”particuliers” (par exemple ce tract
bulgare anticommuniste critiquant les po-
sitions proserbes en montrant l'oppres-
sion historique des Serbes à l'encontre
des Bulgares). Ce “brouillage” provient
de la conjonction entre guerre et humani-
taire : dans la mesure où, sous couvert de
moralité, on réplique à un comportement
criminel par un autre comportement jugé
tout aussi criminel, reste à choisir son
camp non pas selon des valeurs abs-
A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S
traites, mais selon une logique d’identifi-
cation privilégiant la proximité culturelle,
historique ou politique. Tout comme l’in-
tervention de l’OTAN est interprétée
comme la démonstration de force de
“l’humanité occidentale” au nom des
“droits de l’homme”, chacun se sert de
ces derniers pour la défense de son “hu-
manité particulière”, serbe, balkanique
ou autre… Jusqu’à l’inversion totale de
l’”ordre” occidental des droits de l’hom-
me tel que présenté lors de la guerre et
comme sa justification : un peuple
faible, les Kosovars albanais, soumis à la
barbarie d’un peuple fort, les Serbes, et
secouru par une force internationale exté-
rieure, l’OTAN…
Le recours à un différentialisme (non rela-
tiviste) capable de déconstruire les sché-
mas de pensée simplifiés de l'universalis-
me tout en ne permettant pas une sorte
d'“exception culturelle” concernant le
respect des droits humains semble indis-
pensable. Car sans pensée critique et
“ethnologique” sur les droits de l'hom-
me(4), on court tout simplement le risque
d'en faire un “prêt à penser” manipulable
au gré d'intérêts ponctuels et particuliers,
de les voir réfutés dans leur présentation
à l'universalité. Bref, Néantisés.
—————
1) Robert REDEKER, “L'humanitaire et la guerre à la
place de la politique”, in les Temps Modernes, N°
604, Gallimard, Paris, mai-juin-juillet 1999, pp. 13-
17.
2) Stjepan G. MESTROVIC, Habits of the Blakan Heart,
Texas A&M university press, USA, 1993
3) Mattijs VAN DE PORT, It takes a Serb. Uncovering
the roots of obstinate otherness in Serbia in Critique of
Anthropology, vol. 19, n° 1 Sage publications,
London, march 1999, pp. 7-30.
4) Voir à ce sujet Jennifer SCHIRMER, The dilemma of
cultural diversity and equivalency in universal human
rights standards, in Human Rights and Anthropology,
Theodore E. Downing & Gilbert Kushner Editors,
Cultural survival, USA, 1988, pp. 91-106.
D ' A N T H R O P O L O G I E
■ ■ RE GA RDS SUR LE S EUROPE : UN E ANTHRO POLOGIE IMPL IQUÉE D AN S LES BAL KANS
LA BULGARIE,
RÉFLEXIONS D’ANTHROPOLOGIE
HISTORIQUE ET POLITIQUE
Professeur de sciences politiques à l’Université catholique de Lyon, Institut des Droits de l’Homme(1)
INTRODUCTION :
UNE DÉMOCRATIE LIBÉRALE
AU GOÛT NATIONALISTE.
En parcourant la Bulgarie en juillet dernier,
parmi les questions que nous nous som-
mes posées, quelques unes revenaient sans
cesse : quel regard la Bulgarie jette-t-elle
sur son passé et comment gère-t-elle son
patrimoine et sa mémoire ? Quel est l’im-
pact de cette perception historique sur sa
politique aujourd’hui et ses conséquences
sur l’avenir ? Sous le rapport identité-altéri-
té, quelle est sa politique de voisinage
avec la République de Macédoine, la
Grèce et la Serbie ?
La Bulgarie célèbre en novembre de cette
année le Xe anniversaire de la fin du régi-
me communiste (novembre 1989) qui s’est
opérée -fait unique- sans effusion de sang.
Le pays éprouve à la faveur de la démo-
cratisation une fierté nationale recouvrée.
Slave par sa culture et orthodoxe par sa re-
ligion depuis le IXe siècle, traditionnelle-
ment orienté vers la Russie, le regard de la
Bulgarie est maintenant tourné vers
l’Ouest. Mais nous avons remarqué que
les Bulgares regardent leur avenir non sans
scepticisme et sont choqués devant l’igno-
rance par l’Occident de leurs traditions
historiques, leur héritage culturel, et leurs
réalités.
La Bulgarie voit enfin une lueur et exhale
un air de liberté accompagné d’un désir
ardent d’indépendance nationale dont les
symboles éclatent partout aux yeux de
l’observateur avisé. Cyrille et Méthode,
saint Clément d’Ochrid, saint Jean de Rila,
le patriarche Eftimi de Ternovo, le moine
Païssiy, le héros national Vassil LEVSKI,
l’écrivain Ivan VASOV, le révolutionnaire
Zacharie STOIANOV, le peintre d’icônes
Zacharius ZOGRAF, le poète Hristo BO-
TEV, l’homme politique Stefan STAMBO-
LOV : autant de noms présents partout
pour symboliser l’histoire nationale et reli-
gieuse du peuple bulgare au travers de
monuments, de noms de rues, ou sur les
billets de banque. Dans ce cadre, le passé
revient en force comme pour rappeler l’es-
■ ■ A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S
J o s e p h Y A C O U B
prit de résistance du peuple bulgare contre
l’oppression byzantine, la domination po-
litique turque, et l’hégémonie religieuse
grecque et son réveil national.
Que s’est-il donc passé ? Il est certain
qu’on ne peut comprendre les réalités et
les problèmes de la Bulgarie d’aujourd’hui
sans interroger son histoire ancienne, mo-
derne et contemporaine.
A - LA BULGARIE ET SON PASSÉ :
DES UNIVERS CULTURELS
ANTAGONISTES.
La politique et le nationalisme sont les
deux moteurs de l’histoire de la Bulgarie,
où le national, le religieux et le civil s’en-
tremêlent étroitement. L’historien bulgare,
Ilia TODEV, considère l’Eglise et l’Etat
comme les deux piliers de la cohésion de
la nation bulgare(2). Ce pays fut de tout
temps au carrefour de plusieurs civilisa-
tions (thrace, hellénistique, romaine, by-
zantine, slave, protobulgare, ottomane, eu-
ropéenne, communiste et occidentale) qui
l’ont modelé, et le peuple bulgare est de
longue date un peuple conquérant et re-
belle. Il a eu une histoire agitée marquée
par des convulsions, et fut pillé et dévasté
au cours de multiples guerres. Sofia (ex-
D ' A N TH R O P O L O G I E
■
Serdica) est une des plus anciennes villes
d’Europe. L’origine des Bulgares a toujours
interrogé les historiens. Ils sont considérés
comme touraniens et asiatiques par leurs
origines (des nomades d’origine turque),
venant des plateaux du Turkestan et de la
Volga. Ces protobulgares n’auraient d’au-
tre parenté avec les Slaves que la langue et
la religion. Le terme bulgare paraît pour la
première fois dans l’histoire en 354 et si-
gnifierait “nés d’un mélange de races”.
Aujourd’hui les Bulgares semblent être
ballottés par rapport à la gestion de leur
passé avec Byzance et surtout avec l’islam.
En ce qui concerne Byzance -et malgré la
religion orthodoxe commune- l’histoire re-
flète une constante rivalité d’hégémonie
depuis le IX e siècle. La Bulgarie a subi
l’entière domination de Byzance de 1025
à l185 et a été occupée pendant cinq
siècles par les Turc musulmans (1396-
1878). Durant l’occupation ottomane, le
pays perdit jusqu’à son nom et fut incorpo-
ré à la province de Roumélie. Pendant ce
temps, des Bulgares seront convertis à l’is-
lam sous le nom de Pomak (pluriel
Pomaci). Les diocèses bulgares relèveront
de la juridiction des Phanariotes grecs qui
supprimeront le slavon et essaieront de les
dénationaliser. Sous le joug ottoman, des
églises furent transformées en mosquées.
Partant, leur mémoire collective est trou-
blée, et les Bulgares éprouvent du mal à
retrouver leur identité nationale et religieu-
se.
La Bulgarie a joué un rôle éminent au
Moyen Age : les Bulgares se considèrent,
selon l’historien Bojidar DIMITROV (3),
comme “les civilisateurs du monde slave”,
“les gardiens de l’Europe pendant le Haut
Moyen Age”. En 681, disent les Bulgares,
il y avait l’Empire romain d’Occident,
l’Empire romain d’Orient (Byzance), et la
Bulgarie, premier Etat slave dans les
Balkans. Même lorsqu’éclata le “Schisme
de Photius”, en 863 entre Rome et
Byzance, la Bulgarie fut un enjeu principal
de cette division. En effet, une des raisons
de ce litige religieux était que Byzance
35
 ■ R EGAR DS SUR LES EUROPE : UN E ANT HRO POLOG IE IMPL IQUÉE D ANS LES B ALK ANS ■ ■ REGA RDS SUR LE S EUROPE : UN E ANTHRO POLOG IE I MPL IQUÉE D AN S LES BAL KANS ■

l'enjeu est l'appropriation -symbolique, voire physique- d'un

territoire, sert de prétexte pour légitimer des revendications
politiques de type nationaliste(14). Etant donné l'imbrication de
cratique" n’est pas toujours universel - ses limites et celles des
intérêts nationaux coïncident"(16).
La prudence est donc de rigueur face à de tels arguments, qui
DE L’UTILISATION IDÉOLOGIQUE
populations qui caractérise les Balkans, il apparaît clairement
qu'un tel mécanisme de repli sur soi, qui relève d'une concep-
ne sont cependant pas "typiquement balkaniques" : on citera
le cas de Bruxelles pour illustrer des mécanismes similaires de DE LA NOTION DE CULTURE EN GÉNÉRAL,
ET DANS LES GUERRES EN EX-YOUGOSLAVIES
tion de la différence envisagée en termes absolus, irréconci- lecture "biaisée" de l'histoire, liés à des revendications territo-
liables, ne peut mener qu'à l'exclusion, sous toutes ses formes, riales antagonistes : "A qui appartient la région bruxelloise ? A
y compris les plus extrêmes. Il est donc vain de chercher dans sa population, francophone à 85 %, ou bien à la Région fla-
l'histoire matière à légitima-
tion des politiques actuelles.
Il convient cependant de ne
mande qui, suite à un coup
de force institutionnel, en a
fait sa capitale de facto ?
EN PARTICULIER
pas remplacer trop schémati- Pour les élites flamandes,
D eja n D I M I TRI JEV I C
quement le principe d'"(il- cette question ne souffre au-
)légitimité historique" par ce- cune ambiguïté, compte tenu Maître de conférence à l’Université de Nice-Sophia Antipolis, SOLIIS-URMIS
lui de "légitimité démogra- du passé flamand de Bru-
phique", qui peut lui aussi
mener à des revendications
qui ne laissent pas de place à
xelles. L'exemple bruxellois
permet d'introduire une
autre notion qui nous semble
N ous tenterons ici de mettre en lumière l’utilisation idéolo-
gique de la notion de culture comme grille de lecture et
comme moyen d’ordonner l’espace social, à l’échelle na-
Verena STOLCKE et Wolfgang KASCHUBA(2). Sans être nou-
veau, ce phénomène n’en était pas moins resté marginal jus-
qu’alors(3).
l'"autre". Même si Ismaïl KA- intéressante : celle de double tionale et internationale. La réflexion porte sur la constitution G. ALTHABE(4) analyse la production de l’étranger intérieur en
DARÈ déclare : "J’insiste sur minorité/majorité (...) L'eth- des frontières symboliques qui permettent de penser les diffé- France, comme un cadre symbolique de substitution dans le-
le fait que se réclamer du nie majoritaire à l'échelle de rences et qui, par cela même, contribuent à les établir. Utilisés quel l’ethnique est pensé en lieu et place du social. Au cours
"premier arrivant" n’est pas la zone mixte peut s'avérer par les administrations publiques nationales et internationales, des années 1980, la société française se réorganise autour de
un argument ; c’est tout-à- minoritaire à l'échelle natio- par les médias et adoptés par le langage commun, les discours la fracture sociale, qui constitue désormais la frontière entre
fait l’inverse... Et en toute nale et/ou régionale. (...) Il culturalistes marquent les frontières entre “nous” et les “nous” et “eux”. Les autochtones fixent les allogènes dans leur
sincérité, j’avoue que si les Serbes prédominaient au Kosovo ne s'agit pas, à travers cette idée de double minorité, de nier “autres”. différence ethno-culturelle et les produisent en “acteurs sym-
en dépit de l’antériorité des Albanais, eh bien ! le Kosovo re - l'existence d'une majorité, mais de souligner en quoi ce La démarcation entre “nous” et les “autres” “se heurte toujours boliques” du négatif social (pauvreté, chômage, dépendance
viendrait aux Serbes."(15) : force est de constater que la situa- double rapport ajoute, d'une part, à la complexité et appelle, au “binarisme” qui hante toutes les visions du monde : il y vis-à-vis des travailleurs sociaux, etc.). Cependant, les “étran-
tion est bien plus complexe, et qu'aucun argument n'est en soi d'autre part, nécessairement des solutions de compromis. Au toujours deux types gers intérieurs” ne
démocratique. En effet, comme l’indique O. MILOSAVLJEVIC, risque du pire, comme à Sarajevo ou à Mostar(17). A la lumière de sociétés, moderne sont pas seulement
à propos de la vision serbe du principe de "légitimité démo- de ces quelques exemples, il apparaît que la violence n’est et traditionnelle, les allogènes, mais
cratique" : "Pour le Kosovo seul est démocratique le principe pas plus inéluctable au Kosovo qu’au Pays Basque, en Corse avancée et archaï- tous ceux qui se
historique, pour les Serbes de Croatie le principe ethnique, ou en Irlande du Nord. Un Serbe, un Croate ou un Kosovar que, chaude et froi- trouvent du mauvais
pour les Serbes de Bosnie-Herzégovine seul est valable le ca - n’est ni plus ni moins "civilisé" qu’un Wallon ou un Flamand. de, capitaliste indus- côté de la fracture.
dastre, pour Dubrovnik le fait que la ville a appartenu fort peu Admettre la modernité des enjeux qui ont été présentés, c’est trialisée et capitaliste Ainsi, en Allemagne,
de temps à la Croatie, pour la Voïvodine de nouveau le princi - refuser de renvoyer les sociétés balkaniques dans la sphère de préindustrielle ; en- la culture est présen-
pe ethnique, pour Zadar, Karlovac, Vukovar..., on ne cherche l'altérité, et donc leur reconnaître le statut de sociétés euro- core deux mondes, tée comme une fron-
aucun argument... Dans ce méli-mélo de principes, le "démo - péennes. l’Ancien et le Nou- tière qui sépare non
veau, ou encore seulement les au-
——— d’une part l’Ancien tochtones des allo-
1) Cité par Drinka GOJKOVIC, "Un traumatisme sans catharsis" in POPOV, Nebojsa, Radiographie d’un nationalisme. Les racines serbes du conflit yougoslave, Paris, Editions
de l’Atelier, p. 252.
et le Nouveau, d’au- gènes, mais aussi les
2) Par exemple : "Dans la mesure où les sociétés balkaniques sont moins avancées sur la voie de la modernité, il serait donc logique que l’usage de la violence y soit plus fré- tre part le “tiers-mon- Allemands de l’Est
quent et socialement légitimé qu’en Europe occidentale". Cette phrase est extraite d'un courrier des lecteurs envoyé à la suite de la parution de mon article "La question du de”. A ces exemples des Allemands de
Kosovo ou l'histoire manipulée", in La Revue Nouvelle, Bruxelles, n° 5-6, mai-juin 1999, pp. 18-27 (courrier de M. DE BACKER). de “binarismes” que l’Ouest. Dans un
3) RUPNIK, Jacques, in Le Nouvel Observateur, 15-21 avril 1999, p. 82.
4) Ecrivain et homme politique serbe très controversé, figure emblématique de l’opposition à Slobodan MILOSEVIC, ce qui ne l’a pas empêché de faire partie du gouverne- donne Jack GOO- même mouvement,
ment serbe, avant de démissionner en avril 1999. DY(1), nous en ajou- les responsables po-
5) DRASKOVIC, Vuk, "Confrontation avec la vérité", in Le Monde Diplomatique, Manière de voir 17, "Nationalismes : la tragédie yougoslave", février 1993. tons un autre que litiques politisent la
6) KADARÈ, Ismaïl, et FERNANDEZ-RECATALA, Denis, 1999, Temps Barbares. De l'Albanie au Kosovo, Paris, L'Archipel, p. 188.
7) A ce sujet, voir CHAMPSEIX, Elisabeth et Jean-Paul, 1992, L’Albanie ou la logique du désespoir, Paris, La Découverte. nous développerons, culture et “apoliti-
8) GARDE, Paul, 1992, Vie et Mort de la Yougoslavie, Paris, Fayard. l’Europe et l’Autre Europe qui, comme nous le verrons, se sub- sent” les conflits sociaux. La discrimination et l’exclusion se-
9) Il conviendrait bien évidemment de s’attarder sur l’épisode de la bataille du Kosovo, en 1389, où s'affrontèrent les armées des princes balkaniques alliés (Serbes en particu- divise notamment en deux parties, l’Europe centrale et les raient des “conséquences normales des différences cultu-
lier, mais également Albanais, Hongrois, Bosniaques, Roumains) et les Ottomans. Ces derniers remportèrent la bataille, souvenir obsédant pour la Serbie qui y perdit son indé-
pendance pour les 500 ans qui allaient suivre. Balkans. relles” et de l’inadaptation culturelle(5).
10) A propos des liens entre le régime de MILOSEVIC et l’Académie serbe des Arts et des Sciences, auteur, en 1986, du fameux Mémorandum, voir MILOSAVLJEVIC, Oliveira, Les frontières culturelles sont constitutives des identités et, à Les discours politiques “culturalistes” ont une grande capacité
1998, "Du mauvais usage de l’autorité scientifique", in POPOV, Nebojsa, op.cit., pp. 205-238. l’échelle internationale, renforcent les frontières territoriales. Il de mobilisation identitaire ; la culture et l’identité jouent alors
11) A propos du conflit qui opposa la Grèce et la FYROM, voir notamment CONTOGEORGIS, Georges, 1992, Histoire de la Grèce, Paris, Hatier, PRÉVÉLAKIS, Georges,
1997, Géopolitique de la Grèce, Bruxelles, Complexe, et THUAL, François, 1998, Le douaire de Byzance, Paris, Ellipses.
s’agit ici de mettre en lumière les interprétations culturalistes le rôle que Karl MANNHEIM attribuait à l’idéologie : empê-
12) On consultera à ce sujet BRATIANU, Gheorghe, 1937, Une énigme et un miracle historique : le peuple roumain, Bucarest, Editura stiintifica si enciclopedica, ainsi que appliquées aux crises socio-économiques occidentales et aux cher les gens de voir ce qui se passe vraiment(6). V. STOLC-
GIURESCU, Constantin, 1968, La Transylvanie dans l’Histoire du peuple roumain, Bucarest, Editions Meridiane, IORGA, Nicolae, 1922-1936, In lupta cu absurdul revizio - guerres Yougoslaves et, en retour, d’évaluer les implications de KE(7) parle de “fondamentalisme culturel”, qu’elle définit com-
nism maghiar, Bucarest, Globus, réédition 1991, KÖPECZI, Béla, 1992, Histoire de la Transylvanie, Budapest, Akadémiai Kiadó, et LAZAR, István, 1993, Petite histoire de la
Hongrie, Budapest, Corvina (première édition en Hongrois, Kis magyar történelem, 1989, Gondolat Kiadó).
la recherche anthropologique. me “une idéologie d’exclusion collective, appuyée sur l’idée
13) MISKOLCZY, Ambrus, "Brasov, Brassó, Kronstadt, ville-frontière d'une région-frontière de la monarchie des HABSBOURG", in KOTEK, Joël, 1996, L'Europe et ses villes- de l’autre comme étranger au corps politique”, à distinguer
frontières, Bruxelles, Editions Complexe, p. 64. CULTURES ET CRISES SOCIO-ÉCONOMIQUES des doctrines racistes : “Au lieu d’ordonner hiérarchiquement
14) Voir à ce sujet le récent ouvrage d'Anne-Marie THIESSE : THIESSE, Anne-Marie, 1999, La création des identités nationales : XVIIIe-XXe siècles, Paris, Seuil. Le processus de la “culturalisation” des crises socio-écono- des cultures différentes, le fondamentalisme culturel opère
15) KADARÈ, Ismaïl, et FERNANDEZ-RECATALA, Denis, 1999, op.cit., p. 189.
16) MILOSAVLJEVIC, Oliveira, op. cit., p. 232.
miques dans les discours politiques, à partir des années 1980, une ségrégation spatiale. Chaque culture à sa place (p. 240).
17) in KOTEK, Joël, op. cit., p. 15. a été clairement mis en évidence par Gérard ALTHABE, [...] Les doctrines racistes(8) ayant été finalement politiquement

34 A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E ■ ■ A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E
11
 ■ R EGARDS SUR LES EUROPE : UN E ANT HRO POLOG IE IMPL IQUÉE D AN S LE S BALK ANS ■ ■ RE GA RDS SUR LE S EUROPE : UNE ANTHRO POLOGIE IMPL IQUÉE D AN S LES BAL KANS ■

discréditées dans l’après-guerre, le fondamentalisme culturel
comme rhétorique contemporaine de l’exclusion théorise, à
leur place, les relations entre les cultures en réifiant les fron -
tières culturelles et la différence” (p. 250).
Derrière ces deux options théoriques, se trouve la même ma-
nipulation idéologique qui fait porter aux exclus la responsa-
bilité de leur situation. Avec comme différence que les fron-
tières culturelles laissent la porte ouverte à l’assimilation,
condition d’intégration de l’”autre” au corps politique natio-
nal.
CULTURES ET POLITIQUE INTERNATIONALE
La culture est également utilisée comme schème interprétatif
des relations internationales. Samuel HUNTINGTON(9), le cé-
lèbre politologue américain, théoricien des dichotomies mon-
diales actuelles, présente le monde comme séparé en sept “ci-
vilisations” antagonistes : occidentale, asiatique, islamique,
hindouiste, orthodoxe, latino-américaine et africaine. La me-
nace que chaque “civilisation” représente pour l’Occident est
évaluée en fonction de son degré d’acceptation ou de refus du
modèle culturel occidental. Là aussi le passage d’une lecture
“naturaliste” à une lecture culturaliste des différences est ex-
plicite : HUNTINGTON prend soin d’affirmer qu’il ne s’agit
pas de présupposer “une supériorité intrinsèque de “nous” sur
“eux”.” Il ne s’agit donc pas d’une différence de nature, com-
me HEGEL et HERDER en établissaient entre l’Europe et la
Chine(10), mais d’une différence de culture. Cette notion poli-
tique de culture est définie comme une structure profonde et
quasi-permanente héritée de la longue histoire. Elle permet à
HUNTINGTON d’expliquer pourquoi, malgré les possibilités
de changement qualitatif qu’offre le monde actuel (libéralisme
économique et démocratie politique), les civilisations non oc-
cidentales restent figées sur leur passé(11). Ce qui ne laisse au-
cune place pour une interprétation conjoncturelle de l’état des
sociétés qui composent ces “civilisations”. Ainsi le risque
d’une guerre des “civilisations” est annoncée. La religion est
ici le principal trait retenu pour définir une civilisation, puis
viennent ensuite le sang, la langue, et la manière de vivre.
CULTURES, GUERRES EN EX-YOUGOSLAVIE, EUROPE
Cette théorie grossièrement “culturaliste” a été appliquée pour
interpréter les guerres qui se sont déroulées sur le territoire de
l’ex-Yougoslavie. Dès le début de la guerre en Croatie, l’ojectif
des responsables politiques croates était de faire accepter
l’idée d’une incompatibilité civilisationnelle entre la Croatie et
la Serbie. Au début des années 1980, un groupe d’intellectuels
d’Europe de l’Est (dont Milan KUNDERA) s’est lancé, dans
l’entreprise de redonner vie à la vieille notion d’Europe
Centrale en sélectionnant minutieusement certains traits cultu-
rels et filiations historiques. Cette idée d’un clivage culturel in-
franchissable opposant l’Europe centrale et l’Europe balka-
nique fut dès lors défendue par une majorité de responsables
politiques et d’intellectuels occidentaux. Dans cette représen-
tation, qui découpe aussi bien le temps que l’espace, l’Europe
centrale fait partie intégrante de l’Europe occidentale, car elles
partagent les mêmes valeurs et les mêmes caractéristiques(12),
alors que les Balkans, déterminés par l’Orthodoxie et l’Islam,
en constituent l’altérité négative(13).
Carl BILDT, le Haut Représentant de l’Union Européenne pour
la Bosnie-Herzégovine, témoigne d’une rencontre entre le
Président des Etats-Unis et celui de la Croatie : “I remember
when President TUDJMAN, who does not really like to be
considered part of the Balkans, went to Washington in
conjunction with the eternal Mostar crisis. We all awaited the
outcome of the CLINTON-TUDJMAN meeting with apprehen -
sion. What came out was a White House communique saying
that TUDJMAN and CLINTON had agreed that Croatia is part
of Central Europe ! Such a statement has fairly important re -
percussions : it seems to echo the central TUDJMAN thesis
that there is a firewall between his part of Europe or “this” part
of Europe and the “other” part of Europe and he can explain at
lenght - in terms that make HUNTINGTON look like an ama -
teur - what the clash of civilisations really means.”(14)
La théorie culturelle du choc des civilisations domine la pen-
sée intellectuelle et politique occidentale et, par glissement,
les autres sont parfois rejetés en dehors de la civilisation.
Ainsi, Paul J. MAGNARELLA, de l’Université de Floride, qui a
été consultant au Tribunal Criminel pour l’ancienne Yougo-
slavie à La Haie en 1995, commence un article par cette phra-
se : “The brutality of the conflicts in the States of the former
Yugoslavia, especially Bosnia Herzégovina (B H), has aroused
the indignation of the civilized world.”(15) La même idée est
présente dans un document produit par le Center for European
Policy Studies pendant la guerre dans
l’actuelle Yougoslavie de mars-juin 1999
et intitulé “A système for Post-War
South-East Europe (Plan for reconstruc -
tion, Openness, Developpement and
Integration)”, où les Balkans sont claire-
ment désignés comme une région non
civilisée de l’Europe(16). Dans le chapitre
3.3, consacré à l’Albanie, il est dit : “All
the State institutions are chronically
weak, and in 1997 came to a state of vir -
tual anarchy. Its leaders and elite express
the desire to join civilized Europe”.
Cependant, ces exemples constituent
plutôt l’exception que la règle car, com-
me nous l’avons vu plus haut, l’”idéolo-
gie culturaliste” se distingue du racisme
propre aux conquêtes coloniales.
Dans un article publié en 1991, Bogumil
JEWSIEWICKI montre que “la montée
sud de la région (qui correspond à l’actuelle Albanie), où au-
cun document historique ne fait référence à la présence des
Slaves. Ensuite, le nom “Albanais” évoque celui d’une des tri-
bus illyriennes, les Albanois, évoqués par Ptolémée au deuxiè-
me siècle de notre ère. Enfin, aucun document n’évoque la
venue des Albanais de Thrace où d’Azerbaïdjan, en même
temps ou après celle des Slaves. Il paraît donc prudent d’avan-
cer que, premièrement, les Illyriens du Nord ont été assimilés
(et/ou repoussés vers le Sud-Est)
par les Slaves dans les régions cor-
respondant à l’ex-Yougoslavie.
Deuxièmement, les Illyriens du
Sud semblent s’être maintenus en
tant que peuple et peuvent donc
être considérés comme les “an-
cêtres” des Albanais. Mais la ques-
tion fondamentale qui se pose est
la suivante : sont-ils restés au
Kosovo ?
Les Illyro-albanais sont-ils restés
au Kosovo lors de l’arrivée des
Slaves, ou bien l’ont-il quitté pour
y revenir quelques siècles plus
tard ? On perçoit bien l’enjeu sou-
levé par une telle question. Il
semble que les Slaves aient rem-
placé les Illyriens dans cette ré-
gion dès le XIe siècle, comme le
suggère Paul GARDE(8). La preuve
la plus convaincante est fournie
par la toponymie : les noms de
lieu sont d’origine slave. De plus,
on ne sait rien de précis sur la pré-
sence possible d’une population
albanaise au Kosovo au temps des royaumes serbes (1180 à
1371). A partir de cette époque, la présence serbe dans la ré-
gion est indiscutable : de nombreux monastères orthodoxes
serbes sont construits, et la capitale serbe est fixée à Prizren de
1282 à 1371. Cependant, du côté albanais, Ismaïl KADARÈ
écrit que le Kosovo ne peut être resté vacant avant l’arrivée
des Serbes. C’est une des terres les plus fertiles de la péninsule
balkanique, il est donc exclu qu’elle soit restée inoccupée.
Même si cet argument est recevable, cela n’exclut pas que,
sous la poussée des Slaves, les Illyro-albanais se soient tempo-
rairement repliés dans la zone de l’actuelle Albanie. L’hypo-
thèse la plus raisonnable est donc celle d’un retrait des Illyro-
albanais du Kosovo à l’arrivée des Slaves, puis de leur lente
remontée autour des XIIe et XIVe siècles, qui va s’accélérer
avec l’occupation ottomane(9).
Il paraît donc certain que les Serbes ont été majoritaires autre-
fois dans la région, et tout aussi certain que la culture serbe y
a ses racines, avec de nombreux sanctuaires orthodoxes, et
surtout le champ de bataille de la plaine du Kosovo. Mais ce
n’est pas là un argument suffisant pour justifier la politique
menée par Belgrade à partir de 1987, ni le rôle qu’une partie
de l’intelligentsia serbe a joué dans la manipulation de la
question du Kosovo(10).
Une telle problématique ne concerne cependant pas unique-
ment le Kosovo : d’autres régions des Balkans font en effet
l’objet de revendications croisées de ce type. C’est le cas de la
Macédoine(11). Au milieu des années quatre-vingt-dix, une cri-
se sérieuse éclata entre la Grèce et l’ancienne république you-
goslave de Macédoine (FYROM), proclamée indépendante en
1991 : du côté grec, on déniait à la jeune république le droit
de porter le nom de Macédoine, nom d’une province grecque,
et d’arborer sur le drapeau macédonien le “soleil de Vergina”,
emblème de la dynastie macédonienne (dont Philippe de
Macédoine et son fils Alexandre le Grand furent les plus
illustres représentants). Du côté macédonien, les historiens af-
firmaient la filiation des habitants
actuels avec les Slaves, mais éga-
lement avec les Thraces, peuple
indo-européen apparu dans la ré-
gion avant les Grecs. Au plus fort
de la crise, le gouvernement grec
prit la décision de barrer l’accès
du port de Thessalonique à tout le
commerce de la jeune république.
De gigantesques manifestations fu-
rent organisées dans cette même
ville : en février 1994, plus d’un
million de personnes défilèrent en
scandant les slogans “le nom de
Macédoine n’est pas négociable
par l’Histoire”, ou encore “Europe,
n’oublie pas ce que tu nous dois”.
La “crise macédonienne” a cepen-
dant pris fin, les deux parties étant
arrivées à un accord.
La Transylvanie(12) fait l’objet d’un
débat similaire. Alors que les
Roumains revendiquent une filia-
tion avec les Daces et les colons
romains, et soutiennent la conti-
nuité du peuplement roumain
dans la région, les Hongrois affirment que quand les tribus
magyares y sont arrivées au IXe siècle, la zone était vide. Le
problème est rendu plus complexe par l'absence de traces
écrites concernant une éventuelle présence roumaine en
Transylvanie entre les IVe et XIVe siècles. Les recherches ac-
tuelles vont cependant dans le sens de la continuité du peu-
plement roumain, même si celui-ci a été sporadique à cer-
taines périodes. Ambrus MISKOLCZY résume ainsi la "ques-
tion transylvaine" : "Qu'est-ce que la Transylvanie ? La réponse
de Marko BÉLA, écrivain et homme politique hongrois de
Roumanie, semble la plus pertinente et la plus sincère. La
Transylvanie, dit Marko BÉLA, est un mythe qui évoque l'idée
non pas tant de coexistence ou de paradis perdu que de para-
dis volé. Cette définition de Marko BÉLA entraîne immédiate-
ment la question suivante : "Mais qui est le voleur ? ". La ré-
ponse est simple : c'est l'autre. Et celui qui répond ainsi se ba-
se sur des arguments historiques. Selon cette argumentation
martyrologique, le voleur a volé le produit du travail des pre-
miers habitants de ce coin de terre."(13) Toutefois, bien que les
rapports roumano-hongrois aient connu des moments de cris-
pation après 1989, à propos notamment du sort de la minorité
hongroise de Transylvanie, l'heure est plutôt au dialogue entre
ces deux pays.
Dans les trois cas qui ont été évoqués, et l’on pourrait en citer
d’autres, l’histoire est instrumentalisée pour justifier des poli-
tiques résolument modernes : c’est le présent qui conditionne
le regard porté sur l’histoire. Le mythe de l'autochtonie, dont

12 A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E ■ ■ A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E
33
 ■ RE GAR DS SUR LE S EUR OPE : UNE ANTHRO POLOGIE IMPL IQUÉE D AN S LES BALK ANS ■ ■ REGA RDS SUR LES EU ROPE : UN E ANT HRO POLOG IE IMPL IQUÉ E DAN S LES BAL KANS ■

“Vous considérez comme un mythe ce qui constitue notre essence. Le noyau spirituel du choix qu’ont fait jadis les Serbes du Kosovo
est pour vous une lubie de popes. (...) Vous souffrez d’agressivité anti-historique, et nous de mélancolie historique”.
Milan KOMMENIC,
écrivain serbe, à ses homologues albanais du Kosovo, 1988.(1)

LA QUESTION DU “PREMIER OCCUPANT”

DANS LES BALKANS
S t é p h a n i e M A H I E U
Anthropologue, Doctorante au Centre de Recherches en Ethnologie Européenne,
Université Libre de Bruxelles

P armi les analyses qui ont été faites au cours de la guerre du

Kosovo, deux visions simplificatrices de la “question balka-
nique” ont été véhiculées dans les médias occidentaux. La
première met l’accent sur “l’immaturité historique” des
peuples de la région, condamnés dès lors à la sauvagerie des
conflits “ethniques”(2), la seconde sur le poids de l’histoire des
Balkans : la boîte de Pandore que le communisme avait réussi
à garder fermée serait à présent béante. Dans les deux cas, les
sociétés balkaniques sont rejetées hors de la sphère de la mo-
dernité, et, partant, hors de l’Europe :
leur manque d’”historicité”, ou, au
contraire, la pesanteur des conflits qui
ont ponctué leur histoire, auraient
comme conséquence un éternel re-
commencement du cycle de la violen-
ce. Or les conflits qui déchirent l’ex-
Yougoslavie depuis 1991 sont des
conflits résolument modernes, qui re-
posent sur l’instrumentalisation à des
fins politiques de l’histoire, et plus par-
ticulièrement de la question du “pre-
mier occupant”. Comme le souligne
Jacques RUPNIK, “on entre là dans la
construction idéologique d’une histoire
qui est censée montrer la continuité de
votre présence sur un certain territoire,
remontant très loin dans le temps. Car,
très souvent, le même territoire consti-
tue pour différents peuples un symbole
important de leur identité nationale.
(...). Il faut donc prouver “qu’on était là
les premiers”. A partir de là vous avez
des batailles épiques entre historiens.
Mais l’important, dans l’affaire, ce n’est pas la vérité histo-
rique. L’historien est mis au service de la cause nationale. Il
s’agit de réparer une injustice historique. Car toutes ces na-
tions ont le sentiment d’être les victimes de l’Histoire”(3).
Le Kosovo fait l’objet d’une double revendication : les Serbes
y voient le berceau de leur nation, alors que les Albanais affir-
ment leur filiation avec les Illyriens (peuple arrivé à la même
époque que les Grecs), et par là même la continuité de leur
présence dans la région depuis l’Antiquité. Ce genre de débat
a mobilisé -et mobilise encore- des générations entières de
scientifiques issus de disciplines diverses : archéologues, histo-
riens, anthropologues. On sait relativement peu de choses à
propos des Illyriens : il s’agit d’un peuple indo-européen qui
s’installe au cours du deuxième millénaire avant notre ère
dans les régions correspondant à l’actuelle ex-Yougoslavie et à
l’Albanie. Leur langue, faute de traces écrites, demeure mal
connue. Cependant, de nombreux documents historiques té-
moignent de leur existence. Le problème de l’origine des
Albanais commence à se poser à partir du VIIe siècle de notre
ère. En effet, quatre siècles s’écoulent entre la dernière réfé-
rence faite aux Illyriens (début du VIIe
siècle), et la première apparition du
nom “Albanais” (XIe siècle). S’agit-il
du même peuple ? La question se po-
se avec d’autant plus d’acuité que
c’est entre ces deux dates que les
Slaves (dont les Serbes) font leur ap-
parition dans la péninsule balkanique.
Du côté serbe, Vuk DRASKOVIC(4) af-
firme que “nul savant sérieux au mon-
de ne soutient aujourd’hui l’affirma-
tion, que ressassent Tirana et Pristina,
sans aucune preuve à l’appui, selon
laquelle les Illyriens sont les ancêtres
des Albanais”.(5) Selon lui, ces der-
niers descendraient d’une tribu venue
dans le sud des Balkans lors des
grandes invasions (après les Slaves),
originaires de Thrace, voire d’Azer-
baïdjan. Par contre, de nombreux
chercheurs et intellectuels albanais
soutiennent la thèse de la continuité :
“les Albanais sont avec les Grecs les
deux peuples les plus anciens des
Balkans. Leur présence remonte à des temps reculés, sinon
aux premiers temps. En un mot, ils sont là depuis toujours.
Nul ne le conteste. Ils n’habitaient pas le ciel ! Ils étaient ins-
tallés sur une terre et cette terre était l’Albanie et le Kosovo” (6).
Une telle hypothèse ne doit cependant pas nous faire oublier
que les Illyriens sont eux aussi venus d’ailleurs, lors de la pre-
mière migration indo-européenne dans la région.
Il est possible d’émettre une hypothèse réaliste par rapport à la
question de la continuité(7) : la filiation Illyriens/Albanais
semble vraisemblable. En effet, face à l’invasion slave, les
Illyriens n’ont probablement pas tous disparu, surtout dans le
des nationalismes européens au XIXe siècle en France, en
Angleterre et en Belgique paraît étroitement liée à l’étiquetage
de l’Autre en tant que “primitif” ou “oriental”. La cohésion de
chaque nation européenne semble avoir été assurée par la
conviction de sa supériorité sur les peuples conquis”.(17)
Le découpage de l’Europe en ensembles culturels a certes for-
tement influencé la construction de l’Union Européenne et la
création de l’identité européenne. Mais dans le processus de
création de l’identité européenne, le “fondamentalisme cultu-
rel” n’ordonne pas les cultures en hiérarchie (en tout cas pas
systématiquement), mais trace des frontières : il distingue les
cultures proches, qui peuvent faire partie de l’Union
Européenne, et les cultures éloignées, qui doivent en être ex-
clues, en fermant la porte de l’Union aux pays concernés et en
fermant la frontière à leurs ressortissants.
“Chaque culture à sa place”. C’est également la logique poli-
tique et la finalité politique des nationalistes serbes, croates et
bosniaques musulmans. Il ne s’agit pas ici de tirer un trait
d’égalité entre la construction de l’Europe et celle des Etats is-
sus de l’ex-Yougoslavie, mais la logique de l’argumentaire
“culturaliste” est présente dans les deux cas : “toutes les cul -
tures sont peut-être également respectables, mais elles ne sont
pas toutes compatibles”.
Il ne s’agit pas non plus de nier les responsabilités des diri-
geants politiques serbes, croates, bosniaques et albanais ; elles
sont évidentes et inégales. Mais il est important aussi de dé-
noncer un raisonnement qui a permis une manipulation idéo-
logique aux conséquences tragiques. En ex-Yougoslavie, l’idée
de séparation des cultures a été mise en place par une violen-
ce proportionnelle à la difficulté de séparer des cultures si im-
briquées et enchevêtrées.
Le “fondamentalisme culturel” maintien un lien avec le “natu-
ralisme”, par l’intermédiaire des postulats de l’ethologie hu-
maine et de la sociobiologie qui prétendent que la nature hu-
maine est fondée sur des principes biologiques, comme l’im-
pératif territorial, et que, par voie de conséquence, les hu-
mains, au même titre que les animaux, ont une tendance natu-
relle à être hostiles aux étrangers. Il n’est pas difficile de dé-
montrer par des exemples ethnologiques que l’hostilité aux
étrangers n’a rien d’universel. Par exemple, la procédure cou-
rante en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie et en Afrique, qui
veut que l’on donne la chefferie à un étranger(18). Pourtant ce
présupposé est largement répandu parmi les responsables poli-
tiques européens, et pas seulement à droite. Daniel COHN-
BENDIT, par exemple, a développé un tel argumentaire en
1991, alors qu’il était responsable du Département des affaires
multiculturelles de la ville de Francfort.
“L’indignation concernant la xénophobie (Fremdenhass), qui
propose en guise d’antidote une politique d’ouverture des
frontières, est quelque peu fausse et dangereuse. Car si l’his -
toire nous a enseigné une chose, c’est bien celle-ci : dans au -
cune société l’établissement des relations avec des étrangers
n’a été inné. Il y a fort à parier que la réserve vis-à-vis des
étrangers constitue une constante anthropologique des es -
pèces, et la modernité avec sa mobilité croissante a rendu ce
problème plus général qu’auparavant.”(19)
Les interprétations culturelles et les explications biologiques
des inégalités sociales et des démarcations entre groupes hu-
mains ont en commun la croyance en des structures perma-
nentes : “elles évoquent l’exposé d’une évolution biologique
selon laquelle le développement des groupes humains, com -
me celui des animaux, impliquerait l’acquisition de caractères
finalement permanents qui marqueraient définitivement leur
histoire et leur identité” (20). Alban BENSA fait, à juste tire, une
critique serrée des notions d’organisme social, de système cul-
turel et de structure profonde, fondées sur les théories fixistes
des sciences naturelles de l’âge classique, car “en accordant
aux sociétés la stabilité apparente des pierres, des plantes ou
des bêtes, l’anthropologie a pris le risque de manquer la spéci -
ficité même du phénomène humain, à savoir son inscription
dans une temporalité propre, indépendante du temps long de
la géologie et de la biologie.”(21)

