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L- -~ le cinéma
78t:ép~ue est radicale,l'image devient sale,le son brut
o 0_0000_-- ,-- Dma à la Belle Epoque sèxe,violençe et politique dominent les années 70
20 Le cinéma s'impose à Paris dans une société avide de
30 De la vamp à l'actrice, ou de Theda Bara à Bardot 88 Entre Sade et Artaud, une évocati'Onde l' « horizon
-'*
34 Le retour du muet ou la deuxième vie du carton insensé du cinéma », par Philippe Grandrieux
36 Guillaume Apollinaire; «La prophétie du modrne » 96 Chronologie
40 cc Le cinéma, langue maternelle du xxe siècle »
Du3.novembre 1890 au 20 mai 1998, une sélection
Entretien avec 1'historienne ArIette Farge subjective de quelques dates qui ont fait le cinéma.
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EN 1997. UN MOIS AVAN SA MORT. L'HISTORIEN RENCONTRAIT LE CINÉASTE
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PAR
FRANÇOIS
FURE~
Au début du mois de juin 1997,Jean-Luc Godard victime d'un malaisesur un court de tennis. C'était
reçoit François Furet dans sesbureaux parisiens de un grand historien. Il m'avait dit aimer les Histoire(s)
Peripheria. Le cinéasteveut montrer à l'historien de Godard, l'ambition d'une poésie de l'histoire que
son dernier travail, les Histoire(s)du dnémaqu'il est portait ce projet un peu fou, même s'il n'en
entrain d'achever.Les deux hommes ne s'étaient comprenait pas toujours précisément la lettre.
jamais rencontrés, mais ils se connaissentautrem~nt : Avec lui, dès le lendemain de savision des Histoire(s)
Furet a vu des films de Godard, et il est très intrigué du cinéma,j' avaispu enregistrer quelques premières
par ce projet de « raconterle sièclepar le dnéma1>; réactions au film et au travail de « Godard
Godard a lu des livres de Furet, notamment son historien ». Les voici, comme si elles revenaient
essaiclassiquesur la Révolution francaise (Penserla d'outre-tombe, démontrant une nouvelle fois que
Révolution)et son livre récent, Le Passéd'une illusion, sont poreusesles &ontières qui séparentles vivants
sur l'idée communiste au xx' siècle. des morts. Il faut donc tenir compte du fait que
Godard, poète, cinéaste,se veut ég;l;lementhistorien Furet n'a pas relu ceslignes, qu'illes aurait sans
de ce siècle,à sa facon, et cette rencontre avec Furet doute un peu modifiées, comme il en avait
est presque une occasion de le démontrer. François l'habitude en relisant les entretiens qu'il donnait.
Furet passeune matinée à visionner les six premiers Mais ce texte reflète bien,je le crois, l'attitude
épisodesdes Histoire(s).Au déjeuner qui suit, chez ouverte et authentiquement intéresséede Furet à
Noura, les deux hommes échangent quelques idées, l'égard du travail d'historien de Godard. Finissons
mais se promettent surtout des retrouvailles, à la sur un espoir : que jean-Luc Godard réagisseà son
rentrée de septembre,aprèsles réflexions de l'été, tour à la lecture de ce texte, et écrive une forme de
autour d'un micro qui enregistrerait leurs réactions Lettre à François Furet qui serait une sorte
mutuelles. Cette table-ronde,que nous nous étions d'hommage à l'historien.
promis de publier dans les Cahierset que nous Antoine de Baecque
attendions avec une certaine impatience, n'a jamais Arte diffilse Histoire(s) du cinéma de ]ean-Luc Godard
eu lieu. François Furet est mort, le 11 juillet suivant, les 22 novembre (O h 05) et 23 novembre (0 h 40).
e que j'adnùre dansle cinéma en général,et dans a là une puissance d'évocation dont ne disposerajamais
rv les Histoire(s)du dnémaque j'ai vues, c'est le sens aucun historien.
