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TINTIN L’INITIÉ

Avertissement : L’objet de cet article est une étude sur les références littéraires et mythologiques
qui ont inspiré Hergé pour la constitution de la trame de certaines aventures de Tintin. Ecrit en 2001-
2002, il a été écrit dans sa plus grande partie avant la publication de l’ouvrage de B. Portevin cité ci-
dessous.
.

Depuis quelques années, Les aventures de Tintin provoquent une certaine effervescence
dans le monde des admirateurs d’Hergé. L’affiliation de l’auteur au rexisme nous interdirait-
elle désormais la lecture de son oeuvre ?
Loin de moi la volonté de laisser dans l’ombre cette question ; mais peut-on objectivement
réduire Les aventures de Tintin à cette partie de la vie de leur auteur ?

Depuis l’année 1998, je commence à découvrir que l’œuvre centrale d’Hergé comporte
différents niveaux de lecture. L’écriture de cet article, au cours des mois de juillet 2001 et
août 2002, m’a permis de mettre à jour quelques nouvelles pistes de lecture. J’espère qu’elles
aideront les lecteurs à comprendre les raisons qui pourraient expliquer la fascination que
provoque l’ensemble des albums de Tintin sur des générations de lecteurs.
Cette étude n’est pas la seule ni la première. Au mois d’août 2001, terminant cet article, je
parcourais les rayons d’une grande librairie, à la recherche d’un ouvrage dont les vues
rejoindraient les miennes.
C’est ainsi que je découvrais Le Monde inconnu d’Hergé1, paru en 2001, alors que l’on
parlait, cet été-là, d’une nouvelle entrée en scène de Tintin2.

Après les recherches réalisées dans la littérature dite populaire de Maurice Leblanc par
Patrick Ferté dans Arsène Lupin Supérieur Inconnu3, Bertrand Portevin s’est lancé dans un
travail de décryptage en profondeur, mot à mot et vignette par vignette, des aventures de
Tintin. Ce livre, premier tome d’une étude qui comprendra deux volets, s’attache plus
particulièrement au Vol 714 pour Sydney.
À la lecture de cet ouvrage, on découvre un autre mode de lecture possible des aventures
de Tintin.
Le début de ce millénaire sera donc marqué, dans le domaine de la bande-dessinée, chez
certains amateurs, par la relecture en profondeur de l’œuvre d’Hergé4.

Les recherches réalisées par Bertrand Portevin ouvrent de nouvelles perspectives qui
donnent une impression de vertige. Dans ce premier tome, l’auteur nous livre un
foisonnement d’interprétations, parfois difficile d’approche, de l’une des aventures de Tintin.
Car Vol 714 pour Sydney, s’il se révèle être un album crypté de bout en bout, n’est pas un
condensé de toute l’œuvre d’Hergé. L’enjeu ultime de cette publication, c’est de révéler
l’identité réelle d’Hergé, de Tintin, Haddock et Tournesol, comme nous le révèle le
quatrième de couverture : « qui ne s’est pas interrogé sur la personnalité d’Hergé ? (…)
Hergé pouvait désormais dévoiler au grand jour la profondeur des caractères de ses héros,
dans cette histoire qui se déroule comme un voyage initiatique. »

1
Bertrand Portevin, Le monde inconnu d’Hergé, la recette de la pierre philosophale en
bande dessinée ! Dervy, Paris, 2001.
2
Jean-Pierre Jeunet, le réalisateur d’Amélie Poulain, envisage en effet de réaliser une
adaptation cinématographique du héros. C’est finalement Steven Spielberg et Peter
Jackson qui s’y sont collés.
3
Patrick Ferté, Arsène Lupin, Supérieur Inconnu, la clé de l’œuvre codée de Maurice
Leblanc, Guy Trédaniel, Paris, 1992.
4
Curieusement, le dévoilement de ce niveau caché de lecture correspond également à la
matérialisation de l’univers d’Hergé : cette année commence l’exposition permanente
Tintin, au château de Cheverny.
Comment rendre compte de ce travail sans dévoiler ce que je pense être la révélation du
second tome et sans nous perdre dans le détail du décodage du Vol 714 ?

