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LE JUGEMENT MAJORITAIRE
21 avril 2002. Jean-Marie Le Pen, pourtant rejeté par 80% des Français, est au second tour de
l’élection présidentielle, en raison de la fragmentation de la gauche ; Lionel Jospin, donné vainqueur
du second tour par les sondages, est éliminé au premier.
22 avril 2012. La fragmentation s’est renforcée, dans le camp progressiste (avec potentiellement le
candidat socialiste plus Bayrou, Hulot, Chevènement, Mélenchon, Besancenot, voire Chevènement
et Tapie) mais aussi à droite (Sarkozy, Villepin, Borloo, Dupont-Aignan, Boutin). Les sondages
actuels donnent tous Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle. Un nouveau 21 avril,
« à l’envers » (élimination de Nicolas Sarkozy) ou « à l’endroit » (élimination du candidat socialiste)
est non seulement possible, mais désormais probable. Même le scénario aberrant d’un « double 21
avril », Marine Le Pen contre un « quatrième homme », n’est plus impensable.
Voter est l’acte démocratique décisif. L’élection présidentielle est sa clé de voûte. Mais notre système
électoral ne vieillit-il pas dangereusement ? Le scrutin majoritaire à deux tours possède un atout
majeur : il donne une légitimité majoritaire au vainqueur du second tour. Mais il a des défauts en
passe de devenir critiques.
Son principal défaut, c’est un premier tour dysfonctionnel : le candidat qui recueille l’assentiment
majoritaire des Français peut y être éliminé. Ce fut déjà le cas en 2002. Mais 2012 pourrait en donner
une version extrême. Imaginons que la situation demeure ce qu’en donnent les sondages : le
candidat socialiste, que ce soit Martine Aubry, François Hollande ou encore plus Dominique Strauss-
Kahn, est plébiscité au second tour. Martine Aubry et François Hollande ont dix à douze points
d’avance sur Nicolas Sarkozy au second tour (55/45 voire 56/44), DSK trente points (65/35) ! Dans
un duel de second tour, ils gagnent largement contre toutes les autres personnalités politiques
concurrentes. En d’autres termes, le candidat socialiste, DSK tout particulièrement, est la meilleure
personnalité politique du moment, celle que les Français veulent voir, dans leur large majorité, à
l’Elysée.
Pourtant, cette personnalité, plébiscitée par les Français, est menacée d’élimination au premier tour,
du fait de la fragmentation du camp progressiste. Martine Aubry et François Hollande ne sont d’ores
et déjà pas à l’abri de dévisser, selon les sondages. Si l’un des candidats progressistes (Hulot,
Mélenchon, Bayrou), aujourd’hui bas dans les sondages, venait à décoller pendant la campagne
Si un tel scénario devait arriver en 2012 – élimination au premier tour du candidat socialiste,
présence de Marine Le Pen au second, réélection de Nicolas Sarkozy – alors la question de la
réforme du système de vote de l’élection présidentielle serait posée. Comment accepter, en effet, que
le candidat plébiscité par les Français ne gagne pas, et qu’à l’inverse soit réélu le président sortant le
plus impopulaire de la Vème République ? Il y aurait là un bug démocratique majeur.
Mais l’élimination au premier tour de Nicolas Sarkozy serait également anormale. Il n’est pas légitime
que Nicolas Sarkozy, qui selon les sondages balaie Marine Le Pen au second tour (de l’ordre de
70/30), soit éliminé par elle au premier. La présence de Marine Le Pen au second tour de l’élection
présidentielle est une incongruité : en duel de second tour, elle est largement battue par tous ses
concurrents, elle est la dernière de tous les candidats présents. Une telle présence s’explique par la
défaillance du système électoral : Marine Le Pen a un noyau de soutien électoral de premier tour
élevé, alors que ses concurrents souffrent de l’éparpillement de leur famille politique. Mais le fait que
les Français soient obligés de se positionner au second tour en fonction d’une candidate qui est la
plus impopulaire du spectre politique français est tout simplement absurde.
