Sunteți pe pagina 1din 10

Jurisprudence n° 96-2128/R7637 Date de décision: 17/06/1999

Date de recours: 29/11/1996


Origine: RWANDAISE
Membre:
Avocats: P. DEWOLF et l’Etat belge étant représenté par F. de Roy loco E. MATTERNE

COMMISSION PERMANENTE
DE RECOURS DES REFUGIES,
NORTH GATE II,
Boulevard E. Jacqmain, 152 bte 7,
1000 BRUXELLES.

2ème CHAMBRE FRANCAISE

Décision N° 96-2128/R7637/cd

En cause de :

NOM, PRENOM: X
NE A: X LE: X
NATIONALITE: RWANDAISE
DOMICILE ELU : Parc du Peterbos, 17A/519,
1070 BRUXELLES

Vu la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et son Protocole additionnel du 31 janvier


1967 relatifs au statut des réfugiés, ci-après dénommés « la Convention de Genève »;

Vu la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et


l'éloignement des étrangers, modifiée par les lois des 14 juillet 1987, 18 juillet 1991, 6 mai 1993, 10
et 15 juillet 1996, ci-après dénommée « la loi »;

Vu l'arrêté royal du 19 mai 1993 fixant la procédure devant la Commission permanente de


recours des réfugiés ainsi que son fonctionnement, modifié par l'arrêté royal du 27 septembre 1996;
Vu la décision (CG/94/17084B/RA11522) du Commissaire général aux réfugiés et aux
apatrides, prise le 14 novembre 1996;

Vu la requête introduite auprès de la Commission par pli recommandé à la poste le 29


novembre 1996;

Vu la décision du 9 décembre 1996 des deux premiers présidents attribuant le recours à une
chambre française;