32 A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E ■ ■ A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E
13
 ■ R EGARDS SUR LES EUR OPE : UN E ANT HROPOLOG IE IMPL IQUÉE DAN S LE S BALK ANS
CONCLUSION
La manipulation idéologique de la notion de culture, enten-
due comme structure inscrite dans la très longue durée, voire
dans l’éternité, permet de présenter les crises socio-écono-
miques, les bouleversements politiques et les conflits, comme
une conséquence inéluctable, et non comme une orientation
politique parmi
d’autres possibles.
La notion de culture
est ainsi devenue un
“lieu commun”, “au
sens aristotélicien
de notions ou de
thèses avec les-
quelles on argu-
mente mais sur les-
quelles on n’argu-
mente pas, ou, en
d’autres termes, ces
présupposés de la
discussion qui res-
tent indiscutés, doi-
vent une part de
leur force de
conviction au fait
que, circulant de
colloques universitaires en livres à succès, de revues demi-sa-
vantes en rapports d’experts, de bilans de commissions en
couvertures de magazines, ils sont présents partout à la fois,
de Berlin à Tokyo et de Milan à Mexico, et sont puissament
soutenus et relayés par ces lieux prétendument neutres que
sont les organismes internationaux (tels l’OCDE ou la
—————
1) J. GOODY, L’Orient en Occident, Seuil, Paris, 1999
(1996), p. 16.
2) D. FABRE(éd), L’Europe entre cultures et nations,
Editions de la Maison des sciences de l’homme, Paris,
1996.
3) En 1965, aux Etats-Unis, Daniel Patrick MOYNIHEN
remettait au Président JOHNSON un rapport présentant
la “structure familiale” des populations noires comme
responsable de leurs difficultés sociales (D. FASSIN,
“Exclusion, underless, marginalidad. Figures contempo-
raines de la pauvreté en France, aux Etats-Unis et en
Amérique latine”, Revue française de sociologie, XXX-
VII, Paris, 1996).
4) G. ALTHABE, “Construction de l’étranger dans la
France urbaine d’aujourd’hui”, in D. FABRE, 1996, op.
cit.
5) W. KASCHUBA, “Les Allemands des étrangers les uns
pour les autres”, in D. FABRE, 1996, op. cit.
6) Cité d’après M. SAHLINS, “On the ideology and com-
position of descent group”, Man, vol. 65, juillet-août
1965.
7) V. STOLCKE, “Europe : Nouvelles frontières, nou-
velles rhétoriques de l’Exclusion”, in D. FABRE, 1996,
op. cit.
8) “Le racisme occidental moderne rationalise des pré-
tentions à la supériorité nationale, à la discrimination so-
ciopolitique, à l’exploitation économique et à la discri-
mination de groupes ou d’individus au sein d’une entité
politique en leur attribuant certains défauts moraux, in-
tellectuels ou sociaux prétendument enracinés dans leur
patrimoine “racial”, ce qui, étant donné le caractère in-
né de ce dernier, les rend inévitables”, (V. STOLCKE, p.
238). Voir comme le darwinisme social, l’eugénisme et
la criminologie ont contribué à la légitimation de l’in-
égalité de classe dans L. CHEVALIER, Classes labo -
rieuses et classes dangereuses à Paris, pendant la pre -
14
■ ■
Commission européenne) et les centres d’études et de conseil
en politiques publiques.”(22)
Dans ce débat, l’anthropologie ne peut être neutre, car ce
“fondamentalisme culturel” se nourrit aux concepts produits
par les courants anthropologiques (relativisme, structuralisme,
culturalisme...). La réflexion d’Aban BENSA pour la prise en
compte de la tem-
poralité et du
contexte dans
l’analyse des faits
sociaux étudiés est
primordiale.
“En ne rapportant
pas ses documents
à leur contexte,
c’est-à-dire, selon
Bateson, à leur
“structure dans le
temps”, l’anthro -
pologie se croit
fondée à ne pas
avoir à distinguer
l’actuel de l’an -
cien, à identifier le
singulier au géné -
ral, le conjoncturel
au structurel. Cette discipline a ainsi pu appréhender de préfé -
rence le contexte comme le lieu sémantique de la répétition et
accréditer l’idée que la culture et la tradition consacrent la
prégnance de l’éternel retour, la primauté du passé sur le pré -
sent, du prévisible sur l’incertain.”(23)
mière moitié du XIXe siècle, Hachette, Paris, 1984. Yugoslavia in the Courts”, The Anthropology of East
9) S. HUNTINGTON, Le Choc des civilisations, Editions Europe Review, Chicago, 14, 1, 1996.
Odile Jacob, Paris, (1996), 1997. 16) Romano PRODI, Président de la Commission euro-
10) R. DAWSON (éd.), The Chinese Chameleon : an péenne, et Carl BILDT, entre autres personnalités poli-
analysis of European conceptions of Chinese civilization, tiques européennes, ont participé aux discussions qui
Londres, 1967 ; cité d’après J. GOODY, op. cit., p. 9. ont servi à la rédaction du texte, mais il est précisé que
11) Ainsi, par exemple, l’enfermement dans le passé est “les invités ne peuvent en aucun cas être responsables
devenu “la” caractéristique des Serbes. du contenu du document”.
12) Individualisme, droits de l’homme, égalité, démocra- 17) B. JEWSIEWICKI,, “Le primitivisme, le postcolonialis-
tie, laïcité, rationalité, humanisme, scepticisme et tolé- me, les antiquités “nègres” et la question nationale”,
rance sont les notions les plus souvent utilisées pour Cahiers d’études africaines, 121-122, Paris, 1991. Cité
qualifier l’Europe occidentale. d’après J-L. AMSELLE, “L’anthropologue face au durcis-
13) Voir G. SCHÖPFLIN, et N. WOOD, (éds.), In Search sement des identités”, in J. HAINARD et R. KAEHR, Dire
of Central Europe, UK : Polity Press, Cambridge, 1989 ; les autres. Réflexions et pratiques ethnologiques, Payot,
M. ZIVKOVIC, “Serbia’s Place in European Geo-Political Lausanne, 1998.
Imagings”, manuscrit non publié, Departement of 18) Voir, entre autres, A. BENSA, “De la micro-histoire
Anthropology, University of Chicago (http://anthro.spc. vers une anthropologie critique”, in J. REVEL (éd.), Jeux
uchicago.edu/~mdzivkov/course/) ; M. TODOROVA, d’échelles. La micro-analyse à l’expérience, Hautes
Imagining the Balkans, Oxford University Press, Oxford, Etudes, Gallimard, Le Seuil, Paris, 1996 ; A. BENSA et J.-
1997 ; M. BAKIC-HAYDEN et R. HAYDEN, “Orientalist C. RIVIERRE, Les chemins de l’alliance. L’organisation
variation on the Theme ‘Balkans’ : Symbolic Geography sociale et ses représentations en Nouvelle-Calédonie (ré-
in Recent Yugoslav Cultural Politics”, Slavic Review, gion de Touho, aire linguistique cèmuhî), SÉLAF, Paris,
Université de l’Illinois, Urbana-Champaign, Etats-Unis, 1982; M. SAHLINS, Des îles dans l’histoire, Hautes
51, 1, 1992 ; E. H. PRODROMOU, “Paradigms, Power Etudes, Gallimard, Le Seuil, Paris, 1989 (1985) ; A. G.
and Identity : Rediscovering Orthodoxy and Regiona- HAUDRICOURT, 1964, “Nature et culture dans la civili-
lizing Europe”, Texte présenté à International Confe- sation de l’igname : des clones et des clans”, L’Homme,
rence on Culture and Reconciliation in Southeast IV, 1.
Europe, 26-29 juin 1997, Thessaloniki, Greece, (dispo- 19) D. COHN-BENDIT et T. SCHMID, “Wenn der
nible sur le site de Association for Democracy in the Westen unwiderstehlich wird”, Die Zeit, 48, 22 no-
Balkans : http://www.cdsee.org/) vembre 1991, p. 5. Cité d’après V. STOLCKE, op. cit., p.
14) C. BILDT, “Balkan Ghosts, Bosnian Realities”, Texte 237.
présenté à International Conference on Culture and 20) J. GOODY, ibid., p. 318.
Reconciliation in Southeast Europe, 26-29 juin 1997, 21) A. BENSA, 1996, op. cit., p. 53.
Thessaloniki, Greece, (disponible sur le site de 22) P. BOURDIEU, L. WACQUANT, “Sur les ruses de la
Association for Democracy in the Balkans : raison impérialiste”, Actes de la recherche en sciences
http://www.cdsee.org/) sociales, 121-122, Seuil, 1998.
15) P. J. MAGNARELLA, “The Conflicts of the Former 23) A. BENSA, 1996, op. cit., p. 53.
A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E ■ ■
RE GA RDS SUR LES EUROPE : UNE ANT HRO POLOGI E IMPL IQUÉE D AN S LES B AL KANS ■
avec les hautes instances de Europe qui se fait de plus en plus
l'OTAN sa neutralité ; il n'enverra présente, plus souvent assimilée à
pas de troupes et n'en acceptera une vache laitière dispensatrice de
pas sur son territoire ! Mais malgré subventions, qu'à un avenir meil-
sa position, la Hongrie trie le bon leur.
grain de l'ivraie lorsque passe les Quoiqu’en pensent certains au-
colonnes bien différentes de l'aide teurs, la Hongrie n’est pas à sépa-
humanitaire venue de Russie, de rer des Balkans. De par l’imbroglio
Biélorussie, et d'Ukraine. La prin- des diverses minorités réparties sur
cipale crainte des autorités hon- plusieurs pays, la Hongrie est inti-
groises est d'attirer la colère de mement reliée à la péninsule bal-
Belgrade sur les 350 000 individus kanique. Et si un conflit devait de
qui constituent la minorité magya- nouveau éclater, elle risquerait fort
re du nord de la Yougoslavie, en Voïvo- blique hongroise. Les manifestants de- de se trouver aux premières loges. D’un
dine. Alors que le contexte diplomatique mandent l'arrêt des hostilités, l'interven- point de vue régional, il ne faut pas négli-
et militaire empire, le MIÉP(8) -aujour- tion de l'ONU pour stopper l'OTAN, l'ar- ger la place des églises orthodoxes dans
d'hui représenté au Parlement- saisie rêt de l'épuration ethnique au Kosovo. les Balkans, et surtout celle de l'Église
l'occasion pour s'exprimer par la voix Pour cela, il faudrait que le gouverne- grecque qui depuis la chute du mur de
d’Istvàn CSURKA, son leader. Pour lui, il ment fasse valoir son droit de veto au Berlin a vu son hégémonie -en tant que
est évident que les occidentaux extirpe- sein de l'OTAN. Selon les porte-parole(13) dernier rempart de l'orthodoxie- et son
ront le Kosovo de la fédération yougosla- du Mouvement pour la Paix dans les rôle politique se réduire comme une
ve, et au regard de l'attitude de MILOSE- Balkans, "la Hongrie n'est pas entrée peau de chagrin. Elle a su tirer profit du
VIC vis-à-vis des minorités, il est plus que dans l'OTAN pour y recevoir des ordres, conflit pour réaffirmer sa place d'interlo-
temps de récupérer les frontières d'antan. mais être un partenaire à part égale et cuteur privilégié. Monseigneur CHRISTO-
Zsolt LANYI -président de la Commission ainsi soutenir les efforts de paix de DOPOULOS, chef de l'Église orthodoxe
Parlementaire de la Défense, et numéro l'ONU, et non les efforts de guerre de hellénique, élu en mai 1998, déclarait
deux du FKGP (9)- la solution est l'indé- l'OTAN". Ces arguments, tout en faisant alors que puisque "les Occidentaux ne
pendance(10) de la Voïvodine et du appel au patriotisme, portent sur le risque tolèrent pas les Orthodoxes, nous allons
Kosovo, à moins que ces régions ne de- que fait courir cette guerre aux Magyars reprendre Istanbul", et lançait un appel à
viennent des territoires fortement auto- de Yougoslavie. S'opposer à la guerre, la croisade. Ajouter à cela le contentieux
nomes. Cette fois la déclaration de LA- c'est être pour les intérêts de la Hongrie avec la Macédoine voisine, le problème
NYI déclenche un orage dans le lander- et du peuple hongrois, par conséquent des minorités grecques et albanaises ré-
nau politique magyar. Mais elle est repri- contre les investissements américains. Le parties des deux côtés de la frontière qui
se et amplifiée, dans les derniers temps conflit s'achève sans que la classe poli- divise l'Épire, l'instabilité grandissante de
du conflit, par Istvàn CSURKA, qui pro- tique hongroise ne soit parvenue à se la Biélorussie et une amplification des
pose(11) l'annexion pure et simple de la mettre d'accord sur une position commu- conflits dans le Caucase... La poudrière
Voïvodine. Les autres formations poli- des Balkans n'a pas encore explosé, mais
ne. Pour certains, c'est à la minorité hon-
tiques s'élèvent contre ses propos, par groise de prendre en charge son avenir il suffit de peu pour que toute la région
crainte que ses déclarations ne se retour- par voie référendaire, pour d'autres c'est ne s'enflamme et embrase le continent.
nent contre les Magyars de Yougoslavie, Si l'enjeu géostratégique des Balkans a
à Belgrade de rendre son autonomie à la
ou contre les communautés hongroises région. changé pour des raisons technologiques
des pays voisins. Le gouvernement(12) La confusion est grande, le malaise aus- et de mondialisation, c'est l'équilibre
s'étonne qu'une telle proposition ait pu si... La guerre est à la porte, il suffit de géopolitique de tout le vieux continent
venir d'un haut représentant de l'État, peu pour réveiller les rancœurs, et pas qui lui, est remis en question. Les conflits
normalement tenu au devoir de réserve. uniquement contre les Serbes. Ici on ne ethniques ne sont pas le résultat de cris-
Le dimanche 9 mai, le Mouvement pour parle pas de Bratislava, mais de Pozsony. pations identitaires archaïques, mais bien
la Paix dans les Balkans (Balkàn Békéjért On a pas oublié que Kolozsvàr et l'autre face de la mondialisation. L'enjeu
Mozgalom) récemment constitué, réunit Szatmàrnémeti s'appellent Cluj et Satu pour l'Europe est de taille ; dans ce
plusieurs milliers de personnes dans les Mare en roumain, et que la Transylvanie contexte, l'invention d'un nouveau mo-
rues du centre-ville de la capitale, avec est peuplée aussi de Hongrois. La méfian- dèle politique est le défi majeur du XXIe
en tête de grandes figures de la vie pu- ce est de mise aujourd'hui quant à cette siècle.
——— 7) La Hongrie a une population de 10 millions d’habitants.
1) KADARÈ Ismael, Que cessent les vents chauvins, Manière de voir, 1999, p. 56. 8) MIÉP : Parti de la vie et de la justice de Hongrie, l’extrême droite hongroise.
2) L’État hongrois fondé par Saint Etienne a quasiment toujours gardé le même terri- 9) Le FKGP est un parti de droite, agrarien et assez radical, et le second parti de la
toire jusqu’en 1918. Autant que la dislocation de l’unité de la nation magyare, coalition au pouvoir, le FIDESz est le principal parti.
Trianon signifiait aussi la mise à mort d’un système politique et social. 10) Népszabadsàg, LVII. Année, Mardi 11 mai 1999, "Lànyi szerint a Vajdasàg
3) Je ne fais que reprendre le terme employé en Hongrie. ônàllò àllam is lehetne", p. 1.
4) Chef du Gouvernement slovaque de 1993 à 1998. 11) Népszabadsàg , LVII. Année, Jeudi 3 juin 1999, "Vajdasàg : CSURKA hàtàmò-
5) cf PERNIOLA Mario, "Trois styles post-politiques" in Les Cahiers de l’imaginaires, dosìtàst javasol", p. 1-4.
n° 2, Toulouse, Édition Privas, 1988, p. 35. 12) Népszabadsàg, LVII. Année, Mardi 11 mai 1999, "Lànyi szerint a Vajdasàg
6) DANKOVICS Laszlo, "Clemenceau et la Hongrie. Analyse d’une inimitié présu- ônàllò àllam is lehetne", p. 1.
mée.", in Géohistoire de l’Europe médiane, La Découverte / Livres Hérodote, Paris, 13) Népszabadsàg, LVII. Année, Lundi 10 mai 1999, "Tôbbezres békemenet a fivà-
1998, p. 164-179. rosban", p. 2.
A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E
31
 ■ RE GAR DS SUR LE S EUR OPE : UNE ANTHRO POLOGIE IMPL IQUÉE D AN S LES B ALK ANS
Anticlérical et anticolonialiste,
démocrate et républicain force-
né, Georges CLEMENCEAU fut
vraisemblablement l’un des poli-
ticiens français de cette période
qui connaissait le mieux la mo-
narchie des HABSBOURG. Anti-
allemand, certes et probable-
ment plein de préjugés, CLE-
MENCEAU(6) -en homme poli-
tique français nourri d’idéaux ré-
publicains et d’universalisme hérités de
la pensée jacobine- va justifier son action
par le principe de l’autodétermination
des peuples à disposer d’eux même. C’est
à dire ceux “opprimés” par la monarchie
austro-hongroise. Mais ce sont essentiel-
lement les intérêts stratégiques des Alliés
qui l’emportent sur les principes de justi-
ce. C’est la “Realpolitik” qui rend CLE-
MENCEAU “anti-hongrois” : l’intérêt de
la France devait se retrouver dans la dis-
solution de l’Autriche-Hongrie et l’instal-
lation de pouvoirs “amis” en Europe
Centrale.
Pour en finir avec les Empires ottoman et
austro-hongrois, et pour contrer la
Révolution d’Octobre, les Alliés ont am-
plifié des mouvements souvent émer-
geant : une zone de petits “États-nations”
devait faire barrage contre l’URSS nais-
sante. L’Europe centrale et orientale se
voit ainsi reléguée au rôle qui fut le sien
pendant des siècles, celui de remparts de
l’Occident. Le dépeçage du royaume de
Saint Etienne commence.
Si le “Printemps des peuples” atteint la
Hongrie en 1848, à aucun moment les
leaders magyars, dans leur révolte contre
la domination autrichienne n’envisagent
un quelconque droit à l’autodétermina-
tion des autres “nationalités” du royau-
me. Quand sonne l’heure de l’humilia-
tion pour la Hongrie, les “nouveaux voi-
sins” répliquent avec acharnement à des
siècles de domination : spoliations, ex-
pulsions, discriminations, déplacements
ou échanges de populations. Le ressenti-
ment des Hongrois est toujours vivace,
coincé entre l’océan slave, le monde ger-
manique, et leur voisin latin. Ce ressenti-
30
ment est alimenté par les propagandes
successives, puis par la répression, par-
fois féroce, mise en œuvre contre les mi-
norités magyares tout au long des 50 der-
nières années. Il faut ajouter à cela, le rô-
le de la Roumanie qui laisse les chars
russes traverser son territoire pour étouf-
fer dans l’oeuf l’automne de Budapest.
L’Autre, c’est aussi l’Occident qui n’a pas
réagit lors de cette invasion soviétique de
1956, qui a renforcé ce sentiment de seul
contre tous. Le terreau est fertile pour dé-
velopper les discours extrémistes.
LE RETOUR DES “VIEUX DÉMONS”
L’ambiguïté de la Hongrie contemporaine
quant à sa politique vis-à-vis des minori-
tés réside dans sa constitution qui recon-
naît treize minorités nationales et encou-
rage chacune à exprimer son particularis-
me, alors que les minorités ne sont que
peu présentes dans les appareils déci-
sionnels, et peu représentatives. Étrangeté
d’un pays où les patronymes reflètent
pourtant le multiculturalisme : Horvath
(croate), Tòt (slovaque), Olàh (valaque),
Magyar (hongrois), Gôrôg (grec), Tôrôk
(turc)... Car la Hongrie bonne fille,
cherche aussi à montrer à ses voisins,
sans avoir à hausser le ton, comme ses
minorités à elle ont un sort plus enviable.
Mais la politique de l’État envers les mi-
norités serait aussi à considérer comme
un effet pervers de la course à l’entrée
dans l’Union Européenne.
“Je suis le premier ministre de 15 millions
de Hongrois” disait Jòzsef ANTALL (7) à
son arrivée au pouvoir en Mai 1990 suite
à la victoire du Magyar Demokrata
Forum. Lors de son investiture en juin
A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S
1990, il réitère sa déclaration à
laquelle il rajoute "spirituelle-
ment", pour couper court à
toutes spéculations et aux protes-
tations déclenchées. Pour sa
part, Gyula HORN (MSzP) en
1994, prononce à son tour : "Je
suis le premier ministre de 10
millions de Hongrois". L'anec-
dote montre à quel point le sujet
des minorités hongroises reste
sensible. Trianon constitue l'événement
majeur de ce siècle, sans doute le plus
traumatisant dans la mémoire collective
hongroise.
La Hongrie n'avait pas prévu que, trois
jours après son entrée dans l'OTAN ( le
12 mars 1999), un conflit éclaterait, et
qu'elle serait officiellement en guerre
contre la Yougoslavie. Comme dans
d'autres États membres de l'Alliance
Atlantique, une crise constitutionnelle
éclate puisque la direction des opérations
militaires appartient de fait à un autre
État, et non pas au Président de la
République. Il aura fallu au Président
Arpad GÖNC user de diplomatie pour
calmer les esprits, et en particulier l’op-
position ravie de pouvoir saisir ce prétex-
te pour tenter de faire sauter la coalition
au gouvernement. Dès le début de la cri-
se, la minorité des Serbes de Hongrie ré-
agit, ce qui donne lieu à plusieurs mani-
festations comme celle d'avril 1999. Et
dans un premier temps, alors qu'une in-
tervention énergique de l'OTAN dans les
Balkans n'est pas envisagée, la Hongrie
se trouve confrontée à la crise du Kosovo
sur le plan humanitaire. Les réfugiés
serbes ou magyars commencent à affluer
aux frontières ou dans les grandes villes
du pays et il faut commencer à organiser
leur accueil. Peu avant le début des
frappes aériennes, le 24 mars, la possibi-
lité d'une intervention terrestre se fait de
plus en plus imminente. Le gouverne-
ment hongrois redoute cette possibilité,
car dans ce cas, l'intervention partirait
non seulement d'Albanie ou de Macé-
doine, mais aussi du nord de la Serbie,
c'est-à-dire de Hongrie. L'État a négocié
D ' A N T H R O P O L O G I E
■ ■ REGA RDS SUR LES EU ROPE : UN E ANT HRO POLOG IE IMPL IQUÉ E DAN S LES BAL KANS
KOSOVO 1999 : LES BOMBES À RETARDEMENT D’UN
MODÈLE POLITIQUE OCCIDENTAL DANS LES BALKANS
Professeur d’anthropologie de l’Europe à l’Université Libre de Bruxelles
Directeur du Centre de Recherche en Ethnologie Européenne
A u seuil de ce troisième millénaire, voi-
ci que se réveille la “poudrière des
Balkans”. Devant cet emballement du
conflit en ex-Yougoslavie, on en vient à
se demander si l’histoire est en train de se
répéter ; si, comme à Sarajevo en 1914,
un conflit balkanique est à même d’en-
traîner l’Europe et le monde dans une
nouvelle guerre. Sous-jacente à cette
question, se trouvent désignés les cou-
pables, ces pays balkaniques, incapables
de démocratie, qui s’affrontent en inter-
minables luttes tribales au sein d’États-na-
tions immatures. Car c’est bien le sens
implicite de ce néologisme de balkanisa-
tion que l’on n’a pas manqué d’appliquer
par la suite au Tiers-monde (Lumumba ne
reprenait-il pas cette expression de “bal-
kanisation de l’Afrique” récemment remi-
se à l’honneur avec le génocide rwan-
dais).
A travers une telle lecture rapide des évé-
nements, il est commode pour l’Occident
de se déresponsabiliser du processus
conflictuel en réduisant l’Autre à la posi-
tion de barbare, cet étranger à notre polis
occidentale, à notre politique.
Pourtant, il n’est pas bien compliqué
d’apercevoir qu’une telle balkanisation,
processus que l’on ne peut guère faire re-
monter au-delà du Traité de Versailles
(1919-20), même si ses prémices appa-
raissent dès le Traité de Berlin (1878),
était loin de constituer la vocation poli-
tique de cette région de l’Europe.
■ ■ A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S
M a r i a n n e M E S N I L
A l’aube d’un Printemps des Peuples
(1848) où, tant à l’Ouest qu’à l’Est, éclo-
saient les rêves de souveraineté des na -
tions émergentes (1), cette Autre Europe,
comme l’Occident aime à la désigner au-
jourd’hui pour mieux se distancer de sa
supposée barbarie, cette Autre Europe
n’avait-elle donc pour tout passé, pour
toute histoire que celle de sa soumission
à l’une des trois grandes puissance (l’aus-
tro-hongroise, la russe et l’ottomane) qui
entouraient et dominaient alors les
Balkans ? Avec la mise à mal de leurs an-
ciens maîtres, les peuples allogènes qui
en constituaient les sujets, n’étaient-ils
rien d’autre qu’une multitude d’ethnies
juxtaposées, dont le seul lien était d’avoir
subi le même joug ? Telle semble bien
être l’opinion communément admise par
le monde occidental à propos de ses voi-
sins d’Orient.
HOMO BALKANICUS
Une telle opinion suppose que l’on igno-
re deux mille ans d’histoire de la
Péninsule balkanique. Rarement, en effet,
une région a connu autant de vagues de
peuplements qui toutes, ont apporté leur
part de sédiments aux civilisations qui se
sont succédées sur ce territoire largement
ouvert aux mouvements migratoires,
entre Carpathes et Mer Noire, entre
Balkans et Méditerranée. C’est ce qui ex-
plique l’étonnante diversité ethnique de
sa population et cela, dès la plus haute
antiquité. Ainsi, sur fond thraco-illyrien et
D ' A N T H R O P O L O G I E
■
hellène, auquel il faut ajouter les mouve-
ments successifs de romanisation et de
slavisation (y compris des migrations ta-
tares) ainsi que l’apport issu de la diaspo-
ra tardive des populations juives et tsi-
ganes, se sont développés d’importants
foyers de cultures : mille ans de culture
greco-byzantine (de la fondation de
Constantinople en 330, à sa prise par les
Turcs en1453) et plus de cinq cents ans
de culture ottomane (de 1453 à la fin du
XIXe siècle). Au produit d’une telle syn-
thèse élaborée dans la longue durée, des
chercheurs ont tenu à donner un nom :
homo balkanicus. C’est sans doute Victor
PAPACOSTEA qui nous en a fourni le
portrait le plus précis. Ainsi écrit-il dans
l’entre-deux-guerres : “l’homme de la
Péninsule balkanique -de quelque partie
que ce soit- participe au fond par toute sa
structure ethnique, mentale et spirituelle
à plusieurs nationalités. Sans nier, évi -
demment la différence spécifique qui lie
chaque membre à la nation au sein de la -
quelle il est né et dont il parle la langue,
nous constatons cependant que au-delà
{de cette appartenance}, il est aussi
membre -par des liens organiques, qui
viennent d’une ancestralité complexe et
prolongée- de la grande communauté
balkanique”(2).
On l’aura compris, cet homo balkanicus
s’inscrit dans la longue durée d’une expé-
rience multi-ethnique à laquelle des
modes de gouvernements -du système
15
 ■ RE GAR DS SUR LE S EUR OPE : UNE ANTHRO POLOGIE IMPL IQUÉE D AN S LES B ALK ANS
des “thèmes” byzantins à celui des
“millets” ottomans- ont donné une répon-
se spécifique. Il en résulte une manière
bien différente de la nôtre, de vivre et de
penser le rapport à ses voisins. Et, n’en
déplaise à la vision ethnocentrique de
l’Occident, cette absence de “conscience
mono-identitaire” ne fait pas pour autant
de cet Homo balkanicus un barbare, bien
au contraire. Sur un territoire où, depuis
la plus haute antiquité, la fluidité des
frontières est la règle et le multiliguisme
la pratique, un tel homo balkanicus habi-
tué à côtoyer les nations les plus diverses
(au sens médiéval de ce terme : étran-
gers, nés en un même lieu), connaît
mieux que quiconque, l’art de commer -
cer avec les “autres” dont il a souvent ap-
pris à parler les diverses langues et dont il
respecte la religion s’il ne la partage pas.
Ainsi avons-nous affaire à une sorte de
“caméléonisme” de l’homo balkanicus
qui consiste en cette capacité à gérer les
relations multi-ethniques, multilingues,
multiconfessionnelles, en adaptant en
quelque sorte son “identité” à celle de
son interlocuteur, en lui donnant une di-
mension relationnelle, négociable. Pour
mieux saisir en quoi réside une telle apti-
tude, descendons un instant sur le terrain
de l’ethnologue : celui des Aroumains
d’Irina NICOLAU ou des Bulgares “fron-
taliers” d’Assia POPOVA. La première,
évoquant ses souvenirs d’enfance : “Papa
était Aroumain ; ma mère était grecque.
(...) Alors ma stupeur fut grande en dé-
couvrant que Papa acceptait d’être consi-
déré comme Grec, ou Bulgare, par des
16
■ ■ REGA RDS SUR LES EU ROPE : UN E ANT HRO POLOG IE IMPL IQUÉ E DAN S LES BAL KANS ■
TRIANON… FIN DE SIÈCLE
J é s u s M I R A N D A
Doctorant, CREA, Université Lyon 2
“Le grand chaudron des préjugés, des amertumes, des projets l’OTAN remettent au goût du jour un possible rendez-vous
de massacres, des revanches et des rancoeurs ne cesse de avec l’Histoire.
bouillonner, prêt à exploser à la première occasion.” (1) Les relations entre la République Slovaque et l’État hongrois
Ismael KADARÈ sont restées longtemps tendues. Avec le départ de Vladimir
MECIAR(4), le sort des minorités semble s’améliorer, et le parti
DE TRIANON À DAYTON magyar est devenu une force politique avec laquelle le nou-
Un documentaire décrivait, il y a quelques mois, de “Sarajevo veau gouvernement doit compter. Il est difficile de ne pas évo-
à Sarajevo”, la chronique du suicide annoncé d’un État. En ef- quer le cas de la Transylvanie, tant le parallèle avec la
fet, depuis la mort de TITO, nous assistons à la dislocation, Slovaquie est aisé. Aujourd’hui, le pouvoir roumain se voit lui
pourtant prévisible, de la fédération yougoslave. Dans l’eu- aussi contraint de compter avec les leaders de la minorité ma-
phorie qui suivit la chute du mur de Berlin et des derniers bas- gyare. Si CEAUCESCU a fait des Hongrois les boucs émissaires
tions communistes en Europe, les Balkans s’embrasent... “Le de ses échecs politiques et économiques, les persécutions an-
ventre de la Bête est encore fécond” disait BRECHT. L’histoire ti-magyars n’ont pourtant pas disparu avec lui. Les exemples
bégaie, se plaît-on à reprendre comme une antienne à chaque abondent, et sont redondants. Manipulations de symboles, tra-
fois que la tragédie yougoslave est abordée. Mais l’agonie de vail de “constructions” sur la mémoire collective, incitations à
étrangers. Un oncle, Aroumain aussi, leur de l’idée de nationalité soit très rela - la haine et à la discrimination raciales, la procédure est bien
passait pour Albanais. Pendant les fêtes tive dans les Balkans” (5). l’ex-Yougoslavie, à laquelle nous assistons depuis une dizaine
d’années pourrait s’avérer n’être que la partie émergente d’une connue. Globalement, le sort des minorités magyares est le
de famille, tous deux chantaient avec C’est cette même réflexion que l’on retrou- même dans la plupart des pays voisins ex-socialistes ; il reste
d’autres amis des chansons dans les- longue chaîne de drames à venir... Même après les accords de
ve 50 ans plus tard, dans un article d’Es- Dayton ou ceux de Rambouillet. Par deux fois, nous l’avons un sujet brûlant en Hongrie. L’essence même du “politique”,
quelles ils affirmaient, sur un ton très fa- ther BENBASSA au titre explicite, Balkans : tel que la définit Carl SCHMITT(5) repose sur l’identification
natique, leur identité aroumaine(3). La se- vu, lorsque l’histoire bégaie, c’est toute l’Europe centrale et
sortir du cadre des États-nation (6). d’un ennemi bien réel, d’une hostilité à partir de laquelle s’im-
conde note dans son récent carnet de ter- orientale qui vibre et le reste du monde qui tremble !
Ces deux auteurs pointent le même pro- pose le choix des alliances ; un conflit acquiert une dimension
rain (village de Razgrad-Zlatia, Bulgarie, Bégaiements encore lorsque, en 1991, l’Allemagne et le
blème : l’importation du modèle occi- politique lorsqu’il contraint l’individu à choisir son camp.
été 1998) : “Comme je demandais à un Vatican les premiers, s’empressent hâtivement de reconnaître
dental de l’État-nation a déclenché dans L’ennemi c’est l’Autre.
Bulgare réfugié un temps en Roumanie, l’indépendance de la Slovénie et de la Croatie. Une situation
les Balkans un processus qui suscite les
et qui avait retraversé le Danube avec sa qui ne va pas sans rappeler les lendemains agités de la LA “FIGURE” DU COUPABLE
discours nationalistes les plus exacerbés “Grande Guerre”, où le concert des puissances occidentales Vue de Hongrie, le coupable porte les traits sévères du visage
famille, s’il n’était pas plutôt “vlah”
allant jusqu’à appliquer la “solution” de morcelle les derniers grands empires, promettant aux généra- de CLEMENCEAU, qui personnalise à lui seul le traité de
(c’est-à-dire roumain), il me répondit, sur
la “purification ethnique” à laquelle tions à venir “plus jamais ça”. Trianon, mais l’ennemi reste de la même manière l’Autre. Cet
un ton qui laissait entendre le manque
l’Occident n’a trouvé qu’une piètre ré- Le traité de Trianon, le 4 juin 1920, prive ainsi la Hongrie Autre qui persécute, ou bien cet Autre qui mutile, et qui est
d’intérêt de ma question : “ Et alors ? “(4)
ponse : celle d’entériner, voire d’encoura- “Millénaire”(2) des 2/3 de son territoire, et “mutile”(3) la nation foncièrement anti-hongrois. L’extrême-droite hongroise en a
Et alors ? Comment expliquer qu’un tel
ger, les déplacements de populations per- hongroise. Cette fait son fond de
homo balkanicus, résultat d’un processus
mettant de réaliser cet idéal devenu cette nouvelle Europe commerce. CLE-
historique et culturel commun à ces “ma-
fois explicite : un État-nation monoeth- accouchée au MENCEAU est
cédoines” d’ethnies, et qui se situe aux
nique (7). Et en effet, à la base de l’embra- forceps, vagit en- jugé par une par-
antipodes de tout modèle mono-eth-
sement auquel nous assistons aujour- core de rage et de tie de l’opinion
nique, se trouve aujourd’hui mis à mal,
d’hui, se trouve cette application sans ressentiment, et hongroise com-
jusqu’à être nié et disparaître dans le ma-
discernement, du modèle occidental à 20 ans suffiront me le respon-
rasme des conflits ethno-identitaires et de
une situation géopolitique qui appelait pour que la bar- sable de cette
leur forme la plus outrée de “purification
d’autres réponses. Cette constatation a barie se déchaîne “mutilation” ; en
ethnique” remise à l’ordre du jour par
été largement exprimée par nombre d’ob- de nouveau. Au- 1919, il est non
MILOSEVICH ?
servateurs, en particulier des géographes jourd’hui encore, seulement le
DE L’HOMO BALKANICUS À et historiens (8), dès le début du siècle, au les plaies se refer- Président de la
LA BALKANISATION DE LA PÉNINSULE moment où il s’est agit de redessiner les ment mal. C’est Conférence de la
“Il est difficile de trouver dans l’histoire frontières de l’Europe, en particulier lors lors d’un premier Paix, mais un de
universelle un autre exemple où l’on des grands traités conclus au sortir des séjour en Hongrie ses membres les
puisse mieux voir quelle série catastro- guerres (Berlin en 1878, et surtout en 1995, que j’ai plus influents. Il
phale provoque l’application aveugle Versailles en 1918 et Yalta en 1945). découvert l’exis- est surtout le seul
d’une idée {celle de l’État-nation}” écrit Pourtant, il n’était pas bien difficile tence du Traité de dirigeant allié à
le spécialiste des Balkans Victor PAPA- d’apercevoir combien un tel modèle, tant Trianon. Mon avoir un véri-
COSTEA dès 1943 ; et plus loin : “On a dans sa version “française” qu’”alleman- étonnement était table projet pour
ignoré, finalement, le fond ethnique com - de”, était inadéquat à résoudre la “ques- d’autant plus grand que “Trianon” est évoqué par toutes les l’Europe centrale même s’il s’agit d’un projet d’hégémonie
mun et surtout ce mélange millénaire de tion des nationalités” : les nations émer - générations avec le même ton de reproche lorsque l’on vient française. Prétendre qu’il était anti-hongrois ? De nombreux
races qui a fait dès l’antiquité que la va - gentes d’Europe centrale et balkanique de France. La proximité du conflit, l’entrée de la Hongrie dans liens amicaux et familiaux le rattachaient à la Hongrie.
A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E ■ ■ A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E
29
 ■ R EGARDS SUR LES EUR OPE : UN E ANT HRO POLOG IE IMPL IQUÉ E DAN S LES BALK ANS ■ ■ REGARDS SUR LES EU ROPE : UNE ANT HRO POLOG IE IMPLIQUÉE D ANS LES B AL KANS ■

nique à l’œuvre pendant le conflit ont littérale- n’avaient en effet la possibilité de fonder et en même temps à toutes les autres”, vocation de "zone intermédiaire" des
ment renversé les logiques sur lesquelles repo- leur nouvel État ni sur l’existence d’un comme le rappelle G. PRÉVÉLAKIS(10) V. Balkans dont le rôle positif ne peut être
saient jusqu’alors la société bosniaque : la lien de “citoyenneté” à la française, étant PAPACOSTEA suggérant une voie spéci- rempli qu’à condition qu’une certaine
preuve en est que le niveau local, qui remplis- donné la carence de société politique fique, utilisa l’expression de "Suisse de "fluidité" des relations de voisinage
sait avant la guerre une fonction d’amortisseur liée à l’histoire spécifique de ces régions, l’Est". Mais déjà au XIXe siècle, se déve- (proche et moins proche) y soit mainte-
et de médiateur des conflits intercommunau- ni sur l’existence d’une “unité ethnique” loppait à l’Est, une réflexion sur ces pro- nue. Mais les événements et discours do-
taires, est désormais celui sur lequel se cristalli- “à l’allemande”, correspondant à un terri- blèmes : vers 1850, eut lieu un échange minants de ces dernières années nous in-
sent ces mêmes conflits (organisation des élec- toire revendiqué, étant donné le caractè- de correspondance entre l’Italien MAZZI- diquent que ce ne sont pas de telles
tions municipales et constitution des conseils re multiethnique de ces régions. Dans un NI et le Roumain D. BRATIANU qui rê- conceptions qui emportent l’adhésion
municipaux, gestion du fonds immobilier et re- article paru en 1985, un chercheur hon- vaient d’une "confédération danubienne". des dirigeants d’aujourd’hui. Bien au
tour des populations déplacées, etc). Dès lors, grois, Zador TORDAI souligne cette diffé- De même, à la fin du siècle, c’est contraire, au lieu de prendre en compte
ce voisin qui, dans la société bosniaque rence fondamentale de contexte qui ca- l’Autrichien Karl RENNER, originaire de un tel héritage, on voit aujourd’hui fleurir
d’avant-guerre, constituait d’abord une protec- ractérise les nations d’Europe Centrale et Moravie, qui propose un modèle fédératif des discours de clivage qui semblent mal
tion, n’est désormais perçu que comme une Orientale où “Ni l’égalité, ni l’affranchis- des pays de l’ancien Empire austro-hon- supporter les situations de mixité, de di-
menace : en tant qu’électeur d’une part, qui sement de la paysannerie n’ont pu vérita- grois. Sans prétendre que de tels projets versité ; nous nous trouvons à nouveau
risque de faire basculer la majorité au conseil blement s’y accomplir, interdisant toute aient été à l’abri de dérives idéolo- devant des propos qui, sans aller jusqu’à
municipal, en tant que réfugié d’autre part, qui réalisation de la collectivité nationale giques(11), ils indiquaient cependant une prôner la "purification ethnique" , s’ins-
risque de faire valoir ses droits sur son ancien d’un point de vue social et humain géné- alternative à un modèle occidental que crivent cependant dans une tendance à
logement. ral”(9). les Grandes Puissances ont tout simple- une certaine "purification culturelle" qui
Ce portrait, relativement pessimiste, de la so- ment ignorée : comment en effet, l’abou- favorise le dess(e)in de frontières étan-
QUE RESTE-T-IL AUJOURD’HUI QUELLE AUTRE SOLUTION
ciété bosniaque ne suffit pas pour présager de l’issue finale tissement d’un tel projet aurait-il permis ches à l’intérieur desquelles peuvent se
DU BON VOISINAGE ? d’un après-guerre qui, après tout, ne fait que commencer. Il POUR LES BALKANS ? le maintien de leur hégémonie incontes- distribuer des populations et cultures ho-
Reste à savoir dans quelle mesure le komiluk fait encore sens doit, en revanche, nous inciter à rompre avec les représenta- Mais existait-il une alternative à ce mo- tée, sur cette région du monde ? mogènes. C’est dans un tel climat idéolo-
dans la Bosnie-Herzégovine d’aujourd’hui, après trois ans et tions angéliques, manichéennes ou volontaristes de la Bosnie- dèle occidental ? Même si aucune solu- UNE VOCATION gique que l’on doit situer les "solutions"
demi de guerre et de nettoyage ethnique, le déplacement de Herzégovine, pour nous amener à nous interroger sur les voies tion ne pouvait éviter de soulever des dif- de déplacements de populations qui per-
plus de deux millions de personnes (soit la moitié environ de complexes et peut-être paradoxales qui peuvent conduire à sa DE "RÉGION INTERMÉDIAIRE" mettent de réaliser "sur le terrain" cette
ficultés inhérentes à la transition entre la
la population bosniaque), et la constitution d’entités territo- réintégration humaine et politique : le déplacement des popu- situation de pays sous domination plus Une autre manière d’envisager la dicho- unicité rêvée censée protéger "de l’autre",
riales homogènes sur le plan ethnique. lations et la territorialisation des communautés sont-ils réver- ou moins féodale et leur devenir en États tomie Est-Ouest, est donc de se souvenir du "différent".
Concrètement, le komiluk n’a pas forcément basculé dans le sibles et, dans ce contexte, est-il raisonnable d’espérer une de type moderne, d’autres options poli- du long et riche passé de cet orient de HOSPES/HOSTIS :
crime intime, mais a aussi été le support de nombreux gestes restauration du komiluk, des pratiques d’entraide et de respect tiques étaient pourtant envisageables l’Europe qui en a fait une région charniè-
de protection et d’entraide. Aujourd’hui encore, il est possible mutuel qui le sous-tendent ? L’élaboration d’une citoyenneté re entre Europe et Asie et dont le "destin LORSQUE L’AMBIVALENCE
pour éviter le drame à répétition que vi-
de retrouver le komiluk tel qu’il se pratiquait avant la guerre partagée en Bosnie-Herzégovine doit-elle dès lors être conçue vent les peuples des Balkans depuis leur historique" n’était pas nécessairement de SE TRANSFORME EN CLIVAGE
dans certains immeubles, certains quartiers, ou certains vil- comme un prolongement du komiluk traditionnel, ou comme “libération” des grands empires. Et de sombrer dans la barbarie de guerres inter- Dans son ouvrage à succès intitulé le
lages où cohabitent toujours des personnes appartenant à des une rupture avec ce dernier ? Plus concrètement, la réintégra- fait, il n’a pas manqué dès le XIXe siècle, ethniques telles que nous en avons le pé- choc des civilisations, l’Américain HUN-
communautés différentes. Là où les populations sont désor- tion de la Bosnie-Herzégovine passe-t-elle par l’annulation d’hommes politiques et idéologues, nible spectacle depuis l’éclatement de la TINGTON(14), développe l’hypothèse
mais séparées, certaines pratiques liées au komiluk se redé- progressive des conséquences de la guerre, ou par leur accep- conscients de la nécessité de trouver des Yougoslavie. Mais pour opérer un tel d’une irréductibilité de deux "modèles
ploient dans un contexte nouveau. Le téléphone permet ainsi tation partielle, mais définitive ? Car ne retrouve-t-on pas en solutions spécifiques pour ces territoires, changement de perspective, il faut faire culturels" dont le levier est d’ordre reli-
d’être en contact avec un ancien voisin réfugié à l’étranger, et Bosnie-Herzégovine ce "paradoxe de Jérusalem"(7) qui fait que qui ont proposé des solutions originales l’effort de décentrer le regard et de consi- gieux : à travers une telle perspective, on
les expatriés servent à leur tour d’intermédiaire pour prendre seule l’acceptation des conséquences politiques de la guerre au problème. C’est que, nous l’avons vu, dérer la carte, non plus à partir de voit se dresser entre l’Europe catholique
des nouvelles d’un voisin se trouvant de l’autre côté de la permettrait d’en atténuer les conséquences humaines ? à l’heure où commençait à croître dans le l’Occident, mais à partir de la Mer Egée, et protestante d’une part, l’orthodoxe
ligne de séparation. Quand un réfugié veut se rendre sur son monde l’hégémonie de l’Occident, la de Moscou ou d’Ankara. Ainsi, D. KITSI- d’autre part, un mur plus étanche que ce-
ancien lieu de résidence pour visiter la tombe de ses parents Péninsule balkanique ne sortait pas du KIS(12) rappelle l’existence historique lui de Berlin. Le chercheur roumain A.
ou voir l’état de sa maison, il fait souvent appel à un ancien chaos : ses peuples aspiraient certes à se d’une "Région intermédiaire" formant DUTSU souligne à ce propos le danger
voisin qui l’accompagne pendant toute son incursion en “terri- libérer d’un passé qui avait pesé lourde- charnière entre Europe et Asie, Occident d’un tel discours qui contribue à mettre
toire ennemi”. Enfin, quoique de façon beaucoup moins fré- ment sur leur histoire, mais qui n’en avait et Orient, élargissant en quelque sorte le en place de véritables "frontières men-
quente, les habitants d’un immeuble, d’une rue ou d’un villa- pas moins fondé une profonde unité concept d’homo balkanicus de PAPA- tales" : "Avec de tels produits de labora-
ge peuvent accepter le retour de leurs anciens voisins, les ai- entre populations allogènes. Sans doute, COSTEA à une aire eurasiatique de cultu- toire", écrit-il en 1996, il est difficile de
dent parfois à se réinstaller, les protègent éventuellement l’alchimie d’une telle transition n’était re syncrétique dont le centre serait la comprendre l’unité et la diversité de
contre les extrémistes et les pillards. pas simple, d’autant que l’intelligentsia Méditerranée orientale. Dans le même l’Europe ! Et il est encore plus difficile de
Pourtant, malgré ces diverses manifestations de “komiluk rési- des Balkans s’est trouvée d’entrée de jeu ordre d’idées, l’auteur rappelle également comprendre la "Suisse de l’Europe" dont
duel” ou de “komiluk virtuel”, il est clair que le komiluk a ces- sous l’influence des idéologies nationa- la solution à la question des Balkans sug- parle Victor PAPACOSTEA...(15) La nou-
sé d’être une réalité centrale en Bosnie-Herzégovine. Les pro- listes. Mais l’expérience millénaire des gérée en 1942 par P. WALTZ : la création velle guerre balkanique nous confirme de
cessus de territorialisation et les pratiques de nettoyage eth- Balkans qui avait fondé cette capacité d’une "Egéide unitaire" ; selon son opi- telles craintes. Ainsi, la conception d’une
————— des ethnies à “vivre ensemble”, était à nion : "Si un vaste empire venait à se dichotomie "orient/occident" n’a pas fini
1) Voir Ivo ANDRIC, "Lettre de 1920", dans Titanic et autres contes juifs, Paris, Belfond, 1977. même de fournir d’autres solutions que constituer sur les deux rives de l’Archipel, de puiser ses arguments aux sources les
2) Xavier BOUGAREL, "Bon voisinage et crime intime", dans Bosnie : anatomie d’un conflit, Paris, La découverte, 1996.
celles de l’émiettement des territoires, du il se pourrait qu’une ère nouvelle de paix plus diverses, partout où l’on peut relever
3) Lors d’un colloque consacré aux villes en guerre en ex-Yougoslavie, Isaac JOSEPH déclarait que je décrivais la réalité du komiluk "dans les grandes villes, mais aussi dans
les petites villes ou même dans les villages" (voir Isaac JOSEPH / Claire LEVY-VROELANT, La guerre aux civils. Bosnie-Herzégovine 1992-1996, Paris, L’Harmattan, 1997, p. fractionnement des populations selon le et de tranquillité fût par là même accor- et accentuer des facteurs d’opposition
196). Le "même" n’a aucune raison d’être. critère de l’ethnicité, bref, de sa balkani - dée au sud-est de l’Europe"(13). (plus que de distinction) entre deux "cul-
4) André-Luis SANGUIN, "Sarajevo avant et après le siège : les mutations culturelles d’une capitale multiethnique", Géographie et cultures, n° 27 (automne 1998). sation. On pense par exemple à un mode Toutes ces approches ont un point com- tures". Cette accentuation des différences
5) X. BOUGAREL, op. cit., p. 85.
6) Ibid., p. 84. d’organisation dans lequel “l’ensemble mun : déplaçant le regard ethnocentrique qui fondent l’altérité, jusqu’à en faire des
7) Joseph WEILER, "Le paradoxe de Jérusalem", Le Monde de l’espace appartenait à chaque nation de l’Occident, elles mettent en relief la différends qui fondent l’hostilité, érige