Il lyrique de l'image. Seul le cinéma,je crois, peut En même temps, cela rn' effraie un peu. J'ai toujours
i encore faire croire à la beauté du mouvement été un historien raisonnable,sinon raisonneur,avecla volonté
Il d'une révolution, peut saisir quelque chose de de mettre de la distance entre ma vision, mes opinions, et les
\ profond des grands assautsde l'histoire. je me sujets d'histoire qui m'intéressaient.On me l'a même repro-
~ disais,au fur et à mesure que m' étaient montrés ché : « Furetfait de la Révolutionfrançaiseun objetfroid »...Mais
lesquatreépisodesdesHistoire(s)du dnéma,que j'étais loin de cela est nécessaire,jecrois, à la compréhension de l'histoire. Il
tout comprendre, de tout conna:ître,que je ne reconnaissais faut rompre les enchantements de cesinvocations magiques,
mêmeque très peu d'images dans la profusion de ces extra- tragiques, enthousiastes,et les mots, aussiforts qu'ils demeu-
its.Jene suispas cinéphile,j'ai vu les premiers fi1nis de Jean- rent, révolution, fascisme,communisme, socialisme,ne doivent
Luc Godard, au début des années 60, parce qu'ils partici- pas masquer leur senssousleur symbole. C'est pour cela que
paientd'une époque vivante et belle à vivre.Après,je n'ai pas la capacitélyrique desimagesme fait peur, dansleur rapport à
suivi.Je me disais,donc, que cesfi1nis avaient une vraie force l'histoire, surtout celles du xx' siècle qui conservent une
parcequ'ils rendaient compte du siècle comme d'une épo- mémoire chargée d'émotion, d'adhésion, et une contre-
pée. C'est une ~édie lyrique que j'ai vue, presque un mémoire faite de tabous et d'oublis.
opéra,où des plans, des images,reviennent souvent comme Ces Histoire(s)du cinémane sont donc pas miennes,
desthèmes,desrefrains et desmélodies. Cela est lié aux voix, même si j'en admire la force, même si j'ai été souvent
aux sons,aux musiques, aux éclats bruyants que ces fi1nis emporté par leur mouvement, même si j'ai été parfois séduit
incorporent.Mais surtout aux images elles-mêmes,qui sont par desthèsesqu'elles avancent.Elles ne sont pasmiennes,car
commejetées les unes sur les autres avec un grand sensdu elles s'annoncent d'abord co~e une vision sacréede l'his-
rythme et une ma:îtrise de l'équilibre et du déséquilibre. Il toire, une sorte de vision d'après le Jugement dernier, d'im-
s'agitd'une forme de chaos cosmogonique, mais qui racon- précation, où la voix de Jean-Luc Godard prophétis~les véri-
terait l'histoire de notre siècle.J'ai beaucoup d'admiration tés d'un siècle qui s'achève.J'aieu cette impression,en sortant
pour ce pouvoir de faire senspar l'excès etl'épique, car il y de la projection, qu'il s'agissaitde la mise en forme d'une ~
encorele fascisme,il y a encore le communisme, alors que je morts d'un siècle tueur ? Et les grandes trahisons, les sou-
penseque cesillusions se sont fracassées sur l'histoire. bresauts de haine qui menaient les grands peuples les uns
Cela me conduit à un autre point: si cesimagespro- contre les autres ?Toutes ces questions, Godard les posent,
longent ainsi la Vie des grandesillusions du siècle,c'est pour mais avec une tristesse quasi tocquevi1lienne, celle d'un
remplir un vide. Celui non pas de la fin de 1'histoire, mais homme qui semble avoir beaucoup vécu et que la mélan-
d'un tournant que nous ne maîtrisons pas aujourd'hui, l'uni- colie gagne à la fin de sa vie.