Vu les convocations notifiées aux parties en date du 19 février 1999 pour l'audience du 31
mars 1999, mise en continuation aux audiences des 5, 6, 7, 17 et 18 mai 1999;
Entendu les parties en leurs dires et moyens, les audiences étant publiques à l’exception de
celles du 17 mai 1999, à huis clos, et du 18 mai 1999, partiellement à huis clos, la partie requérante
étant assistée par Maître P. DEWOLF, avocat, et l’Etat belge étant représenté par Maître F. de Roy
loco Maître E. MATTERNE, avocates ;
Considérant que le requérant expose en substance les faits suivants à l’appui de sa demande :
Qu’il est le fils de Monsieur Dominique Mbonyumutwa, premier Président à titre intérimaire de la
République du Rwanda de janvier à septembre 1961 ; qu’il a occupé des fonctions élevées dans
l’administration rwandaise au début des années 70 et a été ministre du Plan et des Ressources
naturelles de 1973 à 1975, au sein du gouvernement formé après la prise du pouvoir du général-
major Habyarimana ; qu’il a été démis de ces fonctions en juin 1975 après qu’il se fut opposé à
l’arrestation d’anciens dignitaires ; qu’il a ensuite exercé diverses responsabilités jusqu’en 1983,
notamment dans le secteur public rwandais et en qualité d’expert auprès de l’Organisation des
Nations Unies ; qu’il a séjourné en Belgique de 1983 à 1987, pour y mener à bien des études
universitaires de troisième cycle, avant de regagner son pays pour s’y lancer dans les affaires privées
;
Qu’en juillet 1991, il participa à la création du Mouvement démocratique républicain (MDR), dont il
fut élu membre du bureau politique et trésorier pour Gitarama ; qu’en 1993, il fut l’un des membres
de l’aile majoritaire du bureau du parti qui désavoua le président Faustin Twagiramungu dans la
querelle pour l’attribution du poste de Premier ministre qui l’opposait à Dismas Nsengiyaremye,
premier vice-président du parti et Premier ministre depuis avril 1992, querelle qui aboutit en juillet
1993 à l’exclusion du MDR de Faustin Twagiramungu et de quatre ministres, dont Madame Agathe
Uwilingyimana, qui venait d’accéder à la primature ; que suite à l’éclatement du parti qui s’ensuivit,
il se retrouva dans la faction majoritaire, dont les principaux dirigeants étaient à ce moment Donat
Murego, secrétaire général, et Froduald Karamira, second vice-président ;
Qu’en 1993, il participa à la création de l’association Démocratie pour le progrès (DEMOPRO), dont
il exerça les fonctions de président ; que cette association regroupait diverses personnalités du MDR
et avait pour objet social la promotion des valeurs démocratiques par le biais d’ « activités sociales,
culturelles et éducationnelles » ;
Que le 7 avril 1994, il s’est réfugié chez le président du Mouvement républicain national pour le
développement et la démocratie (MRND), Matthieu Ngirumpatse, la demeure de celui-ci étant le lieu
le plus proche où il pouvait espérer une protection ; que le 12 avril il a accompagné le repli du
gouvernement à Gitarama, dont il est originaire ; qu’il s’est établi dans la commune de Nyamabuye
où sa famille possédait une propriété ; qu’il ne détenait à ce moment aucun mandat officiel mais
admet avoir participé à plusieurs réunions organisées par les autorités afin de débattre des mesures
imposées par le contexte de guerre et de désorganisation ; qu’il dit y avoir pris part en qualité de
notable ou de membre du MDR ; qu’il affirme avoir pris l’initiative de rédiger et de faire
radiodiffuser sur Radio – Rwanda , vers le 15 avril, un communiqué du MDR s’opposant aux
massacres et demandant à tous de « faire barrage aux tueries » ; qu’il a participé, le 21 avril, en
qualité de représentant du MDR, à une émission sur Radio – Rwanda à laquelle participaient
également des représentants des principaux partis siégeant dans le gouvernement intérimaire ; qu’il
déclare, à l’audience, avoir été désigné fin avril par le Premier ministre, Jean Kambanda, pour
constituer avec Donat Murego, secrétaire général du MDR, une commission chargée, d’une part,
d’ « étudier les causes de la guerre » et, d’autre part, de mener à bien des pourparlers avec le général
Dallaire en vue de négocier un cessez-le-feu avec le Front patriotique rwandais (FPR) ; qu’il quitta
Gitarama pour Gisenyi fin mai ; qu’il a, peu après, accepté le poste de directeur de cabinet du
Premier ministre et exercé cette fonction du 18 juin au 12 juillet, date de son départ du Rwanda, bien
que la procédure formelle de nomination n’ait pu être menée à son terme ;
Considérant que la Commission a pris connaissance d’une nombreuse documentation, relevant du
domaine public, sur les événements survenus au Rwanda entre avril et juillet 1994 ainsi que sur la
situation actuelle des droits de l’Homme dans ce pays ; qu’elle a également fait verser au dossier les
enregistrements d’une émission du 21 avril 1994 à laquelle le requérant a participé sur Radio –
Rwanda, ainsi qu’une traduction (pièce 42 et annexes) ;
Considérant que Madame Alison Des Forges, docteur en histoire, spécialiste de l’histoire du
Rwanda, consultante auprès de l’organisation Human Rights Watch et auteur de l’ouvrage « Aucun
témoin ne doit survivre » (Human Rights Watch / Fédération internationale des ligues des droits de
l’Homme, Karthala, Paris,1999, titre original en anglais : « Leave none to tell the story »), a été
entendue en qualité d’expert désigné par la Commission ;
Que la Commission a également entendu à la demande de la partie requérante les témoignages de
Messieurs Jean-François de Liedekerke, ancien ambassadeur de Belgique au Rwanda, Joseph
Matata, coordinateur du Centre de lutte contre l’impunité et l’injustice au Rwanda, Stanislas
Mubiligi, Augustin Ndindiliyimana et Marcel Bangagatare ;
Qu’elle a entendu à la demande de l’Etat belge, Monsieur François-Xavier Nsanzuwera, ancien
