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in 2011 with funding from
University of Toronto

http://www.archive.org/detailstoeuvrescomplt05john
TRADUCTION FRANÇAISE
DES ŒUVRES COMPLETES

DK

SAINT JEAN CHRYSOSTOME

TOME CINQUIÈME
AVIS IMPORTANT.

J'ai seul le droit de joindre aux Œuvre.; complètes la vie de Saint Jean Chryso&lom par Cabli^

Mar'.in ; je suis seul propriétaire de. cette traduction française : toute reproduction partielle ou

• totale, contrefaçon nu imitation, sera poursuivie rigoureusement, conformément ûmx lois.

SUEUR-CHARRUEY.
ÉDITF.UR.
SAINT JEAN

CHRYSOSTOME
OEUVRES COMPLETES
TKADUITES POUR f.A PREMIÈIÏE FOIS Ei\ FRANÇAIS

sous la Direction

DE M. JEANNIN
Licencié ë«-leltres, professeur dp rhétorique au collège de l'Immaculée Conception de Saint-Diaer

TOME CINQUIÈME

Homélies ei discours sur la Gentîse. - Homélies sur Anne. — Commentaire sur les Psaumes.

ARRAS
SUEUR-CHARRUEY, Imprimeur-Libraire-Editeur
Petite-Place, 20 et 22.

1887
IME JNSTITUTE GF fc^EPiAIVAL STUDi£3
10 ELWSLEY PLACE
TORONTO 5, CANADA.

DEC -9 1931
2 35^
AVERTISSEMENT.

Qu'il parle ou qu'il écrive, saint Jean Chrysostome ne fait guère que commen-
ter la sainte Ecriture. Il ne pense, il ne sent, il ne raisonne que d'après le Livre sacré.
C'est son élément, et il s'y tient si constamment qu'il semble ne pas connaître autre
chose. Il le parcourt dans tous les sens avec une aisance et une agilité merveil-
leuses; sans cesse il vole de la Genèse à l'Evangile, de l'Evangile à la Genèse, de
David et d'Isaïe à saint Paul et à saint Jean, de ceux-ci à ceux-là, comparant les

textes, les complétant, les éclaircissant les uns par les autres, avec une éloquence
toujours montée au ton de l'enthousiasme.

Dans ce perpétuel commentaire des Livres saints qu'offrent les oeuvres com-
plètes du grand Docteur, on distingue néanmoins ce qu'on pourrait nommer les

œuvres de circonstance Traités , , Homélies, Lettres : elles remplissent les quatre pre-
miers volumes de cet ouvrage ;
puis les commentaires suivis sur de grandes parties
de l'Ecriture, ce qu'on peut nommer les commentaires proprement dits. Il y en a sur la

Genèse, sur les Psaumes, sur les Prophètes, sur saint Matthieu, sur saint Jean, sur
toutes les épîtres de saint Paul. C'est cette seconde catégorie , de beaucoup la plus

considérable et la plus importante , des œuvres de notre auteur, que nous


abordons avec notre tome v* : elle remplira tous les volumes suivants jusqu'au der-
nier, que Dieu nous fasse la grâce d'achever bientôt.

Le P. Montfaucon, à son ordinaire, fait précéder le commentaire sur la Genèse


d'une dissertation aussi longue qu'érudite sur le nombre des homélies, sur le lieu

et sur l'époque où elles furent prononcées , sur le style qui leur est propre ,
sr^r

l'édition des Septante suivie par saint Chrysostome , sur ce que l'Orateur entenii
S. J. Ch. — Tome V. '; i
2 AVERTISSEMENT.

par le centièine dont il parle dans sa troisième homélie, sur la grande semaine, sur

le jour dominical, et sur l'inégalité des heures chez les anciens.

Voici les conclusions de cette dissertation :

Le nombre des Homélies est de 67 : elles furent prêchées à Antioche pendant le

carême, on ne sait de quelle année. Selon Photius, le style de ces homéhes est
moins correct que celui des autres écrits de saint Chrysostome. Les parenthèses
sont quelquefois si longues ,
que le saint Docteur perd totalement de vue son sujet.

C'est qu'il parlait sans beaucoup de préparation et que souvent il se laissait entraî-

ner par de nouvelles pensées qui le frappaient subitement. Cela n'empêche pas que
l'on y remarque cette pureté de langage, cette clarté d'expression, cette abondance
de similitudes, cette vivacité d'images qui caractérisent toujours saint Chrysostome.
L'édition des Septante dont s'est servi saint Chrysostome diffère en quelques en-

droits de l'édition commune. Le centième dont il est fait mention à la troisième

homélie exprime le taux ordinaire de l'usure chez les anciens, un pour cent par
mois. Les habitants d'Antioche donnaient le nom de Grande semaine à la dernière
semaine du carême.

Le jour dominical r.aj'pa xupîa, dont parle saint Chrysostome, n'est autre que le jour
de Pâques. Les anciens, divisant le jour et la nuit chacun en douze parties égales,
avaient nécessairement des heures plus ou moins longues suivant les différentes
saisons de l'année. J.-B. J,

e
TRADUCTION FRANÇAISE
DE

SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

HOMÉLIES SUR LA GENÈSE.

PREMIÈRE HOMÉLIE.

ANALYSE.

1. L'annonce du carême doit être accueillie avec joie, parce qu'il esl un remède aux maux de notre Ame. —
Le jeûne et l'abstinence
produisent une infinité de biens, tandis que l'intempérance a introduit dans le monde le pérhé cl la mort. —
2. Exemple d'Adam

et d'Eve, des habitants de Sodome et des Israélites dans le désert. —


3. Au contraire, par le jciiue, i;iitî a été l'ii'evé au ci'-i, Da-

niel enchaîna la férocité des lions, et les Ninivites obtinrent le pardon de leurs iniquités. — Jé.su-.-Christ iui-nitii:e a voulu jeû-
ner quarante jours ; et c'est à son imitation que l'Eglise a adopté ce nombre dans le saint carême. — 4. Inilueuce sabuyiredu
jeûne, tt suites funestes de l'intempérance.

i surabonde de joie et d'allégresse en


. Je et chagrin, etque tous au contraire, pleins de
voyant aiijourdhuila foule des fidèles remplir joie et d'allégresse, célèbrent le divin médecin
l'église de Dieu, et je loue le pieux empresse- de nos âmes (jui nous ouvre cette voie de salut,
ment qui vous y rassemble. Aussi, le riint épa- et accueillent avec transport l'annonce de ces
nouissement de vos traits m'est -il un signe jours bénis. Que les Gentils soient confondus,
certain du contentement de vos âmes car le : et que les Juifs rougissent en voyant quel zèle
Sage a dit que la joie du cœur brille sur le vi- éclate parmi nous à l'approche du caiéme, et

sage. (Prov. XV, 43.) C'est pourquoi j'accours qu'ils connaissent par leur propre expérienc«
moi-même plein d'enthousiasme pour prendre l'immense intervalle qui les sépare de nous.
part à la joie spirituelle de vous tous, et pour Ils appellent lètos et fériés ces jours que pro-
vous annoncer le retour de cette sainte qua- bablement ils passeront dans les excès de k-

rantaine qui nous apporte la guérison des maux table, du vin et des plaisirs; mais Egli^e 1 dt
de l'àme. Et en effet, le Seigneur, comme un Dieu pratique les vertus opposées à ces \ice3 ;

bon père, ne désire rien tant que de nous par- elle aime le jeune et recherche les salutaires
donner nos fautes anciennes; et c'est pourquoi résultats de l'abstinence. Voilà ses fêtes. Et ne
il nous en offre dans le saint carême la facile sont-ils pas en effet de véritables fêtes, ces jour.*
expiation. Que personne donc ne paraisse triste où l'on s'occupe du salut de son âme, et où i^

BQ
I- n ^
A TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOMÈ.

pnix et la concorde régnent dans la cité ; niors pérance des festin^, et que vous réserviez au
on retranche presque toutes les préocciip>lioiis jeûne un bienvtillant accueil, car il est pour
de la vie, le bruit du forum, le tumulte des nr»us la source et le piincipe de tous les biens,
marchés, l'empressement des cuisiniers et les non moins que Técole de la chnsteté et de tou-
sanglantes fonctions des bouchers. Mais com- tes les vertus. Ce sera aussi le moyen de le
ment dépeindre le repos et le calme, la charité commencer avec plus de joie et d'en retirer
et la joie, la paix et la douceur et tous les biens des fruits plus salutaires. Le médecin prescrit
innombrables que nous promet le retour du une diète sévère comme préparation à une
carême 1 énergiq;e purgalion; il la force veut ainsi que
Souffrez donc, mes clmrs frères, que je vous du remède ne soit énervée por aucun obstacle
en dise quelques mots. Et d'abord je vous prie et qu'il agisse avec une entière efficacité. Mais
de recevoir ma parole avec bienveillance, afin n'est-il pas plus nécessaire encore de purifier
que vous en rapportiez dans vos maisons d'heu- nos âmes [jar une exacte sobriété, afin que le

reux fruits. Car nous ne nous sommes point jeûne produise en nous tous ses salutaires
ici réunis comme au hasard, moi pour vous effets, et que l'intempérance ne nous en fasse
parler, vous pour m'applaudir, et ensuite nous point perdre les heureux fruits?
retirer; mais je suis venu pour vous adresser 2. Je ne doute pas que plusieurs ne taxent
une parole utile à votre salut, en sorte que ce langage d'étrangeté ; mais je les prie de ne
vous ne quittiez point ce temple sans avoir re- pas se remlre les esclaves de la coutume , et
cueilli de ma bonclie d'importantes et salutaires d'écouter paisiblement la voix de la raison. Ah 1

instriictions. L'église est le trésor des remèdes quels avantages peut-il nous revenir de con-
de l'âme ; et ceux qui viennent ici ne doivent sumer journée dans les plaisirs de la table
cette
point se retirer qu'ils n'aient auparavant reçu et les excès du vin ? Et que parlé-je d'avanta-
les remèdes qui leur convifnnent, et qu'ils ne ges ! nous n'en saurions recueillir qu'une in-
les aient appliqués à leurs blessures. Et en effet, finité de maux et d'inconvénients. Dès là que
il sert peu d'écouter si l'on ne réduit en pratique la raison se noie sous les fiots du vin , nous
ce que l'on entond. Aussi saint Paul nous dit-il tarissons dans leur source et dans leur principe
que ce ne sont pas ceux qui écoutoit la loi qni lesgrâces du jeune et de l'abstinence. Et puis
sont justes aux yeux de Dieu ; mais que ce sont quel spectacle plus hideux et plus repoussant
ceux qui la pratiquent qui seront justifiés. que celui de ces hommes qui ont passé la nuit
(Rom. II, 13.) Et le Sauveur lui-même nous entière dans les orgies de l'ivresse et qui au .

parle ainsi dans son Evangile Tous ceux qui : lever de l'aurore et aux i^remiers rayons du so-
me disent : Seigneur^ Seigneu?', n^ entreront leil, exhalent la puante odeur du vin dont ils
pas dans le royaume des cieux ; mais celui qui se sont remplis ? Quiconque les rencontre ne
fait la volonté de mon Père qui est aux deux. les aborde qu'avec dégoût, leurs serviteurs les
(Math, vu, 21.) C'est pounpioi, mes bion-aimés, regardent d'un (\m1 de mépris, et ils deviennent

puisque vous savez (pie l'audition de la parole un objet de raillerie pour tous ceux qui conser-
sainte n'est vraiment utile qu'autant qu'elle se vent qnel([ue décence. Mais ce qui est encore
traduit en bonnes œuvres, ne vous bornez pas j)lus triste , c'est (jue par leurs excès et leur
à l'écouter, mais faites-en la règle de votre criminelle intempérance ils attirent sur eux la

conduite, afin que, voyant les fruits salutaires colère de Dieu; caries ivrognes. (WiV \.{>oiYe, ne
de nos discours, nous vous i)arlions avec une posséderont point royaume de Dieu. I Cor.
le (

confiance nouvelle. Déployez donc toute l.i VI, 10, ) Eh ! grand malheur que
quel plus
bienveillance de votre âme pour entendre ce d'être exclu des parvis célestes pour un plaisir
(pie j'ai à vous dire touchant le jeune. Le liancé si court et si funeste ! A Dieu ne plaise qu'au-
qui doit é|)ouser une vierge chaste et pudi(pie cun do mes auditeurs soit adonné à cette hon-
orne sa maison de riches ameublements; il y teuse |ias-ion au contraire (jue
! je souhaite
élalilit le bon ordre et la proi)reté et il eu , tous passent cette journée dans une sage re-
chasse les servantes licencieut^es et immodes- tenue en sorte qu'à l'abri des orages et des
,

tes; alors seulement il introduit son épouse tempêtes qu'excite l'ivresse ils ouvrent au ,

dans la chambre vou-


nu[>tiale; et de même je jeûne le port calme et |)aisil)le d'une âme.=obre
drais (pie, jaloux de purifier vos âmes, vous et tempérante. C'est ainsi qu'ils en recueille-

disiez adieu aux délices de la table et à lintuni- ront les fruits dbondauU,
HOMÉLIES SUR L\ GENÈSE. — PREMIÈRE HOMÉLIE.

effet, de môme que l'excès des viandes


Et en tant d'efforts et de privations. Car il lui paraia-
et du \in entraîne pour l'homme une intinité saitabsurde qu'un peuple |)révaric.iteur et vo-
de maux , le jeune et l'abstinence lui produi- luptueux reçût une législation divine. Cet ad-
sent une infinité de biens. com- Aussi dès le mirable prophète eut donc besoin de jeûner
mencement Dieu en fit-il un précepte au pre- une fois encore, quarante jours, pour recevoir
mier homme, car il savait que ce remède était de nouveau et apporter ces mêmes tables qu'il
nécessaire au salut de son àme. Tu peux man- avait brisées en punition des crimes du peuple.
ger lui dit-il
, de tous les fruits du jardin ;
, C'est par un jeûne semblable (|ue le grand Elie
mais ne nuuuje pas du fruit de V arbre de la obtint d'échapper à la tyrannie de la mort.
sciifice du bien et du mal. ( Gen. ir, 16.) Or, Enlevé au cielsur un char de feu, aujourd'hui
dire mangez ceci, et ne mangez pas cela, n'é- encore il est vivant. Et Daniel, l'humnie de
tait-ce point figurer la loi du jeune ? Hélas ! désirs, vit ses longs jeûnes récompensés par
Adam qui aurait dû garder ce précepte , le d'admirables révélations et il changea la fé-
;

transgressa vaincu par le vice de l'in-


, il lut rocité des lions douceur des agneaux.
en la
tempérance, et à cause de sa désobéissance Sans doute il ne détruisit pas en eux l'instinct
condamné à la mort. Le démon cet esprit , de la nature, mais il en suspendit la voracité.
méchant, et ennemi de l'homme n'avait pu , Enfin les Ninivites désarm.èrent par un jeûne
voir sans envie que dans le paradis terrestre rigoureux les vengeances du Seigneur , ils y
nos premiers parents menaient une vie heu- assujétirent les animaux aussi bien que les
reuse, et que dans un corps mortfl ils conser- hommes, et chacun quittant se.> voies mauvai-
vaient une innocence angélique. C'est pourquoi ses, ils éprouvèrent les etVels de la miséricorde
il tenta de le faire déchoir de cet heureux état, divine.
et en lui promettant des !)iens plus excellents Mais il est inutile de multiplier ici les exem-
encore, il le dépouilla de ceux qu'il possédait ples des serviteurs: et combien de traits ne me
tant il est dangereux de ne point se resserrer fourniraient pas l'Ancien et le Nouveau Testa-
en des bornes légitimes, et d'aspirer toujours ment 1 il vaul mieux s'arrêter à la personne
au-tlessus de soi Le Sage lui-même nous en
1 même de notre commun Maître. Or le divin
avertit quand il dit que par Venvie de Satan la Sauveur Jésus a voulu jeûner quarante jours
mort est entrée dans le monde. { Sag. ii, 24. )
afin de se préparer à la tentation, et de nous
Vous voyez donc, mes chers frères comment , apprendre par son exemple qu'il faut comme
à l'origine des temps, l'iiitcmprTance a intro- lui, nous armer du jeûne, ety puiser les forces
duit la mort et maintenant j'appelle votre
; nécessaires pour lutter victorieusement contre
attention sur ces deux passages de la sainte le démon. Mais ici peut-être quelque bel esprit,
Ecriture où elle condamne les plaisirs et la
, ou quelque profond raisonneur me demandera
bonne chère. Le peuple s'assit pour ?nanger et pourquoi le Maître a jeûné exactement le
pour boire, et toits se levèrent pour danser. Le même nombre de jours que les serviteurs , et
peuple bien-aimé but et mangea; appesanti, pourquoi il n'a pas voulu dépasser ce nombre?
rassasié, enivré, il a délaissé le Dieu son créa- Je leur réponds que cette conduite, bien loin
teur. ( Ex. XXXII, 6; Deut, xxxii, 15. ) Ce fut d'être inutile et téméraire, est pleine de sagesse
aussi par ces mêmes excès joints à leurs autres etd'une ineffable miséricorde. Il a voulu jeû-
crimes que les habitants de Sodome attirèrent ner pour montrer que son corps était vérita-
sur eux les vengeances du Seigneur. Car le ble et non point fantasliciue et il a voulu se ;

Prophète dit expressément que Viniquité de borner à quarante jours déjeune pour prouver
Sodome a été l'intempérance et les voluptés de que sa chair était semblable à la nôtre. C'est

la chair. { Ezéch. xvi, 49. )Ce vice est donc la ainsi que par avance il réfutait l'insolence de
source , et comme la racine de tous les maux. ces esprits curieux et disputeurs. Et en etfet si

3, Mais à ces suites funestes de Tintempé- malgré cette disposition des choses et des faits,
rance opposons les heureux résultats du jeûne. quehiues-uns soulèvent de pareilles objections,
Après un jeûne de quarante jours Moïse mé- , que ne diraient-ils pas, si le Sauveur n'eût
rita de recevoir les tablesde la loi. Mais comme coupé court à tous les prétextes de leur incré-
il vit^ en descendant de la montagne, les sacri- dulité ? Oui, il a jeûné exactement le même
lèges iniquités du peuple juif, il jeta à terre nombre de jours que ses serviteurs afin de ,

et brisa ces mêmes tables qui lui a>"aient coûté nous convaincre qu'il s'est revêtu d'une chair
'iliADL'CÏIOJN FKAiNUlSE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

toute semblable à la nôtre , et qu'il n'était pas que l'on nourrit de lait. Peut-être m'accuserez-
étranger à notre nature. vous de parler ainsi au hasard, et sans preuve;
4. Et maintenant que je vous ai montré écoutez donc le prophète Amos Malheur à :

quelle est l'excellence et l'utilité du jeune, vous qui êtes réservés pour le jour mauvais^
etque je vous ai mis sous les yeux l'exemple qui dormez sur des lits d'ivoire et vous étendez
du divin Maître et de ses serviteurs je ,
mollement sur votre couche, qid mangez les
vous conjure, mes chers frères, de ne point agneaux choisis et les génisses les plus grasses,

négliger les grands avanl.-.ges qui y sont qui buvez les vins les plus délicats, et vous par-
attachés. N'accueillez donc point avec tristesse fumez des essences les plus exquises, et qid
le retour de ces jours de salut, mais réjouissez- considérez ces plaisirs comme un bien stable et
vous, et soyez pleins d'allégresse, parce que, permane7it, et non comme un songe fugitif !
selon la i)arole de l'Apôtre jikis l'homme ,
(Amos, VI, 3-6.) Voilà quel langage sévère le

extérieur est affaibli^ plus l'homme intérieur se Prophète entendre aux Juifs, peuple
faisait

renouvelle. (II Cor. iv, 16.) Le jeûne est en effet grossier, ingrat et adonné chaque jour aux
comme la nourriture de l'ànie; et de même plaisirs des sens. Il n'est pas inutile non plus
que mets de nos tables entretiennent la
les de peser les expressions qu'il emploie, et d'ob-
santé du corps, le jeune communique à lame server qu'après leur avoir reproché leur po-
une vigueur nouvelle. Il lui donne comme chant à l'ivrognerie et à la débauche, il ajoute
deux ailes légères qui relèvent, loin de l'ho- comme im bien
qu'ils considéraient ces plaisirs
rizon de la terre, jusqu'à la contemplation des stable et permanent, 7wn comme u}i songe
et

plus sublimes mystères. Et c'est alors que cette fugitif. N'est-ce pas nous avertir que ces vo-
âme plane au-dessus des plaisirs de cette ^ie, luptés s'arrêtent au gosier, et se bornent à
et de toutes les voluptés des sens. Nous voyons flatter le palais?

encore qu'un léger esquif sillonne aisément les Le plaisir est donc court et momentané,
Ilots, tandis qu'un vaisseau trop chargé périt mais ladouleur qu'il cause est longue et
)ar son propre poids. Ainsi le jeûne qui allège durable. Et cependant, dit le Prophète, malgré
l'esprit, le rend plus agile pour traverser la les leçons derexpéricnce. les Juifs s'obstinaient
mer de ce monde. Notre œil se tourne vers le à regarder le plaisir comme un bien stable et
ciel et les choses du ciel, et notre pensée permanent, tandis qu'il n'est qu'une jouissance
méprise les biens de la terre qui ne nous pa- fugitive. Oui, le plaisir s'envole rapidement,
raissent qu'une ombre et qu'un songe. L'ivresse et nous ne saurions le fixer même quelques
au contraire et l'intempérance appesantissent instants. Car telle est la destinée des choses
l'esprit en surchargeant le corps. Elles rendent humaines et sensibles. A peine les possédons-
l'âme cai)live des sens, la pressent de toutes nous qu'elles nous échappent. Telle est aussi la
l)arts, et lui enlèvent le libre exercice du juge- nature des délices, de la gloire du monde, de
ment et de la raison. Aussi cette Ame s'égare- la puissance, des richesses et des prospérités
i-elle çà et là à travers des précipices, et court de ne nous offriMit rien de solide
la vie. Elles
infailliblement à sa perte. ni d'assuré; rien de fixe ni de permanent.
C'est pouniuoi mes chers frères, entrons
, Elles sécoulent plus rapidement (pie l'eau des
avec une sainte ardeur dans la pratique salu- fleuves, et laissent vides et indigents tous ceux
taire du jeûne et puisque nous n'ignorons
: qui les recherchent avec un si vif empresse-
point les maux que produit rintoni[)éranco, ment. Mais au contraire les biens spirituels
l'uyons-en les suites funestes. Sans doute l'E- nous présentent un caractère tout ililTérent. Ils
vangile, qui nous prescrit une morale plus sont fermes, assurés, consl.mts et éternels. Ne
épurée, qui nous i)ropose une lutte plus difficile serait-ce donc pas une étrange folie que d'é-
nous promet
et des fatigues plus grandes, et (|ui changer tme jouissance passajjère contre des
une récompense plus belle et une couronne bien? imnuiables des i>laisirs moment^inés
,

plus éclatante, nous interdit sévèrement les contre un bonheur immortel, et des voluptés
excès de la table. Mais la loi ancienne elle- frivoles et rapides contre une félicité vraie et
même défendait également l'intempérance : éternelle? Enfin, les uns nous exposent aux
et cependant les Juifs ne voyaient encore toutes supplices atTreux de l'enfer, tandis que les
choses qu'en ligures, et attendaient la véritable autres nous rendront souverainement heureux
lumière. Ils étaient comme de jeunes enfants dans le ciel. Ainsi donc, mes très-chers frères,
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — DEUXIÈME HOMÉLIE.

que ces vérités sérieusement méditées nous sera donné de nous asseoir avec confiance à la
donner à noire salut toute notre atten-
fassent table redoutabledu banquet divin, d'y parti-
tion , mépriser les plaisirs des sens ,
plai- ciper avec une conscience pure aux délices
sirs vains et dangereux , et embrasser avec ineffables, et d'y recevoir les biens étern(;ls et
joie le jeûne et ses pratiques salutaires. Mon- les grâces abondantes que le Seigneur nous a
trons par tout l'ensemble de notre conduite préparés. Puissions-nous obtenir cette grâce
que nous sommes véritablement changés, et par les prières et l'intercession des saints qui
bâtons-nous de multiplier chaque jour nos ont plu eux-mêmes à Jésus Christ notre divin
bonnes œuvres. C'est ainsi qu'après avoir Sauveur, à qui soient, avec le Père et l'Esprit-
durant le saint temps du carême, grossi nos Saint, la gloire, l'empire et l'iionneur, mainte-
richesse spirituelles, et augmenté le trésor de nant, et dans tous les siècles des siècles !

nos mérites, nous atteindrons heureusement Ainsi soit-il.

le saint jour du Seigneur. Dans ce jour il nous

DEUXIÈME HOMÉLIE.

jd^u commencement Dieu créa le ciel et la terre . (G-sn . I, i ,

INALYSE.

1. Le carême avec ses pratiques de pénitence est un temps très-favorable pour la prédication. —
C'est pourquoi l'orateur se pro-
pose de l'employer à l'explication du livre de la Genèse. —
2. Le Seigneur, qui parlait aux patriarches, a voulu révéler à Moïse
la création du monde, et nous lu faire connaître par lui. —Ecoulons donc ses paroles comme un oracle divin. 3. Ici une raison —
trop curieuse deviendrait téméraire, et elle doit se soumettre humblement à la parole du Seigneur. — 4. Ces mots : «Aucommen-
« cernent Dieu créa le ciel et la terre, » réfutent par avance les erreurs de Marcion et de Valentin et s'ils ne veulent pas
s'en rapporter à l'iicriture, il faut les éviter et les fuir. —
Moïse dit encore que la terre était informe et toute nue, afin de
;

uous montrer Dieu comme l'auteur des biens qu'elle nous prodigue. —
5. L'orateur termine par quelques réflexions morales, et
exhorte ses auditeurs à faire de ses instructions le sujet de leurs entretiens.

i. Lfi vue de vos visages aimables me et qu'ilsen ont arraché les mauvaises herbes,
comble aujourd'hui de joie. Le père le plus ilsy sèment le bon grain en abondance. Mais
tendre se réjouit moins au sein d'une nom- vos âmes ne sont-elles point un champ mys-
breuse famille qui l'entoure de gloire, d'hom- tique, et la grâce divine ne les a-t-elle point
mages et de fêtes, que je ne le fais moi- épurées de toutes ces affections déréglées qià
ipème en voyant cette belle réunion de chré- y entretenaient le trouble et le désordre? au-
tiens si pieux et si bien disposés. Vous brûlez jourd'hui vous avez étouffé tout désir des
d'un tel désir d'entendre la parole divine, que plaisirs de la table, et vous avez calmé les
vous abandonnez les plaisirs de la table pour orages et les tempêtes du cœur et de la pensée,
accourir à ce festin spirituel et c'est ainsi que ; en sorte que la sérénité et la paix régnent dans
vous réalisez cette parole du Sauveur L'homme : votre esprit. Vous méprisez donc les jouissan-
ne vit pas seulement de pain , mais de toute ces sensuelles pour ne songer qu'aux biens spi-
parole qui sort de la bouche de Dieu. (Matth. rituels, et sur les ailes de la pénitence vous
IV, 4. ) Imitons donc la conduite des labou- vous élevez jusqu'au ciel. C'est pourquoi tout
reurs. Lorsqu'ils ont bien préparé un champ, nous engage à vous adresser la parole et à ,
8 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

vous développer le sens caché de quelques pas- et bien préparé, en sorte que cette semence pro-
sages de nos saintes Ecritures. Si nous n'abor- duira au centuple. Examinons donc, s'il vous
dions ce sujet aujourd'hui que le jeûne et Tab- plaît, quel est le sens du passage de la Genèse
stinence maintiennent l'âme dans le calme des qui vient d'être lu. Mais prêtez-moi, je vous en
bonnes pensées, quand pourrions-nous le faire? conjure, une bienveillante attention; car ce
Serait-ce dans les jours de plaisirs, de bonne ne seront ni mes pensées ni ma parole mais , ,

chère et de nonchalance ? Mais ily aurait alors celles que l'Espril-Saint m'inspirera pour votre
imprudence de notre part et ; vous-mêmes ne utilité que vous entendrez.
retireriez aucun fruit de nos discours parce , Au commencement dit Moïse Dieu créa le
, ,

que votre esprit serait comme submergé sous ciel et la on demande avec raison
terre. Ici
d'épaisses ténèbres. pourquoi ce saint prophète, qui n'a vécu que
Quel temps au contraire plus favorable à nos plusieurs siècles après la création du monde,
instructions que ces jours où le corps ne s'in- nous en raconte l'histoire. Certes il ne le fait
surge point contre l'âme qui est sa maîtresse, point au hasard et sans de graves motifs. Il est
et où il se soumet facilement au joug! Aujour- vrai que dans les premiers temps, le Seigneur,
d'hui il est plus docile et plus obéissant ; il qui avait créé l'homme ,
parlait lui-même à
modère des sens, et se
les appétits déréglés l'hoRjme en la manière que celui-ci pouvait
contient dans les bornes légitimes du devoir. Et l'entendre. C'est ainsi qu'il conversa avec Adam,
en effet le jeûne produit la paix de l'âme, ho- qu'il re|)rit Ca'in ,
qu'il donna ses ordres à Noé,
nore la vieillesse, instruit la jeunesse, enseigne et qu'il s'assit sous la tente hospitalière d'.\bra-
la continence, et pare tout âge et tout sexe liani. Et même, lorsque le genre humain se fut
comme d'un riche diadème. Aujourd'hui ont précipité dans l'abîme de tous les vices. Dieu ne
cessé le tumulte et les cris, l'empressement brisa pas toute relation avec lui, mais il traita
des bouchers et les courses des cuisiniers. Nous dès lors les hommes avec moins de familiarité,
sommes délivrés de toutes ces importunités, parce qu'ils s'en étaient rendus indignes par
et la cité honnête
ressemble à une vertueuse et leurs crimes; et lorsqu'il daigna renouer avec
jncre de famille. Quand je réfléchis donc sur eux des rapports de bienveillance, et comme
un changement si subit, et quand je me rap- faire une nouvelle alliance, il leur parla par
l)elle le mouvement et le tracasqui, hier encore, lettres, ainsi que nous le faisons à un ami ab-
régnaient dans la ville, j'admire et je proclame sent. Or Moïse est le porteur de ces lettres et ,

la force et la puissance du jeûne. Comment en est la première ligne. .4m corn-


voici quelle
M-t-ilpu pénétrer ainsi dans la conscience de mencement Dieu créa le ciel et la tore.
nous tous, transformer nos pensées et purifier Mais considérez, mon cher frère, combien ce
nos âmes? tous reconnaissent ses lois, le ma- saint prophète est grand et adnûrable. Les au-
gistrat et l'homme privé, le citoyen et l'es- que des événements
tres prophètes n'ont prédit

clave, l'homme et la fenune, le riche et le (jui un temps fort


devaient se réaliser dans
pauvre, le grec et le barbare. Mais pourquoi éloigné, ou assez proche celui-ci au contraire ;

parler des magistrats et des citoyens lorsque (jui n'a vécu que plusieurs siècles après la

l'empereur lui-même Ilécliit sous sa puissance création du monde, a été inspiré d'en-haut
non moins que le dernier de ses sujets? Au- de nous raconter l'œuvre du Seigneur. C'est
jourd'hui il n'y a aucune différence entre la pourquoi il entre ainsi en matière : Au corn'
tabledu riche et celledu pauvre ; tous prati- mencement Dieu créa le ciel et la terre. Ne
quent également la frugalité, et bannissent semble-t-il pas nous dire à haute et intelligible
le luxe et l'appareil des festins. Bien plus, on voix : Sont-ce les hommes (pu m'ont ai)pris ce
l)rend aujourd'hui un modeste repas avec plus (]ue je vais vous révéler? nullement, mais Ce-
de plaisir(iue l'on ne s'asseyait hier à une table lui-là seul qui a opéré ces merveilles, conduit

chargée de metsex(juis et de vins délicats. et dirige ma langue pour vous les apprendre :

2. Ces heureux préludes vous montrent, mes je vous conjure donc d'inq>oser silence à tout
chers frèns, (jnelle est la puissance du jeûne; raisonnement humain, et de ne point écouler ce
et moi-même je connnence aujourd'hui ce récit comme s'il n'était que la parole de Moïse.
cours d'instructions, plein d'une nouvelle et Car c'est Dieu lui-même qui n^us parle, et Moïse
jilus grand<' joie, parce que je sais <pie je ré|)an- nest que son inter|)rète. /y.« raisnnnnncnts de
drai la bonne semence dans un chanqi fertile riwmmc. dit l'Ecriture, sont timides, et ses
HOMÉLIES SI R LA GENÈSE. — DEUXIÈME HOMÉLIE.

pensées incertaines. (Sajç. ix, 14.) Accueillons animaux. Mais jusqu'où n'eùt-il point porté sa
donc la parole divine avec une humble défé- folie, si le Seigneur ne l'eût prévenu de tant de

rence, sans dé|)asser les bornes de noire intel- bontés et de ménagements?


ligence, ni rechercher curieusement ce qu'elle 3. Et ne vous étonnez point, mon cher frère,

ne saurait atteindre. Mais les ennemis de la si Moïse en a usé de la sorte dès le principe,

vérité ne connaissent point ces règles, et ils et dès les premiers mots, puisqu'il parlait à
veulent apprécier toutes les œuvres du Sei- des juifs grossiers et sensuels. Car nous voyons
gneur selon les seules lumières de la raison. saint Paul, sous l'ère nouvelle de la grâce, et
Insensés ils oublient que l'esprit de l'homme
! alors même
que l'Evangile avait fait de rapides
est trop borné pour sonder ces mystères. Et progrès, adopter lamême méthode dans son
pourquoi parler ici des œuvres de Dieu, quand discours aux Athéniens, et les amener à la
nous ne pouvons même comprendre les se- connaissance du vrai Dieu par le spectacle de
crets de la nature et des arts? car dites-moi la nature. Le Dieu^ dit -il, qui a fait le
comment l'alchimie transforme les métaux en monde et tout ce qui est dans le monde., étant
or, et comment le sable devient un cristal le Seiqneur du ciel et de la terre, n'habite
brillant. Vous ne sauriez me répondre ; et point dans les temples bâtis par les hommes.
lorsque vous ne pouvez expliquer les merveilles (Act. XVII, 24.) 11 suivait ici ce genre d'enseigne-
que la bonté divine permet à Thomme d'opérer ment, parce qu'il s'adaptait au caractère de
sous vos yeux, vous présumeriez, ô homme, ses auditeurs; et c'était par l'inspiration de
de scruter curieusement les ouvrages du Sei- l'Esprit-Saint qu'il leur proposait ainsi la doc-
gneur! trine céleste. Mais il savait également varier sa
Quelle serait votre défense, et quelle excuse parole selon la diversité des i)ersonnes, et leur
alléguer, si vous vous flattiez follement de instruction plus ou moins avancée. Considérez-
comprendre des choses qui surpassent toute le en effet écrivant aux Colossiens : il n'ob-
intelligence humaine ? car soutenir que la serve plus la même marche, et son langage est
matière a donné l'être à toutes les créatures, tout différent... En le Verbe., dit-il, toiit a été
et nier qu'un Dieu créateur les a tirées du créé dans le ciel et sur la terre^ les choses visi-
néant, ce serait le comble de la folie. Aussi le bles et invisibles^ les trônes^ les dominations,
saint prophète, pour fermer la bouclie de l'in- les principautés, les puissances; tout a été créé
sensé, commence-t-il son livre par ces mots : par pour lui. (Col. i, 16.)
lui et
Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. Jean, le fils du tonnerre, s'écrie Tout a été :

Dieu créa : arrêtez donc toute curieuse recher- fait par le Verbe., et sans lui rien n^a été fait.
che, humiliez-vous, et ajoutez foi à celui qui (Jean, i, 3.) Mais Moïse débute moins solennel-
vous parle. Or Dieu qui a tout fait, qui
c'est lement, et a eu raison de le faire. Car il ne
il

I)répare toutes choses et qui les dispose selon convenait point d'offrir des viandes solides à
sa sagesse. Et voyez comme l'écrivain sacré se ceux qu'il fallait nourrir encore de lait. Les
proportionne à votre faiblesse; il omet la créa- maîtres expliquent d'abord aux enfants qu'on
»tion des e.^prits ne dit point
invisibles, et il ; leur confie, les premiers éléments des sciences;
au commencement Dieu créa les anges et les et puis ils les conduisent progressivement à
archanges. Mais il n'agit ainsi que par prudence, des connaissances plus élevées. C'est aussi cette
et pour mieux nous disposer à recevoir sa doc- méthode qu'ont suivie Moïse, le Docteur des
'.
trine. Et en effet il parlait au peuple juif qui nations, et Jean, fils du tonnerre. Moïse, qui
ne s'attachait qu'aux biens présents et terres- dans l'ordre des temps, est le premier institu-
tres, et qui ne pouvait concevoir rien d'invi- teur de l'humanité, ne lui a proposé que les
sible et de spirituel. C'est pourquoi il le con- premiers éléments de la doctrine; Jean au
duit par la vue des choses sensibles à la con- contraire, et Paul qui lui ont succédé, ont pu
naissance du Créateur, et lui apprend à con- développer à leurs disciples un enseignement
templer l'Ouvrier suprême d;ins ses œuvres, en plus parfait.
sorte qu'il sache adorer
Créateur, et ne
le Mous comprenons donc les motifs qui ont
point se fixer, ni s'arrêter à la créature. Mal- porté Moïse à condescendre à la faiblesse de son
cette condescendance, ce même peu[)le peuple. Sous l'inspiration de l'E^prit-Saint, il
n'a point laissé de se faire des dieux uiorteN parlait aux Juifs le langage qui leur convenait;
mais il ne laissa pas d'étouffer par ces mots An :

Igré
40 TRADUCTlOxN FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

commencement^ Dieu créa le ciel et la terre, veux? Ici, ils ne sauraient donner aucune ré-
toutes les hérésies qui, comme un mauvais ponse raisonnable. Et si, du corps, je passe aux
grain, devaient pulluler dans l'Eglise. C'est aliments qui le nourrissent, je leur deman-
pourquoi, quand un manichéen vous dit que derai comment le pain que nous mangeons
la matière préexistait, et quand Marcion, Va- chaque jour, et qui est une substance homo-
lentinou un païen vous soutiennent la même gène, se convertit en sang et en chyle, en bile
opinion, répondez-leur qu'rtw commencement eten diverses humeurs; car le pain conserve
Dieu créa le ciel et la terre; mais s'ils récusent lablancheur de la farine, et le sang est rouge
l'autorité de l'Ecriture, traitez-les comme des ou purpurin. Mais, si nos adversaires ne peu-
extravagants et des insensés. Et, en effet, com- vent expliquer ces phénomènes qui chaque
ment excuser celui qui refuse de croire le jour s'accomplissent sous leurs yeux, combien
Créateur de l'univers et qui taxe de mensonge plus difficilement encore rendraient-ils raison
la Véritésuprême? Il se cache sous de belles des autres ouvrages du Seigneur! C'est pour-
apparences et feint les dehors de la douceur; quoi, s'ils continuent à rejeter ces nombreuses

mais il n'en est pas moins un loup sous une démonstrations et s'ils persistent dans leur in-
peau de brebis. Ne vous laissez donc point sé- crédulité, nous nous contenterons de leur op-
duire; et vous devez môme d'autant plus le poser la même réponse et de redire : Au
haïr qu'il affecte envers un homme une con- commencement. Dieu créa le ciel et la terre.
duite pleine d'égards, et déclare la guerre au Ce seul mot nous suffit pour renverser tous les
Dieu, souverain Maître de l'univers. Hélas! il retranchements de nos adversaires, et pour
ne s'aperçoit pas qu'il expose le salut de son ruiner dans leur fondement tous leurs vains
âme. Pour nous, attachons-nous à la pierre raisonnements. S'ils voulaient du moins cesser
ferme, et revenons à notre sujet Au commen- : enfin cette opiniâtre résistance, ils pourraient
cement Dieu créa le ciel et la terre. Et d'abord, rentrer dans la voie de la vérité.
observez comme l'Etre divin se manifeste dans Or, la terre était invisible et informe. Pour-
le mode même de la création; car, à l'opposé quoi le Seigneur, je vous le demande, a-t-il
de l'homme, il commence par le couronnement créé le ciel lumineux et parfait, et la terre in-
de l'édifice déroule premièrement les cieux,
: il forme? Certes, il n'a point agi sans raison, mais
et place ensuite la terre au-dessous; il pose le ila voulu nous révéler, par ce chef-d'œuvre
haut du temple avant que d'en avoir établi les de la création, qu'il en a produit également
fondements. S'esl-il jamais vu rien de pareil? les autres parties, et que ce n'est point impuis-
et qui a jamais entendu un semblable récit? sance de sa part si elles sont moins parfaites.
Mais Dieu commande, et tout cède à ses ordres. Une autre raison de ce qu'il a créé la terre in-
C'est pouniuoi, loin de soumettre les œuvres forme, c'est (ju'elle est la mère et la nourrice du
du Seigneur de notre raison, lais-
à la criti{jue genre humain nous naissons de son sein et
:

sons-nous conduire, par la vue de ses ouvrages, nous vivons de ses productions; elle est la jta-
jusqu'à l'admiration de l'ouvrier; car les per- trie et la sépulture de tous les hommes, le
fections de Dieu sont devenues visibles, depuis centre qui nous réunit tous et la source qui
la création du monde, par tout ce qui a été fait. nous enrichit de mille bimis. Mais, de peur que
(Rom. I, 20.) le sentiment du besoin ne portât les hommes
4. Mais, si les ennemis de la vérité persistent à lui rendre un culte idolàtrique. Moïse nous
à soutenir que le néant ne peut rien produire, la montre informe et toute nue, afin que nous
adressons-leur cette (luestion Le premier : ne lui attribuions point sa fécondité, et que
lionune a-t-il été formé de la terre ou de toute nous en rapportions la gloire à Celui qui l'a
autre matière? — De la terre, répondront-ils tirée du néant. Voilà pounjuoi l'Ecriture dit
unanimement. Qu'ils nous disent donc com- que la terre était invisible et i/i forme.
ment la chair de l'homme a pu se former de Mais peut-être vous ai-je fatigué, dès le com-
la terre Nous la pétrissons pour en façonner
! mencement, par des raisonnements trop sub-
des bri(iues,des tuiles et des vases; mais est-ce tils; c'est pourquoi je crois utile de terminer
ainsique riiouiine a été formé? El conunent, ici ce discours, et néanmoins je conjure votre
d'une seule et même matière, tirer tant de ch;Uilé de conserver le souvenir de mes paroles
substances diverses les os, les nerfs et les ar-
: et de les méditer souvent. Un repas frugal vous
tères, la chair, la peau, les ongles et les che- attend au sortir de cette réunion; eh bien! as-
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. - DEUXIÈME HOMÉLIE. il

sociez la nourriture spirituelle de l'âme à la comme il veut et que nous écoutions sa parole
nourriture matérielle du eor|;s! Que mari
le et que nous la suivions avec soumission et fidé-

répète quehjue cliose de nos instructions; que lité. Aussi, déclare-t-il sage et prudent celui
la femme écoute, que les enfants apprennent qui se distingue par des mœurs conformes aux
et que les scrviteurss'instruisent. Alors, chaciue préceptes de l'Evangile; celui, au contraire,
maison sera véritablement un temple d'oi^i s'é- qui se contente d'entendre la parole divine et
loignera le démon, cet esprit mauvais et ennemi qui n'en fait point la règle de sa conduite, est
de notre salut, et où re[)Oseront, sur tous ceux à juste titre appelé insensé. Et en clTet, il bâtit
qui l'habitent, la grâce de l'Esprit-Saint, la sa maison sur un sable mouvant; pour- c'est
paix et l'union. Si je vois que vous n'ou- (luoi cette maison s'écroule sous le choc des

bliez point mes premières instructions et que vents. Telles sont ces âmes lâches qui ne s'ap-
vous en attendez imi)atiemment la suite, je puient point sur la pierre ferme. Car ici il n'est
serai moi-même plus empressé de vous com- question ni de maison, ni d'édifice maléiiel,
muniquer largement tout ce que le Saint-Es- mais de notre âme et des tentations qui l'é-
prit m'inspirera. Je verrai en effet ma parole branlent; ce sont ces tentations que l'Evangile
germer heureusement dans vos âmes; et c'est désigne sous les noms de pluies, de vents et
ainsi que le laboureur en voyant naître le
, d'inondations. L'homme constant, sobre et vi-
grain qu'il a semé contemple ses champs
, gilant les surmonte aisément, et plus les afflic-
avec un nouveau plaisir et s'encourage lui- tions sont grandes, plus aussi s'augmentent sa
même à leur confier de nouvelles semences. force et son courage mais l'homme faible et
;

o. Voulez- vous donc augmenter en nous le indécis plie au moindre souffle de la tentation :

zèle de la parole sainte, faites-nous connaître il vacille, se trouble et succombe, bien moins

que vous en gardez un souvenir fidèle et que par suite de la violence des attaques que par
vous vous appliquez à régler vos mœurs sur d'une volonté molle et chancelante.
l'eiï'et

votre croyance. Que votre lumière^ dit Jésus- pourquoi il importe que nous soyons
C'est
Chri.-t, luise devant les hommes^ afin qu'ils sobres, vigilants et préparés à tout, modestes
voient vos bonnes œuvres et qu'ils glorifient et retenus dans la prospérité, et soumis et pru-
votre Père qui est dans les deux. (Matlh. v, 16.) dents dans l'adversité ; en que dans toute
sorte
Ainsi, notre vie doit s'accorder avec les dogmes situation nous baisions amoureusement la
de notre religion; car la foi sans les œuvres main miséricordieuse du Seigneur. Ces dispo-
est morte (Jacq. ii, 26), et les œuvres sans la sitions nous l'abondance des
attireront sur
foi sont également mortes. Et, en effet, une grâces divines, et celles-ci nous feront traverser
saine doctrine ne nous servira de rien si nous heureusement le cours de l'existence et acqué-
ne sanctifions notre conduite; et, de même, rir de grands trésors pour la vie éternelle. Je
une vie régulière avec une croyance erronée vous la souhaite, par la giâce et la miséricorde
ne nous sera point comptée pour le ciel. 11 de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient la

faut nécessairement joindre la bonne doctrine gloire, l'empire et l'honneur, avec le Père et

à une bonne vie, et l'homme prudent, dit le rEspril-Saint. maintenant, toujours, et dans
Sauveur, 6?^; celui qui écoute ma parole et la les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
met ai. praUque. (iMallh, vu, 21.) Vous voyez
{0
ÎRABUCTiuN FRATsÇAISE DE SAINT JE.VN CHRYSOSTOME,

TROISIÈME HOMÉLIE

Suite de ces paroles : < Au commencement Dieu créa le ciel et la terre, > jusques à celles-ci

« et du Boir et du matin se fît le premier jour. (Gea. I, 1... 5.J


>

ANALYSE.

1. L'Ecriture ressemble à une fontaine qui répand ses eaux sans jamais s'épuiser, aussi l'instruction précédente n'a-t-elle pas sulTi à
l'explication du premier verset de la Genèse. — 2. L'orateur continue donc celte explication,
eu parlant de l'Esprit et puis il dit,

de Dieu qui était porté sur les eaux, que ces paroles dési^'uent le mouvement et l'activité de l'élément humide .3. Il nous fa I —
ensuite admirer la puissance divine dans la création et le> divers phénomènes de la lumière, et observe que le Seigneur, en d««
clarant que la lumière était bonne, s'est accommodé à l'usa^'e commun des hommes qui louent un ouvrage faitavecsoiu. 4. La —
séparation delà nuit et du jour est, de la part de Dieu, un bienfait qui suffirait seul pour obliger les incrédules à se soumettre
à l'autorité de l'Ecriture —
5. L'orateur s'élève alors contre ceux qui prétendent que tout a été fait fortoileraent, et que la Pro\i-
dence ne parait point dans la création. — Cilles combat par divers raisonnements tirés de cette création même, et termine par
une vive exhortation à résister au démon, et k pratiquer tjules les veitus, et spécialement la charité envers les pauvres.

1. La lecture des divines Ecritures se com- criture, des fleuves d'eau vive couleront de son
pare à un riche trésor. Et en effet, celui qui a sein. (Jean, vu, 37 , 38.) Ces paroles nous mon-
un trésor à sa disposition, peut facilement trent quelle est l'abondance des eaux de la
s'enrichir. Et de même, une seule hgiie des grâce, et puisque ces eaux ne sont pas moins
saintes Ecritures, nous oflre une rare fécon- salutaires ([u'inépuisables, préparons le vase
dité de pensées et d'immenses richesses. Mais de notre âme pour les recueillir, et le reporter
la parole du Seigneur ne ressemble pas seule- plein à la maison. Mais comme l'Esprit-Saint
ment à trésor; elle est encore une fontaine
un épanche plus libéralemonl les richesses de ses
qui s'épanche toujours abondante et inépui- grâces, lorsqu'il trouve un cœur fervent et un
sable. Hier, nous avons pu nous en convaincre, esprit attentif, délivrons-nous des iiupiiétudes
puisque l'explication de ces premières paroles de la vie présente, et arrachons les épines qui
de la Genèse Au commencement Dieu créa
: étoufferaient en nous les gi'rmes des bonnes
le ciel el la terre, a pris tout le temps de pensées. Nitlre âme pourra alors se livrer tout
l'instruction^ sans que nous l'ayons achevée. entière aux saintes affections de la piété, en
C'est que ce trésor est riche, et cette fontaine sorte que nous ne (juilt ions point ce temple
intarissable. Au reste, ne vous éloimez point, sans y avoir recueilli d'utiles levons et de salu-
mes de notre impuissance car ceux
frères, , taires instructions.
qui nous ont précédé sont venus, eux aussi, Au reste, pour me faire mieux comprendre,
boire à cette source, et ne Tout point épui- j'ai besoin, mes chers frères, de revenir un
sée; ceux (jui nous suivront y Aicndront éga- peu sur le sujet (jue je traitai hier, ce sera
lement , et ne la tarirontTout au point. connue un d'union entre ces deux dis-
trait

contraire, elle croît et grossit à mesure qu'on cours. Je vous disais donc, si vous vous en

y puise. Telle est, en ellet, la natiu-e des eaux souvenez, que Moïse, en nous racontant l'œuvre
spirituelles de la grâce, (jucllos coulent d'au- de la création, s'exprimait ainsi : Au conmicn-
tant plus abondantes ([u'on y puise plus ccîncnt Dieu créa le ciel et la terre ; or la terre
fréquenunent. Aussi le Sauveur disait-il Si : était invisible et informe. Je vous expliquai
quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi, et quil ensuite pour quels motifs Dieu avait ainsi créé
boive. Qui croit m tnoi^ suivant ce que dit l'E- la terre infiuine et privée de toute parure.
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — TROISIÈME HOMÉLIE. 43

Vous n'avez point, je le pense, oublié celte Mais queUjues-uns, séduits par l'erreur et
explication; aussi puis-je aujourd'hui pour- l'hérésie, ne font aucune attention à ce contexte
suivre le récit de Moïse. Après avoir dit que de Moïse : Au commencement Dieu créa le ciel
ta terre était invisible et informe^ il nous en et la terre, et la terre était invisible et ijiforme,
donne la raison, en ajoutant que les ténèbres parce qu'elle était couverte par les ténèbres et
couvraient la face de l'abîme^ et que l'Esprit de les eaux. Car c'est en cet état que Dieu a voulu
Dieu était porté sur les eaux. Mais observez la créer. Aussi affirment-ils que la matière et
avec quel soin Prophète retranche ici
le saint les ténèbres préexistaient avant la création.
tout détail inutile. ne nous raconte point
Il Mais cette pardonnable? On vous
folie est-elle

toutes les diverses particularités de la création; dit qu'au commencement Dieu créa le ciel et la
mais parce que le ciel et la terre contiennent terre, et qu'il tira toutes choses du néant;
tous les éléments, il se contente de les men- et vous soutenez que la matière préexistait! Le

tionner, et passe les autres sous silence. C'est simple bon sens fait justice de cette extrava-
ainsi que sans décrire
formation des eaux,
la gance. Car le Dieu créateur est-il un homme
il dit simplement que couvraient
les ténéb?'es qui ait eu besoin d'une matière pour exercer
la face de l'abîme , et que l'Esprit de Dieu son art? il est le Dieu à qui tout obéit et qui a
était porté sur les eaux. Ainsi les ténèbres créé toute chose par sa parole et son comman-
et l'abîme couvraient la terre et il était né- ; dement. Voyez plutôt il a : dit une seule parole
cessaire qu'un sage ouvrier, corrigeant toute et la lumière a été faite, et les ténèbres se sont
cette diilorniité, put donner à celle-ci quelque retirées.
beauté. Or, les ténèbres, dit Moïse, couvraient Et Dieu divisa la lumière d'avec les ténèbres,
la face de V abîme., et V Esprit de Dieu était porté c'est-à-dire qu'il leur désigna une demeure
sur les eaux ; inais que signifie cette parole : sé|)arée et qu'il leur fixa un temps spécial et
r Esprit de Dieu était porté sur les eaux ? Il me déterminé. Il leur donna ensuite un nom par-
semble qu'elle nous révèle que les eaux pos- ticulier, car Dieu, dit Moïse, appela la lumière,
sédaient une vertu efficace et vitale. Elles jour, et les ténèbres, nuit. Observez comme
n'étaient donc point stagnantes et immobiles, une seule parole et un seul commandement
mais elles se mouvaient avec une certaine ac- réalisent cette heureuse séparation, et opèrent
tivité. Car tout corps qui repose dans une en- cette œuvre admirable que notre raison ne
tière immobilité est complètement inutile, saurait comprendre Voyez encore comme le I

tandis que le mouvement le rend propre à saint Prophète s'est accommodé à la faiblesse
mille usages. de notre intelligence ou plutôt, c'est Dieu !

pourquoi le saint Prophète dit que


2. C'est lui-même qui a daigné parler par sa bouche,
l'Esprit de Dieu était porté sur les eaux, afin de afin d'apprendre aux hommes quel a été l'or-
nous apprendre qu'elles possédaient une force dre de la création, quel est l'auteur de l'uni-
énergique et secrète, et ce n'est point sans rai- vers et de quelle manière il a produit toutes
son que l'Ecriture s'exprime ainsi car elle ; les créatures. Le genre humain était encore
veut nous disposer à croire ce qu'elle nous dira trop grossier pour comprendre un langage
plus tard que les animaux ont été produits de plus élevé. C'est pourquoi Moïse, dontl'Esprit-
ces eaux par le commanddment de Dieu, créa- Saint dirigeait la parole, s'est proportionné à
teur de l'univers. Aussi Moïse ne se contenta- l'infirmité de ses auditeurs ; il leur a donc ex-
i-il pas de dire que Dieu créa les eaux, mais il pli(|ué toutes choses avec méthode, et, il est si
ajoute qu'elles se mouvaient, se répandaient et vrai qu'il n'emploie que par condescendance
couvraient l'espace. Lors donc que la terre ce tempérament de style et de pensées
était encore informe et submergée sous l'abîme, que l'Evangéliste, fils du tonnerre, suit une
le divin Ouvrier corrigea d'une seule parole route tout opposée. Il dans un temps
écrivait
cette difformité. Il produisit la lumière, dont où les hommes étaient plus avancés dans l'in-
l'éclatante beauté dissipa soudain les ténèbres telligence de la vérité ; aussi les élève-t-il sou-
extérieures et illumina l'univers. Car Ditu dit : dain jusqu'aux plus sublimes mystères. Car,
que la lumière soit, et la lumière fut. Il dit, et après avoir dit : Au commencement était le
la lumière parut il commanda, et les ténèbres
; Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe
s'enfuirent à la présence de la lumière. Quelle était Dieu, il ajoute : // était la véritable lu-
li'est donc point la puissance du Seigneur!, mière gui illujnine tout homme venant an
u TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

monde. (Jean, i, 1, 9.) Et, en effet, de même quées, et que les ténèbres se sont également
que dans la création cette lumière sensible contenues dans leurs limites, sans amener au-
qui se produisit à la parole du Seigneur, dis- cun trouble ni aucune confusion. Mais cette
sipa les ténèbres matérielles, de même la lu- simple observation ne devrait-elle pas obliger
mière spirituelle chasse les ténèbres de l'erreur, tous les incrédules à croire ce que l'Ecriture
et ramène à la Tçrité ceux qui s'égarent. nous dit, et à pratiquer ce qu'elle nous com-
3.Recevons donc avec reconnaissance les mande? Ils imiteraient du moins ces éléments
instructions que nous donne la sainte Ecriture, qui poursuivent invariablement leur course,
et ne nous opposons point à la vérité, de peur sans en dépasser jamais les limites, ni mécon-
que nous ne demeurions dans les ténèbres. naître les bornes de leur nature. Mais après que
Mais au contraire, venons à la lumière, et Dieu eut séparé la lumière d'avec les ténèbres,
opérons des œuvres dignes du jour et de la et qu'il leur eut donné un nom particulier, il
lumière. Saint Paul nous y exhorte quand il voulut les réunir sous une commune dénomi-
dit Marchons dans la décence comme durant
: nation. Aussi Moïse ajoute-t-il que du soir et
le jour, et ne faisons point des actions de ténè- du matin se fit le premier jour. C'est ainsi que
bres. (Rom. XIII, 13.) Et Dieu, dit Moïse, appela le jour comprenant l'espace que parcourent
la lumière, jour, et les ténèbres, mdt. Mais je alternativement les ténèbres et la lumière,
m'aperçois d'une omission et je la répare. Après maintient entre elles l'ordre et l'harmonie, et
donc que Dieu eut dit que la lumière soit, et
: empêche toute confusion.
la lumière fut. Moïse ajoute et Dieu vit que : L'Esprit-Saint nous a donc révélé ,
par l'in-
la lumière était bon7ie. Considérez ici, mon termédiaire de notre illustre prophète, l'œuvre
cher frère, avec quel art l'écrivain sacré tem- du premier jour de la création ; et il nous ré-
père ses expressions. Quoi! Dieu ignorait-il vélera également les œuvres des autres jours.
que la lumière fût bonne avant qu'il ne l'eût Or, cette création successive estde la part de Dieu
créée et sa wlG. ne lui en a-t-elle découvert la
; une preuve de condescendance et de bonté ;car
beauté que du moment où il l'eut produite? sa main était assez puissante, et sa sagesse assez
Mais quel homme sensé admettrait un tel infiniepour achever la création dans un seul
doute car nous voyons qu'aucun ouvrier n'en-
1 et même jour. Quedis-je? dans un jour! un
treprend un ouvrage , ne le travaille et ne seul instant lui suffisait; mais puisqu'il n'a pu,
le polit sans en connaître d'avance le prix et n'ayant besoin de rien, créer le monde pour sa
l'usage; et vous voudriez que l'Ouvrier suprême propre utilité , il faut dire qu'il n'a produit
qui a tiré toutes les créatures du néant, ne sût tant de créatures que par sou extrême bonté.
pas avant de la produire (iii- la lumière était Et c'est encore celte même bonté qui l'a porté
bonne! Pourquoi donc Moïse emploie-t-il cotle à ne produire ces créations que successivement,
façon de parler? c'est que ce saint prophète et à nous faire connaître, par notre saint pro»
s'abaisse et s'acconunode k l'usage ordinaire phète, l'ordre et la suite de ses ouvrages. II £

des hommes. Quand ils ont travaillé avec grand voulu que celte connaissance nous empêchât
soin un ouvrage important, et (|u"ils l'ont heu- de nous laisser séduire aux erreurs de la rai-
reusement achevé, ils l'examinent de près et son humaine. Et, en effet, plusieurs soutien-
l'éprouvent afin de mieux en connaître tout le nent encore, malgré une révélation si expresse,
mérite. Et de même la sainte Ecriture se que le hasard a tout fait. Mais si Moïse ne nous
proportionne à la faiblesse de notre infolligen<'e eût instruits avec tant de condescendance et de
en disant que Dieu vit que la lumière était netteté que n'eussent point osé ceux qui ont
,

bonne. la hardiesse d'avancer de semblables proposi-


Et Dieu divisa la lumière d'avec les ténèbres; tions, et de tenir une conduite si prêjutliciablo
et il appela la lumière, jour, et les ténèbres, à leur salut !

nuit. 11 leur manjua ainsi un temps délcrininé, l. Et, en effet, n'est-ce pasle comble du mal-

et dès le commencement il fixa à la lunnèrc et heur, comme de la folie, que d'affirmer que le
aux ténèbres les limites (ju'o'lcs ne devaient hasard a tout fait et (jue la Providence divine
jamais franchir. en ellet d'un i-.u de
Il suffit est étrangère à la création? Car peut-on rai-
bon sens pour se convaincre que depuis ce sonnablement admettre, je vous le demande,
moment jus(|u'aMJ()urd*lnii, la luniière n'a (joe le hasard ait produit ce vaste univers avec
point dépassé les bornes (jue Dieu lui a mar- sa brillante décoration, et qu'il la conserve et
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — TROISIÈME HOMÉLIE. 15

la régisse ? Un vaisseau sans pilote ne traverse en sorte qu'on leur soit utile et ([u'on les ra-
point les flots, une armée ne fait rien de grand mène dans les sentiers de la vérité. Mais vou-
et d'éclatant sans un général , une famille lez-vous connaître combien il nous est avanta-
ne s'administre point sans un chef et l'on : geux de sauver nos frères en nous sauvant
voudrait que ce vaste univers, et l'ensemble nous-mêmes? écoutez ces paroles qu'un pro-
des éléments qu'il renferme, se soient produits phète nous adresse au nom du Seigneur Si :

fortuitement 1 Mais ce serait nier l'existence vous séparez ce qui est précieux de ce qui est
d'un Etre supérieur qui a tout créé par sa vil, vous serez comme ma bouche (Jér. xv, 19) ;

puissance, de même q-i'il maintient et dirige c'est comme si Dieu disait : Celui (jui fait con-
tout par sa sagesse au reste, est-il besoin de
; naître la vérité à son prochain, ou qui le ra-

nouveaux arguments pour prouver à ces aveu- mène du vice à la vertu, m'imite autant qu'il
gles des vérités «jui sautent aux yeux? Cepen- est possible à la nature humaine. Et en effet, le

dant je ne négligerai point de leur proposer Verbe éternel , tout Dieu qu'il est, a pris notre
l'explication de nos saints livres et j'y em- , nature et s'est fait homme pour nous sauver;
ploierai même tous mes soins, afin de les arra- mais ce n'est pas dire assez que d'affirmer
cher à leurs erreurs et lès ramener à la vérité. qu'il a pris notre nature et qu'il s'est soumis à
Car, malgré leur égarement, ils sont nos frères, toutes les infirmités de notre condition, puis-
et à ce titre ils ont droit à toute notre sollici- qu'il a même souffert le supplice de la croix,
tude. C'est pourquoi je m'appliquerai avec afin de nous racheter de la malédiction du pé-
zèle et selon mes forces à leur présenter de sa- ché. Jésus-Christ, dit l'Apôtre, nous a rachetés
lutaires remèdes : et peut-être un jour revien- de la malédiction de la loi , s' étant rendu lui-
dront-ils à laRien en effet
saine doctrine. même malédiction. (Gai. m, 13.) Mais si un
n'est plus cher à Dieu que le salut des âmes. Dieu quoique impassible en son essence, n'a
,

// veiit, comme l'Apôtre nous l'assure, que point dédaigné, dans son ineffable bonté, de
tous les hommes soient sauvés, et qu'ils vien- tant souffrir pour notre salut que ne devons- ,

nent tous à la co7inaissance de la vérité. (I Tim. nous pas faire à l'égard de ceux qui sont nos
II, 4.) Et le Seigneur lui-même nous dit : Je ne frères et nos membres , afin de les arracher de
veux pas lamort du pécheur, mais qu'il se la gueule du démon et de les ramener en la
convertisse et qu'il vive. (Ezéch. xxviii, 23.) H voie de la vertu? Car, puisque l'âme est bien
n'a donc créé l'univers qu'en vue de notre sa- supérieure au corps, l'aumône corporelle, qui
lut; et il nous a fait naître, non pour nous distribue nos richesses aux pauvres est moins ,

perdre et nous précipiter dans les supplices de excellente que l'aumône spirituelle qui, par de
mais pour nous sauver, nous délivrer
l'enfer, salutaires avis et de continuelles exhortations
et nous rendre participants de son
de l'erreur remet dans le bon chemin les âmes tièdes
royaume. C'est ce royaume qu'il nous a destiné et paresseuses en leur faisant connaître la dif-
longtemps avant notre naissance et avant , formité du vice et l'admirable beauté de la
même qu'il eût jeté les fondements du monde, vertu.
comme Jésus-Christ nous l'apprend par ces 5. Fortement convaincus de ces vérités, pla-
paroles : Venez, les bénis de mon Père, possédez çons le salut de notre âme au-dessus de tous
le royaume qui vous a été préparé avant la les intérêts de la vie, et cherchons à exciter
création du monde. (Matth. xxv, 34.) Oh! com- dans nos frères une égale sollicitude. Car, que
bien est grande la bonté du Seigneur il n'a- 1 pouvons-nous souhaiter de plus désirable que
vait pas encore créé le monde ni formé de retirer une âme, par nos fréquentes exhor-
l'homme que déjà il nous préi)arait les biens tations, de cet abîme de maux oii nous sommes
infinis du ciel. Pouvait-il mieux montrer ses tous plongés, et de lui enseigner à réprimer
soins à l'égard de l'homme, et son désir de ces passions tumultueuses qui nous agitent
notre salut. incessamment. C'est pourquoi nous avons be-
Mais puisque nous avons un Maître si plein soin d'être toujours sur nos gardes, parce qu'il
de miséricorde, de bonté et de douceur, tra- nous faut soutenir une guerre qui n'admet ni
vaillons à sauver et notre âme et celles de nos trêve, ni relâche. Aussi l'Apôtre écrivait-il aux
frères car une voie facile et assurée de salut
; Ephésiens Nous avons à combattre non cotitre
:

est de ne point concentrer sur soi-même toute la chair et le sang, mais contre les princi-
sa sollicitude, et de l'étendre jusqu'à ses frères, pautés, contre les puissances, contre les princes
46 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

de ce monde de ténèbres, contre les esprits de nemi. Quels sont donc ces traits de Satan? Ce
malice répandus dans l'air. (Eph. vi, 12.) C'est sont les désirs mauvais, les pensées impures,
comme s'il nous disait ne vous persuadez
: et les affections déréglées; l'emportement,
point que vous n'ayez à livrer que de légers l'envie, la jalousie, la colère, la haine, l'ava-
combats. Nos adversaires ne sont point de rice et tous les vices. Le glaive de l'esprit, dit

même nature que nous, et il n'y a point égalité l'Apôtre ,


peut éteindre les feux de ces di-
entre les combattants. Nous qui sommes appe- verses passions, et même trancher la tête à
santis par le poids du corps, nous devons en- notre ennemi. C'est ainsi qu'il fortifie ses dis-
trer en lice et nous mesurer contre des puis- ciples, et qu'il rend plus durs que le fer des
sances spirituelles. Mais ne craignez point, hommes qui étaient plus mous que la cire.

car quoique la lutte soit inégale, nos armes Et parce que nous n'avons pas à combattre
ne laissent pas d'être fortes et puissantes. Et contre la chair et le sang, mais contre des
maintenant que vous connaissez, conlinue-t-il, puissances spirituelles, il ne nous revêt point
le génie et le caractère de vos ennemis, ne d'une armure matérielle, et nous remet entre
perdez point courage, et n'engagez point lâ- lesmains des armes spirituelles et flamboyantes,
chement combat
le mais revêtez-vous de
: en sorte que le démon ne puisse même en
toutes les armes de Dieu, pour pouvoir vous supporter l'éclat.

défendre des embûches du démon. (Eph. vi, \ 1 .) 6. Revêtus de telles armes, nous ne devons
Cet ennemi implacable multiplie ses ruses, ni craindre ses attaques, ni fuir sa rencontre,
c'est-à-dire les moyens qu'il emploie pour sur- ni le combattre lâchement. La vigilance chré-
prendre les chrétiens négligents. Il nous im- tienne ne permet point à l'esprit mauvais de
porte donc beaucoup de les connaître afin résister à la force de nos armes, et elle dé-

d'écliapper à ses coups, et de ne point lui concerte toutes ses ruses. Mais nous étions
si

donner entrée dans nos cœurs. C'est pourquoi lâches et timides, ces mêmes armes nous de-
nous devons veiller avec soin sur notre lan- viendraient inutiles, car l'ennemi de notre
gue captiver nos regards
,
purifier notre il n'épargne rien pour
salut ne dort jamais, et
,

âme, et toujours nous tenir prêts à combattre, nous perdre. Soyons donc toujours sous les
comme si une bête féroce nous attacjuait, et armes, et abstenons-nous des paroles, non
cherchait à nous dévorer. Aussi saint Paul, moins que des actions qui blesseraient notre
cet homme
apostolique, ce docteur des na- conscience. Joignons aussi à l'exercice de
tions, cet oracle de l'univers n'omet-il rien l'abstinence la pratique de toutes les vertus, et
pour le salut de ses disciples. Après leur avoir spéci;ilement de la charité envers les pauvres,
dit : Hevêtez-vous de toutes les armes de Dieu; n'ignorant point quelles grandes récompiMiscs
il poursuit ainsi pour achever de les rendre sont attachées à l'aumc)ne. Car celui qui donne
invincibles. Sotjcz donc fermes que la véiité: au pauvre prête au Seigneur. (Prov. xix, 17.)
soit la ceinture de vos reins; que la justice Et voyez connue ce genre de \)rèl est extraor-
soit votre cuirasse ; et que vos pieds aient une dinaire et admirable L'un reçoit et un autre se
!

chaussure qui vous dispose à sidvre l'Evanr/ile porte garant et caution. Bien plus, et cette
de la paix. Servez-vous surtout du bouclier de considération est importante, nous n'avons ici à
la foi, afin de pouvoir éteindre tous les traits craindre niun défaut de reconnaissance, ni perte
enflammés de l'esprit mauvais et prenez , aucune. Et en elTet, on ne nous assure pas seule-
encore le casque du salut, et l'épée spirituelle, ment sur la terre le centième, mais le centuple,
qidest la parole de Dieu. (Fph. vi, 14, 17.) et après la mort, la vie éternelle. Si quelqu'un
Vous voyez donc connue l'Apùfre nous revêt nous promettait aujourd'hui de nous rendre
d'une armure complèle, ainsi (^uo dos soldats le double de notre argent, nous lui oflVirions

qui s'avancent au combat. H veut d'abord que notre fortune entière, quoique bien souvent
nos reins soient ceints pour (jue nous soyons l'on ne rencontre que des ingrats, ou des dé-

plus disposés à courir, el il nous couvre en- biteurs (le mauvaise foi. Plusieurs en effet qui
suite d'une cuirasse, afin de nous protéger passent pour des gens probes et honnêtes,
contre les trails de notre ennemi. II munit manquent à leurs engagements ou par malice,
même nos pieds, et surtout il nous arme de la ou par impuissance. Mais avec Dieu il n'y a
foi connue d'un bouclier (jui puisse repousser rien à craindre le capital est eu sûreté entre
:

et éteindre les trails enllammes de notre en- ses mains; et quant aux intérêts, il nous donne
HOMÉLIES SUU LA GENÈSE. — QUATRIÈME HOMÉLIE. it

le centuple dès cette vie, et nous réserve après l'expérience de la vie, ni les promesses solen-
la mort bonheur du ciel. Quelle serait donc
le nelles de Dieu, ni la crainte d'un avenir mal-
notre excuse, si une coup.ible négligence nous heureux, ni mes exhortations de chaque jour
empêchait de faire fruclitier notre argent au ne peuvent les ébranler. Et néanmoins, je ne
centuple, et d'échanger quelques biens pré- cesserai point de les poursuivre de mes re-
sents et périssables contre les richesses futures proches jusqu'à ce qu'enfin l'importunité de
et immuables de Tétcrnité Mais on conserve ! mes triomphent de leur dureté. Puissô-je
avis
tranquillement son or sous une double clé; et donc les amener à
la pratique sincère de l'abs-
il repose inutilement dans nos coffres-forts, tinence, et dissiper ainsi les ténèbres dont les
tandis que si nous en faisions part aux pau- offusijucnt l'abondance des viandes, le vin et
vres, nous assurerait leur concours pour la
il l'avarice! J'espère en effet, oui, j'espère que ma
vie future. Employez^ dit Jésus-Christ, les ri- parole, vivifiée par la grâce divine et l'exer-
chesses injustes à vous faire des amis, afin que cice du jeûne les guériront enfin de cette dan-
quand vous viendrez à manquer, ils vous re- gereuse maladie, et les rendront à une parfaite
çoivent dans les tabernacles éternels. (Luc, santé. Ils n'auront donc plus à redouter les
XVI, 9.) menaces des feux éternels, et nous-mcme, dé-
Cependant, je le sais, plusieurs, loin de se livré de toute inquiétude, nous glorifierons en
rendre à mes instances, traitent mes paroles leur nom Dieu le Père, le Fils et le Saint-Es-
de fables et de rêveries, et ils n'y donnent au- prit, maintenant, toujours, et dans les siècles
cune attention. C'est ce qui m'afflige et me des siècles. Ainsi soit-il.
coutriste profondément : car je vois que ni

QUATRIÈME HOMÉLIE.

Difiu dit aussi : < Que le firmament soit fait au milieu des eaux ; et qu'il sépare les eaux d'avec les eaux »
et cela se fit ainsi. (Gen, I, 6.)

ANALYSE.

. Joie de l'orateur en voyant le concours et l'empressement deses auditeurs. — Il peut donc espérer que ses instructions produi-
ront des fruils abondants, et d'avance il en rapporte tout riiouneur à l'heureuse eflicacilé du jeûne. — 2. C'est ainsi par la force
des armes spirituelles dont nous revêt l'tlsprit Saint que nous vaiucrous le démon, soyous donc toujours munis de cesairaes.
3.4. L'orateur poursuit ensuite sone.\plioation de l'œuvre des six jours, et après avoir montré la puissance de Dieu dans la création
du firmament, il évite de rien décider sur la nature de ce corps, et enga[;e les auditeurs à se contenter de ce
que l'Ecriture nous
en apprend. — Le nom de ciel donné au firmament le conduit à réfuter l'opinion de la pluralité des cieux, et il montre que
dans les psaumes celte expression les cieux des cieux, doit être interprétée selon le géuie de la langue hébraïque qui admet le
pluriel pour le singulier. —
5. Il s'étend beaucoup sur la beauté du firmament, sa vaste étendue, et son admirable utihté. —
G. 7. 8. Cette description lui fournit le sujet de diverses moralités, et il termine par une vive exhortation au jeune et à l'amour
des ennemis.

1. En voyant croître chaque jour, mes très- vertu. Car si un bon appétit est le signe d'une
chers frères, votre concours et votre empresse- bonne santé, le zèle et l'ardeur pour entendre la
ment, je suis pénétré de joie, et je ne cesse de parole sainte est la marque infaillible d'une
remercier le Seigneur de vos progrès en la âme pieuse. C'est pourquoi Jésus-Christ, dans le
S. J. Cu. — TciiE V.
18 TPu\DUCT10N FRANÇAISE DE SAINT JEAN GHRYSOSTO.ME.

srrmon de la montagne, et l'énumération des Sage a dit : Heureux celui qui parle à des
béatitudes, proclame Heureux, ceux qui ont
: hommes qui l'écoutent! (Eccli. xxv, 12.) Mais
faim et soif de la justice^ parce qu'ils seront j'en réfère tout l'honneur au jeûne ; et si dès
rassasiés. (Matth. v, 6.) Qui peut donc vous les pnmiers jours il produit de tels fruits dans
louer dignement, a'ous que le Seigneur a dé- nos âmes, quelle ne sera pas, dans le cours de
clarés bienheureux, et qui en attendez encore la saintequarantaine, sa divine efficacité Je !

les plus riches faveurs? Car tel est notre di\in ne vous demande donc qu'une seule chose:
Maître. Lorsqu'il trouve une âme qui se porte c'est d
opérer votre salut avec crainte et trem-
vers les biens spirituels avec un violent désir, blement (Phil. II, 12), et de ne donner aucun
et une vive ardeur, il l'enrichit libéralement accès à l'ennemi de vos âmes. Il écume de rage

de ses grâces et de ses dons. J'espère aussi qu'il et de fureur à la vue de vos richesses spiri-
m'accordera pour votre avantage et votre édi- tuelles, et comme un lion rugissant, il tourne
fication une parole plus facile et plus abon- autour de vous, cherchant quelqu'un à dévorer.
dante. C'est pour vous, et pour votre avan- (1 Pierre, v, 8.) Mais si nous sommes sur nos
cement spirituel que j'ai entrepris ce travail, gardes, il ne pourra, par la grâce de Dieu,
afin que vous arriviez proniptement au faite nuire à personne.
des vertus chrétiennes. Vous deviendrez alors 2. Et en effet l'armure dont nous revêt
au sein de la famille et de l'amitié les prédi- l'Esprit-Saint, comme je vous le disais hier, est
cateurs des saintes maximes ; et nous-même, véritablement une armure in% incible, et si
nous vous parlerons avec plus de confiance, en nous avons soin de toujours nous en couvrir,
voyant que nos labeurs ne sont point vains, ni aucun des traits de notre ennemi ne pourra
stériles. Chaque jour la semence spirituelle nous atti indre. Ils retomberont sur lui, sans
croîten vos cœurs; et je suis bien plus heureux nous frapper. Car la grâce divine nous rend
que le semeur de la parabole évangélique. 11 plus solides que le diamant , et même si .

perdit les deux tiers de son grain dont une nous le voulons entièrement invulnérables.
,

partie seule fructifia : car celui qui tomba sur Celui qui frappe un diamant ne l'ébrèche
le grand chemin ne germa point, celui qui point et ne fait que se fatiguer et s'épuiser lui-
tomba parmi les épines fut éloulle, et celui même. Le coursier (jui résiste àl'éperon se met
qui, jeté sur la pierre, demeura sur la super- les flancs tout en sang et c'est ce qui arrive à
;

ficie du ne produisit aucun fmit. (Matth.


sol l'égard de l'ennemi de notre salut, lorsque
xiii, 4-7.) Ici au contraire, j'espère que la se- nous sonmies toujours couverts des armes que
mence de la parole sainte sera reçue dans une nous otTre la grâce de fE^prit-Saint. Leur
terre bien préparée, et que, par le secours de vertu est si grande que le démon ne saurait
la grâce, elle produira dans les uns cent pour en soutenir l'éclat, et que ses yeux en sont tout
un, dans les autres, soixante ou trente.
et éblouis. Soyons donc toujours mimis de ces
Cette espérance ranime mon ardeur, et excite armes, et nous pourrons paraître avec sécurité
mon zèle car je sais que je ne parle point
: dans la place publique, ou au milieu de nos
inutilement, et que vous me prêtez une oreille amis, et vaquer à nos ditVérentes occupations.
attentive, et de bienveillantes dispositions. Ce Mais que parlé-je de la place publique? C'est
langage n'est point en ma bouche celui de la revêtus de ces armes cjue nous devons venir à
flatterie et il exprime seulement la joie
; l'église, et retourner dans nos maisons. Bien
qu'hier mon discours parut vous causer. Je vous plus, nous ne devons les quitter, durant toute la

voyais en effet comme suspendus à mes lèvres, vie, ni le jour, ni la miit; car ellessontles com-
et soigneux de ne perdre aucune de mes paro- pagnes de notre voyage, nous aideront puis-
et

les. Bien plus, vos continuels applaudissements samment à atteindre notre destinée. Elles ne
me i)rouvaienl assez (|uevouslesaccueilIiez avec surchargent point le corps comme une armure
Une véritable satisfaition. Or un liiscours qui maliMiellc, mais elles le rendent plus dispos,
est écouté avec plaisir fait en nous une pro- plus agile et plus robuste. Seulement ayons
fonde impression. 11 se grave au plus intime soin de les tenir nettes et brillantes, afin que
de la mémoire; et celle-ci en ganle un impé- leur éclat éblouisse les yeux de nos ennemis,
rissable souvenir. Oui pourrait donc et vous qui emploioii' mille moyens pour nous perdre.
louer dignemetil et assez nous féliciter nous-
, Mais c'est assez parler de cette armure spiri-
inéiiie de votre bienveillante attention ? Car le tuelle, et il convieut maintenant do vous servir
HOMÉLIES SUU LA GENÈSE. — QUATRIÈME HOMÉLIE. 19

Ir loslin accoutumé. Reprenons donc le récit Mais enfin qu'est-ce que le firmament? Dirons-
(!.' la création à roiidroitoii nous Tavons laissé nous qu'il eau condensée, un air
est luie
liier, et, sous la conduite de Moïse, notre saint élendu, ou quelque autre élément? Nul honnne
prophète, asseyons-nous à la table dune bonne prudent n'oserait l'al'iirmer et il nous con- :

et solide doctrine. Voyons donc ce qu'il veut vient de recevoir les paroles de l'Ecriture avuc
aujourd'hui nous apprendre, et protons à ees une humble reconnaissance, sans franchir les
paroles une oreille attentive. Car il ne parle bornes naturelles de notre savoir, ni approfon-
point de lui-même, et il n'est que l'orj^ane de dir des mystères qui surpassent notre intelli-
lEsprit-Saint (|ui par sa bouche instruit tous gence. Il nous suffit donc de savoir et de croire

les hommes. Après nous a\oir donc raconté la que Dieu, par sa parole, a créé le firmament
création de la lumièie, il a terminé l'œuvre du pour séparer les eaux, et qu'enéclivement les
prenùer jour en disant que du soir et du matin unes sont au-dessus et les autres au-dessous.
se lit le premier jour. Puis il a ajouté Et :
Et Dieu appela le firmament, ciel. Considé-
Dieu dit : que le firmmneut soit fait au milieu rez l;i suite et renchaînemeut de l'Ecriture.
des eaux, et qu'il divise les eaux d'avec les Hier elle s'exprimait ainsi : Que la lumière
eaux. Considérez ici, mes frères, la suite et soit, et la lumière fut ; et Dieu sépara la lu-
renchaînemeut de celte doctrine. Moïse nous a mière d'avec les ténèôres, et il ajtpela la lu-
d'abord révélé la création du ciel et de la mière, jour. Aujourd'hui elle nous dit que le
terre; il nous a appris ensuite que celle-ci firmament a au milieu des eaux; et de
été fait
était invisible et informe, et il nous en donne môme qu'elle nous a révélé l'usage de la lu-
la raison. C'est qu'elle était couverte par les mière, elle nous apprend ici celui du firma-
ténèbres et les eaux, car il n'y avait encore ment. Qu'il sépare, dit-elle, les eaux d'avec les
que les eaux et les ténèbres. Alors la lumière eaux. Enfin comme Dieu, après avoir déclaré
se produisitau commandement du Seigneur, le but et les fonctions de la lumière, lui avait
qui sépara des ténèbres, et qui appela la
la donné un nom, il en donne également un au
lumière, jour, et les ténèbres, nuit. Et main- firmament. Et Dieu appela le firmament, ciel,
tenant Moïse nous enseigne que de même que c'est-à-dire cette voûte éthérée que nous
le Seigneur, après avoir créé la lumière, lavait voyons. Comment donc quelques-uns, direz-
séparée des ténèbres, et les avait distinguées vous, peuveni-ils soutenir que plusieurs deux
par un nom spécial, il ordonne ici que les ont été créés? certes, une telle doctrine ne re-
eaux soient divisées. pose point sur TEcriture, elle n'existe (juc
Mais voyez combien est grande la puis-
3. dans leur imagination. Car Moïse ne nous ap-
sance divine, et combien elle surpasse toute prend que ce que nous venons de dire il nous ;

intelligencehumaine Dieu commande et 1 , a dit d'abord : Qu'au commenceriient Dieu


soudain un élément nouveau se produit et un créa le ciel et la ?e;re, etque la terre était invi-
autre se retire... Dieu dit: que le firmament
iE"^ sible,parce qu'elle était cachée sous les ténè-
soit fait au milieu des eaux, et qu'il divise les bres et les eaux. H nous a ensuite raconté la
eaux d'avec les eaux. Qu'est-ce donc que cette création de la lumière; et puis la suite du ré-
parole : Que le firmament soit fait? C'est à cit l'amenait à nous parler du firmament. Et
peu près comme si nous disions dans notre Dieu dit : que le firmament soit. Mais à quel
langage qu'un mur soit établi entre deux
: usage est-il destiné? c'est ce que Moïse a soin
éléments pour leur servir de séparation. Et de nous apprendre, en disant Qu'il sépare les :

afin de nous faire mieux comprendre et eaux d'avec les eaux. Enfin il nous fait con-
la prompte obéissance des éléments et le , naître que ce même firmament qui séparait
souverain pouvoir du Seigneur, Moïse ajoute les eaux, fut appelé ciel. Qui pourrait donc,
immédiatement : Et il fut fait ainsi. Dieu après une explication si claire et si lucide,
parla et l'œuvre fut achevée... Dieu fit le fir- supporter ces es[)rits qui parlent d'eux-mêmes,
mament, et sépara les eaux qui étaient sous le et qui contre l'autorité de l'Ecriture, soutien-
firmament de celles qui étaient au-dessus du nentla pluralité des cieux? mais ils objectent
firmament. Après donc que Dieu eut créé le que le saint prophète David a dit dans ses
firmament, il ordonna qu'une moitié des psaumes Louez le Seigneur, cieux des cieux.
:

eaux resterait sous le tirmainent, et que l'au- (Ps. cxLVUi, 4.) Eh bien ne vous troublez
!

tre moitié demeurerait suspendue au-dessus. point, mes frères, et ne croyez poiut que TE-
20 TRADLCTlOiN FRANÇAISE DE SALNT JEAN CHKYSOSIOUE.

criture se contredise jamais. Tout au contraire Mais revenons, s'il vous plaît, à notre sujet.
reconnaissez sa véracité, attachez-vous à sa Et Dieu appela le firmament^ ciel ; et il vit que
doctrine, et fermez l'oreille aux cris de l'er- cela était bon ; observez comme Moïse se pro-
reur. portionna à notre faiblesse. a dit de la lu- Il

4. Ecoutez donc avec beaucoup d'attention mière : et Dieu bonne; et main-


vit qu'elle était
ce que je vais vous dire, et ne vous laissez tenant il dit du firmament ou du ciel, et Dieu
point facilement ébranler par ceux qui vous vit qu'il était bon. Cette parole nous donne
débitent toutes leurs rêveries. Tous les livres une juste idée de sa beauté : et n'y a-t-il oas
sacrés de l'Ancien Testament ont été originai- lieu de s'étonner que depuis tant de siècles, n
rement composés en hébreu, personne ne le la conserve dans tout son éclat? il seraole
contredit. Or, quelques années avant la nais- même qu'elle augmente avec le cours des
sance de Jésus-Christ, Ptolémée, cu-
le roi années. Au reste, quelle n'est point la splen-
rieux de révmir une riche bibliothèque, voulut deur du firmament, puisque Dieu lui-même
joindre nos Livres saints à tous ceux de divers l'aloué Quand on nous présente quelque
!

genres qu'il avait déjà rassemblés. C'est pour- chef-d'œuvre de l'art, une statue, par exemple,
quoi il fit venir de Jérusalem quelques juifs nous en admirons les traits, la pose, la délica-
pour les traduire en grec, ce qu'ils exécutèrent tesse, les proportions, l'élégance et les autres
heureusement. Et voilà comment il arriva, qualités, mais qui pourrait célébrer dignement
par une disposition particulière de la Provi- les œuvres de Dieu, surtout lorsqu'il les a lui-
dence, que non-seulement ceux qui enten- même louées? Moïse ne s'exprime donc ainsi
daient l'hébreu, mais généralement tous les que par condescendance pour notre faiblesse ;

j)euples, |)urent profiter de nos saints Livres. et il répète le même éloge après chaque créa-
N'csl-il pas aussi bien surprenant que ce des- tion partielle, afin de réfuter par avance ceux
sein ail été conçu par un prince idolâtre, et qui, dans le cours des siècles, devaient critiquer
qui, loin de suivre la religion des Juifs, obser- l'œuvre divine, et aiguivint leur langue, dé-
vait un culte tout opposé? Mais c'est ainsi que ni mder pourquoi le Seigneur a fait telle et telle

leSeigneur dispose toutes choses, afin que les créature. 11 les jirévient et les confond par
ennemis de la vérité soient les premiers à la cette seule parole : et Dieu vit que cela était
faire éclater. bon. Mais lorsqu'on vous dit que Dieu vit et
Au reste cette digression historique était loua son ouvra ij e , il faut entendre qu'il l'a

nécessaire pour vous rappeler que l'Ancien loué d'une manière digne de Car Celui quilui.

Testament n'a pas été écrit en grec, mais en a créé le ciel, en connaissait la beauté avant
hébreu. Or les hébraïsants les plus distingués que de le produire; et néanmoins, parce que
nous apitrennent que dans cette langue on em- nous autres houunes, noussonuuessi pou intel-
ploie toujours le mot ciel au pluriel. Les doc- ligents, que nous ne saurioi s omprendre
teurs syriens en conviennent eux-mêmes; et autrement les choses, il a proportionné les pa-
ainsi un hébraïsant ne dira jamais le ciel, mais roles de Moïse à notre fail)lesse, et lui a ins|)iré
lescieux. Le psalniistea donc eu raison île dire pour notre instruction ce langage imparfait et
les deux des deux. Et ce n'est point (pi'il y ait grossier.
plusieurs cieux, car Moïse ne vous le dit pas ;
5. Quand vous élevez donc vos regards vers
mais c'est le génie de la langue hébraïque qui les cieux et magni-
que vous en conti'mi>lez la
emploie le singulier pour le pluriel. ficence , remontez
l'étendue et la beauté ,

S'il y avait en ell'et plusieurs cieux, l'Esprit- jusqu'au Créateur, selon ce que dit le Sage
Sainl nous en aurait ap|)ris par Moïse l'exis- que la grandeur et la beauté de la créature
tence et la formation. Uctonez avec soin cette peut faire connaître, et rendre en quelque sorte
observation, afin (pie vous puissiez fermer la visible le Créateur. (Sag. xix. 5.) Com|)renez
Louche à tous ceux qui avancent des doiimes aussi, parla création de tant d'éléments divers,
contraires à renseignement de l'Eglise, et que quelle est la puissance de votre Maître. Et en
vous demeuriez convaincus de la véracité de elVet si l'iionmie \oulailappliquer son intelli-
nos saintes Eciitures. Car vous ne vous réunis- gence a l'étude de chacune des merveilles de
sez ici fréquemment, et nous ne vous faisons la nature, ou même s'il se bornait à l'examen
d'amples instructions que pour vous mettre en de sa proi>re formation, il ne lui en faudrait \k><
état de rcmhv raison de wriro foi. (1 Ptftv. ni. 15.) davanlaije poiu' proclamei- l'ineftable et in;
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — QUATRIÈME HOMÉLIE.

mense puissance du Seigneur. Mais dès lors du unique de Dieu, et rabaisser, autnt
Fils

que les créatures visibles célèbrent ainsi la qu'il esten vous, la dignité de l'Esprit Saint?
grandeur et la puissance du Créateur, que Voyez donc, mes chers frères, combien il
sera-ce quand vous vous élèverez juscju^aux est m.illnîureux de ne pas s'altaehei' au vrai

créatures invisibles? Oui, atteif^nez par la pen- sens des saintes Ecritures! Eten elîet, si ces hé-
sée les plialanj,^es célestes, les anges et les ar- rétiques avaient reçu leur divin enseignement
changes, les vertus et les trônes, les domina- avec un esprit droit et un cœur bon , ils ne se
tions et les principautés, les puissances, les fussent point ainsi égarés dans leurs propres
chérubins et les séraphins, et dites-moi ((uel raisonnements, et jamais ils ne lussent tom-
génie, et quelle langue pourraient expliquer bés dans cette extrême folie. Cependant nous
l'inctliblo magnilicence des œuvres du Sei- ne cesserons de leur opposer les lémoi^aiages
gneur !
de nos livres saints, ni de fermer l'oreille à
Le saint prophète David s'écriait, à la vue des leurs funestes doctrines.
merveilles de la création : ô Dieu, que vos 6. Je ne sais conunent l'impétuosité de la
œuvres sont maç/nifiques ! vous avez tout pensée et de la parole m'a entraîné bien loin
accompli avec sagesse. (Ps. c, 2i.) Mais si ce de mon sujet : je me hâte donc d'y revenir.
prophète, rempli du Saint-Esprit qui lui révélait Et Dieu, dit Moïse, appela le firmament, ciel
les mystères de la Sagesse éternelle, faisait en- et Dieu vit que cela était bon ; et du soir et du

tendre ces accents d'admiration, que dirons- matin se fît le second jour. Ainsi après que
nous, nous qui ne sommes que cendre et pous- Dieu eut donné un nom au firmament et qu'il
sière 1 Nous ne pouvons que tenir nos regards eut approuvé son ouvrage, il termina le se-
humblement abaissés, et noire esprit conti- cond jour de la création, et il dit Et du soir :

nuellement ravi des ineffables bontés du Sei- et du matin se fit le second jour. Remarquez
gneur. Et maintenant, après le Psalmiste, écou- ici quelle précision Moïse met dans son ensei-

tons le bienheureux Paul. Cet apôtre, élevé gnement. Il nomme soir la fin du jour, et
dans un corps mortel jusqu'au plus haut des matin, la fin de la nuit, puis il appelle jour

cieux, et qui sur la terre rivalisait d'amour la durée comprise entre l'une et l'autre en ;

avec les es[)rits angéliqnes, parcourant un jour sorte qu'il prévient toute erreur et ne nous
avec la vive ardeur de l'esprit la vaste étendue permet pas de considérer le soir comme la fin
des cieux, s'arrêta sur les secrets de la prédes- du jour, car nous savons manifestement que
tination divine. Il s'agissait des juifs et des le jour se com|)ose du soir et du matin. Ainsi
gentils, dont les uns ont été rejetés et les autres l'on parle exactement en disant que le soir est
substitwés en leur place; et comme il hésitait, la disparition de la lumière, le matin celle de
et que su vue se troublait, il s'écria :profon- la nuit, et que la durée de l'une et de l'autre

deur des trésors de la sagesse et de la science de forme le jour. C'est ce que l'Ecriture a voulu
Dieu! que ses jugemeyils sont incom})réhcn- nous faire entendre par ces mots Et du soir :

sibles ^ et ses voies impénétrables ! (Ilom. ii^ et du matin se fit le second jour.

33.) Je me suis peut-être plus étendu que je ne


Mais ici j'interrogerais volontiers ceux qui voulais, et je me suis kiissé entraîner par le
veulent curieusement approfondir la généra- flot des idées, comme l'on est quelquefois em-
tion du Verbe, ou qui tentent de diminuer la porté par le courant d'un fleuve. Vous en êtes

dignité de l'Esprit-Saint, et je leur dirais: d'où la cause, vous qui nous écoutez avec tant de
vous vient cette audacieuse témérité, et qui de plaisir. Car rien n'excite plus un orateur
peut vous inspirer cette extravagante folie? et ne féconde mieux sa pensée que la joie et
Car si Paul, avec tout son génie et ses lumières, l'empressement de ses auditeurs. Au contraire
jléclarait que les jugements du Seigneur, c'est- quand ils sont froids et indifférents, ils frap-
à-dire l'ordre et l'économie de sa providence, pent de stérilité la bouche la plus éloquente.
sont impénétrables et incompréhensibles, en C'est pourquoi je vous Fends ce témoignage,
sorte que nul ne doit se permettre de les appro- que, par la gTcàce de Dieu, lors même que j«

fondir; et s'il proclame que ses voies, c'est- serais plus muet qu'une pierre, vous me for-
à-dire ses commandements et ses préceptes, se ceriez à secouer cette léthargie et à dissiper
dérobent à toutes nos recherches, comment cette somnolence, pour vous adresser des pa-
osez-vous discourir curi«usem«ntsur la nature roles qui vous convi^nent et qui soient pro-
22 TRADUCTION FRANTAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

près à vous édifier. Mais puisque vous oies si et que nul ne médite dans soii cœur le mal
bien disposes et Dieu mèine, qu3
si éclairés de contre son frère. (Zach. vu, 5, 6... 9, 10.)
vous pouvez, selon la pensée de l'Apôlre^ ins- Mais si le j une seul ne servait de rien aux
truire les autres, je vous conjure de travailler Juifs qui étaient assis à l'ombre de la mort et
à la sanctification de vos âmes, prii cii/altmeut plongés dans les ténèbres de l'erreur, parce
pendant ces jours de jeûne. Et ;Jors vous ne qu'ils n'y joignaient pas la pratique des bonnes
vous lasFcrez point de m'entendre traiter sou- œuvres et qu'ils n'arrachaient point de leurs
vent les mêmes sujets car, selon le mot de
: cœurs les pen-ies mauvaises contre leurs
saint Paul, 2? ?ie m'est pas pénible^ et il vous frères, quelle excuse pourrons-nous alléguer,
est avantageux que je vous dise les mêmes cho- nous qui sommes appelés à une vertu bien
ses. (Philip, ni, 1.) Notre àme, qui est naturel- plus sublime, nous qui devons et pardonner
lement paresseuse, a besoin d'être sans cesse à nos ennemis et les aimer et leur faire du
excitée ; et de même que nous nourrissons bien? Que dis-je? ce n'est pas encore assez :

chaque jour notre corps, de peur que la fai- nous devons prier Dieu pour eux et lui recom-
bless ne le rende incapable de tout service,
: mander leur salut. Ces sentiments de charité
nous devons à notre âme une nourriture spiri- et de bienveillance à l'égard de nos ennemis
tuelle et une sage direction qui lui fasse con- seront notre principale défense au grand jour
tracter l'habitude de la vertu, qui la rende du jugement, et ils nous obtiendront la rémis-
victorieuse de ses ennemis et qui la préserve sion de nos péchés. Sans doute l'amour des
de leurs embûches. ennemis est un précepte grand et difficile ;

7. Appliipions - nous donc chaque jour à mais si nous considérons quelle récompense
exercer les forces de cette âme, et ne négligeons est attachée à son exacte observation, il nous
point l'examen de notre conscience. Tenons paraîtra léger, quelque ardu qu'il soit en lui-
comme un registre exact de ce que nous rece- même. Et en effet, que nous dit le Sauveur?
vons et de ce que nous dépensons : avons-nous Si vous faites cela, vous serez semblables â
toujours parlé utilement et à propos? ne nous votre Père qui est dans les deux ; et pour
est-il point au contraire échappé quelque pa- mieux nous manifester sa pensée, il ajoute :

role oiseuse, et nos entretiens ont-ils été utiles qui fait luire le soleil sur les bons et sur les
ou nuisibles? Il convient aussi de nous pres- méchants, et qui fait pleuvoir sur les justes et
crire là-dessus certaines règles et de nous fixer les injustes. (Malth. v, 45.) Ainsi en aimant ses

certaines limites, en sorte que toujours la ré- ennemis, on imite Dieu autant que la faiblesse
flexion précède en nous la parole. Quant à luunaine peut le permettre. Car de même qu'il
notre pensée elle-même, elle doit être si bien fait luire le soleil sur ceux qui commettent le

dirigée que jamais elle ne s'arrête sur le mal ;


mal non moins que sur les justes, et qu'il dis-

et s'il de s'échapper au dehors par


lui arrivait pense selon les saisons la pluie et la rosée sur
(pieUlues mots peu convenables, nous devons les champs de l'homme de bien et du méchant,
snr-le-champ les condamner connue inutiles TOUS, en aimant non-seulement ceux qui vous
et dangereux. Il imjiorle aussi de chasser i)ar aiment, mais vos ennemis eux-mêmes, vous
une bonne jjensée toute im|)ression mauvaise, vous montrez le digne émule du Seigneur.
(;td'être bien persuadés ({u'il ne suffit pas, pour Vous voyez donc (jue l'amour des ennemis
Hre sauvés, déjeuner juscju'au soir. VA en eiïct nous élève juscpiau faîte de la vertu. Mais ne
le Seigneur, par la bouche du prophète, adres- vous arrêtez pas mon cher frère, à ne consi-
,

sait ces rejtroches aux Juifs corrompus Quand : dérer que la difllculté du précepte réfléchis- ;

:otis avez jeûné le cinrjnicme et le scj>(/cnicn!0/s sez aussi à l'honneur qui vous en reviendra,
pendant soixante et dix ans, est-ce pour moi et cette pensée vous rendra léger tout ce

fjue vous avez accompli ce jeiine ? et quand qu'il renferme de lourd et de pénible. N'est-ce

vous avez manf/éet quand vous avez bu, n'est- pas une grâce insigne que de trouver, en fai-
ce pas pour vous que mus avez mangé et que sant du bien à son ennemi l'occasion de
,

vous avez bu ? Voici donc ce que dit le Sei- s'ouvrir vers Dieu les portes de la confiance,
gneur, le Dieu des armées; : Jugez selon la jus- etde racheter ses péchés? Mais peut-être vou-
tice, et usrz de clémence et do 7nisérico>de les lez-vous aujourtlhui vous venger de votre
uns envers les autres ; n opprimez point la enni mi et lui rendre avec usure le mal (pi il
,

vcuve^ ni l'orphelin^ niTéiranger, ni le pauvre, vous a fait ? eh bien 1 quelle utilité t.i relire-
no:.îÉLiE;s sur la genèse. - ûuatriéme iiomélïe. 23

rcz- vous ? Vous n'y gagnerez rien ; et quand des plus magnifiques récompenses, soit par la
TOUS paraîtrez devant le redoutable tribunal crainte des plus afl'reux sujiplices, si elle per-
votre jugement n'en devieiKlra(|ue plus rigou- sévère dans son ressentiment.
reux , parce que vous aurez méprisé et violé Le temps ne nous est point donné pour que
Its luis du Juge suprcnie. Dites-moi eneore: Si nous le perdions en des occupations inutile?
un roi imposait, sous peine de mort, l'amour et frivoles. Mais nous devons cha(|ue jour, et i
de> ennemis, tous, par la crainte seule du sup- chaque heure du jour, nous remettre sous le
plice, s'emjjresseraieutà obsciver eetle loi. yeux les jugements du Seigneur, afin de mieuî
Mais quels reproches ne mérite donc pas celui connaître ce qui alors nous donnera plus de
qui, disposé à tout entreprendre pour sauver confiance ou nous inspirera plus de crainte.
,

une vie que la nature (l( il iiiéviltblement lui Cette pratique et ces réfiexions nous aideront
arracher, néglige la pratique des préceptes beaucoup à dompter nos mauvaises inclina-
divins, quoiiju'ou le menace d'une mort qui tions, et à réprimer les mouvements de la con-
n'anra ni fin, ni consolation? cupiscence. Faisons mourir en nous comme,

8. M;iisj(Muoiib!ietn pailant ainsi à de? chré- parle l'Apôtre, les membres de l'homme terres-
tiens qui négligent envers leurs bienfaiteurs tre, la fornication, l'impiété, les passions
les devoirs mêmes de la reconnaissance. Qui déshowiêtes , les mauvais désirs l'avarice la
, ,

pourra doncnousgarantirdes suppliceséternels colère, la vaine gloire et l'envie. (Coloss. ni, 5.)
pnis(jue, loin d'aimer nos ennemis, nous en fai- mauvaises sont réellement mor-
Si ces affections
sons moins qucles])uh\ic'dïns. Si vous aimez, tes en nous, et si elles ne s'y font plus sentir,
dit Jésus-Christ,ceux qui vous aiment, quel nous mériterons de recevoirlesfruits de l'Esprit-
Lcspubli(ains ne le font-ils
effort faites-vous ? Saint, qui sont la charité la joie, la paix, la
,

pas aussi? (Matlh. v, 45.) Mais puisque nous patience, la bénignité , la bonté^ la foi, la dou-
n'allons pas même jusque-là, quelle espé- ceur et la chasteté. (Gai. v, 22.) Tel est le carac-
rance de salut i.ous reste encore? C'est t- il tère qui doit distinguer le chrétien de l'infidèle,
pouHjuoi je vous exhorte à vous montrer mi- et telles lesmarques qui doivent le faire recon-
séricordieux les uns envers les autres, à répri- naître. Ne nous parons donc pas d'un nom
mer toute pensée contrcdre à la charité, et à ne vide et stérile , et ne nous enflons point d'un
rivaliser entre vous (jue de bienveillance et vain orgueil, parce que nous étalons les appa-
d'amitié : chacun doit aussi, selon la parole de rences extérieures dela piété. Mais quand même
l'Apôtre , croire les autres au-dessus de soi nous posséderions toutes les vertus que je viens
(Philip. II , 3), et ne point se laisser vaincre en d'énumérer, loin d'en tirer vanité, ne songeons
bons offices. C'est ainsi que nous nous surpas- qu'à nous humilier davantage, selon cette pa-
serons mututlknient en chai ité, et que nous role du Sauveur Lorsque vous aurez fait tout
:

témoignerons à ceux qui nous aiment plus de ce qui vous a été commandé, dites : nous sorri'
zèle et d'affection. La charité est en effet le plus mes des serviteurs inutiles. (Luc, xvii, 10.)
ferme appui et la plus grande consolation de
, Cette sollicitude pour notre salut nous sera
notre vie; et ce qui distingue éminemment utile à nous-mêmes puisqu'elle nous garan-
,

l'homme de la Liute , c'est qu'il ne tient qu'à tira des supplices éternels; elle ne sera pas

nous , si nous
voulons, d'entretenir la paix
le moins avantageuse à nos frères qui s'instrui-
et l'union avec nos frères, et de leur montier ront en voyant nos bonnes œuvres. Enfin, après
la plus cordiale hieuNeillance. Il suffit pour cela une vie vraiment chrétienne, nous obtient
le conserver entre nous l'ordre convenable et drons de la bonté divii.e ces récompenses éter-
a bonne harmonie, et d'enchaîner notrecolcre, nelles que je voue souhaite, par la grâce de
pi est vcritabl.jiiient une bête féroce. Traîuons- Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient la
a en esprit au pied du redoutable tribunal, afin gloire, l'empire et l'honneur dans tous les siè-
de la plier à aimer uos ennemis soit par l'espoir cles des siècles. Ainsi soit-il.
tl TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

CINQUIÈME HOMÉLIE.
Di«u dit : < Que leo eaux, qui eont sous le uel, se rassembJeuL en un seul lieu, et que l'aride paraisse. > (Gen.I.S.)

ANALYSE.

i. L'Ecriture sainte est une mine d'or riche et précieuse, et les trésors que nous en retirons ne sont point exposés, comreccenxde
la leiie, à la rapacité des voleurs. — Mais nous devons les préserver des attaques du malin esprit qui voudrait nous les ravir—
2. Nous soniiiK'S sur la terre des voyageurs qui amassent des provisions pour retourner en leur [
a'-rie : et ces provisions, qui nous
ouvriront l'entrée du ciel, sont l'aumône et la pénitence —
Une vie vraiment clnétienne donne aux justes une douce contîance
de paraître devant le Juge suprême, et elle est pour les méchants un reproche de leurs vices, et une exhortation à la vertu- —
3. Ce long exorde conduit l'orateur h expliquer le neuvième verset de la Genèse j et il dit que Dieu ne voulut nommer l'élément
aride, terre, et la réunion des eaux mer, qu'après avoir dégagé l'un des flots de l'abîme, et réuni les autres dans le lieu qui
,

leur était destiné. —


4. Sur ces autres paroles « Que la terre produise les plautes verdoyantes avec leurs semences, » il observe
:

que de même que la terre se couvrit alors, sans le secours de l'homme ni des animaux , de moissons et de fruiis , aujourd'hui
encore elle tire sa fécondité bien plus de cet ordre du b^eigneur que de nos travaux. Il —
réfute aussi ceux qui attribuaient
cette fécondité à l'influence des astres. —
5. Il remarque que .Moïse répète souvent ces expressions «et du soir et du malin se fit:

« le premier, le second et le troisième jour, » afin que nous comprenions mieux l'ordre et la distribution da temps. 6. Il —
termine ensuite par une exhortation à mépriser la gloire humaine.

i. Aujourd'hui encore, de Moïse


les paroles lâcheté n'y donne point entrée à l'ennemi, qui
me fourniront que je veux
le fostin spirituel ne désire que de nous dépouiller. Et, en effet,
servir à votre charité, en vous exphquant avec quand cet ennemi, ce démon, vcux-je dire,
soin l'œuvre du Seigneur au troisième jour de voit que nous sommes riches en biens de la
la création. Ceux (pii travaillent aux mines ne grâce, il frémit de rage, grince des dents, et
cessent point, quand ils ont rencontré un riche épie attentivement loccasion favorable de nous
filon, de creuser profondément; ils écartent enlever nos richesses. Or, temps qui lui est le

tous les obstacles, et ne craignent point de le plus projiice est celui où nous surprend il

descendre juscjue dans les entrailles de la terre lâches et négligents; c'est pourquoi nous avons
pour en retirer la plus grande quantité pos- besoin de veiller sans cesse ponr déjouer toutes
sible de ce précieux métal. Et nous qui ne re- ses embûches. Car, s'il attaque une ou deux
cherchons point des veines d'or, mais un tré- fois ceux qu'il trouve actifs et vigilants, il les

sor inetfable, ne devons-nous pas chaque jour lai.>^se bientôt en paix, honteux de voir ses ef-

poursuivre nos travaux, alin de rentrer dans forts inutiles, et assiuv (|u'il ne remportera

nos maisons les mains pleines de ces richesses point la victoire tant que nous nous tiendrons
spirituelles. Trop souvent les biens de la terre sur nos gardes. Mais, puisque nous n'ignorons
deviennent poiu* leurs possesseurs la canse de pas que la vie est une Intte continuelle, soyons
grands malheurs; et, après quelques instants lonjotirs armés comme en présence d'un en-
d'une rapide jouissance, ils leur sont enlevés nemi qui nous épie sans cesse, et craignons
par la fraude îles llatteiu"s, la violence des vo- (jue la moindre négligence de notre part ne
ieiu's ou la ruse des esclaves, (jui s'enfuient Ini facilite l'occasion tle nous surprendre.

chargés d'un précieux butin. Mais aucune Voyez avec (piel soin les gens riches veillent
perte de ce genre ne menace nos richesses spi- à leurs aflaires. dèsque rapproclicde reiuiomi
rituelles; ce trésor ne peut nous être dérobé, est annoncée les uns nuinisseni leur.-^ portes
:

et dès que nous le cachons tlaiis notre cœur, il de serrures et de verroux poiu' mieux prctteger
y est à l'abri de toute rapine : il suflit que notre leur argent, et les autrt»« l'enfouissent sous
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — CINQUIÈME HOMÉLIE. 25

terre, afin que personne ne sache où il est ca- trouveront après la mort aucune consolation.
ché. C'est ainsi qu'à leur exemple nous devons Car, Seigneur., dit le Psalmiste, qui confessera
conserver le trésor de nos vertus et le déroher votre nom datis le sépidcre? (Ps. vi, (5.) Parole
à tous les regards, renfermant dans le
en le bien vraie, puiscjue la vie est le temjjs de la
secret de notre cœur; c'est ainsi encore que lutte, de la guerre et des combats, et que l'é-

nous devons repousser les attaques de ceux qui ternité est celui des couronnes, des prix et de.
voudraient nous le ravir, en sorte que, le pré- récompenses. Ainsi, combattons généreuse
servant de toute main déprédatrice, nous nous ment que nous sommes encore dans la
tandis
en servions comme d'un utile viatique pour le carrière, de peur qu'au grand jour des cou-
voyage de l'éternité. Ceux qui vivent dans un ronnes et des récom|)enses, nous ne soyons du
l)ays étranger et qui désirent revoir leur pa- nombre de ceux qui n'auront en partage que
s'occupent longtemps à l'avance de réunir
trie, la honte et la confusion.
Puissions-nous, au
peu à peu autant d'argent qu'il leur en faut contraire, nous mêler aux élus qui se présen-
pour suffire à la longueur du chemin et ne pas teront avec confiance pour être couronnés 1

s'exposer à mourir de faim. Cette conduite Ce n'est pas sans raison que je vous parle
doit être aussi la nôtre, car nous sommes sur ainsi mes bien-aimés et j'espère que mes
, ;

la terre des étrangers et des voyageurs. Ayons paroles ne vous seront point inutiles. Oui, je
donc soin de réunir et de mettre en réserve veux tous les jours vous avertir de multiplier
d'abondantes provisions, afin qu'au moment vos bonnes œuvres, afin que vous paraissiez
où le Seigneur nous ordonnera de retourner aux yeux de tous, consommés en perfection,
dans notre patrie, nous soyons prêts à partir, et ornés de toutes les vertus. Enfants de Dieu,
emportant avec nous une partie de nos ri- irrépréhensibles, purs et immaculés, vous bril-
chesses et ayant déjà envoyé l'autre devant lerez alors dans le monde comme des astres, et
nous. Car telle est la nature de ce viatique : possédant la parole de vie, vous serez un jour
il nous est loisible de nous faire précéder notre gloire devant le Christ. Et cependant
d'une multitude de bonnes œuvres; et celles-ci votre présence seule aura déjà été pour vos
en nous devançant, nous ouvriront les povtc3 frères un salutaire avertissement, et le parfum
d'une juste confiance pour paraître devant Dieu, de vos vertus non moins que vos sages entre-
nous faciliti'ront Tacccs de son trône, et n<Ais tiens les auront attirés à imiter vos bons exem-
permettront d'aborder sans crainte un Juge ples. Car si les méchants se nuisent les uns aux
dont elles nous auront concilié la bienveil- autres par leurs mutuelles relations, selon ce
lance. mot de saint Paul : les mauvais entretiens cor-
2. Mais pour vous convaincre, mes ^ .
^mpeut les bonnes mœurs
Cor. xv, 33] il
(l ;

frères, de la certitude de cette doctrine, u n'est pas moins vrai que la société des gens de
me de vous rappeler qu'au sortir de ce
suffit bien est d'un grand secours à ceux qui la cul-
monde, chrétien qui aura largement dis-
le tivent. C'est donc par bonté que Dieu permet
pensé l'aumône et mené une vie pure, trouvera le mélange des bons et des méchants, afin que
miséricorde auprès du Juge suprême, et en- ceux-ci profitent des exemples de ceux-là, et ne
tendra avec tous les élus ces consolantes pa- demeurent pas toujours dans leur ini(juité. Et
roles : Venez, les bénis de mon Père ; possédez en effet parce qu'ils ontcontinuellementsous les
leroyaume qui vous a été préparé dès le com- yeux de beaux modèles de vertu, il est comme
mencement du monde : car j'ai en faim, et impossible qu'ils n'en profitent pas. Car tel est
vous m'avez donné à manger. (Malth, xxv, 34, le pouvoir de la vertu, que ceux même qui ne
33.) Il en est de même des autres vertus, de la la pratiquent pas, ne peuvent lui refuser leurs
confession des pèches et de l'assiduité à la re.-pects et leurs hommages. Les méchants, au
prière. Et en elîet, lorsque pendant la vie nous contraire, désapprouvent le vice et le condam-
avons eu soin d'effacer nos péchés par la con- nent, et vous n'en trouverez presque aucun
fession, et que nous avons pu en obtenir de qui se fasse gloire d'être vicieux. Mais ce qui
Dieu le pardon, nous quittons la terre purs de est plus étonnant encore, c'est que leurs pa-
toute souillure, et nous paraissons devant le roles flétrissent leur propre conduite, et quils
Seigneur pleins d'une entière confiance; mais recherchent les ténèbres pour commettre le
ceux qui auraient négligé de mettre à profit le mal. Car l'homme porte au fond de "^a con-
tenips présent pour oxpier leurs péchés, ne science, et par un allet ai la miséric«rd« divine,

i
26 TRADUCTIOiN FRANÇAISE DE SAINT JEAN CIIIWSOSTOME.

un diccernrment incorruptible qui lui fait dis- Voilà donc, mes chers frères, comment Dieu
lij.giK f lo mal d'avec le bien. Aussi sommcs- déchira le voile qui rendait la terre invisible
ni)iis absolument inexcusables, puisque nous et informe; car elle était couverte par les eaux,
ne I mais par pa-
éclions point par i^morance , comme par d'épaisses ténèbres. Mais dès qu'elle
resse, et nu plis de la vertu. put montrer sa face, il lui donna un nom.
3. Si ces vérités nous sont présentes à chaque Et Dieu appela la réunion des eaux, mer.
heure du jour, nous opérerons notre salut avec Les eaux ont donc leur nom et le Seigneur, ;

une grande sollicitude, et nous craindrons, semblable au potier qui fa(;onne un vase, et ne
comme un réel dommage pour nos âmes, de lui donne un nom qu'après l'avoir achevé, ne
laisser le temps s'écouler inutilement. Mais voulut imposer un nom aux éléments qu'après
terminons ce long exorde, et écoutons, s'il vous les avoir distribués dans les lieux qu'il leur
plnît.ce qu'aujourd'iiui l'Esprit-Snint veut nous assignait. La terre reçut donc son nom des
er;s( igner par la bouche du saint propiicte qu'elle parut sous la forme qu'elle devait revê-
Moïse. Et Dieu dit : que les eaux qui sont sous tir et de même
; les eaux reçurent alors une
le cirl se rnssem filent en un seul lieu, et que dénomination spéciale. Car Dieu, dit l'Ecriture,
l'aride paraisse. FA il fut fait ainsi. Considérez appela la réiinion des eaux., 7ncr ; et il vit que
ici , mes chers frères , l'ordre et la suite des cela était bon. C'est parce que l'homme ed
œuvres divines. Moïse nous avait dit dès le trop faible pour louer dignement les œuvres
conunencement que la terre était iywisible et divines, que l'Ecriture nous prévient, et nous
informe \M\rce qu'elle était couv<'rte par les
,
apprend que le Seigneur les a louées lui-
ténèbres et les eaux. C'est pourquoi au second même.
jour Dieu sépara les eaux par le firmament A. Ainsi, quand vous apprenez que le Créa-
qu'il appela ciel, et au troisième il ordonna teur a trouvé bonnes ses créatures, vous devez
que les eaux qui étaient sou? le ci(l,c'est-<à-dire les admirer souverainement , mais v^us ne
le firmament se rassemblassent en un seul
, pouvez rien ajouter aux louanges qu'elles ont
lieu, afin que leur retraite laissât la terre à dé- déjà reçues; car telle est la puissance de Dieu
cou\ert. Et cela se fit ainsi. C'est parce que les et telle est la perfection de ses ouvrages, que
eaux couvraient foute la surface de la terre nous ne saurions les louer autant qu'ils le
que le S( igt;eur leur con)manda de se réunir méritent. Mais est étonnant que l'homme
il

en un seul lieu et alors l'aride ])ut se montrer.


; faible et ignorant ne puisse jamais ni louer
Vovez eonmie l'historien sa (ré nous découvre dignement, ni célébrer le.- nnivres duS.>igneur?
graduelli ment la beauté de l'univers! Et il fut La ^uite du récit nous montre également l'inef-
fait tiinsi , dit-il. Comment? Selon les ordres fable sagesse du divin Ouvrier. Il vient de
du Seigneur. Il dit, < t la nature obéit soudain. mettre à découvert la surface de la terre et il

Car appartient à Dieu de régler toutes les


il se hâte de l'embt'llir; aussi voyons-nous qu'.î
créatures selon sa volonté. sa parole, les plantes et les fleurs remaillent
Et les eaux qui étaient soj/s le ciel se réuni- de leurs riches variétés. Et Dieu dit : Que la
rent en leitr bassin, et V aride parut. Déjà Moïse terre produise les plantes verdoi/antcs avec leur
avait dit en jïarlant de la lumière (pie DiiMi la s('7ne}ice, et les arbres avec des fruits qui, cba-

créa lorscjue les ténèbres couvraient toute la cun selon son espèce, renfennent en eux-mêmes
nature, et que les séparant de la lumière il leur semc7\ce, pour se reproduire sur la terre.
avait assigné celle-ci au jour, et les léiièbn^s Et il fut fait ainsi. Que signifient ces derniers
<à la lUiit ;et ici, également que Dieu, après
il dit mots «Kt il fut fait ainsi?» Ils nous appren-
:

'ivoir créé le firmament, plaça au-dessus de lui nent qu'à l'ordre du S» igneur, la terre se hâta
une partie des eaux, et établit les autres au- d'éiiancher ses productions et de faire éclore le
dessous. Il ajoute ensuite (]U*à l'onln* du Sei- germe do toutes les plantes. Im tore pro-
gntMir celles-ci se; rassemblèrent dans un même dtn'sit donc, dit Moïse, des plantes qui portaient
lieu, en sorte (|ue l'élément aride parut. C'est leur qraine suivant leur espèce, et des arbres
alors que Dieu donna un nom à l'élémenl aride, fruitiers qui renfermaient leur setnence en
ainsi t|u'il l'avait f;ul pour la lumière et les chacun suivant so?) espèce. Et qui
eu.r i/}èn}es,
téui'bres. Les eaux qui étaient sous le ciel , dit nadmirerait ici, mon cher frère, conunent la
l'Ecriture, se rassenddèrent en un seul lieu, et parole divine a tout opéré sur la terre? Et en
l'aride parut; et Dieu appela l'aride, terre. elTet, il n'y avait poini encore d'homme qui la
HOMÉr.IES SUR LA GENÈSE. — CINQUIÈME HOMÉLIE. 27

cultivât et qui, pour la couvrir de sillions, pliât œuvres de la création, que Dieu loue son pro-
le bœuf au joug de charrue; mais elle en-
la pre ouvrage, afin d'a|)[>reiidre a)ix hommes à

ti'iulil le couiiuaiulem.'ul du Seigneur et sou- remonter de la créature au Créateur. Car si les

dain produisit les plantes et les arbres. D'où créatures sont au-dessus de toutes nos louan-
nous apprenons qu'aujourd'hui encore, ce sont ges, que dire de l'Ouvrier divin qui les a pro-
bien moins les soins, les travaux et les fati- duites? Et Dieu vit que cela était bon; du et
gue'^ du laboureur qui fertilisent la terre, (jue soir et du matin se fit le troisième jour. C'est
les ordres que le Seigneur lui intima dès le pour mieux nous inculquer ces choses, que
commencement. l'écrivain sacré nous les répète ici. 11 lui suffi-
Au reste, rEcriture, pour rendre d'avance sait en effet d'énoncer que le troisième jour fut
l'ingratitude des hommes vraiment inexcusa- fait ; mais il reprend les mêmes tcmes qu'il a
ble, nous révèle avec soin l'ordre et la suite déjà employés, et il nous dit que du soir et du

des œuvres de la création. Elle veut ainsi répri- matin se fit le troisième jour. Certes, ce n'est
mer la témérité et l'extravagance de ceux qui point de sa part oubli ou inadvertance; il veut
nous donnent leurs rêveries pour des réalités, que nous ne confondions pas l'ordre des cho-
et qui soutiennent que la coopération du soleil ses et que nous ne regardions pas l'approche de
était nécessaire à la production des plantes et la nuit comme la fin du jour; car le soir n'est
des fruits. D'autres attribuent ces effets à l'in- que la fin de la lumière et le commencement
fluence des astres; mais l'Espril-Saint nous en- de la nuit, tout comme le matin est la fin de la
seigne que, bien avant la création du soleil et nuit et le complément du jour. C'est ce que
des astres, la terre, obéissant à la parole divine, veut nous enseigner le saint prophète Moïse,
avait, sans nul concours étranger, produit quand il nous dit Et du soir et du matin se
:

d'elle-même les plantes et les arbres; il lui fit le troisième jour. Et ne vous étonnez pas,

avait suffi d'entendre celte parole : Que la mon cher frère, que la sainte Ecriture nous
terre produise les plantes verdoi/antes. Sui- redise si souvent les mêmes choses; car, mal-
vons donc les traces de la sainte Ecriture, et gré ses soins et ses précautions, quelques Juifs
condamnons hautement ceux qui s'élèvent persistent dans leur erreur et soutiennent, avec
contre ses divins enseiunements. Quoique les l'entêtement d'un esprit aveuglé, que le soir
hommes cultivent la terre, et, à l'aide d'ani- est le commencement du jour suivant. Ils se
maux domestiques , s'appliquent à l'agricul- trompent eux-mêmes, et sont encore assis dans
ture ;
quoique les saisons leur soient fa- les ténèbres, quoique la vérité se soit manifes-
vorables et que tout concoure à satisfaire leurs tée a tous les regards. Ils cherchent encore la
désirs, si Dieu ne répand pa ûénédictioi:, ils lumière, quand le Soleil de justice s'est levé
s'épuiseront en d'inutiles travaux. Oui, ni les sur le monde. Mais, après que Mo'ise nous a
sueurs, ni les fatigues du laboureur ne devien- instruits de tous ces détails avec une telle exac-
nent fécondes si le Seigneur, du haut du ciel, titude, qui pourrait supporter l'opiniâtreté de
n'étend sa main et ne leur donne un hemeux ces esprits indociles 1

accrois?ement. Mais, qui ne serait ravi d'éton- Leur malice recevra son juste châtiment;
nement et d'admiration en voyant comment mais nous, qui avons été éclairés des rayons
cette parole : Que la terre produise des plantes du Soleil de justice, soyons soumis et dociles
verdoyantes^ pénétra jus(|ue dans les profon- aux enseignements de la sainte Ecrilure. En
deurs de la terre et remaillad'un riche comme suivant cette règle, nous renfermerons dans le
tapis par la variété des fleurs qui en couvrit secret de notre cœur une foi pure et orthodoxe,
la surface. Ainsi la terre qui naguère était brute et nous mettrons tous nos soins à la conserver.
et inculte, se revêlit soudain d'une brillante Nous travaillerons également avec zèle à l'œu-
parure, et rivalisa de beauté avec le firmament. vre de notre salut, et nous fuirons comme un
Et en effet, de même que celui-ci devait bien- poison mortel tout ce qui pourrait blesser la
tôt resplendir du feu des astres, la terre s'em- sainteté de notre âme; car la perte de la grâce
bellissait par la variété des fleurs ; en sorte ([ue sanctifiante est d'autant plus grande que l'âme
le Créateur lui-même loua son propre ouvrage. l'emporte sur le corps. Le poison ne peut tuer
Et Dieu, dit l'Ecriture, vit que cela était bon. que le corps, tandis que l'erreur entraîne pour
5. Mo'ise a soin, comme vous pouvez le remar- l'âme mort éternelle. Et quels sont donc ces
la

quer, de nous rappeler, après chacune des poisons si dangereux? Le nombre en estgraud
28 TRADUCTION FRANÇA -LM JEAN CHRYSOSTOME.

et varié, mais le plus funeste est celui qui nous devant qui tout est à nu et à découvert, notre
incline à aimer la vaine gloire et nous empê- trésor sera en sûreté et nos richesses spiri-
che de la mépriser; car ce péché entraîne avec lui tuelles se conserveront intactes. Bien plus,
mille désordres : il dissipe les richesses spiri- l'assuranceoù nous serons que ces richesses
tuelles que nous avons pu amasser et nous en- ne peuvent nous être enlevées, nous comblera
lève tout le profit que nous en pourrions reti- d'une douce consolation, et nous ne serons pas
un mal plus dangereux, puisqu'il nous
rer. Est-il même privés de l'estime des hommes.
ravit même les
biens que nous croyons possé- en effet, nous en jouis«ons avec une plé-
Et,
der? Et n'est-ce pas ainsi que le pharisien fut nitude d'autant plus grande que nous la mé-
rabaissé au-dessous du publicain? (Luc, xvm.) prisons, que nous ne la recherchons pas, et
Il ne sut point maîtriser sa langue^ et, en se que nous ne la désirons point. Et faut-il s'é-
louant lui-même, il jeta toutes ses richesses tonner que telle soit la conduite d'un philoso-
par la fenêtre, tant la vaine gloire est un poi- phe chrétien, puisque nous voyons les partisans
son funeste ! enthousiastes du monde, méjjriser eux-mêmes
6. Mais, je vous le demande, pounjuoi re- ceux qui ambitionnent le plus la gloire du
cherchez-vous si avidement la gloire humaine? monde. Oui, vous trouverez toujours que ceux
ne savez-vous pas (jue les louanges des hommes qui paraissent trop avides des honneurs ne
sont moins qu'une ombre, et qu'elles se dissi- s'attirent que du mé|)ris. Quel malheur ne
pent comme une vapeur légère ? Ajoutez encore serait donc pas le nôtre, si nous, qui faisons
que telle est 1 inconstance et la mobilité de profe;-sion de de piété, désirions
religion et
riiomme qu'il ne tarde pas à censurer celui comme eux les louanges des honunes, et s'il ne
que naguère il comblait déloges. Mais rien nous suffisait pas d'obtenir l'approbation de
de semblable n'est à craindre de la part de Dieu, à l'exemple de l'Apôtre, qui tirait sa (floire

Dieu. Ne soyons donc point si insensés que de non des hommes, mais de Di'nd (Rom. ii, 20.)
nous séduire nous-mêmes; car, si dans la pra- I\ avez-vous pas observé, mon cher frère, que
tique des bonnes œuvres, notre intention ne ceux qui disi)uteut les prix de l'hippwdrome ne
se rapporte pas uni(iuement à Dieu et à l'obser- donnent aucune attention aux cris, ni à la fa-
vation de sa loi, et si nous cherchons à être veur du peuple qui leur applaudit? C'est qu'ils
connus de tout autre que de lui seul, nous ne voyent que le prince qui préside les courses
perdons le fruit de nos peines et nous nous et qu'ils sont entièrement préoccupés du désir
privons nous-mêmes des avantages que nous de lui plaire. Aussi, dédaignant les vains suf-
en pouvions retirer. El en elfct, celui qui fait frages de la multitude, ils sont ivres de bon-
le bien pour capter l'estime des hommes, (jue heur quand ils reçoivent de ses mains le prix
gagne-t-il, soit qu'il réussisse ou qu'il échoue et la couronne. Imitez-les, et n'estimez pas à
dans ses projets? Souvent la gloire humaine une haute valeur les applaudissements des
nous échappe, même (piand nous faisons tout hommes : ne les recherehez point dans la pra-
pour l'acquérir; et toujours, soit que nous par- tiijue de la vertu, mais attendez le jugement
venions à l'obtenir^ ou qu'elle nous échappe, qu'en portera le juste Juge, et ne soyez attentif
nous recevons ici- bas notre récom|)ense, en (juà lui obéir. En un mot, réglez tellement
sorte que nous ne |»ouvons espérer celle du votre vie, (juc déjà vous possédiez en espérance
ciel. Eh pourquoi? Parce que celui qui préfère ces biens éternels que nous donnent d'acquérir
le louange des hommes
présent à l'avenir, et la la grâce et la miséricorde de NotrèS<Mgneur
à l'approbation du juste Juge, se rend indigne Jésus-Christ, à qui soient, avec le Père et l'Es-
d'être honoré par ce juge. Si, au contraire, jnit-Saint, la gloire, Ihonneur et l'empire,
nous prati(|uons la vertu i)our plaire uni(pie- maintenant et dans tous les siècles des siècles.
ment au Dieu dont l'œil ne se ferme jamais, et Ainsi soit-il.
}IOiMÊLl£;S SUR LA GEiNÈSE. — SIXIÈME HOMÉLIE. 29

SIXIÈME HOMÉLIE.

Et Dieu dit : c Que des corps de lumière soient faits dems le firmament du ciel, et qu'ils éolairen*, la terre, afin

qu'ils séparent le jour et la nuit et qu'ili servent de signeg pour marquer le» tempo et les ôaisons, les joura

et les années. (Gen. I, 44.)

ANALYSE.

1. L'oralctir se plaint amèrement Je l'empressement qui, la veille, avait entraîné tous les auditeurs au cirque pourvoir des courses
de chevaux. — pour eux de
Il rougit cette funeste curiosité qui leur fait perdre tout le fruit du jeûne et des instructions qu'ils
entendent. — Encore, s'ils péctiaient par ignorance, mais ils connaissent leurs devoirs, et ils n'en sont que plus coupables. —
Le démon de ce
seul se réjouit fatal entraînement ,. puisque par là il les a dépouillés des richesses spirituelles qu'ils avaient
amassées. — Mais ces spectacles ne
2. sont-ils pas sans danger pour les mœurs ? L'orateur répond à cette objection par le tableau
vif et animé de tous les périls que l'innocence et la pureté de l'âme y rencontrent ; et comme il voit que ses reproches sout
vivement sentis, il espère que désormais il n'aura plus sujet de les faire entendre. 3 et 4. Il aborde alors l'explication du —
quatorzième verset de la Genèse, et, après une brillante description du soleil, il observe que cet astre fut créé le quatrième jour,
afin qu'on ne lui attribuât point la fécondité delà terre, et qu'on ne le considérât point comme la source prenriière de la lumière.
— 5. il signale ensuite, d'après le texte sacré, les divers usages du soleil et de la lune. — 6. Il termine en exhortant aes auditeurs
à reconnaître les bienfaits de Dieu par uua vie sainte et régulière, et surtout par la fuite des spectacles profanes.

i. Je voudrais poursuivre le cours de nos ma récompense , car j'aurai fidèlement rem-


instructions, et je ne sais quel sentiment de pli mon devoir, je vous aurai fait connaître
répugnance m'en empêche , car un nuage de les richesses de la piété, et je ne vous aurai
tristesse ofîusciue ma vue, et trouble mon es- pas épargné les remontrances. Mais je crains
prit. Encore si celte tristesse n'allait pas jus- bien et je tremble que tout mon zèle ne vous
,

qu'à la colère ! Mais, véritablement, je ne sais accuse plus fortement. Car le servitcitr dit ,

que faire, tant mes pensées sont incertaines. Et l'Evangile, qui commît la volonté de son maître
en effet, quand je vois que le moindre souffle de et qui ne l'exécute pas, sera frappé de plusieurs
Satan vous a fuit oublier les maximes de piété coups. (Luc, XII, 47.) Et qui d'entre vous pour-
et les sages avis que je vous donne chaque rait alléguer son ignorance, puisque chaque
jour, pour courir aux courses diaboliques de jour vous mets sous les yeux et les pièges du
je
l'hippodrome, puis-je av c joie continuer des démon et la grande facilité de la vertu si vous ,

instructions que vous avez si promptement voulez être attentifs et vigilants ?


rendues inutiles? Mais ce qui surtout m'irrite, Ignorez-vous donc que l'Ecriture compare à
et m'émeut jusqu'à la C' 'ère, c'est (jue mé- des chiens ces chrétiens qui né<iligent ainsi
prisant mes exhorlatione et oubliant le res- leur salut, qui viennent aujourd'hui dans nos
pecl dû à la sainte quaraLtaine, vous vous êtes temples, et demain se laissent prendre aux
lais>;é prendre aux p;cges lu démon. Qui pour- pièges du démon? L'homme, dit le Sage, qui se
rait donc, serait- il plus dur qu un rocher, relève de son péché , et qui le commet de noîi-
supporter sans indignation une telle conduite? veau, semblable au chien qui retourne à son
est
Aussi je rougis de honte et de douleur, en vomissement. (Prov. xxvi, 11.) Voyez-vous à
voyant que je m'épuise inutilement, et que je quels animaux ressemblent ceux d'entre vous
ne sème qu'en une terre ()ierreuse. Au reste, qui ont assisté à cts spectacies ill'cites? et
ïue vous écouliez ma pa oie ou que vous la , avez-vous oublié cette sentence du Sauveur :

méprisiez, je n'en suis pas moins assuré de Tout homme qui entend mes paroles , et ne les
30 TRADLXTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

accomplit pas, sera semblable à Vin^eyisé qui a sité, il vous a dépouillés de tous vos biens.

bâti sa maisoji siw le sable; les fleuves sont 2. Ces reproches sont trop véhéments, je le
venus , et les vents ont soufflé, et se so7it pré- sens; mais pardonnez-les à mon zèle, et soutTrez
cipités sur cette maison , et elle est tombée, et que je soulage ainsi ma douleur. D'ailleurs ce
sa ruine a été grande 1 (Mattîi. vu, 26.) Mais n'est point la haine qui inspire mes paroles, mais
ceux que l'on a vus accourir à l'hippodrome un cœur qui vous aime, et qui ne cherche que
sont plus insensés encore. Car, selon l'Evangile, votre salut. C'est pour(iuoi je me relâche de
la maison de l'insensé n'est ionibce qu'à la ma sévérité, et, content d'avoir pu arrêter les
suite de fortes S(^cousses. C'est ce que nous progrès du mal, je veux, mes chers frères, rani-
donnent à entendre ces expressions flmives et mer en vous une bonne espérance, en sorte que
vents, qui ne désignent point l'inondation et la vous ne vous abandonniez pis an désespoir, et
tempête, mais la violence des tenialions. Et que vous ne perdiez pas entièment courage.
de nicme la ruine de cette maison ne marque Car il y a cette différence entre les malheurs
point le renversement d'un édifice matériel, temporels et les pertes spirituelles, qu'on ne
mais la chute d'une âme qui succombe sous le peut dans un instant se relever d'une extrême
poids des graves afflictions auxquelles elle n*a indigence, et retrouver son opulence première,
pu rési^^tcr. Contre vous, au contraire, les tandis que la miséricorde divine nous offre
vents ne se sont point déchaînés, et les fleuves toutes facilités de recouvrer promptement
ne se sont point précipités un léger souffle ;
notre ancien état. Il suffît que nous voulions
du démon a suffi pour vous renverser tous. détester nos fautes, et secouer désormais une
Est-il folie jilus impardonnable A quoi vous ! coui)able inaction. Tel est en effet le Maître
sert le jeûne Je vous le demande
! et à quoi ; que nous servons, et telle est sa bonté et sa
bon venir ici? Qui ne déplorerait donc votre libéralité. Aussi nous assure-t-il lui-même par
malheur et le mien? Le vôtre, puisque vous la bouche d'un prophète Qu'il ne veut point
:

avez perdu dans un instant ces trésors de piété la mort du pécheur, ynais qu'il se convertisse
si laborieusement amassés et que vous avez et qu'il vive. (Ezéch. xviii, 23.) Je sais en
vous-mêmes ouvert votre âme au démon, outre que vous êtes bons, et que vous sentez
comme pour lui faciliter le vol de vos riches- l'indignité de votre conduite. Or, c'est déjà
ses spiriluellcs; et nous, qui ne nous plaindra un grand pas fait pour revenir à la vertu que
de parler à des oreilles insensibles et d'être , de connaître la grandeur de sa faute.
si malheureux que de semer chaque jour, et Mais ne m'allé-iuez point cette excuse men-
de ne rien récolter Croyez-vous donc que je
! songère et dinbolique, et ne me dites pas :

ne sois zélé à vous annoncer la parole sainte quel mal y a-t-il d'aller voir des courses de
que pour flatter vos oreilles et rechercher , chevaux? Car si vous voulez observer attenti-
vos louanges? Non, non et si vous ne retirez
; vement tout ce qui s'y p?\sso, vous demeurez
aucun fruit do mes discours, il vaut mieux convaincus (|ue tout s'y fait à l'instigation du
que désormais je me taise car je ne veux pas
: démon. On n'y voit pas seulement courir des
être pour vous la cause d'une plus sévère coq- chevaux, mais on y entend des cris, des blas-
danuiation. Le marchand qui a frété un navire phèmes et di's discours inconvenants. Des cour-
l'a chargé d'une riche cargaison, et qui le tisanes éhontées s'y montrent publiquement,
voit périr corps et biens par la violence des etde jeunes elTommés y étalent leur mollesse.
vents et dos tempêtes, nous présente le dou- Est-ce donc là un mal léger, et ne suffit-il pas
loureux S|)ectacle d'un Ik innie échappé nu au pour séduire et captiver les âmes? trop son-
naufrage, et tombé d'une inunense opulence vent une rencontre fortuite surprend et préci-
dans la plus affreuse indigence. Voilà aussi ce pite dans l'abîine l'imprudent qui n'est pas
que le démon a fait à votre égard. Il a vu que sur ses gardes; et qu'éprouveront donc ceux
votre âme, connue un navire spirituel, était qui accourent volent lirement à l'hippodrome,
remplie de i)récieuses richtsses, et que vous qui rassasient leurs reg.U'ds de ces specticles
aviez réuni un véritable trésor par vos jeûnes lascifs, et qui en reviennent les yeux pleins
et votre assiduité à venir entendre lu parole d'adultères ? Le Seigneur savait bien que
sainte. Aussi s'est-il hàto de déchaîner l'orage, riionune n'est que trop exposé à la tentation,
c'est-à-dire ces courses inutiles ot dangereuses et il n'ignorait pas la malice et les ruses du dé-
de l'hippodrome, et par celte fatale curio- mon aussi a-t-il voulu nous prénuuiir contre
;
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. - SIXIÈME HOMÉLIE. 31

notre faiblesse, et nous rendre invincibles pour réprime! ces désordres, et empêcher ee
contre les attaijues de notre ennemi, en pro- mépris de la parole sainte. Sans doute cet
nuilguanl celte Quiconque aura regardé
loi : avertissement ne concerne pas tous ceux qui
tine femme pour a déjà commis
la convi. 'ter, sont ici, et il ne regarde que les coupables.
l'adaltcre dans son cœur (M;ilt. v, 28.) Ainsi, Mais je parle en géiiér.il, et je laisse à chacun
selon l'Evangile, un regard trop ciiiiuux est le soin de se faire l'apidication de mes paroles.
un adultère consonnné. Lecoupabledoitsortirdeson péché, et ne plus y
Ne dites donc plus qu( l mal y a-t-il à fré- retomber. Il doit également s'armer de zè!c
quenter le ciniue! puisque la vue seule des conlre lui-même pour levenirà la piété, et ré-
cent ses des chevaux siiftil pour causer à parer ses fautes. Celui au contraire qui n'a rien
nolreàmede nombreux dommages. Et en«tfet, à se re|)rocher, ne négligera point de se tenir
n'est-ce pas véritablement i)ei(lre son temps mieiix encore sur ses gardes, et il craimlra do
que de le consacier à des spectacles inutiles, tomber dans le péclié. Au reste, hs faits eux-
et qui, loin de servir à notre salut, ne peuvent mêmes vous prouvent, mes chers frères, que
que lui dangenu ? On s'y dispute, on
devenir mon cœur n'exhale ainsi sa douleur que parce
n pand en paroles peu
s'y éeliauffe, et l'on s'y qu'il vous aime, et qu'il se préoccupe de vous.
décentes. Comment donc i;iériter notre pardon, C'est notre ardente sollicitude pour votre salut
et quelle excuse alléguer! Dois je ajouter que qui seule a inspiré nos paroles, et parce que notre
si je prolonge un peu mes instructions, plu- âme est pleine en ce moment des meilleures
sieurs s'irritent et se fàcb -nt? Ils prétextent la espérances, nous allons reprendre le cours de
délicatesse d'un tempérament (jui ne i>eut sup- nos instructions. M us en vous donnant celle
porter la fatigue d'un long discours, quoique marque de mon affection toute paternelle, je
la structure admirable de ce temple nous pré- vous prie de m'écouter. attentivement, afin
serve de inconvénient, et nous abrite
tout que vous reportiez dans vos maisons des fruits
contre le froid, la pluie et le vent. Mais dans plus abondants.
le cirque, malgré des torrents de pluie, malgré Et d'abord il convient de vous rappeler ce
la violence de l'ouragan et les rayons dun qui vient d'être lu. Et Dieu dit Que des corps :

soleil brûlant, ces mêmes


personnes demeu- de Iw/u'ère soient faits dans le ciel et qu'ils
rent une heure, deux heures, et même presque éclairent la terre, afin qu'ils séparent le jour et
tout le jour. Le vieillard oublie le respect qu'il la nuit et qu'ils sauvent de signes pour marquer
doit à ses jeune homme
cheveux blancs, et le les temps et les saisons, les jours et les années ,

n'y rougit point d'imiter ce scandaleux exem- qu'ils luisent dans le firmament du ciel et
ple. L'aveuglement est même si grand, que qu'ils éclairent la tcîre. Et cela fut fait ainsi.
tous boivent avec délices à cette coupe empoi- (Gen. I, 14, 15.) Hier le saint prophète M"'ise
sonnée; et nul ne réfléchit sur la courte durée nous apprit de quelle manière le Créateur de
de ce funeste [daisirque doit suivre un éternel l'univers avait embelli la terre qui d'abord
remords, et la voix accusatrice de la con- était brute et informe. Il la para d'une infinité
science. Mais je lis sur vos visages le trouble de plantes, de fleurs et d'arbres; et aujourd'hui
de vos àmcs, et la sincérité de votre repentir. l'écrivain sacré va nous parler de la décoration
Je vous conjure donc de ne plus retomber du ciel. Car, de même que la terre s'embellit
dans les mêmes fautes, et, après cette sévère par ses propres pioductions, le Seigneur a
admonition, de ne plus fiéquenter ces specta- donné au firmament un éclat plus vif et plus
cles et ces assemblées diab(di(iues. Il n'est pas brillant par la variété des astres dont il la
toujours expédient de n'employer que des parsemé, et surtout par la création de deux
remèdes doux et légers; et quand la plaie ré- grands corps lumineux, le soleil et la lune. Et
siste à ce premier traitement, il faut prévenir Dieu fit dit l'Ecriture deux grands corps lu-
, ,

la ga!)grène par des cura ifs violents et éner- mineux, Vun plus grand pour présider au jour ^
giques. et l'autre moindre pour présider à la mut ; et il
3. Que les coupables sachent donc que si, fit aussi les étoiles. (Gen. i, 10.) Adnu'rez ici la

après ce solennel axertisM-ment, ils négligent sngesse du dix in Ouvrier. Il dil ime parnh; , et

de se corriger, nous cesserons de les tolérer. souilain le soleil est créé; le sol» il, eel astie

Oui, nous emploierons 1; sévérité des lois de adcnirable «iue Mo'ise appille un grand bmu-
l'Ejiljse, et toute la vehé.neuce de noire zèle naire, et qu'il dit avoir été fait pour présider
32 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

au jour. C'est en effet de cet astre que le jour qu'avant la création du soleil, les plantes et les

emprunte ses clartés et c'est de ses rayons et


, de f-eur que vous ne lui attri-
fruits existaient,

de sa splendeur qu'il ruisselle lui-même d'éclat buiez celte heureuse fécondité ; elle appartient
et de lumière. Chaque jour il déploie à nos re- tout entière au divin Ouvrier qui, dès le com-
gards sa ravissante beauté , et dès qu'il paraît mencement ,
prononça cette parole Que la :

à l'horizon, il invite tous les hommes à re- terre produise les plantes verdoyantes. Direz-
prendre leurs travaux. vous que la coopération du soleil favorise la
Le saint roi David, parlant de cette beauté maturité des fruits et des moissons? je ne le
du soleil, compare cet astre à un époux qui nie point. Car, quoique le laboureur aide à la
sort de son lit nuptial. Il s'élance ^ dit- il en- fécondité de la terre, il ne s'ensuit pas qu'il
core, comme un
géant dans sa carrière; il soit l'auteur de cette fécondité tout au con-
;

part des ext^^émités de V aurore et il s'abaisse traire, quand il multiplierait même ses soins
aux bornes du couchayit. (Ps. xviii, 6, 7.) et ses travaux, il se fatiguerait inutilement,

Quelle sublime image de la splendeur du so- si le Seigneur, dont la parole rendit dès le
leil et de la rapidité de sa cour?e Car en nous 1 commencement la terre propre à produire les

disant qu'il part des extrémités de l'aurore et fruits, ne lui continuait cette merveilleuse dis-
aux bornes du couchard, le Psal-
qu'il s'abaisse position; oui , ni les travaux du laboureur, ni
miste nous marque qu'il parcourt l'univers l'influence du soleil et de la lune, ni le con-
comme en un instant et qu'il répand sa lu- cours des saisons ne nous seraient d'aucune
mière et ses bienfaits d'une frontière du utilité si la main du Seigneur ne leur prêtait

monde à l'autre. Tantôt il échauffe la terre et son puissant secours. Mais lorsque Dieu leur
en dissipe l'humidité, et tantôt il la dessèche donne sa bénédiction, les éléments eux-mêmes
et la brûle en un mot, les services qu'il nous
;
contribuent beaucoup à la fertilité de la terre.
rend sont aussi nombreux que variés, et telle Imprimez donc profondément ces vérités dans
est l'excellence de ce corps céleste que nous ne votre mémoire, et en retenant ceux qui vou-
saurions le louer dignement. Mais ni mes pa- draient encore s'égarer, ne leur permettez pas
roles , ni ce pompeux éloge n'ont pour but de de rendre aux créatures l'homieur qui n'appar-
concentrer votre admiration sur cet astre. Je tient qu'au Créateur.
veux, au contraire, mes chers frères, que vous Observez, en effet, que la sainte Ecriture, qui
vous éleviez plus haut et que de la créature , nous dépeint la beauté du soleil, sa grandeur
vous remontiez jus(|u'au Créateur. Car plus le et son utilité sous cette belle image : Sembla-
soleil est brillant, et plus est excellent Celui ble à un époux, il s'élance conune tm géant
qui a créé le soleil. dans sa carrière , nous parle aussi de sa fai-
4. Mais les Centils, qui admiraient comme blesse et de ses défaillances Quoi de plus :

nous vues
cet astre, n'ont point porté leurs brillant que le soleil, dit-elle, et cependant le
plus haut et n'ont point loué le Créateur; ils soleil s'éteitulra. (Eccli. xvn, 30.) C'est conmie
se sont arrêtés à la créature et lui ont rendu si elle nous disait : Ne vous laissez point sé-

les honneurs divins. C'est pourquoi lApôtre a duire par cet admirable spectacle; car si le
dit Qu'ils o?2t adoré et servi la créature jtlutôt
: Créateur l'ordonnait, cet astre si beau disparaî-
que le Créateur. (Rom. i, 25.) C'étaient de trait a l'instant et rentrerait dans le néant. La

pu reconnaître le
véritables insensés qui n'ont connaissance de ces vérités eût préservé les
Créateur en ses créatures, et qui sont tombés païens de leurs monstrueuses erreui"s, et ils
dans un si étrangt; égarement qu'ils ont mis la eussent coniais que la vue des créatures de-
créature à la i>lace du Créateur. vait les élever jusqu'au Créateur. Le soleil ne
C'est poiuquoi l'Espril-Saint, qui savait tut aussi créé que le quatrième jour, alui que
combien riuuinue est enclin à l'erreur, vous riiciunne ne le considérât point comme l'au-

enseigne (jue le soleil n'a été créé (jne le troi- teur et le principe tic la lunûère. Car, ce que
sième jour ; mais d(''j;i la terre avait fait ger- j'ai dit de la production des plantes, je puis
mer ses diverses productions et s'étiiit revêtue bien le redire de la lumière , savoir que trois

de ses riches ornements et Dieu l'avait or- : joui'S ont itrécédé Le la création du soleil.

donné, alin qu'on ne pût dire pins tard que Seigneur a ^oulu seulement que cet astre aug-
les moissons et 1rs fruits ne sauraient mûrir mentât la clarté du jour il faut en dire auUuil ;

eans le soleil. Ainsi l'Ecriture vous apprend de la lune, qui est un corps lumineux moins
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — SIXIÈME HOMÉLIE. 33

grand , car trois nuits s'écoulèrent a\ant sa corps de lumière , et celle des étoiles, ajoute,
création. Ce n'est pas qu'elle ne nous soitnicr- en parlant de tous, que Dieu les fit pour prési-
veillcusenient utile, puisqu'elle dissipe les té- der au jour et à la nuit, et pour séparer la lu-
nèbres de la nuit et remplit presque les mêmes mière d'avec les ténchres. Si les étoiles ne
fondions que le soleil : celui-ci a été créé pour paraissent point pendant le jour, c'est que l'é-
présider au jour et la lune pour présider à la clat du soleil les voile à nos regards; et de
nuit. Or que signifie cette expression : présider même le soleil ne brille point pendant la nuit,
au jour et présider à la nuit ? elle marque, parce que la lumière de la lune suffit pour dis-
selon l'Ecriture , que le soleil illumine le jour siper les ténèbres. Au reste tous les astres de-
du feu de ses clartés , et que la lune, en dissi- meurent dans les limites qui leur sont tracées;
pant les ténèbres de la nuit , aide les hommes ilsne s'en écartent point, et chacun d'eux obéit
par sa douce lumière dans l'accomplissement docilement aux ordres du Seigneur, et remplit
de leurs travaux. Et en effet le voyageur pour- son ministère.
suit sa route avec plus de confiance, le pilote Mais qui expliquerait tous les autres avanta-
dirige mieux son navire sur l'immensité des ges que procurent h. l'homme' le soleil, la lune

mers , tt chacun vaque sans crainte à ses tra- et les étoiles ? 7/5 servent de signes, dit l'Ecri-
vaux et Après vous avoir fait
ses occupations. ture, pour marquer et les temps, et les jours, et
ainsi connaître l'utilité de ces deux grands lu- les Que signifient donc ces paroles
années. :

minaires, l'éciivain sacré ajoute que Dieu fit et les temps et les jours, et les années ? L'é-
,

aussi les étoiles et qiiil les plaça dans le ciel crivain sacré a voulu nous ap[»rendre que le
pour luire sur la terre, pour présider au jour cours des règle pour nous celui des
astres
et à la nuit et pour séparer la lumière d'avec
, temiis, ou que leur révolution journa-
saisons,
les ténèbres. (Gen. i, 17, 18.) lière amène pour nous le jour et la nuit, et que
5. Ces paroles nous font connaître quel a été leur périodicité désigne celle des années. Ces
le dessein de Dieu en créant les étoiles. // les a observations suffisent à »us nos besoins. Et en
placées^ dit Moïse, dans le firmament du ciel. effet, le pilote, qui connaît le cours des astres et
Qu'est-ce à dire ? Est-ce qu'il les y a clouées ? qui observe s'embarque sur la foi de
le ciel ,

Non certes ; puisque nous les voyons franchir ses calculs, traverse les mers, et dans une nuit
en un instant des espaces immenses, et accom- profonde se guide sur la vue des étoiles en ,

plir par un mouvement incessant les diverses sorte que par elles il conduit à bon [)ort son
révolutions que le Seigneur leur a tracées. navire et tous les passagers. Ainsi encore le

Quel est donc le sens de cette expression il les : cours des astres indique au laboureur la saison
plaça ? Elle signifie qu'il leur assigna le ciel propice de ses travaux. sait quand il doit 11

pour demeure. C'est ainsi que l'Ecriture nous ensemencer la donner les divers la-
terre , lui
dira également que Dieii plaça Adam dans le bours, et préparer sa faucille pour moissonner
paradis terrestre. ( Gen. ii, 8. ) Il ne l'y fixa ses grains. Ajoutons aussi que la connaissance
pas immuablement, mais il l'y plaça pour qu'il des temps le calcul des jours et le cycle des
,

l'habitât et de même nous disons que le Sei-


; années nous sont d'un usage journalier et in-
gneur a voulu que les étoiles fussent comme fini, et les secours que nous en retirons pour

attachées à la voûte du firmament, afin que du notre bien-être sont si nombreux qu'il serait

haut du ciel elles pussent éclairer la terre. Or, impossible de les énumérer exactement. Le
je vous le demande, mon cher frère, l'émail de peu que j'en ai dit suffit à nous en donner une

nos prairies, et les tlcurs de nos jardins sont- haute idée et après avoir admiré les créatun s,
;

ils aussi beaux que le ciel , lorsque au milieu ne négligeons point d'adorer et de célébrer le
de la nuit il scintille du feu des étoiles. La Créateur. Oui, louons son ineffable bonté en-
brillante variété de ces astres l'embellit et le vers nous puisqu'il n'a créé le monde que
,

parsème de fleurs étincelantes qui nous en- pour l'homme et que bientôt il va l'y intro-
,

voient une abondante lumière. Car les étoiles duire comme le roi et le maître de toutes les
ont été créées pour éclairer la terre , et pour créatures.
présider au jour et à la nuit. Déjà cette obser- Et Dieu vit, dit l'Ecriture, que cela était bon.

vation a été faite spécialement au sujet du so- A chaque jour de la création l'écrivain sacré
leil et de la lune mais ici Moïse, après nous
; observe que Dieu approuva son œuvre , afin
avoir révélé la création de ces deux grands d'ôter tout prétexte à ceux qui osent la crili-

S. J. Ch. — Tome V. 3
3i TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CîIRYSOSTOME.

quer. Tel en effet, comme le prouve le


est, demeurez pas là ; en voyant qu'une simple
contexte but de Moïse
, le autrement il eût ;
créature est si excellente qu'elle échappe à
sulïi de dire en général que Dieu vit que tout toute appréciation humaine , comprenez com-
ce qu'il avait fait était bon. Mais parce que le bien est grand et puissant Celui qui l'a produite
Seigneur connaît l'infirmité de resi)rit humain, par une seule parole. Appliquez le même rai-
il a voulu louer séparément chacun de ses ou- sonnement Lorsque vous la voyez
à la terre.
vrages afin de nous faire connaître la souve-
,
émailléede mille fleurs, comme d'un vêlement
raine sagesse et rinefiable bonté qui ont pré- parsemé de broderies, et couverte de fruits et
sidé à leur création. El du soir et du matin se de moissons, ne lui attribuez point cette admi-
fit lequatrième jour. Dieu, qui avait d'abord rable fécondité, et gardez-vous bien aussi d'en
placé dans le ciel deux grands corps de lu- faire hommage à la coopération du soleil et de
mière, en acheva l'ornementation en le déco- la mais souvenez-vous qu'avant la créa-
lune ;

rant du feu des étoiles. Telle fut l'œuvre du tion de ces deux astres le Seigneur avait dit :

quatrième jour comme


Moïse nous l'indique
,
Que la terre produise les plantes verdoyantes,
en disant que du soir et du matin se fit le qua- et que soudain la terre revêtit ses riches orne-
trième jour. Mais s'il se répète ainsi à chaque ments.
j'uir de la création, c'est pour mieux graver Si nous faisions chaque jour ces réflexions ,

dans nos esprits ses divines instructions. nous serions pénétrés de reconnaissance envers
6. Il nous importe donc de les graver au le Seigneur et nous le louerions autant qu'il
,

plus profond de nos cœurs, et de secouer notre le mérite ou du moins autant que nos forces
,

néj^ligence iiabituelle, afin que, mieux instruits nous le {lermeltraicnt. Mais le meilleur moyen
des dogmes de notre religion, nous puissions de le glorifier, est de mener une vie sainte, et
en tout esprit de douceur, éclairer les gentils de ne point retomber dans nos anciens péchés.
cl dissiper leurs erreurs. Empèchons-les de C'est pourquoi ne nous laissons plus séduire

confondre l'ordre des choses et d'adorer au , I)ar les illusions du démon, et méritons la grâce

lieu du Créateur les créatures (pii n'ont été


,
et la miséricorde divine par une vigilante at-

laites que pour notre salut et notre utilité. Oui, tention sur nous mêmes un grand zèle et , ,

dut ma parole soulever tous les gentils, je pu- l'assiduité aux devoirs de la prière pnbli«iue.

blierai à hante voix que le monde n'a été créé Car le S. ignenr est à notre égard si misérii-nr-

que l'homme. Car Dieu


i)our se suffit à lui- dieux, qu'il se contente de nosell'orls pour évi-
même, il n'a besoin d'aucun de ces biens
et nous facilite lui-même la |»rati-
ter le |)éché, et

exiérieurs. Mais la création de l'univers nous que des bonnes œuvres, Que nul d'entre vous,
manifeste sa bonté et il a entouré riiomme de
;
je vous en conjine, ne paraisse donc dans les

tan' d'honneur etd'estime qu'il lui adonné les jeux du cir:que et ne consume une partie du
,

créatures pour le conduire à la connaissance et jour en des réimionsetdes entretiens iiuililcs;


à l'adoration du Ciéatcur. El en ell'et, n'est-il que nid d'entre vous ne se livre à la passion des
])as absurde de s'ext;isier , et de se prosterner jeux de hasard et ne se mêle aux cris indé-
,

devant ces créatures si belles et de ne point ,


cents cl aux mille désordres (]ui les accompa-
élever sa pensée jusqu'à Celui qui les a faites ! gnent. Eh
de quoi vous sert-il, je vous le de-
!

Dour(|n()i ne croirions-nous p>»s à cette parole mande de jeûner et de ne prendre jus(]u'au


,

de rApùtre Les perfections invisibles de Dieu


:
soir aucune nourriture, si vous passez toute la

sont devenues visibles depuis la création du journée à jouer aux dés, si vous vous permet-
monde, par tout ce qui a été fait? [\{on\. \, 20. tez de folâtres amusements, et si enfin vous
)

Ré|)onde/.-inoi, ô honuue ! Lorscpie vous con- l>rononcez des jurements et des blasphèmes ?
tempU'z le ciel, n'admirez-vous pas eetti' beauté Ah ne soyons plus si indolents pour tout ce
!

(fin ivsulte de de rélévation et de la


la variété, qui concerne notre salut, et (|ue tous nos en-
splendeur des astres ? Mais ne vous arrêtez pas treliens roulent sur des matières spirituelles.
à ces «)bjels sensililes,et alleiguez parla pensée Il serait même bon que ehaeun eût entre les

l'Anteni- de laul de mervi'ilU's. i/eclat du soleil mains queUpTun de nos l.\res saints, et que,
vous ravit d'étonnement, les divers phénomè- réunissant ses amis il pût s'édifier avec eux
,

nes de sa lumière vous suri)renuenl et la ,


par une pieuse lecture. Ci*s pratiques nous
S})lendeur de ses rayons , qui éblouit vos aideront puissamment à éviter les pièges du
yeux, vous transpoite dadmiratiou. Mais u'ou démon, et à recueillir de notre jeùue des fruits
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — SEPTIÈME HOMÉLIE. 35

nbondanls. Elles nous nicrit(Tont également la Saint, la gloire, l'empire et rhonncur , main-
grâce du Seigneur, par rinollablo bonté de Dieu tenant , et dans tous les siècles des siècles.
le Fils, à qui soient, avec lo Père et l'Esprit- Ainsi soit-il.

SEPTIÈME HOMÉLIE.

Et, Dieu dit : « Que les eaux produisent des animaux vivants qui nsigent dans l'eau, et dea oiseaux qui volent
Eur la terre, sous le firmament du ciel, et il fut fait ainsi. > Dieu créa donc les grands poissons, et tous lep
animaux qui ont la vie et le mouvement, que les eaux produisirent, chacune selon leur espèce, (Gen. I, 20, 21 .)

AHALYSE.

i.L'oralour regrette la véhémence de ses précédents reproches, et annonce qu'il tiendra aujoui-d'hoi tin langage plus doflx. —2. Il

exhorte de nouvenu ses auditeurs à ne plus fréquenter le cirque, et à cause du tort qu'ils se font à eux-mêmes, et surtout du
scandale qu'ils donnent aux Juifs tt aux païens. Il prend de —
là occasion de parler du scandale et de montrer quelle est la
gricveté de ce péché. — 3. passe ensuite à l'explicatio-i du verset vingtième et vingt-unième de Genèse, et décrit puis-
sance et refiicacito de la
Il

parole divine dans la créalioa des poissons et des oiseaux


création, d'empêcher les hommes
— 4.11 fait

de tomber dans
la

aussi observer que rEs|irit-Saint


— 5. La bénédic-
la

a eu pour but, dans le récit si détaillé de toute la l'idolâtrie.

tionque Oieu donne aux poissons et aux oiseaux, amène l'orateur à glorifier la bonté et la puissance du Seijrncur. i.'œuvre du —
cinquième jour é'ant ainsi terminée, il explique la création des animaux terrestres, et prouve quelles en sont, à notre écard, la
convenance et l'utdilé. —
6 et 7. An moment d'aborder la création de l'homme, il s'interrompt pour ne pas trop alon^ier son
discours et termine par quelques réflexions morales sur la falie de l'idolâtrie^ à laquelle il oppose l'heureuse luQuence d'une vie
pieuse et chrétienne.

4. J'adressai hier de vifs reproches à ceux puis leur adressent de tendres reproches et de
qui avaient assisté aux courses de l'hippo- douces exhortations. Et moi aussi parce ,

drome, et je leur ai exposé la grandeur du que hier je vous parlai avec force et véhé-
dommage qu'ils avaient éprouvé. Et en effet mence, je ne vous tiendrai aujourd'hui qu'un
ils ont dissipé le trésor spirituel qu'ils avaient langage plein de douceur, car je vous consi-
amas.^é par le jeûne, en sorte que de riches ils dère comme une partie de moi-même. Je me
sont tombés soudain dans une extrême indi- sens donc porté à vous parler avec d'autant
gence. Mais je veux aujourd'hui employer un plus de franchise que j'ai un plus grand désir
remède plus doux, et [«anser les plaies de leur de votre salut. Eh! quel est mon trésor spiri-
âme, comme je |)anserais mes propres bles- tuel, si ce n'est voire avancement dans la pieté?
sures. Hier, je Tavoue, j'appliquai un remède C'est pourquoi je suis heureux, lorsque je
violent, non certes pour vous contrister et vous vois riches en vertus, et attentifs à éviter
augmenter votre douleur, mais afin de péné- tout ce qui pourrait nuire à vos âmes. Ma.*;
trer jusqu'au vif de l'ulcère par la violence du aussi quand je vois que vous succombez au
remède. C'est ainsi qu'agissent les médecins péché, et que vous vous laissez séduire par les
et les pères. Les premiers font usage d'un on- illusions du démon, je m'afflige profondément,
guent énergi([ue pour forcer la tumeur à s'ou- et la confusion couvre mon visage, car je
vrir, et ils la traitent ensuite par des pommades m'applique ce mot de l'Apôtre Nous vivovs :

adoucissantes. Et les seconds également, lors- maintenant, si vous demeurez fermes dans le
qu'ils voient leurs enfants tomber en des fautes Seigneur. (I Thés. m. 8.)
graves, les corrigent d'abord sévèrement, et Agissez donc en hommes parfaits et remplis
30 TRADUCTION FMNÇAISE DE SALNT JEAN CHRYSOSTOM.

de l'Esprit de sagesse, oubliez ce qui est der- et bien propre à nous remplir d'effroi. Car ce
rière vou?, et efforcez-vous d'avancer vers ce mot : mallieur, est comme une exclamation
qui est devant vous. Et pui?que vous renouve- de douleur à la vue du supplice inévitable au-
lez aujourd'hui vos premiers engagements quel s'exposent ceux par qui arrive le scan-
avec Jésus-Christ, conservez-les fermes et in- dale. Mais s'ils ne peuvent éviter une condam-
violables.Que la prudence chrétienne ferme nation sévère, et d'affreux châtiments, parce
désormais l'entrée de vos cœurs à toutes les que leur négligence a fait blasphémer le nom
séductions du démon; et n'oubliez rien pour du Seigneur, disons aussi que le zèle de la
réparer vos négligences passées, et effacer de vertu et du bon exemple devient un titre aux
votie âme la taclie du péché. Ainsi corrigez- plus belles récompenses. C'est ce que Jésus-
vous de la mauvaise et funeste coutume d'as- Christ lui-même nous enseigne, quand il nous
sister aux courses de l'hippodrome; et soyez dit Qîte votre lumière luise devant les hommes,
:

bien persuadés que ceux qui y courent avec afin qu'ils voient vos bonnes œuvres, et qu'ils
t uit d'empressement, se nuisent beaucoup, et glorifient votre Père qui est dans les cieux.
par leur coupable curiosité, et par le scandale (Matih. V, 16). Car si les païens se scandalisent
qu'ils donnent aux juifs et aux païens. Et en de la et en
conduite de quelques chrétiens,
effet lorsque ceux-ci voient pêle-mêle avec eux prennent occasion d'aiguiser leurs langues
dans le cirque des chrétiens qui viennent contre Dieu, par un effet contraire, dit le Sau-
chaque jour à l'église, et qui y reçoivent la veur, les hommes qui admireront en vous la
doctrine sainte, que peuvent-ils penser de nos pratique de toutes les vertus, ne pourront d'a-
mystères? ne les prendront-ils pas pour des bord que vous louer et puis en voyant l'éclat
;

illusions, et nous-mêmes pour des imposteurs? de vos bonnes œuvres, et la splendeur qui en
N'entendez-vous pas le bienheureux Paul qui rejaillit sur vous, ils se sentiront portés à

nous crie à haute voix Ne donnez point


: glorifier votre Père qui est dans les cieux :

occasion de scandale. Mais à qui? aux chrétiens et cette gloire que nous aurons ainsi procurée

seulement, et à ceux de notre croyance ? non au Seigneur augmentera nos mérites, et lui-
certes; mais d'abord aux juifs, puis aux même nous en récompensera par les plus ri-
païens., et enfin à V Eglise de Pieu. (I Cor. x, ches faveurs. Il nous l'assure en ces termes :

32.) Car rien n'est plus nuisible et plus funeste Je glorifierai ceux qui me glorifieront. (I Rois,
à notre religion que de scandaliser les infidèles. n, 30.)
Et en elfet lorsqu'ils voient des chrétiens se N'épargnons donc rien, mes chers frères,
signaler par leurs vertus, et prendre comme pour faire glorifier le Soigneur, notre Dieu, et
en pitié du haut des cieux la viehumaine, ses ne donner à persoime occasion de scandale.
intérêts et ses préoccupations, les uns s'exta- Le docteur des nations, le bienheureux Paul,
sient d'admiration, et les autres sont muets nous le recommande sans cesse, et il nous dit :

d'étonnement, parce que, hommes comme Si ce que je matu/c scandalise mon frère., je ne
nous, ils ne peuvent s'élever à cet héroïsme. mangerai jamais aucune viande; et même il
Mais aussi dès ([u'ils surprennent dans les fi- avait dit i)récédeuunent que péchant de la :

dèles quel((ue relâchement, ou (|uelque négli- sorte contre nos frères, et blessant leur con-
gence, ils aiguisent soudain leur langue con- science faible, nousprcho/i^ contre Jésus-Christ.
tre nous tous, et jiigent de tous les chrétiens (I Cor. vni, 12, 13.) Ces menaces sont terribles,
d'après la faute d'un seul. Que dis-je? ils font et entraînent une sévère condamnation. C'est
rejaillir leurs b1asi)hèmes sur notre divin connue si l'.Vpôtre nous disait : Cardez-vous
Chef lui-même, dont ils ci'iiiciuent la religion, bien de croire (juc le scandale n*alfei,;:ne que
et ilsnous opposent la lâcheté de queUjues votre frère, il rejaillit ju>que sur le Christ qui
mauvais chrétiens connue une légitime excuse a été crucifié pour votre frère. Mais si votre
de leurs erreurs. Maître n'a point dédaigné de souffrir à cause
2. M;iis voulez-vous connaître combien sont de lui la mort de la croix, pouvez-vous prendre
coupables ceux donnent occasion à ce scan-
(|ui tr(»p de précautions pour ne poiii' !> scan-
dale? écoutez le prophète Isaïequi nous dit, au daliser?
nom du Seigneur Malheur à vous^ parce que
: Tels sont les conseils qu'il donne eu toute
Dion Jio})i est ùlasp/h'fnv à cause de r(jus parmi circonstance àsesili-ciplos.el ({u'il leur recom-
les gentils / (Is. lu, 5.) Cette parole est terrible. mande comme un excelieul moyen de conserver
HOMÉLIES SUR LA C.ENF^SE. — SEPTIÈME HOMÉLIE. 37

en eux la vie de la charité. C'est pourquoi il Genèse qui vient d'être lu. Voyons donc ce que
écrit aux Philippiens Que chncun ait en vue
: Moïse veut aujourd'hui nous apprendre, ou
non ses propres intérêts, triais ceux des autres; plutôt l'Esprit-Saint qui nous parle par sa
et parlant aiLX Corinthiens, il dit Tout m'est : bouche.
permis, mais tout n édifie pas. (Philip, h, i... Et Dieu dit que les eaux produisent des
:

I Cor. X, 23.) Admirez la sagesse de l'Apôtre! animaux vivants qui nagent dans l'eau., et des
Quoiqu'il me soit libre, dit-il, de faire certains oiseaux qui volent sur la terre., sous le firma-
actes qui ne sauraient ni'èlre préjudiciables, je ment du ciel ; et il fut fait ainsi. Admirez ici

m'en abstiendrai, si mon frère doit en être mal avec quelle bonté le Seigneur nous fait con-
édifié. Voyez donc combien le cœur de Paul naiU(! l'oidre et la suite des œuvres de la créa-
nous aime, et comme il oublie ses propres tion. D'abord il nous a révélé comment, à son
intérètsatin de nous prouver de mille manières ordre, la terre avait épanché de son sein ses
que la première de toutes les vertus est de nous diverses productions puis il nous a raconté la ;

appliquer à édifier le prochain. Instruits à forjnalion de ces deux grands corps lumineux,
l'école d'un tel maître, observons ses préceptes, auxquels il joignit la variété des étoiles qui
je vous en conjure, etévitons tout ce qui pour- ornent le ciel de leur brillant éclat ; et aujour-
rait être pour nos frères une occasion de perdre d'hui, passant à l'élément des eaux, il nous

leurs richesses spirituelles. ne faisons Oui , apprend qu'à sa parole et son commandement
jamais rien qui cause à nos frères le moindre elles produisent elles-mêmes des animaux

dommage. Carie mauvais exemple rend notre vivants Que les eaux., dit-il, produisent des
:

péché plus grave, et nous expose à de plus ri- animaux vivants qui nagent dans l'eau et des ,

goureux supplices. Ne méprisons personne, oiseaux qui volent sur la terre, sous le firma-
serait-ce le dernier de nos frères; et ne disons ment du ciel. Mais quelle parole, je vous le
jamais cette froide parole Peu m'importe : demande , pourrait raconter dignement ce
qu'un tel s:2 scandalise. Comment! peu m'im- prodige ! et quelle langue suffirait à louercette
porte, dites-vous? Mais Jésus-Christ ne veut-il œuvre d'un Dieu créateur il ! avait dit seule-
pas que nos boimes œuvres luisent au dehors ment que la terre produise
: des plantes , et
afin que ceux qui les voient en soient édifiés soudain la terre s'était couverte des plus riches
et qu'ils glorifient le Seigneur? Et vous tout au productions; et aujourd'hui il dit que les eaux :

contraire, bien loin de procurer la gloire de produiseyit. Ces deux commandements furent
Dieu, vous êtes cause qu'on la blasphème, et suivis des mêmes effets; là il avait dit que la :

vous n'en avez aucun souci Cette conduite 1 terre produise des plantes; et ici il dit : qtie
est-elle digne d'un chrétien pieux et instruit leseaux produisent des animaux vivants. Mais
de sa religion? de même qu'à son premier ordre que la terre :

3. Au reste que ceux qui jusqu'ici se sont produise, la terre avait enfanté les plantes et
abandonnés à cette pernicieuse coutume, se les fleurs, les moissons et toutes les autres pro-
corrigent aujourd'hui sur nos pressantes invi- ductions si nombreuses; ainsi à ce
variées et si

tations, et s'abstiennent désormais de toute second ordre que les eaux produisent des
:

parole peu édifiante. Que chacun s'étudie donc animaux vivants qui nagent dans Veau., et des
à ne rien faire dont l'œil du Seigneur, œil tou- oiseaux qui volent sur la terre, sous le firma-
jours ouvert et toujours vigilant, soit blessé, ment du ciel , on vit apparaître les poissons et
ou que sa propre conscience lui puisse repro- les oiseaux ensi grand nombre qu'on ne sau-

cher comme une occasion de scandale et de rait compter. Mais autant la parole du
les
blasphème pour tous ceux qui en seraient Seigneur est brève et concise, autant les espèces
témoins. Si nous agissons en toutes choses avec des poissons et des oiseaux sont nombreuses et
ces précautions, nous attirerons sur nous les variées. Et ne vous en étonnez pas, mon cher
miséricordes du Seigneur, et nous éviterons frère, puisque c'était la parole de Dieu, et que
les embûches du démon. Car en nous voyant cette parole est toujours efficace et créatrice.
ainsi attentifs et vigilants, il perdra toute espé- Vous voyez maintenant comment toutes les
rance de nous vaincre, et se retirera honteu- créatures ont été tirées du néant vous voyez ;

sement. Mais cet exorde est assez long, et il est aussi avec quelle bonté Dieu nous révèle la
temps de servir à votre charité comme un festin suite de ses œuvres, et avec quelle condes-
spirituel en vous expliquant le passage de la cendance il se proportionne à notre faiblesse.
38 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

Et en effet, eussions-nous pu jamais connaître croissez et multipliez, remplissez la mer, et


tous ces détails de la création, si le Seignriir que les oiseaux se multiplient sur la terre.
n'eût daigné les révéler aux hommes par la (Gen. I, 21, 22.) Considérez, je vous prie, quelle
bouche de son proj)hète. Nous savons donc au- est la sagesse de l'Esprit-Saint. Déjà Moïse avait
jourd'hui quel ordre Dieu a observé dans la dit : et il fut fait ainsi ; et voilà qu'il lui ins-
création, nous voyons les effets de sa puis- pire de nous révéler tous les détails de cette
sance, et nous admirons cette parole créatrice œuvre. Et Dieu créa grands poissons, et tous
les
qui commande au néant, et qui donne l'être à les animaux qui ont mouvement,
la vie et le
tant de créatures différentes. que les eaux produiserit chacun selon soyi
4. Et cependant il se rencontre quelques in- espèce; et il créa aussi des oiseaux, chacun
sensés qui, après ces belles instructions, osent selon son espèce et Dieu vit que cela était
;

encore se dire incrédules, et qui ne veulent b^n. Ces paroles répriment de nouveau une
pas reconnaître que Dieu a créé le monde I ils téméraire critique. Et en effet, aOn que nul ne
disent, lesuns que le hasard a tout fait, et les puisse dire pourquoi les monstres marins ?
:

autres qu'une matière préexistante a tout pro- quelle est leur utilité , et quels avantages
duit. Mais voyez combien celte illusion du l'homme de leur création ?
peut-il retirer
démon est dangereuse, et comment il abuse de Moïse nous apprend d'abord que Dieu créa, avec
la simplicité de ceux qui se laissent séduire ! les grands poissons, tous les animaux qui

c'est pour nous préserver d'un semblable mal- ont la vie et le mouvement, ainsi que les
heur que le saint prophète, ins|)iréparl Esprit- oiseaux ; et puis il ajoute : que Dieu vit que
Saint,nous raconte avec tant d'exactitude tout cela était bon.
l'ensemble de la création, en sorte que nous en C'est comme s'il nous disait : parce que vous
connaissons manifestement l'ordre et la suite, ignorez la raison des œuvres divines, ne vous
et que nous savons comment chaque créature hâtez point de blâmer le Créateur. Vous avez

a été produite. Mais si Dieu n'eût pas eu un entendu la parole du Seigneur, parole qui [iro-
soin aussi spécial de notre salut, et s'il n'eût clame qu'elles sont bonnes et, pleins d'une folle ;

dirigé lui-même langue de son prophète,


la témérité, vous osez demander pourquoi elles
celui-ci se fût contenté de dire Dieu créa le : existent, comme si elles n'étaient dans la créa-

ciel et la terre, la mer et les animaux ; et il tion qu'une supertluité ? Et toutefois si vous
n'eût pasjugé nécessaire de distinguer les jours étiez doués d'un sens droit, elles vous feraient
de la création, ni de maniuer séparément les connaître la puissance et l'ineffable honte du
œuvres de chacun d'eux. Mais pour ôter toute Seigneur. Sa puissance paraît en ce qu'il lui a
excuse aux hommes ingrats et aveuglés par suffi d'une parole et d'un commandement
leurs préjugés. Moïse distingue clairement pour produire ces monstres marins, et sa bonté
l'ordre des faits et le nombre des jours ;
et il en ce qu'après les avoir créés, il les a relégués
nous instruit avec tant de soin qu'il nous est dans le vaste abîme de lOcéan, en sorte quils
comme impossible de méconnaître la vérité, et ne peuvent nuire à l'homme. Ainsi ces géants
de tomber dans l'erreur des païens. Ceux- des mers nous font admirer la puissance
ci ne dél)itent que les rêves de leur imagi- suréminenle du Créateur, et ils sont inof-
nation, tandis que nous savons combien le fensifs. Cette double utilité n'esl-elle donc pas
Seigneur, notre Dieu, est grand et puissant. une grande preuve de la bonté divine puis- ,

Il avait dit Qtœ les eaux produisent des


: (juc la vue de ces monstres conduit tout
animaux vivants quinagctd dans Veau, et des esprit sage à la connaissance du Seigneur, et
oiseaux qui volent sur la terre, sous le firnui- (pie lui-même, par un prodige de bienviillance,
ment du ciel ; et soudain l'élément, docile à la les empêche de nous faire aucun mal ? Car
parole du Créateur, accomplit son comman- toutes les créatures n'ont pas été produites |)our
dement. Aussi Moïse ajoule-t-il Et il fut fait : la seule utilité de l'homme; et ipielques-unes
selon que Dieu l'avait ordonné. Et Dieu créa soiît destinées à publier magniticence du
la

les graîids poissons, et tous les animaux qui Créateur. Oui, les unes ont été faites pour notie
ont la vie et le ?nouvrment, que les eaux pro- usage, et les autres pour manifester la gran-
duisirent chacun selon son espèce et il créa aussi
; deur de Dieu, et proel;imer Sii puissance. Au>si
des oiseaux, chacun selon son espèce. Et Dieu l(Msque Aous entendez l'écrivain sacré vous
vit que cela était bon ; et il les bénit en disant : dire que Dieu vit que tout cela était bon,
HOMÉLIES SUn LA GENÈSE. — SEPTIÈiME HOMÉLIE. 39

n'ayez pas la tcmcrité de contredire l'Ecriture, reptilesdangereux? Qu'ils écoutent cette parole
ni d'émettre curiiHisement celte im|)rudeiite de l'Ecriture Et Dieu vit que cela était bon.
:

parole : pourquoi Dieu a-t-il fait telles ou telles Quoi lie Créateur lui-même loue son œuvre,
créatures? Et Dieu les bénit, en disant: Crois- et vous oseriez la blâmer! M lis n'est-ce pas une
sez et multipliez^ remplissez la mer ; et que les extrême folie? Tous les arbres que la terre
oiseaux se multiplient sur la terre. nourrit ne produisent point des fruits, et nous
5. L'elTet de celte l)énédiclion a clé raccrois- comptons parmi eux des espèces sauvages et

scinent prodi^'ieux des poissons et des oiseaux. stériles; toutes les plantes elles-mêmes ny sont
Ll parce que Dieu voulait qu'ils se perpétuas- point utiles: il en est qui nous sont inconnues,
sent en leurs générations, il les bénit, en di- et d'autres qui sont malfaisantes. Et cependant,
sant : croissez et midtipliez. C'est ainsi qu'ils qui oserait les condamner? car elles n'ont point
se sont conscn'és jusqu'aujourd'hui, et qu'à été créées au hasard et sans intention. Oui,
travers tant de siècles nidle espèce n'a péri. elles n'auraient point été louées par le Créateur
Car par la bénédiction de Dieu, et par cette lui-même, si elles eussent dû être entièrement
parole : Croissez et multipliez^ il leur a été inutiles. Outre les arbres fruitiers, nous en
donné de se multiplier et de subsister toujours. possédons un grand nombre qui, quoique sté-
Et du soir et du matin se fit le ciïiquièmejour. riles, nous sont aussi utiles que les premiers,

L'Ecriture nous apprend ainsi quelles espèces parce qu'ils servent aux différents usages de la
parmi animaux furent créées le cinquième
les vie et aux besoins de Thomme. Et, en effet,
jour. Mais attendezun peu, et vous verrez de nous employons ou dans la construction
les
nouveau éclater la bonté du Seigneur. Car il des bâtiments, ou dans la confection de meu-
n'a pas seulement rendu les eaux fécondes bles nécessaires et commodes. Ainsi, nulle
pour produire les poissons et les oiseaux, mais créature n'a été faite sans raison, quoicjue
il a commandé aussi h la terre d'enfanter les l'esprit de l'homme ne puisse en découvrir
animaux pourquoi la suite du
terrestres. C'est toute l'utilité. Mais ce que je dis des arbres
récit nous engage à aborder l'œuvre du sixième s'applique également aux animaux, dont les
jour. uns servent à notre nourriture, et les autres à
Et Dieu dit : Que la terre produise des ani- nos travaux. Il n'est pas jusqu'aux bêtes féroces
maux vivants^ chacun selon son espèce : les et aux reptiles qui ne nous soient utiles; et,
animaux domestiques^ les reptiles et les bêtes quoique depuis la désobéissance de nos pre-
sauvages de la terre ^ selon leurs différentes miers parents nous ayons perdu sur eux l'em-
espèces. Et cela se fit ainsi. (Gen. i, 24.) Consi- pire et l'autorité, quiconque y réfléchira sé-
dérez donc quel nouveau service nous rend la rieusement se convaincra que nous en retirons
terre, et comment elle obéit à ce second ordre encore de précieux avantages. Et, en effet, les
du Seigneur. D abord elle avait produit les médecins en tirent plusieurs remèdes pour la
germes de toutes [dantes, et maintenant elle guérison de nos maladies. Au reste, en quoi la
enfante les animaux vivants, les quadrupèdes création des animaux féroces pouvait-elle être
et les reptiles, les animaux domestiques et les blcâmable, puisqu'ils devaient, comme les ani-
bêles sauvages. Mais ici se confirme ce que je maux domestiques, être soumis à l'homme,
vous avais déjà déclaré, à savoir, que dans les que Dieu allait créer? Et c'est ce sujet que j'a-
œuvres de la création, le Seigneur s'est proposé borde.
tantôt notre utilité et tantôt sa propre gloire : Mais d'abord, considérons dans son en-
6.
il que la vue de tant de créatures nous
a voulu semble la bonté du Seigneur à l'égard de
fit admirer la puissance du Créateur, et nous l'homme. Il étendit les cieux, créa la terre, et
révélât que sa bonté et sa sagesse infinies les plaça le firmament pour diviser les eaux supé-
ont faites pour l'homme, qu'il devait bientôt rieures d'avec les eaux inférieures; il réunit
créer. ensuite les eaux dans un bassin qu'il appela
D'eu donc les bêtes de la terre selon leurs
fît mer; il nomma terre l'élément aride, et l'orna
espèces; aninuiux domestiques et tous ceux
les d'arbres et de plantes; il passa ensuite à la for-
qui rampent sur la terre., chacun selon son es- mation de ces deux grands corps de lumière et
pèce. Et il vit que cela était bon. (Gen. i, 2o.) de cette multitude d'étoiles qui embellissent le
Où sont aujourd'hui ceux qui osent demander ciel; enfin, il acheva l'œuvre du cinquième
pourquoi Dieu a créé les bêtes sauvages et les jour en ordonnant aux eaux de produire les
poissons qui nagent dans leur sein, et les oi- gumes? Ce sont ces peuples que désignait le
seaux qui volent sur la terre, au-dessous du Prophète, quand il disait Lhomme a été com-
:

firmament. Mais, parce qu'il convenait que la paré aux bêles qui n'ont aucune raison, et il
terre elle-même fût peuplée, il créa les divers leur est devenu semblable. (Ps. xlvhi, 21.)
animaux, tant ceux qui servent à notre nour- Comment l'homme, doué de raison et orné de
riture que ceux qui nous aident dans nos tra- sagesse, est-il devenu semblable à la brute? et
vaux, et même les reptiles et les bêtes féroces. même, comment est-il descendu au-dessous

C'est ainsique Dieu, après avoir produit toutes d'elle? L'animal ne peut être responsable de
les créatures, chacune en '^on rang et sa per- cette monstrueuse idolâtrie, puisqu'il est un
fection, dressa l'univers comme une grande être irraisonnable mais l'homme qui tombe
;

lable chargée de toutes sortes de mets et res- dans cet excès d'impiété sera rigoureusement
plendissant d'un luxe princier et d'une magni- puni, parce qu'après tant de bienfaits, il ne
ficence vraiment royale. C'est alors aussi qu'il sait être qu'ingrat. Les païens ont donc appelé
créa l'homme, qui devait jouir de toutes ces dieux la pierre et le bois, et ils ont érigé en di-
richesses. Il lui donna autorité sur toute la vinités les plus grossiers éléments; car, du
création visible; et, pour montrer combien il jour où ils s'éloignèrent du sentier de la vérité,
hurpassait en dignité toutes les autres créatu- ils se précipitèrent dans un profond abîme de
res, il les soumit à son empire et à sa puis- malice et d'impiété.
sance. 7. Cependant ne faut pas désespérer de
il

Mais,pour ne point prolonger ce discours leur salut, et nous devons les instruire en
outre mesure, je remets à demain tout ce (jui toute charité et en toute patience. Montrons-
concerne l'admirable formation de l'homme, leur et l'absurdité de l'idoiàtrie, et les malheurs
cet être doué de vie et de raison, et je ter- auxquels ils s'exposent; mais surtout, ne ces-
mine, comme d'habitude, par une instruction sons jamais de travailler à leur conversion. Il
morale. Retenez donc fidèlenient mes paroles, est probable, en efïet, qu'avec le temps nous
afui que la vue des créatures vous excite à glo- les amènerons à la vérité , principalement si

rifier le Créateur. Sans doute, nous ne pouvons notre conduite ne leur est pas une occasion ou
ni pénétrer les secrets divins, ni comprendre un prétexte de s'en éloigner. Car plusieurs,
touies les merveilles de la création; mais cette parmi les païens, en voyant que nous, qui
impuissance même, loin de nous être une oc- nous appelons chrétiens, sommes comme eux,
casion d'incrédulité, doit nous animer davan- avides, avares et envieux, vindicatifs, traîtres,
tage cà célébrer la gloiie du Seigneur. La fai- dissolus et voluptueux; plusieurs, dis-je, re-
blesse de notre raison et la petitesse de notre poussent nos avis, se persuadent que notre
esprit ne peuvent ciu'accroître en nous l'idée religion n'est qu'une tromperie, et pensent que
de la grandeur divine, et la puissance du tous les chrétiens sont coupables des mêmes
Créateur nous paraît d'autant plus souveraine vices.
(jue ses œuvres nous sont incompréhensibles. Considérez donc sérieusement, je vous en
Cet aveu est à la fois le témoignage d'un conjure, de quels su[>plices se rendent dignes
cœur reconnais?aiil et dun esprit sage. Mais ceux (pu attisent ainsi pour eux-mêmes les
les gentils se sont égarés parce (ju'ils ont tout feux éternels de l'eufer, et (jui sont cause (pi'un
permis à leurs pensées; ils n'ont point assez grand noml)re de païens persévèrent dans
cdiuiu la faiblesse de notre raison, et, vou- leurs erreurs. Ces derniers ferment l'oreille à
lant pénétrer des înysténîs impénétrables à la voix de la vérité; mais les premiers leur

Ihomme, ils ont franchi les bornes du possible donnent occasion de calonuiier la vertu, et, ce
dégradés eux-mêmes. C'est ainsi que,
et se sont qui est un péché énorme, de blasphémer le
doués de raison, et par cette admirable préro- saint nom de Dieu. Comprenez donc les suites
gative élevés au-dessus di; tout«^s créatures vi- funestes du scandale certe*, ceux (pu le re-
:

sibles, ils sont tombés dans une telle absurdité, pamieut, ne s'exposent pas à de vulgaires chà-
(juils ont adoré le chien, le singe, le crocodile Inneuts; mais ils se préparent les plus alfreux
et d'autres animaiix plus méprisables encore. supplices, puisqu'ils seront punis, et pour leurs
Eh! qui> i)arlé-ie d(» brutes et d'animaux! Oui propres pèches, et pour ceux qu'ils auront fait
ne sait (pie «les peuples ont été assez slupides couunettre, soit en retenant par leurs scanda-

et insensés pour adorer des oignons et des lé- les les païens dans l'idolâtrie, soit ( ii les aulo-
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — SEPTIÈME HOMÉLIE. il

risant à soupçonner la vertu des gens de bion, détachement des biens de la terre ils les re- 1

et à continuer leurs blasphèmes contre le Sei- gardent comme une ombre et un songe et, ;

gneur. indifférents à tout ce (pii passe, ils vivent


Pénétrés de ces vérités, ne négligeons point comme voyageurs sur une terre étrangère, et

notre salut, mais appli(inons-nous à vivre scion souhaitent impatiemment de quitter la vie.
les maximes de TEvangiie, car nous ne pou- Mais quelles faveurs divines, même ici-bas,
vons ignorer qu'elles seront pour nous un n'attirent pas ces discours sur ceux qui y don-
sujet de condanm;ition, ou un titre aux plus nent occasion! Et, nouveau prodige non moins
magnifiques récompenees. Conduisons- nous admirable, les païens qui s'expriment ainsi ne
donc avec tant de prudence que notre con- tardent guère à reconnaître leurs erreurs et à
science ne nous fasse aucun reproche, que nos revenir à la vérité. Mais, qui ne comprend
bons exemples ramènent à la vérité, par de combien s'augmente alors l'assurance de notre
doucesinsinuations, ceux quisont dans l'erreur, salut! Puisque nous serons jugés sur le bien
et que tous nos frères jouissent de toute l'es- ou le mal que nous aurons fait à nos frères par
time que méritent leurs vertus. Mais surtout nos exemples, réglons notre vie de telle sorte
ayons soin que le Seigneur soit glorifié, afin que nous n'ayons rien à nous reprocher et que
que lui-môme redouble à notre égard ses soins le prochain en soit édifié. C'est ainsi que sur la

paternels. Et en effet, lorsque notre conduite terre nous mériterons l'abondance des grâces
édifiante encounige le prochain à la vertu et divines, et que dans le ciel nous jouirons lar-
l'anime à louer Dieu, nous obtenons des grâces gementdes récompenses éternelles, parla grâce
plus abondantes. Eh ! n'est-il pas véritablement et la miséricorde de Jésus-Christ, Fils unique
heureux celui qu'on ne peut voir sans admira- du Père, à qui soient, avec le Père et l'Esprit-
tion et sans s'écrier gloire vous en soit ren-
: Saint, la gloire, l'honneur et l'empire, mainte-
due, Seigneur? Quels hommes que ces chré- nant et dans tous les siècles des siècles. Ainsi
tiens 1quelle sagesse reluit eu eux, et quel soit-il.
42 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CIIRYSOSTOIIE.

HUITIÈME HOMÉLIE.

Et Dieu dit : < Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance ; et qu'il dom.ine sur les poissons de la

mer, et sur les oiseaux du ciel, et sur les animaux, et sur toute la terre , et sur tous les reptiles qui se
meuvent sur la terre. » (Gen. I, 26.)

ANALYSE.

I. Après quelques paroles de félicifation sur l'empressement de ses auditeurs h venir l'entendre. —
2. L'nrafeur aborde la créatbnde
riinmnio, et observe que si toutes les autres créatures ont été produites par le seul commandement du Seiçmeur, celui-ci em-
ploie, pour la formation de l'iiouime, un lans:a?e tout autre, el qui atteste déjà rexcellence de ce nouvel être. 3.11 prouve en- —
suite aux juifs par ces mots: « Faisons l'homme à notre imagL, » l'existence du mystère de la Trinité, cl^ux ariens la consub-
stantialité du Verbe puisque Dieu s'adresse à une personne divine , et que cette personne lui est éeale en toutes choses-
,

4. Quand Mo'ise dit que l'homme a été créé à l'image de Uieu, il ne veut point dire que Dieu ait la forme humaine, mais que le
Seigneur en établissant l'homme roi de la nature, l'a fait entrer en participation de son autorité. —
Ue là, l'orateur fait .'i.

une brillante description des mdjies préroçativcs de l'homme, et combat l'absurdité de l'ido'âtrie qui n'est que la dégradation de
l'homme. — 6. Il termine ensuite par rénumération des qualités du véritable jeune, et exhorte ses auditeurs Ji la pratique de
l'aumône et de l'humilité.

L'empressement que vous iémoignâtes


l. que votre désir est vif, et que votre intelligence
hier m'encourage, mes très-cliers frères, à vous dcploie ses ailes au soutfle de ma parole, plus
expliquer aujourd'hui les paroles de la Genèse je me sens pressé de vous ouvrir tous les tré-
que l'on vient de lire. Mais en vous priant d'é- sors de la saine doctrine. Car ces trésors spiri-
couter avec allention ce présent entretien ,
je tuels augmentent entre mes mains dans la
vous deïnande de ne |)as oublier ceux des même proportion (jue je vous les conmmni-
jours précédents, afin que mon travail ne soit que. Tel est l'heureux elîet de ces entretiens
pas inutile. Car je m'efTorce de vous faire i)ar- qui vous édifient, et qui servent à l'utilité de
faitt'Uicnt saisir le sens et la force de chaciue vos âmes. Il n'en est pas de ces richesses comme
verset de l'Ecriture, en sorte (jne vous les rete- de l'argent plus nous donnons à nos frères,
:

niez vous-mêmes, et qu'en les conunuiii(ju;mt et plusnous diminuons notre trésor; plus nous
à vos frères, vous puissiez, selon le préce[)le sommes généreux, et plus nous nous appauvris-
de saint Paul, vous édifier les uns les autres. sons, maisicic'esttoulle contraire. Nos richesses
(I Tliess. v, 11.) Car si vous faites (]uel(jues s'jiccroissent, et notre opulence s'augmente ea
pro{j;rès dans la |)iété, et si vous relirez (luel- pro(iortion que nous répandons la saine doc-
ques fruits de ces instructions, ma joie sera trine dans les âmes qui out soif de la posséder.
grande. N'èfes-vous |)asen elTet tout mon bon- Puiscpie la parole divine est ainsi pour nous
heur, et toute mon allégresse! Oui, (ji/elle est une mine féconde, et pour vous un aliment
notre espérance, notre joie , et n')tre couronne spirituel, dont vous êtes saintement avides,
de gloire ? n'est-ce pas vous, et votre progrès recueillons aujourd'hui les instructions que
selon Dieu? [\ ïhess. n, 10.) Le maître ijui nous doime Moïse dans le i)assage qui vient
voit (jue ses disciples retiennent ses leçons, et d'être lu, ou plutôt celles (lue rEs[)rit-Saint
les mettent en pratitjue, continue à les ins- nous conununique par son intermédiaire.
truire avec une non \ elle ardeur. Et moi aussi, Et Dieu dit -.faisons l'homme à notre image
plue je vois que votre alteuliou est grande, et à jiotre ressemblance. Mes chers frères, no
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — HUITIÈiME HOMÉLIE. 43

passons point légèrement sur ces paroles, mais dernier? Certes, c'est avec raison. Car, lors-
exatninons-les en détail, et cherchons à les qu'un roi doit entrer dans une ville, il y en-
aj)[trof()nilir, afin, d'y trouver le sens riche et voie d'abord ses gardes et ses officiers, afin
abondant qu'elles renferment dans leur briè- qu'ils disposent le [)alais pour son arrivée.
veté. Elles sont courtes, il est vrai et néan- ; Et de même, Seigneur, qui devait établir
le

moins elles cachent un précieux trésor, et il l'homme roi et souverain de l'univers, voulut
convient que nous a[)porlions tous nos soins d'abord l'orner et l'embellir, et puis il créa
et toute notre application à le découvrir. l'homme auquel il a donné l'empire du monde.
Voyez-vous ceux qui exploitent une mine d'or. C'est ainsi qu'il montre combien il honore
Hs ne se bornent pas à effleurer le sol, mais l'homme.
ils creusent profondément, et pénètrent jusque Interrogeons maintenant les Juifs, et de-
dans les entrailles Ce n'est que par
de la terre. mandons-leur de répondre à cette question. A
ce moyen qu'ils lui arrachent ce métal pré- qui le Créateur dit- il Faisons V homme à:

cieux et souvent même après bien des travaux


;
notre image ? Les Juifs se vantent de croire à
et des fatigues, ils n'en recueillent que quel- Moïse qui a écrit ces paroles mais réellement ;

ques grains. Ici au contraire le travail est ils n'y croient pas, comme le leur reprochait
moindre, et le résultat toujours abondant. Jésus-Christ. Si vous croyiez à Moïse, leur di-
Telle est la loi de toutes les choses spirituelles. sait-il, vous croiriez aussi à moi (Jean, v, 46) ;

2. Ne soyons donc pas moins que ceux


actifs ils sont, il est vrai, les dépositaires des saintes
qui cherchent des trésors périssables, mais Ecritures, mais les chrétiens seuls en possè-
travaillons avec ardeur à découvrir le trésor dent le sens. A qui donc le Seigneur dit-il Fai- :

spirituel qui est caché dans les paroles de la sons l'homme? Et auprès de qui prend-il con-
Genèse. Et d'abord considérons ce qu'elles seil ? Ce n'est pas que Dieu ait besoin de prendre

renferment de nouveau et de vraiment admi- , conseil, et d'agir avec citcunspeclion : non


rable puis nous examinerons tous les ternies
: sans doute. Mais ces expressions figurées attes-
divers que choisit Técrivain sacré, ou plutôt tent toute l'excellence de l'être qu'il allait [)ro-
que Dieu lui-même lui inspire. Et Dieu dit: duire. Que répondent enfin ceux qui ont un
faisons l'homme à notre image et à notre ?-es- voile sur les yeux, etqui ne veulent point
scmblancc. Lorsqu'il eut créé le ciel et la terre, comprendre TEcriture? Dieu, disent-ils, parle
il dit que la lumière soit : que le fi?'mament
: à un ange, ou à un archange. folie! ô im-
soit eîitre les eaux ; que les eaux se réunissent pudence! peut-on dire avec quelque apparence
dans un seul bassin, et que l'élément aride de raison, ô pauvre homme que Dieu prenne ,

paraisse; et encore que des corps de lumière


: conseil de ses anges, et le Créateur, de ses
soient, et que les eaux produisent des aniinaiix créatures? L'office des anges n'est point de
vivants qui nagent. C'est ainsi (jue pendant cinq donner des conseils, mais d'entourer le trône
jours toutes les créatures furent formées [)ar la du Seigneur et d'exécuter ses ordres. En dou-
seule parole du Seigneur. Mais aujourd'hui tez-vous? écoutez cette magnifique vision du
quel langage dilTérent 11 ne dit poml que 1 : prophète Isaïe â'ai vu des chérubins qui se
:

l'homme soit, mais faisons l'homme à notre tenaient à la droite du Très-Haut , et des séra-
image à notre ressemblance. Uuel sera dune
et phins qui se voilaient de leurs ailes le visage et
cet ouvrage nouveau, et quelle merveille va se les pieds. (Isaie, vi, 2.) Ils se voilaient ainsi,
produire quel est cet être dont la formation
! parce qu'ils ne pouvaient soutenir l'éclat de la
semble exiger du Créateur tant de prudence et majesté divine. Aussi le Pro|)hète les a-t-il vus
de circonspection? Ne vous en étonnez point, tremblants et pénétrés de crainte. C'est en effet
mes très-chers frères car l'homme surpasse eu : le devoir et de ces intelligences célestes
l'office
dignité toutes les créatures visibles qui n'ont de se tenir près du Seigneur.
été créées que pour lui. Oui, le ciel, la terre et 3. Les Juifs qui neveulent point comprendre
la mer; lune et les étoiles; les
le soleil, la le sens des Ecritures nous repondent au ha-
reptiles, les animaux domestiques et les bê- sard, et sans réflexion. Ainsi, après avoir ré-
tes féroces, tout en un mot n'a été créé que futé leurs erreurs, exposons aux enfants de
pour l'honune. l'Eglise la vérité des paroles de Moïse. A qui
Mais puisque l'homme surpasse en dignité donc le Créateur dit-il : Faiso/is l'homme?
toutes les créatures, pourquoi a-t-il été créé le Mais à quel autre qu'à Celui qui est l'Ange du
u TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

f^rand conseil, ]p. Conseiller par excellence, le iez-vous un peu, ouvrez les yeux aux clartés du
Dieu puissant, le Prince -ie ht paix, le Père du Soleil de justice, et pesez avec nous les expres-
siècle futur, le Fils unique de Dieu, qui est sions de l'Ecriture. Car après avoir rapporté
consubstanliel au Père, et par qui tout a été cette parole Faisons l'homme à iiotre image et
:

créé? C'est à lui (|ue Seigneur dit Faisons


le : à notre ressemblance elle s'empresse d'ajouter
,

Vhomme à notreimarject ànolre ressemblance. les suivantes, qui nous font manifestement
Ce passage suffit pour confondre les ariens. connaître dans quel sens elle prend le mot
Car Dieu le Père ne commande point à son image. Que l'homme domine sur les poissons
Fils comme à un sujet et un serviteur, ni de la mer, et sur les oiseaux du ciel, et sur tous
même comme s'il lui était inférieur en subs- l(S reptiles qui se meuvent sur la terre. Ainsi

tance; mais il lui parle comme à son égal, en le mot image ne signifie qu'un rapport d'au-

disant : Faisons l'Iiomme, et il proclame sa torité et d'empire, et ne peut recevoir un autre


parfaite consubstantialitéen ajoutant: Faisons sens. Et en effet, Dieu a établi Thomme roi de
l'homme à notre imarje et ressemblaiice. l'univers. Rien sur la terre ne l'égale en di-
Ici s'élèvent d'autres hérétiques qui com- gnité, et toutes les créatures lui sont soumises.
battent l'enseignement de l'Eglise, et qui con- 4. Nos adversaires veulent-ils encore, même
cluent de celte parole ànotre image que Dieu après une explication si catégorique, entendre
a une forme humaine. Mais n'est-ce point le ce mot image d'une forme corporelle? nous
dernier degré de la folie que de donner une leur dirons que Dieu n'est pas seulement
forme humaine à l'Etre qui est un, simple et homme, mais femme aussi, puisque la forme
immuable, et d'attribuer un corps et des humaine se retrouve dans les deux sexes. Mais
membres à Celui qui est un pur esprit? Peut- ce serait vraiment trop absurde ; et il suffit
on rien inventer de plus extravagant, et qui pour s'en convaincre de lire ce passage de
blesse d'une manière plus choquante l'inspi- l'Apôtre : L'homme ne doit point se couvrir la
ration et le sens des divines Ecritures? Ces tête, parce qu'il est l'image et la gloire de Dieu;
hérétiques ressemblent <à des personnes dont au que la femme est la gloire de l'homme.
lieu
l'estomac est malade, ou dont les yeux sont (I Cor. II, 7.) Et en effet, l'homme commande et

faibles. L'infirmité de leur vue les empccbe de la femme lui est soumise, ainsi que Dieu le lui a
soutenir l'éclat du soleil, et leur mauvaise signifié dès le commencement. Fuseras sous la
complexion les porte à repousser les meil- puissance de ton mari., et il te dominera. (Gen.
leurs et les plus salutaires aliments. C'est III, 16.) Ainsi l'homme a clé fait à l'image de

ainsi que ces hérétiques (jui ont rame ma- Dieu parce qu'il entre eu participation de son
lade, et les yeux de l'esprit mal atï'ectés, ne autorité, et non point parce (jue Dieu a une
peuvent supporter la lumière de la vérité. forme humaine. L'homme commande donc à
Mais notre ministère nous oblige à leur tendre toutes les créatures, et même à la femme (jui
la main, et à leur j)arler avec la plus bien- lui est assujétie. pourquoi saint Paul a
C'est
veillante douceur. Tel est l'avis que nous dit de rhomnic qu'il est l'image et la gloire de
donne l'Apôtre. Instruisez, dit-il, avec douceur Dieu, et de la femme, qu'elle est la gloire de
ceux qui résistent à la, vérité, dans l'espé- l'Iiomme. Mais si les paroles de l'Ecriture de-
rance qiic Dieu pourra leur donner et l'esprit vaient s'entendre de la forme et de la figure,
de pénitence pour la leur faire connaître, et la la distinction que fait ici l'Apôtre serait
sobriété de V esprit pour qu' ils sortent des pièges inutile , nature luuuaiue est
puisque la la
du démon qui les tient captifs, et en fait ce mèuie dans riiomme et dans la femme.
quil lui piaf t. (II Tim. m, ti."), i>G.) Voyez-vous Tel est le véritable sens de ce passage de la
connue il nous les représente abrutis par Genèse , et il ne laisse aucun prétexte à ceux
l'ivresse, plongés dans un profond abîme,
et qui s'obstinent aveuglément à le rejeter. Mais,
lorscpi'il dil (jue Dieu leur donnera de recou- quoiqu'il en soit, ne cessons point de les traiter
vrer la sobrith! de l'esprit? Il dit encore ([u'ils avec douceur, car peut-être le Seigneur leur
vivent sous l'esclavage du démon, c'est-à-dire donnera-t-il l'esprit de pénitence qui les afnè-
qu'ils sont pris et envelo|)pés dans ses lllels. nera à rccoimaitre la Tim. ii, 2.->.)
vérité. (II
Nous ne pouvons donc les en retirer (jue i)ar Ai:i.-<i donnons une nouvelle acti-
à notre zèle
beaucoup de patience et beaucoup de douceur. \ilé, et eflorçons-uous par notre douceur de les
C'est puuniuoidisous-leur amicalement :UeveiI- arracher aux pièges du démon. Citons -leur
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. - HUITIÈME HOMÉLIE.

encore l'aulorifé de TAiiôlre qui disait aux ,


terions élo((uemment sur le pardon des inju-
Athéniens que nous ne devons pas croire que la res si , dans l'occasion , nous n'en donnions
divinité soit semblable à l'or ou à l'argent^ ou l'exemple. Nos discours n'auraient jamais alors
à la pierre dont l'art et l'industrie des homynes autant d'efficacité pour le bien que notre con-
a fait des figures. (Act. xvii, 20.) Et observez duite pour le mal. Mais si l'exemple précède
ici avec quelles précautions ce saji:e docteur et accompagne nos paroles, on nous croira,
sape dans leur base les raisonnements de l'Iié- parce que nous pratiquerons nous-mêmes les
rétitjue; car que non-seulement la divi-
il dit leçons que nous donnerons aux autres. C'est
nité ne peut avoir une forme corporelle, mais de ces chrétiens (jue Jésus-Christ a dit IJen- :

il ajoute même que l'imagination de l'homme reux cclid qui fera et qui enseignera I (Mattli.

ne saurait la représenter. v, 10.) Et observez comme il met l'action avant

Cilez-leurdonc ces paroles, et employez tous la doctrine. Et en effet, quand même la parole
vos soins pour les détromper et les faire reve- ne suivrait point l'exemple , celui-ci suffirait
nir de leurs erreurs. Au reste, si vous devez pour instruire tous ceux qui le voient.

toujours les instruire avec bonté, vous devez Appliquons -nous donc à édifier nos frères
égaUMr.ent connaître à fond les dogmes de l'E- par nos bonnes œuvres, et puis nous leur adres-
glise, ainsi que le sens des Ecritures. Quand serons de bons discours; autrement on pour-
vous disputerez contre des juifs, dites-leur que rait nous appliquer cette parole de l'Apôtre :

ces paroles de la Genèse ne s'adressent point Vous qui instridsez les autres, vous ne vous
aux anges, qui sont les serviteurs de Dieu, mais instridsez pas vous-mêmes. (Rom. ii, 21.) Lors-
à son Fils unique; et quand vous combattrez que nous voudrons donner à quelqu'un des
contre des ariens, prouvez-leur par ces mêmes avis utiles à son salut, commençons à les met-
paroles que le Fils est égal au Père en nature tre d'abord en pratique. Nous pourrons alors
et en dignité; enfin, citez l'autorité de saint parler et instruire avec plus d'assurance. C'est
Paul contre ceux qui soutiennent que Dieu a que nous travaillerons avec zèle et avec
ainsi
une forme humaine. C'est ainsi que, par la âmes et que, réprimant les
succès au salut des
saine exposition de votre croyance, vous arra- mouvements de la chair, nous observerons le
cherez ces pernicieuses erreurs qui pullulent vrai jeûne, celui qui consiste à s'abstenir du
au milieu de nous, comme l'ivraie parmi le péché ; car l'abstinence des viandes n'a été éta-
bon grain, et que, par votre zèle, la bonne doc- blie que pour dompter la chair et en faire un
trine s'enracinera dans les âmes et s'y fortifiera. coursier soumis et docile. Le chrétien qui jeûne
Oui, je veux que vous soyez tous des docteurs, doit, avant tout, réprimer les saillies de la co-
et qu'après avoir écouté nos instructions, vous lère, et acquérir la patience et la douceur il ;

puissiez, vous aussi, instruire les autres, et doit ensuite s'exciter à la contrition du cœur
que, devenant des pécheurs d'hommes, vous et arrêter les mouvements de la concupiscence,
rameniez les hérétiques dans les voies de la vé- et puis ne jamais perdre de vue cet œil du Sei-
rité.L'Apôtre nous y exhorte lorsqu'il nous dit : gneur qui veille sans cesse, ni ce tribunal où
Edifiez-vous les uns les autres ! et opérez votre siège un Juge incorru[)tib!e. 11 doit enfin se
salut avec crainte et tremblement. (I Thés, v, 11; montrer supérieur à l'amour des richesses,
Philip. II, 12.) Par là l'Eglise verra s'augmen- généreux envers les pauvres et attentif à écarter
ter le nombre de ses enfants, et vous-mêmes toute pensée qui blesserait la charité envers le
vous obtiendrez des grâces plus abondantes, prochain. Tel est que Dieu
le véritable jeûne
comme récompense de >otre zèle à l'égard de lui-même nous bouche du pro-
prescrit par la
vos frères. phète Isaïe Est-ce là le jeune choisi par moi ?
:

5. Et en effet, le Seigneur ne veut point nous dit-il que l'homme courbe sa tête comme
,

qu'un chrétien se contente de travailler à son un roseau^ et qu'il dorme dans un cilice et sur
salut, mais il lui ordonne d'édifier son pro- la cendre est-ce là un jeiïne agréable au Sei-
,

chain par une saine doctrine, et surtout par sa gneur? Non sans doute; mais déchirez les con-
vie et sa conduite. C'est là le moyen le plus trats injustes, partagez votre pain avec celui

puissant pour ramener les pécheurs dans les qui a faim, et recevez sous votre toit le pauvre
voies de la vérité ; car ils considèrent bien jdus qid est sans abri. Si vous faites ces choses,
nos actions que nos paroles. Ce n'est que trop votre lumière brillera comme i aurore, et je
vrai. Aussi, serait-ce en vain que nous disser- vous rendrai la santé. (Isaïe, lvih, 5, 6, 8.)
46 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JE.VN CHRYSOSTOME.

Vous comprenez maintenant, mon cher


6. pourquoi cette pensée doit nous porter à régler
jeûne que nous de-
frère, quel est ce véritable notre conduite avec autant de soin que s'il

vons observer; car il serait absurde de nous nous fallait à chaque instant rendre compte de
borner, comme la plupart des chrétiens, à dif- nos paroles, de nos actions et de nos senti-
férer notre repas jusqu'au soir. Ce que l'Eglise ments. Ne négligeons donc point l'œuvTe de
veut, c'est que nous joignions à l'abstinence notre salut. Car, mon cher frère, rien n'est
de la viande celle du péché, et que nous nous plus grand ni meilleur que la vertu. C'est elle
appliquions avec soin aux exercices spirituels. qui après la mort nous garantit des supplices
11 donc que le chrétien qui jeune se mon-
faut de l'enfer, et qui nous introduit dans le
tre doux et humble, soumis et pacifique. Il faut royaume des cieux. Mais dès celte vie, elle

aussi qu'il méprise la gloire humaine et qu'il nous établit au-dessus des mauvais desseins
la dédaigne autant qu'il a précédemment né- des hommes et des démons, et nous fait triom-

gligé le salut de son àme. Il doit également pher de l'ennemi de notre salut.
fixer ses regards sur Celui qui sonde les reins Eh (jue comparer donc à la vertu qui y
!

et les cœurs, répandre devant Pieu de ferven- met ainsi ses disciples à l'abri des embûches
tes prières et l'aveu de ses fautes et, selon son de l'homme, qui les rend vainqueurs des
et

pouvoir, s'aider lui-même du secours de l'au- démons eux-mêmes! Mais la véritable vertu
mône ; car l'aumône est surtout efticace pour méprise le monde, songe à l'éternité, et ne
effacer le péché et nous délivrer des peines de s'enthousiasme pour aucun bien de la terre :

l'enfer, quand elle est faite généreusement et car elle sait que toutes ses prospérités sont
sans aucune vue de gloire et de vanité. plus fugitives qu'une ombre et qu'un songe.
Mais pourquoi parler ici de gloire et de va- La véritable vertu est, à l'égard des plaisirs de
nité, puisqu'à l'exclusion même des récom- la vie, aussi insensible qu'un cadavre; et à
penses que Dieu nous réserve, la raison seule l'épard du péché qui souillerait l'âme, elle est

nous dit de ne considérer dans l'aumône que morte et iimctivc, parce que toute sa vie et
la beauté de l'action, et le plaisir de soûl ger toute son action se concentrent dans les pensées
nos frères. Si nous ne pouvons nous éle- et les exercices de la foi. C'est ainsi que l'A-

ver jusqu'aux motifs sublimes de la religion, pôtre disait Je vis, ou plutôt, ce n'est pas moi
:

faisons du moins l'aumône pour elle-même, qui vis, c'est Jésus qui vit eu moi. (Gai. ii, 20.)

et non en vue de l'estime des hommes. Autre- A son exemple, mes très-chers frères, agissons
ment nous perdrions et le fruit de cette boime nous-mêmes comme revêtus de Jésus-Christ, et
œuvre, et la récompense qu'elle mérite. Mais gardons-nous de contrister TEsprit-Saint. Lors
ce que je dis de l'aumône, je l'applique égale- donc que nous nous sentirons troublés par la
ment à toute autre œuvre spirituelle. Car nous concupiscence, ou par quelque afl'ection déré-
ne devons jamais nous y proposer la louange ni glée, par la colère, l'emportement, ou par
l'honneur. Aussi le jeûne, la prière, raumùne, l'envi;, songeons que Dieu habile en nous, et

et toutes les bonnes œuvres en général, ne éloignons toutes ces pensées. Conservons avec
nous sont-elles d'aucune utilité dès que nous un soin respectueux les grâces éminentes que
n'agissons pas uniquement [wur Cilui cjui con- le Srigneur nous a départies, et réprimons les
naît le secret des cœurs, et qui pénètre jus- désirs mauvais de la chair. Puissions-nous
qu'aux plus intimes profondeurs de la pensée. ainsi, après avoir, pendant cette vie fragile et
Mais si vous agissez pour Dieu, conmionl, passagère, légitimement combattu, mériter les
mon dior frère, reeheiclie/-vous les louanges brillantes couroiuus île li lernité, et paraître
d'un liomine semblable à vous? que dis-je, les sans crainte à ce jugement qui sera si terrible
louanges? au lieu de vous louer, souvent il pour les pécheui*s, et si consolant pour les
vous iléchire. Car il se rencontre des esprits si justes! Oui, puissions-nous obtenir ces biens
malicieux, ijuils interprètent en mauvaise inelVables, par la grâce et la miséricorde de
part toutes nos bonnes œuvres. D'où vient Notre-Scigneur Jésus-Christ, à qui soient, avec
donc, dites-le moi, (|ue vous estimiez tant des le l'ère et l'Ksprit-Siiint, la gloire, l'empire et
juges si prévenus? mais l'ivil du Si'igiieur ne Ihonncur, uiainlenanl et loujoui'S, et dans les

se ferme jamais, et aucune de nos actions ne siècles des siècles. Ainsi soit-il.
peut échapper à son active vigilance. C'est
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — NEUVIÈME HOMKLÏFJ 47

NEUVIÈME HOMÉLIE.
Suite de cee parole» ; « Faisoû» l'homme à notre image et à notre r«»eemblanoe. »

ANALYSE.

i. Après avoir rappelé h ses andifeurs que le temps du carêmeun temps favorable à l'étude des saintes Ecritures, saint Cliry-
est
sostonu' reprend en peu de mots le récit de la création. — résumant l'homélie précédente, il explique cette parole :
2. Puis,
« Faisons l'Iiomme à noire imaije et à notre ressemblance, non d'une égalité de nature, mais d'une participation d'autorité. »
— 3 et 4. 11 réfuie ensuite cette objection des païens, que l'homme n'a point un dom.iine souverain sur tous les animaux, quoi-
que Oieu le lui ail donné, et il dit que le péché originel a sans doute alîaibli ce domaine, mais ne l'a pas entièrement détruit,
car l'homme sait se faire craindre de tous les animaux et dompte les plus farouches. —
5 et 6. il termine en exhortant ses au-
diteurs à recoonailTC les bienfaits du Seigneur par lesacriQce d'uu cœur coulrit, l'aveu de leurs péchés et la pratique des vertus
cbielieoiies.

i. Le laboureur diligent multiplie la se- commodément? Sera-ce lorsque régneront


mence dans une terre grasse et bien cultivée, et parmi nous les délices de la table, l'ivresse la ,

chaque jour il examine soigneusement si quel- gloutonnerie et tous les désordres qu'entraîne
que herbe mauvaise ne menace point d'étouffer l'intempérance? Voyez-vous les plongeurs qui
le bon grain et de rendre ses travaux infruc- pèchent les perles au fond de la mer, s'asseoir
tueux. C'est ainsi qu'en voyant votre empres- tranquillement sur le rivage et compter les
sement et votre zèle poiu* entendre la parole flots? Ils s'enfoncent sous l'eau, descendent,
sainte, je m'applique chaque jour à vous dé- pour ainsi dire,dans les entrailles de l'abîme ,
velopper quelcfues versets de l'Ecriture mais ; et à force de peine et de travail obtiennent une
je n'oublie point de vous signaler l'ivraie qui pèche abondante. Et cependant cette industrie
nuirait à la bonne semence, et je vous prému- n'est pas d'une grande utilité pour la vie; pliH
nis contre les dangers de l'erreur et de l'héré- au ciel même qu'elle ne fût pas extrêmement
sie , car plusieurs s'efforcent
de substituer nuisible! car le désir de posséder ces perles
leurs rêveries à Tinterpretation de l'Kglise. De excite des maux innombrables et allume la
votre côté vous devez retenir ces explications
, soif et comme la rage des richesses. Néanmoins
avec soin et les graver dans votre mémoire, la vue et la certitude de tous ces malheurs ne
afin d'en saisir plus facilement Tordre et la ralentissent point l'activité des pêcheurs ; ils

suite. bravent mille dangers et supportent mille fati-

Voici un temps favorable pour entrer dans gues pour pêcher ces belles perles. S'agit-il,
les plus profonds mystères de l'Ecriture et au contraire, de recueillir, dans le champ des
pour captiver l'attention de Tesprit. Pendant saintes Ecritures, des perles spirituelles et
ces jours de jeiine, le corps est plus dispos bien autrement précieuses, il n'y a ni danger à
pour nager dans ces eaux spirituelles, le re- courir, ni travaux à supporter, et nous sommes
g.ird de l'âme est plus vif, parce qu'il n'est assurés d'un gain immense pour peu que , de
point troublé par les flots impurs du plaisir, notre part , nous y mettions qui lt|ue empres-
et l'esprit lui-même est plus dégagé et plus sement. Et en effet la grâce s'offre d'elle-même
libre pour se tenir au-<ie^sus des vagues. Mais à tous ceux qui la cherchent de bonne foi ; car
si nous ne nous appliquons aujourd'hui à tel est le Seigneur, notre Dieu : s'il voit en
cette étude, quand pourrons-nous le faire plus nous l'activité, le désir ei la ferveur, il nous
48 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JE.\N CHRYSOSTOilE.

distribue largement ses riches?es, et il nous les puis les apprendre à ceux qui n'ont pu assister
prodigue même avec une munificence qui sur- à nos prei.iières réunions, afin que cet(<».
passe nos demandes. absence ne leur nuise point; c'est ainsi qu'un
2. Instruit de ces vérités, appliquez-vous bon père réserve quelques plais de sa table
donc, mon très-cher frère, à purifier votre pour les oifrir comme consolation à ceux de
cœur des alfcclions du monde ; dilatez les fa- ses enfants qui étaient absents à l'heure du re-
cultés de votre àme, et recevez avec une grande pas. Vous savez que tous ceux qui se
aussi
joie cette bonne semence que l'Esprit- Saint ré- pressent en foule dans cette enceinte ne me
pand en vous. C'est ainsi que cette semence, sont pas moins chers que les membres de mon
confiée à une terre grasse et fertile, rendra corps je désirerais donc (jue tous soient con-
;

tantôt cent pour un et tantôt soixante ou


, sommés en sainteté pour l'honneur de Dieu, la
trente. Et maintenant rappelez-vous le sujet de louange de l'Eglise, et ma propre gloire. Aussi
nos derniers entretiens je vous y ai fait ad-
: voudrais-je, si je ne craignais de vous fatiguer,
mirer l'ineifable sagesse de Celui qui a créé re[)rendre brièvement le sujet de notre dernier
toutes les créatures visibles, et je vous ai dit entretien. Je vous y fis dune observer quelle
comment il les avait créées par un seul acte de différence existe entre la création de l'homme
sa volonté et par une seule parole car ; il a dit : et celle des autres créatures , et en quel rang
Qu'elles soient, et aussitôt elles ont été produi- d'honneur Dieu l'a établi. Et en effet, la subli-
tes. Cette seule parole les appela soudain du mité seule des paroles que Dieu prononça en
néant, parce que ce n'était point la parole d'un le formant nous révèle toute la dignité de

homme , mais la parole d'un Dieu. Vous vous l'homme, car Dieu dit Faisons Vhomme à :

souvenez aussi de quelle manière j'ai réfuté notre image et à notre ressemblance. Je vous
ceux qui soutiennent que l'univers a été tiré expliquai ensuite le sens de ce mot à notre :

d'une matière préexistante, et qui ne craignent image^ et je vous dis qu'il ne fallait point l'en-
point de substituer ainsi leurs rêveries aux tendre d'une égalité de nature, mais seule-
dogmes inf.iillibles de l'Eglise. Vous savez ment d'une participation d'autorité et de sou-
enfin pourquoi le ciel a été créé tout d'abord veraineté; c'est pourquoi Dieu ajoute immé-
brillant et parfait, tandis que la terre fut pii- diatement : Et qiiil domine sur les poissons
mitivement brute et informe. Et je vous ai dit de la mer^ sur les oiseaux du ciel, et sur les
que Dieu en avait agi ainsi pour deux raisons an'' maux et Us reptiles de la terre.
principales. D'abord il a voulu nous montrer
, 3. Ici les païens nous attaquent, et ils nous

sa puissance dans les splendeurs dont il a paré obji.cfent que cette parole n'est qu'un men-
le premier de tous les éléments, en sorte que songe, puisque l'homme ne maîtrise point les

nous ne doutions point qu'il ne put également animaux féroces, comme Dieu le lui avait
embellir la terre. Mais parce que cette terre promis, et (pi'au contraire il leur est soumis.
est la mère et la nourrice de rhouime, que, Mais d'abord cette objection n'est rien moins que
pendant la vie, elle lui fournit ses aliments, lui vue de riiomme tous les animaux
vraie, car à la
prodigue ses richesses, et, après la mort, le prennent la fuite. Si c[uelquel'ois pressés par la
reçoit en son sein, Dieu nous l'a présentée au faim, ou excités par nos attaques, ils se jettent
commencement brute et informe dans la , sur nous, et ikhis blessent, c'est bien plus par
crainte (pie la vue des grands avantages que notre faute qiu' par suite de leur prétendu
nous en retirons ne nous en fissent concevoir empire sur l'honime. Des voleurs nous atta-
des idées trop relevées. Ce premier état do la (pirnt, et nous nous défendons les armes à la
terre nous instruit donc à ne point lui attri- main. Faut-il en conclure (piils ont sur nous
buer ses diverses |)roductions et à les rapporter cpielque autorité? Non sans doute, seulement
toutes à la vertu du (Créateur. nous veillons à notre conservation. Mais cxpli-
Je vous ai ensuite exposé comment Dieu (pions denouveau ces paroles Faisons Vliomme :

avait sé|)aré les eaux , étendu entie elles, p;ir à notre image et à notre ress( nil>lance. Ce mot
une seule parole, letirinanicnt Nisible, et peu- image indiipie dans l'homme une pleine auto-
plé la terre et les eaux d'animaux vivants. Mais rité sur les animaux, et le mot ressemblojicc

ce n'est point sans raison, ni sans motif (jue je marque les etTorts ipfil doit faire pour se
vous rappelle toutes ces choses je veux d'a- ;
rendre, autant ipiil lui est possible, semhlable
bord les mieux imprimer dans votre esprit, et à Dieu par la douceur, la bonté et toutes les
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — NEUVIÈME IlOMÉUE. 41)

autres vertus. C'est ce que Jésus-Christ nous il n'en était pas ainsi au commencement. C'é-
recommande, quand il dit : Soyez semblables taient les animaux qui craignaient l'homme,
à votre Père qui est dans les cieux. (Matlh. v, qui le redoutaient, et qui respectaient son
45.) Et en effet, de même que sur l'immense autorité. Mais quand, par sa désobéissance, il
étendue de la terre il existe des animaux doux perdit la grâce et l'amitié de son Dieu, il vii

et privés, et des animaux sauvages et féroces; son empire sur animaux s'affaiblir et dé-
les

il y a aussi sur le vaste domaine de l'âme des croître. L'Ecriture nous les montre soumis à
pensées irraisonnables et brutales, des pensées l'homme au commencement, car elle nous dii
féroces et farouches. Ce sont ces pensées qu'il que Dieu fit venir devant Adam tous les ani-
nous faut dompter et assujétir à l'empire de maux de la terre, et tous les oiseaux du ciel,
la raison. afin qu'Adam vît comment il les nommerait.
Mais comment maîtriser des pensées fé- Or, Adam ne s'enfuit point à leur vue, ni à leur

roces? Que dites-vous, ô homme? nous savons approche; et il donna à chacun un nom propre
apprivoiser les lions et les rendre doux et fa- et particulier, ainsi qu'un maître nomme se;

miliers; et vous douteriez s'il vous est possible esclaves. Et le nom, ajoute l'Ecriture, qu'Adam
de changer en douceur la férocité de vos sen- donna à chaque animal, est son propre nom .

timents? Observez encore que ces animaux (Gen. Il, Mais n'est-ce pas là un grand act
19.)

sont féroces par nature, et qu'ils ne s'adou- d'autorité? et Dieu le lui réserve comme té-
cissent (jue par une violence faite à leur ins- moignage de sa puissance et de sa dignité.
tinct, tandis que l'homme est naturellement Cette preuve seule suffirait pour montrer
doux, et qu'il ne devient féroce que contraire- qu'au commencement l'homme ne s'effrayai

ment à sa nature. Eh (juoi ! l'homme trans- point des animaux. Mais je puis en apportej
forme dans un anim.d la férocité de l'ins- une seconde plus convaincante encore. Et la-
tinct en des qualités tout opposées, et il ne quelle? L'entretien de la femme avec le ser-

pourrait conserver en lui-même celles qu'il pent. Et en cfTet si l'homme eût tremblé devanl
tientde la nature Mais combien ne serait-il
! les animaux , nous ne verrions point Evo
pas coupable Et ici
1 ce qui est plus étonnant attendre l'approche du serpent, recevoir ses
encore et plus merveilleux, c'est que les lions conseils , et entrer en conversation avec lui.

sont dépourvus de raison, et par conséquent Mais à son aspect, elle eût pris la fuite craintive

moins faciles à instruiie. Néanmoins on en voit et épouvantée. Cependant elle lui parle sans
plusieurs qui se laissent mener sur nos places effroi ; donc elle ne le redoutait pas alors.
publicfues comme des animaux apprivoisés ; Mais péché, qui dépouille l'homme de sa
le

nous jetons même des pièces de monnaies à dignité, lui ravit également son empire sur les
ceux qui les conduisent, comme pour les payer animaux. Dans une maison les mauvais servi-
de leur art et de leur industrie. Et vous, ô teurs craignent ceux que leur fidélité fait plus
homme, vous avez une âme douée de raison, estimer de leurs maîtres. C'est ce qui est arrivé
la crainte de Dieu, et mille secours, en sorte par rapport à l'homme. Tant qu'il demeura
que vous ne sauriez opposer ni prétextes, ni fidèleau Seigneur, il se faisait craindre de tous
excuses oui, si vous le voulez, vous pouvez
; les animaux et dès qu'il devint pécheur, il
:

devenir doux, juste et affable, car Dieu a dit : trembla lui-même devant les derniers de ses
Faisons l'homme à notre image et à notre res- esclaves.
semblance. Peut-être n'approuvez-vous pas mon raison-

4. Revenons maintenant à l'objection pro- nement eh bien montrez-moi qu'avant le


: !

posée. Les paroles de la Genèse prouvent que péché l'homme ait craint les animaux. Mais
dans le principe l'homme avait sur animaux
les vous ne le pourrez. Sa frayeur actuelle est une
un empire absolu. Et en effet. Dieu a dit Quil : suite de son péché, et nous y voyons même
domine sur les poissons de la mer, les oiseaux reluire un admirable effet de la bonté divine.
si l'homme, après sa désobéissance, eût
Car été
du ciel, les animaux et les reptiles de la terre.
Mais puisqu'aujourd'hui les animaux féroces maintenu dans toute l'intégrité de ses privi-
nous épouvantent, et que nous les craignons, lèges, il se serait peu soucié de se relever de sa

nous sommes donc déchus de cet empire je ;


chute. Si le prince honorait également ses su-
jets rebelles et ses sujets fidèles, les
premiers
l'avoue. Et néanmoins cette déchéance ne
persisteraient dT'' l*^nr révolte, et on ne les
prouve rien cOi^uo Ico proinosses divines. Car
S, J. Ch. — Tome V.
4
so TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JE.\N CHRYSOSTOMË.

soumettrait que difficilement. C'est ainsi qu'au- Ne négligeons donc point de lui rendre
jourd'hui les menaces , les châtiments et grâces pour tant de bienfaits. Il n'e\if:e en cela
les supplices de l'enfer ne convertissent pas rien de bien pénible, ni de bien difficile . et il

toujours les pécheurs. Mais que seraient-ils demande seulement (pie nous avouions sincère-
donc si Dieu laissait leurs crimes impunis? ment ses libéralités, et que nous lui en soyons
Aussi nous a-t-il ôlé l'empire sur les animaux ; reconnaissants. Ce n'est point qu'il en ait be-
et cette privation est de sa part un grand acte soin, puis(ju'il se suffit à lui-même. Mais il

de miséricorde et de bonté. veut que nous nous concilions ainsi la bien-


5. Voulez-vous, mon cher frère, mieux ap- veillance de l'Auteur de tout bien, que nous
précier encore l'ineffable bonté du Seigneur? ne soyons point ingrats envers lui, et que nos
Cunsiiléic zd'un côté comment Adam a violé le vertus répondent à ses bienfaits et à sa provi-
préLe|)le divin, et tr.uisgressé toute la loi, et de dence. Ce sera aussi le moyen d'attirer sur
l'autre conunent Dieu a d ligné surpasser notre nous de nouvelles grâces. Je vous en conjure
malice par l'excès de ses miséricordes. Car il n'a donc, remplissez ce devoir avec zèle; et selon
point dépouiré l'homme de tous ses honneurs, vos forces, renouvelez en vous, à chaque heure
et il ne lui a point retiré toute autorité sur les du jour, le souvenir de ses bienfaits, tant gé-
animaux. Mais il n'a soustrait à sa domination néraux que particuliers. Oui, rappelez-vous
que ceux qui lui sont le moins utiles. Quant aux non-seulement ceux que tous avouent, et qui
espèces qui peuvent le plus nous soulager, et éclatent aux regards de tous, mais encore ces
qui nous sont réellement utiles et nécessaires, grâces secrètes qui ne sont connues que de
elles nous sont restées soumises et obéissantes. vous seul. Vous contracterez ainsi l'heureuse
Ainsi le Seigneur nous a laissé le bœuf pour habitude d'une continuelle reconnaissance.
traîner la charrue, et pour nous aider dans le Or ces sentiments sont le grand sacrifice et
labourage et la culture des champs. 11 nous a l'oblation parfaite que Dieu exige, non moins
laissé les genres nombreux des bêtes de que le principe et le témoignage de notre con-
somme, qui tirent les chariots, cl nous soula- fiance en lui. Comment? je vais le dire. C'est
gent dans nos travaux. Il nous a laissé les di- que ce fréquent souvenir des bienfaits de Dieu
verses espèces de bêtes à laine qui nous four- développe en nous la conscience de notre fai-
nissent nos vêtements, et une multitude d'au- blesse, produit la connaissance de son émi-
tres animaux qui nous rendent de grands ser- nente bonté, et nous montre comment, dans
vices. les soins de sa providence envers nous, il ou-
C'est en punition de sa désobéissance que blie ce que mériteraient nos péchés, et ne
Dieu a dit à l'homme Tu mangeras ton poin
: suit que les attraits de sa miséricorde. Or à
à la sueur de ton front. Mais pour que cette celte vue rhomnie s'humilie, et il est contrit
sueur ne nous fût pris trop amère, ni ce travail dans son cœur. Il réprime au dedans de lui
trop (lénible, il a daigné en adcuicir la fatigue le faste et l'arrogance, et il agit modeste-
p:u- le secours de ces nombreuses bêtes de ment en toutes choses. Il méprise donc la
charge (juj partagent nos peines et nos labeurs. gloire du monde, et il se rit de son éclat futile
Le père de famille bon et prudent châtie un et é|>hémère, parce (jue sa pensée s'attache
serviteur coupable,niai-^ il ne laisse point cpie aux biens futurs, et à celle vie immortelle qui
d'en prendre soin. Ainsi le Seigneur, qui a ne finira jamais. Mais de tels sentiments ne
porté contre l'homme |)éclieur une sentence do sont-ils pas ce vrai sacrifice dont parle le Pro-
coudamnalion, a voulu lui adoucir les rigueurs phète, et (pie Dieu agiée toujours. Le sacrifice^
du cliàlimenl. C'est pounpioi il lui a donné dit-il, que Dieu demande, est une âme brisée de
Taidy des animaux domestiques pour mcriager di'Uicur; et il ne dcanif/ne jamais un eœur

ses sueurs, et alléger ses fatigues. Nous ne contrit et humilié. (Ps. L, 10.) Ne voyons-nous
saun>uis donc méiiittr «érieiisemcnt la con- pas en ell'et (pie les chàlimeiits retiennent bien
dtiil<; du Seigneur à notre ég.u'd, soit qu'il ac- moins dans le devoir les serviteurs qui ont un
corde à l'bonune un enq)ire absolu sur les bon cœur, (]ue le souvenir des bienfaits et ce-
animaux, soit (lu'il l'en dépouille, et le rende lui de l'indulgence avec laquelle on punit leurs
craintif devant eux, sans y reconnaître une fautes?
providence pleine de sagesse, de ciéiiicuce et G. Brisons donc nos cœurs, je vous en sup-
de hoixiè. plie, et humilions nos àuics, aujourd'hui sur;
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. - NEUVIÈME HOMÉLIE. 51

tout que le jeûne nous en facilite les moyens. nous un devoir d'être attentifs et vigilants, afin
Ces ilisposilions nous pernietlront de prier de ne perdre jamais de vue le soin et la pré-
avec plus de recueillement, et d'obtenir par la occupation de notre salut. Car tout chrétien
confession de nos péchés des grâces plus abon- doit lutter sans cesse contre les révoltes de li
dantes. D'ailleurs le Seigneur nous a révélé chair, et garder fidèlement les préceptes de la
lui-même combien ces âmes lui sont agréables. loi divine. doit s'en environner comme d'un
Il

Sur qui fixerai-je mes regards, nous dit-il, rempart, ne point abuser de la miséricor
et
si ce n'est sur Vhomme
humble^ pacifique et dieuse bonté du Seigneur. Mais surtout il n»;
obéissant à ma
parole? (Isa. lxvi, 2.) C'est doit point attendre pour s'humilier que sa co -
pourquoi Jésus-Christ nous dit également : 1ère éclate, car l'on pourrait dire de lui comm ;

Apprenez de moi que je suis doux et humble de des Juifs Lorsque le Seigneur les frappait, îVo
:

cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes. revenaient à lui. (Ps. lxxvh, 34.)
(Malth. Il, 29.) Et en elTct, le chrétien sincère- Et puisque ces jours de jeûne sont pour
ment humble ne sauiait s'abandonner à la co- nous des jours de salut, hâtons-nous, me.-
lère, ni à la vengeance, parce qu'il ne s'occupe bien-aimés, de confesser nos péchés; évitons
que de la considération de son néant et de sa toute action mauvaise, et exerçons-nous à li
misère. Mais qui est plus heureux que ce chré- pratique de toutes les vertus. C'est le consci
tien ? il est dans le port à l'abri de la tempête, du Psalmiste: Eloig?iez-vous du mal, nous dii
et il se complaît en son repos et sa sécurité. il, et faites-le bien. (Ps. xxxvi, 27.) Si notii.'

Aussi Jésus-Christ nous assure-t-il que c'est le conduite se règle sur ces maximes, et si non
moyen de trouver le repos de nos (hnes. joignons la fuite du vice à la privation di
Le chrétien qui réprime les saillies de ses viandes, nous jouirons d'une confiante sécuritr
passions, jouit donc d'une paix abondante; et nous obtiendrons pour la vie présente le-
mais celui qui est lâche et négligent, et qui ne grâces les plus abondantes. Bien plus, k>
sait point les modérer, vit nécessairement dans prières et l'intercession des saints, qui sont len
le trouble et l'agitation. Sa conscience est le amis de Dieu, nous mériteront les effets de s;i
théâtre d'une guerre intestine, et il se trouble miséricorde au jour terrible du jugemenl.
en présence de lui-même. Son cœur devient le Qu'il en soit ainsi, par la grâce et la bonté d>:
jouet des orages, qui y soulèvent les vagues Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient, avec
d'une mer féconde en naufrages. Et quand les le Père et l'Esprit-Saint, la gloire, l'honneur el
esprits mau\ais y déchaînent les tempêtes, l'empire, maintenant, toujours, et dans tou;.,
trop souvent, par l'inhabileté du pilote le , les siècles des siècles. Ainsi soit-ij^.
\aisseau périt corps et biens. Ainsi c'est pour
M TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

DIXIÈME HOMÉLIE.

Suite de ces paroles : « Faisons l'homme à notre image, et à notre ressemblance, > et Dieu créa Thomme;
et il le créa à l'image de Dieu : « illes créa mâle et femelle. > (Gen. I, 26. 27,)

ARALTSE.

. L'orateur combat d'abord les scrupules de certaines personnes qui ne pouvant, par faiblesse de tempérament, différer leur rt-pas
jusqu'au soir, n'osaient ensuite venir à l'église
; et il les avertit que l'essentiel est bien moins de supporter toute la rigueur du

jeûne que de s'abstenir du péché. — 2. Rien donc ne doit les empêcher de venir entendre la parole sainte, et de donner ainsi à
leur âme la nourriture dont elle a besoin — 3.-G. 11 reprend ensuite l'explication de ces motsrw Dieu lit l'homme à s'>nimag%)> et
après avoir brièvement rappelé ce qu'il avait déjà dit, il expose le sens de ceux-ci
«il les créa mâle et femelle,» et décrit les pro-
:

digieux effets de la bénédiction que le Seigneur leur donna. —


Quant à ce que dit l'écrivain sacré que « Dieu se reposa le sep-
7. :

« tième jour, » cela n'implique aucune contradiction avec cette parole de Jésus-Christ « que son Père ne cesse point d'agir. » :

Moise affirme seulement que Dieu ne produisit pas d'autres créatures, et Jésus-Christ parle des soins par lesquels Dieu gouverne
et conserve toutes choses. —
8. Il termine en exhortant ses auditeurs à faire part à leurs frères absents de la doctrine qu'ils ont
entendue, et à en conserver eux-mêmes un fidèle souvenir.

Aujourd'hui l'assemblée est moins nom-


1. et vigilant est digne de s'asseoir à cette réunion
breuse et le concours de mes auditeurs a dimi- spirituelle, quoiqu'il sorte de table, et qu'au
nué quel en est le motif et la cause? Peut-être
: contraire, fùt-il encore à jeun, il n'en retirera
quelques-uns ont-ils craint, après avoir pris la aucun profit s'il est lâche et assoupi.
nourriture du corps, de venir ici chercher cello Je parle ainsi non pour déprécier la rigueur
de l'âme, et telle est la raison de leur absence. du jeune : à Dieu ne plaise car je loue et j'ap-
I

Mais je veux leur rappeler celte parole du prouve ceux qui en observent toute la sévérité,
Sage Il y a une honte qui amène le péché, et
: mais je veux vous ap|»ren(lre que nous devons
il y a une honte qui attire la gloire et la grâce. apporter aux exercices spirituels un esprit sobre
(Ecclés. IV, 25.) Or, en quoi peut rougir celui et vigilant, et ne point y paraître uniquement
qui s'asseoit d'abord à une table grossière et par habitude. Il n'y a point do honte à |)rendre
matérielle, et i\\\\ vient ensuite prendre part à d'abord sa nourriture et a venir ensuite assister
ce festin spirituel? Car les exercices de la piété â nos entretiens; mais il est honteux d'y porter
ne sont pas, comme
humaines, les affaires un esprit lâche et ilistrait et un cœur troublé par
assujétis à des temps réglés ils peuvent se faire : les passions et asservi aux attraits de la chair.
à toute heure du jour. Que dis-je, du jour? la Quel mal y manger? aucun; l'e.xcès seul
a-til à
nuit elle-même n'est point un obstacle à la diffu- est criminel, etTon doit condamner ceux qui
sion de la sainte doctrine. Aussi l'Apôtre écrivait- prennent au delà du nécessaire et qui ne pen-
il Timothée Annoncez la parole, pressez les
à : sent qu'a rassasier leur ventre. Le moindre
hoimnes à temps et d contre-temps ; reprenez, inconvénient qui en résulte est d'émousser en
suppliez, menacez. (II Tim. iv, 2.) Nous appre- eux la jouissance du goût. Ainsi encore il n'y
nons également de saint Luc que Paul étant à a aucun péché dans l'usage modéré du vin,
Troade, et devant partir le Icndcmaiti, parla mais l'on ne peut trop hlâiner l'ivresse qui va
aux disciples et les entretint jusqu'au milieu juscju'à troubler la raison. La faiblesse de votre
de ta nuit. (Act. xx, 7.) Vous voyez bien quo tempérament vous empêche, mon cher frère,
l'heure, quoique avancée, n'arrêta point l'Apô- de prolonger votre jeûne jusqu'au soir, quel
tre et ne reiupêdia point de prêcher l'Evan- homme sensé peut vous en faire un crime Car I

gile. CoDiprcuons doue qu'un auditeur attentif le Maître que nous servons est bon et indul-
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — DIXIÈME HOMÉLIE. kb

gent, et il n'exige rien au-dessus de nos forces. nous abandonnons en outre Texercice des
Ce donc point précisément l'abstinence
n'est bonnes œuvres.
et le jeûne qu'il nous demande, et il n'est point Je vous parle ainsi pour vous engager, vous
satisfait, par cela même que nous différons no- tous qui pouvez jeûner, à le faire avec tout le
tre repas jusqu'au soir. Mais il veut que, moins zèle et toute la ferveur dont vous ôtt s capables.
appliqués aux affaires de la terre, nous don- Car autant l'homme extérieur se détruit en
nions plus de soin à celles de notre âme. Car, nous, autant l'intérieur se renouvelle, (Il Cor.
si toute notre vie s'écoulait dans la praticiue de IV, iG.)

la tempérance chrétienne et si nous accordions Et en effet, le jeûne affaiblit le corps et


aux exercices de la piété tous nos loisirs; si réprime les mouvements de la concupiscence :

nous ne prenions que la nourriture absolument il donne comme des ailes


purifie l'âme et lui
nécessaire, et si nous dépensions toutes nos pour s'élancer vers le ciel. Quant à ceux de
journées en une suite de bonnes œuvres, nous vos frères qu'une mauvaise santé empêche de
n'aurions aucun besoin du jeûne. Mais l'homme jeûner, exhortez-les à ne point se priver de nos
est naturellement lâche et négligent; il se com- festins spirituels, et en leur rapportant mes
plaît dans les plaisirs et il recherche la mollesse. paroles, dites-leur bien que celui qui boit et
Aussi, le Seigneur, comme un bon père qui mange modérément n'est point indigne de
aime ses enfants, a institué le salutaire correctif prendre place dans cette enceinte, et (ju'elle
du jeûne. C'est ainsi qu'il coupe court à toutes n'est fermée qu'aux auditeurs lâches et intem-
nos délicatesses en sorte qu'il nous est facile
; pérants. 11 sera également utile de leur rap-
de consacrer à la piété le temps prélevé sur les peler cette parole de l'Apôtre Celui qui
:

préoccupations de la terre. Si quelques-uns ne mange, le fait pour le Seif/nmr ; et celui qui


peuvent donc, par faiblesse de tempérament, s'abstient, le fait en vue du Seif/neur, et il rend
observer le jeûne dans toute sa rigueur, je les grâces à Dieu. (Rom. xiv, 6.) Jeûnez-vous, bé-
exhorte à s'accorder un soulagement néces- nissez le Seigneur qui vous donne de la force
saire , ne point manquer à nos
et surtout à soutenir les rigueurs du jeûne -vous; êtes
réunions. Car, en venant ici après leur repas obligé d'anticiper votre repas, bénissez, et vou
ils n'en seront que mieux disposés et plus at- aussi le Seigneur, parce que si vous le voulez,
tentifs. cette infraction à la loi ne vous sera point nui-
2. Et en effet, il est, en dehors de l'absti- sible, et elle n'apportera aucun préjudice au
nence du jeûne, d'autres voies qui nous
et salut de votre âme. Car il est impossible de
conduisent sûrement à Dieu. Ainsi, que celui compter toutes les voies que la bonté du Sei-
qui est obligé d'avancer l'heure de son repas, gneur nous ouvre et qui dirigent vers lui notre
compense cette infraction à la loi du jeûne par bonne volonté. En parlant ainsi, j'ai en vue
des aumônes plus abondantes, des prières plus les absents et je me propose de leur ôter tout
ferventes et un zèle plus assidu à écouter la prétexte de honte. Car, sachez-le bien,il n'y a

parole sainte. La faitdesse du tempérament rien dans leur conduite qui doive les faire

ne peut cire ici une excuse. Je lui demande rougir. On ne doit rougir que du péché, et
encore de se réconcilier avec ses ennemis et de non d'avoir pris quelques aliments.
bannir de son cœur tout sentiment de haine. La Le péché mérite seul qu'on en soit honteux;
pratique de ces vertus constitue ce jeûne vrai et quand nous l'avons commis, nous avons

et sincère que le Seigneur exige. Car il ne nous raison de rougir et de nous cacher. Nous de-

prescrit l'abstinence que comme un moyen de vrions alors ne pas nous estimer moins malheu-
réprimer les passions de la chair, et de la sou- reux que ceux qui ont fait naufiage, et néan-
mettre à l'esprit, qui en deviendra lui-même moins ne point perdre courage. Il faut seule-
plus obéissant à la loi divine. Si nous négligeons ment nous hâter de recourir au repentir et à
donc l'utile secours du jeûne, sous le spécieux la confession. Et en effet, lorsque nous avons

prétexte d'une santé mauvaise, mais en réalité péché par faiblesse, le Seigneur notre Dieu
par lâcheté, nous sommes des insensés et nous n'exige rien autre chose sinon que nous con-
nous exposonsà de graves dommages. Car, puis- que nous lassions un
fessions nos fautes et
que le jeûne ne sert de rien sans la pratique des ferme propos de n'y plus retomber. Mais
autres vertus, combien ne serons nous pas cou- nous n'avons aucune raison de rougu- quand
pables, si, ne iwuvaut user de l'appui du jeûne, nous mangeons modérément. Car ccbt Dieu
54 TMDUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME,
qui nous a donné notre corps : et pour se Dieu créa l'homme; il le créa à l'image de Dietî,
soutenir, ce corps a besoin de nourriture. et il le créa mâle et femelle. Dieu les bénit,
L'essentiel estde ne pas trop lui accorder ;
disant : croissez et multipliez; remplissez la
d'ailicurs, la sobriété chrétienne est le meil- terre, et vous Vassujétissez ; dominez sur les
leur moyen de le conserver en santé et en poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur
bonne disposition. Eh! ne voyez -vous pas tous les animaux, sur toute la terre et sur tous
chaque jour qu'une table délicate et qu'une les reptiles qui rampent sur la terre. (Gen. i,

gloutonne intempérance engendrent une infi- 27, 28.)


nité de maladies? D'où nous viennent la goutte, Ces paroles sont courtes, mais elles renfer-
la migraine, l'abondance des humeurs et mille ment un riche trésor, et l'esprit divin qui par-
autres maladies? N'est-ce pas de l'intempé- laitpar la bouche de Moïse, veut nous y révé-
;* rance et de l'ivresse? Le navire qui fait eau ler de grands secrets. Le Créateur, après avoir
*
de toutes parts, s'enfonce soudain. Ainsi la dit : Faisoîis l'homme, semble se recueillir et
raison de l'homme se noie dans l'excès du vin prendre conseil comme pour nous montrer la
et des viandes. Alors cet homme n'est plus dignité de l'homme dans l'acte même de sa
qu'un cadavre vivant. Il peut encore faire le création. Car l'homme n'existait pas encore ;
mal, mais il est aussi incapable d'opérer le mais déjà Dieu révélait toute l'éminence de
bien que s'il était réellement mort. l'empire qu'il lui donnerait : C'est pourquoi,
3. Je vous le demande donc avec l'Apôire : après avoir dit : Faisons V homme à notre image
Ne cherchez pas à contenter les désirs de la et il ajoute, en parlant
à notre ressemblance,
chair. (Roni. xin, 14.) Mais soyez toujours en au dominent sur les poisso7is de
pluriel, qu'ils
élat de vous appliquer avec ardeur aux exer- la mer. Voyez donc comme dès le principe
cices de la piété. Dites-le bien à vos frères et un riche trésor nous est ouvert le saint ! —
persuadez-leur de ne point se priver de vos prophète, éclairé d'une lumière divine, parle
festins spirituels; ainsi qu'ils s'empressent de d'un fait non encore existant, comme s'il était
venir chercher ici, même après leur repas. réalisé. Car pourquoi ici cette parole au singu-
Cette nourriture sainte (jui les fortifiera contre lier, faisons Ihomme, et là cette parole au plu-
les attaquesdu démon. Quant à moi, je conti- riel, qu'ils dominent ? Evidemment, il ya là un
nuerai à vous la servir chaque soir, pour ré- secret et un mystère, et cette façon de parler
compenser votre bienveillante attention et , indique par avance la formation de la femme.
acquitter ma promesse. Vous n'avez certai- Ainsi tout dans nos saintes Ecritures a sa rai-
nement pas oublié que j'avais commencé à son et son motif, et un mot qui semble mis au
vous parler de la formation de l'homme, et hasard renferme une précieuse instruction.
que, pressé par l'heure, je ne pus qu'indiquer 4. Et ne vous étonnez point, mon cher frère,
l'utilité qu'il retira du service des animaux. de ce langage, car tous les pronhètcs parlent
J'ai prouvé aussi que sa désobéissance seule des événements futurs comme
s'ils étaient déjà

lui a fait perdre sur eux l'empire qu'il avait accomplis : ils voient en esprit ce qui ne doit
d'abord possédé. Aujourd'hui j'achèverai ce arriver que dans la suite des siècles, et ils le
sujet et vous renverrai ensuite. racontent comme s'ilse réalisait sous leurs yeux.
Mais pour rendre ma parole plus intelligible, Pour vous en convaincre, écoutez cette pro-
il est utile de commencer cet entretien en nous phétie de la passion du Sauveur, prophétie que
rappelant la fin du précédent et en le complé- tant de siècles à l'avanee prononçait le saint
tant. Je vous expliquais donc ces versets de la roi David. Ils ont percé mes piedset mes mains
Genèse Et Dieu dit : Faisons l'homme à notre
: et ils se sont divisé mes vêtements. (Ps. xxi,
imafjeet à notre ressemblance^ ctqullsdomiucnt 17, 10.) 11 parle d'un événement futur et loin-
sur de la mer et sur les oiseaux du
les ])oissons tain, connue si déjà il s'était accompli.
ciel. Cette matière est si vaste et elle me four- que Moïse nous insinue tout d'a-
C'est ainsi
nit une telle abondance de pensées qu'il nie fut bord, sous le voile de l'énigme et du mystère
impossible de passer outre. Ainsi je m'arrêtai la formation de la fenuue, quand il dit qu'ils :

à ce passage, sans toucher à celui qui suit im- dominent sur les poissojis de la mer. Mais bien-
médiatement. C'est pourquoi il est nécessaire tôtil en parle plus clairement, et il ajoute et :

de le relire, afin que vous en compreniez mieux Dieu créa Vhomme ; il le créa à l'image de
le développement. Or l'Ecriture ajoute Et .•
Dieu ; il les créa jnâle et femelle. Et observer
nOMéUES SUR LA GENÈSE, ~ DIXIÈME HOMÉLIÈ, ïi

Ici avec quel soin récrivain sacré réputé deux idée petite et médiocre. Car ses honneurs sont
fois le même fait afin de mieux le graver dans grands bonté du Seigneur à son égard est
, la
la mémoire de ses lecteurs. Si telle n'eût pas immense, et ses bienfaits aussi étonnants qu'i-
été son intention, il se fût contenté de dire : et neflables. Et Dieu dit : voilà que je vous ai
Dieu créa l'homme. Mais il ajoute il le créa à : donné toutes les plantes répandues sur la sur-
son image. Précédemment il nous avait expli- face de la terre, et qui portent leurs semences,
qué le sens de ce mot image, et ici il le ré[)ètc et tous les arbres fruitiers qui ont leur gnnte
à dessein, et il nous dit et Dieu le créa à son : en eux-mêmes, pour sei-vir à votre nourriture.
image. Il a voulu aussi ne laisser aucun pré- Et il fut fait ainsi. (Gen. xxix, 30. ) Considé-
texte d'excuse à ceux qui attaciuent les dogmes rez, mes chers souveraine bonté du
frères , la
de l'Eglise ; c'est pouniuoi il a expliqué plus Seigneur ,
pesez attentivement les paroles de
haut le sens de ce mot image, qu'il entend de l'Ecriture, et n'en perdez pas une syllabe. Et
l'empire que l'homme devait exercer sur tous Dieu dit : voilà que je vous ai donné toutes les
les animaux. Mais poursuivons le récit de la plantes. 11 continue ainsi à s'adresser à l'homme

Genèse. Et Dieu créa Vhomme ; il le créa à et à lafemme, quoique celle-ci n'eût pas encoro
l'image de Dieu; il les créa mâle et femelle. Ce été formée. Admirez également l'excellence do
qu'il n'avait qu'insinué précédemment, en di- cette bonté qui se montre éuiinemment libé-
sant au pluriel qiiils domiiient, Moïse l'an-
: rale et généreuse non-seulement envers l'hom-
nonce ici plus clairtment, et néanmoins encore me, et envers femme qui
u'lx stail pas, mais
la
sous le voiledu mystère, car il n'a point parlé aussi envers tous les animaux. Car après avoir
de formation de la femme, et il n'a pas indi-
la dit Voilà que je vous ai donné les planles de
:

qué d'où elle a été tirée. Il se contenle donc de la terre pour servir à votre nourriture, le Sei-
dire et Dieu les créa mâle et femelle.
: gneur ajoute et à celle de tous les animaux
:

La femme n'a pas encore été formée, et déjà de la terre. Ici se déclare un autre abîm»- de
Moïse en parle comme d'un fait accompli. Tel bonté, puisque le même Dieu qui pourvoit aux
est le privilège de la vision spirituelle et les ; besoins des animaux qui serventànos besoins,
yeux du corps ont moins de force pour saisir à nos travaux, et à notre nourriture n'en ex- ,

les objets sensibles que ceux de l'àme pour ,


clut point les animaux sauvages et féroces.
fixer les personnes et les faits qui n'existent pas Eh ! qui parlerait dignement de cotte in-
encore. Après avoir dit que Dieu les créamâle finie bonté 1 Voilà, dit le Seigneur, que toutes
et femelle. Moïse rapporte en ces termes la bé- les plantes serviront à votre nourriture , et à
nédiction commune que Dieu leur donna. Et celle de tous les animaux de la terre, de
le Seigneur, dit-il, les bénit, disant: croissez et tous les oiseaux du ciel , et de ton^ les reptiles
midtipliez ; remplissez la terre, et vous l'assu- qui rampent sur la terre , ei de t lUt ce qui est
jédssez, etdominez sur les poissons de la mer. vivant et animé. Gen.
Ces paroles nous
( i, 30. )

Quelle cminente bénédiction! Cetordre crois- : montrent la paternelle providence du Seigneur


sez, midtipliez et remplissez la terre avait été à l'égard de l'Iiommc qu'il vient de créer. Car
intimé, il est vrai, aux animaux et aux repti- après l'avoir créé, il lui donne un empire sou-

les ; mais il n'a été dit qu'à l'homme et à la verain sur tous les animaux, et de peur qu'il
femme commandez et dominez. Admirez donc ne s'elfraie à la vue d'une si grande multitude
la bonté du Seigneur 1 La femme n'existe pas qu'il lui faudrait nourrir , il prévient jusqu'à
encore , et il la fait entrer en participation de la pensée de cette inquiétude , et lui déclare
l'autorité de l'homme , et des privilèges de la qu'il a ordonné à de pourvoir, par sa
la terre
bénédiction divine. Dominez , leur dit-il , sur fertilité, à sa nourriture et à celle de tous les

les poissons de la mer, et sur les oiseaux du animaux. Voilà donc , dit-il , que les plantes
ciel, et sur tous les animaux , et sur toute la serviront à votre nourriture, et à celle de tous
terre , et sur tous les reptiles qui se meuvent les aniînaux de la terre, et des oiseaux du ciel,
sur la terre. et des reptiles qui rampent sur la terre , et de
Mais qui pourrait mesurer l'étendue de ce
5. tout ce qui est vivant et animé. Et il fut fait
pouvoir, et apprécier la grandeur de cet empire I ainsi. Or tous les commandements du Seigneur
Eh ne 1 voyez-vous pas que toute la création a furent immédiatement exécutés , et toutes les
étésoumise au sceptre de l'homme? Ainsi vous créatures se trouvèrent disposées dans le rang
ne devez avoir de cet animal raisonnable aucune et l'ordre qui leur avaient été assignés. C'est
)6 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

pourquoi Moïse ajoute immédiatement et Dieu : ilne nous est pas permis de déverser le blâme
vit toutes ses œuvres, et elles étaient très- sur aucune créature, et de dire. pourquoi une :

bonnes. telle créature, etpour quel but ? Ceci est bien


6. On ne peut assez louer l'exactitude de la fait, et cela est mal lait. Car l'Ecriture pré-

sainte Ecriture. Car par cette seule parole : et vient et réprime toutes ces critiques en disant
Dieu vit toutes ses osuvrcs, elle ferme !a bouche qu'à la fin du sixième jour, Dieu ayant achevé
à tous les contradicteurs. Dieu vit donc toutes la création, vit toutes ses œuvres et qu'elles ,

ses œuvj-es , et elles étaient très-bonnes : et du étaient très-bonnes.

soir et du matin se fit le sixième jour. Moïse Quel raisonnement, je vousle demande, pour-
a dit après chaque création particulière et : rait contrebalancer un témoignage d'une telle
Dieu \it que cela était bon. Mais quand l'en- autorité? Car c'est le Créateur lui-même qui
semble de la création a été achevé, et l'œuvre énonce son appréciation, et qui déclare que
du sixième jour complétée par la formation de toutes ses œuvres sont bonnes et très-bonnes.
l'homme pour qui l'univers était fait il ob- , Ainsi, lorsque vous entendrez quelqu'un blâ-
serve que Dieu vit toutes ses œuvres, et qu'elles mer la création, et s'élever contre l'Ecriture

étaieyit très-bonnes. Ce mot toutes ses œuvres sainte, fuyez-le comme un insensé; ou plutôt
comprend l'universalité des créatures , et les ne le fuyez point, mais prenez en pitié son
renferme toutes dans le même éloge. Et ob- ignorance, et citez-lui ces paroles de nos Livres
servez qu'ici Moïse dit expressément toutes les saints : Dieii vit toutes ses œuvres, et elles

œuvres de Dieu , et non pas seulement toutes étaient très-bonnes. Peut-être fiarviendrez-
choses; de même qu'il ne dit pas qu'elles vous à corriger l'indiscrétion de son langage.
étaient bonnes, mais très-bonnes , c'est-à-dire Car dans les choses humaines, nous nous en
qu'elles étaient éminemment bonnes. Mais rapportons à l'avis d'hommes sages et judi-
puisque le Seigneur, qui a tiré toutes les créa- cieux, en sorte que, loin de les contredire, nous
tures du néant, les trouve très-bonnes, et émi- souscrivons à leur jugement, et leur soumet-
nemment bonnes ,
quel est l'insensé qui ose- tons nos propres lumières. Mais à plus forte
rait ouvrir la bouche pour le contredire 1 raison devons-nous en agir ainsi envers le
C'est lui qui parmi les créatures visibles a Dieu, Créateur de l'univers. Dès qu'il a pro-
créé la lumière et les ténèbres qui lui sont ,
noncé, il ne nous reste plus qu'à réprimer
opposées, le jour et la nuit qui en est la néga- toute critique et à nous taire; car il nous doit

tion. C'est lui qui a commandé à la terre de suffire de savoir et d'être certains q'te sa sa-

produire les plantes bientaisatites et les herbes gesse et sa bonté ont présidé à toutes ses œu-
vénéneuses, les arbres fruitiers, et les arbres vres, et (jue rien dans la création n'a été fait

stériles, les animaux doux et familiers , et les sans raison et sans motif. Sans doute notre in-
animaux sauvages et farouches. C'est lui qui a telligence est trop faible |)our que nous pé(JC-
peuplé les eaux des plus petits poissons , non trions l'utilité de chaque créature, et néan-
moins que des baleines et des monstres marins, moins il n'en est pas une seule qui ne soit
qui a rendu certaines contrées de la terre habi- l'ouvrage d'une sagesse infinie, et d'une bonté
tables, et d'autres inhospitalières; qui a étendu inettable.
les plaines , et qui a soulevé les collines et les 7. Et du soir et du matin se fit le sixiàmi
montagnes ; c'est lui qui parmi les oiseaux a jour : et comme en ce jour Dieu cessa de pro-
créé les es|)èces domesti(iues qui servent à duire de nouvelles créatures, Moïse ajoute :

notre nourriture, et les espèces sauvages et im- Ainsi furent achevés le ciel, la terre et tous
mondes , comme le vautour et le milan ; et leurs ornements. (Gen. n, 1.) Quelle simplicité
parmi les animaux terrestres il a produit et dans ces paroles! et comme l'Ecriture sainte
ceux qui nous sont utiles, et ceux (jui nous sont retranche toute expression vaine et siiperfiuel

nuisibles, les ser|)ents, les \ipères et les dra- Elle seborne à énoncer que l'ensemble de la
gons, les lions et les léopards. Enlin c'est lui création fut achevé le sixième jour, et sans
qui, dans les régions de rainiosphèrc. enfante rép(Her de minutieux détails, elle se contente
également la pluie et les vents bienfaisants la ,
de dire que le ciel cl la terre furent achevés
neige et la grêle. C'est ainsi qu'en parcourant avec tous leurs orncmc?ifs; c'est-à-dire avec
tout l'ordre de la création, nous trouvons tou- tout ce qu'ils renferment. Or, les ornements

jours le mauvais à côté du bon , et cependant de la terre sont ses diverses productions, les
HOMÉLIES SUU LA GENÈSE. - DIXIÈME HOMÉLIE.' M
plantes^ leS hioîssons, les arbres fruitiers, et ajoute Que Dieu sanctifia le septième jour
:

toutes les richesses dont le Seif^neiir a daif^Mié parce que dans ce jour il se reposa de tous les
'embellir. Les ornements du ciel sont le soleil, ouvrages qu'il avait faits.
la lune, la variété des étoiles, et toutes les que dès le commencement un
C'est ainsi
créatures intermédiaires. C'est pourquoi la grand mystère nous est révélé, et que nous
sainte Ecriture ne mentionne ici que le ciel et apprenons à sanctifier un jour de la semaine,
la terre, parce qu'elle comprend sous ces deux en le consacrant aux exercices de la piété. Ce
éléments tout l'ensemble de la création. repos du septième jour nous rappelle que Dieu
Et Dieu acheva le sixième jour toute son daigna le bénir après avoir achevé dans six
ceuvre. L'écrivain sacré le répète ici afin que jours l'ensemble de la création, et qu'il le
nous sachions bien que la création fut entière- sanctifia parce que dans ce jour il s'était reposé
ment accomplie dans cet espace de six jours. de tous les ouvrages qu'il avait faits. Mais ici
Dieu acheva donc le sixième jour toute son les pensées se présentent à flots pressés, et je
oeuvre^ et se reposa le septième de tous les ou- me reprocherais de ne pas vous les communi-
vrages qu'il avait faits. Qu'est-ce à dire que quer. Car elles me paraissent riches, et je veux
Dieu se reposa le septième jour de toiis les ou- vous faire part de leurs richesses. Et d'abord,
vrages qu'il avait /a?Y5.^ Evidemment l'Ecri- voici une première question. Dans la Genèse,
ture s'exprime d'une façon humaine, et se Moïse nous dit que Dieu se reposa de ses œu-
proportionne à notre faiblesse. Sans cette con- vres, et dans l'Evangile, Jésus-Christ nous dit :

descendance il nous eût été


, impossible de Mon Père agit toujours, et moi aussi. (Gen. v,
comprendre sa pensée. « Et Dieu, dit-elle, se 17.) Ne semble-t-il pas, au premier coup-d'œil
reposa le septième jour de tous les ouvrages qu'il ait ici une contradiction manifeste?
y
qu'il avait faits : c'est-à-dire qu'il s'arrêta Mais à Dieu ne plaise que l'Ecriture soit op-*
dans l'œuvre de la création, et qu'il cessa de posée à l'Ecriture! quand elle nous dit dans la
tirer du néant de nouvelles créatures. Et en Genèse que Dieu se reposa des ouvrages qu'il
effet, il avait produit toutes et chacune des avait faits, elle nous enseigne que le septième

créatures, et il avait formé l'homme qui devait jour il cessa de créer, et de tirer du néant de
en jouir. nouvelles créatures. Lorsqu'au contraire Jésus-
Et Dieu bénit le septième jour, et le sanc- Christ nous dit :31on Père agit toujours, et
tifia^ parce qu'il s'était reposé en ce jour de moi aussi; il nous manifeste l'action inces-
tous les ouvrages qu'il avait faits. Le Seigneur sante de la Providence; et il nomme action,
cessa donc de créer, parce que dans l'espace ou opération ce soin qui dirige l'univers, le
de six jours il avait produit toutes les créatures maintient et le conserve. Ehl comment sub-
auxquelles sa bonté destinait l'existence. Il se sisterait-il si la main du Seigneur cessait un

reposa donc le septième jour, ne voulant plus seul instant de soutenir et de conduire les

rien créer; car selon ses desseins, l'œuvre de hommes , les animaux éléments
et les ! Au
la création était achevée. Mais pour que ce reste, il suffit de rétléchir sérieusement sur les

septième jour eût, quelque préroga-


lui aussi, bienfaits dont le Créateur nous comble chaque
tive, et qu'il ne fût pas inférieur aux autres jour, pour reconnaître combien est immense
jours, puisqu'il ne devait éclairer aucune pro- l'abîme de ses miséricordes. Et pour n'en citer
duction nouvelle, il daigna le bénir. Et Dieu, qu'un seul trait, quelle parole et quelle pensée
dit l'Ecriture, bénit le septième jour, et le sanc- pourrait exprimer cette ineffable bonté qui
tifia. Quoi donc! Est-ce que les six autres join-s toujours généreuse envers l'homme, fait luire
n'avaient pas été bénis ? Sans doute, ils Pavaient son soleil sur les bons et sur les méchants,
été, puisque en chacun tl'eux le Seigneur avait qui fait pleuvoir sur les justes et les pécheurs,
produit dilîérents ordres de créatures. Voilà et qui fournit abondamment à tous leurs be-
pourquoi l'Ecriture ne dit pas expressément soins.
que Dieu les bénit, tandis qu'elle mou lionne Peut-être ce discours se prolonge -t-il oulre
ici la béiiéiliclion du sepiioiue jour. Et il le mesure? Et semble que ce
toutefois il me
sanctifia, dit-elle encore. Que signifie ce mot : n'est point inutilement. con- Car les absents
et il le sancti/ia? U nous apprend que Dieu naîtront mieux le tort qu'ils se font en se pri- ,

distingua ce jour de tous les autres, et l'Ecri- vant, par condescendance pour le corps, des
ture nous en révèle la raison, quand elle grâces de ce festin spirituel. Mais votre bien-
^6 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

veillance leur adoucira cette privation , si elle appelle heureux le juste qui médite nuit et
leur rapporte cet entretien. Ce sera même de jour la loi du Seigneur; et Moïse recom
votre pnrt un sincère tcmoi^mage de charité. mande aux Juifs qi/ après avoir bu et mangé
Car si un ami se plaît à pattiigcr sa tnble avec et s'être rassasiés , ils se souviennent du Sei-
ses amis, combi( n est-il mieux encore (](' par- gneur, lenr Dieu. (Ps. I, 2... Deut. vui, 10).
tager avec eux les joies de ces festins spirituels! Vous voyez donc combien est utile de don- il

Nous y trouverons nous-mêmes un grand profit ner à notre âme sa nourriture spirituelle, après
puisque le zèle qui nous porte à instruire nos avoir accorde au corps celle qu'il réclame.
frères, leur est utile, et devient également Autrement le corps se maintiendriiit frais et
pour nous un titre aux plus belles recompen- dispos, et l'âme affaiblie et languissante ferait
ses. Nous y faisons ainsi un double profit. Car quelque chute, et succomberait aux attaques du
Dieu nous tiendra compte de notre charité, démon. Car celui-ci épie toutes les occac-ions
et puis en instruisant les autres, nous gravons de nous entraîner au péché mortel. C'est pour-
plus profondément en notre esprit le souvenir quoi le même Moïse nous donne cet avis :
des leçons que nous avons entendues. Avant de dormir et à votre réveil souvenez- ,

8. Ne refusez donc point à vos frères un ser- vous du Seigneur votre Dieu. (Deut. vi, 7.)
vice dont vous retirerez vous-mêmes de si Ainsi ce souvenir ne doit jamais s'effacer de
grands avantages, et redites-leur les instruc- notre mémoire mais nous être toujours pré-
,

tions de ce soir. Mais afin qu'ils ne vous soient sent, et nous établir dans une continuelle vi-
pas toujours redevables de ce bienfait, ame- gilance. Nous devons aussi nous tenir sans
nez-les ici, et dites leur bienque d'avoir anti- cesse sur nos gardes, car nous ne pouvons
cipé l'heure du repas n'est pas une raison pour ignorer combien est grande la fureur de notre
s'abstenir de nos conférences. Car tous les temps ennemi. Il est doncnétes^aire que nous soyons
sont propres pour nous instruire. Et en clTot, toujours attentifs et vigilants à lui fermer
qui nous empêche, dans l'intérieur de nos mai- toute entrée , et à donner chaque jour à notre
sons, avant, ou après nos repas, de prendre âme sa nourriture spirituelle. C'est là un
en mains les saintes Ecritures, et de donner à moyen assuré de salut, et un trésor de richesses
notre âme une bonne et utile nourriture. Car célestes. Si chaque jour nous nous fortifions
si le corps réclame des aliments matériels, ainsi parla lecture, l'audition de la parole
l'âme a également besoin chaque jour d'une sainte et de pieux entretiens, nous deviendrons
nourriture spirituelle qui la fortifie, et lui invincibles aux attaques du démon, nous évi-
permette de résister aux attaques de la chair. terons ses pièges, et nous obtiendrors le
Autrement nous succomberions à cette guerre royaume des cieux, par la grâce et la bouté de
que nous déclarent les enncnu"s de notre salut, Notre Seigneur Jésus-Christ, à qui soient, avec
et ils réduiraient notre âme en un triste escla- le Père et l'Espril-Saint, la gloire, l'honneur
vage, si nous cessions un seul instant d'être etrcmpire, maintenant, et toujours, Qt dans les
forts et \igilauts. C'est pourquoi le Psalmistc sicclcs des siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE; — ONZIÈME HOMÉLIE.' tso

ONZIÈME HOMÉLIE.

Qu'il faut eotimer larertu, imiter les saints, qui, étant de même nature que nous.Tont pratiquée excellemment;

la négligence sera sans excuse.

ARALTSL

1.-2. Dans cette hom^lîp, prononcée un des deux jours de semaine oîi l'on ne Jeflnait pas , c'est-îi-dire le samedi on le dimanclie,
la

Genèse,
saint Clirysostome interromiit l'explication de la on sujet tout moral l'estinae de la vertu et l'imitation des saints.
et traite :

— 3.-4.11 prouve à ses auditeurs que le jeune et l'audition de la parole saiute ne sont utiles qu'autant qu'on y joint la pratique
des

vertus chrétiennes, et que ressenliel est de dompter ses passions. —


5.-6. Il leur propose ensuite l'exemple de saint Paul qui,

quoique recomniandable par tant de vertus, ne laissait pas que de se rendre chaque jour plus parfait. —7. Et U tennifle en les
exhortant à se rendre, comme l'Apôtre^ des temples dignes de recevoir l'Esprit-Saiflt,

i . Je vous ai entretenus, ces jours derniers, de raison qu'il dit jusqu'au soir, car les ténèbres
:

matières profondes qui ont peut-être fatigué qui surviennent, assoupissent l'homme, et font
votre esprit et votre attention ; c'est pourquoi succéder le repos au travail ; alors, en eflet, la

je veux aujourd'hui traiter un sujet plus facile ,


nuit, comme une
tendre nourrice, calme l'ac-
car, si le jeûne, a besoin
corps abattu par le tivité de nos sens , et elle verse sur nos mem-
de quelque soulagement, poir reprendre avec bres fatigués le repos et le sommeil ; mais, dès
une nouvelle ardeur cet exercice de pénitence, que les heures de la nuit se sont écoulées, les
l'âme réclame elle-même quelque relâche et premiers rayons du jour réveillent l'homme ;
queh|ue repos. Sans doute il ne s'agit point ici ses sens, qui ont repris une vigueur nouvelle,
de tenir toujours l'esprit bandé ou toujours se raniment aux clartés du soleil, et lui-même
relâché, mais de savoir tour à tour le distraire reprend ses travaux accoulumésavec plus d'ar-
et le rendre attentif; c'est le véritable moyen deur et de facilité. Nous observons la même
de conserver les forces de l'âme et de réprimer sagesse dans le cours périodique des saisons ;

les révoltes de la chair car un travail trop


: le printemps succède à l'hiver et l'automne à
assidu engendre l'ennui et le dégoût, et un re- l'été, et ce changement de saison et de tempé-
pos trop prolongé conduit à la paresse ; l'ex- rature est pour nos corps un véritable repos.

péiiencenous le dit assez, et pour l'âme et Un froid trop intense les gèlerait, et les chaleurs
pour le corps, en sorte qu'il faut de la modé- trop excessives les énerveraient; mais l'au-
ration en toutes choses. tomne nous dispose insensiblement à l'iiiver
Tel est encore l'enseignement que Dieu nous et le printemps à l'été.

donne parles créatures qu'il a faites pour notre J'ajoute même que l'homme sensé et ju-
usage ainsi pour ne parler que du jour et
:
, dicieux qui étudiera la nature à ce point de
de la nuit, c'est-à-dire de la lumière et des té- vue, y découvrira aisément un ordre adntira-
nèbres , il a destiné les jours au travail de ble aussi avouera-t-il que rien dans la créa-
;

l'homme, et la nuit à son repos; aussi a-t-il tion n'a été fait sans raison et au hasard. Les
fixé à l'un et à l'autre, d<^'s bornes et des limites plantes que produit la terre nous en olïrentun

qui nousendoublentl'utilité; et d'abord, le jour b( l exemple, car la terre ne les enfante pas
est le temps du nous le dit:
travail, le Psalmiste toutes à une époque unique, de même que tous
V homme sort alors pour faire son ouvrage et les temps ne sont pas propres à la culture mais ;

travailler jusqu au soir. (Ps. cm, 23.) C'est avec le laboureur connaît les diverses saisonsq lela

V
60 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

sagesse divine a marquées pour les divers tra- telleries, des rivages et des ports hospitaliers ;

vaux des dinmps il sait quand il doit semer


: car Seigneur nous dispense du jeûne deux
le
le blé, planter les arbres et confier au seiu de jours de la semaine, afin que le corps se re-
la terre les racines de la vij,aic; il sait égale- mette de ses fatigues que l'âme se repose,

ment (juand il doit mettre la faucille dans la de ses préoccu[)alions, et que nous puissions
moisson, dépouiller la vigne de son iruit, et ensuite poursuivre gaiement le cours de nos
recueillir les baies de l'olivier; qui n'admire- exercices.
rait donc ici sa science et son expérience 1
Mais aujourd'hui se rencontre un de ces jours
Si de feime nous nous élançons sur
la terre de relâche nous vous en conjurons, mes chers
;

l'Océan quelles merveilles nouvelles Le pi-


,
!
frères, conservez avec soin les fruits que vous
lote distingue les vents favorables pour lever avez déjà retirés du jeûne. Demain, après avoir
l'ancre, quitter le port et traverser les mers pris de nouvelles forces, vous augmenterez ces
et c'est principalement en lui que se révèle trésors spirituels, vous ferez dans ce saint né-
ce don d'intelligence que Dieu a départi à goce des gains abondants , en sorte qu'au jour
l'homme car les courriers ne connaissent pas
:
du Seigneur, votre navire, chargé d'une riche
mieux les relais et les hôtelleries que les pilotes cargaison, entrera à pleines voiles dans le port
les ports et les rivages. Aussi la sainte Ecriture, de grande solennité
la : car toutes les œuvres
parlant de la divine sagesse, dit-elle avec un du Seigneur, comme le marque l'Ecriture , et
vif sentiment d'admiration le Seigneur a tracé :
comme l'expérience nous le révèle, portent le
à r homme un chemin sur les mers, et une route sceau d'une souveraine sagesse et dune émi- ,

assw'ée au milieu des flots. (Sag. xiv, 3.) Quelle nente utilité, et c'est ainsi que dans toute notre
intelligence humaine pourrait comprendre conduite rien ne doit être l'eifet de la légè-
toutes ces merveilles Nous trouvons encore
!
reté ou de l'irréflexion ; toutes nos actions , au
ce même ordre et cette même variété dans les contraire, doivent tendre à l'avantage et au
aliments qui forment la base de notre nourri- succès de notre salut. Dans le monde on n'en-
ture : car le Seigneur nous les diversifie selon treprend guère d'alîaires si d'abord on ne pré-
les saisons et les époques de l'année , et de son voit qu'elles seront lucratives; et n'est-il pas
côté, la terre, comme une bonne nourrice, ne bien juste que nous imitions cette prudence?
manque point de nous prodiguer ses bienfaits C'est pourquoi il ne suflit pas que les semaines
aux temps précis que Dieu lui a marqués. du carême s'écoulent mais il est nécessaire
;

Mais je craindrais de trop m'étendre sur


2. que chacun examine sa conscience, et (ju'il se
ces détails et il vaut mieux les abandonner à
,
rende compte de ce qu'il a fait de bien dans la
vos réflexions. Donnez une occasion au sage, semaine présente et dans celle qui a précédé;
dit l'auteur des Proverbes, et il deviendra plus il appréciera ainsi les progrès (ju'il a faits dans
sage encore. (Prov. ix, 9. ) Au reste, ce n'est la vertu, et reconnaîtra les vices dont il se sera
point seulement dans les aliments de Ihomme, corrigé.
mais encore dans ceux des animaux, et dans Ces règles de conduite et ce soin de notre
une multitude d'autres phénomènes que nous salut peuvent seuls nous rendre utiles le jeûne
pouvons reconnaître l'ineHiiblc sagesse du Sei- Kh! combien jieu faisons-nous
et l'abstinence.
gneur, admirer sa souveraine bonté et pro« en comparaison du zèle que déploient les mar-
clamer le bel ordre et l'harmonie de l'univers. chands pour augmenter leurs richesses car :

Le carême lui-même nous olTre cet admirable vous n'en trouverez aucun (jui ne travaille
tempérament de sévérité et de douceur. Sur avec une continuelle assiduité, qui ne cherche
les roules |)ubli<pies, les voyageurs fatigués à grossir chaque jour son gain, et qui jamais
trouvent des stations et des hôtelleries où ils paraisse satisfait; aussi plus son commerce de-
peuvent se délasser et reprendre ensuite leur vient lucratif, et plus s'accroissent ses soins et
voyage les rivages de la mer offrent égale-
; son zèle mais si les hommes montrent tant
;

ment aux nautoniers des ports traïKiuilles ,


d'activité dans des choses où le succès est in-
où ils peuvent se reposer d'une longue navi- certain et où le gaiu est souvent dangereux
,

gation et des secousses de la tempête, et puis pour le salut, que ne devons-nous oint faire |

achever heureusement leur course. C'est ainsi dans ce négoce spirituel, où le prolit corres-
que ceux qui ont commencé le jeune du ca- pond toujours au travail, et où nous sommes
rême rencontrent aussi des stations et des hô- assurés de recueillir d'ineffables récompenses
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — ONZIÈME HOMÉLIE. 64

etd'immenses avantages Sur la terre rien de


1 publicains ne le font-ils pas aussi ? (Matth. t.
moins stable et rien de plus incertain que la Ai).) C'est pourquoi il doit arriver à cette dispo-
possession dos richesses ; et, d'abord, de (luelle sition de cœur(ju'il accueille ses ennemis d'un
utiliténous sont elles à la mort puisqu'elles ,
bienveillant regard, et qu'il leur témoigne une
demeurent en deçà du tombeau? Mais sans tendre charité.
nous accompagner elles ne laissent pas que
, Si nous nous laissons toujours dominer par
d'être la matière d'un rigoureux jugement. ces passions, et mille autres qui naissent en
Souvent encore il arrive que, même avant la nous, et cela lorsque nous venons ici chaciue
mort et après mille travaux mille peines et, jour, et que nous ajoutons à la vertu du jeûne,
mille fatigues, l'adversité, comme un ouragan les secours de l'instruction et de la doctrine,
subit, les engloutit entièrement, en sorte que quelles seront notre excuse et notre défense?
d'un état d'opulence on tombe dans une ex- Car, dites-le moi, si vous voyiez votre enfant
trême indigence chaque jour nous en voyons
;
fréquenter assidûment l'école, et après plusieurs
de tristes exemples mais, dans ce négoce spi-
;
années ne faire aucun progrès, seriez-vous tou-
rituel, nul revers semblable n'est à craindre ,
jours patient et indifférent ? Vous châtiriez
notre gain est assuré et certain , et plus nous l'enfant, et vous blâmeriez le maître. Mais
aurons travaillé à la grossir, plus aussi nous qu'on vous prouve ensuite que celui-ci a rem-
en recevrons de joie et de consolation. pli tous ses devoirs, et qu'il n'a rien omis à
3. C'est pourquoi, tandis que nous en avons l'égard de votre enfant, dont il ne faut accuser
le temps et la facilité, apportez du moins, je que la paresse et l'indolence, et soudain vous
vous en conjure, dans l'acquisition des riches- tournerez vers ce dernier toute votre indigna-
ses spirituelles, le même zèle que tant d'autres tion, et vous ne condamnerez plus le maître.
déploient pour des trésors périssables. Bien Ap[)liquez-vous cette parabole. La vocation
plus, nous ne devons jamais nous relâcher divine m'a appelé au ministère de la parole
dans notre activité, lors même que déjà nous sainte, et, comme mesfils spirituels, je vous

aurions fait quelque profit, et que, par notre réunis chaque jour pour vous distribuer
ici

vigilance, nous aurions surmonté quelque dé- une salutaire instruction. Au reste, ce ne sont
faut. Car c'est à ce prix que nous goûterons les point mes propres pensées que je vous déve-
que procure le bon témoignage
solides plaisirs loppe et que je cherche à vous inculquer, mais
de la conscience. Ce que je vous demande c'est la doctrine que le Seigneur nous a révélée
donc, ce n'est pas de vous borner à venir ici dans ses divines Ecritures. Et si maintenant
chaque jour, pour y entendre la parole sainte, malgré tous mes soins, et tout mon zèle pour
ni même à jeûner tout le carême; et en effet si vous faire chaque jour avancer dans la voie de
ces fréquents entretiens, et si ce jeûne ne ser- la vérité, vous persévérez dans vos erreurs et
vent à votre avantage s[)irituel, loin de vous vos vices, pensez quelle sera ma douleur, et,
être utiles, vous deviendront le sujet d'une
ils sans employer un terme plus dur, quelle sera
plus sévère condamnation. Ce sera justice, votre propre condamnation ! sans doute je se-
puisque malgré tous nos soins, vous serez de- rai à l'abride tout reproche, puisque je n'au-
meurés, par rapport au salut, dans le même rai rien négligé pour assurer vos progrès dans
état d'indifférence. Ainsi l'homme colère et la vertu, et néanmoins, comme je désire beau-
irascible doit devenir doux et pacifique l'en- , coup votre salut, je ne pourrai que m'altrister
vieux charitable, l'avare désintéressé dans l'a- profondément de votre lâcheté. Eh! quel est
mour insensé des richesses, généreux dans ses le maître qui, voyant son disciple ne retirer
aumônes et prodigue de ses biens envers les aucun fruit de ses leçons, ne s'afflige et ne gé-
pauvres; ainsi encore le voluptueux doit se mit amèrement, parce qu'il sent que sa peine
montrer chaste et réservé, l'ambitieux s'accou- et ses soins sont perdus ?
tumer à mépriser la vaine gloire du monde, et 4. Mon intention, en vous parlant ainsi,
à ne rechercher que la gloire solide du salut, n'est point de vous contrister, et je ne veux
et celui qui négligeait envers ses frères les de- que réveiller votre ardeur, afin que vous ne
voirs de la charité doit s'exciter lui-même à fatiguiez pas inutilement votre corps par un
ne point paraître inférieur aux publicains : jeûne rigoureux, et que vous n'acheviez m'^
Car, dit Jésus-Christ, si vous n'aimez que ceux infructueusement le cr ts de cette taiuie qua-
qui vous aimentf que faites-vous de plus? (es rautaiûç. Mais pourqv i limiter notre zèle au
6i TRADUCTION FRAiXÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

carême^ puisqu'il ne devrait pas y avoir un amer qu'il soit vous devienne réel-
, afin qu'il
seul jour dans toute notre existence où nous lement vous rétablisse dans une
utile et (|u"il
ne fissions quelque profit s()iiituel par la santé parfaite. Quels immenses avantages vous
prière, la compassion, l'aumône et autres pra- en retirerez, et, moi-Uiême, combien je me
tiques de la piété? Kt en cUét, le grand apôtre réjouirai de voir ceux qui étaient faibles et
à (jui le Seigneur avait découvert des secrets maladt s recouvrer leurs forces et leur vigueurl
que nul autre jusqu'aujourd'hui n'a connus, Je vous en conjure donc, que désormais
écrivait aux Corinthiens Je meurs choque : chacun d'entre vous s'ap[)li(iue à déraciner
jour pour votre gloire. (1 Cor. xv, 31.) Il nous son défaut dominant et qu'il se serve de quel-
révélait ainsi que dans son désir de procurer que |)ieuse pensée comme d'un glaive spirituel
l'avancement spirituel des fidèles, il s'expo- pour le couper et l'extirper. Car Dieu nous a
sait à de grands périls que chaque jour il
si donné la raison, et, si nous voulons un peu la
affrontait la mort. Mais cet héroïsme est au- seconder, elle peut facilement étoutler tous

dessus de la nature qui ne nous permet nos vices. De [)lus rEsjjrit-Saint nous a laissé
,

de mourir qu'une seule fois; et cependant dans rtcrilure la vie et les exemples des saints
l'Apôtre bravait généreusement mille morts, qui , étant hommes comme nous, n'ont point
quoique le Soigneur dans sa bonté lui conser- laissé de s'illustrer par la pratique de toutes
vât une vie nécessaire au salut de ses frères. les vertus. Comment leur exemple ne nous
Or si Paul, élevé au faîte des vertus et de la empécherait-il pas d'être lâches et négligents
sainteté, et qui était moins un homme qu'un dans la pratique de ces mêmes vertus?
ange, s'eflôrçait cliaciue jour d'avancer dans la 5. L'apôtre saint Paul était-il d'une autre

piété, de combattre i)our la vérité, et de braver nature (jue nous? Je l'avoue, je l'aime passion-
mille périls pour la justice et s'il se faisait un: nément et c'est pourquoi son nom se place si
,

devoir de grossir ciiaque jour ses richesses souvent sur mes lèvres Je le considère donc
spirituelles et de ne jamais se reposer, com- comme le modèle achevé de la plus haute per-
ment excuser notre lâcheté? hélas! nous fection, et, quand je contemple ses vertus,
sommes dénués de vertus et enclins à une j'admire en lui la mortification entière de
multitude de vices, dont un seul suffirait à toutes les passions , l'excellence du courage et
notre perle éternelle, et encore nous n'ap- kl ferveur de l'amour divin. Hélas ! me dis-je,
portons aucun zèle à l'œuvre de notre con- Paul réuni', en lui et fait briller toutes les

version. vertus ; et courage d'opérer


moi, je n'ai pas le

Dois-je ajouter que presque toujours le même le moindre bien. Eh qui nous arrachera aux !

homme est sujet à [)lusieurs défauts, et qu'il sui>plices inévitables de l'enfer ? L'Apôti*e ,
est à la fois colère et intempérant, avare, ja- homme comme nous et sujet aux mêmes fai-

loux et violent? Mais ne veut ni se corriger


s'il blesses, vivait en des temps bien difficiles, et
de ces vices, ni s'c xercer aux vertus oppo.ées, chacjue jour il était persécuté , battu et publi-
quelle espérance peut-il avoir de son salut! .Vu quement maltraité par ceux qui s'opposaient à
reste, je ne cesserai point de vous ré|)éter ces la prédication de l'Evangile. Souvent même ses
maximes, afin que chacun de mes auditeurs y ennemis jn-nsaient qu'il avait expiré sous leurs
trouve un remède à ses maux, et tiuil éloigne coups et ils le laissaient connue mort. Ah ! oîi
les aiïeclions mauvaises cpii troublent son trouver parmi nos chrétiens mous et énervés
âme. Alors il pourra s'appliquer avec zèle à la ces granils exemples de fermeté? Au reste, ce
prali((ue des vertus chrétiennes. Car il est n'est pas de ma bouche, mais de la sienne
iiuilile (pie le médecin entreprenne le traite- (pi'il vous faut apprendre quelles furent ses
ment d'un malade (jui repousse ses soins, et œuvres éclatantes et son courage pour la dilfu-
qui, impatient et exaspéré par la douleur, re- sion du christianisme.
jette tous les remèdes (ju'on lui présente. Quel Lorsiiue les calomnies dos faux apôtres l'o-
homme sensé accuserait alors le mé<leein bligèroul à raconter ses propres vertus, il ne
comme n'ayant |)oint rempli son devoir et le le lit ipravec la plus grande répugnance; et,
rendrait responsable de ce (|ue le malade ne bien loin de s'y prêter complaisamment , il

que je vous présente


guérirait pas? C'est ainsi navait de hardiesse que pour se nommer uu
la doctrine sainte comme un remède spirituel, blasphémateur et un persécuteur. Mais enfin, ,

;,... v^r est do le pi'CUdrc, quelque


'. -
'
HOMÉLIES SUR LA GENÉSfî. ^ ONZIÈME HOMÉLIE. 63

ào vils imposteurs et pour consoler un peu ses l'Evangile et corrompre les esprits simples et
disciples, il s'exprime ainsi : Quant mix avan- faciles. C'est pourquoi , après avoir dit : Je suis
tages qu'ils osent s'attribuer, je veux bien faire plus qu'eux ministres de Jésus-Christ, il énu-
vne impi'udence en me rendant aussi hardi mère les éclatantes preuves de sa vertu et de son
qu'eux. Quelle leçon dans ces paroles ! L'A- courage. J'ai essuyé, dit-il, plus de travaux
pôtre appelle la louange qu'il Ta se donner une de coups, et je me suis vu pi us sou-
j'ai reçu plus
hardiesse et une imprudence ; et il nous ap- voit comme mort. (11 Cor. xi, 23.) Que dites-vous,
prend ainsi que, sans une pressante nécessité, ô grand Apôtre ! Et cette dernière parole n'est-

il ne faut jamais divulguer nos bonnes œuvres, elle pas un vrai paradoxe ? Car, est-il possible
si toutefois nous en avons fait quehju'une : de mourir plusieurs fois? Oui, cela est possi-
Quant aux avantages qu'ils s'atlribiient , je ble, me répondez- vous non en réalité, mais ; ,

veux bien faire une imprudence en me rendant par le désir et la résolution. Puis il nous ap-
aussi hardi qu'eux, c'est-à-dire, je cède à la ])rend comment il a bravé mille fois la mort
nécessité et je consens à faire acte de hardiesse pour de l'Evangile, et comment,
la prédication
et d'imprudence. Sont-ils Ucbreux? je le sids pour l'utilité des fidèles, le Seigneur en a déli-

aussi ; sont-ils Israélites ? je le suis aussi; sont- vré son invincible athlète. Je me suis vu sou-
ils de la race d'Abraham ? j'en suis aussi. Ils vent comme mort , j'ai reçu des juifs , jusqu'à
se glorifient , dit-il , et ils s'enorgueillissent de cinq fois , trente-neuf coups de fouet , j'ai été
ces avantages, mais je n'en suis point dépourvu, battu de verges par trois fois, j'ai été lapidé
je les possèdecomme eux. 11 ajoute ensuite : une naufrage une fois, j'ai passé
fois, j'ai fait
Sont-ils ministres de Jésus-Christ? quand je un jour une nuit au fond de la mer ; soU'
et
devrais passer pour imprudent ,
je le suis plus vent j'ai été, dans les voyages, en péril sur les
qu'eux. (II Cor. n, 21, 2-2, 23.) fleuves, en péril parmi les voleurs et au milieu
6. Ah ! voyez ici , mon cher frère , combien des miens en péril parmi les païens et parmi
,

est grande la vertu de l'Apôtre déjà ; il avait qua- les faux frères, en péril dans les villes, dans
lifié d'audacieuses et d'imprudentes les louanges les déserts et sur la mer. (II Cor. xi, 24, 2G.)
qu'il s'étaitdonnées par nécessité, mais peu Ne passons point légèrement sur ces diverses
content de ce premier acte d'humilité, il le re- circonstances, car chacune nous révèle comme
nouvelle au moment où il va prouver qu'il un abîme de souffrances. Et, en eflét , l'Apôtre
surpasse infiniment ses détracteurs. C'est pour- ne seulement qu'il a été une fois en pé-
dit pas
quoi, de crainte qu'on ne pense que l'orgueil ril dans un seul voyage, mais que plusieurs
le fait parler, il veut de nouveau se taxer fois il a couru mille dangers sur les fleuves, et
lui-môme d'imprudence. C'est comme s'il di- que toujours il y a déployé la plus grande fer-
sait Je sais bien que mes paroles en choque-
: meté. Enfin il conclut son récit par ces paro-
I
,

ront plusieurs et qu'elles paraîtront étranges les : J'ai été dans les travaux et les chagrins,
dans ma bouche, mais je suis véritablement souvent dans les veilles, dans la faim et la
contramtde parler; veuillez donc excuser mon soif, dans les jeûnes, dans le froid et la nudité,
imprudence. Ah que nous sommes éloignés
! et, e?i outre, j'ai les maux qui me viennent du
d'imiter même
l'apparence de cette modestie! dehors. (II Cor. xi, 27.)
Si , malgré tous les péchés dont nous sommes 7. Sondez donc, si vous le pouvez, ce second
chargés, nous arrive de faire le moindre
il abîme de soulfrances, car en disant en outre, :

bien, nous ne pouvons le tenir caché dans le j'ai les maux qui me viennent du dehors, il
trésor de notre cœur, mais nous le divulguons nous fait entendre que ses tribulations ont été
pour obtenir un peu de gloire auprès des plus grandes et plus nombreuses qu'il ne l'a-
hommes; et, par notre imprudente vanité, voue. Cependant il veut bien nous révéler
nous nous privons des récompenses célestes. quelques-unes des adversités et des conspira-
Ce n'est pas ainsi qu'agissait l'Apôtre il avoue : tions auxquelles il a été exposé, en nous par-
d'abord qu'il est imprudent en disant qu'il est lant de raccablenient quotidien oîi le retenait
plus qu'eux ministres de Jésus-Christ et puis ; la sollicitude de toutes les églises. Ce zèle seul
il aborde les vertus et les mérites que serait bien suffisant pour nous faire compren-
ne pou-
vaient montrer ces faux apôtres. dre tout l'héroïsme de f'ï vorf" car j'ai dit- ; .

Eh ! faut-il s'en étonner ? ne savaient que


Ils il, la sollicitude, non wne, de deux, ou de <'

combattre la vérité, s'opposer aux progrès de trois égU§çs, mais de Lûtes celles qui sont ré-
Ci TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

f andiies dans le monde entier.


Ain?i les soins l'Apôtre ; et alors mes paroles ont coulé comme
et la sollicitude de l'Apôtre embrassaient , un fleuve impétueux. Je termine donc en vous
comme les rayons du soleil, l'immensité de priant, mes chers frères, de vous souvenir
l'univers. souvent de saint Paul, et surtout de ne pas
Quel cœur large 1 et quelle grande âme 1 oublier qu'il était homme comme nous et ,

Mais les paroles suivantes effacent tout le reste soumis aux mêmes faiblesses. Il exerçait, en
par leur sublimité : Qui est faible, dit-il, smis outre, un métier vil et peu relevé celui de ,

que je m'affaiblisse avec lui, et qui est scanda- faire des tentes, et passait une partie de sa vie
lisé sans que je brûle ? (II Cor. ii, 29.) Ah ! dans les boutiques et cependant, parce qu'il
:

quelle tendresse de père pour ses enfants I le voulut sincèrement , il posséda toutes les

quelle charité 1 quelle vigilance et quelle in- vertus et devint temple de l'Esprit-Saint, qui
le

quiétude Le cœur d'une mère souffrc-t-il


! le remplit de la plénitude de ses grâces. Et

autant près du lit où les ardeurs de la lièvre nous aussi, si nous voulons taire ce qui dépend
retiennent son fils, que celui de Paul qui de nous, nous pouvons obtenir les mêmes avan-
s'affaiblissait avec tout chrétien faible, n'im- tages. Car notre Dieu est généreux, et il veut
porte en quel lieu il habitât, et qui brûlait que tous les hommes soient sauvés, et qitils par-
avec tout fidèle qui était scandalisé? Et en Viennent à la connaissance de la vérité. (I Tim.
effet, considérez la force et l'énergie de l'ex- u, 4.) ne nous reste donc qu'à nous rendre
Il

pression; il ne qui est scandalisé sans


dit pas : dignes de ses bontés, et à embrasser avec zèle,
que je m'attriste, mais, sans que je brûle ;\\ nous quoique un peu tard la pratique des vertus
,

indique ainsi toute la vivacité de sa douleur; chrétiennes. Nous devons également travailler
c'était comme un feu ardent qui le dévorait; à dompter nos passions, afin que nous deve-
telle était sa compassion pour tous ceux qui nions, comme l'Apôtre, les temples de l'Esprit
étaient scandalisés. Saint, Puissions-nous y parvenir, par la gràc
Mais je m'aperçois que cet entretien se pro- et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à
longe indéfiniment , quoique j'eusse résolu qui soient, avec le Père et l'Esprit-Saint , la
d'être court, afin de ne pas vous aggraver la gloire, l'honneur et l'empire, maintenant et
fatigue du jeûne. C'est que mon sujet m'a toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi
conduit à parler des éminentes \ertus de soil-il.
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — DOUZIÈME HOMÉLIE. G.S

DOUZIÈME HOMÉLIE.

Sur ocB parole? ; < Ceci est le livre de la création du ciel et de la terre , cpiand ils furent créés , au jour que
Dieu fit le ciel et la terra. > (Gen. U , 4.]

ANALYSE.

