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Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

Analyse phénoménologique du corps de 1


Jésus dans l’Evangile de Luc.
1. Introduction

§1. Formulation de la problématique et choix méthodologies.


Comment une analyse phénoménologique peut-elle aider la théologie en rendant sensée la foi en
Dieu qui a choisi le corps humain pour se révéler?

Pour avancer dans cette démarche il faudra travailler deux problématiques, fondements de mon
discours. Le christianisme peut être défini comme une religion du corps. Le corps est donc un lieu
théologique majeur. Ainsi il faut comprendre notre corps pour comprendre Dieu lui-même. Dans la
première problématique, l’accent du discours théologique sera mis sur la parole comme si elle était
prononcée par une voix sans corps ou lue dans un récit indépendant du corps qui l’a prononcée.
Nous montrerons de quelle manière le message de Jésus prend de la force quand nous considérons
la manière dont il a vécu son corps. Cette tentative se justifie par le fait que la façon dont Jésus a
habité son corps peut nous montrer la façon d'habiter le nôtre. Et ceci nous mène à une deuxième
problématique : est-il possible d'avoir accès au corps de Jésus ? Certes il est impossible de voir, de
toucher le corps du Juif qui a vécu au premier siècle, impossible d'écouter sa voix. Néanmoins nous
pouvons y avoir accès si nous ne considérons pas seulement le corps comme un corps anatomique
mais comme un élément qui nous permet de vivre une relation avec le monde dans lequel nous
habitons avec autrui, un monde qui nous précède. En d'autres termes, un corps qui naît de la
rencontre entre Jésus Ressuscité et une communauté qui nous donne un récit1. Il nous permet de
voir, toucher et écouter une expérience dans notre monde vécu. Ce récit donne à la notion du corps
une plus grande dimension, appelée le corps du Christ. Ce concept est significatif du christianisme. Il
peut devenir une bonne nouvelle, attirante et crédible pour notre temps grâce au corps de Jésus et
pour notre corps aussi. Il peut nous inciter à penser une nouvelle méthodologie théologique. Ainsi
notre recherche s’inscrit dans la ligne d’une théologie fondamentale car elle constitue une base sur
laquelle nous pourrons trouver une proposition sensée pour parler de Dieu comme une bonne
nouvelle2.

1
Métaphoriquement il devient l’organe de perception qui me permet l’accès au monde de Jésus.
2
Mettre en œuvre l’intention dont nous avons parlé précédemment est une exigence démesurée pour ce
travail. Nous essayerons d’approfondir et de donner quelques ouvertures pour commencer un dialogue. Il
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Nous considérerons trois options méthodologiques importantes : d'abord le choix d’un discours
théologique ascendant, ensuite l’utilisation de la phénoménologie comme médiation pour y parvenir, 2
enfin la nécessaire référence biblique. Nous montrerons comment ces trois options sont intimement
liées.

Nous avons d'abord choisi une théologie ascendante. Notre travail nous met devant un problème
central de la théologie : l’union, dans le corps de Jésus, de la pleine humanité et de la pleine divinité.
La théologie offre deux voies pour réfléchir à ce sujet : ou commencer par le côté humain, ou par le
divin. Nous essaierons de comprendre une dimension centrale de son humanité -son corps- afin de
mieux pénétrer dans sa divinité. Les raisons de ce choix sont christologiques et sotériologiques.
L’Incarnation de Dieu implique que le corps humain devient le biais par lequel on accède à Sa
révélation. Ainsi il devient l’un des lieux privilégiés pour chercher et trouver la présence et l’action de
Dieu. Il nous faut donc penser avec attention le corps humain pour bien comprendre les
conséquences de l’élection faite par Dieu et plus radicalement pour comprendre Dieu-même. A cette
raison s’ajoute une autre, sotériologique. La venue de Dieu dans la chair montre qu’Il dresse sa tente
parmi nous3 afin de nous sauver. Nous devrons prendre en compte cette proximité corporelle. Sans
elle nous risquons d’imposer des catégories utiles pour la théologie mais sans pertinence pour le
monde. Car au nom d’une cohérence conceptuelle, nous risquons d’oublier une pertinence
existentielle qui devient de plus en plus une exigence pour la théologie.

Une théologie ascendante doit commencer par une compréhension du corps tel qu’il est. Le corps est
un sujet traité par plusieurs disciplines, qui certes parlent de lui mais sans jamais le toucher et
courent ainsi le risque de l’occulter avec leurs précompréhensions. En effet Stéphane Breton, à partir
des analyses d’anthropologie comparée, montre la place prééminente du corps dans la culture
occidentale. Cependant sa considération du corps comme image basée sur les notions de Création,
de dualisme et d’Incarnation n'est pas pertinente parce que son exposition est partielle voire
caricaturale. Il faut donc se demander si la théologie peut nous apprendre quelque chose sur le
corps. Nous analyserons ainsi la théologie d’Adolphe Gesché dont les idées accordent aussi une place
centrale au corps. Cependant il n’explique pas le corps tel que nous le vivons. Sans une telle
considération la théologie devient un discours qui se sépare de la vie. Si nous adoptions ces points de
vue, nous en apprendrions plus en anthropologie comparée et en théologie que sur le corps lui-
même.

s’agit de montrer le développement d’une investigation en évolution plutôt que de montrer des conclusions
définitives
3
Jn. 1, 14. Le verbe en grec est skhno,w qui est traduit comme «habiter » dans la version de la Bible de
Jérusalem. Littéralement monter la tente, qui donne une nuance dynamique très intéressante car la demeure
de Dieu accompagne l’homme dans son chemin et ne reste pas fixe à un seul endroit. Cfr. Annexe 1.
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Afin d’éviter un tel risque, nous choisissons la deuxième option méthodologique : l’utilisation de la
phénoménologie parce que précisément cette philosophie pense le monde vécu. Elle essaie de faire 3
une description directe de notre expérience telle qu’elle est, en évitant les conceptualisations qui ne
feraient que l’occulter. Dans cette philosophie l’existence a une prééminence incontournable parce
qu’elle seule nous rend possible l’être au monde. Sans cette considération de la « mondanéité » de
l’existence, la pensée risque de devenir une abstraction qui nous éloigne de ce que nous sommes en
train de vivre. Le travail de mon mémoire est plus concret, moins spéculatif : il s’agit d’analyser notre
existence corporelle. Afin de rester fidèle à ce propos nous considérerons le corps à partir de deux
points de vues complémentaires : le premier est celui de l’affirmation du sujet en tant que capable.
Nous avons choisi comme auteur pour développer ce point Merleau-Ponty4. Dans son ouvrage « La
phénoménologie de la perception » de 1945, Merleau-Ponty analyse soigneusement différentes
dimensions de la « corporéité » humaine, notamment « le corps propre ». Nous ne ferons pas un
parcours détaillé de toute la pensée de Merleau-Ponty sur la perception. Mais nous utiliserons d’une
part quelques notions générales inéluctables pour bien comprendre la méthode phénoménologique;
et d’autre part des éléments de son analyse spécialement pertinents pour établir le lien entre notre
corps et celui de Jésus5. Nous avancerons quelques idées essentielles sur le corps qui serviront à
notre démarche: Le corps est la condition sine qua non pour être au monde –où nous trouvons des
choses mais aussi où nous nous trouvons avec autrui. Le corps comprend le monde grâce à une
motricité dans l’espace qui le rend capable d’y intervenir. Ces interventions font du corps un lieu
d’expression, notamment grâce à la parole. Le corps permet de toucher et d'être touché. Certes ces
réflexions nous offrent une vision intéressante et vaste de notre corps mais elle n'est pas exhaustive.
Dans la compréhension phénoménologique de Merleau-Ponty il n’y a pas de référence à l'acte de
manger. Cette omission est importante pour deux raisons. D'un point de vue anthropologique, le fait
de manger nous rappelle périodiquement que nous vivons dans un monde qui nous précède et grâce
auquel vivre est possible. Autrement dit il nous met en face de l’humble constatation que nous ne
nous suffisons pas à nous-mêmes. Du point de vue exégétique, les récits de l’instauration de
l’Eucharistie convergent sur l’unique moment où Jésus parle de son corps. Ainsi dans ce cas,
l’exégèse vient à compléter la notion phénoménologique que nous sommes en train d'analyser. Cette
omission nous oblige à utiliser la phénoménologie de Levinas pour avancer dans la compréhension
du corps fragile et nu, notamment grâce au « manger ». D’autre part la constatation radicale de la
finitude nous oblige à considérer la mort et à ainsi nous pencher sur deux philosophes : Heidegger, le

4
Les ouvrages choisis sont la « Phénoménologie de la perception » (Merleau-Ponty, 1945) et « Le Visible et
l’invisible » (Merleau-Ponty, 1964).
5
Quelques idées essentielles sur le corps qui serviront à notre démarche: 1. Le corps comme condition sine qua
non pour être au monde. 2. La motricité du corps dans l’espace qui le rend capable d’y intervenir. 3. Le corps en
tant que lieu d’expression. Et 4. Le corps permet de toucher et d'être touché.
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phénoménologue qui est une référence incontournable quant au thème de la mort. Cependant il y a
une omission de la dimension corporelle en l’analytique existentielle d’Heidegger qui est remarquée 4
par Emmanuel Falque. La considération corporelle de la mort nous servira afin d’avoir une
perspective plus précise de la dimension corporelle de la mort.

A partir de ce parcours nous analyserons finalement le corps du Ressuscité comme possibilité de


comprendre la réinvention chrétienne du cops. Ainsi nous ne restons pas enfermés dans le contact
direct avec les choses car le monde vécu suppose aussi l’histoire et les acquis culturels. Cette
rectification nous permettra d’affirmer que le corps possède une importance significative pour
comprendre non seulement la réalité anatomique mais aussi la compréhension de l’être humain,
celle de son rapport avec autrui et avec le monde. Elle nous aidera à mieux voir le lien entre notre
vécu et celui de Jésus.

Ces analyses phénoménologiques seront complétées par des références : à la spirituelle, à la poésie,
au théâtre, à la philosophie sociale et aux sciences humaines. Nous nous servirons de ces disciplines
et de ces arts car ils peuvent montrer (dévoiler) des perspectives de la chose elle-même (le corps)
qui sans avoir recours à eux peuvent nous rester inaperçues. Par ailleurs, ce sont ces arts et ces
disciplines qui se sont intéressés au corps davantage que la théologie.

Pour avoir accès au corps de Jésus les récits évangéliques représentent la principale source
permettant un accès phénoménologique au corps de Jésus parce qu’ils nous mettent en contact avec
ceux et celles qui ont vécu dans sa proximité. Il en émane deux questions qui nous confrontent à des
problèmes exégétiques, théologiques et phénoménologiques complexes : 1. Que pouvons – nous
découvrir du corps de Jésus dans la Bible ? 2. Comment lire la Bible ?

Est-il possible d'avoir un accès phénoménologique au corps de Jésus Christ à partir de la façon dont
nous vivons notre corps ? La phénoménologie suppose un contact le plus direct possible avec la
chose même. Dans le texte de 1 Jn. 1, 1-4 même si les références corporelles sont explicites, nous
pouvons affirmer qu’il est hautement improbable que l’auteur ait vu le corps de Jésus6. Ainsi la
notion de perception qui sert de base à la « Phénoménologie de la perception » doit être développée
grâce aux concepts de monde vécu et à une analyse plus précise de l’altérité. Ces concepts sont mis
en valeur dans l’ouvrage « Le visible et l’invisible » de Merleau-Ponty. Cette nouvelle perspective

6
Les investigateurs situent la composition de la lettre 10 ans après l’Evangile de Jean. Le quatrième évangile a
été totalement publié environ l’année 80 de notre ère. La première lettre donc est située environ l’année 90
après du Christ. Cfr. Cfr. (Smalley, 2007 pp. xxix-xxx; Brown, 1982 pp. 100-101).
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assure un accès phénoménologique au corps du Jésus7. Cette optique conceptuelle nous fait
considérer autrement le corps. Il s’agit d’un corps relationnel qui nous permet d'« élargir » notre 5
corps à d’autres personnes, même à d’autres temps et à des espaces lointains. D’une manière
théologique, nous nous trouvons avec le corps du Christ, c’est-à-dire avec Celui qui naît du rapport
entre le Ressuscité et la communauté de foi qui l’accueille. Cependant cette foi serait impossible sans
l’action corporelle de Jésus.

Sur ce point l’exégèse et la phénoménologie se rejoignent car les deux disciplines analysent la
« concrétude » du corps. La compréhension du corps de Jésus nous donne des yeux pour voir Dieu –
et son action – d’une manière nouvelle. De façon moins théorique, elle nous permet d’approcher
théologiquement l’attirance que Jésus provoqua chez les personnes qui l’ont vu, touché et écouté8.
Elle nous permet aussi de découvrir que la façon dont Jésus a habité son corps peut nous aider à
pleinement habiter le nôtre. Nous essaierons par l'accès phénoménologique au corps de Jésus, de
montrer que, sans la considération corporelle de Jésus, son message est mutilé et perd beaucoup de
sa force.

La lecture des récits évangéliques présente plusieurs difficultés méthodologiques. Il est difficile de
vraiment lire les textes. En effet ils sont déjà bien connus, revisités à plusieurs reprises grâce à la
liturgie, à la pratique pastorale et à la réflexion théologique. Comment peut-on découvrir une
perspective nouvelle ? D’abord en mettant une certaine distance entre le récit et soi-même. Cette
distance permet de redécouvrir les textes choisis pour sentir le corps de Jésus et non nos propres
concepts théologiques et culturels qui encore une fois risquent de dissimuler le texte. La distance se
produira grâce au travail sur les textes originaux en grec. Pour montrer le développement de la
pensée, je proposerai une traduction dans la langue qui m’ouvre au monde, c’est-à-dire l’espagnol. A
quoi bon faire une nouvelle traduction des textes ? Cette traduction sera-t-elle meilleure que les
autres ? Certainement pas. En effet il s’agit uniquement de faire l’exercice d’une lecture personnelle ;
l’unique avantage que présente ce travail est de faire mienne la traduction. En principe, ma
traduction est inutile pour toute autre utilisation éventuelle. La deuxième manière de maintenir une
perspective nouvelle est de préciser la thématique. En effet nous lirons quelques récits évangéliques
qui mettent en valeur le corps de Jésus, tout en omettant d’autres éléments qui peuvent aussi être
présents dans le texte. Pour rester fidèles à la thématique, nous nous servirons des outils apportés
par l’exégèse. Parfois nous emprunterons les analyses structurales, ou bien sémantiques, ou encore
inter textuelles. Nous choisirons l’une plutôt que l’autre selon l’élément corporel mis en valeur dans
7
Comment le reconnaît Meier nous n’avons pas accès au « Jésus historique » Cfr. (Meier, 2005 pp. 26-37).
Toutefois nous avons accès aux traces que le Jésus historique a laissées dans un certain nombre de
communautés. Elles constituent la chose-même que nous essayerons d'analyser.
8
Et aussi rejette en raison de cette nouveauté-même.
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

chaque texte. L’utilisation de l’exégèse est incontournable parce que le concède à notre
interprétation de la rigueur nécessaire qui permet de constituer notre argumentation vraiment dans 6
le texte et non uniquement dans notre spéculation. Cependant ces analyses seront présentées en
Annexes pour rendre plus aisée la lecture du mémoire.

Nous avons choisi l'évangile de Luc pour deux raisons. La première est de ne pas imposer à la
compréhension du corps de Jésus nos a priori théologiques. Si la reconstruction de plusieurs
témoignages peut être très intéressante, le choix se fera finalement plutôt en raison de nos
antécédents théologiques qu’en raison de suivi d’une meilleure façon de comprendre le corps de
Jésus (la chose elle-même). Cela justifie le choix d’un seul Evangile. Nous choisirons l’Evangile de Luc
parce qu’il est le seul à accorder une place aussi importante au corps de la naissance à la
résurrection, en passant par toutes les étapes de la vie de Jésus.

Enfin nous essaierons de montrer d'une part les apports méthodologiques de la phénoménologie à la
théologie dans la compréhension du corps, d'autre part les apports que la théologie a procurés à la
formulation d’un discours sensé pour nos contemporains. Cela nous laissera la porte ouverte à de
futures investigations –qui dépassent amplement la présente tentative –, notamment dans le champ
de l’ecclésiologie, de la dogmatique et de la morale. Il ne s’agit pas de réponses définitives mais de
pistes et de questions qui émergeront de cet effort théologique, en tant que théologie fondamentale
pour le développement d'autres sujets.

§ 2. L’invention chrétienne du corps : Bilan de la situation du corps dans la


théologie contemporaine et itinéraire de notre recherche.
La question à laquelle nous voudrions répondre est la suivante : De quelle manière le corps de Jésus
peut-il servir de modèle pour vivre notre corps pleinement ? Cette problématique peut être formulée
à condition d’affirmer que le corps de Jésus est un modèle à suivre pour vivre le nôtre. Ainsi la
rigueur intellectuelle nous oblige à voir si le corps peut être considéré en tant que modèle.

a. Les affirmations de l’anthropologie comparée de Stéphan Breton : le corps de Jésus


modèle pour le nôtre.
L’anthropologie culturelle fait deux affirmations essentielles pour comprendre le corps en occident :
1. Celui-ci est pensé sur la logique du modèle. 2. Cette manière de le penser est une invention du
christianisme. Le dogme de l’Incarnation9 a marqué profondément la culture occidentale. Cependant
depuis longtemps le corps a été oublié par la théologie. En effet dans le monde chrétien il est devenu

9
Lequel trouve son fondement dans l’affirmation johannique : « Et le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi
nous, et nous avons contemplé sa gloire, gloire qu'il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de
vérité. » (Jn. 1, 14)
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une occupation de la morale. En effet, au XXème siècle ce sont les arts10, la philosophie –surtout
l’esthétique, l’anthropologie11 et les sciences sociales12 qui ont réfléchi sur le corps. Néanmoins à la 7
base de toutes ces compréhensions se trouve la considération du corps comme image, née du
christianisme.

Cette affirmation a pris sa source dans l’anthropologie culturelle comparée de Stephan Breton. En
effet l’auteur analyse le corps à partir de l’observation de différentes cultures13. Ce qui est
intéressant dans son travail est la façon dont il considère la culture occidentale comme une culture
indigène parmi d'autres. Autrement dit, il nous permet d’observer la culture occidentale –
notamment la culture européenne– à travers les autres cultures de la même façon dont elle se
permet de les observer. Breton – dans son ouvrage « Qu’est-ce qu’un corps ? » – nous montre la
particularité de la culture occidentale dans son rapport au corps. Ainsi la petite histoire qui sert
d’introduction est fort illustrative: « Au missionnaire et anthropologue Maurice Leenhardt qui lui
demande, au début du XXe siècle, si ce qu’il aurait apporté par son enseignement ne serait pas la
notion d’esprit14. Boesoou répond ‘en vieux païen’ que les Canaques de Nouvelle-Calédonie
connaissaient déjà l’esprit, qu’ils vivaient selon lui, et que ce qui leur a été apporté au contraire, c’est
le corps. » (Breton, 2007 p. 13) Le missionnaire s'étonne de cette réponse. Les intentions ne sont pas
toujours cohérentes avec les messages reçus par ceux censés nous entendre15. En effet, la
compréhension de soi-même chez le missionnaire est remise en question. L’analyse de Breton sur la
situation est fine car il prend en considération ce que dit l’anthropologue de l’indigène, et aussi ce
que dit l’indigène –en tant qu’anthropologue– du missionnaire. Analysons le point de vue de chaque
intervenant dans cette conversation.

D’après Maurice Leenhardt le corps de l’indigène est un support vivant, une carcasse vide que n’a
point d’intériorité précisément parce qu’il n’y a pas de « je » dans la culture canaque. Il tire cette
constatation du fait que le corps des canaques est construit sur la base des relations sociales. D'où la

10
Le corps est un thème récurrent dans la peinture occidentale. En effet, se promener dans les musées et les
cathédrales en occident est voir la fête du corps. Cependant les arts scéniques notamment le théâtre ont placé
le corps au centre de l’art aujourd’hui Cfr. (Artaud, 1964 pp. 199-200)
11
Stephan Breton notamment.
12
Cfr. (Memmi, Dominique; Guillo, Dominique et Martin, Olivier, 2009)
13
En effet dans son ouvrage il analyse les cultures : l’Afrique voltaïque, l’Europe occidentale, la Nouvelle-
Guinée, l’Amazonie. Cfr. (Breton, 2007)
14
« *…+ mais on peut penser que dans la bouche du missionnaire le mot ‘esprit’, que contrairement à Saint
Paul il écrit sans capitale, revêt également une nuance simplificatrice pour désigner le christianisme,
l’arithmétique et l’écriture, par opposition au matérialisme supposé du païen, privé d’abstraction et censé ne
pas savoir se détacher des choses )» (Breton, 2007 p. 16). Il s’agit d’un mélange entre l’esprit dans le sens
chrétien du mot et l’esprit au sens où l’entend la philosophie moderne, sans distinction nette entre une
acception et l’autre.
15
C’est une leçon que la théologie a dû et devra encore écouter dans son histoire. En effet, cette capacité est, à
mon avis, l'un des critères pour pouvoir discerner si nous sommes en présence d’une théologie sensée ou non.
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conclusion implicite : cette culture considère le corps comme une structure physiologique sans esprit.
Néanmoins l’observation du missionnaire passe à côté d'un concept qui explique mieux la culture de 8
Boesoou à savoir que le concept de la personne naît des relations sociales16 « Les termes sont posés
par une relation interne, autrement dit par une norme sociale, ils ne lui préexistent pas logiquement.
*…+ Ainsi chaque personne est-elle liée à beaucoup d’autres par les biais de ces relations instituées.»
(Breton, 2007 p. 14). Selon Leenhardt son apport à la culture indigène est l’intériorité (le moi
psychologique) qui possède un corps. Autrement dit, il s’agit de l’affirmation de l’homme occidental :
« J’ai un corps » (Breton, 2007 p. 16).

A son tour l’indigène parle de la culture occidentale : « Vous nous avez donné le corps, donc vous
avez apporté la négation, la faute, le ressentiment, vous nous avez enseigné un monde et une
existence non réconciliés. Ce que vous pensiez nous avoir donné nous l’avions déjà et vous l’avez
détruit. Par contre ce que vous croyiez connaître –l’unité de l’esprit–, vous l’ignoriez puisque vous
étiez empêtrés dans un corps mutilé » (Breton, 2007 p. 16). Stephan Breton pense que cette notion
du corps vient du christianisme17. Son apport est le corps propre18, un corps qui suppose les
catégories « individualisantes19 ». La pensée occidentale sépare deux composants qui dans la culture
indigène sont intiment liés, à savoir le corps isolé et les relations sociales qui font le lien entre les
différents individus. Grâce aux constatations de l’indigène canaque, l’occident est conscient de sa
conception du corps.

Breton affirme qu'il existe trois sources de cette compréhension du corps : le dualisme20, le
créationnisme monothéiste21 et la pensée de l’Incarnation22 (Breton, 2007 p. 59). A partir de ces trois

16
Ainsi le corps de l’indigène n’est pas séparé de l’intériorité : « Sa personne, croit-il *Leenhardt+, n’est pas faite
de relations telles qu’elles étaient établies dans la société indigène ; elle a pour noyau une intériorité naturelle
dont le corps est à la fois le récipient et la substance » (Breton, 2007 p. 14).
17
« Dès lors, qu’il revêt des caractères exotiques qui n’appartient qu’à lui, le point de vue occidental –plus
exactement le point de vue chrétien (qui est toujours passablement le nôtre, même si nous appartenons
désormais à un monde sans Dieu) –doit être traité comme une théorie indigène » (Breton, 2007 p. 17).
18
Dans le sens que le corps lui-même appartient à un moi psychologique.
19
« Leenhardt fait ici une autre confusion, qui fut celle de son temps et d’Emile Durkheim lui-même. Il confond
le concept d’individualisation (et corrélativement l’individu naturel, l’ «agent empirique » qui marche et qui
dort, avec l’individu au sens sociologique, « sujet normatif des institutions » modernes) » (Breton, 2007 p. 15).
Cette confusion est aussi présente dans nos compréhensions du sens commun.
20
Il est pris de la pensée grecque. En effet, « Le dualisme implique l’idée que le corps n’a pas le principe de sa
consistance en lui-même : ce principe réside dans une réalité ‘autre’ dont l’âme (raisonnable) est la trace dans
l’homme » (Breton, 2007 p. 59). Son destin dépend de sa relation avec l’âme. Il apparaît clair dans la théologie.
P. ex. Le patrologue orthodoxe Jean-Claude Larchet essaie de s’éloigner du dualisme en disant : « L’homme
selon les Pères, a été créé par Dieu indissociablement âme et corps et se caractérise par l’un et par l’autre. Ni
l’un ni l’autre ne suffisent à le définir comme tel. » (Larchet, 2009 p. 16). Néanmoins l’âme a une suprématie,
car celle donne la vie au corps : « L’incarnation de l’âme et du corps est en fait due à l’âme qui pénètre ce
dernier en sa totalité, comme la lumière pénètre l’air » (Larchet, 2009 pp. 20-21). Cela s'applique aussi à la
philosophie dans la distinction sujet/objet présent au long de toute sa tradition.
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

concepts l’occident pense le corps comme une image. Il est un analogon de la source et son idéal
dans un modèle extérieur qui se trouve au-delà de toute représentation. Ce binôme a besoin d’une 9
interface qui fait le lien entre les deux pôles. Ainsi le corps humain se pense comme distance avec un
modèle, cet écart est mesuré par l’attention portée sur un modèle idéal (le Christ). Le corps doit être
travaillé afin d’abolir cette distance ou du moins la diminuer23. « La fabrique sociale du corps consiste
à amener l’homme à imiter l’image conforme, et ainsi à se rapprocher de la perfection du modèle »
(Breton, 2007 p. 61). Certes aujourd’hui l’occident ne considère pas que l’idéal du corps soit le corps
de Jésus. Cependant il est pertinent de montrer qu'entre les canons de beauté qui dominent la
culture et la considération du corps comme manifestation phénotypique du génotype, il existe une
logique commune, à savoir la considération du corps en tant que manifestation d’un modèle.

Le mérite du travail de Breton est de bien montrer l’importance du christianisme dans la


compréhension occidentale du corps et son importance au sein de cette culture. Pour notre
recherche nous retiendrons la considération du corps de Jésus comme modèle pour le nôtre.
Néanmoins nous ne pouvons pas appliquer directement ses notions anthropologiques puisque sa
compréhension théologique est problématique, au moins sur trois niveaux : 1. La compréhension des
termes théologiques sans être incorrecte est superficielle, voire caricaturale. Les idées de
monothéisme, création et dualisme méritent à être nuancées. 2. Il fait ses analyses à partir d'un
exemple de théologie luthérienne du XIXème siècle; pourtant le christianisme offre plusieurs voies ses
affirmations sont partielles24. La théologie analysée par l’auteur est une proposition de théologie
descendante. Cependant on peut, tout en gardant l’idée de modèle, utiliser une théologie qui
commence par la compréhension de la manière dont nous vivons le corps afin de mieux comprendre
le corps de Jésus. 3. Certes son travail présente d’une manière intelligente et créative les idées et les
principes généraux informant la compréhension occidentale du corps mais l'auteur omet de
présenter la manière dont nous vivons le corps. Cette omission rend cette anthropologie non

21
Le créationnisme monothéiste nous arrive grâce au récit de la création : « Dieu créa l'homme à son image, à
l'image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa. » (Gn. 1, 27). Le corps devient signe iconique de Dieu-
même, son miroir. « Cette relation d’image qui relie l’homme à son Créateur est asymétrique. Dieu est en effet
au-delà de toute image, puisqu’une image est définition une chose sensible et que Dieu ne fait pas partie des
réalités sensibles » (Breton, 2007 p. 60). Breton constate que l’image humaine est dégradée à cause de la
Chute. Ainsi la ressemblance de l’origine devient dissemblance en raison du péché. Ainsi le corps est le lieu du
combat entre le bien et le mal. Cfr. (Breton, 2007 p. 60) et Romains 1:24; 6:6,12; 7:4, 24-25; 8:10, 13, 23; 12:4.
22
La transcendance de Dieu choisi le corps humain pour se révéler. Breton a bien compris que le moment de la
Passion est celui où le corps prend le plus de force et où il est mis le plus en évidence, car est celui où le salut
s’exprime le plus clairement. Le corps déchiré est sauvé par un corps non corrompu mais bien humain. Voici la
condition paradoxale du corps occidental.
23
Cfr. (Breton, 2007 pp. 60- 61)
24
Il me reste la même impression de l’approche à l’Amazonie (Breton, 2007 pp. 148-199). «L’Amazonie compte
une population de 40 millions de personnes. On estime qu’il y a trois millions d’indigènes constituant environ
400 peuples et parlant 250 langues regroupées en 49 familles linguistiques » (Lopez, 2011, p. 18). Dans cette
pluralité j’ai du mal à croire que la notion de corps peut être réduite à la notion de proie/non-proie.
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

pertinente (irrelevant) pour notre recherche car nous comprenons mieux le regard de Breton, et celui
des indigènes européens (et leur volonté de catégoriser le monde vécu) que celui du corps vécu. 10
Autrement dit le modèle (le corps de Jésus) ne nous est pas apporté sur un plateau d'argent mais il
se donne dans la manière d’habiter son propre corps. Il nous faudra donc analyser le corps vécu pour
mieux comprendre la révélation impliquée dans le fait que Dieu lui-même choisit le corps humain
pour se révéler.

b. La théologie d’Adolphe Gesché : le corps chemin de Dieu.


Il nous faudra d’ abord nous pencher sur les problèmes théologiques impliqués. Afin d’y parvenir
nous chercherons dans la théologie une façon d’éclairer les idées sur le corps de Jésus, en tant que
modèle, pour vivre le nôtre. Nous choisirons celle d'Adolphe Gesché car il présente une théologie
ascendante et qui revendique l’intention d’être un discours pertinent (relevant) pour les hommes et
les femmes d’aujourd’hui.

Dans son dernier ouvrage publié avant sa mort « Le corps chemin de Dieu », le théologien belge
propose une thèse percutante : Le corps est une invention chrétienne. Selon lui, l’incarnation est le
chemin choisi par Dieu pour venir à nous. Dans le prologue de l’Evangile de Jean nous lisons « Et le
Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous, et nous avons contemplé sa gloire, gloire qu'il tient de
son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité. » (Jn. 1, 14). Il y a un renversement de Dieu
vers nous « Le Verbe de Dieu prend notre corps pour nous rencontrer. La théo-phanie, la
manifestation de Dieu, qui l’eût cru, se fait par le corps, et un corps réel » (Adolphe Gesché et Paul
Scolas, 2005 p. 39). Le corps est donc « le chemin de Dieu » (Adolphe Gesché et Paul Scolas, 2005 p.
36). L’affirmation de Gesché nous montre que Dieu a choisi le corps pour venir vers l’homme. Les
conséquences de cette révélation sont multiples. D’abord, il nous dit quelque chose sur Dieu, à
savoir : « Ce qui est dit, c’est que c’est dans son Verbe (qu’on appellera aussi le Fils de Dieu, la
deuxième personne de la Trinité) que Dieu (appelé aussi Père) va connaître notre « corporéité » et
que nous allons le connaître » (Adolphe Gesché et Paul Scolas, 2005 p. 35) D’où émerge une
deuxième conséquence anthropologique : l’être humain est capable de s’approcher de Dieu en
« imitant » la figure du Christ dans son corps. Paul est sans doute l’auteur du Nouveau Testament qui
propose le meilleur développement de ce sujet. En effet, «et ce n'est plus moi qui vis, mais le Christ
qui vit en moi. Ma vie présente dans la chair, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m'a aimé et s'est
livré pour moi. » (Ga 2, 20)25. Le corps vécu dans la foi en Jésus devient la vraie vie. Le corps devient
donc chemin vers Dieu. « Le corps est habilité, de longue date, à remplir des rôles éclatants, tout à la
différence de la philosophie grecque et des anthropologies modernes (je n’ai plus dit :

25
La même idée est répétée dans les passages suivants : Rm 12, 1 ; 1 Co 6, 13 ; 2 Co 4 ; 10. Ga 6, 17.
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

contemporaines).» (Adolphe Gesché et Paul Scolas, 2005 p. 43). Nous pouvons ainsi en tirer une
troisième conséquence: cette affirmation est sotériologique, parce que la manière dont Jésus a vécu 11
son corps devient le chemin de délivrance de la dissemblance entre l’homme et Dieu établie après la
chute. En effet : « Le salut ne s’est pas passé dans le ciel ou entre ciel et terre, mais sur cette terre-ci,
et dans les conditions charnelles que cela impose. » (Adolphe Gesché et Paul Scolas, 2005 p. 36).
Certes la promesse du salut est eschatologique mais elle peut être déjà vécue dans notre chair :
«Vous avez été bel et bien achetés! Glorifiez donc Dieu dans votre corps. » (1 Co 6, 20) Ainsi : « Le
corps chrétien, le corps de chacun d’entre nous (le corps propre), n’est plus le corps zum Tode de la
théologie vétérotestamentaire du péché ou de la philosophie heideggérienne, mais le corps zum
Leben, le corps participant de la vie de Dieu, corps zum Gott. » (Adolphe Gesché et Paul Scolas, 2005
p. 44). Par conséquent, le corps devient chemin incontournable vers Dieu26. Ainsi le christianisme
peut être défini par les termes suivants : « Au fond, c’est d’une véritable foi dans le corps qu’il s’agit
ici. Admirable renversement de l’anthropologie aristotélicienne, où c’est l’âme qui était la forme du
corps » (Adolphe Gesché et Paul Scolas, 2005 p. 45).

Les propositions de Gesché sont fort intéressantes pour situer la question du corps de la révélation
de Dieu et le chemin que nous pouvons prendre pour aller vers Lui. Pour notre recherche nous avons
retenu deux idées : d’abord la manière de présenter le corps comme un chemin qui permet la
relation de Dieu vers nous et aussi la nôtre vers lui. Ensuite une dimension présente de notre travail
sera de penser la théologie sans le dualisme. Cependant encore une fois nous ne pouvons pas
considérer dans sa totalité la théologie d’Adolphe Gesché. Deux remarques nous obligent à prendre
de la distance. Premièrement, les explications de Gesché n’aident pas à comprendre le corps tel que
nous le vivons; ainsi ces propositions souffrent du même défaut que celles de Stephan Breton. Ces
idées ne nous informent pas sur le corps propre mais sur une tentative de démasquer le dualisme du
discours théologique sur le corps une fois qu’il est déjà là. Si le corps est le chemin de Dieu, il importe
de bien réfléchir sur la manière dont l’être humain vit son corps. Cette remarque peut sembler une
critique spéculative. Toutefois bien que la réponse de Gesché soit séduisante et ouverte au dialogue
elle devient non-pertinente (irrelevant). Et en découle une deuxième remarque, conséquence
pratique de la première : aujourd’hui la présupposition de la foi en l’accomplissement de l’existence
humaine dans le modèle (le Christ), n’est pas un acquis culturel; il nous semble une présupposition
excessive. La théologie doit donc donner un message non seulement logique, mais aussi et surtout
crédible. Autrement dit elle est appelée à être sensée pour ses auditeurs. Si bien que l’omission de
cette analyse laisse sans réponse deux questions essentielles actuelles : Quel est le sens de

26
Synthèse des idées de Gesché sur le corps propre. Cfr. (Adolphe Gesché et Paul Scolas, 2005 pp. 40-45).
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

l’affirmation antérieure ? Et si elles présentent quelque valeur : comment les vivre27 ? Ainsi on peut
les reformuler en posant une seule et vaste question : Comment comprendre le corps propre pour 12
élaborer des affirmations théologiques sensées ?

Ni l’anthropologie ni la théologie ont su donner de compréhension sensée sur le corps vécu. On a


parlé du corps, sans toucher la chose même : le corps. Cette intention d’aller vers les choses mêmes
est une des nouveautés de la phénoménologie. Ainsi pour bien avancer dans la compréhension du
corps nous nous servirons de la phénoménologie qui nous aidera à formuler une proposition
théologique sur le corps à la fois rigoureuse et pertinente.

Afin de la formuler nous suivrons l’itinéraire suivant. Notre recherche est guidée par deux questions :
Comment Jésus a-t-il vécu son corps ? De quelle manière nous sert-il de modèle ? La première
question nous mène à prendre un point de vue phénoménologique pour analyser le corps de Jésus
(2. A l’origine le corps). Afin de bien formuler ce point de vue nous analyserons
phénoménologiquement Jn. 1, 14, qui est le texte fondamental pour situer le corps au centre de la
Révélation (§3). A partir de cette analyse, nous avancerons vers une lecture phénoménologique de
l’Evangile de Luc afin de découvrir la manière dont Jésus a vécu son corps. Le corps vécu présente
une double dimension : Le corps en tant que puissant et le corps en tant que faible. Afin
d’approfondir la notion de capacité (3. Le corps de Jésus comme affirmation progressive du « Je
peux ») nous considérerons le corps en tant qu’affirmation progressive de la puissance. Pour éclairer
cette dimension du corps de Jésus nous nous appuierons sur la phénoménologie de Merleau-Ponty
(§4). Par conséquent, nous suivrons les étapes plus significatives de la vie de Jésus à fin de mieux
saisir les enjeux théologiques impliqués dans le corps de Jésus. Ces étapes sont la naissance (§5), la
croissance (§6) et le ministère public de Jésus (§7). Le ministère publique est compris comme un
ensemble d’actions et de gestes qui manifestent grâce à son corps l’autorité (identité) de Jésus (§8).
Cette manifestation a des effets sur le corps d’autrui, notamment grâce à son activité comme
guérisseur (§9). Pour penser le corps de la façon la plus complète possible nous considérerons le
corps de Jésus comme faible et mortel (4. Le corps de Jésus comme une solidarité incarnée avec la
fragilité). Ainsi nous devrons compléter la notion corporelle de Merleau-Ponty grâce aux apports de
Levinas et Heidegger (§10). A partir de Levinas nous verrons que la nourriture devient un souci
constant –même eschatologique– pour autrui (§11). Ce souci se manifeste dans une solidarité
corporelle jusque dans la mort (§12). La mort de Jésus sera considérée à partir d’un double point de

27 La question n’est pas du tout morale. Elle prétend être pré-éthique, à savoir une manière d’être au
monde. Dans le monde l’éthique a sa place mais elle n’a pas une prééminence sur la vie elle-même.
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

vue : celui de l’analytique existentielle (Heidegger) étant complété par la dimension corporelle
(Falque) ; ceci afin de bien montrer la pertinence du salut de Jésus. Le récit de l’Evangile ne finit pas 13
avec la mort mais avec la résurrection corporelle de Jésus (5. Le corps après le corps : Le corps
Ressuscité (Luc 24)). Cela implique une nouvelle compréhension (réinvention) du corps (§13). A partir
de ces considérations nous présenterons quelques conclusions générales sur la méthodologie et
quelques ouvertures pour formuler un discours pertinent (relevance) pour nos contemporains, c'est-
à-dire une tentative de réponse à la deuxième question qui a guidé notre recherche.
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

2. A l’origine le corps
14
§ 3. Recherche phénoménologique de Jn. 1, 14
La description phénoménologique que nous voudrions faire suppose de se placer dans une théologie
ascendante. Il s’agit de décrire les traces de Dieu dévoilées grâce au fait que Jésus, le Fils de Dieu, la
deuxième personne de la Trinité s’est fait homme. Toutefois nous penserons de manière théologique
le corps de Jésus. Ceci nous mène ainsi à nous lier à la source à partir de laquelle la tradition prend
ses affirmations.

L’affirmation à partir de laquelle nous commençons cette recherche se trouve en Jean 1, 14.

Il nous faut préciser les affirmations théologiques impliquées dans ce verset par rapport au corps. Il
s’agit d’un verset qui contient une des plus fortes du quatrième Évangile. En effet, il nous dit que
Dieu – celui qui était à l’origine du monde (Jean 1, 1) – a pris notre chair. Ce phénomène implique
d’assumer toute la réalité humaine, notamment nos faiblesses jusque dans la mort. En découlent
trois conséquences théologiques : d'une part à l’origine de la plénitude de la révélation se trouve le
corps, d’autre part la chair est la manière la plus efficace d’établir la communication entre Dieu et
l’homme, autrement dit de rendre visible la gloire de Dieu que personne n’a vue (Jean 1,18). Enfin la
chair est la nouvelle présence de Dieu parmi les hommes (Jean 1, 14d)28.

Afin d’approfondir la compréhension de ces affirmations émises à l'origine, nous observerons le texte
avec le regard la phénoménologie. Nous nous concentrerons sur deux expressions de Jn. 1, 14 : 1. La
« chair », d’où nous tirerons les deux premières conséquences. 2. «*…+il a planté sa tente parmi
nous*…+ », d’où nous en déduirons la troisième.

a. La chair
Le terme « chair » est utilisé dans le contexte biblique et dans celui de la phénoménologie mais de
manière tout à fait différente pour chacun des cas.

Dans le contexte biblique, le terme « chair » (sa.rx) est un terme qui désigne en général la totalité de
l’être humain. « Pour l’interprétation de cet usage, il convient de partir du terme hébreu basar,
concept clé de la compréhension hébraïque de l’humain. Il désigne la chair –chair vivante, chair
nourriture –, le corps aussi, et même le ‘je’ dans son individualité. Basar, c’est l’ensemble de la
réalité physique d’un être humain, ensemble qu’on peut considérer sous l’aspect de la vie en
l’appelant népésh, sous l’aspect de la conscience en le nommant lèb (‘cœur’), ou sous l’aspect de la
dépendance radicale à Dieu en le disant ruah (souffle ) » (Prévost, 2004 p. 473) L’emploi est donc

28
Cfr. Annexe 1.
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

presque le même que celui de l’Ancien Testament. Dans le quatrième Evangile le terme sa.rx veut
exprimer une christologie équilibrée entre la divinité et l’humanité du Christ29. Il n’est pas considéré 15
péjorativement. Toutefois la chair n’est pas exclue de la fragilité. En effet, l’être humain (sa.rx) ne
peut vivre pleinement qu’en se laissant guider par le Saint Esprit30.

La « Chair » dans l’œuvre de Merleau-Ponty est un concept tardif qui apparait dans « Le Visible et
l’Invisible ». « La chair n’est pas matière, n’est pas esprit, n’est pas substance. Il faudrait pour la
désigner, le vieux terme d’’élément’, au sens où on l’employait pour parler de l’eau, de l’air, de la
terre et du feu, c'est-à-dire au sens d’une chose générale, à mi-chemin de l’individu spatio-temporel
et de l’idée sorte de principe incarné qui importe un style d’être partout où il s’en trouve une
parcelle. La chair est en ce sens un élément de l’Être. » (Merleau-Ponty, 1964 p. 184) Ainsi la chair
dans cette première manière de la concevoir est un élément commun qui permet de percevoir les
choses parce qu’elle constitue la base de l’être en général31. Autrement dit elle est présente dans le
corps et dans le monde, elle n’est cependant pas l’addition des particules qui se trouvent dans le
monde32. Néanmoins « La chair (celle du monde ou la mienne) n’est pas contingence, chaos, mais
texture qui revient en soi et convient en soi-même. » (Merleau-Ponty, 1964 p. 192). Il ne s’agit pas
d’un élément vierge qui nous rend le monde visible, mais il s’agit du monde qui est déjà organisé par
l’être humain. En effet « Encore une fois, la chair dont nous parlons n’est pas la matière. Elle est
l’enroulement du visible sur le corps voyant, du tangible sur le corps touchant, qui est attesté
notamment quand le corps se voit, se touche en train de voir et de toucher les choses, de sorte que
simultanément, comme tangible il descend parmi elles, comme touchant il les domine toutes et tire
de lui-même ce rapport, et même ce double rapport, par déhiscence ou fission de sa masse »
(Merleau-Ponty, 1964 pp. 191-192)33. Cette affirmation sur le monde et la matière constitue donc

29
« ‘Flesh’ stands for the whole man. It is interesting that even in the unsophisticated christological
terminology of the 1st century it is not said the Word became a man, but equivalently that the Word became
man » (Brown, 1966 p. 13).
30
Cfr. (Prévost, 2004 pp. 473-474).
31
La chair est une notion dernière, elle n’est pas composée des autres éléments et elle est pensable en elle-
même. « Il faut penser la chair, non pas à partir des substances, corps et esprit, car alors elle serait l’union de
contradictoires, mais, disions-nous, comme élément emblème concret d’une manière d’être générale. »
(Merleau-Ponty, 1964 pp. 193-194). En effet la chair est une notion qui se pense pour elle-même et qui nous
fait voir toutes les choses et qui nous permet de découvrir la manière dont les autres paysages apparaissent à
nous. Autrement dit le monde est perçu aussi par autrui comme un spectacle. (Merleau-Ponty, 1964 p. 185).
32
« La chair n’est pas matière, dans le sens de corpuscules d’être qui s’additionneraient ou se continueraient
pour former les êtres.» (Merleau-Ponty, 1964 p. 183)
33
Cette manière de comprendre la chair m’a rappelé un concept central de la philosophie du
phénoménologue espagnol Xavier Zubiri. « El sentir humano y el inteligir no sólo no se oponen sino que
constituyen en su intrínseca y formal unidad un solo y único acto de aprehensión de realidad. Por tanto el acto
único y unitario de intelección sentiente es impresión de realidad. Inteligir es un modo de sentir, y sentir es en
el hombre un modo de inteligir. » (Xavier Zubiri (Edición abreviada por Francisco Gonzáles de Posada), 2004 p.
86) Selon moi ses idées peuvent aussi aider à comprendre le mystère de l’Incarnation.
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

une affirmation sur l’idéalité en général : « Disons seulement que l’idéalité pure n’est pas elle-même
sans chair ni délivrée des structures d’horizon : elle vit, quoiqu’il s’agisse d’une autre chair et d’autres 16
horizons. C’est comme si la visibilité qui anime le monde sensible émigrait, non pas hors de tout
corps, mais dans un autre corps moins lourd, plus transparent, comme si elle changeait de chair,
abandonnant celle du corps pour celle du langage et affranchie par là, mais non délivrée de toute
condition. » (Merleau-Ponty, 1964 p. 200)34. Autrement dit le lien entre la chair du monde et la chair
du corps se fait grâce à la chair du langage. Cette manière de comprendre montre bien le caractère
d’«élément » du concept35.

Ainsi la chair est un concept qui nomme en même temps : l’être paradoxal de notre corps –en tant
que chose et en tant que voyant des choses ; l’être paradoxal du monde – en tant qu'être de
profondeur à plusieurs feuillets ; et l’indivision de l’être du corps et l’être du monde36. Il s’agit donc
de la correspondance entre le dedans et le dehors du corps et mon dedans et mon dehors37,
autrement dit, il s’agit de nous éloigner d’une compréhension dualiste du corps. La chair est donc un
élément constitutif de tout l’Être et qui permet la présence dans le monde de toute idéalité. Cette
chair n’est pas un conjoint chaotique d’impressions mais une texture ordonnée par l’enroulement du
corps, chair touchant et susceptible d’être touché, voyant et susceptible d’être vue38. La texture
ordonnée du monde devient possible grâce au langage, qui est l’horizon (nouvelle chair) par lequel
nous découvrons le monde en tant que chair dans notre propre chair. Néanmoins ce concept de chair
nous laisse un certain nombre de doutes. Si la chair est considérée en tant qu’élément, quel est le
critère qui permet de tracer une frontière entre le corps et le monde ? Quelle est la particularité qui
distingue le corps et le monde à partir de la notion de chair? Si nous la considérons comme
l’enroulement qui perçoit, pourquoi Merleau-Ponty affirme-t-il que le monde a aussi une chair ? Ne
s’agit-il pas d’une réédition déguisée du dualisme critiqué par Merleau-Ponty ?

Les conceptions de « chair » montrent certes des points communs –notamment dans le sens qui font
référence au corps vécu- ; cependant nous trouvons des différences entre la Bible et la

34
Cette considération est née de l’analyse des œuvres d’art notamment la musique, la littérature et la
peinture. Il est intéressant constater qu’il s’agit des mêmes exemples utilisés par Merleau-Ponty lorsqu’il se
réfère au caractère matériel du corps propre dans la « Phénoménologie de la perception »
35
Il ne s’agit pas de l’anthropologie comme si le monde était un assemblage de projections. L’être charnel est
un être paradoxal qui montre le rapport avec le corps phénoménal (la chair en tant qu’enroulement) et le corps
objectif (c'est-à-dire la chair qui rend visible dans le monde les autres objets).
36
Cfr. (Dupond, 2002 p. 451)
37
Cfr. (Merleau-Ponty, 1964 pp. 179, en note)
38
La chair en tant qu’enroulement du corps en train de percevoir l’attribue une place centrale au corps humain
dans la compréhension anthropologique. Autrement dit elle lui donne fondement à comprendre l’expression
« je suis mon corps ». En effet : « Le corps est le véhicule de l’être au monde, et avoir un corps c’est pour un
vivant se joindre à un défini, se confondre avec certains projets et s’y engager continument » (Merleau-Ponty,
1945 p. 111).
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

phénoménologie de Merleau-Ponty. La phénoménologie présente une compréhension plus


ontologique39 du concept et sans horizon de transcendance (ni divine ni conceptuelle). Par contre 17
dans le contexte de Jn. 1,14 le concept de sa.rx est placé à un niveau plus anthropologique. En
sachant que celle-ci présente la plénitude de l’être humain dans sa relation avec Dieu, en
reconnaissant les indéniables différences et sans tomber dans de faux irénismes : Que peut apporter
la phénoménologie à la compréhension du verset que nous travaillons ? Et encore plus radicalement,
que peut-elle apporter à la compréhension de la chair de Jésus ?

Ces deux compréhensions de la chair font allusion à la « concrétude » du corps vécu par l’être
humain. Du point de vue christologique, cela signifie que Dieu Lui-même dans la personne de Jésus a
pu toucher, sentir, voir et écouter le monde. Une telle affirmation étonne car personne ne peut
accuser Dieu de ne pas connaître le monde humain. Grâce à sa chair, Dieu-même a eu un accès au
monde. Cette affirmation jusqu’à présent n’est pas originale, en effet le dieu des philosophes a aussi
accès au monde. Ce qui est original dans la valorisation de la chair du christianisme réside dans le fait
que Dieu-même a vécu la chair comme n’importe quel être humain; en termes phénoménologiques,
Jésus a connu l’être au monde de l’unique manière qu'il est possible de le connaître, c'est-à-dire en le
vivant. Et il s’est révélé par l’unique manière dont nous sommes capables de toucher, sentir, voir et
écouter Dieu, à savoir dans le monde.

A partir de cette compréhension de la chair qui a intégré le regard phénoménologique à la notion


biblique de la chair, trois affirmations nous semblent essentielles : 1. À l’origine de la plénitude de la
révélation se trouve le corps. 2. La chair est la manière la plus efficace pour établir la communication
entre Dieu et l’homme. 3. Cette considération nous montre que l’engagement de Dieu dans le désir
de se révéler aux êtres humains implique de demeurer dans cette chair manifestée dans
l’expression : « il a planté sa tente parmi nous » (Jean 1, 14).

Ainsi la plénitude de la révélation de Dieu se fait grâce à la chair. Elle est fondée sur le fait que Jésus a
pu avoir accès à la Gloire de Dieu dès l’origine (Jean 1,1). Cette affirmation présente deux
dimensions : la première implique que Jésus nous a montré cette gloire qui était restée cachée
depuis le début des temps40. Dans ce sens l’affirmation de l’incarnation de Dieu est un vrai défi pour
les conceptions philosophiques qui constituent notre sens commun41, pour lequel la chair est
l’obstacle à l’accès à la transcendance. Au contraire grâce à la chair nous pouvons toucher, voir,
sentir et écouter Dieu. En effet : « C’est l’épaisseur de chair entre le voyant et la chose est

39
A notre avis la principale différence entre « La phénoménologie de la perception » et « Le Visible et
l’invisible » relève de cet intérêt ontologique.
40
Le rapport avec Moïse. Cfr. (Brown, 1966 p. 36) et Annexe 2.
41
Notamment les idées dualistes venues du monde grec ou moderne.
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

constitutive de sa visibilité à elle comme de sa corporéité à lui ; ce n’est pas un obstacle entre lui et
elle, c’est leur moyen de communication. *…+ L’épaisseur du corps loin de rivaliser avec celle du 18
monde, est au contraire le seul moyen que j’ai d’aller au cœur des choses, en me faisant monde et en
les faisant chair.» (Merleau-Ponty, 1964 p. 178). A un deuxième niveau, nous notons une dimension
de risque illustrée par la manière dont Jésus a choisi de se révéler. En effet elle n’implique pas une
transparence absolue de la Gloire parce que notre corps ne nous permet pas de tout voir. La chair est
ambigüe, elle est équivoque, son épaisseur appartient à un monde qu’il faut découvrir et qui ne vient
pas une fois pour toutes.