Tel est le principal élément dysfonctionnel du scrutin présidentiel : placer au centre du jeu
démocratique une personnalité politique pourtant rejetée par l’immense majorité des Français et, à
bien des égards, la dernière des candidatures en lice ; risquer d’éliminer au premier tour le
« meilleur » candidat, celui qui gagne en duel de second tour contre tous les autres candidats, et ce
alors même que cette victoire de second tour s’annonce très large.
Il peut amener à un biais électoral au premier tour. Pour conjurer le risque d’élimination du
« meilleur » candidat de second tour, l’électeur peut être amené à « voter utile », donc ne pas
s’exprimer honnêtement et ainsi fausser le résultat. Par exemple, l’électeur écologiste ne votera pas
pour Nicolas Hulot, qui est pourtant son candidat préféré, mais pour le candidat socialiste, afin
d’assurer sa présence au second tour et éviter de se retrouver face à un choix Le Pen – Sarkozy.
Le scrutin présente par ailleurs un caractère fruste, car binaire : l’électeur vote pour un candidat mais
on ne sait rien de son avis sur les autres, de la hiérarchie dans laquelle il les place.
Le scrutin ignore toute évaluation qualitative : l’électeur fait un choix comparatif, mais le vote ne dit
rien de son jugement intrinsèque sur le candidat retenu – adhésion massive ou résignation pour le
« moins pire » ? Le pourcentage de vote obtenu au second tour ne renseigne guère. Il est clair par
exemple que les 53% de vote qui se sont portés sur Nicolas Sarkozy en 2007 soulignent une
dynamique d’adhésion beaucoup plus forte que les 82% obtenus par Jacques Chirac en 2002.
Point fondamental, c’est bien le « meilleur » candidat qui gagne. Le jugement majoritaire protège
contre le risque des candidatures multiples : rajouter ou retirer des candidats ne change pas le
classement des autres. Un électeur de gauche jugera par exemple que DSK est bon ou très bon,
indépendamment du nombre de candidatures à gauche.
Le « jugement majoritaire » rend caduc le vote utile. Il permet de donner son jugement hiérarchisé
sur chaque candidat, et non sur un seul. Un électeur écologiste peut donner une mention « Très
bien » à Nicolas Hulot, son candidat préféré, sans porter préjudice au candidat socialiste, son second
choix, à qui il accordera la mention « Bien ».
Ce nouveau scrutin donne plus de liberté aux électeurs en leur demandant de juger et non de voter :
ainsi, avec douze candidats, le premier tour du scrutin usuel ne donne que treize possibles
expressions d’opinion (nommer un candidat ou voter blanc) ; le « jugement majoritaire » en donne
plus de deux milliards.
Il offre également une évaluation qualitative : on peut gagner avec une mention majoritaire « Très
bien » ou « Assez bien », mais cela n’a pas le même sens politique.
Enfin, ultime nuance, il résiste aux évaluations exagérées vers le haut ou vers le bas et incite à
l’honnêteté : voter « Très Bien » ou « Bien » pour, par exemple, Nicolas Hulot n’a pas d’influence sur
sa mention majoritaire « Passable ».
Au temps de la Révolution française, la théorie du vote a été développée à l’Académie des Sciences
par Condorcet, Borda et Laplace, qui étaient à la recherche d’un mode de scrutin équitable et
efficace, capable d’élire le candidat réellement voulu par l’électorat. Conscients des déboires du
scrutin majoritaire, ils avaient proposé d’autres méthodes – rejetées pour d’autres raisons et jamais
utilisées. En fait, aucun mode de scrutin pratiqué jusqu’à présent ne réalise l’idéal recherché.
Le système français actuel – le scrutin majoritaire à deux tours – doit être abandonné à cause de
trois défauts majeurs. Quelques exemples d’élections présidentielles suffisent à les comprendre.