1.-2. Dans cette homélie saint Chrysostome reprend l'explication de la Genèse, et, de nouveau, développe sotDmairement l'histoire de la

création. — 3. 11 explique ensuite demeure suspendue au-dessus des eau.\, et il y reconnaît un acte de celle
comment la terre
puissance divine qui préserva de la flamme les trois jeunes hébreux et qui dessécha la mer Rouge pour laisser passer les
,

Hébreux.— 4. Il revient ensuite à son sujet, et traite de la formation de l'homme. 5. Notre corps, dit-il, formé de hmon et de —
poussière, nous doit inspirer une sincère humilité, et notre âme, créée à l'image de Dieu, mérite que nous lui conservions sa
noblesse , en la maintenant toujours pure et toujours sainte. ,

Nous pouvons y parvenir, si nous voulons imiter le zèle et
les vertus de saint Jean-Baptiste et de saint Paul.

i . Je viens aujourd'hui remplir ma promesse, Je me suis encore appliqué avec un soin tout
et reprendre la suite de nos précédents entre- spécial à instruire ceux qui erraient touchant
tiens.Vous savez bien que telle avait toujours été la célébration de la Pàque, et qui se font un
mon intention, et que je me disposais à le faire, grand tort en considérant ces erreurs comme
lorsque le soin de votre salut m'a obligé de peu importanies. J'aidonc placé l'appareil sur
traiter un sujet plus approprié à vos besoins. la blessure, et j'ai prémuni nos catéchumènes
Et en efl'et ,
quelques-uns de nos frères pre- contre cette fausse doctrine. Maintenant il ne
naient occasion de leur faiblesse pour s'absen- me reste plus qu'à vous offrir le festin accou-
ter de nos conférences spirituelles , et ils alté- tumé de nos instructions. Certes je n'eusse pu,
raient ainsi les joies de nos pieuses réunions. sans être vraiment répréhensible , négliger le

Je me suis donc elforcé de les ramener au salut de mes frères, et pour ne pas interrompre
bercail, par mes
mes exhortations en
avis et , la suite de mes explications, mépriser leur fai-
sorte que désormais
ne se séparent plus du
ils blesse, et laisser passer le moment favorable
troupeau de Jésus-Christ. Unis à nous par le de les reprendre. Mais aujourd'hui j'ai satisfait,

nom et la qualité de chrétiens, ils étaient en selon la mesure de mes forces, à toute l'éten-
réalité attachés aux Juifs, qui sont encore assis due de devoirmonje leur ai distribué la :

dans l'ombre et les ténèbres, quoique le Soleil parole de la doctrine je leur ai fait con- ;

de justice luise sur le monde. J'ai également naître le trésor de la vérité, et j'ai ainsi jeté

engagé les catéchumènes (}ui assistent à nos dans leurs cœurs bonne semence. 11 convient
la

réunions à se rendre dignes de la grâce du donc que j'aborde l'explication du passage de


baptême et je les conjure de secouer toute
, la Genèse que l'on vient de nous lire cette :

somnolence et toute paresse, atin que, par de vifs explication ne pourra que vous être utile, et

désirs et un grand empressement, ils se dis- vous en rapporterez dans vos maisons quelques
posent à recevoir le don royal de la régénéra- heureux fruits.
tion. C'est ainsi qu'ils mériteront d'arriver jus- Or, voici ce passage Ceci est le livre de la :

qu'au Dieu qui nous accorde la rémission de création du ciel et de la terre, quand ils furent
nos péchés, et qui y ajoute libéral«ment les créés, au jour que Dieu fit le ciel et la terre, et

plus précieuses faveurî-. toutes les plaides des champs, quand il n'y

o. J. Cil. lo.iiE V.
m TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRVSOSTOME.

en avait point sur la terre, et toutes les herbes litre général, puisqu'en effet toutes les créa-
de la campagne, quand la terre n'en produi- tures qui existent soit dans le ciel, soit sur la
sait point ; car Dieu n'avait point encore ré- terre, sont nécessairement comprises dans ce
pandu la phiie sur la terre, et il n'y avait point livre. Au jour, dit l'I^crilure, que Dieu fit le

d'homme pour la cultiver. Mais il s'élevait de ciel et la terre, et toutes /e? plantes des champs,
la terre une source qui en arrosait la surface. quand il n'y en avait point sur la terre, et
(Gen. II, 4, 5, 6.) Consitle;rez ici, je vous le de- toutes les herbes de la camfiaqne, quand la terre
mande , la sagesse admirable de récrivaiti n'en produisait point. Car Dieu n avait point
sacré, ou plutôt celle de l'Esprit-Saint qui l'ins- encore répandu la pluie sur la terre , et il n'y
pirait ; car d'abord , il nous a raconté séparé- avait point d'homme pour la cultiver. Mais il

ment chaque partie de la création, il nous a s élevait de la terre une source qui en arrosait
décrit les œuvres des six jours, la formation de la surface. Ces quelques paroles contiennent
l'homme et le donna sur
pouvoir «jue Dieu lui un trésor précieux, et je dois vous les exp'iquer
toutes les créatures, et maiiitenant il résume avec beaucoup de circonspection, afin que par
tout son récit en ces mots Ceci est le livre de :
le secours de la grâce divine, je pui-^se vous

la création du ciel et de la terre, quand ils fu- faire profiter de ces richesses spirituelles.

rent créés. L'Esprit-Saint qui prévoit toute la suite des


Peut-être ne sera-t-il pas sans intérêt d'exa- siècles, a voulu dès le principe empêcher que
miner pourquoi l'Ecriture appelle la Genèse le la raison humaine ne contredît les dogmes de

livre de la création du ciel et de la terre, quoi- l'Eglise, et ne ptrverlît le véritable sens de


qu'il comprenne tant d'autres choses. Et en l'Ecriture. C'est pourquoi il reprend ici tout
efîct ce livre qui raconte les vertus des anciens l'ordre de la création, et nous ra[)pelle dabord

justes,nous instruit aussi de plusieurs points les œuvres du premier et du second jour; et

de doctrine, et en particulier de la bonté de puis il nous dit comment au troisième la terre,


Dieu, et de son indulgence envers le premier par l'ordre du Seigneur, fit éclore ses diverses
homme et tous ses descendants. Il traite égale- proiUictions sans le concours du soleil qui
ment d'un grand nombre d'autres sujets qu'il n'exi'^tail pas, et sans linfluence de la pluie, ni
est inutilede spécifler ici. Mais ne vous en le travail de l'homme. Car celui-ci n'avait pas

étonnez pas mon cher frère car habituelle-


, ;
encore été formé. Ainsi la répétition de ces dé-
ment l'Ecriture sainte n'entre point dans de tnils a pour but de réprimer latidace de nos

minutieux détails. Elle se contente d'exposer imprudents critiques. Relisons donc ce passage :

sommairement les principaux faits, et ;iban- Au jour que Dieu fil le ciel et la terre, et toutes
donne le reste au zèle et aux recherches de ses les plantes des champs quand , il ny en avait
lecteurs.Le passage qu'on vient de lire, en est point sur la terre , herbes de la
et toutus les

une preuve frappante. Car après nous avoir campafjm, quand la terre n'en produisait pi tint.
précédemment raconté en détail toutes les œu- Car Dieu n'avait point encore répandu la pluie

vres des six jours, elle n'en parle plus que sur la ferre, et il n'y avait point d homme pour
pour dire en général : ceci est le livre de la la cultiver. Mais il s'élcrait de la terre une
création du ciel et de la terre, quand ils source qui en arrosait la surface.
furent créés, au jour que Dieu fit le ciel et la L'Ecriture nous révèle donc que soudain, à
terre. la parole cl à l'ordre du Soigneur, toutes les
2. Vous voyez donc (jue Moïse, eu ne nom- créatures sortiront du néant, ot reçiu'ont l'exis-

mant ici (juc le ciel et la terre , nous engage à tence. Alors la terre enfanta les plantes des

y contempler tout ronscmblc dos créatures. Et champs, et sous ce nom sont comprises toutes
en cfTet il les comprend toutes sous celte dési- se? diverses proiluolions; mais au snjet delà
gnation, litnt ceHes qui sont dans le ciel, que jiluie, la même Ecriture observe que Dieu ne
celles qui sont sur la terre. Désonnais il ne l'avait pas cncoœ répandue sur la terre , c'est-

reprendra plus le détail de la création, et se à-dire (|u'il ne l'avait pas encore fait tomber
bornera à la rapiiclor sommaironienl. C'est du haut du ciel, tntln ollo nous pi\'U\o que la
ainsi qu'il nomme la Genèse entière le livre terre ne devait point sa fécondité au IraNail de
do la création du ciol et do la terre, quoiiiu'elle l'homme, puisqu'il n'y avait point d'homme
coniienne beaucoup d'autres choses. Il veut pour la cultiver. Appronoz nous dit elle, et,

donc nous apprendre à les déi:ouvrir sous ce n'oubliez point quelle est l'origine de toutes
HOMÉLIES SUR LA GEiNÈSE. — DOUZIÈME HOMÉLIE. 67

les productions de la terre , et ne croyez pas fants qui marchaient au milieu des flammes
qu'elles soient le résultat des soins de l'homme, avec autant de sécurité que dans une piairie
ni le fruit de ses travaux. La terre les a enfan- émaillée de fleurs.
tées à la parole et à l'ordredu Créateur. Con- Au reste, afin que l'on ne crût pas que ce feu
cluons donc que pour faire germer les herbes matériel fût dénué de toute action, le Sei-
et les plantes la terre n'a nul besoin du con-
. gneur voulut bien lui conserver son activité.
cours des autres éléments, et que le comman- Seulement il la suspendit à l'égard de ses ser-
dement du Créateur lui suffit. viteurs qui en tiiomphèrent, et qui n'en furent
Mais voici un nouveau prodige plus éton- nullement atteints. Quant aux soldats qui
nant encore. Le même Dieu dont la [)arole a avaient jeté les jeunes hébreux dans la four-
conununiqné à la terre une si merveilleuse fé- naise, ils connurent combien est grande la
condité, et dont la puissance surpasse toute puissance du Seigneur, car le feu exerça à
intelligence humaine, a établi au dessus des leur égard toute sa violence et le même élé- ;

eaux masse immense et le poids énorme du


la ment, qui, au dedans de la fournaise, se cour-
monde. C'est ce que nous apprend le Psalmiste bait doucement au-de.^sus des trois enfants,
par ces mots // a étendu la terre sur les eaux.
: sévit au dehors et consuma les satellites du
[Ps. CLXXV, 6.) L'iionune peut-il percer ce mys- tyran. Vous voyez donc comment Dieu change
tère? Car dans la construction d'un édifice, on à son gré les propriétés des éléments. C est
creuse d'abord les fondements, et si l'on ren- qu'il les a créés en dispose selor sa
, et qu'il
contre quelques veines d'eaux on les épuise , volonté. Voulez-vous encore que je vous
avant que d'asseoir les premières assises du montre le même prodige par ra[)uort aux
bâtiment. Mais le Créateur agit tout différem- eaux ? Le feu, je l'ai dit respecta les trois en-
,

ment pour montrer son instfaDJe puissance fants de la fournaise, et ne leur fit auuin mal,
et nous prouver qu'à son ordre les éléments oubliant ainsi à leur égard toute sa violence.
produisent des etfets contraires c^ leurs phéno- Mais il dévora leurs bourreaux, el di ploya
mènes habituels. contre eux son inflexible activité , et de »nenie
3. Je m
explique par un exemple, afin que les eaux de la mer submergent les uns , et se
vous compreniez mieux ma pensée, et puis je retirent devant les auti es pour leur laisser un
reprendrai la suite de mou sujet. Sans doute libre passage. Je fais ici allusion d'un côté à
il est contre la nature des eaux ie porter un Pharaon et aux Egyptiens , et de l'auire aux
poids aussi pesant ([ue celui de la terre ; et il Israélites. Ceux-ci, selon l'ordre du Seigneur,
est contre la nature de la erre de reposer so- et sous la conduite de Moïse , traversèrent la
lidement sur un corps (luide. Mais pourquoi mer Rouge à pied sec ; et ceux-là, qui voulu-
no.is en étonner ? quel.e que scit enetTetla créa- rent avec Pharaon s'engager dans la même
ture que vous étudiez avec soin vous y décou- voie, furent engloutis sous les flots. C'esi ainsi
vrirez 1 action de la puissance immense du que les éléments respectent les serviteurs de
Créateur, et vous vous convaincrez qu'il gou- Dieu, et que pour eux ils suspendent leur ac-

verne toutes choses par sa volonté. Voyez le tivité naturelle.

feu : cet élément dévore tout, et il consume Instruisons-nous donc, nous, hommes iras-

aisément les corps les plus durs le bois, les : cibles et violents, et nous aussi qui, lâchement
pierres et le fer. Mais quand Dieu l'ordonne, il assujétis à mille autres passions, compromet-
ne blesse même pas les corps les plus tendres: tons le succès de notre salut. Nous avons la
et c'est ainsi qu'il respecta les trois jeunes raison en partage, et nous ne saurions imiter
hébreux dans la fournaise ardente. (Dan. m.) l'obéissance de ces éléments irraisonnables.
Mais leprodige s'étendit encore, car cet élé- Car si le feu, le plus actif et le plus violent de
ment privé de raison se montra envers eux tous, a bien pu respecter des cor()s tendres et
plus obséquieux qu'on ne saurait le dire. Non- délicats, quelle sera l'excuse de l'homme qui,
seulement il ne toucha pas à leur chevelure, dédaignant les préceptes divins refuse de
,

mais il semblait encore les entourer et les dompter sa colère, et d'étouffer à l'égard de
presser amicalement il retint donc son activité
; ses frères sentiments d'un cœur ulcéré.
les

naturelle pour ne déployer que sa pleine et Mais ici, ce qui est vraiment étonnant, c'est
entière obéissance aux ordres du Seigneur, et que le feu, qui brûle avec tant de violence,
et il conserva sains et saufs ces admirables en- suspende son activité, et que l'homme, être
C8 TRADUCTION FRAJVCAlSE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

raisonnable, doux et bienveillant, agfsse contre le Créateirr, pour montrer sa toute-puissance,


sa filure, et par sa m'jiligcncc, inûie dans ses
I agissait contrairement aux lois de la nature,
mœurs la lérociié des bètes farouches. et nous trouvons la même conduite dans la
Aussi l'Ecriture, pour désigner les diverses création de l'homme. C'est ainsi qu'il a établi
passions qui dominent en nous, donne-t-e!le la terre au-dessus des eaux, ce qu'en dehors
à l'homme doué de raison le nom de diffé- de la foi notre raison ne saurait concevoir.
rents animaux. C'est ainsi que, dans son lan- C'est ainsi encore qu'cà son ordre tous les élé-
gage, le mot chien indique l'impudence et la ments produisent des etïets opposés à leur na-
violence. Ce sont des chiens muets, et qui ne ture. L'Ecriturenous apprend quelque chose
savent pas aboyer. (Is. lvi, 10.) Le cheval re- de semblable dans la formation de l'homme,
présente l'effervescence de la volupté Ils sont : en nous disant que Dieu le forma du limon de
deoenus comme des chevaux qui courent et la terre.
qui hennissent après les cavales : chacun d'eux Que dites-vous? quoi! Dieu a pris un peu
a jioursii'vi la femme de son prochain. (Jérém. de terre, et en a formé l'homme! Oui, il en est

V, 8.) Quelquefois l'âne inanjue la grossièreté ainsi; Moïse nous l'assure; et même il ne se
du pécheur Lhomme est com-
et la stupidité : contente pas de dire que Dieu prit de la terre,
paré aux animaux qui n'ont aucune raison, mais du limon, c'tst-à-dire tout ce qu'il y a
et il leur est devenu semblable. (Ps. xlvui, 13.) de plus de plus méprisable. Véritable-
vil et

Tantôt elle nomme les hommes lions oi léo- ment, on serait tenté de taxer ce récit de
pards par allusion à leurs appétits féroces et fable et de paradoxe; mais dès qu'on se rap-
v'oraces, et tantôt aspics à cause de leur esprit l)elle quel est l'auteur de ces merveilles, on
fourbe trompeur. Li'urs lèvres, dit le l*sal-
et les croit aisément, et l'on adore humblement
miste, recèlent le venin de Vaspic. (Ps. cxxxix, la puissance du Créateur. Car si vous voulez

4.) Enfin elle les assimile au serpent et à la vi- mesurer les œuvres divines à la faiblesse de

père, en raison du poison caché de leur mali- vos pensées, et les scruter curieusement, il
gnité. Aussi le saint précurseur disait-il aux vous paraîtra bien plus naturel qu'on forme
pliarisiens Serpents, et race de vipères, qm
: du limon de la terre une brique ou un vase
vous a montré à fidr la colère qui s approche ? que le corps de l'homme. Vous le voyez donc,
(M.ilth. m, 7.) L'Ecriture donne encore aux pour comprendre toute la sublimité du lan-
honuncs d'autres noms, afin de caractériser gage de Moïse, il nous faut le méditer attenti-
leurs différentes passions, et les rappeler par vement, et réprimer l'intirmité de la raison.
une honte salutaire au sentiment de leur no- Car, l'œil de la foi peut seul découvrir ces
blesse. Ab! puissent-ils ne pas dégénérer de merveilles, quoique Ihistorien sacré ait pro-
leur origine, et préférer la loi du Seigneur à portionné sa l'arole à la faiblesse de notre ia-
ces passions criminelles qui les ont entraînés telligence. Et en eft'et, lorsqu'il nous dit que
dans le péché ! Dicjiiforma riionune, et qu'il répandit sur lui
4. Mais je ne sais comment je me suis écarté un de vie, ne semble-t-il pas descendre
es|)rit

de mon sujet. J'y rentre donc, et j'aborde les dans un détail indigne delà majesté divine?
diverses instructions que renferme le rt'cil de mais l'Ecriture s'exprime ainsi par condescen-
l'écrivain sacré. Après avoir dit : Ceci est le dance pour notre faiblesse, et elle s'abaisse
livre de la création du ciel et de la terre, il ju?qu';» la politesse de notre esprit pour éle- 1

nous raconte en détail la formation de l'homme; ver ensuite jusqu'à la sublimité de ses révéla-
sans doute, il nous avait déjà appris que Dieu tions.

avait fait l'homme, et qu'il t'avait fait à son Et Dieu prenant du limon
,
en forma ,

image; mais ici il s'exprime plus explicite- l'homme. Certes si nous voulons la com-
,

ment Dieu, dit-il, forma l'homme du limon


: prendre, voilà une grande leçon d'humilité.
de la teire, et il répandit sur son visage un Car , si nous réfléchissons sur l'origine de
souffle de l'homme eut une âme vivante.
vie, et l'homme l'orgueil le plus superbe s'abaisse
(Gon. II, 7.) Combien et s paroles sont grandes soudain, et la pensée do notre néant nous en-
et admirables et combien elles surpassent
1 seigne la modestie et l'humilité. Aussi, est-ce
notre intelligence et Dieu forma l'honvnc du
1 par un cllet île sa providence à l'égard de
limon de la terre. En parlant de toutes les notre salut que Dieu a inspiré à Mo'i<c ce style
crcalures visibles, j« vous di^is que souvent et ce langage. Car déjà il avait dit que Lieu
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — DOUZIÈME HOMÉLIE. 00

avait formé l'homme à son image, et qu'il lui chair, méconnaissant ainsi sa noblesse et son
avait donné l'empire sur toutes les créaluros éminente dignité. Car, je vous en prie, re-
visibles, Mais ici, cr;ii{^nant (jue ce même portez vos souvenirs sur la de
formatix)n
homme ne s'cnllàl d'or^^ucil, et (ju'il ne trans- l'homme, et diMuandez-vous ce qu'il était
gressât les limites irimc liumble (lé[)cn(lance, avant cjue Dieu eût réuandu sur lui un esprit
s'il ignorait entièrement son ori},nne, Ecri- I de vie, et qu'il fût devenu vivant et animé. Il

ture reprend le récit de sa création, et décrit n'était (ju'un corps inerte, pesant et inutile.
en détail la manière dont il a été foiiné. Elle C'est donc uniciuement ce souffle de vie (jue
lui apprend donc (|u'il a été formé de la terre, Dieu réjjandit sur lui, qui l'éleva à l'honneur
et de la même matière que les plantes et les de devenir un être vivant et animé. Au reste,
animaux, au-dessus desquels il ne s'éJevait il est facile de le comprendre, et par ce récit de

que par l'âme, substance simple et immaté- la Genèse, et par ce qui arrive chaque jour
rielle. Mais il tenait cette âme de la bonté di- sous nos yeux. Dès que l'àme est séparée du
vine, et elle était en lui le principe de la rai- corps, celui-ci devient un objet hideux et re-
son, et celui de son empire sur toutes les autres poussant. Que dis-je, hideux et repoussant? il
créatures. Malgré cette connaissance si expli- est effrayant, fétide et diflormc. Et cependant,
citede son origine, le premier homme se laissa lorsque l'àme y réside, ce même corps est beau,
tromper par le serpent, et il s'imagina que lui, agréable et aimable. De plus, il participe à la
qui avait été formé Hu limon de la terre prudence de l'àme, et exécute ses ordres avec
|)omrait devenir semblable à Dieu. Mais si une rare dextérité.
Moïse n'eût ajouté à son premier rroit des dé- Convaincus de ces vérités et pénétrés du
tails aussi précis, dans quelles extravagances sentiment de la dignité de notre àme, évitons
ne serions-nous pas tombés 1 tout ce qui pourrait la déshonorer. Craignons
5. C'est ainsi que l'histoire de notre origine donc de la souiller par le péché, et ne la ré-
est pour nous luie grande leçon d'humilité. duisons pas sous l'esclavage de la chair. Ah !

Et Dieu, dit l'Ecriture, forma l'homme du inhumain en-


ce serait être trop cruel et trop
limon de la terre; tt il répandit sur son visage vers une créature si élevée en noblesse et en
un souffle de vie. Moïse parlait à des hommes honneur. C'est par notre àme que, malgré les
qui n'eussent pu le comprendre, s'il ne se fût entraves du corps, nous pouvons, av^c um» vo-
servi d'un langage aussi simple et aussi gros- lonté ferme et le secours de la grâce, ressem-
sier. nous apprend donc que cet homme,
Il bler aux vertus célestes et immatérielles. Oui,
formé du Mmon de la terre, reçut de la libé- quoi(iue attachés à la terre, nous pouvons
ralité divine une àme essentiellement raison- vivre en quelque sorte dans le ciel, égaler ces
nable, et qu'il devint ainsi un être parfait. Et pures intelligences, et même les surpasser.
Dieu, dit-il, répandit sur le visage de l'homme Mais comment y parvenir? Le voici lorsque :

un souffle de vie. C'est ainsi qu'il désigne l'àme dans un corps mortel nous réalisons une vie
qui est dans l'homme, formé du limon de la tout angélique nous nous élevons devant
,

terre, le princi pe de la vie, de l'action et du mou- Dieu à un degré de mérite supérieur à celui
vement. Aussi, ajoute-t-il imniédiatement Et :
des anges parce qu'au milieu des tristes né-
,

Vhomme devint vivant et animé; cet homme, cessités du corps, nous conservons intacte la
dit-il, formé du limon de la terre, reçut un noblesse de notre àme.
esprit de vie, et devint vivant et animé. Qu'est- Eh qui jamais, me direz-vous, est arrivé à
!

ce à dire, vivant et animé? C'est dire que cette perfection? je ne m'étonne pas que la
l'homme était maître de ses actions, et qu'en chose nous paraisse impossible, tant notre
lui les membres du corps étaient soumis à la vertu est faible mais voulez-vous vous con-
1

volonté de l'àme. vaincre du contraire, rappelez à votre souvenir


Mais je ne sais comment nous avons ren- les saints qui, depuis l'origine du monde jus-
versé ce bel ordre. Hélas notre malice est si
1 qu'aux temi)6 présents, se sont rendus agréa-
grande que nous forçons notre àme à obéir bles auî. yeux du Seigneur. Faut-il nommer
aux passions de la concupiscence. Cette àme ici Jean-bapliste, l'enfant de la stérilité et

née pour régner et pour conuuander est donc l'habitant du ou Paul, le docteur des
désert,
détrônée de nos propres mains, et nous la nations, et cette foule innombrable d'élus qui
courbons sous l'esclavage des plai.siis de la étaient de même nature que nous, et SiUjttts
70 TRADL'CTIOxN FKAiNÇAlSE DE SALNT JEAN CHRÏSOSTOME.

aux mêmes infirmités du corps. Leurs exem- plus , il met sous nos yeux la vie des saints
ples vous prouvent que celte haute vertu ne comme une pressante exhortation à la vertu.
nous est pas impossible, et ils nous animent à Gardons-nous donc de négliger nos devoirs;
profiter pour l'acquérir de toutes les occasions mais fuyons le péché, et ne nous rendons point
que le Seigneur nous ménage. Et en eflet, il indignes des biens ineffables du ciel. Puissions-
connaît notre faiblesse, et le pencliant qui nous nous le? obtenir par la grâce et la bonté de
,

entraîne vers le mal. C'est pourquoi il nous a Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient, avec
laissé dans les saintes Écritures des remèdes le Père et TEspril-Saint, la gloire, l'empire et

aussi efficaces qu'abondants, et il ne dépend que l'honneur, maintenant, et dans tous les siècles
de nous de les appliquer sur nos blessures. De des siècles ! Ainsi soit-il.

DOUZIÈME HOMÉLIE.

Orla Seigneur Dieu avait dans Eden, vers l'Orient., un jardin de délices, et il y p]aça l'homme qu'U avait fcnaii. »

(Gen. II, 8.)

ANALYSE.

i. Saint Chrysostome se réjouit de l'empressement de ses anditeurs, et leur promet d'y répondre par nn lèle nouveau. —
2. Il reprend
ensuite brièvement le récit de la formation de l'homme, et réfute en passant l'erreur de ceui qui regardaient l'âme cciime uno

partie de la divinité. —
3. Almrdant les paroles de son texte, il dit que le mot planté qu'emploie l'Écriture, exprime qu'à l'ordre
du Seigneur la terre produisit ks différents arbres du jardin de délices; et il ajoute que Moïse en détermine le lieu pour con-
fondre par avance li.'s fables de quelques hérétiques. — '». Le Seigneur
y pUçà l'homme afm qu'il jouit de toutes ses beautés et
de tous ses agréiueuts, et il lui défendit de toucl)er au fruit de l'arbre de vie, pour éprouver son obéissance, et lui rappeler sa
dépendance.

{ . Votre empressement et votre ardeur, votre par la grâce de Dieu vous vous approchez de
,

attention et votre concours me ravissent d'ad- de ferveur et d'une


cette table spirituelle pleins
miration ; aussi, malgré le sentiment de ma pieuse avidité et de mon côté je ne suis pas
,

faiblesse, je me propose de dresscrchaque jour moins empressé à vous distribuer la parole


[)our vous la table il'un festin spirituel. Sans sainte parce (jue je sais que vous l'entendez
,

doute cette table sera pauvre et frugale; mais avec une oreille bien disposée.
j'ai conliance en votre zèle, et je sais que vous Le laboureur qui a trouvé un champgraset
écoulerez ma parole avec plus de joie que l'on ferlile, le cultive avec le plus grand soin il ;

n'en témoigne pour un rejias grossier et maté- travaille le sol, le laboure et en arrache les
riel. Ne vojons-nous pas en effet que l'appétit ('|)ines; il l'ensemence ensuite largement, et,

des convixes supplée à la frugalité de la table tout rempli de confiance et d'espoir, il attend
et à la [>aiivrelé de l'Iiote, en sorte i|u'un mai- chaipio jour le développement du grain qu'il a
gre repas est mange avec grand plaisir; lout confie à une terre fécoiule. Ce|>en«lant, il base
au contraire, si ou u'aiiporle (piiin faible appé- ses calculs sur la fertilité du sol, et s apprête à
tit à un somplueux festin, la variété et fabon- semé. C'est
recueillir le centuple de ce qu'il a
dance des mets deviennent inutiles, parce que ainsi qu'en voyant cbaque jour votre ferveur
pcisoune ne peuteii user pleinement? Mais ici, s'accroître, votre empressement s'augmenter
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — TREIZIÈME HOMÉLIE. 71

et votre zèle se développer, je conçois les meil- une leçon d'humilité, et (jne ce souvenir ..

leures espérances; aussi, suis-je animé d'une retint dans la dépendance qui con\ient à nolie
ardeur nouvelle pour vous instruire afin , nature. Voilà pouripioi Moïse déciil si exp ici-

d'avancer quelijue peu votre perfection la , tement ccHe création, et nous dit que Dieu
gloire de Dieu et l'honneur de l'Eglise. Mais forma l'homme du limon de la terre.
rappelons d'abord, s'il vous plaît, le sujet de 2. Mais observez aussi combien ce mode de
notre dernier enirelien, et puis nous passerons création nous est honorable; car Dieu ne prit
à l'explication du passage qui vient d'èlre lu. pas seulement de la terre pour rm l'orjuer
Voicidonc ce que je vous disais, et ce que je riionnue, mais du limon, de la poussière, tout
vous développais en teiminant notre dernière ce qu'il y a de plus vil; et c'est ce limon et
conférence; il est nécessaire d'y revenir briè- cette poussière qui, à son ordre, devint le corps
vement Dieu forma Ihomme du limon de
: et de riiomuie. Sa i)arole a\ait précédetmuent
la letre; et il répamlit sur son visage wi souffle tiré la terredu néant, et, alors il voulut quuu
de vie, et l'homme devint vivant et animé. peu de limon se changeât en le coips de
Or, je vous faisais observer, comme je le fais l'homme. Aussi, est-ce avec délices que je ré-
encore en ce moment, et comme je ne cesserai pète cette exclamation du Psalmiste Qui ra- :

de le que Dieu a donné à l'homme des


dire, contera la puissa7ice du Seigneur, et qui
marques d'une bonté extrême il s'est occupé ; publiera toutes les louanges qui lui sont dues ?
de notre salut avec un soin tout particulier, et (Ps. cv, 2.) Et en effet, à quel degré d'honneur
il d comblé l'homme des j)lus grands hon- n'a-t-il pas élevé l'homme formé du limon de
neurs. Bien plus, sa parole et ses actes ont dé- la terre I et de quels bienfaits ne le comble-t-
claré hautement qu'à ses yeux l'homme était il pas tout aussitôt, lui donnant ainsi des témoi-
au-dessus de toutes les autres créatures: aussi, gnages d'une bonté toute spéciale Car, dit !

ne sera-t-il pas inutile de revenir sur ce sujet; l'Ecriture Dieu répandit sur le visage de
:

car de mêmearomates rendent plus de


que les V homme un souffle de vie; et il devint vivant
parfum, selon qu'on davantage, nos
les pétrit et animé.
saintes Ecritures offrent à nos méditations pro- Mais ici, quelques insensés qui ne suivent
fondes et multipliées, des trésors nouveaux, et que leurs propres raisonnements qui n'ont ,

elles présentent à notre piété des richesses im- aucunes pensées dignes de Dieu, et qui ne
menses. Et Dieu forma l'homme du limon de comprennent point la condescendance du lan-
la terre. Remarquez ici, je vous prie, combien gage de l'Ecriture, osent affirmer que notre
ce langage diffère de celui que Dieu employa âme est une portion de la divinité. démence!
pour produire les autres créatures. Il dit, selon ô folie! combien sont nombreuses les voies de
Moïse : Que la lumière soit, et la lumière fut ; perdition que le démon ouvre devant ses sec-
que firmament soif, que les eaux se réunis-
le tateurs Car, voyez par quels chemins différents
!

sent, que des corps lumineux soient, que la ils courent tous à leur perte. Les uns s'appuient

terre produise les plantes que les eaux pro- ,


sur ce mot Dieu répandit un souffle, et ils en
:

duisent les ardmaux qui nagent, et que la terre concluent que nos âmes sont une portion de la
enfante les animaux vivants. C'est ainsi qu'une divinité; et les autres disent même qu'après
seule parole lira du néant tontes les créatures; la mort l'âme passe dans le corps des plus vils
mais s'agit-il de l'homme. Moïse dit Et Dieu : animaux. Quelle doctrine extravagante et dan-
forma l'homme; celie expression, qui se pro- gereuse c'est que leur raison, obscurcie par
1

portionne à notre faiblesse, désigne également d'épaisses ténèbres, ne peut comprendre le sens
le mode de notre création et sa supériorité sur de l'Ecriture; aussi, semblables à des aveugles,
les créations antérieures. Car, pour parler un ils tombent tous dans différents précipices; car

langage tout humain, elle nous montre le Sei- les uns élèvent l'âme au dessus de sa dignité, et
gneur formant de ses propres mains le corps les autres l'abaissent au-dessous.
de l'homme; aussi, le bienheureux Job a-t-il S'ils veulent donner à Dieu une bouche parce
dit Vos mai?is m'ont formé et elles ont façonné
: que l'Ecriture dit qu'il répandit un souffle de
mon corps. (Job, x, 8.) Nul doute que si Dieu eût vie sur le visage del'homme il faut donc éga- ,

commandé à la terre de produire l'homme lement qu'ils lui donnent des mains puisque la
celle-ci n'eût exécuté cet ordre, mais
il a voulu même Ecriture dit qu'il forma l'homme. Mais
que le mode même de notre création nous fût il vaut mieyx taire de pareilles extravagances
72 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

que s'exposer soi-même à tenir un langage poissons. Et de même il avait dit :que la terre
insensé évitons donc de suivre ces hérétiques
;
produise des animaux vivants ; mais il n'en est
dans les sentiers multipliés de leurs erreurs et pas ainsi de l'homme. D'abord son corps fut
attachons-nous h l'Ecriture qui s'explique par formé du limon de la terre, et il reçut ensuite
elle-même; seulement la simplicité de ses ex- une âme raisonnable qui lui donna la vie elle
pressions ne doit point nous arrêter, parce que mouvement. Aussi Moïse dit-il en parlant des
cette simplicité n'a pour cause que la faiblesse animaux leur vie st dans le sang. (Lév. xvu,
:

de notre intelligence. Eh! comment l'oreille de 41.) Notre âme au contraire est une substance

l'homme pourrait-elle recueillir la parole de spirituelle et immortelle, et elle surpasse le

Dieu, si cette parole ne s'accommodait à son corps de tout l'intervalle qui sépare une pure
infirmité? Convaincus de notre impuissance et intelligence d'un corps brut et grossier. Mais
de la véracité de Dieu, nous ne devons inter- peut-être me ferez-vous cette question : si

préter l'Ecriture que dans un sens qui soit l'àme est plus noble que le corps ,
pourquoi
digne de lui ; c'est pourquoi il faut écarter de créé le premier, et lame la dernière ?
a-t-il été

Dieu toute idée formes cor-


de membres et de Eline voyez-vous pas, mon cher frère, que ce
!

porelles, et ne rien imaginer qui le déshonore- môme ordre a été suivi dans la création ? Car
rait; car, il est un être simple, immatériel, et le Seigneur fit d'abord le ciel et la terre, le so-

qui ne tombe point sous les sens; et si nous lui leil et la animaux et toutes les autres
lune, les
donnons un corps et des membres, nous nous créatures, et il forma ensuite l'homme qui de-
engagerons soudain dans les erreurs grossières vait leur commander. C'est ainsi que dans la

du paganisme. création de l'homme, le corps a été formé le


Quand vous lisez donc dans l'Ecriture que premier et l'àme la dernière, quoiqu'elle soit
Dieu forma r/iomme, élevez-vous jusqu'à l'idée plus noble et plus excellente.
de cette puissance créatrice qui avait dit pré- Observez encore queles animaux, étant des-

cédemment que la lumière soit. Et lorsque tinés au service de l'homme, devaient être créés
vous lisez encore que Dieu répandit sur le visage avant lui, pour qu'il pût tout d'abord les em-
de r homme un souffle dévie, pensez également ployer. Et de même le corps fut formé avant

(jue ce même Dieu qui avait créé les anges , l'àme afin que dès l'instant où elle existerait,
,

iiilelligcnces spirituelles, voulut unir au corps par un acte de lineflable sagesse du Seigneur,
de rhonuue, formé du limon delà terie, une elle pût agir au moyen du corps. Et Dieu dit ,

ànie raisonnable qui mouvoir les membres fît l'Ecriture planta un jardin de délices , da)is
,

de ce corps. Et en effet, on peut dire que ce Eden, vers V Orient, et il y plaça V homme qu'il
corps, l'œuvre par excellence du Seigneur ,
avait formé. Oh combien le Seigneur se mon-
!

comme un instrument (jui a Ire-t-il bon et généreux envers Ihomme il !


gisait sur la terre
besoin d'être touché. Oui, il était comme une avait créé l'univers que dès
pour lui, et voici

le premier instant de son existence, il le comble


lyre ([ui attend une main habile ; et l'àme, en
imi)riniant a ces membres un mouvement har- de nouveaux bienfaits. Car c'est pour lui qu'il
monieux, leur lait rendre des sons (|ui sont planta un jardin de délices, dans Eden vers ,

agréables au Créateur. Et Dieu répandit sur le l'Orient. Mais ici, mon


cher frère, si l'on n'in-
l'homme terprétait ces paroles dans un sens digne de
visatje de lliomme un souffle de vie; et
devint vivant et animé. Que signifie cette pa- Dieu, on tomberait dans l'abîme de l'extrava-

role répandit un souffle de vie ? Elle nous


: //
gance. Et en ctl'el (pic diront ceux (pii prennent

apprend cpie Dieu unit au corps de rhonuue à la lettre et dans un sens humain tout ce que
une ànie vivante (|ui lui comunniicpia la vie et l'Ecriture dit de Dieu ? il planta un jardin de
le mouvement et (pii se servit des membres délices eh quoi eut-il
: ! besoin pour embellir
,

de ce même corps pour exercer ses propres ce jardin de travailler la terre, et d'y em[>loyer

facultés. ses soins et son industrie ? A Dieu ne plaise 1

3.Mais je reviens encore sur la différence Et cette cxnvcssion, le Seigneur planta, signifie
seulement qu'à son ordre la terre produisit le
qui existe inlre la création des animaux et
ct;lle de cet être raisonnable ipie nous appelons
jardin de délices que riiomme devait habiter.
l'homme. Au sujet des premiers. Dieu avait C'est en effet pour lliomme que ce jardin fut
et l'Ecriture le marque expressément.
<iue les eaux produisent les animaux
(lit :
qui planté ;

nagent et soudain les eaux enfantèrent les Dieu, dit-elle, planta un jardin de délices d-ms
;
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. - TREIZIÈME HOMÉLIE. 73

Eden, vers V Orient, et il y plaçai" homme qu il l'homme jusqu'au plus léger mérite. Ainsi ne
avait formé. vous étonnez point de celte expression: il pkiça,
Je remarque aussi que Moïse spécifie le lieu car l'Ecriture ici, comme toujours, emploie un
où ce jardin était placé afin de prévenir les
, langage tout humain , afin de se rendre plus
vains discours de ceux qui veulent abuser de accessible et plus utile, (^est ainsi qu'en par-
notre simplicité. Ils nous affirment que ce jar- lant des étoiles , elle avait dit précédemment
din était dans le ciel et non sur la terre
, et , que Dieu plaça dans le ciel. Certes, l'écri-
les

nous débitent mille autres fables semblables. vain sacré n'a point voulu nous faire croire
L'extrême exactitude de l'historien sacré n'a pu que les astres sont attachés fixement à la place
les empêcher de s'enorgueillir de leur élo- qu'ils occupent puisqu'ils ont chacun leur
,

quence, de leur science toute profane. Aussi


et mouvement de rotation; il s'est proposé seule-
osent-ils combattre l'Ecriture, et soutenir que ment de nous enseigner que le Seigneur leur
le paradis terrestre n'existait point sur la terre. ordonna de briller dans les espaces célestes, de
C'est ainsi qu'ils adoptent un sens tout contraire même qu'il commanda à l'homme d'habiter le
h celui de l'Ecriture, et qu'ils suivent une paradis terrestre.
route semée d'erreurs en entendant du ciel ce Et Dieu, continue l'Ecriture, fit sortir de la
qui est dit de la terre. Mais dans quel abîme ne terre tonte sorte d'arbres beaux à voir, et dont
seraient-ils point tombés, si, par l'inspiration les fruits étaient doux à manger : et au milieu
divine, Moïse n'eût employé un langage simple du jardin étaient l'arbre de vie et l'arbre de la
et familier ! Sans doute l'Ecriture interprète science du bien et du mal. (Gen. ii, 9.) Voici,
elle-même ses enseignements, et ne donne de la part du Seigneur un nouveau bienfait
aucune prise à l'erreur mais parce que plu-
; qui se rapporte tout spécialement à l'homme.
sieurs la lisent ou Técoutenl bien moins pour Il lui destinait le paradis terrestre pour habi-

y chercher la doctrine du salut que l'agrément tation : aussi fit-il sortir de la terre toutes
de l'esprit, ils préfèrent les interprétations qui sortes d'arbres dont l'aspect était agréable à la
les flattent à celles qui les instruiraient. C'est vue, et le fruit doux au goût. Toutes sortes
pourquoi je vous conjure de fermer l'oreille à d'arbres, dit expressément l'Ecriture, qui étaient
tous ces discours séducteurs, et de n'entendre beaux à voir, c'est-à-dire qui réjouissaient le
l'Ecriture que conformément aux saints canons. regard de l'homme, et dont les fruits étaient
Ainsi quand elle nous dit que Dieu planta à doux à manger, c'est-à-dire qui lui fournis-
l'orient d'Eden un jardin de délices, donnez à saient une nourriture délicieuse. Ajoutez en-
ce mot, mon cher frère, im sens digne de Dieu, core que lenombre et la variété de ces arbres
et croyez qu'à l'ordre du Seigneur un jardin se produisaient pour l'homme des charmes nou-
forma dans le lieu que 1 Ecriture désigne. Car veaux; car vous ne sauriez nonmier une seule
on ne peut, sans un grand danger pour soi et espèce qui ne s'y trouvât pas. Mais si l'habita-
pour ses auditeurs, préférer ses propres inter- l'homme était si gracieuse, sa vie n'é-
tion de
prétations au sens vrai et réel des divines tait moins admirable. Il vivait sur la terre
pas
Ecritures. comme un ange, et quoique revêtu d'un corps
4. Et Dieu y plaça l'homme qu'il avait il n'en souflrait point les dures nécessités.
formé. Voyez combien le Seigneur honora
ici C'était le roi de la création portant la pourpre
,

ri)omme dès le premier instant de son exis- et le diadème; et parmi l'abondance de tous
tence. Il l'avait créé hors du paradis mais il , les biens, il coulait dans le paradis terrestre
l'y introduisit immédiatement, afin d'éveiller une douce et libre existence.
en son cœur le sentiment de la reconnaissance, Et au milieu du iardin étaient V arbre de
et de lui faire apprécier l'honneur qui lui était vie, et Vai'bi'e de la science du bien et du mal.
l'homme
accordé. Il plaça donc dans le paradis Après nous avoir appris qu'à l'ordre du Sei-
qu'il avait formé; ce mot il plaça signifie : ^ gneur, la terre produisit toute sorte d'arbres
que Dieu commanda à l'homme d'habiter le beaux à la vue et dont les fruits étaient doux
paradis terrestre, pour qu'il goûtât tous les au goût, Moïse ajoute qu'au milieu du jardin
:

charmes de ce séjour délicieux et qu'il s'en , étaient l'arbre de vie, et V arbre de la science
montrât reconnaissant envers son bienfaiteur. du bien et du mal. C'est que le Créateur, dans
Et en effet ces bontés du Seigneur étaient toutes sa prescience divine, n'ignorait point (jue par
gratuites puisqu'elles
,
prévenaient dans la suite l'homme abusprail de sa liberté et de
.4

Bn sécurité. Anss! plaça-t-il au milieu du para- tions est bien plus sûr et bien plus persuasif
dis l'arbre de vie, et l'arbre de la science du que ne s'appuie que sur de vaines
celui qui
bien et du mal, parce qu'il se proposait d'en paroles. Et en effet, le silence et l'obscurité
défendre l'usage à Tbomme. Et le but de cette n'empêchent point que nos bonnes œuvres
défense devait être d'abord de rappeler à n'édifient nos frères, soit par nos exemples,
Ihomme que Dieu lui donnait par bonté et soit par le récit qui leur en est fait. De plus,
par générosité l'usage de tous les autres arbres, nous y trouvons nous-mêmes une source de
et puis, qu'il était son Maître, non moins que grâces parce que, selon la mesure de nos forces,
celui de toutes les créatures. La mention de nous sommes cause que ceux qui nous vficnt
ces deux arbres amène nalurellement celle des glorifient le Seigneur. C'est ainsi que les bons
quatre fleuves qui sortaient d'une seule et même exemples d'un chrétien sont autant de langues
source, et qui se divisant ensuite en quatre qui se multiplient comme à l'infini pour re-
branches , arrosaient les diverses contrées du mercier et louer le Dieu de l'univers. Car non-
globe, et en marquaient la séparation. seulement les témoins de sa vie l'admirent, et
Mais il est possible qu'ici ceux qui ne veulent glorifient le Seigneur, mais les étrangers eux-
parler que d'après leur propre sagesse soutien- mêmes, quelle que soit la distance des lieux qui
nent que ces fleuves n'étaient point de vérita- les séparent; et les ennemis, non moins que

bles fleuves, ni ces eaux de véritables eaux. les amis, s'édifient de sa vertu, et vénèrent
Laissons-les débiter ces rêveries à des audi- son éminente sainteté. Telle est en effet la
teurs qui leur pictentune oreille trop crédule; puissance de la vertu, qu'elle ferme la bouche
et pour nous, repoussons de tels hommes, à ses plus opiniâtres contradicteurs ; et de
et n'ajoutons aucune foi à leurs paroles. Car même qu'un œil faibk ne peut supporter l'é-
nous devons croire fermement tout ce que clat du soleil, le vice ne saurait sans honte

contiennent les divines Ecritures, et en nous contempler la vertu en face, il est con-
attachant à leur véritable sens, nous imprime- traint de se cacher, et de s'avouer vaincu.
rons dans nos âmes la saine et vraie doctrine. Convaincus de ces vérités, embrassons donc le
Mais nous devons également régler notre vie parti de la vertu, et pour mieux régler notre

sur leurs maximes, en sorte que nos mœurs vie, et assurer notre salut, évitons avec soin

rendent témoignage à la sainteté de la doc- jusqu'aux péchés les plus légers dans nos pa-
trine, et que la doctrine soit elle-même la roles et nos actions ; car nous ne tomberons
règle de nos mœurs. Et en effet il est essentiel, point en des fautes graves, si nous souuujs en
sinous voulons éviter l'enfer et gagner le ciel, garde contre les moindres, et, avec le secour?
que nous brillions de la double auiéole d'une de la pourmns, en a>ançant en âge,
glace, nous
foi orthodoxe et d'une conduite irréprochable. avancer aussi en sainteté. C'est ainsi que nous
Eh î ditc'S-le-moi, peut-on appeler utile l'arbre échai)i)crons aux peines de l'enfer, et (jue nous
élancé qui se couvre de feuilles, et ne se cou- acqui rrons les biens éternels du ciel, par la
ronne jamais de fruits? Ainsi sont ces chrétiens grâce et la miséricorde de Noire-Seigneur Jé-
orthodoxes dans leur foi, et hérétiques dans sus-Clirist, à ipii soient, avec le Père et l'Es-
leur conduite. l)ril-Saint, la gloire, l'honneur et l'empire»
D'ailleurs Jésus-Christ ne déclare heureux inainl(Miant et dans tous les siècles des bieae».
que ccUd qui fait et qui cnscique. (Malth. v, Amsi soil-il.
49.) Car l'euscigûement qui repose sur les ac-
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. - QUATOUZIÈME HOMÉLIE. rs

QUATORZIÈME HOMÉLIE.

< JCi I0 6«lgneur Dieu prit l'homme qu'il avait formé, et le plaça dam le jardin de déhoap pour ia <iah<i««^

et le garder. > (Gen. II, ib.)

ANALYSE.

I. Saint Chrysostome exhorte d'abord ses tnditenrs à rechercher lés divers sens profonds et mystérieux de l'Ecriture en leur rappe-
lant avec quelle ardeur les plongeurs se livrent à la pêche des perles. —
2. Puis il aborde l'explication de son texte, et observe

que cette expression, le Seigneur Dieu, n'indique point, entre le Père et le Fils, comme le pensaient certains hérétiques, quel-
que différence d'attribut ou de souveraineté. —
3. Il remarque ensuite que le travail fut imposé à l'homme comme un préservatif
contre l'oisiveté, mais que ce travail n'était qu'une douce occupation, et non une pratique. —
La défense que le Seigneur fit à
Adam de manger du fruit de l'arbre de la science du bien et du mal, avait pour objet d'exercer son obéissance et de le tenir
dans la dépendance et la soumission; et quoique la femme ne fiU pas encore créée, Dieu la comprit dans cette défense, afin
qu'Adam la lui fit ensuite connaître. —
4. Au sujet de la création de la femme, l'orateur observe qu'ici, comme dans la création

de l'homme, Dieu s'adresse à son Fils, et qu'il révèle la dignité de la femme en disant qu'elle fut formée pour être la com-
pagne de l'homme. —
5. 11 explique ensuite comment Adam nomma les divers animaux par un acte d'autorité, ainsi qu'un maître
nomme ses serviteurs, et termine en priant ses auditeurs de garder le souvenir de ses instructions.

1, Aujourd'hui encore, si vous le trouvez pidité, et arme le bras de l'avarice. Et, en effet,

bon, je reprendrai le sujet de notre dernier en- la possessionde quelques perles, loin de nous
tretien et je vous en développerai de nouveau
, êh-e véritablement utile, ne produit trop sou-
la doctrine spirituelle : car le texte sairé , (jui vent que la discorde et la mort, car elle irrite
vient d'être lu, renferme de grands mystères, l'avarice et enflamme la cupidité, en sorte
et il pour en retirer quelque
est nécessaire, qu'elle met en péril la vie même de celui qui
fruit, de les approfondir, et de les étudier avec a trouvé ce trésor.
attention. Les pécheurs qui s'occupent de la Mais les pierres précieuses que renferment
pèche des perles, ne les recueillent qu'au prix nos saintes Ecritures ne nous offrent aucun
de grandes fatigues, et en bravant les flots et les danger semblable si leur prix est au-dessus
;

abîmes de l'Océan mais combien plus devons-


; de toute estimation , la joie de les posséder est
nous appliquer notre esprit à sonder les pro- inaltérable, et bien supérieure à toutes les joies
icîideurs des saintes Ecritures, et à y chercher humaioes c'est ce que nous apprend le Psal-
;

les véritables pierres précieuses, loutelois, ne miste auand il s'écrie Seigneur^ vos paroles :

vous effrayez point, mon cher frère, lorsqu'on sont beaucoup plub désirabli^ que l'or et les
vous parle d'abîmes et de profondeurs car il : pierres précieuses. (Ps. xviii, 11.) Mais s'il met
ne s'agit pas ici d'explorer une mer orageuse. ainsi la loi divine en regard des matières les
La grâce de l'Esprit-Saint, qui nous dirige par plus estimées, il sait aussi l'apprécier bien au-
ses divines clartés, facilite notre travail et nous dessus d'elles en disant que cette loi leur est
le rend fructueux. Les pécheurs de perles font de beaucoup supérieure Seigneur, dit-il, vos :

rarement fortune et souvent même cette pê-


, paroles sont beaucoup plus désirables que l'or
che leur devient funeste et cause leur perle ;
et les pierres précieuses. Certes , ce n'est point
du moins le plaisir du succès n'en égale ja- là, dans la pensée du Psalmiste , une compa-
mais les suites fâcheuses, puisque vue de ce
la raison de parfaite égahté; mais parce que l'or
trésor excite contre eux les regards de la cu- et les pierreries sont parmi nous les objets les
76 TUADLCTiON FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

plus estimés, il les indique pour marquer l'ex- la Genèse, qui vient d'être lu, et rejeton? toute
cullence de la loi divine, et nous faire connaî- pensée profane ou indiftérente car lEcriture ;

tre (juenous devons désirer ces oracles de l'Es- est un code descendu du ciel pour notre salut.

prit-Saint a\ec plus d'ardt ur que les hommes Quand on donne lecture d'un rescrit impérial,
ne recherchciit For et les pierres précieuses. le silence le plus profond s'établit et soudain
L'Ecriture ne compare, en etîet, les choses cesse le moindre bruit et la plus légère agita-
spirituelles aux cl -oses sensibles qu'afin de re- tion ; toutes les oreilles sont attentives et tous
lever l'utilité et la supériorité de ces dernières ;
sont impatients de connaître les volontés du
ainsi le Psalmiste ajoute qu'elles sont plus prince. Celui-là s'exposerait donc à un grand
douces que les rayons du miel. Ici encore il ne danger, qui même, par un léger bruit, inter-
veut pas établir une comparaison exacte, ni romprait cette lecture ; mais l'Eglise nous
dire que le miel et la loi divine peuvent nous commande une crainte bien plus respectueuse
causer un égal plaisir, mais c'est qu'il n'a pu et un silence plus profond encore. Nous de-
trouver dans la nature d'autres objets plus vons également réprimer le tumulte des pen-
propres à nous f. ire comprendre la douceur sées profanes et étrangères , si nous voulons

(le cette loi. 11 cite donc l'or, les pierreries et le bien comprendre ces instructions et mériter,
miel pour nous faire mieux ap[)récier l'excel- par notre docilité nous ,
qvie le Roi des cieux

lence des oracles sacrés, et nous apprendre approuve nous récompense en nous
et qu il

que rintelligcnce îles dogmes divins apporte accordant des grâces nouvelles et plus abon-
plus de joie que la possession de ces trésors pé- dantes.
rissables. Mais il est temps d'entendre les instructions
Dans l'Evangile Jésus -Christ emploie la que nous donne récri\ain sacré, qui parlait
même méthode; tt comme un jour ses ap(Mrcs bien moins de lui-mênie que par linspiration
lui demandèrent l'explication de la parabole du Saint-Esprit Et le Seiyneur Dieu ,dH-iï:
^

du bon grain et de l'ivraie, que l'honnue en- p?'it l'homme qu'il avoit formé; il joint en-

nemi avait semée parmi le froment, il dai;.na semble dès le comnitiicement de la phrase,
,

leur en explicjuer en détail toutes les parties. les mots Seigneur Dieu pour nous indiquer
:
,

Ainsi il leur dit quel était ce champ et ce père qu'il y a ici un secret et un mystère, et que

de famille qui avait semé le bon grain, ce que ces deux termes signifient une seule et même

signifiait l'ivraie et quel était l'honuue ennemi chose. Au reste je ne fais point cette remaniue
qui répandue il leur dit quels étaient
l'avait ;
sans motif ; c'est afin iiu'entendant l'Apôtre

les moissonneurs et ce que représentait la nous dire // n'y a qu'un seid Dieu., le Porc ,
:

moisson et il termina toutes ses explications


,
doit procèdent toutes choses et un seul Sei- ,

par ces mots Alors les jusfes resplendiront


:
gneur Jésus-Christ pf>r qui foutes choses ont
,
,

comme le soleil dans le royaume de leur père. été faites (I Cor. viii, 6) vous ne pensiez .

(Matth. xui, 43.) Sans doute leur éclat surpas- point (ju'il existe quel(|ue ditférence entre ces

sera celui de cet a^tre , et néanmoins le Sau- ternies, et qu'ils marcj lent l'un, un caractère
veur dit qu'ils égaleront sa splendeur parce ,
de supériorité, et l'autre, un caractère d in-
que la nature n'offre rien de plus brillant que fériorité. L'Ecriture les emploie donc indiné-
le soleil. Dans ces sortes de comparaisons il renunent, cl elle prévient ainsi toute dispute

faut donc bien moins s'arrêter au terme lui- (pii tendrait, par une fausse interprétation, à
même (|ue s'en servir pour s'élever, des objets altérer nos dogmes sacres. Lexamen même du
sensibles et matériels ,
jusqu'à l'éminenfe su- texte que je cite prouve, en ellet, que lEcri-
l)ériorité des choses si)ii ituoUes. Or, nous ne Ime n'atUiche à ces deux mots aucune signifi-
saurons j;unais rechercher celles-ci avec trop cation spéciale et distincte ; car à (inclle per-
d'cmi)ressemcnt, car elles découlent de Dieu , sonne de la Trinité I hérétique veut-il rappor-
et remplissent l'âme d'une joie inell'able: c'est ter cette phrase Et le Seigneur Dieu prit
:

pounpioi prêtez , à mes insiruclions une


,
l'homme ? Au Père seul, soi!. Mai^ écoutez
oreille avide et attentive, afin cjue ^ousy trou- l'Apôtre (pii nous dit : Il n'y a qu'un seul Dieu,
viez les vrais richesses du salut, et que vous le l'ère d'où procèdent toutes choses, et un
,

rentriez dans vos maisons tout remplis des seul Seigneur, Jésus-Christ, par qui toutes
principes de la sagesse qui est selon Dieu. choses ont été faites. Ne voyez-vous pas qu'il
2. Écoutons donc l'explication du passage de noHuue le FiU Seigneur ? et pourquoi doac
HOMKLIKS SUi; LA GENÈSE. ~ QUATORZIÈME HOMÉLIE. 77

(lire que le mol Seigneur signifie i[uel(|ue core, que déjà son immense bonté nous avait
chose de plus grand tju^, le mot Dieu? c'est préparé les biens inellables du ciel. C'est ce
une absurdité et un alVnuix blas]ilièine: mais (fue nous apprennent ces paroles de Jésus-
dès que l'on s'écarte des règles d'une saine in- Christ : Venez., les bénis de mon Père, possédez
terprétation de l'Ecriture , et que l'on ne suit le royaume qui vous a été préparé avant la
que son propre raisonnement , on déraisonne, création du monde. (Matlh. xxv, 34.) Mais, à
et l'on soulève contre la vraie doctrine mille plus forte ni.îon, cette même bonté nous four-
disputes inutiles et oiseuses. nit-elle abondamment les biens de la vie pré-
EtSeigneur Dieu prit l'homme qu'il avait
le sente.
formé, et il le plaça dans le jardin de délices, 3. Rappelons, en quelques mois, icb nien-
pour qu'il le cultivât et q>iil le gardât. Admi- du Seigneur à l'égard de l'homme. D'a-
fails

rez ici les soins de la Pr'vidence à l'égard de bord il le tira du néant, et il forma son
l'homme : nous disait
hier, l'écrivain sacré corps du limon de la terre; il répandit ensuite
(lue Dieu avait planté un jardin de délices, et sur son visage un souffle divin, et lui commu-
qu'il y avait placé l'homme pour qu'il y de- niqua ainsi don inestimable d'une âme spi-
le

meurât rituelle; enfin, il créa pour lui un jardin de


y jouît de ses divers agréments;
et qu'il
mais voici qu'aujourd'hui Moïse revient
encore délices, et il l'y plaça. Peu satisfait encore
sur cette inellable bonté du Créateur, et il nous comme un bon ])ère qui aime son enfant, Dieu
dit une seconde fois que le Seigneur Dieu prit semble craindre qu'au sein d'un entier repos
l homme qu'il avait formé., et qu'il le plaça et d'une pleine liberté, l'homme, jeune et inex-
dans im jardin de délices ; et observez qu'il ne périmenté, ne s'enfle d'orgueil et de vanité ;

dit [las seulement et Dieu le plaça dans un


: c'est pourquoi il songe à lui donner une occu-

jardin., mais dans un jardin de délices, pour


: pation douce et modérée. Le Seigneur com-
nous faire entendre combien cette demeure manda donc à Adam de cultiver et de garder
était agréable. Après avoir ainsi rapi)orté que le paradis terrestre, afin qu'au milieu des déli-
Dieu plaça l'homme dans un jardin de délices., ces de ce séjour et de la sécurité d'un paisible
il ajoute afin qu'il le cidtivdt et qu'il le gardât. repos, ce double soin le retînt dans les limites
C'e^«t ici encore le trait d'une amoureuse Pro- d'une humble dépendance. Ti Is sont les pre-
vidence. Et en effet, au milieu des délices de miers bienfaits (jue le Seigneur accorde à
ce jardin, où tout réjouissait sa vue et flattait l'homme immédiatrfment après sa création; et
ses sens, l'homme eût pu s'enorgueillir de l'ex- ceux qui vont suivre n'attesf ront pas moins
cès de .son bonheur; car l'oisiveté eiisciguetous son extrême bonté et sa souveraine bienveil-
Aussi le Seigneur
les vices. (Eccli. xxxiii, 29.) lance.
lui commanda-t-il de cultiver ce jardin et de le Or, que dit l'Ecriture? Et le Seigneur Dieu
garder. fit une recommaiulation ci Adam. Ici encore

Mais, dircz-vous, le paradis terrestre avait-il l'écrivain sacré, selon son habitude, joint «es

donc besoin des soins de l'homme'? Non sans deux mots Seigneur et Dieu , afin de mieux
:

doute; et cependant, le Stîigneur voulut que la nous inculquer la vraie doctrine et confondre
garde et la culture de ce jardin offrissent à ceux qui, osant établir entre eux quelque dis-
l'honnne une occupation douce et modérée. tinction, attribuent l'un de ces noms au Père,
Supposez-le entièrement oisif, et cette grande et l'autre au Fils. Elle Seigneur Dieu fit une re-
oisiv.;té n'eût pas tardé à le rendre paresseux commandation à Adam. Quel icaitde ooiilé dans
et négligent. Une occupation douce et facile le ce seul mot Dieu fit une reconmiandation ! Qui
:

maintenait au contraire dans une humble dé- ne l'admirerait ! et quelle parole pourrait di-
pendance. Et en elfet, ce mot : pour qu'il le gnement l'exprimer Car voyez conune. dès le
!

cultivât, n'est point mis ici sans motif, et il principe. Dieu respecte la dignité de l'homme :

signifie que l'homme ne devait pas oublier que il ne lui intime ni un ordre absolu, ni un com-

Dieu était son maître, et ([u'il ne lui avait donné mandement exprès mais il lui fait une simple
;

la jouissance de ce jardin de délices qu'à la recommandation. Comme un ami traite avec


condition d'en avoir soin car le Seigneur fait son ami d'une affaire importante, ainsi le Sei-
toutes choses pour l'uLliié de l'homme, soit gneur traite avec Adam. On dirait qu'il veut
qu'il le comble de bienfaits, soit qu'il lui donne l'engager, par un sentiment d'honneur, à se
lu liberté d'en abuser. Nous n'existions pas en- montrer soumis et obéissant.
78 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

Et le Seigneur Dieu fit une recommandation sanctionne ma défense par la menace des plus
à Adam, et il lui dit : mangez de tous les fruits terribles châtiments, c'est pour que du moins
des arbres du paradis ; mais ne mangez point la crainte vous rt-tienne dans robéi>sance. Le

du fruit de l'arbre de la science du bien et du Seigneur en usait donc envers le premier


mal, car le jour même où vous en ?nangerez, homme, comme un maître généreux et magni-
vous mourrez très-certainement. (Gen. ii, il.) fique qui nous céderait un superbe palais, à
L'observation de ce précepte était bien facile. la condition que nous reconnaîtrions son droit

Mais, comprenez, mon cher frère, combien la de suzeraineté pour une modique redevance;
paresse est un grand mal elle rend difficiles
:
et de même le Seigneur, toujours bon et misé-

les choses les plus aisées et au contraire, l'ar-


;
ricordieux, permit à Adam l'usage des fruits
deur et l'activité rendent aisées les choses les de tous les arbres, et n'en excepta qu'un seul,
plus difficiles. Eh dites-le moi, Dieu pouvait-
! afin de lui rappeler qu'il dépendait de Dieu et

il faire à l'homme une recommandation plus qu'il devait obéir à tous ses commandements.
simple et plus facile, et pouvait-il le combler 4. Mais qui pourrait dignement exprimer
de plus d'honneur ! Il lui permettait d'habiter combien fut grande alors la bonté du Seigneur !

le paradis terrestre et de récréer ses regards Adam ne pouvait encore présenter aucun mé-
par la beauté des objets qu'il renfermait. Com- rite,et quelles faveurs néanmoins ne reçut-il

bien douce et agréable était cette vue, et com- pas Car ce n'est ni la moitié des fruits que le
!

bien exquis les fruits dont il se nourrissait 1 Et Seigneur lui abandonne, ni un grand nombre
en effet, quel plaisir de voir la fertilité des ar- d'arbres qu'il se réserve, en lui permettant
bres fruitiers, la variété des fleurs, la diversité l'usage des autres ; il veut au contraire qu'il
des plantes, le feuillage qui pare les arbres mange de tous les fruits des arbres du paradis,
comme d'une belle chevelure, et ces mille au- et s'il en excepte un seul, c'est uniquement
tres beautés que renfermait vraisemblablement pour que l'homme le reconnaisse comme l'au-
un jardin que Dieu lui-même avait planté. teur et le principe de tous ces biens. Consi-
C'est ce que l'Ecriture nous a précédemment dérez encore ici quelle fut envers la femme la
insinué quand elle nous a dit que Dieu fit sortir bonté du Seigneur, et de quels honneurs il la
de la terre toute sorte d'arbres beaux à voir, et combla. Elle n'existait pas encore, et déjà il la

dont les fruits étaient doux à manger. Aussi comprenait dans ce commandement Ne man- :

pouvons -nous comprendre combien a été gez pas de ce fruit, car au jour où vous en man-
coupable la négligence et l'intempérance de gerez vous mourrez certainement. Ainsi dès
I homme qui, au sein d'une telle abondance, le commencement Dieu déclare que l'homme

transgressa le commandement du Seigneur. et la femme ne sont qu'un, et que l'homme,


Représentez -vous l'honneur et la dignité selon la parole de l'Apôtre, est le chef de la
dont le Seigneur environna le premier homme. femme. (Eph. v, !23,) 11 s'adresse donc à tous
II le plaça dans le paradis terrestre et lui dressa deux, afin que plus tard, lorsque la femme
une table séparée et particulière, afin qu'il ne aura été formée de l'homme, elle reçoive de
put même soupçonner que le Créateur lui avait celui-ci la connaissance de cette défense.
destiné la même nourriture qu'aux animaux. Je n'ignore point les questions que l'on pro-
Mais il était comme le roi de la nature, et il pose d'ordinaire touchant cet arbre, ni les ob-
.jouissait dans le paradis terrestre de mille dé- jections de certains hérétiques qui parlent avec
lices ; il avait aussi, en sa qualité de maître des une téméraire audace, et qui s'efTorcont de
animaux, une demeure séparée et une habita- rejeter sur Dit^i le péché de l'homme. Pour-
tion meilleure. Et le Seigneur Dieu fit une quoi, disent-ils, le Seigneur a-l-il fait cette dé-
recommajulation à Adam et il lui dit mangez : fense, sachant bien que l'homme ne la respec-
de tous les fruits des arbres du paradis ; mois terait pas? Pourcjuoi encore a-t-il |)lanlé cet
ne mangez point du fruit de Varbre de la arbre ilans paradis? La réponse à ces ques-
le
science du bien et du 7nal^ carie jour même où tions et à beaucoup d'autres entraînerait à m
vous en mangerez, vous mourrez certainement. parler avant temps de la faute originelle, et il
le

C'est comme s'il lui eût dit : est-ce (juc je vous vaut mieux attendre que le récit de Moïse nous
imposcuneobligaliongraveetdifiicile? non sans y conduise. Quand nous serons donc arrives à
doute, puisque je vous abandonne les fruits de cet endroit de la Genèse, je vous dirai plus à
tous les arbres, à l'exception d'un seul; et si je propos ce que m'inspirera la grâce divine pour
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — QUATORZIÈME HOMÉLIE. 79

vous développer le véritable sens de l'Ecriture. animaux de la terre et tous les oi'^eaux du ciel,
Vous acquerrez ainsi la vraie connaissance les fit venir devant Adam , afin qu'Adam vit
des choses, et vous rendrez à Dieu la gloire comme il les nommerait ; et le nom qu Adam

qu'il mérite sans lui imputer une faute dont donna à chaque animal est son propre wmi.
riioinme seul est cou[)able. C'est pourquoi Tout ceci ne fut pas fait au hasard mais en ,

abordons, si vous le voulez bien, l'explication prévision de l'avenir. Car Dieu, qui n'ignorait
des versets qui suivent inunédialement. pas que bienlôiriiomme deviendrait prévarica-
Et le Seigneur Dieu dit // n'est pas don que : teur, a voulu par là nous montrer de quels
rhomyne soit seul. L'Ecriture répète ici cette trésors de science il en le créan*..
l'avait enrichi
expression qu'elle a déjà employée : le Seigneur Aussi lorsqu'Adam viola le commandement
Dieu, afin que nous la retenions bien, et que du Seigneur, gardons-nous bien de penser
nous ne préférions pas à ses enseignements-là qu'il pécha par ignorance tandis qu'il agit
,

nos vaines interprétations. Et le Seigneur Dieu sciemment et par maUce.


dit il n'est pas bon que Vhomynesoit seul. Voyez
: 5. Le récit de Moïse nous révèle en effet com-

comme le Dieu bon ne cesse d'accumuler sur bien était étendue la science du premier
l'homme bienfaits sur bienfaits, et comme dans homme. Le Seigneur, dit-il, fit venir devant
sa généreuse libéndité il entoure de nouveaux Adam tous les animaux, afin qu'Adam vît

honneurs cet être doué de raison. Son but est comme il lesnommerait. Dieu en agit ainsi
de lui rendre la vie plus douce et plus agréable. pour lui donner occasion de faire usage de se
Et le Seignuw Dieu dit : il n'est pas bon que vastes connaissances. Aussi l'Ecriture ajoutâ-
l'homme soit seul ; faisons-lui une aide sem- t-elle que le nom qu' Adam donna à chaqu
blable à lui. Ici Dieu emploie pour la seconde animal est son propre nom. Mais ici, outre îa
fois celte expression : faisons. Au moment science d'Adam, nous voyons dans celle impo-
de créerl'homme, il avait dit faisons : sition du nom une preuve de son domaine su"
rhomme à notre image et à notre ressem- les animaux. Car c'est ainsi, qu'en signe de
blance ; et sur le point de former la femme , son autorité, un maître change le nom de l'e:-
il dit également : faisons Mais à qui adresse- clave qu'il achète. Le Seigneur amena donc à
t-il celle parole ? Certes ce n'est point à quelque Adam tous les anim lux afin qu'il les nommât
puissance créée, mais à celui qu'il a engendré, comme étant leur maître. Ne passez pas légè-
à ce fils unique qui est l'ange du grand conseil rement sur ce fait, mon cher frère mais con- ;

et le prince de la paix. El afin qu'Adam sût que sidérez combien devait être vaste et profonde
la femme qui allait être formée lui serait égale la science d'Adam pour qu'il donnât un non
en dignité Dieu répète les mêmes termes
, propre et convenable aux oiseaux et aux rcn
qu'il avait em|)loyés pouc sa création, et dit : tiles, aux bôliiS féroces et aux animaux domes-

faisons à l" homme une aide qui lui soit sem- tii|ucs ou sauvages, aux poissons qui vivent

blable. dans les eaux et aux in -ectes que produit la


Ces deux mots aide et semblable rentermenè terre. L'Ecriture nous dit en elfei que le notn

un sens qu'il faut peser nmrtiment. Je ne v ,ux qu'Adam donna à chaque animal est son ,

pas. dit le Seigneur, que l'homme soit seul, et propre nom.


il convient de lui donner une compagne qui le ici un acte formel de puissan<"*i
N'est-ce pas
É console , qui lui vienno en aide. Telle est la
et et de suprême autorité? Mais observez encore
mission de la femme. A issi après avoir dit : que les lions et les léopards, les vipères et les

f faisom-lui une aide , il ajoute imniéiliate- scorpions, les serpents et tous les monsjes
ment « qui soit sembla^
: le à lui. » Or cette s'ét.int présentés humblement devant Adain
dernière parole ne doit point s'entendre des pour rendre hommage à son empire, et :m
animaux, ni des oiseaux que le Seigneur va recevoir un nom, celui-ci n'en parut nullement
ami ner devant Adam. Et en effet, quoiqu'ils lui effrayé. Evitons donc d'accuser le Dieu (|ui ics

soient d'un grand secours dans ses travaux, ils a créés, et de proférer contre lui. ou |ilulùt
sont i>rivés de raison et par conséquent bien, contre nous-mêmes cet imprudent bl.ispneme .

inférieurs à la femme qiii en est douée. Aussi pourquoi Dieu a-t-il créé ces animaux ? Car
^ l'écrivain sacié rap|iorie d'abord celte parole : tous alors, les bète^ féroces comme les animaux
U7ie aide semblableà lui, et puis il ajoute : le domestiques, reconnurent leur déoendance; et
i Seigneur après avoir formé de la terre tous les Adam, en leur donnant un nom, fit manii'ebte-
80 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

ment acte d'autorité. Or ils conservent aujour- Je voudrais aborder l'explication des versets
d'hui encore le nom qu'il leur imposa, et Dieu suivants, mais je crains d'avoir déjà, parce
l'a permis, afin de perpétuer le souvenir des long entretien, fatigué votre attention aussi j

faveurs dont comblé Ihomnie. Aussi,


il avait vaut-il mieux ne pas le prolonger. Car Tim-
en voyant que dans le principe les animaux lui portant n'est pas que je vous dise beaucoup
étaient soumis ne pouvons-nous attribuer à
, de choses, mais que vous reteniez ce que je
une autre cause qu'à son péché l'affaiblisse- vous dis il ne suffit même pas que vous sa-
;

ment et presque la ruine de ce souverain do- chiez pour vous seuls le sens des saintes Ecri-
maine. tures; mais il faut encore que vous puissiez le
Et Adam donna leurs noms aux animaux faire connaître à vos frères et le leur expliquer.
domestiques^ aux oiseaux du ciel, et aux bêtes Jevous engage donc à vous entretenir, au sor-
sauvages. Cejs paroles nous apprennent, mon tirde cette assemblée, du sujet que je viens
cher frère, combien grande était dans Adam de traiter, et à vous communiquer mutuelle-
la liberté de la volonté, et l'étendue de la ment vos souvenirs. Ce sera un excellent
science. Ainsi nous ne saurions dire qu'il ne moyen de vous rappeler l'ensemble et le détail
connaissait pas le bien et le mal. Car n'était-il de cet entretien, en sorte qu'arrivés dans vos
pas profondément instruit et savant celui qui maisons, vous pourrez en méditer la céleste
put donner un nom propre et convenable aux doctrine. Dailleurs, cette attention à écouter
animaux domestiques, aux oiseaux du ciel et la parole divine, et cette application à la médi-
aux bêtes sauvages sans confondre les es-
, ter,vous faciliteront les moyens de calmer le
pèces, et sans imposer aux animaux domes- tumulte de vos passions, et d'éviter les embû-
tiques des noms qui eussent convenus aux ches du démon.
bêles sauvages, ou à celles-ci des noms qui Et en efft t, (juand cet esprit mauvais voit une
eussent convenu aux premiers? Conjecturez âme tout occupée des choses de Dieu, et
de là quelleest la puissance de ce souffle de comme tout absorbée en de saintes pensées,
vie que Seigneur répandit dans l'homme,
le il n'ose s'en approcher, et il s'en éloigne
et (luelle est la science de cette âme spirituelle promptement. Car l'action de l'Esprit-Saint en
qu'il lui donna. Et en effet, l'homine est un cette âme est un feu qui le met en fuite. Ap-
animal raisonnable, qui se compose de deux pliquons-nous donc à ce pieux exercice, afin
natures, d'une âme spirituelle, et d'un corps d'en retirer de si précieux avantages, de vain-
matériel. Or celui-ci est, par rapport à Tàine, cre lennemi de notre salut, et de mériter des
comme un instrument entre les mains d'un grâces plus abondantes. Par là tout nous suc-
excellent artiste. Mais en considérant l'excel- cédera heureusement, les difficultés s'aplani-
lence d'un être si parfait, admirez la sagesse ront, le mal lui-même se changera en bien, et
du Créateur. Oui, si la beauté descieux, quand lesmalheurs de la vie présente ne pourront
on y réfléchit attentivement, nous porte à cé- nous attrister. Car si nous nous occupons ex-
lébrer les louanges d'un Dieu créateur, com- clusivement des choses de Dieu, il prendra soin

bien plus encore lY'tnde de l'honnue, doué de lui-niênie de noire existence. Sous sa conduite
raison, comblé d'honneurs dès le premier ins- nous traverserons sans naufrage la mer ora-
tant de sa création, et enrichi des dons les geuse de ce monde, et sa main nous dirigera
plus merveilleux, ne doit-elle pas nous exciter heureusement vers le port du siilut. C'est à lui
à célébrer par de continuelles louanges l'Au- seul ({u'api artiemieut la gloire et l'empire,
teur de ces merveilles, et à rendre gloire à maintenant et to;ijoins, et dans les siècles des
Dieu selon nos forces I siècles. Ainsi so.t-il.
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — QmNZIÈME IIOMÉUE. Si

QUINZIÈME HOMELIE.

€ Mais 11 ne se trouvait point pour Adam d'aide aetnblable à lui : Dieu envoya donc à Adam un profon.l som-
meil ; et pendant qu'il dormait, Dieu prit une de ses côtes et mit de la chéur en ea place. Eî, Dieu produis»*
la femme de la côte qu'il avait ôcée à Adam. > (Gen. II, 21, 22.)

ANALYSE.

i. Saint Chrysostome, après avoir félicité ses auditeurs de leur zèle à entendre la parole divine, prou'^e l'excellence de la femme
par ces parole? « Il ne se trouvait point pour Adam d'aide semblable à lui; » et il eu fait ressortir sa supériorité sur les ani-
:

maux qui ne sont que les serviteurs de l'homme, tandis que la femme est sa cumpagne. —
2. Il explique ensuite le sommeil mys-
térieux envoyé à Adam, et la manière dont le Seipueur forma la femme. —
3. Le mode seul de cette formation montre, selon la
parole de l'Apôtre, que la femme a été créée pour l'homme; aussi en la voyant, Adam s'écria-t-il par suite d'une révélation pro-
phétique : « Voilà l'os de mes os et la chair de ma chair !» — coinmcnt Adam et Kve ne rougif-
4. L'orateur expliiiue ensuite
saienl jias de leur nudité, eu disant qu'ils étaient revêtus d'innocence et de pureté, et que leur vie, avant le péché, était tout
angélique. — a. En terminant, il ramène l'attention de ses auditeurs sur la manière, dont ils ont passé la première moitié du ca-

rême, et les engage à éviter les différents péchés qui se commettent parla langue.

d.Je TOUS suis bien reconnaissant de ce que richir les autres qu'à ses dépens ; iciau con-
hier vous m'avez écouté avec tant de bienveil- traire on augmente ses propres trésors en les
lance.La longueur de noire entretien n'a point distribuant , et l'on multiplie les richesses de
paru vous fatiguer, et votre attention s'est sou- ses frères.
tenue depuis le comiuenccment jusqu'à la fin. De mon côté ,
je suis tout disposé à vous
Aussi suis-je fondé à espérer que vous mettrez communiquer ces biens spirituels, et du vôtre
mes conseils en pratique. Car celui qui écoute les âmes s'ouvrent et se dilatent pour les re-
la parole sainte avec tant de plaisir témoigne cevoir ;il faut donc que je vous donne de ma

bien qu'il veut y conformer sa conduite et ; plénitude, et que je m'acquitte de ma dette en


d'ailleurs le nombreux concours de ce soir suf- vous expliquant les versets de la Genèse qui
firait seul pour me garantir vos heureuses dis- viennent d'être lus. Oui je veux , mes chers
positions. Un bon appétit estun signe de bonne frères en faire le sujet de cet entretien, en re-
santé, et de mente la faim de la parole divine chercher avec soin le sens caché et vous en- ,

est l'indice d'une âme très-bien disposée. Mais richir de leurs abondants trésors. L'Ecriture
puisque votre zèle me
promet des fruits abon- nous dit Mais pour Adam il ne se trouvait
:

dants, et qu'il me
que vous vous con-
garantit point d'aide qui lui fût semblable ;
que signifie
formerez à mes enseignements comment ne ,
cette parole, mais pour Adam ? et pourquoi
pas vous donner, mes chers frères , la récom- employer ici cette conjonction? ne suffisait-il
pense que je vous promis hier ? J'entends cette pas de dire : pour Adam il ne se trouvait
doctrine spirituelle que je vous distribue sans pas d'aide ? ce n'est point sans raison , ni
m'appauvrir, et qui néanmoins vous rend plus par simple curiosité que j'entre dans ce dé-
riches. Telle est en effet la nature des biens tail, et je me propose de vous apprendre par

spirituels ,
qui sous ce rappoi.t sont fort diffé- ce minutieux examen que dans l'Ecnture il
rents des biens temporels. Car à l'égard de ces ne faut passer légèrement ni siu- u j mot
derniers, on ne saurait en être prodigue, ni e»- ni sur une svUabe. Car ce ne sont point ici

S. J. Ch. — Tome V.
TRADUCTION FRANÇLUSE I>E SAINT JE.\N CHRYSOSTOME.

des paroles jetées au hasard , mais le lan- sont bien inférieurs. C'est pourquoi nous ne
gage de TEsprit-Saint. Aussi peut-on y décou- saurions penser que c'est d'eux que le Seigneur
vrir de précieux trésors même sous une seule a voulu parler quand il a dit faisojis une aide :

syllabe. Veuillez donc, je vous en conjure, à Adam.


m'écouter avec soin et ne faites paraître ni
, Sans doute les animaux nous prêtent leur
lâcheté, ni nonchalance. Soyez au contraire secours et ils nous sont utiles en bien des
,

attentifs, et ne vous laissez point distraire par choses; mais ils n'en sont pas moins privés de
les préoccupations des affaires, ou les soucis raison. Qu'ils nous soient utiles l'expérience ,

des choses temporelles. Car chacun doit être le prouve, car nous employons les uns à tirer
touché de la dignité de cette sainte assem- des fardeaux et les autres à cultiver la terre.

blée , et ne pas oublier que c'est Dieu lui- Ainsi le bœuf traîne la charrue ouvre les sil-,

même qui nous parle parla bouche de son pro- lons el opère les divers travaux de l'agricul-
phète. Ainsi qu'en vous l'oreille et l'esprit ture. L'àne est très-propre à porter des far-
soient ouverts et éveillés afin que vous ne per- deaux, et la plupart des autres animaux servent
diez pas un seul mot, et que la semence de la aux besoins de notre existence. La brebis nous
parole divine ne tombe point sur la pierre, ou donne la laine pour nous vêtir et le poil de la ,

le long du chemin, ni yninni les épines. Puisse- chèvre se prêle à mille usages ; de plus elle
t-elle au contraire se répandre sur une bonne nous nourrit de son lait. Ainsi, pour que nous
terre je veux dire en des cœurs bien préparés,
1 ne puissions appliquer aux animaux cette pa-
alors elle se multipliera et vous produira des role faisons à Adain une aide, l'écrivain sacré
:

fruits abondants. commence son récit par ces mots : Mais pour
Expliquons donc le sens de cette phrase : Adam il ne se trouvait point d'aide qui lui
Mais pour Adam il ne se trouvait point (T aide
^ fût semblable. C'est comme s'il nous disait tous :

qui lui fîit semblable ; et voyez d'abord avec les animaux ont été crées pour le service de
quelle exactitude s'ex[)rime la sainte Ecriture 1 l'homme, et ils ont reçu de lui leur nom, mais
Après nous avoir dit : Mais pour Adam, il ne aucun n'est digne d'être son aide. Aussi vou-
se trouvait point d'aide, elle poursuit et ajoute laiil nous raconter la formalion de la femme ,

ces mots gui lui fût semblable. Cette addition


: a-t-il soin d'introduire le ^eiglleur qui pro-
nous fait comprendre le sens de la conjonc- nonce cette parole : faisons à Adam une aide
tion. Je pense que parmi vous , quelques
,
qui lui soit semblable, qui soit digne de lui
esprits plus éclairés devinent presque ce que produite de la même substance et son égale.
je vais dire mais il est de mon devoir d'ins-
; C'estpounjuoi Moïse dit Mais pour Adam il :

truire tous mes auditeurs, et de me faire com- ne se trouvait point d'aide qui lui fût sem-
prendre de chacun d'eux. C'est pourquoi je blable ; cii\ nous \m\u\ue par là que quelque
vous expli(iuerai les raisons qu'a eues Moïse grands que soient à l'égard de 1 homme les ser-
de parler ainsi, mais il faut un peu de patience. vices des animaux l'aide de la femme sera,

Vous vous souvenez que l'écrivain sacré a pré- pour Adam bien plus excellente en toutes ma-
cédemment ra|)porté celle parole du Seigneur: nières.
Faisons à Adam une aide qui lui soit scnd)la- ^2. Aussi n'est-ce qu'après avoir créé tous les
ble, et qu'ensuite il est revenu sur la ciéation animaux , et les avoir conduits au premier
des bêtes, des reptiles et de tous les animaux. homme pour qu'il leur donnât un nom que ,

Et Dieu, dit-il, avait formé de la terre tous les Dieu s'occupe de lui former une aide qui lui soit
animaux et tous les oiseaux du ciel, et il les fit semblable. Déjà riiomme avait été le but de
venir devant Adam, afin qu'Adam vît com- toute la création , et il avait produit pour lui
ment il les nommerait. Ainsi Adam leur im- toutes les créatures. Mais Dieu voulut alors y
posa à tous un nom, connue étant le maître de ajouter l'aide de la femme, et observez ici avec
tous et selon la sagesse (ju'il avait reçue du
; quelle précision de détails IKcrilure décrit la
Seigneur, il donna aux bêtes féroces aux , foruiation de la femme. Elle nous avait déjà
oiî-eaux et aux animaux domestiques le nom , appris (jue le Seigneur se proposait de donner
qui est resté leur propre nom. Mais quoi(|ue les à riiomuie une aide qui lui fût semblable, car
animaux servent aux usages de l'homme el , elle nous avait rapporié cette parole : faisons à
qu'ils lui aident dans ses travaux néanmoins , Adam luic a:de selon lui; el encore celle-ci :

j>ar cela seul qu'ils soiït privés de raison, ils lui Mais pour Ad.im il tic se trouvait point d'aide
u TKADUCTIOiN FUA^'ÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME

DIX-SEPTIÈME HOMÉLIE.

€ Et ils entendirent la voix du Seigneur Dieu qui s'avançait dans le jaidin, après le milieu du jour. > (G-e .. III, &.)

ANALYSE.

1. L'orateur, après avoir expliqué qu'il ne faut point entendre ce passage dans un sens grossier et matériel, dit que le seulimentet
le remords de leur péché, forcèrent Adam et Eve à se caclier, et il décrit éloquemment la force et la puissance de la conscience.
11 montre ensuite la bonté du Seigneur qui, le premier, vient au-devant de l'homme coupable, et ne l'interroge que pour lui
donner occasion de s'iuimilier, et d'obtenir son pardon. —
2.-i. Il développe alors admirablement cette parole de Dieu « Adam, où :

es-tu? rt et montre toute la faiblesse de l'excuse qu'il apporte, en rejetant ta faute sur la femme. 5. La question que le Sei- —
gneur adresse ensuite à celle-ci, et sa réponse qui accuse le serpent, fournit à l'orateur cette judicieuse réllexion qu'Eve était
libre dans le consentement qu'elle a donué aux insinuations du serpent. —
6. Mais Dieu qui avait parlé avec bonté à Adam et à Eve,
maudit le serpent, sans lui adresser la parole, pour lui témoigner toute son iudignation, et mêle à cette malédiction la première
révélation du mystère delà rédemption. —
7.-8. Il prononce ensuite à la femme l'arrêt qui la condamne aux douleurs de l'enfante-
ment, et à la soumission envers l'homme ; et l'orateur met ici dans la bouche de Dieu un langage à la fois doux et sévère, rigoureux
et paternel. — 9. Enfin, Adam lui-même entend sa sentence : la terre sera maudite en son œuvre ; il ne la rendra féconde qu'à
la sueur de son front; et cela durant tous les jours de sa vie, jusqu'à ce qu'il retourne en la poussière d'où il a été tiré. —
10. Après quelques réflexions sur cette sentence, et seseffets, l'orateur exhorte sesauditeurs à conserver le souvenir de ces grandes
vérités, et à se rendre dignes, par leur conduite chréticona, U'ûiileLiir les biens éternels que le Fils de Dieu nous a mérités par
le qiystère de rincarnalioa.

l. Je pense que hier je vous expliquai sufii- ment, son père sent ses entrailles s'émouvoir;
samment mes forces ce qui concerne
et selon mais toujours bon envers cet indigne enfant,
l'arbre de la science du bien et du mal, en sorte il ne l'abandonne point et ne cesse de l'assister

que maintenant vous comprenez , mes très- de ses secours et de ses conseils pour le retirer
chers frères pourquoi l'Ecriture lui donne ce
, de l'abîme et lui rendre sa dignité première.
nom. donc aborder la suite du récit de
Je vais Et de même, le Dieu bon et miséricordieux
la Genèse, afin de vous faire mieux connaître s'attendrit sur l'homme qui avec son épouse,
,

encore l'ineffable bonté du Seigneur, et cette s'était laissé démon et avait cru
séduire par le

admirable providence avec laquelle il prend aux pernicieux cooseils du serpent. Aussi le
soin de tout ce qui nous concerne. 11 avait, voyons-nous accourir vers lui comme un cha-
dans le principe créé et disposé toutes choses
, ritable médecin s'empresse auprès d'un ma-
pour que l'homme , cet être raisonnable sorti lade dont les maux et la détresse réclament ses
de ses mains, fiit comblé d'honneurs et, vou- ;
soins et son art.
lant l'égaler aux anges, il lui avait formé un Mais si nous voulons comprendre mieux en-
corps doué de gloire et d'immortalité. Toute- core toute l'étendue de cette bonté il ne sera ,

fois il ne retira pas entièrement de dessus lui pas inutile de reprendre le passage qui vient
sa miséricorde, lorsqu'il le vit transgresser ses d'être lu. Et ils entendirent la voix du SeiQnew
ordres et braver les menaces qui devaient le Dieu qui s'avançait dans le jardin après le ,

retenir. Mais alors même , toujours semblable milieu du jour ; et Adam et son épouse se ca-
à lui-même, il se souvint que l'homme était sa chèrent parmi les arbres du jardin pour éviter
créature. Quand
d'un patricien, oubliant
le fils la présence de Dieu. Ici, mes chers frères, il
son rang se dégrade par ses vices , et du faîte
, ne faut ni passer légèrement sur ce.'^ paroles,
des honneurs, tombe dans un profond avilisse- ni s'arrêter comme à l'écuicc des mot-;;: mais
84 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOilE.

de In côte qu'il avait ôiée à Adnm. Admirez cli.icune des espèces si nombreuses des animaux
l'exactitude de l'Ecriture! Elle ne dit |)as_, Dieu leur nom propre et véritable. Mais ici récri\a:n
forma, mais produisit, parce qu'il prit une sacré a eu bien soin de nous avertir qu'Adam
portion d'une chair déjà formée, et qu'il ne avait été plongé dans un profond assoupis-
fit que l'augmenter. Dieu 'produisit donc la sement, en sorte qu'il n'avait eu aucune sen-
femme, non par l'acte d'une création nouvelle, sation de ce qui s'était passé en lui. Aussi,
iTiais en ôtant à Adam une portion de chair, et lorsqu'à la vue de la femme il se montre ins-
produisant de cette faible portion un être com- truit de tout, nous ne pouvons douter qu'il
])let en toutes ses parties. Combien donc est n'ait reçu l'esprit prophétique, et qu'il n'ait
grande la puissance du Créateur qui, avec si parlé par rins|)iration du Saint-Esprit.
peu de matière, a formé les membres souples et Adam ignorait humainement la création de
élégants de la femme, et a produit cet être si la femme , et cependant dès que Dieu la lui
parfait, qui est doué d'une exquise sensibilité amène, il dit : Voilà maintenant l'os de mes
et qui procure à l'homme une douce société os, et la chair de ma chair. Un autre interprète,
et une grande consolation Car c'est pour la ! au du mot, maintenant écrit une fois;
lieu ,

consolation de l'homme (jue la fenmie a été comme si Adam eût déclaré que pour celte fois-
formée aussi l'Apôtre dit-il que l'homme n'a
; ci seulement la femme était formée de cette

pas été créé pour la femme mais la femme , manière et que ce mode de génération ne se
,

pour l'homme. (I Cor. ii, 9.) renouvellerait plus. C'est comme s'il eût dit :

Voyez donc comment toutes choses sont faites maintenant la femme a été formée de l'honnue,
pour l'homme L'univers était créé, ainsi que
I mais dorénavant l'homuie naîtra de la femme,
les animaux qui devaient servir à sa nourri- ou plutôt de l'union des deux sexes. Car, dit
ture, ou l'aider en ses travaux; mais il lui V\\)à[re, l'homme n'a point été tiré de la femme.,
manquait une compagne qui pût converser mais la femme a été tirée de l'homme ; et
avec lui, et qui étant de la même nature, pût l'homme n'a pas été créé pour la femme, mais
embellir son existence. C'est pourcjuoi Dieu la femme l'a été pour T homme. (ICor. ii, 8,9.)
prit une de ses côtes, et par un acte de sa su- Eh direz- vous en m'interronjpant, ces paroles
!

prême sagesse en forma un être doué de raison, montrent que la femme est formée de l'homme.
en tout semblable à l'homme, et capable de Attendez donc un peu, et admirez avec quelle
lui venir en aide dans les besoins, comme dans exactitude s'e\[)rime l'.Vpôlre. Cependant, coa-
les douceurs de la vie. Or c'est Dieu lui-même tinue-til, nU'homme n'est point sans lafemme^
qui dans son infinie sagesse a ainsi disposé et ni la femme sans l'honmie (Ibid. 2), voulant
arrangé toutes ces choses et quoique notre
, direque depuis la formation de la première
esprit soit trop faible pour les comproiilre, femme, et riiomme et la femme naissent de
nous ne laissons pas de les croire, parce que la même manière, par l'union des sexes. Tel
tout est soumis à sa volonté et à sou conmian- est le sens de cette parole qu'Adam dit de la
dement. femme : Voilà maintenant l'os de me os, et la
Et le Seigneur Dieu produit la femme de la chair de ma chair.
côte qu'il avait ôtée à Adam, et il V amena devant Mais voulez-vous mieux connaître encore
A.
Adam. Comme la femme n'avait été formée la certitude de celte prophétie, et son éclatant
que pour Adam, le Seigneur
la lui amène, et accom|)Iissement (lui durera jusqu'à la fin du
semble lui dire La création entière ne pouvait
: monde? écoutez ces autres paroles d'Adam :

vous olfrir une aide (jui vous fût semblable, Celle-ci s'appellera d'un nom pris du nom de
aussi vous avais-je promis une compagne digne l'ho)nme, parce qu'elle a été tirée de l'homme.
de vous. J'ac(|uitte aujourd'hui ma promesse C'estpourquoi l'homme quittera son père et sa
en vous présentant ce nouvel être parfait et mère, et s'attachera à sa femme, et ils seront
accompli. Le Sv/f/ucur amena donc la femme deux da?is une même chair. Voyez-vous avec
devant Adam, et Adam dit Voilà tnaintcnant : quel soin Adam lui-même nous explique sa
tos de mes os, et la chair de nm chair. Cette pensée, et comme pénètre l'avenir de son
il

parole nous montre qu'Adam reçut alors de regard proplielique? Celle-ci, dH-i\, s'appellera
Dieu l'esprit de iiropliélio, de même (ju'il en d'un nom pris du nom de l'homme, parce
avait reçu le don ailiniral)le de la science. Ce qu'ellea été tirée de l'homme. Celte première
fut en effet par suite de ce don qu'il imposa à parole nous rappelle que Dieu prit une des
HOMÊLTES SUR LA GENÈSE. ~ QUINZIÈME HOMÉLIE. 85

côtes d'Adam pour en former la femme, et la et qu'il avaitbesoin d'une aidejpii \\\\ fût s m-
suivante nous révèle l'avenir. Cest pourquoi bl.ible, le Seigneur n'omit [xiiiil de lu il<jn. or
Vhovime quittera son père et sa inèrc, et s'at- cette satisfaction ; et, après avoir cri é la IVinme
tachera à sa femme ; et ils seront deux dans selon le type de sa divine sagesse, il la rttnit

une même chair. Mais ciui lui avait api)ris toutes entre ses mains. Enfin le Seigneur couronnî
ces choses? d'où pouvait-il connaître l'avenir, ces immenses bienfaits par l'honneur du don
elle niodcde la propagation du genre humain? de prophétie et le privilège de régner en sou-
Quelle idée surtout pouvait-il se former de verain sur l'univers entier. H voulut même
l'union des deux sexes, puisque celte union qu'Adam fût exempt de tonte inquiétude
n'exista qu'après la chute de nos premiers comme de tout souci par rapport aux besoins
parents? jusqu'à ce moment ils vécurent dans/ du corps et à l'usage des vêtements en sorte :

le paradis terrestred'une vie tout angélique, que sur la terre il menait la vie des anges.
et neconiuucnlnilesfeuxde la concupiscence, Oui, au seul souvenir de ces ineflabics bien-
ni la révolte des passions. Ils ignorèrent éga- faits, je ne qu'admirer la bonté du Sei-
sais
lement les maladies, et les divers besoins du gneur , m'étonne de voir l'homme si
et je
corps, car ils avaient été créés incorruptibles ingrat, et le démon si rempli d'une noire ja-
et immortels. lousie. Car cet esprit mauvais ne put sup-

k Quant à l'usage des vêlements l'Ecriture


nous dit qu ils étaient nus etquilsn'en rougis-
saient pas. C'est qu'avant le péché et la déso-
, porter que dans un corps mortel l'homme fût
l'égal des anges.
5. Mais je m'arrête ici pour ne pas trop pro-
béissance, la grâce divine était comme leur longer ce discours, et je remets à demain l'ex-
vêtement; aussi ne rougissaient-ils point de plication des embûches que le démon tendit à
leur nudité. Mais dès qu'ils eurent violé le nos premiers parents. Je termine donc en vous
précepte du Seigneur ils connurent qu'ils
, priant de retenir mes paroles d'aujourd'hui,
étaient nus et ils en rougirent. Qui suggéra
, et d'en faire le sujet de vos entretiens, afin que
donc à Adam les paroles qu'il prononça alors ? vous les graviez plus profondément dans votre
et n'est-il le don de
pas évident qu'il reçut mémoire. Car le souvenir habituel des grâces
prophétie, et qu'il découvritl'avenir du regard dont Dieu combla le premier homme ne peut
de l'intelligence? Ce n'est pas sans raison que que nous porter à une juste reconnaissance, et
j'appuie sur ces détails, car ils nous montrent nous exciter puissamment à la vertu. Il est cer-
l'immense bonté du Seigneur envers le pre- tain en effet que celui qui nourrit en son cœur
mier homme. Il menait dans le principe la vie la pensée des bienfaits du Seigneur, s'efforcera
des anges, était enrichi de mille bienfaits, et de ne pas s'en montrer indigne. Bien plus, il
possédait même l'esprit prophétique. Aussi s'appliquera à mériter par sa reconnaissance
lorsque vous le voyez, après tant de grâces et que Dieu lui en accorde de nouveaux. Ehl
de faveurs, devenir prévaricateur, gardez-vous notre Dieu n'est-il pas généreux ! et s'il voit
de rejeter la faute sur Dieu, et n'en accusez que que nous lui sommes reconnaissants de ses pre-
l'homme. C'est lui seul, comme je le dirai plus mières grâces, il nous en donnera de plus
tard, qui s'est privé de tant de biens par sa dé- abondantes encore. Soyons donc toujours at-
sobéissance , et qui a été légitimement con- tentifs à l'affaire de notre salut, et ne laissons
damné pour son péché. point nos journées s'écouler dans une lâche

i Rappelons-nous donc l'état d'innocence où


le Seigneur l'avait établi, et les bienfaits sans
oisiveté. Préoccupons -nous beaucoup moins
d'avoir passé la moitié du carême, que de sa-

nombre dont il l'avait comblé. Et d'abord voir si nous avons avancé dans la vertu et si ,

avant même que l'homme existât, il avait nous nous sommes corrigés de quelque défaut.
produit pour lui l'univers et toutes les créa- Et en effet, si, nourris chaque jour de la
tures ; il le créa ensuite lui-même afin qu'il en parole sainte, nous restons toujours les mêmes,
jouît pleinement, et lui donna pour demeure sans croître en vertus, et sans déraciner de
le paradis terrestre. Bien plus , il l'éleva notre cœur aucun germe de péché, le jeûne
au-dessus de tous les animaux qu'il soumit nous deviendra plus nuisible qu'utile; car celui
à sa puissance, et voulut qu'il nommât cha- qui rend infructueux tant de secours spirituels
cun d'eux comme un maître nomme ses se préparede rigoureux châtiments. Je vous
esclaves. Enfin, parce que l'homme était seul. conjure donc de bien employer ce qui nous

reste et pour cela, chaque semaine,


du carême; sées mauvaises se produisent en notre esprit,

ou chaque jour, renlrons en nous-


plutôt nous éviterons de les traduire au dehors par des
mêmes, purifions notre âme de tout péché, et paroles coupables. Enfin, ayez soin aussi de fer-
apphquons-nous à la pratique des bonnes mer l'oreille à tout discours vain et médisant
œuvres. C'est le conseil que nous donne le selon cet avis de Moïse : N'écoutez point la
Psalmiste quand il dit Eloignez-vous du mal,
: voiedumeyisonge. Le Psalmiste nous dit égale-
et faites le bien (Ps. xxxvi, 27); et telle est ment ; J'éloignais celui qui médisait secrète-
l'essence du véritable jeûne. Ainsi l'homme ment de son prochain. (Exod. xxni, l;Ps. 1,5.)
violent et emporté doit modérer sa colère par Concluez de tout ceci, mon cher frère, que
de pieuses pensées, et d'jvcnir doux et patient; l'acquisition des vertus chrétiennes exige de
ainsi encore l'intempérant et le paresseux doi- généreux efforts et une vigilance continuelle.
vent se montrer sobre et laborieux; et le volup- La moindre négligence suffit quelquefois \)o\iv

tueux, irop épris d'une beauté mortelle, doit tout perdre; et c'est le reproche que le saint
chasser de son cœur tout désir criminel, et roi David adressait aux Juifs. Tranqmllement
graver dans son esprit cet oracle du divin Sau- assis, leur disait-il, vous parlez contre votre
veur : Celui qui aura regardé une femme pour frère, et vous préparez un piège au fils de
la convoiter, a déjà commis V adultère dans son votre mère. (Ps. xlix, 20.) Cette attention à ré-
cœur. (Matth. v, 28.) Cette pensée l'aidera à gler tous nos sens nous facilitera beaucoup
fuir l'incontinence et à pratiquer la chasteté. les divers exercices de la piété. Ainsi, notre

J'exhorte également ceux dont la parole pré- langue louera et glorifiera le Seigneur, nos
cipitée et téméraire s'épanche au hasard, à oreilles s'ouvriront à la parole sainte et à ses
dire avec le Psalmiste Seigneur, mettez une
: salutaires instructions, et notre esprit s'appli-
garde à ma bouche, et une porte à mes lèvres quera à méditer les vérités de la foi nos mains,
;

(Ps. cxL, 9) ; désormais , ils ne devront plus pures de tout acte d'avarice ou de rapine
proférer que des paroles sriges et utiles, selon s'exerceront aux bonnes œuvres et à l'aumône,
ce précepte de l'Apôtre : Que toute aigreur, et nos pieds ne nous conduiront point au
tout emportement, toute colère, toute quej'elle, théâtre et à ses dangereux spectacles, ni au
toute médisajice et toide malice soit bannie cirque et aux courses des chars; mais aux
d'entre vous; et encore : Que toute parole soit églises, aux maisons de la prière, et aux tom-
bonne, utile, édifiante et propre à donner la beaux des martyrs, afin que, parleur interces-
grâce à ceux qid l'écoute?it. (Eph. iv, 31, 29.) sion, nous obtenions les bénédictions du ciel
Quant <à l'habitude du jurement, il faut abso- et la grâce de ne pas succomber aux embûches
lument l'extirper du milieu de nous, car Jésus- du démon. Cette active sollicitude pour notre
Christ a dit Vous avez entendu qu'il a été dit
: salut fera encore que le jeûne du carême nous
aux anciens : Tu ne te parjureras point ; et sera grandement utile, que nous éviterons les
moi, je vous dis de ne jurer en aucune sorte, pièges du tentateur, el que nous obtiendrons
(Matth. v, 33, 34.) Ne m'objectez donc point les miséricordes divines; puissent-illes se ré-
que vous jurez pour une cause légitime, puis- pandre sur nous tous, par la grâce et la bonté
qu'il n'est jamais permis de jurer que la ,
de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient,
chose soit juste ou injuste. Mais afin que notre avec le Père et l'Eï^piit Saint, la gloire, Thon-
bouche ne prononce aucun jurement, sachons neur et l'empire, niaiuienanl et toujour.--, el
modérer notre langue, nos paroles et mémo dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
nos pensées ; car, en empêchant que des pen-
lîOMl'.LlES SUR TA GEiNÈSE. — SEIZIÈME HOMÉLIE, W

SEIZIÈME HOMÉLIE.

c Us étaient nus et ils n'en rougiBoaient pas. (G«n, II, 38.) »

INALTSI.

i. S.pThs un court exordc, l'orateur aborde l'histoire de la chute de nos premiers parents, et prouve, par le fait seul de l'entretien
d'Eve avec le serpent que tous les animaux étaient soumis à l'homme. —
2. Il réfute ensuite l'opinion de ceui qui prétendaient
que ce serpent doué de raison, et établit qu'il ne fut que l'organe et l'instrument du démon.
était —
3. Il décritalors longuement
le colloque de celui-ci avec la femme, et reproche amèrement à cette dernière son imprudente confiance. 4. Iln'estpasmoina —
sévère pour Adam qui préféra se montrer complaisant envers son épouse plutôt qu'obéissant envers Dieu 5. Le premier effet
du péché ayant été de faire connaître à Adam et à Eve leur nudité, saint Chrysostome explique en quel sens l'Ecriture dit que

leurs yeux lurent ouverts; il combat à cette occasion ceux qui soutenaient qu'avant sa désobéissance Adam n'avait pas la con-
naisfance du bien et du mal, et explique pourquoi l'Ecriture nomme l'arbre fatal, l'arbre de la science dubien et du mal. —6. Il
montre la sagesse de Dieu dans la facile défense faite à l'homme, et termine par un éloquent parallèle entre l'arbre du paradis
terrestre et l'arbre de la croix.

1. Je veux aujourd'iiui ,mes chers frères, femme y et ils n'en rougissaient pas. (Gen. ii,

mettre à votre disposition un trésor spirituel 25.) Considérez ,


je vous y invite , l'éminent
qui ne se vide jamais, quoiqu'on y prenne à bonheur de nos premiers parents. Combien ils

pleines mains: il possède même le double pri- étaient élevés au-dessus de toutes les créatures
vilège d'enrichir tous ceux qui se l'approprient sensibles et grossières 1 ils habitaient moins la

et de se remplir de nouveau, lorsqu'on le croit terre que le ciel ; et quoique revêtus d'un
épuisé. Souvent une légère portion d'un tré- corps , ils n'en sentaient pas les infirmités
sor matériel suffit pour nous rendre puis- puisqu'ils n'avaient besoin ni de toit, ni d'ha-
samment riches; et à plus forte raison les moin- bits, ni d'aucun autre secours extérieur. Or
dres paroles de l'Ecriture contiennent d'excel- ce n'est point sans raison et sans motif que la
lentes vérités qui sont comme d'abondantes sainte Ecriture entre dans ce détail , et nous
richesses. Le propre de ce trésor est d'enrichir apprend que leur vie était exempte de douleur
tous ceux qui le trouvent , et d'être lui-même et de tristesse , et que leur état était presque
inépuisable, parce qu'il s'alimente sans cesse celui des anges. Elle veut qu'en les voyant en-
aux sources de l'Esprit-Saint. Il faut donc que suite dépouillés de tous ces privilèges, et tom-
de votre côté vous reteniez mes explications bés d'une haute opulence dans une profonde
avec soin, et que du mien, je m'efforce devons misère, nous n'attribuions leur chute qu'à leur
lesrendre plus intelligibles, car la grâce est propre négligence. Au reste, il est important
toute prête , et ne demande que des cœurs sur de faire attention à ce passage entier de la
lesquels elle se puisse largement répandre. Au Genèse. Car Moïse a dit d'abord qu'Adam et
reste, l'explication du passage qui vient d'être Eve étaient nus, et qu'ils n'en rougissaient pas.
lu, serabien propre à nous montrer l'immense Ehl comment eussent-ils connu leur nudité,
bonté du Seigneur et son extrême bienveil-
, puisque la gloire céksite les parait comme d'un
lance à l'égard de notre salut. superbe vêtement ! Puis il ajoute que le ser-
Et ils étaient tous deux nus, Adam et la pent était le plus rusé de tous les animaux que
88 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

le Seigneur Dieu avait créés sur la terre , et le le paradis ? Mais, considérez la malice de cet
serpent dit à la femme : Pourquoi Dieu vous esprit artificieux. On dirait qu'il ne veut qu'in-
a-t-il dit: ne mangez pas du fruit de tous les sinuer une bonne pensée, et qu'il n'interroge
arbres qui sont dans le paradis ? la femme sur cette défense que par le motif

Voyez-vous la noire jalousie du ilimon, et d'un tendre intérêt. C'est ce que montre bien
ses embûches multipliées! il ne put soutt'rirque cette parole Pourquoi Dieu vous a-t-il dit
: :

l'homme fût placé dans un rang d'honneur qui Ne mangez pas du fruit de tous les arbres qui
l'égalait presque aux anges. Et en effet, le Psal- sont dans le paradis? » Cet esprit mauvais

miste dit de l'homme Seigneur, vous l'avez :


semble lui dire Pourquoi Dieu vous a-t-il
:

un peu abaissé au-dessous des anges (Ps. viii interdit mie si douce jouissance? et pourquoi
et encore, cette expression, un peu abaissé ne vous a-t-il pas accordé l'usage de tous les
6) ;

serapportc-t-elleà l'état qui a suivi le péché de fruits que produit ce jardin? il ne vous en a
la désobéissance, puisque David parlait après la permis la vue que pour vous en rendre la
chute de l'homme. Le démon voyait donc que privation plus pénible et plus amère. Pourquoi

l'homme était un ange sur la terre, et la vue de Dieu vous a-t-il dit 1 Eh quoi! ajouta-il encore,
son bonheur faisait sécher d'envie cet auteur y a-t-il réellement pour vous avantage d'habiter
de tous les maux. Car lui-même avait fait ce jardin, puisque vous ne pouvez jouir de ses

partie des chœurs célestes mais sa volonté ,


productions ? ou plutôt n'est-ce pas un vérita-
mauvaise grande malice l'avaient préci-
et sa ble supplice que de voir ces beaux fruits, et de

pité du plus haut des cieux. C'est pourquoi ne pouvoir en manger ?


il tenta de rendre l'homme désobéissant, afin Observez comme ces paroles insinuèrent le
que lui faisant perdre la grâce divine, il pût le poison dans le cœur de la femme. Elle devait
dépouiller des biens dont le Seigneur l'avait dès début soupçonner la malice de son inter-
le

enrichi. Comment s'y prit-il? 11 se servit du locuteur, car il lui mentait sciemment, et ne
serpent, qui était le plus rusé de tous les ani- semblait lui porter intérêt que pour con-
maux, ainsi que nous l'apprend Moïse : 0;', le naître le commandement du Seigneur et ,

serpent était plus rusé de tous les animaux


le l'engager ensuite à le transgresser. Eve pouvait
que le Seigneur Dieu avait créés sur la terre. donc apercevoir facilement l'imposture ; et elle

Ce fut l'instrument qu'il mit en œuvre pour devait soudain repousser les paroles de l'esprit
tromper la femme, et pour la séduire par une mauvais et ne point devenir le jouet de sa

insidieuse familiarité, comme étant plus faible malice :mais elle ne le voulut pas. H fallait,
et plus simple que l'homme. Et le serpent dis-je, que dès le principe elle rompît l'entre-
dit à la femme. Cet entretien nous montre tien, et que, désormais, elle se bornât à parler
que dans le principe, ni l'homme, ni la femme à l'homme pour qui seul elle avait été formce,
n'avaient frayeur des animaux, et que ceux-ci et dont elle était la compagne et l'égide, non
reconnaissaient tous leur empire et leur auto- moins que l'aide et la consolation. Mais elle
rité. Les bêtes sauvages et féroces étaient alors se laissa, je ne sais comment engager dans
, ce
aussi soumises que le sont aujourd'hui les funeste colloque , et elle écouta les insidieuses

animaux domestiques. paroles tjue le démon lui athessait par l'organe


2. Ici peut-être me
demandera-t-on si le du serpent. Du moins il lui était aisé de recon-
serpent était doué déraison. Assurément non : naître que ces paroles n'étaient que tromperie
et le sens de l'Ecriture est que ce fut le démon et mensonge , puisqu'elles affirmaient tout le
(jui emprunta son organe, et (jui trompa contraire que Dieu leur avait conuuandé.
île ce
riionune par un effet de sa noire jalousie. Le C'est pouniuoi à linsliuit même elle eût dû
serpent ne fut donc que l'instrument docile de prendre la fuite, rompre toute relation etmau-
sa malice et il s'en servit pour tenler il'abord
, ;:ire cet esprit méchant qui osait censurer les

la fenune, connue étant plus faible , et ensuite ordres du Seigneur. Mais Eve fut si légère et si
pour entraîner ,
par elle, le premier homme. irréfiéchie que, loin de fuir, elle révéla au
Ainsi , il dressa ses embûches par l'intermé- démon le précepte divin, et. selon l'expression
diaire du serpent, et,par son organe, il entra de rE\angile elle jeta des pierres précieuses
,

en conversation avec la femme Pourquoi : devant un pourceau. Ainsi elle agit contre ce
lui demanda-t-il, Dieu vous a-t-il dit : nenmn- commandement du Sauveur : Ae jetez pas
ge::' pas du fruit de tous les arbres qui sont dans vos perles devant les pourceaux, de peur qu'ils
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — SEIZIÈME HOMÉLIE. 89

ne lis foulent mtx pieds , et que se retourriant, dire : Retire-toi, imposteur; tu ignores l'im-
ilsne vous déchirent. (Mallli.
0.) vu, portance du commandement (juinous est fait,
C'est ce qui arriva alors Eve jeta devant le : et lu ne connais ni les biens dont nous jouis-
démon, ce pourceau immonde et cette bête fa- sons , ni l'abondance où nous sommes de
rouche, les perles du précepte divin; et cet es- toutes choses. que Dieu nous a
Tu oses dire
prit mauvais, qui agissait par l'organe du ser- détendu l'usage des fruits de ce jardin mais 1

pent, les foula indignement par ses audacieux tout au contraire, le Dieu créateur a daigné,
mensonges; bien plus, se retournant ensuite dans son immense bonté, nous permettre de
contre la femme
fit tomber, ainsi que
, il la jouir de toutes choses et de manger de tous
l'homme, dans l'abîme de la désobéissance les fruits, àlaréserve d'un seul, qu'il a excepté
tant il est dangereux de révéler indistincte- dans notre intérêt, de peur que nous ne mou-
ment les secrets divins ! Avis à ceux qui cau- rions.
sent de religion indilléremment avec tous ! C'est ainsi que la femme eût dû repousser le

Car Jésus-Christ, dans cet endroit de lEvan- tentateur, et la plus légère prudence lui con-
gile, désigne bien moins des pourceaux vérita- seillait de rompre l'entretien et de ne point le

bles que ces honunes dont les mœurs sont prolonger. Mais, peu contente d'avoir révélé
dépravées, et qui se plongent, comme de vrais au démon le précepte cl le commandement
pourceaux, dans la fange du péché. 11 nous divin , elle prêta l'oreille à ses perfides et dan-
enseigne donc à observer les personnes et les gereux conseils ; la femme avait dit : Nous
mœurs de ceux auxquels nous expliquons les mangeons du fnu't des arbres de ce jardin ;
enseignements de la religion, de peur que ces mais pour le fruit de l'arbre qui est au milieu
entretiens ne nous soient mutuellement nuisi- du jardin, Dieu nous a dit : Ne mangez pas de ce
bles. Car, outre que des esprits de ce caractère fruit et n'y touchez point, de peur que vous ne
ne profitent guère de nos paroles, ils entraî- mouriez; et voilà que l'esprit mauvais lui souffie
nent souvent dans l'abîme ceux qui, sans nulle un conseil tout opposé à celui de Dieu. C'était
discrétion, répandent devant eux ces perles di- par un trait de providence envers l'homme, et
vines. Ainsi, soyons en cela prudents et réser- pour le soustraire à la mort que le Seigneur ,

vés, afin de ne pas nous laisser séduire comme lui avait fait cette défense ; mais le démon dit

nos premiers parents. Car si la femme n'eût à Eve Vous ne mourrez pas. Comment excu-
:

point jeté les perles devant ce pourceau, elle ser une telle imprudence? et comment Eve
n'eût point désobéi elle-même à Dieu et n'eût put-elle prêter l'oreille à un si audacieux lan-
point entraîné l'homme dans son péché. gage? Dieu avait dit Ne mangez point de ce :

3. Mais écoutons ia réponse de la temme. Le fruit, de peur que vous ne mouriez et le dé- ;

tentateur demande pouniuoi Dieu vous a-t-il


: mon ose lui du'e No7i vous ne montrez : ,

dit Ne mangez pas de tous les fruits des arbres


: poitit. En outre il ne lui suffit pas de contre-
,

du Paradis ? et la femme lui répond Nous : dire la parole divine, il accuse encore le Créa-
mangeons du fruit de tous les arbres de ce teur d'agir par esprit de jalousie , et il conduit
jardin mais pour le fruit de l'arbre qui est
; sa fourberie avec tant d'adresse qu'il séduit la
au milieu du jardin^ Dieit nous a dit : N'en femme et réalise ses iniques projets. Non, vous
mangez point et ri y touchez poijit, de peur que ne mourrez point, dit-il, mais Dieu sait que le
vous ne mouriez. Voyez-vous la malice du dé- jour où vous aurez mangé de ce fruit, vos yeux
mon ? il avait avancé un mensonge, afin d'en- s'ouvriront et que vous serez comme des dieux,
gager la conversation et d'apprtndre ainsi connaissant le bien et le mal. (Gen. ni, 5.)
quel était le commandement du Seigneur. Et, Voilà donc l'appât funeste et le poison mor-
eu effet, la femme trop confiante en sa préten- tel que le démon présente à la femme, et celle-
due bienveillance, lui découvrit, avec le pré» ci ne soupçonne pas le danger, quoique, dès le
cepte, toute l'économie des décrets divins; principe, il lui soit bien facile de le reconnaître.
mais elle s'enleva ainsi tout moyen de défense. Mais en apprenant que si Dieu leur avait fait
Eh que pouviez-vous, ô fen^.me, répondre à
! cette défense, c'était parce qu'il savait que
une telle parole Le Seigneur a dit : Ne man-
: leurs yeux seraient ouverts, et qu'ils seraient
gez pas de tous les fruits des arbres du Pa- eux-mêmes comme des dieux, connaissant le
radis ?\ous deviez soudain chasser cet insolent, bien et le mal, elle s'enorgueillit de celte flat-
qui osait parler lulrement que Dieu, et lui teuse espérance et conçut de superbes pensées.
00 TRADUCTION FMiNÇ/VISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

l'arlifice du démon
Tel est aujourd'hui encore : ouverts, et connurent qu'ils étaient nus.
ils

ilnous élève par ses trompeuses suggestions Qu'avez-vous ô femme Cédant à de per-
fait, !

et nous laisse ensuite tomber dans un pro- fides conseils, vous avez foulé aux pieds la loi

fond abîme. C'est ainsi qu'Eve, rêvant déjà l'é- du Seigneur et méprisé ses commandements !

galité avec Dieu, se hâta de cueillir le fruit dé- Eh quoi par un excès d'intempérance, l'usage
!

fendu ; ses yeux, son esprit et son cœur s'y de tous ces fruits si nombreux et si variés ne
arrêtèrent fixement et elle ne songea qu'à épui- vous a pas suffi, et vous avez osé cueillir celui-
ser la coujjc empoisonnée que le démon lui là même dont Dieu vous avait défendu de

avait préparée. Telles furent certainement ses manger! Enfin, vous avez ajouté foi aux pa-
dispositions depuis l'instant oii elle écouta les roles du serpent, et vous avez estimé ses con-
pernicieux conseils du démon, et l'Ecriture seils plus salutaires que les ordres du Créateur !

nous l'atteste. Car femme, dit-elle, vit que


la Hélas ! votre présomption rend ce crime irré-
le fruit était bon à manger, et beau à voir, et missible. Mais celui qui vous parlait était-il

dun aspect délectable; et elle en prit et en votre égal ? Non, sans doute ; c'était un de vos
mangea. sujets il vous était soumis et il était votre
:

Véritablement, comme le dit l'Apôtre, les esclave.Pourquoi donc vous dégrader jusqu'à
mauvais entretiens corrompent les bonnes abandonner l'homme pour qui vous avez été
mœurs, (l Cor. xv, 33.) Eh d'où vient qu'avant
1
formée et dont vous avez été créée l'aide et la
le conseil du démon, la femme n'avait point eu consolation? Vous partagez la dignité de sa
de pareilles pensées, et qu'elle n'avait ni fixé par- nature et la noblesse de sa parole, et vous avez
ticulièrement cet arbre, ni considéré la beauté bien pu causer familièrement avec le serpent,
de son fruit? c'est (ju'elle respectait la défense qui devenu l'organe du démon, vous a insinué
du Seigneur, châtiment
et qu'elle redoutait le des conseils manifestement contraires aux
dont il menaçait Mais dès
sa désobé'ssance. ordres du Seigneur. A ous deviez le repousser ;

qu'elle eut écouté cet esprit pervers et méchant, mais, flattée de ses vaines promesses, vous
elle crut et qu'ils n'avaient rien à craindre en avez cueilli le fruit défendu.
mangeant du fruit défendu, et que môme ils Eh vous avez voulu vous préci-
bien, soit !

deviendraient égaux à Dieu. Cette espérance piter dans l'abîme et descendre du faîte des

l'excila donc à cueillir le fruit, et, se flat- honneurs mais pourquoi entraîner votre
;

tant de s'élever au-dessus de l'humanité, elle époux dans le même malheur? Vous deviez
ajouta plus de foi aux perfides insinuations être son secours, et vous lui tendez des em-

de l'ennemi de notre salut qu'aux paroles de bûches. Quoi pour un misérable fruit, vous
1

Dieu. Mais son expérience lui apprit bientôt perdez l'un et l'autre la grâce et l'amitié de
les funestes suites de ce pernicieux conseil et Dieu Quelle étrange folie vous a inspiré cette
I

les eUVoyables malheurs qui allaient l'enve- audace? Ne vous suffisait-il pas tle mener une
lopper. Car, dès qu'elle vit, dit l'Ecriture, que vie douce et d'être revêtue d'un corps, sans eu
le fruit était bon à manger, et beau à voir, et éprouver les faiblesses ? Vous jouissiez de tous
d'un aspect délectable, elle suivit l'impulsion les fruits du paradis terrestre, à l'exception

de l'esprit mauvais qui lui parlait par l'organe d'un seul, et, reine de l'univers, vous com-
du ser|)ciit, et raisonna ainsi en elle-même : mandiez à toutes les créatures ; et voilà que,
Si ce fruit paraît bon à manger, s'il charme le séduite par de vaines promesses, vous vous
regard et s'il est d'ini aspect délectable, et s'il flattezde vous élever jusqu'aux honneurs su-
doit,en outre, nous élever aux suprêmes hon- prêmes de la divinité lielas! ^(nlsapl)rendrez !

neurs et nous rendre aussi grands que le par une dure expérience ipie. loin d'obtenir
Créateur, pounjuoi hésitcrais-je aie cuoillir? ces biens si enviés, vous perdrez, vous et votre
^. Voyez-vous avectjuel art le dênioii captiva époux, tous ceux dont le Seigneur vous avait
la femme, et comment il troubla sa raison ? comblés. Mais, lorsque le repentir aura rendu
Elle osa donc porter ses espérances au-dessus votre ilouleur profonde et amère. l'esprit mau-
de sa condition, et l'orgueilleux espoir d'obte- vais qui vous a suggéré ce funeste conseil rira

nir des biens imaginaires lui lit perdre ceux de vos maux
il insultera à votre chute et
;

qu'elle possédait réellement. Wm'x, clic prit ce de vous avoir entraînes dans son
s';i[>plaudira

fruit et en mangea, et elle en donna à son malheur. Car c'est parce que, enflé d'orgueil,
mari, et ils en mangèrent, et lettrs yeux furent il a voulu s'élever au-dessus de sa condition,
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — SEIZIÈME HOMÉLIE. 91

qu'il a été dépouilléde sa dignilé et précipité gage ordinaire, qu'ils en mangèrent, et que
du cifil sur et de mèm«! il a voulu
la terre; leurs yeux furent ouverts, et qu'ils cowîia-ent
vous faire encourir, par votre dc'sobùissancc, qu'ils étaient 7ms. Oui, le péché, en les dé-
l'anathème de la mort, et satisfaire ainsi sa pouillant de la grâce céleste, leur donna le
noire jalousie, selon celte parole du Sage : sentiment de leur nudité; en sorte que cette
Par l'envie de Satan, la mort est entrée dans honte qui les saisit soudain leur lit voir dans
riifu'vers. (Sag. ii, 24.) quel abîme leur désobéissance les avait préci-
La femme prit donc du fruit et en donna à pités. Avant cette dést^bôissance, ils vivaient
so)i mari; et ils en mangèrent, et leurs yeux dans une parfaite sécurité ei ne se doutaient
furent ouvei'ts. Combien riiomnie fut cou- pas qu'ils étaient nus; du reste, ils ne l'étaient
pable! car, quoique la femme fût une portion point, puisque la gloiie céleste les couvrait
de sa substance et me me son épouse, il devait bien mieux que tout vêtement. Mais, quand
préférer le précenlc du Seigneur à ses vains ils eurent mangé du fruit défendu et qu'ils
désirs, et ne point se rendre complice de sa eurent ainsi violé le précepte du Seigneur, ils

désobéissance. Un plaisir si frivole méritait-il furent réduits à une si profonde humiliation


qu'il se privât lui-même des plus excellents que le sentiment de la honte les porta à cher-

avantages, et qu'il otTcnsût le Maître qui l'avait cher un voile à leur nudité. C'est que la trans-
enrichi de tant de biens et qui lui avait accordé gression du préce[»te divin les avait dépouillés
une existence exempte de douleurs de fati-
et de la gloire et de la grâce céleste qui les revê-
gues? Est-ce ne lui étiit
qu'il pas permis de taient comme d'un splendide vêtement; et, en
jouir abondamment de tous ks fruits du pa- leur faisant connaître leur nudité, elle les avait
radis terrestre? Pourquoi donc, ô homme! pénétrés d'un vif sentiment de honte.
n'as-tu pas voulu, et toi aussi, observer celte Et ils entrelacèrent des feuilles de figuier et
légère défense? C'est que, sans doute, tu ps s'en firent des ceintures. Mesurez, mon cher
connu par ton épouse promesse de l'esprit
la frère, je vous y invite, la profondeur de l'a-

tentateur; et soudain, enflé de la même p"é- bîme où, du faire de la gloire, le démon fit

somplion, tu as mangé du fruit dcfcndu. Aussi tomber nos premiers parents. Naguère ils

tous deux screz-vous cruellement punis et étaient revêtus d'un éclat céleste, et mainte-
apprendrez-vous, par une dure expérience, nant i's sont contraints d'entrelacer des feuilles
qu'il valait mieux obéir à Dieu que suivre les de figuier et de s'en faire des ceintures. Tel fut
conseils du démon. le résuliat des tromperies du démon et des

5. La femme prit donc le fruit et en donna embûches qu'il leur tendit. Certes, il ne se
à son mari, et ils en mangèrent; et leurs yeux propos.iit point de leur procurer quelques
furent ouverts, et ils connurent qu'ils étaie>it avantages nouveaux, mais il ne voulait que
nus. Ici se présente la question importante les dépouiller de ceux qu'ils possédaient, et les
dont je vous parlais hier; car on peut dehian- réduire ainsi à une honteuse nudité. Et, parce
der avec raison quelle vertu avait cet arbre, que leur désobéissance eut pour occasion le
dont le fruit ouvrait les yeux de ceux qui tn fruit défendu, l'Ecriture dit qu'ils en man-
mangeaient, et pourquoi il est app? lé l'arbre gèrent et que leurs yeux furent ouverts, ce (pii
de la science du bien et du mal. Attendez un doit s'entendre de la perception de l'esprit bien
peu, s'il vous plaît, et je satisferai votre juste plus que de l'organe de la vue; car, après leur
curiosité. Et d'abord, observons qu'une étude péché, Dieu leur fit ressentir des impressions
droite et éclairée des saintes Ecritures en résout que, par r,n effet de son exlrême bonté, ils
facilement les difficultés. Ainsi, ce n'est point ignoraient auparavant. Cette expression leurs
précisément parce qu'Adam et Eve mangèrent yeux furent ouverts signifie que Dieu leur fit
de ce fruit que leurs yeux furent ouverts, sentir la honte de leur nudité et la privation
puisque auparavant ils avaient l'usage de la de la gloire dont ils jouissaient. Au reste, ce
vue ; mais, parce que cet acte d'intempérance langage est ordinaire à l'Ecriture, comme le
était même temps un acte de désobéissance
en prouve cet autre passage de la Genèse Agar, :

aux ordres du Seigneur, on lui attribue la pri- esclave fugitive, errait dans le désert, et, ayant
vation de la gloire (jui les entourait et dont ils placé son enfant sous un palmier, elle s'éloigna
s'étaient eux-mêmes rendus indignes. pour ne point le voir mourir. Alors, Dieu lui
C'est pourquoi l'Ecriture dit, selon son lan- ouvrit les yeux. (Gen. xxi, 19.) Ce n'est pas
92 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

qu'elle ne TÎt c'est que Dieu


auparavant^ mais d'avec le mal? Mais il n'est pas moins vrai,
éclaira son inlelligence; en sorte que ce mot dire/.-vous ,
que cet arbre est nommé dans
ouvrit doit s'entendre plutôt de l'esprit que de l'Ecriture l'arbre de la science du bien et du
l'organe de la vue. mal. J'en conviens; et toutefois il suffit d'être

Je donnerai lamême solution à une seconde un peu familiarisé avec le style de l'Ecriture
difficulté.Car quelques-uns disent pourquoi : pour se rendre compte de cette expression. Il a
cet arbre est-il appelé l'arbre de la science du été ainsi appelé, non qu'il ait donné à l'homme
bien et du mal ? Et l'on en voit même qui s'opi- la science du bien et du mal, mais parce qu'il a
qu'Adam n'eut le discer-
niàtrent à soutenir été l'occasion de sa dé.-obéissance et qu'il a in-
nement du bien et du mal qu'après avoir troduit la connaissance et la honte du péché. Et
mangé du fruit de cet arbre, mais c'est une en eîlet. souvent l'Ecriture désigne les faits par
pure extravagance. Déjà même, et comme pour les circonstances qui les accompagnent; et

y répondre par avance, j'ai parlé longuement comme cet arbre devait être pour l'homme une
de la science infuse d'Adam or, cette science ; occasion de péché ou de mérite, elle l'appela
se révéla par la justesse des noms qu'il imposa l'arbre de la science du bien et du mal.
à tous les oiseaux et à tous les animaux, et par Le Seigneur voulut dès le principe faire con-
le don de propbétie qui en fut le radieux cou- naître à l'homme que le Dieu qui avait créé
ronnement. On ne saurait donc affirmer que l'univers lui avait aussidonné l'être. Il lui fit
celui qui nomma tous animaux, et qui
les donc ce léger commandement afin qu'il re-
énonça au sujet de la femme une si admirable connût son titre de Maître et de Seigneur. C'est
prophétie, ignorât le bien et le mal. D'ailleurs ainsi qu'un généreux propriétaire qui accorde
une telle supposition ferait, ce qu'à Dieu ne à son intendant l'usufruit d'un magnifique pa-
plaise ! rejaillir sur Dieu même un horrible lais en exige une légère redevance comme
, ,

blasphème. Car eût-il pu donner des ordres à témoignage de son droit de propriété. L'inten-
l'homme, si celui-ci eût invinciblement ignoré dant sait ainsi que ce palais ne lui appartient
que la désobéissance était un mal? Mais il n'en point, et qu'il n'en jouit que par la bouté et la
a pas été ainsi ; et Adam savait parfaitement libéralité de son maître. Et de même le Créa-
bien ce qu'il faisait, puisque dès le principe il teur, qui avait établi l'homme roi de la nature,
posséda le libre arbitre. Dans le cas contraire, et qui l'avait placé dans le paradis terrestre
sa désobéissance n'eût pas été plus digne de dont il jouissait pleinement, voulut éviter que,
châtiment que sa soumission de louange. Il séduit par ses propres pensées, ne crût que il

est au contraire évident, et par les paroles l'univers existait par lui-même
et qu'il ne ,

mêmes du précepte, et par la suite des événe- s'enorgueillît de sa supériorité. C'est pourquoi
ments que
l'acte seul de leur désobéissance
,
il lui interdit le fruit d'un seul arbre, et le
soumit nos premiers parents k la mort. C'est menaça, en cas de desobéissance, des plus
ce que la femme elle-même dit au serpent : graves châtiments, pour l'obliger à reconnaître
Pour le fruit de V arbre qui est au milieu du un Maître, et à proclamer qu'il tenait tous ses
jardin^ Dieu a dit : N'e?t mangez point, de peur avantages de sa pure libéralité. Mais la pré-y
que vous ne mouriez. Ainsi avant leur péché ils somptueuse témérité d'Adam le précipita avec
étaient immortel, autrement leur prévarica- Eve dans une ruine effroyable ils transgres- ;

tion n'eût pu être punie du supplice de la sèrent le commandement, et mangèrent du


mort. fruitdéfendu. Voilà pourquoi cet arbre a été
6. Peut-on donc soutenir que c'est en man- appelé l'arbre de la science du bien et du mal.
geant du fruit défendu que l'homme acquit la Ce ne connussent auparavant le
n'est pas qu'ils

connaissance du bien et du mal? Mais n'avait- bien et mal, comme le prouvent ces paroles
le

il pas déjà cotte connaissance , lui qui était de la femme au serpent Dieu nous a dit : Ne :

rempli de sagesse et orné du don de prophétie ? mangez point de ce fruit de peur que vous ne ,

et comment pourrait-on raisonnablement ad- mouriez. Ils savaient donc bien que la mort
mettre (jue les chèvres, les brebis et les autres serait la punition de leur désobéissance aussi ;

animaux herbivores savent ilislinguer les |>lantes est-ce après avoir mangé du fruit défendu qu'ils

utiles des plantes nui>il)les pour brouter les fir cul dépouillés de leur vêtement de gloire, et

unes et s'éloigner des autres, cl que riiomnie, qu'ils ressentirent la honte de leur nudité. Cet

doué de raison, ne sût pas discerner le bien arbre est donc appelé l'arbre de la science du
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — SEIZIEME HOMÉLIE. 93

bien et du mal parce qu'il élail destiné à arbre a introduit la mort dans le monde, car la
,

éprouver leur obéissance. mort a suivi le péché , et que le second nous a


Vous comprenez maintenant dans quel sens rendus à l'immortalité. L'un nous a chassés du
l'Ecriture dit que leurs yeux furent ouverts^ et paradis, et l'autre nous a ouvert l'entrée du
qiiils connurent qu'ils étaient nus. Vous com- ciel. Celui-ci a fait peser sur Adam pour une ,

prenez également pouniuoi cet arbre a été seule faute, le dur fardeau des misères hu-

ai)pclé l'arbre de la science du bien et du mal. maines, et celui-là nous a délivrés du poids de
Mais appréciez, s'il est possible, quelle fut leur nos péchés, et nous a donné une douce et
bonté, lorsiiu'après avoir man^^é du fruit dé- pleine confiance au Seigneur.
fendu, et transgressé le précepte du Seigneur, Armons-nous donc, mes frères, je vous en
ils entrelacèrent des feuilles de figuier et s'en conjure, armons-nous delà vertu de ce bois
firent des ceintures. Voyez comme du faîte de vivifiant, et par son secours, mortifions les af-

la gloire ils furent précipités dans la plus pro- fections mauvaises de nos âmes. Tel est le con-
fonde bumiliation Ceux qui auparavant vi-
! seil il nous dit que ceux qui
de l'Apôtre, quand
vaient sur la terre comme des anges, en sont appartiennent à Jésus-Christ ont crucifié leur
réduits à se couvrir de feuilles de figuier, tant chair avec ses passions et ses désirs déréglés.
le pécbé est un grand mal Car il nous prive
1 (Gai V, 24.) Le sens de cette parole est que ceux
d'abord de la grâce et de l'amitié divine, et qui se sont entièrement dévoués à Jésus-Christ
nous couvre ensuite de bonté et de confusion. ont dompté cette concupiscence de la chair qui
Bien plus, après nous avoir dépouillé des biens ne tend qu'à corrompre en nous les opéra-
que nous possédions, il nous ôte jusqu'à l'espé- tions de l'esprit. Imitons ces généreux chrétiens,
rance de les recouvrer. et à leur exemple réduisons notre corps en ser-

Mais je me reprocherais de terminer cet en- vitude, alîn que nous puissions résister aux
tretien par les si tristes considérations que me suggestions de l'esprit mauvais. Ce sera aussi
fournit l'intempérance de rbomme,sa déso- le moyen le plus assuré de traverser heureu-
béissance et sa chute. C'est pourquoi , s'il vous sement la mer orageuse de la vie présente , et

plaît, à l'occasion de cet arbre, je parlerai de d'aborder au port tranquille du salut. Puis-
l'arbre de la croix, et aux maux que le premier sions-nous ainsi obtenir les biens que Dieu a
a enfantés, j'opposerai les biens que le second promis à ceux qui l'aiment en Jésus-Christ
nous a produits. Toutefois ce n'est point pro- Notre-Seigneur, à qui soit la gloire, avec le
prement l'arbre qui a causé ces désastres, mais Père et l'Esprit-Saint, maintenant et toujours,
la volonté de l'homme [)écheur et son mépris et dans tous les siècles des siècles I Ainsi soit-il.

du précepte diviu. Je dirai donc que le premier


HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — QUINZiÈWE HOMÉLIE. n
qui lui fût semblable. Maintenant elle va nous d'interpréter ces paroles d'une manière touto
apprendre que Dieu forma la femme de la humaine, et ne voyons, dans leur humble sim-
substance même de l'homme. Et le SeiQueur plicité, qu'une pure condescendance envers
Dieu^ àMéWe, envoya à Adam un profond som- notre infirmité. Car si l'Ecriture ne se fût
meil, et pendant qu'il dormait il prit une de , ainsi exprimée comment aurions-nous pu
,

ses côtes etmit de la chair à la place. Et le comprendre ces profonds mystères? Arrêtons-
Seigneur Dieu produisit la femme de la côte nous donc bien moins au sens littéral, qu'a
qu'il avait ôtée à Adam et V amena devant des pensées dignes de Dieu. Ainsi cette pa-
Adam. (Gen. 21, 22.) L'énergie de ces paroles role Et Dieu prit et toute autre semblable
:

estgrande, et elles surpasseiit l'intelligence de ne sont que pour se proportionner à notre


l'homme. C'est pourquoi l'on ne saurait les faiblesse. Au reste, l'Ecriture emploie ici les
comprendre qu'en les approfondissant avec mômes expressions dont elle s'était servie en
l'œilde la foi. parlant d'Adam. Elle avait dit précédemment :

Dieu, dit Moïse, envoya à Adam un profond Le SeiQueur Dieu prit l'homme; le Seigneur
sommeil , et pendant qu'il dnrmait. Quelle Dieu fit à Adam ce commandement ; et encore :

exactitude de doctrine et quelle sublimité de Le Seigneur Dieu dit : Faisons-lui une aide qui
langage L'écrivain sacré
! ou plutôt l'Esprit-
, qui lui soit semblable. De même ici elle dit :

Saint, par sa plume, nous apprend ici deux Le Seigneur D^':u forma la femme de la côte
choses, le profond sommeil d'Adam et les , à Adam; et un peu auparavant
qu'il avait ôlée
suites de ce somm.eil. Mais ce sommeil ne res- elle avait ditEt le Seigneur Dieu envoya à
:

semblait en rien au sommeil ordinaire. Car le Adam un profond sommeil. Ainsi ces expres-
Dieu créateur, sage et puissant voulait éviter , sions n'indiquent aucune différence entre le
qu'Adam moindre douleur
ressentît la de ,
Père et le Fils, et l'Ecriture les emploie indiffé-
crainte que ce souvenir pénible ne l'aigrît remment, parce que ces deux personnes di-
contre la femme qui devait être formée d'une vines n'ont qu'une seule et même nature.
de ses côtes. C'est pourquoi il hu envoya un pro- Aussi retrouvons-nous même façon de s'ex-
la
fond sommeil, ou plutôt un profond assoupis- primer quand de la formation de la
il s'agit
sement qui le priva de l'usage de ses sens. femme Et le Seigneur Dieu forma la femme
:

Alors, le Seigneur, comme un habile ouvrier, de la côte qu'il avait ôtée. à Adam.
ôta à Adam une de ses côtes, mit de la chair en Que diront ici les hérétiques, qui veulent
sa place , de
et la côte enlevée forma dans sa tout examiner curieusement, et qui se flalltnl
bonté le corps de la première femme. Il envoya de connaître même la génération du Créateur?
donc à Ad'im un profond sommeil, et pendant Mais quelle parole expliquerait ce mystère ! et
qu'il dormait.) il lui enleva une de ses côtes, et quelle inte'ligence pourrait le comprendre
il mit de la chair à la place. C'était pour qu'à Le Seigneur, dit l'Ecriture prit une des cô'es ,

son réveil Adam ne s'apc rçùt pas de ce qui d'Adam, et de celte seule côte il forma la
était arrivé. Car il devait plus tard en être ins- femme tout entière. Eh qourquoi ne parliT !

truit, quoique dans le inomrnt même il n'en que de ce second miracle".' Car dites-moi d'a-
eût aucune connaissance. Aussi le Seigneur bord couïment Dieu ôla celle eôte,el connuent
disposa-t-il toutes choses afin de lui ôter tout Adam ne ressentit aucune douleur ? Ce sont au-
sentiment de douleur et de tristesse. Il enleva tant de mystères que vous ne sauriez expliquer,
donc une de ses côtes sans qu'il en ressentît et (jue le Créateur seul qui les a opérés ptut
aucune souffrance, et il mit de la chair à la comi>rendre. Mais puisque nous ne pouvons
place, i)Our qu'il ne s'aperçût de rien. Or c'est concevoir des choses qui sont sous nos yeux,
«le celle côle que Dieu forma la femme. Récit ni comprendre la création de la fennuc (jui a
admirable, cl «ini surpasse de b^aucouii l'in- été formée de la substance de l'homme, il n'a|v
telligence de l'homme. Au reste, tel est le ca- parlient qu'au délire et à la folie de rechercher
ractère de toutes les œuvres de Dieu; et ce curieusement l'essence du Créateur, et de se
n'est pas ici un moindre miracle (]ue d'avoir vanl<'r d'en avoir l'intelligence. Les esprit^ cé-

formé Adamd'un peu de poussière et de boue. lestes ne peuvent cnx-mèmes sonder cet abîme,
Mais observez encore comme l'Ecriture s'ac- et ils se contentent de glorifier le Seigneur
commode à notre laiblesse. Et Dieu dit-elle,' , avec crainte et tremblement.

prit une des cotes d'Adam. Gardons-nous bien J. Et le Seigneur Dieu produisit la fenwie
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — DIX-SEPTIÈME HOMÉLIE. 05

nous devons considérer avec quelle condescen- science est de nous rappeler nos fautes et de
dance l'Ecriture se proportionne à notre fai- protester contre leur coupable oubli; elle nous
blesse, et donner à ces i)aroles un sens digne en |)résente donc le tableau, ne serait-ce que
de Dieu et de notre salut. Et, en effet, ces pa- pour nous retenir et nous empêcher d'y re-
roles prises à la lettre seraient indignes de tomber. Et cependant, malgré ra[»pui et le se-
Dieu, et n'offriraient-elles pas, je vous le de- cours de la conscience, et malgré ses reproches
mande, un sens absurde? Car que lisons-nous violents et les remords qui déchip.'nt notre
dans ce passage de la Genèse ? Ils entendirent cœur, et qui sont pour notre âme auta^^ de
la voix du Seif/nenr, qui s'avançait dans le cruels bourreaux , la plupart des hommes ne
du jour, et ils se cachè-
jardin, après le milieu peuvent vaincre leurs passions aussi dans ;

Que dites-vous, ô Moïse? est-ce que Dieu


rent. quel abîme ne tomberions-nous pas, si elle
marche? croirons-nous (ju'il ait des pieds, et n'existait point? Ce furent donc les reprotlies
n'aurons-nous de lui aucune idée plus sublime? de la conscience qui révélèrent à nos premiers
mais comment marcherait Celui qui remplit du Seigneur et soudain ils
parents l'approche ;

l'univers de sa présence ? et comment Celui Pourquoi le firent-ils? je vous le


se cachèrent.
dont le ciel est le trône et la terre le marche- demande. Parce que la conscience, comme un
pied serait-il renfermé dans l'espace d'un jar- accusateur sévère, leur reprochait leur crime.
din ? 11 faudrait être insensé pour le dire. Que Et en effet, ils n'avaient d'uutre censeur, ni
signifient donc ces paroles : Ils entendirent la d'autre témoin de leur péché que celui qu'ils
voix du Seigneur, qid s'avançait da?is le jar- portaient en eux-mêmes ; toulc fois aux rciiro-
din, vers le milieu du jour ? Elles nous appren- ches de la conscience se joignait encore la pri-

nent que Seigneur voulut leur faire sentir


le vation de la gloire qui les revêtait. Ainsi, le

leur faute en les amenant à une extrême an- senlitnent de leur nudité les avertissait de la
goisse d'esprit et de cœur. C'est ce qui arriva ; grièveté de leur faute , et, parce qu'ils fuient
car ils furent tellement saisis de honte, qu'à saisis de honte à la suite de leur grave déso-
l'approche de Dieu ils se cachèrent. Ils avaient béissance, tentèrent de se cacher. Ils enten-
ils

donc , à la suite de leur i)éché et de leur déso- dirent, dit l'Ecriture, lavoix du Seigneur Dieu,
béissance , connu le remm'ds et la confusion. qui s'avançait dans le jardin après le milieu ,

Et, en effet, ce juge incorruptible, que nous du jour; et Adam et son épouse se cachèrent
nommons la conscience , se soulève contre parmi les arbres du paradis, pour éviter la
l'homme et l'accuse à haute voix ; il lui met présence de Dieu.
ses péchés devanten représente
les yeux et lui Rien n'est donc plus funeste que le péché,
toute la grièveté. Voila pourquoi Dieu, en mestrès-chers frères, car, dès que l'homme le
créant l'homme, établit au dedans de lui- commet, il le remplit de confusion, et il rend
même ce censeur qui ne se tait jamais et insensés ceux qui brillaient auparavant par la
qu'oji ne sautait tromper. Sans doult% on peut solidité du jugement. Ehl voyez Adam 1 c'est

dérober ses fautes et ses crimes à la connais- la conduite d'un insensé; et cependant il était

sance des hommes, mai^ il est impossible de doué du don de de cette haute
i)ropliétie et

les cacher à la conscienc et, en quelque lieu ;


sagesse qui avait éclaté dans ses œuvres. Mais
que se transporte le couj able il porte en lui- , il entend la voix du Seigneur qui s'avançait

même cette conscience q'ii l'accuse, le trouble, dans le jardin, et il se cache, ainsi que son
le déchire ne se reposa jamais. Elle s'attaque
et épouse, parmi les arbres du paradis, pour évi-
à lui dans l'intimité du f. yer dome^iique sur , ter la présence de Dieu. N'est-ce pas là un trait

le forum et dans les réuuions publiques et le , véritable de folie? Quoi! Diei est présent par-
poiu'>iiil durant les festin'^, pendant son som- tout, il du néant toutes les créatures, et
a tiré
meil et à son réveil. Elle ne cesse ainsi de lui nulle n'est cachée à ses yeux; il a formé le
demander compte de se^ fautes, et de lui en cœur de l'homme, et il en connaît toutes les
rem'.itre sous les yeux 1; grièveté et le chàti- secrèîes affection^; il scruîe les nins et les

niuii'. un charilabl- médecin se rend as-


Tel , cœurs, pénètre jusqu'aux plus intinîcs
et il

sitîn auprès d'un malan-, et, mnlgré ses re- pensées de l'àme. Et vodà celui aux regards
buts, persiste à lui ollnr ses remèdes et ses duque' Adam et Eve tentent de se cacher. Mais
bon& oflices. ne vous en étonnez point, laon cher ficre :

2. Au reste, le principal devoir de la cou- telle est la méthode du pécheur. Il sait bien
96 TRADUCTION FRANÇAISE HE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

ne peut éviter la présence de Dieu, et ce-


qu'il lui les coupables et les soumet à la torture, un
pendant il essaye de s'y soustraire. frisson de terreur saisit les spectateurs. Tous
La conduite de nos premiers parents eut veulent entendre les demandes du juge et les
aussi pour principe la honte qui les saisit, réponses des accusés. Quelles seront donc nos
lorsque le péché les eut dépoiiillés de leur glo- pensées, lorsqu'on notre présence, le Dieu,
rieuse immortalité. C'est ce que prouve lechoix créateur de l'univers, va entrer en jugement
même de leur retraite, puisqu'ils se cachèrent avec ses créatures! Et toutefois vous observerez
parmi les arbres du paradis terrestre. Les ser- combien, même ici, la clémence divine l'em-
viteurs friponsou paresseux cherchent, sous porte sur la sévérité des juges de la terre.
l'impression de la crainte et du châtiment, à Le Seigneur Dieu appela donc Adam, et lui
se cacher dans tous les coins de la maison dit: Adam, où es-tu ? Dans cette interrogation
quoiquils sachent bien qu'ils n'éviteront point elle-même, nous trouvons une niarque éton-
l'œil d'un maître irrité. Et de même Adam et nante de la suprême bonté de Dieu non-seu- ;

Eve, ne sachant où se réfugier, couraient çà et lement il appelle Adam, mais il l'appelle lui-
là dans le paradis terrestre. Ce n'est pas non même, en personne or c'tst ce que dédaignent
;

plus sans raison que l'Ecriture désigne Ihcure : de faire les juges de la terre pour les coupables
Jls entendirent, dit- elle, la voix du Seigneur qui sont hommes comme eux et de la même
Dieu qui s'avançait dans le jardin , après le nature qu'eux. Vous savez en effet que lors-
milieu du jour. Elle veut ainsi nous faire con- qu'assis sur leur tribunal, nos juges font rendre
naître l'extrême bonté du Seigneur. Il ne dif- compte aux malfaiteurs de leur conduite, ils
féra donc pas un seul moment à secourir ne leur adressent pas directement la parole,
l'homme pécheur, et, dès qu'il le vit tombé, il mais qu'ils se servent d'un intermédiaire qui
se hâta d'accourir du premier coup d'œil il
; communique à l'accusé les questions du juge
sonda toute la profondeur de sa blessure, et et au juge les réponses de l'accusé on en use ;

pour en prévenir les suites et les progrès, il ainsi à peu près partout pour faire sentir aux
s'empressa d'y porter un bienfaisant appareil. malfaiteurs jusqu'à quel j>oiiît ils se sont dé-
C'est ainsi (|ue sa bonté ne lui permit i)as de gradés en commettant le crime. Dieu n'agit
laisser, même un seul instant, l'homme privé pas de même, il interroge directement Le :

de tout secours. Seigneur Dieu appela donc Adam et lui dit :


L'ennemi de notre salut avait donné un libre Adam où cs-tu ? Ces quehjues mots ren-
,

c jurs à sa rage; et parce (|uil enviait à l'homme ferment une grande énergie de pensées. Car
les biens qu'il possédait, il lui avait tendu des d'abord c'était en Dieu une immense et inef-
pièges pour le faire déchoir de cet heureux fable bonté que d'appeler lui-même ce grand
état. Mais le Seigneur, dont la providence et la coupable qui rougissait de honte, et qui n'osait
sagesse règlent nos destinées, a vu et la mali- ni ouvrir la bouche, ni articuler une seule [pa-
gnité du démon et la faiblesse de l'homme : role. Oui, rinterroger, et lui donner ainsi l'oc-
c'est cette faiblesse (jui fit coder celui-ci aux insi- une infi-
casion d'implorer son pardon, atteste
nuations de son é|)ouse et tomber dans le hon- nie miséricorde. Adam, où es-tu? Oh! que
teux abîme du péché. Aussi le Seijiueur paraît-il celte seule question est à la fois pleine de force
soudain, et, comme un juge bon et indulgent, el de douceur! C'est comme si Dieu lui eùldit:
il s'asseoit sur son tribunal, qu'environnent la Qu'e>t-il donc arrivé? Je t'avais laissé dans un
crainte et l'horreur, et il instruit l'atfaire avec état, et Je te retrou^e dans un autre. Je t'avais
la |>lus grande allenliou. 11 nous apprend ainsi laissé retrouve dans
revêtu de gloire, et je te
à ne point condanmer nos frères sans avoir bien une honteuse nudité. Adam, où es-tu ? quelle
examiné leur conduite. est donc la cause de ton malheur? et qui l'a
3. Etoulons donc, s'il vous plaît, ce solennel plongé dans cet abîme de maux ? quel est le
interrogatoire demandes du Juge et les
: les scélérat ou le voleur qui l'a enlevé tous tes
réponses des coupables, la senlmce qui les biens, et qui l'a réduit à cette extrême indi-
frappe, et la condamnation du tentateur (|ui gence ? qui t'a fait connaître la nudité ,

leur a tendu ces perfiiles embûches. Mais ap- et t|ui t'a dépouillé de ce splendide vête-
poitcz ici toute votre attention, et frémissez ment dont je l'avais revêtu? quel changement
en jugement. Lorsqu'un juge
assistant à ce subil I et (juelle tempête a soudain englouti
morlcl se place sur son tribunal, cite devant tputes les richesses? qu'as-tu donc fait, que tu
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — DIX-SEPTIÈME HOMÉLIE. 97

TGuillos éviter celui qui t'a comblé dos plus lui eût dit : est-ce que je t'avais étroitement
grands bic'ifaits cl (jui l'a élevé à tant d'hon- restreint l'usage des fruits ? ne de ce jardin
neur? et que crains-tu, pour chercher ainsi à au contraire placé au sein d'une
t'avais- je pas

te cacher? est-ce qu'un accusateur le poursuit, riche abondance ? et ne t'avais-je pas aban-
et que des témoins le confondent? endn, d'où donné tous les fruits du paradis terrestre, à
\ient celle crainte et celte terreur? l'exception d'un seul? Celte défense n'avait
Mais Adam répondit : fai ente?idu votre pour but que de te rappeler que lu avais un
voix dans le jardin, et, comme J'étais nu, j'ai Maître, et que tu devais lui obéir. Elle est donc
été saisi de crainte, et je me sais caché. (Gen. insatiable celte intempérance, qui, peu satis-
m, 10.) Alors Dieu lui dit : Ehl qui t'a appris faite de tant de biens, ne s'est point abstenue de

que lu étais nu? quel est ce langage nouveau ce seul fruit ? Et comment as-tu pu courir à
et inouï? et qui t'eût fait connaître ton étal, si une désobéissance qui devait te précipiter dans
toi-mème n'étais l'auteur de celle ignominie? un tel abîme de maux? que te revient-il main-
tu as donc mangé du fruit du seul arbre dont tenant de ton péché ? Ne vous ai-je pas avertis
je t'avais défendu de manger. Voyez-vous — l'un et l'autre, et n'ai-je pas voulu vous retenir
quelle est la bonté et la patience du Seigneur? par la crainte du châtiment? Je vous ai prédit
Il pouvait, sans adresser une seule parole à ce toutes les suites de votre péché, et je vous
grand coupable, le punir sur-le-champ comme avais fait celte défense pour vous prémunir
il l'en avait menacé; mais il agit patiemment, contre l'esprit séducteur. Et aujourd'hui, une
il l'interroge, et il écoute sa réponse. Bien plus, si noire ingratitude ne rend - elle pas votre
il l'interroge une seconde (ois, comme pour lui faute irrémissible ? Comme un bon père ins-
une défense qui lui permettrait d'user
faciliter truit un fils vous ai clairement précisé
chéri, je
envers lui de clémence et de miséricorde. mes ordres et en vous permettant l'usage de
;

^ Grande leçon qui apprend aux juges que dans


I tous les autres fruits, j'ai formellement excepté
l'exercice de leurs fonctions , ils ne doivent ni celui-là, afin que vous puissiez conserver tous
parler inhumainement aux coupables, ni les les biens dont je vous avais comblés. Mais vous
traiter avec une cruauté qui ne convient qu'à avez cru le conseil d'un autre meilleur et plus
des bêles féroces. Il faut alors leur témoigner respectable que mon commandement. C'est
quelque indulgence et quelque bonté, et en pourquoi vous l'avez méprisé et vous avez ,

prononçant sur leur sort, ne pas oublier qu'ils mangé du fruit défendu. Eh bien que vous I

sont nos frères. Celte pensée que notre origine est-il arrivé ? Aujourd'hui une dure expé-

est commune attendrira nos cœurs etadoucira rience vous révèle toute la malice de ce perni-
les rigueurs de la justice. Ce n'est donc point cieux conseil.
sans motif que la sainte Ecriture se propor- Voyez-vous la clémence du juge, sa douceur
tionne ici à notre faiblesse, et emploie ce lan- et sa patience inaltérable ? Entendez -vous ce
gage simple et familier. Elle nous invite à imi- langage si plein de condescendance, et si élevé

ter, selon nos forces l'ineffable bonté du Sei-


, au-dessus de nos idées et de nos pensées ?
gneur. Enfin comprenez-vous comment le Seigneur
4. Et le Seigneur dit à Adam : qui t'a ap- ouvre à l'homme pécheur la porte du repentir,
pris que nu,
tu étais que tu as mangé
si ce n'est en lui disant Qui t'a appris que tu étais ?m,
:

du fruit du seul arbre dont je t'avais défendu 5/ ce n'est que tu as mangé du fruit du seul

de manger? Oui, comment aurais-tu connu la arbre dont je t'avais défendu de manger ? N'é-
(nudité, et serais-tu saisi de honte, si par in- tait-ce pas lui déclarer que, malgré sa grave

tempérance, lu n'avais transgressé mon com- désobéissance, encore prêt à lui par-
il était

mandement? Appréciez, mon cher frère, toute donner. Mais écoutonsla réponse du coupable.
l'excellence de la bonté divine. Le Seigneur Et Adam dit la femme que vous m'avez don-
:

parle à Adam comme


un ami, et il traite ce
à née pour compagne, m'a présenté du fruit de
grand coupable avec une douce familiarité : cet arbre, et j'en ai mangé. Cette réponse est
Qui fa appris que tu étais Jiu, si ce nest que en elle-même un cri de détresse et de dou-
tu as mangé du fruit du seul arbre dont je t'a- leur et il semble au premier abord qu'elle
;

vais défendu de manger ? Observons aussi est un appel à celle miséricorde divine qui
l'emphase, et l'ironie secrète de cette expres- toujours surpasse en bonté et en indulgence la
, sion : le fruit du seul arbre , c'est comme s'il malice de nos »échés. Et en effet, le Seigneur
«8 ÎRADUCTIOxN FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOMÉ.

venait, par son ineffable patience, de toucher le lui a suffi de te présenter le fruit, et soudain
cœur d'Ad.tm et de lui faire sentir la grièveté avec une complaisance extrême tu en as mangé,
de sa faute ; et voilà que celui-ci cherche à sans te souvenir de ma défense. Tu as donc
s'excuser en disnnt: la femme que vous m' avez cru que je t'avais trompé, et que je ne t'avais
donnée pour compagne m'a présenté du fruit interdit l'usage de ce fruit que pour te priver,
de cet arbre et fcn ai mangé. C'est comme par jalousie, d'un état plus glorieux encore.
s'il eût dit : J'ai péché, je le sais, mais la Mais comment aurais-je pu te tromper, moi
femme que vous m'avez donnée pour com- qui t'avais comblé de tant de biens ! et n'était-
pagne, et dont vous avez dit vous-même ; ce point déjà une grande bonté que de t'avoir
faisofis à l'homme une aide qui lui soit sem- à l'avance prévenu des suites qu'entraînerait
blable^ a été la cause de ma chute. Pouvais-je ta désobéissance. Je voulais donc que tu évi-
soupçonner que cette fumme que vous m'aviez tasses le malheur où tu es tombé. Mais tu as
donnée pour compagne me serait un sujet de tout méprisé, et aujourd'hui, qu'une dure ex-
honte et d'ignominie? je savais seulement que périence te fait sentir l'énorniité de ta faute, il

vous l'aviez formée pour être ma consolation. ne te reste plus qu'à t'en reconnaître coupable,
Vous me l'avez donnée, vous me l'avez amenée, sans en accuser ton épouse
et j'ignore quel motif l'a portée à me présenter 5. C'est ainsi que
le Seigneur reprochait à
le fruit que
mangé.
j'ai Adam de son péché; et celui-ci,
la grièvelé
Cette réponse semble donc au premier abord tout en l'avouant, cherchait à se justifier en le
justifier Adam mais en réalité sa faute étaH
; rejetant sur la femme. Mais voyons mainte-
inexcusable. Car comment excuseras -lu, pou- nant avec quelle bonté ce même Dieu s'adresse
vait lui repartir le Seigneur, l'oubli de mon alors à celle-ci. Et Dieu, ajoute l'Ecriture, dit
commandement, et l'assentiment accordé à la à la femme : Pourquoi as-tu fait cela ? tu as
femme plutôt qu'à mes paroles? Colle-ci t'a offert ent(^ndu ton époux (jui t'accuse de toute cette
le fruit; soit,mais le souvenir de m.i défense, désobéissance, et qui en fait peser la responsa-
et la crainte du châtiment devaient suffire pour bilité sur toi qui lui avais été donnée pour lui
te détourner d'en manger. Ignorais-tu mes venir en aide, et qui n'avais été tirée de sa
ordres, et ne connaissais-tu pas mes menaces? propre substance que [)Our être sa consolation.
Dans ma prévoyante tendresse je vous avais Pounpioi donc, ô femme, as-tu commis ce
avertis l'un et l'autre afin que vous évitassiez péché, et pourquoi as-tu attiré sur lui et sur
ces malheurs. Aussi quoique la fenmie soit à toi cette profonde humiliation ? Quels avan-
ton égard l'instigatrice du péché, tu ne saurais tages te i)rocure aujourdhui cette ciiniinelle
être innocent. Eh ne devais-tu pas te montrer
! int(.m|)érance, et (juels fruits retires-tu de ce
fidèle à mon commandement repousser le , coupable égarement ? Tu as été séduite par ta
présent fatal et même représenter à la femme faute, et tu as rendu ton époux complice de
lénormité de sa faute. Tu es le chef de la ton péché.
femme et elle n'a été formée que pour toi.
; Mais, que répond la femme? Le serpent m'a
Wais tu as interverti l'ordre, et, au lieu de la trompée, et j'ai mangé du fruit. Voyez-vous
retenir, tu t'es laissé entraîner par elle. Les comment, elle aussi, clierclie dans son (.irroi à
membres devaient obéir à la tète, et, par une excuser sa désobéissance ? Adam a\ail rejeté
coupable interversion, ce sont les membres sa faute sur la femme, en disant : elle a cueilli
qui ont commandé, en sorte que les rangs et le fruit et me l'a présenté, et j'en ai mangé.
l'ordre ont été renversés. Et voilà comment tu El de même celle-ci avoue son péché, et ne
es tombé dans cette profonde hunniiation, toi trouve nulle autre excuse que de dire le ser»» :

qui étais revêtu de gloire et de splendeur. peut nia trompée, et j'ai mangé du fruit. Ce
Qui pourrait donc assez déplorer ton infor- maudit animal a été la cause de chute, et ma
tune et la perle de biens si précieux ? Toute- ce sont ses pernicieux conseils <]ui m'ont en-
fois seul tu as fait ton malheur, et lu ne sau- traînée dans celte iiroloiulo luimiliatiou. Il m'a
rais en attribuer la cause (pi'a ta propre fai- trompée, et j'ai mangé du fruit.
blesse. Car si tu n'y avais consenti, jamais la No passons point légèrement sur ces paroles,
femme ne t'eût entraîné dans cet immense mes tros-chors frères; car un examen attentif
dêsastie. A-t- elle employé à ton égard les nous y fera découvrir d'utiles instructions. Les
prières, le raisonnement ou la séduction? Il jugements du Seigneur sont tcrriLles et ef-
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. - DIX-SEPTIÈME HOMÉLIE. do

frayants ; mais si nous les méditons avec soin, ils cependant le Seigneur ne daigna point
/"e^c^w; et
seront salut;ùres à notre Ame. Ecoutons donc interroger cet animal, ni lui donner lieu de se
AdanKjui ditàDiiHi La femme que vous m' avez
: défendre. Il ne lui adressa aucune question
(hmnée pour compnf/?ie m'a présenté le fruit, ainsi qu'il l'avait fait à l'homme et à la femme;
etfen ai mangé. Ainsi il reconnaît qu'il n'y a mais des que ceux-ci eurent présenté leur )usti-
eu à son égard, ni contrainte, ni violence, et licalion,il déchargea toute sa colère sur le ser-
qu'il a agi volontairement, et avec une entière pent, comme sur l'auteur du péché. Car le Sei-
liberté. Eve lui a seulement présenté le fruit, gneur, aux yeux duquel rien n'est caché, n'i-
et elle n'a exercé sur lui aucune pression, ni gnorait point que le serpent avait été l'instru-
aiicnne violence. Et de même celle-ci ne dit ment du du démon
piège où la noire jalousie
point, pour s'excuser, que le ocrpent l'a portée avait fait tomber nos premiers parents. Voyez
à mangei malgré elle du fruit défendu. Elle se donc comme il use envers ceux-ci de miséri-
borne à dire le serpent m'a trompée. Or il
: corde et de bonté. Il savait tout, et cependant
dépendait d'elle de repousser la séduction il dit à Adam Où es-tu ? et qui t'a appris que
:

comme d'y succomber le serpent m'a trom- : tu étais nu ? également à Eve Pourquoi
Il dit :

pée, dit-elle. Il est donc vrai que l'ennemi de as-tu fait cela? Mais il tient au serpent un lan-

notre salut, parlant par l'organe de ce maudit gage bien différent Et le Seigneur Dieu dit au
:

animal, donna un conseil funeste, et trompa serpent : Parce que tu as fait cela. Voyez-
la femme. Mais il ne ne la
la violenta point et vous la différence? Dieu dit à la femme Pour- :

contraignit [)oint : il usa seulement de fraude quoi as- tu fait cela ? Et, au serpent Parce :

pour accomplir ses pernicieux desseins, et s'il ciue tu as fait cela. Oui parce que tu t'es
,

s'adressa de préférence à la femme, c'est qu'il prêté à ce crime, et que tu as insinué ce per-
la crut plus susceptible de se laisser séduire et fide conseil; parce que tuas favorisé la jalousie

de commi'ttre une faute irrémissible. du démon et que tu as secondé sa malice


,

Le serpent m'a trompée, et j'ai mangé dit contre ma créature, tu ps maudit entre tous tes
fruit. Voyez combien le Seigneur est bon. Il animaux et toutes les brtes de la terre; tu ram-
se contente de ce seul aveu, et il ne prcs^^e ni peras sur le rentre, et tu mangeras la poussière
Adam ni Eve de nouvelles queslions. Et certes, durant tous les jours de ta vie. Je mettrai ifii-

quand il les interrogeait, ce n'était point qu'il mitié entre toi et la femme, entre ta postérité
ignorât lour crime : il le connaissait et en sa- et la sienne. Elle t'écrasera la tête, et tu la
vait toutes les circonstances; aussi ne s'abais- blesseras insidicusemejit au talon. (Gen. m,
sait-il jusqu'à entrer en discussion avec eux, 14-t5.)

qu'afin de faire mieux éclater sa miséricorde, 6. Remarquez, je vous prie, l'ordre et l'ar-

et les engager à un humble et sincère aveu; rangement de ce passage et vous y trouverez


,

c'est pourquoi il ne leur adresse point de nou- à l'égard de l'homme un précieux témoignage
velles questions. Sans doute il convenait que de la bonté divine. Le Seigneur interrogea d'a-
Dieu nous fît connaître le genre de séduction bord Adam, et puis Eve; et quand celle-ci eut
qui avait été présenté à nos premiers parents ;
désigné son séducteur, il dédaigna d'en écou-
mais pour montrer qu'il ne les interrogeait ter la défense, et fulmina contre lui un châti-
point par ignorance du fait, il se contente d'une ment qui durera autant que sa vie. Désormais
première réponse. Et, en eflet, en disant que donc la vue seule du serpent rappellera aux
le serpent l'avait trompée , et qu'elle avait hommes qu'ils doivent repousser ses perfides
mangé du fruit défendu, la femme laissait facile- conseils et éviter ses trompeuses embûches.
ment deviner la fatale espérance dont le démon Mais peut-cire demanderez-vous pourquoi leser-
l'avait flattée par l'organe du serpent, en lui pent est puni, tandis qu'il n'a été que l'instru-
promettant qu'ils deviendraient des dieux. ment du démon qui seul a causé tout ce désas-
Avcz-vous bien observé avec quel soin le tre? Ici encore éclate l'ineffable bonté du Sei-

Seigneur interroge Adam, et avec quelle indul- gneur. Car, de même qu'un bon père, non con-
geme il traite la femme? Avez-vous également tent de poursuivre le meurtrier de son fils,
remarqué la manière dont ils sejoslificnt? Ap- brise et met en pièci s le glaive ou le poignard
piéciezdonc maintenant l'iiu ffable miséricorde qui a servi au crime, le Seigneur punit le ser-
de ce Juge suprême. La femme a dit Le ser- : pent qui a été l'inrlrument de la malice du d»'-
pent m'a troinpée, et j'ai mangé du fruit cftf- moD, et veut que la vue de ce châtiment pro<«
100 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CIIRYSOSTOME.

clame la sévérité avec laquelle il a traité le dé- tu ramperas sur le ventre, et tu jnangeras la
mon lui-même. Car si l'instrument a été cliàtié poussière durant tous les jours de ta vie. Je
si rigoureusement, quel supplice n'a pas été mettrai inimitié entre toi et la femme, entre ta

infligé à celui qui l'amis en œuvre! postérité et la sienne : elle te brisera la tête, et

Au reste, Jésus-Christ nous en révèle quel- tu la blesseras insidietisement au talon.


que chose da.is son Evangile lorsqu'il nous , 7.La colère et Findignation éclatent dans
apprend qu'au jour du jugement il dira à ceux ces paroles mais aussi il est grand et énorme
:

qui seront placés à sa gauche Retirez-vous : le péché dans lequel le démon, par Forganedu

de moi, maudits ; allez au feu éternel qui a serpent^ entraîna nos premiers parents. Or, le
été préparé au diable et à ses anges. Matlh. ( Seigneur Dieu dit au serpent : parce que tu as
xxv,41.)C'estdonc pour le démon qu'a été pré- fait cela; parce que tu as été le ministre du
paré ce feu qui ne s'éteindra jamais; et quelle démon dans ses projets homicides, et que tu as
destinée plus affreuse que celle de ces malheu- secondé sa malice en servant d'organe à ses
reux qui négligent leur salut, et s'exposent mauvais conseils et empoison- ses flatteries
ainsi à partager les supplices réservés au diable nées parce que tu
;
et que tu as fait cela,
et à ses anges! Si nous voulons au contraire as contribué à déshériter mes créatures de
embrasser la vertu et observer les lois de Jésus- mes grâces et de ma bienveillance, en te prê-
Christ, nous nous assurerons ce royaume dont tant aux perfides desseins de Fange rebelle
il dit : Venez., les bien-aimés de mon Père., qui , en punition de son orgueil et de sa
possédez le royaume qui vous a été préparé dès noire jalousie , a été précipité du ciel sur
le commencement du monde. (Matth. xxv, 34.) la terre ;
dans toutes ces horri-
parce que,
Ainsi d'un côté sont les feux éternels de l'enfer, bles machinations, tu Fes montré son docile
et de Fautre, si nous sommes pieux et fervents, instrument, je Finflige un chàliment qui du-
le royaume du ciel. Puissent ces pensées nous rera toujours. Il suffira donc au démon de te
encourager à travailler au salut de notre àme, voir, pour qu'il sache quels su[)plices lui sont
à fuir le péché, et à éviter les embûches du réservés, et aux hommes, pour qu'ils appren-
démon 1 nent à éviter ses pièges et à se garantir de ses
Mais, si vous n'êtes pas trop fatigués, je par- embûches, s'ils ne veulent un jour partager ses
lerai encore du chàliment infligé au serpent, tourments. Ainsi tu es mauilit entre tous les
afin de vous montrer de plus en plus comment animaux, parce que tu as fait un perfide usage
la miséricorde divine s'y exerce envers nous. de la finesse qui te distinguait entre eux tous, et
Au reste, cliacpie jour, un concours nombreux que tu n'as usé de ce don que pour causer les
entoure le tril);nial d'un juge qui instruit la pUis grands maux.
cause de quchiues criminels; on y passe des N'oublions pas en parole de l'Ecri-
effet celte
journées entières, et l'on ne se retire pas avant ture : plus rusé de tous les
Le serpent était le
que la séance ne soit levée. A plus forte rai- animaux qui étaient sur la terre. C'est pour-
son est - il convenable que nous attendions quoi le Seigneur lui dit Tu seras maudit :

avec un saint empressement l'énoncé du juge- entre tous les animaux et toutes les bêtes de
ment que le Seigneur va jjronoucer contre le la terre. Mais comme celle malédiction eût
j
ser[)ent. Il lui infligera un terrible châtiment, échappé à nos sens et à nos yeux, Dieu voulut
1 parce qu'il a été Tinstrument du crime; et la lui infliger un chàliment visible qui nous rap-
'
vue de celte peine nous fera comprendre quels pelât sans cesse son crime et son supplice.
supplices éternels le même
Dieu réserve au dé- Aussi ajoule-t-il Tu ramperas sur le ventre,
:

m.)\\. Nous y verrons également avec quelle et tu mangeras la pous<irrc durant tous les

miséricorde il châtie Adam et Eve, auxijuels il jours de ta vie. Tu as abusé de tes qualités na-
adresse plutôt une sévère remontrance qu'il turelles, et tu as bien osé entrer en conversa-
n'infligeune grave punition; et nous en con- tion avec l'homme raisonnable que j'avais
cluerons que nous ne saurions assez admirer créé : tu as donc imité le démon, au(juel tu as
la bonté ilivine ni louer son in<lulgente provi- servi de comj)laisant ministre, et qui a été
dence à notre égard. Ecoutons donc l'écrivain chassé du ciel, parce qu'il affecta des pensées
sacré Et le Seigneur Dieu dit au serpent :
: au-dessus de sa condition. Et de même je Fin-
Parce que tu as fait cela, tu es nuiiulit entre flige un chàliment qui va changer ta nature.
tous les animaux et toutes les bêtes de la terre; Tu ramperas sur la terre, et tu te nourriras
HOMÉLIES SUR LA GEiNÈSE. — DIX-SEPTIÈME HOMÉLIE. m
de la poussiÎ3rc. Ainsi, lu ne pourras jamais retiendra dans le devoir, cl je te condamne
l'élever vers le ciel, niais tu demeureras tou- désormais aux pleurs cl aux gémissements.
jours dans cet état d'humilialion, et seul de Je multiplierai donc tes calamités et tes gé-

tons les animaux, tu te nonri iras de la pous- missements, et tu enfanteras dans la douleur.
sière. Bien |)lus : Je mettrai inimitié entre toi La joie que tu éprouveras de devenir mère
et la femme ; entre ta postérité et la sienne. commencera donc par la douleur; et cette
Car peu content île te voir ramper sur la terre, douleur, qui se renouvellera à chaque enfante-
je ferai de la femme ton enneniie irréconci- ment, te rappellera incessamment la grièveté
liable, en sorte que
guerre subsistera tou-
la de ta faute et de ta désobéissance. Mais de peur
jours entre ta postérité et la sienne. Enlîn que la suite des années n'en alfaiblisse le sou-
elle Vécrasera la tète, et tu la blesseras insi- venir, et afin que tu n'oublies point que c'est
dieusement au talon. Oui, je lui donnerai la là le châtiment de ton péché je multiplierai ,

force de te marciier sur la tête, et tu l'agiteras tes calamités et tes gémissements , et tu enfan-
vainement sous ses pieds. teras dans la douleur.
Cette punition du serpent nous manifeste, 8. Cette sentence fut comme une prophétie
mon cher frère,grande bonté du Seigneur
la des souffrances et des maux auxquels la femme
à l'égard de l'homme. Mais ce que l'Ecriture est assujétie : une grossesse de neuf mois, pé-
dit ici du serpent matériel , peut surtout, et nible et laborieuse, et des douleurs intoléra-
dans un sens véritable, s'entendre du serpent bles qu'il faut avoir ressenties pour ks com-
spirituel, et s'applitjuer au démon. Et en effet, prendre. Cependant le Seigneur, toujours bon
pour humilier cet esprit superbe Dieu le , et miséricordieux, a voulu adoucir pour la
contraint à ramper sous nos pieds, et il nous femme ces peines si cruelles par les j<)i( s d la •

donne le pouvoir de lui marcher sur la tète. maternité. Ainsi elle oublie, à la naissance d'un
N'est-ce pas là ce que signifient ces paroles de fils, toutes les douleurs qui ont précédé et ac-
Jésus-Christ Foulez aux pieds les serpents et
: compagné cette naissance. Aussi voyons-nous
les scorpions? Et de peur que nous ne les en- que la femme, au milieu même des soulViaiues
tendions d'un serpent matériel, il ajoute : Et inouïes qui mettent sa vie en péril, n'e>t pas
toute puissance de l'ennemi. (Luc, x, 19.) plutôt devenue mère, qu'elle s'épanouit à la
C'est ainsi que l'inetfable bonté du Seigneur joie, et qu'oubliant toutes ses angoisses, elle
éclate dans le châtiment qu'il inflige au ser- ne songe qu'à allaiter son enfant. Reconnais-
pent, complice et organe du démon. Mais re- sons en cela une bientaisante disposition du
venons à la femme, s'il vous plaît. Le serpenta Seigneur, qui pourvoit à la conservation du
été puni le premier, parce qu'ilaétérinstigateur genre humain. Car toujours l'espoir d'un bien
du péché : et maintenant la femme qui s'est à venir rend plus légors les maux préscuts.
laissée séduire, et qui a entraîné l'homme, C'est ainsi que les marchands traversent lim-
entendra avant lui sa sentence, et ce terrible meusilé des mers, aflronteut les lemprles et
avertissement Et le Seigneur dit à la femme :
: les pirates; et lorsqu'échiq)|)és à mille dangers,
Je multiplierai tes calamités et tes c/émisse- ils voient s'évanouu- toutes leurs ispcia-ces,
ments : tu enfanteras dans la douleur ; tu seras ils ne laissent pas néanmoins d'entreprendre
sous la puissance de ton mari, et il te domi- une nouvelle navigation. Ainsi encore, K- la-
^ nera. (Gen. ix, 4G.) Admirez ici encore la bonté boureur défonce profondément son champ, le
du Seigneur, et voyez avec quelle indulgence cultive avec soin, et lui confie une abuiuiante
I

]
il traite la femme, même après un si grand semence; et trop souvent la sécheresse, ou la
criaie. Je multiplierai, lui dit-il, tes calamités. pluie, et même la rouille et la nielle font périr

Je te destinais dans le principe une existence ses moissons au moment où il va les recueillir;
qui eût été exempte de douleur et d'affliction, toutefois il ne se rebute point, et il recom-
et qui, alîranchie de tout chagrin et de toute mence ses travaux dès que la saison le lui

tristesse, n'aurait connu que la joie et le plaisir. permet.


Revêtue d'un corps mortel, tu n'auraïG res- Cette observation s'applique à tous les divers
senti aucune de ses tristes nécessités; mais genres d'industrie, et se vérifie également dans
parce que tu n'as pas su user de ces précieuses la femme. Elle a donc supporté pendant neuf
faveurs, etque l'excès même du bonheur t'a mois d'intolérables douleurs, des nuits sans
rendue ingrate, je t'imposerai un frein qui te sommeil et des tortures affreuses ;
quelquefois
m TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME,

par suite d'un cident, elle est accouchée ; libre de tout joug, et exposée à te précipiter

a\ant terme, et a donné le jour à un fœtus in- dans le mal. C'est ain^i qu'il est phis utile au
forme, ou bien elle a mis au monde un enfant cheval d'obéir au frein, et de marcher d'un pas
estropié, idiot ou mort-né; et à peine est-elle sûr et réglé que de s'élancer çà et là d'une
,

échappée à ces graves dangers, qu'elle oublie course avenlureuse et désonlonnée. Je te sou-
tous ses maux, et s'expose de nouveau aux pé- mets donc à Ihomme pour ton propre avantage,
rils de la maternité. Que dis-je! elle en af- et je veux que tu lui obéisses sans contraiule,

fronte même
de plus grands encore, car il comme dans le corps les membres obéissent
n'est pas rare de voir des mères mourir de à la tète.
suites de couches; et néanmoins ces exemples 9. Mais je m'aperçois que la longueur de
n'épouvantent point les autres femmes, et ne ce discours vous fatigue; et néanmoins je vous
lesdétournent point du mariage, tant le Sei- demande encore quelques iriïta..'s d'attention.
gneur a mélangé leurs douleurs de joie et de Car il de nous retirer quand
serait indécent
contentement Voilà pourquoi il dit à Eve Je
! : le juge est encore assis sur son tribunal, et de
multiplierai tes ccdamités et tes gémissements ; ne pas entendre l'énoncé entier du jugement.
et tu enfanteras dans la douleur. C'est à celte Au reste nous touchons à la fin. Ecoutons donc
parole que faisait allusion Jésus-Christ, lors- la sentence que Dieu, après avoir parlé à la
qu'il comparait l'excès des tribulations de la femme, prononça à l'homme, et le châtiment

mère avec la plénitude de ses joies. Quand qu'il lui infligea. Et Dieu dit à Adam Parce :

une femme enfante, elle est dans la


^ dit-il, que tu as écouté la voix de ta femme, et que tu
tristesse, parce que l'heure est venue. Voilà as mangé du seul fi'uit dont je t'avais ordonné
bien la douleur; et puis il ajoute, pour nous de ne pas manger, la terre est maudite dans ton
montrer que cette douleur passe et que la , œuvre ; et tu ne mangeras de ses fruits, durant
joie et l'allégresse lui succèdent : Mais api^ès tous les jours de ta vie , qu'avec un grand tra-
qu'elle a enfanté un ne se souvient
fils, elle vail. Elle ne produira pour toi que des épines et
plus de son affliction, à cause de sa joie, parce des chardons , et tu te nourriras de l'herbe de
qu'un homme est né au monde. (Jean, xvi, 21.) la terre. Tu mangeras ton pain à la sueur de
Voyez-vous donc comme se manifestent à ton front jusqu\i ce que tu retournes dans la
,

notre égard la bonté du Seigneur et sa provi- terre d'oii tu as été tiré; car tu es poussière et
dence , et comme cette parole Tu enfanteras : tu retourneras en poussière. (Gen. vu, 17, 18,
dans la douleur , est pour la fennne une puni- i9.)
tion et un sévère avertissement. Dieu ajoute : Ces paroles renferment de nombreux traits

Tu seras sous la puissance de ton mari, et il te de bonté et mais


de providence à notre égard :

dominera. Ne semble -t -il pas qu'ici Dieu pour bien les apprécier, il faut api)rofondir
cherche à s'excuser? et c'est comme s'il disait chaciue mot. Or Dieu dit à Adam tuas écoulé :

à la femme dans le principe je t'avais assigné


: la voix de ta femme, et tu as mangé du seul
le même rang d'honneur et de gloire (ju'à fruit dont je t'avais ordoiuiédc ne pas inanger;
l'homme ;
je t'avais connnuniqué tous les pri- tu as donc, en écoutant sa voix , et en man-
vilèges, et je t'avais donné comme à lui reni|iire geant de ce fruit ,
préféré ses insinuations à
de l'univers mais puis(iue tu as abusé de ta
; mon commandement et tu n'as pas voulu ,

dignité ,
soumets à riionnnc. J?/ seras
je te t'abstenirdu seul fruit dont je t'avais ordonné
sous lapuissajice de ton mari, et il te dominera. de ne point manger, car ma défense se bornait
Tu as abandonné celui dont tu partageais la à celle exce|ttion : cependant tu ne Tas pas
gloire et la nature et pour qui tu avais été , respectée , et lu as enfreint mes ordres pour
formée, afin de lier des relations avec le serpent, obéir à ton épouse : aussi tu vas connaître toute
et de recevoir par lui les perfides conseils du l'énorniitc de ta faute.
démon eh bien je te soumets à Ihonune, et
: ! Ecoutez , ù hommes 1 écoutez, ô femmes !

je l'établis ton maître tu reconnaîtras sou ;


que ceux-ci ne soulfienl point de seniMablcs
autorité, et parce (jue lu n'as pas su com- insinuations, et que celles-là ne se les permet-
mander, tu apjtrendras à obéir. Ainsi tu seras tent pas Car si Adam ne put se justifier en
!

sous la puissance de ton mari, et il le dominera. rejetant son péché sur la fennne, il servirait

Car il vaut mieux pour toi de lui être soumise peu à un mari de dire commis celte faute
: j'ai

et de recouuailre soo autorité, que de vivre par coiupluUaiicc pour mon épouse. La femme
HOMÉLIES SUR LA GEiNÈSE. - DIX-SEPTIÈME HOMÉLIK. 403

a été placée sous la puissance de l'honimc, et paroles suivantes qui s[)écifient mieux encore
il en a été établi le m Titre, afin de s'en faire le genre de cette malédiction, et la cause de ce
obéir. Les pieds ne doivent point commander pén'ble travail. Et Dieu dit : la terre ne te
à la tète. Et néanmoins nous voyons trop sou- prouuira que des épines et des chardons. Ce
vent que celui qui par son rany devrait être la seront là comme les momimciits de ma malé-
tôle, s'ab.iisse à devenir les pieds , et que celle diction ; ne rendras la terre féconde qu'à
et tu
qui devrait être les pieds, s'attribue les fonctions force de soins et de labeurs. Ainsi toute ta vie
de la tète. C'est cette confusion que prévoyait s'écoulera dans la tristesse et le travail , afin
le grand Apôtre, Docteur des nations, quand
le qu'ils soient un réprime l'arrogance
frein qui
il s'écriait Fcmme^ sacez-vous si vous sauverez
: de ton orgueil, et te ramène forcément à la
votre mari? et vous, mari, savez-vous si vous pensée de ton néant tu ne seras donc plus tenté
;

sauverez votre femme? (I Cor. vu, 15.) Cepen- de te bercer de coupables illusions car tu te ,

dant il a|>|)artient à l'homme de repousser vi- nourriras de l'heràe de la terre, et tu mangeras


vement tout mauvais conseil que la femme se ton pain à la sueur de ton front.
permettrait de lui donner; et celle-ci ne doit Mais avant d'expliquer ces paroles, observons
jamais oublier le châtiment dont Eve fut punie comment péché de l'homme a changé pour
le

pour avoir suggéré à Adam cette funeste déso- lui toutes les conditions premières de la vie.
béissance. Elle doit encore, loin d'imiter Eve, Car c'est comme si Dieu lui disait je t'avais :

et de re[)roduire ses criminelles insinuations, préparé, en te créant, une existence exempte


s'instruire à son malheur, et ne jamais donner de douleurs, de travail, de fatigues et d'in-
à son mari un conseil qui ne serait pas salu- quiétudes. Tu eusses joui d'un bonheur parfait,
taire et utile à l'un et à l'autre. Mais revenons et sans connaître aucun des tristes assujétis-
à notre sujet. sements du corps, tu aurais pleinement goûté
Or Dieu dit à Adam : Parce que tu as écouté toutes les délices de la vie. Mais tu n'as pas su
la voix de ta femme, et que tu as mangé du seid apprécier cet heureux état, et voici que je
fruit dont je t'avais ordonné de ne point manger; maudis la terre. Désormais si tu ne l'ense- ,

parce que tu as négligé d'observer mon com- mences et si tu ne la cultives elle ne te don- ,

mandement, et que ni la crainte, ni les menaces nera plus, comme auparavant, ses diverses
des chàliments qui suivraient ton péché, n'ont productions; je joindrai même à ces travaux,
pu te retenir , et parce que tu as commis la et à ces pénibles labeurs, les maladies et de
faute énorme de toucher au seul fruit que continuelles fatigues, en sorte que tu ne réus-
j'avais excepté , en t'abandonnant l'usage de siras en quelque chose qu'au prix de tes su( urs,
tous les autres, la terre est maudite dans ton et ainsi cette dure existence te sera une con-
œuvre. Reconnaissons ici la bonté divine dans tinuelle leçon d'humilité, et un sou venir de ton
la manière différente dont il punit le serpent, néant.
animal irraisonnable, et l'homme, être doué En outre, cette malédiction ne se bornera pas
de raison. Il dit au premier tu es maudit sur : à quelques années, mais elle s'étendra à tout ie
la terre; et au second la tene est ynaudile : cours de ta vie et tu mangeras ton pain à
;

dans ton œuvre. Et c'est à juste titre car elle : la sueur de ton front jusqu'à ce qrie tu retour-
avait été créée pour l'homme, afin qu'il jouît nes dans la terre d'où tu as été tiré, car tu es
de ses productions. Mais parce que l'homme a poussière et tu retourneras en poussière.
,

péché, elle est maudite; et l'effet de cette ma- Oui, telle sera ta destinée jusqu'à la fin de tes
,

lédiction sera de troubler le repos et la tran- jours, et jusqu'à ce que tu retournes dans la
quillité de l'homme. terre d'où tu as été tiré. Car c'est du limon de
Voilà donc, dit le Seigneur, que la terre est la terre qu'a été formé le corps que je t'ai
maudite dans ton œuvre;et pour nous apprendre donné dans ma bonté, et c'est en ce môme
les effets de cette malédiction il ajoute et tu , : limon qu'il se résoudra. Tu es poussière, et
ne mangeras de ses fruits, durant tous les jours tu retourneras en poussière. En vain pour te
de ta vie, qu'avec un grand travail. Ne voyez- faire éviter tous ces maux, j'avais dit : Ae
vous pas ce châtiment traverser tous les siècles, mangez pas de jour où, vous en
ce fruit, et le

et après avoir été utile au premier homme mangerez, vous mourrez certainement je ne ;

ap(»rendre encore à ses descendants quelle est voulais donc point ta mort, et de mon côté, je
l'origine de leurs malheurs. Mais écoutons les n'ai rien négligé de tout ce que je pouvais lairc ;
104 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

mais tu t'es précipité toi-même dans cet abîme serpent; la punition de cet animal, et son châ-
de maux et tu ne dois en accuser que la pro-
, timent éternel , châtiment qui atteste la colère

pre négligence. du Seigneur contre lui, et sa miséricordieuse


Ici se présente une question que je vais ré- bonté envers ceux qu'il a séduits. Et en effet,

soudre en peu de mots et qui mettra fin à cet


, puisque Dieu punit si sévèrement le séducteur,
entretien. Dieu dit à nos premiers parents Le : c'est une preuve qu'Adam et Eve, victimes de

jour où vous mangerez du fruit défendu, vous ses fourberies, lui étaient agréables, et qu'il
mourrez certainement. Or il est indubitable s'intéressait encore à leur bonheur. Rappelez-
qu'après leur péché et leur désobéissance, ils ont vous ensuite la sentence prononcée à la femme,
vécu un grand nombre d'années. Celte diffi- la punition, et le sévère avertissement qu'elle
. culte n'en est une que pour ceux qui lisent su- reçut, et enfin n'oubliez point cet arrêt pro-
/ perficiellement l'Ecriture sainte car un lec- ; noncé à Adam : Tu es terre, et tu retourneras
teur attentif l'explique aisément, et découvre en terre.
sans peine le sens de ce passage. Sans doute Ces diverses réflexions vous feront admirer
Adam et Eve vécurent encore bien des années, de plus en plus l'ineffable miséricorde du Sei-
et néanmoins le jour où ils entendirent cette gneur. Car quoique nous ne soyons que pous-
parole: Vous êtes terre et vous retournerez ^ sière, et que nous devions retourner en pous-
en une sentence de mort leur fut pro-
terre, sière, nous pouvons, par la pratique de la vertu
noncée, en sorte qu'on peut dire que dès ce et la fuite du vice, obtenir ces biens ineffables

moment ils subirent la mort. Ainsi le sens de qu'il a préparés à ceux qui l'aiment , et dont il

ce passage Le jour où vous mangerez du


: est écrit : l'œil n'a point vu, l'oreille n'a point

fruit défetidu vous mourrez certainement


, ,
entendu, et le cœur de l'homme na point
est que dès ce moment ils surent qu'ils étaient compris. (I Cor. ii, 9.) 11 est donc juste que
soumis à la mort. Eh ne voyons-nous pas que
I nous offrions au Seigneur d'éternelles actions
dans les tribunaux, le criminel condamné à de grâce pour tant de bienfaits, et que nous
mort est reconduit en prison, et que même il n'en perdions jamais le souvenir. Nous devons
y reste assez longtemps. Cependant on le re- également nous appliquer, par l'exercice des
garde déjà comme mort, parce qu'une sentence bonnes œuvres, et i)ar la fuite constante du
capitale a été rendue contre lui. Et de mèniô péché, à calmer sa colère, et à nous le rendre
depuis le jour où le Seigneur prononça contre propice. Eh ne serait-ce jtas une monslrueuîc
!

nos premiers parents un arrêt de mort, ils fu- ingratitude si nous venions à oublier que Dieu,
rent sous le coup de cet arrêt, (juoique l'exécu- immortel et impassible de sa nature, n'a pas
tion en ait été différée pendant bien des années. dédaigné, pour nous délivrer de la mort, de
Cet entretien s'est prolongé au delà des bor- prendre notre chair mortelle et terrestre, de
nes ordinaires; mais puiscpje j'ai pu, parla l'élever au plus haut des deux, de la faire as-

grâce de Dieu, et selon mes forces, terminer seoir à la droite de son Père, et de lui assurer
l'explication du passage de la Genèse qui avait les adorations des anges? Mais nous, hélas!
été lu, je conclus immédiatement. Sans doute nous tenons une conduite tout opposée nous ;

il serait facile de développer encore ce sujet, et ensevelissons dans la chair et la bouc notre
de montrer que la miséricorde divine surnage âme qui est innuortelle, nous l'assujétissons à
même au-dessus de ces Ilots de mort (jui sub- la terre et à la mort, et nous la rendons inca-
mergent tous les hommes. Cependant je n'en pable de rien faire pour le ciel et la vie éter-
dirai rien pour ne pas trop fatiguer votre mé- nelle. Ah je vous eu conjure, ne nous mon-
!

moire, et vous prie seulement de ne point,


je trons pas ingrats jusiju'à ce point envers un
au sorlir de cette assemblée, vous rendre à tel bienfaiteur; et soyons au contraire obéis-
d'insipides réunions, ni vous amuser à de fri- sants à ses préceptes . et emitressés à faire tout

voles conversations. Le sujet d'un intéressant ce qui peut lui plaire, afin qu'il nous rende
entrelien serait de résumer en soi-même, ou lui-nuMue dignes des félicités célestes. Puis-

de vous réciter les uns aux autres les principaux sions-nous tous les obtenir, par la grâce et la

points de celte instruction : les questions du bonté de J.-C. N.-S., à qui soient, avec le Père
Juge suprême, et les réponses des coupal)les ;
et IKspril-Sainl, la gloire, l honneur et lem-
la justification d'Adam, qui rejette sa faute sur pire maintenant et toujours, et dans les siècles
la femme, et l'excusQ de celle-ci qui accuse le des siècles I Ainsi soit-il.
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. - DL\- HUITIÈME HOMÉLIE. 103

DIX-HUITIÈME HOMÉLIE.

Et Adam donna à ea femme le nom d'Eve, parce qu'elle est la mère de tous les vivants. Et le Seigneur Diea

fit à Adam et à sa femme des tuniques de peau, et il les en revêtit ; et il dit : Voici Adam devenu comme
lua de cous. » (Gen. m. 20, 21, £2.)

ANALYSE.

1. Saint Chrysostome rappelle d'.ibord que de nos premiers parents doit nous rendre attentifs et vieilants à éviter le pé-
la punition
ché, puis il explique pourquoi Adam donna nom d'Eve.
à son épouse le —
2-3. Lesliabitsde peaux dont iuSeipneur les revêtit,
attestent sa bonté, et nous avertissant d'éviter le luxe et la somptuosité des vêtements. L'orateur prend l'occasion d'une sé- —
vère leçon aux riches, puis il explique, comme un ironique accomplissement des promesses du démon, cette parole : « Voilà
qu'Adam est comme l'un de nous. » Ce fut aussi par un effet de miséricorde que Dieu chassa Adam du paradis terrestre, avant
qu'il eût mangé du fruit de l'arbre de vie, parce que l'immortalité rcùt conduit toujours à pécher. Il l'obligea aussi à de- —
meurer vis-à-vis du paradis terrestre, afin que la vue de ce lieu lui rappelât sa faute et il l'assujétil 5 un dur travail pour ,

qu'il ne s'attachât pas trop à la vie. — 4. Au sujet de ces mots : « Adam connut son épouse, » saiiJt Chrysostome f^il observe
que la virginité fut le premier état d'Adam et d'Eve, et il en relève l'excellence. —5. H dit ensuite que si Dieu agréa les présents
d'Abel, et rejeta ceux de Caïn, ce fut par suite de leurs dispositions intérieures, et il s'étend longiicinenl sur la bonté avec
laquelle le Seigneur parla à Caïn et chercha à lui inspirer de meilleurs sentiments. — 6. Il termine eaûn par quelques mots sur 1«
soin que nous devons avoir de fuir le péché dans lequel tomba Gain.

1. Hier, vous avez pu apprécier l'indulgence avertissement, et que ce châtiment nous re-
du juge supérieur, et la bienveillance de ses tienne dans une sage défiance. Nous serons en
paroles. Vous avez vu également la diversité très-sévèrement, si ce terrible exem-
effet j)unis
(les chàtinients intuge's aux. coupables. Ainsi ple nous détourne pas d'oflenser Dieu.
ne
le tentateur a été puni tout autrement que Car tout péché de rechute mérite d'être châtié
ceux qu'il avait séduits; et la miséricorde di- plus rigoureusement. C'est ce que nous ap-
éminemment même dans la sen-
vine a éclaté prend l'illustre docteur des nations, le bien-
tence rendue contre nos premiers parents. II heureux Paul, quand il nous dit que tous ceux
nous a donc été utile d'assister h ce solennel péché sa?is la loi, périront sans la loi,
Ç7ii 071 1
jugement, et d'en suivre tous les détails. Car etque tous ceux qui ont péché sous la hisse-
nous avons connu de quels biens Adam et Eve ront jugés par la loi. (Uom. n, 12.) Le sens
se sont eux-mêmes privés par leur désobéis- de ce passage est que ceux qui ont péché avant
sance; et nous avons appris comment le péché la loi évangéli(jue seront traités avec plus d'in-
les a dépouillés d'une gloire toute céleste et dulgence que nous qui vivons sous cette loi,
d'une existence tout angélique. Enfln, nous et qui mériterons un plus rigoureux châtiment
avons admiré la patience du Seigneur, et nous parce que nous péchons après l'avoir reçue.
avons compris quel grand mal est la faiblesse Car tous ceux qui ont péché sans la loi, pé-
puisqu'elle a entraîné pour Tbomme la perte riront sans la loi ; et ce leur sera un avantage
de si précieux avantages, et l'a plongé dans par rapport au châtiment de n'avoir reçu ni la
une humiliante dégradation. C'est pourquoi je connaissance, ni les secours de la loi... Mais
vous en supplie, veillons sur nous-mêmes, tous ceux qui ont péché sous la loi, seront ju-
afm que celte chute nous soit un salutaire gés par la loi ; parce qu'eUe leur enseignait,
106 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHHYSOSTOME;

dit l'Apôlre, ce qu'ils devaient faire, et qu'ils premiers parents étaient réduits, et il leur
n'ont point voulu suivre ses iirtscriptions. donna un vêtement dont la simplicité seule
Aussi seront-ils, pour les nirmes péchés, punis était un souvenir de '^r chute. El le Seigneur
\>

plus sévèrement (jue les infidèles. Dieu fit donc à Adam <.i à son épouse des tu-
Mais expliquons le passage qui vient d'être niques de peau, et il les en revêtit. Observez
lu. Et Adam donnaà sa ftm»ie le nom d'Eve, ici, je vous le demande, avec q'aelle condes-
qui signifie vie, parce quelle est la mère de cendavice l'Ecriture se proportionne à notre
tous les vivants. Observez ici le soin que prend faibh sse. Mais, je l'ai dit, et je le répète, il faut
l'écrivain sacré de nous transmettre ces détails. toujours lui donner un sens digne de Dieu.
Nous apprenons ainsi qu'Adam donna un nom Ainsi ce mot : Dieu fit des tuniques, doit être
à son épouse, et qu'// l'appela Eve., c est-à-dire pris dans ce sens qu'il commanda que ces tu-
vie,parce qu'elle est la mère de tous les vivants. niques existassent; voulut que nos pre-
et il

Elle est en effet la tige du genre humain et miers parents s'en couvrissent, afin que ce
comme la racine et le principe de toutes les vêtement leur rappelât sans cesse leur déso-
générations. Mais après nous avoir instruit de béissance.
quelle manière Adam donna un nom à son 2. Ecoutez, ô riches! ô vous qui vous enor-
épouse, Moïse nous fait connaître de nouveau gueillissez du travail des vers à soie, et qui
la bonté de Dieu qui n'abandonna pas ses créa- vous parez des plus superbes étoffes écoutez 1

tures dans la honteuse nudité où elles s'étaient cette leçon de modestie que le Seigneur nous
plongées. Et le Seigneur Dieu, dit- il, fit à a donnée dès les premiers jours de la création.
Adam à sa femme des timiques de peau., et
et L'homme avait mérité la mort par son péché,
il les en revêtit. Le Seigneur agit alors comme et il avait besoin d'un vêtement pour cacher
un bon père se conduit envers un enfant pro- sa nudilé; et voila que Dieu se borne à le re-
digue. Ce fils de famille était doué d'un bon vêtir d'une tunique de peau. 11 voulut ainsi
naturel et avait été élevé avec soin. 11 jouissait nous apprendre à fuir une Nie molle et volup-
dans la maison paternelle d'une riche abon- tueuse, et à embrasser de préférente une vie
dance, portait des vêtements de soie, etaAait dure et austère. Mais peut-être les riches, re-
à sa disposilion un opulent patrimoine. Mais butés de celte morale sévère, me diront-ils .*

voilà que l'excès même de la pros[)érilé le pré- Eh quoi! voulez-vous que nous nous habillions
ci|)ite dans le mal; et alors son père lui re- de peaux de bêtes? Je ne dis point cela; et nos
tranche tous ces divers avantages, le retient de premiers parents eux-mêmes n'ont pas toujours
plus près sous sa dépendance, et remplace ses porté celte sorte de vêtements, car la bonté
somptueux vêlements par un habit simple et divine ne cesse jamais de se montrer généreuse
commun qui cache seulement sa nutlilé. C'est et bienfaisante. C'est ainsi que du jour où Adam
ainsi qu'Adam et Eve s'étant rendus indignes et Eve furent soumis aux besoins de la nature,
de cette gloire brillante qui les couvrait et et qu'ils perdirent celle douce et angéliquc
qui les anVanchissail de tous les besoins du existence dans laquelle ils avaient été créés, le
corps, Dieu leur relira cet éclat ainsi que la Seigneur leur permit de tisser la laine pour
possession de tous les biens dont ils jouissaient s'en faire des vêtements. Il convenait en eCTet
avant cette épouvantable chute. Cependant, il que l'homme, être raisonnable, fût vêtu, et
eut compassion d'une si grande inforlune, et qu'il ne vécût point, comme un animal, dans
les voyant houleux d'une nudité qu'ils ne pou- la honte et la nudité. Nos habits nous rap-
vaient ni couvrir, ni cacher, il fit des tuniques pellent donc les biens que nous avons perdus,
de peau et les en revêtit. et le châtiment que, par leur désobéissance^
Voilà donc où aboutissent les artifices du Adam et Eve, ont attiré sur tout le genre
démon. Dès que nous prêtons l'oreille à ses humain.
suggestions, nous séduit par l'amour de
il Mais comment excuser ce luxe effréné qui
quelque plaisir |)assager, et nous entraîne dans rejette l'usage de la laine, pour ne poiter que
l'abîme du |)êehe. Puis il nous abandonne, tout de la soie, et qui même pousse rextra\agance
couverts de honte et de confusion, à la pitié et juscju'à la rehausser de broderies d'or. Ce sont
aux regards de tous. Mais le Seigneur, qui s'in- principalement les femmes qui s'adonnent à
téresse toujours au salut île nos âmes, ne dé- ces vanités; et moi. je leur dis pourquoi pa- :

tourna point ses yeux du triste étal où nos rer ainsi votre corps? et pourquoi vous enor-
HOMÉLlIiS SuK LA GEiNESli. — DiX-lilJlHÈ.ME HOMÉLIE. 107

gucillir de ce pompeux attirail? Vous oubliez tous les fruits, à l'exception d'un seul, le me-
donc (|ue les habits sont une suite du chàtitnent naçant de mort, s'il osait y toucher. Mais eu
iulliiçé à nos pren)iers parents. Aussi l'Apôtre lui faisant ce commandement et cette menace,
nous (lit- il : Aynt de quoi nous nourrir et il ne lui dit rien de l'arbre de vie. Adam, créé
de quoi nous couvrir, nous devons être contents. immortel, pouvait donc, selon moi, et autant
(1 Tim. G, 8.) Ainsi il faut borner notre solli- que je comprends ce passage, manger du fruit

citude au strict nécessaire; et il suffit cjuc notre de cet arbre, comme de tous les autres; et
corps soit couvert, sans nous imiuiéter de la ainsi il eût pu s'assurer l'immortalité, puis-
beauté, ni de la variété des habits. Mais pour- qu'il n'avait reçu aucune défense touchant cet
suivons le récit de la Genèse. arbre.
Et leSciqneur Dieu dit: Voici Ada?n devenu 3. Si l'on me demandait curieusement pour-
comme l'un de noiis, sachant le bien et te mal; quoi cet arbre est appelé Tarbre de vie, je
maintena)U donc craignons quil n'avance la répondrais que la raison humaine est incapable
main et ne premie aussi de Carbre de vie., et par elle-même de comprendre toutes les œu-
qu'il n'oi mange et ne vive éternellement. Et le vres de Dieu.Nous savons seulement qu'il a
seigneur Dieu le mit hors du jardin de délices, plu au Seigneur que, dans le paradis terrestre,
pour qu'il cultivât la terre d'où il avait été l'homme eût comme une matière à la vertu
tiré. (Gen. ni, 2i>, 23.) Ici encore le Seigneur d'obéissance et au péché de désobéissance.
use d'expres^ions proportionnées à notre fai- C'est pourquoi il planta ces deux arbres, l'un
blesse : Et le Seigneur Dieu dit : voici Adam de vie et l'autre de mort, pour ainsi parler.
devenu comme l'un de nous, sachant le bien et Car c'est pour avoir mangé du fruit de ce der-
le mal. Quelle simplicité de langage! mais nier contre l'ordre de Dieu que l'homme a ,

comprenons-le dans un sens digne de Dieu. Il été assujéti à la mort. Mais dès l'instant où il
nous rappelle donc de quelle manière le dé- toucha au fruit défendu, le péché entra dans
mon, par l'organe du serpent, trompa nos le monde et l'homme devint sujet à la mort,
premiers parents. Il leur avait dit Si vous : et à toutes les infirmités de la nature. Cepen-
mangez de vous serez comme des
ce fruit, dant cette mort était dans les conseils divins
dieux; et ils en mangèrent dans le fol es;)oir une grîce plus encore qu'un châtiment aussi ;

de s'égaler à la divinité. C'est pourquoi Dieu, le Seigneur ne voulut-il plus qu'Adam habitât
voulant de nouveau leur faire sentir la griè- le paradis terrestre. Il l'en chassa donc, lui
veté de leur faute, et l'illusion de leurs espé- prouvant, par cette rigueur môme, qu'il n'a-
rances, dit ironiquement Voici Adam devenu: gls^ait que par bonté et dans son intérêt. Mais
comme l'un de nous. cette doctrine exige un examen plus appro-
Cet amer reproche était tout personnel et fondi de ce passage.
ne pouNait que Adam dans une extrême
jeter Et maintenant dit le Seigneur , craignons
,

confusion. C'est comme si le Seigneur lui tut qu'Adam n avance la main, et ne prenne aussi
dit : tu as transgressé mon commandement du fruit de l'arbre de vie, et qu'il n'en mange
pour l'égaler à moi. Eh bien ! ce que tu as dé- et ne vive éternellement. C'est comme s'il eût
ou plutôt ce que lu ne désirais
siré est arrivé, dit Un excès d intempérance a porté l'homme
:

pas, mais ce que tu méritais justement. Car à transgresser mon commandement, et son
tu es devenu comjne l'un de nous sachant le , péché l'a soumis à la mort. Aujourd'hui donc,
bien et le mal. Le démon avait encore dit à s'il osait toucher au fruit de l'arbre de vie, il

Eve, par l'organe du serpent : Vos yeux seront acquerrait l'immortalité et ne cesserait de pé-
ouverts, et vous serez comme des dieux, sachant cher. C'est pourquoi il lui est avantageux que
mal. Aussi le Seigneur ajoula-t-il
le bien et le : je le chasse du paradis terrestre; et je lui don-
Et mainlena)tt craignons qu'il n'avance la nerai en cela plutôt une marque de bonté que
main, et ne prenne de l'arbre de vie, et qu'il de colère et de vengeance. Ainsi parla le Sei-
n'en mange et ne vive éternellement. Ici encore gneur; et il est vrai de dire queseschâtiineals

se manifeste la miséiicorde divine; mais il comme ses bienfaits font éclater sa miséricorde.

nous faut approfondir chacune de ces paroles Ainsi ce dur exil devint pour Adam une salu-

pour n'en rien perdre, et en découvrir toutes taire leçon. Car si Dieu n'eût prévu que l'im-
les richesses cachées. Lorsque Dieu fit un com- punité rendrait les hommes pbis coupables, il

niundoiuenl à Adam, il lui pennit l'usage de n'eût point cLu;i.é Adau; du paradi? iciTc-stie.
d08 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

Mais ce fut pour empêcher en eux les progrès du tretenir en lui de salutaires remords. En6n
vice et fermer la voie à une malice qui n'aurait pour l'empêcher que par un trop grand atta-
point su s'arrêter, qu'ilchàtia Adam dans une chement à la vie, il n'essayât de rentrer dans
pensée toute de miséricorde et c'est ce qu'il ;
le jardin de délices et de manger du fruit de

fait encore chaiiue jour à l'égard des pécheurs. l'arbre de vie, le Seigneur^ selon le récit de
Il ordonna donc, y)ar hienfaisance et par l'Ecrilure, récit propoitionnéànotre faiblesse,
bonté, que Thomnie lût chassé du [taradis ter- le Seigneur plaça un chérubin avec un glaive

restre. Et SeUjneur Dieu, dit l'Ecriture, mit


le flaynbnyant qui s'agitait toujours, pour garder
Adam hors du jardin de dHices^ pour qu'il la voie de l'arbre de vie.
labourât la terre d'où Remar-
il avait été tiré. La négligence de nos premiers parents à
quez ici l'exactitude de l'écrivain sacré. Il nous observer le commandement
divin, fut cause
apprend que le Seigneur Dieu mit Adam que le garder avec tant de précau-
Seigneur fit

hors du jardin de délices, pour qu'il labourât tion l'entrée du paradis. Et il est juste d'obser»
la terre d'où il avait été tiré. L'arrêt divin ver que si sa bonté et sa miséricorde avaient
reçoit dès lors son exécution et l'homme, , déjà paru lorsqu'il bannit Adam, elles n'écla-
chassé du jardin de délices, fut contraint tèrent pas moins quand il plaça un chérubin
de travailler la terre. Ce n'est pas non plus avec un glaive flamboyant qui s'agitait sans
sans raison que l'Ecriture ajoute d'où il : cesse pour garder l'entrée du jardin de délices.
avait été tiré. Car ce travail devait être Ce n'est pas sans raison aussi qu'il est dit de
pour lui une leçon continuelle d'humilité, ce glaive qu'il s'agitait sajis cesse. Car nous
en lui rappelant que son corps avait été formé comprenons par là que tous les chemins qui

du limon de la terre. Aussi est-il dit expressé- pouvaient conduire à ce jardin étaient fer-
ment : Pour qu'il travaillât la terre doù il més, et que ce glaive flamboyant en défendait
avait été tiré. C'est encore comme la consé- toutes les approches. Mais quels souvenirs il
quence de cette autre parole du Seigneur : rappelait, et (luelle terreur il inspirait à Adam!
Tu mangeras ton pain à la sueur de ton 4. Or, Adam cowmt Eve, son épouse.
front ,
qu'Adam reçut alors l'ordre de tra- (Gen. IV, 1.) Remarquez la date précise de
vailler la terre d'où il avait été tiré. ce fait. Ce ne ne fut qu'après leur d<3sobéissance
L'Ecriture nous apprend ensuite à quelle dis- et leur exil qu'Adam et Eve eurent conunerce
tance du paradis terrestre Dieu l'établit, puis- ensemble. Auparavant ils vivaient comme des
qu'elle ajoute que le Seigneur Dieu chassa anges, et ils ignoraient les plaisirs de la chair.
Adam, et le fd habiter en face du jardin de dé- Ah comment
! les eussent-ils connus, jtuisqu'ils
lices. Mais ici dans toutes
observons comme n'étaient point assujétis aux besoins du corps 1

ses œuvres Dieu se montre plein de miséri- Ainsi, dans l'ordre des temps, la virginité pos-
corde, même quand il nous châtie. Ainsi c'est sède la palme de la priorité ; mais lorsque la

par bonté et par miséricorde qu'il chasse Adam faiblesse de l'hounne eut introduit la désobéis-
du paradis terrestre et s'il l'établit ensuite en
; sance et le péché, elle se relira, paice que la
face de ce même séjour, c'est afin que chaque terre n'était plus digne de la posséder; et alors
jour il conçoive un nouveau regret de son an- s'établit la loi de la concupiscence. Comprenez
cien une douleur nouvelle de ses mal-
état, et donc, mon cher frère, quelle est la dignité de
heurs présents. Sans doute cette vue lui était la virginité. Elle est une vertu bien élevée ei

bien triste et bien amère, et toutefois y trou-


il bien sublime, et sa possession est trop au-des-
vait une utile leçon; car elle le rendait ])!us sus des forces humaines pour que nous puis-
sage et plus vigilant, et l'empêchait de i)écher. sions l'acquérir sans un secours tout spécial

Il n'est en effet (|ue trop ordinaire à l'hounnc de la puissance divine. Et, en elîct, Jcsus-Clirisl

d'abuser des biens dont il jouit, et de ne se lui-même nous déclare que les vierges sont
corriger que (juand il les a perdus. Car Texpé- dans un corps mortel les émules des anges.
rience lui révèle sa faute , et son infortune lui Les Sadducéens l'interrogèrent un jour sur la
fait apprécier le déchu et
bonheur dont il est résurrection et lui dirent : Maître, il y avait
ressentir lesmaux(|ui riMivironnont.Co fut donc parmi nous sept frères : et le premier ayant

de la pari de Dieu un Irait de providence et de épouse une femme, est mort, et n'ayant point
,

bonté que d'établir Adam en face du paradis eu d'enfants, il laissa sa femme à son frère. Il
terrestre, puisque la vue de ce lieu devait en- ai fut de ?nèt}ie du second, du troisième, et de
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. - DIX-HUITIÈME HOMÉLIE. 409

tous jusqu'au septième. Au jour de la résur- ainsi que chacun des deux frères exerça^un art
rection , duquel des sept sera-t-elle femme ? différent; l'un embrassa la vie pastorale, et
car tous l'ont eue pour épouse. Mais Jésiis- l'autre s'adonna à l'agriculture.
répondit
Clirist leur Vous êtes dans l'erreur,
: Mais il arriva, longtemps après, que Caïn
ne sachant ni les Ecritures, ni la puissance de offrit au Seigneur un sacrifice des fruits de la
Dieu. Car au jour de la résurrectio}i les Iiommcs terre. (Gen. iv, 3.) Observez ici quelles lumières
n'auront point de femmes, ni les femmes de le Créateur avait répandues dans la conscience
maris; mais ils seront coiymie les ançjcs. de l'honnne. Car qui avait révélé à Caïn la notion
(Matth. xxH, 25-30.) Comprenez-vous mainte- du sacrifice? La voix de sa conscience il offrit ;

nant que ceux qui, par amour pour Jésus- donc au Seigneur un sacrifice des productions
Christ, embrassent la sainte virginité, mènent de la terre, i)arce qu'il ne pouvait méconnaître
sur la terre et clans un corps mortel la vie des qu'il devait lui faire hommage des fruits de
anges? Mais plus cet grand et élevé, et
état est son travail. Ce n'est pas que Dieu eût besoin
plus brillantes sont les couronnes, plus magni- de ses sacrifices; mais il convenait que, rece-
fiques les récompenses et plus abondants les vant ses bienfaits, il lui témoignât sa recon.
biens qui sont promis à tous ceux qui joignent naissance. Et en effet. Dieu, qui se suffit à lui-
à la chasteté la pratique des autres vertus. même et qui ne réclame rien de nous, veut
Or, Adam cojinut son épouse qui conçut et bien, dans son extrême bonté, s'abaisser jus-
enfanta Le péché était entré dans le
Ca'in. qu'à notre pauvreté, et permettre par intérêt
monde par la désobéissance de nos premiers pour notre salut, que la connaissance de ses
parents, et l'arrêt divin les avait soumis à la attributsnous soit une école de vertus.
mort. C'est pourquoi le Seigneur, qui veillait à Et Abel offrit aussi les premiers-nés de son
laconservation du genre humain, permit qu'il troupeau. Ce n'est pas sans raison que dans
se propag» ât par l'union de l'homme et de la notre précédent entretien je vous disais que
femme. Et Eve dit : J'ai possédé un homme Dieu, qui ne fait acception de personne, sonde
par la grâce de Dieu. Voyez- vous comme le les volontés et récompense l'intention du cœur.
châtiment infligé à la femme l'a rendue meil- Celte remarque trouve ici sa juste application.
leure et plus réservée? Car elle n'attribue point C'est pourquoi ce passage de la Genèse mérite
aux seules lois de la nature la naissance de cet un profond examen, et il convient de s'y arrê-
enfant; mais elle la rapporte à Dieu et lui eu ter sérieusement pour bien comprendre ce qui
fait hommage. Ainsi le châtiment a été pour est dit de Caïn et d'Abel. Car il n'y a rien d'i-
elle une utile leçon. Car J'ai possédé un nutile dans l'Ecriture, et une syllabe, une
homme, dit-elle, par la grâce de Dieu, et letlremême recèle un riche trésor, puisqu'on
je le tiens plutôt de sa bonté que de la nature. peut toujours en tirer un sens moral. Or que
Et de nouveau elle enfanta Abel , son nous dit-elle? Et il arriva, longtemjjs après,
frère. La naissance de ce second fils fut la que Caïn offrit au Seigneur un sacrifice des
récompense de sa vive reconnaissance pour fridts de la terre , et Abel offrit aussi les pre-
celle du premier. Car c'est ainsi que le Seigneur miers-nés de son troupeau et les plus gras.
nous traite; et quand nous le remercions d'un 5. Un esprit pénétrant comprend à la simple
premier bienfait, il paie nos hommages par de lecture le sens de ce passage. Mais je me dois à
nouvelles faveurs. Eve devint donc mère une tous, et la doctrine évangélique s'adresse éga-
seconde fois, parce que dans la première elle lement à tons; je vais donc entrer dans quel-
avait reconnu la main du Seigneur. Or, celte ques explications, afin que vous en soyez mieux
fécondité, depuis que le péché l'avait soumise instruits. Caïn, dit l'Ecriture, offrit au Sei-
à la mort, lui était une bien grande consola- gneur un sacrifice des fruits de la terre. Quant
tion. Aussi Dieu voulut-il dès le principe dimi- à Abel il choisit pour matière du sien les pro
nuer pour nos premiers parents la sévérité du ductions de l'art pastoral. Et il offrit les pre-
châtiment, et conmie effacer l'image de la mort miers-nés de son troupeau et les plus gras.
sous le tableau de générations nouvelles. Et, Déjà ces seuls mots nous montrent toute la
en effet, ces générations qui se succèdent les piété d'Abel, car il n'offre pas seulement quel-
unes aux autres, sont un emblème de l'immor- ques brebis prises au hasard dans son troupeau,
Et Abel, dit l'Ecriture, fut pasteur de
talité. mais les premiers-nés, c'est-à-dire les plus beaux
brebis, et Caïn laboureur. Nous apprenons et les plus précieux; et même parmi ceux-ci le3
liô TRADUCTION FRANfAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

plijs»prap, c'est-à dire tout ce qu'il y avait de sincère. Il regarda aussi ses dons, parce que
lueiiitiur eU^e plus excellent. Mais à l'égard de les brebis élûient sans tache et précieuses, soit
Caïn , l'Ecriture n'entre daiis aucun dctiil ;
par rafiport à l'intention de celui qui les of-
elle se contente de nous dire qu'il offrit un sa- frait, soiten elles-mêmes, puisqu'e41es avaient
crifice (les fruits de la terre et nous laisse ainsi été prises parmi les [tremiers-nés du troupeau,
supposer qu'il prit les premiers qui lui tom- et qu'elles en étaient les plus grasses , c'est

bèrent sous la main, et qu'il dédaigna de choi- dire qu'elles étaient un choix fait dans tout ce
sir les plus beaux. qu'il y avait de meilleur.
Je l'ai déjà dit, et je ne cesserai de le redire. Et Dieu regarda Abel et ses dons; mais il
Si Dieu reçoit nos sacrilices, ce n'est pas qu'il neregarda ni Cain ni ses sacrifices. (Gen. vu. .t.)
en ait besoin. Il veut seulement nous faciliter Le sacrifice qu'Abel offrit, avec un cœur pur et
les moyens de lui témoigner notre reconnais- une volonté droite, fut donc agréable au Sei-
sance. C'est pourquoi l'homme qui olTre en sa- gneur,qui l'agréa et qui daiu na même le louer.
crifice les biens mêmes qu'il lient de Dieu, Ainsi ilappela^y/is l'offrande d'Abel pour mieux
doit,pour remplir ce devoir religieux, choisir honorer la sincérité de son intention. Mais il
tout ce qu'il a de meilleur. Autrement, il ne ne regarda ni Caïn ni ses sacrifices. Observez
comprendrait pas combitn Dieu lui est supé- ici avec quelle exactitude s'exprime l'écrivain
rieur et combien il est lui-même honoré de sacré. En disant que Dieu ne regarda ])oiat
remplir ces fonctions sacerdotales. Observez Caïn,il nous apprend (juil rejeta ses présents,

aussi , mon cher" frère , et concluez de cet eten appelant ceux-ci du nom de sacrifices, il
exemple quels rigoureux châtiments mérite le nous donne une utile leçon. L'action et la pa-
chrétien qui, par lâcheté, néglige son salut. role divine nous apprennent donc que le Sei-
J'ajoute que nul docteur n'instruisit Caïn et gneur exige nos saciifices comme un témoi-
Abel et que nul conseiller ne leur suggéra gnage extérieur des senliments de notre âme
l'idée d'offrir un sacrifice : leur conscience et connue une protestation publiciue que nous
seule les en avertit, et les lumières (jue le Sei- le reconnaissons pour notre Maître et pour le

gneur avait répandues dans l'esprit de Ihonnue. Ciéatcur qui nous a tirés du néant. Et en effet,
Ce fut aussi la pureté de l'intention qui fit l'Ecriture, qui nomme do?is l'offraude de quel-
agréer le sacrifice de l'un cl la malice de la ques brebis, et sacrifices celle de quelques
volonté qui fit rejeter celui de l'autre. fruits de la terre, nous enseigne que le Sei-
Et Dieu, dit l'Ecriture, regarda Abel et ses gneur recherche la pureté de rintention bien
do7is. Voyez-vous comme s'accomplit ici celte plus qu'il ne se soucie qu'on lui offre des ani-
parole de l'Evangile : les premiers Si ront les der- maux ou des fruits. C'est donc celte pureté qui
niers et les derniers seront les premiers? [l\Mh. rendit le sacrifice d'Abd agréable à Dieu et ;

XIX, 30.)Car celui qui avait le privilège du droit c'est une dis[)Ojition toute contraire qui fit re-
d'aînesse, et qui le premier offrit son sacrifice, jeter celui de Caïn.
fut mis au-dessous de son l'ivre, parce que sou Il faut ég.ik'iniMit entendre dans un sens
intention n'était pas droite. Tous deuxolViirent digne de Dieu ces paroles :Le Seigneur re-
un sacrifice mais c'est seulement d'Abel (\\\c
;
garda Abel et ses dons; maisne garda 7Ù
il

l'Ecriture dit le Seigneur regarda Ahd et


: Ca/n, ?ii SCS sacrifices. Elles signifient quo le
ses dons. Que signifie ce mot rcgardu ? il , Sfij^neur fil comprendre à l'un qu'il approu-
marque que Dieu approuva l'action d'Abel vait sa bonne volonté, et à l'autre qu'il repous-
loua son intention, couri>nna sa bonne volonté sait son ingratitude. Telle fut la conduite de
et, en un mot, fut satisfait de sa coudiiile. Car Dieu ; et maintenant expliquons le verset sui-
si nous osons dire qnehiue chose de Die u et vant. Et Cain fut violenumnt attristé, et son
ouvrir la bouche pour parler de cet l']lre vi<agc fui abattu. D'où provenait cette violente
éternel, nous ne pouvons le faire, parce (jue tristesse ? d'un double principe : Le Seigneur
nous sonnnos hommes que dans un lan- ,
avait rejeté son sacrifice, et il avait agréé celui
gage humain. Mais, ô prodige Dieu regarda 1 d'Abel. Voilà donc pourquoi Caïn fut violem-
Abel et ses dons, c'est-à-dire l'olTrande (ju il ment attristé, et pourquoi son visage fut abattu.

lui de ses brebis les plus grasses et les


fit Ces (k'ux causes se réunissaient pour aggraver
meilleures. Ainsi Dieu regarda Abel, parce sa tristesse ; le Seigneur avait rejioussé son of-
que son sacrifice partait d'un cœur pur et frande, et il avait reçu celle d'Abel. Or, puis^
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — DIX-HUITIÈME HOMÉLIE. m
qu'il avait p(5ché, il devait faire pénitence et se ce sacrifice. L'oblation d'un sacrifice exige de
corriger, car notre Dieu est toujours plein de grandes précautions , et la distance infinie qui
miséricorde et il hait eu nous moins le péché
, sépare le Dieu qui le reçoit de l'homme qui le

que l'endurcissement dans le péché. Mais Caïn lui présente, commande à celui-ci une sévère
n'en tint aucun compte. attention dans le choix de la matière. Mais tu
6. Au reste, la conduite du Seigneur montra n'as fait aucune de ces réflexions, et tu m'as
bien alors toute la grandeur de sa miséricorde, offert les premiers fruits que tu as trouvés
non moins que l'excellence de sa bonté, et sous ta main. Aussi n'ai-je pu agréer ton sa-
même l'excès de sa patience. Et en effet, quand crifice.

il vit Gain violemment attristé, et comme sub- Les dispositions mauvaises avec lesquelles tu
Miergé par les Ilots de la douleur il ne , as offert ton sacrifice, me l'ont fait rejeter ; et
détourna point ses regards de dessus lui, mais au contraire la pureté du cœur et le choix
il se souvint qu'il avait agi envers Adam avec exquis des victimes m'ont fait accepter celui de
une tendre compassion, qu'il lui avait facilité ton frère. Toutefois je ne me hâte pas de punir
après son crime l'occasion d'en obtenir le par- ton péché, et je ne veux en ce moment que te le

don, et qu'il lui avait comme ouvert la porte remettre sous les yeux, et te donner un bon
d'un humble aveu par cette interrogation : conseil. Si tu le suis, tu obtiendras ton pardon,
Adam, où es-tu? Aussi le voyons-nous témoi- et tu éviteras d'affreux malheurs. Quel est donc
gner à cet ingrat la même bonté, et lui tendre, ce conseil ? tu as péché, et grièvement mais ;

sur le bord de l'abîme, une main secourable. je punis crime que l'endurcissement
moins le

C'est ainsi que pour lui aplanir les voies de la dans le crime, car je suis bon, et je ne veux
pénitence et du repentir , il lui adressa ces pa- point la mort du pécheur^ mais riiCil se conver-
roles : Pourquoi es-tu triste , et pourquoi t07i tisse et qu'il vive. (Ezéch. xviu, 27.) Aussi parce
visage est-il abattu ? Ton offrande était bonne en que tu as péché, apaise ton ressentiment, rends
elle-înême, mais 71' as-tu pas péché dans le choix le calme à tes pensées, bannis de ton esprit le
des fruits ? apaise donc ton irritation ; son trouble et Tinquiélude, et arrache ton âme aux
recours sera en toi et tu le domineras. Con- flotstumultueux qui menacent de l'engloutir,
sidérez mon
cher frère, l'indulgente et
ici, mais surtout garde-toi de tomber dans un pé-
ineffable bonté du Seigneur. Il vit que Gain ché plus grave encore, et de te précipiter dans
était en proie à un mal violent, et qu'une un désespoir irrémédiable. Tu as péché, apaise
noire jalousie l'assaillait fortement; et voilà donc ta colère.
dans sa miséricordieuse tendresse,
qu'il se hâte, Le Seigneur savait bien que Gain s'élèverait

de lui présenter un salutaire remède. Bien contre son frère, et c'est pourquoi il s'efforçait

plus, il lui tend une main secourable pour de prévenir en lui cette coupable résolution.
l'arracher aux flots qui menacent de le sub- Car tous les secrets de nos cœurs lui sont con-
merger. nus, et il découvrait les mouvements qui agi-

Pourquoi es -tu triste^ lui dit-il; et pour- taient celui de Gain. Aussi cherche-t-il à le
quoi ton visage est-il abattu? D'où vient cette guérir par de paternels avis, et par un langage
tristesse si grande qu'on lit sur ton front les plein de condescendance pour ses coupables
signes d'un profond chagrin ? Pourquoi ton dispositions. Il n'omet donc nulle tentative qui
visage est-il tout abattu ? et quelle est la cause eût pu ramener Gain à de meilleurs senti-
de cette mélancolie ? Pourquoi n'as-tu pas ré- ments; mais le malheureux repoussa le remède,
fléchi à ce que tu faisais ? et croyais-tu offrir et se précipita dans l'abîme du Iratricide. Ta
tes sacrifices à un homme qu'on peut tromper ? as péché, lui disait le Seigneur, apaise donc
Enfin ignores-tu que je nai nul besoin des ta colère.Sans doute j'ai rejeté ton sacrifice a
j'ai
présents de l'homme, et que je ne considère cause de tes mauvaises dispositions, et
dans le sacrifice que l'intention de celui qui ton frère par suite de son inten-
agréé celui de
Pourquoi donc es-tu triste ? et pour-
l'offre ? tion pure et droite; mais ne pense pas
que je
et des
quoi ton visage est-il abattu ? ton offrande était veuille pour cela te priver de l'honneur
bonne en elle-mêine ; mais ri as-tu pas péché privilèges du droit d'aînesse. Apaise ta colère^
daiu le choix des fruits? Oui, la pensée de car quoique j'aie honoré Abel, et reçu ses dons,
m'offrir un sacrifice était louable ; et le choix tu n'en seras pas moins so?i aîné, et il te serq
mauvais des fruits offerts m'a seul fait rejeter soumis. Ainsi, même après ton péché, je m
u^ TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHR\SOSTOME.

tiens à ton égard les privilèges du droit d'aî- n.iis: ons tous. Quel sera donc celui des chré-
nesse, et je veux que ton jeune frère recon- tiens qui, comblés de grâces, commettent les
naisse ta supériorité et ton autorité. mêmes péchés, et de plus énormes encore! Ne
Admirez donc avec quelle bonté le Seigneur méritent-ils pas le feu éternel, le ver qui ne
chcrclie à modérer la fureur et l'irrita' ion de meurt point, le grincement des dents, les té-
Caïn, et par quelles douces paroles il s'eflorce nèbres extérieures, les flammes de l'enfer, et
de calmer l'emportement de sa colère Il voit ! tous les supplices qui nous sont inévitablement
le trouble et l'agitation de son cœur, et il n'i- résirvés? Eh! de quelles excuses pourrions-
gnore pas ses projets cruels et homicides; c'est nous pallier notre négligence et notre lâcheté!
pourquoi il essaie d'éclairer sa raison; et pour Ne savons-nous pas ce que nous devons faire,
ramener dans son âme le calme et la sérénité, et ce que nous devons omettre? D'ailleurs,
il l'assure que son frère lui pera soumis et , ignorons-nous que ceux qui pratiquent la vertu,
qu'ilne perdra rien de son autorité. Mais tant obtiendront des couronnes immortelles, et que
de bontés et de prévenances furent inuti!es; ceux (j[ui commettent le mal, sont destinés à
Caïn n'en profita point, et il s'opiniâtra dans des supplices éternels? Je vous en conjure donc,
sa malice et son obstination. ne rendez pas nos assemblées inutiles, mais
7. Je m'arrête, car je craindrais qu'un plus traduisez en actions les paroles que vous y en-
long discours ne fatiguât vos oreilles, et que le bon té-
tjndcz. C'est ainsi que, rassurés par
mes paroles ne devinssent un fardeau et peut- moignage de notre conscience, et appuyés sur
être un ennui pour voire bienveillante atten- l'espérance chrétienne, nous traverserons la
tion. Je termine donc en vous exhortant à ne mer orageuse de cette ^ie, et arriverons au
point imiter ce malheureux. Notre devoir est port de l'heureuse éternité. Puissions-nous y
de renoncer au iiéché, et d'observer fidèlement jouir de ces biens ineffables que
le Seigneur a

les préceptes di\iiis, surtout après ces grands promis à ceux (jui raiineutî Et puissions-nous
et fameux exemples. Car désormais qui pour- les obtenir, par la grâce et la miséricorde de
rait s'excuser sur son ignorance! Caïn n'avai son Fi's unique, à qui soient, avec son saint et
sous les yeux aucun exemple précédent qui adorable Esprit, la gloire, l'honneur et l'empire,
put le retenir, et néanmoins il fut condamné à maintenant et toujours^ et dans les siècles des
en terrible et affreux châtiment que nous con- siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIES SIR LA GENÈSE. — DIX-NEUVIÈME HOMÉLIE. il3

DIX-NEUVIÈME HOMÉLIE.

« Cùn se relira de devant la face de Dieu et, habita dans la terre de Naid, en face da la région d'Sdcn . >

(Gen. IV, 16. eto.)

ANALYSE.

i. L'âme subjuguée par le péché n'entend mô:Tio plus les exhortations qui la rappellent à la vertu ; ce n'est pas un effet de son impnis.
îance ; non, r<\me est libre et elle reste libre, m^mc sous le joug du péché, de suivre les inspirations de Dieu qui veut bien l'ai-

der, mais non la forcer. — 2. Dieu est si bon qu'il daigna encore interroger Gain après son crime, il l'interrogeait pour l'exciter
au repentir, et trouver moyen de lui faire miséricorde. — 3
Calnaprèssa réponse arrogante et impie, fut maudit de Dieu. Dif-
férence entre celle malédiction et celle que Diou pronon-ja après le péché d'Adam ; celle-ci frappe la terre, celle-là le pécheur

Caïn lui-même. —
4. La pénitence et la confession sont inutiles quand on y a recours hors du temps convenable. 6. Que —
signifient les sept vengeances réservées à celui qui tuera Caïn ? 6. Exhortation. —

4. Comme il y a des blessures incurables de nos cœurs, il nous exhorte,


nous con- il

qui ne cèdent ni aux remèdes énergiques ni à seille, il prévient nos mauvais desseins.
Ce
ceux qui ont pour effet d'adoucir ; de même n'est pas qu'il emploie lacontrainte, mais il use
quand une âme est une fois devenue captive de remèdes appropriés aux maux de chacun
du démon, qu'elle s'est livrée à quelque péché et ensuite il abandonne le tout à la décision du
et qu'elle ne veut plus même comprendre son malade.
intérêt, alors on a beau lui prodiguer les ins- Telle est la conduite qu'il a tenue particu-
tructions et les conseils, c'est peine perdue, et lièrement à l'égard de Caïn. Voyez néanmoins
elle ne retire pas plus d'utilité de l'exhortation dans quel abîme de malice celui-ci est tombé,
que si le sens de l'ouïe était mort en elle, ce qui malgré les efforts d'une providence si atten-
arrive non pas faute de pouvoir, mais faute de tive ! Il devait, puisqu'il avait conscience du
vouloir. C'est en quoi les vices de la volonté crime qu'il méditait, s'appliquer uniquement
diffèrent des infirmités du corps. Car pour ce à corriger la perversité desa pensée; mais non:
qui est du corps les affections qui viennent de dominé par une sorte d'ivresse, à la blessure
la nature sont la plupart du temps inguéris- qu'a déjà reçue sonâme il en apporte une se-
sables en est tout autrement de la volonté
; il conde; quant au remède qui lui était appliqué
libre. Si mauvais que l'on soit, on peut, si l'on d'une main si douce, il ne le suj)porte pas,

veut, changer et devenir bon, et l'on peut éga- mais il se hâte d'exécuter le meurtre dont il a
lement quoique bon, glisser au mal si l'on se
, conçu le noir dessein il s'y prend par la ruse et
;

néglige. l'astuce, il trouve des paroles trompeuses pour


Après avoir fait notre nature capable de se faire tomber son frère dans le piège. Telle est
déterminer elle-même, le Dieu auteur de toutes la térocité de l'homme qui tourne au mal.
choses, qui est la bonté par essence, ne néglige Grand et respectable (juand son effort tend au
rien pour nous amener au bien, et comme il bien, cet animal raisonnable devient aussi bas-
connaît les sentiments les plus intimes, les sement cruel que les bêtes féroces lorsque c'est
pensées les plus secrètes qui s'agitent au fond vers le mal que se dirige son énergie. Sa dou-
S. J. Cir. — Tome V. 8
Ili TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CIIRYSOSTOME.

ri ur changent en
et sa raison naturelles se Et il arriva, comme ils étaiejit dans la cnm-
iérncité et en brutalité, tellement qu'il l'em- par/ne, que Caïn s'éleva contre son frère Abel
porte à cet égard sur les bêtes mêmes des fo- et le tua. Effroyable attentat ! horrible forfait !

rêts. abominable action péché impardonnable ! I

Mais voyons le récit. Et Gain dit à son frère : dessein conçu dans une âme féroce // sWca !

sortons dans la campagne. Paroles fraternelles contre son frère Abel etle tua. main scélé-
destinées à voiler un projet homicide. Que fais- rate ! ou plutôt ce n'est pas
ô bras criminel ;

tu, Gain? Ne
sais-tu pas à qui tu parles? Ou- la main qu'il faut appeler scélérate, mais la
hlies-tuque c'est à ton frère que s'adresse cette pensée dont la main ne fut que l'instrument.
parole? Ne réfléchis-tu pas qu'il est sorti du Disons donc, ô pensée téméraire, misérable et
même sein que toi? Ta conscience n'est-elle criminelle disons tout ce que nous voudrons,
!

pas frappée de ce qu'il y a d'abominable dans car nous n'en dirons jamais assez. Comment
ton dessein? Ne crains-tu pas le juge infailli- cette main ne s'engourdit-elle pas ? Comment
ble? Est-ce que tu ne frissonnes pas à la seule soutint-elle le fer ,
porta-t-elle le coup ? Com-
pensée de ton entreprise ? Quel est ton but en ment l'Ame du meurtrier ne s'envola-t-elle pas
entraînant ton frère dans la campagne, en l'ar- loin de son corps ? Comment eut-elle la force
rachant des bras paternels? Pourquoi veux-tu d'exécuter un si horrible attentat ? Comment
le priver du secours de son père? Qu'y a-t-ilde ne fléchit-elle pas, et ne changea-t-elle pas son
nouveau pour que tu emmènes ton frère dans dessein ? Comment étonffa-t-elle la voix de la
la campagne, pour que tu fasses ce que tu n'as nature ? Comment, avant d'exécuter, ne consi-
pas l'habitude de faire, pour que, sous prétexte déra-t-elle pas les conséquences de l'exécution ?
de lui témoigner l'amitié d'un frère, tu te dis- Comment, après le meurtre, le meurtrier eut-
poses à le traiter avec la cruauté d'un impla- il le cœur de voir le corps de son frère palpi-

cable ennemi? D'où te vient cette fureur? ter sur le sol ? Comment put-il soutenir la vue
Pourquoi cette rage? Soit, ta conscience est d'un corps mort, étendu par terre, sans sentir se
aveuglée, les sentiments que l'on a pour un dénouer en lui les liens de la vie ? Si nous qui
frère, tu les as étouffés, tu as fait taire la voix vivons tant de siècles après, qui chaque jour
de la nature; mais pouniuoi déclarer
la guerre voyons des mourants, nous sommes si enuis
à celui qui ne t'a de mal? Et tes pa-
point fait par spectacle d'une mort même naturelle, et
le
rents? qu'as-tu à leur reprocher pourleur infli- cela quand il s'agit d'hommes qui ne nous sont
ger, de propos délibéré, un deuil qui accablera rien, que nous sentons nos forces nous aban-
désormais leur existence, pour étaler le pre- donner, que notre haine la plus forte ne survit
mier sous leurs yeux l'affreux spectacle de la pas au trépas dun ennemi combien Caïn ;

mort, et d'une mort violente? Est-ce ainsi que n'avait-il pas plus de raison pour que la vie
tu les récompenses de l'avoir élevé? Quel arti- s'éteignît dans son cœur, pour que son âme
fice du diable t'a donc poussé h ctte action? s'enfuît pour toujours loin de son corps, lui
Tu ne peux pas même dire que la bienveillance qui voyait celui qui venait de lui p^trler, ce
du souverain Maître à l'égard de ton frère ait frère (pii avait la même mère et le même père
Inspiré à celui-ci du dédain |)our toi. Est-ce (jue lui, celui (jui avait été porté dans le même
que pour prévenir les emportements de ton sein, celui pour qui Dieu avait témoigné une
homicide nature, le Seijrneur n'a pas soumis bienveillance particulière , lui qui le voyait
ce frère à ton autorité? N'a-t-il pas dit : En toi tout à coup privé de vie et de mouvement et
sera son recours^ et tu seras son maître ? Ces. pa- ne faisant plus que palpiter sur le sol où il était
roles en effet niarquentla soumission d'Abelù étendu ?
Caïn. Quel(|ucs interprètes les entendent du sa- 2. Mais voyons encore , après un si noir for-
critice ofVerl à Dieu, (jui aurait dit à Caïn : te fait,après un si impardonnable attentat, voyous
retour [-h àiîoaTpocpr, peut signifier également re- de (pielle condescendance, de quelle bonté use
cours et retour) de lui, c'esl-à-direde ton sacri- envers le coupable le souverain Seigneur de
fice, sera vers toi, et tu seras maître de lui, c'est -
toutes choses. Et Dieu dit à Cain. Quelle
à-dire tu en jouiras. Je livre cesdeux interpréta- preuve de bonté déjà dadresser la prirole à
tions à votre intelligence, et je vous laisse libres celui <|Mi venait de commettre un tel crime! Si
de choisir celle qui vous semblera plus conve- nous repoussons comme odieux nos parents
nable. Quant à moi, j'incline pour la première. que le crime a déslionoréS; c'est une raison d*j
HOMÉLIES SIR LA GENÈSE. — DIX-NEUVIÈME HOMÉLIE. 41S

plu? po^i^ admirer le Dieu bon lorsqu'il use tout ce qui dépend de lui, afin qu'au jour delà
tl'unc p grande patience. Car Dieu c'est un condamnation tu n'aies plus aucune excuse à
niédec! , c'est un père très-tendre : comme présenter, puisque tu auras couru de toi même
méà''* a il apporte tous ses soins à la guérison au-devant du châtiment ?
dt* 'i' IX qui soutirent : comme père tendre il Et il répondit : je ne sais. Est-ce que je suis
difr ,fae à ramener à leur lelicilé première le gardien de mon frère ? Remarquez ici avec

éc % de ses enfants qui sont déchus par leur moi la force d'une conscience accusatrice ,
j»;ite des priviléf'es de leur naissance. Il veut voyez coMiment, poussé par celte conscience,
ionc en raison de son immense bonté témoi- il ne se borne pas à dire Je ne sais, mais il
:

gner de la bienveillance à ce grand coupable, ajoute :est-ce que je suis le gardien de mon
et il lui dit : Où est ton frère Abel ? Etonnante, frère? Parole par laquelle il se condamne,
et intlnie patience de Dieu! S'il interroge, ce peu s'en faut, expressément. Oui, certaine-
n'est pas qu'il l'ignore : il avait déjà interrogé ment, si l'on voulait avec toi procéder à la ri-
le père après sa faute, rien ne s'opposait à ce gueur, on te dirait que, selon la loi de la na-
qu'il en usât de même avec le fils. Envoyant ture, tu étais obligé d'être le gardien du salut
Adam qui se cachait à cause de la honte que de ton frère. C'est en eflet une loi de la nature
lui donnait sa nudité, il lui demanda Où es-tu ? : que ceux qui sont nés du même sein se doi-
(Gen. ni, 9.) Il n'ignorait pas où il était, mois vent mutuellement garder et défendre. Si tu
il voulait, en l'excitant à la confiance, l'amener ne voulais pas remplir ce devoir, ni être le
à effacer son péché par l'aveu qu'il en ferait. gardien de ton frère, pourquoi es-tu devenu
Telle est sa conduite ordinaire : il provoque et son meurtrier? pourquoi as-tu tué celui qui ne
exige d'abord la confession des péchés ,
puis il t'avait point fait de mal? Croyais-tu donc qu'il
en accorde le pardon c'est pourquoi il inter- ; ne se trouverait aucun témoin pour te con-
roge maintenant Caïn, et lui dit Où est ton : vaincre? Mais attends, et tu verras s'élever un
frère Abel ? Il feint d'ignorer, ce Maître niisé- Sfccusateur dans celui même (pie tu as tué; oui,
ricordieux; il essaie d'amener par ses questions ce frère mort et étendu par terre va t'accusera
le coupable à l'aveu de son péché, afin qu'il haute voix, toi qui vis, toi qui marches.
puisse ainsi obtenir son pardon et trouver mi- Et Dieu dit : pourquoi as-tu fait cela ? Que
séricorde. Où est ton frère Abel ? de cho.^cs dans cette brève parole Pourquoi 1

Que répond cet homme sans cœur, sans as-tu fait cela, commis
abominable forfait,
cet
entrailles, ce téméraire , cet impudent ? Il de- cette action exécrable, ce crime inexpiable,
vait bien penser que Dieu n'ignorait rien quoi- celte œuvre d'une incroyable folie, ce meur-
qu'il interrogeât, qu'il voulait provoquer une tre, péché nouveau, inouï, et pour la première
confession, en même temps que nous appren- fois introduit pnr ta main dans la vie des
dre qu'il ne faut condamner personne avant de hommes? Pourquoi as-tu commis ce grand,
l'avoir entendu et convaincu; il devait se sou- cet affreux péché, le plus grief qui se |)uisse
venir du conseil de Dieu qui avait essayé ,
commettre? La voix du sang de ton frère crie
d'empêcher ce crime; de Dieu qui voyant d'a- de la terre jusqu'à moi. Penses-tu que je sois
vance ses coupables desseins, avait tenté d'en comme les hommes qui n'entendent daulre
prévenir l'exécution ; il devait faire toutes ces voix que celle dont la langue est l'oigane? Je
réflexions et ne pas pousser plus loin sa crimi- suis Dieu, et j'entends la voix du sang que le
nelle folie ; il devait dire ce qu'il avait fait, meurtre a versé; j'entends les plaintes du
montrer au médecin, et recevoir de
sa plaie malheureux terrassé pir l'homicide. Vois-tu à
lui des remèdes pour sa guérison mais au : quelle distance porte la voix de ce sang! elle
contraire il aggrave encore sa plaie, il rend sa monte de la terre jusqu'au ciel, elle travtnaî
blessure plus profonde. // répondit : je ne sais. même les régions célestes, arrive plus haut
Quelle impudente réponse Celui à qui tu 1 que les puissances d'en-haut, jusqu'au trône
parles est-il un homme, pour que tu essayes du grand Roi, où elle accuse en gémissant ton
de le tromper ? Ne sais - tu pas , homme parricide. La voix du sang de ton frère crie
misérable, quel est Celui avec qui tu parles? de la terre jusqu'à moi. Ce n'est pas un étran-
Ne vois- tu pas que c'est par bonté qu'il t'inter- ger, un ennemi que ta main a frappé; c'est
roge, qu'il cherche une occasion de faire écla- ton frère, ton frère qui ne l'avait nnllemeiit
ter sa miséricorde, qu'il veut faire pour toi offensé. Peut-être la bienveillance que je lui
11(> THADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYS0ST031E.

ai montrée a-t-elle été la cause de sa mort, Ensuite la sainte Ecriture , interprétant la


et ne pouvant l'en prendre à moi;, tu as fait malédiction, ajoute: Quand tu l'auras culti-
retomber sur lui le poids de ta colère. C'est vée, ellene donnera pas son fruit. Terrible
pourquoi je t'infligerai un châtiment qui ne châtiment et qui dénote une grande indigna-
I<'ii>sera pas tomber ton crime dans l'oubli, un tion en celui qui 1 inllige. Tu supporteras le

cbâlimcut qui servira d'exemple et de leçon à poids du travail, tu emploieras tout ce que
tous les hommes à venir. Et maintenant, tu as de force à cultiver celte terre souillée de
puisque tu as fait cela, puisque tu as exécuté ce sang, et tu ne recueilleras aucun fruit de
ton mauvais dessein, et que l'excès de l'envie tes pénibles travaux; quelle que soit la peine
t'a précipité dans le meurtre Tu seras maudit : que tu endures, ne produira rien. Là ne
elle

sur la terre. se bornera pas ton châtiment, mais tu iras rjé-

3. Voyez-vous, mon cher auditeur^ comme missant et tremblant par toute la terre. Quel
cette malédiction diffère de celle d'Adam? Ne plus grand supi)lice de toujours gémir et trem-
passez pasnéjiligcmment, mais par la grandeur bler Puisque tu ne t'es pas servi comme il
!

de la malédiction comprenez l'énormité du fallait de la force de ton corps et de la vigueur

crime. Combien ce péché était plus grief que la de tes membres, voici que je t'im|)Ose la peine
prévarication du premier homme, vous pouvez d'une agitation et d'un tremblement continuel,
en juger par la différence de la malédiction. non-seulement afin que tu aiesloi-même un
Dieu avait dit à Adam La terre est maudite:
perpétuel avertissement et un impérissable
en tes œuvres {Gen. ni, il], répandant la ma- souvenir de ton crime, mais encore afin que
lédiction sur la terre et épargnant l'homme tous ceux qui te verront soient instruits par ta
par bonté; mais ici, comme l'œuvre est d'une seule vue, afin que ton seul aspect soit comme
grièveté mortelle, qu'il s'agit d'un forfait, d'une une voix puissante qui avertisse les spectateurs
iniquité monstrueuse et impardonnable, c'est de s'abstenir du crime, s'ils veulent éviter le
Caïn lui-même qui est frappé de malédiction : châtiment, afin que la punition qui pèsera sur
Et maintenant te voilà maudit sur la terre. Il toi enseigne aux hommes
à ne plus souiller la
avait à peu près fait la même chose que le terre du sang de leurs frères. Et pour mieux
serpent, il avait comme lui servi d'instrument atteindre ce but, je ne te ferai pas mourir trop
à la pensée du diable, comme
employé la lui tôt , de peur que ton forfait ne tombe dans

ruse pour introduire mort dans le nidnde,


la l'oubli, mais je ferai en sorte que tu traînes
])uisqu'il avait trompé son frère pour le l'aire une vie plus pénible que la mort, afin (jue tu
sortir dans la campngne, et qu'ayant armé sa saches quel est ton crime.
main, il l'avait tué. Aussi Dieu mau-
(jui avait Et Caï/i dit au Scif/neur Mon crime est :

dit le serpent : Tu seras maudit paimi les trop grand pour que j'en ohticnne.la rémission.
actes de la terre, Dieu maudit de même Caïn, Voilàune parole qui, si nous sommes attentifs,
dont l'œuvre ressembhiit à celle du serpent. Le nous fournira un enseignement très-important
diable était tourmenté par l'envie il ne jiou- ; et très-utile à notre salut. Et Caïn dit : Mon
vait voir sans un dépit amer les innnenses crime est trop grand pour que J'en obtienne la
bienfaits dont Dieu avait comblé l'homme dès rémission. La confession est complète. Mon pé-
le premier jour de sa vie, c'est ])ourquoi il ché est si grand , dit-il qu'il n'est pa> possible
,

ourdit une trame artiticieuse (jui introduisit (jue j'en reçoive le s'est donc con-
pardon. 11

la mort dans le monde. De même Caïn re- fessé, et confessé entièren^.enl? Oui, mais sans
garda d'un œil envieux et jaloux la bienveil- aucun profit, car il l'a fait d'une manière in-
lance particulière de Dieu pour Abel, et de tempestive. 11 aurait fallu le faire en temps
l'envie il passa au meurtre. Voilà pouniuoi convenable, alors que le Juge était disposé à la
Dieu lui dit Tu seras maudit sur la terre. Tu
:
miséricorde. Souvenez-vous de ce que je vous
seras en abomination à cette même terre qui a disais naguère, que dans ce terrible dernier
ouvert sa bouche pmir recevoir do ta main le jour, et (l(>vant le Tribunal
où il ne sera fait
sang de ton frrre. Oui, elle te repoussera avec aucune acception des personnes chacun de ,

horreur celte tcnv parce qu'elle s'indigne


, , nous sentira un vif repentir de ses péchés,
d'avoir été arrosée d'un tel sang souillée , aura devant ses yeux les supplices et
lors(iu'il
d'un tel forfait, outragée par ta main homi- leschàlimcnls désormais inévilables de lenfer,
cide. mais ce sera un repentir inutile , })arce qu'il
HOMÉLIES SUR LA (;KNÉSE. — DLX-NEUVIÈME HOMÉLIE.

ne se produira pas dans un temps convenable. moi-même avec ces membres perclus et agités
Lorsqu'elle précède la peine , la pénitence par un continuel tremblement; de plus, on
vient en son temps, et sa vertu est immense. saura que vous m'avez privé de votre secours
C'est pourquoi, je vous en conjure , tandis (jue et ce motif déterminera à me donner la mort

cet admirable remède conserve encore son ellî- ceux (jui en auraient le désir.

cacité, liàlez-vous d'en profiter; appliquons- Que répond le Maître miséricordieux et bon?
nous le traitement de la pénitence pendant que Et le Seigneur Dieu lui dit : il 7ien sera pas
nous sommes en cette vie, et persuadons-nous ainsi. Ne crois pas ([u'il en advienne ainsi. Il
bien qu'il ne nous servira de rien de nous re- ne sera permis à personne de te tuer, en eùt-
pentir après que la tragédie de ce monde sera on la volonté; mais je prolongerai ta vie pour
jouée et lorsque le temps des luttes sera passé. augmenter ta peine, je te laisserai pour ins-
-1. Revenons à notre sujet. C'est lorsque le truire, exemple vivant, les générations futures;
Seigneur lui demandait Où est ton frère : ton aspect rendra sage, et personne, en te
Abell que Caïn devait confesser son péché, se voyant, n'aura le désir d'imiter ta conduite.
prosterner, prier, implorer miséricorde. Mais Et le Seigneur dit : non, il n'en sera pas ainsi,

alors il remède, et maintenant,


a refusé le quiconque tuera Gain se rendra responsable de
après la sentence prononcée , quand tout est sept vengeances.
fini, quand la voix du sang versé a fait en- Peut être suis-jc long, peut-être vous ai-je

tendre une accablante accusa-


hautement fatigués, matériellement du moins? Mais que
tion il se confesse mais confession tardive et
, ,
voulez-vous ? Votre vive attention , l'espèce
inutile, contre laquelle s'élève la parole du d'avidité avec laquelle vous recevez la nourri-
Prophète Le juste est lui-même son accusa-
: ture de la parole sainte, en sont la cause; c'est
teur en premier lieu. (Prov. xvni, 17.) Caïn lui- là ce qui m'encourage à poursuivre mon expli-

même, prévenu la réprimande, eût été


s'il avait cation jusqu'au bout suivant mes forces. Que
jugé digne de quelque pitié, tant est grande la tlîut dire cette parole se rendra responsable
:

divine miséricorde. Il n'y a pas de péché, si de sept vengeances ? Mais me voici encore
énorme qu'il soit, qui surpasse la charilé de retenu par la crainte d'entasser tant de cho-
Dieu pour les hommes, pourvu que nous fas- ses dans vos mémoires, que les dernières ne
sions pénitence au temps qu'il faut et que nous vous fassent oublier les premières je ne ;

implorions notre pardon. voudrais cependant pas être fastidieux. Mais,


Et Caïn dit : Mon crime est trop grand pour s'il vous reste encore un peu de courage ,

que j'en obtienne la rémission. Confession suf- prenez patience, j'achève l'explication des ver.
fisante, mais intempestive. Caïn dit encore :Si setsque j'ai récités, et je finis. Et le Seigneur
vous me chassez aujourd'hui de dessus la tore, Dieu lid dit : il n'en sera pas ainsi. Quiconque
j'irai me
cacher de devant votre face, et Je serai tuera Caïn se rendra responsable de sept ven-
gémissant et tremblant sur la terre ; et il arri- geances. Et le Seigneur Dieu mit un signe sur
vera que quiconque me trouvera me tuera. Pa- Caïn de peur que persointe ne le tuât, venant à
roles qui excitent la pitié ! malheureusement lerencontrer. Tu crains que l'on ne te tue?
elles viennent trop tard , et le défaut d'op[)or- Aie confiance, cela ne sera pas. Et quiconque
tunité leur ôte toute valeur : Si vous me chas- le fera, attirera sur sa tête se[)t châtiments.
sez, dit-il, de dessus la terre, j'irai me cacher C'est pourquoi je te marque d'un signe, de
de devant votre face, et je serai gémissant et peur que personne en te tuant sans te connaître
tremblant sur la terre ; et il arrivera que qui- n'encoure cette terrible punition.
conque me rencontrera me tuera. Puisque vous 5. Mais il convient ([ue je vous montre plus
m'avez rendu exécrable à la terre, puisque vous clairement comment le meurtrier de Caïn se
me repoussez vous-même ,
que vous me livrez rendra passible de sept chcâtiments. Soyez atten-
à un châtiment si sévère, qu'il doit me faire tifs, je vous prie. Comme je l'ai déjà dit sou-

gémir et trembler, rien n'empêchera désor- vent à votre charilé ces jours passés, si, main-
mais, qu'étant en cet état, et dénué de tout se- tenant que le temps du jeûne nous procure
cours de votre part, je ne sois tué par le pre- une si grande tranquillité, et qu'il éloigne de
mier qui me rencontrera. Je serai facile à nos esprits les pensées qui seraient de nature à
vaincre pour le premier venu qui voudra m'ô- les troubler, nous n'étudions pas avec beaucoup
ter la vie. Je n'ai pas la force de résister par de soin les enseignements compris dans les,
418 TRADUCTION FRANÇAISE DE

divines Ecritures, dans quel autre temps pour- sept vengeances. Ainsi, ne crains pas cela car ;

rons-nous le faire? Je vous prie donc, je vous voici mets sur toi un signe qui te fera
que je

supplie, et, tout prêt à me jeter à vos genoux, reconnaître de quiconque te rencontrera. Ton
je vous conjure d'écouter ce que je vous dis infirmité sera utile aux générations futures, et
avec un esprit attentif, afin que vous ne vous ce crime que tu as commis sans témoin, tous
retiriez pas dans vos maisons sans emporter l'apprendront en te voyant trembler et gémir;
d'ici quel(jue chose qui élève vos âmes et les ce tremblement de tout ton corps sera comme
porte vers Dieu. une voix entendue de tous, qui dira que per- :

Que donc cette parole serendrares-


signifie : sonne ne fasse ce que j'ai fait, de peur que,
ponsable de sept t!en,7eflf;:Ce5? Observons d'abord s'il l'ose, il ne soit frappé d'un semblable châ-

que dans la sainte Ecriture le nombre sept s'em- timent.


])loie souvent d'une manière indéterminée et si- 6. Que ces enseignements se gravent dans
gnifie plusieurs ou un grand nombre par ;
vos esprits, mes très-chers frères, et qu'ils ne
exemple, on lit au premier livredes Rois (ii, 5) : fassent pas seulement que les effleurer en pas-
Celle qui était stérile est devenue mère de sept, sant. Venir chaque jour se nourrir de l'ali-
ici

c'est-à-dire d'un grand nombre d'enfants. Il y a ment de la parole sainte, c'est très-bien, mais
beaucoup d'exemples d'une semblable accep- cela ne suffit pas, il ne vous servira de rien
tion. Ici l'Ecriture nous fait entrevoir l'énor- d'entendre expliquer la loi de Dieu si vous ne
mité du forfait de Gain, puisqu'elle le consi- la pratiquez point. Ayant toujours présent à la

dère non comme un péché unique, mais pensée le péché de Gain, ses causes et son im-
comme constituant sept péchés, pour chacun pardonnable énormité, de Gain devenu homi-
desquels un châtiment sévère est destiné. cide par envie, homicide d'un frère qui ne lui
Essayons d'énumérer ces péchés. Première- avait fait aucun mal, craignons beaucoup moins
ment, il a porté envie à son frère à cause de de souffrir nous-mêmes du mal que d'en causer
la bienveillance que Dieu hii a témoignée, et aux autres. Le mal ne frappe véritablement
il n'en eût pas fallu davantage pour le perdre; que celui qui tente de nuire à son prochain.
deuxièmement, c'est a son jiropre frère (ju'il Afin (jne vous en soyez convaincus, regardez
])orte envie; troisièmement, il tend un piège; ici avec moi lequel des deux est le plus mal-

quatrièmement, il commet un meurtre cin- ; heureux, de celui qui tue ou de celui qui est
(juièmement, c'est son propre frère qu'il tue ;
tué. N'est-il pas évident que c'est le meurtrier?
sixièmement, il est l'auteur du |>remier meur- Pourcjuoi? parce que la louante de celui (|ui
tre qui se soit commis; septièmement, il ment a été tué est encore aujourdhui dans tou'es

à Dieu. Avez-vous suivi celte énumération, ou les bouches, parce que son nom est toujours

s'il que je la reprenne en vous montrant


faut prononcé avec admiration, comme celui du
(jue chacune de ces circonstances aggravantes premier mai tyr de la vérité, selon ce que dit
méritait par elle-même un grave snpplice? le bienheureux Paul Tout mortqiiilest^ Ahel
:

Porter envie à celui que Dieu favorise est-ce parle encore. (Ilebr. xi, \.) Mais le meurtrier,
excusable? Voilà donc déjà une faute iuqiiir- outre qu'il a véeu plus misérablement (]ue tous
donnable. Elle s'aggrave encore lorsque c'est ]( s honunes, est demeuré odieux à tout le genre
à un frère, de (jui l'on aucune
n'a souffert humain, et la sainte Ecriture lolTre continuel-
injustice, que l'on porte envie. Voilà donc en- l( iiu nt à tous les âges comme un exemple tei

core vm péché (jui n'est pas des i»lus petits. ril)l(> de la vengeance et de la malédiction
C'est une troisième
faute de tendre un pit'ge, divines. Tel est pour cette vie pré-
le parallèle
de tromper, d'entraîner dans la canq)agne, de sente et périssable; mais on voulait le pour- si

fouler aux pieds la nature. Le meurtre forme suivre jusqu'à l'autre vie où le juste Juge
le ipiatriènie péché. Le cinquième^ réstille dt^ rendra à chacun selon ses œuvres, quel dis-
la eirconst.uiee (|ue c'est un frère (jui ist mis à coiiis pourrait exprimer tout ce qu'il y aura
mort, un Irère né du même sein. Introduire de bonheur d'une part, de malheur de l'autre.
dans le monde une nouvelle espèce de (»éché, Pour Abel, le royaume des cieux, les taberna-
voilà le sixième péché. Le septième péché le : cles éternels, les chœurs des j^atriarches, de?
meurtrier ose mentir à Dieu (jui daigne l'in- prophètes et des apôtres, et la grande a<>'em-
terroger. Voilà pounpioi Dieu dit celui qui : blée des saints, où régnera dans les siècles
il

(entera de le tuer prendra sur soi le fardeau de des siècles en compagnie du Roi Jésus^Christ,
HOMÉLIES SUR LA GENÈ3S. — VINGTIÈME HOMÉLIE. MO
unique de Dieu et Dieu lui-même pour
Fils ; en conjure donc, profitez du moins, à par-
géhenne du fou, et des milliers d'autres
Cî/in, la tirde maintenant des cns'cigncm(;nts des
,

sipplices qui le tourna nieront à jamais; il s'y autres pour devenir plus sages ; dirigeons enfin
îrouvera en compagnie de tous les meurtriers notre vie selon du Seigneur, o'jfM.^sons à
la loi

lonime lui toutefois, la vengeance divine sé-


; ses commandements. Que ni l'envie, ni la ja-
vira avec plus de rij^ueur contre ceux qui, lousie, ni l'amour cliarnel, ni la gloire, ni les

sous l'empire de la loi de grâce, se seront faits autres avantages misérables de cette vie, ni les
esclaves des plus viles passions. Ecoutez^ en effet, grossiers plaisirs de la table, ni aucune autre
je que dit saint Paul
Tous ceux qui 07it péché
: mauvaise i)assion ne règne sur les pensées de
sans la loi, périront sans la loi (Hom. n, 12) ;
nos cœurs. Défaisons-nous de toute obscénité,
c'est-à-dire subiront une peine plus légère» de toute volupté mondaine; disons adieu à
parce qu'ils n'ont pas eu de main- loi pour les tous nos altachements honteux et illicites, et

tenir dans le bien par une sanction mena- tendons de toutes nos forces vers cette vie
çante, mais tous ceux qui ont péché sous la bienheureuse, à ces biens ineffables que Dieu
loi, seront jugés par la loi ; c'est-à-dire toutes a préparés à ceux qui l'aiment puissions-nous;

les autres conditions étant égales, ceux qui en être trouvés dignes, par la grâce et la cha-
auront joui du secours de la loi endureront ritéde Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui
des châtiments plus rigoureux. Et rien de gloire, puissance, honneur, soient au Père et
I
lus juste, puisque ni la loi, ni l'exemple des au Saint-Esprit, maintenant et toujours, etdans
malheurs des autres ne les auront rendus les siècles des siècles ? Ainsi soit-il.
plus tempérants et plus vertueux. Je vous

VINGTIÈME HOMÉLIE.

: Et Caan dit à son frèr« Abel : Scrtoni dana la ceunpagn». » (Gen. 17", 8.)

ANALYSE.

1. L'oratenr résume son enseignement sur l'histoire de Caïn et d'Abel. —


2. Continuant l'explication du texte, il arHve k Lamecfa
dont il commente la confession. Il fait ressortir le mérite de cette confession à laquelle Lamech s'est soumis par la seule im-
pulsion de sa conscience. — 3. Il prend de là occasion de parler de la confession en général, de sa nécessité, de son efûcarité,
de sa facilité comme moyen de guérison. — 4. Interprétation du texte concernant la naissance de Selh. — 5. Eloquente exhor-
tation à la pratique de l'aumône.

1. La suite du texte expliqué hier nous sera pas hors de propos de rappeler à votre
fournira encore la matière de l'instruction charité ce que nous avons déjà exposé, et où
d'aujourd'hui nous continuerons à vous en-
; notre enseignement en est restéde la sorte ;

tretenir des livres de Moïse, ou plutôt des nous pourrons le reprendre où nous l'avons
oracles de l'Esprit-Saint oracles (juc la grâce , laissé et l'euchainement de la doctrine ne
,

divine nous a communiqués par l'organe de sera pas rom|)u. Nous avons donc traité le
son prophète. Mais pour plus de clarté il ne , sujet d'Abel et de Caïn ; nous avons montré
120 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

par leur histoire, comme par les sacrifices donc là, afin que le lieu lui-même ne cessât Je
qu'ils offraient au Seigneur que la connais- ,
luireprocher son crime comme , s'il eût été
sance du bien que nous devons faire et du gravé sur une colonne d'airain.
mal que nous devons éviter de faire est inhé- La sainte Ecriture continue Et Caïn con- :

rente à notre nature; que l'Ouvrier divin, Celui nut sa femme et^ ayant conçu elle enfanta
, ,

qui a tout fait, nous a doués du libre arbitre ;


Enoch. Puisque les hommes étaient devenus
que c'est la disposition de notre cœur qui nous mortels, ils avaient raison de se perpétuer par
vaut la condamnation ou la couronne que ce ;
la procréation des enfants. Mais, me dira peut-
fut, en effet, la raison pour laquelle le sacrifice être quelqu'un, où Caïn eut-il une femme,
d'Abel fut agréé et celui de Caïn rejeté que ;
puisque, à cet âge du moins, l'Ecriture ne
la jalousie que Caïn en conçut le poussa au fait mention d'aucune autre que d'Eve? Ne

meurtre de son frère qu'après cet exécrable


;
vous en étonnez point, mon cher auditeur ;
forfait, Dieu le provoqua à faire l'aveu de son nulle part l'Ecriture ne donne exactement
péché, que le malade repoussa ce remède divin, la généalogie des femmes; toujours soigneuse
qu'il attira enfin sur sa tête le sévère châti- ne mentionne indi-
d'éviter le superflu, elle
ment que vous savez, pour avoir ajouté le viduellement que les hommes et encore pas
mensonge au meurtre qu'il se priva ainsi de
;
tous car souvent elle dit sous une forme
,

tout secours d'en-haut, devint un exemple ca- abréviative qu'un engendra des fils et des
tel

pable de retenir dans le devoir ceux qui vien- filles. Il mit au monde,
faut donc croire qu'Eve
draient après lui que par la sentence portée
;
après Caïn etAbel, une fille que Caïn prit pour
contre lui, il instruit tout le genre humain, femme. Dans ces premiers commencements du
comme s'il lui disait à haute voix que per- : monde , la nécessité de propager la race fai-
sonne parmi vous ne commette le môme sait qu'il était permis aux hommes d'épouser

crime, s'il ne veut éprouver le même châti- leurs sœurs. Nous laissant donc faire ces con-
ment. A ce sujet je vous ai fait remarquer la jectures, d'ailleurs certaines, la sainte Ecriture
bonté du Seigneur, qui a voulu, par la peine se borne à raconter que Caïn connut sa femme,
qu'il a infligée, non-seulement corriger Caïn, laquelle ayant conçu., enfanta Enoch. Et il
mais encore apprendre à tous ceux (jui naî- constridsitime ville du nom de son fils Enoch.
traient ai)rès lui, à se garder d'un crime sem- Voyez connue ils deviennent peu à peu ingé-
blable. nieux et avisés. Mortels ils veulent du moins ,

Voyons donc maintenant la suite et consi- , innnortaliser leur mémoire, soit en engen-
dérons ce que raconte aujourd'hui ce bienheu- drant des enfants, soit en bâtissant des villes

reux ])rophète instruit par la vertu de l'Esprit- auxquelles ils donnent les noms de leurs en-
Saint. Après qu'il eut entendu sa sentence, fants. On pourrait dire avec raison que toutes
Caïn sortit de devant la face de Dieu. Que veut ces choses étaient autant de monuments de
dire cette parole sortit de devant la face de
: leurs i)échés de leur déchéance de cette
et
Dieu ? Elle veut dire qu'il fut privé de l'assis- gloire primitive dont jouissaient Adam et Eve,
tance divine à cause de son abominable action. dans huiuelle ils n'avaient nul besoin de
Et il habita dans la terre de Naïd, en face de toutes ces précautions, puisqu'alors ils étaient
l'Eden. L'écrivain sacré nous dit le lieu où dans un ne pouvait les atteindre au-
état oïi

Caïn fit désormais sa demeure , et il nous en- cun des accidents contre lesquels ils se prému-
seigne qu'il vécut non loin du paradis, afin nissaient maintenant.
conservât perpclucUoment le sou\eiiir et
(ju'il ^1 Enoch lui-même naquit Gaîdad, et Gaidad

de ce (jui était arrivé â son père après sa pré- engendra Malèlcel et Malêléel engendra Ma-
,

varication ctderénormitéde son propre crime, thusala, et Mathusala engendra Lumech. Vous
et du châtiment qui lui avait été infligé, parce voyez comme l'écrivain sacré passe en cou-
(lu'il n'avait pas su profiter, pour se CLiuduiro rant sur les généalogies, ne mentionnant que
sagement, d(î rcxcuiple de son père. Le lieu leshonunes, et laissant les fenunes sans les
lui-même qu'il hal)itait, lui rappelait continuel- nommer. De même, qu'au sujet de Caïn, il dit
lement par son nom â lui et à ses descendants, qu'il connut sa femme, sans nous dire d'où
l'agitation et le treiHl)lemoul , supplice de sa il l'avait eue de même encore, à propos de
;

vie terrestre, car le nom de Saïd est un mot Lamech il,dit et Lamcch épousa deux
:

hébreu qui signifie agitation. Dieu l'établit femmes ; la première se nommait Ada et la ,
HOMÉLIES sn\ LA GLNÈSE. — VINGTIÈME HOMÉLIE. 421

seconde se nommait Sella. Et Ada enfanta l)hète : Le juste est hii-même son accusateur
Jobcl ; celui-ci fut le père de ceux qui habi- en premier lieu. (Prov. xviii, 17.) PouC'la cor-
tent sous des tentes et qui nourrissent des trou- rection des péchés, il n'existe pas de meilleur
peaux. Et le nom de son frère fut Juhal c'est : remède que la confession. C'est quelque chose
lui qui invent'i le psaltêrion et la cithare. de plus grave que le péché lui-même, que de
iî. Remarquez ici rexactiliidc de rEcriliire. le nier après qu'on l'a commis : le fratricide

Elle nous apprend les noms des enfants de la Gain l'a bien éprouvé, lui qui, interrogé par
fenime de L.iniecli, ainsi que leurs occupa- le Dieu bon, non-seulement n'avoua pas son
tions : l'un faisait paître des troupeaux, l'autre Vrfait,mais osa mentir à Dieu, et fut pour
inventa le psalti rion et la cithare. Sella mit cela condamné à traîner une longue et misé-
au monde Tobel^ qui travailla les métaux , le rable existence sur la terre. Tombé dans le
cuivre et le fer. Ici encore, la sainte Ecriture même péché, Lamech a compris que ce qui
nous fait connaître le genre d'occupation du avait aggravé le châtiment de Gain, c'était
Gis de Sella; il était forgeron. Remarquez de d'avoir nié sa faute; c'est pourquoi il appelle
quelle manière naissent peu à fieu les arts ses femmes, et, sans que personne le con-
utiles à la vie des hommes. Premièrement, traigne ou témoigne contre lui, il fait lui-
Gain donne le nom de son fils à la ville qu'il même de sa propre bouche la confession de
fonde. Ensuite ks fils de Laniecli s'occupent, ses péchés, et comparant son crime avec celui
l'un à nourrii' des troupeaux, l'autre à tra- de Gain, détermine lui-même sa peine.
il

vailler les métaux, le troisième découvre le Voyez-vous la sollicitude de Dieu, comme il


psaltérion et la cithare. Or, la sœur de Tobel se ménage des occasions de montrer sa miséri-
fut Noéma. Voici dans une généalogie le nom corde, jusque dans les punitions qu'il infiige,
d'une fille ; c'estune chose nouvelle, mais qui comme les elTets de cette miséricorde ne s'ar-
a sa raison, raison secrète et mystérieuse que rêtent pas à celui qui reçoit la punition, mais
nous réservons pour un autre temps, afin de s'étendent, tels que des remèdes salutaires, à
ne pas mterrompre le fil de notre histoire. Le tous ceux qui ont la bonne volonté d'en pro-
passage qui suit est en ell'et très-important, il fiter? Quel autre motif aurait pu amener La-

exige tous nos efTorts et le plus sérieux examen mech à faire cette confession, excepté le sou-
pour pour nuus fournir
être bien exjdiqué et venir (pi'il avait des maux soufferts par Gain,
les plus précieux enseignements. souvenir qui bouleversait son âme ? Il dit donc :

Lamech dit à ses femmes Ada et Sella , : Ecoutez ma voix et prêtez l'oreille à mes pa-
écoutez ma voix., femmes de Lameoh , prêtez roles. G'est comme un tribunal (ju'il dresse
Voreille à mes paroles : j'ai tué un homme contre lui-même, et la chose lui paraît si grave
qui m'a blessé, et un jeune homme qui m'a qu'il veut qu'on l'écoute avec une profonde
meurtri. On expiera sept fois la mort de attention. Gar ces mots Ecoutez ma voix, :

Gain et septante fois sept fois celle de La- prêtez Voreille à mes discours, équivalent à
mech. Prètez-moi, je vous prie, toute votre ceux-ci : Rendez votre esprit attentif, appliquez-
attention, et rejetant toute pensée séculière vous, écoutez soigneusement ce que je vais
et toute distraction , scrutons avec soin ces dire. Ge ne sont pas des choses indifierentes
paroles ; ilque nous descendions à
faut que celles dont j'ai à vous entretenir, j'ai à
toute la profondeur que nous pourrons, pour vous révéler des faits cachés, des faits que per-
que nous recueillions, sans rien perdre, tout sonne ne sait que moi seul, et cet œil qui ne se
le trésor qui est enfoui dans cet étroit es[iace. ferme jamais; c'est la crainte que me donne ce
Et Lamech dit à ses femmes Ada et Sella : témoin, qui me presse et me force aujourd'hui
^.coûtez ma voix, femmes de Lamech, prêtez à vous découvrir ce que j'ai eu le malheur de
l'oreille à mes paroles. Et d'abord remarquez faire, et à vous dire à quelle vengeance je me
combien la punition de Gain a été utile à La- suis exposé parmes œuvres criminelles car ;

mech, Il n'attend pas qu'un autre vienne le con- un homme qui m'a blessé, et un jeune
j'ai tué
vaincre de son crime, mais, sans que personne homme ciui m'a meurtri. Et s'il a été tiré sept
l'accuse, ni lui fasse de reproche, il se dé- vengeances de Caïn, il en sera tiré de Lamech.
couvre lui-même, avoue ce qu'il a fait, il
il septante fois sept. Grande, et même très-grande
dévoile à ses femmes la grandeur de son parole et qui dénote en cet homme une âme
ciinie. il accomplit p-esque la parole du Pio- de? mieux disiiosée. Non-seulement il avoue ce
i22 TRADUCTION FRANÇAISE DE S.UNT JEAN CHRYSOSTOME.

qu'il a fait, et dcAoile le meurtre qu'il a com- malheureux pécheur. Le Dieu bon nous a
mis iTi'ii? il s'im|)ose une peine en comparant hé cet accusateur intime, avec ordre de
atta(

son crime à celui de Caïn. De quel [)arflon, ne j.imais nous quitter, de crier sans cesse,
sembl -t-il dire, est digne celui qui n'a y)as nous demandant compte de nos prévarications.
profité de l'exemple d'autrui pour devenir meil- Il ne faut, pour s'en convaincre, que consulter
leur, celui qui ayant continuellement dans Tes- Le fornicateur, l'adultère, ont
l'expérience.
pril le souvenir du châtiment infligé au pre- beau n'avoir pas été surpris, ils n'en sont pas
mier meurtrier, n'a pas laissé néanmoins que plus tranquilles; grâce à cet énergique et infa-
de commettre deux meurtres? J'ai tué, dit-il, tigable accusateur, ils ont peur des soupçons,
un homme qui m'a blessé^ et un jeune homme ils tremblent pour une ombre, ils craignent
qui m'a meurtri. Cq^{ comme s'il disait : J'ai ceux (}ui savent, ceux qui ne savent pas, c'est
moins lait de mal à ceux que j'ai tués que je ne dans leur âme une tempête incess'inte, des
m'en suis fait à moi-même. Car j'ai encouru flots succédant aux flots. Le sommeil, pour un
un châtiment inévitable, pui.^que j'ai commis tel homme, n'a plus de douceur, il n'a plus
des crimes trop énormes pour être pardonnes. que des craintes et des terreurs. Rien ne le
Si Caïn, pour un seul meurtre, a mérité sept récrée, rien n'apaise son trouble intérieur ni :

vengea[!ces, j'en ai encouru, moi, septante fois la suavité des mets, ni le charme d'une con-
Pourquoi, par quelle raison? En effet,
se{)t. versation amicale. Après cette mauvaise action,
ait été homicide et même fratricide,
bien qu'il faite cependant sans témoin, il est comme s'il
cependant il n'avait point devant les yeux portait partout en lui-même un boarreau qui
rexeiii[;Ie d'un homme qui eût osé un pareil le flagellerait toujours. Telles sont les peines
crJmc, qui en eût été châtié, qui eût par là qu'ilendure sans autre juge, sans autre accu-
atUré sur soi le poids de la colère de Dieu; sateur que lui-même.
deux circonstances aggravantes pour moi, puis- Si cependant le coupable veut profiter des
que j'avais sous les yeux le double exemjjle du avertissements de sa conscience, recourir à la
crime et du châtiment, et que je n'en ai pas confession de ses fautes, montrer sa blessure
été meilleur. C'est pourquoi, dussé-je subir au médecin spirituel qui l'attend pour le guérir
septante fois sept vengeances, je n'aurais pas et non pour lui faire des reproches, s'il veut
encore suffisamment payé ce que j'ai fait. recevoir ses remèdes, s'entretenir seul à seul
^. Voyez-vous, mon cher auditeur, comment avec lui sans témoin et tout dire sans rien
Dieu a créé noire volonté libre et maîtresse de dissinmler, il obtiendra vite et facilement l'ab-
ses déterminations; comment, lors(]ue nous solution de ses pochés. La confession du mal
tombons, c'est lutrj négligence qui en est qu'on a fait est l'abolition det. [-échés commis.
cause, et comment, lorsque nous voulons être Si Lamccli n'a pas refusé d'accuser devant ses
nous savons clairement distinguer le
vigilants, femmes les meurtres commis par
de quel lui;
devoir? Qui donc, dites-moi, a poussé cet ï»ardon serons- nous dignes, nous, nous ne si
homme à faire une telle confession? Personne, voulons pas accuser nos péchés devant Celui
si ce n'est la conscience, cet incorruptible juge. qui sait exactement jusqu'à la moindre de nos
Après que, suivant le penchant de la mauvaise fautes? Car il n'ignore rienetce n'est pas pour
nature, il eut mis à exécution un dessein cou- sinslruire quil veut que nous nous confessions,
pable, aussitôt la couse i(!nce se souleva en lui puisqu'il sait toutes choses avant même qu'elles
en élevant la voix contre Ténormité des crimes arrivent. Il coumiande la confession afin que
commis et en lui dén(uiçant de combien de nous ayons nous-mêmes le sentiment de nos
punitions il s'était rendu passible. Tel est le fautes, et afin que nous fassions preuve de
péché avant qu'il soit commis et accompli, il bonne volonté à son égard. Est-il question en
obscurcit raisonnement et trompe l'esprit.
le cela de grandes dépenses à faire, de longs voya-
Mais lorstju'il est cousotumé, c'est alois que ges à entrepiendre? Le traitement à subir est-
nous en voyons clainnnnt l'absuitlilé; et ce il pénible et douloure.ix? Au contraire, la
rapide et absurde p aisir si nvole, nous laissant guerison a lieu sans frais, sans douleur et
api es lui une douleur durable; il s'envole, em- prom|>tement. Le divin Médecin approprie ses
portant avec soi celle noble assurance qui fai- rt uièdes au degré de bonne volonté de celui
sait la j- ie de la ''oii eiM-.ee, api-ès
y avoir qui vient a lui pour être guéri de ses blessures.
bub&Lituo la honte dans laquelle reste abîmé le Que celui donc qui veut promptemeut recou-
HOMKLIES SUil l\ GENÈSE. - VINGTIEME HOMÉLIE. 123

vrcr la santé el soigner les plaies de son âme, n'obéissait à aucune exhortation venue du
^i^•nneau médecin, l'âme sobre et vigilante, dehors, il n'avait que sa conscience pour lui
e'dégagée de tontes les préoccui.ations sécu- faire sentir la gravité de ses fautes, et néan-
répande d'abondantes iarnies, (ju'il
lières, qu'il moins cette voix intérieure suffit pour lui arra-
donne des marques d'une grande assiduité, cher l'aveu et la condamnation de ce qu'il avait
qu'il apporte une foi ferme et une entière con- fait, et nous serions excusables, nous, de ne
fiance dans la science du médecin, et il ne pas montrer soigneusement nos blessures au
lardera pas à retrouver sa santé. médecin médecin charitable qui n'exige pour (jue cela
dont la bonté efface celle du père le plus ten- les guérir ! nous ne la
Et cette confession, si

dre! Est-il rien de moins pénible et de moins faisions y»as maintenant que le temps du jeùtte
dur que les conditions (ju'il demande de nous, nous en otfre l'occasion propice, par le calme
la contriti'^n du cœur, la componction ôc l'âme, qu'il a mis dans nos pensées, par rtxclusiou
l'aveu de la faute, une assiduité constante? Et qu'il a dorméeàtoute espèce de volupté, qu.-nd

il ne nous fait pas seulement la grâce de guérir donc pourrions nous rentrer en nous-mêmes
nos blessures, mais il en efface jusqu'à la de manière à mettre ordre aux atfaires de notre
moindre trace. Nous étions auparavant acca- conscience ? Soyons donc sobres et vigilants,
blés du poids de mille péchés et il nous fait je vous en conjure, consacrons-nous tout en-
justes. miséricorde infinie, bonté incompa- tiers à cette affaire importante, el à force d'as-
rable! Un pécheur vient, il confesse ses pé- siduité et de soin évitons un châtiment qui sera
chés, il en demande pardon, il montre une si sévère, sauvons-nous du feu de l'enfei'. C'est
ferme résolution de ne plus pécher à l'avenir, maintenant qu'il y faut travailler, maiuli nant
Et pour (jue vous ne doutiez;
et le voilà juste. que le temps du jeune vous ollre plus de res-
pas de ce miracle, écoutez cette i-arole du pro- sources par les fréquentes instructions que vous
phète : Dis tes péchés le premier, afin que lu recevez.
sois justifié. (Isaï. xliu, 26.) Il ne dit pas sim- Or, Adam connut Eve sa femme, et celle-ci
plement dis tes péchés, mais il ajoute le pre-
: : ayant conçu, enfanta un fils, et elle le nomma
mier; c'est-à-dire, n'attends pas qu'un autre Seth, disant Dieu m'a suscité une autre pos-
:

t'accuse et te convainque; préviens l'accusa- térité à la place dAbel, que Gain a tué. Arrê-

tion, hâte -toi de prendre la ()arole, ferme cette tant la liste généalogi(jue à Lamech, la sainte
bouche étrangère qui parlerait contre toi. Ecriture remonte à Adam et à sa femme, et dit :

4. Voyez-vous la clémence du juge ? Devant Or, Adam connut sa femme, et celle-ci oymtt
les tribunaux humains, si un accusé suivait conçu, enfanta un fils, et elle le nomma Seth,
Cette conduite si, prévenant les preuves, il
;
disant Dieu m'a suscité une autre posléri/e à
:

avouait tout ce qu'il a fait, il s'épargnerait la place d'Abel tué par Caïn. Elleenfa)ita, est-
peut-être la question avec ses épreuves et ses il écrit, un fils, et elle lui donna le nom de Seth.
tortures, si toutefois il im juge
avait afi'aire à Non contente d'avoir donné un nom à son
clément; mais la sentence qui coudanme au nouveau-né, la mère ajoute encore Dieu m'a :

dernier supplice, il ne l'éviterait certainement suscité une autre postérité à la place d'Abel tué
pas. Quanta notre Dieu, ce charitable médecin par Caïn. Remarquez le soin que prend cette
de nos âmes, sa bonté est infinie, el sa miséri- mère, par le nom qu'elle donne à son fils, de
corde inefi'able. Si nous prenons les devants perpétuer la mémoire de ce crime abou)iiia-
sur notre adversaire, sur le diable qui se fera ble ; que les générations futures ap-
c'est afin

notre accusateur au dernier jour et qui lest prennent le meurtre commis par Caïn, qu'elle
déjà dès cette vie, si nous faisons notre confes- dit au lieu d'Abel tué par Caïn. Parole d'une
:

sion avant que de comparaître devant le tribu- mère affligée par la douleur, troublée [lar le

Fial, si de nous-mêmes nous prenons la parole souvenir d'un triste événement, parole d'ac-
P')ur nous accuser, nous exciterons la miséri- tion de grâce pour le fils que Dieu envoie,
corde du souverain Juge, au point que non m;:is parole qui, dans le nom du nouveau-iié,
content de nous absoudre de nos fautes, il imprime d'une manière ineffaçable le crime
inscrira encore notre nom parmi ceux des dun autre fils. Et en vérité, quel deuil amer
justes. Gain n'avait-il pas causé à ses parents, lorsqu'il
Lamech n'était instruit par aucune loi avait armé sa main contre son frère, lorsqu'il

positive; il n'avait pas entendu de prophètes, il leur auiit fait voir cet enfant si tendrement
124 TRADUCTIOxX FRANÇAISE DE SAINT JEAN CilRYSOSTOME.

aimé, étt-ndu par terre, mort, privé de mouve- vers le bien et ses descendants sont appelés à
,

ment. Adam avait bien entendu prononcer son l'honneur de former la généalogie des pre-
arrêt Tu es terre et tu retourneras en terre;
: miers ancêtres de Fhumanité. Enos fut ainsi
et encore Le jour où vous en mangerez, vous
: appelé à cause de sa confiance à invoquer le

mourrez de mort; mais jusque là la sentence nom du Seigneur Dieu, et ceux qui naîtront
était demeurée en paroles , et nos premiers de lui porteront le même nom. Ici notre bien-
parents n'avaient pas encore vu ce que c'était heureux Prophète suspend sa narration, et
que la mort; Gain poussé par sa haine contre remonte encore une fois à l'origine pour com-
son frère, et par l'envie qui le rongeait inté- mencer un autre récit.

rieurement se jeta sur Abel et le tua, et il fit


,
5. Mais ne nous lançons pas dans ce nouveau
voir à ses parents un horrible spectacle. C'est chapitre, pour ne pas prolonger notre instruc-
pourquoi la mère, à qui la naissance d'un nou- tion au delà des bornes; à l'exemple de l'au-
vel enfant aidait à soulever un peu le poids de teur sacré, arrêtons-nous à cet endroit, et re-
son deuil, rend grâce au Seigneur de la conso- mettons à une autre fois, si Dieu le permet,
lation (ju'il lui accorde, mais en même temps l'explication de la suite. Maintenant je voudrais
elle veut perpétuer le souvenir du fratricide, exhorter votre charité à profiter de plus en plus
punissant ainsi à son tour le coupable d'un de notre enseignement, à vous examiner cha-
nouveau et sévère châtiment. que jour, vous demandant à vous-mêmes quel
Voyez- vous quel mal c'est que le péché ;
fruit vous avez retiré de telle instruction, quel
comme il une marque publique de
inflige fruit de telle autre; à ne pas vous contenter
honte et d'infamie à ceux qui le commettent ;
de recevoir nos paroles dans vos oreilles sans
comme après avoir privé Gain du secours les faire pénétrer plus loin, mais à leur ouvrir

d'en-haut, il en a fait le jouet du monde? vos cœurs pour qu'elles s'y fixent à demeure,
Voyez-vous comme, par son détestable péché, affermies et fortement implantées par la médi-
il est devenu odieux même à ses parents, que tation. Je voudrais aussi que, non contents de
la nature cependant incline si fort à la tendresse vous instruire pour vous-mêmes, vous devins-
pour leurs enfants. Fuyons donc, je vous en siez des maîtres pour les autres, pour les aver-
conjure, ce péché qui nous environne de tant tir et les guider dans le chemin de la vertu,

de maux, et embrassons la vertu, qui nous non-seulement par vos paroles mais surtout ,

procurera la faveur céleste, et éloignera de nous par vos exemples. Songez que si vous vouliez,
la punition. cha(j\ie fois (jue vous venez ici, en remporter
Ef il naquit un fils à Scth : et il lui donna (|uelqne fruit, corriger tjueUjue chose des mau-
lenom dEnos celui-ci mit sa confiance à
; in- vaises passions qui vous tourmentent, songez
voquer le nom du Seigneur. Remaniuez ici en combien peu de temps vous pourriez parve-
de (luolie honnnes preimcnt peu à
manière les même de la vertu. Fn etfct, nous
nir au faîte
peu riiabilude de témoigner à Dieu leur re- n'oublions jamais dans nos instructions de vous
connaissance dans les noms qu'ils doiment à inculquer les principes de la vie parfaite, afin

leurs enfants. Seth eut donc un lils et il le de vous amener à extirper de vos âmes ces
nonuna Fnos, raconte la sainle Kcrilure; puis passions (|ui leur «lonnent la mort, telles que
pour interpréter le sens de ce nom elle ajoute :
la colère, la jalousie, l'einie. Celles-là suppri-
Celui-ci mit sa confiance à invoquer le noiu mées, votre amour déréglé des richesses se
du Seigneur. Aussi est-ce par Si Ih, cl |)ar Ftios corrigera plus aisément, et quand vous l'aurez
et l(!Mrs desceiuianls (|ue le bienheureux Pro- enfin éteint, il vous sera beaucoup plus facile
phète, établira sa généalogie; désormais il laisse de vous défaire de vos pensées déshonnèles, de
de côté (]aïn et sa descendance depuis Famech. vos impures imaginations.
Gain a perdu son privilège de naissance, je La racine de tous les maux , c'est en effet
veux (lire son privilège de premier-né il : l'auwur de l'argent. (I Tim. vi, 10.1 Si donc
l'a i>erdu librement |)ar sa méchanceté, et lui nous tranchons la racine, si nous l'arrachons
et sa postérité sont exclus de la liste. Au con- entièrement, nous viendrons ensuite facile-
traire, Seth obtient par sa vertu une préroga- mc'.: a bout des rameaux. Oui, dirai-je à mon
tive (jue lanature lui a refusée: les droits de Il lu-, la forteresse des maux, la citadelle de
priniDgéniture lui sont transférés en ilépit de tous les péchés, c'est la rage des richesses , et
la nature, parce que sa volonté s'est tournée si nous voulions en triompher, nous aurions
HOMELIES SrR I,A (;EXf:SE. - VINGTIÈME HOMÉLIE. i<2T,

beau jeu pour nous débarrasser de toutes les biens ainsi transportés, etmême multipliés par
fuuesles passions qui en dépendent. Kl ne pen- la bonté de Dieu. Est-ce donc là une chose bien
sez pas que ce soit une cliosc bien ^nande et difficile, bien laborieuse, bien épineuse? Ce
bien difiicile que de Uîépriser les richesses. transport s'effectue sans bêle de somme, sans
Lorsque je considère que tant d'hommes qui, escorte, sans aucun Nul voleur ne fré-
appareil.
pour une frivole satisfaction ù donner à leur quente celte roule et ne peut dérober ce (\\ke
vanité, sacrifient de si grosses sommes pour vous expédiez ainsi. Ce que vous mettez dans
rien, pour gagner la faveur de cette vile mul- les mains des pauvres, vous le déposez en lieu
titude, de cette pojuilace en haillons qui en- sûr, puisque vous le déposez dans la main de
combre les places d'une ville, faveur qui prend Dieu. Elle conservera votre dépôt intact, celle
fin avec le soir, qui n'atl» nd pas même souvent main divine et lorsque vous entrerez dans votre
le soir pour se dissiper, faveur qui produit patrie elle vous le rendra; elle vous le rendra
quelquefois tant de déboires même avant que le avec des éloges, avec des couronnes, avec la plé-
jour finisse ; lorscjuc je considère aussi ces nitude d'un bonheur sans limites comme sans
autres qui, chez les Gentils, conçoivent une telle déclin. Ainsi donc versez, versez vos richesses et
passion pour la gloire qu'ils renoncent à tout vos épargnes dans le sein des pauvres; semons
ce qu'ils possèdent pour l'acquérir, ne se réser- tandis qu'il en est temps, afin que nous mois-
vant (ju'un vieux manteau avec un bâton, qu'ils sonnions quand la saison sera venue; ne lais-
se résignent à passer ainsi toute leur vie, à sup- sons point passer le temps opportun, notre
porter toute cette peine et cette misère parce négligence serait suivie de regrets inutiles.
qu'ils espèrent s'acquérir ainsi un peu de re- Si Dieu vous a départi les biens de ce monde
nommée chez les hommes; lorsque je réfléchis plus largement ((u'à d'autres, est-ce donc pour
à ces choses, je ne sais plus sur quelle excuse, qu'employant à votre seul usage une partie de
sur quel pardon nous pouvons compter, nous ce qu'il vous donne, vous entassiez le reste
qui n'avons pas le courage de nous imposer les dans vos coffres et dans vos greniers? Non, il
com-
plus légers sacrifices pour accomplir les n'en est pas ainsi mais selon la parole de l'A-
;

mandements de Dieu, pour acquérir une im- pôtre, il veut que votre abondance subvienne
mortelle et irnpérissable gloire. Oui, nous fai- à l'indigence de vos frères. (II Cor. vni, 14.) Et
sons moins que ces hommes,
cependant
et peut-être usez-vous de ces biens plus qu'il
quelle différence entre les récompenses à con- n'est permis, dépensant votre argent en vo-
quérir! Eux, c'est pour le gain d'une vaine luptés, en vêtements, en luxe de toutes sortes,
renommée parmi les hommes leurs semblables en esclaves, en bêles de toutes espèces? Le
qu'ils font ces grands sacrifices, au lieu que pauvre ne demande rien de tout cela ce qu'il ;

nous c'est pour notre Maître, pour Celui de qui attend de vous, c'est que vous apaisiez sa faim,
nous tenons tout, pour Celui qui nous promet que vous lui donniez le pain de chaque jour,
encore d'inctïables biens, que nous ne voulons que vous lui procuriez les autres choses néces-
pas même donner la plus petite aumône à un saires pour qu'il vive, qu'il ne périsse pas, el
pauvre ! vous ne daignez pas le faire! et cependant vous
Et de quels yeux regarderons - nous notre devriez songer que la plupart du temps, subi-
Juge après avoir négligé un commandement si tement enlevé vous abandonnez tout ce que
,

facile ? Je ne vous demande pas de. renoncer à vous avez amassé, parfois à des étrangers, à
tous vos biens. Jouissez largement de votre des ennemis et vous, que vous reste-t-il ? vos
;

abondance, et lorsque vos besoins seront salis- péchés que vous avez commis pour amasser
faits, employez à un usage nécessaire ce que ces biens, voilà tout ce que vous emportez
vous avez de superflu et d'inutile; distribuez-le, avec vous. Et que direz-vous en ce jour ter-
ce superflu, à ceux qui soufi'rent de la faim, à rible? comment vous excuse rez-vous d'avoir
ceux (}ui grelottent de froid, et, parleur moyen, traité avec tant de négligence l'aflaire de votre
2nvoyez-le dans votre patrie où vous irez bientôt salut? Ainsi écoutez mes conseils , et pendant
le retrouver. Ces malheureux vous serviront qu'il en est encore temps, distribuez vos ri-

beaucoup au transport de vos richesses dans chesses superflues aux pauvres, c'est le moyen
l'autremonde et (piand vous y arriverez, vous
; d'assurer votre salut en l'autre monde et d'obte-
lesretrouverezparlailemi utconservéts,en sorte nir, en échange de vos bien? périssables, des
que vous vivrez dans l'abondance, gfcàce à ces biens immortels que je vous souhaite à tous.
426 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

par la grâce et la cliaritc de No'rf-S'jij^noiir maiiit r.ani it tonjo ir?, et dans les siècles des
Jcsns-Christ, avec qui soient, au Père et au siècles. Air^,! ^oit-il.
Saiiii-Esprit ,
gloire, puissance et hoiiueur,

Traduit par il. JEANNIN.

VINGT-UNIÈME HOMELIE.

« Voici le dénombrement de la postérité d'Adam aujour que Dieu créa l'homme, Dieu
; le fit à sa ressemblancd;
il les créa mâle et femelle, et il leur donna le nom d'Adam, aujour qu'il les créa. > (Gen. V, 1, 2.)

ANALYSE.

1. Quoiqu'il n'y ait que dos noras propres dans ce verset, il n'en est pas moins férond en enseignements nliles. — 2. Les des-
cendants de Caïn devenant de plus en plus mauvais, Moïse arrête ler.r hisioire à Laniech, et passe à la postérité pins vertueuse
de Setli.— 3. Le nom de Sotli, expression de la reconnaissance d'Eve Euos, li's de Setli, porle un nom qui sipuilie confiance
en Dieu. — 4. L'Ecriture dit jusqu'à deux fois qu'Enoch fut açrréable à Dieu après avoir encendré Malliusala. Saint Chrysostnroe
en conclut contre certains hérétiques que le mariaee est aiiréable à Dieu. Par l'enlèvement d'Euorh, Dieu a comme révoqué li-
citement la sentence portée contre Adam. —
5. Explicalion du nom de Is'ué, il signifie repos. Sa vertu sera un repos pour le
monde au milieu de la corruption générale. — 6. Exhortation.