Malgré cette ambigüité la chair est le chemin le plus efficace pour communiquer le message du Christ
à l’humanité42. D’après la phénoménologie de Merleau-Ponty il y a un entrelacs entre le monde et le
corps. Ce lien est possible grâce à l’ontogénèse43. C'est-à-dire « Le corps nous unit directement aux
choses par sa propre ontogénèse, en soudant l’une à l’autre les deux ébauches dont il est fait, ses
deux lèvres : la masse du sensible où il naît par ségrégation, et à laquelle, comme voyant, il reste
ouvert. » (Merleau-Ponty, 1945 p. 179). Ainsi le corps ne peut être compris que comme la visibilité
dont les deux feuillets (1. Le corps chose 2. Le corps voyant et touchant) ne sont qu’une unité.
Autrement dit le corps est une visibilité errante qui nous donne accès au monde, et non uniquement
à notre monde privé44.

Cette considération phénoménologique implique du point de vue théologique que Dieu-même se lie
avec le monde non seulement dès l’origine du monde, mais aussi de manière humaine, celle que
nous pouvons comprendre, étant donné notre condition humaine. Cette implication n’est pas qu’une
affirmation anthropologique mais c'est aussi une affirmation théologique. En termes plus radicaux
Dieu connaît ce que signifie être au monde. Bref il connaît la vie humaine parce qu’Il l’a vécue. A
partir de cette deuxième conséquence nous commencerons l’analyse de l’expression : « *…+ il a
planté sa tente parmi nous *…+ ».

b. « […] il a planté sa tente parmi nous […] »


Le concept est fortement chargé du point de vue exégétique45. D’un point de vue
phénoménologique, nous pouvons constater que la perception nous met devant la constance des

42
Cette affirmation montre bien que les idées de Gesché sur le corps en tant que chemin de Dieu vers
l’homme, sont moins fausses qu’imprécises.
43
« La pellicule superficielle du visible n’est que pour ma vision et pour mon corps. Mais la profondeur sous
cette surface contient donc ma vision. Mon corps comme chose visible est contenu dans le grand spectacle.
Mais mon corps voyant sous-tend ce corps visible, et tous les visibles avec lui. Il y a insertion réciproque et
entrelacs de l’un dans l’autre » (Merleau-Ponty, 1964 p. 182).
44
Cfr. (Merleau-Ponty, 1964 p. 182)
45
La tente qui voyageait avec le peuple dans le désert, c'est-à-dire une manière de marcher à côté du peuple.
Cfr. Annexe 1.
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

phénomènes. En effet « Le phénomène de constance est général. On a pu parler d’une constance des
sons, des températures, des poids et enfin des données tactiles au sens strict, médiatisée elle aussi 19
par certaines structures, certains ‘modes d’apparition’ des phénomènes dans chacun de ces champs
sensoriels. » (Merleau-Ponty, 1945 p. 368). Autrement dit le fait que Dieu même ait risqué d’être au
monde à la façon humaine implique qu’il a laissé une trace « constante » dans l’histoire, uniquement
grâce à cette constance du phénomène par lequel nous avons accès au corps de Jésus. Cependant la
constance peut être perçue par rapport à ce qui change, à ce qui n’est pas tout à fait constant. Le
corps a cette double condition: d’une part il nous permet d’avoir accès à ce qui est sensible et
constant, d’autre part en lui-même nous expérimentons ce qui change.

Par cette double condition du corps nous pouvons regarder le texte d’une manière nouvelle. La tente
de Jésus (sa chair) est la constance qui donne à voir la gloire de Dieu. Cependant il s’agit d’une
habitation plutôt précaire. La tente est faite pour l’itinérance, pour la route, pour parcourir un
chemin inachevé. Ainsi la manière dont Jésus a vécu sa chair –et notamment en tant que corporéité–
montre un chemin sensible qui a laissé une trace de constance précisément à l’endroit où nous
expérimentons le changement constant : notre propre vie. La tente de Dieu (la chair de Jésus)
demeure avec nous. Le paradoxe est important car l’endroit le plus fragile et le plus fugace (la vie
vécue dans le corps humain) devient l’endroit où Dieu montre sa présence et plus radicalement sa
gloire. Ainsi la chair est la nouvelle présence de Dieu parmi les hommes.

Le concept de chair –en tant qu’élément constitutif du monde et du corps – est très important pour
établir le lien ontologique entre celui qui perçoit et le monde de manière non dualiste. Le concept
est important pour montrer le lien étroit existant entre le monde le corps. Ainsi il est essentiel de
comprendre la manière de vivre de notre corps. Cependant il est plus difficile de comprendre la
manière concrète dont nous vivons notre rapport au monde. Plus précisément le concept de
Merleau-Ponty formule le concept de chair une fois qu’il a considéré soigneusement le corps46. Dans
ce sens « La phénoménologie de la perception » de Merleau-Ponty détaille les différents rapports
entre le corps et le monde. Grâce à ce point de vue plus « concret » nous opterons plutôt pour la
notion de corps que celle de chair. En effet cette « concrétude » du corps de Jésus nous semble être
l’apport de la phénoménologie le plus intéressant pour la théologie. En effet la considération du
corps n’est pas absente de la théologie chrétienne, mais la considérer d'un point de vue qui permet
de faire un certain éloge de la concrétude du corps s'avère une proposition plus originale. Elle peut
nous faire percevoir autrement Jésus et à partir de ce changement nous inciter à changer la manière
de penser le corps de Jésus, point de départ de toute théologie qui revendique le nom de chrétienne.

46
(Dupond, 2002 pp. 451-452)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

*
20
Ainsi notre recherche devra analyser le corps dans sa concrétude. Nous passons de la constatation
générale que le corps est la condition sine qua non pour être au monde –où nous trouvons des
choses mais aussi où nous nous trouvons avec autrui, à la description du corps vécu par Jésus. Cela
implique de considérer le corps de Jésus dans toute son amplitude temporelle et dans toutes les
possibilités de vivre le corps. Ainsi du point de vue de la temporalité il nous faudra essayer d’analyser
le corps de Jésus de sa naissance à sa mort. Afin d’éviter les généralisations nous adopterons
l’itinéraire suivant : à partir de sa naissance nous pouvons affirmer que Jésus est au monde. Ainsi
dans ses années de croissance humaine Jésus a appris une motricité lui permettant d’habiter son
corps de façon à pouvoir intervenir dans le monde. Cette intervention lui a procuré dans son
entourage une autorité et une attirance telles que son message fut écouté d’une manière
particulièrement attentive. Cette intervention était fondée sur l’aptitude remarquable qu'avait Jésus,
de toucher et de se laisser toucher, et qui apparaît notamment dans son activité de guérison, qui
implique un souci pour autrui dans ses besoins les plus quotidiens : notamment manger. Ce souci
pour l'autre n’est qu’une préoccupation ponctuelle ; elle acquiert une dimension eschatologique
grâce à l’Eucharistie. Finalement le désir aimant de se révéler n’est pas une considération étrangère
au corps. Par conséquent Jésus subit dans son corps les faiblesses corporelles qu’il emportera jusque
dans sa finitude ultime, la mort. Nous essaierons par l'accès phénoménologique d’avoir une
compréhension originale du corps de Jésus.

Ainsi nous faut-il préciser davantage notre méthode. En effet si la chose même est le témoignage
laissé par le corps de Jésus dans une communauté concrète en raison des récits évangéliques, une
attitude phénoménologique exige de nous la mise entre parenthèses de nos a priori théologiques.
C'est pourquoi nous nous centrerons sur un seul Evangile pour laisser le lecteur d'adopter un
nouveau regard du corps de Jésus.

Lequel des quatre Évangiles canoniques choisirons-nous ? En sachant que dans tous les Évangiles la
dimension corporelle est pertinente, nous choisirons celui dont le récit donne un panorama du corps
dans tous les moments de la vie de Jésus. La mort et la résurrection de Jésus représentent le
matériau avec le plus de concordances. Cependant des quatre Evangiles Marc et Jean commencent
leurs parties narratives respectives sur Jésus adulte. Uniquement Luc et Mathieu parlent de son
enfance. Le rôle du corps n'a une importance capitale que dans la construction du récit du troisième
évangile. Ainsi pour dévoiler le corps dans les Évangiles nous proposerons de faire une lecture
phénoménologique de l’Évangile de Luc de la naissance à la résurrection.
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

3. Le corps de Jésus comme affirmation progressive du « Je peux ».


21
Les discours analysés ne considèrent pas suffisamment la concrétude du corps. Nous proposons la
méthode phénoménologique47 pour avancer dans la compréhension du corps tel que nous le
vivons48. Cette méthode est pertinente parce que « C’est l’ambition d’une philosophie qui soit une
‘science exacte’, mais c’est aussi un compte rendu de l’espace, du temps, du monde ‘vécus’. C’est
l’essai d’une description directe de notre expérience telle qu’elle est, et sans aucun égard à sa genèse
psychologique et aux explications causales que le savant, l’historien ou le sociologue peuvent en
fournir, et cependant Husserl, dans ses derniers travaux, mentionne une ‘phénoménologie
génétique’ et même une ‘phénoménologie constructive’.» (Merleau-Ponty, 1945, p. 7). La base de la
compréhension du monde est donnée par le fait d’être au monde (l’existence) et non par le savoir
scientifique49. Autrement dit tous les savoirs scientifiques sont basés sur le fait d’être au monde.
Cette prééminence de l’existence pour comprendre le monde tel qu’il est (les essences) fait que la
phénoménologie propose de décrire le monde plutôt que de l'analyser50. Cette description est plus
radicale que toutes les analyses, puisqu’elle reconnaît la condition du monde : « Le monde est là
avant toute analyse que je puisse en faire et il serait artificiel de le faire dériver d’une série de
synthèses qui reliraient les sensations, puis les aspects perspectifs de l’objet, alors que les unes et les
autres sont justement des produits de l’analyse et ne doivent pas être réalisés avant elle. »(Merleau-
Ponty, 1945, p. 10). C'est pourquoi j’ai accès au monde grâce à mon corps. La raison peut penser
grâce à l’accès donné par le corps au monde. Notons aussi la manière dont le corps devient un corps
capable d’intervenir dans le monde.

§4. Conception phénoménologique du corps chez Merleau-Ponty.

a. Considérations générales : la réduction phénoménologique.


Afin de décrire le monde vécu la phénoménologie fait la réduction phénoménologique pour pouvoir
décrire la chose elle même -dans notre cas le corps. Cette réduction est un terme qui Merleau-Ponty
emprunte de Husserl. « L’époqué, terme emprunté aux sceptiques grecs, et que Husserl a très

47
Certes la phénoménologie est un courant philosophique très complexe. Elle peut être comprise de diverses
manières. En effet, la méthodologie de Heidegger, Husserl, Merleau-Ponty, pour citer uniquement ces trois
auteurs, sont tout à fait différentes les unes des autres. Cfr.(Heidegger, 1964, pp. 44-57; Merleau-Ponty, 1945,
pp. 7-22).
48
« Le réel est un tissu solide, il n’attend pas nos jugements pour s’annexer les phénomènes les plus
surprenants ni pour rejeter nos imaginations les plus vraisemblables. »(Merleau-Ponty, 1945, p. 11).
49
Un exemple sur la dissimulation du monde vecu par la science nous le trouvons dans le romain « Historia do
cerco de Lisboa » : « [...] a afirmação do sábio Aristóteles de que a mosca doméstica comum tem quatro patas,
redução aritmética que os autores seguintes vieram repetindo por séculos e séculos, quando já as crianças
sabiam, por crueldade e experimentação, que são seis as patas da mosca, pois desde Aristóteles as vinham
arrancando, voluptuosamente contando, uma, duas, três, quatro, cinco, seis, mas essas mesmas crianças,
quando cresciam e iam ler o sábio grego, diziam uma para as outras, A mosca tem quatro patas, tanto pode a
autoridade magistral, tanto sofre a verdade ». (Saramago, 2003, pp. 24-25)
50
Dans la méthode phénoménologique : « Il s’agit de décrire, et non pas d’expliquer ni d’analyser. » (Merleau-
Ponty, 1945, p. 8).
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

souvent employé aussi, définit, elle, de façon plus simple en effet, et sa présupposition
supplémentaire, l’attitude par laquelle le sujet suspend son jugement, en ne continuant plus à 22
prendre position *…+ » (English, 2002, p. 120). Il y existe trois niveaux de réduction : le plus
élémentaire est la réduction phénoménologique qui opère de facto avec le retour à l’origine où la
conscience n’a rien appris encore à distinguer, là où, pour elle, il n’y a pas de multiple et de différent,
mais une unité inanalysable, donc aucun objet51. A partir de cette réduction phénoménologique
Husserl essaiera d’avoir un accès direct à la chose même.

L’appropriation du concept chez Merleau-Ponty se fait dans les termes suivants : « Un malentendu
du même genre brouille la notion des ‘essences’ chez Husserl. Toute réduction, dit Husserl, en même
temps que transcendantale est nécessairement eidétique. Cela veut dire que nous ne pouvons pas
soumettre au regard philosophique notre perception du monde sans cesser de faire un avec cette
thèse du monde, avec cette intérêt pour le monde qui nous définit, sans reculer en deçà de notre
engagement pour le faire apparaître lui-même comme spectacle, sans passer du fait de notre
existence à la nature de notre existence, du Dasein au Wesen.» (Merleau-Ponty, 1945, p. 15). Ainsi
Merleau-Ponty utilise le concept de Husserl pour lier les essences au monde de la vie52. Puisque la
réduction donne le sens et la signification première des choses. Par conséquent « Chercher l’essence
du monde ce n’est pas chercher ce qu’il est en idée, une fois que nous l’avons réduit en thème de
discours, c’est chercher ce qu’il est en fait pour nous avant toute thématisation » (Merleau-Ponty,
1945, p. 16). Malgré tous les rendements positifs il y a deux limites de la réduction. D’abord, la
réduction totale est impossible, elle arrive toujours en retard parce que le fait de la réaliser est déjà
un acte de pensée qui s’éloigne au moins d'un degré du monde vécu. Ensuite, le fait que nous avons
accès au monde grâce à l’existence (corporelle) ne nous donne qu’un accès partiel au monde53.
Malgré ces déficits Merleau-Ponty essaiera de penser au corps à partir de cette méthodologie.

b. Le corps vécu
A partir de la réduction nous devrons revenir à l’existence. Ainsi émerge la question : Comment
vivons-nous notre corps ? Merleau-Ponty constate que nous le vivons comme unité. Pourtant
l’histoire de la philosophie a pensé à plusieurs reprises le corps à partir de compréhensions dualistes
–notamment ceux qui entraine le binôme sujet-objet. En conséquence Merleau-Ponty essaie de
penser le corps d’une manière non dualiste.

51
Cfr. (English, 2002, p. 121)
52
Pour cette raison une étude de l’anatomie ou de la physiologie du corps serait aussi inutile que celle de
l’anthropologie et de la théologie. En effet elles seraient capables d’informer sur les procédés chimiques et
physiologiques corporellement nécessaires pour vivre, mais incapables de comprendre le corps vécu. Cfr.
(Merleau-Ponty, 1945, pp. 274-275).
53
Si je regarde la lampe qui est devant moi, je peux percevoir un de ses côtés, mais ce qui est derrière m'est
caché, ou invisible. A tout moment des parties du monde ne sont pas incluses dans ma perception.
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

D’après la « Phénoménologie de la Perception » le corps ne se laisse pas saisir par les catégories
dualistes parce qu'il possède une dimension matérielle incontournable et en même temps il dispose 23
d’une conscience54. Afin de rendre compte du corps vécu, l'objectif de Merleau-Ponty est d'échapper
à deux positions extrêmes, l’empirisme et le psychologisme. La première considère que nous avons
un accès direct à la réalité grâce aux sens, en niant les processus intérieurs qui nous aident à y
parvenir55. A l'opposé la place prise par ce processus est démesurée dans le cas du psychologisme.
Cette position méprise la dimension extérieure de la perception en oubliant que le monde est déjà là,
donné avant qu’il soit pensé ou encore perçu56. La question peut être formulée maintenant en
termes philosophiques : Comment éviter d’un côté de considérer le corps comme une machine à
perception57 et de l’autre côté de tomber dans la considération d’un Je transcendantal niant
justement cette dimension corporelle58 ?

Afin d’éviter ces deux extrêmes Merleau-Ponty présente le corps à partir de la notion de champ
phénoménal. Pour bien le comprendre, il entre d’abord dans la perception59. Une chose perçue ne
l’est jamais directement, en effet elle se trouve au milieu des choses, que nous appelons
« champ »60. La considération du champ phénoménal entraîne deux conséquences importantes :
d’une part il rend possible la perception61. Et d’autre part l’ouverture de ce champ n’est possible que
grâce au corps. La notion de champ nous laisse face à la quotidienneté : « L’expérience commune
trouve une convenance et un rapport de sens entre le geste, le sourire, l’accent d’un homme qui
parle » (Merleau-Ponty, 1945, p. 81). Il s’agit d'expressions qui s’explicitent réciproquement qui font
apparaitre le corps humain comme une manifestation de l’être au monde. Le monde n’est pas

54
Ainsi la distinction entre l’en-soi et le pour-soi se rend impertinent pour comprendre le corps. Cfr.(Merleau-
Ponty, 1945, pp. 99-100).
55
Pour illustrer ce point Merleau-Ponty fait une analyse phénoménologique du souvenir et de l’association
(Merleau-Ponty, 1945, pp. 20-22; 36-49).
56
Dans ce cas la « Phénoménologie de la perception » travail sur la base de l’attention et du jugement.
(Merleau-Ponty, 1945, p. 98).
57
C’est un des analyses faits par Merleau-Ponty (Merleau-Ponty, 1945, pp. 80-83). L’idée est renforcée dans
l’analyse phénoménologique de la douleur. A partir d’elle le philosophe conclut que le corps propre est un
objet affectif qui se manifeste dans la phrase : « J’ai mal au pied » ou « mon pied a mal »(Merleau-Ponty, 1945,
pp. 119-126).
58
Cfr.(Merleau-Ponty, 1945, pp. 86-91).
59
Merleau-Ponty essai de commencer son analyse à partir du sentir. « Le sentir est cette communication vitale
avec le monde qui nous le rend présent comme lieu familier à notre vie »(Merleau-Ponty, 1945, p. 79).
Cependant cette notion qui semble claire ne l’est pas tant car elle n’est pas aussi évidente que la philosophie
l’avait pensée, et à cause de cette apparente clarté conceptuelle, la philosophie n'a pas réussi à penser un
phénomène plus radical, à savoir : la perception. Cfr.(Merleau-Ponty, 1945, pp. 25-35).
60
Cfr.(Merleau-Ponty, 1945, p. 26).
61
Moi, je jamais vois les couleurs je vois les livres rouges, les dossiers rouges, les robes rouges, etc.
Phénoménologiquement la notion de champ phénoménal rend compte du monde vécu, ainsi les couleurs sont
ceux de quelque chose et pas une abstraction.
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

qu’objectif, il devient monde vécu62. Ainsi la notion de champ phénoménologique pose en même
temps une unique affirmation de l’être humain et du monde puisque les deux termes sont 24
intimement liés63. Ainsi Merleau-Ponty élimine la contradiction entre le monde et la condition
corporelle puisque dans l’existence64 on vit l’unité ; la séparation dualiste devient une abstraction. En
effet, « L’union de l’âme et du corps n’est pas scellée par un décret arbitraire entre deux termes
extérieurs, l’un objet, l’autre sujet. Elle s’accomplit à chaque instant dans le mouvement de
l’existence.»(Merleau-Ponty, 1945, p. 118).

Merleau-Ponty reconnait deux manières de vivre le corps. Il peut d'une part être considéré comme
une chose parmi les choses. Dans ce cas nous sommes devant le « corps objectif »65. D’autre part je
vis mon corps comme mien, il s’agit du corps propre. Cette façon de vivre le corps constitue le «
corps phénoménal »66. Les analyses de « La phénoménologie de la perception » se concentrent sur
cette deuxième manière d’habiter le corps.

Pour comprendre le corps propre (phénoménal) Merleau-Ponty analyse la spatialité car elle sert à
expliquer le corps propre en général67 qui possède un espace primordial. Ainsi le corps n’est pas dans
l’espace mais il est à l’espace. Cette relation avec l’espace montre comment le corps a une structure
d’implication. Autrement dit il est toujours en relation avec le monde. Ou plus plutôt il est celui qui
me permet d’être ouvert à ce monde. « En somme, mon corps n’est pas seulement un objet parmi
tous les autres, c'est un objet sensible à tous les autres, qui résonne pour tous les sons, vibre pour
toutes les couleurs, et qui fournit aux mots leur signification primordiale par la manière dont il les
accueille » (Merleau-Ponty, 1945, p. 283). La description de chacune de ces opérations nous ouvre à
la compréhension du corps humain en tant que vécu. Par conséquent : « Le corps phénoménal est

62
Le lien entre le corps humain et le monde se renouvèle à chaque instant. En effet, « Ainsi la chose est le
corrélatif de mon corps et plus généralement de mon existence dont mon corps n’est que la structure
stabilisée, elle se constitue dans la prise de mon corps sur elle, elle n’est pas d’abord une signification pour
l’entendement, mais une structure accessible à l’inspection du corps et si nous voulons décrire le réel tel qu’il
nous apparaît dans l’expérience perceptive, nous le trouvons chargé de prédicats anthropologiques. »
(Merleau-Ponty, 1945, p. 376)
63
« Le corps interposé n’est pas lui-même chose, matière interstitielle, tissu conjonctif, mais sensible pour soi,
ce qui veut dire, non pas cette absurdité : couleur qui se voit, surface qui se touche, -mais ce paradoxe [ ?] : un
ensemble de couleurs et de surfaces habitées par un toucher une vision, donc sensible exemplaire, qui offre à
celui qui l’habite et le sent de quoi sentir tout ce qui au dehors lui ressemble, de sorte que, pris dans le tissu
mouvement, il le tire tout à lui, l’incorpore, et, du même mouvement, communique aux choses sur lesquelles il
se ferme cette identité sans superposition, cette différence sans contradiction, cet écart du dedans et du
dehors, qui constituent son secret natal. ». (Merleau-Ponty, Le Visible et l'invisible, 1964, pp. 178-179)
64
«Ce que nous permet de relier l’un à l’autre, le ‘physiologique’ et le ‘psychique’, c’est que, réintégrer à
l’existence, ils ne se distinguent plus comme l’ordre de l’en soi et l’ordre du pour soi et qu’ils ne sont tous deux
orientés vers un pôle intentionnel ou vers un monde »(Merleau-Ponty, 1945, p. 117).
65
(Dupond, 2002, p. 454)
66
La « Phénoménologie de la perception » consacre un chapitre à la synthèse du corps propre. Les paragraphes
suivants essaieront d’exprimer les principaux arguments de ce texte. Cfr. (Merleau-Ponty, 1945, pp. 184-190).
67
Cfr. (Merleau-Ponty, 1945, pp. 127-183) .
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

ainsi un ‘corps-sujet’, au sens d’un sujet naturel (PP68 231) ou d’un moi naturel (PP 502), qui est
pourvu d’une ‘structure métaphysique’, par laquelle il est qualifiable comme pouvoir d’expression, 25
esprit, productivité créatrice de sens et d’histoire » (Dupond, 2002, p. 454). Pourtant cette idée ne
signifie pas que mon corps rassemble toutes les informations recueillies grâce à des perceptions.
Elles sont mon corps même, ainsi peut-on considérer le corps comme une loi qui permet d’intégrer
toutes les différentes variétés d'informations perceptives. Merleau-Ponty en tire une conséquence
originale sur le corps propre : « Mais je ne suis pas devant mon corps, je suis dans mon corps, ou
plutôt je suis mon corps » (Merleau-Ponty, 1945, p. 186). Ainsi le corps –compris comme une
structure relationnelle– s’interprète à soi-même dans les actions réalisées par lui en raison de
l’existence.

c. La matérialité du corps

Ce qui nous étonne dans ces idées c'est que l’interprétation à soi se fait dans la matérialité du corps.
Comment comprendre la matérialité du corps ? Elle peut être comprise en tant que chose.
Cependant cette manière de considérer le corps ne rend pas compte de l’interprétation de soi faite
par le corps. En effet la matérialité des choses est une matérialité muette. Y-a-t-il une autre
matérialité que soit capable de s’interpréter à soi-même d’une manière analogue comme le fait le
corps ? D’après Merleau-Ponty oui. En effet le corps phénoménal peut être comparé aux œuvres
d’art puisqu’elles présentent une dimension matérielle incontournable –qui leur donne leur réalité–
et en même temps les œuvres d’art naissent à partir des interprétations qu’elles interprètent le
monde. Autrement dit nous sommes capables de percevoir l’œuvre d’art grâce à sa matérialité.
Cependant l'œuvre d'art présente plusieurs niveaux d’intelligibilité. En effet, « Il est assez connu
qu’un poème, s’il comporte une première signification, traduisible en prose, mène dans l’esprit du
lecteur une seconde qui le définit comme poème » (Merleau-Ponty, 1945, p. 187). Ainsi Merleau-
Ponty conclut : « Un roman, un poème, un tableau, un morceau de musique sont des individus, c'est-
à-dire des êtres où l’on ne peut distinguer l’expression de l’exprimé, dont le sens n’est accessible que
par un contact direct et qui rayonnent leur signification sans quitter leur place temporelle et spatiale.
C’est en ce sens que notre corps est comparable à l’œuvre d’art » (Merleau-Ponty, 1945, p. 188). Le
corps devient donc un lieu d’expression parce que le ton de la voix, les gestes etc. nous révèlent
l’existence de celui qui parle. De la même manière dont l’œuvre d’art nous révèle dans sa matérialité
le champ phénoménal que nous vivons quotidiennement mais qui d’habitude reste inaperçu.

La structure d’implication du corps se manifeste dans une habitude par deux raisons. D’abord
l’habitude nous montre comment le monde façonne notre façon d’être au monde. En effet l’habitude
est à la fois motrice et perceptive, elle réside entre la perception explicite et l’action effective. La
perception effective est la constatation que le monde est déjà là avant d’être perçu. L’action
effective suppose l’activité du corps, à savoir la motricité propre du corps. D’autre part l’habitude est
vécue comme une unité révélatrice de notre capacité d’acquérir un monde. L’exemple pris par

68
PP : La Phénoménologie de la perception. (Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, 1945)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

Merleau-Ponty est le bâton de l’aveugle. « Les pressions sur la main et le bâton ne sont plus donnés,
le bâton n’est plus un objet que l’aveugle percevrait, mais un instrument avec lequel il perçoit. » 26
(Merleau-Ponty, 1945, p. 189).

A partir de ces dimensions de l’habitude nous reconnaissons que le corps nous permet l’accès au
monde qui nous a précédé et qui nous est donné et que nous sommes capables d’habiter aussi de
manière créative. Nous entendons par créativité la flexibilité du corps pour faire grandir son champ
phénoménal.

Par conséquent nous constatons avec Merleau-Ponty que : « [Le corps propre est un] Système de
puissances motrices ou de puissances perceptives, notre corps n’est pas objet pour un ‘je pense’ :
c’est un ensemble de significations vécues qui va vers son équilibre. Parfois se forme un nouveau
nœud de significations : nos mouvements anciens s’intègrent à une nouvelle entité motrice, les
premières données de la vue à une nouvelle entité sensorielle, nos pouvoirs naturels rejoignent
soudain une signification plus riche qui n’était jusque-là qu’indiquée dans notre champ perceptif ou
pratique, ne s’annonçait dans notre expérience que par un certain manque, et dont l’avènement
réorganise soudain notre équilibre et comble notre attente aveugle. » (Merleau-Ponty, 1945, p. 190).

Cette façon de comprendre le corps –comme lieu de réception et créativité– nous donne des yeux
pour commencer à regarder le corps de Jésus en tant qu’affirmation d’un je peux. Ainsi nous avons la
structure à partir de laquelle nous pouvons comprendre Son corps vécu aux différentes étapes de
son développement.

§5. La naissance de Jésus vue par la phénoménologie : Lc. 2, 1-21


La question à laquelle nous voulons répondre est la suivante : Comment Jésus « a-t-il planté sa
tente » parmi nous ? A partir du corps. Cette condition corporelle est la façon que Dieu a choisie pour
se révéler pleinement et de façon efficace aux hommes. Ainsi la compréhension de notre corps vécu
sert à entrer dans cette Révélation. Notre être au monde commence au moment de la naissance.
C'est pourquoi nous lirons le récit de la naissance de Jésus selon Luc d'un point de vue
phénoménologique pour approfondir la Révélation dans laquelle est impliquée la naissance de Jésus.

Les récits de la naissance ne nous donnent pas de portrait historique –au sens moderne du terme–
de Jésus69 et ils présentent des difficultés exégétiques importantes70. A partir de ces éléments Meier
nous dit que « Les deux récits semblent être en grande partie des produits de la réflexion chrétienne

69
On ne peut presque rien dire d'historiquement solide ou probable sur la naissance. Cependant dans le cas de
Jésus nous avons plus d’informations que sur d'autres personnages du monde Antique Cfr. (Meier, 2005 p.
151)
70
Cfr. Annexe 2. A.
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

primitive sur la signification salvifique de Jésus Christ à la lumière des prophéties de l’Ancien
Testament » (Meier, 2005 p. 135). L’objectif de ces récits est commun : montrer commet l’identité de 27
Jésus - connue en plénitude grâce à la résurrection– était présente dès sa conception71.

Nous suivrons le récit de Luc. En effet si nous voulons comprendre le corps de Jésus, nous sommes
sensés chercher un texte dont l’auteur a retenu dans son récit théologique des références
corporelles significatives. L’Evangile de Mathieu ne consacre qu’un verset à la naissance et pour
laquelle il n’y a qu’une référence très indirecte au corps72. Cette sobriété contraste avec la richesse
des références corporelles chez Luc (neuf au totale dont huit ont un rapport direct avec Jésus)73 .

A partir de ces constations exégétiques nous essaierons d'établir un lien entre les apports de cette
discipline et la phénoménologie. Merleau-Ponty nous a déjà appris que notre propre corps est
l’unique manière de pouvoir être au monde. Nous centrerons donc notre attention sur le corps au
moment de la naissance. Nous sommes habitués à aborder le corps de Jésus en croix, mais nous
oublions que ce corps a été celui d'un nouveau-né comme ancêtre 74.

L’enjeu de cette analyse consiste à établir la relation entre le corps et le monde, et à s'interroger sur
la façon dont la Révélation est impliquée dans cette relation. Selon Merleau-Ponty « Le problème du
monde, et pour commencer celui du corps propre, consiste en ceci que tout y demeure » (Merleau-
Ponty, 1945 p. 240). Pour comprendre le monde nous ne pouvons pas ignorer le corps car le monde
tel que nous le connaissons n’est accessible que grâce au corps. Autrement dit le monde n’existe que
grâce au corps et le corps n’existe qu’au monde. A notre avis la naissance est le moment où le corps
laisse transparaître le plus clairement le monde : grâce à la réduction jusqu'au minimum de notre
activité75.

Par conséquent nous essaierons de comprendre la naissance à partir de deux notions


fondamentales : l’activité et la passivité. Il nous faut voir la façon dont nous vivons le corps pour
mieux comprendre la manière dont Dieu a choisi de se révéler. Regardons le corps d’un nouveau-né
avec les yeux de la phénoménologie afin d’avoir une nouvelle compréhension de notre naissance et
ainsi de celle de Jésus. « Naître, c’est à la fois naître du monde et naître au monde. Le monde est déjà

71
Cfr. (Meier, 2005 p. 135; Fitzmayer, 1981 pp. 446-447)
72
« Tou/ de. VIhsou/ gennhqe,ntoj evn Bhqle,em th/j VIoudai,aj evn h`me,raij ~Hrw,|dou tou/ basile,wj( ivdou. ma,goi avpo.
avnatolw/n parege,nonto eivj ~Ieroso,luma » ( Mt. 2,1) Nous soulignons le verbe qui correspond au verbe naître.
73
Cfr. Annexe 2. C.
74
« Pregúntome entonces, oprimiéndome/la enorme, blanca, acérrima costilla:/Y este hombre
¿no tuvo a un niño por creciente padre? » Poème « Un hombre mira a una mujer » (Vallejo, 2001 p. 154)
75
Le monde est aussi présent dans l’action. Cependant de la même manière dont Merleau-Ponty analyse la
perception à partir des pathologies - car elle est plus clair poure la décrire -, nous montrerons le monde au
moment où il est plus facile de le découvrir, un monde en tant que tel, à savoir dans la passivité.
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

constitué, mais aussi jamais complètement constitué. Sous le premier rapport, nous sommes
sollicités, sous le second nous sommes à une infinité de possibilités. » (Merleau-Ponty, 1945 p. 517). 28
La citation nous révèle une première implication de l’activité et de la passivité dans la naissance :
nous sommes ouverts à l’infinité de possibilités (l’activité) parce que nous sommes au monde, un
monde qui nous est déjà donné (la passivité). La passivité devient donc le fondement de l’activité.
Approfondissons chaque notion.

a. La passivité originelle du corps


Le corps de tout nouveau-né est d'abord passif. En effet il ne peut pas rester en vie si quelqu’un ne
s’occupe pas de son corps. La passivité est un phénomène constitutif de la vie. Autrement dit notre
vie est donnée par autrui. « Le phénomène central, qui fonde à la fois ma subjectivité et ma
transcendance vers autrui, consiste en ceci que je suis donné à moi-même. Je suis donné, c'est-à-dire
que je me trouve déjà situé et engagé dans un monde physique et social, – je suis à moi-même, c'est-
à-dire que cette situation ne m’est jamais dissimulée, elle n’est jamais autour de moi comme une
nécessité étrangère, et je n’y suis jamais enfermé comme un objet dans une boîte. Ma liberté, le
pouvoir fondamental que j’ai d’être le sujet de toutes mes expériences, n’est pas distinct de mon
insertion. » (Merleau-Ponty, 1945 p. 418).

Si nous considérons l’Evangile de Luc, nous découvrons que la passivité est présente de deux
manières diverses : 1. Dans le corps du nouveau-né. 2. Dans la manière dont l’auteur situe ce corps
dans le monde. Ces deux phénomènes sont vécus comme une unité indissoluble dans le monde de la
vie. Si nous les séparons c'est uniquement pour clarifier l'explication.

1. La passivité dans le corps du nouveau-né.


Comprenons la phrase « je suis donné à moi-même » à partir de l’analyse phénoménologique du
corps du nouveau-né. Si le fait d’être né nous donne la possibilité d’être vivant, nous constatons alors
que l’être vivant s’étend entre deux faits qui me sont donnés : la naissance et la mort. Ainsi « Je ne
puis donc me saisir que comme ‘déjà né’ et ‘encore vivant’, -saisir ma naissance et ma mort que
comme des horizons prépersonnels : je sais qu’on naît et qu’on meurt, mais je ne puis connaître ma
naissance et ma mort » (Merleau-Ponty, 1945 p. 260). Si nous portons notre attention sur la
naissance, nous sommes confrontés à un fait passant parfois inaperçu : tout être humain adulte est
vivant parce qu’il y a eu quelqu’un qui a voulu qu’il continue à exister76. Nous pouvons justifier cette
affirmation dans le récit de Luc. Le récit utilise les verbes qui font référence au corps de Jésus à la
voix passive, et notamment dans l’allusion au geste de Marie d’envelopper Jésus dans les langes

76
L’idée m’est venue grâce à la conversation que nous avons eu avec Arturo Reynoso, SJ.
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

(v.7)77. Cette action concrète constitue une protection minimale qui rend la vie possible. Elle montre
un souci pour la vie d’autrui sans lequel Jésus ne peut pas survivre78. Un minimum d’amour est 29
indispensable pour maintenir en vie un enfant, cette affirmation n’est pas pieuse mais ontologique 79.

Soigner un enfant rejoint le besoin de lui donner un sens pour comprendre les différents événements
de la vie : il faut que le nouveau-né apprenne à s’engager dans le monde physique et social. Ces
horizons de compréhension sont aussi donnés, ils appartiennent à la préhistoire de chacun d’entre
nous80 et ils sont reçus grâce à notre être au monde. Dans le récit de Luc nous découvrons que le
sens de tout le récit se trouve dans le corps du nouveau-né. Notamment à deux moments : 1. Au
moment de la circoncision. 2. Dans le récit des bergers.

La circoncision (Lc. 2,21) est une marque faite dans le corps pour établir le lien entre le corps de
Jésus et l’histoire d’Israël. Ainsi le monde de l’Ancien Testament est marqué dans le corps de Jésus.
La circoncision dans ce contexte a une double interprétation : d’une part elle est comme le signe de
la promesse à laquelle a cru Abraham81; et d’autre part comme l’accomplissement de la loi (Lv. 12,3).
La circoncision façonne ainsi dans le corps le monde vécu. Dans le monde d’Israël, ce geste acquiert
une dimension théologique : la circoncision indique que ce corps correspond à un fils d’Abraham.
Cette coupure sert de mémoire, à lui rappeler qu’il est héritier des promesses faites par Dieu au père
du peuple. Elle implique qu’un homme porte dans son corps la marque le liant à la loi du Seigneur,
née au sein de l'histoire d’un peuple concret, et qui affirme que cet homme appartient au peuple élu
par Dieu82. Bref par cette marque corporelle Jésus reçoit son identité de juif.

La péricope de la naissance nous présente l’insertion du récit des bergers (Lc. 2, 8-18), établissant le
lien entre le corps de l’enfant et l’accomplissement de l’Ancienne Alliance, reconnu par autrui. Le
signe donné aux bergers pour reconnaître le Messie est : « *…+ un nouveau-né enveloppé de langes
et couché dans une crèche. » (Lc. 2,12). Il s’agit d’une référence à Is. 9, 1-6. Ce texte-ci se situe dans
un contexte de promesse, celui de libérer les tribus du Nord de la Palestine qui contraste avec un
passé d’humiliation (Is. 9,1), pour délivrer les déportés. Elle se concrétisera grâce au « Jour de

77
Cfr. Annexe 3. C.
78
Les deux récits évangéliques de la naissance se rejoignent. Le récit de la naissance chez Mathieu est plus
explicite, notamment lorsque Joseph prend la fuite vers l' Egypte. (Mt. 2,13-21)
79
« Cherchons à voir comment un objet ou un être se met à exister pour nous par le désir ou par l’amour et
nous comprendrons mieux par là comment des objets et des êtres peuvent exister en général. » (Merleau-
Ponty, 1945 p. 191)
80
« Ce n’est pas un acte personnel par lequel je donnerai moi-même un sens neuf à ma vie. Celui qui, dans,
l’exploration sensorielle, donne un passé au présent et l’orient vers un avenir, ce n’est pas moi comme sujet
autonome, c’est moi en tant que j’ai un corps et que je sais ‘regarder’. Plutôt qu’elle n’est une histoire
véritable, la perception atteste et renouvelle en nous une ‘préhistoire’.» (Merleau-Ponty, 1945 p. 287).
81
Il représente la fécondité promisse par Dieu de multiplier les nations (Gn. 17, 12).
82
Cfr. Annexe 3. C.
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

YHWH ». Il arrivera que ce jour-là viendra grâce à un enfant qui apportera la paix (Is. 9,5). Cet enfant
est de la race royale de David (Is. 9,6)83. Cette référence montre l’espérance messianique appliquée à 30
Jésus dans le récit de Luc et ce, à plusieurs reprises (Lc. 2, 4.8.11-12.14.16)84. Ce qui étonne dans la
construction du récit de Luc –de même que dans la prophétie d’Isaïe – est le fait que le corps du
nouveau-né sert à découvrir la présence de Dieu et sa gloire parmi le peuple (Lc. 2, 9.13-14).
Autrement dit la gloire de Dieu (invisible) se rend présente dans le corps du nouveau-né et le corps
visible est reconnaissable dans sa vraie identité grâce à la Gloire de Dieu qui enveloppa les bergers
dans sa clarté (Lc. 2,9). Ainsi ceux-ci sont capables de reconnaître dans ce corps enveloppé de langes
et couché dans une crèche (Lc. 2, 12) un « Conseiller-merveilleux, Dieu-fort, Père-éternel, Prince-de-
paix » (Is. 9,5 en relation à Lc. 2, 14). La gloire de Dieu leur ouvre les yeux pour voir le phénomène :
ce petit-là est le Messie. Cette capacité de voir le phénomène les pousse à ouvrir aussi les yeux des
autres. Premièrement ceux de Marie (v.19) qui approfondit sa compréhension85. Deuxièmement
ceux de « tous ceux qui les entendirent » (Lc. 2, 18).

En résumé, la passivité du corps dans la naissance nous apprend que tout nouveau-né a besoin d'un
minimum de soin pour vivre, soin tout à fait physique (dans le récit, il faut l’envelopper de langes).
Même s'il est indispensable il ne suffit pas car le nouveau-né a aussi besoin de sens pour vivre. Ce
sens est marqué dans le corps même. Le récit de Luc le rend présent à deux reprises : 1. Le monde de
l’Ancien Testament marque son corps grâce à la circoncision. 2. Le corps reçoit son identité grâce à la
reconnaissance des bergers. Ils découvrent l’identité du nouveau-né grâce à la gloire de Dieu. Ainsi la
passivité du corps à ce niveau tout à fait concret, nous laisse devant une deuxième passivité : « je me
trouve déjà situé et engagé dans un monde physique et social » (Merleau-Ponty, 1945 p. 418). A
partir de cette nouvelle compréhension nous pouvons faire nôtres les mots de Merleau-Ponty: « Le
premier des objets culturels et celui par lequel ils existent tous, c’est le corps d’autrui comme porteur
d’un comportement » (Merleau-Ponty, 1945 p. 406)

2. La passivité du corps dans le monde.


Analysons d'un point de vue phénoménologique la deuxième passivité, celle du corps au monde.
Grâce à notre existence corporelle nous avons à chaque instant en nous le monde. Autrement dit
nous découvrons un accès au monde à chaque instant, même s'il n'est pas pensé86. Cette affirmation
implique que nous avons une totalité de relations ouvertes ne constituant jamais de système achevé.
Nous sommes toujours dans un contexte de sens et de relations déjà donnés, qui sert de fondement

83
Cfr. (L'École Biblique de Jérusalem, 1998 p. 1300)
84
Cfr. Annexe 3. B et C.
85
Dans l’anthropologie biblique le cœur est l’organe de la raison. Cfr. Annexe 3.C.
86
Cfr. (Merleau-Ponty, 1945 p. 385)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

pour vivre la vie87. Ainsi chacun d’entre nous ne peut être isolé du monde, et ceci implique deux
conséquences : 1. Mon corps est capable de voir et il est susceptible d’être vu aussi par les autres88. 31
2. Ce que je vois est vu par d'autres. Nous pouvons donc dire qu’autrui et moi sommes habités par
une visibilité commune89 qui nous fait reconnaitre que nous habitons le même monde. Un monde
naturel certes, mais aussi un monde culturel ; les deux se retrouvent dans ma vie personnelle jusqu'à
pénétrer le centre de ma vie90. « Il nous faut donc redécouvrir, après le monde naturel, le monde
social, non comme objet ou somme d’objets, mais comme champ permanent ou dimension
d’existence : je peux bien m’en détourner, mais non pas cesser d’être situé par rapport à lui. Notre
rapport au social est, comme notre rapport au monde, plus profond que toute perception expresse
ou que tout jugement » (Merleau-Ponty, 1945 p. 420)

Le monde du récit est celui de l’Ancien Testament certes, mais il ne coïncide pas tout à fait avec lui.
En effet l’utilisation du matériel vétérotestamentaire à l’intérieur du récit, à notre avis, montre
l’avènement d’un phénomène nouveau qui utilise les catégories anciennes pour l’expliquer parce
qu’il n’existe pas d'autres critères pour comprendre cette nouveauté91.

Afin de donner une base solide à cette affirmation nous relirons le texte à partir de l’analyse que
nous venons de faire du monde. Sachant que le récit est déjà une construction théologique, il nous
permet de voir quel est le monde retenu comme signifiant pour la théologie de Luc. Pour avoir une
perspective phénoménologique du sujet il nous faudra une compréhension de l’espace et du temps.
Notre lecture cherchera celle de l’espace vécu (où) et du temps vécu (quand). Ainsi nous nous
interrogerons sur le quand et le où de la naissance de Jésus92.

i. L’ « où » du corps : l’espace vécu


Dès la naissance nous sommes en communication perpétuelle avec le monde. Elle est plus vieille que
la pensée et nous situe dans le vertige de la contingence93 : « Nous avons dit que l’espace est
existentiel ; nous aurions pu aussi bien dire que l’existence est spatiale, c'est-à-dire que, par une
nécessité intérieure, elle s’ouvre sur un ‘dehors’ à tel point que l’on peut parler d’un espace mental

87
« Nous avons l’expérience d’un monde, non pas au sens d’un système de relations qui déterminent
entièrement chaque événement, mais au sens d’une totalité ouverte dont la synthèse ne peut pas être
achevée.» (Merleau-Ponty, 1945 pp. 264-265)
88
Cfr. (Merleau-Ponty, 1964 p. 191)
89
(Merleau-Ponty, 1964 pp. 187-188)
90
(Merleau-Ponty, 1945 pp. 404-405)
91
Annexe 3. B. C et D.
92
Cfr. Claudel, Art poétique. Cité par Merleau-Ponty. (Merleau-Ponty, 1964 p. 140)
93
« L’espace et en général la perception marquent au cœur du sujet le fait de sa naissance, l’apport perpétuel
de sa corporéité, une communication avec le monde plus vieille que la pensée. *…+. La labilité des niveaux
donne non seulement l’expérience intellectuelle du désordre, mais l’expérience vitale du vertige et de la
nausée qui est la conscience et l’horreur de notre contingence » (Merleau-Ponty, 1945 pp. 302-303)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

et d’un ‘monde des significations et des objets de pensée qui se constituent en elles’ » (Merleau-
Ponty, 1945 p. 346). Ainsi nous pouvons en tirer deux conséquences : d’abord l’espace est le moyen 32
qui permet l’existence du monde94. Deuxièmement l’espace est l’ancrage qui rend possible la
perception95. L’espace devient alors un horizon inséparable de notre existence corporelle donnant
sens aux vécus. Il y a plusieurs niveaux dans l’espace, et dans le récit analysé on en trouve quatre qui
dévoilent le rapport entre le corps et le monde : 1. Les espaces immédiats au corps. 2. Les espaces
géographiques. 3. Les espaces sociaux. 4. L’espace entre « le plus haut du ciel » et « la terre
habitée ».

Les espaces immédiats au corps situent Jésus presque en dehors des limites de l’humanité. En effet
Jésus n’a pas de lieu pour naître (Lc. 2,7). Par conséquent Jésus naît dans une crèche. Le corps du
nouveau-né est placé à l’endroit où mangent les animaux, autrement dit dans un endroit marginal.

Deuxièmement, nous trouvons un espace géographique, à savoir : la ville de David (Lc. 2, 4.15).
L’élection n’est pas aléatoire, le fait de placer le corps d’un nouveau-né marginal dans ce contexte
géographique montre une intention théologique de la part de l’auteur. D’une part le corps est situé
au sein du peuple d’Israël. Nous ne sommes pas chez un peuple très significatif dans l’histoire
antique car il est dominé par des puissances étrangères. En outre à l’intérieur de ce peuple, le corps
se trouve dans la ville de David qui peut être Jérusalem ou Bethléem96. La préférence pour la
deuxième ville nous est donnée par le contexte de l’espérance d’un Messie davidique. Cependant
l’auteur préfère les origines humbles et marginales du futur roi. Il était un berger (1Sm.16, 11). Ainsi
l’espace géographique détermine un style de messianisme : encore une fois il est marginal.

Troisièmement le corps du nouveau-né se situe dans un espace social car situé à la marge de
l’humanité, il est reconnu comme le Messie par les marginaux. Les bergers –ceux qui habitent en
dehors de la ville, aux champs (avgraulou/ntej) – sont ceux qui reçoivent le message de l’ange de Dieu qui
va leur permettre de reconnaître le nouveau-né. Dans les récits de la naissance des grands
personnages de l’Antiquité, on fait souvent allusion à des faits extraordinaires97. Cependant ce qui
est étonnant est le fait de placer ces événements parmi les marginaux.

Enfin tous ces espaces peuvent être compris d’une autre manière si nous considérons l’espace situé
entre le plus haut du ciel et la terre (Lc. 2,14). La révélation du plus haut du ciel trouve sa place dans

94
Cfr. (Merleau-Ponty, 1945 p. 290)
95
Cfr. (Merleau-Ponty, 1945 p. 297)
96
Selon Meier il est une information historiquement probable que la naissance ait eu lieu dans cette ville. Cfr.
Annexe 3. C et D et (Meier, 2005 pp. 136-138)
97
Cfr. (Meier, 2005 pp. 130-131)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

le contexte concret de la terre, dans le corps d’un nouveau-né marginal. Ainsi tous les lieux dont
nous venons de parler sont enveloppés par la Gloire de Dieu et deviennent des lieux de révélation. 33

Ainsi par cette analyse phénoménologique de l’espace de la naissance nous découvrons une nouvelle
perspective de la révélation dans la naissance de Jésus : Il se situe dans un espace marginal.
Autrement dit l’ancrage qui rend possible la perception de la gloire de Dieu pour tous les hommes
réside dans le corps d’un nouveau-né marginal. Précisément là où nous attendons la gloire
spectaculaire nous est donné un Dieu situé à la marge. Cette constatation est un vrai
bouleversement pour toutes les attentes du messianisme d’Israël et aussi pour les nôtres. Autrement
dit si nous considérons que du point de vue phénoménologique le monde façonne notre identité,
l’élection des endroits marginaux constitue profondément l’identité de Jésus. Les lieux où le corps de
Jésus se situe sont éloquents. : La gloire de Dieu se révèle à nous dans le corps d’un tout petit
marginal.

Certes les récits de la naissance sont tout à fait isolés du reste du Nouveau Testament. Cependant
l’espace que nous avons dévoilé dans l’analyse phénoménologique de la naissance ne me semble pas
être un hapax. Au contraire cet espace peut nous aider à mieux comprendre la manière dont Jésus a
vécu son corps et surtout quelle bonne nouvelle il nous apporte.

ii. Le « quand » du corps : le temps vécu


Le corps est situé aussi par rapport au temps (quand). Le temps devient un horizon incontournable
dans lequel se développe la vie98. Ainsi si le corps nous ouvre au monde, la vie dans le monde est
temporelle, il nous faut donc analyser la relation entre le corps et le temps : « Dans chaque
mouvement de fixation, mon corps noue ensemble un présent, un passé et un avenir, il sécrète du
temps, ou plutôt il devient ce lieu de la nature où, pour la première fois, les événements, au lieu de
se pousser l’un l’autre dans l’être, projettent autour du présent un double horizon de passé et
d’avenir et reçoivent une orientation historique » (Merleau-Ponty, 1945 p. 287). Cependant cette
fixation du corps dont parle Merleau-Ponty nous met en contact avec une structure temporelle de
l’être au monde, précisément parce que le corps me place parmi l'ensemble des autres perceptions
qui donnent sens aux miennes99. Cette temporalité commune nous situe dans l’histoire, alors que la
temporalité naturelle sert de base pour l’histoire –car elle la rend possible – et constitue une menace
–car le temps rend l’oubli possible100.