Cet article est donc consacré à un autre album de Tintin, qui me semble plus simple à
décoder, Les Bijoux de la Castafiore : « Je considérais, jusqu’à ce que je me plonge dans le Vol
714, que Les Bijoux étaient le chef d’œuvre d’Hergé5 ».

Cette aventure, placée sous le signe de la franc-maçonnerie initiatique du XVIIIe siècle,


celle de La flûte enchantée de Mozart, comme le souligne très justement B. Portevin, est truffée
de symboles initiatiques et maçonniques dont l’assemblage forme un message caché dans les
profondeurs d’un scénario d’énigme à la trame policière, dans une ambiance proche de celle
d’un roman d’Agatha Christie.
Ces signes sont destinés à la perspicacité des « initiés » qui reconnaîtront en Hergé un
« maçon initié aux mystères antiques »6, un happy few qui utilise la pseudo « littérature de
jeunesse » pour diffuser un certain savoir occulte.

*
* *

Le propre des ouvrages « initiatiques » est l’utilisation de symboles disposés précisément


dans la trame du scénario en tant que vecteurs du sens caché du récit. La « traduction » de
ces symboles doit permettre au lecteur averti de comprendre le vrai message de l’histoire,
comme le chasseur découvre la piste de l’animal à l’aide de la trace de ses pas.

1. Le château du Graal.

Le château de Moulinsart, dans Les Bijoux de la Castafiore, comme dans d’autres épisodes
des aventures de Tintin7 est doté par Hergé d’attributs spécifiques qui caractérisent

5
B. Portevin, op. cit., p. 37.
6
Ibid., p. 37.
7
Notamment Le secret de la Licorne et Le trésor de Rackham le Rouge, comme nous le
verrons dans un prochain article.
généralement, dans les légendes et les mythes, les centres initiatiques dépositaires d’une
Tradition sacrée.

1.1. La sagesse de l’Orient.

Il est tout d’abord nécessaire de noter que l’aventure des Bijoux ne commence pas par
l’arrivée de la Castafiore, mais par l’arrivée, dans le parc du château de Moulinsart, des
Bohémiens. Il s’agit là d’un premier indice.

En effet, d’après les Traditions, les Bohémiens viendraient de l‘Agartha, ce centre


initiatique mystérieux8 que l’on situe dans les souterrains qui creuseraient les montagnes de
l’Asie centrale, qui forment le Toit du Monde entre l’Inde, le Tibet, l’Altaï, le désert de Gobi
et la Mongolie et qui étendent leurs ramifications dans le monde entier, sous la direction du
Roi du Monde, que les hommes du Moyen-Âge identifiaient au fameux prêtre Jean, roi des
rois, dont le royaume abritait une fontaine de Jouvence, selon les uns, une pierre faisant
ressusciter les hommes, selon les autres.

Ce premier indice nous indique de manière voilée que le château de Moulinsart, en


Occident, est en quelque sorte dépositaire, par le canal des Bohémiens, de la sagesse
mystérieuse des civilisations orientales que certains auteurs identifient à la Connaissance
sacrée, par opposition au matérialisme et au scientisme occidental9.

On se souviendra à ce propos que c’est à l’aide de tels récits symboliques que les
dynasties royales françaises ont cherché à indiquer qu’elles étaient dépositaires et héritières
des influences spirituelles qui présidèrent aux destinées des peuples grec et romains.
Rappelons que l’Historia francorum et les Gesta regnum Francorum (VIIème et VIIIème siècles)
prétendaient que les Francs étaient les descendants, par l’intermédiaire de Francion et
d’Anténor, d’Énée, exilé Troyen dont les Romains disaient qu’il avait fondé Rome.