1.Quel trésor, quelles inetfables richesses, vant la rtràce d'en-haut qui nous guide, en
mes bien-aimés, dans les paroles qu'on vient nous éclairant de la lumière de l'Esprit-Saint,
de vous lire Je n'ignore pas qu'un grand
! d'aborder les expressions de Dieu. La divine
nombre de personnes, à la vue des noms Ecriture n'a (jue faire de la sagesse humaine
composant un catalogue, se contentent d'une pour être conq>rise ce qu'il faut ici, c'est la
;

lecture superlicielle, et s'imaginent que les révélation de l'Esprit, afin qu'instruits par
noms n'ayant aucune utilité particulière ne son secours du vrai sens de-^ pensées, nous en
sont simplement que des mots mais moi je ; , l)uissions rc^cueillir un précieux avantage. Si,
vous exhorte tous à ne pas simplement passer dans les affaires du siècle, les écrits delà mani
outre sans vous arrêter, devant ce que tient
, des honnnes , souvent détériorés par le temps,
en réserve l'Ecriture sainte. Vous n'y trouverez doivent, à une date qui so trouve entête du
pas un seul mot qui ne renfcMine nne grande manuscrit, à une simple syllabe, une grande
abondance de pensées; car c'était l'Esprit de importance, à bien plus forte raison peut-on
Dieu (jui inspirait les bienhenrenx prophètes; dire de même de la divine Ecriture, de cette
voilà |)oiu'(pioi les paroles, écrites sous la dic- composition de l'Esprit - Saint seulement, ;

tée de l'Esprit, renferment tant de trésors ca- montrons ici notre sagesse, ne coin'ons pas
chés.Ne vous étonnez pas que, dans ce catalo- sans nous arrêter; soyons attentifs, diligents,
gue de noms je m'engage à vous montrer la
, sachons tout considérer avec une exactitude
richesse des pensées (ju'il recèle. 11 n'est pas minutieuse, ne le cédons pas à ceux q'ii mon-
une syllabe, une lettre de l'Ecri-
il n'est pas trent [)onr les choses sensibles un zèle si
ture qui ne contienne un trésor de pensées ardent. Voyez en effet ceu.x qui font des
profondes. C'est pourquoi il convient, en sui- fouilles, qui déterrent des métaux; ils ne
s'arrêtent pas à la surface, ils descendent à s'était jeté dans le fratriciu^, ^ Cvaît, après
une grande profondeur. S'ils ont pu trouver un tel crime, subi le plus terr^Nc «^halunent ;

des parcelles d'or, que d'activité, que de soin cet enseignement , mes frères , ..•»s :îous
pour séparer l'or de la terre! et, après tant de sommes empressés de vous l'exposer, tes t^»-*-
faligues, ils trouvent une mince consolation ceudants ne s'étaient en rien amendés par <
de leurs labeurs ; ils savent bien pourtant que châtiment; ils s'enveloppèrent d'un tissu de
l'avantage qu'ils recueilleront ne répond pas crimes encore pires. Vous avez entendu hier
à leurs peines ; (jue, souvent, même , a[)rès Lamech racontant son péché à ses é[)Ouses et ,

tant de veilles et de travaux , ils ont été frus- décrét.uit contre lui-même le châtiment. Le
trés dans leur attente. Qu'importe. Ils |)ersis- Prophète vit donc la perversité de ces hommes
tent dans leurs elTorts ; l'espoir qui les nour- croître peu à peu, connue une humeur mal-
rit les rend iusensibles à la soulfrance. Eli bieu I saine qui se ré|tand par tout le corps; c'est

si ces liommes montient tant dadeur pour des pourquoi supprime, dans son histoire ce
il

ricbesses corruptibles, incertaines, d'une pos- débordement de la corru[)tion ces géné- ;

session douteuse, à plus forte raison nous,


si rations depuis Gain jusqu'à Lamech il ne ,

qui poursuivons des ricbesses que rien ne daigne pas les rappeler mais comme s'il ; ,

peut enlever, un trésor que rien ne peut dis- voulait raconter le commencement des choses,
siper, nous, que n'égare pas une vaine espé- consoler le deuil où la main fratricide armée
rance, devons-nous montrer autant de zèle, contre Abel avait jeté Adam
Eve et , il com-
plus de zèle, pour obtenir le bien désiré pour ,
mence son récit de cette manière : Voici le
en recueillir le fruit précieux, pour nous pé- dénoinbrement de la postérité d'Adam. Au
nétrer de la bonté ineffable du Seigneur, lui jour ciue Dieu créa Vhomme Dieu le , fit à
prouver notre reconnaissance et, forts de ; sa ressemblance ; il les créa mâle et femelle^ et
l'affeclion pleine de tendresse (jue nous au- il leur donna le nom d'Adam., c'est-à-dire ter-
rons arrachée au Dieu Notre-Seigueur, nous restres , au jour qu'il les créa.
rendre invincibles, inexpugnables, supérieursà 2. Voyez comme il se sert des nïêmes paroles
tous les pièges du démon, th bien donc puis- ! qu'au conuTienccment, pour nous apprendre
que vous avez entendu la lecture de tout à que ces générations infâmes, il ne les juge
l'heure, examinons avec soin, en détail, cha- plus désormais dignes de mémoire ; il com-
cune des expressions, et puissiez-vous, après mence à l'enfant qui vit le jour alors, je veux
avoir reçu l'instruction habituelle en rap- dire à Seth, la généalogie, pour nous apprendre
porter le bienfait dans vos demeures Voici ! combien la vie des hommes est considérable

le dénnmbreinent de la postérité d Adam^ dit devant Dieu, et counncnt Dieu déteste les âmes
le texte. Au jour que Dieu créa l'homme ,
sanguinaires. Il les passe sous silence, comme
Dieu à sa l'essemblence ;
le fit il les créa mâle si elles n'avaient p is vécu, nous montrant par là
et femelle^ et il leur domia le nom d'Adam au tout ce qu'il y a de funeste dans le péché, nous
jour qu'il les créa. vous en
Faites attention ,
je enseignant que les pervers s'attirent les plus
conjure voyez la sagesse de ce prophète admira-
;
grands maux. Voyez les voici dorénavant ;

ble, ou plutôt, renseignement du Saint Esprit; rayés du catalogue on ne rappelle leur souve^
;

car, connue nous l'avons souv( ni dit, c'est par nir que pour montrer l'infamie de leur perver^
l'inspiration du Saiut-Espr tqj'il nous parle; il silé, (|ue pour l'exemple et la correction des

n'a fait que lui prêter sa! .ngue, c'est la grâce générations qui les suivent. Mais celui que
du Saint-Esprit qui instruit, en se servant l'injustice a mis à mort, que la main d'un
de lui toute l'espèce humaine. Voyez donc
, frère a privé de la vie, depuis ces tenips jus-
comme il ramène le discours à l'origine des qu'à nos jours, est loué par toutes les bou-
choses, comme
reprend les choses qui ont
il ches. Aucun temps n'a éteint la mémoire de l'un,
nrécédé. Pourquoi et dans quel but ? C'est , ni diminué le crime de l'autre; celui-ci, tous
qu'il a vu les hommes de ce temps manifes- les jours, est célébré par tous les hommes;
ter une grande ingratitule; le malheur de l'autre demeure, pour jamais, comme attaché
notre premier père ne les avait nulKiueut cor- à un inl'àme [)Oteiu.
ligés ils étaient plongés dans l'.ibîme d'une
; Couiprent z-vous tout ce qu'a de funeste la
mahgnite aus^i profonde. Celai qui et ut né du corruption, tout ce que la v.tIu a de forée?
premier homme, excité bientôt par i'euvie, Comprenez- vous comment la malice uicme,
128 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CIIRYSOSTOirE,

qui attaque et qui triomphe, est frapiite de Adam ,


qui n'était pas seulement attristé de
mort et s'évanouit? comment la vertu, allaquée, sa faute, mais plongé, par le crime de Caïn,
persécutée dans des combats sans nombre, ac- dans un deuil insupportable. Il avait vu, de
quiert par cela même {»lus d éclat et plus de ses propres yeux, le corps d'Abel massacré il ;

gloire? On pourrait encore tirer d'autres évé- ne savait pas auparavant quel était l'aspect delà
nements sem.blables le même enseignement mort, quoique la sentence de mort eût été por-
pour vous, mes bien - aimés, mais ne nous tée. Adam subissait donc une double et triple
écartons pas de notre sujet reprenons les pa-
; cause de deuil, car ce fut pour la première fois
roles que vous avez entendues Voici le dé- : qu'on vit la mort introduite dans la vie, la
nombrement de la postérité d'Adam. Au jour mort violente, l'œuvre d'un fils contre un frère,
que bicu créa Choiiwie^ Dieu le fit à sa res- né du même père et de la même mère, fil o^
semblance ; il les créa jnâle et femelle, et il leur frère n'avait fait aucun mal à son meurtrier.
donna le nom d'Adam au jour qu'il les créa. Dieu voulant donc, dans sa bonté, donner au pre-
Voyez comment, par cette manière de repren- mier père une consolation égale à ses douleurs;
dre le récit dès le commencement du monde, lui accorde un autre fils; vous savez son nom,
la divine Ecriture nous rappelle llionneur in- Seth ; et, après lui avoir envoyé cette consola-
signe que l'homme a reçu de son Créateur. .4?/ tion suffisante, il tire, de ce fils, le commen-
jour, dit TEcrilnre, que Dieu créa Vlioimnc, cement de la nouvelle postérité. Voilà pourquoi
Dieu le fil à sa ressemblance , c'est-à-dire le ,
le bienheureux prophète commence par ces
mit à la tête de toutes les créatures visibles ;
paroles : Voici le dénombrement de la postérité
en effet, cette expression, à sa ressemblance, d'Adam. Ensuite, comme il a promis de racon-
doit s'entendre de la domination et du com- ter la suite des généra. ions humaines, voyez la
maïuiement; car, de même que Dieu com- succession qu'il expose : Adam ayant vécu
mande à toutes les créatures, tant aux visibles cent ti'ente aivi engendra un fils à son itnnge
qu'aux puisque c'est lui qui a tout
invisibles, et à sa ressemblance, et il le nomma Seth;
créé, qui a tout fait; de même, quand il forma après qu'Adam eut engendré Seth, il vécut sept
l'animal qui a le privi!é!.^e de la raison, il a cents ans, et il engendra des fils et des filles; et
voulu lui conférer l'honneur insigne de com- tout le temps de la vie d'Adam ayant été
mander à toutes les créatures visibles. En con- de neuf cent trente ans. il mourut. (Gen. v,
sé(]uciice il lui a donné la substance de l'àme, 3, 4, ri.)

voulant qu'il possédât, lui aussi, l'immoitalité, 3. N'avais-je pas raison de dire en commen-
la perpétuité. Et maintenant, quand Ihomme çant que rien n'est laisscau hasard, que chaque
fut déchu par sa faute, (juand il eut trans- mot renftrme des pensées dans l'Ecriture
gressé le conuTiandement (jui lui avait été sainte? Voyez encore ici le soin diligent du
fait, même alors, Dieu ne se détourna pas bienheureux prophète Adam, îSM-W, engendra :

tout à fait de lui. Toujours miséricordieux, un fils à son image et à sa ressemblance, et il le


il lui enleva sans doute l'iuuuortalité, mais il nomma Seth. Quand il parlait de son premier
maintint dans le même honneur celui (pii était fils, de Gain, il n'a rien dit de pareil, faisant
condamné à mourir. Plus tard, quand le fils
du premier homme se laissa emporter à une
déjà pressentir le penchant qui le portait au
mal. et
1
le prophète avait raison; car il ne con-
telle fureur, lorscpie Gain eut, le premier, fait serva i«is les mœurs cjui caractérisaient sor
voir au monde la face de la mort, le
meurtre jière, mais il emporter vei^
se laissa bien vite
dans toute sa violence, et, joignant au meurtre le mal. au contraire, il dit Ason image et
Ici, :

le mensonge, eut manifesté toute espèce de à sa ressemblance, ce qui veut dire ayant les :

perversité, Dieu voulut, par uiilongchàlinient, mêmes mivurs ipie celui (jui lavait engendré,
le corriger, non-seulement pourtju'il pût tirer conservant les mêmes caractères de vertu, des-
son avantage de ce qui lui arrivait à lui-même, tiné à reproduire par ses œuvres l'image de
mais aussi pour que les générations suivantes son père, à réparer, par sa vertu particulière,
puî!scnt connaître letendue du forfait, l'excès, la faute de son frère aîné. En
effet. l'Ecriture ne
l'infamie du crime. Maintenant, lorsque ces parle pas ducorps, quand ellodit:
ici des traits
générations Ifuhes, corrompues, tombèrent A son image et à sa ressemblance, mais des
insensiblement dans des vices plus affreux «jualités de l'àme, afin que nous comprenions
encore. Dieu voulut, pour ainsi dire, consoler que celui-ci ne ressemblera pas à Gain. Aussi
HOMÉLIES SUR U GEiNESE. ~ VLNGT-UiNiÈME HOMÉLIE. 119

la Selh, en donnant un nom à son fils,


mère de célèbre le bienfait du Seigneur. Voyez avec
entendre des actions de grâces; et ce n'est
fait quelle bonté le Seigneur fait, de son côté, ce

ni à la naliiro, ni à rcnfantement, (|u'ellc qui dépend de lui; il ne se contente pas de lui


attribue son nouveau fils, mais à la vertu de donner un antre fils, mais il indique d'avance
Dieu. C'est, en effet, cette vertu qui rendue
l'a la vertu qui sera en lui. En effet, dit l'Ecriture,

féconde; elle le nomme du nom de Setli, en Adam engendra un fils à son image et à sa res-
disant Dieu a fait renaître en moi un autre
: semblance. Et pour nous faire comprendre,
germe à la place d'Abel que Caïn a tué. tout de suite, la vertu de ce fils, voyez comment
(Gen. IV, 25.) Voyez le choix de l'expressionl Adam lui-même fait voir, par le nom qu'il
elle ne dit pas Dieu m'a donné, mais, Dieu a
: donne à son fils, la piété de son âme // naquit :

fait roi'iîtrf. Faites altrnlion, voyez comme le aussi un fils à Seth qu'il appela Enos ; celuici
texte montre ici, à mots couverts, les préludes commença d'invoquer le nom du Seigneur
de la résurrection elle semble dire A la place
; : Dieu. (Gen. iv, 26.) Voyez-vous ce nom plus
de celui qui est tombé, Dieu a fait renaître en beau qu'un diadème plus brillant que la ,

moi celui-ci. Abel, frappé par la main de son pourpre? qui pourrait être plus heureux que
frère, est tombé, dit-elle il est mort, mais la : celui qui se fait une parure de l'invocation du
vertu de Dieu, à la place de celui qui est mort, Seigneur et qui la porte dans son nom ?
a suscité celui-ci. Comme ce n'était pas encore Voyez-vous, ce que je disais en commençant,
l'beure de la résurrection, il n'a pas rappelé que l'on trouve dans des noms, dans de simples
à la vie celui qui est tombé, mais il en a fait re- noms, de riches trésors? Ici, en effet, se mon-
vivre un autre à sa place, voilà pourquoi elle dit: tre , non-seulement la piété des parents , m ds
Dieu a fait renaître en moi un autre germe à la leur attention, leur diligence pour leurs en-
place d'Abel que Caïn a tué. Avez-vous com- fants. Nous voyons, ici, comment tout de suite,
pris la rt'con naissance de la femme? Avez-vous dès le commencement , ils instruisaient leurs
compris la bonté de Dieu, sa promptitude à enfants qui venaient de naître; comme ils les

leur envoyer la consolation? Imitons notre avertissaient, par les noms qu'ils leur avaient
mère, tous tant que nous sommes sachons ; donnés, de pratiquer la vertu. Ce n'était pas
reconnaître toujours la grâce d'en-haut; quoi alors comme aujourd'hui , au hasard
,
et le ,

qu'opère la nature, elle n'opère rien pourtant, premier nom venu qu'on donnait; l'enfant,
par sa vertu |>ropre, mais par l'ordre de Celui dit-on aujourd'hui s'appellera comme son ,

qui l'a créée, il commande, elle obéit. Et que aïeul ou son bisaïeul; autrefois on procédait
lesfemmes ne se livrent jamais à la douleur, autrement on mettait tout son soin à doniN r
;

pour n'avoir pas d'enfants qu'elles se réfugient ; aux enfants des noms qui excitaient à la ver: u
dans une affection pleine de gratitude, auprès non-seulement ceux qui avaient reçu ces noms,
du Créateur de la nature. Ce qu'elles deman- mais aussi tous les autres hommes, même
dent, qu'clU-s aillent le réclamer au Maître et dans les âges à venir: ces noms étaient t( ut
Seigneur de la nature, qu'elles n'attribuent pas un enseignement de sagesse. La suite de ce
à leur époux, à quelque cause que ce puisse discours nous le fera bien voir. En consé-

être, la naissance de leurs enfants, mais au quence ,


ne donnons pas aux
nous aussi ,

Créateur de tous les êtres, à celui qui a produit enfants les premiers noms venus, les noms
de rien la nature, à celui qui peut corriger les des aïeuls, des bisaïeuls les noms qui mar- ,

défaillances de la nature. La i)remière femme quent une naissance illustre; donnons-leur


a trouvé, même dans sa douleur, un motif de les noms des saints de ceux dont les vertus ,

glorifier Dieu c'est au Seigneur qu'elle attri-


;
ont de ceux qui ont dû leur gloire à
brillé ,

bue tout Dieu a fait renaître en moi un autre


: leur confiance, à leur force dans le Seigneur ;
germe, à la place d'Abel que Caïn a tué. Voyez, ou plutôt, que ces noms ne fondent la con-
non-seulement elle ne se plaint pas, elle ne fiance, ni des parents, ni des enfants qui les
prononce aucune parole amere (la sainte Ecri- portent. En effet, à quoi sert un mol, vide par
ture aurait rapporté toute parole de ce genre, lui-même de vertu? Ce qu'il faut à chacun de
qu'elle aui.it pu prononcer), mais, au con- nous, c'est d'attendre son salut, en l'opéran'.
t aire, elle supporte avec comage ce qui est par la vertu ; la sag«;>se ne réside pas dans les
ai rivé; elle se console prompleuient; elle ma- noms, dans la parenté avec les saints dant ,

quelque titre extérieur, mais dans la couiiaucc


nifeste une reconnaissance plus yisQ', elle

Cu. — To^ii
S. J. V. 9
130 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

que l'on dans ses propres œuvres.


puise prend ce détail et nous dit Et il fut agréable :

Disons mieux ne faut pas que nos œuvres


: il à Dieu après l'avoir engendré. C'est pour que
exagèrent le sentiment que nous avons de nul ne regarde le mariage comme un obstacle
nous-mêmes; au contraire, soyons humbles, à la vertu. Si nous avons la tempérance, ni l'é- k
soyons modestes, encore plus quand nous pou- ducation des enfants, ni le mariage, ni quoi ^
vons entasser des trésors de vertus; c'est par que ce soit, ne sera un obstacle pour devenir
là, en effet, que nous mettrons en sûreté, qu'il agréables à Dieu. Voyez, en effet, cet homme
nous sera donné de conserver les richesses ac- de la même nature que nous il n'avait pas :

quises, et de nous concilier la bienveillance de reçu la loi, il n'avait pas été instruit par l'Ecri-
Dieu. C'est pour cela, en etfet, que le Christ di- tuie, il n'avait aucun guide pour le conduire
sait à ses disciples Lorsque vous aurez accom-
: à la sagesse.Eh bien il a trouvé en lui-même,
!

pli tout ce qui vous est commandé, dites: Nous dans les ressources de sa volonté, de quoi se
sommes des serviteurs inutiles (Luc, xvii, 10), rendre agréable à Dieu, de telle sorte qu'il est
réprimant par tous les moyens l'orgueil de la vivant, vivant encore aujourd'hui, qu'il n'a
confiance, persuadant la modestie, prévenant jamais éprouvé la mort. Si le mariage, mes
la présomption qui résulterait des bonnes bien-aimés, ou l'éducation des enfants était
œuvres, leur faisant voir que la première de un empêchement à la vertu, le Créateur de
toutes les vertus c'est, dans les bonnes œuvres, toutes choses n'aurait pas du mariage unfait

la sagesse qui garde la mesure. des états de notre vie pour nous blesser
,

4. Revenons maintenant à notre sujet, voyons dans nos premiers intérêts, pour nous faire
la suilo des générations qui ont succédé. Il est perdre ce qui nous est le plus néceseaire mais ;

probable qu'en nous avançant pas à pas nous non - seulement le mariage n'oppose aucun
trouverons un plus grand trésor d'abondantes obstacle à la sagesse que Dieu commande,
et d'ineffables richesses. Et, dit l'Ecriture, non-seulement il ne nous gène en rien si nous
Enos, fils de Seth, ai/ant vécu cent quatre- foulons pratiquer la tempérance; mais, au
vingt-dix ans engendra Caïnan; et Caïnan
, contraire, c'est une grande consolation, c'est
engendra Malaléel, et Malaléel engendra Jared; un frein qui réprime la fougue insensée de la
et Jared engendra Enoch. Enoch vécut cent nature, qui prévient comme le trouble des flots
soixante-cinq ans et engendra Mathusala. Or, qui nous tourmentent c'est un moyen pour
,

dit l'Ecriture, Enoch fut agréable à Dieu, nous de faire heureusement voguer notre bar-
et il vécut, après avoir engendré Mathusala, que jusqu'au port, et voilà pourquoi la divine
deux cents ans, et il engendra des fils et des grâce a donné aux hommes cette consolation.
filles. Et tous les jours de lavie d'Enoch furent Ce juste, dont nous vous parlons, montre bien
de trois cent soixante-cinq atis. Enoch fut la vérité de nos paroles après qu'Enoch, dit
;

agréable à Dieu, et il ne parut plus parce que l'Ecriture, eut engendré Mathusala, Enoch fut
Dieu l'enleva. (Gen. v, 7 24.) N'avais-je pas
, agréable au Seigneur. Et il ne pratiqua pas la
raison de dire qu'en nous avançant pas à pas, vertu pendant un petit nombre de jours; il
nous trouverions dans ces noms un trésor vécut, (lit l'Ecriture, deux cents ans. Après la
spirituel, inell'able? Considérez ici, mon bien- transgression d'Adam, il s'est trouvé un homme
aimé, et la vertu de l'homme juste et l'excès , capable de s'élever jusqu'au faîte le plus haut
de la bonté de Dieu, et le soin diligent de de la vertu, de ré|vu-er la faute de notre premier
l'Ecriture sainte. Enoch, *\\\\g texte, vécut cent père, par la faveur particulière dont il jouis-
soixante-cinq ans et engendra Mathusala, et, saitauprès de Dieu. Voyez ici comme sura-
Enoch fut agréable à Dieu, après
dit l'Ecriture, bonde la bonté divine Aussitôt que Dieu eut
1

avoir engendré Mathusala. trouvé un homme capable de réparer le péché


Que tous écoulent, et les hommes et les d'Adam, Dieu, pour montrer par la réalité
femmes , (juc tous apprennent la vertu de qu'iln'avait pas voulu frapper de mort le
rhonune juste, et que nul ne s'imagine que le genre humain, à cause de la désobéissance
mariage soit un empêchement pour qui veut d'autrefois, quand il condamnait cette déso-
se rendre agréable à Dieu ; car la divine Ecri- béissance prend Enoch et l'enlève vivant.
,

ture se propose ici de nous instruire quand Enoch, dit l'Ecriture, fut agréable à Dieu, et il
elle nous dit, à deux reprises : Engendra Ma- lie parut plus, parce que Dieu Vetileva. Voyez-
thusala et alors fut agréable , quand elle re- yous la sagesse du Seigneur il l'enlève vivant^
1
131

il ne lui donne pas rimmôrlalit(5, de peur d'af- précède l'événement longtemps d'avance, pour
faibllrlacrainte du péché; maisil laisse au milieu montrer sa miséricorde et priver de toute ex-
des hommes celte crainte dans toute sa force. cuse ceux qui étaient réservés, dans l'avenir
C'est par cette raison qu'il révoque, pour ainsi au châtiment.
dire, d'une manière obscure et latente, la sen- Mais peut-être me dira-t-on : d'où Lamech
tence portée contre Adam. Il ne le fait pas visi- avait-il reçu une telle puissance de prophélie ?
blement, parce qu'il faut que la crainte serve à Est-ce que l'Ecriture nous apprend que sa
nous corriger. Voilà pourquoi comme Enoch , vertu fut sublime, admirable? Cessez de vous
lui était tout à fait agréable, il l'enleva. Main- étonner, mon bien-aimé; dans sa sagesse, dans
tenant, si la curiosité s'avise de faire des ques- sa puissance, Notre-Seigneur emploie souvent
tions Et où l'a-t-il enlevé ? est-ce qu'il est vi-
: des êtres indignes à la prédiction d'étonnr.atcs
vant aujourd'hui encore ? je réponds à la merveilles et c'est ce que nous voyons
, non- ,

curiosité que cette complaisance pour la pen- seulement dans l'Ancien Testament, mais aussi
sée humaine est peu convenable qu'il ne faut ,
dans le Nouveau. Ecoutez l'Evangéhste nous ,

pas explorer si curieusement les actions de parlant de Caïphe le grand prêtre des Jcifs :
,•

Dieu, qu'il faut croire à la parole. Quand Dieu Or il ne disait pas ceci de lui-même mais, ;

prononce , il ne doit pas y avoir de contradic- étant grand prêtre cette année-là, il prophétisa
tion; ce que Dieu révèle par ses paroles mérite, que Jésus-Christ devait mourir pour la nation
quoique invisible plus de foi que tous les ob-
,
des Juifs , et non-seulonent pour cette nation ,

jets soumis à nos regards l'Ecriture dit que ;


mais aussi pour rassembler et réunir les na-
Dieu l'enleva, que Dieu l'enleva vivant, qu'il tions qui étaient dispersées. (Jean, xi, SI.)
n'a pas éprouvé la mort, que, par la faveur Vous trouverez un exemple du même genre à
particulière dont il jouissait auprès de Dieu, il propos de Balaam. En elîet, appelé pour jnau-
est devenu supérieur au décret porté contre dire le peuple , non-seulement il ne le maudit
tous les hommes. Où Dieu l'a-t-il enlevé ? que pas mais encore il prédit beaucoup de choses
,

fait il aujourd'hui d'Enoch? l'Ecriture ne l'a étonnantes, non-seulement concernant le peu-


pas dit. ple, mais encore sur l'avènement de notre Sau-
5. Vous voyez la bonté de Dieu : il trouve un veur. (Nomb. XXIV.) Cessez donc de vous éton-
homme d'une vertu parfaite
ne lui ravit , et il ner du nom qu'ici Lamech a donné à son
pas la dignité qu'il avait accordée au premier enfant, mais rapportez le tout à la sagesse de
homme avant sa désobéissance. Dieu nous Dieu qui dispose toutes choses. Et il l'appela
,

montre par là que, si la séduction du démon Noé. Ce nom signifie : repos. Ainsi cette des-
n'avait pas prévalu chez Adam contre l'obéis- truction universelle, qui doit venir aprè? tant
sance, ill'aurait honoré d'une dignité égale, su- d'années, on l'appelle repos; c'est ainsi que Job
périeure peut-être. M
athusala, ayant vécu cent dit : La mort est un repos pour Vhomme. (Job
quatre-vingt-sept ans, engendra Lamech ; La- m, 23.) C'est que la corruption est une fatigue,
mech ayant vécu cent cpiatre-vingts ans en-
, un travail , un excès de peines ; et ce qui l'ar-
,

gendra un fils qu'il nomma Noé^ en disant : rête, et ce qui la retranche, le désastre qui de-
Celui-ci nous fera reposer de nos travaux , et vait la faire disparaître, on l'appelle repjs ; et
des fatigues de nos mains, et nous consolera il V appela , dit le texte , du nom de Noé. Suit

dans la terre que le Seigneur a maudite. (Gen. l'explication du nom Celui-ci nous fera repo- :

V, 25-29.) Voyez maintenant dans le nom ser de nos travaux c'est-à-dire, nous détour- ,

du fils de Lamech une nouvelle preuve de la nera de notre iniquité et des fatigues de nos ,

grandeur des mystères, de l'excellence de la mains; c'est la même pensée nous détour.. cra, :

prophétie , de l'ineffable bonté de Dieu. Dieu , veut dire le texte , de nos œuvres mauvaises.
dans sa prescience ,
prévoyait les choses à ve- L'Ecriture, en effet, n'entend pas les douleurs
nir ;
quand il vit que la malice des hommes proprement dites des mains, mais les œuvres
croissait de jour en jour, il prédit, dans le nom mauvaises les actions criminelles qui ont
,

de cet enfant, les maux qui devaient fondre augmenté les douleurs; et nous consolera dans
sur toute la race des hommes, afin que, corri- la terre que le Seigneur a maudite, c'est-à-dire
gés par la terreur, ils pussent renoncer à leurs nous affranchira de tous les maux qui cous
vices et embrasser la vertu ; et voyez la pa- pressent des fatigues et des misères que
,

tience du Seigneur, qui a soin que la prophétie subissons en cultivant la terre qui a
m TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CIIRYSOSTOMÊ.

la malédiction, à cause de la désobéissance du quons-nous à pratiquer la vertu, à regarder


premier homme. Faites ici une remarque, comme un grand bien de nous rendre agréables
mon bien-aimé ce petit enfant grandit peu à
;
à Dieu ne faisons pas, du gouvernement de
;

peu, et il est, pour tous ceux qui le voient, une notre maison, ni des inquiétudes que nous con-
occasion de s'in?truire car bientôt chacun de ,
cevons pour nos femmes, ni des soins que nous
ceux qui s'informaient du nom de l'enfant a devons à nos enfants, ni de tout autre motif, un
dû connaître en entendant l'explication de ce
,
prétexte, une excuse, suffisante à nos yeux, pour

nom , la destruction universelle qui devait ar- qu'on nous pardonne notre négligence et notre
river.Supposez qu'un homme inspiré l'eût paresse ne répétons plus ces paroles, sans por-
;

seulement annoncée par avance la prédiction ,


tée, Je suis du monde, j'ai une
sans raison : i
eût été aussitôt oubliée, tous n'auraient pas femme, je m'occupe de mes enfants; ce que l'on T
connu le terrible châtiment; mais voici que a coutume de nous dire, quand nous deman-
celui que tous les yeux peuvent voir annonce dons que l'on s'applique aux travaux de la
en temps opportun, et bien avant le temps, la vertu, qu'on se livre avec ardeur à la lecture
colère du Dieu indigné. Et maintenant pour de l'Ecriture sainte. Ce n'tst pas mon aflaire,
que nous sachions exactement combien de me répond-on; est-ce que j'ai renoncé au
temps, rien que par le nom qu'il portait, le monde? est-ce que je suis un moine? Que
fils qui portait ce nom a continué d'avertir dites-vous, ô homme? N'appartient-il qu'aux
tous les hommes de renoncer au péché et moines d'être agréables à Dieu ? Ce sont tous
d'embrasser la vertu , afin de pouvoir se sous- les hommes qu'il veut sauver, qu'il veut voir
traire a la colère, l'Ecriture dit : Noé, ayant venir à la connaissance de la vérité (I Tim. ii,

cinq cents ans, enfjendra trois fils. (Gen. v, 32.) 4), pratiquant toutes les vertus. Entendez-le,
Vous voyez encore une fois un autre juste avec nous disant par le Prophète Je ne veux pas :

une épouse et des fils, qui s'est rendu, en opé- la mort du pécheur, mais qinl se convertisse et
rant le bien , tout à fait agréable à Dieu ;
qui, qu'il vive. (Ezêchiel, xvin, 23.) Voyons, répon-
faisant le contraire de tous les autres , a choisi dez-moi, est-ce que ce juste a trouvé un obs-
le chemin de la vertu ; et, ni le mariage, ni tacle dans l'union qui l'attachait à son épouse, _
l'éducation des enfants n'ont été pour lui un ou dans le soin qu'il prenait de ses enfants? '-M
obstacle. Et maintenant ce qu'il faut admirer, Donc, je vous en conjure, ne soyons pas les
c'est l'inellable patience de Dieu et la corrup- premiers à nous trom|)er nous-mêmes. Plus
tion prodigieuse des hommes de ce temps. nous sommes en proie aux inquiétudes, plus
Voilà, en effet, pend.int cinq cents ans, un nous devons être avides des remèdes que nous
juste qui crie, dont le seul proclame le nom fournit la lecture de l'Ecriture sainte. N'est-il
déluge universel, qui viendra pour punir donc pas vrai que ces justes furent des hommes
l'excès de la malice humaine, et, malgré cet comme nous, et n'eurent pas. autant que nous,
avertissement ils n'ont pas renoncé à leurs
, des secours pour la vertu ? Quelle sera donc
ini(]Milés. Cependant le Dieu de clcm-nce notre excuse à nous, qui jouissons d'une telle
,

même après une prophétie si éloquente, après doctrine, qui avons obtenu tant de grâces, qui
tant d'années, n'en\oie pas encore le châti- sommes fortifies d'en-haiit, qui a^ons reçu la
ment; il ajoute encore à «a patience, il ajoute promesse de ces biens ineffibles. si nous n'al-
encore queUjues années à sa douceur qui sup- liotis [tas [)lus a\ant que les lionmies d'autre-
porte le mal. C'est (ju'en etiet il n'a pas créé le fois dans la vertu Si nous voulons prali(|uer
!

genre humain pour le punir, mais, tout au la sagesse, il suffit simplement des paroles
contraire pour le combler d*inn(»inbral)les
, entendues aujourd'hui pour exciter en nous
biens, dont il nous verrait jouir. Voila |)our- l'amour du bien, pour nous montrer qu'entre
quoi vous voyez partout Dieu niètne hésitant, le bien et nous il n'y a pas d'obstacle. Si les
ajoutant les délais aux délais, retardant le châ- hommes qui vivaient avant la loi ont pu, par
timent. Mais nous ne voulons j>as, sous la les seules lunuères de la nature, atteindre à
multitude de noi> paioles, aceaber votre mé- une \erlu si haute, (|ue pourrons-nous dire,
moire nous nous arrêterons ici ajournant à
; , nous, ijui, aprè^; tant de soins qu'on a pour
demain les autres explications. nous, après l'avènement du Christ, après tant
j
C. Ne nous contentons pa d'entendre simple- de miiaelt s sans nombre, sonmus eneore si i
jneut CCS paroles, mes bien-aimcs; mais appli- loin de layyrlu? Aussi, je yous eu conjure,
HOMÉLIES SUR LA GENESE. — YLNGT-UNIÈME HOMÉLIE. m
ne nous contentons pas de venir simplement cela, quand les soins qu'elle réclame, non-
j)Our voir ce (lu'il y a dans l'Ecrilure sainte; seulement sont chose aimable et facile, mais
soyons allentifs; lisoiis-ia pour ({u'clie nous encore ne réclament ni dépenses ni fati- ,

soit utile, pour en retirer aussi taid (|ue vous gues? Quand le corps est malade, il faut do
voudrez, pour en extraire, un jour, {juelque l'argent et de l'argent, soit pour les médecins,
vertu chère à Dieu, et dont nous ferons notre soit pour d'autres nécessités, néees-ités de vê-
coïKiucle. Car, s'il faut que tous les jours nous tements, d'aliments. Je ne veux pas mentionner
vous annoncions à grands cris cette doctrine dépenses au delà du nécessaire, les dé-
ici les

spirituelle, tandis que vous resterez dans la penses du luxe. L'àme, au contraire, n'a nul
même inertie, à quoi vous servira ce conti- besoin i)arcil. Si vous voulez, puisque chaque
nuel enseignement? Quelle sera pour nous jour vous fournissez au corps de la nourriture,
la consolation, à voir que tant d'efforts que puisque vous dé[)ensez pour le corps, de l'ar-
nous prenons sont inutiles, et que nous ne gent,si vous voulez, de même, que votre âme

gagnons rien avec tout notre zèle? Voyons, ne meure pas de faim, si vous cnsenfez à lui
parlez-moi ;est-ce que nous ne sommes pas donner la nourriture convenable, vous con-
composés de deux substances, je dis d'une naissez bien le texte de l'Ecriture, l'avertisse-
âme et d'un corps? Eh bien! donc, pourquoi ne ment spirituel : L'homme ne vit pas seulement
dépensons-nous pas également nos soins pour de pain, dit le Seigneur, mais Ce toute parole
tous les deux? Comment se fait-il que nous qui sort de la bouche de Dieu (Malth. iv, 4)
soignons notre corps de toutes les manières, prenez donc le parti le plus sage, occupez-
que nous faisons venir les médecins, que per- vous de la substance «jui est pro|>rement la
sonnellement nous le soignons avec la plus nôtre. Eh bien donc! comme vous fournissez
grande diligence, nous le couvrons d'ctoffes au corps des vêlements variés, vous tenez
précieuses, nous prenons de la nourriture plus compte de la diversité des saisons dans la di-
qu'il n'en faut, nous \oulons qu'il soit dans versité de vos vêtements, faites de même pour
un état de prospérité continuelle, qu'aucun l'àme, ne la négligez pas, ne la laissez pas aller
mal ne vienne jamais le tourmenter? Si, par- et venir nue, dépourvue de bonnes œu^res; rc-
fois, quelque trouble le dérange, nous met- vêtez-la des vêtements qui lui vont, et .aissilôt
tons tout en mouvement pour écarter ce vous la réconforterez, vous lui rendu z la santé
qui l'importune. Et ce que je dis, je le dis qui convient à sa nature. Quels sont les \cte-
de ce corps qui n'est que la seconde de nos ments de l'àme? L'aumône, largent prodigué
substances; car enfin, voyons quelle est la
: aux pauvres; c'est là le plus beau vêteiuent do
plus noble? Est-ce l'àme ou le corps? S'il l'àme; voilà ce qui lui l'ait un splendide man-
faut en faire voir à vos yeux la différence, re- teau. Et maintenant, si vous voulez non-seule-
manjutz donc »iue votre corps n'est plus rien, ment lui donner d< s vêtements, mais, de j»his,
du nument que l'àme s'eu est séparée. Eh la parer, l'enibellir, comme vous faites du
bien 1 vous, qui prenez pour ce corps un si corps, ajoutez-y le secours (|ui \ient des prières,
grand souci, par quel motif, en vue de quoi, la conlession des ])éches ; ne cessez pas de laver
meprisez-vous tant votre âme, au point de ne la lace de votre âme dans les larn»es de la

pas lui donner sa part de nourriture? J'en- pénitence. Tous les jours vous vous la\ez le
tends par là les avertissements de l'Ecriture visage avec une entière sollicitude, de peur
sainte. Aux blessures, aux ulcères qui éner- que quelque tache n'enlaidisse votre figure,
vent ses forces, qui détruisent sa confiance, applicjuez à votre âme un soin du mèmt.'
vous u'apportez pas les remèdes convenables; genre; purifiez-la chaque jour par vos larmes
vous la laissez, cette âme méprisée, se dessé- brûlantes. Voila qui enlève les taches de lame,
cher par la faim, pourrir dans ses ulcères; et lui lend sa pureté elsa gioire.

passez moi le mot, vous la jetez aux chiens, El puisque l'iniolente vanité d'un grand
aux pensées mauvaises, aux pensées crimi- nombre de femmes méprise ce précepte de
nelles, qui la déchirent, qui décomposent, qui l'Apôtre : Quelles se parent non acec des che-

ruini nt lout ce qu'elle avait d'énergie. veux frisés, ni des ornements dor^ ni dts per-
Nous prenons soin du corps que nous avons les^ ni des habits somplueur (I Tun ii, 9),
sous les yeux: pourquoi ne soignons-nous pas puisqu'elles déploient un grand luxe dans la
égidement l'àme; ingçrporelle , invisible, et violation de ce précepte ; et puisque non-seule-
431 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

n,ent les femmes mais, aussi tout ce (lu'il y a donnez-les-leur à manger, et, en échange,
ci hommes indolents et mous, se rabaissent à ils donneront à votre âme cet éclat de beauté
] état de femmelettes, et que nous les voyons, des qui attirera près d'elle son vrai fiancé, avec
l-agues aux doigts, couverts, chargés de pier- ses mille et mille trésors. Quand vous avez par

reries, dont ils devraient rougir, qu'ils de- votre beauté, forcé votre Seigneur à venir près
vraient cacher; je dis que ces hommes, je dis de vous, vous tenez alors, vous possédez tous
que ces femmes, si nos discours étaient en- lesbiens en foule vous voilà riche au sein de
;

tendus, au lieu de rechercher ces parures, l'ineffable abondance donc, si nous voulons de-
:

funestes aux hommes, funestes aux femmes, venir bien-aimés du Seigneur, cessons d'ad-
les

feraient mieux d'employer ces ornements à mirer d'un œil ébahi la beauté factice du oorps;
embellir leur âme. Appliqués sur un corps, ne pensons plus, chaque jour, qu'à la beauté de
même quand ce corps a la beauté en partage, l'âme, pour nous concilier la bienveillance du
ces ornements l'enlaidissent appliqués à ;
Dieu de bonté, pour entrer dans le partage des
l'âme , même à une âme laide , ces orne- biens qu'aucune expression ne peut rendre,
ments lui communiquent tout l'éclat de la par la grâce et par la bonté de Notre-Sei-
beauté. Et comment, me dira-t-on, sur l'âme, gneur Jésus-Christ, à qui appartient, ainsi
des parures d'or? Encore une fois, attachez- qu'au Père et au Saint-Esprit, la gloire, la
les par la main des pauvres. Ce sont eux qui, puissance, l'honneur, et maintenant, et tou-
en les composent cette beauté.
recevant , jours, et dans les siècles des siècles. Ainsi
Mettez-leur entre les mains vos j^arures d'or, soit-il.

JhtduUi>ar M. C. PORTELETTB.
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE, - VlNGT-PEUXIÈiME HOMÉLIE.' m

VINGT-DEUXIÈME HOMÉLIE.

« Et Noé était âgé de cinq cents ans , et Noé engendra trois file , Sem, Cham et Japhet. Et fl arrira quand les

bommea eurent cç>mmeQcé à. ee multiplier sur la terre, qu'il leur naquit des flllee. > (G^n, V, 31 et VI, 1.)

MUTSf.

l. L'histoire encore de celle-ci. Admirable spectacle que celui de Noé, seul


de Noé, sujet de la dernière instruction, le sera

une conclusion en faveur de la liberté de l'homme.


juste au milieu de l'iniquité universelle. L'orateur en lire 2. Les fils de Dieu —
voyant que les filles de Vliomme étaient belles, en prirent pour épouses parmi toutes celles qu'ils choisirent. Qu'étaient ces
fils de Dieu? des anges? non. Saint Clirysûstome traite celte opinion d'absurde et la réfute vivement. 3. Ces fils de Dieu ne —
sont autres que les descendants de Selh. —
4. Tableau de la corruption croissante du monde, et patience de Dieu. 5. Dieu se —
repentit d'avoir créé l'homme, manière de parler accommodée à notre faiblesse. Les animaux périssent avec l'homme parce qu'il»
sont faits pour lui. — 6. E^Lhortation,

1. Je yeux VOUS offrir les restes du repas d'hier, pas qu'il ait rien payé puisqu'il s'est enrichi
,

mais ne vous offensez pas, mes bien-aimés, si Je et ceux qui ont reçu n'en ont pas moins |:agné.
parle de restes. Les aliments matériels , après Aussi la nature de ces dettes spirituelles est
un jour ou deux, corrompent et ne peuvent
se telle que nous les acquittons a \ec joie; vous, de
plus servir , mais dans un festin spirituel on votre côté, pré()arez votre attt nùon po^r rece-
n'a rien de |)areil à craindre. Plus il s'est écoulé voir mes paroles au fond de votre àme "-t les
de temps, plus ce Teslin est agréable, plus il remporter avec vous. Je ^eux cncoie vous par-
semble Irais et forliliant. Remplissons donc la ler de Noé et de sa justice, afin que vous [)uis-

promesse que nous avons faite hier, et puisque sicz voir sa vertu l'ineflable bonté de Dieu et
,

nous sonunes encore rede\able d'une partie sa patience qui dépasse tout ce que l'on peut
de l'instruction, acquittons-nous-en avec joie. dire. Vous avez a|)pris.hier comment ce juste,
Cela sera profitable non-seulement comme , , depuis le jour de sa naissance, où il reçut de
pour les autres dettes, à ceux qui seront payés, son père le nom qu'il devait porter n'avait ,

mais à moi qui payerai. Et coiinnent en pro- cessé de prévenir les hommes des malheurs
fiterai-je, moi qui payerai ? Telle est la nature qui les attendaient, puisqu'il leur disait et leur
d'une dette spirituelle; pinson paye, plus on criait par son nom lui-même : cessez de faire
s'enrichit, les biens se multiplient et celui qui le mal ,
prati(iuez la vertu , craignez le châti-

donne recueille d'immenses richesses aussi ment qui vous menace, y aura un déluge il

bien que ceux qui reçoivent. Voyez quelle nou- sur tout l'univers. La colère de Dieu est au
velle espèce de dette, et quelle étrange espèce comble, ainsi que votre méchanceté. Et cet
de payement ! Voilà ce qu'il y a de particulier avertissement ne dura pis seulement deux ou
dans les choses spirituelles, c'est qu'elles aug- trois ans, mais cinq ceui .lus. Voyez la tolé-

mentent à mesure qu'on les distribue, et plus rance de Dieu, son excessive bonté, et sa pa-
il de personnes qui y participent, plus elles
y a tience ineffable! Voyez l'accroissement du mal
sont abondantes. Celui qui a payé ne s'aperçoit et l'étendue de la perversité ! C'est là, comme
36 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

prévaricateurs. (Eccl. xvi, 3.) Si je suis lié,^


vous le savez , où nous en étions restés hier :

aujourd'hui nous allons apprendre comment le disait-il, avec cette multitude emportée vers le

le Dieu de miséricorde ne s'est point contenté


mal, m'y entraîne, pourra-t-elle me
et si elle

d'une patience de cinq cents ans, mais qu'il a sauver du châtiment? Il savait, en effet, il sa-
encore ajouté un autre délai en faveur de ceux vait bien que chacun est responsable lui-même

qui avaient tant péché. Noé était âgé de cinq de son salut, et ne peut pas être puni pour les

cents ans. Profitons de ce que l'Ecriture sainte a fautes des autres, ni profiter de leurs mérites.

compté les années du juste , afin d'apprendre Comme une étincelle qui serait plongée dans
combien de temps il a vécu pour avertir les lamer, et qui, loin de s'éteindre, acquerrait
hommes; comment ceux-ci ont suivi la mau- chaque jour une plus brillante clarté, ainsi
Taise voie et s'y sont perdus, tandis que le juste Noé, resté juste au milieu de l'iniquité uni-
marchait loin des autres dans le sentier de la verselle, instruisait tous les hommes par ses
vertu. Aussi s'est-il concilié la bienveillance exemples.
de Dieu, et tandis que les autres étaient punis, Voyez comme le Seigneur nous a donné une
il échappa seul avec sa famille. Cela nous mon- nature maîtresse d'elle même Comment se fai-
!

tre que, si nous sommes modérés et actifs, sait-il, dites-moi, que les uns fussent portés à la

non-seulement la société des méchants ne peut perversité et courussent au-devant de leur puni-
nous nuire, mais qu'elle peut même nous atta- tion, tandis que cet homme, préférant la vertu

cher davantage à la vertu. Car Dieu, en per- et fuyant le commerce des méchants, évila
mettant qu'il y eût des bons et des méchants cette punition? N'est-il pas évident que chacun
a voulu dans sa clémence , faire obstacle à la est libre de choisir la vertu ? S'il n'en était pas
méchanceté et faire briller la vertu il a voulu ; ainsi, et si notre nature n'avait point ce pou-

aussi que les hommes faibles profitassent, s'ils voir, les uns ne mériteraient pas le châti-

y consentaient, de la société des hommes éner- ment du vice, ni les autres la récompense de
giques. Songez, je vous prie, à toute la sagesse la vertu. Mais puis(jue tout est laissé à notre
de ce juste , qui seul au milieu d'une multi-
, volonté, après la grâce d'en-liaut,les méchants
tude immense entraînée au mal, suivait un doivent attendre des punitions et les bous des
sentier opj)Osé et préférait la vertu au "vice. récompenses.
11 accomplissait déjà ce que le bienheureux Noé était âgé de cinq cents ans, et il engendra
Moïse devait dire plus tard Tu ne suivras pas : trois fils : Scm, Cliam et Ja/jhet. Voyez la pré-
la foule dans le mal. (Ex. xxiii, 2.) Et ce qui cision (le rEcriturc sainte! Après avoir comi)té
est encore plus admirable, c'est que la plupart les années du patriarihe, et montré l'extrême
des hommes , tous les hommes même l'exci- patience du Seigneur, elle veut encore nous
taientau vice et aux mauvaises actions, et per- montrer jusqu'où va sa clémence et jusqu'où
sonne ne lui donnait l'exemple de la vertu ; était allée la perversité des hommes.
mais il y était poussé avec une si grande puis- 2. Mais écoutons les paroles mêmes de Moïse;
sance qu'il se maintenait dans le sentier op- comme il est insjiiré par l'Esprit-Saint, il ne
posé à la foule : il n'était ni intimidé ni épou- petit enseigner que la vérité : Quand les /tommes
vanté en voyant le contours des méchants, et curent commencé à se multipliirsur la terre, il

il ne ressemblait nullement aux lâches, qui, leur mnjuit des filles. S'il ajoute : iV leur naquit
observant l'avis de la majorité, s'en font un pré- des filles , c'est pour insister sur l'idée
texte et une occasion pour déguiser leur fai- qu'ils étaient nombreux. En cITet, quand il

blesse, en disant Pourquoi suivre devant tout


:
y a tant de racines il faut qu'il en sorte
ce monde une résolution qui paraîtra étrange ? bien des rameaux. Les fils de Dieu voyant
pourquoi me faire l'adversaire d'une telle mul- que les filles des hommes étaient belles , en
titude et me mettre en guerre avec tout un prirent pour épouses parmi toutes celles
peuple? Faut-il (juc je sois plus juste (|u"eiix qu'ils choisirent. Eludions chaque parole avec
tous? A quoi me serviraient tant diniiuilies? attention pour ne rien perdre de leur sens
quel avantage relirerai-je de tant de haine? 11 protoiul. 11 faut, en olFet, discuter avec soin ce
n'avaitdans l'esprit aucune de ces pensées inu- |)as^agt^ les fables que l'on a
pour détruiie
tiles mais il accomplis>ait d'avance les pa-
;
faites avec irréllcxion sur ce sujet. Voici d'a-
roles du prophète : Un seul homme faisant la bord la plus auilacieuse, dont nous allons vous
volonté de Diçu est préférable à une foulç de luoulrcr l'absurdité, eu prcsentaut à votre re-

»~^
HOMÉLIES SUK LA GENÈSE, - VINGT-DEUXIÈME HOMÉLIE.' 137

cueiliement le vrai sens de l'Ecriture pour ne ny a m mariages, ni union : on est comme


pas vous laisser ouvrir roreille à ceux qui lesanges de Dieu. (Mat. xxii, 30 Marc, xii, 25; ;

proforent de tels blusphèines et qui osent parler Luc, XX, 35.) Une nature immatérielle ne peut
contre eux-incnies. Us disent qu'il ne s'agit |»as jamais avoir de pareils désirs. Mais, en deliors
ici d'hommes, mais d'anges, et que ce sont les même de cela, il faut réfiéchir que c'est de
anges (ju'ou appelle fils de Dieu. D'abord c'est toute manière une chose trop absurde pour
à eux à montrer où les anges sont appelés fils être admise. En effet, les saints, même inspi-
de Dieu, mais jamais ils n'ont pu le trouver; rés par le Saint-Esprit, n'ont pu voir les anges
les hommes ont été appelés lils de Dieu ; mais (Dan. X, 7, 11) : car Vhommedes désirs, Daniel,
les anges, jamais. L'Ecriture dit en parlant n'a vu que l'apparence d'un ange et non sa
d'eux : Il a envoyé ses auges au milieu des substance (comment voir une substance im-
vents, et ses î?ii?iistres au milieu des feux ar- matérielle ? ); mais devant cette apparition il
dents. (Ps. cm, 4.) Mais elle dit des hommes : fut sur le point de perdre toutes ses forces et
J'ai dit vous êtes des dieux (Ps. lxxxi, G) et de
: ; même donc un pareil homme a pres-
la vie. Si
plus : J'ai engendré des fils et je les ai élevés que expiré à vue quelle folie n'y aurait-
cette ,

(Is. I, 2) ; et aussi : Israël, mon fils aîné il pas à admettre ce blasphème insensé qu'une
(Ex. IV, 22) ; mais jamais l'ange n'est appelé nature incorporelle et spirituelle ait pu s'unir
fils, ni fils de Dieu. Du reste , voici ce que l'on à des corps humains !

ose encore ajouter. Oui, c'étaient des anges : 3. Mais il ne fautpas consacrer trop de temps

mais à cause de ces unions indignes, ils sont à cette discussion les réflexions que je viens
;

déchus de leur rang. Quoi donc ? Us sont tom- d'offrir à voire charité suffisent sans doute
bés, et voilà la cause de leur chute ? Mais l'E- pour vous prouver qu'une pareille opinion
criture nous enseigne au contraire qu'avant la ne se peut soutenir. Je vais donc vous mon-
créationdu premier homme, le diable était trer quelle est la vérité à ce sujet, en reli-
tombé de son rang avec ceux qui lui ressem- sant les paroles de l'Ecriture sainte Et il ar- :

blaient par leur orgueil ; comme le dit un riva, quand les hommes eurent commencé à se
sage : Par la jalousie du diable, la mort est en- midtiplier sur la terre, qu'il leur nacpdt des
trée dans le motide. (Sag. ii, 24.) Eh bien I dites- filles. Les fils de Dieu, voyant que les filles des

moi : si sa chute n'avait pas précédé la naissance hommes étaient belles, en prirent pour épouses
de riiotiime, comment, en gardant sa dignité, parmi toides celles qu'ils choisirent. Nous vous
aurait-il pu être jaloux de l'homme ? Comment avons déjà prouvé que l'Ecrilure a l'habitude
la raison peut-elle admettre qu'un ange im- de donner à des hommes le nom de fils de
matériel et honoré d'une telle sujjériorité, fût Dieu. Ceux qu'elle appelle ainsi descendent de
jaloux de l'homme enchaîné par la chair ? Seth et de son Enos, celui de qui il est
fils

Mais, après avoir été précipité de la gloire cé- dit qu'«7 se confiadans l'iîivocation dunom de
lestedans le plus grand opprobre, lui, qui était Dieu. (Gen.iv, 26.) Cesdescendants sont appelés
immatériel, voyant riiomme sortir des mains fils de Dieu dans les saintes Ecritures, parce

du Créaleur et en recevoir, m dgré sa nature qu'ils avaient imité jusque-là les vertus de leurs
corporelle, tant de marques d'honneur, fut ancêtres le nom de fils des hommes fut donné
;

dé\oré de jalousie, et, par cette perfidie pour à ceux qui étaient nés avant Seth, c'est-à-dire
laquelle il prit la forme d'un serpent, il rendit aux fils de Caïn, et aussi à leurs descendants.
l'homme sujet à la mort. Telle est sa méchan- // arriva, quand les hommes se furent multi-
ceté; ne peut supporter tranquillement le
il pliés sur la tare, qu'il leur naquit des filles. Dès
bonheur des autres. Il y avait donc longtemps que les fils de Dieu (les descendants de Seth et
que le diable et toute sa phalange avaient été d'Enos) eurcîit vu les filles des hommes (celles
déchus de leur gloire et couverts d'ignominie ;
dont on indiquait tout à l'heure la naissance),
cela est clair pour tout le monde. D'ailleurs, ils les trouvèrent belles. Voyez comme ce seul

quelle extraNagance n'y a-t-il pas à dire que mot montre l'impureté Ils ne songeaient pas 1

les anges aient été ainsi déchus pour leur liai- seulement à avoir des enfants, mais aux plai-
son avec les femmes, et que celte nature in- sirs des sens. Dés qu'Us virent que les filles des

corporelle ait pu s'unir avec des corps ? Ne hommes étaient belles, les défirs excités par
savez-vuus pas ce que dit le Christ à propos de cette beauté les entraînèrent à leur ptrte;

la nature des anges ? Dans la résurrection, il l'aspect de la beauté fut pour eux l'occasion
138 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

d'un effréné. Et ce n'est


libertinage pas bîme de la miséricorde. Le Seigneur Dieu dit :

tout; ils prirent pour épouses toutes celles Mon Esprit Jie restera pas perpétuellement dans
qu'ils choisirent. Cela achève de nous mon-
ces hommes, car ce sont des hommes de cftair.

par Par entend sa puissance qui nous


trer l'excès de leurs désordres; vaincus
esprit il ici

ne purent imposer un frein protège, et il prédit ainsi leur perte. Et pour


la beauté, ils

violence de leurs désirs, mais ils furent faire voir c'est bien de cela qu'il s'agit, il
que
à la
enivrés et domptés par la vue au point de ajoute parce que ce sont des hommes de chair;
:

6'aliéner, par cette conduite impie, le cœur c'est-à-dire qui s'abandonnent tout entiers aux

de Dieu. Et pour nous faire concevoir qu'ils œnivres de la chair en négligeant les biens de
ne s'attachaient point au mariage ni à la pa- l'âme, et passent leur vie comme s'ils n'étaient

ternité, l'Ecriture ajoute : Quand ils virent formés que de chair et si l'âme leur manquait.
qu'elles étaient belles, ils prirent pour épou- C'est, en effet, un usage constant de TEcriture

ses toutes celles qu'ils choisirent. Quoi donc ? d'appeler cliair les hommes charnels; pour les
faudra - t - il blâmer les simples regards ? hommes vertueux, au contraire, elle dit qu'ils
Non, ce n'est pas l'œil qui est cause de notre n'ont pas de chair. C'est ainsi que s'exprime
ruijie, c'est la faiblessede notre volonté et le saint Paul : Vous n'êtes pas de cliair ;Rom. vni,
dérèglement de notre concupiscence. Car l'œil 9); ce n'était point qu'ils n'eussent pas de
est fait pour célébrer le Créateur en voyant les chair, mais c'est que, malgré cela, ils étaient
créatures de Dieu. Ainsi l'ail est fait pour voir; supérieurs aux impressions charnelles et aux
mais si la vue nous porto au mal, c'est la faute sens. Car, de même qu'il leur disait Vous :

de la pensée qui règne à l'intérieur. Car nos n'êtes pas de chair., parce qu'ils méprisaient
organes nous sont utiles et nous sont donnés tout ce qui était charnel; on appelle hommes
par le Seigneur pour faire le bien; en même de chair ceux qui sont continuellement occu-
temps il leur a donné pour les gouverner pés de choses charnelles. Conune ce sont des
une substance incorporelle, c'est-à-dire Tàme. hommes de chair, je ne tolérerai pas plus long-
Mais celle-ci peut être négligente et lâcher les temps la souillure de leurs péchés.
rênes, comme un écuyer maladroit qui laisse 4. Vous avez vu combien son indignation était
échajiper les guides, tandis que les chevaux et grande, ses menaces terribles voyez comme ;

lui-même sont entraînés dans le précipice de ; la miséricorde se mêle à cette indignation et à


même notre volonté, quand elle ne sait pas ces menaces. Tel est Notre- Seigneur souvent :

faire de ses membres l'usage qu'il convient, se il nous fait des menaces, non pour les accom-

laisse submerger par ses désirs désordonnés. plir, mais pour nous corriger et ne pas les

Aussi Noire-Seigneur Jésus-Christ, connaissant réaliser. Car s'il voulait punir, i)ourquoi pré-
la fragilité de notre nature et de la faiblesse venir? Mais comme il ne le voudrait pas, il

notre volonté, nous a prémunis par uneloides- hésite et diffère toujours, il attend, il prévient,
tinée à modérer la curiosité de nos regards, et oUrant aux coupables une occasion d'éviter le
à éteindre l'incendie avant sa naissance ; il dit : châtiment en fuyant le vice et pratiquant la
Celui qui regarde une fenmie pour la désirer vertu. Ainsi il a commencé menacer d'une
jiar

a déjà commis Vadultère dans son cœur. (Mat. destruction générale; en mots Mon
effet, ces :

V, 27.) Ainsi, dit-il, je vous défends les regards Esprit îie restera pas perpétuel lernetit dans ces
coujiablcs pour vous préserver des actions hommes, car ce sont des ho?nmes de chair; ces
coupables. Ne croyez juis iiécher par l'action mots signifient je ne les laisserai pas vivre
:

seule ; c'est la volonté (jui est condamnable. longtenq)s. CejK'ndant, non content des cinq
Ces hommes furent donc séduits par ras|)ect cents ans de paùence qu'il avait montrée pen-
de la beauté. Voyant qu'elles étaient belles, ils dant toute la vie de Noé, dont le nom seul
prirent pour épouses toutes celles qu'ils choi- devait avertir, il recule et diffère encore relïel
sirent. Cependant, même après leurs actions de son indignation, une époque
il le reporte à
coupables et leurs pensées impures admi- , plus éloignée et il mena-
leur dit : Je vous ai
rez encore la bonté de Dieu. Le Seigneur cés, j'ai annoncé publiquement la colère que
Dieu dit : Mon Esprit ne restera pas pcrpétucl- la nmltitude de vos pèches a justement excitée
lanent dans ces hommes, car ce sojit des hum- en moi; mais connue je désire le salut, même
mes de chair. Leurs jours seront cent vingt des pécheurs incurables, et que je ne voudrais
ans. On peut voir dans ce peu de paroles l'a- luire périr personne, je vous accorde encore
m
îm sursis de cent vînp^t ansf Si voiis vôulo? hicnce divine. Le Seigneur Dieu voyaid que
vous purifier de vos péchés, revenir à de meil- les crimes des hommes s^éta/cnt multipliés sur

leurs sentiments et pratiquer la vertu, vous la terre. Que veut dire ce mot voyant? Lq
éviterez le cliàliment qui vous attend. Leurs Seigneur ignorait cela? non certes; mais l'Ecri-
jours, dit-ilj seront cent vùigt ans. En ce temps- ture sainte ménage toujours notre faiblesse :

là, il y avait des géants sur la terre, après que elle nous montre ainsi que ceux qui avaient
les fils de Dieu eurent connu les filles des hom- éprouvé tant de clémence avaient persisté dans
mes et qu'elles leur eurent donné des enfants ; lesmêmes fautes et en avaient commis de plus
c'étaient des géants qui sont restés célèbres de- graves encore. Quand il vit que les crimes des
puis ce temps-là. L'Ecriture sainte veut dire ,
hommes s'étaient multipliés sur terre. De cette
je crois, que ces géants étaient robustes de liaison coupable étaient sortis, comme d'une
corps. Leur race augmenta donc celle des cou- source, une foule d'autres péchés; aussi est-il
pables. C'est ce que montre ailleurs cette autre dit : les crimes des hommes. Car là où se trou-
parole Les géants viennent pour satisfaire ma
: vent le libertinage, l'impudicité et les débor-
fureur. (Is. Quelques personnes pen-
xiu, 3.) dements de celte nature, il est probable que
sent que ce nombre de cent vingt ans est le l'ivresse la plus crapuleuse, l'iniquité de toute
terme de la vie. Ce n'est pas là ce que Dieu espèce, l'avarice et une foule d'autres vices s'y
veut dire, mais il veut montrer jusqu'où va la trouveront en môme temps. Le Seigneur Dieu
patience qu'il conserve encore après tant de voyant que les crimes des hommes s'étaient
péchés. Mais nous pouvons voir qu'après tant multipliés sur la terre et que chacun ne son-
d'indignation et de menaces, après un si long geait dans son cœur qu'à faire du mal cha-
délai qu'il leur avait laissé pour faire pénitence, que jour.
non-seulement les pécheurs n'avaient profité de 5. Voyez comme chaque parole montre la

rien, mais dans leurs


qu'ils avaient persévéré grandeur des péchés Après avoir dit, en géné-
1

fautes; aussi dit-il : de Dieu eu-


Après que les fils ral, que le€ crimes des hommes s'étaient multi-

rent conmi les filles des hommes, elles leur don- pliés sur la terre, on ajoute chacun. Ce mot a
nèrent des enfants : c'étaient des géants qid sont une grande force. Il ne s'agit pas seulement du
restés célèbres depuis ce temps-là. Voyez quel jeune homme, mais aussi du vieillard, aussi
excès de perversité, quelles âmes insensibles 1 coupable que le jeune homme ce n'est pas :

Ni la crainte du châtiment, ni le délai accordé seulement l'homme mais la femme


, l'es- ;

par la clémence divine ne put les détourner clave mais l'homme libre ; le riche, mais
,

de leurs actions coupables une fois emportés : le pauvre. Voyez aussi toute l'importance de
vers l'abîme, privés des yeux de la conscience, ils ce mot songeait. Ce n'étaient pas seule-
:

étaient trop plongés dans l'ivresse de leurs dé- ment des fautes d'entraînement, mais prémé-
sirs criminels pour avoir la pensée de revenir ditées dans le cœur; ils y pensaient à toute
en arrière. C'est ce que dit le Sage Quand : heure, ils y mettaient toute leur ardeur. Ils ne
l'impie est dans Vabime de ses maux, il mé- ressemblaient pas à ceux qui, après avoir suc-
prise. (Prov. xvni, 3.) En effet, c'est une chose combé une fois ou deux au péché, s'en détour-
grave, bien grave, mes bien-aimés, de tomber nent ensuite; mais ils se livraient avec joie à
dans les pièges du diable. dans L'âme saisie faire le mal. Ils le faisaient avec fureur, sans
ces filets est entraînée ; pourceau
et comme le relâche et sans hésitationce n'était pas pour un
;

se plaît à se vautrer dans la fange, de même, temps plus ou moins court, mais constamment ;

ensevelie sous ses habitudes vicieuses, elle ne enfin ils y consacraient toute leur vie. Voyez
sent même plus l'infection de ses péchés. Il quel comble d'iniquité Voyez comme ils n'a-
1

faut donc beaucoup de modération et de vigi- vaient pas d'autre désir que celui du crime, et
lance pour ne laisser au démon aucun accès, comment tous les âges y apportaient leur con-
pour ne pas laisser obscurcir notre jugement, tingent. Chacun, est-il dit l'âge le plus tendre
;

de crainte que notre raison, étant ainsi aveu- n'en était pas exempt, malgré son innocence
glée, nous ne tombions dans l'état de ceux qui ordinaire; mais dès le berceau on luttait de
sont pri''és des rayons du soleil, au point de perversité, et l'on cherchait mutuellement à se

ne plus voir le Soleil de la justice et de tomber surpasser en actions coupables.


ainsi dans l'abîme: c'est ce qui est arrivé à ces Réfléchissez, je vous prie, à l'extrême sagesse
hommes. Apprenez encore à connaître la clé- du juste, qui, au miheu d'un pareil ensemble
140 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CIIRYSOSTOME.

de crimes, eut la force d'éviter le mal et de ne dignation du Seigneur. Dans l'origine, quand
mériter aucun l)làme comme s'il avait été
: le pitmicr homme eut j)éché, toute la terre fut
d'une nature supérieure son esprit eut tant
, maudite maintenant que l'homme va être
:

d'énergie et une disi)Osi'ion si naturelle à la détruit, les animaux sont entraînés dans sa

\ertu, qu'il put se soustraire à ces funestes perte. De même quand l'homme était encore
,

exemples et écliapfier à la ruine univc rselle. agréable à Dieu, toute la nature participât à
Et le Seif/Jieur bien se demanda pimrqnni il son bonheur, comme le dit Scunt Paul : Tonte
avait fait Vhomme sur terre. Voyez quel mot créature sera délivrée de la servitude de la cor-
•vulgaire et approprié à notre laiblt sse! // se ruptio)ipar la délivrance des fils de la gloire
demanda signifie, il se repentit. Ce n'est point de Dieu. (Rom. vni, 21. Maintenant l'homme )

que Dieu puisse se repentir; non certes! Mais devant être puni de ses innombrables péchés,
l'Ecriture sainte nous parle suivant les habi- et abandonné à une destruction universelle
tudes humaines, pour nous montrer combien les troupeaux, les reptiles et les oiseaux du ciel
étaient énormes les péchés qui avaient excité à sont destinés à périr par le déluge qui va tout
ce point la colère du Dieu de clémence. Et le engloutir. Et de même que si l'intendant d'une
Seigneur Dieu demanda pourquoi il avait
se maison s'est attiré la colère du maître, ceux
fait rhomme sur terre. Ne l'ai-je donc créé qui servent sous lui partagent sa tristesse; de
que pour qu'il tombât dans un malheur pareil même les hommes venant à périr, tous les êtres

et qu'il fût lui-même l'auteur de sa i)erte? qui occupaient le même séjour, et qui étaient
Est-ce pour cela que dès ses premiers jours je soumis à ses lois devaient subir la même peine.
l'aihonoré de tant de gloire, je l'ai environné demandé pourquoi j'avais fait les
Je 7ne suis
de ma providence dans l'intention de lui taire hommes. Voyez comme ce mot est approprié à
choisir la vertu et fuir sa déslruction? Puis- notre faiblesse. Je ne voulais pas, dit Dieu,
qu'il a abusé de ma bonté, il vaut mieux désor- leur infliger une punition si terrible. Ce sont
mais couper court à sa perversité. eux-mêmes qui m'ont irrité à ce point par
Le Seigneur Dieu réfléchit et dit Tenlève- :
l'excès de leur iniquité. Du reste, Dieu ne vou-
rai de la surface de la terre l'homme que fat lait pas détruire absolument le genre humain
créé, et avec rhomme les troupeaux, les rep- et anéantir radicalement notre espèce mais ;

tiles et les oiseaux du ciel, parce que je me suis nous apprenons ici toute la laideurdu péché et

demandé pourcjuoi je les avais créés. J'ai fait, toute la beauté de la vertu; nous voyons qu'un
dit-il, tout ce (jui dépendait de moi. J'ai amené seul homme faisant la volonté de Dieu vaut

l'homme du néant à l'existence ;


je lui ai donné mieux que mille prévaricateurs. Xoé trouva
l'idée naturelle de ce qu'il faut faire et de ce grâce devant le Seigneur Dieu. Quoique toute
qu'il ne faut pas faire, je lui ai donné le libre cette foule se soit laissée aller à de tels désor-
arbitre, j'ai employé une patience inellable; dres, ce juste a conservé l'étincelle de la vertu;
après un long après ma colère et
délai bien ,
il a parlé à tous les hommes, il les a exhortes à
mes menaces, j'ai encore accordé un autre sur- quitter leurs vices dont il a évité la contagion.
sis, désirant pouvoir révocjuer mon arrêt s'il Enlin, de même que ceux-ci avaient excité par
comprenait ses péchés. Mais puisque tout cela leurs méfaits la colère du Dieu de clémence,
ne sert à rien, il faut accomplir mes menaces celui-là, lidèle à la vertu, trouva grâce devant

et les détruire entièrement je ferai dis|)araî- :


le Seigneur Dieu. Sans doute, Dieu ne consi-
tre, connue un mauvais lev;iin, cette race cri- dère pas les personnes. (Act. x, 31. ) Mais si

minelle, pour (|u'elle ne puisse enseigner le «lans une multitude pareille il trouve un seul
mal aux créations futures. Et le Seigneur Dieu homme qui a cherché à lui plaire, il ne le né-
dit : J'enlacerai de la surface de la terre glige pas. .Vu contraire, il l'honore d'une pro-
l'homme que j'ai créé, de j mis l'homme lui- teiliou particulière et veille sur lui a\ec d'au-
même jusqu'aux animaux. On dira peut-être: tant plus d'attention que, parmi tant d'autres
Si l'homme est coupable ,
pour(juoi les ani- qui sont entraînés au mal, il a suivi constam-

maux sont-ils piuiis? En voici la raison c'est : ment la route de la vertu.


qu'ils ne sont pas fiits pour euxnit'Mnes, mais (). D'après cela ne songeons uniquement qu'à
pour l'homme. Celui-ci étant anéanti à ([uoi , lui plaire et nous obiiendrons ainsi grâce de-
les animaux auraienl-ils servi? De plus, ils i)ar- vant lui. N'abandonnons jamais la vertu pour
tagent la punition pour nous montrer toute li n - toutes les séductions de l'amitié et de l'habi-
Homélies sur la genèse. - vingt deuxième homélie. m
iude, profitons de la patience de Dieu, puisqu'il heur à ceux qui réunissent une maison à une
en est temps encore, employons tout notre autre, un champ à une antre^ pour dépouiller
zèle à suivre ardenunent la vertu et à fuir le vice le voisin! (Is. v, 8.) N'est-ce pas ce qui se fait
avec horreur. Si nous n'avons pas un iuniiense tous les jours ? dit Un homme
cette maison :

amour pour l'une et autant de liaine pour donne de l'ombre à la mienne, et il imagine
l'autre, nous ne pourrons jamais éviter le mal mille prétextes pour s'en emparer; un autre
ni embrasser le bien. Pour savoir quel eflet enlève à un pauvre son champ pour le réunir
produit la vertu chez ceux qui la désirent et au sien. Mais voici le plus extraordinaire , le
brûlent pour elle , écoutez le prophète Les : plus inouï et moins pardonnable de tout
le :

jugements de Dieu sont vrais et justifiés par un homme n'a qu'une seule habitation , que
enx-mâmes : ils sont pins désirables que l'or et souvent il ne peut pas quitter, quand même il
les pierreries. (Ps. xveii, 10.) Sans doute, ils voudrait changer de résidence, soit à cause de
sont bien plus désirables, mais nous ne con- ses occupations, soit que la maladie le retienne;
naissons pas de matières plus précieuses; aussi cet homme cependant, partout et presque dans
il ajoute : et plus doux que le miel le plus pur. toutes les villes, veut posséder des monuments
Ici encore il a employé
comparaison parce cette de sa cupidité , élever des colonnes pour im-
qu'il n'y a rien de plus doux que le miel. Or, mortaliser ses vices; et tous les péchés par les-
nous voyons que ceux qui ont un désir ardent quels il a ramassé tout cela, il ne les sent pas
et insensé pour amasser des richesses y dé- ,
peser sur sa tête de toute la lourdeur de leur
ploient tout leur zèle et tous leurs etforts, sans poids. Il abandonne à d'autres l'avantage qu'on
jamais se rassasier ; en efTet, l'avarice est une peut retirer de tous ces biens , non-seulement
ivresse insatiable, et de même que les ivrognes après sa mort, mais aussi pendant sa vie. C'est
sentent leur soif s'enflammer à mesure qu'ils avec peine qu'il faitcet abandon, mais ses amis
se gorgent de vin , de même ceux-ci ne peu- dissipent et même ruinent tout, sans qu'il pro-
vent modérer leur folie indomptable, et plus fite de la moindre chose. Et que parlé-je de
leurs richesses s'augmentent, plus leur avidité profit ! Comment un homme qui n'a qu'un
s'enflamme ; cette détestable passion ne leur seul estomac pourrait-il dévorer tant de ri-
laisse point de trêve qu'elle ne les ait poussés chesses?
à l'abîme du mal. Eh bien s'ils mettent au- 1 7. La cause de tout ce mal est l'orgueil et le
tant de soins et d'ardeur à assouvir cette désir de faire donner son nom à ces champs, à
convoitise cause de tous leurs maux n'est-il
, , ces bains, à ces édifices. Quel avantage t'en re-
pas bien plus juste que ces jugements de Dieu, vient-il, homme insensé, lorsque bientôt après
si préférables à l'or et aux |)ierreries , soient la fièvre te prend , la vie t'abandonne tout à
toujours présents à notre esprit, que nous met- coup et te laisse nu et dépouillé de tout , mais
lions la vertu au-dessus de tout,que nous arra- surtout de vertu? pour t'envelopper tu n'as
chions de noire cœur ces passions funestes en plus que les injustices, les rapines, l'avarice,
réfléchissant que le plaisir temporel fait naître les fraudes, les trahisons, ainsi que les gémis-
d'ordinaire une douleur éternelle et (ies tour- sements , les sanglots, les larmes des orphe-
ments sans fin; enfin que nous évitions de lins. Comment pourras-tu, chargé du poids
nous tromper nous-mêmes, et de croire que tout de tes péchés, passer par cette porte étroite
finit pour nous ici-bas? Cependant c'est là ce que qui ne pourra jamais donner accès à un
pensent bien des gens, quoiqu'ils ne le disent si énorme volume? Il te faudra rester dehors

pas : ils prétendent croire à la résurrection et à et, ainsi écrasé sous ton fardeau, te repentir
la rétribution future maisje tais attention a la
;
muiilement, lorsque tu auras devant les yeux
conduite j'Mjrnalière et non ux paroles. Si les préparalils de tes tourments ce feu terri- ,

vous attendez la résurrection et la rétribution, ble qui ne doit jamais s'éteindre, et le ver qui
pourquoi cet empressement pour la gloire de ne doit jamais mourir. M donc nous avons
la vie présente? Pourquoi nous tourmenter quelque souci de notre salut, tandis qu'il en
cha(|ue jour à entasser des pièces d'or plus est encore temps, fuyons l'iniquité, recher-
nombreuses que les grains de sable , à acheter chons la vertu et méprisons la vaine gloire. On
des champs, des maisons, des bains, souvent à dit qu'elle est vaine, parce qu'elle est vide et
se les approprier par la rapine et l'avidité, et en n'a rien de solide ni table; elle ne lait que
accomplissant cette parole du prophète Md^^ ; tromper les yeuî^ c. i>eiûe l'a-t-on entrevue
u^ TIL\DUCTION FRANÇAISE DE SALNT JEAN CHRYSOSTOME.

qu'elle disparaît. Ne voyons-nous pas souvent de notre estomac et des plaisirs de la chair
celui qui hier était précédé de licteurs et en- comme si nous étions faits pour cela regar- :

touré de gardes, jeté aujourd'hui dans une dons tout ce qui vient de la chair comme dan-
prison et mêlé aux malfaiteurs? Quoi de plus gereux pour nous, réprimons ses mouvements
passager que cette gloire vaine et trompeuse? avec constance et ne permettons jamais qu'elle
Quand même elle ne subirait point de vicis- gouverne notre âme. Si Paul, cet homme in-
situdes dans cette vie, la mort vient tout à coup comparable qui passait en courant dans l'u-
,

détruire cette félicité : celui qui hier marchait nivers comme avec des ailes, et s'était rendu
fièrement sur la place publique, envoyait en supérieur aux exigences du corps"; qui avait eu
prison et s'asseyait sur un trône, celui qui, l'honneur d'entendre des paroles mystérieuses
gonflé d'orgueil regardait tous les hommes que personne jusqu'à ce jour n'avait enten-
comme des ombres, sera aujourd'hui gisant, dues si cet homme écrivait
; Je châtie mon :

cadavre infect, accablé de malédictions par corps et je le réduis en servitude, de peur que,
ceux auxquels il a fait du mal , et même par moi qui prêche les autres, je ne tombe en faute

ceux auxquels il n'en a pas fait, mais qui par- à mon tour ( I Cor. ix 27 ) si donc lui ho-
, : ,

tagent les peines des autres. Est-il un état plus noré de tant de grâces, après tant et de si grands
misérable? Tout ce qu'il avait rassemblé est travaux, avait besoin de châtier, d'asservir et
partagé d'ordinaire entre ses amis et ses en- de soumettre à la puissance de l'àme un corps
nemis quant aux péchés qui lui avaient
: indocile (car on ne châtie que les rebelles et
servi à tout amasser, il les emporte avec lui, l'on n'asservit que les révoltés) que dirons- ;

et il lui en sera demandé un compte sévère. nous donc, nous, privés de toutes vertus,
Aussi je vous en conjure, fuyons cette vaine
,
chargés de tous les péchés , et de plus si indo-
gloire , et désirons la véritable qui dure éter- lents et si faibles ? Une pareille guerre a-t-elle
nellement; ne succombons jamais à l'amour des trêves? l'attaque n'est-clle pas imprévue ?
des richesses, ne nous laissons jamais brûler Il faut donc redoubler de modération et de vi-
du feu de la concupiscence, flétrir par la jnlou- gilance, et ne jamais être en sécurité; car
sie et l'envie, ni enflammer par la colère et la l'instant n'est pas déterminé et nous ne savons
fureur. Eteignons ces ardeurs impures et fu- quand l'ennemi fondra sur nous. Soyons tou-
nestes par la rosée du Saint-Esprit, méprisons jours attentifs et inquiets sur notre salut, afin
le présent, songeant au
aspirons à l'avenir et, de lester invincibles : en évitant ainsi les em-
jour qui doit arriver, veillons avec soin sur bûches de l'ennemi la mi-
, nous méritons
toutes les actions^e notre vie; car cette vie ne séricorde de Dieu, par la grâce et la pitié de
nous a pas été donnée seulement pour boire et son Fils unique, auquel, ainsi qu'au Père et au
manger. Saint-Esprit ,
gloire , puissance, honneur ,

Nous ne devons donc pas vivre pour man- maintenant et toujours, et dans les siècles des
ger et boire, mais boire et manger pour vivre. siècles. Ainsi soit-il.
Craignons de faire le contraire et d'être esclave
VINGT-TROISIÈME HOMÉLIE

< NoI trouva grâce devant la Seigneur Dieu, Voici les générations de Noé. Noé était un homme jnsts,
accompli dans son temps : Noé plut à Dieu. > [Gen. VI, 9.)

«RALYSe.

i. La vertu met ITiomme à l'abri de tons les maux, tandis que le vice l'expose à tous les orages qui bouleversent la vie humaine
— 2. Courage et constanre de Noé qui demeure seul juste au milieu de la corruption universelle. —
3. Il est impossible que
l'homme juste jouisse de l'approbation universelle. Malheur à vous lorsque tous les hommes diront du bien de vous. (Luc,
VI, 26.) —4. L'Ecriture évite de donner le nom d'hommes aux méchants. Elle le donne à Noé , elle le donne aussi à Job. —
5. Exphcatiou du moi juste, il exprime la possession de toutes les vertus. —
ti. Exhortation.

\. Vous avez reconnu, dans ce ijui précède, calme et tranquille et comprend que la vie
,

l'étendue de la bonté de Dieu et l'excès de sa humaine ressemble à un fleuve, puisqu'elle s'é-


patience : vous avez vu la prodigieuse perver- coule si rapidement. De même que nous voyons
sité des hommes de ce temps
vous avez ap-; les flots de la mer tantôt s'élever, tantôt s'abais-
pris quelle avait été, au milieu d'une pareille ser, de même nous voyons aussi ceux qui négli-
foule, la vertu du juste, qui n'avait souffert en gent la vertu et s'abandonnent au vice, tantôt
rien de cet accord de tous dans le mal, et qui, montrer une joie orgueilleuse et se confier aux
loin de se laisser entraîner avec 1rs autres, succès de cette vie , tantôt être abattus et
avait sui'vi la route opposée. De même qu'un tomber dans la dernière détresse. Ce sont eux
bon maintenant d'une main ferme la
pilote , que le bienheureux David indique quand il ,

direction de son esprit il ne laissa pas sub-


, dit Ne crains rien en voyant s'augmenter
:

merger son vaisseau par les flots des vices la fortune d'iin homme et se multiplier la
déchaînés, mais il domina la tempête au mi- gloire de sa maison : quand il mourra , il

lieu de cette mer, et parvint au port au moyen n'emportera pas tout cela. (Ps. xivin, 17.) Il

du gouvernail de la vertu évitant le déluge, a raison de dire : Ne crains rien, ce qui si-

qui devait engloutir tous les habitants de la gnifie que l'opulence et la gloire du riche ne ta
terre. Tant il est vrai que la vertu est puis- troublent pas. Tu
le verras bientôt gisant à
sante, immortelle, invincible et supérieure à terre, incapable d'aucune action, cadavre en
tous les accidents de cette vie : elle plane au- proie aux vers, dépouillé de tout ce qu'il avait
dessus des pièges de la méchanceté; placée, et qu'il a été obligé de laisser sans rien em-
pour ainsi dire, sur un poste élevé, elle voit porter. Que la vue des choses présentes ne t'in-
les choses humaines sous ses pieds et reste inac- quiète donc pas et ne dis pas qu'un homme es*

cessible à tout ce qui blesse les autres. De même heureux de ce qu'il possède puisqu'il en ,
est

que l'homme, debout sur une falaise élevée, se sitôt dépouillé.


rit des flots qu'il voit frapper le rocher avec Telle est la nature de la félicité actuelle aveu
grand fracas retomber ensuite en écume, de
et toutes ses richesses : elles ne nous suivent pas
même celui qui cultive la vertu, en sûreté sans et il faut partir s^, > elles. Les riches laissent
cet abri, ne souffre d'aucun trouble i il reste tout, ils sont nus en quittant la terre ;
ils no
l-li TRADUCTION FRANÇAISE DE SxVINT JEAN CHRYSOSTOME.

sont couvpris que de leur perversité et de encore d'immenses rameaux, l'Ecriture dit:
l'amas de leurs pécliés. Quelle différence avec iN'oe trouva r/ràce devant Dieu.

la vertu ! même ici bas , elle rend ceux qui Voyez combien l'Ecriture est précise , et
2.

l'aiment plus puissants que leurs ennemis et comme elle ne contient pas une seule syllabe

les rend même invincibles ; elle leur donne un inutile! Après nous avoir exposé l'énoi mité des
bonbeur sans mélange et ne leur laisse même fautes des hommes et la peine terrible réservée
pas sentir les accidents de la vie mais en ou- : aux méchants elle nous indi(jue celui qui
,

tre quand ils [)arlent d'ici elle les accom-


,
, dans une pareille foule, avait pu conserver la
pagne, et surtout à l'instant où nous avons le pureté de sa v( rtu. En effet, la vertu par elle-
plus besoin de son appui, elle nous offre son même est t(»ujours admirable, mais celui qui
secours tout-puissant dans le jour terrible où la pratique au milieu d'honmiesqui la repous-
elle apaise pour nous l'œil de notre Juge; sent, mérite encore plus d'admiration. Aussi
ainsi elle nous épargne dans le présent les mi- l'Ecriture sainte nous fait admirer ce juste
sères de celte vie et dans l'avenir les tour-
, mêlé ceux qui allaient éprouver la colère de
à

ments de l'autre. Elle a encore un autre effet, Dieu, et elle dit Noé trouva grâce devant le
:

c'est de nous faire jouir de biens inexprima- Seif/neur Dieu. Non-seulement il trouva grâce,
bles. Pour vous en assurer, pour vous faire mais devant le Seif/neur Dieu. Elle nous en-
concevoir que ces paroles ne sont pas de vaines seigne ainsi qu'il n'a pas eu d'autre but que
déclamations je vais en chercher la preuve
, d'être bien vu de cet œil qui ne connaît ni le
dans les paroles qui ont été offertes à votre cha- sommeil ne s'est
ni l'assoupissement, et qu'il
rité. Voyez comme cet homme admirable , pas inquiété de la honte
gloire humaine, de la
je veux dire Noé, tandis que le genre humain et des moqueries. 11 est lui qui probable que ,

tout entier parvenait à exciter la colère d'un cultivait la vertu en opposition avec tout le
Dieu de clémence, put lui seul éviter par sa monde devait être un sujet de risées et de
,

vertu l'effet de cette colère et se concilier toute plaisanteries pour ceux qui faisaient le mal ;
la bienveillance de Dieu. Parlons, si vous le en elTet, c'est encore leur habitude à l'égard de
voulez bien, de ce qui arrive tians la vie pré- ceux qui recherchent la vertu au lieu de les
sente. Il y a peut-être bien des houunes cjui ne imiter. Nous voyons bien des hommes faibles
croient pas aux choses futures et invisibles. qui, ne pouvant su|»porter ces vices et ces plai-
Examinons donc ce qui se passe ici, voyons santeries, préfèrent la gloire humaine à la
quel est de ceux qui se livrent au mal
le sort gloire immortelle et seule véritable, et se lais-
et de ceux qui embrassent la vertu. Après que sent emi)orler et attirer par la malice des au-
Dieu, malgré sa boulé, eut décidé, à cause de ties. En etli t, il faut une âme énergique et
l'accroissement des crimes, de punir le genre constante pour résister à ceux qui cherchent à
humain par une catastrophe univcr elle, et l'entraîner, et ne rien faire dans le but de
qu'il eut dit : fcnlccerai de la terre ihomme plaire aux hounues, pour tenir son regard fixé
que j'ai créé, il montra jusqu'où allait son in- sur l'œil vigilant d'où elle attend sa sentence en
dignation en prononçant la sentence, non-seu- méprisant du monde
pour ne pas tenir
celle ,

lement contre l'homme, mais contre les qua- compte des louanges ou des injures humaines,
drupèdes, les reptiles et les volutiKs; i:\\ ell'et, mais les regarder comme des ombres ou des
puis(|ue les homuie,-; devaient être détruits rêves. Car la honte mène au péché. (Eccl.
et submergés, il était juste et naturel de faire IV, 25.) Bien des gens auraient cédé à ces ri-
partager leur sort aux êtres cpii avaient été sées, ces sarcasmes, ces plaisanteries ; mais tel
créés pour eux. Cet arrêt était encore illimité n'elait |)as le juste. Car il résista non-seule-
et ne faisait point de distinction entre les ment à dix, à vingt, à cent honunes, mais à toute
hommes, pour faire voir (jue Dieu ne s'attache l'espèce humaine, à tous ces nnlliers de pé-
pas aux individus, mais aux cœurs (pi'il visite cheurs. est probable qu'on se mo.pia de lui,
11

sans dédaigner personne , et que, si nous lui qu'on le bafoua, qu'on l'insulta, qu'on l'injuria
en olTrons la moindre occasion, il déploie son de toute manière peut-être même l'aurait-on;

ineffable miséricorde : aussi, pour montrer nus en pièces si l'on avait pu. Telle est tou-
qu'il ne voulait pas absolument détruire le joius la fureur du vice contre la vertu mais, ;

genre humain, mais qu'il desirait en conserNcr loin (ju'il lui porte aucun préjudice, il la for-
réliiicelle, en sauver uuc racine qui pût douucr tilic par ses attaques. Eu effet, telle est la force
HOMELIES SUK LA GEiNÈSE. — ViNGT-TUOISIÈME HOMÉLIE. 44S

tie la Vfiiu, ((u'elle triomphe de ses ennemis qui riait de lui, s'en moquait, le plaisantait, le
par ses souiïrarices, et qu'elle est plus victo- bafouait (je me répète, je le sais , mais je ne
rieuse mesure qu'on Tallatiue davantage.
il puis me détacher d'un tel sujet). Comment
Cela se voit dans une foule de circonstances. donc s'explique ce triomphe ? Je vais vous le
Mais pour vous donner l'occasion de le recon- dire Noé ne cessait de contempler l'œil qui
:

naître, car, duiinez Voccasion au sage et il de- ne dort pas là se fixait toujours le regard de
;

viendra plus sage (Prov. ix, 9), il faudrait sa pensée ; tout le reste l'occupait aussi peu
vous citer bien des exemples de l'Ancien et du que s'il n'eût pas existé. On peut en être certain :

Nouveau Teslanient. Ainsi, dites-moi ,


je vous celui qui est possédé de l'amour divin au
prie, Abel n'a-t-il pas été terrassé et tué par point de porter toujours ses désirs vers Dieu,
Caïn? Ne vous attachez pas seulement à ce fait finitpar ne plus rien voir des choses visibles ;
que Cuïn a vaincu et tué le frère dont il était ilsonge continuellement à celui qu'il aime,
jaloux et qui ne lui avait rien
fait mais con- : la nuit et le jour, en se couchant comme en
sidérez laObservez qu'à partir de ce
suite. se levant. Ne vous étonnez donc pas que le
moment la victime a obtenu la couronne de la juste, tenant sa pensée uniquement dirigée
gloire avec celle du martyre, et que tant de vers Dieu, ne se soit pas inquiété de ceux qui
siècles n'ont pu effacer son souvenir voyez : voulaient le faire succomber. Déployant tout
aussi que le meurtrier, le vainqueur, a mené son zèle et soutenu par la grâce d'en -haut,
depuis cet instant une existence plus pénible il leur était supérieur à tous. Noé trouva
que la mort, et que depuis lors, jusqu'à pré- grâce devant le Seigneur Dicà. Devant la race
sent, ilvoué à l'infamie uni\erselle pen-
est des hommes du temps il ne trouvait ni grâce

dant que toutes les bouches chantent chaque ni affection, car il ne suivait pas la même
jour sa victime. Voilà ce qui regarde la vie ac- route, mais il trouva grâce devant celui qui
tuelle quant à celle de l'avenir, quelles pa-
;
sonde les cœurs
et qui approuva ses pensées.
roles, quelle intelligence pourraient être à sa Quel mal, dites-moi, pouvaient lui faire les
hauteur? Je sais que vous êtes bien capables railleries et les sarcasmes de ces contempo-
de trouver dans les Ecritures beaucoup d'exem- rains, puisque Celui qui forme nos cœurs et
ples analogues, car elles sont faites pour notre connaît toutes nos actions le félicitait et le cou-
profit, pour nous engager à fuir le vice et à ronnait ? De quoi servent à un homme les

rechercher la vertu. Voulez-vous trouver d'au- éloges et l'admiralion de toute la terre, si le

tres preuves dans le Nouveau Testament ? Créateur de toutes choses, le Juge infaillible,
Ecoutez ce que saint Luc raconte des apôtres le condamne dans le jour terrible ? Réfléchis-
qui se réjouissaient d'avoir été flagellés publi- sons-y bien, mes bien-aimés, comptons pour
quement parce qu'ils avaient été dignes de rien les louanges des hommes et ne les re-
supporter cet opprobre au nom du Christ. cherchons en aucune manière, mais fuyons
{Act. v, 41.) Cependant les coups de fouet sont le vice et pratiquons la vertu uniquement pour

un sujet dj ch;igrin et d'abattement plutôt que cœurs et les reins.


Celui qui sonde les
de joie, mais les recevoir pour Dieu et à cause pour cela que le Christ, en nous ensei-
C'est
de lui, voilà ce (|ui les réjouissait. Quant à ceux gnant à ne pas être avides des louanges hu-
qui les avaient ilagellés, ils étaient consternés maines finit par dire Mcdheur à vous, lors-
, :

etembarrassés au point de ne savoir que faire: que tous les hommes diront du bien de vous !
après le supplice ils se consultent entre eux : (Luc, VI, 26.) Observez (|ue ce mot Malheur
Que feronS'Uous à ces htjinmes? (Act. iv, 16.) indi(iue ce que sera la peine réservée. Cette
Eh quoi ! Vous les avez fait tlageller, vous leur exclamation présage une calamité; c'est presque
avez fait subir mille souffrances et vous hé- en déplorant déjà leur sort qu'il leur dit Mal- :

sitez encore? Tant il est vrai que la vertu est heur à vous, lorsque tous les hommes diront du
forte et invincible et que, par les tortures bien de vousIEi voyez la précision de ces pa-
môme, elle triomphe de ceux qui les lui infli- roles. Il ne dit pas seulement : les hommes ;

gent. mais : hommes. Il est impossible, en


tous les
3, Mais pour ne pas nous arrêter trop long- effet, que l'homme de bien qui suit la roule

temps sur ce sujet, il faut revenir à notre juste et étroite et pénible, et obéit à tous les ordres du
admirer profondément comment sa vertu portée Christ, soit loué et admiré par tous les hommes.
au comble put mépriser et dominer ce peuple Car le vice est bien puissant et bien hostile à

S. J. Cu. — To:aE V. 10
TlUDLCllUxN lIUNÇAlSb: D£ SAIM JEAN CliK^SUsiOilE.
im
la vertu. Le Seigneur sait que celui qui ne s'é- le reste, ce n'est pas lace qui fait l'homme, car
carte pas de la \ertu et ne demanle d'autre tout cela appartient au corps. Nous appelons
approb ition que celle d'en-liaut, ne pout être homme celui qui conserve intact le type de
loué approuvé par tous les hommes, et voilà
et l'homme. Mais comment le définir ? On dit
pourquoi il plaint ceux qui négligent la vertu que c'est un être raisonnable. Quoi donc les !

pour la gloire des hommes ; car s'ils se réunis- méchants n'avaient-ils pas aussi la raison ?
sent tous pour vous louer, c'est la meilleure Si, mnis cela ne suffit pas il faut aussi chercher :

preuve que vous n'estimez pas assez la vtrlu. le bien et fuir le mal, donvner les mauvaises

Comment, en eflet, l'homme de bien pourrait- passions et obéir aux ordres du Seigneur voilà :

il plaire à tout le monde s'il veut délivrer les l'homme 1

opprimés deleursopj»resseurs, les victimes des 4. Pour vous persuader que c'est l'usage de

bourreaux ? De même, s'il veut corriger les l'Ecriture de ne pas accorder le nom d'hommes
pécheurs et louer les justes, n'est-il pas pro- aux hommjs qui se livrent au vice et négligent
bable qu'il sera approuvé d'un côté et blâmé la verti?,écoutez les paroles de Dieu, que je vous
de l'autre? Aussi le Christ dit-il Malheur à : citais liier Mon Esprit ne restera pas chez ces
:

vous lorsque tous les hommes diront du bien de hommes , car ils ne sont que chair. Cela
V0W5/ Comment donc ne serions-nous pas frap- veut dire : Je leur ai donné une nature com-
pés d'admiration pour ce juste ? ce que le posée de chair et d'âme , mais la chair les
Christ nous a annoncé en paraissant parmi a tellement envelop|)és qu'ils ne songent plus
nous, lui, sans autre instruction que la loi na- qu'à elle et négligent les vertus de lame.

turelle, il l'a accompli d'une manii^re parfaite, Voyez-vouscommtnt, à cause de leur perver-
et méprisant l'opinion des liomnies, il n'a re- sité, il les ap[)elk- de la chair et non des hom-

cherché la vertu sur terre que pour obtenir la mes ? Et une autre fois, comme vous allez le
grâce de Dieu, car Noé trouva grâce devant le voir, l'Ecriture dit qu'ils ne sont que de la
Seigneur Dieu. Du resle, c'est à cause des terre, parce qu'ils s'absorbent dans les pensées
vertus dont il était doué qu'il a trouvé grâce de la terre, car elle dit : La terre était corrom-
devant Seigneur Dieu, comme l'explique
le pue devant Dieu. 11 ne s'agit pas ici de la terre
l'admirable prophète inspiré par le Saint- proprement dite; ce sont les habitants eux-
Esprit; il faut étudier la suite pour voir ce que mêmes Dans un autre en-
qu'elle appelle terre.
Dieu pense de lui. Voici les générations de droit, elle ne mais
les appelle ni chair, ni terre,

Noé : Noé fut un homme juste, accompli dans elle ne les regarde pas comme vivants parce que
son temps Noé plut à Dieu. Voilà une ma-
; la vertu leur man(jue. Ecoutez les cris du pro-
nière étrange de commencer une généalogie. phète au milieu de Jérusalem et de celte mul-
L'Ecriture sainte commence par dire : voici les titude innomliiable : Je suis venu, et il n'y avait
générations de Noé ; elle excite notre attcE- pas un homme ; j'ai appelé et personne ne
tion comme si elle allait raconter sa généalo- m'entendait. [ Is. l, 2.) Ce n'était pas qu'il n'y
gie, dire quel était son père, d'où venait sa fa- eût bien du monde présent, mais c'était qu'ils
millc,comment lui-même était venu au monde, ne profitaient pas plus des paroles du prophète
et enfin tout ce que l'on trouve d'ordinaire que les absents. Et ailleurs encore Courez et :

dans les généalogies mais elle laisse tout cela


; voyez s'il y en a un seul qui soit juste et équi-
de coté, et, se mettant au-dessus des usages table, et je lui serai propice. (Jér. v, i.)
reyus, elle dit : Noé était un homme juste, ac- Vous avez vu que l'Kcriture sainte ne donne
compli dans son temps Noé plut à Z>à'?/. Voyez
; le nom d'homme qu'à celui qui cultive la
quelle ailmirable généalogie Noé était un ! Tertu :quant aux autres, ils ne sont rien jwur
hojnme. Remarquez que le nom qui nous est elle, mais elle les appelle (juelquefois terre et
comnuin à tuus est
employé ici pour glorifier .jut'l(|uefois chaii". Voila pounjuoi, après avoir
le juste. Car, tandis
que les autres, plongés annoncé le commencement de la généalogie
dans les voluptés charnelles avaient perdu la , des justes, la sainte Ecriture nous dit d'abord :

qualité d'honuuos, Noé seul, au milieu d'un Noé était un homme. En elVet, lui seul alors
r» Krand |."î'ple, garde la vraie condition de est i:n homme : les antres ne sont plus des
l'hoinme. A- nsiil est homme parce quil cultive hommes, quoi»iuils eu gardent lappartuce;
la vcriu E\ effet, avoir l'apparence d'un hom- ils ont été changés en animaux sans raison, et
111' , lesyri'^ le nez, la bouche, les joues et tout ont perdu par leur volonté perverse la no-
IIOMI<LIES SUR LA GENKSE. — VINGT-TROISIÈME HOMÉLIE. m
blesse de leur nature: Quand les hommes rai- exprimant sa reconnaissance au milieu de tant
sonnables tombent dans le mal, et s'asservis- d'épreuves il lit au démon iuk; blessure mor-
sent à (les pissions déraisunnables, l'Ecriture tell', et lui [trouva qu'il avait tort de tenter
sainte leur donne des noms d'animaux ; ainsi l'impossible et de regimber sous l'éperon. Aussi
elle dit : Ils sont devenus comme des che- le Dieu de miséricorde louant et vantant ce
vaux qui hennissent après les cavales. (Jér. saint homme mêtnc avant qu'il eût subi au-
V, 8.)Voyez comment l'excès de la lubricité tant de luttes et de combats, disait au diable :

fait donner un nom de bète. Ailleurs en- N'as-tu pas considéré mo?i serviteur Job., au-
core Le venin des serpents est sous leurs
: quel nul homme n'est comparable sur la terre,
lèvres (Ps. xin^ 3 et 139, A), pour ceux qui homme irréprochable., juste^ véridique, pieux,
ressemblent à cet animal dissimulé et per- et s' abstenantde toute mauvaise action ? (Job,
fide. D'autres sont a[>pelés chiens muets. (Is. I, Avez-vous observé que Dieu commence
8.)

LVi, 10.) Il est encore écrit : Comme it7i serpent par le désigner du nom conmiun de notre na-
sourd et dont les oreilles sont fermées {Ps. lvii, ture ? N'as-tu pas considéré mon serviteur Job,
5) pour indiquer ceux qui ferment leurs
,
auquel nul homme lïest comparable sur la
oreilles à l'enseignement de la vertu. Il serait terre? Cependant nous sommes
tous sembla-
trop long de rappeler tous les noms de bêtes bles,non quant mais quant à la
à la vertu,
que l'Ecriture impose à ceux qui se laissent forme eh bien
: cela ne suffit [»as pour être
!

aller à des passions déraisonnables. Ce n'est homme, il faut encore s'abstenir du mal et
pas seulement dans l'ancienne loi qu'on peut faire le bien.

le voir, mais aussi dans la nouvelle. Ecoutez Vous avez vu quels sont ceux auxquels
5.

saintJean-Bapliste disant aux Juifs :i?ace^(?y//3«?- coutume de réserver le nom


l'Ecriture sainte a
res, qui vous a appris à fuir la colère prochaine ? d'hommes. Aussi dès l'origine le Maître de
(Matt. 7.) Voyez-vous comment ici encore
m, toutes choses voyant sa créature, dit ; Faiso7is
le nom
d'une bète symbolise la ruse? Quoi de l'homme à notre image et à notre ressem-
plus misérable que ces pécheurs qui ont perdu blance, c'est-à-dire pour qu'il commande à
jusqu'au nom d'homme en méritant les châ- toutes les choses visibles et à ses propres
timents les plus terribles car 1 ils ont méprisé les passions, pour qu'il commande et ne soit pas
motifs (le vertu que leur offrait leur nature et les commandé. Si , trahissant sa dignité , il sup-
ont négligés volontairement pour se livrer au porte lejoug au lieu de l'imposer il cesse d'être
vice. Comme ceux qui existaient alors se mon- homme et prend un nom de brute. Voilà pour-

traient indignes du nom d'hommes, tandis quoi l'Ecriture Sainte, voulant glorifier la
qu'au milieu d'une pareille disette de vertu, vertu de ce juste, dit d'abord : Voici les qénéra-
le juste en a montré une bien grande, l'Ecri- tions de Noé. Noé était un homme juste. Voici
ture, en racontant sa généalogie, commence encore un plus grand éloge mot : juste; ce
par dire : Noé était un homme. Il est un autre comprend toutes les vertus, car c'est le nom que
juste auquel ce nom a été donné comme le plus nous donnons d'ordinaire à celui qui les pra-
grand éloge, au point qu'on l'appelle surtout tique toutes. Ensuite pour faire concevoir qu'il
ainsi, pour mieux montrer sa vertu. Qui est- était parvenu au comble de la vertu, telle qu'on
ce donc? C'est le bienheureux Job, l'atblcte de pouvait l'exiger à cette époque, l'Ecriture dit :

la piété, le vainqueur couronné aux applau- juste et accompli dans S(m temps. Il a rem|)li
dissements du monde entier ;
qui seul a tous les devoirs que renferme l'exercice de la
supporté des maux supportables et qui, après vertu. Voilà ce que signifie le mot accompli :
avoir essuyé les traits innombrables du démon il n'a rien oublié, il n'a fait aucune faute. Il ne
est resté invulnérable : de même que le diamant faisait pas bien d'un côté et mal de l'autre , il
qui reçoit impunément tous les chocs, il ne fut .était accompli en toute vertu c'était cetfe ;

point submergé par cette tem|)ête, il la do- perfection qu'il fallait montrer au monde.
mina, et ayant rassemblé sur son corps toutes Du pour rendre notre juste plus il-
reste,
les souffrances qui fussent au monde, il vit sa lustre encore, en considérant l'époque où il
gloire en devenir plus brillante. Non-seule- vivait et la comparant avec d'autres, l'Ecri-
ment les douleurs cruelles dont il était ac- ture dit accompli dans son temps ; à cet'e
:

cablé ne l'effrayèrent point, mais elles lui ins- époque dans cette génération si perverse
, ,

pirèrent de nouvelles actions de grâce : en si adonnée au mal qu'elle ne conservait plus


lis

aucune trace de vertu. Eh bien ! dans une sons voir seulement la vertu de l'homme dont
pareille génération et dans ces temps, le juste il s'agit. Voilà la meilleure manière de faire
non-seulement montra de la vertu mais la , une généalogie. Quel avantage y a-t-il à des-
porta au comble, il fut accompli et parfait en cendre de parents illustres et vertueux, si l'on

tout. Car, ainsi que je l'ai dit, c'est encore a mal vécu? Au contraire quel inconvénient ,

donner une plus grande preuve de vertu que y a-t-il à n'avoir que des parents obscurs et
de faire le bien au milieu de ceux qui le com- nconnus, si l'on brille par son mérite? Tel
battent et de le pralicjuer parmi ceux qui vou- était ce juste , et s'il s'est concilié la faveur de
draient nous en détourner; ainsi tout cela Dieu, ce n'est point à cause de ses parents, car
rehausse encore la gloire du juste. Ce n'est pas l'Ecriture ne nous '**•
vas remarquer leurs
là que s'arrêtent les de l'Ecriture
éloges : vertus. Cepcnda:** n^agré tant d'obstacles et
elle montre encore l'excellence de sa vertà par d'embarras^ •ig^-viut au comble de la vertu;
"*

l'approbation de Dieu lui-même puisque , ,


ce qui voui tçtoviirc (jue, si vous êtes attentifs
après avoir dit accompli dans son temps, elle
:
et vigi'^at^^ii (juo vous cherchiez à faire votre

ajoute Noé plut à Dieu. Sa vertu était si


:
sa!»': *vrj ne peut vous en empêcher. Si nous
complète qu'elle mérita les éloges de Dieu. '^>r»r.ft!; à la mollesse, les moindres ihoses nous

Noë plut à Dieu, ce qui revient à dire ,


il fut iffêteroîit; mais si nous restons attentifs, mille

approuvé de Dieu, il plut par ses bonnes c^r, ennemis conjurés pour nous pousser au mal
vrcs à cet œil qui ne dort jamais, il s'en f , jn ne pourront altérer notre zèle. Ainsi les efforts
voir par la pureté de sa vie au point r ^ibu- de tant de pécheurs ne peuvent empêcher ce
seulement il de l'indi'- .<'t<on qui
fut sauvé juste de pratiquer la vertu. 11 ne faut donc ja-
allait tout engloutir, mais enco . ufl fut à la mais accuser personne et rendre un autre res-
tête des autres survivants. *«» fAut à Dieu. ponsable de sa faute, mais tout imputer à sa
Quel homme fut jamais p' Mrjireux , qui put
.. propre faiblesse. Et (ourquoi m'acrèler aux
jamais montrer tant de i'*^, puisque le Sei- autres hommes? Le diable lui-même ne doit
gneur de l'univers e"* c^>n panégyriste 1 jarnuis être regardé comme assez puissant
Voilà les honneurs que reçut Noé, et tout pour empêcher personne de marcher dans le
homme raisonnable les préférera à tout ce chemin de la vertu. Il trompe les faibles et les
qu'il y a de plus élevé en richessses, en gloire, fait succomber, mais il ne les arrête pas de

en puissance, et en toute espèce de félicité hu- force et ne leur fait point violence. L'expé-
maine celui qui aime Dieu sincèrement doit
: rience nous prouve que si nous voulions veil-
les mettre au-dessus d'un royaume. En effet, ler, nous montrerions tant de fermeté que les

c'est la véritable royauté que de pouvoir, par elforts de tous ceux qui voudraient nous pous-

une existence irréprochable, nous rendre Dieu ser au mal seraient imi)ui<sants contre nous;
clément et propice. Si nous devons craindre nous serions plus solides que le diamant, et nous
l'enfer, ce n'est point pour son feu inextingui- fermerions loreille à ces conseils détestables.
ble ses peines terribles et ses tourments éter-
,
Mais si nous sommes négligents, notre inclina-
nels, c'est pour la douleur d'avoir offensé un tion nous conduira naturellement dans la route
Maître si bon et d'être privés de sa grâce de ;
du vice, ^a^s cjue personne nous conseille ou
même, nous ne devons rechercher cette royauté nous séduise. Si cela n'était pas remis à notre
que par amour pour lui et alin de jouir de sa volonté et à la décision de notre âme, si le bon
grâce. Car le plus désirable dans cette royauté Dieu n'avait [>asdonné le librearbitreànotre na-
est d'obtenir la bienveillance de notre Maître ture, il aurait fallu ipie ceux qui ap|tartiennent
cléiiienl; de même ce qu'il y a do plus pénible à cette nature et sont soumis aux mêmes im-
dans l'enfer, c'est d'avoir perdu cette bienveil- pressions fussent tous méchants ou tous bons.
lance. Mais quand nous voyons nos semblables
Vous avez vu combien la seule appellation de épi'ouNanl les mêmes inq)ressions, ne pas en
juste nous a été utile à développer, et quel être atlectés connue nous quand nous voyons ;

trésor de rédoxions nous a fourni la généa- que i)ar l'énergie de leur raison ils gouvernent
logie de eethonnuo adniiralilo. Suivons donc leur naUuv, domptent leur impétuosité, met-
les règlesde l'iAriture sainte, et si nous avons tent un IVeinà leui' concupiscence, triomphent
a raconter une généalogie, ne parlons point de la colère, fuient la jaloïK^io , repoussent
du père, du grand-père et des aïeux mais fai- , l'envie, ëédaigncnt la passion des richesses, né-
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. - YINGT-TROïSIÈME HOMÉLIE. 149

gligent la gloire , méprisent toutes les félicités diable et nous amenacés de l'enfer; c'est pour
de la vie présente, et que, ne respirant que que nous ne connaissions pas l'enfer et (jue
pour la véritable gloire, ils préfèrent la faveur nous entrions dans son royaume. Pourquoi
divine à toutes les choses visibles ; n'est-il pas vous étonner qu'il ait fait tout cela et bien
éxideni que le zèle qui leur est propre les jus- d'autres choses encore? Il a consenti à (juilter
tifie avec l'aide de la grâce d'en-liaut, tandis le sein de son Père pour prendre une forme
que notre laiblet^se naturelle compromet notre d'esclave, à subir toutes les entraves dun
salut en nous privant de cette assistance di- corps, à être enfanté et mis au monde par une
vine? femme, par une vierge qui l'a porté pendant
0. Aussi je vous conjure de réfléchir à tout
, neuf fois à recevoir des langes à passer pour
; ;

cela et d'avoir sans cesse dans l'esprit que nous fils de Joseph, l'époux de Marie; à grandir peu

ne devons jamais nous en prendre au diable, à peu à être circoncis , à participer aux sacri-
,

mais à notre propre faiblesse. Quand je dis fices, à souffrir la faim, la soif, la fatigue et
cela, ce n'est pas pour le décliat ger de toute enfin la mort, mais, de plus, une mort regar-
accusation : loin de là , car il rôde comme un dée comme ignominieuse, celle de la croix.
lion ravisseur, rugissant et cherchant à tout Voilà tout ce qu'il a accepté pour notre salut,
dévorer. Mais je veux vous affermir Je veux que ce Créateur de toutes choses, ce Dieu immuable
vous ne pensiez pas être à r*abri du reproche, qui a tout appelé du néant à l'existence , dont
vous qui, de vous-mêmes, tombez si facilement les regards font trembler la terre, dont la
dans le mal, je veux que vous cessiez de répéter gloire éclatante ne peut être contemplée par
ces paroles frivoles Pourquoi Dieu a-t-il
: leschérubins, ces puissances qui n'ont pas de
permis a cet être malfaisant de nous abattre et corps et qui se voilent la face avec leurs ailes
de nous terrasser? Ces paroles sont complète- pour nous montrer leur admiration lui qui ;

ment insensées. Pourquoi ne pas songer plu- est chanté par mille et mille anges et archan-
tôt en vous-même que si Dieu l'a permis, c'est ges, il a consenti pour nous, pour notre salut,
surtout pour exciter en vous la terreur, afin à devenir un homme pour nous mieux ouvrir la
qu'en attendant l'attaijue de l'ennemi vous routede la vie et nousenseigner le meilleur usage
montriez une vigilance et une fermeté conti- à faire de cette nature qu'il nous avait emprun-
nuelles, afin que l'espoir des récompenses, tée. Quelle excuse nous resterait-il après tant

l'attente de ces biens éternels et inexprimables de prodiges faits pour notre salut, si nous ren-
allègent pour vous tontes les fatigues de la dions tous ces bienfaits inutiles, si nous trahis-
vertu? Pouniuoi vous étonner. que Dieu ait sions nous-mêmes la cause de notre salut?
permis tout cela au diable, justement dans Aussi je vous conjure d'être vigilants et de ne
rintérêt de notre salut, pour réveiller notre pas vous laisser aller seulement aux habitudes
paresse et trouver l'occasion de nous couron- des autres, mais à examiner chaque jour votre
ner? Il a préparé l'enfer lui-même pour que la vie avec soin et de voir vos mauvaises et vos
crainte des |)unitions et des châtiments nous bonnes actions. Ainsi travaillons à corriger
ouvrît l'entrée de son royaume. Voyez com- nos péchés afin d'attirer sur nous la protec-
,

bien la bonté du Seigneur est ingénieuse, tion d'en-haut, de devenir agréables à Dieu
comment elle fait et dispose tout, non-seule- comme ce juste, et d'entrer dans le royaume
ment pour sauver ses créatures, mais pour les des cieux, par la grâce et la bonté de Notre-

rendre dignes de ses ineffables bienfaits. Voilà Seigneur Jésus-Christ, à qui, ainsi qu'au Père
pourquoi il nous a donné le libre arbitre et et au Saint-Esprit, gloire, honneur, puissance,
mis dans notre âme et notre conscience la maintenant et toujours, et dans les siècles des
connaissance du vice et de la vertu ; voilà siècles. Ainsi soit-il.
pourquoi il nous a laissés en présence du

réduction fie M. HOUSEL


430 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CIIKYSJSTOME.

VINGT-QUATRIÈME HOMÉLIE.

« Noé engendra trois fils, Sem, Cham et Japliet. Or la terre était corrompue devant Dieu et remplie d'iniquité. >

(Gen. VI. 16.)

ANALYSE.

1. Que la sainte —
2. Tableau de la corruption du monde avant le déluge. Quand
Ecriture doit être lue avec une grande attention.
les liornints so sont pcrvcriis. l'Kcrilure dédaignant de leurdonner le nom d'hommes, les appelle terre ei chair. Saint Paul use
du même langage. —
3. Explication de cette parole le temps de tout tiomnie est venu devant moi. Dieu ordonne de cons-
:

truire l'arche. —
4. La bonté de Dieu tempère autant que possib'e le cliâtiment exigé par la justice, puis, quand cette bonté ne
peut plus retenir le bras de la justice qui tumbe sur les pécheurs, elle se touine tout entière du côté de Noé qu'elle comble de
faveurs et de consolations. —
5. La bonté de Dieu continue à se manifester dans l'ordre qu'il lui donne d'entrer dans Tarche avec

des animaux, de se munir de tout ce qui lui sera nécessaire. —


6. 11 ne faut pas abuser des nombres dans l'explication de
l'Ecriture- — 7. Les hommes d'avant le déluge n'eurent pas la même bonne volonté que les Ninivites. — 8. Eihorlalions.

4 . Hier , nous avons recueilli une grande contre pas partout à la surface; il faut scruter
utililé de la géncaloyic du juste Noé; car d'a- pour (pie rien ne reste caché dans la prol'ondeur.
bord nous avons vu ce qu'il y a de merveilleux Si le simple nom qui marque la nature, je parle
dans cette généalOfiic, et nous avons appiisque en ce moment de ce mot si court l'homme ,

le mérite de cet homme juste ne consiste pas (Gen. VI, 9) hier nous a fourni des rétle.xious
,

dans la gloire de ses parents, mais dans la d'une si grande utilité, quel gain ne rccueille-
bonté de ses mœurs, qui lui a valu un si grand rons-nous pas de l'attention vigilante, appli-
témoignage de la divine Ecriture En effet :
,
quée à tous les détails de la sainte Ecriture?
dit-elle, Noé fut un liomme juste et parfait au Nous avons, en elTet un Dieu plein de clé-
,

milieu des /lonnnes de son teni/)s; Noé fut mence, et, quand il nous voit intjuiels^ possé-
agréable à Dieu. Tout notre discours d'hier n'a dés d'un vif désir de comprendre la parole di-
été (juc le commentaire de ces quchjucs pa- vine, il ne veut pas alors (|ue rien nous manque;
roles. C'est la vertu de la parole divine de ren- mais, aus^iî(!)l, il éclaire notre pensée, il verse
fermer, en un petit nombre de mots, des dans nos âmes les flots de sa lumière, et son
trésors de pensées; elle prodigue, à ceux qui admirable sagesse fait pénétrer en nous la plé-
mettent tous leurs soins à la pénétrer , ses ri- nitude de la vraie doctrine. Aussi, pour nous
chesses incIT.ildcs. Aussi, je votis en eonjtne. ne exhorter à cette étude, pour nous donner la
nous bornons |)as à voir, pour l'acquit de noire viNacité du courage, il a déeerné le bonheur su-
conscience, chemin faisant, sans nous arrêter, prême à ceux qui nianifcslaienl un tel désir:
ce (lui païaît dans la sainte Ecriture «piand ; Bienheureux ceux qui sont aff'umés et altères
même nous ne rencontions (pie des listes de de la justice., parce qu'ils seront rassasiés.
noms ou des récits histori(pies,ayonsi?oin de re- (Math. V, 0.) Voyez la sagesse du Maître qui
chercher le trésor caché. Voilà, en eOet, pour- nous enseigne; il ne se contente pas tle nous
quoi le (Christ disait :6'cr///t'i/<'.s/sf/77//rt's. (Jean, exhorter jïar la considération du bonheur, mais
V, 39.) C'est que l'esprit de lEcritme ne se ren- ces paroles qui sont affamés et altérés de la
:
HOMELIES SUR LA GENÈSE. — VINGT-QUATRIÈME FTOMl' LIE. loi

justice, montronf, à ceux (|ui k"^ cntciulcnt, cinq cents ans, elle ajoute: Kn^jondru trois
avtc (|Utllc ariciir lie coiiiMije il fini si riiter fds. C'est pour nous montrer la grande conti-
la parole spirituelle. De mèiiii', dil-ii, (|iie a ux nence de ce saint homme,
au milieu de tous les
qui ont faiiii s'cmpiosseiit, av cuiic incroyable hommes livrés à tous les excès de rintempé-
aidt'ur, (le clierclicr la iioiiiriturc, de même ranee ; au milieu des générations et, [)our ainsi
que ceux qui éproufent une soif ardente, s'é- dire, de tous les âges de la vie qui se précipi-
lancent, transportés d'un désir ardent, vers le taient dans le mal. Vous avez entendu la divine
breuva{ic qui desaltère, de mémo il convient Ecriture : Mais Dieu voyant que la malice des
de courir à la doctrine spirituelle , comme des hommes qui
vivaient sur la terre était ex-
gens afl'amés, altérés. Los honmies animés d'un trême, que chacun d'eux, dès sa jeunesse, ap-
tel zèle, non-seulement niérilent le bonheur, pliquait au mal toutes les pensées de son
mais ils obtiennent l'objet de leurs désirs. En cœur; ces paroles montrent manifestement
effet, dit-il, ils seront rassasiés, c'est-à-dire que les jeunes gens dé|)assaient les vieillards,
assouvis; ils assouviront leurs désirs spirituels. que les vieillards étaient comme les jeu-
Eli bien donc, [)uis(iue nous avons unSeijineur nes gens, dans le délire, que 1 àgo même de
si bon, si libéral nous, de notre C(Mé, courons
, l'innocence était précipité dans la corruption.
à lui; concilions-nous sa grâce afin que lui- , 2. Donc, pour nous faire comprendre de
même, n'écoutant (jue sa miséricorde, éclaire quelle manière, au milieu de ce délire, de cette
nos pensées, nous découvre la force de la sainte rage universelle, ce juste resta seul, conservant,
Ecriture. Etvou>, à votre tour, accueillez, avec d'une âme ferme la continence , avec les ,

toute l'ardeur d'un vrai zèle, la doctrine spiri- autres vertus, jusqu'à ce qu'il fut parvenu à
tuelle, connue des hommes affamés, altérés. Il l'âge de cinq cents ans, l'Ecriture, après avoir
arrivera peut-être que la bonté, que la toute- dit : Noé ayant cinq cents ans, ajoute : eiujendra
puissance du Seigneur, quel que soit notre Voyez-vous, mon bien-aimé, la par-
trois fils.

néant, par considération pour vous, pour votre faite tempérance du juste? Ne nous conten-

utilité, ouviira notre bouche, y mettra lui- tons pas ici , de passer outre sans nous ar-
,

même des paroles qui oi>èreront sa gloire et rêter mesurons la longueur du temps consi-
; ;

votre édification. (Eph. vi, 19.) Jetons tout dérons la perversité qui s'était étendue sur
dans le sein de Dieu ; livrons-nous à la grâce toute l'espèce humaine , à cause de la mol-
d'en-haut; invoquons Ct lui qui donne la clarté lesse des âmes
considérons tout ce qu'il y a
;

aux aveugles, aux bègues la parole facile et , de vertu de piété à réprimer pendant un si
, ,
,

reprenons la lecture que nous venons d'enten- long temps, la rage de la concupiscence à se ;

dre, afin de vous exposer, mes frères, les pen- choisir une route si éloignée de celle que sui-
sées que nous aura suggérées sa miséricorde. vent les autres ; non-seulement
à s'interdire ,

Mais joignez, je vous en prie, vos âmes à mou un commerce mais jusqu'au com-
illicite,

âme; soyez attentifs à la parole loin de vous ; merce légitime et permis et il engendra, :

toutes les pensées de la vie présente ! faites que dit l'Ecriture, trois fi/s, Sem^ Cham et Japhet ;
nous puissions jeter la semence spirituelle or la terre était corrompue devant Dieu, et
comme dans une terre grasse et fertile, dont remplie d'iniquité. C'est, il me semble, par
onaarraché les mauvaises herbes et les épines. une disposition de Dieu, que ce juste n'eut de
Voici maintiuant, dit l'Ecriture, les enfants commerce avec son épouse qu'après un si
qtienqendra Noé. Noé fut un homme juste et long temps et attendit si tard pour engendrer
,

parfait^ au milieu des hommes de son temps ; ses fils. En effet, comme la grandeur de l'ini-
Noé fut agrèaiile à Dieu. C'est là que nous quité, delà perversité, rendait nécessaire la
nous sommes arrêtés hier ce sont donc
; destruction générale de la terre, la miséri-
les paroles suivantes que nous devons nous corde de Dieu voulut conserver ce juste, pour
proposer : Et il entendra trois fils : Sem, servir de racine et de ferment, pour faire de
Cham et Ce n'est pas sans dessein
Japhet. lui, après la destruction des autres, l'origine
que la divine Ecriture nous a tait connaî- et les prémices de l'avenir. Pour cette raison
tre, et le temps, et le nombre des fils de ce juste, âgé de cinq cents ans, quand il eut
l'homme juste. Elle veut, par là, nous faire ses trois fils, se contenta de ce nombre, dé-
entrevoir, à mots couverts toute la grandeur clarant par la que ce qu'il avait fait c'était

de sa vertu ; car , après avoir dit ; iVoe, ayant pour servir le» desseins de la divine bouté
d52 TRADUCTIOxN FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

en faveur du genre humain à venir. Voulez- maintenant ce qui le Seigneur Dieu suit : Et
vous avoir la certitude que nos paroles ne vit corrompue. Voyez
la terre, et elle était

sont pas une conjecture au hasard? considérez comme, pour la seconde fois, TEcriture se
le soin que prend ici l'Ecriture après avoir : sert du molde terre pourdésigner les hommes.

dit que ce juste eut trois fils , elle ajoute aus- Et ensuite, après avoir une fois, deux fois,

sitôt : or la terre était corrompue devant Dieu trois fois, prononce le mot de tore, pour
etremplie d'iniquité. Voyez-vous ^ dans la qu'on n'aille p is s'imaginer qu'il s'agit de la

même nature, cette grande et inexprimable dif- terre matérielle, le texte dit : Car toute chair
férence; à propos du j'ible, l'Ecriture disait : avaitcorrompu sa voie sur la terre. Et ici en-
Noéfut un homme iuste et parfait au milieu core on ne daigne pas prononcer le mot
,

des hommes de son temps ; mais au sujet de , d'homme le texte dit, chair pour nous ap-
; ,

tous les autres, elle dit Or la terre était cor- : prendre qu'il ne parle pas de la terre propre-
rompue devant Dieu et remplie d'iniquité. Ce ment dite, mais des hommes revêtus de chair,
mot terre désigne la multitude des hommes ;
et tous appliqués, tout entiers aux choses de ,

c'est parce que toutes leurs actions se rap- la terre. C'est l'habitude de l'Ecriture, nous

portaient à la terre que l'Ecriture désigne ,


vous l'avons souvent dit, mes très-chers frères,
par ce mot de terre, et leurs bassesses, et d'appeler les hommes qui ne voient que la

l'excès de leur malignité. De même qu'elle chair, qui n'ont aucune pensée relevée, du
avait dit du premier homme qu'il perdit , nom de chair; c'est ainsi que le bienheureux
par sa désobéissance, la gloire dont il était Paul dit : Ceux qui vivent selon la chair ne
revêtu , et qu'il fut assujéti , pour son châti- peuvent plaire à Dieu. (Rom. vni 8.) Eh quoi ,

ment à , la mort : Tu es terre et tu retourneras donc! n'était-ce pas un homme de chair, celui
dans la terre (Gen, ni. 19); de même, ici, qui écrivait ces paroles? Paul n'a pas voulu
parce que les vices avaient grandi outre me- dire que ceux qui sont revêtus de chair ne
sure, elle dit Or la terre était corrompue. Et
: peuvent pas être agréables à Dieu il parle de ;

elle ne se contente pas de dire Or la terre : ceux qui ne tiennent aucun compte de la vertu,
était corrompue., mais elle ajoute Devant : qui ne voient que la chair, ne poursuivent (jue
Dieu, et remplie d'iniquité. En effet, ces mots, les plaisirs de la chair, et n'ont aucun souci de
était corromjme , c'est une hyperbole qui ma- leur àme incorporelle , spirituelle. Donc ,
nifeste la malignité sous toutes ses fornies. On après que la divine Ecriture nous a montré,
ne peut pas dire, que ces hommes fussent cou- par ces paroles, la multitude des péchés ,

pables d'un ou de deux péchés seulement ;


l'excès de grandeur de l'indi-
la malice , la
ils avaient commis toute espèce d'iniquités, gnation de Dieu après avoir, pour flétrir les
;

dépassant toute mesure ; aussi le texte ajoute : désirs mauvais, à trois reprises, appelé du nom
Et la terre était remplie d'iniquité. Ce n'était de terre les hommes qui vivaient alors, elle les
pas en passant, d'une manière vulgaire qu'ils appelle encore du nom de chair en les dé- ,

mal ; ils commettaient toute espèce


faisaient le pouillant du nom que leur a donné la nature;
de péchés, en s'y appli(juant avec ardeur. Et etmaintenant, par ce qui suit, elle nous mon-
voyez comme l'Ecriture ensuite ne daigne pas miséricorde de Dieu et la gran-
tre l'inelVable ,

leur accorder le moindre souvenir; elle les dé- deur de sa clémence. En effet, que dit-elle? Et
ligne du nom de terre , indiquant en même le Seigneur dit à Noé.
temps ,
par là , et la gravité des péchés , et 3.Voyez l'excès de bonté ! Dieu s'entretient
l'indignation de Dieu. Or la terre était cor- avec ce juste connue un ami avec son ami ; il

rompue., dit le texte, devant Dieu ;c'csi-i\-(\\Te du ehàliment k\\\'\\ infligera l'es-
lui fait part là

qu'ils faisaient tout au rebours des pré( e[)tes pèce humaine et il dit Le temps de tout
, :

de Dieu foulant aux pieds les connnande-


; homme est venu devant moi ; ils ont rempli
menls de Dieu; |)erdant, par leur lâcheté, ce toute la terre d'iniquité, et je les exterminerai
maître intérieur tjue la natine a mis dans arec la terre. Qu'est-ce à dire le temps de tout :

l'àme humaine; et la terre était remplie, dit homme estvenu devant moi ? J'ai montré,
le texte , d'in/qu/té. Voyez-vous mon bien- , dit-il, une grande patience, une granle tolé-
aimé tout ce
, (|ue le péché a de tuiic ste ;
rance, en n'inlli^eant pas le ehàtinienl «jue je
Connue il fait (jue les houunes ne méritent leur tiens en réserve ; mais, puisque leur pé-
plus d'être appelés de leur nom ? Ecoutez ché, excédant le nombre et la mesure, a fait
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — VINGT-QUATRIÈME HOMÉLIE.

venir le temps de l'expiation, il faut en finir dans l'affliction qui devait accompagner un si
avec eux, ruiner leur nialif,^nilé, pour(|irclle grand désastre, le Seigneur, après lui avoir dit
ne s'étende pas plus loin L£ temps, dit-il, de
: combien était enracinée la malignité, combien
tout homme venu devant moi. Voyez
est il était urgent de pratiquer une incision pro-
encore ici de même qu'il disait plus haut.
: fonde, d'extirper le mal : une perle commune,
Chacun pense ainsi, maintenant il dit. De tout
: dit-il, sera leur partage ; Mais toi, fais-toi ime
homme. Tous conspirent ensemble, tous ont arche. (Gen. vi, 14.) Qu'est-ce à dire? Mais toi:
(juitté ma cause pour passer à l'iniquité; dans comme tu n'as en rien partagé leur corruption,
une si grande multitude on ne trouve pas un mais que tu as passé tous les jours de ta vie
homme qui tienne compte de ]a vertu Le : dans la vertu, je te commande de construire
teînps, dit-il, de tout homme est venu devant une arche, de pièces de bois équarries, défiant
moi; c'est-à-dire, le temps est venu de couper, la pourriture ; tu y feras de petites chambres
d'empêcher l'ulcère de gagner plus loin; le et tuVcnduiras de bitume, en dehors et en de-
temps de tout homme est venu devant moi ; dans. Sa longueur sera de trois cents coudées,
comme s'il n'y avait personne pour les voir, sa largeur de cinquante et sa hauteur de trente.
pour leur demander com()te de leurs crimes, Le comble qui la couvrira sera haut d'une cou-
ils se sont abandonnés aux œuvres que la loi dée, et tu mettras la porte de l'arche au côté;
condamne; ils n'ont pas vu que rien ne m'est tu feras un étage tout en bas, un au milieu, et
caché, à moi qui leur ai donné la vie, et le un au troisième. (Gen. vi, 14, 15, 16.) Consi-
corps et l'àme, et tant de biens en foule; donc, dérez la divine clémence, la puissance ineffa-
le temps de tout homme est venu devant fnoi. ble, la bonté au-dessus de tous les discours.
Et ensuite, comme s'il voulait s'excuser devant Dieu déclare sa providence à l'égard du juste,
l'homme juste, comme pour lui montrer que en lui commandant de faire une arche; en
c'est l'excès des péchés qui seul a [)rovoqué en même temps, il règle la manière dont il faut
lui tant de colère, il dit Ils ont rempli toute
: que l'arche soit construite, la longueur, la lar-
la terre d iniquité. Ont ils négligé de commet- geur, la donne la plus grande
hauteur, et il lui

tre, dit-il, (|uoi que ce soit qui appartienne au des consolations, en montrant l'espérance
lui

péché? La grandeur de leur malignité est visi- du salut par la construction de l'arche. Quant
ble c'est une mer qui déborde, toute la terre en
; à ceux qui s'étaient rendus coupables de péchés
est inondée. Voilà pourquoi je les détruis et la si graves, il les avertit, par la fabrication de

terre avec eux; et voici, dit-il, que Je les détruis cette arche, de réfléchir sur leurs actions, de
et la terre avec eux. Ils ont été les premiers, venir à résipiscence, pour échapper à la colère.
par leurs actions contre la loi, à se détruire Et, en effet, ce n'était pas un délai de courte
eux-mêmes : voilà pourquoi j'amène l'univer- durée qu'offrait au repentir la construction de
selle destruction; j'opère la suppression qui l'arche; le temps, certes, était considérable,
les efface,eux et la terre, afin que la terre suffisant, s'ils n'avaient été plongés dans l'in-

puisse montrer qu'elle est purifiée, qu'elle est gratitude, dans fengourdissement stupide qui
purgée de tant de crimes. Essayez maintenant les empêcha de corriger leurs erreurs. Il était

de concevoir ce qui se passa dans l'àme de ce naturel que chacun d'eux, voyant l'homme
juste ,
quand il entendit ces paroles de la juste qui construisait l'arche, que chacun d'eux,
bouche du Seigneur. Sans doute il avait la averti d'ailleurs de la colère divine, se repentît
conscience de sa grande vertu; cependant ce de ses fautes; il suffisait de vouloir; mais ce
n'était pas sans douleur qu'il entendait de délai ne leur fut d'aucune utilité; ils ne se sont
telles paroles. L'affection, l'amour est le propre pas repentis; ce n'est pas parce qu'ils ne pou-
des justes; pour le salut des autres ils consen- vaient pas se repentir, mais parce qu'ils ne le
tiraient volontiers à tout souffrir. Que dut donc voulaient pas.
éprouver cet homme admirable, quand sa pen- 4. Et maintenant après avoirdonné à l'homme
sée lui représentait la perte, la destruction de juste les ordres concernant la construction de
la /création tout entière quand peut-être il
;
l'arche, Dieu lui communique, lui raconte la
soupçonnait, pour lui-même, quelque chose forme du châtiment qu'il devait infliger, et il
de lugubre? Car il n'était encore assuré de lui dit Toi, prépare ce que je t'ai ordonné;
:

rien; donc, pour prévenir le trouble de ses pour moi, une fois que tu auras rempli l'arche.,
pensées, pour lui donner quelque consolation j'aurai soin encore de mettre en sûreté ce qui
454 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

ie reearde. Je rais ri'paiidre le déhige sur la ils obtiennent; et je voulais aussi que les autres

Urre pwr dctrnire tovte choir qui respire et hommes, jaloux de l'imiter, entrassent dans la
qui est vivmte som le ciel, et toutes les choses voie qu'il avait suivie. Maintenant, puisque
gui sont sur la terre fiuiront. Voyez comme la tous les hommes qui se sont succédé df[tuis
menace montre bien la ^^mdeur des péchés ont pratiqué le mal ;
puisqu'au milieu dune
qui ont été commis. J'infligerai, dit-il, le si grande multitude je n'ai trouvé que toi

même châtiment, et aux êtres doués de raison, seul qui sois capable de réparer le péché du
et aux êtres dépourvus de raison; caries pre- premier père , c'est que j'établirai
avec toi

miers ont trahi la prééminence qu'ils possé- mon alliance. Les bonnes œuvres de ta vie
daient; lacorrui»tion les a rabaissés à l'état des manifestent,ta fidélité à mes commandements.
êtres sans raison, le châtiment ne fera aucune Enfin, jiour que l'homme, qui jusqu'alors était
différence. Je vais répandre le déluge pour dé- resté juste, ne s'afflige pas, en entendant ces
truire toutechair qui respire, qui est vivante sous paroles , à la pensée qu'il sera seul atTrauchi

le ciel, et les bêtes de somme, et les oiseaux, et d'un si grand malheur. Dieu, pour ainsi dire,

les animaux sauvages, et les quadrupèdes, et le consolant une seconde fois, lui dit : Tu en-
tout ce qu'il y a sous le ciel sera détruit. Et, pour treras dans Varche, toi et tes fils, et ta femme,
que vous sachiez bien que rien ne sera épar- et les femmes de tes fils. Car, bien qu'ils fussent
gné, il dit : Et toutes les choses qui sont sur la loin d'égaler la vertu de ce juste, cependant ils

terre finiront, car il faut que la terre soit puri- n'avaient pas pris part aux crimes des autres
fiée;mais que cela ne te trouble pas, ne con- honmies. deux causes pour
Il y a d'ailleurs,

fonde pas tes pensées ; c'est parce que je vois lescjuelles ils furent l'une, c'est que sauvés :

des ulcères incurables que je veux arrêter la Dieu voulait honorer l'homme juste; c'est en
malignité qui déborde, afin que les pécheurs ne effet l'habitude d'un Dieu plein de clémence,
s'exposent pas à de |)lus terribles châtiments. d'accorder à ses seniteurs, par considération
C'est même en ce jour, j'écoute en-
pounjuoi, pour eux, que d'autres soient sauvés. Cette fa-
core clémence ordinaire; je tempère mon
ma veur a été faite au bienheureux Paul, à ce
indignation par ma bonté; le châtiment que maître qui instruisait la terre , l'illuminant de
j'apporte ils le subiront sans douleur, ils n'en toutes parts des rayons de la science qu'il por-
auront pas le sentiment. Je ne considère, ni la tait en lui. Il traversait la mer se rendant à
grandeur de leurs fautes, ni ce qu'ils ont mé- Rome, une grande tempête s'éleva; tous les
rité,mais je prévois l'avenir, et, en les frappant [»assagers tremblaient pour leur salut; ils n'a-
d'une juste punition, je veux surtout atlranchir vaient plus d'espoir, tant était grande la vio-
la postérité du fléau qui les aura perdus. Ne lence de la tempête. Paul les assembla tous, et
sois donc pas abattu, ne le trouble pas en m'é- leur dit : Aijez don courage, personne ne pé-
coutant; car, s'ils doivent subir le châtiment rira ; il n'y aura que le vaisseait de perdu; car
de leurs fautes, écoule maintenant, j'établirai cette nuit même, un ange du Dieu à qui Je suis
mon alliance avec toi. (Ibid. t8.) Jusqu'à ce et que je sers, m'a apparu et m'a dit : A'e crai-

jour , honmu'S ont commis des actions in-


les gnez point, Paul; Dieu vous a donné tous ceux
dignes, ont méconnu mes commandements;
ils qui nav/gue?it avec vous. (Act. xxvii, îî-2. û\.)

c'est avec loi, dé>orniais, que j'établirai mon Voyez-vous comment la vertu de cet homme
alliance. Le premier homme, après tant de leur a valu d'être sauvés; disons mieux, ce
bicnlaits , s'est laissé séduire; il a violé mes n'est pas cette vertu seulement, mais de plus

conunandcmcnts l'enfant né de lui s'est à son la bonté du Seigneur il en fut de même ici, :
;

tour précipité dans le de malice; même abîme et ce fut là lapremière cause. Mais il en est
il a subi un long châtiment avec la malé- encore une autre Dieu voulait laisser un fer-
:

diction. Kh bien, sa punition n'a |)as corrigé mont, une racine, |tour le rétablissement de la
ses descendants, ils ont accumulé les crimes, race humaine. Ce n'est pas qu'il fût impossible
et m'ont forcé de réjirouver leur génération. à Dieu de créer l'honnue une seconde fois, de
Plus tard, quand j'ai trouvé Enoch, qui avait tirer une seconde fois, d'un seul honune, une
fidèU nient conservé l'image de la vertu , nut!!itude, mais c'est parce qu'il lui parut bon
comme il m'était tout à fait cher, je l'ai enlevé (1 agir comme il l'a fait, suivant en cela sa bonté

vivant , montrant ainsi à tous ceux qui prati- ordinaire.


quent la vertu quelle précieuse récompense 5. Soyez attentifs, Mi>ez encore la bonté da
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — VINGT-QUATRIÈME HOMÉLIE. IbU

Dieu dans ce qui suit car, de même que ses pa-


: commandées, qui a montré tant d'obéissance à
roles menaçantes annonçaient la mort de l'es- ses ordres? Et maintenant, voulez-vous savoir
pèce humaine, et en nirnie temps la destruclioa quelle parole le Créateur de toutes choses a
des bêtes de somme, des reptiles, des volatiles, daigné lui adresser? Ecoutez la suite FA, dit :

des animaux sauvages; de même ici, par égard le texte , le Seigneur Dieu dit à Noé : entre
pour l'homme juste, il commande d'introduire dans V arche, toi et toute ta maison. (Ibid. vu,
dans l'arche un couple de chaque espèce de ces 7.) Et maintenant, pour nous apprendre que
animaux, pour servir à la reproduction des ce n'est pas seulement par un effet de sa
animaux à venir. De tous les animaux, dit-il, faveur qu'il conserve le juste, mais qu'il
des brtes de somme, de tous les animaux sau- lui donne la récompense de ses travaux, les
vages, de toute chair, tu feras entrer un couple, prix que sa vertu mérite il lui dit Voua , :

afin qu'ils vivent avec toi; et ils seront mâle et pourquoi je te commande que tu entres dans
femelle. De chaque espèce des oiseaux, de cha- l'arche, toi et toute la maison Cest que je fai :

que espèce des animaux terrestres , de chaque vu juste et parfait devant moi au milieu de
, ,

espèce des reptiles rampant sur la terre, deux cette génération. Grand témoignage et digne ,

entrerojit avec toi ,


pour vivre avec toi, et ils de confiance car que peut-il y avoir de plus
;

seront mâle et femelle. (Gen. vi, 19, 20.) No glorieux que d'entendre le Créateur lui-même,
passez pas sans vous arrêter , mon
bien-aimé ;
Celui qui adonné l'être, décernant son suffrage
considérez quel souci, quel trouble de pensées au juste avec de telles paroles; parce que ^e
dut donner h cet homme juste le soin à prendre t'ai vu juste et parfait, dit le texte, devant moi.

de tous ces animaux. En effet, ce n'était pas Voilà la vraie vertu , la vertu qui se montre
assez pour lui de s'occuper de sa femme et de devant Dieu , la vertu dont rend témoignage
ses fils, et de ses btllcs-filles, il lui lallait en- rOEil qu'on ne peut tromper. Ensuite, le Dieu
core s'in(iuiét(T de faut d'animaux sans raison, plein de bonté nous enseigne la mesure de la
qu'il de\ait nourrir. Mais patience, attendez; vertu qui était alors exigée d'un juste, ( En
vous verrez la bonté de Dieu, comme Dieu sou- effet, il n'attend pas de tous la même mesure
lage le soin qu'il impose à l'hounne juste : Tu de vertu : la variété des temps amène la diffé-

prendras, àA-'û, avec toi, de tout ce qui peut rence dans la vertu t|u'il réclame.) Dieu dit :

se mawjer, et tu le porteras dans l'arche, pour parce que je fai vu juste et parfait devant moi
servir à ta nourriture et à celle de tous les au milieu de cette génération si dépravée, si ,

animaux. [\hk\. 21.) Ne pense pas dit Dieu, , corrompue, si ingrate. Je t'ai vu juste, c'est toi
que ma pnividcnce t'abandonne; vois, je te seul que j'ai trouvé agréable; c'est toi (jue j'ai
commande de porter dans l'arche tout ce qu'il vu tenant compte de la vertu, toi seul as paru
faut pour votre nourriture et pour la nourriture juste, à mes yeux, devant moi ; tous les autres
des animaux, de sorte (jue vous ne souffriez péri>sent, et je t'ordonne d'entrer, avec toute
nullement de la faim , que rien ne vous man- ta maison, dans l'arche : des animaux qui sont
que, et que les animaux ne périssent pas, faute purs, je t'ordonne d'introduire dans l'arche
de la nouniture qui leur convient. Et Noé, sept cou j)les; auparavant il avait d'une manière
dit le texte., accomplit tout ce que le Seigneur indéterminée ordonné d introduire un seul
Dieu lui avait commandé , il l'accomplit ainsi. couple de tous les animaux sans distinction,

Voyez maintenant, ici, le plus beau des éloges : et maintenant pour compléter son comman-
Noé accomplit t ntt ce que le Seiqiuur Dieu lui dement, il ajoute De tous les animaux qui
:

avait commandé. 11 n'accomplit pas telle chose, sont purs, preiuls sept mâles et sept femel-
il ne négligea pas telle cijose, mais tout ce qui les ; et de tous les animaux impurs, deux mâles

avait été connnandé, il l'accomplit. Et, il V ac- et deux femelles. Il en donne bientôt l'explica-
complit ainsi qu'il lui avait été connnandé. Il tion ; il ajoute : Afin d'en conserver la race sur
n'omit rien il accomplit tout, et il prouva,
: la face âe toute la terre. Il est curieux, ici, de

par ses œuvres, que c'était avec raison que se demander comment cet homme juste savait
Dieu l'avait jugé digne de sa bienveillance. quels étaient les animaux purs, quels étaient

Quelles couronnes ne mérite pas le témoignage les aniniiiux impurs. Car on n'avait [las encore
que la divine Ecriture décerne à ce juste? Quel fait la distinction que Moïse éiablit pins tard et

homme pourrait être plus heureux que celui qui sanctionna dans les lois des JuitV. Comment donc
a accompli toutes les œuvres que Dieu lui a\ait Nue pouvait- il la faire de lui-nième? Par la
156 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JE.\N CHRYSOSTOME.

science qui lui était naturelle et que la raison qui font des nouveautés, en se fondant sur leurs
lui suKKéia aussi. Il n'y a rien d'impur dans opinions a eux), nous trouvons dans l'Ecriture
les créatures que Dieu a laites; comment [>our- des nombres qui marquent des couples : Ainsi,
rions-nous appeler itTimonde une créature qui quand Seigneur envoya ses disciples, il les
le

a reçu d'en -haut 1 approbation du Ciéiteur? envoya deux par deux or, ils étaient douze en ;

En efîi t, la divine Ecriture nous dit : Dt(^n vît tout; et il y a quatre évangiles; mais il serait
toiiics les choses qu'il avait faites, et elles étaient inutile, mes frères, de vous rappeler ce que
très- bonnes. (Gen. i, 32.) Mais, plus tîird, la vous ont trop bien appris ceux qui en ont
nature seule produisit cette distinction. Et ce assourdi vos oreilles '.

qui vous fera voir que nous disons la vérité, 11 faut vous apprendre maintenant pourquoi

c'estque dans certains pays, certaines personnes Dieu a donné l'ordre d'introduire sept couples
s'abstiennent de certains animaux, regardés des animaux purs. Ce plus grand nombre
comme des animaux immondes, et qu'on mé- d'animaux purs c'était pour ménager , à
,

prise, tandis que d'autres personnes se nour- l'homme juste et à ceux qui étaient avec lui,
rissent des mêmes animaux c'est la coutume : une consolation à cause de , l'utilité qu'ils en
qiîi les autorise. Eh bieni de même, à cette retireraient. Maintenant tous ces couples de
(pleine, la seule science que ce juste avait en sept mâles et de sept femelles, si vous en cher-
lui, lui montrait de quels animaux on pouvait chez la raison, vous donnent une marque écla-
se nourrir, quels animaux étaient immondes, tante de la piété de l'homme juste. Le Dieu plein
non qu'ils le fussent en réalité, mais parce de bonté connaissait sa vertu; il savait (lue ce
qu'on les regardait comme des animaux im- juste, touché de la miséricorde du Seigneur,
mondes. Pourquoi, en effet, répondez-moi, Je après avoir joui d'un si grand bienfait de la
vous prie regardons-nous l'une comme un
, divine faveur, quand il se verrait sauvé d'un si

animal immonde, quoiiju'il ne se nourrisse grand désastre, délivré de tout péril, affranchi
que de plantes, tandis (jue nous regardons de la captivité qu'il subit dans l'arche, mani-
comme une nourriture convenabled'autresqua- festerait sa reconnaissance, et lui offrirait en
drupèdes, quoiqu'ils se nourrissent d'un aliment actions de grâces des victimes et des sacrifices.
immonde? Ainsi la science naturelle, qui vient Dieu ne voulut pas que les couples fussent dé-
de Dieu d'ailleurs, enseignait ces choses. On pareillés voilà pourquoi le Seigneur, i|ui pré-
;

pourrait, en outre, faire une autre réponse; voyait les sacrifices de la reconnaissance , or-
c'est que Dieu, (jui avait fait le commande- donna d'introduire sept mâles et sept femelles
ment, avait en même lem[)S accorde à Noé la de toutes les espèces d'oiseaux ; c'était afin
connaissance dont il a\ail besoin. Mais en voilà que, quand la destruction universelle cesse-
assez sur les animaux immondes et sur ceux rait , l'honnne juste manifesterait la
(juand
qui ne le sont pas. piété de son àme, les couples des oiseaux et
0. Mais maintenant se présente ici une autre des autres animaux ne hissent pas dé[)areillés.
question Pourquoi, des animaux impurs, deux
: C'est ce que la suite de ce discours vous mon-
couples; des animaux purs, sept couples? Et trera, (jnand nous serons arrivés au moment
encore pounpioi pas six, huit, mais sept? Le
: (|ue j'uiilique. Vous verrez, en efTet que ,

dé\e'!op[>rmenl est peut-è;re un [)eu long, mais Ihonmie juste se conduisit ainsi vous venez ;

si vous n'êtes pas fatigués, si vous voulez bien, d'à; prendre pourquoi l'ordre fut donné d'in-
nous vous résumerons, mes frères, nos jiensées troduire dans l'arche sept mâles et sept fe-
sur ce sujet; nous voulons dire, celles que la melles; ne supportez donc plus ceux qui
grâce divine nous aura inspirées. On débite, en composent des fabhîs qui s'insurgent contre .

ellel, grand nombre de fables dillérentes à ce l'Ecriture sainte, et qui donnent les inventions
propos c'est pour beaucoup d'esi)rils une occa-
; de leur cerveau comme des dogmes sacrés.
sion (le tenter d«'S observations ,
par le moyen Donc, après que Dieu eut communiqué ses
des nombres. Mais ce n'est pas ici la sagesse ordres nettement exprimés
, au sujet des ,

qui observe, c'est la curiosité intempestive des


hommes qui se livre à des lictions, fécondes * Ce pas «ans raison que s»\nt Chtvsostomo «'attaqut lei à
n'ett
en X dans Ve^plication de la sainte Ecriture, tenaient trop
qui,
en héiésies, ce (jue vous aile/ voir tout de suite. {^land compîe des nombres tels étaient uon-seuicmciit riiilon
: M
En ellét, souvent ec'st à tel point (jue l'abon- Ciétneat d Alexandrie, tua. s aussi Eiisèbe en <iuclqucs endroits, «t

dance des i>reuves va fermer


(
méaie d'auiraa Pères. Pierr* Bod^o a composé un gros livre lur «
la bouche à ceux iigst.
HOMÉLIES SUR LA GENI'SE. — VINGT-QUATRIÈME HOMÉLIE. 157

oiseaux, des animaux purs et des animaux im- du délai ne les a pas frappés d'engourdisse-
puis, et (les aliments,l'homine juste il dit à : ment ni jetés dans le désespoir ? Voyez
,

Je Ji' attendrai plus que sept jours, et, après cela m.iintenant ces hommes du déluge après tant ;

je ferai pleuvoir sur la terre, durant quarante d'années d'attente, lorsqu'ils enl udirent ces
jours et quarante nuits , et fexter minerai de paroles Encore sept jours, et le déluge vien-
:

dessus la terre toutes les créatures que l'ai dra ne se sont pas convertis; ils sont res-
, ils

faites, depuis l'homme jusqu'aux bêtes de tésdans leur insen-ibililé slupide d'où il faut ;

somme. (Gen. vu, 4).vous en Attention ici , je dire (jue c'est notre volonté qui est la cause de
conjure; voyez encore dans ce que nous ve- , tons les maux. En effet, et ces hommes-là et
nons de vous dire, rexcellence de la boulé di- les hommes de Ninive avaient même nature,
vine; après une si longue patience, Dieu dé- mais non même volonté; aussi leur sort ne
clare qu'il attendra encore sept jours il veut, ; fut-il pas le môme. Ceux de Ninive échappè-
par la terreur, corriger les hommes, et les ra- rent au désastre; Dieu dans sa bonté, dans sa
mener au repentir. Ce qui prouve que c'est clémence, agréa leur repentir; mais les antres
bien là sa ne veut pas faire
pensée ,
qu'il furent engloutis, et périrent tous, de la destruc-
pleuvoir sur les hommes ce déluge qu'il an- tion universelle: Je n'attendrai plus, dit-il, que
nonce, c'est ce qui est arrivé aux habitmts de sept jours , et, après cela, je ferai pleuvoir sur
Ninive. Voyez bien , comprenez la dilïérence la terre. Ensuite ,
pour ajouter à la terreur, il

entre ceux de Ninive et les hommes d'autre- dit : Durayit quarante jours et quarante nuits.
en vain que, pendant tant d'aimées,
fois. C'est Qu'est-ce à dire? Ne pouvait-il pas, s'il avait
ces hommes entendirent répéter que les plus voulu en un seul jour faire pleuvoir tout le
,

grands malheurs étaient a leurs portes; ils ne déluge? Que dis-je, en un seul jour? Un seul
renoncèrent pas à leurs iniquités c'est là, en ; moment lui suffisait. Mais ce qu'il dit, c'est à des-
effet, notre habitude; nous devenons négli- sein ; il veut inspirer la terreur , et, en même
gents, quand on ajourne la punition; mais temps, ménager à ces hommes l'occasion d'é-
quand les fléaux tombent sur nous, nous nous chapper au châtiment, qui était déjà à leurs
humilions alors , et nous montrons que nous portes : Et j'exterminerai, dit-il, de dessus ta
sonunes convertis. C'est ce qui est arrivé aux terre, toutes les créatures que j'ai faites, depuis
gens de Ninive : quand ils entendirent ces pa- l'homme jusqu'aux animaux. Voyez comment,
roles : Encore Ninive sera dé-
trois jours et une fois, deux fois, il prédit la destruction, et
truite (Jean, ui, 4) non-seulement ils ne dé-
, cependant il s'abstient; tout ce qu'il faisait,
sespérèrent pas, mais ils ^e réveillèrent, et ils c'était pour nous montrer que c'était avec rai-
s'abstinrent si bien de toute aciion mauvaise, son qu'il leur infligeait un châtiment si terri-
et ils mirent tant de soins à se confesser qu'ils ble, c'était afin qu'aucun homme ne pût pré-
étendirent jusque sur le- animaux la confes- texter l'ignorance afin que nous ne pussions ,

sion; non pas que les animaux se soient confes- pas dire S'il avait attendu au lendemain,
:

sés ; comment auraiiut-iis pu le faire n ayant peut-être se seraient-ils repentis, pent-ètn- se


pas la pandi. ? mais les Ninivitis voul.dent, p;ir seraient-ils abstenus de leurs actions m.uvai-
ce moyen, se concilier la miséricorde du Dieu ses, jteut-ètre seraient-ils retournés à la vertu.
de bouté. On publia un j;ùne, dit l'Ecriture; C'est encore pour celte raison qu'il nous a lait
le roi ordonna, de sa bouche que ni les bre- , savoir le nombre des années, et qu'il a ordonné
bis , ni les bœufs , animaux ne
ni les au.res la construction de l'arche. Et après tous ces ,

fussent point menés aux pâturages, et ne bus- préliminaires il annonce encore sept jours,
,

sent point d eau. (Jon.ni, 7). Tout le peuple, afin de faire taire toutes les langues qui pir-
tous, couverts de sacs, et 'c roi lui-même sur , lent au hasard sans réserve et sans pudeur. ,

son trône, tirent une grc idc pénitence avec , Et Noé, dit l'Ecriiure, accomplit to7(t ce que le

les aniuiaux, et celle peni ;nce, ils l'a. co.npli- Seiqni'ur Dieu lui avait commandé. Voyez
reiit sans savoir s'ils éch. [)per.uent au chali- comme la divine Ecriture célèbre ici la sagesse
ment, car ils disaient :
(J d sait si Dieu ne se et l'obcissance de rhouime juste. Elle nous
retournera point vers nou pour nous pardon- enseigne qu'il n'a rien néglig.; de ce qui lui
ner? (Jean, ix.) avait éle commandé et i|u'en accompli- sant ,

Avez-vous compris Ui sagesse de ces bar-


7. tout , il a encore prouvé, par cette obéissance,
bares ? Avez - vous compris que la brièveté la perfection de sa vertu.
Ibn TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

8. Imitons donc ce juste; nousaussi, accom- recherchez l" gloire quivitnt des hommes, et qui
plissons avec zèle les commandements de ne recherchez point h I fjloire qui vient de Dieu
Dieu, et ne méprisons pas les lois que le Christ seid? (Jean, v, 44.) S'il est vrai qu'en désirant
nous a apportée?; conservons-les toujours dans cette gloire humaine, on perd la gloire divine, il
notre mémoire; empressons-nous de faire des n'en est pas de même pour qui recherche sans
bonnes œuvres ne nous relâchons pas dans la
;
cesse la gloire divine; celui-là ne perd même
conduite qui nous assure notre salut, et cela pas la gloire qui vient deshommes. Dieu lui-
surtout, s'il est vrai qu'aujourd'hui le Christ même nous a fait cette promesse Cherchez :

exige de nous une vertu, d'autnnt plus grande, premièrement le royaume de lùeu et toutes ces
que nous avons reçu de plus grands biens en choses vous seront données par surcroît. (Math.
partage. Voilà pourquoi le Christ disait Si : VI, 33.) Oui, celui qui possède ce divin désir,
votre justice nest pas plus abondante que celle entraîne tous les autres biens à sa suite; qui
des Scribes et des Pharisiens , vous n'entrerez s'envole vers Dieu, sur les ailes de l'âme, re-
point dans le royaume des deux. (Math, v, 20.) garde comme si elle n'était pas toute la pros-
Méditons donc cette parole; sachons nous y périté présente ; les yeux de la foi, quand ils

arrêter réfléchissons sur la rigueur du châti-


; voient ces biens ineffables, ne voient plus,
ment réservé à ceux qui, non-seulement ne tra- même les biens visibles, tant est grande, des
vaillent pas à surpa-iser ces scribes, mais encore uns aux autres, la difl'érence. Mais je ne vois
n'égalent pas leurs œuvres et ne s'inquiètent personne qui préfère l'invisible au visible. Aussi
pas d'éteindre la colère qu'ils ressentent contre je m'atflige, et une douleur continuelle est
leprochain de conserver la jxireté d'une lan-
; dans mon cœur. L'expérience des choses ne
gue qui ne connaît pas le parjure ; de préserver nous a rien appris; ni les promesses de Dieu,
leurs regards de spectacles funestes; d'accom- ni la grandeur de ses don-, ne font naître dans
plir lecommandement de Dieu, qui nous or- nos âmes le désir de posséder son royaume;
donne, non-seulement de supporter avec cou- toujours à terre et rampant, nous préférons la
rage l'injustice dont nous sommes victimes, terre au ciel, le présent à l'avenir, ce qui s en-

mais de répondre à la haine en la comblant de fuit avant de paraître à la félicité durable; le


nos bienfaits. Si quelqu'un veut jdaider contre plaisir d'un jour à l'éternelle ivresse. Je sais

vous, dit l'Evangile, pour vous prendre votre bien que ces paroles, pour vos oreilles déli-
robe, abandonnez-hd encore votre manteau. cates, sont des piqûres qui les blessent, mais
(Math, v, 40.) Nous, au contraire, trop souvent, pardonnez-moi.
nous essayons de commettre l'injustice contre C'est parce que je désire votre salut que je
le prochain,ou de nous venger de celui qui vous parle; c'est parce que j'aime mieux vous
nous blesse, quoiqu'il nous soit commandé, voir échapper, grâce atix quelques tracasseries
non-seulement d'aimer ceux qui nous aiment, que pavtr quel-
d'ici-bas, à l'éternel sup[)lice,
car les publicains e)i font autant (Ihid. 4G), ques chétifs plaisirs d'un châtiment sans fin.
mais d'être bons, d'être des amis pour nos en- Si vous vouliez m'eidendre, vous secoueriez
nemis. Nous ne savons même pas rendre à nos un découragement intempe^tif, surtout quand
amis l'amour qu'ils ont pour nous. Aus-^i je ilvous reste encore quelipies moments de cette
souffre et je pleure quand je vois, parmi nous, sainte quarantaine; oui, vous, pouvez vous pu-
que la vertu est une rareté; la malice, une rifier de vos fautes, vous concilier toute la
force qui grandit chacjue jour; (jue la crainte bonté de Dieu. Le Siigueur n'a besoin ni de
de la damnation n'anèlo pas notie course dans jours, ni d'annéts; si nous voulons, dans ces

la perversité,que ramoiutle la royauté céleste deux semaines qui nous restent, nous allons
ne nous excite pas à cheminer dans la vertu; nous redresser, nous relever tout à fait. Ea
nous sommes tous, passez moi le mot, des trou- trois jours, les hahitauts de Ninive ont montré
peaux qu'on enunène; nous allons sans penser, leur repentir, et Dieu leur a montré son amour;
ni à l'heure terrible de la dernière épouvante, à |)lus forte raison aura-t-il des regards pour
ni aux lois qui nous sont imposées par Dieu nous; nous n'avons qu'à prouver la sincérité
et tous nous regardons ce que pensent Ks de notre repentir, (ju'à rejeter la malignité,
autres, nous poursuivous la gloriole qui vient qu'à prendre résolument la route qui conduit
du monde, et nous ne voulons pas écouter l'E- à la vertu. Car, pour ces pécheurs, je parle de
yaugile : Comnicnt pouvez-vou^ croire, vous qui ceux de Nim>e, voici le tcmoiguage de la di-
HOMELIES SUR LA GENÈSE. — VINGT-QUATRIÈME HOMÉLIE. mo
vine Ecriture : Dieu vit qu'ils s'étnicnt conver- loir, contre ses bonnes intentions, la force des
tis, en (jitittant leur mauvaise voie. (Jon. m, iO.) mauvaises habitudes, qui le contiainl de per-
Donc, s'il nous voit, nous aussi, maintenant, sévérer dans le mal, que celui-là se fasse vio-
nous retourner du côté de la vertu, nous écar- lence ,soumette sa lâcheté à sa raison ne ,

ter du vice, nous animer du zèle des bonnes sou (lie pas que le vice fasse de nouveaux pro-
œuvres, il accueillera notre conversion, il nous grès dans son âme; qu'il s'arrête, qu'il rompe
affranchira du fardeau de nos fautes; à nous, avec les habitudes vicieuses; plus de fougue
les dons de ses mains. Car nous éprouvons pervertie; plus de pensées déréglées; qu'il mé-
moins le nous délivrer du péché, de
désir de dite sur le jour d'épouvante; qu'il arrêie ses
conijuérir le salut, qu'il ne désire, lui, qu'il ne regards sur le feu resplendissant de la table
lui tarde de nous gratifier du parfait affran- terrible, sur la flamme qui brûle, sur les dis-
chissement, de la réconciliation, du salut, de positions qu'il convient d'apporter à cette ta-
nous en assurer la jouissatice. Aussi, je vous en ble, c'est la pureté sans tache, c'est la pureté
conjure, réveillons-nous; demandons-nous, cha- parfaite; qu'il chasse, extermine les pensées

cun à nous-mêmes, voyons, examinons quelle coupables; que ce soit là, en ces jours, pour
correction de nous-mêmes avons-nous opérée chacun de nous, la préparation intérieure;
en ces jours, quelle utilité avons -nous re- purifions notre âme, faisons tous nos efforts
cueillie de cet enseignement continuel, quel pour prendre dignement notre part du festin

fruit en avons-nous rem|)orté pour l'édifica- eucharisti(iue sur la terre, afin de jouir ensuite
tion du prochain, quel vice avons-nous détruit de ces biens ineffables, que Dieu a promis à
en nous-mêmes, quelle résolution d'embrasser ceux qui l'aiment, par la grâce et par la bonté
la sagesse avons- nous prise, en entendant cha- de Noire-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient,
que jour tant d'exhortations? Pensons aux ainsi qu'au Père et au Saint-Esprit, la gloire,

bonnes œuvres, ne nous lassons jamais de l'empire, l'honneur, maintenant et toujours, et


sanctiûer notre vie que celui qui voit préva-
;
dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Traduit par M. C. PORTELETTS,


160 TRADUCTION FRANÇ.V1SE DE SAINT JEAN CUKYSOSTOME,

VINGT-CINQUIÈME HOMÉLIE.

4 Noé avait six cents an» lorîqua ]e3 taux du déluge inondèrant la terra. » ,'G-en, VU. 6»]

ANALYSE.

1 Le texte qn'on vient de liremnnfre l'excellence de la honte de Dieu et l'excès de la noalice des hommes. 2. De même que —
le repentir peut fuire révoquer à Dieu sesmenaces; ainsi, la persistance dans le péché le force quelquefois à envoyer le cliâ-
timeut plus lot qu'il ne l'avait annoncé. Dans le cliûliinent de la vie future. Uieu tient compte de ce que les pécheurs ont déjà
soulTerl en ce nion'le. —
3. Nouxeau délai de sept jours accordé aux tiommes; saint Ctiryjostome afllrrae que ce délai eût

sufli aux luminies pour obtenir leur pardon s'ils avacnt voulu faire pénitence. —
4. explication de ces mots Dieuprnia Carcke :

par dehors. —
5. N\'é le jnsie, recouvre dans l'urche l'ancien pouvoir du premier homme sur les auiuiaux. 6. TablCuU de la —
destruction du monde par le déluge. — 7. Exhortation.

\. Je veux vous cntrotcnir de nouveau du quarante jours et quarante nuits, et j'extermi-

sujet qui nous a occupés hier, mes irès-chers nerai de dessus la terre toutes les créatures que
frères, et reprendre Ihistoire du juste Noé. faif(ntes, depuis l'homme jusqu'aux animaux;
Les vertus de ce juste sont un trésor de ricnes- et Noë accomplit tout ce que le Seigneur Dieu
ses, et il est de notre devoir de faire tous les lui avait coninvindé ^Gen. vu, 1, 5.). C'est jus-
eilorts dont nous sommes capables , de passer que la que nous nous sommes avancés; c'est
en revue, pas à pas, lentement, ces vertus, afln là que s'est arrêté l'enseignement que nous

d'augmenter par la les riche sses de vos âmes. vous avons donné. Peut-être n'avez-vous i)as
Faites en môme temps que moi des eflorts ;
oublié notre explication, mes frères, sur la
soyez attentifs je vous en prie
,
ne laissez ; question de savoir pourquoi Dieu doima l'ordre
échapper ici aucime des pensées que nous d'iidioduire dans l'arche sept couples des ani-
allons trouver en réserve. Ce (juil faut dahoid, maux purs et deux des animaux impurs. Eh
c'est vous rap|)elor, mes frères, où s'e^l terminé bien, ahoiiions aujourd'hui la suite de l'Ecri-
l'enseignement d'hier, |)our reprendre, au- ture, et voyons ce (juclle nous dit après que
jourd'hui , notre discours à cet endroit ; les Noé fut entrédans l'arche. C'est maintenant,
j)aroles que nous avons aujourd'hui à vous plus (pie jamais. (|u'il nous faut montier notre
faire entendre auront ainsi plus de clarté. Oîi zèle, lorsque le li inps du joi'ine nous permet

s'est donc arrêté l'enseignement d'hier? Le de jouir plus souvent de vos réunions si dou-
Seigneur Dieu., dit le texte, dit à Noé Entre, : ces; nous atVrancliit des volu|)tés honteuses;
toi, et toute ta nuiison avec toi, dans r Arche, réveille nos âmes et facilite notre attention,
parce que je t'ai vit juste et parfait devant moi, noire application à la parole. Nous di'vons donc
ail milieu de cette (jénération ; de tous les ani- à prosent, parler sur le texte qui conunence la
niaux purs , introduis dans l'arche sept cou- lecture de ce jour. Noé avait , dit le texte , six
ples' et , des aninwux impurs , deu.r couples. cent^- ans, lorsque les eaux du déluge inondè-
Car je n'attendrai plus que sept jours, et après rent la terre. Appliiiuez-vous, je vous prie, ne
cela, je ferai pleuvoir sur la terre , durant passons i)as négligemment sur celte parole ;
HOMP^LIFS SUR LA GENf.SE. — VlNGT-CINQUli^ME HOMÉLIE. 161

elle est courte, et ncrinmoins elle renfernio seigneur dans ce jour terrible, j'entonds le
qiu'lque trésor caché ; elle nous révélera si jour du jugement fuisont comparaître , lis
nous S(!inmLS attentifs, l'excellence de la bonté S(>rviteurs avec les serviteurs, prononcera la
de IMeu et l'excès de la malice des hommes. condamnation, en m(;ntr'\nt. que C(!ux (pii ont
N'^é nvaH
m'x rpnts ans. Ce n'est pas sans raison joui des mêmes biens, qui ont reçu des mêmes
que ne Kcrilure nous a enseigné le nombre
la divi biens leur part, n'ont pas pratiqué la mcm»;
des .innéesdu juste, ce n'est pas seulement pour vertu souvent encore il compare l'inégalité
:

nous apprendre son âge, tuais c'est que l'Ecri- des condiiions, pour condamner [)Ius rigou-
ture nous a d'abord i]\l:Aoé avait cinq cents reusement i( s négl;g'nts et les lâches. C'est
ans. (Gen. v, 31.) Et, après nous avoir montré ainsi qu'il dit dans les Evangiles : A<?5 Nlni-
ce nombre d'années, elle nous a raconté la cor- vites s'éicrcront, au jour du jugement contre ,

ruption deshommes dépassant tonte mesure, cette rare, et la cmdiimnerimt parce qnlls ont ,

la pensée de chiiquc homme s'oppliquant au fait pénitence à la prédication deJonas^ et cepen-


mal, dans chacun d'eux, dès sa jeunesse; et dant il y a ici plus qne Jonas. (iMatth. xii, 4.1.)
voilà pourquoi Dieu dit Mon esprit ne de- : Ces paroles revenaient à dire Des barbares, :

meurera pas tonjours avec ces hommes^ parce dont on n'a pris aucun soin qui n'ont pas ;

qiiils ne sont que chair. (Gen. vi, 3.) Il leur entendu l'enseignement des prophètes qui ,

annonce ainsi d'avance que son indignation n'ont pas vu de signes, qui n'ont pas contem-
déborde ensuite
; voulant leur donner un
, plé de miracles, qui n'ont vu qu'un homme, un
temps suffisant pour se repentir pour échap- , seul, un échappé de naufrage; après avoir
per aux effets de son indignation , il dit Le : entendu des paroles faites pour les jeter dans
temps de l'homme ne sera plus que de cent vingt le désespoir, et la dernière perplexité, à ttl
ans (Ibid. vi, 3) ; c'est-à-dire j'attendrai encore, pointqu'ilsauraient eu raison deuiépriser et cet
j'ajouterai , à ces cinq cents ans pendant les-
, homme et ses discours, ces barbares non-seule-
quels cet homme juste , rien que par le nom ment n'ont jias méprisé du prophète,
les paroles
qu'il porte, les a suffisamment avertis, leur a mais, dans le court espace de trois jours, ces
suffisamment conseillé, pour peu qu'ils vou- hommes ainsi surpris, ont fait une pénitence si

lussent être attentifs de renoncer à l'iniquité,


, active, si fervente, qu'ils ont fait révoquer l'arrêt
de se convertir à la vertu. Maintenant encore, du Seigneur. Ces Ninivitcs, dit-il, condamne-
malgré tant de patience dans le passé je leur ,
ront cette génération pour qui on a dépensé
fais la promesse de les supporter cent vingt an- tant de soins, qui a été nourrie des livres des
nées de plus, afin qu'ils emploient comme il prophètes, qui a vu chai]ue jour des signes et
convient le temps qui s'écoulera encore; afin des miracles. Ensuite, pour montrer l'excès d-
qu'ils s'écartent de l'iniquité qu'ils embrassent l'incrédulité de ces juifs , il constate l'adunia-
la vertu. Et il ne lui suffit pas de promettre ble sagesse des Ninivites, |)arce qu'ils ont fait

cent vingt ans, il commanda au juste de cons- pénitence à la prédication de Jonas; et cepen-
truire une arche dont le seul aspect suffisait dant il y a ici phis que Jonas : Voyez, dit-il,
pour raviver leur mémoire, et ne permettait à ces Ninivites, à l'aspect d'un homme méprisa-
personne d'ignorer la grandeur du châtiment ble, à l'aspect de Jonas, ont accueilli sa prédi-
à venir. Car, ce seul fait, que ce juste, qui était cation , et ils ont accompli la plus par-
parvtnu à la vertu la plus haute, construisait faite pénitence : et ceux - ci , à l'aspect dv^

l'arche avec tant d'ardeur, devait suffii-e pour Celui qui est beaucoup plus que Jonas, qui
mspirer à tous ceux qui n'étaient pas dépour- est le Créateur même de l'univers , vivant au
vus de sens l'angoisse et l'épouvante; pour milieu d'eux, opérant tant et de si grands
leur persuader d'apaiser enfin le Dieu qui miracles, chaque jour purifiant les lépreux,
leur montrait ainsi sa clémence et sa bonté. ressuscitant les morts, corrigeant les vices de la
En effet, si ces barbares, je parle des habitants nature, chassant les démons, guérissant les ma-
de Ninive (il est nécessaire que je les produise ladies, accordant dans sa pleine puissance la
encore au milieu de vous, ce sera une preuve rémis'^ion des péchés, ils n'ont pas montré la
plus éclatante et de l'excessive malignité des même loi que les barbares.
hommes du déluge et de la grande sagesse des ne faut pas oublier que le style du commentaire sur la nenèiic c«t
très-n'fligé. On volt un exemple remar'iuab'e do ces longues parco-
pécheurs qui se soiit sauvés).... en eflet, Notre '

thoses fré<|uentes dans saint Chrysostome et partifuliironicm. dais


' Cette phrase inachevée est la reproduction exacte du texte. Il ce commenuiire.

S. J, Ce. — Tome V 11
162

2. Mais reprenons lasuitede notre discours, au milieu de vous , avaient été faits dans
faits

pour \ous (aire voir l'excès du délire des uns, la Sodome, il tj a hnujtemps qiielle aurait fait
laborieuse diligence, la sagesse des autres : les pénitence, dans le sac et dans la cendre. Cest
]Nini\ites, resserrés dans l'étroit espace de trois pourquoi je vous déclare qu'au jour du juge-
jours, n'ont pas désespéré de leur salut, ils se ment Sodome et Gomorrhe seront traitées
,

sont liâtes de faire pénitence , de se laver de moins rigoureusement que vous. (Matth. xi, 21,
leurs fautes, de se rendre dignes de la bonté 22; Luc, X, 43, 1-4.) Voyez-vous, mon bien-
du Seigneur; au contraire, ces hommes du aimé, comment cette expression, moins rigou-
déluge, à qui on ajoutait cent \ingt ans pour reusement, montre que ces villes, quoiqu'elles

se repentir n'ont retiré de ce délai aucun


,
aient subi sur la terre un si grand châtiment,
avantage. C'est pourquoi le Seigneur, devant cet incendie étrange, étonnant, supporteront
l'excès de leur malignité, les voyant précipités aussi, dans l'avenir, un autre châtiment en-
de plus en plus dans les crimes, leur inflige un core, plus léger toutefois, parce qu'elles ont
remède qui agit promptement; il fait dispa- déjà éprouvé un effet terrible de l'indignation
raître le ferment de la perversité il en purge ; de Dieu? Donc, pour préserver les hommes du
le monde. De là ces paroles : Noé avait six déluge, des supplices plus rigoureux aux-
ce)itsans lorsque les eaux du déluge inondèrent quels les exposeraient les péchés qu'ils amon-
la terre. Déjà nous avons ajipris à quelle épo- celaient sur eux, le Dieu de bonté, le Dieu de
que le Seigneur déclara son indignation, et en clémence, voyant qu'ils étaient incapables de
prédit l'eflét iVoe avait cinq cents ans quand
;
: repentir, abrégea le temps pendant lequel il

le déluge tomba, il avait six cents ans; y eut il avait promis de patienter encore. Car. de même
donc ainsi, entre la prédiction et le déluge, un qu'à l'égard de ceux qui s'empressent d'obéir à
intervalle de cent ans. Dans le cours d'un si ses avertissements, il écoute sa naturelle bonté,
grand nombre d'années, ils ne firent pas le révoque ses décrets, agrée les repentirs, af-
moindre progrès vers le bien, malgré ce grand franchit ceux qui se convertissent des suftpli-
enseignement de la construction de l'arche par ces qui les menaçaient; de même, quand il
Noé. Mais peut-être, demandera-t-on, pourquoi promet d'accorder quelques biens, par exem-
le Seigneur qui avait dit Le temps de l'homme : ple, un temps pour se repentir, s'il voit que
ne sera plus que décent vingt ans, le Seigneur ses promesses ont été faites à des pécheurs in-
qui avait promis que sa patience attendrait dignes, alors aussi il révoque ses promesses.
pendant ce nombre d'années n'attend-il pas , Voilà pourquoi il disait par la voix du pro-
que les années promises soient entièrement ac- phète Quand f aurai prononcé l'arrêt contre
:

complies pouropérer la destruction universelle? un peuple, ou contre im l'oynume, pour le per-


Je dis que cela même est la plus forte marque dre et pour le détruire jusqu'à la racine ; si
de sa bonté. Quand il vit que, chaque jour, ils cette nation fait pénitence, je me repentirai
commettaient des fautes irréparables; que, non- aussi moi-même du mal que j'avais résolu de
seulement son inexprimable patience ne leur lui faire. Quanti je 7ne serai dé-
Et ensuite :

était d'aucune utilité mais (pie les ulcères


, claré en faveur dune nation, ou d'un royaume,
s'étendaient, alors il retrancha du temps pour pour l'établir et pour l'a/Jcnnir si ce royaume, ,

les empêcher de s'exposer à des châtiments ou si cette nation pèche, je yne repentirai moi
plus sévères. Mais, nrobjtcte-t-on, quel châti- aussi du bien que j'avais résolu de hd faire.
ment peut être plus sévère que celui-ci ? 11 est, (Jérém. xviii, 7, 8, 0, 10.) Voyez-vous comme
n'en doutez pas, mesbien-aimés.un châtiment c'est de nous que Dieu reçoit les occasions,
plus sévère, plus terrible, le châtiment sans aussi bien de la miséricorde ({u'il nous an-
tin, châtiment de l'âge à venir. Quehpies
le nonce, que de la colère ijuMl fait éclater? C'est
pécheurs, pour avoir ici subi le châtiment, pounjuoi, au moment du déluge, il écourte le
n'éc hai)pent pas cependant à l'autre seule- ; temps , parce que les hommes abusaient de la
ment l'autre châtiment sera plus léger; la ri- longueur du tein|>s. Aussi Paul disait à ces
gueur des su[)plices endurés ici-bas, c'est au- stu|iides ()ui n'admettent |ias le salut opéré par
tant de moins pour l'avenir. Kcoiitez le (Ihrist, le repentir : E^t-ce que vous méprisez les ri-
déplorant le malheur de Bethsaïdo : Malheur chesses de sa bonté, d.' sa patience et de sa ion-
à toi, Chorazim ! dit-il malheur à ; toi, Ikth- que tolérance ? Igxorez-rous que la bonté de
sal.le ! parce que, si les miracles qui ont été hifiu vous invite à la iH'niU'nc« '? et cependant^
IIOiMÉLIES SUR LA GENÈSK. - VINGT-CINQUII^MR HOMÉLIE. 4C3

par votre dureté et par Vimpénitence de votre


, ment voulu faire pénitence, certes, ils auraient
cœur, voua vous amassez un trésor de colircs, éclia|»pé au déluge. Voilà donc pouKiuoi, vu
poitr le jour de la colère et de la manifesta- que les délais ajoutés à un temps si long ne
tio)i du juste juqemoit de Dieu. (Rom. ii, 4, 5.) pouvaient les arracher à leurs vices, Dieu a
Voyez-vous comment cet illustre docteur de fait pleuvoir le déluge, l'an six cent de la vie

l'univers nous enseigne ([ue ceux qui abusent de Noé. Noé^ dit le texte, avait six cents ans
de la patience de Dieu à attendre notre repen- lorsque les eaux du déluge inondèrent la terre.
tir s'exposent à une j)eine plus grave, à de [jIus Avez-vous bien compris, mes bien-aimés,
rigoureux châtiments ? Et voilà pourquoi, dans quelle grande Tililité nous avons recueillie à
le texte qui nous occupe, le Dieu de bonté, savoir le nombre des années de la vie du juste,
connue s'il voulait s'excuser, se juslificr, nous quel âge il avait quand vint le déluge? EIi
donner la raison qui l'a porté à faire pleuvoir bien, avançons voyons la suite maintenant.
,

le déluge, avant que le temps promis se fût Lorscjue le déluge commença dit le texte , ,

écoulé, nous dit : Noé avait six cents ans. Noé entra dans l'arche^ et, avec lia, ses fils,
Ceux qui, dans l'intervalle de cent années, sa femme et les femmes de ses fils, pour se sau-
n'ont pas voulu se convertir, qu'auraient-ils ver des eaux du déluge. Et des oiseaux purs,
gagné à vingt ans déplus, sinon qu'ils auraient et des oiseaux impurs, et des reptiles, deux
ajouté d'autres péchés à leurs péchés ? D'ail- à deux entrèrent dam l'arche ; et de tous ces
leurs Dieu, voulant montrer sa miséricorde animaux les mâles et les femelles, selon que le
ineffjible et rexcellencc de sa bonté, a donné Seigneur lavait commandé à Noé. (G en. vr,
encore sept jours avant le déluge, pour leur 7-9.) Ce n'est pas sans dessein (juc l'Ecriture
permettre, dans ce court intervalle, de montrer a ajouté : Selon que leSeigneur lavait corn-
quelque apparence de repentir. mandé à Noé; c'est pour faire, une seconde
3. Et considérez la bonté du Seigneur, la di- fois, l'éloge de l'homme juste qui a tout ac-
versité des moyens qu'il emploie pour la gué- compli, selon (jue le Seigneur lui avait com-
rison. Voyant que leurs blessures étaient incu- mandé, et qui n'a négligé aucun de ses ordres.
rables, il ne leur laisse qu'un très-bref délai, Après donc que les sept jours furent passés,
parce qu'il veut, s'ils peuvent, dans un inter- selon la promesse du Seigneur, dit le texte, les

valle si court, revenir à résipiscence, révoquer eaux du déluge se répandirent sur la terre,

l'arrêt de sa colère. Car, c'est son habitude, l'année six cent dala vie de Noé, le vingt sep-
}>arce qu'il se soucie de notre salut, de prédire tième jour du second mois. (Ibid. x, 11.) Voyez
les châtiments qu'il infligera , et sa rai- lesoin que prend l'Ecriture de nous apprendre,
son, c'est qu'il désire ne pas être contraint non-seulement l'année du déluge , mais le
de les infliger ; il prend soin de les annon- mois et le jour. Ensuite pour que ce récit ,

cer d'avance , afm que cet avertissement puisse servir à corriger les descendants, pour
nous inspire une terreur qui nous corrige, qui ajouter à la terreur, l'Ecriture dit En ce jour :

détourne sa colère qui nous permette de


,
là, toutes les sources du grand alAme des eaux

rendre ses décrets inutiles. Rien, en effet, ne furent rompues, et les cataractes du ciel fu-
le réjouit plus que notre conversion et notre rent ouvertes, et la pluie tomba sur la terre

retour à la vertu. Voyez donc avec quelle pendant quarante jours et quarante 7mits.
adresse il s'efforce de les guérir de leur mal ;
(Ibid. 12.) Voyez encore comme la sainte Ecri-

d'abord il leur a accordé un temps considé- ture sait conformer ses expressions à notre in-
rable pour se repentir ensuite, quand il a vu ; firmité; tous les mots sont approi)ries au lan-
qu'ils étaient comme privés de sentiment, que gage humain. 11 n'y a pas de cataracte dans le
la longueur du temps ne leur servait à rien, ciel, mais ce sont des manières de parler fa-

qu'ils continuaient leur vices au moment milières; c'est comme si l'Ecriture disait : le

même que le déluge était, pour ainsi dire, à Seigneur se borna à commander, et, tout de
leurs portes, il renouvelle la prédiction il ne ; suite, les eaux obéirent à l'ordre du Créateur,

dit pas dans trois jours comme pour les Nini-


: et réunissant de toutes parts tous leurs cou-

vites, mais dans sept jours. Et je n'hésite pas


: rants, inondèrent le monde entier. Quant à ce
à le dire, parce que je connais combien est que le déluge dura quarante jours et quarante
grande la clémence de notre Dieu, si, même nuits, c'est encore là une grande marque de li
dans ces derniers sept jours, ils avaient vrai- divine bonté. En effet, dans sa profonde misé-
464

ricorde, Dieu voulait que quelques liomines ]>hètes; il en est un qui disait: Béhs! Sei-

au moins, de cette ^-cncration qu'il châtiait, gneur Dieu, pcrdiez-vous dune tout ce qui
pussent échapper à la destruction universelle, reste d'Israël? (Ezéch. ix, 8.) Un autre main-

quand verraient périr, sous leurs yeux, des


ils tenant s'écrie: Ferez-vous donc les hommes
créatures huirs semblables, quand ils verraient semblables aux pois ons de la mer, qui iiont
la |ierte commime prête à les envelopper. 11 est noint de chef? (Habac. i. 14.) Donc, parce

vraisemblable, en eflét, qu'une bonne partie qu'un homme juste était d'ailleurs confondu,
périrent le premier jour de l'inondation le ; troublé, pour que cet all'reux spectacle ne le
second jour, la proie du déluge s'augmenta, et plongeât pas dans une trop amère tristesse,
de môme le troisième jour et les jours sui- Dieu, pour ainsi dire, l'imprisonne dans
vants. Dieu donc dillera de quarante jours cl l'arche épargne à ses regards un sp^ct icle
; il

de quarante nuits l'achèvement du déluge qui de terreur. Il est à croire, en


le frappe; ait

pour ôter aux hommes toute excuse. S'il avait effet, que si Noé avait ]>u voir cette inonda-

voulu se borner à ordonner le déluge, en un tion, l;»itde flots amoncelés il aurait craint ,

moment, il pouvait tout inonder, mais écou- d'être lui-même destiné à périr. Donc, par in-
tant encore sa clémence, il employa la lon- térêt, par bonté pour lui Dieu n'a pa<; voulu ,

gueur des jours. Ensuite, le texte dit: missitôt qu'il contemplât la rage cruelle des eaux, qu'il
que ce jour parut, Noé eiitra da?is rarche avec vît la destruction deshonmies, l'extermina ion
ses fils, Sem, Cham et Japhet, sa femme, et universelle. Pour moi
quand je médite sur la ,

les trois femmes de ses fils. Tous les animaux vie de ce juste dans l'arche, je m'élonnc, j'ad-
selon leur espèce y eyUrèi'cnt amsi, selon que mire et j'attribue encore son existence, j'attri-
le Seigneur Dieu Vavait conmiandé à Noé. bue tout à la l)onté de Dieu. Si cette bonté
(Ibid. 13, 14, IG.) Ainsi, dit le texte, lorsque le n'eût raffermi son âme, ne lui eût rendu facile
déluge commença, selon le commandement une épreuve si accablante comment répon- , ,

du Seigneur, Noé entra dans l'arche, avec ses dez-moi, je vous en prie, aurail-il pu sub-i^ter,
fils et sa femme, et les épouses de ses lils, et enfermé comme dans une prison, conunc dans
tous les animaux selon leur espèce. Et, dit le un affreux cachot? Comment, je vous le de-
texte , le Seigneur Dieu ferma l'arche par mande, aurait-il pu résister à la fureur de tant
dehors. de flots ? Les hommes qui sont sur un navire ,

4. Voyez, encore ici, la déférence de la parole voguant à l'aide des voiles, qui aperçoivent le
qui s'accommode à notre infirmité; Dieu/orfua pilote assis près du gouvernail. o|)po«ant son
l'arche par dehors. C'est pour nous apprendre art à la violence des vents, s'il leur arrive de
qu'il mit le juste dans une parfaite sécurité. voir les flots en fureur, ils meurent d'enVoi. ils
Voilà pourquoi le texte dit, ferma, et le texte désespèrent presque de leur salut. Que pense-
ajoute: par dehors, afin que ce juste ne pût rons-nous donc de cet homme juste ? Il était
Yoir destruction universelle, qui lui aurait
la là, je l'ai dit, comme dans une prison, laquelle
causé une trop cruelle douleur; car, s'il se fût deçà delà rem|)ortait dans tous les S( ns. 11 ne
représenté dans son ànie cet atroce, cet épou- voyait pas le ciel; il n avait rien pour reposer
vantable bouleversement, s'il eût pu s'imagi- ses regards là renfermé captif
; il était
ner la destruction de l'espèce humaine, la fin et ne pouvait rien voir de nature à le
il

commune de tous les êtres sans raison, la consoler. Les marins, si haut que les flots s'é-
mort frappant à la fois les hommes et les lèvent, peuvent souvent apercevoir le ciel, les
bêtes de somme, et, pour ainsi dire, la destruc- sommets des montagnes, de grandes cités, c'est
tion de la terre elle-même saisi d'une noire
; une consolation. Si la tempête redouble, s'i
tristesse, eût été troj» fiu'lcmcnt troublé dans
il
est impossible d'y résister, après dix jours ou
son cœur. Sans doute, céUiiiMit des pervers qui un peu plus après tous ces oiuaj;ans, après
,

périssiieiif, mais ks âmes honnêtes éprouvent tous ces dangers, sont jetés sur
ils la cô'e, et,
une pitié profonde à la vue des chàtiiucnls qui se réconfoilant peu à peu. ils fini^sei.t par ou-
frappent les honnucs. Et vous verrez (jue tous blier l, ligues et douliurs, M ii- ici, lien d- pa-
les prophètes, les justes, bien souvent adres- reil, p. lulant une année tout entier.*,
, il fut là,
sent à Dieu des prières pour les méchants. dans celte pri.-on étrange, horrilile. p'tihr l'o
Ainsi faisait le patriarche
pour les habitants stupeur, sans pouvoir respirer lair pur: était-
de Sodonie, ainsi n'ont cessé de faii-e les pro- ce passible puisque l'arche était fermée de
,
foutes paris? Comment, je vous en prie, a-t-il ture; il change, il transforme font comme il
n sislt'!?(]<)innuMil a-l-il cluiv? Je suppose (in'ils lui plaît. Et IcScii/uiitr Dira frnia Vniclut par
eussent «Its eorps de lei", dc^ corps de; diani.int, diltDvs. La vertu «te ce juste fut grande, et sa
coinniont ces corps mêmes auiaieul-ils pu, foi excellente. C'est même là ce <jui fil (pie
privés (l'air, pri\és du vent, qui n'ci-t pas moins l'arche fut consiruite, que tous suppMrlèr( nt
uliltijue l'air à lu santé du corps, supporter une telle haliitatiou , une prison si (Iroite, une
celte noire, étoull ntc (ai!ti\ilé? Coiiinient exislence eu commun avec les bêit s sauv.^es
n«? devinr.nl- ils dans un si
pas aveu}:l( s elles animaux de toute es[>tce. De là le.- paroh >

loiig séjour ? Si nous voulons pour coni- ,


du bienheureux Paul, publiant la verlu de
pre'ulro uïie telle situ ition nous rappeler nos ,
l'homme juste C'est par ht foi que A'w, dim-
:

prt'occupations ordinaires, où trouvaient-ils de nement averti, appréhendant ce qu'on ne voyait


l'eau potible , ces vivants n>nfermés dans point encore, bâtit iarche , porir sauver sa fa-
l'arcbe? Négli^Tons ce déiail connncnt put il, ;
mille, et, en la bâtissant, cotid'imna le monda^
ce juste, avec ses fils et leurs fennnes, suppor- et devint hêi'ilier de la justice qui naît de la foi.
ter cette existence en commun, avec les êtres (Hébr. XI, 7.) Avez-vous bien compris connuent
sans raison, les bêtes sauvages, et tous les la foi dans leSeigneur a été pour le juste, ,

autres animaux? Supporter l'iniection? sup- comme une ancre solide ; comment la foi qui ,

porter la cohabitation avec eux ? Mais que dis- l'assuraitde tout, lui a fait construire l'arche,
je? comment ces animaux mêmes purent -ils et supporter une pareille habitation? Cette foi
résister si comment ne périrent-
Ion;; temps, qui l'animait, lui a procuré son salut, et en la
ils ne |)OUNant ni respirer, ni se mouvoir,
pas, bâtissant, dit le texte, il condamita le monde
dans cette seule et unique place oii ils étaient et devint kér lier de la justice qui naît de la

tous si étroitement serrés? Vous savez bien, foi. Ce n'est pas qu'il ait lui-même été juge,
vous savez partaitement qu'il nous faut né- mais c'est que Dieu condamne par comparai-
cessairement, et à nous et aux animaux, plus ,
son les hommes (jui, avec les mêmes ressources
que de l'air, plus que de la nourriture, qu'oii que ce juste, n'ont pas pris, comme lui, le c!u;-
nous en ferme, qu'on nous mette à l'étroit dans min de la vertu ; donc, c'est la foi qu'il a mon-
ime pUue unique, nous dépérissons, nous mou- trée qui a condamné les autres, ces incré-
rons. Comment doue ce juste a-t-il pu,avecteus dules qui n'ont pas ajouté foi à la prédiction.
les êtres vivantsqui étaient dans 1 arche, subsis- Quant à moi j'admire , entre toutes les autres
ter si longtemps? Ne cherchez pas d'autre cause vertus de ce juste, qu'il ait pu, grâce à la bonté,
que la j;ràce d'en-haut, la grâce toute-puis- à l'ineffable miséricorde de Dieu, vivre au mi-
sante. Cette arche, agitée dtçà, delà, qu'une lieu de ces animaux sauvaiies, de ces lions, de
tellefureur des eaux n'engloutit pas, qui n'a Cl s léopards, de ces ours de foutes les autres ,

pas de pilote, expliquez ce prodige sans la bêtes féroces.


glace d'en-haut! Impossible de prétendre (jue Happelez-voup, mon bien-aimé, je vous en
celle arche tut comme un vaisseau que l'on put prie, quelle était la puissance, la suprématie

diriger. L'arche était fermée de toutes jiarts, de l'homme avant la désobéissance, et méditez
et, p. rce que l'architecte l'avait voulu ainsi, sur la bonté de Dieu. Lorsque l'infraction au
non-seulement lechoc des flots ne lui porta commandement eut diminué le pouvoir qui
aucime atteinte, mais l'arche, s'élcvant sur nous était donné, après le premier honime, le
leurs têtes, conserva dans une parfaite sûrelé Dieu de bonté en trouva un autre qui put res-
ceux (jui rii.ibilaient. taurer l'ancienne image, conserver les carac-
Lorsque Dieu opère, mon bien-aimé, une tères de la vertu, moiiirer une parfaite obéis-
œuvre de ses mains quelle qu'elle soif, ne ,
sance aux ordres de Dieu. Le Seigneur le réin-
cherchez pas à l'expliquer par une méthode tégra dans le premier honneur, comme pour
humaine: lesouvrages de Dieu dépassent notre nous montrer, parla réalité des faits, jusqu'où
pensée; jamais lintelligence de l'homme ne s'étendait le pouvoir d'Adam avant sa déso-
peut atteindre, comprendre la raison de ce qui béissance. C'est ainsi que la vertu de l'homme^,
est l'industrie de Dieu. aidé par la divine clémence, reconquit l'an-
5. Donc il convient, quand nous entendons ce tique domination, elles r.nmiaux reconnurent
que Dieu commande, d'obéir a son ordre, de une secinde fois notre empire. En eflét. à la

croire à ses paroles. 11 est le Créateur de la na- vue d'un juste, lis oublient leur ()roi)re nature;
166 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

ou plutôt non, ils n'oublient pas leur nature, s'éleva au-dessus Voyez encore
de la tei're.

mais leur férocité, et, tout en persistant dans comme le récit pour augmenter
est fait

leur nature, ils changent leur férocité en dou- la terreur, pour ajouter à l'horreur du si-

ceur. Voyez-en la preuve dans ce qui arrive nistre! le déluge se répandit pendant quarante

à Daniel. (Dan. vi, 22.) Entouré de lions, il jours et quarante nuits, et la terre fut remplie
paraissait comme entouré de brebis qui lui d'eau, et l'arche s'éleva au-dessus de la terre,
faisaient une garde d'honneur. Telle était, au et Veau s'accrut et couvrit toute la surface de
milieu de cette troupe, sa sécurité; c'est que la terre, et l'arche était portée sur l'eau ; Veau
la confiance que le juste puisait dans sa vertu s'accrut et 'grossit prodigieusement au-dessus
réprimait le naturel des bêtes féroces, et ne de la terre.
leur permettait plus de montrer leur férocité; 6. Vous voyez quel soin prend l'Ecriture pour

de la même manière, ce juste admirable sup- montrer la grande quantité des eaux l'inon- ,

portait facilement le contact des bêtes féroces dation grossissant chaque jour. Et l'eau s'ac-
et, ni la place trop étroite, ni la longueur du crut, dit le texte, prodlgieuseme7it, et toutes les
temps, ni cette captivité sans air respirable, plus hautes montagnes qui sont sous le ciel fu-
ne lui causèrent de malaise et de dégoiit; sa rent couvertes. Veau s'éleva de quinze co idées,
foien Dieu lui faisait trouver tout facile, et il et inonda toutes les mojitngnes. Le Dieu de bonté
était,dans cet affreux cachot, comme nous fit pour épargner au
bien de fermer l'arche
dans les prairies et sous les frais ombrages. juste ce spectacle; nous, après uncar si

C'est parce qu'il accomplissait le commande- si grand nombre d'années après tant de ,

ment du Seigneur que les choses difficiles lui siècles écoulés au seul récit de l'Ecriture
,

paraissaient faciles. Telle est, en efl'et, la vertu nous sommes saisis d'épouvante et de stupeur,
ordinaire des justes; quand ils supportent qu'aurait éprouvé ce juste si ses regards ,

quelque chose pour Dieu, ils ne considèrent avaient vu cet effroyable abîme? aurait-il pu
pas la réalité qui se montre, mais ils appré- supporter, un seul moment, ce spectacle? Ne
cient la cause qui leur commande de supporter serait-il ()as aussitôt, rien (ju'en l'entrevoyant,
ce qu'ils supportent sans peine. Ainsi le bien- tombé sans vie ,
glacé, absolument incapable
heureux Paul, ce docteur des nations, chargé de résister à cette affreuse image? Méditez ici,
de fers, tant de fois traîné devant les juges, af- considérez, mes bien-aimés, ce qui nous ar-
frontant chaque jour les périls, appelle tant de rive, quand une pluie médiocre tombe sur nos
tribulations, d'afflictions insu|)portablcs des têtes nous sommes dans les angoisses, et nous
;

épreuves légères, non qu'elles le fussent en désespérons, pour ainsi dire, et de l'univers et
réalité, mais la pensée de la cause qui les lui de notre vie. Qu'aurait éprouvé ce juste, s'il
imposait lui un courage qui allait
inspirait avait vu, à cette prodigieuse hauteur, les eaux
jusqu'à l'inditTérence, au milieu de tant d'as- montant toujours? L'eau, dit le texte, s'éleva
sauts. Entendez ses paroles : Car le moment au-dessus des montagnes, de quinze coudées.
si court et si léger des offlictinns que nous souf- Rappelez-Nous ici, mes bien-aimés, les paroles
frons en cette vie produit en nous le poids du Seigneur, quand il disait Mon Esprit ne :

éternel d'une souveraine incomparable


et demeurera pas avec les hommes de celte géné-
fjloire. (Il Cor. iv, 18.) L'attente, dit-il, de ration, parce qu'ils ne soiit que chair ; et en-
cette gloire qui sera dans l'avenir noire par- core La terre est corrompue et remplie d ini-
:

tage, de cette éternelle félicité, nous rend lé- quités; et encore Dieu vit la terre et elle était
:

gères ces afllictions continuelles. Voyez-vous corrompue, cor toute chair avait corrompu sa
comme l'amour de Dieu rend moins pesante voie. (Gen. vi, 3, 11, 12.) Le monde entier avait
lacharge des trihulalions, et en sup[>rime le donc besoin d'èlio complètement purifié il ;

sentiment? N'en doutez pas; voila pourquoi fallait en laver toutes les taches supprimer ,

notre bienheureux juste aussi trouvait des tout le ferment de la première malignité ne ,

charmes dans ces jours de désolation c'est ; laisser, de cette malignité aucune trace, re-
que la foi et l'espérance en Dieu nourrissaient nouveler, pour ainsi dire, les éléments; un
son âme. Et le Seigneur Dieu, dit le texte, bon ouvrier, qui voit un vase que ronge une
ferma V arche par dehors; le déluge se ré- rouille invétérée, le jette au feu, en fait dispa-
pandit pendant quarante jours et quarante raître toute trace de rouille, et rend au vase
nuits, et la terre fut remplie d'eau, et Varclie sa première beauté c'est ce qu'a lait le Sei-
:
HOMÉLIES Sm\ LA GENÈSE. — VINGT-CINQUIÈME H():iÈLlE. 1C7

gnciir notre Dieu ; il a |Mirifié le monde enlier étaient à la surface de toute la terre, depuis
par ce dcluf^e ; il l'a délivré de la inaiiciî des l'honmie jusqiiaux bêtes, ttmt les reptiles que
hommes , de la corrii|ifion dès longlemps les oiseaux du ciel, tout péiùt de dessus la terre.
amassée et |>rofonde; il en a reiK nivelé la face; Voyez comme, une fuis, deux fois, à mainte
il l'a rétabli, il l'a rendu plus beau, ne permet- reprise, le textenous enseigne que la destruc-
tant pas qu'il restât la moindre trace de ce qui tion a été générale, universelle qu'aucun être ;

le souillait auparavant. L'eau s'éleva au-dessus vivant n'y a échappé; que tout a été étouffé
des montiigiies, dit le texte, de quinze coudées. sous les flots, aussi bien tous les hommes que
Ce n'est pas sans dessein que 1 Ecriture nous tous les animaux. ne demeure que Noé seul,
Il
fait ce récit; elle veut nous apprendre que, et ceux qui étaient avec lui dans l'arche et les ,

non-seulement les lionunes les bêtes de , eaux couvrirait la terre pendant cent cin-
somme, les quadrupèdes, les reptiles furent quante jours. (Ibid. 24.) Pendant ce grand
engloutis mais avec eux, et les oiseaux du
, , nombre de jours, dit le texte, les eaux restèrent
ciel, et tous les animaux qui vivaient sur les à cette merveilleuse hauteur; considérez en-
montagnes: je veux dire les animaux sau- core ici la grandeur d'àme de l'homme juste
vages et tous les autres êtres dépourvus de et l'excellence de son courage. Que n'a-t-il pas
raison. Voilà pourquoi le texte dit : Leau s'é- éprouvé dans l'àme en concevant, en voyant,
leva au-dessus des montagnes de qidnze cou- pour ainsi dire, par la pensée, les corps des
dées. C'est pour vous apprendre que l'arrêt de hommes, des animaux domestiques, des ani-
Dieu a été accompli en rt alité. En effet, Dieu maux purs ou im[)urs, subissant la mort com-
avait dit : Je n'attendrai plus que sept jours, et mune à tous, mêlés ensemble, sans aucune
je ferai pleuvoir le déluge sur la terre, et j'ex- ditTérence, indistinctement? En outre, qu'a-l-il
terminerai de dessus la terre toutes les créa- éprouvé, quand il réfléchissait en lui-même
tures que j'ai faites, depuis l' homme jusqu'aux sur le monde dévasté, sur œtte vie pleine de
animaux, depuis les reptiles jusqu'aux oiseaux douleurs, de toute part dépourvue de toute
du ciel. (Gen. vu, 4.) L'Ecriture nous fait ce aucun entretien, sans aucun
consolation, sans
récit, non-seuleuunt pour nous apprendre à aspect pour charmer les yeux, quand il igno-
quelle hauteur les eaux sont parvenues, mais raitcombien de temps il lui faudrait supporter
pour nous faire voir, en même temps, qu'aucun la vie dans cette prison? Tant que le fracas
animal ubsolument, soit bête féroce , soit bête dee eaux, que le tourbillon des vagues retentit
de somme, n'a été épargné, mais que tout a à son oreille, il sentait chaque jour grandir en
été supprimé avec le genre humain. Comme lui l'épouvante. Quelles douces pensées pou-
animaux avaient été produits à «ause
tous ces vaient récréer celui qui voyait, cent cinquante
de l'homme en détruisant l'homme, il était
, jours durant, toujours le même niveau des
juste de les détruire. Ensuite, après nous avoir ondes, les flots portés à cette hauteur, et rien
montré jusqu'à quelle hauteur les eaux se sont pour indiquer qu'ils commençassent, si peu
accrues, à savoir, de manière à dépasser de que ce fût, à s'abaisser. Mais, sachez-le bien, il
quinze coudées les cimes des plus hautes supportait tout avec courage, parce qu'il con-
montagnes, le texte, av«;c son exactitude accou- naissait la toute- puissance du Seigneur; il ne
tumée, nous dit Toute chair qui se meut sur
: doutait pas de cette vérité, que le Créateur de
la terre fut consumée ; tous les oiseaux, toutes la nature fait tout , transforme tout comme il

les bêtes de somme, toutes les bêtes sauvages, lui plaît; et l'homme juste se résignait à sa
tous les reptiles, tous les hommes moururent condition. C'est que la grâce de Dieu viviflait,
et généralement tout ce qui a vie et qui res- fortifiait son courage, lui procurait une conso-

pire sur la teire. (Gen. vu, 21, 2-2.) Et ce n'est lation suffisante, prévenait en lui les défail-
pas sans dessein et sans raison particulière lances, ne lui permettait pas de concevoir une
que le texte a dit : Et tout ce qui respire sur la pensée qui ne fût pas virile, qui ne fût pas gé-
terre, mais c'est pour vous montrer que tous néreuse. Ce juste avait commencé par montrer
ont péri, que le juste seul, avec tous ceux qui tout ce qui dépendait de lui, je veux dire, le
étaient dans l'arche, a été sauvé ; car ceux-ci, zète de la vertu, la vigueur de la justice, l'ex-
selon le commandement du Seigneur, ayant cellence de la foi ; bientôt il obtint l'abondance
quitté la terre, étaient montés dans l'arche. Et des dons du Seigneur, c'est-à-dire la patience,
les eaux détruisirent toutes les créatures qui la force, la douceur de la parfeite résignation,
168

le don de supporter le séjour dans Varclie, sans soit l'espérance, malgré tant de déceptions,
indi^posiiion, sans déjïoùl, sans se plaitidie de tant d'obstacles, vous venez de l'entendie, tant
lacoii(bilaliun avec tous ces animaux. d'empêchements si divers, ne redoutent pas la

Imiîons donc ce juste, nous aussi, je vous fatigue, n'abdiquent [»as Tespéiance de voir

en conjure. Hâtons-nous empressons-nous de ,


d'heureux jours, quelle sera notre excuse si
'on^ribner de noire part, afin de nous rendre nous reculons devant les difficultés de la vertu?
.lous-mf^mes dignes aussi des présents du Sei- si nous n'acce{>'ons pas volontiers pourelle tous
{,meur. S'il attend les occarions qui viennent quand notre espoir est si solide,
les labeurs,

de nous, ce n'est que pour nous montrer toute quand nous voyons, en réserve pour nous,
sa munificence. Donc, il ne faut pas que notre tant de récompenses, tant de couronnes d'un
indolence nous prive de ses dons; soyons prix infiniment supérieur à tous nos mérites?
pleins de zèle mettons la main à l'œuvre
,
Ecoutez donc le bienheureux Paul ; après tant
du salut prenons résolument la route qui
;
souvent traîné devant lesjuges,
d'afflictionS; si

mène à la vertu, afin que nous puissions, si souvent chargé de chaînes, après tant de

aidés du secours d'en haut, atteindre promp- morts affrontées chaque jour Je suis persuadé :

tement à notre bienheureuse suspen-


fin ; que les souffrances de la vie présente n'ont
dons-nous à l'espérance en le Seigneur, que point de proportion avec cette gloire qui sera
ce soit là, pour nous, comme une ancre sûre un jour découverte en nous. (Hom. vui. 18.)
et solide ne regardons pas ce que la vertu
; Quand chaque jour, dit-il, nous subirions la
a de labeurs mais voyons après les la-
, mort, ce qui est impossible à la nature, (juoi-
beurs, calculons les récompenses, tout far- que, par bonté du Seigneur, l'âme triomphe
la

deau nous sera léger. Le uiarchand sorti , de la nature et se pare de si glorieuses cou-
du port, en pleine mer, ne songe pas seule- ronnes, non, nous ne supportons rien, dit-il,
ment pirates, naufrages, monstres marins, qui mérite les biens qui nous attendent la ,

vents furieux, tempêtes continuelles, désastres gloire qui doit un jour nous être révélée.
sans nombre ; il calcule les gains à venir Voyez de (juelle gloire splendide jouissent les
quand aura échai>pé à tous les périls; son es-
il partisans de la vertu ! cette gloire dépasse l'é-
pérance fait sa force il brave aisément tous ; clat des plus belles œuvres que le plus saint
ces malheurs |)Our grossir le trésor qu'il rap- puisse montrer à Dieu : eût-il atteint à la plus
portera chez lui. L'agricult(Mir ne pense pas haute cime de la vertu, celte gloire rayonne
seulement aux travaux pénibles, aux pluies, à ))lus encore. Car enfin quelles œuvres magni-
la terre stérile à la nielle aux sauterelles fu-
, , ficjues peut montrer l'homme qui le soient ,

nestes ; il se représente son grenier rompant assez pour ré|)ondre à la lib 'rnlité du Sei-
sous le poids de ses gerbes, et son courage sup- gneur? Si l*aul, un tel honmie, un si grand
porte tout, et l'attente des biens le rend insen- homme, disait Je suis persuadé que les souf-
:

sible à la peine; quelqu'incertaine que soit frances de la vie présente nont point de pro-
l'espérance, n'importe il se nourrit de l'espé- ! portion avec cette gloire qui sera rm jour dé-
rance (jui lui montre T.ivenir joyeux, et il ne couverte en nous ; s'il disait encore Je meurs :

renonce pas aux ialigues il fait, au contraire, ; civique Jour (I Cor. xv, 31); et encore 7'^/ :

tout ce qui dé[iend de lui, attendant le jour travaillé plus que tous les autres (Ibid. v. ^0) ,

où il recevra, de ses fatigues, le riche salaire. (pie (lirons-nous, nous (pii rehisonsde [M'endre
i.e soldat qui revêt ses armes et va combattre la moindre peine pour la vertu? nous (pu",
3e pense pas seulement blessures, membres dans le relâchement de notre indolence, n'a-
meurtris, atta(|ues subites d(!S ennemis vain- vons pour imiipie souci (]ue de nous préserver
(pieurs, tous les autres désaslres ; il se repré- de (luelijiie mince cliagrin quoiipie pourlant ,

senle les victoires et les trioiufilies et il s'é- nous sachions bien (ju'il n'est possible d'at-
(jni|»e de toutes ses armes, (pielque incertain teindre à la céle-te béatitude que prir la pa-
que soit l'avenir, (|uel(jue perte qui le menace; tience (|ui supporte les douleurs présent" s m
cliassanl de lui toutes ces idées , auinié d'une aspirant au boidiem- à venir? Ces doiil< urs
boîuu' espéranet il secoue l'engourdissement,
, nous rendent a;;real)les à Dieu, cette courte fa-
la torpeur, prend ses armes, court à renncmi. ligued'ici-bas nous assure la félicité dont jouis-
Donc, mes bien-aiinés, si le marchand, si le sent en h;ail les élus : il nous siidil de
soldat, si Tagricidleur, queltju'mcertaine que vouloir, de suivre le conseil du docteur des
IIOMÉrJES SUR LA GENÈSE. — VINGT-SÎXTÈME HOMÉUE. 169

nations, d'aller où sa voix nous dit de mar- nous fatiguons pas du travail qui fait la vertu,
cher. Considérez, mes bien-aim'''S, que (jiiel- afin de jouir des bicms éternels assurés pour
(jue tristes que soient les miillieurs , ees mal- jamais; puissions-nous tous entrer dans ce
heurs n'ont qu'un temps; les biens qui nous partage, par la grâce et par la bonté de Notre-
attendent là-haut sont impéris?al)les, éternels. 'Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme
Les choses vis/7}/es sont tejnporelles , les invisi- au Père comme au Saint-Esprit, la gloire, la
,

bles sont éternelles. (II Cor. iv, 18.) Supportons force, l'honneur, et maintenant et toujours, et
donc avec courage ces afflictions temporelles, ne dans les siècles des siècles Ainsi soit-il. 1

VINGT-SIXIÈME HOMÉLIE.

< Et Dieu se souvint de Noé, de toutes l^a bêtes sauvages, de tous lesani-naux domestiques, de tous les vola-

tiles et de tous les reptiles qui éteùent avec lui dans l'arche. Et Dieu 2t venir un veut ôur la terre et l'eau
s'arrêta. » (Gen. VIII. 1.)

ARILTSE.

!. L'orateur nous montre bonté de Dieu s'exerçant envers l'homme jusque dans le châtiment du déluge, comme en toute ren-
la

contre. IVlle est fondamentale à laquelle saint Chrysostnme revient sans cesse
l'iilée lorsque Dieu punit il le fait a itant oar
:

boulé que par justice — 2. Application Me cette thèse à Caïu. Dieu est plus iufluigent pour les fautes commises contre lui que
poiu' ct'i'cs qui olleusent le prochain; reniions à Dieu la paruille. 3. Kxp'ication du texte — Dîpu se souvint. Dieu ne prolonge :

jamais l'épreuve au delà des forces de celui qui la subil. — 4. Noé laissi* partir d'abord le corhiau, puis la colombe. Explication
du moi jusqu'à ce que. — 5. Noé reçoit la même béuédiction qu'autrefois Adam. — 6. Exhortation.

d.La grande et ineffable bonté de Dieu, l'excès ceux qui s'étaient livrés à l'iniquité. Mais,
de sa bienve llance nous est déjà ttionlié par dircZ-vous, quel est cet intérêt qui consiste à
ce qui vicntd'èlre lu, puisqu'elle s'est manifes- noyer? Imprudi nt, ne parlez point téméraire-
tée, non-smlementenversTanimal nisonn ilile, ment, mais acceptez avec reconnaissance tontes
t'est-.i-dire l'homme, mais aussi envirs lus l)ètcs les actions de Dieu, et sachez qu'il y a là juste-
de toute espèce. Car étant le Ccéatcir de tout, ment la plus grande preuve d'intérêt. Ces pé-
il montre sa bonté à propos de tout -s les créa- cheurs incurables qui, chaque jour, élargissent
tures: nous fait voir ainsi tout ria'érêt(|u'il
il 1( urs blessures et se font des plaies que rien
porte au genre humain, puisqu'il a tout fait et ne peut guérir, n'était-ce pasun giand bienfait
de|tiiis le conmienctmieiit pour nitrc s.ilut. de lesariaelier à un état si déplorable? Et la
Aussi, même quand il punit, quand il s'irrite, manière de les punir n'est-elle pas pleine de
c'est toujours une suit de sa bonté. S'il 1 4)\oie douceur? Eux ijui devaient de toute manière
des chàli ment s, ce n'est I
«oint iiarliain ou colore; piNtr ieur dette à la nature, leur faire, en
il Veut seulementair.tcher la racine du mal pour guise de punition, abandonner la vie sans avoir
qu'ellenesenuiltiplie p; s.A'issi comur je vous K .'^enlimert de la mort, et sans aucune ^ouf-
le dis, il n'a fait le déluge que par iLterèi pour frdiice, n'était-ce pas beaucoup de sagesse et
170 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

de bonté? Si nous faisons à ce sujet de pieuses béissance. Ne voyez-vous pas que ces punitions
rdlcxions, nous verrons ({u'une iiareille [)uni- de l'exil et de la mort étaient, en effet, des
lion a été un hientuil, non-seulement pour marques de clémence? Je puis ajouter encore
ceux qui mais pour leurs succes-
l'ont subie, autre chose. Et quoi donc? C'est que Dieu, en
seurs (jui en ont remporté deux grands avan- déployant ainsi sa colère contre Adam, a voulu,
tages d'abord de ne pas être enveloppés dans
;
non seulement le favoriser par une punition
la même destruclion^ ensuite d'en avoir tiré salutaire, mais aussi corriger sa postérité par
une leçon de prudence et de sagesse aussi, ; son exemple. Car si par la suite son fils Cain,
que de grâces ne doivent-ils pas à Dieu En 1 après avoir vu son père chassé du paradis,
efl'et, par la i)unition de leurs prédécesseurs et privé de sa gloire inelfable et frappé d'une ma-
par la crainte d'en subir une pareille, ils sont lédiction terrible : tu es terre et tu rentreras
devenus meilleurs; de plus, tout le levain du dans la terre (Gen. m, 19) si Caïn n'est pas ;

mal a été supprimé, et il n'est plus resté i)cr- devenu meilleur, mais encore plus coupable, à
sonrie pour enseigner le vice et rinicpiité. quelles criminelles folies ne serait-il pas arrivé
Voyez connnent môme les punitions et les sup- s'il n'avait pas vu le sort de son père?Et,ce qui
plices deviennent des bienfaits et annoncent la est bien digne d'admiration, en punissant celui
proNideiice de Dieu à l'égard de la nature qui commit de tels crimes et souill i la terre d'un
humaine. Si l'on veut, dès l'origine, énumérer homicide. Dieu mêla encore la miséricorde au
tous les cliàtiment?, on trouvera (jue c'e.4 dans châtiment.
ces intentions qu'ils ont été infligés aux pé- 2. Comprenez la grandeur de la bonté divine
cheurs. Par exemple, quand Adam a péché, relativement à Caïn! quand il eut gravement
son exil du seul ment une
i>aradis n'était pas offensé et mé|»risé Dieu par son sacrifice (en
punition, mais comment, direz-
un bienfait. Et effet,il ne faisait point un [tnrtage convenable,

vous, peut-on considérer comme un bienfait mais il ollrait sans choix). Dieu ne lui dit rien
ce renvoi du paradis? Ne jugez p)as uni(|ue- de dur ni de pénible quoicjue sa faute ne fût
,

mcnt d'après les faits, mes bien-aimés, n'étu- pas commune et ordinaire, mais très-impor-
diez [)as légèrement les actions de Dieu, mais tante, car si ceux qui Aeulent honorer des hom-
creusez au fond de l'abîme de sa bonté et tout mes . c'est-à-dire leurs semblables, tiennent à
s'expli(iuera comme je vous l'ai dit. Dit(>s-moi lenroffi ir et à leur donner ce qu'il y a de meil-
si Adam, après sa faute, avait encore jui jouir leur et de |)lus beau, combien était-il plus obli-
des mêmes biens, jusqu'où ne serait-il pas gatoire à un homme Dieu tout ce qu'il
d'offrir à

tombé? Après les ordres qu'il avait reçus, il avait de plus rare et de plus précieux Eh bien ! !

n'en a pas moins écouté le seriient tenldeuret tandis (pi'il péchait ainsi et le méprisait à ce
succombé aux pièges que le diable lui tendait point. Dieu ne le punit pas, ne lui infligea au-
ainsi, afin de le faire tomber dans le |)éclié de cune peine; mais il lui dit, avec la douceur
désobéissance, en le flattant de devenir l'égal d'un ami parlant à un ami Tu as péché, tiens- :

de Dieu donc il était reslé dans le même


; si toi en repos. (Cen. iv, 7.) Ainsi il lui signala
état d'honneur et de bonheur, n'aurail-il pas son péché et lui conseilla de ne pas continuer.
ensuite accordé au démon perfide plus de "Voyez-vous quelle bonté parfaite? Mais non-seu-
croyance qu'au Créateur de l'univers, et n'au- lement Ca'in ne profita pas d'ime pareille pa-

rait-il paseu sur lui-nièinedes idées encore plus tience,mais il ajouta de nouvelles fautes aux
exagérées? Car telle est la nature des hommes : premières et alla jusqu'à assassinerson frère; or,
si rien ne s'oppose à leurs fautes, si rien ne les même en ce moment Dieu lui montrait encore
incpiiele, ils se laissent entraîner à l'abîme. Je une grande douceur en conuuençant par l'in-
puis eneore vous montrer d'une autre manière terroger et lui permettant de se ju-tifier; mais
que l'exil d'Adam condanmalion étaient
et sa comme il persista dans son
impudonce. Dieu
des preuves de clémence, car, en le renvoyant le punit, mais pour le corriger et mêlant tou-
du paradis et en le plaçant dans les environs, jours beaucoup de miséricorde à son arrêt.
Dieu le corrigea pour le moment et l'atlermit Vous voyez que Dieu pardonna une faute qui
pour la suite en lui faisant voir par cette preuve s'adressait à lui-même, quoiqu'elle fût grave;
combien le démon était trompeur. Dieu porta mais ipiand Ca'in s'arma contre son frère, il le
contre lui la sentence de mort pour ne pas blâma et le maudit. Faisons de même et imi-
l'exposer à pécher coutinucllement par déso- tons le Seigneur ; si (Quelqu'un a péché
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — VINGT-SIXIÈME HOMÉLIE. 171

contre nous, pardonnons-lui et remettons cette (ju'un père chérit toujours ses enfants, de
faute à celui qui l'a coniinise, ne punissons même Dieu fait tout par intérêt pour les hom-
que si la faute leg^arde Dieu. Mais je ne sais mes. Poura[)prendrc par le discours d'aujour-
comment il se fait (jue c'est tout le contraire; d'hui et par la lecture d'hier l'étendue de celte
nous laissons impunis tous les péchés qui offen- bienveillance, écoutez les paroles de l'Ecriture
sent Dieu mais pour la moindre faute qui
, sainte. Hiervous avez entendu celles du bien-
nous touche nous devenons des accusateurs et heureux Moïse. Leau s'éleva sur la terre pen-
des jufjes sévères, sans songer que nous exci- dant cent cinquante jours (Gen. vu, 2i) (c'est
tons ainsi le Seigneur contre nous-mêmes. là que nous en étions restés); voici la suite :

Pour reconnaître que c'est souvent l'usage Dieu se souvint de Noé, et de toutes les bêtes,
de Dieu de remettre les péchés qui le touchent de tous les animaux domestiques, de tous les
et de rechercher sévorcmoiit ceux qui louchent volatiles, de tous les reptiles qui étaient avec
le prochain, écoutez saint Paul Si wi homme :
lui dans l'arche,
a une femme infidèle^ fuais qu'elle désire 3. Voyez encore comme l'Ecriture sainte s'a-
cohabiter avec lui, qu'il ne la reiivoie pas. baisse jusqu'à nous. Dieu , dit-elle , se souvint.
Et si une femme a un mari infidèle, 7nais Comprenons cela , mes bien-aimés d'une ma-,

quil désire cohabiter avec elle , qu'elle ne nière digne de Dieu et n'expliquons pas la vul-
le renvoie pas. (I Cor. vu, J2, 13.) Voyez quelle garité de ces paroles avec la faiblesse de notre
condescendance Etre gentil, infidèle, n'est pas
!
nature. Considéré par rapport à Dieu , ce
un obstacle à la cohabil. lion (juaudon la désire. mot est indigne de son inefTable nature ,

Qu'une femme soit de la religion des Gentils et mais il a été dit pour se conformer à notie fai-
infidèle, h elleveut cohabiter avec son mari, qu'il blesse. Dieu se souvint de Noé. Car ai)rès avoir
ne la repousse pas .El'\\ djoulc.que sais tu.femme, raconté, comme je l'ai déjà exposé à votre
si tu ne dois pas saucer ton mari? que sais -tu^ charité, qu'ilavait plu pendant cjuarante jours
mari, situ ne dois pas sauver ta femme? (I Cor. et autant de nuits ,
que leau était restée pen-
vu, 7, 10.) Ecoutez encore le Christ qui dit à dant cent cinquante jours, élevée de quinze
ses disciples Je vous le dis , tout lioimne qui
:
coudées au-dessus des montagnes, et que pen-
renverra sa femme, excepté pour cause de for- dant tout ce temps le juste était resté dans l'ar-
nication, l'expose à ladulière. (Matth. V, 32.) che, sans pouvoir respirer l'air et habitant avec
Quel excès de bonté Même si elle est de !
toutes les brutes, alors Dieu se souvint de Noé.
croyance inlidèle, de race étrangère, gardez-la Qu'est-ce à dire? Use souvi?it ! C'est-à-dire il eut
si elle y consent mais si elle a péché contre
; pitié du juste et de sa position dans l'arche; il

vous, si elle a oublié ses promesses et qu'elle eut pitié d'un homme soufTranttantd'ennuiset
ait préféré une autre union, vous pouvez la re- d'embarras et ignorant (juand ces désagré-
pousser et la renvoyer. Songeons à tout ctla et ments Songez, je vous prie, aux
finiraient.
cherchons pour tant de bienveillance à rendre ms quarante jours
pensées qu'il devait avoir d
à Dieu la pareille conune il remet les [)échés
; et quarante nuits pendant lesquels se déchaî-
qui sont faits contre lui et qu'il punit sévère- naient les eaux impétueuses, et voyant que
ment ceux qui s'adressent à nous, nous, de durant cent cinquante jours elles restaient à la
même, remettons toutes les offenses que nous même hauteur sans commencer à descendre ;

souffrons du prochain, mais ne négligeons ja- le plus fâcheux, c'est qu'il ne pouvait voir ce
mais de venger les ofl'euses faites à Dieu. Cela qui s'était passé enfermé comme il l'était et
;

sera extrêmement avantageux pour uous et ne le ne pouvant juger par ses yeux de l'étendue du
sera pas moins pour ceux qui seront ainsi cor- mal, sa douleur s'en augmentait, et chaque
rigés. Peut-être mon préambule a-t-il été ua jour il supposait les désastres plus horribles.
peu long aujourd'hui. Mais qu'y faire ? Cela Pour moi je m'étonne conuncnt il ne lut pas
,

m'est arrivé malgré moi et le courant du dis- , lui-même englouti par la douleur, en réflé-
cours m'a entraîné. chissant à la destruction du genre humain , à
Puisque nous avions à parler du déluge, il l'isolement de sa famille et a l'existence [léni-

était nécessaire d'explliiuier à voire charité ble qu'elle mener. Mais la cause de
allait

que les punitions infligées par Dieu sont plu- tous ses biens, ce fut sa foi en Dieu, qui lui
tôt des miséricordes que des punitions : c'est donna la force <! résister et de tout sup()orler;

ce qui a lieu pour le déluge. Car de même nourri de cet espoir, il était insensible à toutes
172 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

les .'tffl'"ctions. D'un côté s'il fit ce qui dépen-


, tout cela est exprimé dans le style des hommes.
dait de lui en montrant beaucoup de foi, de Les fontaines de l'abîme et les cataractes du
rt!-i^n;iii()netde(Ouinge,deraiitrevoyez(iueIle ciel furent fermées, et la pluie du ciel fut ar-
est !a bonlé de Dieu càson égard. Dieu se souvint rêtée. Cela signifie que le Seigneur avait or-
de Ncé. Ce nVst pas sans raison qu'il est dit se : donné aux eaux de revenir à
leurs places et de
souvint.Comme l'Eciitiire sainte a déjà rendu ne plus en m;is de baiss^^r graduelle-
sortir,

lémoiijnage pour le jui^tf, en lui disant Entre : ment. Veau descende tde la terre et diminuait
dons l'arche parce que fai vu que tu étais juste pendant cent cinquante jours. Comment la
dans cette génération (Gen. vu, 1), elle dit raison pourra-t-elle jamais comprendre cela?
maintenant Diett se souvint de Noé, c'est-à-
: Soit, la pluie a cessé, les sources n'ont plus
dire du témoignage qu'il lui avait rendu. Il coulé et les cataracte- du ciel ont été fermées;
n'abandonne pas le juste longtemps, il ne dif- mais comment toute cette eau a-t-elle dis-
fère pas sa délivrance au-delu de ce qu'il pou- paru? L'abîme s'étendait sur toute la terre.
vait supporter et quand cette heure est venue Comment donc une si grande misse d'eau a-t-
il le comble toujours de ses bienfaits. Sachant elle pu tout à coup diminuer? Qui pourra j i-
l'infirmité de notre nature , s'il permet que mais l'expliquer par la raison humaine? Que
nous soyons l( ntés, il proportionne l'épreuve nous reste-t-il à dire? C'est l'ordre de Dieu
à notre faiblesse et en sorte que ses ré-
fait qui a tout fait.

compenses prouvent notre courage et sa misé- 4. Ne cherchons donc pas trop curieusement
ricorde. Aussi saint Paul dit Dieu est /idèle^ : à explorer comment tcut s'est pas-é croyons
:

il ne permettra pas que vou< soyez éprouvés seulement. C'est la volonté d-- Dieu qui a ou-
au delà de vos forces, jnais en même temps vert l'abîme c'est encore sa volonté (jui l'a
;

que l'épreuve^ il vous donnera un moyen d'en fermé et a fait revenir les eaux à la place que
sortir et de n'y pas succomber. (I Cor. x, 13.) le Seigneur leur a mar(]uée et que lui seu' con-
Mais le juste conservait toujours son courage naît. L'arche s'artrta le septième mois et le
et sa résignation, en supportant par sa con- vingt-septième jour de ce mois sur les mnnts
fiance en Dieu le s<jour et les ennuis de l'ar- d'.iî'arat. L" eau décrut jusqu'au dixième mois
che ; aussi est-il dit : Dieu se souvint de Noé. et l'on commença à voir /e^ sommets des n on-
Ensuite, pour \ous faire connaître l'abime de tagws le preniier jour du dlxiètne mois. Voyez
la divine miséricorde, l'Ecriture sainte ajoute : (jucl changement rapide et combien les eaux
Et de toutes les bêtes , de tous les animaux étaient baissées pourtiue l'arche s'arrètàtsurles
domestiques, de tous les volatiles, de tous les montairne^. L'Ecriture avait dit que l'eau dépas-
reptiles qui étaient avec lui dans l'arche. sait les monta;,MU's de quinze coudées : mainte-
comme
Voyez Dieu a tout fait pour l'homme. nant lie dit que l'arche s'est arrêtée sur les mon-
Avec les hommes qui ont péri par le déluge, il tagnes d'Ararat, que l'eau a décru peu à peu
a fait périr la généralité des animaux ; mais, justju'au dixième mois jusqu'à laisser voir alors
voulant montrer i«a miséricorde envers le juste, les sonunets des mont:»gnes. Réfléchissez, je
il a voulu aussi, par égard pour lui, étendre vous prie, à la fermeté du juste (juia étét<'nu^
ses soins et sa bonté jus(|ue sur les êtres sans pendant tant de mois, renfermé dans les ténè-
raison, les quadiii|)èdcs, les volatiles et lesre|)- bri'S. // arriva, api-ès qxarante jours, que Noé
tiles. Dieu se souvint de Noé, de toutes Irsbètes, ouvrit la fenêtre qu'il avait faite à l'arche, et
de tous les animanx domestiques de tous les , il envoya un corbeau pour voir si l'eau avait

volatiles et de tons lesreptiles qui étaient avec lui quitté la terre. Le juste n'ose pas encore regar-
dans Varche. Et Dieu fit souffler u > voit sur der par lui-même, mais il envoie un corbeau
ta terre, et l'eau cessa de monter. Se ra|)pelant pour apprendre de celte manière s'il y avait un
Noé et tout ce qui était avec lui dans l'arche, heureux changement. Mws le corbeau ne re-
il fit arrêter l'impétuosité de l'eau pour mon- vint pas jusqu'à ce que les eaux fussent séchées
trer peu à peu sa boule. Le juste alors pouvait sur la terre. L'Ecriture ajoute ce mot iusqu'à ce
respirer et calmer ses inciuiétudes, puistju'il que; e n'est pas que le corbeau soit revenu [dus
(

recouvrait à la lois Tair et la lumière. Dieu fit liird, mais tel est le lang tge propre de l'Ecriture
soufflir un vent sur la terre, et l'eau ccsa s.iinte. Il sérail facile de trouver d'autres exem-
de monter. Les fontaines de l'oljime et les ca- ples lie cette habitudeet de vous en indiquer
taractes du ciel furent fermées, yo-^ezcommeni beaucoup ; mais pour ne pas vous rendre né-
HOMÉLIES SUR LA GENliSE. - VINGT-SIXIÈME HOMÉLIE. 173

plifrnnts on vous di'-anl tout, nou« vous lais- Mai^: l'on dira peut-êtreoù at-il trouvé celte
:

sons à snndcr l'Ecriture et à clieriliur dms feui'le?Tout cela e4 arrivé co .fo •ni«rniiit aux
qncllrscircon tances l'Ile <Mnp1oii' des lo'.uli'ns desseins deltiiMi, d'après lesquels ta colombe
scmblibles. II s'airit inaini naiit de vous dire .1 trou\é l'ai bre, a cueilli la !euill<' et l^ lap-
poun|noi cet oiseau n'e^i pas rev» ini. Peut- [lorlée au jusie. Du re'-le. l'oli- iei' est toujours
être cet oi>enu imtno'ide, iprès la reiriile des vert, et il est probable (pi'après la retraite des
eaux, avait trouvé des ca lavrcs d'li(»nune; et eaux cet arbre avaiteneon- sisfeuilli s. Ayant
,

de bê'.es, et. reiiccntraiit unt; nourriture (|ui attvn'ln encore sept autres jf>^i''S , H fit partir
lui convenait, s'y était arrêté, ce (|ui même la colombe et elle ne revint plus à lui. Voyez
donnait au ju:-te une bonne raison pour es- que le juste reçoit toujours la consolation dont
péier, car si le corbeau n'av;ut rien trouvé il a besoin. Quand la colombe rentre avec la
pour se soutenir, il lût revenu. Pour savoir dans sou bec, il conçoit déjà de
feuille d'olixier
s'il en était ainsi, le jusio, dont la contlance grandes espérances; maintenant quand elle fut
s'augmentait, envoya une colombe, oiseau sortie pour ne plus rentrer, c'était la meilleure
privé el familier d'une gninde douceur et qui
, preuve qu'elle avait trouvé ce ([u'il lui fallaitet
rie se nourrit que de jj raines; aussi il est que les eaux avaient complètement disparu. F.t
compté parmi les oiseaux purs. Et il envoyala pour voir qu'il en était ainsi, écoutez la suite :

colombe pour voir si l'eau >ivait cessé de cnœrir Il arriva, dans la six cent et wu'ènie année de la

la face delà terre. Mais la colontbt- ri ayant pas vie deNoé, le premier mois que Veau se retira,

trouvé où poser ses jtirds ri tourna vers lu< dans


, de la face de la terre. Et Noé enleva la couver-
Varche, parce que Veau était sur toute la face ture de l'arche qu'il avait construite et vit que
de la trrre. Ici il faut chercher comment l'Eeri- l'eau avait quil lé la surface de la terre.
ture sainte, aiirès axoir dit pins liant que Ion o. Ici encore je ne puis m'einpêcher d'admi-
voyait les sommets des uk ntagnes, dit maii te- rer avec stupéfaction la vertu du juste et la
nant que lacolombe est rtvonue à l'arche parce bontédeOieu. Comment, eneffet, respirantl'air
qu'elle n'a\ail |tas trou\é où se poser et que après si longtemps et ouvrant Ijs yeux à la vue
l'eau couvrait toute la face de la terre. Lisons du ciel, n'a-t-il pas été ébloui et aveuglé? Car
ce passage avec attention et nous en saurons la vous savez que c'est ce qui arrive d'ordinaire à
cause: il n'tst pas dit simi)leuient oii se poser, ceux qui ont passé, même peu de temps, dans
mais où poser sesj)it:ds, ce qui nous montre que l'obscurité et les ténèbres, lor>qu'ils revoient
malgré la retraite d»^s eaux et la réapparition l'éclat du jour. Mais ce juste, pendant une
des S' mmets des m<«n1îi<Mes, l'abondance de année entière et des mois si pénibles passés
l'inouiation avait laissé ur c<. s sommets vme dans l'arche presipie sans lumière en re- ,

grande masse de lisnon. Aussi la coiombe ne voyant tout a coup les splendeurs du soleil

pouvant s'arrêter nulle part, ni trouve, la nour- n'éprouva aucun accident sonib'able. C'était
riture qiii lui convinait, revint à l'arche, mon- la grâce de Dieu el la patience qu'il lui avait
trant au jusl •
])ar s( n retoirquil y avaitencore accordée, qui avaient donné plus de vigueur
une granité qu mtile d'e.u. Ayant élendu la même à ses facultés corjtorelles, et les avaient
mnin. il la prit acre sa i ain et la ranieiia à élevées au-dessus de leur nfiture. Au second
lui d ms l'arche. Voyez qu Ile ilouceur dans cet mois la terre fut sécher, le vinr/t-septième jour
oiseau, comment son re our muidra au juste de ce mois. Ce n'est pas sans raison (jue IKeri-
qu'il fdlait prendre encore un pende patience. ture sainte raconte tout avec tant d'exacli-
Et ayant attendu encore sept jours, il fit partir tude c'est pour nous montrer que tout fiit
:

la coloynbe de Varclie. Et la colombe revint vers terminé à cet anniver.-^aire, pour faire briller
lui le ^oir ,
portant dans son bec une feuille la paii( nce du juste et compléter la purilica-
cueille à un (divicr. Qa- n si pas au hasard ni lion de la leire. Ensuite, après (jue toute la
sai.s r .ison qu'il est écrit e soir : nous ^^'yons créi'.tion eut été comme livee de tout ce (pii la
par là. ijuapres >'è>re non riu lo. il le jour de la souilhjl, eut elVace les la he> qu'y avait lais-
nourriuMt- qui lui couve ;;il elle rev naît le sées la pt rver>ilé humai .e, et que sa ii-;ure

soir portant dans^on bec ce qu'elle availcueilli fut dLv.nue radien^e, c'e-talors (|ue le ju te

sur un olivier. Cet animal est doux el tres-fa- put enfin sortir de larche, d se délivrer de
milier. Aussi revuit-il, et par ci tir f.uille d'oli- sa cru( 1 e pi ison. Le Sriqnrurdit <i Noé: Sors

vier, il apporta au jusie une graude cousoialion. de l'arche, tot et tes fils, et ta f^nunc, et œs
174 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHHYSOSTOME.

femmes de tes fils avec toi, ainsi que tous les tant de jours que j'ai consacrés à tous en
animaux qui sont avec toi^ toute chair depuis ^ parler, je n'ai pu encore terminer ce que
les volailles jusqu'aux bestiaux et aux reptiles j'avais à vous en dire. Que parlé-je de ter-
qui se meuvent sur la terre : fais- ^ es sortir miner! Nous n'y parviendrons jamais, quoique
avec toi; croissez et multipliez sur la terre. nous puissions dire nous et nos successeurs,
:

Voyez comment Dieu, dans sa bonté, donne nous aurons beau parler, nous n'épuiserons
au juste toute sorte de consolations. Il le fait pas ce sujet telle est l'excellence de la vertu
: !

sortir de l'arche, avec ses fils, sa femme et les L'exemple de ce juste suffirait, si nous le vou-
femmes de ses fils, avec tous les animaux et ; lions bien, pour instruire la nature humaine
pour ne pas le laisser ensuite dans un profond et l'engager à imiter cette vertu. Car si Noé,
découragement s'il pouvait se demander avec seul au milieu de tant de méchants et n'ayant
anxiété quelle serait sa vie dans ce désert, pas un ami, est parvenu à ce comble de vertu,
habitant seul une si vaste étendue sans y ren- quelle sera notre excuse, à nous qui ne ren-
contrer d'êtres vivants, après lui avoir dit : controns pas les mêmes obstacles, et qui ce-
sors de l'arche et emmène tout ce qui est avec pendant sommes si négligents pour les bonnes
toi, il ajoute : Croissez et multipliez sur la œuvres? Il ne s'agit pas seulement de cette
terre. existence de cinq cents ans pendant laquelle
Voyez comment le juste reçoit celte béné- il était forcé de vivre au milieu des méchants

diction d'en-haut, qu'Adam avait reçue avant qui le raillaient et l'insultaient; celte année
le péché ; car aussitôt après la création, Dieu qu'il passa tout entière dans l'arche me pa-
les bénit en disant : croissez^ mxdtipliez et raît valoir tout le reste. Ce juste y éprouvait
gouvernez la terre. De même, il est dit à Noé : une infinité d'afflictions et d'angoisses, par la
Croissez et midti pliez sur la terre. De même privation d'air et le voisinage de tant d'ani-
que le premier est l'origine et la racine de tous maux : au milieu de tout cela son es[irit res-
ceux qui ont précédé le déluge, de même tait inébranlable, sa volonté inflexible, ainsi
notre jusle est comme le levain, l'origine et que sa foi envers Dieu, (pii lui rendait tout
la racine de tout ce qui a suivi le déluge. C'est facile et léger à supporter. 11 est vrai que, s'il

de lui que \iennent nos générations actuelles, faisaitbeaucoup de lui-même. Dieu avait été
pour lui que la création tout entière a re- prodigue envers lui. Malgré les tourments
couvré sa beauté propre, que la terre a pu qu'il supportait dans l'arche, du moins il évi-
donner des fruits et que tout a été réor- tait une terrible catastrophe et il échappait à

ganisé pour servir l'homme. Noé sortit., lui la destruction universelle. Aussi en échange
et sa ftmme et les femmes de ses fils avec de ces angoisses el de celte insupportable pri-
lui; et tous les animaux, les bestiaux, les oi- son, il avait le repos el la sécurité, en même
seaux, les reptiles se mouvant sur terre, tous temps que la divine bénédiction : aussi mon-
suivant leur espèce, sortirent de V arche. Après tra-t-il sa reconnaissance, et vous le verrez tou-
avoir reçu l'ordre du Seigneur et sa bénédic- jours commencer par là. Dans les premiers
tion dans ces termes : Croissez et multipliez, temps de sa vie, il a pratiqué toutes les vertus
il sortit de l'arche avec tout ce qui s'y trouvait. et fui tous les vices dont ceux qui vivaient
El ensuite il vivait seul sur la terre avec sa alors étaient infectés, ce (jui lui a épargné leur
femme, ses fils el les femmes de ses fils. Mais j)unilion et l'a tait sauver lui seul pendant (pie
sitôt (ju'il fut sorti, il montra sa reconnais- tous les autres étaient submergés : de même
sance naturelle en rendant grâce au Seigneur aussi, comme il a conservé la
a foi et qu'il

tuit pour lepassétjuepourravcnir. Mais, si vous supporté avec reconnaissance son séjour dans
le voulez bien, ;itin de ne pas èlrt^ trop long, l'arche, il a reçu encore une nouvelle etUision
uous renvernins a demain ce (|ui regarde l.i de grâce divine; à peine sorti de l'arche et
reconnaissance du juste et nous n'en parle- revenu à ses premières habitudes il a obtenu
rons pas mainteuant; nous vous su'pplions de la bénédiction, et montrant toujours la même
poil> r sans cesse vers ce bienheureux votre reconnaissance il a rendu grâce à Dieu qui l'a
attention et votre zèU;.. [lour étudier la perfec- encore honoré de plus grands bienfaits. Car
tion de sa vertu el pour chercher à l'égaler. c'est ceque fait Dieu ce que nous lui offrons
:

Considérez, je vous en conjure, combien est peut être sans importance ni valeur; mais
graud le trésor de sa vertu, puisque, après enfin, si nous l'offrons, il nj^Jis récompense
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — VINGT-SIXIÈME HOMÉLIE. il[

libénldriont. Et pour vous faire voir toute la assez de sagesse et de ressources, quoique nous
pauvn lé hmiiaine et ton e la mmiilicence de ne puissions pas comprendre 'ouïe la pi-ofon-
Dieu, écoutez bien ceci : >i nous voulons faire deur de ses desseins, pour montrer qu'il veille
une otTrande à Dieu, (jue pouvons-nous faire encore sur nous.
do plus (jue de lui oITrir des paroles d'aclion 6. Aussi soyons toujours disposés à lui rendre
de grâces? Ce qu'il fait pour nous, au con- sans cesse grâce de toutes choses, quoi qu'il
traire, nous le voyons par des oeuvres. Or, arrive. C'est pour cela qu'il a fait de nous des
]uelle diftéience entre les paroles et les œu- êtres raisonnables et différent- des animaux;
vres Le Seigneur n'a pas besoin de nous et
! c'estpour louer célébrer, glorifier sans cesse
,

ne nous demande rien que des paroles Si : le Seigneur créateur de toutes choses. C'est
même il exij^e cette reconnaissance veibale, pour cela que son souffle a fait naître notre
ce n'est pas qu'il en ait be oin, mais c'est j)Our âme nous a accordé la parole, afin d'ap-
et qu'il
que nous ne soyons point ingrats et (jue nous précier ses bienfaits , de reconnaître sa puis-
reconnaissions l'Auteur de tant de bienfaits. sance et de montrer que nous ne sommes
Aussi saint Paul nous dit Soyez reconnais- : point ingrats en le remerciant selon nos forces.
sants. (Colos. là surtout ce que
ui, io.) C'e^t Car si les hommes, c'est-à-dire nos semblables,
Dieu nous demande. Ainsi ne soyons point exigent de nous des remercîments pour le
ingrats; ne montrons pouit de paresse pour moindre bienfait, non pas qu'ils s'in(|uiètent
remercier Dieu, puisque nous recevons ses de notre reconnaissance, mais pour en tirer
bienfaits il nous en
: reviendra de nouveaux gloire, combien ne devons-nous pas remercier
avantages. Si nous sommes reconnaissants des Dieu qui ne veut que nous rendie service?
bienfaits passés, nous en recevrons encore de Notre reconnaissance glorifie les hommes qui
plus grands, et de plus, nous donnerons des nous ont obligés; celle que nous marquons à
forces à notre confiance. Seulement, je vous Dieu nous glorifie nous-mêmes. En effet, quoi-
en conjure, méditons en )ious-mêmes, chaque qu'il n'ait pas besoin de nos remercîments, il
jour et à chaque heure, s'il est {)ossible, non- les désire, mais c'est pour en faire retomber
seulement les bienfaits que nous avons reçus sur nous tout l'avantage et nous rendre dignes
du Créateur et que nous | artageons avec toute d'une protection encore plus grande. Sans doute
la nature humaine, mais (eux que nous rece* nos louanges ne sont pas dignes de lui com- ;

vons chaque jour et en particulier. ment cela se pourrait-il avec la faiblesse de la


Que parlé-je de bienfaits quotidiens et parti- nature qui nous enchaîne? Mais pourquoi par-
culiers? Remercions encore Dieu de tous ceux ler de la nature humaine? Pas même les intel-
quil nous acct>rde et (|ue nous ne connaissons ligences incorporelles et invisibles, les i>uis-
pas. Quand il est inquiet lour notre salut, il sances et les chérubins et les
dominations, les
nous oblige souvent à notre insu, souvent même séraphins ne pourraifnt célébicr (ligoementsa
il nous sauve des dang< rs et nous accoide gloire. Nous n'en devons pas moins, selon nos
encore d'autres grâces, (.est une source de forces, lui exprimer notre reconnaissance et
clémence qui rép nd g.ms cesse ses Ilots glorifiersansceSbcnotreSeigne ir par les louan-
sur le genre humain, 5 éditons à ce sujet ges que lui adresse notre voix et par la pureté
3t cherchons à remercier le Seigneur de ses de notre vie. Car la meilleure glorification de
bitn laits passés et à nous préparer à ceux de Dieu consiste à le faire célébrer par des milliers
l'avenir de manière à ne pas en paraître in- de langues. Or, tout homme vertueux engage
dignes c'est alors que nous pourrons bien di-
: tous ceux qui le voit nta célébr.T le Seigneur ;

riger notre existence et fuir le vice. Car le sou- et cette glorification dont il est oause lui attire

venir des bien laits est une excellente prépara- de la part de Dieu une grande ci inellable béné-
tion a une vie vertui use il nous empêche de
;
diction. En etlet, peut-il y a\' ir rien de pins
tomber dans l'iniliflérence jtronbli,tt détour- glorieux pour nous, non-seulen enl de célébrer
ner au mal. Un esprit atle: tifetvigilanl remer- par nos propres voix la gloir> du bon Dieu,
cie toujours, dans les m. uvai.- succès comme mais d'engager tons nos senibl blés à le glori-
dans les bons, et ne se lai ise point abattre par fier avec nous? Poiir cela, n..is bien-aimés,
les vici>situdes de la vie; i! s'en lortilie davan- rien ne vaut une crr-dui'e irréi -oclK.bie. Aussi
tage, et il coubidère l'intllable providence de le Si^igueur dit Que votre Lar-ière brille de-
:

Dieu qui déploie, même dans nos adversités vant les hommes^ afm qu'ils vUent vos bonnes
476 TMDUCTlOiN FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSÏOME.

œuvres Dieu qui est


et qu'ils glorifient votre sonne occason de bla>pliémcr et que nos ,

aux deux. De même que la lu-


(Matth. v, \Ç>.) bonnes acliins exciieni tous ceux qui nous
mière dissipe les ténèbres, de même l'éclat de voient à glorifier le Dieu tout-puissant. C'est
la vcrlu repousse le mal et écarte les ténèbres alors, en effet, c'est alors que nous attirerons
de l'erreur en excitant à louer Dieu ceux sur nous toute sa bienveillance, que nous pour-
devant qui elle brille. Aussi faisons nos efforts rons éviter les châtiments et obtetiir les biens
poMr (jue nos œuvres aient cet éclat qui fait inefl'ibles, par la grâce et la bonté de Notre-

glorifuîr le Scii^neur. Si le Ohi ist a parlé ainsi, Seigneur Jésus-Cfirist, à qui ainsi qu'au Père
ce n'est pas pour que nous fa^^sions montre de et au Saint Esprit, soient gloire, puissance
nos actions; loin de là! C'est pour que nous et honneur, maintenant et toujours, et dans
Tcillions sur notre vie avec assez de soin, pour les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
qu'il nous approuve , pour ne donner à per-

VINGT-SEPTIÈME HOMÉLIE.

« Et Ncë dressa un autel au Seigneur, et il prit de tous les oiseaux purs, et il oCrit un holocauste but l'autel. >

iCien. Vm. 20.)

Aî'ALYSE.

1. Lfis bi'nr.iits de Dieu envers notre race sont innombrables; lo pius grand, le plus incomprébensiblc de tons, c'est la sentie de
sou Fils iiniijiic en ce luunde. —
2. Dieu agrée les sacrifices iiue lui olTreut les homuii-s pour exi-rcer leur recounais^ance. —
3. La foi cl la bonne imcnliou doiinenl a nos œuvres leur inérile. i. La —
bonté de Dieu se in.iuifesle dans la promesse iiu'il
fait de ne phis détruire le genre liuinain par le déluge, par la permission qu'il accorde à l'bomuie de se nourrir de la chair des
animaux. — 5. l-a défense de manger le sang des animaux a été faite pour adoucir la naturelle cruauté de rbouime. —
(j-8. l:.xhorlation au pardon des injures et à l'amour des ennemis.

\ Vous avez vu hier comment la bonté du


. que Dieu nous a faites, et «ongenns-y conslam-
Dieu clément fit sortir le juste de l'arche et le mi'iit pour !ui oll'rir s.uis ce>se nos actions de
délivra d'une pareille habitation, d'une prison grâces, quoiqu'elles soient si nombreuses que
si triste et si pénible, et commcmt il récom- noire ménidiro ne sulfise |)as pour retenir et
pensa sa |)atience en disant Croissez et multi- : compter tous les biens ipie nous en avons reçus.
pliez. Apprenons aujouid'liui combien Noé a Qui ()ourrait en effet examiner tout ce que
été sensible et reconnaissant, et comment il nous avons déjà reçu, tout ce qui nou< est pro-
attiré de la part de Dieu des grâces
s'est ainsi mis et tout ce que nous recevons chaque jour ?
encore plus grandes. (>'cst ce qui' fait Dieu : Dieu nous a tirés du néant a l'èlre, il nous a
quand il rencontre des cœurs touchés de ce doimé un corps et une àme. nous a créés rai-
qu'il a déjà fait, il leur prodigue encore de somiabli'S, nous a donné cet air que nous res-
nouvelles faveurs. Cherchons donc à remer- pirons a funné créition pour le goure hu-
,

cier le Sei^neiu" Dieu de ions les biens iju'il main il avait voulu,
: dans l'origine, que
nous a déjà accordés, afin d'en mériter de plus riioinme véciit dans le paradis SiUîs douleur
grands enpore n'oublions jauiais les faveurs
: ni Ijavail, égal aux anges et aux puissances
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. - VINGT-SEPTIÈME HOMÉLIE. 177

incorporelles et supérieur aux exigences de ce mot : C'est ainsi! Il fait comprendre la


la chair, niilgré le corps qui l'enveloppait. grandeur de ce qui va suivre, et c'est pourquoi
Ensuite quaiul l'Iiomine, par sa néylif^'ence, l'Ecriture commence ainsi. Donnez-nous donc,
eut succombé au piège diabolique que lui ô saint Jean, l'explication de ce mot, c'est ainsi :
Dieu ne cessa point dètre
tendait le sorj»cnt. dites-nous l'étendue, la grandeur, l'excellence
bon pour ce pécheur, ce coupable par sa pu- : d'un pareil bienfait. C'est ainsi que Dieu a
nition même, comme nous l'avons dit hier, aimé le monde, au point de nous donner son
il montra l'excès de sa bonté et lui accorda Fils unique, pour que tout homme croyant en
encore une iniinité d'autres bienfaits. Par lui ne meure pas, mais ait la vie éternelle.
la suuc des temps, la race s'élant accrue et Voilà la cause de la venue du Fils de Dieu
se détournant vers le mal, quand Dieu eut vu cn ce monde, il y est venu pour que les hom-
que les plaies étaient incurables il détruisit , mes qui allaient périr, trouvassent une occa-
tons ces artisans du vice, comme un mauvais sion de salut dans la foi cn lui. Qui pourra con-
levain, laissant ce juste pour en faire la racine cevoir cette grande et admirable libéralité qui
et l'origine du genre humain. Voyez encore dépasse notre raison, par laquelk; le don du bap-
quelle est sa bonté envers ce juste. C'est par lui tême, accordé à notre nature, cfl'ace tous nos pé-
et ses fils qu'il a fait nmltiplier l'humanité en cliés?Maisque dis-je?Si l'esprit ne le conçoit
foule innombrable : peu à peu, choisissant des pas, la parole peut encore moins le rendre, et
justes, je veux dire les patriarches, il les a éta- quoi que je dise, il m'en restera encore plus à

blis comme les précepteurs du genre humain, dire.Qui aurait pu imaginer celte voie de péni-
capables d'entraîner tout le monde par l'exem- tence que Dieu, par son inexprimable bonté, a
ple de leurs vertus, et comme des médecins, ouverte à notre race, en nous donnant, après la
de guérir It's maladies morales. Il les a conduits, grâce du baptême, ces admirables préceptis
tantôt en Palestine, tantôt en Egypte, afin de par lesquels si nous le voulons bien
, nous ,

montrer à découvert, d'un côté la patience de pourrons rentrer en grcàce avec lui ?
ses serviteurs, et, de l'autre, de déployer toute Vous avez vu, mes bien-aimés, l'abîme de
2.
sa puissance : ainsi , il s'est toujours montré ses bienfaits,vous avez vu combien nous en
empressé pour humaine, en
le salut de la race avons comptés, mais nous n'avons pu vous en
suscitant des prophètes, et leur faisant accom- dire encore qu'une faible partie. Comment une
plir des signes et des miracles. En un mot, de langue humaine pourrait-elle exposer tout ce
même que nous ne pourrions pas, avec mille que Dieu a fait pour nous ? Quels que soient
efl'orts, compter le nombre des flots de la mer, ses bienfaits dans cette vie, il en a promis de
de même nous ne pourrions énumérer la va- plus grands et d'inexprimables dans l'autre vie
riété des bienfaits (|ue Dieu a épanchés sur à ceux qui auront marché sur terre dans le
notre nature. Enfin, quand il vit qu'après tant sentier de la vertu. Saint Paul nous en indi(|ue
de bienveillance de sa part et sa miséricorde la grandeur en quelques mots Dieu a préparé
:

inouïe, la race humaine était encore retombée, à ceux qui l'aiment des biens que l'œil n'a pas
sans avoir pu être retenue par ks patriarches, vus, que l'oreille n'a pas entendus, que le cœur
les prophètes, les miracles les plus frappants, de Vhomme n'a pas devinés. (1 Cor. ii, 9.) Quels
les châtiments et les avertissements si souvent dons inouïs, quelle magnificence au-dessus de
répétés, enfin par les captivités consécutives. toute pensée humaine Il dit que le cœur de
! :

Dieu ayant pitié de notre race, pour guérir nos l'homme n'a pas deviné!^. Méditons ces paroles,
âmes et nos corps, nous envoya son Fils uni- et rendons grâce à Dieu suivant nos forces,
que, sortant, pour ainsi dire, des bras pater- nous pourrons bien mieux nous concilier sa
nels il lui fit prendre la forme d'un esclave
; bienveillance et devenir plus capables d'être
dans le sein d'une Vierge, vivre avec nous et vertueux. Car le souvenir des bienfaits de Dieu
supporter toutes nos misères pour enlever de la suffitpour nous rendre suj)portables les etl'orls
terre au ciel notre race abattue sous le poids de la vertu, nous préparer à mépriser toutes
de ses péchés. Le fils du tonnerre, frappé de les choses présentes et pour nous attacher à
l'excès de bonté que Dieu avait déployé à Celui qui nous comble de ses faveurs, en nous
l'égard du genre humain, nous disait à haute pénétrant d'un amour chaque jour plus ardent.
VOIX C'est ainsi que Dieu a aimé le monde.
: Ainsi Noé a obtenu tant de bienveillance et de
(Jean, m
16.) Voyez quels prodiges renferme
, grâce d'en-haut, paice qu'il avait montré sa

S. J. Cn. — Tome V <2


178 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CÎ'RYSOSTOME.

reconnaissance pour les bienfaits déjà reçus. permis les sacrifices pour exercer les hommes
Mais, pourquecette instruction soit plus claire, à la reconnaissance. Aussi ce qui lui était olîert
il faut (jue je rap|»elie à votre charité le élait brûlé par le feu, afin que les hommes qui
commencement de ce qu'on a lu aujourd'hui. l'offraient comprissent que tout cela n'avait
Après que le juste fut sorti de l'arche, selon d'usage que pour eux. Mais pourquoi , direz-
l'ordre de Dieu, avec ses fils, sa femme et les vous, l'a-t-il permis autrefois? C'était encore
femmes de ses fils ainsi que tous les animaux
, poif avoir ég;ird à la faiblesse de notre raison :

et les volatiles, et qu'il eut reçu de Dieu, après leshommes, tombant peu à peu dans le relâ-
sa sortie, cette bénédiction qui le consolait si chement devaient se faire d'autres dieux et
,

bien : croissez et multipliez^ l'Ecriture, pour leur offrir aussi des sacrifices : il voulut donc
montrer sa reconnaissance, nous dit Noé : qu'on lui en offrît à lui-môme, afin d'arrêter
dressa un autel au Seigneur et il prit de tous du moins les hommes sur la pente de celte er-
les quadrupèdes purs et de tous les volotilos reur funeste. Et pour vous montrer que c'était
purs, et il offrit un holocauste sur l'autel Ob- . une concession faite à notre faiblesse, observez
servez avec mes bien-aimés, d'après les
sibin, que, dans l'époque qui nous précède, il avait
paroles présentes, comment le Créateur de fait une loi de la circoncision, non qu'elle pût
toutes choses a mis dans notre nature une idée servir en rien au salut de l'âme, mais comme
précise de la vertu. D'où serait venue à ce une marque de reconnaissance, comme un
juste, dites-moi, une pareille idée ? 11 n'y avait signe ou un cachet que les Juifs portaient avec
Jà personne qu'il pût prendre pour exemple. eux et qui leur défendait de se mêler aux gen-
Mais de môme que dans l'origine Abel, le fils , tils.

du premier homme, a offert avec dévotion un 3. Aussi saint Paull'appelle-t-ilun signe, en


sacrifice sans être averti par d'autres que par disant // donna le signe de la circoncision
:

lui-môme; de même aujourd'hui ce juste, par comme un sceau. (Rom. iv, 11.) Ce n'est p is

la rectitude de sa volonté et de son jugement, que cela justifie, car notre juste, avant que la

offrit au Seigneur, suivant ses forces et comme circoncision eût été ét^iblie, parvint à une si

il croyait devoir le faire , un sacrifice d'actions haute vertu : Mais que dis-je ? Le patriarche
de grâce. Voyez avec quelle sagesse il avait tout Abraham lui-même, avant de recevoir la cir-

disposé II n'avait pas d'édifice splcndide, de


I concision, a été justifié par sa foi seule. Car
temple ni môme de maison habitable ni rien
, avant la circoncision, dit saint Paul, Abraham
de semblable il savait, en efifet, il savait que
: crut à Dieu et cela lui fut imputé à jis-
Dieu ne d«mande que les cœurs. Il éleva un tice. (Rom. iv, 3.) Pourquoi donc, ô juif,
autel à la hâte, prit quehjues animaux purs et l'enorgueillir de ta circoncision ? Apprends (|ue
quelques oiseaux purs et offrit son holocauste, bien des honuues ont été justes avant qu'elle
montrant ainsi sa reconnaissance autant qu'il fût connue. Ainsi, Abel fut conduit par sa foi
le pouvait : aussi le Dieu de bonté couronna sa à faire son offrande, et Paul dit Cat par la :

bonne volonté et lui montra de nouveau sa foi qiiAbel fit à Dieu une offrande plus agréa-
bienveillance ; car l'Ecriture dit : Et le Sci- ble que celle de Gain. (Héb. xi, -4.) Enoch fut
gneur en Voyez comme
sentit l'odeur agréable. enlevé au Noé, par sa grande justice,
ciel, et
l'intention du sacrificateur change en parfum évita les horreurs du déluge enfin. Abraham :

la fumée, l'odeur de graisse et toute la puan- môme, avant sa circoncision, fut vanté par
teur (|ui s'en exhalait. Aussi Paul disait : Nous Dieu pour sa vertu. C'est ainsi que, dès l'ori-
sommes bonne odeur du Christ pour ceux
la humain a trouvé son salut dans
gine, le genre
qui sont sauvés et pour ceux qui juh'issent : la foi. De môme le Dieu de bonté a permis
pour les uns c'est une odeur de mort qui fait (]u'on lui otl'rîf des sairilices, à une épocjue oii
mourir, pour les autres une odeur de rie qui notre nature était plus imparfaite, pour que
fait vivre (II Cor. ii, 45), c'est là cette odeur l'homme i>ùt lui exprimer sa roconnaissimce et
agréable. fuir le culte funeste des idoles. Si, en elfi t.

Ne vous choquez pas d'un mot vulgaire : ces malgiô tant de condescendance de Dieu bien ,

expressions, mises à la portée de notre fai- des lionunes n'ont chute, quijias ôvilé celle
blesse, signifient seulement que Dieu accepta aurait pu l'en garantir sans cela? Le Sei*/neur
rollVande du juste. On peut voir par cela en soitit l'odeur agréable. Il n'en dit pis autant
même que Dieu n'a besoin de rien et qu'il ft des Juifs injfrat^ : pourquoi cela? Ecoutez le
HOMi^XIES SUR LA GENÈSE. - V1NGT-SEPTII<ME HOMÉLIE. 179

Prophète : Le parfmn m'est en ahomiyiation intentionchange en parfum la fumée et la


(Is. I, 13), pour montrer (iiie ceux (|iii rollVent numvaise odeur, que ne peut-elle pas faire
ont une volonté perverse. De nièrnc que Ki d'un culte spirituel, et (luelles grâces du ciel
Terlu du juste a eliangé en parfum fumée et
la ne peut elle pas attirer sur nousl Le Seigneur
Todeur de viande rolie, de même leur méchan- en sentit l'odeur agréable. Vous voyez ce qui
ceté changeait les parfums en infection. Aussi, est arrivé au juste dont l'action, à en juger
eflorçons-nous, je vous en conjure, d'apporter par l'apparence, avait peu de valeur, mais qui
des iutonlioiis pures, c'est la soiu'ce de tous les en nvait une très-grande par la purelé de son
biens. Le bon Dieu n'a pas l'hahiludo de regar- intention. Voyez encore l'infinie bonté du Dieu
der nos actions elles-mêmes il considère la , de clémence. Le Seigneur Dieu dit en réflé-
pensée intérieure qui nous fait ngir d'après : chissant : je ne maudirai plus la terre à V occa-
cela il ou ila[)i)rouve nos actions. Ainsi,
bliuîie sion des oeuvres des Jwjmncs , car la pensée des
soit que nous priions, soit que nous jeûnions, hommes est sujette dam le mal dès
à tomber
soit que nous fassions l'aumône (car ce sont là leur jeunesse. Je ne frapperai plus toute chair
nos Siicrifices spirituels), soit (jue nous fassions vi nnte, comme je Vai fait, tant que la terre
œuvre spirituelle, faisons-la toujours
toute autre vivra.
dans une bonne intention, afin de recevoir une 4. Quellequantité de bienfaits, quelle étendue
palme digne de nos efforts. En effet, il est abso- de bonté, quel excès de clémence Le Seigneur !

lument impossible (jue nos travaux ne soient Dieu dit en réfléchissant. Ce mot en réfléchis-
pas récompensés, s'ils ont été dirigés suivant sant est tout à fait humain et adapté à notre
les règles de la vertu. 11 peut même se faire nature. Je ne maudirai plus la terre à l'occa-
que, par l'extrême bonté de Dieu, nous soyons sion des œuvres des hommes. En effet, il avait
récompensés pour la seule intention, quoique dit au premier homme créé : La terre t'engen-
notre œuvre n'ait pas été accomplie. Remar- drera des épines et des chardons. (Gen. in, 8, et
quez, par exemple, ce qui arrive à propos de IV, 12), et il avait parlé de même à Caïn. Main-
l'aumône. Si, en voyant un homme étendu sur tenant, après la destruction universelle, il

la place et réduit à la dernière misère, vous s'adresse au juste pour le consoler, lui rendre
compatissez à son sort, et si vous élevez votre confiance et l'empêcher de se dire à soi-même:
pensée au ciel, en remerciant le Seigneur qui A quoi servira cette bénédiction. Croissez et
vous a épargné ces souflrances et qui donne au multipliez ,nous faut encore périr après
s'il

pauvre le courage de les supporter quand ,


nous être multipliés ?Car il avait aussi dit au-
même vous ne pourriez apaiser et rassasier sa trefois à Adam Croissez et multipliez ; cepen-
:

faim vous serez néanmoins complètement


, dant le déluge est venu. Pour lui éviter ces
récompensé pour l'intention. Voilà pourquoi tourments perpétuels de la pensée, voyez (luelle
le Seigneur dit Celui qui aura donyié seule-
: est la bonté dd Dieu Je ne maudirai plus la:

ment un verre d'eau froide à quelqu'un parce teire à propos des œuvres des hommes! D'abord
qu'il est mon disciple^ en vérité , je vous le il déclare que c'est à propos de leur perversité

dis, il ne perdra pas sa récompense. (Matth. qu'il a ainsi bouleversé la terre. Ensuite, pour
X, 42.)Qu'ya-t-il de moins précieux qu'un verre nous montrer (jue s'il fait cette promesse, ce
d'eau froide? Mais l'intention qu'on y joint n'est pas qu'il s'attende à voir les hommes se
mérite une récompense. Nous pouvons prendre mieux conduire, il ajoute: Car la pensée des
l'exemple opposé. Je dois présenter ces con- hommes à tomber dans le mal dés
est sujette

trastesà votre charité pour que vou spuissiez ap- leur jeunesse. Voilà un rare exemple de bonté.
précier le mérite avec assurance. Ecoutez ce que Puisque, dit-il, la pensée de lliomme est su-
dit le Christ : Celui qui rer/arde une femme pour jette à tomber dans le mal depuis sa jeunesse ,

la désirer a déjà commis VadiUtère dans son à cause de cela, 7e ne maudirai plus la terre.
cœur. (Matth. v, 28.) Vous voyez ici qu'une J'ai usé deux fois, dit-il, de tout mon pouvoir:
mauvaise pensée entraîne une condamnation, et puisque je vois la méchanceté si prompte à s'ac-
qu'un regard imprudent est puni comme si l'a- croître, je promets de ne plus détruire la terre.
dultère avait été consonuiié! Puisque nous sa- Ensuite, pour montrer toute l'étendue de sa
vons tout cela affermissons partout et tou-
, bonté, il ajoute : Je ne frapperai plus toute
jours notre intention dans le bien, afin (pie nos chair vivante, comme je Vai fait, tant que là
actions soient bien reçues. Car si une bonne terre vivra. Voyez, je vous prie quelle couso-
,
d80 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

lation il apporte au juste , et même à d'autres et redoutés de toides les bêtes de la terre et de tou-
qu'au juste ! car, dans sa bonté , il embrasse tes les volatiles. Tout ce qui se meut et vit sur
toute la race des hommes de l'avenir, puis- terre sera votre nourriture ; je vous l'ai donné
qu'il dit Je ne frapperai plus toute chair vi-
: comme les plantes des jardins. Cepei\dant ne
vante^ et qu'il ajoute: comme je Vai fait, et mangez pas la chair avec son sang, qui est son
aussi tant cfte la terre vivra; il déclare ainsi âme. C'est la même loi que celle qui avait été
qu'il n'y aura plus de déluge, et que jamais donnée au premier homme, sauf une obser-
une pareille catastrophe n'envahira le globe. Il vation. Quand l'empire du monde a été donné
dit môme comme preuve de son éternelle bien- à Adam, ainsi que la jouissance de tout ce qui
"veillîinceTant que la terre vivra, c'est-à-dire
: : était dans le paradis, il y eut cependant un
Je promets qu'à aucune époque je ne déploie- arbre auquel il lui fut défendu de toucher il en ;

rai à ce point mon indignation et que je ne est de même pour Noé; Dieu le rend terrible
causerai jamais une pareille perturbation dans aux animaux de la terre et met encore sous sa
la marche des saisons, ni dans l'ordre des élé- puissance les oiseaux et les volatiles; il dit aussi:
ments. Aussi, dit-il à la suite Les semailles et : Tout ce qui se meut et vit sur terre sera votre
les moissons^ le froid et la chaleur^ V été et le jwwriture : je vous l'ai donné comme les plan-
printemps ne cesseront ni jour ni nuit. Cet tes des jardins. C'est alors qu'a commencé l'u-
ordre , dit-il, immuable jamais la terre
sera : sage de manger de non pas pour
la viande ,

ne cessera de donner à l'homme sa subsistance satisfaire notre gourmandise, mais parce que
Gi de récompenser les labeurs de l'agriculture; les hommes, devant sacrifier des animaux, afin
les saisons ne seront plus bouleversées, mais de rendre grâce au Seigneur, il ne fallait pas
le froid et le chaud, l'été et le printemps qu'ils parussent rejeter les choses consacrées :

reviendront à leur tour dans l'année. En effet, aussi Dieu leur accorde l'usage de ce4te nour-
pendant déluge, tout cela avait été confondu,
le riture et leur permet d'y recourir abondam-
et le justedans l'arche était presque dans une ment. Je vous ai tout donné comme les plantes
miit complète aussi Dieu lui dit Le jour et
; : des jardins^ Ensuite, de même que. tout en
la nuit ne cesseront pas leur course et, jusqu'à jouissant du fruit de tous les arbres Adam de- .

la fin des siècles, leurs fonctions seront immua- vait s'abstenir d'un seul, de même aussi, tout en
bles. Voyez quel puissant encouragement bien accordant à Noé la permission de manger de tout
capable de relever le courage du juste ; voyez ce qu'il voudrait Dieu lui dit néanmoins Ne
, :

quelle récompense il a reçue de ses mérites. mangez pas la chair avec le sang, qui est son
Mais cette ineffable libéralité se montre encore âme. Qu'est ce donc qu'un animal où l'on a
dans ce qui suit Dieu bénit Noé et ses fils et
: laissé le sang qui est son àme? Cela signifie
leur dit : Croissez et nndiipliez, et remplissez la une bête étouffée; car l'àme d'un animal n'est
terre et dominez-la. Vous sei'cz craints et re- autre chose que son sang.
doutés de toutes les bêtes de la terre et de tous Connue les sacrifices se faisaient en inmio-
les oiseaux du ciel , de toits les animaux qui lant des animaux, voici l'enseignement qui ré-
se meuvent sur terre et de tous les poissons de la sulte de ce couuuandement. Le sang est mis
mer : je les ai livrés tous entre vos mains. Tout à part pour moi, et vous gardez la chair. Dieu
ce qui se meut et qui est vivant sera vêtre nour- agit ainsi pour modérer par ses ordres la
riture; je vous rai donné comme les plantes cruauté le penehaut à l'homicide. Pour
et
des jardins. Cependatit 77wngcz pas la chair ?te prouver qu'il a voulu ainsi rendre les hommes
avec son sang , qid âme. Il faut ici ad-
est soji plus pieux, écoutez ce qui suit Je demanderai :

mirer la suprême bonté du Seigneur. Vous compte de votre sang, de vos âmes, à tous
voyez (jue le juste reçoit de nouveau la même les animaux. Et je demanderai compte à
bénédiition cpii avait déjà été donnée à Adam; l'homme et au frère de l'àme de l'homme. Quoi
cette supériorité que Ihonime avait perdue, il donc l'àme de l'honnue est -elle du sang?
!

la recouvre par sa vertu et surtout par l'inex- Dieu ne veut pas le dire; loin de là! mais il
primable clénuiice du Seigneur. Car, de uièiue parle conformétneiit aux liabitudes humaines,
qu'il avaitcht autrefois Croissez et nndtipliez, : connue si un honuue disait à un autre Ton :

et gouvernez la terre ; dominez sur les poissotis sang est en mes mains c'est-à-dire, je puis te
:

de la mer, les rejttiles, les volatiles et les qua- tuer. Pour voir que l'àme de l'homme n'est
drupèdes ; il dit maintenant Vous serez craints : pas le sang écoutez le Chiist, qui dit
, Ne :
II0.\JËL1ES SUR LA GE.NÈSE. — VINGT-SEPTIÈME HOMÉLIE. 181

craignez pas ccitx (jui tuent le corps, mnU qui encore, après avoir promis qu'il ne détruirait
ne peuvent tuer l'âme. (Maltli. x, 28.) Et voyez plus l'univers et (ju'il ne s'irriterait jjas a ce
la distinction que Dit'U lait Celui qui aura ré- : point, mais que les éléments ne seraient plus
pandu le sang de l'homme, son sang sera ré- bouleversés juscpi'à consommation des siè-
la
pandu par compensation; car j'ai fait l'homme cles et garderaient toujours leur marche et
à mon image. Méditez, je vous prie, sur la ter- leurs lois, après avoir donné sa bénédiction à
reur qu'inspirent ces paroles. Si l'idée de ceux qu'il avait sauvés, et leur avoir accordé
frapper ton semblable, celui (jui est de même toute puissance sur ks animaux et le droitde
nature que toi, ne siillit pas pour te détourner manger leur chair, Dieu leur dit : Cependant
de U.n\ odieuse entreprise, si tu repousses toute vous ne mangerez pas la chair avec le sang^
synjpatliie fraternellepour te livrer à cette cri- gui est son àme. Vous voyez qu'après avoir
minelle audace, songe que ta victime a été montré tant de bonté et d'incirable libéralité, il
faite à l'image de Dieu, (jue Dieu lui a accordé finit [)ar un ordre ce n'est pas là l'habitude
:

ses plus hautes jnérogalives, et abandonne ton des hommes. Les hommes veulent, avant lout,
horrible projet. Mais supposons un homme qui que leurs ordres soient exécutés, ils exigent
ait commis une infinité de meurtres et beaucoup de douceur et d'exactitude chez ceux
versé des flots de sang comment pourra-t-il
: qu'ils chargent de leurs commandements, et
tout compenser en répandant le sien ? Ne vous ce n'est qu'à la tin (ju'ils songent à récom-

arrêtez pas à cela, mais songez que bieniol il penser ceux qui leur ont montré tant d'obéis-
recevra un corps pourraêtre
incorruptible (jui sance. Le Maître de toutes choses agit tout
puni sans ceese pendant Voyez aussi
l'éternité. autrement il commence par répandre ses
:

conmie le précepte est précis. Il est dit de bienfaits, il nous séduit par leur abondance ,

riionime tu ne verseras pas son sang; à


: puis enfin donne quehiues i^éceptes simples
il

propos des animaux il n'est point dit tu ne : et faciles, afin que leur facilité même se joigne
verseras pas, mais seulement Tu ne man- : aux bienfaits antérieurs pour assurer notre
geras pas la chair avec le sang, qui est son obéissance.
âme. D'un côté Dieu dit tu ne répandras pas;
: N'ayons donc jamais, mes bien-aimés, ni ré-
de l'autre lu ne mangeras pas.
: pugnance , ni négligence pour remplir ses
Vous voyez que ces lois n'ont rien de pé- commandements : songeons à ses bienfaits an-
nible ,combien ces |)réceptes sont simples et térieurs et à la facilité de ses ordres, ainsi qu'à
faciles, comment Dieu ne demande à noire na- la grandeur des récompenses qui nous sont
ture rien de gênant et de fâcheux. Plusieurs promises quand nous les aurons remplis veil- :

personnes disent que le sang des animaux est lons et em[)ressons-nous d'exécuter tout ce que
lourd, grossier et cause des maladies nous : Dieu nous a commandé ne quittons pas la
;

pensons que si nous devons observer ce pré- route qu'il nous a tracée pour parvenir au salut
cepte ce n'est pas à cause de la raison que
, de nos âmes, faisons un bon usage du temps
nous venons de dire, si savante qu'elle soit, qui nous reste encore à vivre, purifions-nous
mais pour accomplir l'ordre du Seigneur. Du de nos péchés et fortifions notre confiance, sur-
reste, pour savoir que s'il nous a fait cette re- tout dans les jours qui restent encore jusqu'à
commandation c'est pour modérer nos instincts la fin du carême.
sanguinaires, il dit Quant à vous, croissez^
: Ce nombre de jours est encoTe suffisant, si
6.

multipliez, reiyiplissez la terre et dominez-la. nous voulons l'employer à la pénitence. Si je


Ce n'est pas sans raison qu'il dit : Quant à vous parle ainsi, ce n'est pas que ce temps soit
vous. Vous qui êtes si peu nombreux, si faciles en réalité suffisant pour nous corriger de tous
à compter, remplissez la terre et gouvernez-la, nos péchés, mais parce que nous avons
c'est

c'est-à-dire ayez-y tout empire, toute puissance un Maître doux


clément qui n'exige pas
et

et recueillez-en les fruits. Voyez, je vous prie, beaucoup de tem[>s il suffit de s'approcher de
:

toute la bonté de Dieu qui, en échange d'im- lui avec ferveur et vigilance en rejetant tous
menses bienfaits, n'impose qu'une facile et les soins du monde et ne s'appuyant que sur

unique obligation. De même qi 'après avoir la force d'en-haut. Les habitants de Ninive,
placé Adam dans le paradis et lui avoir ac- écrasés sous une multitude de péchés, mais
cordé de jouir de tout, il lui détendit cepen- faisant une grande et véritable pénitence, n'eu-

dant de toucher à un arbre; de même ici rent pas besoin de plus de trois jours pour ré-
482 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

veiller la bonté de Dieu et rendre vaine la teur. Il devait, après avoir été Tobjet d'une si
sentence qu'il avait portée contre eux. Mais grande bonté et d'une pareille munificence,
pourquoi parler des Ninivites? Le larron sur être porté lui-même à l'indulgence envers le

la croix n'a pas eu besoin d'un jour. Et que prochain ; c'est tout le contraire. Il s'en va
dis-jc, d'un jour? pas même d'une heure, tant ensuite., il s'agit de l'homme à qui on avait
est grande la bonté de Dieu pour nous! Car, remis dix mille Ecoutez, je vous en
talents.

dès qu'il voit que nous venons à lui avec une conjure, avec attention, car ce qui suit suffit
volonté ferme et un désir fervent, il ne tarde pour entraîner nos âmes et nous persuader
pas, il ne diffère point; il s'empresse, au con- d'en arracher une maladie aussi grave; il s'en
traire, et avec sa générosité habituelle, il s'é- va ensuite trouver un de ses compaçpions de
crie : Tu parleras encore quand je te dirai : servitude qui lui devait cent deniers. \ os çz(\\ie\\Q
Me voilà! (Is. lviii, 9.) différence! Ici ce compagnon devait cent de-
nous écoutera donc si nous voulons, pen-
Il niers; de l'autre côté le maîlre réclamait dix
dant ces quelques jours, montrer un certain mille talents, et cependant il avait abandonné

zèle, puiser du secours dans un jeûne conve- la dette aux supplications de son débiteur. Mais
nable, secouer notre paresse pour implorer le ce débiteur lui-même, prenant son compagnon,
Seigneur, verser des larmes brûlantes, confes- Vétouffait en disant : rends-moi ce que tu me
ser fréquemment nos péchés, montrer les plaies dois. Son compagnon de servitude tomba à ses
de notre âme comme celles du corps à un pieds. Voyez comme l'évangéliste répète ce
médecin, nous livrer à cette cure spirituelle mot de compagnon, non sans motif, mais pour
et faire, du reste, tout ce qui dépend de nous, que nous comprenions qu'ils étaient égaux.
c'est-à-dire apporter un cœur contrit, une vé- Cependant, ce compagnon le suppliait comme
ritable componction, faire de larges aumônes, l'autre avait supplié son maître, en disant.
refréner les passions qui troublent notre raison Donne -jnoi du temps et je te ?'e?id?'ai tout.
et les chasser de notre âme, au point de ne Mais celui-ci s'en alla, et fit jeter le débiteur
plus être assiégé par l'amour des richesses, par en prison jusqu'au paieirient de la dette. Quel
des rancunes contre notre prochain, par des excès d'ingratitude ! Il avait encore le souvenir
haines contre nos semblables. Il n'est rien, en récent de la libéralité que son maître avait dé-
effet, rien que Dieu déteste et repousse, comme ployée à son égard, et il n'a pas pitié d'un
un homme qui conserve constanmient dans autre; il veut d'abord l'étrangler et enûn le

son âme de la rancune et de la haine contre jette en |)rison.

son prochaih. Cette faute est d'autant plus fu- 7. Mais voyez la suite Quand les compagnons:

neste qu'elle s'oppose à la miséricorde de Dieu. de servitude virent cela, ils furent attristés, et,
Pour vous l'apprendre, je vous rappelle la pa- venant vers leur maître, ils lui dirent tout. Ce
rabole évangélicjue, où cet homme, qui devait n'est pas celui qui avait été m;.ltiailé ^comment
à son maître dix mille talents, tomba à ses aurait-il pu le faire, puisqu ilétaiten prison?),
pieds, le supplia et l'implora, et obtint remise mais les autres compagnons qui soullVaienl de
du tout. So}i maitre, ému de pitié, lui remit cette injustice, qui pourtant ne les touchait
sa dette. (Matth. xvni , 27.) Voyez quelle est la pas; dans leur tristesse ils vont voir le maître
miséricorde du maître. Le débiteur tombe à et lui racontent tout. Voyez maintenant la co-
ses pieds et lui demande une échéance plus lère du maîlre. // le fît venir it lui dit : mé-
éloignée. Doniic-moi du temps et je te payerai chatit serviteur. C'est ici que l'on peut voir
tout. Mais le maître bon et miséricordieux combien il est funeste de se raj)peler les in-
touché de sa prière, lui accorda non-seulement jures. Quand il devait dix mille talents, le
ce qu'il demandait, mais plus (ju'il n'osait es- maître ne l'a pas ajtpelé méchant mais au- ;

pérer. C'est ce (pie fait Dii'u, pour dépasser et jourd'hui, après qu'il a été cruel avec son com-
prévenir nos prières. Cet honnne implorait pagnon Méchant serviteur, lui dit-il, je t'ai
:

l'indulgence et |)romettait de tout payer; mais remis toute ta dette parce que tu tn'a.': supplié.
te maître, dont la bonté dépasse encore nos Voyez comme il lui fait si tir sa pi rvei'sitê! i,

fautes, est assez touclié pour le tenir quitte et Qu'iis-lu f.iit de plus avec moi que ton compa-
lui remettre sa dette. Vous u^ez vu ce que le gnon avec toi, lui dit-il? Tu m'as dit (piclques
Si rviteur demandait et combien le maître lui mots, j'ai accueilli ta prière et je t'ai remis ton
a remis : voyez maintenant la folie du servi- immense dette. Ne devais-tu pas avoir pitié de
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — VINGT-SEPTIÈME HOMÉLIE. 183

ton compagnon comme j'ai eu pitié de toi. ne pardonne pas du fond du cœur à son frère
Quel pardon mérites-tu, si moi, le maître, jo en a reçues.
les offenses qu'il

t'ai remis une dette aussi considérable pour Cette parabole peut nous être d'une grande
quehjues paroles tandis que toi, tu n'as pas eu
; si nous y faisons attention. Connnent
utilité,
pitié de ton compagnon, de ton égal? rien n'a pourrions-nous avoir à pardonner autant (jue
pu te fléchir, tu ne t'es pas rappelé mes con- leSeigneur nous ptrdonne? Du reste, si nous
cessions, tu n'as montré aucune commiséra- voulons (jue Dieu nous pardonne, nousn'avons
tion, tu as été inhumain et cruel, tu es resté qu'à accorder notre pardon à nos com[)agnon3
in)pilnyab!e envers ton camarade. Aussi tu vas d'esclavage, nous obtiendrons celui de Dieu,
connaître tous les maux qwe tu as attirés sur Voyeztoute la précision de ces paroles. Il ne dit

toi.Et Je maître irrité le livra aux bourreaux. pas simplement si vous ne rem(^ttez pas les fau-
:

Vous voyez que maintenant il se fâche contre tes des hommes, mais si chacun de vous ne
:

l'inhumanité de son serviteur et le livre aux pardoyme pas du fond du cœur à son frère les
bourreaux; il fait actuellement ce qu'il n'avait offejises qu'il en a reçues. Remarquez comme il
pas voulu faire quand il ne s'agissait que d'une veut que notre cœur soit calme et tranquille,
dette. // le livra aux bourreaux jusqu'à ce que notre âme ne soit pas troublée et se dulivre
qu'il rendit toute la dette, c'est-à-dire jusiju'à des passions, en conservant [lour noire pro-
ce tju'il comptât les dix mille talents qui lui chain des sentiments d'affection. Dans un autre
avaient été renns. Sans doute la clémence de passage, il dit aussi : Si vous remettez aux
Dieu est grande et ineffable : quand c'était lui- hommes leurs péchés, votre Père céleste vous
même qui réclamait la dette, il a tout remis remettra Ne croyons
les vôtres. (Matth. vi, 14.)
sur de simples prières; mais quand il voit le donc pas, quand nous obéissons à cet'ordre,
débiteur aussi cruel et aussi inhumain envers être bien généreux envers les autres et leur
son compagnon, il révoque sa libéralité, et faire de grandes concessions. C'est nous-mêmes
montre par ses actions que ce n'est pas ce qui jouissons du bienfait et nous en retirons
compagnon (jui a éié maltraité, mais que c'est un avantage immense. Si nous agissons autre-
lui-même. Et de môme que cet homme avait ment, nous ne pourrons faire aucun mal à nos
jeté son compagnon en prison jusqu'à ce qu'il ennemis, et nous préparons pour nous-mèn:es
de sa dette; de même il le livre aux
s'ac(juittàt les peines intolérables de l'enfer. Aussi, je vous
bourreaux jusqu'à ce qu'il ait aussi payé sa en conjure, méditons là-dessus, et s'il est quel-
dette. ques personnes qui nous ont affligés ou
Dans tout il n'est pas seulement ques-
cela, nous ont fait un tort quelconque, gardons-
tion de talents de deniers, mais de pécliés et
et nous de conserver contre elles ni rancune ni
de la grandeur de nos fautes cela nous montre : haine; considérons plutôt quelle occasion cela
(jue si nous sonnnes chargés devant Dieu d'une nous donne de mériter les bienfaits et l'affec-

infinitéde péchés, cependant, par son ineffable tion de Dieu puisque,


la meilleure manière
miséricorde, il peut nous les remettre. Mais si d'effacer nos péchés est de nous réconcilier
nous devenons cruels et inhumains envers nos avec ceux qui nous ont offensés. Soyons donc
compagnons de servitude, nos semblables, ceux actifs et empressés pour recueillir un pareil
qui sont de notre nature, si nous ne remettons avantage, et soyons aussi bien disposés pour
pas les fautes qu'ils ont commises contre nous, ceux qui nous ont fait tort que pour ceux qui
si nous tourmentons pour une cause frivole
les nous ont véritablement servis. Car, si nous y
(quelles que soient ces offenses, elles seront réfléchissons, ceux qui ont été bons pour nous
toujours dans la proportion de cent deniers et qui ont cherché à nous rendre service de
à dix mille talents avec celles que nous avons toute manière ne pourront nous être aussi
,

commises envers le Seigneur alors l'indigna- ) ; utilesque nos bons procédés envers nos enne-
tion du Seigneur tombe sur nous, et les dettes mis pour gagner la bienveillance d'en-haut et
qu'il nous avait déjà remises, il nous force de nous débarrasser du fardeau de nos péchés.
nouveau à les payer dans les tourments. Pour 8. Méditez avec moi, mes bien-aimés, sur
être bien certains que dans cette parabole le l'importance de cette vertu, et connaissez-la
Seigneur fait en réalité allusion au salut de nos d'après les récompenses que le Seigneur de l'u-
âmes, écoutez ce qui la termine C'est ce que : nivers y a attachées. Il dit Chérissez vosetme-
:

votre Père céleste vous fera, si chacun de vous mis, bénissez ceux qui vous persécutent, priez
184 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

pour ceux qui vous calomnient. (Matth. v, 44.) ces prières, d'attiser le feu qui nous menace el

Comme ces préceptes sont élevés et touchent le de provoquer la colère de Dieu ! Je suis trans-
somnietde la vertu, il ajoute Afin quevoussoyez
: porté de joie quand je vois quel plaisir vous
semblables à votre Père qui est aux deux ; prenez à mes paroles, quand vos applaudisse-
parce qu'il fait lever son soleil sur les bons et les ments meprouvent que vous êtes remplis de
méchants, et quil fait tomber la pluie sur les zèle et disposés à accomplir le précepte du Sei-
justes et les pervers. gneur. C'est là ce qui guérit nos âmes ce qui ,

Voyez à qui peut ressembler l'homme, autant l)anse nos blessures, c'est la route qui plaît sur-
que sa nature le comporte, quand il consent, tout à Dieu, c"cst la meilleure [.reuve de l'a-
non-seulement à ne pas se venger de celui qui mour d'une âme pour Dieu que de tout entre-
l'a olTensé, mais encore à prier pour lui ? Que prendre pour suivre la loi du Seigneur sans
notre négligence ne nous fasse donc pas perdre être arrêté par la pensée de notre faiblesse,
de vue de si grands biens et ces récompenses mais de commander à ses passions en réfléchis-
incomparables, mettons tous nos soins à une sant aux bienfaits dont Dieu nous comble cha-
œuvre si méritante, habituons et forçons que jour. Quoi que nous nous eCForcîons de
notre esprit à obéir aux ordres de Dieu. C'est faire, nous ne pourrions vous exposer même la

pour cela que je vous ai fait cette exhortation moindre partie de tous ceux que nous avons
et que je vous ai rapporté cette parabole. Vous reçus ou que nous recevons chaque jour, et
avez vu quelle était l'importance de cette œu- surtout de ceux qui nous sont promis pour l'a-

vre et quel avantage nous jjouvons en retirer ;


venir, nous voulons accomplir les ordres de
si

je vous l'ai montré pour que celui d'entre vous Dieu. Aussi, en sortantd'ici, telle doit être notre
qui aurait un ennemi s'empresse de se réconci- première préoccupation; nous devons nous y
(ier avec lui pendant qu'il en est encore temps. livrer comme à la recherche d'un trésor, sans
Qu'on ne me dise pas je Tai prié une première
: diflerer d'un seul instant. Peu imjfortent les
et une seconde fois de se réconcilier, et il a fatigues, les recherches, la longueur de la route
refusé. Si nous le voulons sincèrement, nous et les ennuis de toute espèce, triomphons do
n'aurons pas de repos avant d'avoir remporté tous ces obstacles. N'ayons qu'un souci, celui
celte victoire, de nous rôtie rendu favorable et d'accomplir l'ordre du Seigneur, et notre obéis-
de lui avoir fait oublier ses ininiiliés avec nous. sance sera récompensée. Est-ce que j'ignore
Lui donnons-nous quelque chose? c'est sur nous combien il est embarrassant et pénible daller
(iue retombent les bienfaits; nous méritons la trouver celui qui est en hostilité avec nous, de

faveur de Dieu, nous obtenons le pardon de nos rester et de j)arler avec lui? Mais si vous son-
péchés, nous augmentons notre confiance en gez à l'autorité du précepte et à la magnifi-
Dieu. Si nous agissons ainsi, nous pourrons ap- cence de récompense, si vous réfléchissez que
la

procher avec conliance de cette table si sainte vos bienfaits retomberont sur vous plutôt que
et si redoutable et dire avec fermeté toutes sur lui, tout vous paraîtra simple et facile. Sou-
les paroles des prières. Les initiés savent tenus par celle méditation, mettons-nous au-
ce que je veux dire. Aussi, j'abandonne à la dessus de nos habitudes et accomplissons avic
conscience de chacun de vous la question de piété les ordres du Seigneur. Méritons ain;i
savoir si nos devoirs auront été assez bien rem- d'être réconipi usés, par la grâce et la miséri-
plis pour dire à ce moment terrible ces paroles corde du Christ, auquel soient ainsi qu'au Père
avec confiance. Si nous sommes négligents, et au Saint-E>prit gloire, puissance et hon-
,

quelle cause de cou lamnatiuii ce sera pour neur, maintenant et toujours, et dans les siè-
nous (jui prononcerons des paroles contraires cles des siècles. Ainsi soit-il.
à nos actions, qui aurons l'audace de répéter

Tra/iucHoH de U. HOVSEU
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — VlNGT-IlUlTiÈME HOMÉLIE. 185

VINGT-HUITIÈME HOMÉLIE,

Dieu dit encore à Noë et à ses enfeinte aussi bien qu'à lui : < Je vais faire alliance areo vous at avec votre race
après vous, et ave.- tous les animaux vivants qui sont avec vous , tant les oiseaux que Iw animaux domes-
tiques et toutes les botes da la terre. > (Gen. IX, 9, 10.)

akalyse:

i. Le passage qu'on vient de lire est une nouvelle preuve de la bonté de Dieu et de sa bienveillance pour les hommes. —
2. Dieu
voulant affranchir les hommes de la crainte du déluge, dit : f établirai mon alliance avec vous, etc. Il ne se contente pas
d'un signe de promesse, il ajoute un signe destiné à
la rappeler Je mets mon arc, etc. 3. Cette
: — promesse, Dieu ne la
fait pas seulement à quelques hommes, mais à tous, à nous qui vivons si longtemps après comme aux générations qui suivirent
de près le déluge; donc nouvelle marque de la bonté de Dieu envers nous, et par conséquent nouveau motif pour nous d'être
reconnaissants et vertueux. — 4. Cham était le père de Chanaan. Ces mots ne sont pas ajoutés sans raison. — 5. Comme les
trois (ils de Noé ont suffi pour peupler toute la terre, ainsi les onze apôtres l'ont pu convertir à la foi de Jésus-Christ. —
6. Exhortations. Ne s'appliquer qu'à Dieu seul.