28 A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E ■ ■ A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E
17
 ■ R EGARDS SUR LES EUR OPE : UN E ANT HROPOLOG IE IMPL IQUÉE D AN S LE S BALK ANS ■ ■ RE GA RDS SUR LE S EUROPE : UNE ANTHRO POLOGIE IMPL IQUÉE D AN S LES B AL KANS ■

d’une manière générale, la "question et sources éventuelles de conflits(17). La avec la "Guerre du Golfe" (pratiquement son importance symbolique qu’implicites- de réciproci-
identitaire" en problème. Le couple seconde attitude fait de ce même voisin simultanée à la chute du Mur de Berlin). : tels sont bien les traits té et de respect des fron-
hospes/hostis (hôte et/ou ennemi) qui gé- un Hospès (et donc, également, un Hostis Pour ce qui est des murs, celui de Berlin principaux du mythe de la tières communautaires, le
rait traditionnellement les relations de potentiel, mais potentiel seulement), et a certes été détruit ; mais une autre bar- tolérance bosniaque, desti- komiluk est moins le signe
voisinage perd cette capacité adaptative conçoit la frontière comme un espace de rière s’est dressée entre Est et Ouest, éri- né à effacer les aléas et les d’une tolérance séculaire
qui permettait de trouver les voies de la contact, de rencontre, de syncrétisme, geant la disparité des mentalités en obs- asymétries -en un mot : qu’une réassurance chaque
"convivialité" ou l’art de "vivre en- dans lequel l’entre-deux n’est pas un no tacle au dialogue, mais pas à la destruc- l’historicité- des rapports jour renouvelée du carac-
semble".(16) man’s land mais peut, au contraire, se tion sans réserve d’un capitalisme sauva- intercommunautaires en tère pacifique des relations
On ne peut s’empêcher de voir dans le confondre avec des lieux de négoce (les ge qui a su profiter du vide institutionnel Bosnie-Herzégovine. Or, intercommunautaires. De
livre de HUNTINGTON, outre cette pen- marchés) et de négociation (diploma- laissé par l’effondrement des régimes to- comme l’a si bien dit Ivo là sa fragilité et sa réversi-
sée dominante et schématique qui peut tiques). Schématiquement, la première talitaires. Et pour ce qui est des ponts, ce- ANDRI, même si les mina- bilité, le bon voisinage
se permettre de parler de l’Autre sans conception permet de rendre compte lui de Mostar qui reliait les communautés rets et les clochers s’inscri- pouvant, en période de cri-
avoir pris la peine de le connaître, un dis- d’une certaine dimension de l’État- chrétiennes (croates) et musulmanes n’est vent dans le même espace, se, ne pas résister aux spi-
cours mû par la peur, celle qui fait im- nation : ses frontières garantissent la "sou- plus que ruines, à l’image de ce que fu- la voix du muezzin et le ca- rales de la peur et de la
manquablement du voisin un hostis, un veraineté nationale" dont le non respect rent ces relations de voisinage où l’Autre rillon des cloches ne se font violence, et basculer fina-
phénomène qui n’est certes pas nouveau peut entraîner des sanctions allant jus- n’était pas réduit à sa condition de hostis, jamais entendre en même lement dans le crime inti-
mais qui resurgit aujourd’hui pour renou- qu’à la déclaration de guerre. Tandis que mais possédait encore cette ambivalence temps(1). me.
veler d’anciennes relations d’hostilité ; en la seconde conception apparaît dans sa qui lui permettait, tout en étant dans l’al- Le défaut principal de ce Les mythes ayant la peau
effet, cette argumentation de HUNTING- fluidité, plus proche des relations mul- térité, d’être aussi traité comme hospès : mythe, toutefois, n’est pas dure, le komiluk a à son
TON et de ses disciples en faveur d’une tiethniques et multiculturelles qui étaient une règle de "savoir-vivre" que toute so- qu’il gomme l’historicité de tour été mal compris, et
telle coupure radicale entre deux caractéristiques de l’histoire millénaire de ciété traditionnelle a toujours considéré la société bosniaque, ni paré des vertus attribuées
mondes, revient somme toute à réactuali- la "Région intermédiaire" (ce qui n’en ex- comme étant le propre de l’Homme "civi- même que, indirectement, auparavant à la “tolérance
ser sans autre perspective critique, un clut pas pour autant les conflits, mais leur lisé" ! il finisse par réifier les iden- séculaire” bosniaque. Dans
conflit religieux qui a organisé le monde gestion ne se pose pas en termes d’irré- tités communautaires en ce contexte, il importe aus-
il y a un millénaire ! ductibilité). Face à cette alternative, que même temps que les rap- si de dire ce que n’est pas
DES MURS POUR SÉPARER nous indique les attitudes adoptées par le ports intercommunautaires. le komiluk. Tout d’abord, il
ET DES PONTS POUR RELIER monde politique d’aujourd’hui ? Au mo- Plus grave est sans doute le n’est pas un phénomène
On pourrait résumer les deux attitudes ment où l’on voit "se faire l’Europe" à tra- paradoxe suivant : dans un exclusivement urbain,
possibles face à la gestion des limites/ vers la mise en place de nouveaux es- contexte d’affrontement contrairement à ce que
frontières entre voisins à l’aide de deux paces unifiés tels que "l’Espace Schen- entre communautés, ce qui s’imaginent certains au-
images en tête-bêche dont l’actualité gen" ou celui de l’Euro, le reste du conti- est présenté comme un teurs (3) . A la limite, c’est
nous a fourni maintes images : ou bien nent frappe à la porte et se voit imposer symbole de paix n’est en plutôt l’inverse qui serait
on construit des murs et on détruit les des conditions de conformité, souvent réalité rien d’autre qu’une vrai : les pratiques de bon
ponts ; ou bien on construit des ponts et aberrantes pour son développement, afin arme de guerre. Tout en se voisinage se retrouvent
on détruit les murs. La première attitude d’être simplement candidat à "entrer dans faisant les promoteurs de ce dans les villages comme
fait de notre voisin un Hostis dont il faut l’Europe", (selon l’expression utilisée à mythe, en effet, les dirigeants politiques et religieux de la dans les quartiers traditionnels (mahalas ottomans) ou périphé-
se protéger grâce à une limite "fortifiée", l’Est). Par ailleurs, l’heure de la "mondia- communauté musulmane se l’appropriaient, l’instrumentali- riques (banlieues pavillonnaires) des villes, et c’est sans doute
qui rend la frontière étanche et infran- lisation" économique menace d’imposer saient à leur profit exclusif, poussant encore d’avantage les dans les centres modernes et les grands ensembles de la pério-
chissable entre des "espaces de diffé- aussi ce "nouvel ordre mondial" qui a communautés serbe et croate à nier l’existence de toute co- de socialiste qu’elles sont le moins présentes. Reposant sur des
rences" postulés comme incompatibles, dicté sa loi -de manière significative- existence pacifique dans la Bosnie-Herzégovine d’avant-guer- liens personnalisés et durables entre voisins, le komiluk s’ac-
re. En un mot, par une sorte d’effet pervers, le mythe de la to- commode mal de l’anonymat et de la mobilité caractéristiques
lérance bosniaque a contribué à détruire la réalité de la co- de la ville moderne, qui a ses propres formes de civilité.
———— qui y perdit son indépendance pour les 500 ans qui allaient suivre. existence intercommunautaire en Bosnie-Herzégovine. De même, le komiluk n’est en aucun cas assimilable à la ci-
1) Cité par Drinka GOJKOVIC, “Un traumatisme sans catharsis” in POPOV, 10) A propos des liens entre le régime de MILOSEVIC et l’Académie serbe des Arts et toyenneté, et c’est un véritable non-sens que de parler, comme
Nebojsa, Radiographie d’un nationalisme. Les racines serbes du conflit yougoslave, des Sciences, auteur, en 1986, du fameux Mémorandum, voir MILOSAVLJEVIC, CE QU’EST ET CE QUE N’EST PAS LE BON VOISINAGE.
Paris, Editions de l’Atelier, p. 252. Oliveira, 1998, “Du mauvais usage de l’autorité scientifique”, in POPOV, Nebojsa, le fait André-Louis SANGUIN, du komiluk en termes de
2) Par exemple : “Dans la mesure où les sociétés balkaniques sont moins avancées op.cit., pp. 205-238. C’est, entre autres, en réaction à ce mythe de la tolérance bos- “contrat de citoyenneté”(4) . Il convient donc de le rappeler
sur la voie de la modernité, il serait donc logique que l’usage de la violence y soit 11) A propos du conflit qui opposa la Grèce et la FYROM, voir notamment CONTO- niaque que j’ai insisté, pendant la guerre, sur le komiluk com- clairement : “La citoyenneté en appelle à un individu abstrait,
plus fréquent et socialement légitimé qu’en Europe occidentale”. Cette phrase est ex- GEORGIS, Georges, 1992, Histoire de la Grèce, Paris, Hatier, PRÉVÉLAKIS, me mode de régulation et de pacification des rapports inter-
traite d’un courrier des lecteurs envoyé à la suite de la parution de mon article “La Georges, 1997, Géopolitique de la Grèce, Bruxelles, Complexe, et THUAL, mettant de côté sa spécificité ethnique ou religieuse dès qu’il
question du Kosovo ou l’histoire manipulée”, in La Revue Nouvelle, Bruxelles, n° 5- François, 1998, Le douaire de Byzance, Paris, Ellipses. communautaires en Bosnie-Herzégovine (2). C’est sur ce même pénètre dans l’espace public abstrait qui le crée : la cité. Le
6, mai-juin 1999, pp. 18-27 (courrier de M. DE BACKER). 12 ) On consultera à ce sujet BRATIANU, Gheorghe, 1937, Une énigme et un mi - komiluk qu’il me semble utile de revenir aujourd’hui, dans un komiluk repose au contraire sur un individu concret réaffir-
3 ) RUPNIK, Jacques, in Le Nouvel Observateur, 15-21 avril 1999, p. 82. racle historique : le peuple roumain, Bucarest, Editura stiintifica si enciclopedica, contexte sensiblement différent.
4) Ecrivain et homme politique serbe très controversé, figure emblématique de l’op- ainsi que GIURESCU, Constantin, 1968, La Transylvanie dans l’Histoire du peuple mant son appartenance ethnique ou religieuse dès qu’il pé-
position à Slobodan MILOSEVIC, ce qui ne l’a pas empêché de faire partie du gou- roumain, Bucarest, Editions Meridiane, IORGA, Nicolae, 1922-1936, In lupta cu ab - D’origine turque, le mot “komiluk” désigne en serbo-croate nètre dans l’espace public concret qui le crée : la rue, le ma -
vernement serbe, avant de démissionner en avril 1999. surdul revizionism maghiar, Bucarest, Globus, réédition 1991, KÖPECZI, Béla, l’ensemble des relations de voisinage. Dans le contexte de la hala, le village”(5). Enfin -mais cela semble être plus clair- le
5) DRASKOVIC, Vuk, “Confrontation avec la vérité”, in Le Monde Diplomatique, 1992, Histoire de la Transylvanie, Budapest, Akadémiai Kiadó, et LAZAR, István,
Manière de voir 17, “Nationalismes : la tragédie yougoslave”, février 1993. 1993, Petite histoire de la Hongrie, Budapest, Corvina (première édition en société pluricommunautaire bosniaque, toutefois, il s’applique komiluk ne favorise pas les mariages mixtes, phénomène rela-
6 ) KADARÈ, Ismaïl, et FERNANDEZ-RECATALA, Denis, 1999, Temps Barbares. De Hongrois, Kis magyar történelem, 1989, Gondolat Kiadó). avant tout aux relations de bon voisinage entre membres de tivement récent en Bosnie-Herzégovine, et caractéristique des
l’Albanie au Kosovo, Paris, L’Archipel, p. 188. 13 ) MISKOLCZY, Ambrus, “Brasov, Brassó, Kronstadt, ville-frontière d’une région- communautés différentes. Ce bon voisinage passe par diverses seules élites urbaines et populations ouvrières. Bien au
7) A ce sujet, voir CHAMPSEIX, Elisabeth et Jean-Paul, 1992, L’Albanie ou la logique frontière de la monarchie des HABSBOURG”, in KOTEK, Joël, 1996, L’Europe et ses
du désespoir, Paris, La Découverte. villes-frontières, Bruxelles, Editions Complexe, p. 64.
formes d’entraide (travaux agricoles, construction et réparation contraire, “le komiluk, relation entre membres de deux com-
8) GARDE, Paul, 1992, Vie et Mort de la Yougoslavie, Paris, Fayard. 14 ) Voir à ce sujet le récent ouvrage d’Anne-Marie THIESSE : THIESSE, Anne-Marie, du logement, mise à disposition des réseaux de connaissance munautés différentes habitant deux maisons mitoyennes, s’op-
9) Il conviendrait bien évidemment de s’attarder sur l’épisode de la bataille du 1999, La création des identités nationales : XVIIIe-XXe siècles, Paris, Seuil. et d’influence, etc) et d’association aux événements de la vie pose au mariage mixte, union entre membres de deux com-
Kosovo, en 1389, où s’affrontèrent les armées des princes balkaniques alliés (Serbes 15 ) KADARÈ, Ismaïl, et FERNANDEZ-RECATALA, Denis, 1999, op.cit., p. 189. familiale (naissance, mariage, départ au service militaire, etc)
en particulier, mais également Albanais, Hongrois, Bosniaques, Roumains) et les 16 ) MILOSAVLJEVIC, Oliveira, op. cit., p. 232.
munautés différentes emménageant dans une même mai-
Ottomans. Ces derniers remportèrent la bataille, souvenir obsédant pour la Serbie 17 ) in KOTEK, Joël, op. cit., p. 15. ou aux fêtes religieuses. Basé sur des règles strictes -quoi son” (6).

18 A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E ■ ■ A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E
27
 ■ R EGARDS SUR LES EUR OPE : UN E ANT HROPOLOG IE IMPL IQUÉE DAN S LE S BALK ANS
RETOUR SUR LE BON VOISINAGE
X a v i e r B O U G A R E L
Chercheur CNRS-GREMMO
D ’avril 1992 à décembre 1995, le conflit qui a déchiré la
Bosnie-Herzégovine s’est accompagné de violences mul-
tiples, d’expulsions massives et de massacres qui ont par-
fois pris, comme lors de la conquête de l’enclave de
Srebrenica par les forces serbes en juillet 1995, les dimensions
d’un crime génocidaire. Ces violences ont alors été perçues,
par de nombreux observateurs, comme une rupture avec la
“tolérance séculaire” caractérisant jusqu’alors la société bos-
niaque, et remontant à l’époque ottomane. Aujourd’hui, alors
que le retour des réfugiés reste toujours un objectif lointain, il
apparaît utile de revenir sur la question de la coexistence in-
tercommunautaire en Bosnie-Herzégovine, sur ses méca-
nismes traditionnels, ses crises actuelles, et ses chances de re-
nouveau.
LA TOLÉRANCE BOSNIAQUE :
LA RÉALITÉ ET LE MYTHE
Il est tout à fait justifié de parler, à propos de la Bosnie-
Herzégovine, d’une longue tradition de coexistence intercom-
munautaire : la présence sur le même territoire de trois com-
munautés principales (Musulmans, Serbes et Croates), et de
nombreuses minorités religieuses et linguistiques, et plus en-
core l’imbrication spatiale de ces populations, tant en ville
(mixité de la plupart des quartiers) qu’à la campagne (réparti-
tion des villages en “peau de léopard”), n’auraient pu être pré-
servées jusqu’à récemment sans l’existence d’un certain
nombre de dispositifs et de pratiques assurant cette coexi-
stence.
26
Mais, pour bien comprendre les formes et les dynamiques de
cette réalité centrale de la société bosniaque, il convient d’in-
sister sur son ambiguïté et sa fragilité constitutives. La coexis-
tence pacifique des communautés dans la vie quotidienne, en
effet, s’est toujours doublée d’une vive concurrence autour de
l’allocation de ressources rares telles que la terre ou les fonc-
tions administratives. Dans des contextes de crise ou de re-
composition (géo-) politique, ces rivalités ont débouché sur
des affrontements ouverts, comme le rappellent les violences
intercommunautaires qui ont accompagné la crise bosniaque
de 1875-1878, la première et -surtout- la seconde guerre mon-
diale.
Dès lors, au même titre que l’idée de haines ancestrales et in-
dépassables, celle d’une tolérance séculaire, immuable et im-
perturbable, relève d’une conception mythique de la société
bosniaque. Ce mythe de la tolérance bosniaque, qui trouve
son origine dans les discours titistes sur “l’unité et la fraternité”
des peuples yougoslaves, et dans les dépliants touristiques pu-
bliés lors des Jeux Olympiques de 1984, n’a pris toute sa force
et n’a véritablement franchi les frontières qu’après l’éclate-
ment du conflit en avril 1992, comme l’atteste la propagation
du cliché sur Sarajevo comme “nouvelle Jérusalem”, au centre
de laquelle cohabitent “depuis des siècles et à moins d’un ki-
lomètre de distance” mosquée, église orthodoxe, cathédrale
catholique, et synagogue.
Intemporalité, équidistance factice, valorisation d’une com-
munauté juive dont la faiblesse numérique est compensée par
A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E
■ ■ RE GA RDS S UR LES EU ROPE : UNE ANT HRO POLOGI E IMPL IQUÉE D AN S LES B AL KANS
LE RÔLE DE LA VIOLENCE
DANS LA QUESTION BALKANIQUE
G e o r g e s P R É V É L A K I S
Géographe, Université de Paris-Sorbonne, Université de Boston
P
armi les différentes définitions possibles des Balkans, rete-
nons celle selon laquelle il s’agit de la partie de l’Europe
qui a vécu l’expérience historique byzantine et ottomane.
Malgré les progrès des dernières années, l’historiographie eu-
ropéenne porte toujours un regard méprisant envers l’Empire
byzantin et l’Empire ottoman. Ces Empires orientaux qui do-
minaient jusqu’au XIX e siècle une partie de l’Europe,
n’étaient-ils pas, par leur nature même, fondés sur la violence
? Les révoltés des nationalismes balkaniques du XIXe siècle ont
saisi maintes occasions pour illustrer la cruauté ottomane : des
massacres de Chios à la répression de la révolte macédonien-
ne de Saint-Élie, le public européen disposait d’une informa-
tion abondante concernant les violences exercées sur ses
frères chrétiens orthodoxes.
Pourtant, ces frères, combien étaient innocents d’actes simi-
laires ? Les atrocités entre Serbes, Bulgares et Grecs décrites et
documentées dans le rapport de la Commission Carnegie sur
les guerres balkaniques(1) ne s’inscrivaient-elles pas dans la
plus pure tradition byzantine (avec les intrigues de palais et les
exploits d’un Basile II Bulgaroctone) ? Ces nouvelles sociétés
nationales des Balkans issues d’une tradition politique byzan-
tine que l’on résumait par le terme de “césaropapisme”,
étaient-elles (et sont elles) capables de s’organiser démocrati-
quement, de respecter les droits de l’homme ? Pour beaucoup,
le retrait du Grand Homme Malade des terres européennes a
■ ■ A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E
■
correspondu à peu de progrès réel : Byzance a simplement
remplacé le Grand Turc. Les stéréotypes issus de l’époque du
Schisme et préservés par la séparation de tant de siècles re-
viennent à la surface à chaque nouvelle explosion de violence
en Orient.
La perception d’une nature balkanique portée sur la violence
explique la connotation négative du terme “les Balkans”, nom
importé d’Europe(2).
Appréhender la signification de ce terme dans toute sa riches-
se permet d’illuminer les profondeurs de l’âme occidentale.
Certes les Balkans représentent pour l’Europe l’altérité. Il s’agit
pourtant d’une altérité proche, si proche qu’elle prend parfois
la forme de la partie sombre de soi-même. Les Balkans, c’est
le sauvage qui se cache derrière la récente civilisation, c’est le
subconscient refoulé que l’on projette sur son alter ego. Cette
proximité géographique et culturelle explique l’indignation
européenne pour des actes qui passent plus ou moins inaper-
çus quand ils se produisent un peu plus loin, par exemple en
Anatolie, la partie asiatique de l’ancien Empire ottoman. Il
s’agit aussi d’une revanche. Après des siècles pendant lesquels
l’homme occidental se sentait barbare face aux splendeurs de
l’Orient, il s’agit maintenant d’inverser les rôles.
Le débat sur la violence balkanique est donc loin de concer-
ner des réalités objectives. Les Balkaniques sont-ils plus vio-
lents que les autres Européens ? Difficile de répondre.
19
 ■ REGAR DS SUR LE S EUR OPE : UN E ANTHRO POLOG IE I MPL IQUÉE D AN S LES BALK ANS
Comment généraliser, comment comparer ? L’intensité de
quelques années de violence nazie compense-t-elle deux
siècles de violences orientales ? Qui oserait répondre à une
telle question ? Les explosions de violence sont liées à des
conjonctures historiques particulières dont la complexité rend
contestable toute systématisation. Ici il s’agit plutôt de la ques-
tion de la perception, des stéréotypes occidentaux, et de leur
rôle idéologique et politique. La vieille question de l'Orient et
de l'Occident redevient actuelle et divise l’Europe. La “théo-
rie” de Samuel HUNTINGTON(3) devient réalité. Perspicacité
du politologue nord-américain ou projet issu des think tanks
américains et adopté par les responsables d’une superpuissan-
ce qui ne peut pas constituer une exception à la règle impéria-
le de divide et impere ? Qui peut le dire ?
L’autre question importante concerne l’influence des images
sur la réalité. En projetant sur les peuples balkaniques des per-
ceptions qui ont souvent plus affaire à ses propres expériences
historiques qu’à la réalité du terrain, l’Europe occidentale
contribue à l’accentuation de la violence. Le miroir européen
des violences balkaniques fonctionne comme un amplifica-
teur. La récente crise kosovare l’a démontré encore une fois,
tout comme la crise bosniaque un peu plus tôt. Après ses
triomphes du XIXe et du XXe siècle, le prestige occidental est
tel que les Balkaniques d’hier et d’aujourd’hui cherchent à
être à la hauteur de l’image (positive ou négative) que se fait
d’eux l’Occident. Arnold TOYNBEE l’avait déjà remarqué en
1922 quand il écrivait :
“Les sauvages sont bouleversés par la disparition de la lu -
ne (...) Ils ne réalisent pas que l’ombre qui (...) efface tout
sauf un petit fragment du disque brillant est projeté par
leur propre monde. D’une manière similaire, nous,
peuples civilisés de l’Occident, nous regardons avec pitié
ou avec mépris nos contemporains non-occidentaux, cou -
chés sous l’ombre d’une puissance supérieure qui semble
20
paralyser leurs énergies en les privant de lumière. En géné -
ral, nous sommes beaucoup trop absorbés par nos affaires
pour regarder de plus près, et nous passons de l’autre côté
pensant (...) que l’ombre qui opprime ces formes mala -
dives est le fantôme de leur propre passé. Pourtant, si nous
nous arrêtions un peu pour examiner cette figure gigan -
tesque et sombre qui se dresse, apparemment inconscien -
te, et en tournant le dos à ses victimes, nous serions sur -
pris de constater que ses traits sont les nôtres.”(4)
Et l’Occident se prend au piège. Ses attitudes, ses réactions,
ses ingérences confirment l’efficacité de l’astuce balkanique. Il
ne s’agit pas d’une simple naïveté de la part européenne.
L’Europe a aussi besoin de cette relation malsaine, en cher-
chant les moyens pour donner libre cours à ses frustrations, à
ses angoisses, au vide moral qui est la contrepartie de son trop
plein matériel. Dans la relation entre Est et Ouest en Europe,
les Balkans jouent le rôle du bouc émissaire : expression exa-
gérée de l’orientalité européenne, par son sacrifice et en foca-
lisant toutes les hostilités anti-orientales, elle libère l’autre par-
tie de l’Europe orientale de son orientalité. La Pologne, la
Tchéquie, la Hongrie, même la Croatie peuvent plus facile-
ment entrer dans le club européen puisqu’il y a, un peu plus
loin, un peu plus au sud, la Serbie, la Bulgarie, ou l’Albanie.
En forçant le trait, en renforçant l’écart de ces pays par rapport
à la norme européenne, on rapproche les autres pays de l’an-
cienne Europe de l’Est à l’Europe. La diabolisation des Balkans
paraît donc comme un élément fonctionnel pour une certaine
idée de la construction européenne.
Pourtant, indépendamment des réflexions sur le double miroir
des relations, Europe/Balkans, comment nier l’endémisme des
conflits ethniques et nationaux dans les Balkans ? Même si
l’Europe occidentale fut coupable elle aussi de crimes terribles
pendant le XIXe et le XXe siècle (pour ne pas aller plus loin),
ce qui différencie le rôle de la violence dans les Balkans, c’est
A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A LP E S D ' A N T H R O P O L O G I E
■ ■ REGA RDS SUR LES EU ROPE : UN E ANT HROPOLOG IE IMPL IQUÉE DAN S LE S BAL KANS
pondent pas aux frontières ethniques (il
serait naïf de penser que les peuples na-
tionaux sont homogènes en Occident),
mais que ces frontières sont extrêmement
récentes et de ce fait fragiles. L’invention
de l’État-nation dans les Balkans remonte
au mieux à la fin du siècle dernier et l’on
sait que l’ensemble de cette région fut,
pendant la plus grande partie de son his-
toire, intégrée aux grands Empires (aus-
tro-hongrois, ottoman ou soviétique). Il
existe de ce fait un décalage énorme
entre l’Europe occidentale et l’Europe
orientale face au processus de démocrati-
sation et d’indépendance nationale.
Aussi, tandis que la première tente ac-
tuellement de dépasser l’âge de l’État-na-
tion pour construire une Europe fédérati-
ve, dans la seconde, les États essaient
d’imposer leur existence en tant que na-
tions autonomes après la chute de
l’Empire soviétique.
Par ailleurs, comme l’a souligné E. GELL-
NER, la formation de la nation moderne
passe nécessairement par un processus
de laïcisation et de démocratisation de la
société, libérée alors des doctrines abso-
lutistes. Là encore, l’expérience de ce
processus est plus longue en Europe occi-
dentale qu’en Europe orientale. Quant
aux droits des minorités dites ethniques,
il ne peuvent être reconnus que par un
système politique de type universaliste
qui laisse les différences s’exprimer et qui
reconnaît ces différences comme légi-
times et valables surtout si ce type de re-
vendications reste “marginal” c’est-à-dire
qu’il ne met pas en péril l’intégrité natio-
nale et la pérennité de la nation. Or, on
l’a dit, en Europe orientale, les frontières
nationales sont encore mal définies et la-
biles et les groupes culturels nombreux et
variés, si bien que la nation n’est toujours
pas, pour les individus, la référence ulti-
me. C’est bien là que se situe la spécifité
des Balkans : face aux modèles absolu-
tistes du pouvoir (impérial et communis-
■ ■ A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S
te), la société moderne s’est élaborée et
structurée sur des groupements fondés sur
des solidarités locales et communau-
taires. C’est ainsi que, actuellement, la
différence ethnique peut apparaître sur la
scène politique comme argument reven-
dicatif dans la mesure où des individus et
des groupes ont été ou sont discriminés
socialement sur la base de leur origine
ethnique supposée. Comme le souligne
Marco MARTINIELLO, “...lorsque les di -
visions ethniques et les divisions de
classes se superposent, il est probable
que les conflits de classe prendront la for -
me de conflits ethniques”(2).
L’ETHNIQUE ET LE POLITIQUE
L’un des principaux acquis des théories
de l’ethnicité est d’avoir montré que les
ethnicismes, les replis identitaires, les
“tribus” pour reprendre l’expression pré-
cédente, et plus largement les nationa-
lismes, ne sont pas des survivances d’un
passé pré-moderne mais bien la consé-
quence de la création des nations mo-
dernes, de la standardisation des modèles
et de la mondialisation des échanges.
Le danger est le “tout ethnique”, c’est-à-
dire le placement de la lutte sociale et
politique sur le plan des différences cul-
turelles. Dans le cas des Balkans, ce n’est
pas la diversité ethnique ou culturelle qui
provoque la déstabilisation car la crise est
avant tout politique, sociale et écono-
mique. Mais il est aisé d’utiliser cette spé-
cificité régionale -la très grande diversité
de populations- comme argument dans la
lutte politique. En général, on laisse ce ty-
pe d’argumentation aux extrémistes, aux
dictateurs, aux nations pauvres et peu dé-
veloppées économiquement. Ce qui est
frappant dans la guerre au Kosovo, c’est
que les nations occidentales ont récupéré
ce type d’arguments -arguments que
Slobodan MILOSEVIC manipule depuis
des années- à leur propre profit. C’est
bien, en théorie, pour le droit et pour la
défense des minorités ethniques qu’ont
D ' A N T H R O P O L O G I E
■
été élaborés les discours des alliés et que
l’offensive contre la Serbie a été lancée.
Sans entrer dans les réelles motivations
des Américains, on ne peut que constater
que même dans ce domaine, l’action de
l’OTAN a eu des conséquences totale-
ment inverses aux objectifs prétendument
recherchés puisqu’ont été créées des
conditions rendant impossible dans l’ave-
nir toute cohabitation entre les différents
groupes ethniques de cette région. Non
seulement en attisant des antagonismes
préexistants -comme c’est le cas au
Kosovo- mais également en prouvant à
toutes les autres populations des Balkans
que le conflit ethnique est une arme effi-
cace et légitime dans le domaine de la
gestion des relations internationales et de
la redéfinition des rapports de domina-
tion à l’âge de la mondialisation. Comme
le faisaient remarquer certains théoriciens
de l’ethnicité dans les années 70, l’ethni-
cité est devenue une catégorie sociale
aussi importante aujourd’hui que le fut à
son époque celle de classe sociale.
Le nouvel ordre mondial qui a commen-
cé à se mettre en place à travers la guerre
en Yougoslavie et qui construit sa justifi-
cation non plus sur des valeurs huma-
nistes mais sur une idéologie de l’huma-
nitaire, ne fait que prouver que l’argu-
ment ethnique est devenu un outil privi-
légié de la recomposition des rapports de
domination au niveau du “village glo-
bal”. Pour paraphraser MALRAUX, on
pourrait dire en fin de compte que le
XXIe siècle sera ethnique ou ne sera pas...
________
1) Ce texte est le résultat d’une double expérien-
ce : d’une part celle d’une recherche de plu-
sieurs années en Roumanie et dans les Balkans
qui a abouti à une thèse de Doctorat en anthro-
pologie consacrée à un groupe minoritaire (les
Mégléno-roumains), de l’autre celle de la guerre
en Serbie vue depuis la Roumanie où je me
trouvais de mars à mai 1999.
2) L’ethnicité dans les sciences sociales contem -
poraines, PUF, 1995, p. 116.
25
 ■ R EGARDS SUR LES EUR OPE : UN E ANT HRO POLOG IE IMPL IQUÉ E DAN S LES BALK ANS
ETHNICITÉ ET NATION
DANS LES BALKANS(1)
D o m i n i q u e B E L K I S
Anthropologue, C.R.E.A., Université Lumière Lyon 2
LA VISION OCCIDENTALE DES
BALKANS : “L’EUROPE DES TRIBUS”
La lente et violente décomposition de la
Yougoslavie à laquelle nous assistons de-
puis dix ans a fait (ré-)apparaître, dans les
discours médiatiques, le terme d’”Europe
des tribus” pour désigner cette région. Ce
qualificatif nous renseigne déjà beaucoup
sur les rapports distants qu’entretiennent
les deux parties de l’Europe. Cette formu-
le est en effet une invention des Occi-
dentaux pour exprimer des phénomènes
qu’ils ont bien du mal à comprendre. Le
modèle politique occidental, dans son as-
surance et sa suprématie, ne peut rendre
compte des autres modèles que par dé-
faut, c’est-à-dire que tout ce qui est exté-
rieur à lui-même ne peut être que, au
mieux inabouti, au pire mauvais. Ainsi,
on a trop souvent tendance à considérer
que l’Europe orientale, et plus symboli-
quement encore les Balkans, constituent
une zone marquée par des conflits de ty-
pe ethnique qui caractériseraient cette ré-
gion et le comportement des populations
qui l’habitent, et ceci de toute éternité de
manière inexpliquée et inexplicable. Ce
qui revient à considérer que le conflit
ethnique est inscrit dans une sorte de cul-
ture balkanique que l’on a bien du mal à
comprendre du côté occidental de
l’Europe. Ce type d’interprétation n’est
pas seulement une manière de simplifier
et de rendre accessible aux observateurs
étrangers une situation d’une complexité
extrême, c’est aussi une façon de ren-
voyer dans le passé, et par là à un niveau
24
de civilisation inférieur, cette partie de
l’Europe dont l’instabilité politique et so-
ciale serait révélatrice d’immaturité puis-
que les conflits ethniques sont considérés
comme des survivances d’un passé pré-
moderne. Or, faire une lecture de type
évolutionniste de la situation socio-poli-
tique de l’Europe orientale, c’est refuser à
ces jeunes nations le droit de participer à
la définition de l’Europe. Et l’enjeu est
tout autant politique qu’anthropologique :
il est indéniable que ces pays appartien-
nent à l’Europe, donc à l’idée, voire à
l’idéal, d’une grande Europe. Mais l’ima-
ge que renvoie aux Occidentaux cette
partie orientale d’eux-mêmes est insatis-
faisante car non-conforme à cet idéal. Le
miroir est déformant, il caricature notre
image, grossit nos traits comme si nous
n’avions pas encore atteint ce niveau de
raffinement caractéristique des grandes
cultures. C’est une image archétypale de
nous-mêmes qui nous met mal à l’aise
car nous savons bien qu’elle parle de
nous mais, il n’empêche, nous ne nous y
reconnaissons pas. Alors, si c’est bien de
nous qu’il s’agit, cela ne peut être que
d’un “nous” ancien, d’un “nous” d’avant
la modernité et la démocratie, d’une
époque où l’on ne réglait pas les diffé-
rends par la diplomatie (forme hautement
civilisée de négociation) mais par le
conflit et la guerre (formes primaires de
relation). C’est dans ce schème de pensée
que bien souvent on peut interpréter les
sentiments des Européens d’Occident fa-
ce à leurs voisins plus orientaux.
A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S
Les Balkans représentent le symbole de
l’organisation prétendument ancienne et
donc dépassée de l’Europe moderne, et
la Macédoine, l’âtre de ce passé dans le-
quel brûle un feu que l’on ne parvient
pas à éteindre. Mais cette version my-
thique est bien loin de rendre compte de
la réalité. Malgré une opinion courante
qui veut qu’une trop grande variété cultu-
relle aboutisse inévitablement à des rela-
tions violentes entre les groupes en pré-
sence, la diversité ethnique ne signifie
pas obligatoirement relations conflic-
tuelles entre les groupes. Croire que la di-
versité ethnique engendre nécessaire-
ment le conflit, c’est revenir à une défini-
tion essentialiste et primordialiste de
l’ethnie. Que la conflictualité s’exprime
ou soit interprétée en termes ethniques
ne doit pas empêcher de s’interroger sur
la dynamique conflictuelle elle-même,
laquelle ne s’épuise pas dans la seule dif-
férence culturelle. L’important est de
comprendre pourquoi et comment s’opè-
re à un moment donné le passage d’une
situation consensuelle ou de statu quo à
une situation conflictuelle. Dans le
contexte balkanique, il est vrai que le
conflit ethnique, ou du moins les antago-
nismes ethniques, ont souvent été utilisés
comme mode de régulation des relations
sociales. Mais cela ne signifie pas que la
différence ethnique est la source du
conflit, elle est plutôt l’instrument du
conflit dans la mesure où ce dernier a
justement pour fonction la redéfinition et
la différenciation des catégories sociales.
Il suffit pour s’en convaincre de relire
l’histoire de cette région pour voir que les
conflits ethniques émergent dans des mo-
ments de crise ou d’affaiblissement poli-
tique. Ce fut le cas lors du recul de
l’Empire ottoman comme à la chute de
l’Empire soviétique.
DES NATIONS ET DES MINORITÉS
La spécificité de l’Europe orientale par
rapport à l’Europe occidentale est non
pas que les frontières étatiques ne corres-
D ' A N T H R O P O L O G I E
■ ■ REGARDS SUR LES EU ROPE : UNE ANT HRO POLOG IE IMPLIQUÉE D ANS LES B AL KANS ■
la continuité : il s’agit des mêmes formes d’opposition, depuis violence balkanique dans son contexte historique, risque
le début du XIX e siècle jusqu’à aujourd’hui. N’est-il pas déses- pourtant de bousculer toute une série de convictions euro-
pérant qu’aucun progrès ne semble s’accomplir ? Le chauvi- péennes sur le rôle et l’influence des valeurs occidentales, de
nisme, le colonialisme, le racisme ou le nazisme européens mettre en cause leur statut de valeurs universelles. Si la mo-
ont cessé de provoquer des victimes, tandis que les nationa- dernisation politique de l’Orient est à l’origine de ces vagues
lismes balkaniques continuent. C’est comme si, selon la méta- de violence, peut-on affirmer que l’introduction des valeurs
phore chère à certains, les deux parties de l’Europe fonction- occidentales ait été “globalement” positive ? L’Europe risque
naient à des temps historiques décalés, comme si la montre aussi d’être privée de son bouc émissaire, de l’exutoire de ses
historique avait été figée dans les Balkans. peurs, de ses angoisses, de ses fantasmes historiques.
Cette image d’immobilisme est fausse. Dans les Balkans, le Connaissance douloureuse, donc connaissance à refouler.
progrès est réel, même si, dans ce cas, la connotation positive Ainsi fonctionne l’Europe d’aujourd’hui, l’Europe privée de ses
du terme de progrès est peu convenable. Ce qui avance, c’est CHURCHILL et de ses DE GAULLE : elle préfère, chaque fois
le processus de transformation d’un espace impérial, multicul- qu’elle le peut, cacher la tête dans le sable. Pourtant, de refou-
turel et à identités et territoires multiples, en une série de terri- lement en refoulement, l’Europe se porte de plus en plus mal.
toires organisés selon la logique stato-nationale. Il s’agit du Regarder la réalité en face, même une seule fois, serait un acte
processus d’occidentalisation de l’espace balkanique(5). Ce salutaire. Les Balkans, avec leurs crises passées, présentes et
processus est long parce que profond et douloureux. Ce sont futures, pourraient la forcer à le faire.
les progrès de cette occidentalisation qui génèrent de manière
systématique et systémique la violence. Le nettoyage eth-
nique, terme récent, correspond à une réalité qui existe depuis
l’introduction de l’idéal stato-national. Elle risque de continuer
jusqu’à l’épuisement de tout terrain propice à son application,
jusqu’à la disparition du dernier territoire de coexistence mul-
tiethnique. Ce diagnostic pessimiste comporte aussi une re-
commandation qui peut paraître cynique : mieux vaut organi-
ser le divorce à l’amiable, à la manière de l’échange des po-
pulations entre la Grèce et la Turquie après 1922, que d’assis-
ter à d’inéluctables déchirements violents et prolongés, com-
me à Chypre, en Bosnie ou au Kosovo, qui conduisent au mê-
me résultat mais de manière beaucoup plus douloureuse.
Comprendre et assumer ces réalités, replacer la question de la
________
1 ) Carnegie Endowment for International Peace, Report of the International Commission to inquire into the Causes and Conduct of the Balkan Wars, Washington, 1914.
2 ) Le nom de la région balkanique était la Roumélie, terre des Roums, c’est à dire des sujets chrétiens de l’Empire ottoman.
3 ) Voir : Samuel HUNTINGTON, “The clash of civilizations”, Foreign Affairs, vol. 27, n° 3, été 1993, et Samuel HUNTINGTON, Le choc des civilisations, Paris, 1997.
4 ) Amold TOYNBEE, The Western Question in Greece and Turkey, Londres, 1999, p. l. : Traduction de l’auteur.
5 ) Voir G. PRÉVÉLAKIS, Les Balkans, cultures et géopolitique, Nathan, Paris, 1994.
■ ■ A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E
21
 ■ R EGARDS SUR LES EUR OPE : UN E ANT HRO POLOG IE IMPL IQUÉ E DAN S LES BALK ANS ■ ■ REGARDS SUR LES EU ROPE : UNE ANT HRO POLOG IE IMPLIQUÉE D ANS LES B AL KANS ■

KOSOVO...

... LA POUDRIÈRE
22 A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E ■ ■ A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E
23
 ■ R EGARDS SUR LES EUR OPE : UN E ANT HRO POLOG IE IMPL IQUÉ E DAN S LES BALK ANS ■ ■ REGARDS SUR LES EU ROPE : UNE ANT HRO POLOG IE IMPLIQUÉE D ANS LES B AL KANS ■

KOSOVO...