Premièrement, il trahit la volonté des électeurs : le gagnant d’une élection dépend du jeu des
candidatures multiples et non de la seule volonté des électeurs.
• François Mitterrand a été élu en 1988 : mais il semble que Raymond Barre, troisième au
premier tour avec 16,5% des voix, aurait battu Mitterrand s’il avait survécu au premier tour.
• Jacques Chirac a été élu en 1995 avec seulement 20,8% des voix au premier tour : mais si
Philippe de Villiers ne s’était pas présenté, ses 4,7% des voix auraient pu s’ajouter au 18,6%
d’Edouard Balladur, ce qui aurait produit une confrontation entre Balladur et Lionel Jospin au
deuxième tour.
• Chirac a été réélu en 2002 avec 19,9% des voix au premier tour : mais si Jean-Pierre
Chevènement (5,3%) ou Christiane Taubira (2,3%) n’avaient pas été candidats, Jospin
troisième (16,2%) aurait sans doute devancé Jean-Marie Le Pen (16,9%) et aurait pu battre
Chirac au second tour. Inversement, si Charles Pasqua s’était présenté (comme il l’avait
laissé entendre), on aurait pu avoir Le Pen et Jospin au second tour !
• Nicolas Sarkozy a été élu en 2007 : mais si François Bayrou s’était qualifié au second tour,
tous les sondages montrent qu’il aurait pu gagner contre n’importe quel candidat.
Deuxièmement, il fausse l’opinion de l’électorat : les décomptes des voix n’expriment en rien le
sentiment des électeurs.
• Voter honnêtement pour son favori même s’il n’a aucune chance de gagner ?
• Protester en votant pour un candidat « extrême » ?
• Voter « stratégique » ou « utile » pour le moins pire parmi ceux qui ont une chance de
survivre le premier tour ?
• Ou manifester ses insatisfactions en votant blanc, conscient que la totalité des blancs n’est
même pas annoncée ?
Les voix d’un candidat sont loin d’avoir le même sens : les additionner ne veut rien dire !
Les présidentielles de 2002 et 2007 suffisent à le démontrer. Pensez aux électeurs de gauche qui
n’avaient pas voté socialiste au premier tour en 2002. Regrettant leur choix, beaucoup se sont ralliés
« utilement » autour de la socialiste Royal au premier tour de 2007, pour se voir piégés une fois de
plus, ayant de loin préféré Bayrou à Sarkozy. Le vote vraiment « utile » n’est qu’éphémère.
Imaginez qu’au premier tour en 2012 une liste de douze candidats soit offerte à l’électeur : Nathalie
Arthaud, Martine Aubry (ou Dominique Strauss-Kahn, ou François Holland), François Bayrou, Olivier
Besancenot, Jean-Louis Borloo, Jean-Pierre Chevènement, Nicolas Dupont-Aignan, Eva Joly (ou
Nicolas Hulot), Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, Nicolas Sarkozy, et Dominique de Villepin. Un
« 21 avril 2002 » est tout à fait possible, où soit la gauche soit la droite est éliminée. Serait-ce
vraiment la volonté de l’électorat ? Et, devant une telle éventualité, l’électeur oserait-il voter selon son
cœur ? Mais alors, combien de candidats seraient forcés d’abandonner ?
La démocratie est piégée par le système qui l’incarne ! Une expérience récente illustre bien ces
propos.
Une étude a été commandée par Terra Nova et réalisée par Opinionway les 6 et 7 avril. Intitulée « Et
si la présidentielle de 2012 se déroulait au Jugement Majoritaire ? », un échantillon de 1 025
personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus a été sondé. Parmi eux,
991 personnes ont répondu à au moins une question et étaient inscrites sur les listes électorales. Les
résultats cités ci-dessous concernent seulement ces 991 personnes et n’utilisent aucun ajustement
par pondération.