forrnisation du monde. C'est la teinte mélancolique de cette C'est pourquoi ces quelques heures de vision m'ont,
fm de siècle,puisque nous voilà pris dansce qui pourrait être sansqueje rn 'y attende;fait retourner en esprit vers les années
un horizon fermé de l'histoire, unique, entraînésvers l'unifor- de ma jeunesse,celles qui hantent ces films car je me crois
mité desindividus et des cultures, enchaînésà l'éconornisme contemporain de Godard, d'aprèsce que j'ai vu et compris de
ambiant.Dans les faits, nous ne gouvernons plus 1'histoire, ces essais.Jen'ai, pour comprendre cette mélancolie del'his-
nous n 'y participons même plus, mais les images du cinéma toire, qu'à me retourner vers cesannéesd'après-guerreoùj'ai
nousoffrent le plaisir et la possibilité, une dernière fois peut- étéjeune militant, communiste quant à moi, cesannéesoù il
être,de comprendre et de refaire l'histoire du siècle.Je dirais était donné de participer pleinement à quelque chose de
que cette réaction de l'historien et du cinéaste Jean-Luc l'histoire du siècle. C'était une illusion, bien sûr. Mais cela a
Godardestsaine: il est celui qui réagit à la fatalité de l'histoire marqué notre génération d'une couleur indélébile: l'histoire
fin de siècle.Et sesHistoire(s)...ont cette ambition: embrasser que l'on a essayéd'analysera toujours été inséparablede notre
l'ensembledes images et des idées du siècle pour le reracon- existence.Personnellement,j'ai vécu de l'intérieur l'illusion
ter,une dernière fois. communiste, dont j'ai essayérécemment de remonter le cours
C'est une oeuvre herculéenne. Mais c'est aussi le au xxe siècle. C'est pourquoi j'aimerais poser à Jean-Luc
rocher de Sisyphe. Je dirais d'ailleurs plutôt que c'est Godard cette même question: de quoi samélancolie s'est-elle
l'reuvre d'un grand mélancolique: on sent l'auteur de ces nourrie ? De quel engagemef}t malheureux a-t-il pu s'ins-
films malheureux de la tournure que prend l'histoire du truire ? Car il a beaucoup souffert celui qui, ainsi,proposeune
siècle,en son achèvement, et la mélancolie de l'histoire histoire du siècleincarnée par l'image, par desimagesqui lais-
l'envahit. Où sont passésles conflits d'antan, les magnifiques sent.une trace parfois terrible, parfois violente, parfois tra-
affrontements? Pourquoi faudrait-il oublier les millions de gique, dansma mémoire. .
-;;-potëmkin-e~-;:"s;M:~~;~stein, 1925. loin de là, l'expression visuelle dominante de notre temps ?Voici
les questions qui ont jalonné la préparation de ce numéro des
Cahiersdu dnéma.
PAR ANT NF D BAECOl Quelques réponsesse sont esquissées,
à travers textes, entretiens,
rencontres, et images également, montés ensemble à la manière de
séquenceset de plans d'un film de papier nommé Le Siècledu
dnéma.Ce cinéma, considéré presque comme un personnage,est
une invention du XIXesiècle,dont il porte les atours
technologiques et le regard avide du spectaculairedes corps et des
images,mais il fut un acteur du xxe siècle.Il a été un élément
parfois décisif de l'histoire, transportant les rêves de ceux qui
voulaient bâtir cités idéales et Eve futures, kidnappé au présent par
les pouvoirs et les idéologies, qui n'ont cesséd'avoir des projets
pour lui. Hitler voulut confier la régénération du cinéma
germanique à Fritz. Lang, Staline, autopromu génie du scénario,
décida lui-même du final de LA Chute de Berlin,Roosevelt
reco~dait à tous les hommes de bonne volonté de voir
LA Grandefllusion. Chaque ministre a son plan pour le cinéma,
chaque nation sapolitique et son panthéon de classiques,et en
tout producteur, nabab hollywoodien ou margoulin à la française,
sommeille cette ambition: faire histoire avec du cinéma.