98
(Merleau-Ponty, 1945 p. 471)
99
Cfr. (Merleau-Ponty, 1945 p. 112)
100
Cfr. (Merleau-Ponty, 1945 p. 404)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

Cette compréhension anthropologique nous permet de découvrir que le corps de Jésus est aussi lié
au temps car son corps a laissé des traces dans les récits évangéliques. En prenant en compte la 34
dimension de passivité, nous pouvons découvrir plus nettement dans la naissance le lien entre le
corps et le temps. Ainsi dans le récit de la naissance nous discernons plusieurs niveaux : 1. Le temps
du corps lui-même. 2. Le temps social du récit. 3. Le temps lié à l’Ancien Testament ; et 4. Le temps
de l’intervention de Dieu. Analysons chacun d'eux.

Le temps du corps lui-même est marqué dans le corps de Marie : « *…+ les jours furent accomplis où
elle devait enfanter» (Lc. 2, 6). Le récit de Luc nous montre l’irruption intempestive du corps, il nous
sollicite d’une manière impérieuse. Sollicitation que nous ne pouvons pas nier car là, elle devient
urgente. Cette sollicitation n’est pas toujours respectueuse des autres niveaux du temps101.

Le corps est situé dans un temps social. Le corps du nouveau-né fait irruption à un moment concret :
« en ces jours-là » (Lc. 2, 1). Ainsi Jésus naît entre les années 8-6 de notre ère. Dans l’espace
géographique dans lequel le récit a lieu, le temps est marqué par la domination romaine sur Israël.
Elle se fait plus explicite dans ce récit –en raison du recensement (Lc. 2,2). Nous sommes donc devant
un temps politique troublé.

Mais Luc l'interprète d’une autre manière. Il est considéré à partir du lien avec le monde de l’Ancien
Testament102. C'est-à-dire ce temps lié à la promesse faite par Dieu à Israël. Ainsi à partir de la
référence au corps du nouveau-né (Lc. 2,11 en relation à Is. 9, 1-6), le temps lié au passé de l’Ancien
Testament est transformé. Ce temps devient un « aujourd’hui » (Lc. 2, 11) qui est l’accomplissement
des promesses messianiques. Le temps passé est lié au temps propice à l’intervention de Dieu, en
tant qu’accomplissement des promesses faites à Israël.

A partir de l’analyse phénoménologique sur le temps de la naissance nous voyons que le temps de
Dieu est lié aux contingences du corps (le temps de l’accouchement) qui sont incontournables. Il est
situé dans un contexte social qui n'est pas idéal pour l’arrivée du Messie. Cependant en raison de
l’interaction de Dieu « en ces jours-là », il s’opère une transfiguration du temps. En effet ce temps
devient le temps propice à l’accomplissement des promesses faites à Israël, reconnu par une
communauté et faisant le lien entre « ces jours-là » et notre temps.

b. L’activité : le nom de Jésus comme germe de son activité


De même que nous avons montré l’importance de la dimension de passivité dans la naissance, de
même nous sommes conscients de ne pas subir le monde comme une donnée étrangère, mais

101
Ces dimensions urgentes, intempestives et pas du tout respectueuses des autres dimensions du temps
apparaissent plus clairement dans le cas de la mort. Cfr. §12.
102
Annexe 2.C
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

comme constituant notre être. Ce monde nous donne une spontanéité s’actualisant en chaque
action103. Autrement dit le monde n’est que reçu, il est la condition de possibilité d’une activité qui 35
s’actualise à chaque instant de la vie. Analysons maintenant l’activité de la naissance.

La possibilité d’agir est fondée sur la liberté. C'est elle qui détermine notre manière d’être au monde.
De même que le corps nous situe dans le monde, notre liberté doit avoir une manière de ne pas
devenir une abstraction, elle a besoin d’une concrétion (être au monde)104, que notre condition
corporelle rend possible. Nous sommes déjà dans un monde donné où autrui est déjà là, cependant
nous ne sommes pas déterminés par autrui sauf si nous lui accordons librement une valeur105.

A partir de la notion de liberté nous pouvons trouver dans le récit de la naissance de Jésus deux
moments d’activité par rapport au corps : 1. Les actions corporelles qui visent à conserver la vie de
l’enfant. 2. Le corps est nommé : Jésus.

Les actions corporelles –qui sont passives du côté de Jésus– ont comme agent Marie. Elles106 tendent
à protéger la vie de Jésus. La réponse active et libre de Marie envers la sollicitation de la passivité de
Jésus fait d'elle une mère107. En d’autres termes la passivité de l’enfant, en tant que telle, mobilise la
liberté de Marie, ce qui l'incite à agir pour préserver la vie de l'enfant ; l’activité de Marie permet que
Jésus continue à être au monde ce qui lui donne son identité de mère.

D'un point de vue phénoménologique, le nom constitue le corps en tant que tel. En effet, le fait de
nommer un être humain est reconnaître son statut en tant que tel (autrement dit il s’agit d’une
affirmation très importante : « tu n’es pas une chose »). Du point de vue de l’exégèse le nom (Lc.
2,21) indique une destination de la part de Dieu108: La destination de cet enfant est de devenir
Jésus « Dieu qui sauve ». Dans le récit l’activité du nouveau-né est réduite au minimum, elle est
uniquement une possibilité. La réalisation de l’accomplissement passe par la fragilité de la liberté
humaine. Autrement dit ce nom prendra son sens de destination dans la mesure où la liberté de
Jésus fera parvenir le salut par la façon dont il habite son corps109.

103
Cfr. (Merleau-Ponty, 1945 p. 490)
104
Cfr. (Merleau-Ponty, 1945 p. 448)
105
«Tout ce que je ‘suis’ par le fait de la nature ou de l’histoire, -bossu, beau ou Juif, - je ne le suis jamais tout à
fait pour moi-même, comme nous l’expliquons tout à l’heure. Et sans doute je le suis pour autrui, mais je
demeure libre de poser autrui comme une conscience dont les vues m’atteignent jusque dans mon être ou au
contraire comme un simple objet.» (Merleau-Ponty, 1945 p. 498)
106
Enfanter Jésus (Lc. 2, 6-7), envelopper de langes Jésus (Lc. 2, 7)
107
« ¿ Y esta mujer,[no tuvo] a un niño/ por constructor de su evidente sexo? » Poème « Un hombre mira a
una mujer » (Vallejo, 2001 p. 154)
108
Cfr. Annexe 2.C.
109
« Le prétendu motif [de la liberté] me pèse pas sur ma décision qui lui prête sa force.» (Merleau-Ponty, 1945
p. 498)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

*
36
Cette compréhension de la naissance nous permet de découvrir une clé herméneutique nous aidant
à comprendre le corps de Jésus : sa vie est une appropriation libre et corporelle du nom qu'on lui a
donné à l’origine. C’est ainsi que Jésus a planté sa tente parmi nous.

Cependant si nous considérons que la manière dont Jésus a vécu son corps est le modèle pour vivre
le nôtre (Breton) se pose alors la question suivante : Quelle est l’invitation qui surgit de cette
considération ? « Et, de naissance en naissance, nous arriverons bien, nous-mêmes, à mettre au
monde l’enfant de Dieu que nous sommes ; car l’incarnation pour nous c’est de laisser la réalité filiale
de Jésus s’incarner dans notre humanité, dans mon humanité à moi. » (Chergé, 1997 p. 298).
Cependant cette réponse doit être encore approfondie. Mais elle suppose d'abord d'approfondir la
question : comment Jésus s’est-il approprié de façon libre et corporelle le nom qui lui a été donné à
l’origine ?

§6. La croissance : Luc 2, 40.52.


Nous aimerions répondre à la question suivante : Comment Jésus (le Dieu qui sauve) a-t-il planté sa
tente parmi nous ? Par le corps du nouveau-né qui vient au monde, qui lui est donné, et qui est
appelé à devenir actif. A partir de cette considération, nous avons formulé la clef herméneutique
pour interpréter la vie de Jésus dans les termes suivants : l’appropriation libre et corporelle de son
nom : Jésus. Nous pouvons ainsi reformuler la question autrement : Comment Jésus (le Dieu qui
sauve) s’approprie-t-il librement le destin reçu dès l’origine ? Y répondre implique analyser le
processus permettant de parvenir à cette appropriation corporelle, et ce, dans le cas de Jésus.
Analysons donc les sources qui nous y donnent accès.

Nous nous appuierons sur deux versets : Lc. 2, 40 et 52. La conclusion de Meier à propos de ces
textes est claire : des récits de l’enfance de Jésus, il n’existe presque aucune affirmation historique
sûre. Il est possible cependant de risquer quelques hypothèses qui indiquent le milieu culturel dans
lequel Jésus a grandi ; celles-ci constituent des affirmations historiques générales insuffisantes pour
la compréhension du corps de Jésus. En tout cas Meier reconnaît que : « *…+ la plus saine théologie
chrétienne affirme que, à l’exception du péché, Jésus a connu toute expérience fondamentale faisant
partie du développement physique et psychologique de tout être humain. » (Meier, 2005 p. 154)110.

110
L’affirmation s'appuie sur le texte biblique de la lettre aux Hébreux : « Car nous n'avons pas un grand prêtre
impuissant à compatir à nos faiblesses, lui qui a été éprouvé en tout, d'une manière semblable, à l'exception du
péché. » (Hb. 4, 15).
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

En restant fidèles à ce principe herméneutique, nous essaierons de faire une analyse


phénoménologique du développement du corps de Jésus111. 37

Cependant notre accès à Son corps est plus limité à cette période de sa vie qu’à d'autres. En effet
nous n’avons accès au corps de Jésus que grâce aux traces historiques qu’il a laissées dans les récits
de l’Évangile de Luc. L’analyse phénoménologique portera donc sur les références corporelles faites à
propos du corps de Jésus dans ces récits. Nous essaierons de mieux comprendre les versets de Luc
2,40.52 dans le contexte de ceux qui les entourent afin de découvrir la dynamique de l’ensemble.
Nous le ferons en trois étapes : 1. Le corps du nouveau-né, 2. Le corps de Jésus à l’âge de 12 ans. 3.
Le corps de Jésus au moment où il commence sa vie publique. Il sera intéressant d'observer d'un
point de vue phénoménologique le passage de la première étape à la deuxième et de celle-ci à la
troisième. Nous essayerons de montrer la manière dont la croissance se développe en une
succession de temps propices incitant Jésus à vivre son corps de manière de plus en plus active.
Nous montrerons comment un regard phénoménologique sur ce processus peut nous éclairer sur le
ministère de Jésus112.

a. Le corps du nouveau-né
Commençons par l’analyse de Luc 2,40. La péricope de la reconnaissance de Jésus par Siméon et
Anne –qui précède le verset en question – nous montre Jésus encore nouveau-né. En effet Marie et
Joseph amènent Jésus à Jérusalem (v.22) où il est consacré (v.23). Siméon, le juste, le prend dans ses
bras (v.28), et regardant le corps du nouveau-né (v.30) il loue Dieu. De la même manière qu’Anne –
la veuve– parla de Jésus à tous ceux qui se trouvaient dans le temple (v.38). Ainsi le corps de Jésus
présente les mêmes caractéristiques qu'au moment de la naissance. Nous les rappelons brièvement :
un corps qui a besoin des premiers soins pour rester en vie et qui est passif. Son activité n’est qu’une
possibilité ouverte, ce que souligne le récit avec l’utilisation de temps future pour parler de Jésus.

Dans ce contexte Luc. 2, 40 sert de lien entre deux péricopes parce qu'il montre le passage progressif
de la prééminence de la passivité à celle de l’activité. Les verbes « grandir » et « fortifier » donnent
cette impression. Mais pour bien comprendre de manière phénoménologique la croissance de Jésus,
il nous faut considérer la péricope qui suit ce verset : les premières paroles de Jésus au temple de
Jérusalem113.

111
La méthode phénoménologique est plus radicale que la méthode historico-critique pour deux raisons :
D’une part, nos affirmations sur cette période de la vie de Jésus ne font pas violence à l’histoire. D’autre part, la
méthode phénoménologique nous permet d'affirmer une manière de s'approprier le monde –à partir de notre
expérience– qui nous permet de faire le lien avec notre vécu et la vie de Jésus.
112
Cfr. Annexe 2.D.
113
Cfr. Annexe 2.B et D.
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

b. Le corps de Jésus { l’âge de 12 ans.


Dans cette deuxième péricope nous découvrons Jésus à l’âge de douze ans et voyons qu’à ce 38
moment-là, la manière dont il vit son corps est plus active. En effet les références corporelles à Jésus
dénotent ce passage114.

Si nous observons la dynamique du deuxième chapitre de Luc, nous pouvons dire que le nom qui
était un «principe d’activité» devient une appropriation progressive vers l’affirmation d’un « je
peux »115. La croissance peut être définie comme l’appropriation de cette capacité d’intervention
sensée dans le monde. Cette appropriation n’est pas une abstraction, elle se produit « en » et
« grâce » au corps. Ainsi le corps rend possible une motricité qui se révèle de deux manières, dans les
mouvements de Jésus et par son discours ; pouvoir réaliser ces activités implique la compréhension
du sens qui n'est possible au début que grâce à la motricité.

Nous montrerons le rapport entre la compréhension et la motricité : la première forme de


compréhension n’est pas théorique, mais vient d'une motricité qui met en situation le monde
vécu116. Par conséquent nous ne sommes pas d’abord et principalement des spectateurs du monde
(kosmosqeoroj), mais nous sommes impliqués dans ce monde grâce à la motricité. Celle-ci nous
rappelle que : « Les choses, ici, là, maintenant, alors, ne sont plus en soi, en leur lieu, en leur temps,
elle n’existent qu’au bout de ces rayons de spatialité et de temporalité, émis dans le secret de ma
chair, et leur solidité n’est pas celle d’un objet pur que survole l’esprit, elle est éprouvée par moi du
dedans en tant que je suis parmi elle et qu’elles communiquent à travers moi comme choses
sentante » (Merleau-Ponty, 1964 p. 153). Ainsi le sens du monde se comprend grâce à la motricité117.

Cette compréhension kinétique des choses implique la reconnaissance de la dimension corporelle de


la connaissance. « Un mouvement est appris lorsque le corps l’a compris, c’est-à-dire lorsqu’il l’a
incorporé à son ‘monde’, et mouvoir son corps c’est viser à travers lui les choses, c’est le laisser
répondre à leur sollicitation qui s’exerce sur lui sans aucune représentation. La motricité n’est donc
pas comme une servante de la conscience, qui transporte le corps au point de l’espace que nous
nous sommes d’abord représenté. » (Merleau-Ponty, 1945 pp. 173-174). Ainsi nous sommes
capables de comprendre nous-mêmes que nous avons un corps ou plus précisément que nous

114
Annexe 2.D.
115
Cfr. (Merleau-Ponty, 1945 p. 147 et 171)
116
(Merleau-Ponty, 1964 pp. 27-28)
117
« Le sens et le corps propre offrent le mystère d’un ensemble qui, sans quitter son eccéité et sa
particularité, émet au-delà de lui-même des significations capables de fournir leur armature à toute une série
de pensées et d’expériences » (Merleau-Ponty, 1945 p. 159).
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

sommes par ce corps en prise avec un monde118. Le système de significations (horizon de sens) qui
est le monde, nous ne le percevons que grâce à la manière dont nous nous mouvons dans nos 39
corps119. Nous recevons d'une part la manière passive de vivre le corps, notamment grâce au monde
culturel, dans les termes présentés à propos de la naissance, d'autre part la manière active qui se
manifeste de deux façons : La première apparaît grâce à la spontanéité rendue pertinente dans le
monde120, grâce à la dimension dynamique du schéma corporel121. La deuxième vient de ce qui reste
des actions précédentes que nous-mêmes avons réalisées et notamment dans l’habitude122.

Dans la péricope des premières paroles de Jésus au temple, la motricité de Jésus est présente à
plusieurs reprises dans le récit. Jésus fait un aller et retour de Nazareth à Jérusalem (v. 42. 51). Dans
la ville de Jérusalem il va au temple (v. 43.46) où il est assis entre les docteurs (v.40). Cela implique
implicitement que Jésus est capable de marcher, mais aussi d'écouter (v.40) et de parler (v.47), qu'il a
acquis la motricité propre du langage. En effet nous trouvons là les premières paroles dites par Jésus,
selon l’Evangile de Luc (v.49). Comme cette motricité se manifeste de manière plurielle, il nous faut
distinguer ces différentes façons afin de préciser notre analyse.

La distinction entre les mouvements abstraits et les mouvements concrets –proposée par Merleau-
Ponty– permet de montrer les enjeux théologiques impliqués dans la motricité du corps de Jésus. Il
faut d'abord comprendre les deux catégories : « le fond du mouvement concret est le monde donné,
le fond du mouvement abstrait est au contraire construit » (Merleau-Ponty, 1945 p. 141)

Les mouvements concrets sont les réponses physiques de notre corps aux sollicitations immédiates
faites par le monde donné. Ces mouvements attirent le monde vers celui qui le réalise, leur
dynamique est donc centripète.

Les mouvements abstraits ont une dynamique centrifuge puisqu’ils constituent une projection de la
part de celui qui les réalise vers le monde. A partir des idées de Merleau-Ponty, nous découvrons
trois niveaux d'abstraction dans cette deuxième catégorie de mouvements : le premier niveau est la
projection de celui qui exécute l’action, en tant que sujet. Il faut rappeler que nous ne sommes pas
du tout dans le dualisme du sujet/objet, mais dans la compréhension d'un être humain corporel qui

118
« En somme, mon corps n’est pas seulement un objet parmi tous les autres objets, un complexe de qualités
sensibles parmi d’autres, il est un objet sensible à tous les autres, qui résonne pour tous les sons, vibre pour
toutes les couleurs, et qui fournit aux mots leur signification primordiale par la manière dont il les accueille »
(Merleau-Ponty, 1945 p. 283. et Cfr. p. 356).
119
Cfr. (Merleau-Ponty, 1945 p. 162).
120
Cfr. (Merleau-Ponty, 1945 pp. 162-163).
121
Cfr. 2.B.
122
«Mais justement le phénomène de l’habitude nous invite à remanier notre notion du ‘comprendre’ et notre
notion du corps. Comprendre, c’est éprouver l’accord entre ce que nous visons et ce qui est donné, entre
l’intention et l’effectuation –et le corps est notre ancrage dans un monde. » (Merleau-Ponty, 1945 p. 180).
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

est au monde. Ainsi le deuxième niveau est constitué à partir de la constatation qu' : « Il est donc
bien vrai que toute perception d’une chose, d’une forme ou d’une grandeur comme réelle, toute 40
constance perceptive renvoie à la position d’un monde et d’un système de l’expérience où mon corps
et les phénomènes soient rigoureusement liés. » (Merleau-Ponty, 1945 p. 357). La projection de
l’individu fait donc référence au monde vécu : le monde naturel certes, mais surtout le monde social.
Ainsi dans la manière dont nous habitons notre corps n’apparait pas seulement le sujet isolé mais
aussi l’être humain qui est au monde. Finalement un troisième niveau d’abstraction consiste en la
consécration. Afin de l’expliquer Merleau-Ponty prend l’exemple du musicien : « En réalité ses gestes
[ceux du musicien] pendant la répétition sont gestes de consécration : ils tendent des vecteurs
affectifs, ils découvrent des sources émotionnelles, ils créent un espace expressif comme les gestes
de l’augure délimitent le templum » (Merleau-Ponty, 1945 p. 181). Les mouvements abstraits
n’accusent pas seulement une projection du sujet qui est au monde, ils sont aussi expressifs pour
autrui. Le corps –affirme Merleau-Ponty– est capable de manifester des noyaux expressifs nouveaux,
grâce aux mouvements abstraits notamment dans les arts123. Cependant l’art n’est pas l’unique
espace dans lequel apparaissent ces capacités expressives. En effet, il nous semble que l’exemple de
l’art est une manifestation privilégiée d’une capacité plus répandue chez l’être humain. Celui-ci, à
partir de ses actions motrices et notamment de la motricité déployée par la parole, est capable de
créer des noyaux d’expression nouveaux124.

Cette distinction nous permet de découvrir la révélation du récit de Luc à partir du corps de Jésus.
Les mouvements concrets (les déplacements géographiques, le fait de marcher et de s’asseoir) nous
montrent que Sa motricité était identique à celle des autres êtres humains en bonne santé. Cette
constatation nous met à l'abri de toute tentative de docétisme. A partir de la notion des
mouvements abstraits nous voyons comment ces actions concrètes –dans le cas de Jésus–
deviennent la manière dont Dieu-même se donne totalement à nous par le corps de Jésus. Grâce à la
compréhension des mouvements comme possibilité expressive capable de créer des noyaux
expressifs originaux, nous découvrons que ces actions concrètes deviennent la façon dont Jésus
consacre sa motricité au Père. En effet nous trouvons la clef herméneutique dans le verset dans
lequel Jésus parle : « Et il leur dit : " Pourquoi donc me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas que je
dois être dans la maison de mon Père ? " » (Lc. 2, 49). Cette question dans ce contexte semble plutôt
une affirmation : elle donne une vision nouvelle des autres actions corporelles parce qu’elle nous

123
« Le corps est notre moyen général d’avoir un monde. Tantôt il se borne aux gestes nécessaires à la
conservation de la vie, et corrélativement il pose autour de nous un monde biologique ; tantôt, jouant sur ces
premiers gestes et passant de leur sens propre à un sens figuré, il manifeste à travers eux un noyau de
signification nouveau : c’est le cas des habitudes motrices comme la danse » (Merleau-Ponty, 1945 p. 182).
124
Cfr. (Merleau-Ponty, 1945 pp. 462-463).
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

révèle les motifs imputés à la décision (activité) de Jésus125. Ainsi les mouvements concrets de Jésus
situent dans le monde : il marche à Jérusalem ; il reste trois jours ; il est assis entre les docteurs, dans 41
le temple. Ces mouvements deviennent abstraits et montrent une décision libre de Jésus ; autrement
dit, la projection d'une décision libre de Jésus au monde. Cette manière de vivre le corps nous révèle
donc qu'Il assume de façon active le monde d’Israël. Ce nouveau rapport au corps constitue la
différence avec le récit de la naissance et la péricope de la reconnaissance par Siméon et Anne.
Néanmoins la phrase du verset 49 ouvre des vecteurs affectifs et des espaces expressifs qui
établissent un lien entre Jésus et le Père. Autrement dit l’espace expressif -dans lequel ces
mouvements sont situés- est un espace compris à partir d’une relation avec son Père. Cette
affirmation montre que Jésus s’approprie un espace situé entre le plus haut du ciel et la terre donné
dès la naissance. Ainsi ses mouvements sont consacrés au Père, consécration qui constitue la source
de la motricité de Jésus en tant que motivation, en tant qu’horizon d’interprétation, en tant que
source à partir de laquelle il développe pleinement toutes les possibilités humaines du « je peux ». Or
ce qui est surprenant, c'est le fait que cette consécration abstraite se réalise par des mouvements
concrets: marcher, s’asseoir et parler.

En résumé, nous dirons que le processus de croissance de Jésus consiste à s'approprier


progressivement et corporellement une motricité abstraite de consécration des mouvements
concrets vers un espace expressif ouvert grâce à sa relation avec son Père. Cette relation aboutit à
une sédimentation des actions qui révèle la spontanéité de Jésus à chaque moment de sa vie.

Nous pouvons, à partir de cette lecture du texte, en tirer deux conséquences. La première est sur la
méthodologie de lecture des récits évangéliques. Il est évident que les auteurs des Évangiles ne nous
montrent pas tous les mouvements de Jésus, mais les actions qui appartiennent plutôt à cet espace
de consécration au Père. Cette découverte pose la question suivante : Quels sont les espaces
expressifs ouverts par le corps dans les récits de la vie de Jésus, grâce à son corps? Qu’expriment-ils ?
La deuxième question permet de voir que cette consécration n'est qu'en germe et qu'il faudra donc
aller jusqu’au bout de sa vie pour découvrir la manière dont il a vécu dans son corps cette habitude
de consécration, ce qui évitera les généralisations qui même si elles sont vraies, ne sont pas
suffisamment pertinentes (relevants) pour notre recherche.
125
« Le motif est un antécédent qui n’agit que par son sens, et même il faut ajouter que c’est la décision qui
affirme ce sens comme valable et qui lui donne sa force et son efficacité. Motif et décision sont deux éléments
d’une situation : le premier est la situation comme fait, le second la situation assumée. » (Merleau-Ponty, 1945
p. 308)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

c. Le corps de Jésus au moment où il commence sa vie publique


Cette péricope aboutit à une porte ouverte sur le reste de la vie active de Jésus. En effet Lc. 2, 52 42
nous montre que Jésus doit encore grandir avant de commencer son activité : le substantif h`liki,a|
que la Bible de Jérusalem traduit comme « taille », peut être traduit par « âge » ou « maturité ».
Nous sommes donc devant un corps qui prend du temps avant d’accéder à sa maturité. Jésus n'évite
pas ce processus de maturation commun à tous les êtres humains. Le temps en tant que période
pour arriver à la plénitude propice qui se manifeste sous la forme d’attente ; le temps en tant que
durée pour réaliser les diverses activités de la vie quotidienne qui se manifeste dans le corps sous la
forme de fatigue ; le temps propice où enfin Jésus commence son ministère public, etc. A notre avis
toutes ces dimensions du temps sont incluses dans cet obscur verset. Ainsi le constat de sa taille est
renforcé par la structure de l’Evangile qui repousse le début de son ministère public jusqu'à Lc. 4, 14-
15. Le texte de Lc. 3, 1-4,13 en constitue la préparation126. Notre analyse se poursuivra par le
ministère public. Nous essaierons de répondre à la question suivante: Comment se développera cette
première compréhension motrice du monde dans son ministère public ?

§7. « Aujourd'hui s'accomplit à vos oreilles ce passage de l'Écriture. » :


L’itinéraire de notre recherche { partir de la lecture de Luc. 4, 14-30
Le moment de l’attente et de la préparation finissent avec une nouvelle affirmation : « Aujourd'hui
s'accomplit à vos oreilles ce passage de l'Écriture. » (Luc 4, 21) qui vient compléter celle de Luc 2, 49.
La confirmation du texte d’Isaïe 61 constitue une manifestation forte de l’identité de Jésus.
Cependant si le but de notre investigation consiste à déterminer la façon dont Jésus a vécu son corps,
-et cela a impliqué une compréhension motrice de son corps, nous devrons répondre à la question :
Comment Jésus a-t-il développé sa motricité afin d’accomplir l’Écriture ? Cet accomplissement
suppose qu’il veut planter sa tente parmi nous grâce à une manière de plus en plus active d’habiter
son corps, ce qui établit un espace expressif ouvert par la relation avec son Père, et dont les
mouvements concrets Lui sont consacrés. Cette motricité n’est pas une relation fermée entre Jésus
et son Père, mais une ouverture sur les autres. C'est pourquoi il nous faudra analyser le corps dans le
ministère public de Jésus.

Nous prendrons Luc 4, 14-30127 qui constitue un texte programmatique pour l’interprétation du
ministère public de Jésus. Nous analyserons ce texte à partir de trois points de vue : 1. L’activité de
Jésus nous montre son identité. 2. Elle est comprise à partir du monde de l’Ancien Testament. 3. Elle

126
Cfr. Annexe 2.D
127
Nous utiliserons la péricope telle qu’elle est présentée dans la structure de « La Biblia del Peregrino »
(Schökel, 1998, pp. 164-165)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

est destinée à des personnes qui ont des réactions contradictoires face à la personne et au message
de Jésus : les uns se réjouissent et les autres le rejettent128. 43

Jésus est un maître qui parle en public et fait de guérisons guidé par l’Esprit Saint. L’identité de Jésus
se manifeste d’abord grâce à son activité. Elle commence dans l’espace physique de Galilée129 : Il
enseigne dans les synagogues et réalise des miracles. Par conséquent Jésus peut être considéré
comme maître et thaumaturge130. Dans la péricope la figure du maître est présentée par Nolland
dans la position du corps de Jésus. En effet la lecture des Écritures à la synagogue se fait debout
(avne,sth) (Lc. 4, 16) ; par contre l’enseignement se fait assis (evka,qisen) (Lc. 4, 20) ; cette dernière
posture constitue celle du maître (Mt. 23, 2. 26.55)131. Son enseignement est complété par une
activité liée aux miracles, exigés implicitement comme témoignage de son autorité dans v. 23 132.
Deux miracles y sont mentionnés : une multiplication des pains (v. 24-25) et la guérison d’un lépreux
(v.27).

L’ensemble de cette activité est réalisée sous le guide de l’Esprit133. En effet l’Esprit n’est pas
uniquement présent les miracles ; il se retrouve aussi dans l’interprétation des Écritures. Après le
baptême, l’Esprit sera une présence constante de sa vie134. Ainsi du point de vue de la théologie
phénoménologique l’Esprit Saint est celui qui rend possible l'ouverture du champ de consécration de
tous les mouvements vers le Père. L’Esprit Saint est donc celui qui permet d’établir et maintenir la
relation entre Jésus et son Père, c'est-à-dire d'habiter l’espace entre le ciel et la terre. Cette identité
présentée par l’évangéliste contraste avec celle dont les habitants de Nazareth justifient Jésus, le fils
de Joseph (Lc. 4,22).

Afin de découvrir la vraie identité de Jésus nous devrons recourir au monde de l’Ancien Testament.
Normalement les exégètes ont considéré que la citation du deuxième livre d’Isaïe fait référence au
Serviteur de YHWH ; cependant le passage cité (Is. 61, 1-2. 58, 6) ne correspond à aucun de ces
cantiques, ainsi la relation n’est pas adéquate135. L’activité de Jésus peut être donc liée à l’activité des

128
Cfr. (Fitzmayer, 1981, p. 529).
129
« It is only now that the area takes on an important significance in the Lucan Gospel. Though Luke shares
with Mark and Matthew the story of a single journey of Jesus to Jerusalem, he alone makes it an important
literary feature in his travel account (9:51) » (Fitzmayer, 1981, p. 522). Cependant la référence à Galilée est
déjà un lien avec les récits de l’enfance narrative, notamment Lc. 2, 39-40. 51-52. Cfr. (Nolland, 1989, p. 195).
130
Cfr. (Nolland, 1989, p. 188).
131
Cfr. (Nolland, 1989, p. 198)
132
Cfr. (Schökel, 1998, p. 164).
133
Cfr. (Fitzmayer, 1981, p. 522).
134
C'est le moment où l’Esprit descendit « sous une forme corporelle, comme une colombe » sur Jésus dans le
baptême (Lc. 3, 21-22). « This descriptive addition is found only in the Lucan account of the baptism. It has
nothing to do with anti-Docetic concern, but is intended rather to convey the reality of the presence of the
Spirit to Jesus ». (Fitzmayer, 1981, p. 484).
135
Cfr. (Fitzmayer, 1981, p. 529).
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

prophètes136 : notamment dans les miracles cités qui le comparaient à Elias (Lc. 4, 25-26) et Elisée
(Luc 4, 27). Certes le caractère prophétique est prédominant dans le texte, mais la citation du 44
deuxième Isaïe nous place aussi dans le contexte messianique de l’Ancien Testament137.

Cette considération est en accord avec les affirmations faites à propos des actions. En effet Jésus est
présenté comme un prophète oint pour être la figure décrite par Isaïe : le messager de la salvation de
Dieu138. Cependant la citation nous dévoile plusieurs particularités étonnantes. D’abord le texte fait
une citation sui generis du matériel vétérotestamentaire, car il supprime certaines parties d’Isaïe
61,1.2139. Par conséquent le sens du texte en est modifié puisque l’« aujourd’hui » (Lc. 4, 21) qui est
au commencement de l’explication de Jésus n’est pas un « jour de vengeance », mais le jour de
proclamation du salut de Dieu, sans le caractère de justicier qu’on trouve dans la prophétie
originale140. Ainsi le récit qui devient l’accomplissement de la bonne nouvelle pour les pauvres, les
prisonniers, les aveugles et les opprimés est fondé sur la personne de Jésus, sur ses mots et ses
actions141.

Les paroles d’Isaïe sont prononcées pour donner un cadre à l’activité de Jésus ; elle est destinée aux
marginaux. Ainsi le lieu de la naissance –qui était marqué par la marginalité dans les termes déjà
explicités– devient un lieu d’action envers les marginaux142. Les actions proposées sont concrètes et
corporelles. Autrement dit, la bonne nouvelle est accomplie grâce à des actions corporelles143.

Les références des v. 20-21 sont -pour les auditeurs de la lecture- de vrais témoignages de
l’accomplissement de la parole de Dieu. Elles sont liées à des perceptions corporelles de la bonne
nouvelle annoncée par Jésus, plus précisément des paroles sorties de sa bouche (Lc. 4, 22)144. La
réaction à cette annonce est contradictoire. Dans un premier temps, c'est une réaction d’admiration
(evqau,mazon). Cependant devant le refus de Jésus à accomplir des miracles, comme ceux qu’il avait
déjà faits à Capharnaüm (Lc. 4, 24-27), les gens réagissent violemment (Lc. 4, 28-30). La dernière

136
Cette comparaison est fondée sur l’onction (Lc. 4, 18). Cfr. (Fitzmayer, 1981, p. 530).
137
Cfr. (Nolland, 1989, p. 196).
138
Cfr. (Nolland, 1989, p. 202).
139
« The quotation from Second Isaiah is actually a conflation of 61 :1,a,b,d ; 61; 2a. Two phrases are omitted :
61,c “to heal the broken-heart” (at the end of v. 18); and 61,2b, “the day of vengeance of our God” (at the end
of v. 19). » (Fitzmayer, 1981, p. 532)
140
Cfr. (Fitzmayer, 1981, pp. 532-533)
141
Cfr. (Fitzmayer, 1981, p. 529)
142
Cfr. (Fitzmayer, 1981, pp. 532-533)
143
Selon Nolland le Jésus de Luc n’est pas un réformateur social, mais il se soucie par les besoins physiques et
spirituelles de l’être humain Cfr. (Nolland, 1989, p. 197). Certes dans la péricope à partir de l’analyse
exégétique il n’y a aucune référence politique ni de reformes sociales. Cependant l’application pastorale de
l’affirmation exégétique cache le risque de la négation des soucis réels, car aujourd’hui dans notre contexte
nous ne nous pouvons pas soucier vraiment d’autrui sans une réflexion réelle sur les conditions de vie sociales
et politiques des marginaux.
144
Cfr. (Fitzmayer, 1981, pp. 534-535)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

réaction est une préfiguration narrative de la fin de son ministère qui se terminera sur la croix (Lc. 23,
26)145. La lecture théologique faite par Fitzmayer nous montre qu’il s’agit de l’opposition démoniaque 45
qui met en danger la vie de Jésus, mais Lui, « passant au milieu d’eux » continue son chemin, et ainsi
sa mission146.

A partir de cette analyse de la théologie biblique nous pouvons dire que Jésus est un prophète qui
annonce le salut de Dieu aux marginaux, grâce à ses paroles et ses actions. Elles se réalisent grâce au
corps. Nous pouvons tracer l’itinéraire qui répondra à la question posée auparavant : Comment Jésus
a-t-il développé sa motricité afin de planter sa tente parmi nous ? Sa motricité consécratoire se
décline de deux manières à partir de Luc 4 : les paroles du maître et les actions thaumaturgiques de
Jésus. Ces actions provoquèrent des réactions contradictoires parmi les témoins. Si nous considérons
celles qui ont suscité l’admiration, nous comprendrons qu’elles proviennent de ceux qui ont reconnu
dans ces actions une autorité. Laquelle ? Celle d’un prophète ? Celle d’un maître ? Celle d’un
thaumaturge ? Ces titres sont-ils essentiels pour comprendre l’identité de Jésus ? Il nous faudra
approfondir l’autorité de Jésus pour mieux comprendre son identité. C'est pourquoi elle est liée à
l’action expressive de la parole qui est inséparable de l’action expressive ainsi que de l’activité de
thaumaturge. Ces actions corporelles présentent chacune des particularités. C'est pourquoi nous
devrons ensuite analyser la capacité expressive de Jésus. Ainsi nous essaierons de répondre à la
question suivante: Comment Jésus a-t-il prononcé ces paroles pour que ses auditeurs reconnaissent
en lui un enseignement nouveau ? Quelle est cette nouveauté ? Quel est son fondement ?
Autrement dit, nous essaierons de répondre phénoménologiquement à la question: Quelle est
l’autorité de Jésus ?

§8. L’autorité de Jésus : Le corps en tant qu’expression en Luc 5, 24.


Nous verrons comment la motricité « éloquente » que Jésus s'approprie de façon de plus en plus
active va prendre une telle importance et un tel sens que les gens qui écoutent sa parole et voient
ses actions vont reconnaître dans sa personne, Dieu-même. Si nous utilisons l’adjectif « éloquent »
c'est pour définir une motricité qui communique. Cependant pour percevoir les enjeux théologiques
de ces réactions nous devons bien comprendre la signification du mot evxousi,a dans le contexte
l’Evangile de Luc.

145
Cfr. (Fitzmayer, 1981, p. 538; Nolland, 1989, p. 200)
146
Cfr. (Fitzmayer, 1981, pp. 538-539)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

a. Le terme evxousi,a chez l’Evangile de Luc.

Le mot evxousi,a mérite un effort de précision parce que c'est un terme polysémique147. Considérerons
46
les enjeux théologiques du terme lorsqu’il est utilisé par Jésus et lorsqu’il est appliqué à Jésus lui-
même.

D’abord le sens traditionnel. Il se trouve en Lc. 12,5148 lorsque Jésus parle de l’autorité. Il s’agit d’un
pouvoir eschatologique pour juger après la mort, et qui constitue le fondement du pouvoir de la loi
et du pouvoir politico-religieux de l’époque (evxousi,a)149. Cette autorité eschatologique n’appartient
qu’à Dieu150. Ces mots dans la bouche de Jésus sont typiques du vocabulaire juif de l'époque.

En tant que manifestation de la puissance de l’Esprit, en Lc. 4,32 les paroles de Jésus provoquent
l’admiration151 (evxeplh,ssonto), c'est pourquoi le terme evxousi,a est appliqué à Jésus parce qu’il parlait
avec autorité152. L’interprétation de Nolland sur ce verset nous semble intéressante : l’autorité dans
ce passage nous montre deux aspects du ministère de Jésus : les paroles et les actions. Il s’agit plutôt
de l’accomplissement d’une action par la parole de Jésus et dans ce cas précis l’expulsion d’un esprit
impur153. Cette autorité qui permet de faire des actions supra naturelles154 est liée à la « puissance de
l’Esprit » (Lc. 4,4)155. Ainsi dans la parole de Jésus et dans ses actions nous trouvons l’action salvifique
de Dieu, en tant que pouvoir visible grâce à son action corporelle156. Toutefois l’action réalisée
n'autorise pas à assimiler Jésus au pouvoir de Dieu. Ceux qui appliquent ce terme à Jésus respectent
la distinction entre le pouvoir souverain de Dieu (evxousi,a) et l’action d’un homme qui expulse les
esprits impurs en Son Nom (evxousi,a).

Enfin, l’autorité est liée au pardon des péchés. Dans « La guérison d’un paralysé, signe de pardon »
(Lc. 5, 17-26)157, Jésus guérit dans un contexte conflictuel avec les Pharisiens et les docteurs de la loi
(Lc. 5,17). Le conflit est synthétisé au verset 24158. Les paroles de Jésus cette fois-ci sont liées au titre
ambigu de « Fils de l’homme »159. Selon l’interprétation de Schöckel, Jésus commet dans le contexte

147
Nous systématisons la pluralité de sens qui présentent les termes dans l’Annexe 4.
148
Cfr. Annexe 4.b.1.1.
149
Dans ce cas-ci nous utilisons le terme en tant qu’autorité politique et religieuse pour l’exercice d’une
fonction, qui est précisément le sens utilisé par les représentants du pouvoir dans la formulation de la question
de Luc 20,2. Cfr. Annexe 4.a ; b.2.2 et b.3.2
150
Dans le contexte de la péricope, il s’agit d’une invitation à la confiance en Dieu, car Dieu est un Père
.
providentiel. Cfr. (Fitzmayer, The Gospel according to Luke X-XXIV, 1985, p. 959)
151
La traduction de la Bible de Jérusalem nous semble juste : « ils étaient frappés »
152
Cfr. Annexe 4.b.1.3. et b.2.1.
153
Cfr. (Nolland J. , 1989, p. 206)
154
Cfr. (Gehard Kittel, editor, 1984, p. 571)
155
Avec laquelle Jésus a été oint dans le baptême (Luc 4, 18) Cfr. (Fitzmayer, The Gospel according to Luke I-IX,
1981, p. 544)
156
Cfr. (Nolland J. , 1989, p. 206)
157
Nous prenons le titre de la péricope de la traduction œcuménique. (TOB, 2004, p. 2483)
158
Cfr. Annexe 4 b.2.1.
159
Le titre est ambigu parce qu’il peut signifier « un homme quelconque », mais aussi il peut être lié au
personnage apocalyptique du livre de Daniel (Dan. 7, 13)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

juif, un acte blasphématoire160. En effet dans la mentalité de l’époque les maladies sont liées au
péché ; ainsi l’utilisation de la formule passive du Psaume 32, 1-2161 est considérée comme la prise 47
sur soi d’une prérogative réservée à Dieu (YHWH)162. L’autorité de Jésus (evxousi,a) devient une
affirmation de son identité. Le « fils de l’homme » a l’autorité de pardonner les péchés, donc il est
Dieu. Cette affirmation nous révèle sa vraie identité163.

Cette troisième utilisation du terme est conflictuelle dans le contexte juif dans lequel Jésus est né car
par celui-ci, Jésus remet en cause les croyances religieuses des Juifs et défie le pouvoir politique.
Cela est clair en Lc. 20,2. La question de l’autorité se résume par celle du « Qui es-tu ? » Ou plus
précisément : pour qui te prends-tu ? Cette discussion est comprise dans toute sa force dans la
mesure où elle est mise en rapport avec la péricope précédente : « Jésus entre dans le Temple et y
exerce son autorité » (Luc 19, 45-48)164. L’expulsion de « ceux qui vendaient » (Lc. 19, 45) est une
action d’autorité ; cependant Jésus n’a pas cette autorité (evxousi,a)165. Ainsi cette action justifie les
questions des grands prêtres, des scribes et des anciens ; les trois groupes appartenaient au Grand
Conseil qui exerçait le pouvoir religieux de l'époque166. Il en émerge une double question : d’une
part il s’agit de savoir quelle est l’autorité de Jésus, d’autre part d’établir qui la lui a donnée.
L’objectif de ces groupes est d’affirmer qu'effectuer des actions appartenant au domaine de Dieu
relèvent du blasphème, et ce, afin de condamner Jésus, mais de manière très ambigüe car dans le
dernier récit le problème n’est pas vraiment le fait de l’autorité de Dieu. A la fin il est réduit au fait
que cet homme qui n’a pas d’autorité se place au-dessus de l’autorité religieuse.

En résumé, dans l’Evangile de Luc, le mot evxousi,a est utilisé soit dans le sens traditionnel, soit pour
affirmer l’identité divine de Jésus qui lui permet de se situer au-dessus de l’autorité politique. Cette
affirmation n’est pas une déclaration verbale mais un amalgame profond des actes et des paroles,
qui, prononcées avec autorité, sont aussi liées aux actions de Jésus. Ainsi du point de vue
phénoménologique nous apprenons que la capacité d’expression du corps ne se réduit pas qu’aux
mots mais qu'elle est présente dans tout le corps qui communique. A partir de l’analyse du terme
evxousi,a nous découvrons une motricité active qui cherche la communication. En effet elle se produit
grâce à la manière dont Jésus habite son corps et qui nous révèle le sens de son ministère.

160
Lévitique 24, 10-16. Cfr. (Schökel, 1998 p. 167)
161
« Heureux qui est absous de son péché, acquitté de sa faute!/ Heureux l'homme à qui Yahvé ne compte pas
son tort, et dont l'esprit est sans fraude! » (Psaume 32, 1-2)
162
Isaïe 43, 25 et Psaume 130,4. Cfr. (Schökel, 1998, p. 167)
163
De cette manière le récit de Luc utilise les termes de maître, prophète et thaumaturge mais qui constituent
une manifestation de la propre divinité de Jésus.
164
(TOB, 2004, p. 2537)
165
Cfr. Notes 149-150
166
Autrement dit tous les trois possèdent l’evxousi,a politique fondée sur un pouvoir religieux. Cfr. (Schökel,
1998, p. 210)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

b. Le corps comme l’esthétique de Dieu : les actions et les paroles de Jésus.

Analysons d'un point de vue phénoménologique la capacité expressive du corps afin de découvrir la
48
manière dont Jésus communique de lui-même. Par le lien étroit entre actions et paroles nous
découvrons que « le corps convertit en vocifération une certaine essence motrice, déploie en
phénomènes sonores le style articulaire d’un mot, déploie en panorama du passé l’attitude ancienne
qu’il reprend, projette en mouvement effectif une intention de mouvement parce qu’il est un
pouvoir d’expression naturelle » (Merleau-Ponty, 1945 p. 221). A partir de cette compréhension
phénoménologique nous pouvons affirmer que les mots ne sont pas une conceptualisation de la
réalité, mais qu’ils sont liés à l’existence qui la précède167. Leur principale utilité nous permet
d’habiter au monde. Comme si les mots étaient un nouveau monde, un champ dans lequel nous
pouvons habiter168. Ainsi le langage –et plus spécifiquement l’action de parler– est l’activité motrice
la plus abstraite de l’être humain car elle lui permet de constituer en monde humain tous les
environnements : le monde naturel et le monde culturel.

A partir des analyses du terme « autorité » nous voyons qu’il existe une harmonie parfaite entre la
motricité de Jésus et ce qui se révèle par ses paroles car elles accomplissent une action déjà réalisée
(Lc. 20, 20) ou qui se réalisera (Lc. 5,24) par son corps. Cet accomplissement instaure une nouvelle
manière d’habiter le monde.

Celle-ci nous dévoile deux dimensions du langage : l'une qui correspond à ce qui est reçu grâce à lui ;
l'autre qui suppose la créativité. Ainsi nous sommes devant une relation entre activité et passivité en
ce qui concerne l’expression du corps169. Par conséquent le monde nouveau instauré par Jésus réside
dans l’articulation de ces deux dimensions. Comment s’articulent-elles dans son ministère ?

Comme la passivité constitue une partie fondamentale de la capacité expressive du corps, il faut
reconnaître que : « Nous vivons dans un monde où la parole est instituée. Pour toutes ces paroles
banales, nous possédons en nous-mêmes des significations déjà formées » (Merleau-Ponty, 1945 p.
224). A partir des idées de Merleau-Ponty nous pouvons constater que la plupart des paroles que
nous prononçons sont reçues grâce au monde que nous habitons. En effet grâce au langage nous
recevons les significations communes qui servent de référence pour établir le sens des mots entre les
sujets parlants. Ainsi pour Merleau-Ponty les langages sont les dépôts et sédimentation des actes de

167
La parole est donc toute entière motrice et toute entière intelligence. Cfr. (Merleau-Ponty, 1945 p. 222).
Dans le même sens : « Comme le monde est derrière mon corps, l’essence opérante est derrière la parole
opérante aussi, celle qui possède moins la signification qu’elle n’est possédée par elle, qui n’en parle pas, mais
la parle, ou parle selon elle ou la laisse parler et se parler en moi perce mon présent. » (Merleau-Ponty, Le
Visible et l'invisible, 1964, p. 158)
168
Cfr. (Merleau-Ponty, 1945 pp. 222-223)
169
Dans cette perspective activité et passivité ne font pas référence à l’activité ou passivité dans l’action
motrice du corps. Dans ce sens les deux manières de vivre le corps par rapport au langage sont des formes
actives. La distinction fait référence à l’appropriation du monde social : la passivité correspond à une
appropriation qui assume le monde culturel donné. L’activité correspond à une proposition créative d’habiter
le monde fondée sur les éléments assumés.
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

parole dans lesquels les mots trouvent leur sens170. Cette sédimentation produit une syntaxe et un
vocabulaire171. Dans les utilisations d’evxousi,a la première et la deuxième manière d’utiliser ce mot 49
correspondent à cette dimension passive parce qu'il s’agit d’une parole parlée (instituée)- en tant
qu’elle utilise les acquis reçus de ce monde172.

Cette parole parlée nous permet d’affirmer que la passivité du langage nous montre jusqu'où Jésus
assume la façon humaine d’être au monde grâce à son corps. Un monde reçu et habité –grâce au
langage, notamment grâce à la parole – qui nous donne un certain nombre de possibilités
expressives et qui nous prive des autres. Cette ouverture est un phénomène unique parce que même
si nous parlons plusieurs langues il n’y en a une qui reste celle dans laquelle nous habitons,
autrement dit, nous appartenons uniquement à un monde qui s’exprime dans ce langage173. Habiter
ce monde grâce au langage implique que le corps nous situe immédiatement dans la position
d'assumer un monde social174 ou culturel.

Ainsi nous sommes devant un paradoxe parce que Jésus (le Dieu qui sauve) -qui offre un salut pour
tout le monde– décide de communiquer de lui-même en assumant les limites imposées par le
langage ; tous les équivoques et tous les glissements que toute langue possède175. Autrement dit
Jésus risque la fragilité du langage parce que sans lui il lui serait impossible de communiquer de lui
avec les êtres humains. Cependant il ne reste pas prisonnier de ces conditionnements culturels.

Comme la liberté des actions corporelles se manifeste dans l’utilisation active et créative du langage,
il en utilise un spécifique pour que les spectateurs comprennent ses paroles et ses gestes176, Il
inaugure cependant une façon nouvelle de vivre le corps en nous montrant une autre manière d’être
au monde. En effet nous pouvons découvrir une manière créative d’habiter le corps qui ouvre vers
un monde nouveau177.

Cette dimension active est présente notamment grâce à la parole. « La parole est donc cette
opération paradoxale où nous tentons de rejoindre, au moyen de mots dont le sens est donné, et de

170
Cfr. (Merleau-Ponty, 1945 pp. 226-227).
171
Cfr. (Merleau-Ponty, 1945 pp. 223-224)
172
Cfr. (Merleau-Ponty, 1945 p. 225)
173
La question de Meier sur la langue parlée par Jésus devient phénoménologique car elle interroge le monde
habité par Jésus. Cfr. (Meier, 2005). Cependant je crois que s’ouvrir au monde est plus complexe que découvrir
la langue parlée. En effet les distinctions culturelles ne sont pas tellement nettes entre les cultures il y a
beaucoup d’influences réciproques comme le montre aussi Octavio Paz. Cfr. (Paz, 2001 pp. 33-53)
174
Dans le même sens Paul Beauchamp nous dit : « ‘Inculturation’, selon notre texte, est une ‘composante’
d’’Incarnation’. *…+ Incarnation dit ‘Dieu homme’. ‘Inculturation’ dit ‘Dieu cet homme’ et non d’abord comme
homme individuel mais en tant, précisément, qu’il ne peut être cet homme que par cette société qui n’est pas
comme les autres sociétés. » (Beauchamp, 2007 p. 194).
175
(Merleau-Ponty, 1945 pp. 228-229).
176
Cfr. (Merleau-Ponty, 1945 p. 225)
177
« L’opération d’expression, quand elle est réussie, ne laisse pas seulement au lecteur et à l’écrivain lui-
même un aide mémoire, elle fait exister la signification comme une chose au cœur même du texte, elle la fait
vivre dans un organisme de mots, elle l’installe dans l’écrivain ou dans le lecteur comme un nouvel organe des
sens, elle ouvre un nouveau champ ou une nouvelle dimension. » (Merleau-Ponty, 1945 pp. 222-223).
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

significations déjà disponibles, une intention qui par principe va au-delà et par lesquels elle se
traduit. » (Merleau-Ponty, 1945 p. 449). D’une part la parole nous est donnée et nous la recevons ; 50
d’autre part elle nous permet, à partir de celles-ci, d'en faire une utilisation plus créative. Autrement
dit le langage nous donne la possibilité d’utiliser les éléments de la grammaire et du vocabulaire pour
sortir des réponses stéréotypées : « Dès que l’homme se sert du langage pour établir une relation
vivante avec lui-même ou avec ses semblables, le langage n’est plus un instrument, n’est plus un
moyen, il est une manifestation, une révélation de l’être intime et du lien psychique qui nous unit au
monde et à nos semblable. » (Merleau-Ponty, 1945 p. 238). Ainsi nous sommes devant une nouvelle
parole, une parole parlante. Elle implique une intention significative et se trouve au stade de la
naissance car elle est capable de faire naître un monde.