Ces pourcentages sont calculés sur une base de 849 votants, soit 85,6% des participations. En effet,
14,4% des 991 électeurs sondés avaient décidé de s’abstenir ou de voter blanc.
L’électeur ne sait plus comment voter. Certains candidats veulent empêcher leurs partenaires
naturels de se présenter. Certains se présentent pour nuire à d’autres, tandis que d’autres
abandonnent la défense de leurs idées pour ne pas risquer un « 21 avril ». C’est la démocratie à
l’envers !
Deuxième question du sondage : « Si le deuxième tour des présidentielles de 2012 avait lieu
dimanche prochain, pour lequel des candidats suivants y aurait-il le plus de chance que vous
votiez ? »
Réponses :
1
Ces résultats du premier tour sont presque identiques aux résultats pondérés.
Martine Aubry est capable de battre confortablement Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen en face à
face. Néanmoins, Aubry pourrait se faire éliminer dès le premier tour, comme ce fut le cas de
François Bayrou en 2007. Cela démontre une fois de plus que le hasard des multiples candidatures
décide du vainqueur plus que la volonté de l’électorat.
La source de tous ces problèmes ? Ayant voté pour un candidat, la voix d’un électeur ne révèle
absolument rien de ce qu’il pense des autres candidats, ni, d’ailleurs, de ce qu’il pense de celui pour
qui il a voté ! Plus d’information doit être demandée aux électeurs.
JUGEMENT MAJORITAIRE
Un tout nouveau mode de scrutin – le jugement majoritaire (JM) – a été conçu pour éliminer les
défauts du scrutin majoritaire. Il est le résultat d’une nouvelle théorie du vote. Il se déroule en un seul
tour (ce qui coûte moins cher au contribuable), classe tous les candidats, et les évaluent en attribuant
à chacun une mention.
Le jugement majoritaire donne à l’électeur la possibilité de pleinement exprimer ses opinions. Au lieu
de nommer un seul candidat, le JM lui demande d’évaluer les mérites de chacun des candidats dans
une échelle de mentions :
Avec douze candidats, le premier tour du scrutin usuel ne donne à l’électeur que 13 possibles
expressions d’opinion (nommer un candidat ou voter blanc) ; le JM lui en donne presque 14 milliards.
Ainsi, un électeur évalue chaque candidat selon ses convictions : il pourrait, par exemple, donner 0
Excellent, 0 Très bien, 2 Bien, 1 Assez bien, 2 Passable, 3 Insuffisant et 4 à Rejeter à douze
candidats.
Avec les douze candidats du sondage du 6-7 avril, le bulletin de vote serait :
Nathalie Arthaud
Olivier Besancenot
Jean-Luc Mélenchon
Martine Aubry
Jean-Pierre Chevènement
François Bayrou
Jean-Louis Borloo
Dominique de Villepin
Nicolas Sarkozy
Nicolas Dupont-Aignan
Marine Le Pen
L’électeur doit évaluer chaque candidat, c’est-à-dire cocher une mention dans la ligne de chaque
candidat. Si un candidat n’est pas évalué par un électeur, ce vote est considéré comme à Rejeter.
En effet, si un électeur ne prend pas le temps d’évaluer un candidat à la présidence de la
République, implicitement il le rejette. La règle force aussi tous les candidats à tout faire pendant la
campagne présidentielle pour mobiliser et inciter le maximum d’électeurs à les évaluer. Cela incite
donc à diminuer le taux d’abstention.
Dans ce sondage, en moyenne, un candidat a été évalué par 97,1% des électeurs. Martine Aubry est
la candidate qui a eu le plus grand taux de participation avec 98,6% des 991 participants, et Nathalie
Arthaud a été celle qui a eu le plus bas taux de participation avec seulement 95,0% des électeurs.
Comparant ces chiffres au taux de participation du scrutin majoritaire au premier tour (85,6%), on
déduit que JM diminue considérablement le taux d’abstention (de plus de 10%).