procureur de la République à Kigali et secrétaire général de la Fédération internationale des ligues
des droits de l’Homme (FIDH) ;
Considérant que Madame Alison Des Forges cite le requérant à quatre occasions dans son ouvrage :
il aurait avec Monsieur André Rwamakuba, ministre de l’Enseignement primaire et secondaire,
dénoncé au cours d’une réunion publique à Kibilira (préfecture de Gisenyi) le Communiqué du
commandement des forces armées rwandaises, fait le 12 avril 1994 à Kigali, par lequel plusieurs
officiers supérieurs appelaient à décréter une trêve afin de mettre fin aux massacres en cours
(p.239) ; il participa à une réunion le 18 avril au siège du gouvernement, à Murambi, suite à une
initiative du préfet de Gitarama qui souhaitait amener les responsables politiques à prendre des
mesures concrètes pour mettre fin aux tueries, réunion au cours de laquelle lesdits responsables
politiques reprochèrent au contraire de façon injurieuse au préfet et aux édiles locaux de s’opposer
aux milices « qui protégeaient les Rwandais contre l’ennemi » (p.320) ; il défendit sur les ondes des
thèses ethnistes, utilisant « son prestige considérable pour attiser le peur et la haine contre les
Tutsis », au cours de l’émission sur Radio – Rwanda le 21 avril (p.267) ; il aurait participé le 22 avril
à une réunion à l’initiative des généraux Ndindilyimana et Rusatira, au cours de laquelle les
militaires tentèrent en vain de convaincre les responsables politiques de mettre fin au
génocide (p.315) ;
Qu’à l’audience, elle confirme ces informations et fournit certaines explications concernant les
sources et les méthodes d’investigation utilisées par l’équipe de documentation dont les recherches
constituent la base de son ouvrage ;
Qu’elle expose que cette équipe n’a pas mené d’investigations particulières sur la région de
Gitarama ; qu’en conséquence, elle ne dispose pas d’autres informations au sujet du requérant que
celles qui figurent dans son livre, informations ayant retenu l’attention parce que revêtant une
dimension nationale ;
Qu’elle insiste sur l’importance des événements du 18 et du 21 avril dans le processus qui a permis
l’extension du génocide à des régions dont la population y était généralement restée hostile jusque-
là ;
Qu’ainsi, elle présente la réunion du 18 avril comme ayant provoqué un tournant dans l’attitude des
autorités locales de la préfecture de Gitarama, autorités qui s’étaient jusqu’alors opposées aux
massacres ; que les pressions des personnalités politiques au cours de cette réunion y auraient été
telles que les responsables locaux auraient compris qu’il n’y avait plus lieu de résister, certains
d’entre eux passant alors du rôle de protecteurs à celui de persécuteurs ; que la présence de
personnalités comme le requérant à une réunion de ce type ne peut selon elle être tenue pour neutre,
mais s’avère au contraire lourde de conséquences dans la culture politique rwandaise, marquée par le
respect de l’autorité et par le poids du non-dit ; qu’à cet égard, elle attire l’attention sur la
circonstance que le Premier ministre a quitté la réunion après avoir répondu par des généralités aux
questions du préfet, pour laisser à d’autres, dont le requérant, le soin de faire passer un
« message plus fort » ;
Qu’en ce qui concerne l’émission radiophonique du 21 avril, elle estime que le message du requérant
ne peut être interprété que comme un encouragement aux massacres ; qu’elle considère, en effet,
qu’en usant de son prestige considérable, lié notamment au rôle historique joué par son père, pour
opérer un lien entre les événements de 1994 et la révolution sociale de 1959 et assimiler ainsi
l’offensive du FPR à la poursuite de la lutte des Tutsis contre les Hutus pour la reconquête du
pouvoir perdu en 1959, le requérant a situé le conflit sur un plan ethnique et a justifié des crimes
devenant dans cette conception autant d’actes de légitime défense ; qu’elle insiste sur le fait qu’à son
avis, il n’existe pas de possibilité d’erreur sur la signification d’un tel discours, dès lors qu’il fut
prononcé le 21 avril, soit à un moment où le requérant ne pouvait ignorer qu’un génocide était à
l’œuvre et s’étendait à la totalité du pays ;
Que Madame Des Forges communique par ailleurs un document rédigé par l’ancien préfet de
Gitarama, Monsieur Fidèle Uwizeye, intitulé « Aperçu analytique sur les événements d’avril 1994 en
préfecture de Gitarama, Rwanda » (pièce 71) ;
Considérant que la Commission retient du témoignage de Monsieur Jean-François de Liedekerke que
le requérant était connu de lui depuis les années 70 ; qu’en 1993, après sa mise à la retraite, il reçut
en Belgique une lettre du requérant sollicitant son appui en vue de récolter des fonds en faveur de
l’association DEMOPRO ; que le témoin expose s’être à l’époque informé des finalités de cette
association et en avoir retiré l’assurance qu’elle avait pour but de détourner la jeunesse de la
tentation de la violence et de l’éduquer à la démocratie ;
Considérant que Monsieur Joseph Matata expose qu’il était absent du Rwanda au moment du
génocide et qu’il y est retourné de juillet 1994 à fin février 1995 ; qu’il a enquêté à cette époque sur
les massacres commis dans le pays, mais reconnaît ne disposer d’aucune information précise
concernant le requérant ; qu’il estime toutefois peu probable que ce dernier ait joué un rôle actif dans
le déroulement du génocide, son nom ne lui ayant été cité par aucun témoin à l’époque ; qu’il ajoute
avoir appris en Belgique de la bouche d’un témoin que le requérant aurait accueilli des Tutsis chez
lui ;
Qu’il dépose une note se rapportant à la demande de la famille du requérant et
concluant que l’épouse de celui-ci et ses enfants seraient en danger de mort s’ils rentraient
au Rwanda sous le régime actuel ;