La présence des bohémiens dans ce récit est donc la condition sine qua non du bon
déroulement de l’histoire.

1.2. Un centre dépositaire de l’émeraude du Graal.

8
Voir René Guénon, Le roi du monde, p. 8, Gallimard, Paris, 1958, réimpression 1991.
9
René Guénon, Orient et Occident, La crise du monde moderne, etc.
Nous apprenons, à la page 17, que les bijoux de la Castafiore contiennent une émeraude10.
La présence des bijoux au château de Moulinsart11 intervient après l’installation des
Bohémiens dans le parc, c’est-à-dire lorsque Moulinsart est « qualifiée » spirituellement pour
recevoir ce dépôt « sacré », comme dans les temps anciens, un temple devait être « consacré »
avant de remplir ses fonctions spirituelles.

Selon certaines versions anciennes de la légende, le Graal serait une coupe taillée dans une
émeraude tombée du front de Lucifer et selon d’autres une pierre tombée du ciel. Il est
curieux de remarquer que l’émeraude de la Castafiore sera d’ailleurs volée par un oiseau et
déposée au sommet d’un peuplier, c’est-à-dire, symboliquement, au ciel.

Le lecteur apprend également que l’émeraude verte de la Castafiore lui fut offerte par le
Maharadjah de Gopal12, nom inventé par Hergé qui est peut-être Bhopal, au nord du Deccan,
c’est-à-dire en Inde.

1.3. Les mystères de l’Égypte.

Remarquons ensuite, dans les deux vignettes qui terminent la page 23, les mentions
successives et anodines, données comme « en passant » de « Karnack » et de « Sarah ».
Sarah, ou Sara la Bohémienne, est la patronne des tziganes, et accompagnait, selon la
légende, Lazare et les trois Maries13, lorsqu’elles quittèrent la Palestine pour aller en
Provence, emportant avec eux la coupe content le sang de Jésus, autrement dit le Graal (selon
les versions christianisées et plus tardives de la légende, aux XIVème et XVème siècles). Ce
débarquement se déroula au lieu dit « les Saintes-Maries-de-la-Mer » où se déroule chaque
année un immense rassemblement tzigane14. Ce lieu fut authentifié au XVe siècle par des
recherches réalisées sur l’ordre du roi René de Provence, dont on dit qu’il fut un initié
alchimiste. Il accompagna l’épopée de Jeanne d’Arc et prétendait posséder la coupe de
porphyre rouge où le Christ but le vin des noces de Cana15.

10
Les bijoux, p. 17.
11
Ibid., p. 10.
12
Ibid., p. 17.
13
Marie-Madeleine, Marie-Salomé, Marie-Jacobé
14
Pour tous ces renseignements, voir Jean-Paul Bourre, Les Celtes dans la Bible, Robert
Laffont, collection Les énigmes de l’univers, Paris, 1990, p. 54.
15
Voir Patrick Ferté, op. cit., p. 359-360.
D’autre part, Karnack nous rappelle l’Egypte, dont les Anglais et les Espagnols disaient
qu’elle était la patrie d’origine des Gitans. En effet, le mot anglais Gypsies (Gitan) a été formé
à partir du mot « Égypte ».
À Karnack était situé le temple où résidait le dieu égyptien Amon, temple que ce dieu ne
quittait qu’onze jours par an, selon la légende, pour se rendre à Louxor où il retrouvait son
épouse divine. Amon était vénéré comme le dieu de la fertilité, et devient au IIe millénaire le
dieu de l’Empire égyptien et le père des pharaons (roi des rois) en fusionnant avec la divinité
solaire suprême Rê. Amon-Rê, selon cette doctrine, représente le Principe caché qui créa les
dieux. D’autres versions disent aussi qu’Amon fertilisa l’œuf cosmique façonné par les autres
dieux créateurs et dans un autre mythe, Amon pondit lui-même l’œuf cosmique d’où sortit la
vie16.