Le décompte des bulletins donne une appréciation fine de chaque candidat. Par exemple, dans le
sondage du 6-7 avril, Martine Aubry avait la distribution de mentions : Excellent 8,2%, Très bien
12,9% ; Bien 17,0% ; Assez bien 12,6% ; Passable 19,6% ; Insuffisant 11,4% ; à Rejeter 18,4%. Ainsi
ses 21,7% des votes au premier tour n’ont pas le même sens et représentent essentiellement un
mélange d’Excellent et de Très bien.
En contraste, l’autre survivante du premier tour du sondage, Marine Le Pen, sort avec la distribution :
Excellent 6,8%, Très bien 6,5% ; Bien 7,0% ; Assez bien 7,2% ; Passable 7,8% ; Insuffisant 9,3% ; à
Rejeter 55,6%. Ses 20,6% au premier tour correspondent à un mélange de trois mentions, Excellent,
Très bien, et Bien. Les voix du premier tour ont des sens très différents selon les candidats.
Dans ce même sondage, trois-quarts des électeurs n’ont accordé la mention Excellent à aucun
candidat ; presque la moitié n’accorde ni Excellent ni Très bien à aucun candidat ; un cinquième des
991 électeurs juge tous les candidats au plus Passable ; enfin, en moyenne un électeur rejette un
Ces faits démontrent la défaillance du scrutin majoritaire : les voix des électeurs dans le premier tour
expriment des degrés d’estime et d’adhésion très différents ; 40% des électeurs indifférents ou
indécis entre deux ou plusieurs candidats sont forcés d’en choisir un seul ; un électeur a des
évaluations très variées pour les candidats pour lesquels il n’a pas voté (pouvant aller d’Excellent à à
Rejeter). Les opinions révélées par le JM ont bien plus de sens : les ignorer ne peut qu’induire en
erreur.
La troisième question du sondage du 6-7 avril 2011 demandait aux participants de voter selon le JM.
Les distributions des mentions étaient :
er
1 tour Excellent Très Bien Bien Assez Bien Passable Insuffisant A Rejeter
0,8% Nathalie Arthaud 0,1% 0,9% 3,4% 7,7% 13,7% 26,1% 48,0%
2,9% Olivier Besancenot 0,8% 1,7% 6,9% 9,9% 16,1% 20,4% 44,2%
4,2% Jean-Luc Mélenchon 1,3% 2,7% 5,0% 11,2% 16,5% 21,4% 41,8%
7,4% Eva Joly 3,2% 4,7% 7,4% 14,5% 20,3% 19,0% 30,9%
21,7% Martine Aubry 8,2% 12,9% 17,0% 12,6% 19,6% 11,4% 18,4%
1,9% Jean-Pierre Chevènement 0,5% 1,1% 5,8% 12,9% 22,8% 24,7% 32,2%
8,5% François Bayrou 1,2% 4,7% 12,8% 19,2% 26,1% 16,6% 19,3%
7,8% Jean-Louis Borloo 2,2% 6,2% 15,3% 22,3% 19,6% 15,9% 18,5%
3,7% Dominique de Villepin 2,0% 5,8% 11,9% 20,4% 20,7% 17,4% 21,9%
19,1% Nicolas Sarkozy 4,1% 8,7% 11,1% 9,5% 13,5% 11,8% 41,3%
1,4% Nicolas Dupont-Aignan 0,5% 1,4% 2,7% 7,0% 13,9% 27,7% 46,7%
20,6% Marine Le Pen 6,8% 6,5% 7,0% 7,2% 7,8% 9,3% 55,6%
La mention-majoritaire d’un candidat est la seule mention soutenue par une majorité contre toute
autre mention. Par exemple, la mention-majoritaire de Borloo est Passable car une majorité de 65,6%
= 2,2% + 6,2% + 15,3% + 22,3% + 19,6% des électeurs jugent qu’il mérite au moins la mention
Passable et une majorité de 54,0% = 19,6% + 15,9% + 18,5% des électeurs jugent qu’il mérite au
plus la mention Passable. Ainsi, si l’électorat avait un choix entre accorder à Borloo Passable ou
Supposons que la mention-majoritaire d’un candidat soit Passable. Elle est complétée d’un plus (+) si
le pourcentage des mentions meilleures que Passable du candidat est plus grand que le pourcentage
des mentions pires que Passable du candidat ; dans le cas contraire, elle est complétée d’un moins
(–). Par exemple, la mention-majoritaire de Borloo devient « Passable + » car 46,0% = 2,2% + 6,2%
+ 15,3% + 22,3% de ses mentions sont meilleures que Passable et seulement 34,4% = 15,9% +
18,5% sont pires que Passable.