... LA POUDRIÈRE
22 A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E ■ ■ A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E
23
 ■ R EGARDS SUR LES EUR OPE : UN E ANT HRO POLOG IE IMPL IQUÉ E DAN S LES BALK ANS
ETHNICITÉ ET NATION
DANS LES BALKANS(1)
D o m i n i q u e B E L K I S
Anthropologue, C.R.E.A., Université Lumière Lyon 2
LA VISION OCCIDENTALE DES
BALKANS : “L’EUROPE DES TRIBUS”
La lente et violente décomposition de la
Yougoslavie à laquelle nous assistons de-
puis dix ans a fait (ré-)apparaître, dans les
discours médiatiques, le terme d’”Europe
des tribus” pour désigner cette région. Ce
qualificatif nous renseigne déjà beaucoup
sur les rapports distants qu’entretiennent
les deux parties de l’Europe. Cette formu-
le est en effet une invention des Occi-
dentaux pour exprimer des phénomènes
qu’ils ont bien du mal à comprendre. Le
modèle politique occidental, dans son as-
surance et sa suprématie, ne peut rendre
compte des autres modèles que par dé-
faut, c’est-à-dire que tout ce qui est exté-
rieur à lui-même ne peut être que, au
mieux inabouti, au pire mauvais. Ainsi,
on a trop souvent tendance à considérer
que l’Europe orientale, et plus symboli-
quement encore les Balkans, constituent
une zone marquée par des conflits de ty-
pe ethnique qui caractériseraient cette ré-
gion et le comportement des populations
qui l’habitent, et ceci de toute éternité de
manière inexpliquée et inexplicable. Ce
qui revient à considérer que le conflit
ethnique est inscrit dans une sorte de cul-
ture balkanique que l’on a bien du mal à
comprendre du côté occidental de
l’Europe. Ce type d’interprétation n’est
pas seulement une manière de simplifier
et de rendre accessible aux observateurs
étrangers une situation d’une complexité
extrême, c’est aussi une façon de ren-
voyer dans le passé, et par là à un niveau
24
de civilisation inférieur, cette partie de
l’Europe dont l’instabilité politique et so-
ciale serait révélatrice d’immaturité puis-
que les conflits ethniques sont considérés
comme des survivances d’un passé pré-
moderne. Or, faire une lecture de type
évolutionniste de la situation socio-poli-
tique de l’Europe orientale, c’est refuser à
ces jeunes nations le droit de participer à
la définition de l’Europe. Et l’enjeu est
tout autant politique qu’anthropologique :
il est indéniable que ces pays appartien-
nent à l’Europe, donc à l’idée, voire à
l’idéal, d’une grande Europe. Mais l’ima-
ge que renvoie aux Occidentaux cette
partie orientale d’eux-mêmes est insatis-
faisante car non-conforme à cet idéal. Le
miroir est déformant, il caricature notre
image, grossit nos traits comme si nous
n’avions pas encore atteint ce niveau de
raffinement caractéristique des grandes
cultures. C’est une image archétypale de
nous-mêmes qui nous met mal à l’aise
car nous savons bien qu’elle parle de
nous mais, il n’empêche, nous ne nous y
reconnaissons pas. Alors, si c’est bien de
nous qu’il s’agit, cela ne peut être que
d’un “nous” ancien, d’un “nous” d’avant
la modernité et la démocratie, d’une
époque où l’on ne réglait pas les diffé-
rends par la diplomatie (forme hautement
civilisée de négociation) mais par le
conflit et la guerre (formes primaires de
relation). C’est dans ce schème de pensée
que bien souvent on peut interpréter les
sentiments des Européens d’Occident fa-
ce à leurs voisins plus orientaux.
A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S
Les Balkans représentent le symbole de
l’organisation prétendument ancienne et
donc dépassée de l’Europe moderne, et
la Macédoine, l’âtre de ce passé dans le-
quel brûle un feu que l’on ne parvient
pas à éteindre. Mais cette version my-
thique est bien loin de rendre compte de
la réalité. Malgré une opinion courante
qui veut qu’une trop grande variété cultu-
relle aboutisse inévitablement à des rela-
tions violentes entre les groupes en pré-
sence, la diversité ethnique ne signifie
pas obligatoirement relations conflic-
tuelles entre les groupes. Croire que la di-
versité ethnique engendre nécessaire-
ment le conflit, c’est revenir à une défini-
tion essentialiste et primordialiste de
l’ethnie. Que la conflictualité s’exprime
ou soit interprétée en termes ethniques
ne doit pas empêcher de s’interroger sur
la dynamique conflictuelle elle-même,
laquelle ne s’épuise pas dans la seule dif-
férence culturelle. L’important est de
comprendre pourquoi et comment s’opè-
re à un moment donné le passage d’une
situation consensuelle ou de statu quo à
une situation conflictuelle. Dans le
contexte balkanique, il est vrai que le
conflit ethnique, ou du moins les antago-
nismes ethniques, ont souvent été utilisés
comme mode de régulation des relations
sociales. Mais cela ne signifie pas que la
différence ethnique est la source du
conflit, elle est plutôt l’instrument du
conflit dans la mesure où ce dernier a
justement pour fonction la redéfinition et
la différenciation des catégories sociales.
Il suffit pour s’en convaincre de relire
l’histoire de cette région pour voir que les
conflits ethniques émergent dans des mo-
ments de crise ou d’affaiblissement poli-
tique. Ce fut le cas lors du recul de
l’Empire ottoman comme à la chute de
l’Empire soviétique.
DES NATIONS ET DES MINORITÉS
La spécificité de l’Europe orientale par
rapport à l’Europe occidentale est non
pas que les frontières étatiques ne corres-
D ' A N T H R O P O L O G I E
■ ■ REGARDS SUR LES EU ROPE : UNE ANT HRO POLOG IE IMPLIQUÉE D ANS LES B AL KANS ■
la continuité : il s’agit des mêmes formes d’opposition, depuis violence balkanique dans son contexte historique, risque
le début du XIX e siècle jusqu’à aujourd’hui. N’est-il pas déses- pourtant de bousculer toute une série de convictions euro-
pérant qu’aucun progrès ne semble s’accomplir ? Le chauvi- péennes sur le rôle et l’influence des valeurs occidentales, de
nisme, le colonialisme, le racisme ou le nazisme européens mettre en cause leur statut de valeurs universelles. Si la mo-
ont cessé de provoquer des victimes, tandis que les nationa- dernisation politique de l’Orient est à l’origine de ces vagues
lismes balkaniques continuent. C’est comme si, selon la méta- de violence, peut-on affirmer que l’introduction des valeurs
phore chère à certains, les deux parties de l’Europe fonction- occidentales ait été “globalement” positive ? L’Europe risque
naient à des temps historiques décalés, comme si la montre aussi d’être privée de son bouc émissaire, de l’exutoire de ses
historique avait été figée dans les Balkans. peurs, de ses angoisses, de ses fantasmes historiques.
Cette image d’immobilisme est fausse. Dans les Balkans, le Connaissance douloureuse, donc connaissance à refouler.
progrès est réel, même si, dans ce cas, la connotation positive Ainsi fonctionne l’Europe d’aujourd’hui, l’Europe privée de ses
du terme de progrès est peu convenable. Ce qui avance, c’est CHURCHILL et de ses DE GAULLE : elle préfère, chaque fois
le processus de transformation d’un espace impérial, multicul- qu’elle le peut, cacher la tête dans le sable. Pourtant, de refou-
turel et à identités et territoires multiples, en une série de terri- lement en refoulement, l’Europe se porte de plus en plus mal.
toires organisés selon la logique stato-nationale. Il s’agit du Regarder la réalité en face, même une seule fois, serait un acte
processus d’occidentalisation de l’espace balkanique(5). Ce salutaire. Les Balkans, avec leurs crises passées, présentes et
processus est long parce que profond et douloureux. Ce sont futures, pourraient la forcer à le faire.
les progrès de cette occidentalisation qui génèrent de manière
systématique et systémique la violence. Le nettoyage eth-
nique, terme récent, correspond à une réalité qui existe depuis
l’introduction de l’idéal stato-national. Elle risque de continuer
jusqu’à l’épuisement de tout terrain propice à son application,
jusqu’à la disparition du dernier territoire de coexistence mul-
tiethnique. Ce diagnostic pessimiste comporte aussi une re-
commandation qui peut paraître cynique : mieux vaut organi-
ser le divorce à l’amiable, à la manière de l’échange des po-
pulations entre la Grèce et la Turquie après 1922, que d’assis-
ter à d’inéluctables déchirements violents et prolongés, com-
me à Chypre, en Bosnie ou au Kosovo, qui conduisent au mê-
me résultat mais de manière beaucoup plus douloureuse.
Comprendre et assumer ces réalités, replacer la question de la
________
1 ) Carnegie Endowment for International Peace, Report of the International Commission to inquire into the Causes and Conduct of the Balkan Wars, Washington, 1914.
2 ) Le nom de la région balkanique était la Roumélie, terre des Roums, c’est à dire des sujets chrétiens de l’Empire ottoman.
3 ) Voir : Samuel HUNTINGTON, “The clash of civilizations”, Foreign Affairs, vol. 27, n° 3, été 1993, et Samuel HUNTINGTON, Le choc des civilisations, Paris, 1997.
4 ) Amold TOYNBEE, The Western Question in Greece and Turkey, Londres, 1999, p. l. : Traduction de l’auteur.
5 ) Voir G. PRÉVÉLAKIS, Les Balkans, cultures et géopolitique, Nathan, Paris, 1994.
■ ■ A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E
21
 ■ REGAR DS SUR LE S EUR OPE : UN E ANTHRO POLOG IE I MPL IQUÉE D AN S LES BALK ANS
Comment généraliser, comment comparer ? L’intensité de
quelques années de violence nazie compense-t-elle deux
siècles de violences orientales ? Qui oserait répondre à une
telle question ? Les explosions de violence sont liées à des
conjonctures historiques particulières dont la complexité rend
contestable toute systématisation. Ici il s’agit plutôt de la ques-
tion de la perception, des stéréotypes occidentaux, et de leur
rôle idéologique et politique. La vieille question de l'Orient et
de l'Occident redevient actuelle et divise l’Europe. La “théo-
rie” de Samuel HUNTINGTON(3) devient réalité. Perspicacité
du politologue nord-américain ou projet issu des think tanks
américains et adopté par les responsables d’une superpuissan-
ce qui ne peut pas constituer une exception à la règle impéria-
le de divide et impere ? Qui peut le dire ?
L’autre question importante concerne l’influence des images
sur la réalité. En projetant sur les peuples balkaniques des per-
ceptions qui ont souvent plus affaire à ses propres expériences
historiques qu’à la réalité du terrain, l’Europe occidentale
contribue à l’accentuation de la violence. Le miroir européen
des violences balkaniques fonctionne comme un amplifica-
teur. La récente crise kosovare l’a démontré encore une fois,
tout comme la crise bosniaque un peu plus tôt. Après ses
triomphes du XIXe et du XXe siècle, le prestige occidental est
tel que les Balkaniques d’hier et d’aujourd’hui cherchent à
être à la hauteur de l’image (positive ou négative) que se fait
d’eux l’Occident. Arnold TOYNBEE l’avait déjà remarqué en
1922 quand il écrivait :
“Les sauvages sont bouleversés par la disparition de la lu -
ne (...) Ils ne réalisent pas que l’ombre qui (...) efface tout
sauf un petit fragment du disque brillant est projeté par
leur propre monde. D’une manière similaire, nous,
peuples civilisés de l’Occident, nous regardons avec pitié
ou avec mépris nos contemporains non-occidentaux, cou -
chés sous l’ombre d’une puissance supérieure qui semble
20
paralyser leurs énergies en les privant de lumière. En géné -
ral, nous sommes beaucoup trop absorbés par nos affaires
pour regarder de plus près, et nous passons de l’autre côté
pensant (...) que l’ombre qui opprime ces formes mala -
dives est le fantôme de leur propre passé. Pourtant, si nous
nous arrêtions un peu pour examiner cette figure gigan -
tesque et sombre qui se dresse, apparemment inconscien -
te, et en tournant le dos à ses victimes, nous serions sur -
pris de constater que ses traits sont les nôtres.”(4)
Et l’Occident se prend au piège. Ses attitudes, ses réactions,
ses ingérences confirment l’efficacité de l’astuce balkanique. Il
ne s’agit pas d’une simple naïveté de la part européenne.
L’Europe a aussi besoin de cette relation malsaine, en cher-
chant les moyens pour donner libre cours à ses frustrations, à
ses angoisses, au vide moral qui est la contrepartie de son trop
plein matériel. Dans la relation entre Est et Ouest en Europe,
les Balkans jouent le rôle du bouc émissaire : expression exa-
gérée de l’orientalité européenne, par son sacrifice et en foca-
lisant toutes les hostilités anti-orientales, elle libère l’autre par-
tie de l’Europe orientale de son orientalité. La Pologne, la
Tchéquie, la Hongrie, même la Croatie peuvent plus facile-
ment entrer dans le club européen puisqu’il y a, un peu plus
loin, un peu plus au sud, la Serbie, la Bulgarie, ou l’Albanie.
En forçant le trait, en renforçant l’écart de ces pays par rapport
à la norme européenne, on rapproche les autres pays de l’an-
cienne Europe de l’Est à l’Europe. La diabolisation des Balkans
paraît donc comme un élément fonctionnel pour une certaine
idée de la construction européenne.
Pourtant, indépendamment des réflexions sur le double miroir
des relations, Europe/Balkans, comment nier l’endémisme des
conflits ethniques et nationaux dans les Balkans ? Même si
l’Europe occidentale fut coupable elle aussi de crimes terribles
pendant le XIXe et le XXe siècle (pour ne pas aller plus loin),
ce qui différencie le rôle de la violence dans les Balkans, c’est
A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A LP E S D ' A N T H R O P O L O G I E
■ ■ REGA RDS SUR LES EU ROPE : UN E ANT HROPOLOG IE IMPL IQUÉE DAN S LE S BAL KANS
pondent pas aux frontières ethniques (il
serait naïf de penser que les peuples na-
tionaux sont homogènes en Occident),
mais que ces frontières sont extrêmement
récentes et de ce fait fragiles. L’invention
de l’État-nation dans les Balkans remonte
au mieux à la fin du siècle dernier et l’on
sait que l’ensemble de cette région fut,
pendant la plus grande partie de son his-
toire, intégrée aux grands Empires (aus-
tro-hongrois, ottoman ou soviétique). Il
existe de ce fait un décalage énorme
entre l’Europe occidentale et l’Europe
orientale face au processus de démocrati-
sation et d’indépendance nationale.
Aussi, tandis que la première tente ac-
tuellement de dépasser l’âge de l’État-na-
tion pour construire une Europe fédérati-
ve, dans la seconde, les États essaient
d’imposer leur existence en tant que na-
tions autonomes après la chute de
l’Empire soviétique.
Par ailleurs, comme l’a souligné E. GELL-
NER, la formation de la nation moderne
passe nécessairement par un processus
de laïcisation et de démocratisation de la
société, libérée alors des doctrines abso-
lutistes. Là encore, l’expérience de ce
processus est plus longue en Europe occi-
dentale qu’en Europe orientale. Quant
aux droits des minorités dites ethniques,
il ne peuvent être reconnus que par un
système politique de type universaliste
qui laisse les différences s’exprimer et qui
reconnaît ces différences comme légi-
times et valables surtout si ce type de re-
vendications reste “marginal” c’est-à-dire
qu’il ne met pas en péril l’intégrité natio-
nale et la pérennité de la nation. Or, on
l’a dit, en Europe orientale, les frontières
nationales sont encore mal définies et la-
biles et les groupes culturels nombreux et
variés, si bien que la nation n’est toujours
pas, pour les individus, la référence ulti-
me. C’est bien là que se situe la spécifité
des Balkans : face aux modèles absolu-
tistes du pouvoir (impérial et communis-
■ ■ A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S
te), la société moderne s’est élaborée et
structurée sur des groupements fondés sur
des solidarités locales et communau-
taires. C’est ainsi que, actuellement, la
différence ethnique peut apparaître sur la
scène politique comme argument reven-
dicatif dans la mesure où des individus et
des groupes ont été ou sont discriminés
socialement sur la base de leur origine
ethnique supposée. Comme le souligne
Marco MARTINIELLO, “...lorsque les di -
visions ethniques et les divisions de
classes se superposent, il est probable
que les conflits de classe prendront la for -
me de conflits ethniques”(2).
L’ETHNIQUE ET LE POLITIQUE
L’un des principaux acquis des théories
de l’ethnicité est d’avoir montré que les
ethnicismes, les replis identitaires, les
“tribus” pour reprendre l’expression pré-
cédente, et plus largement les nationa-
lismes, ne sont pas des survivances d’un
passé pré-moderne mais bien la consé-
quence de la création des nations mo-
dernes, de la standardisation des modèles
et de la mondialisation des échanges.
Le danger est le “tout ethnique”, c’est-à-
dire le placement de la lutte sociale et
politique sur le plan des différences cul-
turelles. Dans le cas des Balkans, ce n’est
pas la diversité ethnique ou culturelle qui
provoque la déstabilisation car la crise est
avant tout politique, sociale et écono-
mique. Mais il est aisé d’utiliser cette spé-
cificité régionale -la très grande diversité
de populations- comme argument dans la
lutte politique. En général, on laisse ce ty-
pe d’argumentation aux extrémistes, aux
dictateurs, aux nations pauvres et peu dé-
veloppées économiquement. Ce qui est
frappant dans la guerre au Kosovo, c’est
que les nations occidentales ont récupéré
ce type d’arguments -arguments que
Slobodan MILOSEVIC manipule depuis
des années- à leur propre profit. C’est
bien, en théorie, pour le droit et pour la
défense des minorités ethniques qu’ont
D ' A N T H R O P O L O G I E
■
été élaborés les discours des alliés et que
l’offensive contre la Serbie a été lancée.
Sans entrer dans les réelles motivations
des Américains, on ne peut que constater
que même dans ce domaine, l’action de
l’OTAN a eu des conséquences totale-
ment inverses aux objectifs prétendument
recherchés puisqu’ont été créées des
conditions rendant impossible dans l’ave-
nir toute cohabitation entre les différents
groupes ethniques de cette région. Non
seulement en attisant des antagonismes
préexistants -comme c’est le cas au
Kosovo- mais également en prouvant à
toutes les autres populations des Balkans
que le conflit ethnique est une arme effi-
cace et légitime dans le domaine de la
gestion des relations internationales et de
la redéfinition des rapports de domina-
tion à l’âge de la mondialisation. Comme
le faisaient remarquer certains théoriciens
de l’ethnicité dans les années 70, l’ethni-
cité est devenue une catégorie sociale
aussi importante aujourd’hui que le fut à
son époque celle de classe sociale.
Le nouvel ordre mondial qui a commen-
cé à se mettre en place à travers la guerre
en Yougoslavie et qui construit sa justifi-
cation non plus sur des valeurs huma-
nistes mais sur une idéologie de l’huma-
nitaire, ne fait que prouver que l’argu-
ment ethnique est devenu un outil privi-
légié de la recomposition des rapports de
domination au niveau du “village glo-
bal”. Pour paraphraser MALRAUX, on
pourrait dire en fin de compte que le
XXIe siècle sera ethnique ou ne sera pas...
________
1) Ce texte est le résultat d’une double expérien-
ce : d’une part celle d’une recherche de plu-
sieurs années en Roumanie et dans les Balkans
qui a abouti à une thèse de Doctorat en anthro-
pologie consacrée à un groupe minoritaire (les
Mégléno-roumains), de l’autre celle de la guerre
en Serbie vue depuis la Roumanie où je me
trouvais de mars à mai 1999.
2) L’ethnicité dans les sciences sociales contem -
poraines, PUF, 1995, p. 116.
25
 ■ R EGARDS SUR LES EUR OPE : UN E ANT HROPOLOG IE IMPL IQUÉE DAN S LE S BALK ANS
RETOUR SUR LE BON VOISINAGE
X a v i e r B O U G A R E L
Chercheur CNRS-GREMMO
D ’avril 1992 à décembre 1995, le conflit qui a déchiré la
Bosnie-Herzégovine s’est accompagné de violences mul-
tiples, d’expulsions massives et de massacres qui ont par-
fois pris, comme lors de la conquête de l’enclave de
Srebrenica par les forces serbes en juillet 1995, les dimensions
d’un crime génocidaire. Ces violences ont alors été perçues,
par de nombreux observateurs, comme une rupture avec la
“tolérance séculaire” caractérisant jusqu’alors la société bos-
niaque, et remontant à l’époque ottomane. Aujourd’hui, alors
que le retour des réfugiés reste toujours un objectif lointain, il
apparaît utile de revenir sur la question de la coexistence in-
tercommunautaire en Bosnie-Herzégovine, sur ses méca-
nismes traditionnels, ses crises actuelles, et ses chances de re-
nouveau.
LA TOLÉRANCE BOSNIAQUE :
LA RÉALITÉ ET LE MYTHE
Il est tout à fait justifié de parler, à propos de la Bosnie-
Herzégovine, d’une longue tradition de coexistence intercom-
munautaire : la présence sur le même territoire de trois com-
munautés principales (Musulmans, Serbes et Croates), et de
nombreuses minorités religieuses et linguistiques, et plus en-
core l’imbrication spatiale de ces populations, tant en ville
(mixité de la plupart des quartiers) qu’à la campagne (réparti-
tion des villages en “peau de léopard”), n’auraient pu être pré-
servées jusqu’à récemment sans l’existence d’un certain
nombre de dispositifs et de pratiques assurant cette coexi-
stence.
26
Mais, pour bien comprendre les formes et les dynamiques de
cette réalité centrale de la société bosniaque, il convient d’in-
sister sur son ambiguïté et sa fragilité constitutives. La coexis-
tence pacifique des communautés dans la vie quotidienne, en
effet, s’est toujours doublée d’une vive concurrence autour de
l’allocation de ressources rares telles que la terre ou les fonc-
tions administratives. Dans des contextes de crise ou de re-
composition (géo-) politique, ces rivalités ont débouché sur
des affrontements ouverts, comme le rappellent les violences
intercommunautaires qui ont accompagné la crise bosniaque
de 1875-1878, la première et -surtout- la seconde guerre mon-
diale.
Dès lors, au même titre que l’idée de haines ancestrales et in-
dépassables, celle d’une tolérance séculaire, immuable et im-
perturbable, relève d’une conception mythique de la société
bosniaque. Ce mythe de la tolérance bosniaque, qui trouve
son origine dans les discours titistes sur “l’unité et la fraternité”
des peuples yougoslaves, et dans les dépliants touristiques pu-
bliés lors des Jeux Olympiques de 1984, n’a pris toute sa force
et n’a véritablement franchi les frontières qu’après l’éclate-
ment du conflit en avril 1992, comme l’atteste la propagation
du cliché sur Sarajevo comme “nouvelle Jérusalem”, au centre
de laquelle cohabitent “depuis des siècles et à moins d’un ki-
lomètre de distance” mosquée, église orthodoxe, cathédrale
catholique, et synagogue.
Intemporalité, équidistance factice, valorisation d’une com-
munauté juive dont la faiblesse numérique est compensée par
A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E
■ ■ RE GA RDS S UR LES EU ROPE : UNE ANT HRO POLOGI E IMPL IQUÉE D AN S LES B AL KANS
LE RÔLE DE LA VIOLENCE
DANS LA QUESTION BALKANIQUE
G e o r g e s P R É V É L A K I S
Géographe, Université de Paris-Sorbonne, Université de Boston
P
armi les différentes définitions possibles des Balkans, rete-
nons celle selon laquelle il s’agit de la partie de l’Europe
qui a vécu l’expérience historique byzantine et ottomane.
Malgré les progrès des dernières années, l’historiographie eu-
ropéenne porte toujours un regard méprisant envers l’Empire
byzantin et l’Empire ottoman. Ces Empires orientaux qui do-
minaient jusqu’au XIX e siècle une partie de l’Europe,
n’étaient-ils pas, par leur nature même, fondés sur la violence
? Les révoltés des nationalismes balkaniques du XIXe siècle ont
saisi maintes occasions pour illustrer la cruauté ottomane : des
massacres de Chios à la répression de la révolte macédonien-
ne de Saint-Élie, le public européen disposait d’une informa-
tion abondante concernant les violences exercées sur ses
frères chrétiens orthodoxes.
Pourtant, ces frères, combien étaient innocents d’actes simi-
laires ? Les atrocités entre Serbes, Bulgares et Grecs décrites et
documentées dans le rapport de la Commission Carnegie sur
les guerres balkaniques(1) ne s’inscrivaient-elles pas dans la
plus pure tradition byzantine (avec les intrigues de palais et les
exploits d’un Basile II Bulgaroctone) ? Ces nouvelles sociétés
nationales des Balkans issues d’une tradition politique byzan-
tine que l’on résumait par le terme de “césaropapisme”,
étaient-elles (et sont elles) capables de s’organiser démocrati-
quement, de respecter les droits de l’homme ? Pour beaucoup,
le retrait du Grand Homme Malade des terres européennes a
■ ■ A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E
■
correspondu à peu de progrès réel : Byzance a simplement
remplacé le Grand Turc. Les stéréotypes issus de l’époque du
Schisme et préservés par la séparation de tant de siècles re-
viennent à la surface à chaque nouvelle explosion de violence
en Orient.
La perception d’une nature balkanique portée sur la violence
explique la connotation négative du terme “les Balkans”, nom
importé d’Europe(2).
Appréhender la signification de ce terme dans toute sa riches-
se permet d’illuminer les profondeurs de l’âme occidentale.
Certes les Balkans représentent pour l’Europe l’altérité. Il s’agit
pourtant d’une altérité proche, si proche qu’elle prend parfois
la forme de la partie sombre de soi-même. Les Balkans, c’est
le sauvage qui se cache derrière la récente civilisation, c’est le
subconscient refoulé que l’on projette sur son alter ego. Cette
proximité géographique et culturelle explique l’indignation
européenne pour des actes qui passent plus ou moins inaper-
çus quand ils se produisent un peu plus loin, par exemple en
Anatolie, la partie asiatique de l’ancien Empire ottoman. Il
s’agit aussi d’une revanche. Après des siècles pendant lesquels
l’homme occidental se sentait barbare face aux splendeurs de
l’Orient, il s’agit maintenant d’inverser les rôles.
Le débat sur la violence balkanique est donc loin de concer-
ner des réalités objectives. Les Balkaniques sont-ils plus vio-
lents que les autres Européens ? Difficile de répondre.
19
 ■ R EGARDS SUR LES EUR OPE : UN E ANT HROPOLOG IE IMPL IQUÉE D AN S LE S BALK ANS ■ ■ RE GA RDS SUR LE S EUROPE : UNE ANTHRO POLOGIE IMPL IQUÉE D AN S LES B AL KANS ■

d’une manière générale, la "question et sources éventuelles de conflits(17). La avec la "Guerre du Golfe" (pratiquement son importance symbolique qu’implicites- de réciproci-
identitaire" en problème. Le couple seconde attitude fait de ce même voisin simultanée à la chute du Mur de Berlin). : tels sont bien les traits té et de respect des fron-
hospes/hostis (hôte et/ou ennemi) qui gé- un Hospès (et donc, également, un Hostis Pour ce qui est des murs, celui de Berlin principaux du mythe de la tières communautaires, le
rait traditionnellement les relations de potentiel, mais potentiel seulement), et a certes été détruit ; mais une autre bar- tolérance bosniaque, desti- komiluk est moins le signe
voisinage perd cette capacité adaptative conçoit la frontière comme un espace de rière s’est dressée entre Est et Ouest, éri- né à effacer les aléas et les d’une tolérance séculaire
qui permettait de trouver les voies de la contact, de rencontre, de syncrétisme, geant la disparité des mentalités en obs- asymétries -en un mot : qu’une réassurance chaque
"convivialité" ou l’art de "vivre en- dans lequel l’entre-deux n’est pas un no tacle au dialogue, mais pas à la destruc- l’historicité- des rapports jour renouvelée du carac-
semble".(16) man’s land mais peut, au contraire, se tion sans réserve d’un capitalisme sauva- intercommunautaires en tère pacifique des relations
On ne peut s’empêcher de voir dans le confondre avec des lieux de négoce (les ge qui a su profiter du vide institutionnel Bosnie-Herzégovine. Or, intercommunautaires. De
livre de HUNTINGTON, outre cette pen- marchés) et de négociation (diploma- laissé par l’effondrement des régimes to- comme l’a si bien dit Ivo là sa fragilité et sa réversi-
sée dominante et schématique qui peut tiques). Schématiquement, la première talitaires. Et pour ce qui est des ponts, ce- ANDRI, même si les mina- bilité, le bon voisinage
se permettre de parler de l’Autre sans conception permet de rendre compte lui de Mostar qui reliait les communautés rets et les clochers s’inscri- pouvant, en période de cri-
avoir pris la peine de le connaître, un dis- d’une certaine dimension de l’État- chrétiennes (croates) et musulmanes n’est vent dans le même espace, se, ne pas résister aux spi-
cours mû par la peur, celle qui fait im- nation : ses frontières garantissent la "sou- plus que ruines, à l’image de ce que fu- la voix du muezzin et le ca- rales de la peur et de la
manquablement du voisin un hostis, un veraineté nationale" dont le non respect rent ces relations de voisinage où l’Autre rillon des cloches ne se font violence, et basculer fina-
phénomène qui n’est certes pas nouveau peut entraîner des sanctions allant jus- n’était pas réduit à sa condition de hostis, jamais entendre en même lement dans le crime inti-
mais qui resurgit aujourd’hui pour renou- qu’à la déclaration de guerre. Tandis que mais possédait encore cette ambivalence temps(1). me.
veler d’anciennes relations d’hostilité ; en la seconde conception apparaît dans sa qui lui permettait, tout en étant dans l’al- Le défaut principal de ce Les mythes ayant la peau
effet, cette argumentation de HUNTING- fluidité, plus proche des relations mul- térité, d’être aussi traité comme hospès : mythe, toutefois, n’est pas dure, le komiluk a à son
TON et de ses disciples en faveur d’une tiethniques et multiculturelles qui étaient une règle de "savoir-vivre" que toute so- qu’il gomme l’historicité de tour été mal compris, et
telle coupure radicale entre deux caractéristiques de l’histoire millénaire de ciété traditionnelle a toujours considéré la société bosniaque, ni paré des vertus attribuées
mondes, revient somme toute à réactuali- la "Région intermédiaire" (ce qui n’en ex- comme étant le propre de l’Homme "civi- même que, indirectement, auparavant à la “tolérance
ser sans autre perspective critique, un clut pas pour autant les conflits, mais leur lisé" ! il finisse par réifier les iden- séculaire” bosniaque. Dans
conflit religieux qui a organisé le monde gestion ne se pose pas en termes d’irré- tités communautaires en ce contexte, il importe aus-
il y a un millénaire ! ductibilité). Face à cette alternative, que même temps que les rap- si de dire ce que n’est pas
DES MURS POUR SÉPARER nous indique les attitudes adoptées par le ports intercommunautaires. le komiluk. Tout d’abord, il
ET DES PONTS POUR RELIER monde politique d’aujourd’hui ? Au mo- Plus grave est sans doute le n’est pas un phénomène
On pourrait résumer les deux attitudes ment où l’on voit "se faire l’Europe" à tra- paradoxe suivant : dans un exclusivement urbain,
possibles face à la gestion des limites/ vers la mise en place de nouveaux es- contexte d’affrontement contrairement à ce que
frontières entre voisins à l’aide de deux paces unifiés tels que "l’Espace Schen- entre communautés, ce qui s’imaginent certains au-
images en tête-bêche dont l’actualité gen" ou celui de l’Euro, le reste du conti- est présenté comme un teurs (3) . A la limite, c’est
nous a fourni maintes images : ou bien nent frappe à la porte et se voit imposer symbole de paix n’est en plutôt l’inverse qui serait
on construit des murs et on détruit les des conditions de conformité, souvent réalité rien d’autre qu’une vrai : les pratiques de bon
ponts ; ou bien on construit des ponts et aberrantes pour son développement, afin arme de guerre. Tout en se voisinage se retrouvent
on détruit les murs. La première attitude d’être simplement candidat à "entrer dans faisant les promoteurs de ce dans les villages comme
fait de notre voisin un Hostis dont il faut l’Europe", (selon l’expression utilisée à mythe, en effet, les dirigeants politiques et religieux de la dans les quartiers traditionnels (mahalas ottomans) ou périphé-
se protéger grâce à une limite "fortifiée", l’Est). Par ailleurs, l’heure de la "mondia- communauté musulmane se l’appropriaient, l’instrumentali- riques (banlieues pavillonnaires) des villes, et c’est sans doute
qui rend la frontière étanche et infran- lisation" économique menace d’imposer saient à leur profit exclusif, poussant encore d’avantage les dans les centres modernes et les grands ensembles de la pério-
chissable entre des "espaces de diffé- aussi ce "nouvel ordre mondial" qui a communautés serbe et croate à nier l’existence de toute co- de socialiste qu’elles sont le moins présentes. Reposant sur des
rences" postulés comme incompatibles, dicté sa loi -de manière significative- existence pacifique dans la Bosnie-Herzégovine d’avant-guer- liens personnalisés et durables entre voisins, le komiluk s’ac-
re. En un mot, par une sorte d’effet pervers, le mythe de la to- commode mal de l’anonymat et de la mobilité caractéristiques
lérance bosniaque a contribué à détruire la réalité de la co- de la ville moderne, qui a ses propres formes de civilité.
———— qui y perdit son indépendance pour les 500 ans qui allaient suivre. existence intercommunautaire en Bosnie-Herzégovine. De même, le komiluk n’est en aucun cas assimilable à la ci-
1) Cité par Drinka GOJKOVIC, “Un traumatisme sans catharsis” in POPOV, 10) A propos des liens entre le régime de MILOSEVIC et l’Académie serbe des Arts et toyenneté, et c’est un véritable non-sens que de parler, comme
Nebojsa, Radiographie d’un nationalisme. Les racines serbes du conflit yougoslave, des Sciences, auteur, en 1986, du fameux Mémorandum, voir MILOSAVLJEVIC, CE QU’EST ET CE QUE N’EST PAS LE BON VOISINAGE.
Paris, Editions de l’Atelier, p. 252. Oliveira, 1998, “Du mauvais usage de l’autorité scientifique”, in POPOV, Nebojsa, le fait André-Louis SANGUIN, du komiluk en termes de
2) Par exemple : “Dans la mesure où les sociétés balkaniques sont moins avancées op.cit., pp. 205-238. C’est, entre autres, en réaction à ce mythe de la tolérance bos- “contrat de citoyenneté”(4) . Il convient donc de le rappeler
sur la voie de la modernité, il serait donc logique que l’usage de la violence y soit 11) A propos du conflit qui opposa la Grèce et la FYROM, voir notamment CONTO- niaque que j’ai insisté, pendant la guerre, sur le komiluk com- clairement : “La citoyenneté en appelle à un individu abstrait,
plus fréquent et socialement légitimé qu’en Europe occidentale”. Cette phrase est ex- GEORGIS, Georges, 1992, Histoire de la Grèce, Paris, Hatier, PRÉVÉLAKIS, me mode de régulation et de pacification des rapports inter-
traite d’un courrier des lecteurs envoyé à la suite de la parution de mon article “La Georges, 1997, Géopolitique de la Grèce, Bruxelles, Complexe, et THUAL, mettant de côté sa spécificité ethnique ou religieuse dès qu’il
question du Kosovo ou l’histoire manipulée”, in La Revue Nouvelle, Bruxelles, n° 5- François, 1998, Le douaire de Byzance, Paris, Ellipses. communautaires en Bosnie-Herzégovine (2). C’est sur ce même pénètre dans l’espace public abstrait qui le crée : la cité. Le
6, mai-juin 1999, pp. 18-27 (courrier de M. DE BACKER). 12 ) On consultera à ce sujet BRATIANU, Gheorghe, 1937, Une énigme et un mi - komiluk qu’il me semble utile de revenir aujourd’hui, dans un komiluk repose au contraire sur un individu concret réaffir-
3 ) RUPNIK, Jacques, in Le Nouvel Observateur, 15-21 avril 1999, p. 82. racle historique : le peuple roumain, Bucarest, Editura stiintifica si enciclopedica, contexte sensiblement différent.
4) Ecrivain et homme politique serbe très controversé, figure emblématique de l’op- ainsi que GIURESCU, Constantin, 1968, La Transylvanie dans l’Histoire du peuple mant son appartenance ethnique ou religieuse dès qu’il pé-
position à Slobodan MILOSEVIC, ce qui ne l’a pas empêché de faire partie du gou- roumain, Bucarest, Editions Meridiane, IORGA, Nicolae, 1922-1936, In lupta cu ab - D’origine turque, le mot “komiluk” désigne en serbo-croate nètre dans l’espace public concret qui le crée : la rue, le ma -
vernement serbe, avant de démissionner en avril 1999. surdul revizionism maghiar, Bucarest, Globus, réédition 1991, KÖPECZI, Béla, l’ensemble des relations de voisinage. Dans le contexte de la hala, le village”(5). Enfin -mais cela semble être plus clair- le
5) DRASKOVIC, Vuk, “Confrontation avec la vérité”, in Le Monde Diplomatique, 1992, Histoire de la Transylvanie, Budapest, Akadémiai Kiadó, et LAZAR, István,
Manière de voir 17, “Nationalismes : la tragédie yougoslave”, février 1993. 1993, Petite histoire de la Hongrie, Budapest, Corvina (première édition en société pluricommunautaire bosniaque, toutefois, il s’applique komiluk ne favorise pas les mariages mixtes, phénomène rela-
6 ) KADARÈ, Ismaïl, et FERNANDEZ-RECATALA, Denis, 1999, Temps Barbares. De Hongrois, Kis magyar történelem, 1989, Gondolat Kiadó). avant tout aux relations de bon voisinage entre membres de tivement récent en Bosnie-Herzégovine, et caractéristique des
l’Albanie au Kosovo, Paris, L’Archipel, p. 188. 13 ) MISKOLCZY, Ambrus, “Brasov, Brassó, Kronstadt, ville-frontière d’une région- communautés différentes. Ce bon voisinage passe par diverses seules élites urbaines et populations ouvrières. Bien au
7) A ce sujet, voir CHAMPSEIX, Elisabeth et Jean-Paul, 1992, L’Albanie ou la logique frontière de la monarchie des HABSBOURG”, in KOTEK, Joël, 1996, L’Europe et ses
du désespoir, Paris, La Découverte. villes-frontières, Bruxelles, Editions Complexe, p. 64.
formes d’entraide (travaux agricoles, construction et réparation contraire, “le komiluk, relation entre membres de deux com-
8) GARDE, Paul, 1992, Vie et Mort de la Yougoslavie, Paris, Fayard. 14 ) Voir à ce sujet le récent ouvrage d’Anne-Marie THIESSE : THIESSE, Anne-Marie, du logement, mise à disposition des réseaux de connaissance munautés différentes habitant deux maisons mitoyennes, s’op-
9) Il conviendrait bien évidemment de s’attarder sur l’épisode de la bataille du 1999, La création des identités nationales : XVIIIe-XXe siècles, Paris, Seuil. et d’influence, etc) et d’association aux événements de la vie pose au mariage mixte, union entre membres de deux com-
Kosovo, en 1389, où s’affrontèrent les armées des princes balkaniques alliés (Serbes 15 ) KADARÈ, Ismaïl, et FERNANDEZ-RECATALA, Denis, 1999, op.cit., p. 189. familiale (naissance, mariage, départ au service militaire, etc)
en particulier, mais également Albanais, Hongrois, Bosniaques, Roumains) et les 16 ) MILOSAVLJEVIC, Oliveira, op. cit., p. 232.
munautés différentes emménageant dans une même mai-
Ottomans. Ces derniers remportèrent la bataille, souvenir obsédant pour la Serbie 17 ) in KOTEK, Joël, op. cit., p. 15. ou aux fêtes religieuses. Basé sur des règles strictes -quoi son” (6).

18 A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E ■ ■ A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E
27
 ■ R EGARDS SUR LES EUR OPE : UN E ANT HRO POLOG IE IMPL IQUÉ E DAN S LES BALK ANS ■ ■ REGARDS SUR LES EU ROPE : UNE ANT HRO POLOG IE IMPLIQUÉE D ANS LES B AL KANS ■

nique à l’œuvre pendant le conflit ont littérale- n’avaient en effet la possibilité de fonder et en même temps à toutes les autres”, vocation de "zone intermédiaire" des
ment renversé les logiques sur lesquelles repo- leur nouvel État ni sur l’existence d’un comme le rappelle G. PRÉVÉLAKIS(10) V. Balkans dont le rôle positif ne peut être
saient jusqu’alors la société bosniaque : la lien de “citoyenneté” à la française, étant PAPACOSTEA suggérant une voie spéci- rempli qu’à condition qu’une certaine
preuve en est que le niveau local, qui remplis- donné la carence de société politique fique, utilisa l’expression de "Suisse de "fluidité" des relations de voisinage
sait avant la guerre une fonction d’amortisseur liée à l’histoire spécifique de ces régions, l’Est". Mais déjà au XIXe siècle, se déve- (proche et moins proche) y soit mainte-
et de médiateur des conflits intercommunau- ni sur l’existence d’une “unité ethnique” loppait à l’Est, une réflexion sur ces pro- nue. Mais les événements et discours do-
taires, est désormais celui sur lequel se cristalli- “à l’allemande”, correspondant à un terri- blèmes : vers 1850, eut lieu un échange minants de ces dernières années nous in-
sent ces mêmes conflits (organisation des élec- toire revendiqué, étant donné le caractè- de correspondance entre l’Italien MAZZI- diquent que ce ne sont pas de telles
tions municipales et constitution des conseils re multiethnique de ces régions. Dans un NI et le Roumain D. BRATIANU qui rê- conceptions qui emportent l’adhésion
municipaux, gestion du fonds immobilier et re- article paru en 1985, un chercheur hon- vaient d’une "confédération danubienne". des dirigeants d’aujourd’hui. Bien au
tour des populations déplacées, etc). Dès lors, grois, Zador TORDAI souligne cette diffé- De même, à la fin du siècle, c’est contraire, au lieu de prendre en compte
ce voisin qui, dans la société bosniaque rence fondamentale de contexte qui ca- l’Autrichien Karl RENNER, originaire de un tel héritage, on voit aujourd’hui fleurir
d’avant-guerre, constituait d’abord une protec- ractérise les nations d’Europe Centrale et Moravie, qui propose un modèle fédératif des discours de clivage qui semblent mal
tion, n’est désormais perçu que comme une Orientale où “Ni l’égalité, ni l’affranchis- des pays de l’ancien Empire austro-hon- supporter les situations de mixité, de di-
menace : en tant qu’électeur d’une part, qui sement de la paysannerie n’ont pu vérita- grois. Sans prétendre que de tels projets versité ; nous nous trouvons à nouveau
risque de faire basculer la majorité au conseil blement s’y accomplir, interdisant toute aient été à l’abri de dérives idéolo- devant des propos qui, sans aller jusqu’à
municipal, en tant que réfugié d’autre part, qui réalisation de la collectivité nationale giques(11), ils indiquaient cependant une prôner la "purification ethnique" , s’ins-
risque de faire valoir ses droits sur son ancien d’un point de vue social et humain géné- alternative à un modèle occidental que crivent cependant dans une tendance à
logement. ral”(9). les Grandes Puissances ont tout simple- une certaine "purification culturelle" qui
Ce portrait, relativement pessimiste, de la so- ment ignorée : comment en effet, l’abou- favorise le dess(e)in de frontières étan-
QUE RESTE-T-IL AUJOURD’HUI QUELLE AUTRE SOLUTION
ciété bosniaque ne suffit pas pour présager de l’issue finale tissement d’un tel projet aurait-il permis ches à l’intérieur desquelles peuvent se
DU BON VOISINAGE ? d’un après-guerre qui, après tout, ne fait que commencer. Il POUR LES BALKANS ? le maintien de leur hégémonie incontes- distribuer des populations et cultures ho-
Reste à savoir dans quelle mesure le komiluk fait encore sens doit, en revanche, nous inciter à rompre avec les représenta- Mais existait-il une alternative à ce mo- tée, sur cette région du monde ? mogènes. C’est dans un tel climat idéolo-
dans la Bosnie-Herzégovine d’aujourd’hui, après trois ans et tions angéliques, manichéennes ou volontaristes de la Bosnie- dèle occidental ? Même si aucune solu- UNE VOCATION gique que l’on doit situer les "solutions"
demi de guerre et de nettoyage ethnique, le déplacement de Herzégovine, pour nous amener à nous interroger sur les voies tion ne pouvait éviter de soulever des dif- de déplacements de populations qui per-
plus de deux millions de personnes (soit la moitié environ de complexes et peut-être paradoxales qui peuvent conduire à sa DE "RÉGION INTERMÉDIAIRE" mettent de réaliser "sur le terrain" cette
ficultés inhérentes à la transition entre la
la population bosniaque), et la constitution d’entités territo- réintégration humaine et politique : le déplacement des popu- situation de pays sous domination plus Une autre manière d’envisager la dicho- unicité rêvée censée protéger "de l’autre",
riales homogènes sur le plan ethnique. lations et la territorialisation des communautés sont-ils réver- ou moins féodale et leur devenir en États tomie Est-Ouest, est donc de se souvenir du "différent".
Concrètement, le komiluk n’a pas forcément basculé dans le sibles et, dans ce contexte, est-il raisonnable d’espérer une de type moderne, d’autres options poli- du long et riche passé de cet orient de HOSPES/HOSTIS :
crime intime, mais a aussi été le support de nombreux gestes restauration du komiluk, des pratiques d’entraide et de respect tiques étaient pourtant envisageables l’Europe qui en a fait une région charniè-
de protection et d’entraide. Aujourd’hui encore, il est possible mutuel qui le sous-tendent ? L’élaboration d’une citoyenneté re entre Europe et Asie et dont le "destin LORSQUE L’AMBIVALENCE
pour éviter le drame à répétition que vi-
de retrouver le komiluk tel qu’il se pratiquait avant la guerre partagée en Bosnie-Herzégovine doit-elle dès lors être conçue vent les peuples des Balkans depuis leur historique" n’était pas nécessairement de SE TRANSFORME EN CLIVAGE
dans certains immeubles, certains quartiers, ou certains vil- comme un prolongement du komiluk traditionnel, ou comme “libération” des grands empires. Et de sombrer dans la barbarie de guerres inter- Dans son ouvrage à succès intitulé le
lages où cohabitent toujours des personnes appartenant à des une rupture avec ce dernier ? Plus concrètement, la réintégra- fait, il n’a pas manqué dès le XIXe siècle, ethniques telles que nous en avons le pé- choc des civilisations, l’Américain HUN-
communautés différentes. Là où les populations sont désor- tion de la Bosnie-Herzégovine passe-t-elle par l’annulation d’hommes politiques et idéologues, nible spectacle depuis l’éclatement de la TINGTON(14), développe l’hypothèse
mais séparées, certaines pratiques liées au komiluk se redé- progressive des conséquences de la guerre, ou par leur accep- conscients de la nécessité de trouver des Yougoslavie. Mais pour opérer un tel d’une irréductibilité de deux "modèles
ploient dans un contexte nouveau. Le téléphone permet ainsi tation partielle, mais définitive ? Car ne retrouve-t-on pas en solutions spécifiques pour ces territoires, changement de perspective, il faut faire culturels" dont le levier est d’ordre reli-
d’être en contact avec un ancien voisin réfugié à l’étranger, et Bosnie-Herzégovine ce "paradoxe de Jérusalem"(7) qui fait que qui ont proposé des solutions originales l’effort de décentrer le regard et de consi- gieux : à travers une telle perspective, on
les expatriés servent à leur tour d’intermédiaire pour prendre seule l’acceptation des conséquences politiques de la guerre au problème. C’est que, nous l’avons vu, dérer la carte, non plus à partir de voit se dresser entre l’Europe catholique
des nouvelles d’un voisin se trouvant de l’autre côté de la permettrait d’en atténuer les conséquences humaines ? à l’heure où commençait à croître dans le l’Occident, mais à partir de la Mer Egée, et protestante d’une part, l’orthodoxe
ligne de séparation. Quand un réfugié veut se rendre sur son monde l’hégémonie de l’Occident, la de Moscou ou d’Ankara. Ainsi, D. KITSI- d’autre part, un mur plus étanche que ce-
ancien lieu de résidence pour visiter la tombe de ses parents Péninsule balkanique ne sortait pas du KIS(12) rappelle l’existence historique lui de Berlin. Le chercheur roumain A.
ou voir l’état de sa maison, il fait souvent appel à un ancien chaos : ses peuples aspiraient certes à se d’une "Région intermédiaire" formant DUTSU souligne à ce propos le danger
voisin qui l’accompagne pendant toute son incursion en “terri- libérer d’un passé qui avait pesé lourde- charnière entre Europe et Asie, Occident d’un tel discours qui contribue à mettre
toire ennemi”. Enfin, quoique de façon beaucoup moins fré- ment sur leur histoire, mais qui n’en avait et Orient, élargissant en quelque sorte le en place de véritables "frontières men-
quente, les habitants d’un immeuble, d’une rue ou d’un villa- pas moins fondé une profonde unité concept d’homo balkanicus de PAPA- tales" : "Avec de tels produits de labora-
ge peuvent accepter le retour de leurs anciens voisins, les ai- entre populations allogènes. Sans doute, COSTEA à une aire eurasiatique de cultu- toire", écrit-il en 1996, il est difficile de
dent parfois à se réinstaller, les protègent éventuellement l’alchimie d’une telle transition n’était re syncrétique dont le centre serait la comprendre l’unité et la diversité de
contre les extrémistes et les pillards. pas simple, d’autant que l’intelligentsia Méditerranée orientale. Dans le même l’Europe ! Et il est encore plus difficile de
Pourtant, malgré ces diverses manifestations de “komiluk rési- des Balkans s’est trouvée d’entrée de jeu ordre d’idées, l’auteur rappelle également comprendre la "Suisse de l’Europe" dont
duel” ou de “komiluk virtuel”, il est clair que le komiluk a ces- sous l’influence des idéologies nationa- la solution à la question des Balkans sug- parle Victor PAPACOSTEA...(15) La nou-
sé d’être une réalité centrale en Bosnie-Herzégovine. Les pro- listes. Mais l’expérience millénaire des gérée en 1942 par P. WALTZ : la création velle guerre balkanique nous confirme de
cessus de territorialisation et les pratiques de nettoyage eth- Balkans qui avait fondé cette capacité d’une "Egéide unitaire" ; selon son opi- telles craintes. Ainsi, la conception d’une
————— des ethnies à “vivre ensemble”, était à nion : "Si un vaste empire venait à se dichotomie "orient/occident" n’a pas fini
1) Voir Ivo ANDRIC, "Lettre de 1920", dans Titanic et autres contes juifs, Paris, Belfond, 1977. même de fournir d’autres solutions que constituer sur les deux rives de l’Archipel, de puiser ses arguments aux sources les
2) Xavier BOUGAREL, "Bon voisinage et crime intime", dans Bosnie : anatomie d’un conflit, Paris, La découverte, 1996.
celles de l’émiettement des territoires, du il se pourrait qu’une ère nouvelle de paix plus diverses, partout où l’on peut relever
3) Lors d’un colloque consacré aux villes en guerre en ex-Yougoslavie, Isaac JOSEPH déclarait que je décrivais la réalité du komiluk "dans les grandes villes, mais aussi dans
les petites villes ou même dans les villages" (voir Isaac JOSEPH / Claire LEVY-VROELANT, La guerre aux civils. Bosnie-Herzégovine 1992-1996, Paris, L’Harmattan, 1997, p. fractionnement des populations selon le et de tranquillité fût par là même accor- et accentuer des facteurs d’opposition
196). Le "même" n’a aucune raison d’être. critère de l’ethnicité, bref, de sa balkani - dée au sud-est de l’Europe"(13). (plus que de distinction) entre deux "cul-
4) André-Luis SANGUIN, "Sarajevo avant et après le siège : les mutations culturelles d’une capitale multiethnique", Géographie et cultures, n° 27 (automne 1998). sation. On pense par exemple à un mode Toutes ces approches ont un point com- tures". Cette accentuation des différences
5) X. BOUGAREL, op. cit., p. 85.
6) Ibid., p. 84. d’organisation dans lequel “l’ensemble mun : déplaçant le regard ethnocentrique qui fondent l’altérité, jusqu’à en faire des
7) Joseph WEILER, "Le paradoxe de Jérusalem", Le Monde de l’espace appartenait à chaque nation de l’Occident, elles mettent en relief la différends qui fondent l’hostilité, érige