Ces interprétations nous permettent de mieux comprendre Jésus. D'une part, Jésus se donne lui-
même grâce à ses actions et ses paroles, et d'autre part la capacité expressive du corps en tant
qu’union des paroles et des gestes, nous donne par le corps de Jésus une esthétique178 de la
révélation de Dieu. Celle-ci permet d'avoir un accès à Dieu de la manière la plus radicale que nous
puissions avoir, à savoir, en écoutant avec les oreilles, en voyant avec les yeux et en touchant avec
les mains le corps de Jésus. Les autres affirmations théologiques sur Jésus ne peuvent empêcher de
faire référence à ce constat essentiel. Ainsi dans l’expressivité du corps celui qui exprime se donne
lui-même. Par conséquent Jésus nous apporte une esthétique de Dieu lui-même. Dieu devient un
Dieu qui permet de le sentir et pas uniquement de le penser. Afin de bien saisir cette phrase il faut se
souvenir que le corps est comparable à l’œuvre d’art. Celle-ci a besoin de la matière pour exister179
de la même manière que le corps, comme nous l'avons déjà explicité. Et au même temps l’ouvre
d’art s’interprète elle-même dans cette matérialité. Cette est fait à chaque action toutefois d’une
manière implicite. En effet lorsque Jésus guérit au paralysé il ne fait pas uniquement une guérison.
Voyons l’émission de la parole implique une motricité qui bouge et qui provoque des effets en autrui.
Grâce à l’autorité de Jésus nous pouvons découvrir la fécondité de Dieu. En effet nous
approfondissons grâce au corps ce que signifie la création de Dieu par ses paroles (Genèse 1, 1-3).
L’apport du corps se trouve dans le fait d’éviter la réduction de sa parole à l’émission vocale, la
parole créatrice est prononcée avec le corps tout entier : elle est dite avec les bras qui touchent, avec
les pieds qui marchent, avec les yeux qui regardent et pleurent, avec les entrailles qui frémissent et la
bouche qui parle et mange. Cette « concrétude » s'avère insupportable pour les uns, séduisante pour
les autres.

Cette dimension créatrice de l’utilisation du langage nous permet de mieux comprendre l’ensemble
de l’activité de Jésus. En effet, celle-ci au départ était un nom : Jésus – le Dieu qui sauve- qui
marquait un destin dès la naissance. Durant sa croissance elle est devenue une affirmation encore en

178
Au sens étymologique du terme : αἰσθητικός, sensible.
179
Avec cette considération nous évitons de penser à l’existence d’une pensée intérieure qui existerait avant
l’expression, car même le dialogue intérieur que nous soutenons suppose déjà l’existence de paroles. Cfr.
(Merleau-Ponty, 1945 p. 223)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

germe. À l’approche de son ministère public cette activité impliquera une appropriation créative du
monde reçu pour annoncer une manière nouvelle de l'habiter. Cette action –motrice et verbale – 51
devient alors une vraie expression. « L’expression –dit Merleau-Ponty– est partout créatrice et
l’exprimé en est toujours inséparable. » (Merleau-Ponty, 1945 p. 451). Ainsi par elle Jésus vit tout le
processus qui permet d’acquérir l’activité humaine et la situer dans une nouvelle ouverture au
monde. Autrement dit Jésus peut grâce à son corps établir de nouvelles relations avec Dieu et autrui.

Nous pouvons alors aborder la question suivante : Quel est ce nouveau monde que Jésus nous invite
à habiter ? La question nous aidera à comprendre phénoménologiquement quelle est la bonne
nouvelle annoncée grâce au corps de Jésus, à partir de la notion d’autorité. Pour répondre à la
question nous analyserons l’exousia dans son utilisation la plus créative, en Luc 5, 24180, c'est-à-dire
lorsque Jésus relie l’autorité au pardon des péchés.

c. L’originalité corporelle de l’autorité de Jésus : faire naître un monde.

Nous avons déjà affirmé que la péricope constitue une affirmation de l’identité de Jésus mais elle
n’est pas formulée directement mais à partir du fait de faire naître un nouveau monde. Il se
manifeste dans le corps de Jésus qui guérit un paralytique grâce à la puissance du Seigneur (Lc. 5,17).
C'est-à-dire que la motricité de Jésus permet à un malade d’habiter son corps pleinement et de se
lever (avnasta.j)181. Le sens de cette action vient des paroles de Jésus qui annoncent le pardon des
péchés (Lc. 5,20.2-24). Cette autorité, Dieu seul la possède (Lc. 5,21), d’où le rejet des pharisiens et
des scribes (Lc. 5,21-22).

Ainsi la question Quel est ce nouveau monde que Jésus nous invite à habiter ? Peut être abordée à
partir de trois points de vue. D'abord le corps de Jésus comme révélateur de Dieu, ensuite le corps
comme lieu pour faire naître un monde, enfin le corps guéri comme manifestation de l’autorité de
Jésus. Ces trois perspectives nous permettront de dévoiler profonde originalité de l’autorité de
Jésus.

L’affirmation Jésus est Dieu nous est donnée grâce à la manière créatrice d’habiter son corps.
Autrement dit « On a toujours remarqué que le geste ou la parole transfiguraient le corps, mais on se
contentait de dire qu’ils développaient ou manifestaient une autre puissance, pensée ou âme. On ne
voyait pas que, pour pouvoir l’exprimer, le corps doit en dernière analyse devenir la pensée ou
l’intention qu’il nous signifie. C’est lui qui montre, c’est lui qui parle *…+» (Merleau-Ponty, 1945 p.
239). Ainsi dans cette péricope l’ensemble des paroles et des actions –notamment le pardon des
péchés– nous révèlent l’identité de Jésus car implicitement s’affirme sa divinité182. L’action d’un

180
Ces éléments «inhabituels » permettent à Meier d’affirmer la véracité historique du texte. Cfr. (Meier, 2007
pp. 496-497)
181
Forme verbale participe aoriste active nominative masculin singulier du verbe : avni,sthmi qui correspond au
même verbe utilisé par Luc pour décrire la résurrection des morts.
182
Nous voyons ici confirmée à partir de l’économie du corps l’intuition de Gesché comme le corps chemin de
Dieu. (Adolphe Gesché et Paul Scolas, 2005 pp. 36-40)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

corps, le sien, devient la manifestation de son identité ou pour ainsi dire cette activité constitue son
identité. Il nous faudra donc analyser les effets de cette activité sur le monde et notamment sur les 52
autres.

L’autorité de Jésus, en tant que manière créatrice d’habiter le corps, nous révèle une façon nouvelle
d’être au monde. C’est le rapport entre Jésus et son Père qui constitue la base pour habiter ce
nouveau monde. Ainsi la motricité « consécratoire » permet d’habiter l’espace entre le plus haut du
ciel et la terre. A partir d’elle l’autorité de Jésus a gagné en concrétude et en sens. En concrétude
parce que cette activité de consécration a des effets sur le monde –notamment dans le corps du
paralysé ; et en sens puisqu’elle ne laisse pas Jésus enfermé dans une affirmation vaniteuse de son
identité. En effet son activité est destinée à produire des effets concrets dans le monde. Autrement
dit les promesses de Luc 4, 18-19 ne reposent pas uniquement sur les paroles de Jésus mais dans les
actes de guérison.

Revenons donc à une des clefs herméneutiques de notre recherche, à savoir que la vie de Jésus est
l’appropriation libre et corporelle du nom donné à l’origine. Son autorité nous manifeste le Dieu qui
sauve en raison des effets que cette action provoque dans le monde grâce à la motricité déployée
par son corps. Cette efficacité dans le monde nous présente l’autorité de Jésus comme créatrice.
Ainsi son ministère public peut être compris à partir de la naissance. Nous ne considérons pas la
naissance au sens corporel du terme, mais en tant qu’activité féconde capable d’engendrer une
manière nouvelle d’habiter au monde.

Cette nouveauté est révélatrice de l’identité de Dieu et de la nôtre. En effet : « Notre identité
d’hommes va de naissance en naissance, de commencement en commencement.»183 (Chergé, 1997
p. 297). Autrement dit chaque action corporelle reconnaît que je suis au monde, un monde reçu
certes, mais aussi un monde dans lequel l’activité de mon corps est capable de faire naître un
monde. Ainsi chaque action est l’affirmation de la naissance d’un monde nouveau, soit dans la
modalité de la passivité, continuation du monde déjà reçu, soit dans modalité de l’activité :
l’instauration d’une manière nouvelle d’être au monde. Il en découle deux considérations : d’abord
l’activité n’implique pas nécessairement un jugement sur la supériorité de l’une sur l’autre ; nous
avons déjà dit que Jésus lui-même vit les deux manières de se rapporter au langage. En suit et par
conséquent, dans le monde vécu nous ne sommes pas tout à fait créateurs ni tout à fait passifs ; dans
la vie nous avançons en oscillant entre les deux.

183
Cette phrase du prieur de Tibhirine synthétise notre critique philosophique de l’analytique existentiel chez
Heidegger. En effet c’était le questionnement final de notre mémoire de premier cycle en philosophie.
Schématiquement voire caricaturalement, la conclusion de notre ce travail fut la suivante : Heidegger propose
que la manière d’exister authentiquement suppose que le Dasein soit tourné vers la mort. Cela provoque la
disposition affective de l’angoisse. En revanche nous avons affirmé que la possibilité de la naissance est aussi
une possibilité existentielle authentique et qu’elle peut nous ouvrir à la disposition affective de l’espérance.
Cfr. (Morgado, 2003, pp. 103-107)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

Dans le cas de la péricope nous sommes devant la modalité active de faire naître un monde. Devant
cette autorité il y a deux manières de se rapporter au corps : celle des pharisiens et des scribes et 53
celle des gens qui portaient le paralytique sur le lit. Chacune nous dévoile des aspects différents et
complémentaires de la naissance.

Les pharisiens et les docteurs de la loi rejettent cette autorité. Ainsi nous voyons que la naissance
d’un monde n’est pas un fait candide et tendre, mais présente au contraire des caractères
conflictuels incontournables. L’originalité rencontre toujours des résistances d’inertie. Nous en
trouvons la meilleure synthèse dans le théâtre de Juan Radrigán184 dans la pièce « Hechos
consumados » (Les faits accomplis) : « Non, si chaque fois je comprends mieux… tu vois, mourir est
facile, on est fait pour cela. *Par contre+ naître est difficile, parce qu’on ne naît pas au moment de
l’accouchement, on naît quand on est capable de vivre… et celui qui veut vivre doit briser un monde
(Pause) Celui qui veut vivre doit briser un monde… D’où me viennent ces idées ? Où ai-je entendu
cela ? Punaise, c’est tellement vrai…» (Radrigan, 1993 p. 186)185. La manière d’habiter le corps de
Jésus casse toute une logique pour la substituer à une autre : Dieu le créateur de l’univers peut
habiter le corps, la chair avec sa finitude et sa fragilité. Devant cela le corps des pharisiens et des
docteurs de la loi s’accroche à la condition de ceux qui exercent l’autorité186 : en tant que maîtres
parce qu’ils restent assis (kaqh,menoi. Lc. 5,17) – ce qui est la position propre des maîtres. Ainsi dans le
récit le rapport corporel à Jésus est une anticipation du conflit qui finira par sa mort.

Le corps nous révèle la confrontation de deux autorités ou de deux niveaux d’autorité. Dans le conflit
la réponse de Jésus est paradoxale. En effet il n’a pas de pouvoir religieux ni politique mais la
manière dont il habite son corps confirme que la sienne est une autorité située au-delà des deux ;
précisément parce que ses paroles provoquent un effet de guérison dans le corps du paralysé.
Cependant cette autorité qui brise les convictions religieuses construites sur l’autorité des pharisiens
et des scribes, permet à l’être humain d'habiter le monde pleinement. En un double sens : dans la
guérison et dans l’action c'est une invitation, non une imposition –car le paralytique reste toujours
libre de ne pas croire et de ne pas se lever. Ainsi la naissance du nouveau monde casse une logique
mais respecte profondément la liberté des personnes187.

184
Juan Radrigan (1937-) dramaturge et écrivain chilien, même s’il n’a pas reçu qu’une formation de collégien
possède une compréhension de la réalité nationale et un style populaire qui lui ont valu plusieurs prix
nationaux et internationaux (y compris en France). Actuellement il est professeur de dramaturgie dans deux
universités prestigieuses de Santiago.
185
La traduction est la nôtre. Elle est vraiment difficile car il s’agit d’un registre de langage très familier. Voici le
texte original : “EMILIO –No, si cada vez me pego más la cachá... Claro po, morir no cuesta na, tamos hechos pa
eso, lo que cuesta es nacer; porque uno no nace cuando lo paren, nace cuando es capaz de vivir... Y el que
quiere vivir tiene que romper un mundo. (Pausa) El que quiere vivir tiene que romper un mundo...¿De aónde
saque eso? ¿Aónde lo oí? Pucha qu’ es cierto...” (Radrigan, 1993 p. 182)
186
Cfr. Annexe 4.b.1.2.
187
Dans le cas de la guérison la violence est absolument éradiquée, cependant dans la péricope « Jésus entre
dans le Temple et y exerce son autorité » (Luc 19, 45-48) ; l’exercice corporel de Jésus est tout à fait agressif.
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

Les gens qui portaient le paralytique sur le lit constituent le paradigme de ce que signifie
l’acceptation de l’autorité de Jésus. Dans le récit ils ne restent pas dans l’admiration (evqau,mazon) car 54
elle ne suffit pas pour reconnaître son autorité. Analysons leurs actions du point de vue de la
phénoménologie. Pour cela il faut analyser le rapport entre les gestes de Jésus et ceux des gens : « Le
geste est devant moi comme une question, il m’indique certains points sensibles du monde, il
m’invite à l’y rejoindre. La communication s’accomplit lorsque ma conduite trouve dans ce chemin
son propre chemin. Il y a confirmation d’autrui par moi et de moi par autrui. » (Merleau-Ponty, 1945
p. 225). Ainsi la guérison de Jésus constitue un geste (Lc. 5,17). La réponse corporelle de ces gens est
très importante : ils portent le lit (Lc. 5,18), montent sur le toit pour éviter la foule, descendent le
corps devant Jésus (Lc. 5,19). Ainsi ils mettent leurs corps –on ne sait même pas combien ils étaient –
en marche pour la reconnaissance. Ces gens –nous ne savons même pas s’ils sont tous des hommes –
reconnaissent dans l’activité de Jésus capable de guérir le paralytique, une certaine autorité. Jésus
voit un groupe qui accomplit des actes sans dire un seul mot. Il reconnaît en eux, leur foi.

A partir de ce rapport corporel, nous pouvons affirmer que ceux qui ont compris intellectuellement
son identité ne bougent pas, ceux qui n’ont pas tout à fait compris bougent. Il nous semble donc que
la compréhension est l’ensemble de l’intelligence et de la motricité. Cependant dans le récit la
deuxième prime sur la première.

Finalement l’autorité se manifeste grâce au corps et engendre aussi des effets dans le corps d’autrui.
Ainsi grâce à l’activité, Jésus donne à un homme la capacité d’habiter pleinement son propre corps
Un corps paralysé est alors capable de se lever (avni,sthmi), il s’agit d’une vraie résurrection
(avna,stasij). Autrement dit, il s’agit du rétablissement de l’ordre dans les relations avec le monde qui
étaient rompues à cause du péché.

L’analyse de l’autorité de Jésus nous a permis de découvrir que : 1. La manière dont le corps nous
révèle l’identité de Jésus en tant que Dieu. 2. La manière créative dont Jésus invite à habiter le
monde autrement. 3. Les différentes manières de répondre corporellement à cette invitation.
Cependant notre analyse s’avère insuffisante pour montrer les effets de l’action de Jésus en autrui.
Pour avancer dans cette optique, il nous faudra analyser l’activité de Jésus à partir des effets qu’il
provoque dans le corps d’autrui.

§9. Les guérisons de Jésus : un corps qui se touche et se laisse toucher (Lc. 8,
40-56)
Nous aimerions répondre dans ce paragraphe à la question suivante : Quels sont pour autrui les
effets de l’action corporelle de Jésus manifestée dans son autorité et qui fait naître un nouveau
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

monde ? L’autorité de Jésus manifestée en un ensemble de paroles et d’actions188 nous mène à nous
demander quels gestes et actions de Jésus sont les plus pertinents pour montrer ces effets ? 55
Choisissons les miracles. Ces actes étonnants qui surpassent leurs capacités humaines189 sont
constitutifs de son message. En effet « On ne peut parler du message de Jésus concernant le
royaume sans être amené tout naturellement à prendre en compte sa mise en pratique des valeurs
du royaume par l’accomplissement de miracles » (Meier, 2007 p. 21). Les miracles présentent trois
caractéristiques : « 1) un événement inhabituel, étonnant ou extraordinaire qui est en principe
perceptible par tout observateur intéressé et impartial 2) un événement qui ne peut pas s’expliquer
raisonnablement par les capacités humaines ou par d’autres forces connues à l’œuvre dans notre
monde du temps et de l’espace ; et 3) un événement qui est le résultat d’un acte particulier de Dieu
faisant ce qu’aucun pouvoir humain ne peut faire. » (Meier, 2007 p. 389). D’après Meier, on peut
grouper les miracles ainsi : « les exorcismes, les guérisons de troubles physiques, les résurrections de
morts et enfin la catégorie fourre-tout de ce que l’on appelle des miracles de la nature » (Meier,
2007 pp. 23-24).

Nous prendrons une guérison et une résurrection parce que ces activités établissent une relation
privilégiée avec le corps d’autrui190. Dans l’Evangile de Luc il y a environ une vingtaine de récits de
guérisons. Quel est le critère pour choisir l'un plutôt que l'autre ? Certes une compréhension radicale
du rapport corporelle de Jésus et de son message suppose une analyse de chacun de ces récits. Une
analyse phénoménologique de cette taille dépasse les possibilités de notre recherche. Cependant
nous pouvons analyser une péricope dans laquelle nous pourrons trouver des éléments qui nous
permettront d'accomplir deux objectifs : d'abord reconnaître les effets du corps de Jésus sur ceux
d’autrui : donner la vie. Ensuite montrer le lien étroit entre le message de Jésus –le royaume de Dieu
– et la manière de vivre le corps.

A partir de ces critères nous choisissons la péricope de Lc. 8, 40-56. Le texte présente deux récits : la
résurrection de la fille de Jaïre et la guérison de la femme hémorroïsse. A l’origine, les deux textes
ont probablement circulé séparément ; or aujourd’hui chez Luc le récit est présenté sous la structure
de « sandwich »191. Ainsi la lecture de chaque récit complète l’autre.

188
Dans cette section pour comprendre la chose-même -les effets des actions corporelles de Jésus sur autrui –
nous utiliserons des disciplines auxiliaires, notamment la psychanalyse et la philosophie sociale. Cette option
méthodologique présente l’avantage d’aider à mieux comprendre le phénomène que nous essayons d'analyser.
Toutefois nous pouvons remarquer une différence dans le langage.
189
Cfr. (Meier, 2007 pp. 386-387)
190
Cfr. (Meier, 2007 p. 495)
191
Cfr. Annexe 5. C.
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

Notre attention se centrera sur la guérison de la femme hémorroïsse. Néanmoins il nous faudra faire
des références au récit de la résurrection de la fille de Jaïre afin de répondre à la question qui nous 56
occupe. Pour développer cette recherche nous proposons de suivre une analyse phénoménologique
du toucher qui nous mènera à réfléchir sur les conséquences de la vue et de l’écoute.

a. Analyse phénoménologique du toucher : la dimension sexuelle du contact.


Les verbes : « toucher » et « prendre » sont importants dans les guérisons chez Luc. En effet ils
traduisent plusieurs expressions grecques. Ces deux actions sont constitutives de la manière dont
Jésus habite son corps en tant que guérisseur192. Nous commencerons l’analyse phénoménologique
du texte à partir de l’action d’un contact physique avec le monde.

Le toucher est le contact avec le monde que nous avons grâce à notre peau. Il produit une sensation.
Celle-ci présente deux caractéristiques principales selon la phénoménologie de Merleau-Ponty, d’une
part elle fait référence à l’intentionnalité et d’autre part elle est caractérisée par sa sacramentalité.
En effet « La sensation est intentionnelle parce que je trouve dans le sensible la proposition d’un
certain rythme d’existence, -abduction ou adduction – et que, donnant suite à cette proposition, me
glissant dans la forme d’existence qui m’est suggérée, je me rapporte à un être extérieur, que ce soit
pour m’ouvrir ou pour me fermer à lui. » (Merleau-Ponty, 1945 p. 258). Elle nous conduit à la
deuxième caractéristique, son caractère sacramentel193. Il implique que le sujet établit une sorte de
sympathie avec les choses qui existent. En effet il n’est pas un sujet qui regard un objet, mais il s’agit
plutôt d’un rapport qui donne un sens à l’autre194. Certes cette définition a un rapport
incontournable avec le fait de mettre en contact notre peau avec le monde. A partir de cette lien
établi entre le corps et ce qui est touché, nous pouvons affirmer que le fait de toucher n’implique pas
uniquement d'avoir un contact cutané avec le monde qui nous donne une certaine quantité
d’informations sur lui195, mais aussi que ce contact a un effet sur celui qui touche. Autrement dit, le
fait de toucher implique une affectivité qui est mise en mouvement ou plus précisément qui est
touchée. En effet : « Être ému, c’est se trouver engagé dans une situation à laquelle on ne réussit pas
à faire face et que l’on ne veut pourtant pas quitter. » (Merleau-Ponty, 1945 p. 115). Ainsi le mot
« toucher » a deux sens : d’une part il est le contact de ma peau avec le monde et d’autre part il est
l’effet affectif qui provoque celui qui touche.

192
Cfr. Tableau de Annexe 5. A.
193
Le terme est utilisé par Merleau-Ponty. Il s’agit du pouvoir d’envoûtement de la sensation qui prend une
partie de mon corps ou mon corps tout entier dans la sensation que je suis en train d’expérimenter. Cfr.
(Merleau-Ponty, 1945 p. 256.258)
194
Cfr. (Merleau-Ponty, 1945 pp. 258-259)
195
Elle est l’huitième fonction du Moi-peau, à partir de la psychanalyse d’Anzieu. (Anzieu, 1985 p. 104). Ces
informations affectent la motricité, la perception et la représentation. Cfr. (Merleau-Ponty, 1945 pp. 195-196)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

Cette deuxième dimension d’affectation est centrale dans le toucher. Sa plus grande expression se
trouve dans la dimension sexuelle du corps196. La phénoménologie de Merleau-Ponty nous révèle 57
une vie sexuelle qui constitue une dimension originale de la perception, de la motricité et de la
représentation. Par conséquent l’expérience repose sur un « arc intentionnel »qui lui donne sa
vitalité et sa fécondité197. Certes la dimension sexuelle de l’existence est très importante, mais il ne
faut pas la considérer comme un épiphénomène qui deviendrait un synonyme de l’existence, ni la
réduire à sa dimension génitale198. « Si l’histoire sexuelle d’un homme donne la clef de sa vie, c’est
parce que dans la sexualité de l’homme se projette sa manière d’être à l’égard des autre hommes »
(Merleau-Ponty, 1945 p. 196). Dans cette relation avec autrui le corps a une place incontournable :
« Le rôle du corps est d’assurer cette métamorphose. Il transforme les idées en choses, ma mimique
du sommeil en sommeil effectif. Si le corps peut symboliser l’existence, c’est qu’il la réalise et qu’il en
est en actualité. » (Merleau-Ponty, 1945 p. 202). Ainsi pour connaître la sexualité de Jésus il faudra
voir la manière dont il a vécu son corps en relation aux autres, notamment dans le contact physique.

Nous essayerons de montrer la manière dont l’action motrice de Jésus se développe dans le contact
physique avec les autres afin de montrer la manière créative dont Jésus l’a vécue. Par elle, nous
découvrirons les effets de ce contact dans le corps d’autrui et pourrons approfondir son dévoilement
grâce à ces effets et ce, dans l’identité de Jésus et son message.

En Lc. 8, 40-56 le contact physique apparait dans deux actions. D'abord la guérison de la femme
hémorroïsse. Ensuite lors de la résurrection de la fille de Jaïre. Le contact physique ne se produit pas
de la même manière. Ils sont complémentaires. En effet dans le premier cas nous sommes devant un
contact où l’activité se trouve du côté de la femme qui souffre la maladie, par contre dans le cas de la
fille de Jaïre l’activité vient de Jésus. Nous pouvons aussi trouver un troisième contact physique avec
Jésus, celui des gens. Pour en faire l’analyse nous respecterons la structure de « sandwich » du texte.
Nous analyserons d’abord le contact physique de Jésus avec les multitudes, ce qui nous montrera
que Jésus ne craint pas ce contact. Dans un deuxième temps nous analyserons la manière dont Jésus
touche la fille de Jaïre, et donnera ainsi l’horizon herméneutique de notre lecture. Finalement nous
approfondirons le contact entre Jésus et l’hémorroïsse.

196
Grâce à la peau le bébé intègre dans ses systèmes psychiques le plaisir libidinal. (Anzieu, 1985 pp. 103-104)
197
Cfr. (Merleau-Ponty, 1945 p. 195)
198
Il s’agit de faire une approximation équilibrée. Dans les termes suivants : « Il n’y a pas de dépassement de la
sexualité comme il n’y a pas de sexualité fermée sur elle-même. » (Merleau-Ponty, 1945 p. 210). Parce que elle
constitue une atmosphère qui naît précisément dans la rencontre avec l’autre. (Merleau-Ponty, 1945 p. 206)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

b. Le contact physique avec les multitudes


La multitude presse et serre Jésus (Lc. 8, 42.45). Il s’agit d’un contact permis ou du moins toléré étant 58
données les circonstances. Il s’agit d’un contact anonyme. Nous pouvons remarquer que l’Evangile
de Luc nous montre que Jésus était suivi par beaucoup de personnes (Lc. 8, 40) que l’activité de Jésus
attirait les gens, que son autorité provoquait l’étonnement et ainsi des réponses motrices, comme
nous l'avons vu à propos de ceux qui portaient le lit du paralytique. Nous remarquons aussi que le
corps de Jésus mis en cette situation de passivité (se laisser toucher) nous dit quelque chose sur lui-
même. En tant que maître, il n’a aucune peur du contact physique. Il sait que parmi les gens qu’il est
en train de contourner il y en a quelques-uns, voire plusieurs, qui ne sont pas purs selon la loi
d’Israël. Cette loi interdit le contact afin de maintenir la relation avec Dieu qui est la vie, aussi
l’interdiction de toucher est-elle une protection devant un danger199. Jésus risque le contact avec les
impurs parce que guérir autrui est plus important que la pureté selon la loi. Le soin pour les autres
est au-dessus de toute interdiction et constitue le centre de la loi.

Ces affirmations ne sont-elles pas uniquement de pieuses constations ? Non. En effet le défi de cette
interdiction prétend à une nouvelle fidélité du commandement de Dieu. Pour illustrer cette manière
de procéder, nous devons répondre à deux questions : 1. Pourquoi Jésus ne cherche-t-il pas la
distance physique de la pureté rituelle ? Afin de répondre à cette question nous devrons considérer
le contact établit par Jésus et la fille de Jaïre. 2. Qu’est-ce qui le motive à défier les préceptes de la
pureté rituelle ? Qui nous guidera vers la considération du contact entre Jésus et la femme
hémorroïsse.

c. Le contact avec la fille de Jaïre.


Dans le récit nous lisons que Jésus écoute d’abord le récit de Jaïre (Lc. 8, 41-42). C'est seulement
après que Jésus va chez lui. Il y a deux arrêts sur le chemin : le première est la guérison de
l’hémorroïsse, le deuxième lorsqu'une personne annonce la mort de la fille (Lc. 8,49). Jésus rassure
Jaïre (Lc. 8, 50), puis entreprend une série d'actions autoritaires (Lc. 8, 51-52.54-56). C'est un récit où
tout le poids de l’action est en Jésus. Le contact physique avec la fille de Jaïre se produit dans le
verset 54. Jésus touche la fille avec sa main et celle-ci se lève (Lc 8, 55). Nous pouvons donc affirmer
que dans le récit, Jésus vit son corps de manière active, que l’effet essentiel de ce contact est la vie,
qu'enfin ce contact produit un miracle.

Sa motricité montre une détermination inébranlable. En effet il doit marcher pour aller chez Jaïre (Lc.
8, 42). Il continue malgré l’annonce de la mort de la fille (Lc. 8, 49) et les moqueries (Lc. 8, 53). D’où
provient cette détermination ? Analysons le verset 54-55. L’action incitant Jésus à agir est celle de

199
Cfr. (Anzieu, 1985 p. 146)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

« se lever » (e;geire/ avne,sth). Les deux verbes correspondent à ceux qui sont utilisées pour parler de
la résurrection200. Ainsi l’expression « kai. evpe,streyen to. pneu/ma201 auvth/j», implique le retour à la 59
vie202. Tout le contexte montre une action corporelle et la référence à la nourriture ne fait que
renforcer cette idée qui est propre à la manière juive de comprendre la vie (en opposition à celle des
résurrections dans le monde grec203).

D'un point de vue phénoménologique nous voyons que cet effet est produit grâce au contact avec
Jésus. Ce contact donne la vie et montre que c'est le contact avec autrui plus généralement qui
donne la vie. C'est notamment dans la relation sexuelle de la procréation, mais aussi dans le contact
avec autrui que je me découvre204. L’autre avec son contact me constitue, le contact avec autrui
m’apprend comment être au monde. Le contact tactile est celui qui m’ouvrira au monde en tant
qu’être aimé ou rejeté, caressé ou frappé205.

Ainsi Jésus n’évite pas le contact physique parce que ce contact donne la vie. Cependant le contact
physique en général présente de nombreuses ambiguïtés. D’où l'interdiction de toucher. Le
psychanalyste Didier Anzieu montre qu’elle se trouve dans le rapport entre le thérapeute et le
patient206 et elle constitue un interdit christique explicite. Nous nous centrerons sur ce dernier.
Lorsque nous observons les motifs de la peinture il en a un qui est récurrent Noli me tangere207. Il fait
référence à la scène de l’Evangile de saint Jean 20, 7208, l’expression latine est très riche, parce qu’elle
dit littéralement « Ne me touche pas » et en même temps « Ne me retiens pas »209. Ainsi nous
voyons que le terme tangere en latin présente le même champ sémantique que toucher en
français210. L’interdiction de toucher est établie afin d’éviter la violence au double sens du terme.

200
Cfr. (Fitzmayer, 1981 p. 749)
201
« that which animates or gives life to the body, breath, (life)-spirit *…+ Luk 8:55 » (Frederick William Danker
and Walter Bauer, 2000 p. 832) Cfr. (Nolland, 1989 p. 422)
202
La formule apparaît en relation avec la résurrection du fils de la veuve (1 Rois 17, 21-22). (Nolland, 1989 p.
422)
203
L’exégése mettre en valeur cet aspect corporel de la résurrection de la fille. Cfr. (Nolland, 1989 p. 422;
Fitzmayer, 1981 p. 749)
204
La réversibilité du contact physique me dévoile comme un être qui touche et qui est touché en même
temps. Cfr. (Merleau-Ponty, 1964 p. 194). Cependant uniquement lorsqu’autrui me touche d’une manière
aimante, je peux me découvrir en tant qu’être aimé. En effet en regardant un couple d'amis la main de
l'homme posée sur la joue de la femme on découvre qu’ils s’aiment. Tout leur corps communique cet amour ;
on n’a pas besoin de paroles pour comprendre.
205
Cfr. (Anzieu, 1985 pp. 95-102)
206
L’interdit du toucher dans le cadre de la thérapie psychanalytique est nécessaire afin de laisser la parole
faire son effet thérapeutique. Cfr. (Anzieu, 1985 pp. 136-141)
207
Nous trouvons une analyse sur le corps ressuscité dans l’ouvrage homonyme de Jean-Luc Nancy. Cfr.
(Nancy, 2003)
208
« dicit ei Iesus noli me tangere nondum enim ascendi ad Patrem meum vade autem ad fratres meos et dic
eis ascendo ad Patrem meum et Patrem vestrum et Deum meum et Deum vestrum »
209
Cfr. (Anzieu, 1985 p. 143)
210
Id.
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

D'abord celle qui peut provoquer le mal vers autrui ; ensuite celle qui peut empêcher la liberté
d’autrui. 60

Afin de comprendre la raison pour laquelle Jésus leva une interdiction si importante nous devrons
analyser le contact physique entre l’hémorroïsse et Jésus.

d. Le contact de Jésus avec l’hémorroïsse.


Centrons notre attention sur la femme : Qu'est-ce que cela implique d’être « une femme, atteinte
d'un flux de sang depuis douze années » chez les Juifs de l’époque de Jésus ? D'être considérée
comme impure (Lv. 15, 19-27). Autrement dit il y a interdiction de toucher la femme pendant qu’elle
a son flux de sang soit dans le contexte de la menstruation ou même en dehors de ce moment-ci211.
D'un point de vue psychanalytique l’interdiction de toucher révèle toujours une tension entre pôles
opposés, dans ce cas précis nous sommes devant la tension entre les pulsions sexuelles et celles de la
violence212. En effet la loi établit une violence : l’interdiction de rapports sexuels et même de
contacts pendant les temps de la menstruation. Cette canalisation de la pulsion sexuelle cherche la
vie. En effet l’exégèse nous indique qu’il s’agit de prendre le soin nécessaire pour honorer la
promesse faite par Dieu de multiplier le peuple (Gn. 15, 5 ; 22, 17). Une hygiène sexuelle permet
d’augmenter la fertilité213. Ainsi la maîtrise de la sexualité dans le contexte du Lévitique est imposée
afin de vivre une vie pleine : accomplir les promesses de fertilité faites par Dieu lors de la Création.

Si nous considérons les indications corporelles liées à la femme, nous ne trouvons pas ce regard
positif. En effet, elle touche par derrière (en évitant le face à face avec Jésus) (Lc. 8,44), elle tremble
et tombe aux pieds de Jésus (Lc. 8, 47). Si le corps réalise l’existence, la manière dont la femme du
récit vit son existence est liée aux émotions de honte et de peur. Certes la sexualité n’est pas
l’existence, mais elle nous apprend que le corps possède une dimension métaphysique, c'est-à-dire
que ses émotions sont incompréhensibles si nous ne les considérons pas comme une implication de
l’homme en tant que conscience et liberté214 par rapport aux autres. Cette honte et cette peur -
attachées à des positions corporelles et des tremblements- impliquent que le corps est vécu comme
celui d’une personne qui ne mérite pas d’être touché. Son corps -qui n’est pas une carcasse mais elle-
même– n’est pas digne de recevoir le contact d’autrui. Le corps nous dévoile que l’interdiction
lévitique de toucher est mal comprise par les gens de l’époque et notamment par la femme. C'est

211
Cfr. (Hartley, 1992 pp. 201-215)
212
Cfr. (Anzieu, 1985 p. 145)
213
Cfr. (Hartley, 1992 p. 214)
214
Cfr. (Merleau-Ponty, 1945 p. 205)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

pourquoi elle reste réduite à être une intouchable. Ainsi la violence de la prohibition a éclipsé chez
cette femme son intention vivifiante215. 61

1. Les effets du contact avec Jésus sur le corps de la femme.


Le contact avec Jésus est une tentative d'échapper à cette logique. Analysons le contact entre la
femme et Jésus. Certes le contact physique établi par la femme avec Jésus est actif, mais il est
maladroit, car il est violent et utilitariste. Violent d'abord parce qu'il ne respecte pas la liberté de
Jésus, -pour toucher quelqu’un il faut avoir son accord, sans ce respect minimum l’action de toucher
devient violente216 : « on ne touche pas n’importe quoi n’importe comment » (Anzieu, 1985 p. 147),
ensuite parce que la violence est encore plus grave si nous considérons le contexte de l’interdiction
du Lévitique, qui rendait impure la personne qui avait un contact avec une femme ayant des flux de
sang217. Le contact est aussi utilitariste car elle cherche à être guérie. Elle tente sa dernière chance
car elle est impure et aussi pauvre, -« elle avait dépensé tout son avoir [pour vivre] en médecins »218 ;
ce qui montre la descente vers la marginalité, due à son infirmité. Nous pouvons donc en déduire
deux choses : d'abord il y a une défiguration de l’image de Dieu. En effet la femme ne considère Jésus
que comme un magicien qui peut soigner219 cela l'indiffère si la guérison est faite par Dieu ou non.
Ensuite la femme est désespérée car elle a mis tous les moyens humains de récupérer, sans aucun
résultat, une bonne santé. Du point de vue de la loi elle est morte, car elle est privée des promesses
de la création qui donnent sens à la loi. Cette tonalité de tristesse et de pessimisme chez la femme
(Lc. 8, 43) se retrouve chez Jaïre à propos de la mort de sa fille (Lc. 8, 49). Ainsi la maladie touche le
corps mais affecte aussi nos relations avec nous-mêmes, avec autrui et avec Dieu. La destruction de
la dimension relationnelle du corps est l’effet le plus dévastateur.

Lorsque nous sommes à côté d’un malade nous anticipons en lui une certaine manière d’habiter le
monde. Analysons cette anticipation du point de vue de la perception, notamment celle du toucher
et de la vue. Merleau-Ponty nous dit : « Il faut nous habituer à penser que tout visible est taillé dans
le tangible, tout être tactile promis en quelque manière une visibilité, et qu’il y a empiétement,
enjambement, non seulement entre le touché et le touchant, mais aussi entre le tangible et le visible

215
Nous faisons une interprétation très libre de la première et de la deuxième dualité de l’interdit du toucher.
Cfr. (Anzieu, 1985 pp. 145-147; Hartley, 1992 pp. 213-215)
216
(Anzieu, 1985 p. 148)
217
Cfr. (Hartley, 1992 p. 212)
218
Le texte grec est beaucoup plus fort que la traduction française. La formulation grecque « pa,nta to.n bi,on »
est la même que celle qui apparait dans la péricope de l’offrande de la veuve (Luc 21, 4).
219
Cfr. (Nolland, 1989 p. 423)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

qui est incrusté en lui, comme, inversement, lui-même n’est pas un néant de visibilité, n’est pas sans
existence visuelle. » (Merleau-Ponty, Le Visible et l'invisible, 1964, p. 177)220. 62

Quelle est la promesse de vie que nous donne une femme intouchable ? Elle ne mérite pas d’être
vue. Autrement dit c'est une marginale qui ne peut qu’être considérée comme telle : c'est une
exclue. Cependant dans son désespoir elle essaie de ne pas rester enfermée dans l’interdit : elle
touche Jésus quand même, elle s’ouvre à la nouveauté221 d’une manière maladroite. Tout le monde –
y compris la femme et nous-mêmes – s'attend au rejet et au reproche de Jésus car selon la
prescription de la loi, elle n’a pas le droit d’établir de relations avec les autres. Du point de vue de la
phénoménologie la prescription légale l’a empêchée de vivre sa sexualité. Sans la compréhension
essentielle de cette circonstance le miracle de Jésus deviendrait un acte banal.

Les miracles de Jésus sont une manifestation de son autorité. Ils sont une des manifestations de la
naissance du monde nouveau, ou plus précisément une manière nouvelle de l’habiter. Dans le
contexte de cette péricope précisément, et grâce au contact physique, Jésus change le rapport au
monde d’une personne marginalisée et la fait renaître. Le contact physique de Jésus fait changer les
attentes des gens, de Pierre et de la femme elle-même.

Le récit montre que le contact avec Lui produit des effets dans le corps d’autrui. La force (du,namij) qui
sort de Jésus (Lc. 8,45) provoque la guérison de la femme (Lc. 8,44). Le caractère corporel de cette
guérison est incontournable.

2. Les effets du contact avec Jésus sur les relations sociales de la femme.
Mais comme nous l'avons déjà explicité à plusieurs reprises le corps nous permet d’habiter dans le
monde. Ainsi la guérison a des effets sociaux. En effet toutes les interdictions lévitiques auxquelles la
femme était sujette ne sont plus pertinentes. Après les purifications elle pourrait être touchée
comme tout le reste des gens qui entourent Jésus. Après 12 ans (Lc. 8, 43) elle pourra avoir des
relations sexuelles sans « contaminer » son partenaire. La guérison du corps implique radicalement
celle de la fécondité et de la possibilité d’engendrer la vie. Si nous considérons son corps elle a toutes
les conditions pour vivre pleinement sa vie. Il s’agit d’une vraie résurrection, analogue à celle de la
fille de Jaïre222. Même si leur retour à la vie est différent. La jeune fille réintègre la vie, l’hémorroïsse,
celle de la communauté.

220
Dans le même sens dans le texte de la Phénoménologie de la perception. Cfr. (Merleau-Ponty, 1945 p. 372)
221
Cfr. (Anzieu, 1985 pp. 146-147)
222
Le point central est la vie et sa fécondité. Jésus ressuscite la fille de Jaïre qui a 12 ans (Luc 8,42). Elle a eu déjà
sa première menstruation, elle peut déjà se marier. Le parallélisme du temps entre les deux femmes est
évident, et il illustre la dimension relationnelle impliquée dans le récit.
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

En effet la honte et la peur demeurent dans son corps après son rétablissement (Lc. 8,47)223.
Toutefois elle-même continue à se considérer comme intouchable et invisible : elle veut continuer 63
dans l’anonymat du contact de la multitude224, même si c'est mieux que d’être marginale ; mais la
guérison de Jésus est plus profonde. Les effets radicaux de cette guérison sont plus clairs si nous
approfondissons la notion d’invisibilité (anonymat).

L’actuelle réflexion de la philosophie sociale225 peut nous aider à comprendre les enjeux bibliques. Il y
a une supposition anthropologique commune entre la philosophie sociale et la phénoménologie :
l’être humain ne possède point une nature qui garantisse cette condition226. D’où le lien entre les
deux disciplines qui n’est pas du tout arbitraire. Ainsi bien que la sensation d’invisibilité soit
expérimentée par tous Guillaume le Blanc l’inscrit dans le contexte social. Elle est présente dans les
sociétés qui ont un problème de perception à l’égard de certains groupes de la population. Ainsi nous
rencontrons des vies qui méritent d’être vues et entendues, d’autres qui ne le méritent pas. Ce
mécanisme de relégation consiste à établir que des personnes, même si elles « font des œuvres »227 ,
se considèrent comme « invisibles ». Elles mènent une vie qui fait sens pour eux mais qui n’est pas
reconnue. Reconnaître cette vie implique que la personne qui la considère a de l’estime pour elle
(qui lui donne une identité forte), dans le respect de ses droits (qui donne la garantie de l’exercice de
certaines libertés) en vue de son accès à la solidarité (qui permet la réparation des inégalités
sociales). Les personnes privées de la reconnaissance commencent un itinéraire négatif qui mène de
plus en plus vers l’invisibilité. « L’invisibilité sociale, commencée avec le processus de la voix,
s’achève quand la femme ou l’homme se retire, elle-même ou lui-même, de manière ultime dans

223
La situation du corps est éloquente : elle vient par derrière (Luc 8,44), tremble et est au sol (Luc 8, 47)
224
Cfr. (Nolland, 1989 p. 423). Dans le même sens le film « Crash » (Collision) au début nous présente l’état de
l’intouchabilité qui par des raisons différents est présente jusque nous jours : « -It’s the sens of touch *…+- In a
real city you…you walk, you know, you bush past people bush into you. In L.A. nobody touches you. We’re
always behind this metal and glass. I think we miss that touch so much… that we crash into each other just so
we can feel something.» (Haggis, 2004)
225
Il s’agit d’une nouvelle discipline philosophique qui pense le phénomène de l’exclusion d’un point de vue
critique et évaluatif. Comme méthodologie elle utilise les arts, les sciences sociales, etc. Son intention -à la
différence de celle de la phénoménologie- est évaluative. Parmi les auteurs qui peuvent être inscrits dans ce
courant de pensée nous trouvons : Michel Foucault, Axel Honneth et Guilhaume Le Blanc.
226
Selon Le Blanc « La qualité humaine n’existe pas par avance, déposée dans un socle de l’Humain intangible »
(le Blanc, 2009 p. 24). Dans le même sens Merleau-Ponty : « L’homme est une idée historique et non une
espèce naturelle. » (Merleau-Ponty, 1945 p. 209). Notre opinion ne va pas aussi loin parce que s’il n’y a pas
d’humanité quelle est la base du respect envers autrui ? Certes il y a des conditions qui nient ou favorisent
l’humanité d’autrui. Toutefois la négation de l’humanité envers autrui peut justifier l’exercice de la violence. En
effet elle constitue une des conditions qui rend possible le massacre et la négation de l’humanité de l’ennemi.
Cfr. (Eléments pour une grammaire du massacre, 2003 pp. 154-170)
227
La différence entre une personne visible et une invisible se trouve dans le concept d’œuvre. « L’œuvre
implique une action subjective adressée et porte avec elle la possibilité d l’agir créateur avec lequel elle fait
corps. » (le Blanc, 2009 p. 4). Par contre celui qui est « invisibilisé » mène une vie désœuvrée. « Le
désœuvrement ne signifie pas nécessairement l’impossibilité de faire œuvre, il signale également l’impossibilité
sociale de retenir ce qui est fait comme relevant d’un processus de mise en œuvre » (le Blanc, 2009 p. 3).
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

l’invisibilité » (le Blanc, 2009 p. 21). Ainsi sans la reconnaissance la guérison est incomplète car le
corps reste toujours vécu comme intouchable. 64

Si la femme n’est pas écoutée et vue, elle ne pourra jamais habiter le monde qu’en tant que malade.
La guérison opérée par Jésus dans le corps de la femme implique à un deuxième niveau guérir les
relations qu’elle pourra établir. S'il manque quelques éléments empêchant la relation, une part de
notre humanité en reste diminuée. Ainsi il faut guérir les relations, notamment les relations sociales
et celles avec Dieu. L’exégèse de la péricope nous montre que Jésus essaie d'abord de guérir les
relations les plus proches et les plus concrètes. Par elles l’Evangéliste proclame le début de nouvelles
relations avec Dieu. Ainsi Jésus rend la femme visible et grâce à cette visibilité, il peut annoncer Dieu.

Dans le récit Jésus laisse toute l’initiative à la femme. Il reste dans la passivité : Il n'essaie pas de la
chercher (Lc. 8,46), il demande même : « Qui m'a touché? » (Lc. 8, 45). Jésus au milieu de la foule ne
peut pas guérir si la femme ne mène pas son action jusqu’au bout; il ne peut rien faire. Pourtant nous
remarquons que l’action de la femme ne passe pas inaperçue pour Jésus (Lc. 8, 47)228. Devant la
sollicitation faite par le contact physique de la femme, Jésus provoque une guérison mais elle n’est
essentielle qu’à condition que la liberté de la femme se mette en mouvement. Il faut donc une
nouvelle manière d’habiter le corps229.

La confession de la femme est une manière de la faire sortir de la logique de l’invisibilité, elle doit
dire (raconter/annoncer : avph,ggeilen) ce qu’elle a fait et surtout les effets que cela a eu en elle.
Cependant lorsqu’elle parle son corps est par terre (Lc. 8, 47). C'est pourquoi Jésus l'invite à marcher
(aller/poreu,omai) (Luc 8, 48). Nous sommes devant une guérison de la manière d’habiter le monde.
Elle peut passer de l’invisibilité et du silence à la visibilité et au parler public, son corps transite de la
prostration à la possibilité de marcher.

La parole de la femme est nécessaire. Elle a un double sens. D’abord pour la personne guérie. La
possibilité de parler rend digne d’être écouté bien sûr, mais uniquement quand la femme est
écoutée elle devient visible. En effet « C’est depuis la possibilité de la voix que le visage peut acquérir
une visibilité. Le visage n’est jamais assuré de sa visibilité tant qu’il n’est pas garanti par une voix
dont l’audition et l’épreuve sociale par excellence » (le Blanc, 2009 p. 45)230. Ainsi le récit est
indispensable car la parole rend le visage parlant. Dans la péricope nous trouvons deux formes
d’écoute chez Jésus : celle des paroles et celle des gestes231. Cette disposition sexuelle –dans le sens

228
Cfr. (Nolland, 1989 p. 420)
229
Cfr. (Merleau-Ponty, 1945 p. 506)
230
Dans ce point le Blanc fait une reprise critique des idées de Levinas. Cfr. (le Blanc, 2009 pp. 35-58)
231
Dans le cas de Jaïre l’accent est mis sur les paroles (Luc 8, 41-42). Dans le cas de l’hémorroïsse (Luc 8, 47) les
actions occupent la place la plus importante. Toutes les deux montrent Jésus ouvert à autrui.
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

relationnel dont nous avons déjà parlé– permet la guérison du corps à un niveau social car elle
permet d’arrêter et d'invertir la dynamique d’invisibilité. Autrement dit, cette action permet à la 65
femme hémorroïsse d'agir, c'est-à-dire de devenir active et reconnue comme digne d’exister, autre
manière de dire d'habiter le monde ou vivre.

La parole est aussi nécessaire pour restituer le caractère violent de l’action car Jésus engage sa
liberté dans l’exécution de ce miracle. Sa liberté est nécessaire afin d'habiter le monde autrement.
En effet sans ce rapport de liberté la femme risque de rester avec une image déformée de Dieu parce
qu’elle pensera que Jésus n’est qu’un magicien232 et si elle fait le lien avec Dieu, elle pourrait penser
que Dieu guérit malgré lui et contre la loi. Ainsi le problème n’est pas uniquement un problème de
santé et de relation avec le reste du monde des humains ; c'est aussi de montrer la manière dont
Jésus peut se manifester en tant que Sauveur. Afin de restituer cette image de Dieu il faut avoir une
relation personnelle avec Jésus, celui qui risque le contact ; cela ne signifie pas pour autant qu'on
puisse le toucher n’importe comment.

3. Les effets du contact avec Jésus dans la relation entre la femme et Dieu.
Afin de bien cibler cette problématique il faut distinguer la liberté de l’activité. La liberté implique
que la personne a donné son consentement dans la réalisation de cette action. Le consentement
peut être accordé sous forme d’activité et de passivité. Il est plus facile de démontrer l’accord de la
volonté lorsque l’initiative demeure chez celui qui réalise l’action. Toutefois dans le cas des actions
qui ont un rapport avec la passivité, la situation est plus complexe. Aussi affirmons-nous que l’action
de Jésus même sous la forme de passivité constitue une rencontre entre deux libertés.

Afin de montrer ce rencontre entre libertés nous ferons une comparaison entre la femme de cette
péricope et la pécheresse de Lc. 7, 36-52.

Il y a plusieurs similitudes avec l’hémorroïsse, au moins à deux niveaux, celui du texte et celui de la
dynamique de l’intervention de Jésus233. Néanmoins il y a une différence essentielle par rapport au
corps : la pécheresse touche Jésus ouvertement, sans peur et d’une manière bien plus provocatrice :
« elle se mit à lui arroser les pieds de ses larmes ; et elle les essuyait avec ses cheveux, les couvrait de
baisers, les oignait de parfum. » (Lc. 7, 38). Dans ce contact tout le corps est engagé : la peau, les
cheveux, la bouche, les mains, le nez, les yeux et les larmes. Il s’agit d’une profusion de sensualité 234.
Grâce à la sexualité du corps se révèle à nous la manière dont nous habitons le corps qui elle-même

232
« She [the woman with the flow of blood] needs to see that it is contact with Jesus himself that she needs
and not simply anonymous access to his power. Power in religion without personal relationship and public
commitment is little better than superstition or magic.» (Nolland, 1989 p. 423)
233
Cfr. Annexe 5.C.
234
Cfr. (Nolland, 1989 pp. 354-355)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

nous montre celle dont nous nous lions aux autres. La péricope nous montre que la pécheresse
établit une relation personnelle très proche avec Jésus. Son corps montre l’amour qu’elle ressent 66
pour lui (Luc 7, 44-47) ; dans les paroles de Jésus chaque geste de la femme est reconnu comme
expression de son amour. Ainsi elle devient un modèle de relation avec Jésus puisque dans son
contact avec Lui elle se fait pardonner ses péchés, et montre que l’autorité de Jésus, exprimée grâce
à son corps, permet d'habiter le monde d’une manière nouvelle. Celle-ci va permettre une proximité
avec Jésus dans son corps, ce qui restitue la loi dans son sens le plus profond, en d'autres termes la
manifestation de la fécondité de la promesse de Dieu qui consiste à partager la vie avec Lui.