4. Nous vous avons exposé hier la bénédic- dans vos pensées , à la méditer à la ruminer ,

tion que le Seigneur accorda à Noé après sa , sans cesse le souvenir gardé par vous , des
;

sortie de l'arche, après son sacrifice, ses offran- réflexions déjà faites, vous permettra de recueil-
des d'actions de grâces après que l'homme , lir plus facilement lesréflexions qui vont suivre,
juste eutmontré sa piété et sa sagesse nous ; et ainsi, avec le temps, vous deviendrez en état
n'avons pas pu nous avancer plus loin, parcou- d'instruire vous-mêmes les autres. Car voilà l'u-
rir toute la lecture d'hier, vous montrer la niquepensée de nos veilles, notre unique désir;
bonté de Dieu le souci qu'il fit voir en faveur
, c'est que, tous tant que vous êtes, vous possédiez
de l'homme juste. Notre discours ayant été fort que vous n'ignoriez
l'instruction parfaite; c'est
long, nous l'avons résume en peu de paroles, rien de ce que la divine Ecriture vous tient en
de peur d'accabler votre mémoire, et de com- réserve. La connaissance de l'Ecriture, si nous
promettre ,
par des explications nouvelles , le voulons pratiquer la sagesse, tenir nos âmes en
résultat des précédentes réflexions. En effet, éveil, nous donnera , pour la meilleure con-
nous ne voulons pas uniquement vous tenir duite de la vie, les plus précieuses ressources,
de longs discours nous ne désirons vous faire
;
et nous rendra plus ardents au travail aux ,

entendre que ce qu'il vous est possible de vous Quand nous apprenons
fatigues de la vertu.
rappeler de méditer avec fruit d'emporter
, , que chacun de ces hommes justes, qui ont
dans vos demeures, avec avantage pour vous. acquis, par leurs vertus, l'intimité dan? le sein
Car, si nous devions, nous, de notre côté, faire de Dieu que chacun d'eux, après avoir traversé
;

de trop longs discours, et vous, de votre côté, les lesépreuves, et les afflictions qui ont rempli t^a
entendre, sans rien recueillir de nos paroles, à vie tout entière a obtenu, par sa patience à
,

quoi bon? Comme c'est pour vous servir que toute épreuve, par l'heureuse disposition de son
nous acceptons la fatigue, nous nous croirons âme, les récompenses du Seigneur; comment
suffisiimment payé de retour, s'il nous est donné ne serions-nous pas nous aussi pleins d'ar-
,
,

de voir vos progrès, votre soin fidèle à conser- deur pour suivre le chemin par eux suivi,
ver la parole, votre application à la retenir pour mériter les récompenses par eux reçues
^86 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

en par[fip:e? Voilà pourquoi jo vous conjure de rassurer, ainsi que tous ses descendants. Le
fiiire, chaque jour, quelque nou\elle acquisi- Seigneur, plein de bonté voyait bien que le ,

tion de vertu, d'augmenter votre édification en moindre accident pouirait troubler son âme;
Dieu, de conserver ce qui déjà s'élève, d'affer- l'expérience des malheurs passés est d'un grand
mir l'édifice, de faire la garde avec soin, devite poids pour inspirer la terreur; c'est pourquoi,
ajouter ce qu'il faut pour l'élever plus encore, comme il était vraisemblable que cet homme
afin d'atteindre, le plus promptement possible, bienheureux dans l'avenir, frappé de
serait ,

à la cime de la vertu à la glorification que


, crainte, à la moindre pluie. Dieu, dans sa

Dieu attend de nous, à l'édification de l'Eglise, bonté, le rassure, l'alTrancliit de toute crainte,
à la gloire de Jésus-Christ. Quand je vois le lui rend la parfaite sécurité, la douce confiance,
désir insatiable que vous montrez pour l'en- et lui promet de ne plus infliger désormais
seignement spirituel, je m'empresse, chaque pareil châtiment.
jour, quelle que soit mon indigence, de vous 2. Vous savez d'ailleurs que, même avant la

servir la nourriture de l'Ecriture sainte, les bénédiction. Dieu avait donné cette promesse ;

pensées que la grâce de Dieu, par sa bonté par- vous avez entendu les paroles : Je ?ie répan-
ticulière, et dans votre intérêt, daigne me sug- drai plus ?na malédiction sur la terre. (Gen.
^'érer ;
je ne me lasse pas de les otfrir à votre vin , 21. ) Quand même la malice des
attention. Eh bien! donc, aujourd'hui encore, hommes viendrait à s'accroître, je ne sou-
nous voulons vous montrer , mes très-chers mettrai plus àun tel châtiment la race des
frères, l'excès de la bonté que Dieu témoigne à hommes. Dieu montre son ineffable bonté il ,

notre nature nous vous exposerons les propres


;
renouvelle ici que le juste
sa promesse, afin
paroles adressées par Dieu même à Noé Dieu : ait confiance et ne pense pas en lui-même
dit encore à Noé et à ses enfants. C'est après qu'autrefois Dieu avait béni notre race , l'avait

l'avoir béni, ainsi que ses enfants avec lui, fait se multiplier, et l'a frappée ensuite d'une
c'est après lui avoir dit : Croissez et rmdtipliez; destruction universelle. Dieu donc veut bannir
après avoir remis entre ses mains l'empire sur de l'àme du juste tout ce tunuilte de pensées,
tous les êtres dépourvus de raison ; après lui il veut le rendre certain que rien de semblable

avoir donné pouvoir de se nourrir des lé-


le ne se verra plus. De môme , dit-il ,
que si j'ai

gumes de de s'en servir pour tous ses


la terre, fait pleuvoir le déluge, c'est par un effet de ma
besoins; après avoir interdit de manger la chair miséricorde pour arrêter la malignité, pour en
mêlée avec le '^ang; c'est alorsquetoujoursplein prévenir les progrès de même, aujourd'hui, ;

de sollicitude, et pour l'homme juste, et pour par la même miséricorde, je promets que je
ceux qui viendront après lui, le Seigneur nous ne recourrai plus dans l'avenir au même châ-
comble encore de ses bienfaits, et qu'aux timent je veux que vous viviez prést-nte-
;

manjues d'intérêt déjà prodiguées, il ajoute de ment sans crainte. De là , ces paroles : J é-
nouvelles et plus grandes faveurs. Dieu dit en- tablirai mon alliance, c'est-à-dire, je fais un
core à Noc et à ses enfants aussi bien qu'à lui: pacte. Dans les affaires de la vie ordinaire, une
Je vais faire alliance avec vous et avec votrerace promesse amène un pacte qui donne toute sé-
après vous, et avec tous les animaux vivants curité. C'est airisi que la bonté du Si'ii;neur
qui sont avec vous, tant les oiseaux que les s'exprime J'établirai mon alliance avec vous.
:

animaux domestiques et toutes les bêtes de la Et c'est avec raison qu'il dit J'établirai, ce :

terre, qui sont avec vous, et qui sont sorties de qui veut dire : Voici que je répare le malhtur
Varche; et j'établirai mon alliance avec vous; causé par péché et J'établirai mon alliance
le ; :

et toute chair qui a vie ne périra plus désor- avec vous, avec votre race après vous ;\o^ez
et
mais par le déluge; et il n'y aura plus à la clémence du Seigneur! ce n'est pas avec
l'avoiir de déluge pour faire périr toute la vous seulement que je fais un pacte, mais avec
terre. (Gon. ix, il.) 11 t;st vraisemblable (pièce ceux qui >ieudronl a|)rès vous, et je dis que ce
juste était encore |)lein d'angoisses, de terreur, pacte sera ferme et durable. Et ensuite, pour
dans un profond abattement à la plus faible ; montrer sa nunuficence Et avec tous les atu- :

pluie (jui serait surveime, afiligé, stupéfait il , maux vivants qui sont avec vous, tant les oi-
aurait pu croire qu'une nouvelle tempête, pa- seaux que les anitiiaux domestiques et toutes ,

reille à l'autre, allait envelopper le monde. les bêtes de la terre qui sont avec vous et qui
Aut^tii Dieu veut lui rendre la confiance et
le sont sorties de Varche ; et j'établirai mon alz
m
liavce avec vons, et toute chm'r qui a vie ne à toutes les générations ? Il ne donne pas
périra plus désormais par le déluge ; et il v'y ce signe seulement pour tous les êtres vivants
aura plus à Vavenir de déluge pour faire périr sans distinction, mais il le constitue perpétuel,
toute la terre. Avez-vous bien compris jusiiiron durable, tant que subsistera le monde. Quel est
s'étend ce pacte? Avez-vous bien compris tout donc ce signe? Je mets mon arc dans les îiuécs,

ce qu'il y a, dans cette promesse d'inelfable , et il sera le signe de l'alliance entre moi et la

libéralité? Considérez comme Ditu étend en- ^''rre. Voici (ju'après la promesse verbale, je
core une fois sa bonté jusque sur les êtres dé- donne ce signe visible, l'arc-en-ciel, (que quel-
pourvus de raison, sur les bêtes sauvages et ! ques-uns disent |)roduit par les rayons du so-
ce n'est pas sans motif je l'ai dit souvent je :
,
leil rencontrant les nuages). Si ma i
arole, dit-
le redis encore, les animaux ont été créés :; il,ne suffit pas, voici que je donne mon signe,
cause de l'Iionnue : voilà pour(|uoi ils ont leur qui répond que je n'infligerai plus un f)areil
part des bienfaits accordés à l'iiomme. Mainte- châtiment. .\ la vue de ce signe, soyez alîran-
nant le pacte semble confondre l'homme et les cliis de toute crainte : Et lorsque j'aurai cou-
animaux, mais il n'en est pas ainsi, car cette vert le ciel de nuages , mon arc paraîtra dans
promesse est une consolation qui ne s'adresse les nuées et je me souviendrai de l'alliance qui
qu'à l'homme pour qu'il sache en quel degré
,
est entre moi et vous, et toute âme qui vit dans
d'honneur il est maintenu, puisque, non-seule- toute chair. (Gen. xii, 13, 14.) Que dites-vous,
ment on le comble de bienfaits, mais encore, ô bienheureux prophète ? Je me souviendrai,
en considération de lui, la libéralité du Sei- dit-il, de mon alliance, c'cst-à-diro de mon
gneur s^étend sur les animaux Et toute chair : pacte, de mon engagement, de ma promesse.
qin a vie, dit Dieu, ne périra plus désormais Ce n'est pas que Dieu ait besoin d'un signe
par le déluge; et il n'y aura plus à Vavenir de pour se souvenir, mais c'est afin que nous, à
déluge pour faire périr toute la terre. Voyez- la vue de ce signe nous ne concevions pas de
,

vous comment, une fois, deux fois, à mainte tristes soupçons c'est afin que nous nous rap-
,

reprise Dieu promet de ne plus renouveler la


. pelions aussitôt la divine promesse que nous ,

destruction universelle ? C'est pour bannir de ayons la confiance que nous ne soulîiirons
l'esprit (le l'homme juste les inquiétudes qui rien qui ressemble au déluge.
le troubleraient ; c'est pour lui doimer bon es- 3. Avez-vous bien vu tout le soin que prend

poir dans l'avenir. Ensuite, ne s'arrctant [)lus Dieu de s'accoumioder à noire infirmité, sa
à sa propre mais s'accommodant à
nature, grande sollicitude pour notre race, la grande
notre infirmité Dieu rend visible la promesse
, miséricorde qu'il nous montre, non qu'il ait
que ses paroles avaient exprimée. Il montre vu les hommes convertis, mais parce qu'il
une fois de plus comment il sait s'accommoder veut par tous ces moyens nous enseigner la
à noire infirmité, il donne un signe à jamais j)rol'ondeur de sa bonté ? Et il n'y aura plus à
durable pour aOianchir la race des hommes l'avenir de déluge pour faire périr toute chair;
d'une insuppoilable terreur quand même : il n'y aura plus de pluie de ce genre. Il a vu
des pluies fréquentes se précipiteraient sur la que c'est là ce que redoute la nature humaine;
terre, quelle (jue soit la violence des teiiipêtes, voyez comme tout de suite il la rassure par une
quelle que soit l'étendue des inondations, ne il promesse, en vous
lui disant : Quand môme
veutpisque nous ressentiom de crainte, mais verriez des torrents dene concevez pluie,
que nous ayons confiance en regardant le signe pas pour cela des soupçons lugubres , des
qu'il nous donne Et le Seigneur Dieii dit à
: craintes car // Ji'y aura plus à l'avenir
, :

Noé : Voici le signe de l'alliance que j'établis de déluge pour faire périr toute chair ; il

entre moi et vous, et tous les animaux vivants n'y aura plus de |)luie de ce genre désor-
qui snnt avec vous. Voyez quel in-^igne hi,n- mais; la race des hommes n'éprouvera plus
neur il daigne faire au juste! il conclut avec désormais un si terrible eflel de la colère Et :

lui un pactecomme un homme parlant à un


, mon arc , dit-il paraîtra daîis les nuées et je
,
,

autre homme, et il lui dit: Voici lesiguc de le verrai pour me rappeler l'alliance éternelle
l'alliance que j'établis entre moi et vous, et entre Dieu et toute âme vivante dans toute
tans les anijnaux vivants qui sont avec vous, chair. Considérez le choix des expressionsdont
pour toTiies les générations. Voyez - vous il pour inspirer à Ihomme une con-
se sert
bien comment le signe qu'il va donner s'étend fiance ferme et solide Et je le verrai, dit-il. :
188 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

pour me rappeler mon alliance. Est-ce donc la aurons rejeté loin de nous la malignité, une
vue qui rajjpelle souvenir? Gardons-
en lui le fois que nous nous serons mis à la poursuits
nous de le penser, loin de vous une idée de ce de la vertu, quels biens n'obtiendrons-nous
genre ! Mais c'est afin que quand nous voyons pas ? Voilà pourquoi il nous prévient par ses
ce signe nous ayons confiance en la promesse
,
bienfaits, et, quoique nous soyons des pé-
de Dieu sachant avec certitude qu'il est im-
, cheurs voilà pourquoi il nous pardonne ,
,

possible que Dieu n'accomplisse pas ses pro- écarte loin de nous les châtiments tout prêts ;
messes Et Dieu dit à Noé: C'est là le signe de
: c'est pour nous attirer par tous les moyens,

l'alliance queJ'ai faite entre moi et toute chair par ses bienfaits, par sa patience et souvent ;

qui est sur la terre. (Gen. xvi, 17.) Vous avez même , lorsqu'il inHige à quelcjucs hommes
reçu, dit-il, le signe entre moi et toute chair qui des châtiments, c'est pour attirer à lui d'au-
estsur la terre. Désormais, plus de confusirn tres hommes ; c'est afin que, corrigés par la
dans vos pensées plus de trouble dans vos ,
crainte, ils puissent éviter l'etlet réel de la pu-
âmes; regardez ce signe, ayez vous-même nition. Comprenez - vous bien cette ingé-
bonne espérance, et que tous ceux qui vien- nieuse bonté, comment, dans tout ce que fait
dront après vous, en regardant ce signe, soient le Seigneur, il n'y a qu'un but exclusif, uni-
consolés que la vue de ce signe leur donne
; que, notre salut? Donc, réfléchissons sur ces
la confiance que désormais tempête pareille choses; plus de relâchemeut, plus d'insou-
n'envahira plus la terre quoique les péchés ;
ciance pour la vertu ,
plus de transgression à
des hommes s'accroissent, moi, cependant je ses Dès qu'il nous verra nous con-
ordres.
remplirai ma proniesse, et je ne montrerai vertir, nous reposer, nous arrêter sans avancer
plus jamais une telle colère contre tous à la d'un seul pas de plus dans le mal, faire quoi
fois. Comprenez-vous combien est grande la que ce soit , un commencement de vertu, lui
bonté du Seigneur? Comprenez-vous comme il aussi travaillera avec nous à sa manièi'e, nous
sait conformer son langage à notre faiblesse ? rendra tout facile et tout léger il ne per- ;

Comprenez-vous la grandeur de sa providence? mettra pas que nous ayons le sentiment des
Comprenez-vous ce qu'il y a de maguifi(iue fatigues qui accompagnent la vertu. Car, dès
dans i-a libéralité? En eflét, il n'a pas étendu que l'âme tend vers Dieu sa pensée, désormais
sa bonté à deux à trois à dix générations , si
, , elle ne peut plus être trompée par les choses
vous voulez ce qu'il a promis s'étendra tant
; visibles elle court, elle ne voit plus ce qui
;

que subsistera le monde. De là deux raisons frappe les yeux de notre corps elle distingue ;

de nous corriger l'une, parce que les honnncs


: d'une manière plus neîte quelle n'aperçoit les
du déluge se sont attirés leur châtiment par objets soumis à nos yeux, elle se représente ce
l'énormité de leurs péchés; l'autre, j)arce ijue que ne voient pas les yeux du corps, ce qui
rinetîable miséricorde a daigné nous faire une n'est pas sujet au changement, ce qui demeure
telle promesse. En effet, la reconnaissance est, toujours, ce qui est fixe, inunuable. Tels sont
pour les sages, un lien qui les attache plus les yeux de la pensée, continuellement atten-
fortement au devoir que la crainte des châ- tifs au spectacle d'en-haut, éclairés par les di-
timents. vins rayons ; tout ce qui apjtartient à la vie
Ne soyons donc pas ingrats cnr si, même : présente, c'est un songe, une ombre qui ne les
avant (jue nous ayons montré quelque vertu , arrête pas ;
plus de déception possible , plus
ou plutôt, (juand nous avons commis des ac- d'erreur. On voit la richesse , et on s'en rit ;

tions (pii méritent de si rigoureux châtiments. on sait que plus qu'un esclave fugitif,
infidèle
Dieu daigne nous accorder de si grands bien- elle passe d'un maître à un autre, ne demeure
faits lorsque nous aurons prouvé notre recon-
; jamais auprès du même, cause à ceux qui la
naissance lorsque nous lui aurons montré
, possèdent des malheurs sans fin, renversant,
notre gratitude pour ses grâces qui nous pré- précipitant, po>u' ainsi dire, le riche dans l'a-
viennent , (jue nous nous serons transfor- biuie de la malignité ; à l'aspect de la beauté
més, et que nous serons devenus meilleurs, du corps, l'âme n'arrête pas ses regards ; elle
quels honneurs insignes ne nous ménagera- pense à ce qu'il y a d'inconstant dans cette
t-il pas dans sa bienveiliance? Sil nous fait beauté qui sécoule, qu'une maladie soudaine
tant de bien , maigre notre indignité si, ; prive tout à coup de ses charmes, que la vieil-
malgré nos fautes, il nous aime, (juand nous lesse, à défaut de la maladie, transforme en lai-
HOMÉLIES SUR LA GKNt^SE. — VINGT-HUIT H'iME HOMÉIJE. 180

deur et en difformité, à la mort (jui survient l'intempérance de ses désirs tout de suite il a ;

tout à coup, anéantissant tout cot éclat du tenu à montrer la pervers. !(> de son àme.
corps. A l'aspect de la {gloire et de la puissance, Aussi, peu de temps ajuès l'outrage de Cliam
et du superbe parvenu au faîte des dignités, envers celui à (|ui il devait d'ixislcr, le fils de
au faîte de la félici!é sans bornes, les yeux de ce Cham, Chanaan, allait subir la malédiclion.
l'âme sont plus indilférents encore, jjarce qu'il Aussi la divine Ecriture n'attend i)as pour le
n'y a là rien de ferme, rien d'immuable, parce désigner, pour révéler le nom de ce tils en
qu'il n'y a là (jue la vanité qui se glorifie de ce même temps que l'incontinence de son père ;

qui passe plus vite que des eaux courantes. c'est afinqu'en le voyant plus tard manifester
Quoi de plus méprisable (|ue la gloire de celte tant d'ingratitude envers son père vous sa- ,

vie, que cette lierbe des champs Toute la ! chiez bien (jue depuis longtemps c'était un per-
f/loire de l'homme^ dit le Prophète, est comme vers, puisque l'épouvantable catastrophe dont
l'heibc deschamps. (Isaïe xl, 6.) il fut témoin n'a pu l'amender. Quoi Pour 1

Avez-vous bien coni|iris, mesbien-aimés


i. ,
éteindre sa concupiscence ne suffisait-il pas de
quelle pénétration acquièrent les yeux de la foi tant de douleurs 1Eh bien non, rien n'a triom-
dès (jue la pensée reste tendue vers Dieu ? phé de cette flamme impure, de ce délire, ni
Avez-vous bien compris comment nulle des la désolation de l'univers, ni l'excès d'une si
choses visibles ne les peut plus décevoir, affreuse calamité. C lui qui dans un si grand
comme le jugement devient droit et infail- malheur a montré cette folie , ce délire fu-
lible ? Mais s'il vous paraît bon, reprenons la rieux, qui pensait alors à procréer des enfants,
suite de notre discours, et, après ([uelques dites-moi, quelle excuse lui est-il permis d'in-
courtes réflexions, mettons un terme a nos pa- voquer?
roles, afin que vous puissiez graver dans votre Mais ici surgit une autre question ; elle est
mémoire que vous aurez entendu. L'Ecri-
ce fameuse, elle circule partout : d'où vient (juc
ture, ;i|)rès avoir ton t dit au sujt;t du signe divin, pour péché du père, c'est le fils qui subit la
le

veut encore nous donner d'autres enseigne- malédiction ? Nous ne voulons pas aujourd'hui

ments sur ce qui concerne ce juste et ses fds; allonger le discours nous ajournerons l'ex- ;

le texte dit : Noé avait do.ic trois fils qui sorti- plicalion quand nous arriverons au texte au-
;

rent de l'archf, Sem, C/iam et Japhet ; or (luel elle senous vous donne-
rapporte ,

Chom est le père de Chanaan; ce sont là les rons la solution que Dieu nous aura suggérée.
trois fils de Noé , et c'est deux qu'est sortie 11 n'y a rien dans la sainte Ecriture, comme je

totde la race da hommes qui sont sur la terre. vous l'ai dit, on ne peut rien trouver qui ne
(Gen. IX, t8, 19.) 11 est bon de rechercher renferme une secrète pensée. En attendant,
pounpioi la divine Ecrihire, en mentionnant nous avons expliqué que ce n'est pas sans rai-
ces trois fils, ajoute : Or Cliam est le père de son que Moïse a nomme ce fils en disant Or, :

Chanaan. N'allez pascroir ,, je vous en prie, que Cham est le père de Chanaan. Ce sont là, dit-
ceci ail été ajouté sans dessein ; il n'y a rien il, les trois fils de Noé. El c'est d'eux qu'est

dans la dÎNirie lîcrilure qui soit dit sans une sortie toute la race des hommes qui sont sur la
raison quelconque, rien jui ne renferme une terre. Sachons nous arrêter, chemin faisant,
utilité cachée. Pourquoi d «ne l'Ecriture a-l-elle mes bien-aimés, à cet endroit; voyons, ici
dit : Or Chani
est If père de Chanaan ? Elle a même se révéler encore la grandeur de la
,

voulu, par nous marqt.er l'incontinence de


là, puissance de Dieu. C'étaient là, dit le texte, les
ce Cliam, nous indiquer (j le l'horreur du dé- trois fils de Noé et c'est d'eux qu'est sortie
,

sastre universel n'a pu le .etenir; que la place toute la race des hommes qui sont sur la terre.
si étroite qu'ils occupaicl tous dans l'arche Comment, de trois hommes seulement, a pu
n'a pas été un obstacle cai able de réprimer sa sortir une si grande multitude ? Comment
concupiscence, quoi(jue son frère aine n'eût ont-ils pu suffire ? Comment un si petit nom-
pas encore de fds. Ce Cham adonné à l'inconti- bre a-t-il pu constituer le monde tout entier ?
nence, dans le ttmps nu me u une si grande Comment leurs corps se sont-ils con.-ervés? il

colère, au mument mi'n. •


de l'extermination n'y avait ni médecins , ni médecine , ni
universelle qui saisissait le monde , n'a pas aucun soin de ce genre; on n'avait pas en-
domplé sa nature, n'a p usé qu'à un rappro- ville. Apièsunesi grande
core fondé une seule
chement hors de saison, n'a pas su dompter infortune, après cette existence dans l'arche;
400 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

qui les avait amaigris, brisés, parce qu'ils y la doctrine du Christ, illuminant foules les
étaient trop pressés, les voilà dans une soli- âmes. Etrange merveille la Religion a con- !

tude immense, au milieu d'une dévastation veiti même les nations barbares, et leur a en-
inexprimable ; comment n'ont-ils pas suc- seigné la sagesse; rejetant leurs mœurs anti-
combé, comment n'ont-ils pas péri ? Ne croyez- que.'^, elles se sont tournées vers la piété, et, de
vous pas que la frayeur, que la crainte, répon- même que, par ces trois hommes, le Créateur
dez moi, je vous en prie, dût ébranler profon- de l'univers a multiplié la race humaine; de
dément leur pensée, secouer, bouleverser tout même, dans l'ordre delà foi, parle moyen des
leur être ? Ne vous étonnez pas, mes bien- onze, de ces pécheius ignorants et grossiers,
aimés, il y avait un Dieu, Celui qui fait toutes qui n'osaient pas même ouvrir la bouche, il a
cboses, le Dieu Créateur de la nature, il était attiré à soi l'univers; et ces ignorants^ cer- gros-

là qui supprimait tous les obstacles, avec cet siers, ces pécheurs ont ferme la bouche aux
ordre Croissez et muUipl'ez, et remplissez la
: philoso|)hes; comme s'ils eussent eu des ailes,
terre ; c'est lui qui leur a donné l'accroisse- ils ont franchi le monde en un instant, se-

ment. Qnand les Israélites, en Egypte, et tient mant partout la parole de la vérité, arrachant
accablés detravaux,fabrifiuant des briques avec les épines , arrachant les vieilles mœurs
de l'argile, plus on les écrasait, plus ils crois- faisant partout fleurir les lois du Christ ; et, ni
saient de manière à devenir une grande multi- leur petit nombre, ni leur ignorance, leur
tude. (E\ode, i.eiseq.) Et, ni l'ordre imi»iloyab!e grossièreté, ni l'étrange austérité de leur doc-
et cruelde Pbaraon qui commandait de jeter
,
dans
trine, ni les vieilles habitudes incrustées

les enfnnts mâles dans le fleuve, ni les vexa- la race humaine, rien ne leur a fait obstacle ;

tions dont on les tour?nen!ait pour leurs tra- la grâce qui leur frayait les chemins a tout

vaux, ne purent diminuer cette foule qui aplani, a rendu toutes leurs œuvres faciles, et
s'accroissait ,
qui grossissait toujours. C'était les obstacles mêmes ne faisaient que raviver

la volonté d'en-haut, qui sait tirer toutes choses leur courage. Tantôt frappés de verges, ils se
de leurs contraires. retiraient joyeux, non pas simplement parce
5. Donc, lorsque Dieu commande, n'exigez pas qu'on les avait fra|)pés de verges, mais, parce
que les œuvres s'accomplissent par des moyens qu'ils avaient été jugés dignes de souffrir cet
humains; plus puissaat, que la nature, il n'a outrage pour le nom de Jésifs. (Act. v, 4 1 .) Parfois
pas besoin de se servir de la succcs-^ion lente jetésen prison, et puis délivrés par un ange,
des choses de la nature; les obsliicles mêmes ils continuaient U'urœuvre, allaient au temple

favorisent la réalisation de ses desseins. C'est répandre lesjiaiolesde la doctrine. (Ibid. xix).
ainsi que, dans le texte qui nous occupe au- Et, prenant les peuples connue des poissons
jourd'hui , ces trois hommes
suffisent à lui que l'on pêche, ils les amenaient à la piété;
remplir le monde de ces trois
entier. C'est captifs de nou^eau, non-seulement la prison
hommes, dit le texte, qii'est sortie toute la race ne ralentissait pas leur ardeur ^ ils montr.iicut
des hommes qui sont sur la terre. Avez-vous encore plus de liberté au milieu d'un peuple
;

bien com|)ris la puissance de Dieu ? Avez-vous en délire, et qui grinç.tit des dents, ils étaient
bien compris comment mille et mille obsta- là, debout prononç," ml ces paroles
,
Mieux :

cles ne contrarient en rien sa volonté? C'est vaut obéir à Dieu que d'obéir aux hommes.
précisément ce qui est arrive pour l'établisse- (Ihid. XXIX.) Voyez-vous la grandeur de cette li-
ment de la foi en dé|iit de ceux (jui l'atta-
: berté ? V(»ye/.-vous ces pêcheiu's sans lettres,
(juaient, de la puissance et du nombre de ses dédaignant les fureurs des peuples, consentant
ennemis, en dépit des rois, et des tyrans, et à se voir meurtrir, égorger ? Pour vous, mes
des peuples s'insurgeant contre elle, et faisant bien -aimés, gardez-vous, en entendant ces pa-
tout pour éteindie rétincelle de la foi, les roles, d'altrihuer ces vertus aux iiommes;
hommes mêmes (pii voulaient sa perle, ceux rapportez tout à la divine grâce ipii fortifiait
mêmes qui voubiient contrarier ses progrès, leur courage. Il arriva que le bienheureux
ont porté si haut la flamme de la piété, qu'elle Pierre redressa un boiteux qui l'était depuis
a saisi toute la t( rre, la terre habitée, la terre le ventre de sa mère; tous demeuraient dans
sans habitants. Alhz chez les iiulieus, chez les la sliq)eure! l'admiration; il premier à
fut le
Scythes, aux dernières IVoulières du monde, montrer sa sagesse en disant : Pourquoi vous
aux rives de lOcéan, partout vous trouverez étonnez-vous de ceci, comme si c'était par notre
HOMÉLIES SUR LA GENfiSE. - VIXCT-H^ITÎÈ^fE ÎIOAIÉLIE. 101

vertu ou par notre puissance que 7wus euf^siofis vole, il s'élance vers sa patrie. Et de même
fait nui r cher ce boiteux ? Pourquoi, flit-il, êles- que les coureurs de la terre, dans leur élan
vous ainsi dans la stupeur, et comme terrifiés de rapide, ne voient aucun des objets qu'ils ren-
ce qui arrive? Est-ce nous qui avons fait cet ou- contrent quelque nombreux que soient lesac-
,

vrage ? Est-ce par notre vertu proi)re (pu' nous cidc'idsdela route, et (iu'uiii(juementappli(jiiés
l'avons yuéri, que nous Tavons fait marcher? à leur course, ils dépassent facilement tous les
Pourquoi nous regardez-vous ? nous n'avons objets, se hâtant d'atteindreau biil(|ui leur est
rien tait que prèlcr notre langue. Cilui (jui a proposé; ainsi celui qui se hâte d'accomplir la
tout fait, c'est le Si'igniur, c'est le Créateur de course de la vertu, qui brûle de monter de la
la nature, le Dieu d'Abraham, d'Isaae et de terre au ciel laisse au-dessous de lui tous les
,

Jacob, que vous regardez comme des patriar- objets visibles,uniquenient ap|>liqué à sa
ches celui qiie vous avez livré et renonce de-
; course , ne s'arrêtaut jamais, ne se laissant ja-
vant Pilate, qui avait juqé qiCil devait être mais distraire, quoique puissent voir les yeux
renvoyé absious; voilà celui qui a tout fait, de son corps tant qu'il n'est pas parvenu à
,

celui i\\w vous avez renoncé, le Saint et le Juste, gravir jusqu'à la cime. A cet ardent courage ,

Vous avez demaudé qu'où vous ctcc' rddl la les ol)j(;ts terril)lesde la vie présente paraissent
qrdce cTun homme qui était nn meurtrier, et, vils et méprisables; qui porte en soi un tel
r Auteur de la vie, vous V avez condamné; Celui cœur, ne craint ni g'aive, ni précipices, ni dcnîs
qw Dieu a ressuscité d'e)itre les morts, ce dont des bêtes féroces, ni tortures, ni licteurs, ni
îKUiS sommes les témoins c'est par la foi en ,
quoi que ce soit de sinistre, dans la vie pré-
son nom que sa puissance a raffermi cet sente. A la vue des charbons et de la braise
homme que vous voyez et que vous cotmaissez. des sup|)lices, il croit voir des prairies, des jar-
C'est la foi qui vient de lui qui a fait la gué- dins délicieux, et il poursuit sa course; a la
rison parfaite de cet homme en face de vous vue des autres tortures, il ne faiblit pas, Il ne
toits. (Ihid. xin, 16.) recule pas; l'amour des biens à venir a trans-
C. Voyez la pleine liberté, la grnnde et ineffa- formé son âme, c'est par hasard et sans aucune
ble puissance de la grâce descendue d'en-haut, conséijuence qu'il a sur lui ce corps , comme
la plus claire manifestation de la résurrection, on a un manteau, tant il est supéri. ur aux im-
dans le libre langage de et; bienheureux. Quel pressions du corps tant la grâce d'en-haut
,

plus grand miracle pourr; it-on demaniJer ici? faisant la garde autour de son âme , la préserve
L'h-nime faible d'autrefcis, celui qui , avant de toute atteinte la rend insensible aux dou-
,

que Je-us fût mis en croix , n'était pas capable leurs de la chair.
de supporter les UKuaces d'une servante, ré- Aussi, je vous en prie, pour qu'il nous soit fa-
siste aujourd'hui , avec et ^le fermeté (jue ^ou? cile de "^uftporter les labeurs de la vertu, soyons

admirez, à U)ut le peuph de*- Juifs; avec cette remitlis de l'amour de Dieu appli(juons à ,

enliè'C assurance, s» ul, c< lire toute cette mul- Dieu toute notre pensée; que rien,d.ins la vie
titude furii use; et il lui li nt tèh-, et il lui fait présente ne retarde la course qui nous em-
,

enli nire des ()aroles tjui le peuvent qu'exas- poite vers lui; pen-nns, pensons loujours à la
pérer sa fureur. Voyez-vois, mes bien-aimés, jouissance des biens à venir; toutes les dou-
ici encore une nouvell pn^uve de la vétité
, , leurs de la vie présente, supportons-les dans
de ce que j'ai dit en CMUiicn ;aiil? U'iiconcjue la douceur de la résignation; il ne faut pas
est t nd)rasé de l'amour ( ; Dieu méprise dès
, que le mé|)ris des honunes nous atltisle,
lors tout ce qui tombe sms yeux de la
les que l'indigence nous accable que les ma- .

chair; armé d'autres yeu> , des yeux de la foi, ladies ducoi pséner\ent noire àme, que le dé-
il ne voit plus que les biens iuvisibl. s ; il n'a dain, que les outr; ges de la foide ralenli>sent
plus de pensée que pour h s biens invisibles; il notre zèle pour la vertu parlai le secouons ;

va et vient sur la terre . comme s'il n'était toute cette poussière ; faisons-nous une âme
qu'un citoyen du ciel;qu(»i qu'il fasse, aucime généreuse et sublime; montrons toujours et
des choses humaines ne l'arrête dans sa libre partout la vraie force et le vrai courage et ;

course à la poursuite de la vertu. Qui possède conune hier je vous en conjurais, mes frères,
en soi cet amour, n'a plu^ de reganls pour les empressons-nous de nous réconcilier avec nos
splendeurs de la vie présente : diUicultes, aspé- cnneuiis, banni>sons de nos âmes toutes les
rités du cheuun, peu lui importe ; loujours il haines à la concupiscence qui pourrait nous
; ,
i92 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

troubler, sachons nous soustraire ; à la fureur, de tous les vices ; mettons-nous avec ardeur
à la colère qui nous aiguillonnent, à ces tour- à corriger en nous tout ce qui nous égare et
billonnantes tempêtes, opposons le frein de l'en- nous trouble, afin que nous étant montrés-purs
seignement spirituel, la voix de nos cantiques, de tous ces vices, ardents à la pratique des bon-
qui nous montrenttoutce qu'ont de pernicieux nes œuvres, nous puissions, au jour redoutable
les passions humaines. L'/iow^7îe, dit le Sagedans du jugement, mériter la miséricorde du Sei-
ses Proverbes, Y homme sujet à la colère ne pos- gneur, par la grâce pleine de compassion et
,

sède pas V honnêteté ; oWlcnvè encore Celui qui : d'indulgence, du Fils unique de Dieu, à qui
s'irrite contre son frère sera condamné par le appartient, ainsi qu'au Père et au Saint-
jugement aux tourments du feu. (Matlh. v,22.) Esprit, la gloire, l'empire, l'honneur, et main-
Si le désir des richesses envahit noire âme, tenant, et toujours, et dans les siècles des siè-
appliquons-nous à nous sousiraire aux ravages cles. Ainsi soit-il.

de cette passion funeste ; extirpons cette racine

VINGT-NEUVIÈME HOMÉLIE.

K tJoé, a'appliquant à l'agriculture, commença à cultiver la terre, et il olanta une vigne, et il but du vin et fl

8'enivra. > (Gen. IX. 20, 21 .J

ANALYSE.

1. L'Ecrilre ne rapporte pas seulement les bonnes actions des justes mais aussi leurs fautes, et toujours pour nous instruire. Elle
lient en réserve des consolalions pour tontes les douleurs. —
2. Ivresse de Noé, son excuse. 3. La vipne avait été créée en —
même temps que toutes les autres plantes, m;iis ce fui Noé qui le premier découvrit la vertu de son fruit. Il ne faut pas mau-
dire le vin, ce n'est pas lui qui est mauvais, c'est la volonté des tiommes. C'est un grand mal que l'ivresse. 4. Clum outrage —
son père, ne l'imitons pas, ne révélons pas les fautes de nos frères. —
5. Noé reprit ses sens et ai>pnt ce qw! son plus
jeune fils lui avait fait. L'ivresse comparée à un démon volontaire. —
6. Clïani pèche et c'est Clianaan qui est raandil, pour-
quoi ? Noé ne voulait pas maudire celui qui avait déj.i reçu la béuédiction de Dieu ; Cliam ressent la punition qui frappe son
flis plus vivement que celle qui l'aurait frappé lui-même ; Cluinaaii avait prol)al)K'ment aussi péché, et v.iilà pourquoi c'est sur
lui que tombe la malédiction paternelle. — Origine de l'esclava^-'o. — 7.Le Christ a réparé toutes ces malédictions antiques.
à commencer par celle qui avait introduit la mort. Car la mort n'est plus qu'un mot : le mot lui-même a disparu, Nolre-S^ipneur
dit : Lazare dort. La bénédiction donnée \ Scm, annonce la vocali'Ui d'Abraham et des Juifs, la bénédiction de Japhet, celle

des Gentils. —8. Nenirod conquérant, la servitude la plus lourde est celle qui s'élève du seiu de la liberté. Exborlalion.

\. Nous sommes arrivés au terme de nos tus des saints, si elle consigne aussi leurs
entretiens sur cet homme juste ; c'est pouniuoi, fautes, c'est atui (ju'évitant leurs fautes, nous
je vous en prie, soyez atteutits, api)lii|uoz-vous imitions leurs vertus; ce n'est pas tout, la di-
avec soin à écouter lu parole. Ce n'est pas unt> vine Ecritur<î nous montre des justes (jni sou-
mince utilité, un fruit vulgaire, que nous vent succombent, et des pécheurs qui font
offre la lecture d'aujourd'hui. Les événements voir une entière conversion. C'est pour nous
arrivés aux anciens honunes si nous voulons , apprendre, par ces exemples contraires, en
les étudier avec sagesse, sont pour nous l'occa- nous montrant, d'une part les justes qui tom-
sion d'un enseignement très-précieux. Si l'E- bent, à ne pas avoir une confiance superbe,
criture ne s'est pas bornée à raconter les ver- d'autre part à ne pas nous livrer, à cause de nos
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — MNGT-NEL'VIÈME HOMÉLIE. VJ^^

péchés, nu désespoir, puisque nous voyons tant Seigneur, et lui-même te nourrira (Psal. liv, 22),
(le péclieiirs qui n'|)rennent le chemin de la et encore Ne crains point en voyant un
:

\erlu, et parviennent au somniel le plus élevé homme devenu riche, et sa maiso?i comblée 'le
de la vraie sagesse. nloire, parce que, lorsqu'il sera mort, il nOn-
C'est pounpioi, je vous en prie, qu'aucun ]:orlcra point tous ces biens. (Psal. xlvmi, 17,
de vous, quelle que soit la conscicncj; qu'il ait 18) En voici un autre encore ses ennemis :

de ses bonnes œuvres, ne s'abandonne à un l'entourent de pièges les calomnies le poursui-


;

excès de confiance qu'il rc?te toujours sur ses


;
vent, et il est dans la douleur; et il pense que
gardes qu'il écoute le bienheureux Paul Que
;
: la vie est amère, et nulle part il ne peut trou-
celui qui croit être ferme prenne bien garde ver de secours parmi les hommes; cetinfor-
à ne pan tomber (I Cor. x, 12.) De son côté,
. tuné apprend du môme bienheureux prophète
que celui qui est tombé, au fond même de que, dans de telles angoisses, ce n'est pas au-
l'abime de la malignité, ne désespère pas de près de l'homme qu'il faut chercher son refuge;
son salut, mais conïi'îère l'ineffable miséri- il entend la même voix lui dire : Ils me déchi-
corde de Dieu qu'il écoute, lui aussi, ce que
;
raient; pour moi, je priais. (Psal. cvni. A.)
dit le Seigneur par la bouclie du prophète : Voyez- vous oii il cherche son secours? les
Quand on tombé, ne se relève-t-on pas? et^
est autres, dit-il, ourdissent leur tissu de ruses, de .

quand on s^est détourné du droit chemin, ny calomnies et de machinations perfides, mais


revient-on plut? Et ailleurs : Je ne veux pas moi, je me réfugie auprès du mur inexpugna-
la mort du pécheur, mais quil se convertisse ble, vers l'ancre de sûreté, vers le port où les

et qu'il vive. (Ezéch. xvni, 23.) Avez-vous bien Ilots sont tranquilles ; c'est-à-dire, j'ai recours
compris, mes bien-aimcs, que la divine Ecri- à la prière qui supprime pour moi toutes les
ture noffre rien ù notre mémoire qui ne soit afflictions, rend tout facile et léger. Un
qui me
pour notre avantage, pour le salut de la race autre est dédaigné, méprisé par ses anciens
des hommes? Que chacun de nous donc mé- serviteurs, abandonné par ses amis, et c'est là
dite ces choses dans son cœur, et applique à ce qui le trouble surtout et confond le plus ses
ses blessures les remèdes convenables. Voilà pensées; que celui-là, s'il veut, vienne ici, il
pourquoi TEcriture offre à tous l'abondance entendra la parole du bienheureux Mes amis :

de ses leçons. Il suffit à chacun de nous de et mes proches se sont élevés et déclarés contre
vouloir pour y trouver le remède aux maux tnoi, et ceux qui étalent près de moi s'en sont
de notre àmc, pour recouvrer promptcment la tenus éloignés, et ils me faisaient violence,
santé; il suffit de ne pas repousser cette méde- parce qu'ils cherchaient à m'ôter la vie, et ceux
cine efficace, de l'exercer avec sagesse; il n'est qui cherchaient à m' accabler de matix, tenaient
pour Ihonuue ni maladie du corps, ni maladie des discours pleins de vanité et de mensonge
de lame qui ne puisse y trouver sa guérison. durant tout le jour. (Psal. xxxvu, 11, 12.)
Comment cela? répondez-moi, je vous en prie. Voyez-vous les trames perfides, continuant
Qucl(|u'un se présente ici chargé d'ennuis, jusqu'à ce qu'elles aient donné la mort? Voyez-
accablé de l'inquiétude dos affaires; le chagrin vous la guerre sans relâche, ce qu'indi(|uc
lerouge; eh bieni l'homme qui est venu ici, celte expression, Durant tout le jour, ce (jui
dans ces dispositions, aussitôt qu'il entend la veut dire pendant toule la vie? Eh bien! au
parole du prophète Pourquoi, mon âme, ctes-
: milieu de ces intrigues, de ces machinations,
vous triste, et pourquoi me troublez-vous ? que faisait-il? Pour moi, (\\i-\\, j'étais comme
Espérez en Dieu parce que je dois encore le sourd, ne les écoutant point; j'étais comme
louer; il est le salut de mon visaqe, et mon muet, n'ouvrant pas la bouche ; j'étais comme.
Dieu (P?al. vi, 7); le voilà réconforté d'une un homme qui n'entend point et qui n'a rien
consolation qui lui suffit, et il s'en va, et il dans la bouche pour répliquer. (Psal. xxxvu,
secoue toule cette tristesse. Eu voici un autre 14, !•>.) Comprenez-vous l'excellence de la sa-
qui souffre dune extrême indigence, en est
il gesse? la diversité des moyens qui lui ont
accablé, il s'afflige à voir les richesses abonder assuré la victoire ? Les autres tramaient
chez les autres, à von* kur orgueil superbe, leurs ruses, il se bouchait les ouilles pour ue
l'étalage, le pompe qui les
grand api)areil^ la pas entendre; les autres peud.mt toute la du-
escorte cet homme entend la voix du môme
; rée au temps, aiguisaient leur langue et no
prophète Jette tous les soucis dans le sein du
: iaiSdieui entendre que vanités, mensonges et

S. J. Cn. — Tome V. i3
194 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

tromperies; mais lui, par son silence, répri- pour vous? N'est-ce pas une chose absurde que
mait leur délire. D'où conduite du
\ierit celte ceux qui se rendent aux marchés ordinaires
sage? D'oii vient qu'en présence de ces atta- des hommes, s'inquiètent, avant de retourner
ques, il est comme sourd, comme muet, sans chez eux, d'acheter tout ce qui leur est néces-
oreille?, sans langue? Enfendez-le lui-même saire de rapporter du marché, qu'ils fassent

nous donnanlla cause d'une sages?e si grande : leurs proviions ,


quoiqu'il y ait pour cela
Car c'est en vous, Seignein\ que j'ai mis mon beaucoup d'arg-nt à dépenser, et que ceux qui
espérance. (Ibid. 16.) Car c'est à vous que je me viennent ici, à ce marché spirituel, ne mon-
suis, dit-il, susitendu par l'espérance, et je ne trent pas tout leur zèle à se procurer ce qui est
m'inijuièto pas de co qu'ils font, car votre se- utile, à le mettre en réserve dans 1 ur àrne
cours pour toutdissiper, pour rendre inu-
suffit avant de s'en retrurner; et cela, quand il nVst
tiles leurs machinations et leurs intrigues, pour ici besoin d'au' une dépense d'argent, quand il

empêcher que, de tout ce qu'ils méditent, rien suffit de la bonne volonté


et de l'atiention ? Ne

ne soit exécuté. le cédon<: pas ceux qui se rend -nt aux mar-

2. Vous avez vu comment, quel que soit le chés du monde; soyons attentifs, appliqués,
malheur qui saisisse la nature humaine, on v'giîants; avant de partir f.iisons nos provi-
peut tirer des Ecriluresun remède conven;ble, sions de route, non-seulement de telle sorte

y trouver ce qui dissipe toutes les tristesses, co qu'elles nous suffisent, mais de manière à
qui allège le poids de tous les chagrins. C'est pouvoir aussi les p;iirtager avec les autres, de
pourquoi, je vous en prie, venez souvent au- manière <à rendre meilleurs, et notre femme,
près de nous; a|ipli(juez tous vos soins à la lec- et nos servit' ur?. et notre voisin, et notre ami,

ture de lEcriturc sainte, non-seuU ment qunnd disons mieux, et notre ennemi. Voila, enellet,
vous vous rassemblez auprès de nous, mais ce que sont les dogmes sfiiriluels ils sont faits ;

aussi quand vous êtes dans vos demeures; pour être proposés à tous sans distinction la ;

prenez entre vos mains les divins livres, ap- seule distinction c'est lapplication de resftrit,
pliquez-vous à recueillir tous les fruits que ferveur du désir qui fait que l'un se
c'est la

vous y trouverez mis i-our vous en réserve. montre su[)érieur à l'autre. Eh bien! donc,
Cette lecture présente des avantages précieux; puiscpiil y a un si pn cieux avantage à re-
d'abord la lecture délie la langue
, ensuite ; cueillir de noire doctrine, allons, exposons la
l'àme s'excite, elle s'élève à la lumière du So- lecture de ce jour, et sachons en recueillir le
leil de la justice, elle s'illumine, elle s'affran- fruit que nous reuqiorterons chtz nous.
chit alors des séductions d'une pensée impure, Noé s'applirpimt à i'og'f'cuffure comturnça,
elle jouit de la plénitude de du repos et dit le texte, à Ifb'iunr ef à cnltiver lo terre, et
la tranquillité. La nourriture matérielle aug- il plont't une vigne, et il but du vin. et il s'etii-
mente les forces du corps; la leclun; augmente vra. (Cen. ix, 20, 21.) Voyez de quelle grande
les forces de l'âme ; aliment s|>iritu»l (jui utilité pour nous est le simple commenceinent
doime du nerf à la raison, de la vigueur à de cette lecture. En effet, (|uand nous entcn-
l'àme, qui lui communique la constance de la sa- doo'^ dire que cet homme juste , (jue cet
gesse ;
qui ne permet pas qu'elle devienne la honune qui a reçu d'en-liaut un si
parfait
proie de [)assions insensées; (jui la rend légère, grand lémoigtingo, a bu et s'est enivré, com-
lui met des ailes, la transiorte pour ain^i dire ment nous, (jui sonunes plongésdans un abîme

au ciel. Donc je vous en prie, considérons cette de péchés si divers, ne ferions-notis pas désor-
utilité si grande; ne nous en privons pus par mais tous nos elToit< pour éviter le fléau de
notre négligence même dans nos demeures,
; l'ivresse? Il est toutolois à remarquer (jne la
livrons-nous à la lecture de l'Ecriture s;iinte, fante n'est pas égale entre ce juste surpris, et
et (juand nous sommes ici rassemblés, ne per- nous qui tombons dans le même vice. Il y a en
dons pas temps à des bagatclhs, à d'inutiles
le etict bien des circonstances pour excuser cet
entictions p»iis(|ue nous sonunes venus pour hiMume ce <|ue je dis non pour excuser
juste ;

enlcndre la jiantle, appli(|uons-y notre atten- mais pour montrer que, si ce juste a
l'ivresse,
tion pour en ncuvillir ce fruit pn cieux que succombé, ce n'est pas par intempéranc»', mais
nous rrinporterons clu-z ncms. Vous êtes v» nus parce (jne rexpiMieuce lui lais.ulder.iut. L Kcri-
ici, cl vous vous livr- z à des conversations in- ture en ctlet ne dit pas >impleiiicnl qu il but
tempestives et inutiles, à quoi bon? Quel profit du viu jusqu'à s'enivrer, mais elle ajoute des
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — VINGT-NEUVIÈME HOMÉLIE. <95

circonstances qui sont lexplicalioii et l'ex- Christ m'eût fait servir moi-jnême de victime
cuse de sa conduite : Noé s'appliquant à soumise à Vanathème pour mes frères qui ,

V agriculture, commença à labourer et à cul- sont d'un même sang que moi selon la chair.
tiver la terre, et il planta une vigne, et il but (Rom. IX, 3.)
du vin, et il s'enivra. Co mot, commença, 3. Vous voyez comment tous ces justes mon-

montre qu'il fut le premier qui but du vin, et, traient des sentiments de commisération [)ro-
faute d'expérience, parce qu'il ne savait pas la fonde pour le prochain. Considérez maintenant
mesure, il tomba dans l'ivresse. Et ce n'est pas ce que devait éprouver cet honmie juste; de
là la seule cause, mais il était fort triste : il quel sentiment il devait être agile; de quelle
cherchait dans le vin une consolation, suivant tristesse il devait être abattu à l'aspect de celte
la parole du Sage : Donnez à ceux qui sont immense solitude; de cette terre auparavant
dans la tristesse une liqueur qui les enivre, et enrichie de plantes si diverses, ornée de fleurs,

du à ceux qui sont da)is la douleur. (Prov.


viïi et tout à coup perdant sa chevelure de feuil-
XXXI, 6.) Le Sage montre par là qu'il n'y a pas, En proie a une
lage, dépouillée, nue, déserte.
dans la tristesse, de remède égal au vin, pourvu morne douleur, cherchant une petite consola-
que l'intempérance n'en compromette pas l'u- tion pour lui, il ^e mit à cultiver la terre, et,

tilité. Or dans quelle morne tristesse n'était de là, ce que dit l'Ecriture : Noé s' appliquant
pas plongé ce juste qui se voyait au milieu à Vagricidture, commença à labourer et à cul-
d'une si grande solitude , qui avait sous les tiver la terre, et il planta une vigne.
yeux les cadavres de tant d'hommes, cette sé- Mais il convient ici de se demander si c'est
pulture commune aux hommes et aux ani- Noé à cette époque qui trouva ou si, la vigne,
maux! C'est riiabitude des propliëlesetde tous auparavant, dès le commencement du monde,
les justes de s'aftligcr, non-seuleiueiit surlesoit elle existait. Il est vraisemblable qu'elle exis-
de leurs proches, mais sur tous les autres hom- tait au[)aravant, dès le commencement, qu'elle
mes. Qui voudra les passer en revuC, trouvera avait été créée dans les six jours, quand Dieu
qu'ils ont tous montré cette commisération; vit que toutes les choses qu'il avait faites étaient
enlendra Isaïe s'tcriant : Ne vous mettez point très-bonnes. (Gen. i, 3\.)Ilse repose, en eflèt, dit
en peine de me consoler sur la ruine de la fdle l'Ecriture, le septième jour, après avoir achevé
de mon peuple. ( Isaïe , xxii , 4. ) Jérémie à tousses ouvrages. (Gen. ii, 2.) Toutefois l'usage
son tour Qui donnera de Veau à ma tète, et à
: de la vigne n'était pas connu ; car, si on l'avait

mes yeux une fontaine de larmes? (Jércm. comm dès lecommencement, il est certain qu'xV-

IX, 1.) Ezéchiel maintenant Uélas , hélas! : bel, dans ses sacrifices, aurait fait aussi <les liba-
Seigneur Dieu, perdrez-vous donc tout ce qui tions de vin. Mais comme les premiers hommes
reste d'Israël? (Ezéchiel, ix, 8.) Et Daniel se la- ignoraient l'usage de cette plante, ils ne s'en
mentant et disant Vous nous avez diminués
: serNirent pas. Noé, au contraire, applique à
plus que toutes les autres nations. (Daniel, l'agi iiulture , honmie très-aclif et très-diligent,
vil.) Et Amos Seigneur: Dieu, faites-leur mi- arriva, par hasard, à en goûter le fruit, écrasa
séricorde. (Amos, VII, 3.) Et Habacuc Pour-: les grappes, fildu vintti,n but. Et comme c'était

quoi me réduisez-ious à ne voir que des la première fois qu'il en goûtait lui-même
violences et des injustices ? et encore Trai- : comme il ne connaissait personne qui en eût
terez-vous les hommes comme les poissons de goûté avant lui, comme il n'avait rien pour lui
la mer? (Habacuc, i, 3, 14.) Il enlendra aussi indicjucr et la mesure et Tiisage, par suite de
ce bienheureux Moïse, disant : Je vous conjure cette ignorance il tomba
, dans l'ivresse. En
de leur pardonner cette faute, ou si vous ne le outre, quand l'habitude de manger de la chair
faites pas, effacez-moi de votre livre (Exode ,
se fut introduite parmi les hommes, l'usage du

xxxii, 3iî) et ailleurs


;
Quand Dieu lui eut :
vin fut aussi une habitude. Considérez main-
promis de le mettre à la tète d'un plus grand tenant, mes bien-aimés, comment, peu à peu,
peuple, après lui avoir dit : Ijiissez-moi faire, le monde s'organise comment chaque homme, ;

selon la sagesse que Dieu lui communi(iue, de-


f exterminerai ces hommes, et je vous rendrai
le clief d'un grand peuple. (Ibid. 10.) Moïse ne vient, dans ces commencements , l'invenleui*

le voulut pas il préféra rester à la tète de ces


;
d'un art. C'est ainsi que les arts ont été intro-
Juifs; de me me le bienheureux Paul, ce duits dans le monde : le premier iu\tniii i a-

docteur des iialioiJS : J'eusse désiré que Jésus- gikulluro; le second, l'art pastoral; uu auuo,
190 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

l'art d'élever le gros bétail ; un autre, la mu- considérant sa honte, rougissent et sont cou-
sique; un autre, l'industrie de l'airain ;
quant verts de confusion ; ses ennemis, au contraire,
àce juste dont nous parlons, il trouva, grâce se réjouissent et se rient de lui, et le chargent
à la sagesse communiquée d'en-haut, l'art de d'opprobres , et s'écrient : Faut-il donc voir
cultiver la vigne. Noé, dit le texte, s'appliquant vivre, faut-il donc voir respirer cette brute,

à l'agriculture, commença à labourer et à cul- ce porc ! et ils se servent d'expressions plus

tiver la terre, et il planta une vigne, et il but honteu>^es encore. C'est que ceux que frappe
du vin, et il s enivra. Méditez sur ce remède à l'ivressi? sont plus hideux à voir que ceux qui
"a tristesse sur ce moyem de guérison, qui,
, reviennent des combats, les mains souillées
parce que l'ignorance a dépassé la mesure, de sang, ou qu'on rr.pporte chez eux, en tu-
non-seulement n'est d'aucune utilité, mais de- multe; ceux-là, il peut se faire qu'on les vante
vient funeste et indispose. à cause des tîophées, des victoires, des bles-
Mais peut-être dira-t-on pourquoi une plante
: sures, des membres mutilés; mais pour ceux
si fertile en vices et en malheurs, a-t-elle été qu'on voit ivres, on les appelle des misérables,
produite? N'exprimez pas ainsi, ô hommes, sans on les accable d'imprécations. Qu'y a-t-il en
rélléchir, toutes les pensées qui vous viennent. efi'ct de plus misérable i\m celui qu'enchaîne

Ce n'est pas la plante qui estmauvaise, ce n'est l'ivresse; qui, chaque jour, se plonge dans le

pas le vin qui est vicieux, mais l'abus qu'on en vin, et corrompt sa pensée et son jugement?
lait parce que ce n'est pas le vin qui produit
,
De là, le conseil que donnait le Sage: Le prin-
les fautes, les crimes, c'est la dépravation de la cipal, dans la vie de l'homme, c'e.^t le pain et

volonté; le vin nous est utile c'est linlcmpé- :


l'eau, et le vêtement, et une mai<on qui cache

rance qui le rend funeste. Si l'Eci ilure ne vous sa honte. (Eccli,xxix, 28.) C'est afin que
montre le vin en usage qu'.ipiès le déluge, celui que l'ivresse possède ne soit pas x[>osé .

c'est pour vous apprendre que, même avant en public, mais caché par les siens; c est afin
l'usage du \in, les hoiames étaient tombés qu'il ne soit pas le honteux objet de la risée de
dans les dérèglements, dans les excès de la tous. Noé s'appliquant à l'ariricvlture, com-
licence; qu'ils avai^'ut montré leur perversité mença, dit le texte, à labourer et à cultiver la
dans un temps où le vin était inconnu; c'est terre, et il planta une vigne, et il but du vin,
alîn que, quand vous verrez le vin en usiige^ et il s^enivra.
vous n'alliez pas attribuer toutes nos fautes au A. Le mot d'ivresse, mes bien-aimés, dans la
vin, mais à la volonté corrompue, qui se per- sainte Ecriture, ne signifie pas partout ce que
vertit d'elle-mèn)e. Faites d'ailleurs une autre nous entendons par ce mot; dans nos saints
réflexion qui prouve l'utilité du vin, ctsojez Livres, ce mot exprime aussi la satiété; peut-
saisis d'une sainte horreur, ô hommes! le vin être donc aurait-on raison de dire, à propos de
est la substance qui sert à opérer le salut des ce juste, qu'il ne counnit i)a< un excès, qu'il
bons, c'est ce que n'ignorent point les initiés à ne s'enivra pas; seulement qu il prit du vin de
nos mystères. Noés'appli quant à l'agriculture, manière à se rassasier. Ecoutez en eflet, là ,

dit le texte, commença à labourer et à cuUivcr parole de David : Ils s'enivreront de l'abon-
la terre, et il planta une vigne, et il but du dance de votre maison ^Psal. xxxv, 9), c'est-à-
vin, et il s'enivra. dire, ils seront rassasiés. D'ailleurs, ceux qui

C'est un mal redoutable, mes bien-aimés; s'abandonnent à l'ivresse n'en ont jamais assez;
oui, un mal re<4outable que l'ivresse, qui pro- plus ils absorbent de vin, plus ils sont altérés;
duit l'aveuglement, (pii engloutit ia raison. ce vin est comme un feu (jui les embrase ; le
De cet homme (loué de raison, de cet homme plaisir disparaît; mais une soif impossible à
qui a reçu l'empire sur toutes les créatures, élancher les précipite dans le goutTre de l'i-
elle fait un enchaîné d'indissolubles
cnpiif, vresse y retient captifs. Et il planta, dit
«|ui les
liens, un UKirt (|ue rien ne réveille; eUe en le texte, une vigne, et il but du vin, et il s'em-
fait (|uel(|ue chose de pire (^j'un mort. L mort • vra ; et il était nu dans sa tente. Considérez
n'a d'énergie ni pour le bien, ni pour le mal; que cela ne lui est pas arrivé dehors, mais dans
mais rhomine ivre, sans énergie |)our le bien, sa tente ; la divine Ecriture a mis dans ,

na (jue plus d'énergie pom- le mal; et sa tente, afin i]ue la suite vous montre
le M ila ridicule aux yeux de sa fennue, et l'affreuse malignité de celui qui osa révé-
de ses enfants, et de ses serviteurs. Ses anu» ler cet état de nudité, Cha/n, dit le texte,
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. - VINGT-NEUVIÈME HOMÉLIE. 497

père de Chanaan, vit la 7iudité de son père et de nous les mœurs de l'autre! car, si co mé-
il sortit, et il l'annonça à ses deux frères^ de- chant qui a révélé la niulilé d'un c()rp>, s'est
hors. Poiit-ôtre , si d'auties hommes sVtaiont jeté sous le coup de la malédiction, est déchu
trouvés là, il leur lahonle
aiii ail annoncé aii^isi de l'honneur (|ui l'égalait à ses frères, a été
de son père; telle était la perversité de ce fils. condamné à les servir, quoiijue ce ne soit pas
C'est pour vous ap|)!cn(lic qu'il était corrompu lui,mais tous les rlescendants s rtisde lui, qui
depuis longtemps, (jue rKcrilure ne se borne sont devenus (les esclaves, (jucl châtiment ne
pas à dire Cliam vit la nudité de son père;
: subiront pas ceux qui révèlent les péchés de
mais (jue dit-elle? Et Cfiam, père de Chanaan^ leurs frères (|ui, loin de les couvrir, de les
;

vit. Pounjuoi dites-moi , dans ce passage ,


, excuser, les exposent au grand jour, cl so ren-
nomme-t-elle son fils? C'est pour nous appren- dent par là coupables de péchés sans nombre?
dre qu'avec la inême intempérance, la même Quand vous divulguez la faute d'un irère, non-
incontinence qui l'avait porté, à l'heure de seulement vous le rendez plus éhonté, et vous
l'épouvantable bouleversement du monde, à refroidissez pcut-ètic le zèle qui l'aurait porté à
procréer sa postérité, il courut faire outrage à rentrer dans la vertu, mais vous rendez ceux
son père : et il sortit, dit le texte, et il l'an- qui vous écoutent plus indolents et plus lâches;
nonça à ses deux frères^ dehors. Voyez, ici, je et ce n'est pas tout vous êtes cause que Dieu
:

vous en prie, mes bien -aimés, considérez que est blasphémé. Or, quel est le supplice réservé

les vicesne sont pas dans notre nature, mais à ceux qui provoquent les blasplicmes? C'est
dans notre pensée libre, dans notre volonté. ce que nul n'ignore. Donc, loin de nous, je
En efl'ct, ces trois frères avaient même père vous en conjure, les mœurs de Cham; imitons,
étaient sortis des mêmes flancs ; les mêmes au contraire, l'honnêteté, la pudeur des fils
soins avaient entouré leur éducation , mais ils qui recouvrirent la nudité de leur père ; fai-

ne montièrent pas le même cœur; celui-ci sons de même, couvrons les fautes de nos frè-
tomba dans le péché les autres rendirent , res, non pour encourager, par notre conduite,
à leur père l'honneur qui lui était dû. Peut- leur indolence, mais pour leur méjiager les
être ce Cham exagéra-t il par ses railleries la meilleurs moyens de s'affranchir promptement
honte de son en la réNélant; il n'entindit
|icre, de leurs vices funestes, et de rentrer dans la
pas la parole du Sage Ne vous glorifiez fias de
: vertu. De même qu'il est plus facile de revenir
la honte de votre père. (Ecclés. ni, 12.) Mais à résipiscence quand on n'a pas un grand nom-
ses frères ne se conduisirent pas de même et ;
bre de témoins de ses fautes, de même celui
conunent? Quand ils eurent entendu ces pa- dont le front a rougi, qui sait que ses actions
roles, Sem et Japhet, ayant étendu un man- mauvaises sont connues de tout le monde, ne
teau sur leurs épaules, tnarchèrent en arrière renonce pas facilement à ses vices; il est comme
et couvrirent la nudité de leur père, et ils ne dé- dans une vase profonde, où il se précipite em-
tournèrent pas leur visage, et ils ne virent pas porté par des courants qu'il lui est difficile de
la nudité de leur père. Voyez-vous l'honnêteté surmonter; et ne pouvant revenir à la surface
de ces deux Ce que l'autre a divulgué,
fils? il se désespère, et il abandonne tout espoir,
ceux-ci n'osent pas même le regarder ils mar- ;
de ressaisir le rivage.
chaient en arrière, pour couvrir tout de suite 5. C't si pourquoi, je vous en prie, ne publions
la nudité de leur père. Voyez, en même temps, pas les fautes du piochain. Si on vient à nous
avec leur honnôtelé, leur douceur! ils ne gron- lesapprendre, ne nous empressons pas d'aller
dent pas, ils ne batlent pas leur frère; mais, à voir cette nudité; faisons comme ces vertueux
peine l'onl-ils entendu, qu'ils prennent le soin, fils, recouvrons de nos exhortations, de nos
tous les deux à la de corriger ce qu'ils
fois, conseils, abritons d'une ombre prolectrice, et
regrettent, et de prouver leur respjct à leur hâtons- nous de relever l'âme qui est tombée;
père et ils ne détournèrent pas hur visage, et
:
en-eignons-lui grandeur de la divine misé-
la
ils ne virent pas la nudité de leur père. C'est ricoide, l'excès de lasuprême bonté, afin d'ob-
une preuve du profond respect de ces fils, (lue tenir nous mêmes, plus encore que ces pieux
l'Ecriture nous fait voir; non-.<eulement ils jeuneo gens, la bénédiction du Seigneur, du
recouvrent, mais ils n'osent pas regarder. Ins- Dieu qui a fait toutes chosis, qui veut que tous
truisons-nous, par cet exemple, et sachons en les hommes soient sauvés et qu'ils viennent à ,

tirer une double utilité. Imitons les uns; loin la connaissance de la vérité (I Tim. ii, 4) ;
qui
!98 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME,

ne veut pns la mort du pécheur, mnis qu'il se preuve certaine qu'il pécha faute de savoir, et

convertisse et quil vive. (Kzécli xviii, 23.) Et, non par indolence. En effet, s'il fallait attribuer
ne virent pas la nudité de leur
dit le texte, ils sa faute à la négligence, il se serait plus tard
père. Voyez comme la loi nalurellelcura suffi, laissé surprendre de nouveau par la même
tout d'abord^ dès le commencement, pour ac- passion; mais c'est ce qui n'est pas arrivé. S'il
complir les pres(ri{)tions consignées plus tard se fût rendu coupable de la même faute, une
dans la législation écrite pour l'enseignement seconde fois, l'Ecriture ne l'aurait point passé
de la race humaine; pour accum|)lir cette [)res- sous silence, elle nous l'aurait fait connaître ;

cription de la lui Honorez voire père et votre


: car l'Ecriture n'a qu'une pensée, n'a qu'un
mère, afin que vous soyez heureux (Exoile xx, but, c'est de nous apprendre tout ce qui est
42) ; et Celui qui aura maudit son père ou sa
: arrivé, afin que nous connaissions la vérité.
mère, sera puni de mort. (Ibid. xxi, 17.) On ne la voit pas, par un sentiment d'envie,
Voyez-vous que la loi naturelle a tout d'abord négliger les vertus des justes, ni avec une com-
été suffisante ? plaisance partiale, couvrir d'une ombre les
6. Noé reprit ses sens, dit le texte, après cet fautes des pécheurs; elle expose tout devant
assoupissement causé par le vin, et apprit tout nos yeux, afin que nous ayons une règîc, une
ce que lui avait fait son plus jeune fils. (Gen. doctrine; afin que, nous aussi, quand nous
IX, 2i.) Noé reprit ses sens, dit le texte; qu'ils nous serons laissé surprendre par suite de ,

entendent ces paroles, ceux qui passent les notre négligence, nous devenions plus cir-
jours entiers dans les fe?lins; qu'ils considèrent conspects, de manière à éviter les rechutes.
la graviié de leur faute; qu'ils apprennent à Car le péché n'est pas aussi grave que la per
échapper à la pernicieuse ivresse. Noé reprit sistance dans le péché. C'est pourquoi, ne vous
ses sens, dit le texte. Qu'est-ce à dire? C'est bornez pas à remarquer que ce juste s'est eni-
l'expression que nous employons d'ordinaire vré, remarquez avant tout que, plus tard, il ne
quand ceux qui étaient dans le délire revien- lui arriva rien de semblable. Considérez ceux
nent à eux. Noé, après avoir été surpris par le qui, chaque jour, dépensent leur vie dans les
démon, reprit ses sens, et s'affranchit de sa cabarets; qui, chaque jour, pour ainsi dire, y
tyrannie, c'est ce que dit ici l'Ecriture; car, meurent; quand ils reprennent leurs sens, ce
sachons-le bien, l'ivresse est un démon volon- n'est pas pour eux une raison de fuir le fléau
taire, qui obscurcit l'àme de ténèbres plus de l'ivresse, ils y retournent, comme à une oc-
épaisses que ne le fait lerenddémon, et (jui cupation qu'ils continuent avec un courage
son captif indigne de toute pilié. Souvent, en viril.Il faut considéier encore que ce juste,

effet, à la vue d'un démoniaque, nous sonunes qui d'ailleurs ne s'est enivré que faute d'expé-
saisis de pilié, de compassion; nous aimons rience, parce qu'il ignorait la mesure ; c'était,

à lui montrer combien nous plaignons son après tout, un juste, riche en bonnes œuvres,
malheur; nous n'ai^issons pas de même avec qui pouvait par conséquent couvrir et ra-
ceux que nous voyons ivres; ils provoquent cheter l'accident de celle faute ; mais nous,
notre indignation, noire dégoût, qui les re- qui subissons les ravages de tant d'autres
pousse nous les chargeons d'imprécalions.
; passions , si nous ajoutons l'ivresse à tous
Quelle en est la cause, pourquoi? c'est que le nos excès, quelle seia notre excuse? Qui dai-
démoniaque fait ce qu'il ne veut pas faire, et gnera, répondez-moi, je vous en prie, nous
il a beau se démener, déchirer ses vèlemenls, pardonner, à nous, que ne corrige aucune ex-
prononcer des paroles hont(;uses, on lui par- périence? Noé reprit ses sens, ilit le texte, a^jrès
donne quant à l'honune ivre, (luoicju'il fasse,
; cet assoupissement cause par le vin, et apprit
on ne l'excuse pas serviteurs, amis, voisins,
: tout ce que lui avait fait son plus jeune fils.

tous l'accablent de reproches; c'est qu'il se D'où l'apprilil ? S;ins doute, ce furent les frères
livre, de lui-même, vulonlairement, à celte non pom' accuser leur frère, mais
(jui le ilireul,
ignominie; c'est qu'il s'abandonne, parce qu'il pour apprendre la chose connue elle s'était
se trahit lui-même, à la tyrannie de l'ivresse. passée, afin que le coupable revùl le remède
Et ce que je dis, ce n'est pas pour accuser cet (jue réel.iuiail sa blessuie. Et il apjjrit, dit le
liunnne juste. Grand noinbie de cireonslances texte, tout ce q< e lui avait fait Sun plus jtU)i£
se réunissa.ent pour atîénuer sa faute : et d'a- fils. Qu'est-ce a dire, tout ce que lui avait fait ?
bord, on ne l'y a pas vu relombir depuis, Cela veut dire une faute si grave qu'elle ne se
HOiMÉLIES SUR LA GENÈSE. — VINGT-NEUVIÈV.È H(1\!|':ME. UiO

peut supporter. Remar(|uez, en effet, comment, trefois donnée. Dieu bnu't, dit l'Ecriture, .V .y/

dans l'intérieur de la maison, voyant unecliose quand il sortit de V arche , et ses fils avec lui.
honteuse, tandis qu'il aurait dû la cacher, il (Gen IX, I.) Donc Noé ne voulut pas niaunire

sort, il rébniile, il expose aux railleries, aux celui que Dieu avait une fois bcni; il ne s'ar-
moqueries, son père, autant que cela dépen- rête donc pas à celui qui lui a fait l'outrage,
dait de lui comme il veut rendre ses frères
;
c'estsur le fils de Cham qu'il fait reloiubcr la
les complices de sa détestable pensée. S'il de- malédiction. Soit, dira-ton, cela montre (pic
vait, à toute force, faire un récit, il aurait dû, Cham n'a pas été maudit, parce qu'il avait reçu
au moins, les appeler à l'intérieur, leur parler auparavant la bénédiction de Dieu. iMais pour-
en secret de cette nudité; mais non il sort, il : quoi, quand c'est Cham qui a péché, esl-ce
révèle cette nudlti', et, s'il s'était rencontré là Chanaan qui est puni? Eli bien! cela même
une foule d'élranj^ers, il les aurait, eux aussi, n'a pas été fait sans raison; car le père n'a jtas
rendus les témoins de la honte de son père. subi un moindre châtiment que son fils, et il

De là, ces paroles du texte : Tout ce que lui a senti toute rigueur du châtiment. Vous
la

avait fait, c'est-à-dire l'outrage qu'il avait fait n'ignorez pas, en effet, vous savez parlaitemeut
à son père, l'oubli (ju'il avait montré du res- combien de fis les pères ont demande d'être
pect (]iie les enfants doivent à leurs parents. Il punis, eux mêmes, à la place de leurs fils. 11 est
a di\ulj:ué les fautes, il a voulu associer ses plus triste pour eux de voir leurs fils soumis au
frères à cet outrage. Jo?/; ce que lui avait fait châtiment, que de le subir eux-mêmes. Voici
son plus jeune fils. Toutefois, ce n'était pas le donc ce qui est arrivé; c'est que, par suite de
plus jeune, car il était le second, l'aîné de Ja- l'ainour naturel que Cham éprouvait pour
phet; mais quoi qu'il fût l'aîné pour Japhet, son fils, il a senti une douleur plus cruelle ;

la corruption de son àme le mit après lui; la c'est que bénédiction de Dieu est restée in-
la
pétulance de ses passions le fit déchoir; pour tacte, et que le fils, qui a reçu la malédiction,
n'avoir pas voulu se tenir dans les bornes pres- a expié par là ses propres péchés. Car, bien qu'il
crites, il perdit llionueur qu'il devait à la na- encoure actuellement la malédiction pour ie
ture; et, de même que ce méchant, par la péché de son père, encore est-il vraisemblable
corruption de sa volonté, perdit ce qu'il tenait que c'esten même temps pour ses propres fautes
de la nature, Japhet acquit, par sa sagesse su- qu'il a été puni.Ce n'est pus seulement à cause
périeure, ce que la nature ne lui avait pas du péché de s^n père qu'il a reçu la malédic-
donné. tion, mais probablement c'est parce que lui-
7. Voyez-vous comme il est impossible de rien même méritait un plus grand châtiment. Car,
découvrir, dans la divine Ecriture, qui soit mis en ce qui concerne ce princijjc que les pères
au hasard et sans une secrète pensée ? Ce que lui ne sont pas punis pour les fils, ni les fils pour
avait fait, dit le texte, son plus jeune fils. Et il les pères, que chacun n'est puni que pour ses
dit : Que Chanaan soit maudit, qu'il soit Ces- propres fautes, c'est ce que vous trouverez en
clave de ses frères. (Gen. ix, 25.) Nous voici mille endroits des prophètes. Si quelqu'un
parvenus à cette question soulevée partout; mange des raisins verts, il en aura lui seul les
sans cesse, en eflel, nous entendons dire pour- : délits agacées (Jérém. xxi, 39) ;l'âme qui a pé-
quoi, quand c'est le père qui s'est rendu cou- ché mourra elle-même (Ezéch. xviii, 20)-, et
pable, qui a révélé la nudité, est-ce le fils qui encore : On
ne fera point mourir les pères
reçoit la malédiction ? Prêtez-moi, je vous en pour les eufiitils, ni les enfants pour les pères.
prie, toute voire attention, et recevez l'expli- (Deut. XXIV, 10.) Donc, que personne parmi
cation qu'il vous faut. Nous vous dirons ce vous, je vous en prie, n'ose censurer ce (pie
que nous aura suggéré la divine grâce, pour l'Ecriture nous dit aujourd'hui, comme s'il
votre utilité. Et il dit : Que Chanaan soit étaitpermis d'ignorer le but que se propose la
maudit, qu'il soit Vesclave de ses frères. Ce divine Ecriture accueillez avec de bonnes dis-
;

n'est pas sans raison, ce n'est pas inutilement, positions ce (|ue dit la parole; admirez l'exac-
que le texte nomme ici le fils de Cham il y a ;
titude merveilleuse de la divine Ecriture, con-
une pensée cachée. Noé voulait à la fois punir sidérez l'énoimité du pêcbé. Car, voici ce que
Cham de sa faute, de l'outrage qu'il en avait le péché a f.iil d'un frère né de la même mère,
reçu, et, en même ne voulait pas
temps, il sorti des nicuics flancs ; le peclic en a fait un
alTaiblir la bénédiction que Dieu lui avait au- esclave ; il lui a enlevé la liberté ; il l'a assu-
200 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

jéli, et c'estde là qu'est sortie la senitude des elle ne fait plus que des frères de ceux qui
âg'is à venir. Et en effet, les hommes d'autre- s'appelaient auparavant des esclaves? Que
fois n'étaient pas si délicals, n'avaient pas be- Ch'inaon, dit Noé, soit V esclave de ses frères.
soin d'une vie si commode, de mains étran- Tu as abusé, dil-il, de ta dij^nité; tu n'as pas

gères pour les chacun se servait


servir ;
fait ce que tu devais faire, quand tu étais égal
soi même; tous étaient égaux en dignité; on en honneur; voilà pourquoi je veux te corriger

ne voyait, au milieu d'eux, aucune inégalité par la sujétion. C'est ce qui est arrivé, dès le

de rang. Quand le péché fit i;on entrée dans le commencement, à la femme ; elle était d'une
monde, ce fut pour détrr.à'c la liberté, com- dignité égale à celle de son mari, elle a abusé
promettre la dignité rialurelle, introduire la de son rang, voilà pourquoi elle a perdu son
servitude; la servitude, ce perpétuel enseigne- pouvoir, pourquoi elle a entendu ces paroles :

ment^ cet éternel averlissementà nous adressé, Tu te tourneras vers ton mari, et il te domi-
de fuir la servitude du péché, de revenir à nera. (Cen.m, 16.) Tu n'as pas su, dit le texte,
l'indépendance de la vertu. Que si l'esclave et faireun bon usage du commandement; il vaut
le maître veulent retirer de cet exemple un mieux pour toi bien obéir au commandement,
profit durable, qu'ils pensent: l'esclave, de son que mal commander. De même, ce Cham, ici,
côté, qu'il doit sa servitude au dérèglement de reçoit le châtiment pour s'amender dans la ;

Chnm; le maître, à son tour, qu'assujélisse- personne de son fils, c'e?t lui-même qui est
ment et servitude n'ont commencé qu'au jour puni c'est afin que vous sachiez que, quoi-
;

où Cham a montré une volonté dépravée, et qu'alors ce fûtun vieillard, cependant le châti-
perdu la dignité qui le rendait l'égal de ses ment, retombant sur son fils, lui rendit la vie
fières. pleine de douleurs et d'amertumes; il pensait
Maintenant, en vérité, si nous voulons être que, quand lui-même sérail mort, ce fils qui
sobres et prudents, ces maux que
les péchés lui survivrait expierait sa faute. Car, pour avoir
de nos pères ont introduils dans le monde ne la preuve que ce fils était, de lui-même, plein
pourront nous atteindre , ils ne seront pour de malice, que tous ceux qui sortirent de lui
nous que des noms et des hisloires. Si , fuient des êtres abominables, prompts à com-
d'une part, noire premier père, par sa déso- mettre le mal, écoutez ce que dit l'Eciilure,
béissance, a introduit la mort, les travaux et sous forme de malédiction Votre père était
:

les peines; si, d'autre part, Cham nous a pro- Amorrhéen mère Céthéenne (Ezéch.
et votre
curé la servitude, voici maintenant que Tavc- XVI, 3); autre |iarole d'outrage, dans uu autre
nement de Noire-Seigneur Jésus-Christ a réduit endroit Race de Chanaan, et non de Juda.
:

toutes ces épreuves à n'être qu'un vain bruit, (Dan. xni, o6.)
que des sons : pour qu'il en soit ainsi nous Maintenant il est bon d'apprendre, après le
n'avons qu'à vouloir. Pour la mort, il n'y a châtiment reçu par celui qui divulgua la nudité
plus de mort il n'y a plus que le mot qui sert
; de son père, quelle réconqiense obtinrent les
de nom à la mort parlons mieux, le nom
:
fils qui lui montrèrent un respect si profond :

même a dispaïu. Nous ne disons plus mainte- Que le Seigneur, le Dieu de Scm, soif baii, dit
nant la mort, niius l'assoupissement et le Noé, et que Chntaan soit son esclave. (Cen. ix,
sommeil. Le Christ disait lui-même Lazare^ :
20.) Ici, peut-être, dira-l-on Noé, en pronon-
:

notre ami^ dort (Jean, xi, 1 f) et Paul écrivant; çant ces mots, ne bénit pas Sein; au contraire,
aux iuibitants de Thessalonique, leur dit : il le bénit de la manière la plus efficace. En

Quant à ceux qui dorment, je ne veux pas que effet, quand on rend à Dieu des actions de
vous ignoriez, mes frères. (1 Thcss. iv, 12.) Et grâces, lorsqu'on bénit Dieu, le Seigneur, à
de même, la servitude n'est qu'un mot; l'es- son tour, accorde plus largement sa bénédic-
clave c'est celui qui commet le péché. El, si tion à ceux (pii doinjent l'ojcasion de le bénir
vous voulez comprendre (|ue l'avènement du lui-même. Ainsi Noé. bénissant Hieu, l'a rendu
Christ a supprimé la servitude, n'en a plus laissé débiteur dune bénédiction plus grande; il a
«[uc le nom, disons mieux, a détruit le nom élé, en faveur de Sem, l'auteur d'une rétribu-
même, écoutez ce <|ue dil Paul Que ceux qui : tion plus considérable (|ue si lui-même l'eût
ont des maîtres lub'les ne hs fnéprisjnt pus, béni en son propre nom. De même ([ue le
parce qu'ils sont leurs frères, (l Tim. vi, 2.) Seigneur, béni à cause de nous, devient jour
Voyez-vous comment, dés que la vertu arrive, nous tout à fait clément et proiàce; de Uiéjne,
HOMÉLIES SUR LA GENfiSK. - VIxNGT-NEUVIÈME HOMÉLIE. 201

réciproquement, quand il est blasphémé à les Juifs. Et que Chanaan soit son esclave.
cause de nous, il prouonce contre nous une 8. Avez-vous bien compris (|uelle récompense
coudamnalion plus sévère parce que nous , lesuns ont reçue pour leur sagesse; de (pielle
avons élé l'occasion des blasplièines. Faisons honte l'autre a été couvert par son dérègle-
donc tous nos efforts, je vous en conjure, pour ment ? Conservons toujours ces récits dans
vivre avec tant de sagesse, pour montrer une notre pensée, imitons les uns, fuyons la perver-

vertu si pure, que tous ceux qui nous ven ont sité, le dérèglement de l'autre. Or, Noé vécut^
offrentau Seigneur notre Dieu des louanges dit le texte , trois cent ciiiquante ans après le
et des bénédictions. Dans sa bonté, dans sa déluqe, et tout le temps de sa vie ayant été de
clémence, le Seigneur v. ut être glorifié par neuf cent cinquante ans, il mourut. (Gen. ibid.,
nous; ce n'est pas qu'il en reçoive le moindre 28, 20.) N'allez pas croire que ce soit sans rai-
accroissement de gloire ; il n'a besoin de rien, son que la divine Ecriture ajoute ces détails.
mais il veut que nous lui fournissions nous- Voyez ici une nouvelle preuve de la continence
mêmes l'occasion de nous montrer plus de de l'homme juste. Dans une telle abondance
bienveillance. Que le Seigneur, le Dieu de de biens, dans un repos parfait, pendant un si
Sem, que Chanaan soit son esclave.
soit béni, et grand nombre d'années après la sortie de l'ar-
Voyez-vous comme le père annonce le châti- che, il ne pensa plus à procréer des enfants.
ment, qui, toutefois, est plutôt une correction L'Ecriture, en effet, ne nomme pas d'autres
qu'un cliàtiment; il était père, c'était un père enfants avec ces troisfils. Considérez encore

tendre; il ne voulait pas un châtiment égal à l'excèsde l'intempérance de Cham, qui avait
la faute, mais de nature à réprimer plus tird sous les yeux un père d'une telle continence,
les progrès de la malignité. Voil;t pourquoi, sans devenir lui-même plus chaste, qui, au
dit-il, je te condamne à la serviluc'c, afin que contraire, agissait d'une manière toute diffé-
tu conserves à chacjue instant, toujours, le sou- rente. Aussi, c'est avec raison que toute sa
venir de ce que tu as fait. Ensuite il dit : Que postérité a été condamnée à la servitude, frein
Dieu multiplie la po'itc'rité de Jajj/iet, et qu'il nécessaire de la volonté pervertie. L'Ecriture
habite dans les tentes de S-^m, et que Chancan énumère ensuite la postérité sortie de ces fils,

soit son esclave. (Ibid. 27.) Ici encore, la béné- et dit : Cham
engendra Chics ; ei plus loin :

diction la plus abondante , et qui renferme Chus engendra Ilemrod qui montra le premier
peut-être un trésor caché : Que Dieu multiplie, géant sur la terre ; ce fut un géant chasseur ,

dit-il, la postérité de Japhet. Ce n'est pas se devant le Seigneur. (Gen. x, 6, 8, 9.) QueUjues
tronqier que d'appeler ces bénédictions de interprètes pensent qu'ici, devant le Seigneur,
l'hounne juste des |)roi>hélies. Car, s'il e^t vrai signifie la même chose que s'élevant contre
que le [)ère de Nué ne lui a pas donné au ha- Dieu. Quant à moi, je n'admets pas celte insi-
sard et sans dessein, ce nom de Noé; s'il est nuation dans la divine Ecriture elle dit simple-
;

vrai que ce nom était la pro[)hétie du déluge à ment qu'il était fort et courageux. Cette expres-
venir, à bien plus forte raison , cet homme sion, devant le Seigneur Dieu, revient à dire,
juste n'a pas prononcé ces bénédictions sans reçu la béné-
établi par Dieu, parce qu'il avait
une secrète pensée. Je crois, en effet, que la diction de Dieu ou, si vous voulez, parce qu'il
;

bénédiction des deux frères signifie la vocation était une occasion d'admirer le Dieu qui avait

des deux peuples; quand bénit Sem, il bénit


il fait ce géant, et qui l'avait montré sur la terre.

les Juifs; de Sem Abraham, et le peu-


est sorti Celui-ci reproduisit les mœurs de son aïeul,
ple juif qui s'est multiplié quand il bénit
;
abusa de ses forces naturelles, inventa une
Japhet, il annonce la vocation des Gentils. nouvelle servitude, et entreprit de devenir un
Remarquez les paroles de la bénédiction Que : chef de peuple, un roi. Pas de sujets, pas de roi :

Dieu multiplie, dit-il, la postérité de Japhet, voilà bien la vraie liberté mais la servi-
;

et qu'il habite dans les tentes de Se/n. C'est ce tude la plus lourde est celle qui surgit au sein
dont nous voyons l'accomplis.-t'ment, dans la de la liberté, qui maîtrise des honuncs libres.
vocation des nations. Eu effet, Noe, disant : Voyez les ravages de l'ambition, voyez la force
Que Dieu mult plie, indicjue touti s les na- du corps dépassant ses limites, jamais satisfaite,
tions ; et en dis mt Qu'il habite sous les
: as|)irant à la gloii-e. Ce n'était pas pour proté-
tentes de Sem , il indique les nations coni- ger et défendre qu'il se taisait des sujets mais ;

iiirnçant à jouir des biens préparés pour il construisait des villes pour dominer sur des
202 TRADUCTIOiV FIUiNÇAISE DE SAINT JE.ViN CHRYSOSTOME.

ennemis. De cette confréf, dit le texte, sortit jour riiui encore on :élèltre la perfection de
Assur, et il hâtll Niii've. Faite? ici encore une leur lepeutir.
remarque C'est <iue la inaliynité de ceux qui
: Suchuus donc, nous aussi, les imiter, puis-

nous ont précédés n nous cause aucun piéju- •


que, ni la malignité de ceux qui sont nés avant
dice ; ces hommes dont je parle, les Ninivites, se nous ne peut nous nuire, si nous voulons pra-
concilièrent, par leur repentir, la miséricorde tiquer la sagesse; ni Jeurs vertus nous servir
de Dieu et le lorcèrent à révoquer sa sentence. en rien, si nous cédtns à l'indolence. Alla-
Ilseurent cependant pour auteur de leur race chon^-nous donc, de toutes nos forces, à la
ce Cham, qui outragea son père, et après lui, vertu, montrons de la >;agesse, de la prudence,
parmi leurs ancêtres, Nemrod, tyran superbe, afin d'obtenir la même bénédiction que Sera
d'où sortit Assur. On dit que dans cette suite et Japhet, afin d'échapper à la servitude de
d'ascendants se trouvèrent des gens adonnés à Chanaan, afin d'être affranchis du péché, afin
la mollesse, aux voluptés, aux dissolutions, à qu'ayant conquis la vraie liberté, nous soyons
la corruption, à l'ivresse, aux rires insensés, admis au partage des biens ineflables, par la
aux moqueries, aux plaisirs frivoles des mé- grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-
chants mais, parce que les Ninivites firent
; Christ à qui appartient, comme au Père,
,

sincèrement pénitence, la malignité de leurs comme au Saint-Es|)rit, la gloire, la puissance,


pères ne leur fut en rien funeste, et ils se con- l'honneur, maintenant et toujours, et dans les
cilièrent la faveur du Ciel à tel point, qu'au- siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Traduit par M. C. PORTELETTE.

TRENTIÈME HOMÉLIE.

« Toute la terre avait une même langue et une même parole. > (Gen. XI, ( .)

ANALYSE.

!. L'orafenr exhorte ses auditenrs îi des heures qui étaient en ce temps-lk pins on moins lonjmes selon
la vigilance, il parle U
durée des jours, de la semaine que l'on nomme grande.
confessiiin dos péchés, de la —
2. La nature humaine ne sait pas se

contenter; elle est toujours inquiète. Les descendants de Noé vont liabiler la tt^rre de Seunaar à peine y s^nt ils qu'ils veulent
;

conslruire une tour qui aille toucher le ciel vanité. : —


3. Contre ceux qui veulent élerniscr Itur mémotre sur la terre psr des

oâlimcnts cl des édifices. Le Sriyiwur df-fcrm/il, explicalion de celte parole. 4. Après avoir dit —
le St ijnour descendit, la :

sainte Kcrituro ajoute ces paroles qu'elle met dans la bouche du Seigueur et que le Seigneur adresse à des égaux. Venez, et
deteendont.

i. Nous au terme de la sainte


voici enfin traire,une raison de redotiMer de zMr, d'acti-
Quarantaine nous avons achevé la navigation
, vite et de vigilane\ Quand les m.itelols ont
du jeune et par la grâce de Dieu nous tou-
, , ,
traversé plusieurs mers à voiles déployées et
chons au port. Mais (pie cela ne nous rende qu'ils vont entrer dans le p'ii, ;iprè< a\oir dé-
pas négligents, que ce soit pour nous, au con- chargé leurs marchandises, c'ebt alors qu'ils
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — TRENTIEME HOMÉLIE. 203

ont le plus de soin et d'attention de ne pas y a congé et vacances pour tous les offices ci-
choquer une pierre ou un écueil, et perdre vils, que les portes des tribunaux sont fermées

ainsi le fruit de leurs peines passées. C'est etque l'on écarte toute apparence de procès et
aussi ce que font les coureurs quand ils arri- ;
de discussions pour que l'on puisse s'occuper
vent au bout de l'arène , ils pressent leur trancjuillement et en repos de ses aflàires spi-
course pour toucher le but et mériter le prix. rituelles. Outre cela, ils donnent encore une
Les athlètes encore après bien des combats et
, preuve de générosité en délivrant les prison-
des vicloires, lorsqu'il faut disputer la cou- niers de leurs chaînes, et en imitant ainsi Dieu
ronne, cherchent à l'obtenir en redoublant autant que la puissance humaine le comporte.
leurs efforts. Ainsi, de même que les n)atelols, De même , en effet que Dieu nous délivre de
,

les coureurs, les athlètes, en approchant du la cruelle prison de nos péchés et nous comble

terme, sont de plus en plus actifs et ^ imi- de biens innombrables; de même nous devons
tants; de même devons-nous faire, puisque nous efforcer, autant qu'il est en nous, d'imiter
nous sommes arrivés grâce à Dieu dans , , la miséricorde de Dieu Notre-Seigneur. Vous
cette sainte semaine où nous devons jeûner voyez donc que chacun de nous, suivant sa
avec plus de rigueur, prier avec plus de fer- position, rend l'honneur et le respect qu'il
veur, faire des confessions plus sincères et plus doit à ces jours où nous avons reçu tant de
complètes de nos péchés, et redoubler de bonnes bienfaits. Aussi je vous prie plus que jamais
œu\res, larges au4nôues, justice, douceur et de rèjiousser toutes les idées temporelles et de
toutes les autres vertus, alin qu'avec de pareils ne venir ici qu'après en avoir avec soin débar-
soutiens, quand nousseronsarrivésaudimanche rassé votre esprit. Que personne n'apporte dans
de Pâques, nous jouissions de la libéralité du l'église ses préoccupations temporelles, afin de
Seigneur. Nous disons que c'est là une grande pouvoir remporter au logis la digne récom-
semaine , non pas que
heures y scient plus les pense de ses peines. Je vous ai donc pré|)aré
longues, car il y en a où les heures de jour notre banquet accoutumé; le festin que j'offre
sont bien plus grandes ce n'est pas qu'elle ait ; à votre chaiité est emprunté à la lecture
plus de jours que les autres, car elles en ont que vous avez entendue d'un passage du bien-
toutes le même nombre. Pourquoi donc l'appe- heureux Moïse je vais vous lexpliquer en
:

lons-nous grande? Parce que c'est celle où nous vous bignaiant toute la précision de l'Ecriture
sont arrivés des biens grands et inexprimables. sainte. Après avoir terminé l'histoire du bien-
C'est dans cette semaine qu'on a vu cesser la heureux Noé, elle expose de même la généalo-
guerre qui avait duré si longtemps, mourir la gie de Som, et dit Et des fils naquirent à Stm,
:

mort, lever la malédiction, briser la tyrannie du le père de tous les enfants d'Uéber et le frère
démon et enlever ses armes, réconcilier Dieu de Japlitt, l'aîné des fils. Après en avoir donné
avec les hommes ouvrir les portes du ciel,
, la liste, elle dit Deux fils naquirent à Héber ;
:

réunir les hommes aux anges, rapprocher ce le nom de Vun d'eux fut Phalec, car de son
qui était sé[taré , supprimer la haie , écarter la temps la terre fut divisée. Voyez comme elle

barrière et s'étendre la paix de Dieu sur toutes fait pressentir par le nom
de cet enfant le mi-
les choses du ciel et de la terre. Voilà pourquoi racle qui doit bientôt survenir, afin qu'on ne
nous l'appelons la grande semaine, puisque s'étonne point de le voir s'accom|)lir ensuite ,

c'est celle où le Seigneur nous a accordé Umt puis(pi'il était piédit par le nom de l'enfant. Car
et de si grands bienfaits. Voilà pounpioi tant après avoir ainsi lait la liste de ceux qui sont nés
de fidèles redoublent alors les jeûnes, les ensuite, elle dit Toute la terre avait une mètne
:

veilles, les méditations nocturnes et les au- langue et une même parole. Ce n'est point de
mônes, afin de montrer le respect qu'ils doi- mais du genre humain ,
la terre qu'elle parle,
vent à cette semaine. Car, puisque c'est celle pour nous apprendre que la race humaine ne
où le Seigneur nous a fait des dons si précieux, parlait d'abord qu'un seul langage. Et toute
ne devons-nous pas autant qu'il est en notre
, la terre n'avait quune même langue et une
pouvoir lui témoigner notre hommage et
, même parole. Ici langue signifie idiome, et le
notie respect ? mot parole veut dire la même chose : voilà ce

Aussi les emi ereurs eux-mêmes montrent qu'elle entend par l'usage d'une même langue
par leurs ordonnances queile vénération doit et d'une même parole. Pour voir que le mot
s'attacher à ces jours ,
puisqu'ils décident (juil langue sJgmUe langage, écoutez cet autre pas-
501 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

sage de l'Ecriture Le venin des serpents est


: dont la tête monte jusqu'au ciel. Par ce mot de
sons leurs langues (Ps. cxxxix,4) ainsi par le :
,
ciel, l'Ecriture saiMt( a voulu nous montrer
mot langiio, l'Eci-iture entend lan;ias^e. Et il l'excès d(i leur audace. Et faisons-nous u/i nom.
arriva, comme ils ijartirent. d Orient , fpiHs Remarquez ici le ge me du mal. C'est .ifin,

trouvèrent une camimfjjie dans la terre de Sea- diseat-iis, de laisser un souvenir éternel , afin

naar^ et ils y habitcient. que notre mémoire vi e lu'.jours. Cette œuvre,


2. Voyoz comme la nature humaine ne peut cet édifice sera tel qui l'oubli ne pourra l'ef-
rester dans mais cimme
ses limites [)ropres, facer. Faisons cela avant d'être dispersés sm
toujours ambitieuse, elle cherche de nouveaux la surface de toute la terre. Pendant que noui
avantages. Ce (jui la perd c'est de ne pas con- sommes encore ensemble , disent-ils accom-
,

naître les bornes qui lui sont imposées, de plissons ce projet, afin de laisser un souvenir
chercher toujours mieux qu'elle n'a et plus ineffaçable aux générations futures.
ceux qui
qu'elle n'est appelée à avoir. Aussi Il y a encore maintenant bien des gens qui
soupirent après les biens du monde, s'ils sont les imitent et qui veulent éterniser leur nom
entourés de richesses et de puissance, arrivent par des travaux semblables, en construisant des
à oublier leur nature et veulents élever au faîte palais, des bains, des portiques ou des prome-
des grandeurs, jusqu'à ce qu'ils en soient pré- nades. Si vous demandez à un de ces hommes
cipités jusqu'au fond de labîme. C'est ce que pourquoi il travaille et se fatigue ainsi pour- ,

nous voyonsarriver à quel(jues-unstousles jours quoi il dépense tant d'argent et aussi inutile-
sans que cela rende les autres plus sages l'exem- : ment, il vous ré|)ondra aussi que c'est pour
ple retient un instant, mais bientôt on oublie sauver sa mémoire de l'oubli et pour que l'on
tout, on suit la même route et l'on tombe dans le dise (jue c'est sa maison ou son champ. Mais
même précipice. Nous en voyons ici un exem- ce n'est pas là glorifier S-i mémoire, c'est plutôt

ple. Et il arriva^ comme ils partirent d'Orient^ l'accuser. Car ce nom sera suivi aussitôt de
une campaçine dans la terre
qu'ils trouvèrent mille qualifications injurieuses; on dira qu'un
de Sennoar, y habitèrent. Voyez comme
et ils tel est avare, avide, spoliateur de la veuve et de

nous reconnaissons peu à peu l'inslabililé de l'orphelin. Ce n'est donc pas là se faire un
leur pensée. Quand ils virent cette cam[)agne, nom , mais se mettre en butte à d'éternelles
ils émigrèrent, abandonnèrent leur premier accusations qui poursuivent même après la
établissement et habitèrent là. L'Ecriture dit mort et aiguiser les langues pour maudire et
ensuite : Chacun dit à son voisin : Venez, fai- condamner la possession de tous ces biens. Si

sons des briques et cuisons-les au feu. Ainsi ils vous tenez absolument a laisser un souvenir
rendirent les briques comme de la pierre et le ineflaçable, je vous montrerai le chemin pour
bitume leur servait de ciment. Et ils dirent :
y parvenir tout en vous ménageant des éloges
Venez , bâtissons-nous une ville et une tour et des bénédictions même dans l'avenir. Com-
dont la tête monte jusqu'au ciel, afin de ?ious ment pourrez-vous donc faire parler de vous
faire un nom avant d'être dispersés sur toute chacpie jour et mériter des louanges même
la terre. Vous voyez comment ils abusent de a[)rès avoir quitté cette vie ? C'est en distribuant

leur idiome commun et comment cette or- , ces richesses aux pauvres, sans vous occuper
gueilleuse proposition engendre tous leurs de pierres, de palais, de campagnes et de bains
maux. Veiiez faisons des briques
.,
et cuisons- Voilà un souvenir immortel, voilà un souve-
lesau feu : Ainsi ils rendirent ,
les briques nir (|ui vous procure mille trésors, qui vous
comme bitume leur servait de
de la pierre^ et le aide à porter le poids de vos péchés et vous
ciment. Voyez avec quelle sécurité ils songent réconcilie avec Dieu, Songez, je vous prie, aux
à édifier sans penser à cette vérité Si le Sei- : noms (jue chacun vous donnera, en vous ap-
gneur n'aide pas à élever la maison, ceux qui pelant compatissant, lunnaiu, doux, généreux,
la construisent travaillent en vain. (Ps. cxxvi, inépuisable dans ses charités. // a donné., par-
i.)Bâtissons-)ious , disent-ils, une ville non : tage son bien aux pauvres. Sa justice demeure
pour Dieu, mais pour now^. Voyez jusiju'où va étcruel'cment. (Ps. ni, 0. Voilà ce qui arrive
leur perversité ! malf^ré le souvenir si présent des richesses ainsi réfautlues, elles subsistent,
encore de la destruction universelle , ils n'en mais accumulées et renfermées, elles perdent
tombent pas moins dans une pareille folie. Et leur maître avec elles. // a donné, partage son

bâtissons-nous, disent-ils, wie ville et une tour bien aux pauvres. Mais remarquez la suite : Sa
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — TRENTIÈME ÏÏOMÈÏJE. 90.1

justice demeure éternellement. Il a dislribucses monte jttsqiC au ciel^ afin de nous faire un nom
ricli» sst's en un jour, mais sa justice demeure avant d'ô Ire dispersa's sur la t re. Voyez-vous
dans l'élernité et rmil sa {gloire innuortelle. comme ils montrent toute la('"TMpli(.n de leur
3. Vous avez vu (juel est ce souNcnir qui âme. Bàt'ssonsnous une ville et faisons-mius
s'étend jiisc|u'à l\ternité, re souvenir (|iii pro- un non. Mais voy(!z (pi'après 'ine extermina-
cure des bi(.ns iinnienses et int[)uiîral)les. tion aus^ii épouvantable les hommes n'en ont
Cherchons donc à nous éterniser par des tra- pas moins de vices. Qu'arri\era-t-ir? Commeal
vaux de celte nature; car les travaux de pierres seront-ils punis de leur exlrava-zance? Dieu
entassées non - seulement ne peuvent nous a promis que, fidèle à sa bonté, il ne ferait plus
proliler, mais élèveront la voix contre nous de déluge mais les honmies ne se sont point
;

comme un monument d'infamie. Nous parlons corrigés par les chrilimenls, ni rendus meil-
en emportant tous les i)échés dont tous ces leurs par les bienfaits.
édifices ont été l'occasion pour nous; mais Ecoutez la suite pour connaître rineflable
quant aux édifices eux-mêmes, nous les lais- miséricorde de Dieu. Le Seigneur Dieu descen-
sons, et nous n'avons même pas la frivole et dit pour voir la ville et la tour que bâtissaiott
inutile consolation d'y lai ser notre nom, nous les fds des hommes. Voyez comme l'Ecriture
n'en relirons que des accusations, et birntôt s'exprime au point de vue humain. Le Sei-
on les du nom d'un autre. En effet,
appellera gneur Dieu descendit. Ne comprenons point
c'est ce qui une propriété passe
arrive : cela d'une manière purement humaine, mais
d'un premier maître à un second puis d'un ,
comme une leçon, pour nous montrer qu'il ne
second à un troisième. Aujourd'hui la maison faut jamais condamner légèrement ses frères et
porte un nom, demain elle en porte un autre, qu'il ne faut point juger seulement sur des
le jour suivant un autre encore. Nous nous propos vagues, mais s'assurer par des preuves
trompons volontairement croyant avoir une certaines. Telle est toujours l'intention de Dieu,
propriété tandis que ce n'est qu'un usufruit et et c'est pour instruire le genre humain qu'il
que, bon gré, mal gré, il faudra le laissera s'abaisse jusque notre langage. Et le Seigneur
d'autres. Ce ne sera pas toujours à ceux que Dieu descendit pour voir la ville et la tour.
nous aurions choisis mais je n'insiste pas là-
, Vous voyez qu'il ne réprime pas leur folie dès
dessns. Mais si vous a\ez une telle passion de l'abord, il fait preuve d'une grande patience
célébrité, si vous attachez tant de prix au sou- et attend que toute leur perversité se soit mon-
venir, voyez celui que les veuves avaient gardé trée dans leur œuvre avant de s'opposer à leurs
de Tabilha, comment elles entouraient Pierre efforts. Afin qu'on ne puisse pjs dire que tout

en pleurant et en montrait les tuniques et les était resté en projet dans leur esprit, mais qu'ils
robes que cette Dorcas leur avait faites quand n'avaient rien entrepris, Dieu attend qu'ils aient
elle vivaitparmi elles. Après qu'elles eurent en eflèt commencé leur ouvrage, pour montrer
entouré Pierre en pleurant à chaudes larmes, en combien leur tentative était insensée. Et le
se rappelant la nourriture et les secours qu'elles Seigneur Dieu descendit pour voir la ville et
recevaient, Pierre les lit sortir toutes, se mil à la tour que bâtissaient les fils des hommes.
genoux et pria ; après l'avoir ressuscitéeil rap- Voyez l'excès de sa miséricorde s'il les a laissés
!

pela les saints et les veuves et la leur présenta travailler et se fatiguer, c'était afin que l'ex-
vivante. (Act. ix, 39, 41.) Si donc vous voulez périence fût poureux une instruction suffisante.
que votre souvenir demcu.e ; si vous aimez la Mais quand il vit que leur malice augmentait
femme. Laissez
Téritable gloire, imitez Citte et que le mal gagnait toujours, il montra en-
des monuments semblables, non pas construits core sa bonté en les empêchant de continuer,
avec des matériaux achetés i grands frais, mais de même qu'un bon médecin, quand il voit le
en déployant toute votre charité envers vos mal s'accroître et la plaie devenir incurable a
semblables. C'est là une mémoire digne d'éloges recours à l'amputation pour erdever la cause
etvéritablement profitable ! de la maladie. Et le Seig)ieur Dieu dit Celte :

Mais revenons à notre sujet et voyons toute race na qu'une langue, la même pour tous.
l'audace des hommes de ce temps. Si nous (c'est-à-dire le même langage, le mêiue idiome.)
voulons y bien regarder, leurs passions seront ]ls ont comtnencé cette œuvre et ne cesseront
un enseignement pour vous. Bàtissons-noiis, pas de travailler à leur oitrcpr/se.
disent-ils, î<«e ville et une tour dont la tête A. Remarquez la bonté de Dieu voulant ar-
206 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHR\SOSTCS'E.

rôter leurs efforts , il commence par expliquer maintenant : Venez et descendons, [ttarolesioni
sa conduite; montre du doigt, pour ainsi
il à fait dites comme à des égaux : Venez ,

dire, la grandeur de leur faute et l'excès de dit-il, et descendons pour confondre leur lan^
leur folie , il fait voir qu'ils ont abusé de cette gage, afin que personne ne comprenne soti voi-
communauté de lanfjage. Cette race^ dit-il, sin. Je leur inflige dit-il une punition ,, ,

lia (ju'wic lanfjue. Ils ont commencé cette œu- qui , monument éternel de leur folie ,
du-
vre et ne cesseront pas de travailler à leur en- rera perpétuellement, pour qu'aucun siècle
treprise. C'est, en effet, l'usage de Dieu, quand ne puisse l'oublier. Car, puisqu'ils ont abusé
il s'apprête à punir, de faire ressortir d'abord de l'unité de langage, ils seront punis parla
la grandeur des péchés, afin d'expliquer sa diversité des langages. C'est ainsi qu'agit cons-
conduite, avant de corriger les coupables. A tamment le Seigneur. Ill'afaitdès l'origine à l'é-
l'f'rio jiie du déluge, alors qu'il faisait cette ter- gard de la femme, elle abusait des dons qu'elle
rible menace, l'Ecriture dit: Le Seigneur Dieu avait reçus; il la soumit à son mari. Il en fut

voyant que les vices des hommes se sont multi- de môme pour Adam comme il n'avait pas ;

pliés et que chacun^ deprns sa jeunesse, ne profité de son bonheur parfait et du séjour du
nourrit dans son cœur que des idées perverses. paradis, mais qu'il avait mérité d'être puni
(Gen. VI, 5.) Voyez -vous comme il commence pour sa désobéissance, Dieu le chassa du para-
par montrer l'excès de leurs vices? et il dit en- dis, et lui infligea une punition perpétuelle,
suite Je détruirai C homme ; et maintenant
: : en lui disant La terre te produira des épines
:

Cette race n'a qiCune langue la même pour , et des chardins. (Gen. m, 18.) De même ces
tous, et ils ont commencé cette œuvre. Puisque hommes qui jouissaient de l'unité de langage
cet accord, qui provient de l'unité de leur lan- ayant fait un mauvais usage de ce don qu'ils
gage, les a conduits à une pareille folie, ne les avaient reçu Dieu punit leur méchanceté par
,

conduirait-il pns plus tard à des actions en- la diversité des idiom(;S. Confofidons, dit-il,
core plus coupnblts? Ils )ie cesseront pas de leur langage, afin que personne ne comprenne
travailler à leur entreprise ; rien ne pourra son voisin, afin que ces hommes, réunis tant
arrêter leur élan et leur ardeur, mais ils s'em- que leur langage était le même, soient séparés
presseront de faire tout ce qu'ils ont résolu, si quand il sera (litférent. Car ceux (jui n'ont
le châtiment ne les arrête à l'instant. On peut pas le même idiome et le même dialecte, com-
voir que Dieu a agi de même avec le premier ment pourraient-ils vivre ensemble? Le Sei-
homme; car au moment de le chasser du para- gneur-Dieu les dispersa de cet endroit sur toute
dis, il dit Qui Ca fait savoir que tu étais
: la face de la terre et ils cessèrent de bâtir la
nu ? (Gen. in, 2) ; et plus loin il ajoute : ville et la tour.
Adam est devenu comme Vun de noiis , pour Vous voyez que Dieu, dans sa bonté, se borna
connaître le bien et le mal. Et tnaintenant, il à les rendre incapables de persévérer; ils res-
ne faut pas qu'il étende la main qu'il prenne , semblaient alors à des insensés. I/un deman-
le fruit de l'arbre de vie et qu'il le mange pour dait une chose à son voisin, qui lui en donnait
vivre perpétuellement. Et le Seigneur Dieu le une autre, et tous leurs efforts n'aboutissaient
renvoijadujtaradis. (Gen. ni, 2-2,23.) Maintenant à riiMi. Aussi, ils cessèrent de bâtir la ville et la
il (lit : Cctle race n'a qu'une laïujue, la même tour; pourquoi on l'appela confusion^
c'est
pour tous : ils ont commencé cette œuvre et parce que c'était là que Dieu avait confondu
ne cesseront pas de travailler à leur entre- les langues de la terre. De là le Seigneur Dieu
prise. Venez donc descendons, et confondons , les dispersa sur toute la terre. Voyez comme
leur langage, pour que personne 7ie comprenne toulaété fait pounjue le souvenir en soit éter-
son voisin. nel. D'abord . la division des langues avait été
Voyez encore dansées paroles la condescen- pronosti(iuée à l'avance par un nom , celui de
dance de Dieu pour notre nature. Venez et des- Phalec, (]u Ilébcr avait son fils, et donné à
cendons. Que \cu\cn\ (lire ces mots? Dieua-t-il (jui signifie séparation. Ensuite l'emplacement

besoin d'un aide pour corriger ou d'un secours même fut appelé confusion, ce quicoiTcspond à
pour punir? Non certes! Mais, de même (pie Rab\ loue. Enfin Ilébcr lui-même conserva l'an-
l'Ecriture a déjà dit Le Seigneur est desceiulit, : cien langag.'pourciuecefùl encore une preuve
nous iii(li(|uanl par là (ju'il avait examiné à évi.lcntf (U- la (li\ision.Vo»is voyez de combien
fond l'excos de leur perversité, elle nous dit de manières Dieu a pourvu à ce que le souve-
HOMÉLIES SUR LA GENftSE. - TRENTIÈME HOMÉLIE. 207

nir s'en conservât et que jamais un pareil évé- ^iu'il nous dresse, efforçons-nous, surtout à
nement tit' pùl s'uublitT. Du reste, l»; père était cette é[)0(jue de le comliattre comme si nous
,

ensuite ol)lijié de dire à son fils la cause de pouvions le voir présent devant nos yeux et de
celte diversité, et le fils demandait au père repousser toutes les pensées dont il voudrait
d'où venait nom
de cet endroit. Car on l'a-
le nous troubler. Faisons tout notre possible
vait appelé Bahylonc, c'est-à-dire coiifusion, [)0ur parler à Dieu comme nous le devons, non
parce que c'était là que le Seigneur Dieu avjiit pas seulement de manière à faire résonner
confondu les lanj^Mies de toute la terre, et c'était notre voix , mais de sorte (jue notre pensée
à partir de là (ju'il avait (iispei se les habitants; suive notre discours. Car si la langue profère
en etfct, le nom de cet emplacement mi' paraît les paroles , mais que l'esprit voyage au dehors
s'api»liquer aux deux choses, à la confusion regardant ce qui se passe à la maison , son-
des langues et à la dispersion des hommes. geant aux affaires publiques, cela ne nous sert
5. Vous avez appris, mes bien-aimés, ce (jui à rien , ou même concourt à notre condamna-
a causé la dispersion des honunes, ainsi que la tion. En nous présentant devant un homme,
confusion des langues. Evitons, je ^ous en con- nous y attachons souvent tant d'importance,
jure, d'imiter ces hommes
et n'abusons jamais que nous ne voyons pas les assistants, mais
des bienfiiits de Dieu mélitons sur la fail)lesse
;
nous recueillons notre esprit, pour ne songer
delà nature humaine, pour modérer nos désirs qu'à celui que nous abordons: à plus forte
comn;e il convient à des mortels; songeons à raison devons-nous en faire autant avec Dieu,
la fragilité de l'existence présente à la brièveté , et penser constamment aux prières que nous

de notre vie, et mettons notre confiance dans disons.


nos bonnes œuvres. Pendant ces jours, ne Aussi Paul écrivait : Priez dans tous les
montrons pas seulement la rigueur de notre tcpîps, priezen esprit (Eph. vi, 18); non pas
jtùne, mais l'abondance de nos aumônes, et seulement par la langue et sans interruption,
l'assidnité de nos prières. En effet, les prières mais par l'âme , en esprit. Que vos prières
doivent toujours accomjagner le jeûne. Pour soient véritablement spirituelles, que votre
vous en asi^urer, écoutez le Christ: Ce genre raison soit attentive et votre pensée toujours
de démons n'est chassé que par la prière et le dirigée sur ce que vous dites. Ne demandez
jeûne. (Maltli. xvii, 20./ encore dit à pro-
Et il est rien qu'on ne puisse demander à Dieu afin ,

pos des Apôtres Après avoir prié et jeûné ^ ils


: que vous puissiez l'obtenir. Ne vous laissez
les rccommandère7it au Dieu auquel ils avaient point aller au sommeil ni à l'engourdissement,
cru. (Act. XIV, 22.) Et l'Apôtre dit encore A^e : maintenant votre esprit dans l'attention et la
vous privez point l'un de l'autre, excepté pen- vigilance, sans bâiller, sans vous gratter, sans
dant la prière et le jeûne. [\ Cor. vu 5.) Vous , promener vos idées d'un sujet à unautre^ mais
voyez comme le jeune et les prières se soutien- en travaillant à votre salut avec crainte et
nent. C'est alors que l'on peut prier avec plus tremblement. Bienheureux celui qui craint
d'attention ,
que notre esprit est plus dégagée* tout à cause de sa piété. (Prov. xxviii, M.) La
n'est point appesanti par le funeste fardeau de prière est un grand bien car si l'on en retire
:

la sensualité. La prière esl une arme puissante, beaucoup de profit quand on s'adresse à un
un appui solide, un trésor inépuisable, un port homme vertueux quel avantage n'en retire-
,

sans oragts, un asile inviolable, pourvu que t-on pas quand on jouit du bonheur de s'entre-
nous nous présentions devant Seigneur avec le tenir avec Dieu? car la prière est un entretien
attention et vigilance, l'âme entièrement re- avec Dieu. Pour le savoir, écoutez le prophète.
cueillie pour ne pas laisser la moindre place où Que mon langage plaise à Dieu (Ps. cui, 34),
puisse pénétrer l'ennemi de notre salut. Usait, c'e^t-à-dire qne ma parole paraisse agréable à
eu effet, que pendant ce temps nous pouvons Dieu. Peut-il accorder avant (ju'on ne lui de-
avoir des conversations édifiantes , confesser mande? Mais il attend l'occasion qui nous rend
nos péchés montrer nos plaies au médecin et
, avec justice dignes de sa providence. Que nos
en obtenir l'entière guérison aussi c'est ; demandes soient exaucées ou non persévérons ,

alors surtout qu'il nous assiège, qu'il déploie dans nos prières et rendons grâces à Dieu non- ,

toutes ses forces et son adresse pour nous seulement quand elles sont >alisfailes, ma'S
terrasser ou nous séduire. Veillons donc je ,
quand elles ne le sont pas; si Dieu refu:e, cela
vous en conjure, et counaissaul les euiLùches vaut aulaut poiu' uous que s'il accordait tout
508 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOilE.

car noup ne savons pas comme lui ce qui nous et l'amener à lui rendre justice, à plus forte
convient. Et comment s'étonner de ce que nous raibon, cous voulons imiter cette femme,
si

ne sachions pas ce qu'il nous iaudiait? Paul, nous engagerons notre doux et mi<:éricordieux
cet homme si grand et si supérieur à qui les , Seigneur a nous seccirir, lui *qui est si
mystères avaient été révélés, ne savait pas ce compatissant et qui lille si conftamment
qu'il devait demander. C-.r .'e voyant soumis à à notre saint Prenons donc l'habitude in-
!

tant de peines et de leiitaUons renaissantes, il vincible de nous livrer sans cesse aux prières
demanda d'en être délivré, non pas une fois le jour et la nuit mais surtout la nuit
;

ou deux mais plusieurs fois. Trois fois, dit-il,


, quand rien ne nous trouble , quand nos
fai imploré le Seigneur. (II Cor. xii 8.) Ce , pensées sont plus calmes quand la mai- ,

mot, trois fois, montre qu'il a prié souvent son est tranquille, quand personne ne peut
sans être exaucé. nous distraire ou nous déranger, quand l'es-
Voyons comment il l'a supporté. En est-il prit s'élève et s'examine avec soin devant le
devenu plus chagrin, moins zélé, moins actif? médecm des âmes. Si le bienheureux David,
Nullement. Mais que dit-il? Il m'a répondit: /iia en même temps roi et prophète, accablé de
grâce te suffit ; caria force s'accomplit dans la tant d'affaires, couvert de la pourpre et du dia-
faiblesse. Ainsi Dieu ne l'a point délivré (!c ses dème, disait Je me Icv 'is au milieu delà nuit
:

maux présents, et les a laissés s'attacher à lui : pour me confesser à toi sur les jugements de
soit; mais comment voyons-nous qu'il ne s'en ta justice (Ps. cxviii, G2}, que pourrions-nous
est pas affligé? Ecoutez Paul qnand il connut dire, nous simples particuliers oisifs, qui n'en
la volonté du Seigneur Je me glorifierai donc
: faisons pas autant que lui? Comme il était
volontiers dans mes faiblesses. Non-senlemeiit, pendant tout le jour entouré de soins, d'af-
dil-il, je ne demanderai 4»as à en être délivré, faires et d'embarras, cl ne trouvait pas le mo-
mais je m'en glorifierai avec plus de plaisir. ment de se livrer à Dieu, ce roi si occupé pre-
Voyez quelle reconnaissance quelle piété! ,
nait. p(>ur se présenter an S. igneur, le temps
Ecoutez ce qu'il dit ailleurs A'oî/5 7ie savons: de tranqnilliié que d'auirescon>acrenl au som-
ce que nous devons demaiider dans nos prières. meil sur une couche nsoelleuse où ils se re-
(Rtrm. vm, ^lî.) H est impo-si!)le, dit-il, que tournent à droite et à gauche alors il restait :

nous autres hommes sachions htut. il fau. lais- seul à seul avec Dicu, liNré à une prière sin-
ser cela au souverain Créateur de toutes choses, cère et assidue; aussi obtenuil-il tout ce qu'il
acce|)ler avec joie et plaisir les
épreuves qu'il demandait ses supplications combattaient
:

nous envoie ne pas juger les événements


et pour lui, éhvaient ses trophées et gagnaient
d'après rapi)arence , mais considérer que c'est victoire sur victoire. 11 eut des armes invinci-
la volonté du Seigneur. Car c'est lui qui sait bles, je veux dire le secours d'en-haut, qui
mieux que nous-mêmes ce qui nous convient, suffit, non-s»!ulement pour réussir dans les
lui qui sait nous conduire à notre salut. guerres humaines, mais aussi pour mettre en
G. Ne songeons donc ([uà une ciu^se, à prier fuite les cohortes des démons. Ecoutez encore
conslauunent, sans nous fâcher si nos prières ce i}u'il dit ailleurs : Mes larmes étaient mon
tardmit à être exaucées, mais en montrant une pain le jour et la nuit. (Ps. xli, 4.) Voyez
grande patience. Si Dieu recule rctfel de nos quelle componction contiiuu lie ! Et aussi : Mes
prières, ce n'est pas pour nous refuser, mais souffrances m'ont fait gémir ; chaque nuit je
c'est un moyen ingénieux (lu'il emploie pour baignerai mon lit de mes larmes. (Ps. vi, 7.)
accroître notre assiduité cl nous attirer Que pourrons-nous pour notre excuse,dire
sans cesse à lui : car un tendre père com- nous (|ui ne iherchons pas à montrer la même
mence par refuser à son enlant ce (piil veut comiionetion que ce roi entouré de tant d'oc-
pourtant bien lui donner , mais
pour c'est cupations? Est-il rien de plus beau que ces yeux
le garder plus longtemps près de Puisque lui. d'où les pleurs s'échappent sans cesse comme
nous le savons, ne désespérons jamais ne , des perles? Voyez ce roi plongé jour et nuit
cessons point d'avoir recours à lui et de lui dans les larmes et les prières; voyez aussi ce
adresser nos prières. Pniscpie la persistance d»^cteur du monde emprisonné et enchaîné
de celte femme dont parle l'Evangile a fini avec Silas priant toute la nuit, sans que sa
,

par vaincre ce juge cruel et inhumain (|ui ne douleur ni ses lers puissent l'en empêcher, et
craignait même pas Dieu (Luc, xvui, i, etc.), montrant au contraire un amour plus ardent
HOMELIES SUR LA GENÈSE. - TRENTE-UNIÈME HOMÉLIE. 500

pour le Seigneur. Paul et Silas priaient et testations. (I. Tim. Il , 8.) Si vous avez l'esprit
louaient le Dieu au milieu de la nuit. (Act. délivré d'affections illicites, que vous soyez sur
XVI, 25.) à la maison, dans la rue ou
la i)lace publicjue,

David sur le trône et sous son diadème pas- en prison, sur mer, dans une auberge, dans
la

sait sa vie dans les larmes et les prières l'A- ; une bouticjue, partout enfin vous pouvez in-
pôtre, ravi trois fois au ciel, à qui les mystères voquer Dieu et être exaucé. Puisque nous sa-
avaient été révélés, offrait au milieu de la nuit vons tout cela, unissons, je vous en conjure,
et dans les chaînes ses prières et ses louanges les prières au jeûne, pour nous préparer le se-

au Seigneur le roi se réveillait à minuit pour


: cours d'en-haut : fortifiés par cette assistance
confesser ses fautes, et les apôtres, à minuit, ne céleste, passons notre vie présente de manière
tarissaient pas de louanges et de prières. Rien à la rendre agréable à Dieu, et de mériter sa
ne peut nous faire obstacle, si nous sommes pitié pour l'avenir, par la grâce et la miséri-
Quel besoin avons-nous de temps et
attentifs. corde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui,
de lieu? Tous les temps, tous les lieux sont ainsi qu'au Père et au Saint-Esprit, gloire,
bons pour aller à Dieu. Ecoutez encore le pré- puissance et honneur, maintenant et toujours,
cepteur du monde qui vous dit Levez en tous : et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
lieux des mains pures sa)is colère et sans con-

TRENTE-UNIÈME HOMÉLIE.
« Et Tflara prit Abram et Nachcr, ses âls, et Loth fils d'Aran, et Gara, sa bru, femme d'Abram, Bon fils «t ,

il les emmena de la terre des Chaldéens pour les conduire au pays des Chana.ié-3ns et il vint juscju'à Cbarr«n ;

et s'y établit. » (Gen. U, 31.)

ANALYSE.

1. n faat prendre garde au démon qui guette les chrétiens k la Bn du carême, de même que les pirates guettent les marchands
sur point de rentrer au port avec une riche cargaison. Faire ses bonnes œuvres pour Dieu seul et sans songer aux hommes
le

ou à leur estime. —
2. Si nous ne veillons, il y a deux écueils où viendront échouer nos bonnes œuvres La louange que :

nous recevons des autres et celle que nous nous accordons secrètement à nous-mème, la vaine gloire et l'amour-propre. —
3. Explication du texte ci-dessus. Docilité d'Abraham aux ordres de Dieu. —
4. Grand mérite de l'obéissance d'Abraham récom-
pensé par une bénédiction admirable. —
5. L'obéissance d'Abraham triomphe de tous les obstacles. 6, 11 prit Sara SOO—•

épouse et Lot son aevcu et tout ce qu'ils possédaient à Charran. —


7. Elxliortation.

1. Je vous rends grâces pour le plaisir reur, s'il que son champ promet de multi-
voit
avec lequel vous avez hier accueilli mon plier les semences qu'il a reçues, s'il voit les
discours sur la prière, et pour le zèle qui épis s'élever, ne cesse d'y travailler de tout
vous fait accourir à ces instructions. Cela nous son pouvoir, et veille nuit et jour pour qu'il
donne à nous-méme plus de courage, et nous n'arrive aucun dommage au fruit de ses pei-
prépare à vous offrir avec plus d'abondance nes ; de même, moi aussi, voyant ce champ
la nourriture spirituelle. Comme un labou- spirituel si florissant, et cette semence spiri-

5, J. Ch. — Tome V,
âio TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

tuolle si bien cnrncitT^e dans vos âmes, ]p me une œuvre spirituelle, considère la doire hu-
réjouis it me fclic le mais jr m-- p-cp.iiea un
;
nriiie, reçoit ici-b-is sa lécoiiq)' use, et c^sse
grand tombal, connaissant la mécli.tnceté de d'avoir Dieu pour débiteur. Eu ellet, les hom-
l'cniinni qui en mu! à voire salut. Ainsi (|uc mes dont il voulait être loué lui ont accordé
Lspiialcs sur mi-r, lors(|u ils \oieiit un na- leurs élogis, et il se prive de ceux que le Sei-
vire rempli de ma ciiaiulises et portant , gneur lui avait |)ronus, lorsqu'il prétère la la-
d'immenses ridussis, lui dressent piincipi- veur pissagère de ses semblables à celle du
lement des eml)ûilj( s pour ra\ir la carfiaison Créateur de toutes choses. C'est ce que nous
et dépouiller l'équipage de même aussi ; api)rend le Christ à propos des prières, des au-
le diable, quand il vuil un grand amas de mônes et des jeûnes, en disant : Quand tu
lichessts spirituelles, un zèle fervent, un es- jeihiLS, parfwne ta tête et lave ta figure, afin
prit vigilant, quaid il voit que celle riclfesse que tu ne semblés pasjeîtiier pour les hommes,
i,'augmcr.tc de juiir en jour , il clii^rcbe à mais pour ton Père iniisible et ton Père invi- ,

mordre, et grince des dents; comme le pi- sible qui te voit te le l'endra. (Mat. VI, 17, 18.)
rate, il tôde autour de voU'^, imaginant une Et aussi : Quand tu fais V aumône, ne le pu-
foui'; d'ariiHci ^, afin de pénétrer par- un joint, blie p'is à son de trompe, dit-il, comme font
si pe il (|u'ii ^oil. de ^(^us leuviiu'i- nus et dé- les charlotnns dons les réunions et sur les pla-
pouill. s. et de unis ra\ir louti \otre riclii sse ces, afin d être vantés par les hommes. En vé-
fpitiluel e Ainsi, sttytins pruiieut-, je vous en rité ,
je te le dis, ils récom-
ont nçu leur
prie, tl [dus u(»tre ii( lies^^e ^[)iriluLlle anynicn- jt) ;/.s'e. Vous voyez (jue celui (jui recherche la
leia, plus nftre \i^ilanLe doit être active afin gloire humaine perd la gloire divine, et que
dc\euter les pièges tendus de toutes paris, celui qui fait le bien en se cachant des hom-
d'attirer sur nous, par la pureté de notre vie, mes, recevra publiquement, dans ce jour ter-
la bienveillaiice de Dieu, et d'aniver à nous rible, sa récompense des mains du Seigneur.
mettre au-dessus des traits du diable. Songez Car to7i Père invisible, qui a les yeux sur toi,
que c'est une bête féioce et pleine de ruses ; te le reiulra publiqucnwnt. Ne l'in(|uièle pas,
quand il ne peut nous conduire toutdroit au mal, dit-il, dece qu'aucun hommenetelouera.de ce

il nous Si doit alors par ses illusions. En elîet, que tu feras le bien en secret; souiie plutôt (pie
il ne conliaii'l et n<' foice j)ersoMne, non sans bienlôt la libéralité du Seigneur sera d'autant
doute il Ironqte seuKmenl, et ceux qu'il voit
! plusgrande, qu'elle ne s'exercera pi»inten secret
lail» ir il les terrasse. Ainsi
, quand il ne ,
ni à l'ombre,mais que devant tout le genre
pei.t f.ijre usaj^e du mal lui-même |)our nuire humain, depuis Adam jusipi'a la tin des siè-
ou\i iti uieiil à notre salut, snuvenl il profite cles, il proclamera et couronnera la vertu, et

(II- I. -hnes œuvres auxquelles nous partiei- te récompeustra des elforts qu'elle l'a coûtés.
|.(.i I jeier rbauKçon en secret et pour Quelle excuse peuvent donc a\oir les honmies
t. .
.1 Kiule.- nos richesses. qui, faisant aussi les mêmes elVurts, sacrilient
Une si-i.ilit ni ces dernières paroles? Il faut ce|)eihlant, pour la iiloire passagère, vile et
nous expliquer plus claii'euji ni, alin d'éviter les inutile que donnent leurs semblables, la gloire
embûches du démon eld eeh q)per a ses coups. qui les atlen<l au cii 1 ?
O'i ii.d il voit cpu! la |»erversilé loute nue nous 2. Soyons donc sur nos gardes, je vous en
ré.>i!gne,et(p.euoiisfiiyousriucontinencepuur prie, (luand nous enlreprenonsune œuvre spi-
en.bra>ser sleté, quand nous ri pous.^-ojis
1 1 cli rituelle, pour l'enfouir avec soin daus le trésor
nous délestons l'injuslicc, que
l'avarice, ipie de noire âme, afin d'être bien vus de cet œij
nous méprisons la mollesse, que nous nous qui ne dort jamais, et tpi'à propos des louanges
li\rons aux jtùiies et aux prières et que Iiumaines, soiMcnt inténsstes, nous ne nous
nous pratiquons l'aumône; alors il organise rendions pas indignes de celles du Seigneur.
une autre machination , ca|iable d'anéantir Voici, en effet, deux écueils funestes à noire
tous nos biens, et de rendre iiuuiles toutes nos salut l'altention que nous prêtons à la gloire
:

bonnes actions. Ceux (pu^oid.trionqdié de ses humaine «ians nos œuvres spirituelles, et l'or-
ruses à lirtie dénergie, il les prépare à s'enor- {iucil que nous donnent ncs bonnes œuvres.
gueillir de leurs bonnes œuvres et à se préoc- Aussi nous devons être prudents et vii;il;mts
cuper de la jilei.e luimaiiie alii) de leur ftire et a\iir sans cesse n cours aux remeiles de
l)crdrc la vciilablc gloire. Ciir celui uui, daus l'Ecriluic sainte pour uc pas sucççttll^çj: à ugg
HOMÉLIES SUR LA GEiNÉSE. — TRENTE-UNIÈME HOMÉLIE. M
bît'sstires criicllrs. Car celui qui .iiirafait mille ricorde, a remîs et olTacé tous tes p^ch('^s, et ta
hoiines actions, qui aura accompli toutes les les ra|)peilesencore Oui, je sais, dit-il, je nU-
!

vertus, devient, s'il s'enorgueillit, le plus gnoie pas que Dieu m'a tout remis mais(juand :

déplorable et le plus misérable des liommes. je considère d'un côté ce (|ue j'ai fait, et de
Et cela nous est démontré par l'bistoire de ce l'autre l'océan de la divine misériconle, je sais
pharisien qui s'enorjrueillissaiten se comparant bien alors que c'est à sa grâce et à sa [>itié que

au publicain; il tomba tout à coup au-dessous je dois dclre ce que je suis. Car, après avoir
du publicain et perdit tous ses trésors de vertu dit Je ne suis
: pas digne du nom d'Apôtre^
par l'imprudence de sa langue il resta (Luc, : parce que fai persécuté VEglise de Dieu, il
xvui) nu et dépouillé p ir une étrange et nou- ajoute mais, par la grâce de Dieu, je suis c<
:

velle espèce de naufrage, car, en arrivant au que Je suis. Je me suis livré, dit-il, à det
port, submergé lui-même toute sa cargai-
il a transports de fureur, mais par sa grâce et sa
son ; en perdre par une prière impru-
ellet, se bonté ineflablcs, il m'en a accordé le pardon.
dente, c'est la même chose que de faire nau- Ainsi vous avez vu cette âme contrite et
frage au port. Voilà pourquoi leCliri.4 donnait traînant sans cesse le sou\enir de ses péchés,
à ses disciples le précepte suivant Quand cous : même de ceux (|ui avaient précédé le baptême.
mirez tout fait^ dites : Nous sommes des servi- Nous aussi, imitons-le, rap|)eions-nous chaque
teurs inutiles [Lnc^ XVII, 10), voulant ainsi les jour même nos péchés antérieurs au baptême;
préserver et les éloigner le plus possible de ce songcons-y constamment et ne les laissons
redoutable écueil. Vous voyez donc, mes bien- jamais tomber dans l'oubli. Cela sera un frein
aimés, que celui qui recherche la gloire hu- sulfisant pour nous maintenir dans la mode>tie
maine, et n'a pas d'autre but en pratiquant la et l'humilité. Mais, sans nous arrêter plus
"vertu, n'en retire aucun profit, et ((ue celui longtemps sur un homme tel que Paul, voulez-
qui, après avoir accompli toutes les œuvres de vous examiner aussi même dan- l'ancienne
,

la vertu, vient à s'en enorgueillir, reste nu et loi, les hommes les plus méritants tjui sont

dépouillé de tout. Fuyons donc, je vous prie, restésmodestes malgré leurs innombrables
ces deux grands écueils; ne considérons que bonnes œu\res, et leur ineffable eoi fiance en
l'œil toujours éveillé, et n'ayons aucune com- Dieu? Ecoutez ce que dit le Patriarche, après
munic'.tion avec nos semblables du moins pour avoir fait alliance avec Dieu, et en avoir reç;j
rechercher leurs louanges, mais contentons- la promesse. Je ne suis, dit-il, que poussière et

nous de celles du Seigneur. Lalouange ne vient cendre. (Gen. xvm, 27.)

pas des hnnmes, mais de Dieu. (Rom. ii, 29.) 3. Mais puiscpie nous avons rappelé le pa-
Et plus notre vertu s'accroît, plus nous devons triarche, nous allons, si vous lo VMuicz, on i.

rechercher la modestie et l'humililé! Car, en à votre charité la lecture d'hii-i', po-r n'I-
nous su[tposant arrivés au comble de la vertu, e^pliquer rcxcellencc de la vertu de ce jus e.
si nous comparons avec équité ce que nous Tharraprit Abrnm et Nuchor,s<'S filf<. ei Lotli,
avons fait de bien avec les bienfaits dont Dieu /fis de son fils, et Sara, sa bru. fem^ie d'Ahram.

nous a comblés, nous verrons que nous n'en son fils, et il les emmma de la terre d"s Chul-
avons pas égalé la moindre partie. Telle a été dcens pour les conduire au pmj^ ds t'imtia-
la pensée de tous les saints. Pour le savoir, jiéc'U'i : il vint jusqu'à Chmr'ii. it s g ètabl>t.

écoutez le plus grand docteur de la terre, Et les jours de Tkarra à Chni / m


ew« rf- ux -

voyez comment cet esi)rit qui touche au ciel, cent cinq ans, et il mourut à ( uartan. I.tu
après tant de grandes œuvres, après un [lareil dions altentivement, je vous prie, celte lecture
témoignage d'en-haut Celid-làest pour moi un
:
pour comprendre le sens de ces paroles. D'a-
vase d'élection (Act. ix, 15), ne dissimule au- bord, semble se [)résenler une question.
il

cune de ses fautes, comme il les étale à pleines Tandis que le bienheureux prophète (j'entends
mains; il n'oublie pas même celles dont il se Moïse), nous dit: Tlvrra prit Abram et Nachor
savait délivré par le baptême, mais il s'écrie : et les emmena de la terre des C/ialdceif^ pour
Je suis le moindre des apôtres et je 7ie suis pas les conduire au i<ays des Clianafiéens : il vint
digne du nom d Apôtre. (I Cor. xv, 9.) Puis, ce jusqu'à Clwrran et .s' g établit ; saiulEUcnne,
voir l'excès de son humilité, faisant l'éloge des Juifs, dit île son côté f^ :
qui nous fait il

Dieu de gloire montré à notre père Abra-


ajoute : Parce que j'ai persécuté V Eglise de s'est

ham, en Mésopotamie avant qu'il n'habitât


Dieu. Que fais-tu, ô Paul? Dieu, dans sa misé- ,
S12 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN GHRYSOSTOME.

Charran, cCoii il le fit partir après la mort de pareil ordre répugnerait à ce juste et lui serait

son père. (Act. vu, 2, 4.) Quoi donc! les saintes pénible à accomplir? Pars, laisse tes parents,
maison paternelle, et viens sur la terre que
Ecritures sont-eiles en contradiction avec elles- la

mêmes? Non, certes. Mais nous devons en con- je te montrerai.


clure que le étant croyant, Dieu lui apparut
fils Qui ne serait troublé de pareilles paroles?
pour ordonner ce départ, et que, en étant ins- Dieu ne lui désigne d'une manière précise, ni
truit,son père Tharra, quoique infidèle, voulut l'endroit ni le pays, mais il sonde l'esprit du

faire ce voyage avec son fils chéri; il vint à juste par l'incertitude de son commandement.
Charran, s'V fixa, et c'est là qu'il quitta
cette Si tout autre, si lepremier venu avait reçu cet
vie. Alors le patriarche vint par ordre de Dieu ordre, il aurait dit Soit; tu veux que je quitte
:

au pays de Chanaun. Du reste. Dieu ne le fit pas le pays que j'habite, ma famille, la maison de

\enir avant la mort de son père. Mais, après mon père. Pourquoi ne me dis-tu pas aussi

celte mort, le Seigneur dit à Abraham quitte : quel est l'endroit où tu m'envoies afin que je
cette terre, ta famille et la maison de ton père, sache si j'ai beaucoup de chemin à faire? Com-
et viens dmis la terre que je te montrerai. Je ment saurai-je si mon nouveau séjour l'em-

ferai naître de toi une grande nation, je te bé- porte sur celui que j'abandonne, par l'abon-
nirai, et je glorifierai ton nom et tu seras béai : dance et la fertilité? Or, le juste ne dit rien,
je bénirai ceux qui te béniront, et je maudirai ne pensa rien de semblable, mais songeant à
ceux qui te maudiront, et toutes les tribus de rimi>orlarice d'un pareil ordre^ il préféra lin-
la terre seront bénies en (Gen. xu, 1, 2, 3.) toi. cerlain au certain. Cependant s'il n'avait pas
Eludions avec soin chaque parole pour voir eu de hautes pensées et l'esiirit plein de sagesse,
quelle était la piélé du paîriarche. s'il n'avait pas su qu'on doit en tout obéir à
Ne négligeons rien de ce qui précède, mais Dieu, il aurait encore eu un grave motif pour
songeons à la gravité de celte iiijonclion : Sors, le retenir; j'entends lamort de son père. Vous
dil-il, d'i ton pay^, qidtte ta famille et la mai- savez, en que bien des [)ersonnes préfè-
effet,

son de ton père, et viens dans la terre que je te rent mourir aux lieux où sont les tombeaux de
montrerai. (Vest disait Abandonne
comme s'il : leur famille, là où leurs ancêtres sont morts
une existence connue et assurée pour en pren- eux-mêmes.
dre une inconnue et incertaine. Voyez comme 4. Sans doute ce sage, s'il avait eu moins de
le juste est éprouvé dès le commencement, piété, aurait pu se dire Mon père a quitté sa
:

comme il doit abandonner le certain pour l'in- maison par amour pour moi il a rompu ses ,

certain et le présent pour l'avenir. En effet, ce anciennes habitudes et a tout négligé pour ve-
n'est pas là un ordre qu'on soil habitué à rece- nir jusqu'ici c'est presque pour moi qu'il est
;

voir; il fallait quitter le pays qu'il avait habile mort sur une terre étrangère, et moi je ne
si longtemps, toute sa famille, toute la maison chercherai pas à lui rendre la pareille après sa
de son père, et aller sans savoir où, dans un mort ,
je laisserai ma
tombeau de
famille et le
pays inconnu. Car Dieu ne lui dit pas dans mon père et je partirai Rien de tout cela ne
, !

quelle contrée il veut le transporter, mais il put ralentir son zèle, mais son amour pour
éprouve la piété du patriarche par ce qu'il y a Dieu lui rendit tout simple et facile.
de vague dans son commandement. Viens, dit- Peut-être encore s'il avait voulu prêter l'o-

il, dans la terre que j'j te mo)ilrcrai. Songez, reilleaux raisonnements humains, se serait-il
mec bien - aimés, quelle force d'esprit cela exi- tenu ce langage? Dans cet âge où j'arrive, au
geait, et combien il fallait être dégagé de toute terme de la vieillesse, où irai-je? Je n'emmène
atleclion et de toute habilude. Maintenant en- point de frères, je n'ai pas de parents avec
core, après les progrès de la religion, bien des moi; séparé de toute ma famille, seul et étran-
gens sont esclaves de l'habitude au point de ger, comment medirigerai-je vers ce pays in-
supporli-r volontiers mille soutïVances, plulôt connu sans savoir ipiand jt' cesserai d'errersur
que d'abnndonner les lieux qu'ils habitent, à la terre? Si je meurs au milieu de mon voyage,
iiîoinb que la nécessité ne les y force; et cela à quoi m'auront servi tant de souffrances? qui
ne se voit pas seulement chez les premiers s'inipjiétera d'un viei!lard d'un étrange: sans ,

venus, mais chez ceux qni fuienf le tumulte du patrie^ sans maison? IVul-êlre ma fetnme im-
monde el qui ont choisi rexi^leiice des soli- pour obtenir leur pilié
plorcra-t-elle les voisins
taires : coiubica Uoac cluit-ii prububle qu'un et ramasser quelques aumOues ailu de m'ea^ ,
HOMÉLIES ôun u». uai^L^t. — TRENTE-UNIÈME IIOMf^LIE. 213

scvelir. ComMen il vaudrait mieux achever ici presser pour se faire baptiser, leur disait Raci :

lepeu de temps qui me reste à vivre que d'er- de vipères , doit avez-voia appris à fuir la co-
rer dans ma vieillesse et d'essuyer les railleries lère qui vous menace ? l'ailes de dignes
de tout le monde! On semoiiuerad'nn homme fruits de pénitence et ne pensez pas à dire :
qui ne peut pas vivre tran(iiiille à mon âge et Nous avons pour père Abraham ? Je vous lî
qui passe sans cesse d'un endroit à un autre, dis,Dieu peut faire sortir, mène de ce.', p'er-
sans s'arrêter nulle part. Eh bien ! ce juste ne rcs, des enfants à Abraham. (Mat. nr, 7, 9 ^
pensa à rien de tout cela et ne songea qu'à so Voyez-vous combien ce nom était grand aux
hâter d'obéir. yeux de tous? Mais longtemps avant l'accom-
Alais l'on dira peut-être : il suffisait, pour l'ex- pli'^sement, la piété du ju^te se manifeste par
citer, de cette promesse : Viens dans la terre sa confiance aux paroles de Dieu et la facilité

que je te montrerai^ et je ferai naître de toi une avec laquelle il se charge d'un fardeau qui
grande natioïi et je te bcnirai. Or, cela même semblait si lourd. Je bénirai ceux qui te béni-
s'il n'avait pas eu tant de piété, aurait pu lui ront et je maudirai ceux gin te maudiront , et
rendre l'obéissance plus pénible et plus diffi- toutes les tribus de la terre seront b'nies en toi.

cile. A sa place, le premier venu aurait pu Voyez comme Dieu s'abaisse jus(ju'à lui , et
dire Pourquoi m'exiles-tu et m'envoics-tu
: quelle preuve il donne de son affection
lui !

dans une terre étrangère? pourquoi, si tu J'aurai, dit-il ,


pour amis, ceux qui vivront en
veux m'élever, ne m'clcves-tu pas ici môme ? paix avec toi, et pour ennemis ceux qui vou-
,

pouniuoi ne me trouves-tu pas digne de ta bé- dront te nuire; tandis (jue c'est à peine si les
nédiction dans la maison de mon père? Avant fils partagent les amitiés et les inimitiés de
d'atteindre ce séjour oîi tu m'envoies, si je leurs pères. Voyez, mes bien-aimés jus ju'où ,

succombe aux fatigues du voyage et si je va la bienveillance de Dieu pour le patriarche :

meurs, qu'aurai-je retiré de tes promesses? Je bénirai, dit il, ceux qid le béniront et je
Aucune de ces idées ne pénétra d.ins son es- maudirai ceux qui te maudiront et toutes les ,

prit; mais , comme un serviteur fidèle, il n'é- tribus de la terre seront bénies en toi. Voyez
coula que le commandement, sans montrer de quel surcroit de libéralité! Tontes les trifjusde
curiosité et sans chercher de prétextes: il obéit, la terre, dit-il, s'efforceront d'être bénies en ton

sachant que Dieu ne promet jamais en vain. nom et se feront un honneur de l'invc:]uer.
Je ferai naître de toi une grande naiioji et je 5. Vous avez vu ,mes bien-aimés, ce que
te bénirai; je r/lorifierai ton nom et tu seras commanda Seigneur au vieillard de Chal-
le
béni. Voilà une promesse magnifique. Je ferai dée, qui ne savait point la loi, qui ne connais-
naître de toi une grande nation et je te bénirai^ saitpas les prophètes et qui n'avait reçu aucun
et je glorifierai ton nom. Non-seulement tu se- enseignement. Vous avez vu combien de pré-
ras l'origine d'un grand peuple et je rendrai ceptes lui ont été donnés et combien il devait,

ton nom glorieux, mais^e te bénirai ^ tu seras avoir d'élévation et de vigueur dans l'esprit
ô^/h7 Ne croyez pas , mes bien-aimés, qu'il y pour les accomplir. Voyez aussi la sagesse de ce
ait une répétion inutile dans mots : Je te béni- patriarche, ainsi que l'Ecriture nous la fait sen-
rai et tu seras béni. Je t'accorderai , dit-il, une tir Abram partit comme le Seif,n€ur Dieu le lui
!

telle bénédiclion qu'elle s'étendra dans l'éter- avait dit, et Loth alla avec lui. Le texte ne dit
nité. Tu seras béni, au point que l'on regardera pas simplement : Abram partit; niais il ajoute :

comme le plus grand honneur d'être allié avec Comme Seigneur Dieu le lui avait dit. Il fit
le

toi. Voyez comme longtemps à l'avance et dès tout ce qui lui était ordonné. Dieu lui dit de
le commencement il lui prédit l'illustration tout abandonner, sa famille et sa maison il les :

qu'il lui préparait. Aussi les Juifs, fiers de leur abandonna. Dieu lui dit d'aller sur une terre
patriarche, se vantaient de se rattacher à sa fa- inconnue il obéit. Dieu lui promit de le ren-
:

mille et disaient : Nous sommes les /Us dAbra- dre père d'un grand peuple et de le bénir il :

ham. Mais, pour leur montrer que leur perver- crut que cela arriverait. 11 partit comme le
sité les rendait indignes de cette descendance lui avait dit le Seigneur Dieu, c'eslà-dire, il
le Christ leur dit : Si vous étiez les fds d Abra- crut à toutes les paroles de Dieu sans licsiter,
ham, vous feriez les onivres d Abraham (Jean, . sans douter, mais il i>artil l'âme pleine de
vni, 39.) De même, Jean, le fils de Zachurie, conslance et de fermeté. Aussi fui -il tiès-,
Uusod il voyait Içs Juifs accourir à lui et s'em- agréable au Seigneur»
^u TRADUCTION FRANÇAISE dx^ «.t^rrr tp\m rwpvcnciTOME,

Cependant rFxritiire <^lit : Et Loth partit vieillesse,il attacha uniquemeut. son psprit à

avpx Pourquoi, lorsque Dieu lui avait dit:


lui. l'accomplissement des œuvres de Dieu. El l'un
Quitte ton pays^ ta famille et la maison de ton put voir une chose vraiment merveilleuse :

père, Abram a-t-il emmené Lolh? Ce n'est pas un homme d'une extrême avec sa
vieillesse
qu'il ait désobéi au Seigneur, mais c'est peut- femme, elle-même fort avancée en âge, et toute

être qu'il servait de père à Loth qui était encore leur suite, voyageant sans connaître le terme
jeune et que celui-ci d'un caractère doux et
, , de leur course vagabonde. Il faut réfléchir aussi
aimant, avait peine à quitter le juste, qui , par combien les routes étaient alors difficiles; on
celte raison, n'eut pas le courage de s'en sépa- ne pouvait pas alors, comme aujourd'liui, se
rer. Du ret-te, i! le traita comme son fils, n'ayant joindre sans crainte à d'autres personnes pour
pu avoir, juiiu'à cet âge avancé, aucun enfant circuler librement; chaque pays se gouvernait
à cause de la stérilité de Sara. Dail leurs les à part, et les voyageurs forcés de passer d'un
mœurs du jeune homme se rapprochaient des prince à un autre se trouvaient presque cha-
vertus du juste. En effet, ayant à choisir entre que jour dans un nouveau rt-yaume. Tout
deux frères, il b'était attaché au juste combien : cela aurait suffi pour arrêter le ju>te, si son
ne lui fallait-il pas de prudence pour juger et amour et son désir de ^obéi^smce n'avaient
ap|)récier celui de ses oncles auquel il devait été plus forts. Mais lui, ayant brisé ces obsta-
se fier? Le parti qu'il prit de voyager fut donc cles comme des toiles d'araignée et raffermi
une I euNO de ses bonnes qualités. Si plus tard
. son âme par sa foi, se mit en chemin. Abram
il ne sembla pns toujours irréprochable, du prit Sara , son épouse , et L'<th , fils de son
moins lorsqu'il eut à choisir, il s'efforça de frère, avec toid ce qitils possédaient à Char-
suivre les traces du juste. Aussi quand le juste ran, et partit pour se rendre dans la tei're de
le choisit pour compagnon de voyage, il ac- Chanaan.
cepta avec ardeur, préférant, au séjour de la 6.Voyez combien l'Ecriture est précise
maison, les courses lointaines. comme elle nous dit tout ce qui peut faire
Ensuite, pour nous fuire savoir que le pa- ressortir la piété du juste. // prit Sara son
triarche n'était plus jeune quand Dieu lui épouse et Loth, fils de son frère, ainsi que tout
commanda ces voyages, mais qu'il était dans ce qu'ils possédaient à Charran. Ce n'est pas
un âge avancé ou > hommes craignent d'or- ! sans intention que lEcrilure dit: tout ce qu'ils
dinaire ces fatigues, il est dit Abram avait : possédaient à Charran ; elle veut nous appren-
soixante-quinze ans quand il sortit de Charran. dre que le patriarche n'a rien pris des biens
Vous voyez que l'âge ne lui a pas fait obstacle, de Chaldée, qu'il a laissé à son frère tous les
non |»lus (ju'aucuiio des raisons qui auraient biens paternels situés en ce pays, et qu'il n'a
pu le ret( nii- chez lui mais son amour pour , emporté avec lui que ce ({u'il possédait à Char-
Dieu a triomphé de tout. L'âme vigilante et ran. Et même, si cet homme admirable les
prévoyante brise toutes les ontiaves, se donne emiiortait, ce n'était puinl par iiitéiêl ni par
tout entière au Dieu (pi'elle aime et ne se laisse avarice; mais pour que sa rici.esse put faire
retarder par anciin de s obï^tacles qu'elle ren- Voir partout combien Dieu le protégeait. Car
contie : elle franchit tout tt ne s'arrête que celui qui l'avait tiré de la terre des Chaldéens,
lors{|u'elle est arrivée au but de ses désirs. et lui ordonnait un nouveau voyage, augmen-
Voila pourquoi ce juste, (jue la vieillesse et tait ses bienscha(juejouret le préservait de toute
d'auiriîs raisons auraient pu empèchci' de par- peine; aussi, était-ce encore une preuve de sa
tir, rompant tous ses liens, comme s'il avait une si longue roule avec un
piété de le voir faire
été jeune et \igonrenx , comme s'il n'avait jkis si grand c(iuipage. Tous ceux (jui le voyaient
rencontré d'obstacless'enqm ssait , et se hàlait se demandaient avec raison poun|uoi ce juste
d'accomplir Tordre du Seigneur. D'ailhuirs voy igeait. Puis eu apprenant que l'ordre de
il est toujours impo>sible de réussir dans une Dieu lui faisait changer de pays et quitter ses
entreprise qui di mande du courage et de l'é- propriétés, on jugtait par sa conduite même
nergie, Fans >e pre|)arer et s'armer contre tout combien rol)éis>ance de ce juste prouvait de
ce ([III peut s'y oi.po>er. Coniiai>sant cette >é- jtiete et combien Dieu le pio egeail. // partit

rit«'* , ce juste sui monta tout , et, sans songer à pour se rendre dans la terre de Chnnaan. Com-
ses tiabitudes, à sa famille , a la maison ni au ment sa\ait-il que la terre de Cha.;aan devait
tombeau de sou père non plus qu'à , sa propre ôlro le terme de sou ^oja^ie, quoli^ae ioiJi'^
2iî

eût d'abord été ain^i conçu Va dam la terre : ne disait rien de semblable, il n'héçifnit pns.
que je le nimitrerdi. Poul èlie Dieu le lui an- La fermeté de son sprit t la peifeclion
( ( 'e fi

nonça-t-il, en nioulraut à son esprit la terre foi rendirent inél)ran'.d)lesa coofiauced mis l, s

où il voulait l'établir. Au^si, en lui faisant le promesses fie Dieu, ainsi (juc- sa «^ai^ess: , tl il

comnianclenieut, il disait d'une manière indé- mérita d'eu recevoir prunijitcuient la lé'oii-
terminée Va dans la terre que je te montrerai,
: peuse d'en liant.
afin de nous dcvoilerla vertu du juste. Ensuite 7. Mais pour ne pas trop étendre ch. di\'. i.

quand celui-ci eut complètement rassemblé nous nous arrétt-nms ici, en supphani <iiu;

tout ce (lui dépendait de lui, Dieu ne tarda pas votre cliarite se pénètre de Tesfirii de ce juste
à lui indi |uer la terre qu'il cluxait habiter. Ce de l'absurdiié de vi.i
serait le cond)le li

Comme il prévoyait les g.randes vertus de ce ce juste, ap|»elé d'une terre sur un anir Ir
juste, il lui fit clianijer de séjour, sans lui dire a montré tant d'obéissance el que, ni la ^u i

d'emmener son frère; c'est qu'il voulait s'en lesse, ni les autres obstacles (|Ue nous axons
servir pour faire pénétrer sa loi, non-seule- comptés, ni la difticullé des temps, ni tant
ment en Palestine, mais bientôt après en d'autres embarras ca|)al)!es de l'arrêt r, n'ont
Egypte. pu ralentir cette obéissance, mais i|ue, rom-
Vous voyez que ce n'est point de la nais- pant tous les liens, il s'est précipité, il s'est
sance, mais de la volonté de noire esprit que hâté comme si sa vieillsse avait é é tout à coup
dépendent notre vertu et notre perversité. Le rajeunie, emmenant sa femme, son neveu et
patriarche et Nachor étaient frères par la nais- ses serviteurs, pour accomplir l'œuvre imposée
sance, mais non par la volonté. Celui-ci, quoi- par Dieu; tandis que nous, qui ne sommes
que son frère fût parvenue une si haute vertu, point appelés d'une terre sur une autre terre,
était encore soumis à l'erreur; celui-là mon- mais de la terre au ciel, nous ne montrerions
trait chaciue jour, par ses œuvres, les progrès pas autant d'ardeur que ce juste dans notre
qu'il faisait aux yeux de Dieu dans la vertu. obéissance, mais que souvent nous prétexte-
Abram vint dans la terre de Chanann et la tra- rions des raisons insignifiantes et insensées, et
versa dans toute sa longueur jusqu'à un endroit que, ni la grandeur des prome^ses, ni la peti-.
appelé Sichem^ près d'un (/rand chêne. L'Ecri- tesse de tout ce que nous voyons, si fragile
ture nous indique les parties du pays où le et si passager, ni la majesté de ( elui qui nous
juste place maintenant sa tente. Puis elle ajoute, appelle ne suiflrait pour nous attirer, mais que
pour (jue nous sacliions comment il y vivait : nous serions assez négli.ents pour préférer ce
Les Chananéens habitaient cette terre. Ce n'est qui est passager à ce qui est éternel, la terre
pas sans raison que le bienheureux Moïse ajoute au ciel, et les biens qui s'évanouissent quand
cette ob-^ervation, mais pour que nous puis- on les touche à ceux qui ne linirunt jamais.
sions apprécier la résignation du p.driarche : Jusques à quand dites-moi aurons-nous la
, ,

toute la contrée étant occupée d'avance par les folie d'amasser des richesses? Quelle est cette
Chananéens, il était forcé, connue un étranger rage qui nous tourmente chaque jour de désirs
et un vagabond, comme l'homme le plus vil et si pénibles, qui ne nous accorde aucun repos,

le plus abject, de s'arrêter n'ii porte où, sans et qui nous met dans un état encore pire que
peut-être trouver d'asile. Cependant il ne s'en celui des honunes ivres? Ceux-ci, en effet, plus \

impatientait pas; il ne disait pas : qu'est-ce ils boivent, plus ils ont soif, et plus le feu de |
donc? Moi qui de considéra-
vivais avec tant leur passion est ardent; de même, ceux qui se ')

tion à Charran, moi qui avais tant de serviteurs, sont laissé tyranniser parle désir des richesses «

je suis forcé maintenant, comme un exilé, un ne cessent jamais de dé>irer; plus ils regor-
étranger, un passager, à me trouver trop heu- gent de trésors, plus leur ardeur s'augmente,
reux qu'on me laisse voyager, pour chercher plus leur feu s'allume. Ne voyez-vous pas que
un modeste refuge. Et je ne le trouve même tous nos devanciers , eussent-ils possédé la
pas; je suis contiaint de vivre d ms des tentes terre entière, étaient nus et seuls en (|uit-

et des Cub mes et de porter avec moi ces far- tant ce monde , sans autre profit que d'a-
deaux que la nécessité m'iin|)0se. Est-ce là ce voir à r ndrc compte là-bas «le leurs im-
qui m'a é;é <!il Vie:is^ et je ferai naî'rc de
: menses riches es ? Quant aux bit ns qu ils
toi iinegrandt nation? C'était là un beau p;é- avaient amassés, diliércnts heiiàers se les
lude : quel avantage en retirerai-je? Le juste sont partagés; mais tous les pccbés comn-is

X
S1« TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHHYSOSTOME.

pour l'acquisition de ces biens, c'est celui qui toutes les p-îssiori!^, et nous ne finirons pas par
s'en va qui les emporte pour en subir l'épou- y songer Qui pourra désormais nous juger
!

vantable châtiment, sans pouvoir jamais tirer dignes de pnrdon et nous sauver du supplice
de nulle part la moindre consolation. Pour- qui nou> attend? Aussi, je vous e i supplie,
quoi donc, dites-moi, restons-nous si indo- pendant que nous en avons encore le temps,
lents pour notre salut, sans songer à notre purifions-la de ses souillures par d'abondantes
âme plus que si elle nous était étrangère? aumônes qui élcindron' le bù her de nos pé-
N'entendez-vous pas le Christ qui nous dit : chés En effet, l'eau éteiiidra le feu et les au-
!

Qne donnera Vhomme en échanr/e de so7i âme mônes enlèveront les péchés. (Eccl. ni, 33.)
Que sert à l'homme
(Mat. XVI, 26)? et encore : Rien donc, rien n'est plus puissant pour nous
de gagner le monde s'il perd son âme ? , préserver du feu éternel que l'abondance des
Avez -vous rien qui s'y puisse comparer? aumônes. Si nous les faisons suivant les lois
Quand vous diriez toute la terre, ce ne serait
: établies par leSeigneur lui-même, c'est-à-dire
rien.A quoi nous servirait-il, dit le Christ, de sans rien donner à l'ostentation, mais tout à
gagner le monde et de perdre notre âme, qui l'amour de Dieu, nous pourrons effacer la souil-
nous touche plus que tout? Et cependant, cette lure de nos péchés et obtenir la miséricorde de
âme si précieuse, qui exige tant d'attentions et Dieu, par la grâce et la pitié de son Fils uni-
de soins, nous la laisserons chaque jour tirail- que , auquel qu'au Père et au Saint-
, ainsi
ler en tous sens; tantôt assiégée par l'avarice, Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant
tantôt déchirée par la luxure, tantôt flétr.e par et toujours, et dans les siècles des siècles.
la colère, enfin agitée de mille manières par Ainsi soit-il.

TRENTE-DEUXIÈME HOMÉLIE.

€ L« Seig.oeur apparut à Abraham et, lui dit : Je donnerai à ta postérité cef.e terre ; et là Abraham dresaa un

autel au Seigneur qui lui était apparu. > (Gen. XII, 9.)

ANALTSE.

\. Exiiorlalion h profiter de rinstnidion. — 2. Dieu apparut à Abraham ;


que ce mot appnruf se lit dans
c'est la prcmii're fois
rKcriliiro. Dieu l'prouvc soiiveiil mais n'ahamionne jamais les justes. —
Courses et porOL'rinations dWltraliam dans le pays
3.
de Cliaiiaan. 1! loue dans la lonle. Il va plus ai>émcnt d'une répion à une autre que les auditeurs de saint Clin'soMomr n'allaient
de la V le à 11 campapne. —4. La disette forée Aliraliain d'aller en Kçypto ; il conseille à sa femme de se faire passer pour

sa srpur — •'). Que
^ celte
.... é^i^ptive
.,... —
affreuse cilrémite. 7-8. llumilialion de l'haraou. —
un et pc
dut tMre ciuellc pour l'un pour l'autre
I 6. Comment ! —
Coramen Dieu viul à leur secours en cetlâ
0. Eihorlatiou

i. 11 -y a, mes bion-aimés, un grand et im- bonté de Dieu n'a pas voulu qu'une lecture
mensc trésor dans ce qui vient d'être lu, et il dos Kcritnres, faite rapidement et à la lé-
faut un esprit attentif, une raison active et gère, suffise pour nous rendre clair et évi-
vigilaiite, pour que rien ne nous éeliai)pe du dent tout eo (pii s'y trouve contenu, c'est atln
sens caché dans ces courtes paroles. Si la d'éveiller notre paresse et de ranimer notre
HOMELIES SLR LA GENÈSE. ^ TRENTE-DEUXIÈME HOMÉLIE: f*7

vigilance pour que nous en lirions plus de notre bonheur, quand même nous serions à
fruit. En effet, ce qui ne peut se trouver qu'a- l'abri de tout reproche, si vous ne montriez
vec beaucoup de soins et de recherches, se pas un zèle digne de nos peines; car la princi-
grave ini(>ux dans l'esprit au contraire ; ,
pale cause de notre joie, c'est de voir vos pro-
ce que l'on découvre facilement échappe hien grès spirituels. Je sais, il est vrai, que, par la
vite à la mémoire. Ne soyons donc point négli- grâce de Dieu, vous avez assez de sagesse pour
gents, je vous en prie, mais réveillons notre pouvoir môme instruire lesautres; mais, comme
esprit et plongeons nos regards dans la profon- le conseille saint Paul, je vous rappelle toutes
deur des Ecritures, afin d'en rapporter un profit ces vérités, je réveille votre zèle et votre ardeur,
plus considérable. Car TEglise de Dieu est un je vous avertis sans cesse |)arce que je veux ,

marche spirituel, c'est la maison du médecin des vous voir parfaits et accomplis. C'est pour moi
âmes; il faut faire comme au marché, d'où l'on une grande |)reuve de vos progrès vers Dieu,
revient chargé de provisions, comme dans la que votre empressement à venir ici chaque
maison du médecin, d'où l'on rapporte des remè- jour et votre avidité pour l'enseignement spi-
des pour diverses maladies. Si nous venons ici rituel. Car, de môme que rap|)étit de la nour-
chacjue jour, ce n'est pas simplement pour nous riture matérielle est la meilleure preuve de la
y rencontrer et nous séparer ensuite; nous nous santé, de mcme le désir de la nourriture spi-
réunissons pour que chacun apprenne quel- rituelle est l'indice le plus sûr d'une âme bien
que chose d'utile et reçoive un remède contre portante. Je vous sais si bien disposés que les
les maux (jui le tourmentent. Autrement ce se- plus longs discours ne peuvent jamais vous
rait le comble de l'absurdité. En effet, quand suffire ni vous rassasier de cette nourriture
nos enfants reviennent de nous leur de-
l'école, spirituelle aussi je ne cesserai pas, suivant mes
;

mandons ce qu'ils ont appris de nouveau car , forces et les secours de la grâce divine, de tra-
nous ne les enverrions pas à l'école seulement vailler pour vous chaque jour et de vous pré-
pour le plaisir d'y aller, si nous ne trouvions senter les enseignements des saintes Ecri-
pas que leur instruction fait tous les jours tures.
des progrès nous de même
; parvenus à ,
2. Prions donc aujourd'hui le Dieu de misé-
l'âge de raison et fréquentant les écoles spi- ricorde pour qu'il conduise notre langue à la dé-
rituelles, ne devons - nous pas y mettre le couverte des vérités que nous cherchons ; et
même ,
puisque le salut de notre
soin suivant notre habitude, nous offrirons d'abord
âme dépend du fruit que nous y faisons ? à votre charité ce qui vient d'être lu. Le
Aussi, je vous en prie, que chacun de nous Seigneur apparut à Abram et lui dit : N'a-
s'examine chaque fois pour voir ce qu'il a re- vais-je pas raison de vous dire eu counnençant
tiré de l'instruction de la veille et de celle du qu'un grand trésor était caché dans ce peu de
jour, afin que nous n'ayons pas l'air de venir paroles? Voici d'abord un préambule étrange
ici comme à une promenade. On ne pourra et inouï Le Seig7ieur Dieu apparut à Abram.
:

nous accuser, car nous faisons tout ce qui dé- C'est la première fois que nous trouvons dans

pend de nous et nous ne négligeons rien de ce l'Ecriture cette parole il apparut. Car l'Ecri-
:

qui est en notre pouvoir mais cela mettra ;


ture sainte n'a jamais employé ce mot à propos
dans leur tort ceux qui s'irritent contre nous, d'Adam, d'Abel, de Noé ou de tout autre. Pour-
qui sont inexacts à ces réunions ou qui ne cher- quoi donc est-il dit il apparut? Et comment
:

chent pas à en profiter davantage, car écoutez plus loin est-il dit Personne ne pourra voir
:

ce que dit le Christ à celui qui avait enfoui le Dieu et rester vivant? ( Exod. xxxni, 20.) Que
talent : Mauvais serviteur, il fallait déposer dirons-nous en lisant dans l'Ecriture : Il appa-
Vargent chez les banquiers , et je l'aurais re- rut? Comment apparut - il au juste ? Est-ce
trouvé avec intérêt à mon retour. (Mat. xxv, 26, que celui-ci vit la substance même de Dieu ?
27.) Et il dit aussi , à propos der^ Juifs : Si je Non, loin de nous cette pensée Mais (jue fut 1

n'étais pas venu, et si je n'avais point parlé, cette vision? Ce qu'elle fut. Dieu seul le sait ;

ils n'auraient point de péché, mais maintenant le juste seul pouvait le voir ; car notre sage
rien ne les excuse. (Jean, xv, 22.) et bon Maître sait encore condescendre à la
Du nous ne prétendons pas être irré-
reste, nature humaine pour se manifester aux hom-
prochable, mais nous désirons vous voir faire mes qui se sont préparés à en être dignes. Il
paç i« Pr 04»hète, en disant J'ai
des progrq?} et il manquerait quelque cbo^ 4 le fait XQir :
TRADUCTION FMN(;AISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.
21d

multiplié les visions, et dans la main des f^^ che pour le Seigneur Et le Seigneur Dietiop^
:

pJièles, j'ai été représenté sous diverses images. parut à Ahram. Comment cela? Comme Dieu
(Osée, XII, 10.) Par exemple, Isaïe le \it assis seul le sait, et comme le juste seid pouvait le
(Isaïe, VI, 1); cela est indigne de Dieu, car voir. Car, je ne puis trop le ré[)éter, j'ignore
Dieu n'est pas assis; comment cela se pour- comment cela s'est fait. J'entends seulement
puisque sa nature est incorporelle et
rait-il, l'Ecriture qui me dit : Le Seigneur Dieu appa-
impérissable? Daniel le vit aussi comme Y An- rut à Ahram , et lui dit: Je donnerai à ta race
cien des jours (Dan. vu, 9, 22) Zacharie l'a ;
toute cette terre.
TU sous unaspect différent (Zach. i), et Ezécliiel Rappelez-vous avec exactitude les promesses
encore sous d'autres. Voilà pourquoi il disait : que Dieu avait faites, et (juand vous verrez le
J'ai tnultiplié les visions , c'est-à-dire : j'ai juste souffrir des tribulations, quand vous re-
paru devant chacun suivant son mérite. connaîtrez l'excès de sa résignation, la solidité de
Et maintenant il avait tiré ce juste de sa son courage, la force et la fermeté de son amour
maison, et lui avait ordonné d'aller dans une pour Dieu vous a|)prendrez partout ce qui lui
,

autre terre. Celui-ci, quand y fut arrivé, errait il est arrivé à ne jamais penser que Dieu laisse

comme un vagabond et un étranger, dans ce son ouvrage im|»arfait. Si vous voyez un homme
pays encore occu|té par les Cliananéens , et de bien soumis à des tentations ou à quelques
cherchait où il pourrait s'établir. Le Seigneur, autres épreuves de la vie, songez combien les
dans sa bonté, voulut le consoler et fortifier voies de Dieu sont varices, et abandonnez tout
son courage pour l'empêcher de tomber dans à son incompréhensible providence. En etîet,

l'abattement et dans le doute à l'égard de la s'il a permis que ce juste , qui montrait tant de
promesse qui lui avait déjà été faite dans ces piété et d'obéissance, ait subi les épreuves (jue

termes Viens, et je ferai naître de toi une


:
vous allez connaître, ce n'est point qu'il ait dé-
grande nation. En effet, le juste voyait que les daigné son serviteur, c'est au contraire pour
événements semblaient contraires à cette pro- faire connaître sa vertu à tout le monde du ;

messe; il errait comme un honune vil et mé- reste, en use ainsi d'ordinaire avec tous les
il

prisé, sans reconunandations et sans refuge : justes, et ceux d'entre vous qui sont versés
il fallait donc relever son courage c'est pour ; dans la lecture des samtes Ecritures pourront
cela qu'il est dit Le Seigneur apparut à: conclure, de tout ce qu'ils y ont déjà trouvé
Ahram et lui dit : Je donnerai à'ta race toute que c'est là en effet la manière dont Dieu dirige
cette terre. Voilà une grande promesse pour la vie de ses serviteurs dès lors, ne serait-ce
:

faire suite à celle qui lui avait fait quitter son pas la plus extrême injustice de prendre pour
pays. 11 lui avait dit: Je glorifierai ton no)n un abandon cette conduite de Dieu, et ne faut-il
aussi ajoute-t-il maintenant. Je do) mer ai à ta l)asplutôt y voir la plus grande preuve de pro-
race toute cette terre. Tandis (jue le juste, tléja tection et de honte? En moniraut ainsi l'éten-
âgé , n'avait pas d'enfants à cause de la stérilité due de sa puissance, il a une double intention ;

de Sara, cette terre est promise au fils qu'il d'un côté il fait briller à tous les yeux la pa-
doit avoir. Considérez ici la miséricorde de tience et le counge de ses serviteurs, et de
Dieu qui, prévoyant la vertu du juste, vou- l'autre il f.iil trioni[)her sa providence dans les
montrera tous et la faire éclater aux yeux
lait la circonstances les plus difliciles: quand tout
conmie une perle cachée jus(|u'alors. A|>rès semlile [)resque désespéré, il arrange tout à sa
avoir fait suivre ses promesses d'autres |)ro- volonté, et auciui obstacle ne peut lui résister.
messes plus grandes , et les avoir conlirinec s de Le Seigneur Dieu apjtarittà Ahram et lui dit :

nouveau , il attend encore un peu pour faire Je donnerai à ta race toute cette terre. Voilà
éclater davantage la piété du juste le saint
: une grande promesse, et désirable surtout
homme , voyant (jue ces promesses ne se réa- pour le juste. Vous savez que ceux (|ui sont déjà
lisaient pas, ti'avail ni incpiictude, ni im|ta- âges, el (jui ont passé leur Nie sans enfants, dé-
tience , ni trouble d'esprit, sachant (jue ce tjue sirent en avoir. C'est pourquoi le Seigneur lui
Dieu a une annoncé arrive d une manière
fois otlrait cette récompense de l'obéissance (juil
Examinons tout a mesure
certaine et infaillible. avait montrée lorsque en entendant cette pa-
,

pour voir combien la sagesse du bon Dieu e.->t role : Si)rs de ton pays, il n'avait pas ditleré
ingénieuse et quels soins il a pris de ce juste, ou retanle, mais il avait obéi a cet ordre en
piusi que pour apprendre l'amour du patriar- l'cxcculiuit aussitôt; aussi, quand il eut fait c^
HOMÉLIES SLR LA GENÈSE. - TRENTE-DEUXIÈME HOMÉUEJ 2t9

qui lui était commandé. Dieu lui uit ^. ^^„_ .


un autel pour rendre grâce au Seigneur. Il sa-
lierai à ta race toute cette terre. vait, v-^ oa\2t savait d'une manière certaine
, il

3. Voyez comment par cette parole il relève que le Dieu de luuVoo choses ne demande rien
son esprit et compense largement ses fatigues. à la nature humaine, pour tant Ap. grâces inef-
Aussi le juste montrantsareconnaissance rend fables,qu'un cœur rcconnais:^ant et qui sache
à l'inslant des actions de grâce. // dressa à cet le remercier hautement de ses bienfaits. Mais
endroit un autel au Dieu qu'il avait vu. Et le "voyons aussi comment le juste quitte encore
lieu même où Dieu avait daigné parler avec ce séjour. Abram s^en alla et dressa son camp
lui fut consacré, au-
par ces actions de grâce , dans le désert. Voyez de nouveau sa piété et sa
tant ijuc cela fut en sa puissance. Voilà pour- grande résignation. Il quitta encore cet endroit
quoi il dressa unautel^ c'est-à-dire il remercia et dressa son cnnp dans le désert. Pourquoi cet
Dieu de ses promesses. De môme que souvent autre départ? Peut-être voyait-il que sa pré-
les hommes sont portés par leur inclination à sence déplaisait à quelques habitants. S'il alla
bâtir des maisons là oii ils trouvent leurs meil- au désert , il montra ainsi l'exi es de sa dou-
leurs voisins, souvent même à fonder des villes ceur et l'importance quil attachait à vivre en
et à les nommer sous l'inspiration de leur repos sans avoir rien à démêler avec personne.
amitié de même ce juste après avoir été ho-
; , Il partit et dressa son camp dans le désert.

noré de la vision de Dieu dressa un autel au, Voilà un étrange usage que la divine Ecriture
Dieu qu'il avait vu , et se retira de là. Pour- fait de ce mot, car elle parle du juste comme
quoi se rctira-t-il de là ? Comme la place était s'il s'agissait d'un chef d'armée; mais cette ex-

consacrée et sanctifiée par Dieu, il s'éloigna et pression de camp montre que le juste étaitaussi
vint à une autre place. // partit et vint sur à son aise dans ses mouvements que les soldats
une montagne à r orient de Béthel^ et il y dressa qui vont sans peine d'un lieu à un autre. Ainsi
sa tente. Demeure bien fragile direz-vous , I ce juste, quoiqu'il emmenât avec lui sa femme,
Voyezcomme il évitait le luxe et l'embarras, son neveu et une foule de serviteurs, n'avait
comme il se transportait facilement avec sa aucune peine à se déplacer. Avez-vous remar-
femme Ecoutez hommes et
et ses serviteurs 1 , qué l'existence simple et facile de ce vieillard
femmes! Souvent, quand nous voulons aller à avec sa femme et tant de serviteurs? Pour moi
la campagne nous faisons mille préparatifs
, ,
j'admire encore plus le courage de la femme.
nous avons une foule d'embarras, parce que Quand je songe à la faiblesse naturelle à la
nous traînons une quantité de choses qui ne femme et que je réfléchis à la facilité avec
servent à rien^ qui sont superflues et inutiles, laquelle celle-ci aide son mari dans ses dépla-
qui ne satisfont que nos caprices, et que néan- cements , sans l'impatienter, sans le gêner, je
moins il faut porter et remporter avec nous. suis stupéfait et je crois qu'elle n'a pas eu
Telle ne fut pas la conduite de ce juste. Que moins de raison et de courage que lui-même.
fit-il?Après avoir été honoré de l'entretien de Nous le verrons encore mieux en continuant
Dieu avoir consacré la place et bâti l'autel, il
, notre lecture. Vous avez vu qu'après avoir en-
passa ailleurs sans difficulté. Il dressa là sa tendu ces mots Je donnerai à ta race toute
:

tente ayant à V occident Béthel près de la mer^ et ne s'est pas reposé, et est
cette terre, le juste
Aggi à l'orient ; et il bâtit là aussi un autel allé sans cesse d'un endroit à un autre. Mais
au Seigneur et il invoqua le nom du Sei- voyez comment il est encore chassé du désert,
gneur. non plus par les hommes, mais par la contrainte
Voyez comme il montre sa piété dans toute sa de la famine. Il y eut une famine sur la terre.
conduite! Dansun endroit il bâtit un autel à Dieu J'appelle là-dessus l'attention de ceux qui par-
qui lui avait fait une promesse, et il quitte la lent au hasard, qui augurent étourJimenl et
place après l'avoir consacrée. Ailleurs, après qui disent un tel est arrivé la disette est ve-
: ,

avoir dressé sa tente de nouveau il bâtit un


, nue; un tel était là, il est survenu des acci-
autel au Seigneur et invoque le nom du Sei- dents. Vous voyez qu'à l'arrivée de ce juste, il
gneur. Voyez quelle sagesse voyez ce précepte ! se manifeste une disette, et une forte disette;

écrit par le docteur de l'univers par saint cependant le juste n'est pas tourmenté, n'a
,

per-
Paul Levant au ciel en tous lieux leurs saintes
: rien à souffrir de la part des hommes, et
présence. Mais
mains , voyez comme le patriarche l'avait ac- sonne n'attribue la famine à sa

quand manqua de provisions et que cet'c


compli 4'iypÇÇ §d jçif^lf^^î ^ cb^iiue place il
220 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

famine se fut accrue, Abram se rendit p'^ ,%,iime. Voyez quelle était cette beauté ! Aprèi
Efjypte parce que la famine '-^^^^''^'f ^ur la
,
tant d'années et comme elle touchait à la vieil-

terre. lesse, les grâces de la jeunesse paraissaient en-


ht. RemaT*qLiez combien se prolongent les core sur sa figure, malgré tant de fatigues et
courses du juste. Dieu le destinait à servir de peines qu'elle avait supportées en voyage
d'exemple, non-seulement aux habitants de la pour visiter tant de pays, de Chaldée à Char-
Palestine, mais à ceux de l'Egypte, et à faire ran, deCharran à Chanaan, de Chanaan encore
resplendir partout l'éclat de sa vertu. C'était ici et là, et enfin en Egypte.
pour ainsi dire une lumière inconnue et cachée Quel est l'homme même vigoureux que n'au-
dans la terre de Chaldée ; il l'en relira pour raient pas abattu ces courses continuelles?
conduire dans la route de la vérité ceux qui Mais cette femme admirable, après avoir sou-
s'étaient arrêtés dans les ténèbres de l'erreur. tenu tant de fatigues, était encore d'une beauté
Mais l'on dira peut-être Pourquoi ne s'en : si éclatante que le juste en conçut une grande
est-il pas servi pour enseigner la piété par son et vive frayeur ; aussi lui dit-il : Je sais que tu es
exemple au peuple de Chaldée? Il a sans doute une belle femme. Quand les Egyptiens te ver-

pourvu à leur salut d'une autre manière; du ront ils diront : c'est son épouse, ils me tueront
reste, écoutez ces mots du Christ Un prophète : et te garderont. Observez la conQance qu'il
n'est 7îulle part moins honoré que dans son pays. avait dans sa femme, la certitude où il était
(Mat. XIII, 27.) Aussi pour remplir la promesse qu'elle serait inflexible aux louanges, puisqu'il
qu'il lui avait faite en lui disant je glorifierai : lui donne ce conseil pour : ne me tuent
qu'ils
ton 7iom, Dieu permit que la famine survînt pas afin de te garder, dis-leur donc : je suis sa
et le forçât d'aller en Egypte pour que les ha- sœur, pour qu'on me traite bien et que mon âme
bitants de ce pays connussent sa vertu. Car la vive à cause de toi. Comme cette demande avait
famine, semblable à un licteur qui emmène un quelque chose d'extraordinaire, il voulait, par
prisonnier enchaîné, les entraîna du désert en les paroles qui l'accompagnaient, Taltirer et
Egypte. Mais voyez ce qui va suivre, et dans l'engager à y condescendre, et lui persuader de
quelles difficultés le juste est tombé, pour que jouer son rôle de bon cœur. Quand les Egyp-
nous connaissions son courage et la sagesse de tiens te verront ils diront : voilà safemme ils ,

safemme. Comme ils avaient fait beaucoup de me tueront et te garderont. Il ne dit pas, ils
chemin et qu'ils étaient près de l'Egypte, le t'outrageront, il ne veut pas l'etlVayer, mais
juste, saisi d'angoisse, et craignant presque sa crainte était relative à la promesse de Dieu.
pour sa vie, parle à sa femme en tremblant. C'est à ce propos qu'il dit : ils te garderont, dis-
Comme Abram approchait et qu'il allait entrer leur donc : je vous
je suis sa sœur. Imaginez ,

en Egypte, il dit d Sara son épouse : Je sais prie, ce que devait penser le juste en donnant
que fil es une belle femme. Quand les Egyp- ces conseils à sa femme. Vous savez, en ell'et,
tiens te verront , diront : c'est son épouse,
ils vous savez tous combien il est pénible pour un
ils me tueront et te garderont. Dis-leur donc : je mari de concevoir sur sa femme un pareil
suis sa sœur pour qu'on me traite bien par
y soupçon. Eh bien! ce juste selVorce de faire
égard pour toi et que mon âme vive à cause de consommer l'adultère. Cependant, mes bieu-
toi. Ces paroles vous montrent (jnelle était aimés, ne le condamnez pas témérairement,
l'angoisse et la crainte du juste ceiieiulaut, la : prenez pUitùl une haute idée de sa prudence
réflexion ne lui man(|uait pas, il ne se trou- et de son courage; il faut du courage, en elVet,
blait pas et ne disait pas hors de lui: Qu'est-ce? pour résister avec tant d'énergie au trouble d«i
sommes-nous abandonnés, sommes-nous trom- ses i^ensées et pour l'avoir dominé, comme ii
pés? La |)rovidence du Seigneur nous a-t-elle l'a lait, en donnant un pareil conseil. En elVet,
délaissés? Celui i\\i\ a dit: Je te glorifierai, et rien ni-st plus insupportable (jne ce trouble,
je donnerai à ta race toute cette terre, celui-là comme Salomon. La colère du mari est
le dit
nous au sort le plus cruel et nous
livre-t-il pleine de jalousie,il ne pardonnera pas au jour

jette-t-il dans un danger inévitable? P»ien de du ju(jc)ncut et ne changera sa haine contre


,

tout cela n'entra dans l'esprit du juste; il n'a- aucun présent. (Prov. vi , 34, 35) ; et encore :

vait d'autre souci que d'imaginer les moyens La jalousie est cruelle comme l'enfer. (Cant,
d'éviter la famine et d'échapper aux mains des vui, G.)
Egyptiens. Je sais, di\ri\, qm £^ w une belle 5. Nous voyons bien des hommes tellemeat
de cette fureur que non-seulement il s que Von me traite bien et que mon âme vive à
ne pardonnent point à leur femme, mais qu'ils couse de toi. C'est comme s'il lui disait : Dis :

tuent l'amant et eux-mêmes avec lui. Celte Je suis sa sœur, pour éviter (pie, forcé par la
fureur est si grande, cette jalousie si indomp- famine de fuir Chanaan, je ne tombe sous les
table, que celui qui est une de celle
fois pris coups des Egyptiens. Deviens pour moi ur^g
maladie néglige même son salut. Voilà ce qui cause de salut, «/m qu'tiu me traite b'oi à
prouve le courage du juste. cause de toi. Ces paroles sont touchante^ c'^gj; ;

Quant à sa prudence on voit jusqu'où elle va, que la fureur des Egypliens était l'^rrible et
puis(iuc réduit à de pareilles exlrcmiîés et en- que la tyrannie de la mort n'était pas encore
gagé comme dans des filels, il peut Irouver ce brisée; aussi le juste consent '
a^'ultère de sa
moyen de diminuer le mal. S'il avait dit que femme et semble même fa ' •
r cette souil-
c'était sa femme, et s'il n'avait imaginé de la lure pour éviter la mort, t et, l'aspect de
faire passer pour sa sœur, elle lui aurait encore la mort encore terribh
était portes d'airain
été enlevée, puisque sa beauté aurait excité le n'étaient pas encore romf- son aiguillon
liberlinage des Egypliens , et on l'aurait tué n'était pas encore émouss»- ous avez vu le
lui-même pour que personne ne pût porter lien d'affection entre le maï* i\ femme, vous
plainte. Ainsi placé entre ces deux funestes voyez aussi quel conseil le n» ose donner et la
dangers de l'incontinence des sujets et de femme peut recevoir Elle '» ! refuse pas et ne
la tyrannie du roi, il cherche dans sa dé- >e fâche point, mais elle fa' jut pour que la
tresse un léger adoucissement, et il dit à s feinte ne soit pas découvert coûtez, hommes
femme Dis-leur, je sws sa sœur, cela me sa.ur
: U femmes, imitez cette con. .'de, ce lien d'af-
Tera peut-être du danger. Car, quant à i.i, îction, cet effort de piété et cette parfaite mo-
que tu passes pour sœur ou pour femme ridn , -stie de Sara. Si belle encore dans sa vieillesse,

ne peut l'empêcher d'êlre enlevée à cause de 'Avalisait avec les vertus de son mari aussi ;

ta beauté pour moi, j'éviterai probablement


; fv honorée de la protection de Dieu et des
Si

leurs embûches en prenant le nom de ton fuN d'cn-haut. Que personne donc n'ac-

frère. Voyez-vous quelle était la prudence du Cû\ ^)eauté, que personne ne dise ces pa-
juste, comment dans son embarras il sut trou- rolcii '-^échies telle femme, tel homme ont
:

ver le chemin qu'il cherchait pour dérouter été \K par leur beauté. 11 ne faut point

les embûches des Egyptiens ? Réfléchissez s'en pFv -'à la beauté; non certes! car elle
encore à la patience du juste et à la sagesse de vient de • i; c'est la perversité de la volonté

sa femme Le ! en effet, ne s'est pas indi-


juste, qui est cause de tous les maux. Cette femme
gné et n'a point dit pourquoi conduire avec
: aussi admirable par la beauté de sou âme que
moi une femme qui soulève cette tem[)êle?à par celle de son visage, vous la voyez suivre
quoi me sert sa société puisque je tombe pour lespas du juste. Que les femmes suivent son
elle dans les plus grands dangers? quel profit en exemple! Ni les grâces extérieures, ni sa stéri-

ai-je, puisque non-seulement elle ne me pro- litéprolongée, ni les grandes richesses, ni les
cure aucun soulagement, mais que sa beauté voyages et déplacemjhts, ni les tentations con-
met ma vie en péril ? 11 ne dit et ne pensa rien tinuelles et successives, rien, en un mol, ne
de semblable, il rejeta toute idée de cette put ébranler sa raison , ni altérer son calme.
espèce et ne douta point de la promesse de Aussi elle obtint un digne prix de sa résigna-
Dieu, il ne s'occupa qu'à fuir ce danger immi- tion ; dans son extrême vieillesse, ses entrailles
nent. Ici, mes bien-aimés, admirez l'inefiable stériles et presque mortes purent engendrer.
patience de Dieu, qui n'assiste et ne console Afin, dil-il, qu'ils me traitent bien par égard
point le juste, mais laisse le mal s'aggraver et pour toi, et mon âme vivra à cause de toi. Il
s'accroître jusqu'à l'extrême, et alors seulement ne me reste plus d'autre voie de salut que si tu
montre sa providence. Dis-leur donc : Je suis consens à dire je suis sa sœur. Peut-être alors
:

sa sœur afin quon me traite bien et que mon danger que je redoute ensuite je
éviterai-je le ;

âme vive à cause de toi. Si le juste parle ainsi, compte du


vivrai grâce à toi, et je te tiendrai
ce n'est pas que l'âme doive mourir; en effet : reste de ma vie. Ces paroles suffisaient pour
Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, mais toucher sa femme et pour l'engager à lui com-
qui ne peuvent tuer l'âme. (Mat. x, 28.) Il ne plaire.
parle ainsi à sa femme que par habitude. Afin 6. C'est là véritablement un mariage, quand
222 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME;

époux sont unis non-seulement dans la de faire naufrage, est-elle restée inébranlable
les ,

tranqiiiilité, mais dans les dr.ngers même I comme un rocher , yeux tournés vers
les la

c'est la preuve d'une affection légitime et puissance céleste ! Mais pourquoi parler de la

d'une amitié parfaite. Un roi ne lire autampas femme? Que devait penser le juste quand on
d'bonneur du diadème qui le couronne, que lamenait chez Pharaon ? Et Abram fut bien
cette femme bienheureuse ne tira d'éclatetd'il- traitépar eux, puisqu'il passait pour son frère;
lustration de la condescendance qu'elle montra on lut amena des brebis, des veaux, des ânes,
au conseil du juste. Comment ne pas admirer des serviteurs , des servantes , des chameaux ei

cette obéissance ? comment la louer digne- des mulets. Tous ces cadeaux qu'on lui faisait,
ment, lorsque, après une si longue chasteté tout ce luxe dont on l'honorait, quel incen-
et à un âge si avancé, elle consent, pour sauver die ne devaient- ils pas allumer chez lui? com-
son mari, au projet d'un adultère avec un bar- ment son âme n'était-tlle pas en feu, son cœur
bare? Mais attendez un peu, et vous verrez les dévoré, quand il songeait à ce qui lui valait
ressources de la Providence divine. Dieu n'a- vu comment son
tous ces présents? Vous avez
vait montré tant de patience que pour mieux malheur s'était presque accompli comment ,

faire valoir le juste, et apprendre non-seule- aucune force humaine ne pouvait s'y opposer,
ment aux Egyptiens mais aux peuples de Pa-
, comment tout était perdu d'après les prévi-
lestine, combien le patriarche était protégé par sions enfin, vous avez vu com-
humaines;
le Maître de toutes chosts. // arriva, quand ment la femme était presque dans la gueule
Abram entra en Egypte, que les Egyptiens vi- du monstre. Eh bien voyez maintenant l'i- 1

rent sa femme qui était extrêmement belle; les nex{)rimab!e bonté de Dieu, et admirez toute
officiers de Pharaon la virent aussi la vantè- , l'étendue de sa puissance Dieu frappa Pha- !

rent à Phaymon la menèrent à la demeure de


, raon ainsi que sa maison, dMfJUctions grandes
Pharaon, et traitèrent bien Abram à cause et pénibles, à cause de Sara, la femme d\A-
délie. On lui amena des brebis, des veaux, des hram. Que veut dire ce mot, frappa ? Cela si-
ânes, des serviteurs et desservantes, desmidets gnifie (ju'il le punit à cause de son audace et
et des chameaux. Vous voyez se réaliser toutes de son intention d'alultère. Il le frappa de
les prévisions du juste , lorsqu'il entra en grandes afflictions. Il ne frappa point le roi
Egypte. Les Egyptiens virent que sa femme d'une manière ordinaire, mais de grandes af-
était extrêmement belle, non pas simplement flictions. Comme l'insolence était grande, la
belle, maisexirèmement, au point d'attirer tous peine devait l'être aussi. Ainsi que sa maison,
les regards. Les officiers de Pharaon l ayant c'est-à-dire que le chàfiment du roi s'est étendu
vue, la vantèreiit devant Pharaon. sur sa maison. Et pourcpioi, lorsque le roi seul

Ne laissez point échapper ces paroles, mes fait une faute, toute sa maison parlage-t-tlle
bien-aimés mais admirez qu'aucun égyptien
, lu punition? Ce n'est pas sans rai^on, mais
n'ait porté la main sur cette voyageuse étran- pour mettre un frein aux passions du roi. Il
gère et n'ait offensé son mari, mais qu'ils sont un châtiment énergique pour
lui fallait le dé-
allés prévenir le roi. Du reste, cela eut lieu tourner ilu crime. Mais, direz-vous, comment
pour que l'évidence fût plus grande et (jue la est-il juste d'eu punir d'autres à propos de lui?
responsabilité ne tombant pas sur le premier C'est (|ue cette punition n'était pas méritée
venu, mais sur le roi, les conséquences fus- seulement par mais aussi par ceux qui
le roi,
sent connues partout. Ils In menèrent à la de- l'avaient sans doute engagé et aidé dans celte
meure de Pharaon. Ainsi le juste est séparé de tentative coupable. Vous ave/ déjà entendu ces
sa femme et elle est conduite à Pharaon. Voyez paroles de l'Ecriture Quand les officiers de
:

encore la patience de Dieu 1 ce n'est pas dès le Pharaon la virent, ils la lui vanfèrct.t et la me-
conunencement (jue sa providence se montre, lièrent da)is sa demeure. Vous voyez qu'ils font
il laisse aller les choses, et presque tond)er aupiès du roi l'ofliee de pourvoyeurs, à propos
cette fenmie dans gueule du monstre, et
la de la femme du juste. Par consé(|uent ce n'est
c'est alors qu'il déploie sapuissance aux yeux pas le roi seul, mais ceux dont il est entouré, qui
de tous. Ils la yncurrcnt à la demeure de Plta- ont parla la |)uni(ion.afinqu'ilsrpprennent(iue
raon. Quelles étaient alors les pensées de cette leurs outrages ne s'adressaient p. ;s simplement
femme quel trouble agitait son esprit! quelle
! à un étranger, au premier vxim , mais à un
tempête s'élevait en elle 1 comment , au lieu homme chéri de Dieu, qui l'IiQUoiuit d'une pa-
Veille protection. Aussi la sévérité de ce châtî- Vers le juste. 11 réfléchit qu'un homme ordi-
nuMit frippant l'esprit du roi, le détourna de naire n'aurait pas été aussi protégé d'en-haut.
son audace criuiinelle , réprima sa passion Kt maintenant voilà ta femme devant toi ;
insensée, mit un frein à son libertina'.'e, en- prciuls-la et pars. Maintenant, dit-il, que je
chaîna ses désirs impétueux, el dompta son sais (ju'elle n'est point ta sœur mais ton ,

ardeur furieuse. épnuse, je te la rends. Je n'ai point déshonoré


7. C'est pourquoi vous voyez ensuite avec votre union je ne t'ai point privé de ta
,

quelle douceur ce roi, ce tyran parle à cet fournie, mais la voilà devant toi, emmène-là,
étranjïer, à ce vagabond dont il n'a pas craint et pars.
d'enlever la fenuiie. Comme le dit bien l'Ecri- Quelle int' lligence pourrait dignement ap-
ture Dieu frappa Pharaon et sa maison à
: précier ce miracle, et quelle l ngue serait ca-
propos de Sara la femme d'Ahram. Le châti-
, pable de le raconter? Une femne d'une écla-
ment lui fait comprendre que c'est la femme t mtc beauté entre chez le roi to ;t-puissant des
d'un juste. Eu effet, même après avoir été in- Egyptiens; enflammé de passion pour elle, elle
troduite chez Pharaon, elle resta la femme du en sort pure et rapporte sa cliasteté intacte.
juste. Phai'aon ayant fait venir Aôram, lui Telles sont, comme je le disais d'abord, les
dit : Pourquoi yn' as-tu fait cela? Voyez quelles œuvres de Dieu, toujours étonnantes et admi-
sont les paroles du roi. Pourquoi ni as-tu fait rables, et quand les hommes ci oient tout dé-
cela ? dit-il. —
Et que t'ai-je fait, moi étranger sespéré, c'ist alors qu'il montre sa force in-
inconnu, poussé par la famine, à toi, roi, tyran vincible. N'éta't-ce pas une cl. ose étonnante et
el souverain de rEgyi)le? que t'ai-je fait? Tu admirable de voir Vhomme des désirs entouré,
m'as enlevé mon épouse, tu m'as méprisé, hu- comme d'un cercle de brebis, par des bêtes
milié, dédaigné comme un étranger; tu n'as féroces qui ne lui faisaient aucun mal, et sor-
écouté que tes désirs déréglés et tu as voulu tant de la fosse sans blessure (Dan. xiv)? de voir
faire selon ton caprice. Que t'ai-je donc fait? les trois jeunes gens séjourner dans la four-
— Tu m'as fait bien du tort, dit le roi, et tu naise comme dans un champ ou un jardin
m'as causé beaucoup de mal. Voyez quel ren- sans soullrir de la flamme, et sortir de là tels
versement de ce qui se passe d'ordinaire! C'est que dos statues? (Dan. ni.) Il n'était pas moins
le roi qui dit au particulier Que m'as-tu fait?: prodig :^ux, moins digne d'admiration, de voir
Tu m'as attiré la haine et la colère de Dieu, tu la femnio du juste renvoyé saine et sauve par
m'as rendu coupable, tu m'as fait punir, ainsi le roi d'r ypte, ce despote dissolu. C'était Dieu
que toute ma maison, de l'injure qu'on t'avait qui avait tout c nduit. Dieu qui peut toujours
faite. Pourquoi m'as-tu fait cela? pourquoi ne faire ce qui est impossible et rendre l'espoir à
m'as-ttt pas dit que c était ta femme? pourquoi ceux qui dé-^^espèrent. Et maintenant, voilà ta
m'as-tu dit que c était ta sœur, de manière que femme devant toi, prends-la et pars. Ne pense
je pusse la prendre pour femme ? Ainsi ,
pas que je t'aie fait injure. Si, dans mon igno-
dit-il, la croyant ta sœur, je voulais l'épouser. rance, eu des projets coupables, j'ai com-
j'ai

— Mais comment as -tu su que c'était ma pris quel défenseur tu avais la colère qui m'a ,

femme? — Je le sais par Celui-là miMue qui frappé m'a prouvé quelle était pour toi la
m'a puni de ma faute. Pourquoi m'as-lu fait bii'nveillance du Dieu de Reprends l'univers.
cela, et ne m'as-tu pas dit que c'était ta donc ton épouse, etva-1-en. Maintenant le juste

femme, m'exposant à l'épouser moi-même par les fa sait trembler; aussi avaient-ils pour lui
un crime? Je m'y disposais, croyant (ju'ellc une foule de prévenances, afin de se faire par-
était ta sœur. Voyez comme la sévérité du châ- donner par le Seigneur les torts qu'ils avaient
timent a ému son esprit au point de lerendre eus envers son protégé.
éciuilable et humain avec le juste ! Mais sans 8. Vous voyez, mes bien-aimés, tout le prix
l'action de Dieu qui adoucissait son àme et la de la patience et de la persévérance. R qipelez-
remplissait de crainte, il se serait ensuite livré vons, je vous prie, ces mots qie disait le pa-
à une colère terrible, il aurait puni le juste triarche au moment d'entrer en Egypte Je :

comme l'ayant trompé, et lui aurait fait souf- saisque tu es une belle femme; quand les
frir les plus cruels supp ices. Il n'en fut rien : Eqyptiens te verront, ils me tueront et le gar-
la crainte du châtiment modéra cl éteignit sa deront. En y réfltchissant, co..sidértz ce qui
colère , et il ne songea qu'à être humain en- s'est passé et admirez la patience du juste et la
m TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

force du Dieu de miséricorde, qui prépare au jour et que personne n'ignorât sa vertu.

juste un départ si glorieux, aj) es une arrivée Vous avez vu, mes bien-aimés, quel avan-
9.

pleine de tant de frayeurs et d'angoisses. Pha- tage on retire des épreuves, quel est le prix de
raon ordonna à ses Qens d'acco7,^pa(fner Abram la patience. Cet homme et cette femme, l'un

pour conduire
le avec son épous'i et tout ce qui déjà vieux, l'autre déjà âgée, vous avez vu tout

leur appartenait, et Loth avec lui. Le juste re- ce qu montraient de résignation, d cou-
ils

vint avec beaucoup d'honneurs et de richesses, rage de tendresse mutuelle et d'affection


,

et tons ces événcmt^nlsservirentdehçons non- conjugale. Imitons-les tous et ne nous irritons


seulement aux Egyptiens, mais à ce x qui se jamais; ne croyons pas que Dieu nous délaisse
trouvaient sur la route et aux habitants de la et nous dédaigne parce que nous sommes as-

Palestine. Car, voyant cet homme, qui était saillis d'épreuves; au contraire, regardons-les
parti sous la contrainte de la famine, saisi de comme la meilleure preuve de l'i térèt q ;e

frayeur et de tremblement, revenir maintenant Dieu nous ])orte. En effet, si nous sommes
avec tant d'éclat, d'abondance et d'opulence, chargés d'un lourd fardeau de péchés, nous
ils apprenaient avec quelle force Dieu le pro-
pourrons l'alléger [>ar notre persévérance et
tégeait. Qui a jamais vu et entendu de telles notre bonne volonté; s'il est moins pesant,

choses? Il est parti pour se soustraire aux nous parviendrons à l'alléger encore avtc la
rigueurs de la famine et il re>ient com-
,
grâce d'en-haut, pourvu que nous le suppor-
blé de richesses et de gloire. Ne vous éton- tions sans murmurer. Eu effet, notre Dieu est
nez pas trop, mes bien-aimés, ne soyez généreux et s'intéresse à notre salut; s'il nous
pas si surpris du fait en lui - même , ré- exerce comme dans une arène et nous fait lutter
servez votre stupéfaction, votre admiration, avec les tentations, c'est aOn qu'après avoir
pour notre commun Maître; c'est lui (ju'il faut déployé nos propres forces, nous soyons plus
glorifier. Voyez que les descendants du i)atriar- dignes de sa protection. Puisque nous savons
che, étant encore venus en Egypte pour fuir qu'il en est ainsi, ne nous laissons pas aller au
la famine, y supportèrent aussi la servitude et découragement dansles épreuves, ni au chagrin
les perséculions, mais en revinrent glorieux et dans les tribulations, mais réjouis.^ons-nous,
prospères. Telle est lasagesse de notre Seigneur! comme saint Paul. Maintenant, dit-il, je me ré-
quand il a permis aux malheurs de s'accumu- jouis dans les tribidations. (Col. i. 21.) Voyez
ler, il dissipe de nouveau les nuages et ramène quelle bonne disposition d'esprit S'il se réjouis-
!

un calme subit et inattendu, pour nous mon- sait dans les tribulations, comment pouvait-il
trer lagrandeur de sa [)uissance. Abram partit jamais se chagriner? Et si ce qui attriste les
d'Egypte, lui et sa femme, et tout ce gui lui autres était pour lui un sujet de joie, voyez, je
apparteiuiit, et Loth avec lui pour aller dans vous prie, comme son âme était bien préparée
le désert. Ou peut appliquer ici les paroles du à tout. Et pour vous persuader qu'il nous est
bienheureux David à proj os de ceux qui reve- indispensable, pour jouir des biens qui nous
naient après avoir été c aptifs à Babylone. Ceux sont promis et pour mériter le royaume des
qui sèmejit dans les larmes, ?noissoîmero7it dans cieux, de marcher dans cette vie au milieu des
la joie. Au départ ils marcheront en pleurant tribulations, écoutez ce que dirent les apôtres
tout en jetant leurs semences; au retour, ils aux nouveaux convertis. Et après avoir ins-
marclieront dans Vallé(jresse en portant leurs truit plusieurs disciples ils retournèrent d
,

gerbes. (Ps. cxxv, 5, 6.) Vous avez vu l'arrivée Lystra, à Iconie et à Antioche, fortifiant l'es-
pleine d'anxiétés et de frayeurs qui allaient prit de leurs disciples, les exhortant d perse»
jusqu'il craifulre la mort. Voyez maintenant vérerdans la foi et leur représentant qu'il fatîi
ce retour d'honneur et déclat. Tout le
i)lcin passer d travers bien des tribulations pour ar-
monde respectait le juste, en Egypte aussi bien river au royaume des cieux. (Act. xiv, 21, 22.)
iju'en Palestine. En elTct, cpii n'aurait pas eu Quelle sera donc notre excuse si nous refu-
Je respect pour celui que Dieu gardait ainsi et sons de su|>porter a\ec courage, constance et
qu'il honorait d une telle protection ? Car reconnaissance, toutes celles qui se présente-
personne n'ignorait ce qui était a rivé au ront, (juand nous voyons que neus ne pouvons
roi et à sa maison. Tout avait été dispensé, parvenir au royautne des cieux sans marcher
dans l'accroisseinont des épreuves du juste, dans celte voie? Car, jtour ree(Mmaitre qu'il
pour que sa paliçuce fût mi§e au grand n'y a rien de nouveau ni dçxtrao. ainaire dans
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — TRENTE-TROISIÈME HOMÉLIE. S25

les tribulations qui attendent le jiiste sur le constance et la persévérance, est-ce que Dieu
chemin de cette vie, écoutez ce que dit le permettra jamais que nous soyons confondus?
Clirist Dans le monde vous aurez des tribula-
: est-il une position si désespérée que ne |)uisse
tions^ mais prenez courage. (Jean, xvi, 33.) Pour rétablir la sagesse de notre Maître? Faisons
ne pas abattre, en jiarlant d'aftlietions, il s'em- donc usage de nos propres ressources et ayons
presse de relever le courage , et promet de une foi sincère, sachant tout ce que peut le
forlifler par sa grâce. Mais prenez courage., protecteur de nosàme-. Et certes, il sait mieux
fai vaincu le monde. C'est moi . dit-ii , qui que nous ce qui convient lui qui disposera ,

allégerai vos peines, qui ne vous laisserai pas tout |)Our s-a gloire et notre avantage. Ainsi
suliinc ger par le flot des tentations, qui vous nous obtiendrons la récompense de notre pa-
tracerai le chemin pour en sortir, et qui ne tience, et nous serons honorés de sa bonté,
vous laissera pas charger (rafiliclions au delà par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur
de vos forces. Pouniuui cette tristesse, ce cha- Jésus-Christ à qui ainsi qu'au Père et au
, ,

grin, Cette impatience, cet abattement? Si nous Saint-Esprit, gloire ,


puissance , honneur,
employons selon nos forces les armes dont maintenant et toujours, et dans les siècles des
nous disi)OSons, je veux dire la patience, la siècles. Ainsi soit-il.

TRENTE-TROISIÈME HOMÉLIE.

€ Abram était très-riche en troupeaux, en argent et en or. Et il revient au lieu d'où il étadt parti, au désert
jusqu'à Béthel, jusqu'à la phce où était auparavant sa tente entre Béthel et Angi, à la place de l'autel qu'il
avait dressé là autrefois. > (Gen, XIll, 2-4 .j

ANALYSE.

1. Après la 32» homélie, commentaire sur la Genèse aurait été interrompu à l'orcasion des fêfes de la semaine sainte et des
le
fêles subséquentes, donc le fil rompu de ses instructions en résumant la 32« homélie et se dispose à conti-
l'oralPur reprend
nuer. — 2. Séparation d'Abraliam et de Lot causée par l'cvcès de leurs richesses. Douceur d'Abraham. 3-4. Il cède à son
neveu le choix de la contrée où il voudra s'établir, pour lui il prendra celle qu'il lui laissera. 5. Exhortation. —

1. Quand je vois aujourd'hui votre concours circonstance. Aussi quand est venu le jour où
empressé et votre ardent désir de m'entendre, il s'agit de la trahison de Judas, nous nous
je veux acquitter la dette que j'ai contractée sommes plies à l'occasion, pour laisser de côté
envers votre charité. Peut-être l'avez - vous la suite de nos instructions, etnous nous
oubliée depuis le temps qui s'est écoulé et parce sommes déchaînés contre le traître, puis nous
que, dans l'intervalle, je vous ai parlé d'autre avons parlé de la croix. Ensuite, lorsqu'est
chose; car les fêtes les plus saintes ont inter- arrivé le jour de la résurrection, il fallait si-
rompu l'ordre de nos discours. En efTet, quand gnaler à votre charité la résurrection de Notre-
on célébrait la croix de Notre-Seigneur, il Seigneur et vous la démontrer les jours sui-
n'était pas convenable de traiter un autre sujet : vants par miracles qui l'ont accompagnée.
les
le festin spirituel devait être approprié à la Puis ayant pris le commencement des Actes
S. J. Ch. — Tome V. 15
226 TRADUCÏiOxN FRANÇAISE bli SaLNT JEA.^ CHKYSÛblOiifi.

des Apôtres, nous vous en nourrissions chaque sujets exigés parles circonstances. Il faut donc

jour er) exhortant par des instructions fré- maintenant nous rattacher à ce qui précède et
quent s et quotidiennes ceux qui avaient reçu le réunir en un seul corps avec ce qui nous
récemment la grâce du baptême. reste à dire, afin de conserver à ces instruc-
Maintt-nant, je dois me rappeler ma dette et tions le caractère de l'unité. Mais, pour tout
vous satisfaire. Vous-mêmes pourriez n'y plus éclaircir,il faut exposer à votre charité l'origine

songer, distraits que vous êtes par mille soins, et l'enchaînement de la lecture qui vous a été
à propos de votre fcnune^ de vos enfants, de la faite. Abram était très-riche en troupeaux, en

nourriture quotidienne et d'une foule d'autres argent et en or. Il revint d'où il était parti, au
intérêts de la vie; mais nous, qui n'avons désert, jusqu'à Béthel, jusqu'à la place où il

aucun de ces embarras, nous vous rappelons avait dressé sa tente autrefois, entre Béthel et
cette dette et nous nous préparons à la jia\er. Agga, à Vendrait où il avait dabard élevé un
No vous étonnez pas si nous le faisons avec autel : et là Abram iîivoqita le nom du Sei-
tant de bonne volonté. Une obligation de cette gneur Dieu. Ne passons point légèrement sur
nature diltère des obligations pécuniaires, que cette lecture, mais voyons clairement l'exacti-
le débiteur n'acipiiite jamais de bon cœur, tude des saintes Ecritures qui ne nous racon-
sacbant qu'il diminue ses biens et augmente tent rien de superflu. Abram était très-riche.
ceux du créancier. 11 n'en est pas de mêiue Voyez d'abord que cette indication ne nous est
pour une dette spirituelle telle que celle-ci; pas donnée inutilement et sans raison, car c'est
plus ie débiteur paye, i)lus il s'en ichit en la première fois (}ue l'on signale sa richesse et
même temps .ue les créanciers. Voilà pourquoi il n'en a pas encore été question. Pourquoi
d'un côté on ne montre guère de bonne volonté, cela? Pour montrer la prudence tt la sagesse
tandis que de l'autre côté il y a tout profit à de Dieu, et la puissance infinie qu'il dé|»loya
payer comme à être payé. C'est ce que saint en faveur du juste. Celui-ci, force de voyager
Paul dit sur la charité Ne soyez redevables à
: en Egypte à cause de la famine qu'il ne pou-
personne, si ce n'est de vous aimer les uns les rterau pays de Chanaan, devint
vait plus supp.
autres. (Rom. xui, 8.'\ Cela veut dire (ju'une subitement riche et même extrêmement riche,
pareille dette dure toujours, même après avoir et non-seulement en troupeaux, mais en or et
été payée. en argent.
Vous devez aussi vous tenir prêts à recevoir 2. Remanjutz vous (pielle est la providence
ce paiement, car cela enrichira vos débiteurs de Dieu? Le juste est [)arli pour se soustiaire
et leur permettra de vous être plus utiles. à la famine et il e.4 revenu, non - seulement
Ainsi, puisque la nature de cette dette est telle délivré de la famine , mais comblé de ri-
que plus on dépense plus l'on devient opulent chesse et de gloire, et tout le monde put voir
soi-même, achevons de nousaeciuitter, écoutez qui il était. Par la suite les habitants de Cha-
avec la même bonne volonté (juc nous met- naan ont mieux connuses vertus, en observant
trons à parler, pour que votre attention soit un changement si sulnl et en voyant revenir
notre récompense. En quoi consiste donc cette avec tant (!e trésors celui qui était parti pour
dette? Vous savez et vous vous rappelez, quand TEf^ypte comme un étranjzer, un fu^::itif et im
nous avons parlé du i)atriarche, que nous vous vagabond. Considérez encore (jue ro[tulonce et
avons raconté son arrivée en Egypte à la suite la pros|iérilé ne lui inspirèrent ni vanité ni pa-
d'une famine, l'enlèvement de Sara par Pha- resse il retourna à
: l'endroit même qu'il ha-
raon, l'indignation de Dieu ainsi (pie raltlietion bitait avant d'aller en Egypte. // aUn au désert
dont il frappa Pharaon et sa maison pour pro- Jusqu'à l'ctuiroit oii il avait dressée sa tente
téger le juste, et le retour glorieux du patriar- autrefois à la place où il avait d'abord élevé
,

che en quittant l'Egypte. En efrel, Pharaon un autel, et invoqua ie nom du Seigneur Dieu.
ordonna à ses gens de conduire .\bram et son Réiléehissez, je vous prie, combien il aimait la
épouse avec tout ce qu'il possédai t et Loth , paix et la tranquillité, et quel zèle il avait pour
avec eux. Abrani sortit donc dKijf/iilc, lui et le culte de Dieu. Il se rendit au même t ndroit
sa femme et tout ce qu'il possédait, et Loth où il avait élevé un autel et où il avait invoipié
avec lui, pour aller (bnis le désert. A|)ièsce le nom do Dieu, accomi-lissant ainsi, biv n di>6
discours nous avons interrompu ces instruc- siècles à l'avince, ce (pii a été dit |tar David :

tiocs pendant quelque temps pour traiter des J'ai choisi d'être humilié dans la fnaisq/i dà
HOMÉLIES SI R LA GENÈSE, - TRENTE-TROISIÈME HOMÉLIE. 0->"r

mo7i Dieu, plutôt que dhnblter les terres des accomplit cette loi de l'Apôtre : C'est déjà un
péduitrs. (Ps. Lxxxiii, 11.) Il aimait mieux, pour tort de voire part d'avoir des procès. Pourquoi
invoiiuor le nom de Dieu, les déserts c|ue les n'e)idurez-vous pas plutôt quelque injustice^
cité*. Il savait,en effet, il savait que la gran- quelque dommage? Mais vous-mêmes causez
deur des villes ne consiste pas dans la beauté des injustices et des dommages, et cl la à vos
des édifices, ni dans la multitude des citoyens, frères. (I Cor. vi, 7.) Le patriarche réalisait
mais dans la vertu des habitants; dans la vertu tout cela par ses actions, quand il disait : Qu'il
qui faisait qu'un déscit, honoré de la présence 71 y pwi de dispute entre tes bergers et les
ait
du juste, valait mieux que toutes les villes, 77iiens^ parce qie 7iOf/s so7twies frèr.:s. Est-il une
et brillait plus que les pays les plus peuplés âme plu< pacifique? C'est avec raison que je di-
de la terre. sais en commençan' qu'il aimait le calme et le
Lolh, qui accompagnait Ahram , avait aussi repos, et celle raison bii avait fait îtréterer le dé-
des brebis, des bœufs et des troupeaux : et le sertaux pays h ibi'és. Observez nruntenant (|ue,
pa'jS7ie pouvait les coutenir ensemble : ce qu'ils du moment où il voit les bergers se quereller, il
possédaient était trop considérable pour qu'ils cherche à éteindre, dès son origine, l'incendie
jïussent vivre ensemble. Non-seulement les qui allait s'allumer, et apaise la di.i)ute. Il

biens du patriarche étaient augmentés, mnis devait, lui qui avait été choisipour être un
Loth aussi avait des brebis^ des bœufs et des exemple de sagcsscaux peuples de la Palestine,
troupeaux. Peut-être en devait-il une paitie à ne donner prise sur lui dans aucune occasion,
la libéralité d'Abraham, et d'autres lui avaient mais se faire entendre à tous d'une manière
donné le reste par égird pour le patrian lie. plus éclatante que le son de la tronifxlte, au
Et le pays ne pouvait les contenir ensemble moyen de sa douceur, et les forcer tous à imi-
parce que ce qu'ils pof-séduient était trop consi- ter sa vcitu. Qu'il 7i'y ait pas de dispute e7ilre
dérable. Vous voyez que l'excès même de la toi et 77îoi, ni entre tes bergers et les 7nie7\s, car
richesse devint bientôt ur.o cauL^c dr sépara tiv;n 710US 7nmes frères. Quoi de plus doux que ces
S'

et un instrument de division capable de trou- mots Entre toi et m,')i?


:

bler la concorde et de rompre les liens de pa- 3. Observez comannl il parle comme d'égal à

renté. Il survint tine dispute entre les bergers égal. Ce()endanl je pense que la dispute avait
dAbrnm et ceux de L'jih. Les Chan'inéens et commencé parce (jiie les bergers du palriarche
les Phérézée//s habitaient le pays. Voyez com- se regardaient comme ayant plus de droiis que
ment commence la division entre parents. Tout ceux de Lolh. Mais le juste fait tout avec im-
lemal vient de la méchanceté des Str\iteur?. partialité montrant jusju'où va sa sagetse,
,

// survint une dispute entre les bergers. Ils aûn de prouver, non-seulement à ses contem-
furent l'occasion de la dissension, ils détruisi- porains, mais à toute la postérité, qu'on ne
rent concorde par leur imprudence et leur
la devait jamais laisser se répandre et se fortifier
stupidité. Les Chananéinset Its Phérézéeus ha- des disputes de cette nature. Car cette querelle
bitaient ce pays. Pouniuoi ce renseignement? entre serviteurs est honteuse pour les maîtres;
Après avoir dit le pays ne pouvait les contenir
: on ne s'en prend pas aux domestiques, les
ensemble, la sainte Ecriture a voulu aussi nous maîtres sont responsables de tout. Y t-il rai-
en dire la raison le pays ne pouvait les cou-
: sonnable que des hommes qui sont frères, de
tenir, farce qu'il était déjà occupé par ces la même nature de la même famille qui ne
, ,

peuples. Mais nous voyons comment ce pieux sont ici-bas qu'en passant s'abandonnent à de ,

patriarche éteint par sa douceur l'incendie prêt pareilles hostilités, lorsqu'ils devraient tousse
à s'allumer. Abram dit à Lolh : Quiliiyait pas donner, les uns aux autres, l'exemp'e de la
de dispute entre toi et moi, ni entre tes bergers bienveillance, de la douceur et de la sagesse ?
et ltS7nie/is, car nous sommes frères. Voyez quel Je dis cela pour ceux qui se croient à l'abri de
excès de modestie, quelle conduite sublimel tout reproche lorsqu'ils permettent à ceux qui
Lui, le plus âgé, le plus respectable, appelle leur appartiennent, sous prétexte de cette liai-
frère le flls de son frère, il l'élève à sa hauteur son de piller, de tromper, de causer mille
,

et en fait son égal, en disant Qu'il n'y ait pas


: maux dans campagnes et
les villes et dans les

de dispute entre toi et moi, ni entre tes bergers d'enlever aux voisins un champ ou une mai-
et les miens. Cela serait indigne de nous, dit- son, en montrant pour de tels hommes une fa-
il, puisque nous sommes frères. Vous voyez qu'il veur particulière. Quoique cette œuvre d'ini-
228 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRÏSOSTOME.

quité ait été accomplie par un antre que par trouvent les querelles et la haine là où :

vous, cependant vous y avez participé, non- l'on n'y songe pas sont la paix et la con-
seulement parce que vous y avez applaudi, corde. Pour vous en assurer, écoutez ce que
croyant que votre puissance etvos richesses s'en dit saint Luc à propos des nouveaux convertis:

augmenteraient, mais parce que vous n'avez Ils n'avaient qu'un cœur et qu'une âme. (Act.

pas empêché de commettre ces injustices. Car IV, 32.) Ce n'est point qu'ils n'eussent qu'une

celui qui peut empêcher une injustice et qui seule âme, puisqu'ils avaient des corps diffé-
ne le fait pas est aussi coupable que celui qui la rents, mais c'est pour nous montrer combien
commet. leur concorde était étroite. Si le juste n'avait

Ainsi, je vous en supplie, ne nous faisons pas eu beaucoup de patience et de sagesse, il

point- illusion à nous-mêmes mais évitons , se serait fâché et aurait dit à Loth : Quelle est
nous-mêmes les rapines et les fraudes, et habi- cette extravagance ? Tes serviteurs ont osé ou-
tuons nos serviteurs à ne rien faire de sembla- vrir la bo'.îclie contre ceux qui exécutaient mes
ble. En effet, leurs fautes ne nous laissent ordres? Ils n'ont donc pas songea la différence
point innocents, mais nous rendent, au con- qu'il y a entrenous? D'où te vient Tabondance
traire, plus coupables; c'est pour nous plaire dont tu jouis? ne m'en es-tu pas redevable?
qu'ils compromettent leur salut et qu'ils sont N'est-ce pas moi qui lai présenté aux yeux des
audacieux dans leurs méfaits aussi nous en- : hommes, qui ai été tout pour toi, qui t'ai tenu
traînent-ils dans leur perte. Au contraire, si lieu de père? Et voilà comment tu me récom-
nous voulons être vigilants et atteniiTi, nous penses de mes que je de-
bienfaits! Est-ce là ce
éviterons ces cruelles conséquences en les dé- vais attendreen t'emmenant partout avec moi ?
tournant de leurs mauvais der^eins. N usez A défaut de reconnaissance, n'aurais-tu pas dû
donc pas de ces excuses frivo'cs cela ne me : respecter ma vieillesse et mes cheveux blancs?
regarde pas. Ai-je rien déroîjé? Je ne sais rien; Mais tu as laissé tes bergers altaqner les miens,

c'est la faute d'un autre, je ne m'en suis pas sans rétlécliir que ces insultes retombent sur
mêlé. Ce sont là des prétextes et du verbiage. moi, et tu es responsable de ce que fout tes
Si vous voulez prouver que vous n'avez trempé servKeurs.
en rien dans cette iniquité, que vous n'avez 4. Mais il ne conçut même pas une seule de
pas favorisé cette œuvre de spoliation, revenez ces pensées ; il les écarta toutes sans soitger à
sur ce qui s'est fait, donnez satisfaction à celui autre chose qu'à éteindre l'incendie que cette
qui a été dépouillé, rendez ce qu'on a pris. querelle devait faire naître et a se séparer à
Alors vous serez à l'abri de tout reproche, l'amiable. Toute la terre, dit-il, n'est -elle pas
vous donnerez une leçon salutaire à celui (pii devant toi ? moi ; si tu vas à
Sépare-toi de
a commis la faute en lui montrant qu'il a agi
, gauche, à droite; si tu vas à droite,
j'irai
contre vos intentions, et vous sauverez la vic- j'irai à gauche. Vous voyez quelle est la
time du désespoir et de la ruine. douceur du juste. Il prouve par ses actions
Qu'il n'y ait pas de dispute entre tôt et moi, qu'il n'agit pas ainsi de lui-même et qu'il ne
ni entre tes bergers et les miens, parce que se sépare point volontaiiement, mais qu'il y
naiis sommes frères. Voyez quelle douceur, est forcé par celle dispute atln que sa maison , I
quelle bonté Ecoutez la suite, afin de savoir
1 ne soit pas en guerre perpétuelle. Voyez com-
ius(|u'où elles |)Ouvak'nt aller. Toute la terre ment il calme la colère de son neveu, lui laisse
est devant toi ; sépare-toi de tnoi : si tu vas à choisir ce qu'il veut et lui propose toute la
droite j'irai à gauche ; si tu vas à gauche,
, terre, en lui disant Toute la terre ne$t-elle
:

f irai à droite. \oyi;zi\uc\lii modération, quel pas d(vant toi? Choisis à ton gré,et je prendrai
excès d'abnégation chez le juste Mais avant I avec grand plaisir ce dont tu ne voudras pas.
tout , mes bien-aimés considérez quelles sont
, Le juste montre ici une grande modération il :

les suites funestes des richesses et comme elles craint, avant tout, d'être à charge à son neveu;
donnent facilement naissance à la discorde I c'est comme s'il lui disait : Puisque tout cela
Seslroupiaux s'étaient multii^liés, ainsi que est arrivé malgré moi, il faut que nous nous
tous ses biens, et tout à coup la concorde séparions pour faire cesser les disputes ; aussi
est rompue : la paix et les liens de l'amitié je te laisse le maître de choisir, je te donne
font 1
lace aux (picielles et a la haine. En ellet, tout pouNoir pour prendre la terre (pie tu esli-

OÙ l'on discute du tien et du mien, là m lueras la meilleure et me laisser l'autre. Jamais


HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — TRENTE-TROISIÈME HOMÉLIE. S20

un frère a-t-il agi avec son frère jumeau comme prouver à Loth qu'il s'était trompé dans -on
le patriarche avec le fils de son frère? S'il avait choix, montrer aux gens de Sodoiue la vertu
commencé par choisir pour lui, et (ju'ensuite de Loth et accomplir, après celte séparation,
il eût abandonné le reste à son neveu, n'au- la promesse faite au patriarche : Je te donne-
rait-ce pas été déjà un grand bienfait? Mais il rai cette terre, à toi et à ta race ; c'est ce (jue
voulait donner un grand exemple de vertu et nous verrons bientôt et que l'Ecriture sainte
satisfaire les désirs du jeune homme pour ne ,
nous éclaiicira.
lui laisser aucun regret de cette sépasation; Et Abram, dit-elle, habVa la terre de Cha-
aussi en lui donnant toute facilité, il lui dit : naan. Loth alla dans la ville, sur le fleuve et ,

Tonte la terre est devant toi, sépare-toi de moi, mit sa tente parmi les Sodomitcs. Les gens de
et choisis la terre (jue tu voudras. Son neveu ,
Sodome étaient extrêmement pervers et pé-
ainsi comblé de ses bontés, aurait rendre dû lui cheurs en face de Dieu. Vous voyez que Loth
la pareille et l'engager à choisir lui-même. En considérait seulement la nature de la terre
effet , il est naturel à tous les hommes quand , sans s'inquiéter de la perversité des habitants.
ils voient que leurs adversaires s'efTorcent d'ar- Cependant quel bien peut-on attendre dites-
, ,

river au premier rang, de ne pas vouloir rester moi, même dans un pays riche et fertile, si les
au-dessous quelqu'un paraît céder et
; mais si habitants ont des mœurs infâmes? Au con-
semble ,
nous
par la modestie de son langage , traire, quel mal peut-on craindre, même dans
laisser tout pouvoir, nous abandonnons nous- un désert stérile , si les habitants sont ver-
mêmes nos prétentions comme par égard pour tueux? Le premier de tous les biens est la
tiuit de douceur, et nous lui laisL-ons à notre bonté des habitants. Mais Loth ne regarda
tour tout pouvoir, quand nous discute- même qu'une chose, la fertilité de la terre. Or, l'E-
rions avec un inférieur. Voilà donc ce que criture sainte, voulant nous indiquer tout ce
Loth aurait dû faire avec le patriarche Noé ;
qu'il y avait de mauvais chez ce peuple, nous
mais comme il était plus jeune et plus ambi- dit : Les gens de Sodome étaient extrêmement
tieux, il accepta l'offre qu'on lui faisait et il fit p?rvers pécheurs en face de Dieu. Non-seu-
et

son choix. lement pervers mais pécheurs et non-seule-


, ,

Loth, levant les yeux , vft toute la plaine du ment pécheurs mais encore en face de Dieu
, ,

Jourdain , qui était avant que Dieu eixt dé- , c'est-à-dire que leurs péchés étaient innom-
truit Sodnyne et Gomorrhe, arrosée comme le brables et leur iniquité immense; aussi elle
jardin de Dieu et comme VEfjypte, jusqu'à Zo- ajoute extrêmement pécheurs en face de Dieu.
:

gnra. Lotti choisit toute la terre autour du Jour- Voyez -vous l'étendue de leur méchanceté?
dain et s en alla vers l'Orient^ et les deux frères Voyez-vous le danger qu'il y a à choisir légè-
Vun de Vautre. Vous avez vu
furent séparés rement et à ne pas considérer ce qui convient?
du juste il ne laisse pas
quelle était la vertu ; Voyez-vous enfin combien il est avantageux
même pousser la racine du mal, mais dès d'être modéré, de céder la première place et
qu'elle paraît il l'arrache et la détruit ; tout de se contenter de la seconde ? Nous reconnaî-
cela avec beaucoup de douceur, en montrant trons par la suite de ces instructions que celui
qu'il méprisait tout excepté la vertu, et en dé- qui avait choisi le premier n'en a retiré aucun
clarant à tous qu'il préférait la paix et la con- profil et que celui qui a pris la dernière part
,

corde a toutes les richesses. Pour que personne a vu sa prospérité s'accroître de jour en jour,
ne pût accuser le juste d'agir mal à l'égard de que ses richesses se sont augmentées de tous
Loth en refusant d'habiter avec un homme côtés et que toute la terre a eu les yeux sur lui.
qu'il avait fait sortir de sa maison et de son 5. Mais, pour ne pas prolonger cette explica-

pays pour que personne ne crût qu'il prenait


,
tion, je m'arrête ici et je la continuerai dans le

ce parti par inimitié plutôt que par amour prochain discours, en vous suppliant d'imiterle
pour la paix, il lui permit de choisir et ne patriarche et de ne jamais désirer la première
trouva [)as mauvais que celui-ci profitât de la place. Obéissez à saint Paul qui nous dit Ho- :

permission, afin que tout le monde pût com- norez-vous les uns les autres (Rom. xn, 10)
prendre qu'il n'avait pas d'autre but que la afin d'être supérieurs à vous-mêmes mais ;

paix et la charité 1 Du reste, il se préparait en- cherchez à être toujours au dernier rang. En
core un autre mystère, également instructif, effet, c'est là ce qui nous élève au premier,
et qui devait, par les évéuemeuts eux-uièiues comme le dit le Christ Celui qui s'aàaiss« sarn :
230 TRADUCTION FRAxNÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

élevé. {\MC,\viii, 11, et XIV, H.) Vérité inc<m- sont au-dessou« dp nous, et à préférer h no^lS
p.irabk' Si nous cédons la
! naillenre pirlii un ceux qui {)arais?ent nos infcrieurs. Si nous ré-
a!itr«,nous en sommes plus glorifiés; si nous fléchissons, nnus penserons que per.-onne ne
pr'jférons les autres à nous c'est ce qui nous
,
nous e>t inférieur, niais nous croirons que
honore le plus. Aussi, ys vous en conjure, ef- tout le monde nous surpasse. Et je ne parle pas
forçons-nous d'imiter l'humilité du patriarche, ainsi seulement pour nous, qui sommes ph^n-
et cherchons, nous qui vivons dans la grâce à , gés dans une iitlinité de péchés, mais celui-là
suivre les traces d'un honuue qui a montré même qui aurait conscience d'avoir fait mille
tant de sagesse , même avant la loi. C'était une bonnes actions s'il ne se regardait pas en
,

véritable humilité, celle que cet homme admi- même temps comme le dernier des hommes,
rable montra envers celui qui lui était bien in- toutes ses bonnes actions ne lui serviraient à
férieur non-seulement au point de vue de la
, rien. La véritable humilité consiste à sVIlacer,

vertu, mais encore de l'âge et de tout le reste. s'abaisser et se modérer quand on a des occa-
Songez (juele\ieillardacédé au jeune homme, sions de s'élever. C'est le moyen de s'élever à
l'oncle au neveu l'homme que Dieu avait
,
la grandeur, d'api ô* la promesse
véritable
comblé de faveurs à celui que ne recomman- du Seigneur Celui qui s'abaisse sera élevé.
:

dait aucune grande action Voici encore ce: (Luc, xiv. H.) Etrorçnns-nous donc, je vous
qu'il faut ajouter: ce que le jeune homme au- prie, de nous élever jusque-là par notre humi-
rait dû dire au vieillard , à son oncle, c'est le lité, afin d'obtenir du SiMgneur les mêmes grâ-
patriarche qui l'avait dit au jeune homme. Ap- ces que ce juste, et de mériter les mêmes biens
prenons donc à honorer d'autres personnes que ineffables , par la grâce et bon^é de Notre-
la

nos supérieurs ou nos égaux. Cela ne serait Seign. ur Jésus-Christ, à qui soient ainsi qu'au
point de l'humilité faire ce qu'il faut faire, ce
: Père et au Siint-E^prit, gloire, puissance, hon-
n'est pas de l'humilité, mais un devoir, La vé- neur, maintenant et toujours , et dans les siè-
ritable humilité consiste à céder à ceux qui cles des siècles. Ainsi soit-il.
flO:.iLLIES SUU LA GENIUSE. — TREIsTE-QUAmiEME HOMÉLIE. 231

TRENTE-QUATRIÈME HOMÉLIE.
« Le Seigneur dit à Abram après qu'il se fut séparé de Loth : Lève les yeux à partir de la place où tu es main-
tenant, au nord et au midi, à l'orient et uers la mer, car toute cette terre que tu vois, je te la donnerai. »

(Gen. Xm. 14, 16).

ARALTSt

1. Elope de la douceur. — du pa?sage de l'Ecriture qu'on vient de lire. Dien est si satisfait de la conduite qu'A-
2. Explication
bram a tenue à l'égard de Loth, qu'à peine Loltis'est-il cloipné que Dieu vient donner à Aliram sa récompense. —
3. Imitons
Abratiam ; voici un pauvre, ne perdons pas une si belle occasion, donnons-lui l'aumône et Dieu nous rendra un royaume dans
le ciel. Difu diffère l'accnmpli^sement de sa pr.Muesse pour exeraT la vertu du juste ; avant de donner un enfant à Sara, il
attend qu'elle ait liuuiaineinei.t perdu l'espoir d'eu avoir, pour miiiix faire éclater sa puissance. —
4. Grandeur de la promesse
que Dieu vient de faire à Abram. Abram va planter sa lente au pied du chêne de Membre. — 5-6. Exbortation à la constance
dans la foi.

1. Vous avez appris hier, mt^s bien aimés, Clirist nous donne ce divin précepte Apprc' :

combien lepatrinivlie avais d'Iii milité cldu dou- nez de moi que je suis deux e( humble d- cœiir^

ceur. Eu effet, il était cxtiannMua re de voir et vous tri'iœercz du reyos p<)ur vos unies.
ce vieillard auquel Loth devait tant de bien-
, (Matth. Il, 29.) Car rien ne rend mieux à l'âme
faitt?, si f du Maître de l'univers, traiter
ivorisé le repos et la tranquidité que la douceur et la
d't gai à (gai avec un jeune homme, avec son modestie, l^n diadème honore moins celui qui
nevi.u, au point de lin céder l'avantage, de le porte; l'illustration et la gloiie n'ont ri» n

prendre ce qu'il laissait, afin de tout faire pour qui vaille autant. Est-il, en effet, un plus grand
évit'^'- la guirre el sup|. rimer toute cause de avantage que d'être délivré d'une guerre ci-
di pute. Cliei clious tous a l'imiter ne publions , vile? L'extérieur a beau être en paix avec nous,
jamais uos louanges, ne tombons jamais dans ou même nous être soumis, si le trouble de nos
l'orgueil. Ne nous dis iuiiuons que par notre pensées cause à Tintérieur des tumultes et des
modestie, efforçons-nous de passer pour inté- séditions, à quoi nous servira la paix exté-
ri( u's aux autres en œuvres et en paroles, ne
, rieure? de même, que de plus
peut-il arriver
cc-nibaltuns jamais ceux qui nous ont Ml tort dé(>lorable pour une ville malgré tous ses
,

quand mèiue nous les aurions comblée di nos murs et ses retranchements, que d'avoir des
bienlails (c'est là le comble de la sagesse) : tra"tres dans son sein? Je vous conjure donc,
ne nous tachons d'aucune injure, même si elle de songer a\ant tout à calnier le trouble de
vient de la part des intérieurs, mais apaisons votre âme, à la mettre en repos et à la délivrer
tonte colère par notie caltue et notre douceur. de tous ses degoûls, afin que vous-mêmes puis-
11 n'y a rien ijui moidre plus de puissance et de siez être ti anquilles et doux pour eux qui vous i

force. C'est ainsi que notre âme parvient à être approchent. En eOet, on reconnaît surtout un
parfaitemc ni tran(|uille, c'ebtlàcequi la main- homme raisonnable à ce qu'il est calme, facile
tient au port, pour ainsi due, et fai iiite notre à vi\re , doux, modeste et tranquille; s'il ne se
bonheur el notre repos. Yoila pourquoi le laisse pas entroîuur comme un esclave par la
232 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOMÉ.

colère ou par d'autres passions ; si la raison gneurafaità l'égard de la Chananéenne. Quand


Icinpère son impétuosité naturelle, et l'em- il vit son ne! gie et sa persévérance infatigable,
f'

liôche de tomber au rang des bêtes privées il l'exalta et la couronna, pour ainsi dire, par
de sens. Et pour vous faire comprendre quelle ses éloges, au point de la rendre illustre aux
est la force de la tranquillité et de la douceur yeux de toute la terre, et dépassa encore ses
vertu qui peut à elle seule, si elle est pra- prières par sa g/nérosité. Car après avoir dit :

tiquée convenablement , mériter des louanges femme, ta foi est grande! il ajouta : Qu'il
infinies, considérez que c'( telle qui est le plus soit fait comme tu le désires. (Mat. xv, 28.)
célébrée chez le bienh.ureux Moïse et qui lui Et nous voulions prendre tous les exemples
si

tresse la plus belle couronne. Moïse était le que nous offrent les saintes Ecritures, nous y
plus doux des ho7nmes de la terre. (Nomb. xii, trouverions partout les preuves de la bonté du
3.)Vous voyez qu'un si grand éloge ne laisse Seigneur. Aussi le que
patriarche, sachant bien
aucun homme au-dessus de lui et même le met celui qui quelque chose obtient da-
cède
au-dessus des autres hommes. L'Ecriture dit vantage ainsi que vous rav( z vu hier ,
,

encore de David Souvenez-vous, Seigneur^ de


: acconla tout à Loth et prit le pays le moins
David et de toute sa douceur. (Ps. cxxxi, \.) avantageux pour supprimer toutes les occa-
C'est par là que notre patriarche a encore ob- sions de dispute, et faire renaître, par la force
tenu [)lus de bienveillance d'en-haut, et qu'en de sa vertu le calme dans la maison. Mais
,

cédant ce qu'il possédait en a été récom-


, il voyons, par ce que l'on vient de lire, quelles
])ensé et au delà, par la bonté de Dieu. Vous le récompenses il a reçues de Dieu pour tant de
saurez bientôt quand vous aurez entendu la
,
douceur.
suite de l'instruction d'hier, etque nous au- Db'u dit à Abram, après qu'il se fut séparé
rons exposé à votre charité l'explication de la de Lot Lève les yeux à partir de la place où
:

lecture qui vous a été faite. En effet, le pa- tu es maintenant., au nord, au midi, à l'orient
triarche, ayant eu l'extrême condescendance de et vers la mer : car toute cette terre que tu vois,

laisser Loth choisir la meilleure part, se con- je te la donnerai, ainsi qu'à ta race, juu/u'à la
tente de la moins bonne afin d'éviter toute dis- Voyez avec quelle promptitude
fni des siècles.
cussion; voyez maintenant quelle récompense Dieu protège et récompense le juste. Voulant
Dieu lui donne, et comment il l'indemnise des nous montrer combien la bonté de IMeu appie-
richesses qu'il avait méprisées en lui rendant ciaiirbumilité du patriarclie, l'Ecriture s;;inte,

bien plus encore. Car tel est pour nous le après avoir dit que Loth s'était séparé de lui,
Seigneur: Si nous lui sacrifions la moindre pour aller dans le pays qu'il avait choisi eonime
chose, il nous la rendra avec usure, et sera plus avantageux, ajoute iunné<liatement Le :

si que tout ce que nous avons fait ne


libéral Seigneur dit à Abram. Ensuite
pour nous ,

sera rien en comparaison de ses bienfaits. bien faire comprendre qu'il est récompensé
2. Voilà cecpie cliacun peut observer à l'occa- de sa conduite avec Loth, elle dit encore :

sion de tout acte de vertu (pi'il accomplit. Est- Dietc dit à Abram après qu'il se fut séparé
,

il, dites-moi, rien de moins précieux que deux de Loth; comme s'il lui eût parlé ainsi : Tu
oboles? Cependant pour avoir mis deux oboles as eu assez de condescendance pour lais-
dans le tronc des aumônes, cette veuve est ser à ton neveu la terre la plus avant;igeuse,
restée célèbre depuis cet instant jusqu'à pré- tu as montré une grande humilité, et tu as
sent. { Luc, XXI, 3. ) Mais pourquoi parler de assez tenu à la paix pour tout faire dans le but
deux oboles? Celui qui otlre un verre d'eau d'éviter les disputes reçois donc les preuves
;

froide en sera grandement récompensé, car de ma muniticence Lève tes yeux à partir de
:

Dieu coiu'onne toujours l'intenlion do la vertu. l'endroit où tu es maintenant, du côté de l'a-


Cela se voit encore à propos de l'assiduité dans quilon et du midi, de l'orient et de la mer :

les prières. S'il voit (juelqu'un qui l'approclic toute cette teire que tu vois, je te la donnerai,
avec ferveur, il lui dit aussitôt : Je viens à toi ainsi qu'à ta race , jusqu'à la fin des siècles.
tandis que tu parais encore. [ Isaïe, lxv, 21.) Si Voyez-vous combien cette récompense est en-
cette assiduité ne se ralentit pas, si les prières core supérieure aux actions qui l'ont méritée?
sont faites avec un une véritable
saint désir et Le Dieu de bonté répèle les mêmes paroles
ferveur, il les exauce et les couronne avant qu'avait employées le patriarcbe en cédant ses
qu'elles soient formulées c'est ce que le Sei-
; droits. Car celui-ci avait dit AV vois-lu pas :
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. - TRENTE-QUATRIÈME HOMÉLIE. fW
toute la terre devant toi? Sépare-toi de moi; si regarderons les [»auvres comme des bienfai-
tu vas à droite, j'irai à gauche , et si tu vas à teurs qui peuvent nous donner les occJisions
gauche, j'irai à droite. De même le Seigneur de faire notre salul; il faut donc les secourir
dit : Lève tes yeux à partir de rendrait où tu abondamment et de bt)n cœur, ne jamais les
es Tuaintena)it ; toute cette terre que tu vois, refuser, mais leur parler avec beaucoup de
je te la donnerai à toi ainsi qu'à ta race., jus- bienveillance et de douceur. Prêtez Voreille
qu'à la fin des siècles. au pauvre et répondez-lui avec douceur et
Voyez, je vous prie quel excès de bienfai-
,
bonté (Eccl. iv, 8); alors, même avant d'avoir
sance Tu lui as, dit le Seigneur, laissé le choix,
I fait l'aumône , vous aurez relevé par votre
tu lui as laisse prendre la terre qu'il a voulue, bienveillance l'âme abattue du pauvre. La pa-
et tu t'es contcnti' de ce qu'il abandonnait. role vaut encore mieux que le bienfait. (Eccl.
Mais moi, je serai si bienfaisant avec toi, que xvni, 16.) Tant il que l'âme est for-
est vrai
toute cette terre qui est là devant tes yeux, de tifiée et consolée par de bonnes paroles I

tous les côtes, du nord au midi et de l'orient au Aussi quand nous faisons l'aumône , ne
concliant, tonte cette terre que tu vois t'appar- considérons pas seulement celui qui la reçoit,
tiendra non-seulement à toi, mais à la race
; et mais songeons à celui qui recueille ce que l'on
jusqu'à la des siècles. Voyez-vous quelle
fin donne au pauvre, et qui promet de nous le
munificence digne de la bonté divine? Voyez- rendre; songeons à lui sans cesse, pour exciter
vous ce qu'il avait cédé et ce qu'il reçoit main- notre zèle charitable, et semons avec abon-
tenant? Apprenons par là à faire de larges au- dance, tandis qu'il en est encore temps, afin
mônes afin de mériter une plus grande récom- d'avoir plus tard une riche moisson. Celui qxd
pense au moyen d'une offrande (jui sera tou- sème peu, récoltera peu. (II Cor. ix, 6.) Répan-
jours petite. EnelTet, cela peut-il se comparer? dons avec profusion ces semences, pour avoir
Donner un peu d'argentet obtenir la rémi.'^sion une moisson opulente quand le jour sera venu.
de ses péchés? Nourrir un homme qui a film, Maintenant c'est le jour des semailles, ne l'ou-
et être justifié dans ce jour terrible et entendre blions pas, je vous en conjure quand viendra ;

ces paroles préférables à un em; ire -.J'avais celui de la rétribution, nous recueillerons les
faim, et vous m'avez donné à manger. (Mal. fruits de ce que nous aurons semé, et nous ob-
XXV, 35.) Celui qui vous a procuré tant d'abon- tiendrons la miséricorde du Seigneur. En eifet,
dance n'aurait-il pas pu soulager la misère de il n'est aucune île nos bonnes actions, aucune

cet indigent? Mais il a periiis que cet homme aussi capable d'éteindre l'incendie de nos pé-
fût |)auvre pour qu'il pût être généreusement chés (}ue labondance des aumônes ; c'est elle

récompensé de sa patience, et que vous-mêmes (jui elface nos fautes, qui nous justifie dtivant
fussiez justifiés par l'aumône. Dieu, et qui nous prépare pour récompense
3. Admirez la bonté du Seigneur! n'a-t-il des biens inefl'ibles. Ma's je vous en ai dit a.-sez
pas tout disposé pour notre salul? Aussi quand pour vous y exhorter et pour vous montrer
vous songez que c'est pour vous, dans votre que les mcindres dons sont magnificpunicnt
intérêt que ce malheureux lutte avec la faim récompensés par le Seigneur. En etlet, nous
et la misère, ne passez point sans pitié mais , soinn.es arrivés à reconmiander l'aumône en
soyez un intendant fidèle des biens que le Sei- disant ([ue le patriarche, pour avoir laissé à
gneur vous a confies, afin qu'en soulageant cet Lolh la meilleure terre et gardé la moins bonne,
infortuné ^ous attiriez sur vous toutes les s'était rendu Dieu si favorable, qu'il en avait
grâces d'en-haut. Glorifiez alors le Seigneur de obt( nu une promesse au-dessus de tout ce que
ce qu'il a permis la pauvreté de cet honnne la pensée [)ouvait concevoir. Lève tes ynix à
pour vous donner l'occasion de laver vos pé- partir de Vendrnt où, tu es maintenant du ,

chés, et qu'après avoir bien administré ce que coté de iaqinlon et du midi; toute cette terre
le Seigneur vous avait prêté, vous méritiez sou que tu vois, je te la doimerai à toi et à ta race,
approbation qui est au-dessus de tout langage jusqu'à la fin des siècles. Tu as cédé une por-
et de toute pensée. Il vous dira Courage, ser- : tion de terre à ton neveu moi je te promets
;

viteur bon et fidèle ; tu as été fidèle à propos toute la terre, et non-seulement à toi, mais à
de petites choses ; je t'en donnerai de plus im- ta race jusqu'à la fin des >iècles, c'esl-à-dire à
portantes : entre dam la joie de ton Dieu. (Mai. per[iétuité! Voyez-vuus quelle bille de bien-
XXV, 23.) Si nous faisons ces réflexions , nous faits ? Dieu sachant que le patriarche ne dési-
231 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CIÎRYSOSTOME.

rail rien davantage, et que rien ne pouvait comme il s'empresse toujours de maintenir
niicux corroborer sa constance, lui dit: Je mîtl- le juste en sécurité 11 dit: lève-toi, promène-
1

tiplierai ta race comme le sable de la terre. Si toi, mesure la longueur et la largeur, pour que

quelqu'un peut compter le sable de la terre ^ il tu apprécies la terre dont tu jouiras et qu'a-
comptera aussi ta race. En vérité, une pa- vant même d'en jouir tu te repaisses d'espé- ,

reille promesse dépassait la nature humaine ; rance pour premier bonheur. Car je te donne-
non-seulement il lui donne l'assmance de le rai toutes les terres à l'entourpour te montrer
rendre père malgré tout ce qui semblait s'y
, que tu abandonné autant que tu dois
n'as pas
opposer, mais aussi de multiplier ses enfants recevoir. Ne crois pas maintenant avoir eu la
comme le sable de la terre, voulant, par cette plus mauvaise pari, quand ton neveu est allé
hyperbole, indiquer qu'ils seraient innombra- occuper ce qu'il avait préféré. Les événements
bles. teprouveront bientôt (jue cet avantage ne lui
Voyez comment la bonté du Seigneur exerce a servi à rienet lui-même apprendra quel in-
;

peu à peu la vertu du juste 11 lui a dit tout à ! convénient on trouve à rechercher la meilleure
l'heure Je donnerai cette terre à ta race;
: part. En attendant, recueille la récompense de
maintenant il dit encore ; Je la dormerai à ta la modération condescendance que tu
et de la
race jusqu'à la fin des siècles et je multiplierai as eues pour ton neveu reçois ma promesse, ,

ta race comme le sable de la teire. Voilà de visite cette terre dont tues le maître, et que tu
belles promesses, mais ce ne sont encore que posséderas bientôt, ainsi que ta race, jusqu'à
des paroles ! beaucoup de temps
11 se passe perpétuité Je la donnerai à ta race jusqu'à la
:

entre la promesse et son accomplissement fin des siècles. Quelle révélation de Dieu, quelle
afin de nous montrer la piété du patriarclie et générosité du souverain Maître, quelle im-
l'infiaie puissance de Dieu. Il en diffère et en mense récompense accordée, par sa bienveil-
recule la réalisation, afin que ceux qui en lance et sa miséricorde , à ce juste et à toute la
avai( nt reçu l'assurance, élaiit parvenus à Tex- race qui devait sortir de lui 1

trcme vieillesse, et ayant perdu toute espérance En l'entendant, le patriarche, frappé de l'inef-
humaine, puissent é[)rouver la faiblesse de leur fable bonté de Dieu, leva sa tente et habita
nature et la puissance incom[iarable de Dieu. auprès du chêne de Membre qtd est au pays ,

4. A ce sujet, réilécliissez, je vous prie, à la de Chébron. Ainsi , après avoir reçu celte
fermeté d'e;-[)rit du patriarche, pendant un si promesse et s'être séparé de Loth, il transpitrta
long espace de temps; tout était ptrdu au point sa tente au chêne de Membre. Voyez quelle
de vue humain, mais songeant à la puissance résignation et (juelle élévation dans l'esprit I

de Celui qui lui avait fait cette promesse, il comme il se transporte f.icilement et n'é-
n'avait ni trouble, ni crainte. Vous savez que prouve aucune difticulté à passer d'un lieu
d'ordinaire nous finissons par ne plus croire à un autre. Jamais vous ne le trouverez retenu
aux promesses souvent ré|)étées, quand elles ni (.nibarrassé par aucune liabilude, ce qui
tardent à s'accomplir nous pouvons avoir rai- : arrive souvent à bien des gens «jui se préten-
son, s'il s'agit d'un homme, ftjais (juand il s'a- dent parvenus au faite de la sagesse et supé-
git de Dieu, (jui dirige notre existence avec sa rieurs aux misères du monde. Si pourtant ils
prudence parfaite, s'il a une fois pronus <piel- sont app'iés par (juchpie circonstance à chan-
que chose, nous devons nous y fier, malgré des ger de place, souvent même, pour une atlaire
obstacles innombrables, nous devons ne son- spirituelle, deviennent chagrins, tristes et
ils

ger qu'à sa puissance absolue, ralT rmir notre sup|tortent avec peine (O déplaci nient, parce
raison et savoir (jue toules ses paroles s'accom- qu ils sont pré\enus par l'habitude. II n'eu
pliront n'importe comment. Hien ne peut re- était pas ainsi de ce juste qui avait déjà ,

tarder retlel (le ses |»romesses, puisque c'est toules les qualités de la sagesse chré-
Dieu à qui tout mais il les recule
est pos.^ible; tienne : comme un
voyageur ou un étranger,
quand il veul s'il n'y a pas de rheniins, il sait
: il se transportail tantôt d'un côté, laiilôt d'un
en trouver et nous w mire respùimeau milieu autre, et s'empressait partout de déployer sa
de notre désespoir, afin de faire briller encore piété par ses actions. Qir après a>oir placé sa
mieux à nos regards sa puissance et sa s.igessc. tenle près du cliêne de Membre, il y conslrui>it
11 dil Lève-toi et puintènc-toi en hmi/ et en
: un autel au St iiincui. Vovi-z quelle reconnais-
large sur la terre que je le du/int/ai. Voyez sance ! Au^6ilùl qu'il a placé sa teul«, il â'^ui-
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — TRENTE-QUATRIÈME HOMÉLIE. 235

prpsse d'offrir au Seif^neur des actions de grâ- d'en jouir? Pour voir qu'il les avait préparés
ces pour sa promesse, tt dan? tous les einlniits d'avance, écoutez ce qu'il dit à ceux (ju'il met
où il place sa triite, vous trou\ez cju'il songe à sa droite : Venez, les bien-nimés de mon
avant tout à dresser un autel [tour y olfi ir ^es Père, recevez pour héritage le royaume qui
prières et accomplir le pn ceptede rApôliequi vous a été préparé avant la création du
nous ordonne de prier partout, et d'élever au monde. (Mat. xxv, 34.)
ciel des mains pures. (I Tini. ii 8.) Voyez les
, Voyez l'excès de bonté, la bienveillance qu'il
ailes que l'amour prête à son àmc pour voler à a eue pour notre race puisqu'il nous prépa- ,

Dieu et le remercier de toutes choses Il n'at-


,
! rait la jouissance de ce royaume même avant
tendit pas que les promesses fussent accom- la création du monde
Ne soyons donc pas in-
!

plies; il le remercia de sa promesse, et il fit grats, je vous en conjure ne nous rendons ,

tout pour engager, par ses actions de grâce an- pas indignes de pareils bienfaits, mais chéris-
ticipcts, le Seigneur à en précii)iter l'accom- sons, comme nous le devons tous, notre Maître
plisstni'nt. et ne faisons rien qui puisse diminuer sa bien-
Imi'ons-le donc et ayons confiance dans
5. veillance pour nous. Est-ce nous qui avons fait
les promesses divines. Que notre aideur ne se les premiers pas? C'est lui, qui de lui-même
ralentisse pas avec le ttmps, que les obstacles nous a ouvert le trésor inépuisable de sa cha-
répandus sur notre route n'affail»li<sent pas rité. Combien ne serait-il pas insensé de ne

noire courage mais, toujours confiants dans


; point aimer de toutes nos foices celui qui nous
la puissance de Dieu, comme si nous pouvions aime ainsi Son amour pour nous lui a fait
1

déjà voir ses promesses se réaliser, montrons tout supporter avec plaisir; il a voulu prendre,
toujours une foi sincère. Car Di<i! nous a l'ail en quittant le sein de son Père, pour ainsi dire,
des promesses considérables, immenses même, laforme d un esclave, subir toutes les misères
et(jui confondent notre raison, puis(ju'elles con- de l'hunianité. supporter les injures et les op-
sistent à nous faire entrer dans son royaume probres" des Juif>, et enfin le supplice de la
et participer avec les anges à des biens inef- croix, la moi l la plus ignominieuse, afin que
fables, en nous délivrant de l'enfer. Gardons- nous, qui nous 'traînions à terre, écrasés d u |)oids
nous de douter, sous prétexte qu'il nous est de mille péchés, la foi put en lui nous en af-

impossible de voir avec les yeux du corps ,


franchir. Aussi en y réfléchissant, saint Paul,
mais songeons que Celui qui a fait ces pro- dont l'amour pour le Christ était si ardent, qui
messes ne peut mentir songeons à l'é-
; parcourait l'univers comme avec des ailes, et

tendue de sa puissance, regardons tous ces qui, malgré son corps, agissait presque comme
biens avec les yeux de la foi, et d'après ce qu'il un être incorporel , s'écriait-il : La charité du
nous a déjà accordé, ayons bonne espérance Christ nous possède. (II Cor. v, 14.) Voyez
pour l'avenir. En effet, c'est pour cela que nous quelle reconnaissance ,
quel excès de vertu
avons déjà reçu mille bienfaits qui doivent quelle ferveur de zèle 1 La charité du Christ
nous conduire vers ces biens et nous en don- nous possède c'est-à-dire nous presse
, , nous
ner l'espoir car Celui qui nous a donné son
; pousse, nous excite.
Fils par amour pour nous, comment ne nous Ensuite, voulant expliquer ce qu'il vient de
donnerait-il pas tout le reste? Aussi, Paul dit- dire, il ajoute Nous jugeons que si un seul est
:

il Celui qui n'a pas épargné son propre Fils,


: mort pour tous, c'est que tous étaient morts. Et
et qui l'a livré pour nous tous, comment ne il est mort pour tous afin que les vivants ne ,

nous donnerait-il pas tout en même temps ? vécussent plus pour eux-mêmes mais pour ,

(Rom. VIII, 32.) S'il a livré son Fils pour nous celui qui était mort et ressuscité pour eux. Vous
autres pécheurs, s'il nous a accordé la grâce voyez dans quel sens il a dit La chanté du :

du baptême, s'il nous a donné la rémission des Christ nous possède. S'il est mort pour nous
péchés qui l'ont précédé, s'il nous a ouvert la tous, il est donc mort afin que nous ne vivions
route de la pénitence, et s'il a encore travaillé plus pour nous, mais pour lui qui est mort et
pour notre salut de bien d'autres manières, il ressuscité pour nous. Mais, dira-t-on, comment
est clair qu'il nous réserve un avenir bienheu- pourrons-nous ne plus vivre pour nous-mê-
reux. Car lui dont la bonté nous a préparé
, mes? Ecoutez encore les paroles de rA|)ôlic :

tous ces trésors avant que nous fussions au Je ne suis plus vivant, c est le Christ qui vit en
n:onde, comment ne nous permettrait-il pas moi. (Gai. ii, 20.) Vous voyez que, tout en res-
236 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

tant sur terre et dans les liens de la chair, il Ila aimé toute la nature humaine, mais je lui
vivait cepen<lant comme un habitant du cit let rends grâces comme s'il m'avait aimé seul.
asj-imilé aux puissances immatérielles. Il dit Et qui s est livré pour moi. Quoi donc? est-ce
encore ailleurs Ceux qui sont au Christ ont
: pour toi seul qu'il a été crucifié? Ne dit-il pas :

crucifié leur chair arec ses /jassvjn^ et ses dé- Quand je serai élevé, j'attirerai tout à moi?
sirs. (Gai. V, 24.) C'est là ne plus vivre pour (Jean, xii, 32.) N'as-tu pas dit toi-même : Il
soi-même, mais pour Celui qui est mort et res- s'est livré pour nous tous? Oui, j'en conviens,
suscité pour nous, afin d'être comme mort à mais je cherche à nourrir mon amour. —
cette vie présente et de ne plus être sensible à Voyez ce qu'il nous apprend encore sur ces
rien de visible. Car Notre-Seigneur a été cru- paroles. Après avoir plus haut dit du Père :
:iOé pour que nous échangions la vie actuelle // l'a liv7'é pour notis tous, il dit ici : // s'est
pour la vie future; ou plutôt pour que Tune livré lui-même. C'est pour montrer l'accord
nous fasse acquérir l'autre. La vie actuelle, si et l'égalité entre le Père et le Fils et pour faire
nous voulons être attentifs et vigilants, nous allusion au mystère de la croix; aussi dit-il
conduit au bonheur de la vie éternelle; pour ailleurs : il a été obéissant jusqu'à la mort
peu que nous ayons de soin, et que nous cher- (Phil. II, 8), prouvant partout sa foi pour cette
chions à ouvrir l'œil de l'esprit, nous saurons, union. Ici il a dit : 7! s'est livré lui-77iême,
ici- bas, nourrir sans cesse la pensée de ce bon- pour montrer qu'il a supporté la passion vo-
heur, négliger et dédaigner le présent, pour lontairement, non par force et par violence,
ne songer qu'à l'avenir éternel, et suivre les mais qu'il avait désiré et voulu souffrir sur la
leçons de ce saint qui nous dit Maintenant : croix pour le salut de tout le genre humain.

je vis dans la chair, mais je vis dans la fui du Comment notre amour pourra-l-iljamais être
Fils de Dieu qui m'a aimé., et qui s est livré digne d'une si abondantecharité? Quand même
pour moi. (Gai. ii, 20.) nous sacrifierions notre existence pour obéir à
6. Vous voyez quelle âme de feu à quelle , ses lois et pour maintenir les préceptes qu'il
hauteur plane cet esprit, quel amour pour Dieu nous a donnés, nous ne serions pas encore à la
{\dinsce, CÇBWT ii\iï[Am\\\è\ J e vis maintenant mais , hauteur de cette charité qu'il a déployée pour
je vis dans la foi. Ne croyez pas, dit-il, que je notre nature. C'est Dieu qui a souffert pour
fasse rien pour ce qui regarde la vie présente. les hommes, le Maître pour les esclaves; et
Quoique je sois enveloppé de chair et soumis non-seulement pour des esclaves, mais pour
aux nécessités de cette nature, cependant je des ingrats qui lui montrent une haine impla-
vis dans la foi, dans celle du Christ, c'est à lui cable. C'est lui qui a offert de lui-même ses
que je songe sans cesse, l'espoir que j'ai en généreux bienfaits à des hommes indignes et
lui me fait devancer l'avenir et mépriser le tombés mille fois; tous nos efforts ne pourront
présent. Enfin, pour vous montrer toute la jamais récompenser dignement une pareille
l)erfeclion de son amour, il dit Je vis dans la
: bienfaisance. Tout ce qui vient de nous est une
foi du Fils de Dieu qui m'a aimé et s\st livré obligation, un tribut; de lui viennent des lar-
pour moi. Quelle preuve d'extrême reconnais- gesses immenses et gratuites. Méditons sur ces
sance! Que dis tu, ô saint Paul? Tu disais un vérités, aimons le Christ comme Paul l'a aimé,
peu avant Dieu n'a pas épargné son propre
: sans nous inquiéter des choses présentes, et
Fils, et l'a livré pour iious tous (Rom. vm, conservant son amour constant et inébranlable
32) et maintenant lu dis
; il m'a aimé, et
: dans notre âme. C'est ainsi que nous prendrons
lu semblés considérer eomnie |)arlicnlier à toi en .'t que nous habiterons
pitié la vie actuelle
un bienfait général. Oui, dit il, c.»r bien que la terre nous étions déjà au ciel,
connue si

ce sacrifice ait été offert pour tout le genre sans ralentir notre zèle dans la prospérité, sans
humain, cependant mon amour me le fait nous abitlre dans l'adversité. Oublions tout
considérer connue s'il m'était particulier. pour courir vers noire .Maître adorable, ne
C'est l'usage des prophètes de dire, ô Dieu, nous afUigeons point pendant laltente, mais
mon Dieu (Ps. xxi, cxvii et cxn), quoicjue ce disons comme notre saint Maintenant nous :

soit le Dieu de tout l'univers; mais l'amour a vivons dons la chair, 7)iais 7wus vivons dans la
cela de particulier ()uil paiticulanse ce qui foi du Fils dp Dieu, qui nous a ai/ziés et s'est
est général. La foi du Fils de Dieu qui ni^a livré pour nous, .\insi ous passerons sans af-
>

aimé. Que dis-tu? Es-tu le seul qu'il ait aimé? fliction notre vie aclueile, et nous mériteroo»
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — TRENTE-CINQUIÈME HOMÉLIE. 237

les biens avenir, par la ^nàce et la miséricorde puissance et honneur, niaitilenatilet toujours,
de Nolrc-Seiync'ur Jésus- .hrist, aii(|iiel, ainsi et dans les siècles dcssièc es. Ainsi soit-iL
qu'au Père et au Saiiil-^sprit soient gloire,

TRENTE-CINQUIÈME HOMÉLIE.
H arriva pendant le règne d'Amarphath, roi de Sennaar, qu'Anoch, roi d'Elasar et Chodologomor roi d'Elam,
et Tarthac, roi des Nations, firent la guerre contre le roi de Sodome, > [Gen. XIV, 1, 2.)

ANALYSE.

1-2. Exorlation à l'étude deS^aintes Ecritures ; exemple de l'eunuque éthiopien. —


3. Défaite des cinq rois, captivité de Loth
qui se Irouve ainsi puni de s'être séparé de sou onde. —
4. Victoire d'Abiaham dans inquelle paraît avec éclat la protection
dont le couvre le Tout-Puissant. — 5. Mcicbisédecli, figure de Jésus-Christ. — 6. Abraham confesse le Dieu, créateur du ciel
et de la terre, en présence du roi de à&dorae et donne une nouvelle preuve de son désintéressement. — 7-8. Exhortation à
l'aumône.

4. C'est une excellente chose, mes bien-ai- quand même l'instruction humaine nous man-
més, que la lecture des saintes Ecritures. Elle querait, Dieu, descendant dans nos cœurs, il-

donne à notre âme la véritable philosophie, lumine notre esprit, éclaire notre raison, nous
elle élève notre esprit au rendl'homme
ciel, elle dévoile ce qui était caché et nous enseigne ce
reconnaissant; elle nous empêche de rien ad- que nous ignorions; il suffit que nous fassions
mirer des choses présentes et en détourne sans tout ce qui dépend de nous. à per- Ne donnez
cesse notre pensée, afin que la vue des ré- sonne sur terre le 7iom de Maître. (Mat. xxui, 8.)
compenses promises par le Seigneur nous Quand nous ouvrons ce livre spirituel, pré[)a-
engage à tout faire pour les mériter et à mettre rons notre pensée, recueillons notre es(irit,
tous nos efforts et tout notre zèle à la poursuite chassons toutes les idées du ni-inde et livrons-
de la vertu. Elle nous fait connaître la provi- nous à cette lecture avec une attention et une
dence d'un Dieu promptement secourable, le piété profondes, afin d'être conduits par le

courage des justes, la bonté du Seigneur et la Saint-Esprit à l'intelligence des Ecritures et


grandeur de ses récompenses. Elle excite notre d'en recevoir les fruits précieux. Ce barbare,
zèle à imiter la s;! géné-
gesse de ces hommes cet eunuque de la reine d'Ethinpie, qui voya-
reux, pour que nous ne faiblissions pomt dans geait en grande pompe et sur son char (Act.
les efforts qu'exige la vertu, mais pour que vni), ne négligeait pas cette lecture, même en
nous prenions conflance aux promesses divi- voyage. Il avait dans ses mains le livre d'un
nes, même avant qu'elles soient réalisées. prophète et s'appliquait tout entier à cette lec-
Aussi, je vous en conjure, livrons-nous avec ture sans avoir ceitendant l'in elligence de ce
ardeur à la lecture des saintes Ecritures, dont mais
qu'il lisait; comme il up;)ortait tout ce
l'étude assidue nous donnera la science céiesle. qui dépendait de lui, le zèle, l'ai deur et l'atten-
En effet, celui qui s'y applique avec zèle et fer- tion, il rencontra un guide 6(»irituel. Songez
veur ne peut jamais être nej^iiiié d'en-haut : en eUet, je vous prie, combien il était dilUcile
238 TRADUCTION FRANÇAISE IiE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

de s'occuper à lire en voyage et surtout assis ser son adoration au Seigneur. Et après avilir
sur un char. Je recommande cet exemple à accompli son désir, il s'en retournait assis sur
ceux qui ne peuvent s'y décider, même chez son char et lisait.
eux, qui croient ne pas en avoir le temps, 2. Ensuit!^ , PhiTppe s'approche et lui dit :

parce qu'ils vivent avec une femnie qu'ils ,


Crois -tu comprendre ce que tu lis? Voyez
sont au service militaire, qu'ils sont embar- combien son âme était avide de savoir, puis-
rassés d'enfants et de domesti(jues, et s'ima- qu'il s'attachait à celte lecture qu'il ne com-
ginent que leur état les dispense de lire prenait pas, tout en désirant de trouver un
Cependant voici un eu-
les saintes Ecritures. m dire qui la lui expliquât. En effet, la ques-
nuque, un barbare que ces mêmes motifs au- tion de l'Apôtre éveille aussitôt son désir, et sa
raient pu rendre négligent, sans compter sa réponse même fait voir qu'il était digne de
puissance et ses richesses; ajoutez à cela qu'il rencontrer ce maître capable d'expliquer ce
était en voyage et sur un char, po^^ition peu qu'il li-ait. L'Apôtre, en lui disant : Crois-tu
commode et même Irès-gênanle pour la lec- compioidre? approché de lui, couvert
s'était

ture ; cependant son ardeur et son zèle le f ii- de pauvres habits cependant l'eunuque n'en
;

saienl passer par-dessus tous ces obstacles; il fut point choqué ni irrité, il ne se crut point
s'absorbait dins sa lecture et ne disait pas injurié, comme cela arrive à ceux t|ui ont la
comme Je ne comprends pas ce
tant d'autres : sottise de vouloir re>ter dans leur ignorance

qui est ne puis p ''nétrer la pro fondeur


écrit, je parce qu'ils ro::gis<ent de l'avouer et tl'ap-

des Ecritures; pourquoi me livrer à un tra\ail prendre de ceux qui savent. Il n'eut au -une
stérile et inutile, puisque je n'ai pe'sonn;^ pour idée semblable il répond avec douceur et
;

me l'expliquer? Il ne pensait rien de semblable, piété, sans cacher l'éat de son âme Com- :

car s'il était barbare de naiion, il était sage ment pourrai-je comprendre si qu Iqt'un ne
d'esprit; il s'appliquait donc à cetîe lecture en me guide ! Etde plus aprèsavoir répon lu avec
pensant qu'il ne méritait p is le mépris, mr.is celte poli 'ose, ne continua pas son cheici'i,
il

la grâce d'en -haut, s'il faisait tout ce qui dé- mais il encore une grande preuve de
dt'iina

pendait de lui. Aussi le Seigneur bi nveillant, vertu ce ministre, ce bai bare, monté sur ce
:

voyant son désir, ne le mépris.i point, ne l'a- char brilla it, appela cet homme si mal vêtu,
bandonna pas et lui envoya aussitôt un guide qui seii.lihiit si peu de chose, et le fit monter
spirituel. Refléchissez, je vous prie, à la sagesse avec lui Voyez quelle âme fervente, (luelle
!

de Dieu qui attendit que reunu(iue eût fait extrême dévotion! Voyez comme la piété de ce
tous ses etrurts et qui aloislui envoya un aide. barbare lui fait accom|tlir h s paroles du Sage :

Quand celui-ci eut accompli et termaié ce 5? vovs trouvez un homme snge, que vos pus
qui était en son pouvoir, un ange du Sei- usent l>s tnarches de "a jiortr. (Eccl. vi, 3G.)
gneur apparut à Philippe lui disant : Lève-toi Voyez comi) 111 il élo'l juste de ne pas le mé-
et va sur la route qui descend de Jih'vsolcm à pnsi r, voy z c inmie il inêrilail la protection
Gaza, qui est déserte. Et voici qu'un lit/uO/iicn, divine Après avoir ainsi trouvé ce guide spi-
1

wi eunuque^ T7ii)u'stre de la reine d Et/u'opie ritu( 1, il a|»pril toute la puissance de Cts écrits,

Candace, était venu pour adorer à Jérusalem ; ei son intel igt-nce s'éclaira.
il s'en retournait assis sur sofi char et lisait le Vous avez vu quel avantage il y a à lire les
prophète Isaïe. (Act. viu, SO-îîS.) Voyez a\ec saintes Eeiitnres avec zèle et alleiition. C'est
(jucl soin le lecteur est décrit : c'est un Ethio- p lur te!a que je vous ai rapporté l'histoire de
pien^ ce qui nous fait voir qu'il est barbare; ce barban-, afin (ju'on ne rougisse point d'imi-
c'est un ministre, ce qui indicpie beaucoup ter Cet Ethiopien , cet t unuque qui ne négli-
d'honneur et (le puissance. // était venu j/our geait pas, même en voyage, de li'e les Ecri-
adorer à Jérusalem. Vous voyez cpie la cause tures. Ce bai bare peut être notre maître à
même de son déplacement prouvait sa [tiété; tous, hommes privés ou mililairt s, même aux
car voyez combien de chemin il avait fait pour plus h lut placés, à tous les hommes enfin, et
adorer le Seigneur. ()[i croyait encore alors aussi aux fenuues cpii vivent sans ct sse à la
que le culte divin était renfermé dans un seul maison. Il peut encore être un enseignement
endroit et l'on faisait un long voyage pour y pour eeux (|ui ont cliiiisi la vie monastique,
apporter ses jn'ières. Il était donc \enu là où atiii lie leiM" numlrer qu'aucune circonstance

était le temple et le cuil<i des Juifs pour adres- ne peut les dciourner du cette lecture. Elle est
HOMÉLIES SUR LA GiiiNÊSE. — TRENTE-CINQUIÈME HOMÉLIE. 239

toujours possible non seulement chez soi


, Ar/'och, roi d'Efosar, et Chodolor/omor, roîd R-
mais en promenade n voyage dans le
, >
, lam. rt Tliartnc^ roi des \ ai ion v, fir>nt la guerre
monde, au milieu des affaires; en un mot, à Bolac, roi de S<^dom", à B >rsac, roi de Go-
faisons tout ce qui dépei^d dt nous, dans l'es- morrlii'^ à St'/i/iaar, roi d' Adnn/i^ à Siuioljor,
pérance de trouver bienlôt un guide spirituel ; roi de Sfl>oï/i, et au roi de Balac, ou Srrjor.
car Seigneur, voyant nos désirs à ce sujet,
le Tous se réunirent dans la vallée Salée, où est
ne nous abandonnera pas; il nous accordera son la mer de sel. Voyez la précision de l'Ecriture,
assistance céleste et éclairera notre esprit. Ne comme elle rapporte tous ces noms de lois et de
négligeons donc pas celte lecture, je vous en peuples! ce n'est pas sans raison, c'est pour
supplie que nous en seulions ou non toute la
;
montrer, par ces noms mêmes, tout ce qu'ils
force, nous en abreuver sans cesse. Une
il faut avaient de barbare. Tous ceux-là, dit-elle, fi-

méditation continuelle grave en nous l'Ecri- rent la guerre au roi de Sodome et à d'autres
ture d'une manièrt! in» il'açable : souvent, ce encore. Ensuite elle nous apprend la cause et
que nous n'avons pu saisir aujourd'hui , l'origine de cette guerre : /As avaient été as-

nous le comprenons demain (juand nous y servis douze ans à Chodologomor, roi d' Elam,
songeons de nouveau t'est que Dieu a bien ; et latreizième année ils s'étaient révoltés.
voulu à notre insu, pour ainsi dire, éclairer
, Dans la quatorzième année., Chndoloi/omor vint
notre âme. Nous faisons cette observation à avec les rois qui V accompagnaient , et ils tuè-
propos de la lecture fréquente des saintes Ecri- rent les géants à Astaroth et Carnaim , et des
tures ; vous sera facile de voir que
mais il nations puissantes avec eux , les Omméens
c'est aussi du Seigneur, même dans
l'usage dans la ville de Save, et les Chorréens qui
toute autre circonstance, de nous accorder des étaient dans les montagnes de Séir, jusqu'ati
secours abi>nd,uits, sitôt que nous avons fait ce pin de Pharan^ qui est dans le désert. Et en
qui dépendait de nous. A propos des Ecritures, revenant., ils arrivèrent à la fontaine du Juge-
vous avez vu avec quelle prom[)titude Dieu ment , oii est Cadès , et ils tuèrent tous les
avait envoyé à ce barbare un guide spirituel ; princes d'Amalec, les Amoî'rhécns et les habi-
si vous voulez un exemple de ce qu'il fait en tants d\[sa<ont/ianiar.Ne pas^^ons point légè-
faveur de ceux qui veulent prati(iuer la vertu, rement sur CCS paroles, mes bien-aimés, et ne
rappelez -vous le passage que l'on vient de pensons pas que cette narration soit inutile.
lire. Pour parler plus clairement , nous L'Ecriture sainte a jugé utile de tout ra-
continuerons ce qui se rapporte à notre pa- conter avec exactitude pour nous faire con-
triarche , et nous alloiiS poursuivre ce que naître la force et le courage de ces barbares,
nous avions commencé hier. Vous avez vu et leur fureur belliqueuse, puisqu'ils avaient
d'après ce qui précède, (jne la condescendance vaincu des géant< , c'est-à-dire des hommes
qu'il montra à l'égard de Lolh, en lui accordant d'une grande force de corps, et qu'ils avaient
le choix de la meilleure part, reçut comme ré- mis en fuite toutes les peu dades du pays.
compense d'en-haut !a pr messe de biens in- Comme un torrent im[tétueux, qui emporte et
fininient supérieurs à ceux (ju'il abandonnait. détruit tout, ces barbares avaent tout envahi,
La lecture d'aujourd'hui va nous faire encore tout massacré, par exemple Us chefs des Ania-
reconnaître la \ertii du juste, ainsi que l'inef- lécites, et dispersé tous les autres. Mais, Ion
fable protection de Dieu sur lui. Commen- dira peut-être : Que me
de connaître 1.»
sert
çant a nous instruire par la sagesse du pa- puissance de ces barbares? n'est pas au ha- Ci

triarche, il lui donne ditlerenlcs occasions de sard, ni sans raison, que l'Ecriiure môle cette
manifester sa piété, puis il l'en recompense, narration à l'histoire, et ce n'est pas en vaiQ
afin (jue nous cherchions d'abord, en imitant que nous vous avons rappelé leur courage :

le patriarche, à supporter les épreuves de c'est pour vous donner lieu de comprendra
la vertu, et ensuite à en attendre la récom- par la suite toute la puissance de Dieu et la

pense. vertu du patriarche.


3. Mais il esttemps qupje vous parle de la lec- Pour combattre ces hommes si terribles, qui

ture d'aujourd'hui ; à peine a-t-elle besoin d'ex- avaient battu tant de n diouf , s'av mcèrent les
plication, car elle suffitpour montrer l'excel- rois de Sodome elde un/norr/i'-, ceux d damo^
lence de la vertu du ju?te Il arriva, pendant le : de Séhoïm et de Bal œ. qui est Ségor, et d^
règne dAmarphath roi de Sennaar , que , disposèrent leur armée dans la vuUée Sa.'ee
240 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

contre Chodologomor, Thartac, Amarphath et parents lui avaient donné ce nom, ce qui pré-
Arioch, quatre rois contre cinq; dans la vallée disait qu'il devait voyager. On l'appela Abram
Salée y avait des puits de bitume. Nous
^ il parce qu'il devait (piitler l'autre côté de l'Eu-
\oyons combien ils furent frappés de la force phrale, et venir en Palestine.
et de la puissance de leurs ennemis, car ils fu- A, Ainsi, quoique ses pmentsfussentinfidèleSj
rent mis en fuite. Les rois de Sodome et de la sagesse de Dieu les avait dirigés dans le choix
Gomorrhe s'enfuirent et tombèrent dans ces du nom de leur fils, comme Lamechpour Noé.

puits; les autres se sauvèrent sur les montagnes. C'est, en effet, un exemple de la bonté divine
Vous voyez ({uelle était la valeur guerrière des de prédire l'avenir éloigné, même au moyen
barbares, comme ils terrifiaient leurs ennemis des infidèles. Le voyageur apprit ainsi tout ce
par leur seul a^^pect et comment ils les met- qui s'était passé, la captivité de son neveu, la
taient en fuite. Voyez ensuite comme ils re- puissance de ces rois, la dévastation de So-
vinrent après avoir tout pillé chez les fugitifs. dome et la fuite honteuse de ses habitants. //
Ils pénétrèrent dans les montaqni!S^ prirent Unis habitait près du chènp de Manibré., au p'Ojs
les cfwvaux des gens de Sodome et de Go- d Onvn'i, frèred Eschol, frère d'Aunan, qui
morrhe et tous leurs viv?'es, et s'en allèrent. avaiint fait allioiîce avec Abram. Ici l'on pourra
Ils enlevèrent aussi Loth, neveu d'Abram^ et demander pourquoi, parmi les habitants de
:

tous ses btigages, et s'en allèrent. Il habitait au Sodome, Loth qui était un juste, fut-il seul
pays de Sodome. Vous voyez arriver ce que je emmené en captivité? Ce n'est pas sans raison
vous disais hier ne servit de rien à Loth
: il et inutilement; c'était pour faire connaître à
d'avoir choisi ce qu'il y avait de mieux; l'évé- Loth toute la vertu du patriarche et en même
nement lui enseigne à ne pas désirer de choisir. temps pour sauver les autres habitants; mais
Car, non-seuîementil n'en relire aucun profil, c'était aussi |)Our lui apj>rendreà ne plus cher-
iiiais il est emmené captif et il apprend par le cher la première place, mais à céder à ceux
lait même qu'il aurait mieux valu continuer à qui valaient mieux que lui. Ecoutons mainte-
vivre avec le jusle que de se séparer el d'acheter nant ce qui va suivre pour apprécier la vertu
son indépendance par tant de calamités. En du juste et l'incomparable assistance de Dieu.
quittant le pnlriarche il croyait être [dus libre, Mais prêtez une oreille attentive et recueillez
avoir la meilleure part et devenir riche; au vos esprits. Nous pourrons en retirer un gnnd
contraire, le voilà priFOirnier, sans demeure, profit et conclure de ce qui est arrivé à Loth
sans fortune et sans foyer. Cela nous apprend (ju'il ne faut Jamais s'olTeuser de voir les justes

tous les inconvénients des discussions et tous souffrir des épreuves auxquelles échap[)ent ks
les avantages de la concorde; c'est aussi une méchants, qu'il ne faut jamais chercher les pre-
leçon pour ne pas chercher toujours le plus mières places, ni préférer quoi que ce soit
profitable, mais se contenter de ce ([ui le pa- à la fréquentation des gens vertueux, enfin
raît le moins. Ils enlevèrent Loth et son ba- que l'indépendance ne vaut pas la sounàs-
gage. Combien il aurait mieux valu vivre avec sion à un homme de bien. Apprécions aussi
le patriarche et tout supporter pour ne pas la clémence du juste, son extrême affection

rompre l'union, (|ue de choisir un pays |)(>ur pour Loth son nupiis des richesses, et la
,

y \ivre séparément, et de tomber tout à coup force inouïe que lui donna le secours de
dans de pareils dangers, sous la puissance des Dieu. Quand Abram apprit que son neveu
barbares Un de ceux qui s'étairut soi/vés vint
! Loth était prisonnier, il réunit trois cent dix-
raconter tout celu à AhrnmJ'étrnngcr. qui habi- huit scrv/fi'urs nés à sa maiso/i, et suivit la
tait près du chêne deMfunbré^ auprfys d'Omori, trace des ravisseurs jusqu'à Dan ; il tomba sur
frère d'Eschol et frère d'Aunan qui avaient eux avec ses sn^iteurs pendant la nuit et les
fait alliance avec Abrant. Couiuicnt le patriar- ch'isS'r jusqu'à Chobal, qui est à la gauche de
che avait-il pu ignorer (|u"une guerre si ter- Danu/s. Et il ramena tous les chevaux des
rible s'était élevée? Peut être à cause de la Sodomites ; et il ramena Loth et tout ce qui
dislance. On vint raconter t<mt cela à Abram, lui a/)partenait, les hoi?)n)es et les femmes qui
ré/ranger. Ce mot nous ra|)pelle que celui dépendaient de lui. Songez ici. mes bien-aimés,
qui rc(,'oit celle nouvelle venu de Clial-
éliil au courai^e et à la gntudeur d'ànu- du jusle;
dée; comme il axait habité au delà de TEu- confiant ilans la puissance de Dieu, il ne s'é-
phrale, on l'appelait étraugcr. Dès l'origine ses tonna point de la force des ennemis en appre-
HOMflLlES SUR LA GENÈSE. — TRENTE-CINQUIÈME HOMÉLIE. Qtl

nant toutes leurs victoires, quand ils s'étaient neurs. En effet, il avait déjà appris que lo,

jetés sur faut (le nations, (ju'ils avaient défait trône ne servait à rien sans le secours céleste,
les Anialécites étions les autres peuples, qu'en- etque rien ne résiste à celui (|ui est soutenu par
fin ils avaient atlaqué les Sodomites, les avaient Dieu. Et Melchisédech, roi de Salem, lui ap-
mis en fuite et avaient pillé tout ce (lui leur ap- porta le pain et le vin : c'était un prêtre du
partenait. Voila |)our(iuoi l'Ecriture nous a ra- Dieu Tràs-IJaut.
conté tout cela plus haut en signalant leur cou- 5. Que veut dire cette union de mots Le roi :

rage pour nous apprendre que le patriarche ne de Salem et prêtre du DicuTrcs-/Iaut? C'était le
les avait pas vaincus i)ar la force corporelle, mais roi de Salem. Saint Paul en parle dans sa lettre
par sa confiance en Dieu, dont le secours cé- aux Hébreux convertis; en étudiant son nom
leste avait tout fait. Il n'eut pas hesoin d'armes, et celui de sa ville, il les explicjue au moyen

de flèches, de lances, d'arcs, de boucliers, il d'une étymologie, en disant Melchisédech. roi :

ne lui fallut (|ue ses (loniesli(iues. de justice. (Héb. vu, 2.) Car en hébreu, Melchi
Mais , pourquoi prendre trois cent
dira-l-on, veut dire royaume, et Sédec ym//ce. A propos
dix-huit domestiques? Pour montrer qu'il dunomdelaville, ildil:/Î02ft'e/)ff2^;car Salem
n'emmenait pas tous ses serviteurs indistincte- signifie 7M?a:. Quant à son sacerdoce, il s'était
ment, mais ceux qui étaient nés dans la mai- sans doute consacré lui-même, comme faisaient
son, avaient été nourris avec Loth, afin qu'ils alors les prêtres. Cet honneur avait pu lui être
fussent plus portés à le venger, tout en com- accordé à cause de son âge ou bien lui-même ,

battant pour leur maître. Voyez, je vous prie ,


avait songé à remplir ces fonctions; ainsi Abel,
comme l'infinie puissance de Dieu leur donne Noé et Abraham avaient oU'ert des sacrifices;
une victoire rapide. // tomba sur eux, la nuit, Du reste, il devait être la figure du Christ,
avec ses domestiques, il les battit et les chassa. c'est ainsi que Paul le considère quand il dit :

La main d'en-haut agi-^sait et combattait avec Melchisédech... sans père, sans mère , sans
eux. Aussi n'eiil-il pas besoin d'armes ni de généalogie, n'ayant ni commencement de ses
machines : à peine se fut-il montré avec ses jours, ni fin de sa vie, est ainsi Vimnge du Fils
gens qu'il battit les uns, chassa les autres, sans de Dieu, et denieure prêtre pour toujours. (Heb.
crainte et sans obstacle , ramenant les chevaux VII, 3.) Et comment, direz-vous, un homme
du roi de Sodomc, et son neveu Loth avec tout peut-il être sans père ni mère, et n'avoir ni
ce qui lui appartenait et les femmes qui dé- commencement de ses jours ni fin de sa ,

pendaient de lui. Vous voyez pourquoi Dieu a vie? Vous avez vu que cet homme était une
permis que Loth fût seul fait prisonnier tandis figure : ne vous étonnez donc pas , et n'exigez
que lesautress'étaient enfuis. C'était pour faire pas que tout soit djus la fignre, car ce ne serait
éclater la vertu du patriarche et aussi pour plus une figure, si elle possédait en etîet tout
sauver, par lui , bien des personnes. Il revint, ce qu'elle représente. Quel est donc le sms
remportant un tropliéc glorieux , ramenant de ces paroles? De même
que Melchisédech
Loth, les chevaux, les femmes, toutes les ri- est dit sans père, sans mère, sans généalogie ,

chesses, disant à haute voix et de manière à se parce que l'Ecriture ne mentionne ni son père,
faire mieux entendre qu'une trompette que ce ni sa mère, ni sa généalogie ainsi, comme le ;

n'était point une puissance humaine ni une Christ n'a pas de mère dans le ciel, ni de |»ère
force corporelle qui avait défait les ennemis sur la terre, on dit qu'il n'a pasde gcnéalngie,
et lui avait doimé la victoire, mais que le bras et c'est la vérité. Voyez comme les honneurs
d'en-haut avait tout fait. Vous voyez que tous rendus au patriarche nous préparent à un
les événements servent à rillustralion du mystère. Melchisédech lui présente le pain et le
juste, et que toutes les circonstances montrent vin. En voyant le symbole, songez à la réalité,
la Providence dont il est honoré. Voyez encore et admirez comment 1 Ecriture sainte nous
comme sa piété sert de leçon aux habitants de fait prévoir l'avenir dès l'origine. // bénit Abram
Sodome. Le roi de Sodome arriva à sa re?î- et lui ditQu'Ahi-am soit béni par le Dieu Très-
:

contre quand il revenait de battre Chodolofjo- Haut qui a créé le ciel et la terre. FA le Très-
mor et qui Caccomparjnaient. Voyez
les rois Haut soit béni parce cpCil a livré tes ennemis
quelle importance lui donnent la vertu et l'aide dans tes mains. Non -seulement il le bénit
de Dieul Le roi vient au-devant de ce vieillard, mais il glorifie Dieu car en disant Abram ; :

de cet étranger, et lui rend toute espèce d'hon- est béni du Très-Haut qui a créé le ciel et la

S. J. Ch. — Tome V, 1»
242 TRADUCTION FILVNÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOMË.

ierre^ il montre la puissance de Dieu par celle de la terre, c'est lui qui nous a donné dans cette
de ses créatures. Puisque c'est ce Dieu qui a guerre triomphe. Ne t'attends
la victoire et le
créé le ciel et la terre, ceux qu'adorent les donc pas à ce que j'accepte aucun de tes dons.
autres hommes ne sont pas des dieux. Ces Ce n'est point poiu" le i>rofit que j'ai fait celte
dieux qui n'out point fuit le ciel et la terre, entreprise, c'est d'abord à cause de l'atreclion
qu'ils soient détruits. (Jér. x, 11.) Béni soit paternelle que je porte à mon zieveu; ensuite,
Dieu ! dit Melchisédech, <7r« a livré tes ejinemis c'estpour Taruour mf;me de la justice, afin de
entre tes mains. Observez comment non-seu- retirer des maius des barbares ceux qu'ils
lement il célèbre le juste, mais reconnaît et con- avaient enlevés injustement. Je ne prendrai
fesse le secoursde Dieu. Sans un pareil secours, rien de ce qui est à toi, depuis itn fil jusqu'à toi
il n'aurait jamais pu triompher de puissances si sphérotère de chaussure c'est-à-dire je n'ac- ,
,

terribles. // Va livré tes ennemis ; c'est lui qui a cepterai pas même le moindre objet, sans au-
tout fait, c'est lui qui a rendu les forts impuis- cune valeur. Car on appelle sphérolère, un
sants, c'est lui qui a vaincu les hommes armés bout de chaussure terminé en pointe comme
par des bras sans armes, c'est son appui (jui a en portent les Darbare?. Comme raison (jui lui

fait toute ta force. lia livré tes ennemis entre défend d'accepter, il dit Pour que tu ne dises
:

tes mains. Comme ce mot prouve l'affection pas: fai enrichi Abram. J'ai un Dieu qui me
qui l'unissait à Loth , comme il montre que le comble de biens infinis, je m'appuie sur sa
patriarche regardait les ennemis de Loth force céleste, je n'ai pas besoin detesi'ichesses,
comme ses propres ennemis Il lui donna la ! jene réclame point l'aboudance qui vient des
dîme de tout. Paul dit à ce sujet Voyez quelle : hommes je me conlente de la protection
,

était l'importance de Melchisédech, puisque le divine je sais que ses dons sont inépuisa-
,

patriarche Ahrahayn lui donna la dlme des bles. J'ai cédé à Lotir à pi'0|)0s dintér'éts pe-
prémices. C'est-à-dire qu'avec toutes les dé- tits et reçu des pi'omesses
méfirisables et j'ai

pouilles qu'il avait ra|)portées, il rémunéra immenses et inexprimables maintenant je :

Melchisédech et lui donna la dîme de tout ce me ménage encore une plus gr-ande richesse,
qu'il avait fzagné : montrant ainsi à tout le et je me concilie une nouvelle bienveillance

inonde qu'il convient de témoigner sa recon- en refusant tes présents. Voila pour'(juoi ,

naissance à Dieu en prémices


lui offrant les je pense, il a proféré ce seim ni, en disant:
des biens qu'il accorde. Ensuile étonné de la J'étends la main vers le Très-IJaut, afin que
grandeur d'àme du patriarche, le roi de So- le roi ne pût jias prernli-e cela jiour ur:e
dôme lui dit Rends-moi les hommes, mais
: feinte, comme cela pouvait être, mais pour
prends les chevaux pour toi. C'est une grande qu'ilsùtque le patriarche était bien décidéàne
r(!Con naissance de la part du roi mais voyez ;
rien prentlre jtour hri-mème. Ainsi il aceom| lis-

la modération du juslc J'étends la ?nain vers


: sait d'avance l'ordr-e donné par le Christ à ses
le Très-IJaut qui a fait le ciel et la terre, et disciples: Vous avez reçu gratuitement , dnn-
j'atteste que je ne prendrai ?ien de ce qui est à nez gratuitement. (Malt h. x, 8.) Ai-je conli'ibuc
toi, depuis un fd jusqu'à un sphérolère de air succès (le la guerre, disait il, atrtrenient ipre
chaussure, pour cpie tu ne puisses pas dire : par morr y.c-le et nra bomre volonté? Qirarrt à la

J'ai enrichi Abram. Quel mépris des richesses victoire et aux trophées, c'est Ideu qrri a pr*ocur'é
chez le palriarrhe Mais pouniuoi dit-il avec
1 tout cela par sa force irrvi-ible. Eirsirile, pour
serment J étends In nuiin vers le Très- Haut
: qrre le roi ne put pas cr'oire (pr'il refusait ses
qui a créé le ciel et la terre ? ollVes par or-gueil oir mépris, il montre après
0. Il veut faire savoir deux choses au roi de sa dorreeirr et sa sagesse. Je r^e recevrai rien ,

Sodome: d'un côté, quil est au-dessus de tous les excepté ce que mes jeunes gens ont mangé, et
biens (|u'on peut lui oHiir; de l'autre, par sa la part des honunes qui sont venu< avec moi :
grande modéiatiou, il cherche à lui crist igner K>clu)l , Aunan et Minnbré; ceux-là prendront
la piété, comme s'il lui disait : ("elui <jue je leur part. Je les laisserai, dit-il, |r\ndr*e leur
prends témoin pour ne rien accepler <le ce
à pari, parce qu'ils m'i'Ut donné une gr\inde
Créateur de toutes cho.cs,
<|ui est a toi, c'est le prvU\(^ d'amitié. Ceux-là étaient associés nnc
alin (jue tu connaisses le Dieu de l'univers, et Ahram , c'est-à- ir'e liés d'amilié, car on voit
que tu ne croies plus à ces dieux fabriqués par par la (prils avaient partagé les dangers de celte
laiîiuindcs hommes. C'est le Créateur du ciel et guerre. Aussi, voulant les récomicnser, il leur
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — TRENTE-CINQUIÈME HOMÉLIE. 243

fait résorvor une part, accomplissant ainsi la tié la prospérité actuelle, afin d'allcindre ces
loiapo^toli pie: Louvrier mérite sa nourriture. biens inexprimables; ne comi>lons le présent
(Mallli. X, 10; Luc, x, 7.) Du reste, il ne laisse poiu' rien et ne désirons cpie Ils biens de l'ave-
prendre que ce qu'il faut Excepté ce que mes
: nir. H n'est pas i)Ossi!)lc (ju'un hoirMiK.' atlaché
jeunes fjrens ont mangé et la part de ceux qui
, uni(iuemcnt aux choses de la lerte conçoive liî

sont venus avec moi, Eschol Aunan et Mam- , désir de ces biens inell'ables. De même qu'une
bré; ils recevront leur part Voyez toute la pro-
. taie voile les yeux du corps, de même le dé-
bité et la délicatesse du juste, comment il sir des choses présentes obscurcit le jugement
prouve sa sajj,esse i)ar son mépris des richesses des hommes et les emi)êche de voirce qu'il leur
et sa modération, et comme il fait tout pour faudrait. Mais il est pareillement impossible que
qu'on ne puisse attribuer sa conduite à Tarro- celui qui chérit ces biens solides et immuables
gance ou au mépris ni à l'orgueil de la vic-
, s'ahaisse jamais à désirer les biens périssable»
toire. qui disparaissent ou se fiétrissi iit silùt (|u'or)
j
7. Nous aussi imitons un pareil homme, je touche. Celui qui est frappé des traits de l'a-

vous en conjure, cherchons <à rester irrépréhen- mour divin et qui aspire au bonheur éternel,
sibles à ne point nous enorgueillir sous pré-
,
voit la terre avec d'autres yeux; il saitque la
texte de notre vertu et à ne point négliger la
,
vie présente n'est qu'une figure et une illu-
vertu sous prétexte de modestie conservons ;
sion, et qu'elle ne diffère point des songes.
en tout la juste mesure, et prenons l'humilité Aussi, comme Paul Ce monde est
le dit saint :

pour base et pour fondement de toutes nos une imorje qui passe, [l Cor. vu, 31.) Faisant
bonnes œuvres, afin d'y asseoir solidement voir ainsi que les choses humaines ne sont (|ut
l'édifice de notre vertu car la vertu n'est véri-
;
des apparences fugitives comme une ombre .

table que si elle est jointe à l'humilité. Avec ou comme un songe, et n'ayant rien de vrai et
une base pareille, on pourra élever le monu- de solide. Ne serait-il pas puéril de poursuivre
mentaussi haut que l'on voudra. C'est la puis- une ombre, de s'enorgueillir d'un songe et de
sante fortification, lemur inébranlable, la s'attacher à des objets fugitifs? Ce monde est
tour inexpugnable qui soutient tout l'édifice et une image qid passe. Puis(|ue vous savez qu'//
l'empêche d'être renversé par la force des vents, passe, pourquoi le chercher encore? puisque
l'impétuosité des tempêtes et la violence des ou- vous savez que la vie humaine n'est qu'un fan-
ragans, elle le rend inaccessible et invincible tôme sans réalité, pouniuoi vous tromper vo-
à toutes les attacpies, commeétait bâti en s'il lontairement? puis(iue vous savez combien les
diamant, et nous fait obtenir pour récompense choses d'ici-bas sont changeantes et périssables,

les grands bientaits de la largesse de Dieu. pourquoi ne pas les laisser, et ne pas mettre
C'est par elle que le patriarche reçoit l'immense tous vos désirs dans les choses éternelles iné- ,

honneur de tant de promesses divines. Vous branlables, impérissables et imnmables?


saurez, avec la [)ermission de Dieu d'après ce , 8. Pour connaître la sagesse de ce docteur du
qui va suivre, comment, en méprisant actuel- monde , voyez comment pour prouver ,
le

lement les présents du roi de Sodome, il a ob- néant de toutes les splendeurs de cette vie,
il

tenu de Dieu de grands et d'inelfables bienfaits. dit dans un autre endroit Les choses visites :

C'est ainsi que, non-seulement lui mais tous , ne durent qiiun temps. (Il Cor. iv, 18.) La ri-
les justes ont mérité leur gloire: tous ceux chesse, la gloire, la renommée, les digi.i'és, la

d'entre vous qui lisent assidûment les saintes puissance, l'empire même, avec le diadème et
Ecritures, en trouveront partout la preuve. le trône au-dessus de tous les autres, tout cela
Dieu, dans sa boulé, lorsqu'il nous voit mépri- ne dure quun temps , tout cela subsiste un
ser les biens de la terre, nous prodigue ces Instant , et cesse bientôt de paraître à nos
mêmes biens et nous prépare en même temps yeux. Que devons-nous donc chercher, i\ tout
les biens du ciel. Vous pouvez le reconnaître ce qui est visible ne dure qu'un temjjs ? ^ous
dans les richesses du patriarche, dans la gloire devons chercher, dit rA[iôtre, non plus ce qui
de sa vie, et dans toute son existence terrestre. est visible , mais ce qui est invisible, ce qui
Méprisons donc les richesses présentes, afin échappe aux yeux du corps. Mais, lui direz-
d'être capables d'obtenir les ricliesses vérita- vous, d'oîi vient ce conseil de néglige r ce que
bles; dédaignons cette vaine gloire pour acqué- l'on peut apercevoir, pour recheivher ce que
rir celle qui est vraie et solide ;
prenons en pi- l'on n'aperçoit pas? De la nature même de ces
ta TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

objets,ceux que nous apercevons nous échap- vous aurez nourris vous ouvriront, dans le
pent rai)iclement; quant à ceux que nous ne grand jour, les portes du salut, et vous rece-
pouvons apercevoir maintenant, ils subsistent vront dans leurs tentes éternelles. Ne laissons
perpétuellement, durent dans l'éternité, n'ont point nos habits se manger aux vers, ou se
point de limites, ne finissent et ne changent pourrir dans nos armoires, quand il y a tant
jamais, et demeurent immuables et inébranla- de gens qui en manquent, et vont presque
vous paraîtrai-je fatigant en
bles. Peut-être nus. Plutôt que de nourrir les vers, couvrons
TOUS donnant inutilement chaque jour les la nudité du Christ, et vètissons celui qui est
mêmes conseils; mais qu'y faire? La perver- resté nu, pour nous otfrir l'occasion de notre
sité est bien odieuse, les richesses sont bien salut, afin que dans ce grand jour, une voix
tyranniques , la vertu est bien rare. Aussi, je nous dise : J'étais nu , et vous in'avez couvert.
veux multiplier mes exhortations pour guérir (Mat. XXV, 3G.) Ces préceptes sont-ils pénibles,
vos maladies et rendre à la santé tous ceux
, sont- ils au-dessus de nos forces? ces vêtements
qui se réunissent ici. C'est pour cela que nous usés , rongés aux vers ,
qui se perdent pour
mettons tant de zèle à vous expliquer les Ecri- rien, hâtez- vous de les employer utilement,
tures et à vous ex poser les ver'us des justes; peu afin d'éviter voire châtiment, et d'en retirer
nous importe de répéter souvent les mêmes un profit y a excès d'inhumanité
inmiense. Il

choses, pourvu que ces vertus excitent votre chez les riches à renfermer leur superflu dans
émulation. des armoires et des murailles, au lieu de sou-
Commençons donc, quoiqu'il soit bien tard, lager les besoins de leurs semblables, et de
à nous occuper de notre salut, faisons un bon mieux aimer s'exposer aux peines les plus ter-
usage du délai qui nous est accordé juscju'à ribles, en abandonnant leurs biens à la rouille,
réchéance de notre vie, et, pendant qu'il en est aux vers et aux voleurs, que d'en faire l'usage
encore temps, empressons-nous de faire péni- qu'il faut, pour en être récompensé. Je vous
tence et de corriger nos défauts employons le
, en supplie ne négligeons pas à ce point le
,

superflu de nos biens pour le salut de nos salut de nos âmes, donnons notre superflu à
âmes, c'est-à-dire, dé[)ensons ce superflu pour ceux qui manquent de tout, et nous y gagne-
les indigents. Pounjuoi donc, dites-moi, laisser rons nous-mêmes l'assurance de mériter les
rouiller votre or et votre argent ? ne vaudrait- biens incff.d)les, par la grâce et la bonté de
il pas mieux le verser dans reston)ac du pau- Notrc-Seigneur Jésus -Christ auquel ainsi , ,

Tre, comme dans la caisse la plus sûre, et qu'au Père et au Saint-Esprit, soient gloire,
surtout au moment où vous pouvez en retirer puissance, honneur, maintenant et toujours, et
tant de consolation, tant de secouA's; ceux que dans les siècles des siècles. Ainsi soil-il.

traduction de M. IIOdSiiL
HOMÉLIES SUU LA GENÈSE. - TRENTE-SIXIÈME HOMÉLIE. Wi

TRENTE-SIXIÈME HOMÉLIE.

Apr»8 ces paroles, la voix du Seigneur fut adressée à Abram pendant, une vision dans la nuit, disant: cNacralna
rien, Abratn, je te protège, ta réco.r.pense sera grar.de. » (Gen. XV, l.J

ANALTSE.

1. Celle homélie parlera encore d'Ahraliam, tant la vie de l'admirable patriarche est une source intarissable de beaux exemples.
H minmure à Uieu qui, par deux lois, lui ordonne de quitter son pays et sa famille.
obéit sans —
2. Abraham en Egypte; la

proleclion de Uieu ne lui manque jamais dans les circonstances critiques. —


3. Abraham refuse les présents du roi de Sodome

et accepte ceux du prêtre Melehisédech. — 4-3. Nouvelle promesse de Dieu à Abraham. La foi du patriarche lui est imputée à
justice. — 6. fcjthortatioD à la foi,, à la charité, à la paix.