28 A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E ■ ■ A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E
17
 ■ RE GAR DS SUR LE S EUR OPE : UNE ANTHRO POLOGIE IMPL IQUÉE D AN S LES B ALK ANS
des “thèmes” byzantins à celui des
“millets” ottomans- ont donné une répon-
se spécifique. Il en résulte une manière
bien différente de la nôtre, de vivre et de
penser le rapport à ses voisins. Et, n’en
déplaise à la vision ethnocentrique de
l’Occident, cette absence de “conscience
mono-identitaire” ne fait pas pour autant
de cet Homo balkanicus un barbare, bien
au contraire. Sur un territoire où, depuis
la plus haute antiquité, la fluidité des
frontières est la règle et le multiliguisme
la pratique, un tel homo balkanicus habi-
tué à côtoyer les nations les plus diverses
(au sens médiéval de ce terme : étran-
gers, nés en un même lieu), connaît
mieux que quiconque, l’art de commer -
cer avec les “autres” dont il a souvent ap-
pris à parler les diverses langues et dont il
respecte la religion s’il ne la partage pas.
Ainsi avons-nous affaire à une sorte de
“caméléonisme” de l’homo balkanicus
qui consiste en cette capacité à gérer les
relations multi-ethniques, multilingues,
multiconfessionnelles, en adaptant en
quelque sorte son “identité” à celle de
son interlocuteur, en lui donnant une di-
mension relationnelle, négociable. Pour
mieux saisir en quoi réside une telle apti-
tude, descendons un instant sur le terrain
de l’ethnologue : celui des Aroumains
d’Irina NICOLAU ou des Bulgares “fron-
taliers” d’Assia POPOVA. La première,
évoquant ses souvenirs d’enfance : “Papa
était Aroumain ; ma mère était grecque.
(...) Alors ma stupeur fut grande en dé-
couvrant que Papa acceptait d’être consi-
déré comme Grec, ou Bulgare, par des
16
■ ■ REGA RDS SUR LES EU ROPE : UN E ANT HRO POLOG IE IMPL IQUÉ E DAN S LES BAL KANS ■
TRIANON… FIN DE SIÈCLE
J é s u s M I R A N D A
Doctorant, CREA, Université Lyon 2
“Le grand chaudron des préjugés, des amertumes, des projets l’OTAN remettent au goût du jour un possible rendez-vous
de massacres, des revanches et des rancoeurs ne cesse de avec l’Histoire.
bouillonner, prêt à exploser à la première occasion.” (1) Les relations entre la République Slovaque et l’État hongrois
Ismael KADARÈ sont restées longtemps tendues. Avec le départ de Vladimir
MECIAR(4), le sort des minorités semble s’améliorer, et le parti
DE TRIANON À DAYTON magyar est devenu une force politique avec laquelle le nou-
Un documentaire décrivait, il y a quelques mois, de “Sarajevo veau gouvernement doit compter. Il est difficile de ne pas évo-
à Sarajevo”, la chronique du suicide annoncé d’un État. En ef- quer le cas de la Transylvanie, tant le parallèle avec la
fet, depuis la mort de TITO, nous assistons à la dislocation, Slovaquie est aisé. Aujourd’hui, le pouvoir roumain se voit lui
pourtant prévisible, de la fédération yougoslave. Dans l’eu- aussi contraint de compter avec les leaders de la minorité ma-
phorie qui suivit la chute du mur de Berlin et des derniers bas- gyare. Si CEAUCESCU a fait des Hongrois les boucs émissaires
tions communistes en Europe, les Balkans s’embrasent... “Le de ses échecs politiques et économiques, les persécutions an-
ventre de la Bête est encore fécond” disait BRECHT. L’histoire ti-magyars n’ont pourtant pas disparu avec lui. Les exemples
bégaie, se plaît-on à reprendre comme une antienne à chaque abondent, et sont redondants. Manipulations de symboles, tra-
fois que la tragédie yougoslave est abordée. Mais l’agonie de vail de “constructions” sur la mémoire collective, incitations à
étrangers. Un oncle, Aroumain aussi, leur de l’idée de nationalité soit très rela - la haine et à la discrimination raciales, la procédure est bien
passait pour Albanais. Pendant les fêtes tive dans les Balkans” (5). l’ex-Yougoslavie, à laquelle nous assistons depuis une dizaine
d’années pourrait s’avérer n’être que la partie émergente d’une connue. Globalement, le sort des minorités magyares est le
de famille, tous deux chantaient avec C’est cette même réflexion que l’on retrou- même dans la plupart des pays voisins ex-socialistes ; il reste
d’autres amis des chansons dans les- longue chaîne de drames à venir... Même après les accords de
ve 50 ans plus tard, dans un article d’Es- Dayton ou ceux de Rambouillet. Par deux fois, nous l’avons un sujet brûlant en Hongrie. L’essence même du “politique”,
quelles ils affirmaient, sur un ton très fa- ther BENBASSA au titre explicite, Balkans : tel que la définit Carl SCHMITT(5) repose sur l’identification
natique, leur identité aroumaine(3). La se- vu, lorsque l’histoire bégaie, c’est toute l’Europe centrale et
sortir du cadre des États-nation (6). d’un ennemi bien réel, d’une hostilité à partir de laquelle s’im-
conde note dans son récent carnet de ter- orientale qui vibre et le reste du monde qui tremble !
Ces deux auteurs pointent le même pro- pose le choix des alliances ; un conflit acquiert une dimension
rain (village de Razgrad-Zlatia, Bulgarie, Bégaiements encore lorsque, en 1991, l’Allemagne et le
blème : l’importation du modèle occi- politique lorsqu’il contraint l’individu à choisir son camp.
été 1998) : “Comme je demandais à un Vatican les premiers, s’empressent hâtivement de reconnaître
dental de l’État-nation a déclenché dans L’ennemi c’est l’Autre.
Bulgare réfugié un temps en Roumanie, l’indépendance de la Slovénie et de la Croatie. Une situation
les Balkans un processus qui suscite les
et qui avait retraversé le Danube avec sa qui ne va pas sans rappeler les lendemains agités de la LA “FIGURE” DU COUPABLE
discours nationalistes les plus exacerbés “Grande Guerre”, où le concert des puissances occidentales Vue de Hongrie, le coupable porte les traits sévères du visage
famille, s’il n’était pas plutôt “vlah”
allant jusqu’à appliquer la “solution” de morcelle les derniers grands empires, promettant aux généra- de CLEMENCEAU, qui personnalise à lui seul le traité de
(c’est-à-dire roumain), il me répondit, sur
la “purification ethnique” à laquelle tions à venir “plus jamais ça”. Trianon, mais l’ennemi reste de la même manière l’Autre. Cet
un ton qui laissait entendre le manque
l’Occident n’a trouvé qu’une piètre ré- Le traité de Trianon, le 4 juin 1920, prive ainsi la Hongrie Autre qui persécute, ou bien cet Autre qui mutile, et qui est
d’intérêt de ma question : “ Et alors ? “(4)
ponse : celle d’entériner, voire d’encoura- “Millénaire”(2) des 2/3 de son territoire, et “mutile”(3) la nation foncièrement anti-hongrois. L’extrême-droite hongroise en a
Et alors ? Comment expliquer qu’un tel
ger, les déplacements de populations per- hongroise. Cette fait son fond de
homo balkanicus, résultat d’un processus
mettant de réaliser cet idéal devenu cette nouvelle Europe commerce. CLE-
historique et culturel commun à ces “ma-
fois explicite : un État-nation monoeth- accouchée au MENCEAU est
cédoines” d’ethnies, et qui se situe aux
nique (7). Et en effet, à la base de l’embra- forceps, vagit en- jugé par une par-
antipodes de tout modèle mono-eth-
sement auquel nous assistons aujour- core de rage et de tie de l’opinion
nique, se trouve aujourd’hui mis à mal,
d’hui, se trouve cette application sans ressentiment, et hongroise com-
jusqu’à être nié et disparaître dans le ma-
discernement, du modèle occidental à 20 ans suffiront me le respon-
rasme des conflits ethno-identitaires et de
une situation géopolitique qui appelait pour que la bar- sable de cette
leur forme la plus outrée de “purification
d’autres réponses. Cette constatation a barie se déchaîne “mutilation” ; en
ethnique” remise à l’ordre du jour par
été largement exprimée par nombre d’ob- de nouveau. Au- 1919, il est non
MILOSEVICH ?
servateurs, en particulier des géographes jourd’hui encore, seulement le
DE L’HOMO BALKANICUS À et historiens (8), dès le début du siècle, au les plaies se refer- Président de la
LA BALKANISATION DE LA PÉNINSULE moment où il s’est agit de redessiner les ment mal. C’est Conférence de la
“Il est difficile de trouver dans l’histoire frontières de l’Europe, en particulier lors lors d’un premier Paix, mais un de
universelle un autre exemple où l’on des grands traités conclus au sortir des séjour en Hongrie ses membres les
puisse mieux voir quelle série catastro- guerres (Berlin en 1878, et surtout en 1995, que j’ai plus influents. Il
phale provoque l’application aveugle Versailles en 1918 et Yalta en 1945). découvert l’exis- est surtout le seul
d’une idée {celle de l’État-nation}” écrit Pourtant, il n’était pas bien difficile tence du Traité de dirigeant allié à
le spécialiste des Balkans Victor PAPA- d’apercevoir combien un tel modèle, tant Trianon. Mon avoir un véri-
COSTEA dès 1943 ; et plus loin : “On a dans sa version “française” qu’”alleman- étonnement était table projet pour
ignoré, finalement, le fond ethnique com - de”, était inadéquat à résoudre la “ques- d’autant plus grand que “Trianon” est évoqué par toutes les l’Europe centrale même s’il s’agit d’un projet d’hégémonie
mun et surtout ce mélange millénaire de tion des nationalités” : les nations émer - générations avec le même ton de reproche lorsque l’on vient française. Prétendre qu’il était anti-hongrois ? De nombreux
races qui a fait dès l’antiquité que la va - gentes d’Europe centrale et balkanique de France. La proximité du conflit, l’entrée de la Hongrie dans liens amicaux et familiaux le rattachaient à la Hongrie.
A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E ■ ■ A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E
29
 ■ RE GAR DS SUR LE S EUR OPE : UNE ANTHRO POLOGIE IMPL IQUÉE D AN S LES B ALK ANS
Anticlérical et anticolonialiste,
démocrate et républicain force-
né, Georges CLEMENCEAU fut
vraisemblablement l’un des poli-
ticiens français de cette période
qui connaissait le mieux la mo-
narchie des HABSBOURG. Anti-
allemand, certes et probable-
ment plein de préjugés, CLE-
MENCEAU(6) -en homme poli-
tique français nourri d’idéaux ré-
publicains et d’universalisme hérités de
la pensée jacobine- va justifier son action
par le principe de l’autodétermination
des peuples à disposer d’eux même. C’est
à dire ceux “opprimés” par la monarchie
austro-hongroise. Mais ce sont essentiel-
lement les intérêts stratégiques des Alliés
qui l’emportent sur les principes de justi-
ce. C’est la “Realpolitik” qui rend CLE-
MENCEAU “anti-hongrois” : l’intérêt de
la France devait se retrouver dans la dis-
solution de l’Autriche-Hongrie et l’instal-
lation de pouvoirs “amis” en Europe
Centrale.
Pour en finir avec les Empires ottoman et
austro-hongrois, et pour contrer la
Révolution d’Octobre, les Alliés ont am-
plifié des mouvements souvent émer-
geant : une zone de petits “États-nations”
devait faire barrage contre l’URSS nais-
sante. L’Europe centrale et orientale se
voit ainsi reléguée au rôle qui fut le sien
pendant des siècles, celui de remparts de
l’Occident. Le dépeçage du royaume de
Saint Etienne commence.
Si le “Printemps des peuples” atteint la
Hongrie en 1848, à aucun moment les
leaders magyars, dans leur révolte contre
la domination autrichienne n’envisagent
un quelconque droit à l’autodétermina-
tion des autres “nationalités” du royau-
me. Quand sonne l’heure de l’humilia-
tion pour la Hongrie, les “nouveaux voi-
sins” répliquent avec acharnement à des
siècles de domination : spoliations, ex-
pulsions, discriminations, déplacements
ou échanges de populations. Le ressenti-
ment des Hongrois est toujours vivace,
coincé entre l’océan slave, le monde ger-
manique, et leur voisin latin. Ce ressenti-
30
ment est alimenté par les propagandes
successives, puis par la répression, par-
fois féroce, mise en œuvre contre les mi-
norités magyares tout au long des 50 der-
nières années. Il faut ajouter à cela, le rô-
le de la Roumanie qui laisse les chars
russes traverser son territoire pour étouf-
fer dans l’oeuf l’automne de Budapest.
L’Autre, c’est aussi l’Occident qui n’a pas
réagit lors de cette invasion soviétique de
1956, qui a renforcé ce sentiment de seul
contre tous. Le terreau est fertile pour dé-
velopper les discours extrémistes.
LE RETOUR DES “VIEUX DÉMONS”
L’ambiguïté de la Hongrie contemporaine
quant à sa politique vis-à-vis des minori-
tés réside dans sa constitution qui recon-
naît treize minorités nationales et encou-
rage chacune à exprimer son particularis-
me, alors que les minorités ne sont que
peu présentes dans les appareils déci-
sionnels, et peu représentatives. Étrangeté
d’un pays où les patronymes reflètent
pourtant le multiculturalisme : Horvath
(croate), Tòt (slovaque), Olàh (valaque),
Magyar (hongrois), Gôrôg (grec), Tôrôk
(turc)... Car la Hongrie bonne fille,
cherche aussi à montrer à ses voisins,
sans avoir à hausser le ton, comme ses
minorités à elle ont un sort plus enviable.
Mais la politique de l’État envers les mi-
norités serait aussi à considérer comme
un effet pervers de la course à l’entrée
dans l’Union Européenne.
“Je suis le premier ministre de 15 millions
de Hongrois” disait Jòzsef ANTALL (7) à
son arrivée au pouvoir en Mai 1990 suite
à la victoire du Magyar Demokrata
Forum. Lors de son investiture en juin
A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S
1990, il réitère sa déclaration à
laquelle il rajoute "spirituelle-
ment", pour couper court à
toutes spéculations et aux protes-
tations déclenchées. Pour sa
part, Gyula HORN (MSzP) en
1994, prononce à son tour : "Je
suis le premier ministre de 10
millions de Hongrois". L'anec-
dote montre à quel point le sujet
des minorités hongroises reste
sensible. Trianon constitue l'événement
majeur de ce siècle, sans doute le plus
traumatisant dans la mémoire collective
hongroise.
La Hongrie n'avait pas prévu que, trois
jours après son entrée dans l'OTAN ( le
12 mars 1999), un conflit éclaterait, et
qu'elle serait officiellement en guerre
contre la Yougoslavie. Comme dans
d'autres États membres de l'Alliance
Atlantique, une crise constitutionnelle
éclate puisque la direction des opérations
militaires appartient de fait à un autre
État, et non pas au Président de la
République. Il aura fallu au Président
Arpad GÖNC user de diplomatie pour
calmer les esprits, et en particulier l’op-
position ravie de pouvoir saisir ce prétex-
te pour tenter de faire sauter la coalition
au gouvernement. Dès le début de la cri-
se, la minorité des Serbes de Hongrie ré-
agit, ce qui donne lieu à plusieurs mani-
festations comme celle d'avril 1999. Et
dans un premier temps, alors qu'une in-
tervention énergique de l'OTAN dans les
Balkans n'est pas envisagée, la Hongrie
se trouve confrontée à la crise du Kosovo
sur le plan humanitaire. Les réfugiés
serbes ou magyars commencent à affluer
aux frontières ou dans les grandes villes
du pays et il faut commencer à organiser
leur accueil. Peu avant le début des
frappes aériennes, le 24 mars, la possibi-
lité d'une intervention terrestre se fait de
plus en plus imminente. Le gouverne-
ment hongrois redoute cette possibilité,
car dans ce cas, l'intervention partirait
non seulement d'Albanie ou de Macé-
doine, mais aussi du nord de la Serbie,
c'est-à-dire de Hongrie. L'État a négocié
D ' A N T H R O P O L O G I E
■ ■ REGA RDS SUR LES EU ROPE : UN E ANT HRO POLOG IE IMPL IQUÉ E DAN S LES BAL KANS
KOSOVO 1999 : LES BOMBES À RETARDEMENT D’UN
MODÈLE POLITIQUE OCCIDENTAL DANS LES BALKANS
Professeur d’anthropologie de l’Europe à l’Université Libre de Bruxelles
Directeur du Centre de Recherche en Ethnologie Européenne
A u seuil de ce troisième millénaire, voi-
ci que se réveille la “poudrière des
Balkans”. Devant cet emballement du
conflit en ex-Yougoslavie, on en vient à
se demander si l’histoire est en train de se
répéter ; si, comme à Sarajevo en 1914,
un conflit balkanique est à même d’en-
traîner l’Europe et le monde dans une
nouvelle guerre. Sous-jacente à cette
question, se trouvent désignés les cou-
pables, ces pays balkaniques, incapables
de démocratie, qui s’affrontent en inter-
minables luttes tribales au sein d’États-na-
tions immatures. Car c’est bien le sens
implicite de ce néologisme de balkanisa-
tion que l’on n’a pas manqué d’appliquer
par la suite au Tiers-monde (Lumumba ne
reprenait-il pas cette expression de “bal-
kanisation de l’Afrique” récemment remi-
se à l’honneur avec le génocide rwan-
dais).
A travers une telle lecture rapide des évé-
nements, il est commode pour l’Occident
de se déresponsabiliser du processus
conflictuel en réduisant l’Autre à la posi-
tion de barbare, cet étranger à notre polis
occidentale, à notre politique.
Pourtant, il n’est pas bien compliqué
d’apercevoir qu’une telle balkanisation,
processus que l’on ne peut guère faire re-
monter au-delà du Traité de Versailles
(1919-20), même si ses prémices appa-
raissent dès le Traité de Berlin (1878),
était loin de constituer la vocation poli-
tique de cette région de l’Europe.
■ ■ A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S
M a r i a n n e M E S N I L
A l’aube d’un Printemps des Peuples
(1848) où, tant à l’Ouest qu’à l’Est, éclo-
saient les rêves de souveraineté des na -
tions émergentes (1), cette Autre Europe,
comme l’Occident aime à la désigner au-
jourd’hui pour mieux se distancer de sa
supposée barbarie, cette Autre Europe
n’avait-elle donc pour tout passé, pour
toute histoire que celle de sa soumission
à l’une des trois grandes puissance (l’aus-
tro-hongroise, la russe et l’ottomane) qui
entouraient et dominaient alors les
Balkans ? Avec la mise à mal de leurs an-
ciens maîtres, les peuples allogènes qui
en constituaient les sujets, n’étaient-ils
rien d’autre qu’une multitude d’ethnies
juxtaposées, dont le seul lien était d’avoir
subi le même joug ? Telle semble bien
être l’opinion communément admise par
le monde occidental à propos de ses voi-
sins d’Orient.
HOMO BALKANICUS
Une telle opinion suppose que l’on igno-
re deux mille ans d’histoire de la
Péninsule balkanique. Rarement, en effet,
une région a connu autant de vagues de
peuplements qui toutes, ont apporté leur
part de sédiments aux civilisations qui se
sont succédées sur ce territoire largement
ouvert aux mouvements migratoires,
entre Carpathes et Mer Noire, entre
Balkans et Méditerranée. C’est ce qui ex-
plique l’étonnante diversité ethnique de
sa population et cela, dès la plus haute
antiquité. Ainsi, sur fond thraco-illyrien et
D ' A N T H R O P O L O G I E
■
hellène, auquel il faut ajouter les mouve-
ments successifs de romanisation et de
slavisation (y compris des migrations ta-
tares) ainsi que l’apport issu de la diaspo-
ra tardive des populations juives et tsi-
ganes, se sont développés d’importants
foyers de cultures : mille ans de culture
greco-byzantine (de la fondation de
Constantinople en 330, à sa prise par les
Turcs en1453) et plus de cinq cents ans
de culture ottomane (de 1453 à la fin du
XIXe siècle). Au produit d’une telle syn-
thèse élaborée dans la longue durée, des
chercheurs ont tenu à donner un nom :
homo balkanicus. C’est sans doute Victor
PAPACOSTEA qui nous en a fourni le
portrait le plus précis. Ainsi écrit-il dans
l’entre-deux-guerres : “l’homme de la
Péninsule balkanique -de quelque partie
que ce soit- participe au fond par toute sa
structure ethnique, mentale et spirituelle
à plusieurs nationalités. Sans nier, évi -
demment la différence spécifique qui lie
chaque membre à la nation au sein de la -
quelle il est né et dont il parle la langue,
nous constatons cependant que au-delà
{de cette appartenance}, il est aussi
membre -par des liens organiques, qui
viennent d’une ancestralité complexe et
prolongée- de la grande communauté
balkanique”(2).
On l’aura compris, cet homo balkanicus
s’inscrit dans la longue durée d’une expé-
rience multi-ethnique à laquelle des
modes de gouvernements -du système
15
 ■ R EGARDS SUR LES EUR OPE : UN E ANT HROPOLOG IE IMPL IQUÉE DAN S LE S BALK ANS
CONCLUSION
La manipulation idéologique de la notion de culture, enten-
due comme structure inscrite dans la très longue durée, voire
dans l’éternité, permet de présenter les crises socio-écono-
miques, les bouleversements politiques et les conflits, comme
une conséquence inéluctable, et non comme une orientation
politique parmi
d’autres possibles.
La notion de culture
est ainsi devenue un
“lieu commun”, “au
sens aristotélicien
de notions ou de
thèses avec les-
quelles on argu-
mente mais sur les-
quelles on n’argu-
mente pas, ou, en
d’autres termes, ces
présupposés de la
discussion qui res-
tent indiscutés, doi-
vent une part de
leur force de
conviction au fait
que, circulant de
colloques universitaires en livres à succès, de revues demi-sa-
vantes en rapports d’experts, de bilans de commissions en
couvertures de magazines, ils sont présents partout à la fois,
de Berlin à Tokyo et de Milan à Mexico, et sont puissament
soutenus et relayés par ces lieux prétendument neutres que
sont les organismes internationaux (tels l’OCDE ou la
—————
1) J. GOODY, L’Orient en Occident, Seuil, Paris, 1999
(1996), p. 16.
2) D. FABRE(éd), L’Europe entre cultures et nations,
Editions de la Maison des sciences de l’homme, Paris,
1996.
3) En 1965, aux Etats-Unis, Daniel Patrick MOYNIHEN
remettait au Président JOHNSON un rapport présentant
la “structure familiale” des populations noires comme
responsable de leurs difficultés sociales (D. FASSIN,
“Exclusion, underless, marginalidad. Figures contempo-
raines de la pauvreté en France, aux Etats-Unis et en
Amérique latine”, Revue française de sociologie, XXX-
VII, Paris, 1996).
4) G. ALTHABE, “Construction de l’étranger dans la
France urbaine d’aujourd’hui”, in D. FABRE, 1996, op.
cit.
5) W. KASCHUBA, “Les Allemands des étrangers les uns
pour les autres”, in D. FABRE, 1996, op. cit.
6) Cité d’après M. SAHLINS, “On the ideology and com-
position of descent group”, Man, vol. 65, juillet-août
1965.
7) V. STOLCKE, “Europe : Nouvelles frontières, nou-
velles rhétoriques de l’Exclusion”, in D. FABRE, 1996,
op. cit.
8) “Le racisme occidental moderne rationalise des pré-
tentions à la supériorité nationale, à la discrimination so-
ciopolitique, à l’exploitation économique et à la discri-
mination de groupes ou d’individus au sein d’une entité
politique en leur attribuant certains défauts moraux, in-
tellectuels ou sociaux prétendument enracinés dans leur
patrimoine “racial”, ce qui, étant donné le caractère in-
né de ce dernier, les rend inévitables”, (V. STOLCKE, p.
238). Voir comme le darwinisme social, l’eugénisme et
la criminologie ont contribué à la légitimation de l’in-
égalité de classe dans L. CHEVALIER, Classes labo -
rieuses et classes dangereuses à Paris, pendant la pre -
14
■ ■
Commission européenne) et les centres d’études et de conseil
en politiques publiques.”(22)
Dans ce débat, l’anthropologie ne peut être neutre, car ce
“fondamentalisme culturel” se nourrit aux concepts produits
par les courants anthropologiques (relativisme, structuralisme,
culturalisme...). La réflexion d’Aban BENSA pour la prise en
compte de la tem-
poralité et du
contexte dans
l’analyse des faits
sociaux étudiés est
primordiale.
“En ne rapportant
pas ses documents
à leur contexte,
c’est-à-dire, selon
Bateson, à leur
“structure dans le
temps”, l’anthro -
pologie se croit
fondée à ne pas
avoir à distinguer
l’actuel de l’an -
cien, à identifier le
singulier au géné -
ral, le conjoncturel
au structurel. Cette discipline a ainsi pu appréhender de préfé -
rence le contexte comme le lieu sémantique de la répétition et
accréditer l’idée que la culture et la tradition consacrent la
prégnance de l’éternel retour, la primauté du passé sur le pré -
sent, du prévisible sur l’incertain.”(23)
mière moitié du XIXe siècle, Hachette, Paris, 1984. Yugoslavia in the Courts”, The Anthropology of East
9) S. HUNTINGTON, Le Choc des civilisations, Editions Europe Review, Chicago, 14, 1, 1996.
Odile Jacob, Paris, (1996), 1997. 16) Romano PRODI, Président de la Commission euro-
10) R. DAWSON (éd.), The Chinese Chameleon : an péenne, et Carl BILDT, entre autres personnalités poli-
analysis of European conceptions of Chinese civilization, tiques européennes, ont participé aux discussions qui
Londres, 1967 ; cité d’après J. GOODY, op. cit., p. 9. ont servi à la rédaction du texte, mais il est précisé que
11) Ainsi, par exemple, l’enfermement dans le passé est “les invités ne peuvent en aucun cas être responsables
devenu “la” caractéristique des Serbes. du contenu du document”.
12) Individualisme, droits de l’homme, égalité, démocra- 17) B. JEWSIEWICKI,, “Le primitivisme, le postcolonialis-
tie, laïcité, rationalité, humanisme, scepticisme et tolé- me, les antiquités “nègres” et la question nationale”,
rance sont les notions les plus souvent utilisées pour Cahiers d’études africaines, 121-122, Paris, 1991. Cité
qualifier l’Europe occidentale. d’après J-L. AMSELLE, “L’anthropologue face au durcis-
13) Voir G. SCHÖPFLIN, et N. WOOD, (éds.), In Search sement des identités”, in J. HAINARD et R. KAEHR, Dire
of Central Europe, UK : Polity Press, Cambridge, 1989 ; les autres. Réflexions et pratiques ethnologiques, Payot,
M. ZIVKOVIC, “Serbia’s Place in European Geo-Political Lausanne, 1998.
Imagings”, manuscrit non publié, Departement of 18) Voir, entre autres, A. BENSA, “De la micro-histoire
Anthropology, University of Chicago (http://anthro.spc. vers une anthropologie critique”, in J. REVEL (éd.), Jeux
uchicago.edu/~mdzivkov/course/) ; M. TODOROVA, d’échelles. La micro-analyse à l’expérience, Hautes
Imagining the Balkans, Oxford University Press, Oxford, Etudes, Gallimard, Le Seuil, Paris, 1996 ; A. BENSA et J.-
1997 ; M. BAKIC-HAYDEN et R. HAYDEN, “Orientalist C. RIVIERRE, Les chemins de l’alliance. L’organisation
variation on the Theme ‘Balkans’ : Symbolic Geography sociale et ses représentations en Nouvelle-Calédonie (ré-
in Recent Yugoslav Cultural Politics”, Slavic Review, gion de Touho, aire linguistique cèmuhî), SÉLAF, Paris,
Université de l’Illinois, Urbana-Champaign, Etats-Unis, 1982; M. SAHLINS, Des îles dans l’histoire, Hautes
51, 1, 1992 ; E. H. PRODROMOU, “Paradigms, Power Etudes, Gallimard, Le Seuil, Paris, 1989 (1985) ; A. G.
and Identity : Rediscovering Orthodoxy and Regiona- HAUDRICOURT, 1964, “Nature et culture dans la civili-
lizing Europe”, Texte présenté à International Confe- sation de l’igname : des clones et des clans”, L’Homme,
rence on Culture and Reconciliation in Southeast IV, 1.
Europe, 26-29 juin 1997, Thessaloniki, Greece, (dispo- 19) D. COHN-BENDIT et T. SCHMID, “Wenn der
nible sur le site de Association for Democracy in the Westen unwiderstehlich wird”, Die Zeit, 48, 22 no-
Balkans : http://www.cdsee.org/) vembre 1991, p. 5. Cité d’après V. STOLCKE, op. cit., p.
14) C. BILDT, “Balkan Ghosts, Bosnian Realities”, Texte 237.
présenté à International Conference on Culture and 20) J. GOODY, ibid., p. 318.
Reconciliation in Southeast Europe, 26-29 juin 1997, 21) A. BENSA, 1996, op. cit., p. 53.
Thessaloniki, Greece, (disponible sur le site de 22) P. BOURDIEU, L. WACQUANT, “Sur les ruses de la
Association for Democracy in the Balkans : raison impérialiste”, Actes de la recherche en sciences
http://www.cdsee.org/) sociales, 121-122, Seuil, 1998.
15) P. J. MAGNARELLA, “The Conflicts of the Former 23) A. BENSA, 1996, op. cit., p. 53.
A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E ■ ■
RE GA RDS SUR LES EUROPE : UNE ANT HRO POLOGI E IMPL IQUÉE D AN S LES B AL KANS ■
avec les hautes instances de Europe qui se fait de plus en plus
l'OTAN sa neutralité ; il n'enverra présente, plus souvent assimilée à
pas de troupes et n'en acceptera une vache laitière dispensatrice de
pas sur son territoire ! Mais malgré subventions, qu'à un avenir meil-
sa position, la Hongrie trie le bon leur.
grain de l'ivraie lorsque passe les Quoiqu’en pensent certains au-
colonnes bien différentes de l'aide teurs, la Hongrie n’est pas à sépa-
humanitaire venue de Russie, de rer des Balkans. De par l’imbroglio
Biélorussie, et d'Ukraine. La prin- des diverses minorités réparties sur
cipale crainte des autorités hon- plusieurs pays, la Hongrie est inti-
groises est d'attirer la colère de mement reliée à la péninsule bal-
Belgrade sur les 350 000 individus kanique. Et si un conflit devait de
qui constituent la minorité magya- nouveau éclater, elle risquerait fort
re du nord de la Yougoslavie, en Voïvo- blique hongroise. Les manifestants de- de se trouver aux premières loges. D’un
dine. Alors que le contexte diplomatique mandent l'arrêt des hostilités, l'interven- point de vue régional, il ne faut pas négli-
et militaire empire, le MIÉP(8) -aujour- tion de l'ONU pour stopper l'OTAN, l'ar- ger la place des églises orthodoxes dans
d'hui représenté au Parlement- saisie rêt de l'épuration ethnique au Kosovo. les Balkans, et surtout celle de l'Église
l'occasion pour s'exprimer par la voix Pour cela, il faudrait que le gouverne- grecque qui depuis la chute du mur de
d’Istvàn CSURKA, son leader. Pour lui, il ment fasse valoir son droit de veto au Berlin a vu son hégémonie -en tant que
est évident que les occidentaux extirpe- sein de l'OTAN. Selon les porte-parole(13) dernier rempart de l'orthodoxie- et son
ront le Kosovo de la fédération yougosla- du Mouvement pour la Paix dans les rôle politique se réduire comme une
ve, et au regard de l'attitude de MILOSE- Balkans, "la Hongrie n'est pas entrée peau de chagrin. Elle a su tirer profit du
VIC vis-à-vis des minorités, il est plus que dans l'OTAN pour y recevoir des ordres, conflit pour réaffirmer sa place d'interlo-
temps de récupérer les frontières d'antan. mais être un partenaire à part égale et cuteur privilégié. Monseigneur CHRISTO-
Zsolt LANYI -président de la Commission ainsi soutenir les efforts de paix de DOPOULOS, chef de l'Église orthodoxe
Parlementaire de la Défense, et numéro l'ONU, et non les efforts de guerre de hellénique, élu en mai 1998, déclarait
deux du FKGP (9)- la solution est l'indé- l'OTAN". Ces arguments, tout en faisant alors que puisque "les Occidentaux ne
pendance(10) de la Voïvodine et du appel au patriotisme, portent sur le risque tolèrent pas les Orthodoxes, nous allons
Kosovo, à moins que ces régions ne de- que fait courir cette guerre aux Magyars reprendre Istanbul", et lançait un appel à
viennent des territoires fortement auto- de Yougoslavie. S'opposer à la guerre, la croisade. Ajouter à cela le contentieux
nomes. Cette fois la déclaration de LA- c'est être pour les intérêts de la Hongrie avec la Macédoine voisine, le problème
NYI déclenche un orage dans le lander- et du peuple hongrois, par conséquent des minorités grecques et albanaises ré-
nau politique magyar. Mais elle est repri- contre les investissements américains. Le parties des deux côtés de la frontière qui
se et amplifiée, dans les derniers temps conflit s'achève sans que la classe poli- divise l'Épire, l'instabilité grandissante de
du conflit, par Istvàn CSURKA, qui pro- tique hongroise ne soit parvenue à se la Biélorussie et une amplification des
pose(11) l'annexion pure et simple de la mettre d'accord sur une position commu- conflits dans le Caucase... La poudrière
Voïvodine. Les autres formations poli- des Balkans n'a pas encore explosé, mais
ne. Pour certains, c'est à la minorité hon-
tiques s'élèvent contre ses propos, par groise de prendre en charge son avenir il suffit de peu pour que toute la région
crainte que ses déclarations ne se retour- par voie référendaire, pour d'autres c'est ne s'enflamme et embrase le continent.
nent contre les Magyars de Yougoslavie, Si l'enjeu géostratégique des Balkans a
à Belgrade de rendre son autonomie à la
ou contre les communautés hongroises région. changé pour des raisons technologiques
des pays voisins. Le gouvernement(12) La confusion est grande, le malaise aus- et de mondialisation, c'est l'équilibre
s'étonne qu'une telle proposition ait pu si... La guerre est à la porte, il suffit de géopolitique de tout le vieux continent
venir d'un haut représentant de l'État, peu pour réveiller les rancœurs, et pas qui lui, est remis en question. Les conflits
normalement tenu au devoir de réserve. uniquement contre les Serbes. Ici on ne ethniques ne sont pas le résultat de cris-
Le dimanche 9 mai, le Mouvement pour parle pas de Bratislava, mais de Pozsony. pations identitaires archaïques, mais bien
la Paix dans les Balkans (Balkàn Békéjért On a pas oublié que Kolozsvàr et l'autre face de la mondialisation. L'enjeu
Mozgalom) récemment constitué, réunit Szatmàrnémeti s'appellent Cluj et Satu pour l'Europe est de taille ; dans ce
plusieurs milliers de personnes dans les Mare en roumain, et que la Transylvanie contexte, l'invention d'un nouveau mo-
rues du centre-ville de la capitale, avec est peuplée aussi de Hongrois. La méfian- dèle politique est le défi majeur du XXIe
en tête de grandes figures de la vie pu- ce est de mise aujourd'hui quant à cette siècle.
——— 7) La Hongrie a une population de 10 millions d’habitants.
1) KADARÈ Ismael, Que cessent les vents chauvins, Manière de voir, 1999, p. 56. 8) MIÉP : Parti de la vie et de la justice de Hongrie, l’extrême droite hongroise.
2) L’État hongrois fondé par Saint Etienne a quasiment toujours gardé le même terri- 9) Le FKGP est un parti de droite, agrarien et assez radical, et le second parti de la
toire jusqu’en 1918. Autant que la dislocation de l’unité de la nation magyare, coalition au pouvoir, le FIDESz est le principal parti.
Trianon signifiait aussi la mise à mort d’un système politique et social. 10) Népszabadsàg, LVII. Année, Mardi 11 mai 1999, "Lànyi szerint a Vajdasàg
3) Je ne fais que reprendre le terme employé en Hongrie. ônàllò àllam is lehetne", p. 1.
4) Chef du Gouvernement slovaque de 1993 à 1998. 11) Népszabadsàg , LVII. Année, Jeudi 3 juin 1999, "Vajdasàg : CSURKA hàtàmò-
5) cf PERNIOLA Mario, "Trois styles post-politiques" in Les Cahiers de l’imaginaires, dosìtàst javasol", p. 1-4.
n° 2, Toulouse, Édition Privas, 1988, p. 35. 12) Népszabadsàg, LVII. Année, Mardi 11 mai 1999, "Lànyi szerint a Vajdasàg
6) DANKOVICS Laszlo, "Clemenceau et la Hongrie. Analyse d’une inimitié présu- ônàllò àllam is lehetne", p. 1.
mée.", in Géohistoire de l’Europe médiane, La Découverte / Livres Hérodote, Paris, 13) Népszabadsàg, LVII. Année, Lundi 10 mai 1999, "Tôbbezres békemenet a fivà-
1998, p. 164-179. rosban", p. 2.
A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E
31
 ■ RE GAR DS SUR LE S EUR OPE : UNE ANTHRO POLOGIE IMPL IQUÉE D AN S LES BALK ANS ■ ■ REGA RDS SUR LES EU ROPE : UN E ANT HRO POLOG IE IMPL IQUÉ E DAN S LES BAL KANS ■

“Vous considérez comme un mythe ce qui constitue notre essence. Le noyau spirituel du choix qu’ont fait jadis les Serbes du Kosovo
est pour vous une lubie de popes. (...) Vous souffrez d’agressivité anti-historique, et nous de mélancolie historique”.
Milan KOMMENIC,
écrivain serbe, à ses homologues albanais du Kosovo, 1988.(1)

LA QUESTION DU “PREMIER OCCUPANT”

DANS LES BALKANS
S t é p h a n i e M A H I E U
Anthropologue, Doctorante au Centre de Recherches en Ethnologie Européenne,
Université Libre de Bruxelles

P armi les analyses qui ont été faites au cours de la guerre du

Kosovo, deux visions simplificatrices de la “question balka-
nique” ont été véhiculées dans les médias occidentaux. La
première met l’accent sur “l’immaturité historique” des
peuples de la région, condamnés dès lors à la sauvagerie des
conflits “ethniques”(2), la seconde sur le poids de l’histoire des
Balkans : la boîte de Pandore que le communisme avait réussi
à garder fermée serait à présent béante. Dans les deux cas, les
sociétés balkaniques sont rejetées hors de la sphère de la mo-
dernité, et, partant, hors de l’Europe :
leur manque d’”historicité”, ou, au
contraire, la pesanteur des conflits qui
ont ponctué leur histoire, auraient
comme conséquence un éternel re-
commencement du cycle de la violen-
ce. Or les conflits qui déchirent l’ex-
Yougoslavie depuis 1991 sont des
conflits résolument modernes, qui re-
posent sur l’instrumentalisation à des
fins politiques de l’histoire, et plus par-
ticulièrement de la question du “pre-
mier occupant”. Comme le souligne
Jacques RUPNIK, “on entre là dans la
construction idéologique d’une histoire
qui est censée montrer la continuité de
votre présence sur un certain territoire,
remontant très loin dans le temps. Car,
très souvent, le même territoire consti-
tue pour différents peuples un symbole
important de leur identité nationale.
(...). Il faut donc prouver “qu’on était là
les premiers”. A partir de là vous avez
des batailles épiques entre historiens.
Mais l’important, dans l’affaire, ce n’est pas la vérité histo-
rique. L’historien est mis au service de la cause nationale. Il
s’agit de réparer une injustice historique. Car toutes ces na-
tions ont le sentiment d’être les victimes de l’Histoire”(3).
Le Kosovo fait l’objet d’une double revendication : les Serbes
y voient le berceau de leur nation, alors que les Albanais affir-
ment leur filiation avec les Illyriens (peuple arrivé à la même
époque que les Grecs), et par là même la continuité de leur
présence dans la région depuis l’Antiquité. Ce genre de débat
a mobilisé -et mobilise encore- des générations entières de
scientifiques issus de disciplines diverses : archéologues, histo-
riens, anthropologues. On sait relativement peu de choses à
propos des Illyriens : il s’agit d’un peuple indo-européen qui
s’installe au cours du deuxième millénaire avant notre ère
dans les régions correspondant à l’actuelle ex-Yougoslavie et à
l’Albanie. Leur langue, faute de traces écrites, demeure mal
connue. Cependant, de nombreux documents historiques té-
moignent de leur existence. Le problème de l’origine des
Albanais commence à se poser à partir du VIIe siècle de notre
ère. En effet, quatre siècles s’écoulent entre la dernière réfé-
rence faite aux Illyriens (début du VIIe
siècle), et la première apparition du
nom “Albanais” (XIe siècle). S’agit-il
du même peuple ? La question se po-
se avec d’autant plus d’acuité que
c’est entre ces deux dates que les
Slaves (dont les Serbes) font leur ap-
parition dans la péninsule balkanique.
Du côté serbe, Vuk DRASKOVIC(4) af-
firme que “nul savant sérieux au mon-
de ne soutient aujourd’hui l’affirma-
tion, que ressassent Tirana et Pristina,
sans aucune preuve à l’appui, selon
laquelle les Illyriens sont les ancêtres
des Albanais”.(5) Selon lui, ces der-
niers descendraient d’une tribu venue
dans le sud des Balkans lors des
grandes invasions (après les Slaves),
originaires de Thrace, voire d’Azer-
baïdjan. Par contre, de nombreux
chercheurs et intellectuels albanais
soutiennent la thèse de la continuité :
“les Albanais sont avec les Grecs les
deux peuples les plus anciens des
Balkans. Leur présence remonte à des temps reculés, sinon
aux premiers temps. En un mot, ils sont là depuis toujours.
Nul ne le conteste. Ils n’habitaient pas le ciel ! Ils étaient ins-
tallés sur une terre et cette terre était l’Albanie et le Kosovo” (6).
Une telle hypothèse ne doit cependant pas nous faire oublier
que les Illyriens sont eux aussi venus d’ailleurs, lors de la pre-
mière migration indo-européenne dans la région.
Il est possible d’émettre une hypothèse réaliste par rapport à la
question de la continuité(7) : la filiation Illyriens/Albanais
semble vraisemblable. En effet, face à l’invasion slave, les
Illyriens n’ont probablement pas tous disparu, surtout dans le
des nationalismes européens au XIXe siècle en France, en
Angleterre et en Belgique paraît étroitement liée à l’étiquetage
de l’Autre en tant que “primitif” ou “oriental”. La cohésion de
chaque nation européenne semble avoir été assurée par la
conviction de sa supériorité sur les peuples conquis”.(17)
Le découpage de l’Europe en ensembles culturels a certes for-
tement influencé la construction de l’Union Européenne et la
création de l’identité européenne. Mais dans le processus de
création de l’identité européenne, le “fondamentalisme cultu-
rel” n’ordonne pas les cultures en hiérarchie (en tout cas pas
systématiquement), mais trace des frontières : il distingue les
cultures proches, qui peuvent faire partie de l’Union
Européenne, et les cultures éloignées, qui doivent en être ex-
clues, en fermant la porte de l’Union aux pays concernés et en
fermant la frontière à leurs ressortissants.
“Chaque culture à sa place”. C’est également la logique poli-
tique et la finalité politique des nationalistes serbes, croates et
bosniaques musulmans. Il ne s’agit pas ici de tirer un trait
d’égalité entre la construction de l’Europe et celle des Etats is-
sus de l’ex-Yougoslavie, mais la logique de l’argumentaire
“culturaliste” est présente dans les deux cas : “toutes les cul -
tures sont peut-être également respectables, mais elles ne sont
pas toutes compatibles”.
Il ne s’agit pas non plus de nier les responsabilités des diri-
geants politiques serbes, croates, bosniaques et albanais ; elles
sont évidentes et inégales. Mais il est important aussi de dé-
noncer un raisonnement qui a permis une manipulation idéo-
logique aux conséquences tragiques. En ex-Yougoslavie, l’idée
de séparation des cultures a été mise en place par une violen-
ce proportionnelle à la difficulté de séparer des cultures si im-
briquées et enchevêtrées.
Le “fondamentalisme culturel” maintien un lien avec le “natu-
ralisme”, par l’intermédiaire des postulats de l’ethologie hu-
maine et de la sociobiologie qui prétendent que la nature hu-
maine est fondée sur des principes biologiques, comme l’im-
pératif territorial, et que, par voie de conséquence, les hu-
mains, au même titre que les animaux, ont une tendance natu-
relle à être hostiles aux étrangers. Il n’est pas difficile de dé-
montrer par des exemples ethnologiques que l’hostilité aux
étrangers n’a rien d’universel. Par exemple, la procédure cou-
rante en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie et en Afrique, qui
veut que l’on donne la chefferie à un étranger(18). Pourtant ce
présupposé est largement répandu parmi les responsables poli-
tiques européens, et pas seulement à droite. Daniel COHN-
BENDIT, par exemple, a développé un tel argumentaire en
1991, alors qu’il était responsable du Département des affaires
multiculturelles de la ville de Francfort.
“L’indignation concernant la xénophobie (Fremdenhass), qui
propose en guise d’antidote une politique d’ouverture des
frontières, est quelque peu fausse et dangereuse. Car si l’his -
toire nous a enseigné une chose, c’est bien celle-ci : dans au -
cune société l’établissement des relations avec des étrangers
n’a été inné. Il y a fort à parier que la réserve vis-à-vis des
étrangers constitue une constante anthropologique des es -
pèces, et la modernité avec sa mobilité croissante a rendu ce
problème plus général qu’auparavant.”(19)
Les interprétations culturelles et les explications biologiques
des inégalités sociales et des démarcations entre groupes hu-
mains ont en commun la croyance en des structures perma-
nentes : “elles évoquent l’exposé d’une évolution biologique
selon laquelle le développement des groupes humains, com -
me celui des animaux, impliquerait l’acquisition de caractères
finalement permanents qui marqueraient définitivement leur
histoire et leur identité” (20). Alban BENSA fait, à juste tire, une
critique serrée des notions d’organisme social, de système cul-
turel et de structure profonde, fondées sur les théories fixistes
des sciences naturelles de l’âge classique, car “en accordant
aux sociétés la stabilité apparente des pierres, des plantes ou
des bêtes, l’anthropologie a pris le risque de manquer la spéci -
ficité même du phénomène humain, à savoir son inscription
dans une temporalité propre, indépendante du temps long de
la géologie et de la biologie.”(21)