L’ensemble de ces signes nous indique donc qu’Hergé veut nous montrer que Moulinsart
est un centre sacré dépositaire, en Occident, de l’héritage spirituel de la Sagesse d’un
royaume asiatique mystérieux, identifié au Graal, via le déplacement géographique des
Bohémiens à travers l’Inde, l’Égypte, etc.

2. La perte du Graal

Le scénario « occulte » de l’histoire des Bijoux nous indique que le « Graal » sera perdu
puis retrouvé par Tintin, selon le mécanisme des récits de la quête.

2.1. La perte de la Tradition.

La disparition de l’émeraude est préfigurée, dans l’histoire, par la rupture du collier de


perles de la Castafiore et la perte des ciseaux d’or (p. 25).

La perle, dans les différentes traditions, symbolise au départ l’eau primordiale et la


féminité. Par extension, elle symbolise également la perfection de l’homme, à son origine,
dans l’état indifférencié de l’« androgyne », avant sa « chute » et à la fin des temps, après sa
mort. Dans les traditions islamiques, l’élu du Paradis est enfermé dans une perle17.

16
Mythologie du monde entier, dir. Roy Willis, Duncan Baird, 1993 et Bordas, Paris,
1994, pour l’édition française et la traduction, p. 39.
17
Dictionnaire des symboles, dir. Jean Chevalier et Alain Gheerbant, Paris, Robert
Laffont, collection Bouquins, édition revue de 1982, article « perle ».
Les perles enfilées sur un fil représentent, dans l’hindouisme, la chaîne des mondes reliés
par l’esprit universel. Le collier de perle symbolise donc l’unité du multiple, la mise en
relation spirituelle des êtres. Le collier brisé de la Castafiore constitue donc l’image de la
l’unité rompue, de la chute et de la dissolution.

Les ciseaux, comme tous les outils tranchants, représentent le principe cosmique mâle
pénétrant le principe passif femelle. Dans la Maçonnerie, le ciseau est l’éclair, la Volonté
céleste pénétrant la matière ou le rayon intellectuel pénétrant l’individu18.

La perte des ciseaux est concomitante à la rupture du collier de perles ; il est évident que
cette « coïncidence » n’en est pas une et représente le signe annonciateur de la perte du
Graal.

2.2. Le retrait du Graal.

La plupart des mythologies évoquent, avec différentes variations, la doctrine des Quatre
Âges, selon laquelle l’humanité serait passée de l’âge d’or à l’âge de fer ou âge sombre. Dans
les légendes du Graal, cette chute est symbolisée par la perte du Graal, responsable de la
désolation du royaume d’Arthur (la terre Gaste ou « Waste land »), roi devenu « roi
pêcheur » attendant la venue du parfait chevalier (Parsifal) qui a réussi à reconquérir le
Graal.

Dans l’histoire des Bijoux, la perte de l’émeraude de la Castafiore représente la perte du


Graal, l’oubli de la Tradition sacrée dont il fut question au début de l’histoire.

2.3. La chute.

Le départ des Bohémiens est concomitant, dans le scénario de l’histoire, à la perte de


l’émeraude. Ce départ signifie que les influences spirituelles sacrées déposées à Moulinsart
par l’arrivée des Bohémiens, s’en retirent19. Il s’agit en quelque sorte d’une disqualification
spirituelle.

18
Ibid., article « ciseau ».
19
La perte de l’émeraude intervient à la page 45-46 et le départ des Bohémiens à la
page 47.
L’épisode du téléviseur couleur de Tournesol (p. 48-50) n’est pas un simple passage
« anecdotique ». Il participe des conséquences de la perte de l’émeraude. En effet, dans les
légende du Graal, celui qui tente de contempler le Graal sans être autorisé ni qualifié
déchaîne un vent surnaturel qui lui ôte la vue. Or, dans l’histoire des Bijoux, l’expérience ratée
de Tournesol trouble complètement la vision des spectateurs (p. 50).