1. La vertu des justes ressemble à un trésor en échange. Ce juste, à lui seul, suffit pour
qui renfornic une liclicsse inimense. Celui qui nous apprendre à tous à ne pas redouter les
peut s'emparer même
d'une faible portion du efforts que nous coûte la vertu, à nous confier

trésor en relire une il en


suffisante opulence; dans les récompenses d'en-haut, afin que, con-
est de même pour celui qui peut ac(juérir naissant toute la bonté du Seigneur à notre
quelque chose de la vorlu du patriarche. Pres- égard, nous supportions sans peine tout ce qui
que chaque jour, depuis quekjue temps, notre nous paraît uffiigeant dans cette vie, en aspi-
instruction roule sur son histoire, et, malgré rant à la rémunération céleste. Remarquez, je
l'abondance avec laquelle nous vous offrons ce vous prie, que dès sa jeunesse il fit un bon
festin spiriUu'l, nous n'avons pu vous raconter usage de ses facultés et de ses notions natu-
qu'une faible partie de ses belles actions, tant relles; car, personne ne l'avait instruit, et il
est grande l'abondance de ses vertus. Lors- avait été élevé par des parents infidèles; mais
qu'une fontaine s'épanche en larges ruisseaux, sa foi le fit honorer d'une apparition divine.
tout le monde s'y abreuve sans pouvoir tarir Comme dans son jeune âge il ne sui\il point
ses ondes, si bien que, plus on y puise, plus l'erreur de son père, mais qu'il montra sa
s'augmente l'abondance des eaux c'est aussi ; piété envers la Divinité, il eut une vision cé-
ce que nous observons pour notre admirable leste étant encore en Chablée ce que sint ;

patriarche. Depuis son époquejusqu'à la nôtre, Etienne nous explique clairement en di:^ant :
combien se sont abreuvés à cette source -de Le Dieu de (flaire apparut à notre père Ahra-
belles actions, et non-seulement ils ne l'ont ham, comme il était encore en Mésopotmnie^
pas tarie, mais ils en ont fait jaillir les actions avant qu'il habitât Charran. (Act, vu, "2.) Vou&
saintes à Ilots plus abondants. Nous trouvons savez que celte vision lui ordonna de voyager.
son histoire développée comme une chaîne Il faut croire que la piété envers Dieu se joi-
d'or dans l'Ecriture sainte; dans chaque occa- gnait en lui au respect pour ses parents et qu'il
sion, nous le voyons montrer toute sa sagesse, s'était tellement concilié ratfection de son pt re,
aussitôt suivie des récompenses de Dieu. Pour que celui-ci consentit, par atnour [u)ur son
que vous en soyez convaincus, il faut résumer fils, à quitter son pays pour habiter une terre
ce que nous avons déjà dit, vous rappeler la étrangère. Remarquez, je vous prie, conu. ont
foi profonde du juste dans les promesses du celte visite que Dieu lui accorda à cause de sa

Ciel et tous les bienfaits que Dieu lui prodigue vertu, fit encore briller duvanlage celle-ci. 11
Ô4(î TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

était résolu à laisser le pays de ses pères, et à Menacé par la famine et la disette qui régnait
r- '• ' •
n :iMfrp, afin d'obéir à Dieu; il au pays de Chanaan, il se rend en Egypte, et
' vov;i<rfr sans parents, à pour fuir la famine il s'exjtose aux plus grands
i , mais, comme je l'ai dit, sa dangers. Près des frontières de l'Egypte, et sur
li cl son ;iii)(»ur pour ses parents furent le point d'y entrer, il dit à sa fennue Je sais :

cause que son |)ère raccom|)agna. que tu es belle (Gcn. xu, li), je connais l'éclat
Arrivés à Cliarran ils y dressèrent leur , de ta beauté et je crains le libertinage des
tente; après la mort de Tharra (c'était le nom Egyptiens. S'ils te voient, et s'ils savent que
le son père), Dieu lui ordonna encore de c'est ma femme que je mène avec moi, ils te
voyager. Quitte, lui dit-il, ta terre et ta famille, laisseront la \'\c pour assouvir leur fureur im-
et viens dans la terre que je te montrerai. (Gen. pudique, mais ils me tueront afin de se livrer
XII, 1.) Comme ils avaient émigré à Charran sans obstacle au crime, afin qu'il ne reste per-
avec toute leur famille et leur maison^ Dieu sonne pour les accuser d'adultère. Par consé-
ajoute, dans ce nouvel ordre : Quitte ta terre quent ^disquejesuis ton frère. Voyez quelle âme,
et ta famille, voulant ainsi qu'il voyageât seul mieux trempée que l'acier, aussi dure que le
sans emmener son frère Nachor, ni personne diamant! Le malheur qu'il attendait n'a pu le
autre. II dit ta terre parce que sa famille l'ha- troubler; il ne faisait [tas en lui-même ces
bitait déjà depuis quelque temps et que ce réfiexions N'ai-je montré tant d'obéissance en
:

domicile était pour elle comme une patrie. quittant mon pays pour une autre terre, qu'afiii
M.dgré la perte récente de ses parents, malgré de tomber dans un pareil malheur? Nai-je pas
toutesks iliKicultés du voyage, il obéit de tout reçu cette promesse je donnerai cette teri'c à
:

son cœur à l'ordre du Seigneur, et cela, sans ta race? ti maintenant je suis tourmenté par
savoir où devaient s'arrèttT ses courses. Va, la crainte de l'adultère et par celle de la mort.
disait Dieu, non pas dans tel ou tel pays, mais Il ne donnait accès dans son cœur à aucune

dans la terre que je te montrerai. Cependant, de ces pensées, il ne songeait qu'à jouer cette
malgré le vague d'un pareil ordre, il entreprit douloureuse comédie afin d'échapper du
,

sans hésitation de l'exécuter; il emmena son moins à l'un des dangers qui le menaçaient.
neveu, montrant encore en cela sa vertu. Il Quandil eut fait tout ce cjui dépendait de

avait |)cu à [)eu captivé ce jeune homme qui lui |)arson courage et sa sagesse, sa femme
cherchait à imiter ses vertus, et qui, pour ne aussi coopéra à ses projets par alfection et par
pas le quitter, voulut être son compagnon de obéissance, et aida à ce qu'ils avaient décidé.
voyage. Si mon père, disait-il, tout infidèle Puis (piand ils eurent fait tout ce (jui dépen-

(ju'il étail, a consenti, pour l'iunour de moi et daitdeux, que tout lut iléses[»éré humaine-
pour m'accompagner, à quitter la maison pa- ment, et que l'œuvre d'iniijuilé était presque
ternelle où nous sommis nés et où nous avons consonnnée, alors Dieu déploya sur Abraham
grandi puis à mourir sur la terre étrangère, sa |)rovidence. Non-seulement il sauva la
à [)!us forte laisou je ne laisserai |>;is ici le fils femme de loutiage par la colère qu'il fit écla-
de mon frère, dont la jeunesse annonce tant ter sur le roi et toute sa m dson,
mais il fit re-
de progrès dans la vertu. tourner le patriarche d Egypte en Palestine,
2. En preuve de piété;
toute occasion il faisait a\oc lie grands lionneurs. Voyez comment, au
ainsi cpiand il lit ce voyage
eu (|ui le coiuluisil nnlieu de toutes ces épreuves, le Seigneur,
PaleslineelauxfrontièresdesChananéens, Dieu dans sa bienveillance, le soutient de sa force,
lui a|)parut pour fortifier son zèle et lui tendn; et prépare son athlète à toutes les luttes à
la main, et lui dit ; Je donnerai celle terre à ta venir; jamais il ne le prive de son assistance,
race. (Gcn. xii, 7.) Ce (ju'il souhaitait et dési- mais il dis|)Ose tout si bien, que la moindre
rait surtout, c'est-a-dire des fils pour lui succé- coopération apportée par le patriarclie à l'œuvre
der, cette récompense de tant de tra>aux lui de Dieu est récomi)ensée par des bienfaits qui
est permise aussitôt. I.a nature ne lui avait pas dépassent la natiue humaine.

donné d'eufaul et son Age ne lui en laissait Vous connaisse/, la résignation du juste.
plus espérer, mais la promesse de Dieu relève Voyez maintenant, après son retour, jusqu'où
le courage de l'athlète, le rajeunit et le pré- vont son humilité et sa douceur! En revenant
imre aux billes à venir. Voy. / après cette pro- d'Kgypte, il a\ait une grande richesse que par-
messe quel combat le juste eut à soutenir. tageait son neveu qui vivait avec lui. Mais h
ÏIOMÉUES SUR LA GENÈSE. — TRENTE-SIXlÈiME IIOMÉfJË. Ul
pnys ne pouvait pas les contour à ciniac de le voit p;ir les paroles qu'il dit à leur roi. Le
leurs grandes richesses (Gcu. xiii, 0) , aussi une roi vient au-devant de lui jiour lui rendre
rixe s'éleva entn; les l)er{,^ers de Luth et ceux grâce et lui offrir les chevaux en se contentant
dAbram. Alors le juste luoulraiit la douceur (les hommes-; voyez avec (luelltî grandeur
de son àuie «l l'excès de sa saj^esse, apinla d'âme le jusie lui prouve sa sagesse, lui montre
Lolli et lui dit : Qu'il n'y ait pas de d'spute qu'il est au-dessus de tous ces présents et lui
entre toi et moi, ni entre tes bei'gcrs rt /e> nuens^ fait connaître la vraie religion. Il ne lui dit pas
C'ir 7I0US soni/)n-s frères, c'est-à-dire, rien tle simplement : consens à ri( n recevoir de
je ne
meilleur i|ue la paix, rien de pire ()ue les dis- toi, je n'ai pas besoin d'un pareil paiement;
putes. l*uur suppriiuer toute c.iuee de contes- mais il dit J'étends ma înain vers le Très-
:

talion, choisis le |)ays cpie tu voudras et laisse- Haut, ce qui revient à dire ce ne sent pas :

1) oi l'autre, afin d'i';carter de nous toute que- des dieux que tu adores mais des pierres ,

relle, toute conlenlion. Voyez (pielle vertu! il et du bois il n'est qu'un Dieu
: maître ,

laisse le choix au plus jeune et se contente du de l'univers. Jl a créé le ciel et la ten^e : je le


rebut. Mais, a|uès cela, voyez quelle récom- prends à témoin que je ne prendrai rien de
pense il reçoit. Aussitôt après, Dieu lui dit, toi depuis un cordon jusqu'à une courroie de

quand il s'est séparé de Loth Lève les yeux et : chaussure, afin (juc tu ne i)uisses croire que
considère cette terre de côté et d'autre; toute c'est pour cela que j'ai tiré cette vengeance,
cette terre que tu vois, je te la donnerai à toi m dire que tu m'as enrichi. Car celui qui m'a
et à ta race pour toujours. Voyez quelles lar- donné la victoire et a triomphé avec moi, c'est
gesses lui sont prodiguées pour le désuitéres- lui (jui me procure d'abondantes richesses.
sement qu'il a montré envers son neveu ce ; Vous voyez que, si le roi avait voulu, il au-
qu'd a abandonné était peu de choix, ce qu'il rait profité des paroles du itatriarche. 11 avait
obtient est bien plus considérable. appris à ne plus se lier à sa force, mais à con-
Au contraire, celui qui avait choisi à son naître l'Auteur de toutes choses, à rire des
gré, se trouva bientôt en danger : non-seule- dieux faits par la main des hommes et à
ment son choix ne lui profila pas, mais il se n'adorer (jue Dieu de l'univers, le Créateur
le

vit tout à coup captif sans feu ni lieu ; tout de toutes choses, la source de tout bien.
cela lui apprit à apprécier la vertu du juste, et L'exemple du patriarche lui dévoilait toutes
à ne plus se conduire de môme qu'auparavant. les vertus. Celui-ci, pour ne pas laisser croire
En ell'et, après qu'il eut commencé à liabiler qu'il refusât toutes ces offres par orgueil et
Sudoiue, il s'éleva une guérie terrible; les rois arrogance, disait au roi : .lene prendrai rien,
des nations voisines se levèrent avec de gran- car je n'ai besoin de rien ;
je ne tiens pas à ce
des forces, dévastèrent tout le pays, massacrè- que d'antres augmentent ma richesse je lais- :

rent les géants, expulsèrent les Amalécifes, serai seulement ceux qui ont partagé mes dan-
mirent en fuite le roi de Sodome et celui de gers [)rendre leur part, afin qu'ils aient (jnehiuc
Gomorrhe, envahirent toutes les montagnes, réconq)ense de leurs peines. Voiià ce que le

enlevèrent la cavalerie du roi de Sodome, et juste répondit au roi de Sodome.


s'en allèrent en emmenant Loth captif, avec les Lorsipii? Melchiséilecli , roi de Salem, lui
femmes et tout le butin. offrit le pain et le vin, [c'était, dit l'tcriture,
3. Mais admirez encore ici toute la provi- un prêtre du Très-Haut) le patriarche accepta
dence de Dieu. Voulant délivrer Loth et illus- celte offre, ei, en reconnaissance de sa béné-
trer le patriarche, il excite celui-ci à secourir diction, lui donna la dîme du butin; en ellet,
son neveu. Sachant ce qui se passait, le juste, Melchisédech lui avait dit Abram est béni :

avec ses domestiques, fond sur les rois, les dé- par le Très-Haut qui a livre les ennenus
fait sans peine et ramène Loth et les femmes, dans tes mains. Voyez comme le juste montre
ainsi que la cavalerie du roi. Des trophiessi partout sa piélé du roi de Sodome il ne vou-

brillants montraient à tous que Dieu le proté- iaitrien rcce\oir, depuis un cordon jusciu'à une
geait, car il n'avait pu remporter une pareille courroie; mais il accepîe l'ofliaiide de Melchisé-
victoire avec ses propres forces, mais appuyé dech, et lui donne en échange ce dont il peut
sur le secours d'en- haut. Du reste, le pa- disposer, ce quinous montre qu'il faut a\oir
triarche cherchait encore à faire connaître la du discernement et ne pas recevoir de toutes

vraie religion aux gens de Sodome, comme on mains. Les dons du roi prouvaient sa recon-
lUd TRADUCTIOiN FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

naissance, mais du reste, c'était un infldèle plus distincte au milieu du silence et du repos."

qui avait besoin qu'on lui enseignât la vertu ;


Elle dit : Ne crains pjas, Abram. Voyez jus-
aussi le juste refusa-t-il ses présents,, mais par qu'où Dieu porte l'attention. Comme le pa-
son refus et chercha à lui
par ses discours, il triarche avait repoussé tant de richesses et dé-
inspirer la piété. Il accepte avec raison l'of- daigné les présents d'un roi, cela signifie : ne
frande de Melchisédech, dont l'Ecriture sainte crains pas qu'après avoir refusé tout cela, tu
nous fait connaître la vertu en disant C'était : sois réduit à voir diminuer ta fortune, ne
un prêtre du Très- Haut. Du reste, c'était là une crains pas. Ensuite, pour réveiller encore
figure du Christ et ces offrandes présageaient mieux son esprit, la voix ajoute encore son
le mystère aussi le patriarche, loin de les
: nom, et dit : Ne crains pas, Abram. En effet,

refuser, les accueillit et y répondit à son tour le meilleur moyen d'éveiller quelqu'un, c'est
d'une manière qui prouvait toute sa vertu il : de l'appeler par son nom. Puis elle ajoute :

lui donna la dîme, ce qui faisait bien voir ses Je te protégerai. Voilà un mot qui signifie
pieuses intentions. Je m'étends peut être là- beaucoup. Moi qui t'ai fait venir de Chaldée.
dessus, mais ce n'est pas sans raison. Nous moi (jui t'ai amené ici, moi qui t'ai délivré
avons résimié rapidement ce qui avait été dit des dangers de l'Egypte et qui t'ai promis
dejiuis le conuriericement de ces instructions plus d'une fois de d(>nner cett.- terre à ta race,
j">qu'à celle d'aujourd'hui sur le courage du moi je te protège ! Moi ijui, de jour en jour, te
ji ste, sa magnanimité, sa foi iiarfaite, la sagesse fais brider davantage aux yeux de lu;'S. jeté
(U' SI s |lell^é^'s, l'excès de sor) humilitéet deson prot( ge : c'est-à-dire, je suis ton b'mclier, je
nK'piis peur les rieht sses, eutiu iu bienveillance lutte combats a\ec toi, je veille sur toi,
et
providence constante de Dieu à son égard;
et la je rends facile pour toi tout ce qui est difficile,
vous avez vu comment, dans chaque occasion, je te [)rotége. Ta récompense sera très-grande.
cette divine assistance le rendit plus célèbre et Tu n'as pas voulu recevoir de rétribution pour
plus illustre. Maintenant, si vous y consentez les fatigues que tu avais subies, pour les dan-
et vous n'êtes pas fatigués, arrivons à la lec-
si gers où tu t'étais exposé, tu as dédaigné ce roi
ture que l'on vient de vous faire nous allons : et ces présents. Je te donnerai ta récompense,
vous en dévelopj)er quehjue chose pour ter- non-seulement telle que tu l'aurais reçue,
miner ce discours, et vous verrez comment il mais grande et très-grande. Ta récompense
est récompensé d'avoir refusé les dons du roi sera très-grande. Admirez la libéralité du
de Sodonie. Que dit l'Ecriture? Après ces pa- Seigneur, et concevez l'importance de ses |

roles la voix du Seigneur fut adressée à
, rôles : voyez connue elles soutieiuienl la pieté

Abram. Pourquoi commencer ainsi? après ces de l'athlète, et comme elles fortifient son âme.
paroles. De quelles paroles s'agit-il, dites-moi? Lui qui connaît les secrets des cœurs savait
n'tst-il i)as clair qu'il est (luestion de celles (jue le juste avait besoin d'une pareille conso-
qu'il a dites avi roi do So(fome? \i)i'ès son lation, car voici ce qu'il répond après avoir
mépris des richesses, après ()uil eut refusé ses été encouragé par ces paroles. Abram dit :

offres, après cet enseignement qu'il joignit à Seigneur, que me don n cj'e z - vous ? Je vais
son refus pour amener le roi à reconnaître et à partir de cette vie sans enfants. Après avoir
adorer le Créateur de toul( s choses, ujjrès ces reeu cette promessed'une grande réconq^ense,
paroles, après qu'il eut offert la dîme à Mel- il montre toute la tristesse de son àme et le

chisédech, enfin, <]uand tout ce qui


il eut fait regret qu'il éprouve depuis longtemps en se
dépendait de lui, alors après ces paroles, la voyant sans enfants, et il dit Seigneur, ac- :

voix du Seifjneur fut adressée à Abram pen- coniplirez-vous ce désir? Me voici au terme
daut 2mc vision daiis la nuit, disant : Ne de la vieillesse et je vais partir de cette vie
crains pas, Abram, je te protège; ta récom- sans enfant*.
pense sera très-grande. Voyez quelle |)hilosophie le juste montrait
A. Voyez la bouté du Seigneur; connue la dans ces lenq)s reculés, puiscpi'il appelait la
couronne suit de près Tathlète pour le récom- mort un départ. Ceux qui ont mené une vie
penser préparer à allronfer d'autres luttes
et le boni ète et vertueuse , (juaml ils (juitfent ce
avec une nou\tlle vigueur. La voix du Sei- monde sont affranchis île leurs luttes et déli-
gneur fut adressée pnulant une vision dans la vrés de leui's liens : la mort n'est pour ceux
nuit.Pourquoi dans la nuit? Pour qu'elle lYil qui ont bien vécu qu'un passage à un état
â49

meilleur, de la vie périssable à une existence faire obscrv. l'emmène dehors? parce
ju'il

éternelle et immortelle. Le juste dit : Je vais qu'il a et ; plus haut


que Dieu se montra
partir de cette vie sans enfants. El pour tou- l)endant Ij : ;.t dans une vision, et parla
cher encore le cœur de Dieu,
ne s'arrête pas il au patri irc- niainlenant il veut lui montrer
là mais que dit-il? Le fils de Masec, ma ser-
; combien It jiles sont innombrables; il l'em-
vante, sera mon héritier puisque tu ne m'as mena di liO l lui dit : Lève yeux au ciel
les
pas donné de progéniture. Ces paroles mon- et compte : astres, si tu peux les compter.
trent toute la douleur de son âme c'est ; Et il dit : j . Ile sera ta postérité. Quelle admi-
comme s'il disait à Dieu : Je n'ai pas été aussi rable quelle grande promesse
|»ré>:i /ion ! 1

heureux que mon esclave, je mourrai sans en- mais nous songeons à la puissance de Celui
si

fant et sans postérité; un esclave héritera des qui parle, rien ne nous paraîtra grand. Celui
biens que tu m'as donnés, et cela après que tu qui a fait un corps avec de la terre, Celui qui a
m'as renouvelé cette promesse : Je donnerai tiré l'être du néant, et qui a créé tout ce que
cette terre à (a race. Remanjucz ici, je vous nous voyons, Celui-là peut bien accorder des
prie, la vertu du juste qui, malgré ces pensées grâces surnaturelles.
dont son âme était remplie, ne s'impatiente 5. Vous voyez la libéralité du Seigneur. Le
pas et ne dit aucune parole offensante. Mainte- patriarche lui dit : Je vais partir de cette vie
nant, excité parce que le Seigneur lui a dit, il sans enfants, comme
s'il était aux portes du

lui parle avec franchise, lui montre le trouble tombeau, ne pouvait plus avoir d'enfant;
et s'il

de ses pensées et lui dévoile la plaie de son aussi ajoute-t-il Le fils de Masec ma ser-:
,

âme; aussi en reçoit-il promptcment le re- vante, sera mon héritier. Aussi Dieu voulant
mède. Aussitôt la voix de Dieu hii fut adressée. relever son esprit et fortifier son âme, le dé-
Voyez comme l'Ecriture explique tout exacte- livre de la crainte qui le possédait, raffermit
ment aussitôt, dit-elle. Dieu ne laisse pas le
! sa pensée par la grandeur de sa promesse, et
juste un seul instant dans la peine, il se hâte de en montrant la multitude des astres, enfin
lui
le consoler, et calme son chagrin parles paroles en lui annonçant une nombreuse postérité, il
suivantes Aussitôt la voix de Dieu lui fut
: lui rend l'espérance. En voyant la prédiction
adressée, disant : Ce n'est pas celui-là qui sera du Seigneur, le sage ne s'arrête plus aux con-
ton héritier, tnais celui qui sortira de toi, celui- sidérations humaines^ il ne songe plus à son
là sera ton héritier. Voilà, dit-il, ce que tu as impuissance ni à celle de Sara, et ne s'inquiète
craint? voilà ce qui trouble ton esprit, et ce pas des obstacles naturels; sachant que Dieu
qui te décourage? apprends donc que cène peut accorder des dons surnaturels, il a foi
sera point là ton héritier, wirtfs celui qui sor- dans ses paroles, il n'admet plus aucun doute
tira de toi, celui-là sera ton héritier. Ne songe et croit fermement que tout s'accomplira.
point aux dilficultés de la nature humaine, ni Voilà la véritable foi celle qui se fie dans la ,

à tu vieillesse, ne t'inquiète pas de la stérilité puissance de l'autenr des promesses, même


de Sara, mais aie confiance en la puissance de quand ces promesses sont extraordinaires et
Celui qui te fait ces promesses, cesse d'être ne peuvent s'accomplir que d'une manière sur-
abattu et reprends tout ton courage, enfin, sois humaine. La foi, comme dit saint Paul, est le
persuadé ([ue ton héritier sera celui qui naîtra fondement des choses quon espère, et la preuve
de toi. des choses invisibles (Héb. xi, 1) ; et il dit aussi :

Comme une pareille prédiction dépassait la Quand une foison avu que reste-t-il à espérer ?
nature et la raison humaine (en effet, il son- (Rom. IV, 3.) Ainsi nous avons la véritable foi
geait avec effroi aux obstacles de la nature, à quand nous croyons à que nous ne voyons ce
sa vieillesse , à la stérilité de Sara, dont les pas, en considérant Tautorifé de celui qui nous
entrai les étaient mortes pour la maternité), failla promesse. C'est ce qu'a fait notre juste, qui
Dieu développe encore cette prédiction afin montra une foi sincère et parfaite à ce qui
que le juste prenne confiance dans la libéralité lui était annoncé aussi ; l'Ecriture sainte fait-
de celui qui peut prédire ainsi. // V emmena elle son éloge en ajoutant aussitôt Abram :

dehors et lui dit Regarde le ciel et compte les


: crut au Seigneur, et sa foi lui fut imputée à
astres, si tu peux les compter. Et il dit : Telle justice. Vous voyez comment, même avant
sera ta postérité. Et Aàram crut au Seigneur, l'accomplissement des promesses , il fut ré-
et sa /•,/ .'=//
fut imputée à justice. Pourquoi compensé de sa croyance. Car sa foi dans les
2dO TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

prédictions de Dieu lui fut imputée à justice, que nous devons la répandre de bon cœur et
parce qu'il ne s'était pas arrêté aux raisonne- avec joie. En effet , ceux qui confient la se-
ments humains à propos di s paroles di\ines. mence à la terre, l'enfouissent avec joie et sont
Apprenons donc, nous aussi, je vous en con- pleins d'espérance, croyant déj-i voir les gerbes
jure, d'après l'exemple du patriarche, à croire renifilir leur grenier : à plus forte raison, ceux
aux paroles de Dieu, à ajouter foi à ses pro- qui peuvent répandre celte semence spirituelle
messes, à ne pas écouter uniriuemenl la raison doivent se réjouir et tressaillir d'aise, puis-
humaine, et à montrer une grande droiture qu'ils moissonnent dans le ciel après avoir
d'esprit. C'est là ce qui nous mettra au nombre semé sur la terre. En dépensant un peu d'ar-

des justes et hâtera l'accomplissement des pro- gent, ils obtiendront la rémission de leurs pé-
messes divines. Dieu annonça à Abraham que chés et un mo'.if de confiance devant Dieu; car
sa race serait innombrable, et cette prédiction grâce à ceux qui reçoivent leurs dons, ils joui-
dépassait la nature humaine, aussi sa foi lui ront d'un re; os éternel et de la sociétédes saints.
fut-elle imputée à justice. Les promesses qu'il Si nous choisissons la continence, n'examinons
nous a faites, si nous y réfléchissons, sont en- pas les etfortsque coûte la vertu et ne nous
core bien plus grandes et dépassent encore disons pas que la virginité exige bien des
davantage la nature humaine; croyons seule- luttes, songeons seulement à quelle fin nous

ment à la puissance qui nous fait ces pro- sommes destinés; et grâce à cette pensée cous-
messes, afin d'être justifiés par notre foi, et de tante, nous mettrons un frein à la rage des
jouir des biens qui nous sont annoncés. En mauvais désirs, nous résisterons aux révoltes
effet, tout ce qui nous est prédit est supérieur de la chair, et l'espoir de la récompense adou-
à la raison humaine et dépasse notre pensée, cira nos peines. En effet, Tespoir du bien suf-
tant ces promesses sont immenses : elles ne fit pour nous faire affronter les dangers; ne

s'étendent pas seulement au présent, à la vie doit-il pas, à plus forte raison, nous faire sup-

dMci-bas et à la jouissance des choses visibles ;


porter les fatigues qu'entraîne la vertu? Si

mais quand nous aurons quitté la terre après vous réiléchissez que vos combats dureront
la corruption de nos corps, quand nos corps peu de temps, si vous conservez dans tout sou
auront été réduits en cendres et en poussière, éclat la lampe de votre >irginité, vous obtien-
il nous a prédit que nous ressusciterions dans drez le bonheur éternel et vous entrerez avec
une gloire nouvelle. // faut donc, dit saint ré|>ou\. 11 suffit de garder sa lamp allumée '

Paul, que ce qu'il y a de corruptible efi nous et d'avoir une suffisante provision d'huile, je

revête Vincorr'uptibilité que ce qu'il y a de


^
veux dire de bonnes œuvres : commcut alors

mortel revête Viriunortalité. (I Cor. xv, 53.) ne franchirez-vous pas facilement tous les obs-
Dieu nous a j)romis qu'après la résurrection tacles, en songeant à ces paroles de saint l*aul :

de nos corps, il nous donnerait son royaume Vivez en paix avec tout le monde, et recher-
pour récompense, avec la société des saints, chez la sanctification, sans laquelle personne
un repos éternel et des biens ineffables que ne verra le Seigneur. (Héb. xii, ii.) Observez-
Vœil n'a pas vus, que l'oreille 7ia pas oitcn- vous (ju'il joint la paix à la sanctification? C'est
dus, et qui nont jamais pénétré dans le cœur parce ([ue Ditu ue demande pas seulement la
humain. (Ibid. ii, 9.) Voyez quelles promesses pureté du corps, mais aussi la paix. L'Apôtre
immenses, quels dons infinis! nous le rappelle avec raison et nous avertit
G. Méditons à ce sujet, et sachant que Celui sur ces deux points, nous reconnnandant le
qui annonce tout cela ne peut mentir, sup- repos de la pensée, afin d'éviter le trouble et
portons avec plaisir toutes les luttes de la vertu, le tunuilte de nos âmes, afin que notre vie soit

afin (le jouir des biens qui nous sont aiuioucés; calme et tranquille, (juc nous vivions en paix
ne préférons pas des avantages passagers à avec tout le monde, enfin, (jue nous soyons
notre salut et à un |)areil bonheur, et songeons pleins de douceur, de mansuétude et de mo-
aux récompenses de la vertu plutôt qu'aux ef- dération alors ou verra fleurir sur notre vi-
:

forts (lu'elle coûte : ne regrettons i)as nos ri- sage les couleins de la vertu. Nous
toutes

chesses quand il faut en faire part aux i)au- pourrons dès lors mépriser la gloire de la vie
vres, mais songeons au profit que cet aban- présente en travaillant pour la vérilal)le gloire^
don nous procure. Aussi l'Ecriture sainte com- ne songez (}u'à vous atfermir dans l'hunnlité
pare l'aumône à une semence pour montrer en dédaignant le bonheur dici-bas afin de ,
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — TRENTE-SEPTIÈME HOMÉLIE; ^U

Jouir du bonheur véritable et solide, et pour méritions de recueillir la récompense de nos

que la vue du Christ soit noire récompense. efforts aituels dans réternité future, par la
Bienlieure^ix ceux qui sont pws de cœui\ car grâce cl !a miséricorde de Notre-Sj'igniur Jé-
ils verront Dieu! (Malth. v, 8.) Purilions donc sus-Christ, au<iu(;l, ainsi qu'au Père et au
noire conscience, réj^lons notre existence avec Saint-Epprit, gloire, puissance et honneur,
soin, afin qu'après avoir marché pendant celte maintcmnl et toujours, et dans les siècles des
vie dans le sentier de toutes les vertus, nous siècles. Ainsi soiî-il.

TRENTE-SEPTIÈME HOMÉLIE.

Dieu dit à Atram : < Je suis le Dieu qui t'ai tiré du pays des Cheildéens, four te donner cette terre, afin que
tu la possèdes. — Et il répondit : Seigneur, mon Maître, à quoi reconnaîtrai-je que je dois la posséder? »
(Gen. XV, 7.J

ANALYSE.

! . DifTérence entre la Bible et les livres profanes: la Bible renferme beaucoup de pensées en peu de mois, c'est le contraire pour
les livres profanes. — Gage que Dieu donne à Abraham de l'accomplissement de si's promesses.
2. —
3. Dieu prédit à Abraham
h capliviié de ses descendants dans la terre d"li?ypte. —
4. Conliimation de l'alliance. Dieu indique à Abraham les li-
mites qu'atteindra l'empire qui sera un jour fondé par sa postérité, —
Exhortation. Il faut plutôt s'occuper d'orner l'âme que le
corps.

La puissance de l'Ecriture sainte est im-


1. ses paroles tirent leur beauté de l'épanouisse-
mense et ses paroles renferment un trésor de ment de la grâce divine. D'un côté, au milieu
pensées. Il faut donc nous appliquer à l'étudier d'ini immense bavardage, on rencontre à [leine
avec soin pour en retirer des avantages étendus. quelques idées; de l'autre, comme vous le
Aussi le Christ nous a donné ce précepte : savez, une phrase très-courle est souvent un
Sondez les Ecritures (Jean, v, 39) c'est-à-dire, ;
texte suffisant pour tout un sermon. Aussi hier,
ne nous bornons pas à une simple lecture, mais te.xte et en avoir commencé
après avoir lu notre
scrutons profondément les Ecritures pour eu nous avons trouvé une telle ri-
l'explication,
saisir le vrai sens. Tel est l'usage de l'Ecri- chesse de pensées que nous n'avons pas pu
ture ; elle présente beaucoup d'idées dans peu aller plus loin pour ne pas surcharger votre
de mots. Ce sont des instructions divines et mémoire et de peur que la fin du sermon ne
non humaines, aussi dillérent-elles complète- vous en fît oublier le commencement. Aussi
ment de la sagesse humaine, et je vais vous dire je vais revenir sur ce sujet et rattacher le dis-
comment. D'un coté, c'est-à-dire dans la sagesse cours d'hier à celui d'aujourd'hui, afin que
humaine, on ne songe qu'à Tarrangement des vous ne sortiez pas d'ici sans avoir entendu
mots; de l'autre côté, c'est tout le contraire. développer toute la lecture. Mais, je vous en
L'Ec: hire ne lient aucun Lomple de la beauté prie, accordez-nous toute votre attention : car
des i>...iuJi<ions ni de leur disposition toutes : si la peine est pour nous, le profit est pour
5?;2 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOMë;

vous ; ou plutôt, il nous cpt commun h tous. je t'ai quitter la maison de ton père et
fait

Mais que parlé-je de notre peine ? Non certes ! l'établirdans cette terre, afin que tu la possèdes.
il n'y a ici qu'un don de la grâce divine. Re- Songe combien je t'ai protégé depuis ton départ
cueillez donc a\ec soin ce que Dii'U vous donne, de Cliallée jusqu'à présent songe que de jour ;

afin que vous ne partiez d'ici qu'après en avoir en jour tu es devenu plus illustre par mon
fait votre profit pour le salut de votre âme. Si a[»pui, par mes soins, et fie-toi à mes paroles.
nous vous offrons cliaquc; jour ce festin spiri- Voyez quel excès de bonté voyez comme Dieu !

tuel, c'est pour (jue nostrccjiu'utesexliortations s'abaisse jusqu'à l'homme, comme il fortifie
et la méditation des saintes Ecritures vous son âme et atTermit sa foi pour qu'il ne songe ,

préservent des pièges dn malin esprit. Car s'il plus aux obstacles de la nature, mais qu'il se
voit en nous un grand zèle pour les occupations confie à Celui qui fuit ces promesses, comme si
spirituelles, non-seulement il ne nous attaquera elles étaient déjà accomplies.
point, mais il n'osera même nous regarder, 2. Voyez aussi comme le patriarche, enhardi
sachant que ses manœuvres seront inutiles, et par ces paroles, demande une assurance plus
que les coups qu'il osera frapper retomberont parfaite. // dit : Seigneur, mon Maître, à quoi
sur sa tète. reconnaîtrai-je que je posséderai cette terre?
Reprenons donc le sujet que nous traitions L'Ecriture sainte a commencé par lui rendre
hier, et achevons de le développer. Hier de ce témoignage (ju'il crut aux paroles de Dieu
quoi avons-nous parlé ? De la promesse que et que cela lui fut imputé à justice ; cepen-
Dieu fit à ALram en lui disant de lever lesyeux dant, après avoir entendu ces mots : Je t'ai
au ciel et de regarder la multitude des étoiles. retiré du pays des Chaldéois, pour te donner
Compte, lui dit-il, les étoiles si tu peux les cette terre, afin que tu la possèdes , il répond :
compter. Et il lui dit Ta race sera aussi )wm-
: il m'est impossible de ne pas croire à ta pa-
breuse. Ensuilc l'Ecriture sainte nous montrant role ; cependant je voudrais apprendre de
la piété du patriarche, et sa foi aux promesses quelle manière je deviendrai possesseur de
de Dicudont il considérait le souverain pouvoir, cette terre. Je me vois parvenu à l'extrême
dit Abram crut à Dieu, et cela lui fut imputé
: vieillesse; jusqu'à présent j'ai erré connue un
à justice. C'est là que nous en sommes resté vagabond, et la raison humaine ne peut me
hier et il nous a été impossible d'aller plus faire concevoir comment tout s'accouqilira,
loin maintenant il faut continuer. Que dit
: quoique j'aie ajouté foi sans hésiter à tes {)arù-
TEcriture? Le Seir/ncur dit à Abram : Je suis les, toi (lui peux tirer l'èlre du néant, tout
le Dieu qui t'ai retiré du payi des Chnldécus ,
créer et tout transformer. Si je t'interroge, ce
pour donner cette terre, afin que tu la pos-
te n'est donc point par incrédulité niais puis(|ue :

sèdes. Voyez comme Dieu se prête à la faiblesse lu me promets de nouveau la possession de


humaine, coimne il veut fortifier la foi et per- cette terre, je voudrais un signe plus matériel
suader de l'eflèt de ses promesses, comme s'il et plus évident pour soutenir la faiblesse de
disait Souviens-loi que c'est moi qui t'ai fait
: mon intelligence. Que fait alors ce Maître si

sortirde ton pays! Ces paroles de Dieu s'accor- boii? Plein de condescendance pour sou ser-
dent avec celles tle saint Etieime cpii dit(|ue le AÎleur, il veut fortifier son âme quand il le
Seigneur ordonna à Abraham de (piiltor la voit avouer sa faiblesse, et malgré sa foi dans
Chaldée et sa maison. (Act. vu.) Le père d'A- les promesses dÎNi lies, en réclamer une confir-
braham, connue nous l'avons dit, partagea son mation il lui dit Prends une yénisse de trois
; :

destin, quoi(|u'il tût lui-même infidèle ; entraîné ans, une c/ircre de trois ans et un bélier, et une
par son amour |)Our son fils, il fut son compa- tourterelle et rnie colombe. Vous voyez que
gnon de voyage. Aussi Dieu rappelle ici à Dieu fait un traité avec un homme à la ma-
Abraham la proteclioa dont il l'a toujours nière humaine. Quand nous promettons quel-
enlouré, lui disant cpies il l'afiiif ainsi voyager, tjtie chose à (pu Iqu'un et <jue nous cherclions

c'était pour son avantage et pour accomplir ses à lui donner coidiance eu nos promesses, afin
promesses envers lui. Je suis le Dieu qui t'ai qu'il ne doute point de notre bonne volonté,
retiré du pays des Chnldéens, pour te donner nous lui laissons une preuve et une marque
cette terre, afin que tu la possèdes. Est-ce sans dont la seule vue lui doime la certitude ijue
raison cjuc je t'en ai a|)pelé? est-ce en m\u\ que nous ferons tout pour dégager notre parole.
je t'en ai retiré? Je l'ai fait venir en Dalesliue, Ainsi, à cette (lueslion : Comment le recon^
HOMÉLIES SUR LA GENESE. -- TRENTE-SEPTIÈME HOMÉLIE. 253

nmtrai-je? co bon Maître répond en voici le : humaines. Car si Tâme du patriarche n'avait
moyen. Prends une génisse de trois ans , une pas été forte, courageuse et bien trempée, il

chèvre de trois ans , et un bélier, et une tour- y avait de quoi la troubler. Sache certaine-
une colombe.
terelle et rnoit que ta race habitera dans une teire
Remanjucz, je vous prie, à quelle condes- étrangère, qu'elle sera sownise aux gens du
cendance matérielle arrive ce doux Maître pays'qui la maltraiteront et Vhumilieront pen-
pour rassurer le patriarche. Comme c'était dant quatre cents ans. Ce peuple auquel elle
l'usage des hommes de faire et de confirmer sera asservie, je le jugerai, et elle sortira de ce
ainsi leurs traités, Dieu même agit connue pays avec im grand appareil.
eux. Il prit ces animaux , dit l'Ecriture , et les 3. Ne t'étonne point, dit le Seigneur,
de ta
partagea par la moitié. Ce n'est pas sans rai- vieillesse, de la stérilité de Sara, de ses en-
son que leur âge est indiqué il fallait les : trailles desséchées, et ne regarde point comme
prendre à trois ans, c'est-à-dire adultes et à extraordinaire ce que je l'ai dit Je donnerai :

leur taille. // les partagea par la moitié et mit cette terreà ta race. Non-seulement je te le
les deux parties en face l'une de l'autre; mais prédis, mais j'ajoute qu'avant cela ta race ira
il ne partagea jioint les oiseaux. 11 s'assit et dans une terre étrangère. Il ne lui dit pas que
veilla pour que les oiseaux qui volaient autour c'était l'Egypte et ne nomme point le pays],
de ces animaux partagés ne pussent y toucher, mais il (lit : Dans ime terre étrangère; elle su-
et il resta ainsi tout le jour. Les oiseaux des- bira la servitude et l'humiliation, et ses souf-
cendirent auprès de ces ani?naux ainsi parta- frances ne seront point courtes et bornées à
gés près desquels s'était assis Abram. Vers la peu d'années, mais dureront quatre cents ans.
chute du jour, Abram tomba en extase, et il Sans doute j'en tirerai vengeance, je jugerai
fut saisi (Fun grand effroi et enveloppé de té- ce peuple oppresseur et je ferai revenir ici ta
nèbres. Pouniuoi vers le coucher du soleil, race et j'environnerai son retour de beaucoup
quand vient le soir? C'est que Dieu veut ren- d'éclat. Ainsi l'exactitude de cette prédiction
dre le patriarche plus attentif : celte extase et sur la servitude des Juifs dévoile leur des-
cet effroi ténébreux l'envahissent pour que cente en Egypte, la haine des Egyptiens contre
tout lui fassecomprendre la présence de Dieu. eux et leur glorieux retour. Elle montre au
Du reste c'est ce que le Seigneur fait toujours. patriarche que ce n'est pas seulement à lui
Plus tard quand il donna à Moïse, sur le mont que doivent arriver des choses surnaturelles
Sinaï, la loi et les préceptes, l'obscurité et les c'est-à-dire l'accomplissement des promesses
ténèbres régnaient et la montagne était cou- de Dieu malgré tant d'obstacles, mais que
verte de fumée. (Ex. xix, 18.) Aussi l'Ecriture toute sa race sera également favorisée. Je te
dit : Il touche les montagjies et elles fument. l'ai déjà dit, ajoute-t-il, afin que tu puisses,
(Ps. GUI, 32.) Comme les yeux charnels ne avant la fin de ta vie , connaître le sort de la
peuvent voirie Dieu immatériel, c'est ainsi j)Ostérité. Tu iras rejoindre tes pères, après
qu'il se manifeste à nous. Aussi après avoir avoir prospéré dans une heureuse vieillesse. 11
frappé l'esprit du juste et l'avoir rempli de ne dit pas tu mourras, mais, tu iras , comme
:

crainte par celte extase, il lui dit Tu m'as de- : on dit à un voyageur qui va quitter son pays
mandé une confirmation de mes paroles, tu as pour une autre patrie Tu iras rejoindre tes :

voulu avoir une preuve que tu dois posséder pères : il ne parle point des pères selon la
cette terre. Je te la donne, car il te faut beau- chair. Comment serait-ce possible? puisque
coup de foi pour comprendre que je puis faire son père était infidèle et que le patriarche
réussir ce qui semble désespéré. Et il dit à fidèle ne pouvait habiter le même séjour. // y
Abram : Saclie certainement que ta race habi- a, dit l'Ecriture im grand abîme entre vous
,

tera dans une terre étrangère, quelle sera et nous. (Luc, xvi, 2G.) De qui donc est-il dit :
soumise aux gens du pays qui la maltraiteront rejoindre tes pères? H s'agit des justes, tels
et Illumineront pendant cjuatre cents ajîs. Ce qu'Abel, Noé et Enoch. Prospérant dans une
peuple auquel elle sera asservie^ je le jugerai^ heureuse vieillesse. Mais, dira-t-on, comment
et elle sortira de ce pays avec im grand appa- cette vieillesse peut-elle être heureuse après
reil. Voilà des paroles bien graves; elles ré- toute une existence de tribulations? Ne les con-
clament un esprit énergique, capable de s'éle- sidérez point; songez seulement à la gloire
yer au-dessus de toutes les considérations qui l'a suivi en toute occasion, pensez à l'écla^
âiU TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

dont a toujours brillé ce voyageur sans feu ni les Hébreux accablés de peines et cruellement
lieu et à la protection que Dieu lui a constam- traités par les Egyptiens , les vengea et les dé-
ment accordée. livra avant l'époque qu'il avait fixée. En effet,
ne faut point juger d'après l'opinion
Il c'est l'usage de Dieu qui cherche toujours no-
actuelle, et dire qu'une belle vieillesse est celle tre salut; s'il menace de ses punitions, nous
qui se passe dans le luxe et la débauche au mi- pouvons, en faisant preuve de conversion le ,

lieu d'immenses richesses, d'une foule de cour- faire revenir sur ses arrêts; en revanche, s'il
tisans et d'un troupeau d'esclaves. Ce n'est pas nous promet quelque avantage et que nous ne
là une belle vieillesse; au contraire, tout cela fassions point ce qui dépend de nous il n'ac- ,

sert à condamner l'homme qui n'est pas conti- com[)Iil point ce qu'il avait annoncé, de peur
nent, même dans sa vieillesse qui, même à ,
de nous rendre pires que nous n'étions. Ceux
son dernier soupir, ne songe pas à ses vraies qui étudient atlenlivenient les saintes Ecritures
besoins ,
qui saciifie tout à son ventre et passe pourront aisément s'en convaincre Ils revien-
sa vie dans les festins et dans l'ivresse au mo- dront ici à la qualiième génération ; car les
ment où va rendre compte de ses actions.
il iniquités des Amorrhéens ne sont pas encore au
Celui qui a marché dans le sentier de la vertu, comble. Alors, en effet il sera temps que les ,

celui-là seul termine sa vie par une belle vieil- uns reviennent en liberté et que les autres, en
lesse et reçoit plus haut la récompense de ses punition de leurs nombreux péchés, soient
travaux d'ici-bas. Aussi Dieu dit au patriarche : chassés de cette terre. Tout arrivera en temps
Voilà ce qui arrivera à tes descendants, mais convenable, l'établissement des uns et l'expul-

tu quitteras la terre après avoir joui d'une sion des autres. Leurs iniquités ne sont pas en-
heureuse vieillesse. Ici remarquez encore que core au comble, c'est-à-dire ils n'ont pas en-
si le juste n'avait pas eu un grand courage et core assez péché pour mériter une paredie
une extrême sagesse ces prédictions auraient
, punition. En etfet, Dieu dans sa bonté ne puiiit
pu troubler son esprit. A sa place le premier , jamais plus mais toujours moins qu'on ne
,

venu aurait dit Pourquoi me promettre une


: mérite. Aussi monlre-t-il une grande patience
postérité si nombreuse puisque mes descen- à l'égard des Amorrhéens, pour ne leur la!^s^,^
dants supporteront tant de soulfrances et tant aucune excuse puis(iu'ils seront eux-mèuies
,

d'années de captivité? quel avantage puissé-je les auteurs de leur châtiment.


•4. Voyez comme le patriarche est exactement
y trouver? Le juste n'eut point cette pensée;
ilaccepta en fidèle serviteur tout ce qui venait renseigné , comme sa foi doit se fortifier et

de Dieu, dont il préféra la volonté à la sienne. quelle confiance les prédictions (|ui le re;^ar-

Du Seigneur lui indique l'époque à


reste le (lent doivent lui inspirer pour celles qui ?ont

laquelle ils reviendront de leur captivité Us : relatives à sa postérité ; l'accomplissement des


reviendront ici à In quatrième (jônôration. unes lui montrera la certitude des autn s. En-
quand fut terminée, vit
Là -dessus on pourra demander |)Ourquoi suite, la pré(!irlit)n il

quatre cents ans de captivité sont prédits aux un signe analogue à ceux qu'il avait ilejà aper-

Hébreux, tandis qu'ils n'en ont jioint passé la çus. Quand le soleil se coucha, il parut une
jlanune, une fournaise fumante et des lampes
moitié en Egyi)le. Aussi Dieu ne dit pas cjuils
doivent passer quatre cents ans en Egypte, de feu qui pasf^rrriit à travers les auimattx
mais dans une terre étrangère^ si bien (]ue l'on coupés eu deux. La llunme, la fournaise et les
peut joindre aux années passées en Egypte, le lampes paraissaient pour faire connaître au
temjjs même de la vie du |)atriarche, à partir juste rindi>soluliilité de ralliance, et la pré-

du moment où il re^ut l'ordre de (iniltcr sence de réuirgii»- divine. Ensuite, (juaud tout
Charran. L'Ecriture nous montre évidenum ut fut terminé et accompli quand le f( u eut »lé- .

qu'elle compte les années depuis celte é|)0(pie, voré toute l'oirrande, le Seigneur fit en ce jour
avec Aùram, en disant Je donne-
lorscju elle dit (pril avait soixante-tiuiiize ans tnic alliance :

quand il de Charran. (Cen. xu. i.) De-


partit rai ù ta race cette terre depuis le fleuve d Egypte
puis cet instant jusqu'au retour d'Egypte, si Jusqu'au grand fleuve de iEuphrate les Ci- ,

les Ccnézéens et les Cedmoniens ; les


l'on fait le calcul, on trouve le nombre
juste. tiéen^ ,

D'un autre côte, l'on peut dire que le Seigneur Chef t cens, les Phérézéens, ceux de Rnpha'im et
et qui i>roportionne les Amorrhéens les Chananée/is , les Eviens
plein de bienveillance, ,

toujours nos éprouves à notrç fcyblcsse, voyant les (Jergésiens et les Jébuséefis. Voyez commQ
t^
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — TRENTE-SEPTIÈME HOMÉLIE. m
il confirme encore ce qu'il avait annoncé. Il véritable et éternelle ; si nous mettons de côté
fit une alliance, disant : Je donnerai à ta race le luxe des habits et l'ornement du corps, si
cette terre. nous laissons toute cette parure extérieure
Ensuite pour faire comprendre toute l'éten- pour embellir notre âme dont la vertu doit
due dos limites du pays donné à celle race, il être le vêtement si nous méprisons la mol-
;

ajoute Du tleuve d'E{;ypte au llcuve Eupluale,


: lesse, nous fuyons la gourmandise et si, loin
si

là s'étendra ta race. Voyez connue il veut ainsi de rechercher les festins et les banquets nous
en indi(iuer la multitude innombrable. H a déjà gardons la frugalité, d'après le |)récepte da
dit qu'on ne pourrait pas plus la compter que l'Apôtre : Co7il entons-nous d'avoir la nourriture
les étoiles; maintenant il indique les limites de etlevHemcnt. (1 Tim. vi., 8.) Quel besoin, dites-
son territoire pour taire voir juscju'où doit s'é- moi, a-t-on de ces superfinités? pour(|uoi se
tendre cette multitude. De plus, il donne la gonfier l'estom.ic d'un excès de nourriture et
liste des peu[tles sur lescjuels s'étendra la do- perdre la raison dans l'ivresse? n'en resulte-t-il

mination de cette race, afin que le juste soit pas une foule de maux {)Our le corps et rame .^
bien intormé de tout, Ai>rés tant de promesses D'où viennent tant de maladies, tant de lésions
Sara restait toujours stérile, la vieillesse s'éten- dans nos organes ? n'est-ce pas de ce que l'es-
dait sur eux, afin qu'en donnant de leur loi la tomac est plus chargé (|u'il ne faudrait? D'où
plus j,M'ande preuve possible, ils reconnussent viennent l'adultère le liberlinnge, le vol, l'a-
,

la taiblesse de la nature humaine et l'immen- varice, le meurtre, le brigandage et toutes les


sité de la puissance divine. corruptions de l'âme? n'est-ce pas d'une con-
Pour ne pas trop prolonger cette instruc- voitise exagérée? Aussi Paul a dit que l'avidité
tion nous allons terminer en vous suppliant
, était la racine de tous les maux. (1 Tim. vi, 10.)
d'imiter le patriarche. Songez, mes bien-aimés, De même peut dire avec rai>on (juc cette
l'on
à ce qu'il disait au roi de Sodome, et, en gé- absence de modération, ce désir de dépasser la
néral , à toutes ces autres vertus qu'il a mon- limite du besoin est la source de tous nos
trées pendant toute sa vie , aux récompen- maux. Si nous voulions, en fait de nourriture,
ses dont il a été honoré et à la condescendance d'habits, de logement et de tout ce qui regarde
de Dieu pour lui Songez que le Seigneur nous
:
le corps, n'aller jamais trop loin et nous con-
a ainsimontré à tous, par ses bienlaits envers tenter du nécessaire , resi)èce humaine serait
le patriarche combien sa libéralité était im-
, délivrée de bien des maux.
mense. Pour peu que nous lui fassions ofl'rande 5. Mais je ne sais comment il se fait que

de quebiues bonnes œuvres, il enchérit au delà chacun de nous est avide à sa manière et fran-
de toute expression et nous prodigue des ré- chit toujours les bornes du besoin, malgré le
compenses infimes pourvu que nous lui las-
, précepte de l'Apôtre Contentons-nous d'avoir
:

sions voir, comme ie juste, une foi sincère, et : nous faisons tout
la nourriture et le vêtement
que loin de chanceler dans notre esprit, nous le contraire, sans songer (jue nous aurons à
conser>ions une fermeté inébranlable. C'est rendre compte d'avoir dépassé le nécessaire et
ainsi que le patriarche a mérité tant d'éloges; abusé des biens du Seigneur. Car ces biens ne
écoutez saint Paul célébrant la loi qu'il a mon- nous sont pas accordés seulement pour notre
trée dès l'origine : Abraham appelé à la fui, avantage, mais pour le soulageir.cnt de nos
obéit et s en alla pays quil devait pos-
dans tôt semblables. Quel pardon peuvent donc mériter
séder, et partit sans savoir où il allait, (lleb. ceux qui se parent des vêtements d'une no-
XI, 8.) 11 fait allusion à ces paroles de Dieu : blesse extrême, qui recherchent les étoiles fi-

So?'S de ton pays et va dans la terre que je te lées par des vers et tiui, ce ciuil y a de plus dé-
montrerai. (Gen. xu, 1.) Voyez (quelle fermeté plorable, s'en glorifient, tandis qu'ils devraient
dans la foi, quelle sincérité dans l'esprit Imi- ! se cacher, craindre et trembler, puisqu'ils ne
tons Ces vertus, quittons par nos pensées et nos les portent point par nécessité, mais par mol-
désirs les allaires de la vie présente et faisons lesse et fausse gloire, afin de se faire admirer
route vers le Nous pouvons, si nous le
ciel. du monde. Cependant leur semblable passe à
voulons, nous y acheminer même ici-bas si , moitié nu, sans avoir même un vêlement gros-
nos actions le méritent, si nous dédaignons les sier: et eux, qui sont de la même nature, n'é-
choses du inonde, et si nous négligeons la vaine prouvent aucune pitié , la conscience ne les
gloire pour élever nos regards vers la gloire porte point à secourir leur semblable ; la peu-
250 TRA ^AISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

sée du jour terrible, la cr le de l'enfer, la ornements dorés, il


brillants habits et de ses
grandeur des promesses, dée que le Sei- estcomplètement impossible de veiller sur son
gneur commun de tous considérera comme âme. Comment pourrait-on avoir une bonne
faità lui-môme tout ce qu'ils auront fait pour pensée et s'occuper des choses spirituelles, si

leurs semblables, tout cela ne peut rien. Comme l'on s'est une fois livré aux choses d'ici-bas, si
si leur cœur était de pierre et qu'ils fussent l'on ne fait que ramper à terre, pour ainsi dire,
étrangers à notre nature, ils se regardent, à sans jamais relever la tête et accumulant tou-
cause du luxe de leurs habits , comme su- jours le fardeau de ses péchés ? Il serait trop
périeurs aux autres hommes, sans songer à long maintenant de dire tous les maux qui
toutes les peines qu'ils encourent en faisant un en résultent il me suffit de rappeler à toutes
:

mauvais usage des biens que Seigneur leur a le les personnes qui se sont livrées à ces goûts
confiés et qu'ils ne songent pas à partager avec tous les désagréments qu'elles en éprouvent
leurs frères ils aiment voir les vers ronger ce
: chaque jour. 11 est tombé quelque chose d'une
qu'ils possèdent et allumer pour eux-mêmes le parure en or aussitôt tempête et tumulte dans
:

feu de l'enfer. Si les riches distribuaient aux la maison un domestique a dérobé un objet,
:

indigents tout ce qu'ils tiennent inutilement tous sont fouetlés, battus, emprisonnés des :

renfermé, cela ne suffirait pas encore pour leur larrons ont tout pillé en un clin d'œil: chagrin
faire éviter les peines qu'ils méritent pour le immense et insupportable. Un revers survient
luxe de leur table et de leurs habits. Quelle qui réduit à une misère extrême, et alors la vie
punition méritent donc ceux qui mettent tous est plus pénible que la mort : qui pourrait
leurs soins à se montrer en public avec des vê- dire tous les accidents auxquels on est exposé?
tements de soie brodés d'or ou de diverses cou_ En résumé une àme de cette nature ne sera ja-
leurs, et qui méprisent la nudité et l'indigence mais en repos de même que les vagues de la
;

du Christ privé môme du nécessaire? C'est sur- mer sont incessantes et innombrables, de même
tout aux femmes que je ir adresse. C'est sur- les agitations de celte àme ne peuvent se comp-
tout chez elles que se trouve le désir et l'excès ter. Aussi, je vous en conjure, fuyons en toute

de la parure; l'or brille sur leurs habits, leur chose l'avidité et l'abus. La véritable ricbesse,
tête, leur cou et tout leur corps; et elles en le trésor inépuisable, consistent à ne désirer
tirent vanité 1 Combien d'allamés pouvaient (jue le nécessaire et à faire un bon usage du
être rassasiés, combien de nudités pouvaient superflu. Celui qui agit ainsi ne peut craindre
être couvertes, rien qu'avec le prix de leurs la pauvreté, n'éprouve ni accident ni trouble:
pendants d'oreilles qui ne servent à rien il est au-dessus de la calonmie et des pièges;
qu'à perdre leur âme Aussi le docteur de 1 en un mot, il est toujours tranquille et vil dans
la terre après avoir dit
, Contenions-nous de ; le calme et le repos. Enfin, ce qui est le grand,
la nourriture et du vèiemciil^ s'adresse-t-il en- le souverain bien , il est protégé de Dieu , cl

core aux femmes QiC elles n'aient point de


: soutenu de la grâce d'en haut, connue un In-
coiffures recherchées , d'or, de perles, ni d'ha- tendant fidèle des richesses du Seigneur. Heu-
bits somptueux. (I Tim. [i 9.) Vous voyez , reux le servit citr que soti maître trouvera agis-
ornements d'or, les perles
qu'il leur interdit ces sant a nsi quand il le visitera ! (Luc, xvui, -43.)

et les habits somptueux il veut (|uVlk'S no : C'est-à-dire qu'il di-tribue ce qu'il faut à ses
considèrent connue véritable parure (|ue celle frères, renfermer dansdes armoires
au lieu de le

de l'àme; c'est aux bonnes œuvres qu'il com- et derrière les portespour le laisser ronger aux
mande de reinprunl'T. Il sait bien (jue celle vers il soulage la misère des indij^'enls et se
:

qui a en tête ces vanités ne |>eut avoir qu'une montre bon et fidèle dispensateur des biens
âme souillée, lléirie déj^uenillée, allamée, , que le Seigneur lui a confiés, afin que, par celle
transie de froid I Car celte ardeur pour parer largesse il reçoive une grande et juste récom-
le corps montre la lai(l(>ur de l'àme, celt(> avi- liense, et mérite les biens (jui lui ont été pro-
dité sensuelle prouve qu'elle est affamée, et ce mis par la grâce et la bonté de Noire-Sei-
,

luxe de vêtements laisse voir sa nudité. Si l'ou gneur Jesus-Chrisf, à qui, ainsi qu'au Père et
veille sur son àme et si l'on en cultive la beauté, au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur,
on ne peut désirer cette parure extérieure ;
de maintenant et toujours, et dans les siècles des
même , si l'ou s'occupe de sa toilette , de ses siècles. ^Vinsi soil-il.
HOMELIES SUR LA GLxNÈSE. - TllENTE-llUlTIÈiME HOMÉLIE. S57

TRENTE-HUITIÈME HOMÉLIE.

S«ra, la femms ri'Abram ne lui donnait pas d'enfant, mais elle avait uns servante égyptienne, nommée Agar.
(Gen. XVI. i.)

ANALYSE.

1-2. Après un conrt exorde, l'orateur enlame l'explication du texte ci-dessus. H nous fait admirer la conduite de Dieu sur Abram
et Sara, ainsi que la sagesse, la résignation, la docilité aux ordres de Dieu, de ces deux époux. — 3. Dieu différa d'accomplir
les promesses qu'il avait Abraham, pour donner occasion à sa foi et à sa vertu de briller davantage. 11 a tenu la même
faites à

conduite avec la Cliananéenne. —


4. Sara dit à Abraham : je reçois une injure de toi; j^ai mis ma servante dans tes
bras, et maintenant qu'elle se voit grosse , elle me méprise en face. Sage réponse que fait Abraham à ce reproche. —
5. Devoirs des époux. — 6. Utilité des éoreuvcs — 7. Exhortation à la patience, à la mansuétude, à la concorde. Comment la
femme est l'aide de sou mari.

1 . La lecture d'aujourd'hui nous engage en- s'aider mutuellement à porter le fardeau et


core à vous parler du patriarche : ne soyez pas préférer la paix domestique à tous les biens.
surpris que depuis tant de jours consacrés à Mais il faut entendre les paroles elles-mêmes,
son histoire, nous n'ayons pu l'achever hier. afin que l'instruction soit plus claire. Sara^ la
L'abondance de ses vertus est immense, et l'é- femme ne lui donnait pas d enfants.,
d' Abram.,
tendue de ses bonnes œuvres est au-dessus de mais elle avait une servante égyptienne, nom-
toute langue humaine. Quel homme pourra mée Agar.
louer dignement celui que Dieu couronnait du Observez ici, mes bien-aimés, l'extrême pa-
haut du ciel et qu'il couvrait de gloire ? Ce- tience de Dieu et l'excès de la foi et de la re-
pendant, malgré notre insuffisance, nous vous connaissance du juste pour les prédictions qui
exposons suivant nos forces ce qui a été écrit lui avaient été faites. Dieu lui avait promis
sur lui, afin de vous inspirer l'émulation et bien des fois qu'il donnerait la terre à sa race
l'imitation de ses vertus, car la sagesse d'un et le nombre de ses descendants égalerait
que
pareil homme suffît pour instruire toute l'es- la multitude des étoiles cependant, voyant ;

pèce humaine et pour engager dansla voiede la que rien ne se réalisait de ce qui était annoncé
vertu ceux qui l'écoutent avec soin. Du reste, et que toutes les promesses s'arrêtaient à des
jevouspriedefaiœ attention aux enseignements paroles, sa raison n'était pas troublée, son
qui peuvent résulter de la dernière lecture sur esprit n'était pas agité, il resta inébranlable
le patriarche. Les hommeset les femmes peuvent dans sa foi et confiant dans la puissance de
y apprendre a vivre dans l'union et à respecter Celui qui lui avait parlé. C'est ce que l'Ecri-
le nœud indissoluble du mariage. Le mari ne ture sainte rappelle ici en disant Sara, la, :

doit pas être inflexible envers sa femme, mais femme ne lui donnait pas d enfants ;
d' Abram,
montrer de la condescendance pour sa fai- ce qui nous donne à entendre qu'après des al-
blesse; la femme ne doit pas résister à son mari liances si souvent répétées, après cette pro-
ni disputer contre lui, mais tous deux doivent messe d'une multitude innombrable qui devait
S. J. Ce. — Tome V. 17
TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

sortir de lui, il ne s'affligeait point et ne dou- point à sa femme de ne pas avoir d'enfants,
tait point en voyant que ces paroles ne s'ac- comme font quelques insensés; son amour
complissaient pas, et qu'au contraire tout sem- pour elle n'en fut pas affaibli, Vou^ savez, en
blait les démentir. Aussi est-il dit : Sara^ sa efïet,vous savez que la plupart des hommes
femme ne lui donnait pas d'enfants. Pour
,
en prennent occasion de mépriser les femmes,
nous apprendre que tant de promesses n'a- de même qu'ils les api récient par la raison
vaient abouti à rien, tandis que la stérilité de contraire il y a beaucoup de légèreté et d'ir-
:

Sara et sou sein dessécbé par l'âge pouvaient réflexion à mettre sur le compte des femmes
décourager le patriarche. Mais celui-ci loin , la stérihté ou la fécondité; ils ne savent donc
de s'arrêter aux obstacles de la nature, savait pas que tout dépend du Créateur, et que l'union
que rien n'est impossible au Seigneur, qui est des se.\es, jointe à toutes les ressources imagi-
le Créateur de celte nature et rend possible ce nables, no peut donner des enfants si la main
qui était impossible; en fidèle serviteur, il ne d'en-hnut n'excite la nature à les faire naître.
s'informait pas comment les choses devaient Le juste le savait bien; aussi, n'imputait-il
arriver, mais il s'abandonnaità l'incompréhen- point à sa femme sa stérilité et Tlionora-t-il
sible providence du Seigneur et croyait à sa toujours également. Celle-ci, par compensation
parole. et pour montrer combien elle chérissait son
Ainsi, après tant de promesses, Sara ne hd mari, s'oublia elle-même, et, cherchant à le
donnait pas d'enfants^ mais elle avait iine ser- consoler de cette stérilité, prit, pour ainsi dire,
vante égyptienne nommée Arjar. Ce n'est pas sa servante égyptienne par la main et la con-
sans raison que l'Ecriture sainte fait ainsi men- duisitdans son propre lit. Du reste, elle fît bien
tion de cette servante, c'est pour que l'on sache voir dans quelle inteiilion elle agissait ainsi,
comment Sara l'avait chez elle. Il est dit qu'elle en disant Le Seigneur a fermé mes entrailles
:

était égyptienne, ce qui nous rappelle un fait pour que je n'enfante pas. Voyez quelle rési-
précédent: elle faisait partie des présents olîerts gnation! Elle ne dit rien d'amer, elle ne dc-
par Pliaraon ([uand il eut été sévèrement puni jdore point sa stérilité; elle déclare seulement
parle Tout-Puissant ; alors elle suivit Sara, et que, le Créateur l'ayant voulu ainsi, elle le
c'est pour cela que l'Ecriture nous con- fait supporte avec douceur et courage, préférant la
naître son nom et son pays. Mais voyez main- volonté de Dieu à ses désirs, et qu'elle cherche
tenant la sagesse de Sara et l'excès de sa conti- seulement à consoler son mari, puistiue, dit-
nence voyez aussi la complaisance et la con-
; elle, le Seigneur a fermé )nes entrailles pour
descendance du juste. Sara dit à Abram,dans que je n'enfante pas. Voyez le sens de ces pa-
la te?re de Chanaan : Dieu a fermé mes en- roles; comme elles montrent la providence et
trailles ponr que je n'enfante pas, 7nais viens lapuissance infinies de Dieu! Nous fermons et
vers ma servante afin que tu en aies des en- nous ouvrons notre maison Dieu en fait autant :

fants. Elle ne dit point, comme plus fard avec la nature; son ordre ferme quand il veut
Rachel à Jacob Donne-moi des enfants, on je
: et rouvre lorsqu'il lui plaît; la nature obéit
meurs. (Gen. xxx, t.) Mais que dit-elle? Dieu toujours à ses conuuantlements, Puiscjue le
a fermé mes entrailles pour que je n'enfante Seigneur a fermé 7nes entrailles pour que je
pas. Puisque le Créateur m'a rendue stérile et ji'en faute pas, viens vers ma servante, afin que
me prive d'avoir des enfants pour (|ue ma ,
tu en oies des enfants. C'est à cause de moi (jue
Blérilité ne te |)rive point de voir tes fils dans tu n'en as pas; je ne veux point te priver de
ton extrême vieillesse, vieyis vers ma servante, cette consolation. Peut-être Sara soupçonnait-
afin que tu en aies des enfants. Quelle femme elle que sa stérilité ne provenait pas délie
aurait le courage d'agir ainsi, de doimer ce seule, mais aussi du patriarche; aussi, voulant
conseil à son mari et de céder le lit conjugal à s'en convaincre par des faits, elle cède la place
une servante ? à sa servante et la conduit dans son lit, aliu
2. Considérez combien ils étaient dégagés de que révénement lui montre si la stérilité dé-
toute passion : ]c\\v seul but était de ne pas pendait d'elle seule.
mourir sans enf.uits; mais ils songeaient à y Al>ram que voulait Sara. Remarquez
fit ce
parvenir sans trouble et en conservant le lien la sagesse du que j'ai déjà
juste. Je répète ce
conjugal. Observez aussi la continence du pa- dit ce n'est |.as bii qui a eu le premier cette
:

UiarcLeel son extrême douceur. Il n'en voulut idée.qiioiciu'il fût déjà bien vieux; mais quand
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — TRENTE-HUITIÈME HOMÉLIE.

Sara lui fait cette offre, il l'accepte, montrant manifestée dès cet instant, car il aurait fertilisé
que, y consent, ce n'est point par désir et
s'il par son ordre de la nature, de-
le laboratoire

libci tinajie, mais pour laisser de la postérité. venu incapable de reproduction mais la cou- ;

Sam, femme d'Abrum, prit Agar, sa servante ronne de gloire n'aurait pas été com[)lète sur
éf/i/ptienne, après dix ans d' habitation avec la tète du patriarche, comme à cette époque
Abram, son mari, dans le pays de Chanaan, plus tardive où sa vertu fut éprouvée de nou-
et la do7ina pour femme à Aùram, son mari. veau et devint chatiue jour plus éclatante.
Voyez combien l'Ecriture est précise! elle veut 3. Pour vous faire voir que Dieu ne se con-
nous apprendre que le juste ne s'est pas em- tente pas de [irodiguer ses bienfaits, mais (|u'il

pressé aussitôt que Sara lui eut parié, et elle cherche d'ordinaire à illustrer ceux qui les re-
dit Sara, femme d'Abram, jrrit Agar, sa ser-
: çoivent, voyez sa conduite à l'égard de la Cha-
vante égyptienne. L'Ecriture sainte nous l'ait nanéenne, comme il dilïcre et temporise; ce-
ainsi comprendre que le juste ne fait rien que pendant, il finit non-seulement par accueillir
par complaisance pour sa ftMnme et par con- sa prière, mais par rendre cette femme elle-
descendance à sa volonté. Pour bien nous même célèbre dans le monde entier.Quand
apprendre la continence du juste et son extrême elle le suppliait en disant Seigneur, ayez pitié
:

modération, il Après dix ans dliabi-


est écrit : de moi! ma tourmentée par le démon
fille est

tation avec Abram, son mari, dans le pays de (Matlh. XV, 22), ce Dieu de clémence et de
Chanaan. Si cet intervalle de temps est pré- bonté ne daigne cependant pas lui répondre,
cisé, ce n'est pa« sans raison; c'est pour que quoicfue toujours il prévienne nos demandes.
nous sachions pendant combien d'années le Ses disciples, ignorant ce qui devait arriver,
juste a su|)porté sans murmure celte stérilité, qu'il s'intéressait à cette femme, et que, s'il ne
et a fait voirune continence supérieure toutes cà répondait pas, c'était pour lui donner occasion
les passions; c'est encore pour nous ai)prendre de découvrir le trésor de sa foi, ses disciples,
autre chose. Quand l'Ecriture ajoute Après : comme par pitié, s'approchaient de lui et le
dix ans dliabitation avec Abram, son mari, suppliaient en disant Renvoyez-la
: parce ,

dans le pays de Chanaan, ce n'est pas là tout qu'elle crie après nous, laissant voir ainsi qu'ils
le temps de leur cohabitation, mais seulement ne pouvaient plus supporter son importunité.
celui qu'ils ont passé dans la terre de Chanaan. Renvoyez-la satisfaite, disaient-ils, non parce
Pouniuoi cela? Parce que, dès leur arrivée au qu'elle malheureuse, non parce que ses
est
I)ays de Chanaan, Dieu dit dans sa bonté Je : prières sont raisonnables, mais parce qu'e//e
donnerai cette terre à ta race. Ensuite il re- crie après nous. Que fait alors le Seigneur?
nouvelle plus d'une fois ces promesses, pour Voulant dévoiler peu à peu le trésor de la foi
nous comprendre, mes bien-aimés, que,
faire que possédait celte femme, et montrer à ses
mal^^aé Tinlervulle que Dieu a mis avant de disciples combien ils étaient loin de sa bonté,
remplir ces promesses, l'esprit du patriarche il répond enfin de manière à troubler le juge-

ne s'est point troublé et n'a point mis les rai- ment de la suppliante, si elle avait eu moins
sonnements humains au-dessus des paroles de fermeté dans l'esprit ou moins d'ardeur
divines. Aussi l'Ecriture dit: Après qu'ils eurent dans le zèle, et de façon à empêcher les apôtres
habité ensemble pendant dix ans dans le pays de prier pour elle Je ne suis envoyé, lui dit-il,
:

de Chanaan. Voyez quel courage, quelle sa- que vers les brebis égarées de la maison d'Israël,
gesse! voyez aussi comme le Seigneur tempo- En effet, ces mots suffisent pour empêcher les
rise et retarde pour le rendre plus illustre! Car disciples d'intercéder en faveur de celte femme;
s'il a des serviteurs cpi'il chérisse particulière- mais elle-même ne cessa point ses prières et les
ment, ne se contente pas de leur être favo-
il redoubla avec plus d'instance, (/est le propre
rable, mais il les couvre de gloire pour faire d une àme souffrante et possédée d'une vive
éclater leur foi à tous les yeux. Après avoir dit affection elle ne s'inquiète pas de ce qu'on lui
:

qu'il donnerait cette terre à sa race, s'il avait dit et songe seulement au but de ses désirs.
aussitôt ouvert les entrailles de Sara et s'il C'est ce tjue fit cette femme. Après avoir en-
avait procuré des enfants au patriarche, le mi- tendu ces paroles, elle se prosterna en disant :
racle n'aurait pas été si grand et la vertu du Seigneur, ayez pitié de moi! Elle connaissait la
juste n'aurait pas été si brillante aux yeux de bonté du Seigneur, et aussi sa persévérance
tous. Sans doute, la puissance de Dieu se serait est inl'atJîiable. Mais voyez quelle piudeuce fit
200 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

quelle sagesse montre lui-même Il n'accorde


il ! vous avez vu que, si Dieu avait tardé à l'exau-
rien, et même répond d'une manière encore
il cer, c'était pour la rendre plus digne d'admi-
plus sévère et plus rude. Il connaissait le cou- ration. Revenons maintenant, s'il vous plaît,
rage de celte femme et ne voulait pas que son à notre récit, et apprenons que si Dieu a dif-
bienfait restât caché, pour que ses disciples, féré pendant tant d'années à accomplir les
ainsi que les autres hommes, apprissent la promesses qu'il avait faites au patriarche c'é- ,

raison qui l'avait porté à difîérer : le pouvoir tait pour le rendre plus illustre et faire mieux

de la persévérance et de l'assiduité, et la vertu éclater sa foi. Aussi l'Ecriture dit après qu'ils :

de cette femme. Il dit, en effet // n'est pas : eurent habité ensemble dix ans dans la terre
bon de prendre le pain des enfants et de le de Chanaan, afin de montrer temps qui s'é- le
jeter aux chiens. tait Sitôt que le
écoulé depuis la prédiction.
Ici, je vous prie, remarquez l'énergie de juste arriva dans ce pays. Dieu lui dit Je :

cette femme, l'ardeur du désir qui l'embrase donnerai cette terre à ta race. Cependant il
et la puissance de sa foi en Dieu, comme ses restait depuis lors sans enfants ; la stérilité de
entrailles étaient déchirées, pour ainsi dire, de Sara augmentait, et elle donna Agar pour
compassion pour les souffrances de sa fille ; femme à son mari Abram.
elle ne riposte point à l'injure, elle accepte le A. Voyez quelle était la sagesse des anciens.
nom de chien et consent à être mise au rang Les hommes étaient tempérants, très-attachés
des chiens, pourvu qu'elle obtienne d'être dé- à la continence, et les femmes n'étaient pas
livrée de son irrjtionabilité pour monter au jalouses. En montre un exem-
effet, l'Ecriture

rang des enfants de Dieu. Ecoutez enfin la ré- ple souvent utile quand elle dit : Sara prit
,

ponse de cette femme, c'est le fruit du retard Agar sa servante et la donna pour femme à
que le Seigneur avait apporté à l'exaucer. Non- Abram cela nous montre quel était en pareille
;

seulement la sévérité du Seigneur n'a pas occasion le sang-froid des femmes et la réserve ij
rebuté la femme, mais elle a surexcité son des hommes. Et il vint vers Agar et elle cnn- ^
zèle, puisqu'elle dit : Oui, Seigneur; car les eut. Comme vous le voyez. Sara apprend alors
chiens mangent les iniettes qui tombeîit de la que ce n'était pas la faute du juste s'il n'avait
table de leurs maîtres. pas d'enfants, mais que sa propre stérilité en
Voyez-vous pourquoi il a été si longtemps à était la seulecause ; car l'union du patriarche
l'exaucer? C'était pour nous apprendre jus- avec servante avait été aussitôt féconde. Eh
la

qu'où allait la foi de cette femme. Voyez bien observez maintenant l'ingratitude de cette
!

comme aussitôt le Seigneur la vante et la ré- servante et la faiblesse de la nature féminine,


compense, en disant femme, ta foi est
: afin d'apprendre encore ici l'admirable dou-
grande! Il renvoie avec éloges et admiration ceur du patriarche. Elle vit quelle était grosse
celle à qui d abord il n'accordait point de ré- et méprisa sa maîtresse en face. VoiKà l'habi-

ponse. Ta foi est grande. Elle était grande, en tude des domestiques au moindre avantage :

ctTct,puisque cette fenune, après avoir vu ses qu'ils ont, ne se tiennent plus à leur place,
ils

prières repoussces une [iremière et une seconde ils oublient leur position et deviennent ingrats :
fois,ne s'est point découragée ni retirée , et de cette servante. Quand elle se
c'est l'histoire

que, par l'énergie de sa persévérance , elle a vit enceinte, elle ne songea pas à l'admirable
engagé Dieu à l'exaucer. Qu'il soit fait, dit-il, résignution de sa maîtresse ni à l'infériorité de
comme tu le désires! yous voyez (ju'il comble sa position, mais, dans l'ivresse de son orgueil,
de ses bienfaits celle que d'abord il n'honorait elle dédaigne sa maîtresse qui lui avait mon- ,

p;»s d'une ré[)(>ns(;. Non-scultiueiit il l'exauce, tré assez de bienveillance pour la conduire dans
mais il la ^lorilie et la couroimc. Ces mots : le lit di' son mari. Que fait alors Sara? Elle dit

ô femme, montrent combien il est frappé de sa à Abram : Je reçois une injure de foi : j'ai mis
foi ceux-ci ta foi est grandr, dévoilent toute
; : ma servante dans tes bras; maintenant qu'elle
rétendue de ce trésor, et enfin celle parole : est grosse, elle me méprise en face. Que Dieu
Qu'il soit fait comme tu le désires, signifie : juge entre toi et moi!
tout ce ([ue tu peux vouloir ou désirer, je te considérez l'extrême patience du juste et
Ici,

l'accorde; une pareille persévérance t'a fait le respect qu'il montre à Sara en l'excusant

mériter ce (juc tu souhailais. d'une accusation si peu méritée. Elle, qui lui
Vous avez vu la constance de cette femme; avait mis sa scrvanlo dans les bras, eu disant
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — TRENTE-HUITIÈME HOMÉLIE. 2Gi

Viens vers ma servante, elle, qui l'avait en- prends d'abord que je n'aurais jamais consenti
traîné à colle liaison , change tout à enn|) pour à l'y recevoir, si ce n'avait été par complaisance
dire : Elle ni insulte à cause de lui. le m nie ! pour loi afin que lu en sois convaincue, je la
:

est-ce lui qui a couru après ta servante? ses remets dans tes mains fais-en ce que tu vou-
;

désirs l'onl-ils entraîné à cette union? C'est dras. Ta puissance est-elle diminuée? as-tu
pour suiNre tes avis et tes conseils iju'il a tout perdu ton autorité sur celte femme? Malgré
fait. Quelle injure t'a donc fait Ion mari ? fui les ra[)ports (jue j'ai eus avec elle, tu en es tou-
mis, dis-tu, 7na servante dans tes bras. Si tu jours maîtresse, la voilà entre les mains, tu
avoues que tu la lui as donnée et qu'il ne l'a peux la punir, la châtier, la gourmander: fais-
pas prise do lui-même, (|ue parlrs-tu d'iujurc? en ce que tu voudras et ce (lu'il le plaira. Seu-
Oui, disait-elle, je te lai donnée, mais en lement ne t'irrite pas et ne m'attribue point ses
voyant son orgueil tu devais réprimer son in- insolences. Comme ce n'est point la passion
solence. Voyant quelle était grosse, elle m'a qui m'a porté vers prends pas assez
elle, je n'y
méprisée en face; que Dieu juge entre toi et d'intérêt pour défendre quand elle a tort. Je
la
moi! Ce sont là des paroles de femme et qui sais le respect qui t'est dû, je n'ignore pas l'in-
tiennent à la faiblesse de sa nature ; c'est gratitude dos domestiques. Cola ne m'inquiète
comme si elle lui disait : j'ai voulu le consoler ni ne me regarde, je n'ai qu'un désir, celui de
de ne pas avoir d'enfants, je suis allée jusqu'à te voir heureuse, tranquille, comblée d'hon-
mettre ma servante dans tes bras pour qu'elle neur et délivrée de tout chagrin.
me remplaçât. Maintenant, voyant qu'elle est 5. Voilà une véritable union, un mari pru-

fière de sa grossesse et qu'elle s'en enorgueillit dent qui ne discute pas trop rigoureusement
outre mesure, tu aurais dû réprimer et punir les paroles de sa femme, mais condescend à la
ses insolences à mon égard et tu ne l'as pas
, faiblessede son sexe, songeant seulement à lui
fait.Tu semblés oublier toute notre vie passée, épargner des chagrins ol à vivre avec elle en
et me mépriser toi-même, moi qui ai vécu tant paix et en bonne intelligence. Que les maris
y
d'années avec toi et qui ai ramené d'Egypte fassent attention pour imiter la douceur du
cette servante qui est à moi et qui me dédaigne. juste, pour qu'ils aient envers leurs femmes
Que Dieu Juge entre toi et moi! Songe, dit-elle, autant de considération et de respect et qu'ils
à tout ce que j'ai fait pour te consoler ; afin do soient pleins d'mdulgence pour ces êtres fai-
te rendre père dans ta vieillesse, j'ai élevé ma bles, afin de resserrer les liens de la concorde.
servante jusqu'à moi : et toi, voyant son in- La véritable richesse, l'opulence inestimable
gralitiide, tu ne m'as |)as vengée tu n'as rien , consistent à ce que le mari et la femme soient
fait pour me récompenser de ma bonne volonté d'accord et unis comme s'ils n'étaient qu'un
à ton égard. Que Dieu juge entre toi et moi! seul corps. Ils seront deux dans une même
Lui (jui connaît lossecrets des cœurs sera noire c/iair. (Gen. u, 24.) De pareils époux, même
juge, j'ai mis ta satisfaction au-dessus de tous dans la pauvreté, même dans la position la
mes désirs, j'ai conduit ma servante dans ton plus humble, sont les plus heureux de tous,
lit et toi, tu n'en as conçu aucune reconnais-
: ils goûtent le vrai dans une
plaisir et vivent
sance, tu permets a cette servante de se révol- tranquillité constante. Ceux, au contraire, qui
ter contre ma bonté, et lu ne réprimes pas son n'ont pas le même bonheur, mais souffrent de
audace, et tu ne punis point son ingratitude ! la jalousie etperdent les avantages de la paix,
Que fit alors cet homme inébranlable, cet ceux-là, malgré d'immenses richesses, une
invincible athlète de Dieu, qui trouvait partout table somptueuse, la noblesse et rillustration,
l'occasion de mériter de nouvelles couronnes ? sont les plus malheureux des hommes tous ;

11 montre encore ici sa vertu et dit à Sara : les jours s'élèvent entre eux des orages et des
Voici ta servante dans tes maifis : fais-en ce tempêtes, ils se suspectent mutuellement et ne
que tu voudras. Le juste montre ici beaucoup goûtent aucun plaisir une guerre intérieure
:

de sagesse et une extrême patience. Non-seule- trouble tout chez eux et les remplit d'amer-
ment il ne se fâche point des paroles de Sara, tume. Ici, rien de pareil le patriarche calma
;

mais ilrépond avec douceur et lui dit Tu


lui : par sa douceur la colère de la maîtresse et, en
me crois la cause de l'injure que tu as reçue et lui remettant sa servante, ramena la paix à la
tu penses que je suis d'accord avec ta servante, maison. Sara la maltraita et elle s'enfuit de
parce qu'elle a une fois partagé mon lit : ap- devant elle. Quand la maîtresse eut châtié son
262 TKADUCTION FPu\NÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

•insolence, la servante s'enfuit. C'est Thabitude Vange du Seigneur Retourne vers ta


lui dit :

'des quand ils ne peuvent faire


domestiques : 7naitresse et humilie-toi sous sa main. A ces
ce qu'ils veulent, quand on s'oppose à leurs paroles Je fuis ma maîtresse , il répond Re-
: :

prétentions, ils rompent leur chaîne et pren- tourne., et ne sois pas ingrate envers une maî-
nent la fuile. Du reste, observez que la [irotec- tresse qui a tout fait pour toi. Ensuite, comme
tion du ciel s'étend sur la servante, par égard elle avait irrité sa maîtresse par son insolence
pour le juste. Comme elle portait la race du et son orgueil, il dit lïumilie-toi sous sa main,
:

juste, elle honorée de l'apparition d'un


fut sois-lui soumise, c'est ton avantage. Reconnais
ange. Lange du Seigneur la trouva près d'une ta servitude, ne méconnais pas son autorité,
fontaine dans le désert^ sur la route de Sur. n'aie pas de trop hautes pensées et ne t'estime
Voyez la bonté du Seigneur qui ne dédaigne pas plus que tu ne vaux, llianilie-toi sous sa
personne, même l'esclave ou la servante, et les main, obéis-lui toujours. Ainsi, les paroles de
couvre de sa providence sans regarder à la l'ange suffirent pour adoucir son âme, abaisser
ditîérence des rangs, mais à la disposition de son orgueil, apaiser sa colère et calmer son
l'Ame. Ici, du reste, ce n'est point pour le mé- cfjtrit.

rite de la serv/inte que l'ange se présente, c'est 6. Ensuite, pour qu'elle ne croie pas que la

par considération poui- le juste. Car, comme Providence s'exerçiit sur elle au hasard et
je l'ai déjà dit, elle était digne d'être protégée, sans une raison déterminée, afin qu'elle sache
parce qu'elle avait été digne do porter la race qu'une pareille bienveillance s'attachait à
du juste. Quand l'anjje l'eut trouvée, il lui dit : la race du juste, voyez de quelle nature sont

Agar^ servante de Sara, d'où viens-tu et où les consolations que l'ange lui donne pour

vas-tu? Voyez comme les paroles de l'ange lui relever son esprit et de quelle manière il y
rappellent sa condition. Pour la rendre atten- parvient. L'ange du Seigneur lui dit Je :

tive, il commence par prononcer son nom, et multiplierai ta race, qui sera un peuple in-
dit : Arjar. En efîet, noiis avons coutume de nombrable. Ainsi, je te prédis que ta race ne
prêter l'oreille à l'appel de notre nom. Ensuite pourra se compter. Ne succombes donc pas au
il dit : servante de Sara^ pour la faire souvenir découragement, ([ue ton esprit ne se trouble
de sa maîtresse et lui faire savoir que, bien l)as, mais reste dans l'obéissance. Tu es grosse,
qu'elle ait partagé la couche de son maître, et tu enfanteras un fils, et tu l'appelleras
elle a toujours Sara pour maîtresse. Voyez Ismaël. Ainsi, je t'annonce d'avance ton en-
maintenant comment l'ange Tinterroge pour fantement, et je donne dès à présent un nom
la forcer à répondre. D'où es-tu venue, dit-il, à ton encore à naître, afin qu'après cette
fils

dans ce désert et où vas-tu? I/ange apparaît assurance, tu reviennes et tu te corriges de tes


dans ce désert afin qu'elle ne croie pas que celui fautes, parce que le Seigneur t'a écoutée dans
(jui l'interroge est un voyageur ordinaire : ton abaissement.
c'était un désert, et personne (|uc lui ne i)arais- Apprenons par là tout l'avantage des afîlic-
sait en ce lieu. Voilà donc pourquoi il se montra malheurs. Après une si
tions, toute l'utilité des
dans cette solitude, lui faisant com|)rendre grande prospérité, après sètre vue sur le même
ainsi que son interlocuteur n'était |)as le pre- rang que sa maîtresse, elle s'était enfuie, acca-
mier venu, et il la questionna. Et elle dit : Je blée de douleur, entourée d'affiiclions, au mi-
fuis ma maitresse Sara. Vous voyez (ju'elle lieu de la solitude, du désert et des souCfrances.
avoue sa sujétion et qu'elle convient de tout. Aussi le secours ne s'est pas fait attendre.
Celui qui m'interroge, pcnse-t-elle, n'est pas Voici, dit lange, ce que je te promets : tu en-
un honmie que je puisse tromper. Il m'a d'a- fanteras un fils, et ta postérité sera innom-
bord dit mon nom
et celui de ma maîtresse; brable, parce que le Scig))cur t'a écoutée dans
je dois répondre la vérité. Je fuis ma
donc lui ton abaissement.
maîtresse Sara. Voyez connue elle parle de sa Ainsi ne nous chagrinons point si les cir-
maîtresse sans colère. Elle ne dit point elle : constances nous abaissent. Rien ne convient
m'a fait soutTrir, elle m'a maltraitée, je ne puis mieux à notre nature que la soumission et
supporter sa |)erséculiou et je me suis enfuie ;
ral)aissement de notre esprit, ainsi cpie l'hu-
elle ne dit rien d'amer et s'accuse elle-même miliation de notre orgueil. Jamais le Sei-
connue fugitive: voyez quelle franchise Re- 1 gneur ne nous écoute mieux que si nous l'in-
marquez aussi ce que l'ange lui dit encore. voquons l'ànie affiigéc et le cœur contrit, eu
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — TRENTE-HUITIÈME HOMÉLIE. 2C3

renouvelant nos prières avec plus d'assiduité. pensons que ces tribulations mêmes peuvent
Le Seigneur t'a écoutée dans ton abaissement, nous tourner à bien, si nous les supportons
dit l'ange. Ensuite il montre l'intérêt attaché avec douceur. Apprenons à être humains et
à l'enfant (jui doit naître. Ce sera un homme indulgents envers tout le monde, surtout en-

sauvage : sa main sera contre tous, et la main vers nos femmes. Ayons surtout bien soin,
de tous contre lui : il habitera en face de tous quand elles nous accusent, soit à tort, soit à
ses frères. Cela fait prévoir qu'il sera coura- raison, de ne pas tout juger avec rigueur, et
geux, belliqueux, et s'occupera à cultiver la songeons seulement à écarter de nous toute
terre. Voyez, d'après ce qui arrive à cette ser- cause de contrariété et de rendre inébran-
vante, quelle considération s'attachait au pa- lable la paix domestique. La femme alors aura
triarche! Tout ce qui est pour elle, montre
fait toujours recours à son mari, et le mari vien-

la bienveillance du Seigneur pour le juste. dra près de sa femme comme dans un port
Après avoir adressé à Agar ces conseils et ces tranquille, chercher un refuge dans toutes les
prédictions, l'ange disparut. Mais voyez encore affaires et les agitations extérieures, sûr d'y
la franchise de la servante. Elle invoqua le trouver une consolation à toutes ses peines.
nom du Seigneur qui lui parlait. Tu es le En effet, la femme a été donnée au mari
Dieu qui m'a vue, car elle dit : J'ai vu en face comme un secours qui lui permette de résis-
celui qui m'est apparu. Aussi elle appela ce ter à tous les coups du sort. Si elle est bonne
puits, le puits où j'ai vu en face. Il est entre etdouce, non-seulement elle procurera à son
Cadès et Barach. Voyez comme elle veut lais- mari les consolations de la vie à deux, mais
ser de cet endroit un éternel souvenir, en lui elle lui sera encore utile de mille manières,
imposant un nom; en effet, elle l'appela le elle rendra pour lui toute chose facile et lé-
puits où y ai vu en face. Ainsi les afflictions de gère, et l'empêchera de souffrir des difficultés
celte servante l'ont amenée peu à peu à se qui naissent chaque jour dans l'intérieur de la
corriger, à montrer sa reconnaissance pour maison ou à l'extérieur. Semblable à un bon pi-
sa bienfaitrice, et à remercier la puissance lote, elle changera par sa sagesse toute tempête
qui l'avait tellement protégée. Et Agar enfanta de l'àme en calme, et sa prudence saura tout
un à Abraham, qui donna au
fils fils d'Agar adoucir. Ceux qui seront bien unis ne trouve-
le nom dismaël. ront, mêmedansla vie présente, rien qui trouble
7. Apprenons par là quel est l'avantage delà leur bonheur. Quand la concorde, la paix et le
douceur, et quel profit l'on peut tirer môme lien de l'affection existent entre le mari et la
des afflictions. La douceur que montra le pa- femme, tous les biens leur surviennent, rien
triarche à Sara en apaisant sa colère et en lui ne peut leur nuire, un mur inexpugnable les
donnant tout pouvoir sur sa servante, ramena entoure, je veux dire l'union en Dieu. Ce
la paix dans la maison; et de son côté, cette rempart les rendra plus invincibles que le dia-
servante nous montre l'utilité des afflictions. mant, plus solides que le fer, ils seront com-
Pleine de chagrin, elle avait fui sa maîtresse blés de richesses et d'opulence; enfin, ils joui-
et était restée bien malheureuse; mais, dans ront de la gloire céleste , et obtiendront de
la douleur de son âme, elle appela le Seigneur Dieu les bénédictions les plus abondantes.
et elle fut aussitôt honorée de la présence d'un Aussi, je vous en conjure, ne préférons rien à
envoyé céleste. Pour lui montrer que son hu- ce trésor, mais employons toutes nos actions
miliation et son affliction l'avaient rendue et tous nos efforts à obtenir ce calme et ce re-
digne d'une pareille assistance, l'ange lui dit : pos de l'intérieur. Alors les enfants imiteront
Tues grosse, tu enfanteras un fils, et tu rap- les vertus de leurs parents, les serviteurs en
pelleras Ismaël, parce que le Seigneur fa feront autant, et la vertu sera la règle de la
écoutée dans ton abaissement. maison, qui se verra comblée de prospérité I
Comprenons donc, mes bien-aimés, que si Si nous préférons ce qui vient de Dieu, tout
nous veillons sur nous-mêmes, nos afflictions le reste s'en suivra, nous n'éprouverons au-
nous rapprocheront du Seigneur, et que nous cune peine, et la bonté divine nous fournira
obtiendrons surtout son appui quand nous tout en abondance. Ainsi pour passer sans
,

nous présenterons devant lui l'àme souffrante tristesse la vie d'ici-bas et obtenir de plus en
et pleurant des larmes amères: ne nous cha- plus la bienveillance du Seigneur, pratiquons
grinons donc pas dans nos tribulations, mais la vertu, cherchons à faire régner chez nous
264 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

la concorde et la paix, soignons l'éducation des gneur Jésus-Christ, auquel, ainsi qu'au Père
enfants et les mœurs des serviteurs; alors, par etau Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur,
notre reconnaissance pour tant de largesses, maintenant et toujours, et dans les siècles des
nous mériterons les biens qui nous ont été an- siècles. Ainsi soil-il.

noncés, par la grâce et la bonté de Notre-Sei-

TRENTE-NEUVIÈME HOMÉLIE.

Quaad Abraham eut quatra-vlngt-diz-neuf ans, Diea lui appeunit. (^en. XVII, l.j

lALTIE.

l. Quand promet, l'homme doit lui accorder toute "confiance. Nous ne devons point mesurer ses œuvres à notrd
Dieti parle el
faibl'^?se. — Pourquoi Dieu, en temporisant, a-t-il éprouvé Abraham? Comment doit s'entendre ce mot
2. apparut? 3. : —
Etyniologie des noms d'Abraliam et de Noé. Les infidèles prophétisent. —
i. Raison de la circoncision. Que la circoncision

ne confère aucun bien spirituel. — 5. Exhortation.

1. Vous avez vu, mes bien-aimés, qu'il n'y a nous reconnaîtrons que la bonté de Dieu dispose
rien d'inutile dans l'Ecriture sainte, et que tout en sa faveur et le met à l'épreuve en toute
nous avons tiré hier un grand profit de Ihis- occasion pour mieux faire éclater sa piété. Il
toired'Agar fugitive. Nous avons connu la prévoyait la reconnaissance de son serviteur,
grande douceur du patriarche, l'excès de sa appréciait toute la beauté de son âme et la pu-
continence, le respect qu'il montra à Sara^ et reté de cette perle si précieuse, mais il voulait
l'estime qu'il faisait de la concorde au-dessus la faire briller maintenant même, devant nos
de tous les autres biens. Nous avons vu la yeux, pour que la vertu du juste laissât à la

bonté infinie de Dieu qui, par égard pour le postérité un modèle pour notre ému-
à imiter
patriarche non-seulement ramène Agar er-
, lation. Aussi nous dévoile-t-il peu à peu le
rant dans le désert où elle s'était enfuie par trésor de vertu de ce juste, pour que nous ap-
crainte de sa maîtresse, mais la rend mère prenions nous-mêmes à ne jamais mamjuerde
d'Ismaël, afin de consoler le juste et de lo ré- confiance dans les prédiclions divines, lànepas
coini)enser de sa patience. Quand Ismaël lut nous décourager dans l'attente, mais à mettre
venu au monde, l'Ecriture sainte voulant , moins d'espoir dans les choses que Ion voit el
nous donner l'âge du Patriarche, et nous in- que l'on touche, que dans les choses invisibles,
diquer le nombre de ses années, nous dit : dès que c'est Dieu qui les a promises. Nous
Quand Ismacl vint au monde Ahram avait , comprenons aiiisi que les prédictions di^ines
quatre-vingt-six ans. (Gen. IG.) Voyons ici, ne peuvent jamais manquer de s'accomplir si ;

comme nous le vérifierons par la suite, l'ad- pendant longtemps elles ne se réalisent pas,
mirable pationee du juste, et la bonté inouïe et nous ne devons point nous en embarrasser
inlhiie du Seigneur. Nous en serons couNain- l'esprit, mais penser à la puissance irrésistible

cus, si nous pouvons calculer làge du juste; et invincible de celui qui lésa faites, et nous dire
HOMÉLIES SUR LA (JENÈSE. — TRENTE-NEUVIÈME HOMÉLIE. 26»

que lout ce (lu'il voudra se fera, puisque tout retour d'Egypte, la nouvelle insulte que re-
lui cède et lui obéit. En eflct, puis(|u'il est le ço\[ Sara du roi des Gérarlens cl le secours
Maître et le Créaleur de la nature, il peut aussi (|ueDieu leur donne encore. Kh bien le juste !

nous accorder des choses surnaturelles. voyant que tant d'événements contraires suc-
N'allons point mesurer lesœuvres de Dieu à cédaient à cette promesse, n'avait aucune in-
nous tourmenter des lois de
notre faiblesse et quiétude et ne se demandait point pounpioi
la nature mais, en fidèles serviteurs, recon-
;
toutes ces assurances ne le préservaient p;is

naissons le pouvoir immense de Notre-Sei- de mille contrariétés, et pourquoi il restait


gneur, croyons à ses promesses et mettons- si longtemps sans enfants. Rempli de piété,

nous au-dessus de notre faiblesse naturelle il ne voulait pas soumettre les actions de Dieu

pour jouir des faveurs qui nous sont annon- à la raison humaine, mais il s'y résignait et
cées, mériter sa bienveillance et rtionorer de acceptait avec plaisir tout ce qui plaisait à
toutes nos forces. Car le plus grand honneur Dieu.
que nous puissions lui rendre, c'est de nous 2. il regarda
Dix ans après Ismaël comme
confier à sa puissance, quand même les yeux l'enfantpour lequel la prédiction devait s'ac-
de notre chair nous feraient voir le contraire. complir. Car le patriarche, à la naissance d'Is-
Et comment s'étonner que le plus grand hom- niaël, avait (juatre-vingt-six ans. Mais le bon
mage rendu à Dieu soit de rejeter le doute ? Dieu exerce encore sa patience pendant treize
Avec nos semblables, lorsqu'ils nous font des ans, jusqu'à l'accomplissement de sa promesse.
promesses sujettes au changement des choses Il savait, en effet, que, l'or se purifiant avec le

périssables, si nous n'en doutons point, si nous temps dans la fournaise, la vertu du juste pre-
y avons confiance, cette absence de doute, cette nait aussi plus de gloire et d'éclat. Quand
confiance sont regardées comme le plus grand Abram eut quatre-vingt-dix-neuf ans, Dieu lui
honneur que nous puissions leur faire. S'il en apparut de nouveau. Et pourquoi cette longue
est ainsi à l'égard des hommes si changeants attente? Pour nous faire connaître, non-seule-
et si impuissants, ne devons-nous pas croire ment la vertu du juste et sa patience, mais aussi
bien mieux encore à ce qui nous est annoncé la grandeur de la puissance divine. Mais il faut
par Dieu , même quand promesses ne doi-
ses entendre de Dieu. Quand il
les paroles mômes
vent se réaliser qu'après un long intervalle de eut quatre-vingt-dix-neuf ans, Dieu lui apparut
temps? Ce n'est pas sans raison que je vous et lui dit : Par ces mots hù apparut , n'en-
parle ainsi, c'est afin de vous mettre à même, tendez rien de matériel, et ne croyez pas que les
lorsque nous aborderons la lecture d'aujour- yeux de la chair puissent voir la puissance di-
d'hui, de comprendre comment le bon Dieu, vine etimmuable, mais considérez tout religieu-
voulant illustrer le patriarche exerce sa , sement. Dieiz lui apparut, c'est-ti-dire,daigna
patience pendant tant d'années durant les- communiquer avec lui, et le jugea digne de sa
quelles celui-ci ne s'abandonnait point au providence, en s'abaissant jusqu'à lui parler :

chagrin, à l'inditTérence, au désespoir, mais Je suis ton Dieu, cherche à me plaire et à être
nourrissait toujours sa piété par son espé- irréprochable ; je mettrai mon alliance entre
rance, Or, pour apprécier toute la vertu du toi et moi, abondamment.
et je te multiplierai
patriarche, il estbon de savoir combien il Et Abram tomba sur sa face. Quelle recon-
a vécu. C'est ce que nous dit clairement le naissance de la part du juste, quelle bonté de
bienheureux Moïse, inspiré du Saint-Esprit, la part de Dieu 1 Je suis ton Dieu. C'est comme
Que dit-il donc? Quand le juste eut obéi aux s'il disait : c'est moi qui ai veillé sur toi jus-
ordres de Dieu et quitté Charran pour aller qu'à présent ; c'est moi qui t'ai amené de Ion
dans la terre de Chanaan, il avait soixante-dix pays jusqu'ici, qui t'ai soutenu dans tous les
ans. Aussitôt qu'il fut venu dans cette terre, temps et qui t'ai rendu vainqueur de tes en-
,

Dieu lui promit qu'il la donnerait tout entière nemis : c'est moi qui ai fait cela ! Il ne dit pas :

à sa race, laquelle se multi|)lierait au point je suis Dieu, mais^es^/s ton Dieu. Voyez quelle
d'être innombrable comme le sable et les immense bonté comme par l'addition de ce
1

étoiles. Après cette promesse, il arriva au juste mot, il exprime son amour pour le juste C'est !

bien des aventures, sa descente en Egypte à le Dieu de toute la terre l'ouvrier dont la ,

cause de la famine, l'enlèvement de Sara, suivi main a tout fait, le Créateur du ciel et de !a
aussitôt d'un effet de la divine providence, son terre , c'est lui-même qui dit : Je suis ton
266 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEM CHRYSOSTOME.

Dieu 1 quel honneur pour le juste 1 c'est ainsi face. Le juste n'osait plus jeter les yeux sur
aux prophètes. Sans doute, alors
qu'il parle et lui-même et sur la faibksse de sa nature; il

maintenant, il est le Seigneur de tous, et n'osait se relever mais son abaissement mon-
,

néanmoins il daigne se désigner par le nom trait son respect voyez maintenant combien
:

d'un serviteur, et nous l'entendrons dire en- Dieu l'appréciait. Dieu lui parla, disant fai :

core Je suis le Dieu d'Abraham


: le Dieu ,
fait une alliance avec to' et tu seras le père
d'Jsaac et le Dieu de Jacob. (Exod. m. G.) dune multitude de nations : tu ne t'appellei'as
Aussi les prophètes disent d'ordinaire : Dieu^ plus Abram, mais Abraham, parce que je fai
mon Dieu, non pour restreindre dans les li- établi pour être le père de plusieurs peuples
mites de leur propre personne , la domi- et je te ferai croître : je ferai sortir de toi des
nation de Dieu, mais pour montrer jusqu'où nations et même des rois.

allait leur amour. Cela ne doit pas nous 3. Considérez, mes bien aimés, la clarté de ces
étonner de la part des hommes, mais de la prédictions faite? au juste; voyez que pour les
part de Dieu lui-même cela peut nous pa- confirmer, il ajoute une lettre <à son nom , et
N'en soyons
raître étrange et extraordinaire. dit : Tu seras le père d'une multitude de na-
pas surpris mes bien-aimés, mais écoutons
,
tiojis : tu ne t'appelleras pha Abram , mais
les paroles du Prophète Mieux vaut un seul : Abraham , parce que je t'ai établi pour être
homme qui observe la volonté du Seigneur, le père de plusieurs peuples. En effet, son pre-
que mille qui la transgressent (Eccl. xvi mier nom indique ses voyages ( car Abram si-

3) écoulons aussi les paroles de saint Paul


; : gnifie voijageur, comiwQ le savent ceux qui con-
Ils portaient des peaux de brebis, de chè- naissent l'hébreu) ; ses parents l'avaient appelé

vres , ils étaient indigents , tourmentés , af- ainsi quand il partit pour la terre de Chanaan.
fligés, et le monde n était pas digne de les pos- On dira peut-être : ses parents étant infidèles,
séder. (Héb. XI, 37, 38.) d'oij leur venait cette piescience dindicjuer
Ainsi le Prophète dit qu'un seul homme fai- l'avenir par le nom
donnaient? C'est là qu'ils

sant la volonté de Dieu vaut mieux que mille une ressource de de Dieu qui agit
la sagesse ,

qui s'en écartent, et saint Paul, le docteur de souvent par l'entremise des infidèles et nous
la terre, rappelant tous les hommes de bien en trouvons bien d'autres exemples. Le pre-
dont il connaît les souffrances, dit encore Le : mier qui nous vient à lesprit est le nom de
monde n'était pas digne de les posséder. D'un Noé. Ce n'est pas sans raison ni au hasard
,

côté il met le monde de l'autre ceux


entier , que ses parents lui avaient donné ce nom ils ;

qui souffrent pour nous apprendre toute la présageaient que, dans cinq cents ans, devait
puissance de la vertu. Aussi le Créateur dit au venir le que son père lut
déluge. Ce n'est [)as

patriarche Je suis ton Dieu ; cherche à me


: lui-même un a donné ce nom
juste parce (ju'il

plaire et à être irréprochable. Je te tiendrai à son fils, car l'Ecriture sainte nous apprend
compte des efforts de ta vertu ;
je ferai utie (jue dans cette génération Noé seul fut un ,

alliance entj^e toi et moi, et je te multiplierai juste accompli. (Gen. vi . 9.) Si son père La-
abondamment. Non-seulement je te multiplie- mech lui avait olfert le modèle des vertus
rai, mais, «^om/rtWîw^e/?^, ce qui indique une l'Ecriture ne l'aurait point passé sous silence,
grande |)0stérité ce iju'il avait exprimé anté-
: et Noé !=eul était juste. Vou-
n'aurait pas dit :

rieurement par la comparaison du sable et des lant donner un nom à son fils il dit // s'ap- , :

astres, il l'exprime maintenant par ce mot : pellera Noé; il nous donnera le repos après
abondamment. Ce serviteur i)i(Mix et recon- jîos travaux et ta fatigue de nos mains sur ,

naissant, voyant que Dieu s'abaissait justiu'ù cette terre que le Scig)ieur Dieu a maudite.
prendre un soin pareil, fut énui en songe;uit (Gen. v, 29.) D'où venait, dites-moi, cette pres-
à la faiblesse de sa nature , à la bonté de Dieu, cience d'un avenir si éloigné? // s'appellera
et à sa puissance infinie. Il tomba sur sa face ; Noé ; il 7iot(s donnera le repos, Noé, en hé-
ce (jui montrait bien foute sa reconnaissance. breu, signifie, repos. Citait lui, lorsque la
Une ne lui inspira pas d'arro-
pareille faveur terre serait envahie par le déluge, qui devait
gance ni d'orgueil, mais une nouvelle humilité : seul se sauver et renouveler la race humaine :

// tomba sur sa face. Toile est la véritable re- aussi est-il dit : // nous donnera le rcpo^ ;qc
connaissance (jui honore Dieu d'autant plus mot de repos signifiant ici le déluge. En effet,

qu'elle en est plus favorisée. // to?nba sur sa la terre était comme fatiguée par la perversité
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — TRENTE-NEUVIÈME HOMÉLIE. 207

de SCS liabitanls (jumelle supportait avec peine ,


en possession perpétuelle cette terre de Cha-
lorsque le délu^^e, par invasion des
la terrible naan, et je serai leur Dieu. Que veut dire, je
eaux, mit fin à celte perversité, délivra la serai leur Dieu? Cela signifie : J'étendrai sur
terre de la souillure de ses habitants et les pu- eux mes soins ma protection et je combattrai
et
nit en donnant le repos
lui Car la mort est : toujours avec eux. Seulement tu garderas mon
le repos pour V homme. (Job, m, 23.) Vous voyez alliance, toi et ta postérité après toi dans toutes
donc que Dieu fait souvent prédire môme par les générations. Je ne vous demande rien que
les infnlèle?. Quant au nom que les parents du l'obéissance et la reconnaissance, et j'accom-
patriarche lui avaient donné on en sait la , plirai toutes mes promesses.
cause dès l'origine, lorsqu'il passa le fleuve A. Voulant se faire un peuple à lui des fils du
pour aller dans une terre étrangère. patriarche et les empêcher de se mêler, après
Maintenant Dieu lui dit tes parents : t'ont qu'ils se seraient multipliés, aux nations dont
donné ce nom pour présager (jue tu devais ilsdevaient recueillir l'héritage; voulant aussi
venir ici j'y ajoute une lettre pour rappren-
: éviter ce mélange en Egypte, où, d'après sa
dre que tu seras père d'une multitude de na- prédiction, ils devaient être asservis, il ordonne
tions. Voyez dans ces paroles.
([uelle précision au juste la circoncision, comme signe de re-
11 ne dit pas de toutes les nations mais d'une , : connaissance, et lui dit : Voici mon alliance
multitude de nations. Comme d'autres peuples cfie tu garderas entre moi et toi, aifisi que ta
devaient être mis à l'écart, pour que la race du race pendant toutes les générations. Que chaque
juste eût seule part à son héritage , Dieu dit : mâle soit circoncis. Vous circoncirez la chair
Je t'ai établi pour être père (Viine multitude de votre prépuce . Ensuite pour leur enseigner,
de nations; connaissant toute ta vertu je me ainsi qu'à nous tous, la raison de cet ordre ,

servirai de toi pour instruire le monde tj-'e /e qui n'avait d'autre cause que de se faire un
multiplierai de plus en plus et je ferai sortir de peuple réservé et mis à part, il dit : Ce sera la
toi des peuples et mêtnedcs rois. Arrêtons-nous marciue de Vaillance entre moi et vous. Après
sur ces paroles, mes bien-aimés. En songeant cela, il indique le temps où cela doit se faire :

à l'âge du juste et k son extrême vieillesse, Circoncisez le garçon de huit jours Je serviteur
nous admirerons sa foi et la puissance de Dieu : né dans la maison, ou V esclave acheté ; en uji
d'un homme déjà mort, pour ainsi dire, et im- mot, tous ceux cpti sont avec vous recevront
puissant en apparence, (jui devait avoir tou- cette marque. Celui qui n'aura pas été circoncis
jours lamort devant les yeux , Dieu prédit dans le temps prescrit périra, parce qu'il aura
qu'il sortira une race innombrable et plusieurs violé mon alliance.
nations , même jusqu'à des rois. Voyez la sagesse du Seigneur comme il
!

Voyez rétendue de ces promesses Je te mul- : connaissait l'imperfection des hommes à venir,
tiplierai de plus en plus. Ce mot est répété pour il leur impose comme un frein cette marque
indiquer l'immense multitude qui doit naître de pour dompter leurs mauvais
la circoncision,
du juste. Ainsi l'addition d'une lettre est comme penchants et les empêcher de se mêler aux
une colonne où Dieu inscrit sa promesse, et il autres nations. Il connaissait leur penchant au
dit de nouveau Je ferai une alliance entre toi
: mal, et savait que, malgré une fonle d'aver-
et moi^ et avec ta pof^tcrité après toi dans toutes tissements, leurs mauvaises passions ne seraient
les générations^ comme une alliance éternelle^ point enchaînées. Aussi, comme souvenir im-
pour que je sois ton Dieu. Non-seulement je périssable, il leur imposa ce signe de la circon-
t'accorderai ma protection, mais aussi àta race cision, comme un lien qui les soumît à des
et après ta mort. Voyez comme il relève l'esprit lois infranchissables, pour rester fidèles à leur
du juste en lui promettant ([u'il soutiendra nation et ne jamais se mêler aux autres peuples,
toujours ses descendants. Et pourquoi cette afin que la race du patriarche restât pure et
alliance ? Pour que je sois ton Dieu, et celui de reçût l'accomplissement des promesses divines.
ta race après toi. Ce sera pour toi et ta race le De même qu'un homme doux et sage qui a une
comble de l'honneur. Je te donnerai à toi et à servante portée à désobéir, lui donne l'ordre
ta race la terre que tu habites, toute la terre de précis de ne point quitter la maison, et que
Chanaan, en possession perpétuelle, et je serai quelquefois même il l'enchaîne pour contenir
leur Dieu. Grâce à ta vertu, tes descendants son instinct vagabond de même Dieu, dan,; ;

jouiront de ma providence et je leur donnerai sa bonté, leur imposa le signe de la circoncision


2G8 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

comme une entravr, pfm que cette marque loureuse; l'autre, pour indiquer que ce n'est
particulière les emprchâl d'aller rien chercher qu'une marque, sans utilité pour l'âme. L'en-
chez les autres. fant nouveau-né, qui ne connaît et ne com-
Mais les Juifs ic^-^rats et insensés veulent prend rien, quel avantage peut-il en recevoir?
garder encore la circoncision dont il n'est plus Ce qui peut être bon pour l'âme lui arrive par
besoin, et montrent ainsi leur puérilité. En son propre choix. Ce qui e.4 bon |)Our l'âme, c'est
effet, pour quelle raison, dites-moi, veulent- de préférer la vertu au vice, c'est de ne désirer
ils maintenant èlre circoncis? Alors ils avaient que le nécessaire, et de distribuer le superflu
reçu ce précepte pour ne pas se mêler aux na- aux indigents; ce qui est bon pour l'âme, c'est
tions impies, mais maintenant que la grâce de de ne pas s'attacher au pi ésent et même de le
Dieu les a toutes amenées à la lumière de la mépriser, en pensant toujours à l'avenir. Quel
vérité, à quoi sert la circoncision ? Cet enlève- bien peut-il y avoir dans un signe charnel?
ment d'un morceau de chair peut-il servir à Mais les Juifs ingrats et in ensés, quand la vérité
délivrer notre âme ? N'ont-ils donc pas com- a passé, restent encore dans l'ombre tandis ;

pris ([ue si Dieu leur disait : ce sera le signe de que le Soleil de la justice s'est levé et a répandu
r alliance^ il voulait dire que leur faiblesse partout ses rayons, ils ne s'éclairent qu'à la
réclamait une marque particulière? C'est ce lueur de leur lampe; lorsqu'il est temps de
qui arrive d'ordinaire dans les choses humai- goûter des aliments solides, ils se nourrissent
nes. Quand nous doutons de quelqu'un, nous encore de lait et ne veulent pas entendre la
réclamons une preuve qui nous assure de sa voix de saint Paul, qui leur dit dune manière
bonne foi. De môme le Tout-Puissant, con- si puissante, au sujet de leur patriaiche : //

naissant l'inconstance de leur esprit, exigea j'eçnt la marque de la circoncision comme le

d'eux ce signe, non pour le conserver tou- signe delà justice qu'il avait eue par la foi.
jours, mais pour qu'il disparût quand la loi (Rom. IV, 11.)
antique aurait pris que ce signe serait
fin et Voyez comme l'Apôtre nous montre que ce
devenu inutile. Ceux qui ont réclame une n'était qu'un signe, et que cette circoncision

preuve de bonne foi la laissent de côté quand montrait que sa foi l'avait justifié. Qu'un juif
l'atVaire est terminée ; de même ici , cette n'ose pas nous dire n'est-ce point lacirconcision
:

mariiue avait été introduite parmi vous pour qui l'a justifié? le même saint, élevé par Gama-
distinguer la i)Ostérité du patriarche mais ;
liel (Aef. xxii, 3) et, connaissant si profondé-
a|»rès que ces nations dont vous étiez ainsi sé- ment la loi, lui dira : Ne croyez pas, juifs im-
parées ont été, les unes détruites, les autres pudents, que la circoncision fasse quelque
appelées au grand jour de la vérité, cessez de chose pour justifier, car, avant ce temps,
[)orter lapreuve de votre faiblesse et revenez à Abraham crut à Dieu et sa foi lui fut réputée
votre nature primitive. Songez en effet que cet à justice. (Rom. iv, 3.) C'est donc après avoir

honnnc admirable, c'est-à-dire le patriarche, été justifié par sa foi qu'il reçut la circoncision.
avant d'avoir reçu l'ordre de la circoncision Dieu commence par ajouter une lettre à son
(il était alors âgé de quatre-vingt-dix-neuf nom, ordonne de se circoncire, ce qui
i)uis lui

ans), avait été agréable à Dieu et avait été mille montre que le Seigneur l'a adopté pour sa
fois loué p;ir le Seigneur. Maintenant que les vertu, ainsi que sa postérité. De même que
promesHCs allaient s'accomi)lir, ipi'lsaae allait celui (jui a acheté un enclave, change souvent
venir au monde, cpie la race allait s'accroître son nom et son costume, pour constater (juil
et que le patriarche approchait de sa fin, il en est le maître et qu'il peut lui commander;
reçoit le |)réceple de la circoncision, et lui- de même le vSeigneurde toutes choses, voulant
même s'y soumet à son âge alin que son , distinguer le patriarche des ai. très hommes,
exemple devienne une règle pour ses descen- ajoute une lettre à son nuii pour faire voir
dants. (ju'il sera père d'une multitude infinie, puis il

5. Les faits eux-mêmes vous montreront, circoncire pour le séparer, ainsi que son
le fait

mes bien-ainiés, (pie cet usage ne sert en rien peuple, des autres nations. Ceux dont l'aveu-
à l'âme. Que dit Dieu? Le garçon de /ndt Jours glement veut encore la couserver, n'écoulent
sera circoncis. Je crois qu'il a eu deux raisons pas ces autres paroles de saint Paul Si vous :

de prescrire ce ternie ; l'une parce »|ue, dans vous faites circoncire, le Cla-isf ne vous servira
\m âge si tendre, l'opération est moins dou- de rien. ^Galat. v, -l.) En ell'el, le Seigneur est
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. - QUARANTIÈME HOMÉLIE. 209

\cn\i pour supprimer celte pratique, et la loi ce que faisait la circoncision de la chair, le
étant accomplie, l'observation de la loi doit baptême le fait en supprimant nos péchés.

finir; aussi saint PaulSi vous vous jus-


dit-il : Une que nous nous en sommes dépouillés
fois

tifiez par la loi, vous perdez la grâce. (Gai. et que nous avons revêtu la robe de pureté,
V, 4.) Obéissons donc à ce saint, et ne prati- persévérons, mesbien-aimés, dans cette pureté,
quons plus la circoncision, car il a dit : Vous et restons supérieurs aux affections de la chair,
avez été circoncis, non point dans la chair, en embrassant la vertu. Et nous, qui sommes
mais par le retranchement des péchés de la sous la grâce, prenons pour modèle celui qui
chair; c'est la circoncision du Christ. (Colos. a vécu sous la loi et même avant la loi. En
11,11.) dirigeant notre vie d'après la sienne, nous
Ce signe de la circoncision séparait les Juifs mériterons de nous retrouver dans son sein
des autres nations, et montrait que Dieu les et de jouir des biens éternels, par la grâce
avait choisis en particulier; de même notre et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ,
circoncision par baptême montre mieux la
le auquel, ainsi qu'au Père et au Saint-Esprit,
et des infidèles. Nous ne
séparation des fidèles gloire, puissance et honneur, maintenant et
sommes point circoncis dans la chair, mais par toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi
le retranchement des péchés de la chair. Car soit-il.

QUARANTIEME HOMÉLIE.
Et Dieu dit à Abraham : < Sara ta femme ne s'appellera plue Sara, mais Sarra sera son nom. (Gen, XXII. 1.)

ftlALTSL

1. Résumé de l'homélie précédente. Bénédiction de Dieu sur Sara qui se nommera désormais Sarra. — 2. La fldélitô d'Abraham
amplement récompensée. Naissance miraculeuse d'Isaac uetlcment prédite. —3 et 4. Exhortation morale.

j
1. Nous allons vous présenter les
restes de C'est qu'ils sont divins et spirituels, qu'ils ne
terminer aujourd'hui ce que
la table d'hier, et souffrent rien du temps, qu'ils deviennent de
nous avions à dire sur la bénédiction et la jour en jour plus agréables et causent plus de
promesse dont le Tout- Puissant honora le pa- joie à ceux qui veulent en profiter. Puisque
triarche. Mais dans ces restes de table ne com- ces restes ont tant d'efficacité, préparez-vous à
prenez point des restes matériels : ceux-ci ne les recevoirde tout votre cœur, et nous mê-
ressemblent en rien à ceux d'un festin spiri- mes, confiants dans leur puissance, offrons-
tuel. Les uns, quand
ils sont refroidis, n'ont les à votre recueillement.
plus la même saveur pour les convives, et si Mais pour que cette instruction vous pa-
on les garde un jour ou deux, ils ne peuvent raisse plus claire, il faut vous rappeler celle
plus servir. Les autres, lorsqu'on les garde un d'hier pour exposer avec ordre ce que nous
joiu- ou deux, et tant qu'on veut, servent tou- devons développer. Nous avons parlé hier du
jours aussi bien et donnent autant de plaisir. précepte de la circoncision, et ces paroles que
270 TRADUCTION FRANÇAÏSE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

Dieu adresse au patriarche : Tout mâle sera d'elle, ef je le bénirai, et il gouvernera les na-
circoncis chez vous, et ce sera le signe de l'al- tions; i>uis, de plus : les rois des nations sor-
liance entre moi et vous. Le garçon de huit tiront de lui; ne sachant que dire (car un
jours sera circoncis. Et si quelqu'un n'est pas homme aussi pieux ne pouvait douter des pa-

circoncis^ son âme périra, parce qu'il aura roles de Dieu ), songeant à sa vieillesse et à la

violé mon alliance. Nous avons terminé là ce stérilité persi.-tante de Sara, anéanti et stupé-

que nous avons dit de la circoncision ;


et, afin fait par la promesse de Dieu^ il tomba sur sa
de ne pas vous fatiguer l'esprit par trop de pa- face et se mit à rire.
roles, nous ne sommes pas allé plus loin. En 2. Devant cette promesse inouïe, devant la

effet, notre seule intention n'est pas de parler puissance de celui qui la faisait , il tomba sur
beaucoup et puis de parlir; nous voulons me- sa face et se mit à rire , c'est-a-dire qu'il fut
surer à vos forces riustruction contenue dans rempli de joie. Il cherchait dans ses réflexions
nos discours, afin que vous rapportiez chez comment il pouvait s'accorder avec l'ordre des
vous quelque fruit de nos paroles. Voici donc choses humaines qu'un centenaire eût un fils

les restes de ce discours nous allons voir ; et qu'une femme stérile et nonagénaire devînt
après le précepte de la circoncision, ce que le tout à coup féconde. Telles étaient ses pensées,
Dieu de bonté dit au patri.irche. Et Dieu dit à mais sa langue n'osait les énoncer; seulement
Abraham : Sara ta femme ne s'appellera plus il montra sa reconnaissance en priant pour
Sara, mais Sarra sera son nom. De môme Ismaël, comme s'il disait Seigneur, vous :

qu'en ajoutant une lettre à ton nom, j'ai mon- m'avez assez consolé et vous avez changé en
tré que tu serais père de beaucoup de nations, joie par la naissance d'Ismaël la douleur que

de même j'ajoute une lettre à celui de Sara, j'avais d'être sans postérité. Après sa naissance
afin de faire voir que le temps approche où les je n'ai jamais cru ni même imaginé que j'au-
promesses que je t'ai faites autrefois seraient rais unde Sara elle-même ne s'y atten-
fils ;

accomplies. Sarra sera son îiom. .Je la bénirai dait pas eten avait abandonné toute espérance,
et je te donnerai un fils d'elle, et je le bénirai, puisqu'elle m'avait donné Agar. Nous avons
et il sera le chef d'une nation, et les rois des eu tous deux une grande consolation par la
natio7is sortiront de lui. J'ai ajoutéune lettre naissance d'Ismaël. Que ce fils, qui m'a été
pour t'apprendre que toutes mes paroles vont donné par vous, vive devant votre face, et
se réaliser. Ne te décourage pas en songeant nous aurons assez de bonheur, et sa présence
à la faiblesse de la nature, mais considère plu- consolera notre vieillesse. Que répond à cela
tôt jusqu'où va ma puissance et prends con- ce Seigneur si bon? Comme il avait éprouvé
fiance à ce que j'ai dit : Je la bénirai et je te depuis longtemps la piété du juste et la foi de
donnerai un fils d'elle^ et je le bénirai, et il Sara, comme il voyait qu'ils n'attendaient rien
gouvernera les nations et les rois des nations
,
d'eux-mêmes, l'un à cause de sa vieillesse,
sortiront de lui. l'autre a cause de son âge et de sa stérilité , il

Une pareille prédiction dépassait la nature dit, cela vous paraît complètement impossible :

humaine; c'était comme si l'on avait pron)is c'est pour cela que j'ai attendu si longtemps ;

de faire des hommes avec des pierres. Car ils vous saurez ainsi (jue les faveurs dont je dis-
ne dilleraient en rien des pierres au point de pose sont bien au-dessus de la nature humaine ;

vue de la génération. La vieillesse du patriar- tout le monde saura comme vous par ce^ pro-
che le rendait prescjue impuissant et incapable diges que je suis le Maître de la nature, (ju'ella
d'avoir des enfants; (juant à Sara, outre sa sté- obéit à toutes mes volontés et cède à tous mes
rilité, elle était beaucoup trop avancée en âge. ordres. Moi qui ai tiré lètre du néant je j.uis, ,

Mais le juste, lorsqii'il entendit ces paroles, à bien plus forte raison, corriger la nature
étaitpersuadé (jue Dieu avait déjà réalisé sa <piand elle est imparfaite. Vour te donner con-
promesse à propos (rismaël. En ctlet, dans ces fiance, écoute et rassure-toi. re(,'ois un gage
paroles : à ta
Je donnerai cette terre à toi et certain de ma parole. Voici ta femme Sara,
race , Dieu n'indicpiait pas d'une manière »jue tu crois incapable d'enfanter à cause de sa
précise le fils tpie Sara devait avoir Abra- , '^térililé et de sa vieillesse elle le donnera un
:

ham croyait donc que la promesse était déjà fils, et pour que tu n'en doutes pas, je te dirai
acccmiplie. Maintenant, quand le Seigneur lui même son nom d'avance. Ton lils encore à
dit Je bénirai Sarra et je te donnerai un fils
: naître s'appellera Isaac. Je ferai alliance aveo
lïOJfl'LIES SUR LA GENÈSE. — QUARANTIÈME HdMKLIE. 271

luipour toujours et avec sa race après bd. dépendait de lui, il accepta tout de bonne
que je t'ai promis d'abord et dès le
C'est lui grâce, le plaisir et le déplaisir ;aussi le Dieu
commencement et c\isl en lui que mes [)ro-
, de boulé lui accorda enfin le premier de tous
messes seront accomplies. Je te préviens de les biens, celui (lu'il désirait p;ir-dessus tout.
tout cela, non-seulement parce qu'il doit naî- Remarquez, en effet, qu'il a éprouvé pendant
tre, mais pour(jue tu saches comment tu rap- vingt-cjuatre ansla vertu du juste Car lorsqu'il 1

pelleras et ([ue j'ai fait alliance, non-seulement sortit de Charran pour obéir au Seigneur, il

avec lui , mais avec sa race après lui. Ensuite avait soixante-quinze ans, et maintenant, quand
ce Dieu dont les bienfaits dépassent toujours Dieu lui parla encore, il ne lui fallait qu'un an
nos prières, ayant ainsi fortifié l'esprit du juste pour être centenaire.
et l'ayant presque rajeuni par ses promesses, 3. Que cette histoire, mes bien-aimés, nous

puisqu'il l'avait pour ainsi dire ramené, par apprenne à être, toujours résignés et à ne ,

ses paroles de la mort à la vie et même à.


, jamais nous laisser abattre ni décourager par
la fécondité lui dit pour comble de libé-
, les épreuves de la vertu comprenons par là ;

ralité J'accomplirai loutes ces promesses et


: toute la bonté et la générosité du Seigneur
je t'accorderai en outre ce que tu m'as de- qui, pour une petite offrande, nous accorde
mandé pour Ismacl car j'ai entendu ta
, une grande récompense, non-seulement par
prière. Je le bénirai ; je l'accroîtrai et le les biens immortels de l'avenir, mais en nous
multiplierai de plus en plus. Il engendrera comblant de ses faveurs pour soulager notre
douze nations et je l'établirai sur un grand faiblesse dans ce monde. Ainsi notre patriarche,
peuple. Puiscpi'il est ta race, je l'accroUrai et pendant cet espace de temps, eut sans doute à
je le mulli|)lierai abondamment
au [)oint de , supporter de rudes épreuves, mais sesadversilts
faire sortir de lui douze nations. Mais je ferai étaient toujours entremêlées de moments heu-
mon alliance avec Isaac, que Sara t'enfantera reux. Car le Tout-Puissant, indulgent pour
à celte même époque, dans un an. notre faiblesse, ne nous abandonne pas au mi-
Ici, je vous prie, ^oyez, mes bien-aimés, lieu des adversités qu'il nous serait impossible
comment le juste reçut en un instant la ré- de supporter ; il se hâte de venir à notre
compense de toute sa vie, et comment fut ac- secours, ranime notre courage et rappelle
il

com|)li en lui ce que lo Christ disait à ses dis- notre raison de même il ne nous laisse ))as
;

ciples : Celui qui laissera père, mère, famille trop longtemps dans la prospérité qui nous
et frères en mon nom , recevra le centuple et rendrait négligents et favoriserait nos mauvaises
gagnera la vie éternelle. (Malth. xix, 29.) Son- inclinations. En effet, la nature humaine, au
gez, je vous prie, à notre juste qui obéit sans milieu de la prospérité, s'oublie (luelquefois, et
retard à l'ordre du Seigneur et préféra une sort des bornes qui lui conviennent aussi notre ;

autre terre à sa patrie, voyez comme sa rési- Père qui nous aime, tantôt nous favorise et
gnation continuelle l'éleva peu à peu au comble tantôt nous éprouve, afin de veiller de toute
de la vertu, comme il devint illustre et célèbre manière à notre salut. De même qu'un méde-
et comment le nombre de ses descendants put cin, lorsqu'il soigne un malade, ne le soumet
être comparé à celui des étoiles. Si l'on pouvait pas toujours à la diète et ne lui laisse pas tou-
calculer à la rigueur, on trouverait cjue le juste jours satisfaire sa faim, de peur que son avidité
n'a pas été récompensé cent fois, mais dix mille n'augmente sa fièvre ou que la privation ne
fois. S'il a été honoré jusqu'à présent de tant de l'affaiblisse ; il ménage les forces du malade, et
bienfaits, quelle voix pourra jamais raconter il em.ploie tout son art à lui être utile. C'est
ceux qui vont suivre? Le mieux est de le dire, ainsique le bon Dieu, sachant ce qui convient
autant que possible, d'un seul mot. Si l'on à chacun de nous , tantôt nous fait jouir
vous dit que tous les justes, depuis cette époque de la prospérité, tantôt nous soumet à des
Jusqu'à la nôtre et jusqu'à la consommation épreuves pour nous exercer à la vertu. Ceux
des temps, n'ont eu et n'auront d'autre désir dont le mérite est déjà digne d'éloges brillent
que de reposer dans le sein du patriarche, que d'un nouvel éclat au milieu des épreuves et
peut-on dire de plus glorieux pour lui ? Vous reçoivent une nouvelle grâce d'en-haut; en
avez apprécié sa résignation, sa vertu, sa piété même temps les pécheurs (}ui acceptent de bon
et toute sa recounaii^sance pour les bienfaits du cœur ces épreuves, sont délivrés du fardeau de
Seigneur. Quand il le f dlait, il fit tout ce qui leurs péchés, et obtiennent leur pardon. Aussi,
275 TRADUCTION FRA?(ÇAISE DE SMNT JEAN CHRYSOSTOME.

je vous en supplie, connaissant rinlelligence et Lui-même fut circoncis. // avait quatre-vingt-


la sagesse du médecin de nos âmes, ne discutons dix-neuf ans , quand il coupa la chair de son
jamais les soins qu'il nous donne. Si notre •prépuce. Ismaël avait alors treize ans. Ce
esprit ne peut les comprendre, c'est une raison n'est pas sans raison que l'Ecriture rapporte
de plus pour admirer les desseins de Dieu et de ici le nombre de ses années; c'est pour mon-
glorifier le Seigneur, dont notre raison et la trer la grande obéissance du juste qui était
pensée humaine ne peut apprécier la sagesse. alors dans l'extrême vieillesse et qui supporta
Nous ne savons pas aussi bien que lui ce qui volontiers la douleur pour accomplir l'ordre
nous convient nous ne veillons pas à notre
; de Dieu aussi on compte non-seulement lui,
;

salut comme il y veille lui-même, car il fait mais Ismaël et tous ses serviteurs; Topération
tous ses eflOrts pour nous attirer à la vertu et dut être pénible. Ce n'est pas la même chose,
nous sauver des mains du démon. S'il voit que mes bien-aimés de couper une , chair saine et
la prospérité ne nous est pas avantageuse, il une chair malade quand les médecins cou- ;

fait comme un bon médecin qui nous soigne pent un membre malade la douleur n'est pas
dans l'obésité produite par notre gourmandise si grande car ce membre déjà mort pour
, ,

et qui nous guérit par la sobriété. De même cet ainsi dire , n'a plus qu'un reste de sensibilité
admirable médecin de nos âmes permet que au moment de l'amputation. Or, ce vieillard
nous soyons un peu éprouvés pour nous faire si avancé en âge, car il touchait à ses cent ans,

comprendre les dangers de la prospérité, mais supporta volontiers cette douleur, afin dobéir
quand il voit que nous sommes revenus à la à Dieu en même temps il disposa son fils et
;

santé, il nous délivre de nos épreuves et nous ses serviteurs à montrer sans hésitation la même
accorde ses faveurs avec abondance. Si donc obéissance. Voyez quelle vertu chez cet homme,
des personnes vertueuses sont soumises à et comme il engage toute sa maison à suivre
quelques épreuves, qu'elles ne s'en troublent ses traces. Ce que je disais hier, je le répète
pas, mais qu'elles en conçoivent une meilleure aujourd'hui à partir de ce moment Dieu vou-
;

espérance , et qu'elles les regardent comme lut que cette opération fût pratiquée sur les
l'origine de couronnes et de récompenses nou- enfants en bas-âge, afin qu'elle fût moins
velles. Si des pécheurs tombent dans l'adversité douloureuse.
qu'ilsne se révoltent point, sachant que les Considérez, mes bien-aimés, la bonté de
péchés sont purifiés par le malheur, pourvu Dieu et son ineffable bienfaisance à notre
qu'on accepte tout de bonne grâce. En effet, égard. Cette circoncision entraînait de dou- la
un serviteur reconnaissant doit remercier son leur et de gêne du reste elle n'avait d'autre
la ;

maître, non-seulement (juand il en reçoit tout avantage (lue de faire reconnaître ceux (pii
à souhait, mais aussi dans les privations. C'est l'avaient reçue et de les séparer des autres na-
ainsi que le patriarche devint illustre et fut tions. Notre circoncision, je veux dire la grâce
honoré de la faveur de Dieu (pii lui prodigua du baptême, nous guérit sans douleur et nous
des bienfaits au-dessus de la nature luiniaine. procure des biens innombrables elle nousrem- ;

ï. Il maintenant re|)rendre la suite de


faut plit de la grâce du Saint-Esprit et peut se faire
notre discourset remarquer robéissancedujuste à toutes les épocjues. On peut pratiquer dans
qui exécuta l'ordre de Dieu sans en rechercher l'enfance, dans l'àge mûr et dans la vieilk'sse
la raison et sans en demander la cause, comme cette circoncision immatérielle et inofïensive
font tant d'insensés qui discutent ks œuvres qui nous délivre de nos péchés et nous fait
de Dieu, et disent pourquoi ceci? pourquoi obtenir la rémission de ceux de toute notre vie.
cela? à (juoi sert ceci, à (|uoi sert cela? Til Le bon Dieu, voyant l'excès de notre faiblesse,
n'était pus le juste; comme un serviteur dé- et recor naissantque nos maux intural)les ré-
voué, il accomplit l'ordr»; sans chercher au clamaient un remède héroïque, ainsi qu'une
delà, vous allez encore le voir par ce qui suit. suprême induljieiue, prit soin de notre salut
Après que le Seigneur lui eut fait la promesse et nous accorda de laver ainsi nos péchés et
cl eut achevé (le lui |iarlor, le juste fit au^sitôt de régénérer notre âme par là, nous dépouil- ;

ce (jui lui était commandé, et cette marque lons le vieil homme, c'est-à-dire les œuvres du
exigée par Dieu , c'est-à dire la circoncision , il mal v[
, nous revêtons l'homme nouveau,
la lit aussitôt subira Ismai'l et a tous ks sorvi- en marchant dans la route de la vertu. Mais, je
teurs nés à la maison ou achetés à l'étranger. vous en conjure , ne restons pas intérieurs
HOMÉLIES SL'R LA GENÈSE. — QUARANTIÈME HOMÉLIE. 273

aux Juifs, inj^rats et insensés. Ceux-ci, ayant qui peuvent nous voir. Si nous sommes ver-
reçu la marque de la circoncision, avaient tueux, nous en retuerons un grand avantage,
grand soin de ne pas ressembler aux autres na- et en même
temps nous serons utiles aux infi-
tions du moins de ne pas avoir de relations
; dèles; de même,
si nous négligeons notre con-

avec elles; car, quant à l'impiété, ils les dé- duite, nous en serons sévèrenrent punis, et nous
passaient quel(iuefois. Pour nous, quand nous deviendrons pour les autres une occasion de
avons reçu le baptême, au lieu de circonci- scandale. Ainsi, lorsque nous pratiquons la
sion, veillons avec soin sur notre conduite. vertu, nous en sommes deux fois récom[)ensés
Sans doute nous pouvons nous mêler aux infi- par Dieu, d'abord pour notre compte et ensuite
dèles, mais en reslant fidèles à nos vertus, et à cause de ceux (jue nous engageons à la prati-
nous ne devons communiiiuer avec eux que quer aussi de môme, si nous faisons le mal,
;

pour les attirer à la piété et afin que rexemi)le nous serons punis non-seulement pour nos
,

de nos bonnes œuvres soit un enseignement propres péchés, mais pour ceux où nous en-
pour eux. Aussi le Tout-Puissant a permis ce traînons les autres. A Dieu ne plaise qu'aucune
mélange des bons et des mécbants des hom- , des personnes présentes se trouve dans celte
mes i)ieux et des impies, afin que les méchants situation mais réglons notre conduite de ma-
;

profitent avec les bons et que les impies soient nière à édifier ceux qui nous voient, afin de
amenés à la piété car Dieu n'a rien tant à
; pouvoir nous présenter avec confiance devant
cœur que le salut de notre âme. Aussi, je vous le tribunal du Christ et mériter ses biens infi-
en conjure, ne négligeons pas notre salut, ni nis ;
puisse-t-il en être ainsi pour nous tous, par
celui du prochain; taisons tout ce qui dépend la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-
de nous pour que notre conduite plaise à Dieu ;
Christ, auquel , ainsi qu'au Père et au Saint-
quant au prochain, faisons tellement éclater Esprit, gloire, puissance, honneur, mainte-
notre vertu que même en gardant le silence,
, nant et toujours, et dans les siècles des siècles.
notre exemple soit une leçon pour tous ceux Ainsi soit-il.

S. J. Ce. — Tome V. 18
m TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSÏOME;

QUARANTE-UNIÈME HOMÉLIE.

« Dieo apparut h Abraham, prèa du chêne de Mambré, lorsqu'il était assia à la porte de b& tente à midi.
(Gen. XVIll. 1).

ANALYSE.

1-2. Saint Chrysoslome se plaint amèrement k ses auditeurs de ce qu'ils fréquentent les théâtres et l'iiippodrome. S'il en éfaii de
âmes comme de
la culture des celle des terres, il un fonds qui reste stérile malgré ses efTorts. Mais la
devrait cesser de cultiver
récompense ne manque jamais à celui qui sème dans les âmes, soit que la semence donne des fruits , soit qu'elle n'en donne

pas. C'est la raison qui le détermine à continuer ses instructions. Si le docteur qui néglige d'annoncer la parole mérite une
punition, l'auditeur qui néglige d'en profiter en mérite une également. —
3-G. Hospitalité exemplaire d'Abraham. Le pa-
triarche exerce l'hospitalité avec empressement, il l'exerce par lui-même, il l'exerce pour plaire à Dieu. —
7. Exhortation

morale.

1. C'est avec l'hésitation et le décourage- leçon. De même les précepteurs, voyant les
ment dans rame, que je me présente aujour- enfants négliger leurs premières études et ou-
d'hui pour faire l'instruction. Quand je songe blier ce qu'ils ont appris, ne trouvent pas de
que, malgré nos discours et nos exhortations meilleur moyen pour corriger leur paresse et
quotidiennes, malgré ce festin spirituel que lesraïuener au travail que de les abandonner
nous vous présentons, beaucoup des personnes quelque temps.
qui assistent à ces instructions et qui s'ap- Du reste, le laboureur a souvent raison de
prochent de la table mystérieuse et terrible, se décourager quand il voit ses pertes s'ac-

perdent leurs journées à l'hippodrome, sans croître avec SOS fatigues et sa dépense, quand
s'inquiéter de nos conseils; mais comme s'ils il beaucoup et qu'il ne recolle rien.
tiavaille

obéissaient à une habitude invincible au ,


Le médecin a souvent raison d'abandonner
premier signe du démon, ils courent d'eux- son malade car c'est le corps (ju'il soigne, et
:

mêmes à ce spectacle impie et se laissent il peut es|)érer (jifon le laissant à lui-même

prendre volontairement dans les filets du le sentiment de la douleur lui fora comprendre

malin esprit; ils ne songent plus i\ nos aver- sa maladie et l'empêchera de repousser la
tissements, au dnngor (ju'ils couroutel à l'inu- médecine. Le précepteur rencontre trop sou-
tilité (^•' '''nslruclion qu'ils viennent recevoir vent, dans les défiuils du jeune âge, une juste

ici; quand je songe àcela, puis-je,deboncœur, occasion de châtier les enfants, .aujourd'hui
continuer d'olTrir l'aliment de la doctrine à nous chercherons à les surpasser tous en mon-
ceux qui n\'u vcu'(Mit pas i»ronter? iNe vous trant une alToction paternelle à ceux qui sont
étonnez pas de mon décoiungement. l'n la- en faute et en leur prouvant que s'ils y res-
boureur dont le champ reste stérile, malgré taient, ce serait pour eux un nouveau sujet de

toutes SCS peines et tous ses soins, n'ose plus condamnation. En elTol, ce qui détourne le
rensemeucer et répugne à le cultiver. Lors- laboureur d'ensemencer, c'est qu'il craint que
qu'un malade, rebelle aux ordonnances, sem- ses frais ne soient encore inutiles mais nous :

ble vouloir chaque jour aggraver sa maladie, n'avons pas la même inquiétude. .\près avoir
son médecin l'abandomie (piehiuefois à ses jeté cette semence spirituelle, si votre négli-

soulTiances pour que l'expérience lui serve de gence nous empêche de rien recueillir, uous
HOMKLltS SUR m (JENI^SE. — QUARANTE-UNIÈME HOM^^LIË, 27ÎÎ'

n'en perdrons rien, car nous ne dépensons Le troisième avait agi tout Indifféremment.
2.
que l'argent qui nous est cou lié, et nous a^Ms- Qu'avait-il fait?Il s'approcha en disant Je sais :

sons au nom du Soigneur. Ctst aux auditeurs que tu es im homme dur., moissonnant où tu
à rendre leurs comptes à celui qui leur rede- Ji'as pas semé et recueillant où lu n'as rien

mandera ce dépôt avec usure. Mais nous ne mis : aussi, comme je te craignais., je suis allé
songTons as seulement à éviter tout reproche
i
cacher ton argent dans la terre. Voilà ce qui
en f.iisant ce qui dépend de nous; noire désir est à toi. (Ibid. v, 24, 2ri.) méchant servi-
est aussi de vous voir profiter de ce dépôt jtour teur ô comble d'ingratitude! au lieu d'avoir
1

vous éviter la punition du serviteur (jui avait fait fructTier le talent,


il n'apporte qu'une
caché son talent, et qui, loin de nmltiplier accusation. C'est l'elTet de la perversité elle :

l'argent de son maître, l'avait enfoui en terre. obscurcit le jugement et entraîne dans le pré-
Tels sont ceux qui écoutent ces instructions cipice celui qui s'est une fois écarté de la
(car c'est là ce que signifie le talent d'argent), bonne route. Tout cela regarde les prédica-
et (jui ne songent pas à le faire fructifier et teurs qui ne doivent pas enfouir leur dépôt,
multiplier. On me dira peut-être que celle mais au contraire mettre tout leur zèle à
parabole des talents regarde les prédicateurs : l'offrir à leurs auditeurs mais la suite va :

j'en conviens. Mais nous l'examinons avec at-


si vous apprendre, mes bien-aimés, que les au-
tention, nous observerons que les prédicateurs diteurs aussi ont des comptes à rendre et qu'on
sont seulement responsables du paiement ;
leur demande non-seulement le capital, mais
quant aux auditeurs, ils doivent non-seule- encore les intérêts; c'est ce que fait voir l'in-
ment conserver rargcnt, mais le faire valoir. dignation môme du maître contre le serviteur.
Pour vous en convaincie, il faut vous rap- Que Méchant serviteur! (Ibid. v, 26.)
hùi\\\.-'\\'>

peler cette parabole Le maître de maison, en


: Voilà une colère terrible et des menaces bien
partant^ appela ses serviteurs et leur donna capables d'éi)ouvanter. Tu savais que je mois-
à l'un cinq talents, à Vautre deux, à un troi- sonne où je n'ai pas semé, et que je recueille
sième un seul. Longtemps après il revint, et , où je n'ai rien mis : tu devais donc placer
ses serviteurs parurent devant lui : celui qui mon argent entre les mains des banquiers, et,
avait reçu cinq talents^ s'approcha en disaiit : en venant, je l'aurais retrouvé avec usure. Cet
Seigneur^ tu m'avais confié cinq talents ; en argent signifie les discours édifiants, et les
voici ciiui autres que fat gagnés. (Mat. xxv, banquiers représentent les auditeurs qui les
14, 15, 11), 20.) Voilà un serviteur honnête; écoutent. Tu n'avais, dit le maître au serviteur,
aussi le Seigneur le récompense-t-il abondam- qu'à leur remettre l'argent; ensuite, c'elait à
ment. Que dit-il? Allons, bon et loyal servi- moi à leur redemander, non-seulement cet
teur : comme tu as été fidèle pour une petite argent remis, mais aussi l'intérêt (ju'il aurait
somme, je t'en confierai de plus grandes : entre rapporté. Voyez, mes bien-aimés, combien ces
dans la joie de toii maître. (Mat. xxv, 21.) paroles sont terribles. Que pourront dire ceux
Puisque tu as montré ta [)robité à propos d'un qui auront perdu le capital , lorsipi'on leur
premier dépôt, lu mérites qu'on t'en remette redemandera même des intérêts?
un jdus considérable. Celui qui avait reçu Voyez la bonté du Seigneur. Dans les affaires
diux talents s'approcha au-si disant : fie ,
matérielles il a défendu (pie l'argent rapportât
m'as-tu pas confié deux talents ? En voici de l'inlcrèt. Pounpioi, |iar quelle rjiison? Parce
deux autres que je t'ai gagnés! (Ibid. 2-2.) qtie c'est une convention fâcheuse aux deux
Celui-ci avait aussi bien adiidnistrc l'ar- farlies. Le débiteur est ruiné, et le gain du
gent de son maître, car il reçoit la même créancier ne fait (lu'accroître le fardeau de ses
récompense que le premier. Et pourquoi celui péchés. Voilà pounpioi, dès l'origine, Dieu a
qui rapporte deux talents a-t-il le même mé- donné aux Juifs grossiers ce précepte : Tu ne
rite que crlui qui en a fait gagner cinq? C'est prendras pas d'intérêt à ton père et à ton
avec justice; car si l'un donne plus et l'autre frère. (Deut. xxiii, 10). Quelle excuse peuvent
moins, cela ne tient pas à l'inégalité du zèle donc avoir ceux qui sont plus inhumains que
déployé de part et d'autre, mais à la différence les Juifs, et (|ui, a|)rè3 avoir reçu du Seigneur

des sommes confiées. Quant au soin tous deux , tant de grâces et de bienfaits, ne s'élèvent pas
ont été égaux aussi reçoivent-ils la même ré-
;
si haut que ceux qui vivaient sous l'ancienne
compense. loi, ou, pour mieux dire, descendent plus ba??
276 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

Mais pour les choses spirituelles Dieu autorise Eglise aurait de joie à montrer le nombre de
l'usure. Pourquoi cela? Parce que les biens ses enfants, et quelle honte aurait ledémon en
spirituels diffèrent complètement des biens voyant qu'il a tendu ses pièges en vain. Si
temporels. Les uns, quand on les réclame avec vous y parvenez, Dieu vous dira aussi dans ce
rigueur, réduisent à une misère complète celui grand jour Cour./fje, don et fidèle serviteur,
:

qui en est privé; les autres, quand le débiteur tu as été fidèle pour une petite chose; je t'en
les paye de bon cœur, attirent d'autant mieux donnerai de plus grandes.
sur lui la récompense céleste, que l'usure est 3. Du reste, vous le ferez, j'en suis bien per-
plus considérable. Aussi , mes bien-aimés ,
suadé. Je lis sur vos visages, je crois que vous
quand nous vous offrons ce qui nous a été avez reçu avec plaisir mon exhortation, et
confié vous
, contractez Tobligation d'une dou- j'espèreque vous ferez tout ce qui dépendra
ble peine à prendre, d'une double vigilance de vous. Aussi nous terminerons ici cet aver-
à déployer d'abord il faut garder vous-mêmes
: tissement et nous vous offrirons un festin
ce dépôt et le conserver fidèlement; ensuite simple et frugal, afin que vous retourniez
ilfaut vous empresser de le communi(iuer chez vous après avoir reçu l'instruction ordi-
aux autres pour en amener le plus possible naire. Il faut vous parler aujourd'hui du pa-
dans la route de la vertu; ainsi, votre prolit triarche vous apprendre comment
Abraham, et
sera double par votre propre salut et par l'a- Dieu le récompensa de son hospitalité. Dieu
vantage d'autrui. lin apparut près du chêne de Mambré, comme il

En faisant cela, vous nous rendrez bienheu- était assis à la porte de sa tente, à midi. Exa-

reux, car bienheureux est celui qui touche les minons avec soin chaque parole , et après
oreilles de ses auditeurs (Eccl. xxv, 42), et avoir ouvert le trésor, étudions les richesses
vous ferez régner plus d'abondance sur celte qu'il renferme. Pouniuoi ce commencement?
table spirituelle. Ainsi, ne négligez point vos Dieu lui apparut. AdnùvQzldL bonté de Dieu,
ne vous inquiétez pas seulement de ce
frères et et considérez la reconnaissance de son servi-

qui vous regarde. Que chacun s'occupe d'arra- teur. Quand Dieu lui était déjà apparu et lui
cher son prochain au gouffre de fenfer, le avait, entre autres choses, donné le précepte
détourne de ces spectacles impies et le ramène de la circoncision , cet homme admirable
à l'Eglise, en lui montrant avec beaucoup de toujours empressé d'accompUr les ordres
s'était

douceur et de bonté l'excès du mal qu'entraî- de Dieu. Sans mettre aucun retard, il exécuta
nent les uns, et tout le bien qu'on retire de le commandement en pratiquant la circonci-

l'autre ne faites pas cela seulement une fois


;
sion sur lui-même, sur Ismaol et tous ses ser-
ou deux, mais toujours. Car s'il ne vous écoute viteurs; quand il eut ainsi montré sa profonde
pas aujourd'hui, il peut le faire i)lus tard; s'il obéissance, Dieu lui apparut encore. Le bien-
n'écoute pas votre second avertissement, du heureux Moïsj commence ainsi Dieu lui ap- :

moins, en voyant que vous le pressez de nou- pai'ut auprès du chêne de Mambré, pendant
veau, peut-être rougira-t-il , et, redoutant qu'il était assis devant sa tente à midi. Obser-

votre zèle, s'abstiendra-t-il enlin de celte habi- vez ici la vertu du juste. Il était assis devant
tude pernicieuse. Ne vous dites i»as: je l'ai averti sa tente. Il pratiquait tellement l'hospitalité
une, deux, trois, plusieurs fois, et je n'ai rien qu'ilne laissait à aucun de ses inférieurs le
obtenu. Ne cessez pas de l'avertir; plus vous soin de recevoir les étrangers. Ce vieillard qui
montrerez de persévérance, plus vous aurez avaif trois cent ilix-huit iloinestiiiues, (jui était

de mérite. Ne voyez-vous pas avec quelle accablé par l'âge, puisqu'il était parvenu à
patience Dieu nous supporte, (luoique tous les cent ans, était assis devant sa porte pour at-
jours nous négligions ses précoplos, et (|u'il tenilre des hôtes. 11 y motlail toute son atten-

ne cesse i)as de veiller sur nous, puisquil nous tion, sans trouver crob>(acle dans sa vieillesse
comble des biens de la nature, (lu'il l'ail lever ni dans le soin de son repos; il ne se tenait

le soleil, tomber la |)luie, et mille autres bien- point couché à rintérieur, mais assis à la
faits? De même montrons à nos frères toute porte. Rien d'autres, loin d'avoir un pareil

noire bonne volonté, et luttons contre le malin soin,cherchent au contraire à fuir la vue et
esprit pour déjouer ses artifices. Si chacune rapproche des étrangers, de peur dèlrc forcés
des personnes présentes pouvait obtenir seule- de les recevoir malgré eux. Tel n'était pas le

ment une conversion, songez combien noire juste qui restait assis à sa porte à midi. Car
HOMÉLIES SUR LA GEiNÈSE. — uL'ARANTE-UNIÈME HOMÉLIE. 277

son hospitnlitc et sa vertu sont d'autant plus Voilà ce que faisait le juste, croyant recevoir
admirables qu'il se tenait ainsi à midi. C'était des hommes et des voyageurs inconnus.
avec raison; il savait, en effet, que ceux qui 4. Méditons à ce sujet, et imitons les Ncrtus
sont forcés de voyager ont, surtout à celte du juste; c'est le moyen de parvenir nous-
heure, besoin de secours; aussi, choisissait-il mêmes à faireune aussi bonne chasse, car on
cet instant de la journée et guettait-il les pas- Iieut toujours ce que l'on veut. Voilà pourquoi
sants, mettant son repos à soulager la fatigue leSeigneur bienveillant, pour nous encourager
des voyageurs. Il cherchait à abriter sous sa Vi bon accueil aux étrangers et à ne pas les
faire
tente ceux que brûlait la chaleur, sans exami- examiner de trop près, nous dit Celui qui rece-:

ner les passants et sans leur demander s'ils vra un des plus petits en mon nom me reçoit
étaient connus ou inconnus. Car l'hospitalité moi-même. (Matth., xvin, 5.) Ne considérez pas
n'admet point une pareille perquisition, elle le peu d'importance réelle ou apparente de ce-

exige avec tous \me libéralité bienveillante, et, lui qui passe mais songez qu'en l'accueillant
,

comme il avait déployé le filet de l'hospitalité, vous accueillez votre Seigneur. Car si vous le
il mérita de recevoir le Tout-Puissant avec secourez en son nom, vous serez récompensé
ses anges. Aussi saint Paul disait Ne négli- : comme vous l'aviez reçu lui-même. Si cet
si

geons point l'hospitalité; c'est en la pratiquant homme ne mérite point votre bienveillance et
que quelques-uns ont reçu pour hôtes des anges, néglige d'en profiter, ne vous en inquiétez
sans le savoir (Héb. xiu, 2) ; il est clair que point; vous serez pleinement récompensé si
c'est une allusion au patriarche. Aussi le Christ vous agissez pour la gloire du Seigneur, et si
disait : Celui qui recevra nn des plus petits en vous imitez les vertus de notre patriarche. En
mon nom, me reçoit moi-même. (Mat. xviii, 5.) les voyant, il se leva de la porte de sa tente et
Méditons cela, mes bien-aimés, et quand il courut à leur rencontre. Ce mot courut, mon-
s'agitde recevoir un hôte ne demandons , tre bien qu'ils passaient comme des inconnus
jamais qui il est et d'où il vient. Si le patriarche et qu'ils ne sont pas entrés d'eux-mêmes dans

avait fait ces questions, peut-être aurait-il eu la tente.


tort. Mais, direz-vous, il savait quels étaient Aussi, pour ne pas perdre ce bénéfice spiri-
ces visiteurs. Où voyez-vous cela? En quoi son tuel, ce vieillardaux cheveux blancs, ce cen-
action aurait-elle été admirable? Son hospita- tenaire accourt, et par sou empressement fait
lité aurait été bien moins méritoire, si elle preuve de son zèle. Et les ayant vus il se pros- ,

avait commencé par des questions; mainte- terna cotitre terre, et dit : Mon seigneur, si j'ai
nant, ignorant ceux qui viennent, il leur trouvé grâce devant toi, ne passe pas devant ton

montre autant dezèle et de respect qu'un ser- serviteur. Qu'on prenne de Veau et qu'on lave
viteur à son maître; il les enchaîne, pour vos pieds, et rafralchissez-vous soîis cet arbre :

ainsi dire, à force de prières, en les suppliant f apporterai du pain vous mangerez, et après
et

de ne pas refuser et de ne pas lui causer une cela vous continuerez le chemin qui vous a fait
pareille affliction. Il savait ce que vaut Ihospi- passer devant votre serviteur. Les paroles du
talité, de là son empressement à en recueillir juste sont bien frappantes. Ce qui doit étonner,
les fruits abondants. Mais écoutons les paroles ce n'est pas qu'il ait désiré recevoir ces hôtes,
de TEcriture elle-même et remarquons, dans mais c'est qu'il l'ait fait avec tant de zèle et
un âge si avancé, l'ardeur renaissante de ce qu'il n'ait pas tenu compte de leur âge ni du
vieillard rajeuni, qui semblait trouver un tré- sien, car ils lui semblaient peut-être jeunes ;
sor dans l'arrivée de ces hôtes. Levant les yeux, c'est qu'il n'ait pas cru pouvoir se borner à

il regarda, et voici : trois hommes se tenaient leur parler. // se prosterna contre terre, pres-
devant ; en les voyant, il
lui se leva de la porte que en suppliant, et les exhorta de toutes ses
de sa tente, pour courir à leur rencontre. Ce forces pour que sa demande n'eut pas l'air

•vieillard court et vole il a trouvé sa proie, il


; d'une simple politesse. Aussi l'Ecriture sainte,
ne songe plus à sa faiblesse et court à lâchasse voulant nous montrer toute l'étendue de la
sans appeler ses serviteurs , sans donner vertu du juste, dit Il se prosterna contre
:

d'ordres à son fils, il court lui-même sans re- terre, et par ses gestes, ainsi que par la chaleur

tard, comme s'il disait : voila un grand trésor, de ses paroles, il montrait beaucou; l'humi-
une grande affaire, je veux m'en charger par lité, son zèle hospitalier et son extrême solli-

citude. S'étant prosterné contre terre, il dit


moi-même, pour n'en pas perdre le mérite. :
ô7ê TRADLXTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOiïE.

Seigneur^ si fai trouvé grâce deva?ît toi^ ne de l'eau pour laver vos pied?, du pain et un
passe point devant ton serviteur. Comment abri sous cet arbre.Nedédaigncz pas ma tente,
pourrait-on louer dignement ce juste? et com- ne méprisez pas ma vieillesse, ne repoussez
ment des milliers de bouches suffiraient-elles pas ma demande. Je sais quelle fatigue vous
pour faire son éloge? Le mot de Seigjicur n'a avez subie, je devine quelle chaleur vous avez
rien d'extraordinaire; mais dite Si f ai trouvé : éprouvée; aussi je veux vous soulager un peu.
grâce devant toi, voilà qui est étrange. 11 leur Le père le plus tendre montre-t-il à son fils
dit : C'est moi qui suis l'obligé et non le bien- autant de bonté que le patriarche en montrait
faiteur. Telle est la véritable hospitalité : elle à des étrangers inconnus et ((u'il n'avait jamais
a tant d'ardeur, qu'elle croit recevoir plutôt vus. Comme il fit preuve de beaucoup de zèle
que donner. Que peisonne ne songe à dimi- et d'activité, il réussit dans sa poursuite et par-

nuer la vertu du juste, et ne suppose qu'en vint à prendre sa proie dans ses filets. Et ils

parlant ainsi il savait qui étaient ces voya- dirent : Nous ferons cotnme tu as dit. Le vieil-

geurs : en effet, s'il l'avait su, ces paroles, lard se trouva rajeuni. J'ai, dit-il, un trésor
comme on l'a dit souvent, n'auraient eu rien sous la main; j'ai gagné une fortune, je ne
d'extraordinaire; mais, ce qui les rend ex- songe plus à ma vieillesse. Voyez com.me il se

traordinaires et admirables, c'est qu'il croyait réjouit d'une pareille circonstance; il saute
les adresser à des hommes. presque de joie et il est aussi heureux que s'il
Ne vous étonnez pas qu'en voyant trois voya- tenait dans ses mains toutes les richesses du
geurs, le juste parle comme à un seul et dise : monde. Abraham s'en alla en hâte dans la
Seigneur. C'est sans doute que l'un d'eux pa- tente. Quand il allait les guetter, l'Ecriture
iraissait supérieur aux autres, et c'est à lui qu'il saintenous montre sa joie et son empresse-
s'adresse. Ensuite il continue en parlant d'une ment, en nous disant courut à leur ren-
: //
manière plus générale, et dit : Qu'on prenne de contre. Maintenant qu'il a vu ces voyageurs et
l'eau et qu'on lave vos pieds ; et aussi : liafraî- qu'il a obtenu ce qu'il désirait, son ardeur ne
chissez-vous sous cet arbre, vous inangerez du s'affaiblit pas; elle devient, au contraire, plus
pain vous continuerez le chemin qui vous a
et ardente quand il est certain d'avoir réussi. Il

fait passer devant votre serviteur. Vous voyez nous arrive souvent d'être tout de feu en com-
ique sans savoir qui ils sont, il leur parle mentant; mais, quanti latlaire est en train,
comme à des voyageurs ordinaires, les engage nous nous relâchons. Tel n'était pas le juste.
tous ensemble et s'apiielle deux fois leur ser- Que fait-il? Il se hâte et s'empresse de nou-
connue il les prévi(;nt de
viteur. Voyez aussi veau; tout vieux (pi'il est, il court dans la tente
la simplicitéde sa table, ou plutôt de son chercher Sarra, et lui dit : De pèche-toi et prends
abondance. Qiton prerniede l'eau et qu'on lave trois încsures de fleur de farine. Voyez com-
vos pieds, et ra fraîchi bsez-vous sous cet arbre. ment il prend Sarra pour complice de sa chasse,
Comme vous êtes fatigués et (jue vous avez et conuuent il lui a|ipronil à imiter sa vertu.
supporté une grande chaleur, daignez entrer 11 l'excite promptemenl son devoir, et
à faire
chez votre serviteur. Voilà ce que je puis faire lui dit : Dépêche-toi. Une heureuse aventure
ipour vous. Je peux seulement vous procurer nous est survenue; ne perdons pas cette bonne
de l'eau pour laver vos pieds pendant ()ue vous occasion : Df'pcchc-toi et prcn<ls trois mesures
,vous reposerez sous cet arbre. Ensuite il leur de fleur de farine. Comme il savait l'impor-
donne une Ne croyez pas, dit-
idée de sa table. tance d'une œuvre de celte nature, il voulait
il, (|u'elle soit splendide, y ait une foule
(|u'il fairepartager la récompense à la compagnedesa
de mets et d'assaisonncuients vous mangerez : vie.Pourquoi, dites-moi, ne doiuia-l-il cet ordre
du pain, et vous continuerez le chemin qui vous à aucune de ses servantes, mais a sa lennne, si
a fait passer devant votre serviteur. avancée en âge, car elle avait quatre-vingt-dix
5. Voyez iUt coiubieu de manières il cIkmcIic ans? Du reste, Sarra ne résiste pas a cet ordre
à retenir ces voyajiours par ses actions, ses pa- et montre la même joie. .Maris et femmes, re-

roles, et tous seselltirls. D'abord il se prosterne tenez bien cela. Que les maris habituent leurs
devant eux, ensuite il Us appelle seigneurs e\ fennnes,s'il se présente (juelque gain spirituel,
lui-même serviteur puis il leur dit ce qu'il
: à ne pas agir par leurs llolne^til^ues. mais à
va faire pour eux, mais sans se vanter et en tout faire par elles-mêmes; que Us teuuues
montrant que c'est ueu de chose. J'ai, dit-il, g'ompresseut à aider leurs maris daus leurs
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. - QUARANTE- CM ÈME HOMÉLIE. 279

bonnes œuvres, et ne rougissent pas d'exercer même, il confie l'animal à un serviteur qu'il
riiospitalité et d'en accomplir tous les devoirs; engage à se presser, pour servir le plus tôt
qu'elles imitent la vieillesse de Sarra, qui se possible.
chargeait, à son âge, d'un pareil travail avec G. Voyez avec quelle rapidité, quel zèle
plaisir et remplissait l'office des servantes. ardent, quelle joie, quel bonheur, quel plaisir
Mais je sais que presque personne ne m'é- il fait tout cela. Le vieillard ne se repose pas et
coutcra. Maintenant, tout le monde fait le fait de nouveau l'office de serviteur. ^. prit du
contraire, la mollesse des femmes est extrême beurre, du lait et le veau qu'il avait tué et leur
et elles mettent tous leurs soins dans les beaux servit tout cela. Ainsi il fait tout et sert tout
habits, dans les parures d'or, les colliers, le lui-même. Et il ne s'est pas trouvé digne de
luxe extérieur, sans songer le moins du monde s'asseoir avec eux, mais pendant que ceux-ci
à leur âme. Elles n'entendent pas la voix de mangeaient il restait debout près de l'arbre.
saint Paul qui leur crie Qu'elles n'aient point
: culte de l'hospitalité ! ô excès d'humilité I

de cheveux frisés, d'or, de perles, ni d'habits ô piété parfaite 1 ce centenaire restait debout
somptueux. (I Tim. ii, 9.) Vous voyez que cette pendant leur repas. 11 me semble que son
âme, qui touchait le ciel, n'a pas dédaigné de ardeur et son zèle ont suppléé à sa faiblesse et
vous parler de frisure il avait raison, car il
: lui ont donné de la force. Souvent, en elTet,
s'inquiétait de tout ce qui pouvait servir à l'excitation d'une âme énergique triomphe de
l'âme. Il savait que la parure est ce qui nuit le la faiblesse du corps. Ainsi le patriarche restait
plus à rame aussi ne crainl-il pas de donner
; debout comme un serviteur, regardant comme
les meilleurs conseils aux personnes qui ont un grand honneur de servir ses hôtes et de
cette faiblesse; il leur dit si vous voulez vous : soulager les fatigues de leur voyage. Voyez jus-
parer, prenez la véritable parure celle qui , qu'où allait l'hospitalité du juste Ne vous dites !

convient aux femmes pieuses, celle des bonnes pas seulement qu'il leur avait offert des pains
œuvres. C'est elle qui fait l'ornement de l'ànic, et un veau remarquez encore avec quelle
;

qu'aucune ordonnance ne peut réprimer, humilité et quel respect il pratique l'hospitalité.


qu'aucun voleur ne peut ravir et qui reste 11 ne faisait pas comme ceux qui, s'ils accueil-
toujours inaltérable. La parure extérieure en- lent des hôtes, en tirent vanité et méprisent
gendre mille maux je ne parle pas seulement
: même ceux qu'ils ont reçus, parce qu'ils ont
de ceux de l'âme, l'arrogance qui en résulte, pourvu à leurs besoins. Cela ressemble à ce
le mépris du prochain, l'orgueil de l'esprit, la que ferait un homme qui recueillerait et amas-
corruption du cœur, une foule de plaisirs dé- serait des richesses, et qui, tout h coup, jetterait
fendus; mais ces toilettes splcndides peuvent à pleines mains tout ce qu'il aurait gagné. Ce-
être dérobées par les domestiques ou pillées lui qui rend un service avec orgueil et qui
par les voleurs; elles vous exposent à des ac- croit donner plus
qu'il ne reçoit, celui-là ne
cusations calomnieuses, enfin on n'y trouve sait ce qu'il fait il perd tout ce qu'il en pou-
:

que des peines infinies et des amertumes per- vait attendre. Mais le juste sachant ce qu'il
pétuelles. Telle n'était pas Sarra qui possédait faisait montrait en tout sa bonne volonté.

la véritable parure ; aussi fut-elle digne du Après avoir répandu avec joie et abondance
patriarche : il s'empressa et courut dans la cettesemence d'hospitalité, il enrecueillitaussi-
tente; elle s'empressa d'accomplir son ordre tôt une copieuse moisson. Quand il eut fait tout

et prit trois mesures de fleur de farine. Comme ce qui dépendait de lui, sans manquer à rien et
il y avait trois hôtes, le juste avait dit de pren- qu'il eut accompli tous les devoirs de l'hospita-
dre trois mesures pour faire promptement les lité, et montré jusqu'où allait sa vertu alors, ;

pains. Après cet ordre, il courut aussitôt vers pour que lejuste connût ceux qu'il avait reçus et
lesbœufs. Quelle jeunesse dans cette vieillesse 1 tous les avantages qu'entraîne l'hospitalité, son
quelle énergie dans cette àmel II court aux visiteur se dévoile et lui montre peu à peu
bœufs et n'y laisse aller aucun de ses servi- toute l'étendue de sa puissance. Car le voyant
teurs : dans sa conduite tout fait voir à ses debout près du chêne, en signe d'honneur et
Ilotes de quel plaisir il était pénétré, combien de respect pour ses hôtes, il lui dit Oii est :

il appréciait leur présence et quel trésor c'était Sarra ton épouse ? Cette question montre
pour lui qu'un tel honneur. Il prit un veau aussitôt que ce n'est pas le premier venu, puis-
tendre et délicat. Ainsi , il fait son choix lui- qu'il sait le nom de cette femme. Abraham
dêo TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

répond la voici dans la tente. Comme Thôte


: dans ton esprit, et que tu n'aies ri qu'en toi-
va lui promettre, étant Dieu lui-même, des même, ne crois pas échapper au pouvoir de
événements surnaturels, cette promesse, jointe notre hôte. Aussi ne va pas nier ce que tu as
à la connaissance qu'il avait du nom de Sarra n'ap^grave pas ta faute. L'hospitalité que
fait,

fut une preuve que cet hôte reçu sous la tente nous avons exercée aujourd'hui nous sera bien
était supérieur à l'humanité. Je reviendrai ici avantageuse.
dans un an à la môme époque^ et Sarra ta 7. Imitons-le tous, et mettons un grand zèle
femme aura un fils. Voyez les fruits de l'hospi- à pratiquer l'hospitalité , non pas dans le seul
talité, la récompense de la bonne volonté, la but d'en recevoir une rémunération passagère
compensation des peines de Sarra. Celle-ci et corruptible, mais pour être récompensés
écoutait près de la porte delà tente derrière la- par des biens éternels. Si nous le faisons, nous
quelle elle se tenait. Et ai/ant entendu cela, elle recevrons ici-bas le Christ, et lui-même nous
rit en elle-même, disant : cela ne m'est pas recevra dans les demeures qu'il a préparées à
arrivé jusqu'à présent et mon seigneur est ses élus, où il nous dira : Venez, vous qui êtes
vieux. Pour excuser Sarra, l'Ecriture sainte bénis par mon Père, et recevez le royaume que
nous a d'abord avertis que Abraham et Sarra je vous ai préparé depuis l'origine du monde.
étaient avancés dans leurs jours ; et de plus elle (Mat. XXV, 34, 36.) Pourquoi et par quelle rai-
ajoute Sarra n'avait plus ce qu'ont les femmes.
: son? J'avais faim et vous m' avez donné à man-
La fontaine était desséchée, l'œil avait perdu la ger; j'avais soif et vous m'avez doiiné à boire ;
lumière, l'organe était désormais impuissant. j'étais étranger et vous m'avez recueilli; fêtais
Sarra considérant tout cela, songeait à son âge prisonnier et vous m'avez visité. Quelle diffi-
et à la vieillesse du patriarche. Mais pendant culté y a-t-il à tout cela? Nous a-t-il dit de
qu'elle réfléchissait ainsi dans la tente, Celui faire des de rechercher ceux que
enquêtes et
qui connaît les secrets du cœur, voulant mon- nous devions soulager? Fais ce qui dépend de
trer toute sa puissance et faire voir qu'il n'y toi, dit il, si vil et si abject quête paraisse i'in-
avait rien de caché pour lui, dit à Abraham: digent; je prends pour moi ce qui est fait pour
Pourquoi Sarra a-t-elle ri en elle-même, disant : eux. Aussi a-t-il ajouté Ce que vous avez fait
:

est-il vrai que j'enfanterai., moi qid suis si pour le moindre de vos frères, vous Vavez fait
vieille? En effet, voilà ce qu'elle pensait. Est-il pour moi. (Ibid. v, 40.)
rien, dit-il, d'impossible à Dieu? Ici le visiteur Puisque l'hospitalité offre de tels avantages,
se dévoile ouvertement. Vous ne savez pas, dit- ne la dédaignons pas, mais cherchons à en
il, que je suis le Maître tout-puissant de la trouver chaciue jour l'heureuse occasion, sa-
nature, que je puis, si je le veux, ranimer des chant que Notre-Seigneur considère la bonne
entrailles desséchées et les rendre fécondes. volonté plutôt que la quantité des mets; le bon
Rien n'est impossible à Dieu. N'est-ce pas moi accueil, plutôt que la magnifleencede la table;
qui fais et transforme tout ? ne puis-je pas un mot de charité d'un cœur sincère, pluiôt
donner la vie et la inorl ? Est-il rien d impos- que des protestations verbeuses. Voilà pour-
sible à Dieu? ne l'ai-je pas déjà promis? mes quoi le Sage dit la parole vaut mieux que le
:

paroles man(iucnt-elles jamais de s'accomplir ? prescrit. (Eccl. xvni, 16. Souvent un mot de )

Ecoute maintenant dans un an je reviendrai : bonté touche plus l'indigent que le bienfait
et pareille époque et Sarra aura un
fils. Lors- lui-niênie. Piiisiiue nous le savons ne soyons ,

que je rc'viiiuirai à pareille époque, Sarra pas désagréables à ceux qui nous approchent;
aura appris par l'événement même que sa si nous pouvons adoucir leur misère, faisons-
\i»'illesse cl sa stérilité n'étaient pas des le de bonne grâce et de hou cœur pour qii'ils
obstacles : ma parole ne pouvait être vaine, et re(;oivent encore plus que nous ne donnons :

Cette naissance lui |»rouvera mon pouvoir. Du si cela nous est impossible, ne les atUigeons
reste, (juand elle vitque ses pensées même ne pas; soulageons-les, du moins eu paroles, et rc-
pouvaient rester cachées, elle nia, en disant je : l)oudons-leur doucMUi ut. Pourcpioi repous-
ti'ai pas ri; car la frayeur lui avait troublé ser le pauvre avec rudesse? Est-ce qu'il use
l'esprit. Aussi l'Ecriture attribue tout à sa de contrainte et de violence? il prie, il im-
faiblesse, et dit : elle fut cffrni/éc. Mais le plore, il conjure; avec tout cela, on ne mérito
lialriarche lui réfioud : n())i, mais tu os ri : Ne pas d'outrages. Que dis je, il prie? il implore et
crois pas, lui dit-il, quoique tout se soit passé demande mille faveurs pour nous, et tout cela
HOMÉLIES SUR LA '^^;ENÈSE. — QUARANTE-DEUXIÈME HORÏÈLIE. )81

pour une obole que nous ne lui donnons même moires pour que la rouille le consume ou que
pas. Quel pardon méritons-nous? Quelle excuse des voleurs le dérobent; nous aimons mieux

doiHierons-noLis? Chaque jour nous sonuues à laisser nos habits de toutes couleurs se manger
une table abondante où souvent nous dépas- aux vers, et nous ne voulons même pas faire
sons le besoin et nous ne voulons pas leur
, un bon usage de ceux qui ne peuvent plus
en abandonner la moindre chose (juand nous nous servir en les donnant à ceux qui les gar-
obtiendrions ainsi des biens immenses. dé- deraient pour nous, afln de nous mériter des
plorable négligence quelle perte nous faisons 1 biens inclï'ables. Puissions-nous les obtenir,
ainsi, quels gains nous laissons échapper! Nous par la gnice et la bonté de Notre-Seigneur Jé-
voyons fuir l'occasion (juo Dieu nous présen- sus-Christ, à qui, ainsi qu'au Père et au Saint-
tait pour notre salut, et nous n'y songeons pas ! Esprit, gloire, puissance et honneur, mainte-
Nous ne réfléchissons point au peu qu'il fau- nant et toujours, et dans les siècles des siècles !

drait donner et à l'inunensité tles récompen- Ainsi soit-il.

ses. Nous aimons à renfermer l'or dans des ar-

QUARANTE-DEUXIÈME HOMÉLIE.
C€fl hoimnes a'éuat donc levés ds es lieu, tournèrent les yeux vers Sodome «t Gomorrbe. (Gen. XVQI. 18.J

ANALYSE.

1. La vertu dépend de la volonté. Le secours de Dieu ne fait pas défaut à celui qui fait tout ce qui dépend de lui. — 2. Ou
renié lie plus facilement aux maux de l'àme qu'à ceux du corps. Dieu ailmet Abraham dans la confidence de ses desseins, tant
il honore le juste. — .3-4. Le bruit des impuretés de Sodomc est monté jusqu'à Dieu, qui vient les voir d'abord, pour les
punir ensuite. Ne condamner personne sans l'eulendre; épargner la réputation du prochain. — 5. Les pécheurs qui n'auront
subi aucune punition ici-bas, seront plus sévèrement punis daus l'autre monde. Dieu supporte les méchants à cause des justes.
— 6-7. Exhortation morale.

i. La lecture d'hier nous a appris, mes bien- hommes ; s'il fallait prouver sa foi, c'est par là
aimés, l'admirable manière dont ce juste exer- surtout, qu'il mérite plus que tous les hommes,
çait l'hospitalité. Voyons aujourd'hui la suite un nom glorieux. Son âme est comme une
des événements apprenons ce ; qu'il y avait image vivante où brille la diversité des cou-
dans ce patriarche , de bonté et d'affection leurs de la vertu. Quand nous voyons un seul
compatissante ; car ce juste a possédé en per- homme les réunir toutes en lui, quelle pourra
fection toutes les vertus. Il n'avait pas seule- être notre excuse à nous qui en sommes si ,

ment pour lui la bonté, le respect des devoirs dépourvus que nous n'en pratiquons pas une
de l'hospitalité , l'affection qui compatit aux seule? ce n'est pas faute de pouvoir, mais
douleurs, mais de plus, il a montré toutes les faute de vouloir, que nous sommes ainsi dé-
autres vertus. S'il fallait prouver sa patience, pourvus de tous les biens de l'àme et ce qui ;

vous verriez qu'il s'est élevé sur la plus haute le démontre d'une manière manifeste c'est ,

cime du courage s'il fallait prouver son hu-


; ./u'on trouve un grand nombre d'hommes de
milité, vous verriez encore que pour l'humilité la même nature que nous, brillants de l'éclat
il ne le cède à personne, qu'il surpasse tous les de la vertu. Considérez ceci encore, que ce pa-
S8) TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

triarche a vécu avant la grâce, avant la loi ;


contre rien de pareil : le gymnasiarque est là,
c'est de lui-même, par les seules ressources de simple spectateur de ceux qui luttent, sans
sa propre nature, par la science qui était en pouvoir les aider d'aucune manière il ne ;

lui, qu'il est parvenu à ce faîte de la vertu; et fait qu'attendre que la victoire se déclare.
c'est là ce qui nous enlève toute excuse. Mais, Notre Seigneur, au contraire , n'agit pas de
peut-être, dira-t-on, il a joui auprès de Dieu même ; il partage avec nous la lutte il nous ;

des plus grandes faveurs ; Dieu a pris de ce tend la main à côté de nous, combat aussi,
il

l)atriarche, de toutes ses affaires un soin tout et on dirait qu'il s'efforce par tous les moyens,
particulier. Vérité que je reconnais mais, s'il ; de nous livrer notre adversaire ;
qu'il fait tout
n'avait pas été le premier à faire ce qui dépen- pour nous assurer la supériorité dans le com-
dait de lui, il n'aurait pas obtenu du Seigneur bat , la victoire, qui mettra sur notre tête la
de si grands dons. C'est pourquoi ne remar- couronne qui ne se flétrit pas. En effet, dit le

quez pas seulement les dons qu'il a reçus, texte, Tu mettras sur ta tête une coiironfie de
mais remarquez, observez bien chaque instant grâces. Voyez encore : dans ces combats à
de sa vie, et vous verrez qu'il a été le premier à 01ym|)ie, qu'est-ce que la couronne après la
prouver sa vertu, et que c'est par là qu'il a victoire? quelques feuilles de laurier quel- ,

mérité secours divin. Nous avons souvent


le ques applaudissements, quelques cris du vul-
mis cette vérité sous vos yeux quand ce pa- ;
gaire , toutes choses qui le soir venant ,

triarche sortait de son pays, il n'avait pas reçu se flétrissent et meurent. Mais la couronne,
comme un héritage de ses ancêtres, la semence comme récompense de la vertu et des sueurs
de la foi ; c'est de lui-même qu'il montra une généreuses , n'a rien de commun avec les

âme remplie de l'amour de Dieu. Cet homme choses des sens, avec les choses du siècle ; elle

qui vient d'être transporté hors de la Chaldée, ne destruction comme nos


connaît pas la
et qui reçoit tout àcoup l'ordre de se diriger corps couronne impérissable , immortelle ,
;

dans un autre pays, de préférer à sa patrie, dont la durée s'étend à travers les siècles des
une contrée étrangère, il n'hésite pas, il ne siècles. Fatigue d'un instant bien court, ré-
diffère pas; aussitôt que l'ordre est donné, il compense infinie, sur laquelle le temps ne
raccom[)lit, et cela sans savoir où s'arrêtera sa peut rien, et qui ne se flétrit jamais. Et ce qui
course errante; et il fait diligence, et il se le prouve, voyez que d'années se sont passées,
presse, et il regarde des choses qui sont tout à que de générations depuis qu'on a vu ce
fait incertaines comme certaines ,
parce que patriarche parmi les vivants > et on croirait
l'ordre de Dieu lui paraît toujours ce qui mé- qu'il vivait hier, qu'il vit encore. Tel est l'éclat
rite avant tout d'être respecté. des couronnes que sa vertu lui a méritées ; et

Voyez-vous comme dès le commencement, jusqu'à la consoumialion dfS temps, il est,

dès les premiers préludes de sa vie, il con- pour tous les sages, le sujet d'un éternel en-
tribue de ce qu'il a en lui, et mérite parce seignement.
qu'ilmet du sien, d'obtenir cha(iue jour l'a- i>. Eli bien donc ! puisque telle est la vertu
bondance des fruits du Seigneur. Faisons de de cet homme, imitons-le, réveillons-nous; il

même nous aussi mes bien-aimés, si nous


, est bien tard, mais enlln reconnaissons la no-
voulons jouir de la grâce d'en-haut ; imitons blesse que nous portons en nous; imitons le

le patriarche, n'hésitons pas à marcher où se patriarche, pensons à notre salut ; appli(iuons


montre la vertu prati(iuon?-la toujours, de
; tous nos soins, non-seulement à la santé de
manière à charmer cet œil (jui ne connaît pas notre corps, mais à guérir les diverses mala-
le sommeil, et à nous concilier la bienveil- dies de notre âme. Si nous voulons pratiquer
lance qui décerne les larges t-alaires. Celui (pu la sagesse, si nous voulons nous réveiller, il
connaît nos secrètes pensées, en voyant (pie nous sera plus facile de guérir les mala-
nous avons rame que nous nous dé-
saine, di( s de notre âme que celles de notre corps.
pouillons avec ardeur pour les luttes de la Toutes les fois (ju'une atVection nous trouble,
vertu, nous fournit aussitcM la force (jui vient représentons - nous dans un saint reeueil-

de lui, qui rend nos lalignes légères, qui sou- leinent jour du jugement redoutal^le
, le ;

tient notre infirmité, la réconforte et nous as- ne nous contentons pas de regarder la volupté
sure les glorieuses couronnes. Dans les joutes présente considérons les tortures dont elle
;

que l'ou va voir à Olympie, certes ou ne ren- sera suivie; et aussitôt notre âme chassera.
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. -- QUARANTE-DEUXÎÈME HO>fÉLÎE. Î83

expulsera la volupté. Donc, plus de négli- dance de la part de Dieu honneur pour le ;

gence; compnMions bien que la vie est une juste, honneur insigne au-dessus de tout dis-
lutte, un combat; qu'il faut, comme dans une cours. Voyez en cfl'et, comme il lui adresse la

mêlée, que nous affrontions l'ennemi; faisons- parole. On dirait un homme parlant à un
nous chaque jour une âme nouvelle ; rendons homme. nous montre par Là de quel
Dieu
à notre àme sa jeunesse, retrempons sa vi- honneur il juge digne les hommes vertueux ;

gueur; méritons le secours d'en-haut, qui et ne croyez pas que cet honneur insigne, ac-
nous donnera la force de briser aussitôt la tête cordé à l'homme juste, ne soit qu'un effet de
du monstre, je veux dire de l'ennemi de notre la Dixinc Hunté remarquez la sainte Ecri-
; :

salut. C'est le Seigneur lui-même qui nous a ture nous enseigne que le juste lui-même est
fait cette promesse Vous voijez que je vous ai
: la première cause de l'honneur qui lui est fait,

donné le pouvoir de fouler aux pieds les ser- parce qu'il a accompli, avec un grand zèle, les
pents et les scorpions, et toute la puissance de commandements divins. En effet, une fois que
Vennemi, (Luc, x, 19.) Soyons donc vigilants, Dieu a dit Je ne cacherai pas à Abraham,
:

je vous en conjure, suivons les traces de ce mon serviteur, ce que je ferai, il ne dit pas
patriarche qui nous mène à la vertu, afin de tout de suite ce qui arrivera. Or, il était consé-
mériter les mêmes couronnes, de nous réunir quent de ménager une transition pour ne pas
dans son sein, de fuir la gêne éternelle d'ob- , dire brusquement qu'il allait incendier So-
tenir les biens ineffables. Mais maintenant dome. Attention ne passons pas ici légère-
!

pour rendre votre émulation plus active, pour ment, il n'y a pas une syllabe, pas une lettre
vous provoquer davantage à imiter ce juste, dans la divine Ecriture (ju'il faille passer
voyons, mes bien-aimés, nous allons vous en- légèrement. Quel honneur, dites-moi, pour
tretenir encore de son histoire attaquons la ; Abraham , dans ces paroles que Dieu pro-
suite des événements. Donc, a[)rès cette large nonce : Abraliam, mon serviteur ! Quelle aifec-
et généreuse hospitalité qu'il pratiqua, non tion, quelle tendresse! Voilà ce qui rehausse
pas en servant à ses hôtes des mets somptueux le plus l'honneur fait au juste, ce qui donne
se succédant sans relâche, mais en leur mon- le plus de prix à cet honneur. Ensuite, comme
trant le généreux em|>ressement de son cœur, je viens de le dire après que le Seigneur a
,

il reçut aussitôt le salaire de l'hospitahté il ; dit : Je ne cacherai pas, il ne dit pas tout de
apprit quel était ce personnage qu'il voyait en suite ce qui allait arriver, mais que dit il?
sa présence, et combien grand était son pou- Pour nous apprendre que ce n'est pas sans
voir. Les hôtes se retirent, se préparant à ren- raison, à la légère, qu'il lui montre tant d'af-
verserSodome ; le patriarche les suit, les ac- fection. Dieu dit : Abrahim doit être le chef
compagne pour leur honneur
faire dit le , d'un peuple très-grand et très-nombreux, et
texte ; voyez la clémence du Seigneur, com- toutes les nations de la terre sero)tt bénies en
bien grande son indulgence et sa bonté. Il
est lui. Car je sais cpi'il ordonnera à ses enfants,
honore le juste, et en même temps, il met à et à toute sa maison, après lui, de garder les
découvert la vertu cachée de son âme. Ces voies du S< igneur et d'agir selon l'équité et la
hommes s' étant donc levés, dit le texte , de ce justice, afin que le Seigneur accomplisse en
lieu, ils tournèrent les yeux vers Sodome et faveur d'Abraham tout ce qu'il lui a promis.
Gomorrhe. (Ibid. 18, 19.) Ah! quelle grandeur de la bonté
C'est des anges qu'il est question. Dans le du Seigneur comme il était sur le point de
!

lieu dont il s'agit, dans la tente d'Abraham, détruire Sodome, il couunence par rassurer
parurent en même temps, et des anges et
, le patriarche; il lui inspire la confiance, il

leur Seigneur, Dieu. Ensuite, ces anges furent lui promet une très grande bénédiction; il
envoyés comme des ministres pour renverser lui annonce que lui-même sera le [»ère d'un
ces villes; mais
Seigneur demeura, et,
le grand peuple; il lui apprend que ce sera la la
comme un ami un ami, il
qui converse avec récompense de sa piété. Considérez, en etfet,
confia à Abraham ce qu'il était sur le point de combien est grande la vertu du patriarche,
faire. De là vient qu'après le départ desanges: puisiiue Dieu dit de lui : Je sais qu'il ordo/i'
Alors, dit le texte, le Seigneur dit : Je ne ca-{ nera à ses enfants de garder les voies du Sei-
cherai pas à Abraham, mon serviteur, ce que gneur. C'est là un grand accroissement ajouté
Revois faire, (Ibid. xvii.l Grand© condescen- à la vertu. En etiet, il n'est pas récompense
âsi TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CIIRYSOSTOME.

seulement pour la vertu qu'il a pratiquée lui- éloges pour inspirer de la confiance à l'homme
même; mais, comme il l'a recommandée à ses juste, ilcommence ce qu'il voulait dire, et il dit :

enlaiils, il est récompensé encore à ce titre, Le cri de Sodome et de Gomorrhe s'augmente


et largement, et c'est avec raison, puisqu'il est de plus en plus, et leur péché est mo7ité jusqu'à
devenu, pour tous les descendants, le maître, son comble. Je descendrai et je verrai si leurs
le docteur de la vertu. En effet, celui qui œuvres répondent à ce cri qui venu jusqu'à est
donne les commencements, qui fournit les moi, pour savoir si cela est ainsi, ou si cela
prémices, est aussi la cause de ce qui se pro- n'est pas. (Ibid. 20, 21.) Paroles terribles Le :

duit plus tard. cri, dit-il, de Sodome et de Gomorrhe. D'autres


3. Et voyez la bonté du Seigneur il ne le : villes aussi ont péri en môme temps, mais c'é-
récompense pas seulement pour sa vertu taient là les plus célèbres pour cette raison il ;

passée, mais encore pour sa vertu à venir. les nomme seules. S'augmente de plus en plus,
Car je sais, dit le texte, quil ordonnera à ses et leur péché est monté jusqu'à son comble.

fils. Je connais par avance, dit-il, Tàme de Voyez que de maux amoncelés. Il ne s'agit pas
cet homme juste ; voilà pourquoi je le récom- ici seulement de beaucoup de clameurs et de

pense aussi par avance. Dieu connaît, en effet, cris, mais de l'excès de l'iniquité; car ces pa-

les secrètes pensées de nos cœurs; et quand il roles Le cri de Sodome et de Go?norrhe s'aug-
:

voit que nous n'avons que des pensées sages, mente déplus en plus, signifient, je crois que
que notre âme il nous tend la main;
est saine, les habitants, outre celle perversité inexprima-
avant nous récompense, afin de
le travail, il ble, impossible à excuser qui a flétri leur nom,
BOUS encourager. Vous verrez que c'est la commettaient encore mille autres actions cou-
conduite qu'il tient à l'égard de tous les justes. pables que les plus forts s'entendaient pour
;

Il connaît la faiblesse de la nature humaine; écraser les plus faibles; les riches pour écraser
il ne veut pas que l'homme se décourage dans les pauvres. Ce n'était pas seulement un grand
les difficultés, et, au milieu des fatigues, il cri de douleur, mais leurs péchés n'étaient pas
lui apporte son secours , et il lui donne les ré- des péchés ordinaires, ils étaient grands, ils
compenses qu'il lui réserve, afin de soulager étaient énormes; car ces hommes avaient ima-
sa fatigue, et de raviver son zèle. Car je sais, giné une étrange manière de transgresser toutes
dit le texte, qii'il ordonnera à ses fils , et ils les lois, des nouveautés incroyables dans des
garderont les voies du Seigyieur. Il ne prédit commerces criminels. Et tel était l'entraîne-
pas seulement la vertu du père , il ordonnera, ment de la corruption, que tous étaient rem-
mais aussi la vertu des enfants, et ils garderont plis de toute espèce de vices, qu'il n'y avait
les voiesdu Seigneur; montrant, par là, Isaac plus d'espoir de les corriger il ne restait plus ;

et Jacob; les voies du Seigneur, c'est-à-dire qu'à les faire disparaître, qu'à les supprimer.
les préceptes et les commandements. De telle Leur maladie était incurable; les médecins n'y
sorte qiiils vivront selo)i l'équité et la justice : pouvaient rien. Le Seigneur ensuite veut mon-
préférant la justice à tout, s'abstenant de toute trer aux hommes, que, si grands, si mani-
injustice.La justice, en effet, c'est la plus festes que soient les péchés, la sentence toute-
grande de toutes les vertus; voilà pourquoi se foisne doit pas être prononcée avant que la
réaliseront toutes les choses prédites par le preuve ait été faite en toute évidence. De là
Seigneur. ces paroles : Je descendrai donc, et je verrai si

Ce n'est pas tout, je crois que le texte veut insi- leurs œuvres répondent à ce cri ,
qui est venu
nuer encore une autre pensée, quand il dit : jusqu'à moi; je descendrai pour voir si cela est

Abraham doit être le chef d'un peuple très- ainsi, ou si cela n'est pas.
grand et très-nojnbreux. C'est connue s'il (lisait : Que Pourquoi cette
signifient ces paroles?
Toi, qui embrasses la vertu, qui le soumets à réserve : Je descendrai,verrai ? Le
dit-il. et je

mes ordres, qui montres ton obéissance, tu Dieu de l'univers se Irausporte-t-il donc d'un
seras le chef d'un peuple très-grand et très- lieu dans un autre? Loin de nous cette pensée!
nombreux; mais ces impies (jui habitent le pays Ce n"est pas là ce quil veut faire eniemlre;
de Sodome, périront tous. Car, de même (jue mais, comme je l'ai dit, il veut, dans un lan-
la vertu opère le salut de ceux qui la pratiquent ;
gage approprié à la grossièreté de notre esprit,
de même la malignité leiu' attire la mort. nous ap|»reudre qu'il faut beaucoup de soin en
Maiulonant, après ces bénédictions, après ces ces sortes de choses; que les pécheurs ne doi-
ÏIOMÉLIES SUR LA GENÈSE, - QUAUAiNTE-DEl'XIÈME HOMÉLIE. 28S

Tent pas être condamnés seulement par ouï- d employé un langage approprié à la grossiè-
dire; que la sentence ne doit être portée qu'a- reté de notre esprit, et celapour le plus grand
près que la preuve a été faite. Ecoutons cette profit de nos âmes. Il dit en effet Je descen- :

leçon tous tant que nous sommes. Elle ne


, drai et je verrai. Pourquoi donc? il avait be-
regarde pas seulement les juges qui siègent soin de connaître? Il ne savait pas la grandeur
sur leur tribunal; ne sont pas seuls soumis
ils des péchés? il ignorait que la corruption était
à cette loi, mais personne parmi nous, ne doit, impossible à corriger? Loin de nous celte
sur une accusation sans preuve, condamner le pensée. Mais, c'est comme une justificatiou
prochain. Voilà pourquoi bienheureux Moïse,le qu'il apporte à ceux qui auraient plus tard
inspiré de l'Esprit-Saint, nous donne cet aver- l'audace de l'accuser. Il montre l'obstina-
tissement y^ous ne recevrez point une parole
: tion dans le vice, le manque absolu de vertu,
vaine. (Exode, xxui, 1.) Et le bienheureux Paul la grandeur de sa patience. Peut-être y a-t-il en-
écrivait Pourquoi juges-tu ton frère? (Rom.
: core un autre dessein : il veut fournir, au juste,
XIV, iO] et le Christ, en donnant ses préceptes
; l'occasion de faire paraître sa miséricorde, sa
à ses disciples, et taisant la leçon à la multitude bonté, son affection pour les autres hommes.
des Juifs, à leurs scribes et à leurs pharisiens : Les anges en effet, je vous l'ai dit, étaient partis
Ne jugez point, leur disait-il, afin que vous ne pour Sodome; le patriarche était resté en la
soyez point jugés. (Matlh. vu, 1.) Pourquoi présence du Seigneur Et s' approchant dit : ^ le
donc, dit-il, avant le temps, te saisis-tu de la texte , Abraham lui dit : Perdrez-vous le juste
prérogative du juge? Pourquoi fais-tu venir avec r impie? (Ibid.23.) confiance de l'homme
d'avance le jour de la suprême épouvante? Tu juste ! Disons mieux, ô grandeur de sa miséri-
veux exercer les fonctions de juge? Sois donc corde ! c'est comme un homme que le vin de
ton juge à toi-même, le juge de tes fautes. Per- la miséricorde enivre, et qui ne sait ce qu'il dit.
sonne ne t'en empêche; par là tu corrigeras Et la divine Ecriture, nous montrant l'excès de
tes péchés,et il n'y aura pour toi aucun in- sa crainte, le tremblement avec lequel il verse
convénient. Que si , négligeant tes propres ses prières, dit Et s approchant, Ahrahamlui
:

affaires, tu que
trônes et juges les autres, c'est dit : Perdrez-vous le juste avec l'impie? Que
tu ne sens pas que tu rends plus lourd, pour faites-vous, ô bienheureux patriarche? est-ce
toi, lefardeau de tes péchés. C'est pourquoi, que le Seigneur a besoin d'être prié par vous,
je vous en prie, rejetons bien loin de nous pour ne pas commettre une injustice? En
l'habitude de condamner les autres. Sans doute vérité, gardons-nous de telles pensées. Quant
vous n'êtes pas officiellement un juge; mais à lui, il ne parle pas comme si le Seigneur était
vous vous êtes fait juge par la pensée et vous ; capable d'une telle action, mais c'est qu'il n'o-
êtes tombé sous le coup du péché, lorsque, sait pas plaider ouvertement pour le fils de son
sans aucune preuve, et souvent sur un simple frère. 11 fait donc entendre, dans l'intérêt de
soupçon et sur une accusation sans valeur tous, une prière commune, parce qu'il veut
vous portez une condamnation. Aussi, le bien- sauver celui-ci, avec les autres ; avec celui-ci,
heureux David s'écriait Je persécutais celui : sauver aussi les autres; et il commence son
qui médisait en secret de son prochain. (Ps. c, I)laidoyer, et y a cinquante justes
il dit : S'il
5.) dans cette ville que vous les perdrez ?
, est-ce
-i. Voyez-vous la perfection de la vertu? Ne pardonnerez-vous pas à la ville entière^ à
non-seulement il n'accueillait pas les paroles, cause de cinquante justes, si on les y trouve?
mais il chassait loin de lui celui qui voulait Non, sa?îs cloute^ vous êtes bien éloigné d^agir
médire de son frère. Eh bien! donc, nous aus- de la sorte; de perdre le juste avec l'impie; de
si, si nous voulons diminuer le nombre de confondre les bons et les méchants. Non, sans
nos péchés , observons, avant toutes choses, doute : vous, qui jugez toute la terre, vous ne
cette règle; ne condamnons pas nos frères, feriez pas un jugement? (Gen. xvin, 2i, 25.)
n'accueillons pas leurs détracteurs, ou plutôt, Voyez comme cette prière révèle la piélé,
imitant le Prophète, chassons-les, montrons- l'amour de Dieu il reconnaît celui qui est le
;

leur toute notre aversion. C'est là, je crois, ce juge de la terre entière, et il le prie, pour que
qu'insinuait le prophète Moïse, en disant : lejuste ne périsse pas avec l'injuste. Alors le
Vous ne recevrez point une parole vaine. Voilà Seigneur, plein de douceur et de bonté, accepte
aussi pourquoi le Seigneur, en cette occasion, sa demande et lui dit : Je fais ce que tu as dit,
^86 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOKE,

et je consens à ta demande Si je trouve cin- : ple de Sodome ; et il dit : Puisqu'il m'est per-'
quante justes dans la ville, je pardonnerai, à mis de parler à mon Seigneiir, si on y trouve
cause deux, à toute la contrée; j'accorderai vingt justes? et Dieu dit : Je ne perdrai pas la
cette grâce, dit-il, h. cinquante justes, si on les ville, si j'y trouve vingt justes. (Ibid. 30, 31.)

trouve; j'accorderai, aux autres, leur grâce; Au dessus de tout discours, au-dessus de toute
j'accomplirai ce que lu demandes. pensée, est la bonté du Seigneur. Qui de nous,
Mais voyons cet homme juste : il s'enhardit, au milieu des vices sans nombre qui le tra-

et, reconnaissant clémence de Dieu, lui pré-


la vaillent, voudrait, quand il con lamne le pro-
sente, de nouveau, une autre prière en ces chain, qui lui ressemble, user dune telle in-
mots Maintenant que j'ai commencé à parler
:
dulgence, d'une douccur si aflectueuse .'

à mon Seigneur, moi, qui ne suis que terre et 5. Cependant ce juste, qui voit que le Sei-

que cendre. (Ibid. 27.) Ne croyez pas, dit-il, gneur est riche en bonté ne s'arrête pas là; ,

Seigneur, que j'ignore qui je suis; que je il recommence à parler : Seigneur, si je vous
veuille dépasser la mesure; abuser d'une si parlais encore une fois? (Ibid. 32.) C'est quil
grande confiance; je sais bien que je suis terre voyait une patience ineffable , et il avait peur
et cendre mais, de même que je sais cela, je
;
de provoquer contre lui l'indignation de Celui
sais, ce qui est pour moi manifeste aussi, je qu'il implorait; donc il dit : Seigneur, si je
n'ignore pas l'abondance, la grandeur de votre je suis téméraire? Je montre, peut-être, trop
clémence, la richesse de votre bonté je sais ;
peu de respect ? Je mérite, peut-être, uns
que vous voulez ([ue tous les hommes soient condamnation si je parle encore une fois ? Vous
sauvés. Car après les avoir tirés du néant,
,
qui m'avez montré tant de bonté, encore une
après les avoir faits, comment voudriez- vous seule prière accueilkz-la
; Si datis cette : ,

les perdre, n'était grand nombre de leurs le ville, on en trouve dix? et Dieu dit je 7ie per- :

péchés ? C'est pourquoi je vous prie, et vous drai pas la ville si j'en trouve dix. Et, comme il
supplie encore S'ils Jie se trouvaient pas au
: avait commencé par dire Si je vous parlais :

nombre de cinquante, s'ils n'étaient que qua- encore une fois Le Seigneur, dit le texte, s'en
:

rante-cinq justes dans la ville; est-ce que vous alla après avoir cessé de parler à Abraham, et
ne sauveriez pas la ville? Et le Seigneur dit : AbraJiam retourna chez lui. (Ibid. 33.) Voyez-
Si on en trouve quarante-cinq, je ne la pev' vous la complaisance du Seigneur, à s'abais-
drai pas. Qui saurait dignement louer le ser à notre infiiniité? Voyez-vous la charité do
Seigneur, le Maître de l'univers; célébrer, l'hommejuste? Comprenez-vous la forcedeceux
comme il convient, tant de patience, tant qui marchent dans la voie de la vertu ? Si on
d'indulgence? Qui pourrait louer dignement trouve, dit-il, dix justes, par égard pour eux j'ac-
ce bienheureux juste, qu'une telle conliance corde, à tous, la rémission de leurs péchés.

anime? Et, dit le texte, Abraham lui dit en- Avais-je tort de vous dire que tout cela se faisait,

core : Si on y trouve quarante justes? Et Dieu pour enlever à l'impudence de& contradicteurs
dit Je ne perdrai point la ville si j'y trouve
:
tout iirétexte dans l'avenir ? Il ne manque i»as
quarante justes. (Ibid. 28, 20.) Ensuite Abra- en etlet d'insensés, à la langue sans frein, pour
ham ayant peur, pour ainsi dire, de lasser critiquer le Seigneur, et qui osent dire Pour- :

l'ineffable patience de Dieu, et craignant aussi, quoi cet incendie de Sodome? Si on les avait
peut-être, que sa prière ne parût par liisard attendus ,
peut-être se seraient-ils convertis.
dépasser les justes bornes Oscrai-jc dit-il, : , Voilà pourcjuoi l Ecriture nous montre le dé-
Seigneur, parler encore? Si on y trouve trente bordement de la corruption , dans une si
et,

justes? Il voit Dieu disposé à la miséricorde; il grande multitude, une telle pénurie de vertu
cesse alors de diminuer gradueliement; il ne qu'il fallait un autre déluge, aussi énergi(iue

86 contente pas de retirer cinq justes, il en que le premier qui avait saisi la terre. Mais la

supprime dix, et il continue ainsi son |)lai- promesse de Dieu est formelle ; un suppUce de
doycr Si on en trouve trente? et le Seigneur
: ce genre ne sera plus intligé. Voilà pourquoi
dit : Je ?)e perdrai point la ville, si j'y trouve Dieu invente un autre nunle de châtiment, qui
trente justes. Remarquez la constance dWbra- de punition pour ces infâ-
lui sert, à la fois,

ham; on croirait qu'il est lui-même sous le mes ,


enseignement pour tous les
et d'éternel

coup de la sentence, à voir avec (luelle chaleur âges à venir. Comme ils a>aienl bouleversé
il cherche à soustraire au châtiment le peu- les lois de la nature, inventé des commerces
iiOMi^XIES SUR LA GENÈSE. - QUARANTE-DEUXIÈME nOMÉUË, 28t

étranges, contraires à toute loi, Dieu leur in- dérable de personnes, même au milieu des
flige un supplice, étrange comme leur ini- villes de personnes qu'on ignore , peuvent
,

quité ; il frappe de stérilité les entrailles de apaiser le Seigneur. Il en est d'autres sur les ,

leur terre ; il laisse aux générations à venir montagnes , et dans les cavernes, et ces vertus
un monument éternel, qui leur crie de ne pas de quelques saints peuvent couvrir la mali-
recommencer les mêmes pour ne
attentats
, gnité des peu|)les. La bonté du Seigneur est
pas encourir la môme expiation. Permis à qui grande et souvent il accorde même en fa-
, ,

voudra, d'aller voir ces lieux sinistres, d'enten- veur d'un petit nombre le salut à des multi- ,

dre, pour ainsi dire, la terre même jetant un tudes. El que dis-je, à cause d'un petit nom-
grand cri de la voir, après tant d'années
, bre de justes? Souvent, lorsqu'il ne se trouve
montrant les traces de son supplice qui sem- ,
pas dans la vie présente un juste, il regarde
ble d'hier ou d'aujourd'hui, tant se manifeste la vertu des morts , et il s'émeut pour les vi-
encore aux yeux l'indignation du Seigneur. vants , et sa voix leur crie : Je protégerai cette
Aussi, je vous en conjure, que le supplice ville ^ à cause de moi , et de David ^ mon ser-
d'autrui nous serve à nous rendre la sagesse viteur. {Rois, XIX , 34.) Paroles qui reviennent
et la vertu. à dire : du salut
quoiqu'ils soient indignes
Mais peut-être dira-t-on , eh bien pourquoi
! aucun droit d'y prétendre, toute-
qu'ils n'aient
ont-ils été punis ? N'y a-t-il pas , de nos jours fois parce que j'aime la miséricorde, parce

encore, un grand nombre de pareils criminels que je suis prompt à la piété prompt à écar- ,

que l'on ne punit pas ? mais l'antique


Oui , ,
ter le malheur, à cause de moi-même, et à

supplice aggreivera le châtiment de ceux qui cause de David mon serviteur ,


je les protége-
renouvellent ces infamies. Si le sort des pé- rai ; mort depuis tant d'années,
et celui qui est

cheurs d'autrefois ne parle pas assez haut est pour eux l'auteur du salut qu'ils avaient
,
,

pour nous corriger si nous ne mettons pas


, perdu par leur propre mollesse. Comprenez-
à profit la patience de Dieu considérez quelle , vous la clémence du Seigneur l'estime qu'il ;

rigueur nous ajoutons, pour nous-mêmes, à fait des hommes vertueux? il les honore il ,

la flamme inextinguible ;
quel ver cruellement les distingue un seul à ses yeux, balance toute
,

rongeur nous nous apprêtons. Cependant ,


une multitude. Voilà pourcjuoi Paul à son ,

comme la grâce de Dieu permet qu'il y ait de tour, disait: Us étaient vagabimds^ couverts de
nos jours encore un grand nombre d'hommes peaux de brebis, et de peaux de chèvres, aban-
vertueux pour apaiser le Seigneur, ainsi que donnés, affligés, persécutés, eux dont le monde
l'a fait alors ce patriarche; quelle que soit, ïi était pas digne. (Hébr. xi, 37, 38.) Le monde
quand nous nous replions sur nous-mêmes entier, dit-il, l'univers entier, ne mérite pas
quand nous voyons notre engourdissement, d'être comparé à ces vagabonds, qui vont de
l'idée que nous concevons de l'étrange rareté côté et d'autre, en proie aux aux afflictions,

de la vertu, il n'en est pas moins vrai que c'est persécutions montrant leur nudité
, vivant ,

à la vertu de ces hommes que nous devons la dans des cavernes, tout cela pour Dieu.
patience manifestée par Dieu envers les autres. G. Donc, mon bien-aimé, quand vous voyez

Vous faut-il une preuve que nous devons à la ,


un homme, des haillons sur le corps, mais dont
faveur dont ces hommes jouissent auprès de l'àme s'est faitun manteau, ne mé-
de la vertu,
Dieu, la patience qui nous supporte? écoutez, prisez pas ce qui se montre aux jeux recon- ;

dans notre histoire d'aujourd'hui les paroles , naissez le luxe de l'àme, la gloire du dedans;
que le Seigneur adresse au patriarche Si je : attachez vos regards à la vertu resplendissante
trouve dix justes, je ne perdrai pas la ville. Et en Tel était le bienheureux Elic, qui n'a-
lui.

que parlé-je de dix justes ? On ne trouva pas, vait pour vêtement qu'une peau de muulon et ;

dans ce lieu , un seul homme pur de la cor- , la pourpre d'Achab avait besoin de cette peau
ruption, excepté Loth, le seul juste, et ses deux de mouton. Voyez l'indigence d'Achab, et la
filles. Pour sa femme, par égard pour lui, peut- richesse d'Elie ? Voyez, entre leur pouvoir, la
être, elle échappa au châtiment de la ville, mais différence. Cette peau de mouton a fermé le

ce fut pour subir bientôt la juste punition de ciel, a défendu à la pluie de descendre ; la lan-
son indolence. Il n'en est pas de même de nos gue du prophète a été pour le ciel un frein ;
jours, grâce à la miséricorde de Dieu ; aujour- et,pendant trois ans et six mois, il n'y a pas eu
d'hui que la piété a grandi, un nombre consi- de pluie. Ce roi, au contraire, avec son man-
288 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOxME.

teau de pourpre, le diadème au front, allait possède rien de votre luxe ; elle n'a qu'une
partout, cherchant le pro|)hète, et à ce roi son poignée de farine, et déjà elle croit assister à la

royal pouvoir ne servait de rirn. Et mainte- mort de ses enfants. A ces mots du prophète :

nant, considérez bonté du Seigneur. Comme


la Faites pour moi d'abord, et ensuite pour vous
il vit le zèle aident de son prophète, et
le ri- et pimr vos enfan/s, elle ne s'indigne (»as elle ,

goureux châtiment qui tïap|)ail toute la terre, n'hé^ite pas, elle fait ce qui lui est commandé;
pour le soustraire à ces douleurs, pour qu'il ne elle nous montre à tous, que nous devons pré-
partageât pas la punition due à la malignité, il férer, à notre bien-être, le soin des serviteurs

lui dit Allez àSarepta, chez lesSidoniens, là je


:
de Dieu; que nous devons nous appliquer à
commanderai aune femme veuve de vous nour- mériter le salaire considérable dont nous serons
rir.Elle aussitôt s'en alla à Sarcpta. (111 Rois, récompensés quand nous aurons accompli ce
xvu, 9, 40.) Voyez, mon bien-aimé, la grâce devoir. Contemplez celte veuve pour une poi- ;

de l'Esprit hier, tout notre entrelien a été


:
gnée de farine, pour un peu d'huile, quel gre-
consacré à l'hospitalité aujourd'hui cette veuve
;
nier inépuisable elle s'est construit ! illl Rois,
hospitalière sera le com|)léinent de notre dis- XVII, 44.) Après qu'elle eut nourri le prophète,
cours. Et il alla, dit le texte, auprès de cette elle vit que rien ne manquait, ni à sa poignée

veuve, et il l'aperçut ramassant du bois , et il de farine, ni à l'huile qu'elle avait dans son vase ;

dit : donnez-moi un peu d'eau et je boirai; et cependant la famine dévorait toute la terre.

celte femme obéit. Et il lui dit encore : Faites- Or, voilà qui est un sujet d'admiration, déton-
moi des pains sous la cendre , et je manrjerai. nement, c'est que, dès cet instant elle n'avait
(Ibid. 41.) Cette femme lui découvre son ex- plus que faire de se fatiguer ; elle trouvait tou-

trême indigence, disons mieux, son ineffable jours sous sa main, et la farine et l'huile ; elle

opulence. Car la grandeur de sa pauvreté ré- n'avait j)as besoin decultiver les champs, d'asso-
vèle la grandeur de ses richesses. Et elle lui cier les bœufs à ses travaux : pas besoin d'aucun
dit Votre servante n'a plus qu'une poirjnée de
:
autre labeur; donné de jouir de
il lui était

farine et un peu d'huile, dans un vase; et celte merveilleuse abondance qui démentait la

nous manrjerons, mes enfants et n<oi ; et nous nature. Et il y avait un roi, couronne en tète,
mourrons. (Ibid. 42.) Paroles d'une tristesse qui s'inquiétait, qui soutirait de la faim, tandis
touchante, qui attendriraient une pierre. Nous que cette veuve, privée de toutes ressources,
n'avons plus, dit-elle, aucun espoir de salut; mérita, pour avoir accueilli le prophète , et

à nos portes, la mort nous n'avons plus, pour


; obtint un inépuisable trésor. Voilà pourquoi le

nous soutenir, que ce qui suflira, à peine, à Christ disait : Celui gui reçoit un prophète en
mes enfants et à moi; j'ai fait ce que je pouvais; qualité de prophète, recevra la récompense du
je vous ai donné de l'eau. Mais maintenant, jirophète. (Malh. x, -il.) Vous avez vu hier ce
voulez-vous comprendre tout ce qu'il y a, dans qu'a valu au patriarche rhosj)ilalilé généreuse-
cette femme, de vertu hospitalière, et tout ce ment pratiquée par lui, et l'empressement et
qu'il y a de sainte confiance,dans l'homme juste, l'ardeur de son zèle ; voyez maintenant cette
voyez ce qui arrive. Quand le |)rophèteeul bien femme de Sidon, possédant tout à coup de
tout reconnu (or rien ne se faisait, (lu'atin du grandes richesses; c'est que la langue du pro-
nous révéler la vertu de cette femme, car Dieu 1 hJte, qui commandait au ciel, lit en sorte que
qui avait dit Je co7nnu/ndc}'ai à une fcminc
:
celte poignée de farine et ce vase d'huile de-
de vous nourrir, c'était lui, qui, en ce moment vinssent des sources dune intarissable richesse.
opérait par l'entremise de son prophète), 7. Hommesfemmes, imitons donc celle
et

riiomme de Dieu dit : Faites pour moi d'a- veuve ;


vous con-
je voudrais, oui, je voudrais

bord, et je mangerai; et etisuite, pour vos duire, vous élever jusqu'à ce prophète, vous
fils. entlammer de son zèle, vous inspirer le désir
Ecoutez toutes, ô femmes, vous chez qui les d'égaler sa vertu. Mais cette vertu vous paraît
richesses abonde nt, et qui dépensez votre opu- lourde à porlei ; ce n'était pourtant qu'un
lence à tant de choses inutiles, et qui, après honuue, revêtu de chair comme nous, de la
avoir bien joui de vos frivolités, ne pouvez même nature que nous; mais il contribua lar-
pas vous décider à donner deux oboles à l'indi- gement des ressources de son àme; il sut ce
gcnl, ou à l'honune vertueux et pauvre, (jui que c'est que d'embrasser la vertu par là il ;

vous implore au nom de Dieu. Celle veuve ne obtint la grâce d'en-Uaut. Tournons ailleurs
HOMFJJES SUR LA GENÈSE. — QUAIUNTE-DEUXIÈME HOMÉLIE. 289

nos regards en attendant imitons si vous vou- ; mais (ju'il y en a un autre, qui regarde comme
lez, cette femme, et par ce moyen, peu à peu fait à lui-même ce (jue l'on au premier. Et fait

nous parviendrons jusqu'à l'imitation du pro- cet autre n'est pas un personnage vulgaire ,
phète. Imitons donc son hospitalité généreuse; c'est le Maître du monde entier, le Seigneur de

à l'avenir plus de prétextes tirés de notre indi- toutes les créatures, Celui qui a fait et le ciel et
gence. Si indigent qu'on soit, on ne le sera la terre. Et cette dépense produit de gros inté-
jamais plus (jue cette [enuue, qui n'avait d'ali- rêts ; et, non-seulement elle ne diminue pas
ments que pour un joiu% et qui, même dans votre avoir, mais elle l'augmente si vous avez

cette extrémité, accorda au prophète, sans hé- la foi et l'allégresse de la charité; je veuxdire,
siter, ce qu'il lui demandait, s'empressa d'obéir, ce qui est de tous les Wens le principal; ajoutez
et tout de suite, reçut sa récomi»ense. Car voilà à ces revenus, à ces bénéfices que vous vaut
la conduite de Dieu;donne beaucoup, après
il votre dé[)ense, ajoutez-y encore, que vos péchés
avoir peu reçu. Car enfin, parlez, je vous en vous sont pardonnes. Quel bien pourrait égaler
prie, a-t-elle donné autant (ju'elle a reçu ? celui-là ? Donc, si nous voulons devenir vrai-
Mais Notre-Seigneur ne regarde pas à la quantité ment riches, ajouter à nos richesses la rémis-
dans le don il ne voit que la munificence de la
;
sion de nos péchés, versons, dans les mains des
volonté. Voilà ce qui fait que de petites choses indigents, tous nos trésors; envoyons-les avant
deviennent de grandes choses que souvent ;
nous dans le ciel, où il n'y a ni voleur, ni lar-
aussi, de grandes choses perdent tout leur prix, ron, ni bandit perçant les murailles, ni serviteur
lorscjue la vive ardeur de l'àme ne répond pas infidèle, ni quoi que ce puisse être qui nous
à la conduite. Voilà pourquoi cette veuve de enlève notre richesse. Car de cet heureux
l'Evangile, au milieu de tant de gens qui fai- séjour, n'approche aucun de tous ces dangers;
saient des offrandes, qui en apportaient tant il suffit pour nous, de ne pas poursuivre la

dans le trésor, avec ses deux petites pièces de vaine gloire, mais de marcher, en suivant les
monnaie, a vaincu tous les riches. (Luc, xxi, 3, lois du Christ, non pas pour obtenir les louanges
i.) Elle ne donna pas plus que les autres, mais des hommes, mais pour être loués par le com-
elle montra plus que les autres la libéralité de mun Seigneur de tous les êtres pour qu'il ne ;

la volonlé ; les autres, en effet, dit le Seigneur, soit pas dit que nous ne faisons que des dépenses

faisaient l'auinône de leur superflu, cette veuve sans aucun profit. Voulons-nous mettre nos ri-
apporta tout ce qu'elle possédait, toute sa sub- chesses à l'abri de toutes les convoitises? trans-
sistance; tout ce qui la faisait vivre, dit le texte ,
portons-les au ciel, par les mains des pauvres.
elle le jeta dans le trésor. Ce n'est qu'un frivole désir de gloire qui les
Eh bien sommes-nous vraiment des hom-
! consume ; et comme la teigne et les vers ron-
mes ? imitons au moins ces femmes qu'il ne ;
gent les tissus, ainsi fait la vaine gloire des
soit pas dit que nous ne les valons pas ; ne ré- richesses ; les richesses s'acquièrent par la mi-
duisons pas notre empressement à dépenser, séricorde. C'est pourquoi, je vous en conjure, ne
pour nos jouissances particulières, tout ce que nous bornons pas à faire des aumônes, mais sa-
nous possédons sachons aussi montrer que
; chons prendre toutes nos précautions, pour nous
nous prenons grand soin des indigents soi- ; assurer de grands biens, en échange de peu de
gnons-les avec ardeur avec le zèle joyeux , chose à la place du fragile, l'incorruptible, en
,

d'une affection sincère. Quand l'agriculteur retour de ce (jui est temporaire, l'éternel ;
et

jette les semences sur la terre , il ne le de plus, avec tous ces biens, la rémission de
fait pas avec tristesse, mais gaiement et joyeu- nos péchés, et le bonheur qu'aucune expression
sement, comme s'il voyait déjà les gerbes ne peut rendre et puisse-t-il devenir pour nous
;

qu'il sepromet, et il prend plaisir à jeter la tous, notre partage, par la grâce et la miséri-
semence dans le sein de la terre. Faites de corde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui
même mes bien-aimés, ne considérez pas
, appartient comme au Père et à l'Esprit saint
,

seulement, ni le pauvre qui reçoit, ni la dé- et vivifiant, la gloire, maintenant et toujours,


pense que vous faites ;
pensez donc que celui et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
qui reçoit de vos mains, est un être visible,

TOL'E V. 19
290 lliADUCTION FRANÇAISE DK SAINT JEAN CHFiVSOSTOME.

QUARANTE-TROISIÈME HOMÉLIE.

LeB deux anges Tinrent à Sodome, le soir. (Gen. XIX, 1 .)

ARALrSL

1. tolb, au milieu de Sodome, pratiquait l'hospitalité, comme Abraham au sein de la solitude. On peut être vcrtnenï partonl.
Ici-bas l'inlercessiori des justes peut être utile aux autres hommes. — 2. Mais il n'en est pas de même dans le siècle futur.

— 3-6. Arrivée des anges chez Loth. Ex-écrable infamie des habitants de Sodome, et leur punition, — 7. Exhortation mo-
nle.

1. Une riante prairie nous montre une variété manifestant, par sollicitude pour nous, sous
de fleurs de toute espèce ; ainsi la divine Ecri- une forme huiuaine, demeura auprès du pa-
ture nous montre les vertus de? justes, non pas triarche, et lui parla comme vous l'avez en-
afin de nous pendant (|iielqiies ins-
faire jouir, tendu hier. Dieuvoulaitnousapjirendre. àtous,
tants bien courts du parfum de ces fleurs
, ,
et la j,aandeur de sa patience, et la charité du

mais afin que nous en retirions une utilité du- patriarche. Quant aux ange?, ils se dirigèrent
rable. Les fleurs que notre main cueille dans les alors du côté de Sodome. L'Ecriture, suivant
cbairips, se flétrissent bien vite, et perdent leur l'ordre des faits, nous dit maintenant: Les
éclat; il n'en est pas de même des fleurs de l'E- deux anges vinrent à Sodomr, le soir, pour
criture. Quand nous avons appris les vertus des faire ce quiétaitcommandé. Voyezl'exactitude.
justes/piand nous les avons mises en réserve, au le soin de la divine Ecriture. Elle nous montre

sein de notreàme, nous pouvons toujours savou- le temps de leiu* arrivée. En elTet elle nous ,

rer ce parfum ilsuffllde voidoir. Eh bien doue,


;
! dit Le soir. Pourquoi a-t-elle marqué le temps?
:

puisque telle est, dans la divine Ecriture, la Pounjuoi anges sont -ils arrivés le soir?
les
bonne odeur dessainls,reclierclions aujourd'hui L'Ecriture veut nous montrer la généreuse lios-

le piufunuh^ Loth; comprenons bien ({ue ce qui l)italitéde Loth de mème()ue le patriarche, as-
;

a conduit ce juste stu* la cime d'ime vertu si sis devant sa tente, au milieu du jour, obser-

haute, c'est son commerce avec le patriarche, vait les voyageurs qui pouvaient passer, les
dont il suivit les traces, au(|uel il a dû parlicu- épiait, s'appli(|nant avec ardeur à cette chasse
lièrement les vertus (juil montra dau'^ l'exer- généreuse, et s'élançait sur eux. et que cetait
cice de rhos|)italité. I\)tir donner |)lus de clarté une lète pour lui ipie de recevoir les étrangers;
à notre entretien, il est bon d'enlendre les pa- de mémo ce juste, qui connaissait la perver-
roles de l'Ecriture : Les deiix anges vinrent à sité des habitants de .Sodome, ne sortait pas
Sodomcy le soir. Pourquoi le text(! conunence- de chez lui, le soir, mai-^il demeurait assis de-
t-il ainsi? Pomciuoi dit-il Les deux amjes vin-
: vant sa maison, afin de ne pas perdre im tré-
rent à Sodome, le soir? C'est parce qu'après sor qui aurait pu lui échapper, afin de s'assu-
être restés sous la tente du patriarche-, ils se le- rer le fruit de l'hospit iMlé. Il est vraiment per-
vèrent et sortirent ; mais le Dieu de bonté, se mis dadmirer la vertu de ce juste qui au milieu
HOMÉLIES SUR LA GKiNÈSE. — QLARAME-TKOISIÈME HOMÉLIE. 291

d'hommes si impies, non-seulement ne s'est aucune utilité. En voulez-vous l'assurance?


pas relàclié, mais n'en a montré que plus de écoutez ce que dit le Prophète : Qui est celui
vertu. Et lorscjue tous, pour ainsi dire, se (pu vous louera dans l'enfer ? (Psal. vi, 5.) Et
ruaient dans le précipice , lui seul, dans une ailleurs: Le frère ne rachète point son frère^
si grande multitude, suivit le droit chemin. Vêtranfjer lerachètera-t-il?{^'id\. xlvui, 8.) Il


sont-ils maintenant ceux qui prétendent n'y aura là, dit le Psahniste, personne, plus
qu'on ne peut pas, au milieu d'une ville, con- tard, pour délivrer celui qu'aura trahi sa né-
server la vertu? qu'il est besoin de retraite, de gligence il n'y aura là ni frère, ni
; père, ni
séjour sur les montagnes? qu'on ne peut pas, mère et que dis-je, ni frère, ni père, ni mère?
;

quand on a une maison à conduire, quand on les justes même qui jouissent de l'intimité do
,

aune femme des enfants à soigner, etdesdo-


, Dieu, ne pourront alors nous être d'aucun se-
mesliques, et des serviteurs, prati([uer la vertu? cours, si, dans la vie présente, nous cédons à
Qu'ils voient donc cet homme juste, ayant à l'engourdissement. En effet, dit le Prophète ,

ses cotés femme, enfants et serviteurs, vivant que Noé Job et Daniel s'ij trouvent en même
,

au sein d'une ville, et pareil, au milieudetous temps, ils ne délivreront ni leurs fils, 7ii leurs
ces méchants, de tous ces impies, à une étin- filles. (Ezéch. xiv, 20.) Voyez quelle terrible

celle qui brille au milieu demer, qu'ils le


la menace; quels justes l'Ecriture a nommés En I

voient donc persister, non-seulement sans s'é- effet, ces sages, quand ils vivaient, ont procuré
teindre mais répandre une lumière chaque
,
même le salut des autres; Noé, quand l'épou-
jour plus éclatante. Et ce que je dis, ce n'est vantable déluge saisit la terre, sauva son épouse
pas pour empêcher qu'on ne cherche la retraite et ses fils; Job, de même, fut, pour les autres,
hors des villes; ce n'est pas pour interdire le une cause de salut , Daniel aussi arracha un
séjour des montagnes ou des sohtudes; mais grand nombre d'hommes à la mort, quand ce
je montre que celui qui veut vivre dans lu tem- barbare demandait des choses impossibles à la
pérance, pratiquer exactement, activement la nature humaine, et voulait exterminer Chal-
vertu, ne trouve, hors de lui rien qui l'en , déens. Mages, et Gazaréniens.
puisse empêcher. De même que l'indolent, que 2. Ne pensons pas qu'il en soit de même dans
celui qu'un rien abat, ne retire aucun profit le siècle à venir, et que ceux qui ont passé leur
de la solitude; (en effet, ce n'est pas du lieu vie dans la vertu, qui sont en faveur auprès di3
où l'on est que la vertu dépend, c'est le fruit Dieu, puissent affranchir du supplice leuis
de notre sagesse et de nos mœurs;) de même, amis, leurs parents,(jui auront vécu ici-bas
l'homme sage et vigilant, n'a pas à souffrir du dans une molle négligence. Voilà pourquoi le
séjour des villes. Aussi je voudrais voir, comme texte nous a parlé de ces hommes justes; c'est
ce bienheureux, les hommes vertueux vivre pour nous inspirer la terreur, c'est poiu- nous
au sein des cités, où ils seraient comme un montrer que chacun de nous doit fonder sur
ferment qui attirerait les autre-, qui les por- ses propres œuvres, en même temps que sur
terait à suivre leurexemple. Toutefois, comme la grâce divine, l'espérance de son salut; qu'il
la viedans ces condilions semble difficile, nous ne faut ni se glorifier des vertus de ses ancêtres,
permettons qu'on essaye l'autre genre de vie. ni de quoi que ce soit hors de nous, ni bâtir
En effet, la figure de ce monde passe. (I Cor. sur ce fondement sa confiance, si nous persé-
vu, 31.) La vie présente est courte; et, si nous vérons dans le péché; mais qu'il faut se soucier
ne profitons pas du moment que nous sommes uniquement, si nos pères ont brillé parla vertu,
encore dans le stade, pour entreprendre les tra- d'imiter leur vertu ; et, s'il leur est arrivé le
vaux de la vertu, pour fuir les filetsde la mali- contraire, nous sommes nés de parents per-
si

gnité, c'est en vain, plus tard, que nous pré- vertis, nous ne devons pas croire qu'il y ait là
tendrons nous corriger, quand le repentir ne rien qui nous soit nuisible, pour peu que nous
servira de rien. Tant que nous demeurons dans nous exercions aux fatigues de la vertu. Ku
la vie présente, le repentir peut avoir son uti- eflét, nous ne retirerons, de ce qui ne nous est
lité; on y gagne l'expiation des premières fautes, pas personnel, aucun dommage; chacun n'est
on acquiert ainsi la miséricorde du Seigneur. couronné ou condamné que pour ses propres
Si nous laissons échapper le temps présent, si œuvres, comme dit le bienheureux Paul Afin :

tout à coup nous sommes emportés, nous pour- que chacun reçoive ce qui est dû aux bonnes
rons nous repentir, mais nous n'en retirerons ou aux mauvaises aclions qu'il aura /.u'ics,
292 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

.pendant qu'il était revêtu de son corps. (Il Cor. regardait comme un grand bienfait de Dieu,
en parlant de Dieu Il ren-
V, 40.) Et ailleurs, : d'avoir rencontré ces hommes, afin de satis-
dra à chacun selon ses œuvres. (Rom. ii, G.) faire, en les recevant, son désir d'exercer l'hos-
Parfaitement instruits de ces vérités, secouons pitalité. Ne vous hâtez pas de dire, que c'é-
toute négligence; attachons -nous, de toutes taient des anges; considérez plutôt que ce juste
nos forces, à la vertu: profitons de ce que l'ignorait encore ; il les reçoit comme des in-
nous sommes encore dans le stade, de ce que connus, comme de simples voyageurs; son
c'est le temps de la lutte, et, avant que les spec- âme était ainsi faite. Puis il leur dit : Ve}iez,
tateurs se séparent, inquiétons-nous de notre seigneurs, je vous prie, da?is la maison de votre
salut, afin qu'après avoir, dans la vie si courte serviteur, et demeurez-y , et lavez vos pieds, et
qui nous est donnée, pratiqué la vertu, nous demain vous continuerez votre 7'oute. Ces pa-
en recevions récompense, dans la vie qui
la roles suffirait pour révéler la vertu cachée
n'aura pas de Semblables à ce juste qui, au
fin. dans lïirae de ce juste. Comment s'étonner
milieu de tant de méchants, et ne trouvant qu'en admire cette humilité parfaite, le zèle
personne pour imiter sa vertu et ne voyant , bi ùlant qu'il montre en exerçant l'hospitalité?
autour de lui que les moqueries de la perver- Venez, dit-il, seiyncu/'s. dvîîs la maison de
sité railleuse, non-seulement ne s'est pas ar- votre serviteur, et il les appelle seigueure, et il
rêté, n'est pas devenu moins actif, mais a brillé s'appe'le lui-même leur serNiteur. Ecoutons
d'un tel éclat de vertu ,
qu'il a mérité de rece- avec attention Ces paroles, mes bien-aimés, et
voir, chez lui, les anges du Seigneur. Et nous aussi, apprenons à faire connue lui. Un
quand ces anges faisaient périr tous les habi- lionnne qui avait le droit d'être fier, un homme
tants, lui seul, avec ses filles, a évité le châti- d'un grand nom, d'une si
si riche, le père
ment qui leur était infligé. Revenons d'ailleurs belle famille, voyageurs
aperçoit des des ,

à la suite de notre entretien : Les deux wigcs étrangers, des inconnus, en apparence assez
vinrent à Sodome le soir. Le moment delà misérables ils passent, ils ne lui sont rien,
;

journée montre surtout la parfaite vertu de ce il les appelle seigneurs, et il dit Venez dans :

juste, puisque, le soir arrivant, il resta devant la maison de votre serviteur et reposez-vous.
sa maison et ne rentra pas. Car, comme il con- C'est le soir, dit-il accordez-moi cette grâce,
,

naissait le profit de rhopjntalité, jaloux d'ac- reposez-vous de la fatigue du jour en venant


quérir les richesses qu'elle donne, il y met- dans la maison de votre serviteur. Est-ce que
tait beaucoup de soin et le jour terminé, il
; je vous fais une magnifique promesse? Vous
continuait encore. Voilà la marque d'une âme laverez vos pieds, fatigués d'une longue mar-
où règne la ferveur d'un zèle actif; aucun obs- che, et demain vous continuerez votre route.
tacle ne rcmpêche de manifester sa V( rlu bien ;
Accordez-moi cette grâce, et ne refusez pas ma
plus, les plus grands obstacles ne font que l'ex- j)! ière. Et ils lui répondirent, dit le texte , nous
citer davantage, et l'embraser d'un plus vif n'irons point chez vous, mois nous demeurerons
désir. sur la place. Même aprè.^ leur refus, en réfionse
Quand Loth, dit le texte, les aperçut, il se à une exhortation si pressante, il ne s'engour-
leva pour aller au-devant d'eux. Ecoulez ces dit pas ne renonce pas à son dessein il ne
; il ;

paroles, vous qui, à l'aspect des étrangers, qui fait [lasceque nous faisons quelquefois, quand
vous prient et vous supplient, et vont juscju'à il nous arrive d'adresser une exhortation à
s'abaisser devant vous, leur montrez durement quelqu'un si nous le voyons résister, si peu
,

votre aversion et les repoussez. Voyez conunent que ce soit, refuser, aussitôt nous nous arrê-
ce juste n'attend pas qu'ils viennent jusqu'à tons, ce qui provient de ce que nous n'avons
lui; il fait connue le patriarche: ignorant quels ni atlection, ni vrai zèle, et surtout, de ce que
étaient ces hôtes, les prenant pour de simples nous regardons comme une excuse suffisante,
voyageurs, il semblait sauter de joie parce ,
do pouvoir dire, j'ai fait ce que j'avais à faire.
qu'il avait obtenu la jn'oie (ju'il cherchait, et 3. Que dis-tu que tu as fait ce que lu avais
,

son désir no le trompait pas. Lotli les ayant à faire? Tu chasses, et tu laisses la proie s'é-
vus, se leva, alla au-devant d'eux, et s'aùaissa chapper. Tu t'en vas loin du trésor, et tu as
jusqu'en terre. (Gen. xix, 1.) 11 rendit grâces à fait ce (jue lu avais à faire ? Tu aurais fait ton

Dieu (pii l'avait jugé digne de recevoir ces


,
devoir, si tu n'avais pas jeté le trésor que tu
voyageurs. Remarquez la vertu de ce juste; il uvais dans les mains; si, en ch issant, tu n'a-
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE, — QUARANTE-TROISIÈME HOMÉLIE. 23.]

vais pas laissé échapper la proie ; si tu n'avais mal était incurable, il n'a pas pour cela re-

p.»s,imiiincinenl pour rac(juit de ta conscicuco, noncé à la cure; c'est ce que font d'ordinaire les
et seulement en paroles, montré les vertus de médecins. Ils ont beau voir que les maladies
riijspifalité. Ce juste, au contraire, n'agit pas sont plus fortes que la médecine, ce n'est pas
de même: mais ^[uc lait-il? Il les voit, qui ré- pour eux une raison de négliger leur devoir,
sistent à ses prières et qui veulent demeurer parce que, s'il peut se faire même au bout ,

sur la place. Or, ce que les anges voulaient, d'un long temps que le malade se rétablisse,
,

c'était faire éclater la vertu de l'homme juste, la guérison prouvera l'excellence de leur art;

et nous montrer, à tous, combien était grande si, au contraire, leurs soins sont inutiles, on

en lui rallection de l'hospitalité. Aussi bientôt pourra d'autant moins leur adresser de repro-
ne se borne-t-il plus à des paroles, mais il leur ches, qu'ils auront fait tout ce qui dépendait
fait violence. Le Christ aussi Ce sont disait : d'eux.
les violents qui emportent le royaume des deux. C'est, assurément, ce qui arriva ici. Ce juste

(Matlh. XI, 12.) Eu elTet, où brille un gain spi- au milieu de ces hommes, même dans ces cir-
rituel, la violence est à propos, et la contrainte constances, conserva la justice et montra l'é-
est louable. Et il les pressait , dit le texte, avec tendue de sa sagesse. Quant aux habitants de
grande instance. Il me semble, à moi, qu'il les Sodome , voilà précisément ce qui leur ôte
attirait malgré eux bientôt, quand ils virent
: toute excuse non-seulement ils ne se sont pas
;

tout le zèle de l'homme juste ,


quand ils se vi- corrigés de leur malignité, mais elle ne fit
rent contraints d'accéder à son désir, Ils con- que s'accroître. Voyez en effet Ils entourèrent :

à ce qiiil voulait, et ils


sentirent, dit le texte, la maison; depuis les en fa) it s jusqu'aux vieil-
entrèrent dans sa maison, et il leur fit un fes- lards, tout le peuple s'y trouva. Abominable
tin , et il fit cuire des pains sans levain , et ils conspiration de la corru])tion, violent désir du
mangèrent avant d'aller se coucher. Voyez- mal, inexprimable grandeur de la dépravation,
vous, ici encore, que ce n'est pas dans la somp- criminelles tentatives (|uc rien ne saurait excu-
tuosité de la table que riios[)ilalité réside, que ser! depuis les enfaids, dit le texte, jusqu'aux
c'est la générosité de l'àme (jui la constitue? vieillards. Non-seulement, dit le texte, l'en-
Aussitôt qu'il a pu les introduire dans sa mai- fance recherchait celte violation sacrilège, mais
son, vite il s'empresse de remplir tous les de- on voyait des hommes sur le déclin de l'âge,

voirs envers les hôtes, et lui-même s'apprête à et tout le peuple s'y trouva. Et ils ne rou-
les servir. Ilap|)orlece qu'il faut pourlerepas, gissaient pas d'une chose si infâme, d'une in-
il leur rend toute sorte d'honneurs, il entoure de famie si éhontée; et ils ne pensaient pas à
soins ces honnnes qu'il prend pour de simples rOEil qui ne dort jamais et ils ne respectaient
;

voyageui's. Mais les habitants de Sodome entou- pasl'hommejuste, ni ceux qu'ils prenaient pour
rèrent la maison, depuis les enfants jusqu aux des voyageurs dans la maison du juste, pour
vieillards , tout le peuple s'y trouva , et ils ap- y recevoir l'hospitalité; ils n'avaient pour eux
pelèrent Loth et lui dirent : Où sont ces hommes aucun égard sans pudeur, et, comme dit le
;

qui sont entrés, ce soir, chez vous? faites-les proverbe, sans mascjne, proférant les paroles
sortir, afin que nous les coniiaissions. (Gen. de leur impudicité, ils approchèrent, ils appe-
XIX, o.) Gardons-nous, mes bien-aimés, dépas- lèrent le juste, et lui dirent : Où sont ce:
ser légèrement sur ces paroles; ne nous bor- hommes qui soîit entrés chez vous ? Faites-la
nons pas à voir l'abominable délire de ces sortir, afin que nous les connaissions. C'est, ji',

hommes; réfléchissons, méditons sur la vertu pense, parce que le juste prévoyait cette cri
de ce juste, qui, au milieu de ces bêtes sau- minelle tentative , cette perversité sacrilège
vages, a montré l'excellence de la vertu ;
qui a devant sa porte jusciu'ai)
qu'il était resté assis
supporté leur iniquité, qui ne s'est pas sauve soir, ne voulant pas que les voyageurs fussem
de leur ville; qui a soutenu leur entretien. surpris dans les filets de ces hommes. Et a
Voici ce que je dis : Le Maître de toutes les juste, avec la perfection de l'hospitalité, et, dt
créatures, prévoyant l'épouvantable corru[)tion plus, un grand sentiment de pudeur, a pris
de ces hommes, a voulu que ce juste résidât soin d'accueillir tous les voyageurs, de n'en
parmi eux, pour être comme un excellent mé- laisser échapper aucun, quoiqu'il ignorât (juc
decin qui guérirait leur maladie. Quand il ceux-ci fussent des anges, et qu'il les prît sim-
vit que les soins ne servaient à rien, que leur plement pour des hommes. Quant à ces im-
294 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOStOME.

pies, outre qu'ils ne faisaient rien qui ressem- leur est fait, pour vous livre
cette raison, je

blât à la conduite de ce juste, ils n'avaient mes deux de soustraire ces hommes
filles, afin

'qu'un désir i)assionné, c'était de commettre à vos mains. Quelle grande vertu de l'homme
finieabomination surpassant, d'une manière juste! Il adépassé les plus hautescimesdela vertu

(incroyable, tout ce qui se peut concevoir d'in- d'hospitalité; quelles louanges pourraient éga-

lamie. Les anges voulaient donc demeurer sur ler la sagesse de ce juste, qui n'a pas voulu
la place, pour ménager au juste l'occasion même épargner ses filles, pour faire honneur
de manifester son hospitalité, et pour montrer à ses hôtes, pour les délivrer de la perversité
même des choses, la jus-
aussi, par la réalité des Sodomites. Et cet homme a prostitué ses
tice des châtiments qui allaient frapper les filles, pour délivrer des hôtes, des voy.igeurs
pervers, se ruant dans de si effroyables désor- je veuxie redire encore, qui lui étaient absolu-
dres. ment inconnus; pour les soustraire à des af-
4. Mais voyons, dans ce qui suit, la grande fronts sacrilèges. Et nous, que de fois, voyant
vertu de l'iiomme juste. Loth sortit de sa tnai- nos frères tombés dans l'abîme même de l'im-
i07i, et, ayant fermé la porte derrière lui, il piété, je dirai presque, voyant nos frères dans

leur Voyez la crainte du juste;


dit. (Ibid. G.) la gueule du démon nous ne daignons pas
,

il tremble pour ses hôtes, et il ne ferme pas leur parler, nous inquiéter pour eux, leur
beukmtnt la porte derrière lui; mais, connais- adresser des avertissements, les arracher à la
fureur et l'audace des habitants, soup-
tranl la malignité, les ramener à la vertu! Quelle
çonnant leur violence, il leur dit Ne songez : pourra être notre excuse, lorsque ce juste n'é-
point, mes frères. patience de l'homme juste 1 l)argne pas même ses filles, afin de rendre à ses
grandeur de l'humilitél Voilà la vraie vertu; hôtes les soins qui leur sont dus? Nous, au
adresser des jiaroles si douces à de tels hom- contraire, nous sommes sans pitié pour nos
)nes On ne doit pas , en effet, quand on veut
! nous faisons entendre ces
frères, et, souvent,
guérir un malade, quand on se propose la cor- paroles, dépourvues de sentiment, et toutes
rection d'ini ins(;n?é, employer la colère et la remplies d'extragance absurde : Qu"ai-je de
rudesse du langage. Et, voyez ceux qui vou- : commun avec un tel? Je ne prends de lui au-
laient accomplir des actions inouïes, il les ap- cun souci; je n'ai avec lui aucune affaire.

pelle ses frères, afin de toucher leur cons- homme, ô homme, que dis-tu? Tu n'as rien
cience, de les détourner de h ur infamie sacri- decommun avec lui? C'est ton frère, de la
lège. Né songez jmnt, dit-il^ mes frères, ne même nature que toi vous êtes soumis au
;

songez point à cominettre un si grand mal. même Seigneur, vous participez souvent à la
N'ayez point \n\G pareille pensée, ne recevez même table, à la table spirituelle, entendez-
]ioint dans votre esjjrit Tidée dun crime si af- vous bien, à cette table terrible, et tu dis : je
freux ne trahissez pas la nature même; n'in-
;
n'ai rien de commun avec lui, et tu passes,
ventez pas de conmien;es illicites. Mais, si vous sans pitié dans cœur, ton chemin, et tu ne
le

voulez assouvir la passion furieuse dont l'ai- tends pas la main


à celui que tu vois gisant!
guillon vous donne le vertige je vous ,
Les Juifs avaient une loi qui leur prescrivait
procurerai, moi, ce qui rendra moins lourd de prendre soin des bêtes de somme qu'ils
le poids de votre crime : J'ai deux filles voyaient tomber et qui appartenaient à leurs
encore vierges , c'est-à-dire ,
qui ,
jusqu à ennemis. (Exode, xxui, 5.) Et vous qui, sou-
ce jour, dit-il, n'ont pas connu le mariage, in- vent, voyez Votre frère blessé par le démon,
tactes, jeunes, encore dans la Heur de l'âge; étendu, je ne dis pus sur la terre, mais au bord
je vous les livre à tous; servez-vous-en comme du goufire du péché, vous ne l'en relirez pas,
il vous plaît, prenez-les, dil-il, satisfaites sur par vos exhortations; vous ne l'avertissez pas;
elles votre pasi^ion, assouvissez votre concu- vous n'appelez pas les autres au secours pour
l)iscence, pourvu que vous ne comnicttiez point retirer, s'il est possible, de la gueule du
sur ces hommes une action coupable, parce monstre, celui qui est un de vos membres,
qu'ils sont entres dans ma tnaison. (Ibid. vni.) pour le faire remonter à son rang, afin que
Puii-(Hie, dit-il, je les ai forcés d'entrer sous vous-mêmes, s'il vous arrive de tomber, loin
mon pour ijifon ne m'impute pas l'ini-
toit, de vous ce malheur, dans les filets de ce dé-
quité commise contre eux, pour qu'il ne soit mon maudit, vous trouviez, à votre tour, des
pas dit que je buis l'auteur de l'outrage qui frères secourables, qui s'empressent de vous
IIOMÉLIKS SUR LA OENÉSE. - QUAnANTE-TROTSTÎÎlME HOMÉLIE." 295

délivrer? Dans cette pensée, Paul, voulant cette détestable concupiscence. Quand elle a
exciter les Galales, les poiter à prévoir le sort vaincu la raison, elle ne su[)porle [)lus l'aspect

de ceux qui sont leurs membres, leur écri- de la vertu et de l'honnêteté. Il lui faut los té-

vait Faisant réflexion sur vous-mêmes, crai-


:
nèbres, la nuit, pour livrer ses combats. Reti-
gnant dvlrc tentés, vous aussi [ Gai. vi, 1 )
rez-vous, disent-ils, vous êtes venu ici comme

comme s'il leur disait Si vous passez votre:


un étranger parmi nous; est-ce afin d'être
chemin, sans pitié, sans humanité pour votre notre juge? Eh bien! nous vous traiterons
frère tombé, peut-être arrivera-t-il qu'auprès vous-même, encore plus mal qu'eux. Voyez
de vous, si vous venez à tomber, un autre, avec quelle douceur l'homme juste leur parle ;
comme vous, passera son chemin donc si ; ,
avec quelle brutalité farouche ils lui répon-
vous voulez qu'on fasse attention à vous, qu'on dent. C'est que le démon leur a versé son
vous relève, s'il vous arrive de tomber, ne né- ivresse; c'est le démon qui marche h. leur tête,
gligez pas les autres; montrez la bonté par- et, sous sa conduite, ils attaquent l'homme
faite, regardez, comme le plus riche trésor, de juste, et ils lui disent Vous êtes venu ici
:

pouvoir sauver votre frère. Si vous considérez comme un parmi nous ; est-ce afin
étranger
seulement que cet homme, que vous ne regar- d'être notre juge? Nous vous avons reçu, di-
dez pas, près duquel vous continuez votre che- sent-ils, comme un étranger; êtes-vous donc

min, sans vous arrêter, est tellement en hon- devenu notre juge? excès de la perversité I

neur auprès de Dieu, que le Seigneur n'a pas Il fallait rougir, il fallait recevoir avec respect
refusé de répandre, pour lui, jusqu'cà son pro- le conseil de l'homme juste; mais, semblables
pre sang, comme bienheureux Paul
le dit le : aux malades furieux qui veulent se jeter, même
Et ainsi par votre science, vous perdrez votre sur leur médecin, les voilà, eux aussi, qui
frère pour qui Jésus-Christ est mort (I Cor.
^
lui disent Eh bien ! nous vous traiterons plus
:

VHi, 11), comment ne rougirez-vous pas de mal qu'eux. Si tu ne veux pas, lui disent-ils,
votre indifférence au point de rentrer sous te taire, demeurer en repos, tu vas apprendre
terre? Si le Christ, pour cet homme, a répandu que ta ])rotection n'aboutira qu'à les soustraire
son sang, qu'y aura-t-il de merveilleux à ce que au danger, pour t'y faire tomber toi-même.
vous montriez au même homme votre affec- Et ils se jetèrent sur Lot h avec une grande vio-
tion par des paroles qui l'exhortent, qui le re- lence. Voyez le courage de l'homme juste, qui
lèvent quand il sera tombé ;
qui ramènent cet tâche de résister à une si grande multitude.
homme plongé, englouti peut-être au fond de Lorsqu'ils étaient déjà près de rompre les

l'abîme de la malignité; qui le rendent à la portes. Vous savez qu'en sortant, prévoyant la
lumière de la vertu, et ne lui pennettent pas rage insensée de ce peuple, il avait fermé sa
de se replonger dans les ténèbres de la corrup- porte derrière lui, et ces impies, ces scélérats,
tion? ne supportant pas les avertissements de l'homme
5. Imitons donc vous en conjure cet
,
je , juste, le pressaient avec violence, et se prépa-
homme juste, etmême nous exposer
s'il faut raient à briser la porte. Mais l'expérience avait
au péril, pour sauver le prochain, ne recu- assez montré, d'une part la vertu de l'homme
lons pas. Le péril ainsi affronté nous vaudra juste, son désir d'exercer l'hospitalité envers
notre salut, l'intimité dans le sein du Sei- ceux qu'il regardait comme de simples voya-
gneur. Considérez, en effet, je vous en con- geurs d'autre part, ce qu'il fallait attendre de
;

jure, comment cet homme juste a tenu tête à tout ce peuple, ne conspirant que pour une in-
tout un peuple, à cette conspiration de ces famie.
êtres dépravés. Quelle douceur quel inexpri- I
Les voyageurs à leur tour se révèlent, se
mable courage il a témoigné, quoiqu'il n'ait manifestent.Ils ont vu que l'homme juste a
pu, même par cette conduite, corriger, domp- rempli tout son devoir, ils font éclater leur
ter ce furieux délire. En après qu'il eut
effet, puissance, et secourent ce juste qui subissait
prononcé ces paroles ,
qu'il eut montré une les violences d'une rage insensée. C'est pour-
douceur si rare, quand il eut, par ses paroles, quoi, dit le texte,ils prirent Loth par la main.^

livré ses filles, comme de ses propres mains, et V ayant fait rentrer dans la maison, ils en
que lui disent-ils? Retirez-vous. (Ibid. ix.) fem-ièrent la porte. Pour les hommes qui étaient
profondeur de l'ivresse ! ô excès du délire 1 dehors, frappèrent de cécité, depuis le
ils les
Voilà comme se comporte cette brute effrénée, plus petit jusqu'au plus grand, de sorte qu'ils
206 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

ne purent plus trouver la porte. (Ibid. 10, 11.) plaie est impossible à guérir. Dieu nous a en-
Voyez-vous comme le juste reçoit tout de suite voyés pour les perdre. C'est ce que disait

la récompense de son liospitalité comme ces


; David : Celui qui fait de ses anges des vents,
impies sont frapi)és de la peioe qu'ils méri- et de ses ministres, flammes ardentes.
des
tent ? En eiTet, dit le texte, ils prirent Loth et (Psal. cm , 4.) Commenous sommes venus,
V ayant fait rentrer dans la maison^ ils en fer- disent les voyageurs, pour détruire ce pays
mèrent la porte. Quant aux autres, ils les frap- tout entier (en effet la terre même sera châtiée
pèrent de cécité, depuis le plus petit juscpCau pour la malignité de ceux qui l'habitent), sor-
plus grand, de sorte qu'ils ne purent plus trou- tez d'ici. Aussitôt que l'homme juste eut en-
ver la porte. Comme leur esprit était aveuglé, tendu ces paroles et appris ce que venaient
leurs yeux furent aveuglés aussi. C'est pour faire ceux qui semblaient des hommes, et qui

nous apprendre que les yeux du corps sont étaient en réalité des anges, des ministres du
inutiles, quand les yeux de l'esprit sont frap- Dieu de toutes les créatures Loth étant sorti, :

pés de cécité. Et, parce qu'ils avaient conspiré parla à ses gendres, qui avaient reat ses filles
tous dans cette dépravation, parce que tous, (Ibid. li.) Auparavant, il disait à ces impies :

vieillards et jeunes gens, avaient pris leur part Tai deux filles qui sont encore vierges. Com-
de cette tentative criminelle, tous furent frap- ment donc le texte peut-il dire ici : A ses gen-
pés de cécité; et non-seulement de cécité, mais dres qui avaient reçu ses filles? Ne croyez pas
ils perdirent les forces de leur corps; car puis- qu'il y ait ici une contradiction, avec ce qui a
quant à l'âme, qui est la
qu'ils étaient aflaiblis été dit plus haut. C'était l'habitude chez les
meilleure partie de l'homme, ils furent aussi anciens, de faire longtemps d'avance, les fian-
affaiblis, quant au corps. Et ceux qui d'abord Les fiancés habitaient chez les parents
çailles.

s'efforçaient de briser la porte et menaçaient de jeune fille; coutume qui subsiste de nos
la

l'homme juste, s'arrêtèrent tout à coup, sans jours encore dans beaucoup d'endroits. Les
pouvoir se servir de leurs membres; et la fiançailles ayant été déjà faites, le texte nomme
porte était devant leurs yeux, et ils ne la les gendres de Loth et dit Qui avaient récuses
:

voyaient pas. Dès ce moment, le juste respira, filles, ce qui veut dire qu'il y avait mariages

voyant quels étaient ses hôtes, et la grandeur projetés d'un consentement mutuel. Et il dit:
de leur puissance. En effet, Ils dirent ensuite Sortez de ce lieu, parce que le Seigneur détruit
à Loth : avez-vous ici un gendre, ou des fils, ou cette ville. Mais ils s'imaginèrent qui/ dev-
des filles, ou quelqiCautre ûe vos proches dans rait. Voyez le mauvais ferment qui travaillait
cette ville? (Ibid. 12.) Voyez comme ils récom- aussi ces gendres de Loth. C'est pourquoi Dieu,
pensent l'hospitalité de l'homme juste, comme voulant affranchir promptement le juste de
ils veulent lui taire un magnifique présent, du toute alliance avec eux, ne leur permit pas de
salut de tous ses parents. Si vous avez, lui dit- partager le sort de ses filles; il les perdit, eux
on, dans cette ville, quelqu'un que vous vou- aussi, avec les impies, afin que le juste, étant
lez voir sauvé, si vous connaissez quehiu'un sorti avec ses filles, écha|>pàt à leur parenté.
<jui ne partage pas leurs crimes. Faites-le sor- Donc, entendant les terribles menaces énon-
tir de cette ville, et de la contrée; faites sortir cées par l'homme juste, ils se moquaient, ils
tous ceux qui vous appartiennent, car nous pensaient que ses paroles provenaient du dé-
allons détruire ce lieu. (Ibid. 13.) Ils donnent lire. Cependant le juste insistait; comme il

ensuite la raison de cette extermination. Ils leur avait promis ses filles, il voulait les arra-
apprennent tout au juste, avec grand soin : cher au supplice. Mais eux ne voulurent |)as;
Parce que le cri des abominations de ces peu- ils s'obstinèrent à lui résister, l'expérience leur
ples s'est élevé devant le Seigneur, et le Sei- comprendre que c'était à leur grand détri-
fit

gneur nous a envoyés pour les perdre. C'était ment qu'ils avaient rejeté le conseil du juste.
ce qui avait été dit au patriarche Abraham : A la pointe du jour, éi'\l le texte, les anges pres-
Le cri de Sodonic et de Gomorrhe s augmente saient vivement Loth de sortir, en lui disant :

de plus en plus, et leur péché est monté jusqu'à Levez-vous et emmenez votre femme et vos deux
son comble ; leur cri, dit le texte, s'est élevé de peur que vous ne périssiez aussi vous-
filles,

jusque devaid Seigneur. (Con. xvui, 20.)


le 7ncmcs dans la ruine de cette ville. Et ils fu-
t). La grandeur de leur perversité est inouïe, rent troublés. (Ibid. 15, 16.) Ne dilïérez pas,
et, comme le mal est incurable, connue la disaient-ils, déjà la destruction s'apprête; sau-
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. - QUARANTE-TROLSIÈME HOMÉLIE. 297

vez-\ous, et votre femme avec vous, et sauvez grâce, dans votre miséricorde ; rendez ma fa-

vos filles; car ceux qui u'out pas voulu obéir à tigue plus légère, de peur iiuc je ne sois saisi
vos avertissements, vont être bientôt frappés par la flamme qui tombe sur eux que je ne ,

par la destruction commune. Ne différez donc meure avec eux voici une ville qui est tout
;

pas, pour n'être pas atteints vous-mêmes par près ,


qui est petite ,
préservez - la , afin
l'extermination de ces impies. Et ils furent qu'elle soit mon séjour ; elle a beau être
troublés : c'est-à-dire Loth, et sa femme, et ses misérable et petite, je puis m'y sauver, y
fllles, en entendant ces mots. Ils furent trou- vivre , n'ayant plus rien à craindre. L'ange
blés, dit le texte, c'est-à-dire étonnés, épou- lui répondit : faccorde cette grâce à la ,

vantés, remplis d'angoisse, à cette menace. prière, que vous me faites, de ne pas dé-
Aussi , les anges prenant soin de Thomme truire la ville , de laquelle vous me parlez.
juste le saisirent, dit le texte, par la main. (Ibid. 21.) J'accueille vos prières, dit-il, je ferai

Dès ce moment , la divine Ecriture n'en ce que vous voulez; je vous accorde ce que
l)arle plus comme si c'étaient des hommes ;
vous me demandez, et, par égard pour vous,
mais, parce qu'ils allaient faire tomber le coup j'épargnerai même la ville. Bâtez-vous donc
terrible, elle les nomme des anges, et elle dit: de vous sauver en ce lieu. (Ibid. 22.) Car je ne
Ils le prirent par la main, et sa femme , et ses ferai rien jusciu'àce (jue vous y soyez arrivés :

filles car le Seigneur voulait le saucer. C'était


, Car je ne pourrai pas, dit le texte , faire l'œu-
pour leur donner de la confiance que les an- ,
vre avant que vous ne soyez entrés : votre salut
ges leur i)reuaient la main et ils leur forti- , m'intéresse, j'attendrai ju'^qu'à ce que vous
fièrent ainsi le cœur pour que le saisissement , arriviez-là , et c'est alors que j'infiigerai aux
de l'épouvante n'engourdît pas leurs membres. autres leur châtiment. Le soleil se levait sur
Voilà pourquoi le texte ajoute Car le Sei- : la terre, aumême temps que Loth entrait dans
gneur voulait le sauver. Attendu que le Sei- Ségor. (ibid. 23.) C'est au lever du soleil , dit
gneur avait jugé qu'il méritait d'être sauvé, le texte, qu'il arriva dans la ville; et aussitôt
les anges, voulant les fortifier tous , les saisis- qu'il fut dans la ville , les autres reçurent leur
sent par la main. Et les ayant ainsi fait sortir châtiment. Alors le Seigneur , dit le texte, fit
de la maison , ils dirent : Sauvez votre vie , 7ie det^cendre une pluie de soufre et de feu lancée du
regardez point derrière vous, etnevous arrêtez haut du par le Seigneur sur Sodomc et
ciel ,

point dans tout le pays dalejitour ; mais sau- sur Gomorrhe, et il perdit ces villes, et tout le
vez-vous sur la montagne, pour n'être pas en- pays d'alentour, et tous ceux qui habitaient
veloppés avec les autres. (Ibid. 17.) Comme dans les villes et dans le pays, et tout ce qui
,

nous vous délivrons de ces impies, disent-ils ,


s'élevait de la terre. (Ibid. 24, 25.) Ne vous
ne regardez pas davantage derrière vous ; ne étonnez pas de ce langage, mon bicn-ainié
cherchez pas à voir ce qui va leur arriver; c'est lepropre de l'Ecriture de répéter ainsi
mais hâtez-vous allez, au loin devant vous,
; , souvent les mêmes mots indifféremment. Vous
afin d'échapper au châtiment qui va leur être en voyez ici, un exemple Le Seigneur, dit le
, :

infligé. Ensuite le juste, craignant de ne pou- texte , fit descendre une pluie de soufre et de
voir par hasard atteindre le lieu qu'ils lui dé- feu , lancée par le Seigneur du haut du ciel.

signent, et parvenir sur la montagne : Je vous C'est pour dire que Seigneur qui a c'est le
prie, Seigyieur,puisque votre serviteur a trouvé opéré la punition , et non- seulement il a bou-
grâce devant vous et que vous avez signalé
, leversé les villes et tout le pays d'alentour
,
,

envers lui votre grande miséricorde en me , et tous les habitants, mais encore il a détruit
sauvant la vie je vous prie de considérer cfue
, ce qui s'élevait de la terre. Attendu que les
je ne puis me sauver sur la montagne étant , hommes qui l'habitaient avaient produit de
en (langer que le malheur ne me surprenne au- nombreux fruits d'impiété, pour cette raison,
paravant , et que je ne meure. Mais voilà ici dit Dieu je supprime les fruits de la terre je
, ;

prés une ville où ie puis fuir elle est petite ,


,
veux, par cette destruction, laisser un mo-
je puis m'y sauver et je vivrai à cause de vous. nument éternel aux générations à venir ; la
(Ibid. 18, 19, 20.) Puisque, dit-il, vous avez seule stérilité de la terre leur apprendra com-
décidé de me sauver mais qu'il est au-dessus , bien fut grande la malice de ceux qui l'habi-
de mes forces d'atteindre au sommet de la taient.
montagne accordez-moi une plus grande
, Voyez- vous combien la vertu est puissante
TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

combien la malice est funeste, comment le de nos jours encore nous n'avons qu'aie vou-
,

juste fut sauvé , comment les autres ont reçu loir, nous pouvons le recevoir chez nous car ,

la punition que méritait leur malignité. Et, c'est lui-même qui a dit Celid quivous reçoit
:

de même que ce juste par sa vertu a sauvé


, , me reçoit. {)\à\h. x, 40.) Dans cette pensée,
ses flUes avec lui, et empêché la destruction recevons donc les hôtes, et ne nous arrêtons
de celte petite vil'e; de même les autres, par pas à ce que l'apparence a de misérable. En
lagrandeur de leur malignité , non-seulement vérité si nous exerçons, nous aussi, avec la
ont péri eux-mêmes et ont été détruits mais , , même sagesse l'hospitalité, nous mériterons,
,

ils ont rendu, pour l'avenir, leur terre stérile. La nous aussi, de recevoir de tels hôtes, qui pa
femme de Loth , dit le texte , regarda derrière raissent des hommes ,
qui opèrent les œuvre
elle , et elle fut changée en une statue de sel. des anges. Mais pas de vaine curiosité, de re •

(Ibid. 26.) Elle avait entendu les anges recom- cherches, d'enquêtes qui nous feraient perdre
mandant au juste que personne ne se retour- notre trésor. Sachez-le bien , Paul nous révèle
nât ,
que tout le monde se retirât , en toute les noms de ces justes et nous apprend comment
bâte ; elle méprisa ces paroles , ne tint aucun ils recevaient de tels hôtes : Ne négligez pas,
compte de l'ordre et elle porta la peine de sa dit-il, d'exercer r hospitalité ; car c'est en la
négligence. pratiquant que quelques-uns, sans le savoir,

Et nous maintenant, instruits par cette


7. ont reçu, pour hôtes, des anges (Hébr. xiii, i) ;

leçon, appli(juons-nous à notre salut avec un , car c'est là ce qui les a si rtout rendus dignes
zèle plus diligent; gardons-nous d'imiter de d'admiration; c'est qu'il- ont déployé Ihuspi-
pareils vices; imitons ce juste, ses vertus hos- talilé la plus affectueuse envers ceux qu'ils ne
pitalières, ses autres vertus encore, afin d'é- connaissaient pas. Eh bien donc! nous aussi,
carter loin de nous la colère d'en haut. Non ,
mettons-nous à cette œuvre, avec une loi,
il n'est pas possible, il n'est pas possible que avec une piété entière atin de pouvoir obtenir
,

celui qui pratique cette vertu , avec l'ardeur le trésor. Puissions-nous tous, le recevoir en
d'un vrai zèle n'y gagne pas un grand trésor.
, partage, par la grâce, et par la bonté de
C'est par là, en eifet, que ces anciens justes Noire-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient,
ont obtenu la grâce d'en-haut et le patriar- ; comme au Père et au Saint-Esprit, l'honneur,
che, et Loth, et tous ceux qui, croyant rece- la gloire, maintenant et toujours, et dans les
voir des hommes ont mérité de recevoir des
, siècles des siècles I Ainsi soit-U.
anges , et le Seigneur des anges. Nous aussi.
HOMÉLIES SUR LA GEiNÈSE. - QUARANTE-QUATRIÈME HOMÉLIE. 299

QUARANTE-QUATRIÈME HOMÉLIE.
Or, Abraham e'ëtant donc levé le matin vint au lieu où il avait été auparavant arec le Seigneur. (Gen. XIX, 27.

ANALYSE.

!-3. De l'invocation et de l'Intercession des saints. — 4. Les prières que d'autres font pour nous sont moins efficaces que celles
que nous faisous nous-mêmes. —5. Lolli ni ses filles ne sont point à condamner. —
6. Exhortation morale. Comparaison de
l'épreuve de Joseph tenté par l'Egyptienne avec la fournaise de Babylone.

1. Hier, l'histoire de la Samaritaine noijs a conduits par la bonté du Seigneur, nous vous
fait \oir assez l'ineffable patience du Seigneur, disons ce qu'il nous inspire, pour notre salut
l'excès de sa sollicitudepour elle, la reconnais- et l'cdificalion de l'Eglise de Dieu. Ne fixez
sance de celte femme vous l'avez vue, elle
; donc pas les yeux sur moi, mes bien-aimés ;

venait puiser l'eau qui tombe sous nos sens, et ne considérez pas mon infirmité mais, parce
;

c'est à la source spirituelle, c'est à la divine que je vous apporte ce que le Seigneur me
fontaine qu'elle a puisé, et elle s'en est retour- donne, tenez vos pensées fixées sur celui qui
née chez elle, accomplissant la parole du Sei- m'envoie. Soyez attentifs soyez vigilants
; ;

gneur L'eau que je lui donnerai^ deviendra


: écoulez. Voyez ce qui se passe sur la terre ;

en son âme une fontaine d'eau qui rejaillira lorsque celui dont le front est ceint du diadème,
jusque dans la vie éternelle. (Jean, iv, 1-4.) Elle remi)ereur envoie un message celui qui l'ap-
,

s'est remplie de cette eau divine et spirituelle. porte n'a par lui-même aucune valeur ; c'est
Elle n'apu en retenir les courants, qui ont dé- un homme du commun, qui souvent ne pour-
bordé, pour ainsi dire, sur la ville, et elle a rait dire quelle est sa famille un homme obscur
;

inondé les habitants de la grâce qui lui était cl de parents obscurs; mais ceux à qui est destiné
accordée elle est devenue tout à coup le héraut
; l'écrit impérial, ne s'arrêtent pas à considérer
du Seigneur, celle samaritaine, celte étrangère. ce qu'est cet homme ; attendu qu'il apporte un
Quel trésor, voyez- vous, que la reconnaissance! écrit de l'empereur, on luifait un grand hon-
Vous voyez comment la bonté de Dieu ne dé- neur, à lui aussi, quant au message, on
et,

daigne personne comment, au contraire, si,


; l'écoute avec un respect plein de crainte on ;

même dans une femme, même dans un être l'écoute en silence. Eh bien si cet homme qui
!

absolument pauvre, en qui que ce soit, si le n'apporte que l'écrit d'un autre homme qui ,

Seigneur trouve la vigilance et la ferveur, aus- n'apporte qu'un papier, est reçu avec honneur
sitôt il communique
les largesses de sa grâce. par tous, à plus forte raison devez-vous accueil-
Imitons donc, vous en conjure, imitons,
je lir, avec l'extrême attention que le respect com-

nous aussi, celle femme, et recevons avec une mande, ce que l'Esprit vous envoie, par notre
grande attention les enseignements de l'Esprit; entremise, afin que vous recueilliez une grande
car les paroles que nous prononçons ne sont récompense de votre sagesse. Car, si le Seigneur
pas nos paroles. Ce n'est pas, à vrai dire, notre de toutes les créatures voit une généreuse ar-
langue qui paiie quand nous parlons mais, ; deur échauffer vos âmes, il nous lera à nous-
300 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JE.VN CIIRYSOSTOME.

même, pour votre édiflcation, de plus riches connaître au patriarche ce qu'il tenait tant à
présents, et il accroîtra en vous l'intelligence, savoir, et le délivra de l'inquiétude que Loth lui
pour comprendre la parole car la giàce de ; causait : Lorsque Dieu, dit le texte, détruisait
l'Esprit est magnifique elle se répand sur ; les villesde ce pays-là, il se souvint d'AbrahatJi,
tous elle ne décroît pas en se partageant au
; ; et sauva Loth du tnilieu de cette destruction.
contraire, eu nièrne ti-nips qu'elle se distribue, (Ibid. 29.) Que signifient ces mots Dieu se :

elle grandit, et plus est considérable le nombre souvintd'Abraham? c'est-à-dire, delà prière
de ceux qui y participent, d'autant plus consi- qu'Abraham lui avait faite, en lui disant : Per-
dérable est le bienfait communiqué à tous. Eii drez-vous avec l'impie? (Gen. xvui, 22.)
le juste
bien 1 vous voulez, reprenons la suite
donc, si Mais pourquoi donc, objectera-t-on, le juste a-t-
de nos entretiens voyons où nous nous som-
; il sauvé à cause de la prière du patriarche,
été
mes arrêtés, oîi il convient de recommencer et non à cause de sa justice? Assurément il a
aujourd'hui. Où avons-nous hier amarré notre été sauvé pour sa justice et, de plus, pour la
;

barque ? Où avons - nous arrêté le cours prière du patriarche. Eu effet, quand nous
de l'instruction ? Nous vous parlions de apportons ce qui dépend de nous, rintercession
Loth de l'incendie de Gomorrhe, et nous
, des saints, s'ajoutant à nos œuvres, est encore
avons terminé notre discours au momciit où pour nous la source des i»lus grands biens. Si
le juste fut sauvé dans Ségor. Le soleil se levait nous nous négligeons nous-mêmes, si nous
sur la terre au même lt?nps que Loth entra dans mettons en eux seuls toutes nos espérances de
Ségor. Et alors la colère envoyée de Dieu salut, nous n'en retirons aucune utilitj. Ce
saisit les habitants de Soc'ome, opéra la des- n'est pas que les "justes soient sans puissance,
truction de celte terre, et nous avons vu que mais c'est que, par notre propre négligence,
la femme de l'homme juste, oubliant les pa- nous nous trahissons nous-mêmes.
roles (jue les anges avaient dites, regarda der- 2. Et voulez-vous avoir la preuve que. quand

rière elle, et fut changée en statue de sel, nous nous négligeons nous-mêmes, c'est en
laissant aux générations à venir un monument vain que les justes, si justes qu'ils soient, c'est en
éternel de sa coupable négligence. Il faut au- vain que les prophètes, si inspirés qu'ils soient,
jourd'hui, reprenant la suite de ces événements, prient pour nous, qu'il n'en résulte pour nous
vous montrer, en peu de mots, mes bien-aimés, aucune utilité? (Ils montrent leur vertu par
vous montrer encore la charité, la compassion leurs prières, la vertu qui est en eux mais ;

qui animait le patriarche, et la bienveillance cette vertu ne nous est d'aucun proût, à cause
de Dieu pour lui. En effet, au lever du soleil, des mœurs que nous faisoiis paraître.) Ecoutez
le juste Luth fut sauvé dans Ségor ceux de So- ; les paroles que le Dieu de toutes les créatures
dome, au contraire, subirent l'expiation. En adresse à son prophète, sanctiûé dès le ventre
même temps le patriarche était saisi de pitié, à de sa mère, à Jérémie Xe prie pas pour ce
:

la pensée de cette destruction que leur péché peuple parce que je ne t'exaucerai point.
,

leur avait attirée, et il était troublé d'inquié- (.férém. xvi, 7.) Voyez la bonté du Seigneur il ;

tude pour le sort de l'hounne juste etle matin, ; avertit son prophète, parce qu'il ne veut pas,
il vint et il regardait ce qui était arrivé. Or, la prière ne devant pas être exaucée, que le

Abraham s'ctant levé le matin, vint au lieu oii saint attribue la rigueur de Dieu à ses propres
il avait été auparavant avec le Seigneur, et fautes. Voilà pourquoi il lui dénonce ,
par
regardant Sodome et Gomorrhe, et tout le pays avance, la corruption du peuple, et lui défend
d'alentour, il vit des cendres cnflanunérs ,
qui de prier. Il veut leur faire savoir, à tous en
s'élevaient de la terre comme
fumée d'une
la même teujps, à lui, combien est grande la per-
fournaise. (Ibid. 27, 28.) Le texte marque versité des Juifs; à eux, que les prières du
le lieu où il s'était entretenu avec le Seigneur, inophète ne leur servent de rien , s'ils ne
où il l'avait imploré pour ceux de Sodome; sont pas les premiers à faire tout ce qui dépend
c'était la qu'il voyait les traces de cet épouvan- d'eux.
table châtiment. Et il voulait savoir des nou- C'est dans de telles pensées, mes bien-aimés,
velles de rhonuue juste. C'est là le caractère (jue nus devons recourir aux prières des saints,
des saints; ils éi)rouvent vivement l'atlection, pour leur demander d'intercéder pour nous.
ils savent compatir. L'Ecriture ,
jtour nous Gardons-nous de mettre toute notre contîance
ajjprendre que la grâce de l'Esprit lit aussitôt dans leurs prières, faisons, de notre côté, les
HOMÉLIES Srn I a genèse. - OrARANTE-QUATRÎÈME HOMÉLIE. 301

œuvres qui dépendent de nous; faisons-les je ne punis pas les péchés. Est - ce donc
connue il con>i»'nt eiror(,ons-nous toujours do
; bien lourd à porter , bien embarrassant ,

prendre la voie la meilleure, atiii d'autoriser ce (jue je proi)ose? Si je ne savais pas qu'ils
la prière qui s'épanche pour nous. C'est ce que deviennent |dus mauvais , quand ils ne con-
dit. à un autre Seigneur de toutes
proplièle, le fessent pas leurs premières iaut( s, je ne leur
les créatures: Ne voyez-vous pas ce qii ils font ? demanderais pas même celte contession ; mais,
ils fo)U brûler la graisse^ pour faire îles gâteaux l)arce (pie je sais que l'honnue s'enfonce de
à une année du ciel. (Jcréni. vu, 17, 18.) Ce plus en |)lus dans le péché, voilà pounjuoi je
qui revient à dire Vous nie priez pour ceux
: veux qu'ils confessent leurs premières fautes,
qui ne renoncent pas à leurs péchés, qui ne afin que cette confession les empêche d'y re-
sentent pas le mal dont ils sont travaillés, qui tomber.
n'ont plus de sentinn nt. Ne voyez-vous pas Donc, dans ces pensées, mes bien-aimés,
3.
leur parfait dédain ? Isi,' voyez-vous pas l'excès du Seigneur, secouons
réfléchissant sur la bonté
de leur délire ? Conun(^, insalialdes d'iju piété, notre engourdissement soyons bien attentifs ;

ils ressemblent à la truie dans la fc.nge, se vau- à nous-mêmes lavons les taches de nos péchés,
;

trant dans leurs iniquités. S'ils voulaient se et hàtons-nous, ensuite, de demander l'inter-
convertir, n'écouleraii;nt-ils pas les exhorta- cession des saints. Si nous voulons être sages
tions ? N'est-ce pas nui, par la voix des pro- et >igilanls, nous pourrons même par la seule

[diètes, qui leur crie : Et après qu'elle a fait vertu de nos propres prières, nous servir nous-
tous ses crimes, je Itd ai dit : après tous vos mêmes, de la manière la plus efficace; car
crimes revotez à moi, et elle nest point re- notre Dieu, qui est un Dieu de clémence,
venue? (Jéréni. ni, 7.) Leur deniandai-je autre accorde moins aux antres, le priant pour nous,

chose que de s'arrêter, de ne plus pécher, de qu'il ne nous accorde à nous-mêmes, quand
ne pas pousser plus loin leurs crimes? leur c'est nous qui le prions. Voyez l'excès de
demanderais-j'3 comiite du passé, si je les bonté pour |)cu qu'il s'aperçoive que nous,
;

voyais seulement manifester l'intention de se qui l'avons otlènsé, qui nous sommes rendus
corriger ? Ne leur criai-je pas chaque jour : méprisables, n'avons plus aucun droit
qui
Est-ce que je veux la mort du pécheur, com?ne d'es|)érer nous nous réveillons un peu,
en lui,

je veux qu'il se convertisse et qu'il vice ? (Ezéch. nous avons, en nous, la pensée de recourir à
xvMi, 23.) Est-ce que je ne fais pas toutes son inépuisable clémence aussitôt il agrée nos ;

choses, pour 1rs arracher à la mort, quand je prières, il nous tend la main. Nous étions
les vois égarés ? Quand je les vois convertis, étendus et gis:uits, il nous relève, il nous crie :

est-ce que je me fais aliendre ? Ne suis-je pas Est-ce que celui qui est Umihé^ ne se relèvera
celui qui dit: Tu parles encore , 7ne voici? pas ? (Jérém. viii, 4.) Mais la réalité même
(Isaïe, Lviii,9.) Tiennent-ils à leur propresalut, des choses vou> montre quel grand nombre
autant (jue j'ai le désir de voir tous le? hcmmes d'hommes, priant eux-mêmes pour eux-mêmes,
sauvés, de les voir arrivés tous à la connais- ont mieux obtenu ce qu'ils désiraient, que par
sance de la vérité? (I Tim. ii, 4.) Vousai-je les prières des autres. Ceci vaut la peine que
tirés du néant pour vous perdre ? Vous ai-je, nous vous montrions les ersonnes qui ont eu ;

sans aucun but, préparé le royaume à venir, ce bonheur, afin que nous les imitions, afin
et des biens innombrables? Si j'ai menacé de que nous nous animions d'un beau zèle.
la gêne, n'est-ce pas |)arce que cette crainte Apprenons donc comment celte Chananéenne, à
me sert pour introduire les hommes dans le l'àme si cruellement tourmentée, comment
royaume des cieux? (jlarde-toi donc, ô bien- cette lenune, cette étrangère, à la vue du
heureux propliète, de les abandonner pour médecin des âmes, du soleil de justice, levé
m'apporter in prière ne i-rends plus qu'un ; pour ceux qui demeurent dans les ténèbres,
seul souci, celui de les guérir, de leur faire s'approcha de lui, pleine de ferveur, animée
sentir leur infirmité, de les ramener à la santé, d'un généreux zèle ; et ce zèle ne se ralentit
et tous mes biens viendront d'eux-mêmes. Et pas, quoique ce ne fût qu'une femme quoique ;

je ne me fais pas attendre et je ne suis jamais ce fùl une étrangère. Repoussant tous les
en retard, quand je vois une âme bien dis- obstacles, elle s'approcha, et dit : Seigneur,
posée; je ne leur demande qu'une chose : ayez p'tié de moi! )na fille e>t misérablement
la confession des péchés, et, c'en est fait tourmentée par le démon. (Matth. xv, 22.) Celui
302 TRADUCTION FHxVNÇAISE DE SAINT JEAN CHKYSOSTUME.

qui connaît les secrets des cœurs, garde le désir dans cette femme et la rare distinction de
silence, ne lui répond pas, ne daigne pas s'en- sa foi. Quand elle entendit ce nom de chiens,
tretenir avec elle , il n'a pas de pilié pour cette elle ne s'indigna pas, elle ne se retira pas, mais,
lemme, qu'il voit si misérable, dont il entend avec une alï'ection pieuse et profonde, elle dit :

les cris de douleur. Il difîère, parce qu'il veut Il est vrai, Seigneur, mais les petits chiens
rendre manifeste, aux yeux de tous, le trésor manqent au moins des miettes qui tombent de
caché dans cette femme. Il savait bien qu'il y la table de leur maître (Matth. xv, 27.) Eh bien',
avait là une perle qu'on ne voyait pas, qu'il dit-elle, j'avoue que je mérite d'être traitée
voulait montrer à nos regards. Voilà pourquoi comme on traite les chiens accordez-moi donc;

il diflcrait, ne daignant pas lui répondre ;


comme aux chiens des miettes de votre table.
c'étaitpour que le zèle de cette femme fût Comprenez-vous la foi, la vertu de celte femme?
pour toutes les générations à venir, un grand Elle a supporté la parole, et aussitôt elle a
enseignement. Et voyez l'ineffable bonté de obtenu ce qu'elle demandait avec instance, et
Dieu lui-même, dit le texte, ne lui répondait
;
elle l'a obtenu, en s'attirant de plus, un éloge

pas; quant aux disciples, pleins de compassion insigne. En effet, que lui dit le Christ ? O
et de bonté, ils n'osent pas dire bien haut : femme, votive foi est grande, qu'il vous soit fait
donnez-lui ce qu'elle demande , ayez pitié comme vous voidez! (Ibid. 28.) femme! c'est
d'elle, mais que disent-
soyez clément pour elle ; un cri d'admiration et d'éloge. Vous avez
ils ? Accordez-lui ce qu'elle demande parce montré, dit le Seigneur, une grande foi aussi, ,

qu'elle crie derrière nous (Ibid. 23.) Comme vous obtiendrez tout ce que vous voulez. Voyez
s'ils disaient délivrez-nous de cette impor-
: jusqu'où s'étend la générosité admirez la ;

tune délivrez-nous de ses cris. Que fait donc


; sagesse du Seigneur, Ne \)ensioiis-nous pas
le Seigneur? Pensez- vous, leur dit-il, que d'abord, quand il la repoussait ainsi, quil était
ce soit sans raison que j'ai gardé le silence, sans pitié ? D'abord il ne daignait pas lui

que je n'ai pas daigné lui adresser une réponse ? répondre. Ensuite, il lui fitune première, une
Ecoutez Je n'ai été envoyé qu'aux brebis de la
: seconde réponse, comme pour la chasser loin
maison d'Israël qid se sont perdues (Ibid. 24.) de lui il repoussait cette femme, qui
;
était

Ignorez-vous, leur dit-il, que c'est une femme venue auprès de lui, avec un désir si vif et si

étrangère? Ignorez-vous, que je vous ai inter- brûlant. Mais, que la fin vous montre la bonté
dit tout commerce avec les étrangers ? Pour- de Dieu. C'était parce qu'il voulait rendre plus
quoi donc, sans examen, montrer votre com- éclatante la vertu de cette femme, qu'il se fil
passion pour elle ? Considérez l'industrieuse tant prier i)0ur lui accorder sa demande. En
sagesse de Dieu voyez comme en i)araissant
;
cflVt, s'il la lui eût accordée aussitôt, nous n'au-

répondre à cette femme, il l'accablait plus que rions pas connu ce qu'il y avait dans celte
par son silence ; comme il la fra|)pait, |)Our ainsi fenmie de constance et de foi mais, grâce à ce ;

dire, d'un coup morlcl, voulant ensuite la rani- petit retard, nous avons pu reconnaître l'inef-

mer peu à i)eu, alin que les disci[)les, (jui ne fable bonté que le Seigneur a pour nous, et la
se doutaient de rien, comprissent la grandeur foi si rare, qui dislingue cette femme au plus

delà foi qu'elle recelait dans son àme. Eh bien! haut degré.
elle ne se ralentit pas, elle ne se découragea i. Toute cette histoire que nous nous sommes

pas, en voyant que les disciples n'avan(,\iiont à efforcé de vous exposer, c'est pour apprendre
rien elle ne se dit pas à elle-même s'ils n'ont
; : à tous que les prières des autres pour nous,
|)U fléchir le Seigneur, en le priant pour moi, sont moins efficaces (|ue ne le sont nos pro-
poun|uoi conliiniciai-je une tentative inutile, pres prières, si nous prions avec ardeur, avec
pour(juoi insister ? Au contraire, enibrasée du un esprit bien éveillé. Vous le voyez cette :

feu qui brûle, qui dévore ses entrailles, elle femme avait les disciples qui priaient pour
s'api)roche, elle adore, elle dit: Seigneur, elle; elle n'y gagna rien; c'est elle, par ses
assistez-j/u)i ! (Ibid. 2o.) Mais lui refuse encore pro|>res etVoits, par sa persévérance, qui se
son secours à cette femme, il fait entendre un»', concilia la clémence du Seigneur. Et c'est en-
réponse plus sévère (jue l'autre // n'est pas : core ce (ju'indique cette parabole de l'ami (jui

juste, dit-il, de prendre le pain des enfants, et vient au moment où on


ne l'attend pas, pen-
de le donner aux eli/ens. (Ibid. 2(5.) Considérez, dant la nuit, et deniande trois pains 5/ néan- :

jnes bien-aimés, admirez ici la vivacité du moins l'autre persévérait à frapper, je vous
HOMÉLIES SUR LA CEiNÈSE. - QUAUANTE-CINQL'IÈ.MK HOMÉLIE. 303

assure que, quand il 7ie se lèverait pas pour dette : Notre père est vieux et il n'est personne
lui en donna-, parce quil est son ami, il se sur la terre qid viendra vers nous selon la cou-
lèverait^ dumoins, à cause de son importunité, tume de tous les pays. Considérez attentive-
et il lui en donnerait. (Luc, xi, 8.) Eh bien 1 ment le but, et vous verrez qu'elles sont au-
puisque nous voyons ["inefl'able clémence de dessus de toute accusation. En effet, elles pen-
Nutre-Seigneur, allons à lui, déclarons-lui^ sèrent qu'elles avaient assisté à une destruction
mettons-lui, pour ainsi dire, sous les yeux, générale du monde entier; qu'il n'y avait pas
un à tous nos péchés; deman-
un séparément un seul survivant; elles virent ensuite la vieil-
dons- lui le pardon de nos fautes passées, afin lesse de leur père. Donc, dit l'aînée, pour que
de vivre dorénavant avec plus d'exactitude, et notre race subsiste, pour que notre nom ne
d'obtenir de lui une plus grande bienveillance. meure pas (c'était là en effet le plus granrl
Mais revenons, s'il vous plaît, à la suite de souci des anciens hommes, d'étendre
leur race
notre lecture. Loth, dit le texte, étaiit dans par la succession de leurs enfants) donc, dil- ;

Ségor, monta et se retira sur la montagne, elle, pour que notre race ne soit pas tout en-
ainsi que ses deux filles avec lui, parce qu'ils tière détruite, et cela surtout quand notre père
avaient peur d'Jiabiter dans Ségor, et Loth ha- est déjà accablé de vieillesse, quand il n'y a
bita dans une caverne, et ses deux filles avec pas un homme qui puisse s'unir à nous, de
lui. (Gen. xix, 30.) Le juste, sous le coup de la telle sorte qu'il nous soit possible d'étendre et
crainte que lui avait inspirée le désastre de de laisser, après nous, notre race : Viens, dit-
Sodome, s'en va, et, dit le texte, il habi- elle, pour prévenir ce malheur, donnons du vin
tait sur une montagne avec ses filles. 11 à notre père. C'est comme si elle disait notre :

vécut dans la solitude, dans un lieu tout à père ne supporterait pas nos paroles, trom-
fait dévasté, avec sus filles, séjournant sur la pons-le avec du vin. Elles donnèrent donc
montagne. Alo7's, suivant le texte, l'aînée dit à cette nuit-là du vin à leur père, et l'aînée dor-
la cadette : Notre père est vieux, et il n'est mit avec lui sans qu'il sentît, ni quand elle se
persoujie sur la terre qui viendra vers nous, coucha, ni quand elle se leva, (Ibid. 33.) Voyez-
selon la coutume de tous les pays. Viens, don- vous comment la divine Ecriture excuse le
nons du vin à notre père et dormons avec lui, juste, non pas une fois seulement, mais deux

afin que nous puissions conserver de la race de fois. D'abord, en montrant que ses filles l'ont

notre père. [\h\à. 31, 32.) C'est avec un reli- trompé par le vin, elle a déclaré qu'elles n'a-
gieux respect mêlé de tremblement et de
, vaient pas d'autres moyens de décider leur
crainte, mes bien-aimés que nous devons ,
père; et maintenant, je crois que c'est une
écouter ces paroles de la divine Ecriture. Rien disposition d'cn-haut qui a permis qu'il fût
n'a été consigné à la légère et sans dessein assez appesanti par le vin pour ignorer abso-
dans nos saints Livres; tout ce qu'ils contien- lument tout, de manière à demeurer inno-
nent y a été mis pour notre utilité, et dans cent» En effet, les péchés qui nous condamnent,
notre intérêt, même les choses que nous ne ce sont ceux que nous faisons sciemment et
comprenons pas. En effet, nous ne pouvons volontairement. Voyez le soin que prend l'Ecri-

pas savoir tout absolument, avec une parfaite ture de rendre en faveur du juste le témoi-
exactitude; mais si nous essayons d'expliquer, gnage que lui, personnellement, ignora tout
selon la portée de notre esprit, les endroits dif- ce qui s'était passé. Mais ici une autre ques-
ficiles, c'est qu'ils contiennent, même ainsi, un tion s'élève, au sujet de l'ivresse. Il convient,
trésor caché, profondément caché, et difficile en effet, de tout examiner, afin de ne laisser à
à découvrir. Considérez donc comme l'Ecriture la perversité impudente aucun prétexte de ca-
raconte tout , d'une manière parfaitement lomnie. Que dirons-nous donc de cette ivresse?
claire, et nous monire le but (jne se pro- elle ne résulta pas pour lui autant de l'intem-
posent les filles de Ihonmie juste, d'une ma- pérance, que de la tristesse et de l'abatte-
nière suffisante pour empêcher que qui que ment.
ce soit , considérant le fait ne condamne , ,
5.Que personne donc ne se permette de con-
soit le juste, soit les filles du juste, comme si damner, soit l'homme juste, soit les filles de
ce commerce était l'effet de l'incontinence. l'homme juste. Quelle ne serait pas notre dé-
Comment donc rEcrilareexcuse-t-elle les filles mence, notre délire, quand nous voyons la
du juste? L'aînée, selon le texte, dit à la ca- divine Ecriture les absoudre pleinement, bien
304 TRADIJCTKIN FRANÇAISE DE SAINT JEAN CIinYSOSTOME.

un
plus, les justifier avncin si aloux, d'aller
fî« enfants; elles indiquent la propagation de leur
lescondamner, nous qui jomnics charriés de race qui foruiera d( s peuples. L'un, en effet,

péchés sans nombre ? Ecoutons la voix de sera le père des Moabites, l'autre celui des
Paul : C'est Dieu qui justifie, qui osera con- Ammonites.
damner? (Rom. vin, 33, 34.) Et ce qui prouve 6. Considérons maintenant qu'à cette époque,

que cette action ne fut pas l'effet irréfléchi dans ces premiers temps, où commençaient
d'une passion ordinaire; (jue l'excès de la tris- les choses, on voulait conserver sa mémoire

tesse et le vinne lui laissèrent aucun senti- par la succession de sa race de là la préoccu- ;

ment, écoutez l'Ecriture : Le jour suivant, pation si forte des filles de l'homme juste.
l'ainée dit à la cadette : Vous savez que je Aujourd'hui, au contraire, par la grâce de
dormis hier avec mon père; donnons-lui en- Dieu, la religion a grandi, et, comme dit le
core du vin à boire, cette nuit, et vous dor- bienheureux Paul Im figure de ce inonde
:

mirez aussi avec lui, afin que iious conser- passe. (I Cor. vu, 31.) C'est par nos bonnes
vions de la race de notre père. A'oyez en quelle œuvres que nous devons assurer notre mé-
sûreté de conscience elle faisait cette action. moire, afin qu'après notre départ d'ici-bas,
Puisque j'ai pu, dit l'aînée, accomplir ce que l'examen attentif et miin'itieux de notre vie,
je voulais, il est nécessaire que vous aussi soit un exemple, un enseignement, jiour tous
vous fassiez la même chose; peut-être obtien- ceux qui tourneront sur nous leurs regards.
drons-nous ce que nous désirons, et notre race C'est qu'en effet les hommes vertueux, les
ne périra pas éternellement. Elles do)inèrent hommes chastes et purs, peuvent être utiles
donc encore, cette mdt-là, du vin à leur père, non-seulement clans cette vie, mais après leur
et sa seconde fille dormit avec lui, sans qu'il départ de cette vie, à ceux qui les contemplent.
sentît non plus, ni quand elle se coucha, ni Voyez-en la preuve, je vous en conjure, dans
quand elle se leva. Considérez , mes bien- le grand nombre d';i nuées qui se sont écoulées
aimés, que tout ce qui s'est passé là, est l'œu- depuis Joseph jusqu'à nos jours dans ce qui ;

vre d'une disposition divine, comme il est ar- arrive toutes les fois que nous voulons porter
mé pour premier homme. H dormait, on
le les hommes à la continence. C'est Joseph que
lui prit une il ne sentit rien; celui qui
côte, et nous proposons, ce beau et gracieux jeune
avait fait cette côte, en tira l'épouse d'Ad ini. homme, qui, dans la Heur de l'âge, montre
Le fait d'aujourd'hui est de mêaie nature. Si une sagesse si virile, tant de chasteté, tant de
la côte fut enlevée dans un moment où la pudi ur. Voilà par quels moyens nous nous
pensée, par l'ordre de Dieu, ne s'en afierçut ai'i)liqi:ons à provoquer, dans ceux (jui nous
pas, en l'absence de tout sentiment pour écouteni, l'imitation des vertus que ce juste a
l'homme, à bien plus forte raisoji en fut-il de montrée^ en lui. Qui n'admirerait pas en ctfet
même, pour le fait qui n^us occupe La di- ce bienheureux? il est esclave; il est dans la
vine Ecriture dit Le Seiqneur Dieu envoya
: fleur de la jeunesse; à l'àjie où la concui>is-
à Adam un profond sommeil, et il dormit cencc es. une fournaise plus que jamais brû-
(Gen. 11,21.) Elle exprime un fait du même lante; il voit la femme de son maître, qui se
genre par ces paroles So7is qu'il sent/i, ni
: lance sur lui dans le délire de la jjassion. et il

quand elle se coucha, ni qua)id elle se leva. montre un courage héroïque, et il s'est si bien
Ainsi, dit le texte, elles conçurent de leur père; exercé aux combats de la tempérance, qu'il
rainée enfanta U7i fils, et elle le nomnta Moab, s'ech.ippe hors des étreintes de cette femme
c'cst-àdi7'ede mon père ; c'est le père des aux désu's ellVénés. Il s'élance loin d'elle,
Moaùitcs; la seconde enfanta aussi un fils, et dépoiulie de ses vêlements, mais revêtu de sa
elle l'appela Ammon,
c'est-à-dire le fi 's de chasteté qu'il conserve. Et, à celte heure, on
ma race; père des Ammo)ntes. (Gen.
c'est le pouvait voir, étrange, incroyable prodige,
XIX, 30, 37, 38.) Vous voyez (|uil n'y a pas là l'j'gneau au pouvoir du loup, disons mieux,
une œuvre de l'inconlincnce. puisipie, toul sous l'ongle de la lionne, et eejjcndant l'agneau
de suite, elles donnent à leurs lîls des noms fut sauvé. Et, comme colombe évite la serre
la
qui expriment le lait; elles inscrivent dms U:- de laigle. ainsi ce juste échappe aux mains de
iRiuis de leurs fils, comme
sur des colomies, celte fenuiie. Non, je n'admire pas aulant la
le fait qu'elle s ont accompli; elles marquent Aicloire des trois jeunes hommes, triomphant
davance les nations (lui doivent sorlir de leurs de la tlanune au milieu de la fournaise de
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — QUARANTE-QUATRIÈME UO.MÉLIE. 305

Babylone; je n'admire pas leur chair restée plein de bonté pour l'homme, et parce que
intacte, autant que j'admire, que je suis frappé nous sommes revêtus de chair, et parce qu'il
d'étonnement et de stupeur, en voyant ce nous faut soutenir un combat contre des puis-
juste dans cette fournaise, bien plus rodout;d)le sances invisibles, nous a préparé à nou« aussi
que la fournaise de Bal)ylone, exposé àrincon- des armes invisibles. Il veut que par ce ,

tinence,je dis riiiconlinence d'une Egyptienne, secours, nous triomphions de tous nos enne-
et demeurant intact jusqu'au bout, et conser- mis. Eh bien donc! assurés de la vertu de nos
vant sans atteinte sou manteau de chasteté. armes, contribuons des ressources i\\\\ sont en
Mais ne soyez pas trop étonnés, mes bien- nous, et il nous sera donné, grâce à ces armes
aimés ; c'est parce qu'il contribua des res- spirituelles, de frapper le démon au visage,
sources qui étaient en lui, qu'il obtint comme car ne pourra pas supporter l'éclat de noire
il

auxiliaire la grâce d'en-haut, pour éteindre cet armure quelques efforts qu'il fasse pour nous
;

incendie, pour faire pleuvoir au milieu de la tenir tête, il sera bien vite aveuglé. Où se
fournaise la rosée de l'Esprit-Saint. Avez-vous montre la continence, l'honnêteté, le concours
bien compris comment les honnnes doués de de toutes les autres vertus, là se montre promp-
vertu sont pour nous, et pendant tout le temps tement aussi la grâce magniru[ue de l'Esprit-
qu'ils restent sur la terre au milieu de nous, Saint. De là, ce que disait le bienheureux
et après leur départ» de cette vie de la plus Paul Tâchez d'avoir la paix avec tout le
:

grande utilité? Et voilà pourquoi nous avons monde^ et la sainteté. (Hébr. xii, 14.) Purifions
fait paraître ce juste au milieu de vous; c'est donc, je vous en conjure, notre conscience ;
aûn que nous suivions tous son exemple. Donc, rendons à notre âme sa pureté, de telle sorte
imitons-le tous, et triomphons de notre concu- qu'affranchis de toute souillure, nous forcions
piscence, instruits par ces paroles J^ous avons : l'Esprit à nous communiquer ses dons pré-
à combattre 71011 contre la chair et le sang, cieux afin de triompher des perfidies du
,

mais contre les principautés et les puissances^ démon, et de mériter la jouissance des biens
contre les princes du monde de ce siècle téné- ineffables, par la grâce et par la bonté de
breux (Ephés. VI, 12); et, dans la pensée que Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient,
nous, revêtus de notre corps, nous sommes comme au Père et au Saint-Esprit, la gloire,
forcés de lutter contre des puissances incorpo- maintenant et toujours, et dans les siècles des
relles, fortifions-nous des armes de l'Esprit. siècles, Ainsi soit-il.
Voilà pourquoi le Seigneur, parce qu'il est

S. J. Cb. — Tome V. 20
306 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CURYSOSTOME.

QUARANTE-CINQUIÈME HOMÉLIE.

« Atraham étant parti de là pour aller du côté du midi, habita entre Cadès et Sur, et il alla à Gërara, peur y
demeurer quelque temps. > (Gen, XX, 1 .)

ANALYSE.

1. La bienveillance des auditeurs est nécessaire à l'orateur. Genre de vie simple et modeste du patriarcbe Abraham. 2. La —
mort n'est rien autre chose qu'un sommeil. —
3. Que la concorde entre époux est un grand bien. 4-5. Honorer les servi-—
teurs de Dien, c'est honorer Dieu. Tout est possible à Dieu. —
6. Exhortation.

d. Je me réjouis quand je vous vois accourir, Quelle plus douce pourrions-nous


félicité

pour entendre la parole et recevoir avec plai- souhaiter,nous qui, devant de tels flots d'au-
sir l'enseignement que nous vous donnons. Et diteurs, prononçons des paroles accueillies
voilà pourquoi, avec une ardeur qui redouble avec tant de zèle et d'atToction ! Rien n'est si

chaque jour, je mon


pauvre et chélif
vous sers nécessaire à celui (jui parle, que la bienveil-

repas. L'excès de votre faim vous empêche lance de celui qui écoute. A l'aspect d'un audi-
d'apercevoir combien le service est maigi'e, et toire i)assionné , avide d'entendre , l'orateur
ce qui est peu de chosCj vous semble considé- l)rend coiuage, il se sent j^our ainsi dire péné-

rable. C'est ce qui arrive pour les repas du tréd'une force nouvelle, parce qu'il sait que
corps. Un homme reçoit des convives qui n'ont plus sa table est riche des dons de l'Esprit,
pas d'appétit; c'est en vain que le service est plus ses ressources propres s'accroîtront. Il
magnifique et somptueux; les convives dégoû- n'en est pas des festins du monde comme des
tés n'apprécient pas la richesse du banquet, banquets spirituels. Chez les hommes, la ma-
souvent des mets recherchés leur paraissent gnificence de la table entraîne les dépenses; le
méprisables; c'est que les convives n'ont pas festin diminue la fortune de cehii (jui le donne.
d'appétit. Au contraire, supposez des pauvres, Ici, au contraire, il on est tout diU'éreuuuenf ;

des affamés, invités à une table, si mince plus y a de convives, plus notre richesse
il

qu'elle soit, elle leur paraît splendide, parce s'accroît et, en effet, nous ne vous disons pas
;

qu'ils mangent avec pluisir, avci" axidité. Nous ce qui vient de nous, mais ce que nous inspi-
aussi, comme nous sonmus assuré de votre rent pour votre utilité la grâce et la bonté de
appétit spirituel, nous ne craignons pas, mes Dieu. Eh bien! donc, puisque vous venez avec
frères, de vous servir clia(|iie jour ce maigre tant d'empressement et de joie pour entendre
repas dont les mets ont |)0U de valeur. Ce qui la parole,examinons attentivement les pas-
faisait dire à un sage // vaut mieux être in-
: sages qui viennent d'être lus et recueillons
vité avec affection à manger des herbes, quà le fruit (|u'ils contiennent. Car, selon cette
manger le veau gras, lorsqu'on est haï (Prov. grande exiiortation que le Christ nous adresse,
XV, 17); paroles (jui nous cuïeigiienl que les lisez avec soin Ecritures (Jean, v, 39,)
les

yeux de la chaiilé Iransformeul les mets qu'on un grand trésor est caché dans les Ecri-
lui sert, qu'elle trouve vil ce qui est somp- tures; il y est dans les profondeurs; aussi,
tueux, et petit, ce qui semble grand. est-il convenable de l'y chercher avec beau-
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. - QUARANTE-CINQUIÈME HOMÉLIE. SOT

coup de soin si nous voulons après avoir , compte de ce qui arrivait; ce que font la plu-
reconnu la vertu (jue recelaient les profon- part des hommes. Et ces hommes sont courbés
deurs de l'Ecriture, en recueillir une grande sous le poids de péchés sans nombre; pour
utilité. Les vertus de tous les hommes justes quehjues diflicull-és qu'ils rencontrent, tout de
ont été consignées par la grâce et par la dispo- ils murmurent, et leur curiosité in(iuiète
suite
dans les Ecritures, pour
sition de l'Espril-Saint demande pounpiui telle chose ou telle chose
nous servir de continuel enseignement, pour est-elle arrivée? pourquoi telle chose a-t-elle
exciter notre émulation, pour nous porter à été permise? xMais ce juste ne titiit pas cette
conlormer notre \ie à la vie de ces justes. copduile; ce qui lui a valu une [)lus grande
Ecoutons donc la dnine Ecriture. Que nous abondance des secours d'en-huut. En eflet,
racontc-t-elle aujourd'hui de notre patriarche? c'est là le pro[)re d'un bon ser\ileur de ne pas
Aàrahatn, dit le texte, étajit parti de là pour examiner curieusement ce que fait son maître j
aller du côte du midi, habita entre Cadès et il se tait, il reçoit tout en le bénissant.

Sur, et il alla à Gérara, pour y demeurer 2. Remarquez bien comment les épreuves
quelque temps. Abraham, dit le texte, étant mêmes qui suivent font éclater plus encore
parti de là. D'oîi donc? de l'endroit où il avait la vertu de l'homme juste, Dieu le gloriliant
fixé sa tente, où il lui fut donné de recevoir le par tous les moyens. De mêine que, lorsqu'il
Créateur de tous les êtres, et de recevoir les descendit en Egypte, il était d'abord inconnu,
anges. Etant parti de là, dit le texte Il alla à : voyageur, sans que personne sût qui il était,
Gérara pour y demeurer. et bientôt, voilà (pje tout à cou{) il quitte
"Voyez la manière de vivre de ces justes. l'Egypte, et il est comblé d'honneurs; î'insi

Leur mobilier était peu de chose, ils n'admet- maintenant encore le voilà voyageur dans le
,

taient pas le su[)erflu. Voyez la facilité des pays de Gérara; ilconunença d'abord i)ar faire
transports ; c'étaient des voyageurs, des pèle- tout ce qui dé[)endait de lui, et bientôt il re-
rins qui dressaient leurs tentes un jour ici, çut de Dieu des secours qui le rendirent si
l'autre jour là, comme onen pays étran-
fait puissant, que le roi du pays et tous les habi-
ger. Ils ne nous ressemblaient pas, à nous qui tants de la contrée rivalisaient d'ardeur |)Our
habitons une terre étrangère comme si c'était ser\irl'homme juste. Or, dit le texte, Abraham
notre patrie, qui élevons des demeures si»len- dit,parlant de Sara sa femme, quelle était sa
dides, et des portiques, et des lieux de prome- sœur. Il eut peur en effet de dire que c'était sa
nade, et possédons des domaines, bàlistons
(pii femme, de peur que les gens delà ville ne le
des bains et mille antres constructions de tout tuassent à cause d'elle. (Ibid. 2.) Voyez la vio-
genre. Voyez conuuent ce juste, dont toute lence des sentiments qui attaquent l'âme de
la fortune consistait en esclaves et en trou- cet homiue juste, la frayeur qu'il éprouve. Et
peaux; qui ne s'arrèlait jamais dans le même quoi<iuc la première appréhension, celle de
lieu ;
qui plantait un jour sa tente à Béthul, un perdre sa femme, soit une émotion très-forte,
autre jour auprès du chêne de Mambré; qui un cependant la crainte de la mort chasse cette
autre jour descendait en Egypte, pose mainte- première crainte. Car, pour se soustraire à
nant sa tente dans le pays de Géiara. Et il l'horreur de la mort, il a sujiporlé de voir, de
accepte tout, et dans tout ce qu'il fait se mani- ses pro[)res yeux, la compagne de sa vie tom-
feste sa reconnaissance envers le Seigneur. ber dans les mains du roi. Combien cette si-
Après tant de ja-omesses que Dieu lui avait tuation est diliicile à supi-orler, c'est ce que
faites, il se voit au milieu de si grandes diffi- savent ceux qui ont des feunnes. D'où vient
cultés; il lui arrive des épreuves variées et di- qu'un sage disait La jalousie et la fureur du
:

verses; connue un diamant que rien n'altère, mari ne pardonnoont point au jour de la ven-
il reste ferme, il montre toujours un zèle pieux geance ; pour aucun prix il ne renoncera à sa
qu'aucun obstacle ne ralentit. Voyez, en ellèt, haine. (Prov. vi, 34, 35.) Eh bien I cette dou-
maintenant, mon bien-aimé, quelle épreuve il leur, insupportable pour tous les hommes,
subit dans le pays de Gérara, et admirez le voyez connue ce juste la supportée, parce
courage et la vertu du juste. Voyez comme ce qu'il avait horreur de la mort. C'est évidem-
qui paraît insupportable à tous, ce que l'oreille ment ce qui arrive dans les indispositions du
même ne voudrait pas entendre, il rasupi)orté corps; quand deux maladies l'altaquent à la
tians se plaindre, sans demander au Seigneur fois, les progrès de l'une font disi"a;.iilrc l'au-
m TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CIÎRYSOSTOME.

tre; la plus forte s'empare de tout notre être, pouvait rien pour la aefendre. Il supportait tout
à point que, distraits par la jikis grave,
tel en silence, parce qu'il savait bien que Dieu,
souvent nous ne sentons pas celle qui est loin de l'oublier, se hâterait de le secourir.
moins dangereuse. De même, ce juste aussi, Admirons aussi l'amour de Sara, qui voulut
la mort qui l'assiégeait, a trouvé
à l'aspect de arracher l'homme juste à la mort; elle pouvait
tout le reste supportable. elle-même, en découvrant tout, échapper à un
Mais maintenant, gardtjz-vous, mes bien- outrage certain. Mais elle supporta tout avec
aimés, en entendant ces paroles, d'accuser courage, afin de sauver son mari. Et alors fut
riionime juste de pusillanimité, parce qu'il a accomplie cette parole Ils seront deux dans
:

craint la mort. Admirez plutôt la bonté du une seule chair (Gen. ii, 21,. c'est-à-dire qu'on
Créateur de tous les êtres envers nous. Cet eût pu croire qu'ils n'étaient qu'une seule
objet si terrible pour ces hommes justes et chair, tant ils avaient un mutuel souci l'un de
pour ces saints, le Christ l'a rendu si miséra- l'autre. Leur concorde grande qu'on était si

ble, que celte mort tant redoutée des anciens eût pu croire qu'ils n'étaient qu'un corps et
hommes, de ces hommes illustres par leurs qu'une âme. Ecoutez, ô hommes, écoutez, ô
vertus, pleins de confiance en Dieu, cette mort femmes; celles-ci pour montrer à leurs maris
fait riie gens et de
aujourd'hui de jeunes un pareil amour, pour ne rien préférer à leur
tendres vierges. La mort, eneifet, n'est qu'un salut; ceux-là, pour témoignera leurs épouses
sommeil, qu'un voyage, qu'un passage de la , la même affection; pour tout faire comme s'ils
corruption à ce qui vaut bien mieux. La mort n'étaient qu'une âme et qu'un corps.

du Seigneur nous a apporté en présent l'im- 3. Voilà eu effet ce qui constitue la sincérité
mortalité; en descendant aux enfers, il l'a de l'union conjugale, la perfection de la con-
énervée, il a réduit cette force à néant, et ce corde, la perfection de la charité qui les en-
qui était autrefois terrible, é()ou\antable, il l'a chaîne l'un à l'autre. De même que le corps
rendu méprisable à ce qu'on voit des i)oint ne se tourne pas contre lui-même ni l'âme ,

personnes tressaillir de joie, s'empresser de contre elle-même; ainsi l'époux et l'épouse ne


courir pour hâter ce voyage. Voilà pourquoi doivent pas se tourner l'un contre l'autre ; il

le bienheureux Paul nous crie Etre dcgarjé : faut qu'ils soient unis. C'est alors seulement que
(le ces lieîis^ cire avec Jésus-Christ ^ c'est de l'abondance de tous les biens i>eut affluer sur
beaucoup le meilleur. (Philip, i, 23.) Mais ces eux. Où règne la concorde, là se rcncontrenl
opinions sur la mort ont suivi l'avcnenient du tous les biens : la paix, l'amour, la joie spiri-

Christ; il a fallu que les portes infernales, que tuelle; ni guerre, ni combat, ni haine, ni
les portes d'airain fussent brisées ,
que le so- (luerelle ; tous ces fléaux sont écartés ; celle

leilde justice brillât partout sur la terre. Dans racine de tous les biens, j'appelle ainsi la con-
ces anciens temi)S, la face de la mort était corde, a tout fait disparaître. Abimélech, rot
terrible; elle remplissait d'elfroi l'âme des de Ciérora, envoya donc des honnncs qui enle-
justes. Voilà pounpioi ils se résignaient à tous vèrent Sara ; înais Dieu, pendant la nuit, ap-
les autres maux, même à ceux qui paraissaient parut en songe à Abimélech, et lui dit : Vous
insupportables. De là vient que ce juste, re- serez puni de morty à cause de la femme que
doutant les habitants de Cérara, et séjournant vous avez enlevée, parce qu'elle a un mari
parmi eux, fit passer sa femme pour sa sœur. (Ibid. Il, 3.) Vuyez la clémence de Dieu connue !