Par exemple, Borloo et de Villepin ont tous les deux la mention-majoritaire « Passable + », Borloo a
46,0% de mentions meilleures que Passable et Villepin 40,1%, donc Borloo est classé devant
Villepin. Mélenchon et Besancenot ont tous les deux la mention-majoritaire « Insuffisant – »,
Mélenchon a 41,8% de mentions pires qu’Insuffisant et Besancenot 44,2%, donc Mélenchon devance
Besancenot.
Toutes les mentions d’un candidat – les bonnes comme les mauvaises – sont prises en compte pour
déterminer son rang dans le jugement majoritaire. A contrario, le scrutin majoritaire ne prend en
compte qu’un mélange abracadabrantesque des opinions supposées favorables.
Le JM a été expérimenté pour la première fois dans trois bureaux de vote d’Orsay (1, 6 et 12) le jour
de l’élection présidentielle de 2007. En sortant, après leur vote réel, les électeurs étaient invités à
participer à l’expérience utilisant le jugement majoritaire. Ils avaient été informés de l’expérience par
courrier, imprimé et affiche avec la coopération de la mairie. L’expérience a été réalisée dans les
conditions habituelles : les bulletins étaient remplis et insérés dans des enveloppes dans des isoloirs,
puis déposés dans des urnes transparentes. Contrairement à certaines prévisions, les électeurs n’ont
eu aucune difficulté à s’exprimer : pour la plupart, une minute leur suffisait. Les files d’attente pour le
jugement majoritaire n’étaient pas plus longues que celles du scrutin officiel. Des 2.360 personnes
ayant voté en réel, 1.752 ont participé à l’expérience, c’est-à-dire 74%. 19 des bulletins ont été jugés
invalides, laissant 1.733 suffrages exprimés.
Le bulletin de vote suit. Noter que la mention Excellent ne figurait pas dans l’échelle d’évaluation. Le
sondage du 6-7 avril 2011 suggère qu’elle n’est pas nécessaire car très peu utilisée.
Olivier Besancenot
Marie-George Buffet
Gérard Schivardi
François Bayrou
José Bové
Philippe de Villiers
Ségolène Royal
Frédéric Nihous
Jean-Marie Le Pen
Arlette Laguiller
Nicolas Sarkozy
La moitié des électeurs n’a accordé la mention Très bien à aucun candidat ; le tiers a attribué sa
meilleure mention à plusieurs candidats ; et en moyenne, un électeur a rejeté un tiers des candidats.
Cela est en accord parfait avec le sondage du 6-7 avril 2011.
Le décompte des bulletins donne, une fois de plus, une appréciation fine de chaque candidat. Dans
les trois bureaux d’Orsay en 2007, Dominique Voynet, septième officiellement à Orsay (1,7% des
voix), était quatrième selon le JM, avec les mentions : Très bien 2,9% ; Bien 9,3% ; Assez bien
17,5% ; Passable 23,7% ; Insuffisant 26,1% ; à Rejeter 20,5%. En contraste, Jean-Marie Le Pen,
quatrième officiellement à Orsay (5,9% des voix), était dernier avec le JM ayant les mentions : Très
bien 3,0% ; Bien 4,6% ; Assez bien 6,2% ; Passable 6,5% ; Insuffisant 5,4% ; à Rejeter 74,4%. Ces
résultats ont bien plus de sens : l’écologie importe, Jean-Marie Le Pen est massivement rejeté (bien
plus que sa fille Marine).