D'où l'idée, illustrée dans ce numéro, que l'histoire d'un art et
l'histoire d'un siècle ont à faire ensemble.Davantage qu'un seul
1 dépôt archivistique ou qu'un simple reflet de conjonctures -cela
semble désormais une évidence que la révolution de 17, que la
crise de 29, que la prise du pouvoir par les nazis en 33, que
Mai 68, que la Guerre du Golfe,« ça » se voit sur l'écran, peut-
être plus qu'ailleurs -, ces affairessont intimes: affairesde corps.
l'histoire et un savoir où puiser sesgrandes représentations. Téléphone : ci-dessous, entre parenthèses, les deux
derniers chiffres de la ligne directe de votre
C'est en cela que le cinéma donne forme à l'histoire du correspondant. 01. 53 4475xx
xx' siècle,mais avec sespropres armes, comme le roman a été la Le Siècle du cinéma,
hors"sériedesGahielSdu cinéma, a été coordonné
forme du XIX' siècle: il fait événement (pasune grande date de pa.r An~ine de Baecque.
son temps et s'est rendu indispensableà ceux qui voulaient vivre Ont collaboré à ce numéro: François Albet:a, Cédric
Anger, Jacques Aumont, Christ~n-Marc Bosséno,
et penser leur époque. Il a donné forme à la passion du spectacle Nicole Brenez, Stanley Cavell, François Ede, ArIette
Farge,Phillppe Grandrieux, Marie-Anne Guerin, Noêl
propre à la Belle Epoque. Il a fait les révolutions des années20. Il Herpe, KlausKreimeir, Pierre Legendre, Laurent
Mannoni, Jean-François Rauger, Alain Resnais,
a tellement collé à la peau de l'Amérique qu'il en est devenu sa Vanessa Schwartz, Jean-Baptiste Thoret, Claire VaSsé
Conception graphique : Nathalie Baylaucq
véritable identité. Il a donné des gagesaux dictateurs. Mais il a
Photothèque-iconographie : Catherine Frôchen (76)
également été le seul à pouvoir montrer les horreurs de la guerre Responsable des éditions: Claudine Paquot (77}
Attachée de presse : Agnès Béraud (78)
et l'irreprésentable des camps.Il a fabriqué l'art moderne des Internet: Laurent Chartier (conception
graphique), Thierry Lounas (coordination)
années50 et 60 avec la mémoire de ces images traumatisantes.Il
ADMINISTRAilON .
a capté au mieux les éclatsradicaux de la culture libérée des Directeur délégué: Didier Costagliola (70)
Responsable commerciale: Marianne Brédard {71!
années70. Il a subi la domination de tous les programmes visuels Comptabilité: Sylvie Hesel (73)
Fabrication: Claude Morin (74)
et de tous les écransde la fin du siècle mais en préparant sa Services généraux: Sophie Ewengue {75)
Service abonnements: 03 44 62 5795
vengeance: des artistes singuliers qui résistent,dispersésun peu
24, avenue du Général-Leclerc, 60646, Chantilly
images peut être partagée par tous grâce aux révolutions mJ le PUBliCITt
Monde PublIcité
: SA; 21 DIS, rue
flash-back, le split-screen,
le regard-caméra,mais aussile corps 0805 050147, province :0805050146}
autant d'inventions qui ont une histoire, déclinée depuis leur Revueéditéeper les Editions de l'Etoile,sociétéandnyc
me à Directoire.(Franck Nouchi président, Bruno
apparition jusqu'à leurs résurgences,toutes ont, également,joué Patino[elConseil de surveillance (président :
Dominique Alduy; vice-président .Michel
un rôle dans l'histoire du siècle: chaque artiste, chaque écrivain, Noblecourt), aucapitai de 15516250 F (principaux
associés .le Monde SA, Société civile les Amis des
chaque idéologue, chaque publicitaire, tout homme a pu s'en Cahiers du cinéma) RC PAR.IS 8572193738.
.Co1T1mlssion paritaire n" 57650. Dépôt légal.
servir, les empruntant à l'écran, pour vivre, écrire, penser,créer
=m Flashage et photogravure: Fotitr\prim.
dans le siècle.
.7 Imprimé en France par Maury erRAS.
, , ." P'Jhli" "v"" le concours du CNL
C'est en cela,pour cela, Que le cinéma est l'art du xx. siècle..