Considérant que Monsieur Stanislas Mubiligi expose qu’il était à l’époque prêtre ;
qu’il se trouvait à l’archevêché de Kabgayi le 6 avril 1994 y est resté jusqu’au 2 juin 1994 ;
qu’il y a pris une part active dans l’organisation de l’accueil des réfugiés ; qu’il reçut
également durant cette période la charge d’une paroisse proche de Gitarama ; qu’il décrit
la situation qui prévalait dans la préfecture de Gitarama à l’époque comme chaotique et
échappant totalement au contrôle des autorités, des bandes de jeunes répandant la terreur,
à savoir les interhahamwe, les jeunesses du MDR et des délinquants sortis des prisons de
Kigali ; qu’il déclare ne pas disposer d’informations particulières concernant le requérant ;

Considérant que Monsieur Augustin Ndindiliyimana expose avoir présidé la réunion


du 22 avril 1994 et confirme la présence du requérant ; qu’il explique que le requérant s’y
est exprimé pour rejeter la responsabilité des massacres sur le parti MRND et sa milice
interhahamwe et suggérer d’armer les jeunesses des autres partis pour combattre la
prédominance des interhahamwe ;

Considérant que Monsieur Bangagatare déclare ne pas posséder d’informations


précises concernant le requérant ; qu’il dit cependant avoir des raisons de penser qu’il
s’inscrivait au sein du MDR dans une « troisième voie », entre les partisans d’un
rapprochement avec le MRND et ceux d’un rapprochement avec le FPR ; qu’il fonde cette
appréciation sur l’interprétation qu’il fait de l’intervention du requérant sur Radio – Rwanda,
au cours de laquelle il aurait refusé de s’aventurer sur la voie d’un soutien inconditionnel au
MRND ;

Considérant que Monsieur François-Xavier Nsanzuwera expose qu’il était réfugié à


l’hôtel des Mille Collines à Kigali durant tout le mois d’avril, qu’il n’a donc pas été le témoin
direct des événements survenus à Gitarama, mais a néanmoins entendu l’intervention du
requérant sur Radio – Rwanda ; qu’il abonde dans le sens de l’interprétation de cet
événement donnée par Madame Des Forges ;

Considérant que la décision attaquée n’examine pas le bien-fondé des craintes de


persécution exprimées par le requérant, mais se prononce d’emblée en faveur d’une
application des clauses d’exclusion prévues à l’article 1er, section F, a) et c) de la
Convention de Genève ; qu’elle considère que la responsabilité du requérant est engagée
dans les crimes contre l’humanité perpétrés pendant le génocide, eu égard aux fonctions
importantes qu’il exerçait et à ses prises de position ; que s’il n’a pas participé directement
à leur exécution, il les a sciemment encouragés et facilités par son aide matérielle sans
qu’il n’existe dans son chef aucun indice d’une quelconque prise de position par laquelle il
se serait désolidarisé de ces crimes ;

Considérant que les passages pertinents de la section F de l'article 1er de la Convention de


Genève se lisent comme suit :

"F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des
raisons sérieuses de penser :
qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au
sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;
(…) ;
qu'elles se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations
Unies" ;

Considérant que la Commission constate d’emblée qu’il ne ressort ni des pièces du dossier, ni des
informations recueillies au cours de l’instruction d’audience que le requérant aurait personnellement
été l’exécuteur d’actes consistant en atteintes à l’intégrité ou à la sécurité des personnes ou des
biens ;