Cette expression démesurée contraste avec celle du pharisien dans la même péricope. Simon n’est
pas de tout un ennemi235, il accueille correctement ; cependant il n’est pas cordial. Il ne fait que ce
qui constitue le minimum pour accueillir Jésus (Gn. 18, 4 ; Ps. 23, 5)236. La parabole montre aussi que
c'est une relation d’amour mais à un degré bien moins intense que celle de la femme (Lc. 7, 41-43).

L’hémorroïsse se trouve à mi-chemin entre la pécheresse qui touche ouvertement et la loi des
pharisiens qui interdit tout contact. En effet l’hémorroïsse touche sans toucher : elle ne touche que
la frange du manteau de Jésus. Cette distance physique illustre la manière dont la femme vit sa
relation personnelle avec Jésus. Ainsi le non-contact physique montre une certaine imperméabilité à
se laisser toucher (émouvoir) par l’action de Jésus. D’où le caractère clandestin du contact.

L’action de Jésus guérit l’image que la femme a de Dieu. En effet la confession de son action et les
effets corporels que ce contact a provoqués est un témoignage religieux237. L’autorité de Jésus fait
d’abord renaître le corps grâce à la guérison, puis les relations grâce au récit de la femme.
Finalement les paroles de Jésus : « Ma fille, ta foi t'a sauvée ; va en paix. » (Luc 8, 48) lui permettent
d’habiter le monde dans une nouvelle relation avec Dieu, fondée sur la paix et non sur la peur 238.
Grâce à cette affirmation la femme ne reste plus enfermée dans son identité d’hémorroïsse,
synonyme d’impure. Le contact de Jésus la rend capable d’habiter pleinement son corps car elle n’est
plus malade ; elle peut vivre pleinement les relations avec autrui, car elle devient digne non
seulement d’être touchée mais aussi une femme fertile ; et finalement, elle peut vivre pleinement sa
relation avec Dieu car Jésus n’est plus un magicien mais le Dieu qui se laisse toucher et dont il ne faut
pas avoir peur. Ainsi Jésus devient le Dieu qui l’a sauvée.

235
« Lc est le seul des évangélistes à montrer les Pharisiens assez favorables à Jésus pour l’inviter à leur table
(11, 37 ; 14,1) » (TOB, 2004 p. 2493) Dans le même sens Schoëkel Cfr. (Schökel, 1998 p. 175)
236
Cfr. (Schökel, 1998 p. 175)
237
Cfr. (Nolland, 1989 p. 420)
238
Dialectique présente à maintes reprises chez Luc.
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

A partir d’une théologie phénoménologique nous pouvons affirmer que les miracles de Jésus nous
montrent d’une manière privilégiée les effets de l’interaction entre le corps de Jésus et les corps 67
d’autrui. Ainsi sa motricité consécratoire –acquise dans un long processus qui lui a permis de passer
de la passivité à l’activité – lui fait habiter le monde pleinement grâce à la relation avec l’Esprit Saint.
Le corps de Jésus, en tant qu’esthétique de Dieu se donne à sentir. Cette esthétique corporelle de
Dieu fait naître un monde nouveau. Afin de faire naître au nouveau monde Jésus vit radicalement
son corps et notamment son sentir. Grâce à l’analyse de théologie phénoménologique du toucher
nous pouvons dire que la sympathie sacramentelle présente en tout sentir, ne reste pas uniquement
dans une affirmation de l’identité ; cette affirmation de l’identité de Jésus prend corps grâce au
message qu'il proclame, à savoir : le Royaume de Dieu. A partir des récits analysés nous pouvons
affirmer que l’annonce essentielle du Royaume se trouve dans la restauration de la vie239. Cette
restauration présente ses effets le plus grandioses dans la résurrection mais elle est aussi présente
dans la guérison. Les deux actions miraculeuses sont intimement liées au corps et ont des effets sur
les corps des personnes qui en ont bénéficié. Ils se manifestent à trois niveaux, d'abord à un niveau
corporel, en tant que condition de possibilité pour être au monde ; ensuite dans les relations
sociales, car il nous permet d’être reconnus ; enfin devant Dieu car il nous permet de faire percevoir
et sentir la présence de Jésus, comme Dieu qui sauve.

L’action corporelle a une durée précise. Qu’arrive-t-il après aux personnes qui ont été guéries ? Le
souci de Jésus s’arrête-t-il une fois que la guérison a été réalisée ? En Lc. 8, 55, Jésus ordonna de
donner de manger à la fille qui venait de ressusciter. Le fait de manger selon l’exégèse montre bien
que la résurrection de la fille est corporelle240. Mais aussi un souci de Jésus pour son avenir proche et
pas uniquement au moment précis de la guérison.

L’action de manger dans l’Evangile est un geste tout à fait connoté, notamment grâce au récit de
l’instauration de l’Eucharistie. C'est pourquoi nous devrons l’analyser afin de bien comprendre ce
geste.

239
C’est la thèse principale de l’analyse biblique du théologien José María Castillo. Cfr. (Castillo, 2000)
240
Cfr. (Nolland, 1989 p. 422; Fitzmayer, 1981 p. 749)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

4. Le corps de Jésus comme une solidarité incarnée avec la fragilité.


68
§10. Analyse de la faiblesse corporelle : le recours à Levinas et Heidegger.
Avant d’avancer dans notre recherche nous reconnaissons que la pensée phénoménologique de
Merleau-Ponty ne nous permet pas d’avoir une compréhension de toutes les dimensions corporelles.
Par conséquent du point de vue théologique, certaines parties de la révélation tout à fait centrales
ne nous sont pas accessibles avec les analyses faites dans les ouvrages que nous avons étudiés. Il
nous faut donc choisir d'autres auteurs afin de montrer les éléments qui nous serviront à avoir une
compréhension plus intégrale du corps.

Avant de montrer les limites de la pensée de Merleau-Ponty nous devrons reconnaître ses
indéniables mérites. En effet elle nous a permis de voir la manière dont Jésus a vécu son corps
jusqu’à maintenant. Ses analyses sont très pertinentes car elles permettent de comprendre comment
le corps de Jésus passe de la passivité à l’activité, comment les capacités plastiques du corps
permettent d’inaugurer une nouvelle manière de l’habiter, notamment dans l’exemple de l'aveugle
qui apprend le monde grâce à son bâton241. Ainsi les idées de Merleau-Ponty nous servent à
comprendre le corps en tant qu’affirmation du « je peux ».

Cependant le corps n’est pas qu’une affirmation d’un « je peux » et ne suit pas la logique d’une
progression continue. Le corps sain peut devenir malade, le corps satisfait à un certain moment,
ressent la faim quelques heures plus tard. Le corps inclut les dimensions des besoins et des
faiblesses. Merleau-Ponty explique la puissance du corps à partir de la considération
phénoménologique de plusieurs troubles. Mais il nous les présente de manière à nous permettre de
mieux comprendre la situation du corps sain. Cependant une compréhension plus complète242 du
corps suppose une compréhension du corps avec ses besoins, sa fragilité et son caractère mortel. Il
faut considérer ces dimensions en analysant la tension existante entre faiblesse et puissance. Il ne
faudra pas négliger l’une pour l’autre, afin d’avoir une compréhension phénoménologique équilibrée
du corps. En effet les deux manifestations font partie de la manière dont l’être humain vit son corps.

Inclure la dimension de la faiblesse et des besoins du corps est une nécessité anthropologique qui
permet d’annoncer la bonne nouvelle de Jésus Christ. En effet si le corps assumé par le Christ n’est
que le corps capable, celui du « je peux », il y a une certaine dimension de la corporéité qui n’est pas
sauvée. Et c'est précisément celle qui en a le plus besoin. Ainsi cette considération de la faiblesse

241 (Merleau-Ponty, 1945) le corps propre.


242 Par cette affirmation nous ne voulons pas dire que les analyses de Merleau-Ponty ne sont pas importantes.
Nous voudrions seulement affirmer qu’étant donné le travail du philosophe français nous constatons que la
question qu’il se pose n’est pas la nôtre. Ainsi nous constatons que comme toute pensée la phénoménologie de
Merleau-Ponty trouve certes limites. Limites auxquels d'autres auteurs nous aideront à répondre.
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

devient une manière de mieux comprendre ce que signifie la décision de Jésus –le Dieu qui sauve– à
savoir, se révéler grâce au corps. 69

La faiblesse du corps se manifeste de plusieurs manières. Elle apparaît sous forme de maladie243, de
vieillissement en tant contrepartie de la croissance244, de faim245, de fatigue, d'épuisement, de
sommeil246 et de mort247. Du point de vue théologique il y a deux qui sont plus connotées que les
autres : le fait de manger et la mort.

Ces deux dimensions nous aideront à montrer la révélation qui nous est donnée dans le corps de
Jésus. Grâce au « manger » nous apprenons qu’il y a un vrai souci temporel envers autrui qui ne se
réduit pas seulement au moment où Jésus se trouve dans un contact direct et immédiat. Ainsi une
phénoménologie du « manger » nous aidera à répondre à la question que nous avions formulée dans
la partie précédente : Comment Jésus se soucie-t-il dans le temps pour les autres ? Nous verrons que
ce souci demeure dans le temps de façon bien plus concrète et importante que ce qu’on aurait pu
penser à la première lecture du texte. La mort nous fait comprendre l’engagement corporel de Jésus
comme faiblesse ultime. Autrement dit, par la mort de Jésus nous comprenons que Jésus – le Dieu
qui sauve– assumera jusqu'au bout et dans sa propre existence corporelle la dimension la plus
explicite de la faiblesse.

Afin d’analyser ces deux dimensions du corps nous aurons recours à deux phénoménologues bien
différents de Merleau-Ponty. Pour comprendre le fait de manger nous parlerons d'Emmanuel
Levinas. Nous verrons l’analyse de la nourriture et du manger contenue dans « Totalité et Infini ». Et
pour étayer nos propos sur la mort nous aurons recours à l’analytique existentielle de la mort chez
Heidegger, contenue dans « L’Être et le temps ». Cependant dans le cas de la mort le point de vue
heideggérien sera abordé à partir de la critique théologique d'Emmanuelle Falque dans son ouvrage
« Le passeur de Gethsémani ».

Nous ne ferons pas d'exposition systématique des pensées de chaque auteur, cela dépasse les
humbles tentatives de notre recherche248. Il s’agira plutôt de choisir quelques éléments qui peuvent
être des outils pour comprendre le corps de Jésus dans l’Évangile de Luc.

243
Elle est présente dans tous les récits de guérison.
244
Luc 2, 40
245
Luc 4, 2
246
Luc 22,45
247
Tout le récit de la mort de Jésus est fondé sur cette dimension de la faiblesse du corps.
248
Dans le cas de Levinas nous cherchons le terme nourriture et celui de « manger » dans l’ouvrage « Totalité
et Infini ». Dans le cas de Heidegger nous utiliserons la synthèse formulée dans notre mémoire de licence de
premier cycle en philosophie. Cfr. (Hansel, 2005; Morgado, 2003)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

§11. Le constant souci pour autrui : L’Eucharistie. (Lc. 22, 14-20)


Reprenons donc la question que nous avions posée à la fin de la partie sur les guérisons, à savoir : 70
Comment Jésus se soucie-t-il dans le temps des autres ? Pour y répondre, nous analyserons le récit
de l’institution de l’Eucharistie qui se trouve dans l’Evangile de Luc. Trois raisons justifient ce choix.
D’abord manger est un acte qui possède une dimension corporelle incontournable. Ensuite c’est
l’unique endroit dans tout l’Evangile de Luc où Jésus parle de son corps. Et finalement cet acte a lieu
avant Sa passion. En effet la construction du récit de Luc le situe dans le moment plus dramatique de
la manifestation de Jésus. En effet il s’agit de « l’heure qui est venue »249 et le dernier repas occupe
une place centrale parce qu'elle nous donne une clef herméneutique de la mort et de la résurrection.

L’institution de l’Eucharistie a été –et elle est encore– une des préoccupations centrales de la
théologie. La particularité de notre recherche est la considération de la dimension corporelle de
l’Eucharistie, notamment au moment de son institution. Il nous faut donc analyser l’action de manger
afin de découvrir ses enjeux théologiques.

Il est évident que le dernier repas est l'occasion de manger. L’action de manger nous oblige à
considérer le corps dans toute sa dimension250: et en particulier dans se faiblesse. Levinas nous le
montre en tant que corps nu et indigent. « Le corps nu et indigent est le retournement même,
irréductible à une pensée, de la représentation en vie, de la subjectivité qui représente, en vie qui est
supportée par ces représentations et qui en vit ; son indigence – ses besoins – affirment
« l’extériorité » comme non-constituée, avant toute affirmation. » (Levinas, 1961 p. 100). Le fait de
manger nous rappelle que pour vivre le corps, nous avons besoin de l’extériorité pour nous nourrir,
car nous ne sommes pas constitués totalement en nous-mêmes. Levinas considère que manger est
l’activité qui nous aide à mieux comprendre cette relation que l’être humain établit avec l’extériorité.
En effet : « Manger, par exemple, ne se réduit certes pas à la chimie de l’alimentation. Mais manger
ne se réduit pas davantage à l’ensemble de sensations gustatives, olfactives, kinésiques et autres qui
constitueraient la conscience du manger. Cette morsure sur les choses qui, par excellence, comporte
l’acte de manger – mesure le surplus de cette réalité de l’aliment sur toute réalité représentée,
surplus qui n’est pas quantitatif, mais qui est la facon dont le moi, commencement absolu, se trouve
suspendu au non-moi. » (Sic) (Levinas, 1961 pp. 101-102). A partir de la citation de Levinas nous
découvrons que l’action physique de manger est intiment liée à d’autres dimensions mentionnées
comme un « surplus de sens ». Ce « surplus » ne se trouve pas au-dessus des actions physiques. La
proposition de Levinas est plus concrète parce que d’après lui le fait de manger détermine la manière
dont on habite le monde.

249
L’expression est répétée à trois reprises dans Luc 23 dans les versets 1, 7 et 14. Cfr. (Nolland, 1993b p. 1041)
250
Cfr. (Levinas, 1961 p. 101)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

Comment le « surplus » de sens -impliqué dans le « manger »- peut-il nous dévoiler les enjeux
théologiques du récit de l’Eucharistie ? Afin de mieux comprendre ces enjeux nous devons penser à 71
l’extériorité dont nous a parlé Levinas. Elle se décline de deux manières différentes dans le récit de
l’institution de l’Eucharistie. D’abord l’extériorité du pain et de la coupe. Ensuite l’extériorité du
monde qui est le réflexe d'un souci eschatologique pour autrui. Ainsi notre analyse montrera l’action
de manger en tant qu’action connotée par Jésus. Celle-ci nous permettra de mieux comprendre
l’Eucharistie du point de vue théologique puisqu'à partir de la nouvelle relation que nous avons avec
les aliments nous sommes invités à établir une nouvelle relation avec autrui et avec Dieu lui-même.

Considérons le pain et le vin dans leur concrétude matérielle. Nous ne pouvons que commencer par
cette matérialité afin de dévoiler les enjeux théologiques de l’Eucharistie.

a. La matérialité du pain et du vin connotée par Jésus.


Du point de vue de la phénoménologie de Levinas : « La nourriture, comme moyen de revigorisation,
est la transmutation de l’autre en Même, qui est dans l’essence de la jouissance : une énergie autre,
reconnue comme autre, reconnue nous le verrons, comme soutenant l’acte même qui se dirige sur
elle, devient, dans la jouissance, mon énergie, ma force, moi. » (Levinas, 1961 p. 83). Il en découle
que le fait de se nourrir est un moyen de satisfaire ses besoins, ensuite que le fait de manger se
comprend à partir du concept de jouissance.

« Le besoin caractérise le moi égoïste qui cherche par la consommation et la jouissance des
subsistances qui sont offertes dans le Monde, à combler le manque et à restaurer ainsi la clôture de
sa souveraineté de Même : ce qui s’appelle le bonheur. » (Rodolphe Calin, 2002 p. 814). Par
conséquent le corps nu et faible nécessite de satisfaire ses besoins car l’être humain est inachevé et
incomplet. C’est la condition de pauvreté du besoin (póroj). Autrement dit, l’être humain est obligé
de « vivre de… » l’extériorité matérielle des aliments pour satisfaire ces besoins251. Cependant
Levinas nous dit que : « Le besoin *…+ est aussi, dans un certain sens, enfant de póroj et de penía – il
est la penia du póroj » (Levinas, 1961 p. 87). La richesse (penía) du besoin est l’affirmation du soi que
fait le sujet grâce à elle. Elle se produit grâce à la jouissance. C'est pourquoi nous devons analyser la
relation existant entre jouissance et nourriture.

Levinas nous montre que : « La jouissance est la modalité selon laquelle s’accomplit le rapport au
monde de la subjectivité sensible et corporelle. Jouir c’est vivre de…, se nourrir de l’autre que soi, ou
plutôt, se rapporter au monde comme à une nourriture. » (Rodolphe Calin, 2002 p. 835). Ainsi la

251
Cfr. (Levinas, 1961 p. 87)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

nourriture -qui est autre que la vie- produit de la jouissance252 lorsqu’on mange253 parce que l’être
humain trouve du plaisir dans la satisfaction de ses besoins254. Si nous considérons le corps comme 72
faible et nu, nous trouvons qu’il est possible d'affirmer que : « Vivre, c’est jouir de la vie » (Levinas,
1961 p. 87). Cette constatation est évidente lorsque nous savourons un aliment car dans la
manducation nous prenons plaisir à le goûter. Par conséquent « Il y a une réflexivité de la vie *…+ qui
n’est rien d’autre que son égoïsme255, et qui fait de la jouissance le lieu même d’un retrait en soi du
moi, c’est-à-dire le principe même de l’individuation » (Rodolphe Calin, 2002 p. 835). Ainsi nous
constatons dans le fait de manger, que la faiblesse nous permet d’affirmer l’identité du sujet, grâce à
cet égoïsme.

Que nous apprend cette analyse sur la façon de percevoir le corps de Jésus ? Que grâce à son corps Il
partage avec nous les besoins les plus basiques –y compris la faim. Ce besoin de manger vécu par
Jésus est constaté à maintes reprises dans l’Evangile de Luc (Lc. 4,2 ; 5,30.33; 7,34; 10, 8; 11,38; 14,1;
15,2; 22, 11.15; 24,41). Certes le corps de Jésus est un modèle qui nous permet de développer les
capacités de notre corps. Cependant son corps est aussi manifestation d’une solidarité profonde avec
toutes les dimensions de l’humanité. La faiblesse de la naissance –en tant que risque d’avoir un corps
fragile– s’actualise quotidiennement dans la faim et le besoin de manger. Jésus –le Dieu qui sauve–
dépend d’autrui et de l’extériorité pour se maintenir en vie. Par conséquent Dieu ne nous laisse pas
seuls, car Lui –grâce au corps de Jésus– connaît la faim de l’unique manière qu'elle peut être connue,
en la vivant.

Cette connaissance n’est pas motivée par la recherche de nouvelles expériences auparavant
inconnues256. C'est une connaissance intérieure des besoins humains257 qui pousse Jésus vers la
sollicitude de remplir les besoins les plus profonds des êtres humains. Ainsi l’option méthodologique
d’une théologie ascendante, nous pousse à comprendre d’abord la dimension humaine de la
corporéité. Elle nous aidera à saisir la révélation qui se donne à nous grâce au corps de Jésus. Ainsi
encore une fois la phénoménologie pourra nous aider à comprendre autrement le corps de Jésus et
par conséquent notre corps vécu.

D'abord le fait de manger est une manière de rassasier la faim. Il s’agit donc d’un certain bonheur car
on sait qu’on aura encore faim, cependant il s’agit de l’accomplissement d’un besoin qui produit de

252
Cfr. (Levinas, 1961 p. 87)
253
Cfr. (Levinas, 1961 p. 87)
254
Cfr. (Levinas, 1961 pp. 86-87)
255
Ce n’est pas une caractéristique morale mais il s’agit d’une possibilité de dire « je ». Autrement c'est une
affirmation du sujet.
256
Comme l’ange Cassiel dans le film « Si loin, si proche ! ». (Wenders, 1993)
257
Inversion intentionnelle de la demande de la grâce de la deuxième semaine des Exercices Spirituels dans le
numéro 104. (Ignace de Loyola, 1991 pp. 108-109)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

la jouissance. Mais si nous considérons nos vécus, nous pouvons reconnaître que derrière la faim de
nourriture –base pour se maintenir en vie– il existe d'autres « faims »258. 73

La philosophie de Levinas nous donne les mots pour nommer cette deuxième « faim », le « désir ».
Chez Levinas il est considéré comme faisant partie du domaine de la métaphysique, pour la
distinguer du besoin259. En effet « Le désir métaphysique a une autre intention –il désire l’au-delà de
tout ce qui peut simplement le compléter. Il est comme la bonté –le Désir ne comble pas, mais le
creuse.» (Levinas, 1961 p. 4). Le désir empêche de nous enfermer, il nous ouvre au contraire à l’Infini.
« En ce creusement sans cesse recommencé, infini, l’altérité comme telle se donne, elle se donne en
tant qu’altérité absolue de l’Infini qui met en question mon égoïsme. » (Rodolphe Calin, 2002 p. 814).
Ainsi à l’arrière-plan de la faim il y aura toujours ce désir d’infini. De quelle manière se manifeste-t-
il ?

Afin de découvrir les enjeux de cette manifestation nous devrons analyser de nouveau le pain et le
vin, mais cette fois, nous considérerons les actions corporelles qui leur sont liées. En effet dans le
contexte du dernier repas le pain est considéré comme corps donné (Lc. 22, 19), et la coupe comme
sang versé (Luc 22, 20).

Considérer le corps de Jésus du point de vue de la faiblesse n’empêche pas de le considérer dans sa
dimension active. Nous retrouvons l'activité dans le don (di,dwmi) de son propre corps et de son
propre sang. Le pain et le vin acquièrent ainsi une connotation bien plus riche. D’une part une
nouvelle façon de se rapporter à Dieu et aux autres voit le jour à partir de l’instauration de
l’Eucharistie. D’autre part dans l’Eucharistie Jésus ne donne pas quelque chose, il se donne.
Autrement dit, la nourriture devient le don de Jésus lui-même.

Jésus donne son corps à manger et son sang à boire. Si nous considérons le fait de « manger » dans la
matérialité phénoménologique dont nous venons de parler, il est possible de découvrir des liens
avec le cannibalisme. Néanmoins cette interprétation n’est pas adéquate. L’exégèse nous propose
d’analyser ce récit en le comparant au récit du quatrième Evangile afin d'en donner une analyse plus
adéquate.

258
C'est une intuition que j’ai eue à propos du travail théâtral en des situations de marginalité. Une fille qui
n’avait pas mangé toute une journée décide de rester à la répétition que nous étions en train de faire parce
qu’elle trouve dans l’atelier un espace de dignité qu'elle n' pas dans d'autres lieux. Cette situation donne à
réfléchir sur le théâtre et la théologie. Cfr. (Morgado, 2009 p. 32)
259
Il faut éviter encore une fois de croire que nous sommes en présence de besoins spirituels et de besoins
corporels. Dans notre lecture de Levinas nous considérons que les besoins sont corporels et que le désir a
besoin du corps pour être ressenti.
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

Dans le quatrième Evangile le récit qui sert de cadre à l’instauration de l’Eucharistie se trouve en Jn.
6, 53-58. Les deux récits –celui de Luc et celui de Jean– mettent en évidence les mêmes éléments de 74
participation au salut qui nous sont donnés par Sa mort. L’interprétation du cannibalisme même si
elle est possible littéralement –notamment dans le récit johannique– passe à côté d'une dimension
centrale de l’Eucharistie : il s’agit plutôt d'une participation aux bienfaits de la mort de Jésus grâce à
la manducation du pain et du vin. Ainsi le centre de l’Eucharistie se trouve dans l’instauration d’une
nouvelle façon de se rapporter à Dieu et aux hommes. C’est un point commun entre les deux récits.
Saint Jean lie la célébration de la Pâque à ses effets dans la communauté, notamment dans le
lavement des pieds de ses disciples (Jn. 13, 1-7), qui, dans la structure narrative du quatrième
Evangile se produit après avoir mangé l’Eucharistie260. Certes le récit de Luc est plus fidèle à la réalité
historique au sens où il est probable que l’institution de l’Eucharistie a été faite pendant le repas de
Pâque261. Pourtant il faut bien retenir que l’Eucharistie est liée à une dimension relationnelle,
présente chez Luc dans les versets 19 et 20 dans la formulation « du corps donné /du sang versé pour
vous ». Ainsi nous passons de la notion de jouissance à une relation d’altérité. Le rapport entre
jouissance et altérité nous incite à comprendre le récit de l’institution de l’Eucharistie à partir de sa
référence au monde.

b. Le pain dans le monde


Le monde reçu et le monde à construire, comme nous l'avons déjà explicité. Ces deux dimensions de
réception et de création apparaissent dans le récit à propos du temps. En effet il y a un temps qui
constitue le présent de l’institution de l’Eucharistie. Il n’est intelligible qu’à partir de son passé,
notamment à partir de la Pâque juive262. Cette appropriation du passé instaure une nouvelle manière
de vivre qui nous ouvre à l’avenir.

1. Le pain reçu grâce au corps.


Dans le présent du récit Jésus dit que ce pain et ce vin que lui et ses disciples sont censés manger et
boire sont Son corps et Son sang. Dans le contexte narratif, l'urgence est de célébrer ce repas car la
Passion est imminente263. Cette référence à la mort constitue une clef incontournable pour
comprendre la scène. Ce n'est qu'à l'approche de Sa mort que Jésus parle de Son corps. Afin de bien
saisir les enjeux de cette identification il nous faut nous pencher sur la Pâque juive.

La célébration de la Pâque se réalise dans un climat d’Alliance. Le don du corps de Jésus dans la mort
a du sens dans la mesure où nous sommes capables d’établir la relation entre cette Alliance et celle

260
Cfr. (Nolland, 1993b p. 1053.1055)
261
Cfr. (Meier, 2005 pp. 247-253; Nolland, 1993b p. 1055)
262
Cfr. Annexe 6.
263
Cfr. (Fitzmayer, 1985 p. 1398)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

de l’Ancien Testament. Il nous faut donc montrer le lien existant entre le présent de l’instauration et
le monde reçu de la tradition juive, présente dans le récit de Luc. 75

La nouvelle Alliance est incompréhensible sans l’Ancienne. Elle nous montre qu’il y a un lien fort
entre le peuple élu et son Dieu. Cependant au moment de l’instauration de l’Eucharistie nous voyons
que Jésus –le Dieu qui sauve– établit une nouvelle relation entre Lui et son peuple. Il faut
discerner les éléments déjà présents dans l’Ancienne Alliance et ceux vraiment nouveaux de cette
Alliance.

Le contexte de l’Ancienne Alliance est donné par la référence à la célébration de la Pâque (Lc. 22,
15)264. Luc utilise la structure de la célébration juive pour construire le récit de l’instauration265. 1.
Première coupe. 2. Les herbes amères. 3. Le récit de la Pâque. 4. Chant de la première partie du
Hallel (Ps. 113-114) 5. Deuxième coupe. 6. Le pain rompu et donné à manger. 7. L'agneau mangé. 8.
Troisième coupe. 9. Chant de la fin du Hallel (Ps. 115-118) (Schökel, 1998 p. 216). Cette célébration a
pour but de faire mémoire, de se souvenir de l’expérience vécue par le peuple au moment où le
Seigneur a sauvé son peuple du pouvoir de Pharaon (Ex. 12). Le lien entre les deux textes est clair,
surtout par la façon donc Luc a construit le récit, avec la présence de deux coupes266.

Jésus célèbre la Pâque juive en tant que tradition reçue. En effet dans les deux récits il y a une
intervention de Dieu qui cherche le salut de son peuple. En ce sens le point commun entre
l’intervention de l’Ancienne Alliance et la Nouvelle est le fait d’être des interventions faites « pour
vous ». Luc a la particularité de faire un lien étroit entre la tradition juive et le repas célébré avec les
disciples en Lc. 22, 14-20. Le fait de manger ce pain et boire cette coupe produit une jouissance
commune à toute nourriture.

Du point de vue théologico-phénoménologique la jouissance du repas est connotée par le désir de se


mettre en relation avec Dieu. Un Dieu qui se révèle au peuple dans son histoire, notamment au
moment de sa sortie d’Egypte. Le pain et la coupe rassasient le désir de se lier à Dieu grâce à la
mémoire des interventions que Dieu a faites auprès de son peuple. Autrement dit nous sommes
passés de l’extériorité de la nourriture à l’altérité de la relation avec Dieu.

264
Cfr. (Nolland, 1993b p. 1043.1047)
265
Cfr. (Schökel, 1998 p. 216; Fitzmayer, 1985 pp. 1398-1400; Nolland, 1993b pp. 1047-1048). Nous choisissons
celle donnée par Schöekel puisqu’elle présente un ensemble de références bibliques qui nous permettent de
mieux montrer les liens entre les deux Alliances, et la façon dont elles rejoignent l’action de manger.
266
Cfr. (Nolland, 1993b p. 1048)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

2. Le pain donné grâce au corps.


Cette dimension reçue est incontournable pour comprendre l’Alliance de Jésus dans le don de Son 76
corps et Son sang. Cependant si nous considérons la dimension plus créative de l’instauration de
l’Eucharistie, nous apparaît une nouveauté importante. En effet dans le cas de Jésus, le don implique
que Sa propre vie et Sa mort ont une intention sotériologique. L’intervention de Jésus – le Dieu qui
sauve – se fait grâce à la manière dont il a vécu son corps, et surtout dont il va donner Son corps dans
la mort. Son corps devient un lieu de rencontre entre l’action de manger ce pain et cette coupe,
dans le présent et Sa mort qui adviendra le lendemain. La nouveauté se trouve encore une fois dans
la concrétude du corps. En effet ce qui étonne n’est pas que Dieu veuille renouveler le lien avec Son
peuple267. C'est qu'il situe cette nouvelle Alliance dans le corps de Jésus.

Le don implique que Jésus – le Dieu qui sauve – se donne de tout Son corps pour nous. La notion de
corps fait référence à la vie de Jésus toute entière268. Ainsi le pain et le vin sont connotés car lorsque
Jésus dit « Ceci est mon corps… » (Luc 22, 19) et « Ceci est mon sang… » (Luc 22, 20). Le verbe (estin)
ne doit pas être compris dans le sens d’une identification mais comme une interprétation symbolique
et spirituelle269. Ainsi nous comprenons mieux la jouissance, liée à la dimension sexuelle du corps et à
la dimension temporelle d’avenir.

c. Les effets relationnels de manger de « ce pain ».


Le pain est pris, rompu et donné (Lc. 22, 19). Ces actions relèvent d’une motricité concrète.
Cependant celle-ci devient abstraite parce qu’elle acquiert une dimension symbolique. Elle nous
donne la clef herméneutique du geste de participation et de don du pain ; mais elle nous permet
aussi de comprendre autrement la jouissance en la liant à la dimension sexuelle dont nous avons
parlé à propos des guérisons. En effet la jouissance du « manger » ne reste pas enfermée sur elle-
même. Elle ne peut pas nous laisser enfermés car c'est toujours une jouissance par rapport à un
autre. « A ce titre, l’enroulement du moi sur soi dans la jouissance ne le conduit jamais à une clôture
sur soi, en sorte qu’au lieu de son retrait et de sa complaisance en soi, il conserve toujours la
possibilité d’ ’accueillir la révélation de la transcendance ’ * (Levinas, 1961 p. 124)] » (Rodolphe Calin,
2002 p. 835). C’est une nouvelle compréhension de l’intentionnalité par rapport à l’intentionnalité de
la représentation. Dans celle-ci tout objet est réduit à la pensée. Par contre dans la première le sujet

267
La nouvelle Alliance est une référence à Jeremiah 31,31-34. YHWH propose une alliance nouvelle avec son
peuple. L’Ancienne Alliance était celle du mont Sinaï qui se faisait avec le sang de 12 taureaux (Exode 24,8). Cfr.
(Fitzmayer, 1985 p. 1402; Nolland, 1993b p. 1054)
268
L’expression « swma » dans ce verset ne fait pas référence au cadavre (gûp) (1 Chroniques 10,12) ni à la
chair (basár) dans le sens que c'est un corps sans esprit (Ezéchiel 11,19 ; 36,26. Psaume 63,2 ; Job 4,15).
(Fitzmayer, 1985 p. 1400; Nolland, 1993b p. 1046)
269
Cfr. (Fitzmayer, 1985 p. 1400)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

affirme son indépendance de ce dont il jouit270. Toutefois il est en relation avec autrui –notamment
grâce à la sexualité. Par cette relation nous découvrons que la jouissance peut devenir « une 77
jouissance du transcendent » (Levinas, 1961 p. 233) qui est presque une contradiction de termes271.
En effet cela implique de dire que le besoin enveloppe un désir, deux termes qui dans le langage de
Levinas s'opposent.

Ainsi la jouissance vient à compléter la dimension sexuelle que nous avons présentée à propos des
guérisons. En effet, d’après les implications théologiques que nous avons tirées de la
phénoménologie de Merleau-Ponty, nous pouvons dire que la sexualité en tant que dimension nous
apprend la manière dont un sujet se rapporte à l’autre. Dans le cas de Jésus elle se concrétise par un
souci pour la vie d’autrui. Celui-ci permet d’établir de nouvelles relations avec soi-même, avec les
autres et avec Dieu. Autrement dit la jouissance à partir de cette dimension sexuelle implique un
comportement envers autrui et envers Dieu272.

Ainsi la concrétude du corps n’est pas uniquement l'acte de faire mémoire des événements passés.
Elle suppose une manière d’habiter le corps qui implique de se donner jusqu'à verser son sang, dans
le cas de Jésus. Verser le sang du monde de l’Ancien Testament est une façon d’exprimer le don de la
vie jusque dans une mort violente273. Du point de vue corporel il s’agit du don tout entier jusque dans
l’anéantissement du corps. Ainsi manger le pain et boire la coupe, maintenant corps et sang de Jésus,
n’implique pas seulement la satisfaction de faire mémoire, en signe de reconnaissance de l’action de
Dieu faite dans le passé, mais aussi de renouveler cette relation en se comportant corporellement
d'une nouvelle manière envers autrui.

Ce souci pour autrui se prolonge après la mort de Jésus. En effet le récit dans le verset 19 fait le lien
entre le pain/corps donné avec la mémoire (avna,mnhsin). L’objectif de cette recommandation est
double : d’une part elle présente Jésus en train de montrer que le don de ce pain et de cette coupe
est le symbole de la mort qui est proche. D’autre part l’Eucharistie devient le symbole du don concret
de soi grâce à l’attitude envers autrui274. Ces instructions impliquent un comportement dans le

270
Cfr. (Rodolphe Calin, 2002 pp. 835-836)
271
Cfr. (Rodolphe Calin, 2002 p. 836)
272
Dans ce cas nous abandonnons le concept de Dieu de Levinas pour nous référer au Dieu de la révélation. En
effet pour Levinas Dieu est « Il est autre qu’autrui, autre autrement, autre d’altérité préalable à l’altérité
d’autrui (DD *De Dieu qui vient à l’idée+, 115) » (Rodolphe Calin, 2002 p. 816). Certes cette définition montre
bien du point de vue de la théologie la distance entre Dieu et l’homme. Cependant sans la notion d’Incarnation
en Levinas il y existe un sort d’abîme transcendantal dont nous ne pouvons pas nous en sortir.
273
Cfr. (Nolland, 1993b p. 1057; Fitzmayer, 1985 p. 1403)
274
Cfr. (Nolland, 1993b p. 1047)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

monde, et cette exigence n’est pas étrangère au contexte de l’Alliance de l’Ancien Testament275.
Cependant elle est originale car Jésus adressa à ses disciples les instructions du dernier repas, avec 78
des mots « performatifs ». En effet elles ne prétendent pas redéfinir le pain, mais leur faire
reconnaître dans le pain mangé son propre corps qui est donné pour eux –et aussi pour nous. Ainsi la
manière de vivre le corps de Jésus devient la manière de construire la communauté. Par conséquent
il s’agit d’une nouvelle présence à l’intérieur de la communauté, non une nouvelle Incarnation mais
une participation à la même action réalisée par Jésus à partir de la résurrection276. Ainsi les
références à l’accomplissement du royaume de Dieu (Lc. 22, 16.18) impliquent que le fait de réaliser
le geste de l’Eucharistie n’est pas un décor, une explication de la mort qui est imminente ni une
anticipation de la liturgie de la résurrection. Il s’agit d’un souci corporel pour les disciples qui ne reste
pas dans l'immédiateté des besoins, qui n’est pas qu’un mémorial de l’action de Dieu dans le passé,
mais une manifestation qui invite à une actualisation dans notre corps des gestes de Jésus. Ainsi le
mémoriel inclut le geste liturgique bien sûr, mais aussi le geste du don de son propre corps pour les
autres. Autrement dit vivre la vie à partir du don tout entier du corps pour autrui.

Cette nouvelle présence dans la communauté est la présence de Jésus – le Dieu qui sauve – du
moment où la mort jusquà ce que le « Royaume de Dieu soit venu » (Lc. 22, 18). Cette dimension
eschatologique nous fait passer de la notion du corps à une dimension eschatologique qui, jusqu'à
maintenant était inconnue.

d. Vers une compréhension plus ample du corps.


Afin de mieux cerner cette conception du corps, nous essayerons de résumer les enjeux théologiques
à partir de cette analyse phénoménologique du récit de l’instauration de l’Eucharistie. Ils nous
inciteront à élargir la notion de corps du point de vue théologico-phénoménologique.

Considérer l’Eucharistie du point de vue de la corporalité nous a amenés à la considérer l’Eucharistie


comme action de manger. Elle nous ouvre à la dimension de la faiblesse du corps de Jésus. Celle-ci
enrichit le corps de Jésus en tant que modèle car elle ne propose pas une simple norme éthique, qui
ne connaîtrait pas les difficultés de la vie, et qui vivrait comme un maître assis sans bouger. Un des
éléments captivants manifesté grâce à notre analyse du corps se trouve dans sa concrétude. En effet
Jésus assume le côté pénible de la vie. Il devient modèle pour vivre un corps solidaire de toute
faiblesse parce que, d’après la phénoménologie de Levinas, la faim est la façon paradigmatique de

275
En effet elle apparait dans l’institution de la circoncision (Genèse 17,10 : « Et voici mon alliance qui sera
observée entre moi et vous, c'est-à-dire ta race après toi : que tous vos mâles soient circoncis. ») et dans la
relation avec le Sabbat (Exode 31,16 : « Les Israélites garderont le sabbat, en observant le sabbat dans leurs
générations, c'est une alliance éternelle. »). Cfr. (Nolland, 1993b p. 1057)
276
Cette est l’opinion de Léon-Dufour qui est citée par Fitzmayer. (Fitzmayer, 1985 p. 1392)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

s’approcher du corps faible et nu. Du point de vue théologique Jésus a partagé notre manière
d’habiter le corps dans sa faiblesse. Cela implique que Jésus –le Dieu qui sauve– peut faire naître un 79
monde nouveau à partir de cette faiblesse et cette nudité.

La faiblesse et la nudité nous laissent face aux besoins qui nous mettent en rapport avec l’extériorité.
Néanmoins ils ne sont que physiques. Cette condition inachevée et faible nous rend la
jouissance possible grâce à la satisfaction de ces besoins. La jouissance nous permet d’affirmer notre
condition de sujet (égoïsme). Cependant derrière ces besoins existe toujours le désir qui ne peut être
accompli mais qui invite toujours à la recherche car le désir se renforce dans le contact avec ce (ou
celui) qui est désiré.

Ces analyses nous situeront dans un contexte théologique. Ainsi l’institution de l’Eucharistie satisfait
la faim matérielle car dans le repas de Pâque il y a de la nourriture (du pain, du vin, des herbes
amères et de l’agneau). Dans le récit de Luc il y a une nourriture plus connotée, notamment le pain
et le vin. En effet Jésus les considère à partir d’une identité symbolique comme Son corps et Son
sang.

La dimension de faiblesse du corps à partir de ces considérations n’est que la référence au corps de
Jésus. Mais la solidarité expérimentée par le corps lui permet de se soucier d’autrui, en tant que
corps également faible. En effet ce souci qui nous a été clairement explicité dans les guérisons est
maintenant un souci qui inclut toute l’humanité. Dans la formule « pour vous », liée au pain/corps
donné et au sang/vin versé, nous entrevoyons la motivation qui pousse la liberté de Jésus vers le
don. Ainsi l’extériorité du « manger » est maintenant la relation avec l’altérité de Dieu qui a agi dans
l’histoire. Ce souci intègre le présent car dans le récit de l’instauration de l’Eucharistie, la nourriture
(le pain et le vin) est une manifestation du don radical qui sera vécu dans la mort sur la croix. Ce souci
intègre aussi le temps à venir par l'appropriation créative des gestes de la Pâque, impliquant une
nouvelle présence de Jésus dans la communauté, qui nous invite à faire mémoire dans la liturgie et
dans notre corps, de ce que lui-même a fait, donner son corps et son sang.

Ainsi le corps de Jésus grâce à l’Eucharistie acquiert une dimension eschatologique qui devient une
présence dans la communauté qui célèbre le mémorial. Quel mémorial ? Le mémorial liturgique de
toute évidence. Cependant il ne faut pas oublier que celui-ci ne se comprend qu'à partir de la mort et
de la résurrection. Autrement dit sans la considération du corps mort et ressuscité le mémorial est
illisible, voire menteur. Si nous ne comprenons pas les effets essentiels que le souci envers autrui a
sur le corps de Jésus, nous risquons toujours de défigurer le mémorial. Ainsi considérer le corps
devient un critère essentiel de discernement pour comprendre le corps de Jésus, et par conséquent
le nôtre.
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

*
80
A partir de ces réflexions se pose la question suivante : Quelle est la conséquence essentielle du souci
eschatologique de Jésus pour autrui? Autrement dit quel est le degré d’engagement (corporel) dans
la volonté eschatologique de Jésus –le Dieu qui sauve ?

§12. « Le corps à corps277 de la mort » (Emmanuelle Falque) : Analyse de


Luc 22, 39-23,56.
La question à laquelle nous voudrions répondre est la suivante : Quel est l’engagement corporel dans
la volonté eschatologique de Jésus – le Dieu qui sauve ? La question interroge la limite et le degré de
l’engagement de Jésus dans sa volonté de salut. Cela nous mène à considérer la limite de l’être-au-
monde de Jésus, en tant qu’existence humaine. Ainsi cette partie essayera de montrer la consistance
entre la mort de Jésus et la vie qu’il a vécue. Elle nous apparaîtra grâce au lien entre la mort et le
corps.

Certes, la christologie et l’anthropologie chrétienne font de la passion et la résurrection de Jésus un


unique événement : le mystère pascal. Toutefois du point de vue corporel il faut reconnaître que la
mort met fin à notre existence –au moins à la façon dont nous la connaissons. Ainsi, elle implique
une fissure entre l’existence que nous connaissons et une autre vie que nous ne connaissons pas,
mais nous avons foi en son existence. Emmanuelle Falque nous prévient de la tentation d’aller avec
trop d’empressement vers cette autre vie inconnue. Afin d’honorer la résurrection, Jésus doit habiter
jusqu'à la fin le corps. Ce dernier doit être vécu dans la lourdeur de la mort278. La détention du corps
dans ce moment est importante parce que la mort constitue un critère pour discerner ce qui est
important dans l’existence et ce qui reste banal279. Ainsi grâce à la compréhension
phénoménologique de la mort de Jésus, nous aurons accès à la radicalité de son engagement pour le
salut.

Afin d’analyser phénoménologiquement la mort nous recourrons à l'une des références


incontournables, Martin Heidegger. Notamment dans son analytique existentielle du Dasein,

277
Emanuel Falque utilise dans son travail indistinctement le terme corps et le terme chair.
278
Cfr. (Falque, 1999 p. 125). En fait dans la version apostolique du Credo Jésus descend vers la maison des
morts. Cette formulation a été conservée dans la version liturgique en português : « desceu à mansão dos
mortos ». Cela me semble une manière intéressante de montrer comment le Fils doit habiter le corps jusque
dans sa dimension la plus infime.
279
Ainsi, dans la spiritualité ignacienne une de manière de prendre une décision consiste à se situer devant la
mort. Cfr. (Murillo, 2002; Ignace de Loyola, 1991 p. 146 n. [186])
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

contenue dans son ouvrage de 1927 « Être et Temps ». Ainsi nous montrerons synthétiquement les
principales idées heideggériennes sur la mort280. 81

a. Apports et limites de l’analytique existentielle pour comprendre la mort de


Jésus.
L’essence du Dasein281 est l’existence282 : « En tant qu’il lui est essentiel d’être chaque fois disposé, le
Dasein est déjà plongé au milieu de certaines possibilités, en tant que pouvoir-être qu’il est, il en a
laissé passer d’autres, sans cesse aux prises avec les possibilités de son être, il les saisit au risque de
les saisir mal » (Heidegger, 1986 p. 189) indique que saisir le fait d’être-au-monde l’existence du
Dasein se réalise dans le fait de vivre. En fait, l’être est toujours immergé dans la vie qui lui donne
plusieurs possibilités. À chaque possibilité le Dasein projette l’existence, même s’il n’y pense pas283.

A la suite de cela, la mort est présentée dans les termes suivants chez Heidegger : « Le concept
pleinement ontologique existentiel de la mort peut être maintenant cerné par les déterminations
suivantes : la mort comme fin du Dasein est la possibilité la plus propre, sans relation, certaine et
comme telle indéterminée, indépassable du Dasein. » (Heidegger, 1986 p. 313).

Examinons alors la mort à partir de l’analytique du Dasein : « La mort comme possibilité ne donne au
Dasein rien à « réaliser » et rien qu’il puisse être en tant qu’il serait lui-même quelque chose de réel.
Elle est la possibilité de l’impossibilité de tout comportement envers…, de tout exister. » (Heidegger,
1986 p. 317). Ainsi avec la mort le Dasein est confronté à la possibilité de ne pas être-au-monde, car
l’existence –en tant que possibilité se termine. Elle ferme donc toute autre possibilité284.

La mort est certaine et en même temps, elle est une possibilité inattendue. Elle est en même temps
incertaine et indéterminée. Il s’agit d’une possibilité imminente car le Dasein une fois qu’il est né, est
assez vieux pour mourir. En effet à chaque instant le Dasein se comporte d’une manière déterminée
par rapport à la mort. Du point de vue ontologique, le Dasein « avance-sur-soi » (Heidegger, 1986 p.
334) est, à partir de cet avance, capable d’exister en s’appropriant ses possibilités d’existence. Cette
anticipation n’est possible que par la finitude mortelle.

280
Ces explications sont tirées de notre travail de licence en philosophie présenté dans le cadre du premier
cycle. Cfr. (Morgado, 2003)
281
Certes cet étant est l’être humain. Cependant Heidegger évite soigneusement le terme. Puis que les
disciplines qui s’occupent de l’être humain (p. ex. : l’anthropologie, la psychologie, la biologie, etc.) considèrent
cet étant comme un aspect de l’être qui a à se réaliser utilement.. Par contre le terme Dasein mettre en relief
l’existence en tant qu’essence du sujet (Heidegger, 1986 p. 73). Ces idées son exposées dans le §10 de
l’ouvrage Être et Temps. Cfr. (Heidegger, 1986 pp. 77-82)
282
Cfr. (Heidegger, 1986 p. 177)
283
Cfr. (Heidegger, 1986 p. 190)
284
« La mort est la possibilité de pure et simple impossibilité du Dasein » (Heidegger, 1986 p. 305).
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

Cette manière de projeter l’existence n’existe que parce que la mort est une possibilité qui laisse le
Dasein sans relation. En effet lorsqu’il meurt personne ne peut l’accompagner ni mourir à sa place. 82
Ainsi le Dasein est obligé de choisir pour lui-même sans recourir à personne, ainsi il est plus libre.

Le Dasein a deux formes d’existence : la propre et l’impropre. Le critère de distinction entre l’une et
l’autre se trouve dans la manière dont le Dasein se rapporte à la mort. Ces manières d’exister se
manifestent en deux structures ontologiques du Dasein : la disponibilité285 et la compréhension286.

La disponibilité quotidienne du Dasein est l’impropriété287. C’est à dire on comprend le Dasein plutôt
à partir du monde qu’à partir de soi-même. Le Dasein s’ouvre à l’existence à partir d’un
divertissement qui esquive la possibilité de n’être-plus-au-monde288. Ainsi, la disponibilité du Dasein
impropre d’exister vers la mort est la peur, et plus précisément la terreur, parce que la mort est une
menace insolite et possible à tout moment289. Devant la peur, le Dasein fuit dans une « constante
tranquillisation au sujet de la mort » (Heidegger, 1986 p. 308) qui se manifeste sous la forme d’une
« indifférence imperturbable pour o p p o s e r à l’ultime possibilité de son existence » (Heidegger,
1986 p. 309). Cela implique que même si personne ne doute que l’ «on meure » 290, néanmoins cette
certitude implique la mise à l’écart vers l’avenir de ce fait accablant ; parce que « un jour nous aussi
[mourons] mais pour le moment pas encore » (Heidegger, 1986 p. 310). Le Dasein impropre
n’assume pas la possibilité de n’être-plus-au-monde.

Par contre le Dasein propre, assume et endure cette possibilité. La mort est toujours une possibilité
et il la vit ainsi291. Ainsi l’existence propre du Dasein vers la mort, on peut la comprendre dans les
termes suivants : « la marche d’avancer révèle au Dasein la perte dans nous-on et le place devant la
possibilité d’être soi-même sans attendre de soutien du souci mutuel qui se préoccupe – mais d’être
soi-même dans cette liberté passionnée, débarrassée des illusions du on, factive, certaine d’elle-même
et s’angoissant : la l i b e r t é e n v e r s l a m o r t. » (Heidegger, 1986 p. 321). Cette manière
d’exister laisse le Dasein dans la disponibilité de l’angoisse qui fait ressentir le fait d’être-au-monde.

285
La disponibilité est caractérisée dans les termes suivants : « C’est un genre d’être existential de la
cooriginale ouvertude du monde, de la coexistence et de l’existence, parce que celle-ci est elle- même
essentiellement être-au-monde. » (Sic) (Heidegger, 1986 p. 181)
286
La disponibilité détermine une compréhension existentielle Cfr. (Heidegger, 1986 p. 189). Elle n’est pas
« intellectuelle » ; il s’agit plutôt d’une compréhension de soi-même qui se manifeste dans une façon d’être-au-
monde en s’appropriant des possibilités.
287
Cfr. (Heidegger, 1986 p. 191)
288
Cfr. (Heidegger, 1986 p. 180). En d’autres termes l’attitude devant la mort est la suivante : « Rien que
‘penser à la mort’ passe publiquement pour de la pusillanimité du manque d’assurance de la part du Dasein, et
pour une lugubre fuite hors du monde » (Heidegger, 1986 p. 309)
289
Cfr. (Heidegger, 1986 p. 187)
290
Cfr. (Heidegger, 1986 pp. 214-217). Le Dasein vit toujours sur la domination du nous-on manifestée sous la
forme de l’ « on-dit » : « on meurt », « on travaille», etc.
291
Cfr. (Heidegger, 1986 p. 316)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

Ainsi le Dasein propre qui anticipe la mort existentielle expérimente l’angoisse car il comprend qu’il
choisit son existence à chaque fois car cette possibilité ferme toute autre possibilité. Par conséquent, 83
à chaque fois l’être-au-monde tout entier est en jeu. Ainsi l’angoisse est la disponibilité qui permet
au Dasein d’être-au-monde radicalement, sans fausses illusions292.