3. La reconquête du Graal.

3.1. La chaîne initiatique des signes.

Dans le contexte de l’Âge sombre de la fin et de l’Église monothéiste et inquisitoriale, la


survivance des Traditions de l’origine ne peut-être pas être dévoilée au grand jour, c’est
pourquoi l’on dit que le secret de la Connaissance passe pour être gardé par des sociétés
secrètes (alchimistes) ou des ordres chevaleresques (templiers).
Les signes dispensés dans Les bijoux de la Castafiore nous indique que la société réunie à
Moulinsart (Tintin, Haddock, Tournesol, Castafiore) constitue l’un de ces ordres secrets.

Les roses de l’expérience alchimiste.

Au regard des symboles qui émaillent cette histoire, nous pouvons constater que
l’ensemble de l’histoire est placé sous le signe de l’expérience alchimiste.
D’après Physika ke mystika, ouvrage alchimiste grec, le grand œuvre se divise en quatre
grandes phases : l’œuvre au noir, l’œuvre au blanc, l’œuvre au jaune et l’œuvre au rouge. Le
but de cette expérience est la transfiguration de la matière pour aboutir à la pierre
philosophale, le fils rouge du soleil, correspondant aux noces chimiques des principes mâles et
femelles et de la terre et du ciel.

Le signe du commencement de cette expérience nous est montré dès la deuxième vignette.
Il s’agit là d’une subtile entrée en matière, qui nous est signalée par Milou creusant la terre
noire de la forêt, c’est-à-dire la matière20.

L’œuvre au blanc est ensuite subtilement amenée par la présence des roses blanches, les
roses étant l’une des fleurs préférées des alchimistes, dont les traités s’intitulent souvent

20
Les bijoux, p. 1, 2e vignette
rosiers des philosophes21. La rose blanche « comme le lis fut liée à la pierre au blanc, but du
petit œuvre, tandis que la rose rouge fut associée à la pierre au rouge, but du grand
œuvre22 ».

Les roses blanches créées par Tournesol en l’honneur de Bianca (Blanche en italien), page
56, sont préfigurées par la robe de la Castafiore qui est ornée de motifs de roses blanches (p.
28-29).
Nous remarquons également la présence des roses rouges à plusieurs reprises, pages 20 et
24.

Les Fidèles d’amour.

À chacune de ces « apparitions », les roses sont associées au thème de l’amour de la


Castafiore, que ce soit la fausse rumeur du mariage avec Haddock (p. 27) ou l’admiration
soudaine de Tournesol (p. 56).
Ces références nous rappellent les symboles associés à la confrérie des Fidèles d’Amour,
confrérie à laquelle Dante appartenait, et qui s’opposait avec force à l’église romaine pour se
rallier au courant gibelin favorable à Frédéric II.
Le sens de la littérature des Fidèles d’amour, que l’on peut rattacher au sens ésotérique
des poèmes des troubadours, était centré autour du thème de la « dame », symbole qui
représentait la doctrine secrète que le fidèle devait acquérir : l’amour de la « dame » était
associé à l’amour de la « sainte sagesse ».
Les dames de ces histoires portaient des noms tels que « la Rose », « la Fleur » « la fleur
des fleurs », « Blancheflore », notamment à la cour de l’empereur Frédéric II.
La rose était un symbole très souvent employé, qui signifiait la résurrection et la
renaissance, pouvoir également attribué au Graal et à l’initiation en général.
Nous retrouvons tous ces symboles dans le nom même de la diva italienne : Bianca
Castafiore pourrait en effet signifier « Blanche, Fleur de la Caste » ou « Blanche de la Caste
de la Fleur »23.

21
Dictionnaire des symboles, op. cit., article « rose »
22
Ibid.
23
Étrange personnage que la Castafiore, qui évoque parfois le personnage d’un roman
fantastique, La rive incertaine de William Sloane23, où intervient une certaine Esther
Williams, dont la description nous rappelle étrangement celle de la Castafiore : « Elle
avait de gros bourrelets sur ses bras nus dont la peau douce était sans tâches (…) elle
semblait avoir des cuisses énormes (…) mais ses chevilles étaient aussi fines que celles
Indices.