Et de même que, lorsque Dieu lui permit de il vit que le juste, par craint<i de la mort, sup-

descendre en Egypte, il employa ce moyen, portait courageusement que Sara fût enlevée,
pour faire connaître à ces hommes pervers et et (jue le roi la regardait comme la sœur de

endurcis la vertu du juste; de même encore, Ihomme juste, il déclara enhii sa providence,
ici, le Seigneur montre sa propre longanimité, glorifla le juste, préserva Sara d'un outrage,
pour que la patience de l'honnue juste éclate en et le d'un péché. Er Dieu, dit le texte,
roi

toutes choses, et (pie la bienveillance de Dieu pendant apparut en songe à Abimé-


la nuit,
pour lui se manifeste à tous. Abimélcch, roi de lech. C'est justement, dit le texte, pendant le

Gcrora., envoya donc des hojmncs pour enlever sonuneil, (jue Dieu voulant le soustraire à
San-. Réfléchissez ici, je vous en prie, sur l'o- 1 iniquité, éclaira sa conscience, lui révéla ce

rage de pensées qu'essuya Ihonnne juste, en qui était secret et provoqua sa crainte, en le

voyaut qu'on emmenait son épouse et qu'il ne menataiit do la mort. En etTet , dit le texte :
HOMÉLIES SUR U GENÈSE. - QUARANTE-CINQUIÈME HOMÉLIE. 309

Vous sci'cz pimi de mort^ à cause de la femme lient ici le même


langage Je vous ai préservé, :

que vous avez enlevée, parce quelle a un ?uan'. dit-il, que vous ne péchiez point contre
afin
Or, Abimélcch ne lavait point touchée. (Ibid. i.) moi. Ce sont mes serviteurs, dit-il, et si recom-
Toutes ces choses arrivèrent afin que la pro- mandables à mes yeux, ([ue ce qu'on leur fait,
messe de Dieu au patriarclie eût son accoui- on me le fait à moi-même, soit en bien, soit en
plissenient.FuefTel, peu de temps auparavant, mal. Voilà pourquoi je Jie vous ai pas permis
il promis qu'Isaac viendrait au monde,
lui avait de la toucher. Je m'intéresse à eux tout à fait,

et le temps était proche. Pour que rien ne et, comme par ignorance
je savais que c'était

pèntU raccomplissement de la divine promesse, que vous alliez leur faire un outrage, je vous
il frappa Abimélech d'une si grande terreur, ai préservé afin que vous ne péchiez pas contre
que ce roi n'osa j)oint loucher Sara. Voilà moi. Ne regardez pas simplement cet homme
pourquoi la divine Ecriture a ajouté Abimé- : comme un homme vulgaire ; apprenez qu'il
lech ne l'avait point touchée. Lui-même s'en estde ceux à qui je porte le plus grand intérêt,
défend et dit Seigneur, punirez-vous de mort
:
et qui me sont particulièrement chers. Ren-

iifjnorance d'un peuple innocent? Savais-jc, dez donc présentement cette femme à son mari,
dit-il, que c'était son épouse? Ai-je voulu ou- parce que c'est un prophète, et il priera pour
tragerun étranger? Quand j'ai enlevé cette vous et vous vivrez. (Ibid. 0.) Voyez comme il
femme, ai-je cru lui enlever son épouse? J'ai proclame la vertu de l'homme juste; il l'ap-
pensé la recevoir comme sa
sœur, j'ai cru leur pelle prophète, il fait presque en sorte que le

faire honneur, à Punircz-vous


elle et à lui. roi se montre son suppliant. En efFet, il priera
donc de mort l'ignorance d'un peuple inno- pour vous et vous vivrez. En effet, dit-il, ayant

cent ? J'ai fait l'action d'un homme juste me ; peur d'être tué par vous, il a bâti cette co-
punirez-vous de mort? Il explique ensuite sa médie il a pour ainsi dire, coopéré à l'ou-
;

pensée plus clairement : Ae m'a-t-il pas dit trage préparé à Sara mais sachez bien que ses
;

lui-même qu'elle était sa sœur, et elle-même prières vous procureront la vie. Ensuite, de
aussi, ne m'a-t-elle pas dit qu'il était son frère ? peur qu'Abimélech, embrasé par la concupis-
Voyez, dans la conduite des époux, le consen- cence, vaincu par la beauté de Sara, ne mé-
tement parfait. Quelle parfaite concorde! Lui- prise ses commandements, il lui envoie la ter-
même, dit-il , me l'a dit ; elle-même a confirmé reur , il le menace d'un grand châtiment.
ses paroles. J'ai fait cela dans la simplicité Si vous ne voulez point la rendre, dit- il,

de mon cœur et saiis souiller la pureté de mes sachez que vous serez frappé de mort, vous et
mains (Ibid. 5), dit-il. Je n'ai pas cru faire une tout ce qui est à vous. Ce n'est pas vous seule-
mauvaise action mais une action légitime
, ment qui expierez votre désobéissance ; mais
permise, irrépréhensible. Que répond à cela le la mort, à cause de vous, perdra tout ce qui est
Dieu de bonté ? Dieu lui dit, pendant son som- à vous. Si Dieu choisit le temps de la nuit
7neil. (Ibid. G.) condescendance du
Voyez la pour lui adresser toutes ces paroles, c'est afin
Dieu de toutes les créatures; voyez comme que l'averlissenient reçu pendant l'heure du
tout révèle sa bonté Je sais que vous l'avez
: repos, soit plus efficace ; c'est pour que la
fait avec im cœur simple. Je sais, dit-il, qu'eux- crainte le décide à obéir au commandement.
mêmes vous ont inventé, pour vous, une his- Et en effet, dit le texte, Abimélech se leva aus-
toire, et vous ont trompé par leurs paroles. Je sitôt, appela tous ses serviteurs, et leur dit tout

n'ai pas voulu que cette tromperie vous indui- ce qu'il avait entendu.
sît à pécher, c'est pour cela que je vous ai pré- 4. comme le roi devient le héraut
Voyez
serve, afin que vous 7ie péchiez point contre de vertu de l'homme juste
la et le fait ,

7noi. Quel ménagement dans ces paroles Quelle ! connaître à tous. En effet, dit le texte, ayar *
clémence dans le Seigneur Le péclié, dit-il, 1 appelé tous ses serviteurs , il leur raconta
aurait rejailli contre moi. tout ce que Dieu lui avait révélé, afin d'ap-
S'il arrive parmi les hommes qu'on fasse prendre à tous et la bienveillance de Dieu
,

injure à un serviteur en grande estime auprès envers l'homme juste, et tout l'intérêt que
de son maître, le maître prend l'injure pour Dieu lui portait à cause de ses mœurs et de sa
lui, et dit C'est moi que vous avez outragé en
: vertu. Or ils furent tous saisis dime grande
outrageant mon serviteur. Le traitement qu'on crainte. Comprenez-vous maintenant que ce
OU me le fait à moi. La bonté de Dieu n'pJnit oas sons raison, sans un dessein de
310 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME,

Dieu, que ce juste passait tant de d'un lieu fois pensée de Dieu ne doit commettre aucune in-
dans un autre? première
S'il était resté sous sa justice,mais redouter l'œil qui ne dort pas,
tente, comment tous les habitants de Gcrara éviter les châtiments dont Dieu menace qui-
auraient-ils pu connaître rin?igne crédit dont conque ne prend pas le plus grand souci de la
Jouissait le juste auprès de Dieu? Or ils furent justice. Le patriarche voulant ensuite se dé-

tous saisis d'une grande crainte. Ils étaient pé- fendre Ne pensez pas, dit-il, que môme en
:

nétrés d'une frayeur qui les rendait fort in- î)arlant ainsi j'aie menti En effet, c'est ma :

quiets de l'événement. Le texte continue : so:ur du même père que moi, mais non de la
Abimélech manda Abraham. (Ibid. 9.) Consi- même mère ; et elle tn'a été donnée pour épouse.
dérez la gloire dont le juste jouit ensuite (Ibid. 12.) Comme elle a, dit-il, le même père
auprès du roi, lui qui, peu d'instants aupara- que moi, je l'ai ap;ielée ma sœur donc ne me ;

vant, était méprisé de tous comme un vaga- condamnez pas. Sans doute, c'est la crainte de
bond, un étranger. Donc, tout le monde est la mort qui m'a réduit à dire ce que j'ai dit ;

rassemblé, et aussitôt on mande le patriarche, j'ai eu peur que vous ne me fissiez mourir, à

qui ne savait rien et qui apprend ensuite, cause d'elle, et (jue vous ne faisiez d'elle votre

du roi lui - même , ce que Dieu avait fait possession ; même en


toutefois je n'ai pas menti,
pour lui En effet, Le roi lui dit : Pourquoi nous
. ce que vous ai dit.
je —
Voyez quel stin prend
avez-vous traités de la sorte? quel mal vous le juste pour se disculper ici du mensonge. Et

avions-nous fait, pour avoir voulu nous en- tenez, dit-il, je veux tout vous dire, écoutez le
gager, moi et mon royaume, dans wi si grand dessein que nous avons concerté entre nous :
péché? Vous avez fait à notre égard ce que Dépuis que Dieu m'a fait sortir de la maison
vous n'auriez point dû faire ; que voidiez-vous de mon père. (Ibid. 13.) Considérez, je vous en
en agissant ainsi? (Ibid. 10.) Pourquoi, dit-il, conjure, ici, l'industrieuse Stigesse de l'homme
avez-Tous voulu me faire tomber dans un si juste; en suivant le de son discours, il leur
fil

grand péché? dans quelle pensée avez-vous fait apprend qu'il est, depuis le commencement,
cela? voyez connne ces paroles indiquent les particulièrement attaché ta Dieu que c'est ;

menaces que Dieu lui a faites. Car Dieu lui Dieu qui l'a appelé hors de sa patrie, qui l'a
avait dit Si vous ne voulez point la rendre^
: amené dans ce lieu il veut que le roi sache
;

sachez que vous serez frappé de mort, vous qu'Abraham du nombre de ceux qui ont en
est

et tout ce qrn est à vous. Ce sont ces paroles Dieu la i)lus gr.inde confiance. Depuis que
mômes qu'Abiniékch interprète en disant : Dieu, dit-il, m'a fait sortir de la maison de
Quel mal vous avioris-nous fait, pour avoir mon père, je lui ai dit : Vou^ me ferez cette
voulu nous engager, moi et mon roi/arnne, grâce, dans tous les pny$ où 7W}(S irnn<:, de
da)is un si grand péché? Est-ce que j'aurais été dire que je suis votre frère. En effet, comme
le seul puni? tout mon royaume aurait été il avait dit plus haut J'ai dit en moi-même, il
:

perdu avec moi, par suite de la tromperie que n'y a peut-être point de crainte de Dieu en ce
vous avez fuite. Que vouliez-vous en agissant pay>;, on aurait pu croire qu'il les répriman-
ainsi? Considérez mes bien-aimés, la |)ru-
ici, dait trop sévèrement; il veut donc adoucir
di nce de l'honune juste comment l'excuse qu'il; celle parole, et alors il dit : Ne croyez pas que
présente, lui sert à les amener à la connais- je ne me sois ainsi conduit qu'avec vous. En
sance de Dieu. Ccst que j'ai dit en moi-même, effet, il s'empresse d'ajonter Depuis que Dieu :

dit-il, il ny a pi'ut-ctrc j)oint de crainte de m'a fait sortirde la inai^on de mon père, je
Dieu en ce pays-ci, et ils me tueront pour avoir lui ai dit : ]'ous me ferez cette grAcc dans f nus
ma femme. (Ibid. H.) Comme s'il disait J'ai : les pay< oi( noia irons; dans tous les pays,
été fort imiuiel ;
j'ai ciaiiil (jue, toujours pos- d;l-il, de la terre, pour tous les peuples qui

sédé par l'erreur, vous n'eussiez aucun souci lliabitent, je lui ai fait cette reconnu mdation.
de la justice. Voila pourquoi j'ai im;iginé celle El, eu même temps il leur apprend (jue, dans
feinte; c'était pour vous épargner un crime; cette feinte même, il n'y a pas demensonge;
de peur que, si vous compreniez (pi'elle était c'est la erainte de la moi qui nous y a portés.
I

mou é[>ouse, saisi d'amour pour elle, vous ne Le juste, par ces paroles, apaisa leur colère,
cherchiez à me tuer. Voyez comme ce peu de révéla sa vertu, et leur donna une connais-
paroles lui sert à les reprendre, et en mémo sance sutlisanle de la vraie religion. Donc le

temps, ià leur enseigner que celui qui a la roi, respeclaul la grande douceur de rhom?ne
IIOMIÉLIES SUR LA GENÈSE. — ÛUARiVNTE-CINQUIÈME HOMÉLIE. 341

juste, fait de magniliquos présents au patriar- par Sara et parfaitement convaincu, offre pour
che. En effet, dit le texte, il reçut dWbimé- lui ses prières au Seigneur. En effet, après ces
lech mille pièces d'argent^ et des brebis^ et des paroles : Dites partout la vérité, c'est-à-dire
veaux, et des serviteurs et des servantes, et il fuites savoir à votre mari ce (jui a été fait, l'E-

lui rendit Sara son épouse. (Ibid. li.) Avez- criture ajoute aussitôt : Abraham pria Dieu
vous bien compris, mes bien-ainiés, la toute- ensuite, et Dieu guérit Abimélcch, sa femme et
puissance et la variété de l'industrie de Dieu? ses servantes, et elles Car Dieu
enfantèrent.
Ihomnie (jui était en danger de mort, et qui maison dtAbi-
avait frappé de stérilité toute la
faisait tout pour échai)per à la mort, non-seu- mélech, à cause de Sara, femme d Abraham.
lement y a échappé, mais il s'est trouvé en Voyez comment le Seigneur, voulant, par tous
grande faveur, et, tout à coup a été glorifié. les moyens, glorifier le juste, accorde au pa-

5. Telleest la conduite de Dieu non-seulement : triarche le salut du roi et de toutes les per-
il sauve de tous les malheurs ceux qui résistent sonnes qui étaient dans sa maison. (Ibid. i7,
avec courage dans les moments d'épreuve, 18.) Abraham, dit le texte, pria Dieu ensuite,
mais il sait tirer de l'adversité une félicité si et Dieu guérit Abimélech, sa femme et ses ser-

grande, que l'on oublie tout dans l'abondance vantes, et elles enfantèrent ; car Dieu avait
des biens dont on est comblé. Voyez encore les frappé de stérilité toute la maison d' Abimé-
égards que le roi a pour cet homme juste. lech, à cause de Sara, femme d'Abraliam. Le
Non-seulement il l'honore en lui faisant de si roi était pur de tout péché; mais Dieu l'avait
magnifiques présents; mais, de [)lus, il lui frappé afin d'accorder sa guérison aux prières
accorde le pouvoir de fixer son séjour dans la du juste, et d'ajouter ainsi à sa gloire. Car le
contrée. Vous voyez devant vous toute cette Seigneur ordonne toujours et dispose les choses
terre, dit-il; demeurez oit il vous plaira. (Ibid. de manière que ceux qui le servent soient
iù.) En effet, comme il sait que que
ses vertus, comme des flambeaux resplendissants, et que
ses prières lui donnent la vie à lui-même, il leurs vertus soient partout célébrées. Et voyez,
ne le traite comme un voyageur, comme
plus je vous en conjure, mon bien-aimé, après que
un vagabond, connue un homme que personne Dieu a délivré le juste de tous ces ennuis,
ne connaît; il lui rend ses devoirs, comme à comme il le comble encore une fois de tous les
un bienfaiteur, comme à un protecteur. // dit biens, comme il accomplit sa promesse. Voici
ensuite à Sara : J'ai donné mille pièces d ar- maintenant l'accomplissement de ce que Dieu
gent à votre frère. (Ibid. 16.) comme les
Voyez lui avait autretois annoncé. Or, le Seigneur^
paroles du juste ont profité, comme il ajoute Sara, ainsi qu'il l'avait pro-
dit le texte, visita
foi à que le juste lui a enseigné; voici que
ce mis, à Sara selon qu'il avait dit; et elle
et fit

lui-même appelle Abraham le frère de Sara. conçut, et dans sa vieillesse enfanta un fils à
Ces pièces cF argent que fai données, dit-il, à Abraham, dans le temps que Dieu lui avait
votre frère, seront pour l'honneur de votre prédit. (Gen. xxi, 1, 2.) Que signifie : hd avait
visage, et dites partout la vérité. Qu'est-ce que prédit et, ainsi qu'il l'avait promis? Cela veut
cela veut dire pour l'honneur de votive visage,
: dire, conformément à la promesse faite, quand
et dites partout la vérité? En considération de il reçut l'hospilalité, avec les anges, auprès du
ce que j'ai entrepris par ignorance, en vous chêne de Mambré. L'ancienne parole En ce :

faisant venir dans ma


maison, vous qui êtes tonps-là je reviend?m, et Sara aura un fils
l'épouse d'un juste, parce que je vous ai fait (Gen. xviu, 10), se trouve accomplie mainte-
outrage, uniquement en considération de cet nant. Ces bienheureux voyaient le démenti
outrage, j'ai donné mille pièces d'argent, afin donné à la nature; et ce n'était pas le moyen
de réparer ce que j'ai fait contre vous. Mais ordinaire, mais la grâce divine qui opérait.
dites partout la vérité. Que signifie dites par- : Abraham donna le nom d'isaac à son fils, qui
tout la vérité? Que tous, dit-il, apprennent de né de Sara. (Gen. xxi, 3.) Ce n'est pas
lui était
votre bouche que je n'ai pas fait une action sans raison que le texte ajoute qui lui était :

injuste; que vous êtes sortie chaste de ma mai- né de Sara. Le texte ne se borne pas à dire :

son. Faites savoir, dit-il, à votre mari, que je Abraham donna le nom à son fils; mais il
suis pur du péché; qu'il apprenne de votre ajoute qui lui était né de Sara, de cette femme
:

bouche que je ne vous ai rien fait. Pourquoi stérile et avancée en âge. Et il le circoncit, dit

ces paroles? C'est aûû que le juçtC; renseigné le texte; le huitième jour, selon le commande'
31S TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

ment du Seifjneur, En effet, Dieu avait donné Abraham fit un grand festin au jour qitit fut
le commandement de circoncire , au bout sevré. (Ibid. 7, 8.)

de huit jours, ceux qui naîtraient dans la 6. Avez-vous bien compris l'ineffable indus-
suite. trie de Dieule complet témoignage qu'il donne
;

Avançons; exerçons-nous à comprendre la de la patiencedu juste, lorsque, au moment


puissance ineffable de Dieu. L'impossible pour même où et ce juste et tous ceux qui le
les hommes est possible pour lui. Voilà pour- voyaient, ne considérant que les forces de la
quoi la divine Ecriture nous apprend ici encore nature humaine, n'osaient rien espérer, la pro-
le temps. Après qu'elle nous a fait connaître messe reçoit son parfait accomplissement? Eh
l'enfantement, elle ajoute, pour notre instruc- bien donc! nous aussi, mes bien-aimés, mon-
tion, ces paroles : Abraham avait cent a?is trons la même patience que cet homme juste ;

quand lui naquit son fils Isaac, et Sara dit pas de relâchement animons-nous d'une
;

alors : Le Seigneur m'a donné un ris; qui- bonne espérance, par la pensée que ni la diffi-
conque rapprendra, se réjouira avec moi. Que culté des choses, ni quelque obstacle humain
signifie cette expression Le Seigneur tria
: que ce soit, ne peut nous priver des biens que
donné un ris? Cet enfantement est pour moi la grâce du Seigneur daigne nous départir

un sujet de joie. Et qu'y a-t-il d'étonnant que dans sa munificence. Chaque jour il exerce sa
je me réjouisse? Tous ceux qui l'apprendront libéralité; tout lui cède, tout lui obéit : le dif-

viendront me féliciter, non pas de ce que j'ai ficile devient facile, l'impossible possible, pour
enfanté, mais de ce que j'ai enfanté ainsi. Un peu que nous conservions la foi robuste en lui.
enfantement si admirable, si rare, transportera Si nous ne considérons que la grandeur de son
tous les hommes d'admiration et redoublera pouvoir, nous serons supérieurs à tout pouvoir
leur joie, quand on saura que moi, qui n'étais humain. Celui qui a promis les biens à venir,
qu'un cadavre quant à la génération, je suis les biens ineffables à ceux qui vivent dans la
tout à coup<levenue mère, que les flancs des- vertu, à combien plus forte raison nous accor-
séchés ont produit un enfant, que la femme dera-t-il ce qu'il nous faut ici-bas. surtout si,
avancée en Age peut l'allaiter; que je verrai n'ayant de désir que pour les biens invisibles,
de mon sein des fontaines de lait, moi
jaillir nous dédaignons les biens présents? Voulons-
qui n'avais plus l'espoir d'enfanter. Et elle dit: nous en jouir en abondance, sachons les mé-
Qui annoncera à Abraham que Sara nourrit priser. Donc, iniistjue nous sommes instruits
de son lait un enfant? C'est que les sources de de ces choses, désirons les biens durables. les
lait ont été accordées pour faire qu'on ajoute biens qui ne changent pas, qui ne connaissent
foi à l'enfantement, pour écarter l'idée d'un pas de lin, de telle sorte que nous traversions
Cîîfant supposé. Ces sources de lait disaient à sans tristesse la vie présente, et que nous puis-
tous que l'événement, (jui dépassait l'attente sions conquérir le boulieur à venir et jouir de
des hommes, s'était accompli Qui annoncera : tous les biens qui nous sont promis ,
par la
que Sara nourrit de son lait un enfant; que grâce et par la boulé do Notre-Soigueur Jésus-
fai enfanté un fils dans ma vieillesse? Que Christ, à (jui ai)partient, comme au Pore,
moi, vieille, j'aie pu enfanter; que je puisse, à connue au Saint-Esprit, la gloire, maintenant
l'âge où je suis, nourrir un fils? Cependant^ et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi
dit le texte, l'enfant grandit, et on le sevra, et soit-il.
HOMÉLIES SUK LA GEiNÈSE. - QUARANTE-SIXIÈME HOMÉLIE. 313

QUARANTE-SIXIÈME HOMÉLIE.

Et Sara dit : < Qui annoncera à Abraham que Sara nourrit un enfant de son lait ; que j'ai enfanté un fîls dans
ma vieillesBe? » (Gen.XXI, 7.)

ANALYSE.

1. Sara Jeniande à Abraham de renvoyer Agar et son fils. — 2.Agar est renvoyée. Obéissance d'Abraham. Providence de
Dieu. — 3. lUeu ne peut vaincre celui qui est muni du secours de Dieu. — 4. Poitrail de l'envie. Exhortation à éviter ce dé-
faut.

1. Eh bien! aujourd'hui encore, mes bien- d'où naît un enfant que ces fontaines de lait
;

aimés, reprenons la suite de l'entretien d'hier. qui jaillissent. Car, ce qui rend l'enfantement
Nous voulons vous servir ce banquet spirituel, manifeste, ce qui commande la foi, non-seule-
pour mieux comprendre, aujourd'hui encore, ment de tous les spectateurs qui ont vu Sara,
comme hier, l'inelfable bonté de Dieu, l'inté- mais de tous ceux qui, dcptiis, ont entendu
rêt qu'il nous porte, la condescendance qu'il a parler du miracle, c'est qu'elle-même nourrit
pour nous, et la parfaite obéissance et la sa- son enfant ; c'est qu'elle veut le nourrir de
gesse du patriarche. Avez-vous vu comme la son lait, et elle dit : Qui annoncera à Abra-
naissance d'Isaac a réjoui Sara? Elle dit, en ham que Sara nourrit un enfant de son lait ?

etTet, selon le texte Dieu ma donné un ris,


: Ce fait étrange, admirable, ce présent, dit-elle,
quiconque Vapprendra s'en réjouira avec moi. à moi accordé, en dehors de toute attente, que
Tous ceux qui l'apprendront, dit-elle, partage- fai enfanté im fils dans ma vieillesse. Qu'est-ce
ront ma joie car c'est un grand don qui m'a
; à dire. Que j'ai enfanté wi fils dans ma vieil-
été accordé par Dieu, et qui surpasse l'infir- lesse? C'est qu'indépendamment de la stérilité,

mité humaine. Car, dit-elle, qui ne sera pas il de la vieillesse pour écarter tout
suffisait
frappé d'étonnement, à voir que moi je nour- espoir d'enfantement. Eh bien tous ces obs- 1

risde mon lait un enfant, dans mon extrême tacles, le Seigneur les a fait disparaître, et il
vieillesse, moi qui jusqu'à ce jour n'ai pas eu m'a accordé un enfant que j'ai enfanté, et des
d'enfant? Et, dans l'admiration, dans l'étonne- fontaines de lait. Mais voyons la suite Sara^ :

ment dont elle est saisie, Qui an- elle ajoute : dit le texte, vit le fils d'Agar, l'Egyptienne^ qui
noncera à Abraham que Sara nourrit un en- était né d' Abraham, jouant avec Isaac son fils,

fant de son lait ; que j'ai enfanté un fils dans et elle dit à Abraham : Chassez cette servante^
ma vieillesse ? C'est parce que le fait est sur- avec son fds, car le fils de cette sellante ne
naturel qu'elle ajoute Qui annoncera, comme : sera point héritier avec mon fils Isaac. Ce dis-
si Qui croira cela? qui se mettra
elle disait, cours parut dur à Abraham, à cause de son
cela dans l'esprit? quelle pensée pourra com- fds. (Ibid. IX, 10, 11.) Voyez ici, je vous en
prendre ? quel raisonnement expliquera ce fai* ? conjure, mon bien-aimé, Sara, une seconde
Le rocher du désert, duquel jaillissent des fois, ne supportant pas la familiarité d'Ismaël,

fontaines sous la verge de Moïse (Exode, xvn), ne pouvant pas se faire à ce que le ûls de sa
çst moins admirable que ces flancs desséchés, servante vive dans la compagnie d'Isaac. De
314 TRADUCTION FMNÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOxME.

même qu'une première fois, jalouse d'humi- 1. Toutes les paroles, dit Dieu, que Sara vous
lier l'orgueil d'Agar, emportée par la colère, fait entendre maintenant, au sujet d'Ismaël et
elle l'a forcée à prendre la fuite ; de môme, ici d'Agar, acceplez-les et faites ce qu'elle vous dira.
encore, elle réprime tout de suite la familia- N'attristez pas, dit Dieu, celle qui, pendant si
rité d'ismaëlj ne su!)porte pas que le fils
elle longtemps, vous a témoigné tant d'amour;
dont Dieu lui a fail un présent, vive en com- celle qui, non-seulement une fois, mais deux

p;ignie du fils de la servante égyptienne; elle fois, pour vous arracher à la mort, s'est exposée

dit à Abraham Chassez cette servante avec


: elle-même, et a été la cause de cette gloire que
son /ils, car le fils de cette servante ne sera vous possédez; c'est à elle que vous devez d'a-
point héritier avec mon fils. C'est qu'elle se bord tant de trésors que vous avez rapportés à
voyait elle-même tout à fait dans le déclin de votre retour d'Egypte c'est encore à elle que ;

l'âge. Le patriarche était arrivé à l'extrême vous devez d'avoir été traité avec tant d'hon-
vieillesse (tous les deux, dit le texte, étaient neur par Abimélech. Donc, ne songez pas à ré-
pleins de jours) ; craignant que, s'il venait à sister à ses paroles, car ce qu'elle veut s'accom-
mourir tout à coup, Ismaël, né aussi du pa- plira. Isaac son fils, sera appelé votre sang, et
triarche, ne voulût s'introduire dans l'héri- il sera votre héritier. Je ne laisserai pas néan-
tage, le partager également avec Isaac , elle moins de rendre le fifs de votre servante chef
dit : Chassez cette servante avec son fils. Qu'elle d'un grand peuple, parce qu'il est sorti de
apprenne, dit-elle, dès ce moment, que le fils vous. (Ibid. 13.) Faites donc ce que vous dit
de la servante n'aura rien de commun avec Sara conformez-vous à ses paroles. Réfléchis-
;

mon fils Isaac. Il n'est pas juste que le fils de sez ici, je vous en conjure, quelle concorde,
la servante vive avec mon fils, le fils de la quelle paix bienheureuse s'établit aussitôt sous
maîtresse. Sara, d'ailleurs , n'a pas agi sans leur tente, la bonté divine resserrant ainsi le
motif; c'c?t avec raison, et à bon droit, qu'elle lien qui les unissait. Abraham se leva donc,
a tenu celte conduite, qu'elle a parlé ainsi, et dit le texte, dès le point du jour, prit des pains
c'est avec tant de raison que Dieu approuva et ini vase plein d'eau, le mît sur l'épaule
ses paroles. Quant au patriarche, plein de ten- d'Agar, lui domia son fils, et la renvoi/a.
dresse et d'afTection pour Ismaël, il entendait (Ibid. 1 i.) Voyez, ici encore, la rare vertu de
avec chagrin les paroles de Sara. En cfîet, dit l'homme juste, et comme il montre, en toutes
le tixîe Ce discours parut dur à Abraham à
: choses, la piété de son âme, car ces paroles de
cause de son fils. 11 s'inquiétait peu d'Agar, Sara : Chassez cette servante et son fils, lui pa-
mais il aimait son fils qui d'ailleurs était déjà raissaient dures, parce qu'il avait de la tendresse
grand. Mais considérez, je vous conjure ici, pour Ismaël mais, aussitôt que le Seigneur lui
;

l'admirable clémence de Dieu. Comme il vit eut donné le commandement, il fit ce qui lui
que ce (ju'éprouvait Sara était conforme à la était couunandé, oubliant même un amour
nature humaine qu'elle ne pouvait soutl'rir
,
naturel. On croit IVutendre dire Dès que le :

l'égalité d'honneur entre les fils d'AlMaham, Seigneur commande, que toutes les affections
et qu'en cela elle avait raison ; (lu'Abraham, se taisent, parce que c'est le maître de la na-
de son côté, se résignait avec peine au renvoi ture qui commande. Donc quand la servante,
d'Ismaël et de la servante ((pioiqu'il ne lullàt dit le texte, eut reçu les pains et le vase d'eau,
pas contre Sara, parce qu'il avait une grande elle sortit avec son enfant. Remarquez attenti-
douceur de caractère, cependant ce renvoi lui vement, je vous en prie, voyez encore comment
paraissait dur, c"est-à-dii(> pénible; c'était pour la bienv(Ml!ance que Dieu avait pour l'homme
lui le sujet d'une douleur diflicile à suppor- juste, s'étend sur cette femme, jugée digne,
ter) Dieu enfin, n'écoulant que sa clémence
;
elle aussi, de la sollicitude den-haut. Donc
ordinaire et resserrant
, entre les époux ,
,
quanti elle fut partie, elle errait à travers la so-

les liens de la concorde, dit à Abraham Que : litude, et soneau étant épuisée, ne trouvant
ce que Sara vous a dit touchant votre fils et aucune consolation Elle laissa son fils couché :

votre servante ne
vous paraisse point trop sous un arbre. (Ibid. la.) Ses entrailles étaient
rude; faites tout ce qu'elle vous dira. (Ibid. 11.; déchirées , elle soutirait dans l'excès de son
C'est-à-dire ne vous aftlig( z pas de ce (|u'elle amour pour son enfant. Elle s'assit, dit le
vous a (lit, mais faites tout ce (ju'elle vous texte, à distance de lui, de la portée dun arc,
dira. en disant : Je ne verrai point mourir mon
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — QUARANTE-SIXIÈME HOMÉLIE. 315

enfant, et elle était assise vis-à-vis de V enfant; quand nous avons pour nous la bienveillance
et l'enfant se mit à jtleurer. (Ibid. IG.) Mais du Seigneur, fussions-nous dans un désert,
niaiulcnant le Dieu de miséricorde et de bonté, nous vivons dans une sécurité bien plus grande
plus tendre pour nous tju'un père, qu'une que les habitants des cités; c'est que la plus
mère Entendit la voix de l'enfant, du lieu oit
: grande des sûretés, le mur inexpugnable, c'est
il était. (Ibid. 17.) Il eut pitié de l'enfant, il eut le secours de Dieu. Et voulez-vous la preuve,
compassion du malheur d'Agar, il lui permit que l'habitant des solitudes est plus en sûrettî,
de Tiiie seulement l'épreuve de la solitude, et est plus puissant(pie ceux qui vivent au milieu
aussilùt nccorda son secours. Et un anrje
il lui des cités, forts de ra[)pui qu'ils attendent d'un
de Dica, du haut du ciel, appela Agar et lui grand nombre d'hommes? Voyons, d'une part,
dit : Que faites-vous, Agar? Ne craignez point, David, passant d'un lieu dans un autre, errant,
car Lieu a entendu la voix de i enfant du lieu vagabond, mais fort parce (ju'il s'appuie sur le
ail il est. Levez-vous, prenez l'enfant, et tenez bras d'en-haut; Saùl, au contraire, au milieu
l'enfant, parce que je le rendrai chef d'un des cités, à la tète d'une armée si nombreuse,
grand peuple. (Ibid. 17, 18.) miséricorde du avec tant de satellites et de gardes autour de
Scigneiu' ! Quoiqu'elle ne fût qu'une servante, lui, tremblait, redoutait chaciue jour les pièges
il ne l'a pas méprisée; mais, parce qu'il avait de ses eimemis. (I Rois, xvn.) Et celui qui était
fait une promesse au patriarche , et parce seul, sans personne à ses côtés, n'avait pas be-
qu'Isniaël élait sorti de lui, il a montré, à cette soin de l'appui que prêtent les hommes et cet :

mère aussi, sa grande sollicitude. Il lui dit : autre, avec son diadème, avec sa pourpre, avait
Agar, que faites-vous-là? Ne craignez point, besoin du secours du vagabond; il fallait, au
car Dieu a entendu la voix de Vejifant. Levez- roi, le bras du berger; au front portant dia-
vous, prêtiez l'enfant, et tenez-le par la main, dème, l'aide de l'homme obscur.
parce que je le rendrai chef duri grand peuple. 3. Mais, si vous voulez, reprenons d'un

Cessez de vous affliger, dit-il, de ce qu'on vous peu plus haut la suite de cette histoire. Voyons-
a chassée ; l'intérêt que je porte à l'enfant est la tout entière, afin d'a{)prendre qu'il n'y a rien
si grand, qu'il sera, lui aussi, le chef d'un de i)lus fort que l'homme qui s'est fait un rem-
grand peuple. Et, en même temps, dit le texte : part de la grâce d'en-haut; rien de plus faible
D/eu lui ouvrit lest/eux. (Ibid. 19.) Ce n'est pas que celui qui en est privé, fût-il entouré d'ar-
qu'elle fût aveugle auparavant, mais c'est qu'il mées sans nombre. Eh bien donc, ce David !

ne lui servaitde rien d'ouvrir les yeux, avant la encore tout jeune, que son âge retenait dans la
Visitation d'cn-haut. Voilà pourquoi, voulant ma- maison de son père, le moment étant arrivé
nifester la providence du Seigneur, le textedit: de révéler son courage , fut envoyé par son
Dieu lui ouvrit les 7/eux, c'est-à-dire, éclaira son père auprès de ses frères ; il obéit , et alla
ignorance, réveilla sa pensée montra
, lui la les trouver. Arrivé au[)rès d'eux [)Our les vi-
direction à prendre, lui fit voir un lieu où se siter, il vit la guerre qui se faisait contre l'é-

trouvaient des sources d'eau vive. Et, dit le tranger Goliath; tout le peuple frappé de ter-
texte, ayant aperçu iin puits plein d'eau vive, reur avec Saûl , le roi lui-même dans le plus
elle y y remplit son vase, et en donna à
alla, grand danger. 11 voulut alors, comme simple
boire à l'enfant. Dans les endroits sans chemin spectateur, voir, et il s'en alla voir, étrange et
frayé, il lui montra le chemin; à cette àme in- incroyable spectacle, un seul honune tenant
quiète, qui n'avait plus d'espoir de salut, Dieu tête à tant de milliers d'hommes. Pour ses
montra sa généreuse clémence : il la consolait, frères, ilsne supportèrent pas les élans de son
et il prenait soin de l'enfant. Ainsi, toutes les courage, conçurent de l'envie N'es-tu pas
ils :

fois (}ue c'est la volonté de Dieu, fussions-nou' venu pour un autre motif que pour voir la
dans la solitude, réduits aux plus cruelles af- guerre? (1 Rois, xvii, 28.) 11 paraît que tu n'es
flictions, sans aucune espérance de salut, nous pas venu pour nous voir? Attention, ici, remar-
n'avons pas besoin d'autre aide ; le divin secours quez sa sagesse et sa douceur. Aucune parole
nous fournit nous avons conciuis l'affec-
loul. Si irréfléchie, nulle amertume dans la réponse
tion duSeigneur, rien ne prévaudra contrenous; qu'il leur fait; pour apaiser leur colère et cal-
nous serons supérieurs à tout. Et Dieu était mer leur envie, il leur dit : Est-ce qu'il n'est
avec l'enfant, dit le texte, et l'enfant gi'andit, pas permis de parler ? (Ibid. 29.) M'avez-vous
et demeura dans la solitude. (Ibid. 20.) Ainsi, vu, leur dit-il, prendre les armes? Est-ce que
3iO TRALICTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

vous m'avez vu me melire dans les rangs il s'agitait, se donnait du mouvement, ma-
avec les autres ? J'ai seulement voulu voir , nœuvrait toute sa panoplie et dirigeait ses
m'informer d'oîi vient à cet homme son armes en avant. C'était, pour celui-ci, la con-
audace excessive. Quel est donc cet étran- fiance dans ses armes, qui l'animait au com-
ger^ qui ùisulte l'armée du Dieu vivant ? (Ibid. bat David avait la foi en Dieu, et sa force était
;

2o). Bientôt, quand il entend ses blasphèmes, dansle secours d'en-haut. Et d'abord, rabattant
quand il voit son arrogance, l'effroi de ceux qui l'orgueil de l'étranger, il lui dit : tu viens à
étaient avec Saûl^ il dit Que donnera-t-on à
: moi couvert de toutes pièces, la lance à la main,
C homme qui lui aura coupé la tête ? Ces paro- et tu penses me vaincre, par la force qui est
les montraient une grande force d'âme et rem- en toi. Je viens, moi, au nom du
Seigneur Dieu.
plissaient tout le monde d'admiration. Quand A ces mots, il prend dans sa besace de berger,
Saûl les eut entendues, jeune
il fît mander le une pierre seulement ; à vrai dire, comme s'il

homme, qui ne savait rien, que garder ses s'agissait de chasser un chien tombant sur le
troupeaux; en voyant sa jeunesse, il en fit peu troupeau. Avec sa fronde, il la lance, frappe à

de cas. Mais ensuite il apprit de lui comment l'instant au front l'étranger, le jette par terre,
il s'y prenait avec les ours qui s'élançaient sur et vite tirant son glaive, lui coupe la tète, la

ses troupeaux. Eu effet, ce berger admirable porte au roi, et la guerre est finie. Et grâce à
avait été contraint de faire ce récit, non pas ce berger, le roi fut sauf, et toute l'armée du
pour s'attirer une vaine gloire; y il était forcé roi respira. Et vous auriez vu alors une mer-
pour relever le courage du roi, pour que le roi veille incroyable. L'homme couvert de ses ar-
ne s'arrêtât pas à l'extérieur méprisable de ce- mes, renversé par celui qui est sans armes le ;

lui qu'il voyait, mais prît en considération la guerrier expérimenté, jeté par terre, j»ar celui
foi vivant dans le secret du cœur, et le secours qui ne sait rien que garder ses moutons. D'où
d'en -haut qui avait rendu ce jeune homme vient ce prodige et pourquoi? C'est que l'un
sans armes, ce berger, i>lus fort que des liom- marchait au combat ayant Dieu pour auxi-
mes armés, que des soldats. Donc, le roi, voyant liaire; l'autre était dépourvu de ce sccoui-s,
sa confiance, voulut le revêtir de ses armes ;
c'est pourquoi il est tombé sous les coups de
mais le jeune homme, couv(;rtde ces armes, son ennemi. Mais , voyez ici combien l'en-
n'avait pas la force de les porter. Ceci se pas- vie est insensée! quand le roi vit ce juste, es-
sait pour montrer à tous que c'était la vertu corté de tant de gloire, quand il vit qu'on
de Dieu, qui opérait par ses mains, et qu'on ne trépignait d'allégresse , quand il entendit
devait f)a5 attribuer aux armes ce (jui allait ar- ces cris Saùl en a vaincu mille David en
: ,

river. En eflet, comme le jeune homme était a vaincu dix mille (I Rois, xviii, 7), il ne
alourdi par ces armes qui gênaient la liberté put supporter ces paroles (bien que à faire
de ses mouvements, illes déposa, prit sa besace un juste calcul elles fussent plus à son avan-
de berger, des |)ierres, et marcha contre celte tage qu'à l'avantage de David] ; vaincu par
masse de chair qui ressemblait à une tour. Mais l'envie, il récompense par un crime celui
maintenant, voyez encore l'étranger qui ne re- qui est son bienfaitc\ir. Celui qu'il devait re-
garde que sa jeunesse et qui la dédaigne, voyez- garder comme son bienfaiteur, son sauveur, il
lemépriser ce juste, et pour ainsi dire se déci- cherchait à le luer. folie ! ô délire ! ù étrange
der à ne combattre cet enfant chélif qu'avec engourdissement d'esprit! Celui qui lui avait

des paroles. Quand il vit que son adver- sauvé la vie, qui avait alfranchi toute son ar-
saire n'avait qu'une besace de berger, pour mée de la fureur de l'étranger, de Goliath, il

l'attaquer, lui, qu'il n'ai)portail(juedes pierres, le regardait connue mi ennemi, il oubliait le

il lui adressa à peu près ces paroles : Te crois- bienlait, il était vaincu par l'envie (jui plon-
tu donc encore auprès de tes moutons, <à la geait sa pensée dans les ténèbres, qui l'en-
poursuite de quelcjucs chiens? tu viens contre ivrait pour ainsi dire à ce point qu'il regardait

moi connue si tu faisais la chasse à un chien. son bienfaiteur comme


on regarde un ennemi,
Est-ce là ton équipement pour conuuen- i. Voila ce que de funeste,
celte passion a

cer le combat contre moi? L'expérience ne elle perd d'abord celui qui l'engendre en soi.

sera pas longue, ([ni t'apprendra que tu ne Comme le ver que produit le bois, et qui d'a-
fais i)as la guerre au premier venu. En fai- bord s attaque au bois lui-même, ainsi l'envie
sant entendre ce grand fracas de paroles rouge d'abord l'âme où elle prend naissance,
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — QUARANTE-SÎXlftMK HOMÉLIE. 317

Quant à celui qui l'inspire, elle lui fait tout le que présent de l'immortalité. D'où il suit qu'a-
contraire du mal qu'elle veut lui causer. Ne près avoir tant perdu, nous avons retrouvé
considérez donc pas ce que sont d'abord les plusencore; le diable nous a chassés du pa-
personnes à qui l'on porte envie, mais voyez radis Dieu nous a conduits au ciel
, le ;

comme remarquez que la


elles finissent , et diable nous a fait condanmer à mort Dieu ,

mdice des envieux est un sujet de gloire pour nous a gratifiés de l'immortalité; le diable
ceux que poursuit leur jalouse colère. Ceux nous a privés des délices du paradis, Dieu nous
qu'altaiiue l'envie ont Dieu pour auxiliaire, ils a ménagé le royaume du ciel. Comprenez-vous
jouissent de su grâce; l'envieux, dépouillé de l'industrie du Seigneur? Comprenez- vous ce
la grâce, est toujours facilement vaincu ; ra- qu'il a fait de cet artifice de l'envie du démon,
vagé par SCS projtres passions, avant de l'être conspirant contre notre salut? Dieu l'a retourné
par ennemis du dehors, il se consume de
les ; contre la tête du démon. Non-seulement il

secrètes morsures le dévorent; il se plonge dans nous accorde des biens plus piécieux, mais il
la malignité où, pour ainsi dire, il s'engloutit. le renverse lui-même sous nos pieds. Vous

Instruits de ces vérités, je vous en conjure, voyez que je vous ai donné le pouvoir de fou-
fuyons cette maladie funeste, et, de toutes nos ler aux pieds les serpents et lc!> scorpions. (Luc,
forces, chassons-la de notre àme; car, de X, Donc, méditons désormais toutes ces
19.)
toutes les passions, c'est la plus destructrice, pensées, chassons l'envie de nos âmes, appli-
de notre salut. L'envie, c'est l'in-
c'est la perte quons-nous à conquérir l'affection de Dieu.
vention propre du démon. Voilà pourquoi uu Voilà nos armes, armes soliiles, armes invinci-
sage disait C'est l'envie du démon qui a fait
: bles, notre vraie richesse, notre force, notre
entrer la mort dans le monde. (Sap. ii, 24.) incomparable puissance. C'est par là qu'Ismaël,
Qu'est-ce à dire : C'est l'envie dit démon qui a qiio cet enfant, (jue cet abandonné, dans la
fait entrer la mort dans le monde? Ce monstre solitude, privé de tout, manquant de tout,
vil d'abord l'homme immortel; [lar sa malice soudain a grandi et est devenu chef d'un grand
il le porta à la désobéissance, et celte désobéis- pcup'iî. C'est que, dit l'Ecriture : Dieu était

sance a été, pour le démon, un moyen d'assu- avec /'.


nfanl (Gen. xxi, 50) ;
ponrée qui nous a
jétir l'homme à la mort. L'envie a donc opéré inspiré tout ce discours. Méprisons donc, je
la déception ; la déception la désobéissance, la vous en prie, les choses présentes; ne désirons
désobéissance la mort; de \k ces paroles : que les bit ns à venir; préférons à toutes cho-
L'envie du démon a fait entrer la mort dans le ses la grâce de Dieu, et, parune vie excellente,
monde. Voyez-vous tout ce que cette passion a préparon-nous, réservons-nous la pleine con-
de funeste? L'être immortel, elle l'a rangé fiance, de manière à passer sans tristesse im-
sous le joug de la mort. Toutefois, si l'ennemi portune la vie présente, de manière à conqué-
de notre salut, n'écoutant que l'envie qui le rir les biens de la vie future, par la grâce et
tourmente, a fait du premier homme de , , par labonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à
l'être inunortel, un condamné à mort, la mi- (jui appartient comme au Père comme au ,

séricorde du Seigneur, le soin que le Seigneur Saint-Esprit, la gloire, l'empire, l'honneur,


prend de nous, l'a porté à mourir lui-même, maintenant ( l toujours, et dans les siècles des
pour nous faire une seconde fois le magnifi- siècles. Ainsi soit-il.
318 TRADUCliON FRANÇAISE DE SAIMT JEAN CHRYSOSTOME.

QUARANTE-SEPTIÈME HOMÉLIE-

Aprèfl cela Dieu tenta Abraham. > (Gen. XXII, i.)

ANALYSE.

f-4. Courage d'Abraham et obéissance d'Isaac. Le sacrifice d'Abrabam figure du sacrifice de la croix. Eiborlation.

i. Un gain considérable se montre pour nous paraissait dure au patriarche Dieu vou - ,

dans la lecture d'aujourd'hui, trésor inedable, tant le consoler lui dil Ecoutez Sara, votre
, :

caché dans ces paroles si courtes. Tel est le ca- femme, et faites ce qu'elle vous a dil. Vous ne
ractère des oracles divins; de grandes richesses devez pas trouver dur ce qui vous a été dit
s'ydécouvrent, non dans la mulliliide des pa- touchant votre fils et voire servante C'est :

roles, mais dans la brièveté même des expies- d^Isaac que sortira la race qui doit porter
sions. Eh bien donc, étudions le texte d'aujour- votre nom. (Ibid. 12.) Je le ferai le chef d'un
d'hui ,
appliquons toute notre attention à la grand peuple, parce qu'il est votre race. Et
lecture de ce jour. C'est ainsi que nous com- toutes les promesses, à lui faites par Dieu,
prendrons, de mieux en mieux, et la parfaite se réduisait ut à la prédiction que les en-
vertu du patriarche, et ce qu'il y a d'excellent fants d'Isaac se nuilliplieraient de manière
dans la clémence de Dieu. Après cela Dieu à former un grand peuple. Le juste vivait
tenta Abraham. Que signifient ces |)aroles : donc dans celie heureuse espérance après ;

Ap?'ès cela, Dieu tenta Abraham? Remarquez, tant d'épreuves si pénibles après tant de ,

je vous en prie, comme des maintenant, la douleurs, ayant reçu sa récompense , jouis-
divine Ecriture se propose de nous découvrir sant enfin d'une sécurité parfaite >oyant ,

la vertu du juste; elle va nous raconter com- rhériliir qui devait lui succéder, il >i\ait

ment Abraham fut tenté par Dieu. Mais d'a- tranipiille , heureux , consolé. Mais celui
bord, elle veut que nous sachions à quel mo- qui connaît les secrels des cu'urs, voulut nous
ment le patriarche reçut cet ordre (jui lui com- découvrir la vertu de ce juste, la perrection
mandait de sacrifier Isaac; elle veut que vous de son amour poiu' Dieu. Et voila pour-
compreniez la parfaite obéissance du patriar- quoi, après tant de promesses, après la der-
che, en (juclle circonstance de temps ce pa- nière i)romesse , toute récente, dont le souve-
triarche montra ipie rien n'est préférable aux nir était si présent à Tespril d"Al)raham au ;

ordres de Dieu. Que signifient donc ces j<aro- moment où Isaac était dcjà grand, à la fieur
les Après cela? C'est que, après la naissance
: de làge ; au moment où croissait l'amour que
d'Isaac, Sara voyant Ismaël avec Isaac, comme lui portait son père ; après c^'lle |)romesse,
nous vous l'avons dit hier, ne put suiiporlor après avoir dit: C'est d'Isaac que sortira la
ce spectacle , et elle disait à Abraham : C /tas- race qui doit porter votre nom, et il sera ^otre
sez cette servante avec son fils , car le fils de successeur Après cela. Dieu tenta AbraJmm,
:

cette servante ne sera point licriticr avec mon Qu'est-ce à dire, tenta? Ce n'est pas parce

fils. (Gqu. JLii, 10.) ,El coiuuic celle parole que Dieu uc couuaissuil pas Abiaham qu'il ,
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. - QUARANTE-SEPTIÈME HOMÉLIE. 310

le tenta; ne voulut pas l'éprouver; mais


il n'écoutant que sa propre bonté, a vivifié ce qui
Dieu voulait, et que les hommes du temps était mort , la stérilité de Sara ; maintenant
d'Abraham, et que tous ceux qui se succéde- que l'enfant a été nourri de son lait, a grandi,
raient, depuis ce tempsjusqu'à nos jours, ap- est dans la fleur de l'âge, voilà qu'il me com-
prissent, par l'exemple du patriarche, à mon- mande de le tuer, de l'offrir en sacrifice lors-
trer le même amour , la même obéissance ({u'il y a peu de moments encore, il me disait :
aux préceptes du Seigneur. Et, dit le texte, C'est de lui que sortira la race qui doit porter
i7 lui dit Abraham. Abraham
: Abraham ,
votre nom ; il me donne maintenant des ordres
lui répondit Que veulent dire ces
: Me voici. contraires. Et comment s'accom()liront ces |)ro-
deux, Abraham, Abraham? Grande preuve messes ? Gomment se peut-il qu'en coupant
de la bienveillance du Sci{,^neur pour le pa- la racine , on voie se propager les rameaux ;

triarche. Il lui montrait d'ailleurs, par ma- la qu'en abattant l'arbre, on en tire des fruits ;

nière de l'appeler, qu'il avaità lui communi- qu'en desséchant la source , on fasse jaillir
quer un ordre important. Donc, pour le rendre des fleuves? Selon la raison humaine, de telles
plus attentif, il l'appelle deux fois, et il lui choses sont impossibles ; mais tout est possible
dit Abraham Abraham. Et Abraham lui dit:
: , à la volonté de Dieu.
Me voici. Et Dieu lui dit : Prenez Isaac votre 2. L'homme juste d'ailleurs ne fit aucune de
fils que vous chérissez, Isaac, et allez
chéri ^
ces réflexions. Gomme un sage serviteur, sup-
sur la hauteur et offrez-le en holocauste sur primant tout raisonnement humain, il ne prit
iinedes montagnes que je vous montrerai. (Ibid. soin que d'une chose, d'accomplir, de réaliser
2.) Il était lourd à porter le poids d'un tel le commandement. Et comme devenu étran-

ordre; voilà qui surpasse la force humaine : ger à la nature humaine, persuadé que les pré-
Prenez votre fils chéri, que vous chérissez ,
ci'ptes divins doivent prévaloir sur toute affec-
Isaac. Voyez conmie ces paroles allument ,
tion, sur tout amour, il se hâtait d'accomplir
activent le feu du bûcher, la fournaise de les ordres de Dieu. Abraham, dit le texte, se

l'amour que le juste éprouvait pour son


,
leva donc avant le jour, prépara son ânesse,
Isaac Prenez votre fils chéri, que vous ché-
: prit avec lui deux jeimes serviteurs, et Isaac
rissez, Isaac. Ghacun de ces mots, tout seul, ayant coupé le bois qui devait ser-
soji fils, et

suffisait pour déchirer l'àme du juste. Dieu ne vir à l'holocauste, il s'en alla vers l'endroit où
dit pas simplement, Isaac, mais il ajoute Dieu lui avait dit de se rendre. Il y fut le troi-
votre fils ; que, contre toute attente, vous avez sième jour. (Ibid. 3.) Voyez la clémence du
enj^endré que vous avez pu avoir dans votre
;
Seigneur; comme ce long espace à franchir,
vieillesse chéri : votre enfant aimé
; que ,
lui sert à éprouver la vertu de l'homme juste.
vous chérissez si tendrement, Isaac que vous Méditez, considérez, dans cette longue durée
attendez, comme votre hérilier dont je vous ; de trois jours, ce que dut supporter l'honune
ai promis que sortirait votre race qui se ,
juste, pensant en lui-même, qu'il lui était or-
multiplierait tant, qu'elle égalerait en nombre donné de tuer, de ses propres mains, ce fils

la multitude des étoiles et les grains de , tant aimé; de ne révéler cet ordre à personne;
sable, le long du rivage de la mer. Eh et soyez stupéfiés d'admiration devant tant de
bien , c'est lui-même : Prenez-le, et allez piété et de sagesse. Comme il connaissait toute
sur la hauteur , et offrez-le en holocauste l'étendue de ce commandement, il ne le com-

sur ime des jnontagnes que je vous montrerai. muniipja à personne, ni aux serviteurs, ni à
On s'étonne comment le juste a pu supporter Isaac lui-même il était ; seul , soutenant en
d'entendre ces paroles: Eh bien, c'est lui- lui-même ce combat, solide comnu le dia-
même , dit Dieu , votre fils tant désiré ; offrez- mant, et il demeurait invincible, inébranlable
le en sacrifice sur une des montagnes. Que dans ses pensées, sans succondier aux prétextes
fait alors le juste? son esprit n'est pas troublé ;
sans nombre, plein d'amour, plein de zèle,
sa pensée n'est pas confondue ; il n'hésite pas un pour obéir au seul signe de Dieu. Quand il fut
seul inslant devant un commandement qui de- arrivé à l'endroit Levant les yeux dit le
: ,

vait le frapper de stupeur ; il ne fait pas de ré- texte, Abraham vit le lieu de loin, et il dit à
flexionde raisonnement Qu'est-ce que cela
, : ses serviteurs : attendez ici avec Vànesse. (Ibid.
veut dire? Celui qui, contre toute attente, K, 5.) Voyez encore ici la parfaite s:igesse de
m'accorde généreusement une postérité ;
qui, l'homme juste; il veut se cacher, même de-
320 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

vant ses seryiteurs, montrant toujours que révéler tout de suite, à son enfant, ce qui allait
c'est avec ardeur, avec empres'^ement, avec arriver?Au contraire, avec une pensée forte,
un zèle jaloux, qu'il veut accomplir ce qui est une âme virile Le Seir/neur fournira la vic-
:

agréable à Dieu. 11 savait bien ce qu'avait d'é- time pour l'holocauste mon fils. (Ibid. 8.) ,

trange, d'inouï, l'action qu'il devait accomplir Voyez-le, ici encore, à son insu, projihétiser
lui-même ;
que jamais personne avant lui n'a- ce qui doit arriver. Sa réponse semblait faite
vait rien fait de pareil. cache l'action à ses ser-
Il pour tromper Isaac. C'était toutefois présente-
viteurs. Il les laisse donc avec l'ànesse Attendez : ment, ce qu'il fallait pour le satisfaire; mais
ici,nous ne ferons qiC aller jusque-là, mon fils quelle vive et poignante douleur ne souffrit-il
et moi,et après avoir adoré, nous reviendrons pas, ce père qui cherchait les paroles dans sa
vers vous. (Ibid. 5.) Il parlait ainsi, dans l'igno- pensée, qui considérait la beauté de son en-
rance de ce qui allait arriver, mais il est cer- fant, la beauté extérieure,
la grâce intérieure

tain qu'il fit une prophétie, sans le savoir peut- aussi, la beautéde son âme, son obéissance,
être. Il parlait à ses esclaves, peut-être pour digne objet d'amour, tout cela dans cette fleur
les tromper, pour les faire rester là; mais i)lus de jeunesse Et ils vinrent tous les deux en-
!

tard, le patriarche se retrouva la avec l'enfant. semble à l'endroit dont Dieu lui avait parlé.
Or, Abraham prit le bois de Vholocauste et le (Ibid.9.) Ils vinrent, dit le texte, au haut de

mit sur Isaac, son fils; il prit en ses mains le la montaqne que le Seigneur lui avait indi-
feu et le couteau, et ils marchèrent eux deux quée. Et là Abraham dressa tm autel. Me
,

ensemble. (Ibid. 6.) force d'àme! ô solidité voilà encore frappé d'une admiration qui me
d'esprit! Et il mit, dit le texte, sur Isaac le stupéfie, à voir le courage du juste ; comment
bois du sacrifice; et lui, il prit le glaive et le il a eu la force de construire l'autel, comment
feu, et ils allèrent eux deux ensemble. De il a eu assez d'énergie, comment il n'a pas dé-
quels yeux regardait-il l'enfant portant le bois failli dans ce terrible combat. Au contraire, il
sur lequel il allait tout à l'heure l'immoler? a construit l'autel, et sur l'autel, il a mis le
Comment main sa a-t-elle pu porter le feu et bois. Il lia ensuite Isaac, son fils, le mit sur
le glaive? Sa main portait le feu visible, mais l'autel, et Abraham étendit la main, et prit le
le feu intérieur embrasait son âme, dévorait couteau pour iinmoler son fils. (Ibid. 10.)

son cœur, lui persuadait que son amour pour Ne i)assons point ici à la légère, mes bien-
Dieu triompherait, et lui inspirait cette |)en- aimés, attention à la parole. Considérons, mé-
sée, que celui qui déjà, d'une manière supé- ditons; conunent son âme ne s\'st-elle pas
rieure à la nature humaine, l'avait fait père, envolée de son corps ; conmient, de ses pro-
pourrait encore opérer |)résentement des choses pres mains a-t-il i)U lier et sur le bois placer
qui sur|)assent la raison humaine. Considérez son enfant chéri, si digne d'amour, son fils

donc désormais, vous en conjure, plus que


je unique? Et Abraham, dit le texte, étendit la
ce feu sensible, l'incendie intérieur qui peu à main, et prit le couteau pour immoler son fils.
peu devenait de plus en plus ardent, et en- piété! (3 courage! ô persistance de lamour!
flammait l'âme du juste. Or, Isaac dit à Abra- ù raison victorieuse de la nature humaine Il !

ham son père : Mon père. (Ibid. 7.) Ce mot prit, dit le texte, le couteau, pour immoler son
seul, c'était assez pour déchirer les entrailles fils. le plus ici exciter notre admira-
Qui doit
de l'homme juste. Abraham lui répondit : Que tion, nous frapper de stupeur? Le courage du
voulez-vous, mon fils ? Tu appelles père celui patriarche, ou l'obéissance de l'enfant ? 11 ne
qui tout à l'heure n'aura pas de fils ; et moi lutte pas pour échapper, il ne se plaint pas, il

j'appelle monlils, celui (jui tout à l'heure va être se laisse faire, il obéit à son père, c'est un
mis sur l'autel, (pie je vais égorger de mes pro- agneau met sur l'autel, et l'en-
paisible (ju'on

pres mains. Ensuite l'enfant dit : Voici que vous fant attend, doucement résigné, la main de
portez le feu et moi le bois, où est la victime à son père. Mais une fois que cette âme, tout en-
immoler? Oie est la brebis pour l'holocauste? tière à Dieu, a montré sans aucune défaillance

Considérez ici, je vous en prie, la torture de la consommation de toutes les vertus, la bonté

l'homme juste; comment a-l-il su|)porté d'en- du Seigneur se révèle et prouve qu'il n a pas
tendre ces paroles? Comment a-t-il eu la force voulu la mort de l'enfant; qu'il a voulu bien
de répondre à son enfant? Connuent n'a-t-il pas plutôt manifester la veiUi de l'homme juste.
été confondu? Connnenl a-l-il pu cacher, ne pas Au juste la couronne, pour le idc de sa vo-
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. - QMAR.VNTE-SEPTlfcME HOMÉLIE. m
lonlé ; le sacrifice est consommé dans la pen- promis que ta race s'étendrait à travers les siè-
sée (lu patriarche. Dieu l'agrée, et lui déclare cles. couronne de ton obéis-
Reçois donc la

maintenant son aiïeclion toute particulière. sance et va-t'en car c'est à la volonté que
, ,

Et range du Scf'g)tci<7\ dit le texte, lui cria du j'accorde la couronne c'est à l'âme (jue je dé- ;

haut du ciel : Abrah'im, Abraham! (Ibid. 11.) cerne les riches récompenses. Il faut réaliser
Comme il voyait le juste tout prêt, sur le point ce que lu as dit , et à tes serviteurs et à Isaac ;

d'achever le sacrifice, décidé à acconi|)lir l'or- tu leur as lait cette promesse : Après avoir
dre du Seigneur, du haut du ciel, il lui crie : adoré, nous reviendrons. Voici que lu vas l'ac-
Abraham Abraham , , et il fait bien de l'appe- complir; lorsque l'enfant t'a demandé: Où
ler deux , fois pour prévenir
de la rapidité est la brebis pour l'holocauste ? Le Seigneur
l'homme juste. Et la voix qui ee fait entendre, fournira la victime pour riiolocauste, as tu
retient la main du juste qui déjà égorge l'en- répondu. Eh bien ! tourne, dit-il , tes regards
fant. Et Abraham répondit : Me voici. Etl'aîige derrière toi , vois la victime que tu as prédite,
dit : Ne mettez point la main sur l'enfant, et que tu sacrifieras à la i)lace de l'enfant. Abra-
ne lui faites rien. Je connais maintenant que ham levant les yeux, aperçut deriière lui un
vous craignez Dieu puisque pour mH obéir , , bélier qui s'était embarrassé avec ses cornes
vous n'avez point épargné votre fils unique. dans un buissofi, et l'ayant pris , il l'offrit en
(Ibid. l'a.) Ne mettez point la main, dit le texte, sacrifice, au lieu d' Isaac, son fils. (Ibid. 13.)
sur l'ejifant. Je n'ai pas donné le commande- J'ai vu ta piété, dit il , eh bien! ce que tu as
ment pour que ne l'ordre s'accomplisse ;
je dit à l'enfant, je te l'ai ménagé. Et l'ayant pris,
veux pas que ton fils soit tué de tes mains , dit le texte. Il l'offrit en sacrificeau lieu d' Isaac,
mais je veux rendre ton obéissance mani- son fds. Avez-vous compris la clémence de
feste devant tous les hommes donc ne lui ; Dieu ? Le sacrifice a été consommé, le patriar-
fais rien. 11 me snffit de ta volonté, et che a manifesté sa piété il a rapporté la ;

pour cette bonne volonté, je te couronne, couronne conquise par sa bonne volonté en ;

et je proclame ta gloire. Car, maintenant, ramenant Isaac il est revenu mille fois cou-
,

je sais bien que tu crains le Seigneur. ronné.


Voyez ici comme le discours s'accommode à
, , Maintenant, toute cette histoire était la figure
notre infirmité. Quoi donc est-il vrai de dire ! de la croix. Voilà pourquoi le Christ disait
que Dieu, jusqu'à ce moment, ignorait la aux Juifs Abraham, votre père, a désiré avec
:

vertu de l'homme juste que ce n'est qu'à , ardeur de voir mon jour, il l'a vu et a été rem-
partir de ce moment qu'il commence à la pli de joie. (Jean, viii, 56.) Comment l'a-t-il vu,
connaître, lui, Seigneur de toutes les créa-
le lui qui vivait tant d'années auparavant? II en
tures? Non; le texte ne veut pas dire que ce a vu la figure, il en a vu l'ombre; car, de
soit dès cet instant seulement que Dieu con- même qu'ici le bélier a été offert à la place
naît la vertu d'Abraham; mais que veut dire d'Isaac,de même l'Agneau spirituel a été offert
le texte? C'est maintenant, dit-il, que tu as à la place du monde.
en effet, une Il fallait,
manifesté à tous, que tu crains Dieu, sincè- ligure pour dépeindre par avance la vérité.
rement, du fond du cœur. Je n'avais pas be- Voyez, en effet, je vous en conjure, mes bien-
soin, moi, de mieux connaître mon serviteur; aimés, comment toute l'histoire du Christ est
mais l'action que tu viens de faire sera et , , ici figurée par avance. Fils unicjue d'un côté, fils

pour les hommes d'aujourd'hui et pour les , unique de l'autre ; fils chéri, d'un côté, propre
générations avenir, un enseignement. Car, fils; fils chéri, de l'autre côté, propre fils égale-
des ce moment, tu as fait connaître à tous, ment car ; celui-ci est mon Fils bien-aimé, dans
que tu crains le Seigneur, et que tu te hâtes lequel j'ai mis toute mon affection. (Matth.
d'accomplir ses commandements. Puisque tu III, 17.) L'un a été offert par son père en sacri-
pas épargné ton fds chéri ; à
?i'as cause de fice ; et l'autre, c'est ce que
son père
l'a liv ré ;

moi, ce fils qui t'est si cher, que tu aimes nous crie la voix de Paul Lui qui n'a pas :

d'un amour si ardent, tu ne l'as pas épar- épargné son propre Fds, mais qui l'a livré à la
gné à cause de moi
; à cause , de mon mort pour nous tous, ne 7wus donnera-t-il
commandement ; tu as préféré mon ordre à point aussi toutes choses avec lui ? (Rom. vni,
ton fils. Et bien , maintenant je te rends ton 32.) Jus(ju'ici, nous n'avons qu'une figure,
fils, car c'est pour te récompenser, que je t'ai mais ensuite, c'est la vérité, laquelle se moutrQ
S. J. Cor. — TojîE V. 31
no^ TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CIÎUYSOSTOME.

bien supérieure à la figure ; car l'Agneau spi- par moi-même , dit le Seigneur. Voyez la con-
rituel a été offert pour le monde entier; il a descendance que Dieu nous montre dans son
purifié la terre entière ; il a délivré les hommes langage Je jure, dit-il, par moi-même, afin de
:

de l'erreur, et les a ramenés à la vérité il a ; vous donner une parfaite confiance que mes ,

changé la terre, pour en faire le ciel. Ce n'est paroles seront réalisées. Les hommes, quand
pas qu'il ait changé la nature des éléments, ils ajoutent des serments aux promesses, ren-
mais c'est qu'il a apporté les vertus célestes aux dent la promesse plus digne de foi, pour ceux
hommes qui vivent sur la terre. Par cet agneau, à qui elle s'adresse. Voilà pourquoi le Seigneur
le culte des démons a été anéanti; par cet prononce ces paroles, en se conformant aux
;i}.'iieau, il est arrivé que les hommes n'ado- habitudes humaines : Je jure par moi-même
I ciit plus des pierres et des morceaux de bois ;
que, puisque vous avez fait cette action, et que^
doués de raison ne s'inclinent plus
qui; les êtres pour m! obéir, vous n'avez point épargné votre
devant des objets insensibles que toute erreur ; filschéri. Considérez, je vous en conjure, la

a élé bannie, que la lumière de la vérité a clémence du Seigneur. Vous n'avez point épar-
monde.
éclairé le gné, pour m' obéir, votre fils chéri. Et cepen-
Comprenez-vous l'excellence de la vérité?
4. dant il le ramène vivant. Ne considérez pas le

Comprenez - vous ce qui est l'ombre d'une fait, mon mais la volonté, mais
bien-aimé ,

part, d'autre part, la vérité? Et Abraham, l'intention qui faisait accomplir sans raison-
dit le texte,appela ce lieu d'un no7n qui si- ner, sans hésiter l'ordre reçu. En ce qui con-
gnifie le Seigneur voit. C'est pourquoi on dit cerne la volonté, le patriarche avait ensan-
encore aujourd'hui : Le Seigneur a été vu glanté sa main ; il avait enfoncé le glaive dans
sur la montagne. (Ibid. 14.) Voyez la piélé de la gorge de l'enfant; il avait offert, consommé
l'homme juste; comme donne aux toujours il le sacrifice. Le Seigneur regarde le sacrifice

lieux des noms pris des événements qui s'y comme consommé, et il loue le juste ; et il

sont accomplis. Il veut rappeler la visite que dit : Pour m'obéir, vous navez piint épargné
Dieu lui a faite, la graver, pour ainsi dire, votre fils chéri. vous ue Vous, de votre côté,

sur une colonne d'airain dans le nom qu'il , l'avez pas épargné, par obéissance mais moi, ;

donne au lieu. De là, il appela ce lieu de mon côté, je l'épiirgne, à cause de votre
d un nom qui signifie le Seigneur voit. Sans obéissance. Et, pour vous récompenser de cette
(loulc, c'étaitpour le juste une assez belle ré- oléissance A' vous bénirai, et, multipliant
:

ccmi)ense , que de ramener Isaac vivant, que n\oi-mcme,je vous imdtipUerai. Voyez la bé- :

d'avoir mérité la gloire insigne de s'entendre nédiction est à son comble; c'est-à-dire je mul-
dire Je connais maintenant que tous craignez
:
tiplierai votre race. Celui ipie votre volonté a
Dieu. Mais celui qui est jaloux de nous suriias- tué ,
projiagera votre race, qui se multipliera,
ser par ses dons, qui triomphe toujours par au point d'égaler les étoiles du ciel et le sable :

ses bienfaits, comble le riche de la variété de Et toutes les natioiu de la terre seront bénies
ses récompenses, et il lui dit encore : Lange dans votre race, parce que vous avez obéi à ma
du Seigneur appela Abraham pour la seconde voix. Tons ces dons, dit le Seigneur, seront la
)is, du haut du ciel, et lui dit : Je jure par récompense de votre oliéissance parfaite.
noi-mêmc, dit le Seigneur, que puiscpte vous Ainsi, voilà qui nous attire des biens sans
avez fait cette action, et que, pour m' obéir, nombre; l'ohéissuioe a Dieu, la docilité à ses
vous n'avez point épargné votre fils Jinique, je ordres , la simplicité qui s'alistient, comme ce
vous bénirai vous bénissant moi-même ; je
, patriarche d'examen curieux qui ne se de-
, ;

nmltiplierai, la multipliant nwi-même, votre mande pas pourquoi tel ordre a élé donné.
race , comme les étoiles du ciel et connue le Il faut donc, pour mériter ces biens obéir ,

sable qui est sur le rivage de la mer. Votre pos- comme font les serviteurs sages , sans de-
térité possédera les villes de ses omemis , et mander de comptes au Seigneur. Forti-

toutes les nations de la terre seront bénies dans Ik'Spar ces enseignements, nous pourrons ,
Celai qui sortira de voits, parce que vous avez nous aussi, montrer l\.ht issuice de ee juste et
obéi à ma voix. (Ibid. 15, 10, 17, 18.) Attendu, oblenir les mêmes couronnes. L'obeissauce,

que vous avez accompli mon comman


dit-il, c(nmn«'nt? en acconqdissant, par nos actions,
''cment, que vous m'avez, partons les moyen-, 'es (triires de ieu. Car. ce ne sont pimd, dit
'<

ijjviuifcslé votre obéissance, écoulez : Je jure, rAi>ôlre, ceux qui écoutent la loi, qui seront
HOMÉLIES SUR \A GENÈSE. -- QUARANTE-HUITIÈME HOMÉLIE. 323

justifiés, mais ceux qui ta pratiquent. (Rom. clémence du Seigneur, parla grâce, parla mi-
II, 13.) En onot, (luellc utilité (Vcntendre cha- séricorde, par les mérites de Notrc-Seigneur
que jour la loi, et d'eu négliger les œuvres? Jésus-Christ, t qui appartient, comme au Père,
C'est pourquoi, je vous en prie, hâtons-nous et à l'Esprit saint et vivifiant, la gloire, main-
(le pratiquer les bonnes œuvres impossible ; tenant, et toujours, et dans les siècles des siè-
autrement d'obtenir le salut; pratiquons-les, cles. Ainsi soit-il.

afin d'expier nos péchés afin de mériter la ,

QUARANTE-HUITIÈME HOMÉLIE.

Les fils de Chet répondirent à Abraham, et lui dirent. < Vous êtes parmi nous un roi qui nous vient de Diea ;

anterrez dans aos plus beaux sépulcres, la personne qui voue esl morte, > (âen, XXUC, 6| 6.)

JIIALYSC.

1-5. Les richesses ne doivent pas servir à se procurer des superfluités. — 6. Histoire de Rébecca poursuivie jusqu'à la fin. Exhor-
tation à imiter Isaac et Rébecca, et à éviter, dans la célébratiou des mariages, les usages païens qui duraient encore en ce
temps-là.

1. Vous avez vu hier, mes bien-aimés, le dans le pays. Il la dut à la perte de Sara. La
courage du patriarche vous avez vu cette ; âme divine Ecriture, voulant nous montrer la vertu
plus solide que le diamant ; vous avez vu de l'homme juste, tenant à nous faire savoir
comment il n'a rien refusé de ce qui dépendait qu'il a toujours été un voyageur, un étranger,
de lui, comment il s'est fait, par son ardent a voulu aussi nous faire savoir que cet homme
amour pour Dieu, le sacrificateur de son fils; qui jouissait, d'une manière si glorieuse, du
d'intention, il a ensanglanté sa main, et il a secours d'en-haut, dont le nom est si fameux,
offert le sacrifice ; mais, par l'inefTable miséri- qui est devenu le père d'un si grand peuple,
corde de Dieu, il a ramené son fils sain et sauf ne possédait pas un terrain en propre et ce ;

et plein de vie ; il a mérité, par l'excellence de n'est pas ce que nous font voir aujourd'hui
sa volonté, d'être un sujet de louanges ; il a tant de riches, qui achètent des champs, des
ceint son front d'une couronne éclatante; dans domaines qui sont avides de posséder de
;
,

tout ce qu'il a fait, il a manifesté la piété de son posséder encore et toujours à l'infini. Comme
âme. Voyons, aujourd'hui, toute l'affection de il avait en suffisance les richesses de l'âme
ce juste pour son enfant. Après ce sacrifice il ne désirait nullement les autres. Ecou-
étrange, incroyable, le patriarche eut à subir tez tous, vous qui emportez tout d'un coup, en
ladouleur de perdre Sara il demanda aux ; fils un instant, tout ce que les autres possèdent,
de Chet la concession d'une sépulture ; il qui vous drapez dans les dépouilles d'autrui,
acheta le terrain , y déposa le corps, et ce fut qui étendez partout, pour ainsi dire, la concu-
là, pour le patriarclie, sa première possession piscence de votre avarice. Imitez o« patriarche,
321 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CIIRYSOSTOMi:.

qui n'avait pas même un terrain pour y déposer bienheureux prophète ce cri lamentable
, :

les restes de Sara ; mais qui alors, poussé par Malheur à vous, qui joignez maison à mai-
la nécessité, acheta un champ, une caverne, son, et qui ajoutez teire à terre, pour dé-
aux lils de Chet. Vous faut-il la preuve qu'il poxùller le prochain ! (Isaïe, v, 8.) N't st-ce p"i5
clait considéré des Chananéens, écoutez ce que là ce que nos œuvres accomplissent ? Ne

lui disent les fils de Chet Vous êtes parmi : voyons nous pas chaque jour, que Ton pille les
nous un roi qui nous vient de Dieu; enterrez veuves, que l'on dépouille les orphelins que ;

dans nns plus beaux sé/mkres la personne qui les plus faibles sont foulés sous les pieds des
vous est morte. Nid d'entre nous ne poima vous plus forts? Mais ce juste n'agissait pas ainsi;
empêcher de mettre dans son tombeau la per- voulant acheter une sépulture et voyant le ,

sonne qui vous est morte. Voyez d'ailleurs la bon vouloir ds ceux à qui il la demandait,
conduite même du juste, qui est pour ces peu- il ne l'acct pta pas avant d'avoir payé le juste
ples renseignement de la véritable sagesse. Il prix. C'est pourquoi, mes bien-aimés, gardant
n'accepte pas le monument sans en compter le ces pensées dans nos esprits, nous qui vivons
juste prix Permis à vous, leur dit-il, de me
: sous la grâce, imitons celui qui vivait avant
témoigner ainsi votre bienveillance mais moi ; la loi ; du désir de pos-
n'allons pas, embrasés
je ne l'accefilerai pas, sans commencer par une flamme bien plus dévorante
séder, attiser
vous payer le prix qui vous est dû. (Ibid. d3.) encore, la flamme inextinguible, la flamme
C'est à ces conditions quejereçois la sépulture; qu'on ne peut supporter; car nous nous enten-
il compta ensuite l'argent, dit le texte, et prit drons dire, si nous persistons dans cette rapine,
possession dumonument. Abraham enterra dans celte avarice, les paroles qui furent dites
donc sa femme Sora, dans la caverne double à l'ancie!» riche Diseyisé, celte mat même, on
:

du champ qui regarde Mautbré. (Ibid. 19.) El va te redemander ton âme; ce qup tu as amassé,
cet homme illustre, honoré de tous, qui jouis- pour qui sera-ce? (Luc, xii, 20.) Pour<iuoi,
sait auprès de Dieu d'une si grande f.iveur, réponds-moi, t'inondes-tu de sueur ? afin d'a-
qui était auprès des habitants de cette contrée, ma>ser ce que bientôt, qviand on t'arrachera
en si grand honneur que les fils de Chet le y laisseras; ce qui, non-seulement l'est
d'ici, tu

nommaient un ne possédait pas même ce


roi, paiiailenient inutile, mais ne fait qu'agi^raver
qu'il fallait de terre pour y poser son pied. le poids des péchés qui chargent tes épaules, et
Voilcà pourquoi le bienheureux Paul, célébrant que n'allégera pas un repentir inutile ? Les
les vertus de ce ju!>te, écrivait est par la foi : C trésors rassemblés par ton axnriee. tu les ver-
qu' Abraham demeura dans la terre qui lui ras souvent tomber en des mains ennemies, et
avait été promise^ comme dans u?ie terre étran- ce|)endant te faudra rendre comi)te pour ces
il

gcre; habitant sous des tentes, avec Jsaac et trésors et subir ton châtiment. Quel est donc
Jacob, qui d' valent être héritiers avec lui de cette ce délire de travailler i>our le? autres et de ne
promesse, (llébr. xi, 0.) Ensuite ,
pour nous prépaier pour toi que le supplice?
apprendre comment c'est par la foi qu'il de- 2. Quoi qu'il en soit, c'est bien, nous avons

meura étranger, Paul ajoute : Car il attendait étéjus(|u'iei victinnsde notre n<^gligence; mais

cotte cité, bâtie sur un ferme fondement, de dès ce jour au moins, délibérons, voyons ce
laquelle Dieu même est le fondateur et l'archi- (jue nous devons faire, n'ayons pas pour uni-
tecte. (Ibid. 10.) C'est, dit-il, par l'espérance que souci de nous enrichir à l'extérieur atta- ;

des biens à venir, qu'il méprisait les choses chons-nous à la justice; notre vie ne se borne
présentes ; dans l'attinte de biens plus consi- pas aux limites du temps i)résent, nous ne se-
dérables, il dédaignait ceux de la vie présente ;
rons pas toujours dans une terre étrangère,
et cela, avant la loi, avant la grâce. Quelle sera mais, bientôt, nous retournerons dans notre
donc notre excuse, répondez-moi, je vous en vraie patrie. Taisons donc tout de manière à
prie, nous qui, après tant de promesses pour ne pas nous trouver, là-bas. dans rimligence.
nous garantir, pour nous assurer dos biens (,}uel prolil de laisser dans la terre étrangère de

inellables, demeurons ébahis, n'admirant que grandes richesses, et, dans son propre pays,
le présent, et qui achetons îles domaines, dans sa vraie patrie de manipicr du nécessaire?
et qui voulons, avant tout et partout, bril- C'est pounpioi, je vous en prie, il en est temps

ler, et qui amassons par avarice et à force encore; trausj'ortons dans c«'t autre séjour,
de rapines ? Et c'est là ce ^[u'\ inspirait au même ee que nous possédons ici , daus
HOMELIES ST'R LA GENESE. - QUARANTE-HUITIÈME HOMELIE. 32c

un séjour étranger. Et cm vci ilé ,


quelque Or ,
quel était ce serment? Que vous ne pren-
grande que soit la distance ,
le transport drez aucune des filles des Chananéens, parmi
est facile. Car ceux qui traiisporleront, sont lesquels j'habite pour la faire épouser à mon
,

tout prêts, et le transport présente toute garan- mais que vous irez dans mou, pa//s, où
fils ;

tie ; et les richesses sont mises en réserve sont mes parents, afin d'y prendre une femme
dans un trésor (jue nul ne peut piller; quelle pour mon fils Isaac. (Uiid. m 4.) Avez-vous ,

que que nous enverrons devant


soit la forliuie compris ce que recommande le patriarche à
nous, par les mains de ceux à qui nous nous son serviteur? Mais, ne vous conteniez pas
serons conliés, je dis les mains des pauvres; ce d'entendre la Parole pour l'acquit de votre
sont eux qui reçoivent nos dons [>our les mi tire conscience ; méditez sur la pensée de l'homme
ilans les réserves du ciel. El» bien donc puis- ! juste, sur ce qu'il se pioposc ; remaniuez que
qu'il y a à la fois facilité si grande et sécurité les anciens ne recherchaient pas une grande
complète, que tardons-nous? pourquoi ne pas fortune, ni les richesses, ni les esclaves, ni
nous appliquer, de toutes nos forces, à mettre tant et tant d'arpents de terre, ni la beauté
noire fortune en réserNc où elle nous seia le extérieure, mais la beauté de l'àme et la no-
plus nécessaire ? Voila pourquoi ce patriarche blesse des mœurs. Comme il voyait la mali-
haliite la terre de Chanaan. comme un pays qui gnité de ceux qui habitaient dans la terre de
lui est étranger: // attendait cette cité bâtie Clianaan; connue il connais^ait l'importance,
sur un ferme fondement : de laquelle Dieu ])our lépoux, de trouver une femme douée
même est le fondateur et l'architrcte. Si nous des mêmes mœurs que lui, le patriarche pres-
voulons imiter ce juste, nous aussi, nous la crit àson servileur, et il y ajoute le serment,
verrons celte cité, et nous irons dans le sein du d'amener, pour épouse à Isaac, une femme du
patriarche; car la conununion dans les œu- pays de se^ parents. Et ni la distance des lieux, ni
vres, procure aussi lacomnmnion dans la jouis- les autres difficultés ne rai. ntissent ses soins;
sance. Mais reprenons, s'il vous est agréable, il sait combien
chose est nécessaire, et il y
la

la suite de notre discours, et voyons, après la applitjue tout son zèle, et il envoie son servi-
mort de Sara, quel soin vigilant le juste prit de teur. Il n'est pas étonnant, d'ailleurs, que le
son fils, je parle d'Isaac. Voici ce que nous dit patriarche, ne cherchant que la vertu de l'àme,
la divine Ecriture: Abraham était vieux et fart ayant horreur de la malignité de ses voisins,
avancé en âge, Seiyneur l'avait béni en
et le tienne celte conduite. Mais, aujourd'hui, on
toutes choses. (Gen. xxiv, 1.) Pourquoi ce que n'y penserait même pas ;
quels que soient les
nous dit la divine Ecriture? C'est que le pa- vices qui pullulent autour de vous, on ne se
triarche était fort préoccupé de faire venir, soucie que de l'abondance de l'argent ; tout le
pour Isaac, une épouse. En effet, dit le texte : reste vient après, et l'on ne sait pas que la per-
Quand Abrah un fut parvenu au ternie de la versité de l'àme ,
quand même les richesses
vieilhsse, voulant détourner Isaac d'une al- vous inondent à flot<î, produit bientôt la der-
liance avec les Chananéeus,rem|)écher de jiren- nière indigence, et que l'opulence ne sert de
dre une épouse juirmi eux, il appela, dit le rien , sans la sagesse qui en fait un bon usage.
texte, un de ses serviteurs, le plus doué de sa- 3. Mais notre patriarche prit soin de donner
gesse, et lui confia Celle affaire, en disant Met-
: il exigea de
à son serviteur ses insiructions, et
tez Vitre main sous ma cuisse. i}bu\. 2.) Le texte lui leserment. Voyons maintenant la sagesse
grec porte sous ma cuisse; le texte hébreu : du serviteur, comment il rivalisa de piété avec
sous mes reins ; pourquoi ? c'était l'habittide
et son maître. Quand il vit que l'homme juste lui
des anciens, parce que Isaac avait pris de là donnait cette connnission, sur laquelle il insis-
son origine. Et pour vous apprendre que c'é- tait si fortement, il lui dit Si la fille ne veut :

tait alors un usage, remarquez qu'il lui com- pas vetiir en ce pays-ci avec moi, voidez-vous
mande de mettre la main en cet endroit, et que je ramène votre fils au lieu doù vous êtes
qu aussitôt il ajoute Afin, dit le texte, que je
: sorti? (Ibid. 5.) Voulez-vous, dit-il, si quel jue
vous fasse jurer par le Seigneur, le Dieu du difficulté se présente, que je ne sois pas exposé
ciel et de la terre. Voyez comme il apprend à à enfreindre vos ordres? Je vous demande ce
son serviteur à reconnaître le créateur de tous qu'il faudra Vous plaît-il qu'lsaac
que je fasse.
les êtres. En effet, celui qui dit : le Dieu du ciel s'en aille où je dis, et revienne, après
au lieu
et d% la t€rr€, comprend toutes les créatures. y avoir trouvé une épouse, si l'épouse que vous
326 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME,

m'envoyez chercher ne veut pas venir avec son maître, et s'engagea par serment à faire
moi? Eh bien! que dit le juste? Il refuse, et ce qu'il lui avait ordonné (Ibid. 9), c'est-à-dire
prononce ces paroles Gardez-vous bien de
: à ne pas conduire Isaac dans cet autre pays.
ramener jamais mon fils en ce paijs-là. (Ibid. 6.) Avez-vous bien vu comment, tout d'abord, ce
Vous n'aurez pas besoin d'y penser; car Celui serviteur a montré son affection envers son
qui m'a fait tant de promesses, qui m'a dit que maître? Voyez maintenant comment, instruit
ma race se multiplierait, Celui-là prendra soin par le patriarche, il a grandi dans la vertu et a
aussi de faire réussir cette affaire. Ne conduisez imité la piété du juste et son culte pour Dieu.
donc pas mon fils dans ce pays-là. Le Seigneur En môme temps, dit le texte, il prit dix cha-
Dieu du ciel, qui est aussi le Dieu de la terre... meaux du troupeau porta de son maître; il

(Ibid. 7.) Voyez comme, en liant son serviteur avec lui de tous ses biens, mis en et, s'étant
par le serment, il l'instruit, il lui fait connaître chemiji, il alla droit en Mésopotamie, en la
le Créateur de tous les êtres, et comme en ce ville de Nachor. Etant arrivé, sur le soir, près

moment, sur le point de renouveler ses prières, d'un puits hors de la ville, au temps où les
il se sert des mêmes paroles. Toutes ses expres- filles avaient accoutumé de sortir pour puiser

sions ont pour but de faire que son serviteur de Veau, et, ayant fait reposer ses chameaux.,
se mette en voyage plein de confiance en Dieu, il dit : Seigneur Dieu d'Abraham , mon ,

assuré que tout réussira. En effet, il lui apprend maître... (Ibid. 10, 11, 12.) Voyez la vertu de
quelle grande bienveillance Dieu lui a témoi- l'esclave; il nomme le Seigneur de l'univers
gnée dès le commencement; Dieu qui l'a fait en disant le nom du patriarche. En effet, il
venir de sa patrie, qui l'a gouverné jusqu'à ce dit Seigneur, Dieu d- Abraham, mon maître,
:

jour, qui, dans une vieillesse si avancée, lui a vous qui l'avez comblé de tant de bienfaits...
donné Isaac, fera réussir encore les événements Et qu'y a-t-il d'étonnant que le serviteur l'ap-
qui ne sont pas acconiplis. Le Seigneur^ dit-il, pelle ainsi le Dieu d'Abraham? Ce Dieu de
:

le Dieu du ciel et de la terre., ciui m'a tiré de la toutes les créatures, montrant lui-même com-
maison de mo7i père et du pays où je suis 7ié, bien il estime la vertu des justes, dit : Je suis
Celui qui m'a parle en me disant : Je donnerai le Dieu d'Abraham, le Dieu d' Isaac et le Dieu
ce pays à vous et à votre race; Celui qui m'a de Jacob. (Exode, ni, 6.) Et il dit : Seigneur,
montré tant de bienveillance et d'intérêt en- Dieu d'Abraha}7i, mon seigneur, assistez-mot
verra hd-même son auge devant vous, afin que aujourd hui, et faites miséricorde à Abraham,
vous preniez une femme de ce pays-là pour mon seigneur; comme s'il disait Faites que :

mi'71 fils. P.irlez donc, lui dit-il, avec coiitinnce, ses désirs s'accomplis>ent, faites (jue tout suc-

car j'ai la certitude que Celui qui, jusqu'à ce cède au gré de ses vœux, faites niisériconde à
jour, m'a coial-lo de tant de bienfaits, ajoutera Abraham , mon maître. Qu'est-ce à dire :

encore, à tant de preuves de sa bonté passée, Faites miséricorde? Que ses vœux soient ac-
une autre preuve, et cnvei-ra son ange devant comi)lis. Ensuite il dit : Me voici près de cette
vous. C'est lui-même, dit-il, qui vous préparera fontaine, et les filles des habitants de cette ville
la voie en toutes choses, (jui vous fera con- vont sortir pour puiser de l'eau. Faites que la
naître l'épouse, de telle sorte que vous reveniez filleà qui je dirai : nai<:sez votre vase afin que
ici avec elle. Que s'il arrive, loin de moi cette je boive, et qui me repondra : Buvez, et je don-
pensée, que vous
l'épouse refuse de venir ici, nerai aussi à boire à vos chameaux, soit celle
serez dégagé de votre serment. Seulement, ne que vous avez destinée à Isaac, votre serviteur.
ramenez jamais mon fils en ce pays-là. (Ibid. 8.) Et je cojina/trai par là que vous aurez fait
Je ne fais aucun doute que Dieu ne vous ac- miséricorde à mon seigneur Abraham. (Gen.
corde (jue tout réussisse. Il montre toute sa 13, 1 i.) Voyez la sagesse du serviteur : il con-
confiance en la |)uissance du Seigneur, en dé- naissait l'hospitalité du patriarche ; il était

fendant à son serviteur de cojiduire son fils juste (|ue la nouvelle éi>ouse fût douée des
dans l'autre pays. Ensuite, après avoir donné mêmes vertus que lui. Pour la reconnaître, il
ses ordres avec tout ce soin et prévenu les in- ne veut aucun autre caractère que celui de
quiétudes de sou serviteur, car celui-ci avait l'hospitalité, et il dit : Si, quand je lui deman-
peur qu'en ne remplissant pas sa commission, derai de l'eau, elle baisse son vase etnon-
il ne devînt parjure Ce serviteur, dit le texte,
: seulement m'accorde ce que je demande, mais
7nit donc sa main sous la cuisse d'Aôraliam, encore me montre la générosité de son âme ;
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. - QUAItiVNTE-IIUITIÈME HOMÉLIE. 327

si elle me dit : Je donnerai aussi à boire à vos à pratiquer la modestie, jusqu'où allait l'hu-
chameaux, elle me montrera siiftisaninient,en milité, la grande place que l'hospitalité tenait
leur donnant cette eau, la bonté de ses mœurs. dans les mœurs d'alors. Dites-moi, quelle for-
4. Remarquez, je vousen prie, monbicn-aimé, tune n'est pas au-dessous de telles mœurs ?
l'iniportance de cette action Une jeune fille, : Quels sont les trésors que de telles mœurs ne
partie pour aller à la fontaine, non-seule- surpassent pas? Voilà la dot par excellence;
ment lui accorde sa demande, abaisse le \ase voilà les richesses infinies ; voilà le trésor iné-
qu'elle portait sur l'épaule, donne à boire à puisable 1 Donc, le sage serviteur reconnais-
satiété à celui qui le lui demande , et cet sant la providence divine, manifeste ici : l'clu-
homme est un
absolument inconnu;
étranjrer, sans rien dire, pour savoir si
diait, dit le texte,
non-seulement elle lui donne à boire à lui- le Seigneur avait rendu son voyage heweux ou
nième, mais elle désallère tous ses chameaux; non. (Ibid, 21.) Qu'est-ce à dire, Véludinit? Il

elle lui montre, par des f.iits réels, par sa con- considérait avec soin le langagemcmedelajeune
duite, ce qu'elle a de générosité dans l'àme. fille, son aspect, sa démarche et tout le reste, et
Ignorez- vous qu'un grand nombre de per- il attendait , Pour savoir
Seigneur avait si le

sonnes répondent souvent par des refus à de rendu son voyage heureux ou non. Tout jus-
pareilles demandes? Et à quoi bon parler ici que-là, voilà ce que le texte veut dire, mon-
de l'eau qui se donne? Parfois des personnes trait la parfaite vertu de la jeune fille. Aussi,
tiennent des flambeaux; on s'approche d'elles; pour répondre à sa complaisance, au service
on leur deiuande d'attendre un instant; de qu'elle lui avait rendu en lui donnant de l'eau,
permettre qu'on allume son flambeau à leur il lui met, dit le texte Des pendants d'oreilles
:

lumière; et elles refusent, quoiqu'il n'y ait là et deux bracelets. (Ibid, 22.) Et il s'informait
aucune diminution de flamme, quand vous avec soin de ce qui la concernait, et il lui de-
multiplieriez à l'infini le nombre de ceux qui mandait De qui êtes-vous fille ? Et, Y a-t-il
:

veultiit .dlumer leur flambeau. Maintenant, dans la maison de votre père tin lieu pour me
au contraire nous voyons une femme, une
, loger? (Ibid. Considérez, encore ici, la
23.)
jeune fille, son vase sur l'épaule, qui, non- réponse de jeune fille
la Quand il lui de- :

seulenunt ne s'indigne pas de ce qu'on lui de- manda de l'eau, non-seulement elle lui en
mande, mais accorde plus qu'on ne lui avait donna, mais elle abreuva aussi ses chameaux ;

demandé. Elle donne à boire selon la demande de même ici, quand le serviteur lui demande
qui lui e-t faite, et, en outre d'elle-même, , s'il y a un lieu pour le loger, et de qui elle est

el!e se hâte d abreuver les chameaux. C'est que fille, elle dit Je suis fille de Dathuel, fils de
:

le Dit u plein de bonté avait entendu les prières Melcha et de Nachor. (Ibid. 24.) Elle lui
du patiiardie, et il avait envoyé son ange, et dit et le nom de son père et le nom de ,

toi il dispo>é selon la prière du serviteur. En- son grand-j)ère, afin que ces renseignements
suite, quand ce serviteur eut vu, par la réalité lui donnent plus de confiance. Voyez la can-
des des prières du patriarche,
faits, l'efficacité deur de la jeune fille on lui demande le :

eut rt ncontré la jeune fille qu'il désirait, re- nom de son père et elle ne se contente
,

connu la distinction de son zèle à l'égard des pas de le dire, mais elle fait connaître aussi
étrangers, voyez ce qui arrive. En effet, l'Ecri- le père de son père. Et le serviteur lui de-

ture dit : Aussitôt^ ayant versé dans les canaux mandait seulement s'il y avait un endroit
Veau de son vase, elle courut au puits pour en pour le loger, elle dit, non-seulement qu'il y a
tirer d'autre, qu'elle donna ensuite à tous les un endroit, mais, de plus, beaucoup de paille
chomeaux. d'empres-
(Ibid. 20.) Voyez l'excès et de foin se trouve chez 7îous. (Ibid. 25.) A'

sement. Kn effet, ces paroles Aussitôt, ayant : ces paroles, le serviteur admira la générosité
versé l'eau de son vase, elle courut au puits, de l'accueil fait par la jeune fille aux étran-
marquent le zèle ardent de la jeune fille elle ; gers. Et, quand il apprit qu'il ne s'était pas
ne prend pas la fuite comme une étrangère ;
adressé à des inconnus, mais qu'il venait dans
elle ne se fait pas, de la modestie, un prétexte la maison de Nachor, frère du patriarche Le :

pour refuser, mais elle lui répond avec une serviteur satisfait , dit le texte, s'inclina pro-
grande douceur Buvez, mon seigneur. (Ibid.
: fondement et adora le Seigneur. (Ibid. 26.)
18.) Réfléchissez, je vous en prie, sur le C'est parce qu'il était content des renseigne-
•oin qu'on apportait, dans ces temps antiques, ments qu'il venait d'entendre, des paroles que
328 TRADUCTION FRiUNÇAlSE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

lui avait dites la jeune fille, qu'il adora le Sei- grand voyage pourquoi je suis venu du pays
;

fjneur, lui rendant grâces de ce qu'il avait si des Chananéens ici; comment j'ai été con-
l)ien montré sa providence à l'égard du pa- duit dans votre maison et quand vous sau- ; ,

triarche; de ce qu'il lui avait rendu tout aisé et rez tout, vous pourrez alors montrer tout votre
facile. Et il dit : Béni soit le Seigneur, le Dieu bon vouloir envers mon seigneur, et il com-
de mon seigneur Abraham, qui n'a pas man- mence son récit Je suis serviteur d'Abraham;
:

qué de lui faire miséricorde , selon la vérité de le Seigneur a comblé mon seigneur de ses bé-
ses promesses. (Ibid. 27.) Aprbs avoir vu les nédictions, et il lui a donné des brebis, des
bonnes dispositions de la jeune fille, et avoir veaux, de l'or et de l'argent , des serviteurs et
tout appris d'elle, de manière à ne plus avoir des servantes, et des chameaux, et des ânes. Et
d'incertitude, il se fait connaître à son tour, Sara, l'épouse de tnon seigneur, a donné un
et, tout en rendant à Dieu ses actions de fils à mon seigneur dans sa vieillesse; et il lui a

grâces, il ne vient pas d'une


montre qu'il donné tout ce qu'il avait. Ibid ( . 3i , 35 .

maison étrangère, que c'est le frère de Nachor 30.) Voyez l'exactitude avec laquelle il dit tout.

qui l'a envoyé dans ce pays. A ces paroles, la Je suis, dit-il, serviteur de cet Abraham que
jeune fdle, pénétrée d'une grande joie, courut, vous connaisFez. Apprenez donc toutes les bé-
dit le texte. Voy<>z comme chaque mot de l'E- nédictions dont l'a comblé le Seigneur de toutes
criture nous montre l'empressement de l'hos- les créatures, qui l'a rendu puissamment riche.

pitalité la course de la jeune fille, ses paroles,


: Ensuite, il lui montre en quoi consiste cette
sa douceur. En effet, dit le texte : Elle courut opulence, et il dit : Des brebis, des veaux, de
à la maison de sa mère, et alla dire à ses pa- l'argent et de l'or, des serviteurs et des sei'van-
rents, tout ce qxCelle avait entendu de la bou- tes, des chameaux et des ânes.

che du serviteur. Et Laban dit


(Ibid. 28.) ,
Ecoulez, riches, qui achetez tant, et qui ache-
le texte, courut, pour aller trouver l'homme tez, chaque jour, tant de domaines, et qui con-
près de la fontaine. (Ibid. 29.) Voyez com- struisez des bains, des promenades et de splen-
ment, ici encore, la course de Laban montre dides demeures. Voyez-vousenquoi consistaient
son empressement. Et, quand il vil l'homme les richesses de rhGnimejuste?De champ, nulle

qui se tenait auprès de la fontaine, avec ses part; demaison, nulle part; point de vaine somp-
chnmeaux, il lui dit Entrez, béni soit le Sei-
: tuosité Des b7'ebi<:, des veaux, des chameaux et
:

gneur ! pourquoi ctes-vous resté dehors ? j'ai des ânes, des serviteurs et des servantes. Et,
p7';'paré la maison, et un lieu pour vos cha- pour (jue vous sachiez bien d'où lui venait
meaux. (Ibid. 30, 31.) Voyez, ici encore, cette multitude de serviteurs, l'Ecriture dit,

cet homme qni bénit Dieu à l'arrivée d'un dans un autre endroit, qu'ils étaient nés à la
voyageur. Voyez comme avant d'accomplir ,
maison, tous. (Gen. xvii, 23.) Eh bien donc,
l'œuvre de l'hospitaHté, il se sert de paroles mon seigneur, le maître de tant de richesses,
pressantes : Venez, dit-il, entrez, déjà, en effet, et qui jouit à un si haut degré d€ la grâce di-

fai préparé la maison et un lieu pour vos cha- vine, étant devenu vieux, a eu de Sara un fîh;
meaux. quand
Et ensuite, il est entré, le texte et ce fils imique, il le fait héritier, dè> ce

dit: Il déchargea ses chameaux, leur donna moment, de tous ses biens, et il lui a donné
de la paille et du foin, et fit laver les pieds de tout ce qu'il avait. Ensuite, après avoir raconté
cet homme. (Ibid. 32.) la gloire de son seigneur, et la naissance dT-
5. Voyez comme ces peuples, encore en proie saac, il fait connaître, en outre, laconnnission
à l'erreur, pratiquaient avec soin l'hospitalité. qu'il a reçue pour aller à Charran : Et il m'a
Et il fit laver 1rs pieds de cet homme, et les fait jurer , dit-il, en me disant ; vous ne pren-
pieds des hommes qui étaient venus avec lui ; et drez, pour mon fils Isaac, aucune des filles
il leur servit des pains poxir manger (Ibid. 33.) . desChananéens dan^ le pays desquels j'habite;
Vais, attention ici, je vous on prie considérez ;
mais vous irez dans la fnaison de mon père ,

)n grande sagesse du serviteur. En elfet, que et voîts prendrez parmi ceux de ma parenté,
,

•lit-il ? Je ne mangerai point jusqu'à ce que je une épouse pour mon fils. (Ibid. 37 38.) ,

vous aie proposé ce que j'ai à vous dire. Vous, Voilà les ordres qu'il m'a donnés quant à ;

<lit-il, vous avez rempli vos devoirs; mais moi, moi prévoyant quelque difficulté dans l'af-
,

je ne veux pas pensera prondnMiu repos avant faire je demandais à mon Seigneur
, mais si :

de vous avoir appris pourquoi j'ai fait un si la femme ne voulait pas venir avec moi ? El
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. - QUARANTE-NEUVIÈME HOMÉLIE. 329

il m\i dit Le Seigneur Dieu, devant lequel je


:
à gauche. Alors, comme c'était Dieu qui favo-
marche, enverra son ange avec vous, et vous risait toute cette affaire , à cause des prières

conduira dans votre chemin, afin que vous du patriarche ,


le fièie de la jeune
le père et
preniez pour épouse de mon fils , une
,
fille lui disent Dieu qui parle en cette
: C'est

femme de ma parenté, et de la jnaison de rencontre, nous ne pouvons vous contredire


mon père. (Ibid. 39, 40.) Que si la ftinnie soit en mal, soit en bien. (Ibid. 50.) Votre récit

ne consent pas à partir avec \ous Alo?'s ,


nous fait assez comprendre cjue tout cela est
vous ne serez plus obligé à votre serment. l'œuvre de la divine sagesse. Donc, ne croyez
(ll)i»l. 11.) Donc, voilà les ordres que m'a don- pas (jue nous veuillons nous op[ioser à ce que
nés mon seigneur; voilà la provision de priè- Dieu approuve. Car nous ne i-ouvons pas
,

res qu'il m'a donnée, pour mon voyage. Et faire cela. Voici que nous mettons la jeune

moi fort de ses prières, quand je suis arrivé fille entre vos mains prenez-la el partez. Elle
;
,

auprès delà fontaine, j'ai prononcé ces pa- sera l'épouse du lils de votre seigneur, comme
roles, et j'ai dit Seigneur, Dieu d'Abraham^
:
a dit le Seigneur.
mon seigneur, si c'est vous qui ni avez conduit 6. A^ ez-Yous bien vu comment on s'attachait
dans le chemin où f ai marché jusqu'à présent, autrefois à choisir di!S épouses |)our ses fi's ;

me voici près de celte fontaine. Que la fille comment, au lieu de la fortune, on recher-
donc gui sera sortie pour puiser de l'eau, à chait la noblesse de l'âme. Nulle trace de con-
qui je dirai : donnez-moi un peu de l'eau que trat, nulle trace de conventions écrites, et de
vous portez dans votre vase, et qui répondra : toutes ces choses ridicules qui se font chez
buvez et je vais en puiser aussi pour vos cha- nous, aujourd'hui, et de ces conditions qui
meaux , soit celle que vous avez préparée pour s'enregistrent sur les parchemins. Si , dit l'un,

votre serviteur Isaac. Et en cela je connaîtrai ellemeurt sans enfants; si ceci, si cela ariive?
c[ue vous avez fait miséricorde à mon seigneur Allons donc autrefois I , rien de tel. Leur ma-
Abraham. (Ibid. 42, 43, 44.) Voilà donc la prière, gnifique contrat , leur sûreté infaillible, c'était
dit-il, qu'en moi-même j'ai adressée à Dieu, et la vertu de la jeune fille; et, nulle part, do

je ne l'avais pas que déjà mes


encore achevée ,
cymbales et de chœurs de danse. Pour que
paroles étaient devenues la réalité. Car, avant vous le sachiez bien vous allez voir comuiciit
,

que j'eusse fini de parler, voici que Rébecca est la jeune fille est menée à son fiancé. Le servi-
sortie, son vase d'eau sur l'épaule , et je lui teur d' Abraham , dit le texte ayant enlerala ,

ai dit : donnez-moi à boire , et elle s'est em- ces paroles du père et du frère , adora Dieu
pressée d'abaisser sonvase, et elle m'a dit : bu- en s'inclinant jusque sur la terre. (Ibid. 52.)
vez et j'abreuverai vos chameaux. (
Ibid. 45.) Voyez, à chaque instant, à chaque chose qui
Et quand je voyais se manifester , avec évi- arrive, des actions de grâces au Seigneur de
dence, l'œuvre de Dieu, je lui demandai de toutes les créatures. C'était lui, en effet, qui selon
qui elle était fille ; ses paroles m'ayant appris la parole du patriarche, envoyailsonangedevant

que je n'étais pas venu vers des étrangers, mais le serviteur, qui disposait tout pour la réus-

aui)rès de Nachor, frère de mon seigneur, j'ai eu site. Enfin n'ayons plus à douter du complet

confiance : Je lui ai mis ces pendants d'oreilles succès de sa mission : // tira, dit le texte, des

et ces bracelets; et, satisfait de ce que je voyais, vases d'or et d'argent, et un vêlement qu'il

j'ai adoré et béni le Seigneur, le Dieu de mon donna à Rébecca. Dès ce moment il
(Ibid. 53.)

seigneur Abraham qui m'a conduit


,
heureuse- la traite avec des égards pleins de confiance ;

ment, de manière à prendre la fille du frère de elle est déjà , en paroles, fiancée à Isaac. Il

mon seigneur. (Ibid. 47, 48.) Il est manifeste offre des présents à sou frère et à sa mère ; et,

que ces choses ont été disposées par Dieu; les quand il voit queterminée, qu'il
l'affaire est

prières de mon maître sont arrivées jusqu'à a rempli la mission reçue de son maître c'est ,

lui Pour vous maintenant, si vous faites ce


: alors seulement enfin , qu'il consent à se re-
,

qui dépend de vous faites miséricorde et jus- ,


poser. Us firent ensuite le festiti, dit le texte,

tice à mon
seigneur; sinon, dites-le-moi. (Ibid. et ils bwent ensemble lui , et les hommes qui
49.) C'est-à-dire, dites-moi, dit-il oui, clai- , étaient avec lui, et ils dormirent; et le lende-
rement, afin que je sache ce que j'ai à faire; main , s' étant levé de bon matin , il dit : con-
si non, dites-le moi, afin que je mediiige
c'est gédiez-moi pour que j'aille retrouver mon sei-

ailleurs, et que Je me tourne soit à droite soit gneur. Puisque tout m'a réussi, dit-il, et que je
330 TRADUCTION FRANÇAISE DE S.V.NT JExVN CIIRYSOSTOME.

n'ai plus rien à faire , et que la chose se passe qu'il étaitdans son champ, dit le texte, qu'Isaaf
selon votre gré, congédiez-moi afin que faille vit leschameaux. Rébecca. ayant aussi aperçu
retrouver mon seigneur. (Ibid. 54.) Les fréfco, Isaac, descendit de dessus son chamenu, et dit
dit le texte, et la mère lui dirent : Que notice au serviteur : Quel est cet hotnme qui virnt le
fille demeure avec 7ious, environ dix jours, et, long du champ, au-devant de nous? (Ibid. 6o.)
après cela, vous partirez. Mais lui, leur dit : Voyez la belle âme de la jeune fille elle voit ;

Ne me retenez pas ,
puisque le Seigneur m'a Isaac et demande qui il est. Et aussitôt qu'elle
conduit dans tout mon che^nin ; congédiez-moi a appris que c'est son époux, elle s'enveloppe
afin que faille retrouver mon seigneur. (Ibid. de son voile. Le serviteur annonce à Isaac tout
56.) Pourquoi, leur dit-il, différer, ajourner, ce qui s'est passé. (Ibid. 66.) Considérez ici, je
puisque Dieu m'a rendu tout si facile? ne nie vous en prie, l'absence jiarfaite de tout ce qui
retenez pas, afin que j'aille retrouver mon sei- est inutile et supeiflu. Ici, aucune de ces
gneur. Ils lui dirent : Appelons la jeune fille, pompes inventées par les démons ni cymbales, ;

et interrogeons-la ; et ils l'appelèrent, et ils lui ni flûtes, ni chœurs de danse, ni banquets sa-
dirent : Vous en irez-vous avec l'homme? Elle taniques, ni |)laisantei ies ubscènes, tout est pu-
répondit Je m'en irai. Et ils laissèrent partir
: reté, tout est sagesse, tout est modestie. i4/or5

Rébecca, leur sœur, avec ce qui lui apparte- Isaac la fit entrer dans la tente do Sara, sa
nait, en compagnie du serviteur d'Abraham, mère, et prit Rébecca. et elle fat sa femme, et

et de ceux qui étaient avec lui, et ils bénirent il la chérit, et Jsooc f-e c nsola de la perte de
Rébecca, et ils lui dirent Vuus êtes notre sœur. : Sara sa mère. ibid. 67.) 'mili/-îa, ô fcninics,
Croissez en mille et mille générations, et que imitez le, ô hoiimies. Voj'à comme il convient
votre race se mette en possession des villes de de recevoir les épouses; car t iifin, réj.ou(;LZ-
ses ennemis. (Ibid. 00.) Voyez comment, dans moi, pourquoi, sans plus attendre, dès la jre-
leur ignorance, ils prédi> entravenir à la jeune mière heure, soufft ez-vous qu'on remplisH' l'o-
fille ,
parce que Dieu dirige leur pensée. En reille virginale de chan-oiisob-cfiies? ourquoi
effet, ils lui prédisent deux choses : d'une part, cette pomjte buntcuse et inleinpes!i\e? li;[îo-

qu'elle croîtra en mille et mille générations; rez-vous donc que la j< unesse d'eile-meme
d'autre paît, que sa race possédera en héritage court trop vi;e à sa perte' Pourquoi celle hon-
les \illes des ennemis. Voyez-vous comme ici teuse révélation des aiifjn itismNsterts du ma-
se manifeste, de tout côté, la divine provi- riage, (juand il t'.uulrnit !• |ionsserh>in de vous
dence? comme
Seigneur a soin de faire pré-
le toutes ces profanations? Commencez par en-
dire l'avenir par des infidèles. Rébecca et ses seigner la pudeur à la ji une femme; appelez
servantes montèrent donc sur de^ chameaux. les pnMres, cimentez par leurs [irières, par
et

(Ibid. 61.) Avez-vous bien compris (luclle est leurs bénédictions, la concorde du mariage,
l'épouse que prend le patriarche ? Une fenunc pour augmenter l'amour de l'époux pour con- ;

qui va à la fontaine, qui porte un vase d'eau tenir, pour accroître la diastt'té; pour que tout
sur l'épaule, et la voici maintenant montant conspire à faire entrer, dans la nouvi-lk' de-
sur un chameau. Nulle part, de mule aux iiar- meure, la vertu elscs œuvres ;
pour externiiner
nais resplendissant d'argent, ni de troupeaux le démon, ruiner tous ses efforts, et assurer aux
de serviteurs, ni le luxe, et toutes les délica- époux lunion, fruil du divin secours, et qui
tesses (ju'il déploie de nos jours ; telle était la produit bienheunusc. Puissions-nous
la ^ie
force virile des femmes anticiues ,
qu'on les tous en jouir, par la grâce et par la bontc de
voyait monter d'elles-mêmes sur des chameaux, Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient,
et c'est ainsi (pi'elles voyageaient. Et elles par- connue au Père, comme au Saint-Ks|Mit, la
tirent, dit le texte, avec rhomme. En ce même gloire, la puissance, riionneur, maintenant et
temps, Isaac se promenait dans son champ, le toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi
Jour étant sur son déclir». . » ''^'n les yeux et vit soit-il.
venir les chameaux, [Ibia, bd.j v. c3t pendant
HOMELIES bUi U GEWÈSE. -^ QUAIVAuNTE-iNElVlÈME 11031ÉI.1E. 331

QUARANTE-NEUVIÈME HOMÉLIE.

< Yoioi quell* fut la poBtériU d'IoMc, fila d'Abraham. > (Gen. XXV. iQ.j

ANALYSE.

I. L'exemple dlsaac pronve qu'il faut prier avec persévérance, et ne pas scruter trop curieusement les desseins de Dieu. —
2. Pour des causes mystérieuses, Dieu refuse quelquefois la fécondité aux femmes justes ; la fécondité miraculeuse des femmes
naturellement stériles aide les esprits à croire k l'enfantement d'une vierge. —3. La prière d'Isaac dure vingt ans.

i Je veux encore vous conduire à la table que


.
pas pourtant sa raison, il ajoute : Ainsi il te.

vous connaissez, et vous servir le festin que recouvra comme (T entre les morts. (Ibid. 19.)
nous présentent les paroles de Moïse, disons Que signifie cette parole , et il le recouvra

mieux, les paroles de l'Esprit-Saint. Car, ce n'est comme d'entre les morts? c'q?X qu'après l'avoir
pas de lui-même que Moïse nous a parlé, mais offert en sacrifice, après avoir manifesté la

parce que l'Esprit- Saint l'inspirait. Voyons perfection de sa sagesse, il reçut la couronne,
donc ce qu'il veut encore nous apprendre au- il revint avec Tenfantle sacrifice s'acheva en
;

jourd'hui. Ce n'est pas sans motif, sans un but réalité,en immolant une brebis, et le Créateur
déterminé qu'il nous propose les vies des
,
de tous les êtres montra, en toutes ces choses,
hommes justes il veut que nous imitions
; l'excellence de sa bonté. Il fit voir que, par cet
leurs vertus que nous reproduisions leurs
,
ordre, il avait voulu, non faire périr Isaac, mais
bonnes œuvres. Après nous avoir raconté, avec mettre à l'épreuve l'obéissance de l'homme
tant d'exactitude, ce qui concerne le patriarche juste. Autre récit maintenant. INous avons vu
Abraham après nous avoir fait connaître le
; le patriarche faire briller en toutes choses sa
dernier combat (lu'il soutint pour immoler son vertu, eh bien I exposons aujourd'hui les pa-
fils son fils unique
, après nous avoir fait
; roles qui se rapportent à Isaac. Voyons com-
comprendre comment ce sacrifice à Dieu, s'il ment, lui aussi, a montré en toutes choses, la
ne fut pas accompli d'une manière réelle, s'est piété de son âme; ilest bon d'écouter les pa-
pourtant achevé dans la volonté, il met un roles mêmes de l'Ecriture. Voici, dit le texte,

terme à ces récits, et nous expose maintenant quelle fut la postérité d'Isaac, fils d' Abraham.
ce qui concerne Isaac, immolé sans être im- Aoraham engendra Isaac, lecpicl ayant qua-
molé. En effet, ce qui s'est passé ressemble à rante ans épousa Rébecca, fille de Bathuel,
une énigme; écoutez ce que dit Paul C'est : syrien de Mésopotamie , et sœur du syrien
par la foi qu' Abraham offrit Isaac, lorsque Laban. (Ibid. 20.) Considérez, je vous en prie,
Dieu vordut le tenter, car c'était son fils uni- mon bien-aimé, l'exactitude de la divine Ecri-
que qu'il offrait, lui qui avait reçu les pro- ture, qui n'emploie aucune parole superflue.
messes. (Hébr. XI, 17.) Et ensuite, pour nous En effet ,
pourquoi nous montre-t-elle l'âge
apprendre qu'Abraham accomplissait tout cela d'Isaac? pourquoi ces paroles, lequel ayant
par la foi que des ordres (jui paraissaient en
;
quarante ans, épousa Rébecca ? Ce n'est pas

contradiction avec la promesse, ne troublaient sans dessein, ce n'est pas au hasard ; mais,
332 TRADUCTION FRA^XAISE DE SAINT iLX^i CHRYS03T0ME.

comme elle veut ensuite nou? raconter la sté- semblait, lorsqu'ils étaient tous deux si forte-
rilité de Rébecca, notis faire savoir qu'elle dut ment attachés à la vertu, elle était stérile.
sa fécondité aux prières du juste, elle tient à Nous ne pouvons pas critiquer leur vie et dire
nous apprendre la grandeur de h patience d'I- que la stérilité était ici une punition des pé-
saac, à nous montrer clairement tout le temps chés. Et apprenez une chose étonnante, non-
qu'il passa sans avoir d'enfant. Et c'est afln seulement celte épouse du patriarche était
que nous, de notre côté, rivalisant avec ce stérile, mais la mère de cet hommejuste, Sara

juste, nous soyons assidus à prier le Seigneur, l'était aussi et non-seulement sa mère, mais
;

si nous avons quelque demande à lui adresser. sa la femme de Jacob, je parle de


belle-fille,

En effets s'il est vrai que ce juste, doué d'une Rachel. Que signifie donc celte compagnie de
vertu si grande, jouissant auprès de Dieu de femmes stériles? Tous ces personnages sont
tant de faveur, ait montré tant de constance et des justes ; tous, doués de vertu tous ap- ;

tant de zèle, priant Dieu sans cesse de mettre prouvés de Dieu ; car c'est d'eux qu'il disait :

un terme à la stérilité de Rébecca, que pour- Je suis le Dieu d'Abraham, le Dieu d'ïsaac, le
rons-nous dire, nous qni, accablés du fardeau Dieu de Jacob. (Exode, ni, 6.) Et le bienheureux
si lourd de tant de péchés, n'ayant pas à mon- Paul dit Dieu ne rougit point dêtre appelé
:

trer la moindre des vertus de ce juste, après leur Dieu. (Ilébr. xi, IG.) Leur éloge se ren-
quelques moments de zèle et d'application à la contre souvent dans le Nouveau Testament,
prière, retombons bien vite dans notre engour- souvent dans l'Ancien ils étaient à tous ;

dissement, dans notre torpeur, si nous ne som- égards, fam.eux, illustres, et tous eurent des
mes pas tout de suite exaucés? c'est pourquoi, je femmes stériles , et pendant longtemps ils

vous en prie, instruits par ce qui est arrivé à n'ont pas eu d'enfant.
ce juste, prions Dieu sans relâche de nous 2. Donc, lorsque vous voyez un homme, une
pardonner nos péchés montrons-lui un zèle
; femme, deux êtres vivant dans la vertu, et à

qui nous brûle, qui nous dévore ne nous in-


; qui des enfants sont refusés ;
quand vous voyez
dignons pas, ne nous décourageons pas si , des personnes pieuses, attachées à la religion
nous ne sommes pas tout de suite exaucés. Car et n'ayant pas d'enfant, gardez-vous de croire
peut-être, oui peut-être, le Seigneur, dans sa que ce soit l'effet du péché. C'est qu'il y a, dans
sagesse, ne nous force de montrer l'activité de le gouvernement de Dieu, bien des raisons qui
notre zèle ne nous exerce, ne nous fait at-
; nous échappent, et, quoi qu'il arrive, il faut le
tendre, que parce qu'il nous ménage le salaire bénir. Et nous ne devons considérer con)me
de notre patience, et parce qu'il sait l'époque malheureux, que ceux qui vivent dans la cor-
où il nous est utile d'obtenir ce que nous sou- ruption et non pas ceux qui n'ont jioint d'enf;int.
haitons avec tant d'ardeur. En effet, nous ne Rien souvent Dieu dispose les événements dans
connaissons pas nos intérêts, aussi bien que notre intérêt mais nous ne saisissons pas ces
;

lui-même, qui sait jusqu'aux secrètes pensées causes cachées. Voilà pounjuoi nous devons
d'' chacun. Donc, il convient de ne pas rechcr- toujours admirer sa sagesse, glorifier son inef-
chf^T avec trop de curiosité, de ne pas discuter fable bonté. Nous vous adressons ces paroles
sans fin les choses que Dieu opère, mais il faut pour que vous en fassiez votre profit, pour
montrer notre sagesse et admirer les vertus que vous développiez en vous la sagesse, pour
d( s justes. Après que la divine Ecriture nous a que vous n'alliez pas scruter curieusement les
dit l'âge d'ïsaac, ellenousapprend de Rébecca, desseins de Dieu. Cependant, il faut vous dire
sa femme, qu'elle était stérile. Considérez, je pourquoi ces femmes étaient stériles. Quelle en
vous en prie, la piété de l'hommejusle; (juand est donc la cause ? Il fallai' (ju'en voyant une

il reconnut l'inlirniité de la nature, il se ré- vierge enfanter notre conumm Seigneur^ vous
fugia auprès de l'Ouvrier qui l'a faite, et il ne fussiez pas incrédules. Exercez , semble
s'empressa de délier par la prière les liens qui dire la sainte Ecriture, la subtilité de votre
tiMiaient la nature enchaînée. E71 e/fcf, dit le esprit , faites vos rellexious sur la stérilité,
1e\te, Jsaac pria le Seigneur pour sn femme afin quand vous aurez appris que la
que ,

llbecca, parce qu'elle était stérile. (Ibid. 21.) nature retenue par des liens, que des flancs
A^ant tout, ce qui mérite d'être recherché, qui riaient morts, se sont prêles par la grâce
c'i st pourquoi, lorsque cette femme avait une de nieu , à rcnf.mfeiu' u' de la vie édifiés
cojiduite admirable, lorsque sou mari lui res- par des preuves sans nc»inl)re, vous ne vous
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. - QUAllANTE-NEUVIEME HOMÉLIE. 333

étonniez pas qu'une vierge ait enfanté. Je naissance présente de »n'slinction sublime, et
me trompe, éto.'mez-vous : Soyez trappes ce qu'elle nous montre (jui ressemble à notre
d'admiration, maisnj refusez pas votre croyance nature. Et maintenant, considérez encore toute
au miracle. Donc, si un juif vous dit : Com- la sagesse qui a opéré ces merveilles ; ni
ment a-t-elle \ni enfanter, celle qui était l'excellence n'a empêché la ressemblance, la
vierge ? répondez-lui : Comment a-t-elle pu parenté avec nous; ni cette parenté avec nous,
enfanter, celle qui était stérile et avancée en cette ressemblance, en rien n'a contrarié
âge y avait deux empêchements alors, et
? Il œuvres
l'excellence et l'infinie supériorité. Les
l'âge qui ne s'y prêtait pas, et le défaut de la qui se sont accom|)lies, ont réuni ces deux
nature. La vierge au contraire ne nous montre caractères d'une part, ressemblance parfaite
:

qu'un empêchement, à savoir qu'elle ne con- avec nous; d'autre part, complète difl'érence.
naissait pas l'œuvre du mariage. Donc, la Mais maintenant, que disais-je? S'il y a eu des
femme stérile prépare la voie à la vierge. Et femmes stériles, c'était pour assurer la foi à
ce qui vous prouve que l'antique stérilité avait l'enfantement virginal c'était pour que la ;

pour but d'assurer la foi à l'enfantement vir- vierge elle-même fût amenée à croire à la pro-
ginal, écoutez les paroles de Gabriel à la Vierge. messe. Ecoutez, en effet, ce que lui dit l'ange
En effet, il se présente et lui dii : Vous con- de Dieu Le Saint-Esprit surviendra en vous,
:

cevrez dans votre sein et vous enfanterez un fils et la vertu du Très-Haut vous couvrira de soji
à qui vous donîierez le nom de Jésus. (Luc, i, ombre. Voilà comment, dit-il, vous pourrez
31.) Elle s'élonne, elle admire, répond
elle lui : enfanter. Tout s'accomplira par le Saint-Esprit.
Comment cela se fera-t-il, car je ne co?mais Ne tenez donc pas vos regards abaissés sur la
point d'homme ? (Ibid. 34.) Que lui dit l'unge terre; c'est du ciel que vient la vertu qui
alors ? Le Saint-Esprit surviendra en vous^ et opère c'est la grâce de rEsj)rit (jui produit co
;

la vei'tudu Très-Haut vous couvrira de son qui arrive. Ne vous préoccupez donc pas de la
ombre. (Ibid. 33.) Ne vous préoccupez pas, lui nature ordinaire ne considérez plus les
;

dit-il, des règles ordinaires de la nature, puis- simples lois du mariage. Mais comme ces ,

que ce qui arrive est supérieur à la nature. Ne paroles dépassent sa portée, il y ajoute encore
pensez pas aux enfantements ordinaires, puis- une autre démonstration.
que la naissance qui s'apprête est supérieure à la 3. Quant à vous maintenant, mon bien-aimé,
génération par la voie du mariage. Et comment voyez comment la femme stérile conduit, pour
cela se fera-t-il., dit-elle, car je ne connais point ainsi dire, comme parla main, la Vierge à la foi
d'homme? Cela se fera précisément parce que. en son enfantement. Comme la première dé-
vous ne connaissez point d'homme; car, si monstration était trop forte pour l'esprit de la
vous connaissiez un homme, vous n'auriez pas Vierge, voyez l'ange accommodant son discours
été jugée digne de servir à ce ministère. C'est à la portée de son intelligence, la conduisant,
pourquoi la raison qui vous fait douter, est comme par la main, à l'aide de choses sen-
précisément la raison de croire. Ce n'est pas sibles. Et sachez, dit-il, qiC Elisabeth^ votre
que le mariage soit un mal, mais c'est que la cousine^ a conçu aussi, elle-même, un fils dans
virginité vaut mieux. Notre-Seigneur devait sa vieillesse, et que c'est maintenant le sixième
choisir, pour son avènement dans le monde, mois, pour celle cjui est appelée stérile. (Luc,
une entrée plus auguste que la nôtre il y fait ; I, Voyez-vous qu'il n'est ici question de la
3G.)
une royale entrée. H fallait que sa naissance femme stérile (ju'à cause de la Vierge? Car au-
ressemblât à la nôtre, et ditl'cràt de la nôtre ;
trement, pouniuoi lui aurait-il [)arlé de l'en-
et ce double caractère s'est rencontré. Com- fantement de sa cousine ? Pourquoi, de même,
ment cela ? écotitez. Sortir des flancs mater- lui aurait-il dit ces mots, qui est appelée sté-
nels, voilà en quoi sa naissance ressemble à la rile? Il est évident que toutes ces paroles
nôtre ; et maintenant, naître sans que la nais- avaient pour but de l'amener à croire à l'an-
sance soit un tlfet du mariage, voilà ce qui est noncialion. Voilà pourquoi il lui dit le temps
supérieur à la naissance humaine. La grossesse, qu'a déjà duré la grossesse, pourquoi il lui
voilà un fait naturel ; la grossesse sans l'œuvre parle de la stérilité pourquoi il a attendu jus-
;

du mariage, voilà ce qui est supérieur à la qu'à ce moment pour lui annoncer la concep-
nature humaine. Et ces deux circonstances ont tion. Car, il ne la lui a pas révélée tout de suite,
pour but de vous apprendre, et ce que cette dès le principe ; il a attendu six mois, afin quo
334 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CIIRYSOSTOME.

le gonflement du venlre montrât la conception. e.xactemt'nt le temps. Ensuite l'Ecriture dit :


Et, voyez toute l'udn sse do Gnbiicl. En effet, I>aac pria le Seigneur pour sa femme, parce
il ne lui rappelle ni Sara, ni Rtbecca, ni Ra- qu'elle était stérile. Et, après ces mots, pour
chel. Par quelle raison et dans quelle inten- nous faiie savoir nombre des années que
1<

tion? Ces femmes aussi furent stériles jusque nous cherchons, elle nous marque l'âge dT-
dans leur vieillesse, et un grand miracle s'est saac, quand Rébecca lui donna ses fils. En ef-
accompli en elles. Mais tous ces récits étaient fet, dit le texte : Isaac avait soixante ans, lors-
de vieilles histoires, et l'ange lui parle d'un que Rébecca le mit au monde. (Ibid. 26.) Si
événement récent, pour mieux assurer sa foi. donc, il avait quarante ans, quand il l'épousa,
Mais il nous faut revenir au sujet de notre et soixante, quand elle lui donna ses enfants,
discours, et montrer la vertu de l'homme il est manifeste qu'il persévéra pendant vingt
juste, et \ous apprendre comment ses prières ans à prier Dieu et qu'il rendit ainsi propre à
ont lait cesser la stérilité de Rébecca, ont l'enfantement celle qui était frappée de stéri-
brisé les liens de la nature. Isaac^ dit le texte, lité. Avez-vous bien compris la force de la
pria leSeigneur pour sa femme Rébecca, parce prière; comme elle triomphe de la nature?
qu'elle était stérile, et le Seigneur l'exauça. Imitons-le tous; et nous aussi, soyons assidus
N'allez pas croire, parce que le texte met, tout dans nos prières. Soyons sages et soyons ,

de suite, l'effet après la cause, qu'il ait tout de humbles. Ecoutons Tavertissement de Paul,
suite obtenu ce qu'il désirait, avec tant d'ar- qui nous dit Levo?is des maifis pures, sans
:

deur. Vingt uns de prière persévérante, vingt colère et sans contention. (I Tim. ii, 8.) Appli-
ans, et ce ne fut qu'alors qu'il obtint ce qu'il quons-nous toujours à nous affi anchir des pas-
demandait. Et comment le savons-nous ? Qui sions qui nous troublent, afin que notre âme
nous le prouvera? Le soin que nous prendrons soit dans la tranquillité, surtout pendant le
de parcourir la suite de la divine Ecriture. En temps de la prière, lorsque nous avons tant
effet, le temps ne nous a pas été caché; lE- besoin de la bonté de Dieu. Car, s'il nous voit
criture nous l'a indiqué, à mots couverts sans prier conformément aux lois qu'il nous im-
doute, mais de manière pourtant à provoquer pose, il se hâtera de nous accorder toutes les
notre désir, à nous pousser, à nous exciter à largesses de ses dons. Puissions-nous les ob-
faire cette recherche, comme il convient. Car, tenir, par la grâce et par la bonté de Notre-
de même nous a appris l'âge d'Isaac,
qu'elle Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme
quand il épousa Rébecca de même aussi,
, , au Père, comme au Saint-Es|»rit, la gloire,
nous montre-t-elle ce que nous voulons sa- l'honneur, l'empire, maintenant et toujours,
voir. Isaac avait quarante ans, quand il épousa et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Rébecca y fille d9 Bathuel le syrien. Vous savea
HOMÉLIKS Slll J.A GKNf:SE. — CINQUANTIÈME HOMÉLIE, 33:

CINQUANTIÊIVIE HOMÉLIE-

« Ràb«cca ccrçut et. !•• deux «afanii 8'«atreoboqu&i«cb dani ion sain. » [ft*n X^V, SI , 29.

ANALYSE.

I. Commentaires des versets 21-33 du cbap. XXV. — 2. Da mépris des ricbessM.

1. Voulez-vous, encore aujourd'hui, mes vous en prie, de cette femme, elle ne


la piété

bien-aimés, que nous vous servions les restes fait pas comme femmes dont la vie est
tant de
(le la lecture d'hier ; car nous n'avons pas pu relâchée elle ne cherche pas un secours au-
;

épuiser notre sujet. Nous vous avons montré près des hommes elle ne va pas interroger
;

les prières assidues d'isaac, donnant à. Réhecca ceux qui font des conjectures, des raisonne-
la fécondité, réparant pour ainsi dire l'infir- ments, et qui ont la prétention de juger ces
milé de la nature. Nous avons liier assez insisté choses par leurs lumières propres; elle ne s'ex-
sur l'enseignement (jui ressort du texte; nous pose pas à être la dupe des charlatans, et de
vous avons montré pendant combien d'années tous ceux qui osent promettre ce qui dépasse
ce bienheureux a continué de prier, de sup- la nature humaine. Mais, Elle alla, dit le texte,
plier le Seigneur. Nous avons fait une digres- consulter le Seigneur. Voyez la sagesse de cette
sion, à propos des femmes stériles, et, après femme. Comme elle vit que celui qui avait
vous avoir expliqué pourquoi les femmes de guéri sa stérilité, qui l'avait soudain rendue
ces hommes justes furent frappées de stérilité, féconde, était le Seigneur de la
Maître et
nous ne nous sommes i)as engagé plus avant. nature; comme poids qui char-
elle vit que le

Ce qu'il faut aujourd'hui c'est apprendre


, geait ses entrailles, renfermait une grande et
quelle fut la piété de Rébecca de telle sorte , mystérieuse promesse, Elle s'en alla, dit le
que nous ne fassions pas notre profit seulement texte, consulter le Seigiieur. Qu'est-ce à dire^
de la vertu de l'homme juste, mais que l'his- Elle s'en alla consulter Seigneur ? Elle cou-
le

toire de Rébecca aussi, nous donne les moyens rut où est la vraie science elle s'empressa ;

de provoquer un généreux zèle dans les âmes d'aller trouver le prêtre, ministre de Dieu; elle

de ceux qui nous écoulent. En effet, (juand le était avide d'apprendre secrètement de lui la

Seigneur eût exaucé la prière de l'homme science dont elle avait besoin. Et, en lui ra-
juste, et quand Rébecca eût conçu, les deux contant tout ce qui lui était arrivé, elle connut
enfants, dit le texte, s'entrechoquaient dans parfaitement tout ce qu'il lui fallait savoir; la
son sein, ce qui lui causait une grande douleur. miséricorde de Dieu, par la bouche du prêtre,

En effet, selon le texte, elle dit Si cela devait : lui révéla tout, et ranima son courage. Et,
m' arriver, quêtait-il besoin que je conçusse ? pour que vous sachiez bien quelle était alors
Ce n'était pas un enfant seulement (jui allait la dignité des prêtres, le texte ne dit nulle

naître elle en portait deux à la fois dans son


;
|)arl que le prêtre lui ait répondu; mais, après

sein, et ces enfants ainsi resserrés lui causaient ces paroles Elle alla consulter le Seigneur^
:

une gi'ande douleur. Mais ici, considérez, je l'Ecriture ajoute Et le Seigneur lui dit (Ibid.
:
336 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CIIRYSOSTOME.

23), évidemment par la bouche du prêtre : cob : Donnez moi de ce mets roux, parce que
Deux 7iatiorts sont dans vos enimilles. Il faut jesuis fafifjxô. C'est pour ce! te mison qu'il fut
que vous sachiez que, dans un autre passage, depuis nommé FAom^ c'est-à-dire roux. Et
la divine Ecriture appelle le prêtre, un ange, Jacob lui dit : Cédez-moi votre droit d'aînesse.
montrant par là que le prêtre dit ce que lui (Ibid. 20, 30, 31.) Or, celui-ci répondit ; Que
inspire la grâce de rEsjsril-Saint. me servira ce droit d'aînesse quand je me sens
Donc le Seigneur lui dit, par la bouche du mourir, si je ne prends pas de nourriture.
prêtre : Deux nations sont dans vos entrailles^ (Ibid. 32.) Mais Jacob exigeaitun serment pour
et deux peuples, sortant de votre sein, se divi- qu'il n'y eût pas à revenir sur la cession. Et,
seront l'un contre l'autre ; r un de ces peuples dit le texte, Esaii lia fit le serment, ilbid. 33.)
surmontera l'autre peuple, et l'aîné sera assu- 2. Voici donc maintenant l'ordre naturel in-
jéti au plus jeune. (Ibid. 23.) Voyez la pro- terverti, la dignité de l'aîné passe à celui qui
phétie qui lui prédit manifestement tout l'a- l'emportait par la vertu. Et, dit le texte, Esaii
venir. En effet, les enfants qui sautaient, qui vendit son droit d'aînesse , c'e.-t-à-dire que,
s'agitaientdans son sein de mouvements , pour de la nourriture, il vendit le privilège
désordonnés, lui révélaient, dès ce moment, que la nature lui avait donné. Aussi le texte
tout, d'une manière parfaitement claire et, ;
ajoute Et Eaaû se mit peu en peine de son
:

dès ce moment, la mère apprit non-seulement droit d' aînesse. (Ibid. 3i.) Comme si l'Ecriture
qu'elle mettraitau monde deux enfants, mais disait : l'insensé ne méritait pas le rang qu'il
que de ces enfants sortiraient des peuples, que devait à la nature. Or, tout cela n'arriva <iue
le plus jeune assujétirait l'aîné. Et lorsque pour montrer la démence de cet aîné des deux
ensuite vint l'enfantement, celui qui sortit le pour accomplir l'oracle de Dieu.
frères, et
premier^ dit le texte, était roux et tout velu Instruits par cet exemple, sachons apprécier
comme une peau d'animal, et il fut nommé toujours les dons du Seigneur; n'abandoimons
Esaû. Et ensuite sortit son frère, et il tenait, pas,pour des objets sans valeur et n•épri^a-
de sa main, le talon d'Esaû. C'est pourquoi il grand et précieux. Pourquoi,
bles, ce ((ui est
fut nommé Jacob. (Ibid. 25.) Dès le commence- voyons, répondez-moi, quand on nous propose
ment Dieu fait presque voir que le plus jeune, le royaume du ciel et tant de biens inetlàbles,
conformément à la parole, dominera l'aîné. En pourquoi ce désir insensé des richesses, pour-
effet, le texte dit qu'il tenait par la main le quoi préférer de fugitives jouissances,qui sou-
talon d'Esaû ce qui était la marque de la su-
, vent ne cun nt pas jusqu'au soir, au bonheur
périorité promise sur celui {\\\\ paraissait le durable, impérissable, éternel? Quoi de plus
plus fort. Et considérez comme la divine Ecri- (létestabl-i <jue ce délire, qui nous prive des
ture se hâte d'annoncer l'avenir, comme, dès biens d'eii-haut, à cause de notre trop d'amour
le commencement, nous montre les goûts
elle I)Our ceux d'ici-bas, et qui ne nous laisse
de chacun des deux frères l'un adonné à la : jamais la pure jouissance même de ces biens
chasse; l'autre, cultivant les champs, homme de la terre? Quelle est entin, je vous en prie,
sin)ple, se renfermant dans sa demeure. Aussi, l'utilité des grandes richesses? Ignorez-vous
Rél)ecca chérissait Jacob; Isaac, de son côté, que accroissement de la fortune n'est (ju'un
1

chérissait Esaii, Parce qu'il ynangeait de ce accroissement de soucis, d'inquiétude, qui


qiiEsafi prejiait à la chasse. (Ibid. 28.) Voyez chasse le sommeil? Ne voyez-vous pas que ces
la distinction él;iblie entre les enfants lanière : riches sont surtout, à vrai dire, des esclaves,
montrait plus d'amour pour Juob parc(; , d'autant plus (>sclaves i]ue la fortune leur vient
qu'elle le v(»yait maison; le
simple, retiré à la avec plus d'abondance? Et, chaque jour, il

père, de son côté, chérissait Esaù, ot parce que leur suffit do leur ombre pour les faire trem-
c'cluil le premier-né, et parce qu'il mangeait bler ; car c'est de la que naissent les trames
de sa chasse. Telles étaient les dispositions dos pertides, l'envie, les haines, et tant d'autres
jjarcnts, suivant l'inipulsion de la nature. (Ce- malheurs sans nombre. Et souvent vous voyez
pendant peu à peu s'accomplissait la projiliétie, celui qui possède dix mille talent^ d'or, enfouis
celle qui disait 1/ainé sera assujéti an plus
: e! c.ichés, envier le Inniheur de l'ouvrier qui
jeune. Voyez en effet tout de suite. Jacob, dii Joit sa nourriture au travail de ses mains. Quel
le texte, ayant fait cuire de quoi nianqvr. Ei^au est donc le plaisir, quel est donc le protit des
revint des champs bien fatigué, et il dit à Ja- richesses, puisque nous n'en jouissons pas, et
HOMÉLIES sua LA GENÈSE. - ClNQUAiNTlÈME HOMÉLIE. 337

que le désir insatiable de les posséder nous par tous les moyens; proi)Osons-nous plutôt
prive de biens plus précieux? Et à iiuoi bon de faire, de ce que nous possédons, un bon
parler de biens plus précieux, s'il faut ajouter usage; consolons l'indigence; ne perdons pas
aux niallieurs prést nts, à la perte des biens à les biens éternels,au-dessus de tout change-
venir, rétenulle torture? Et je ne parle pas ment. Car, Seigneur nous a laissé ignorer
si le

encore des péchés sans nombre, que la richesse notre dernier jour, c'est pour nous forcer à
attire et rassemble, fourberies, calomnies, ra- |)rati([uer sans cesse la vertu , à veiller tou-
pines, fraudes. Supposons un homme, atTran- jours, ù faire chatiue jour |)lus d'etïbrts pour
chi de tous ces dangers, ce qui est très-rare et devenir meilleurs. En effet, dit l'Ecriture :

trcs-difficile au sein de l'opulence; supposons Veillez, parce que vous Jie connaissez ni le jour
qu'il jouisse de ses trésors, tout seul, sans rien ni l'heure. (Matth, xxv, 13.) Or, nous faisons
communiquer aux indigents, le feu étemel tout le contraire, et nous dormons d'un plus
attend ce riche, vérité que met en toute évi- lourd sommeil que sommeil de la nature.
le
dence la parabole de l'Evangile, plaçant les Car, le sommeil naturel n'o[)ère ni bonnes ni
uns à droite, les autres à gauche, disant aux mauvaises œuvres; mais nous dormons, nous,
premiers (]ue le royaume des cieux leur est de l'autre sommeil endormis pour la vertu,
;

préparé parce qu'ils ont eu soin de l'indigence. éveillés pour les œuvres coupables, actifs pour
En effet, dit le texte : Venez., vous les bénis de le mal, paresseux pour le bien. Et nous menons
mon Père., royaume qui
possédez en héritage le celte conduite quand nous voyons, chaciue
,

vous a été préparé dés Vorigine du monde. jour, un si grand nombre de vivants quitter la
Pourquoi? Car j'ai eu faim et vous m'avez terre, quand nous voyons ceux qui restent ex-
donné à manger (Matlh. xxv, 34, 35) aux ;
posés dans la vie présente, à tant de vicissi-
autres maintenant, c'est le feu éternel que la tudes ; et cette si grande instabilité des choses
parole annonce Retirez-vous de moi maudits.,
:
.,
humaines ne nous persuade pas la vertu, ne
allez au feu éternel., qui a été préparé pour le nous inspire pas le mépris du présent, l'amour
diable et pour ses anges. (Ibid. 41.) Lourde et de la vie à venir; à ce qui n'est qu'un songe,
terrible parole le Seigneur, le Créateur du
: (ju'une ombre, nous ne préférons pas la vérité.
monde dit : J'ai eu faim et vous ne m'avez pas En quoi les choses présentes diffèrent-elles des
donné à manger. (Ibid. 42.) A ces paroles ombres songes? Eh bien désormais,
et des !

quelle àme résisterait, fut-elle de pierre? ton cessons nous tromper nous-mêmes; ne
de
Seigneur a faim, il cherche sa nourriture, et nous attachons plus à suivre des ombres. Il est
tu es dans les délices; et ce n'est pas tout; toi, bien tard, mais qu'importe? ap|)liquons-nous
qui es dans les délices, lu le méprises, quoiiju'il enfin à notre salut; vidons nos trésors dans les
ne te demande rien de précieux, rien qu'un mains des indigents, afin de mériter, par ce
morceau de pain, pour soulager la faim qui le que nous aurons fait pour eux, la miséricorde
tourmente. Il a froid, il marche pour se ré- du Seigneur. Puissions-nous tous en jouir, par
chauffer, et toi, revêtu de tissus soyeux, tu ne la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur

le regardes même pas; tu ne lui montres au- Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père,
cune compassion ; sans pitié, sans miséricorde comme au Saint-Esprit la gloire Tempire , , ,

tu poursuis ton chenun. Quelle pourrait être l'honneur, maintenant et toujours et dans les
l'excuse de cette conduite? Cessons donc de siècles des siècles. Ainsi soit-il.
n'avoir que le désir unique de tout amasser.

& J. Ch. —Tome V,


338 TRADUCTION FUiVXÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

CINQUANTE-UNIÈME HOMELIE.

<« Cependtnt il arriva une famine en ce pays-là, comme il en é:ait arrivé une au temps d'Abraham. »
(aen. XXVI. i.)

ANALYSE.

1. Coiritncritairc des vcrsels 1-3. Du 20*= chaiillro de l'imposilion dis noms propres. —
2. Commentaire des versets 4-11. Dieu,

dans ses communirations avec nous, a pins égard à noire infirmité qu'à sa dignité. —
3 E.\horlation.

i. Nos dernières paroles serviront encore de les Israélites de la domination des Egyptiens,
point de départ à noire cnsei^^nemcnt d'au- et, selon la promesse faite au patriarche , les
jourd'hui. Mais pour que voussacliiez bienoi^i arracher à la tyrannie de Pharaon , le roi d'E-
s'est leiminé notre dernier entretien , où doit gypte lutta contre Dieu, et voulut les retenir;
commencer l'entretien de ce jour, il iinjiorte, le Seigneur, après différentes plaies, infligea

mes hien-aimés, de vous rajjpeler ce (jui a élé la dernière que vous connaissez il força;

|>récédemmenl. Peiit-êire avez-vous dan.s


(lit ,
presque les Egyptiens à chasser, de leurs pro-
le grand nombre de pensées qui viennent pres mains, les Israélites. (Exode, xii.) H ordonna
vous distraire, oublié ce que vous avez en- de mettre à mort, à la fois, tous les premiers-
tendu. Mais mon devoir est de secourir volie nés des Egyptiens. C'était alors, dans toutes
)némoire, afin que le discours d'aujourd'hui les maisons, des cris de douleur et des larmes.
soit plus clairpour tout le monde. Vous savez Et les Egyptiens ne croyaient pas que le tleau
que dernièrement nous vous avons raconté la s'arrêterait là, ils pensaient que la mort, après
pieuse histoire de Hébecca; de là nous sonnn* s un tel début continuant sa course, les frap-
,

arrivés à Esaû et à .lacob, et vous avez vu le \w\m\ tous. Or, tous les premiers-nés en Egypte
droit d'aînesse, vendu à Jacob par Esaû, qui ayant subi en même temps la mort, les Israé-
avait laim. A son désir de manger, il a sacrifié lites, au contraire, par la grâce divine, étant
sa prérogative. Or, ces laits ne se sont pas ac- lestés sans atteinte, le
Dieu de tontes les créa-
complis au hasaid, mais jiour réaliser la pro- tures voulut encore faire mieux paraître sa
})hetie (lui disait : J'ai chéri Jacob, J'ai délesté bienveillance envers son peuple, et il com-
Ksaû. (Malachie, i, 2, 3.) Dieu à qui apparlient manila ipie, désormais, à cau-^e de lextermi-
vcilude l'un, la per-
la pi'escieiue, a |)ré(lit la nation des premiirs-nés de l'Egypte, les pre-
ver.^ilé de l'aulre. Mais maintenant, (pie .'•igni- miers-nes [larmi les enfants ilu peuple juif lui
fie ce droit d'aînesse? Le temps ne nous a pas fussent olferts. De là la distinction qtji a des-
pt-rmis dernièrement, mes bii-n-aimés, de tout tine la tribu de Eévi au sacerdoce, et fle la,
vous (lir(^ à ce sujet, il est nécessaire de vous l'usage d'otlrir à Dieu les premiers-nés, non-
donner aujourdhui une explication. Chez les seulement parmi les hommes, mais encore
anciens, c'était un très-grand honneur que le parmi les animaux, et les prémices de toutes
droit d'aînesse ; or, de cet honneur, voici la choses en gênerai. 11 était en outre ordonné de
cause et l'origine. Un^iH'l Dieu voulut délivrer payer une somme d^rgent. pour les hommes
HOMÉIJES SUR LA GENÈSE. - CINûUANTE-UiVÎÈME HOMÉLIE. 339

ol pour les animaux iniiiioiules. Sans doute, vous ne confondiez paslanouvelle famine avec
cette législation , (X)ncernant les premiers-nés, l'ancienne que le texte ajoute Comme il en
, :

est postérieure cependant môme dans les


; , était arrivé une au temps d' Abraham ; manière
temps anciens on voit un privilège attaché
, dédire, une autre famine, scmblaldc à l'an-
à ceux qui sortaient les premiers des flancs ma- cienne, arriva, une seconde fuis, en ce pays-là,
ternels. C'est donc cette prérogative naturelle au temps d'isaac comme il en était arrivé une
,

qu'Esaû possédait, qu'il a, dans son intempé- au temps de son père. Le manque des aliments
rance, tiansportée à son frère. Et, tandis que nécessaires les jetait tous dans une grande an-
l'un a perdu ce qu'il tenait de la nature, l'autre goisse, et les forçait de quitter leur pays pour
a gagné ce que la nature lui avait refusé. Et chercher à l'étranger les aliments dont ils

comme ces événements avaient été d'avance avaient besoin. D'où il suit que, voyant cette
prédits par un oracle, Rébecca donna à son famine, ce juste s'en alla., dit le texte, auprès
fils chéri le nom de Jacob ce que vous pouvez ,
(T Ahimélcch à Gérara ; c'était là qu'Abra-
expliquer par action de supplanter. C'est ainsi ham était allé, après son retour d'Egypte. Il

qu'Esaù se lamentant, après la bénédiction est vraisemblable qu'Isaac s'y rendit parce
soustraite à son père, disait : C'est avec raison (ju'il voulait, de là, passer en Egypte. Et ce
qu'il a
appelé Jacoh car voici la seconde
été ,
qui le prouve, c'est l'Ecriture: Carle Seigneur

fois qu'il m'a supplanté ; il m'a enlevé mon lui avait apparu, Dieu lui avait
dit le texte, et
droit d'aînesse^ et înaintenant il m'enlève la dit: N'allez point en Egypte. (Ibid. 2.) Je ne
bénédiction qui m'était due. (Gen. xxvii, 36.) veux pas, dit le texte, que vous fassiez ce long
Voyez combien grande était la sagesse des an- voyage; mais je veux que vous restiez ici, je
ciens hommes, ou plutôt combien grande a été ne veux pas que vous soyez dans les angoiï^ses,
la sagesse de Dieu, qui a fait que les mères n'ont mais j'accomplirai les promesses faites à votre
pas donné au hasard les premiers noms venus père; elles recevront en vous leur accomplis-
à leurs enfants, mais des noms qui prophéti- sement. Les promesses qui lui ont été faites,
saient l'avenir. Vous ne trouverez que rare- c'est vous qui les réaliserez. Ne descendez pas
ment des fils portant le même nom que leur en Egypte; mais demeurez dans le pays que
père ;
peut-être n'en trouverez-vous nulle part, je vous montrerai passez-y quelque temps
;

dans TEcriture mais soit qu'une mère soit; ,


comme étranger.
qu'un père donnât un nom à son fils, c'était 2. Ensuite, de peur que le juste ne s'imagine
une appellation singulière, étrange qui, par que Dieu ne lui donne
que pour lui
cet ordre
avance, signifiait quelques événements à venir. faire subir les angoisses famine et lui in-
de la

C'est ainsi que Lamecli appela son fils Noé, en terdire le passage en Egypte il lui dit Ne , :

disant : Celui-ci nous fera reposer. (Gen. v, 29.) soyez pas inquiet; n'ayez aucun souci, restez
Et de même, si vous examinez les noms un à où vous êtes : Car moi ,
je serai avec vous.
un, vous trouverez absolument dans tous un Donc, puisque vous avez pour vous celui qui
sens particulier. Ce n'est pas ce que nous fournit tous les biens quelconques, n'ayez plus
voyons aujourd'hui, que les parents donnent souci de rien ; car moi, le Seigneur de toutes les
sans réflexion , et par hasard, les noms qui se créatures, je serai avec vous. Et ce n'est pas
présentent. Autrefois , on se proposait d'atta- tout, mais, Et je vous béyiirai, c'est-à-dire, je
cher un souvenir durable aux noms de ses vous glorifierai je vous donnerai la bénédic-
,

enfants. Mais laissons cela, et voyons mainte- tion qui vient de moi. Quelle condition plus
nant après cette mutation du droit d'aînesse,
, heureuse que celle de ce juste, qui reçut de
ce que le bienheureux Moïse nous raconte du Dieu une telle promesse Je serai avec vous et :

père de cette famille. Nous avons déjà vu dans je vous béîiirai. Voilà qui montrera que vous
l'histoire du patriarche Abraham, et nous li- êtes le plus heureux, le plus riche de tous les
sons de même,
à propos d'isaac, qu'une grande hommes voilà qui fera régner autour de vous
;

famine étant survenue, il fut entouré de toute l'abondance; voilà pour vous la plus éclatante
la sollicitude du Seigneur, qui le recompen- gloire; voilà rincfîable splendeur; voilà la sé-
saitde sa propre vertu, et remplissait la pro- curité parfaite; voilà le principe de tous les
messe faite à son père. Cependant il arriva biens : Je suis avec vous cl je vous bénis. Mais
une famine en ce pays-là, comme il en était ar- comment vous bénirai-je? A vous et à votre
rivé ime au temps d'Abraham. C'est pour que race, je donnerai celle terre. On vous prend
310 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

pour un étranger, pour un Tagabond dans ces bienveillance pour vous, de quels soins, de
pays eh bien sachez qu'à vous et à votre race
; ! quelle sollicitude je vous entourerai. En effet,

toute cette terre appartiendra. Et voici pour si la vertu d'autrui est une source de bon-
vous donner de la confiance, apprenez que : heur, l'homme personnellement vertueux est
Le serment que f ai fait à Abraham,^ votre père, bien plus encore l'objet de la Providence di-
je l'accomplirai avec vous. Voyez la condescen- vine. Mais que signiûent ces paroles, parce
dance de Dieu. Il ne dit pas simplement Le : qu'ila obéi à ma voix et qu'il a observé mes
çacte que j'ai fait avec votre père, ni les pro- commandements et mes cérémonies ? Je lui di-
îmesses que je lui ai faites; mais que dit-il: sais Sortez de votre pays et de votre parenté,
:

Le serment que f ai juré. J'ai conûrmé ma pa- et venez en la terre que je vous montrerai.

role, dit-il, par serment, et je suis tenu à réa- (Gen. xn, 1.) Et il a quitté ce qu'il tenait entre
accomplir le serment que j'ai fait.
liser, à les mains ; et il a poursuivi ce qui était invi-
Voyez la bonté de Diffu il ne s'arrête pas, : sible, sans fluctuation d'esprit, sans hésitation;
quand il nous parle, à sa propre dignité; il plein d'un zèle ardent, il accomplissait mes
accommode son langage à la faiblesse de notre ordres, et il obéissait à ma voix. Je lui ai, en
nature. En effet, trop souvent les hommes se outre, promis un don supérieur à la nature, et
font un point de conscience de tenir non pas lorsque l'âge ne lui laissait plus d'espoir; lors-
leurs simples promesses, mais les promesses que mère ne pouvaient plus at-
ni lui ni votre
qu'ils ont faites sous la garantie du serment. tendre de postérité, quand ma parole lui an-
De même ici. Dieu, pour inspirer à l'homme nonça que sa race se multiplierait, au point de
juste une pleine confiance, lui annonce que remplir toute la terre, il ne s'est pas troublé,
ses paroles auront leur rigoureux accomplis- il a eu foi, et sa foi lui a été imputée cà justice.
sement. Sachez bien, dit-il, que ce que j'ai juré Par sa foi en ma puissance, par son espérance
se réalisera. Quoi donc, dira-t-on, Dieu a jurél en mes promesses, il s'est montré supérieur à
Et par qui a-t-il juré? Vous voyez que son lan- la faiblesse humaine. Et depuis votre nais-
gage s'accommode à notre faiblesse; ce qu'il sance, quand votre mère voyait avec chagrin
appelle un serment, ce n'est que la confirma- Ismaël, le fils de la servante; quand elle vou-

tion de la promesse. J'accomplirai, dit-il, le lut le chasser avec Agar, pour qu'il n'eût rien
serment que fai juré à Abraham, votre père. de commun avec vous, ce patriarche, malgré
Il lui montre ensuite quelles ont été ces pro- sa naturelle affection, malgré l'amour paternel
messes, faites sous la garantie du serment Je : qu'il ressentait, n'écouta que l'ordre que je lui
multiplierai vos enfants comme les étoiles du donnai, de faire ce que voulait Sara; il oublia
ciel. (Ibid. A.) C'est ce qu'il disait au patriarche sa tendresse naturelle ; il chassa Ismaël, avec la
dans le commencement Vos enfants égaleront: servante, et toujours il a obéi à ma voix, et il

en nombre les étoiles et les grains de sable. a gardé mes commandements. Enfin, quand
Et je donnerai à votre postérité tous ces pays je lui ai commandé de m'offrir eu sacrilice cet
que vous voyez, et toutes les nations de la terre enfant accordé à sa vieillesse, ce fils tant chéri,
seront bénies dans celui qui sortira de vous. il n'a cherché aucun montré
prétexte, il n'a
Et maintenant, voici pourquoi les promesses aucune curiosité indiscrète sa pensée n'a pas ;

\\\\ lui ont été faites se réaliseront en vous : été confondue il n'a révélé, ni à votre mère, ni
;

C'est parce qrC Abraham, votre père, a entendu uses serviteurs, ni à vous-même l'action qu'il
ma voix., qu'il a observé les commandements et allait faire ; d'une âme forte, d'une volonté
les cérémo?iics et les lois que je lui ai donnés. allègre, ardente, il s'est hâté d'accomplir mou
(Ibid. 5.) Voyez la sagesse de Dieu, comme il commandement. Et moi, en conséquence, j'aj
réveille la pensée du juste, anime son ardeur couronné sa volonté, sans permettre à l'œuvre
et le dispose à suivre l'exemple de son père, de s'accomplir. Et voilà pourquoi, parce qu'en
car si ce père, dit-il, parce qu'il a obéi à ma toutes choses il m'a montré la perfection de
voix, a été jugé digne d'une si grantle pro- son obéissance, son zèle à garder mes com-
messe si, en considération de sa vertu, je dois
; mandements, vous qui êtes né de lui, vous
accomplir cette promesse en vous qui êtes sorti êtes, je le veux, l'héritier de toutes les pro-
de lui, supposez qu'a votre tour, vous suiviez messes qui lui ont été faites.
son exemple,que vous marchiez dans la même 3. Imitez donc Tobéissance de ce juste ;
route que lui, considérez alors quelle sera ma ayez foi en mes paroles, pour mérit^ir à&è
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE, — CINQUANTE-UNIÈME HOMÉLIE. 341

récompenses beaucoup plus belles encore, qui nements; qui assurait au juste, une si grande
vous seront décernées en considéralion de la sécurité. Considérez, en effet, le soin que [»rend
vertu de votre père, et pour votre pro|)re obéis- le roi, pour qu'il n'ait rien à craindre, pour
sance. Et ne descendez pas en Egypte, mais qu'il soit affranchi de toute inquiétude. C'est
demeurez ici. Avez-vous bien compris la misé- de la mort (ju'il menace, dit le texte, quiconque
ricorde de Dieu cette manière de rappeler la
; le touciiera, lui ou son épouse. En effet, c'était
vertu du père, pour fortifier l'âme du fils? celte crainte, la crainte de la mort, entendez
Isaac demeura donc à Gérara. (Ibid. 6.) Voyez, bien, qui avait ébranlé son âme; pour cette
il lui arrive de courir à peu près les mêmes raison, le Seigneur miséricordieux l'en délivre,
dangers que son père car, comme il habitait ;
pour ([u'il vive ensuite dans une parfaite sécu-
à Gérara Les habitants de ce pays-là lui de-
: rité. Et voyez quel sujet d'étonnement et d'ad-
mandant qui était Rébecca son épouse^ il leur miration ! comment cette sagesse industrieuse
répondit : C'est ma sœur (Ibid. 7), parce qu'il tourne toutes choses à sa volonté, découvre en
avait peur que les gens de ce pays ne le mis- dehors de tout chemin frayé, la voie qui lui
sent à mort, à cause de la beauté de son épouse. convient, et, dans les obstacles mêmes, dans
De crainte^ dit le texte, que les hommes de ce les difficultés qui la contrarient, les circons-
pays ne le fissent mourir à cause de Rébecca, tances de nature à procurer le salut de ses
parce qu'elle était belle. Il se passa ensuite serviteurs. De là vient que ce roi montre tant
beaucoup de temps et, comme il demeurait^ d'intérêt pour l'homme juste. Il lui sert comme
toujours dans le même lieu, il arriva qu'Abi- de héraut, devant tous ceux qui habitent le
mélech vit Isaac qui se jouait avec Rébecca sa pays ; il annonce sa gloire, tous les honneurs
fcmme^ et il rappela et lui dit : Est-ce que tout le culte dont il faut l'entourer. C'est ainsi
c'est votre femme ? Pourquoi donc avez-vous que Nabuchodonosor, après avoir jeté les trois
dit que c'est votre sœur? (Ibid. 8, 9.) Convaincu jeunes gens dans la fournaise après avoir ,

par des preuves, le juste ne dissimule plus éprouvé par la réalité des faits la vertu de ses
la vérité; il la confesse, et il explique pourquoi prisonniers, se met à célébrer leurs louanges,
il sœur. En
l'appelait sa effets dit le texte, j'ai et sa langue devient partout l'instrument de
eu peur qu'on ne me fit mourir à cause d'elle. leur gloire. C'est par là que se manifeste, au
C'est la cramte de la mort qui m'a fait tenir plus haut degré, la puissance de Dieu il fait ;

cette conduite. Peut-être aussi avait-il appris que ennemis mêmes célèbrent ses servi-
ses
que son père avait, pour sauver ses jours, re- teurs. Ce furieux qui avait ordonné d'embraser
couru au même moyen; et il fit ce qu'avait cette fournaise, voyant que la vertu des trois
fait son père. Mais le roi, se souvenant encore jeunes gens, grâce au secours d'en-haut, triom-
de ce que lui avait valu, au temps du patriarche, phait des flammes, le voilà soudain converti, il

l'enlèvement de Sara, s'amende aussitôt et lui crie d'une voix bruyante : Serviteurs du Dieu
dit Pourquoi avez-vous fait cela? peu s'en est
: Très-Haut. (Daniel, ni, 26.) Voyez, il exalte
fallu que quelqic'tm de nous n'ait été reposer au- non-seulement leur élévation, mais aussi le
près de votre épouse^ et vous nous auriez fait tom- Seigneur Dieu de l'univers Serviteurs., dit le :

ber dans l'ignorance. (Ibid. 10.) Cette ruse, dit-il, texte, dit Dieu Très-Haut, sortez. Que s'est-il
nous l'avons jadis expérimentée de la part de donc passé? N'est-ce pas vous qui les avez
votre père et aujourd'hui si nous ne nous étions
;
livrés à la torture n'est-ce pas vous qui avez
;

arrêtés à temps, voi{S nous auriez fait tomber allumé cette fournaise si ardente? Sans doute,
dans l'ignorance; c'est-à-dire, autrefois nous dit-il mais ce que je vois maintenant est
;

avons été sur le point de pécher par ignorance, et étrange, prodigieux. Voici que l'élément s'ou-
aujourd'hui encore, vous avez presque été cause blie ; des liens mystérieux l'enchaînent, et le
que nous allions commettre un péché d'igno- feu obéissant, n'ose pas même toucher leurs
rance. Or Abimélech fit cette défense à son peu- cheveux. Ce qui montre qu'il y a ici quelque
ple: Tout homme qui touchera cet homme-là, ou chose qui surpasse la nature humaine, l'œuvre
sa femme, sera puni de mort. (Ibid. 11.) Voyez ineffable d'une puissance divine qui s'intéresse
la providence de Dieu ; voyez le soin ineffable. au plus haut point à ces jeunes gens. Avez-vous
Car celui qui avait dit . Ne descendez pas en bien compris cette miséricorde de Dieu, qui
Egypte, habitez dans cette terre, et je serai n'abandonne jamais ses serviteurs, tout en

avec vous, c'était lui qui disposait tous ces évé- permettant qu'on les jette dans la fournaise,
342 TMDUCTION FRANÇAISE DE SATNT JEAN CHRYSOSTO.AIE.

parce qu'elle veut ajouter à leur gloire, faire Ils les tenaient entre leurs mains et ils ne sa-
éclater sa puissance? Et voilà pourquoi elle vaient qu'en faire. Voilà la puissance, voilà la
adoucit rame d'un barbare pourquoi elle ;
force de la vertu, voilà la faiblesse de la mali-
montre où serait
tant de patience. Et en effet, gnité, la vertu souffre et triomphe ; la malignité
la merveille, si tout d'abord Dieu avait défendu réussit, et n'aboutit qu'à trahir sa naturelle im-
qu'on les jetât dans la fournaise? Ce qui est puissance.
plus merveilleux, plus étrange, c'est qu'au sein Dans ces pensées, mes bien-aimés, attachons-
même des flammes, ils n'ont rien souffert; car nous à la vertu, et fuyons la perversité. C'est
Dieu n'a qu'à vouloir, même au milieu des ainsi que nous acquerrons la grâce ,d'en-haut,
périls et des tortures, il double les forces de et que nous obtiendrons les biens à venir; et

ceux qui souffrent, et les persécutés sont plus puissions-nous tous les conquérir, par la grâce

forts que les persécuteurs. C'est ce qui est arrivé et par la bouté de Notre-Seigneur Jésus-Christ,
pour les apôtres. Ceux qui les tenaient en leurs à qui appartient, comme au Père, comme au
mains, qui les traînaient captifs au milieu des Saint-Esprit, la gloire, l'empire, l'honneur,
peuples, qui grinçaient des dents, pour ainsi maintenant et toujours, et dans les siècles des
dire, en les menaçant, se disaient entre eux : siècles. Ainsi soit-il.

Que ferons-nous de ces hommes ? (Act. iv, 16.)

CINQUANTE-DEUXIÈME HOMÉLIE.

< laaao aâma ensuite en ce pays-là, et il reoueillit, l'asoée môme, le centuple, > (Gea. XXVI, 13.)

ANALTSe.

1. Commentaire des versets 12-16. Jalousie des Gérarcniais. 2. —


Commcnlairc des versets 17-22. Rien n'est plu? fort
que riiomme que nicu secourt. En quoi consiste la vr.iie inan.-uélulc. P.ili-nce d'Isasc. —
^. Reconnaissance d'Isaac. Pien

veut que nous lui rendions grAces. Explication des versets 23-29. Pourquoi Dieu se dit le Dieu d'Abraham. 4. Explication —
des versets 30-33. — 5. Exhortation morale.

i. Ce sont les restes d'hier qu'il convient de eut peur de ce qu'il prolongeait son séjour,
vous servir aujourd'hui, mes bien-aimés re- ; et on le força à partir. Mais il convient d'en-
prenons la suite de notre entretien, et voyons tendre les paroles mêmes de l'Ecriture, afin
encore (juclle glorieuse marque reçut le juste de voir éclater en toutes choses la bienveil-
Isaac de la providence d'en-liaul. Car celui qui lance de Dieu pour ses servit«,'urs. Isaac sema
lui avait défendu de descendre en Egypte, en ensutfe en ce pays-là^ et il recueillit, l'année
lUi disant ces paroles Demeurez dans le pays
: f7ième, le centuple. Voyez ici, je vous en prie,
où vous êtes et je serai avec vous, Va. rendu
^ la sagesse de Dieu, montrant au juste que c'est

illustre au point d'exciter bientôt la ja- lui ([ui est le créateur de la nature; (lue pour

lousie du roi de Gérara. En etfel , à voir lui, le difficile est facile, et que celui qui, dès

tous les jours s'accroître ses riclicsses ^ ou le commencement, parce qu'il l'a voulu, a
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. - CINQUANTE-DEUXIÈME HOMF^LIE. 34:)

rendu la terre fertile, est le même qui fait en pratiquent la vertu, ce qu'il promet, depuis
ce moment que la semence produit le cen- son avènement parmi nous, ce n'est plus le
tuple; il lui envoie des biens en si ^a'ande centuple seulement, c'est la vie éternelle, c'est
abondance, que le juste n'a besoin de rien, la possession du royaume des cieux. Compre-
et en nit'uie prouve aux autres
temps il nez-vous la libéralité du Seigneur? Compre-
par des faits sensibles, de quelle grande faveur nez-vous l'accroissement des bienfaits? Com-
riionune juste est comblé par la grâce d'en- prenez-vous quelles largesses accompagnent
liaut. C'est en effet la conduite ordinaire du l'avènement du Fils unique de Dieu, quelle
Tout Puissant, du Dieu plein de sagesse les : ineffable révolution il a opérée? Donc, que
bienfaits qu'il répand sur les siens, lui servent chacun de nous, méditant ces pensées en lui-
à prouver, à ceux qui sont encore dans l'er- même, et comprenant la différence entre les
reur, quelle est sa providence et son pouvoir. promesses faites aux anciens hommes avant la
C'est ce qu'il fit plus tard, en Egypte encore : grâce, et celles qui nous sont faites aujour-
aux Egy|)liens il infligeait des supplices ;
pour d'hui, depuis la grâce, glorifie encore à ce
les Israélites, il les conservait liors de toute tilre l'immensité de la miséricorde divine, et
atteinte. Ainsi l'Egypte apprenait, non-seule- se garde bien de tout attribuer à la di-
ment par rin.iignalion du Dieu qui la punis- versité des temps. Mais il convient de re-
sait, la puissance de l'artisan (jui a fait toutes prendre la suite de notre discours , pour
choses, mais aussi par la sollicitude, dont il voir comment les habitants de Gérara, jaloux
donnait tant de marques aux Israélites. Et des richesses qui abondaient chez l'homme
maintenant ceux-ci, pour apprendre combien juste, s'efforcèrent de le chasser de leur pays.
ils étaient chers à Dieu, n'avaient pas seule- En effet, dit le texte, ces richesses excitèrent
ment les preuves tant répétées de sa Provi- l'envie des Philistins. (Ibid. 14.) La divine
dence, de sa sollicitude pour son peuple, mais Ecriture , voulant ensuite montrer comment
aussi tant de fléaux qui, chaque jour, tom- ils manifestèrent leur envie, ajoute : Tous les

baient sur leurs tyrans. Et c'est ainsi que, par puits que les serviteurs d'Abraham avaient
les mêmes moyens. Dieu révélait, et à ses ser- creusés de son vivant, ils les bouchèrent et les

viteurs et à ses ennemis, la grandeur de sa remplirent de terre. (Ibid. 15.)

puissance. H n'est pas jusqu'aux éléments qui Considérez la méchanceté des gens qui habi-
ne s'emploient pour servir ceux qui ne sont taient ce pays ; les voilà qui refusent de l'eau
également que des serviteurs, lorsque Dieu a à l'homme juste; et le roi, qui avait un si

résolu de montrer à ces serviteurs, sa bienveil- grand pouvoir, ne put pas réprimer celte ja-
lance et c'est ce qui arrive à ce juste. La terre
; lousie, mais il dit Retirez-vous d'avec nous,:

montre une fécondité qu'elle n'a pas autre parce que vous êtes devenu beaucoup plus
part; pour obéir au Dieu de l'univers, elle de- puissant que nous. (Ibid. d6.) Quel délire I

vient si fertile qu'elle fait tout à coup régner Pourquoi chasses-tu le juste? T'a-t-il fait au-
la richesse et l'abondance dans la maison d'I- cun mal? T'a-t-il fait quelque tort? Mais voilà
saac. Et le Seigneur le bénit, dit le texte. Et ce qu'est l'envie; toujours déraisonnable. Il

Vhomme s'élevait et grandissait en puissance, aurait fallu, puisqu'on voyait ce juste en si


jusqu'à ce qu'il fût devenu tout à fait grand. grande faveur auprès du Dieu de l'univers
(Ibid. 12, 13.) C'est parce que la richesse des s'attacher de plus en plus à lui; l'honorer,
justes consistait alors dans la fertilité de la afin que par honneurs qu'on lui aurait
les

terre,dans la muUilude des troupeaux, c'est rendus, on s'attirât à soi-même la divine fa-
pour cela que le texte dit Et le Seigneur le ; veur. Ce roi, non-seulement ne l'entend pas
bénit , et Vhomme s'élevait , c'est-à-dire deve- ainsi , mais il essaye de le chasser, et il lui dit :

nait riche ; non pas d'une richesse ordinaire, Retirez-vous cCavec nous parce que vous êtes ,

mais, dit le texte, il grandissait en puissance, devenu beaucoup plus puissant que nous. C'est
jusquà ce qu'il fût devenu tout à fait grand. la conduite ordinaire de l'envie; elle ne peut

Considérez, en effet, ce que c'était que de re- voir avec complaisance le bonheur des au-

cueillir, pour ses semences, le centuple. Que tres ;bonheurle du prochain parait à l'en-

si cela vous parait étonnant, considérez ce que vieux un malheur personnel, et il se des-
la clémence infinie de Dieu nous a fait voir, sèche quand il voit l'abondance d'autrui ;
avec le progrès des temps. Aux hommes qui c'est ce qui arrive en celte occasion. En
344 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

effet, ce roi qui commandait à out un peuple, sa colère (I Rois. xix);de même ce juste accom-
qui avait tout sous sa main, dit à ce voyageur, plissait la parole de l'Apôtre : Laissez de l'es-

à cet homme errant, qui passe d'un pays dans pace à (Rom. xii. 19.) Donc il quitta
la colère.

un autre Retirez-vous d'avec nous, parce que


:
la ville, et s'en alla dans la vallée. Voyez d'ail-

vous êtes devenu beaucoup plus puissant que leurs quelle douceur encore il montra dans ce

nous. Eh bien! oui, il était vraiment plus nouveau séjour. Car ce ne fut pas là le terme
puissant, parce qu'il avait, en toutes choses, de ses ennuis même dans cette autre rési- ;

pour lui le secours d'en-baut, et la droite de


,
dence comme il voulait creuser des puits, on
,

Dieu était son appui. Où donc envoies-tu ce lui suscita des querelles. En effet, dit le texte :

juste que tu chasses? Ignores-tu donc que par- // ftt creuserde nouveau d'autres puits que les
tout où tu le contraindras d'aller, il sera tou- serviteurs d'Abraham son père, avaient creu- ,

jours dans les domaines qui appartiennent à sés, et que les Philistins avaieiit bouchés, et il

son Seigneur? L'expérience ne t'a donc pas leur domia les mêmes noms que son père leur
appris que c'est la main de Dieu qui glorifle avait donnés auparavant. Ils fouillèrent aussi
ce juste, et le conserve? Pourquoi donc, en au fond du torrent , et ils y trouvèrent de Veau
chassant ce juste, montres-tu ton délire en- vive , c'est-à-dire de l'eau qui coulait dessous;
vers son Seigneur? Ainsi la parfaite douceur mais les pasteiws de Gérara firent encore là une
de ce patriarche n'a pas triomphé de ta haine querelle , en disant que l'eau leur apparte-
jalouse et toi
, vaincu par ton mal , tu veux
, nait.

accomplir l'œuvre de l'envie , et tu forces à Ici encore, le juste ne discute pas, ne résiste
une nouvelle émigration celui qui ne t'a fait pas; cède aux bergers; c'est que la vraie
il

nulle offense! Ignores-tu donc qu'alors même douceur ne consiste pas à supporter les offenses
que tu l'auras poussé dans la plus profonde des plus forts mais à céder, même quand on
,

(les solitudes , il verra encore près de lui son est offensé par ceux qui paraissent plus faibles.
Seigneur, assez habile pour le revêtir, même Alors en effet, la modération peut être attri-

au sein du désert, d'une gloire plus éclatante buée uniquement à la douceur; autrement on
encore? Non, rien n'est plus solide que celui pourrait traiter de douceur feinte l'impuis-
qui marche avec l'aide d'en-haut; de même sance où l'on se trouve de résister aux plus
que rien n'est plus infirme, que l'homme forts. Ce qui prouve clairement qu'Isaac. cé-

privé d'un tel secours. dant au roi, n'a pas reculé devant sa puissance,
2. Avez- vous bien vu, mon bien-aimé, la mé- mais n'a fait qu'écouter sa douceur naturelle,
chanceté du roi de Gérara et de tous les habi- c'est qu'il lient la même conduite à l'égard des
tants de ce pays?Voyez maintenant l'extrême bergers. Et, de même qu'il s'est retiré quand
douceur du juste; il ne s'abandonne pas à l'autre lui disait : Retirez-vous d'avec nous; de
l'orgueil, môme quand les effets lui prouvent même (ju'il obéissait aussitôt comme à un
que Dieu l'assiste; quoique fort du pouvoir ordre, de même ici, quand les bergers veulent
d'un tel compagnon d'armes il ne se révolte , lui faire du mal, et revendicjuent, pour eux,
pas contre le roi. Comme un honmie qui n'a le puits, il s'éloigne. Il fallait conserver à ja-
aucun appui , (jui n'attend de (juelque part , mais, dans la postérité , le souvenir de cette
que ce soit, aucun secours, avec une parfaite injustice; il donne au puits un nom pris de ce
douceur, sans résister, même d'un mot, il fait (jui était arrivé. En effet , l'injustice était

ce tiue le roi lui commande, et aussitôt il se criante, et // appela ce puits Injustice, à cause
relire de ce pays, il s'éloigne, il apaise la co- de ce qui était arrive. C'était comme une co-
lère et l'envie du méchant; en môme temps lonne d'airain qui devait être, pour la posté-
qu'il montre cette rare douceur qui le distin- rité, un monument de
la douceur de l'honnue

gue, il adoucit les sejitiments haineux (jui trou- juste de l'iniquité des autres. Le nom était
, et
blent le cœur de l'autre. Et Isaac se retira ,
composé de telle sorte que tjuiconque deman-
et vint habiter prés du torrent de Gérara. (Ibid. derait i>ourquoi le lieu s'appelait ainsi, appren-
17.) Il lit ce que le Christ reconnnandait à ses drait et la vertu du patriarche, et la méchan-
di8cii)les : Quand ils vous poursuiv7'otit fuf/cz , ceté de ses ennemis. Remarquez, je vous en
dans un autre lieu. (Malth. x. 23.) Et connue prie, comment, ici encore, les contrariétés
David apaisait la haine de Saùl en se retirant, agrandissent la vertu de Thomme juste, qui
en se dérobant à ses ^eux, el tcmpcrail ainsi iBOutre en toutes choses sa douceur ; cl corn-
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. ~ CINQUANTE-DEUXIEME HOMELIE. 345

ment ces méchants, quoi qu'ils prétendent, n'est aussi agréable à Dieu que la reconnais-
ne s'agitent que pour faire mieux éclater la sance, qui lui rend des actions de grâces; il
gloire de l'iiomme juste. Il ne leur suflit pas nous comble chaque jour de bienfaits sans
de ce qu'ils avaient fait; un autre puils est nombre, que nous le voulions ou que nous ne
creusé; nouvelle querelle, nouvelles pour- le voulions pas; soit que nous le sachions, soit
suites. Etant parti de /à, dit le texte, il creusa à notre insu; et cependant il n'exige de nous,
wi autre puits; ils le querellèrent encore au pour les biens qu'il nous accorde, que des ac-
sujet de cet autre puits , et il le nomma Inimi- tions de grâces; et ces actions de grâces, pour
tié. (Ibid. 21.) Remarquez encore ici la pru- qu'il lui soit permis de grossir nos récom-
dence de l'homme juste; ne supprimèrent
ils penses. Pénétrez-vous de cette pensée. Voyez
pas tout à fait ce puits , à ce qu'il semble, mais comment la reconnaissance de ce juste lui a de
ils suscitèrent une querelle; l'injustice parut nouveau mérité la visite d'en-haut. Car, comme
manifeste, et ces méchants se retirèrent. Voilà il avait montré de nobles marques de sa vertu,

pourquoi le patriarche appela ce puits Inimi- et auprès des habitants de Gérara, et quand le
tié; c'est qu'il avait été une occasion d'inimi- roi le chassait, et quand les bergers détrui-
tié. C'était d'ailleurs, presque chaque jour, les saient ses puits, le Seigneur plein de bonté,
mêmes attaques de la part des habitants du veut fortifier encore ce vertueux zèle déjà il ;

pays. Le juste ne s'indigna pas, ne montra au- chérissait le patriarche à cause de son insigne
cune faiblesse. Il ne réfléchit pas en lui-même, douceur. Après qu'il fut parti de là pour se
il ne dit pas : Il ne m'est plus même donné rendre au puits du Serment, le Seigneur lui
d'avoir des puits ? Ne suis-je pas privé du apparut dans la nuit, et lui dit : Je suis le
secours d'en-haut? Le Seigneur ne m'a-t-il Dieu d'Abraham votre père, ne craignez point
pas tout à fait oublié? 11 ne dit ni ne pensa parce que je suis avec vous, et je vous bénirai y

rien de pareil , mais il souffrit tout, avec et je multiplierai votre race à cause d'Abraham
une douceur parfaite; et, parla, il mérita votre père. (Ibid. 23, 24). Le Seigneur, dit le
d'obtenir, de Dieu, un plus puissant secours. texte, lui apparut dans la nuit. Voyez le soin
Tous ces événements étaient pour ainsi dire que prend Dieu de le ranimer, de raviver sa
un exercice destiné à fortifier la vertu de confiance. Il lui apparaît, et lui dit : Je suis le
l'homme juste. En effet, dit le texte Etant : Dieu d'Abraham votre père; j'ai glorifié votre
parti de là, il creusa un autre puits, pour le- père, et je l'ai rendu fameux; c'était un pèlerin,
quel ils ne disputèrent point : c'est pourquoi il un voyageur, que j'ai rendu plus illustre que
lui donna le nom de Largeur, en disant Le Sei- : tous les habitants du pays. C'est moi qui ai'
gneur nous a mis maintenant au large, et nous fait sagrandeur, et en toutes choses j'ai pris
a fait croître en biens sur la terre. (Ibid. 22.) soin de lui; c'est moi donc, ^e craignez point.
3. Voyez la sagesse de l'homme juste; quand Que signifie ce Ne craignez point? Ne vous
on voulut détruire ces premiers puits, il souffrit étonnez pas d'avoir été chassé par Abimélech,
sans se plaindre, sans résister; mais les noms insulté [)ar les bergers votre père a enduré
;

seuls qu'il donna aux puits, suffirent pour y un grand nombre de pareilles épreuves, et sa
attacher le souvenir ineffaçable de la méchan- gloire s'en est accrue; donc que cela ne vous
ceté de ces gens-là. au contraire on ne
Ici , , épouvante point. Parce que je suis avec vous.
lui suscita aucun embarras il lui fut permis de ; Si je permets ces choses, c'est que je veux ma-

jouir, en toute liberté, du fruit de ses fatigues ;


nifester votre vertu, faire éclater en même
le juste attribue tout à Dieu. En effet, dit le temps leur perversité, afin de vous donner
texte : nom de Largeur ; et en-
Il lui donna le pour toutes ces raisons la couronne Parce que ;

suite, pour exphquer ce nom, il dit Voici : je suis avec vous. Et par conséquent vous serez
pourijuoi je l'appelle Largeur. Le Seigneur nous invincible, plus fort que vos persécuteurs, plus
a mis maintenant au large, et nous a fait croître puissant que ceux qui vous attaquent, et je
en biens sur la terre. Âvez-vous compris cette prendrai de vous un tel soin, que vous serez
piété qui oublie tant de difficultés, tant d'obs- pour eux un objet d'envie, Parce que je suis
tacles; qui ne se souvient que des bienfaits, avec vous, et je vous bénirai, et je multiplierai
afin d'en rendre grâces à Dieu, et qui dit Le : votre race à cause d'Abraham votre père.
Seigneur nous a mis maintenant au large, et Considérez la bonté de Dieu ; il dit :

nous a fait croître en biens sur la terre ? Rien Je suis le Dieu d'Abraham votre père , il
316 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CIlRYSOSTOiîE,

montre comment il s'est .ittaché le patriar- avons V7t qve


Soigneur est avec vous et nous
le

che, an noint qu'il ne dédaigne pas de s'ap- avons dit entre nous et vous une al-
: fais .//r!

peler le Dieu dAbr liam, au point que lui, liance qidserajurée de paît et d'autre, afin que
le Seigneur et Créât* ir de l'univers, s'appelle vous ne ?ious fassiez aucun tort, comme nous
le Dieu d'un seul liomme, non qu'il veuille n'avons rien fait pour vous offe7iser, et comme
réduire à ce seul palriarche tout son empire, nous vous avons bien traité, vous ayant laissé
mais parce qu'il veut témoigner son affection aller en paix comble de la bénédiction du
,

singulière pour lui ; je rne le suis atta- Seigneur. (Ibid. 28, 29.)

ché , dit-il ,
j'en ai fait ma propriété , à ce 4. Voyez de la douceur, la puissance
la force
poiat qu'à lui seul, il semble compenser tous de la vertu.Ceux qui d'i.bord l'avaient chassé
les autres; par cette raison, je multiplierai viennent maintenant trouver ce voyageur, cet
votre race à cause d'Abraham votre père. Je lui homme qui n'appartient a aucune ville, ce va-
dois, dit-il, de grandes récompenses pour son gabond, et non-seulement ils se justifient de
obéissance envers moi donc, à cause de lui. ; ce (jui est arrivé ils lui demandei t de leur
,

Je multiplierai votre race. En même temps, il pai donner leurs torts, m;iis ils proclament la
rem[)lit le juste de confiance, et, en pronon- vertu de l'homme juste ils montrent la peur :

çant le nom de son père, il provoque en lui le qu'ils éprouvent, ils avouent leur faiblesse, ils
vif désir de rejjroduire la vertu paternelle. Or, poî îeiit un témoigi.agt.' de la grande [tuissance
après avoir reçu les promesses de tant de biens, de Ihoinme juste. En elî :l, quoi de plus fort
il éleva un autel en ce lieu, dit le texte, et il in- que celui qui a Dieu avec lui"^ Nous avom vu,
voqua le nom du Seigneur, et il y dressa sa dit le texte, que le Seigneur est avec vous. D'où
tente. (Ibid. 2îi.) Qu'est-ce à dire : // éleva un vous est venu cette science? assurément, ré-
autel en ce lieu-là? Il rendit, dit le texte, des pondent-ils, les faits mêmes nous instruisent ;

actions de grâces au Seigneur qui avait montré nous vous avons vu, vous, chassé, plus fort que
tant de sollicitude pour lui, Et les serviteurs ceux qui vous chassaient; vous, tourmenté, su-
d'Isaac creusèrent là im puits; le juste enfin périeur à ceux qui vous tourmentaient; et la
vécut là en toute sécurité ; car Celui qui avait suite des événements nous a fait comprendre
dit : Je suis avec vous, et je vous bénirai^ et je que vous jouissiez du seci urs d'en-haul. C'est
multiplierai votre race, Celui-là môme le glo- l'œuvre de la divine sagcs-e, que leur pensée
rifia, et le rendit plus grand aux yeux de tous. ait été frappée des méiit' s du juste, et qu'ils
Eh bien! voyez donc cet Abimélecli, qui entre- aient acquis cette connais.-ance. Car, puisque le
prit de le chasser, et (jui lui dit : Retirez-vous Seigneur est avec vous, faisons entre 7wus et
davec nous; maintenant, c'est lui qui va trou- v(jus, îine alliance, qui sera jurée. Voyez comme
ver le patriarche. En etl'et, dit le texte : Abi- rimjtulsion de la conscient eles réduit viteàs'ac-
mélech, et le chef du rjyiiécée, et le général de cuser eux-mêmes, sans que personne les y con-
son armée vinre?it, et Isaac leur dit : Pourquoi traigne, ni leur reproche ce qu'ils ont fait. Car,
êtes-vons venus vers moi, vous qtd m'avez haï si vous n'aviez pas commis une injustice, pour-
et m'avez chassé loin de vous? (Ibid. 20, 27.) (juoi ilemandtTiez-vous au juste de faire avec
Voyez, je vous en prie, la douceur du juste à ; vous une alliance? Mais telle est la conduileordi-
'l'aspect de ceux qui l'avaient forcé à fuir, qui naiie de l'honnue injuste: chaque jour sa con-
l'avaient poursuivi avec tant de haine, et cpii science le ronge, et dans le silence de l'offensé,
viennent niaintenant auprès de lui, comme des ceux qui ontcommisl'injuptice, croient (ju'il lui
su|)pliants, il ne les reçoit pas avec orgueil la ; est dû une réparation parle châtiment. Ccsont
vanité n'égare pas son âme, la pensée des des angoisses de chaque jour, et les méchants
choses (jue Dieu lui a dites, ne l'enivre pas; on seml»lentsecon(lanuiereu\-mêmesàlaj)unition
ne le voit pas superbe de la force du Seigneur, de leurs fautes. C'est dans cette pensée qu'ils
s'élever contre le roi ; c'est toujours la même disent : Faisotis , entre )wus et vous, une
mansuétude, la même affabilité; il leur dit: alliance, qui sera jurée. Ils expliquent ensuite
Pourquoi ctcs-V(n(s venus vers moi, vous qui quelle sera cette alliance : Afin que vous ne
m'avez haï, et m'avez chassé loin de vous? nous fassiez aucun tort, comme nous n'avons
Pourquoi, leur avoz-vous pensé à venir
dit-il, rien fait pour vot/s offenser. Voyez la contra-
me trouver, moi que vous avez chassé, moi diction où les jette la crainte qui trouble leur
que vous avez haï ? Ils lui répondirent : I^ous esprit : Afin que vous ne nous fassiez aucun
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — CINQUANTE-DEI'XIÈME HOMÉLIE. 347

tort. D'où vous vient celte crainte, que vous 32, Vous voyez, ici encore , un lieu qui
33.)
inspire le juste quand vous le voyez montrer
,
prend son nom des événements qui s'y sont
tant de douceur envers ceux qui l'altaciuaient? passés. Comme on creusa un puits sans y trou-
C'est qu'il y a un juge incorruptible, la cons- ver de l'eau, le jour que l'on fit le serment, on
cience, qui les a réveillés , qui leur a montré appela le lieu le puits du Serment, afin de con-
toute leur perversité envers riioinme juste. server le souvenir du fait (jui s'y était passé.
Yoilà pourquoi ils ont peur; et la peur ne leur Voyez-vous comment ce juste, qui ne reçut pas
laisse pas voir qu'ils se contredisent : Afin l'éducation de la loi qui n'a pu se proposer
,

que vous ne Jious fassiez aucun to?t, dit le pour modèle aucun homme vertueux, mais
texte, comme 7ious n avons rien fait pour vous qui a suivi les traces de son père, qui n'a
offenser. Pourquoi donc m'avez-vous chassé ? écouté que la conscience, ce maître naturel
mais le juste ne leur demande aucune expli- que nous portons en nous a montré la per-
,

cation ne redresse aucune de leurs pa-


, et il fection de la sagesse? Toutes ces actions n'in-
roles. Et comme, dit le texte nous vous avons , diquaient pas seulement la douceur de celle
bien traité, vous ayant laissé aller en paix, âme juste il y a plus, sa conduite réalisait les
;

comblé de la bénédiction du Seigneur. Vous préceptes du Christ. Vous savez les préceptes,
voyez qu'ils redoutaient la vengeance d'en- les conseils que le Christ adressait à ses disci-
haut; ils savaient bien que si l'homme juste, , ples, il leur disait de ne pas aimer seulement
plein de douceur ne se vengeait pas du mal
, ceux qui les aiment mais de prouver leur
,

qu'ils lui avaient fait, Celui qui le protégeait, affection à leurs ennemis. (Matlh. v. Al.) Et
d'une manière si demanderait des
manifeste ,
c'est ce que pratiquait ce juste, un si grand
comptes à ses persécuteurs. Par ces raisons, ils nombre d'années auparavant; et il exerçait
apaisent l'homme juste ; ils tiennent à faire un généreusement l'hospitalité envers ses persé-
pacte avec lui, et en même temps qu'ils se jus- cuteurs acharnés, et il bannissait de son âme
tiOent du passé, ils cherchent à se mettre en sû- tout désir de vengeance.
reté pour l'avenir. Isaac leur fit donc mi fes- Quelle sera donc notre excuse, à nous qui,
tin, dit le texte, et ils mangèrent et ils burent , après la grâce, après tant d'enseignements,
ensemble, et ils se levèrent le matin et l'alliance instruits par les préceptes du Sauveur, ne pou-

fut jurée départ et d'autre, et Isaac les congé- vons pas atteindre à la mesure de ce juste, et
diai les laissa s'en retourner. (Ibid. 30, 31.) que dis-je à sa mesure? Nous ne pouvons
,

Voyez la bonté de l'homme juste aucun désir : même pas approcher de lui; la malice aujour-
de vengeance ne se montre dans ses paroles; d'hui déborde partout, à tel point que c'est

et, non-seulement il oublie ce qu'ils lui ont pour nous chose rare, même d'aimer ceux qui
fait, mais il leur offre une généreuse hospita- nous aiment. Quelle espérance de salut pou-
lité. Isaac leur fit donc un festin, et ils maîi- vons-nous donc avoir, si nous ne valons pas
gèrent, et ils burent ensemble. Ce festin prouve des publicains, ainsi que l'a dit le Christ Si :

assez qu'il oublie le mal qu'ils lui ont fait et ; vous n'aimez que ceux qui vous aiment, quelle
Isaac les congédia, dit le texte, et les laissa s'en récompctise en aurez-vous ? Les publicains ne
retourner. La divine Ecriture nous montre par le font-ils pas aussi? (Matlh. v, 46.) Le Christ

là, qu'ils étaient venus saisis d'une grande veut, puisqu'il veut nous voir au faîte de la
frayeur, remplis d'inquiétudes, et que c'était, vertu, que nous soyons supérieurs aux publi-
pour ainsi dire, afin de garantir leur propre cains mais nous, nous nous appliquons à res-
;

conservation, qu'ils avaient eu hâte de venir, ter au-dessous. Et que dis-je, au-dessous des
de s'excuser auprès de l'homme juste. Voyez- publicains? au-dessous des brigands et de ceux
vous comme il est vrai de dire, que rien n'est qui pillent les sépulcres; au-dessous des meur-
plus fort que la vertu ;
qu'il n'y a pas de pou- triers. En effet, tous ceux-là chérissent ceux
voir supérieur à celui que soutient la force dont ils sont aimés, et souvent même pour
d'en-haut? Ensuite le texte ajoute Le même : ceux qu'ils chérissent, ils bravent tous les pé-
jour, les serviteurs d' Isaac s'en allèrent, creu- rils. Quelle condition serait donc plus misé-

sèrent un puits, et dirent : Nous îi avons pas rable que la nôtre, si après avoir é[)rouvé de
trouvé d'eau, et il appela ce puits le Serment; sigrands effets de la miséricorde du Seigneur,
et il appela V endroit, le puits du Serment, et nous étions trouvés inférieurs à ceux qui com-
h nom s'est conservé jusqu'à ce jour. (Ibid. mettent des crimes sans nombret Donc, je
348 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

TOUS en conjure, méditons la rigueur du sup- biens sans nombre, car c'est par là que nous
plice, le lourd fardeau de la confusion qui obtiendrons la rémission de nos péchés; c'est
nous attend ailleurs.Considérons au moins, par là qu'il nous sera donné de prier Dieu
quoiqu'il soit bien tard, la noblesse de noire dans la sincérité de l'humilité et de la contri-

nature, et obéissons à la doctrine du Christ. tion. Car, une fois que l'àme est affranchie de
Ne nous contenions pas d'aimer seulement toute haine, elle est tra iquille , elle est ro-

avec sincérité ceux qui nous aiment; bannis- buste; et, invoquant le Seigneur, avec une
sons de notre âme toute haine, toute envie ;
entière pureté, elle s'ati ire la plénitude delà
et, s'il en est qui nous haïssent, appliquons- grâce d'en-haut. Puissions-nous tous l'obtenir,
nous à aimer; impossible autrement de
les par la grâce et par la bon^é de Notre-Seigneur
conquérir notre salut; il n'y a que cette voie. Jésus-Christ , à qui appartient , comme au
Appliquons-nous à chérir, plus même que Père, comme au Saint-Esnrit, la gloire, main-
ceux qui nous chérissent; aimons surtout ces tenant, et toujours, et dans les siècles des siè-
ennemis qui sont pour nous les causes de cles. Ainsi soit-il.

CINQUANTE-TROISIÈME HOMÉLIE,

< Or, Eaaû , ayant quarante ans, épouse Judith, fille de Béel, du pays de Cbet, et Basemath, fille d'EUom,
du pays d'Eva, et elleo querellaient Isaac et Rébecca. » (Gen.XXVl, 34, 35.)

ANALYSE.

1. Explication des versets 34 et 35 du chapitre XXVI, et des versets 1-10 du chapitre suivant. — 2. Kiplicalion des verseta
11-19. Eq attirant sur la tète de Jacob bénédiction d'Isaac, Rébecca obéit à l'oracle de Dieu en
la même temps quà son amour
pour Jacob. Dieu veut que nous coopérions i» ses œuvres, il ne coopère point au mensonge. — 3. Explication dos versets
20-30. — 4. Explication des versets 30-40. Colère d'Esaù , en apprenant que son frère a reçu la bénédiction paternelle. —
5. De la colère.

1. Eh bien, aujourd'hui encore, s'il vous est quoi l'Ecriture nous niarque-t-elle le nombre
agréable , reprenons la suite de l'entretien des années d'Esaù? Ce n'est pas sans dessein ;

d'hier, et, dans la mesure de nos forces, cher- c'est pour nous apprendre (iu'l<aac était vieux,
chons ce que renferme chacune des paroles de et déjà fort avancé en âge; car, si nous nous
l'Ecriture , afin d'en recueillir le fruit que rappelons l'âge d'Isaac, quand il épousa Ré-

nous remporterons en nous retirant. Voyons becca , il quarante ans


avait son
alors ;

donc les premiers mots du texte Or Esail, : âge quand ses fils lui naquirent , il avait
,

ayant quarante ans, épousa Judith fille de , alors soixante ans nous en conclurons qu'il
;

Béel, du pays de Chet et Basemath fille


,
,
est actuellement centenaire , c'est - à - dire ,

d'Elom du pays d'Eva, et elles querellaient


, dans la vieillesse la plus avancée. En effet,
Isaac et Bébecca. Voyez tout l'enseignement l'Ecriture va nous dire (jue la vieillesse l'a-
que renferment ces quelques paroles pour- : vait rendu aveugle. Voilà pourquoi le text«
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — CINQUANTE-TROISIÈME HOMÉLIE. 349

nous donne le nombre des années d'Esaû ,


qui était hors de lui, le bien qui devait venir
ce qui nous permet de déterminer avec certi- de lui. Jacob, au contraire, avec sa vertu pro-
tude l'âge dTsaac. Voilà pourquoi le texte dit : pre, et aussi le secours de la grâce d'en-haut,
Or, Esaii ayant quarante ans. Ensuite l'Ecri- même malgré son père, surprend, saisit sa bé-
ture tient à nous faire connaître l'esprit in- nédiction. C'est qu'il n'y a rien de plus fort
considéré de ce prenant des épouses chez
fils, que l'homme soutenu par la main de Dieu.
des peuples qu'il ne devait pas fréquenter; Soyez donc appliqués, attentifs; remarquez
donc, l'une était de la race des Chettéens, et l'excellence de cette conduite , remarquez
l'autre de la race des Evéens. Ce n'est pour- comme celui qui s'appuie sur la divine grâce,
tant pas ainsi qu'aurait dû se conduire celui trouve à chaque instant un grand coopérateur
qui savait quel soin le patriarche avait montré qui travaille dans ses intérêts, au point de lui
quand il prescrivait à son serviteur d'aller lui transférer la bénédiction paternelle; au con-
chercher une femme de sa parenté, pour être traire, l'autre perd tout, il se perd lui-même,
l'épouse de son fils Isaac. La mère des deux parce que ses mœurs sont mauvaises. Or, dit
enfants d'Isaac, Rébecca était venue du pays le Rébecca entendit Isaac parlant à
texte ,

de Charran Esaii n'agit pas de même, il fait


;
Esaû fils ; et Esaû étant allé dans les
, S071

voir tout de suite le dérèglement de ses champs, pour faire la chasse que son père lui
mœurs ; sans consulter ses parents, il épouse avait demandée, Rébecca dit à son plus jeune
ces deux femmes. Et pour nous ap|)rendre fils. (Ibid. 5, G.) Pourquoi l'Ecriture dit-elle :

combien leurs mœurs laissaient à désirer ,


A son plus jeune fils? c'est parce qu'il y a plus
l'Ecriture nous dit Et elles querellaient Isaac
: haut Isaac appela son fils aîné. L'Ecriture
:

et Rébecca. Et qu'y a-t-il de j)lus détestable que veut nous faire savoir maintenant à qui s'a-
cette malignité? celles qui auraient dû mon- dresse Rébecca , et le texte dit : Son plus
trer tant d'égards non-seulement n'en fai-
,
jeune fils, c'est-à-dire Jacob. J'ai entendu, dit-
saient rien, mais elles étaient promptes à la elle, votre père parlant à Esaû, votre frère, et
dispute. Ce n'est pas sans dessein que l'Ecri- lid disant Apportez-moi de votre chasse, et
:

ture nous donne tous ces détails comprenez ; faites-m'en un plat,


afin que j'en mange, et que
bien, c'est afin que, dans la suite, quand vous je vous bénisse devant le Seigneur, avant de
verrez la préférence de Rébecca pour Jacob, vous mourir. (Ibid. 7.) Voilà ce que j'ai entendu
n'en soyez pas choqués. Mais n'anticipons pas que votre père disait à votre frère Esaû. Sui-
suivons l'ordre même de ÏEcv'ûvhq: Isaac étant vez donc maintenant, mon fils, le conseil que
devenu vieux, ses yeux s'obscurcirent de telle je vous donne ; allez-vous en au troupeau, et
sorte qiiil ne pouvait plus voir. (Chap. xxvir, 1.) apportez-moi deux chevreaux, tendres et bons,
Ses yeux, allaiblis par le grand âge, dit le texte, afin que je fasse à votre père, un de ces plats
ne distinguaient plus les objets. // appela donc qu'il aime, et qu'après que vous le lui aurez
Esaû, son fils aîné et lui dit : Mon fils, vous présenté, et qu'il en aura mangé, votre père
voyez que je suis bien vieux, et que j'ignore le vous bénisse avant de mourir. (Ibid. 8, 9, 10.)
jour de ma fin ; prenez donc vos armes, votre 2. Voyez le grand amour le la mère, ou plutôt <

carquois et votre arc, et sortez dans la plaine, la dispensation de Dieu, car c'était lui qui lui
et chassez, et faites-moi de votre chasse un de donnait ce conseil, et qui prenait soin de tout
ces plats que j'aime, apportez-le-moi, afin
et faire réussir. Avez-vous bien compris l'excel-
que j'en mange, et que je vous bénisse, avant que lent conseil de la mère? Voyez maintenant la
je meure. (Ibid. 2, 3, 4.) Ici, mon bien-aimé, circonspection de Jacob voyez comme sa ré- ;

je vous en conjure, remarquez l'ineCTable sa- ponse indique la douceur de ses mœurs. En
gesse de Dieu voyez comme le père ne suit
; effet dit le texte
, Jacob dit à sa mère : Moîi
:

que son afîection naturelle en donnant cet frère Esaû est velu, et moi je n'ai pas de poil;
ordre à Esaû, et comme le Tout-Puissant , le si mon père vient à me toucher, et qu'il s'en
Seigneur plein de sagesse, dispose Rébecca à aperçoive, j'ai peur qu'il ne croie que j'ai voulu
remplir sa prédiction, nous montrant par lace le tromper^ et qu'ainsi je n'attire sur moi sa
que valent et la vertu et la douceur. Esaû avait malédiction, au lieu de sa bénédiction. (Ibid.
pour lui son droit d'aînesse et l'afTection de 11, 1-2.) Grande est l'honnêteté de l'enfant, et
son père, et il se croyait le premier; il a tout grandes! son respect pour son père. J'ai peur,

perdu, parce qu'il n'a pas voulu ajouter à ca dit-U, qu'il n'arrive le contraire de ce que je
350 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

désire ;
que je ne paraisse vouloir contrarier fassions tout; il connaît notre faiblesse; le

mon père, et qu'au lieu de sa bcncdiction ,


je Seigneur dans sa bonté, se njouit de troTiver
ne m'attire sa malédiction. Que fait donc cette une occasion d'être généreux envers nous, et
admirable Rébecca, pleine d'amour pour son il attend que nous fassions ce qui est en notre

fils ? Comme ce n'était pas seulement sa volonté pouvoir. Vous en avez ici la preuve [^arce ;

qu'elle suivait; comme elle ne servait qu'à que Jacob et Rébecca ont fait ce qu'ils devaient
l'accomplissement de la volonté divine, elle faire que
;
l'enfant a obéi aux conseils de sa
faittous ses efforts pour bannir la crainte du mère que ;
la mère a fait tout ce qui dépendait
cœur de son enfant, pour le rassurer, pour d'elle, le Seigneur, plein de bonté , se met de
l'amener à réaliser son dessein. Et elle ne lui-même à l'œuvre, et s'occupe de faire réus-
lui dit pas qu'il peut tromper son père, sir, de rendre facile , ce qu'il y avait de plus
que son père n'y verra rien ;
que lui dit-elle? difficile, à savoir qu'Isaac ne s'aperçût pas de
Que cette malédiction retombe sur moi, mon la ruse. Car, lorsque l'enfant eut apporté les

fils ; obéissez seulement à ma voix, et appor- mets à son père, // lui dit : Qui êtes-vous, mon
tez-moi que je vous demande. (Ibid. 13.)
ce ? Et Jacob dit à son père : Je suis Esaù,
fils

S'il arrive quelque chose de ce que vous crai- votre fils aîné; j'ai fait ce que vous yn'avez
gnez, dit- elle, vous n'en souffrirez y)as ;
dit; levez-vous, mettez-vous sur votre séant, et
donc, soyez sans crainte, rassurez-vous : Obéis- mangez de ma chasse, afin que vous me doU"
sez à ma voix, et faites ce que je vous con- niez votre bénédiction. (Ibid. 19.) Considérez
seille. C'est bien là le propre de l'amour ma- ici,je vous en conjure, l'anxiété de Jacob, en
ternel. Pour son enfant, elle s'expose à tout. pronomjant ces paroles. Il avait d'abord dit à
Elle dissipa ainsi la crainte de son fils. // sor- sa mère J'ai peur d'attirer sur moi la malé-
:

tit, prit et apporta à sa mère ce qu'elle de- diction , au lieu de la bénédiction. Quelle
mandait , et elle fit des plats comme Isaac les frayeur ne dut-il pas éprouver, quand il jouait
aimait. Rébecca prit ensuite, dit le texte, le une telle scène? Mais, comme Dieu qui
c'était

plus beau vêtement de son fils aîné , qu'elle travaillait avec lui, tout réussit. Eh quoi donc,
gardait dans la maison et , elle en revêtit Ja- dira-t-on? Dieu a coopéré à un pareil men-
cob, le plus jeune de ses avec la peau
fils, et, songe Ne considérez pas simplement le fait,
?

des chevreaux, elle lui couvrit les bras et les mon bicn-aimé, mais remarquez le but; re-
parties du cou, qui étaient nues, et elle mit les manpie/. qu'il n'y avait pas ici un intérêt tem-
plats et les pains, qu'elle avait faits, daris les porel, p )ursuivi par l'avarice ; c'était la béné-
mains de son fils Jacob, qui porta à son père.
le diction de son père . que le jeune fils voulait
(Ibid. \ï, 15, tO, i7.) Voyez, je vous en con- attirer sur lui. D'.iilleurs, si vous ne voulez

jure, grand amour de Rébecca, et, eu


ici, le janjais voir que les faits , sans considérer le
même temps, sa rare sagesse. Le ttxte a dit but, pn nez garde que l'ancien patriarche ne
plus haut que l'aîné est velu et que le plus vous paraisse le meurtrier de son fils, et
jeune n'a pas de poil. Voilà ponninoi, dit le Phinée an homicide. Mais Abraham ne fut
texte, elle le revêtit d'un habit d'Esaii,et l'en- pas le meurtrier de son fils; il l'aimait autant
toura de peau, et, après l'avoir, de tout point, qu'un pcre peut aimer et Phinée ne fut pas ;

équipé de manière à tromper son père, elle lui un hon.icide, mais un honuue i)lein de zèle.
mit dans les mains les plais et les pains, de, L'un et l'autre tirent ce qui était agréable à
sorte qu'il les porta au patriarche. Cous-idé- Dieu. Aussi, l'un pour avoir obéi, a mérité,
rez, encore une fois, ici, conunont tout est du Seijiueur, une jirande nVoni pense: l'autre
arrivé par la grâce d'en-haut. Aussitôt tjiie nous est céh bré pour son zèle. En etlet. dit le psal-
oil'rons à Dieu ce (jui vient douons, nous obte- miste : Phinée se leva, et il apaisa. (Psal. cv,
nons en abondance la coopération du Seigneur. 30.) Donc, si un meurtre, des fils massacrés
C'est atin que nous ne tombions pas dans la non- sont de.s approuvés dans leur histoire,
faits

chalance et rîdiatteiuent, (ju'il veut aussi (pie parce (jM'ils conformes à la volonté de
étaient
nous fassions (jnelipie chose, ce n'est (pi 'à celle Dieu ; si nous ne nous arrêtons pas à la réalité
condition qu'il nous conuuunique ses dons; il des faits ,mais au but qu'on s'était proposé, à
ne veut pas que le secours d'en-haut oi)ère seul l'intention, à bien plus forte raison, ici, cette
toute chose, il faut que nous travaillions de intention est-elle ce qui merilo d'être consi-
jiolre côté. Maintenant, il n'exige pas que nous déré.
HOMÉLIES SUK LA GIîNESE. — CINQrANTE-TUOISIÈME HOMÉLIE: Jol

3. Donc, ne vous arrêlez pas au\ mensonges est celui qui a tout disposé ici. Et Jacob dit : Je
prononcés par Jacob j ne voyez que la volonté de le suis. En effet, après qu'Isaac a eu dit : Etes-
Dieu ; il voulait que la prédiction s'accomplît, vous 7non fils Esaû? Je le suis , dit le texte.
et il a tout disposé dans ce but. Et ce qui vous Apportez-moi à manger de votre chasse, mon
montrera que c'est Ditii ([ui a rendu tout fa- fils, afin que je vous bénisse ; c'est à peine en-

cile, même le plus difticile, l'iiomme juste n'a lin, si Jacob commence à respirer. Et il ap-
pas soupçonné la fraude; il s'est laissé prendre porta à son père les plats, et il lid apporta
aux paroles de Jacob il mange ses mets, et le ; du vin, et Isaac but, et il lui dit : Approchez-
récompense par ses bénédictions. Esaii ne re- vous de moi, mon fils, et venez me baiser; il
vint de la cbasse qu'après que tout eût été ac- s'approcha donc de lui, et le baisa. Et Isaac
compli. C'est pour nou.< montrer que la volonté sentit la bonne odeur qui sortait de ses habits,
de Dieu a seule tout conduit. Isaac dit encore et lui dit, en le bénissant. (Ibid. 23, 20, 27.)
à son fils : Mais comment avez-vous pu, mon Voyez le soin de la divine Ecriture ; après
fils, en trouver si tôt? Il hci repondit : Parce celte interrogation : Etes-vous Esaù? et cette
que le Seigneur Dieu -l'a livré devant moi. réponse, je le suis, Isaac le touche encore, la
(Ibid. 20.) Jacob était toujours dans les an- voix lui ayant presque soupçonner la feinte ;
fait

goisses, et sa frayeur, au comble. Mais tous et il 1 interroge de nouveau: Etes-vous mon


ces événements se sont accomplis, pour que fids Esaii ? Et Jacob dit : Je le suis; et ensuite,
nous sachions bien, par des faits, (jue le Sei- il lui apjjorte les plats et Isaac mange. Alors,

gneur ne se contente pas de nous montrer sa dit le texte Il le baisa et le bénit. Et, pour
:

sollicitude, le eoiu qu'il prend de nous; il qu'on ne s'imagine pas qu'il l'a béni en la per-
veut encore que nous méritions ses fa^euro, sonne d'Esc.ïi, pour qu'on voie bien qu'il a
par l'ardeur de notre zèle. Ne vous liàtcz pas béni celui qu'il a baisé, la divin-; Ecriture nous
de passer en courant devant ce combat de dit: Qu'il l'a baisé, et qu'il a béni celui qu'il a
Jacob, mes bien-aimés considérez qu'il avait ; baisé. Et aussitôt qu'il eut senti la bonne
tout à perdre, qu'il él lit plein de terreur, tout odeur, qui sortait de ses habits, il lui dit en le
tremblant, qu'il craignait que cette bénédiction bénissant : l'odeur qui sort de mon fils, est

lie l'exposât à toutes les rigueurs de la malé- conijne l'odeur d'un champ plein de fruits, que
diction. Ensuite, dit le texte, Jsaac dit: Appro- le Seigneur a bénis. Que Dieu vous donne de la
chez de moi, afin que je vous touche, 7noii fils, rosée du ciel et de la graisse de la terre, et l'a-
et que je recomuiisse si vous êtes mon fils Esaii, bondance du froment et du vin. (Ibid. 27'28.)
ou non. (Ibid. 21.) C'est que la voix laissait un Que le Seigneur Dieu, dit-il, vous accorde tout
peu d'incertitude mais, comme il fallait que
; cela, à vous qui m'avez ajtporté ces i)lats, qui
l'événement coniluit parle Seigneur s'accom- avez reçu de moi le baiser. Que les peuples vous
plît.Dieu ne permit pas d'apercevoir la ruse. soient assujétis! Voyez; il demande pour lui,
Jacob s'approcha de son père, et Jsaac l'ayant par ses prières, d'abord le nécessaire ensuite ;

tâté, dit : Pour la voix, c'est la voix de Jacob, ladomination sur les peuples, et il lui prédit
mais les mains sont
mains d'Esaû et il ne le
les sa prospérité future, et l'agrandissement de
reconnut point. Voyez-vous connue
(Ibid. 22.) ceux qui sortiront de lui. Et que les princes
le texte nous montre que tout émane de la vous adorent! Ces prières ne demandent pas
grâce de Dieu? c'est Dieu qui faisait qu'Isaac que les peuples seulement lui soient assujétis,
ne s'apercevait de rien, et que Jacob allait mais les princes eux-mêmes Et soyez le sei- ;

jouir de la bénédiction paternelle. Et il 7ie le gneur de votre frère. Voyez l'homme juste ser-
reconnut point, dit le texte, parce que ses mains vant même sans le savoir, la volonté de Dieu.
étaient comme les mains dEsaii. (Ibid 21.) Tout, en effet, était disposé de manière (jue le fils
Et il lui dit : Etes-vous mon fils Esaii ? Voyez, vertueux reçut la bénédiction que ses vertus mé-
fois, conmio
encore une la divine Ecriture nous ritJiient. Que les fils de votre père vous adorent !

montie que l'homme juste a des soupçons. C'est l'habitude de l'Ecriture, de donner le
En elTet , dit le texte : Isaac dit : Eles-vous nom de fils à toutes les générations. C'est

mon fils Esaii"! Détail qui a pour but aussi de comme s'il disait: ceux qui sortiront de la
nous faire savoir que le père n'écoutait (jue l'af- raee d Esaii ; car Isaac n'eut pas d'autre fils

iec.uun de la nature, n.aisque Dieu, qui prévoit que CCS di ux-là. Que celui qui maudira,
v-.i.'S

l'avenir, et qui glorifie la vertu de sesstrvileuro. suit jnaudit lui-même, et que celui qui vous
352 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

bénira^ soit comblé de bénédictions ! Voilà la (Ibid. 33.) Voyez la perplexité dans laquelle se
couronne de bénédiction voilà la somme de
la ;
trouve l'homme juste. Il raconta le fait, et il

tous les biens, être béni. Avez-vous bien com- ajoute, avec une rigueur qui blesse le cœur da
pris la clémence de Dieu ? Celui qui avait craint l'autre Et je lid ai donné ma bénédiction, et
:

de recevoir la malédiction, au lieu de la béné- il sera béni. C'était Dieu lui-même qui faisait

diction, non-seulement emporte tout le trésor parler la langue de l'homme juste. Il fallait
des bénédictions de son père, mais la malédic- que l'autre, parfaitement renseigné sur ce qui
tion est prononcée contre ceux qui tenteraient s'était passé, fût bien persuadé qu'il ne lui
de le maudire. Apprenons par là, que celui servirait de rien, ni de son droit d'aînesse, ni
qui dispose de ce qui lui appartient, d'une ma- de sa chasse. Esaû, à ces paroles de son père^
nière conforme à la volonté de Dieu, est assuré dit le texie, jeta ungrandcri, plein d'amertume.

du secours d'en-haut, à tel point que sa vo- (Ibid. 34.) Qu'est-ce que cela veut dire. Un

lonté devient un fait qui se réalise. Qui n'ad- grand cri, plein d'amertume ? Il montra son
mirerait pas l'ineffable disposition delà sagesse indignation, la colère dont il était saisi à cette

divine, qui ne permet pas qu'Esaû revienne nouvelle, au delà de toute expression. Et il lui
de la chasse avant le dénouement de cette his- dii : Donnez-moi aussi votre bénédictioji, mon
toire, avant que Jacob se soit retiré, riche de père ; Isaac lui répondit : Votre frère est venu
toutes les bénédictions de son père; c'est ce me surprendi'e, et il a reçu la bénédiction qui
qu'a voulu nous montrer Moïse en ajoutant , : vous était due. (Ibid. 35.) Votre frère, dit-il,
Et après qu'lsaac eut fini de bénir Jacob, et vous a devancé, et il s'est emparé de toute la
après que Jacob fut sorti ayant quitté Isaac , bénédiction, de tous les privilèges qui l'accom-
son père, voici qu'Esaû, son frère, revint de la pagnent. Et ce qui vous prouve que la grâce
chasse. (Ibid. 30.) d'en-haut a coopéré à la ruse, qui a trompé
4. Voyez comme aussitôt après la sortie de l'homme juste, ce sont les paroles mêmes dont
l'un, l'autre arrive, et il n'y a pas là un simple il se sert pour avouer le fait : Votre frère est
hasard. La providence a voulu qu'il apportât, venu me surprendre. On dirait qu'il s'excuse

sans se douter de rien, sa chasse à son père, et auprès de son fils, qu'il veut lui donner des
que ce fût de son père qu'il apprît tout ce qui explications; c'est à mon insu que je lui ai
s'était passé. Car s'il eût rencontré son frère, départi les bénédictions; j'étais prêt à en ré-
peut-être qu'il l'eût tué, cédant à sa fureur; pondre sur vous l'alioudance mais voilà qu'/7 ;

car si, plus tard, il a pu avoir cette pensée, à est venu me surprendre et il a reçu la béné-

bien plus forte raison, au moment même, eût- diction qui vous était due : Ce qui vous était
il essayé de commettre le crime. Mais y avait
il préparé, il l'a pris ; ce n'est pas de ma faute.
là la main de Dieu, qui conserva le plus jeune C'est avec raison, dit Esaû, qu'il a été appelé
des deux frères ; c'est Dieu (jui le rendit digne Jacob, c est-à-dire supplanlateiir, car voici la
de la bénédiction, et qui priva l'autre, et de la seconde fois qu'il m'a supplanté ; il m'a déjà
bénédiction et du droit d'aînesse. Esaû arriva, enlevé mon droit d'aînesse, et maintoiant il me
dit le texte, et il apprêta sa chasse, et il l'ap- dérobe la bénédiction qui m'était duc. (Ibid. 30.)

porta à son père, et il lui dit : Levez-vous, Ce n'est pas à tort, dit-il, qu'il porte ce nom
mon père, et mangez de la chasse de votre fils, de Jacob, qui signifie en clTet supplantateur;
afin que vous me doimicz votî'e bénédiction. il a bien prouvé qu'il l'était, en me privant, et
(Ibid, 31.) Voyez le nouvi'au trouble ((ui con- de mon droit d'aînesse et de ma bénédiction.
fond, ici, l'esprit de l'honmie juste; car, en Que dit maintenant Esau à Isaac ? Ne m'avez-
entendant ces paroles, Jsaac lui dit : Qui êtes- vous pas réservé, à moi aussi, une bénédiction,
vous ? Et il lui répondit : Je suis votre fils aine 7}wn père ? Jsaac lui répondit : Sachez, dit-il,
Esaû. (Ibid. 32.) Voyez l'orgueil ([u'il montre (|uo j'ai versé sur lui toutes les bénédictions.
en ce moment il ne lui suffit pas de dire Je
; : Je l'ai établi votre seig?ieur. (Ibid. 37.) Voyez-le
suis Esaû, mais il ajoute ]'otre fils aîné. : lui annoncer, dès ses premières paroles, la ser-

Isaac fut frappé d'un profond élonnement, et ^it^(le et la sujétion. Je l'ai établi votre Sei-
il dit : Quel est donc celui qui 7)i'a déjà ap- gneur et j'ai assujéti à sa domination tous ses
porté ce qu'il avait pris à la chasse, et qui m'a frères ; je l'ai affermi datis la possessio?i du blé
fait manger de tout, avant que vous vinssiez, et du vin, et, après cela, que ferai- je pour
et je lui ai donné ma bénédiction^ et il sçra béni. vous, fnon fils
'/
Il ue me reste plus rien, puis-
ÎIOMIîlLlES SUR LA GENÈSE. — CINQUANTE-TROISIÈME HOMÉLIE. 388

que je l'ai fait votre soifïnenr, puisque je lui sur la gloire qui viendra plus tard. Voyez au
ai assujéli tous ses frères, et que mes prières bout d'un certain Ictups, ce frère aîné, main-
ont deniantié pour lui l'al)on<lance de toutes les tenant si terrible, lui montrer toute espèce de
choses nécessaires. Que nie reste-t-il tiicore ? respect et de vénération. Considérez quel excès
Esaû lui répartit : Xorez-voitsdimc,monpirn, de gloire a été son partage, ai rès les épreuves
qu'une seule bcnédicliim ? d(hu'ssez-mo/ , moi qu'il a subies sur une terre étrangère; c'est à
aussi. (Ihi I. 38.) Coninie il a entendu son père ce point que ses enfantssont devenus une mul-
qui lui di-ait : Je lui ai donné ma bénédiction^ titude, qui a donné son nom, son nom glorieux
et il sera béni ; conuiie Isanc lui a révélé toutes à tout un peuple. Maintenard ladiviiie Ecriture/
les conséqueices de la bénédietion, alors il lui voulant nous montrer l'intligiiation d'un frère
dit: Bénissez-moi, moi aussi mon père; ^ qui roulait des pensées homicides; Esaû, dit
n'avez-vous d<mc (piune seule bénédiction ? le texte, haïssait Jacob à cause de cette béné'

E>t-ee que vous ne pouvez pas me bénir, moi diction qiiil avait reçue de son père. Et ce qui
aussi ? moi que vous aunez tant, moi votre nous montre que ce n'était pas sim[)lemenlune
j)remier-né, moi que vous avez envoyé à la colère soudaine, c'est l'expression de l'Ecriture
chasse ? Ces paroles touchèrent son père. Isaac qui maniue l'excès de la malignité : haïssait
él'iif touché^ dit le texte; Esaii jetait de grands dit le texte, c'est-à-dire persistait dans la haine,
cris avec des sanglots. 11 vit son père confondu, à ce point que le sentiment caché au fond de
ne pouvant ni ne voulant révocjucr ce qui avait son cœur, le texte l'exprime par ces |)aroles :
été f ;it, et il cria, et il pleura, pour toucher Et il disait dans son cœur : Le temps de la mort
son père de plus en |)lus. Isaac eut pitié de lui, de mon père viendra, et alors je tuerai mon
et lui dit : Votre bénédiction sera dans la frère Jacob. (Ibid. 41 .) En vérité, la colère n'i st

graisse de la terre, et datis la rosée du ciel qui pas moins folle que le délire. Voyez comme ce
vient d" en- ha ut ; vous vivrez de ré/iée; vous démon jette ses viclimes dans le délire, les
servirez votre frère, temps viendra que et le prive absolument de la raison, leur persuade
vous secouerez que vous vous en
so)i joug, et de faire tout le contraire de ce que leur con-
délivrerez (Ibid, 30, 40.) Puisijue, dit-il, vous seillent les yeux. Ils ne voient rien ; ils ne font
aussi, vous voulez ma bénédiction, apprenez rien d'une manière raisonnable, on dirait qu'ils
qu'il n'est pas possible d'agir contre la volonté n'ont plus ni sens ni jugement. Ainsi, ceux qui
divine mais je demande pour vous, par mes
; sont en colère, ne reconnaissent pas les per-
prières, que vous joui-^sicz de la rosée du ciel ;
sonnes présentes; ne se souviennent ni de
sachez que vous vivrez dans les combats, car leurs parents, ni de leurs amis, ni de leurs
vous vivrez de l'é/'ée, vous servirez votre frère. connaissances, ni de ce qu'ils se doivent à eux-
5. Maintenant, (jue personne ne s'étonne àce mêmes, ni de quoi (jue ce soit ; la co'ère les
récit, en voyant, bienlcM après, sou frère (|ui subjugue, tombent dans le piétipice. Qu'y
ils

s'en va errant, par suite de la crainte qu'il lui a-t-il de plus misérable que ces vaincus, (jue
inspire, et se dirigeant vers une terre étran- ces captifs de la colère, (|ui se liât» ntde courir
gère . Il ne faut pas conclure de ce début. (|ue au meurtre? Voilà pounjuoi le bienheuicux
la prédiction ne s'accomplira pas. ïn eflét, Paul, pour extirper la racine de ce mal, faiten-
quand le Seigneur fait une promesse, (juels tendre ces conseils Tout emportement, toute
:

que soient les obstacles qui semblent d'abord colère, tout cri, doit, ainsi que toute malice, être
en contrarier les effets, nous ne devons pas banni d'entre vous. (Epliés. iv. 31.) Non seule
nous troubler, car il est impossible que les ment, dit-il,je ne veux pas que vous vous é<hauf
promesses soient vaines jusqu'à la fin. Ce qui fiez, que vous vous mettiez en colère, nia.s je

firrive, c'est pour que les justes, glorifiés par ne veux pas (|ue vous fassiez entendre des cris,
tous les moyens, rendent plus manifeste, à tous en pat tant à votre prochain; car le cri est l'en-

les yeux, l'abondance de la vertu du Seigneur. fant de la colère. Quand ce mal s éveille dans
Cette réflexion s'applique à chacun des hommes l'intérieur de notre être, quand le cœur se
iustes ; vous la verrez toujours conlirmée, si gonfle, dès ce moment la langue ne fait plus
vous lisez attentivement ^lli^toire de chacun entendre de paroles paisil)les; la violence de la
d'eux. C'est ce qui est manifeste maintenant l)assion se maniliste, et Ion crie en pailantau
encore. Ne vous arrêtez pas à considérer que prochain. Donc ce bienheureux Paul, v.uhmt,
tout d'abord il prend la fuite ; mais réfléchissez par ses conseils, assurer à ceux qui Técoulent,

S. J. Ch. — Tome V. 23
3S4 TRADrCTÏON FRANÇAISE DE SAINT JEAN CIIRYSOSTOME.

une tranquillité non interrompue, leur dit : il séjourne dans un port paisible ;
pour lui, la
Tout emportement (c'est-à-dire quelle que soit vie présente se passe loin de tout ce qui boule-
la cause qui vous émeuve) et toute colère^ et verse et trouble les cœurs ; et, de plus, il s'as-
toute espèce de cri doit disparaître parmi vous. sure, par tous les moyens, les biens immortels,
Ensuite, comme il veut dessécher la racine de les trésors ineffables. Puissions-nous tous les
ce mal, en prévenir le triste fruit, il dit : ainsi obtenir, par la grâce et par la miséricorde de
que toute malice. Car celui qui ne connaît pas Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient,
la colère, est toujours dans un port, à l'abri des comme au Père, comme au Saint-Esprit, la
flots de ce monde, et il ne craint ni tempête, gloire, l'honneur, l'empire, maintenant et tou-
ni naufrage ; ilnavigue sur une onde tranquille ;
jours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

CINQUANTE-QUATRIÈME HOMELIE.

« Rébecca appela son plus jeune fils et lui dit. » (Gen. XXVII, 42.)

ANALYSE.

1. Du secours de la grâce divine. La conscience est un maitro suffisant. Les avis des Docteurs sont le complément de ta leetoft

des saints livres.— Saint Chrysoslome rcchcrclie


2. ses auditeurs non leur? applaudissements. L'iiomicido prend
l'utililéde cl

racine dans renvic. Versets 42-40 du chapitre XXVIIe. — Explication des versets 1-11 du XXVille chapitre. Fin de Jacob
3.
en Mésopotamie. — Explication des versets 12-19. Comuacut Dieu exerce
4. justes à l'obéissance. —
les Versets 20-22, 5.
Epilogue moral.

i. Avez-vous bien compris, hier, la parfaite sance du bien et du mal. Donc, que personne
sagesse du publicain, et la miséricorde ineffa- ne prétexte de son ignorance pour négliger la
ble du Seigneur, et l'excès de la stupidité des vertu (ju'aucun de vous ne prétexte qu'il
;

Juifs? Avcz-vous bi(Mi compris la leçon que manc|ue de guide pour lui montrer le chemin;
nous donne à Ions, la prompte obéissance du nous avons tous un maître qui suffit, c'est la
bienheureux Matthieu, et sa conversion, qui conscience, et nul n'est privé de ce secours. En
en fait un homme tout nouveau parce (juc ,
même; temps (|ue Ihoinme fut formé, le dis»
c'est dans notre volonté, après l'action de la cernement des actions lui a été donné, afin de
grâce d'en-haut, que résident nos vertus et nos le mettre à même de faire voir, dans la vie
vices parce que l'ardeur de notre zèle peut
; présente, la sagesse qu'il porte en lui, afin que
ïious élever au plus haut faîte de la voitti, ol s'exerçant comme dans une palestre, aux tra-
])arce qu'au conti-aire notre engourdissement vaux de la vertu, il puisse con(]uérir les récom-
nous laisse tonil)(;r dans les précipices. En etlet, penses que la vertu mérite et après quelques
;

ce qui nous distingue des êtres sans raison, coiH'tes fatigues, mériter les couronnes impé-
c'est que nous avons reçn de la bonté de Dieu, rissables; et, après avoir embrassé la vertu
la raison comme lui gloiicux privilège, c'est dans la diu'ée (jui |>asse. jouir des biens éter-
que nous possédons niliirclleMiont la connais- nels, dans la durée infinie des siècles. Instruits
HOMÉLIES SUR LA f.ENÈSE. - CTNOUANTE-QUATnîI^ME TIOMÉLÎE. 3îiîJ

de ces vérités, mes bien-ainiés, ne trahissons famine du pain ni la soif de Veau, mais la />/-
pas notre noble nature prouvons notre recon-
;
mine qui veut entendre la parole du Sciçjneur
naissance à notre magnifique bienfaiteur ne ; (Amos, VIII, \ ), nous montrant par là que celte
f

poursuivons pas les plaisirs d'un jour, pour première famine produit la maigreurdu corps,
atteindre des douleurs qui n'auront pas de que l'autre au contraire s'altaciue à l'âme. Eh
fin tenons sans cesse nos regards fixés sur cet
; bien ! ce (juc le Seigneur leur déclarait d'une
œil qui ne dort jamais, qui voit dans les replis voix menaçante, comme on annonce un sup-
les plus cachés de nos cœurs ; réglons ainsi plice, nous sommes maintenant les premiers à
notre conduite ; revêtus des armes de l'esprit, l'attirer sur nous et cela, lorsque Dieu nous a
;

montrons la sagesse qui est en nous, et con- montré (ju'il prend de nous un soin si vigi-
quérons le secours d'en-haut, afin de triompher, lant, lorsqu'il a tout prévu, lors(iu'avcc la lec-
grâce au divin auxiliaire, de notre ennemi de ture de l'Ecriture sainte il nous a encore
chaque jour, de notre ennemi acharné afin de ;
donné les exhortations des docteurs.
rendre inutiles toutes ses machinations, et de C'est pourquoi, je vous en conjure, mes
nous assurer la conquête des biens que Dieu a bien -aimés, secouez tout engourdissement,
promis à ceux qui l'aiment. Que personne donc réveillez-vous enfin, appliquez-vous, de tout
ne considère les fatigues de la vertu au con- ;
votre zèle, au salut de votre âme; c'est par là
traire, calculons tous les profits qui récompen- que vous vous concilierez tout à fait la bien-
seront nos efforts généreux, et apprêtons-nous veillance du Seigneur. Et nous, nous nous por-
avec ardeur au combat, car s'il est vrai que, terons à vous instruire, avec une ardeur encore
dans les affaires de la vie humaine, animé de plus vive, en voyant que vous mettez nos con-
la fureur des richesses, on soit prompt à tout seils en pratique. Quand l'agriculteur voit une
tenter ; que les périls de la mer, les naufrages, terre féconde et de nature à donner beau-
les attaques des pirales, n'ébranlent pas, ne coup de fruits, il semet avec plus d'ardeur
ralentissent pas les courages, qui cependant ne à la cultiver; de même, nous
aussi, si nous
poursuivent qu'un profit incertain ;
quelle voyons vos progrès dans les œuvres que Dieu
excuse pourrons-nous alléguer, quand on nous vous demande, si nous voyons que nos pa-
promet pour nos luttes généreuses, des biens roles deviennent les règles de votre conduite,
immortels, si nous ne nous y préparons pas nous ferons, pour vous instruire, des eff'orts
avec le zèle ardent d'un désir sincère? (lomment plus courageux encore, parce que nous ver-
pouvons-nous montrer tant d'ingratitude à rons bien que nous ne semons pas sur la
notre bienfaiteur ? Comment pouvons -nous pierre, mais dans une terre grasse et profon-
oublier les présents déjtà promesses
faits, les dément fertile.

reçues ? Eh quoi I perdant toute mémoire, nous 2. Voilà pourquoi, chaque jour, nous vous
vivons au hasard et sans but, comme des trou- adressons nos paroles c'est pour qu'elles vous
;

peaux, sans aucun souci de notre àme, nous profitent, c'est pour que vous grandissiez dans

chargeant le ventre jusqu'à le faire éclater; la vertu, c'est pour qu'en voyant votre avance-

tristevictime de ce ventre, notre malheureux ment nous tressaillions de joie. Est-ce que, par
corps souffre et nous renvoie les mille maux que hasard, nous prétendrions vous parler pour
lui attire notre intempérance, les douloureux faire étourdiment retentir un vain bruit, pour
embarrasde notre gourmandise, etnouslaissons recueillir vos éloges,pour vous entendre battre
notre âme se dessécher par la faim ? Et cela, des mains en vous retirant? Non, ce n'est pas
quoique l'âme soit à un si haut degré supérieure là notre désir, loin de nous une ambition pa-

au corps, quoique l'âme, une fois partie, il ne reille; ce que nous voulons, c'est votre utilité.
reste plus qu'un cadavre. Ce qu'il faudrait, ce La plus belle gloirepour moi, le plus magni-
serait donner à l'un, donner à l'autre la nour- fique des applaudissements, c'est le retour d'un
riture qui convient à chacun d'eux; et nous les pécheur à la vertu, c'est l'engourdissement se-
perdons chacun d'eux, parce que nous ne gar- coué par nos paroles changé en ferveur. Voilà,
dons aucune mesure, engraissant l'un plus pour moi, la plus belle des consolations, la
qu'il ne faut, forçant l'autre à mourir de faim. vraie gloire; voilà, pour vous, le profit incom-
De là les paroles menaçantes que le Dieu de parable, la richesse, le spirituel trésor. Je ne
l'univers adresse aux Juifs, dans la fureur de prétends pas contester votre zèle et je sais bien
son indignation Je vous donnerai non la
: , qu'instruits par Dieu vous pouvez, vous aussi,
356 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

en instruire d'autres ; dans cette pen?ée je ter- avec lui quelques jours ,
ju^Yjii'à ce que V irri-
j(3 repiends l'ensei- tation, la colère de votre frère contre vous soi*
mine ici mon exhortation ;

gnement que nous fournissent d'ordinaire les apaisée jusqu'à ce qu'il oublie ce que vous lu
,

paroles du bienheureux Muïse, disons mieux


avez fait ; j enverrai ensuite pour vous fair
de l'Espril-Saiut, s'exprimant par sa bouche. Je revenir ici, pour ne pas perdre mes deux en-

veux ajouter quelques mots encore et je vous fants en U7i seid jour.

servirai le festin que Moïse vous apprête au- Allez-vous-en, dit-elle, Vers mon frèi'e La-
jourd'hui. Vous avez vu dernièrement Jacob, ban, vous demeurerez avec lui. (Ibid. 44, 4">.)

qui ne fait rien que d'après le conseil de Ré- En effet, il est naturel de penser que la sépa-

becca, arracher à son père la bénédiction, lar- ration, que le temps apaisera le ressentiment,

cin louable auquel Dieu coopéra lui-même et éteindra la colère, apfiortera l'oubli de ce qui
qui réussit. Mais E^aù déle.4iiit Jacob à cause est arrivé, de celte bénédiction surftri^e. Jus-

de cette bénédiction et il se préparait à le faire qu'à ce qu'il oublie, dit-elle , ce que vous lui

mourir. Tel est en ellet le caractère de cette avez fait. Il n'est pas étonnant, dil-elle, qu'il

passion perverse ; elle ne s'arrête pas avant soiten colère; c'est pourquoi il vous convient
d'avoir jeté dans le précijtice le malheureux de vous préserver de sa fureur, de laisser pas-
qu'elle possède, il faut que Ihouiicide coure à ser le temps qui produira
l'oubli, afin que vous

son crime ; la racine de l'homicide c'est l'en- demeurer ici sans danger. Et,
puissiez ensuite

vie, ce que fait bien voir dès les premiers pour rendre moins pénible à son fils l'exil
jours du monde l'œuvre de Gain contre Abel. quelle est forcée de lui imposer, voyez d'abord
Il n'avait aucun prétexte, ni petit ni grand, comme elle le console Allez auprès de La- :

d'accusation contre son frère ; mais il vit les ban, mon frère; est-ce que je vous dis d'aller
oflrandes d'Abel agréables à Dieu, les siennes trouver je ne sais quel étranger? Mon frère:
rejelées i)ar sa faute, et aussitôt l'envie s'éveilla et vous demeurerez avec lui quelques jours; un

dans son cœur. Et cette racine du meurtre temps bien court, dit-elle, rien que quelques
ayant pris naissance au fond de son âme, pro- jours, jusqu'à ce que la colère soit passée.
duisit bientôt le fruit funeste, et il commit Maintenant sa colère est bouillante, dit-elle, et
l'homicide. De même aujourd'hui Esaù voit le respect d'un père ne le retiendra pas il est ; I
que son frère a reçu la bénédiction de son père, dominé par la colère ; il n'a plus dans le cœur
et la colère et l'envie le poussent à l'homicide, d'amour fraternel; il n'a plus qu'une pensée,
et il médite la mort de son frère. celle d'assouvir son resseulinuul. J'enverrai
Cette admirable mère, dans la crainte que lui ensuite jiour vous faire revenir proiuptement
inspire cette haine, montre encore toute son je vous ferai revenir; allez-vous-
ici, dit-elle;

alfeclion maternelle pour son enfant et elle lui en donc avec confiance, puisque j'enverrai
iti(ii(|ue le moyen de s'arracher aux mains de pour vous faire nvenir ici. Car, je suis tout à
son frère. Elle appela, dit le texte, son plus peur pour mes deux enfants;
fait in(iuièle; j'ai

jetoie fils et lui dit : Voilà Esaû, votre frère, jene veux pas être privée de mes deux enfants.
qui menace de vous tuer; écoutez doue nui Voyez la sagesse de la mère. Elle suit un mou-
Viiix.(Ibid. 42 43.) L'expérience doit vous
,
vement naturel ; bien plus, elle aide a accom-
montrer, lui dit-elle, que mes conseils vous plir la prédiction de Dieu. En ce moment
sont uliles; déjà, pour avoir écouté ma voix, même, elle donne à son enfaid le même con-
vous avez attiré sur vous les trésors de la bé- seil que le Christ à ses disei[iles, quand il leur
nédiction de votre père, faites de même main- ne pas s'exjwser léuieiairement
conseillait de
tenanl, écoutez encore ma voix alin d'échapper au danger, mais de se retirer pour laisser aux
aux mains de votre frère. Ainsi vous vous fureurs insensées le temps de s'éteindre. C'est
mt ttrez vous-même à l'abri {\\is dangers et vous donc là le conseil (lu'elle doiuie à son lils; elle
m'é|iargnerez une grande douleur. Car il est connnence par lui inspirer de la contiance, il
tout naturel de penser que, s'il osait commettre ne faut pas que son départ lui soit trop pénible.
un tel attentat, il en serait puni, et il n'y aurait El puis, elle imagine un prétexte homiête pour
plus pour moi, de tous côtes, qu'une douleur motiver ce départ; il ne liuit pas qu'il paraisse
sans bornes. Ecoulez donc ma voix : lultez- dune manière trop manifeste se retirer devant
vous de vous relit er vers mon frère Laban . la haine de son frère, il ne faut pas que le père
dans le pays de Charran : vous demeurerez sache la vraie cause du voyage, a savoir, la co-
HOMl'LÎES SUR lA GENÈSE. — CINQUANTE-QUATRIEME HOMÉUE. 357

1ère d'Esnù contre Jacob. Rébecca dit ensuite visions de voyage il lui donne, et quelles con-
à Jsnnc : Ln vie m
est devenue à charge , à solations; il son retour,
lui |)rédit la [)Ossepsion

cause des filles de Chet qu'Esaûa épousées; de la terre ,


qui sera son héritage ; il lui [»rédit

si Jacob épouse une fille de ce pays- ci que ,


que, non-seulement sa race se multipliera,
me fait la vie? (Ibid. 40.) mais qu'il sera le chef de plusieurs peuples;
3. Voyez coin me elle trouve habilement un que des peuples nombreux sortiront de lui.
prétexte honnête. C'est que, quand la grâce Quand il eut entendu ces paroles, son fils ac-
d'en-hant travaille avec nous, le difficile de- cojnplit ses ordres, et partit pour la Mésopota-
vient facile ; ce i|ui était lourd, devient léger. mie, se rendant chez Laban, le frère de sa
Rébecca avait Dieu pour elle , et c'est lui qui mère et lorsque Esaû apprit, à son tour, cette
;

inspirait à celte mère tout ce qui pouvait ser- seconde bénédiction donnée à Jacob par son
vir à l'établissement futur,au salut de son fils. père, et l'ordre qu'il en avait reçu de ne pas
La devenue à chargea cause
vie, dit-elle, m'est épouser une fille des Chananéens, et ce voyage
des filles de Chet, quEsaii a épousées ; si Ja- en Mésopotamie, il voulut comme corriger sa
cob épouse une fille de ce parjs-ci, que me fait faute et apaiser son père. // alla, dit le texte,
la vie? Ces paroles me semblent flétrir les vei's la maison d'ismaël , et, outre les femmes
mœurs des épouses d'Esaii qui étaient pour la ,
qu'il avait déjà, il épousa une fille dJsmaël^
famille du patriarche un grand sujet de cha-
, filsd'Abraham.
grin. En elîet, la divine Ecriture, parlant Avez-vous bien compris, mes bien-aimés,
d'Esaù , nous a dit plus haut, qu'il avait pris la prudence avec laquelle la plus allectueuse
des épouses parmi ceux de Chet et cTEva; ces des mères arrache son fils Jacob au danger;
femmes querellaient Isaac et Rébecca.. (Gen. l'adresse avec laquelle elle imagine un pré-
XXVI, 3i, 35.) Elle veut donc lui rappeler ces texte, pour son voyage, sans révéler la mé-
causes d'ennui ; c'est comme si elle lui disait: chanceté d'Esaii sans que le père puisse en soup.
,

Vous savez combien les épouses d'Esaù m'ont çonner la cause réelle? Et, en même temps,
rendu la vie amère; quelle aversion j'é[)rouve, comme elle donne à son fils un bon conseil,
à cause d'elles, pour toutes les filles du pays de de telle sorte que la crainte le détermine à
Chet; à cause d'elles, toute cette nation m'est suivre sa pensée; et, en même temps, le père
odieuse; donc, s'il arrive que Jacob, à son entend alléguer un motif plausible; il s'ensuit
tour, prenne une épouse dans cette nation ,
que le juste, déterminé par ces paroles, munit
désormais que [)uis-je espérer? Que me fait Jacob de sa bénédiction comme d'un viatique
alors la vie? Si, à ces épouses insupportables, et le congédie.
Jacob vient ajouter encore une épouse, prise Maintenant, vous est agréable, et si vous
s'il

parnii les filles de cette nation, tout est perdu n'êtes pas voyons comment Jacob
fatigués,
pour nous. A ces mots, le patriarche, con- accomplit son voyage. Ne méprisons pas le
naissant la malignité de ces femmes : haac fruit que nous pourrons recueillir ici de notre
ayant donc appelé Jacob, le bénit ^ dit le texte, attention. En effet, la vie des hommes justes
et lui fit ce commandement Ne prenez point, : est tout un enseignement de sagesse. Voyez
lui dit- il, une femme d'entre les filles de Cha- donc ce jeune homme, qui n'est pas encore
naan , mais allez en Mésopotamie, dans la sorti de la maison pateinelle qui jusqu'à , ,

maison du père de votre mère, et épousez une ce moment, n'a pas la moindre idée d un
des tilles du fière de votre mère. (Gen. xxvui, voyage, ne s'est janiais trouve ui pays étran-
1, 2.) Ces paroles ne lui suffisent pas: il veut ger, n'a jamais supporté d'épreuve; V(»y« z-le,
qu'il entreprenne son voyage avec ardeur, et qui se met en route, et comprenez l'excellence
il verse encore sur lui ses bénédictions: Mon de sa sagesse. Jacob étant sorti du Puits du
Dieu vous bénira, il accroîtra et multipliera serment s'en alla à Charran et
, étant venu , ,

votre race, et vous serez le chef de plusieurs en un certain lieu , comme il voulait s'y

peuples, et il vous donnera, à vous, la bénédic- reposer, après coucher du soleil, il prit
le

tion d Abraham, mon père à vous et à votrn


, une des pierres qui étaient là et la mit sous ,

race après vous, et il vous donnera la terre où <a tète , et a'endorndt dans ce même lieu*

vous demeurez comme étranger, qu'ilapro (IbH.lO, 11).


mise à Abraham. (Ibid. 3, 4.) Voyez ce juste, Voyez-vous la sagesse au-dessus de toute ex-

lui prédisant tout l'avenii : quelles bonnes pro- presfi.J'^T' ? Ynvez-vous cette manière de voya-
358 TRADUCTION FMNÇAISE DE SAINT JEAN CIIRYSOSTOME.

ger, dans les temps qui ne sont plus? Voilà un car je la donnerai , cette terre , à toi , et

homme qui n'est pas sorti de chez lui je ,


à ta race, et je ferai que ta race s'augmente de
iveux le redire, habitué à voir autour de lui des manière à égaler le sable de la mer. Et elle se

serviteurs en foule. Celait un hojnme simple piropagera du côté de la mer, du côté du midi,
de mœurs, et retiré à la maison
dit le texte , vers le septentrion, vers l'orient, c'est-à-dire,

(Gen. XXV, 27) le voilà, au début d'un voyage,


;
elle se propagera en tous les sens , et toutes les

et il n'a besoin ni de bétes de somme ni de , 7iations de la terre sei^ont bénies en toi et en ta


serviteurs, ni de bagages c'est un apôtre qui : race.

fait un voyage au coucher du soleil, il s'en-


, Voyez comme Dieu lui prédit, dès ce mo-
dort où la nuit l'a surpris. Il prit, dit le texte, ment, tout ce qui arrivera longtemps après; c'est
une pierre et la mit sous sa tête. Voyez la ro- en effet l'habitude du Dieu de l'univers, de
buste nature du jeune homme-, une pierre lui faire aux justes, pris chacun en particulier,

sert d'oreiller, et, sur la terre, il dort. Mais des promesses dont l'accomplissement ne suit
aussi , comme il avait une âme généreuse, un pas aussitôt. Il exerce l'obéissance et la pa-
esprit viril, au-dessus de toutes les vanités du tience des et il remplit magnifique-
justes ,

siècle, a mérité de voir cette admirable vi-


il ment, promesses qu'il leur a annoncées.
les

sion : C'est riiabitudc de notre Dieu: quand il Après cette prédiction de l'avenir, Jacob avait

trouve une âme bien disposée, peu touchée des besoin pour le moment, d'une consolation
choses présentes, il se plaît à lui montrer toute l)articulière. Voyez comme la bonté du Sei-

pour elle.
l'afrcction qu'il a gneur, en lui déclarant l'avenir, ranime en

U. Voyez donc ce juste, couché par terre, et même temps sa confiance ; il lui dit en effet :

voyant celle fameuse vision, disons mieux, Ne pense pas que je me borne aux seules pro-
jugé digne de la vision de Dieu. En effet, messes que je te fais ce n'est pas tout, je suis ;

dil le texte, il s'endormit et voici qu'une


, avec toi, je te garde partout où tu vas. (Ibid. 15.)
échelle lui apparut, dont le pied était sur la Ne l'imagine donc pas, dit-il, que tu sois seul
terre, et le haut touchait au ciel et les anges , sur ton chemin tu m'auras pour compagnon
;

de Dieu montaient et descendaient le long de de route, lu m'auras comme gardien, quelque


l'échelle ; et le Seigneur, appuyé sur V échelle , chemin que tu fasses, te rendant tous les far-
hù disait : Je suis le Dieu d'Abraham, et le deaux légers abaissant devant toi tous les
,

Dieu d'Isaac, ton père, sois sans crainte. (Ibid. obstacles. Il augmente ensuite la consola-
d2, 13.) Considérez, je vous en conjure ici, la tion il lui prédit son retour au milieu des
;

clémence de Dieu. 11 le voyait docile aux con- siens Je te ramènerai, lui dit-il, dans ce
:

seils de sa mère, et, parce qu'il redoutait son pays ; ne t'effraye donc point, comme si lu
frère, entreprendre un long voyage il était ; devais vivre dans une terre étrangère; Je te
pour ainsi diie errant, seul, sans conipagncii, ramènerai dans ce pays, et Je ne te quitterai
sans consolation aucune, n'attendant rien que point que je n'aie accompli tout ce que je t'ai
du secours d'en-haut et tout de suite , et dès ; dit. Je ne te perdrai pas de vue, je ne te lais-

le commencement, jaloux de forlifier son cou- serai jias dans l'ineerlilude, dépourvu de res-
rage, Dieu lui apparaît cl lui dil : Je su/s le sources; tout ce tiue je t'ai j)romis, je l'accom-
Dieu d'Abraham, et le Dieu d'Isaac ton père ; plirai. Qui pourrait assez adnnrer l'ineffable
c'ebl moi (jui élevai le patriarche et Ion père à bonté de Dieu, et l'excès de sa clémence? Voyez
une gloire si éclatante sois donc sans crainte, , quelle magiùlique promesse il fait au juste,
ai( coiiflance en moi, j'ai rempli les promesses connue il relève son courage. Considérez aussi
qie Je leur ai faites, et je te prouverai, à toi la reconnaissance du juste après tant de pro- ;

au?M, que ma providence veille sur toi; sois messts il supporte facilement
, auprès de ,

donc i-aiis crainte, et prends contiance Ijamiis ; Laban, pendant vingt années, mille é|)reuves ;

toute frayeur, ajoute foi à mes j)aroles. Cette sans se plaindre, saris réclamer contre la lon-
terre où tu dors, je te la donnerai, à toi et à ta gueur du temps ; il supporte tout avec un gé-
race, et ta race ressemblera au sable de la néreux courage, attendant raeeonipli-ïsemenl
7ner. Ibid. 11.
( Ne t'imagine pas dit-il
) , ,
des promesses; persuadé ijuela parole de Dieu
parce que tu vas maintenant sur la terre a toujours son effet, surtout quand nous mon-
étrangère, que tu seras privé de la terre où tu trons avec ardeur les vertus qu'il exige de
€s né, où lu as clc élevé où lu as grandi ; , nous, la foi cl la palicucc; et la couliance
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. - CLNQUANTE-QUATUIÈME HOMÉLIE. m
aux promesses du Seigneur confiance aussi ; caractère apostolicjue que sa prière révèle ; tel

solide, que si ses promesses étaient déjà ac- était l'amour de la sagesse qui remplissait
complies. Voilà en elîet la foi véritable elle ; l'àme de l'homme juste. Ce que le Christ di-

ne s'arrête pas aux choses visibles, alors môme sait : Ne possédez ni or ni argent, ni deux tu-
(jue tout semble contredire les promesses, elle niques (Math. X, 9), ce patriarche, sans aucun
se fie uniquement au pouvoir de celui qui a maître, de lui-même, l'avait appris, du maîtro
promis. Mais voyons maintenant la recon-
, ([ue nous portons naturellement en nous et il ;

naissance de ce juste. Jacob s'éveilla^ dit le demandait à Dieu du pain pour manger, et un
texte, de son sommeil^ et dit : Le Seigneur est vêtement pour se couvrir. Si j'ai cela, dit-il,
vraiment en ce lieu- ci, et Je ne le savais pas, et sur la terre étrangère Et si Dieu me ramène :

il fut saisi de frayeur, et il dit : Combien ce sain et sauf dans la maison de mon père ,

lieu est terrible ! c'est bien ici la maisoîi de comme il me l'a promis, le Seigneiir sera mon
Dieu, et ceci est la porte du ciel. (Ibid. 10, 17.) Dieu, et cette pierre que f ai dressée comme
Le juste est frappé de stupeur, dit le texte , ce un monwnent , sera pour moi maison de
la
qui est un ell'et de l'extrême miséricorde de Dieu, et je vous offrirai. Seigneur, la dîme de
Dieu, et il dit : C'estmaison de
bien ici la tout ce que vous m'aurez donné. (Ibid. 21, 22.)
Dieu, et ceci est la porte du ciel. Ce lieu-ci Voyez la sagesse du juste; il demandait sans
s'appelle désormais pour moi la maison de , doute, mais rien de précieux, rien que du pain
Dieu. Eh bien ! puisque j'ai été jugé digne et un vêtement, et il promettait, au Seigneur,
d'une telle vision, puisijue j'ai vu pour ainsi de lui donner de ses propres biens ; c'est qu'il

dire, la porte du ciel, il est juste que j'offre au n'ignorait pasque Dieu rivalise avec nous de
Seigneur l'action de grâces qui lui est due. Et munificence que ses rétributions dépassent
,

Jacob se leva, et prit la pierre qu'il avait mise nos pensées et il dit Cette colonne sera pour
; :

sous sa tête, et l'érifjea comme un monument, moi la maison de Dieu, et, de toutes les choses
et et Jacob appela
répandit de l'huile dessus, que vous me donnerez. Seigneur, je vous donne-
ce lieu la maison de Dieu. Ce lieu avait un rai ladîme. Avez-vous bien compris cette sagesse
autre nom auparavant. (Ibid. 18, 19.) Après d'une àme qui aime Dieu? 11 n'a encore rien
avoir été honoré d'une vision si magnifique, il reçu, et il promet de rendre, au Seigneur, la

en consacre le souvenir dans le nom donné au dîme des biens qui lui seront accordés.
lieu il veut que la postérité regarde cet en-
; Gardons-nous , mes bien-aimés , de passer
droit comme un endroit fameux il y dresse ; outre, sans nous arrêter sur ces paroles; riva-
une pierre en manière de colonne; sur la lisons tous avec ce juste; nous qui vivons sous
pierre il verse de l'huile (vraisemblablement la loi de grâce, imitons celui qui vécut avant
c'était la seule chose (jne ce voyageur eût la loi et ne demandons rien de ce qui est
;

emportée avec lui), et il adresse au Dieu plein temporel au Seigneur. En effet, il n'attend pas
de bouté, une prière inspirée par la vraie sa- de nous que nous l'avertissions il prévient ;

gesse. même nos demandes pour nous donner ce ,

5. vous voulez, écoutons maintenant les


Et si dont nous avons besoin. Il fait lever son SO'
paroles mêmes
de cette prière Et il fit ce : leil sur les méchants et sur les bons; il fait

vœu, dit le texte, en disant : Si le Seigneur, tomber sa pluie sur les justes et sur les in-

mon Dieu demeure avec moi, s'il me prot('ge


, justes. (Math. V, 45.) Et croyons en ses avertis-
dans le chemin par lequel je marche. Vous sements et ses paroles Cherchez première- :

vous rappelez que Dieu avait dit Je suis avec : ment royaume de Dieu , et toutes ces choses
le

toi, et je te garderai dans le clieinin par lequel vous seront données par surcroît. (Math, vi,
tu marches. Voila pounjuoi Jacob à son tour 33.) Comprenez-vous (|u'il nous a préi)aré lui-

dit S'il m' arrive ce que tu m'as promis de


: même, en don, jusqu'à ces autres biens, qu'il
me dotmer. 11 ajoute maintenant sa prière en nous promet de nous les donner à titre de pro-
disant Si Dieu me doime du pain pour man-
: fit, par surcroît? N'allez donc pas deman-
et

ger, etun vêlement pour me couvrir ; il ne der, à titre de nécessaire, ce que vous recevrez
demande pas des richesses, l'abondance, le par surcroît; procédons avec ordre; cherchons
luxe mais du pain et un vêtement. Ce vê-
, ce qu'il nous a commandé de chercher, afin
tement ,
pour se couvrir le corps ; ce pain qu'il nous soit permis de jouir et des biens

comme un aliment nécessaire. Considérez le nécessaires, et des autres. Voilà pourquoi le


3«0 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

Seigneur nous a fixé, dans la prière qu'il nous encore de notre incrédulité ? Les faits eux-
a prescrite, la mesure dans laquelle nous de- mêmes ne parlent-ils pas assez haut? Et quand
vons demander les biens présents. Voilà les le Christ nous invite à ne rien lui demander
paroles qu'il nous dit de prononcer, paroles de ces biens fragiles, qui n'ont qu'un temps,
qui renferment toute la sagesse Donnez-nous : quand il nous prescrit de lui demander les
aujourdlmi notre pain quotidien (Math, vi, biens impérissables, nous résistons à ses con-
41); l'aliment de la jounée, dit-il, et telle est seils. Ce qu'il ne veut pas que nous recher-

de ce juste, quoiqu'il n'eût rien en-


la prière chions est l'objet de notre recherche ; et ce
tendu de cet enseignement Si le Seigneur : nous dit de demander, c'est justement ce
qu'il

me donne du pain pour manger^ et un vête- que nous ne demandons pas. Et en suivant
ment pour me couvrir. Ne lui demandons rien cette conduite, par notre lâcheté, par notre in-
autre chose pour le présent, c'est une indi- dolence, nous irritons le Dieu de douceur et
gnité de demander, à tant de générosité, à d'amour et, en même temps, nous oublions
;

tant de pouvoir, des choses qui se dissipent les fautes que nous commettons chaque jour;
avec la vie présente. Voilà ce que sont les et, s'il s'indigne nous demandons pourquoi,
,

choses humaines, les richesses, la puissance, pourquoi il nous méprise, pourquoi il nous
la gloire qui vient de l'homme. Demandons laisse tomber en diverses tentations; et ja-
ce qui subsiste toujours, les biens qui suffi- mais nous ne pensons à la grandeur de nos
sent , les biens immuables. Instruits de la fautes et nous sommes les premiers à nous
;

bonté de Notre-Seigneur, méprisons les choses trom[)er nous-mêmes. Aussi, je vous en con-
présentes , attachons tout notre amour aux jure, brisons tous ces obstacles, cessons de
biens du ciel ; car s'il fait lever son soleil sur rien mettre au-dessus de noire salut. En effet,
les bons et sur les méchants^ s'il fait tomber la Que sert-il à Vhomme de gagner le monde
pluie sur les justes et sur les injustes , à plus tout entier et de perdre son dme? (Math, xvi,
forte raison aura-t-il des regards pour ceux 2G.) Ces richesses superflues, vidons-les dans
qui s'abstiennent de la malignité, qui fuient les mains des pauvres ; montrons en toutes I
l'injustice. Il les entourera de tous les soins de choses l'ardeur de notre zèle pour la sagesse ;

sa providence ; en toute circonstance il leur méprisons la vaine gloire; foulons aux pieds
prouvera sa sollicitude. Instiuits de cette vé- le faste qui séduit les hommes; montrons, les
rité, mes bien-aimés, ne refusons pas notre foi uns envers les autres, le zèle ardent d'une
aux divines promesses; ne faisons rien de con- charité réciproque ; rendons-nous dignes et
traire à ses ordres. En vérité , à considérer des biens pré>ents et des biens à venir, par la
notre conduite d'aujourd hui, entre nous et gràn- et par bonté de Notn'-Seigneur Jésus-
la

Lorsque c'est
les infidèles (juclle (lillortMice? Christ, à qui appartient, connue au Père,
Dieu lui-même qui n(uis garantit l'avenir, et connue au Saint-Esprit, la gloire, l'tniitire,
que nous relusons de nous fier en ses paroU-s; l'honneur, maintenant et toujours, et dans
quand nous rivons nos pensées au présent, je les siècles des siècles. Ainsi soil-il.
vous le demande, quelle autre marque faut- il
HOMÉLIES SUR LA GENESK. — CINQUANTE-CINQUIÈME UOMÉLIE. aei

CINQUANTE-CINQUIÈME HOMÉLIE.

Et Laban dit à Jacob : < Parce que voua êtes mon frère , ce n'est, pas une raison pour que voua eerviea gra-
tuitemeat. Dites-moi quelle rétnbutioa vous déaires, a (Qen. XXJLX, 15.)

aralyse;

1. Résumé de l'homélie précédente. Jacob met 2 et 3. Fa-


tonte sa confiance en Dieu. Quelle était l'hospifa^ilé des anciens. ~
plication (les versets 15-18. L'amour de Jacobpour RacbrI accuse noire imlifléreiice pour Dieu. Comment saint Paul aimait
Iiieu, il faut l'imiter. —4 La longueur du temps n'est pas nécessaire pour obtenir la rémission des péchés. Puissance de
l'aumône. — 5. Exhortation à la pratique de l'aumôue.

1. Hier les préludes du voyage de rhomme dans ses prières ; mais sa promesse de donner
juste nous ont assez montré la grandeur de sa un jour la dîme de tout ce qu'il recevra,

sagesse, qui lui a mérité d'entendre de si ma- montre assez toute sa confiance dans le pou-
gnifiques promesses de la part de Dieu, Ces voir du Dieu qui lui a tant promis. Voilà pour-
prières, les vœux adressés par lui au Maître quoi le Seigneur lui di>ait : Je suis le Dieu d'A-
de l'univers, ont été ensuite, pour nous tous, braham d'Isaac ton joère, 50/5 sans crainte.
et
un enseignement assez cloquent, si son exem- (Gen. XXVI, 24.) Pense, lui disait-il, qu'Abra-
ple nous excite à imiter sa vertu. C'est en elïVl ham vtnu sur celte terre, cominr un voyageur
une chose admirable que ce juste, connais.sant que nul ne connaît, s'est élevé à une gloire si
le pouvoir de Celui qui lui faisait les pro- éclatante (|ue toutes les bouches célèbrent son
messes ,
que ce juste qui entendait des jno- nom ; considère, de même, (|ue ton |)ère est

messes si magnifi(]ucs, môme dans ces circ(»n- venu au jour, lors(|ue le vieil Abraham tou-
stances, n'ait pas songé à rien demander de chait aux dernières limites de l'âge, et que ton
grand ni de sublime. Qu'a-t-il demandé? ce père a grandi de manière à exciter l'envie des
que vous avez entendu hier ce qui suffisait ; liabilants de la contrée. Eh bien doncl attends,
à sa nourriture de chaque jour, un vêlement pour toi, les mêmes biens ; bannis toute
pour secourir le corps, et bien vile, il s'engage, crainte, toute inquiétude, et marche devant
si Dieu lui accorde, comme il lui en a fait la toi dans ces pensées. Le juste ne s'arrêtait pas

promesse, de retourner au milieu des siens, à à regarder son état présent. En efTet , il ne
donner, de son côté, au Seigneur, la dîme de portaitabsolument rien avec lui, qu'aurait-il
tous les biens qu'il en recevra. Toutes ses pa- pu emporter? il était seul et contraint à un
roles montrent sa confiance dans le pouvoir de long voyage. Mais, dès ce moment, avec les
Celui qui lui fait la promesse; il nous enseigne yeux de la foi, il voyait l'abondance (jui devait
à n'avoir de confiance qu'en lui. C'est que cet bientôt être son partage ; et il montrait sa re-
homme juste connaissait rinelîable bonté du connaissance. Avant d'avoir rien reçu, il fait un
Seigneur ce qui l'en assurait, c'était le soin
; vœu, il consacre promesse de Dieu
la dîme ; la

que Dieu avait pris de son père, et il ne dou- lui inspire plus de confiance que la réalité
tait pas que Dieu lui accordât à lui-même l'a- même de la possession. Et en effet, nous de-
bondance de tous les biens. Aussi, ne demande-. vons moins nous fier à ce que nous tenons
t-il rien de pareil au Seigneur; il u'y songe pas dans nos mains, à ce que nous voyons, qu'aux
S62 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME,

promesses de Dieu, alors même qu'elles ne mais, elle courut; c'est-à-dire qu'elle était péné-
s'accomplissent pas aussitôt. Donc, plein de trée d'une grandejoie.'Gen.xxix, 12.) Et ensuite,

l'assurance que lui donnent les paroles de au sujet de Laban, qui était le père de la
jeune
Dieu, le juste entreprend son voyage, et com- fille, le que sur ce qu'elle lui raconta,
texte dit,

ment n'aurait-il pas eu pleine assurance? Dieu il courut, lui-même aussi, au-devant de Jacob,
lui avait dit : Voici que je suis avec toi, ton et le baisa et l'amena dans sa maison. (Ibid. 13.)
gardien, partout où tu iras, et je multiplierai 2, Lorsque Laban eut appris de lui tout ce
ta race, et je te ramènerai dans ce pays, et je qu'il voulait savoir, Laban lui dit : vous êtes
ne te quitterai point, jusqu'à ce que j'aie ac- de mes os et de ma chair (Ibid. 1-4), c'est-à-

compli toutes mes 'promesses. (Gen. XXVIII, 15.) dire, puisque vous êtes sœur, le fils de ma
Je veux répéter ce que j'ai dit hier; consi- vous êtes de notre chair, vous êtes notre frère.
dérez l'industrieuse sagesse de Dieu; con- Et, dit le texte, il resta avec lui un mois; le
sidérez la constance, la reconnaissance de ce juste se trouva là, comme dans sa propre mai-
juste. // se leva, après avoir entendu ces pro- son, au sein de l'abondance, affranchi de toute
messes, et se Chayiaan; et le
dirigea vers espèce de soin. Mais comme Dieu disposait
voilà encore voyageur, errant, mais à chaque toutes choses dans l'intérêt de ce juste, et lui
heure éprouvant les effets de la divine grâce ; manifestait, en toutes choses, sa faveur et sa
c'est le Dieu d'amour qui lui prépare en , grâce, il pour lui l'affection de Laban et
excita
tous lieux, le chemin, et qui accomplit sa celui-ci,voyant l'honnêteté du juste, lui dit :

promesse. En effet, celui qui avait dit Je : Parce que vous êtes mon frère, ce n'est pas une
suis avec toi ; ton gardien, partout où tu iras, raison pour que vous me serviez gratuitement ;
c'est celui-là qui conduisit le juste vers le Dites-moi quelle rétribution vous est due. Con-
puits où les bergers de ce pays allaient cher- sidérez que le juste, de lui-même, ne deman-
cher l'eau. Il les interrogea, au sujet de Laban, dait rien c'est Laban, qui sans aucune provo-
;

le frère de sa mère il apprit d'eux tout ce qui


; cation, de son propre mouvement, fait cette
le concernait il vit ensuite et la fille de Laban,
; proposition au juste et considérez encore ;

et ses troupeaux: il vit les habitants du pays lorsqu'un homme s'appuie sur le bras d'en-
(jui ne pouvaient pas ôter la pierre de dessus haut, comme tout afflue vers lui, ce yi'est pas
le puits afin d'abreuver leurs troupeaux il ac- ; une raison, dit le texte, pour que vous me ser-
courut ; et ce que ces hommes n'avaient pas la viez gratuitement ; Ditcs-fyioi quelle rétribu-
force de faire, il le fit, grâce au secours d'en- tion vous est due. Cependant ce bienheureux
haut; il prévint les bienfaits de Laban, ôta la aimait Laban, et il lui suffisait de trouver au-
pierre, et abreuva les brebis, que faisait paître j)rès de lui la nourriture de chaque jour ; et,
Rachel. Ensuite il baisa la jeune fille, lui dit pour ce seul avantage, il lui témoignait toute
qui il était, d'oîi il venait, et resta auprès de sa reconnaissance mais Laban, qui a vu toute
;

la fontaine. Mais, comme


Dieu qui dis- c'était son honnêteté, le prévient, en lui j^romettant
posait toutes choses en faveur de l'homme de souscrire à la rétribution que lui-même
juste. Dieu excita la jeune fille à courir promp- fixera. Que fait donc le juste? Considérez en-
tement pour porter la nouvelle à son père.(iui core ici, sa parfaite sagesse, son parfait désin-
était l'oncle de Jacob, le frère de sa mère elle ; téressement, son mépris de l'argent; ce n'est
lui raconta le service que le voyageur venait pas un mercenaire i\\\\ conteste avec Laban,
de rendre, elle-même et à son troupeau
et à ;
qui réclame quoi que ce soit il ne pense qu'à ;

elle lui apprit que ce voyageur n'était, ni un sa mère, (Qu'aux ordres qu'il a reçus de son
étranger, ni un inconnu, mais le fils de sa père, et il montre l'excellence de sa sagesse,
sœur. dans sa réponse à Liban Je vous servirai sept :

Considérez, mes bicn-aimés, le soin que ans. pour Hachai, votre seconde /illc. (Ibid. 18.)
prend la divine Ecriture de nous faire con- C'est ({u'anssitôl qu'il l'avait vue auprès du
naître tous les détails, un à un, pour nous ap- puits, il l'avait aimée ; et voyez l'intelligence
prendre les mœurs anticjues, l'ardeur dos an- de Jacob il fixe l'intervalle de temps et. par ce
; ;

ciens hommes à praliiiucr l'hospitalité. L'Ecri- chillVe de sept années, il montre suffisamment
ture veut nous montrer l'empressmiont delà la sagesse qui l'inspire. Et pourquoi vous éton-

jeune fille, et le texte ne se borne pas à dire: Elle ner,mes bien-aimés, d'entendre dire (juil [>ro-
alla porter la nouvelle de ce qui était arrivé ;
mit de servir sept ans pour la jeune ûlle qu'il
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — CINQUANTE-CLXQUIÈME HOMÉLIE. 363

aimail? La divine Ecriture a voulu nous mon- qu'elle recèle, voyez la ferveur de l'amour vio-
trer l'excès de son amour en fixant la lon^aieur lent, voyez la charité embrasée. Qui nous sépa-
du travail et du temps qu'il propose Jacob : rera, c'est-à-dire, quoi donc peut nous sépa-
le servit donc sept aiis, pour Rachel, et ces an- rer de l'amour pour Dieu, quoi donc parmi
nées lui parurent des jours en bien petit no7n- les choses visibles, quoi donc parmi les invi-
Ire, au prix de l'affection que lui avait pour sibles?
elle. (Ibid. 20.) 3. Ensuite, il énumère un à un tous les mal-
Ce nombre de sept ans, dit le texte, ce n'était heurs particuliers, pour bien montrer à tous,
que comme quelques jours, à cause de sa vive que rien ne peut triompher de l'amour qui le
aûl'ction pour la jeune fille. C'est que riiomme l)ossède, de son amour pour le Seigneur; il
blessé par l'amour ne voit rien de pénible ; ajoute La tribal ation ? V affliction ? la faim ?
:

tous les dangers, toutes les épreuves, tout lui la persécution ? la nudité ? les périls? le (jlaice ?
semble léger, parce que ses regards ne voient délirante folie, mère de la vraie sagesse De
1

qu'une chose, parce qu'il n'a qu'une pensée, tout ce (jui peut nous arriver, Çw'e5^ce donc qui
rassasier son amour. 710US séparera de l'amour de Dieu? Les tribula-
Soyons allenlifs, nous tous, que tient la lâ- tions de chaque jour ? non les afflictions ? non; ;

cheté et l'abattement d'esprit, et qui ne mon- les persécutions? non, jamais. Quoi donc alors?
trons au Seigneur que notre ingratitude. Si ce la faim? non, pas même la faim; mais alors

juste, parce qu'il aimait cette jeune fille, s'est les périls? et que dis-je? la faim et la nudilé,
assujéti à servir pendant sept années, a sup- et les périls? Ah le glaive? eh bien, dit-il, la
!

porté les fatigues des bergers et n'a ressenti ni mort même, fondant sur nous, n'aura pas ce
ces fatigues, ni la longueur du temps; si tout pouvoir; impossible, absolument impossible.
lui aparu léger et facile, parce qu'il avait pour Nul autre, non, jamais personne n'a mérité de
soutenir son courage, l'attente de la félicité à ressentir l'amour pour le Seigneur, autanlque
Tenir si ce temps si long lui a paru comme
; celte âme bienheureuse c'était comme un ;

un petit nombre de jours bien vite passés, esprit affranchi du corps, séjournant dans les
quelle sera notre excuse, à nous, qui n'avons espaces sublimes, ne touchant i)lus la terre,
pas le même amour pour le Dieu qui nous quand il faisait entendre de telles paroles; son
aime, qui nous comble de bienfaits, qui nous amour pour Dieu, la charité qui l'embrasait,
entoure de ses soins, qui se donne tout à nous ? transportait sa pensée loin des choses sensi-
S'agil-il d'un de ces profits du monde ; nous bles , vers la vérité pure loin des choses
;

voilà pleins d'ardeur, prêts à tout, acceptant présentes, vers les biens à venir ; loin des
les fatigues, quoique ce bien que nous pour- choses visibles, vers celles que l'œil ne voit
suivons, ne soit que trop souvent un pesant pas. Voilà ce que fait la foi, voilà l'amour de
fardeau, une occasion de honte et de châti- Dieu. Et, comprenez la grandeur du sentiment
ment, dans le présent et dans l'avenir. Mais qui le pénètre, voyez quel amour pour le Sei-
s'il s'agit de notre salut, s'il faut nous concilier gneur voyez quelle charité brûlante, dans la
;

la faveur d'en-haut, nous sommes sans éner- fuite, dans la persécution, dans les verges,
gie, sans courage, et notre vigueur s'en va. dans innombrables épreuves qu'il supporta,
les
Quelle pourra être notre excuse que pour-
,
qu'il énumérait ainsi: J'ai plus souffert de tra-
rons-nous dire pour justifier notre noncha- vaux^ plus reçu de coups : souvent, j'ai vu ?nille
lance, nous, sans cœur, qui n'avons pas pour morts ; fai reçu des Juifs, à cinq reprises diffé-
Dieu le même amour que te bienheureux pour re7ites,trente-neuf coups de fouet; fai été battu
cette jeune fille, et cela malgré tant de bien- de verges^ par trois fois ;fai été lapidé une fois;
faits depuis longtemps reçus, malgré tant de fai fait naufrage trois fois; j'ai passé, un jour
bienfaits, que nous recevons encore chaque et une nuit^ au fond de la mer ; j'en étésouvciit

jour? Oui, nous sommes des ingrats; le bien- dans les voijages, dans les périls sur les fleuves,
heureux Paiil n'était pas un ingrat, lui, dont dans les périls des voleurs, dans les périls de la
l'amoiu" bouillant, dont la charité ardente trou- part des faux frères, dans la peine et dans les
-vait des paroles, des cris, des accents vraiment fatigues. (Il Cor. xi, 23-27.)
dignes de sa grande âme Qui nous séparera
: Et celui qui subissait tant d'épreuves, se ré-
de Vantour de Jésus-Christ? [ïxom. vin, 35.) jouissait et tressaillait d'allégresse ; il savait, il

Voyez la chaleur de l'expression et la force avait au fond du cœur la conviction, que les
364 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

fatigues présentes lui assuraient les plus glo- considère que la grandeur de Celui qui a pro-
rieuses récompenses; (|ue ses périls lui va- mis qu'il regarderait comme fait à lui-même
laient des couronnes. Si Jacob , dans son tout ce qui aurait été aux pauvres. Gar- fait

amour pour Rachel, rejzardait comme le court dons-nous donc de dédaigner, je vous en con-
espace de quelques jours une durée de sept jure, ce profit de nos âmes, ce remède de nos
années, à bien plus forte raison, ce bienheureux blessures. Voilà, en effet, voilà, par excellence,
méprisail-il toutes les choses présentes, em- le remède salutaire, qui fera disparaître les
brasé qu'il était de son amour pour Dieu, sup- ulcères de nos âmes, jusqu'aux vestiges de
portant tout, pour son Christ bien-aiiïié. Ap- toutes les cicatrices ;
qui produira une cure,
pliquons-nous donc, nous aussi, je vous en impossible pour le corps. Vous avez beau, d'a-
conjure, à aimer le Christ, car, Que de- près les conseils des médecins, mettre cata-
mande-t-il de vous , dit l'Evangéliste? rien plasmes sur cataplasmes il faut que, sur le ;

autre chose ,
que de l'aimer de tout votre corps, la cicatrice demeure, et cela se com-
cœur, et d'accomplir ses commandements. prend c'est le corps en effet qu'il s'agit de
;

(Marc, xn, 30). Il est évident que celui qui guérir au contraire, quand il s'agit de guérir
;

aime Dieu, comme il convient, fera tous ses l'âme, la bonne volonté produit une amélio-
effortspour accomplir ses préceptes; l'amour ration merveilleuse; les plaies disparaissent,
fraternel fait tout avec ardeur, pour s'attirer connue la poussière que dissipe la violence
l'amour du bien-aime et nous aussi, si notre ; des vents. Les Ecritures sont pleines d'exem-
cœur chérit sincèrement le Seigneur nous , ples qui le prouvent. Ainsi Paul est devenu,
nous empresserons d'accomplir ses comman- de persécuteur, apôtre ; et celui qui d'abord
dements nous ne ferons rien qui puisse ai-
; combattait l'Eglise, est devenu fiancé de la
grir contre nous le bien-aimé. Voilà la royauté divine grâce.
du ciel ; voilà, des vrais biens la vraie jouis- 4. Comprenez-vous le changement? compre-
sance ; renferme les biens infinis,
voila ce qui nez-vousla transformation?C'estainsi quele lar-

la sincérité, la perfection de l'amour. Et noire ron, qui avait commis tant de meurtres, a |»u,
amour jmur Dieu est sincère, quand l'affec- pour(iuel(|ues paroles que vous connaissez, en
tion que nous lui portons, nous excite à mon- moins d'un instant, si bien laver toules ses
trer, à nos com|>agnons d'esclavage, la ten- fautes, qu'il a entendu, de la bouche du Sei-
dressed'un ardent amour. Joute la loi et les pro- gneur : Aujourdhui, vous serez avec moi dans
phètes, dit rEvangéli>te, sofit renfermés dans le paradis. (Luc, xxui, iS.) C'est ainsi (jue le
ces deux cotiima/ulements (llatlh. xxii,-4()), à sa- publicain, pour s'être frappé la poitrine, pour
voir: Que vous aimiez le Seigneur^ votre Dieu, avoir confessé ses fautes, est descendu du tem-
de fout votre cœur , de toute votive âme et de ple plus justifié que le pharisien. (Luc, xvni,
toutes vos forces, etvotre procJuiiii co))tmevous- f3.) C'est (|ue tous ces |)cchours manifestèrent
viâme. (Marc, xii, 30, 31.) Voilà la somme, la bonne disposition de leur ànie; ils confessè-

voilà le fondement de toules les verlus. En rent leurs péchés, ils en obtinrent la rémis-
même temps que l'amour de Dieu fait son sion. Eh bien ! maintenant, voyons la force de
entrée dans les ànies, y entre aussi l'amour du cepréoe|ite, l'abondance qui aeconqtagne les
l>iochain; (|ui aime Dieu, ne méprise pas son largesses de laumùne apprenons quel profit ;

frère, ne préfère pas les richesses à celui qui en résulte pour nous, afin de la pratiquer avec
est un de ses membres; au contraire, c'est ardeur. Peut-être sou pouvoir est-il si grand
l'amour, c'est la boulé qui se manifeste au (jue, non-seulement elle purilie les péchés,
souvenir de cette parole Autant de fois que : mais déconcerte la mort. Conunenl cela? je
voits Pavez fait à l'un de ces plus petits de tnes vais le dire : Et qui donc mobjeotera-t-onj
,

frères, c'est à nioi-mème que vous l'avez fait. pour avoir fait l'aumône, a triomphé de la
(Matlh. XXV, 40.) Celle pensée (lue ce (jue l'on mort? .\ coup sûr, on voit bien que nous
fait au prochain, est fait à Dieu même, cpii sommes tous asservis a la mort. Cessez de vous
nous l'altribue connue un bienfait qu'il a re^u troubler, mes bien-aimés; apprenez, par la
de nous, doime au vrai lidelo l'allégresse de la réalité même des choses, comment laumône
charité. Dès lors, dune mam généreuse, il ré- triomphe de la tyrannie de la mort. Il y avait
pand autour de lui l'aumùne; il ne s'arrête une fcnuue, appelée Tabitha, nom cjui corres-
pas à l'extérieur méprisable du pauvre; il ."^ nond au grec Dorcas; chaque jour cette femme
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — CINQUANTE-CINQUIÈME HOMÉLIE. 3Ô8

s'.ij>|)li(jiiait à amasser les richesses qui vien- petvt<5e faire que celui qui n'est pas riche
nent de l'aumône. Elle donnait , dit le texte, montre une grande libéralité, s'il a dans son
des vêtements aux veuves , et leur fournissùt C(rur une grande charité il jx'utsefaire quclc ;

toutes les autres choses (jui leur sont nécessaires. riche paraiï^se nioms généreux (jue le pauvre, si
Il arriva qu'elle tomhu malade, et mourut. ce riche a une âme sordide. Versons donc, je
Voyez ici, mon bien-aimé, quelle recompense vous en prie , ce que nous possédons, dans les
les veuves donnèrent à celle fonimc bienfai- mains des indigents; faisons-le d'une âme ,

sante, qui prenait soin d'elle, qui leur donnait charitable et magnitique, avec les dons que
des vètenienls. Elles entourèrent l'apôtre, dit nons tenons du Seigneur; ce que nous avons
le texte, et lui montrèrent ces vêtements, et rcru de lui, rendons-le lui encore, afin que,
toutes les preuves de la bonté de Dorcas, et de cette manière encore , ces biens redevien-
des vertus qu'elle manifestait, quand elle était nent nôtres, avec plus de profit. Telle est, en
encore au milieu d'elles. Ces veuves redeman- effet, la générosité du Seigneur; quoi(|u'il ne

daient celle qui les nourrissait, et elles ver- reçoive (jue ce que lui-même nous a donné, il
saient des larmes, et elles touchèrent vive- ne croit pas pourtant recevoir de nous ce qui
ment la compassion de l'apôtre. Que fil alors le lui ap[)artient en propre; mais, dans sa grande
bienheureux Vicrre? Il se ?nit à genoux, en priè- munificence, nous [)romet de tout nous ren-
il

res, et, se tournant vei'S le corps, il dit : Tabi- dre, à la seule condition que nous fassions ce
tha, levez-vous ; elle ouvrit les yeux, vit Pierre, qui dépend de nous; que nous sachions bien,
et se mit sur son séant. Il lui donna aussitôt la quand nous donnons aux pauvres, que nous
main et la leva; et, ayant appelé les saints et faisons un dépôt dans les mains du Seigneur;
les veuves, il la leur rendit vivante. [ Act. ix, que nous soyons bien assurés que, quels que
40, 41.) Voyez-vous la vertu de l'apôtre, disons soient les trésors déposés dans ses mains non- ,

mieux, la vertu du Seigneur, opérant par lui? seulement il nous li-;s rendra, mais nous les
Voyez-vous la grandeur de la rétribution qui rendra avec usure, avec un très-grand profit,
récompense la charité envers les veuves, la qui attestera la gloire de son incomparable
grandeur de la rémunération, même dans la magnificence. Et que dis-je? que Dieu n^ous
vie présente? Eh (juoi répondez-moi, cette
î rendra nos dons avec profit; non-seulement la

femme a-t-elle fait, pour les veuves autant , main divine rend ce qu'on lui donne, mais, à
que les veuves ont fait pour elle? elle leur tous CCS présents, elle ajoute le don du royaume
donna des vêlements et de la nourriture, mais des deux, et la gloire partout |)roclamée , et
les veuves, en retour, l'ont rendue à la vie ;
les couronnes, et des biens qui ne se peuvent
elles ont repoussé la mort loin d'elle; disons coin[)ter ; et cela, à la simple condition ,
pour
mieux, ce ne sont pas ces veuves qui ont re- nous , (le prélever, sur tant de bienfaits reçus
poussé la mort, c'est dans sa clémence, Notre- de Dieu, une toute pt tite part, que lui offre
Sei^neur, jaloux de récompenser les soins de notre bonne volonté. Y a-t-il donc là une exi-
cette bienfaitrice. gence lourde importune ?et De notre superflu,
Comprenez- vous la puissance de ce remède, il veut pour nou=, le nécessaire; de ce?
faire,

ô mes bion-aimés? A[tpliquons-le donc, tous trésors que nous déposons, sans but sérieux,
tantque nous sommes, a nous-mêmes; ce n'est inuiileiiîcnt dans des coffres d'où ne sort au-
pas un remède dispendieux quoiqu'il soit ;
cun [trofit, il veut que nous fassions un bon
d'une si grande eflicacité , il coûte peu , on se emploi qui lui perm» tte de nous décerner de
,

le procure sans frais ; car la grandeur de l'au- splendides couronnes. Car Dieu est impatient,
mône ne consiste pas dans la valeur de l'argent, elilnous presse, et il fait tout, et il met tout en
dans le prix des richesses, mais dans l'allé- œuvre, pourquoi? Pour nous rendre dignes de
gresse de la charité qui s'épanche. Voilà pour- toutes ses promesses.
quoi celui qui donne un verre d'eau froide est 5. Donc, je vous en prie, ne nous privons pas
agréable au Seigneur ; et, de même, la pauvre de biens si précieux; si l'agriculteur diligent
femme qui jette dans le tronc deux petites vide ses greniers, semences à la
confie les
pièces de monnaie. (Malh.x, 42. — Lue. xxi, 2.) terre , dépense ce nus longtemps à re-
qu'il a
Ces exemples nous apprennent que c'est, en cueillir, et fait cette avance avec plaisir, dans
toutes choses, la pureté de l'intention que de- res[)érance lie recueillir de plus grands biens,
mande le Seigneur Dieu de tous les êtres. Il et cela, quoiqu'il n'ignore pas les intempéries
966 TRADUmON FRANaiSE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

des saisons, la stérîïîté, dont parfois la ierre Sur l'homme doux . dit-il, et paisible et hum-
est frappée , un grand nombre d'autres acci- ble. Ensuite, il ajoute la cause qui produit cet
dents; les sauterelles infestant les campagnes ;
état Et qui écoute mes paroles avec tremble-
:

la nielle, tous les fléaux qui, souvent, trom- ment. Que signifie: qiii écoute mes paroles avec
pent son attente; si l'espérance qui le soutient, tremblement? C'est l'obéissance, qui réalise
lui fait braver tout et coniier hardiment à la dans sa conduite les commandements de Dieu,
terre ce qu'il a mis en réserve à bien plus : comme le dit l'Ecriture, en un autre endroit:
forte raison, nous, qui avons des réserves Heureux l'homme qui esttoujours dans la
inutiles, dépensons-les utilement, pour les ci^ainte, à cause de la piété ! (Prov. xxviii, 14.)

pauvres pour nourrir les malheureux


, ; Nous-mêmes, quand nous voyons un serviteur
et cela, puisqu'il n'est pas à craindre que accomplir nos ordres avec un soin qu'a- ,

l'espérance nous trompe, ni que la terre, ici, nime la crainte de nous déplaire, un serviteur
soit stérile. Ne savez-vous pas ce que dit le tremblant devant nous, nous lui marquons une
texte // a dispersé, il a donné aux pauvres,
: affection, une sympathie plus grande; c'est ce
(Ps. CXI, 9.) Ecoutez encore la suite : Sa justice qui est bien plus vrai, de la bonté du Seigneur,
demeure éternellement. l'admirable semeur 1 à notre égard. De là, ces paroles Je jetterai les :

il a en quelques instants, sa distribution,


fait, yeux sur l'homme doux et paisible et qui écoute
et c'est dans l'éternité des siècles que sa justice mes commandements avec trembleynent. Trem-
demeure. Qui a jamais vu opération plus heu- blons donc, je vous en conjure, nous aussi et, ;

reuse? Aussi, je vous en conjure, acquérons, pénétrés d'une grande crainte , accomplissons
nous aussi , la justice qui vient de l'aumône, ses paroles; car ses paroles ce sont les pré-
afin que, de nous aussi on puisse dire ils ont , : ceptes qu'ils nous a transmis. Instruits de ce
dispersé, ils ont donné aux pauvres leur jus- ; qui lui plaît de ce qu'il approuve, mettons-
,

tice demeure éternellement. Quand le texte nous à l'ouvrage, et api>liquons-nous à lui être
dit: // a dispersé il a donné vous pourriez
, , agréables; montrons un grand amour de la
croire que ce qui a été dispersé, est perdu; paix , une grande mansuétude , une grande
voilà pourquoi le texte aussitôt ajoute , Sa jus- humilité ; accomplissons tous ses préceptes
tice demeure éternellement^ c'est-à-dire, par avec respect et avec crainte, afin qu'il ap-
suite de cette dispersion, il faut qu'une justice prouve les dispositions de notre âme afin ;

demeure, dont rien ne triomphe; une justice que touché de notre obéissance il daigne
, ,

qui s'étende dans toute la durée des siècles, encore jeter les yeux sur nous. Si nous avons
sans jamais rencontrer de fin. Et, avec l'au- ce bonheur, nous jouirons de la parfaite
mône, pratiquons aussi, ardemment, les autres sécurité; car ces paroles : Je jetterai les

vertus; réprimons les passions de la chair: yeux, veulent dire, j'entourerai de ma provi-
bannissons de notre âme toute illégitime con- dence, je tendrai la main, je porterai secours,
cupiscence, toute pensée mauvaise: la colère, en toutes circonstances, j'épancherai l'abon-
la haine, l'envie; parons, de tous les orne- dance de ma libéralité. Pratiquons donc, en
ments, la beauté de notre âme; par l'éclat de toutes choses, cette conduite, je vous en con-
cette beauté, concilions-nous l'amour du Dieu jure, que le Seigneur jette les yeux sur
afin
du ciel , et imissc-t il habiter avec nous I Aus- nous que nous jjassious sans tristesse la
; afin

sitôt qu'il les grâces aimables de notre


verra vie présente, et que nous puissions posséder
âme, viendra vers nous; c'est lui qui
vite il les biens à venir , par la grâce et par la bonté
fait entendre ces paroles Sur qui jetterai -je : de Notre-Soigiu'ur Jésus-Clhrist. à qui appar-
les 1/cux, sinonsur ilunnme, doux et jwisihlc, tient, C(»nune au Père, comme au Saint-Ksprit,

et humble, qui écoute mes paroles avec trem- la gloire, l'empire, l'honneur, maintenant et
blement. (Isaïe , Lxvi, 2.) Voyez-vous comme le toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi
prophète nous apprend les couleurs spirituelles soit-il.

qui peuvent rendre éclatante la beauté de lame?

Traduit par M. PORTE LE TTE.


HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — CINÛFANTE- SIXIÈME HOMÉLIE. 3G7

CINQUANTE-SIXIÈME HOMÉLIE.

Et. Jacob dit à Laban : « Donnez-moi ma femme , car les jours sont, acoemp'.ia où je dois êire admis
auprès d'eUe. > (Gen. XXIX. 21.)

ANALYSE.

1 et 2. Explication des versets 20, 28 du chapitre xxix. Sortie vébémente contre les pompes salaniques en usage dans les noces.
— 3. Explication des versets 29, 33. La polviiamie autrefois tolérée, no l'est plus aujourd'hui, pourquoi? — 4. Explication de
la suite du texte jusqu'au verset 13 du chapitre x,xx. — o. Explication des versets 14, 24. — 6. Exhortation. Ne pas recher-
cher le secours des hommes.

l. Hier nous avons passé de l'amour que transporter chez vous de la scène et de l'or-
Jacob montra pour Rachel, à celui que Paul chestre, pour que cette prodigalité intempestive
montra pour Jésus-Christ, etconsidérant Tadmi- altère la réserve de la jeune fille et rende le
rable charité de l'Apôtre, nous avons été comme jeune homme plus effronté? On devrait s'esti-
entraîné par un torrent impétueux, et nous n'a- mer heureux ({ue cet âge pût, même en l'ab-
vons pas eu la force de reprendre de
la suite sence de ces causes de désordre, résister à la
notre discours. Aujourd'hui donc , vous
s'il tempête des passions mais lorsque tant de
;

plaît, reprenant notre marche, nous achèverons choses viennent par la vue et par l'ouïe rendre
ce qui nous reste encore à parcourir , afin par l'embrasement plus intense et plus ardente
que nous puissions recueillir encore de cette la fournaise des passions, comment l'àme du
homélie un suffisant avantage avant de rentrer jeune homme pourrait-elle échapper à sa
dans nos demeures. Lorsque le nombre des sept ruine? C'est là ce qui perd et détruit tout;
années fut accompli, et, dit l'Ecriture, ce long c'est parce (]ue la modestie de ceux qui doivent
temps, n'était, aux rjeiix de Jacob, que peu s'unir est violemment déracinée dès l'origine ;

de jours à cause de rameur qu'il avait


, et en effet souvent, dès le premier jour ce ,

pour Rachel, il dit à Laban : Ne me rete- jeune homme a reçu dans son âme un trait

nez plus ma femme, car les jours sont accom- satani(jue ; atteinte par les yeux et les oreilles,

plis où je dois être admis auprès d'elle. Et la jeune fille a succombé, et à partir de ce jour,
Laban rassembla tous les hommes de la contrée les blessures s'accroissent et causent un mal
et célébra les noces. Et le soir étant venu, Laban de plus en plus profond. D'abord, en effet,
prit Lia, sa fille , et l'introduisit auprès de la concorde mutuelle est ruinée l'amour ,

Jacob. (Gen. xxix, 20-23.) dépérit. Car lorsque l'époux attache sa pensée
Avez-vous vu avec quelle gravité l'antiquité à une autre, son esprit se partage, et vaincu
célébrait les noces? Ecoutez, vous qui vous par les stratagèmes du démon, il remplira
laissez éblouir par les pompes de Satan, et qui, bientôt sa maison de tristesse. Si l'épouse aussi
par préludts des noces, en déshonorez le
les est trouvée coupable d'une faute de même

caractère auguste. Y a-t-il là des flûtes f^es sorte, tout sera pour ainsi dire, ruiné par la

cymbales, des danses sataniques ? Pourquoi base, et désormais, pleins de dissimulation


donc, dites-moi, introduisez-vous si vite, dans l'un pour l'autre, la femme sera en butte aux
votre maison, une telle peste? Pourquoi la soupçons de son mari, le mari aux s
368 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

çons de sa femme. Et ceux entre lesquels n'obtiendra nulle indulgence ; on sera sévère-
devait subsister indissoluble ht \kn de la ment repris de n'avoir pas su s'élever au-dessus

concorde, ceux qui doivent (Mre une seule d'une coutume perverse.
chair [cor, dit l'Ecriture, ils seront denxen luie 2. Si nous voulons veiller sur nous-mêmes

seule chnir Gt-n. ii, 2), seront divisés comme et nous préoccuper grandement de notre salut,

s'ils étaient séparés parle fer. Le démon, en- nous saurons nous tenir éloignés des mauvaises
trant chez eux , y exerce de tels ravnges que ,
coutumes et en acquérir de bonnes. Nous
des guerres et des combats journaliers s'ensui- léguerons ainsi à ceux qui nous suivront une
vent, et que leurs maux ne trouvent aucune grande facilité pour entrer dans la même Toie,
trêve. Et qui pourrait exprimer les mépris des et nous-mêmes nous recevrons une récompense

serviteurs, le rire des voisins, les indij^nités pour leurs bonnes actions. Car celui qui ouvre
qui se produisent. Comme dans la discorde des l'entrée de la bonne voie sera la cause du bien

pilotes, les passagers partagent les périls, et le accompli par d'autres et il recevra double ré-
,

navire doit sombrer avec tous ceux qu'il porte, compense pour le bien qu'il aura fait lui-même
de même ici, lorsque l'époux et l'épouse sont et pour avoir conduit les autres à la pratique

en lutte, le reste de la maison doit partager de la vertu. Ne m'opposez pas ces froids et
leurs maux. Ces maux, je vous conjure donc ridicuUs discours, que telle est la loi du
de les prévoir, afin de ne pas vous laisser con- monde et qu'il faut la suivre. Ce n'est point là
duire par la coutume ;carje sais que beaucoup ce qui fait un mariage légitime ce qui le fat, ;

s'en font une excuse contre nous et ne peuvent c'est de s'unir, conformément aux lois divines,

supi)orler nos discours mais nous devons pour-


;
avec modestie et dignité; c'est de se tenir atta-
tant vous dire ce qui est salutaire, pour vous chés par la concorde. Les lois humaines ne
sauver des châtiments à venir. Là où l'càme l'ignorent pas écoutez ceux qui sont versés
;

éprouve un tel dommage pounjuoi m'objector dans cette science vous dire que c'est la com-
la coutume? Et moi aussi je vous objecte une munauté habituelle de vie (|ui constitue ie ma-
coutume meilleure, celle des temps |)rimitifs, riage.Ne violons donc pas à la fois les lois de
où pourtant lu vraie religion était moins ré- Dieu et celles des hommes; ne leur préferons
pandue. Et ne croyez i)as (|ue je [)arle du juste pas ces lois diaboliques et cette coutume fu-

Jacob pensez à Laban encore adonné au culte


;
neste; car cette pour auteur celui qui
loi a

des idoles, ignorant la religion, et qui cepen- se réjouit toujours de notre j)erte. Quoi de
dant montre une telle sagesse. Celte lou d)le plus ridicule que cette coutume de soumettre
conduite, en effet, n'est pas celle du futur le mari et sa fenimeaux (]uolibets, aux raille-

époux, mais du père qui lui donne sa lille. ries sans fin de serviteurs et de misérables, sans

Aussi en abordant ce discours, ai-je voulu que personne les reprenne, mais de donner
m'adresser moins aux époux qu'aux parents, pleine licence à chacun, durant la soirée des
au père de l'époux et à celui (|ui lui donne noces, de tout dire et d'accabler d'indécentes
sa fille. N'est-il pas absurde que nous, chré- plaisanteries les nouveaux époux? Un aulrejour,
tiens, objets d'une telle bonté dcî la part de Dieu, si quebiu'un tentait de les injurier, il y aurait

noiis, a|>p(lés à des mystères redoutables et pour lui di:s tribunaux, des prisons, des juge-
inetl'ables,nous soyons au-<lessnus de Laban, ments; mais dans un moment où la pu-leur,
qui servait encore les idoles? Nenlendez-vous la décence, la pureté de\ raient surtout être
pas Paul nous dire que le mariage est un respectées, c'est alors que l'impudeur règne
mystère et l'image de la charité que le Christ partout; ce sont bien hs ruses du démon
a témoignée à sou Eglise? Ne nous dégradons (jui ont produit cette coutume. Mais ne vous

pas nous-mêmes et ne fiélrissons pas la dignité olïensez pas, je vous en ct)njurc. Ce n'est
du mariage. Si mon conseil est bon et utile, pas sans motif que j'ai fait cette digression,
fùl-il contraire à la coutume, suivez-le si ce ; c'est par zèle pour votre salut, et pour la

que vous prati(|uez est nuisible et désastreux, décence ;


je veux cpie vous soyez les auteurs
fût-ce la coutume, qu'il ilisparaissc. Si nous d'une heureuse révolution, les introducteurs
cédions à l'autorité de la coutume, le voleur, dune noble coutume. Que l'on donne seulement
le plusinlàuKMlebauebé, celui (pii fait pri»fession i'iin(iulsion et que la voie soit ouverte; peu à

d'un vice (luelcouque nous alléguerait cette au- |ii u , l'un étant noblement et louat)lenient
torité. Mais l'on n'en tirera nul avantage et i'oa j^lo»\x de l'autre, vous devieni''cz l'objet des
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. - CINQUANTE-SIXIÈME HOMÉLIE. 369

éloges de cliacnn, et non-seulement les habi- passée ainsi. Vous obtiendrez celle que vous
tants (le lu ville imiteront cette heureuse nou- souhaitez, si vous me servez pour elle le même

veauté, mais vous attirerez à votre suite ceux nombre d'années. Le juste ayant entendu ce
qui habitent au loin, vous leur inspirerez le langage accej)ta tout de bon cœur, et, après
zèle de vous imiter, et vous obtiendrez de Dieu ces sept années ', Laban lui donna sa fille Ra-
de nombreuses couronnes, parce que, par la chel pour femme. (28.)
commandements,
crainte et l'obéissance à ses Vous voyez que, là encore, les noces s'ac-
3.

vous aurez triomphé de cette coutume sata- complissent avec une parfaite convenance. Ne
nique. Oui, vous embrasserez avec ardeur ce vous troublez pas si vous entendez qu'il reçut
conseilque je vous donne et vous le mettrez l'aînée, puis la cadette, et ne jugez pas ce qui
en pratique, j'en ai la ferme conviction. Quand se passait alors par ce qui a lieu aujourd'hui.
en effet je vous vois écouler avec tant de plaisir Alors, en effet, à l'originedu monde, il était
mes paroles, je conjecture, d'après vos applau- toléré d'avoir deux ou trois épouses et même
dissements et vos louanges, que vous poursui- davantage, afin de multiplier le genre humain ;

vrez une réforme effective. Je n'en dirai pas mais maintenant, depuis que, par la grâce do
sur ce point davantage et je reprends mon Dieu, il s'est multii)lié, la vertu aussi a reçu
sujet. Et le soir étant venu, Laban prit Lia sa sa croissance. Le Christ est venu; il a implanté
auprès de Jacob.
fille et l'introduisit la vertu parmi les hommes; il les a fait, en
Ne passons pas non plus légèrement sur ces quelque sorte, d'hommes devenir anges, et il
paroles elles nous enseignent plusieurs cho-
;
a aboli cette ancienne coutume. Voyez-vous
ses :d'abord la bonne foi de Jacob, et com- maintenant qu'il ne faut pas objecter une cou-
ment, étranger à toute malice, il fut lésé par tume ancienne, mais chercher en tout ce qui
Laban ;puis, que tout se passa avecune grande est salutaire? Vous
voyez, on abolit une le

décence, sans flambeaux, ni chœurs de danse, coutume fâcheuse il n'est plus permis de:

ni luxe de lumière, en sorte que la ruse de l'objecter. Ne vous obstinez donc jamaio je ,

Laban put réussir. On y peut aussi reconnaître vous en conjure, à suivre une coutume, mais
l'attachement de Laban pour Jacob car il ma- ; cherchez ce qui est salutaire, pt ne nuit point à
china cette ruse pour retenir ce juste plus' vos âmes que ce qui est honnête se pratique
;

longtemps auprès de lui. Sachant qu'il brûlait parmi vous, quand ce ne serait pas la coutume;
pour Rachel et que, s'il obtenait l'objet de ses et y a quelque chose de funeste, fût-ce un
s'il

vœux, il ne consentirait pas à servir ensuite usage, il faut s'en détourner et le fuir.

pour Lia et à demeurer pour ce motif auprès Et il donna à Jacob Rachel avec Balla pour
de lui, Laban, qui considérait la vertu de cet servante. (29.) Vous avez compris cette sublime

homme et comprenait qu'il ne réussirait pas simplicité de mœurs? Point de troupeaux d'es-
autrement à le dominer et à le persuader, em- claves : point de codicilles , ni de contrats ,
ploya la ruse et lui donna Lia, avec Zelpha point de ces ridicules précautions : si telle chose

pour servante. Lorsque le juste lui fit ensuite arrive , si telle chose se produit. Chez nous
."'''^^^
des reproches et lui demanda pourquoi il l'a- avant même d'être unis, ceux qui ne
vait trompé ainsi, il lui donna une excuse spé- pas vivront seulement jusqu'''- ,
s'il '

î ,. , ., aui devra se
. ,

hâtent de consigner par écrit '^ M^"


,
cieuse. Car Jacob lui ayant dit: Pourquoi m'a- .

si le conjoini
vez-vous fait cela ? n'est-ce pas pour Rachel faire dans un avenir éloigné :

meurt ayant des en-


que je vous ai servi ? pourquoi m'avez-vous meurt sans enfants , s'il
semblables. Bien de
trompé? (xxix, 25.) Que lui répondit Laban? fants, et autres stipulations
en don-
Ce n'est pas la règle dans cette contrée de ma- pareil père a marié ses filles
ici : le ,

cuauuiie.
rier la cadette avant l'aînée. Accomplissez
donc nant une servante a
Rachel plus
aussi sept années pour elle, et je vous la donne-
Or dit l'Ecriture, Jacob aimait
servit Laban sept armées
encore.
rai pour récompense des travaux
que vous au- que Lia et il ,

l'avait aimée a cause


encore accomplis pendant sept ans. (26-27.) Parce que dès l'abord il
rez
voyez, sa ruse lui réussit. Voyant l'a-
Vous le
semble que Vorateur ait été trompé P«, «» "^f/' l^^'^''^^
. 11

mour de Jacob pour cette jeune fille, il lui dit :


dit que Laban ne donna Rachel à Jacob
quaprcs les ^^P' »""«»
la Vulgate et les
Sep^";;- P°^
Ne pensez pas que je vous aie fait tort. C'est, année, de service. Le texte hébreu,
tent que Rachel fut donnée pour
épouse à Jacob ««?' f^'P'"^^
dans notre pays, la coutume de marier d'a-
sœur Lia, à la condiUon qu'Q servirait son
beau-pere pendant enc«r«

bord l'aînée; c'est pourquoi la chose s'est ept ans.