D’un point de vue théologique nous sommes obligés de discerner quels sont les éléments pertinents
de la phénoménologie heideggérienne pour comprendre la mort de Jésus. Et quels éléments de sa
mort dépassent l’analytique existentielle.

La phénoménologie d’Heidegger montre bien que la mort de Jésus peut être considérée comme la
mort du Dasein propre. Il y a au moins deux considérations théologiquement intéressantes.

La première considération théologique part de la mise en valeur de la fragilité de l’existence comme


la possibilité qui permet au Dasein d’exister proprement293. Cette analyse paradoxale de notre être-
au-monde nous permet d’affirmer –d’un point de vue théologique– que l’attitude de Jésus devant la
mort devient une confirmation de toutes les autres appropriations de possibilités de Son existence.
Cela est clair si nous considérons, par exemple, la prière de Jésus au mont des oliviers : « Père, si tu
veux, éloigne de moi cette coupe ! Cependant, que ce ne soit pas ma volonté, mais la tienne qui se
fasse ! » (Lc. 22, 42). Nous voyons qu’il s’agit d’une expression qui vérifie la vie menée jusqu'à ce
moment et dont la mort sur la croix est une conséquence. Si nous reprenons les analyses
phénoménologico-théologiques développées à partir du corps, nous pouvons affirmer que le « nom »
de Jésus (Lc. 2,22) – en tant que Dieu qui sauve – a été approprié corporellement jusqu'à produire
une motricité consécratoire vers le Père (Lc. 2,40.52). Celle-ci a permis d’habiter le corps de manière
éloquente, notamment grâce à ses paroles et à ses actions (Lc. 4, 14-30). Cette double activité
motrice lui a valu la reconnaissance d’une certaine autorité (Lc. 5,24) qui dans Sa manière de vivre, a
généré la possibilité de faire naître un monde nouveau. Un monde dans lequel le souci pour autrui
commence par guérir les besoins les plus corporels et atteint jusqu’aux désirs qui nous permettent
de nous ouvrir vers l’Altérité (le Père de Jésus). Bref les guérisons montrent un souci de restituer la
vie dans toutes ses dimensions parce que par Son action, les relations entre les êtres humains et Dieu
sont restituées (Lc. 8, 40-56). Ce souci n’est pas que temporel mais aussi eschatologique. En fait
l’institution de l’Eucharistie est le don du corps et du sang de Jésus dans cette dimension temporelle
(Lc. 22, 14-20). Ainsi faire la volonté du Père jusqu’au bout implique de continuer ce processus de
don pour le salut de l'humanité, salut déjà en germe dans le nom donné à Jésus (le Dieu qui sauve).

292
Cfr. (Heidegger, 1986 pp. 233-240)
293
Cfr. (Falque, 1999 p. 119)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

La deuxième considération théologique se sert des analyses sur l’angoisse qui sont très pertinentes
car elles éclairent les effets existentiels du conflit entre l’autorité de Jésus et le pouvoir politico- 84
religieux. En effet vivre improprement –sur la domination du nous-on294– est facile. Le Dasein
impropre se sent toujours chez lui, toutefois s'approprier les possibilités est toujours conflictuel. En
effet c’est le conflit que Jésus a vécu à propos de son autorité. Le poids existentiel d’être conscient
de la nécessité d’exister à chaque moment mène à Gethsémani. En effet, nous y voyons Jésus « entré
en agonie » (Lc. 22, 44). Ce verset illustre bien l'atmosphère de la Passion. Ainsi le conflit n’est pas
uniquement extérieur, il est vécu par Jésus lui-même. Le conflit avec l’autorité politique était déjà
annoncé à propos de l’autorité, l’horizon de la Passion ajoute l’engagement total de Jésus pour faire
naître une nouvelle manière d’habiter le monde, puisque Jésus est capable de mourir (ne-être-plus-
au-monde). Cet engagement qui est motivée par la volonté de donation totale de Jésus -manifestée
notamment dans l’Eucharistie– ne lui épargne pas l’angoisse qui expérimente tout être humain
devant la finitude de l’existence.

Cependant les analyses heideggériennes doivent être complétées pour bien approfondir le mystère
de la mort de Jésus ; et ceci au moins sur deux points. D’abord ces idées ne nous aident que pour
comprendre le récit jusqu'à Gethsémani. En effet le philosophe allemand ne considère pas
suffisamment l’angoisse dans sa dimension corporelle295. Cette omission entraîne une deuxième
remarque liée à la première à propos de l’examen de la mort en tant que possibilité sans relation. Du
point de vue théologique si nous ne considérons pas le corps, la mort sur la croix devient insignifiante
car tout le drame est déjà présent à Gethsémani. Et sans la considération de la dimension
relationnelle, la mort de Jésus perd son sens et devient un acte masochiste.

b. Le corps à corps de la mort de Jésus


Dans le récit de Gethsémani l’angoisse (agonie) est un état corporel296 plutôt qu’un état d’esprit à la
manière de Heidegger. Afin de bien saisir les enjeux théologiques, nous devrons considérer
« L’angoisse ‘en’ chair » (Falque, 1999 p. 137)297. Sans elle, nous ne comprenons rien de la mort de
Jésus. Heidegger –dans « Etre et Temps » – montre que l’angoisse est conditionnée par des
dispositions physiques : elle nous prend « à la gorge » (angustia), et cela nous coupe le souffle et
donc la parole. Cependant l’angoisse n’est pas l’incarnation d’un état d’esprit mais constitue
l’impossibilité de toute possibilité pour dire l’être de ce qui nous arrive –comme dira le même auteur

294
Cfr. (Heidegger, 1986 p. 335)
295
Cfr. (Falque, 1999 p. 135)
296
En fait : le corps est par terre (Luc 22, 41), l’angoisse se manifeste dans les gouttes de sueur (Luc 22,44).
297
Nous reprenons quelques idées de Falque sous la forme de quelques points d’attention,. Ces idées
présentent l’avantage d’apporter des intuitions très lucides et percutantes. Par contre, l’auteur manque de
rigueur dans ses développements relatifs à une lecture de la Bible. En effet il opère des connexions, qui du
point de vue de l’exégèse, sont discutables.
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

dans « Qu’est-ce que la métaphysique? »298. Situer la mort dans l’espace de l’être empêche alors une
attitude adéquate pour approfondir le mystère de la mort. La proposition ontologique de Heidegger 85
oblige à la parole. Toutefois le spectacle du corps souffrant devrait nous inviter à rester en silence
parce que sans ce silence nous ne sommes pas capables de percevoir le drame du corps. Si nous ne
prenons que la phénoménologie heideggérienne, notre compréhension s’arrête au moment où finit
la parole, soit précisément au moment où la passion commence. En effet toutes les paroles sont déjà
dites dans la prière de Luc 22,42. Le reste de la Passion ne serait alors qu’une explicitation
redondante.

Cette conclusion est théologiquement discutable car sans l’assomption dans le corps de Jésus de la
mort – en tant que conséquence de la vie de donation qu’Il a vécue – nous n’aurons pas la certitude
que Jésus peut vraiment nous sauver. Ainsi, la considération de l’intégralité de la Passion n’est pas
uniquement une problématique spéculative mais un point central pour affirmer que Jésus est
vraiment le Dieu qui sauve. Ainsi, la considération de l’ensemble de la Passion – et sa conséquente
dynamique299 – est centrale afin de découvrir ce que signifie l’appropriation existentielle des
possibilités chez Jésus300.

L’appropriation existentielle des possibilités se fait grâce au corps. Cette affirmation est valable pour
la vie de Jésus et aussi pour sa mort. Dans la Passion le corps a une présence prééminente. Cette
prééminence se manifeste dans la sueur du sang (Lc. 22, 44) jusqu'au corps mort et enseveli (Lc. 22,
55). Dans ce parcours, nous découvrons trois points d’attention : Le premier est lié aux positions
physiques du corps. Le deuxième est attaché à l’activité du corps. Et le troisième se révèle à partir
des relations de Jésus avec autrui et avec Dieu le Père.

1. Les positions du corps de Jésus.


Dans le récit de la Passion nous voyons que les positions du corps sont beaucoup plus éloquentes
que les paroles, ou plus précisément que les paroles de Jésus ont été aussi fortes parce qu’elles ont
été prononcées par le corps de Jésus en ces circonstances301. Le récit commence avec le corps par
terre (Lc. 22, 44) précisément au moment où Jésus décide de faire la volonté du Père (Lc. 22, 42). A
partir de ce moment-là le corps commence à souffrir et toute la souffrance y demeure : 1. La trahison
s’exprime dans le corps. Notamment dans le baiser de Judas qui sert à indiquer à la foule –guidée par
ceux qui avaient autorité politique : grands prêtres, chefs des gardes du Temple et anciens – qui ils

298
Cfr. (Falque, 1999 p. 137)
299
En effet il est clair dans les exercices spirituels de Saint Ignace. Cfr. (Ignace de Loyola, 1991 pp. 158-1161 n.
208.9 et 209 3.6)
300
Cfr. (Falque, 1999 pp. 119-120)
301
Cfr. (Falque, 1999 pp. 138-139)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

doivent arrêter (Lc. 22, 54) ; et elle se manifeste aussi dans le regard fixé sur Pierre (Lc. 22, 61-62) qui
souligne la sensation d’abandon de Jésus. 2. L’humiliation se manifeste corporellement. Il est arrêté 86
(Lc. 22, 53) comme un brigand ; on le frappe et lui voile le visage (Lc. 22, 63-64) ; l’ironie des
vêtements splendides (Lc. 23,11) ; le châtiment proposé par Pilate (Lc. 22, 16.22) et la condamnation
à mort (Lc. 22, 22). 3. Le corps nu sur la croix (Lc. 22, 33-34), Jésus y expérimente tout le poids de la
fragilité : la soif (Lc. 23, 36) la douleur (Lc. 23, 40) et finalement la mort (Lc. 23, 46). 4. Après la mort
Son corps devient cadavre dont il faut s’occuper (Lc. 23, 48, 52-53.55-56).

La parole définitive de Dieu se trouve dans le corps souffrant de Jésus parce que celui-ci exprime son
identité la plus profonde : le Dieu qui sauve. Le corps nous présente d’abord un message « Dieu
sauve », mais ce même corps nous montre la manière dont Dieu sauve. Ainsi nous ferons silence
devant l’expérience muette du corps de Jésus dans la Passion. Nous centrerons notre regard et notre
écoute sur le corps parce que les paroles au fur et à mesure que la Passion avance se font rares et
nous ne croyons pas qu’il y ait des mots plus éloquents que le propre corps du Christ pendu sur la
croix. « Que cesse tout discours et que parle la douleur : tel est probablement le premier, et le plus
impérieux, commandement d’une ‘phénoménologie du souffrir’ » (Falque, 1999 p. 147).

2. L’activité du corps de Jésus.


A partir du corps déchiré et souffrant nous pouvons découvrir la dynamique du récit maintenant liée
à la manière dont Jésus vit sa propre liberté dans le corps. Il l’exerce d’une manière active au début
du récit par Sa prière (Lc. 22, 42). En effet dans cette prière nous trouvons la liberté dans son
expression302 la plus grande. L’affirmation est prononcée par le corps de Jésus qui est à genoux (Lc.
22, 41). A partir de ce moment Jésus suit un chemin de dépouillement de lui-même. Il perd de plus
en plus l’initiative et tombe dans la passivité. Le corps de Jésus est pris et amené au jugement. Son
corps est humilié jusqu’être exposé dans sa fragilité nue sur la croix. Finalement son corps (cadavre)
est mis au fond du rocher, « où personne encore n’avait été placé » (Lc. 22, 53).

Ainsi le corps dans la Passion est vécu à partir de la passivité. Elle se trouve au début et à la fin303.
Ainsi la naissance et la mort se retrouvent304 : « Une passivité originaire donc –et ordinaire selon
l’humaine loi de la finitude– précède et fonde toute activité » (Falque, 1999 p. 123). La fragilité
corporelle de la naissance lui a permis de se constituer dans son identité, l'horizon de la mort est
une manière d’assumer l’être-au-monde dans sa radicalité car Jésus lui-même a souffert le monde
grâce à son corps. En effet «Telle est aussi la raison pour laquelle le Christ non plus qu’aucun homme,
ne peut à si bon compte fuir son inéluctable immanence en ce monde ainsi que la radicale traversée

302
Ainsi l’a montre notamment la théologie de Maxime le Confesseur. Cfr. (Maxime, 1996)
303
Cfr. (Merleau-Ponty, 1945 p. 260)
304
La même intuition nous la trouvons chez Ignace de Loyola (Ignace de Loyola, 1991 pp. 114-115. n. 116)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

de sa propre nature corruptible (meta-phusis). » (Falque, 1999 p. 124). Cette passivité présente dans
la nature corruptible implique une solidarité profonde avec l’humanité. 87

Afin de découvrir les conséquences essentielles de cette solidarité nous devrons analyser comment
cette humilité de Jésus se vit dans le corps. « L’humilité de sa tombée par terre sur le sol du
Gethsémani (humus) pousse ainsi en quelque sorte à son terme l’habiter de sa prise en chair
(incarnatio) de Bethléem au Golgotha : ‘Dieu a créé le ciel et la terre pour que l’homme y habite,
ainsi a-t-il créé le corps et l’âme de l’homme pour qu’il soit sa propre demeure, pour qu’il habite et
repose dans le corps, comme dans sa propre maison’* nous dit Macaire d’Egypte+. Éprouvant la
lourdeur du monde ou la charge de sa finitude, le Verbe n’en fuit donc pas l’habitacle dans un
passage –au contraire–, ‘il se fait chair et plante sa tente *habite+ parmi nous’ dans un pâtir (Jn 1,
14) » (Falque, 1999 p. 125). Comme nous l'avons déjà vu notre corps est inséparablement lié au
monde. Ainsi la fragilité corporelle –comme à la naissance– nous présente l’endroit à partir duquel
endurera cette souffrance : la marginalité. C’est un endroit à partir duquel Jésus vit son corps, mais
aussi un endroit où il veut librement se placer.

Le corps nous dévoile la marginalité comme une clef herméneutique majeure pour comprendre le
corps de Jésus, et notamment le corps fragile. La marginalité était présente au moment de la
naissance. La crèche (Lc. 22,7) de même que les personnes qui le reconnaissent, les bergers (Lc. 2,8-
11.15-18). Le récit de l’hémorroïsse (Lc. 8, 43-48) nous montre que cette marginalité devient dans
son action –paroles et gestes– un souci envers les exclus, notamment en touchant et en rendant
visibles celles et ceux qui étaient intouchables et invisibles. Ce souci chez Jésus arrive jusqu'à devenir
lui-même un marginal. Autrement dit dans le récit de la Passion nous voyons que c'est le corps de
Jésus qui plante sa tente dans la marge, précisément dans le fait d’être traité comme un marginal.

3. Le corps de Jésus comme une relation nouvelle avec autrui et avec Dieu le Père
Cette condition marginale nous dévoile la dimension relationnelle du corps. Pour bien la saisir il
faudra la lier à la condition eucharistique du corps.

Par conséquence la condition marginale de Jésus vient compléter la notion eucharistique du corps.
En fait à partir de ce regard les mots de Jésus : « Ceci est mon corps, donné pour vous» (Lc. 22, 19)
sont entendus autrement305. Le corps qui dans l’Eucharistie était symbolisé par le pain implique,
maintenant -au seuil de la passion- une nouvelle manière de nourrir : « nourrir n’est pas seulement
et exclusivement donner du pain à ceux qui n’en ont pas, mais aussi dispenser la Vie en se donnant
lui-même en guise de ‘pain de vie’ » (Falque, 1999 p. 155). Ainsi la nouvelle manière d’habiter le

305
Cfr. (Falque, 1999 p. 121)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

corps en tant que souci (corporel) envers les marginalisés ne peut pas se réduire à une déclaration
verbale. Si nous prenons au sérieux deux affirmations, d’abord l’affirmation philosophique « je suis 88
mon corps » (Merleau-Ponty, 1945 p. 186) et ensuite l’affirmation théologique que dans le corps
fragile et nu du crucifié –qui a renoncé à toute ambition de toute puissance- se manifeste le salut de
Dieu, nous ne pouvons qu’affirmer que la mort de Jésus est toute entière relation306. En effet la mort
de Jésus est le corps donné pour nous nourrir (« … donné pour vous » Luc 22, 19) et la négation de
tout héroïsme car la mort de Jésus est la consécration de sa motricité au Père jusqu’à son expiration
(« que ce ne soit pas ma volonté, mais la tienne qui se fasse ! » Luc 22, 42). Ainsi la mort de Jésus
est un don total envers autrui et envers Dieu.

Par conséquent toute tentative de comprendre la mort de Jésus sans cette dimension relationnelle
passe à côté du sens de la mort de Jésus. Le corps de Jésus dépouillé de tout, marginal jusque dans la
nudité et démuni même de paroles nous laisse devant le silence du corps souffrant et finalement
mort. Cette exposition démesurée –même impudique– du corps faible cache d’une part la toute
puissance de Dieu307 et d’autre part la puissance de l’homme308. Cependant ce corps souffrant nous
découvre qui est Dieu, jusqu'à quel point il assume l’humanité et le sens de sa mort. Mais aussi qui
peut-être l’homme dans sa relation avec Dieu.

Si nous sommes d’accord que pour Jésus, le sens de la souffrance est le désir de rédemption , nous
pouvons dire que ce qui est digne de fois n’est ni Sa mort ni Sa souffrance elles-mêmes. Elles sont
dignes de foi dans la mesure où elles montrent l’amour309. Ainsi la mort de Jésus ne peut pas être
celle de l’être propre vers la mort mais celle d’un être qui meurt pour montrer l’amour du Père
envers l’humanité.

La mort de Jésus fait à Dieu-même solidaire de toutes les souffrances humaines. En effet Jésus a
éprouvé l’angoisse dans son propre corps, l’infirmité de toute sa chair ne lui est pas étrangère310.
Cette solidarité mène souffrir d’une manière qui établit une nouvelle relation entre Dieu et l’homme.
Jésus meurt en livrant sa vie : « se livrer c’est plus que se dévouer, c’est plus que s’abandonner à
Dieu. Se livrer enfin, c’est mourir à tout soi-même, ne plus s’occuper du moi que pour le tenir tourné
vers Dieu » (Falque, 1999 p. 170).Cette dimension du corps donné nous montre que sa mort n’aurait
pas de sens sans cette relation avec le Père. Jésus dans sa mort peut être pleinement lui dans la
disparition de lui-même, jusque dans la mort.

306
Cfr. (Falque, 1999 p. 128)
307
Le cinquième point de considération de la prémière contemplation de la troisième semaine des Exercices
Spirituels. Cfr. (Ignace de Loyola, 1991 pp. 152-153 n. 196)
308
Cfr. (Falque, 1999 p. 159)
309
Cfr. (Falque, 1999 p. 142)
310
Cette est la pensée de Charles Péguy cité par Falque. Cfr. (Falque, 1999 p. 166)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

Ainsi Jésus rompt l’isolement de la mort car d’une part Dieu, grâce au corps de Jésus est solidaire de
la mort et de la souffrance de cette mort. Et d’autre la manière dont Jésus meurt invite à vivre la 89
mort de chaque être humain comme une mort en relation avec Dieu.

Jésus, par son corps, établit dans sa mort une relation entre Dieu et l’homme. Sa manière d’habiter le
corps –sous forme de fragilité, de passivité et de dépouillement de soi– nous montre non seulement
un modèle mais aussi un chemin311 ou plutôt le corps nous montre une manière de parcourir le
chemin. En conséquence le corps à corps avec la mort nous fait reconnaître la condition relationnelle
de toute notre existence.

Notre recherche nous a amenés à considérer le corps de Jésus dans sa croissance. Grâce aux yeux de
la phénoménologie nous avons pu voir le corps puissant et le corps faible et nu d'un autre point de
vue, en nous montrant les possibilités théologiques ouvertes à chaque moment du développement
du corps de Jésus.

Toutefois Heidegger voit bien le fait que lorsque nous mourrons nous ne-sommes-plus-au-monde.
Cependant le récit de l’Evangile ne s’arrête pas dans la mort de Jésus, le récit finit par les récits de la
résurrection qui mettent au centre le corps de Jésus.

Si Jésus en tant que chemin nous ouvre à une relation nouvelle entre l’homme et Dieu, établie grâce
au corps, nous sommes obligés d’aller jusqu’au bout du chemin. Cependant parler du corps après la
mort devient presque un contresens, car il s’agit de parler du corps après le corps.

Ainsi il nous faudra regarder avec les yeux de la phénoménologie le corps ressuscité au chapitre 24
de l’Evangile de Luc, afin de dévoiler quelle sont les conséquences théologiques de cette
considération du corps ressuscité.

311
Cfr. (Falque, 1999 p. 171)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

4. Le corps après le corps : Le corps Ressuscité (Luc 24)


90
Ainsi convient-il, au terme de cette analytique de l’incarnation (finitude, souffrance et mort) d’ouvrir
cette fois vers une difficile, mais possible, analytique de la résurrection (naissance et incorruptibilité) »
(Falque, 1999, p. 178)

§13. La résurrection comme réinvention chrétienne du corps.


Nous analyserons dans cette partie la résurrection. Si dans l’incarnation l’origine était dans le corps –
le corps objectif et phénoménologique-, nous le trouvons aussi dans la Résurrection Par conséquent
nous nous centrerons dans cette dimension corporelle, tout en sachant qu’elle n’épuise pas le
phénomène pensé qui est la Résurrection de Jésus.

Si la mort de Jésus implique une confirmation corporelle de toutes les possibilités existentielles dont
Jésus s’est appropriée pendant sa vie, la Résurrection du corps est une récapitulation et une
ouverture. Récapitulation parce qu’elle donne un sens à la vie de Jésus –notamment à sa mort. En
effet grâce à la Résurrection nous découvrons que la vie n’est pas uniquement une manifestation
extérieure vers autrui comme dans le cas des guérisons, mais qu'elle produit des effets sur le corps
de Jésus. La résurrection est une ouverture car elle nous présente une nouvelle compréhension du
corps qui élargit la compréhension phénoménologique du corps. Ainsi du point de vue de la théologie
la bonne nouvelle du corps trouve un sens plus profond dans la Résurrection. Afin d’être logique avec
le parcours que nous avons suivi, nous devrons considérer la résurrection du point de vue corporel.

Certes les récits sur la Résurrection présentent une grande différence entre eux –en prêtant
attention aux particularités théologiques de chaque évangéliste. Toutefois tous les récits sont
d’accord sur deux points : 1. Le cadavre n’est pas au tombeau. 2. La résurrection présente un rapport
étroit avec le corps du crucifié mais sans une continuité absolue. Analysons donc chacune de ces
affirmations dans l’Evangile de Luc.

a. Les enjeux du tombeau vide.


Le tombeau vide nous dit quelque chose sur le corps de Jésus Ressuscité312. Par conséquence nous
devrons analyser les références corporelles de Lc. 24, 1-9.

La première référence corporelle de la péricope montre que le corps sera parfumé (Lc. 23,56-24,1).
Cela nous informe que le corps de Jésus était vraiment mort. En effet cette façon de traiter les corps
est propre au peuple juif du premier siècle.

Cependant le cadavre ne se trouve pas dans le tombeau (Lc. 24,2.5-6). Cette absence mérite une
explication. Le récit des hommes en habit éblouissant (Lc. 24, 4) donne sens à cette absence. En effet

312
Dans le chapitre 24 du troisième Évangile nous trouvons 19 références corporelles. Cfr. Annexe 9
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

la clef herméneutique se trouve dans la question qui termine le verset 5 : « Pourquoi cherchez-vous
le Vivant parmi les morts ? ». Ainsi l’affirmation la plus forte est de dire que Jésus n’est pas mort. Son 91
corps n’est pas un cadavre : Jésus est vivant.

Ainsi les références corporelles sont paradoxales : le corps de Jésus était bien mort mais il est vivant.
Ce paradoxe établit un lien entre le corps du Ressuscité et le corps phénoménal de Jésus-en tant que
corps vécu. Les paroles auxquelles le récit fait référence sont les annonces de la Passion (Cfr. Lc.
9,22.44 ; 12, 50 ; 17,25 ; 18,31-34). A partir de la structure de l’Evangile l’auteur montre que Luc
prétend faire un lien entre la Résurrection et la vie de Jésus. Ce lien est très important pour la
première communauté. Et il devient -dans l’histoire de la dogmatique- l'une des affirmations
centrales de la foi.

Dans cette péricope, le signe de la Résurrection est un tombeau vide. Pas n'importe quel tombeau
mais celui de Jésus. Si le corps absent était un autre que celui de Jésus le signe serait
incompréhensible. Sans ce rapport au corps phénoménal de Jésus la mémoire chez les femmes serait
impossible. Et plus radicalement si le corps du Ressuscité est autre que le corps faible et nu du
crucifié, la solidarité du corps avec notre faiblesse ne nous sauve pas. En effet si Jésus doit partager la
lourdeur de la mort dans son corps, le triomphe de la vie doit être aussi corporel. Cette
caractéristique corporelle constitue la particularité des récits évangéliques

Cependant le récit du tombeau vide (Lc. 24, 5-6) reste un signe muet car il s’agit d’une double
absence du corps : d’une part le cadavre n’est pas dans le tombeau ; et d’autre part le corps
phénoménal n’est pas présent non plus. Ainsi le tombeau vide est insuffisant comme épreuve de la
Résurrection. Cette insuffisance découle du fait qu’elle ne nous dit pas la manière dont le corps du
Ressuscité se manifeste. La description plus significative du corps du Ressuscité –au moins dans le
troisième Évangile – se trouve dans le récit des « deux disciples d’Emmaüs » (Lc. 24, 13-35).

b. Les manifestations du corps du Ressuscité.


Il y a neuf références corporelles dans la péricope des disciples d’Emmaüs. Elles peuvent être divisées
entre celles qui se réfèrent au corps de Jésus et celles qui se réfèrent à celui des disciples313. A partir
de ces références nous pouvons dire que le récit présente la structure suivante : 1. Les yeux des
disciples ne le reconnaissent pas (Lc. 24,16). 2. L’intervention du corps de Jésus qui ouvre
l'intelligence de leur cœur (Lc. 24, 25) et leurs yeux (Lc. 24, 31) ; et 3. Le cœur qui brûle et fait
immédiatement marcher les disciples vers Jérusalem (Lc. 24, 32-35).

313
Cfr. Annexe 7.
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

1. Les yeux des disciples ne reconnaissent pas Jésus (Lc. 24,16)


Commençons donc notre analyse avec le verset 16. Le fait que les disciples ne reconnaissent pas 92
Jésus en personne lorsqu’ils conversent donne à penser. Considérons le récit des disciples. Il est
imprégné d’obscurité et de désespoir314. Cela implique une manière de se rapporter au corps du
Ressuscité qui est déterminée par une compréhension de l’histoire du corps de Jésus (Lc. 24, 19-23).
Le récit des disciples sur « Ce qui concerne Jésus de Nazareth » (Lc. 24, 19) constitue une chronique
corporelle de l’échec de Jésus sur la croix. Utilisons le langage théologico-phénoménologique que
nous a donné le parcours de notre recherche afin de mieux écouter le récit des deux disciples : Jésus
a vécu son corps comme la manifestation de paroles et d'actions qui ont eu des effets sur le corps
des autres, notamment sur ceux des marginaux. Cette activité de maître et de thaumaturge était une
manifestation corporelle de l’autorité (identité) de Jésus (Lc. 24, 19). Cependant l’autorité politique
l’a rejetée jusqu'à faire de son propre corps celui d’un marginal pendu sur la croix (Lc. 24, 20). Il a
crée des attentes chez les disciples qui n’ont pas été accomplies, le corps de Jésus est mort, son
cadavre repose depuis trois jours au plus profond du rocher (Lc. 24, 21 en relation à Lc. 23, 53). Ce
que les yeux des disciples n’arrivent pas à voir est que le fait de ne pas avoir de cadavre implique la
Résurrection de Jésus (Lc. 24, 22-23) parce qu’ils n’ont pas vu Jésus (Lc. 24, 24). Autrement dit, ils
demandent de voir le corps du Ressuscité.

La demande des disciples théologiquement très intéressante car ils veulent d’être bien sûrs qui a
Ressuscité est le même qui était mort en croix. Elle est très raisonnable si nous considérons la
constatation grave du pouvoir de la mort. Ainsi faut-il prendre au sérieux l’abattement des disciples
d’Emmaüs. A partir de cette condition nous pouvons demander : Quelles sont les caractéristiques du
corps de Jésus qui le font méconnaissable aux yeux de disciples ?315 Afin de répondre cette question
nous devrons considérer la manière dont le corps de Jésus se manifeste après la résurrection et les
effets qu’il produise chez les disciples.

2. L’intervention du corps de Jésus qui ouvre l'intelligence de leur cœur (Lc. 24, 25) et leurs
yeux (Lc. 24, 31)
Si nous avons dit que le corps du Ressuscité était le même que celui du Crucifié comment
comprendre l’aveuglement des disciples? Cet aveuglement nous dit quelque chose sur le corps de
Jésus.

314
Cet aveuglement nous l’avons déjà rencontré dans le développement de notre recherche. Si nous nous
souvenons du corps de la hémorroïsse, nous avons vue que le corps malade détermine une manière d’habiter
le monde dont il n’est pas tout à fait facile de s’en sortir. L’incapacité de reconnaître peut être considérée
comme une guérison de l’aveuglement.
315
Cfr. (Nolland, 1993b, p. 1201)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

Les explications de cette cécité sont multiples. Nolland affirme qu’il s’agit plutôt d’un aveuglement
produit par le pouvoir du démon. Cette opinion est valable, cependant pour la maintenir il faut faire 93
une construction théologique trop compliquée. A notre avis il plus éloquent de penser à un
changement de l’apparence de Jésus. Ainsi nous pouvons affirmer que : « *…+ tout en restant
identique à lui-même, le corps du Ressuscité se trouve dans un état nouveau qui modifie sa forme
extérieure » (L'École Biblique de Jérusalem, 1998, p. 1805). Cette opinion présente certains points en
commun avec les autres évangiles. En effet nous retrouvons cette même idée dans l’Evangile de
Jean (20,14 ; 21,4.6-7) ; de Mathieu (28,17) et notamment dans l’Evangile de Marc (16, 12) 316.
Autrement dit, il s’agit d’un corps vivant, un corps humain. Toutefois il s’agit d’un corps
« transfiguré » (Mc. 16,12)317 : c'est-à-dire un corps qui est impossible à reconnaître à une première
vue318. Sans ce décalage entre le corps phénoménal de Jésus et celui du Ressuscité le récit du chemin
d’Emmaüs est incompréhensible. Il faudra donc analyser les similitudes et les différences avec le
corps phénoménal de Jésus.

Le corps présente des caractères communs avec le corps de Jésus avant sa mort. En effet il s’agit d’un
vrai corps –capable d’intervenir dans le monde. En effet comme nous montre le récit, le corps du
Ressuscité marche (Lc. 24, 15), parle (Lc. 24, 17. 19. 25-27), rompt le pain (Lc. 24,31) et
implicitement nous sommes devant un corps qui mange (Lc. 24, 31.41-43). Cette dimension
corporelle de la Résurrection est bien soulignée par l’auteur du troisième Evangile –notamment dans
la péricope suivante (Lc. 24, 36-43)319.

Cependant il faut éviter de rester enfermé dans une assimilation absolue entre le corps du Ressuscité
et le corps phénoménal de Jésus avant sa mort. Sans cette prise de distance nous risquons de rester
dans une compréhension naïve de ce mystère. La précision est nécessaire pour des raisons
philosophiques et théologiques. Du point de vue philosophique la mort la plus radicale est la
disparation du monde, cela implique que même si l’existence est finie la mort la plus radicale se
produit lorsque nous oublions à la personne qui est morte320. Ainsi la mort présente une dimension
relationnelle comme nous avons déjà anticipé dans nos analyses de la Passion de Jésus. Si la
Résurrection de Jésus consiste en retourner à la vie dans un corps phénoménal, elle ne considérerait

316
Cfr. (L'École Biblique de Jérusalem, 1998, p. 1805)
317
« e`te,ra| morfh/| » Cette forme est utilisée aussi dans la Transfiguration : metemorfw,qh (Mc. 9, 2). Ainsi nous
utilisons le mot uniquement pour montrer que le corps est différent au corps objectif de Jésus et non dans le
sens propre du terme qui est impropre dans l’Evangile de Luc.
318
Cfr. (Fitzmayer, 1985, p. 1563)
319
En elle est bien affirmée la dimension corporelle de Jésus Ressuscité, notamment dans le verset 39 : « Voyez
mes mains et mes pieds ; c'est bien moi ! Palpez-moi et rendez-vous compte qu'un esprit n'a ni chair ni os,
comme vous voyez que j'en ai.»
320
Cfr. (Morgado, 2003, pp. 75-77)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

pas cette dimension relationnelle car nous passons d’une considération phénoménologique à un
enfermement dans la matérialité qui ne fait pas justice au monde de la vie. Cette réduction nous 94
semble incongru avec notre recherche qui a essaye de présenter le corps comme un lieu qui
constitue et qui est constitue grâce aux relations avec autrui. D’un point de vue théologique nous
semble-t-il que la conclusion manque de rigueur car si nous restons uniquement dans la dimension
du corps objectif, la Résurrection n’apportera rien de nouveau au fait que Jésus a vécu un corps
humain et qu’il a partagé les forces et faiblesses de notre corps. Dit dans le langage de la théologie
dogmatique : la Résurrection n’apporterait strictement rien à l’Incarnation. En effet cette
compréhension de Jésus Ressuscité impliquerait qu’Il retourne au monde des vivants, de la même
manière que la fille de Jaïre. Toutefois il y a ici quelque chose de plus que pour la fille de Jaïre car
Jésus une fois Ressuscité ne meurt plus.

Comment comprendre de façon adéquate le corps de Jésus –le Dieu qui sauve– après sa
Résurrection ? Il faudra soutenir trois affirmations centrales de la foi chrétienne : D’abord Jésus a
partagé toutes les dimensions humaines de la « corporéité », y compris la mort. Ensuite Jésus est
ressuscité d’entre les morts, et par conséquent Il est vivant. Finalement nous affirmons que la
résurrection de Jésus a une dimension corporelle incontournable. Afin d’éviter de nous éloigner de la
« concrétude » qui a été le point le plus intéressant de notre recherche, nous analyserons les actions
réalisées par ce corps. Cette analyse nous montrera ce que la Résurrection a en plus, dans la
compréhension du corps.

Considérons la motricité du corps Ressuscité car elle montre d’une manière prééminente le corps
vécu. Celle-ci suit la même dynamique que celle du corps phénoménal. C'est-à-dire il s’agit d’une
motricité abstraite qui consacré toutes ses actions vers le Père. Comment la consécration avec le
Père se révèle-t-elle dans le cas de la Résurrection ?

Pour répondre à cette question nous devrons analyser deux manières prééminentes d’action
consécratoire, à savoir : les paroles de Jésus et l’action de rompre le pain. Dans le récit, la
prééminence est du côté des actions parce qu'elle c'est elle qui produit les effets les plus
impressionnants chez les disciples. Cependant chaque manifestation de motricité a son importance.

Les paroles de Jésus –tirées du monde de l’Ancien Testament– font une relecture créative de
l’histoire du corps (Lc. 24, 25-27). Dans ce cas-ci il s’agit de montrer que le corps faible et nu qui
endura la souffrance sur la croix est le corps glorifié (Lc. 24, 26). Il s’agit d’un passage de la
marginalité à la Gloire ou plus précisément le récit nous montre la manière dont Jésus grâce à
l’assomption de la marginalité de son corps est glorifié. Autrement dit, nous savons que celui qui
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

était effacé, condamné à être invisible – comme beaucoup d’autres personnes aussi invisibles– grâce
au corps du Ressuscité, est dans la gloire. 95

Cet itinéraire n’est pas explicité avec détail dans la péricope. En effet l’auteur montre sobrement une
formule récapitulative de l’histoire d’Israël : « *…+ commençant par Moïse et parcourant tous les
Prophètes il leur interpréta dans toutes les Écritures ce qui le concernait. » (Lc. 24,27). Néanmoins
ces paroles ne sont qu'une invitation à regarder le corps autrement. En effet les disciples même s'ils
sentent leur cœur brûler, ne sont pas encore capables de reconnaître dans celui qui parle le
Ressuscité (Lc. 24, 32). Ainsi reste la question suivante : Comment les deux disciples sont-ils capables
de finalement reconnaître au Ressuscité ?

La réponse se trouve dans les actions de Jésus. Le corps du Ressuscité réalise le mémorial du dernier
repas (Lc. 22, 19)321 : rompre le pain (Lc. 24, 30-31). Cependant dans ce cas-ci, il n’y a pas de mots
d’interprétation322. Ainsi nous restons uniquement avec la motricité comme facteur révélateur du
Ressuscité. Ce que les disciples virent donc fut une manière d’habiter le monde qui était manifesté
avant sa mort grâce au corps phénoménal de Jésus. Elle se caractérise par la manière d’établir la
relation avec le pain. Le pain donné pour nous est assimilé au corps. Après le don du corps faible et
nu sur la croix, il montre le total engagement corporel de Jésus en faveur du salut. A partir de cette
constations nous pouvons faire deux affirmations théologiques : d’abord le triomphe de la vie se
manifeste dans le corps de celui qui était crucifié (Jésus). Cet engagement nous permet de découvrir
une nouvelle relation entre Jésus et son Père et entre Jésus et autrui. Jésus (le Fils) donne la vie pour
notre salut et le Père confirme cette donation avec la donation de la Résurrection grâce à l’Esprit
Saint. Les deux relations montrent que Jésus établit un don total de soi-même, c'est-à-dire de Dieu
Lui-même. Cette façon de vivre le corps fait que les disciples peuvent ouvrir leurs yeux et elle les
rend capables de reconnaître Jésus323.

Cependant le corps du Ressuscité présente une caractéristiques originale par rapport au corps
phénoménal. Il ne peut pas être retenu. En effet après que Jésus est reconnu vivant par les disciples,
son corps devient invisible (kai. auvto.j a;fantoj evge,neto avpV auvtw/nÅ) (Lc. 24, 31). Certes le corps du
Ressuscité l’a rendu visible et audible et touchable. Mais du moment où il disparaît, comment reste-
t-il visible et audible ? La question est théologiquement centrale car elle interroge sur la possibilité de
surmonter la mort324. Cette dimension constitue le point vraiment original du corps du Ressuscité. Le
corps de Jésus partage le fait de finir son être au monde à la manière humaine. Ainsi le corps de Jésus

321
Cfr. (Nolland, 1993b, p. 1206; Fitzmayer, 1985, p. 1568)
322
Cfr. (Fitzmayer, 1985, p. 1568)
323
Cfr. (Falque, 1999, p. 177)
324
Cfr. (Falque, 1999, pp. 176-177)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

a partagé la sort de tout corps humain car en raison de la mort nous ne-sommes-plus-au-monde.
Cette situation inaugure une nouvelle présence -aussi corporelle- de Jésus. Afin d’éclairer cette 96
problématique il nous faut analyser les effets du Ressuscité dans le corps des disciples pour pouvoir
avancer vers une nouvelle compréhension du corps du Ressuscité.

3. Le cœur qui brûle et fait marcher immédiatement les disciples vers Jérusalem (Lc. 24,
32-35)
Analysons donc les conséquences du corps de Jésus dans le corps des disciples à partir de notre
méthode théologico-phénoménologique. L’ensemble de la vie de Jésus –de la naissance jusqu'à la
mort– montre une façon d’habiter le corps dans une relation nouvelle avec le Père et avec les autres.
Après sa mort le corps du Ressuscité est lié à celui du Crucifié. Le lien entre ces deux manifestations
du même corps existe grâce à la répétition d’un certain nombre de mouvements –notamment
l’Eucharistie. Cependant le corps Ressuscité n’est pas une extension de l’être au monde à la manière
du corps phénoménal de Jésus. Il s’agit d’un corps réel mais qui échappe à son caractère corruptible
et qui ne se laisse pas réduire au corps phénoménal. Afin d’avoir accès au monde de la vie nous
avons besoin d’autres corps phénoménaux qui peuvent actualiser sa présence, car comme nous a dit
Merleau-Ponty, le problème du corps est que tout y demeure325. Ainsi si la résurrection a une
manifestation dans le monde, elle doit avoir un corps qui la manifeste, -sans un corps nous n’avons
pas accès à elle-.

Cette affirmation suppose l’existence d’un (ou de plusieurs) corps qui la manifestent. Si le corps du
Ressuscité est invisible (Lc. 24,31) quel corps phénoménal reste d’après le récit ? Dans le récit, celui
de Cléophas et de l’autre disciple. Ainsi pour connaître la manifestation du Ressuscité, il faudra
analyser les effets produits dans les corps (phénoménaux) des disciples. Ils constituent la nouvelle
présence au monde du Dieu qui sauve. Cette dernière affirmation constitue l’originalité de la
réinvention du corps chrétien à partir de la Résurrection326.

Le texte présente une structure éloquente parce que toutes les actions de Jésus trouvent une –ou
plusieurs– actions parallèles chez les disciples. En effet la première réaction des disciples est de faire
une relecture de la rencontre (Lc. 24, 32). Ainsi le verset 32 est intimement lié à Lc. 24, 25-26.
L’action de Jésus fait que leurs cœurs durs deviennent des cœurs qui comprennent et brûlent. Cette
nouvelle compréhension permet d’ouvrir les yeux qui étaient fermés (Lc. 24, 16. 31). Et finalement
l’action de l'Eucharistie réalisée par Jésus (Lc. 24, 30) leur permet de devenir aussi actifs (Lc. 24, 33-

325
Cfr. (Merleau-Ponty, 1945, p. 240)
326
Nous utilisons l’expression : « réinvention du corps » afin d’établir un dialogue avec l’anthropologie de
Stéphan Breton et la théologie d’Adolphe Gesché. Néanmoins nous considérons que le corps chrétien est plus
large que ce que les analyses phénoménologiques nous montrent.
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

35)327 . Considérons la structure dans laquelle les actions de Jésus trouvent un parallélisme avec les
actions des disciples. A partir de ces constations exégétiques nous pouvons affirmer que la motricité 97
des disciples est la nouvelle présence du corps de Jésus.

D’abord les disciples comprirent qu’il s’agissait de Jésus. La compréhension que nous avons des
choses est toujours corporelle, elle se manifeste dans la référence au cœur328. Cependant la
compréhension n’implique pas uniquement une constatation d’une sensation corporelle, celle du
cœur implique une motricité pertinente avec ce qui est compris. En d’autres termes l’action du corps
du Ressuscité donne l’élan aux disciples pour commencer à vivre le corps autrement.

Cette motricité se manifeste dans le fait qu’« ils partirent et s’en retournèrent à Jérusalem » (Lc. 24,
33) et annoncent ce qu’ils avaient vécu aux Onze (Lc. 24, 33-34). Ce qui nous semble tout à fait
intéressant dans la péricope est l’absence d’instructions de la part de Jésus. Il s’agit plutôt d’une
réponse spontanée et corporelle des disciples. Cette réponse est une continuation de la motricité
inaugurée par le corps du Ressuscité, confirmation de la manière dont Jésus avait vécu son corps
phénoménal. Cette affirmation nous semble fondée dans le fait que la réponse motrice des disciples
d’Emmaüs est confirmée par la suite par les dernières instructions données aux disciples avant
l’Ascension de Jésus (Lc. 24, 44-53)329.

4. Le corps de Jésus, chemin à suivre pour vivre pleinement le nôtre.


A partir de la compréhension du corps du Ressuscité par les termes que nous venons d’expliciter
nous pouvons dire que le corps de Jésus est un vrai modèle pour habiter notre corps.

Un réalisme anthropologique fondamental nous montre que notre motricité est ambigüe. En effet
nous ne vivons pas tout le temps le corps en tant que motricité consécratoire vers le Père et vers
autrui. Par conséquent il nous faut un critère pour discerner entre la motricité qui est liée à cet élan
et celle qui ne l’est pas. Le critère se trouve dans la manière dont Jésus a habité son corps.
Autrement dit il se trouve dans les relations établies par Jésus –avec Dieu et avec autrui– à partir de
corps phénoménal. Lorsque ce rapport est établi, nous sommes en présence d’une nouvelle présence
corporelle du Dieu qui sauve, que la théologie a appelée traditionnellement le corps du Christ. Il est
défini comme la communauté des croyants qui essaient de faire dans son corps phénoménal et dans
ses relations une continuation de la motricité « consécratoire » du corps de Jésus.

327
Cfr. Annexe 9
328
En effet nous avons déjà dit que le cœur est l’organe de la raison d’après l’anthropologie
vétérotestamentaire qui est à la base de celle du Nouveau Testament. Cfr.§ 4.
329
Dans ce péricope-ci les apôtres sont appelés par le Ressuscité à être témoins du Christ ressuscité (Lc. 24, 46-
47) qui part pour les ciels (Lc. 24, 50-53).
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

C'est pourquoi nous devons retourner à la motricité de Jésus afin de découvrir dans cette manière de
vivre le modèle à partir duquel l’action des disciples peut être considérée comme une manifestation 98
du corps du Christ.

Les analyses du corps phénoménal de Jésus montrent que sa motricité se développe comme une
motricité abstraite qui consacre chaque mouvement au Père. A partir du récit d’Emmaüs nous
découvrons que cette consécration se trouve dans le mémorial de la célébration Eucharistique parce
que la fraction du pain est la manière dont les disciples reconnurent Jésus (Lc. 24, 31.35). En effet la
théologie biblique affirme que le sens le plus profond du récit se trouve dans le fait que la
communauté chrétienne naissante de son temps était capable de voir le Seigneur vivant qui s’était
révélé dans la célébration de l’Eucharistie de la même manière que Jésus auprès des disciples
d’Emmaüs330. Cette nouvelle présence nous permet de faire le lien entre le corps de Jésus et les corps
(phénoménaux) des membres de la communauté. Cet ensemble de corps constitue un nouveau
corps. En effet le Ressuscité se révèle grâce au corps de Jésus (le pain) qui fait un mémorial de la
manière dont Jésus a vécu son corps (phénoménal). Ce pain rompu et donné (le corps de Jésus) est la
nouvelle présence de Jésus à l’intérieur de la communauté. Présence qui fait habiter le corps
(phénoménal) des croyants d’une manière capable d’établir des relations nouvelles avec Dieu (le
Père de Jésus). Ainsi le corps phénoménal de Jésus, identifié symboliquement avec le pain et donné
jusque dans la mort sur la Croix, constitue une manifestation du don total de soi de Dieu lui-même
qui attend notre réponse.

Cette dimension liturgique enrichit la compréhension chrétienne du corps parce qu’elle nous montre
qu'il est d’abord un lieu permettant d'établir une relation nouvelle avec Dieu. Ensuite elle nous
manifeste le caractère relationnel de la nouvelle conception du corps. En effet le corps du Ressuscité
se rend présent au sein d’une communauté –au moins deux personnes. D’après les récits du
troisième Evangile Jésus n’apparaît jamais à un individu isolé. Cette dimension communautaire du
corps nous ouvre à la deuxième relation établie par le corps : la relation envers autrui.

La relation envers autrui vient à compléter l’incontournable dimension liturgique qui révèle la
présence du Ressuscité. En effet la dimension d’altérité de l’eucharistique n’est qu’envers Dieu. Pour
bien le montrer, revenons au corps de Jésus. La vie de Jésus, motricité consécratoire vers le Père, est
la manifestation corporelle du constant souci de Dieu (le Père de Jésus) pour le salut de l’humanité.
Ainsi la motricité des disciples consiste aussi dans un souci constant envers autrui.

330
La traduction est à nous : « There is no sense in which Luke is claiming that Jesus celebrated the eucharist
with these disciples; rather, Luke wants to make the point that the Christians of his day were able to have the
living Lord made known to them in the eucharist celebration in a manner that was at least analogous to the
experience of the Emmaus disciples » (Nolland, 1993b, p. 1206)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

Il faut établir deux limites à cette considération du corps du Christ. D’abord le corps du Christ ne peut
pas être séparé du corps de Jésus. Ainsi pour savoir si le corps du Christ est vraiment une 99
manifestation du Ressuscité, les croyants doivent retourner à plusieurs reprises vers la manière dont
Jésus a vécu son corps. Par conséquent il faut rappeler que le corps du Christ (en tant que
communauté de croyants) ne peut pas prendre la place de Jésus. Dans ce sens Falque peut nous
aider à nous situer de façon adéquate : « La vraie ‘place’ de la souffrance pour le chrétien revient
ainsi d’abord à accepter de prendre sa place –non pas à la place du Christ mais avec le Christ
Ressuscité souffrant avec moi, mas non pas sans moi. » (Falque, 1999, p. 168). Cette constatation de
la manière de souffrir est aussi valable que la manière d’agir. Autrement dit à la base de l’action nous
retrouvons encore une fois la passivité. En effet le corps du Christ a appris la manière de se soucier
pour autrui car il a vu, touché et écouté la manière dont Jésus a vécu son corps.

Cette nouvelle conception du corps est une invitation à habiter le corps à la manière dont Jésus l’a
habité. Il ne s’agit pas d'une invitation à imiter naïvement la motricité du corps de Jésus. Il s’agit
d’habiter notre corps d’une manière capable d’établir des relations nouvelles avec Dieu et avec les
hommes. Même si cela est vrai, le point le plus intéressant qu'apporte la phénoménologie à la
théologie est de considérer de façon concrète la manière dont les vérités se manifestent dans le
monde de la vie. Si nous considérons la manière la plus simple dont le corps de Jésus permet de
sentir Dieu (voir, toucher, écouter, sentir et goûter), la manière d’habiter le corps du chrétien
implique de poursuivre l'élan de cette esthétique qui nous a été donnée grâce au corps. Ainsi par la
Résurrection du Christ nous ne gagnons pas le salut, nous sommes plutôt invités à actualiser dans
notre corps le salut donné par Jésus.

Certes nous ne sommes pas la source du salut. Il nous a été donné grâce à la manière dont Jésus a
habité son corps –phénoménal et ressuscité. Nous recevons le salut comme un don. Nous sommes
devant la passivité originale. Cependant comme Jésus, nous sommes invités à nous approprier
progressivement ce don pour le faire naître dans notre propre corps. Nous sommes invités à vivre à
partir de notre corps phénoménal, à faire naître un monde dans lequel la manifestation du salut soit
de plus en plus corporelle. Cela suppose d'établir de nouvelles relations avec Dieu et avec autrui.
Ainsi la manière chrétienne d’habiter le corps est une proposition de pleine humanité pour l’homme
contemporain car elle lui permet d’habiter le corps dans une pleine relation avec Dieu et avec autrui.
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

5. Conclusion générale
100
§14. L’Evangile du corps : bilan et ouvertures.
Quelle est la bonne nouvelle qui apporte cette manière de comprendre le corps de Jésus ? La
première nous est donnée grâce à la phénoménologie qui consiste à se convertir à la « concrétude ».
En effet elle nous a donné la possibilité de percevoir le corps de Jésus – notamment grâce à la
réduction phénoménologique. Ainsi la phénoménologie nous a obligés à regarder vraiment la chose
elle-même : le corps de Jésus. Cette « concrétude » a été l'un des apportes les plus significatifs de
notre recherche. Nos analyses ne sont qu’une description approfondie de la manière dont Jésus a
vécu son corps de sa naissance à sa résurrection, à partir du récit de l’Evangile de Luc.