L’aventure des bijoux est ponctuée de symboles, dont les apparitions fonctionnent par
couples et qui forment le prototype de la chaîne invisible initiatique, qui mène l’initié sur le
chemin de l’Éveil :
– la pie voleuse (p. 1 et 59-60) renvoie à la Gazza Ladra , l’opéra de Rossini chanté par la
Castafiore (p. 57).
– l’air des bijoux de l’opéra Faust de Gounod est associé à l’émeraude volée.
– Les roses blanches créées par Tournesol en l’honneur de Bianca (p. 56) sont préfigurées
par la robe de la Castafiore, qui est ornée de motifs de roses blanches (p. 28-29).

À la page 48, Tournesol, selon son habitude, répond de travers à une remarque de
Haddock, et évoque « comme si de rien n’était », l’œuf de Colomb24, ce qui nous fait avancer
d’un pas de plus vers la solution de l’énigme.
L’œuf de Colomb, par glissement sémantique, selon une méthode chère aux textes
cryptés, nous évoque l’œuf de la Colombe, autrement dit l’Incarnation, c’est-à-dire au
renouvellement du monde par l’Esprit, car la colombe, dans l’iconographie chrétienne, est
l’Esprit Saint, le troisième terme de la Trinité25.

3.2. La solution de l’énigme et la réintégration du Graal.

L’arbre de la Connaissance.

Nous en venons ainsi, par ces différentes étapes, à la résolution de l’énigme, lorsque
Tintin retrouve l’émeraude de la Castafiore, dans un nid, au sommet d’un arbre isolé de taille
supérieure, un peuplier26.

d’une jeune fille et ses pieds presque minuscules. Elle avait une poitrine de diva en
retraite ». Dans ce roman, Esther Williams révèle de puissants pouvoirs invocatoires et
médiumniques.
24
L’expression « c’est comme l’œuf de Colomb » signifie « il suffisait d’y penser ».
25
Dictionnaire des symboles, op. cit., article « colombe ».
26
Les bijoux, p. 50, vignette en bas à gauche.
L’émeraude, placée dans ce nid, représente l’œuf cosmique, qui désigne aux initiés de
toutes les traditions (Inde, Égypte) l’état primordial du monde, contenant toutes ses futures
potentialités, avant le déploiement de l’Univers.
L’association de l’œuf à l’émeraude renvoie aussi à l’image de l’œuf philosophique de
l’alchimie, qui est « le siège, le lieu et le sujet de toutes les transmutations27 ».
La juxtaposition des symboles de l’émeraude et de l’arbre est d’une richesse de sens très
profonde, lorsque l’on fait correspondre l’émeraude au Graal et l’arbre isolé tel qu’il figure
dans cette vignette à l’arbre en tant que symbole de l’Axe du monde. Ses racines représentent
le monde infernal et souterrain, le tronc et ses branches, le monde et ses manifestations, son
sommet qui mène au ciel, le point de jonction entre la terre et le monde des Principes
éternels28. C’est également l’arbre de la connaissance du paradis terrestre de la tradition
biblique. Dans la tradition irlandaise, la pierre des rois, Lia Fail, est une pierre venue avec les
Tuatha de Dannan, ce peuple de magiciens originaire du Nord du monde, c’est-à-dire le
pôle, autrement dit l’Axe du monde.
Nichée au sommet d’un arbre, inaccessible, nous pouvons également voir dans cette
émeraude le stade suprême de l’Initiation et de l’Éveil.
En somme, cette vignette nous montre de manière symbolique que l’émeraude, c’est-à-
dire le Graal, après avoir quitté Moulinsart, est retournée à son lieu d’origine, à savoir le
Centre inaccessible où se tient en retrait du monde la connaissance sacrée.