Considérant que la question qui se pose, en revanche, est de savoir s’il peut être tenu pour
responsable de ces crimes en ce qu’il aurait contribué à leur conception ou à leur réalisation, en ce
qu’il aurait sciemment incité à les commettre ou en ce qu’il les aurait sciemment laissé commettre
alors qu’il avait la possibilité de s’y opposer ;
Qu’il a déjà été jugé que le simple fait d’avoir occupé un poste de responsabilité dans un régime
génocidaire peut constituer un motif suffisant pour présumer une responsabilité dans les crimes
commis, [mais que] cette présomption n’est pas irréfragable ; qu’il s’impose, en effet, de s’interroger
sur la nature du pouvoir réellement détenu et la possibilité de son exercice effectif et d’apprécier si
l’attitude de la personne concernée peut raisonnablement être tenue pour révélatrice de son
consentement, fût-il tacite ; qu’enfin, il convient d’envisager l’éventualité de circonstances
particulières de nature à exonérer la personne de sa responsabilité (CPRR , décision 96-0771/ F629,
du 28 mai 1998) ;
Que la détermination d’une responsabilité de cette nature impose de procéder avec une grande
prudence ; qu’en effet, de manière générale, l’application de la section F de la Convention de
Genève doit rester de stricte interprétation, en ce qu’elle limite le champ d’application ratione
personae de cette Convention ; qu’en outre, dans le cas particulier du génocide rwandais, la collecte
d’informations fiables se révèle spécialement difficile et délicate ;