24
S. J. Cb, — Tome V.
370 TRADUCTION FRANÇAiSE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

de sa beauté et parce qu'il avait eu de la peine Jacob plus qu'elle ne l'était. Elle conçut de
à obtenir l'objet de ses souhaits il l'aima plus , nouveau donna un second fils à Jacob et
et ,

que Lia, car l'Ecriture parle de sa beauté qui dit : le Seigneur a entendu que je ne suis pas

avait excité l'amour de Jacob. Considérez main- aimée et il m'a donné un autre fils, et elle l'ap-
tenant bonté du souverain M;ntre,
ici l'ineffable pela Siméon. (33.) Examinez comment elle
et comment il accomplit peu à peu ce qu'il a rend grâce à Dieu pour chacun de ses enfants
promis. Celui qui avait dû: je serai avec toi et et se montre reconnaissante de ses bienfaits :

te garderai dans tout ton voyage (Gen. xxvni, leSeigneur, dit-elle, a entendu que je ne suis pas
4 5), etencore: je f augmenterai etje te tnultiplie- aimée et il m'a donné un autre fils. Et c'est pour
r«2,c'est lui qui a gouverné tout cela. Et afin de cela qu'elle l'appela Siméon.
l'apprendre , écoutez la divine Ecriture elle- 4.. Comprenez-vous qu'elle ne donne pas
même, qui nous Le Seigneur
le dit clairement: des noms à ses enfants sans motif ni à l'aven-
Dieu, voyant que Jacoh avait de V aversion ture? Elle appelle celui-ci Siméon ,
parce que
"pour Lia ouvrit son sein
,
tandis que lîachel ,
le Seigneur entendue car ce nom signifie
l'a ,

demeurait stérile. Lia conçut et enfanta un , en hébreu a été entendu Elle conçut encore
: :

fds à Jacob. (31-32.) Considérez la sagesse de et enfanta un fils et elle dit : Maintenant
,

l'action divine. Parce que l'une attirait par sa mon ma^'i sera de mon côté, car je lui ai donné
beauté l'amour de son époux et que celle qui trois fils, et elle appela cehd-ci Lévi. (3-4.) Elle

en était privée paraissait l'objet de son aver- semble vouloir dire que la naissance des deux
sion Dieu rend léconde celle-ci et stérile sa
,
premiers n'avait pas suffi pour attirer son mari
sœur gouvernant tout pnr sa bonté afin que
,
, vers elle, mais que l'inclination de celui-ci était
Lia eut queUpic consolation, par les enfants encore pour Rachel c'est pourquoi elle dit ;
:

qui naissaient d'elle, atti:aiit ainsi l'amour de Maintenant mo}i mari sera de mon côté. Sans
Bon mari et afin que Rachel ne s'élevât pas
, doute la naissance de ce troisième fils me vaudra
contre sa sœur à cause de sa beauté et de ses
, son affection , car je lui ai enfanté trois fils.

attraits. Dipu ouvrit son sein. Apprenez de là, Elle conçut encore et enfanta un fils, et elle

mon bien-aimé que l'Auteur de toutes choses dit : Maintenant e?icore je glorifiei'ai le Sei-
,

les gouverne toutes; qu'il donne seul la fécon- gneur ; c'est pourquoi elle lui donna le 7ioin I
dité, qui ne peut se produire sans le secours de Juda. {2vt.) Que veulent dire ces mots Je :

d'cn-haut. L'Ecrituro dit (pio Dirn ouvrit son glorifierai le Seigneur? Ils signifient ici Je :

sein., que nous sachions que le Maître sou-


afin lui rendrai grâces, je |)ublierai ses louanges,
verain voulut hii donner la fécondité pour adou- parce qu'il m'a donné un quatrième fils, et
cir son chagrin car c'est lui (|ui forme l'en-
, ir.'a accordé un grand bienfait. La beauté
si

fant dans le sein de sa mère, ces! lui (pii donne qui me manquait i)our gagner l'amour de mon
la vie: comme David l'exprime en disant: mari, la naissance des enfants dont m'a gra-
Vous tn'avez accueilli dès le ventre de ma tifiée la bonté de Dieu y a suppléé. 11 a dissipé
^^f're. (Ps. cxxxviii, 13.) Et considérez comment l'excès de mon abattement, en consolant celle
''•--.o Ecriture vous montre l'Auteur de la (jui était un objet d'aversion à cause de sa
nature pro(K,^,jni
à la fois deux ellets de sa laideur , et a reporté sur ma sœur l'aversion
puissance ouvrant le sein de Lia et tenant
,
de Jacob : Ayant enfanté Judn dit le texte, ,
erme celui de
Rachel. Car maître de la nature, elle cessa d'enfanter. (.'^^.' Mais Rachrl voyant
»1 fait
tout avec bonté,
qu'elle-même ne dcunait point d'enfant à Ja-
Da
conçut et enfanta un
fils à Jacoh, et elle cob porta envip à sa sœur et dit à Jacob :
l appela Kuùcn, en .e.w.„,
ru, et- y«t- /e Seigneur .
Donne -moi des enfants, si?io)i je tnourrai.
a regardé monabaissement.monmari m'
aimera (xxx, 1.)
désormais. (32.) Considérez la reconnaissance C'est bien là une demande irréfléchie et
de cette femme. Le souverain Maître,
dit-elle, digne d'une femme, digne d'une àme que la
a regardé mon abaissement et m'a donné un
lils[ jalousie assiège : Donne-moi des enfants. Ne.
afin que je puisse être aimée à
cause do lui.' sais-tu pas que ee n'est jias lui, mais le Sei-
Et considérez aussi comment ce Dieu bon
est gneur Oieu (jui en a lait naître à Lia ? Voyant
jaloux de sa gloire et comment il est libéral ,
qu'elle n était point aimée, il a ouvert son sein.
tl magnifique, voulant
à la fois accroît: e la Pourquoi donc demander à ton mari ce qui
race d\i juste et faire que Lia soit aimée
de est au-dessus des forces delà nature? pour-
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — CINQUANTE-SIX lï! ME HOMÉLIE. 371

quoi, oubliant le Maître do la nature, accuser tendu ma voix et m'a donné un fils. C'eut pnnr-
ton mari (]iii n'y peut rien? Donne-moi des guoi elle lui dotma le nom de Dan. (Gen. xxx,
efifants, shioît je mourrai. Mal affreux de la 4-6.) Elle a donc trouvé une légère consolation
jalousie, qui dégénère en démence comme , il dans l'enfantement de sa servante: et à cause
arrive à Rachel! Voyant la troupe d'cnfanlscjui de cela elle <lonne ce nom à l'enfant et rend
était née de sa sœur grâces au souverain Maître pour sa naissance.
et réfléchissant à sa soli-
tude, elle ne supporte point cette affliction et
Dalla eut encore un enfant de Jacob, et Rachel
dit : Dieu m'a secourïie, et je suis devenue l'é-
ne peut réprimer la préoccup.Uion qui la
trouble , mais prononce ces paroles pleines de
gale de ma sœur ; je ne suis plus abattue ; et
elleappela l'enfant Nephthalie. (7-8.) Elle vit
folie : Donne-moi des enfants, sinon je mour-
bien par là (|ue Jacoh n'était point l'auteur de
rai. Elle devait savoir l'amour de son mari
pour elle, et penser que ce n'était point par
sa stérilité. Elle élève ses enfants comme les
siens etleur donne leurs noms; son imagination
sa volonté que Lia avait été si féconde et elle-
lui fait trouver là une consolation bien grande.
même stérile, quand elle dit Donne-moi des :

Or Lia, voyant qu'elle-même avait cessé .d'en-


enfants. Puis, pour effrayer Jacob, elle ajoute:
fanter, donna aussi pour femme à Jacob Zel-
Sino7i je mourrai. Et que fit le pieux Jacob ?
pha, sa sellante ; celle-ci conçut et enfanta un
// s'irrita de ces paroles , dit l'Ecriture, et lui
répondit : Suis-je donc l'égal de Dieu gui a fils, et Lia dit Oh ! bonheur (9-11), c'est-à-dire
:
,
j'ai réussi dans mon dessein. Et elle l'appela
refusé un fruit à tes entrailles? (xxx, 2.) Quoi,
dit-il , tu oublies le Maître de la nature et tu
Gad.(i i .) Elle le nomme ainsi parce qu'elle a ob-
tenu de ses vœux. Zelpha conçut encore,
l'objet
t'en prends à moi 1 C'est lui qui a refusé un
et enfanta un autre fils; et Lia dit: Je suis heu-
fruit à tes entrailles. Pourquoi ne pas lui adres-
reuse, parce que les femmes m'estimeront lieu-
ser tesdemandes, à lui qui peut te rendre fé-
reuse appela l'enfant Aser. (12-13.)
; et elle
conde? Apprends-le donc c'est lui qui t'a :
5. Vous venez de voir comment Lia aussi s'ap-
rendue stérile et qui a donné à ta sœur cette
proprie lesenfantsde la servante, comment elle
riche fécondité. Ne me demande donc pas ce
se dit heureuse et réputée heureuse à cause de
que je ne puis accomplir, et dont je ne suis
leur naissance. Mais considérez maintenant la
point le maître. Si cela dépendait de moi, je
suite , afin d'apprendre comment la passion
faurais toujours préférée à ta sœur, puisque
de de l'une sur l'autre
la jalousie se reportait
je te portais dès l'abord un plus grand amour.
et tourmentait alternativement, tantôt Rachel,
Mais puisque, quelque tendresse que j'aie pour tantôt Lia Ruben étant sorti dans la campagne,
:

toi, je ne puis te satisfaire, invoque celui qui au temps de la moisson du froment, trouva
est l'auteur de ta stérilité et qui peut y mettre des pommes de mandragores et les apporta à
fin. sa mère. Et Rachel dit à Lia Donne-moi des :

Voyez les saines pensées de ce juste et com- mandragores de ton fils. Lia lui répondit :
ment, même dans la colère que lui causent les N'est-ce pas assez de m' avoir pris mon mari,
paroles de Rachel, il lui fait une réponse pleine sans avoir encore les mandragores de moji fils?
de sagesse, l'instruisant de l'exacte vérité et lui (xxix, 14-15.) Voyez-vous comment la pa>sion
révélant clairement la cause de sa tristesse, afin de l'âme se manifeste par les paroles N'est- :

qu'elle n'oublie pluslesouverain Maître pourde- ce pas assez de m'avoir pris mon mari, sons
mander à un autre ce que seul il peut donner. avoir encore les mandragores démon fils? Rachel
Apprenant donc que c'est Dieuqui luircfusedes lui dit : Ce n'est pas cela Qu'il dorme avec toi
:

entants et voyant que sa sœur est fière des siens, cette nuit en échange des mandragores de ton
elle se procure quelque consolation et dit à Ja- fils. (15.) Donne-moi des mandragores et garde
cob puiscjue tu m'as appris que ce n'est point
:
aujourd'hui mon mari avec toi. Voyez com-
par ta faute que je demeure stérile prends ,
ment ce texte manileste l'atTection de Jacob
ma servante pour femme afin que je trouve pour Rachel. Si, après que Lia lui adonné tant

èjue faible consolation en tenant pour miens d'enfants, son affection s'attachait encore à
les enfants que tu auras d'elle. Ef elle lui donna Rachel, comment, si elle n'eût [)as été féconde,
pour femme Balla, sa servante ; Dalla cotiçut Lia eût-elle pu supporter de voir son mari s'at-
de lui et enfanta un fils à Jacob ; et Rachel tacher tor.jours à Rachel ? Or celle-ci ayant
pleinr ouissance sur son mari, le laisse pour
çii! ; Dieu a prononcé son jugement, il a en-
372 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

en disant qu'il dorme avec toi cette


CCS fruits, :
par votre propre vertu la bénédiction de Dieu
nuit, enéchange des mandragores. Satisfais le sur vous. En effet, si Dieu nous chérit, quand
désir que j'ai de ces mandragores et prends nous serions sur une terre étrangère, quand
mon mari. Au retour de Jacob, Lia sortit à sa nous serions privés de tout quand nous ne ,

rencontre et lui dit : Tu viendras aujoui^d'hui serions connus de personne, nous atteindrons
avec moi; f ai acheté cet avantage au prix des le comble de la gloire car rien n'est plus heu-
;

mandragores de mon fils. Et il dormit cette reux que l'homme soutenu par la main divine.
nuit oxiec elle. Et Dieu exauça Lia, gui con- C'est favorisé par cette assistance que Theureux
çut et enfanta son cinguième fils. Et Lia dit : Jacob est monté peu à peu jusqu'à cette éléva-
Lieu m'a donjiémon salaire pour avoir donné tion, qui Ta rendu un objet d'envie pour ceux
ma servante à mon mari. Et elle appela son fils qui l'avaient accueilli. Efforçons-nous d'obtenir
Issachar, c'est-à-dire salaire. (16-18.) Dieu, dit de Dieu le même amour, afin de mériter son
le texte,exauça Lia, parce qu'il l'avait vue très- assistance; n'ayons point recours aux puissances
affligée etmoins considérée que sa sœur. Dieu humaines^ et ne poursuivons pas un tel patro-
l'exauça elle eut un fils et dit: j'ai obtenu mon
;
nage, car rien n'est moins solide, comme l'ex-

salaire pour avoir donné ma servante à mon périence de la vie suffit pour nous l'ajjprendre.
mari. Et elle l'appela Issacliar. Et Lia conçut en- Nous voyons en effet, , chaque jour de rapides
core et elle enfanta im sixième fils et Dieu
dit : changements celui qui se trouvait tout à
:

m'a fait un présent magnifigue. Maintenant je l'heure au comble de la prospérité est entraîné
serai l'objetdu choix de mo7i mari, car je lui ai subitement au dernier terme de l'infortune, et
enfanté six fils. Et elle appela celui-ci Zalndon. se voit souvent traîné devant les juges. Quelle
(19-20.) Désormais^ dit-elle, moi aussi je serai folie donc de poursuivre le patronage de ceux

l'objet de l'amour de mon mari, car j'ai en- dont l'avenir est si incertain, quand nous ne
fanté six pour cela qu'elle appela ce
fils. C'est pouvons rien assurer touchant notre propre
dernier Zabulon. Elle enfanta aussi rmc fille sort Eloignons-nous donc de ces grandeurs
!

giîelle appela Dina. Et Dieu se souvint de humaines, nous souvenant de cette parole du
Rachel; il l'exauça et ouvrit son sein. Elle con- prophète Celui-là est inaudit gui 7net sa con-
:

çut et enfanta un fils à Jacob. Rachel dit alors : fiance dans l'homme. (Jér. xvii, 5.) Vous le
Dieu a fait disparaître mon opprobre : et elle voyez, il n'est pas seulement insensé, il est mau-
l'appela Joseph, en disaîit : Dieu me donne un dit, parce qu'il délaisse le Maître de toutes
autre fils. (21-24.) Dieu, dtt-elle, a fait dispa- choses, et recourt à celui qui n'est qu'un ser-
raître mon opprobre : il a mis fin à ma stérilité, viteur comme lui et qui ne saurait se suffire à
il m'a rendue féconde et m'a délivrée de la lui-même. Evitons cette malédiction, je vous
honte. Et elle l'appela Joseph en disant : Dieu en conjure, et plaçons désormais toute notre
me donne un autre fils. Voyez-vous conmienl espérance en Dieu. Celle-là est solide et iné-

les promesses de Dieu se sont peu à peu ac- branlable ; elle n'est point sujette au change-
complies? Quelle troupe d'enfants a mainte- ment comme celle que l'on a dans les hommes.
nantcejuste, par la providence de Dieu envers Ou la mort, en mis fin au pouvoir
effet, a
lui Apres qu'il a montré la grandeur de sa
1 du prolecteur et laissé dépourvus et délaissés
persévérance, en acceptant quatorze années de ceux qui recouraient à lui ou bien des chan- ;

servitude, le Dieu de toutes choses le récom- gements accomplis avant la mort ont rendu
pensa de sa piété, en multipliant sa fortune impuissants le protecteur et le protégé. l->avie
à tel devint l'objet de l'envie, conmie
point (pi'il est pleine de pareils exemples. Ils sont donc
nous l'apprendrons par la suite des discours inexcusables ceux qui, après une telle expé-
que j'ai dessein de vous adresser. rience, cherchent encore à s'abriter sous
(). Mais, atln de ne pas fatiguer votre charité, une protection humaine et souvent pour ,

en nous étendant aujourd'hui tro|) longuement endurer mille maux de ceux même (jui
nous réserverons, s'il vous i)laît, pour un autre paraissent être leurs protecteurs. Car tel est
discours le reste de ce récit, et nous terniiiie- l'excès de la méchanceté humaine, que sou-
rons là celui-ci en exhortant votre charité à
, vent les courtisans sont payés par des outra-
se souvenir de nos paroles et à imiter avec ges. Mais leDieu de l'univers en agit tout
zèle la vertu des anciens ; à marier vos fils et autrement il est notre bienfaiteur, en tout,
:

vos filles comme eux, à appeler, connue eux, à nous qui connaissons ses bienfaits il nous ;
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. - CL\QUANTE-SEPT\ÈME HOMÉLIE. 37.)

accorde sa protection sans égard à notre ingra- Christ, a\ec lequel soient, au Père et au Saint-
titude, mais pour rester fidèle à sa propre Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant
bonté. Qu'il l'accDrile à chacun de nous, j)ar la et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi
grâce et la bonté de Noire-Seigneur Jésus- soit-il.

CINQUANTE-SEPTIÈME HOMÉLIE.

€ Or. il arrira que , lorsque Bacbel eut enfanté Joaeph , Jacob dit à Laban : Laisses-moi aller, afin que
j9 retourne dans mon pays et ma patrie. > (Qen. XXX, 25.)

ARALYSE.

exemples des saints. Rien de plus fort que la mansuétude. Explication des versets 25-33
1. L'Ecriture propose à noire imifation les
du chapitre xxx. —
2. Explication de la suite du texte jusqu'au verset 9 du chapitre xxxi. —
3. Explication des versets 10-18.
Dieu ne laisse pas saus secours ceux qui souffrent la calomnie. —
i. Explication des versets 19-26. Jacob s'enfuit de chez

Laban. Soin que Dieu prend de ses serviteurs. —


5. Explication des versets 27-33. —
6. Explication des versets 36-40.

L'orateur réprimande les pasteurs d'âmes négligents. — 7. Explication des versets 41-44. — 8. Explication des versets 45-54.
Exhortation.

1. La suite du discours d'hier doit être mise dans mon pays et ma patrie. Remettez-moi mes
aujourd'hui sous les yeux de votre charité, afin femmes et mes enfants, pour lesquels je vous
qu'apprenant par ces paroles, à connaître et ai servi, (xxx, 25-6.) Admirez la douceur et la
les tendres soins {[ue Dieu a montrés envers modestie du juste il voit clairement la faveur
;

Jacob et l'amour de ce juste pour Dieu, nous dont il de la part de Dieu, et néan-
est l'objet
devenions les émules de sa vertu. Ce n'est pas en moins il ne s'enorgueillit point contre Laban,
eflet sans motif (lue la grâce du Saint-Esprit a mais il lui dit avec douceur Laissez-moi aller
:

fait écrire pour nous ces histoires, c'est afin afin que je m'en retourne. Vraiment, rien n'est
de nous exciter à imiter avec zèle ces hommes plus fort que la douceur, rien n'est plus puis-
vertueux. Car, lorsque nous avons appris à sant quelle. Considérez en effet comment,
conuaître la patience de l'un, prudence de
la ayant prévenu Laban par sa douceur, il en

l'autre, les dispositions hospitalières d'un troi- obtint une réponse bienveillante. Laban, dit
sième et les nombreuses vertus de chacun l'Ecriture, lui répondit : Si j'ai trouvé grâce
d'eux; quand nous savons comment chacun devant vous, et je dois le penser, car Dieu m'a
s'est paiticulièrement illustré, nous sommes béni à cause de votre venue, déterminez la ré-
excités à avoir le même zèle. Allons donc, et, compense que vous souhaitez de moi et je vous
abordant aujourd'hui la suite de l'histoire de la donnerai, (xxx, 27-8.) Je n'ignore pas, di-
ce juste, achevons notre discours. que, par suite de votre présence, j'ai
sait-il,

Or il arriva^ dit l'Ecriture, que^ lorsque joui de la faveur de Dieu. Puis donc que j'é-
Rachel eut enfanté Joseph, Jacob dit à Laban: prouve de tels bienfaits par l'elfet de votre
LaisseZ'moi aller afin que je m'en retourne présence, faites-moi connaître la récompense
374 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

que vous voudrez et je suis prêt à vous la (Ibid. 31.) Que souhaitez -vous recevoir de
donner. —
Voyez ce que peut la douceur.' ne moi? parlez, car je le reconnais et je ne vou-
passons pas légèrement sur ces paroles; ob- drais pas le nier, tout ce que j'ai reçu de Dieu,
servez que le juste n'a pas demandé la récom- toutes les bénédictions dont il m'a comblé, c'est

pense de ses travaux, qu'il n'en a pas même à votre présence que je les dois. Jacob lui ré-

fait mention, il n'a dit que ceci Remettez-ynoi : pondit Vous ne me donnerez rien, et si vous
;

mes femmes, et mes enfants, pour lesquels je faites ceque je vais dire, je paîtrai encore vos
vous ai servi, afin que je m'en retourne, et troupeaux. Je ne veux rien recevoir de vous
Laban, plein de respect pour la grande dou- à titre de salaire mais j'accepte seulement
,

ceur de ce juste, lui dit faites-moi connaître


: ceque jevaisdire, et je paîtrai encore vos trou-
la récompense que vous désirez de moi, et je peaux. Ce que je veux, le voici Considérez le :

suis tout prêt à vous l'accorder. juste, parce qu'il a confiance dans la protection

Ses femmes et ses enfants n'étaient-ils pas de Dieu, voici la proposition qu'il fait à Laban :

avec lui? Pourquoi donc disait-il : Remettez- Que vos troupeaux, dit-il, passent aujourd hui
moi mes femmes et mes enfants? C'est qu'il devant vous, mettez à part toutes les brebis
rendait à son beau-père l'honneur qu'il lui de- à toiso?is noirâtres, et tout ce qui est mêlé de
vait; c'est qu'il montrait en toute chose la con- blanc et tacheté parmi les chèvres sera ma ré-

venance de ses procédés , c'est qu'il voulait que compense. Et ma justice se manifestera dans
cette séparation s'opérât avec la permission de la suite parce que ma récompense sera facile à

Laban. Considérez donc comment, par ces pa- discerner. Tout ce qui ne sera pas tacheté et mêlé
roles, Laban fut entraîné à lui promettre une de blanc parmi les chèvres, et noirâtre parmi
récompense et à lui en remettre le choix. Et que les agneaux sera reconnu vous appartenir,
,

fait ce juste? Voyez jusqu'où il pousse la dou- (Ibid. 32, 33.)

ceur et comment il évite de devenir, à cette 2. Remarquez la prudence du juste ; con-


occasion, onéreux et incommode pour Laban. fiant dans la protection d'eu-haut, il pose lui-
Comment? prend de nouveau à témoin de
Il le même des conditions qui, selon l'ordre de la
sa loyauté et de l'affection qu'il lui amontrée nature, devaient rendre, sinon impossible,
I
tout le temps qu'il l'a servi. Vous savez lui , du moins très-difficile, sa juste rémunération ;

dit-il, comment je vous ai servi et ce qu'étaient la couleur variée se rencontre en effet très-

vos troupeaux entre mes mains. Cor je les ai rarement dans les agneaux qui viennent de
trouvés peu nombreux, et ils sesojit multipliés naître, et néanmoins Jacob ne demande pour
grandement, et le Seigjieur vous a béni à mon lui que ceux-là aussi Laban s'emprcsse-t-il
;

arrivée ; maintenant ne me fer ai- je pas aussi d'aquiescer a sa demande, et il lui dit Quil :

une maison? (xxx, 29, 30.) Je vous prends soit fait conformémejit à votre parole. Et il

vous-même à témoin de mes travaux. Vous sépara en ce jour les boucs tachetés et tnêlés de
savez quelle affection je vous ai montrée en blanc , et les chèvres tachetées et mêlées de
tout et comment, ayant reçu de faibles trou- blanc, et tout ce qui était blanc parmi eux , et

peaux, mes soins et mes veilles vous en ont fait tout ce qui était de toiso)i noire, et il remit
des troupeaux nombreux. Montrant ensuite sa aux vmins de ses fils cette part , et il tnit une
piété, il ajoute: Le Seigneur vous a béuiàmon distance de trois jours entre ces troupeaux vi

arrivée ; maintc7iant ne me fcrai-jc pas aussi ceux de Jacob, (xxx, 34-30.) 11 divisa, dit l'Ecri-
une maison ? Vous savez vous même que c'est ture, ses troupeaux suivant la proposition de
depuis mon arrivée chez vous que la grâce Jacob, et les remit à ses fils. Et Jacob paissait
d'en-haut a donné à voire richesse ces grands les troupeaux de Laban qui restaient, c'est-à-

accroissements. Maintenant donc, puisque je dire ceux dont la toison u'éliiit point de cou-
vous ai montré on tout mon entière alîectiou, leur mêlée. Tout cela s'est fait afin {|ue le juste
durant le teni|)s de mon service, et que l'assis- apprît par l'événement le grand soin que Dieu
tance de Dieu est manifeste; il est juste que je avait de lui, et que Labau vil de quelle assis-
me fasse une maison. Et que veut-il dire jtar tance d'en-haut jouissait Jacob. Jacob, dit le
ces mots Se faire une maison? 11 entend \i\re
: : texte, jyrit des baguettes dcstgrax, d'amandier
désonunisdans rinih'itcndance el la liberté, et et de platane e?iCore vertes ; il en enleva une
prendre soin d'une maison (jui lui appartienne- partie de Vécorcc verte de manière que les
,

l']t alors Laban lui dit: Que vous donncrai-jc endroits d'où l'écorce avait été enlevée parurent
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE, ^ CINQUANTE-SEPTIÈME HOMÉLIE. 375

blancs et les autres demeurèrent verts. Ainsi allumée en apparemment parce qu'il a
lui, et
ces baguettes devinrent de andeur variée. Et il
vu dans une grande abondance, il ne
le juste
plaça les baguettes ainsi écorcées, dans les ca- veut plus se montrer pour lui tel qu'au|tara-
naux des abreuvoirs^ afin que les brebis, quajul vant. Jacob, dit l'Ecriture, vit le visage de La-
elles iraient s^ibreuver, les eussent devant les ban, et voilà qu'il n'était point envers lui
yeux en buvant, et concussetit des petits de cou- comme la veille et l'avant-veille. Voyez-vous la
leur aiuilogue. Elles conçurent effectivement douceur du juste, et l'ingratitude de ses beaux-
ainsi, et mirent bas des petits à toison mèlèe de frères? ne sachant contenir leur jalousie, ils
blanc, variée et tachetée de cmih'ur de cendre. ont troublé l'esprit de leur père. Considérez
(xxx, 37-39.) Voilà ce (] ut; fit Iv juste, nondesoa maintenant l'inetlable bonté de Dieu , et de
propre mouvement, mais par la grâce d'en- quelle condescendance il use, quand il voit
haul qui inspirait sa pensée. Car cela ne se que nous taisons ce (|ui dépend de nous.
faisait de la nature, mais
point selon ronin; Voyant en ellét le juste exposé à leur envie,
c'était quehjue chose de miraculeux et qui dé- il dit à Jacob Retourne dans le pays de ton
:

passait l'ordre naturel. Et il partagea les père, et dans ta famille, et je serai avec toi. [\.)
agneaux et il plaça devant les brebis un
,
C'est assez demeurer sur la terre étrangère. Ce
béliirà tcison ntèlce de blanc, et tous les que je t'avais promis en te disant Je te ramè- :

agneaux de couleur niéUnigée et il mit à , nerai dam ton pays, je vais maintenant l'ac-
part soi troupeau, et ?w le mêla point avec complir. Retourne donc sans rien craindre,
les brebis de Laban. (xxx, 40.) Lorsque dé- car je serai avec toi. Afin que le juste n'hé-
sormais des ayut aux de cette sorte naissaient, sitât pas à faire ce voyage, mais se mît hardi-
il les ajoutait à sou troupeau; il les mit à ment en chemin vers sa patrie, il lui dit Je :

part, et il eut un troupeau séparé. Et il ar- moi qui jusqu'à présent ai gou-
serai avec toi,
riva qu'au temps oie les brebis concevaient , verné tes alTaires, qui ai fait croître ta famille,
Jacob plaça ces baguettes devant elles, pour c'est moi qui, dans la suite encore sera/ ayec
quelles conçussent des petits de couleur ana- toi. Le juste ayant entendu ces paroles de Dieu,
logue. El qiuind elles mettaient bas , il ne pla- ne tarda point, mais se prépara aussitôt à lui
çait plus les b guettes. Ce qui ne portait point obéir. Il envoya, dit l'Ecriture, liachel et Lia
de rruirque était à Laban et ce qui en portait à
^
dans la plaine où il faisait paître ses trou-
Jacnb, et il s enrichit fort grandement, (xxx, peaux^ et leur dit. —
11 veut faire connaître à

41 43.) Pourquoi cette expression redoublée ? ses femmes le voyage qii'il a résolu, et leur
pour monlrer sa grande richesse, parce qu'il communiquer l'ordre de Dieu, ainsi que la ja-
ne s'enrichit pas grandement, mais fort gran- lousie de leur père contre lui. — // leur dit :

dement. Car, dit le texte, il eut des troupeaux Je vois que le visage de votre père n'est point
nombreux, et des bœufs, et des se7'viteurs, et envers moi comme hier et avant-hier. Mais le
des sei'vantes. (43.) Dieu de mo7i père était avec moi. Vous savez
Mais considérez encore l'envie qui naît de là vous-mêmes que j'ai servi votre père de tout
contre lui. Laban entendit les discours de ses mon pouvoir. Votre père a même usé envers
fils qui disaient :Jacob a pris toute la richesse moi de tromperie ; il a changé ma récompeîise
de notre père, et c'estdu bien de notice père en dix agneaux, mais Dieu ne lui a point
qu'il s'est ainsi élevé, (xxxi, 1.) Voyez comment permis de me faire du mal. Quajid il me
la jalousie les a conduits à l'ingralilude, et disait : Les animaux de couleur mêlée seront
non pas seulement eux, mais Laban lui-même. votre récompense t(nis ceux qui naissaient
,

Jacob, dit l'Ecriture, vit le visage de Laban, et étaient variés; et quand il me disait : Les
voilà qu'il n'était point envers lui comme la aidmaux blancs seront votre récompense, tous
veille et l'avant -veille. (2.) Les paroles de ses ceux que mettaient bas les brebis étaient blancs,
enfants avaient agité son àme, et lui faisaient et Dieu a enlevé le bétail de votre père et me

oublier ce qu'il avait auparavant dit à Jacob, Va donné. (3-9.)

Le Seigneur m'a béni à cause de votre venue. 11 Voyez comme il les instruit de l'ingrati-
3.

avait rendu grâces au souverain Maître, parce tude de leur père à son égard, et du dévoue-
qu'il avait fait croître sa richesse à cause de la • Telle est la seule traduction possible ao la ieç n suivie par l'au-
teur ma;s l'heLireu, la vulgate et les autres lexto porieai : A u dix
présence du juste; et maintenant les propos ;

ensr ; ce qui offre ttB


fois chanr/t< ce. que je devnis avoir pour rémm,
de ses fils ont changé son cœuri Tenvie s'est «eus beaucoup plui clair et beaucoup plus sauslaisaal.
376 TRADUCTION FRMÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

ment que lui-même lui a montré tandis qu'il sont altérés Je suis ton Dieu, celui que tu as
:

le servait. Vous savez, leur dif-il, que j'ai servi vu dans Déthel, où tu m'as consacré, en l'oi-
votre père de tout mon pouvoir. El il leur fait gnant d'huile une colonne, (xxxi, 13, 16, 19.)
bien comprendre le soin manif» ste que Dieu a Dieu veut lui rapi)eler la mémoire de ce qu'il
eu de lui, leur montrant que c'est le secours lui apromis, en lui disant Je te multiplierai,
:

d'en-haut qui a tout conthiit et fait passer et je te garde pour ramener dans ton pays.
te

entre ses mains l'abondante richeFse de Laban. (Gen. xxvin, 14, 15.) Moi donc que tu as ati et
C'est Dieu, leur dit-il, qui a enlevé le bétail rie qui t'ai fait des promesses, aujourd'hui que
votre père et rre Va donné. Et il est arrivé le temps est venu j'exécute ce que je t'ai
,

qu'au temps où les brebis concevaient f ai vu en promis et je t'ordonne de t'en retourner sans
songe des boucs et des béliers mêlés de blanc, alarme. Car je serai avec toi. Je suis le Dieu
de couleur variée et tachetés de couleurs de que tu as vu au lieu où tu as oint la colonne,
cendre qui couvraient les brebis et les chèvres. et où tu m'as fait un vœu. Il le fait souvenir

Et Vange de Dieu nia dit dans mon sommeil : de son vœu et de la promesse qu'il lui a faite.
Jacob. Et j'ai répondu Que me voulez-vous?
: Et quel était ce vœu? Le voici De ce que :

Et il m'a dit : Lève les yeux, et vois ces boucs et vous me donnerez, je vous payerai la dime.
ces béliers mêlés de blanc, de coideur variée et (Gen. xxvii, 20, 22.) Ce vœu que Jacob avait
tachetés de couleur de cendre, qui couvrent les fait lorsqu'il voyageait en fugitif et dénué de

brebis et les chèvres. Car fai vu tout ce que tout. Dieu le lui rappelle et dit Lorsque je :

Laban t'a fait. (9-12.) t'ai apparu tu 7n''as fait ufi vœu en disant :

Vous voyez que c'était la force d'en-haut qui De ce que vous me do?merez,je vous payerai la
avait tout fait et qui récompensait le juste de dime; par ce vœu et cette promesse, tu as
ses travaux.Lorsque Laban devient ingrat confessé à l'avance mon souverain pouvoir;
envers Jacob le Maître libéral récompense
, tu as entrevu par les yeux de la foi ton abon-
magnifiquement ce juste J'ai vu, dit-il, tout
: dance future; maintenant donc que ce que j'ai
ce que Laban t'a fait. Nous apprenons de là dit s'accomplit, le temps est venu pour toi d'ac-
que, si nous supportons avec modération et complir aussi ton vœu. Retourne donc; lève-toi
douceur l'injustice, nous recevons d'en-haut et sors de ce pays pour revenir dans la terre dé

une protection plus grande et plus libérale : ta naissance, et je serai avec toi. Je l'accom-
Ne résistons donc pas à ceux qui veulent nous pagnerai partout, je rendrai ton voyage facile,
nuire, mais supportons tout avec courage, et personne ne te nuira, parce que ma droite
sachant que le Maître de tout ne nous oubliera s'étendra partout sur pour te protéger.
toi

pas, pourvu que nous-mêmes nous montrions Rachel et Lia, ayant entendu ce discours, lui
notre gratitude et notre bienveillance. C'est à dirent Avons-nous notre lot dans l'héritage
:

moi qu'appartient la vengeance, et je Vaccojyi- et dans la maison de notre père; n'avons-nous

plirai, dit le Seigneur. (Rom. xu, 19, et Deut. pas été traitées par lui comme des étrangères?
xxxii, 35.) C'est pour cela que Jacob disait : Car il nous a vendues et il a mangé notre
Dieu ne hd a point permis de 7ne faire tort ; prix. Et foute la richesse et tout l'howieur que
parce (ju'il a voulu me priver de la récom- Dieu a enlevés à notre père, il te les a donnés.
pense de mes travaux. Le souverain Maître a Maintenant, fais tout ce que Dieu t'a dit. ^Gcn.
montré si largement sa bonté envers nous, xxxi, 14, 16.)
qu'il a fait passer chez nous toute la ricbosse Voyez-les suivre la volonté de Dieu et pro-
de Laban. Dieu a vu que j'avais accompli mou duire un raisonnement sans réplicjue : n'est-il

service avec dévouement et que Laban ne pas vrai que nous n'avons plus rien decomnmn
s'était pas conduit envers moi comme il con- avec notre père? nous a données pour tou-
il

venait, et c'est pourquoi il a manifesté sa fa- jours. Et que Dieu lui


la richesse et l'honneur
veur pour moi d'une manière si éclalanle. a enlevés et t'a donnés }ious appartiendront à
Je ne parle pas ainsi sans motif, téméraire- 7WUS et à nos enfants. Ne tarde donc point,
ment et à l'avenlure, j'ai Dieu pour témoin do ne diffère pas, mais accomplis ce que Dieu
ce que m'a fait votre père. Car j'ai vu , dif-il t'a prescrit. Maintoumt donc fais fout ce que

tout ce que Laban t'a fait; il ne t'a pas seule- le Soigneur t'a dit. Jacob ayant entendu
ment privé de ta récompense, mais il change ces mots, se leva, prit ses femmes et ses en fants,
de dispositions à ton égard; ses sentiments se les fit monter sur des chameaux et emmeiia tout
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — CINQU.VNTE-SEPTIÈME HOMÉLIE. 377

ce qui lui appartenait ci l'équipage qu'il s'é- celte parole : Garde-toi détenir jamais à Jacob
tait procuré en Mésopotamie et tout ce qui était des discours mauvais. Ne tente pas, même en
à lui pour ^
s'en retourner vers Isaac soti père. l)aroles, d'affliger Jacob , mais veille sur toi,
(lG-18.) contiens ta coupable impétuosité, apaise son
Examinez la force (rànic de ce juste et
-t. cœur, réprime tes sentiments décolère, et abs-
comment, mettant de côté toute crainte et toute tiens-toide l'affliger, même en paroles. Consi-
alarme, il obéit à l'ordre du souverain Maître. dérez donc l'amour de Dieu pour l'homme. Il
Car, lorsqu'il a vu que les sentiments de I.aban n'a point ordonné à Laban de s'en retourner
étaient mauvais, il ne s'est plus préoccupé de chez lui il lui a seulement prescrit de ne rien
;

l'interroger comme
auparavant, mais d'accom- dire à ce juste de pénible et de haineux. Poiir-
plir l'ordre du souverain Maître, et, prenant dans quel but? afin que ce juste apprît
(luoi et
ses femmes et ses enfants, il s'est mis en route. par les effets et les actes de (|uelle tendresse il
Laban, dit l'Ecriluri", était allé tondre ses bre- étaitjugé digne de la part de Dieu. Si en effet
bis. Et Rachel déroba les idoles de son père. Laban fût retourné, comment Jacob et ses fem-
(xxxi, 18.) Ce n'est point sans raison que ces mes eussent-ils connu ce fait? Laban lui per-
mots sont ajoutés, mais afm que nous sachions met de s'éloigner, après avoir confessé de sa
comment elles tenaient encore à la coutume de propre bouche ce que Dieu lui a dit, afin que le
leur père, et montraient une grande vénéra- juste ait une plus grande ardeur pour son
tion pour les idoles. Comprenez cette passion voyage et une confiance plus ferme et que ;

de Raclit'l qui n'enlève de chez son père rien ses femmes, en apprenant quelle tendresse
autre chose que les idoles, et cela à l'insu de Dieu accorde en tout à Jacob, soient enlevées
son mari, car il ne le lui eût point permis. Ja- à l'erreur de leur père, imitent avec zèle le
cob^ dit l'Ecriture, se cacha de Laban le Syrien \ juste, suffisamment instruites de la
et soient
et ne lui fit point connaître qu'il s'enfuyait. connaissance de Dieu. Car les discours de
Il s'enfuit avec tout ce qu'il possédait et passa Jacob étaient moins persuasifs pour elles que
le fleuve, et se hâtait d'arriver aux monts de Ga- ceux de Laban, encore plongé dans les ténèbres
laad. (20-21.) Admirez
encore la provi- ici de l'idolâtrie. En effet les témoignages des in-
dence de Dieu, qui jusqu'à ce que ce juste crédules et des ennemis de la religion ont
fût bien éloigné, n'a point permis que le dé-
toujours bien plus de force pour en faire
part de Jacob vînt à la connaissance de Laban.
reconnaître la vérité. Et c'est l'œuvre de la
Trois jours s'étant passés, dit letexte, Laban en sagesse industrieuse de Dieu, quand il fait, des
eut connaissance. Et prenant avec lui tous ses
ennemis de la vérité, les témoins de la vérité,
frères., il le poursuivit durant sept jours et l'at-
et que leur propre bouche devient l'auxiliaire
teignit dans les monts de Galaod. (22-23.) de notre cause.
Voyez encore le soin ineffable que Dieu prend Laban atteignit Jacob. Jacob dressa sa
de Jacob. H lui a dit Retourne dans ton poys^
:
i€)ite dans la montagne , et Laban plaça ses
et je serai avec toi, et maintenant il lui montre frères dans les tnonts de Galaad. Et Laban dit
une providence spéciale. Sachant que Laban à Jacob : pourquoi avez-vous fait cela ?
poursuit ce juste avec une grande indignation (xxxi 25-20.) Considérez comme l'ordre de
,

et veut faire justice de cette retraite furti\e, Dieu a calmé l'ardeur de sa colère et mis un
ilse manifeste à Laban, la nuit, pendant son frein à son cœur. C'est pour cela qu'il lui parle
sommeil. Dieu, dit l'Ecriture, vint à Laban avec une grande douceur lui faisant prescjue ,

le Syrien, durant la nuit et lui dit. Voyez ,


des excuses et lui témoignant une tendresse
la condescendance de Dieu, et comment, par paternelle. Car, lorsque nous sommes fivorisés
le soin qu'il prend de ce juste, il s'adresse à par la Providence non-seulement nous pou-
,

Laban. afin de jeter la terreur en son âme et de vons éviter les machinations des méchants,
le détourner de eesprojets contre Jacob. Garde- mais les bétes féroces elles-mêmes, si nous en
toi de tenir jamais à Jacob des discours mau- rencontrons ne peuvent nous nuire. En effet
vais. (Ibid.) La bonté du souverain Maître est le Maître de toutes choses, montrant sa puis-
bien grande. Comme il a vu qu'il courait au sance souveraine , transforme la nature des
combat et voulait s'élever contre ce juste, il animaux féroces et leur donne la douceur des
l'arrache en quelque sorte à sa résolution par brebis non qu'il leur ôle leur humeur farou-
;

* C'est-à-diie de Mésopctaroie, la Syrie des eaux. che, mais, en les laissant à leur propre nature,
378 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOSfE.

il les fait agir comine d( s brebis. Et ceci on douceur, enlui disant: Pourquoi agir ainsi?

peut le voir, non dans let bêtes léroces s» ule- Pourquoi vous enfuir secrètement ? (xxxi, 26-
ment, mais dans les éléments eux-mêmes. 27.) —
Considérez quel changement et com- ,

Lorsqu'il le veut les éléments se dépouillent de ment celui qui avait la fureur d'une bête sau-
leurs propriétés et le feu n'a plus ks effets du vage imite la douceur des brebis. Pourquoi —
feu. On peut l'apprendre pur l'iiisloire des trois vous enfuir secrètement ?ne dépouiller, m' en-,

enfants et de Daniel. Celui-ci , environné de lever mes filles comme des captives conquises

lions, n'éprouve pas plus de mal que s'il était


par Vépée. (26.) Pourquoi, lui dit-il agir ,

entouré de brebis parce que la volonté d'en- ainsi? quelle a été votre pensée? pourquoi ce
,

haut contient leur naturel féroce. Ces animaux départ furtif? Car si vous ni' ^n aviez informé,

demeurèrent sans témoigner leur cruauté, je vous aurais escorté avec honneur et avec joie

comme les faits le prouvèrent à ceux qui étaient pour prendre congé de vous ; si je l'avais su, je
plus féroces (}ue des animaux sans raison. vous aurais fait, au départ accompagner par ,

5. Et cela pour flétrir davantage


s'est fait des musiciens avec des tambours et des cithares.
ceux qui, honorés du don de la raison, ont dé- Vous Jie m'avez pas jugé digne d'eînbrasser mes
passé des brutes en cruauté. Ils ont appris par filles; vous venez d'agir sans sagesse. (27-8.)

l'événement que la providence du souverain Voyez comme ensuite il se condamne et avoue


Maître a fait respecter le juste par les animaux de sa propre bouche qu'il se préparait à faire
féroces, qui n'ont pas osé le toucher; tandis du mal au juste mais que la providence de
,

qu'eux-mêmes étaient pour lui pire que ces Dieu a brisé sa fougue. Ma main, dit-il, e^t
animaux. Et ils n'ont pu penser que c'était un assez forte pour vous faire du mal ; mais le
simple caprice en voyant ce qui arrivait aux
, Dieu de votre père m'a dit hier : Garde-toi de
hommes jetés depuis dans la fosse ils ont vu ; jamais tenir à Jacob des discours fnauvais.
que si, à l'égard du juste, les lions avaient (xxxi, 29.) Comprenez bien quelle consolation
imité la douceur des brebis et dissimulé leur ces paroles apportèrent à ce juste, et considérez
naturel, ils montraient leur férocité envers comment son beau-père lui confessa ce qu'il
ceux qu'on y jeta ensuite. De même , dans la avait médité contre lui dans quel dessein il
,

fournaise ardente. Les trois Hébreux qui s'y avait voulu latleindre, et comment la crainte
trouvèrent au milieu du feu furent respectés de Dieu l'empêchait d'effectuer ses desseins
par cet élément dont l'activité était suspendue hostiles. « Le Dieu de votre père, » dit-il.
et comme entravée en sorte qu'il laissait in-
, Voyez combien Laban lui-même tire avantage
tacts les corps de ces enfants et n'osait toucher de cet événement, puisqu'il reconnaît la
même à leurs cheveux, comme s'il eût reçu manifestation souveraine de la puissance de
défense de laisser voir son action naturelle et ; Dieu aux paroles qu'il lui a adressées. Mais,
cependant dévora ceux qui étaient hors de la
il dit-il, puisque vous avez eu ce dessein et que
fournaise, montrant par ces deux efl'ets la puis- Dieu prend de vous un tel soin. Vous voilà
sance infinie de Dieu, en épargnant ceux qu'il parti, car vous avez désiré d'un gra?id désir
enveloppait et atteignant les autres. Ainsi, lors- retourner dans la maison de votre père. Mais
que nous sommes soutenus par la force d'en- pourquoi t7i'are:-vous dérobé mes dieux ? (30.)
haut, non-seulement nous échappons aux em- Soit, dit il, vous avez jugé convenable vous ,

bûches de ceux qui nous veulent nuire mais , avez résolu de retourner dans la maison de
quand nous tomberions entre les grilles de votre père mais pourquoi me dérober mes
;

bêtes féroces, nous n'éi)roiiverions point de dieux? comble de la démence! tes dieux
mal. Car la main de Dieu a une force supérieure sont-ils tels qu'ils puissent être dérobés? N'as-tu
à tout elle nous environne d'une défense assu-
; pas honte de dire Pourquoi tn'avez-vous
:

rée et nous rend invincibles comme il arriva , dérobé mes dieux ! Voyez quel excès d'égare-
à ce juste. ment , adore du bois et de la pierre, comme
il

En effet , Laban , qui souhaitait avec tant de si la raison leur pouvait rendre un culte. Et tes
passion d'atteindre Jacob et de tirer viMigeance dieux, Laban. ne pouvaient se défendre quand
du départ de cotte famille , non-seulement ne on les allait Conunent, en effet, l'au-
dérober !

lui adresse pas une |)arole rude et haineuse, raieiit-ils pu, puiscju'ils étaient de pierre? Mais
mais comme un père avec
s'entretient avec lui le Dieu du juste, et sans que le juste le sût lui-
son enfant et lui tieut un discours plein de même, a arrête ta fougue. Et tu ne comprends
HOMELIES SUR LA GENÈSE. — CINQUANTE-HUITIEME HOMÉLIE. 379

pas la grandeur de ton égarement, mais tu d'une telle prééminence par


la bonté divine,
accuses le juste d'un larcin. Car pounjuoi eût- se résolvent à adorer des dieux insensibles, ne
il été capahle de ilcruber ce qu'il abhorrait, et les dissimulent point et ne se préoccupent point
surtout ce qu'il sa\ail être des pierres insensi- d'une telle extravagance, mais se laissent,
bles ? comme des troupeaux, conduire par leur habi •

Jacob lui répond avec une grande douceur, tude. C'est pourquoi Paul disait, dans ses cpî-
et se justille d'abord des accusations (pi'il vient Ires : Vous savez comment, lorsque vous étiez
d'entendre ; il l'engage à ciierclier ses dieux. gentils, vous vous laissiez conduire vers des
Je vous ai dit de ne point m'cnlever vos filles idoles muettes. (I Cor. xii, 2.) Il a bien dit :

et tout ce gîte je possède (xxxi, 31); parce muettes. Vous qui possédez la parole, qui savez
que je vous voyais mal disposé pour moi, j'ai entendre et converser, vous êtes conduits
tremblé que vous n'entreprissiez de ni'enlever comme des brutes vers des êtres insensible.';.

vos filles et ce qui m'appartient, de me priver Quelle indulgence peuvent obtenir de tels
de mon bien, comme vous l'avez déjà fait. hommes Mais voyons comment s'exprime ce
!

Voilà le motif et la crainte qui m'ont conduit juste, désormais affermi dans sa confiance par
à exécuter secrètement ce voyage : Au reste les aveux de Laban qui d'ailleurs n'a trouvé
,

celui que vous trouverez possesseur de vos dieux contre lui aucun motif raisonnable de blâme :

ne vivra pas devant nos frères, (xxxi , 32.) Jaccb s'irrita et disputa contre Laban, il

Jacob, vous le voyez, ignorait le larcin com- lui dit : — Voyez comment il fait voir dans
mis par Rachcl, voyez, en effet, de tpiel rigou- ce différend la vertu de son En quoi âme :

reux châtiment il menace celui qui sera con- ai-je été injuste et coupable que vous nCuyez
vaincu d'avoir commis le vol Celui que vous : poursuivi? » (xxxi , 36.) Pourquoi , lui dit-il,

trouverez possesseur de vos dieux, ne vivra m'avez-vous ardeur? de


ainsi poursuivi avec
pas devant îios frères. Non pas seulement quelle injustice, de quelle faute pouvez-vous
parce qu'il les a dérobés, mais parce que ce m'accu?er?Et non-seulement cela, mais vous
fait est la preuve évidente de son ()ropre éga- m'avez fait 1 injure de tout scruter dans ma de-
rement. Examinez s'il y a avec moi quelque meure. Quavez-vous trouvé que j'aie apporté
chose qui scit à vous et repreuez-le. (Ibid.) de chez vous ? Exposez cela devant vos frères
Cherchez, lui dit-il, si j'ai emporté quelque et mes frères et qu'ils jugent entre nous deux.

chose qui ne m'a|>parlienne pas. Vous ne pou- (xxxi, 37.) Après toutes ces recherches avcz-vous
vez me re[)roclier autre chose que d'être parti l»u trouver quelque chose qui ne m'appaitînt
secrètement ; et eela même jf ne l'ai pas fait pas et en (juoi je vous aie fait tort Si vous !

volontiers, mais parce que je soupçonnais une l'avez trouvé produisez-le afin que ceux qui ,

injustice et craignais que vous ne voulussiez m'accompagnent etceux qui vousaccompagnent


m enlever vos filles et toute ma richesse. Et décident le dltlerend. Voyant qu'il était eans
il ne recomiut rivn. Jacob iqiiorcnt que Raclicl reproche aux yeux de tous il |)arle désormais ,

sa femme avait dérobé ses dieux. Et Laban, avec hardiesse, et comptant la durée de l'affec-
étant entré dans la teîite de Lia , chercha sans tion qu'il lui a toujours montrée il lui dit , :

rien trouver. Il entra aussi dans celle de Raclicl. Et voilà vingt ans que je suis avec vous.
Mais Rachel prenant les idoles , les avait pla- Après tant d'années de travail mérilais-je ,

cées sous le harnais des chameaux , et, s' étant donc cet outrage? « Et voilà le prix de ces
assise dessus, elle dit à son père: Ne vous vingt ans » Aujourd'hui je comiite vingt
1

offensez pas, mon père, je ne puis me lever de- ans de service dans votre demeure. Vos bre-
vant vous :je suis femme et incommodée coinme bis et vos chèvres n'ont pas été stériles; je n'ai

les femmes. ÏJiban chercha dans toute sa tente point mangé vos béliers; je 7i'en n'ai point
et îie trouva rien. (3-2-3'».) laissé enlever par les bètes féroces. Je vous ai
6. Elle fut grande la prudence par laquelle dédommagé des larcins de jour et des larcins
Rachel sut faire illusion à Laban. Qu'ils écou- de nuit. J'endurais les ardeurs du jour et le
tent ceux qui se sont enracinés dans l'erreur et froid glacial de la nuit, et le sommeil s'éloignait
font tant d'estime du culte des idoles. Elle les de mes yeux, (xxxi, 38, 40. ) Avez-vous donc
plaça, dit le texte, sous le harnais des chameaux oublié, lui dit-il les travaux que j'ai endurés
,

et s'assit dessus. Quoi de |)lus plaisant ? Ceux qui, en faisant paître vos brebis et vos chèvres 1

honoiés du don ie la raison et jugés dignes Vous ne pouvez me reprocher qu'elles aient été
380 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

stériles.Voyez commenl il lui m ntie ;a grande scandalisé sans que je brûle? (I Cor. xi, 29.)
bonté de Dieu, épandue sur la (ii.ii>on de Laban tendresse du pasteur ! Les chutes d'autrui, dit-

à cause de sa présence. Car cVsl ià ce qu'il a il, n'ont pas lieu sans que j'en ressente le
dit plus haut Dieu vous a béni à ma venue.
:
contre-coup ; les scandales d'autrui me lont
Personne ne demanderait cela d'un berger ;
ressentir les douleurs d'une fournaise. Que
cela ne dépend ni de lui ni d'aucun homme. tous ceux-là s'efforcent de lui ressembler ,

C'est pour cela qu'il le met avant tout le reste à qui est confié Pautorité sur des brebis
et qu'il témoigne de la divine Providence qui a raisonnables , et qu'ils ne descendent pas

pris soin de ces troupeaux. Je n'ai pas mangé au-dessous de celui qui, pour garder un trou-
vos béliers. Vous ne pouvez dire que j'en aie peau sans raison, s'est livré, durant tant d'an-
mangé un seul, comme le font souvent tant nées, àune telle vigilance. Là, en effet, quelque
de bergers. Je Jien ai point laissé enlevé)' négligence n'eût point causé de mal ; ici que
par les bêtes féroces. Je ne les ai ni mangés, ni des brebis raisonnables, une seule se perde, ou
laissé enlever par les bêtes. Ne voyez-vous — devienne la proie la peine est grande,
des loups,
pas chaque jour ceux qui gardent des trou- le dommage immense, châtiment inexpri- le

peaux rapporter à leurs maîtres les restes des mable. Car si notre Maître n'a pas refusé de
brebis que les bètes féroces ont dévorées? Mais répandre son propre sang pour elle, quel par-
vous ne jiouvez me reprocher rien de tel; don méritera celui (jui osera négliger des
vous ne pouvez m'alléguer que rien de tel soit âmes estimées si haut par le Maître, et qui

arrivé en vingt ans. Que dis-je, enlevés par les n'accomplit pas tout ce qui dépend de lui pour
bêtes féroces ? Mais si même il y a eu des lar-
,
le soin de ses brebis?

cin?, comme cela devait arriver, je ne vous en Mais revenons à la suite du texte : Voilà
ai point donné connaissance, mais je vous en vingt ans, dit Jacob, durant lesquels j'ai servi
ai dédommagé, qu'ils fussent arrivés de jour dans voire maison. Je vous ai servi quatorze
ou de nuif. J'ai supporté sans cesse et coura- a)is pour vos deux fdlcs, et six ans pour des

geusement Ils ardeurs du chaud et la rigueur brebis et vous ni avez fraudé en me donnant

du froid des nuits, pour préserver vos trou- dix agneaux pour salaire. Si le Dieu d'Abra-
peaux de tout dommage; enlin le sommeil ham, mon père, et le Dieu d'Isaac n'tiH pas
même était écarté de mes yeux par tant de été avec moi vous me renverriez maintenant
,

soucis. dépouillé de tout. Dieu a vu mon abaissement


Voyez- vous les veilles d'un berger? voyez- et ?nes fatigues et vous a fait hier des re-
vous l'ardeur incpiiète de son zèle? Quelle ex- proches, (xxxi, .40-^2.) Voyez comment les
cuse peuvent donc avoir ceux à qui sont cou aveux de Laban ont enhardi ce juste et la
fiés des troupeaux doués de. raison, et qui franchise de ses accusations. Vous savez, dit-il,
montrent tant d'insouciauce» (jui cluuiue jour, ; comment je vous ai servi l'espiice de vingt an-
suivant la parole du Prophète, égorgent les uns nées, (juatorze pour vos filles et le reste pour
et voient les autres eu proie aux bêtes féroces, des brebis; et cependant vous avez voulu me
ou au pillage, et qui ne veulent en prendre frauder sur mon salaire ;
pourtant je ne
aucun soin Cependant la fatigue du |)asteur
"^
vous ai pas accusé. Mais d'après vos propres
est ici moindre, et sa vigilance plus facile; car aveux, je sais que, si le Dieu d'Abraham et
c'est rame (lu'il faut instruire; là-bas la fatigue d'Isaac ne m'eût assisté, vous me renverriez
était grande pour l'àme et pour le corps. aujourd'hui seul et les mains vides vous m'au- ;

Or considérez ce que dit Jacob J'endu-


7. : riez tout enlevé, vous auiiez mis à exécution
rais les ardeurs du jour et le froid glacial de la le noir projet que vous aviez formé. Mais Dieu
nuit, et le sommeil s éloignait de tnesyeux. Qui connaît mon abaissement et mes fatigues. —
maintenant pourrait dire (jue, pour le salut de Que veut-il dire par ces mots? — Dieu savait
son troupeau, il a accepté des périls et des a\cc iiuclle aiïection je \ous ai seivi et les
peines? Nul de nos contemporains ne Poserait fatigues que j'aiendurées en faisant paître vos
prétendre. Paul seul a le droit de le dire avec brebis , la vigilance que j'y ai jour et nuit
conliance, et docteur de la terre entière a seul
le appoitée; c'est pour cela que ce maître plein
le droit d'en dire davantage. VA où Paul, direz- de bonté vous a fait hier des reproches; c'est
vous, enduré cela? Ecoutez-le
a-t-il Qui : est pour cela qu'il a réprimé votre injustice contre
faible sans que je le sois avec lui? qui est moi et votre fureur déraisonnable.
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — QUARANTE-HUITIÈME HOMÉLIE. 381

Jacob s'est suffisamment justifié devant La- voyez ^ nul regard 7ie s'inteipose e7itre nous;
ban, et, après lui avoir reproché son injustice, notre témoin, c'est Dieu. (50.) Voyez une pre-
il lui a fait l'énumération de ses bienfaits. mière une seconde et [)lus souvent
fois
,

Aussi Laban, pénétré de honte par ses paroles, encore, invoque Dieu comme témoin. En
il

devient timide et veut demander la paix à ce effet, la Providence qui accompagne Jacob lui

juste. Voyez l'œuvTe de la protection divine. a appris quelle est la puissance du souverain
Celui qui s'était préparé à l'attaque et s'était Maître; il sait maintenant qu'il ne peut échap-
mis avec tant d'ardeur à la i)oursuite de Jacob, per à un œil qui ne dortjamais. C'est pourquoi
est devenu si timide, (ju'il cherche à en obte- il dit Que nous nous séparions et que nul
:

nir la paix. Laban, dit l'Ecriture, ayant ouï autre ne puisse témoigner entre nous. Celui
cette réponse, dit à Jacob : Vos filles sont mes qui est présent partout sera notre témoin. Par
filles, vos fils sont J7ies fils, vos troupeaux sont chacune de ses paroles, il manifeste que Dieu
mes ti'oupeaux, et tout ce que vous voijez est à est souverain par toute la terre.

moi et à mes filles. Que ferai-je aujourd'hui Et Jacob lui dit : Voilà que cette pierre que
pour elles et pour leurs enfants? (xxxi, 43.) j'ai dressée sera elle-7nême un témoignage. Laban
Je sais, dit-il, que ce sont mes filles, et tout ce dit e7icore : Pour que je 7ic dépasse point en al-

que vous avez vous est venu de chez moi? Que lant vers vous cette colline que vous ne dépassez
ferai- je donc aujourd'hui pour elles et pour point en ve7mnt vers moi, avec de mauvais des-
leurs €71 fants? faisons maintenant tous deux seins, cet amas et cette pierre dressée,
que le Dieu
ici la paix, et il y aura un témoignage entre d'Abraham Dieu de Nachor soit juge entre
et le

vous et moi. (xlui, 44.) Faisons la paix, et il nous deux! {^i -^3.) y ous le voyez il réunit :

y aura un témoi{;nage entre vous et moi, comme les noms du du pa-


père et de l'aïeul, frère
preuve et comme signe. Il lui dit Si quel- : triarche et son aïeul à lui-même. Que le Dieu
qu'un essaye de violer nos conventions // : d'Abraham et le Dieu de Nachor soit juge
n'y a personne avec nous ; mais que Dieu soit entre nous ! Et Jacob jura par la crainte du
témoin entre nous deux. Dieu de son père Isaac, et off7it un sacrifice
8. Considérez comment Laban est gradueHe- surlamo7itagne; et il appela ses frères; ilsman-
ment conduit â la connaissance de Dieu. Celui gèretit et burent, et ils dormirent sur la mon-
qui reprochait au juste de lui avoir dérobé ses tagne. (53-54.) // offrit im sacrifice sur la mon-
dieux et les cherchait avec tant de soin, dit tag7ie et rendit grâces à Dieu de ce qui était

maiatenant : Puisque personne ne peut, s'il arrivé. Ilsmangèrent et bure7it et ils dormi-
arrive plus tard quelque incident, être entre rent sur la montagne. Laban s' étant levé dès le
nous témoin de ce que nous allons faire, que poi7it du jour, embrassa ses enfants et ses

Dieu soit témoin entre vous et moi. Il est pré- filles et il les bénit. Et s'en retour7ïaJit il arriva
sent, il voit tout, rien ne peut lui échapper, il dans sa demeure. (54-55.) Vous avez vu, mon
connaît la pensée de chacun. Et Jacob, dit le bien-aimé, combien grande est la sagesse di-

texte, ayant pris une pierre la dressa, et il fit vine, qui s'est manifestée ici par sa providence
U7i amas de pieri'es où ils mangèrent. Ensuite au sujet de ce juste, en le préservant de l'in-

Laban lui dit : Cet amas de pierres sera un justice tentée contre lui vous avez vu que ;

témoignage e7itre vous et moi. [ xxxi , 45 ,


prescrivant à Laban de ne pas prononcer
46, 48.) Qu'est-ce donc? c'est comme s'il eût contre Jacob des paroles de menace, elle l'a,
dit : Les paroles prononcées sur cette colline, par cela même, acheminé graduellement à la
nous Dous en souviendrons toujours. Et il l'ap- connaissance de Dieu. Lui qui courait sur
pela le tertre du témoignage. Que Dieu Jacob comme une bête féroce pour l'atleindrcî
abaiise son regard entre voies et moi ! (49.) et le tuer, s'excuse et l'embrasse, ainsi que
Considérez que Laban invoque de nouveau ses filles et leurs enfants, puis s'en retourne
la justice de Dieu. Que Dieu, dit-il, abaisse dans sa demeure. Nous avons peut-être étendu
S071 regard e7itre vous et moi parce que , beaucoup ce discours; mais le récit nous y a
7Î011S allo7is nous séparer l'un de l'autre! (Ibid.) forcément entraîné.
Maintenant, dit-il, nous allons nous éloigner. Le terminant donc ici, exhortons votre cha-
Vous retournerez dans votre pays et je vais re- rité à faire tous vos efforts pour attirer la bien-

gagner ma demeure. Si vous humiliez mes veillance d'en-haut. Carsi nous avons Dieu pro-
filles, si vous prenez d'autres femmes qu'elles, pice, tout nous sera doux et facile : rien dans la
382 TIUDUCTION FRAISTAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOSIE.

vie présente ne pourra nous désoler, queLjue consolation et d'assurance. Puis donc que nous
désolant (ju'il paraisse. Car telle tstrimniensité avons un tel Maître, si puissant et si habile , si

de la puissance de Dieu, quil change, quand il sage et si bon, manifestons ses œu\Tes et fai-

le veut, les souffrances en plaisirs. Ainsi Paul, sons grande estime de la vertu, afin d'obtenir
dans ses tribulations, se réjouissait et se glo- les biens temporels et les biens futurs, par la
rifiait soulevé vers le ciel par l'attente des ré- grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-
compenses qui lui étaient réservées. (Rom. v, 2, Christ, avec lequel soient, au Père, gloire et
3.) C'est pour cela que le prophète aussi disait: puissance, avec le Saint-Esprit, maintenant et
Dans vous avez dilaté mon
la tribidation, toujours, et dans tous les siècles des siècles.
cœur nous apprenant par là que,
(Ps. -4, 2) ; Ainsi soit-il.
dans la tribulation même, Dieu l'a fait jouir de

CINQUANTE-HUITIÈME HOMÉLIE
« Et, Jacob levant les yeux, vit le camp de Dieu ; et les anges de Dieu se présentèrent à sa rencontre ; Jocob les

ayant vus dit : C'est là le camp de Dieu ; et il appela cet endroit le camp. > (G-en. XXXn, 1-24

ANILTSE.

1. Explication des versets 1-12 du chap. xxxii. —


2. Explication des versets 13-28. Jacob prie Dieu d'accomplir ses promesse»;
il avec un ange
iiitle son nom est cliangé en celui d'Israël ; poiircjuci les Anges se montrent sous «ne forme humaine.
: 3. Con- —
tiuuali'in do l'cxplicalion du tcxlo jusqu'au verset l du chap. xxxni. L'incarnation est révélée. Monuments des bienfaits de Dieu

dans l'Ecriture. — -4. Explication des versets .-17. Jacub Iriomplie de son fière par son humilité. — C'est.one grande vertu que
de se concilier ses ennemis; que la douceur a pour cela une graude efticacilé.

1. Je sais que vous avez été fatigués hier lors(|ue je voischaque jour s'accroître votre
l)arce (pu; mon discours s'est beauconp pro- empressement. Revenons donc aujourd'hui
longé; mais, ayez confiance, votre fatigue n'est reprendre, dans la mesure de nos forces, la
pas inutile, car elle a eu lieu dans le Seigneur, suite du sujet traité hier; donnons à votre
près de qui moindre peine e^t payée d'une
la chanté >on aliment ordinaire, et voyons com-
grande récompense si le corps s'est f;itigue, : ment, près le départ de Laban, Jacob conti.
;

i'ànie a été fortifiée. Ainsi moi-même, vcy.mt nue sou >oyage. (^ar rien n'est oiseux de ce
l'ardeur de votre zèle et voire désir d'enteudie, que contient la divine Ecriture; mais toutes
de nouviau éveillé, je veux resserrer mon en- les actions des justes recèlent une grande
seignement, mais non le terminer avant d'en utilité pour nous. En eiïet ,
puisque sans
avoir atleinl le terme, sachant bitu que c'est sans cesse le .Maître de l'univtrs était présent
ie plus sûr mo\en de vous èlre agréable. pour qu'il allégeait pour eux les
les assister,
Car l'étendue de mon enseifiiiement a fait du voyage. le simple récit de ce voyage
lalifiues
voir combien est avide et insatiable \otre peut nous foiUMiir un am|>le profit.
désir denlendre la parole sainte; d'aillcuis Lab.ui étant parti pour retourner dans sa
mon ardeur à vous instruire s'atcroit aussi, demeure, Jacob poursuivit son chemin et, k^

i
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — CINQUANTE-HUITIÈME HOMÉLIE. 383

vant les yeux, il vit le camp de Dieu dressé; et faire, au milieu de son anxiété; il lui semblait
les anges de Dieu se présentèrent à sa rencon- qu'il avait tout à redouter et que la mort était
tre. (Gen. xxxii, I.) Lorsque la crainte que devant ses yeux. // divisa toute sa troupe en
lui avait inspiré Laban se fut pleinement dis- deux camps, car il disait : S'il marche contre
sipée, la crainte d'Esaii y succéda. C'est pour un cartip et le détruit, l'autre pourra être sau-
cela que le bon Maître, voulant encourager ce vé. (Ibid. 7, 8.) Voilà ce que lui suggéraient
juste et dissiper toutes ses terreurs, oUrit à ses la crainte et l'épouvante. Se voyant conuiiG
yeux le camp des anges. Les anges de Dieu se pris dans un filet, il a recours au Maître invin-
présentèrent à sa rencontre, dit l'Ecriture, et cible, et il réclame auprès du Dieu de l'uni-
Jacob dit : C'est là le camp de Dieu. Et il appela vers l'accomplissement de ses promesses
cet endroit les camps (Ibid. 1-2) ; en sorte que comme s'il lui disait : Maintenant, voici le
cette dénomination conservât per[)étuellenient temps oiî, à cause de la vertu de mes pères et
la mémoire de la vision qu'il avait eue en ce à cause de votre promesse ,
je dois obtenir
lieu. Et après cette vision, // envoya devant lui, votre pleine assistance. Jacob, dit le texte,
dit l'Ecriture des messagers vers son frère
, parla ainsi : Vous, le Dieu de mon père
Abra-
Esaû, avec cette mission : Vous direz à mon ham et de mon père Isaac, vous qui m'avez
seigneur Esaû. (Ibid. 3-4.) Voyez quelle crainte, dit : dam la terre de ta naissance
Retourne
même après cette vision, domine encore ce vous qui m'avez fait partir de la
(Ibid. 9); c'est
juste. Il redoutait la violence de son frère et terre étrangère, et qui m'avez ordonné de reve-
s'inquiétait à la pensée que le souvenir de ce nir vers mon père de ma nais-
et vers la terre
qui s'était passé autrefois pouvait l'exciter à sance. Que sauvé par la justice et la
je sois
marcher contre lui. Dites à mo7i seigneur vérité dont vous avez usé envers voti'e serviteur.
Esaïi : Voici ce gue vous dit votre serviteur (Ibid. 10.) Qu'elles soient mon assistance en
Jacob. J'ai demeuré près de Laban et j'y suis cette conjoncture. Carvous qui, jusqu'à présent,
resté jusqu'à ce temps ; je suis devenu posses- avez pris de moi tant de soin, vous pouvez, en
seur de bœufs, d'dnes, de brebis, de serviteurs ce moment encore, m'arracher aux dangers
et de sejwantes, et j'ai envoyé vers mon sei- qui me menacent; car je n'ignore pas que j'ai
gneur^ afin que votre serviteur trouvât grâce passé ce fleuve du Jourdain, avec une simple
devant vous. (Ibid. 4-5.) Considérez la crainte baguette. (Ibid.) Et maintenant, par votre pro-
qu'il avait de son frère, et comment, désireux vidence, moi qui ne portais qu'un bâton, en
de l'adoucir, il lui envoie annoncer son retour, parlant pour la terre étrangère, je reviens avec
la richesse qu'il a acquise et le lieu où il deux camps. (Ibid.) Vous donc, ô mon Maître,
a vécu jusque-là, afln de calmer sa colère et de vous qui m'avez donné tant de richesses, qui
pouvoir rendre doux et facile ce qui arriva
le ; m'avez fait monter à ce point, maintenant
en Dieu ayant calmé son cœur, éteint
efTet, Sauvez-moi de la main d'Esaii, mon frère,
sa colère, et l'ayant adouci. Car, si Dieu avait parce que je crains qu'il ne me frappe, avec la
inspiré par ses paroles tant de crainte à Laban, mère et les enfants. Vous avez dit : Je te ferai
tandis qu'il poursuivait Jacob avec tant d'im- du bien et je multiplierai ta race comme le

pétuosité, à bien plus forte raison, il inspira sable de la mer et sa midtitude sera iimom-
au frère du juste de la douceur envers lui. brable. (Ibid. H, 12.)
Ces messagers revinrent en disant : Nous 2. Voyez la piété de ce juste et sa profonde
avons trouvé votre frère, et il vient à votre reconnaissance, qui lui font tenir pour certain
rencontre avec quatre cents hommes armés. que le souverain Maître ne peut ne pas accom-
(Ibid. 6.) Voyez comment cette nouvelle re- plir ses promesses. C'est après avoir montré sa
double les craintes ne connaissait
de Jacob. Il gratitude pour les bienfaits antérieurs, et re-
pas, en effet, avec certitude le dessein de son connuqueDieu l'apris pauvre et banni pourle
frère; mais apprenant le grand nombre de combler de richesses, qu'il le supphe de l'arra-
ceux qui étaient avec lui, il conjecturait avec cher au péril Vous m'avez dit : Je multiplierai
:

effroi que, parce qu'il était préparé pour le ta race comme le sable delà mer, et on ne pourra
combat, il ne venait pus à lui pour une ren- la compter. Ayant donc adressé au souverain
contre pacifique. Jacob, dit le texte (Ibid. 7), Maître son appel et son humble prière, il fait

fut elfrayé, et il ne savait ce qu'il devait faire. ce qui dépend de lui. Il prend des présents
La crainte troublait son esprit, il ne savait que parmi ce qu'il apportait de la terre élraugere
384 TRADUCTION FIL4NÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

et les adresse à son frère, les divisant en plu- ne vous laisserai point partir que vous ne
sieurs envois et recommandant de le fléchir m'ayez béni. (Ibid.) J'ai été jugé digne de
par des paroles et de lui annoncerson approche. grands bienfaits et au-dessus de mon mérite.
Dites-lui : Voilà que votre serviteur vous suit Je ne vous laisserai donc point que vous ne

de près, en sorte qu'il puisse le fléchir avant de m'ayez béni. —


Quel est ton nom ? Ibid. 27, [ )

paraître en sa présence. Ensuite, dit le texte, Voyez encore jusqu'où Dieu s'abaisse. Ne sa-
vait-il pas, sans le demander, le nom de ce
je verrai son visage; peut-être rrC accueillera-t-
il. Et il envoya ses présents pour être
remis à juste? Assurément il le savait, mais il veut

son frère. (Ibid. 20, 21.) Considérez encore ici augmenter sa foi par cette demande et lui ap-

l'ineffable bonté de Dieu, et comme elle té- prendre quel est celui qui s'entretient avec lui.
moigne bien de l'ordre de sa Providence. A Lors donc qu'il eut répondu Jacob, Dieu lui
Laban, quand Jacob ne soupçonnait pas le dit Tu ne t'appelleras plus Jacob mais
: ,

péril et ne savait pas qu'il allait tomber entre Israël sera ton nom^ parce qu ayant été fort

lesmains de Laban, qui accourait pour se ven- avec Dieu, tu seras puissant parmi les hommes.
ger de son départ secret, Dieu se montre, ré- (Ibid. 28.) Vous avez compris comment Dieu lui

prime sa colère et lui défend d'adresser à a révélé la cause d'une telle condescendance;
Jacob une parole amère N'adresse à Jacob au-
: enmême temps il enseigne à ce juste, par le

cune parole coupable, lui dit-il. Il régla ainsi nom qu'il lui donne, quel est Celui qu'il a ^"u

les choses pour que le juste l'apprît par la et qui a daigné se laisser retenir par lui : Tu
bouche de Laban lui-même, afin que, con- ne t'appelleras plus Jacob, mais Israël. Or,
naissant la providence de Dieu à son égard, il Israël se traduit par voyant Dieu. Puis donc
fût {)lus rempli de conflance. Et maintenant, que Dieu a daigné se montrer à toi, autant
parce qu'Esaù s'est calmé avec le temps, et qu'il est possible à un homme de le voir, je te

que sa colère, son ressentiment contre Jacob donne ce surnom, afin que désormais il soit

se sont apaisés, tandis que celui-ci est rempli manifeste à tous de quelle -sision tu as été ho-
d'inquiétude, et frémit de crainte, au moment noré. Et il ajoute : Parce que tu as été fort

de rencontrer son frère, ce bon Maître ne s'a- avec Dieu, tu seras puissant parmi les hommes.
dresse |)oint à Esaii, car celui-ci n'avait nul Ne crains donc plus et n'appréhende plus de
mauvais dessein contre Jacob ; mais il relève mal de la part de personne. Car celui qui a reçu
ce juste. Après avoir fait partir les porteurs de une force telle qu'il puisse lutter avec Dieu, à
ses présents et dormi quelque temps, il se leva plus forte raison l'emportera sur les hommes
cette nuit même , il fit passer le Jaboch à ses et sera invincible à tous.

deux femmes et à ses ejifants : il les prit et les 3. Le juste à ces paroles, frappé de la gran-

fit passer au delà du torrent. Jacob reste seul, deur de celui qui s'entretenait avec lui
et im homme lutte avec lui. (Ibid. 22^ 2 i.) reprit Faites-moi co7Viaitre votre nom. Et il
:

grande bonté de Dieul Parce que Jacob allait lui répondit : Pourquoi me demaïuies-tu mon
rencontrer son frère, et afin qu'il eût une nom? Et il le béjiit. (Ibid. 29.) Comme sil disait :

preuve sensible qu'il n'éprouverait rien de Denieuri' dans les bornes qui te oonviciuient
fâcheux il daigne lutter avec lui, sous la figure
, et nt- dé lasso pas ta mesure. Tu veux obtenir
d'un homme. Ensuite, Jacob voyant (ju'il avait ma béiu lii-'itn : v\\ bien 1 je le l'accorde. // le
le dessous, le saisit par la largeur de sa cuisse. du h- W\W. cl Jacob appela cet endroit :
bénit,
(Ibid. 25.) Dieu ne s'abaissait ainsi que pour Apparence de Diei Car, dit-il, fai vu Die»
.

délivrer de crainte l'àme do ce ju4e et lui face à fi/ce et ma » /> a éie sauvée. (Ibid. 30.)

persuader de n'avoir aucune angoisse à la ren- Voyez-vous quelle hardiesse lui a donnée celte
contre de son frère. Jacob l'ayant saisi par la vision ? Ma tue, dit- il, a été sauvée, vie que la
largeur de sa cuisse, la largeur de la cuisse de crainte m'avait presque ravie. Puisque Dieu a
Jacob s'engourdit en luttant arec lui. (Ibiil.) daigné se nianif»'S!er a moi face à face, ma
Ensuite, aiin (jue Jacob apprît (jucUe était la vie a été sauvée. Et le soleil se levait lorsque ,

puissance de celui (ju'il croyait lutter contre la visio?i de Dieu disparut. (Ibid. 3t.) Vous
lui, le mystérieux lutteur lui dit : iMisse-moi avez vu comment Dieu condescend à I infir-
partir^ car le matin se lève. (Ibid. 20.) Ce mité hu'naine pour accomplir et t:oiiveruer
juste donc s'apercevaiit (pielle était la puis- toute chose, l't coiinnent il manifesie sa l>onté
sance de celui qui lui parlait, répondit : Je suprême? Et ne vous déconcertez pas, mou
HOMÉLIES Sim l\ GENÈSE. - CINQUANTE-HUITIEME HOMÉLIE. 38S

bicn-aiiiK:, di" la {.Mainlcnr de cet al aissement ;


d' Israël ne mmujent pas du nerf de la cuisse
mais souveoez-vous ipi an temps du patriar- qui engourdi, parce que Jacob a touché
s'est

che Abraham iorst|iril t.lail assis au pied du


, la largeur de la cuisse, qui s'est engourdie.
chèiie le Seigneur a, sous la forme d'un
, (Ihid. 31-2.) Parce <|ue ce juste, après avoir
homme, an^es riiospitalité du
reçu avec les rempli sa carrière, devait quitter la vie, il fal-
juste, nous annon^aiit ainsi de loin et dès l'o- lait que tendresse vigilante de Dieu envers
la
rigine, qu'il prendrait la l'orme d'un homme lui et cetabaissement immense fussent connus
pour délivH'r la nature humaine tout entière de toutes les générations c'est pourquoi il dit ; :

de la tyrannie du démon et pour la conduire Que enfants d'Israël ne mangent point ce


les
au salut. nerf de la cuisse qui s'est engunrdi. Connais-
Connue ce n'était alors (jue le principe et le sant toute leur ingratitude et leur oubli des
prélude de l'Incarnation, ne se manifestait il bienfaits divins, il a employé ce moyen de
à chaque patriarche que sous une forme appa- conserver en eux la perpétuelle mémoire de
rente, comme lui-même le dit parle Prophète : ses bienfaits; il leur en a fait conserver des
J'ai multiplié les images de
visions , et des monuments dans ses observances : c'est ce
moi se sont produites sons la main des pro- que l'on trouve partout dans l'Ecriture. Et
phètes. (Osée, XM, tO.) Mais (pjand il a daigné telle est surtout la cause du plus grand nom-
prendre la forme d'un esclave et entreprendre bre des observances géné- : il a voulu que les
notre régénération, ce n'est point sous une rations qui se succèdent ne cessassent jamais
forme ap|iarenle et fantastitiue, c'est en réalité de méditer les bienfaits divins et ne revinssent
qu'il s'est revêtu de notre chair. Aussi, a-t-il point, [>ar l'oubli qu'ils en feraient, à l'égare-
consenti à emhrasser notre condition tout ment qui leur était naturel; car telle était sur-

entière, à naître d'une femme, à être petit coutume de la race des Juifs. Ce peuple,
tout la
enfant , à être enveloppé de langes , à être qui montra si souvent son ingratitude pour
allaité, à su[»porter toutes nos misères, afin les bienfaits , davantage encore
eût , bien
de bien établir en la réalité de l'Incar-
la foi éloigné de sa pensée ce que Dieu avait fait pour

nation, et de fermer la bouche aux hérétiques. lui, s'il n'en eût point été ainsi. Mais, voyons
C'est pour cela qu'il dort sur la barque, qu'il la suite, voyons comment s'opéra la rencontre
voyage et se fatigue, iju'il supporte toutes les de Jacob avec son frère.
misères humaines, afin de pouvoir confirmer Ayant donc reçu un suffisant encoura-
pleinement par des faits la foi de chacun. C'est gement , que l'assurance qu'il serait
ainsi
l)Our cela qu'il com|)araît au trihunal, qu'il est fort et puissant parmi les hommes Ja- :

mis en croix ,
qu'il une mort infa-
souffre cob leiHi tes yeux dit te texte , et il vit Esaù,
,

mante et qu'il est mis dans le tombeau, afin son frère et quatre cents hommes avec hii.
,

que le mystère de l'Incarnation soit prouvé Et il partagea ses enfants entre Lia, Ra-
jusqu'à l'évidence. Car, s'il n'avait pris en chel et les deux servantes. Il mit en pre-
réalité notre chair, il n'eût pas été crucifié, mière ligne les deux servantes et leurs enfants,
ne serait pas mort, n'eût pas été enseveli et ne puis Lia et les sie7is eîifin Rachel et Joseph. ,

serait pas ressuscité. Et, s'il ne fût pas ressus- Et lui-même marcha en avant et s'inclina
cité, toute la doctrine de l'Incarnation serait sept fois vers la terre jusqu'à ce qu'il se fût ,

bouleversée. Voyez-vous dans quelle absurdité approché de sou frère. (Gen. xxxui, 1-3.)
tombent ceux qui ne veulent pas adopter la Voyez comment, après celte division, il va
règle suprême de TEcrilure divine, mais tout le prenuer à la rencontre d'Esaû. Et il s'in-

soumettre à leurs propres raisonnements? Mais clina sejit fois vers la terre ,
juscju'à ce qu'il se

de même que la vérité est ici manifeste, de même fût approihé de son Esaû par fièie, entraînant

au temps de ce juste, il n'y en avait qu'une son attitude et ses profondes salutations à se
figure qui devait confirmer sa croyance en la montrer amical envers lui; ce qui arriva en
Providence dont il était l'heureux ohjel, sa elTet. Esaû, dit le texte, accourut, le prit dans

croyance qu'il était invincible à quiconque vou- ses bras et lui donna un baiser, et il s'inchna
drait lui dresser des embûches. Ensuite, afin sur son cou , et ils pleurèrent tous deux.
que personne à l'avenir n'ignorât la vision (Ibid. .}.)

qu'il avait eue, il boita de la cuisse. Et, c'est à 4. Voyez comment Dieu gouverne toutes cho
cause de cela que , jusqu'à ce jour, ics enfants ses : Ce que je vous disais hier, je le dis eucorâ

S, J. Cu. — Tome V^
386 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

aujourd'hui, que, lorsque le Maître de l'uni- il l'obligea d'accepter ses présents. (Ibid.)

vers veut nous témoigner sa tendresse vigi- Voyez ensuite quel chaniieinent. Esftû dit :
lante, il sait rendre plus doux que des bnbis Partons et morchons devant nous. (Ibid. 12.)
ceux qui ont des sentiments hostiles à noire Comme s'il eût dit Désormais nous voyage-
:

égard. Considérez quel changement Esaù té- rons ensemble. Mais Jacob lui fait une de-
moigne Il accourut à sa rencontre, le prit
:
mande fondée sur un motif plausible. Moti
dans ses Ira; tt lui donna un baiser, et ils seigneur sait que les enfants sont /jlus déli-
pleurèrent tous deux. A peine le juste a-t-il cats que nous les brebis et les vaches mettent
,

pu respirer et secouer sa crainte; à peine est- bas ; si donc je les presse durant un jour, ils
il délivré de son inquiétude et s'est-il enhardi : mourront. (Ibid. 13.) Je ne puis, dit-il, abréger
Esaû, dit l'Ecriture, ayant levé les rjeux, vit mon voyage, maisje suis contraint de marcher
les femmei et les enfants, et dit : Sont-ils à toi? lentement et à petites journées, à c.iuse de
(Ibid. 5.) A la vue des richesses de son frère, mes mes troupeaux afin qu'ils
enfants et de ,

il fut frappé d'étonnement; aussi voulut -il ne succombent pas à un excès de fatigue.
l'interroger. Et (jue lui dit le juste? Ce sont Marche donc toi-même, et moi, diminuant la

lesenfants que la miséricorde de Dieu a donnés fatigue de mes enfants et de mes bestiaux,
à ton serviteur. (Ibid.) Voyez quelle est la force j'irai te (Ib. 14.) Son frère
rejoindre à Séir.
de la douceur et comment, par l'Iiumilité de alors lui dit Si tu le veux je vais te laisser
:
,

ses paroles , il contenait la colère d'Esaû : Les quelques-uns de ceux qui m'accompnguent
servantes et les enfants s" approchèrent ; Lia et (Ibid. 15), lui témoignant son respect et -a com-

Rachel s'inclinèrent, et il dit : Sont-ils tous à plaisance. Mais Jacob n'accepte |>as même cette

toi, CCS camps que j'ai rencontrés ? Et Jacob offre : // me suffit, lui dit-il, d avoir pleine-
répondit : c'était pour que ton serviteur trou- ment trouvé grâce devant toi. (Ibid.) Ce que

vât grâce devant toi. (Ibid. 6-8.) je désirais avec empressement, c'était de le
Voyez, je vous prie, comment son extrême trouver favorable. Puisque je l'ai ol)lenu je ,

bumiUté l'a rendu maître de son frère, et n'ai plus besoin d'autre chose. Et Jacob par-
comment celui qu'il pensait être rempli d'une tant de là , alla camper avec ses troupeaux
brutale inimitié contre lui, il l'a trouvé si et ilappela ce lieu : les Tentes. (Ibid. 17.)
doux qu'il veut mettre à son service tout ce Ecoutons ces paroles, imitons le juste
5.

qui lui appartient. Esaû lui dit : Je suis riche, Jacob, montrons une humilité semldable à la
mon garde ce qui t'appartient. (Ibid. 9.)
frère, sieime; et, s'il est des hommes dont les dispo-

Mais Jacob ne le souffrit pas, et montrant sitions soient fâcheuses à notre égard, n'en-
combien il avait d'empressement à posséder flanunons pas davantage leur colère . mais
ses bonnes grâces, il reprit Si J'ai trouvé : apaisons leur haine pir la douceur et l'humi-
grâce devant toi, accepte des présents de mes lité de notre langage et de nos actions; por-
mains, car j'ai vu ton visage, comme on ver- tons remède au mal de leur. âme. Voyez la

rait le visage de Dieu. (Ibid. 10.) Accepte, lui sagesse de ce juste, voyez comment la coura-
dit-il, les jrrésenls qui te sont ollerts de ma geuse patience de son langage a si bien adouci

part. Car j'ai eu à voir ton visage une joie Esaij, (lu'ilcherche à lui témoigner de la dé-
semblable a celle qu'on aurait en voyant celui férence et veut de toute façon lui faire hon-
de Dieu. Ces paroles, le juste les disait par dé- neur. Le fait d'une grande vertu, ce n'est jvis
férence, pour l'adoucir et l'amener à aniitié 1 de s'ap|>lii|uer à eherir ceux (|ui sont envers
d'un frère. —
Et tu m'aimeras, voulant dire : nous ce qu'ils doivent être, mais d'atlirer à
Tu feras à mo)i égard ce qu'il conrient que tu nous, par notre gr>inle indulgence, ceux qui
fasses. lieçois donc ces bénédictions que je t'ai veulent nous offenser. Hieu n'est plus éner-
apportées, parce que Dieu a eu pitié de moi et giijue que la douceur. Comme souvent un
que rien ne me manque. (Ibid. 11.) Ne refuse bûcher ardent s'éteint si Ion y jette de l'eau,
pas de l'accepter, lui dit-il, car tout cela m'a de même la colère, plus entlauunée qu'une
été donné i)ar Dieu; c'est lui (jui m'a fait obte- fournaise, s'éteint devant un langage formulé
nir tout cela. Ainsi Jacob instruisait douce- avec douceur, et nous obtenons un double
ment son frère des soins que la Providence avantage, celui de témoigner de la douceur et
divine daignait avoir de lui, cl le prépa- celui de délivrer de trouble, en apaisant son
rait à lui témoiguer un gnmd respect. Et irritation, la raison de notre frère. Eh! quoi
HOMÉLIES SUR LA GENËSE. - CINQUANTE-HUITIÈME HOMÉLIE. âôt

donc, dites-moi, ne blâmez-vous pas, n'ac- ce bienheureux Jacob, avant la loi donnée,"
cusez -vous pas votre frère de sa colère avant cet cnseijj'ncment extérieur, mais par
et de ses disiiositinns hostiles à votre é^^ud? l'impulsion de sa conscience et de son extrême
Pourquoi donc ne pas vouloir vous ell'or- bouté; c'est ce (jui l'a fait triompher d'abord

cer de marcher dans une voie dilTérenle? de Laban, et maintenant de son frère. Car,
pourquoi vouloir vous irriter phis (jue lui? s'il a joui de l'a-sislanee d'en-liaut, il a aussi
On ne peut éteindre le feu avec du feu; montré les qualités de son âuie. Soyons de
telle n'est pas sa nature. Une colère ne saurait même persuadés que, quelque multipliés que
éteiiidre une autre colère; mais ce que l'eau soient nos eflbrls , nous ne pourrons réussir
est au fou, la bonté et la douceur le sont à sans la protection d'en-haut. Et de même que,
l'emportement. C'est pour cela que le Christ sans cette divine assistance, nous ne pour-
disait à ses disciples Si vous aimez ceux qui
: rions accomplir aucun de nos devoirs, de
vous aiment^ quelle récompense aurez-vous? même, nous n'y apportons ce qui dé|)end
si

(Matth. V, 4G.) Puis, afin de s'emparer de leur de nous, nous ne saurions obtenir cette protec-
âme en les faisant rougir et de toucher ceux tion. Faisons donc avec zèle ce qui dépend de
(|ui veulent néglij5'er sa loi, il ajoute Les pu-
: nous, afin d'attirer sur nous les tendres soins
blicains n'en font-ils pas autant ? Le plus de Dieu, en sorte que, par noire zèle et par la

lâche ne le fait-il pas bien ; et les publicains bonté divine, notre vertu se fortifie de jour
ne s'y montrent-ils pas empressés? Qu'y a-t-il en jour et que nous jouissions de l'abondance
de pis qu'un publicain? cependant vous trou- de la ^aàee d'en-haut, (jue j vous souhaite à
verez ce devoir [)leinement rem|)li par eux, et tous d'«)btenir, par la f:r;u e et l'amour de Notre-
il n'est pas possible de ne pas aimer aussi, Seigueur Jesus-Christ, auquel soient, avec le
4uand on est aimé soi-même. Mais moi qui Père et le Saint-Esprit, gloire, puissance, hon-
veux que vous soyez plus parfaits, et que vous neur, maintenant et toujours, et aux siècles
ayez une vertu qu'ils n'ont pas, je vous avertis des siècles. Ainsi soit-il*

d'aimer même vos ennemis. C'est ce qu'a fait


>»s TRADUCTION FRANÇAISE DE SALNT JEAN CHRYSOSTOME.

CINQUANTE-NEUVIÈME HOMÉLIE.

« Et Jacob vint à Salem ville des Sichimites, et il acheta de Hemor, père de Sichsni, une portion ds tenain, au

prix de cent agneaux ; et il y dressa un autel, et il invoqua le Dieu d'Israël. > (Gen. XXXHI, 18-iO.)

AHALYSE.

1. Explication des versets 18-20. — 2. Vanité des richesses. Explication des versets 1-12 du XXXIVe chapitre. — 3. Explication

des versets 13-31. 11 faut marier les jeunes gens. — 4. Explication des versets 1-8 du chapitreXXXV. — o. Epilogue moral
touchant la correction des enfants.

*.. Vous avez vu hier* la suprême bonté du puis s'en était séparé, celui-ci étant allé ha-
Maître de tout l'univers, la sagesse des disci- biter Séir et Jacob ayant dressé ses tentes dans
ples et Finjustice des Juifs. Vous avez vu avec un lieu qu'il nomma pour cela les Tentes:
quelle patience il a réprimé leur audace im- nous avons terminé là notre discours. Nous
pudente, prenant la défense de ses disciples, devons donc reprendre la suite pour vous
et montrant qu'eux-mêmes, en voulant se faire donner, suivant nos forces votre enseigne- ,

les vengeurs de la loi, en méconnaissaient ment spirituel. Le juste se trouvant sans


l'esprit et voulaient demeurer assis dans l'om- crainte et délivré maintenant de toute anxiété,
bre, quand la vérité brillait déjà. Vous avez vu alla, dit l'Ecriture, dafis une ville des Sicfu-

comment il s'occupait à abolir, dans l'origine mitcs et il acheta de Hemor., père de Si-
,

et le principe, les observances de la loi, ensei- chcm. une portion de tenain. ou prix de cent
gnant (lue, le Soleil de justice étant levé, la atjneaux; et il y établit un autel et il iVj- ,

lumière de lampe ne pouvait plus être em-


la vogua le Dieu d Israël. Ne passons point légè-
ployée; car l'éclat du soleil la rend inutile. rement sur ce qui est contenu dans les divines
Vous avez appris comment il est possible d'éUo Ecritures. Car si les hommes qui recueillent
toujours en fêle et de se dégager de l'obser- dans la terre des parcelles d'or, se soumettent
vance des temps. C'est pour cela (pie notre à toutes les fatigues et supportent toute sorte
Maître est venu; c'est pour nous délivrer des d'inconunodites pour arriver à séparer l'or de la
obligations tcm|)oraiivs cl nous leiulre capa- terre, combien plus est-il juste que nous scru-
bles de voler plus haut, d'avoir notre cité dans tions les oracles du Saint-Esprit cl que nous
le ciel, d'imiter, ipioique nous soyons lionunes, en recueillions le fruit a\anl de nous retirer.
la vie des anges et de nous rire de toutes les Couqirencz donc, je >ous prie, la philosophie
|)réoccupations humaines. Reprenons doncau- de cet homme admirable : il jouissait de la
iourd'hui, s'il vous plaît, la suite de notre dis- protection d'en-haut; il \oyait sa richesse ac-
cours d'avant-hier, et, revenant aux |)aro!es crue, j'entends la cpiantilé de son bétail ; il se
du bioidiom-eux Moïse, nous leur enqiriuite- voyait entouré d'une troupe nombreuse d'en-
rons la nourriture de vos âmes. fants, et il ne s'appli(|ua point à élever pour
Vous savez revenu de Mésopo-
cpie Jacob, lui des conslruclious magniliques, il ne s'em-
tamie, avait eu une entrevue avec son frère, pressa [)oinl d'acheter des domaines et des
* Daa« una boméli* perdus. maisons de campagne qu'il ptit partager
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — CINQUANTE-NEUVIÈ^fE HOMÉLIE, 389

enlre ses enfants. Car voilà le prétexte qu'on un homme ainsi tenté pourra-t-il s'adonner à
nous oppose aujounlhui, et souvent celui la tempérance, fuir la débauche et embrasser
qui n'a qu'un seul fils travaille pour amasser les travaux de la vertu ou quelque œuvre spi-
un nombre infini de talent? d'or , acheter ri bielle?

des champs et élever de somptueux édifices. !2, N'entendez-vous pas le Christ nous dire :

Et plût à Dieu que ce soit par des travaux Les soins de ce siècle et la séduction des richesses
légitimes et sans injustice qu'il ait amassé étouffent le jugement, et il devient stérile.
toutes ces richesses ! mais ce qui est into- (Matth. XIII, 22.) Ces soins etces séductions sont
lérable, ce qui est surtout terrible, c'est ce (ju'il nomme les épines, quand il dit qu'une
que la rapine et de toute part
la fraude fait Itartie de la semence tomba parmi les épines;
passer entre ses mains la fortune d'autrui. Et et il interpréta ensuite à ses disciples, ce
si on lui demande pourquoi donc cette fu-
: qu'étaient ces épines en leur disant : Les soin?
reur d'amasser? il objecte aussitôt son fils et de ce siècle et la séduction des richesses étouf-
dit qu'il fait tout cela par amour pour lui. fent le jugement
et il devient stérile. C'est une
Mais bien qu'il se couvre de ce prétexte pour belle comparaison que celle des soins de ce
consacrer ses injustices, c'est en vain qu'il siècle aux é[)ines. De même en eflél ({u'ellcs ne
s'efforce de le faire. Et il en est qui, n'ayant permettent pas au blé de s'élever, m is •'touffent
pas même d'enfants, sont possédés de la fu- en le pressant celui qu'on a semé; de même
reur d'amasser et aimeraient mille fois mieux les soins de la vie ne laissent porter aucun fruit
subir des maux sans remède que de donner à la semence s|)irituelle lépandue dans l'àme ;

une obole à l'un de ceux qui la leur deman- elles la consument et l'étouffent à la fiçon des
dent. épines et ne laissent point pousser la semence
Ce juste n'avait point celte préoccupation, il spirituelle. La scductiondes richesses. Oui, elle
n'ysongeait pas, mais, lorscju'il eut besoin d'a- est bien nommée, car c'est réellement une
cheter un modeste champ , il donna cent séduction. Est-il en effet besoin de tant d'or et
agneaux, et ac(iuit ainsi de Ilémor, père de de richesses ? Oui, dira-t-on, la possession des
Sichem, une portion de terrain. Et voyez la biens cause une grande joie. Quelle joie ? et
piété de Jacob et pour quel motif il souhailait pourquoi l'appeler joie? N'est-ce pas plutôt là
acquérir un champ. Et il y établit un autel, une cause d'abattement inexcusable et de mille

et il invoqua le Dien d'Israël. Il n'a acheté cette chagrins ? Et je ne parle pas encore du châti-
portion de terrain que pour rendre ses actions ment suspendu sur la lêle des coupables, mais
de grâces au Maître de l'univers. Tous de- seulement des maux de la vie présente, quand
vraient se faire les émules de cet homme vi- je dis que les alliiires ne peuvent causer de
vant selon la grâce avant que la loi fût donnée, plaisir, mais plutôt des troubles et des chagrins
et non se livrer ainsi à la fureur d'amasser des continuels. Les vagues soulevées de la mer ne
richesses. Car, pourquoi amasser
dites-moi, sont qu'une image imparfaite de l'âme ainsi
sur soi des fardeaux d'épines? et ne sentez-vous pressée par le raisonn» ment et la passion, et
pas que vous laissez à vos enfants la matière mal disposée envers tous, étrangers et proches.
et l'occasion du vice ? Ne savez-vous pas que Et quelque jour on dérobe à ces hommes
si

vous devez veiller sur vous plus (jue sur votre quelque portion de leur richesse (et combien
enfant, et qu'en lui témoignant une prévoyance ne voit-on pas d'accidents de toute sorte, de
exagérée, vous vous attachez à lui laisser toute ruses pour ravir les biens, de crimes chez les
facilité pour perdre son àme dans l'abîme? serviteurs, de violences chez les puissants),
Ne savez-vous pas que la jeunesse est par alors vous les verrez persuadés que la \ ie leur est
elle - môme disposée à succomber et qu'elle intolérable. Combien donc n'est-il pas lamen-
incline au mal? Lorsqu'elle se voit en posses- table le sort de ces hommes qui mefent tant
sion d'abondantes richesses, la pente vers le d'ardeur à se nuire de toute façon et qui se
vice est pour elle bien plus glissante. Car, de plaisent à ajouter tant de maux à la perle de
même que le feu, s'il reçoit des aliments, lance leur âme I

une flamme ;;>lus ardente de même aussi la ; s'il vous plaît,


Mais laissons-les de côté, et

jeunesse, recevant cette matière inflammable revenons à l'histoire de ce juste voyons-en ;

des richesses, allume dans l'âme un brasier suite Jacob éleva un autel dan- celte
:

qui la consumera tout enticre. Commçût donc de terrain, ei il invogua le Dieu d'Isr
m TRADUCTIOxN FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

résolut d'établir désormais sa résidence chez son fils, se montre bienveillant pour ces étran-
les Sichéniilcs. Mais voyez comment là encore gers et veut les gagner en leur donnant la
ce juste montra sa douceur, Dhia, fille de Lia, faculté de disposer du pays. Le père parlait
sortit pourvoir les fi/lesdes habitants. EtSichem ainsi mais le fils ayant vu l'amour que lui
;

le fils de fJénior, l'ayant vue, dormit avec elle ; témoignait son père et comment il était disposé
il aima cette jeune fille et T entretint de ce qui à tout faire pour réaliser les désirs de son
plaisait à son esprit. (Gen. xxxiv, 1-3.) Vous enfant, ajoute quelque chose encore et dit à
avez vu comme la jeunesse est mauvaise, si Jacob, ainsi qu'aux frères de Dina Que je :

elle n'a pour frein les pensées de la piété ? 11 a trouve grâce deva)it vous, et nous vous donne-
vu cette jeunefille; cette vue l'a rempli d'amour, rons tout ce que vous désignerez. Portez la dot
et il a satisfait son désir. Et il l'entretint de ce bien haut et je payerai tout ce que vous voudrez,
qtti plaisait à son esprit. Qu'est-ce qui plaisait à mais donnez-moi cette jeune fille pour femme.
l'esprit de la jeune fille ? Parce qu'elle était (Ibid. M, 12.) Vous avez entendu les demandes
jeune, il l'entretint decequi pouvait la séduire instantes que fait le père paraffedion pour son
et l'entraîner. Et il son père: donnez-moi
dit à fils, et le fils lui-même offrant tout avec
cette jeune fille pour épouse. Jacob apprit ce empressement pour obtenir la jeune fille.
qui s'était passé et il prit patience, attendant 3. C'est que cette passion désastreuse per-
que les frères de Dina fussent de retour, car ils suade à celui qu'elle possède de tout endurer,
étaient dans leurs bergeries. Jacob se tut^ dit le jusqu'à ce qu'ellel'ait conduit au fond de l'en-

iexXe Jusqu'à ce qu'ils fussent arrivés. Et quand fer. Or considérez ce qui se passe. Le vieux

Eémor fut venu trouver Jacob., les frères de Jacob écoute ces paroles en silence, et suivant
Dina parurent ayant appris ce qui
aussi ; et sa douceur accoutumée, il ne prononce pas un
était arrivé à leur sœur, ils en furent vivement mot, mais supporte avec f»alience l'outrage fuit
blessés. (Ibid.5, 7.) Blessés, oui, Wsse désolènnt à sa fille Mais les fils de Jacob parlèrent avec
:

et ne jugèrent pas le fait tolérable, mais très- dissimulation à Sichem et à Ilémnr son père^
douloureux, et ils s'en affligèrent. ]l leur était et ils leur dirent qu'ils avaient déshonoré leur
très-pénible, ditrpxnturc, qiie Sichem eut fait sœur. (Ibid. 13.) Examinez, je vous jirie, com-
outrage à la famille d'Israël, en dormant avec ment, pour rimi)udicilé d un seul, tous les
la fille de Jacob. (Ibid. 7.) Voyez-vous la chasteté habitants d'une ville partagent son malheur.
de ces jeunes gens ? Ils ont compris que c'était là Comme, (juand un embrast ment a lieu, ceux
un fort grand outr;ige. Vous voyez conunenl ce qui habitent au|)rès ont part au péril, parce
juste a formé ses enfants à la vertu, et comment que le feu ravage tout de même la passion ;

le fils de Hémor, ayant cédé à son désir, a été effrénée de ce jeune homme a fait périr non-
pour son père et sa ville entière une cause de seulement son père, m. is touîe la cité. Que font
ruine. Mais d'abord écoutons ce que leur dit donc les enfants de Jacob? ils Itiir répondent
Ilémor, et vous connaître z ensuite la cruelle avec dissimulation. Il les en-
est iuiportaul de
ardeur des frères de Dina à venger le crime tendre, afin de se rendre douleur compte île la

commis contre leur sœur. Ilémor leur dit : qu'ils ressentaient au sujet de leur sœur. Si-
Sichem, mon fils, a choisi dans son âme votre méon et Lévi, frères de Dina et fils de Lia,
fille. (8.) V(iyez comment il annonce la calamité répoîidirenl : nr /.ouv(>ns accueillir votre
?h)us
qui va l'envelopper. Il a choisi dans son àiiie ; demande et dumur luitn sœur à un homme qui
comme s'il disait il a donné sa vit; pour voire
: )i'est /jas Si donc vous vous faites
circoncis.
fille, 11 le disait pour faire entendre le désir circoncire, iwus vous donnerons nos filles, et
'
que Sichem avait de Toblenir; mais bientôt il }H)us accepterons les vôtres et jwu< ne forme-
apprit que ce serait la cause de sa perte et de rons plus qu'une seule race. (G. xiii, 10.) Celte
la perte de touUî la po|)ulation. Puis donc, dit deelaration était raisonnable et loi:i(|ue; mais,
Hémor, (ju'il brûle ainsi pour elle, dowicz-la- dit le texte, ils parlai» ni avec dissimulation.
lui pour femme et alliez-vous à notre famille. Si vous ne voulez pas le faire, continue le
Donnez-mnis vos filles et recevez tios filles pour texte, mnis reprendrons notre fille et nous tuius
vos fil s, et demeurez parmi nous. Voilà que la retirerons. (Ibid. 17.) Voila ce qwc propo>è-
terie est vaste devant vous ; habitez-la et par- rent Siméon et Lévi, qui méditaient le meurtre
courez-la, it acquérez-y des possessions. (Ibid. de tous les habitants. Mais Sicbi-m et son père,
6, 10.) Voyez ce père qui, par tendresse poui' les yeux fixes sur le but quilb voulaient at-
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE, — CINQUANTE-NEUVIÈME HOMÉLIE. 391

teindre et dcsircux d'obtenir la jeune fille, ac- l'abîme du libertinage, de les engager, confor-
ciu'illinril ces paroles et agréèrent celte pro- mément à la loi de Dieu, dans les liens du ma-
po ition. Cr Inng.ige leur phit, et le jeune riage, afin que leur chasteté
maintenue, et soit
homme hc (lilfria j oint à s'y conformer, car il (pTils no soient pas atteints par le
mal de l'im-
était épris de la fille de Jacob. (Ib. 18, 19.) H pudicité, pourvus qu'ils seront d'un ivmèdc
était tout entier livré à sa passion pour cette suffisant, pouvant réprimer les assauts de la
jeune fille. Et lui et son père, s'étant rendus à chair et demeurer à l'abri du châtiment. Mais
la porte, parlèrent à tout le peuple de la ville voyons quelle impression fit sur le vieux Jacob
(Ibiii. 20) ; et ils leur conseillèrent d'accepter laconduite de ses enfants. Jacob leur dît, re-
la circoncision, selon la déclaration qui leur prend l'Ecriture (Ibid. 30) Vous m* avez rendu
:

était laite, et à consentir à vivre avec la fa- odieux et criminel aux yeux des habitants de
mille d'Isrnël. Et les habitants se conformèrent ce pays. Pourquoi, leur dit-il, avez-vous tiré
sans retard aux [wroles de Hcmor et de Sichem; une telle vengeance
? Ce que vous avez fait va
et tous ensemble reçiirt-nt sur leur corps le m'atlirer une haine profonde delà |»arldetou3
signe de la circoncision. Siméon et Lévi, les habitants du pays. Puis, témoignant la
l'ayant appris, se bâtent d'exécuter le dessein crainte qu'il éprouvait, il ajouta ISous, nous :

qu'ils méditaient. Ayant pris chacun leur épée, somines peu nombreux; réunis contre nous, ils
ils entrèrent sans danrjcr dans la ville. (Ib. 2.^.) nous tailleront en pièces et nous écraseront (Ib.),
Comment donc, sans danger? ils n'étaient que comme s'il disait ne savez-vous pas que, peu
:

deux contre un si grand nombre. Mais leur nombreux comme nous le sommes, nous éprou-
sûreté était garantie, parce que les habitants verons à notre tour ce que vous avez voulu
gisaient là blessés. C'est ce que nous apprend faire à d'autres? Et de même que Sichem a été
la sainte Ecriture, quand elle dit : le troisième cause de ce désastre pour son père et pour tous
jour tandis quils étaient dans la souffrance. les habitants de sa ville, ainsi serez-vous pour
(Ibid.) Voilà ce qui faisait la sûreté de Siméon moi. Car, à cause de vous, je vaisêlreun objet
et de Lévi et ce<jiii rcndaitdeux hommes plus de haine, et rien n'empêchera que, par suitj
forts qu'une multitude. Et Us tuèrent, dit le de votre témérité, nous ne soyons écrasés. Ils
texte, tout ce qui était mâle (Ibid,), c'est-à-dire lui répondirent, dit le texte mais outragera- :

tous les hommesqui gisaient d.ms les douleurs t-on ainsi notre sœur?\^h'\A. 31.) Vous le voyez:
de la circoncision et qui étaient en quelque c'est un sentiment de chasteté qui a porté les

sorte préparés pour le massacre ; et, ayant tué enfants de Jacob à la vengeance leur apolo- :

avec les autres le jeune homme qui avait ou- gie envers leur père consiste à dire ils nous :

tragé leur sœur, ils se retirèrent. Les enfants ontdéshonorés par l'outrage fait à notre sœur,
de Jacob ne se contentèrent même pas de cette et c'est pour cela que nous avons été contraints

vengeance, mais le texte nous apprend qu'ils d'agir ainsi, afin que cette leçon prévienne à
enlevèrent les brebis et tout le bétail, et se re- l'avenir une telle audace.
tirèrent ayant dépeuplé et détruit la ville. Vous 4. Mais considérez ensuite, je vous prie, l'inef-

avez vu, mon bien-aimé, quels maux a causé fable providence de Dieu envers ce juste.
l'emportement d'un jeune homme? quel dé- Voyant qu'il craignait, à cause de ce qu'avaient
sastre il a attiré sur tous les habitants de cette fait ses fils, de demeurer dans celte contrée.
ville? A la vue de cet exemple, réprimons donc Dieu lui dit, continue le texte Lève-toi ; et

les passions de nos enfants et mettons plus monte à Béthel pour y habiter. (Gen. xxxv, 1.)

d'un frein à la jeunesse, celui de la crainte et Puisque tu crains les habitants de celte con-
celui des conseils ; veillons sur leur chasteté, trée, relire- toi et va habiter Béthel. Elève là
n'épargnons ni soins ni démarches pour que un autel au Seigneur, que tu as vu, quand tu
le jeune Age puisse échapper aux i)assions cou- fuyais de devant la face cTEsaû, ton frère.
pables. C'est pour cela que nolie iMaître com- Et Jacob dit à sa famille et à tous ceux qui
mun, voyant la faiblesse de la nature humaine, étaient avec lui : fa/tes disparaître les dieux

a institué le mariage, pour nous détourner des étrangers du milieu de vous, et purifiez-vous et
relations illicites. changez vos vêtements : levons-nous, montons
Ne négligeons donc point les jeunes gens, à Béthel, élevons-y un autel au Seigneur, qui
mais voyant comment brûle celte fournaise, m'a écouté au jour de la tribulation ; il était
efforçons-nous, avant qu'ils aient roulé dans aasc moi çt m^a sauvé dans mon voyage*
m TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CIIUYSOSTOME.

(Ibid. i-3.) Considérez encore ici l'obéissance Et Jacob, dit l'Ecriture, arriva à Luzan,
et la piété de ce juste. Quand il a entendu gui est dans la terre de Chanaan et est nommé
cet ordre : moîite à Béthel^ élève là un autel, Bétliel, et toute la tribu avec lui. Il y éleva un
il appelle tous ses enfants et leur dit : faites autel et appela ce lieu Béthel, car cest là que
disparaître les dieux. Quels dieux , me dira- Dieu lui était apparu, tandis qu'il fuyait de
t-on ? car on ne voit nulle part qu'il ait eu devant la face d Esail son frère. (Ibid. 6-7.) ,

des dieux dès les premiers jours de sa vie ce


: Arrivé là, il accomplit l'ordre du Seigneur en
juste fut un pieux serviteur du vrai Dieu. Peut- élevant un autel, et donne à ce lieu le nom de
être il entendait par ces paroles les dieux de La- Béthel. Véborra, nourrice de Bébecca, mouriU
ban que Rachel avait dérobés aussi dit-il Puis- ; : et fut ensevelie au-dessous de Béthel, sous le
que nous allons rendre des actions de grâces chêne; et Jacob le nomma
chêne du deuil.le

au vrai Dieu, qui m'a toujours accordé sa pro- (Ibid. 8.) Vous le donnait aux lieux
voyez, il

tection, faites disparaître les idoles que vous des noms tirés des événements afin d'en con-
pourriez avoir. Purifiez-vous et changez vos server la mémoire. Et comment, me direz-
vêtements; allons ainsi à cette ville et trou- vous, la nourrice de Rébecca était elle avec
vons-nous y tous ensemble, purifiés au dehors lui, nouvellement arrivé de Mésopotamie, et

et au dedans. Ne vous montrez pas seulement n'ayant point encore revu son père? Il n'est

purs par l'éclat de vos vêtements, mais puri- pas difficile de répondre qu'elle avait voulu
pensées de votre esprit en faisant dis-
fiez les accompagrîer Jacob, lorsqu'il revint de chez
paraître vos idoles, et montons ainsi à Bétliel. Laban pour revoir Rébecca , après une si
,

Et ils donnèrent à Jacob, dit le texte, les dieux longue séparation, et qu'avant de l'avoir ren-
étrangers, car ce n'étaient pas leurs dieux, et contrée elle mourut à Béthel.
lespendants d'oreilles qu'ils portaient. (Ibid. 4.) Arrêtons-nous aussi là, s'il vous plaît;
5.

C'éUiient peut-être des symboles idolàtriques se terminons ce discours en exhortant votre cha-
rapportant à ces dieux; aussi les apportent-ils rité au zèle pour la vertu et à prendre soin de
à leur père avec les idoles. Et Jacob les cacha la chasteté des jeunes gens. Car c'est de
sous le térébiyithe de Siclum, et il les fit dis- là, pour ainsi dire que proviennent tous
I
,

paraître jusqu'à ce jour. Il les cacha, dit le les maux. L'habitude de la dé[»ra\alion, ga-
texte (Ibid.), et il les fit disparaître, en sorte gnant avec le temps, jiroduit un tel ravage que
que les esclaves de l'égarement eux-mêmes nul avis ne peut désormais gagner ceux qui y
fussent soustraits à cet égarement et que per- sont une fois îibandomiés; ils sont conduits
sonne désormais n'en re(,ùt de dommage. connue des captifs là où le veut le démon.
Après que ce juste eût accompli tous ces désormais e.^t leur maître et qui
C'est lui qui
soins, il partit du pays deSichem et se mit en leur donne ces ordres funestes que les jeunes
route pour Bétbel. Mais voyez encore le soin gens exécutent avtc joie, ne considérant (juc
que Dieu prend de lui, et conmient l'Ecrituie le plaisir du moment et ne réilechissant pas à
nous en instruit clairement. Ce juste étant la douleur qui suivra. Je vous exhorte donc à
parti, la crainte de Dieu se répandit dons les tendre la main à nos jeunes gens, de peur que
Villes d'alentour, et ils ne poiirsuicirent point nous n'ayons à ri'udre e(>nipteile leur conduite.
les enfants d Israël. (Ibid. 5.) Vous avez vu com- Ne savez-vous pas ce cpii arriva au vieil lléll,
bien si grande cetlt; providence et combien
( qui n'avait pas convenabltmenl redressé les
manifeste est son secours? La crainte saisit les défauts de ses enfants? En effet, quand un
habitants et ils ne les poursuivirent point. Parce mal a besoin (ju'on cniploie le fer, si un
que ce juste l'avait redouté et avait dit : ISous médecin veut le traiter |)ar un Uniment, il

sommes en bien petit nombre et nous serons le rend bientôt incurable, parce qu'il n'y a
écrasés, l'Ecriture nous apprend (pie la crainte pas ap|tliqué le ninèdr qui convenait de ;

qui saisit les habitants empêcha celte poursuite. même ce \iiillaril, (pu ili\ail traiter ses enfants
Dieu en elTtît, lorsiju'il veut prêter son assis- avec une sévérité proportionnée à leurs fautes,
tance, rend les faillies \Ans forts (jue les puis- s'etant montré mou à leur égard, eut part à
sants, le petit nombre plus puissant (|ue le leur châtiment. Redoutez donc cet exemple,
grand nombre, et rien ne saurait être plus je vous eu prie, vous (|ui avez des enfanl,<, et
heureux (pie celui qui a obtenu l'assistance >eillez à leur éducation; (pie chacun des gens
d'eu-haut. de la maison partage sincèrement vos soins et
HOMÉLIES SIR LA GENÈSE. - SOIXANTIÈME HOMÉLIE. 393

comprenne que le gain le plus grand, c'est le vous en soit favorisé, par la grâce et la bonté
service du prochain; en sorte (juc chacun, de Notre-Seigneur Jcsus-Christ, auquel soient,
instruit à la vertu, puisse échapper à la tenta- avec le Père et le Saiut-Es|)rit, gloire, puissance,
tion (hi vice, et (jue, choisissant la vertu, il bonneur, niaiulenant, et toujours, et aux
obtienne l'assistance d'en-baut. Que chacun de siècles des siècles. Ainsi soit-il.

SOIXANTIÈME HOMÉLIE.

« Et il y établit un autel, et il donna à ce lieu le nom ds Bii'.i À : car c'est là que Dieu lui était apparu,

lorsqu'il fuyait de devant son frère Esaû. > (Gen, XXXV, 7.)

ANALYSE.

I. Explication des versets 7-13 du chapitre xxxv. — 2. Explication des versets 14-27. — 3. Exhortation morale à la mortifica-
tion de la cliair, an sacrifice spirituel de soi-même, à la vigilance et à l'examen de conscience.

1. Aujourd'hui, s'il vous plaît, nous allons sines, et les empêcha de le poursuivre : car ils

reprendre la suite de notrcdernier discours, et voulaient sans doute ven.uer les Sécimiles.
en continuant d'expliiiuer le
faire l'instruction Mais comme le sang avait été répandu malgré
môme Car aujoiu-d'hui encoto rhi^toirc
tfxtc. la volonle de ce juste, et que Siméon et Lévi
de Jacob peut nous enseigner combien était avaient conunis ce ciime pour venger l'ou-
grande la bienveillance de Dieu envers lui, et trage fait à leur sœur, non-seulement il le dé-
comment il raffermit de nouveau par ses pro- livre lui et ses fils de la ci ain'e (pii les agitait,

messes, pour le récompenser de sa vertu. mais il arrête encore l'impétuosité des peuples
L'Ecriture après nous avoir raconté dans les voisins en semant la terreur parmi eux. Sen-
versets précédents, comment Jacob, sur l'ordre tez-vou< combien importe de jouir de l'assis-
il

de Dieu, (juitta Secime à cause des crimes (jue tance divine? Lors(iue Dieu a de la bienveil-
ses fils y avaient commis et se rendit à Luzan, lance pour nous, il éloigne de notre âme toute
ajoute : Et il y bâtit un autel et il donna à ce^ affiiction. Car s'il a rendu le courage à ce juste,
lieu le nom que Dieu lui
de Jiéthel ;car c'est là il a glacé d'ellroi ses ennemis. Comme il est le
était apparu, lorsqu'il fuyait de devant son souverain Maître, il dirige les événements à
frère Esaû. Après avoir donné un tel ordre à son gré, et il fait éclater dans toute chose sa
ce juste, et l'avoir délivré de la crainte, dont il sagesse et sa toute-puissance. Il n'est rien de
avait été saisi à cause du massacre des Séci- plus fort que l'homme qui a su obtenir l'aide
mites, Dieu, dit l'Ecriture, frappa de terreur de Dieu, comme aussi il n'est rien de plus
les habitants de ces villes, et les empêcha de faible que celui qui en est privé. Voyez ce juste,
le poursuivre. Voyez quelle
pio\idence est la ses auxiliaires sont faciles à compter et très-

de Dieu, avec quelle sollicitude il veille sur peu nombreux, mais il est protégé par la main
Jacob. Il remplit de terreur, dit 1 Ecriture, les de Dieu, et il a repris confiance et il a échappé
esprits de ceux qui habitaient les villes voi- au complot tramé contre lui; ceux-là au con*
394 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JE-\N CHRYSOSTOME.

traire, bion qu'ils se fussent réunis en foule même non-seulement tu ne seras pas
des rois ;

consi.lérable, «t qu'ils eussent été d'accord détruit, mais toi et ta race vous recevrez en

dans leur entreprise, n'ont pas nièiiie pu met- héritage ce pays tout entier. Et après lui avoir

tre leurs projets à exécuiion. Car, dit l'Ecri- fait ces promesses. Dieu, dit l'Ecriture, remonta
ture. Dieu fra|ipa de terreur les villes qui d'avec lui du lieu où il lui avait parlé. Voyez
étaient autour d'eux. Après que ce juste fut comment la sainte Ecriture, dans son langage,

délivré de toute crainte et de la poursuite des s'abaisse au niveau de la nature humaine.


habitants de ce [)ays, voyez combien est grande Z)/ew, dit-elle, remonta d'avec lui: elle ne nous

l'atfiction que Dieu lui témoi^^ne de nouveau. donne pas à entendre que Dieu puisse être li-
Lient, (lit l'Ecriture, lui apparut une seconde mité dans l'espace, mais elle veut nous mon-
fois à Luza.^oi\v{\\\Q'\ l'Ecriture ajoute-t elle ce trer l'étendue de sa bonté : car l'Esprit-Saint
mot : tine seconde fois ? Ce n'est pas sans mo- s'abaisse auniveau de la faiblesse humaine pour
tif: c'est pour nous apprendre que Dieu lui est nous raconter toutes choses. Ces mots, des-
déjà apparu autrefois dans ce môme lieu ,
cendre et monter, ne peuvent convenir à Dieu;
lorsqu'il fuyait sou frère et qu'il se dirigeait mais comme c'est là la plus grande preuve
vers la Mésopotamie. Voici ce que veut faire qu'il puisse nous donner de son ineffable
entendre l'Ecriiure De même qu'autrefois : bonté, que de se servir de pareils termes pour
Dieu lui est apparu au moment de sa fuite, de notre instruction, il a recours au langage hu-
même aujourd'hui il se montre à lui dans le main; aussi bien il serait impossible aux oreil-
même lieu, au moment de son retour; il lui les de l'honune de comprendre la sublimité de
renouvelle les promesses qu'il lui a faites lors- son langage, s'il était en rapport avec la di-

qu'il s'en allait, et par là il veut (|ue ce juste ait gnité du Seigneur.
confiance dans sa parole, et qu'il n'en doute 2.nous faisons cette réûexion, loin d'in-
Si
pas à cause du long espace de temps qui s'est sister la bassesse des termes, nous admire-
sur
écoulé dans l'intervalle. Et il le bénit, et lui rons rinefTable bonté de Dieu qui ne dédaigne
dit : Tu ne t'appelleras plus Jacob : désormais pas de s'abaisser ainsi, à cause de la faiblesse
ton nom sera Israël. Bien qu'il l'eût déjà ap- de notre nature. Mais voyez ce ju^te témoigner
pelé de ce nom, lorsque Jacob traversait Ja- de nouveau sa reconnaissance. Jacob , dit l'E-
boch, il veut aujourd'hui mettre dans son criture, éleva une colonne de pierre dans le
cœur une plus grande assurance, et il lui lieu où Dieu lui avait parlé, et il fit dessus une
donna la môme bénédiction, et il lui dit : Ton aspersion, et il y répandit de l'hw'le, et il donna
nom sera Israël; augmente et multiplie. Des le notn de Déthel au lieu où Dieu lui avait

nations et des multitudes de nations naîtront parlé. Voyez comment ce juste par le nom ,

de toi., des rois même sortiront de ta race. qu'il donne à ce lieu, rend impérissable le sou-
Voyez grandeur de cette bénédiction. Il lui
la venir de la vision dont il y fut favorisé, et en
prédit non-seulement que sa race se umlti- fait passer la ménioire aux générations suivan-

pliera, mais encore qu'elle sera illustre. Des tes Ht Jacob partit, et il planta sa tente au
:

rois naîtront de ta race; il lui révèle ainsi dès delà de la citadelle de Gader. Ainsi, ce juste
ce jour la gloire de ses descendants. Je te donne poursuit de nouveau sa route, et peu à peu se
le pays que j'ai donné à Abraham et à Isanc, hàle d'arriver dans le lieu qu'habitait Isaac. Et
et je le donnerai à ta postérité après toi. l'Ecriture ajoute Lorsqu'il approcha cfE-
:

Après que Siméon et Lévi eurent massacré phrath Rachtl enfanta et elle fut dans un
, ,

les Séciinites, Jacob disait Nous sommes en : grand travail. Et comme elle avait beaucoup
petit nombre ; ils s'assonblcront donc contre de ficine à accouc/wr, la sagc-fvmmc lui dit :

moiy et ils me frap/tcronf, et ils me détruiront, Prends courage car tu as un fils. Ne crains
,

moi et ma maisoti; et dans toutes ses paroles, il point, dil-elle, car tu enfanteras un fils. Bien
montrait sa pusillanimité, et la violente crainte que tu sois déchirée de douleurs, cependant lu
qui le possédait aujourd'hui donc le S. igncur
: ent mleras un lils. Et en expirant, car elle
plein de bienveillance pour ce juste, lui dit mourait, elle l'appela fils de mes douleurs; :

Puisque tu l'es écrié nous sommes en peti*


: mais son père lui donna le nom de Benjamin.
nombre, appremls (|ne ta race croîlratt se nnil- ''^t'clli'-ii consacre, par le nom qu'elle donne à
tij)liera, et qu'elle sera lellenieul illustre, que son lils, le mal qu'elle avait ressenti; mais son
d 'eUç sortiront une multitude de nations, et père l'appela Benjamin. Et après qu'elle eut
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — SOIXANTIÈME HOMÉLIE. d9»

enfanté, elle mourut, d'il VEcviiurc, elle fut en- alors , dit l'Ecriture, que mourut Isaac, âgé et
an chemin d'Ephrath, qui est Bethléem.
sevelie rassasié de joitrs. Si, en efl'et au moment où
,

Et Jacob éleva un monumcut sur S(i tombe. La Jacob surprit bénédiction de son père, les
la
naissance de tel enfant calma le chagrin qne yeux d'Is.iac étaietjl dijà appesantis (et c'est ce
la mort de Rîichel causait à Jacob, et l'aida à qui ex[>lique qu'il ait [tu être trompé), songez
supporter la perte de Racliel. C'est alors (jue quelle devait être sa vieillesse, puisqu'un si

Riiben se rendit coupable d'un prand crime : grand nombre d'années s'étaient écoulées dans
Il vint, dit l'Ecriture, et dormit avec lialla, con- l'iiilervalle. Esaii et Jacob, dii l'Ecriture, l'ense-

cubine de son père, et Israël en fut averti, et le velirent. Mais, après lamortdlsaac: Esaûprit
crime fut prouvé en sa présence. Or, c'était là un ses femmes, ses fils, toutes les personnes de sa
grand crime. Aussi, dans la suite, Moïse défen- maison, et tous les biens qu'il avait acquis dans
dit-il dans SCS lois (juc le père et le fils eussent la tirre de Chanaan, et il partit. Car le pays
commerce avec la même femme. Dansla crainte qu'ils habitaient comme étrangers, ne pouvait
que peu à peu ce ne de\ienne une babitiide,
fait pas les contenir, à cause de la grande quantité
Je législateur se liàte de déclarer (jue celui qui de leurs biens. Et il habita désormais sur la

se rend coupable d'un pareil crime mérite un montagne de La sainte Ecriture énu-
Séir.

cbàtiment. Cependant alors Jacob, vaincu par nière ensuite les enfants «|ui naquirent à Esaù

l'amour paternel, se montra indiil<j:ent pour la et les nations qui sortirent de lui et elle ajoute , :

faute de son fils. Mais dans la suite, au mo- Quant à Jocoh // demeura au pays oii so?i
,

ment où il allait ((uitter la vie, il fiéfrit Ruben, père avait habité comme étranger, c'est-à-dire

consif;ne par écrit son crime, et le maudit, afin au pays de Chanaan. Vient ensuite un autre
que ce cliàliment serve d'e\em|)l(; à la posté- récit sur l'admirable Joseph.

rité. Puis, le bienlicureux Moïse fait le dénom- 3. Mais, si vous le voulez, nous terminerons

breme t des fils de Jacob , et par ses paroles, ici notre discours, et nous réserverons pour
il nous apprend quelle était la vertu de ce une autre instruction l'histoire du fils de Jacob.
juste. Et ne croyez pas que ce fut au hasard et Cependant voici ce que j'exigerai de votre cha-
sans raiscn qu'il eut commerce avec Racbel, rité, c'est que vous écoutiez mes paroles avec

Lia et les deux servantes. L'Ecriture, au con- attention, que vous retiri( z le plus grand fruit

traire, nous montre que Jacob obéissait aux des et)seignements que nous donne la sainte
secrets conseils de la Providence, et (ju'il vé- Ecriture, et que vous ne passiez sur aucun

cut avec ces femmes, pour cjue les douze tri- sans réflexion. Car les paroles divines sont vé-
bus sorti>sent de lui : Aussi l'Ecriture ne dit- ritablement un trésor spirituel si, d'un trésor ;

elle pas (ju'uu autre fils lui soit né, afin de matériel, ([uelqu'un dérobe à son profit une

\ous apprendre que ce n'était pas là un fait seule pierre précieuse, par là souvent il peut

imprévu et fortuit. Les fih de Jacob étaient au ac(|uérir une fortune immense ; de môme les

nombre de douze. Puis l'Ecriture nomme sépa- vertus des justes, nous voulons nous y atta-
si

rément lesenfaiilsde Lia et de Racliel, et ceux cher, pourront nous ètie d'une utilité telle

des deux servantes , et elle ajoute : Voilà les que nous-mêmes nous serons portés à les imi-
pis qui jiaquireut à Jacob en Mésopotai/n'e. ter, tyest ainsi qu'il nous sera possible a nous

Et cependant Benjamin fut mis au monde aussi d'obtenir la faveur dixine dont ces justes

dans les environs de Belliléem. Pourquoi donc ont joui. Car Dieu n'a point d'égard aux di-
l'Ecriture dit-elle Voilà les enfants qui na-
:
verses conditions des peisawies ; mais en toute

qidrent à Jacob en Mésopotamie? Paui-ùWe Ra- nation, celui qui h craint et dont les œuvres
cbel l'avait-elle conçu avant son départ. Et Ja S07it justes, lui est agréable. Aussi rien ne nous

cob vint vers Isaac, son père. Voyez ici encore, em|)êclie, si nous le voulons, de jouir autant

comment Dieu, dans sa bonté, voulait inspirer et même plus q»ie ces justes, de la protection
une pleine confiance La venue de à ces justes. divine. Car si que nous fai-
senti ment il v(.it

Jacob vers son père, après un si grand nom- sons tout ce (pli dépend de nous, et qne nous
bre d'années, fut pour tous deux une douce préférons aux plaisus mondains la pialiipiede
consolation: pour Jacob, parce qu'il revoyait ses préceptes, il montre pour nous une si

son père, et pour Isaac, parce qu'il pouvait grande sollicitude qu'il nous rend invincibles
contempler la richesse de son fils, et le grand en toute chose. Nous avons en tflet à combattre
nombre d'enfants qui étaient sortis de lui. C'est continuellement un ennemi auinourfit contrtj
396 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

nous une haine implacable. Aii?si avons-nous circonspection, ce sacrifice spirituel et cette
besoin d'une grande vigilance, afin de pouvoir victime raisonnable. Dans l'ancienne loi, c'était

triompher de ses artifices et mépriser ses coup?. une tache que d'avoir les oreilles ou la queue
Et nous ne remporterons la victoire que si coupée; dans la nouvelle loi, c'est une tache

nous savons, par une conduite irréprochable, que d'être pervers, libertin et débauché, d'ai-

nous attirer le secours de Dieu. Or qu'est-ce mer les richesses et. en un mot, de pécher.
qu'une conduite irréprochable? C'est une vie Autrefois, la victime devait être pure et exempte
pure. C'est là la base et le fondement de la de toute souillure, aujourd'hui, il fautmourir
vertu : celui qui l'établit d'une façon inébran- au monde pour être propre au sacrifice spiri-
lable, surmontera facilement tous les obsta- tuel.Ne passons pas trop légèrement sur ces
cles un tel homme ne se laissera dompter ni
; considérations, mais gravons-les profondément
par le désir des richesses, ni par l'amour de la dans notre esprit, et tâchons de ne pas paraître
gloire, ni par l'envie, ni par aucune autre pas- inférieurs aux Juifs qui, dans les ténèbres,
sion. Et pourquoi? Je vais le dire. Lorsqu'un montrent une attention si scrupuleuse. Si les
homme a la conscience pure, et exempte de Juifs, assis auprès d'une faible lumière, ont
toute tache, le Maître de l'univers peut habiter fait preuve d'une si grande vigilance, à plus
dans son cœur. Car Jésus a dit Bienheureux : forte raison, nous, qui avons été juges dignes
ceux qui ont le cœur pw\ parce qu'ils verront d'être éclairés par le Soleil de justice qui ,

Lieu! Lorsque quelqu'un mérite que Dieu éta- avons quitté les ténèbres et qui avons été con-
blisse sa demeure en lui, il vivra dans la suite duits comme par la main vers la vérité, de-
comme s'il était simplement revêtu d'un corps vons-nous apporter la même prudence dans ce
et ilmontrera un souverain mépris pour tou- sacrifice spirituel. Ne passons pas légèrement
tes les jouissances humaines. En etfet, toutes sur ce que nous croyons de petits péchés; mais
les choses terrestres, il les regardera comme demandons-nous compte, chaque jour, de nos
une ombre, comme un rêve; et, de même que paroles et de nos regards, et punissons-nous
s'il habitait dans les cieux, il ne désirera aucun nous-mêmes, si nous voulons éviter les châti-
des biens présents. Tel était saint Paul, l'apô- ments d'en-haut. C'est pourquoi saint Paul dit :

tre qui a enseigné l'univers ; il s'écriait : Est- Si nous nous juqions nous-mêmes, twus ne se-
ce que vous voulez éprouver la puissance de rions pas jugés de Dieu. [\ Cor. H, 31.) Car, si
Jésus-Christ qui parle par ma bouche? Il disait nous nous jugeons nous-mêmes ici-bas pour les
encore Je vis, ou plutôt ce n'est plus tnoi qui
: fautes que nous commettons chaque jour, nous
vis, mais c'est Jésus-Christ qui vit en moi. Et diminuons d'autant la sévérité du jugement de
ensuite Si je vis mainteiiant dans ce corps
: Dieu. Et, si nous sommes insouciants, lors-

mortel j'jj vis en


, la foi. Voyez-vous cet que nous soinmcs jugés delà sorte, dit rA[>ô-
homme, quoique revêtu d'un corps, parler tre, c'est le Seigneur qui nous châtie. Aupara-
comme s'il jouissait d'un repos incorporel? vant, donc, condamnons-nous avec une grande
A. Imitons-le donc tous, morlitions les mem- sincérité, et descendons, à l'insu de tous, au
bres de notre corps, et rendons-les incapables tribunal de notre conscience; alors examinons
de pécher; car c'est surtout ainsi (pie nous nos pensées, et portons une sentence juste
pourrons oflVir à Dieu un sacrifice qui lui sera afin que notre esi)rit, frappé du péril qui nous
agréable. Voyez-vous combien ce sacrilice est menace, ne se laisse plus trom|)er, iiu'il ré-
nouveau et étoimant? Lorscpie les nicmhros prime nos passions, et que, toujours vigilant,
sont morts, Dieu en accueille plus favorahle- il ferme tout accès au diable. Car nous n'é-

ment le sacrilice. Pour quel motif? Parce que prouvons d'échec, que par notre nonchalance,
c'est un sacrifice spiriliicl.cini n'a rien de sen- c'est l'expéritnce même cjui nous l'enseigne. Si
sible. Car, dans un sacrilice sensible, noii-seii- nous voulions nous réveiller un peu nous ,

lemenl on doit rejeter la victime qui est privée pourrions fairetoniber en poussière les embû-
de vie, mais celle nièine(|iii est vivante, si elle ches de notre ennemi et même, quand il nous
:

a quelque tache, ne i)ourrait jamais être ac- fait tomber, si nous restons dans le même état,

ceptée à l'autel. Et ça été dès le princii>e l'ob- ce nest pas à cause de sa tyrannie, mais à cause
jet non pas sans motif, mais aliii
d'une loi, (io notre peu d'énergie. Oir ses victoires ,

que cet examen de victimes privées de raison, il ne les doit pas à une force invincible, mais
nous apprit ù olTrir , avec non moins de à sa l'use seîdo. Or, nous ne uous laisserons
HOMÉLIES SUR LA GENIiSE. - SOIXANTE-UNIÈME IIOMÉLÎE. <W^

pas tromper, si nous voulons nous réveiller nous secourir dans ce combat. Ainsi nous de-
un peu et user de prudence c'est nous qui en ; viendrons invincibles, nous éviterons les pièges
sommes maîtres je ne veux pas dire que
;
que nous tendra le démon, nous jouirons de
seuls, nous ayons en nous-mêmes une assez l'assistance divine , et nous obtiendrons les
grande force pour cette lutte, mais c'est que biens éternels; puissions-nous tous les obtenir,

alors nous sommes favorisés du secours d'en- par la grâce et la miséricorde de Notre-Sei-
haut. Lorsque nous faisons ce qui dépend de gneur Jésus-Christ, qui partage, avec le Père
nous, Dieu nous vient toujours en aide. Soyons et le Saint-Esprit, la gloire, la puissance et
donc prudents, je vous y exhorte; puisque l'honneur, m;iintcnant et toujours, et dans les
nous connaissons les ruses de notre ennemi, siècles des siijcles 1 Ainsi soil-ii.
veillons sans relâche et demandons à Dieu de

SOIXANTE-UNIÈME HOMÉLIE.

« Voici quelle était la famille de Jacob; Joseph étant âgé .:e dix-sept ans, paissait les troupea\:x avec se*
frères. > (Gen. XXX 711, 2.)

ANALYSE.

1. Explication des versets 2-4 du chapitre xxxvii. Que un prand mal. Calii le premier homicide pnr envie.
l'envie est 2. Ex- —
plication des versets 5-14. — 3. Explication des versets 14-26. Joseph G„'urc du Clirist. On ne peut empêcher l'accomplisse-
ment des prédictions divines. —4. Explication des versets 28-35. Joseph toujours sous la main de Dieu qui le garde. Exhor- —
lalion.

4. Je veux, aujourd'hui encore, vous intro- Voici quelle était la famille de Jacob ; puis
duire à la table accoutumée , reprendre la il néglige d'énumérer par ordre les enfants
suite de mon discours, et vous offrir ce ban- qui sont nés de lui, et les enfants de ses en-
quel spirituel en parlant des paroles qui vien- fants (comme il l'avait fait pour Esaû) et ,

nent d'être lues. Elles peuvent en effet vous il passe aussitôt à Joseph , le plus jeune ,

apprendre à tous combien l'envie est un fléau presque, des fils de Jacob, et dit : Joseph,
terrible et à quel degré de violence peut monter étant âgé de dix-sept ans, paissait les troii-

celle passion funeste en s'allaquant même aux peaifx avec ses frères. Pourquoi nous indique-
plus |)roches parents. Mais jiour procéder t-il le nombre d'années? C'est afin que vous
avec ordre nous attacher d'abord
, il tant appreniez (jue la jeunesse n'est pas un obs-
aux premiers mots du verset que je vous ai tacle à la vertu et afin que vous connaissiez
;

lu. Voici , dit l'Ecriture ,


giielle était la clairement quelle était l'obéissance de cet en-
famille de Jacob. Voyez comment le saint fant envers son père, son amitié pour ses frè-

l)rophcte , après avoir promis de nous racon- cruauté de ces derniers ;


res, et quelle lut la

ter la généalogie de Jacob, revient aussitôt à enfin c'est pour que vous sachiez que, malgré
l'histoire du fils de celui-ci. Il dit d'abord : les sentiments dont il était animé à leur égard,
398 TRADUCTION FRAxNÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME,

malgré son âge qui aurait dû leur inspirer de la naissance, et produit sur le personnage, objet

compassion, ils n'ont voulu conserver aucune de notre jalousie, des effets contraires à ceux
iiniilié que, dès le principe, ils se
pour lui, et que nous attendions, en le rendant plus célè-
sont laissé emporter par la jalousie, en voyant bre, plus illustre et plus éclatant, ce qui est

la tendance de cet enfant vers la


vertu, et la pour ^en^ieux une nouvelle et profonde bles-
bienveillance que leur père lui témoignait. Us sure. Considérez eu effet comment cet enfaiit,

accusèrent Joseph dune action ciimindle de- vraiment di^ne de notre admiration, sans con-
vant Israël, leurpère\ Voyez comme ils pous- naître aucun des faits qui s'étaient passés , se

sèrent la méchanceté à son comble ilsessayent : conduit avec ses frères que les mêmes en-
c^e détruire l'alTection de Jacob pour son fils, trailles ont nourris; il montre une pleine con-
et ils inventent des calomnies contre leur frère, fiance en eux et il leur parle avec une entière
mais ne réussissent qu'à rendre leur jalousie
ils franchise; ceux-ci au contraire, dominés par
pkH évidente. Et vous reconnaîtrez qu'ils n'ont la passion de l'envie, sont remplis de haine
recueilli d'autre fruit que de rép.uidre la lu- pour lui Ses frères, dit l'Ecriture, voyant
:

mière sur leurs secrets desseins. Si vous con- que leur père V aimait plus queux tous, le
sidf'rez comme ce père s'atlaclie plus étroile- haïssaient, et ne pouvaient lui parler sans ai-
mtnt encore à son lils, même après cette ca- (jreur. Voyez de quelle haine ils poursuivent

lo'nnie, et comment il le préfère à tous Or : cet enfant qui ne leur a fait aucun tort Et ils :

Jacob, dit TEcriluie, aimait Joseph plus que ne pouvaient, dit l'Ecriture , lui parler sans

tous ses autres ^Is, parce qu'il était l'enfant de aiqreur. Pourquoi ne pouvaient-ils lui par-
sa vieillesse. Et il lui fU iine robe de diverses ler sans aigreur? C'est (jue cette p ission s'était

couleurs. QuesigMilient ces paroles // aimait : rendue maîtresse de leur cœur, et(}uela haine
Joseph plus que Mis ses autres fils, parce quil s'y développait chaque jour elle les avait :

était l'enfant de sa vieillesse? Comme il lui pour ainsi dire domptés elles tenait sous sa
était né le dernier, à Tépoque de sa vieillesse, pui^sance aussi se conduisaient- ils avec lui
:

il le chérissait plus que tous les autres. En d'une manière hy|)oerite, et ne pouvaient-ils
effet les enfants que l'on engendre dans la lui parler sans aigreur. L'Ecriture nous in-
vieillesse semblent plus dignes d'amour, et dique la source de leur haine : c'est la jalousie

obtiennent de leur {)ère une aUVcUon plus qui lui adonné naissance. Ses nous dit frères,
vive. Mais ce n'était pas là le seul motif de Ta- que leur père l aimait plus
l'Ecriture, voyaient
mour que Jacob lui témoignait et de la préfé- queux tous. L'amitié que Jacob avait pour Jo-
rence qu'il avait pour lui : car la sainte Ecri- seph, excita contre lui la jalousie desesfrères;
ture nous apprend qu'un autre fils lui naquit mais c'était sa vertu quiluiavait concilielabien-
encore après Joseph et si son affection avait
; veillance de son père. Ainsi lorsqu'ils auraient
suivi l'ordre de la nature, c'est sur ce dernier dû chercher à égaler Joseph et à imiter sa con-
qu'il l'aurait reportée tout entière, puisqu'il duite, i)our obtenir de leur côté l'amitié de
était vraiment l'enfant de sa vieillesse et qu'il leur père, non-seulement ils n'ont pas même
avait été mis au monde au moment où ce juste eu celte pensée, mais ils ont tous témoigné
était déjà parvenu à un très-grand âge. Quel leur haine à celui qui était l'objet de l'alTec-
motif devons-nous donc ajouter? C'est ()u'une tion de Jacob. Devenus ses ennemis, ils nour-
grâce presflue céleste rendait cet enfant cher à rissaient dans leur cœur leur secrète passion,
son père, et le poussait à le préférer aux au- ne jamais sans aigreur, et se con-
lui parlaient
tres à cause de sa vertu ; et l'Ecriture nous dit duisaient avec lui d'une manière hypocrite;
que Jacob le chérissait ainsi, parce qu'il était cet enfant, au contraire, digne de notre admi-
l'enfant de sa vieillesse, dans la crainte d'aug- ration, avait toujours pour eux la même ami-
menter la jalousie de ses frères. tié,ne soupçonnait rien avait en eux la con- ,

C'est là une terrible passion, et, lorsqu'elle fiance ([u'on doit accordera des frères, et faisait
s'est emparée de notre âme, elle ne la ipiitte tout ce qui était en son pouvoir.
pas, avant de l'avoir poussée juscju'au dernier 2. C'est cette passion funeste qui dès le ,

égarement; elle déchire l'âme où elle a pris conunencement du monde, poussa Ca'in à tuer

son frère. De même (^ue ceux-ci haïssaient


' Tel est le sons que donne le texte des Septante dans l'Hébreu
;
Joseph à cause de que leur père lui
l'affet lion
et dans les autres vor>ions on lit au contraire que ce fat Joseph qui
Kcvu^a ses (rèrcs d'uuv: «ciiou cnuiioelle. témoignait, étaient devenus ses imemis, et <
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. - SOIXANTE-UNIÈME HOMÉLIE: 390

chaque jour méditaient de le faire périr; de peu dottnips, quand même vous voudriez y
môme Caïn, voyant que les présents de son apporter mille obstacles. Car leDieu de l'uni-
frère étaient plus agréables à Dieu, forma le vers est habile et sage ; et quand il veut prou-
projet de le tuer, et il lui dit Allons dans les : ver rétendue de son pouvoir, permelsouvent il

champs. que l'on arrête par de nond)reux obstacles


Voyez-vous combien Abel, lui aussi, est loin l'exécution de ses desseins, afin que leur ac-
d'avoir aucun soupçon, quelle confiance il a com[)lissement fasse éclaler toute la grandeur
en son frère, et coiunfent il l'accompagne et se de sa puissance. Mais toi est l'envieux : sa pas-
livre luinième aux coups de sa main crimi- sion ne lui permet pas de faire aucune de ces ré-

nelle? H en est de même de Joseph: cet enfant flexions, elle le tient, pour ainsi dire, sous
admirable, ne connaissant pas les mauvais le joug; et il agit même contre son propre
desseins de ses frères, leur parle comme à des salut.
frères, et leur raconte les songes par lesquels Ainsi le récit de ce songe augmenta leur
Dieu lui avait révélé sa future grandeur et en haine ,
quant à Joseph, cet enfant admirable,
même temps l'assujétissement de ses frères : il eut un autre songe et le raconta en ces ter-
Joseph ayant eu un songe, dit l'Ecriture, le mes, non-seulement à ses frères, mais encore
récita à ses frères, et leur dit : Ecoutez le songe à Jacob Il me semblait que le soleil et la lune
:

que j'ai eu. Il me semblait que nous liions des et onze étoiles se prosternaient devant moi.
gerbes au milieu d'un champ, que ma gerbe se Son père le reprit et lui dit : Que signifie ce

leva et se tint debout, et que vos gerbes Venvi- songe que tu as eu? faudra- t-il que nous ve-
ronnèrent , et se prosternèrent devant ma nions, moi, ta mère et tes frères nous proster-
gerbe. Alors ses frères lui dirent : Règnerais-tu ?icr en terre devant toi ? Et ses frères eurent de

donc sur nous, et serais-tu notre maître? Et ils l'envie contre lui, 7nais son père retint ses dis-
lehaïrent encore plus à cause de ses songes et cours. Jacob reprit Josei)h, paice qu'il con-
de ses paroles. L'Ecriture s'est hcàtée de nous nais, ait l'envie que ses autres fils perlaient à
apprendre que leur haine contre Joseph s'était cet eiifant ;
puis , il expliqua lui-même le

déjà manifestée auparavant, afin que nous ne songe, et devinant que celte révélation venait
croyions pas que ce songe seul ait donné nais- de Dieu, il ne
retint ses discours. Mais telle
sance à leurs dispositions hostiles. Et ils le fut pas la conduite de ses fils. Qu'arriva-t-il?
haïrent encore plus , c'est-à-dire ils nourrirent Ils le b.iïient encore davantage. Quelle est

contre une haine et une inimitié beaucoup


lui votre folie? Pourquoi vous conduisez - vous
plus violentes. Voyez à quel degré d'aveugle- comme des insensés? Ne comprenez-vous pas
ment ils en sont venus; ce sont eux-mêmes qui que ce second songe ne lui a été envoyé, ni
expliquent le songe. Ainsi on ne peut pas dire sans molil, ni par un efi'et du hasard? C'était
qu'ils étaient jaloux de leur frère par ignorance pour que vous appreniez que ces événements
de l'avenir ; car quoique ce songe leur eût ré- s'accompliraient entièrement, pour que vous
vélé les événements futurs, leur haine s'accrut mettiez un terme à vos projets sanguinaires,
encore. comble de la folie ! Ainsi instruits en considérant que vous tentiez l'impussiblc.
ils auraient dû plutôt témoigner de la bienveil- Vous auriez donc dû songer aux liens de la
iance envers Joseph, supprimer tout motif de nature, montrer des sentiments vraiment fra-
haine, et bannir de leur cœur toute jalousie ;
ternels et regarder comme vôtre l'illustration
mais leur raison était obscurcie par les ténè- future de votre frère. Mais puiscjue celte pen-
bres, ils ne comprirent pas qu'ils agissaient sée ne vous est pas venue à l'esprit, il eûi été

contre leurs propres intérêts, et ils furent en- naturel de considérer (jue la quendle n'élait
flammés d'une haine encore plus vive. Pour- plus entre vous et Jose()h, mais entre vous et
quoi, ô malheureux, ô misérables, montrez-vous le Maître de toutes choses, qui lui avait déjà
une si grande jalousie, pourquoi ne songez-vous révélé l'avenir. Mais ceux-ci , comme je me
pas aux liens du sang et ne reconnaissez-vous suis hâté de le dire, sans respecter les liens du
pas que l'explication de ce songe fait éclater la sang, sans réfléchir que la protection d'en-
bienveillance de Dieu à l'égard de Joseph? Ne haut entourait Joseph, donnaient chaque jour
croyez pas qu'il soit possible de renverser les de nouveaux aliments à leur haine et allu-
décrets de Dieu. Vous avez vous-mêmes inter- maient dans leur cœur cette flamme secrète,

prêté ce songe ; eh bien! il s'accomplira dans tandis que, ni leur père, ni leur jeune frère
400 TRADUCTION FRAN(1\1SE DE SAINT JEAN CHUYSOSTOME.

ne soupçonnaient rien de sembla!)le et ne pen- bre, et que la vérité soit conservée. Mais repre-
saient pas qu'ils se laisseraient aller à un si nons la suile de notre discotirs. Son père ieu'
grand égarement. Aussi , comme ses frères voya, dit Itcriture, et il vifit jusque Sichem.
étaient allés faire paître les troui.eaux ,
Jacoh Et u?i homme le trouva errant parmi les

dit à Joseph Tes frères ne paisse.', t-ils pas les


: champs. Et cet homme l'interrogea et lui dit :

troupeaux à Sichem ? Viens que je V envoie Que cherches-tu ? Joseph répondit : Je cherche
vers eux. Et il lui répondit Me voici. Voyez- : mes frères. Apprends-moi où ils font paître
vous quelle est l'ulTection de ce pcre pour ses leurs troupeaux. Voyez avec quel zèle il va à
fils, quelle est l'obéissance de cet enfant? Et larecherche de ses frères, quel est son em-
Israël lui dit : Va maintenant , vois &i tes frè- pressement et quelles peines il se donne pour
res et les troupeaux se portent bien et rap- les trouver. Et cet homme lui répondit : J'ai
porte-moi ce qui se passe. entendu qu'ils disaient : Allons à Dothaîm.
3. Tous ces faits nous prouvent l'amour de Joseph y alla donc et les y trouva. Ceux-ci le
Joseph pour ses frères et nous montrent d'une virent de loin avant qu'il s'approchât d'eux
façon évidente les projets sanguinaires de et ils résolurent de le mettre à mort. Considé-
ces derniers. Ils sont aussi la figure des évé- rez ici, je vous prie, la providence de Dieu;
nements futurs et décrivent d'avance, dans voyez commeils se préparent au meurtre de

une époque de ténèbres, les actes de la vé- Leur frère mais si Celui qui fait et défait tout
;

rité. En effet, de même que Joseph s'en alla à son gré, permet qu'on apporte des obstacles à
vers ses frères pour les visiter, et que ceux-ci, ses décrets, c'est pour répandre plus d'éclat sur
sans respecter les liens fraternels et le motif de son athlète et amener enfin l'accomplissement
sa présence, résolurent d'abord de le tuer des songes. Ils le virent de loin et résolurent
puis le vendirent à des barbares ; de même de le mettre à mort. Et ils se dirent l'uti à
Notre-Seigneur dans son amour pour les
,
l'autre : voici venir ce maître songeur. Mainte-
honunes, vint visiter le genre humain, et, 7iant dojic, venez., tuons-le, et le jetons dans
après avoir revêtu un corps de la même sub- une de ces fosses, et îwus dirons qu'une bète
stance que la nôtre, il daigna devenir notre féroce l'a dévoré et nous verrons ce que devien-
frère. Et saint Paul s'écrie Jl ne s'est pas : dront ses songes.
rendu le libérateur des anrjes^ mais celui de la Ainsi ils s'attendaient à l'accomplissement
race d' Abraham ; c'est pourquoi il a fallu qu'il des songes ils méditent de le tuei'. Mais afin
; et

fût en tout semblable à ses frères. (Héb. ii, 16.) qu'ils apprennent qu'il n'est pas possible d'em-
Les Juifs, pleins d'ingratitude, résolurent de |)ècher l'exécution des décrets de Dieu c'est ,

mettre à mort Celui cjui était lemédecin du en vain qu'ils délibèrent, qu'ils entrepreiment
corps et de l'âme, et qui faisait chaquejour un et qu'ils montrent toute la perversité de leur
nombre infini de miracles; ils accomplirent cœur; Dieu, qui est souverainement sage, les
leur pr( jet homicide et crucifièrent Celui qui, force malgré eux et ujalgré leurs complots à
pour notre salut, avait daigné prendre la forme servir ses vues secrètes sur l'avenir. Car après
de l'esclave. Ainsi les Juifs se sont emparés du iju'ils eurent conspiré le meurtre de leur

Christ, l'ont mis en croix et l'ont fait périr; frère, et que déjà ils avaient accompli ce crime
quant aux frères de Joseph, ils avaient résolu dans leur pensée, Ruben, dit l'Ecriture, les
sa mort, mais ils n'exécutèrent pas leur pro- ayant entend /s, le délivra de leurs mains, en
jet. 11 fallait que la figure fût inférieure à la disant : iVe liu otons point la vie; ne répandez
vérité, car autrement ces faits n'auraient pu point le sang; jetez-le dans cette fosse qui est
être la figure des événements futurs. C'est au désert, et fie mettez point la main sur lui.
pourquoi ils ont été décrits d'avance à cette Il voulait le délicrcr de leurs mains pour le
époque comme en une esquisse. Considérez,
, rendre à son père. Ruben n'ose pas sauver son
je vous prie, ce rapport étonnant. Ils ne lonl frère ouvertement, cependant il veut répri-
pas tué, mais ils l'ont vendu, ils ont trempé sa mer kur ardeur sanguinaire et il dit : i» ré-
tunique dans le sang dun chevreau et ils Tout pandez point sang ; jeti'z-le dans cette fosse.
le
envoyée à leur père, |)Our lui faire croire que son Et la sainte Ecriture, pour nous apprendre
fils avait péri. Uemar(iuez-vous que tons ces quelle était l'inlenlion de Ruben. dit Il agis- ;

faits se sont accomplis, île façon ijue l'image sait ainsi a/în de le délivrer de leurs mains,
,

eeule de l'avenir apparaisse coinuie dans l'om- et de le rendre à son pén^ ils uv^liberaient
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — SOIXANTE-UNIÈME HOMÉLIE. 40Ï

ainsi , avant que Joseph fût encore arrivé ;


vous conduisez-vous ainsi et faites-vous la
ils avaient déjà terminé leur entretien , guerre contre Dieu qui a révélé ces événe-
lorsiiu'il arriva vers ses frères. Tandis (jii'ils ments h Joseph? Mais si vous ne tenez aucun
auraient dû accourir vers leur frère, l'embras- compte de ces songes, si vous les regardez
ser et lui demander (juelles nouvelles il appor- comme des sottises, pourquoi commettez-vous
tait de leur |)ère, ces méchants, semblables à des un crime, (jui attachera à votre nom une
bêtes féroces (jui ont aperçu un ajxneau, s'é- souillure éternelle, et causera à votre père i\n
lancèrent sur lui, le dépuidllèrent de sa tuni- mortel chagrin ? A quel degré en est venue
que de diverses cmdeurs , le saisirent et le je- leur passion, que dis-je? leur ardeur san-
tèrent dam la fosse. Or la fosse était vide , et guinaire! Lors(iue (iuel(|u'un se livre à un
il H y avait point d'eau. Ils suivirent le conseil acte criminel, et (ju'il est comme accablé sous
de Ruben et après avoir jeté Joseph dans cette
;
lepoids de ses pensées coupables, il ne songe
fosse, ils s'assirent pour manger dn pain. pas h l'œil qui ne dort jamais, il ne respecte
comble de la cruauté et de l'inhumanité! pas même la nature , et il foule aux pieds tout
Joseph parcourt une si longue route, et cher- ce qui peut exciter sa commisération ; c'est ce
che ses frères avec tant de zèle, afin de les que ceux-ci ont éprouvé. Ils n'ont pas réfléchi
voir et de rapporter à son père ce qui se passe ; que Joseph était leur frère, qu'il était jeune et
et ceux-ci semblables à des barbares et à des
, chéri de Jacob, et (ju'il allait parcourir un si
sauvages, décident de le laisser mourir dt> vaste pays, pour habiter avec des barbares,
faim, après que Ruben les a dissuadés de ré- lui qui n'avait jamais vécu sur la terre étran-
pandre le sanf^ de leur frère. Mais Dieu , dans gère et qui jamais n'avait servi un maître; ils re-
sa bonté, l'arracha bientôt aux mains de ses jetèrent loin d'eux tout sentiment sage, et ne
frères en délire. Car, dit l'Ecriture pendant ,
songèrent qu'à satisfaire comme ils le croyaient
qu'ils étaient assis et mangeaient leur pain leur propre jalousie. Ainsi par la pensée ils

ils aperçurent des Ismaélites qid passaient et étaient déjà fratricides; mais celui à qui ils

se dirigeaient versVEgt/pte, Juda leur dit De : faisaient subirde si indignes traitements, sup-
qttoi nous servira-t-il de tuer notre frère et dt porta tout avec courage.
cafhtr son sang ? Venez, , veîidons-le à ces Js- Car la main de Dieu le protégeait et l'aidait à
jnaélitvs, el ne mettons point notre main sur souffrir toutes ces injustices avec résignation.
lui, car il est notre frère et notre chair. Si nous nous sommes conciliés la bienveillance
Voyez comment Ruben d'abord les a em-
4. divine, quand même nous serions au milieu
pêchés de commettre un grand crime, en leur des barbares et sur la terre étrangère, nous
donnant un conseil moins criminel, et com- pouvons mener une vie plus heureuse que
ment ensuite Juda leur persuade de vendre ceux qui habitent dans leur patrie et sont en-
leur frère, pour le ravir à la mort. Tous ces tourés de toutes sortes de soins; mais aussi,
événements se succédaient de façon que les quand même nous vivrions dans notre mai-
révélations de Dieu s'accomplissent, même son, quand même nous paraîtrions nager dans
malgré eux, et qu'ils servissent eux-mêmes l'opulence, si nous sommes privés du secours
les desseins de la Providence Us approuvè- : d'en-haut, nous sommes de beaucoup les plus
rent .,
dit l'Ecriture, le conseil de Juda, tirè- misérables. Grande est la force de la vertu,
rent Joseph de la fosse, et le vendirent aux grande est la faiblesse du vice; c'est ce que
Ismaélites vingt pièces d'or. coupable trafic, prouve surtout l'histoire que nous avons entre-
ô gam funeste , ô vente injuste Lui qui est ! les mains. Ici, en effet, quels sont ceux que

né des mêmes entrailles (jue vous, lui qui est vous jugez les plus misérables, et qui vous pa-
ainsi chéri de son père, lui qui est venu pour raissent mériter le plus de larmes? Dites-le-

vous visiter, lui qui ne vous a jamais fait au- moi sont-ce ces méchants qui ont commis un
;

cun tort, ni grand, ni petit, vous osez le ven- si grand crime envers leur frère? Ou bien est-

dre, et cela à des barbares (jui descendent en ce Joseph qui est tombé au pouvoir des bar-
Egypte! Quelle est cette folie? Quelle est cette bares? Ce sont eux évidemment. Considérez,
jalousie, cette envie? Car si vous agissez ainsi je vous prie, comment cet enfant admirable

parce que vous craignez ses songes et que ({uia été élevé avec tant de soin et qui a grandi
vous êtes persuadés qu'ils s'accompliront continuellement entre les bras de sou père, est
pourquoi tentez- vous l'impossible, pourquoi aujourd'hui forcé tout à coup de supporter un

S. J. Cit. — Tome V.
405 TIIADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN GHRYSOSTOMF.

dur esclavage, et cela chez des barbares, qui mit un sac sur ses reins et pleura soji filf plu-
lie sont pas meilleurs que des bêtes sauvages. sieurs jours. Que de larmes ils auraient méri-
Mais c'était le Maître du monde qui les rendait tées eux-mêmes, non-seulement pour avoir
doux envers armait Joseph d'une pa-
lui, et vendu leur frère à des barbares, mais encore
tience à toute épreuve. Et ses frères, après pour avoir causé un si grand deuil à leur père
l'avoir vendu, croyaient avoir mené à bonne déjà avancé en âge. Et tousses /ils, et toutes ses
fm leur résolution, i)arce qu'ils s'étaient débar- filles, dit l'Ecriture, vinrent pour le consoler,

rassés de celui à qui ils portaient envie. Mais mais il rejeta toute coi. olaiion et il dit: Je des-
liuben, dit TEcriturc, 'retourna vers la fosse, et cendrai vers 7non fils dans le sépulcre en pleu-
ri n'y vit plus Joseph. Alors il déchira ses vête- rant.
menti, et retourna vers ses frères et dit : L'en- 5. Mais ils ressentirent encore un autre coup.
fant ne se trouve point, et moi, moi, où irai- Car ils voyaient leur père témoigner l'amour le
je désormais? En effet, la sainte Ecriture nous plus ardent pour celui qui n'était plus, et qu'il
a appris {»lus haut que lUibcn leur avait donné croyait dévoré i)ar des bêtes féroces, et ils

le conseil de jeter leur frère dan? celte fosse, étaientconsumés par une jalousie plus violente
afin de l'arracher à leurs mains homicides, et encore. Or ces hommes qui se sont montrés si
de rendre à son père; mais maintenant,
le cruels envers leur frère et leur père, ne méri-
ajoute-t-elle, quand il voit que son projet a tent aucun pardon ; les Madianites du moins
échoué, il déchire ses vêlements et dit L'en- : servent les vues de la Providence, et à leur tour
fant ne se trouve point, et moi, moi, où irai-je vendcLt Joseph à Petcphra, lechef decuisinede
désormais? Comment, dit-il, comment pour- Pharaon. Voyez-vous comment le jeune hébreu
rons-nous nous justifier, et surtout mci (jui s'avance peu à peu, voyez-vous tjuelle vertu et
semble marcher à votre télé? Il jcroyait que quel courage il montre en toute circonstance,
Josoph avait été tué. Mais après qu'ils eurent afin que, semblable à un athlète qui a vail-
accompli le crime qu'ils méditaient, après lamment combattu, il ceigne un jour la cou-
(ju'iis eurent envoyé l'objet de leur haine sur ronne royale, que racconi[)lissement de ses
et
la terre étrangère et (|u'ils eurent ainsi calmé songes enseigne et prouve à ceux qui l'ont
leur jalousie, ils inventent une ruse pour vendu, qu'une si grande perfidie leur a été inu-
tromper leur jjère et rempccher de découvrir tile ? Car telle est la puissance de la vertu,
leur aboniin,d)li> complot. J/s tuèrent, dit qu'elle sort toujours de la lutte plus éclatante
l'Eciiture, toi doue d'entre les chèvres , trem- encore. Rien ne peut l'emporter sur elle, rien
pèrcnt sa robe dans sang et l'apportèrent
le ne peut en triompher; ce n'est pas qu'elle
à leur père, en lui disant : Rccoimaissi c'est la trouve cette force en elle-même, mais c'est que
robe de ton /ils ou non. Pourquoi vous abusez- l'homme vertueux jouit aussi du secours d'en-
vous vous-mêmes, ô insensés? Quand même haut; or celui qui jouit de la protection divine
vous pourriez tromper votre père, vous n'échap- etqui mérite l'aide du Ciel, aura une force in-
perez pas à cet œil(jui ne dort jamais, et (pie vincible, et ne se laissera dompter ni par les
vous deviez craindre par dessus tout. Mais telle embûches des hommes, ni par les pièges du
ssl la nature humaine, ou plutôt telle est Tin- démon. Puisque nous sommes ainsi avertis, ne
souciance du plus grand nombre ne crai- ; craignons pas la soutTranee mais le mal ; car le
gnant (pie les hommes et ne tenant compte mal est une véritable soutlVance. Celui qui es-
(lue de l'intamie «pii peut rejaillir sur eux saye de maltraiter sou prochain, ne lui nuit
dans le moment présent, ils ne songent pas à absolumenten rien; et, quand même il luinui-
ce tribunal terrible et à ces soufTrances intole- lait un peu, il ne peut que dans le siècle
le faire
raltles, et ils ne cherchent (ju'à éviter le hlàme pn'sent; mais aussi il s'amasse pour lui-même
des hommes ; c'est ainsi que
de Jacdb les lils des châtiments éternels et des souffrances into-
se sont conduits en essayant de tronq)er leur lérables , (|ue nous ne pouvons nous-mêmes
père. Jaciih, dit l'Eciiture, recotinut la robe et éviter que si nous lunis luoutrons prêt^ à tout
dit: C'est la robe de nu)n /ils, une bcte
féroce si, suivant le précepte du Seigneur
soiiOrir, et
Va dévoré, une bètc féroce a déchiré mon /ils nous prions pour ceux qui nous fout du mal.
Joseph. Et certes il avait été traité d'une façon Une telle conduite nous vaudra une magni-
aussi cruelle (|ue était tombeau pouvoir des
s'il
ilque réeompense et nous rendra digues du
Ict.s féroces. Jacob déchira ses vêtements, il
loyaume des cieux; puissions-nous tous l'obte:
HOMELIES SUR LA GENÈSE. ~ SOIXANTE-DEUXIÈME HOMÉLIE. 403

nir, par la grâce et la miséricorde de Nolro- l'honneur, maintenant et toujours, et dans les
Seipiieur Jcsus-Christ, (jui i)artagc, avec L' Pcrc siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

et le Saiut-Esprit, lu gloire, la puissance et

SOIXANTE-DEUXIÈME HOMÉLIE.

« Et Jud» Tit la fille d'un Chananéen qui s'appelait Sava ; et, il la prit et, vint vers elle ; et elle conçut «t enfant*

un fils que l'on nomma Er, » (Gen. XXXVIII, 2-3.)

ANALYSE.

1. Histoire deTliamar.
2. Thaniar justiiiée. Juiia s'accuse lui-même. Naissance de Phares et de Zara : figure des destinées de l'EgUM.
3. Retour à l'histoire de Joseph. Josiph chez l'uliphar. Sa prospérité.
4. PdSsioD et leutalive criiiiinclle de la femme de Futiphar.
b. Joseph calomaié^ jeté eu prison : que la gràoe de Dieu ne l'abandonne pas néanmoins. Conclusioa morale.

1. L'histoire de Joseph nous a montré suffî- Celui-ci ayant pris pour femme Sava, fille d'uû
sanunent combien l'envie est un fléau terrible, chananéen , et ayant eu d'elle trois enfants,
et comment cette passion funcsie ronge le cœur donna, dit l'Ecriture, à Er, son premier-né,
où elle a pris naiss.mce. Vous avez vu conunent, une femme nommée Thamar. Mais celui-ci fut
sous l'empire de cette passion, les frères de méchant aux yeux de l'Eternel, et l'Eternel
Joseph ont oublié les liens du sang, quelle bar- le fit mourir. Alors Juda engagea Onan à
barie et quelle cruauté ils ont exercée envers épouser la femme de son frère afin de lui ,

celui qui ne leur avait fait aucun mal mais ils ; procurer une postérité. C'était la loi qui l'or-
n'ont réussi qu'à mettre au jour leur perver- donnait: si quelqu'un mourait sans enfant, soa
sité, et le dommage qu'ils ont causé à leur frère devait épouser la veuve et lui donner une
frère n'a pas été aussi grand que la honte dont postérité. Mais Onan, lui aussi, fut méchant
ils se sont couverts. Car quoiqu'ils l'aient vendu aux yeux de Dieu, qui le fit mourir.- Juda fut
à des baibares, et ceux-ci au chef des cuisiniers frappé de terreur en voyant que ses deux fils
de Pharaon , cependant comme Joseph était luiavaientété enlevés si rapidement: alors, pour
favorisé en toute circonstance de la protection consoler Thamar, il lui promit de lui donner son
divine , tout lui semblait léger et facile à sup- autre fils, mais il ne tint pas sa parole, dans la
porter. Je voulais m'attacher aujourd'hui en- crainte que ce dernier ne subît aussi le même
core à la même histoire , et faire sur ce sujet sort que ses frères. CependantThamarserepais-
une instruction; mais je rencontre sur ma saitd'unvain espoir, et demeurait, dit l'Ecri-
route un autre récit qu'il ne serait pas juste de ture, dans la maison de son père, attendant que
passer sous nous l'approfondirons,
silence; son beau-père exécutât sa promesse; quand elle
autant que possible, puis nous reprendrons nos vit que Juda ne voulait pas remplir ses enga-
entretiens sur Joseph. Quel est donc ce récit gements, elle n'en ressentit aucune indigna-
qui interrompt notre marche ? 11 traite de Juda. tion, mais elle ne supporta pas l'idée de prendre
404 TRADUCTIOxN FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

un aulre époux, et elle se résigna au veuvage, s'écria :Pourvuque jamais nous ne soyons accusé
attendant un moment favorable car elle dési- ; d'ingratitude. C'est qu'il ne connaissait pas la
raitvivement avoir des enfants de son beau-père. vérité. M lis
quand, trois mois après, la gros-
Or, quand elle apprit que sa belle- mère était sessede Tbamar annonça son prochain enfante-
morte, et que Juda venait à Thamna, pour ment, et comme personne ne savait son imioQ
tondre ses brebis, elle résolut d'avoir recours furtive avec son beau-père, on vint annon-
à la ruse pour s'unir à son beau-père ellt dé- ;
cer, ùW. l'Ecriture, à Juda, qu'elle portait dans

sirait avoir de lui des enfanis, non i);ir liberti- son sein le fruit de ses débauches. Alors il dit :

Dage, à Dieu ne plaise, mais pour ne pas être conduisez-la dthors et qu'elle soit brûlée.
regardée comme une femme sans nom : d'ail- Grande était son indignation terrible , était le

leurs c'était l'ordre de la Providence ; et c'ebt châtiment, parce qu'à ses yeux la faute était de
pourquoi ses desseins furent accomplis. Elle la plus haute gravité. donc Tbamar ? Que fit

quitta ses habits de veuvage , se couvrit d'un Elle renvoya les gages qu'elle avait reçus, en
voile, s'enveloppa auprès des portes.
et s'assit disant J'ai conçu de l'homme à qui appar-
:

Puis la sainte Ecriture, comme pour la justi- tierment ces choses. (Ibid. 24-25).
fier, ajoute car elle voyait que, quoique Sélom
: 2. Remarquez comment,
tout en gardant le

fût devenu grand, elle ne lui avait point été témoins dignes de foi,
silence, elle produit des

donnée pour femme : c'est pour ce motif qui parleront en sa faveur, et pourront la
qu'elle eut recours à une pareille ruse. Juda mettre à l'abri de toute accusation. Comme
la prenant pour une prostituée (car elle setait elle avait besoin de trois témoins, elle qui était

voilée le visage, afin de ne pas être reconnue), sous coup d'une pareille accusation, elle
le

Que me don-
se détournavers elle. Celle-ci lui dit : envoya, comme preuve éclatante de son inno-
neras-tu ? Judas promit de lui envoyer un che- cence, les trois espèces de gages qu'elle avnit
vreau de son troupeau. Elle répondit : Pourvu reçus, l'anneau, le collier et le bâton, et, quoi-
que tu me donnes des gages, jusqu'à ce que tu qu'elle fût restée à la maison, quoiiju'elle eût
me l'envoies. Et il lui donna sa bague, so?i col- conservé le silence, elle remporta la victoire.

lier et son bâton; il vint vers elle, et elle conçut Juda les reco)inut et dit : elle est justifie
de lui. (Gen. xxxvii, 14-18.) plutôt que moi ; c'est parce que je ne l'ai pas
Qu'aucun de ceux qui entendent ce récit, ne dotmée à Sélom, inon fils. Que signifient ces
condamne Tbamar; car, connue je me suis paroles : Elle est Justifiée plutôt que moi ? 11

bâté de le dire, elle servait les desseins de la veut dire; c'est elle qui est innocente, et moi,
Providence , et c'est pour ce molif (ju'elle ne je me condamne mol-même, je me dénonce,
mérite aucun blâme et qu'aucune accusation sans que personne m'accuse; que dis-je? ces
ne doit poser sur Juda. En effet, si vous par- gages que j'ai donnés ne sont-ils pas contre

tez de là en suivant l'ordre des temps ,


moi une preuve suftisiuite? Puis, |)our justifier
vous trouverez que le Christ descend des de nouveau Tbamar, il dit C'est parce qtie je :

enfants issus de celle union d'ailleurs les ; ne l'ai pas donnée à Sé'om. mon /ils. S'il s'ac-
deux fils qui lui naquirent étaient la ligure cuse ainsi, c'est sans doute pour le motif «jue
des deux peuples, et la révélation de la vie je vais vous dire. En etl'et, Juda croyait (juc
judaïque et de la vie spirituelle. Mais voyons Tbamar avait causé la mort a Er et à Onan,
comment Juda, quelque temps après son dé- et dans cette crainte, il ne la donna pas à
part, et au moment où la vérité fut connue, Sélom, quoiqu'il le lui eut promis; par là il

comment, dis-je, il se condamne lui-même et devait connaître iju'elle n'était pas la cause de
absout Thaniar de toule accusation. Lorsqu'elle leur mort, mais quil> avaient reçu le chàti-
eut exécuté son dessein, elle changea de nou- îiieutde leur perversité (car c't'.Ni Ditu, dit
veau de vêtements, dit 1 Ecriture, s'en alla et l'Ecriture, qui a fait périr le premier, cl, en

revint dans sa maison. Juda, qui u'éliiit nulle- parlant du second, elle ajoute : c'est Dieu qui
ment au courant de ces faits, accomplit sa pro- lui a donné la mort) ; aussi Judas s'unit-il à
messe et envoya
chevreau pour reprendre
le , son insu à sa belle-tille, et, par ce fait, il ap-
les gages qu'il avait donnés: mais l'esclave ne prend que ce n'est pas elle, mais leurs propres
trouva cette fenune nulle part, et il revint, an- vices qui leur ont méiité ce châliuient; alors
non(,'ant à Juda qu'il n'avait pu la rencontrer il reconnut sa faute, déclara que Thamar était
dans aucun endroit. A cette nouvelle, Juda innocente, et // ne continua plus, dit l'Ecriture,
HOMLLIES SUR LA GENÈSE. - SOIXANTE-DEUXIÈME HOMÉLIE. 405

à la connaître. Il prouvait ainsi qu'il n'aurait consolation leur était nécessaire, la loi leur lut
j uDais eu commerce avic ell«', s'il l'avait re- donnée, comme une esquisse de l'avenir; l;i

connue. Après nous avc ir rociiilc, en déli.i!, loi, qui sans effacer les péchés, les signalait du
la ruse à laquelle Tliamar i ut lecours, la moins les leur rendait manifestes, de telle
,

I
sainte Ecriture nous apitrtiul «'usuite quels sorteque pareils aux petits enfants à la ma-
,

sont les enfants ((u'clio mil au momie. Lois- nitlle, ils pussent arriver sans encondjrc à ia
qiCelle fut sur le /jo/'/J d'accouchet\ dit l'Ecri- fleur de Tàge. Ce bienfait fut perdu; en dépit
ture, il se trouva qu'elle arait deux junu'aux de la lui (jui leur révélait l'énoriintédu péché,
dans son sein. Et lors<ju'tUe enfanta, l'un ils reeoniuiençaienl à s'y plonger de nouveau;
présenta la main; la sage- femme la ptit et y alors le Maître commun descendit ici-bas pour
attacha un fd d'écarlate. en di'<ant : celui-ci est octroyer aux hommes cette spirituelle et par-
sorti le premier. Uemaitjucz ici, je vous prie, dont Zara avait été la figure.
fuite constitution,
comme les événements futurs nous sont ensei- Voilà pourquoi l'Evangéliste lui-même fait
gnés et révélés sous le vnile tlu mystère. Car, mention de Thamar et de ses enfants en di- ,

après que la sage-femme eût altaclié un fil sant : Et Juda eut Phares et Zara de Thamar.
d'écarlate à la main du prcmier-né, pour qu'on 3. Gardons-nous donc de parcourir étourdi-
pût le reconnaître, alori- d retira sa ?nain, et ment le texte des sainlt s Ecritures, gardons-
son frère sortit. Il céda le pas à son frère, et nous d'en lire les paroles avec une attention
celui qu'on regardait comme le st cond, naquit superficieile : allons au fond, découvrons les ri-

lepremier; le premierau contraire ne vint au chesses qu'elles recèlent, et nous glorifierons


monde que le dernier. Alors la sage- femme notre Maître, qui arrange toutes choses avec
dit : Pourquoi la haie a-t-elle été séparée une si grande sagesse. En effet , faute de
à cause de toi? Et rappela Phares. Ce
elle rechercher le but et le motif de chaque chose,
nom signifie séparation, et, pour ainsi dire, non -seulement nous accuserons Thamar,
partage. £"??«' ite son frère qui avait le
sortit comme ayant eu commerce avec son beau-
fil d'écarlate sur la main droite., et elle l'appela père mais nous accuserons Abraham lui-
,

Zara, ce qui signifie Orient. môme, comme ayant eu l'intention de tuer son
Et que ces choses n'an ivèrcnl point par ha- fils et Phinées comme coupable d'un double
,

sard, qu'elles étaient une image des événe- homicide. Au contraire si nous considérons ,

ments futurs, c'est ce que prouvent les fûts avec attention la raison de chaque fait, nous
eux-mêmes. Ce qui se passa n'est point, en serons conduits à justifier ces personnages, et
effet, dans l'ordre de la nature. Comment expli- en même temps, nous retirerons de là une
quer que , la main une fois liée avtc le fil de grande utilité. Mais quant à ce qui regarde
pourpre, l'enfant se soit écarté pour livrer pas- cette histoire, nous l'avons analysée, comme

snge à son frère, sans l'intervention de la puis- il nous a été possible devant vos charités.

sance divine qui opéra ce miracle, et montra


,
Maintenant, si vous n'êtes pas fatigués, et
dans une sorte d'esquisse Zara ou l'Orient (c'est- que vous y soyez disposés, nous passerons à ce
à-dire l'Eglise) apparaissant d'abord, puis se qui suit, et nous reviendrons au récit qui con-
retirant après s'être montré un instant, pour cerne l'admirable Joseph afin que notre en- ,

laisser l'observation de la Loi personnifiée en tretien d'aujourd'hui contribue à vous faire

Phares se manifester à son tour et dominer comprendre tout ce qu'endura ce noble athlète
longtemps puis le retour de celui qui s'était
;
à la suite des songes qui lui promettaient la
écarté d'abord, je veux dire de Zara, refoulant royauté et la suprématie sur ses frères, et com-
de nouveau devant l'Eglise toute la constitu- ment il subit épreuve sur épreuve, tentation
tion judaïque. Mais peut-être est-il nécessaire sur tentation; comment néanmoins, malgré
de revenir sur ce sujet en termes plus clrirs et les efforts réitérés de la tempête , le pilote ne
plus précis. —
D'abord parurent, semblables à se laissa point submerger; comment, quand
Zara avançant la main, Noé et Abraham, ou l'orage redoublait de violence , il restait au
plutôt avant Noé Abel et Enoch, lesquels furent gouvernail , et continuait à diriger son
les premiers qui se préoccupèrent spécialement navire mais il faut entendre le texte lui-
;

de plaire à Dieu. — Ensuite lorsque leur multi- même, afin que rien ne nous échappe Joseph :

accumulé sur leur race de nom-


plication eut fut mené en Erjypte, et le chef de la mals'm de
breux fardeaux de péchés, comme une petite Pharaon l'acheta des mains des JsmacUtcs.

h
406 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

(Gen. xxxix, 1.) Ensuite, après que ses frères l'assistance divine il déploya encore les qualités
Tcurcrt vendu à des barbares à c^es horames , qui lui étaient \):opres. Il lui étiit agréaUe,d[i
inhumains, que ceux-ci l'-^nrent cède, à leur le texte : cela signifie qu'il gérait tout en bon
tour, au chef de la maison de Ph:.raon, après sci viteur. Ensuite le bon Dieu qui voulait ac-
qu'il eut passé ainsi par les mains de plusieurs croître sa sécurité ne le tire point d'esclavage,
maîtres, lui, élevé dans les bras de son père ; ne le met point en liberté. En eflet c'est sa — ,

afin que nous ne trouvions pas étrange qii'il coutume, de ne pas mettre hors de danger les
ait pu supporter cette dure servitude, lui, hommes vertueux de ne pas les délivrer des
,

jeune, inaccoutumé à un si rude genre de vie, tentations, mais de les assister dans les tenta-

et nourri dans la maison d'un père qui le ché- tions mêmes avec tant d'efficacité, que ces ten-

rissait, l'Ecriture poursuit en disant : Et le Sei- tations deviennent pour eux un sujet de triom-

gneur était avec Joseph, et tout lui réussissait. phe. De là ce mot du bienheureux David Dans :

Qu'est-ce à dire , le Seigneur était avec Jo- la détresse vous m'avez mis au large. Ps. (

seph? Cela signifie que la grâce d'en-haut était IV, 2.) Vous n'avez pas chassé la détresse loin

avec lui et lui aplanissait toutes les difficultés. de moi, veut-il dire, vous ne m'en avez pas dé-
C'est elle qui présidait à tous les événements livré, pour me nîeitre en repos, mais, chose

de sa vie; elle qui lui conciliait la bienveil- admirable et miraculeuse, au milieu dts tribu-
lance de ces cruels marchands, qui les poussait lations vous m'avez procuré la sécurité. Telle
,

à le vendre au chef de la maison royale , afin est encoreici la conduite de ce bon Maître.

que pas à pas et par degrés, il pût, à travers // béîîit lamaison de V Egyptien à caute de Jo-
toutes ces tentations, se frayer un chemin jus- seph. (5.) Et le barbare comprit dès lors que ce

qu'au trône. Mais toi, mon très-cher frère, en serviteur était de ceux que Dieu revendique.
apprenant qu'il fut l'esclave des marchands, Et il remit tout ce qui était à lui entre les
puis l'esclave du chef de la maison royale, de- mains de Joseph, et il ne savait autre cho>€,
mande-toi comment il ne se troublait point, sinon le pain qu'il mangeait. (0.) Il eu fait donc
ne se tourmentait pas l'esprit, ne tombait point pour ainsi dire le maître de toute sa maison.
dans l'incertitude, ne disait pas Où sont main- : Et cet esclave ce captif avait entre les mains
,

tenant les songes qui m'abusaient en me pro- tous les biens de son maître. Tel est l'ascendant
mettant une pareille gloire? de la vertu; partout où elle brille, elle triom-
Après de si beaux songes, voici la servitude, phe, et rien ne lui résiste. Comme la lumière
une dure servitude Je change de maître, je : en paraissant met en fuite les ténèbres, ainsi
passe de l'un à l'autre, de celui-ci à un troi- l'éclat de la vertu, des quil vient à reluire, met
sième ; il me faut vivre parmi des gens inhu- tous les vices en déroute.
mains. Suis-je donc abandonné ? suis-je né- 4. Mais le diable, cette méchante bête, en
gligé par la grâce d'en-haut ? 11 ne dit, ne pensa voyant la gloire du nouveau que
juste etl'eclal
rien ne pareil , il endura tout sans plainte et lui valaient ses apparentes tribulations, le dia-
sans murmure. Car le Seigneur était avec Jo- ble grince des dents, entre en fureur, et ne pou-
seph, et tout lui réussissait. Qu'est-ce à dire : vant se résigner à voir ce juste grandir de jour
Tout lui réussissait ? Oui, la grâce d'en-haut lui en jour, creuse devant lui un profond abîme,
facilitait , lui aplanissait toutes choses, et cette un préeiuice où l'attendait, pensait-il, une
grâce qui le couronnait était si manifeste que mort alTreuse; il amasse une tempête ca|>able
Bon maître lui-même, le chef de la maison s'en de lui causer le plus êfiduvaiitable naufrage :

aperçut Car son ?nai(rc savait que le Sei-


: mais il se convaiiiquit bienlùl qu'il ne faisait
gneur était avec lui et qu'il le favorisait et, que regimber contre l'aiguillon et travailler
le bénissait dans toutes ses actions. contre lui-même. Jose[ih était beau et char-
Et Joseph trouva grâce devant son maître mant de visage. Pourquoi nous parler de cette
qui l'établit sur toute sa maison, et retnit entre beauté? C'est pour nous faire comprendre que
ses mains tout ce qui lui appartenait. Voyez- la beauté n'était pas seulement dans son âme,
vous ce que c'est (jue d'être soutenu par le bras qu'elle était en outre ré|)andue sur son corps.
d'en-haut? Voilà un jeune homme, un étran- Il était jeune, dans la Heur de l'âge, be.iu,

ger, un esclave, et son maître lui confie toute charmant de visage. La divine Ecriture prend
sa maison Et il remit tout c?itrc ses mains.
: soin de nous en avertir à l'avance pour nous
Pourquoi cela? Parce qu'indépendamment de expliquer comment l'Egyplicnne, épri;:e de la
HOMÉ[JES Srn T.A GENÈSE. — SORANTE-DEUXIÈME HOMÉLIE. 407

beauté de ce jeune liomnie, put le provoquer échapper à la vue de tout le monde, nous ne
à un commerce illicite. Et il adi im npr-s cela. saurions échapper à l'œil toujours ouvert.
(7.) Après cela c'est-à-dire lors(jue le gou- , C'est ctlui-là seul qu'il faut craindre et
redou-
vernemenl de la maison entière lui eut été ter, c'est devant trembler de com-
lui ([u'il faut

confié, loisque son nuiîire jugé digui)


l'eut mettre la pré\ariealion. Et pour nous faire
d'une fonction si honorable, que lenmie de la comprendre la haute vertu de ce juste, pour
son maître jeta les yeux sur Jose|)Ii. Voyez-vous nous montrer que ce n'est pas une fois ni
l'eiri onterie de celte l'eunne dissolue ? Elle ne deux, mais souvent qu'il résista à pareil as-
rétléchit point (ju'elle avait rang de maîtresse, saut, qu'il entendit ce langage sans en être
que Joseph un serviteur
était séduite par sa : ébranlé, qu'il renouvela ses conseils, l'Ecriture
beauté, tinbrasée des flammes de Satan, elle ajoutii : Et conwie
elle recommenqait plusieurs
songe dès lors à se jeter dans les bras de ce jours de suite, que Joseph ne lui cédait pas
et
jeune homme: et nourrissant dans son esprit (Ibid. 10) elle épie un moment où l'on était
:

cette pensée perverse, cherche l'occasion,


elle occupé dans la maison, se jette sur lui comme
la solitude favorable à l'exécution de sa crimi- une bête féroce (|ui aiguise ses dents, l'attire
nelle entreprise. Mais Itù^ dit l'Ecriture, il ne vers elle et le retient par ses vêtements. Ne
voulait pas : il ne se laissait pas séduire, il n'a- passons point légèrement là-dessus : représen-
gréait pas ces propositions. Car il savait que tons-nous l'épreuve que notre juste eut à sou-
c'eût été se perdre; et non content de songer tenir. Il n'y a pas tant lieu de s'étonner, à mon
à lui-même, il s'efforçait encore, selon ses avis, de ce qu'au milieu de la fournaise deBa-
moyens, de guérir cette femme de sa folie, de bylone les trois jeunes gens ne souffrirent au-
sa détestable passion. Il lui donne un conseil cun mal et restèrent insensibles au feu, qu'il
capable de la faire rentrer en elle-même, et est atlmirable el merveilleux de voir cet incom-
revenir à de plus sages pensées. Jl dit à la parable adolescent, quand cette femme crimi-
femme de son maître (c'est l'esclave qui con- nelle et dissolue l'a saisi par ses vêtements,
seille sa maîtresse) Vous voyez que mon maî-
: s'enfuir au lieu de lui céder, et lui laisser ses
treà cause de moi, ne sa>t rien de ce qui se passe vêtements entre les mains. Ainsi que les trois
dans sa maison et quil a remis entre mes
, enfants triomphèrent du feu par une faveur
mains tout ce qui est à lui. (8.) recennais- d'en-haut, récompense de leur vertu ainsi :

sance ! Considérez comment il énumère les Joseph, quand il eut fait ce qui était en lui,
bienfaits de son maître, afin de faire sentir à quand il eut déployé l'indomptable courage de
cette femme combien elle est ingrate envers son sa chasteté, reçut lui-même du secours d'en-
époux. Vous voyez, sembîe-t-il dire, que moi, haut : le bras de Dieu l'aida à triompher dans
qui ne suis qu'un serviteur, un étranger, un un si rude conjbat, à s'échapper des filets de
captif, j'ai trouvé assez de crédit auprès de lui cette impudique. Et Ton pouvait voir alors cet
pour qu'il remit tout entre mes ma ns, [.our homme admirable, dépouillé de ses vêtements,
que tout dépende de moj, excepté vous-même : mais couvert du manteau de la modestie, s'é-

tous reconnaissent en mui leur supérieur, vous chapper, s'enfuir sain et sauf de cet autre bû-
seule êtes au-dessus de moi, et hors de mon cher, de cette autre fournaise, non-seulement
pouvoir. Ensuite, afin de la frap|)er à l'endroit intact, mais encore plus riche d'honneur et de

sensible, de lui remettre en mémoire la ten- gloire.


dresse de son mari, de lemiiècher de se mon- 5. Et pourtant, après une pareille victoire,
trer ingiale envers son époux, il lui dit •
Et un semblable exploit voyez comment cet
,

voici [)Ourquoi vous êtes hors de mon pouvoir ;


homme cju'il aurait fallu couronner, dont on
C'est que vous êtes sa femme. Or, si vous êtes aurait dû proclamer le nom , comment cet

sa femme, comynent povrruis-je coymnct're un hi.mme, dis-je, est de nouveau en bulte à


si grandcrimc, et pécher contre Dieu? (Il»id. 9.) d'innombrables maux, ni plus ni moins qu'un
Elle cherchait la solitude, elle épiait le moment, coupable. En effet, l'Egypt'enne désespérée de
afind'échapper aux regards de son mari et de la honte et de l'humiliation où elle s'était
tous les serviteurs de la maison. Mais Jo- ploni;eeelle-même par sa tentative insensée,
seph Comment pourrais-je commettre im si
:
assemble d'aboi d les gens de la maison, et,
grand crime et pécher contre Dieu ? Quelle est devant eux, accuse le jeune homme, en lui
imi)Utant calomnieusement ses propres dis-
ta ])unsée ? Quand bi<;n même nous pourrions
'408 TRADUCTION FUANÇAÎSE DE SAINT JE.\N CHRYSOSTOME.

cours. — C'est chose familière au vice, que '— Joseph avait lutté vaillamment : il fut ma-
d'essayer de noircir la vertu , son éternelle gnifiqueuient récompensé. — Après un si noble
rivale , en lui prêtant ses propres misères : exploit, il est conduit en prison; il subit tout

ainsi fit-elle, en accusant Joseph de lib^^rti- en silence. Vous n'ignorez pas que les inno-
nage, tandis qu'elle se couvrait dle-môme du cents qui se voient condamner comme s'ils

masque de la cliaï^tete , expliquant de cette étaient coupables, se donnent libre carrière


manière comment il avait ab.mdonné ses vê- pour se révolter, s'insurger contre ceux qui

tenn nts, comment elle-même les avait gardés les ont frappés d'un injuste arrêt. Rien de pa-
cn!rv ses mains. Et le Ditu de bonté tolérait, reil chez Joseph : il reste muet, il endure tout
endurait tout cela, voulant ne rien négliger sans se plaindre, il attend la grâce divine dans
pour assurer ])lus de gloire à son serviteur. une résignation paifaile. Et voici qu'au fond

En effet, son mari venu, elle répète toutes ces de sa prison il reçoit de nouveau plein pou-
calomnies perfides, elle accuse Joseph en di- voir de son geôlier. Faut-il s'en étonner? Le
sant Le jeune hébreu que tu as introduit
: Seigneur était avec Joseph, et répandait sur
chez nous, est venu vers moi^ afin de m'insul- lui sa miséricorde. (Ibid. 21.) Qu'est-ce à dire ,

ter. (Ibid. 17.) Malheureuse, misérable femme ! Répandait sur lui sa miséricorde ? C'est-à-dire
Ce n'est pas lui qui a introduit Joseph pour qu'il inclina vers la pitié l'âme du gouver-
qu'il t'insultât, c'est le diable qui t'a induite neur, et le disposa à témoigner une grande
toi même, non-seulement à l'adultère, mais bienveillance à Joseph. Il lui fit trouver grâce
eni'oie, autant qu'il a dépendu de toi, à l'ho- devant le gouverneur. En v^îrité, rien de plus
micide. Et la-dessus elle niontrait, à l'appui heureux que l'homme protégé d'en-haul. Le
de ses paroles, les vêtements du jeune homme. gouverneur remit la prison entre les mains de
Considérez ici, je vous prie, la bonté du Joseph. Voyez comme ce gardien lui cède la
Maîtrecommun de tous les hommes. 11 l'avait place, lui donne un pouvoir absolu, remet en
arraché à ses frères qui voulaient le faire sa discrétion tous les prisonniers. Et le gou-
mourir il avait pourvu à ce que d'abord
: verneur ne savait ?ie?i de ce qui se passait :
selon le conseil de Ruben , Joseph fût des- car tout était dans les mains de Joseph parce ,

cendu dans la citerne, puis, selon le conseil que le Seigneur était avec lui et que le Sei-
de Juda, vendu aux marchands, afin que l'ac- gneur bénissait tout ce qui passait par ses
complissement des songes fît voir au juste la mains. (Ibid. 23.) Remarquez à quel point la
vérité de ce qui lui avait été annoncé et : grâce d'en-haut lui était tidèle, comment elle
maintenant c'est encore le bras d'cn-haut qui abondait dans toutes ses actions.
retient ce barbare, qui l'empêche de consom- ElTorçons-nous donc, nous aussi, d'avoir tou-
mer le meurtre sur-le-champ. Qu'est-ce qui jours le Seigneur avec nous, et tâchons qu'il
pouvait r.irrêtcr, en effet, une fois averti de bénisse toutes no? actions. Celui qui a été jugé
la tentative d'adultère? Mais Dieu, qui peut digne d'une pareille assistance, jusqu'au mi-
tout, le disposa à montrer tant de clémence, lieu des calamités, bravera toutesJes épreuves,
afin que, jeté en prison, et donnant là de nou- les comptera pour rien, parce c|ue le Maître
velles preuves de sa vertu, Joseph s'élMàt de de l'univers, le créateur, l'ordonnateur de
cette manière au premier rang du royaume. toutes choses, lèvera devant lui tous les obsta-
Son maH7'e se mit en colère (Ibid. 19), et fit cles et lui ai)lanira toutes les difficultés. Mais
jctfr Joseph dans la priso7i où l'on gardait les comment taire pour avoir Seigneur avec
le
Tirisoimiei's du roi. (Ibid. 20.) S'il n'avait pas nous, et pour (juil bénisse toutes nos entre-
foi au rapport, il ne fallait pas mettre Jost'j)h prises ? Il faut être circonspects, vigilants,
en prison si, au contraire il ajoutait toi aux
: , imite: la chasteté de ce jeune au- homme, ses
])arolos de l'Egyjilienne, dans ce cas encore, tres ^erlus. la générosité de son àiiie, songer
Joseph ne méritait pas la prison, il méritait (jiie c'est jîeulement en nous conformant exac-

le dernier supplice, la décapitation. Mais, dès tement à ce modèle que nous échapperons à la
que le brasd'en-haut nianif(^stc sa providence, sévérité des jugements divins, être bien con-
tout devient aisé et facile, et les plus farouches vaincus (jne nul ne sann.it échapper à l'œil
s'adducissent. Or, c'est (juand nous avons tait toujours ouvert, et que le pcchc' r ne peut
preuve nous-mêmes d'une grande vertu (jue manquer d'être puni, tardons-nous decraindre
la grâce d'en-haul nous est surtout prodiguée. les hommes plus (lue la colèiHi divine, et rap-
HOMÉLIES SUR LA t.E.NÈSE. — SUIXAMK-TUOISIEME HÙMELfE. 409

pelons- nous sans cesse ces paroles de Jose[)li : sauraient elles-mêmes lui échapper; par là,
Comment pou/rai -je coinmettre un pareil nous nous déroberons infailliblement aux ar-
crime el pécher devant Dieu ? Dès (lu'iine mau- tilices du diable, et nt)us trouverons là-haut
vaise pensée jellera le trouble dans notre ànie, un puissant secours puisse -t- il nous être
:

méditons sur ce mot, et aussitôt s'enluira tout donné à tous, par la grâce et la bonté de Notre-
désir coupable. Soit que nous éprouvions un Seigneur Jésus-Christ, avec qui gloire, puis-
apfiétil sensuel, ou une convoitise d'ar^^ent, ou sance, honneur, au Père et au Snint-E«prit,
toute autre passion déréglée, ne manquons pas maintenante! toujours, et dans les siècles des
de nous représenter aussitôt que c'est Uieu qui siècles ! Ainsi soit-il.
nouë juge, et que nos plus secrètes pensées ne

SOIXANTE-TROISIÈME HOMÉLIE.

« Et la gouverneur de 3a prison ne savait rien de ce qui 3= passait, grâce à Joseph. > (Gen. XXXIX, 2".)

ANALYSE.

\. Jnseph encore en faveur; sa bonté. Interprétation du grand-échanson.


2. Mndération de Josepli. Songe du tinind paiietier. Le grandtcliansou oublie Joseph.
3, SoDçre de Pharaon. 11 mande JosCpli : comincnl éclate la sagesse de celui-ci.
h. Elévation de Joseph, son mérite au-dessus de son âge.
5. EihorlalioD à la patience.

1. Nous voulons nous acquitter aujourd'hui sentait point ses peines, comment la sagesse
envers votre charité de ce qtie nous laisse à toute- puissante de Dieu transformait tout ce
dire notre conférence d'hier, et revenir encore qui aurait pu l'affliger. De même que la perle,

sur l'histoire de Joseph. Vous savez qu'hier plongée au fond d'un fumier, conserve toute sa
nous avons été arrêté en chemin par la fatigue beauté, de même la vertu, m
(ineUpie endroit
d'un long discours, et que nous en sommes qu'on la relègue, brille d'un écl.it qui lui est
resté au moment où le chef de la maison du propre, fût-ce dans l'esclavage, fût-ce en pii-
roi, abusé par la calomnie de l'Egyptienne, met son, dans les afflictions comme au sein du re-
Joseph en prison. Il nous faut donc aujour- pos. Après que Joseph mis en prison se fut
d'hui faire conn .îtrc à votre charité ce qui ar- concilié la bienveillance du gouverneur, et

riva au juste dans sa prison. Jeté au fond d'tm qu'il eut reçu de lui une autorité absolue siu' la
cachot, remis aux mains d'un geôlier, la fa- prisfin tout eiitière, voyons cr^mment il mani-
veur divine ne l'abandonna point dans son in- festa la grâce <|ui l'assistait. Il advint après
fortune, et alla jusqu'à persuader a ce geôlier cela. (chap. xl.) Après quoi ? Après les événe-
de lui donner une autorité absolue sur la ments qui avai(!nt suivi la dénonciation, après
prison. Et le g mverneur de la prison ?ie savait la condamnation qui avait fait emprisonner
rien de ce qui se passait, ijvàce à.Joseph. Voyez- Joseph ce n'e>t pas tout après que le Seigneur
; :

vous^ comment au fort des tribulations, il ne eut montré qu'il était avec lui, après que le
MO TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

gouverneur lui eut '-émis entre les mains la prétation de ton songe. Les trois provins de
direction suprême te la prison. 7/ arriva donc la vigne mai quent trois jours , après lesquels
après cela (après qt-M eut été jeté en prison), Pfu/raon fe souviendra du service que tu lui
çue le grand échatiso/i et le grand panetier, rendais. Il te rétablira dans ta première charge,
ayant commis iiae fvvtj^ furent condamnés par et tu luiprésenteras à bi ire, selon que tu avals
le roi à la prison et le gouverneur de la
: accoutumé de le faire auparavant dans le rang
prison les ayant reçus, les mil en rapport avec que tu tenais. Mais souviejis-toi de moi, quand
Joseph. (1-4.) En effet, Joseph n'était plus pour ce bonheur te sera arrivé prends-moi en pitié, ,

lui un prisonnier, mais un confident, bien parle de moi à Pharaon et tire-moi de ce ca- ,

plus, un homme capable d'alléger les souf- chot. Parce que j'ai é'é enlevé par fraude du

frances des nmilieuieux caj.tifs. Et Joseph les pays des Hébreux, et que je n'ai rien fait pour
assista. Qu'est-ce à dire, les assista ? Cela veut être précipité dans ce souterrain. (Ibid. 9, 12,

dire qu'il les consolait, qu'il fortifiait leur 13, 14, 15.) Après lui avoir prédit les heureux

âme, leur renflait le courage, ne les laissait pas événements qui devaient lui arriver, et sa ren-
se consumer dans le chagrin. Ils furent beau- trée en grâce auprès du roi, il ajoute: Sou-
coup de jours en p7ison, et ils eurent tous viens-toi de moi lorsqm , lu auras recouvré ta

deux un songe dans la même ?iuit, le grand prospérité ;


piaide la cau.-o de celui qui t'a fa.l

échanson coynme le grand panetier. Mais cet cette prédiction , et tu ire prouveras ainsi la

admirable Joseph, dans sa sollicitude à les con- compassion.


soler, les voyant inquiets et troublés à cause 2. Ne vas pas sur ces pn rôles, mon cher audi-
des songes qui leur étaient apparus, leur dit : teur, accuser ce juste d^^ pusillanimité: bieu
Pourguoi vos visages sont-ils sombres aujour au contraire, il faut t'élo ner du courage, de
d'hui ? la résignation avec laqut 'le il supportait une
En effet leur physionomie trahissait leur agi- captivité si pénible. En elfet, quelque autorité
tation intérieure : d'où cette parole d'un sage : que lui eût conférée le g(juverneur, il ne
Quand le cœur est en joie, le visage est en fleur; souffrait pasmoins d'être enfermé, et de vivre
quand le cœur est en peine , le visage est som- parmi des honmies sales et déguenillés. Cela
bre. (Prov, XV, 13). Donc, les voyant fort tristes même est une nouvelle marque de sa philoso-
à la suite de ces visions, il les interrogeait, afin phie, qu'il ail tout enduré avec courage, ne
de savoir la cause de leur affliction. Remarquez cessant de mon'rer une profonde humilité.
comment, même en |»rison, il déployait ses Prends-moi en pitié pari' de moi à Pharaon, ,

vertus, et s'efforçait d'alléger les peines d'au- et tire-ynoi de ce cachot, \euille7. observer com
trui. Mais eux,que répondent-ils? Nous avons ment il ne dit i)as un mot de celte abominable
eu un songe, et nous n'avons personne pour femme, comment il s'abstient d'accuser son
nous l'expliquer (Ib. 8.) Ilsignoiaient la sagesse
. maître , de dénoncer la cruauté de ses frères à
de celui qui leur pariait: ils le cousidéraient son égard , il jette un voile sur tout cela et se
comme un homme ordinaire: voilà pourquoi, borne à dire: Souviens-toi de moi, et fais-moi
au lieu de raconter ce qu'ils ont vu, ils se bor- tirer de ce cachot: Parce que j'ai été enlevé par

nent à dire qu'ils ont eu un stmge, en ajou- fraude du pays des Hébreux et que je n'ai rien
tant Nous n'avons |iersonne pour nous l'ex-
: fait pour être précipité dans ce souterrain.
pliquer. Mais cet homme admirable leur dit: Gardons-nous de passer légèrement là-<1ç?sus :

A"est-ce pasà Dieu qu'il appartient de donner considérons âme; admirons


la sagesse de cette
l'interprétation des songes ? Raconlcz-moi donc comment Joseph trouvant une pareille occa- ,

ce que vous avez vu. Est-ce (|ue j'ollre de vous sion, et si.chant que le grand-échanson, une
rexj)li(iuer par mes propres lumières? C'est fois revenu aux jours de s;i prospérité jiourrait
Dieu (jui est l'interprète. Ricontcz-jnoi ce — révéler au roi toute son hi>toire, éviter d'accu-
que vous avez vu. (lonsiilérez cette prudence, ser l'Egyptienne, }o le répète, de faire interve-
cette humilité profonde. Il ne dit pas Je vais : nir dans son récit ni son maître, ni sts frères :

vous l'expliquer, je >ais vous dire ce (juc ces il ne (lit pas pour quel mot f il a été condamné
songes vous annoncent. 11 dit: Uacontez-les- à la piison . il ne s'att. che pns à montrer Tin-
inoi. Dieu est le seul uiterprèteen pareille nia- justice qui lui a été faite; il s'applique aune
licre. Et grand- écluuison lui rapporta ce
le seule chose , non point à fa're leur [locès à
qu'il avait vu. Et Joseph lui dit: Voilà r inter- ces persouucs , mais à plaider sa propre cause.
HOMLLIES SUR LA GENÈSE. — SOIXANTE-TROrSIEME HOMÉLIE. 411

irabord en ce qui concerne ses frères, il emploie soit le mal quepourraientannoncervos senties.
celle ex|>rr?sion vague: J\il élé oi/eix' de la Ce n'est point ma pensée (]ue j'exprime : je ne
terre dis Ih'breux. Il ne nienlionne |» is tlavùn- fais que vous manife>ter et; cpic m'a fait con-
la;,'e la conduite de l'inipudiiiue Ejjypiieniie, naître la grâctî d'eu-hauf. Mais au jour fixé, les

non plus (|ne l'injuste colère de son niailre paroles de Joseph furent réalisées, et tous deux
contre lui ; il se borne à dire : Je n\d rien fait eurtnt le sort (pi'il leur a\ait annoncé: l'un
pour rtre précipité dans ce souterrain. Que cela retrouva sa félit ité première, l'autre fut livré
nous apprenne, an cas où il nous arriverait au supplice. Mais le (jrand-échanson (celui qui
d't'lre persécutés par de pareils scélérats , à ne avait été si bi<'n consolé par notre juste) ne se sou-
pas Ils pour.suivrcde nos injures, a n<' |>as nous vint pas de Joseph, et V oublia. (Ib. 23.) — Voyez
lépandre contie eux en ainères accu allons, à ce juste rejeié, pour ainsi dire, dans l'arène;
neus conli nier enfin d'établir doutenienl et voyez-le déployer encore son courage accoutu-
tran(|uillcinenl noire innocence, à Texeniple mé, sans éjirouver aucune défaillance aucun ,

de ce ^^rand liotnnie, (jui même dans rinfor- , trouble, aucune impatience. Un antre, un
inne, ne voulut pas divulguer dans une simple homme ordinaire, se serait dit sans doute : Eh
conversation rinipudicité de lEgyplieune. qu( i I Le grand-é' linnson confoimément à
,

Combien ne vc/il-un pas d»' gens, ([ui même en l'interprétation (jue j'ai donnée de son rcve, re-
bulle à de justes griefs, enlre|)r<'nnent, dans couvre si prompte meut sa félicité jjh inière, et
leurexlième ellronterie, de prêter aux autres il ne garde pas souvenir de moi, de ma prédic-

leurs propres niélaiis! et Joseph, (jui était plus tion Et tandis qu'il est déhvré de tous ses
1

pur (jue la lumière du soleil, JcsHph, dont maux, nioi (pii sui innocent, je reste enfermé
-

toutes Its accusaiions auraient été de> vérités, ici avec des assassins, des voleius sacrilèges,
Joseph, qui en dénonçant la fureur de l'impu- des brigands, des hommes chargés de crimes.
di({ue, n'aurait fait qu'i.jouter à sa propre 11 ne ne peiiea liende pareil il savait que,
dit, :

gloiri', Joseph, sur tous ces points, garde le silacariiète des épreuves s'allongeait devant
silence. En elfet, ce n'est pas la gloire humaine lui, c'était pour (pie, après l'aNoir fournie com-

qu'il recherchait: il se contentait du la faveur plètement, il ceignît son front d'une éclatante
d'cn-liaut : il voulait seulement ([ue l'œil tou- couronne.
jours ouvert ne trouvât rien de blâmable dans 3. Voyez en effet après la réintégration du
:

sa ondiiite. Voilà pourquoi, en de|)it de son grand échansou deux années s'écoulent. Il
silence, de pour tenir tout caché, le
ses elforts fallait attendre le moment favorable, pour que
bon Dieu le si giande gloire,
couvrit d'une la délivranC'- de Joseph fût glorieuse. Si le

après qu'il eut vu sa vaillance dans le combat. grand échanson se fût souvenu de Joreftli,
Maintenaut observons dans ce qui suivit la ré- avant les songes de Pharaon, s'il lui avait alors
sign ilion de ce juste comment les retards ne
; procuré son assistance pour le faire sortir de
purent l'aigrir ni le décourager; comment, prison, la vertu du captif n'aurait lias éclulé
dans sa patience à tout supporter il ne , aux yeux de la multitude. Mais le Dieu sage et
cessait pas de bénir le Seigneur qui permet- tout-puissant, qui sait, comme un artiste ha-
tait toutes ces choses. Lorsque le grand- — bile, combiei de temps il faut laisser l'or au
panctier eut entendu l'explication donnée i)ar feu t à quel moment il convient de le retirer^
(

Joitph, pensant (juc sa vision, à lui, annony.iit Dieu, dis-je, pjrmit que le grand échanson ne
pareillement quelque chose d'heureux, il en recouvrât pas la mémoire avant les songes de
fait a son tour le récit. Mais Joseph, après Pharaon, en sorte «jUC notre juste ne dut qu'à
i avoir écoulé , instruit également par la révé- la nécessité la gloire dont il jouit bientôt dans
lation d'en-haut du sens de cette nouvelle vi- toutli; royaume d'Egypte. Après deux ans,
sion, lui prédit la mort (|ui raltcnd, en ces Pharaon vut un songe, (xli, 1 .) Le ?natin arriva,
termes : Encore trois jours, et Pharaon te cou- son dme fut trovblée ; et il envoya chercher tous
pt-ra la tête, et t'attachera à une croix ; et les les interprètes, tous les savants df l'Egypte :

oiseaux du ciel décoreront ta chair. \\h.^l\S.)\(i\\i\ il leur raconta le songe qu'il avait eu : mais
pourquoi je vous
prévenus tout d'abord que
ai aucu'i ne put le lui expliquer. (8.) Remarquez

les prédictions ne venaient pas de moi, mais l'attenliNe providence de Dieu. Il i)ermet que
d'une révélation divine: c'était alin que vous le roi éprouvt d'abord l'iiabilelé cie tous les

n'tu:<siez pas l'idée de m'altiibucr soit .e bien hommes rèi>utes sages dans le pays, atin que,
412 TR/X^CTION FRANCHISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

uno fois leur ignora ?e reconnue, le captif, le Dieu, dit-il, et non pas moi, qid rendra au "Pha-
prisonnier, Fcsclave l'hébreu, ii.troduii à son raon une réponse fovorohlt. (16.) Par consé-
tour, expliquât ce q i était un mystère pour quent, bien persuadé qtie l'inttrprète n'est
tout le monde, et \ r là, rendît manifeste à autre que le Maître de l'Uuivers, ne vous adres-
tous les Veux la ysâc d'en-hauiqui le couron- sez point aux hommes en pareil cas: c'est Dieu

nait. — Lorsque tous 'es savant^' appelés furent seul qui peut vous manifester la vérité.
demeurés muets, incicablcs d'ouvrir la bouche, Observez cou ment, pai sa ré[>onse, il révèle
alors le grand échanson, rec^uvrant la mé- au Pharaon, à la fois fim; uissance de ces doc-
moire, informe Pharaon de ce qui lui est arrivé teurs et la puissance du Maîlre maintenant :

à lui-même, et dit je me souviens aujour- : que vous savez que ce n cst point la science
d'hui de ma faute. (9.) Puis il raconta aussitôt, humaine qui dicte nos paroles, ni ma propre
comment le grand panetier et lui-même, jetés pensée qui les inspire, dites-moi les signes
en prison, avaient eu des songes dont Joseph que Dieu vous a envoyés. Alors Pharaon ra-

leur avait donné une interprétation que l'évé- conieses songes, le premier, puis le second, et
nement confirma de tout point. Le roi^ à ces il ajoute : J'cd co7uidté les interprètes, et auciin
mots^ envoya chercher Joseph , le fit sortir de n'a pu m'éclairer. (2i.) xM i? quoi ! ne vous ai-

prison; on le rasa, on lui donna une autre je pas dit qu'il n'appai tient pas à la sagesse hu-
robe, et il fut introdidt devaiit Pharao7î. (t-4.) maine d'expliquer ces ctioscs? Ne vous eu
Observez honneur tout d abord, dès le
(|uel prenez donc point à ces hommes comment :

début, — Quand la résignation ''a parlailemcnl auiai':nt-ils pu comprendre ce (|ui nécessite

purifié, semblable à un or raifiné, il sort du une révclalion d'eu -haut ?/o6>/jA répondit:
cachot, il est amené en présence de Pharaon. Les deux songe'^ du roi se réduient à un. Pour
Voyez-vous ce que c'est que d'avoir pour soi que vous fussiez comaincu cjue le signe envoyé
la faveur céleste? Remarquez mainten ait quelle l)ar Dieu se réalisera, il vous a été donné de voir
sollicitude déployée pour que la destinée de une seconde fois la wcnv. chose : preuve que
Joseph s'accomplît. Quand il fut sorti vain- Dieu pressera V accomplissement. (Ibid. 25.)
queur de sa lutte avec cette abominable Egyp- La répétition, veut-il dire, est une confirma-
tienne, et qu'il se fut échappé desestilrts pour tion, une preuve plus forte que la chose ne
tomber au fond d'un cachot. Dieu pcrmii que saurait maïuiuer d'arriver. Pi.is, après avoir
le grand échanson et le grand panetier de expliqué ce nombre de
sept bœufs et de sept
Pharaon fussent jetés en même temps dans la épis, et avoir une grande abondance
prédit
même prison, et que linlerprétalion de leurs suivie d'une grande disette, il ajoute un con-
songes leur révélât la sagesse de Joseph, afin seil excellent: Etablir en Egypte un in endant

que l'un d'eux, s'en sonvenant à propos, le fît des vivres, qui, en recueillant les fruits des s<_>pt
amener devant le roi. à Joseph:
Or, Pharaon dit années d'abondance, poui ra se mettre en état
J'ai eu des songes, et je ne trouve personne portr d'alléger la disette des sepi années suivantes, et
me les expliquer : mais j'ai entendu dire qu'il de prévenir une famine complète. Ce conseil
suffit de te raconter un sonçje pour que tu l'in- plut à Pharaon et à tous ses ministres. (37.) —
terprètes. (15) Pharaon rniigirail de dire ou- Et (lès lors Pharaon aida à l'accomplissement
vertement Aucun des savants que j'ai auprès
: des songes (ju'avait eus Jose|)h, à l'épocjne où
de moi n'a été capable d'inlt-rpréter mon il vivait chez son père. Ainsi : Joseph expliquait
songe il dit seulement j'ai eu des songes, et
, : les songes de Pharaon ; et Pharaon, sans le sa-

je ne trouve personne pour les expliquer: mais voir, précipitait l'accomplissement d'autres
j'ai entendu dire qu'il suffit de te raconter un songes. Après avoir entendu Joseph, est-il
songe pour que tu l'ihtcrprètcs. Considérez ici écrit. Pharaon dit à ses mitu'stres : Où pour-
encore la prudence et la paifaitc réserve qui se rions-nous trouver un homme comme celui-ci,
montrent dans la réponse de Joseph. N'allez rempli de l'Esprit de Dieu ?
pas croire, dit-il, que je dise rien en mon pro- A. Voyez-vous comment Pharaon reconnut
pre nom, ou que j'interprète rien par science lui-même que l'explication provenait d'une
humaine. Car, faute d'une révélation d'en- révélation d'en -haut? Q li pourrions -nous
haut, il n'y a pas moyen de rien comprendre à trouver, dit-il en elîet, en possession d'nne
ces secrets. Sachez donc, que sans le secours telle grâce , qu'il ait en lui l'Eïîprit de Dieu ?
de Dieu, je ne saurais vous répondre. Ce sera Puis il dit à Joseph : Puisque Dieu t'a décou-
HOMELIES SUR LA f.ENl-.SE. - SOIXANTE-TROISIÈME HOMÉLIE. .1!'{

vert toutes ces cftofics, il n'y a pas dhomme sion à sa perspicacité. Et encliérissmt encire
plus snfjp que toi. (Il)i(l. .'50.) sut' tant il lui donna en m;iriage
d'IiomitMir,
Romar(|Ucz ici lormnent, dès (|ue Dieu qui la de Putifihar. Le texte ajoute prêtre
tille

peut tout veut uieltro a exécution ses desseins, d'IIiéropolis, [larce que ce personnage portait
rien de ce qui arrive à la traverse ne peut être le même nom (pie l'ancien maître de Jost pli
un cnipèclienient. — Voyez pluUM : Joseph est puis pour lions faire savoir à (|uel âge cet
assassiné ou peu , s'en faut, par s» s tréres, il homme admirable fut récomjiensé de la sorte,
est vendu, en butte à une accusation (pii le et se signala par tant d'actions célèbres, il

jette dans un |)éril exlrènic, il reste lonfitj-mps. ajoute encore : Joseph avait trente ans (Ib. 40),

en prison et l'issue de tout cela, c'est (ju'ii


: lorsipi'il parut devant Pharaon. N'allons pas
monte, à peu de chose près, sur le trône royal : croire que ce chiffre soit mis là sans intention :

Puisque Dieu fa découvert toutes ces choses, il est destiné à nous faire comprendre (jne
il îùj a pas d'homme plus sage que toi, ni personne n'est excusable de négliger la vertu,
plus intelligent. (40.) lùi conséquence, ta gou- et que nul n'a droit d'alléguer sa jeunesse,
verneras ma maison, et le peuple obéira à ta dès qu'il s'agit de faire le bien. Joseph, en

parole., mon trône seul m' élèvera au-dessus de efl'et, n'étaitseulement jeune, il était
pas
toi. Ainsi, voilà qu'un prisonnier devi nt su- beau, charmant de visage ces avantages ne :

bitement roi de toute l'Egypte, voilà que celui sont pas nécessairement réunis. Mais Joseph
qui avait été jeté en jirison par le chef de la était beau et charmant, outre qu'il était jeune :

maison royale est élevé par le roi lui-même à et c'est, pour ainsi dire, à la fleur de l'âge,
I '
plus haute dignité : et Ci lui cjui avait été son qu'il tomba dans la servitude et dans la capti-
maître put voir tout à coup l'homme qu'il vité. Car il est écrit qu'il avait dix-sept ans

avait jeté dans un cachot comme séducteur , lorsqu'il fut emmené en Egypte. Il était donc
de sa femme, investidu gouvernement de dans toute la brûlante ardt ur de la jeunesse,
l'Egypte entière. Voyez-vous combien il est im- lorsipTil fut en butte aux .(ttaqiies de cet'e im-
portant de sup[)orler les tentations avec cou- puditpie égvfilienne dont il était le serviteur,
rage. Aussi Paul disait-il : L'ofjliction engen- et néanmoins le courage du juste y résista :

dre la résignatio/i, la résignation l'épreuve, puis vint la captivité et les longues souffrances
Vépreuve l'espérance , et l'espérance ne con- qui raccomjiaguèrent : Joseph resta pareil au
fond point. (Hom. y, 3, 5.) Or Joseph avait sup- bronze : que dis-je? loin de faiblir il se forti-
porté les afUictions avec patience; la patience fia : grâce d'en-haut soutenait son cou-
car la

l'avait éprouvé; une fois éprouvé, il avait vécu rage. Et quand il eut préalablement déployé
dans res|)érance : son espérance ne le confondit toutes les vertus qui étaient en lui, c'est alors
point. Et Pharaon lui dit : Voici que je t'éta- qu'il fut tiré de sa prison et appelé au gouver-
blis aujourd'hui sur toute la terre d'Egypte. nement de l'Egypte entière.
(Ibid. 41.) Puis étant l'anneau qu'il avait à la par cet exemple, ne nous lais-
5. Instruits

main , mit à la main de Joseph le revêtit


il le , sons jamais décourager dans les afflictions,
d'une robe de lin , lui entoura le cou d'un col' ne nous abandonnons point à nos propres
lier d'or (Ibid. 42), le fit monter sur un char pensées, quand elles nous conseillent l'impa-
qui marchait de suite après le sien , et un hé- tience : montrons une résignation pai faite, et

raut le précédait proclamant son élévation : nourrissons-nous d'espérance, connaissant la


et il rétablit sur toute l'Egypte. (Ibid. 43.) Car toute-puissance de notre M.titre. et bien |)er-
Dieu qui avec Joseph avait aplani tous les
était suadés que s il nous laisse éprouver par l'in-
obstacles devant lui, alln de l'élever a ce degré foitune, ce n'est point par indifférence à notre
de gloire. Et Pharaon lui dit : Que sans ta per- égard, mais parce qu'il veut (jue nous méri-
mission nul ne lève la main dans toiUe la terre tions par notre courage une éclatante cou-
d Egypte. (Ibid. 44.) Et Pharaon donna à Jo- ronne, (^cst par là que tous les saints sont

seph le nom de Psomthomphanech. (Ibid. 45.) parvenus à la gloire. Aussi les apôtres disait ut-

II voulait perpétuer par ce nom le souvenir de ils . par beaucoup de tribulations qu'il
C'est

la sagesse (jui était en Joseph. Car ce mot si- nous faut entrer dans le royaume de Dieu.
gnifiequi connaît les choses cachées. Joseph (Act. XIV, -21.) Et le Christ lui-même disait à
ayant révélé ce qui était ignoré de tout le ses disciples ; Dans le monde, rtn/s aurez des
monde. Pharaon lui aonna ce nom par allu- tribulations. (Jean, xvi, 33.) Gardons-nous
ÂM THADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

donc de nous révolter contre les Iribulatit ns, rifié le patriarche, parce qu'il avait cru à la
mais écoutons ce que dit Paul : Ceux qui veu- promesse de Dieu, parce qu'il s'était élevé au-
lent vivre pimsemert en Jéins-Chri<t souffri- dessus de la nature et des pensées humaines :

ro)it persécutio?!. (Il ïim. ni, 12.) Point d'éton- Aussi cela lui fut-il imputé à justice. (Rom.
ncnicni, point d'amorlume supportons avec : IV, 3.) Songez à cela c'est justice que de
:

une vaillance, une résignation parfaites ce qui croire aux paroles de Dieu. Quand Dieu a fait
nous arrive et détournons nos yeux des afflic-
: une promesse, ne demandez point aux choses
tions pour considérer l'avantage que nous en de suivre le cours des événements humains :

recueillons: car c'est là un négoce spirituel. Et élevez-vous au-dessus de ces misérables pen-
comme ceux qui veulent amasser de l'argent, sées, et fiez-vous à la puissance de Celui qui
qui s'adonnent aux trafics du monde ne peu- vous a fait promesse. C'est par là que chacun
vent augmenter leur fortune qu'en bravant des justes s'est signalé, par là que cet incompa-
mille dangers sur terre et sur mer, les atta- rable Joseph, en dépit des grands obstacles qui
ques des brigands, les courses des pirates, et lui furent suscités après les songes loin de se ,

néanmoins sont disposés à tout affronter avec troubler, de se déconcerter, endura tout avec
empressement dans l'attente du bénéfice
, persévérance et courage, bien persuadé que
attente qui leur ôte tout sentiment de leurs les arrêts divins ne sauraient être annulés.
poines : de môme, nous aussi, en considérant Voilà pourquoi, après la servitude, après la
la richesse que nous assurent les tribulations, prison, après cette dénonciation perflde, il fut
dans ce trafic spirituel, nous devons y trouver investi du gouvernement de l'Egypte entière.
de la joie, de l'allégresse, et au lieu de nous En conséquence, résistons avec constance à
arrêter à ce qui frappe les yeux, diriger nos tout accident, rendons grâce de tout ce qui
reganls vers les choses invisibles, selon le con- nous arrive au Dieu de bonté, et comptons
seil de Paul : iVe considérons pas les choses sur le dédommagement nous réserve.
qu'il
visibles. (II Cor. iv, -18.) En elfet, ce qui caracté- Puissioni-nous tous obtenir cette récompense
rise la foi, c'est de ne pas considcr3r seulement par la g.'àce et la bonté de Notre-Seign.-ur
les objets matériels, mais de se représenter en- 'Jésus-Ch ist, avec qii gloire, puissance, hon-
core par les yeux de l'esprit les choses incor- neur, au Père et an Saint-Esprit, maintenant
porelles. Car nous devons juger ces derni( res et toujours, et dans tes siècles des siècles Ainsi
1

choses plus assurées quecell.^s doi t les yeux du soit il.

corps nous révèlent i'evisle.ice. Ainsi fut lIo-


HOMÊLiES sua LA GENÈSE. — SOIXAXTE-QUATRIÈAIE HOMÉLIE. 455

SOIXANTE-QUATRIÈME HOMÉLIE
€ Mais Joseph s'éloigna de la préaence de Pharaon , et parcourut toute la terre d'Egypte : «t la terre
donna des gerbes dans ks sept années de fertilité : et il recueillit autant de blé qu'il y a de sable dans
la mer. >

ANALTSL

i. Prévoyance de Joseph. Départ des flls de Jacob pour l'Egypte.


2. lis sont cmprisonués : leurs remords.

3. Leurs accusations mutuelles ils partent, laissant Siméon.


:

4. Hésitalioade Jacob à laisser partir Beniamiu. Bon accueil fait par Josq>h à tu firent*
5. La coupe retrouvée : stupeur des frères : leur alTeclion pour Benjamin.
6. Instances de Juda : Josepb se fait reconnaître. Il envoie chercher son père.

1. Voulez-vous qu'arjourd'hui encore, nous tentations et de la patience qui avaient fait par-
examinions l'histoire <le Joseph, et que nous venir le juste à un pareil degré d'élévation.
voyions par quels inoyrns cet liomme incompa- Parce qiiil m'a fait oublier toutes mes peines
rable,devenu niaitredi; l'Egypte entière, soula- et celles de mon père. Qu'est-ce à dire, Toutes
gea tout le monde, grâce à l'intelligence qui était mes peines ? Il me semble (ju'ici il fuit allusion
en lui? // s'éluif/na^ dit l'Ecriture, de la présence à sa première et à sa seconde servitude, ainsi
de Pharaon, et parconnU toute la terre d'E- qu'aux souffrances de sa captivité. Et toutes
gypte; et la terre donna des gerbes dans les celles de mon père: c'est à savoir, la séparation
sept années de fertilité : et il recueillit autant qui l'avait arraché des bras de son père , lors-
de blé quil y a de sable dans la mer. Ainsi, que, dans rage le plus tendre, cet enfant, élevé
aptes avoir reçu du roi pli'ine autorité, il re- avec tant de sollicitude, fut jeté de la liberté

cueillit les fruits de la terre, et les mit en dans l'esclavage. (Ibid. 52.) Et il donna au se-

dépôt dans les villes, afin de soulager, à l'aide cond le nom d'Ephraîm, parce que, disait-il,
de ces ressources la détresse future. Vous
, Dieu m'a élevé dans le pays de mon abaisse-
savez maintenant comment ce juste fut récom- ment. Vous le voyez ce nouveau nom lui est
:

pensé, même ici-bas, de sa patience de sa , encore dicté par la reconnaissance. C'est

résignation, de toutes ses vertus, en quittant comme s'il Non-seulement j'ai oublie
disait :

une ptison pour le palais d'un roi. (Ibid. 50.) mes peines mais encore j'ai été élevé aux
,

Or, il lui naquit deux fils avant la venue des honneurs, dans le pays où j'avais enduré une
années de disette. (Ibid. 51.) Il donna au pre- si profonde humiliation, oii j'avais été en bulle

mier le nom :de Manai-sé disait-il. parce que, aux plus extrêmes périls, et en danger de per-
Dieu m'a fait oublier toutes mes peines et dre la vie. Mais il faut maintenant écouter la
celles de mon père. Admirez sa piété par le : suite. Après les sept années d'abondance, arri-

nom qu'il donna à son enfant il consacra le vèrent tout à coup les années de disette, ainsi
souvenir de tout ct; qui s'était passé, afin de que Jost'ph l'avait prédit. Car les événements
témoigner constamnunt sa reconnaissance, et ne firent que démontrer à tous la sagesse du
afin que l'enfant qui lui était né n'eût qu'à juste, et incliner tous les fronts dt^vant lui. Et,

réfléchir sur son nom ,


pour ètro instruit des malgré l'extrême disette, il empêcha tout d'à-
ilG TRADUCTION FÎIANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME,

bord qu'aucune détresse no se lîl sentir. (Ibid. etfet, comment auraient-ils pu même concevoir
54.) Car il y avait du pain dans toute l'Egypte une telle pensée? Ils croyaient qu'il était es-
Mais (}uand la gène augmenta, le peiiple fit clave chez les Ismaélites, en butte aux souf-
entendre ses y)laint(S à Pharaon, incapable frances de la servitude chez ce peuple barbare.
(ju'il était de tenir bon plus longtemps la : Bien élo gnés par eux mêmes d'une sembh.hle
faim les força de recourir au roi. Renia quez idée, ne reconnurent point Joseph. Mais
ils

maintenant la recou naissance de ce monanjue. lui tout en les voyant les reconout
, il dissi- , :

(ibid. 55.) }iïn\$ Pharaon dit aux Egy,)t-cns : mula pourtant et all'ecla de se comporter avec
Allez vers Joseph et faites ce gif' il vous oira. eux comme avec des étrangers. // feignit d rtre
C'est à peu près comme s'il eût dit : Pounfuoi nn étraiger pour eux, et leur parla rudement;
tenir vos yeux attachés sur moi? Ne voyez- il leur dit : D'oii vtnez-vous? S'il fe nt une
vous pas que je ne suis roi «lu'en a[ parence, complet ignorance, c'est afin d'être informé
que c'est .losepli qui vous a tous sauvés? D'on de tout avec exactitude : car il désirait aAoir
vient donc que vous le laissez p'our accourii- des nouvelles de sou père et de son frère.
auprès de moi? Allez vers lui, et faites ce qu'il 2. Et l'abord
• il .-'enquiert du pays d'où ils

vous dira. (Ibid. 5G.) Joseph ouvrit le:^ greniers viennen répondent qu'ils viennent de
: ils

et il vendait le blé aux Egyptiens. El comme la Chuiaari pour aehe cr des vivres. La dtîresse
famine faisait partout sentir st s rigueus : causée pir la faim, disent-ils, nous a fait en-
Toutts les contrées, dit-il, sont vnmies acheter treprend ;e ce voya^ ? et voilà pourquoi nous :

du blé en Egypte : car la faim régnait sur avons toat la ssé p ar venir ici Et Jo>epu se :

toidela terre. Voyez comment, peu à peu. les ressouvi <t des songes qu'il avait eus.{\h. 9.) Se
songes de Joseph commencent i se réaliser. rappelant ces songes, et les voyant se réaliser,

Les ravages de la famine s'étaient étendus jus- il voula t informé de tout. Voilà
être bie;
que sur la terre de Chanaan, où habitait Jccob pourquot il leur répond tout d'abord avec
père de Joseph. Jacob donc ayant appris qut beaucoup de du; été Vous êtes des espio?is, :

l'on vendait du à ses fds :


blé en Egypte, dit leur dit il, et vous rfs venus pour reconnaître
Pourquoi vous abaudowier à la nonchalance? les passrqes de la centrée. Cf n'est pas dans de
(XLii, 1.) Voici que j'apprends qu'il y a du blé bonnes intentions «ue vous êtes venus. Vous
en Egypte. Allez-y, afin de /lOîis acheter quel- devez av jir entrepris ce voyage dans queluue
ques provisions qui soutiennent nntre vie. dessein jterfide et cdminel. — Les autres, tout
(Ibid. Pourquoi restez-vous inaclifs, leur
2.) effVavés, répondent .iVo/J, Seigneur. [U<. 10.; Et
dit-il? Allez en Egypte et rapport(Z-nous ce qui vtiici que d'eux-mêmes ils apprennent àJosrph
est nécessaire pour notre subsistance. Toates ce qu'il voulait savoir : Tes serviteurs iont
ces choses advinrent, afin que les frères de venus pour acheter des Nous somuies vivres.
Joseph servissent au parfait accomplissement tous fils du même père, nous somme.^ pnci-
de sa vision, afin qu'ils confirmassent par les fiqies , t serviteué s ne sont pas des espions.
'.s

événements l'interprétation qu'ils avaient faite (Ib. H.) Ju^qu'ici ils se bornent à se justifier :

du songe raconté p.u" Joseph. Les dix frères tout troubles parla crainte, ils n'ont pas en-
partirent sans prendre avec eux Benjamin, le core dit ce que Joseph brûle de savoir. Aussi
frère maternel de Joseph. Car son père dit : Je persiste- -il dans son dire Non, vo'.'S ^tes :

crains qu'il ne lui arrive quelque malheur. Il venus pour rcconnaitre les passages de la co.t-
ménageait cet enfant à cause de son jeune âge. frée. (Ib. 12.) Vou> avez beau me parler amsi je :

Etant arrivé, ils se prosternéreiit devant Jo- vois assez, en vous considérant que c'est un ,

seph, la face contre terre, comme devant le mauvais dessein qui vous a conduits ici. .\!oi's
maître de V Egypte. (Ibid. C.) Ils agissaient pressés par la nécessité, et voulant toucher
ainsi, ne sachant rien encore. Car le V^w^ es- son C(rur, ils di^^ent à Joseph Tes servifrurs :

pace de lenq>s (jui s'était écoulé les euqièchail sont douze frères. (Ib. 13.) leurre des paroles!
de reconnaître leur frère. II est bien naturel ils conipivnnenl dans nonibre celui qu'ils le
que, parvenu à sa malurité, il eût changé (juel- ont vendu aux marehands ils ne disent pas : :

que peu d'aspect. Mais,ne me trompe,


si je Nous étions douze, niais Nous sonunes douze :

tout avait été arrangé par le Dieu de 1 univers frères Et le plus jeune eU avec notre père.
:

de telle sorte qu'ils ne pussent recomaîtrt Et voilà justement ce qu'il voulait savoir,
leur frère, ni à son langage, ni a sa figure. En s'ils n'avaient pas fait subir le même sort
IIOMI^LIES Srn LA GFNÈSE. - SOîXAXTE-QrATnîÈ.>fT: nOMÉf.TE. 41T

à son frère qu'à lui-même. Le plus jeune est de ce tléau; il en est ainsi du péché tant :

avec notre père : et l'autre n'est plus au qu'il n'est pas consommé, il aveugle l'esprit et
monde. Ils n'indiqui^nt point clairement la répand d'épaisses ténèbres sur la vue inté-
raison, ils disent simplement : Ihi'est plus au rieure mais ensuite la conscience se soulève
;

monde. Alors venant à eniindre qu'ils n'eus- connue un accusateur inexorable pour déchi-
sent traité Renjunin comme lui-mt'me, il re- rer l'àme et lui dénoncer l'énormité de sa
prend Ceqnefai dit est la vérité, vous êtes des
: faute. Voici que les Dis de Jacob reviennent à
csp'ons. (Ib. lA.) Vous ne sortirez pas d'ici que eux, et c'est au moment où le plus grand péril
votre jeune frère ne soit venu. (Ib. 15.) C'est lui est suspendu sur leur tête, qu'ils font l'aveu de
que je veux voir je brûle de considérer celui
: leur conduite, et disent C'est justement,
:

qui est sorti du même sein que moi : car je parce que nous avons péché, parce que 7ious
sonpronne, d'après votre conduite envers moi, n'avons pas été émus de la douleur de son
vos sentiments fraternels. Ainsi donc, si vous âme. Ce n'est pas sans motif que nous sommes
le voulez Dépêchez un d^entre vous, et ame-
: ainsi traités, c'est justement, bien justement;
nez-le (Ib. IG) quant à vous, restez en prison,
; nous sommes punis de l'inhumanité et de la
jusqu'à son arrivée. Sa présence me fera voir cruauté que nous avons montrées à l'égard de
la vérité de vos rapports, et vous aiïranchira notre frère Parce que nous n'avons pas été
:

de tout soupçon. Sinon, il sera évident que émus de la dotdeur de son âme, lorsqu'il im-
vous êtes des espions, et que tel est le motif plorait notre pitié, et que nous ne Vavoyis pas
de votre venue. A ces mots, il les fît mettre écouté. C'est parce que nous avons été sans
en prison. (Ib. 17.) — Voyez-vous comment il les charité, sans humanité, que nous éprouvons le
éprouve comment sa conduite envers eux
, même traitement à notre tour ; C est pour cela
témoigne de sa tendresse pour son frère? Mais que nous sommes to7nbcs dans cette affliction.
au bout de trois jours, les ayant appelés , il 3. Ils se parlaient de la sorte entre eux

leur dit : Faites ce que je vais vou<i dire, et croyant n'être pas entendus de Joseph. En
vous vivrez : car je crains Dieu. (Ib. 18.) Si effet, comme s'il ne les eût pas connus et qu'il

vous êtes des hotnmes de paix qu'un d'entre ,


eût ignoré leur langue, il avait fait venir un
vous reste détenu dans la prison : que les au- interprète, pour leur transmettre ses paroles et
tres partent, emportent le blé qu'ils auront lui expliquer leurs réponses. (Ibid. 22.) Or,
acheté (!b. 19), et tne ramènent leur jeune entendant cela, Rjiben leur dit : N'est-il pas
frère : et j'ajouterai foi à vos paroles : autre- vrai que je vous ai dit : Ne faites pas de mal à
ment vous mourrez.
, cet enfant, et que vous ne m'avez pas écouté?
Considérez son intelligence; voulant à la Et voici que Dieu nous redemande son sang-
foismontrer son amour pour ces honnnes, sou- Ne vous ai-je pas conseillé, conjuré alors, de
lager la détresse de son père et savoir au sujet ne commettre aucime inicjuilé à son cgarJ?
de son frère la vérité, il fait retenir un des fils Aussi maintenant Dieu vous redemande son
de Jacob, et prescrit aux autres de partir. Mais jsang. Car, d'intention, vous l'avez tué; si vous
voyez agir maintenant l'incdrruplible juge, la n'avez pas enfoncé le glaive dans sa gorge, vous
conscience des coupables qui se soulève, et les l'avez vendu à des barbares, vous avez imagir.é
coritraint, sans que personne les accuse ou les pour lui une servitucK; pire que la mort; voilà
mande en justice, de devenir leurs propres ac- pourquoi Dieu vous redemande son sang. Re-
cusateurs. (Ibid. 21.) t2t ils se disaient l'un à présentez-vous ce (jue c'est d'être accusé par sa
l'autre : parce que nous avons
C'est justement conscience, que d'être en proie perpétuelle-
péché contre notre père, que nous n'avons pas ment aux obsessions de cette voix sévère et for-
été émus par la douleur de son âme lorsqu'il midable qui nous rappelle nos fautes. (Ibid 23.) .

implorait notre pitié que nous ne l'avons pas ,


Et Joseph entendit cela; mais eux, ils ne s'en dou-
écouté, c'est pour cela que nous sommes tom- tèrent point, vu qu'il se servait d'un interprète.
bés dans cette affliction. Voilà ce que c'est que Mais Josepli ne peut plus se contenir, la force
le péclié; lorsqu il est commis, réalisé, il ré- du sang, la tendresse fraternelle le trahissent.
vèle sa propre énormité. Un homme ivre, tant Et il pleura (Ibid. 2i),
s'étant détourné d'eux,
qu'il boitcoup sur coup, n'a aucun sentiment de manière à n'être point reconnu. // revint
d(js maux qu'engendre l'ivresse; c'est plus tard auprès d'eux et leur parla de îiouveau. (Ibid.
que l'expérience lui fait connaître la grandeur 2o.] Et ils lui livrèrent Siméon qu'il lia devant

S. J, Ch, — Tojifi V, %l
418 TRADUCTION IKANCAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

eux. Vous le voyez : il ne néglige rien pour les Vous voulez encore me prendre Benjamin.
jeter dans l'effroi, de telle sorte que \oyant Tous ces maux sont retombés sur moi. Ces
Siniéon attaché, ils fissent paraître s'ils étaient paroles nous font bien voir l'émotion qui
sensibles à l'amour fraternel. Toute sa con- trouble les entrailles de ce père. Depuis long-
duite avait pour but, en effet, de les éprouver, temps il désespérait au sujet de Joseph, quil
et de reconnaître s'ils ne s'étaient pas montrés croyait dévoré par les bêtes féroces, il déses-
à l'égard de Benjamin tels qu'ils avaient été pérait désormais de Siméon : et voici qu'il
pour lui-même. Si donc il fait lier Siméon en craignait pour Benjamin. Il résiste d'abord, il

leur présence, c'est pour les bien éprouver, ne veut pas livrer son enfant. Mais Ruben,
pour observer s'ils lui témoigneront quelque l'aîné de ses enfants, lui dit : Tuez mes deux
affection. Car alors, par pitié pour lui, ils se fils, si je ne vous le ramène pas. Jtemettez-le

hâteront d'amener Benjamin, et combleront entre m s maiîis , et je vous le raniènerai.


par là les vœux de Jose[)h. Et il ordonna de Confiez-le-moi, je m'en charge, et je vous le
remplir leurs sacs de blé, de remettre dans le ren.lrai.
sac de chacun son argent, et de leur donner 4. Ruben parlait ainsi, songeant qu'il leur
des provisions pour la route. (Ibid. 26.) Et était impossible, si l'enfant ne les accompa-
après avoir chargé leurs âties ils partirent. , gnait pas , de retourner en Egypte, et d'y
Voyez quelh générosité! illesoblige malgréeux, acheter ce qui était nécessaire à la subsistance
en leur rc ndant leur argent, au lieu de se bor- de la famille. Mais le père ne veut pas céder :

ner à leur livrer du blé. (Ibid. 27.) Or, un No7i, mon fils ne partira pas avec vous. (Ib.)
deux ayant ouvert son sac, afin de donner la Ensuite il en donne la raison , comme s'il

nourriture aux ânes , voit l" argent, et an7ionce plaidait sa cause devant ses enfants : Son frère
la nouvelle à ses frères. Là-dtssus leur cœur est mort, et lui seul fne reste. Et il a/ rivera qu'à
s'étonna, ils furent troublés et se dirent entre cause de sa jeunesse, il sera bien é rouvé en
eux : Qu'est-ce que Dieu nous a fait ? route, et vous conduirez ma vieillesse avec
Les voilà de nouveau inquiets, tremblants à doideur au tombeau. Je crains pour sa jeu-
l'idée d'un nouveau grief et accusés en outre : nesse; je redoute de finir mes jours dans la
par leur conscience, ils imputaient tout à la douleur, privé de celte consolation. En efifet,
faute commise sur la personne de Jo5eph. tant qu'il reste avec moi, il me semble que
Quand ils fuient revenus au|)rès de leur père, j'éprouve un peu de soulagement, et sa société
et qu'ils lui eurent fait un rapport exact de tout diminue le chagrin (jue j'ai au sujet de son
ce qui s'élail passé, ils lui raconièrent quel frère. Ainsi la tendresse de Jacob pour son en-
courroux avait montré contreeux le gouverneur fant Benjamin l'empêchait dabord de le lais-
de l'Egypte, et comment il les avait retenus ser partir Mais la disette redoubla et les vi-
: ,

prisi-unicrs connno espions. Nous lui avo?is dit vres leur manquèrent Et leur père leur dit : .

cpie nous étions des hommes de paix, que 7iou$ Retournez, rapportez-nous quelques provi'
et
éti'Dis douze frères dont un n'est plus ,
,
sions. dit : L'honone nous a
Mais Juda lui
et le i)li(S jctmc avec notre père. Il notts a ré- déclaré sa volonté avec serment, disant : Vous
pondu: Voici comment voîis montrerez que vous ne verrez pas mon visage, si votre jeune frère
êtes des hommes de paix : laissez ici un cfentre ne vous accompagne point. Si donc vous
vous, amenez votre jeune frère, et je coimaîtrai congédiez notre frère, nous partirons, et nous
que vous n'êtes pas des espions. (Ib. 32, 33, 3i.) achèterons des vivres. Sinon, nousne partirons
Ce récit éveilla les douhurs du juste. Tout en pas. Car l'homme nous a dit que fious ne ver-
faisant ce triste rapport, chacun d'eux vidait son rions pas son visage, si notre jeune frère n'était
sac en trouvant leur argent, tous fun ni saisis
: pas avecnoi/s. (Cen. xini. 1-5.) N'allez [lascroire
de crainte, et leur père ;ivec eux. .Mais Noyons que nous puissions retourner là-bas sans notre
encore ici l'aflliction du vieillard (jue leur , vous voulez que noire voyage soit inu-
frère. Si
dit-il? \'ous m'avez ôté tnes etifants : Joseph tile, et (jue nous courions les plus grands dan-
îi'est plus, Siméon n'est plus, et vous voulez gj'rs, alors parlons. Mais sachez (pie le gouver-
m' enlever lioijomin? Tous ces maux sont re- neur nous a tertiliéavec serment que nous ne
tombés sur mai. Ainsi ce n'était point assez verrions pas son visage, si notre frère ne venait
d'avoir à pleurer Joseph, vous lui avez joint pas avec nous. Jacob se voyait pressé de foutes
Siméon : et ce n'est i)oint la lin du mes maux. parts : il se lamente, il leur dit : Pourquoi avez-
HOMÉI.IES SUR LA GENÈSE. - SOIXANTE-QUATRIÈME HOMÉLIE. 419

vous lait imtn malheur en (ijiprcH'Uit à V homme terais pas moins sans enfant. Observez comme
que vous aviez un frère ? Pourquoi acez-vous il est tout entier à l'amour do Jose|)h. Entouré
fait mon malheur? (Ib. G.) Pouniuoi m'avoir d'un groupe si nombreux do fils, il se croyait
causé ces maux ? Si vous n'aviez rien dit, je pourtant sans enfants, parce (ju'il était privé
n'aurais pas élé privé deSiniéon,etron n'aurait de Joseph. Les fils de Jacob alors ayant pris les
point mandé celui-ci. Ils lui répondirent : présents, la double sojyimed'argentet Benjamin,
L'homme nous a demandé si notre père vivait, partirent pour V Plgypte et parurent devant Jo-
si îious avions un frère, et nous lui avons ré- seph. (Ib. 15.) Joseph les vit ainsi que Benjamin
pondu. Savions-nous qu'il nous dirait : Ame- son frère. {\h. IG.) — Ses vœux sont comblés :

nez votre frère ? (Ib, 7.) N'alloz pas croire (juc il couronné ses
voit son bien-aimé, le succès a
nous ayons déclaré de nous-mêmes au gouver- efforts. Et il dit à Vintoulant de sa maison :

neur l'étiit de notre l'aniiile. Comme il nous Conduis ces hommes dans la maison et égorge
retenait en prison, voyant en nous des espions, des victimes : car ces hommes mangeront «uec
et qu'il s'informait en délai! de nos aCfiires, moi. Mais se voycmt introduits dans la maison
nous avons parlé ainsi afin de le renseigner de Josépli, ils dirent : C'est à cause de l'argent

sur tout avec véracité. Et Juda dit encore à qui est revenu dans nos sacs la première fois, que
son père : Envoie le jeune enfant avecmoi, et Von nous emmètie : c'est afin de noits dénoncer,
nous nous mettrons en route, afin d'avoir de de nous accuser, de nous prendre avec nos âjies,
quoi vivre. (Ib. 8.) Confie-le moi, afinquenous et de nous réduire en servitude. (Ib. 18.) Jo-
partions sur le-champ. Car il ne nous restera seph prenait toutes les dispositions les plus
plus aucun espoir de salut si nous laissons nos propres à leur attester sa bienveillance : néan-
provisions s'épuiser, et que nous ne cherchions moins ils sont dans les angoisses, ils redoutent
pas des soulai,'ements ailleurs. Je le reçois de d'être punis à cause de cet argent, comme s'ils
tesmains ; si je ne te le reynets pas, si je ne le étaient coupables en cela. Ils s'approchent donc
ramène pas en ta présence., que je reste cou- de l'intendant de la maison et lui exposent la
pable envers toi le reste de mes jours. Si nous raison de leur inquiétude : ils lui racontent
n'avions pas différé nous serions déjà revenus comment ils ont trouvé l'argent dans leurs sacs,
deux fois. (Ib, 9, 10.) Ton attachement à cet et ils ajoutent A cause de cela nous appor-
:

enfant va causer notre mort à tous. La faim tons aujourd'hui le double de l'argent , afin
nous aura bientôt fait périr, si tu ne veux pas de payer notre dette précédeiite, et dacheter
lui permettre de nous suivre. Observez ici, des vivres. (Ib. 22.)
mon cher auditeur comment la détresse
, 5. Remarquez
à quel point l'infortune a cor-
causée par la famine triompha de la tendresse rigé et adouci leur caractère L'intendant leur :

de ce père. Voyant qu'on ne trouvait pas répondit : Ayez l'esprit en repos, ne craignez
d'autre moyen de soulagement, et que la di- point : votre Dieu, le Dieu de votre père vous a
sette augmentait, il dit enfin S'il en est ainsi, : donné des trésors dans vos sacs : quant à votre
s'il le faut absolument, et ({ue vous ne puissiez argent, il est bon, et entre mes mains. (Ib.23.)
partir sans lui, vous devez porter en même Point de crainte, soyez sans inquiétude. Per-
temps des présents au gouverneur. Emportez sonne d'entre vous ne sera accusé pour ce
l'argent que vous avez trouvé dans vos sacs, motif l'argent nous a été compté
: croyez :

outre celui qui vous est nécessaire pour l'achat. donc que cela vous vient de Dieu, que c'est
Prenez avec vous votre frère, levez-vous et Dieu qui a mis des trésors dans vos sacs. —
partez. (Ib. 13.) Que mon Dieu vous fasse trouver Ayant dit ces mots, il fit sortir Siméon, il ap-
grâce devant cet homme, et mette en liberté votre porta de V eau pour laver leurs pieds, et donni à
frère et Benja7nin! Pour moi je reste sans en- ^
manger à leurs ânes. (Ib. 24.) — Ainsi la prière
fant. (Ib. 14.) Voyez- vous comment éclate son de leur père les faisait réussir en toute chose :

inexprimable affection pour Joseph? N'allez pas tout arrivait selon la prière qu'il avait adressée
croire en effet qu'il songe à Benjamin ou à au ciel en disant Que le Dieu de rnon père
:

Siméon, lorsqu'il dit : Pour moi je reste sans vous fasse trouver grâce! môme avant que
enfant, car il dit plus haut : Que Dieu vous Joseph fût présent, l'homme à qui était confié
fasse trouver grâce, et mette en liberté votre le soin de sa maison prodiguait aux nouveaux

frère et Benjamin! — Il veut dire : quand bien venus les marques de bienveillance. Us pré-
même ces deux-là seraient sauvés, je n'eu res- parèrent les présents pour Joseph. (Ib. 25.)
420 TRADrCTÎON FRA^XA1SE DE SAINT JEAN CHRYSOSTÔME.

Et lorsqu'il entra, ils les lui offrirent et se l'Ecriture, il Pourquoi répondre aux
leur dit :

prosternèrent devant lui jusqu'à terre. (Ib.26.) bienfaits par des injustices?Pourquoi exercer
Puis il leur demanda encore une fois : Votre votre méchanceté jusque sur celui qui vous a
père, le vieillard dont vous m'avez parlé, se fait si bon accueil ? Comment n'avez-vous pas

porte-t-il bien? vit-il encore ? (ïb. 27.) Usrèpon- craint de faire du tort à un homme que vous

dirent : Ton rviteur notre père est en bonne


r^' aviez trouvé si généreux? Que dire d'une pa-

tante. Et il dit : Qu'il soit béni de Dieu! Et s'in- Quel délire s'est emparé de
reille scélératesse?

tlinant ils adorèrent. [\h. 28.) iMais Joseph vous? Ne savez-vous pas que c'est là le vase
vit son frère, né de sa mère, et dit : Voilà ce dont mon maître se sert pour deviner? Votre
jeune frère, que vous m'avez dit que vous amè- action estcriminelle, votre dessein pernicieux,
neriez ? Et il dit : Dieu te fasse miséricorde, votre entreprise impardonnable, votre audace
mon enfant ! (Ib. 29.) sans égale, votre perversité au-dessus de tout
Admirez sa constance : il continue à faire ce qu'on feut imaginer. 7/5 lui répondirent :

l'ignorant, afin que la suite des événements Pourquoi votre maître tient-il ce langage? {!.)
lui permette de démêler quelles étaient leurs Pourquoi nous reprochez-vous un crime dont
dispositions à l'égard de Benjamin. Et comme nous sommes tout à fait innocents? A Dieu ne
la nature même parlait trop haut, ses entrailles plaise que vos sei'vitcurs se comportent jamais
étaient émues, et il aurait voulu pleurer. Il comme vous dites ! A Dieu ne plaise que nous
entra donc dons une autre salle, et là, se mit à tenions jamais une pareille conduite Nous !

pleurer. Puis s' étant Lavé le visage, il sortit. (30.) qui avons ajjporté une double somme d'argent,
Ensuite il montre sa bonté : Servez les pains comment aurions-nous pu dérober argent ou
(31) , dit-il. On le servit à part, comme le roi, or? D'ailleurs, si vous le croyez. Que celui aux
le maître de l'Egypte entière et ses frères à ; mains duquel on trouvera le vase que vous
pari; ci à part aussi les Egyptiens qid dî- cherchez, que celui-là meure '9), comme auteur
naient avec lui. Car les Egyptiens ne pouvaient d'un pareil forfait : et nous, nous serons
pas manger avec les Hébreux; c'est une abo- esclaves. Le calitie de leur conscience leur
mination aux yeux des Egyptiens. (32.) En face permettait de parler avec celte assurance.
de hd s' assirent le plus âgé et le plus jeune. (33.) L'intendant répondit : Eh bien qu'il soit fait
!

Cela les jeta dans l'élonncment, et ils ne pou- comme vous dites. Celui aux mains duquel
vaient deviner d'où lui venait la connaissance sera trouvée la coupe, celui-là sera mon servi-
qu'il avait de la dillerence de leurs âges. Puis teur les autres seront tnis en libellé. (10.)
:

dans la distribution des parts , il donne à Après Et il les


cela, ils se laissent fouiller.
Benjamin une jxjrlion cinq fois plus grande. fouillait en commençant par l'aîné, jusqu'à ce
Ils ne comprennent pas davantage, ils croient qu'il arriva à Benjamin. Et ayant ouvert le
que c'est un simple ell'el du hasard, à cause de sac de celui-ci, il trouve la coupe. (12.) Cela
la jeunesse du privilégié. Enlin, le repas ter- confondit leur esprit. Ils déchirèrent leurs
}niné, Joseph appelle son intendant et lui vôtemeids, ils remirent leurs sacs sur les bétcs
donne ces ordres : liernplis les sacs de ces de soinme, et revinrent à la ville. (13.) Et Juda
hommes d'autant de vivres qu'ils pourront en étantcjifré ainsi que ses frères auprès de Joseph,
emporter, et remets de même l'argent de cha- ilstombèrent devant lui la face contre terre. (1 4.)
cu)i dans son sac; et jette cette coupe dargejit Observez combien de fois ils l'adorent. Ptns
dans le sac du plusjeune. [\uy 1,2.) Voyez <juel , Joseph leur dit : Pourquoi avez-vous fait cela?
artifice il imagine encore pour mettre à une Nf' savez-vous pas que je m'en sers pour devi-
infaillible épreuve les ser.limenls de ses frères ner ? Juda répondit : Que répliquer ? que dire
à l'égard de Benjamin. Cela fait, il les congé- à notre seigneur ? Cojnment nous justifier ?
die. Puis, lorsqu'ils se furent uns en route, il Dieu a trouvé l'iniquité de vos serviteurs. (IG.)
dit à rintcndant de sa jnnison : Ij'vc-toi De nouveau le souvenir du mal qu'ils lui ont
mets-toi à leur poursuite, et dis-leur : Pour- fait leur revient à resjtrit. Eh bien! nous som-

quoi rendez-vous le niai pour le bien ? Pourquoi 7ncs serviteurs de notre maître, et nous, et celui
m'avez-vous dérobé une coupe (Vargent? Is'est- aux mains de qui fut trouvée la coupe. Ils
ce pas celle oii boit mo)t nw/tre? Il s'en sert pour fout voir alors leurs bons sentiments, et se
deviner. C'est une détestable action que la vôtre. soumettent à la servitude en même temps que
(Ibid. i, 5.) Lors(]u'il les eut trouvés, raconte leur frère. Mais Joseph répondit : A Dieu ne
HOMI'LIES SUR LA GENÈSE. - SOIXANTE-QUATRIÈME IIOMÈLIË. 451

phi'se que yen fasse rien ! Lhomme aux mains îiûus dit : Vous savez que ma femme m'a
de qui a été trouvée la coupe, voilà celui qui donné deux cnfajds l'un s'en est allé loin de
,

sera mon serviteur : quant à vo7is, retournez moi, et vous m' avez dit qu'il avait été mangé par
sains et saufs auprès de votre père. (Ib. 17.) les bctes sauvages. (27, 28.) I»emar(|uez com-
G. Ainsi, ce ([u'avait craint leur père leur ment l'apologie deJuda instruit exactement
arrivait: les voilà dans le trouble et les an- JoiH'pli de ce qui dans sa famille
s'est i)assé
goisses, ne sachant quel parti prendre. Mais après qu'il a été vendu, du leurre auquel ils
Juda s'approcha, et dit. (Ibid. 18.) C'est lui, en ont recouru pour tioniper-son père, du récit
eflet, quiav.iit reçu lîi iij.unin des mains de son qu'ils lui ont fait à son sujft. Maintenant donc,
père, lui (jui avait dit: Si je ne te le ramène si vous emmenez encore celui-ci, et qu'il lui

pas, je resterai coupt'hlc devant toi tous les arrive unemaladie en route, vous conduirez ma
jours de ma vie : il s'approche , il raconte avec vieillesse avec douleur au tombeau. (2V).) Quand
exactitude tout ce (|ui s'est passé, afin d'exciter tel est rutlachement de notre |ière à l'égard de

la com|)assion de Joseph , et de le disposer à ce jeune enfant, comment pourrons-nous sou-


laisser partir l'enfant. Juda s'approcha et d't: tenir sa vue, si celui-ci n'est pas avec nous?
Je vous en prie, seifpieur, laissez parler votre Car sa vie dépend de iànie dé celui-ci. (30.) Et
serviteur. Observez comment il ne cesse de lui vus serviteurs conduiront la vieillesse de votre
parler sur le ton d'un esclave qui s'adresse à serviteur, notre père, avec douleur au tombeau.
son maître : et rappelez-vous ces songes des En effet, votre serviteur a i^eçu ce jeune enfant
gerbes, qui envenimèrent leur jalousie contre dis mains de notre père, en disant : Si je 7ie le
lui admirez la sagesse et la toute-puissance
: ramène pas auprès de vous, je resterai coupable
de Dieu, qui à travers tant d'obstacles, menait envers vous tous les jours de ma vie. (31.) Voilà
tout à réalisation. Laissez parler votre servi- les promesses que j'ai faites à mon père, afin de
teur en votre présence, et ne vous irritez pas pouvoir vous amener l'enfant, obéir à vos vo-
contre lui, seigneur. Vous avez interrogé vos lontés, vous montrer que nous avions parlé
servi teiirs, disant : Avez- vous un père, un sincèrement et qu'il n'y avait eu nul mensonge
frère? Et )ious avons dit à notre seigneur :
(19.) dans nos iWscours. Maintenant donc je resterai,
Nous avons un vieux père et H a un jeune fils, esclave pour esclave, serviteur de mon sei-
enfant de sa vieillesse; le frère de celui-ci est gneur : quant au jeune enfant, qu'il parte
mort. (iîO.) Figurez-vous ce que devait éprouver avec nos frères. (Ib. 33.) En effet, comment
Joseph en entendant ces paroles. Lui seul est revenir auprès de 7non père, sans avoir l'enfant
resté à sa mère; et grande
son père l'a pris en avec nous? Que je ne voie pas les maux qui
tendresse. Pourquoi mentent-ils encore ici en viendront trouver mon père. (Ib. 2i.) Ces |)a-

disant Le frère de celui-ci est mort? ne l'a-


: roles émurent vivement Joseph, et lui parurent
\aioiit-ils pas vendu aux marchands? Mais une marijue sulfisanle et de respect filial et
comme ils avaient fait croire à leur père qu'il d'amour fralcrnel. Et il ne pouvait plus se
avait péri et avait été dévoré par les bètes fé- contenir, ni supporter la présence des assis-
roces, comme d'ailleurs ils pensaient qu'il tants : il fait éloigner tout le inonde, et de-
avait dû succomber aux maux de son escla- meuré seul au milieu d'eux (xi.v, \), il pousse
vage chez un peuple barbare, il dit pour ces im ai avec un sanglot, et se fait reconnaître à
raisons Et le frère de celui-ci est mort. Mais,
: ses frères. Et cela fut cennu dans tout le
vous avez dit ci vos serviteurs: Amenez-moi cet royaume, et jusque dans la demeure de Pha-
enfant, et j'en prendrai soin. (21.) Et vous avez raon. (Ib. 2.) Et il dit à ses fr'res : Je suis
ajouté : Si votre frère ne vient pas avec vous, Joseph! Mon père vit-il encore? (Ib. 3.) Je ne
vous n'aurez pas l'avantage de voir ma face. puis m'empècher d'ailmirer ici, la persévé-
(23.) Or, il est arrivé que, revenus auprès de rance de ce bienheureux, comment il put
votre serviteur, notre père, nous lui av ns rap- soutenir son rôle jusqu'au bout, ne pas fg
porté les paroles de notre seigneur. (24.) Alors trahir, mais ce qui m'élonne surtout, c'est (|ue
notre père nous a dit : Remettez-vous en route, ses frères aient eu la force de rester debout,
achetez-nous quelques provisions. (2j.) Mais d'ouvrir encore la bouche, que la vie ne se soit
710US lui avons répondu : Nous ne pourrons pas envolée d'eux, qu'ils n'aient pas perdu la
aller là-bas, si notre frère ne vient pas avec raison, qu'ils n'aient pas disparu au fond de
nous. (26.) Alors votre serviteur, îwtre père, la terre. Ses frères ne pouvaient lui répondre :
jm TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JE.\N CHRYSOSTOME.

car ils étaient troublé'^. Rien df pUis naturel : tre de toute VEgypte. Viens auprès de moi, et

en se rap|ie!anl comnienl ils sciaient compor- ne tarde pas (Ib. Si ;et tu habiteras dajis la terre
tés a .-on é{.^ard, ce que lui-même avail été de Gessen, et tu seras près de moi amsi que
pour eux, en (on^idéraiit le rang illustre uù tes fils, les fils detjsfils, et tes brebis, et tes bœufs

il était placé, c'est presque pour leur \ic qu ils et tout ceque tu poss 'tes Ib.lO;, etje te nourri rai
étaient inquiets. Aussi, voulant les rassurer, il [car la famine dur ra cinq ans encore)^ afin
leur dit Venez près de moi. (Ib. 4.) Ne recu-
: que tu ne périsses po 'nt avec tes fils et tous tes
lez point ne croyez pas que votre conduite à
: biens. (Ib. il.) Vosy, 'xvoient ainsi que lesyeux
mon égard vienne d'un dessein conçu par de mon frère Benjamin, que c est moi qui vous
vous. Ce n'est pas tant Touvrage de voire in- parle de ma bouclw. Rapportez à mon père
justice envers moi, que de la sagesse de Dieu, toute la gloire do?it je jouis en Egypte, et tout
de son ineffable bonté il m'a fait venir ici,
: ce que vous avez vu, et hàtez-vous de l'ame-
afin qu'en temps opportun je pusse fournir ner. (Ib, 12.;Aprèsavoirtenucelangage,lesavoir
des vivres et à vous et à tout le pays. Et il dit: pleinement rassurés, instruits de ce qu'ils de-
Je suis Joseph, votre frère, que vous avez vendu vaient dire à leur père, pressés de le ramener
pour qu'il fût mené en Eqypte. Maintenant promplement, // se jeta au cou de Benja-
donc^ ne vous affligez point. (Ib. 5.) Il ne faut tnin (ils étaient fils de la même mère), et se
pas (jue cela vous trouble, que vous vous re- mit à pleurer, et Benjamin aussi pleura sur
prochiez ce qui s'est passé. La providence de lui, et il embrassa tous ses frères, et pleura

Ditu a tout dirigé. Car Dieu m'a envoyé en sur eux. (Ib. 14.) C'est alors, après une si longue
Egypte pour votre salut. Voici la deuxième entrevue, après ces larmes, ce conseil donné,
année que la famine est sur la terre, et il s'é- qu'ils osent enfin,' non sans peine, lui adresser
coulera encore cinq ans durant lesquels il ny la parole. Après cela ils lui parlerait.
aura ni labourage ni moisson. (Ib. G.) Dieu (Ib. 15.) Mais le bruit de cet événement arriva

itia fait ve?iir ici avant vous, afin que vous dam la demeure de Pharaon : il s'en réjouit,
puissiez avoir des vivres pour subsister. (Ib. 7.) ainsi que tous ceux de sa maison. (Ib. 16.) Ainsi
Par co7iséquent, ce n'est pas vous qui m'avez toulle monde se réjouit decettereconnaissance
fait venir ici, c'est Dieu. (Ib. 8.) de Joseph et de ses frères. Et le roi dit à Jo-
7. Ainsi, à deux et il cherche à
trois reprises, seph : Dis à tes frères : faites ceci : remplissez
apaiser leurs remords, en leur persuadant vos chariots de froment, et partez. (Ib. 17. ' Et
qu'ils ne sont pour rien dans sa venue en revenez auprès de ynoiavec votre père : je vous
Egypte, que c'est Dieu qui a fait cela, afin de ferai part de tous les biens d'Egypte. (Ib.iS.)
l'élever au rang glorieux où il est maintenant. Mais recommande-leur de prendre ici des chars
C'est Dieu qui ?n'a envoyé, quia fait de moi pour leurs femmes et leurs enfants. Le roi
comme le père de Pharaon, le maître de toute même, vous le voyez, est tout préoccupé du
sa maison, le gouverneur de toute l'Egypte . voyage de Jacob. Prenez avec vous votre père,
Voilà le pouvoir (jue m'a valu cet esclavage, et venez ; et ne laissez rien de ce que vous pos-

la gloire (}ue m'a procurée celte vente, les hon- sédez. Car tous les biens de l'Egypte seront à
neurs dont cette aftliclion a été pour moi le vous. ^Ib. 1 0.) Ainsi firent les filsd' Israël. Joseph
principe, l'élévation où m'a porté cettejalousie. leur donna des chars, selon les instructions du
— Ce n'est pas assez d'écouter ces paroles: il roi. i,lb.21. Et il donna deuxrobesà chacun, ù

faut suivrez l'exemple (ju'elk's nous donnent et Benjamin t rois cents pipccsd" or, et cinq robes de
consoler de la sorte nos persécuteurs, en leur rechange vlb.:2-2; à son père il envoya pareille-
;

ôlant la responsabilité de nosmaux, en subis- ment dix ânes portant des richesses d'Egypte,
saut tout avec un calme parfait, connue lit cet et dix nntlcs chargées de pain<pour le voyage.
homme admirable. Vous voili» donc bien con- (Ib.23.) Et quand il eut donné toutes ces choses, il

vaincus, ne vous impute point


dit-il, t|uc je congédia ses frères, mirent en route
et ils se :

mes infortunes, (jue je vous décharge de tout et il leur dit : Ne votf: querellez pas oi che-
grief et attiibuc; loul à Dieu, a Dieu qui a tout 7nin.{\h.''2\.) Remarquez cette profonde sagesse.

conduit atin de m'élrner à la gloire où je suis Noncontent deleur accorderun absolu pardon,
niainlen.'inl "'' -"
" 'Av/r de retourner il les exhorte
et d'oublier leurs fautes, encore
auprès (I '
s-'ui: Voiri ce à ne pas se quereller en chemin, à ne pas s'a-
que mande iou /us Juovph : uicu m'a fait maî- dresser de reproches mutuels touchant le
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — SOLKANTE-CINQUIÈME HOMltLIE. 427

aussi son jyh'c définit. Pfitrnon. (ll)iil. 7.) Et désigne l'homme tout entier tantôt par son
Phardon dit à Jiicoh : C'mihicn dainvk'S IfS corps, tantôt par son âme. Plus haut, elle
jnttrs de ta vie fo/it-ils? (Ibid. 8.) Voyant ce disaitJacob vint en Egypte avec soixante-
:

vieillard à cheveux blancs , il s'informe de ; pour désigner Foixanle-quinze


quitize chnes
son àfjre. Et Jncoh répondit : Les jours des an- hommes ou femmes; ici, elle dit par tète pour
nées de ma vie drpuis rpie f habite ici-bas... dire par itersonne. Etquand tout(! l'Egypte et
(Ibid. 9.) Ainsi chacun des justes se considé- tout Chanaan souffraient de la faim, la famille
rait dans cette vie comme en pays étranf^cr. de Jacob avait du blé en quantité, comme si
l asid dira de même Je suis èlranfjcr et exilé
: elle étui à la source de l'abondauce. Le blé
sur ta terre. (Ps. xxxviii, 13.) Et Jacob dit ici : manquait par toute la terre; en effet, la disette
Les jours des années de ma vie depuis que sévit fn'tcmpnt. ï^a terre d'Egypte et celle de
fhahite ici-bas. Aussi l*aul disait- il de ces Chnnnan furent épuisées par la disette.
ju>ies qu'ils faisiieiit iiroles^ion d'être étran- (IbiJ. 13.)
gers ei exilés sur la terre. (Ilébr. XI, 31.) Les 4. Considérez l'ineffable provi lencedeDicu,
jours des années de ma vie depuis que j'habite et comment il amena le juste en Egypte ,

ici bas, fi/nf ce/it-t rente années courtes et miséra- avant (jue la famine eût redoublé, pour qu'il
blts, et ils ne sont point arrivés au nombre des n'eût aucun sentiment de la détresse (jui allait

jours qu'ont vécu mes pères. Les années que affliger la terrede Chanaan. Et comme tout
j'ai passées ici-bas ont été courtes et niiséra- le monde accourait en Egypte, Joseph amassa
bliî!; par la, il lait allusiun aux années de l'es- tout l'argent de ceux riui étaient en Egypte
cUnaj-e (ju'il avait enduré chez Laban, par et en Chanaan, et ainsi il leur fournissait du
suil. de lexil aïKiuel son frère l'avait forcé; blé. (Ib. 14.) Et l'argent vint ensuite à manquer
«^nsMiie au long deuil que lui avait causé après car il avait tout rjnassé daws le j/alais de Pha-
son retour la mort de Jose|)li, et aux autres in- raoji. PJt tous Egyptiens venaient dire :
les

fortunis qui l'avaient assailli dans l'intervalle. Donne-nous du pain : pourquoi mourons-nous

En etlet, quelles n'avaient pas dû être ses en ta présence? IJ argent nous fait défaut. Ib. (

alarmes, (juaiid, pour venger leur sœur, Si- 15.) Nous n'avons plus de quoi acheter et à cause

méon et Lévi saccagèrent la ville de Sichem, de cela nous mourons de faim Ne nous délaisse
exterminèrent ses défenseurs et emmenèrent pas tandis que la mort nous assiège fournis- :

en captivité le reste des habitants. (Gen.xxxiv, nous du pain afin que nous demeurions en
,

'lo.) Il disait alors, manifestant les angoisses qui vie. Et Joseph leur dit : Amenez vos troupeaux

l'agitaient : « Vous m'avez rendu odieux, de et je vous donnerai du pain. (Ib. 16.) Si vous

sorteque je serai un méchant aux yeux des manquez d'argent, je reçois aussi le bétail. Si
habituUs de la terre car ma famille est ;
l'argent vous fait défaut , conduisez ici vos
peu nombreuse. Ils se réuniront contre moi troupeaux, et vous aurez du pain. Ils amoiè-
pour me massacrer, et je serai exterminé avec rent donc leurs troupeaux et reçurent de ,

ma maison. » (Gen. xxxiv, 30.) Voilà ce qui Joseph du pain en échange de leurs chevaux,
lui fait dire : Les jours des années de ma vie de leurs brebis, de leurs bœufs, de leurs ânes,
ont été courts et misérables. Et Joseph installa et il les nourrit pour la valeur de leurs bes-

son père et ses frères^ et leur donna un do- tiaux. (Ib. 17.) Et ils revinrent auprès de lui la
maine au pays d'Egypte, dans la terre de Ra- seconde année, et lui dirent : Ne nous laisse
messe, qui éta t la plus fertile, selon les ordres point périr, faute d'argent et de bestiaux, tout
de Pharaon (Ibid. 1 1) et Joseph distribua du blé
;
est allé à notre maître. Il ne nous reste plus

par tète à son père, à ses frères, et à toute la rien, hormis notre personne et nos terres. (Ib.l8.)

jyiaison de son père. (Ibid. 1-2.) On se rappelle, Ainsi donc, pour que nous ne mourions point
en elTet, ce qu'il avait dit à ses frères Dieu m^a : achcte-nous avec nos terres contre du pain, et
envoyé ici avant vous, afin que vous puissiez nous serons, nous et nos terres, serfs de Pha-
avoir des vivres pour subsister. (Gen. xlv, 7.) raon. Donne-nous du grain pour semer et pour
et encore Dieu m'a envoyé ici avant vous,
: vivre : ainsi nous ne mourrons point, et la terre

afin que vous viviez. (Gen. xlv, 5.) Il leur dis- ne sera pas dépeuplée. (Ib. 19.) Ils se réduisent
eux-mêmes en servitude, ils vendent leurs
tribuait donc du blé par tête.
Qu'est-ce à dire par tête? ("est à dire à cha- terres, afin depouvoir subsister telle était la :

détresse causée par la famine. Et Joseph


acheta
cun ce qui lui était nécessaire. Car l'Ecriture
AU TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CIIRYSOSTOME.

SOIXANTE-CINQUIÈME HOMÉLIE.

Et ils revinrent d'Egypte , et ils arrivèrent dans le pays de Chanaan auprès de Jacob, leur père , ei, lis itu

firent leur rapport, disant : Ton fils Joseph est en vie, et il commande à toute la terre d'Egypte. Et ^acoc

demeiu-a stupéfait, car il ne les croyait pas. » (Gen, XLV, 25, 26.)

ANALYSE.

1. Allégresse de Jacob.
2. Dieu l'eucourage à partir. Sa joie en revoyant Joseph.
3. Intelligence de Joseph. La famille de Jacob s'établit en EgjT)te.
4. Comment il sait faire tourner au profit de son maître la détresse publique. Ses égards pour les prêtres. Exemple à BuiTTC^ sur-
tout pour des chrétiens.
5. Continuation du même sujet. Exhortation à compter sur la Providence.

1 . Vous avez vu, par notre discours d'hier, la mêmes effets qu'une extrême douleur. Souvent
profonde sagesse de Joseph et l'inexprimable on voit des gens verser des larme.- à la suite
patience dont il fit preuve à l'égard de ses d'une joie excessive; d'autres rester comme
frères; comment, non content de ne faire au- frappés de la foudre en présence d'un événe-
cune allusion à leur conduite envers lui , il ment inespéré, en revoyant subileniint en vie
était allé, au moment où ils s'apprêtaient à re- ceux qu'ils croyaient morts. Mais mes pa- —
tourner auprès de leur père, jusqu'à leur con- roles deviendront plus claires quand nous
seiller les conjurer de ne pas s'accuser
,
aurons écouté le texte lui-même. Et ils revin-
mutuellement au sujet du traitement qu'ils re)ît d'Ef/ypte, et ils arrivèrent dans le pays
>ui avaient fait subir, de bannir d'au milieu de Chanaan, auprès de Jacob leur père, et ils

d'eux tout ressentiment et de faire leur voyage lui firent leur rapport, disant : Ton /ils Joseph
en bonne intelligence. — Il nous faut aujour- est en vie, et il commande à toute la terre

d'hui reprendre la suite de cette histoire, afin d'Egypte. Et Jacob demeura stupéfait, car il
de nous représenter et le retour des voyageurs ne les croyait pas. Voyez- vous que mes paroles
auprès de leur père, et la venue de Jacob eu se vérifient? Ce qu'on lui rapjiorle louchant
Egyple et conunent ce vieillard rajeunit
: Joseph lui paraît incroyable, au point que sa
reverdit pour ainsi dire, en apprenant ce qui raison en est tout ébranlée, et qu'il soupçonne
concernait Joseph. Qui pourrait, en efiet ses enfants d'avoir voulu le tromper. En effet,

représenter par des paroles, la joie qu'il res- ces mêmes frères qui jadis avaiint rapporté
sentit alors, en recevant la nouvelle que Joscj)!! une tiuiique teinte du ang d'un chevreau, cl
était vivant et au comble des honneurs? Vous l'avaient montrée à leur père afin de lui faire
n'ignorez pas, sans doute, ce (jue l'imprévu crctire que Joseph était devenu la proie dis

ajoute de charmes au bonheur. — Celui (pTil bêtes féroces, ce sont eux qui viennent dire
croyait dévoré par les bêles sauvages, il y avait aujourd'hui : Joseph est en vie et il commande
bien des années, voici qu'il le savait maître de à toute l'Egypte. — Troublé, 5lui>éfait, il se
l'Egypte entière ; conunent l'excès de l'allé- (l(Ui;Hi(lail en lui-même comment la raisiii pou-
gresse n'aurait-il pas jeté son àme dans la vait admettre cela car, si le premier rapport
;

stupeur ? Car une joie trop vive a souvent les avait été vrai, le second n'était pas croyable ;
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. - SOIXANTE-CINQUIÈME HOMÉLIE. 425

et si le dernier était croyable et vrai, l'autre joie serait parfaite, et je pourrais alors quitter
n'avait qu'un mensonge et ce qui le
donc été ; la vie. un moment, le
Aussitôt, sans perdre
déconcertait le plus, c'était que la première juste se nut en route, dans sa hâte, dans son
nouvelle lui était venue de ses fils, et qu'il rece- empressement de revoir sou hien-aimé, et de
vait de la mémesouri'e une autre nouvi'llc loute coiitrmpler celui qui était mort depuis tant
contraire. Eux, voyant le trouble où était leur d'années, que les bêtes avaient dévoré, à ce
père, et voulant le convaincre pleinement de la qu'il croyait, en possession du gouvernement

vérité de leurs p;iroks, ifs lui irpctèreut les de l'Egypte. Et s' étant reiidu au Puits du ser-
propos de Joseph et tout ce qu'il leur avait dit. ment (xLVi, t), aptes avoir adressé des actions
(Ib. i27.) A ces paroles, ils joignirent les autres de grâces au Seigneur, il olTrit un sacrifice au
conimis<:;on<? dont Jo-fph chargés, les
les avait Dieu de son père Isaac.
cliius 1 1 It > prtst'Ml' Il .'il invoyait à son père: 2. A|q)renons par cet exemple, quelle que
par là, ils purent enfin convaincre Jacob que soit l'afl'aire (jui nous préoccujje, une entre-
leur récit n'était pas mensonger. Envoyant les prise, un voyage,
offrir tout d'abord au Sei-
ta

chars dépêchés pour l'emmener en Egypte, gneur le de prière, à ne pas nous


sacrifice
son feu se ralluma, dit lEcrilure. Ce vitillaid mettre à l'œuvre avant d'avoir invoqué son
caduc et décrépit, voici qu'il rajeunit danss<.ii appui, à imiter enfin la piété de ces justes. //
allégresse. Son feu se ralluma. Qu'est-ce ;i
offrit wi sacrifice au Dieu de son père Isaac :

dire? Comme on voit la lumière d'une lampe c'est pour vous faire entendre qu'il marchait
près de s'éteindre faute d'huile pour l'alimenter, sur les traces de son père, et qu'il servait Dieu
tout à coup, pour peu qu'on y verse uncgouHe à la manière d'Isaac. Et il n'eut pas plus tôt
d'huile, renaître et briller d'un plus vif éclat, témoigné sa reconnaissance par ses actions de
de même ce vieillard , à la veille de s'éteindre grâces, qu'il sentit les effets de la faveur d'en-
au souffle du chagrin (// n'avait pas voulu haut. Considérant la longueur du voyage et sa
être consolé, disant : Je descendrai avec mon il craignait tjue la mort ne vînt le sur-
vieillesse,
deuil au tombeau. Gen. xxxvu, 35), ce vieillard prendre avant la rencontre qui devait le faire
donc, à la nouvelle que son
en vie et fils est jouir de la vue de son
fils. Il conjure donc le

qu'il commande à l'Egypte, à la vue de ces Seigneur de prolonger sa vie jusqu'à ce qu'il
voitures, sent son feu se rallumer, pour parler ait goûté ce bonheur parfait. Et voyez com-
comme l'Ecriture, retrouve sa jeunesse, éclair- ment le bon Dieu exauce pleinement ce juste.
cit son front assombri par la tristesse, et chas- Dieu dit o Israël dans une vision de mdt : Ja-
sant de son âme la tem[>èle qui l'avait boule- cob, Jacob: (U)id. 2.) Je suis le Dieu de tes
versée ,
jouit des lors d'un calme parfait, pères: Ne crains point de partir pour l'Egypte^
grâce ta la providence de Dieu qui avait conduit car je t'y nndrai le chef dun grand peu-
ioules CCS choses pour faire trouver au juste ple. (Ibid. 3.) Je partirai avec toi, et je te
une consolation après tant d éi)reuves et l'asso- ramènerai, et Joseph
fermera les yeux de
te
cier à la prospérité de son fils ; et d'autre paît, ses mains. (Ibid. A.) Voyez coniment le Sei-
pour amener k réalisation le songe que Jacob gneur promet au juste ce qu'il désire, ou plu-
lui-même avait expliqué en disant E^t-ceque : tôt bien au-delà. Dans sa générosité il enché-
nous en viendrons, ta mère, tes frères et moi, à rit sur nos demandes, fidèle à son amour pour
nous prosterner devant toi jusqu'à terre? (Gen. les hommes. Ne crains point de partir pour
xxxvii, 10.) — Enfin , dès qu'il en croit ses l'Ei yiitc. Jacob était incpiiet à cause de la loii-
yeux et ses oreilles : Grand est moji bonheur, gueiu- du voyage; Dieu lui dit: Ne te laisse
dit-il, si mon
Joseph fils est en vie: j'irai cl je le point arrêter par l'infirmité de la vieil-
verrai avant de mourir. (Ib.28.) Gnrndcstmon lesse. Je t'y rendrai le chef d'un grand
bonheur: il surpasse toute imagination, il peuple, et je partirai avec toi pour l'Egypte.
éclipse toute joio humaine. mo)i fds est en
6'/ Je ta>sislerai, j'aplanirai devant toi tous les
vie J'irai donc et je le verrai. Hàlons-nous donc, obstacles. Remanpjez l'affabilité de celte pa-
me soit donné de le revoir avant de
afin qu'il role Je partirai avec toi pour l'Egypte. Quel
:

mourir. Aujourd'hui cette nouvelle a ranimé bonheur plus complet (pie celui d'avoir Dieu
mon cœur, a chassé loin de inoi les infirmités pour compagnon de ^oylage? Puis !a consola-
de a rendu la force à mon âme.
la ^^eille5sc, tion dont le vieillard avait surtout besoin ;

Mais sMl m'élait encore donné de le voir, ma Joseph le fermera les yeux de ses mains. Ce
496 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

bien-aimé, lui-même aura soin de toi, il te Seiirneur de ce qui était arrivé. Et Jncob dit à
fermera les yeux. Sois donc en joie et ?ans Joseph Je puis rnoirir à présent, puisque fai
:

alarmes, et mets-loi en route. Voyez mainte- vtt ton visage. Car ta vis encore. (Ibid. 30.)
nant avec quelle allégresse le juste accomplit J'aiobtenu ce que je dtsirais; j'ai goûté ua
ce voyage, rassuré iju'il est par la prom^•^se bonheur auquel je ne m'attendais plus; ce que
divine. Jacob se leva, et ses fils avec lui. (Ibid. j'avais cessé d'espérer se réalise; j'ai assez
5.) Et ils prirent tous leurs biens et vinroit en vécu, car vu celui que je pleurais, et il
j'ai

Egypte. (Ibid. 6.) Soixante-six âmes le suivi- suffit à mon plein contentement de savoir que

rent en Egypte. (Ibid. Et Joseph avecles fils


7.) tu vis encore, toi que je croyais mort depuis
gui lui étaient nés faisait neuf /jersonnes ; de longtemps et dévoré par les bêles féroces.
sorte qu'en tout, il y avait avec Joseph soixante- C'est la parole d'un pèrt, parole pleine de ten-
quinze âmes. Dans quel but la divine Ecri- dresse, tt propre à manifester le trésor d'affec-
ture nous marque-t-elle ce nombre avecexa<ti- en réserve dans son àmc. Et Jo-
tion qui était
tude? C'est pour nous faire savoir comment se seph dit à : J'irai annoncer cette
ses frères
réalisa la prédiction divine, ainsi conçue Je : t'y nouvelle à Phnraon, je lui dirai : Mes frèrc<
rendrai le chef d'un grand peuple. (Exod. xu, soyit venus, ce sont des bergers. 31.) Ce
(Ibid.
37.) Car, la race d'Israël, qui avait commencé sont des éleveurs de troupeaux et amènent
ils

par ces soixante-quin/e âmes, s'accrnt jusqu'au l^urs bètes et leurs bœufs Ibid. 32.; Si donc
nombre de six cent mille. Voyez-vous com- Pharnnn vous mond^^ et dit : Quel est votre mé-

ment ce n'est point au hasard ni sans motif tier? Répondez (Ibid. 33) Nous sommes éle- :

quel'auteursacre nous fait connaître le nombre veurs de trouprfuiT. Car tout pasteur de brebis
des personnes qui vitu't nt s'établir en Ejivple; est un objet d'aboini nation pour les Egyptiens.

il veut nous faire mesurer par là le develo()- (Ibid. 3i.)

pement que nous ensei-


prit cette famille et 3. Voyez son intelligence dans le conseil
gner à ne pas doutL^r dis promes-es de Dieu. qu'il l(ur donne; ce n'est point à la légère
Songez seulement qu'après la mort de Jacob, !e qu'il leur prescrit ainsi la conduite à suivre;
roi des Egyptiens, malgré tous ses tfforls pour c'est tout à la fois pour leur procurer plus de
limiter la multiplication de cette race et en arrê- sécurité, et afin qu'ils ne se confondent point
ter la propagation, n»^ [)ut y réussir, quVll-' ne fit avec les Egyjdiens. Comme les Egyptiens
au contraire s'augmenter encore;
ipie croître et abhorraient et mé[irisaieni les hommes adon-
et puis, restez frappésd'admirationen f ce de la nés à la vie pastorale , en tant qu'adon-
Providence de Dicu(|ui réalise infailliblement nés eux-mêmes à l'étude «les scii nces de leur
ses décrets, quelques obstacles qui s'y oppo- pays, Jo^epll conseille a sts frères de faire pro-
sent. Mais considérons toute la suite, afin de fession de ce métier, afin d'avoir lui-même un
voir conunent Jacob jouit enfin de cette heu- prétexte honnèie de leur assigner en propre la
reuse réunion. Quand il approcha de l'Egypte, plus belle j»ortion de la contrée où ils vivraient
ildépêcha Juda devant lui auprès de Josejih, sans être inquiétés. Et aymt pris avec lui cinq
afin de lui fat-e savoir que son père arrivtit. de SCS frères, il les introduisit auprès de Pha-
(Ibid. 28.) A Joseph ayant fait
cette nouvelle, raon. (xLVii. 2.)Et Pharaon leur demanda :
atteler so}i char, alla à la rencontre de son Quel est votre métier? Jls répondirent : Xous
père, et, quand il fut en sa présence, il se jeta sommes éleveurs de troupeaux. ( Ibid. 3.;
à son cou, et répandit des larmes abondantes. Ainsi nous habiterons maintenant dans la terre
(Ibid. 29.) Voilà ce que je disais en commen- de Gésem. (Ibid. i.) Pharaon dit : Qu'ils
çant, que l'excès de la joie arrache souv» ni des y habitent. Mais si tu ci ntiais quelques-uns
larmes. // se jeia à son cou et pleura, que dis- d'entre eux ^ui soient des hommes capables,
je? il répandit des larmes ab<mdantes. Car aus- établis - les intendants de mes troupeaux.
sitôt il se rappelle et ses propres infortunes, et (Ibid. G.) .\insi les frères de Joseph ayant ré-
ce que son |)ère a souffert à cause de lui; il pondu suivant ses avis à Pharaon, obtinrent
songe à la longueur du temps écoulé, et com- la permission d'habiter le pays de Gésem. De
ment c'est contre toute espérance qu'il revoit plus, îliaraon voulant montrer sa bienveil-
son père, que son père le revoit, et il verse un lane^'pour Joseph, ajoute Si tu connais parmi :

torrent de larmes, tout à la fois manifestant eux quelques hommes capables établis les ,

l'excès de son allégresse, et rendant grâces au intendants «le mon bétail. Joseph introduisit
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — SOIXANTE-QUATRIÈME HOMÉLIE. 423

passé. Rappelons-nous que naguère, en pré- qu'il avait étéen eux il ne néglige rien pour
:

sence (le Joseplï , ils se disaient entre eux : leur prouver qu'ils n'ont pas eu de tort envers
C'est justement ; parce que 7ious avons péché lui. comble de sagesse ! bonté surhu-
contre Joseph notre frère, et que nous n'ovoiis maine ! luxe d'amour divin ! Est-ce que c'est
pas été émus de sa douleur ; et que Ruben se vous, leur dit-il, i|ui m'avez infligé ce traite-
leva alors pour dire: N'est-il pas vrai que je ment? C'est la sollicitude de Dieu à mon égard
vous ai dit : ne faites pas de mal à ce jeune qui a permis ces choses, afin de fa ire aboutir mes
enfant^ et que vous ne m'avez pas écouté? à songes, et de vous assurer dans ma personne
plus forte raison était-il vraisemblable qu'il un puissant protecteur. Ainsi donc les tribu-
allaitdésormais les accuser. Voilà pourquoi lations, lesépreuves sont un gage de l'infinie
Joseph apaise leur cœur, et réprime leur hu- providence et sollicitude du Dieu de bonté
meur querelleuse en disant: Ne vous querellez pour nous. En conséquence, ne demandons
paseji chemin : songez que je ne vous ai fait point le repos et la sécurité à tout prix mais :

aucun reproche touchant le passé, et ainsi res- soit au sein du repos, au milieu des épreu-
soit
tez en paix les uns avec les autres. ves, ne cessons pas d'envoyer là-haut le tribut
Qui pourrait donner assez d'éloges à ce juste de notre gratitude, afin que la vue de notre
qui sut exécuter si amplement toutes les pres- sagesse rende notre Maître encore plus pro-
criptions de sagesse renfermées dans la nou- digue pour nous de sa sollicitude, de laquelle
velle loi qui sut accomplir, et bien au delà,
;
puissions-nous tous être favorisés, par la grâce
la recommandation donnée par le Christ aux et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec
apôtres Aimez vos ennemis, priez pour ceux
: lequel gloire, puissance, honneur, au Père et au
qui vous persécutent ? (Matth. v, 44.) C'est peu Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans
montré une charité si parfaite à l'é-
qu'il ait les siècles des siècles 1 Ainsi soitnl.
gard de ceux qui l'avaient fait mourir autant

I
428 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JE.^N CHRYSOSTOME,

les terres des Egyptiens pour Pharaon. Car pour arriver au Maître de l'univers? Ne consi-
ils les lui vendirent contraints par la fa- dérez donc point celui qui reçoit Ihommage.
mine. Et les tenues appartinrent à Pharaon. Ce n'est pas pour lui que vous devez remplir
(Ibid. '20.) Et peuple en qualité
il s'a<ise/'vit le vos obligations c'est' pour celui dont il est
:

d'esclaves, d<'pnis une extrême frontière d'E- prêtre, si vous voulez que celui-là même vous
gypte, jusqiià Vautre (Ibid. 21), les terres des dédommage magnifitiuement. De là ces pa-
prêtres exceptées. Car aux
prêtres Pharaon roles Celui qui a fait quelque chose à un de
:

donna des vivres, mangeaient : aussi ils ne


et ils ceux-ci. Va fait à moi-même, et encore Celui :

vendirent point leurs terres. (Ibid. 22.) Voyez qui reçoit un prophète en qualité de prophète,
combien de sagesse et d'intelligence cbez Jo- recevra la récompense d'un prophète. (Matth.
s;'ph. Il ne permit pas que le peuple ressentît XXV, 40; X, 41.) Est-ce sur le mérite ou l'in-

la faim, et en même temps il assura à Pharaon dignité de ceux que vous honorez que le Sei-
la propriété de toutes les terres avec autant de gneur mesurera votre récompense? C'est
serviteurs qu'il y avait d'Egyptiens. Et veuillez d'après votre zèle qu'il vous couronne ou vous
remarquer la sollicitude extrême qu'il leur condamne. Et de môme que les hommages
témoigne. Il dit aux Egyptiens : Voilà que je qui passent par ce canal proturent un grand
vous possède aujourd'hui ainsi que vos terres crédit (en effet, Dieu prend pour lui le bien
pour le compte de Pharaon. Prenez maintenant qu'on fait à ses ministres), ainsi le mépris de
du ensemencez la terre; et si elle
grain., et cesmêmes personnes sera frappé là-haut d'un
donne des vous donnerez la cinquième
fruits, rigoureux châtiment. En effet, si Dieu prend
partie de la récolte à Pharaon ; les quatre au- pour lui les honneurs, il prend aussi le mé-

tres parties seront à vous pour ensemencer pris. Convaincus de celle vérité, gardons-nous
la terre, et pour vous yiourrir ainsi que vos fa- de manquer à nos devoirs envers les prêtres
milles. (Ibid. 23, 24.) Noble générosité, grande de Dieu. Et si je parle de la sorte, ce n'est pas
prévoyance , inexprimable sollicitude. Aussi tant dans leur intérêt que dans celui de vos
les Egyptiens, touchés de celte bienfaisance, charités, et pour que vous ne négligiez aucun
disent-ils Tu nous a sauvés, nous avons trouvé
: moyen d'augmenter votre richesse. En eflel,
grâce devant notre maître, et nous serons sewi- quand égalerez-vous par vos dons ceux que
teurs de Pharaon. (Ibid. 25.) Vous avez observé vous recevez du Seigneur? quels devoirs si
la libéralité de Joseph : il voit ces hommes grands rendez-vous? Néanmoins, si peu de
épuisés de besoin, et se représentant les peines chose que ce soit, si périssables que soient vos
et les maux que va leur causer le labourage, il offrandes, vous en serez rémunérés par des
dit : Je vous fournirai le grain ; vous, donnez récompenses immortelles et par des biens
tous vos soins. Et s'il vient des fruits, vous en ineffables.
livrerez le cinquième les quatre autres cin- : 5. En conséquence, hàtons-nous de leur
quièmes seront pour vous, comme le salaire prêter ce concours, en songeant moins à la

de vos fatigues, et pour fournir à vos besoins. dépense qu'au profit et au revenu qu'elle nous
Et tel fut l'ordre que leur donna Joseph, de rapporte. Voyons-nous, en effet, un homme
réserver le cinquième à Pharaon, les terres des étroitement lié avec un personnage haut placé
prêtres exceptées. (Ibid. 20.) dans le monde, nous avons hâte de lui témoi-
Ecoulez, hommes d'aujourd'hui, quels pri- gner la plus grande déférence^ pensant que
vilèges étaient accordés autrefois aux prêtres les hommages rendus au client seront trans-
des idoles apprenez à conférer au moins
: et nu's par lui à son patron, (jue le client, en
des honneurs égaux, à ceux à qui est conlié nous signalant au patron, augmentera sa bien-
le culte du Dieu de l'univers. Si des hommes veillance à notre égard : à plus forte raison
égarés, qui faisaient profes^^ion d'adorer les en ierat-il ainsi pour ce qui regarde le Maître
idoles décernaient de pareilles prérogatives à de l'univers. A-ton montré de la bonté cl de
leurs ministres, parce (ju'ils y voyaient le la compassion pour le premier venu dj ces

meilleur moyeu d'honorer les idoles, (juelle mendiauls dont la place publiijue est jou:hce,
condamnation ne méritent pas ceux qui retran- le Maître prend le bienfait à son compte, et
chent aux prêtres d'aujourd'hui une partie de promet l'entiée du roy^'Miie d< s cieux à ceux
leurs honneurs? Ne savez-vous pas (jue ces qui ont fait (pielque bien à ces infortunés :

hommages ne font que passer par leurs mains Venez ici, leur dira-t-il, les bcU'S de mon
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. - SOIXANTE- CINQUIÈME HOMÉLIE. 4^
Père pnrce que j'ai eu faim et que vous
,
, esprit, à se représenter la patience de ces
tnavcz donné à manger. (Matlli. xxv, 3i.) Dès justes , leur longanimité , la foi (ju'ils mon-
lors, coniMient celui (lui aura traité lionorablo- traient à regard des promesses de Dii^u, sans
menl ceux qui soutîrent pour Dieu et (jui sont se laisser troubler par les accidents qui pou-
décorés de la prêtrise, comment celui-là n'ob- vaient survenir ensuite, la résignation avec
tiendrait-il pas une récompense je ne dis pas , Luiuelle, contiants dans la puissance de Celui
égale à ce qu'il aura fait, mais bien supérieure, qui leur avait donné sa parole, ils enduraient

car le bon Dieu est assez ricbe pour rester toutes les épreuves, et en sortaient à leur
toujours au-dessus de ce que nous pouvcins gloire. Par exemple, ce juste qui avait pleuré
faire? Ainsi donc, prenons garde de nous durant tant d'années la mort de Joseph, ce
montrer pires tpie ces infidèles (\w\ dans leur même juste le vit souverain niailrede lEyyple:
zèle pour l'erreur témoij^nent tant de défé- et cet admirable Jo^rcj)!!, après avoir pas^é par
rence aux ministres des idoles au contraire, : la servitude, la captivité et tant d'autres infor-
que nos hommages surpassent ceux des ido- tunes, Joseph fut investi d'un pouvoir absolu
lâtres autant que la vérité est au-dessus de sur toutle pays. Que si nous voulions passer

l'erreur, et les prêtres de Dieu au-dessus des en revue toutes les histoires qui sont racontées
prêtres des idoles, si nous voulons que le ciel dans rEcriturc, nous trouverions que tous les
nous dédommage au centuple. Je continue : hommes vertueux ont marché par la voie des
Jacob s établit eti Egypte : ils prospérèrent tentations, et que c'est par là qu'ils ont pu
et se 7nultiplièrent beaucoup. [^2.] C'est l'exé- attirer sureux en abondance les grâces d'en-
cution de la promesse que Dieu avait faite à haut. Par conséquent, si nous voulons, nous
Jacob : Je Vy rendrai
chef d'im grand peu-
le aussi, mériter la bienveillance divine, ne per-
ple. Et Jacob vécut encore dix-sept ans. Et les dons point courage dans les tentations, endu-
jours de Jacob firent un notnôre de cent qua- rons sans nous plaindre tous les accidents.
rante-sept a?is. (Ibid. 20.) Si Dieu lui accorda Mais plutôt, soutenus par la foi, réjouissons-
ce surcroît considérable de jours, c'est afln nous, soyons heureux, dans la persuasion que
que, avant de mourir, il recueillît une conso- lemeilleur moyen, pour nous, d'obtenir l'appui
lation suffisante des infortunes (ju'il avait en- de la Providence, c'est de nous appliquer à
durées durant toute son existence. rendre grâces de tout ce qui nous arrive. —
Mais, si vous le voulez, afin de ne pas en- Puissions-nous tous, après avoir passé dans la
combrer votre mémoire nous réserverons , vertu la vie présente, être admis au parlage des
pour demain, ce qu'il nous reste â dire, et biens futurs, par la grâce cl la bonté de Notre-
nous terminerons ici ce discours après avoir , Seigneur Jésus-Christ, avec qui gloire, puis-
exhorté vos charités à prêter une exacte atten- sance, honneur au Père et au Saint-E>prit,
tion à nos paroles, à en conserver un souvenir maintenant et toujours, et dans les siècles des
durable, à les repasser continuellement eu siècles. Ainsi soit-il.
410 TMDLXTION FRA.N(:A1SE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

SOIXANTE-SIXIÈME HOMÉLIE.