32 A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E ■ ■ A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E
13
 ■ R EGARDS SUR LES EUROPE : UN E ANT HRO POLOG IE IMPL IQUÉE D AN S LE S BALK ANS ■ ■ RE GA RDS SUR LE S EUROPE : UNE ANTHRO POLOGIE IMPL IQUÉE D AN S LES BAL KANS ■

discréditées dans l’après-guerre, le fondamentalisme culturel
comme rhétorique contemporaine de l’exclusion théorise, à
leur place, les relations entre les cultures en réifiant les fron -
tières culturelles et la différence” (p. 250).
Derrière ces deux options théoriques, se trouve la même ma-
nipulation idéologique qui fait porter aux exclus la responsa-
bilité de leur situation. Avec comme différence que les fron-
tières culturelles laissent la porte ouverte à l’assimilation,
condition d’intégration de l’”autre” au corps politique natio-
nal.
CULTURES ET POLITIQUE INTERNATIONALE
La culture est également utilisée comme schème interprétatif
des relations internationales. Samuel HUNTINGTON(9), le cé-
lèbre politologue américain, théoricien des dichotomies mon-
diales actuelles, présente le monde comme séparé en sept “ci-
vilisations” antagonistes : occidentale, asiatique, islamique,
hindouiste, orthodoxe, latino-américaine et africaine. La me-
nace que chaque “civilisation” représente pour l’Occident est
évaluée en fonction de son degré d’acceptation ou de refus du
modèle culturel occidental. Là aussi le passage d’une lecture
“naturaliste” à une lecture culturaliste des différences est ex-
plicite : HUNTINGTON prend soin d’affirmer qu’il ne s’agit
pas de présupposer “une supériorité intrinsèque de “nous” sur
“eux”.” Il ne s’agit donc pas d’une différence de nature, com-
me HEGEL et HERDER en établissaient entre l’Europe et la
Chine(10), mais d’une différence de culture. Cette notion poli-
tique de culture est définie comme une structure profonde et
quasi-permanente héritée de la longue histoire. Elle permet à
HUNTINGTON d’expliquer pourquoi, malgré les possibilités
de changement qualitatif qu’offre le monde actuel (libéralisme
économique et démocratie politique), les civilisations non oc-
cidentales restent figées sur leur passé(11). Ce qui ne laisse au-
cune place pour une interprétation conjoncturelle de l’état des
sociétés qui composent ces “civilisations”. Ainsi le risque
d’une guerre des “civilisations” est annoncée. La religion est
ici le principal trait retenu pour définir une civilisation, puis
viennent ensuite le sang, la langue, et la manière de vivre.
CULTURES, GUERRES EN EX-YOUGOSLAVIE, EUROPE
Cette théorie grossièrement “culturaliste” a été appliquée pour
interpréter les guerres qui se sont déroulées sur le territoire de
l’ex-Yougoslavie. Dès le début de la guerre en Croatie, l’ojectif
des responsables politiques croates était de faire accepter
l’idée d’une incompatibilité civilisationnelle entre la Croatie et
la Serbie. Au début des années 1980, un groupe d’intellectuels
d’Europe de l’Est (dont Milan KUNDERA) s’est lancé, dans
l’entreprise de redonner vie à la vieille notion d’Europe
Centrale en sélectionnant minutieusement certains traits cultu-
rels et filiations historiques. Cette idée d’un clivage culturel in-
franchissable opposant l’Europe centrale et l’Europe balka-
nique fut dès lors défendue par une majorité de responsables
politiques et d’intellectuels occidentaux. Dans cette représen-
tation, qui découpe aussi bien le temps que l’espace, l’Europe
centrale fait partie intégrante de l’Europe occidentale, car elles
partagent les mêmes valeurs et les mêmes caractéristiques(12),
alors que les Balkans, déterminés par l’Orthodoxie et l’Islam,
en constituent l’altérité négative(13).
Carl BILDT, le Haut Représentant de l’Union Européenne pour
la Bosnie-Herzégovine, témoigne d’une rencontre entre le
Président des Etats-Unis et celui de la Croatie : “I remember
when President TUDJMAN, who does not really like to be
considered part of the Balkans, went to Washington in
conjunction with the eternal Mostar crisis. We all awaited the
outcome of the CLINTON-TUDJMAN meeting with apprehen -
sion. What came out was a White House communique saying
that TUDJMAN and CLINTON had agreed that Croatia is part
of Central Europe ! Such a statement has fairly important re -
percussions : it seems to echo the central TUDJMAN thesis
that there is a firewall between his part of Europe or “this” part
of Europe and the “other” part of Europe and he can explain at
lenght - in terms that make HUNTINGTON look like an ama -
teur - what the clash of civilisations really means.”(14)
La théorie culturelle du choc des civilisations domine la pen-
sée intellectuelle et politique occidentale et, par glissement,
les autres sont parfois rejetés en dehors de la civilisation.
Ainsi, Paul J. MAGNARELLA, de l’Université de Floride, qui a
été consultant au Tribunal Criminel pour l’ancienne Yougo-
slavie à La Haie en 1995, commence un article par cette phra-
se : “The brutality of the conflicts in the States of the former
Yugoslavia, especially Bosnia Herzégovina (B H), has aroused
the indignation of the civilized world.”(15) La même idée est
présente dans un document produit par le Center for European
Policy Studies pendant la guerre dans
l’actuelle Yougoslavie de mars-juin 1999
et intitulé “A système for Post-War
South-East Europe (Plan for reconstruc -
tion, Openness, Developpement and
Integration)”, où les Balkans sont claire-
ment désignés comme une région non
civilisée de l’Europe(16). Dans le chapitre
3.3, consacré à l’Albanie, il est dit : “All
the State institutions are chronically
weak, and in 1997 came to a state of vir -
tual anarchy. Its leaders and elite express
the desire to join civilized Europe”.
Cependant, ces exemples constituent
plutôt l’exception que la règle car, com-
me nous l’avons vu plus haut, l’”idéolo-
gie culturaliste” se distingue du racisme
propre aux conquêtes coloniales.
Dans un article publié en 1991, Bogumil
JEWSIEWICKI montre que “la montée
sud de la région (qui correspond à l’actuelle Albanie), où au-
cun document historique ne fait référence à la présence des
Slaves. Ensuite, le nom “Albanais” évoque celui d’une des tri-
bus illyriennes, les Albanois, évoqués par Ptolémée au deuxiè-
me siècle de notre ère. Enfin, aucun document n’évoque la
venue des Albanais de Thrace où d’Azerbaïdjan, en même
temps ou après celle des Slaves. Il paraît donc prudent d’avan-
cer que, premièrement, les Illyriens du Nord ont été assimilés
(et/ou repoussés vers le Sud-Est)
par les Slaves dans les régions cor-
respondant à l’ex-Yougoslavie.
Deuxièmement, les Illyriens du
Sud semblent s’être maintenus en
tant que peuple et peuvent donc
être considérés comme les “an-
cêtres” des Albanais. Mais la ques-
tion fondamentale qui se pose est
la suivante : sont-ils restés au
Kosovo ?
Les Illyro-albanais sont-ils restés
au Kosovo lors de l’arrivée des
Slaves, ou bien l’ont-il quitté pour
y revenir quelques siècles plus
tard ? On perçoit bien l’enjeu sou-
levé par une telle question. Il
semble que les Slaves aient rem-
placé les Illyriens dans cette ré-
gion dès le XIe siècle, comme le
suggère Paul GARDE(8). La preuve
la plus convaincante est fournie
par la toponymie : les noms de
lieu sont d’origine slave. De plus,
on ne sait rien de précis sur la pré-
sence possible d’une population
albanaise au Kosovo au temps des royaumes serbes (1180 à
1371). A partir de cette époque, la présence serbe dans la ré-
gion est indiscutable : de nombreux monastères orthodoxes
serbes sont construits, et la capitale serbe est fixée à Prizren de
1282 à 1371. Cependant, du côté albanais, Ismaïl KADARÈ
écrit que le Kosovo ne peut être resté vacant avant l’arrivée
des Serbes. C’est une des terres les plus fertiles de la péninsule
balkanique, il est donc exclu qu’elle soit restée inoccupée.
Même si cet argument est recevable, cela n’exclut pas que,
sous la poussée des Slaves, les Illyro-albanais se soient tempo-
rairement repliés dans la zone de l’actuelle Albanie. L’hypo-
thèse la plus raisonnable est donc celle d’un retrait des Illyro-
albanais du Kosovo à l’arrivée des Slaves, puis de leur lente
remontée autour des XIIe et XIVe siècles, qui va s’accélérer
avec l’occupation ottomane(9).
Il paraît donc certain que les Serbes ont été majoritaires autre-
fois dans la région, et tout aussi certain que la culture serbe y
a ses racines, avec de nombreux sanctuaires orthodoxes, et
surtout le champ de bataille de la plaine du Kosovo. Mais ce
n’est pas là un argument suffisant pour justifier la politique
menée par Belgrade à partir de 1987, ni le rôle qu’une partie
de l’intelligentsia serbe a joué dans la manipulation de la
question du Kosovo(10).
Une telle problématique ne concerne cependant pas unique-
ment le Kosovo : d’autres régions des Balkans font en effet
l’objet de revendications croisées de ce type. C’est le cas de la
Macédoine(11). Au milieu des années quatre-vingt-dix, une cri-
se sérieuse éclata entre la Grèce et l’ancienne république you-
goslave de Macédoine (FYROM), proclamée indépendante en
1991 : du côté grec, on déniait à la jeune république le droit
de porter le nom de Macédoine, nom d’une province grecque,
et d’arborer sur le drapeau macédonien le “soleil de Vergina”,
emblème de la dynastie macédonienne (dont Philippe de
Macédoine et son fils Alexandre le Grand furent les plus
illustres représentants). Du côté macédonien, les historiens af-
firmaient la filiation des habitants
actuels avec les Slaves, mais éga-
lement avec les Thraces, peuple
indo-européen apparu dans la ré-
gion avant les Grecs. Au plus fort
de la crise, le gouvernement grec
prit la décision de barrer l’accès
du port de Thessalonique à tout le
commerce de la jeune république.
De gigantesques manifestations fu-
rent organisées dans cette même
ville : en février 1994, plus d’un
million de personnes défilèrent en
scandant les slogans “le nom de
Macédoine n’est pas négociable
par l’Histoire”, ou encore “Europe,
n’oublie pas ce que tu nous dois”.
La “crise macédonienne” a cepen-
dant pris fin, les deux parties étant
arrivées à un accord.
La Transylvanie(12) fait l’objet d’un
débat similaire. Alors que les
Roumains revendiquent une filia-
tion avec les Daces et les colons
romains, et soutiennent la conti-
nuité du peuplement roumain
dans la région, les Hongrois affirment que quand les tribus
magyares y sont arrivées au IXe siècle, la zone était vide. Le
problème est rendu plus complexe par l'absence de traces
écrites concernant une éventuelle présence roumaine en
Transylvanie entre les IVe et XIVe siècles. Les recherches ac-
tuelles vont cependant dans le sens de la continuité du peu-
plement roumain, même si celui-ci a été sporadique à cer-
taines périodes. Ambrus MISKOLCZY résume ainsi la "ques-
tion transylvaine" : "Qu'est-ce que la Transylvanie ? La réponse
de Marko BÉLA, écrivain et homme politique hongrois de
Roumanie, semble la plus pertinente et la plus sincère. La
Transylvanie, dit Marko BÉLA, est un mythe qui évoque l'idée
non pas tant de coexistence ou de paradis perdu que de para-
dis volé. Cette définition de Marko BÉLA entraîne immédiate-
ment la question suivante : "Mais qui est le voleur ? ". La ré-
ponse est simple : c'est l'autre. Et celui qui répond ainsi se ba-
se sur des arguments historiques. Selon cette argumentation
martyrologique, le voleur a volé le produit du travail des pre-
miers habitants de ce coin de terre."(13) Toutefois, bien que les
rapports roumano-hongrois aient connu des moments de cris-
pation après 1989, à propos notamment du sort de la minorité
hongroise de Transylvanie, l'heure est plutôt au dialogue entre
ces deux pays.
Dans les trois cas qui ont été évoqués, et l’on pourrait en citer
d’autres, l’histoire est instrumentalisée pour justifier des poli-
tiques résolument modernes : c’est le présent qui conditionne
le regard porté sur l’histoire. Le mythe de l'autochtonie, dont

12 A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E ■ ■ A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E
33
 ■ R EGAR DS SUR LES EUROPE : UN E ANT HRO POLOG IE IMPL IQUÉE D ANS LES B ALK ANS ■ ■ REGA RDS SUR LE S EUROPE : UN E ANTHRO POLOG IE I MPL IQUÉE D AN S LES BAL KANS ■

l'enjeu est l'appropriation -symbolique, voire physique- d'un

territoire, sert de prétexte pour légitimer des revendications
politiques de type nationaliste(14). Etant donné l'imbrication de
cratique" n’est pas toujours universel - ses limites et celles des
intérêts nationaux coïncident"(16).
La prudence est donc de rigueur face à de tels arguments, qui
DE L’UTILISATION IDÉOLOGIQUE
populations qui caractérise les Balkans, il apparaît clairement
qu'un tel mécanisme de repli sur soi, qui relève d'une concep-
ne sont cependant pas "typiquement balkaniques" : on citera
le cas de Bruxelles pour illustrer des mécanismes similaires de DE LA NOTION DE CULTURE EN GÉNÉRAL,
ET DANS LES GUERRES EN EX-YOUGOSLAVIES
tion de la différence envisagée en termes absolus, irréconci- lecture "biaisée" de l'histoire, liés à des revendications territo-
liables, ne peut mener qu'à l'exclusion, sous toutes ses formes, riales antagonistes : "A qui appartient la région bruxelloise ? A
y compris les plus extrêmes. Il est donc vain de chercher dans sa population, francophone à 85 %, ou bien à la Région fla-
l'histoire matière à légitima-
tion des politiques actuelles.
Il convient cependant de ne
mande qui, suite à un coup
de force institutionnel, en a
fait sa capitale de facto ?
EN PARTICULIER
pas remplacer trop schémati- Pour les élites flamandes,
D eja n D I M I TRI JEV I C
quement le principe d'"(il- cette question ne souffre au-
)légitimité historique" par ce- cune ambiguïté, compte tenu Maître de conférence à l’Université de Nice-Sophia Antipolis, SOLIIS-URMIS
lui de "légitimité démogra- du passé flamand de Bru-
phique", qui peut lui aussi
mener à des revendications
qui ne laissent pas de place à
xelles. L'exemple bruxellois
permet d'introduire une
autre notion qui nous semble
N ous tenterons ici de mettre en lumière l’utilisation idéolo-
gique de la notion de culture comme grille de lecture et
comme moyen d’ordonner l’espace social, à l’échelle na-
Verena STOLCKE et Wolfgang KASCHUBA(2). Sans être nou-
veau, ce phénomène n’en était pas moins resté marginal jus-
qu’alors(3).
l'"autre". Même si Ismaïl KA- intéressante : celle de double tionale et internationale. La réflexion porte sur la constitution G. ALTHABE(4) analyse la production de l’étranger intérieur en
DARÈ déclare : "J’insiste sur minorité/majorité (...) L'eth- des frontières symboliques qui permettent de penser les diffé- France, comme un cadre symbolique de substitution dans le-
le fait que se réclamer du nie majoritaire à l'échelle de rences et qui, par cela même, contribuent à les établir. Utilisés quel l’ethnique est pensé en lieu et place du social. Au cours
"premier arrivant" n’est pas la zone mixte peut s'avérer par les administrations publiques nationales et internationales, des années 1980, la société française se réorganise autour de
un argument ; c’est tout-à- minoritaire à l'échelle natio- par les médias et adoptés par le langage commun, les discours la fracture sociale, qui constitue désormais la frontière entre
fait l’inverse... Et en toute nale et/ou régionale. (...) Il culturalistes marquent les frontières entre “nous” et les “nous” et “eux”. Les autochtones fixent les allogènes dans leur
sincérité, j’avoue que si les Serbes prédominaient au Kosovo ne s'agit pas, à travers cette idée de double minorité, de nier “autres”. différence ethno-culturelle et les produisent en “acteurs sym-
en dépit de l’antériorité des Albanais, eh bien ! le Kosovo re - l'existence d'une majorité, mais de souligner en quoi ce La démarcation entre “nous” et les “autres” “se heurte toujours boliques” du négatif social (pauvreté, chômage, dépendance
viendrait aux Serbes."(15) : force est de constater que la situa- double rapport ajoute, d'une part, à la complexité et appelle, au “binarisme” qui hante toutes les visions du monde : il y vis-à-vis des travailleurs sociaux, etc.). Cependant, les “étran-
tion est bien plus complexe, et qu'aucun argument n'est en soi d'autre part, nécessairement des solutions de compromis. Au toujours deux types gers intérieurs” ne
démocratique. En effet, comme l’indique O. MILOSAVLJEVIC, risque du pire, comme à Sarajevo ou à Mostar(17). A la lumière de sociétés, moderne sont pas seulement
à propos de la vision serbe du principe de "légitimité démo- de ces quelques exemples, il apparaît que la violence n’est et traditionnelle, les allogènes, mais
cratique" : "Pour le Kosovo seul est démocratique le principe pas plus inéluctable au Kosovo qu’au Pays Basque, en Corse avancée et archaï- tous ceux qui se
historique, pour les Serbes de Croatie le principe ethnique, ou en Irlande du Nord. Un Serbe, un Croate ou un Kosovar que, chaude et froi- trouvent du mauvais
pour les Serbes de Bosnie-Herzégovine seul est valable le ca - n’est ni plus ni moins "civilisé" qu’un Wallon ou un Flamand. de, capitaliste indus- côté de la fracture.
dastre, pour Dubrovnik le fait que la ville a appartenu fort peu Admettre la modernité des enjeux qui ont été présentés, c’est trialisée et capitaliste Ainsi, en Allemagne,
de temps à la Croatie, pour la Voïvodine de nouveau le princi - refuser de renvoyer les sociétés balkaniques dans la sphère de préindustrielle ; en- la culture est présen-
pe ethnique, pour Zadar, Karlovac, Vukovar..., on ne cherche l'altérité, et donc leur reconnaître le statut de sociétés euro- core deux mondes, tée comme une fron-
aucun argument... Dans ce méli-mélo de principes, le "démo - péennes. l’Ancien et le Nou- tière qui sépare non
veau, ou encore seulement les au-
——— d’une part l’Ancien tochtones des allo-
1) Cité par Drinka GOJKOVIC, "Un traumatisme sans catharsis" in POPOV, Nebojsa, Radiographie d’un nationalisme. Les racines serbes du conflit yougoslave, Paris, Editions
de l’Atelier, p. 252.
et le Nouveau, d’au- gènes, mais aussi les
2) Par exemple : "Dans la mesure où les sociétés balkaniques sont moins avancées sur la voie de la modernité, il serait donc logique que l’usage de la violence y soit plus fré- tre part le “tiers-mon- Allemands de l’Est
quent et socialement légitimé qu’en Europe occidentale". Cette phrase est extraite d'un courrier des lecteurs envoyé à la suite de la parution de mon article "La question du de”. A ces exemples des Allemands de
Kosovo ou l'histoire manipulée", in La Revue Nouvelle, Bruxelles, n° 5-6, mai-juin 1999, pp. 18-27 (courrier de M. DE BACKER). de “binarismes” que l’Ouest. Dans un
3) RUPNIK, Jacques, in Le Nouvel Observateur, 15-21 avril 1999, p. 82.
4) Ecrivain et homme politique serbe très controversé, figure emblématique de l’opposition à Slobodan MILOSEVIC, ce qui ne l’a pas empêché de faire partie du gouverne- donne Jack GOO- même mouvement,
ment serbe, avant de démissionner en avril 1999. DY(1), nous en ajou- les responsables po-
5) DRASKOVIC, Vuk, "Confrontation avec la vérité", in Le Monde Diplomatique, Manière de voir 17, "Nationalismes : la tragédie yougoslave", février 1993. tons un autre que litiques politisent la
6) KADARÈ, Ismaïl, et FERNANDEZ-RECATALA, Denis, 1999, Temps Barbares. De l'Albanie au Kosovo, Paris, L'Archipel, p. 188.
7) A ce sujet, voir CHAMPSEIX, Elisabeth et Jean-Paul, 1992, L’Albanie ou la logique du désespoir, Paris, La Découverte. nous développerons, culture et “apoliti-
8) GARDE, Paul, 1992, Vie et Mort de la Yougoslavie, Paris, Fayard. l’Europe et l’Autre Europe qui, comme nous le verrons, se sub- sent” les conflits sociaux. La discrimination et l’exclusion se-
9) Il conviendrait bien évidemment de s’attarder sur l’épisode de la bataille du Kosovo, en 1389, où s'affrontèrent les armées des princes balkaniques alliés (Serbes en particu- divise notamment en deux parties, l’Europe centrale et les raient des “conséquences normales des différences cultu-
lier, mais également Albanais, Hongrois, Bosniaques, Roumains) et les Ottomans. Ces derniers remportèrent la bataille, souvenir obsédant pour la Serbie qui y perdit son indé-
pendance pour les 500 ans qui allaient suivre. Balkans. relles” et de l’inadaptation culturelle(5).
10) A propos des liens entre le régime de MILOSEVIC et l’Académie serbe des Arts et des Sciences, auteur, en 1986, du fameux Mémorandum, voir MILOSAVLJEVIC, Oliveira, Les frontières culturelles sont constitutives des identités et, à Les discours politiques “culturalistes” ont une grande capacité
1998, "Du mauvais usage de l’autorité scientifique", in POPOV, Nebojsa, op.cit., pp. 205-238. l’échelle internationale, renforcent les frontières territoriales. Il de mobilisation identitaire ; la culture et l’identité jouent alors
11) A propos du conflit qui opposa la Grèce et la FYROM, voir notamment CONTOGEORGIS, Georges, 1992, Histoire de la Grèce, Paris, Hatier, PRÉVÉLAKIS, Georges,
1997, Géopolitique de la Grèce, Bruxelles, Complexe, et THUAL, François, 1998, Le douaire de Byzance, Paris, Ellipses.
s’agit ici de mettre en lumière les interprétations culturalistes le rôle que Karl MANNHEIM attribuait à l’idéologie : empê-
12) On consultera à ce sujet BRATIANU, Gheorghe, 1937, Une énigme et un miracle historique : le peuple roumain, Bucarest, Editura stiintifica si enciclopedica, ainsi que appliquées aux crises socio-économiques occidentales et aux cher les gens de voir ce qui se passe vraiment(6). V. STOLC-
GIURESCU, Constantin, 1968, La Transylvanie dans l’Histoire du peuple roumain, Bucarest, Editions Meridiane, IORGA, Nicolae, 1922-1936, In lupta cu absurdul revizio - guerres Yougoslaves et, en retour, d’évaluer les implications de KE(7) parle de “fondamentalisme culturel”, qu’elle définit com-
nism maghiar, Bucarest, Globus, réédition 1991, KÖPECZI, Béla, 1992, Histoire de la Transylvanie, Budapest, Akadémiai Kiadó, et LAZAR, István, 1993, Petite histoire de la
Hongrie, Budapest, Corvina (première édition en Hongrois, Kis magyar történelem, 1989, Gondolat Kiadó).
la recherche anthropologique. me “une idéologie d’exclusion collective, appuyée sur l’idée
13) MISKOLCZY, Ambrus, "Brasov, Brassó, Kronstadt, ville-frontière d'une région-frontière de la monarchie des HABSBOURG", in KOTEK, Joël, 1996, L'Europe et ses villes- de l’autre comme étranger au corps politique”, à distinguer
frontières, Bruxelles, Editions Complexe, p. 64. CULTURES ET CRISES SOCIO-ÉCONOMIQUES des doctrines racistes : “Au lieu d’ordonner hiérarchiquement
14) Voir à ce sujet le récent ouvrage d'Anne-Marie THIESSE : THIESSE, Anne-Marie, 1999, La création des identités nationales : XVIIIe-XXe siècles, Paris, Seuil. Le processus de la “culturalisation” des crises socio-écono- des cultures différentes, le fondamentalisme culturel opère
15) KADARÈ, Ismaïl, et FERNANDEZ-RECATALA, Denis, 1999, op.cit., p. 189.
16) MILOSAVLJEVIC, Oliveira, op. cit., p. 232.
miques dans les discours politiques, à partir des années 1980, une ségrégation spatiale. Chaque culture à sa place (p. 240).
17) in KOTEK, Joël, op. cit., p. 15. a été clairement mis en évidence par Gérard ALTHABE, [...] Les doctrines racistes(8) ayant été finalement politiquement

34 A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E ■ ■ A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E
11
 ■ R EGAR DS SUR LES EUROPE : UN E ANT HRO POLOG IE IMPL IQUÉE D ANS LES B ALK ANS
des regards différents ; plus encore, ce
sont les tenants et aboustissants moraux
ou humains qui basculaient : la purifica-
tion ethnique ne pesait pas le même
poids que les risques de déstabilisation
de toute une région ; on en venait à lui
accorder plus d’importance en tant qu’ef-
fet, qu'en tant qu’horreur ; enfin selon
cette logique discursive, elle n'était mê-
me pas tant le fait des serbes que le résul-
tat des “frappes”. Le tout aboutissant à
une nouvelle désignation des responsabi-
lités qui nous implique directement cul-
turellement : moi Français, suis aussi
comptable de ces actes de guerre , ne
suis-pas coupable, en fin de compte, de
la situation des Kosovars ?
Autre exemple, en Bulgarie, où ma pre-
mière réaction à chaud concernait la li-
mite de ma conception des droits de
l'homme et de la “compréhensibilité” du
point de vue de l'autre. J’ai véritablement
senti la limite de ma conception des
droits de l’homme et de la “compréhensi-
bilité” du point de vue de l’autre. A table
chez un ami, : “Oui, MILOSEVIC est un
dictateur, mais est-ce que tu sais que
l’UCK est financée par le trafic d’héroïne
et que RUGOVA habite un véritable pa-
lace à Pristina [sic !] ?”, “Oui, l’exil des
Kosovars est tragique, mais est-ce que tu
sais que le Kosovo est la terre d’origine
des Serbes et que les Albanais l’ont litté-
ralement envahie depuis le début du
siècle ?”, “Oui, il faut un règlement de
cette question, mais est ce que tu sais
que le Kosovo est un problème de poli-
tique intérieure yougoslave, et que l’on
agresse en ce moment une nation
d’Europe ?”… Je dois bien avouer mon
effarement d'alors, non pas du fait des ar-
guments en eux-mêmes, mais de la sou-
daine relativité, de la réversibilité de ce
qui me semblait, bon gré mal gré,
l'“ordre des choses”. Il m'était tout bon-
10
nement insupportable que les exactions
serbes se trouvent presque justifiées, du
moins ramenées à un échange de mau-
vais procédés avec la population albanai-
se du Kosovo. L’humanisme, “l’universa-
lisme” version occidentale, ma version
des droits de l'Homme s'arrêtaient à cette
table. Serait-ce là cette “altérité obsti-
née” ? Mais si elle existe, n'est-ce pas en
regard de l'“identité obstinée” dont font
preuve, aux yeux de mon ami, les “occi-
dentaux”, dans l'imposition de leur “mo-
dèle de civilisation”.
L'universalisme, lorsqu'il conduit par ab-
solutisme à qualifier ce qui y déroge sous
le signe d'une altérité radicale, aboutit à
l'inverse de ce qu'il prétend défendre.
Car chacun y va dès lors de son utilisa-
tion particulariste des “droits de l'hom-
me”, ce qui en annule du coup la valeur
intrinsèque : d'où le brouillage perma-
nent, dans le cas concret du Kosovo, des
positions respectives de chacun dans les
ordres victime/coupable ou faible/fort im-
posés à la pensée et à la sensibilité par la
logique de guerre.
En sont l'illustration : le ralliement massif
des Serbes derrière MILOSEVIC (d'ordi-
naire peu populaire) lors des bombarde-
ments, les manifestations pro-serbes qui
ont émaillé le conflit, dans les Balkans et
ailleurs, ou au contraire des expressions
d'antiserbisme basées non pas sur la dé-
fense des Kosovars albanais mais sur des
litiges ”particuliers” (par exemple ce tract
bulgare anticommuniste critiquant les po-
sitions proserbes en montrant l'oppres-
sion historique des Serbes à l'encontre
des Bulgares). Ce “brouillage” provient
de la conjonction entre guerre et humani-
taire : dans la mesure où, sous couvert de
moralité, on réplique à un comportement
criminel par un autre comportement jugé
tout aussi criminel, reste à choisir son
camp non pas selon des valeurs abs-
A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S
traites, mais selon une logique d’identifi-
cation privilégiant la proximité culturelle,
historique ou politique. Tout comme l’in-
tervention de l’OTAN est interprétée
comme la démonstration de force de
“l’humanité occidentale” au nom des
“droits de l’homme”, chacun se sert de
ces derniers pour la défense de son “hu-
manité particulière”, serbe, balkanique
ou autre… Jusqu’à l’inversion totale de
l’”ordre” occidental des droits de l’hom-
me tel que présenté lors de la guerre et
comme sa justification : un peuple
faible, les Kosovars albanais, soumis à la
barbarie d’un peuple fort, les Serbes, et
secouru par une force internationale exté-
rieure, l’OTAN…
Le recours à un différentialisme (non rela-
tiviste) capable de déconstruire les sché-
mas de pensée simplifiés de l'universalis-
me tout en ne permettant pas une sorte
d'“exception culturelle” concernant le
respect des droits humains semble indis-
pensable. Car sans pensée critique et
“ethnologique” sur les droits de l'hom-
me(4), on court tout simplement le risque
d'en faire un “prêt à penser” manipulable
au gré d'intérêts ponctuels et particuliers,
de les voir réfutés dans leur présentation
à l'universalité. Bref, Néantisés.
—————
1) Robert REDEKER, “L'humanitaire et la guerre à la
place de la politique”, in les Temps Modernes, N°
604, Gallimard, Paris, mai-juin-juillet 1999, pp. 13-
17.
2) Stjepan G. MESTROVIC, Habits of the Blakan Heart,
Texas A&M university press, USA, 1993
3) Mattijs VAN DE PORT, It takes a Serb. Uncovering
the roots of obstinate otherness in Serbia in Critique of
Anthropology, vol. 19, n° 1 Sage publications,
London, march 1999, pp. 7-30.
4) Voir à ce sujet Jennifer SCHIRMER, The dilemma of
cultural diversity and equivalency in universal human
rights standards, in Human Rights and Anthropology,
Theodore E. Downing & Gilbert Kushner Editors,
Cultural survival, USA, 1988, pp. 91-106.
D ' A N T H R O P O L O G I E
■ ■ RE GA RDS SUR LE S EUROPE : UN E ANTHRO POLOGIE IMPL IQUÉE D AN S LES BAL KANS
LA BULGARIE,
RÉFLEXIONS D’ANTHROPOLOGIE
HISTORIQUE ET POLITIQUE
Professeur de sciences politiques à l’Université catholique de Lyon, Institut des Droits de l’Homme(1)
INTRODUCTION :
UNE DÉMOCRATIE LIBÉRALE
AU GOÛT NATIONALISTE.
En parcourant la Bulgarie en juillet dernier,
parmi les questions que nous nous som-
mes posées, quelques unes revenaient sans
cesse : quel regard la Bulgarie jette-t-elle
sur son passé et comment gère-t-elle son
patrimoine et sa mémoire ? Quel est l’im-
pact de cette perception historique sur sa
politique aujourd’hui et ses conséquences
sur l’avenir ? Sous le rapport identité-altéri-
té, quelle est sa politique de voisinage
avec la République de Macédoine, la
Grèce et la Serbie ?
La Bulgarie célèbre en novembre de cette
année le Xe anniversaire de la fin du régi-
me communiste (novembre 1989) qui s’est
opérée -fait unique- sans effusion de sang.
Le pays éprouve à la faveur de la démo-
cratisation une fierté nationale recouvrée.
Slave par sa culture et orthodoxe par sa re-
ligion depuis le IXe siècle, traditionnelle-
ment orienté vers la Russie, le regard de la
Bulgarie est maintenant tourné vers
l’Ouest. Mais nous avons remarqué que
les Bulgares regardent leur avenir non sans
scepticisme et sont choqués devant l’igno-
rance par l’Occident de leurs traditions
historiques, leur héritage culturel, et leurs
réalités.
La Bulgarie voit enfin une lueur et exhale
un air de liberté accompagné d’un désir
ardent d’indépendance nationale dont les
symboles éclatent partout aux yeux de
l’observateur avisé. Cyrille et Méthode,
saint Clément d’Ochrid, saint Jean de Rila,
le patriarche Eftimi de Ternovo, le moine
Païssiy, le héros national Vassil LEVSKI,
l’écrivain Ivan VASOV, le révolutionnaire
Zacharie STOIANOV, le peintre d’icônes
Zacharius ZOGRAF, le poète Hristo BO-
TEV, l’homme politique Stefan STAMBO-
LOV : autant de noms présents partout
pour symboliser l’histoire nationale et reli-
gieuse du peuple bulgare au travers de
monuments, de noms de rues, ou sur les
billets de banque. Dans ce cadre, le passé
revient en force comme pour rappeler l’es-
■ ■ A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S
J o s e p h Y A C O U B
prit de résistance du peuple bulgare contre
l’oppression byzantine, la domination po-
litique turque, et l’hégémonie religieuse
grecque et son réveil national.
Que s’est-il donc passé ? Il est certain
qu’on ne peut comprendre les réalités et
les problèmes de la Bulgarie d’aujourd’hui
sans interroger son histoire ancienne, mo-
derne et contemporaine.
A - LA BULGARIE ET SON PASSÉ :
DES UNIVERS CULTURELS
ANTAGONISTES.
La politique et le nationalisme sont les
deux moteurs de l’histoire de la Bulgarie,
où le national, le religieux et le civil s’en-
tremêlent étroitement. L’historien bulgare,
Ilia TODEV, considère l’Eglise et l’Etat
comme les deux piliers de la cohésion de
la nation bulgare(2). Ce pays fut de tout
temps au carrefour de plusieurs civilisa-
tions (thrace, hellénistique, romaine, by-
zantine, slave, protobulgare, ottomane, eu-
ropéenne, communiste et occidentale) qui
l’ont modelé, et le peuple bulgare est de
longue date un peuple conquérant et re-
belle. Il a eu une histoire agitée marquée
par des convulsions, et fut pillé et dévasté
au cours de multiples guerres. Sofia (ex-
D ' A N TH R O P O L O G I E
■
Serdica) est une des plus anciennes villes
d’Europe. L’origine des Bulgares a toujours
interrogé les historiens. Ils sont considérés
comme touraniens et asiatiques par leurs
origines (des nomades d’origine turque),
venant des plateaux du Turkestan et de la
Volga. Ces protobulgares n’auraient d’au-
tre parenté avec les Slaves que la langue et
la religion. Le terme bulgare paraît pour la
première fois dans l’histoire en 354 et si-
gnifierait “nés d’un mélange de races”.
Aujourd’hui les Bulgares semblent être
ballottés par rapport à la gestion de leur
passé avec Byzance et surtout avec l’islam.
En ce qui concerne Byzance -et malgré la
religion orthodoxe commune- l’histoire re-
flète une constante rivalité d’hégémonie
depuis le IX e siècle. La Bulgarie a subi
l’entière domination de Byzance de 1025
à l185 et a été occupée pendant cinq
siècles par les Turc musulmans (1396-
1878). Durant l’occupation ottomane, le
pays perdit jusqu’à son nom et fut incorpo-
ré à la province de Roumélie. Pendant ce
temps, des Bulgares seront convertis à l’is-
lam sous le nom de Pomak (pluriel
Pomaci). Les diocèses bulgares relèveront
de la juridiction des Phanariotes grecs qui
supprimeront le slavon et essaieront de les
dénationaliser. Sous le joug ottoman, des
églises furent transformées en mosquées.
Partant, leur mémoire collective est trou-
blée, et les Bulgares éprouvent du mal à
retrouver leur identité nationale et religieu-
se.
La Bulgarie a joué un rôle éminent au
Moyen Age : les Bulgares se considèrent,
selon l’historien Bojidar DIMITROV (3),
comme “les civilisateurs du monde slave”,
“les gardiens de l’Europe pendant le Haut
Moyen Age”. En 681, disent les Bulgares,
il y avait l’Empire romain d’Occident,
l’Empire romain d’Orient (Byzance), et la
Bulgarie, premier Etat slave dans les
Balkans. Même lorsqu’éclata le “Schisme
de Photius”, en 863 entre Rome et
Byzance, la Bulgarie fut un enjeu principal
de cette division. En effet, une des raisons
de ce litige religieux était que Byzance
35
 ■ REGAR DS SUR LE S EUR OPE : UN E ANTHRO POLOG IE IMPL IQUÉE D AN S LES BALK ANS
avait dénoncé dans une encyclique, la
présence concurrente de missionnaires la-
tins en Bulgarie. A ce propos, Hrabar
MARCOV IVANOV, assomptionniste bul-
gare, auteur d’un “projet de calendrier uni-
versel perpétuel”, nous déclare son hostili-
té à la latinisation de la Bulgarie par
Rome. “La nomination de Photius comme
patriarche de Constantinople à la place
d’Ignace, destitué, sert de prétexte à ses
ennemis pour se tourner vers Rome. Rome
utilise cette occasion pour exiger que la
Bulgarie toute entière passe sous sa juri-
diction : prétention inacceptable pour
Constantinople. Il s’ensuit une dissension
entre Rome et Constantinople qui jusqu’à
nos jours n’est pas encore totalement écar-
tée”.
Les Bulgares ont vécus sous l’emprise de
deux royaumes successifs slaves chrétiens,
voisins et ennemis de Byzance. Le premier
royaume bulgare, fondé par Khan ASPA-
RUH, date de 681 et s’étendait de la
Thrace à la Macédoine (y compris
Ochrid). Sa capitale était Pliska et il dura
jusqu’en 1018. Converti au christianisme
byzantin en 865, le roi Boris Ier (852-889),
très estimé par les Bulgares, se fit baptiser
par Byzance et imposa la religion chrétien-
ne de rite slavo-byzantin à son peuple en
870. Clément d’Ochrid (840-916) et
Nahoum, disciples de Cyrille et Méthode,
avaient introduit cette religion en Bulgarie.
A partir de 885, le pays fut désormais de
culture slave. Sa langue liturgique, le sla-
von, était alors considérée comme le vieux
bulgare. Dès le départ, la Bulgarie s’orga-
nisa en Eglise nationale et érigea en 924
(jusqu’en 1019) un premier Patriarcat au-
tonome. Le tsar Siméon (893-927), fils de
Boris Ier, établit la Grande Bulgarie au Xe
siècle et est couronné comme basileus. En
926, Siméon prend le titre de tsar et établit
sa capitale à Preslav. Mais les Byzantins
conquirent de nouveau la Bulgarie sous
Basile II en 1019, supprimèrent ainsi le
Patriarcat établi à Ochrid, et dominèrent le
pays jusqu’en 1186. Ce fut une lutte sans
pitié entre deux Etats de même obédience
chrétienne en rivalité permanente. La
Bulgarie reprochait à Byzance de vouloir
l’assimiler dans le creuset grec. Basile II
(958-1025), dit le Bulgarochtone (tueur de
Bulgares), en lutte contre le roi bulgare
Samuel, creva les yeux de quelques 15
000 soldats bulgares, et les renvoya dans
leur pays, guidés par des borgnes.
Le second Empire bulgare (1187-1393)
s’organise autour de la ville de Ternovo
(Veliko-Ternovo) qui en fut la capitale. En
1235, on rétablit derechef le patriarcat au-
tocéphale à Ternovo (1235-1393) sous le
36
tsar Ivan Assen II (1218-1241). Mais à par-
tir du XIIIe siècle, la Bulgarie se morcelle
en principautés indépendantes (Ternovo et
Vidin), et l’Eglise bulgare perdra toute au-
tonomie sous la domination phanariote de
Constantinople jusqu’en 1860. Cependant,
une figure émerge au XIVe siècle ; Eftimi
(1325-l404), dernier patriarche bulgare qui
résista, mais qui dut prendre le chemin de
l’exil en 1393. Durant la période ottoma-
ne, l’Eglise s’hellénise et abandonne le sla-
von.
B - RÉVEIL NATIONAL BULGARE :
À LA CONQUÊTE DE L’INDÉPENDANCE.
Le sentiment national bulgare se caractéri-
sa dès l’origine par “une double lutte vis-à-
vis de l’Empire turc et du haut clergé grec
qui contrôlait l’Eglise orthodoxe bulgare”.
Il s’agissait donc de s’affranchir du joug
politique des Turcs et de la domination ec-
clésiastique des Grecs. Le monastère de
Rila fut l’un des foyers les plus actifs de la
résistance aux Turcs.
En vertu du traité de Kaïnardji (1774), la
protection des orthodoxes de l’Empire ot-
toman fut accordée à la Russie. A la même
époque, le mouvement national bulgare
appuyé par la Russie voit le jour. Une litté-
rature se développe à partir du XVIIIe
siècle, et les prémisses d’un nationalisme
culturel bulgare apparaissent lentement
provenant principalement des monastères.
En 1762, le moine Païssiy, du couvent de
Khilendar (1722-1773) au Mont Athos, ré-
veille la conscience nationale au travers
de l’exaltation de l’Histoire slavo-bulgare
(1762), cette période correspondant au dé-
but de la Renaissance bulgare. Il célèbre le
passé glorieux de son peuple et stigmatise
ses compatriotes jusque là honteux de par-
ler leur langue maternelle. Il dénonce à la
fois la domination grecque dans l’Eglise, et
A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S
le joug ottoman. Cet appel à la fierté bul-
gare, il le résume par cette phrase :
“Pourquoi avez-vous honte de vous appe-
ler Bulgares ? “
Parallèlement, un mouvement religieux
contre l’hellénisme se fait jour au sein du
clergé en vue de sa bulgarisation, prônant
le retour à la liturgie slavonne, l’enseigne-
ment de la langue bulgare, et l’indépen-
dance de l’Eglise bulgare. Ce mouvement
est représenté par l’évêque Sofroniy de
Vratsa (1739-1813), disciple de Païssiy. En
1870, est fondé un exarchat bulgare auto-
nome, précédé en 1861par la naissance de
l’Eglise uniate. La première imprimerie
bulgare date de 1835, et la première revue
en langue bulgare de 1844.
Des patriotes bulgares posèrent à partir de
1870 le problème de l’indépendance d’un
Etat bulgare. Quelques artisans de cette
œuvre émancipatrice méritent d’être men-
tionnés. Le premier fut Georgi RAKOVSKI
(1821-1867) qui organisa le premier comi-
té bulgare de propagande à Bucarest. Il se-
ra suivi par Vassil LEVSKI (1837-1873) qui
structura en 1871 le premier mouvement
révolutionnaire clandestin à Sofia, contre
les Ottomans, mais qui sera pendu à Sofia
par la police turque le 19 février 1873, à
l’endroit même où se dresse aujourd’hui le
monument élevé à sa mémoire. Il est de-
puis considéré comme le premier grand
martyr de la cause nationale bulgare. Le
poète Hristo BOTEV (1848-1876), membre
du premier comité révolutionnaire s’oppo-
sa énergiquement au clergé grec. Il faut
mentionner aussi Ivan VASOV (1850-
1921) qui marque la fin de la domination
ottomane(4) . Le mouvement national bul-
gare déclencha une révolte en avril 1876
avec l’appui de l’armée russe. 200 000
Russes meurent pour la libération de la
Bulgarie du joug ottoman. La répression
turque fut d’une grande férocité. Par le
traité de San Stefano (3 mars 1878)(5)
conclu après la libération de la Bulgarie
du joug ottoman, la Russie oeuvre pour la
création, sous son hégémonie, d’une
Grande Bulgarie du Danube à la mer Egée,
englobant Ochrid et allant jusqu’aux
portes de Salonique. La Bulgarie est alors
l’enjeu d’antagonismes majeurs entre les
grandes puissances. Mais en raison des ri-
valités austro-russes, les grandes puis-
sances européennes révisent ce traité et lui
substituent la même année le traité de
Berlin (13 juillet 1878) qui ampute le pays
et le morcelle en trois parties : une princi-
pauté de Bulgarie sous suzeraineté ottoma-
ne, la province autonome de Roumélie
orientale (autour de Plovdiv), et la
Macédoine maintenue sous domination
D ' A N T H R O P O L O G I E
■ ■ REGA RDS SUR LES EU ROPE : UN E ANT HROPOLOG IE IMPL IQUÉE DAN S LE S BAL KANS
ment l'anthropologue en quête d'altérité.
Ce type de démarche conduit par
exemple le sociologue Stjepan MES-
TROVIC(2) à dériver d'une critique cultu-
relle du communisme potentiellement
riche vers une sorte de phrénologie cultu-
relle censée déceler de la barbarie chez
les Serbes et de la démocratie chez les
Croates. Je prends cet exemple à dessein,
car la méthode qui consiste à déterminer
des “types culturels” perdurant dans le
temps s'accompagne en général de
points de vue moraux, et la notion de
“droits de l'homme”, parce qu'elle
semble redoubler la conception de
l'homme mise en œuvre par l'anthropo-
logie, constitue souvent le point de réfé-
rence de l'“observateur”.
Un détour ethnologique par les Balkans
met à jour certaines ambiguïtés du
concept de “droits de l’homme”, qui est
au cœur de questions aussi fondamen-
tales que “piègeuses”. Il semble indécent
de le mettre en question, tant il demeure
au fondement de notre “modernité” phi-
losophique et politique, et universel de
par sa portée ; un impératif catégorique
dont toute critique (au sens de “mettre en
crise”) s’apparente à une transgression.
En même temps, il participe concrète-
ment de ce que RIESMAN nomme le
“cosmopolitisme provincial” de l’Occi-
dent, soit la promulgation par un modèle
culturel particulier de valeurs absolues
censées s’imposer à l’humanité. En cela,
il se trouve régulièrement associé à toute
une myriade de tendances représenta-
tives de l’institution occidentale du mon-
de, du triomphe annoncé de l’économie
de marché aux vertus de la démocratie
en passant par la transmission massive de
standards culturels. Enfin, en tant que jus-
tification morale d’une opération militai-
■ ■ A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S
re, les “droits de l’homme” vus depuis les
Balkans servent de concept-écran à une
“formation discursive” (FOUCAULT) de-
puis longtemps synonyme d’ingérence,
d’hétéronomie, de mise sous tutelle voire
d’impérialisme. C'est que de l’Empire ot-
toman à l’Empire soviétique en passant
par les jeux d’influence occidentaux, on
peut dire que l’histoire des Balkans se
fonde sur de multiples traumatismes dans
la manière de considérer “soi” et
“l’autre” : occupations étrangères, muse-
lage des identités nationales, impossibili-
té d’accéder à l’autodétermination. Une
région qui se considère “trop-pleine
d’histoire” et trop-pleine d’altérité, une
région où la question de l’identité et de
l’altérité est omniprésente et “moderne”,
ce qui ne laisse pas de mettre à mal l'ac-
ceptation occidentale de cette question
subsumée dans l’universalisme, un mode
de pensée qui place l’Homme au-dessus
des hommes. Bien sûr, on a toujours beau
jeu de caractériser sous le signe de la
bienveillance ce qui serait notre côté de
l'Europe : parlons plutôt d'une tendance
discursive largement répandue (et confi-
nant parfois au chauvinisme !), non pas
d'une réalité concrète ou même d'une
conviction évidente. Néanmoins, en
règle générale, l'ethnicité, la nation, la
religion, la langue, le territoire, tous ces
critères de la vision de “soi” par rapport
aux “autres” sont dans les Balkans en im-
brication beaucoup plus étroite et consti-
tuent autant de facteurs de différencia-
tions réels qui rendent d'autant plus abs-
traite la vision d'une humanité unitaire
appelée à transcender les “humanités
particulières”.
Qu'est-ce qui a pu permettre une inter-
prétation des “droits de l’homme” com-
me ingérence, outre le fait qu'ils se pré-
D ' A N T H R O P O L O G I E
■
sentent, dans le discours politique, com-
me notion allogène, étrangère et idéolo-
gique et réitèrent en outre tous les juge-
ments de valeurs “sauvagisants” portés
sur “l’humanité balkanique” comme
“l’autre de l’Europe” ? L'un des corrélatifs
de cette interprétation réside dans ce que
Mattijs VAN DE PORT qualifie d’”altérité
obstinée”, telle qu’il a pu la saisir en
Serbie : une façon de définir son humani-
té particulière comme irréductible à toute
humanité générale, donc incompréhen-
sible de l’extérieur, notamment pour…
l’anthropologue(3). Il faut être critique à
l'égard de recours aussi lourds de consé-
quences à la notion d'altérité, que ce soit
du point de vue de l'ethnologue que de
celui des gens qu'il côtoie. Car l'altérité
sert avant tout de mise en scène du rap-
port à l'étranger, a fortiori dans des cir-
constances telles qu'une guerre. Elle n'a
selon moi pas d'autres existence que
comme objet de discours, et constitue le
cas échéant une “arme antianthropolo-
gique” efficace : J’ai pu mesurer moi-mê-
me, en mai dernier, l’irréductibilité de
certains points de vue sur le conflit vu
depuis les Balkans, à quel point il est aisé
de se laisser duper par les fictions de
l'identité et de l'altérité, réitérant toutes
les catégories de jugement dualistes qui
fonctionnent si bien dans des situations
“agonistiques”. En Grèce, par exemple,
où les réactions anti-occidentales étaient
parmi les plus virulentes, lors d’une dis-
cussion avec un journaliste au discours
bien rôdé : ”Vous voyez les résultats des
bombardements ?”, “Vous pensez que les
Américains veulent du bien à l’Europe ?”,
“Pourquoi agissez-vous seulement main-
tenant ?”, “Pourquoi ne faites-vous rien
en Turquie ?”... Transparaissait la flexibili-
té du point d’observation : un même fait,
9
 ■ R EGARDS SUR LES EUR OPE : UN E ANT HROPOLOG IE IMPL IQUÉE D AN S LE S BALK ANS ■ ■ RE GA RDS SUR LE S EUROPE : UNE ANTHRO POLOGIE IMPL IQUÉE D AN S LES B AL KANS ■

turque. Les Bulgares continuent à ressentir eu pour enjeu la Macédoine. Au terme de claration commune en onze points, le 22