Considérant que dans le présent cas d’espèce, différents faits apparus après la décision attaquée, et
en particulier durant l’instruction d’audience, permettent d’acquérir un degré de connaissance de la
réalité suffisant pour cerner le parcours politique du requérant et évaluer le niveau de ses
responsabilités d’avril à juillet 1994 ;
Que le requérant ne semble pas avoir joué un rôle politique de premier plan durant les années ayant
directement précédé le génocide ; qu’il apparaît néanmoins comme l’une des personnalités influentes
du MDR, spécialement à Gitarama, en raison de sa propre personnalité, de son passé ministériel et
du prestige lié au nom de son père ; qu’au gré des événements et de la montée des tensions, il s’est
retrouvé dans la tendance majoritaire de son parti, dite « power » ; que si les principaux meneurs de
cette tendance ont adopté à partir de la fin 1993 des positions de plus en plus radicales sur le plan
ethnique, il n’est pas possible à ce stade de déterminer si le requérant lui-même s’inscrivait dans un
projet de résolution violente des tensions ou s’il était guidé essentiellement par des considérations
liées aux tactiques de recherche du pouvoir mises en œuvre par les partis et, à l’intérieur de ceux-ci,
par des personnalités rivales ;
Que la Commission ne dispose d’aucune information lui permettant de conclure que le requérant
aurait joué un quelconque rôle dans les événements survenus entre l’assassinat du Président
Habyarimana, le soir du 6 avril 1994, et le départ du gouvernement intérimaire pour Gitarama, le 12
avril 1994, date à laquelle il a lui-même quitté Kigali pour Gitarama en profitant de la protection
accordée au convoi gouvernemental ;
Que durant le mois d’avril, il est intervenu publiquement à différentes reprises ; qu’il n’est pas sans
importance de remarquer qu’il a agi à ces occasions comme représentant de son parti ; qu’ainsi, il
prétend avoir rédigé et fait radiodiffuser, vers le 15 avril, un communiqué au nom du MDR
dénonçant les tueries ; que la Commission n’a trouvé dans les multiples ouvrages consacrés au
génocide aucune mention de ce communiqué dont le requérant ne peut, pour sa part, établir la réalité
; que toutefois, à supposer réel ce communiqué, il ressort à tout le moins clairement des explications
fournies par le requérant à l’audience, que ce dernier en a assuré quasiment seul la rédaction et la
responsabilité, apparaissant ainsi, dès ce moment, comme le ou l’un des principaux responsables du
MDR à Gitarama ; qu’il apparaît encore en cette qualité lors de la réunion du 18 avril, durant
l’émission radiophonique du 21 avril et lors de la réunion du 22 avril avec les officiers supérieurs;
que si des interprétations différentes ont pu être défendues au cours des débats en ce qui concerne le
rôle du requérant à ces occasions, il peut au moins être conclu du fait qu’il ait été associé à ces
événements qu’il était à ce moment perçu et reconnu comme l’une des figures influentes du MDR
dans la préfecture de Gitarama ; que cette notoriété locale revêt une importance accrue du fait de la
présence à cet endroit du gouvernement intérimaire ;
Qu’en ce qui concerne les réunions du 18 et du 22 avril, le requérant reconnaît à l’audience y avoir
participé mais déclare ne plus se souvenir de leur déroulement, du contenu des interventions, ni
même s’il y a personnellement pris la parole ; qu’il est frappant à ce sujet de constater que le témoin
Ndindiliyimana semble mieux se souvenir des interventions du requérant lors de la seconde de ces
réunions ; que le silence du requérant ne permet pas d’invalider l’interprétation que fait Madame Des
Forges lorsqu’elle assimile sa présence à ces réunions, principalement celle du 18 avril, à un soutien
à la politique génocidaire menée par le gouvernement intérimaire ; que, tout au plus, peut-il être
déduit du témoignage de Monsieur Ndindiliyimana que le requérant défendait une position ambiguë,
soucieuse d’abord de la défense des intérêts de son parti et cherchant à rejeter la responsabilité des
troubles sur l’autre composante importante de la majorité gouvernementale ;
Que la même ambiguïté pourrait être attachée à son intervention du 21 avril sur Radio– Rwanda ;
qu’en effet, si le requérant y dénonce un instant les assassinats politiques, il ne cite expressément que
ceux commis lors du coup d’Etat de 1973 et ceux commis par le FPR, sans aucunement évoquer les
massacres perpétrés dans les zones contrôlées par le gouvernement intérimaire dont son parti était
l’une des principales composantes ; que d’autres passages de son intervention, dénonçant une guerre
des Tutsis contre les Hutus ou agitant la peur de l’extermination des Hutus par les Tutsis, même s’ils
n’exhortent pas explicitement à massacrer ces derniers, ne peuvent être considérés que comme un
appel à la haine raciale, dont il ne pouvait ignorer les conséquences alors que le génocide était à
l’œuvre depuis deux semaines ;
Que si les différents faits évoqués ci-dessus, pris isolément, peuvent chacun conduire à une
interprétation autorisant un certain doute quant à leur portée exacte et quant au rôle du requérant, il
apparaît clair, lorsqu’ils sont envisagés dans leur globalité, que le requérant a, au minimum, apporté
son soutien au gouvernement intérimaire, en usant de sa notoriété et du prestige attaché à son
patronyme ; que le requérant écarte à ce sujet, lui-même, l’hypothèse qu’il ait pu être manipulé pour
servir des desseins criminels à son insu ; que la Commission pourrait toutefois retenir cette
hypothèse, si ces événements n’avaient précédé deux faits ne laissant aucun doute quant à la volonté
manifeste du requérant de s’associer à la politique menée durant cette période, à savoir l’acceptation
d’un mandat émanant directement du Premier ministre pour constituer, avec Donat Murego, une
commission habilitée à représenter le gouvernement dans des négociations relatives au cessez-le-feu
et, surtout, l’acceptation d’un poste de directeur de cabinet du Premier ministre ; qu’il ressort de