Dans ces trois bureaux de vote le résultat officiel au premier tour du système actuel fut :
Ces bureaux ne sont pas représentatifs de la France entière : Royal devance Sarkozy, le score de
Bayrou est bien plus élevé, et celui de Le Pen est bien plus bas.
Les distributions des mentions des candidats suivent. Elles sont données dans l’ordre du JM.
Ceux auxquels ces résultats ont été montrés sans les noms ont pu deviner les trois premiers et le
dernier par la seule donnée des distributions de leurs mentions !
François Bayrou, avec une mention-majoritaire d’« Assez Bien + » est le gagnant à Orsay, alors que
le système usuel l’élimine au premier tour.
Il est possible de déduire des bulletins de vote du jugement majoritaire ce qu’aurait été le résultat des
confrontations entre toutes les paires de candidats, en particulier la confrontation entre Ségolène
Royal et Nicolas Sarkozy. Ils sont donnés dans le tableau qui suit (où, par exemple, Voynet bat
Besancenot avec 56,3% des voix) :
Selon les données du jugement majoritaire, Royal bat Sarkozy avec 52,3% des voix : le résultat
actuel dans ces trois bureaux fut 51,3% pour Royal, une prédiction à 1% près du vrai résultat. Cet
écart s’explique par les 26% qui n’avaient pas participé et par le déroulement de la campagne entre
les deux tours. Que Bayrou soit le « gagnant-Condorcet » – car il bat tout autre candidat dans un
duel à deux – a été rapporté régulièrement dans les sondages depuis janvier 2007 jusqu’à l’élection.
Le centre, est-il favorisé ? Certains affirment que le jugement majoritaire favorise les candidats du
centre, et donc qu’il était prévisible que Bayrou serait l’élu de ce système. Ce n’est vrai ni en théorie
ni en pratique. Les résultats du premier tour du bureau 12 d’Orsay furent :
Recevoir beaucoup de mentions élevées et peu de mentions basses est ce qui donne un classement
élevé : les obtenir n’est pas réservé à un candidat du centre plus qu’à un autre. La théorie et les
expériences démontrent que le JM est bien moins favorable au centre que les méthodes de
Condorcet et de Borda (qui toutes les deux élisent Bayrou dans ce même bureau 12). Aussi, dans le
sondage du 6-7 avril, Martine Aubry gagne très largement avec le JM alors qu’elle n’est pas une
candidate centriste mais à la gauche du PS. Elle est suivie par deux candidats de droite modérée.
Les candidats du centre (Bayrou et Chevènement) arrivent seulement en quatrième et cinquième
positions.
Le scrutin majoritaire à deux tours élimine le centre, avantage beaucoup les partis majeurs de droite
ou de gauche, et il donne trop d’importance aux extrêmes. Les méthodes de Borda et de Condorcet
avantagent beaucoup le centre au détriment des partis majeurs de droite et de gauche.
Prenez, par exemple, Bayrou, Royal, et Sarkozy en 2007, dont les mentions-majoritaires sont toutes
Assez bien. Les électeurs qui jugent l’un de ces candidats meilleur qu’Assez bien ne changeraient
rien à son classement en exagérant ses mentions vers le haut; ceux qui le jugent pire qu’Assez bien
ne changeraient rien non plus en exagérant ses mentions vers le bas.