LES DROITS DE L’HOMME, PRÊT-À-PENSER ? comme “une trahison” le traité de Berlin,

et quoique virtuelle, la Bulgarie de San
Stefano reste toujours une référence pour
O l i v i e r G I V R E eux. A l’occasion, les responsables poli-
tiques affichent un nationalisme frustré et
Doctorant en Ethnologie à l’Université Lumière Lyon 2 affirment que “toutes les guerres viennent
du Congrès de Berlin”.
ces guerres, le traité de Bucarest (1913)
donna à la Turquie la Thrace orientale, à la
Serbie la Macédoine, à la Grèce la Thrace
occidentale, et à la Roumanie le sud de la
Dobroudja. La Bulgarie fut la grande per-
dante. La première guerre mondiale la mit
du côté de l’Allemagne et de la Turquie, et
février 1999 à Sofia, dans laquelle ils dé-
clarent leur volonté commune d’instaurer
des relations globales qui se développe-
ront en conformité avec les principes fon-
damentaux du droit international. Les deux
pays sont décidés à élargir leur coopéra-
tion dans tous les domaines. Depuis, la

O
ccidental travaillant dans les Balkans,
la guerre du Kosovo m’a laissé pro-
fondément divisé. À la monstruosité
de la purification ethnique et la responsa-
bilité majeure, en définitive, des diri-
geants serbes dans la tragédie yougosla-
ve, ont répondu le cynisme des concepts
militaro-technologiques de l’OTAN et les
effets dévastateurs des “frappes”. Ce-
pendant, si toute position consistant à re-
lativiser l’un par l’autre me paraît dange-
reuse, car subsiste une différence de na-
ture entre le régime (à distinguer du
peuple) serbe et l’OTAN (pas question de
“victimiser” le premier et de “fasciser” le
second), subsiste aussi le malaise de la
justification morale dominante de l’inter-
vention occidentale : “la civilisation en
lutte contre la barbarie”, un “combat
pour la civilisation” (L. JOSPIN) qui réali-
se l’adéquation entre guerre et humani-
taire(1) au nom de valeurs constituant au-
tant de Raisons Suffisantes : le devoir mo-
ral, la protection du faible contre le fort,
le respect des droits de l’homme. Les
lignes qui suivent tentent de mettre ce
malaise en “perspective anthropolo-
gique”.
Tout d’abord, la manière dont les “droits
de l’homme” ont été invoqués lors de la
guerre me paraît révéler un certain
nombre de rapports mutuels entre les
Balkans et l’Occident. Selon de nom-
breux auteurs, le mode de relation déve-
loppé depuis 1989 vis-à-vis de l’Europe
Centrale et Orientale par l’Occident don-
ne l’impression que ce dernier aurait ga-
gné la “guerre froide”, et qu’en consé-
quence c’est tout son système politico-so-
cial qui aurait valeur d’exemple auprès
de voisins en rupture de civilisation. À la
figure du “sauvage balkanique”, bon ou
mauvais mais à civiliser, se superpose
celle d’un “sauvage politico-social” : le
communiste maintenant à peu près vain-
cu. L’engagement occidental au Kosovo
serait une étape dans la “conversion” au
modèle occidental de nations encore em-
pêtrées dans le crypto-communisme (MI-
LOSEVIC étant d’ailleurs qualifié de “na-
tional-communiste”) et dans des schémas
de pensée hérités de ce que l’on appelle
“l’expérience communiste”. Cette derniè-
re se caractériserait par la confiscation du
pouvoir au profit d’une Nomenklatura, la
censure, la propagande et le “gel” des re-
lations communautaires, notamment eth-
niques. Le drame yougoslave provien-
drait du “réchauffement” post-titiste de
toutes les identités figées durant un demi-
siècle : nationales, ethniques, religieuses,
linguistiques… Cette interprétation n’est
pas fausse en soi, mais elle conduit géné-
ralement à une dangereuse réification de
notre vision des choses, en posant d’un
côté l’Occident universaliste, démocrate
et libéral, de l’autre toutes les forces né-
gatives qui lui sont antonymes : le natio-
nalisme, le communisme, l’intégrisme, le
fascisme. L’évocation de ces étiquettes
“labellisées” ne conduit pas seulement à
des raccourcis sommaires (comparaisons
avec le nazisme, la Shoah, le stalinis-
me…), elle permet de se désigner un ou
des ennemis bien identifiés et surtout
bien distincts de soi, en puisant dans les
“leçons de l’histoire”. Elle permet de se
poser comme garant du droit et de la ver-
tu, “nous” contre “les autres”, “les droits
de l’homme” contre la “sauvagerie”. La
caractérisation d'entités monolithiques
sur fond de valeurs universelles est aussi
un procédé récurrent dans les sciences
de l'homme : tel obstacle guette notam-
La première Assemblée nationale bulgare
se réunit à Ternovo en 1879 et adopte une
Constitution. Le 22 mars 1878, Sofia de-
vint la capitale, marquant ainsi la fin du
joug ottoman. Au terme d’une révolution
qui éclate à Plovdiv en 1885, la Roumélie
orientale décide son rattachement à la
principauté. En 1887, l’Assemblée choisit
Ferdinand de SAXE-COBOURG, candidat
de l’Autriche-Hongrie, comme prince de
la Bulgarie. Prenant le titre de tsar, il pro-
clame l’indépendance de la Bulgarie en
1908. Cette fin de XIXe siècle verra une
lutte politique s’engager entre les
Russophiles et les pro-Occidentaux.
Président de l’Assemblée nationale, Stefan
STAMBOLOV, se fera le porte-parole de ce
nationalisme bulgare exacerbé par les in-
gérences russes. Premier ministre, il mour-
ra assassiné en 1896. Aujourd’hui, il reste
une référence principale par les Euro-
péistes bulgares.
C - UN VOISINAGE CONFLICTUEL ?
La Bulgarie a-t-elle une politique de co-
opération et d’intégration régionale avec
ses voisins ? Il est vrai que le contexte ré-
gional est particulièrement instable et son
voisinage difficile. Historiquement, les
Bulgares, les Serbes, les Turcs, et les Grecs
furent des peuples rivaux, et des haines sé-
culaires enveniment encore leurs relations.
Les frontières de ces pays ont suivi des
fluctuations géographiques constantes, et
les arguments historiques de revendica-
tions territoriales des uns et des autres ne
sont pas dénuées de fondements. Pourtant,
les responsables bulgares que nous avons
interrogé affirment qu’ils n’ont de conflit
territorial, frontalier, ethnique, ou religieux
avec aucun de leurs voisins.
Au XXe siècle, les Bulgares tentent à trois
reprises (1913, 1915 et 1940), mais en
vain, de prendre leur revanche sur l’injus-
tice infligée par le traité de Berlin. Les
deux guerres balkaniques (1912-1913) ont
———
1) Auteur, entre autres, de : Les minorités dans le monde. Faits et analyses, Desclée
de BROUWER, Paris, 1998, 928 p.
2) Cf. sa préface "La France, le Vatican et le réveil national bulgare" (p. XXIII) au livre
de Victorin GALABERT, Vingt-deux années parmi les Bulgares, Journal, T.I (1862-
1966), Département des Archives près le Conseil des Ministres, Sofia, Congrégation
des Assomptionnistes, Rome, en bulgare et en français, Les Archives parlent, I, Ed.
de l'Université SV. Kliment OKHRIDSKI, Sofia, 1998, 602 p.
3) Cf. son livre, Les Bulgares civilisateurs du monde slave, traduit en français par
Milen CHIPTCHANOV, Borina Editions, Sofia,1995,106 p.
4) Sur ces chefs de la nation bulgare voir : Spiritual leaders of Bulgaria. Ecclesiastics,
le traité de Neuilly (27 novembre 1919) Bulgarie a fourni des armes à la
l’amputa de nouveaux territoires qui furent Macédoine comme “cadeau et geste de
annexés par la Grèce et la Serbie. En bon voisinage” : 150 tanks et 120 pièces
1923, la Grèce expulse 250 000 Bulgares d’artillerie.
résidant en Thrace. Durant la deuxième La Grèce et la Serbie.
guerre mondiale, la Bulgarie s’aligne à La Bulgarie ne porte pas dans son coeur la
nouveau sur l’Allemagne espérant pouvoir Grèce ni la Serbie, en raison d’un lourd
réviser le traité de Neuilly. Elle sera par la contentieux historique. On reproche à la
suite en permanence perdante dans les Grèce de garder ses frontières hermétique-
conflits avant d’être “frigorifiée” durant ment fermées. En tout cas, nous dit l’am-
quarante-cinq ans par le communisme to- bassadeur Lyubtcho TROHAROV, “qu’on
talitaire. ne nous présente pas la Grèce comme mo-
Le problème macédonien. dèle de démocratie, nous rejetons son lea-
dership”. Et L. TROHAROV de plaider
La question macédonienne agite la vie po-
pour l’ouverture des frontières et pour une
litique bulgare. Pour Sofia, l’histoire de la
communication libre avec les pays limi-
Macédoine est falsifiée, d’où ses relations
trophes. Selon lui, le Mur de Berlin existe
ambiguës avec ce pays. Faisant preuve de
toujours : avec la Roumanie, malgré 200
nuance, la Bulgarie a reconnu un Etat ma-
km de frontières communes, il n’existe
cédonien mais non une nation, ni une
qu’un seul pont sur le Danube qui relie les
langue macédonienne. Car, la Macédoine
deux pays, un passage terrestre avec la
est tenue unanimement pour bulgare par
Macédoine, et deux points de contrôle
le gouvernement et l’opinion publique. Si
on la soutient, nous dit-on, c’est pour avec la Grèce.
“conserver son indépendance et la proté- POUR CONCLURE.
ger”. De ce fait, la question macédonienne
Aujourd’hui, ce passé devient le foyer de
est un sujet de tension qui risque à terme
toute argumentation dans les conflits, vi-
d’envenimer les relations de la Bulgarie goureusement alimenté par des forces po-
avec la Serbie et la Grèce. Il existe à Sofia
litiques et nationalistes, et des mouve-
un Institut scientifique macédonien ments sociaux et intellectuels. Il se profile
d’orientation nationaliste bulgare. Cet
derrière ce phénomène une fierté d'être
Institut a été fondé en décembre 1923, fer- Bulgare et en même temps des incertitudes
mé en 1947, et rétabli en mai 1990. Il pu-
face à l'avenir du pays. Formons le vœu
blie en permanence des travaux sur l’iden- que ce micro-nationalisme ne prendra pas
tité macédonienne, niant l’existence d’une
une tournure expansioniste.
langue macédonienne et dénonçant les 90
ans de “nettoyage ethnique” perpétrés par
les Grecs contre les Bulgares en Macé-
doine égéenne(6).
Mais depuis la victoire de novembre 1998
du VMRO-DPMNE aux élections législa-
tives à Skopje, les relations avec la
République de Macédoine semblent
s’améliorer. En effet, les premiers ministres
bulgare et macédonien, Ivan KOSTOV et
Ljubcho GEORGIEVSI, ont adopté une dé-
Educators, En lighteners, text by Boyan OBRETENOV, Kibea Publishing Company,
Heritage, Sofia, 1997, 67 p.
5) Le 3 mars est la fête nationale de la Bulgarie.
6) Cf.- Stoyan G. BOJADJIEF, 90 years Grec ethnic cleansing of Bulgarians in Aegean
Macedonia, Sofia, 1996, Macedonia Press, 64 p.
- lvan KOCEV, Otto KRONSTEINER, Ivan ALEXANDROV, The fathering of what is
known as the Macedonian literary language, Sofia, 1994, Macedonian Scientific
Institute, 63 p.
- Memorandum of the Macedonian Scientific Institute-Sofia concerning the relations
between the Republic of Bulgaria and the Republic of Macedonia, Regarding the
language dispute, Sofia, 1997, 24 p.

8 A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E ■ ■ A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E
37
 ■ R EGAR DS SUR LES EUROPE : UNE ANT HRO POLOG IE IMPLIQUÉE D ANS LES B ALK ANS ■ ■ REGA RDS SUR LES E UROPE : UN E ANTHRO POLOG IE IMPL IQUÉ E DAN S LES BAL KANS ■

LE RÊVE DES MANDARINS DES BALKANS : “Poussée vers la cave par un soldat en armes, toute une
famille traversait la cour. Tous allaient l’un derrière l’autre,
le grand-père, la grand-mère, le père, deux petits garçons
Pour la question du meurtre, ce que nous dit le mythe bi-
blique, c'est qu'après avoir tué son frère, Caïn est par le Dieu
créateur IHVH banni de la terre, mais aussi qu'il est marqué

KOSOVO = TRANSYLVANIE dont le plus âgé pouvait avoir dix ans. La mère fermait la
marche, un bébé dans les bras. [...]. L’Unterscharführer
croisa le cortège et s’écria, jovial, les bras au ciel : “Ach,
alles Israël !”, “Ah, c’est tout Israël !” [...] L’attitude de
J e n õ F A R K A S l’Unterscharführer n’avait rien de haineux. C’était l’excla -
Professeur de littérature roumaine. Université Eötvös Loránd de Budapest mation du passant devant le carnier débordant d’un chas -
au front par un signe protecteur. Nous avons ailleurs(8) inter-
prété ce signe non seulement, avec James-George FRAZER(9),
comme protégeant le criminel contre le fantôme de sa victi-
me, mais comme l'inscription indélébile d'une culpabilité seu-
le à même de faire passer le meurtre du registre du réel au re-
gistre du symbolique, avec une leçon essentielle : tuer l'autre

D
epuis un siècle les journalistes ne ces-
sent de comparer les conflits nationaux
de l’Europe Centrale et de l’Est. Vue de
Paris ou de Londres la situation paraît plus
simple qu’elle ne l’est. Seuls ceux qui ont
vécu in vivo les déchirements dans cette
partie du continent peuvent comprendre ce
réseau extrêmement riche et sophistiqué de
dissensions et de conflits qui se nourrit de
longues expériences collectives et histo-
riques.
Le Kosovo appartenait encore à l’Empire ot-
toman quand un journal politique, littérai-
re, et économique français de Budapest, La
revue de l’Orient (du 10 juin 1888), pu-
bliait dans sa rubrique permanente
(Courrier politique) un extrait de la Tribune
de Genève : “Il est bien malaisé de prévoir
quand la question balkanique trouvera sa
solution définitive. Le paysan du Danube,
malgré son bon sens, n’a pas réussi jusqu’à
présent à gagner les faveurs de l’Europe.”
Bien après, en 1969, en ma qualité d’inter-
prète de l’équipe d’élèves de Hongrie, par-
ticipant au concours international de ma-
thématique de Bucarest, j’ai pu observer
que les Croates ne voulaient pas prendre le
repas auprès de leurs collègues Serbes qui
faisaient pourtant partie de la même équipe
yougoslave : “Tu ne penses pas que je vais
manger auprès de ce Serbe rustre ! “, me dit
un Croate. Je n’ai jamais rencontré une hai-
ne si vive. Une note de journal et une expé-
rience personnelle distante de quatre-vingt
années, suggèrent le degré de difficulté de
la question. Quant au “paysan du Danube”
face à l’Europe, voilà une question plus
difficile encore ! Vers la fin du siècle der-
nier Jean PISANI écrivait dans un compte
rendu de l’ouvrage intitulé Magyars et
Roumains devant l’histoire d’A. de BERTHA
(Paris, Plon, 1899) : “La question magyaro-
roumaine n’est ni moins embrouillée, ni
moins irritante que la question macédo-
nienne, et les aspirations contradictoires
des peuples rivaux qui provoquent de part
et d’autre la publication d’ouvrages où sont
exposées les prétentions des compétiteurs.
(Roumanie, bibliothèque du Ministère des
affaires étrangères, Paris).
Au début des années 80, un ami roumain
de Bucarest me dit d’un ton confidentiel :
“Il n’y a que les Hongrois de Transylvanie
qui puissent s’insurger contre le Dictateur.”
La phrase m’a frappé. Je l’ai considérée
comme un geste amical envers les
Hongrois. Dix ans après à Budapest, devant
le poste de télévision, ces propos me sont
revenus à l’esprit en regardant les émissions
sur les événements de Timisoara au mois de
décembre 1989.
Ceux qui veulent comparer Kosovo et
Transylvanie devront suivre une démarche
propre à la logique “des mandarins des
Balkans”, des anciens et nouveaux déten-
teurs du pouvoir économique et politique
de la région. Nourrissant une véritable hai-
ne envers l’Occident et l’OTAN, ceux-ci
souhaitent une large balkanisation de
l’Europe de l’Est afin de s’assurer une domi-
nation comparable à celle qui s’appliquait
du temps des communistes. Néanmoins
toute comparaison impose une mise en pa-
rallèle de l’histoire des deux régions.
Pour des “raisons historiques”, ces pro-
vinces ont été considérées par leurs rési-
dants comme leur “terre sainte”, le “ber-
ceau” de leur civilisation : Kosovo pour les
Serbes et Transylvanie pour les Roumains.
Ces “prétentions” ont été largement expo-
sées au XIXe siècle, quand le discours de
victimisation de la part des Roumains et des
Serbes (dans le cadre de la monarchie aus-
tro-hongroise) jouait un rôle important, par-
tout en Europe. L’idée de la “petite sœur la-
tine” écrasée par “les Hongrois asiatiques”
avait un certain succès dans les disputes
hongro-roumaines à Paris et à Londres dans
la période 1849-1853, puis à la fin du
siècle, et surtout à la veille de la première
guerre mondiale. Du côté hongrois, une
vaste activité scientifique accompagnée de
sa vulgarisation reflétait et servait la cause
hongroise.
A partir de la première guerre mondiale, le
Kosovo et la Transylvanie figurèrent comme
des enjeux importants dans le choix de l’al-
liance des Serbes et des Albanais d’une
part, et des Hongrois et des Roumains de
l’autre. Les Serbes, en tant que nation, n’ont
réussi à conquérir le Kosovo qu’à l’occa-
sion des guerres balkaniques (1912-1913).
A cette époque, la Transylvanie faisait par-
tie de la Monarchie austro-hongroise (créée
en 1867), et connaissait un essor écono-
mique sans précédent. Cependant, les pro-
blèmes des minorités étaient à l’ordre du
jour au Parlement hongrois. Malgré la “for-
te magyarisation”, dont on a glosé pendant
toute la durée de la monarchie, en 1910
seulement 10% des 2,9 millions de
Roumains de la monarchie bicéphale (ex-
pression chère aux historiens des pays voi-
sins de la Hongrie) parlaient le hongrois. La
Transylvanie ne fera partie de la Roumanie
qu’à partir de 1918. Le Kosovo fera à son
tour partie de la monarchie serbe nouvelle-
ment créée cette même année. Après 1918,
les similitudes entre les peuples albanais et
hongrois de Transylvanie se multiplient.
seur : “Ah ! Où diable avez-vous trouvé tous les lapins
que voilà ! Ma parole, mais c’est toute la garenne !” Le
Juif n’était pas même un “Untermensch”, un sous-homme,
comme le Russe ou le Polonais. Exclu de la nature humai -
ne, il n’appartenait pas à l’espèce. Dans la meilleure hy -
pothèse, c’était un gibier, dans la plus courante, un nui -
sible.”(5)
Tel est ce que nous pourrions appeler le crime contre l’huma-
nité du premier type, mais il en est un plus accompli encore.
UN CRIME SANS VISAGE.
La guerre contre la Yougoslavie, après celle contre l’Irak, dans
la continuité logique des bombardements massifs anti-cités de
la Deuxième guerre mondiale, depuis les V2 sur Londres jus-
qu’aux bombes A sur Hiroshima et Nagasaki, nous a mis en
face d’une nouvelle donne concernant le crime contre l’hu-
manité : dans la stratégie anti-cités (dont nous rappellerons au
passage qu’elle est l’option de la dissuasion nucléaire françai-
se), l’autre n’est plus animalisé, on pourrait même dire qu’il
perd toute réalité animale de chair et de sang : il est simple-
ment compté(6).
Le mythe biblique de la Genèse nous introduit à une double
culpabilité de l’homme : dans un premier temps, à la culpabi-
lité liée à la différence des sexes et au désir ; dans un deuxiè-
me temps, à la culpabilité liée à la jalousie(7) et au meurtre du
rival. Dans ces deux récits mythiques, celui de la découverte
de la pudeur par le couple primordial, et celui du meurtre de
leur fils Abel par son frère Caïn, ce qui nous est donné à en-
tendre, c'est l'émergence de l'altérité en tant que telle : l'autre
prend stature d'autre comme objet de mon désir, ou comme
obstacle à mon désir.
Laissons de côté la question de l'Autre sexe, qui nous entraî-
nerait - momentanément en tout cas - trop loin de notre sujet.
n'est humain que s'il culpabilise. Autrement dit, le crime
contre l'humanité est accompli lorsque, déniant à l'autre son
humanité, je me traite tout autant comme inhumain, et en par-
ticulier comme simple exécutant d'une machinerie dont je ne
serais que la courroie de transmission irresponsable. La devise
du criminel contre l'humanité a été sobrement énoncée dans
l'affaire du sang contaminé : "Responsable mais pas cou-
pable". La culpabilité se perd dans le détour technique et bu-
reaucratique, et ses leurres aux allures de "fatum" à l'antique.
Le moment où le crime de guerre vire au crime contre l'huma-
nité, est celui où le meurtre de l'autre hors des "règles de la
guerre" vire au meurtre de l'Autre, c'est-à-dire se situe hors-la-
Loi, non celle qui est faite par les hommes mais celle qui les
constitue comme tels via le manque et le désir. Aujourd'hui,
par la grâce de la technologie et de l'idéologie du "zéro mort"
virtuel, délivré de toute haine et même à vrai dire de tout sen-
timent, criminel contre toute humanité à commencer par la
sienne propre, le guerrier est devenu un froid professionnel du
massacre technique, à l'égal du moderne tueur de boeufs dont
Noélie VIALLES a montré que l'organisation des abattoirs vise
à le soulager de toute précise mise à mort(10).
Par une ruse dont l'histoire est, on le sait coutumière, les
champions des Droits de l'Homme se retrouvent piétiner "in-
nocemment" le plus inaliénable de ces droits : voir le visage
de son bourreau, droit inséparable du devoir de l'homme de
guerre : affronter le visage de sa victime. Car, disait LEVINAS,
"c'est précisément dans ce rappel de ma responsabilité par le
visage qui m'assigne, qui me demande, qui me réclame, c'est
dans cette mise en question qu'autrui est prochain. [...]
Comme si j'étais voué à l'autre homme avant d'être voué à
moi-même".(11)

————
1) Bernard VANDEWIELE, “Sur le dévoiement culturalis-
te de l’ethnopsychanalyse”, Lettre de l’ARA, Hiver 98, n°
43, pp. 23-24. (ndlr)
2) Livre III, chapitre VI. Dans l’édition de Pierre VILLEY
(P.U.F., 1965), p. 913.
3) Cf Françoise HÉRITIER, De la violence, p. 16. Dans
un film d’Henri VERNEUIL, c’est la “réponse” de l’offi-
cier turc à un Arménien qui se plaint d’être pieds nus
lors d’une marche forcée.
4) André FROSSARD décrit le supplice d’un des Juifs dé-
tenus avec lui à Lyon, au Fort Montluc : “Deux taurillons
de la Gestapo, gras, le poil luisant, vides de tout senti-
ment identifiable, l’avaient pris pour souffre-douleur. Ils
survenaient inopinément dans la baraque, le bloquaient
dans un angle, et lui martelaient le crâne pour y faire en-
trer cette phrase que je crois extraite de Mein Kampf
[...et que] avant de rejoindre un jour un groupe d’otages
à fusiller, il dut répéter une dernière fois, devant des
sous-officiers hilares : “Le Juif est un parasite qui vit sur
la peau du peuple aryen, et il faut l’extirper”.” (Le Crime
contre l’humanité, pp. 52-53). On notera qu’à évoquer
des taurillons au poil luisant vides de tout sentiment,
FROSSARD n’échappe pas totalement à ce qu’il dénon-
ce. Celui qui nie l’humanité en l’autre nie dans le même
mouvement sa propre humanité, mais la lui rappeler
vaut mieux qu’entrer dans ce jeu.
5) Ibidem, pp. 54-55.
6) Et compté à part -à vrai dire “ça ne compte pas”- s’il
s’agit d’une victime d’un “dommage collatéral”, selon la
terminologie du Pentagone.
7) Le nom même de Caïn renvoie étymologiquement à
“jalousie”. Cf. EISENBERG et ABECASSIS : A Bible ou -
verte III, Albin Michel, 1993, p. 46.
8) Le Salut précaire de Marthe Robin, l’Autre incertain,
1994, pp. 90-93.
9) Le Folklore dans l’Ancien Testament, Paul Geuthner,
1924, pp. 31-42.
10) Le Sang et la chair, Maison des sciences de l’hom-
me, 1987.
11) Éthique comme philosophie première, Rivages-
Poche, 1998, p. 97.

38 A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A LP E S D ' A N T H R O P O L O G I E ■ ■ A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E
7
 ■ RE GAR DS SUR LE S EUR OPE : UN E ANTHRO POLOGIE IMPL IQUÉE D AN S LES BALK ANS
Du crime contre l’autre au crime contre l’Autre
RÉFLEXIONS
SUR LE CRIME CONTRE L’HUMANITÉ
B e r n a r d V A N D E W I E L E
Ethnologue, Psychanalyste
LIMINAIRE
N ous avions donné pour le récent numéro spécial de la
Lettre de l’ARA un article : “Sur le dévoiement culturaliste
de l’ethnopsychanalyse”(1), où malheureusement quelqu’un
de bien intentionné a décidé -corrigeant le manuscrit- de
mettre systématiquement une majuscule au mot “autre”. Or,
les psychanalystes qui se réfèrent à la théorisation lacanienne
-c’est le cas de l’auteur- font une distinction conceptuelle de
première importance entre l’autre (a, minuscule) et l’Autre (A,
majuscule). L’autre avec minuscule, c’est moi, toi, elle ou lui,
la collection des humains ordinaires. L’Autre, équipé d’une
majuscule, c’est ce qui a fait, et ne cesse de faire, l’humanité
de l’autre : la mienne, la tienne et la sienne. L’Autre, c’est la
puissance tierce qui intervient pour m’interdire la jouissance
narcissique de l’autre (qui d’ailleurs ne serait alors que le mê -
me), pour me contraindre à me constituer comme sujet en le
reconnaissant comme sujet. La culture est évidemment le vec-
teur principal de cette opération : interdit de l’inceste et pres-
cription de l’exogamie, plus généralement organisation sym-
bolique instituant des normes, références et différences.
C’est précisément cette manière de penser l’altérité que nous
mettons ci-après à l’épreuve, dans un effort d’expliciter le ma-
laise qu’avec beaucoup nous avons ressenti, face à la enième
démonisation d’un ennemi désigné du genre humain, cette
fois-ci “le Serbe”, et aux lancers de “to-
mahawk” censés le “frapper chirurgica-
lement”.
6 A S S O C I A T I O N
TUER LA VERMINE...
Pour des animaux qui n’ont d’hommes que l’apparence loin-
taine, nuls égards nécessaires, et c’est MONTAIGNE, au len-
demain des premières horreurs américaines, qui dénonce en
ses Essais “une boucherie, comme sur des bestes sauvages,
universelle, autant que le fer et le feu y ont pu atteindre.”(2)
Son contemporain Richard VERSTEGAN versifie sur le Théâtre
des cruautés du temps :
“Lorsque le Tout-puissant le genre humain créa
Son propre image en lui et vif portrait forma ;
De laquelle pourtant le méchant ne tient conte ;
Les hommes fait tirer comme autres animaux,
Leur ferrant les pieds nus comme on fait aux chevaux.”
Barbare XVIe siècle ? Le Turc fera aussi bien que l’Arménien
lors du premier génocide de notre siècle finissant, qui n’en fut
pas chiche... (3) Même logique toujours d’un programme profa -
nateur : vis-à-vis de l’autre et pour montrer que son humanité
n’est qu’illusion, user d’une cruauté dont l’usage est supposé
légitime contre un animal sans âme ni sensibilité. Animaliser
l’homme : le traiter comme un chien, un porc, ou une vermi-
ne, pour prouver qu’il n’était dès sa naissance que chien,
porc, vermine. Le véritable crime contre l’humanité vise moins
à tuer l’homme qu’à en récuser l’existence même en tant
qu’homme. André FROSSARD(4) , qui témoigna lors
du procès BARBIE, rapporte une scène
dont, détenu à Lyon au Fort Montluc, il
fut témoin :
R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E
■ ■ REGA RDS SUR LES EU ROPE : UN E ANT HRO POLOG IE IMPL IQUÉE DAN S LES BAL KANS
Tous deux subissent une forte “épuration
ethnique” de la part du peuple “rival”.
Pendant la deuxième guerre mondiale,
avec l’aide de l’Allemagne de HITLER, le
Kosovo et le nord de la Transylvanie sont
incorporés, l’un dans l’Albanie, l’autre dans
la Hongrie. Mais il faut souligner l’ampleur
des exactions serbo-albanaises, tout à fait
différente de celles perpétrées entre
Roumains et Hongrois. En ex-Yougoslavie,
pendant les années 70, la région du Kosovo
acquiert une autonomie assez importante.
La Roumanie des communistes créa une ré-
gion autonome Hongroise à l’intérieur du
pays, qui s’étendait principalement sur le
sud de la Transylvanie : mais en 1968, le
dictateur scinda administrativement la po-
pulation hongroise en plusieurs morceaux.
Les émeutes dirigées contre les Serbes par
des Kosovars à partir des années 68 mar-
quent une nette distinction par rapport à la
Transylvanie où le silence imposé par la
Securitate gagne toutes les couches de la
population. Pendant les années 1990, les
différences entre Kosovo et Transylvanie de-
viendront plus nettes encore, bien que les
“mandarins des Balkans”, MILOSEVIC et
ILIESCU, agissent selon un scénario iden-
tique : créer des zones d’exactions. Les
Kosovars, forcés par les circonstances, en-
trent dans le jeu. Mais la tolérance plu-
sieurs fois séculaires entre Hongrois et
Roumains, ainsi que la tradition démocra-
tique multiculturelle (entre Hongrois,
Roumains, Saxons) en Transylvanie, font
que cette situation ressemble davantage à
la Suisse qu’aux Balkans. L’écart est égale-
ment considérable en ce qui concerne le
nombre des Albanais au Kosovo, trois fois
supérieur a celui des Hongrois en
Transylvanie. La différence la plus manifes-
te reste qu’en 1990 MILOSEVIC ait réussi à
instaurer l’état d’urgence au Kosovo, alors
qu’ILIESCU, par contre, n’ait pu en saisir
l’occasion ! En Transylvanie, au mois de
mars 1990, des milliers de Hongrois de
Marosvasarhely (Targu Mures) descendent
dans la rue pour manifester silencieuse-
ment, un livre et une bougie à la main, en
exigeant un enseignement dans leur langue
maternelle jusqu’au niveau universitaire.
C’est l’occasion pour ILIESCU de semer le
désordre dans une grande ville de
Transylvanie, caractérisée par une forte po-
pulation hongroise. Il invoquera le danger
des “séparatistes hongrois” qui veulent
“l’écartèlement de la terre sainte de la pa-
trie”, le “démembrement du pays”. Le pou-
voir incite à la révolte les paysans roumains
censés “défendre” les droits des Roumains
à la ville. Le conflit sanglant a coûté la vie
de six personnes, et plusieurs centaines de
blessés ont été hospitalisées. Le pouvoir
jouait la carte de la pathologie collective
■ ■ A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S
■
qui ne fonctionna que quelques heures. La raison entre Kosovo et Transylvanie. Les
raison a été plus forte que la ruse d’un deux régions se sont éloignées en temps et
mandarin du pouvoir. Le maire de Cluj en espace politique. La Roumanie attend
(Kolozsvar), Gh. FUNAR, représentant d’être membre de l’OTAN et, pour y parve-
“illustre”, et créateur de pathologies collec- nir, seuls ses anciens “rivaux”, les
tives, n’a de cesse depuis six ans de tenter Hongrois, peuvent l’aider et la soutenir.
de faire se répéter les exactions de mars Hélas, le constat du journal suisse sur la si-
1990. Sans succès, heureusement ! Après tuation balkanique des années 1888 reste
une décennie, en 1999, la guerre du encore valable : la solution définitive n’est
Kosovo a contraint de nouveau les manda- pas pour demain. Seule une Europe sans
rins roumains à rêver, cette fois, à une op- frontière trouvera l’issue. Je me demande si
position confortable au Parlement. Ils rap- mon ami croate réussira à vaincre son aver-
pellent aux Roumains les tendances au sé- sion envers les Serbes. Je continue à croire
paratisme des Hongrois de Transylvanie, le et à espérer que “la rivalité hongro-roumai-
risque de démembrement du pays souve- ne” demeure un enjeu essentiellement au
rain, ainsi que le péril d’une lutte armée pa- niveau de la compétition entre historiens, et
reille à l’UCK. Cette fois-ci, la situation po- que mon ami de Bucarest, directeur d’une
litique est complètement modifiée. Le parti maison d’édition, aura plus confiance dans
des Hongrois de Transylvanie (Union dé- les vertus révolutionnaires de son peuple.
mocratique des Hongrois de Roumanie) fait Quant aux mandarins des Balkans, nous
maintenant partie de la coalition actuelle, devons veiller à ce qu’ils ne puissent plus
ce qui rend une guerre de sécession prati- s’emparer du pouvoir.
quement impossible. De plus, la population
hongroise forme une enclave compacte jus-
te au milieu du pays, cette guerre de séces-
sion n’a donc aucun sens. Enfin, la Hongrie
est devenue entre-temps membre de
l’OTAN, qui ne tolère pas de conflits régio-
naux au sein de l’organisation. Cet épisode
déclencha de nouvelles attaques vis-à-vis
de l’Occident et de l’OTAN. Les mandarins
postcommunistes s’évertuèrent de nouveau
à présenter l’image d’une Roumanie aban-
donnée par “l’Europe civilisée”. Le discours
de victimisation, cette fois-ci, ne marchait
plus. Ces mandarins tentèrent également de
jouer la carte de l’identité orthodoxe com-
mune entre Serbes et Roumains. C’est aussi
ce que fera la Russie. Les mesures de MI-
LOSEVIC, ainsi que l’apartheid imposée
aux Kosovars eurent de graves consé-
quences. L’intervention militaire des alliés
du 24 mars 1999 généra une situation tout
à fait nouvelle, ce qui exclut toute compa-
D ' A N TH R O P O LO G I E
39
 ■ R EGAR DS SUR LES EUROPE : UN E ANT HRO POLOG IE IMPL IQUÉE D ANS LES B ALK ANS
AUX “DEUX CERFS”
UNE NOTE SUR LE RACISME ET L’EXOTISME
" Que c’est beau d’être libéré de la civi-
lisation croupie de l’Europe !” Ainsi
s’exclamait, par une belle nuit d’été de
1835, le voyageur britannique William
KINGLAKE, auteur du livre De l’Orient,(1)
lors d’une étape dans un village serbe après
un jour de marche sur la route de Belgrade
à Constantinople. Cette nuit-là, KINGLAKE
avait trouvé beaucoup de bonheur en la
compagnie d’”aborigènes” parlant “un dia-
lecte slave”, lors d’un dîner servi par terre
et enfin dans le repos réconfortant d’un lit
improvisé lui aussi sur le sol. Le plaisir pro-
curé par la beauté simple et naturelle des
“images orientales” avait alors conduit
notre voyageur à une réflexion sur la misè-
re de sa propre civilisation, la civilisation
européenne, et “les hommes courbés sur
leur table à manger, ou serrés les uns
contre les autres dans les salles de bal, ou
encore cruellement fourrés sur les bancs de
l’église”. Il se réjouit de ne plus être un de
ces “pauvres diables dont la vie n’est
qu’une conventionalité complète”, et se fé-
licita d’avoir eu le courage d’entreprendre
cette “belle fuite” vers l’Orient.
Ces dernières années, la Serbie a de nou-
veau attiré les auteurs de récits de voyage
venus de l’Ouest. A leurs yeux, comme à
ceux de KINGLAKE, elle possède toujours
quelque chose d’exotique. Plus précisé-
ment, elle a retrouvé sa place dans l’Orient
imaginaire. Aujourd’hui comme dans le
passé, les écrivains européens à la re-
cherche de sensations exotiques -que nous
éprouvons prétendument à l’occasion de
rencontres avec un monde différent et
meilleur que le nôtre- n’ont nul besoin de
voyager, en rêve ou en réalité, au delà de
40
I v a n C O L O V I C
Ethnologue, Université de Belgrade
Belgrade et ses alentours. Le bruit court à
nouveau que l’on y trouve tout ce dont
l’exotisme littéraire et philosophique a be-
soin : la vraie vie, la vie authentique, dé-
voilée, qui n’aurait rien de commun avec
la vie occidentale. C’est un espace qui in-
vite le voyageur à une nouvelle naissance,
à une lucidité retrouvée, le convie à se ré-
veiller de sa léthargie, à se libérer des
contraintes, et enfin, à reconnaître la vanité
et la perversité de l’Europe.
Par une autre nuit d’été, plus d’un siècle et
demi après celle qui a valu tant de bonheur
à KINGLAKE, le 20 août 1992 pour être
exact, un autre voyageur, contemporain ce-
lui-ci, du nom de Daniele Salvatore SCHIF-
FER, dînait à son tour parmi les Serbes. Ce
souper est décrit dans un récit intitulé Le
voyage sur la braise, publié dans sa traduc-
tion serbe dans le journal Politika du 6 oc-
tobre 1996. Cet “Italien de culture françai-
se, philosophe, écrivain et journaliste”, ain-
si que le présente la notice biographique,
avait mis beaucoup moins de temps que
son lointain prédécesseur pour se retrouver
dans une ambiance exotique : de l’hôtel
Intercontinental, le taxi l’amena directe-
ment à Skadarlija, au café des “Deux
cerfs”. Cet endroit, qui est à Belgrade à peu
près ce que la place du Tertre est à Paris,
reconstruit et arrangé il y a peu d’après
l’idée que l’on se fait des goûts et des exi-
gences des touristes, apparut aux yeux de
SCHIFFER comme le refuge de tout ce qu’il
peut y avoir d’authentique, héroïque, origi-
nel, passionnel, sauvage, innocent, hono-
rable, spirituel et “aromatique”, tout ce que
l’Occident a en fait oublié et foulé aux
pieds.
A S S O C I A T I O N
Le récit exotique ne s’encombre pas de vé-
racité. Son auteur demande qu’on le croie
sur parole lorsqu’il prétend avoir retrouvé
quelque part, dans un pays, par exemple en
Serbie, à Belgrade, à Skadarlija, les vertus et
les valeurs authentiques que l’Occident a
perdues et dont il peut éventuellement gar-
der la nostalgie. Un tel pays possède en fait
tout ce qui manque à l’Occident. Dans
l’exotisme, comme le dit Tzvetan TODO-
ROV, il s’agit “moins de la description d’un
réel que de la formulation d’un idéal”(2).
Quand on sait cela, on comprend mieux
pourquoi le “voyageur exotique” SCHIFFER
a fait de Skadarlija le décor de paroles et de
scènes incroyables, surtout pour quelqu’un
qui connaît bien ce lieu. Là se trouvent, par
exemple, “les cafés somptueux de la fin du
siècle dernier, construits en bois anciens,
aux couleurs chaudes (...) imprégnés de
l’odeur des épices”. Dans ces cafés, SCHIF-
FER a rencontré des expressions d’une véri-
table et profonde humanité inconnue des
Européens. Il s’agit, entre autres formes de
cette humanité, d’un “débordement du sen-
timent accompagné par quelque vérité tsi-
gane”, d’une effusion dont “seuls les Slaves
du Sud sont capables”. Cela se manifeste
lorsque lesdits Slaves du Sud chantent,
“l’âme pénétrée d’une nostalgie indicible,
ces chansons en même temps hardies et
mélancoliques, imprégnées de la poésie
épique héroïque, aussi populaires qu’im-
mortelles, ces chansons pleines d’exploits
incroyables et de traditions indiscutables,
au contenu noyé dans le bruit du temps et
le murmure de la terre...” Ces chansons
sont bien sûr “anciennes” et “authen-
tiques”, “avec des harmonies faites pour
R H O N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E
■ ■ REGA RDS SUR LES E UROPE : UN E ANTHRO POLOG IE IMPL IQUÉ E DAN S LES BAL KANS ■
La plupart des membres d’ALYAS PECO était sur le terrain (Hongrie, Roumanie, Bulgarie et Grèce) lorsque les frappes de l’OTAN sur
la Serbie ont débuté en mars dernier. L’expérience de la guerre à proximité, vécue de ce côté-là de l’Europe, nous a tous profondé-
ment marqués, car les implications de l’action de l’OTAN s’étendaient immédiatement bien au-delà des frontières de la Serbie, et
l’ensemble de l’Europe orientale en a subi, par ricochet, les effets réels et symboliques. Mais l’expérience vécue là-bas pendant ces
trois mois fut finalement moins perturbante (car nous partagions avec les gens une situation qui bouleversait de la même manière le
quotidien de chacun) que le retour en France et la soudaine distance, voire indifférence, avec laquelle, ici, on considérait ces événe-
ments, ou encore la facilité avec laquelle les discours dominants s’étaient imposés.
Aussi, cette publication représente pour nous l’occasion d’exprimer ce que nous avons pu voir et vivre pendant la dite période. Mais
au-delà, nous avons voulu donner une tribune à ceux que l’on a bien peu entendu sur ce sujet, d’une part les anthropologues de ma-
nière générale -malgré le fait que les argumentations politiques aient largement utilisé le champ sémantique du discours anthropolo-
gique-, et davantage encore, les anthropologues des pays d’Europe centrale et orientale auxquels il n’a été donné jusqu’à présent que
bien peu d’espace d’expression.
Il ne s’agit pas de polémiquer sur qui sont les bons et qui sont les méchants dans ce conflit européen, mais de tenter d’apporter
quelques éléments de compréhension sur la réalité balkanique à ceux qui ne connaissent pas cette partie de l’Europe. Notre légitimi-
té à prendre la parole découle de la connaissance directe que nous avons de ces pays et des problèmes auxquels ils sont confrontés,
et des modes d’analyse que nous offre l’approche anthropologique. Si le lecteur veut bien nous accorder un tel crédit, il trouvera
dans ces pages, nous l’espérons, d’autres manières de regarder et de dire l’Europe balkanique.
CREA ALYASPECO
Centre de Recherches et d’Etudes Anthropologiques Association LYonnaise d’Anthropologie
Université Lumière-Lyon 2 sur les Pays d’Europe Centrale et Orientale
RENCONTRES INTERNATIONALES
L Y O N
26 et 27 novembre 1999
Université Lumière-Lyon 2 - Campus Bron Parilly
Bâtiment IUT Lumière - Salle des conférences
“Ruralité et Urbanité en Europe Centrale et Orientale”
Université Lumière-Lyon 2
5, Avenue Pierre Mendès-France CP 11 - 699676 Bron Cedex
Dix ans après la grande transition qui a marqué la fin de l’Union soviétique et des Démocraties populaires, il convient de re-
venir sur cette période qui a vu se multiplier les contacts entre les chercheurs européens que le Rideau de fer avait séparés
jusqu’en 1989 et de s’interroger sur ce qu’est, à l’heure actuelle, l’ethnologie européenne. Il va de soi qu’un tel questionne-
ment renvoie à une somme de bouleversements socio-politiques dont le plus dramatique est celui de l’ex-Yougoslavie, bou-
leversements qui affectent nécessairement l’anthropologie, la convoquent et nous conduisent à revenir sur nos pratiques.
C’est dans un souci d’élaborer de véritables collaborations scientifiques avec nos collègues des pays de l’est que nous orga-
nisons ces rencontres qui auront pour objet de questionner des univers à la fois concrets et conceptuels auxquels tout cher-
cheur se trouve nécessairement confronté lorsqu’il travaille en Europe centrale et orientale : la ruralité et l’urbanité.
La comparaison des différentes manières de définir, de penser et de vivre la ville et la campagne permet de mettre en pers-
pective le rapport rural-urbain. Cette problématique appelle par ailleurs une analyse différentielle des conditions historiques,
sociales et politiques d’émergence et d’utilisation de ce type de concepts.
ALYASPECO
(Association LYonnaise d’Anthropologie Sur les Pays d’Europe Centrale et Orientale)
Entrée Libre. Réservation au CREA auprès de Mme Annie PAUL
Tél. : 04 78 77 24 75
■ ■ A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N TH R O P O L O G I E
5
 ■ RE GAR DS SUR LES EUROPE : UNE ANT HRO POLOG IE IMPLIQUÉE D ANS LES B ALK ANS ■ ■ REGA RDS SUR LES E UROPE : UN E ANTHRO POLOG IE IMPL IQUÉ E DAN S LES BAL KANS ■