l’ensemble de ces éléments que le requérant, loin de se dissocier de la politique du gouvernement n’a
eu de cesse de s’en rapprocher et de le servir à des degrés de responsabilité de plus en plus élevés ;
Qu’en acceptant la fonction de directeur de cabinet du Premier ministre à la date du 18 juin, il ne
pouvait ignorer qu’il se mettait au service d’un gouvernement responsable du génocide déclenché
deux mois plus tôt ; que par cette fonction, il a pu acquérir une connaissance certaine des mesures
prises par ce gouvernement pour achever le génocide ; qu’à cet égard, la Commission relève que
contrairement à ce que cherche à faire croire le requérant, le gouvernement avait encore durant son
séjour à Gisenyi, une activité structurée, se réunissait en Conseil des ministres, prenait des décisions
et les répercutait auprès des autorités chargées de les exécuter ; qu’ainsi notamment, Madame Des
Forges reproduit dans son ouvrage (op. cit. p.256), une lettre du ministre de l’Intérieur et du
Développement communal datée de Gisenyi, le 18 juin 1994, informant le commandant du secteur
opérationnel de Gisenyi d’une décision du Conseil des ministres de la veille ; que cette lettre revêt en
l’espèce une importance particulière compte tenu de son objet, puisqu’elle intimait à ce commandant
« d’appuyer le Groupement de la Gendarmerie à Kibuye pour mener, avec l’appui de la population,
l’opération de ratissage dans le secteur Bisesero de la Commune Gishyita, qui est devenu un
sanctuaire du FPR » ; que cet endroit constituait en réalité un des derniers refuges de Tutsis ayant
survécu au génocide ; que la décision du Conseil des ministres donnait en fait l’ordre à l’armée
d’aider la population à achever leur massacre ; que cette lettre ayant été envoyée en copie au Premier
ministre, son nouveau directeur de cabinet en avait forcément connaissance et ne pouvait ignorer
qu’elle ordonnait le massacre de civils « affamés et en haillons » (op. cit. p.257) ; que durant la
période qui a suivi le 18 juin, les massacres de Tutsis se sont poursuivis, notamment à Bisesero, et
ont perduré jusqu’à la chute du gouvernement, à l’incitation des autorités qui « parvenaient à
galvaniser les tueurs pour qu’ils pourchassent les derniers Tutsis » (op.cit. p.351) ; que le requérant,
en sa qualité de directeur de cabinet du Premier ministre, est directement impliqué dans la
perpétration du crime de génocide à cette période ; qu’il ne peut être déduit d’aucun élément du
dossier, ni des déclarations du requérant à l’audience qu’il aurait tenté d’user de sa fonction pour
orienter la politique suivie en vue de mettre fin aux massacres ; que la circonstance que sa
nomination n’a pas été officialisée est, de ce point de vue, sans incidence, dès lors qu’il admet avoir
effectivement exercé les fonctions de directeur de cabinet ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le requérant a progressivement accepté de se voir
investi de responsabilités de plus en plus importantes au sein d’un régime génocidaire ; que par sa
notoriété et son influence dans le MDR dans un premier temps, puis par la fonction qu’il exerçait à
partir au mois du 18 juin 1994, il était en position d’influer sur le cours des événements ; que
l’ensemble des faits venus à la connaissance de la Commission indique dans le chef du requérant un
acquiescement à la politique du gouvernement intérimaire et révèle sa volonté de s’y associer ; qu’il
ne pouvait de par sa formation et les fonctions mêmes qu’il a occupées, tant au sein du MDR que de
l’appareil gouvernemental, ignorer que l’axe majeur de cette politique consistait en
l’accomplissement d’un génocide ; qu’il ne ressort ni des éléments du dossier, ni de ses propres
déclarations, qu’il aurait posé le moindre geste afin de résister à cette politique génocidaire, ni qu’il
ait pris clairement position en ce sens à un quelconque moment, ni même qu’il ait cherché
sérieusement à porter secours à des victimes du génocide, fussent-elles membres de sa propre
famille ;
Que la Commission n’aperçoit aucune circonstance particulière de nature à exonérer la
responsabilité du requérant dans les crimes commis par le gouvernement intérimaire au Rwanda ;
Qu’il est vraisemblable que des investigations plus poussées, menées à la lumière des éléments
apparus à l’audience, permettraient d’encore mieux cerner la responsabilité du requérant dans les
faits survenus à Gitarama et dans les agissements du gouvernement intérimaire pendant la période
s’écoulant entre le 18 juin et le 12 juillet 1994 ; que toutefois, dans les limites de la mission impartie
à la Commission, les éléments dont elle dispose, tels qu’ils ont été exposés ci-dessus, s’avèrent
amplement suffisants pour conclure qu’il existe des raisons sérieuses de penser que le requérant a
soutenu en connaissance de cause le génocide et qu’il s’est associé à sa mise en œuvre ;
Que le crime de génocide doit être considéré comme l’hypothèse extrême de crime contre
l’humanité, visé à l’alinéa a) de la section F de la Convention de Genève, et que la participation à
son organisation par une personne détenant une parcelle de l’autorité de l’Etat constitue de toute
évidence un « agissement contraire aux buts et principes des Nations Unies » visé à l’alinéa c) de la
même disposition ;
Qu’en conséquence, conformément à cette disposition, la Convention de Genève ne s’applique pas
au requérant ;

PAR CES MOTIFS :


LA COMMISSION

- Statuant contradictoirement;

- Déclare la demande recevable mais non fondée;


Confirme dès lors la décision rendue le 14 novembre 1996 par le Commissaire général aux
réfugiés et aux apatrides;

- Ne reconnaît pas au requérant la qualité de réfugié;

Ainsi délibéré le 17 juin 1999.

La Commission permanente de recours des réfugiés composée de:

M. M. WILMOTTE Mme M.F. CHARLES M. S. BODART


Assesseur Assesseur Président

assistés par Mesdames C. RAELET, M. PILAETE et C. GUERENNE, secrétaires

S-ar putea să vă placă și