D’autres manipulations stratégiques sont envisageables. Par exemple, le gagnant des trois bureaux
de vote d’Orsay avec le jugement majoritaire était François Bayrou, suivi de Ségolène Royal. Aurait-il
été possible pour des électeurs qui jugent Royal meilleure que Bayrou, et qui redoutent la victoire de
Bayrou, de donner des mentions différentes – augmenter la mention de Royal et diminuer celle de
Bayrou – pour faire gagner Royal ? L’analyse de cette possibilité montre qu’il est très difficile de
changer le résultat. La théorie et la pratique démontrent que le jugement majoritaire est le mode de
scrutin le plus difficilement manipulable.
Pour des primaires ? Un parti politique a tout intérêt à utiliser le jugement majoritaire dans les
élections internes, en particulier ses primaires.
Les primaires ont un but : rassembler les électeurs d’une même famille autour du meilleur candidat
possible pour affronter les candidats d’autres partis politiques. Manifestement, le mode de scrutin
majoritaire à un ou deux tours ne répond pas à cette exigence. En plus des défauts majeurs déjà
Le parti socialiste en a fait l’expérience dans les primaires de 2007 et la désignation du premier
secrétaire en 2008. Dans les deux cas les militants étaient forcés de choisir un camp contre les
autres, alors qu’ils avaient des opinions positives sur tous les candidats. Le jugement majoritaire leur
aurait permis de s’exprimer de façon fine, moins conflictuelle et plus consensuelle : tous les candidats
auraient pu avoir des mentions-majoritaires honorables (comme un sondage Terra Nova/Opinionway
le confirme).
Aujourd’hui le jeu des candidatures multiples pour les primaires PS de 2011 est en pleine
effervescence. Il est déjà en train de diviser le PS. Le JM éliminerait ce jeu complètement : n’importe
quelle candidature pourrait être envisagée sans nuire à aucune autre.
Le scrutin majoritaire empêche les électeurs de s’exprimer librement. Depuis au moins l’élection
présidentielle de 1988, il y a un sérieux doute que l’élu soit le candidat voulu par l’électorat. Depuis
celle de 2002, l’extrême droite – pourtant rejetée par une grande majorité des Français – prend en
otage la démocratie. Cela ne concerne pas seulement l’élection présidentielle, mais toutes les
élections – législatives, cantonales, et autres – où un candidat doit être choisi parmi plusieurs.
Pour réellement achever le suffrage universel, le moment est venu de réformer le mode de scrutin. Le
mode de scrutin majoritaire à deux tours n’est qu’une pure invention de l’esprit humain. Certains pays
– comme l’Australie ou l’Irlande – pratiquent d’autres inventions. Certains – comme la Grande
Bretagne – organisent un référendum pour en changer.
Pourquoi ne pas remplacer une habitude défaillante quand un remède existe ? Le jugement
majoritaire choisit le candidat jugé le plus méritant par une majorité de l’électorat. En plus, il écarte
les trois défauts majeurs du scrutin majoritaire :
Primo, le JM protège l’électorat contre le jeu des multiples candidatures : rajouter ou retirer des
candidats ne change pas les mentions et donc ni le gagnant, ni le classement.
Secundo, en prenant en compte l’opinion de tout électeur sur tous les candidats, le JM mesure avec
précision le mérite de chaque candidat, traduisant ainsi fidèlement le sentiment de l’électorat.
Tertio, le JM donne à l’électeur la liberté totale d’exprimer ses opinions : le vote « utile » est le vote
de « cœur », il n’y a plus de dilemme ni de regret.
Il a été démontré scientifiquement que le jugement majoritaire est la seule réponse possible à tous
les maux. Les diverses expériences entreprises ont confirmé sa validité en pratique. Il reste à saisir
chaque opportunité pour l’expérimenter afin de convaincre les acteurs politiques – les femmes et les
hommes politiques, les journalistes, les philosophes, les politologues – et surtout les citoyens, de son
bien fondé.
Majority Judgment : Measuring, Ranking and Electing, MIT Press, Cambridge, MA, USA and London, England,
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“A theory of measuring, electing and ranking”, Proceedings of the National Academy of Sciences, USA 104 (2007)
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