Tintin l’initié.

Tintin est l’Initié maçon de cette histoire. Il réussit à déjouer les pièges tendus dans le
cadre de ce labyrinthe symbolique que constitue cette aventure. Il escalade l’arbre pour
retrouver le Graal, ce qui signifie qu’il est passé par tous les stades ascensionnels de
l’initiation.
Son escalade le fait ressembler à un écureuil29, cet animal qui passe naturellement de la
Terre au Ciel30, en passant par le tronc de l’arbre, l’axe du monde. Tel Hermès, le messager
des Dieux, Tintin donne au lecteur un récit d’ordre mythologique qui cache un message
sacré.

27
Dictionnaire, op. cit., article « œuf », p. 693.
28
Le peuplier, comme l’émeraude d’ailleurs, ont tous deux un aspect à la fois maléfique
et bénéfique. L’ambivalence est en fait l’un des ressorts cachés de cette histoire. La pie
est en effet une représentation de l’envie et du bavardage inutile, c’est-à-dire un reflet
sombre, comme un négatif, du caractère de Bianca Castafiore.
29
Nous voyons cet écureuil dès la page 1, en bas, au centre.
30
Haddock ne dit-il pas à Tintin, en avertissement : « Au nom du ciel ! »
L’escalade renvoie à la signification sacrée de l’échelle31, représentation de l’élévation
spirituelle et de la communication entre le monde des dieux et celui des hommes. Notons à
ce propos que ce qui donne à Tintin le fin mot de l’énigme, c’est le nom de l’opéra de Rossini,
la Gazza Ladra, interprétée par la Castafiore à la Scala de Milan, c’est-à-dire sur l’échelle.

Ajoutons que la compréhension du langage de la pie voleuse (cinquième vignette de la


page 60) ne constitue pas hasard, mais bien un élément de la quête. Tout d’abord, la pie
voleuse, clé de l’énigme, est présente dès la première vignette de la première page. Cette
petite astuce de l’auteur semble vouloir signifier que la clé qui donnera la solution de
l’énigme se trouve à l’Origine, au Centre, etc.
On se souviendra ensuite que l’initiation de Siegfried, qui a trempé ses lèvres dans le sang
du dragon, gardien de « l’or du Rhin », se conclue par la compréhension du langage des
oiseaux. Le pianiste de la Castafiore ne s’appelle-t-il pas Wagner, le créateur de la Tétralogie
qui nous conte la légende de cet or ?
Rappelons aussi que dans les légendes du roi Arthur, Parsifal sera éveillé à la vocation de
chevalier du Graal par la voix des oiseaux.

*
* *

Cette aventure de Tintin est la seule qui ne comprenne pas d’ennemis véritablement
incarnés. Tout se passe au niveau symbolique. L’ennemi véritable est le voile de l’Illusion et
de l’Apparence de ce monde, que l’initié se doit d’écarter pour atteindre le monde des
principes qui mènent à l’illumination.

L’intrigue des bijoux est en fait le reflet visible du véritable scénario de cette histoire, qui
est le scénario d’une quête, celle du Graal. Le Graal est donné à l’origine (l’Âge d’or), perdu
ensuite (le roi pêcheur), et retrouvé enfin (le chevalier parfait, Parsifal).

31
Dictionnaire des symboles, op. cit., article « échelle »
Les grands mythes de l’humanité sont d’une richesse de sens infinie. Ils portent en eux la
mémoire des peuples disparus qui les ont composés. Ce n’est donc pas un hasard si les
chercheurs, historiens, archéologues et ethnologues utilisent leur matière pour comprendre
la vision du monde des hommes du passé.
Nous ne devrions pas nous étonner de retrouver leur trace dans l’œuvre de nos auteurs et
artistes favoris, qu’ils se nomment Spielberg (Les aventuriers de l’Arche perdue), Tolkien, Hergé
ou Prat (Mu, les Celtiques, etc.).

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