Cette recherche sur le corps de Jésus nous a permis de mieux comprendre le corps de Jésus. Notre
recherche a été guidée par une théologie ascendante; afin d’avoir une compréhension plus profonde
du corps de Jésus Christ il nous a fallu ainsi passer par celle de notre propre corps. Puisque le corps
de Jésus présente les mêmes caractéristiques que tout corps humain, Merleau-Ponty nous a révélé
que la condition matérielle du corps est incontournable (corps objectif). Cependant son apport le
plus original réside dans la considération du corps vécu (corps phénoménal). Les récits de l’Evangile
nous montrent deux dimensions complémentaires du corps vécu de Jésus : la puissance et la
faiblesse. Merleau-Ponty analyse soigneusement la puissance du corps. Elle se manifeste dans
l’affirmation du « je peux » qui se concrétise en la progressive acquisition d’une motricité expressive
–manifestée en actions et en paroles. Cependant le corps vécu de Jésus d’après l’Evangile, n’est pas
uniquement un corps puissant. Le corps de Jésus partage les mêmes faiblesses que tout corps
humain –notamment celles de la faim et de la mort. Ces dimensions furent analysées grâce à la
phénoménologie de Levinas et Heidegger. De là, nous avons pu montrer la manière dont Jésus
assume ces deux expériences du corps ainsi que la motivation qui a fait vivre Jésus, le don total de
soi. Ce don a établi une relation de consécration de toute sa motricité vers le Père qui se manifeste
dans un souci constant –même eschatologique- pour autrui. Cependant la mort implique la fin de
l’existence corporelle. Ainsi l’affirmation théologique de la Résurrection de Jésus implique une
conception nouvelle du corps. D’abord la résurrection se manifeste dans un corps qui partage un
certain nombre de caractéristiques avec le corps phénoménal des autres êtres humains. Cependant
ce qui est étonnant est le fait que grâce à la Résurrection, le corps phénoménal du croyant est invité
à continuer la manifestation des effets de la révélation donnés à partir du corps de Jésus. Cette
troisième compréhension est le corps du Christ. Elle implique que nous sommes invités à habiter le
corps à la manière dont Jésus a vécu le sien, c'est-à-dire à partir des nouvelles relations avec Dieu et
les hommes. C'est pourquoi à la fin de notre analyse, nous pouvons reconnaître que l’affirmation de
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

Gesché sur le corps chemin de Dieu est vraie. Notre travail nous a permis de montrer la manière dont
cette vérité se manifeste à partir de l’analyse du corps de Jésus. En effet elle nous a montré la façon 101
dont Jésus a vécu son propre corps ; et aussi la manière dont nous sommes invités à vivre le nôtre à
partir du chemin proposé par Jésus.

Chaque compréhension du corps implique une bonne nouvelle. En effet le corps objectif permet la
présence de Dieu dans le monde. Il implique deux conséquences théologiques importantes : d’abord
que la matérialité du corps est le lieu à partir duquel nous avons accès à Dieu. Ainsi le corps de Jésus
est l’esthétique de Dieu, grâce à elle nous pouvons sentir Dieu-même (le Fils). En suite grâce à la
matérialité, Jésus est capable d’intervenir dans le monde. Autrement dit Jésus n’est pas un modèle à
regarder mais un corps qui habite au monde. Cette deuxième conséquence nous ouvre le deuxième
niveau de compréhension du corps : le corps vécu. C’est une bonne nouvelle car Jésus –le Dieu qui
sauve– a vécu le corps dans toute sa puissance et faiblesse. Par conséquent Jésus connaît le corps de
l’unique manière qu'il est possible de le connaître, en le vivant. Cela nous montre une façon d’habiter
le corps qui établit de nouvelles relations avec Dieu (le Père de Jésus) et avec les autres. Cette
manière d’habiter le corps constitue une proposition de plénitude humaine. Toutefois dire la
plénitude n’implique pas nier les dimensions faibles de la « corporéité ». Avoir un Dieu qui connaît
les faiblesses du corps est une bonne nouvelle car cela implique qu'Il ne nous laisse pas seuls.
Cependant nous n’aurons pas accès à ces manifestations du corps de Jésus sans le corps du Christ,
c'est-à-dire sans les effets du corps du Ressuscité dans le corps phénoménal des croyants. Nous
sommes invités à devenir ce corps du Christ, à vivre notre corps comme une actualisation des effets
provoqués par la rencontre avec le Ressuscité.

Comment actualiser cette rencontre ? Dans la manière dont nous habitons notre propre corps.
Cependant habiter le corps comme Jésus, implique mettre en mouvement notre propre corps afin de
faire naître un monde dans lequel les effets de cette rencontre trouvent une place de plus en plus
importante. Ce travail de théologie biblique fondamentale constitue une base pour commencer à
réfléchir sur d'autres traités de théologie, en partant des apports de cette analyse. Ceux-ci pourront
nous aider à actualiser cette rencontre.

A partir de la notion chrétienne du corps, nous pouvons proposer certaines pistes dans trois
domaines traditionnels de la théologie. D’abord en ce qui concerne la Trinité : Qu’implique-t-il que la
Trinité grâce à la deuxième de la Trinité a un corps ou plutôt est un corps ? Autrement dit si grâce à la
notion du corps nous avons une nouvelle compréhension du Fils : qu’implique ce changement pour la
notion de Père et d’Esprit Saint ? Si notre compréhension de la Trinité s’approfondisse notre
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

compréhension de la Trinité Immanent se fait doit suivre cette nouveauté, précisément grâce au lien
intime qu’il y a entre la Trinité économique et la Trinité immanente. 102

Ensuite en ce qui concerne la compréhension et la pratique ecclésiale : Quel pourrait être l’apport
de cette notion pour l’Ecclésiologie ? Que peut apporter cette compréhension du corps du Christ
pour la compréhension théologique de l’Eglise ? Comment la notion de corps du Christ
indissociablement liée au corps de Jésus peut-elle montrer une manière plus évangélique d’être
Eglise ? Notamment dans la compréhension de l’autorité qui nous a apporté le corps du Christ.

Finalement en ce qui concerne la morale : Qu’est-ce que cela peut impliquer de considérer que la
base de la morale se trouve dans la motricité « consécratoire » de Jésus vers le Père se manifestant
dans un souci pour autrui ? Quelle est la conséquence de la prééminence de la motricité ?

Ainsi nous constatons que le fait que Dieu s'est révélé à nous grâce au corps est une affirmation qui
ne sera jamais épuisée. L'histoire de la vie chrétienne n’est pas autre chose que l'approfondissement
de la vérité qui était dès l’origine : « Et le Verbe s'est fait chair et il a planté sa tente parmi nous, et
nous avons contemplé sa gloire, gloire qu'il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de
vérité ».

*
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

6. Annexes
103
Considérations générales
Dans ces annexes le lecteur trouvera les analyses bibliques indispensables pour la compréhension des
affirmations faites dans le corpus du travail. En général nous utilisons divers outils apportés par
l’exégèse. Ils permettent mettre en relief les éléments les plus significatifs du texte pour l’analyse
phénoménologiques et théologiques du corps. L’objectif est d'expliciter la base textuelle des
affirmations théologiques de telle sorte qu’elles ne semblent pas arbitraires.

Quelques remarques générales avant de commencer :

1. Les versions bibliques utilisées : Le texte grec est tiré de la version Fribourg NT (USB 3/4) Cfr.
(Microsoft, 2003). Le texte français est celui de la Bible de Jérusalem Cfr. (Microsoft, 2003)

2. La traduction espagnole est la mienne. Les options sont de faire une traduction la plus directe
possible du texte grec, afin de pouvoir effectivement lire le texte le mieux possible. Les options
de traduction sont simples :

a. Il n’y aura pas de correction de style, au contraire l’idée est de respecter l’ordre des
mots dans la langue d'origine.

b. En général les mots polysémiques en grec seront traduits par un unique mot en
espagnol. Au cas où il y aurait un même mot traduit avec deux mots différents le
changement sera indiqué dans la note de bas de page.

3. La traduction française pourra éventuellement être corrigée. Le critère pour faire ces
modifications sera notre traduction espagnole s’il est nécessaire de rendre plus transparent le
texte grec dans la traduction ou de montrer une nuance qui reste cachée dans la traduction
proposée par la Bible de Jérusalem. En tout cas lorsque nous nous éloignerons de la
traduction ce sera indiqué en note de bas de page.

4. Les analyses théologiques et phénoménologiques des textes seront incluses dans le corps du
mémoire. Par contre dans cette annexe on pourra trouver des commentaires du travail
développé sur le texte.
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

Annexe 1 : Traduction de travail de Jean 1, 1-18.


Verset Texte grec Texte espagnol Texte Français 104
1
VEn avrch/| h=n o` lo,goj( kai. o` En el principio era el verbo, y el Au commencement était le Verbe
lo,goj h=n pro.j to.n qeo,n( kai. qeo.j verbo estaba con Dios y Dios era la et le Verbe était avec Dieu et le
h=n o` lo,gojÅ verbo Verbe était Dieu.
2
ou-toj h=n evn avrch/| pro.j to.n qeo,nÅ éste estaba en el origen con Dios Il était au commencement avec
Dieu.
3
pa,nta diV auvtou/ evge,neto( kai. Todo a través de él llego a ser, y sin Tout fut par lui, et sans lui rien ne
cwri.j auvtou/ evge,neto ouvde. e[nÅ o] él nada de lo que ha llegado a ser, fut.
ge,gonen llegó a ser
4
evn auvtw/| zwh. h=n( kai. h` zwh. h=n En él la vida estaba, y la vida era la Ce qui fut en lui était la vie, et la vie
to. fw/j tw/n avnqrw,pwn\ luz de los hombres était la lumière des hommes.
5
kai. to. fw/j evn th/| skoti,a| fai,nei( Y la luz en la oscuridad brilló (se et la lumière luit dans les ténèbres
kai. h` skoti,a auvto. ouv kate,labenÅ manifestó), y la oscuridad él no la et les ténèbres ne l'ont pas saisie.
atrapó
6
VEge,neto a;nqrwpoj( avpestalme,noj Vino un hombre enviado por Dios, Il y eut un homme envoyé de Dieu ;
para. qeou/( o;noma auvtw/| VIwa,nnhj\ su nombre [era] Juan son nom était Jean.
7
ou-toj h=lqen eivj marturi,an i[na Él vino como testimonio para dar Il vint pour témoigner, pour rendre
marturh,sh| peri. tou/ fwto,j( i[na testimonio acerca de la luz, para témoignage à la lumière, afin que
pa,ntej pisteu,swsin diV auvtou/Å que todos creyeran por medio de tous crussent par lui.
él.
8
ouvk h=n evkei/noj to. fw/j( avllV i[na No era éste la luz, sino para dar Celui-là n'était pas la lumière, mais
marturh,sh| peri. tou/ fwto,jÅ testimonio acerca de la luz. il avait à rendre témoignage à la
lumière.
9 331
+Hn to. fw/j to. avlhqino,n( o] Era la luz verdadera, que daba la [Le Verbe] était la lumière
fwti,zei pa,nta a;nqrwpon( luz a todos los hombres vino hacia véritable, qui éclaire tout homme ; il
evrco,menon eivj to.n ko,smonÅ el mundo. venait dans le monde.
10
evn tw/| ko,smw| h=n( kai. o` ko,smoj En el mundo estaba y el mundo a Il était dans le monde, et le monde
diV auvtou/ evge,neto( kai. o` ko,smoj través de él llego a ser, y el mundo fut par lui, et le monde ne l'a pas
auvto.n ouvk e;gnwÅ a él no conoció. reconnu.
11
eivj ta. i;dia h=lqen( kai. oi` i;dioi A lo suyo vino y los suyos a él no Il est venu chez lui, et les siens ne
auvto.n ouv pare,labonÅ recibieron. l'ont pas accueilli.
12
o[soi de. e;labon auvto,n( e;dwken Pero a todos los que recibieron a Mais à tous ceux qui l'ont accueilli,
auvtoi/j evxousi,an te,kna qeou/ él, dio a ellos autoridad de llegar a il a donné pouvoir de devenir
gene,sqai( toi/j pisteu,ousin eivj to. ser hijos de Dios, los que creen en enfants de Dieu, à ceux qui croient
o;noma auvtou/(
su nombre en son nom,
13 332
oi] ouvk evx ai`ma,twn ouvde. evk Los que nacieron no de la sangre ni lui qui ne fut engendré ni du
qelh,matoj sarko.j ouvde. evk del deseo de la sangre ni del deseo sang, ni d'un vouloir de chair, ni
qelh,matoj avndro.j avllV evk qeou/ del hombre, sino de Dios d'un vouloir d'homme, mais de
evgennh,qhsanÅ
Dieu.
14
Kai. o` lo,goj sa.rx evge,neto kai. Y el verbo carne llegó a ser y puso Et le Verbe s'est fait chair et il a
evskh,nwsen evn h`mi/n( kai. su tienda
333
entre nosotros, y planté sa tente
334
parmi nous, et
evqeasa,meqa th.n do,xan auvtou/( hemos visto la gloria suya, gloria nous avons contemplé sa gloire,
do,xan w`j monogenou/j para.
patro,j( plh,rhj ca,ritoj kai. como unigénito del Padre, lleno de gloire qu'il tient de son Père comme
avlhqei,ajÅ gracia y de verdad. Fils unique, plein de grâce et de
vérité.
15
VIwa,nnhj marturei/ peri. auvtou/ Juan dio testimonio acerca de él y Jean lui rend témoignage et il
kai. ke,kragen le,gwn( Ou-toj h=n o]n clamó diciendo: “Este era el que clame : " C'est de lui que j'ai dit :
ei=pon( ~O ovpi,sw mou evrco,menoj dije: ‘El que después de mi viene, Celui qui vient derrière moi, le voilà
e;mprosqe,n mou ge,gonen( o[ti

331
Il s’agit d’une inclusion du traducteur car dans le texte original le verbe n’est pas présent. Cependant sans
cette inclusion la phrase en français est incompréhensible.
332
Vraiment ma traduction en français serait : « Ceux qui ne furent engendrés » car oi evgennh,qhsan correspond
au pluriel et non au singulier comme le propose la traduction de la Bible de Jérusalem. Autrement dit cette
affirmation n’est pas christologique mais anthropologique.
333
Jésus fait sa tente et cela revient à dire que « When the Prologue proclaims that the Word made his dwelling
among men, we are being told that the flesh of Jesus Christ is the new localization of God’s presence on earth,
and that Jesus is the replacement of the ancient Tabernacle » (Brown, 1966, p. 33)
334
La traduction de la Bible de Jérusalem est «il a habité »
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

prw/to,j mou h=nÅ antes de mi llegó a ser, porque passé devant moi, parce qu'avant
primero que yo era.” moi il était. "
16
o[ti evk tou/ plhrw,matoj auvtou/ Porque de la plenitud de él Oui, de sa plénitude nous avons 105
h`mei/j pa,ntej evla,bomen kai. ca,rin nosotros todos hemos recibido una tous reçu, et grâce pour grâce.
avnti. ca,ritoj\ gracia por otra gracia
17
o[ti o` no,moj dia. Mwu?se,wj evdo,qh( Porque la ley fue dada a través de Car la Loi fut donnée par Moïse ; la
h` ca,rij kai. h` avlh,qeia dia. VIhsou/ Moisés, la gracia y la verdad a grâce et la vérité sont venues par
Cristou/ evge,netoÅ través de Jesucristo llego a ser Jésus Christ.
18
qeo.n ouvdei.j e`w,raken pw,pote\ Nadie ha visto a Dios nunca, el Nul n'a jamais vu Dieu ; le Fils
monogenh.j qeo.j o` w'n eivj to.n unigénito de Dios, el que estaba en unique, qui est tourné vers le sein
ko,lpon tou/ patro.j evkei/noj el pecho del Padre, ése lo ha dado du Père, lui, l'a fait connaître.
evxhgh,satoÅ
a conocer.
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

Annexe 2 : L’Evangile de l’enfance.


106
A. Les difficultés des sources à la naissance.
Selon l’école historique critique de l’exégèse, on rencontre deux difficultés . D'abord dans l’ensemble
du Nouveau Testament, les récits de la naissance restent isolés. En effet les uniques sources que
nous avons sur elle sont les deux premiers chapitres de Luc et de Mathieu. Dans le reste du Nouveau
Testament il n’y a presque aucune référence à cette partie de la vie de Jésus (même chez Luc et
Mathieu)335. Ensuite les deux récits sont différents et parfois ouvertement en contradictoires. On y
trouve des contradictions géographiques. Chez Mathieu la ville d’origine de Joseph et de Marie est
Bethléem (Mt. 2,1) mais après leur retour d'Egypte ils reviennent s’installer à Nazareth (Mt. 2, 23).
Par contre chez Luc la ville d’origine est Nazareth (Lc. 1, 26-27) et ils sont allés à Bethléem en raison
du recensement (Luc. 2, 2) là où Jésus est né336. Chez Mathieu l’annonce est faite par l’ange à Joseph
(Mt. 1,18-25). Dans le cas de Luc elle est faite à Marie (Luc. 1, 26-38)337. Puis chez Mathieu après la
naissance de Jésus vient la visite des mages (Mt. 2, 1-12), la fuite en Egypte (Mt. 2, 13-15), le
massacre des innocents (Mt. 2, 16-18) et le retour en Judée mais à Nazareth (Mt. 2,17-23)338. Alors
que chez Luc après vient le récit de la reconnaissance par Siméon et Anne (Luc. 2, 22-40).

B. La structure du prologue de l’enfance chez l’Evangile de Luc (1,5-2,52)


Il y a un consensus si important entre les exégètes qu’il est possible d’établir un parallélisme entre la
figure de Jean-Baptiste et Jésus dans le prologue de l’Évangile de Luc339. La présentation de John
Nolland nous paraît la meilleure pour avoir un accès plus didactique à un parallélisme rédactionnel :

L’annonce de la naissance de Jean 1, 5-25 L’annonce de la naissance de Jésus 1,26-38


Salutation entre les mères 1, 39-56
Naissance, circoncision et nom donné à Jean 1, 57-66 Naissance, circoncision et nom donné à Jésus 2, 1-21
Reconnaissance de Jean par Zacharie 1, 67-80 Reconnaissance de Jésus par Siméon et Anne 2,22-40
Dans la maison du Père 2, 41-52
Le lien étroit entre la figure de Jean et celle de Jésus nous permet de découvrir la référence
importante faite au dernier prophète de l’Ancien Testament.

C. Traduction de Luc 2, 1-21 pour travailler le texte et référence { l’Ancien Testament


Le lien entre la figure de Jésus et l’Ancien Testament n’est pas seulement présent dans la structure
du texte mais se trouve aussi dans le texte même de la naissance :

335
Cfr. (Meier, 2005 p. 131)
336
Cfr. (Meier, 2005 pp. 133-135)
337
Cfr. (Meier, 2005 p. 133)
338
Cfr. (Meier, 2005 pp. 133-134)
339
Cfr. (Nolland, 1989 pp. 17-23) ; (TOB, 2004 pp. 2457-2458) ; (Schökel, 1998 p. 154) ; (Fitzmayer, 1981 pp.
391-392)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

Verset Grec Espagnol Français Référence AT


1
VEge,neto de. evn tai/j Sucedió en los días aquellos Or, il advint, en ces jours-là,
h`me,raij evkei,naij evxh/lqen [que] salió una orden de que parut un édit de César 107
do,gma para. Kai,saroj César Augusto para registrar Auguste, ordonnant le
Auvgou,stou avpogra,fesqai
pa/san th.n oivkoume,nhnÅ a todo el mundo habitado recensement de tout le
monde habité.
2
au[th avpografh. prw,th Este primer censo sucedió Ce recensement, le
evge,neto h`gemoneu,ontoj gobernando Quirino de Siria premier, eut lieu pendant
th/j Suri,aj Kurhni,ouÅ que Quirinius était
gouverneur de Syrie.
3
kai. evporeu,onto pa,ntej y fueron todos a registrarse , Et tous allaient se faire
avpogra,fesqai( e[kastoj cada uno a su propia ciudad recenser, chacun dans sa
eivj th.n e`autou/ po,linÅ ville.
4
VAne,bh de. kai. VIwsh.f Subió también José hacia Joseph aussi monta de La cité de David: 1
avpo. th/j Galilai,aj evk Galilea de la ciudad de Galilée, de la ville de Sm. 16, 1-13; Miq. 5,
po,lewj Nazare.q eivj th.n Nazaret hacia la Judea, hacia Nazareth, en Judée, à la
340
1 Par contre la
VIoudai,an eivj po,lin
Daui.d h[tij kalei/tai la ciudad de David era ville de David, qui s'appelle ville traditionnelle de
Bhqle,em( dia. to. ei=nai llamada Belén, por ser él de Bethléem - parce qu'il était David est Jérusalem :
auvto.n evx oi;kou kai. la casa y la familia de David. de la maison et de la lignée 2 Sm. 5, 7.9 ; 6, 10.12
341
patria/j Daui,d( de David Es. 22, 9 2 R 9, 28.
342
12, 22
La famille de David :
1 R 12, 19 ; 2 Chr.
343
23,3
5 344
avpogra,yasqai su.n [para] registrarse con Maria afin de se faire recenser Fiancée : Dt. 22, 3
Maria.m th/| evmnhsteume,nh| su prometida, que estaba avec Marie, sa fiancée, qui
auvtw/|( ou;sh| evgku,w|Å embarazada était enceinte.
6
evge,neto de. evn tw/| ei=nai Sucedió que mientras ellos Or il advint, comme ils
auvtou.j evkei/ evplh,sqhsan estaban ahí los días del étaient là, que les jours
ai` h`me,rai tou/ tekei/n nacimiento se cumplieron furent accomplis où elle
auvth,n(
devait enfanter.
7
kai. e;teken to.n ui`o.n Y dio a luz su hijo Elle enfanta son fils Titre de « premier-
auvth/j to.n prwto,tokon( primogénito,[María] lo premier-né, l'enveloppa de né » : Ex. 12,
kai. evsparga,nwsen auvto.n envolvió en pañales y lo langes et le coucha dans 2.12.15
346
kai. avne,klinen auvto.n evn
fa,tnh|( dio,ti ouvk h=n acostó en el comedero, une crèche, parce qu'ils Il naît comme tous
auvtoi/j to,poj evn tw/| porque no había lugar para manquaient de place dans les hommes: Sag. 7,
345 347
katalu,matiÅ ellos en la hospedería. l’auberge . 3-6
L’enveloppa dans les
348
langes : Ez. 16,4
« l’auberge » : 1 S 1,
349
18 (version LXX)
8
Kai. poime,nej h=san evn th/| También estaban unos Il y avait dans la même Les bergers : double
cw,ra| th/| auvth/|

340
Cfr. (Schökel, 1998 p. 158)
341
Nuance très intéressante qui montre jusque quel point le récit peut être considéré comme un
théolegumene (TOB, 2004 p. 2472)
342
Cfr. (Fitzmayer, 1981 p. 406)
343
Cfr. (Fitzmayer, 1981 p. 344)
344
Cfr. (Fitzmayer, 1981 p. 343)
345
La traduction il me semble est plus fidèle que la salle qui est le mot utilisé par la Bible de Jérusalem. Cfr.
(Bailly, 1963) et (TOB, 2004)
346
Il y a une différence entre ceux qui est consacré à Dieu : les israélites Ex. 13,2.12. Et ceux qui seront éliminés
dans la libération d’Egypte Ex. 13, 15. Cfr. (TOB, 2004 p. 2472)
347
Cette idée est répétée en Ga. 4,4. Cfr. (Schökel, 1998 p. 158)
348
(Fitzmayer, 1981 p. 408)
349
(Fitzmayer, 1981 p. 408)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

avgraulou/ntej kai. pastores en el campo que région des bergers qui référence :
fula,ssontej fulaka.j th/j vivían fuera y guardando las vivaient aux champs et pauvreté et
350
nukto.j evpi. th.n poi,mnhn vigilias de la noche sobre sus gardaient leurs troupeaux David : Ez. 34,23
351 108
auvtw/nÅ
rebaños durant les veilles de la nuit. Ils gardaient :
opposition à les
autres bergers : Is.
352
56,10-11
9
kai. a;ggeloj kuri,ou Y un ángel del Señor vino a L'Ange du Seigneur se tint L’ange du Seigneur
evpe,sth auvtoi/j kai. do,xa ellos y la gloria del Señor près d'eux et la gloire du n’est pas
kuri,ou perie,lamyen brilló alrededor de ellos, y Seigneur les enveloppa de distinguable de
auvtou,j( kai. evfobh,qhsan
fo,bon me,ganÅ sintieron (temieron) un sa clarté ; et ils furent saisis YHHWH : Gn. 16, 7-
miedo enorme. d'une grande crainte. 13 ; 21, 17 ; Ex. 14,
353
19-24
L’ambiance de joie te
de lumière : Is. 9, 1-
354
6
10
kai. ei=pen auvtoi/j o` El ángel les dijo. « No teman, Mais l'ange leur dit : " Soyez sans crainte :
a;ggeloj( Mh. fobei/sqe( pues anuncio buenas noticias Soyez sans crainte, car voici Gn 15, 1. Dn. 10, 12.
ivdou. ga.r euvaggeli,zomai a ustedes una alegría enorme que je vous annonce une 19
355
u`mi/n cara.n mega,lhn h[tij
e;stai panti. tw/| law/|( que será para todo el pueblo grande joie, qui sera celle Is. 9, 1-6
de tout le peuple :
11
o[ti evte,cqh u`mi/n Porque les ha nacido a aujourd'hui vous est né un Le Sauveur : Titre
sh,meron swth.r o[j evstin ustedes hoy un salvador es Sauveur, qui est le Christ utilisé dans la version
Cristo.j ku,rioj evn po,lei Cristo Señor en la ciudad de Seigneur, dans la ville de LXX pour Dieu : Dt
Daui,dÅ
David David. 32, 5 ; 1 Sm 10,19 ;
Ps 24,5 ; 27, 1.9 ;
356
etc.
La référence à la
naissance d’un
enfant : Is. 9, 1-6
Le Christ le Seigneur :
357
Lm. 4, 20
12
kai. tou/to u`mi/n to. Y esto [será] el signo [para] Et ceci vous servira de signe Signe : La version LXX
shmei/on( eu`rh,sete bre,foj ustedes, encontrarán un : vous trouverez un Ex. 3,12 ; 2 R 19,29 et
evsparganwme,non kai. recién nacido envuelto en nouveau-né enveloppé de Is. 37, 30
358
kei,menon evn fa,tnh|Å
pañales y acostado en el langes et couché dans une
comedero.” crèche. "
13
kai. evxai,fnhj evge,neto su.n y de repente apareció con el Et soudain se joignit à L’armée céleste : La
tw/| avgge,lw| plh/qoj ángel una multitud del l'ange une troupe version LXX : 1 R 22,
stratia/j ouvrani,ou ejercito celestial alabando a nombreuse de l'armée 19 ; Jer 19,13 2Chr.
aivnou,ntwn to.n qeo.n kai. 359
lego,ntwn( Dios y diciendo: céleste, qui louait Dieu, en 33, 3-5
disant :
14
Do,xa evn u`yi,stoij qew/| “Gloria en las alturas a Dios y " Gloire à Dieu au plus haut La formulation vient
kai. evpi. gh/j eivrh,nh evn en la tierra paz a los hombres des cieux et sur la terre paix du Ps. 29 1. 11
360
avnqrw,poij euvdoki,ajÅ de buena voluntad” aux hommes objets de sa Les anges donnent

350
« Les bergers sont alors mal vus en Israël, car ils vivent en marge de la communauté pratiquante. Ce sont
des petits, des pauvres » (TOB, 2004 p. 2472)
351
(Schökel, 1998 p. 159)
352
(Schökel, 1998 p. 159)
353
(Fitzmayer, 1981 p. 324)
354
(Schökel, 1998 p. 159)
355
(Fitzmayer, 1981 p. 325)
356
Les citations peuvent être comprises uniquement dans la version grecque ; en français elles ne restent que
comme des allusions arbitraires. D’autre part, c' est un titre appliqué aux Juges (Jg. 3,9. 15 ; 12,3 et Ne 9, 27)
Cfr. (TOB, 2004 p. 2472)
357
La version des LXX cfr. (TOB, 2004 p. 2472)
358
(Fitzmayer, 1981 p. 410)
359
(Fitzmayer, 1981 p. 410)
360
(Schökel, 1998 p. 159)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

complaisance ! " gloire à Dieu : Ps.


361
148,1
La paix est un fruit 109
messianique : Mi 5,
362
4
15
Kai. evge,neto w`j avph/lqon Y sucedió que como los Et il advint, quand les anges
avpV auvtw/n eivj to.n ángeles partieron hacía el les eurent quittés pour le
ouvrano.n oi` a;ggeloi( oi` cielo, los pastores se dijeron ciel, que les bergers se
poime,nej evla,loun pro.j
avllh,louj( Die,lqwmen dh. unos a otros: “Vayamos de dirent entre eux : " Allons
e[wj Bhqle,em kai. i;dwmen hecho hasta Belén y véamos jusqu'à Bethléem et voyons
to. r`hm/ a tou/to to. ésta palabra que ha sucedido ce qui est arrivé et que le
gegono.j o] o` ku,rioj la cual el Señor ha hecho Seigneur nous a fait
evgnw,risen h`mi/nÅ conocer a nosotros” connaître. "
16
ai. h=lqan speu,santej kai. Vinieron a toda prisa y Ils vinrent donc en hâte et La référence à la
avneu/ran th,n te Maria.m encontraron a María y a José trouvèrent Marie, Joseph et créché: Is. 1, 3
363
kai. to.n VIwsh.f kai. to. y al recién nacido acostado le nouveau-né couché dans
bre,foj kei,menon evn th/|
fa,tnh|\ en el comedero. la crèche.
17
ivdo,ntej de. evgnw,risan Viendo, dieron a conocer las Ayant vu, ils firent Faire connaître
peri. tou/ r`h,matoj tou/ palabras que habían sido connaître ce qui leur avait (annoncer) : Is.
lalhqe,ntoj auvtoi/j peri. dichas a ellos acerca de este été dit de cet enfant ; 43,10. 44,8
364
tou/ paidi,ou tou,touÅ
niño.
18
kai. pa,ntej oi` Los que escucharon éstas et tous ceux qui les
avkou,santej evqau,masan cosas se maravillaban acerca entendirent furent étonnés
peri. tw/n lalhqe,ntwn de las cosas que habían dicho de ce que leur disaient les
u`po. tw/n poime,nwn pro.j
auvtou,j\ por los pastores a ellos. bergers
19 365
h` de. Maria.m pa,nta María todas estas palabras Quant à Marie, elle Conserver en son
suneth,rei ta. r`h,mata atesoraba considerando en el conservait avec soin toutes cœur : Dn. 4, 28
366
tau/ta sumba,llousa evn th/| corazón de ella. ces choses, les méditant en
kardi,a| auvth/jÅ
son coeur.
20
kai. u`pe,streyan oi` Los pastores volvieron Puis les bergers s'en Glorifiant et louant
poime,nej doxa,zontej kai. glorificando y alabando a retournèrent, glorifiant et Dieu : Dn. 3, 26.55
367
aivnou/ntej to.n qeo.n evpi. Dios por todo las cosas que louant Dieu pour tout ce
pa/sin oi-j h;kousan kai.
ei=don kaqw.j evlalh,qh habían escuchado y visto tal qu'ils avaient entendu et
pro.j auvtou,å como había sido dicho a ellos. vu, suivant ce qui leur avait
été annoncé.
21
Kai. o[te evplh,sqhsan Y cuando se cumplieron ocho Et lorsque furent accomplis La circoncision :
h`me,rai ovktw. tou/ días lo circuncidaron y le les huit jours pour sa promesse crue (Gn.
peritemei/n auvto.n kai. pusieron el nombre de Jesús, circoncision, il fut appelé du 17, 12) loi pour Israël
evklh,qh to. o;noma auvtou/
VIhsou/j( to. klhqe.n u`po. el nombre dado por el ángel nom de Jésus, nom indiqué (Lv. 12,3).
tou/ avgge,lou pro. tou/ antes de ser concebido en el par l'ange avant sa Le nom qui montre le
368
sullhmfqh/nai auvto.n evn seno [materno]. conception. destin Is. 12, 2
th/| koili,a|Å

::::: Sujet des actions corporelles


___ Référence corporelle

361
(TOB, 2004 p. 2472)
362
(TOB, 2004 p. 2473)
363
(Fitzmayer, 1981 p. 394)
364
(Schökel, 1998 p. 159)
365
Il vaut mieux garder la traduction qui n'inclut pas le mot« paroles » (r`h,mata) parce que cela permet de faire
un parallélisme plus clair avec Lc. 1, 65. Cfr. (TOB, 2004 p. 2473) Dans le cas de l’espagnol c'est encore plus
recommandable car les termes r`h,mata et lo,goj sont traduits pour le même mot : « palabra ». Dans ce cas la
traduction peut conduire à des interprétations intéressantes certes mais qui forcent absolument le texte grec.
Par exemple établir un lien direct entre ce verset et le prologue de Jean en raison de l’emploi du mot
« palabra »
366
(Fitzmayer, 1981 p. 413)
367
(Fitzmayer, 1981 p. 413)
368
(Schökel, 1998 p. 159)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

___ Référence de lieu


___ Référence de temps 110
D. La traduction et analyse structurelle concordée des péricopes de Lc. 2, 22-40 et 2,
41-52
Proposition d’une structure pour l’analyse de Lc. 2, 22-52 :

Versets Nom de Structure Réf. Texte grec Texte espagnol Texte français Corps de
369
l’unité texte Corporelles.
Jésus
22-39 Présentatio A v. 28 kai. auvto.j evde,xato y él [Simeón] lo il le reçut dans Passif.
n de Jésus auvto. eivj ta.j tomó en los ses bras, bénit
au temple. avgka,laj kai. brazos, bendijo Dieu et dit:
euvlo,ghsen to.n
Prophéties : qeo.n kai. ei=pen( a Dios y dijo:
Siméon et
Anne
v. 30 o[ti ei=don oi` Porque vieron car mes yeux Passif
ovfqalmoi, mou to. los ojos míos ont vu ton
swth,rio,n sou( [de Simeón] tu salut,
salvación
40 Jeunesse de B v.40 To. de. paidi,on El niño crecía y Cependant Passage :
Jésus hu;xanen kai. se fortalecía, l'enfant
evkrataiou/to Passivité 
llenándose de grandissait, se
plhrou,menon
sofi,a|( kai. ca,rij sabiduría y la fortifiait et se Activité.
qeou/ h=n evpV auvto,Å gracia de Dios remplissait de
estaba sobre él. sagesse. Et la
grâce de Dieu
était sur lui.
41-51 Premières C v. 46 kai. evge,neto meta. Y sucedió que Et il advint, au Actif
paroles de h`me,raj trei/j eu- hacia los tres bout de trois
Jésus au ron auvto.n evn tw/| días, jours, qu'ils le
i`erw/| kaqezo,menon
temple evn me,sw| tw/n descubrieron à trouvèrent dans
didaska,lwn kai. él en el templo le Temple, assis
avkou,onta auvtw/n sentado en au milieu des
kai. evperwtw/nta medio de los docteurs, les
auvtou,j\ maestros y écoutant et les
escuchando a interrogeant ;
ellos y
preguntándoles.
v. 47 evxi,stanto de. Y todos los que et tous ceux qui Actif
pa,ntej oi` los escuchaban l'entendaient
avkou,ontej auvtou/ a él estaban étaient
evpi. th/| sune,sei
kai. tai/j asombrados de stupéfaits de
avpokri,sesin su son intelligence
auvtou/Å entendimiento y et de ses
sus respuestas. réponses.
v. 48 kai. ivdo,ntej auvto.n Y viendo a él À sa vue, ils
evxepla,ghsan( kai. estaban furent saisis
ei=pen pro.j auvto.n maravillados, y d'émotion, et sa
h` mh,thr auvtou/(
Te,knon( ti, dijo a él la mère lui dit : "
evpoi,hsaj h`mi/n madre suya: Mon enfant,
ou[twjÈ ivdou. o` “Hijo, ¿por qué pourquoi nous
path,r sou kavgw. nos has tratado as-tu fait cela ?
ovdunw,menoi así? Mira tu Vois ! ton père
evzhtou/me,n seÅ padre y yo te et moi, nous te
buscamos llenos cherchons,
de angustia angoissés. "

369
Nous prendrons la structure du récit de la Bible TOB, qui est presque la même que celle proposée par Meier.
Cfr. (TOB, 2004 pp. 2473-2475; Fitzmayer, 1981 p. 136).
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

v. 49 kai. ei=pen pro.j Y dijo a ellos: Et il leur dit : "


auvtou,j( Ti, o[ti “¿Por qué me Pourquoi donc
evzhtei/te, meÈ ouvk buscaban? ¿No me cherchiez- 111
h;|deite o[ti evn
toi/j tou/ patro,j ven que en lo de vous ? Ne
mou dei/ ei=nai, meÈ mi Padre debo saviez-vous pas
estar?” que je dois être
dans la maison
de mon Père ? "
52 La vie B’ v. 52 Kai. VIhsou/j Y Jesús crecía en Quant à Jésus, il « il
cachée proe,kopten Îevn sabiduría, croissait en progressait
th/|Ð sofi,a| kai. estatura (edad) sagesse, en *…+ en
h`liki,a| kai.
ca,riti para. qew/| y gracia para taille et en taille »
kai. avnqrw,poijÅ con Dios y lo grâce devant
hombres. Dieu et devant
les hommes.
___ Référence corporelle
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

Annexe 3 : Luc 4, 14-30


Verset Texte Grecque Traduction espagnole Traduction française 112
14
Kai. u`pe,streyen o` VIhsou/j evn th/| Y regresó Jesús en el poder del Jésus retourna en Galilée, avec la
duna,mei tou/ pneu,matoj eivj th.n Espíritu hacia Galilea y la noticia puissance de l'Esprit, et une rumeur
Galilai,anÅ kai. fh,mh evxh/lqen kaqV sobre él llegó a todos los vecinos se répandit par toute la région à son
o[lhj th/j pericw,rou peri. auvtou/Å
sujet.
15
kai. auvto.j evdi,dasken evn tai/j y él enseñaba en sus sinagogas Il enseignait dans leurs synagogues,
sunagwgai/j auvtw/n doxazo,menoj u`po. siendo glorificado por todos glorifié par tous.
pa,ntwnÅ
16
Kai. h=lqen eivj Nazara,( ou- h=n Y vino a Nazareth, donde había Il vint à Nazara où il avait été élevé,
teqramme,noj( kai. eivsh/lqen kata. to. crecido, y entró –según su entra, selon sa coutume le jour du
eivwqo.j auvtw/| evn th/| h`me,ra| tw/n costumbre en el día sábado – a la sabbat, dans la synagogue, et se leva
sabba,twn eivj th.n sunagwgh.n kai.
avne,sth avnagnw/naiÅ sinagoga y se levantó para leer. pour faire la lecture.
17
kai. evpedo,qh auvtw/| bibli,on tou/ Le dieron el libro del profeta On lui remit le livre du prophète Isaïe
profh,tou VHsai<ou kai. avnaptu,xaj Isaías y desenrollando el libró et, déroulant le livre, il trouva le
to. bibli,on eu-ren to.n to,pon ou- h=n encontró el lugar donde estaba passage où il était écrit :
gegramme,non(
escrito:
18
Pneu/ma kuri,ou evpV evme. ou- ei[neken El Espíritu del Señor está sobre L'Esprit du Seigneur est sur moi,
e;crise,n me euvaggeli,sasqai mí porque me ha ungido para parce qu'il m'a consacré par
ptwcoi/j( avpe,stalke,n me( khru,xai anunciar la buena noticia a los l'onction, pour porter la bonne
aivcmalw,toij a;fesin kai. tufloi/j
avna,bleyin( avpostei/lai pobres, me ha enviado para nouvelle aux pauvres. Il m'a envoyé
teqrausme,nouj evn avfe,sei( proclamar a los cautivos la annoncer aux captifs la délivrance et
liberación y para devolver la vista aux aveugles le retour à la vue,
a los ciegos y la libertad a los renvoyer en liberté les opprimés,
oprimidos.
19
khru,xai evniauto.n kuri,ou dekto,nÅ Para proclamar un año del Señor proclamer une année de grâce du
favorable. Seigneur.
20
kai. ptu,xaj to. bibli,on avpodou.j tw/| Y doblando el libro lo devolvió al car la Vie s'est manifestée Il replia le
u`phre,th| evka,qisen\ kai. pa,ntwn oi` servidor y se sentó. Todos los livre, le rendit au servant et s'assit.
ovfqalmoi. evn th/| sunagwgh/| h=san ojos en la sinagoga estaban fijos Tous dans la synagogue tenaient les
avteni,zontej auvtw/|Å
en él. yeux fixés sur lui.

21
h;rxato de. le,gein pro.j auvtou.j o[ti Comenzó a decir a ellos que: Hoy Alors il se mit à leur dire : "
Sh,meron peplh,rwtai h` grafh. au[th se cumple esta escriture en los Aujourd'hui s'accomplit à vos oreilles
evn toi/j wvsi.n u`mw/nÅ oídos de ustedes ce passage de l'Écriture. "
22
Kai. pa,ntej evmartu,roun auvtw/| kai. Y todos testimoniaban de él y se Et tous lui rendaient témoignage et
evqau,mazon evpi. toi/j lo,goij th/j maravillaban de las palabras étaient en admiration devant les
ca,ritoj toi/j evkporeuome,noij evk tou/ llenas de gracia que salían de su paroles pleines de grâce qui sortaient
sto,matoj auvtou/ kai. e;legon( Ouvci.
ui`o,j evstin VIwsh.f ou-tojÈ boca, y dijeron: ¿No es éste el de sa bouche. Et ils disaient : " N'est-
hijo de José? il pas le fils de Joseph, celui-là ? "
23
kai. ei=pen pro.j auvtou,j( Pa,ntwj Y dijo a ellos: Todos me dirán Et il leur dit : " À coup sûr, vous allez
evrei/te, moi th.n parabolh.n tau,thn\ esta parábola. Médico cúrate a ti me citer ce dicton : Médecin, guéris-
VIatre,( qera,peuson seauto,n\ o[sa mismo. Lo mismo que oímos que toi toi-même. Tout ce qu'on nous a
hvkou,samen geno,mena eivj th.n
Kafarnaou.m poi,hson kai. w-de evn ocurrío en Cafarnaum hazlo en tu dit être arrivé à Capharnaüm, fais-le
th/| patri,di souÅ patria. de même ici dans ta patrie. "
24
ei=pen de,( VAmh.n le,gw u`mi/n o[ti Dijo pues “En verdad les digo que Et il dit : " En vérité, je vous le dis,
ouvdei.j profh,thj dekto,j evstin evn th/| ningún profeta es bienvenido en aucun prophète n'est bien reçu dans
patri,di auvtou/Å su [propia] patria sa patrie.
25
evpV avlhqei,aj de. le,gw u`mi/n( pollai. En verdad les digo a ustedes, " Assurément, je vous le dis, il y avait
ch/rai h=san evn tai/j h`me,raij VHli,ou muchas viudas existían en los beaucoup de veuves en Israël aux
evn tw/| VIsrah,l( o[te evklei,sqh o` días de Elías en Israel, cuando se jours d'Élie, lorsque le ciel fut fermé
ouvrano.j evpi. e;th tri,a kai. mh/naj e[x(
w`j evge,neto limo.j me,gaj evpi. pa/san cerró el cielo por tres años y seis pour trois ans et six mois, quand
th.n gh/n( meses y aconteció un gran survint une grande famine sur tout le
hambre en toda la tierra. pays ;
26
kai. pro.j ouvdemi,an auvtw/n evpe,mfqh Y a ninguna de ellas fue enviado ce que nous avons vu et entenduet
VHli,aj eiv mh. eivj Sa,repta th/j Elías sino a una viuda de Sarepta ce n'est à aucune d'elles que fut
Sidwni,aj pro.j gunai/ka ch,ranÅ à Sidonia. envoyé Élie, mais bien à une veuve
de Sarepta, au pays de Sidon.
27
kai. polloi. leproi. h=san evn tw/| Y muchos leprosos existían en Il y avait aussi beaucoup de lépreux
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

VIsrah.l evpi. VElisai,ou tou/ Israel alrededor del profeta en Israël au temps du prophète Élisée
profh,tou( kai. ouvdei.j auvtw/n Eliseo, y ninguno de ellos fue ; et aucun d'eux ne fut purifié, mais
evkaqari,sqh eiv mh. Naima.n o` Su,rojÅ limpiado sino Náam el sirio. bien Naaman, le Syrien. " 113
28
kai. evplh,sqhsan pa,ntej qumou/ evn Y todos en la sinagoga se llenaron Entendant cela, tous dans la
th/| sunagwgh/| avkou,ontej tau/ta de ira escuchando estas cosas. synagogue furent remplis de fureur.
29
kai. avnasta,ntej evxe,balon auvto.n Y levantándose, lo sacaron fuera Et, se levant, ils le poussèrent hors de
e;xw th/j po,lewj kai. h;gagon auvto.n de la ciudad, y lo condujerons la ville et le menèrent jusqu'à un
e[wj ovfru,oj tou/ o;rouj evfV ou- h` hacia la cima de la montaña escarpement de la colline sur laquelle
po,lij wv|kodo,mhto auvtw/n w[ste
katakrhmni,sai auvto,n\ donde su ciudad está construida leur ville était bâtie, pour l'en
a fin de despeñarlo. précipiter.
30
uvto.j de. dielqw.n dia. me,sou auvtw/n Pero él pasó entre medio de ellos et avec son Fils Jésus Christ
evporeu,etoÅ y prosiguió.
___ Référence corporelle

Annexe 4 : Analyse sémantique du concept d’exousia chez Luc.

A. La complexité du concept dans le Nouveau Testament370.


Nous proposons une analyse sémantique du terme dans l’Evangile de Luc. Cependant l’Evangile de
Luc est inséré dans le contexte du Nouveau Testament. Nous y trouvons trois acceptions du terme :

1. Elle indique la présence objective –physique ou spirituelle – qui dénote le pouvoir de Dieu dont la
Parole est un pouvoir créateur. Dans le même champ sémantique de kra,toj i`scu,j du,namij

2. Le mot indique le pouvoir de décision active dans tout l’ordre juridique, notamment ceux en
lien avec l’État et les relations établies dans ce cadre. Dans ce cas il s’agit d’une réflexion sur
l’autorité de Dieu qui est l’autorité suprême, c'est-à-dire qu’il ne se passe rien en-dehors de son
autorité. Même le pouvoir que peut avoir l’Anti-Christ

3. Il est l’autorité donnée à l’Eglise afin d’établir le rapport avec le Christ (en tant que source de
l’autorité) et cette autorité donnée à la communauté servant de base à sa liberté.

B. Le concept dans l’Evangile de Luc.


Le mot evxousi,a apparaît 17 fois dans le troisième Evangile. Nous classifierons ces utilisations en trois
grands groupes pour comprendre le ministère de Jésus : 1. evxousi,a liée à l’activité de Jésus en tant
que maître. 2. evxousi,a liée à l’activité de Jésus en tant que thaumaturge. 3. evxousi,a appliquée à autre
personne, et dans ce cas l’expression sert de contexte dans l’activité de Jésus.

1. evxousi,a est liée à l’activité de Jésus en tant que maître (les paroles de Jésus)
L’evxousi,a est liée aux paroles prononcées par Jésus. Dans les versets où le mot est présent nous
trouvons une triple acception :
1. Le pouvoir absolu de Dieu que lui seul possède371. Notamment en Lc. 12, 5 :
Version grecque u`podei,xw de. u`mi/n ti,na fobhqh/te\ fobh,qhte to.n meta. to. avpoktei/nai e;conta evxousi,an evmbalei/n
eivj th.n ge,ennanÅ nai. le,gw u`mi/n( tou/ton fobh,qhteÅ

370
Le texte est une traduction libre de l’introduction au concept d’exousia dans le Nouveau Testament contenu
dans le Dictionnaire Théologique du Nouveau Testament de Kittel. Cfr. (Gehard Kittel, editor, 1984, p. 566)
371
Cette acception est liée à la première du Nouveau Testament Cfr. (Gehard Kittel, editor, 1984, pp. 566-567)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

Version espagnole Mostraré a ustedes a quien deben temer: Teman a aquel que tiene poder para lanzar hacia la
Ghenha, verdaderamente les digo, a [Ese] teman.
Version française Je vais vous montrer qui vous devez craindre : craignez Celui qui, après avoir tué, a le pouvoir 114
de jeter dans la géhenne ; oui, je vous le dis, Celui-là, craignez-le.
2. Le pouvoir politique qui est exercé par les gouvernants pour un peuple. Lors du dernier
repas Jésus utilise l’expression : « oi` evxousia,zontej » (Luc 22, 25). C'est-à-dire ceux qui ont autorité
ou pouvoir : les rois des nations.
Version grecque o` de. ei=pen auvtoi/j( Oi` basilei/j tw/n evqnw/n kurieu,ousin auvtw/n kai. oi` evxousia,zontej auvtw/n
euverge,tai kalou/ntaiÅ
Version espagnole Les dijo a ellos: Los reyes de las naciones se enseñorean de ellos y los que tienen autoridad de
ellos Benefactores son llamados.
Version française Il leur dit : " Les rois des nations dominent sur elles, et ceux qui exercent le pouvoir sur elles se
font appeler Bienfaiteurs.
Aussi dans la parabole des mines (Lc. 19, 17) ; et dans le contexte de la discussion sur l’impôt dû à
César (Luc 20,20). Dans le même sens le texte de Luc 12, 11 est une recommandation aux disciples
sur la manière de se comporter devant les autorités publiques lorsqu'ils auront à subir les
persécutions.

3. Le mot evxousi,a est central pour comprendre le ministère du Christ, c'est-à-dire sa personne
et son action ; il s’agit du pouvoir divin qui lui permet de faire ce que Jésus fait372. Dans ce sens la
péricope de Luc 4, 31-37 que la TOB appelle : « Jésus à Capharnaüm. Autorité de sa parole »373
nous montre un double aspect de l’autorité de Jésus. Luc 4, 32 :

Version grecque kai. evxeplh,ssonto evpi. th/| didach/| auvtou/( o[ti evn evxousi,a| h=n o` lo,goj auvtou/Å
Version espagnole y estaban asombrados de la enseñanza de él, porque su palabra tenía autoridad.
Version française Et ils étaient frappés de son enseignement, car il parlait avec autorité.
Luc 4, 36
Version grecque kai. evge,neto qa,mboj evpi. pa,ntaj kai. sunela,loun pro.j avllh,louj le,gontej( Ti,j o` lo,goj ou-toj
o[ti evn evxousi,a| kai. duna,mei evpita,ssei toi/j avkaqa,rtoij pneu,masin kai. evxe,rcontaiÈ
Version espagnole y sucedió que estaban admirados por estas cosas, y discutían entre ellos diciendo: “¿Qué
palabra *es+ esta? Porque con autoridad y poder manda a los impuros espíritus y *ellos+ salen”
Version française La frayeur les saisit tous, et ils se disaient les uns aux autres : " Quelle est cette parole ? Il
commande avec autorité et puissance aux esprits impurs et ils sortent ! "
Il est lié à la définition de l’autorité comme manifestation de Dieu en tant qu’action avec pouvoir.

2. evxousi,a est liée à l’activité de Jésus en tant que thaumaturge.


Dans ce contexte nous présentons les passages où le mot est lié à cette manière de vivre l’activité.

1. L’evxousi,a se présente comme un développement des pouvoirs de la nature374. Elle se


présente dans la même péricope que nous avons déjà analysée : l’action accomplie est l’expulsion
d’un esprit impur (Luc 4, 31-32). La même utilisation apparaît dans la péricope de « La guérison d’un
paralytique, signe de pardon » (Luc 5, 17-26)375. Cette guérison est réalisée dans un contexte

372
(Gehard Kittel, editor, 1984, p. 568)
373 (TOB, 2004, p. 2481)
374
Cfr. (Gehard Kittel, editor, 1984, p. 567)
375
(TOB, 2004, p. 2483)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

polémique avec les scribes et les pharisiens (Luc 5, 17)376 : Il s’agit d’un conflit de pouvoir entre la
puissance de Dieu (du,namij) ; et celle des pharisiens et des docteurs de la loi. Le mot apparaît dans le 115
verset 24.