A LY A S P E C O s’emparer de votre esprit après vous avoir

arraché les larmes et le coeur” ; dans ces
chansons-là, comme le veut l’exotisme
Sarajevo, “un être auquel la nature a donné
les charmes les plus rares”, et qui, pour fuir
une mort certaine, a du quitter sa ville nata-
autres voyageurs qui, accompagnés de
guides et de traducteurs, pénètrent dans nos
contrées- puisqu’ils se laissent à nouveau
Association LYonnaise d’Anthropologie Sur les Pays d’Europe Centrale et Orientale oriental, se croisent “la nostalgie slave et la
tristesse arabe”. Le voyageur a d’ailleurs re-
le et y laisser son mari musulman, puisque -
dit-elle en racontant sa peine à notre voya-
décrire, de même qu’un siècle et demi au-
paravant, comme un peuple radicalement
levé les titres de certaines de ces chansons, geur- les musulmans fanatisés d’IZET- différent des Européens civilisés, comme
parmi lesquelles deux ont été créées pour BEGOVIC, “avaient chassé chaque Serbe, une figure d’anti-Europe. Dans les récits
Une Association Lyonnaise d’Anthropologie les films de A. PETROVIC (J’ai même ren -
contré des Tsiganes heureux) et de E. KUS-
et aussi les Croates, qui auraient pu oppo-
ser un refus catégorique à la loi du Coran”.
exotiques, cette différence radicale est in-
terprétée comme quelque chose qui joue
TURICA (La maison des pendus). Bien que la présence de cette jeune femme en faveur des Serbes, qui les flatte, car ils
L’Association LYonnaise d’Anthropologie Sur les Pays d’Europe Centrale et Orientale , créée en 1997, représente d’un côté l’aboutis- Mais ses exclamations les plus enthou- paraisse déplacée parmi les clients à demi s’y révèlent meilleurs, et non pires, que les
sement logique de l’intensification des échanges entre le département d’anthropologie de l’Université Lyon 2 et les différentes univer- siastes - “Oh, que la Serbie était belle cette ivres du café, elle trouve quand même une Européens civilisés, ce que l’on peut égale-
sités des pays de l’est européen, et de l’autre l’acte de création d’un projet collectif dans lequel tous les étudiants et jeunes cher- nuit-là !“, “Oh, comme j’ai aimé tout cela ! place logique dans le récit de SCHIFFER, ment relever dans les propos de certains na-
cheurs travaillant dans les PECO sont engagés. Passionnément ! Follement ! “ - SCHIFFER puisque ses souffrances non méritées, ainsi tionalistes et racistes européens. Mais cela
les réserve aux femmes serbes, ces “ga- que d’autres images de la vie des “abori-
En effet, depuis 1991, les échanges universitaires n’ont cessé de se développer et de s’élargir : d’abord avec la Roumanie, puis avec ne peut pas cacher l’affinité profonde qui
zelles douces et superbes”, au moment où gènes” serbes, simples et innocents, servent
existe entre exotisme et racisme. L’un et
la Bulgarie, la Hongrie, l’Albanie, et à présent la Pologne et la Lettonie. Des stages de maîtrise aux thèses de doctorat, des travaux de elles “commencent à danser sur les tables à souligner de façon dramatique la mé-
l’autre signifient en fin de compte l’exclu-
recherche dans ces pays ont été menés, ou sont en cours depuis neuf ans maintenant. Ainsi, nous pouvons faire le bilan suivant de (...) avec les mains sur les hanches et les chanceté et la perfidie de l’Occident civili-
sé. Les Occidentaux, ces hommes sans sion de l’autre : sa “diabolisation”, comme
cheveux dénoués sur les épaules”. Elles
ces neuf années : on dit souvent aujourd’hui, ou son “angéli-
sont “plutôt sauvages que provocantes”, âme, “prétendument civilisés”, ont décidé
- 9 étudiants ont pu faire leur stage de maîtrise dans une institution universitaire ou muséographique de Roumanie, Bulgarie, leurs lèvres rouges “telles des fraises des de punir, d’isoler, d’emprisonner cette fem- sation”, comme on pourrait aussi le dire.
bois à demi ouvertes sur des dents plus me si belle et si vertueuse, ainsi que les Bons ou méchants, les hommes et les
Hongrie et Albanie.
blanches que les pétales du lys”. Ainsi, au autres comtesses au pied nu et braves femmes que Daniele Salvatore SCHIFFER
- Grâce aux possibilités qu’offraient ces stages notamment, 5 recherches ont abouti à un DEA en sciences sociales. centre de ce récit de voyage apparaît un to - hommes qui chantent leur tristesse et leur avait prétendument trouvés dans le café des
- Actuellement, 4 thèses de doctorats sont en cours : une en Roumanie consacrée au Centre civique de Bucarest (Stéphanie BEAU- pos d’exotisme, propre aussi bien à ses va- passé aux “Deux cerfs”, et même tous les “Deux cerfs” restent quand même les bar-
riantes orientalistes qu’à ses variantes primi- Serbes, “tout un peuple si vivant et si bares. Et lui aussi, de retour en France, au-
CHÊNE), une en Hongrie sur la patrimonialisation du vin de Tokaj (Jesus MIRANDA), une en Bulgarie sur la place du religieux et
tivistes : le topos de la “comtesse au pied beau”. Ils sont, explique SCHIFFER, “expo- rait pu dire ce qu’avait avoué l’ami le plus
notamment des Saints dans la vie quotidienne (Olivier GIVRE), et une en Grèce sur la circulation des Karakatchanes entre Bulgarie célèbre des bons sauvages, ROUSSEAU :
nu”, de la femme naturellement noble et sés au mépris, au dédain, par la civilisation
et Grèce (Marie-Pierre REYNET). De plus, une thèse de Doctorat a été soutenue il y a un an par Dominique BELKIS : A la re - voluptueuse provenant du Levant ou d’une à laquelle j’appartiens” ; elle les appelle “Je sens trop en mon particulier combien
cherche des Mégléno-roumains, une approche anthropologique de l’ethnicité balkanique. tribu sauvage. Les symboles les plus forts de “barbares” et manifeste par là “le pire sadis- peu je puis me passer de vivre avec des
Ces échanges se sont peu à peu formalisés et structurés, ceci grâce au soutien de la Mission du Patrimoine Ethnologique, ainsi que son attraction érotique et subversive, face à me”. hommes aussi corrompus que moi”(3).
la vieille Europe de convenances et de cal- Dans le récit de SCHIFFER, les Serbes exo- —————
du Conseil Régional de Rhône-Alpes dans le cadre des programmes TEMPRA-PECO mis en place entre notre faculté et l’Université
culs, ce sont les pieds nus, les cheveux dé- tiques, dont la vie est pleinement humaine, 1) Eothen.
de Bucarest, puis avec l’Université de Budapest. Ces programmes nous ont permis d’accueillir des collègues de Roumanie et de noués et la danse sur une table de café ; le non corrompue, jouent le rôle d’antipodes 2) T. TODOROV, Nous et les autres, p. 297.
Hongrie (enseignants-chercheurs et étudiants) au sein du département d’anthropologie, et également d’effectuer des missions de plu- pendant masculin en est Zorba le Grec. idéaux des Européens dégénérés et avilis. 3) J.J. ROUSSEAU, “Lettre à Philopolis”, in Deuxième
sieurs mois sur nos terrains respectifs. Parmi les comtesses au pied nu du café des Ce rôle, les Serbes contemporains peuvent discours sur l’origine des inégalités entre les hommes,
“Deux cerfs”, se trouve une jeune Serbe de le remplir -si l’on en croit SCHIFFER et les p. 235.
De notre implication dans le CREA (Centre de Recherches et d’Études Anthropologiques) et du soutien que nous avons reçu de ses
membres, est née une volonté concertée d’organiser chaque année des séminaires consacrés aux recherches dans les PECO. C’est
dans cette effervescence parfois disparate que nous avons décidé de créer une association qui rendrait davantage visible notre grou-
pe, et qui nous permettrait de mieux nous organiser afin de mener à bien nos projets collectifs de recherche et de manifestation pu-
blique. Ainsi, nous sommes nous donnés un cadre qui nous a permis de travailler dans deux directions : nous avons d’abord élaboré
des axes de recherche communs, tant il est vrai que nous étions tous confrontés aux mêmes problèmes théoriques et méthodolo-
giques sur nos terrains respectifs, problèmes propres aux sociétés post-communistes d’Europe (transitions socio-économiques et poli-
tiques, traditions intellectuelles différentes voire opposées...). Nous avons pu ensuite, grâce à ce travail collectif et à la mise en com-
mun de nos réseaux, organiser des séminaires publics pour présenter nos travaux et accueillir nos collègues des pays de l’est (février
1997, séminaire du CREA, Pays d’Europe centrale et orientale et mars 1998, séminaire du CREA, Interroger la mémoire : regards croi -
sés sur l’Europe Centrale et Orientale).
Cette année, notre projet est plus ambitieux puisqu’il aboutit ces 26 et 27 novembre à des Rencontres Internationales sur le thème
Ruralité et Urbanité en Europe Centrale et Orientale. Nous accueillerons pendant deux jours nos collègues des pays de l’est ainsi que
des chercheurs occidentaux qui travaillent en Europe centrale et orientale (voir programme ci-joint). Ces rencontres ont pour objectif
de faire connaître l’anthropologie telle qu’on peut la pratiquer en Europe centrale et orientale, mais également de tenter de mettre en
place les modalités d’une réelle collaboration avec les chercheurs des pays de l’est, considérant qu’actuellement l’ethnologie euro-
péenne reste à définir.
UN NUMÉRO SPÉCIAL DE LA LETTRE SUR LES BALKANS
Ce Numéro Spécial de l’ARA se révèle très important pour l’ensemble des membres d’ALYAS PECO. La volonté des membres de
l’ARA d’éditer un numéro consacré à la situation dans les Balkans répondait à notre souhait de nous exprimer en tant qu’ethnologues
“spécialistes” de cette région, et de donner au public quelques éléments de compréhension des événements, ceci face aux discours
majoritairement simplificateurs que l’on trouvait dans les médias français.

4 A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A LP E S D ' A N T H R O P O L O G I E ■ ■ A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N TH R O P O L O G I E
41
 LA CULT U R E DANS TOUS LES SENS
MANIFESTATIONS PUBLIQUES
La ferme du Vinatier, saison 1999-2000
■ EXPOSITION
• Sept propos sur le septième ange, une histoire du Vinatier . Du
26 novembre 1999 au 25 juin 2000, du mardi au dimanche, de
14 h 00 à 18 h 00, à la ferme du Vinatier. Visites guidées sur
RDV. Groupes le matin.
■ TUMULTE ET SILENCES DE LA PSYCHIATRIE
• Journées nationales du patrimoine.
Les 18 et 19 septembre 1999. De l’asile à l’hôpital psychiatri -
que : quelles citoyennetés ? Table ronde dimanche à 16 h au
Vinatier. Visites guidées du site sur réservation.
• Entretiens histoire et psychiatrie
Mercredi 8 décembre 1999. Question à la révolution psychia -
trique, en partenariat avec le Centre d’histoire Pierre LÉON
(Université Lyon 2 - CNRS). De 9 h à 18 h à la Maison des
Sciences de l’Homme. Entrée libre.
• Entretiens architecture et psychiatrie
Les 14 et 15 janvier 2000. Architecture et psychiatrie. L’hôpital :
espace de soin, espace urbain, en partenariat avec le Centre
Thomas More. De 9 h 00 à 17 h 00 au CH Le Vinatier.
• Entretiens anthropologie et psychiatrie
5 Avril 2000. Tohu-Bohu de l’inconscient ; paroles de psy -
chiatres, regard d’anthropologues , en partenariat avec le centre
de recherche en anthropologie. De 9 h 00 à 18 h 00, à
l’Université Lyon 2 - Bron. Entrée libre.
• Entretiens société et psychiatrie
Deux conférences à la ferme :
Mardi 23 mai 2000 : Les figures de l’archipel et du réseau pour
comprendre les transformations de la psychiatrie .
Mardi 16 mai 2000 : L’adolescence, âge des déviances ?
A la bibliothèque Lyon Part-Dieu, entretiens bio-médecine et so-
ciété : La place du cerveau en psychiatrie . Mardi 6 juin 2000.
• Cafés-mémoire
Rencontres avec les anciens du Vinatier à la ferme, à 16 h 30 les
mardi 11 janvier, 8 février, 14 mars, 11 avril, 9 mai et 13 juin,
précédées de visites de l’hôpital et de l’exposition menées par
Lyon Découvertes et la Ferme du Vinatier.
Programme 2000 de l’ARCE, Atelier de Rencontres et
de Recherche Comparatives en Ethnologie
■ AU JAM À 20 H 30
100, rue Ferdinand de LESSEPS, Montpellier - Tél. 04 67 58 30
30. Ouverture à partir de 19 h 30.
• Merc. 12 janvier - Elikia M’BOKOLO, Historien, Directeur
d’études à l’EHESS, Paris. Ethnie et identités : l’exemple de
l’Afrique des Grands Lacs.
• Merc. 2 février. Martin DE LA SOUDIERE , Chargé de recherche
au CNRS. Docteur en sociologie. Le temps qu’il fait : une ap -
proche ethnographique.
■ À LA COMÉDIE DU LIVRE
Sous chapiteau, Esplanade Charles DE GAULLE, 34000
Montpellier.
• Vend. 26 mai 2000 à 18 h 30 ENTRÉE LIBRE - Anne-Marie
THIESSE, Directrice de recherche au CNRS. La création des
identités nationales en Europe.
• Merc. 8 mars - Yves DELAPORTE, Directeur de recherche au
CNRS. Les sourds et la langue des signes : un nouveau regard.
• Merc. 5 avril - Isac CHIVA, Directeur d’études à l’EHESS, Paris.
De la recherche au patrimoine : un ethnologue dans le siècle.
• Merc. 3 mai - Anne-Christine TAYLOR, Chargée de recherche au
CNRS en ethnologie amérindienne. L’ennemi nourrisson : la
chasse aux visages chez les Jivaro d’Amazonie.
• Merc. 1 juin - Eduardo ARCHETTI, Professeur d’anthropologie
sociale à l’Université d’Oslo. La viande et la cuisine hybride en
Argentine.
Chaque causerie est retransmise par Divergence F.M. le premier
vendredi de chaque mois à 19 h.
■ A CLERMONT-L’HÉRAULT
Théâtre Municipal. Allée Roger SALENGRO 34800 Clermont-
l’Hérault.Tél : 04 67 96 39 18.
• Vend. 16 juin 2000 à 20 h 30 ENTRÉE LIBRE - Pascal DIBIE,
Maître de conférence en ethnologie à l’Université Paris VII. En
quoi sommes-nous en l’an 2000 ? Approche ethnologique d’un
siècle à venir.
MUSÉE DAUPHINOIS. OCTOBRE 1999-JUIN 2000
■ EXPOSITIONS ET ANIMATIONS :
Pour que la vie continue... Greniers et protections dans l’Atlas
Marocain. D’Isère et du Maghreb. Mémoires d’Immigrés . Musée
Dauphinois. Octobre 1999-Juin 2000.
■ AUTOUR DES EXPOSITIONS :
> VISITESGUIDÉESDESEXPOSITIONS . Tous les dimanches à 16h30, de
novembre 1999 à mars 2000.
> L ES CONFÉRENCES : (Lieu Chapelle Sainte-Marie-d’en-Haut à
20 h 30 : ENTRÉE LIBRE.)
42
• Le 18 novembre 1999 - Immigration algérienne en France . Un
enjeu dans la relation France-Algérie. Avec Mohamed HARBI,
historien, ancien membre du FLN.
• Le 16 décembre 1999 - Le monde berbère . Avec Bert FLINT, col-
lectionneur et Michael PEYRON, spécialiste de la littérature orale
berbère.
• Le 13 janvier 2000 - De l’islam en France à l’islam de France.
Avec Mohamed ARKOUN, islamologue, professeur émérite de la
Sorbonne.
• Le 10 février 2000. - L’immigration des Maghrébins : héritage de
la colonisation ? Avec Benjamin STORA, historien.
• Le 16 mars 2000. Les Maghrébins en France : quelle intégra-
tion ? Avec Françoise LORCERIE, chercheur au CNRS.
• Le 13 avril 2000. Amour, raffinement et art de vivre en islam.
Avec Malek CHEBEL, écrivain.
• Le 18 mai 2000. Architecture vernaculaire dans l’atlas maro-
cain. Avec Claude BEURRET, architecte.
• Le 8 juin 2000. - Langues et langages : du Maghreb à l’immigra -
tion. Avec Henriette WALTER, directeur de recherche au CNRS.
> LES RENDEZ-VOUS CONTÉS.
Les 13 novembre, 11 décembre, 8 janvier, 12 février, 11 mars, 8
avril, et 13 mai à 15 h 30.
• Contes pour enfants . Inscriptions : 04 76 85 19 01.
• Au printemps 2000, Une nuit du conte du Maroc et du Maghreb .
Musiques Nomades. Mardi 18 et mercredi 19 janvier 2000 à
20 h 30. Ténéré. Chapelle Sainte-Marie-d’en-Haut. Renseigne-
ment et réservation : 04 76 51 12 92.
> C INÉMA : Du 27 mars au 2 avril 2000, Ethnologie et cinéma.
Musée Dauphinois.
> PUBLICATION .
• Un ouvrage : Pour que la vie continue... D’Isère et du Maghreb -
Mémoire d’immigrés. Ouvrage collectif, 128 p., 100F, Éd. Musée
Dauphinois. Conservation du Patrimoine de l’Isère.
• Un tiré à part : un cahier du numéro 5 de la revue l’Alpe publiée
par les Éditions Glénat et le Musée Dauphinois est consacré au
grenier et protections dans l’Atlas marocain.
Sur internet : site du Musée Dauphinois : http//www.musée-dau-
phinois.fr
OUVRAGES
- Art, architecture, urbanisme 2 cent sites , Mégalopole cahier 20 ,
Institut Art et Ville, Maison du Rhône, Givors, Hiver 1999.
- Le Rhône. Un fleuve et des hommes, Le Monde alpin et rhoda-
nien 1er - 3e trimestres 1999 , Centre alpin et rhodanien d’ethno -
logie en collaboration avec le Centre pour une anthropologie du
fleuve-Maison du Rhône, Grenoble, 1999.
- Le Vinatier, un hôpital en travail, sept propos sur le septième an -
ge*, une histoire du Vinatier , réalisé et édité par la Ferme du
Vinatier, Centre Hospitalier Le Vinatier, 1999.
- Je, Nous et les Autres , de François LAPLANTINE, Éditions Le
Pommier, 1999.
- Peuplement et migration N° 1 , publication dirigée par Daniel
PELLIGRA assisté de Nadine GUIGARD. Illustrations : Monique
BOLLON-MOURIER. Strip : Alexandre LAGNEAU. Photogra-
phies : Chafia AKKAZ, Lila BENCHARIF, Virginie MILLIOT-
BELMADANI, Daniel PELLIGRA. Sept. 1999. Tél. : 04 78 79 52 79
- E-mail peuplement-migrations@wanadoo.fr
- La chirurgie des âges. Corps, sexualité, et représentation du sang ,
par Véronique MOULINIÉ. Collection Ethnologie de la France.
Mission du Patrimoine Ethnologique. Éditions de la Maison des
Sciences de l’Homme, Paris, 1998.
- Canton de Crémieu, Isère . Collection Images du Patrimoine,
Service régional de l’inventaire. D.R.A.C. Rhône-Alpes / District
de l’Isle-Crémieu, 1998.
- Errances Bédouines par Daniel PELLIGRA, Éditions de l’Art,
Collection Carnet de Voyages, 1998.
- Récit et connaissance, F. LAPLANTINE, J. LÉVY, J.-B. MARTIN, A.
NOUSS, PUL, MV, 1998.
- Actes du colloque Tricentenaire Charles PERRAULT. Les grands
contes du XVIIe siècle et leur fortune littéraire , Press Editions,
1998.
- Totémismes, Systèmes de pensée en Afrique Noire , décembre
1998, n° 15.
- Dictionnaire du français régional de l’Ain , MARTIN J.-B, C.
FRÉCHET, Paris, 1998.
- Patrimoine et modernité , POULOT, D., (Éd.) L’Harmattan, 1998.
- Actes du symposium international “Observation de l’environne -
ment de montagne en Europe”, Observatoire de Montagne de
Moussala, OM2, numéro spécial, Borovetz (Bulgarie), n° 8, 1998.
- À propos du patrimoine agriculturel rhônalpin. Les actes des ren-
contres régionales du 13 et 14 novembre 1997 sont publiés dans
le cadre de la convention Agriculture/Culture par la section ingé-
nierie culturelle du Complexe Régional d’Information Pédago-
gique et Technique Rhône-Alpes. Renseignements au LEGTA de
CIBEINS, (04.74.08.88.31).
- Les Aléas du lien social. Constructions identitaires et culturelles
dans la ville, ouvrage collectif coordonné par Jean MÉTRAL,
A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S
Ministère de la Culture et de la Communication, diffusion La do-
cumentation Française, Paris, 1997.
- La maison rurale des Monts du Lyonnais. Mémoire domestique ,
par Michel RAUTENBERG, Collection Transversales, Éditions
P.U.L., 1997.
- Photographier la Drôme . Photographies de J.P. PAGNAC, M.
MOURIN, sur les textes de C. JALABERT-PIALAT, J-L TEYSSIER.
Conservation départementale, Conseil Général de la Drôme,
Valence, 1997.
- Quand l’ethnologie se donne à voir... et à dire. Aspects, formes
et enjeux de la média(tisa)tion . Actes des XI ème Rencontres de
l’ARA, 6 décembre 1996, Charlieu, Association Rhône-Alpes
d’Anthropologie.
Créée en 1997, la collection Une ethnologie en Lorraine , publiée
par les Éditions Pierron (Sarreguemines), se donne pour objectif
de présenter des recherches soutenues par le Ministère de la
Culture - D.R.A.C. de Lorraine, en partenariat avec des institu-
tions régionales. Désireuse de rendre compte des différentes
formes d’écriture en ethnologie cette jeune collection à déjà pu-
bliée plusieurs ouvrages dont :
- Bois de mine, Ethnographie d’un chantier d’abattage dans les
mines de charbon en Lorraine , de Catherine ROTH, 1997.
- Comment la musique vient aux instruments. Ethnographie de
l’activité de lutherie à Mirecourt , de Lothaire MABRU, 1998.
EXPOSITIONS
- L’Amour du Rhône, à la Maison du Rhône, depuis le 23 janvier
1999 et jusqu’à juin 2000, (1, Place de la Liberté, 69700 Givors ;
04.78.73.70.37).
- Regards Croisés, Deuxième Biennale Photographie et Ethnologie ,
du 9 octobre 1999 au 3 janvier 2000, Prieuré de Salagon ;
04 92 75 70 50.
MUSIQUE
LYON LES SUD
Compilation des musiques issues de l’immigration en Rhône-Alpes
Huit artistes du Brésil à l’Afghanistan en passant par les caraïbes, le
Maghreb, l’Espagne, et l’Afrique noire.
RCT et ISM (inter service migrants) éditent avec l’aide du FAS et de
la DRAC Rhône-Alpes une compilation regroupant des artistes issus
de l’immigration dans la région.
JIRIPOCA BAND (Brésil), Mingo FERNANDEZ (cuba), Mustapha
AISSI (Algérie), Omar EL MAGREHBI (Maroc), SHAMS (Afgha-
nistan), Annie Flore BATCHELILLYS (Gabon), NATTY (Antilles),
AQUADULCE (Espagne) ont participé à ce CD qui comporte trois
enregistrements originaux.
Réalisation : B. DAUTANT (RCT), G. RAMOS (ISM). Contact : RCT
BP 2001 69603 Villeurbanne Cedex, Tél : 04 78 89 59 48, Fax : 04
72 44 34 42. Production-réalisation : RCT 99.3 F.M. et Inter
Service Migrants.
NOUVELLES DES COUSINES
Pour ceux qui seraient de retour d’un lointain
et long terrain sur une terre coupée du reste
du monde, ou qui n’auraient pas remis les
pieds depuis plus d’un an à la faculté de
Sociologie et d’Anthropologie de l’Université
Lumière Lyon 2, nous vous annonçons la
création de l’association Nus, Féroces et
Anthropologues, (NFA). Pour les autres, nous
vous invitons à la contacter sur un de ses sites
internet :
http://sentiers-nte.univ-lyon2.fr/nfa ou /et : http://nte-socio.univ-
lyon2.fr ou /et : E-mail : nfa@univ-lyon2.fr
■ ■ ■
Pour les fanas du développement local ou plus simplement pour
ceux qui se préoccupent de se professionnaliser dans ce secteur,
nous avons le plaisir de vous annoncer la constitution d’une nou-
velle équipe jeune et dynamique à la tête du conseil d’administra-
tion de l’ASADEL, Association des étudiants de la formation de
DESS SADL de la faculté de Sociologie et d’Anthropologie de
l’Université Lumière Lyon 2. L’ASADEL reste le lieu de rencontre
entre la formation de DESS de Sociologie Appliquée au
Développement Local et les métiers qui en découlent, constituant
ainsi un réseau d’étudiants et de partenaires du développement lo-
cal qui autorise l’échange d’expériences, la confrontation entre des
réalités issus des terrains et l’idée que chacun s’en fait, et plus lar-
gement la réflexion sur la professionnalisation dans ce secteur. La
création d’un site internet est en cours, véritable plate-forme tour-
nante de l’information concernant le développement local. Les
Mardis de l’ASADEL, soirées de débats conviviales qui se conclues
autour d’un bon repas seront relancées, avec une première date
programmée le mardi 8 février 2000, sur le thème de la politique
de la ville.
Contacts : Laurence GAUTIER, présidente : 04 78 53 96 03.
D ' A N T H R O P O L O G I E ■ ■
Ce Numéro Spécial de l’ARA s’inscrit dans la continuité de l’engagement amorcé l’an dernier au travers du Numéro
Spécial intitulé : “Pour une anthropologie impliquée, argumentations face aux extrémismes”. Son objectif était alors la dé-
construction du discours d’extrême droite, apparu au grand jour en région Rhône-Alpes comme dans divers points de
l’hexagone.
L’écho favorable qu’a rencontré ce numéro, nous a encouragé à poursuivre cette réflexion en 1999, avec toujours en pers-
pective l’idée d’une anthropologie impliquée, sur une actualité très médiatisée : les Balkans. Sarajevo hier, le Kosovo au-
jourd’hui, il en est fait de la diabolisation de la péninsule balkanique par l’Occident. Les troupes serbes ont envahi extrê-
mement rapidement la province, perpétrant les pires exactions, renouant avec les déportations, le “nettoyage ethnique”,
semant la mort et la désolation. Les “médias” se sont immédiatement chargés de réinscrire ce conflit dans une histoire
propre à l’Europe de l’Est, et plus précisément aux Balkans. L’Europe, les États Unis d’Amérique, l’OTAN, après s’être
émus, sont intervenus en mêlant ingérence militaire et aide humanitaire.
Face à la profusion journalistique et au discours unilatéral, nombre d’entre nous affirmaient ne pas comprendre le sens
même de ce conflit, ainsi que les motivations de ses différents protagonistes. Dans un contexte où d’une part, la propagan-
de est devenue une arme stratégique de première importance, et où d’autre part, l’information arrive en temps réel, il de-
vient difficile de prendre le recul nécessaire à la compréhension.
Aussi pour amorcer une réflexion anthropologique sur ces conflits, avec comme ambition la déconstruction du discours
portant sur les Balkans, il nous a paru indispensable de solliciter des spécialistes de ces régions. C’est donc par une action
conjointe et complémentaire avec l’association ALYASPECO que ce travail a pu être réalisé. (1)
Les contributions de chercheurs et professionnels travaillant sur des terrains d’Europe orientale permettent ainsi l’élabora-
tion d’un point de vue différent sur ces territoires et ces peuples. Leurs recherches nous amènent à repenser les représenta-
tions et constructions collectives élaborées de notre côté du mur sur cet “Autre”. Cet échange autorise l’inscription du dra-
me yougoslave dans une problématique plus vaste, à l’échelle des Balkans, de l’Europe de l’Est, voire des relations Est-
Ouest. Il nous informe également sur la manière dont les ethnologues bosniaques, croates, serbes, albanais ou grecs prati-
quent l’anthropologie dans un tel contexte et sur la façon dont ils traitent des notions utilisées ici telles celles d’identité, de
territoire, de mémoire, d’éthique, d’altérité ou de patrimoine...
Les contributions à ce numéro sont diverses, quant à leur thème, quant aux limites géographiques et culturelles des ter-
rains étudiés, et quant aux périodes de l’histoire auxquelles elles se réfèrent. Effectivement, il apparaît nécessaire pour
nombre d’auteurs, de prendre un recul historique, de retracer les différentes étapes de l’évolution des peuples en question.
Il ne s’agit pas pour nous, de reproduire le jeu des historiens dont le système vise à construire une représentation commu-
ne et légitime, au milieu du fracas des perceptions individuelles. Il ne s’agit pas non plus de choisir et de donner crédit à
une version historique en particulier, mais de rendre compte de la complexité des conflits. Au regard de ces textes éclai-
rants, le discours dominant paraît véritablement amputer ces peuples de tout un pan de leur passé, et ne s’arrêter qu’à une
réalité contemporaine de façade.
La succession des dominations byzantine, ottomane et soviétique, qu’a connue la région des Balkans, l’imbrication des
différents peuples et leurs mouvements, ne peuvent autoriser un discours simplificateur. D’ailleurs il est vain de s’évertuer
à chercher les origines des populations, ou de retracer une certaine hiérarchie temporelle des peuplements ; cette quête
des origines ne peut être que source de conflits. En outre, les auteurs de ce numéro tendent davantage à penser cette ré-
gion dans une tradition de métissage. Ils dénoncent la façon dont l’Occident associe les sociétés d’Europe de l’Est et en
particulier les Balkans, à une logique de l’enfermement, et la facilité avec laquelle il inscrit le conflit comme faisant partie
de “leur” culture.
Or, nous savons que l’Occident n’est pas étranger à cette situation, que ce
soit au travers de ses ingérences politiques ou armées, mais aussi de ses in-
fluences idéologiques. Effectivement, par leur approche historique, les au-
teurs nous donnent une image de ces peuples fonctionnant sur un modèle
d’État pluri-ethnique. L’idéal de la mono-identité serait davantage la consé-
quence de l’importation de notre modèle occidental d’État-nation “mono-
ethnique”, que l’aboutissement de leur propre modèle culturel.
Ainsi si ce travail de collaboration entre chercheurs “d’ici et de là bas”, nous
permet de mieux saisir la réalité des Balkans, il nous instruit aussi sur notre
fonctionnement vis-à-vis de cette “autre Europe”. La crise du Kosovo a
abouti, d’un certain point de vue, encore une fois à une mise en scène de
ces figures de l’imaginaire ethnologique que sont le “bon sauvage”, le
Kosovar, le “mauvais sauvage”, le Serbe, et “le civilisé“, l’Occidental ou
l’”Otanien”. Le sauvage, bon ou mauvais, est l’une des figures classiques de
l’”occidentalocentrisme”, qui fonctionne autant à la condamnation (rejet du
non-civilisé) qu’à la condescendance (exaltation de l’authentique) mais de-
meure un perpétuel opérateur d’exclusion.
Gilles ARMANI, Muriel FAURE, Serge FOUILLAND,
Marie-Christine MONNERET et André VINCENT
—————————
1) Association LYonnaise d’Anthropologie Sur les Pays d’Europe Centrale et Orientale.
A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N TH R O P O L O G I E
3
S o m m a i re LE S C ON TA C T S
DE L’ARA
(http://www.mygale.org/05/araa)
Présidence
Muriel FAURE
89, rue d'Angleterre
L ' A N T H R OP O LOGIE PRAT I Q U E . . .
• Editorial ............................................................................................................................................................... 3 73000 Chambéry
Gilles ARMANI, Muriel FAURE, Serge FOUILLAND, Marie-Christine MONNERET, André VINCENT
Tél. : 04 79 69 55 18 B O N D E C O M M A N D E
(mfaure@suacigis.com)
• ALYASPECO ........................................................................................................................................................ 4 Vice-Présidence A photocopier et à retourner accompagné de votre règlement à l’adresse suivante :
Association LYonnaise d’Anthropologie Sur les Pays d’Europe Centrale et Orientale Serge FOUILLAND
6, rue Julien Peyhorgue Association Rhône-Alpes d’Anthropologie (ARA)
• Du crime contre l’autre au crime contre l’Autre. Réflexions sur le crime contre l’humanité ................ 6 69100 Villeurbanne Heikki JAHI / 38, rue Nicolas Sicard / 69005 Lyon / Tél. : 04 78 25 36 67
Bernard VANDEWIELE , Ethnologue, Psychanalyste Tél. : 06 62 42 49 67
(s-fouill@etu.univ-lyon2-fr)
• Les Droits de l’Homme, prêt-à-penser ? ......................................................................................................... 8 Secrétariat
Nom et adresse du destinataire de la commande Adresse de facturation si différente du destinataire
Olivier GIVRE, Doctorant en Ethnologie à l’Université Lumière Lyon 2 Diego SINISCALCHI
30, rue de la Rize
• De l’utilisation idéologique de la notion de culture en général, et dans les guerres en ex-Yougoslavies 69003 Lyon
en particulier ..................................................................................................................................................... 11 Tél. : 06 14 40 12 55
(reato@free.fr)
Dejan DIMITRIJEVIC , Maître de conférence SOLIIS-URMIS, Université de Nice-Sophia Antipolis
Abonnements - Adhésions
• Kosovo 1999 : les bombes à retardement d’un modèle politique occidental dans les Balkans .............. 15 Heikki JAHI
Marianne MESNIL , Professeur d’anthropologie de l’Europe à l’Université Libre de Bruxelles, Directeur du Centre de Recherche 38, rue Nicolas Sicard PUBLICATIONS DATE ÉDITION QUANTITÉ PRIX UNITAIRE TOTAL
69005 Lyon
en Ethnologie Européenne Tél. : 04 78 25 36 67 Actes des XIe Rencontres de L’ARA à Charlieu :
• Le rôle de la violence dans la question balkanique ...................................................................................... 19 (heikki.jahi@ish-lyon.cnrs.fr)
Quand l’ethnologie se donne à voir... et à dire 1997 60,00 F
Georges PRÉVÉLAKIS, Géographe, Université de Paris-Sorbonne, Université de Boston Responsable de publication
Muriel FAURE Numéro Spécial : Pour une anthropologie impliquée : 1998 30,00 F
• Kosovo : la poudrière ........................................................................................................................................ 22
Cécile MARIN, Géographe, Cartographe
Comité de rédaction argumentations face aux extrémismes
de ce Numéro Spécial
• Ethnicité et Nation dans les Balkans ............................................................................................................... 24 Gilles ARMANI, Serge FOUILLAND, Numéro Spécial : Regards sur les Europe :
Heikki JAHI, Marie-Christine MONNERET,
une anthropologie impliquée dans les Balkans 1999 30,00 F
Dominique BELKIS, Anthropologue, C.R.E.A., Université Lumière Lyon 2 Diego SINISCALCHI, André VINCENT,
et
• Retour sur le bon voisinage ............................................................................................................................. 26
Stéphanie BEAUCHÊNE, Dominique BELKIS
Xavier BOUGAREL, Chercheur CNRS-GREMMO Olivier GIVRE Jésus MIRANDA PARTICIPATION AUX FRAIS D’ENVOI 1 exemplaire 11,50 F
• Trianon… Fin de siècle ..................................................................................................................................... 29 Marie-Pierre REYNET d'ALYASPECO (entourer la somme correspondante) 2 à 4 exemplaires 21,00 F
et l'aide ponctuelle de
Jésus MIRANDA, Doctorant, CREA, Université Lyon 2 Muriel FAURE, Valérie PASTUREL
5 à 12 exemplaires 28,00 F
• La question du “premier occupant” dans les Balkans .................................................................................. 32 Jean-Paul FILIOD, Edith PLANCHE, 13 à 19 exemplaires 33,00 F
Stéphanie MAHIEU, Anthropologue, Doctorante au Centre de Recherches en Ethnologie Européenne, Université Libre de Bruxelles et la collaboration indispensable de tous 20 exemplaires et plus 54,00 F
les auteurs...
• La Bulgarie. Réflexions d’anthropologie historique et politique ................................................................. 35 Vous voulez nous faire part de votre expé - TOTAL COMMANDE
Joseph YACOUB, Professeur de sciences politiques à l’Université catholique de Lyon, Institut des Droits de l’Homme rience, recherche, point de vue, etc.
Ecrivez nous :
• Le rêve des mandarins des Balkans : Kosovo = Transylvanie ....................................................................... 38 vos contributions sont à adresser en ver- REMISE DE 30 % : Date Cachet et Signature du Payeur
Jenõ FARKAS, Professeur de Littérature roumaine, Université Eötvös Loránd de Budapest sion imprimée, accompagnées d’une dis- ■ pour les librairies.
quette format PC ou MAC, word 6 ou RTF.
• Aux “Deux cerfs”. Une note sur le racisme et l’exotisme ........................................................................... 40 N’hésitez pas à nous envoyer vos clichés ■ pour les commandes de plus de 25 exemplaires d'une brochure.
Ivan COLOVIC , Ethnologue, Université de Belgrade (noir et blanc ou couleur, tirage papier ou RÉGLEMENT :
diapositive, tous formats.)
• La Culture dans tous les sens ............................................................................................................................. 42 Pour plus d’informations, ■ Bon de commande administratif ci-joint.
contactez un des membres du bureau.
• L’ARA sur les ondes ........................................................................................................................................... 44 ■ Chèque bancaire ou postal libellé à l'ordre de :
Les opinions diffusées dans la Lettre de
l’ARA n’engagent que leurs auteurs. L’ARA, CCP Lyon n° 10.566.86 V
Et pour l’émission du mardi soir sur RCT,
voir dernière page...
B U L L E T I N D ' A D H É S I O N 2 0 0 0

T ASSEMBLÉE GÉNÉRALE ANNUELLE

L’ARA vous convie à son

ELLE AURA LIEU LE

SAMEDI 15 JANVIER 2000
° Photo de couverture : Arrivée de réfugiés de République
Fédérale de Yougoslavie en Macédoine dans la région de
Blace. UNHCR/29004/03.99/Auteur R. Lemoyne.

COMPOSITION DU
CONSEIL D’ADMINISTRATION
Étudiant ( + justificatif)
N’hésitez plus à vous abonner ou à proposer l’adhésion à vos amis !
(Bon à photocopier et à envoyer).

■ 50 F Nom, Prénom ou raison sociale :

Présidente :
à la Bibliothèque Municipale de La Part-Dieu
30, Bld. Vivier Merle, 69003 Lyon
Muriel FAURE Abonnement et adhésion ..................................................................................
Salle des conférences - (Rez de chaussée, au fond à gauche) Vice-Président : ..................................................................................
Serge FOUILLAND
de 10 H à 13 H. Particulier ■ 100 F Adresse :
Secrétaire :
À l’ordre du jour : Abonnement et adhésion ..................................................................................
Diego SINISCALCHI
- Bilan moral, présenté par la présidente, puis soumis au vote de l’assemblée.
- Bilan financier, présenté par le trésorier, puis soumis au vote de l’assemblée. Trésorier : ..................................................................................

U
DISCUSSION DÉBAT HeiKki JÄHI Institution* ..................................................................................

Y Abonnement ■ 150 F Téléphone : .................................................................

Point sur les activités de l’ARA, pertinence et évolutions, Trésorier-adjoint :
suggestions quant à de nouvelles actions, questions ouvertes... André VINCENT
- Élection du Conseil d’Administration. Membres Actifs :
Adhésion ■ 150 F Télécopie : ..................................................................
- Élection du Bureau Directeur. Gilles ARMANI - Delphine BALVET * Si vous représentez une institution, merci d’indiquer les deux noms.
L’ARA se fera un plaisir de vous inviter à son pot rituel suite à l’Assemblée Générale ; les questions portant Isabelle CHAVANON - Jean Paul FILIOD Chèque adressé à l’ordre de l’ARA, CCP Lyon n° 10.566.86 V, à l’adresse suivante :
sur l’avenir de l’association pourront alors continuer à être débattues dans la joie et la bonne humeur... Pascal LÉCAILLE - Valérie PASTUREL
Edith PLANCHE.
ARA - Heikki JAHI - 38, rue Nicolas Sicard / 69005 Lyon / Tél. : 04 78 25 36 67
Crédits photographiques : UNHCR, KFOR, OTAN, Kelil AITOU, Olivier GIVRE, Stéphanie MAHIEU, ”Le Monde Diplomatique”, Johan BODIN, Serge FOUILLAND.

2 A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E ■ ■ A S S O C I A T I O N R H Ô N E - A L P E S D ' A N T H R O P O L O G I E
43

es rapports entre l’ethnologie et les médias ne sont pas toujours évi-
L dents (cf. Quand l’Ethnologie se donne à voir... et à Dire, Rencontres
de Charlieu, 6 déc. 1996). L’un des paris de ces émissions bimen-
suelles est de continuer à rendre accessible les travaux universitaires
en cours, ou achevés, sans pour autant les dénaturer, mais également de
décrire les liens étroits qui se tissent entre l’ethnologie et diverses profes-
sions. La préparation, bien qu’elle requiert un important travail, n’en
constitue pas moins une phase essentielle qui permet de cadrer conjoin-
tement le sujet et d’éviter les malentendus. Finalement, je prends le
risque d’affirmer que chaque invité a su -jusque là en tout cas- s’y retrou-
ver et captiver l’attention de celles et ceux qui, derrière leurs postes, ai-
ment voyager, s’aérer les neurones, sans avoir forcément besoin de se
déplacer.
Christophe HANUS.
A V E N I R
Le 11 janvier 2000
Louis NECKER, Ethnologue,
Dir. du Musée d’Ethnographie de Grenoble :
“Présentation du lieu et réflexion sur la muséographie .”
Le 25 janvier 2000
André JULLIARD , Ethnologue :
“La figure du Dieu unique dans les monothéismes.
Regard sur le religieux aujourd’hui .”
Le 8 février 2000
Françoise et Jean MÉTRAL, Ethnologues :
"La recherche anthropologique sur le Proche-Orient aujourd’hui."
Le 22 février 2000
Jérôme NICOLAS, doctorant en ethnologie :
"Carnaval et fêtes sociales ?
Comparaison entre les carnavals français et réunionnais."
Le 7 mars 2000
Jésus MIRANDA, Doctorant en ethnologie :
"Questions et controverses sur le vin de Tokaj en Hongrie."
Le 21 mars 2000
François LAPLANTINE, Anthropologue :
"Sur le métissage."
Le 4 avril 2000
Michel RAUTENBERG, Ethnologue :
"Retour sur son parcours de conseiller à l’ethnologie
à la DRAC Rhône-Alpes."
SI VOUS DÉSIREZ , VOUS AUSSI PRÉSENTER VOTRE RECHERCHE
AU COURS D’UNE ÉMISSION RADIO ,
CONTACTEZ CHRISTOPHE HANUS , NOTRE ANIMATEUR PRÉFÉRÉ AU 04 72 10 06 51
ISSN N°1289-3706
ARA
HIVER 1999 - 2000
NU M É R O SP É C I A L
N°44 - Prix : 30 F
L'
Elles ont déjà eu lieu
Sur Radio Couleur Tempo (Villeurbanne),
99,3 MHz, FM
Le mardi de 19 h. à 20 h.
• Frédéric JANISSET , Photographe et Jean Paul FILIOD ,
Ethnologue, à propos de : “Habiter c’est aussi mon affai -
re...”, exposition qui a eu lieu à la FNAC en automne 97
et à Saint-Priest à l’automne 98.
• Magali DEMANGET, Doctorante en ethnologie :
“Voyage dans l’univers des pratiques chamaniques chez
les indiens Mazatèques.” (Mexique).
• Gilles ARMANI, Doctorant en ethnologie : “Retour de
terrain : séjour chez les Amérindiens Chachis.”
(Equateur).
• Pierre SAPET , Historien de l’Art : “Culture et
Démocratie au Cambodge, Des Temples d’Angkor aux
Musées de la Paix.”
• Virginie MILLIOT , Anthropologue : “Regard d’une eth -
nologue sur le mouvement Hip Hop lyonnais.”
• Olivier GIVRE , Doctorant en ethnologie : “Des Saints,
des Bêtes et des Hommes.”
• Stéphanie BEAUCHÊNE, Doctorante en ethnologie :
“Le centre civique de Bucarest : histoire d’un imaginaire
politique.”
• Muriel FAURE, Doctorante en ethnologie : “Les fro -
mages dans les Alpes du Nord : de produits agricoles à
objets culturels.”
• Serge FOUILLAND, DESS Sociologie Appliquée au
Développement Local : “Le jeu des acteurs de la valori -
sation du patrimoine radelier : de la recomposition pa -
trimoniale à l’outil de développement local.”
• Jacques HAINARD , Conservateur et Ethnologue au
Musée d’Ethnologie de Neuchâtel : “A travers les exposi -
tions de “La Différence” et de “Derrière les images”, re -
gard d’un ethnologue sur le monde.”
• Evelyne LASSÈRE et Claude GUIOUX, Doctorants en
Ethnologie : “Corps en action : L’expérience et l’inter -
prétation du religieux au travers de l’exemple d’associa -
tions de Yoga.”
Les émissions sont disponibles auprès de
Christophe HANUS ,
1, rue Dumont d'Urville, 69004 Lyon,
Tél. : 04 72 10 06 51
contre l’envoi d’une cassette 90 mn
(2 programmations par cassette),
et d’une enveloppe affranchie avec votre adresse.
REGARDS SUR LES EUROPE :
Avec
la participation
UNE ANTHROPOLOGIE IMPLIQUÉE
DANS LES BALKANS
A S S O C I AT I O N R H Ô N E- A L PE S D 'A NT H R OP OL OG I E