Version grecque i[na de. eivdh/te o[ti o` ui`o.j tou/ avnqrw,pou evxousi,an e;cei evpi. th/j gh/j avfie,nai a`marti,aj& ei=pen tw/|
paralelume,nw|( Soi. le,gw( e;geire kai. a;raj to. klini,dio,n sou poreu,ou eivj to.n oi=ko,n souÅ
Version espagnole para que vean pues que el hijo del hombre autoridad tiene sobre la tierra de perdonar pecados
–dijo al paralítico – te digo, levántate toma tu camilla y anda a tu casa. »
Version française Eh bien ! pour que vous sachiez que le Fils de l'homme a le pouvoir sur la terre de remettre les
péchés, je te l'ordonne, dit-il au paralysé, lève-toi et, prenant ta civière, va chez toi. "
Ce même sens se trouve dans le verset Luc 20, 2.

Version grecque kai. ei=pan le,gontej pro.j auvto,n( Eivpo.n h`mi/n evn poi,a| evxousi,a| tau/ta poiei/j( h' ti,j evstin o` dou,j
soi th.n evxousi,an tau,thnÈ
Version espagnole y le hablaron diciendo a él: Dinos en ¿Con qué autoridad estas cosas haces? O ¿Quién est te
dió a tí esta autoridad ?
Version française et lui parlèrent en ces termes : " Dis-nous par quelle autorité tu fais cela, ou quel est celui qui
t'a donné cette autorité ? "
Ainsi nous constatons que l’autorité (evxousi,a) est liée une fois de plus à l’action de Jésus (poiei/j). Une
action supranaturelle (expulsion des esprits impurs et guérison d’un paralytique) laquelle suppose le
pardon des péchés, action réservée à Dieu377.

2. Cette autorité qui appartient à Jésus n’est pas retenue par lui. Elle est donnée aux douze (Luc
9, 1) et aux soixante-douze (Luc 10, 19). Ainsi la communauté reçoit l’autorité du Christ et trouve sa
possibilité d’action dans ce rapport avec Lui378. Dans la mesure où les douze sont unis à cette autorité
ils sont capables de réaliser les mêmes signes réalisés par Jésus : « proclamer le Royaume de Dieu et
faire des guérisons » (Luc 9,2)379; le même sens est utilisé dans le cas des soixant-douze380.

3. evxousi,a est appliquée à autrui, et dans ce cas l’expression sert de contexte à l’activité de
Jésus.
Il y a plusieurs figures qui ont du pouvoir dans le troisième Évangile.

1. Le concept doit être compris par rapport à l’accomplissement de la volonté de Dieu, qui
correspond au pouvoir de Satan dans la sphère de sa domination381. Cette domination apparaît à 2
reprises. Dans la tentation (Lc. 4, 6) :

Version grecque kai. ei=pen auvtw/| o` dia,boloj( Soi. dw,sw th.n evxousi,an tau,thn a[pasan kai. th.n do,xan auvtw/n( o[ti
evmoi. parade,dotai kai. w-| eva.n qe,lw di,dwmi auvth,n\
Version espagnole y el diablo le dijo: Te doy toda esta autoridad y su gloria, porque me ha sido entregada y a
quien quiero se la doy.

376
Cfr. (Nolland J. , 1989, p. 231.238; Schökel, 1998, p. 167; Fitzmayer, The Gospel according to Luke I-IX, 1981,
pp. 580-581)
377
(Schökel, 1998, p. 167)
378
(Gehard Kittel, editor, 1984, p. 568)
379
(Fitzmayer, The Gospel according to Luke I-IX, 1981, p. 753; Nolland J. , 1989, pp. 425-426)
380
(Fitzmayer, The Gospel according to Luke X-XXIV, 1985, p. 863)
381
Cfr. (Gehard Kittel, editor, 1984, p. 567)
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

Version française et lui dit : " Je te donnerai tout ce pouvoir et la gloire de ces royaumes, car elle m'a été livrée,
et je la donne à qui je veux.
Et au moment de l’arrestation de Jésus (Lc. 22,53) : 116
Version grecque kaqV h`me,ran o;ntoj mou meqV u`mw/n evn tw/| i`erw/| ouvk evxetei,nate ta.j cei/raj evpV evme,( avllV au[th
evsti.n u`mw/n h` w[ra kai. h` evxousi,a tou/ sko,touj
Version espagnole Cada día estando yo con ustedes en el templo no cerraron las manos contra mí, sino éste es
vuestra hora y el poder (autoridad) de la oscuridad.
Version française Alors que chaque jour j'étais avec vous dans le Temple, vous n'avez pas porté les mains sur
moi. Mais c'est votre heure et le pouvoir des Ténèbres. "
2. L’evxousi,a liée à l’exercice du pouvoir politique dans les termes dont nous avons parlé à
propos des paraboles du pouvoir politique. Dans le cas de Luc 22, 25 –le texte que nous avons déjà
analysé – nous sommes en présence d’une parabole. Par contre dans le cas de Luc 23, 7 et de Luc 20,
20 nous sommes devant des textes qui servent uniquement à indiquer que la juridiction pour juger
Jésus correspond Hérode.
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

Annexe 5 : Luc 8,40-56


117
A. L’importance du contact physique de Jésus dans l’Evangile de Luc.
Dans la lecture de l’Evangile de Luc nous avons repéré que le contact physique avec Jésus est très
important pour opérer les miracles. Nous avons analysé les verbes suivants : a[ptw (toucher) ; krate,w
(prendre) et evpilamba,nomai (prendre ou mettre la main). Dans le premier cas nous trouvons
un lien direct entre ce verbe et le caractère corporel de l’action. Par contre dans le cas du
deuxième verbe le sens est plus vaste. En effet c’est le même verbe utilisé pour prendre la
main (P. ex. : Luc 8, 54) que pour prendre le pain dans le récit de l’institution de l’Eucharistie
(Luc 22, 14-20). Dans le tableau suivant nous présentons les trois verbes dans les
occurrences liées au corps de Jésus. Elles seront divisées entre rapport à l’activité et rapport
à la passivité de Jésus.

a[ptw (toucher) krate,w (prendre) evpilamba,nomai (prendre ou


mettre la main)
Toucher actif de 5, 13 : Guérison d’un lépreux 8, 54 : Guérison d’une 9,47 : Qui est le plus grand
Jésus : Jésus 6, 19 : Les foules à la suite de Jésus (en Judée) hémorroïsse et [Jésus prit un petit enfant]
touche/prend 7, 14 : Résurrection du fils de la veuve de résurrection de la fille 14, 4 : Guérison d’un
Naïm. de Jaïre. hydropique un jour de
18:15 : Jésus et les petits enfants. sabbat.
22:51 : L’arrestation de Jésus *guérison du
serviteur du grand prêtre]
Toucher passif de 7, 39 : La pécheresse et aimante
Jésus : 8,44-45 : Guérison d’une hémorroïsse et
Jésus est touché/ résurrection de la fille de Jaïre.
est pris
Aaa Textes dans lesquels nous trouvons un rapport entre toucher et guérison.

B. Traduction de Luc 8, 40 – 56.


V. Grec Espagnol Français
40
VEn de. tw/| u`postre,fein to.n VIhsou/n avpede,xato A su regreso, la multitud recibió a À son retour, Jésus fut accueilli
auvto.n o` o;cloj( h=san ga.r pa,ntej Jesús, pues todos estaban par la foule, car tous étaient à
prosdokw/ntej auvto,nÅ esperándolo. l'attendre.
41
kai. ivdou. h=lqen avnh.r w-| o;noma VIa,ir? oj kai. ou- Y he aquí que un hombre llamado Et voici qu'arriva un homme du
toj a;rcwn th/j sunagwgh/j u`ph/rcen( kai. Jairo y que era un jefe de la nom de Jaïre, qui était chef de la
pesw.n para. tou.j po,daj Îtou/Ð VIhsou/ sinagoga salió. Y cayendo a los pies synagogue. Tombant aux pieds
pareka,lei auvto.n eivselqei/n eivj to.n oi=kon
auvtou/( de Jesús le rogaba que entrara en de Jésus, il le priait de venir
382
la casa de él [la de Jairo] chez lui,
42
o[ti quga,thr monogenh.j h=n auvtw/| w`j evtw/n porque la hija única que él tenía, parce qu'il avait une fille
dw,deka kai. auvth. avpe,qnh|skenÅ VEn de. tw/| como de doce años, ella moría. unique, âgée d'environ douze
u`pa,gein auvto.n oi` o;cloi sune,pnigon auvto,nÅ Pero mientras él iba las multitudes ans, qui se mourait. Et comme il
lo apretaban. s'y rendait, les foules le
serraient à l'étouffer.
43
kai. gunh. ou=sa evn r`u,sei ai[matoj avpo. evtw/n Una mujer que tenía flujos de Or une femme, atteinte d'un
dw,deka( h[tij Îivatroi/j prosanalw,sasa o[lon sangre desde hace doce años, la flux de sang depuis douze
to.n bi,onÐ ouvk i;scusen avpV ouvdeno.j cual [gastó toda la vida en médico ] années, [elle avait dépensé tout
qerapeuqh/nai(

382
Nous faisons l’inclusion car la traduction en espagnol est un peut ambigüe.
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

no fue curada por nadie. son avoir [pour vivre] en


médecins] 383 et que nul
n'avait pu guérir 118
44
proselqou/sa o;pisqen h[yato tou/ kraspe,dou Se acercó por detrás tocó el borde s'approcha par derrière et
tou/ i`mati,ou auvtou/ kai. paracrh/ma e;sth h` del manto de él e inmediatamente toucha la frange de son
r`u,sij tou/ ai[matoj auvth/jÅ cesó el flujo de sangre de ella. manteau ; et à l'instant même
son flux de sang s'arrêta.
45
kai. ei=pen o` VIhsou/j( Ti,j o` a`ya,meno,j mouÈ Y dijo Jesús: “¿Quié me ha Mais Jésus dit : " Qui est-ce qui
avrnoume,nwn de. pa,ntwn ei=pen o` Pe,troj( tocado?” Como todos negaban, m'a touché ? " Comme tous s'en
VEpista,ta( oi` o;cloi sune,cousi,n se kai. dijo Pedro: “Maestro, las défendaient, Pierre dit : "
avpoqli,bousinÅ
multitudes te aprietan y te Maître, ce sont les foules qui te
oprimen.” serrent et te pressent. ".
46
o` de. VIhsou/j ei=pen( {Hyato, mou, tij( evgw. ga.r Jésus dijo: “Alguie me tocó, pues yo Mais Jésus dit : " Quelqu'un m'a
e;gnwn du,namin evxelhluqui/an avpV evmou/Å sentí una fuerza que salió de mi” touché ; car j'ai senti qu'une
force était sortie de moi. "
47
ivdou/sa de. h` gunh. o[ti ouvk e;laqen( tre,mousa Viendo la mujer que ella no había Se voyant alors découverte, la
h=lqen kai. prospesou/sa auvtw/| diV h]n aivti,an pasado inadvertida, se acercó femme vint toute tremblante et,
h[yato auvtou/ avph,ggeilen evnw,pion panto.j tou/ temblando y se postra delante de se jetant à ses pieds, raconta
laou/ kai. w`j iva,qh paracrh/maÅ
él. Y anuncia delante de todo el devant tout le peuple pour quel
pueblo que a causa de tocarlo motif elle l'avait touché, et
como había sido sanada comment elle avait été guérie à
inmediatamente l'instant même.
48
o` de. ei=pen auvth/|( Quga,thr( h` pi,stij sou Y le dijo a ella: “Hija, tu fe te ha Et il lui dit : " Ma fille, ta foi t'a
se,swke,n se\ poreu,ou eivj eivrh,nh salvado vete en paz”. sauvée ; va en paix. "
49
:Eti auvtou/ lalou/ntoj e;rcetai, tij para. tou/ Mientras él estaba hablando llegó Tandis qu'il parlait encore,
avrcisunagw,gou le,gwn o[ti Te,qnhken h` alguien de la casa del jefe de la arrive de chez le chef de
quga,thr sou\ mhke,ti sku,lle to.n dida,skalonÅ sinagoga diciendo que: Murió la synagogue quelqu'un qui dit : "
hija suya, no molesten más al Ta fille est morte à présent ; ne
maestro. dérange plus le Maître. "
50
o` de. VIhsou/j avkou,saj avpekri,qh auvtw/|( Mh. Pero Jésus escuchó, respondió a Mais Jésus, qui avait entendu,
fobou/( mo,non pi,steuson( kai. swqh,setaiÅ ellos: “No temas, solo cree y serás lui répondit : " Sois sans crainte,
salvada.” crois seulement, et elle sera
sauvée. "
51
evlqw.n de. eivj th.n oivki,an ouvk avfh/ken Cuando llegó a la casa no permitió Arrivé à la maison, il ne laissa
eivselqei/n tina su.n auvtw/| eiv mh. Pe,tron kai. entrar a nadie con él sino Pedro, personne entrer avec lui, si ce
VIwa,nnhn kai. VIa,kwbon kai. to.n pate,ra th/j Juan, Santiago, y al padre de la niña n'est Pierre, Jean et Jacques,
paido.j kai. th.n mhte,raÅ
y la madre. ainsi que le père et la mère de
l'enfant.
52
e;klaion de. pa,ntej kai. evko,ptonto auvth,nÅ o` de. Todos lloraban y se lamentaban por Tous pleuraient et se frappaient
ei=pen( Mh. klai,ete( ouv ga.r avpe,qanen avlla. ella. Y dijo: “No llore, pues no está la poitrine à cause d'elle. Mais il
kaqeu,deiÅ muerta sino duerme” dit : " Ne pleurez pas, elle n'est
pas morte, mais elle dort. "
53
kai. katege,lwn auvtou/ eivdo,tej o[ti avpe,qanenÅ Y se burlaban de él sabiendo que Et ils se moquaient de lui,
[ella] había muerto sachant bien qu'elle était morte.
54
auvto.j de. krath,saj th/j ceiro.j auvth/j El tomándole la mano a ella clamó Mais lui, prenant sa main,
evfw,nhsen le,gwn( ~H pai/j( e;geireÅ diciendo: “¡Niña, levántate!” l'appela en disant : " Enfant,
lève-toi. "
55
kai. evpe,streyen to. pneu/ma auvth/j kai. avne,sth Y volvió el espíritu de ella, se Son esprit revint, et elle se leva
paracrh/ma kai. die,taxen auvth/| doqh/nai levantó inmediatamente y ordenó à l'instant même. Et il ordonna
fagei/nÅ que le dieran de comer de lui donner à manger.
56
kai. evxe,sthsan oi` gonei/j auvth/j\ o` de. Y sus padres estaban asombrados, Ses parents furent saisis de
parh,ggeilen auvtoi/j mhdeni. eivpei/n to. pero mandó a ellos nada decir de stupeur, mais il leur prescrivit
gegono,jÅ los sucedido. de ne dire à personne ce qui
s'était passé.
: :::: Sujet des actions corporelles
___ Référence corporelle
___ Référence de lieu
___ Référence de temps

383 La TOB nous dit que l’omission de la partie qui manque dans ce verset est constatée dans de très bonnes et
très anciennes versions. (TOB, 2004 p. 2497).
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

C. La structure de Luc 8, 40 – 56.


Le texte présente une structure « Sandwich » 119

Versets Critères pour réunir les versets Nom de l’unité.


40 – 42 a. - Personnages : La foule ; Jésus et Jaïre. (v.40) A (Le récit de Jaïre)
- Jaïre parle (v.41)
- Jésus vit son corps activement (v. 42a.)
42b - Personnages la foule et Jésus Transition A-B (Chemin)
- La foule serre Jésus
- Jésus vit le corps passivement
43-44 - Personnages : une femme, atteinte d'un flux de sang ; Jésus et la foule. B
- La femme touche (activité) la frange du manteau de Jésus (v.44)
- Jésus vit le corps passivement
45-46 -Personnages : Pierre, Jésus et la foule. B’ (Dialogue avec Pierre)
- Jésus commence à mettre en mouvement l’activité de son corps (v.46)
47- 48 - Personnages : Jésus et la femme. B’’ (L’annonce de la femme)
- La femme habite son corps activement (v. 47)
- Jésus habite son corps librement (v. 48)
49-50 - Personnages : Quelqu’un chez le chef de synagogue (v. 49) ; Jésus et Jaïre Transition B-A’ (Chemin)
- Jésus parle.
51-56 - Personnages : Jésus, Pierre, Jean, Jacques, Jaïre et la mère de l'enfant et la A’ (la resurrection de la fille)
fille (v. 51) ; le gens qui était en pleurant (v. 52)
- Jésus ressuscite à la fille en habitant activement son corps.
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

Annexe 6 : Traduction de travail de Luc 22, 14-20.


Verset Grec Espagnol Français 120
14
Kai. o[te evge,neto h` w[ra( avne,pesen Y entonces llegó la hora, se Lorsque l'heure fut venue, il se mit
kai. oi` avpo,stoloi su.n auvtw/|Å 384
sentó y los apóstoles con Él . à table, et les apôtres avec lui.
15
kai. ei=pen pro.j auvtou,j( VEpiqumi,a| Y dijo a ellos: “Con impaciencia Et il leur dit : " J'ai ardemment
evpequ,mhsa tou/to to. pa,sca fagei/n (pasión) he deseado esta désiré manger cette pâque avec
meqV u`mw/n pro. tou/ me paqei/n\ Pascua comer con ustedes vous avant de souffrir ;
antes de mi pasión
16
le,gw ga.r u`mi/n o[ti ouv mh. fa,gw Pues les digo a ustedes que no car je vous le dis, jamais plus je ne
auvto. e[wj o[tou plhrwqh/| evn th/| comeré de ella hasta que no se la mangerai jusqu'à ce qu'elle
basilei,a| tou/ qeou/Å cumpla en el reino de Dios.” s'accomplisse dans le Royaume de
Dieu. "
17
kai. dexa,menoj poth,rion Y habiendo tomado una copa Puis, ayant reçu une coupe, il
euvcaristh,saj ei=pen( La,bete tou/to habiendo dado gracias dijo: rendit grâces et dit : " Prenez ceci,
kai. diameri,sate eivj e`autou,j\ “Tomen esto y répartanlo entre et partagez entre vous ;
ustedes
18
le,gw ga.r u`mi/n( Îo[tiÐ ouv mh. pi,w digo pues a ustedes que no car, je vous le dis, je ne boirai plus
avpo. tou/ nu/n avpo. tou/ genh,matoj beberé desde ahora hasta la désormais du produit de la vigne
th/j avmpe,lou e[wj ou- h` basilei,a cosecha de la viña, hasta que el jusqu'à ce que le Royaume de Dieu
tou/ qeou/ e;lqh|Å
Reino de Dios venga” soit venu. "
19
kai. labw.n a;rton euvcaristh,saj Y tomó un pan, habiendo Puis, prenant du pain, il rendit
e;klasen kai. e;dwken auvtoi/j le,gwn( dando gracias parte y entrega a grâces, le rompit et le leur donna,
Tou/to, evstin to. sw/ma, mou to. u`pe.r ellos diciendo: “Este es el en disant : " Ceci est mon corps,
u`mw/n dido,menon\ tou/to poiei/te eivj
th.n evmh.n avna,mnhsinÅ cuerpo mío entregado por donné pour vous ; faites cela en
ustedes. Esto hagan en mi mémoire de moi. "
memoria”
20
kai. to. poth,rion w`sau,twj meta. to. Y la copa de la misma manera Il fit de même pour la coupe après
deipnh/sai( le,gwn( Tou/to to. después de la cena, diciendo: le repas, disant : " Cette coupe est
poth,rion h` kainh. diaqh,kh evn tw/| “Esta copa es la nueva alianza la nouvelle Alliance en mon sang,
ai[mati, mou to. u`pe.r u`mw/n
evkcunno,menonÅ en mi sangre derramada por versé pour vous.
ustedes”
: :::: Sujet des actions corporelles
___ Référence corporelle
___ Référence de lieu
___ Référence de temps

384
Le sujet de la phrase est Jésus.
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

Annexe 7 : Références corporelles dans le récit de la Passion Luc 22,39- 23,


56. 121
Nom de la péricope Verset Texte grecque Texte espagnol Texte français
Au mont des oliviers Luc 22, 41 kai. auvto.j avpespa,sqh y él se alejó de ellos Puis il s'éloigna d'eux
avpV auvtw/n w`sei. li,qou como a un tiro de environ un jet de
bolh.n kai. qei.j ta. piedra y pierre et, fléchissant
go,nata proshu,ceto
arrodillándose oraba les genoux, il priait en
disant :
Luc 22, 44 kai. geno,menoj evn Y estando en agonía, Entré en agonie, il
avgwni,a| evktene,steron oraba sin cesar, y el priait de façon plus
proshu,ceto\ kai. sudor llego a ser instante, et sa sueur
evge,neto o` i`drw.j
auvtou/ w`sei. qro,mboi como gotas de sangre devint comme de
385
ai[matoj cayendo sobre la grosses gouttes de
katabai,nontej evpi. tierra sang qui tombaient à
th.n gh/nÅ terre.
L’Arrestation de Jésus Luc 22, 47 :Eti auvtou/ lalou/ntoj Todavía él estaba Tandis qu'il parlait
ivdou. o;cloj( kai. o` hablando he aquí una encore, voici une
lego,menoj VIou,daj ei-j multitud, y el que se foule, et à sa tête
tw/n dw,deka
proh,rceto auvtou.j kai. llamaba Judas uno de marchait le nommé
h;ggisen tw/| VIhsou/ los doce, delante de Judas, l'un des Douze,
filh/sai auvto,nÅ ellos y se acerca a qui s'approcha de
Jesús lo besó (lo Jésus pour lui donner
amó). un baiser.
Luc 22, 48 VIhsou/j de. ei=pen Jesús le dijo : Mais Jésus lui dit : "
auvtw/|( VIou,da( Judas, ¿Con un beso Judas, c'est par un
filh,mati to.n ui`o.n al hijo del hombre baiser que tu livres le
tou/ avnqrw,pou 386
paradi,dwjÈ entregas ? Fils de l'homme ! "
387
Luc 22, 50 kai. evpa,taxen ei-j tij Y uno de ellos golpeó Et l'un d'eux frappa le
evx auvtw/n tou/ al siervo del jefe de serviteur du grand
avrciere,wj to.n dou/lon los sacerdotes y le prêtre et lui enleva
kai. avfei/len to. ou=j
auvtou/ to. dexio,nÅ amputa su oreja l'oreille droite.
derecha.
Luc 22, 51 avpokriqei.j de. o` Respondiendo Jesús Mais Jésus prit la
VIhsou/j ei=pen( VEa/te dijo: “Deténganse, parole et dit : "
e[wj tou,tou\ kai. con esto. Y tocando la Restez-en là. " Et, lui
a`ya,menoj tou/ wvti,ou
iva,sato auvto,nÅ oreja lo curó. touchant l'oreille, il le
guérit.
Luc 22, 53 kaqV h`me,ran o;ntoj Cada día yo estaba Alors que chaque jour
mou meqV u`mw/n evn tw/| con ustedes en el j'étais avec vous dans
i`erw/| ouvk evxetei,nate templo, no me le Temple, vous
ta.j cei/raj evpV evme,(
avllV au[th evsti.n u`mw/n echaron la mano n'avez pas porté les
h` w[ra kai. h` evxousi,a sobre mí, pero esta es mains sur moi. Mais
tou/ sko,toujÅ vuestra hora y la hora c'est votre heure et le
de la autoridad de la pouvoir des Ténèbres.
oscuridad. "
Reniements de Pierre Luc 22, 61 kai. strafei.j o` Y tornándose el Señor et le Seigneur, se
ku,rioj evne,bleyen tw/| fijo la mirada en retournant, fixa son
Pe,trw|( kai. Pedro y Pedro regard sur Pierre. Et
u`pemnh,sqh o` Pe,troj
tou/ r`h,matoj tou/ recordó las palabras Pierre se ressouvint
kuri,ou w`j ei=pen auvtw/| del Señor como le de la parole du
o[ti Pri.n avle,ktora había dicho: “Antes Seigneur, qui lui avait
fwnh/sai sh,meron que el gallo cante dit : " Avant que le
avparnh,sh| me tri,jÅ (suene) hoy me coq ait chanté
negarás tres *veces+” aujourd'hui, tu

385
Dans la traduction en espagnol et en français il y a l’adjective « grosses » que dans le texte grecque qui nous
avons n’existe pas. (Microsoft, 2003)
386
On constat que traditionnellement ces paroles de Jésus en espagnol ont un ton interrogative en espagnol.
Par contre dans la traduction de la Bible de Jérusalem elles sont considérées comme une affirmation.
(Microsoft, 2003)
387
Même si la référence n’est pas au corps de Jésus il est nécessaire pour comprendre la suite.
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

m'auras renié trois


fois. "
Luc 22, 62
388
kai. evxelqw.n e;xw Y saliendo afuera Et, sortant dehors, il 122
e;klausen pikrw/jÅ lloró amargamente. pleura amèrement.
Les outrages Luc 22, 63 Kai. oi` a;ndrej oi` Y los hombres que lo Les hommes qui le
sune,contej auvto.n guardaban se gardaient le
evne,paizon auvtw/| burlaban de él y lo bafouaient et le
de,rontej(
golpeaban. battaient ;
Luc 22, 64 kai. perikalu,yantej Y vendándole los ojos ils lui voilaient le
auvto.n evphrw,twn le preguntaban, visage et
389
le,gontej( diciendo : “Profetiza, l'interrogeaient en
Profh,teuson( ti,j
evstin o` pai,saj seÈ ¿Quién es el que te disant : " Fais le
ha golpeado?” prophète ! Qui est-ce
qui t'a frappé ? "

Jésus devant le Luc 22, 71 oi` de. ei=pan( Ti, e;ti Ellos dijeron: ¿Qué Et ils dirent : "
Sanhédrin e;comen marturi,aj necesidad tenemos Qu'avons-nous
crei,anÈ auvtoi. ga.r ya de testimonios? encore besoin de
hvkou,samen avpo. tou/
sto,matoj auvtou/Å Pues nosotros témoignage ? Car
mismos lo nous-mêmes l'avons
escuchamos de su entendu de sa bouche
boca !"
Jésus devant Pilate
Jésus devant Hérode Luc 23, 11 evxouqenh,saj de. auvto.n Herodes con sus Après l'avoir, ainsi
Îkai.Ð o` ~Hrw,|dhj su.n soldados después de que ses gardes, traité
toi/j strateu,masin haberlo tratado con avec mépris et
auvtou/ kai. evmpai,xaj
peribalw.n evsqh/ta desprecio y burlarse bafoué, Hérode le
lampra.n avne,pemyen vistiéndolo con ropas revêtit d'un habit
auvto.n tw/| Pila,tw|Å brillantes lo envió de splendide et le
nuevo à Pilatos. renvoya à Pilate.
390
Jésus de nouveau Luc 23, 16 paideu,saj ou=n auvto.n Lo castigaré entonces Je le relâcherai donc,
devant Pilate avpolu,swÅ a él, después lo après l'avoir châtié. "
soltaré.
391
Luc 23, 22 o` de. tri,ton ei=pen Por tercera vez dijo Pour la troisième fois,
pro.j auvtou,j( Ti, ga.r [Pilatos] a ellos : « il leur dit : " Quel mal
kako.n evpoi,hsen ou-tojÈ ¿Qué de malo ha a donc fait cet
ouvde.n ai;tion qana,tou
eu-ron evn auvtw/|\ hecho este? Nada homme ? Je n'ai
paideu,saj ou=n auvto.n digno de muerte he trouvé en lui aucun
avpolu,swÅ encontrado en él. Lo motif de
castigaré entonces y condamnation à mort
lo soltaré. ; je le relâcherai donc,
après l'avoir châtié. "
392
Sur le chemin du Luc 23, 26 Kai. w`j avph,gagon Y cuando lo Quand ils
Calvaire. auvto,n( evpilabo,menoi conducían a él, l'emmenèrent, ils
Si,mwna, tina tomaron a Simon mirent la main sur un
Kurhnai/on evrco,menon
avpV avgrou/ evpe,qhkan alguien de Cirene que certain Simon de
auvtw/| to.n stauro.n venía del campo le Cyrène qui revenait
fe,rein o;pisqen tou/ pusieron la cruz par des champs, et le
VIhsou/Å llevar atrás de Jesús. chargèrent de la croix
pour la porter
derrière Jésus.
393
Luc 23, 27 Hkolou,qei de. auvtw/| Lo seguían gran Une grande masse du

388
Le verset est retenu car il montre les effets de l’action de Jésus dans le corps des autres.
389
Le verbe en grecque implique voiler. Dans la traduction française je trouve interessante le fait de la voiler le
visage et non uniquement les yeux.
390
« Cf. v. 16 Lc ne décrit pas ce châtiment, qui répond à la flagellation Mt 27, 27-31p. À la différence de Mt et
de Mc, il y voit, comme Jn, un châtiment préventif, antérieur à la sentence et ayant pour but de l’éviter. »
(Jérusalem, 1998 p. 1803)
391
Id.
392
Cfr. Note 387
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

polu. plh/qoj tou/ laou/ multitud del pueblo y peuple le suivait, ainsi
kai. gunaikw/n ai] mujeres que lloraban que des femmes qui
evko,ptonto kai. y se lamentaban por se frappaient la 123
evqrh,noun auvto,nÅ 394
él. poitrine et se
lamentaient sur lui.
395
Luc 23, 29 o[ti ivdou. e;rcontai Porque he aquí que Car voici venir des
h`me,rai evn ai-j vienen días en los que jours où l'on dira :
evrou/sin( Maka,riai ai` diran: Felices las Heureuses les
stei/rai kai. ai`
koili,ai ai] ouvk estériles y las femmes stériles, les
evge,nnhsan kai. mastoi. entrañas que no entrailles qui n'ont
oi] ouvk e;qreyanÅ concibieron y los pas enfanté, et les
senos que no seins qui n'ont pas
amamantaron nourri !
Le crucifiement Luc 23, 33 kai. o[te h=lqon evpi. to.n Y cuando llegaron al Lorsqu'ils furent
to,pon to.n kalou,menon sitio llamado “La arrivés au lieu appelé
Krani,on( evkei/ Calavera”, ahí lo Crâne, ils l'y
evstau,rwsan auvto.n
kai. tou.j kakou,rgouj( crucificaron y los crucifièrent ainsi que
o]n me.n evk dexiw/n o]n malhechores uno a la les malfaiteurs, l'un à
de. evx avristerw/nÅ derecha y otro a la droite et l'autre à
izquierda. gauche.
Luc 23, 34 ÎÎo` de. VIhsou/j e;legen( Entonces Jesús dijo: Et Jésus disait : "
Pa,ter( a;fej auvtoi/j( “Padre, perdónalos, Père, pardonne-leur :
ouv ga.r oi;dasin ti, pues no saben qué ils ne savent ce qu'ils
poiou/sinÅÐÐ
diamerizo,menoi de. ta. hacen.” Se font. " Puis, se
i`ma,tia auvtou/ e;balon repartieron sus partageant ses
klh,roujÅ vestidos echando vêtements, ils tirèrent
suerte. au sort.
Jésus en croix raillé et Luc 23, 36 evne,paixan de. auvtw/| Los soldados se Les soldats aussi se
outragé kai. oi` stratiw/tai burlaban de él y gaussèrent de lui :
proserco,menoi( o;xoj vinieron con vino s'approchant pour lui
prosfe,rontej auvtw/|
amargo présenter du vinaigre,
Le bon larron Luc 23, 40 avpokriqei.j de. o` Respondió pues el Mais l'autre, le
e[teroj evpitimw/n auvtw/| otro, reprendiéndolo reprenant, déclara : "
e;fh( Ouvde. fobh/| su. dijo: “¡Ni siquiera Tu n'as même pas
to.n qeo,n( o[ti evn tw/|
auvtw/| kri,mati ei=È tienes temor de Dios, crainte de Dieu, alors
aunque estás en la que tu subis la même
misma pena! peine !
La mort de Jésus Luc 23, 46 kai. fwnh,saj fwnh/| Y gritando un gran et, jetant un grand
mega,lh| o` VIhsou/j 396
grito Jesús dijo: cri, Jésus dit : " Père,
ei=pen( Pa,ter( eivj “Padre en las manos en tes mains je
397
cei/ra,j sou
parati,qemai to. tuyas entrego el remets mon esprit. "
pneu/ma, mouÅ tou/to de. espíritu mío” Ayant dit cela, il
eivpw.n evxe,pneusenÅ Diciendo esto murió. expira.

Après la mort de Luc 23, 48 kai. pa,ntej oi` Todas las multitudes Et toutes les foules
Jésus sumparageno,menoi reunidas para qui s'étaient
o;cloi evpi. th.n contemplar esto, rassemblées pour ce
qewri,an tau,thn(
qewrh,santej ta. contemplaron lo que spectacle, voyant ce
geno,mena( tu,ptontej había acontecido, qui était arrivé, s'en
ta. sth,qh u`pe,strefonÅ golpéandose el pecho retournaient en se
se volvieron frappant la poitrine.

393
Id.
394
L’intensité de la traduction française est majeure.
395
Cfr. Note 3 de cette annexe.
396
La répétition est bizarre en espagnol mais il s’agit de montrer que la racine grecque est la même du verbe et
du nom.
397
Il s’agit d’une métaphore.
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

L’ensevelissement Luc 23, 52 ou-toj proselqw.n tw/| Este fue a Pilatos Il alla trouver Pilate et
Pila,tw| hv|th,sato to. pidió el cuerpo de réclama le corps de
sw/ma398 tou/ VIhsou/ Jesús. Jésus. 124
Luc 23, 53 kai. kaqelw.n Y bajando [el cuerpo] Il le descendit, le
evnetu,lixen auvto. lo envolvió en un roula dans un linceul
sindo,ni kai. e;qhken lienzo de lino, y lo et le mit dans une
auvto.n evn mnh,mati
laxeutw/| ou- ouvk h=n puso en un sepulcro tombe taillée dans le
ouvdei.j ou;pw kei,menojÅ excavado en la roca roc, où personne
donde nadie había encore n'avait été
sido puesto todavía. placé.

Luc 23, 55 Katakolouqh,sasai de. Las mujeres, las Cependant les


ai` gunai/kej( ai[tinej cuales habían venido femmes qui étaient
h=san sunelhluqui/ai desde Galilea con Él, venues avec lui de
evk th/j Galilai,aj
auvtw/|( evqea,santo to. lo siguieron (a José) y Galilée avaient suivi
mnhmei/on kai. w`j vieron el sepulcro y Joseph ; elles
evte,qh to. sw/ma auvtou/( como fue puesto el regardèrent le
cuerpo. tombeau et comment
son corps avait été
mis.
Luc 23,56 u`postre,yasai de. Después de haber Puis elles s'en
h`toi,masan avrw,mata vuelto prepararon retournèrent et
kai. mu,raÅ Kai. to. me.n especies y mirra. Y préparèrent aromates
sa,bbaton h`su,casan
kata. th.n evntolh,nÅ como era sábado et parfums. Et le
reposaron sabbat, elles se
(permanecieron en tinrent en repos,
silencio) según el selon le précepte.
mandamiento.

Le récit de la passion de Gethsémani jusque l’ensevelissement possède : 87 versets. 28 versets font


des références corporelles. Dont 22 sont directes références au corps de Jésus. Ainsi la présence du
corps est tout à fait significative dans le récit de la passion et lui donne sa force expressive.

398
Dans ce cas le mot réfère au cadavre.
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

Annexe 8 : References corporelles la ressurrection Luc. 24.


Nom de la Verset Texte grecque Texte espagnol Texte français 125
péricope
Le tombeau Luc 24,1 th/| de. mia/| tw/n sabba,twn El uno del sábado, al Le premier jour de la semaine,
vide. Message o;rqrou baqe,wj evpi. to. rayar el alba, ellas à la pointe de l'aurore, elles
des anges. mnh/ma h=lqon fe,rousai a] vinieron a la tumba, allèrent à la tombe, portant les
h`toi,masan avrw,mataÅ 399
[Corps présent] trayendo las especies que aromates qu'elles avaient
habían preparado. préparés.
[Corps absent] Luc 24,3 eivselqou/sai de. ouvc eu-ron Entraron pues no mais, étant entrées, elles ne
to. sw/ma tou/ kuri,ou encontraron el cuerpo trouvèrent pas le corps du
VIhsou/Å del Señor Jésus. Seigneur Jésus.
Luc 24,5 evmfo,bwn de. genome,nwn y estando ellas Et tandis que, saisies d'effroi,
auvtw/n kai. klinousw/n ta. aterrorizadas e inclinados elles tenaient leur visage
400
pro,swpa eivj th.n gh/n sus rostros a tierra, ellos incliné vers le sol, ils leur dirent
ei=pan pro.j auvta,j( Ti,
zhtei/te to.n zw/nta meta. les dijeron: ¿Por qué : " Pourquoi cherchez-vous le
tw/n nekrw/n\ buscan entre los muertos Vivant parmi les morts ?
al que vive?
Les apôtres refusent
d’ajouter foi aux
dires des femmes
Pierre au tombeau
Les deux Luc 24, 16 oi` de. ovfqalmoi. auvtw/n Los ojos de ellos estaban mais leurs yeux étaient
disciples evkratou/nto tou/ mh. velados no lo
401
empêchés de le reconnaître.
d’Emmaüs evpignw/nai auvto,nÅ reconocieron.
[Les corps des
disciples]
Luc 24, 19 kai. ei=pen auvtoi/j( Poi/aÈ Y dijo [Jésus] : ¿Qué " Quoi donc ? " leur dit-il. Ils lui
oi` de. ei=pan auvtw/|( Ta. cosas ?,ellos le dijeron: dirent : " Ce qui concerne Jésus
peri. VIhsou/ tou/ Lo de Jesús de Nazareth, le Nazarénien, qui s'est montré
Nazarhnou/( o]j evge,neto
avnh.r profh,thj dunato.j que fue un hombre un prophète puissant en
evn e;rgw| kai. lo,gw| profeta poderoso en obra oeuvres et en paroles devant
evnanti,on tou/ qeou/ kai. y en palabra delante de Dieu et devant tout le peuple,
panto.j tou/ laou/( Dios y todo el pueblo.
Lc. 24,20 o[pwj te pare,dwkan auvto.n Como lo tomaron los comment nos grands prêtres et
oi` avrcierei/j kai. oi` jefes y los sacerdotes nos chefs l'ont livré pour être
a;rcontej h`mw/n eivj kri,ma nuestros al juicio de condamné à mort et l'ont
qana,tou kai. evstau,rwsan
auvto,nÅ muerte y lo crucificaron. crucifié.
Lc. 24, 22 avlla. kai. gunai/ke,j tinej Y también algunas Quelques femmes qui sont des
evx h`mw/n evxe,sthsan h`ma/j\ mujeres de las nuestras nôtres nous ont, il est vrai,
geno,menai ovrqrinai. evpi. nos sorprendieron, stupéfiés. S'étant rendues de
to. mnhmei/on(
fueron cerca de la tumba grand matin au tombeau
Lc. 24, 23 kai. mh. eu`rou/sai to. sw/ma Y no econtraron su et n'ayant pas trouvé son corps,
auvtou/ h=lqon le,gousai kai. cuerpo vinieron diciendo elles sont revenues nous dire
ovptasi,an avgge,lwn que vieron la aparición qu'elles ont même eu la vision
e`wrake,nai( oi] le,gousin
auvto.n zh/nÅ de un ángeles que les d'anges qui le disent vivant.
decían que vivía.
Lc. 24, 24 kai. avph/lqo,n tinej tw/n Y fueron algunos de los Quelques-uns des nôtres sont
su.n h`mi/n evpi. to. mnhmei/on nuestros a la tumba y allés au tombeau et ont trouvé
kai. eu-ron ou[twj kaqw.j econtraron así como las les choses tout comme les
kai. ai` gunai/kej ei=pon(
auvto.n de. ouvk ei=donÅ mujeres dijeron, a él femmes avaient dit ; mais lui,
[Jésus] no vieron ils ne l'ont pas vu ! "
Lc. 24, 25 kai. auvto.j ei=pen pro.j Y él les dijo : « O Alors il leur dit : " O coeurs sans
auvtou,j( +W avno,htoi kai. corazones estúpidos y intelligence, lents à croire à
bradei/j th/| kardi,a| tou/ lentos a creer acerca de tout ce qu'ont annoncé les
pisteu,ein evpi. pa/sin oi-j
todas las cosas dichas por Prophètes !

399
Les deux références ne sont pas directes au corps de Jésus ; mais le tombeau et les aromates nous
présentent le corps de Jésus mort.
400
Référence au corps des femmes.
401
L’expression les « yeux voilées » est forte dans le grec. Elle nous semble moins claire dans la traduciton
française.
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

evla,lhsan oi` profh/tai\ los profetas

Lc. 24, 30 kai. evge,neto evn tw/| Y sucedió que al sentarse Et il advint, comme il était à 126
katakliqh/nai auvto.n metV a la mesa con ellos, tomó
402
table avec eux, qu'il prit le
auvtw/n labw.n to.n a;rton pan, y lo bendijo; y pain, dit la bénédiction, puis le
euvlo,ghsen kai. kla,saj
evpedi,dou auvtoi/j\ partiéndolo, les dio. rompit et le leur donna.

Lc. 24, 31 auvtw/n de. dihnoi,cqhsan Los ojos de ellos se Leurs yeux s'ouvrirent et ils le
oi` ovfqalmoi. kai. abrieron y lo reconnurent... mais il avait
evpe,gnwsan auvto,n\ kai. reconocieron. Y él se hizo
403
disparu [devient invisible] de
auvto.j a;fantoj evge,neto
avpV auvtw/nÅ invisible [para ] ellos. devant eux.

Lc. 24, 32 kai. ei=pan pro.j avllh,louj( Y se dijeron los unos a los Et ils se dirent l'un à l'autre : "
Ouvci. h` kardi,a h`mw/n otros: “¿El corazón Notre coeur n'était-il pas tout
kaiome,nh h=n Îevn h`mi/nÐ w`j nuestro no quemaba brûlant au-dedans de nous,
evla,lei h`mi/n evn th/| o`dw/|(
w`j dih,noigen h`mi/n ta.j estando con él cuando quand il nous parlait en
grafa,jÈ hablaba en el camino, chemin, quand il nous
cuando nos abría expliquait les Écritures ? "
completamente las
Escrituras?
Lc. 24,34 le,gontaj o[ti o;ntwj Diciento que realmente qui dirent : " C'est bien vrai ! le
hvge,rqh o` ku,rioj kai. el Señor había resucitado Seigneur est ressuscité et il est
w;fqh Si,mwniÅ y se ha aparecido a apparu à Simon ! "
Simón.
Jésus apparaît Lc. 24, 39 i;dete ta.j cei/ra,j mou kai. Vean mis manos y mis Voyez mes mains et mes pieds ;
aux apôtres tou.j po,daj mou o[ti evgw, pies, que soy yo mismo. c'est bien moi ! Palpez-moi et
eivmi auvto,j\ yhlafh,sate, Toquénmé y véanme. rendez-vous compte qu'un
me kai. i;dete( o[ti pneu/ma
sa,rka kai. ovste,a ouvk e;cei Porque un espíritu carne esprit n'a ni chair ni os, comme
kaqw.j evme. qewrei/te y hueso no tiene así vous voyez que j'en ai. "
e;contaÅ como ves que yo tengo.

Lc. 24,41 e;ti de. avpistou,ntwn Como ellos todavía no le Et comme, dans leur joie, ils ne
auvtw/n avpo. th/j cara/j kai. creían a causa de la croyaient pas encore et
qaumazo,ntwn ei=pen alegría y asombro, les demeuraient saisis
auvtoi/j( :Ecete, ti
brw,simon evnqa,deÈ dijo: ¿Tienen aquí algo de d'étonnement, il leur dit : "
comer? Avez-vous ici quelque chose à
manger ?
Lc. 24, 43 kai. labw.n evnw,pion Y Él lo tomó y comió Il le prit et le mangea devant
auvtw/n e;fagenÅ delante de ellos. eux.

402
Cette référence corporelle est moins claire en la traduction française que dans l’espagnole. Néanmoins on la
rétient car elle montre mieux la référence au manger.
403
Dans ce cas la presence du Ressuscité est invisible. Il n’est pas une simple disaparition.
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

Bibliographie
127
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2) Wenders, Win. 1993. Faraway, so close! Sony Pictures Classics, 1993.
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

Table de matières
130
1. Introduction ____________________________________________________________ 1
§1. Formulation de la problématique et choix méthodologies. ___________________________ 1
§ 2. L’invention chrétienne du corps : Bilan de la situation du corps dans la théologie
contemporaine et itinéraire de notre recherche. ______________________________________ 6
a. Les affirmations de l’anthropologie comparée de Stéphan Breton : le corps de Jésus modèle pour le
nôtre. _________________________________________________________________________________ 6
b. La théologie d’Adolphe Gesché : le corps chemin de Dieu. _________________________________ 10

2. A l’origine le corps ______________________________________________________ 14


§ 3. Recherche phénoménologique de Jn. 1, 14 ______________________________________ 14
a. La chair __________________________________________________________________________ 14
b. « *…+ il a planté sa tente parmi nous *…+ » ______________________________________________ 18

3. Le corps de Jésus comme affirmation progressive du « Je peux ». ________________ 21


§4. Conception phénoménologique du corps chez Merleau-Ponty. ______________________ 21
a. Considérations générales : la réduction phénoménologique. _______________________________ 21
b. Le corps vécu _____________________________________________________________________ 22
c. La matérialité du corps _____________________________________________________________ 25
§5. La naissance de Jésus vue par la phénoménologie : Lc. 2, 1-21 _______________________ 26
a. La passivité originelle du corps _______________________________________________________ 28
1. La passivité dans le corps du nouveau-né. ____________________________________________ 28
2. La passivité du corps dans le monde. ________________________________________________ 30
i. L’ « où » du corps : l’espace vécu ________________________________________________ 31
ii. Le « quand » du corps : le temps vécu _____________________________________________ 33
b. L’activité : le nom de Jésus comme germe de son activité _________________________________ 34
§6. La croissance : Luc 2, 40.52. ___________________________________________________ 36
a. Le corps du nouveau-né ____________________________________________________________ 37
b. Le corps de Jésus à l’âge de 12 ans. ___________________________________________________ 38
c. Le corps de Jésus au moment où il commence sa vie publique ______________________________ 42
§7. « Aujourd'hui s'accomplit à vos oreilles ce passage de l'Écriture. » : L’itinéraire de notre
recherche à partir de la lecture de Luc. 4, 14-30 ______________________________________ 42
§8. L’autorité de Jésus : Le corps en tant qu’expression en Luc 5, 24. _____________________ 45
a. Le terme evxousi,a chez l’Evangile de Luc. ________________________________________________ 46
b. Le corps comme l’esthétique de Dieu : les actions et les paroles de Jésus. ____________________ 48
c. L’originalité corporelle de l’autorité de Jésus : faire naître un monde. _______________________ 51
§9. Les guérisons de Jésus : un corps qui se touche et se laisse toucher (Lc. 8, 40-56) ________ 54
a. Analyse phénoménologique du toucher : la dimension sexuelle du contact. ___________________ 56
b. Le contact physique avec les multitudes _______________________________________________ 58
c. Le contact avec la fille de Jaïre. _______________________________________________________ 58
d. Le contact de Jésus avec l’hémorroïsse. ________________________________________________ 60
1. Les effets du contact avec Jésus sur le corps de la femme. _______________________________ 61
2. Les effets du contact avec Jésus sur les relations sociales de la femme. ____________________ 62
3. Les effets du contact avec Jésus dans la relation entre la femme et Dieu. ___________________ 65

4. Le corps de Jésus comme une solidarité incarnée avec la fragilité. _______________ 68


§10. Analyse de la faiblesse corporelle : le recours à Levinas et Heidegger. ________________ 68
§11. Le constant souci pour autrui : L’Eucharistie. (Lc. 22, 14-20) ________________________ 70
a. La matérialité du pain et du vin connotée par Jésus. ______________________________________ 71
b. Le pain dans le monde ______________________________________________________________ 74
Analyse phénoménologique du corps de Jésus dans l’Evangile de Luc

1. Le pain reçu grâce au corps. _______________________________________________________ 74


2. Le pain donné grâce au corps. _____________________________________________________ 76
c. Les effets relationnels de manger de « ce pain ». ________________________________________ 76
131
d. Vers une compréhension plus ample du corps. __________________________________________ 78
§12. « Le corps à corps de la mort » (Emmanuelle Falque) : Analyse de Luc 22, 39-23,56. ____ 80
a. Apports et limites de l’analytique existentielle pour comprendre la mort de Jésus. _____________ 81
b. Le corps à corps de la mort de Jésus ___________________________________________________ 84
1. Les positions du corps de Jésus. ____________________________________________________ 85
2. L’activité du corps de Jésus. _______________________________________________________ 86
3. Le corps de Jésus comme une relation nouvelle avec autrui et avec Dieu le Père _____________ 87

4. Le corps après le corps : Le corps Ressuscité (Luc 24) __________________________ 90


§13. La résurrection comme réinvention chrétienne du corps. __________________________________ 90
a. Les enjeux du tombeau vide. ______________________________________________________ 90
b. Les manifestations du corps du Ressuscité. _____________________________________________ 91
1. Les yeux des disciples ne reconnaissent pas Jésus (Lc. 24,16)_____________________________ 92
2. L’intervention du corps de Jésus qui ouvre l'intelligence de leur cœur (Lc. 24, 25) et leurs yeux
(Lc. 24, 31) _______________________________________________________________________ 92
3. Le cœur qui brûle et fait marcher immédiatement les disciples vers Jérusalem (Lc. 24, 32-35) 96
4. Le corps de Jésus, chemin à suivre pour vivre pleinement le nôtre. _____________________ 97

5. Conclusion générale ___________________________________________________ 100


§14. L’Evangile du corps : bilan et ouvertures. ______________________________________ 100
6. Annexes _____________________________________________________________ 103
Considérations générales _______________________________________________________ 103
Annexe 1 : Traduction de travail de Jean 1, 1-18. ____________________________________ 104
Annexe 2 : L’Evangile de l’enfance. ________________________________________________ 106
A. Les difficultés des sources à la naissance. ______________________________________________ 106
B. La structure du prologue de l’enfance chez l’Evangile de Luc (1,5-2,52) ______________________ 106
C. Traduction de Luc 2, 1-21 pour travailler le texte et référence à l’Ancien Testament ____________ 106
D. La traduction et analyse structurelle concordée des péricopes de Lc. 2, 22-40 et 2, 41-52 ______ 110
Annexe 3 : Luc 4, 14-30 _________________________________________________________ 112
Annexe 4 : Analyse sémantique du concept d’exousia chez Luc. ________________________ 113
A. La complexité du concept dans le Nouveau Testament. __________________________________ 113
B. Le concept dans l’Evangile de Luc. ___________________________________________________ 113
1. evxousi,a est liée à l’activité de Jésus en tant que maître (les paroles de Jésus) _________________ 113
2. evxousi,a est liée à l’activité de Jésus en tant que thaumaturge. _____________________________ 114
3. evxousi,a est appliquée à autrui, et dans ce cas l’expression sert de contexte à l’activité de Jésus. _ 115
Annexe 5 : Luc 8,40-56 _________________________________________________________ 117
A. L’importance du contact physique de Jésus dans l’Evangile de Luc. _________________________ 117
B. Traduction de Luc 8, 40 – 56. __________________________________________________________ 117
C. La structure de Luc 8, 40 – 56. _________________________________________________________ 119
Annexe 6 : Luc 22, 14-20. _______________________________________________________ 120
Annexe 7 : Références corporelles dans le récit de la Passion Luc 22,39- 23, 56. ___________ 121
Annexe 8 : References corporelles La ressurrection Luc. 24. ___________________________ 125
Bibliographie _________________________________________________________________ 127
Table de matières _____________________________________________________________ 130

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