R Le temps de la mort d'Israël approchait, il appela son fils Joseph et lui dit : Si j'sd trouvé grâce devant toi,

place ta main sous ma cuisse ,


jure-moi que tu me feras une faveur et que tu me tiendras parole : ne m'en-
terre point dans la terre d'Egypte. Je veux reposer à côté de nos pères ; tu me transporteras hors de
l'Egypte, et tu m'enseveliras dans leur tombeau. — Joseph répondit : J'accomplirai tes volontés. — Jure-
îe-moi, dit Israël. Et il le jura. Et Israël s'inclina profondément devant le bâton de commandement que
portait Joseph. > [Gen. XLVII. 29-31.)

ANALYSE

1 Pourquoi Jacob voulut être enseveli dans sa patrie. Mourir sur une terre élrnn?ère n'a rien de malheureux. Précieuse est de-
vant le Seigneur la mort de ses saints. Saint Jean Baptiste, di'col'é, saint Paul de même, saint Pierre crucifie la tète en bas.
— 2. Que la vie présente est une aièue. Israë s'incline dcvanl son lils Jo<epIi. tx|ilicalion di-s versets i-12 du cbap. XLViil.

3. Verset- 13-20. Jacob voyait des yeux de l'âme. Les yeux de la foi plus pcnetrants que ceux du corps. 4. Les r.chesscs —
font obstacle à la vertu.

Finissons aujourd'hui l'histoire de Jacob


i. ture, et à reL\'irder comme une
affaire de peu

et voyons quels ordres il donne au moment où d'iui|tort; n morts soient ra-


e (|ue les restes des

il va quitter la vie. N'allons pas, en jetant les nimés d in<- lerr>' tiauf^èie dans h ur patrie,
i

yeux sur l'état présent des clioses, exiger des nou< opi fSi^nt ce récit, et nous disent que ce
justes qui vivaient alors, ce (jne les fidèles doi- fiit l'ohje' des soucis mèuie d'un palria'che.
vent piati(iuer aiijounrimi : m 'is ju^^'ons d'a- M lis d'ah ird, comme je me suis hâte de le
près les temps et les eircoiisl;inees. Ce préam- dire, il tant considérer que Ion ne doit pas
bule se rapporte aux paroles du jiatriarcheàson exiger des patriarches qui vivaient alors au-
fils Joseph. Ecoutons tjuellessont ses dernitres tant de sjige^se que des fidèles de nos jours ;

dispositions I.e tcntj)S de la mort d' Ismcl ap-


: ensuite, te n'était pas sans motif cpie ce juste
pro( fiant , il opjiela son fi/s Joseph et (ni dit : ^(lul;lit (]uesesoidres fussent exécutes :c'elait
Si j'ai trouvé grâce devant toi place ta mniti y
pour entietenir dans le cœur de ses enfants le
sons ma cnissc ; jurc-nioi que tu me feras une doux espoir, qu'nnjoin'enx aussi retoinneraient
faveur et que tu nie tiendras parole ; ne m'en- d;uis la teife picmix". Et son Ills nous appr» nd
terre point dans la terre d'Egypte. Je vntx d'ime façon plus claire que c'était là son ititen-
reposer à côté de mes jières; tu me transpor. tion, lorsqu'il dit Dieu vous visitera, et alors
:

feras hors de l'Egypte., et tu m'enseveliras dans vous emporterez d'ici mes ossements. (Gen. l,
leur ttnnheau. Joseph répinnlit : J'accompli- '21.) Pour comprendre qu'ils |)reNO\aienl tous
rai tes voUmiés. Jure-le-moi dit Israël. Et il , deux l'avenir par les yeux de la foi, écoutez
le jura. Et profondément dc-
Israël s'inclina Israël s'écrier déjà que un sommeil;
la mort est
vafit le bâton de commandement que portait il dit en elVet Je doi-mirai à côté de mes
;

Joseph. jières. C'c'st pourtpn'i saud P.uil ilisail Tuas :

Beaucoup de gens dont les sentiments S'iit ces patriarches sont morts dans la foi, quoi-
peu élevés, loixjue nous les exhortons à ne qu'ils ?iai(fit pa:> reçu r effet de la promesse,
pas luuir i^raml compte du lieu de leur sépul- mais ils l'ont vu, et l'ont salué de loin. ^Hébr,
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — SOIXANTE-SIXIÈME HOMÉLIE. 431

XI, 13.) Et comment ? \\s l'ont vu par les sur un sot étranger, dont le corps gît étendu
yt'ux (le la foi. Que l'ci ne rej;iU'de donc pas sur les pavés; {|ue dis-je? sur le sol étranger
ceittî dt'rilièro volonlt comme de la |)usillani- et sur les pavés celui-là uiênK! cpii tombe en-
!

milé, mais que l'on considère l'époque et la tre les mains des brigands, qui devient la proie
prévision qu'il avait de leur prochain retour, des bêtes sauvages, s'il est doué de vertu, sa
et qu'on absolve ce juste de toute accusation. mort sera précieuse. Dites-moi le fils de Za- ,

Mais maintenant que les préceptes de la sagesse charie n'a-t-il pas eu la tète tranchée? Etienne,
se sont accrus depuis la venue du Christ, on qui le premier a ceint la couronne du martyre,
aurait raison de blâmer celui qui ferait de sem- n'a-t-il pas été lapidé? Quant à Paul et à Pierre,
blables recommandations. le i>remier n'a-t-il pas eu la tête tranchée?
ne faut pas rei,^ar er comme malheureux
Il l'autre n'a-t-il pas subi le su|)plice de la croix,
celui qui meurt sur la terre étrangère, ni attacliéau gibet en sens contraire de son Maî-
celui qui sort de cette vie dans lasolilude. Non, tre? N'est-ce pas précisément à cause d'une
ce n'est pas celui-là qui mérite qu'on le plai- telle mort que leurs louanges sont chantées et
gne, c'est celui qui est mort dans le péché, célébrées par toute la terre ?
quand même il aurait rendu le dernier soupir, 2. A[)iès toutes ces considérations, ne regar-
étendu sur son lit, dans sa maison, et entouré dons |)as comme malheureux ceux qui meurent
de ses amis. El qu'on ne vienne pas me tenir sur étrangère, n'estimons pas heureux
la terre
ce langage, aussi froid que ridicule et insensé: ceux qui finissent leurs jours dans leur mai-
Cet homme est mort plus misérablement qu'un son ; mais plutôt, suivant
les paroles de la
chien, aucune de sis connaissances n'assistait sainte Ecriture, heureux ceux qui ont vécu
à ses derniers moments,
pu lui fournir
et n'a dans la vertu et meurent dans les mêmes
une sépulture , au moyen d'une
mais c'est dispositions; malheureux ceux qui meurent
quête à laquelle ont contribué un grand nom- dans le péché Car que l'homme vertueux
1

bre de |)ersonnes (ju'on a pu suffire aux frais passe dans un monde meilleur pour y rece-
de ses fiuiérailles, Non, ô homme, ce n'est [)as voir le prix de ses tiavaux au contraire ,

là finir plus misérablement qu'un chien. Quel l'homme pervers voit commencer aussitôt son
doïimiage en a-t-il ressenti*? Il n'y a qu'une supplice, et forcé de rendre com|)te de ses ac-
mort qui soit misérable, c'est de mourir sans tions, il est condamné à des soufl'rances into-
être couvert du manteau de la vertu. Et pour lérables.
nous prouver qu'une pareille mort ne désho- Aussi faut-il que nous y réfléchissions, que
nore en rien l'homme vertueux, sachez que nous cultivions la vertu, et que nous combat-
nous ignorons môme oii la |)lu|>art des justes, tions dans cette vie comme dans une palestre,
je veux parler des prophètes et des apôtres, à afin que une fois le théâtre évacué nous
, ,

l'exception d'un petit nombre, ont été ensevelis. puissions attacher à notre front la couronne
Les uns en effet ont eu la tête tranchée, les éclatante, et que nous ne soyons pas réduits a
autres ont expiré sous une grêle de pierres, d'inutiles repentirs. Tant que dure la lutte, il
d'autres enfin, enflammés par leui piété, se nous est possible, si nous le voulons, de se-
sont livrés à mille supplices différents, et ont couer notre nonchalance, et d'embrasser la
tous péri martyrs de leur amour pour le Christ : vertu, afin que nous puissions obtenir les cou-
qui oserait dire que leur mort est ignomi- ronnes qui nous sont réservées. Mais, s'il vous
nieuse ? Ecoutons plutôt ces paroles de la sainte plaît, reprenons la suite de notre discours.

Ecriture La mort des saints est précieuse de-


: Après qu'il eut fait à son fils ces recommanda-
vant les ijeux du Seigneur. (Ps. cxv, 15.) Et si tions sur sa sépulture, et que Joseph lui eut
elle déclare que la mort des saints est pré- répondu J^accomplirai
: tes volontés; Israël lui
cieuse, entendons-la maintenant, quand elle dit Et il le jura. Et Israël s'in-
dit: Jure-le-moi.
que la mort des pécheurs est misérable. La clinaprofondément devant le bàlon de com-
mort des pécheurs, «lit - elle est misérable. ,
mandement que portait Joseph. Voyez ce vieil-
(Ps. xxxni, -l'I.) Aussi quand môme un homme chargé d'années, témoigner
lard, ce patriarche,

mourrait dans sa maison, assisté de sa femme en s'inclinant devant Joseph, toute la vénéra-
et de ses enfants, enlooré de ses amis et de ses lion qu'il a pour lui, et accomplir ainsi la
conn.iis-anci s, s'il n'est [)as vertueux sa fin , vision. Lorsque Joseph lui eut raconté sa
sera misérable. Mais ea retour celui qui meurt V ision, Israël lui dit : Est-ce que ta mère et
432 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

moi nous viendrons nous pros'erner en terre tenant ces deux fils qui te soiit nés en Egypte,
devant toi? Mais peut-être dira-t-on : Comment sont aussi les miens : Ephraïm et Manassé se-

ce accomcli, puisijiie sa mère


?on{j:e s'est-il ront à 7n')i, comme Rubenet Siméon. (Ibid. o.)
était morte auparavant, et qu'elle ne s'est pns Ceux, dit-il, que tu as eus avant mon arrivée,

prosternée devant son^fils? La coutume de je les compte au nombre de mes enfants; et ils

rEcriture est toujours de y»rcndre le plus im- recevront également ma bénédiction comme
portant pour faire entendre le tout. Car ceux qui sont nés de moi. Quant à ceux que tu
Vhomme est la tète de la femme : ils seront engendreras dans la suite., ils seront à toi, et
tons deux, dit TEcrilure, une m^me chair. ils porteront le nom de leurs frères dans leur

(I Cor. Ti, 3.) Lorsque la tète s'est inclinée, il héritage. Or, sache que Rachel, ta mère, est
est évident cpie le eorps tout entier a suivi ce morte lorsque j'opjjrochais de Bethléem, et que
mouvement. Si le père l'a fait, à plus forte je l'ai enterrée sur la route de l'Jiippodrome.
raison celle-ci l'eût-elîefait, si elle n'avait pas été En voyant les fils de Joseph, il lia dit : Qui
ravie à cette terre. // s'inclina profon'lêinent, sont ceux-ci? Ce sont, ré;)Ohdit-il, les enfcmts
dit l'Ecriture, devant le bâton de commande- que Dieu ma donnés. Jacob lui dit : Amène-
ment que portait son fils. Aussi saint Paul lesauprès de moi, afin que je les bénisse. Il les fit
disait-il : C'est par la foi que Jacob mourant approcher de sonpère. Et il les baisa, et les em-
bénit chacun des fils de Joseph et qu'il s'inclina brassa. (Ibid. 6-10.) Voyez comme ce vieillard se
profondément devant le bâton de commande- hâte et s'empresse de bénir les fils de Joseph : Il

ment que portait son fils. (Hébr. xi, 21.) Voyez- approcher de son père. Et il les baisa et les
les fit
vous qu'il y était poussé par la foi? Il prévoyait embrassa, et dit à Joseph: Ainsi je ïi'ai pas été
qu'il serait de race royale celui (jui devait privé de ta vue, et Dicunia mo)itréaussi
ta pos-
naître de son sang. Après qu'il eut conlîé ses térité. (Ibid. 11.) dans sa bonté m'a
Dieu, dit-il,

dernières volontés à son fils, Joseph apprit accordé de grandes laveurs, de plus grandes
bientôt que son père était malade, (ju'il était encore (jne je n'en espérais, et même que je
déjà aux j)ortes de la mort, que sa dernière n'en aurais jamais espéré. Car non-seulement
heure approchait. Il prit alors ses deux fils, et je n'ai pas été privé de ta vue, mais même
vint vers Jacob. A celte nouvelle., Israël reprit j'aipu contempler ceux qui sont nés de toi. Jo-
ses forces et s'assit sttr sa couche. ( xlvhi ,
seph les fit retirer d'entre lesgenonx de son père,
1, 2.) Voyez combien l'amour paternel r.ilTer- et ils se jn^osternèrent le visage en terre. (Ibid.
lïiissait ce vieillard, combien l'allégresse de son 12.) Voyez comment, dès l'abord, il enseigne à
âme triomphait de la faiblesse de ses mem- ses enfants à rendre à ce vieillard les honueui's
bres. Ayant appris l'arrivée de son fils il , qui lui étaient dus. Ensuite Joseph les fit
s'assit sur sa couche. Dès (ju'il le voit, il lui approcher suivant l'ordre de la naissance,
témoigne toute l'affection qu'il a pour lui, et Mana?sé le premier, puis Ephra'im.
comme il était sur le point de mouiir, il rend 3. Considérez ce juste qui a les yeux du
le courage à ses enfat»ts en leur donnant ea corps m.iintenant atlaiblis par l'âge [car ses
bénédiction, leur laissant ainsi la plus grande yeux étaient si appesantis à cause de sa vieil-
des fortunes et une richesse qui ne pourrait lesse, qu'il ne pouvait voir), mais chez qui les
jamais être épuisée. Voyez quelles sont ses yeux de ont acquis une nouvelle force,
l'esprit
premières paroles. D'abord il raconte li bien- et qui prévoit iléjà l'avenir par les yeux de la
veillance que Dieu a toujours eue pour lui, foi. Car il n'observa pas l'ordre dans le(|uel
puis il donne sa bénédiction à ses fils, et leur Jose|>h lui avait présenté ses fils, mais il changea
dit : Mon Dieu m'est apparu à Luza, dans la de mains en les bénissant, et donna la préémi-
terre de Chanaan, il m'a béni et m'a dit : Je te nence au plus jeune, en préférant Ephraun à
ferai croîti^e et multiplier je te ferai devenir
^ Manassé. Puis il dit Dieu à qui mes pères ont
:

une assemblée de peuples , donnerai


et je te plu. (Ibid. 15.) Voyez l'humilité de ce pa-
cette terre à toi, et ensuite à ta postérité qui la triarche, voyez quel amour il a pour sou Dieu.
possédera éternellement. (Ibid. ;{, -1.) Dieu, dit- 11 n'a |tas osé dire : Dieu, à qui j'ai plu. Que
il, m'a promis, lorsqu'il m'est apparu a Luza, que dit-il? /J/cMà qui mes pères ont plu. Avez-
ma race se mnlli|)lierait à un tel point (jue des vous conq)ris combien son cœur est |>lein de
nalions sortiraient d'elle; ilm'a [iromis de me reconnaissance? Et cependanl, })eu d instants
^douuer celle Icne ù moi et à ma poslcrilé. Main- aupaïuvaat, eu racuutuut êavi^iuu, il avait dit;
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — SOIXANTE-SIXIÈME HOMÉLIE. 433

Dieu 77i'cst apparu à Luza^ et il m'a promis de que j'aie agi ainsi sans motif, au hasard, ou par
rue (former toute cette terre à moi et à ma race, ignorance. Je le sais, et c'est parce; que je pré-
et de faire devejiir 7na race une assemblée de vois les événements futurs, donné ma (|ue j'ai
peuples. Quoiqu'il ait des preuves aussi évi- bénédiction au plus jeune. Li nature, il est
dentes de la bienveillance de Dieu envers lui, vrai, a donné la prééminence à Manassé, mais
il conserve néanmoins un cœur humble, et son frère sera plus illustre que lui, et sa pos-
dit : Dieu^ devant la face duquel mes pères, térité sera une multitude de nations. Jacob agit
Abraham et Isaac, ont trouvé grâce. Puis il ainsi parce ijue de lui devait naître un roi. Il

reprend Dieu qui me nourrit depuis mon en-


: prédisait déjcà l'avenir, c'est pourquoi il lui
fance. Considérez ici encore la ^Mandcur de sa donna ainsi sa bénédiction. Et il les bénit, et dit:
reconnaissance. II ne parle pas tie son mérite Jyraël sera béni en vous, et l'on dira: Que Dieu

personnel, mais il raconte les bienfaits qu'il a te fasse semblable à Ephraïni et à Manassé !
reçus de Dieu, et il dit Dieu qui m'a nourri :
Et il préféra Ephraïm à Manassé. Tous deux,
depuis mon
enfance jusqu'à ce jour. Car c'est dit-il, seront si illustres que tous souhaiteront
lui-même (lui a dirigé mes affaires depuis le d'arriver à une telle gloire cependant Ephraïm
;

commencement jusqu'à l'époque présente. surpassera Manassé. Voyez-vous comment la


C'est ainsique tout récemment encore il disait : grâce divine lui révélait d'avance l'avenir,
J'ai traversé le Jourdain avec mon bâton ; et comment, animé par un souffle prophétique, il

maintenant je retourne avec ces deux bandes. bénit les enfants de Joseph? Car les événements
(Gen. xxxii, 10.) Il dit encore la même chose qui ne devaient s'accomplir qu'après un si long
en d'autres termes Celui qui m'a nourri de-
: temps, il les voyait comme déjà présents et pla-
puis mon enfance jusqu'à ce fom^ Vange qui cés sous ses yeux. Tel est l'esprit prophétique.
m'a délivré de tous les maux. Ce sont les pa- De même que les yeux du corps ne peuvent
roles d'une àme reconnaissante, d'une âme qui rien apercevoirde plus que les choses visibles,
aime Dieu et qui conserve dans sa mémoire le de même les yeux de la foi ne regardent [)as les
souvenir des laveurs divines. Celui, dit-il, à événements visibles, mais ils se représentent
qui mes ancêtres ont plu, celui qui m'a nourri ceux qui doivents'accomplir dans la suite après
depuis mon enfance jusqu'au moment présent, plusieurs générations. Et cela, vous le verrez
qui dès le principe m'a délivré de tous les plus exactement par les bénédictions qu'il
maux, qui a montré pour moi une si grande donne à ses propres fils. Mais pour ne pas
sollicitude. Celui-là bénira ces enfants ; et ils étendre notre discours, et ne pas vous imposer
porteront mon nom et le nom de mes pères., une trop lourde tâche, contentons-nous de ce
Abraham et Isaac, et ils se multiplieront très- qui a été dit, et réservons pour le discours
abondamjnent sur la face de la terre. (Ibid. 16.) suivant la bénédiction qu'il donna à ses en-
Voyez-vous quelle est sa sagesse, et en môme fants. Toutefois j'invoquerai votre charitépour
temps quelle estson humilité?Sasagesse, parce vous exhorter à imiter ce juste, et à laisser à
que prévoyant l'avenir par les yeux de la foi, vos enfants des héritages qui ne puissent ,

il a préféré Ephraïm à Manassé son humilité ; recevoir de personne aucun dommage. Car
parce qu'il n'a fait aucune mention de son mé- souvent les richesses ont causé la ruine de
rite personnel, mais qu'il s'est appuyé sur la ceux qui les avaient reçues, et leur ont suscité
sainteté de ses ancêtres, et sur les bienfaits que des embûches et de nombreux périls; mais ici

lui-même avait reçus, pour demander et im- il n'y a jamais rien de tel à redouter. En effet
plorer la bénédiction du ciel sur ses fils. C'est c'est un trésor (lui ne peut ni s'épuiser, ni se
ainsi que Jacob, qui prévoyait les événements consumer c'est un trésor qui ne peut étro
:

futurs, leur donna sa bénédiction. Mais Joseph amoindri ni par les embûches dos hommes, ni
voyant le plus jeune préféré a l'ainé, en eut du par une attaque de brigands, ni par la perfidie
déplaisir et dit : Voici le premier- né : mets ta des serviteurs, ni paraucun moyen quece soit;
main droite sur sa tête. Jacob refusa et dit : mais il nous reste continuellement, car il est
mon fils, je le sais. Le premier-né de-
Je le sais, spirituel, et n'est pas exposé aux embûches
viendra aussi un peuple, et même il sera grand; deshommes. Si ceux qui l'ont reçu veulentde-
mais une plus grande gloire est réservée à son meurer sages, il les accompagnera dans la vie
jeune frère, et sa postérité sera une multitude future et leur préparera d'avance des taberna-
de nations. \}h\à. 17-19.) Ne crois pas, dit-il, cles éternels.

S. J. Ch. — Tome v
iVi TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

4. Ne travaillons donc pas à ramasser des mais parce qu'ils ne savent pas en user
richesses, pour les transmettre à nos enfants; comme il convient. Aussi un sage disait-il :

mais rnsL'ignon"=-!eur la vertu et iniplorous Les richesses sont bonnes à celui i, ni n'a point
pour eux la bénédiction du ciel. C'est là, oui, de péché. (Eccl. xin, 30.) Abraham en effet était

c'est là la plus grande fortune, c'est une ri- riche, ainsi que Job, mais leurs richesses, loin
chesse ineffable, inépuisable, et qui chaque de leur causer aucun dommage, leur ont ap-
jour augmente notre bonheur. Car rien n'égale porté une plus grande illustration. Pourquoi?
la vertu, rien ne l'emporte sur elle ; celui-là Parce qu'ils ne s'en servaient pas seulement
même qui est roi et qui porte le diadème, s'il pour leur jouissance personnelle, niais pour le
n'est pas vertueux sera plus misérable que le soulagement des autres, venant eu aiJe aux
pauvre couvert de haillons. En quoi le diadème besoins dts pauvres et ouvrant leur maison à
eu la pourpre pourra-t-elle servir à celui qui tout étranger. Ecoutons parler l'un d'eux :

se laisse dominer par l'inertie? Est-ce que le Si jamais (juelqiiim est sorti de ma nmison
Seigneur connaît la différence des dignités les mains vides et si wi ma/heureux gui avait

profanes? Est-ce qu'il se laisse fléchir par l'é- besoin desecours en a jamais manqué. (Job, xxxi^
clat des personnages? Nous ne cherchons ici IG.) Et non-seulement leurs richesses mani-

qu'une seule chose, c'est que par l'effet de la festaient leur charité pour les pauvres leurs ;

vertu nous puissions trouver ouvertes les por- soins révélaient encore leur sa^e bienveillance.
tes de la confiance en Dieu car celui qui n'ac-
; Je servais, dit-il, de pieds au boiteux^ dyeux

quiert pas dès à présent cette confiance, sera à l'aveufjle et j'arrachais la proie aux dents de
rangé parmi les hommes dégradés et qui man- l'homme injuste, {^oh, xxix, 13, 17.) Le voyez-
quent de confiance Méditons ('.o ne tous celte vous veiller sur les opprimés et remplacer
pensée et enseignons à nos enlants à préférer pour tous les infirmes leurs membres muti-
la vertu à tous les biens vA à ne tenir aucun lés? Imitons-le donc tous, lui qui avant la loi,
compte de l'abondance des richesses. Car ce avant la grâce, a montré uiic pareille sagesse,
sont elles, oui, ce sont elles qui le plus souvent et cela, sans avoir eu de maître ni d'ancêtres
font obstacle à la vertu,quand les jeunes gens vertueux c'est par lui-même et par la droiture
;

ne savent pas user des richesses comme il de SI raison qu'il est arrivé à ces vertueuses
convient. Lorsque les petits enfants s'emparent pratiques. Car chacun de nous possède au fond
d'un couteau ou d'une épée, le plus souvent à de son cœur la coimaissance de la vertu, et à
causié de leur inexpérience, ils courent un pé- moins qu'on ne veuille sacrifier par faiblesse
ril évident; aussi leurs mères ne les laissent- la noblesse de sa naissance, on n'en sera ja-
elles pas toucher à ces armes impunément : il mais privé. Puisse chacun de nous embrasser
en est de même des jeunes gens ; lorsqu'ils ont cette vertu, la cultiver avec zèle et obtenir les
reçu d'immenses richesses, ils se précipitent biens t|ui sont promis à ceux qui aiment Dieu,
eux-mêmes dans un danger maniftste, parce par la grâce et la misériconle de Notre-Sei-
qu'ilsne veulent pas en user comme ils doi- gneur Jésus-Christ, qui partage, avec le Père et

vent, et dès à présent ils chargent leur cons- le Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l'hon-
cience de lourds péchés. De la naissent la mol- neur, maintenant et toujours, dans Icb sicdia I
lesse, d'absurdes voluptés et mille autres maux: des siècles I Ainsi soit-il.
non par cela seul qu'ils possèdent ces richesses,
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — SOIXAiNTE-SEPTIÈME HOMÉLIE. 435

SOIXANTE-SEPTIÈME HOMÉLIE.

< IiraAl dit à Joseph : Voici que je meurs, et Dieu vous fera retourner de celte contrée au paya de vos pères.

Je t« donne de plue qu'à les frères Sichem, que j'ai prise avec mon glaive et mon arc.» (Gen. XLVIII, 21-22.)

ANALTSE.

1. Résumé de l'instruction précédente. Suite de la prophétie de Jacob, Les talents naturels sont inutiles où manquent les bonnes
mœurs. Eiplication des versets 1-4 du XLix"^ chap. — 2. Explication des versets 5-li. — 3. Le mystère de l'Eucliarislie pré-
figuré. Explication des versets 12-29. — 4. Suite de l'explication du texte jusqu'au verset 18 du l« chapitre. Pourquoi ces
grandes lamentations qui accompaguent la mort, dans l'Ancien Testameat. — 5. Fin de l'histoire de Joseph. 11 console et comble
de biens ses frères, il prédit^ au moment de mourir, le retour des Juifs.

i. Je vous avais promis l'autre jour de ter- tourner de cette contrée au pays de vos pères.
miner l'histoire de Jacob; mais notre discours Je te do)me de plus qu'à tes frères Sichem, que
s'étant prolongé, ne nous a pas été possible
il j'ai prise avec mon glaive et mon arc. Après
de réaliser cette promesse. Je veux donc , au- qu'il a béni les enfants, et que, dans sa pré-
jourd'hui, mettre sous vos yeux la partie qui voyance, il a préféré le plus jeune à l'aîné,

n'a pas été traitée l'autre jour, afin que, cette voulant convaincre Joseph qu'il n'a point agi
fois du moins, si Dieu le permet, nous finis- ainsi par caprice ni sans raison, mais en vue
sions notre tâche. Mais il faut d'abord rafraî- de l'avenir qui lui était révélé, il lui prédit à
chir la mémoire de votre charité, et vous fixer lui-même sa fin, lui annonce que sa famille
le point précis du sujet où s'est arrêtée notre quittera la terre étrangère pour revenir dans
instruction. Vous n'ignorez pas, vous vous la contrée de Chanaan, pays de leurs pères, et
rappelez que c'est au moment oiî le juste vou- joint à cela des paroles d'espérance, propres à
lant bénir les enfants de Joseph ,
préfère les soulager dans leur attente. En effet, l'espé-

Ephraïm à Manassé, nonobstant le méconten- rance allège toujours les peines d'ici-bas. Puis,
tement du père, auquel il dit ces paroles Je : montrant jusqu'au moment de la mort la ten-

le sais bien, ynon fils; celui-ci sera aussi chef dresse qu'il avait pour Joseph, il lui dit: Je te
de peuple, et il sera exalté; mais so7i frère donne de plus qu à tes frères, Sichem; indi-
qui est le plus jeune, sera plus grand que lui, et quant assez clairement par là que son dire ne
de sa race une foule de peuples sortiront. Et pouvait manquer de se réaliser, que ses en-
il les bénit en ce jour, disant : En vous sera fants retourneraient au pays selon sa prédic-
béni Israël et Von dira : Que Dieu te fasse
,
tion, et qu'ils hériteraient du pays de leurs
comme à Ephraïm à Manassé! et il mit
et pères à telles enseignes qu'il donnait à Joseph
;

Ephraïm devant Manassé. Parvenu à cet en- Sichem en héritage de plus qu'à ses frères, Si-
droit, de peur d'encombrer votre mémoire, chem qu'il avait ravie aux mains des Amor-
nous avons conclu l'instruction; mais si bon rhéens avec son glaive et son arc. Qu'est-ce à
vous semble, nous verrons la suite aujour- dire? C'est qu'il revendique l'expédition de
d'hui. Israël dit à Joseph : Voici que je meurs, Siméon et de Lévi contre ceux de Sichem, et
et Dieu sera avec vous, tt Dieu vous fera re- de là ces mots : Que j'ai prise avec mon glaive
i36 TRADUCTION FRANÇAISE Dl SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

et mon arc. Mais ici il ne serait pas hors de tairement, montrant par là que les avantage»
propos de rechercher pourquoi, s'il revendi- naturels ne servent de rien, si l'on n'y joint
quait cetie action, et devait plus tard tester en les bonnes œuvres et la vertu car c'est là ce ;

ces termes, prononce ailleurs contre Simcon


il qui procure la louange ou attire le blâme. Dtir
et Lévi l'Ecriture nous a
une accusation que à supporter^ dur et obstiné. Tu es déchu, lui
conservée? En cet endroit le juste ne se con- dit-il, par ta témérité, du rangque t'avait donné
tredit point; il montre seulement la douceur la nature. Puis il enregistre jusqu'à l'espèce du
de son caractère, et déclare que cette extermi- péché, afin (jue les descendants trouvent une
nation s'est faite malgré lui ; en effet, non con- grande leçon propre à les détourner de toute
tent de blâmer cet acte lorsqu'il s'exécutait, il action pareille dans la condamnation pronon-
le réprouva quand il eut été commis. Mainte- cée contre Ruben. Tufes révolté, comme Veau
nant voulant montrer sa tendresse pour Jo- ne d>}borde point. Car tu e^ mojité sur le lit de
seph, il lui cède Sichem qu'il a prise ajoute- , ton père : alors tu as souillé la couche où tu es
t-il, avec son glaive et son arc. L'action a été jnonté. flbid. 4.) Il fait allusion au commerce
faite par eux, mais la ville m'appartient. Car de Ruben avecBalla.
si le père est le maître de ses entants, à plus ^2. Voyez-vous comment, parla vertu de l'in-

forte raison peut-il disposer de leurs biens ;


et telligence que lui avait octroyée l'Esprit, il

s'il peut en disposer, il peut aussi faire le par- prend les 'levants sur cette loi de Moïse que le

ta^'e à sa volonté. Voulant donc montrer sa père et le fils ne doivent pas approcher de la
bienveillance pour Joseph, il ne se borne point même femme? Le reproche qu'il adresse à son
pour cela à bénir Ephraïm et Manassé, dans la fils implique, en effet, cette interdiction : Tu
même intention, il laisse Sichem à son fils à as souillé la couche, en montant sur le lit de
part du commun héritage. Jocob fit venir ses ton père tu as commis une action défendue.

fils et leur dit : Réunissez-vous^ afin que je En conséquence, puisque de cette manière Tu^-
vous annonce ce riui vous arrivera dans les der- fes récolté, comme Veau ne déborde poiiU. Tu
niers temps. (xLix, t.) Asseniùlcz-vous , et n'auras pas à te féliciter, veut-il dire, de cette
écoutez votre père Israël. (Ibid. 2.) Venez ici, criminelle entreprise, d'avoir osé, sans aucun
leur dit-il, et apprenez de ma bouche non les égard pour ton père, déshonorer sa couche.
choses du présent, ni celles qui doivent arri- L'Espril-Saint a voulu que les générations sui-
ver sous peu, mais celles qui s'accompliront vantes se gardassent de suivre un tel exemple;
dans les derniers temps. Et ce n'est pas moi, à voilà pourquoi il a pourvu à ce que celte accu-

vrai dire, qui vous les révélerai, ce sera l'ins- sation fût consignée par écrit. Par là, tout le
piration du Saint-Esprit. C'est grâce à elle que momie peut apprendre et se convaincre qu'une
je puis, dès à présent, vous prédire ce qui aura préséance conlérée par la nature est de nulle
lieu après une longue suite de générations. En utilité, si les actes de
volonté y contredisent.
la

effet,sur le point de finir mes jours, je veux Ensuite, lorsqu'il a suffisamment stigmatisé
en chacun de vous, connne sur une table d'ai- cette abominable action, il passe à Siméon et à

rain, graver mon souvenir. Voyez maintenant Lévi. Siméon et Lévi ont consommé l'injustice
comment ce juste, en présence de ses enfants de leur volonté. (Ibid. 5.) Leur zèle à venger
réunis, observant l'ordre des générations pos- leur sœur les a poussés à cette injustice. Ptiis..

térieures, accom[)agne chaque nom de la bé- montrant (;ue c'est à son insu (ju'ils ont exé-
nédiction ou de la malédiction qui lui convient, cuté leur dessein, il ajoute : Qtte mon dtnc ne
et montre en cela même l'excellence de sa vieime point dans leurs conseils, et que tnon
vertu. H conun(Mice par le premier. Ilubcn, cœur ne sappuie point sur leur réunion.
dit-il, mon prc7nicr-nc, ma force et le chef âe (Ibid. 0.) A Dieu ne plaise que j'aie été associé à
mes enfants^ dur à supporter, dur et obstiné. leur dessein, que j'aie adhéré à leur injuste
(Ibid. 3.) Considérez la sagesse du juste. Afin entreprise ! Parce que dans leur courroux ils

de renforcer l'accusation portée contre Uuben, ont tué des hommes. La raison n'a point dirige
il parle d'abord des prérogatives qu'il tient de leur courroux. Sichem eùl-il été coupable, il
la nature, de la préséance dont il a joui en tant ne fallait pas pour cela commettre un massacre
que chef des enfants, et comme ayant le rang général. Et dans leur fureur ils ont estropié le
d'aîné; puis il inscrit pour ainsi dire sur une taureau. Il fait allusion ici au fils d'Ilemor
table d'airain les péchés où il est tombé volon- qu'il appelle taureau à cause de sou âge, alors
HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. — SOIXANTE-SEPTIÈME HOMÉLIE. 437

dans sa tleur. con-


Puis, ayant rappelé leur etlesprinccsdesJuifs subsisteront jusqu'à sa ve-
duite, il une nialeilietion et dit Maudit
ajoute : nue. Et il dit très-bien 7V.s////Vi la venue de Celui
soit leur cotmoux, parce quil est inexorable, et à qui est réservé le dépôt; il parle de Celui à (jui
letir ressentiment parce quil a été implacable. la royauté est préparée. Au?si est-il Vottoitc
(Ibid. 7.) Il veut parler de la ruse (|u'ils ont des rations. Voye/ comment il j)arle déjà du
employée coutn; leurs ennemis, du stratagème salut futur des nations elles-mêmes. Lid-même
dont ils se sont servis pour les attaquer. Leur sera Vattode des nations. Les nations atten-
courroux, dit-il, est inexorable, impétueux, dent sa venue. Attnchajit à une vigne S(ûipoU'
irréflécUi. l'Jt leur rcssentinie/it, parce quil a loin, et aux branches son ùnan. (Ibid. II.) Par
été implacable. En ell'et, c'est lorsque les Siché- cet ûnon, il désigne les nations (jui seront con-
miles les croyaient le mieux disposés pour eux, verties. L'àne étant 'un animal inniionde, il

que faisant éclater leur violente colère, ils ont dit pour cette raison : Ces nations impures se-
tait de ce peuple leur proie et leur butin. Puis, ront amenées avec la même iacilité qu'un
quand il a lait le récit de leur péché, il prédit ânon qu'on attache aux branches d'une vigne;
la veniieance qui doit les en punir. Je les divi- il in(lii|ue par là l'étendue de cet empire,
serai en Jacob et les disperserai en Israël. Us robéissaiice |>arfaile de ces nations. En effet,
seront dispersés en tous lieux, veut-il dire, c'e4 la marque d'une grande douceur chez un
afin qu'il devienne clair pour tout le monde âne que de se laisser attacher aux branches
qu'ils sont ainsi punis de leur coupable entre- d'une ^igne. Quant à la vigne, c'est une image
prise. Juda, que tes frères te louent. (Ibid. 8.) à laquelle Jésus compare sa doctrine : Moi je
La bénédiction donnée à Juda est une béné- suis la vraie vigne, dit-il, et 7?wn Père est le
diction mystique qui nous révèle à l'avance vigneron. (Jean, xv, 1.) Les branches de la
tout ce qui doit être réalisé dans le Christ. vigne représentent ce (ju'ilya d'afîeclueux, de
Juda, que tes frères te louent ! En efl'et , c'est facile dans les articles de la législation ; il
parce que le Christ devait naître de cette fa- faitentrevoir par là que les nations seront
mille, selon les calculs de la Providence, oue plus dociles que les Juifs. // lavera dans le vin
Jacob, inspiré du Saint-Esprit, prophétise dès sa robe, et dans le sang de la grappe son vête-
lors par ce qu'il dit touchant Juda, non-seule- ment.
ment la descente du Seigneur parmi les 3. Voyez combien ici l'allusion au mystère est

honmies, mais encore le mystère, la croix, complète. Les initiés saventà quoi s'applique la
l'inhumation, la résurrection, enfin tout abso- parole Il lavera sa robe dans le vin; par ce
:

lument. Juda, que tes frères te louent. Tes mot, robe, il faut, si je ne me trompe , entendre
mains sont sur le dos de tes ennemis , et le corps dont Jésus, dans son Incarnation, a
les fils de toripère t'adoreront. 11 indi((ue ainsi daigné se revêtir. Puis, pour vous faire enten-
la soumission où ils sont destinés à vivre. dre ce que c'est qu'il appelle vin , il ajoute et :

C'est un lionceau que Juda. Tu es sorti du son vêtement dans le sang du raisin. Considérez
germe, mon fils. (Ibid. 9.) Il prédit sa royauté. comment, [)ar ce mot sang, il nous fait songer au
Car c'est la coutume constinle de l'Ecriture que supplice, à la croix, et à toute la série des mys-
de désigner puissance royale parla figure du
la tères. Ses yeux sont plus beaux que le vin, et ses
lion. Retombé tu t'es endormi comme un lion. dents plus blanches que le lait. (12.) Ici c'est la

Qui le réveillera? Ici il a en vue la croix et le sé- gloire qu'il veut représenter par cette méta-
pulcre. Qui le réveillera? Nul n'oserait tirer phore du vin et des yeux. Et ses d^nts sont
un lion de son sommeil, de làces mots Tu : phis blanches que le lait ; c'est la justice et la

fes endormi comme un lioji. Qui leréveillera? majesté du juge. Par les dents et par le lait, il

C'est lui-même, lui qui dit : J'ai le pouvoir de ne désigne rien autre chose que la pureté et
mon âme et le pouvoir de la reprendre.
quitter l'éclat du jugement, qui rappellera les dents et

(Jean, x, 18.) Puis il indi(|ue clairement le lait. 11Zabulon habitera sur le ri-
ajoute :

l'époque où le Christ doit paraître suivant les vage de la mer, près du port des navires et
et

vues de Providence. Il ?ie manquera pas de


la il s'étendra jusqu'à Sidon (13.) Voyez comme

rois issus de Juda, ni de chefs sortis de ses à celui-ci pareillement, il prédit où il aura son
flancs, jusqu'à la venue de Celai à qui est ré- séjour, et qu'il dominera jusqu'à Sidon. Issoi'

servé le dépôt. Et lui-même sera l'attente des char a désiré le bien, et il se tient dans les bor-
nations. (Ibid. 10.) C'est-a-dire que le judaïsme nes de son partage. (U.) Et voyant que le repos
i3S TRADUCTION FR.ANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

que la terre est


est bon, et fertile, il a baissé Vé- S-i propre ferveur. Et il t'a béni du haut du

vaule pour travailler, et il qst devenu cultiva- ciel. Il ne s'est pas borné à te secourir, // fa
teur. (13.) Il le loue d'avoii rlioisi ragriculture, léîii de la bénédict/'o)' de la terre qui contient
et préféré à tout le travail de la terre. Dan ju- toutes choses, à caus^ de la bénédiction des ma-
gera son peuple, comme une seule tribu dans melles et des entrailles de la bénédiction de toji
Israël. (16.) Et que Dan devienne comme un père et de ta mère. Il a surpassé les bénédic-
serpent dans le chemin, comme un céraste dans tions des stables montagnes, et les désirs des
le sentier, qui mord le pied du cheval ; et le ca- collines éternelles. (Ibid. 26.) — C'est sa gloire,
valier tombera à la roiverse, attcîidant le salut son élévation, sa souveraineté sur l'Egypte
du Seigneur. (17.) On ne saurait trop admirer qu'il a en vue dans ce passage s'il parle de ;

comment ce juste, prévoyant tout avec les montagnes et de collines, c'est pour caractériser
yeux de l'Esprit, prédisait l'avenir à ses enfants, sa grandeur et sa puissance et faire voir qu'il
et annonçait à chacun ce qui devait lui arriver; a été porté au plus haut sommet. Ces bénédic-
il prophétise dès lors ce qui ne doit se réali- tio?}s seront sur la tète de Joseph et sur la tète
ser que beaucoup plus tard. La tentation ten- des frères dont a été le chef. Ces bénédictions
il

tera Gad; mais il tentera lui-même son eimemi seront sur ta Benjamin, loup ravissant,
tête.

de près. (19.) Le pain d'Azer sera excellent, mangera la proie le matin, et le soir il parta-
et les 7'oiss'en nourriront. (20.) Nephthali icra gera la nourriture. (Ibid. 27.) Ici encore, il
comme im arbrisseau qui s'élève, et s'embellit prédit à Benjamin des événements prochains :

en pullulant. Puis, après avoir parlé d'eux comment, pareil à un loup, il ira dévastant,

brièvement , il revient à Joseph, et dit : Mon tuant, exerçant mille ravages. Puis, après avoir

fils Joseph a grandi, il est digne d'envie; Joseph prédit à tous ses fils les bénédictions propres à
est mon grand fils mon jeune , fils. (22.) Il veut chacun, il bénit chacun d'eux, suivant la bé-
lui direTu es devenu un objet d'envie dès le
: nédiction qu'il lui avait donnée. (Ibid. 28.)
commencement. (23.) On conspirait contre lui, C'est comme s'il disait : Il fit à chacun la prédic-
o?i Vinsidlait ; allusion au complot de ses frères tion qui devait lui être faite, et prophétisa les
contre lui. — Puis, il que disait plus
rappelle ce destinées résenées à chaque tribu; enfin,
haut l'Eciiture, qu'ils avaient accusé perfide- lorsqu'il eut distribué les révélations qu il

ment Joseph auprès de son père On conspi- : tenait de l'Esprit, il leur dit : Je rejoins mon
rait contre lui, on Vinsidtait; et ceux qui ont peuple , vous m'ensevelirez avec mes pères.
des fièchcs V attaquaierit ; c'est leur projet ho- (Ibid. 29.)
I
micide. Et leurs arcs fiurefit brisés avec Par cette recommandation il leur procure
4.

force. (2-4.) une consolation incomparable. Car ils pen-


Après avoir dit leur entreprise, il en dit le saient que le juste ne leur aurait pas prescrit
résultat. Leiirs arcs furent brisés ; et les nerfs ce soin, s'il n'avait été certain de leur futur
de leurs bras se détendirent. Ils essayèrent de retour et de la cessation de leur servitude en
le tuer, exécutèrent leur projet, autant
et Egypte. Il fixe ensuite le lieu ; Dans la caverne
qu'il était en eux. Mais leurs arcs furent qui est dans le champ d'Ephro)i Hcthcen. Et
brisés et leurs nerfs détendus : n'est-ce pas ayant dit ces paroles, il ccs^a de donner des or- I
là, en effet, ce qu'ils durent éprouver lors- dres à ses Et Jacob ayant levé ses pieds au-
fils.

qu'ils entendirent Joseph qui leur disait : dessus du lit, mourut et se réunit à son peuple.
Je suis votre que vous avez
frère Joseph Considérez comme la fin du juste est elle-
vendu pour qu'on Vcmmenât en Egypte ? même admirable. En effet, après avoir donné
C'est alors surtout, c'est alors que leurs nerfs ses instructions à ses enfants, il élève ses pieds
furent détendus par le Roi de Jacob. Tu es sorti au-dessus du lit : on dirait que cela lui cause
de là pour être la force if Israël, grâce au Dieu de la joie. Ainsi, après avoir fait toutes ses re-
de ton père, et ynon Dieu t'a secouru. (Ib. 25.) commaudatituis, // élève ses pieds, c'est-à-dire,
C'est le Roi qui a détendu ces nerfs, car c'est les étend, les allonge : puis il meurt, et se
mon Dieu lui-même (|ui t'a secouru. — Voyez réunit à son peuple. Et Joseph se jetant sur
le prolond amour du juste pour le Seigneur; la face de son j ère, pleura sur lui et le lioisii.

(hi Maître de lirnivers il fait son Dieu, à lui, Voyez-vous ccUo loudrcsse filiale? Voytz-vous
nou pour limiter son empire, ni pour lui ôter cette ardente uffecliou? Quand l'âme a quiîtc
son pouvoir sur le monde, mais pour manifester le corps, Scjeta?it sur la face de son père il le
HOMitLIES SUR LA GENÈSE. - SOIXANTE-SEl>TItME HOMÉLIE. •no

baha et plexra sur lin. Après cela Joseph se lanimité des frères de Joseph, et la crainte
liâle d'accomplir les proscriptions pal( rnelles. qui agitait leur âme. Les frères de Joseph,
// ord ijinn aux enibauuieurs d'embdujïur son voi/ant que leur père était mnrt, dirent: Puisse
père. (lbi(L 2.) Et il pleura duraitt les fjua- Joseph ne pas nou-i garder rancune, ne pas
ranfe jours que dura l'embaumemout et , nous rendre ce qu'il nous doit, tous les maux
V Egypte soixante-dix jours durant. (Ibid. 13.) que fu)us lui avoîis faits! (Ibid. 15.) L'ellroi
Et (juand toutes les cérémonies furent termi- tourmente leur cœur déchirés de remuids, :

nées, alors il lit connaître à Pharaon et à ses ils ne savent <|ue Voyant donc qu<;
faire. ur '

gens les volontés de son père, et dit Mo?i : père n'était plus, et redoutant de la part dj
père m'a fait jurer, disant : Le sépulcre, que Joseph une juste vengeance, ils se présentè-
je me suis creusé dans la terre de Chanaan est rent devant lui, et dirent : Ton père nous
le lieu Gif tu m'enseveliras. MaiiUenant donCy a fait jurer avant de mourir, disant : Dites à
je partirai avec mon père, je l'ensevelirai, et Joseph : Pardonne-leur leur injustice et leur
je reviendrai. (Ibid. o.) Il convient que ses or- faute. (Ibid. IG.) Remanjuez de nouveau com-
dres soient exécutés par moi. Quand j'aurai ment ils s'accusent eux-mêmes. ObserM-z com-
fait selon sa volonté, je reviendrai. Là-dessus bien est accablant le témoignage de la con-
Pharaon permit. Et Joseph partit pour ense- science. Vous avez beau faire vous savez (]ue :

velir son père, et avec lui partirent tous les vous avez commis l'injustice, le péché, que
serviteurs de Pharaon. (Ibid. 7.) Et ils quit- vous vous êtes rendus coupables de mauvaises
taient leur famille, leurs bœufs et leurs brebis. actions. Et maintenant accueille l'iniquité
(Ibid. 8.) Et avec lui partirent des chars et des des serviteurs du Dieu de ton père. Vous avez
cavaliers, et ce fut une invasion très-considé- vu conmient, c'est sans y être forcés qu'ils
rable. (Ibid. -9.) Voyez quel empressement s'accusent et disent : Ton père a dit Pardonne- :

montrent les Ej^yptiens, afin d'honoré'' Joseph : leur le mal qu'ils t'ont fait, ci accueille l'ini-
ils raccompa{,^nent en grand nombre quesi qu'té des serviteurs du Dieu de ton père. Mais
c'est une Et parveiius à
véritable invasion : cet homme admirable, excellent, est si éloigné
un certain endroit, ils se frappèrent longue- de garder aucun souvenir des traitements
ment et violemment en signe de douleur. Et il qu'il a subis, que ces paroles l'émeuvent Et :

donna à son père un deuil de sept jours. (Ibid. Joseph pleura, tandis (qu'ils lui parlaient. Et
11.) Et les habitants de Chanaan virent cela et ils vinre?it lui dire : Nous sommes tes servi-
dirent : Les Egypneus sont en grand de\dl. De teurs. (Ibid. 18.) Voyez ce que c'est que la
là le nom Deuil d'Egypte, donné à ce lieu, qui vertu, à quel point elle est forte et irrésistible,
est au delà du Jourdain. et (|ue!Ie est la faiblesse du vice. En effet, voici

Mais toi, mon


cher auditeur, en écoutant ce que cet homme tant éprouvé est devenu sou-
récit, garde-toi de n'y accorder qu'une atten- verain, et que ceux qui avaient traité leur
tion distraite sonjie à l'époque où ces choses
: frère de la sorte, demandent à être les servi-
se passaient, et décliarge Joseph de toute im- teurs de celui qu'ils ont vendu comme esclave.
putation. Les portes de l'enfer n'étaient pas 5. Mais soyez attentifs àla patience de Josei)h
encore brisées, les chaînes de la mort n'étaient vis-à-vis de ses frères; voyez comment il n'omet
pas déliées, la mort n'était i)oint réputée un rien pour les consoler, leur persuader qu'ils
sommeil voilà pourquoi, craignant la mort,
: n'ont eu aucun tort envers lui. Ne craignez
on agissait de la sorte. Aujourd'hui par la ,
rien : J'appartiens à Dieu. Vous avez eu (Ib. 19.)
grâce de Dieu, la mort étant devenue un som- de maiivais desseins contre moi, mais Dieu a
meil, le trépas un assoupissement, la résurrec- changé ce mal en bien, afin de faire advenir ce
tion une certitude, nous nous réjouissons, q\d se réalise a\ijourd'hui, qu'un peuple nom-
nous tressaillons d'allégresse comme au pas- breux soit nourri. (lb.20.) N'ayez pas peur, sortez
sage dune vie dans une autre. Et que dis-je, d'in(iuiélude : J'appartiens à Dieu, et j'imite
d'une vie dans une autre? D'une vie inférieure mon Maître : je m'eflorce
d'obliger ceux qui
à une vie meilleure, d'une vie fugitive à m'ont causé des maux extrêmes Car j'appar- :

une vie éternelle, d'une vie terrestre à une vie tiens à Dieu. Puis, voulant montrer quelle
Céleste. Enfin, tout étant accompli, Joseph re- bienveillance Dieu lui accorile,il ajoute Votre :

tourna en Egypte, avec ses frères et ceux qui conduite envers moi était dictée par de mauvais
l'avaient accompagné. Considérez ici la pusil- desseins : mais Dieu a changé pour moi ce
440 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

mal en bien. Delà ces mots de Paul Ceux qui : dire son âge ? Afin de nous instruire du temps
aiment Dieu voient tout conspirer à leur bien, durant lequel il gouverna l'Eg^-pte. Il était ar-
(Rom. vm, 28.) Tout, qu'est-à-dire? C'est-à-dire rivé dans ce pays à l'âge de dix-sept ans; à
même les contrariétés, les sujets apparents trente ans il parut devant Pharaon, et expliqua
d'affliction, change tout cela en bien c'est
il : les songes. Durant les quatre-vingts années
ce qui arriva pour cet homme incomparable. qui suivirent, il fut le maître absolu de l'Egypte.
La conduite ùj Sè-s îières fut le princ5(>al Liotif Vous voyez s'il futlargamen' dcdD.'nj nagé, ma-
de son élévation, grâce à la [puissance, à la sa- gnifiquement récompensé de ses peines. Pen-
gesse de Dieu qui cliangea en prospérités dant treize années il lutta contre les tentations,
toutes ses infortunes. Ajin qu'un peuple 7iom- esclave, calomnié, en butte aux souffrances de
breux Ce n'est pas nous seulement
soit nourri. Et lorsqu'il eut tout supporté avec
la captivité.
qu'il a eus en vue dans ce changement, c'est courage et avec des actions de grâces, il fut
encore la subsistance de tout ce peuple. Et il généreusement rétribué même en ce monde.
leur dit : Ne craignez rien :je vous nourrirai, — Réfléchissez en qu'en échange de quel-
effet
vous et vos familles. Et il les exhorta et il , ques années de servitude et de captivité, il
parla à leur cœur. (Ib.2 i .)
Que craignez-vous dé- gouverna un royaume quatre-vingts années
sormais? Je pourvoirai à votre subsistance et à durant. —
Mais que la foi dirigeait toutes ses
telle de tous les vôtres. Et il les exhorta, et il actions, que c'est elle encore qui lui inspira
parla à leur cœur. Il ne se borne pas à les ex- ses dernières volontés au sujet du transport de
horter, y met tant de zèle qu'il dissipe tout
il ses os, c'est Paul qui nous l'apprend, en disant :

leur chagrin. Et Joseph habita en Egypte, lui C'est par la foi que Joseph mourant aria du /.

toute la maison de son père.


et ses frères, et départ des enfants d'Israël. (Hébr. xi. 22.) Et
Et Joseph villes eufajitsd'Ephraïmjus-
(Ib. 22.) il ne s'en tient pas là afin de nous révéler le
;

quà la troisième génération. (Ib. 23.) Et Joseph motif pour lequel il recommande que ses os
parla à ses frères, disant : Je meurs. Dieu vous fussent transportés, il ajoute : Et qu'il fit des
visitera, et vous emporterez avec vous mes os dispositions touchant ses os.
hors de ce pays. (lb.2i.) Ainsi, comme son père, Peut-être ai-je parlé trop longtemps excusez- ;

il recommande qu'on emporte ses restes. Et moi. Parvenu à la fin du livre, nous avons
voyez comment alin de les rassurer encore, de voulu le terminer aujourd'hui en même temps
les aflormir dans l'espérance du retour, après que notre discours , et ajouter à cela notre
leur avoir prédit d'abord qu'ils retourneront exhortation habituelle de garder souvenir de
au pays, il dit ici : Vous emporterez avec vous. nos paroles, de chercher à imiter la vertu de
En partant vous emporterez avec vous mes os. ces justes, leur patience à l'égard de leurs
Il n'agissait pas ainsi par caprice ni sans oppresseurs , leur longanimité vis-à-^is de
motif, mais pour deux raisons d'un côté, : leurs persécuteurs , leur chasteté à toute
parce qu'il craignait que les Egyptiens, gardant épreuve. C'est par là, en effet, que notre juste
le souvenir de ses nombreux bienfaits, et fidèles s'est concilié toutes les faveurs d'cn-haut. Par
à leur usage de diviniser des hommes, ne conséquent, si nous voulons nous assurer le

commissent l'impiété pour honorer le corps même appui, n'estimons rien tant que la vertu.

d'un juste; d'autre part, afin que les siens De cette manière, nous nous concilierons la

fussent bien assurés qu'ils retourneraient i\c grâce de TEsprit, nous passerons dans le calme
toute manière au pays. En effet, si cela n'eût la vie présente, et nous serons admis au par-
été certain, il ne leur eût pas ordonné de ra- tage du bonheur futur, auquel puissions-nous
mener ses ossements. — Spectacle étrange et tous parvenir, par la grâce et la bonté de Noire-
nouveau! Celui (|ui nourrissait en Egypte tout Seigneur Jésus-Christ, avec qui, gloire. i>uis-

Istaëi, c'était celui-là même qui donnait le sance, honneur, au Père et au Sainl-Esprit
signal du retour, qui introduisait ce peuple maintenant et toujours, et dans les siècles des
dans la terre promise. Et Joseph mourut âge siècles l Ainsi soit il.

de cent dix aiis. (Ibid. 25.) A quoi bon nous


DISCOURS SUR LA GENÈSE,
AJOIÉI «86.

PREMIER DISCOURS.

Pourquoi Dieu a dit en parlant du soleil, et, de la lune, et du ciel, et des autres créatures : « Qu'il soit fait; b

et au contraire, en parlant de l'homma, « Fadsona ; » «t que eignifi», «A notre image. > ;Gen. I, 3, 6, 26.)

ANALYSE.

i. La saison du jeûne est printemps des âmes. Puisque nous entrons dans cet heureux leraps, entreprenons de pénétrer le»
le
endroits les plus difficiles de l'Ecriturephilosophons sur la ciéalinn. Rien n'est plus ulile que de savoir ce qu'est la créature,
:

ce qu'est le Créai ur. Les erreurs des Manichéens et des Grecs ne provicnnenl que de leur ignorance louchant la nature des
choses. — 2. Dieu autrefois parlait aux hommes par lui-même Il emploie maintenant le moyen des lettres, comme font les
:

hommes eux-mêmes lorsqu'ils correspondent avec des les Manichéens longtemps à l'avance, par
gens é.oigués. Moïse a réfuté
ces simples mois : Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. —
La raison des choses naturelles nous échappe,
3.
combien plus celle des choses divines; donc, rapportons-nous-en à ce qui nous a été révélé d'eu-haut. i. Exhortation à —
l'aumône mêlée à l'éloge de l'évêque Flavien.

1. Plein de charmes est le printemps, pour des couronnes de grâces spirituelles. Tu rece-
lesmatelots; plein de charmes aussi, pour les vras, dit le Sage, wie coiironne de grâces pour
agriculteurs; mais, ni matelots ni agriculteurs ta iêle. (Prov. i, 6.) L'apparition de Thirondclle
ne trouvent autant de charmes au printemps, ne chasse pas les mauvaisjours, comme l'appa-
qu'en a, pour ceux qui veulent être sages, le rition du jeûne chasse, loin de nos pensées, les
temps du jeûne, spirituel printemps des àmcs, passions mauvaises; alors cesse la lutte de la
où l'esprit qui médite jouit de la vraie tran- chair contre l'âme, la révolte de la servante
quillité. Le printemps charme les agriculteurs, contre la maîtresse. Cette guerre du corps est
parce qu'ils voient alors les fleurs qui cou- terminée. Eh bien donc puisque nous avons
!

ronnent la terre, le vêlement aux mille cou- la paix parfaite, la parfaite tranquillité nous ,

leurs dont la recouvrent de toutes parts les aussi, tirons au large le navire de la doctrine
plantes qui grandissent. Le printemps charme et, du port où nous sommes, lançons-le vers

les matelots voguant sans crainte sur les


, le port où l'appelle voire attention pleine de

mers, quand les flots sont calmes, et que les douceur. Allons abordons sans crainte les
,

dauphins, dans leurs jeux tranquilles, sautent pensées les plus subtiles de l'Ecriture méditons ;

çrès des flancs du navire. Pour nous, le prin- sur le ciel, sur la terre, sur la mer, sur toute
^emps du jeûne nous charme parce qu'il ,
la création, car tel a été le sujet de la lecture

apaise les flots, non pas des flots liquides, mais d'aujourd'hui. Mais, me dira-t-on, que nous
les flots des passions insensées; parce qu'il importe la création? elle nous importe beau-
nous fait, non des couronnes de fleurs, mais coup, mes bieu-aimés, car si la grandeur, si
442 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

la beauté de la c-'-atiire nous fait compren'ire, reprenant le texte de plus h sut : Lovpz-votis,
pal- ariOlo^ic, la i.alurc ciu Créateur, j.lusnon.s piirifiez-vm^y Ctez dt devant mes ytnx la ma-
nous atiaclierons à contempler la grau.ieur et Wjnité de vos fiensées; apprenez à faire le bien;

la benulé r'e la créature, pl'snous avancerons faites justice à l'orphelin; défeudez la veitve.

dans la coniiaissai.ce du Créateur. (Ibid. !• .) El c'e>t alois qu'il ajoute : Venez et


C'est un grand bien que de savoir ce qu'est Soutenez votre cause contre moi, dit le Seigneur.
la créature, ce qu'est le Créateur; quel est Je ne veux pas, nous dit-il, vous prendre au
l'ouvrage, quel est l'ouvrier. Si les ennemis de dépourvu, sans moyen de défense je vous ;

la vérité avaient su distinguer exactement ces veux au contraire munis de raisonnements et


choses, ils n'auraient pas tout confondu, tout d'excuses, quand je aous appelle à rendre vos

bouleversé; voyez, il ne leur a pas suffi de ra- comptes. Car, si je veux discuter avec vous, ce
baisser les étoiles et le ciel, et d'exalter la terre, n'est pas pour vous condamner, mais pour vous

ils ont encore précipité le roi du ciel de son faire grâce. Aussi, dit-il dans un autre passage :

trône royal, confondu avec la créature,


ils l'ont Dis le premier tes iniquités afin que tu sois ,

et ils CLt décerné à la créature les honneurs de Justifié. (Isaïe, xlui, 2G.) Tu as en moi un accu-
la divinité. Si les manichéens avaient su dis- sateur amer et cruel ; empresse-toi de le pré-

tinguer la vérité, au sujet de la création, ils venir, parle, ferme-lui sa bouche impudente.
n'auraient pas décerné à ce qui a été fait de 2. Au commencement du monde, Dieu s'en-

rien, à ce qui est corruptible, sans consistance, tretenait par lui-même avec les hommes, leur
toujoius changeant, les honneurs qui ne con- parlant autant qu'il est {tossible aux hommes de
viennent qu'à l'Etre incréé. Si les Grecs avaient l'entendre. C'est ainsi qu'il vint trouver Adam,
su distinguer la vérité au sujet de la création, c'est ainsi qu'il réprimanda Caïn; c'est ainsi
ils ne se seraient pas égarés, ils n'auraient pas qu'il conversa avec Noé; c'est ainsi qu'il se fit
honoré, adoré la créature, au lieu du Créateur. l'hôte d'Abraham. xMais, quand notre nature se
Si le ciel est beau, c'est pour que vous vous fut inclinée au mal, et comme condamnée à un
incliniez devant Celui qui l'a fait; si le soleil lointain exil dès lors Dieu
, nous traitant ,

est brillant, c'est pour que vous offriez Aotre comme des voyageurs qui vont au loin, nous
culte à Celui qui a produit le soleil; mais si envoya des lettres, comme s'il voulait, par
vous ne voyez pas plus loin que les mer- cette correspondance renouveler avec nous ,

veilles de la créature si la beauté de l'ou-


, son ancienne amitié. Ce sont des lettres de ce
vrage absorbe vos regards la lumière alors , genre, envoyées de Dieu, qu'apporta Moïse.
devient pour vous l'obscurité, ou plutôt vous Que nous disent -elles Au commencanent :

tirez de la lumière l'obscurité. Voyez-vous le Dieu créa le ciel et la terre? Pourquoi ne nous
grand avantage de comprendre les raisons de parle-t-il ici ni des anges ni des archanges?
la création? Ne négligez donc pas ce profit; Si, en Créateur se montre dans les
effet, le

soyez attentifs à nos paroles; nous ne vous créatures, anges peuvent beaucoup plus
les
parlerons pas seulement du ciel, et de la terre, nous le faire voir; la beauté du ciel n'égale
et de la mer, mais encore de notre origine; pas la beauté de l'ange la splendeur du soleil ;

d'où vient la mort, d'où viennent les fatigues, n'égale pas la splendeur de l'archange. Pour-
et les découragements, et les soucis. Car Dieu, quoi donc, négligeant la route plus élevée,
poursejustifier, encequic(uicerneees(iuestions nous conduit- il |»ar la plus basse? C'est qu'il
et un grand nombre d'autres, nous a envoyé converse avec les Juifs, peu intelligent, atta-
son livre; car Dieu ne dédaigne pas de se chés aux choses des sens, revenus depuis peu
défendre, mais il nous crie par son Prophète : de l'Egypte, où ils avaient vu des crocodiles,
Ve7iez et soutcîicz voti'e couse contre moi, dit le des chiens, des singis, honorés par les hom-
Seigneur. (Isaïe, i, 18.) Et non-seulement il se mes, et on ne pou\ait pis prendre le chemin
défend et il plaide; mais, de plus il uous en- leplus élevé, pour les conduire au Créateur.
seigne à fuir notre condamnation. En effet, il Sans doute, l'autre chemu est plus élevé, mais
ne dit pas seulement : Venez it soutenez votre plus rude, escarpe, ardu pour les faillies. Voilà
cause contre moi. 11 commence par nous ap- pourquoi Moïse conduii les Juifs par la route
prendre ce qu'il faut dire, ce qu'il faut faire, qui est plus facile, par ).' ciel, la terre, la mer
ce n'est qu'ensuite qu'il nous traîne au tribu- et toutes les créatures viables. Et ce qui prouve
nal. Ecoulez donc la parole du Prophète, en que jo vous ai donné la >raie cause, c'est que,
DISCOURS SUR LA GENÈSE. — PREMIER DISCOURS. 443

quand les Juifs curent fait quelques progrès, ri lu elles : Car il a parlé et les choses ont été
le Prophète leur parle ainsi des vertus d'en- faites. (Ps. XXXII, 9.) C'est ainsi «pie dans le
haut Louez le Seig)ieur, dit-il, ô votts (/lû
: Nouveau Testament, après qu'il a été parlé des
êtes d(rns les ci eux; louez-lc dans les plus jiuissances invisibles, il est de plus fait mention
hauts lieux; louez-lc, vous tous qui êtes ses des créatures sensibles. Au commencement Dieu
anges; louez-le, vous tous qui composez ses créa le ciel et la terre; brève parole assuré-
armées; car il a parlé et toutes choses ont été ment, parole bien simple, il n'y a là (ju'un
faites ; il a commandé , et elles ont été créées! seul mot. mais capable de renveiser toutes les
(Ps. cxLViii, 1, 2, 5.) Et qu'y a-t-il d'étonnant tours de nos adversaires ; faites attention.
que l'Ancien Testament nous montre cette ma- Arrive un manichéen disant : La matière n'a
nière d'enscignemeiit puisque nous voyons pas été créée : répondez-lui : Au commence-
dans le Nouveau Testament, à 1 heure où \\ ment Dieu créa le ciel et la terre; et vous avez

doctrine s'élève à une hauteur sublime, Paul, renversé toute son arrogance en un instant.
s'adressant aux Athéniens, suivre la même Mais il ne croit pas, dit-il, à la parole de l'E-
route que Moïse, instruisant les Juifs? Et en criture. Eh bien pour cette raison, écartez-le
!

effet, ilne leur parle ni d'an{^es, nid'archaugts; comme ou écarte un fou, détournez-vous de
c'est du ciel, et de la terre, et de la mer qu'il lui car, celui qui ne croit pas à Dieu, se révé-
:

entretient le peuple assemblé Dir.u ciui a fait : lant en toute lumière, et qui accuse de men-
le moiute et tout ce qui est dans le monde, songe la vérité, comment ne serait-ce pas un
étant le Seigneur du ciel et de la terre, n'habite fou njanifcste, dont l'incrédulité prouve la
point dans temples bâtis par les homyncs.
les folie? Mais comment, nie dil-on, de rien quel-
(Act. XVII, 24.) Mais, lorsque Paul s'adressait (jue chose |icut-il être fait? Eh bien ! vous, ré-
aux Philippiens, il ne les conduisi.it pas par la pondez-moi. Comment, de ce qui existe, quel-
même route ; il leur donnait rcr.seignemi-nt «iue chose pourrait-il être fait? car, que la
plus élevé, dans ces paroles : Car tout a été terre ail été faite de ce qui n'était pas, moi je
créé par lui, dans le ciel et sur la terre, soit les le crois, tf ndis(|ue vous en doutez mais que, ;

trônes, soit les dominations, soit les princi- de la terre l'homme ait été fait, c'est ce que
pautés, soit les puissances ; tout a été créé par nous reconnaissons également. Répondez-moi
lui et pour lui. (Coloss. i, 16.) C'est ainsi que ('onc sur ce que nous reconnaissons vous et
Jean, qui avait des disciples plus avancés, a liioi répondez à la question la plus facile.
,

passé en revue toute la création. En ne


effel, il ( omment, avec de la terre^ de la chair a-t-elle
dit pas : le ciel et la terre et la mer, mais : été faite? Car, c'est de la terre que vient la
toutes choses ont été faites par lui, et rien de Loue, la l)rique, l'argile des vases, les co-
ce qui a été fait n'a été fait sans lui (Jean, i, 3) ; quilles ; mais de la chair sortant de la terre,
aussi bien, dit-il, ce qui est visible, que ce qui c'est ce que nul ne saurait voir. Comment donc
est invisible. On sait ce qui se passe chez les la chair a-t-elle été faite? Comment les os ont-
maîtres d'écoles : l'un reçoit un jeune enfant ils été formés? Comment les nerfs? comment
des bras de sa mère, et lui apprend les pre- les veines? comment les artères? comment les
miers éléments; un autre maître, ensuite, membranes, la graisse, la peau, les ongles, les
élève l'écolier à un plus haut enseignement; cheveux; et toute cette diversité de substances,
c'est ce qui est arrivé à Moïse, à Paul, a Jean. provenant d'une seule et même substance, la
Moïse nous a pris ignorants de tout, sevrés de terre ? Ici, vous n'avez rien à dire. N'est-il pas
la veille, et nous a enseigné les premiers clé- absurde, à qui ne sait rien de ce qui est plus
ments de la connaissance de Dieu ; Jean et clair et plus facile à comprendre, de se con-
Paul, qui ont reçu les hommes comme sortant sumer en efforts superflus, pour expliquer ce
de l'école de Moïse, les conduisent a des ensei- qui est difOcile, ce qui est inaccessible ?
gnements plus élevés, leur résumant toutefois 3. Voulez-vous que je vous conduise à des
les premières leçons en peu de mots. Ancz- sujets plus faciles que je vous propose des
,

vous bien compris rallimte des deux Testa- problèmes de tous les jours, que pourtant vous
ments? Avez-vous bien compris l'harinonie ne pourrez pas m'expli(iuer? Nous mangeons
des enseignements ? Vous rappelez-vous, dans du j)ain, tous les jours; comment, répondez-
l'Ancien Testament les paroles de Ua\ia sur la moi, le pain se change-t-il en sang, en pituite,
création des choses sensibles et des choses spi- en bile, en toutes les autres humeurs; carie
AAk TIIADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

pain, c'est bien quelque chose de solide et de surtout parce qu'en même temps qu'il semble
dur; le sang au contraire est mou et fluide; attable et doux envers vous, envers son com-
le bon pain est blanc de la couleur du froment, pagnon, serviteur comme lui, il est, contre
le sang est rougt et noir; passez en revue les notre commun Maître, notre Seigneur à tous,
autres diirérences, -vous trouverez que le pain plus furieux que le chitn possédé par la rage.
et le sang sont loin de se ressembler expli- ; C'est une guerre implacable que fait au ciel
quez donc ce fait, répondez-moi, rendez-moi cet irréconciliable ennemi, et il élève comme
compte impossible à vous. Comment vous, qui
; une puissance contraire qu'il oppose à Dieu.
ne pouvez rendre compte de votre nourriture, Fuyez venin de l'iniquité, détestez les poi-
le

qui se change tous les jours en d'autres subs- sons mortels; l'héritage que vous avez reçu de
tances, vous me demanderez de vous rendre vos pères, gardez-le, conservez la foi, l'ensei-
compte de la création opérée par Dieu Eh 1 ! gnement de la divine Ecriture, avec une pru-
n'est-ce pas le comble de la démence? Si Dieu dence que rien ne puisse surprendre. Au
nous ressemble, demandez-lui compte de ce commencement Dieu a créé le ciel et la terre.
qu'il fait; je me trompe, je relire cette conces- Qu'est-ce que cela veut dire? D'abord le ciel,

sion. 11 y a certes un grand nombre d'ouvra- ensuite la terre? D'abord le toit, ensuite le
ges humains que nous ne pouvons expliquer; sol? Dieu n'est pas subordonné à la nécessite
par exemple : comment, avec du minerai fait- de la nature; les règles de l'art ne le tienneut
on de l'or? comment le sable se cliaiige-t-il en pas asser\i. Nature, art, toutes choses, la stule
un verre transparent? Des produits de l'in- volonté de Dieu fait tout, dispose tout. La terre
dustrie humaine, c'est de beaucoup le plus était invisible et sans forme. Pourquoi a-t-il
grand nombre que nous ne pouvons expli- donné au ciel , en le créant, la perfection ?
quer. Pourtant, non si Dieu nous ressemble,
: tandis que, pour la terre, il l'a faite à plusieurs
je veux bien que vous lui demandiez compte; reprises, selon ce que raconte Mo'ise? C'est
mais maintenant, si un immense intervalle le afln qu'ayant vu sa puissance, dans ce qu'il y
sépare de nous, s'il est, d'une manière incom- a de meilleur, vous eussiez la certitude qu'il
parable, au-dessus de nous n'est-ce pas le , pouvait également donner à la terre la même
comble de la démence, pour ceux qui recon- perlection qu'au ciel; c'est parce qu'il pensait
naissent sa sagesse et sa puissance infinie, ce à vous, à votre salut, iju'il a procédé pour la
qu'il a de divin, d'incotnprehensible, d'aller, terre autrement que jtour le ciel. Comment,
comme s'il s'agissait de quelque industrie me direz-vous, c'est parce qu'il pensait à moi,
humaine, lui demander com[)te, en détail, de àmon salut? La terre e^t notre table communet
chacun de ses ouvrages? Eh bien donc, laissant noire [)alrie, notre nourrice, notre mère com-
de côté ces raisonnements, revenons à notre mune à tous, notre ciié, notre tombe égale-
pierre, à notre roc inébranlable Au com- : ment conunune, car nos corps viennent d'elle;
mencement Dieu cî'éa le ciel et la ter?'e. Tenez- d'elle vient aussi l'alinient de nos corps; c'est
vous sur ce fondement solide afin de résister elleque nous habitons, c'est en elle que nous
aux flots des pensées humaines. Les ptiisées demeurons; c'est en elle, après la mort, que
des mortels sont timides, et incertaines leurs nous devons retourner. Il ne fallait pas que,
inventions. (Sag. ix, 14.) N'abandonnez donc préoccupés de la nécessité satisfaite à chaiiue
pas ce qui est ferme, pour conlier le salut de instant par t-lle, vous eussitz pour elle une
votre âme à la faiblesse, à l'erreur des raison- admiration exagérée; il ne fallait pas que l'a-
nements. Tenez-vous-en b. ce que vous avez bondance de ces bienlaits fût pour vous une
appris et que vous avez cru, et dites Au com- : cause dimpiété et de chute, et il déclare (jue
mencement Dieu créa le ciel et la terre. Si un cette terre était d'abord uiforme, sans beauté,
Manichéen, si Marcion, si les malades que afln que la considération de ce qui lui mani^ue
Valentin a faits, si tout autre se préseiile, jetez- élevât votre admiration vers Celui qui l'a faite,

lui à la face cotte parole; si vous le voyez rire, (jui lui a lionne toutes ms vertus, et vous pur-
versez des larmes sur sa démence. Vous con- tàt à célébrer Celui qui a produit de si grandes
naissez ces personnages au au teint jaune, choses pour notre usage. Or, maiu'enp'it, ce
sourcil abaissé ils ont des paroles modestes;
; qu'il faut pour glorilier Dieu, ce n'est pas seu-
fuyez l'amorce, sachez ilécouvrir, sous la peau lement la rectitude des t pinions, mais l'excel-
de la brebis, le loup qui s'y cache dcteslcz-lc ; lence de la conduite. Que votre lumière, dit le
DISCOURS SUR LA GENÈSE; — PREMIER DISCOURS. 445

Seigneur, Itiise devant A s hommes afin (ju'ils moyen du pauvre, ne reçoit pas le centième,

voient vos bonnes œuvres et (/inis g/o/'i/iem mais le centui)le. Si vous ensenu;ncez un
votre Père qui est dans lescieax. (MalUi. v, 10.) champ fertile, si la moisson est abondante, elle
4. Je \onlais ajouter, à ce discouis, des ré- vous rend dix fois la semence ; si vous ense-
flexions sur rauniùne, mais il me paraît super- mencez le ciel, après avoir reçu le centuple
flu de vous l'enseigner par des paroles, (juand vous posséderez encore la vie étemelle, la vie
vous avez, pour vous instruire, les actions et qui ne connaît ni la vieillesse ni la mort. Et il
les exemples de celui qui est assis au milieu faut prendre beaucoup de peine pour cultiver
de nous ', de notre commun père et docteur; un champ ; ensemence le ciel, n'a
celui qui
on dirait ([u'il n'a reçu, de ses frères, son pa- besoin, ni de charrui', ni de bdîufs, ni de cul-
trimoine que pour le consacrer aux soins de ture pénible, ni de tant d'autres travaux, ni de
l'hospitalité, à ceux qu'on chasse de toutes tant de fatigues, et la semence pullule, et, ni
parts parce qu'ils confessent la vérité; il les les chaleurs, ni les pluies, ni les chenilles, ni
accueille et toutes ses respoutces.il les cmjjloie la grêle, ni les sauterelles, ni les fleuves dé-
à les réconforter, de sorte que l'on ne saurait bordés, ni tous les fléaux de ce genre n'épou-
dire maison lui appartient ou s'il faut l'ap-
si sa vantent le semeur. Les semences que l'on fait
peler la maison des étrangers. Je me trompe, là-haut ne se perdent jamais. Eh bien donc !

ne faut-il pas dire que c'est sa maison, préci- puisqu'il n'y a ni travail, ni danger, ni in(iuié-
sément parce que c'est la maison des étran- tude, ni perte possible puisqu'une fois qu'on a
;

gers? En effet, nous sommes les maîtres de nos jeté la semence, il en sort une moisson, qui rend
biens, surtout quand ce n'est pas pour nous, tant et tant de fois la semence, tant de biens,
mais pour les pauvres, que nous les possédons, tant de richesses qui pullulent, biens que l'œil
que nous les dépensons. Je m'expliijue l'ar- : n'a point vus, que roreille n'a pas entendus, et
gent que vous déposez dans la main dw pauvre, que le cœur de Vhomme n'a jajnais conçus.
n'a plus à craindre, ni le calomnialrur, ni les (I Cor. 9.) N'est-ce pas le comble de la né-
II,

regards de l'envie, ni le voleur, ni le brigand gligence, de ne pas voir le bien le plus pré-
qui perce les murailles , ni l'esclave qui le cieux et moins considérable;
de poursuivre le
ravit etprend la fuite la main du pauvre est
: d'abandonner le certain, pour aller à ce qui
un Enfouir l'argent chez vous, c'est l'ex-
asile. est incertain, plein de dangers, exjmsé aux
poser au voleur au brigand qui perce les
, malheurs sans nombre? Quel droit pouvons-
murailles, à l'envieux, au calomniattur, à l'es- nous avoir au pardon? Quelle peut être notre
clave, à tout ce qui le perd ; il arrive souvent excuse? Nous nous faisons u;i prétexte delà
qu'à force de portes et de verroux on préserve pauvreté mais nous ne sommes pas i)lus pau-
;

son argent des pertes du dehors ; mais on ne vres que cette veuve, qui, n'r.yant ([ue deux
le préserve pas contre ceux qui le gardent petites pièces de monnaie, les déposa dans le
dans la maison, et ceux à (jui on l'a confié s'en tronc des pauvres. (Luc, xxi, 2 Soyons donc )

emparent et prennent la fuite. Vous voyez bien jaloux des richesses de cette femme; imitons
maintenant que la vraie manière, pour nous, sa munilicence pour obtenir les biens qui lui
de nous rendre les maîtres de nos biens, c'est sont réservés et puissions-nous, tous, les con-
de les déposer dans les mains dos pauvres, et quérir, par la grâce et par la bonté de Notre-
ce n'est pas là seulement la garde la plus sûre, Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, ainsi
c'est aussi le meilleur moyen d'augmenter le qu'au Père et au Saint-Esprit, la gloire, l'em-
profit et le revenu qui jtrète à un homme,
;
pire, l'honneur, et maintenant, et toujours, et
reçoit un centième ;
qui prête à Dieu, par le dans les siècles des siècles I Ainsi soit-il.

• LéT^u Flftfica.
ua TRADUCTION FUANÇAÏSE lE SAIXT JE.\N CliKYSOSTOMi:.

DEUXIÈME DISCOURS.

Discours prononcé au commencement du carême sur ce verset : < Au commencsmtnt Dion erte la dlii. m \à
terre (Gen. I, 1) ; > eur le jeûne et but l'aumône

ANALYSE.

1 . La prière de l'Eglise dirige la langue du Docteur chrétien. Pourquoi Dieu, en créant l'homm», ne dit pas : que l'homme
soit fait, mais, faisons l'homme. Cette seule parole /ài5o«s, prouve le Fils unique de Dieu. — 2. Contre les Anlhropomor-
phites.

1. Vous souvenez-vous des questions qui l'occasion, et de la place supérieure où il est


vous ont été proposées hier? C'est que vous assis, disputer avec ceux qui ne jugent pas
avez si bien encourage notre arrogance et no- comme quant à descendre dans le stide,
lui :

tre audace, que maintenant nous ne craignons tendre la main au


lutteur qu'on aime ou tirer
pas d'attaquer toutes les questions, ou plutôt, le pied de son adversaire, ou faire quelque

ce n'est ni de l'audace, ni de l'arrogance. Car no- autre action de ce genre, c'est ce qui n'est pas
tre assurance ne nous vient pas de notre force ponnis. Ceux qui ont établi ces luttes, ont pris
particulière, nous la fondons sur les prières soin de planter des pieux autour de l'arène, et
des pontifes qui nous dirigent; ce sont vos d'étendre des cordes qui l'entourent, pour te-
prières aussi qui nous ont excité à entrer dans nir à distance les transports insensés des spec-
la carrière. Voilà la puissance de la prière de tateurs. Etonnez-vous (pfcn ne leur pernietle
l'Eglise; fussions-nous plus muets que la l)as de descendre dans l'arène, quand il est com-
pierre, elle rend notre langue plus agile que mandé, même au gymnasiarque, de rester assis
l'aile des oiseaux. Quand la brise enfle la voile, liorsdu stade,àpeu detlistance,et dedonner,à
le navire fend l'onde, plus rapide (ju'une flè- ceux qui lullent loin de lui, les secours de sa
che; ainsi la prière de l'Eglise, comme un souf- science, mais sans pouvoir les approcher. Avec
11e plus puissant que emporte au loin
le /épliir, nous, au contraire, il n'en est pasdemcnie;
l'orateur. Voilà pourquoi, cluKiue jour, nous permis, et au Maître, et aux spectateurs, de
nous préparons à la lutte avec confiance. En descendre et de s'apiiroclier de nous de nous ;

effet, si, dans les joutes (|ni plaisent au monde, assister de leur atrectiou, de nous affermir par
dix ou vingt amis seulcinenl, dans la foule leui's prières. Eli bien ! donc, engageons notre
immense, suffisent pour dctcMininer un lut- lutte, à la manière des athlètes. Quand ils se
teur à descendre fièrement dans l'arène, à bien sont pris l'un l'autre par le nulieu du corps,
plus forte raison nous, qui n'avons |)as dix ou quand l'ardeur de la lutte, l'espace étant, pour
vingt amis seulement,
nous regardent, (pii eu\, trop étroit, les a jetés presipie sur la foule,

mais tout un jteuple, comjmsé de frères et de (pii les entoure au dehiii"s, ils se dégagent l'un
pères, descendons-nous dans l'arène avec con- de l'autre et retournent à la place où ils ont
fiance. Toutefois, dans les luttes profanes, l'a- commencé le combat. Quand ils le renouvel-
thlète n'attend pas grand secours du specta- lent, ils ne rei)renueul pas l'altitude droite de
teur, qui ne peut que crier, l'admirer dans la première posture, mais ils s'entrelacent dans
DISCOURS SUR LA GENÈSE. — DEUXIÈME DISCOURS. 447

la position où ils étaient (juand ils se sont sé-^i en Moïse, ces menteurs; ce qui prouve qu'ils
parés. Faisons de niènie, nous aussi, et puis- mentent, et qu'ils ne croient pas en Moïse,
que l'espace nous a manqué pour achever no- c'est la parole du Christ qui les a convaincus
tre discours, reprenons la lutte à la même de mensonge, écoutez Si vous croyiez en
:

place et trouvons le dénouement (jue nous


, Moïse, vous croiriez aussi en moi. (Jean, v, 46.)
cherchons, dans ce qui nous a été lu aujour- Certes, ils ont des livres, nous avons, nous, un
d'hui; voyons ce que nous présente la lechire trésor de livres; à eux la lettre, à nous, et la
de ce jour Et Dieu dit, J (tisons llwmme à 7io-
: lettre et la pensée.
tre ituagc et à notre ressemblance. A qui donc dit-il, Faisons lliomme? C'est à
Nutre première recherche doit être, pour- un ange, me dit-on; c'est tout simplemetit à
quoi quand Dieu faisait le ciel, on ne voit pas un archangequ'il s.'adresse. Quand des mauvais
Faisons, mais que le ciel soit fait, que la lu- sujets, des esclaves, accusés i)ar leur maître,
mière soit faite, et de môme pour les créatures sont à court de réponses, ils débitent tout ce qui
particulières; pouniuoi quand il s'agit de ,
leur vient à la bouche. C'est ainsi que vous
l'homme, voit-on alors seulement ce F^z/so/^s, faites , à un ange, n'est-ce pas? à un archange?
cette expression d'un conseil, d'une délibéra- Quel ange? quel archange? La fonction des
tion avec un autre, quel qu'il soit, à qui l'on anges n'est pas de créer, ni celle des archanges,
fait l'honneur de communiquer sa pensée? d'opérer de telles choses. Ainsi, quand Dieu
Quel est donc entln cet êUe à créer, qui créait le ciel, il n'a rien dit, ni à un ange, ni à
jouit d'un tel honneur? c'est l'homme, cet un archange. C'est par sa seule vertu qu'il l'a
animal d'une admirable grandeur, la créature produit; et maintenant qu'il produit ce qui est
la plus cxcelliule auprès de Dieu, pour (jui le plus excellent que le ciel, que le monde en-
ciel et la terre et la mer, et tout l'ensemble de tier, l'être animé par excellence, l'homme, il
la création a été fait. L'homme dont le salut a fait venir ses serviteurs pour les associer à son

été si cher à Dieu, qu'il n'a pas même fait œuvre créatrice?
grâce, à cause de lui, à son Fils unique. Et en 2. Non, mille fois non; le propre des anges,
eïïi t, iln'arieu épargné pourl'élevcr, l'exalter, c'est d'assister, non pas de créer; le propre des
le placer à sa droite. C'est ce que crie la voix archanges, c'est d'être ministres, et non des
de Paul ; //nous a ressuscites avec lui, et nous a confidents et des conseillers. Ecoutez la parole
fait asseoir daiLs le ciel en Jésus- Christ. (E|)hés. d'Isaïe sur Us vertus des séra[)hins, lesquels
II, 6.) Voilà pourquoi la délibération, elle con- sont su[)érieurs aux anges : Je vis le Seigneur
seil, et la communication de la j)ensée div ine ;
assis surim trône sublime et élevé, et les séra-
ce n'est pas que Dieu ail besoin de conseil, loin phins étaient autour du trône ; ils avaient cha-
de nous de le croire, mais la ligure de l'Ecri- cun six ailes : deux dont ils voU aient leur face
ture nous montre l'honneur déféré à celui (pii (Isaïe, VI, 1, 2), pour se garantir les yeux,
va naître. Mais connnent, me dira-t-on, si voyez-vous, parce qu'ils ne pouvaient supporter
l'homme est plus excellent (jue l'univers, est-il la lumière éclatante, jaillissant du trône. Que
créé après l'univers? C'rst justement par la dites-vous? les séraphins sont là, saisis de tant
raison qu'il est plus excellent que l'univers. d'admiration et de stupeur, et de crainte, et
Quand l'Empereur doit faire son entrée dans cela quand ils voient la clémence de Dieu et ;

une ville, généraux, préfets, satellites, servi- vous voulez que les anges soient associés a ses
teurs de toute espèce, vont devant, ornent le pensées, prennent part à ses conseils? c'est ce
préparenttout aûn de faire toute espèce
palais, (jui n'est nullement conforme à la raison.
d'honneur à celui qu'on appelle l'Empereur; Mais enfin, à qui donc adresse-t-il ces pa-
ilen est de même ici ; l'Empereur va faire, roles: Faisons l'homme? C'est à l'admirable
pour ainsi dire, son entrée; le soleil l'a pré- confident de ses conseils, à Celui qui [larlage

cédé, le ciel a couru devant, la lumière a paru sa puissance, au Dieu fort, au prince de la paix,

d'abord, toutes choses ont été créées, tout a été au l*ere du siècle à venir (Isaïe, ix, 6) c'est ;

préparé, orné; alors sculeuienl paraît l'homme lui-même, c'est le Fils unique de Dieu c'est ;

à qui on fait tous les honneurs. donc à lui qu'il adresse cette parole Faisotis :

Faisons V homme à notre image. Ecoutez, l'homme à notre image et à notre ie>s)nfAance,
Juifs; a qui Dieu dit-il. Faisons? Ce sont les 11 ne dit pas à ma tsseinbiunce et a :a licniic;
: i

paroles écrites i!e Moïse, lis préleiidcnt croire ou a ina ressemblance et à la v6i;e^ uii'.i « :
448 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

notre image^ montrant que l'image est une, l'homme, selon la parole de Dieu Vom vous
:

que la ressemblance est une. Or, de Dieu etcle§ tournerez vers votre mari et il vous dominera.

anges, ni l'image n'est une, ni la ressemblance (Gen. ni, 16.) Voilà pourquoi l'homme est l'i-

n'est une. Et du Maître et


comment, en etïet, mage de Dieu c'est qu'il n'y a personne au-
des serviteurs l'image serait-elle une, ainsi que dessus de lui, de même qu'il n'est aucun être

la ressemblance ? Vous voyez bien que votre au-dessus de Dieu. La domination appartient à
faux raisonnement est confondu de toutes parts ; l'homme, quant à la femme, elle est la gloire
l'image proposée ici, c'est l'image de la domi- de l'homme, parce qu'elle est soumise à
nation comme la suite du texte le fait voir. Car l'homme. Autre preuve, ailleurs i\'o?/5 ne :

après avoir dit Anotre image et ressemblance,


: devons pas croire que la Divinité ressemble à
il ajoute Et dominez sur les poissons de la
: de l'or, ou à de l'argent, ou à une pierre, ou à
mer. Or, la domination de Dieu et celle des toute forme seulptée par Vart ou conçue parla
anges ne peuvent être une seule et même do- pensée de l'homme. (Act. 2.) Ce qui revient à
mination. Comment se pourrait-il faire, s'il ya dire, que, non-seulement la Divinité surpasse
d'un côté, les serviteurs, de l'autre le Maître; toutes les formes visibles, mais que la pensée
d'un côté les ministres, de l'autre celui qui humaine ne peut concevoir aucune forme qui
commande? ressemble à Dieu. Comment donc peut-il se
Mais voici maintenant d'autres contradic- faire que Dieu ait la figure de l'homme, lorsque
teurs. Dieu a la môme imagequenous, disent- Paul déclare que la pensée même ne peut con-
ils, parce qu
ne comprennent pas la parole.
ils cevoir la forme de l'essence de Dieu ? Quant à
En effet, Dieu n'a pas entendu l'image de la notre figure, notre pen^ée peut facilement se la
substance mais l'image de la domination,
, représenter. Je m'étais encore proposé de vous
connue nous allons le montrer par la suite. parler de l'aumône ; mais le temps ne nous le

Car ce qui fait voir que la forme humaine n'est permet Nous nous arrêterons donc ici. Mais
pas.
pas la forme de la divinité, c'est ce que dit Paul: aujtaravant nous voulons vous exhorter à
,

Pour ce cjid est de l'homme^ il ne doit point se garder soigneusement le souvenir de tout ce
couvrir la parce quil est l'image et la
tùte^ que vous avez entendu ; à bien vous attacher
gloire de Dieu, au lieu que la femme est la à la sagesse, à la parfaite rectitude de la con-
gloire de l'homme. (ICor.xi, 7.) C'est pourgiun, duite, afin ([u'il ne soil pas dit que nos collectes
dit il, elle doit avoir un voile sur la tèie. (Ib. iu.) sont inutiles ici, et sans fi uil pour vous. Nous
11 est évident que si, dans ce passage, Paul a aurions beau conserver les opinions droites ; si

exprimé, par le mot image, la parfaite et en- nous n'y ajoutons pas la vertu des bonnes
tière ressemblance de la forme humaine et de œuvres, nous serons absolument déchus de la
la forme de Dieu, s'il a dit (jue l'homme est vie éternelle. Ceux qui -ViC disent : Seigneur,
l'image de Dieu, parce que Dieu a été repré- Seigneur, n'entreront pas tous dans le royaume
senté ;ous la forme humaine, selon les idées des deux ; mais celui-là stulen\ent y etttrera,
de ces juifs, il n'aurait pas dû dire, de l'hcimme qui fait la volonté de mon Père
dans les qui est

seulement, qu'il avaitelé lait à l'image de Dieu; deux. (Malth. vu, Appliquons-nous donc
21.)
il aurait dû le dire de la femme aussi. En eflet, ardemment à faire cette volonté de Dieu, afin
pour la femme et pour l'homme, la figure, la que nous puissions entrer dans le ciel, et con-
forme la ressemblance est une. Pounjuui
, quérir les biens préparés à ceu\ qui chérissent
donc dit-il que l'homme e.4 fait a l'image de le Soigneur. Puissions-nous tous être admis à

Dieu? Pourquoi n'en dil-il pas autant de la ce paitage, par la grâce et par la bonté de
femme? C'estqu'il n'enleuil pas l'image quant Notre- Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient,
à la forme, mais quant a la domination, qui connue au Père, connut" au Sainl-Ks|)rit, la
n'ai)i>artient qu'à l'honnue seul, et non a la gloire, l'empire, l'honneur, el maintenant, et
femme. L'homme, enetfet, n'a pas de créature toujours^ el daus les siècles des siècles! Ainsi
qui lui soit supérieure ; la femme est soumise à soil-il.
DISCOURS SUR LA GENÈSE. — TROISIÈME DISCOURS. 449

TROISIÈME DISCOURS.

Sur ces mots : < A notre ressemblance (Gen. I, 26) ; > et pourquoi malgré ce que Dieu nous a dit d'exercer
notre empire sur les animaux, nous n'avons pas cet empire, et qu'il y a là une preuve de la grande sollici-
tude de Dieu à notre égard.

ANALYSE.

!. Ceux qui cherchent des perles descendent jusqu'au fond de la mer; que les amateurs des perles spiritnclles descendent donc
wssi dans les profondeurs des saintes Ecritures. —
2. Les Gentils nous ohjccicnt qu'il n'est pas vrai que l'homme domino sur
les animaux. Mais nous réiioiulons que l'homme exerce encore celle domination, et que d'ailleurs les
choses ne sont plus au-
jourd'hui dans l'étal où Dieu les avait ini^es au comoieuceuieat.

1. De même que le semeur ne fait rien d'u- les abîmes profonds, quelle que soit la fatigue
tile, s'il jette les semences à travers le chemin, d'une pareille recherche, quels qu'en soient
de ntèiiie celui qui parle, ne produira aucun les périls, et, quand on a trouvé ce qu'on \ou-
Iruit, si son di cours n'arrive pas jusqu'à la lait trouver, simince que soit le profit. En
pensée de l'auditeur; le bruit de sa voix perdu eflet, quelle grande utilité peut avoir, pour
dans l'air, ne sera, pour lui, d'aucune utilité. nous, cette découverte de pierres précieuses?
J'ai mes raisons de vous parler ainsi je ne : si encore ce n'était pas la cause de calamités

veux pas qu'il vous sid'fise de laisser vos oreil' sans nombre Rien, en effet, n'excite plus de
1

les ouvertes aux pensées faciles, mais je veux bouleversement, plus de confusion, que la suif
que vous altacjuit z d'une manière active les délirante des richesses ; mais enfin, ceux dont
pensées |)lus prolondes. En
nous neetï'et, si je parle, s'exposent, corps et âme, pour gagner
nous empressons pas de descendre dans les leur vie de chaque jour, et se livrent coura-
prolomkurs des Ecritures quand nos mem- ,
geusement aux flots. Ici, chez nous, il n'y a ni
bres sont encore aji;iles pour la natation, quand dangers ni grandes faligues la fatigue est peu
;

notre vue est encore perçante, quand nous de chose, et on s'y soumet pour conserver pré-
n'avons pas encore le vertige que cause le cieusement ce qu'on a trouve; car ce (ju'oq
tourbillon des voluptés, quand le soiiftle de trouve sans peine, semble au vulgaire avoir
notre poitrine est assez puissant pour ne pas peu de valeur. Dans la mer de l'Ecriture il
craindre de suffocation, quand donc y descen- n'y a pas de tempête ; il n'est pas de port qui
drons-nous ? est-ce quand nous serons alour- soit plus calme que mer, et il n'est as
cette i

dis par les plaisirs, bonne chair, l'ivresse


la ;
nécessaire de se i)récipiter dans les replis n'es
gorgés de nourriture? mais alors, c'est tout au abîmes obscurs, ni d'abandonner son salut a la
plus si nous pouvons nous mouvoir, tant le violence des flots aveugles. Ici au contraire, ,

poids des voluptés est pour l'àme un pesant resplendit la pleine lumière, plus brillante, c!e

fardeau. Ne voyez-vous pas que ceux qui sont beaucoup, qw les rayons du soleil, la sércniié
jaloux de découvrir des pierres précieuses, ne parfaite ; aucun orage à craindre, et tel est lo
s'amusent pas à rester assis sur le rivage, à prix de ce qu'on découvre, qu'aucune parole ne
compter les flots qui passent? ils plongent dans saurait l'exp. imer. Donc, ne nous laissons pas

S. J. Ch. — To^ifi V. 2d
450 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

abattre parla fati-gue, et mettons-nous <à notre 2. Ici, les Gentils nous attaquent, et pi éten-
recherche. Vous avez entendu que Dieu a créé sommes dans l'erreur que nous
dent que nous ;

riiomme à son image et nous vous avons dit ne commandons pas aux animaux, (jue ce sont
que ces mots, à soji image et ressemblance, eux qui nous commandent par l'épouvante
n'exprimaient pas une comparaison de sub- qu'il nous inspirent ; rien n'est plus contraire à
stances, ressemblance de la domina-
mais la la vérité. Ill'homme de montrer sa
suffit à
tion. Allons plus loin maintenant A nntre res- : face aux animaux, pour leur faire prendre la
semblance cela veut dire
^
qu'il faut que : fuite, tant est grande la terreur que nous leur

l'homme ait la douceur ctia mansuétude, qu'il inspirons. S'il arrive que, pour se venger, ou
se rende, par la vertu, dans la mesure de ses encore parce que la faim les presse ou encore ,

forces, semblable à Dieu, selon ce que dit le parce que nous les réduisons à que1(|ue extré-
Christ Soyez semblables à mon Père qui est
: mité parce que nous leur faisons violence, ils
,

dans les deux. (Matth. v, 4(5.)Enetfet,de même se jettent sur nous, on ne peut pas dire, en
que, sur la vaste étendue de notre terre, il y a vérité pour ces raisons, qu'ils nous domi-
,

des animaux, les uns plus dépourvus d'intelli- nent. Supposez un homme qui s'arme à la vue
gence, les autres plus féroces; ainsi, dans les des brigands fondant sur lui , un homme qui
plaines de notre âme, se trouvent certaines s'apprête à se défendre, on n'appellera pas cela
pensées, les unes plus dépourvues de raison, de la domination, mais le soin de sa proi»re
les autres plus féroces et plus cruelles ; donc, défense. Cependant je ne tiens pas à cette ob-
il faut les soumettre, les dompter, donner à servation, j'en veux une autre qu'il vous sera
la raison la mission de les dominer. Mais, mt; utile d'entendre. Nous craignons les animaux,
dira-t-on, soumettre une pensée sauvage et ils nous épouvantent, et nous sommes déchus
féroce, est-ce possible ? Q;ie demandez-vous, ô de notre domination; je n'en disconviens pas;
homme? Nous soumettons des lions, nous je m'empresse, au contraire, de le reconnaître.
apprivoisons leurs âmes, et vous ne savez pas Ce fait pourtant ne prouve pas ijue la loi de
s'il est possible d'adoucir la férocité de vos pen- Dieu soit trompeuse. Les choses, en ellet, ne se
sées? Voyez donc la férocité est natun^lle au
: passaient pas ainsi, dans le principe. Alors les
lion, la douceur est une exception contraire à animaux craignaient l'homme, et tremblaient
sa nature; tandis que, chez vous, la bonté est devant lui, et se soumettaient à lui, comme a
naturelle, c'est la férocité qui est contraire à leur maître; mais, pirce(|ue nous avons perdu
votre nature. Eh bien 1 vous qui chassez, de la confiance que l'innocencenous donnait,
l'âme d'une bête, ce qui lui est naturel, pour parce que nous il nous est
sommes déchus,
y insérer ce qui est contraire à votre nature, arrivé qu'aujourd'hui, nous redouions les ani-
vous ne pourrez pas dans votre âme, à vous, maux. La preuve? Dieu aweiiales animaux de-
conserver ce qui est conforme à votre nature? vant Adam, pour voir comment il les appelle-
Comment ne pas voir là une honteuse inditîé- rait. [Gen. 11, 19.) Et Adam ne "sauta pas en
rence? Car, en ce qui concerne l'âme du lion, arrière connue effrayé, mais il donna, à tous
outre la difticulté que je viens de dire, il en les animaux, leur nom, comme à des servi-
est une autre. En effet l'âme de la bête n'est teurs rangés sous sa loi ; voilà la mar«|ue de la
pas capable de raisonnement, et cependant domination. C'est pouniuoi Dieu, voulant ma-
vous avez vu souvent des lions, plus doux que nifester la dignité de l'hounne par cette pré- .

des brebis, conduits sur les places publicpifs; rogative, lui permit dimimsernoms qu'il les

on en voit un grand nombre dans les bouti- voudrait, et les noms imposés par Adam, leur
ques compter de l'argent à leur ganlioii
, sont restés depuis ces temps anciens. Et le
comme pour le payer de l'adresse, deriiihilcté nom qu'Adnm donna ù chacun des animaux
avec laquelle il a su apprivoiser un être dé- est son nom véritable. \o\\i\ donc une première
pourvu de raison. Mais, dans votre âme, il y preuve, qui montre qu au commencement,
a, il la raison, et la cainto tie Dieu, et mille riiumme ne » raiuMu'ul pas lesanimai. x. hn
rcs^ourees il'un giarul s«'Cours. Cessez donc voici Uiie sec<u»ie, pi > claire encore (|ac la
d'opposer des prétextes et des excuses ; vous preinic e, l'en! i\ lien d la femme avec le ser-
pomez, si vous voulez, devenir doux et bons. ]>ent. S. les animaux Ci isent p.iru rtdoulables
Faisons rhomme à noire imaf/c et ressemblance au pie nier homme, femme, à la vue ilu
et qu'il domine sur les animaux. serpent, ne serait pas restée près de lui; elle
DISCOURS SUR LA GENÈSE, - TROISIÈME DISCOURS. 451

aurait pris la fuite ; elle n'aurait pas écouté maux qui ne lui sont pas d'un grand secours
soncoiiseil ; elle iraurait pas conversé si tran- pour les besoins de la vie. Quant à ceux qui
quillt'iuciit avec lui ; loul de suile, épouvantée nous sont nécessaires,utiles, (jui nous rendent

à son aspect, elle aurait pris la fuite. Au con- de grands services, Dieu a permis qu'ils nous
traire, elle converse avec lui, et elle ne le fussent assujétis. 11 nous a laissé les troupeaux
craint pas, parce qu'il n'inspirait pas encore de bœufs, pour tirer la charrue, pour creuser
l'épouvante. Mais, (juand le péché fut entré nos sillons, pour ensemencer la terre; il nous
dans le monde, notre privilège nous fut en- a laissé ceux qu'on met sous le joug, pour por-
levé ; de même que, parmi les serviteurs, les ter avec nous nos fardeaux, et partager nos
plus honnêtes, les plus distinj,'ués, sont re- fatigues il nous a laissé les troupeaux de bre-
;

doutés de leurs compagnons, tandis que ceux bis, i)Our nous fournir nos vêtements à suffi-

qui ont offensé leur maître, craignent ces com- sance ; il nous a laissé d'autres espèces d'ani-

pagnons de leur domesticité; de môme, tant maux, qui nous sont d'une grande utilité,
que riionmie conserva intacte la vertu qui fai- pour Sans doute en punis-
ditiérents besoins.
sait sa confiance auprès de Dieu, il fut terrible sant l'honmie. Dieu avait dit Vous mangerez :

aux animaux; mais dès qu'il eut offensé Dieu, votre pain à la sueur de votre front (Gen.
il commença à redouter même le dernier de III, 19), mais Dieu n'a pas voulu que cette

ses compagnons d'esclavage. S'il n'en est pis stieur, que la fatigue, que la peine fût insup-
ainsi, montrez-moi donc, avant le i)éché, les portable ; sueur importune, ce labeur
et celte

animaux redoutés par l'homme ; impossible à pesant, il en adoucit le poids par la multitude
vous. des bêtes de somme qui travaillent avec nous,
Si la crainte est venue après le péché, c'est et partagent nos fatigues.
encore là une preuve de la sollicitude de Dieu Comme un maître clément et sage, après
pour nous; car, si, après l'infraction à la loi avoir flagellé son serviteur, prend soin d'adou-
de Dieu, l'homme eût conservé intact l'hon- cir la soutfrance causée par les verges, ainsi,
neur (jue Dieu lui avait conféré, il ne lui aurait après que Dieu eut infligé à l'homme coupa-
pas été facile de se relever de sa chute. Quand on ble son châtiment, il a voulu, par tous les
voit la désobéissance et l'obéissance jouir des moyens, rendre ce châtiment plus léger en ;

mêmes honneurs, la perversité s'accroît et Ton nous condamnant pour toujours, à la sueur et
ne se corrige pas facilement de ses vices. Si les au travail, il a pourvu à ce que notre travail
méchants, malgré leur terreur, les châtiments fût soulagé par un grand nombre d'animaux.
et les supplices imminents, ne viennent pas à Pour toutes ces choses, bénissons le Seigneur.
résipiscence, que serail-il, qu'arriverait-il s'ils L'honneur qu'il nous a conféré, qu'il nous a en-
n'avaient rien à souffrir pour leurs méfaits ? levé plus tard, sans nous l'enlever tout entier, la
Ainsi, en nous enlevant notre domination frayeur qu'il nous a inspirée à l'égard des ani-
Dieu nous a montré, d'une manière particu- maux, tout ce que Dieu a fait, révèle, à un es-
lière, sa sollicitude pour nous. Ce n'est pas prit attentif, la grandeur de sa sagesse, la gran-
tout. Voyez encore éclater ici son ineffable deur de sa sollicitude, la grandeur de sa clé-
bonté ; Adam a violé tout à fait la défense, mence. Puissions-nous tous jouir éternelle-
transgressé tout à fait la loi ; mais Dieu ne ment, de cette clémence, pour la gloire du
lui a pas enlevé tout à fait son privilège ; il ne Dieu quia si bien fait toutes ces choses A lui !

lui a pas repris tout à fait son pouvoir ; il s'est la gloire, dans les siècles des siècles 1 Ainsi

contenté de supprimer son empire sur les ani- soi(-il.


152 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME

QUATRIÈME DISCOURS

Que le péché a introduit trois espèces de servitude ; contre lei auditeur» inatteatifis, tt o»ux qui n'honorent
pas leurs parents.

ANALYSE.

1-2. Pieu honore l'horame môme avant qu'il soit. Le péché a introduit la servitude. Devoir de la femme; ponrqnoi elle a été
assu|étie à l'homme. — 3. Du devoir des enfants envers leurs parents des récompenses qui attendent ceux qui honorent
:

leurs pères et mères. Du châtiment des parricides. Pourquoi Dieu a voulu qu'ils fussent lapidés.

1. Hier, vous avez appri^;, comment d'une naissance, il a élevé l'homme à son rang glo-
pnrt, Dieu a institué l'homme roi, comman- rieux ; ce qui prouve qu'il n'y là une
a pas
dant aux animaux, de quelle manière, d'autre récompense décernée à ses vertus, mais une
part,il lui a aussitôt repris cette royauté. Di- faveur de la Divine Bonté, (jui ne paye pas une
sons mieux, ce n'est pas Dieu, m.iis la déso- dette. Ainsi, que riiommeait reçu le comman-
béissance de l'homme, qui Ta détrôné. Que dement, c'est l'effet, uniquement l'effet de la
riiomme ait obtenu cette royauté, voilà ce qui bonté de Dieu et maintenant, qu'il soit déehu
;

n'appartient (ju'a la Divine; Bonté. Et ce n'est de ce commandement, c'est lelfet de sa pro-


pas pour réiomiiensi r riiomn e tle ses ver- l)re làclieté. Les rois enlèvent le pouvoir à
tus, c'est avant la naissance de l'htinme, que ceux qui xiolcnt leurs ordres; c'est la conduite
Dieu de cet honneur. N'allez pas
l'a glorifié que Dieu a tenue envers l'homme, quand il
dire, que riiomnie, ayant reçu h naissance, lui a retiré son pouvoir. Or, il est utile auj»tur-
fit un grand nombre de nobles aetinns, qui lui dliui, de vous dire (juel honneur insigne le
concilièrent la faveur de Dieu, au point de lui pécbé lui a encore enlevé que d'espèces de
;

faire obtenir l'empire sur les animaux ; c'est servitudes il a introduites dans le monde ;

au mom^'tiloù Dieu allait crétîr riionmie. tpril comme un tyran prodiguant l'esclavage sous
proclame son empire par ces paroles Fa/'sofis : dt s forme:; diverses, sous iiuelle diversité de
i'hommc à notre image et ressemblance, et dominations, ilenchaîné notre nature. La
a
qiiil commande aux animaux de la terre. nremiè 'e de ces dominations, c'est la servitude
L'honneur est don né avant la vie ; la couronne, (jui met les femmes sous la puissance des
avant que la création soit achevée ; Thomme hommes domination s'établit après le
; cette
n'est pas encore fait, et Dieu l'élève au trône péché, car, avant la désobéissance, la femme
royal. Que font les princes de la terre? C'est était l'égale de l'homme. Dieu, en la créant,
quand leurs sujets sont arrivés à l'extrême prononça les mêmes paroles qu'en créant
vieillesse, ce n'est qu'après beaucoup de tra- i'honnne de même donc qu'il dit, à son su-
;

vaux, après leur avoir vu affronter des périls jet Faisans Vhnmmc à notre image et ressem-
:

sans nombre, soit eu teni|)s de paix, soit en blance, et qu'il ne dit pas Que l'homme soit
:

temps de guerre, qu'ils pensent enfin à leur fait; de même, pour la femme, il n'a pas dit :

conférer des honneurs. Dieu, au contraire, Que la feuunc soit faite, mais ici encore : Fai-
n'a(|;it pas ainsi ; mais tout de suite, dès la sons-lui une aide, et il ne dit pa^implemcnt :
DISCOURS SUR LA GENÈSE. — QUATRIÈME DISCOURS. 453

unff ai(îe, innis acmhJ'ihh' à lui ((îon. ii, 18], plus, la concorde de l'Ancien cl du Nouveau
pour nioiilier encore Irgalilô dans l'IiDniieur, Testament Que les femmes se tietment en si-
:

Les animaux sans raison nous sonl, eux aus-i, lence et dans une entière soumission lorsqu'on
(les aides fort utiles pour les néeessilés de les iitsiruit. (I Tim. ii, 11, 12.)
notre vie; n'allez |»ascroire, par lias ird, que Voyez-vous que c'est Dieu lui-même qui a
la femme dût être mise au nombre des escla- mis la femme sous la puissance de l'homme?
ves : voyez (juel soin, dans le texte, pour l'en Mais attendez vous allez en savoir la cause.
:

séparer très-distinctemejit. amena Il les ani- Pourquoi dans une eiitière soumission ? Je ne
:

maux, dit le i(^\{(\ devant Adam, et il ne se permets pas dit-il, à la femme dcnseiqner.
,

trouvait point d\iidi- gui lui fut pour Adam Pourcjuoi? c'est qu'elle s'est prise une fois à
semblable. (Geu. ii, 19, 20.) Quoi donc! Nest- enseigner, et qu'elle a mal enseigné Adam. Aï
ce pas un aide, (pie K' cheval, qui lui prête son de prendre autorité sur son mari. Pouniuoi ?
secours dans les comltats? NVst-ce pas un aide c'est qu'elle a pris une fois ce; te autorité, et ce
que le bœuf, (|ui traîne la charrue, et, à fut un mQ.\. Mais, je lui ordonne d'être dans
répocjue des senienccs, travaille avec nous ? le silence. J'atten<ls la raison Adam, dit-il,
:

Ne sont-ce pas des aides ,


que Tàne et le 7i'a point élé séduit, mais la femme ayant été
mulet, qui nous aident cà transporter nos séduite est tombée dans la désobéissance. Voilà
fardeaux ? pour prévenir celle obser-
C'est donc pourquoi il la fait descendre de la chaire
vation, que l'hcriture prend soin de dis- où l'on enseigne. En effet, que celui qui ne
tin{;uer ici; elle ne se contente pas de dire : Il sait pas enseigner, dit-il, s'instruise lui-même;
ne se trouvait point d'aide pour lui, mus // : s'il ne veut pas s'instruire, s'il a la prétention
tîe se trnuv'iit point d aide qui lui fût sembla- d'enseigner , il se perdra lui-même, et ses
ble. Kl de nièni'', Di-Mi ne dit pas seuleni<uit : disci|)les apiès lui : c'est ce qui est arrivé <à la
Fai ous - lui un aide, mais : Faisons- lui première femme. Voilà donc la vérité : elle a
une aide semblable à lui. Telles étaient les été assujétie à son mari, et c'est le péché qui
paroles avantle péché; mais, après le péché, l'a assujétie. Cette vérité est devenue évidente,

VoNs vous tournerez vers votre mari, vous et il mais c'est ce qui suit que je voudrais com|)ren-
dominera. (Gen. m, 16.) Je vous ai laite, dit-il, dre. Vous vous tournerez vers votre mari, et il
éjj.le par l'hotmiur; vous avez abusé de votre vous dominera.
comuiandeiiienl; descendez au rang de su- 2. Je tiens à savoir ce que dit Paul de la solli-
jette;vous n'avez pas supporté la liberté, ac- citude qui se montre ici, et comment il conci-
ceptez la servitude ; vous n'avez pas su com- lie lu domination et la bienveillance. Dans
mander, vous l'avez m >nlré par votre con- quel [tassage? Il écrit aux Corinthiens : Maris,
duite, soyez au ran^' de- créatures soumises, aimez vos femmes. (Ephés. v, 25.) C'est le :

et reconnaissez l'Iiomine pour votre maître : Vous vous tournerez vers votre mari : Que les
Vous vous tournerez vers votre mari, et il vous femmes caigîient leurs maris (Ibid. 33) c'est :

dominera. Mais voyez, ici, la bonîé de Dieu. le, et il vous dominera. Voyez-Nous la douceur

En ( iitendantces mots : il vous dominera, elle de cette domination? C'est l'amant passionné
aurait pu imaginer une domiu.ition pesante; qui commande à la femme devenue son
Dieu a exprimé d'abord la soUieitude en di- escla\e; c'est la tendresse qui respire dans ce
sant : Vous vans lonnu-rcz vers votre mari, maîtr terrible. Voilà comment disparaît tout
c'esl-a-dire : il stwa voir»- refuge, \otre port, l'ennui de la servitude. Donc, la désobéissance
votre sécurité; je vous que, le donne |)0ur a introiluit une domination. Oubliez, en eflet,
dans tous les maux qui vous aitligeront, vous que Dieu a tempéré comme il le fallait la ser-
vous tourniez vers lui, vous cheicliiez en lui vitude; considérez uniquement ceci que : cette
votre refuge. Et, ce n'est pas tout; il les a en- servitude a été établie par le péché. Eh bien l

chaînés l'un à l'autre par des lois naturelles, par il encore une seconde espèce de servitude
est
une réciprocité de désirs (jui forment, autour bien plus pesante (jue la première, et cette
d'eux, {^illdis^olllbles liens. Vosez-vous comme seeonde servitude provient aussi du péché.
la sujétion est venue par le pèche mais aussi ; Apres le déluge de Noé, après ce commun
comme l'ingénieuse sagose dt Dieu a tout con- naufrage, celte destruction de l'univers, Cham
verti a notre milite ?Ec"otez ce que dit Paul, de s'est rendu coupable envers son père il l'avait ;

cette sujétion, et vous comprendrez, une lois de vu dans uu état de nudité; en Taccusant auprès
TRADUCTION FILVNÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

de ses frères il le mit encore plus à nu et,


, ; vous faire comprendre que cette espèce de
conséquence de sa faute, il est devenu Tesclave domination est aussi un résultat du péché,
de ses frères. Sa volonté pervertie dégrada la voici Paul qui vient lui-même; écoutez ses ré-
noblesse de sa nature, et sa punition fut juste. flexions sur ce sujet : Voulez-vous ne point
L'Ecriture, en effet, présente mille excuses en craindre les puissances, faites le bien et elles

faveur du juste Noé. Noé s' appliquant à, vous en loueront? Si vous faites le mal, crai-
V agriculture ^ commença^ dit le texte. (Gen. gnez, car ce n'est pas en vain que le prince
IX, 20.) Ce commença est pour l'ivresse une po?'te répée. (Rom. xiii, 3-4.) Comprenez-vous
excuse considérable ; il ne savait pas encore la que contre les méchants qu'il y a des
c'est

quantité de vin qu'on pouvait boire, ni de princes et des épécs? Ecoutez cette parole,
le boire; pur ou mé-
quelle manière on devait plus claire encore, car le prince punit, dit-il,

langé d'eau; ni quand on devait le boire, tout celui qui fait le mal. L'Apôtre ne dit pas : Car
de suite, au sortir du pressoir, ou s'il fallait at- ce n'est pas en vain qu'il est prince, mais, que
tendre quelque temps. C'est ainsi que l'Ecri- dit-il? Car ce n'est pas vain que le prince porte
ture excuse l'action de Noé; mais maintenant, Vépée. C'est un juge armé que Dieu a mis au-
celui qui était un fils de Noé, qui lui devait sa dessus de toi. Un père qui aime ses enfants,
conservation (en effet, c'est à cause du privi- quand il les voit négliger leurs devoirs, quand
lège accordé à son père, qu'il n'avait pas été il voit que sa bonté paternelle lui attire leur

exterminé avec les autres par la tempête uni- mépris, les confie alors, n'écoutant encore
aucun respect naturel, sans au-
verselle), sans que sa bonté, à des précepteurs qui inspirent
cun souvenir du salut qui lui avait été accordé, plus de crainte; c'est ainsi que Dieu, se voyant
surmontant la crainte qui aurait dû le rame- méprisé par nous, à cause de sa bonté, nous
ner à de meilleurs sentiments et cela, quand ; a livrés à ces pédagogues qu'on appelle les
il restait encore tant de preuves de la colère princes, pour corriger notre négligence. Si
divine; quand il voyait encore partout les vous voulez, ouvrons l'Ancien Testament, nous
traces d'une immense calamité; quand l'hor- y verrons que c'est notre perversité qui a rendu
reur du sinistre récent encore vivante, il
était nécessaire cette domination. Un prophète, en-
n'a pas craint d'outrager son père. Un sage flammé de colère contre des hommes injustes,

prévient ces fautes par l'avertissement qu'il faitentendre ces paroles Pourquoi demeurez- :

donne ainsi Ne vous glorifiez pas de l'outrage


: vous dans le silence pendant que l'impie dévore
faità votre père, car ce n'est pas une gloire le juste? Pourquoi traitez-vous les hommes
pour vous, que votre père soit outrage. (Ecclôs.) comme des poissons de la mer, et comme des
Mais Chamne connaissait pas celte parole, et il reptiles qui n'ont point de roi. (Habac. i,

commit un péché qui ne mérite ni pardon ni 13-14.) Donc, si le roi existe, c'est pour que
excuse. En punition de son péché, il encourut nous ne soyons pas comme des reptiles;

la servitude; il devint l'esclave de ses frères; s'il y a un que nous ne


prince, c'est pour
la prérogative d'honneur que la nature lui nous dévorions pas mutuellement comme des
avait conférée, il la perdit par la perversité de poissons. Car, de même qu'on a inventé
son âme. Voilà la seconde espèce de servi- les médicaments à cause des maladies de ,

tude. mèiuc, les supplices ont été institués on vue


Voulez-vous en connaître maintenant une des fautes. L'homme vertueux n a pas besoin
troisième, plus douloureuse, celle-ci, que les d'un tel pouvoir au-dessus de lui; voilà pour-

deux premières, et beaucoup plus redoutable; (juoi vous avez entendu Paul vous dire Vou- :

car, ces deux servitudes n'ayant pas suffi à lez-vous ne point craindre les puissances ,

nous corriger. Dieu a rendu nos cliaînes plus faites le bien, et elles vous en loueront. Votre
pesantes. Quelle est donc celte troisième servi- juge, dit-il, vous regarde; si vous faites le
tude? Celle (jui nous assiijélit à des princes, à bi(Mi, non-seuleniont il vous regarde, mais il

des puissances; elle ne ressemble pas à celle vous décerne des éloges. Mais à quoi bon vous
de la femme, à celle des esclaves; elle est de parler de la nécessité des princes, quand les
beaucoup plus redoutable. Les yeux voient de sages sont au-dessus d'autres puissances de
touli'S parts les jilaivi-s aiguisés, les bourreaux, beaucoup plus hautes? les princes eux-mcmes
les >up|ilices, les tortures, les châtiments, un ont, pour princes, les lois. Eh bien ! il na pas
pouvoir de vie et de mort. Maintenant, pour besoin des lois, celui qui pratique la modéra-
DISCOURS SUK LA GENÈSE. — QUATHIÈME DISCOURS. 4?)3

lion, la Entendez Paul proclamant


jiislice. pardonnable? Il ne faut pas, mes bien-aimés,
encore celte La loi ncst pas pour le
vérilé. trouver la réprimande importune et sévère,
juste. (I Tini. i, 9.) S'il n'y a pas de loi pour nous n'avons pas de haine, c'est nuire sollici-
lui, à bien plus fuite raison, n'y a-t-il p.is de tude pour vous qui nous l'inspire. Les bles-
prince; voilà donc la troisième espèce de do- sures que fait cehd qui aime valent mieux que
niinaliin (|ui est encore une consétiuence du les baisers qu'offrent (Teux-mêyncs les ennemis.
péelif cl lie la jierxersité. (Prov. xxvii, 0.)
3. Commenl donc Paul a-l-il pu dire que Faites donc attention, je vous en prie , cl
toute puissance vient de Dieu? (Rom. xiii, 2.) laissant là ce feu, appllcjucz vos âmes à la lu-
C'esl que Dieu a établi les puissances de ma- ujière des saintes Ecritures. J'ai, en effet, ré-
nière à nous être utiles; d'une part, le péclié solu de vous parler d'une autre autorité,
qui
a rendu les puissances nécessaires, d'autre pari ne lire pas son origine du péché, mais de la
Dieu les a converties à notre utilité. Et, de nature même. Quelle est celte autorité? Celle
même que, si les blLS>ures rendi'ut les remèdes des parents sur leurs enfants. Le respect de
nécessaires, c'est la sayesse des médecins qui ecU(! autorité, c'est
un juste retour en échange
les appli((ue ; de même, c'est le pécbé qui a des douleurs de l'enfantement; aussi un sage
fait de la servitude une nécessité, mais celte a dit Suis soumis comme à des maîtres, à
:

nécessité a sul)i la direction imprimée par la ceux qui (ont engendré. ( Ecclés. m, 8;
sagesse du Dieu qui la doujple. Voyons, soyez vu , 30.) Il ajoute ensuite la cause en disant :

donc allciitifs, et corrigez-vous donc de votre Car, que rcndrez-vous qui égale ce qu'ils
lai>ser aller. Je sais bien ce que je dis. Nous ont fait pour vous? Ge[)endant, qu'est-ce que
vous explicjuons les Ecritures, et vous voilà le fils ne peut pas rendre à son
père? Le
délouruanl, loin de nous, vos regards sur les texte n'a donc rien voulu dire que ceci :

lampes et sur l'allumeur! Vraiment, quelle Ils t'ont engendré, impossible à toi de
les en-
nous laisser là pour vous occuper de
légèreté, gendrer de uiêuie; donc, puisqu'à cet égard
cetbonnne! Et moi aussi, j'allume, je tire ma nous restons au-dcs.-uus d'eux cherchons ,

flamme des Ecritures, notre langue que ce feu d'autres moyen?, sur[)assons-Ies par les hon-
brûle, est le flambeau de la doctrine. Celle neurs que nous leur rendons ; ne suivons
clarté -là brille plus, et vaut mieux que la pas, en cela, seulement la
loi de la nature,
sienne. Nous ne l'allumons pas, comme lui, écoulons, avant nature, la crainte de Dieu.
la
avec de l'buile sur une méclie, nous trempons C'est la volonté de Dieu, sa volonté expresse,
les àmi s dans la piété, et nous les allumons que les parents soient honorés par les enfants.

ensuite, parce qu'elles s'embrasent du désir Qui remplit ce devoir, se prépare de grandes
d'apprendre. Un jour, Paul conversait, dans récompenses; ceux, au contraire, qui enfrein-
une au haut d'une maison. (Act. xx,
pièce, draient la loi, seraient frappés par lui, de châ-
7,0.) Je ne voudrais pas pourtant qu'on s'ima- timents terribles. Que celui qui aura prononcé^
ginât que j'aie la prétention de me comparer dit la loi, une parole d^ imprécation contre son

à Paul ne suis pas assez insensé ce que je


;
je ;
père ou contre sa mère, soit puni de mort.
veux, c'est vous faire comprendre l'ardeur (Exode, XXI, 17.) Quant à ceux qui honorent
avec laquelle vous devez entendre la parole. leurs parents, voici comme la loi les encou-
Eb bien donc, Paul discourait dansunepièceau rage Uonorez votre père et votre mère, afin
:

haut d'une maison et la nuit \ int, comme en ce que vous soyez heureux et pleins de jours sur
moment, et il y avait des lampes dans la cham- la terre. (Exode, xx, 12.) Ce qui paraît le plus
bre; alors, Eutychus tomba d'une fenêtre, sans grand des biens, une belle et noble vieillesse,
que celte ehute dispersât la réunion; il mourut, la longueur des jours, voilà le prix qu'on pro-
et l'assemblée ne se sépara pas. C'est que les au- pose à ceux qui honorent leurs parents. Mais,
diteurs éLiienl si fortement attachés à la divine ce qui semble le plus alïreux malheur, la mort
parole, qu'ils ne s'aperçurent en aucune façon prématurée, voilà la menace, suspendue sur
de cette chute. Quant à vous, la chose la plus ceux qui les outragent. On arrache l'afTection
ordinaire, la moins étonnante, se passe sous des uns par la gloire qu'on leur annonce; les
vos yeux, c'est un homme qui vient faire son autres, on les détourne violemment des ou-
office de tous les jours, et tous vos regards se trages qu'ils voudraient commettre, en leur
sont tourûés sur lui. Cette légèreté est-elle faisant redouter le châtiment. Car, il n'est pas
456 TRADUCTION FRANÇ.VISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

ditsimplement, ni qn'on frappera de mort le commun, ressentent cefiendant, tous ensemble,


parricide, nique les bourreaux le traîneront la même indignation contre ceux qui leur ont
hors du tribunal, à travers la place publique; fait outrage, comme si l'outrage frappait la
ni qu'on lui trancbera la tête en dehors de la nature entière, et parce qu'un homme, ainsi dé-
cité; c'estau milieu même de la cité, que le gradé, c'est une peste, un fléau public, qu'il ne
père outragé conduit son fils coupable, et sans suffit pas de bannir de la cité, qu'il faut encore
rien qui ressemble à un plaidoyer, le père est faire disparaître de la lumière. Un tel homme,
sûr d'être cru; et c'est avec raison, car celui en eflet, est un ennemi public, un ennemi
qui prodiguerait volontiers tout ce qu'il pos- particulier, un ennemi commun de tous les
sède, tout ce qu'il a de santé et de force, tout hommes, de Dieu, de la nature, des lois, de la

ce qui est à lui, pour son enfant, ne s'en ferait société des vivants. Voilà pourquoi nous de-
jamais l'accusateur, s'il n'avait reçu de lui un vons tous participer à l'extermination, afin de
sanglant outrage. Donc le père le conduit au purifier la cité. Ah maintenant, que l'abon-
!

milieu de la cité ; il appelle tout le peuple; il dance des biens soit sur vous, parce que vous
prononce l'accusation, et parmi tous ceux qui avez écoulé avec tant de plaisir ce que nous
l'écoutent, chacun prend une pierre, et tous venons de dire sur le parricide, et, qu'au lieu
écrasent le parricide. Ce ne sont pas de sim- de prendre des pierres, c'est par vos cris que
ples spectateurs du châtiment, mais des mi- vous l'avez exterminé. Marque certaine de la
nistres que la loi réclame, afin que, pour cha- grande affection que chacun de tous a pour
cun d'eux, la simple inspection de cette main son père car les lois que nous admirons le
;

qui a jclé la pierre contn^ la tète du parricide, plus, ce sont les lois qui châtient les péchés
soit un avertissement suffisant, pour les tenir que noire conscience ne nous reproche pas.
dans le devoir. Ce n'est pas tout : le législateur Pour tous ces biens, rendons grâces au Dieu
nous insinue encore une autre pensée qui : plein de bonté, qui veille sur nous, qui prend
outrage ses parents, n'est pas coupable envers soin de nos parents, qui s'inquiète pour nos
eux seuls, mais se rend coupable envers tous enfants, qui dispose tout jjour notre salut. A
les bonmies, et voilà pourquoi tous les hommes lui la gloire, l'honneur et ladoration, ainsi
sont a|»pelés à exécuter en commun le châti- qu'au Père, qui n'a pas eu de conmiencement,
ment; c'e^t (ju'ils sont tous outragés; le légis- ainsi qu'à l'Esprit-Saint, et maintenant, e-
lali'ur convcKiue, à la l'ois, tout le peuple, la toujours, et dans tous les siècles des siècle^
cité tout entière, enseignant par là que ceux Ainsi soit-il.

qui n'ont, avec les parents outragés rien de


DISCOURS SUR LA GENÈSE. - CINÛUIÈME DISCOURS. 457

CINQUIÈME DISCOURS.

Que noue ne derons pas à Adam d'être punis , mais que no\iB lui devons des biens plus grand» que les maux
Bi nous voulons faire attention à notre ealut : contre ceux qui négligent les pauvres.

ANALYSE.

1-2. Pourquoi le péclié d'nn seul atti'e-t-il le châtiment fur 1rs nuircs? Avec la vertu, la servitude n'est qu'un nom. L'exemple
de Nahuchoiiiinosor et des trois ciifanls prouve que celui qui pralique la vertu est libre et supérieur aux roismômes. —
3-4. Exhortation à i'aumiine. Vie misérable des pauvres, et liurelé des riches.

1. Vous croyez peut-être que nous n'avons m'objecter : pourquoi, quand ce sont les autres
plus rien à dirti siu* la domination, mais, moi, qui vivent dans le crime, subissons-nous, nous

je vois encore un frnit précieux à recueillir. joug de cette servitude? Que répon-
aussi, le
Ne vous laliguez pas, je vous en prie, laissez- drons-nous donc à toutes ces réclamations?
moi le temps d'achever ma vendange. Les Une seule et même explication les fera tomber
agriculteurs laborieux qui voient une vigne toutes. Les premiers pécheurs ont introduit la
cliargée d'un épais feuillage, courbée sous Ta- servitude par leur prévarication personnelle,
bondance de ses fruits, ne se contentent pas mais les pécheurs qui sont venus après, ont con-
découper les grappes du dehors; ils s'enfon- firmé cette servitude par les péchés qu'eux-mê-
cent dans l'intérieur du cep, ils brisent les mes ont commis. En effet, si ces derniers pou-
branches ; ils écartent les sarments, de ma- vaient toujours se montrer purs, peut-être |)araî-

nière à récolter jusqu'au moindre grain caché Iraient-ils avoir raison de contredire ; mais,
sous les feuilles.Ne vous montrez donc pas s'ils se sont exposés, eux aussi, à de nombreux
plus négligents que les vendangeurs ne vous ; châtiments, leur excuse n'est pas fondée. Moi,
en allez pas, avant d'avoir tout cueilli; consi- je ne vous ai pas dit que
péché d'aujour- le

dérez surtout que la peine est pour moi. le d'hui n'introduit pas la servitude, mais qu'à
fruit pour vous. tout péché se joint nécessairement la sen'i-
Hier, nous avons accusé les femmes, c'est-à- tude j'ai attribué la cause de la servitude <à la
;

dire non, nous n'avons pas accusé les femmes; nature du péché, et non seulement à la dilfé-
mais Eve, d'avoir, par le péché, introduit la rence du péché de même que toutes les ma-
;

servitude. Les femmes pourront mo dire : ladies incurables sont mortelles, sans être
pourquoi ? c'est elle qui a commis la faute, et toutes cependant de la même nature, de même
l'on nous condamne ? la chute d'une seule est tous les péchés engendrent li servitude, sans
devenue l'accusation du sexe tout entier? Les être tous cependant de la même nature. Eve a
esclaves, h leur tour, pourront me dire eh : péché en goûtant le fruit, et, pour cela, elle

quoi parce que Cham a outragé son père,


1 a étécondamnée; pour cette raison, vous, gar-
toute une race d'hommes a été punie ? Et ceux dez-vous île commettre un autre péclié, (»'us
qui tremblent devant les puissances, pourront grave peut-être que cette première faute. Nous
Am TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

appliquerons la même obsen'ation, et aux es- lui; et, de même qu'au commencement, l'Ecri-

claves, et à ceux qui subisst ni la domination ture a confié l salut de la femme a l'homme,
des puissances le? premières, c'est le péché
;
parce qu'il n'a pas été séduit, vous vous tour-
qui les a introduites; mais les hommes qui nerez vers votre mari, et il vous domineia
sont venus après, ont assuré la domination de (Gen. III, 16) de même, ici, attendu que c'est
;

ces puissances, par les fautes qu'ils ont com- une femme fidèle qui a un mari iufidèle, le
mises. Je puis d'ailleurs me servir d'une au- salut de l'homme est confié à la femme, par

tre justiflcation, c'est qu'un grand nombre ces paroles ( ar que savez-vous, ô femme, si
:

d'hommes, en retournant à la vertu, se sont vous ne sauverez point votre mari? Est-il pos-
affranchis de la domination. Et d'abord, s'il sible de démontrer plus clairement, que la

vous paraît à propos, parlons des femmes, afin ser\ilude n'est pas une suite de la nature,
de vous montrer, comment le bienheureux mais du péché ? Nous pouvons appliquer aux
Paul, après leur avoir mis des liens, prend esclaves les mêmes réflexions Avez-vous été :

soin lui-même de rendre ces liens plus lâches : appelé esclave ? peu doit vous importer. (I Cor.
Si unefc?nme, dit-il, a un mari du nombre des vu, 21.) Voyez-vous comme montre ici que
il

infidèles, ei qu'il consente à demeurer avec la servitude n'est qu'un mol, quand la vertu
elle, qu'elle ne se sépare point d'avec lui. (I Cor. l'accompagne Mais si ? vous pouvez devenir
VII, 13.) Pourquoi ? Car que savez-vous, ô un bon usage de la servitudey
libre, faites plutôt

femme, si vous 7ie sauverez point votre mari ? c'est-à-dire, demeurez phitôldanslasenitude.

(Ibid. 16.) Et comment, me dira-t-on, la femme Pourquoi ? Car celui qui étant esclave, est ap-
pourra-t-elle sauver son mari ? par ses ensei- pelé au service du Sdgneur, devient affranchi
gnements, ses instructions, ses discours sur la du Seigneur. (IbiJ. £2.) Comprenez-vous que la
religion. Mais vous disiez hier, bienheureux servitude n'est qu'un mot,tandisque la liberté
Paul: Je ne permets pas à la femme d'tnsei- est réelle? Maintenant pourquoi permet-il de

gner. Tim. ii, 12.) Comment donc se fait-il


(I rester esclave? Pour vous faire comprendre
que vous l'employiez {)Our faire la leçon à son l'excellence de la liberté ; car, de même qu'au
mari ? Je ne suis pas ici en contradiction avec lieu d'éteindre la fournaise où l'on avait jeté
moi-même, je suis, au contraire, en parfait ac- les trois jeunes hommes, il éUiit beaucoup plus

cord. Ecoutez, je vous en prie, comprenez pour- admirable de les y conserver intacts et sans
quoi il la fait descendre de la chaire, et pour- atteinte, ainsi, au lieu de détruire la servitude,
quoi ill'y fait remonter; vous apprendrez ainsi la conserver, montrer la liberté subsistant aYec
quelle est la sagesse de Paul C'est à l'homme à : elle, voilà ce qui est plein de grandeur et

enseigner, dit-il. Pourquoi ? parce qiiil n'a pas digne de toute admiration. De là, ces paroles ;

été séduit. (1 Tim. ii, 14.) En effet, dit-il, Adam Quand même vous pourriez devenir libre,
n'a point été séduit. Que la femme écoute pour faites plutôt usage de la servitude, c'est-à-dire,
s'instruire, dit-il.Pourquoi ? parce qu'elle a demeurez esclave, car vuis possédez la plus
été scduile. En elTet, la fenmie ayant été sé- vraie liberté.
duite est tombée dans la prévarication mais ; 2. Voulez-vous voir ces réflexions se confir-
ici, nous voyons le contraire le mari, d'une ; mer, en ce qui concerne les puissances? Il y
part, étant infidèle, d'autre part, la femme fi- eut un roi, Nabuchodonosor, qui embrasa une
dèle, que la femme enseigne, dit-il. Pourquoi? fournaise des feux les plus ardents, et fit ame-
c'est qu'elle n'a pas été séduite, puisqu'elle est ner trois jeunes hommes, bien jeunes, privés
fidèle. Donc, il faut que l'homme s'instruise, de tout secours, des captifs, des exilés. Or, que
parce qu'il a été séduit, puisqu'il est infidèle. leur dit-il? Est-il vrai, Sidrachf Misach, et
Ce ne sont plus les mêmes qui enseignent; par Abdénago, que vous n'honorez point mes dieux
conséiiucnt (|ue ce ne soient plus les mêmes et que vous n'adorez point la statue dor que
qui commandent. Voyez-vous, connue il fait j'ai dressée? (Dan.m, 1-4.) Eh bienl que répon-
voir, partout, que la servitude n'est pas une dirent-ils? Voyez comme la vertu a rendu ces
conséquence de la nature, mais de l'erreur et captifs plus rois que le roi lui-même, et a
du péché ? Au commencement, l'erreur a|)|)ar- grandi, exalté leur fierté. En effet, ils n'avaient
tint à la femme, la sujétion a suivi l'erreur; pas l'air de parler au roi, mais, comme s'ils

ensuite Terreur a saisi l'hounne et la sujétion eussent ad res.é la parole à quebiue inférieur,
s'est en même temps que l'erreur, allacliée à ils firent uue réponse pleine de liberté : //
Disrorns sur la genèse. — cinquième discours. 4S9

n'est pas besoin, dirent-ils ô roi, que nous ré- , que c'en est fait aussi de la crainte inspirée
pondions à cette parole. (Dan. m, 16.) (le ne par les bêtes féroces. Dans la même ville de
sont pas (les paroles mais les actions mêmes,
, Cabylone autrefois Daniel lut jeté dans une
, ,

qui feront notre démonstration. Il y a un Dieu fosse, mais les lions n'osaient le toucher, car
ians le ciel, qui peut nous arracher de la four- ils voyaient briller en lui, l'ancienne image du

laise. [Ibid. 17.) Ils rappellent au roi le bien- roi de la nature ; ils reconnaissaient les nobles
fait de Daniel dans les mêmes termes dont s'est traits qu'ils avaient vus sur le visage d'Adam,
servi le Prophète car que disait-il alors? Les
; avant le péché ; ils s'approchèrent de Daniel
sages les mages, les devins et les miguvcs ne
, , avec la même soumission qu'auprès d'Adam,
peuvent découvrir au roi le inyslère dont il lorS(|ue le premier homme leur imposait leurs
est en peine, mais ihj a un Dieu au ciel fini ré- noms ; el, ce qui arriva à Daniel , arriva aussi
vèle les mystères. (Ihid. ii, 27, 28.) Ils lui rap- au bienheureux Paul. Jeté dans une île bir-
donc cellt; parole, pour le rendre plus
])elleul bare, assis auprès d'un grand feu il se chauf- ,

modeste ensuite l'Ecriture ajoute El s il ne


; , : fait. (Actes, 28.) Voici que, s'élançant du bois
veut pas le faire , noîis vous déclarons néan- sec, une vipère main. Qu'arriva-
lui sauta à la
moins, ô Roi, que nous n'honorons point vos t-il ? la bête aussitôt tomba morte car, comme ;

dieux, et que 7ious nadoiwis point la statue elle ne trouva pas en lui de péché, il lui fut
d'or que vous avez fait élever. (Ibid. ui, 18.) impossible même de le mordre. Mais, de même
Voyez la sagesse de ces jeunes hommes. Ils re que, lorsque nous voulons gravir une hauteur
veulent pas que le peuple qui les regarde, mé- dont la pente ne présente pas d'aspérités si
connaisse la puissance de Dieu, s'ils venaient nous ne trouvons rien que notre main puisse
à mourir après avoir été jetés dans la four- saisir, tout à coup nous tombons, soit dans lu

naise ils commencent donc par proclamer


; mer qui s'étend sous nos pieds, soit dans un
cette puissance, par ces paroles Il y a un : précipice; de même cette bête qui se trouvait
Dieu dans le ciel, qui peut nous arracher de la au-dessus du foyer, n'ayant pu trouver le péché
fournaise. Et maintenant, dans le cas oij ils pour pour y enfoncer ses dents,
s'y attacher,
échapperaient aux flammes, pour qu'ils ne fus- tomba dans le foyer et mourut. Voulez-vous
sent pas soupçonnés d'avoir servi Dieu dans encore une autre preuve à ra()pui dr, nos ré-
l'espérance d'un salaire et d'une récompense, flexions ? La première vous le savez c'est , ,

ils ajoutent : Et
ne veut pas le faire, nous
s'il qu'aux premiers pécheurs, il faut joindre ceux
vous déclarons néafimoins, ô Roi , que nous qui ont vu le jouraprès eux mais maintenant, ;

fi'honorons point vos dieux et que nous n'a- une seconde preuve, c'est que les hommes ver-
dorons point la statue d'or que vous avez fait tueux et cela môme dans la "sie présente, ont
,

élever. Par ces paroles, ils publient la puis- rendu leur servitude plus légère disons ,

sance de Dieu, et, en même temps, ils mon- mieux, se sont entièrement affranchis, tonmie
trent la noble confiance de leur âme , de ma- nous l'avons montré, ù propos des femmes, à
nière qu'il soit impossible de renouveler contre propos de ceux qui subissent les ()uissances, à
eux, la calonmie intentée contre Job, par le propos des bêtes féroces. Mais, à ces preuves, il
démon. Que disait le démon? Ce n'est pas sans en faut ajouter une troisième; c'est que le Christ
intérêt que Job vous honore , car vous l'avez en venant au milieu de nous, nous a promis
fortifié de toutes parts au dedans
et au dehors. des biens [)lus grands que ceux dont nous a
(Job, I, Donc, pour prévenir cette ca-
9, 10.) dépouillés la faute des premiers pécheurs. Eh
lomnie ces jeunes hommes prennent leurs
, bien je vous le demande, qu'avez-vous à pleu-
!

précautions d'avance et lui ferment sa bouche rer? est-ce parce (jue le péché d'Adam vous a
impudente. chassés du paradis? faites de bonnes œuvres,
Vous vous rappelez ce que je vous ai dit; animez-vous d'un vertueux zèle, et ce n'est
quoique prisonnier, quoique esclave, quoique plus le paradis seulement, mais le ciel, que
étranger, quoique exilé, quiconque porte avec j'ouvre devant vous ; et je ne veux pas que, de
soi la vertu, est plus roi que tous les rois. la prévarication de votre premier père il vous ,

Comprenez-vous que nous avons supprimé la arrive aucun mal. Pourquoi vos pleurs? Est-
servitude des femmes , la servitude des e?cla- ce parce que vous êtes déchus de votre empire
ves, la servitude qui assujétit aux puissances? sur les bêtes féroces ? Voici que je vous sou-
Eh bien ! maintenant, je veux vous montrer mets les démons eux-mêmes, si vous voulez
460 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN THRYSOST'^ME.

vous appliquer au soin de votre âme. Ff^vhz vite, nous passons. Comme si nos regirds ne
avx puds, dit rEv.'uigéli^tf, /e> serpent et h s tombaient qti- sur des st u ssan-âme. et non
scorpions et hmte la puissmice dti Cemiemi sur (les iiomm< s qui r. spTent, Mte, nous ren-
(Luc, X, 19); et il ne dit pas : Douiinez, connue trons dans nos maisons. Mtis, c'est que j'ai

quand il s'agissait des animaux, mais Foulez :


faim, me répond-on; eli bien! si vous avez
aux pieds, maniuant par là la souveraine do- faim, restez. Sans doute, le proverbe a raison,
mination. ventre plein ne connaît p.is la f tim. Mai.-ceuxqui
3. Paul aussi, pour celte raison, ne se borne ont faim connaissent, par leur propre douleur,
pas à dire Dieu étendra Satan sous vos pieds;
: même la douleur des autres, ou plutôt, même

mais, Deu brisera Satan sous vos pieds. (Rom. dans cette circonstance, il n'est pas possible de
XVI, 20.) Il ne dit plus, conmie auparavant // :
bit n coijnaître toutes ces douleurs. Votre table
observera votre tête, et vous obsenwrcz son taloji : est toute pré|)arée, à vous, et \ous y courez, et
mais la victoire est entière, le triomphe est vous ne pouvez pas même attendre un mo-
parfait, l'ennemi est broyé, il n'en reste lien. ment; le pauvre est là, jusqu'au soir, et il

Eve t'a soumise à ton mari, eh bien moi, je 1 s'a;jite , et il our s'assurer le pain
se travaille, i

ne t'égale pas seulement à ton mari, mais aux de chaque jour; et, quan 1 il voit que le jour
anges eux-mêmes; tu n'as qu'à vouloir; elle est passé tout entier mais qu'il n'a pas tout ,

t'a privée de la vie présente, eh bien moi, je ! entière la somme qu'il lui faut tout juste pour
t'accurde en don la vie future, qui ne connaît acheter la nouirilure du jour, il souffre alors,
ni la vieillesse, ni la mort; l'abondance inépui- et il s'irrite, et il excède ses forces en insistant
sable de tous les biens. Que personne donc ne avec plus d'audace. Aussi, quand le soir arrive,

se regarde connue altenit, dépouillé par la les pauvres nous assaillent avec plus d'ins-
faute des premiers pécheurs. Si nous voulons tance, jurant, conjurant, gémissant, pleu-
obtenir tous les biens que Dieu nous tient en rant, tendant les mains, n'ayant plus de pu-
réserve nous verrons que les dons (jui nous
, deur, se livrant à mi'le tentatives, parce
sont faits, dépassent de beaucoup les biens que qu'ils y sont forcés; c'est qu'ils ont p^ur, (piand
nous avons perdus. Ce que nous avons déjà chacun se sera retiré dans sa maison, de se
dit, suffira pour démontrer ce qui nous reste à trouver au milieu de la ville, errant partout
dire. Adiim a introduit dans la \ie les labeurs conune dans un désert. Et, comme les nau-
et les fatigues; le Christ nous a promis la vie, fragés saisissent une planche, et s'empressent
exemple de douleurs, de tristesse et de gémis- d'arriver au j>ort, avant le soir, de peur qu'en-
semenls, et nous promet le royaume d( s cieux. veloppés par la nuit, loin du port, ils n'éprou-
Venez, dil-il, ô vous, les bénis de mon Père, vent un pins sini^tre naufrage ; ainsi les pau-
possédez le royaume qui vow^ a été préparé dés vres, qui redoutent la faim conune un naufrage,
le commencement du monde, car j'ai eu faim se hâtent, avant (pie le so r arrive, de recueil-
et vous m'avez donjié à manger ; j'ai eu soif et lir l'argent nécessaire pour leur nourriture,
vous m'avez donné à boire; f étais étranger, et craignant qu'a l'iieiue où chacun se sera retiré
votis m'avez logé avec vous; fêtais nu et vous chez soi, ils ne restent hors du port. L»' port,

m'avez revêtu fêtais en prison et vous êtes


,
pour les infortunés c'est la nîain qui leur,

venus vers moi. (Malli. xxv, 3i, 36.) donne.


Nous sera-t-il donné, à nous aussi, d'enten- 4. Mais nous, nous traversons la place publi-

dre cette invitation bienheureuse? Je n'oserais que, sans être touchés de leurs souffrances, et
pas raffiinier Iroj) fortement, car il est grand nous n'y pensons |)as, (juand nous sonnues chez
cliez nous, le dédam des pauvres. C'est le nous. Noire table est servie, souvent ch u'gée de
temps du jeûne; vous sont
tant d'exhortations biens sans nombre (s'il faut appeler biens les
faites tant de salutaires enseignements, des
, mets que nous mangeons -'t qui accusent notre
prières roulinuelles, des assemblées tous les dureté); enfin souv(nt n >tre talile est servie,

jours, tant (le soins (jue l'on prend de vous, à et nous les entendons, a,i-dessous de nous,
quoi cela sert-il? A rien. Nous sortons d'ici, et dans les ruelles, dans les earrefours, poussant
nous voyons cette chaîne de pauvres alignés, à des cris ; leur douleur éclate au sein des ténè-
notre droite, à notre gauche; et, comme .<i nos bre^, dans la solitude, où t"us les abandonnent,
yeux, ne voyaient que d(S colonnes, et non des et mèniij alors nous lesl ns insensibles. Une
corps humains , sans compassion, sans pitié, fois bien rassasiés, nous uuus disposons à nous
DISCOURS SUR LA GENÈSE. - CINQl lÈME DISCOURS. 4r,j

coucher, à dormir, et alors nous enlen<lons une telle prière, ne punisse, en tombant sur
de nouveaux cris, de lonj^^s cris de douleur, nous, cette cruauté monstrueuse ! Comment
et , comme n tîtait qu'un chien que
si ce se peut-il, je demande, quand nous
vous le
la rage tourmente, connue si nous n'enten- allons nous reposer, quand nous allons dor-
dions pas une voix humaine, vite, nous allons mir, que nous ne craignions pas de voir en
dormir. Et ces douleurs, à cette heure, ne songe ce même pauvre avec ses vêtements mi-
nous émeuvent pas! ni cette circonstance, que sérables, couvert de ses haillons, d'une voix
pendant celle nuit si triste, tous dorment, ex- gémissante, lamentible, nous reprocher notre
cepté ce malheureux, qui seul si; lann'ute ni ; dureté? J'ai entendu be.iucoup de personi'.es
ce fait qu'il demandepeu de chose, qu'il iiien me dire, (|ue, quand elles avaient négligé,
ne réclame, de nous, (ju'un peu d(; pain, ou pendant le jour, de secourir les pauvres, il

un peu d'arj;«'nt ni C( qu'il y a d'alTrcux dans


; leur avait semblé, pendant la miit, se voir gar-
sou malliLur, a savoir (lu'il luHe contimielle- rottées, traînées [)ar les indigents, tourmentées,
meut avec la faim; ni la réserve de sa prière, accablées de maux sans nombre ; songe et vi-
ce malheureux que presse une nécessité si .sionque tout cela châtiment qui passe, qui
;

grande, qui n'ose pas approcher de notre porte, n'a qu'un temps. Mais n'avons-nous pas à ,

s'avancer trop près de nous, mais au-dessous craindre, je vous le demande, qu'un jour ce
de nous, laisse un long espace entre nous et pauvre qui se lamente, qui crie et qui pleure,
sa voix suppliante, rien ne nous fait. Si on lui ne nous apparaisse dans le sein d'Abraham,
donne, nous rend, en éihange, des prières
il comme Lazare autrefois parut aux yeux de ce
sans nombre si on ne lui donne pas, il ne
; riche que vous connaissez? Pour les consé-
laisse pas échapper, pour cela, une parole quences, je larsse à votre conscience le soin de
amère, il n'adresL^e ni reproche, ni oulrai^e, à les méditer, consé(juences pleines d'amertume
ceux ([ui pourraient lui dom)er, et ne lui don- et Comment il de-
d'insupportables douleurs :

nent rim. Comme un malheureux que le bour- manda de comment il n'en obtint pas
l'eau;
reau conduit à un c uel supplice, conjure, une seule goutte comment sa langue fut tour-
;

implore \ainement tous ceux qui |)asstnt mentée; conunent, après grand nombre de
n'obtient aucun secou.s et se voit livré à d'hor- prières inutiles, il n'obtint aucun [)ai(ion ;

ribles tortures , ainsi cet infortuné ,


que la comment il fut livré aux supplices éternels.
faim, comme un bourreau, trahie aux dou- Loin de nous le malheur de connaître cette
leurs d(^ la nuit et de?^ veilles insupportables, vérité par notre expérituce personnelle! Qu'il
nous tend les mains, pousse vers nous des cris nous suffise de l'apprendre, par ce récit. Evi-
qui montent jusque dans nos demeures, il tons, par nos œuvres, les divines menaces;
nous implore , il n'obtient de notre charité rendons-nous dignes d'être reçus, avec amour
aucim secours, et, soutirant de notre cruauté, et dilection, par notre père Abr.iham, et puis-
sans avoir pu tléchir notre pitié il s'en va , sions-nous parvenir, au[)rès de lui, dans le
loin de nous. Rien cependant ne nous émeut. sein de Dieu, par la grâce et par la bonté de
Et nous, qui sommes sans cœur, nous osons Noire-Seigneur Jésus-Christ, à qui a|)partient,
ensuite tendre les mains au ciel, discourir au- comme au Père et au Saint-Esprit, la gloire,
près de Dieu sur la miséricorde, et lui deman- l'honneur, l'empire, maintenant et toujours,
der le pardon de nos fautes, et nous ne crai- et dans les siècles des siècles! Ain»! soit-il.
gnons pas que la foudre du ciel, termiuaai
463 TRADUCTION FRAXaiSE DE S.\JNT JEAN CHRYSOSTOME.

SIXIÈME DISCOURS.

De l'arbre du paradis. Est-ce de cet arbre qu'Adam a tiré la connaissance du bien et du mal, ou, môme avant
de manger du fruit, était-il doué de la faculté de faire ce discernement ? Réflexions sur le jeûne ; il faut

méditer à la maison, sur les paroles entendues dans l'église. (G-en. II, 17 et euiv.)

ANALYSE.

1. Combien il est plus utile d'assister aux assemblées fie l'Eglise, qu'aux assrmb'ées profanes. Nous avons promis de parler de
l'arbre, dit de la science du bien et du mal; nous dirous haidiment que le premier homme conuaiss»it le bien et le mal avant
de manger du fruit défendu, — 2. Epilogue moral.

1. J'aime la quarantaine du jeûne, parce que sujets frivoles, ce sont de froids entretiens,
c'est la mère de la tempérance, la source de et le bruit des mots sur des affaires qui n'ont
toute sagesse ;
je l'aime enct»reàcause de vous, aucun itérât
i car c'est assez souvent la
;

à cause de votre affection ;


parce qu'elle me coutume de s'occuper inutilement, de pren-
ramène votre sainte et vénérable réunion ;
dre un <oin trè^-curieux, très-passionné, des
parce qu'elle me donne
de revoir vos vis;i|;es aiï.ures d'autrui. La pente est glissante , il
bien-aimés parce qu'elle me permet de jouir,
;
est dang reux de débiter d'écouter des pa- ,

dans l'abondance de la joie, do cette belle et roles de ce genre; souvent


il en est résulté

brillnnte a?semblée de cette luiuretise tète.


, des tempr^tes dans les fauûlles; je n'insiste
Oni, brillante assemblée, lieureuse lète, tous pas. Ass nément , que ces conversations du
les noms les plus beaux et les plus doux con- monde s )ienl inutiles et froides, qu'elles lais-
viennent à cette réunion qui vous ramène sent peu de place à des entretiens spirituels,
auprès de nous. Si un bomme, sur la place c'est ce (|U(> personne ne contestera. 11 n'en est
publique, rencontrant un ami, uu seul, oublie pas de même ici, c'est tout le contraire : tout
souvent tous ses chagrins, nous, qui ne vous entretien inutile est banni; la doctrine, l'ensei-
rencontrons pas sur la place publi(iue, mais gnement spirituel se montre seul au milieu de
dans l'église, qui ne voyons i)as ici, par ha- nous nous parlons ensemble de notre ânie^
;

sard seulement, un ami, mais tant de frères des biens qui conviennent à notre àme
et de pères, et (juels pères, quels frères ! com- des couronnes nûses en réserve dans le ciel,
ment n'oublierions-nous pas fous nos chagrins? des hommes dont la vie a été glorieuse, de la
comment ne goûterions-nous pas toutes les bonté de Dieu, de sa providence, qui s'éteml
délices d'une vraie joie? Ce n'est pas le
grand sur toutes choses enfin de tous les sujets (jui
nombre seulement qui rend cette assemblée nous intéressent le plus; pounpioi sommes-
meilleure que les réunions dans les places nous veimsen ce monde, et quelle sera, quand
la nature de nos en-
publi(iues, c'est aussi nous partirons d'ici-bas, notre condition en ;

treliens. En
dans les places publiques,
effet, quel état serons-nous à ce moment? Et cette
on se trouve ensemble, on s'assied en cercle, réunion ne se compose pas de nous seulement,
et souvent la conversation s'engage sur des mais prophètes et apôtres y ont leurs places au
DISCOIJUS SUU LA (GENÈSE. — SIXIÈME DISCOURS. 103

milieu de nous; et,ce(|ui dépasse tout ce qu'il comblé de tous honneurs qui conviennent
les
y a de plus grand, le Seif^neui* même, le Maî- à l'image et à ressemblance de Dieu, quand
la
tre (lu monde , se tii nt au milieu de nous, il avait été enrichi de tant de bienfaits, il n'é-

Jésus ! Il lui-même En quelque lieu


le dit : tait pas privé du premier de tous les biens. La
que se trouvent deux ou trois pcî'sonucs assem- connaissance du bien et du mal n'a été refusée
blées en ?noti nom, je lyirj trouve au miln-u qu'à ceux à (jui la nature n'a |)as donné l'intel-
d'elles. (Mattli. xvui, 20.) S'il est vrai (jue, par- ligence et la raison. Adam, au contraire, pos-
tout où deux ou trois personnes sont réunies, sédait l'abondance de la sagesse, et pouvait
Jésus se trouve au milieu (Telles, à bien'|)lus discerner ro|)position du bien et du mal; ce
forte raison se trouv<-t-il où sont rassemblés qui prouve (|u'il possédait l'abondance de la
tant d'Iionmies, tant d fenunes, tant de pères,
; sagesse spirituelle, c'est l'Ecriture; écoutez la
et d'apôtres etde prophètes. démonstration : Dieu amena., dit le texte, les
C'est ce (jui au>im»nte notre zèle à vous animaux devant Adam afin qiiil vît comment
parler; voilà notre force, ot, maintenant, il il les appellerait, et le nom qu'Adam donna à
faut que nous vous payions notre dette. Nous chacun des aiiimaux est son nom véritable.
vous avons promis de vous parler d'abord de (Gen. u, 19.) Considérez de quelle sagesse était
l'arbre du paradis, si c'est de cet arbre qu'A- rempli celui qui, à tant d'espèces si variées, à
dam a tiré la connaissance du bien et du mal, tant de genres si divers, bêtes de somme, rep-
ou si, même avant de manger du fruit, il était tiles, oiseaux, a pu donner tous les noms, et
doué de la faculté de faire ce discernement. les noms propres. Dieu approuva ces noms,
Ayons confiance et disons, dès maintenant, sans réserve, au point qu'il ne les changea pas,
sans hésiter, que, même avant de manj;er même après le péché. Et le nom qu'Adam
du fruit, Adam savait discerner le bien tlu donna, dit le texte, à chacun des animaux, est
mal. En effet, s'il n'avait pas su ce qui est son nom véritable.
bien, ce qui est mal il aurait été plus dé- , 2. Eh bien 1 donc que c'est
, ignorait-il ce
pourvu de raison que les êtres sans raison; le que le bien , ceque
que le mal ? Qui c'est
maître aurait eu moins d'intelligence (jue les pourrait le prétendre? Autre preuve Dieu :

esclaves. Voyez donc labsurdité des chèvres, : conduisit la femme auprès de de lui, et, tout
des brebis savent quelle plante leur est utile, suite, à son aspect, reconnut sa compagne,
il

quelle autre leur est nuisible; elles ne s'atta- et que dit-il? Voilà maintenant Vos de mes os
chent pas indifféremment à toutes celles qu'el- et la chair de ma chair. (Ibid. 23. ) Peu d'ins-
les voient, elles discernent, elles connaissent tants auparavant, Dieu lui avait amené tous
très-bien ce qui, d'une part, leur est nuisible, lesanimaux; Adam veut montrer que lafenune
ce qui, d'autre part, leur est utile, et l'homme ne doit pas être com fondue avec les autres
aurait été privé d'une faculté nécessaire à sa êtres animés, il dit Voilà maintenant Vos de :

sûreté? S'il n'en eût pas été doué, il n'aurait mes os et la chair de ma chair. Il est vrai que
eu aucune valeur, il aurait été au-dessous de quelques interprètes prétendent qu'Adam ne
tous les animaux; il aurait cent fois mieux se borne pas ici à indiquer cette pensée qu'il ,

valu pour lui vivre dans les ténèbres, aveugle, exprime en outre, de quelle manière la ,

privé de la lumière, que de ne pas connaître ce femme a été créée qu'il veut faire entendre ;

qui est bien, ce qui est mal. Supprimez, de que la femme ne naîtra pas une seconde fois
notre vie, cette faculté, vous ruinez notre vie de la même manière que c'est pour cette ;

tout entière, ce n'est plus (jue boulevc rsement raison (ju'il dit Voilà maintenant parole
:
,

et confusion partout ; c'est là en elTet ce qui qu'un autre interprète explique ainsi Voilà :

nouB distingue des animaux sans raison, c'est pour cette fois, comme si Adam disait Voilà :

là ce qui nous rend supérieurs aux bêtes : maintenant pour cette fois seulement, que la
,

connaître ce que c'est que le vice, ce que c'est femme a été tirée de l'homme seul, mais dans
(juc la vertu, reconnaître ce qui est mal, ne la suite il n'en sera pas de même
, elle naîtra ,

poS ignorer ce qui est bien. Si nous avons cette des deux. L'os de mes os et la chair de ma chair.
connaissance aujourd'hui, non pas nous seule- En Dieu ayant pris, de l'homme tout
effet.

ment, mais et les Scythes et les barl)ares, entier, un fragment, a formé la femme de
cènes, à plus forte raison, le premier homme cette manière , afin d'établir sa parfaite com-
la possédait avant le péché ; quand il était munauté avec son mari ; celle-ci s'appellera
464 TRADUCTION FUANCAÎSE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

d'un nom qui marque l'homme, ù\\.-\\^ parce dressons-nous deux tables, l'une des mets du
quelle a été prise de Vhomme. Voyez-vous de corps, n.utre des mets de la sainte Ecriture i

quel nom Adam l'appelle, afin que ce nom que le mari répète ce qui a été dit, que la

nous enseigne la ciinmunauté de nature, et femme s'instruise, que les enfants écoutent,
que cet enseignement qui démontre la com- ei que ne soient pas frustrés de
les serviteurs
munauté de nature et la manière dont la
, nos lectures; faites, chacun de vous, de votre
femme a été créée, soit fondement d'une
le maison une église sachez qu'il vous faudra
;

affection durable et le lien de la concorde? rendre compte du salut, et de a'OS enfmts et


Ensuite que dit-il? C'est pourquoi l'homme de vos serviteurs. De môme qu'on réclamera,
quittera son père et sa mère, et s'attachera de nous, des comptes, pour ce que nous aurons
à sa femme. (Gen. ii 24.) Il ne dit pas sim-
, fait de vous, de même on réclamera, de chacun

plement s'unira, mais s'attachera, pour signi- de vous des compt s , pour ce qu'il aura lait
,

fier l'union la plus étroite. Et ils seront de son serviteur, de sa femme, de son fils.
deux dans une seule chair. Eh bien! comment Après des conversations de ce genre, les songes
celui qui savait tant de choses ,
pouvait-il les plus agréables viendront nous charmer,
ignorer, répondez-moi, je vous en prie, ce sans aucune espèce de visions terribles ; ce que
qu'était le bien, ce qu'était Qui pourra le mal ? l'àme a coutume de méditer pendant le jour,
îe prétendre avec une apparence de raison? ses songes le lui représentent pendant la nuit,
Si Adam ne distinguait pas le bien du mal, etluien fournissent Timage. Si les paroles, pro-
avant d'avoir mangé du fruit, si ce discer- noncées •haque jour, seconserventdans vos mé-
nement ne lui est venu qu'après qu'il a eu moires, nous n'airons pas besoin d'un grand
mangé, il faut dire alors, que le péché a ensei- travail; 'e discours suivant sera pour vous plus
gné la sagesse au premier humine; le serpent nous aurons moins d'efforts
clair, plbs facile, et
cesse d'être un séducteur; il a été, pour lui. à taue [)(airvous instruire. Afin donc (jue nous
Tin conseiller utile; Adam était un animal [)ui-sion^, vous et nous, avec quelque profit,
dépourvu de raison le serpent en a fait un
, nous, d'one part, vous donner l'enseigtiemeatj
liMrnme. Loin de nous celte pensée! Il n'en vous, da itre |)art. écouler la parole, après la ta-
est pas ainsi non. Si Adam ne tonna ssait ();is
, ble pour e corps, ilressez, de plus, chez vous, la
ce que c'était que le bien, ce que c'était que le tabl^^ sp rituelle. Ces pieux discours seront
md, coininent a-t-il |»u recevoir un ordre? p<. ur voi une sécurité, un ornement de votre
s
Jamais législateur ne fait de loi pour celui qui vie. Dieu dingera liS affaires mêmes de la vie
ne sait pas (juc c'est mal faire c,ut' de trans- , pré>entt , <l'uiie m iMièie ciuforine à vos inté-
gresser la loi. Or , Dieu a porté a loi, a puni rêt.' ; vous d< viendra facile. C/ierc/je-, dit-
toi. t

le transgresseur , et, certes, Dieu n'eût fait ni il, prem'èremeut le royaume des deux et ,

l'un ni l'autre, si, dès le principe, il ne lui eût toutes CCS chnses vous seront données comme
attribué le discernement de la vertu et du \ice. par surcroit. (Mattli. vi, 33.) Cherchons-le donc,
Vous voyez qu'il devient maniftsle pour nous, nit s bi' ii-aiinés, afin d'obienir, et les biens
parfaitement clair, que ce n'est pas seuleuient d'ici-has ceux de là-haut par la grâce et la
, et ,

après avoir mangé, (lu'Adim a connu et le boute de Notre-Seigneur Jésus-Chrirt. par qui
bien et le mal, (juil possédait auparavant cette et avec qui, gloire au Père et à lEspril-Saint,
science. maintenant et toujours, et dans les siècles des
Conservons en nous, mes bien-aimés, toutes siècles. Ainsi soit-il.
ces pensées, et, de retour dans nos maisons,
DISCOURS SUR LA GENÈSE. - SEPTIÈME DISCOURS. 4C5

SEPTIÈME DISCOURS

Pourquoi cet arbre est-il appelili arbre de la science du bien et du mal ; et que signifie cette parole

« Aujourd'hui, voua serez avec moi dans le paradis. > (Gen. II, 9; Luc, XXllI, 43.)

ANALYSE.

1 une grande obligation de mettre la parole de Dieu en pratique.


C'est —
2. Pourquoi l'arbre de la science du bien et du mal a
été ainsi appelé.Nous conuaisson? lou^ le mal, même avant de le oonuneltre; mais nous en acquérons une coimaissance piu8
approfondie tu le commettant. —
3. A ce bois funeste qui fut l'occasion de la chute d'Adam, opposons ce bois de la croix qui
a sauvé le monde et introduit le Larron dans le paradis. —
4. Réfutation d'une objection manichéenne touchant l'entrée du
Larron dans le paradis. —
5. Ce qu'il faut entendre par le paradis.

i. Je vous ai \ivement exhortés hier, à gar- applaudissant nos paroles, votre chaleureuse
der le souvenir de nos paroles, à prendre soin, adhésion à nos enseignements. Hier, en effet,
chez vous, de tlresser le soir, deux tables, l'une, quand vous ai dit
je Que chacun de vous
:

des mets du corps ; l'autre, des mets de l'Ecri- fasse de sa maison une église, vous avez tous
ture. Eh bien, l'avez- vous fait? les avez-vous poussé de grandes acclamations de plaisir.
dressées, ces deux tables? Je sais que vous avez Celui qui a du plaisir à entendre les discours,
suivi nos conseils, que vous ne vous êtes pas montre qu'il est prêt à les confirmer par ses
assis seulement à la table du corps, mais que actions; voilà pourquoi aujourd'hui je me suis
vous avez également pris votre i)arl à l'autre ;
préparé avec une ardeur nouvelle à vous ins-
il n'était pas possible, après vous être portés truire. Maintenant réveillez vos esprits car ;

avec tant d'ardeur vers la moins délicate, de l'orateur n'est pas seul obligé de tenir son
négliger li table dont les mets sont plus recher- esprit en éveil l'auditeur aussi doit être at-
;

chés. Oui, la table dont je parle, est la meil- encore que l'orateur. En efîet,
tentif, et plus

leure l'autre s'ai)prêle par les mains des


: nous qui parlons, nous n'avons qu'un souci
cuisiniers celle-ci, nous la devons à la langue
;
à [irendre, c'est de jdacer l'argent du Sei-
des prophètes ; l'autre porte les productions gneur; mais vous, vous avez plus de peine à
de la terre, celle-ci les Iruits de l'Esprit; la vous donner d'abord pour bien recevoir le dé-
nourriture de l'autre se corrompt bien vite, pôt, ensuite pour le conserver en toute sû-
les mets de celle-ci sont incorruptibles ;
reté. Donc lorsque vous aurez entendu
,

l'autre conserve la vie présente ; celle-ci en- la parole, mettez à vos portes, serrures et
gendre pour nous, la vie future. Et je sais bien verroux ;
que les pensées qui inspirent la

que la table spirituelle a été drossée chez vous terreur , soient conima des gardiens ,
pla-
avec l'autre je ne le sais pas pour avoir inter-
;
cés de toutes parts autoiu' de voire àme.
rogé, soit le serviteur (jui vous accompagne, Le voleur est impudent, toujours éveillé sans ;

soit le domestique qui vous sert celui qui me ; cesse il fait irruption quoiqu'il man(jue sou-
;

l'a dit, est un porteur de nouvelles, qui s'é- vent sus coups il revient euuveut à la charge.
nonce plus clairvimcnt que tous ses serviteurs. Ayez donc près de vous dts gardiens redou-
Qui me l'a dit enlin? Le bruit de vos mains tables, et s'ils voient venir le démon, s'iip['rèlaut

S. J. Cu. To.-!:: V
ÂQG TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

à vous voler quelques parties du trésor que cun des deux serviteurs obtint la même
vous avez reçu en dépôt, qu'ils le chassent à récompense. De même, en effet, que le maître
grands cris si les inquiétudes du monde vous
; répondit au premier : bon et fidèle serviteur,

envahissent, qu'ils les repoussent; si la faiblesse parce que vous avez été fidèle en peu de choses,
de la natuie produit chez vous l'oubli et la je vous établirai sur beaucoup d'autres ! de
confusion, que l'exercice réveille la mémoire. même il dit à celui qui lui avait présenté deux
Ce n'est pas un médiocre danger que de perdre talents : bon etparce que
fidèle serviteur,
l'argentdu Seigneur. Ceux qui ont dissipé l'ar- vous avez été fidèle en peu de choses, je vous
gent reçu en dépôt, souvent sont punis de établirai sur beaucoup d'autres! (Ibid. 21-23.)
mort; pour ceux ([ui auront reçu et perdu des Le profit n'est pas le même, et la récompense
biens beaucoup plus précieux, les paroles di- est la même ; le maître jugea le second servi-
vines de quels supplices ne seront-ils pas
, teur digne du même honneur
que l'autre.
tourmentés? Dans le monde, les dépositaires Pourquoi? que Dieu ne s'occupait pas
C'est
d'argent ne doivent compte que de la manière de la quantité qu'on lui offrait, mais de la vertu
dont ils ont gardé le dépôt on n'exige d'eux ; de ceux qui avaient fait valoir leur dépôt. En
rien autre chose ; ils ont reçu tant, ils doivent effet, l'un et l'autre de ces deux serviteurs

rtndre tant, on ne leur réclame rien de plus; avaient fait tout ce qui dépendait de chacun
mais ceux qui ont reçu la parole divine ne d'eux, les talents présentés n'étaient pas plus ou
doivent pas rendre compte seulement du trésor moins considérables, en raison de la négligence
gardé, on leur demandera comple aussi des de l'un ou de la diligence de l'autre, mais en
gros intérêts qu'il a dû produire. En effet, il raison de la différence dans la quantité. Celui-
ne nous est pas prescrit seulement de rendre ci avait reçu cinq talents, et il présenta cinq
ce que nous avons reçu, mais d'offrir le double aulres talents ; celui-là en avait reçu deux, et
au Seigneur. Sans do'.ite, ne nous fùt-il com- il en présenta deux quant au zèle qui l'animait,
;

mandé que de garder ce trésor, il serait encore il n'était pas inférieur à l'autre. Il est évident

ncci-ssaire de nous y appliquer avec la plus ar- que l'un, aussi bien que l'autre, gagna le
dente sollicitude mais quand le Seigneur nous
; double de ce qu'on lui avait confié. Mais celui
a, de plus, donné l'ordre de le faire fructifier, qui n'avait reçu qu'un talent, ne présenta aussi
considérez combien nous, qui avons reçu cet qu'un talent pour cette raison, il subit le
;

argent, nous devons nous donner de fatigues châtiment.


et de soins. Voilà pourquoi le serviteur à qui 2. Avez-vous bien compris quel supplice est

l'on avait confié cin(i talents, ne se borna pas réservé à ceux qui ne savent pas faire valoir la
à eu otTrir tout autant,mais en offrit le double. fortune du Seigneur? Donc, sachons conserver
(MaUh.xxv, i4etsuiv.)Car les cinq talents con- son argent, le négocier, en tirer un grand
liés, maripiaient la bonté de son maîlre, mais profit. Et que personne ne dise Je ne suis :

il fallait (ju'à hou tour le serviteur manifestât qu'un ignorant, un disci|de je n'ai pas la pa- ;

sa ddigence; de môme, celui à qui l'on avait role de renseignement je suis sans habileté, ;

confié deux talents, sut bénéficier deux autres sans valeur aucune. Quand vous ne seriez
tal'Mils, et, en récompense, son maîlre lui qu'un ignorant, qu'un disciple, quand vous
donna le même honneur ([u'à l'autre. Au con- n'auriez reçu i[u'un talent, faites le négoce
traire, un troisième serviteur, à qui l'on n'avait avec ce qui vous a été confié; vous rece-
confié qu'un seul talent , et qui le rendit tel vrez une récompense égale à celle d'un
i|u'il l'avait reçu, sans l'avoir diminué, fui puni docteur. Mais maintenant , je suis persuadé
l)Our ne l'avoir pas fait fructifier, pour n'avoir que vous gardez avec soin dans votre mémoire
pas présenté le double de la sonune qu'on lui les paroles que vous avez entendues. Ne dépen-
avilitremise il subit le dernier supplice, et
; sons pas à ce propos tout ce que nous avons
cela juslement car, dit le maître, si je n'avais
; aujourd'hui à vous dire. Allons, continuons
voulu tjue garder mon argent, el non en refi- l'entretien d'hier; joignons-y la suite; nous
rer du piofit, je ne l'aurais paslivréaux mains voulons vous payer le salaire dû à ceux qui
de mes serviteurs. Quant a vous, considérez la conservent la parole. En tll'el, celui qui a bien
boti'é du Seigneur lelui a qui on avait confie ; gardé uu priinier dépôt, mérite d'en recevoir
cinq ial( nls, en offrit ciiui aulres; celui (pli en un autre. Quel sujet d'entretien, hier, nous
avait reçu deux, en rendit deux aulres, et cha- éUous-uous donc propose ? Nous |)arlious de
DISCOURS SIU LA CENÈSE. — SKl>'riÈME DISCOURS. 467

l'arbre, nous avons luoulrc nue rhoiiinie,


et que le Seif/neur Dieu donande de vous ? Dites-
avant de manger du Iruit de l'arbre avait , moi, qu'est-ce que le bien ? C'est que vous ché'

la connaissance du bien et du mal, (lu'il était rissiez le Seigneur votre Dieu. (Mich. vi, 8.)

rempli de l'abondance de la sagesse nous en ; Voyez-vous (|ue le bien, c'est l'obéissance, car
a\ons donné pour preuves qu'il a imposé des : l'obéissance vient de l'aflection. Autre texte :

noms aux animaux qu'il a recomui sa conj- ;


Moti peuple a fait deux maux; ils m'ont
pagne, <|u'il a dit Voilà mainteiunit ios de : abandonné, moi qui suis une source d'eau vice,
mes os (Gen. ii, 23) ;
qu'il a parlé du mari.ige, et ils se sont creusé des citemies usées qui ne
de la procréation des enfants, de l'union con- peuvent contenir l'eau. (Jérém. u, 13.) Voyez-
jugale, et du père et de la mère ; enfin qu'il vous que le mal., c'est la désobéissance, et
a reçu un ordre de Dieu. En elîet, on ne donne l'abandon de Dieu. Donc, en attendant, rete-
pas un ordre, une loi, pour faire ou ne pas nons ceci que le bien, c'est l'obéissance (jue
: ;

faire, à celui qui ne pourrait pas distinguer le le mal, c'est la désobéissance, et par là, nous

bien du mal. Aujourd'hui, il seiait utile de apprendrons ce (jue nous cherchons. En effet,
dire pourquoi, l'homme n'a pas tiré de l'ar-
si l'arbre a été appelé, arbre de la science du bien
bre la connaissance du bien et du mal, cet et du mal, parce qu'il fut l'occasion de l'ordre
arbre a été appelé l'arbie de la science du bien qui donniit matière à la désobéissance ou à
et du mal. Assurément il importe d'apprendre l'obéissance. Adam, même avant sa faute,
pourquoi cet arbre a été ainsi appelé. En effet, n'ignorait pas que le bien c'est l'obéissance,
le démon dit Aussitôt que vous aurez mangé
: que le mal désobéissance mais il l'ap-
c'est la ;

de ce fruit, vos yeux s'ouvriront, et vous serez prit plus tard,d'une manière plus évidente,
comme des dieux, connaissant le bien et le mal. par l'expérience même des choses. Caïn n'i-
(Gen. III, 5.) Comment donc, m'objecte-t-on, gnorait pas même avant d'égorger son frère,
ditt'S-vous, qu'il n'a pas introduit la science du que le meurtre d'un frère était une action
bien et du mal ? De qui me parlez-vous, je vous mauvaise; ce qui prouve qu'il le savait bien,
prie? Qui, il a introduit? Voulez-vous dire le ce sont ses propres paroles, écoutez : Viens,
démon? Sans doute, me répond-on, puisqu'il sortons dans la campagne. (Gen, iv, 8.) Mais
a dit Vous serez comme des dieux connaissant
: pourquoi dans la campagne,
attires-tu ton frère
le bien et le mal. Ainsi, toi qui me contredis, après l'avoir arraché des bras de son père ?
tu m'apportes le témoignage de l'ennemi qui pourquoi l'emmènes-tu dans un lieu désert?
nous tend des pièges. Mais le serpent a dit pourquoi le conduis-tu loin de ceux qui veil-
aussi De plus vous serez des dieux. Eh bien
: ! lent sur lui ? loin des yeux de son père ?
sont-ils devenus des dieux? De même donc pourquoi caches-tu ce que tu oses méditer, si
(ju'ils ne sont pas devenus des dieux, de même lu ne crains pas le péché ? pourquoi encore,
ils n'ont pas non plus reçu alors la science du quand tu as fait le meurtre, et que l'on t'in-
bien et du mal. Le démon, en effet, n'est qu'un terroge, t'indignes-tu, et prononces-tu un men-
menteur, et il ne dit rien de vrai, car, dit songe ? En effet, quand Dieu eut dit Où est :

l'Evangéliste, la véritéii'est point en lui. (Jean, Abel, ton frère? tu as répondu Est-ce que je :

vm, i-4.) suis le gardien de mon frère ? (Gen. iv, 0.) Ce


Gardons-nous donc de produire le témoi- ([ui prouve clairement qu'il avait la pleine
gnage de l'ennemi comprenons, par l'étude ; connaissance de son crime. Donc, de même
des choses considérées en elles-mêmes, pour- qu'il savait bien, même avant de pratiquer le
quoi l'arbre est appelé, l'arbre de la science meurtre, que le meurtre était une action
du bien et du mal. Et d'abord, s'il vous semble mauvaise, mais que plus lard il le comprit
bon, qu'est-ce que le bien, qu'est-ce que le d'une manière plus claire, quand il reçut son
mal? Méditons. Qu'est-ce que le bien ? l'obéis- châtiment, quand il entendit ces p;u*oles ; Tu
sance qu'est-ce que le mal? la désobéissance.
; seras gémissant et tremblant sur la turre ; de
Etudions, en nous inspirant de l'Ecriture même son père, avant de manger du fruit,
autant qu'il sera nécessaire, [)Our ne pas nous possédait la connaissance du bien et du mal,
tromper, sur la nature du bien et du mal. Ce ne fût pas aussi évidente pour lui,
quoicju'clle
qui prouve que le bien et que le mal sont ce que quand il en eut mangé. Je nrexpliijue
que nous venons de vous dire, c'est la parole Nous connaissons tous tant que nous sommes,
du prophète Qu'eit-cc que le bien et qu'est-ce
: lu mal, même avant de le commettre; noi:s lu
ins TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

comprenons mieux, après l'avoir commis, et, nous vous disons, voyez encore Jacob vit des :

nous le comprenons, d'une manière beaucoup anges, qui venaient au-devant de lui et le
plus claire encore, quand vient le châtiment. camp de Dieu; alors il appela cet endroit le
Ainsi Ciiïn savait, avant de tuer son frère, que Camp. (Gcn. xxxn, 2.) Ce lieu n'était pourtant
ce meurtre était une action mauvaise il le ; pas un camp, quoiqu'il ait été appelé de ce
comprit ensuite plus clairement^ quand il fut nom mais c'est que Jacob y avait vu un
;

puni. Nous aussi, nous savons bien que la camp. Comprenez- vous comme un événe-
santé est une bonne chose, et que la maladie ment, arrivé dans un lieu, a donné, à ce lieu,
est importune, nous savons cela, avant l'expé- son nom ? Il en est de même de l'arbre de la
rience mais nous comprenons beaucoup
; science du bien et du mal ce n'est pas que :

mieux, quand nous sommes malades, la diffé- l'arbre eût en lui-même celte science, mais
rence de la santé et de la maladie. c'est qu'il fut le lieu, où la science se mani-

3. C'est de la môme manière, assurément, festa. Autre exemple encore Jacob vit Dieu, :

qu'Adam savait que l'obéissance est un bien, autant qu'un homme peut le voir, et il appela
et, au contraire, la désobéissance un mal. Il le le lieu Face de Dieu. Pourquoi? parce que
la

vit ensuite [)lus clairement, lorsqu'après avoir j'ai vu Dieu, dit-il. (Gen. xxxii, 30.) Cependant
goûté du fruit, il fut chassé du paradis, et le lieu n'était pas la face de Dieu, mais il a

déchu de cette félicité parfaite. Quand il eut reçu son nom de l'événement qui s'y est passé.
encouru le châtiment, pour avoir, malgré la Voyez-vous combien d'endroits nous servent
défense de Dieu, goûté du fruit de l'arbre, à montrer que l'habitude de l'Ecriture est de
l'expérience de la punition lui fit mieux com- donner aux lieux, les noms des choses qui y
prendre tout ce y a de mal dans la déso-
qu'il sont arrivées ? La même observation s'ap-
béissance à Dieu, tout ce qu'il y a de bien dans plique en ce concerne les temps. Mais.
(jui

l'obéissance. Voilà pourquoi cet arbre est pour f)révenir votre ennui, allons, quittons ce
appelé l'arbre de la science du bien et du mal. sujet aride, passons à des réflexions plus agréa-
Mais, si la connaissance du bien et du mal, n'a bles. Je vois bien tjue vous êtes fatigués d'avoir

pas été le fruit môme de l'arbre, si après que séjourné au milieu de pensées trop subtiles.
l'homme eut mangé le fruit, c'est le châtiment Aussi convient-il de vous récréer, en repaissant
qui lui a manifesté cette connaissance, d'où votre esprit de pensées plus simples et plus
vient que l'arbre a reçu le nom d'arbre de la riantes.
science du mal? Rien d'étonnant à
du bien et Revenons donc à l'arbre salutaire de la
cela c'est l'usage de l'Ecriture de doimer, aux
; croix; car cet arbre a fait disparaître tous les
lieux et aux temps, des noms pris des choses maux que l'autre avait introduits. Disons
qui s'y sont produites. Pour être plus clair, je mieux, ce n'est pas l'autre arbre qui avait in-
vais citer un exemple Isaac creusa un puils
: troduit les maux, c'est l'honune seul, et, après
que ses voisins entre|)rirent de combler de là ; lui, c'est le Christ qui les a tous fait disparaî-
des querelles, et Isaac a|)pela le puits, Inimitié. tre, et nous a appoité des biens de beaucoup
Ce n'était pas que le puits exerçât des inimi- plus considérables. De là, ce que dit Paul : Où
tiés (Gen. XXVI, 21), mais c'est que des inimi- il y a eu abondance de péchés, il y a eu eiuuite
tiés s'étaient élevées à propos de ce puils de ;
surabondance de grâces (Rom. v, 20) c'est-à- ;

même, cet arbre s'appelle l'arbre delà science dire le don est |ilus grand que le péché. Mais

du bien et du mal, non pas qu'il eut celle il n'en est pas de la ç/râce comme du péché.

science en lui, mais parce qu'il avait été l'oc- (Rom. V, ir>.) Dieu n'a pas mesuré à la gran-
casion qui avait fait reconnaître la science du deur du péché, la grandeur du don; à la gran-
bien et du mal. Abraham creusa encore un deur de la perte, la grandeur du gain; à la
puils, et Abimélech prépara des embûches à valeur du bâtiment nautragé la valeur des ,

Abrah(tm ; ils se réconcilièrent, dé[»osèrent bénéfices; mais les biens ont surpassé les
leurs iiiiniitiés, se prèlèr.'ut un inutui'l seruieiit maux, et la raison en e.'-t é\idenlc. Lu effet,
et app lerent ce |)uils le PivU du Scrmcnl. c'est qui a introduit Us maux, ils
l'e-jclave

Comprenez-vous que le lieu n'est pas la cause elau'ut nininlres; mais les biens vienut ni de
de C( qui arrive, (jinMipril tire son nom de ce la grâce du M.itre ils ont été plus consiilera-
.

qui est arrivé? S'il faut, à toute force, des bles. De là , cette parole : Mais il n'en est pas
exemples, pour rendre plus manifeste ce que de la (/rdce comme du péché. Paul explique
nivSCOrRS SUR LA GENÈSE. — SEPTlÈiVIE DISCOURS. 469

ensuite la différence Car nous avons été con-


: qu'il avait obtenu son salut. Voyez la rapidité :

damnés, par jugement de Dieu pmir un


le ,
de la croix , dans le ciel; de la condamnation,
seul, au lieu que nous soynmes justifiés par la au salut. Or, quelles sont ces paroles, qui eu-
grâce, après un gratul nombre de péchés. (Ibid. rent tant de pui.xsance, cpii procurèrent, à cet
10.) Ce passai,'o est un peu obseur une e.\- ;
honnne, des biens si précieux ?6'«Mre//es-?;o?/5
pliealion est nécessaire Par le jugement, cela: de moi, dit-il, dans votre royaume. (Lucxxiii,

\eutdire, la peine le supplice, la mort; pour


, 42.) Qu'est ce à dire? Il s'est borné à demander
un seul, c'est-à (lire, pour un seul péché, puis- le bonheur, il n'a rien mérité par ses actions;

que c'est un seul péché qui a introduit un si mais le Christ connaissant son cœur, ne s'est
,

grand mal; mais la grâce n'a pas effacé ce pas arrêté à ses paroles il n'a considéré que ,

péché seul, elle en a supprimé un grand nombre la disposition de son àme. Ceux qui avaient

d'autres. C'est pourquoi Paul nous dit Au : reçu les enseignements des prophètes, qui
lieu que ?îous sonwws justifiés par la grâce avaient vu les signes contemplé les miracles ,

après plusieurs péchés. C'est ainsi que Jean- ceux-là disaient du Christ Il est possédé du :

Baptiste s'écriait: Voici l'Agneau de Dieu, non démon, il séduit le peuple. (Math, xi, 18.) Mais
pas qui enlève le péché d'Adam , mais qui : le larron, qui n'avait pas entendu les prophètes,

enlève les péchés du monde. [Jean, i, 29.) Voyez- qui n'avait pas vu les prodiges qui ne l'avait ,

vous qu'il ne faut pas mesurer la grâce au pé- vu que pendu à la croix, ne fait pas attention à
ché ? Comprenez-vous que notre arbre nous a son ignominie; malgré son abaissement, il
donné des biens plus considérables, que ne voit sa divinité Souvenez-vous de moi dit-il,
; ,

l'étaient les maux introduits au premier jour? dans votre royaume. Chose incroyable Tu 1

A. Je vous ai adressé ces paroles, pour que vois une croix et tu parles de royaume? Que
,

vous ne croyiez pas avoir à vous plaindre de vois-tu donc là qui ressemble à un royaume?
vos premiers parents. Le démon a chassé Un homme crucifié , souffleté , raillé , accusé ,

Adam du Paradis; le Christ a introduit le lar- couvert de crachats, battu de verges ; ce sont
ron dans le ciel. Et voyez la différence : le dé- là des marques de la royauté? réponds-moi.
mon a chassé, du paradis, un homme qui Comprenez-vous, que ce larron a regardé le
n'était souillé d'aucun péché ; sa désobéissance Christ avec les yeux de la foi sans s'occuper ,

fut sa seule tache; le Christ a introduit, dans de l'apparence ? Aussi Dieu à son tour, ne ,

le paradis, le larron
,
qui portait le fardeau de s'est pas occupé de ce que pesaient ces paroles
péchés sans nombre. Mais, devons-nous admi- si minces mais, comme le larron avait vu dans
;

rer uniquement ce fait ,


qu'il a introduit le sa divinité. Dieu, de même, a vu dans son
larron dans le paradis? N'y a-t-il plus rien cœur, et il lui a dit Aujourd'hui vous serez :
,

d'admirable encore? On peut dire un prodige avec moi dans le paradis. (Luc xxiii, 43.)
encore plus grand du Christ. Non-seulement, Ici, attention, car voici unequestionqui n'est

il a introduit le larron, mais il l'a introduit pasindifférente. Les Manichéens, ces chiens stu-
avant le monde entier, avant les apôtres, afin pides et enragés, portent la modestie sur leur
que nul après lui ne put désespérer d'y en-
, ,
figure , ils recèlent au fond de leur cœur la
trer, abandonner toute espérance de salut, rage des chiens; sous la peau de la brebis, se
quand on verrait ce criminel qui était souillé , cache le loup. Ne vous tenez pas à l'apparence;
de tant de forfaits devenu un habitant de la
, fouillez le dedans, mettez le monstre à décou-
cour céleste. Mais, examinons; est-ce que le vert ; donc, ce sont eux qui saisissent, ici,
larron lui a montré ses travaux, ses bonnes l'occasion. Le Christ a dit : En vérité, en vé-
œuvres, des fruits de vertu? personne ne sau- rité, je vous le dis, aujourd'hui vous serez avec
rait le dire un petit mot, rien qu'un acte de
; moi dans le paradis : donc la rétribution des
foi, et, devançant les apôtres , il a bondi dans biens est déjà faite , et la résurrection est su-
le paradis ; c'est atîn de vous faire comprendre, pirflue. Si, en effet, le larron a reçu les biens
que ce que la bonté du
n'est pas tant sa vertu , qu'il demandait autrefois, et cela, le jour
Seigneur, qui a tout opéré. Car enfin, qu'a dit même, et si ,
jusqu'à présent , son corps n'est
le larron? qu'a-t-il fait? Est-ce qu'il a jeûné? pas ressuscité, il n'y aura pas de résurrection
est-ce qu'il a pleuré? est ce qu'il s'est aflligé? des corps. Avez-vous bien compris ce que
A-t-il manifesté son repentir? Nullement; nous venons de dire, ou faut-il vous le répéter?
mais sur la croix même , à peine eût-il parlé, En vérité^ en vérité^ je vous le dis, aujour-^
470 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

(Thui , vous serez avec mol dans le paradis ; l'homme l'a conçu. Voilà déjà un grand nom-

donc, di?ent-ils, le larron est enlré dans le pa- bre de jours que nous en parlons. Comment
radis, sans son corps; c'est évident, jmisque donc le larron a-t-il reçu ces biens? Ce n'est
son corps n'avait pas été enseveli, ne s'étail pas pas dans le paradis que Dieu promet de nous
décomposé, réduit en poussière, et il n'est dit introduire, c'est d;.ns le ciel même, et ce n'est
nulle part que le Christ l'ait ressuscité. Si le pas leroyaume du paradis qu'il a prêché, mais
Christ a introduit le larron dans le jtaradis le royaume des cieiix. Jésus commença, dit Té-
sans son corps, lui adonné ses liens en partage, vangéliste, à prêch'^r en disant : faites péni-
il est manifeste qu'il n'y a pas de résurrection tence, parce que le royaume approche, non pas
des corps j car s'il y avait résurrection des le royaume du paradis, mais le royaume des

corps, il ne lui aurait pas dit: Aujourd'hui cieux.[}\\\\\\. IV, 17.) Vous savez bien que vous
vous serez avec moi dans le paradis mais il
: avez perdu le paradis, et Dieu vous a donné le
lui aurait fait attendre la consommation des ciel, pour vous montrer sa bonté, pour irriter
temps, la résurrection des corps. S'il a intro- la douleur du démon, pour prouver qu'il a
duit le larron, tout de suite; si le corps de beau tendre mille pièges à la race des hom-
celui-ci est resté dehors, en proie à la corrup- mes, il n'y gagnera rien, Dieu nous élevant
tion , il est bien évident qu'il n'y a pas de ré- toujours à un honneur plus haut. Donc vous
surrection des corps. Voilà donc ce que disent avez perdu le paradis, et Dieu vous a ouvert le
les Manichéens. Ecoutez , maintenant , ce que ciel vous avez été condamnés au travail, pour
;

nous leur disons, nous; je me trompe, non un temps, et glorifiés de la vie éternelle il a ;

pas nous, mais la divine Ecriture, car ce ne ordonné à la terre de produire les épines et les
sont pas nos pensées que nous exprimons, mais chardons, et votre âme a senti germer en elle
les pensées de l'Esprit-Saint. Voyons, que pré- le fruit de l'Esprit. (Gen. m, 18.) Voyez-vous

tendez-vous? La chair n'a pas sa part de cou- comme les ressources dépassent le châtiment ?
ronnes ? Mais, elle a eu sa part des fatigues, et comme votre trésor s'est grossi? Exemple :

elle est privée des récompenses? Quand il fal- Dieu a formé l'homme de terre et d'eau, et il

lait combattre, elle versait le plus de sueurs, et, l'a placé dans le paradis ; l'homme ainsi formé
quand vient le temps des couronnes l'âme , n'a pas gardé son innocence, il s'est perverti ;

seule est couronnée ? N'entendez-vous pas la Eh bien ! dès lors, ce n'est plus de terre et
voix de Paul : Notis paraîtrons tous devant le d'eau que Dieu recompose, mais d'eau et
le

tribunal de Jésus-Christ , afin que chacun de d'esprit ; promet plus, dès lors, le pa-
il ne lui
nous rende compte des actions propres à son radis, mais le royaume des cieux. Comment?
corps, soit qu'il ait fait le bien, soit qu'il ait Ecoutez Un sénateur des Juifs, Nicodème,
:

fait le mal. (Rom. xiv, tO, 12; Cor. v, tO.) Ne étant venu furtivement trouver Jésus, s'infor-
l'entendez-vous pas encore proclamant // : mait, auprès de lui, de la naissance à cette
faut que ce corps mortel soit revêtti de l'im- vie , et lui disait ,
qu'il était impossible
mortalité.^ et que ce corps corruptible soit re- qu'un houune déjà vieux naquit une seconde
vêtuderincoiruptibilité. (ICor. xv, 53 ;) Mortel? fois. Voyez de quelle manière le Christ lui

Qu'est-ce à dire? L'homme ou le corps? Evi- explique le mode de la naissance Si un homme :

demment c'est le corps puisque l'âme est : ne renaît de l'eau et du Saint-Esprit, il ne peut
immortelle de sa nature, tandis que le corps ,
entrer dans le royaimic des cieux. (Jean, m, l, 5.)
de sa nature, est mortel. Mais ces hérétiques Donc si le Christ a promis le royaume des
savent rogner les textes. Toutefois, il nous en cieux, et s'il a introduit le larron dans le para-
reste assez pour saisir le sens de ce qui a été dis, il ne lui a pas encore fait la rétribution.

retranché. Le larron est entré dans le para- Mais voici encore unr autre obj(îction Le :

dis , disent-ils. I li bien 1 après? Sonl-ce là Christ, ici, n'a pas enten<iu le paradis, mais,
les biens (pie D.eu nous promet? par le nom de paradis, il »lesignait le royaume
5. N'entendez-v(nis pas ce que Paul nous des cieux, attendu qu'il parlait a un larron, à
dit, de ces biens? Que l'oeil n'a point vus, que un lionune qui a[tpris de nos
n'avait rien
Voreille n'a pas entendus et que le cœur de dogmes sublimes no connaissait rien des
; ipii

l'homme n'a jamais conçus. (I Cor. n, 9.) Eh pro|»liélies qui avait p.issé toute sa vie, dans
;

bien 1 au paradis, l'œil d'Adam l'a vu,


quaitt les lieux déserts, à commettre des meurtres;
et son oreille l'a entendu, et le cœur de qui. jamais, n'était entré, même en passant,
DISCOFIRS SUR LA GENÈSE. — SEPTIÈME DISCOURS. 471

dans une t'filise; qui n'.iMiit jamais enttMidti la CCS paroles : Tous ces saints sont morts dans
parole divine ;
qui enliii, n'avait aucune idée la foi, 7iai/ant point reçu les biens que Dieu
de ce que pouvait èli e le loyaunie des cicux, leur avait promis mais les voyant, et cumme
;
le Christ lui dit : Atijourtrhni^ vous sircz avec les Dieu ayant voulu, par une
saluant de loin ;

moi, dans le paradis. Le Christ s'est servi de faveur particulière qu'il nous a faite, qu'ils ne
ce mot connu, familier, de paradis, pour reçussent qu'avec noiis, Vaccomplissoncnt de
exprimer le royaume iki^ cirux c'est de ce ; leur bonheur. (ïlébr. xi, l.'J, -40.) Imi)iiniez-en
r.ivaume que le Christ entt nd lui parler. J'y vous ces paroles, conservez-les dans voire mé
consens. Eh bien donc, disent ! les contradic- moire, instruirez ceux qui ne les ont [-as en
teurs, il est entré dans le royaume des cieu.x. tendues dans réylise, sur la place [lubliipit,
:

Qui le prouve? les paroles |>rononeées : Au- à la maison, qu'elhs soient le sujet des médita-
jourd'hui, vous serez avec moi, dans le para- tions de chacun de vous; car, il n'est rien de
dis. Si celte solution paraît violente, nous en plus doux que d'entendre la divine parole.
apporterons une autre plus claire. Quelle est- Ecoutez ce que dit le prophète Que tes paro- :

elle? Le Christ a dit : Celui gui ne croit pas les sont douces à ma ç/oryc ! elles le sont plus

au Fils, est déjà coudauvié. (Jean, m, 18.) Quoi que le raynn de miel pour ma bouche. (Ps.
donc? est déjà condamné; mais il n'y a encore cxvui, 103.) Ce rayon de miel, servez-le, le
ni résurrection, ni châtiment, ni supplice. soir, sur votre table, |)Our la remplir tout en-
CoMimont donc est-il déjà coiidanuié? [)ai' son tière du plaisir (jui vient de l'Esprit. Ne voyez-
péché. Autre parole : Celui qid croit au Fds, vous pas que les hommes opulents font venir
dit le Chiist, est déjà passé de la mort à la vie. à la fin du repas, des joueurs de lyre et des
(Jean, v, 24.) Il ne dit pas, pa-sera, mais est joueurs de flûte? Ils font de leur maison, un
déjà passé. Et, ici encore, c'est, pour l'un, théâtre; vous, au contraire, faites de votre
laconséquence de sa toi, pour l'autre, la con- maison le ciel. Ce qui vous sera facile, sans
séquence dn son péché. Donc, de môme que ciianger les muiailles, fans déranger les fon-
l'un est déjà condimnc, quoiqu'il n'ait pas dations; appelez à votre table Celui cjui com-
encore été condamné, que l'autre soit déjà mande au plus haut des cieux. Dieu ne rougit
passé à la vie, quoiqu'il n'y soit pas encore pas d'assister à de tels festins ; car c'est là que
passé; que, pour l'un, c'est l'etlel de sa foi, régnent la doctrine s[iirituelle et la tempé-
pour l'autre l'eCTet de son péché; de même rance et la Là où le
gravité, et la douceur.
que Dieu parle, comme si les événements m;»ri, la femme dans la
et les enfants vivent
étaient accomplis, d'événements qui ne sont concorde, enchaînés tous ensemble par les
pas encore accomplis ; de même parlait le liens de l'affeclion et de la vertu, là réside
Christ, quand il s'adnssait au larron. Les aussi le Christ; il ne recherche pas les lambris
médecins voient un m.ilade désespéré, il est dorés, les colonnes resplendissantes, les beaux
perdu, disent-ils, il est mort, quoique le ma- marbres, mais la beauté de l'àme, la grâce des
lade soit encore vivant; mais, de même que pensées, une table couverte des fruits abon-
ce malade, parce (ju'il n'y a plus d'espoir de dants de la justice et de l'aumône. A l'aspect
salut, est appelé, par les médecins, un homme d'un pareil service, il lui tarde de prendre sa

mort, de même le larion, parce qu'il avait part du festin ; il s'assied à la table ; c'est lui-

échappé à toutes les chances de retomber dans même qui l'a dit : fai eu faim et vous m'avez
la perdition, est entré dans le ciel. Du même donné à manger. (Matth. xxv, 35.) Aussi,
genre sont les paroUs (ju'Adam entendit Le : quand vous avez écouté le pauvre, dont le cri
jour que vous matigerez du fruit de cet arbre, est monté jusiju'à vous, quand vous avez
vous mourrez. (Gen. ii, 17.) Quoi donc? Est-il donné à l'indigent, une part quelconque de?
donc mort ce jour même? Nulhmenl. Il a mets de votre table, c'est le Seigneur que vous
vécu depuis |»lus de neuf cents ans. Pourquoi avez invité, en invitant son serviteur; et votre
donc Dieu lui a-t-il dit Ce jour même vous . table vous l'avez aussitôl comblée de toutes les

mourrez? De droit, non défait. C'tsl ainsi que bénédictions; en ofirant vos prémices, vous
le larron est entré dans le ciel. Ecoulez ce que avez plus favorable d'attirer
saisi l'occasion la

dit Paul, proclamant que personne n'a encore sur vous plénitude de tous les biens. Que le
la

reçu la rétribulion des biens. Il parlait des Dieu de |)aix, qui donne le pain à celui qui le
proi)hètes et des hommes justes, et il ajouta mange, et la semence au semeur, multiplie
A72 TRADTICTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

votre semence, en vous tous,


fasse croître, et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ,
les fruits de vous communique sa
la justice, par qui et avec qui, gloire au Père et au Saint
grâce, et daigne vous appeler à son royaume Esprit, maintenant, et toujours, et dans les
des cieux. Puissions-nous obtenir, tous tant siècles des siècles. Ainsi soit-il.

que nous sommes, un tel partage, par la grâce


DISCOURS SUR LA CENLSE. - HUITIÈME DISCOURS. 473

HUITIÈME DISCOURS.

Sur le temps qui est à la pluie ;


— sur les évèques qui se trouvent réunis ; — sur le précepte donné à Adam ;

la loi qu'il a reçue est un eCet de la grande sollicitude de Dieu.

ANALYSE

1. Exorde lire d'une circonslance de temps et de la porsonna de l'évêque Flavion. Résumé du dernier discours. Si la loi est la
cause du péché. — 2. La loi est le plus grnnd bien quo Dieu ait acconié ii sou peuple : Aon fecit ta/iter omni nafinni
et judicia swi non manifeslavil eis. — 2. Conliroialion de cette même vérité par plusieurs textes. Conclusion et exhor-
tation.

1 . Les nuages amoncelés ont attristé le jour, rance ce discours destiné à vous instruire, et
mais la présence de notre docteur' lui a rendu nous confions le tout à leurs prières. Mainte-
du haut
sa clarté. Le soleil, de la voûte du nant, pour que vous puissiez, plus facilement
ciel,nous envoie des rayons qui versent, sur et mieux, comprendre ce que nous avons à
nos corps, moins do lumière, que n'en répand vous dire, nous vous résumerons rapidement
sur nos âmes du haut de son trône rayonnant, ce qu'hier vous avez entendu. J'ai dit: que,
le Père que nous aimons. mènne avant de manger du fruit de l'arbre,
Il le sait bien lui-même ; aussi n'est-il pas l'homme avait le discernement du bien et du
venu seul; il amène, avec lui, cette pléiade mal; et (jiie ce n'est pas seulement après avoir
resplendissante, pour ajouter à l'éclat dune goûté du fruit de l'arbre, qu'il a reçu cette
si vive lumière. Aussi notre Eglise tressaille connaissince. J'ai dit pourquoi cet arbre a été
d'allégresse, letroupeau bondit, et notre con- appelé, science du bien et du
l'arbre de la

fiance redouble en commtnçant notre dis- mal que c'est l'usage de l'Ecriture, de donner,
;

cours. C'est qu'en effet, où les bergers se ras- aux lieux et aux temps, des noms pris des
semblent, les brebis sont en sécurité; de même événements qui s'y sont accomplis. Aujour-
les matelots se réjouissent quand ils voient un d'hui, ce qui convient, c'est de vous lire le
giand nombre de pilotes; car, si la mer est commandement même qui interdisait de
tranquille, et le ciel serein, les pilotes, en manger du de cet arbre. Quel est donc
iVuit
manoeuvrant le gouvernail, rendent plus léger ce commandement? Et le Seigneur Dieu fit à
le travail des rameurs; et quand les tempêtes Adam ce commandement et lui dit : Mangez de
soulèvent les vagues, les pilotes combinant tous les fruits des arbres du paradis. (Gen. ii,

leur industrie et tous leurs efforts, apaisent le IG.) C'est la loi de Dieu, soyons attentifs. Si
combat des flot?. Voilà pouniiioi, nous aussi, les hommes qui font la lecture des rescrits de
nous comuiençons plein d'une bonne espé- l'empereur commandent à l'assemblée de s-j

* L'éTique Plavieo. lever tout entière, à plus forte raison faut-il,


474 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

quand nous allons f;iire la lecture, non pas des froment. (Ps. cxlvu, 12, 14.) Ensuite , après
lois des hommes, mais de la loi de Dieu, nous avoir raftjielé les bienfait - qu'il nous a procu-
tenir debout, ()ar la pensée, et appl (|uer toute rés fiar d'autreh créature>, il
y joint ce princi-
notre attention, aux paroles qui se font enten- pal bienfait, plus considérable que tous les
dre. autres, il dit : Il annojue sa parole à Jacob,
Je n'ignore pas que certaines personnes ac- ses jugements et ses ordonnances à Israël, il
cusent le législateur, en disant que la loi a été n'a point traité de la S'rte toutes les autre!
une occasion de chute; c'est tout d'abord cette notvms et il ne leur a point manifesté ses pré
accusation que nous devons combattre et , ceptes. (Ibid. xix, 20.) Voyez quelle énumé-
nous montrerons en nous appuyant sur la
, ration de bienfaits! La sécuiilé de la ville;
réalité même des faits, que ce n'est pas par Car il a fortifié, dit-il. les serrures de tes

haine pour l'homme, que ce n'est pas pour portes : les guerres écartées : // a établi, dit-il,

faire outrage à notre nature, mais par amour,, la paix sur tes frontières : l'abondance des
par sollicitude pour nous, que Di'U nous a vivres : Et il te rassasiedu meilleur froment.
donné la loi. Voici qui va vous apprendre que Cependant il déclare qur le présent qu'il fait
cette loi nous a été donnée pour nous servir de la loi, est le plus précieux de tous. Car, la

d'auxiliaire écoutez Isaïe


: // nous a donné : sécurité, la paix, le boiiheurde voir écarter
la loi ponrnous servir de secoiirs. Is. vni, 20.) la guerre, l'abondance heureuse des enfants,

Celui qui déteste ne porte pas de secours. la fécondité des fruits de la terre, sont des

Autre passage du prophète s'écriant Votre : biens beaucoup moins précieux, que d'avoir
parole est une lanterne pour mes pieds, une reçu la loi en présent que d'avoir appris les ;

lumière qui éclaire mes seiïtiers. (Ps. cxvni, jugements du Seigneur et pour cette raison, ;

405.) Celui qui déteste ne porte pas la lanterne le Prophète réserve ce don comme le dernier,

qui dissipe les ténèbres; il ne conduit pas, après tant d'autres, et il ajoute : // n'a point

avec une lumière, voyageur errant. Ecou-


le tra té de la sorte lotîtes les antres nations. De
tez maintenant Salomon Le précepte de la
: la sorte, qu'est-ce que cela veut dire? Cerle^,
loi c'est une lanterne, c'est la lumière et la vie, la fécondité, l'abondance de la terre, les autres

et le redressement, et l'enseignement. (Prov. biens énumérés, ont été souvent le partage


VI, 23.)Voyez-vous que ce n'est plus seulement d'un grand nombre d'hommes, mai?, dit le
un secours ni une lanterne, mais de plus, et Prophète, je ne })arle pas de ces biens-là, je
la lumière, et la vie ? Or, je ne vois pas là les parle de la loi, et Dieu, à cet égard, n'a pas
preuves de la haine, la volonté de vous perdre, agi de même avec toutes les autres nations :

mais une main qui vous est tendue pour vous voilà pourquoi Et il ne leur a point
il ajoute :

relever. Aussi, lorsque Paul s'emporte contre manifesté ses préceptes. Vous voyez que de
en leur montrant l'utilité de la loi, il
les Juifs, tous les biens énumérés, le plus précieux
leur leur prouver que la loi ne nous
dit, j)Our c'est la loi.

est pas imposée comme un fardeau qu'au ,


Ce que Jérémie, à son tour, a manifesté
2.

contraire elle nous ranime Mais vous, qui : quand il pleurait sur les tribus captives il ;

portez le nom
de Juifs, qui vous glorifiez des disait Pourquoi es-tu sur la terre des ennemis}
:

faveurs de la loi. (Rom. ii, 17.) Voyez-vous Tu as délaissé la source de la sagesse. (Baruch
que ce n'est pas pour nous imposer un far- in, 10, 12.) C'est la loi, qu'il appelle ainsi.

deau mais pour nous ranimer que Dieu a


, Comme une source envoie de tous côtés, un
donné la loi? Voulez-vous comprendre main- grand nomlire de ruisseaux, ainsi la loi verse
tenant que Dieu l'a donnée aussi, afin de nous de tous côtes, un grand nombre de préceptes,
faire honneur? Nos preuves, jusqu'à présent, (jui arrosent notre âme. Jéremie, montrant

sullisaienl i)our montrer rhoiuieur qui nous ensuite le principal honneur à nous conféré
a été fait, le soin (jue Dieu a pris de nous. par la loi, disait : Celte sagesse n'a pas été en-
Mais cela nuMue, je veux le démontrer encore, tendue dans Clianaan ; elle na pas été vue dans
par d'autres témoignages Jérusalem, loue le
: Tehœman, et /es fils d'Agar, ces marchands et
Seigneur ; Sion, loue ton Dieu, car il a forti- ces faicurs de recherches, uont pas trouvé sa
fie les serrures de tes portes, et il a béni tes voie, et ils ne se sont pas s<ntvcnus de sc^ sen-
enfants, au milieu de toi ; il a él'ibli la paix tiers. (Ib. 22, 23.) El. pouriiemontrer que cette
sur tes frontières, et il te rassasie du meilleur loi est spirituelle et divine Qui est monté, dit-il.
:
DISCOURS SUR LA GENÈSE. — HUITIÈMK DISCOURS. m
dans le ciel et Ven a tirée. (Ib. 29.) Aussitôt serviteur quelconque, par un ange, par un ar-

il ajoute Dieu; aucun autre ue


: C'est notre change, c'est lui-même de sa propre personne
sera esdmé auprès de lui; il a trouvé toutes les (jui a donné le précepte à Adam, faisant à
voies de la science, et il les a montrées à Jacob riionune un double honneur l'honneur do
:

son enfant, et à Israël son bien-aimé. (Ib. lui donner la loi , l'honneur de la donner
3G, 37.) C'est pour cela que David à son tour lui-même. Comment donc l'homme est -il
disait : // na point traité de la sorte toutes les tombé? A cause de sa négligence; et c'est
autres nations, et il ne leur a point manifesté ses ce que fait voir le grand nombre de justes qui
préceptes. El Paul insinuait celte pensée, (jnand ont reçu la loi, et qui ne sont pas tombés, mais
il disait : Quel est doncl'avantagc des Juifs, et qui ont f;iit plus qu'il ne leur avait été com-
quelle est l'utilité de la circoncision? {\{om. înaiulé. Je vois que
temps nous presse nous
le ;

m, 1.) Voyez-\ous coninKîici les preuves abon- renverrons ces réflexions à un autre entretien ;

dent de mille manières ? D'abord c'est qu'ils quant à vous, retenez les paroles que vous avez
n'ont pas cru aux paroles de Dieu. Voyez-vous entendues, conservez-les dans votre mémoire,
de quelle manière Paul aussi a proclamé cette instruisez ceux qui ne les ont pas entendues :

vérité Jt n'" point traité de la sorte toutes les


: dans l'église, sur la place publique, à la mai-
autres nations, et il ne leur a point manifesté son, qu'elles soient le sujet des méditations de
ses préceptes ? Fjïx effet, si c'est l'avantage des chacun de vous; car il n'est rien de plus doux
Juifs (ju'enxseuls, parmi tantd'autrtis hommes, que d'entendre la divine parole. Ecoutez ce
ont été honorés du don do la loi écrite, ce n'est que dit le prophète Que tes paroles sont
:

pas pour nous imposer un fardeau, mais pour douces à ma gorge ! elles le sont plus que le
nous faire honneur, que Dieu nous a donné la rayon de miel pour ma bouche. (Ps. cxviii,
loi et l'honneur que Dieu nous a fait, ne co i-
; 103.) Ce rayon de miel, servez-le, le soir, sur
siste pas seulement en ce qu'il nous a donné la votre table, pour la remplir tout entière du
loi, mais encore en ce qu'il nous la donnée plaisir qui vient de rEs|)rit. Ne voyez-vous pas
lui-même. Voilà, en effet, le plus grand hon- que les hommes opulents font venir à la fln
neur; il n'a pas seulement répandu des biens, du repas, des joueurs de lyre et des joueurs
mais c'est par lui-même (ju'il les a répandus. de flûte? Us font, de leur maison un théâtre;
Voilà, certes, un grand don, écoutez Paul. vous au contraire, faites de votre maison le
Comme il voyait que les Juifs étaient enflés ciel. Ce qui vous sera facile, sans changer les
d'orgueil parce que les prophètes étaient
,
murailles, sans déranger les fondations ap- ;

venus pour eux, Paul, voulant réprimer leur [)ekz à votre table Celui qui commande au i)lus
arrogance, et montrer que nous avons reçu un haut des cieux. Dieu ne rougit pas d'assister à
plus grand honneur, nous, à qui la doctrine de tels festins; car c'est là ijuc régnent la doc-
n'a pas été donnée par un serviteur de Dieu, trine s|)irituelle, et la tempérance, et la gra-
mais parle Seigneur même, voici ce qu'il écril douceur. Là où le mari, la femme et
vité et la
aux Hébreux Dieii aytmt parlé, autrefois, à
: les enfants vivent dans la concorde, enchaînés

nos pères, en divers temps, et en diverses ma- tous ensemble par les liens de l'affection et de
nières, par les prophètes, nous a enfin parlé, la vertu, la réside aussi le Christ; il ne re-
en ces derniers jours, par son Fils unique. cherche pas les lambris dorés, les colonnes res-
(Hébr. I, 1, 2.) Et ailleurs encore Et non-seu- : plendissantes, les beaux marbres, mais la beauté
ment nous avons été reconciliés, mais nous de l'àme, la grâce des pensées, une table cou-
jious en Dieu
glorifions par Jésus- même , verte des fruits abondants de la justice et de
Christ Notre- Seiijneur, par qui nous avons l'aumône. A l'aspect d'un pareil service, il lui
obtenu maintenant cette réconciliation. (Rom. tarde de prendre sa part du festin il s'assied à ;

V, 11.) Voyez-vous comme il ne se glorifie pas la table, c'est lui-même qui l'a dit J'ai eu :

seulement delà réconciliation, mais encore de faim, et vous m'avez donné à mcmger. (Math.
la réconciliation obtenue par Jésus-Christ? Et, ïxv, 35.) Aussi, quand vous avez écouté le
dans un autre passage, quand il célèbre la ré- pauvre, dont le cri est monté jusqu'à vous,
surrection, il dit Le Seigneur lui-inènte des-: quand vous avez donné à l'indigent, une part
cendra du ciel. (1 Thess. iv, \<o.) Coin|)renez quelcon(|ue des mets de Aotre table, c'est le
qu'ici encore, tout se fait, s'accomplit par le Seigneur (|ue vous avez invité, en invitant son
Seigneur; et ce n'est pas par l'enlremi-e d'un serviteur, et votre lalile, vous l'avez aussitôt
476 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CIIRYSOSTOME.

combl<^e dft tonte- les bénériirtions ; en offrant vous nppelcr à son royaume des cieux. Puis-
vos préiiiicet^, \oi.< a\cz Siiin l'occasion la plus siuns-nuus (.bit nir, tous tantque noussonimes,
favorable d'attirer sur vousla plénitude de tous un tel partage^ par la urâcc et par la bunie de
les biens. Que le Dieu de paix et d'amour, qui Notre-Seigiieur Jésus-; bnst à qui appartient,
donne le pain à celui qui le mange, et la se- en môme temps qu'au Père, la gloire, l'iion-

mence au semeur, multiplie votre semence, neur, la puissance, ainsi qu'au Saiut-E>prit,
fasse croître en vous tous, les fruits de la jus- maintenant et toujours, et dans les siècles des
tice, vous communique sa grâce, et daigne siècles. Ainsi soit-il.
DISLOUIIS Slll LA OL:nLSL. iNllmLme discours. 477

NEUVIÈME DISCOURS.

De quelle manière il faut reprendre ses frères , ei qu'il convient, d'avoir BOin de leur Balut ;
— et pourquoi
Abram a été appelé Abraham. — Réflexions Bur le nom de Noe : que les noms de ces hommes juates ne leur

ont pas été donaés au hasard, mais par une disposition dd la providence de Dieu.

AVERTISSEMENT & ANALYSE.

Ce discours ,
quoique prononcé longtemps après les huit précédenls, qui l'ont été en 38G, a été placé ici à cause de la ressem-
blnncc des inalièros. Il inème année que les 32 premières liornélies sur la Genèse, que les homélies sur Iccommcnccmenl
fut fait la
des \clcs et sur les ch.mïieuuuls de noms. Quelle est cette année? c'est ce que nous n'avons pas encore pu découvrir; noua
savons stulemeut que celle anuée, quelle qu'elle soit, est postérieure à 387. Ce discours suivit immédiatement la seconde homélie
sur les chan.^ements de noms. L'cxorde, comme ceux des deux précédenls, en ayant été très-long, le peuple d'Antiochc s'en
pl.iignil, et ses |>laiutes furent l'o.casion de l'homélie De ferendis repre/iensionibus, qui figure parmi les homélies sur les
changements de noms.

1. L'oratenr se croit obligé de résumer sa dernière instmction en faveur de ceux qui ne l'ont pas entendue ; si ceux qui l'ont en-
tendue s'en plaignent, sachent que le zèle doit être tempéré par la miséricorde. L'homme spirituel est celui qui porte
qu'ils

secours à son prochain. — 2. La mutuelle charité est le signe distinctif des chrétiens. — 3. Késumé de ladeuxième homélie
sur les changements de noms. Abraham fut aussi parfiit que les disciples de Jésus-Christ. — 4. La foi d'Abraham trouva sa
récompense dans l'accomplissement des promesses de Dieu, plus sûres que les réalités de ce monde. — 5. L'orateur résume

la doctrine qu'il a déduite de l'histoire d'Abrahnm. Les fils ne sont pas coupables de l'iniquité de leurs pères : devoirs des fils

envers leurs parents lorsque ceui-ci sont infidèles. Le libre arbitre. Interprétation du nom de Noé.

1. Si vous pouviez savoir, ce que nous avons ceux qui ne manquent jamais à nos réunions,
dit |irécédeniinenl, ce que nous avons laissé prétendront-ils que nous ne devrions pas, en
de côté, où s'est arrêté notre discours d'tiier, considérationdesabsenls, repi^eiidrece(|iienous
par où il convient de commencer le discours avons déjàdit; qu'il serait bon au contraire de
d'aujourd'hui, nous rattacherions sans préam- corriger ceux qui ont dédaigne de venir, en
bule nos premières paroles à celles que nous leur laissant subir une perte qui les rendrait
avons prononcées hier, en terminant. Mais, à l'avenir plus diligents.
comme un grand nombre de nos auditeurs Je vous félicite de vous montrer ainsi affligés
d'hier sont absents aujourd'hui, que, parmi de la négligence de vos frères, et j'admire votre
ceux qui sont aujourd'hui présents, un grand zèle ; mais je veux que votre zèle soit tem-
nombre ne nous ont pas entendu hier, la di- péré par la charité. En elfel, un zèle qui ne

versité de nos auditeurs nous force de repren- pardonne pas, est plutôt de la colère que du
dre ce que nous avons expliqué. Il en résultera zèle; un avertissement sans douceur, estune
que ceux(iin nous ont dija entendu, conser- espèce de haine. C'est pourquoi je vous prie
veront mirux le souvenir île nos paroles que de ne pas cinsurer avec amcrlunie les péchés
;

ceux qui furent absents hier , n'auront pas d'autiui ;car, de même que celui (jui voit sans
tout perdu, grâce à l'expo ition qui leur résu- être ému de pilié, les blessures de ^cs frères,
mera l'enseignement déjà donné. P»ivU-clrc sera traité sans indulgence, quand il tombera
47» TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

lui-même dans le péi qô ; de mèmf, l'homme frères : voilà le vrai langage de Paul, voilà un
miséricordieux que touche la pitié, quand le titre suffisant pour conquérir la bienveillance
prochain succombe, trouvera lui-même, s'il de l'auititeur. C'est comme s'il disait Vous :

vient à tomber, un ^aand nombre d'amis pour êtes sortis des mêmes flancs, vous devez la vie
lui tendre la main. Et ce que je dis mainte- aux mêmes douleurs, vous avez eu même
nant, ce n'est pas afin d'encouiager la négU- nourriture, même père, qui vous a enfantés,
gence de ceux qui se montrent rarement au par le spirituel enfantcmenl ; montrez celte
milieu de nous; mais c'est que je désire voir parenté, cette fraternité, même quand vous
s'augmenter notre zèle pour eux, de telle sorte corrigez les péchés du prochain. Si un homme
que notre sollicitude soit un tempérament est tombé, par surprise. Il ne dit pas Si un :

de sagesse et d'affection. Je sais bien d'ailleurs, homme mais il s'empresse de mon-


a péché,
que nous aussi, ces jours passés, nous avons trer un genre de péché qui mérite particuliè-
prononcé contre eux grand nombre de longs rement l'indulgence. Si un homme est tombé
discours et nous avons dit qu'ils ne méritaient par surprise, c'est-à-dire, a succombé à une
pas d'être ap[)elc3 des hommes. Vous vous sou- tentation forte, s'est égaré il n'entend pas ce- ;

venez que nous avons suscité contre eux les lui qui a péché de propos délibéré, mais celui
prophètes, deux surtout, dont l'un dit ces pa- qui, voulant bien faire, a été renversé, vaincu
roles : Je suis venu, et il ne s'est point trouvé par le pouvoir du démon. Un tel homme mé-

d hommes ; j'ai appelé, et il îie s'est pas trouvé ritemoins d'être accusé, que d'obtenir sou par-
d'auditeur. (Isaïe, i, 2.) Un autre prophète don. Si un homme est tombé par mrprise, un
s'écrie et dit : A qui adreserai-je ma parole homme; autre raison d'excuse, la faiblesse de
etqui coiijurerai-jede m' écouter? Leurs oreilles la nature, qu'il s'e^t empressé d'indiquer par
sont incirconcises et ils ne peuvent entendre. le mol homme. Donc, de même que cet homme
(Jérém. vi, 10.) Par ces paroles, nous
les avons d'un grand cœur. Job, voulant se concilier
si

assez sévèrement traités; mais à présent, nous la clémence de Dieu, disait Qu est-ce que :

prenons un autre langage et nous leur adres- rhomme pour mériter que vous le regardiez
sons des prières car, c'est Paul qui nous en
;
comme quelque chose, et que vuus observiez
donne le conseil Reprenez, (\'\l-il,7'épri mandez,
: ses péchés? de même, nous, à notre tour, hà-

suppliez. (II Tim. iv, 2.) Et en effet, il ne faut tons-nous de dire, quand un homme est ea
pas se borner toujours, soit à la réprimande cause pour ses [léchés c'est un homme, et
:

soit à la prière qui sup|)lie, mais il faut em- temi)éions, par la considération de la nature,
ployer alternativement la répiiniande et la l'excès de l'indiuMiation. Voilà pouripioi Paul
prière, afin qu'il en résulte une plus grande s'empresse d'indiquer l'inlirmilé de la nature,
utilité. Si nous ne faisions jamais que les ré- en disant Si un homme est tombé, par sur-
:

primander, ils perdraient, de [)lus en [dus, prise dans quelque péché. Il ne dit pas les gtands
toute honte; si nous ne faisions jamais que péehés, qui ne niéi itent ni indulgencf, ni par-
supplier, ils deviendraient de plus en plus re- don, mais les petit.-, où se font les faux pas.
lâchés. Les médecins le savent bien ils ne se : Vous qui êtes spirducls. Celui qui pèche, c'est
bornent pas à couper les chair.s, mais ils pan- l'homme; mais ceux qui foui les bonnes œu-
sent aussi les blessures ; ils ne [ rescrivent pas vres, il les nomme spirituels; pour le pé-
toujours des breuvages amers, mais parfois cheur il em|iloie le
, terme qui marque la
des potions agréables. Ces amers hreu\ages nature; il applique aux autres le nom qui
purilient le sang ; les potions plus douces cal- tiésigne la verlu.
ment les douleurs, et voila pourquoi, dans un Il y a une grande différence entre l'homme,
autre endroit, Paul dit encore : .]Jes frères, si el l'être spirituel. Vous qui êtes spirituels. Si
un homme tombé par surprise en qu<'lque
est tu es spirituel , iiMutre moi ta force, non |>as

péché, vous autres qui êtes sj)iritiu'/s, ayez soin en opérant ton salut, mais en opérant mon
de le relever, dans toi esprit de douceur, cha- salut, mais en m'a portant ton secours, à mo
cun de vous faisant réfhxion sur soi-nuhnc (|ui sui> tombé. Ci ctTet, le propre de
st la , en
et craignant d'être tenté, aussi bien que lui. celui (jui est spirituel; ne dedai^une [tasses il

(Galat. VI, 1.) Avertissement excellent; conseil membros en péril. Ayez soin de le relever.
parfait, qui montre les entrailles d'un père; Faites, dit-il, qu'on ne |iuisse pas le prendre,
digue de sa grande sollicitude pour uous; Mes qu'il ne se fatigue pas en coniballanl ,
que,
DISCOURS SIK LA GENÈSE. — NEUVIÈME DISCOIKS. 479

dans sa lutte contre le démon, il ne succombe considérer leur propre utilité, sans s'occuper
pas. Chacun de vous faisant rcflcxiim sni',
du désastre (jui tituibe sut autrui ; ils airclent
soi-mêine^ et craignant d'être teîité, aussi bien leur navire, jettent l'ancre, ferlent les voiles
que lui. jettent dos câbles, lancent au loin des planches,

2. Voilà le conseil par excellence, l'avertisse- alin (jue celui i\u\ submergé par les Ilots
est
ment le plus puissant pour forcer la volonté. saisisse un de ces moyens de salut, et puisse
Fussiez-vous de pierre ,
quand vous entendez ainsi échaj)per au naufrage. Imitez les njale-
celte parole, ellesuflit pour vous ins[)irer la ter- lots, vous qui portez le nom d'homuie, vous
reur, pour vous exciter à secourir celui (jui est voguez vous aussi, sur une vaste mer, c'est la
tombé. Vous ne voulez pas, dit il, avoir pitié , vie présente; et cette mer renferme des mons-
à titre de frères, vous ne voulez pas pardonner tres sans nombre, des pirates; celte mer a des
à ceux qui sont des hommes? Vous ne voulez écueils et des rescifs ; cette mer est troublée
pas, à titre d'êtres spirituels, tendre la main par les tlots et par les tempêtes; et souvent
aux malheureux? Considérez votre condition, dans cette mer s'engloutissent un grand nom-
et vous n'aurez pas besoin qu'on vous conseille ;
bre de naufragés. Quand donc il vousanive
de vous-mêmes vous porterez secours à celui
,
de voir quelque passager, victime delà malice
que vous voyez par terre , et vous irez le con- du démon perdant la richesse du salut, em-
,

soler. Comment? et pourquoi? Chacun de porté par le tourbillon, prêt à être submergé,
vous faisant réflexion sur sui-même et crai- , arrêtez votre navire, n'ayez plus de pensées
gnant d'être tenté, aussi bien que lui. 11 ne dit que pour le malheureux; attachez-vous, avant
pas Car, après tout, vous couuneltrcz, vous
: toutes choses, à son salut; ne pensez plus à
aussi des péchés cette parole eût été trop
, ; vous, car il ne peut pas attendre , il ne peut
dure; mais que dit-il? Craiqjiant d'être tejité^ pas souffrir de délai , celui qui est sur le point
aussi bien que lui. Il peut se faire en effet que de s'engloutir; arrivez, arrivez vite, arrachez le

vous commettiez des péchés il peut se faire ; vivement du tourbillon saisissez-vous de tous ;

aussi ,
que vous ne |)échiez pas; et parce que les câbles, pour le retirer de l'abîme de la perdi-
l'avenir est incertain ,
préparez pour vous- tion eussiez-vous mille et mille alfaires, vous
;

mêmes la réserve de la miséricorde ,


par entraînant ailleurs que rien ne |>araisse plus
,

votre charité envers le prochain , et vous pressant pour vous, que le salut de celui qui
retrouverez, si vous venez à faillir, l'abon- est dans la détresse si peu que vous vouliez
;

dance de miséricorde mise par vous en ré- différer, vous le trahissez vous l'abandonnez ,

serve. Il ne dit pas Craignant de pécher : à la rage de la tempête. Dans de si grands


aussi soi-même craignant de tomber aussi
, périls, il faut de la promptitude et du zèle.
soi-même faites bien attention considérez la
; Voyez l'empressement de Paul à la vue d'un
mesure juste des expressions mais, craignant ; homme que l'abîme allait dévorer Je vous :

d'être tenté aussi bien que lui ; ce qui indi(jue, prie, dit-il, de lui dowierdes preuves effectives
et que nous avons un ennemi particulier qui de votre charité, de peur qu'il ne soit accablé
nous tente et que ce tentateur n'a pas un
, par un excès de tristesse. II Cor. ii 7-8. Il ( , )

moment fixe et déterminé pour nous tendre veut qu'aussitôt on lui tende la main, de peur,
ses pièges. En effet, la plupart du temps, c'est que pendant que nous dilîérons , l'infortuné
quand nous dormons, quand nous ne sommes ne soit dévoré par l'abîme. Soyons donc pleins
pas sur nos gardes, qu'il nous attaque, et voilà de soucis pour les intérêts de ceux qui sont
pourquoi celui qui est tombé par sur[)rise, est nos frères.
digne de pardon c'est qu'il a été pris par le
, Voilà ce qu'il y a de principal, de capital
tentateur. Le combat n'était pas ostensible; le dans notre conduite ne pas considérer uni- :

jour de la bataille n'avait pas été désigné; quement mais corriger, fortifier
ces intérêts,
l'attaque a eu lieu à l'improviste , et voilà ceux de nos membres que nous voyons perver-
pourquoi le démon a eu le dessus. Tels sont tis. Voilà, de notre foi, la marque la plus écla-

lessenliments des matelots qui voguent sur le tante c'est en cela, dit l'Evangile, rjue tous
;

grand espace des mers ils ont beau avoir pour ; connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous
eux les vents favorables; ils ont beau jouir avez de l'amour les uns pour les autres. (Jean,

d'une parfaite sécurité cependant, s'ils voient,; xin, 35.) La charité sincère ne se déclaie pas
de loin, un naulrage, ils ne se bornent pas à par la communion à la même table par une ;
480 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

courte parole ;
par les flatteries des mots ; ce en ce nouveau pays. Encore que ce soit le nom
qui la prouve, c'est le zèle qui considère l'in- de Paul qui nous ait fourni l'occasion d'entre-
térêt du prochiin, qui relève celui qui a fait une prendre cette étude, il ne manque pas d'autres
chute qui tend la main à celui qui est par
; noms que nous puissions explorer avec profit.
terre, sans plus penser à son propre salut; qui Les marchands, qui traversent les mers, et
recherche, avant son propre bien, lebiend'au- s'en vont, pour quelques menues denrées, vers
triii. Voilà la vraie charité : car celui qui a la des i)arages lointains, arrivent parfois dans
cliarjté,ne regarde pas son intérêt propre il ; une petite ville, où ils voient en abondance des
considère d'abord 1 intérêt du prochain, et, objets tout différents qui leur conviennent, et,
par l'intérêt d'aiitrui, il assure son propre in- outre les marchandises pour l'achat desquelles
térêt. (1 Cor. xui, 5.) Et moi-même, mainte- ils ont quitté leur pays, ils font des emplettes
nant, que l'ais-je ? Ce n'est pas pour moi que beaucoup plus considérables que celles qu'ils
je prolonge ces longs discours, c'est pour vous. avaient |)rojetées. Si on leur en faisait un re-
Donc vous, à votre tour, ne les écoutez pas proche, ils diraient nous avons fait un long
:

seulement pour vous-mêmes, mais pour les voyage, essuyé mille tempêtes, affronté mille
autres, à qui vous devez de les instruire car ; dangers, franchi les mers qui nous empêche ;

c'est le bon agencement des membres qui en- de donner de l'extension à notre commerce?
tretient le corps de l'Eglise. De même qu'un Nous pouvons, certes, nous excuser à leur ma-
membre qui retiendrait pour lui toute la nour- nière. Nous faisions des recherches sur les
riture, sans rien communiquer aux membres noms de Paul et nous avons trouvé en même
voisins, se ferait du tort à lui-même, et ruine- temps comme des magasins d'autres noms;
rait le reste du corps par exemple, si Teslo- :
ainsi Pierre s'appelait d'abord Simon, et les
mac lirait toute la nourriture à lui seul, le fils de Zébédée, Jacques et Jean, se nommaient
restedu corps se dessécherait par la faim, et du tonnerre. Nous avons trouvé, dans
les fils
Fesiomac se ruinerait lui-même |)ar le dérègle- l'Ancien Testament, Abraham appelé aupara-
ment de son appétit; si au contraire, se con- vant Abram, et Jacob nonmié Israël, el Sarra
tentant de la part qui lui suffit , il envoie aux
au lieu de Sara; nous avons trouvé, en outre,
autres membres ce qui doit leur revenir, il d'autres persoimages dont les noms sont de-
s'entretient lui-même en bonne santé, et avec meurés tels qu'ils les reçurent dès le commen-
lui tout le reste du corps Eh bien de même
: !
cement; ainsi Jean-Baptiste, Isaac et Adam.
pour vous maintenant si après avoir écouté ; ,
Donc, il serait absurde, et de la dernière négli-
nos paroles, vos gardez tout pour vous, sans gence, quand nous avons dans les mains un si
rien counnuniquer à un autre, vous faites du
grand trésor, de le jeter. Car voilà la raison de
tort à vous vous ruiiiez vous-
cet autre, et ce long discours;et, comme nous avons parlé
mêmes vous vous attirez les maladies les
; dernièrement de ceux (jui ont gardé leurs pre-
plus graves vous cultivez en vous la lâcheté
; miers noms, nous parlerons aujourd'hui de
et IVnvie car, c'est ou par malice, ou par eu-
; ceux qui ont eu deux noms, comme, par
vie, ou par lâcheté, que nous ne partaj^eons exemple, Abraham. Adam a toujours porté le
pas avec les autns; de quelque nature que même nom; Isiac n'en a pas reçu d'autre; de-
soit ce mal, il suffit pour perdre celui (|ui eu puis leconnuencemenljusijii'à la fin, Isaac. Mais
est atteint. Siau coilraiie vou^ conununiquez le père d'Isa ic s'appelait d'abord .\bram, plus
abondiimment la nourriture aux antres, vous tard seulement. Abraham En effet. Dieu
. lui dit :

vous faites du bien à vuu.s-nicini s el aux autres; Voitsucvotts appellerez plus .U>r<}))}. t7WK< Abra-
mais en voilà assez sur ce sujet. ham. [Gvu. xvn, 5.) Son premier nom. c'était
3. Ce qu'il faut m
lintenaut, c'est reprendre Abram ; ce nom n'est pasgrec, il n'appartient pas
la suite de nos dernières lélh^xions. Quelles à notre langue; c'est mi nom hébreu. Quesigni-
élaient donc ces rétlcxionsîNous recherchons, liel-ildonc? Un pass-nit. Abram, en syrien, si-
au sujet des noms Saul et Paul, pourijU(.i on gnifie au delà, outre., ce que savent bien, ceux
dit tantôt Saul et tantôt Paul, et delà nous qui connaissi'iil celte langue. Il y a une grande
avons lait une longue digressin'i sur ceriains alUnilé entre lesyiien et l'hébreu, mais, dites-
noms propres. Puiscpic nous voilà «iebarqués, vous, pourquoi l'a-t-on appelé, passant ?Ldi
ilno nous parail pas convenable de nég iger Judée, c'esl-a-ilire toute la Palestine, depuis
rai>provisionucmeut o^ue nous pouvons faire l'Egypte jusqu'à l'Euphrate est eu face de la Ba-
DISCOURS SUR LA GENÈSE. - NEUVIÈME DISCOURS. 484

byloiiie, d'où était Abraham ; le fleuve passe nous la voyons dans nos mains, celle-là, nous
entre deux pays dont il forme la commune
les la voyons dans les promesses du Dieu qui nous
limite. VA, comme Abraliam n'était pas de la la tient en réserve.

Palestine, mais venait de la rive opposée, c'est- A. Or, les promesses de Dieu sont beaucoup
à-dire de la Rabylonie, pour cette raison et de plus puissantes que nos mains. Voulez-vous voir
fait, il a reçu le nom de passant, parce (ju'il comment cette vie présente n'est tout entière
avait passé le tlcuve. Or, pouniuoi ;i-t-il passé <lu'obscurité, tandis (jue celte vie à venir qui
le fleuve? parce que Dieu lelni avait ordonné; semble obscure a, plus que la vie présente,
pourquoi Dieu le lui a-t-il ordonné? Pour faire de solidité durable? Recherchons, s'il vous
paraître l'obéissance du juste. Et comment pa- plaît, ce qu'il y a d'éclatant dans la vie présente ;

rut l'obéissance du juste? en ce (|uc par l'or- ce sont les richesses, c'est la gloire, la puis-
dre de Dieu, il abandonna son i)ropre pays, sance, une grande considération auprès des
pour passer sur une terre étrangère. Voyez- hommes, et vous verrez que rien n'est plus
vous quelle chaîne d'événements dans le nom confus ([ue tout cela. En elîet, (|uoi de plus in-
de l'homme juste? Ce nom nous a ouvert un fidèle que lesrichesses, qui souvent n'attendent
océan de faits apprenez donc son premier nom,
; pas le soir pour nous quitter; comme des in-
afin qu'en le voyant habiter la Palestine, vous grats, comme des transluges, elles passent d'un
vous souveniez, rien qu'en entendant ce nom, maître à un autre maître, et, de celui-ci, à un
de sa première patrie, de la cause qui la lui fit troisième. Et de môme pour la gloire : souvent
quitter, et qu'ainsi vous vous trouviez conduits ([ui avait un noble et illustre nom, se voit tout
à imiter le zèle de sa foi. à coup sans considération et parfaitement in-
Voila donc comment ce juste, avant la loi et connu. L'inverse a lieu aussi. Et, comme il est
sous lempire de la loi, rtçut la sagesse qui lut impossible de distinguer, dans la roue, qui
communiquée au temps de la grâce , et com- tourne toujours, la moindre partie de la cir-
ment il accomplit, avant le temps de la grâce, conférence, parce que la rapidité du mouve-
ce que, plus tard, le Christ proposait <àses dis- ment porte, à chaque instant, en haut ce qui
ciples : Quiconque aura quitté,pour mon était en bas, en bas ce qui était en haut, de
?iom, sa maison, ses frères, son père ou sa mère même l'impétuosité du mouvement qui nous
enrecevra le centuple, et aura, pour héritage, emporte, qui change tout sans cesse, précipite
la vie étermilc. (Matth. xix , 28, 29.) Ce n'est au plus bas degré ce qui dominait sur le faîte;
pas là seulement ce qui montre la sagesse de vérité que rendent manifeste et l'inconstance
ce juste, mais promesse de Dieu sert encore
la des richesses, et l'inconstance du pouvoir, et
à la manifester venez en la terre que je
; de tout ce qui se pourrait nommer; jamais
vous montrerai. (Gen. xii, 1.) Sans doute la de consistance, toujours l'instabilité; ce sont
Cbaldée et la Palestine étaient deux patries des eaux courantes. Qu'y a-t-il donc de plus
matérielles; mais enfin, l'une était son pays, incertain que ce qui changesouvent de si

l'autre, ime pairie étrangère l'une, visible, ; place, prend son vol loin de nous, avant de se
l'autre invisible il avait l'une dans les mains,
; montrer; avanldenous approcher, s'échappe?
il n'avait l'autre qu'en espérance. Or, aban- De là vient que le Prophète, parlant des volup-
donnant le visible, le manifeste, ce qu'il avait tés, des richesses, de tout ce qui y ressemble,
dans la main, il s'empressa d'aller cà l'inconnu, réprimande par ces paroles ceux qui s'y atta-
à l'invisible, dans un pays où il ne lui était pas chent comme à des biens durables Ils ont :

permis de dominer. Conduite qui a pour but regarde comme stable ce qui n'est que fugitif.
de nous apprendre, de nous convaincre, (ju'il (Amos, VI, 5.) 11 ne dit point, ce qui n'est que
ne faut pas hésiter, lorsque Dieu nous com- passager, mais, d'une manière beaucoup j)Ins
mande, à laisser là ce qui est visible, à élever expressive, ce qui n'est que fugitif. En efl'et,
nos regards vers ce qui n'apparaît pas à nos ces biens-là ne se retirent pas peu à peu,
yeux. Les biens que nous tenons dans nos mais avec une étonnante rapidité Notre pa-
mains ne sont pas aussi évidents que ceux qu'il triarche, au contraire, n'a pas tenu cette con-
faut espérer ; la vie présente n'est pas aussi duite; mais, abandonnant tout cela, il n'a vu
manifeste (jue la vie à venir ; la première, que promesses de Dieu; il nous a préparé
les
nous la voyons des yeux du corps l'autre, ; la voie dans la foi aux choses à venir; c'est alin
nous la voyous des yeux de la foi la première, ; que vous aussi, à qui Dieu a promis l<;s choses
S. J. Cu — Tome V. 31
482 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

à venir, qui ne se voient pas, vous vous gar- seulement Abraham, mais tous participaient a
diez de dire ces choses là sont invisibles, ne^
: la même sagesse. Tous ces maints., morts dans la

se montrent pas. En ctïet, ces choses invisibles foi, n'ayant point reçu les biens que Dieu leur

sont plus manifestes que les choses visibles, avait promis, mais les voyant de loin. (Hébr.
pour peu que nous ayons les yeux de la foi. XI, 43, 44, 45; 46.) Que dites- vous? Abraham

Sans doute nous ne les voyons pas, mais Dieu n'a pas reçu les biens promis? il n'est pas venu
nous les a annoncées, nous les a promises; dans la Pale^tine? les paroles ont donc été
quand c'est Dieu qui annonce, il n'y a aucune trompeuses? nullement, il est venu, certes,
variation possible dans les choses promises; dans la Palestine, mais ce n'est pas celle Pales-
rien n'est jilus durable, n'en doutons jamais, tine ([u'il regardait; il en désirait une autre,
que te qui est dans la main de Dieu; car, dit la patrie qui est '!ans le ciel. Vérité que Paul

l'Evangélisle, Persomte ne peut le ravir de la atteste en ajoutant Et confessant qu'ils


:

main de Dieu. (Jean, x, 29.) Le trésor que nul étaient étraiigers et voyageurs sur la terre.
ne peut ravir de la main de Dieu, est donc C'est un voyageur, celui qui a reçu une si

éternellement assuré ; au contraire les choses grande patrie, une contrée si considérable?
présentes sont exposées à toute es[>èce de varia- Parlez, je vous en prie. Assurément, dit Paul,
tions et de vicissitudes. Aussi, prenons-nous car ce n'est pas cette patrie qu'il a considérée,
souvent beaucoup de peine, et le résultat mais le ciel. Car ceux c/ui parlent de la sorte
frustre notre attente. Pour les biens qu'on es- font bien voir qu'ils cherchent une aittre patrie,
père, il n'en est pas de même : Ctlui qui a qui a Dieu pour fondateur et architecte, cette

travaillé, obtientnécessairement couronnes et patrie, vous dis-je, qui est la Jérusalem céleste,
récompense, car respérance rùst point trom- la patrie d'en-haut. Comprenez-vous conunent
peuse (Rom, V, 5), parce que c'est la promesse Dieu lui a promis une patrie matérielle, tandis
de Dieu, et que les dons promis participent de que lui-même a cherché la Jérusalem céleste?
la nature de celui qui les a promis. Aban- Car ceux qui jjarlent de la sorte, dit Paul,
donnez donc ce qui est obscur, pour vous font biejivoir qu'ils cherchent une autre patne.
saisir de ce qui est manifeste. Or, ce qui est S'ils avaient eu dayis l'esprit celle dont ils

m; nifeste, ce n'est pas le présent, mais l'ave- étaient sortis, ils avaient assez de temps pour
nir. Maintenant, si quehjues [terson nés ne con- y retoi mer ; mois ils en désiraient une meil-
sidèrent que le présent et mé|)riseiit l'avenir, leure^ qui est ta patrie céleste. Donc, la chose
elles ne méprisent jtas parce
le qu'il est obscur promise mais le désir du juste
est matérielle,
et incertain, mais parce (pi'il est élevé, trof» est spirituel. Quant à nous, nous faisons juste
au-flessus de leur propre faiblesse. Ccnsidérez le contraire. A lui Dieu avait promis la Pales-

donc combien fut grande la vertu de notre tine, mais il regardait le ciel à nous, Dieu a ;

homme juste. Dieupromis «les biens


lui avait promis le ciel, mais nous regardons la terre.
matériels, et lui cliereliait, de lui-même, des 5. Vdila donc ce que nous avons gagné à

biens s|)iiituels. (lomment, me dinz-vous. méditer le nom d'Abraham; nous avons appris
Dieu lui avait promis les biens matériels, et il j)ourquoi il fut ainsi appelé, pounjuoi on l'a
cherch.iit, de lui-même, des biens spirituels? nomme ?//< passant; il abandonna son pays
Sortez, (lit Dieu, de votre pat/s, de votre pa- pour passer sin- la terre étrangère; il (pntta le
renté et de la maison de votre père, et venez visible pour l'invisible; \\ rejeta ce qu'il axait
en la terre que je vous montrerai. (Gen. xii, 4.) dans la main, pour les biens que concevait
La première contrée était chose matérielle, son espér.nice; il n ^'ut des biens (pii tombent
connue ipii lui était destiné; eh bien
le pays ! sous les sens, et il ne voulut voir que les biens
Non, n'écoutons pas Abraham,
qu'a-t-il fait? spirituels, et cela avant la grâce, avant la loi,
mais écoutons Paul, (jui nous parle de lui ;
avant l'enseignement des |»rophètes. Par où il
comprenons (jue, i|uoique Dieu lui eût promis est eNident qu'il n'eut personne pour l'instruire,
cette terre, lui pourtant, laissant là les choses qu'il lui suflit du langage de sa conscience;
j)résentes,ne la regarda pas, mais s'en pressa i
que c'est ainsi qu'il trouva Dieu, le Créateur
de se tourner vers les choses à vjnir. Quelles de l'univers; voilà pourquoi il fut appelé
sont donc les paroles «le Paul ? 7'o//.s' ers s'/ints Abram; voilà |»ouniuoi ses parents lui don-
sont morts da/isl'f foi, ce qu'il dit d'Abraham, nèrent ce nom. .Mais peut-être, me dira-ton,
d'isaac, de Jacob et de tous les justes; car uoû- m^usouife que tout cela 1 c6l-co que lo« parents
DISCOURS SUR LA GENÈSE. — NEUVIÈME DISCOURS. 4S3

d'Abraham étaient des justes? est-ce (ju'ils Cest pourquoi ils serojit eux-m^mes vos juges.
*4aient agréables à Dii'U ? est-ce (lu'ils connais- (Matlli. xn, 27.) Ne vous troubb z |)as, ne soyez
saient les choses futures? est-ce (ju'ils pré- pas siandali.^és. Nous apprenons ici, que ce
voyaient la promesse que devait faire le Sei- n'est pas la nature, que c'est la volonté qui
gneur? n'étaient - ce pas des impies, des constitue la vertu et le vice. En effet, s'il fallait
Idolâtres, plus (jue des barbares ? Je ne Tignore s'en |)rendre à la nature, les méchants n'en-
pas, je le sais bien, et, si je loue cet bonmie gendreraient jamais que des méchants, et les
juste, c'est qu'ayant de tels parents, il est lui- bons, (|ue des bons. Mais, parce (jue c'est la
même devenu tel que nous le voyons. Voilà en volonté qui constitue, soit la vertu, soit le vice,
elTot ce qui est étrange, merveilleux; d'une il arrive souvent que des pères vicieux ont des
racine sauvage un fruit ei doux! Il ne faut pas enfants \erlueux; que des pères, solidrs dans
faire de malice des parents un sujet d'accu-
la la sagesse, ont eu pour fils des négligents, des
sation contre les enfants qui vivent dans la lâches. Ce (jui prouve que ce n'est pas la na-
piété; mais s'il est permis de dire quelque ture, mais toujours la volonté que nous devons
chose qui étonne, au contraire c'est une gloire accuser. Mais puisque les parents d'Abraham
de plus pour ceux qui n'ont pas reçu la piété, étaient, comme je l'ai dit, des impies, d'où
comme un héritage de leurs pères, pour ceux vient qu'ils lui ont donné ce nom? Ce fut
qui n'ont pas eu de guides, pour ceux qui ont l'œuvre de la divine sagesse de ; elle se servit
été comme des voyageurs dans un désert où la langue des incrédules, pour donner à un
nul chemin n'est tracé, d'avoir pu trouver la enfant un nom qui renfermait l'histoire à
roule qui conduit au ciel. venir. Cette même puissance, le Seigneur Ta
Ce n'est donc pas un crime, un sujet d'accu- montrée à propos de Balaam, qu'il força à pré-
sation, d'avoir pour père un impie. Accusez dire l'avenir (Nombr. xxiii), montrant par là,
celui qui reproduit l'impiété de son père /ac- qu'il commande, non-seulement à ceux qui
cusons-nous surtout nous-mêmes, non pas d'a- lui appartiennent mais qu'il est aussi le
.

voir des parent?(jui vivent dans l'abaissement, maître de ceux mêmes qui ne sont pas à lui.
mais de ne pas prendre soin de nos parents, de Et, pour vous apprendre que des parents sans

ne pas faire tous nos efTurls pour les retirer de piété, souvent à leur insu, donnent, à des
,

leur impieté. Quand nous aurons, pour le salut justes, des noms qui renferment une grande

de leur âme fait tous les eiïorts dont nous


, indication des choses avenir, nous vous a[>por-
sommes capables s'ils persistent dans leur
, ferons un autre exemple Lamech fut le père :

voi(> mauvaise, nous serons à l'abri de tout re- de Noé, de ce Noé qui vécut au temps du dé-
proche, de toute accusation. Ces paroles, mou luge ; ce Lamech n'était ni juste, ni agréable à

bien-aimé, pour que vous ne vous trou-


c'est Dieu, ni approuvé de Dieu ; car, s'il eût été
bliez pas, quand vous entendez d ire qu'Abra- juste, agréable à Dieu, approuvé de Dieu, l'E-
ham eut pour père un impie. Car Timothée ( riture ne dirait pas (jue Noé seul fut trouvé

lui-même eut pour père un impie. C'était le juste, au milieu des hommes
de son temps.
fils d'une femme juive, fidèle et d\in père , (Gen. VI, 9.) L'Ecriture n'aurait [)as omis de
gentil. (Actes, xvi, i.) Que son père soit resté mentionner le père de l'homme juste, si ce
impie et ne se soit pas converti, c'est ce qui res- père eût été juste lui-même. Eh bien! (|ue fit-
sort du passage où Paul, célébrant la foi de il? Il donna à son fils un nom qui rerftrmait

Timothée s'exprime ainsi Me représentant : une grande indication des choses à venir. Le
cette foi sincère qui est en vous, qu'a eue pre- nom donné au juste, était une prophétie. (Gen.
mièrement Loïde, votre aïeule, et Eimice votre V, 29.) Ce nom, en effet, mon'rait le déluge

mère , et que je suis très-persuadé que vous qui allait venir. Comment le déluge qui allait

avez aussi. [II Tim. i, 5.) On ne trouve nulle venir, se montrait-il dans le nom de Noé?
part le nom de son père, et pourquoi ? C'est Noé, en hébreu, signifie, celui qui fait reposer,
que persévérant dans l'impiété, cet homme ne car Nia, en syrien signifie repos; de même
,

méritait pas d'être nommé avec son fils. Que donc que, du mot Abar, qui signifie au-delà,
les apôtres aient eu aussi des parents égarés, on a fait Abraham; de même que, de ^dem,
c'est ce que le Christ a déclaré par ses pa- qui signife terre, on a fait Adam, qui .-ignifie

roles Si c'est par Béelzébub que je chasse les


: sorti (le la terre; de même ici, de Nia, qui
démoTis, par qui vos enfants les chassent-ils '/
signifie repos, ou a fait A^oc, qui signifie qui
iU TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

fait reposer. Ce dernier sens tient à l'altération maladies, qu'aucun remède ne peut guérir,
du mot. En effet, il l'appela Noé en disant : quand la mort survient, a trouvé le repos;
Cdia-ci nous fera reposer. (Gen. v, 29.) C'est telle était cette génération d'hommes, sembla-
le déluge qu'il appelle repos car c'était du,
bles à des corps atteints de maladies incura-
temps de Noé que le déluge devait arriver; bles sans aucun espoir de guérison ; le déluge
or, le déluge fut une mort, mais la mort est qui les a surpris, les arrachant à leurs maux,
un repos pour Vhomme. (Job, m, 23.) Aussi leur a donné le repos. Car si la mort est un
appela-t-il l'homme qui fut contemporain du repos pour l'homme (Job, m, 23 à bien plus ,

déluge, celui qui fait reposer. forte raison, est-elle un repos pour ceux qui
G. Jene tourmente pas l'Ecriture, entendons vivent dans une corruption incurable elle ;

l'Ecritureelle-même Lamech ayant vécu cent


: les affranchit de leurs maux, elle ne permet
quatre-vingt-huit ans engendra un fils, qu'il pas à l'ulcère de l'impiété de progresser indé-
nomma Noé, disant : Celui-ci nous fera repo- finiment, au fardeau des péchés d'excéder
ser de 710S travaux, et de nos douleurs, et des toute en pesant sur nous. Rien de
ivicsure,
œuvres de nos mains, et 7ious consolera dans plus insupportable, de plus accablant que le
la terre que le Seigneur a maudite. (Gen. v, pé. hé rien de plus misénble, de plus fécond,
;

28, 29.) Que dites-vous, ISous fera reposer ? en douleurs, que la perversité et ses dérègle-
Pourquoi ne pas dire, celui-ci nous tuera ments. De là, les paroles du Christ, à ceux qui
celui-ci suscitera le déluge pourquoi dire au
;
vivaient dans le [léché. Venez à moi, vous tous
contraire, Celui-ci nom fera reposer? Toute la qui êtes fatigués, et qui êtes chargés, et je vous
création est bouleversée, tous les abîmes s'en- soulagerai. (iMatth. xi, 28.) Et vuilà pourquoi
trouvent, déchirés dans leurs pr ilondeurs, des Lamech a appelé le déluge un repos, c'est
hauteurs du épanchent tous
ciel, les cataractes qu'il devait, en survenant, mettre un terme à
leurs flots, plus rien piiiout, qu'une mtr la |)erversité. Je voulais prolonger ce discours;
étonnante, stupéfiante, cpouvantable; dans la be.iucoup de réflexions ont été omises (jui se
matière détrempée devenue la fosse com-
, rapportent au nom de Noé mais retenez dans ;

mune, la tombe de l'univers, se cachent à la votre mémoire, méditez ce que vous avez en-
cadavres des hommes, les cadavres des
fois les tendu, faites-en part à nos frères absents; épar-
chevaux, les cadavres des animaux sauvages, gnez-nous la nécessité de recourir encore à de
et ces ail'reuxmalheurs, cet affreux désastre, longs préambules, {)our montrercomment nos
répondez-moi, c'est ce que vous appelez un entretiens s'enchaînentterminons ce discours
;

repos? Oui, assurément, dit le texte. Car les par des prières; bénissons Dieu, qui nous a
hommes vivaient dans la corruption cette : permis de vous fiire entendre ces paroles; à
corruption, le déluge l'a retranchée ceux qui ; lui, la gloire, dans tous les siècles des siècles.
ont été affranchis de cette corruption, se sont Ainsi soit-il.
enfin reposés. Un corps possédé de diverses

Traduit par M. PORTE LETTB.


HOMÉLIES SUR ANNE.

AVERTISSEMENT.

L'orateur non? apprend hii-mêtr.e, presque au début du premier discours,


à quelle époque i) les a prononcés, et dans quelle
classe de sermons il faut les raneer. « avez-vous oublié celte l'poque du joùne, parce que nous
F'enl-ètre en efîet, dit-il,

avons eu depuis lors plusieurs enln-liens, et sur d'autres sujets. Car lorsque notre prélat fut de retour de son long voyage, il
fallait bien vous «lire tout ce qui s'etiit passé à la cour; il fut nécessaire ensuite de s'attaquer aux païens, afin d'en-
raciner parfaitement dans la foi, nos frères que voici, que leurs maux avaient rendus meilleurs, et qui avaient abandonné les
erreurs païennes pour se tourner vers nous; il fallait leur apprendre de quelles ténèbres ils;iviiient été délivrés et combien était
éclalanle de liiraière la vérité où Après cela, nous avons eu pendant plusieurs jours le précieux avanta<'e
ils étaient accourus
de la solennité des martyrs, et il n'aurait pas été convenable à nous, qui étions venus visiter leurs tombeaux, de nous retirer
sans accor er aux martyrs le tribut d"éloi;es qui leur est dû. Après ces éloges, est venue l'exhortation relative aux jurements :
car en voyant le peuple des campagnes tout entier qui avait afflué dans la ville, nous n'avons pas voulu les laisser partir sans
lesmunir tous de ce viatique. »
Chrysostome nous dit donc premièrement, qu'il raconta après le retour de Flavien, tout ce qui était arrivé au prélat, h la Cour
,

de l'empereur cela se rapporte à l'bomélie 21 , sur les statues (Tome n), qui fut prononcée après le retour de Flavien.
:

L'époque de ce retour est la tîn du Carême de .187, et le discours sur les statues fut prononcé le jour même de PAqiies;
S. Chrysostome le donne à entendre lorsqu'il dit au début Béni soit Dipu qui a bien voulu que nous célébrions aujourd'hui
:

avec vous cette snleunité sacrée dons les transports de la joie et de rallégresse. Après celte homélie, il en adressa une aux
Gentils, pour affermir quelques-uns d'entre eux qui, arrachés au paganisme par leurs malheurs, avaient embrassé la religion
chrétienne il rapporte ensuite l'argument et les principaux points de cette homélie, ou de ces homélies, s'il en a prononcé
:

plusieurs sur le même sujet; mais il est constant, ou qu'elles ont péri, ou qu'elles n'ont pas encore été retrouvées. Les
jours suivants, auxquels tombaient les fêtes des martyrs, furent employés à célébrer leurs louanges, mais S. Chrysostome
étaitabsent pour cause de maladie. Vint ensuite, dit-il, une exhortation à s'abstenir des jurements; elle était à l'adresse
des gens de la campagne , accourus en grand nombre dans la ville, il est presque certain que c'est l'homélie qu'on a placée la

dix-neuvième des homélies au peuple d'Antiochê (Tom. ii); car elle commence ainsi : KTTi-cupvjjars twv cc/wv /za/jT'/iuv iv
TaJraii r^iMiptu, Vous avez goûté, ces jours passés, les douceurs de la société des saints martyrs; ensuite,
Totïî £,uTr;0599-:v

l'orateur parle l'arrivée des habitants de la campagne, puis, sur l'obligation d'éviter le jurement, il s'étend plus au long
de
que dans les vingt autres homélies au peuple d'Antiochê, qui, presque toutes, renferment quelque chose contre les
jurements. C'est pourquoi toutes les marques consignées dans le premier discours sur sainte Anne , se retrouvent dans l'ho-
mélie dix-neuvième au peuple d'Antiochê. Voici donc l'ordre de ces discours: il faut placer en premier lieu l'homélie sur
le retour de Flavien, qui est maintenant la vingt-et-unième au peuide d'Antiochê; en second lieu, le discours ou les dis-

cours prononça contre les païens; en troisième lieu, les louanges des martyrs, qui furent célébrées plusieurs jours de
qu'il

suite, 7Tî»à,- »!,uî'ia,- en quatrième lieu, l'homélie que S. Chrysostome prononça devant les habitants de la campagne contre les
les jurements; entin ces cinq discours sur sainte Aune. C'est donc l'homélie sur le retour de Flavien qui ouvre la marche; et la
dernière, avant les discours sur sainte Anne, a été prononcée le dimanche Tr.i iiis'^^oyi-Jin, qui, suivant Leone Allacci , est le
v« après Pâques, celui qui précède l'Ascension. ?avile croit que c'est le dimanche de Quasiinodo; et Tillemont, celui de la
Passion. Je me suis rangé de l'avis de ce dernier dans la préface du tome II«. Mais je crains maintenant que cela ne
puisse pas ici s'accorder avec le reste, et je pencherais plutiJt pour l'opinion d'AlIacci , attendu que le dernier des
cinq discours sur Anne fut en effet , le mot /uîMTsvTrxorrjj qui s'est glissé deux fois
prononcé après la Pentecôte ;

dans le texte, est une erreur des copistes, comme nous le prouvons, aux endroits mêmes, h l'aide des manuscrits. Ainsi,
tout bien considéré , voici de quelle manière il faut coordonner les faits ; c'est un calcul qui demande pour être
compris, toute l'attention du Icleir. Parmi les discours dont nous venons de parier, la première place dans l'ordre chro-
nologique, appartient sans contredit à l'homélie sur le retour de Flavien, qui est la vingt-et-unième an peuple d'Antiochê :
S. Chrysostome la prononça le jour de Pâques, comme nous l'avons dit plus haut. Ensuite, il discuta contre les Gentils plusieurs
questions dont il rapporte les points principaux dans le discours qu'on va lire : a-t-il employé à les traiter un seul discours oa
plusieurs, c'est ce que nous ne savons pas. Puis vinrent les fêtes des .Martyrs, qui durèrent plusieurs jours, et pendant lesquellM
486 TRADUCTION FRAxNÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

on prononça des discours en leur honnpur c ci eut 'ieu en présence et sous la direction du chef, comme dit S. Chrysoslonoe,
:

c'est-à-dire de l'évêque Flavien car S. Chrysoslome était alors retenu chez lui parla maladie, ainsi qu'il nous l'apprend lui-
:

même au commenreiiierit de l'homélie 19 aux habiianis d'Antiocbe, prononcée crmtre les jurements et à l'adres e des habitants
de la campagne qui étaient venus à Antioche. Ce sermon, prononcé comme l'indique le titre, le dimanche rf.; s7:t7CjÇ'.,usvj;f,
est actuellement le dix-neuvième des homélies au peuple d'Antiocbe mais il s'élève une difficulté contre cet ordre d'homélies.
:

En eflel, S. Chrysoslome dit dans la dix-neuvième, qu'il est resté malade chez lui pendant qu'on célébrait les fêtes de? martyrs or, :

djns la première homélie sur Anne, il n'est fait aucune mention de maladie ; et il semble même qu'à celte époque S. Chrysoslome
ait prononce des discours sur les martyrs, ou du moins, ait pu en prononcer; en effet, bien qu'il ne dise pas en piopres termes

que ces discours ont été prononcés par lui, il dit clairement une chose, c'est que les louanges des martyrs l'empèchèrenl de traiter
un autre sujet. Mais c'est l'habitude de S. Chrysoslome, dans les résumés de ce genre, de passer sous silence beaucoup de détails,
qui ne feraient qu'embarrasser; el comme il avait déjà parlé de sa maladie dans l'homelie précédente, qui est la dix-neuvième,
aux habitants d'Antiocbe, il n'^ pis voulu se répéter dans le premier discours sur Anne, lequel fut prononcé immédiatement
après. Ainsi, des deux cause? qui l'avaient empêché de traiter le sujet qu'il s'était proposé, il en a passé une sous silence,
c'était sa maladie; et il a f.il mention de l'autre, savoir les fêtes des martyrs. De plus, on voit parla que le dimanche r^; ^ti-
owÇ<i|Uevr;î u'est pas le dimanche de la Passion; car d'abord Flavien était déjà revenu depuis plusieurs jours, ce qui ne peut

convenir au dimanche do la Passion; et en outre, ce discours a été prononcé, comme on l*a vu plus haut, longtemps a, .ces
l'homélie sur le retour de Fiavien, qui l'a été le jour même de Pâques. Le dimanche t-^î irtscu^sy.sv»;,- ne peut pa= è'.re non
plus le dimanche de la Quasimodo, comme le veut Savile car les six jours qui séparent ces deux dimanches ne sont pas un temps
;

suffisamment Ion? pour avoir pu comprendre tant de choses, savoir le discours sur le retour de Flavien, une ou plusieurs dis-
cussions cont.e les Gentils; les fêtes des martyrs célébrées plusieurs jours durant TTo/Ààs nue/ia,-, lamaladiedeS. Chrysostomo et
Bon iéiab!issement. Aussi, malgré le scrupule mentionné ci-dessus, nous rangeons-nous à l'avis de Leone Allacci, qui pense que
c'est le ve dimanche après Pâques, lequel précède l'Ascension. De cette manière tout s'accordera; car aussitôt après ce discours
à l'adresse des gens de la campas-'ne, il aira prononcé son premier discours sur Anne, soit le lundi avant l'Ascension; le se-
cond, le vendredi, lendemain de l'Ascension; le troisième, le lundi de la semaine suivante; le quatrième, que i.ous n'avons
plus, le mercredi; le cinquième, le vendredi; ensuite est venu le sixième discours, prononcé après la Pentecôte; du reste, si

nous assignons ces jours-là plutôt que d'autres, c'est uniquement pour prouver que la chose a été possible car nous accor- :

dons que ces sermons ont bien pu être prononcés d'autres jours que ceux-là.
Comme nous venons de le dire, le quatrième sermon est perdu, ce que l'on infère d'un passage du discours actuellement intitulé
le quatrième par suite de la perte de l'autre. C'est au troisième paragraphe, où S. Chrysoslome dit qu'il a expUqué dans le dis-

cours précédent, ces paroles du cantique d'Aune Mon cœur a été affermi dans le Seigneur, etc.; or, on n« trouve pas le
:

commentaire de ce texte dans le discours qui est acluellemeat le troisième.

PREMIÈRE HOMÉLIE.

QU IL FAUT SE SOUVENIR DU JEUNE MEME LE JOUR DE LA PENTECOTE ET EN TOUS LES TEMPS; QUE
NON-SEUI.EMENT l'aCTUALITÉ MÊME DU JEUNE, MAIS QUE LE SOUVENIR EN EST UTILE. DE LA —
PROVIDENCE DE DIEU ;
QU'eNTRL AUTRES CHOSES CE NEST P.AS UN DE SES MOINDRES EFI KTS QUE
l'amour NATUREL DES PARENTS POUR LEUR PROGÉNITURE ET QUE CE n'EST PAS AUX PÈRES SEU- ;

LEMENT , AUX MÈRES, QU'iL EST ENJOINT DE FORMER LEURS ENFANTS.


MAIS ENCORE A LA FIN —
DU DISCOURS, l'orateur PARLE d'aNNE.

ANALYSE.

I. L'orateur fait voir les avantages du jeûne. — 2. Il résume une homélie prononcée contre les Genlils. et ^ ce propos résout
deux questions, savoir : comment Dieu instruisait autrefois les hommes; et pourquoi, tandis que ks corps «'éltsles joiiiss.'ul

d'une immortelle jeunes«"\ les nôtres sont assnjétis à tant de maladies et à la corrui'tion. — 3. Diru ,
pour se faire « tuiiDitre
de tous les hommes, leur a donné : le spectacle de la cré,ilion, la conscience, et leurs pères el inèies Kugendter ne fait pas
tant le véritable père que bien élever se> enfants; ainsi, on devient père plus par le libre arbitre que par la nécessité de la

nature. — 4-6. C'est aux mères surtout qu'il convient de bien élever leurs enfants. Histoire d'Auoe, mère de àamuel.

\. Lorsqu'un étranger est descendu citez pris congé de nous ; le jour qui suit ce dt'p'^rt,

nous, (lue nous l'avons lu''luMg('Miucl(ii)(>s jours iju.uid le repas est servi, nous nous Sduvcu'us
avec bonlé, le faisant prendre pari a nos eon- atis^ilot de eet hôte, de sa l'ersoime, di ?l'.< rii-

versalious et à notre table, et qu'eusiiile il a trctiens, et, pleins d'alTcclion [lour lui, nous
HOMÉLIES SUR ANNE. — PREMIÈRE HOMÉLIE. A87

troiiTons qu'il nous niatn|iic. Faisons la nirme parts. Ce n'est plus cela maintenant: à pe ne
chose à l'é^'ani du jeune. Il s'est arièle chez l'aurore a-t-elle lui, (|ue les cris reienli-si ut,
nous pendant «juaranle jours, nous l'avons reçu le tunuiltc est partout, les cuisiniers vont et
avec bienveillance, |iiiis nous l'avons laissé viennent tout affairés, la fumée obscurcit fou-
partir; niainlinaiit donc, sur le point de servir tes l s maisons, et aussi toutes les pensées, car

le festin spiriluel, souvenons-nous du jeûne, les passions brûlent au fond de notre en ur, et

et de tous les biens dont il a été la source jinur la llanmie des désirs déréglés monte soufflée
nous. Car ce n'est pas seulement l'actualilé du par le luxe. C'est |)our<juoi nous cherchons en-

jeûne, mais c'est en(;ore le souvenir (|ue l'on core le jeûne (piaiid il est parti, car c'était lui
en garde, qui est capable de nous procuierles qui réprimait tout cela. El nous avons lassé
si

plus grands avantages. Kt comme ceux que ce qu'il a de pénible, ne renonçons pas à le
nous aimons nous remplissent d'une grande désirer, et n'en éteignons pas le souvenir :

joie non-sruleintnt (junnd ils sont la, mais aussi mais lors(iu'après le repas et le sommeil vous
lorsqu'ils nous reviennent à l'esprit; ainsi les vous rende/ à la place publi(iue, et que déjà
jours de jeûne, et ces réunions, et ces exei ci- vous voyez la journée marchant à grands pas
ces en commun, et les autres fruits que nous Vers le soir, alors entrez dans celte église, ap-
en relirons, nous récréent encore par leur seule prochez de celte chaire, et là souvenez-vous
mémoire, et si nous rassemblons dans notre du teuq)s du jeûne, où le temple était rempli
pensée souvenir de tous ces bienfaits, nous
le de monde se pressant autour de nous, où le

y gagnerons beaucoup, même jiour le temps zèle était ardent pour entendre la parole, où
actuel. Je ne veux pas par la vous forcer a jeû- grande était la joie, où toutes les âmes étaient
ner, mais vous exhorter à ne pas vous aban- en éveil rassemblant dans voire |>ensée tous
;

donner au luxe, et à ne pas imiter le plus ces détails, rappelez-vous ces jouis dé^irables.
grand nombre des honuues, si toutefois il faut Sivous êtes au niomenl d' vous mettre à table,
donner le nom d'hommes à des êtres qui ont ayez-les encore à la mémoire en touclianl à

l'àme si peu élevée; le plus grand nomb'e on vos mets, et jamais vous ne pourrez vous 'ais-
effet,semblables a des gens qu'on vient de dé- ser entraîner a l'ivresse? mais de même (piun
chaîner, à des échappés de prison et d'une homme ([ui possède une épouse respectable,
prison rigoureuse, se disent l'un à l'autre : vertueuse et digne, brûle pour elle d'un amour
Enfln nous voici au bout de cette rude tra- solide, et, même en son absence, n'ira jamais
versée du jeûne; et d'autres, encore plus pu- s'éprendre d'une femme [)erdueet débauchée,
sillanimes, ont déjà peur du Carême à venir. car son affection pour celle qui n'est pas là
Cela vient de ce que, tout le reste du temps, maîtrise sa pensée, et en ferme l'accès à tout
ils se livrent à tous les excès du luxe, de la dé- autre amour : ainsi en arrive-t-il relativement
bauche et de l'intempérance dans la boisson. au jeûne et à l'ivresse. Oui, si nous gardons la

De sorte que si nous nous étions étudiés à vi- mémoire de la pratique noble et vertueuse du
vre les jours ordinaires datis la sévérité, dans jeûne, nous repousserons avec une grande fa-
la réserve, nous regretterions le jeûne passé cilité l'ivresse, cette prostituée banah , eciie
et nous accueillerions pleins de joie celui (|ui mère de bute infamie, car le souvenii- l'a- 1 1

doit venir plus tard. En effet, que résulte-t-il mour du jeûne, mieux que le bras le pins \i-
pour nous du jeûne (|ui ne soit un avantage? goureux, écarteront l'impudente. Pour tous
Tout est dans un calme profond, tout nage au ces motifs, je vous exhorte donc à conseiver
sein d'une sérénité pure. Les maisons elles- toujours ces grands jours présents à votre es-
mêmes ne sont-elles pas affranchies du tumulte, prit et afin de contribuer moi-même en quel-
;

de l'agitation, des troubles de tout genre ViMais que chose à cette souvenance, je veux me
plus encore que les maisons, l'esprit de ceux hasarder à vous proposer aujourd'hui ce
qui jeûnent est favorisé de cette tranquillité; même sujet que je me préparais à traiter
et la ville entière se modèle sur ce bon ordre alors, afin que la ressemblance de l'enseigne-
qui règne dans les habitations et dans les ment fasse naître en vous le souvenir de cette
âmes. On n'entend point le soir des gens qui épocjue. Peut-être en effet l'avez-vous oubliée,
chantent, ni dans le jour des gens bruyants et parce que nous avons eu depuis lors plusieurs
enivrés, des gens qui crient et qui se battent : entretiens, et sur d'autres sujet>. Car lorsque
c'est au contraire un grand calme de toutes notie prélat fut de retour de son long voiage,
488 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

ilfallait bien vous dire lont ceqni?'élnit passé ensemble, tant cette infinie magnificence dépas-
à lacourdercmpereur; ilfut nécessain-ensiiite sait la portée de notre esprit, tmt cet ensemble

de s'attaquer aux paït-ns, afin d'enraciner par- échappait à sa compréhension: Quêtes œuvres
faitement dans la foi nos frères que voici, que sonf.magni/îyues, Seigneur: Tuas fait tout avec
leurs maux avaient rendus meillei'rs, et qui sagesse. (Ps. xct , 6.) Mais ce n'est pas seHle-
avaient abandonné les erreurs païennes pour ment nombre de ces ouvrages qui nous
le
se tourner vers nous ; il fallait leur apprendre faisait admirer la sagesse de Dieu, c'est encore
de quelles ténèbres ils avaifMit été délivrés, et la beauté, la grandeur, la magnificence mer-
combien était éclatante de lumièro la vérité où veilleuse de la Création c'est aussi que, :

ils étaient accourus. Apres cela, nous avons eu en même temp?. il a déposé dans les cho-
pendant jdnsieurs jours le précieux avantage ses visibles des indices qui attestent pro-
de la solennité des martyrs, et il n'aurait pas prement la faiblesse d'une part, : afin d'être
éié convenable à nous, qui étions venus visi- admiré par sa sagesse, et d'attirer à son culte
ter leurs tombeaux,, de nous retirer sans ac- ceux qui ont ces merveilles sous les yeux ;

corder aux martyrs le tribut d'éloges qui leur d'autre part, afin que ceux qui en com-
est dû. Apres ces éloges est venue l'exbortation templent la grandeur et la beauté, n'aillent
relative aux jurements : car en voyant le peu- pas en oublier l'auteur et porter à ses œuvres
ple des campagnes tout entier qui avait afflué les hommages qui ne sont dus qu'à lui, aver-

dans la ville, nous n'avons pas voulu laisser tis par la faiblesse qu'elles révèlent de ne
partir ces gens sans les munir tous de ce via- point s'abandonner à un pareil égarement. Et
tique. comment toute la Création est périssable,
2. Aussi ne sauriez-vous rapporter sans peine comment elle se transformera pour s'améliorer,
la discussion que nous avons alors soutenue et participera ensuite aune gloire plus grande,
contre les païens. Mais moi, qui n'ai jamais et quand, et pourquoi cela s'accomplira, et pour
cessé de m'occuper de cette controverse, et d'y quelle raison elle est née périssable, nous avons
apporter toute mon application, il me sera examiné alors tous ces points avec vous ; et nous
facile,en vous rappelant quelques-unes des vous avons fait voir en ceci même la puissance
paroles que je dis alors, de vous remettre en de Dieu, qu'elle réalise dans des corps mortels
en mémoire tout le sujet du discours, quel toute cette beauté que nous voyons et que
était donc notre sujet ? Nous recbercliions Dieu leur a dès l'origine, assignée, par exem-
comment dès l'origine Dieu avait songé aux ple dans les astres, dans le ciel, dans le soleil.
:

intérêts de la race humaine, comment il En effet, il y a lieu de s'étonner, que depuis


l'avait instruite de ce qu'il lui importait de tant de siècles, ces choses n'aient ressenti
savoir, à une époque où l'écriture n'existait aucun des accidents qu'éprouvent nos corps,
pas , où les saints Livres n'avaient pas été qu'elles ne soient ni affiiblies par l'âge, ni amol-
octroyés: et nous faisions voir que c'est parle lies par la maladie, par les infirmités, mais

spectacle de la Création qu'il amena les hommes qu'elles conservent au contraire invincihle-
à le connaître lui-même. Alors vous saisisisant, ment, l'énergie, la beauté que Dieu comme ,

non par la main, mais par l'intelligence, je vous je l'ai dit plus haut, leur a départies en propre
ai promenés à travers toute la Création, vous dès l'origine; que le soleil n'ait rien perdu de

montrant le ciel, la terre, la mer, les lacs, les sa lumière, que l'éclat des astres n'ait nulle
fontaines, les fleuves, les vastes mers, les prai- ment pâli, que la splendeur du ciel ne se soit
ries, les parcs, les moissons florissantes, les pas évanouie, (pie les bornes de la mer n'aient
arbres chargés de fruits, les cimes de^ monta- point été déphuées, ipie la terre ait conservé
gnes ombragées de bois ;
je vous ai parlé des la même aptitude à mettre au jour tous les
graines, des herbes, des fleurs, des plantes qui ans (le nouveaux fruits.

produisent des de celles qui n'en don-


fruits, Que ce sont là choses périssables, c'est ce
nent point, (les animaux soit domestiques, soit (jue nous vous avons prouvé et par le raison-
sauvages, soit terrestres, soit aquatiques, soit luMuent par les di\iues Ecritures: mais ce
et
amphibies, de ceux qui fendent l'air, de ceux (lu'ellesontde beauté, de splenikur,etcomment
qui rampent sur le sol, enfin des éléments elks ont gardé tout l'éclal de leur fraîclunr,
même qui constituent l'Univers, et, à chacun lesyeux de ceux (pii les voient (u p^rliLt cha-
de ces tableaux, nous nous écriions tous que jour témoignage j et c'est ce qu'il faut sur-
HOMÉLIES SUR ANNE. — PREMIÈRE HOMÉLIE. 489

tout admirer dans la Divinité qui les a créées 3. En outre, le terme de notre carrière n'est
au connntncenient. Tel était notre lanj^age : point en ce monde lors(|ue nous aurons bien;

mais qut'lques-uns nous faisaient des objec- usé des leçons de la vie présente, Dieu ressus-
tions: L'homme, disaient-ils, est donc ce citera nos corps au sein d'une gloire plus
qu'il y a de |)lus bas parmi les choses visibles, grande il les rendra plus éclatants que le ciel,
:

puisque le ciel, la terre, le soleil, tous les que le soleil, que toutes les autres créatures,
astres, ont pu garder leur forme intacte pen- il les appellera au repos d'en-haut. Voilà donc

dant un si long temps, tandis (jn'au bout de une initiation à la connaissance de Dieu, l'é-
70 ans l'homme se dissout et péril. A cela nous tude de la création dans son ensemble. Mais il

aurions pu ré|)ondre d'abord (jue ce n'est y en a une autre qui n'a pas moins de valeur,
point l'homme tout (Mitier qui périt, qu'au l'initiation de la conscience ce point encore, :

contraire, la partie souveraine et essentielle de nous l'avons exposé complètement et en détail,


son être, à savoir l'âme, persiste dans l'im- faisant voir comment nous pouvons nous ins-
niortalité, à l'abri de toute dissolution, et que truire par nous-mêmes dans la science du bien
la portion inférieure est seule sujette à la etde son contraire, et comment la conscience
mort. Mais en second lieu cela même est pour nous révèle intérieurement tout ce (jui con-
nous une prérogative d'honneur. En effet, ce cerne cet objet. Voilà les deux maîtres qui
n'est point en vain, ni sans motifs, c'est juste- nousontétédonnéstoutd'abord, la création et la
ment et pour notre bien que nous sommes en conscience : maîtres nuietsciui dès lors instrui-
butte à la vieillesse et aux maladies justement : saient les hommes en silence. En effet la créa-

parce que nous sommes tombés dans le péché; tion, en frappant la vue de celui qui la con-
pour notre bien, parce (jue l'orgueil, engendré temple, l'amène du spectacle de l'univers à
en nous par le relâchement, trouve un remède l'admiration de son auteur : et la conscience,
dans cette faiblesse et dans ces aftlictions. Ce par la voix intérieure qu'elle nous fait entendre,
n'est donc point pour nous abaisser que Dieu nous enseigne tous nos devoirs. D'ailleurs son
a permis cela. Car s'il eût voulu nous ravaler, pouvoir et ses arrêts nous sont manifestés
il n'aurait point souffert que noire âme fût même ilans les objets visibles. En etlet, lors-

immortelle. Ce n'est point non plus par im- qu'elle porte intérieurement témoignage
puissance qu'il a fait notre corps tel qu'il est. contre une faute, elle bouleverse extérieure-
Car, s'il était impuissant, il n'aurait pas su ment les traits du visage, et les rem|)lit de
faire subsister si longtemps le ciel, les astres confusion. C'est elle encore qui nous fait pâlir
et la figure de la terre. Mais il a voulu nous et trembler, nous sommes surpris
lors(iue
rendre meilleurs, plus sages, plus soumis a sa dans (juelque action déshonorante et quand :

volonté, ce qui est le fondement de tout salut. bien même la voix reste muelte, l'expression
Voilà pourquoi, il a exempté ju?qu'ici le ciel visible des traits rend manifeste l'indignation
de la vieillesse et des autres infirmités de ce du juge deux précepteurs,
intérieur. Outre ces
genre; en effet ce qui ne possède ni àme, ni nous démontre que la sollicitude de
la raison
volonté, est incapable de faillir comme de s'a- Dieu nous en a donné un troisième, non |)lus
mender : le ciel n'avait donc pas besoin d'être un précepteur muet comme les précédents,
ainsiremis dans la bonne voie. Mais nous, qui mais un conseiller doué de la parole, qui règle
avons le privilège de Tàme et de la raison, nos pensées par ses avis. Quel est ce nouvel
nous avions besoin de la sagesse, de l'humilité instituteur? Le père assigne a chacun de nous.
que nous inspirent ces aiflictions, à telles en- En effet, si Dieu a voulu que nous fussions

seignes qu'à l'origine, le premier homme, se aimés par nos parents, c'est pour que nous
laissa tout d'abord emjiorter à l'orgueil. D'ail- ayons des maîtres de vertu. Car ce qui fait le
leurs, si le ciel, aus: i bien que nos corps, avait père, ce n'est point seulement l'acte d'engen-
besoin d'entretien et était sujet à vieillir, cha- drer, c'est encore une bonne éducation, de
cun aurait pu accuser d'une profonde impuis- même que pour être mère, il ne suffit point
sance le Créateur, incapable de faire subsister d'avoir enfanté, il faut encore savoir nourrir.
un corps durant de longues révolutions d'an- Que je dis la vérité, que ce n'est point le sang,

nées mais on ne peut plus alléguer cette rai-


: mais la vertu qui fait les pères, c'est ce dont
son, en présence d'ouvrages qui existent de- les parents eux-mêmes conviendraient avec
puis si longtemps. nous. En effet, voient-ils leurs fils se pervertir
490 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

et s'abandoniifr nu rlcrc}:lement : il n'e<t dit( s-moi, qu- d'avoir fait une loi de l'amour,
pas rare qu ils les rejcUint de Inir famille, et et d'avoir prescrit à cet
limite, que amour une
les renient pour iidopler d'autres fils, lesquels d'avoir enfin assigné une récompense à celui
souvent ne tiennent a eux d aucun côté. Or, qui aura bien élevé ses enfants ? La preuve que
quoi de plus extraordinaire, que de les voir cette récompense existe, et non-seulement en
rejeter ceux qu'ils ont engendrés, et appeler faveur des hommes, mais encore pour les
chez eux des enfants qui ne leur doivent point femmes, vous allez la trouver
dans beaucoup
le jour? de passages oîj l'Ecriture parle de ce sujet et
Ce que je viens dédire n'est point sans objet: s'adresse aux femmes, aux femmes, dis-je, non
je voudrais vous faire comprendre que la vo- moins qu'aux hommes. La femme séduite, dit
lonté est plus forte que la nature, et contribue Paul, tomba dans la prévarication^ et
il ajoute:

plus que celle-ci à faire des fils et des pères. Et toutefois elle sera sauvée par la (jénéraVon
c'est encore un trait de la sollicitude divine, de des enfants. (1 Tim. u, i\, l.*).) Voici le sens de
n'avoir pas permis que le soutien desaiiections ses paroles. Tu parce que la
souffres, dit-il,

naturelles fît défaut à l'enfant, sans cependant première femme t'a jetée dans la peine, dans
leur tout accorder. En efl'et, si les parents n'a- les douleurs de l'enfantement, dans les ennuis
vaient pour leur tils aucun attaclienienl dicté d'une longue gestation? Mais ne t'afflige
par la nature, si le caractère et lu conduite dé- point ces douleurs, ces peines, ne sont point
:

terminaient seuls leur affection, on verrait bien pour toi un dommage égal au profit que tu
des enfants exclus de la maison paternelle pour peux retirer, si tu le veux, et que tu saches
n'avoir point travaille a mériter celte allèciion, trouver une occasion de bonnes oeuvres dans
et les fcimilles seraient di-persées. Au contraire l'éducation de tes enfants. En effet les enfants
siDieu avait tout accordé à la tyrannie du de ton sein, si tu leurs donnes les soins con-
sang, s'il n'avait pas permis que les enfants venables, si ta sollicitude leur inspire la vertu,
pussent encourir la haine par leurs vices, si deviendront pour toi un principe, une cause
les pères, même offensés par leurs enfants et de saîut, et outre tes jiropres mérites, tu re-
en butte, par leur tait, à mille maux, persis- cueilleras une ample récompense des soins que
taient i)ar la force invincible du sang a leur tu auras donnés à cet ouvrage.
prodiguer des soins pour prix de leuis outrages A. Et pour vous faire entendre, que ce n'est
et de leur irrévérence, notre race aurait glissé point l'enfantement qui fait la mère, et qu'elle
dans un abîme de misèns. En ellel, si aujour- ne mérite |)ar là aucun»; récompense, ailleurs
d'hui même, les enfants, que la nature ne ras- encore, Paul s'adressant aune veuve dit cette
sure pas tout-à-fait, qui savent que beaucoup parole Si elle a élevé ses enfants. (I Tim. v, 10.)
:

de leurs setnblables, pour avoir niamiuf à leurs Il ne dit pas si elle a eu des enfants, mais si
connue de
devoirs, ont été exclus de la maison elle a élevé ses enfants. En eOet dans le premier

riiéritage paternel, néanmoins, en beaucoup cas, c'est la nature, dans le deuxième, c'est la

d'occasions, comptent assez sur l'attachement volonté qui agit. Voilà pourquoi dans le pre-
de leurs parents pour leurmanciuerde res|>ect : mier passage, après avoir dit Elle sera sauvée :

à quels excès ne s'abandonneraient-ils jias, si par la génération des enfants, il ne s'en tient
Dieu n'avait pas permis aux pères, de s'irriter, pas mais voulant montrer que ce n'est pas
là,

de |)unir, de chasser leurs enfants coupables? en metUmt au jour des enfants, mais en éle-
Voila pourquoi Dieu fit de la force du sang et vant ses enfants comme il faut, qu'on mérite
de la manière d'agir des enfants le double fon- une recompense, il poursuit en ces termes:
dement de l'affection paternelle, alin ipie les S'ils demeurent dans la foi, la charité et la
fautes pardonnables obtiennent leur indul- S(u'nteté jointe à la tetn^iérance. Il veut dire :

gence, grâce à l'instinct de la nature, et (pie, Ta récompense sera belle, si les enfants que ta
si les enfants deviennent vicieux et cpu' leurs auras mis an jour denieiirenl dans la charité
défauts soient incurables, ils ne les habituent et dans la sainteté. Si (h ne tu leur inspires ces

pas au mal par une condescendance coupable vertus, si lu les y exhortes, si tu les leur en-

pour leur perversité, ce (pii arrixerait si la seigne, si tu les leur conseilles, Dieu te récom-
nature reprenait le dessus it pouvait les déter- pensera amp'enitNiî de t ssoiii-^.

miner impérieusement à traiter avec égard Que les fe: m. s ne n usidèrent dune point
des enfants pervertis. Qi^i'^Hi^ prévoyance, comme le devoir dautrai les soins à donner
HOMÉLIES SUR ANNE. — PREMIÈRE HOMÉLIE. Ml

aux emàr*^' ^'"^^ o" garçons. En v'^ffet, l'A- berons dans quel(|ue infortune, quelle que

pôtre, on CCS
;*''^ssagos , ne distingue pas les soit notre peine, notre douleur, quelciU'" in-

sexes; mais, dans Ui7 endroit, il dit : 5/ cHe a tolérables que nous paraissent nos maux, ne
élevé ses enfants, et dans l'autre : S'ils pi''^'-^ orécipitons rien, ne désespérons pas, comp-
sisteiU dans la foi, dans la churilé et dans la toirs sur la providence divine. Car Dieu sait

sainteté. Nous devons donc nous occuper des Wen quand nous délivrer de ce qui
il faut

enfants des deux sexes, et particulièrement des cause notre douleur Anne elle-même en fil
:

femuus, d'autant i)u'clles sont les [dus assi- l'expériCà.'ice. — En effet, ce n'était point par

dues à la maison. En efl'et, les hommes sont haine ni pà"'' aversion pour elle que Dieu fer-^

distraits par les voyages, par les soins de la mail son seiii'» pour nous ouvrir un
'nais bien

place publi(jue, par les affaires de l'Etat ; mais jour sur la sagv-sse de cette femme, pour nous
la fenune dispensée de tout souci de ce genre, faire contempler le trésor de sa foi, et con-
peut s'occuper plus aisément de sa progéni- naître qu'il la rendit par là plus glorieuse.
ture, grâce au loisir dont elle jouit. Ainsi fai- Mais écoutez la suite, b^t c'est ainsi qu'elle fai-

saient les feumies de l'ancien temps car ce : sait chaque année depul'^ longtemps alors ,

n'tst pas seulement jtour les lioinmes, c'est qu'elle montait dans la ma>:^<'ii du Seigneur.
encore pour les femmes que ce devoir est ri- Elle était triste, elle pleurait et ne mangeait
goureux : je parle des soins qu'on doit à ses pas. (I Rois, I, 7.) Douleur prolon^^ée, durable
entants, et des efforts pour leur inspirer la sa- chagrin, non chagrin de deux ou trois jours,
gesse. — Pour vous en donner la preuve, je ni de vingt ou de cent, ni de mille, ni du
vou.s raconterai une antique Listoire. Il y avait double. Depuis longtemps, est-il écrit, depuis
chez les Juifs une femme nonunée Anne. Cette bien des années cette femme était dans la dou-
femme demeura longtemps atteinte de stéri- leur et dans la peine. — Car voilà ce qu'e si-
lité, et ce qu'il y avait de plus fâcheux, c'est gnifie l'expression du
cependant elle texte, et
que sa rivale était mère de nombreux enfants. ne tomba point dans l'abattement le progrès ;

Or, vous savez qu'en soi-même et par sa na- du temps n'eut point raison de sa sagesse, non
ture cette infirmité est pour les femmes un mal- plus que les outrages et les injures de sa ri-
heur insupportable mais la vue d'une rivale
: vale mais elle ne cessait d'adresser des
:

mère d'une famille nombreuse le rend en- prières et des vœux : et ce qui surpasse tout,
core plus pénible. Car la félicité de celte autre ce qui montre mieux que tout le reste son
femme fait mieux malheureuse sa
sentir à la amour pour Dieu, ne désirait c'est qu'elle
propre infortune. C'est ainsi que les homjnes point simplement avoir cet enfant, elle vou-
réduits à la dernière misère éprouvent encore lait consacrer ce fruit à Dieu lui offrir les ,

plus de chagrin à la vue des riches. Et son prémices de son sein, et recevoir la récom-
malheur n'était pas seulement de n'avoir point pense de cette belle piomcsse. Qu'est-ce <pii
d'enfants, tandis que l'autre en avait; c'est le prouve ? Les paroles qui viennent ensuite.
que, de plus, cette autre était sa rivale que : Vous savez tous certainement que si la stéri-
dis-je? une rivale qui excitait son courroux lité est pour les femmes un malheur aussi
par le mépris qu'elle lui témoignait. Mais intolérable, c'est surtout à cause de leurs ma-
Dieu voyant toutes ces choses n'était point ris.Beaucoup d'hommes, en effet, sont assez
ébranlé, et le Seigneur né lui donna point déraisonnables pour faire des reproches à
d'enfant dans ses tribidaiions, et dans le dé- leurs femmes, quand elles n'enfantent point,
couragement de so)i àme. (1 Rois , 6.) Que , i ignorant que la naissance des enfants a son
\eut dire ceci : Dans ses tiibulations ? Cela si- principe la-haut, dans la providence de Dieu,
gnifie : On ne peut dire que Dieu lui ait fait et que ni la constitution de la femme, ni ses
attendre un enfant, parce (ju'il la voyait sup- relations avec son époux, ni rien de pareil ne
porter légèrement son infortune : mais, bien suffisent pour la rendre mère. Néanmoins, et
qu'il la vît déchirée de douleur, de tristesse lors même qu'ils connaissent l'injustice de
et d'affliction, néanmoins il ne fit point cesser leurs reproches, ils s'emportent, se dégoûtent
sa peine, parce qu'il avait d'autres vues plus souvent , et se montrent mal disposés pour
hautes. —
Il ne faut pas écouter ceci légè- leurs femmes.
rement, mais en tirer dès maintenant une 5. Voyons donc si la même chose arriva pour
grande leçon de sagesse ; et lorsque nous tom- la femme dont je parle. En effet, si vous la
492 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

voyez méprisée, outragée, vilipendée, réduite réclamer secours de personne, et fendant


le

à se taire devant son époux, et traitée par lui cette compacte, adresser librement la
foule

avec peu d'affection, vous pourrez conjecturer parole au monarque, et exposer à ses yeux

que si un enfant, c'était pour


elle souhaitait l'affreux tableau de sa [iropre infortune, sans
avoir son francparler, une pleine liberté, et autre introducteur que la nécessité. De même,
obtenir plus d'amour de la part de son mari. Anne, sans rougir, sans éprouver de confusion,
Mais si vous trouvez tout le contraire, à savoir voyant le prêtre assis, ose adresser elle-même
qu'elle était plus chérie que celles qui sont sa demande, exprimer en toute liberté ses
et

mères, qu'elle était entourée de plus d'affec- vœux au monarque; et, comme si l'amour lui

tion, il deviendra clair que ce n'était point donnait des ailes, comme si elle montait au
pour un motif humain ni pour s'attacher da- ciel en esprit, comme si elle voyait Dieu lui-
vantage son époux qu'elle désirait un cnfLin», même, elle lui parle avec toute la ferveur qui
mais bien pour la raison que j'ai dite. Comment est en elle. Et que dit-elle? Ah! plutôt, elle ne
donc éclaircir ce point? Ecoutez les propres pa- dit rien d'abord, elle débute par des gémisse-
roles de l'historien : car ce qu'il en dit n'est ments, elle verse un torrent de larmes brûlantes.
point écrit sans but, mais afin de vous faire Quand les pluies tombent, la terre la plus dure
connaître la vertu de cette femme. Que dit-il se mouille, s'amollit et s'empresse dès lors de
donc? Elcana chérissait Anne par-desms Phe- produire ses fruits. La même chose arriva pour
nanna. (I Rois, i, 5.) Ensuite, plus loin, la voyant Anne ; comme amolli par la pluie de ses
s'abstenir de nourriture et pleurer, il lui dit : larmes, comme échauffé par la douleur, son
Qu'as-tu donc, qui te fasse pleurer ? Et pour- seincommença dès lors à sentir l'aiguillon pré-
quoi ne manqes-lu pas .^ Et pourquoi ton cœur curseur de ce glorieux enfantement. Ecoutons
te frappe-t-ii ? Ke suis-je pas bon pour toi, au- le texte même, écoutons cette belle suppHca-
dessus de dix enfants? Voyez-vous combien il tion : Elle pleura, tout en larmes, et adressa
lui était attaché, et comme il s'affligeait prin- un vœu au Seigneur, en disant : ADONAI,
cipalement pour elle, non de ce qu'il n'avait SEIGNEUR. ELOl SABAOTH. I Rois, i, 10-11.)
point d'enfant, mais de la voir triste et en Mots redoutables et qui font frissonner, l'his-

proie à la douleur? Néanmoins


ne put lui il torien a bien fait de ne pas les traduire en
persuader de s'arracher au chagrin. Car ce notre idiome, car il n'aurait pu les faire passer,

n'était pas pour lui qu'elle souhaitait un en- avec leur vertu propre, dans la langue grecque.

fant, mais bien afin d'avoir un fruit à présen- Anne ne borne pas à invocjuer Dieu par un
se

ter a Dieu. Et elle se leva, dit l'Ecriture, après mot, elle emploie plusieurs de ses noms, mon-
qu'ils entrent mangé dans Sélom, et après qu'il s trant par là son amour pour lui et la ferveur de

eurent bu, et elle se tint debout devant le Sei- son ànie. Et de même que ceux (jui adressent des
gneur. Ce n'est pas sans intention qu'il est requêtes au monarque n'y écrivent pas un seul
écrit : Après qu'ils eurent mangé et qu'ils eu- nom, mais après l'avoir désigné en tète par les
rent bu; c'est pour vous montrtîr qu'elle con- noms de victorieux, d'auguste, d'empereur et

sacrait a la prière et aux larmes, étant à jeun beaucoup d'autres, exposent ensuite leur de-

et ne songeant point à dormir, le temps que mande de même Anne, dans


;
la requête qu'elle
d'autres passent dans le repos et dans la non- adresse à Dieu, le désigne en commençant par
chalance. Et elle se tint debout devant le Sei- plusieurs noms, manifestant par là, ainsi que
gneur, et le prêtre Hclie était assis sur son siège je l'ai déjà dit, la disposition de son âme, et

surleseuildu tenipledu Seigneur. Celle phrase : son respect pour Celui qu'elle invoque. Et ces
Le prêtre Uélie était assis sur le seuil du temple prières mêmes, ce fut la douleur qui les lui
du Seigneur, n'est pas non 1)!ms mise là au ha- dicta; aussi fut-elle exaucée promptement
sard; c'est afin de vous montrer la ferveur de comme une personne qui a rédigé sa re>|uèle

femme dont s'agit. En effet, comme on avec beaucoup de sagesse. Telles sont en eCTet
la il

voit souvent luie femme


veuve, sans protec- les prières qui partent d'une âme soulTranle.

teur, sans appui, en hutte à la perséeufiou et Sou esprit lui tint lieu do papier, sa langue de
à l'injustice, lorsque le monarque va passer, plMjiio, ses larujes d'encre. Aussi sa reipiète
a-t-elle subsislé juscpi'à ce jour. Car ce soûl
précédé de gardes du corps, de satellites, de
cavaliers, et de toute une iniposanto escorte, des lettres inetTayables que celles qui sont tra-
accourir sur son passage, sans s'effrayer, sans cées avec une encre pa.eille. Tels furent les
HOMÉLIES SUR ANNE. — PREMIÈRE HOMELIE. 493

préliminaires de sa requête. Voyons mainte- santé, au sortir des langes, au lendemain de


nant la suiti'. Si jcf'int les j/eux, dit-elle, vous l'accouchement, elle l'introduit dans le saint

regardez vers llntmiliation de votre servante. ministère, elle le jette sans réserve entre les

(I Rois, I, 11.) Elle n'a encore rien reyu, et elle bras de Dieu ; et ainsi, avant les douleurs de
commence sa |»rière par une promesse. Elle l'enfantement, son sein était déjà sanctilié par
témoigne déjà sa reconnaissance à Oieii (juand la présence d'un prophète, par le germe d'un
elle aencore les mains vides. Telle étiitsa fer- prêtre, par le fardeau d'une oltramle, d'une
veur, tant son désir se portait vers le but que ollrande animée. Voilà pourquoi Dieu la lais-

j'ai dit, plutôt (jue vers l'antre; tant il est vrai saitdans la peine, voilà pour(|uoi il mit du
que c'est pour ce niolii tprelle souliailail un temps à l'exaucer c'était pour ajouter à sa
:

enfant. Si, jetant les vous regardez vers


ijeiix, gloire par enfantement, c'était pour
un tel

l'humiliation de votre servante. J'ai deux titres, manifester sa sagesse. En ellet dans sa prière
veut-elle dire, ma servitude et mon malheur. Et elle ne parla point de sa rivale, elle ne répéta

accordez à votre servante un rejeton nulle. Je point ses invectives, elle ne dénonça point ses
vous le donnerai en présent devant votre face. outrages ; elle ne dit point : Fais-moi justice
Qu'est-ce à dire? En présent., devant votre de celte femme abominable et perverse, ainsi

face. Cela veut dire pleinement


pour qu'il soit que font beaucoup de femmes : elle se tut sur
et absolument votre serviteur. Je me démets sur ces injures, et ne parla dans sa prière, que
de tous mes droits. Je veux être sa mère seule- des choses qui l'intéressaient. Suis cet exemple,
ment pour qu'il tienne de moi l'existence; mon cher auditeur, et lorsque tu vois un en-
après cela je renonce à lui, je vous le cède. nemi qui te persécute, abstien >-toi de toute
6. ici la piété d'Anne. Elle ne dit
Considérez parole amère à son égard, et ne réponds point
pas, vous m'en donnez trois, je vous en
si à sa haine par des imprécations. Entre ici
donne deux, si vous m'en donnez deux, je vous fléchis le genou, verse des larmes, invoque
en donne un mais si vous m'en donnez un,
: Dieu pour qu'il te délivre de ta peine pour ,

un seul, je vous consacre entièrement ce fruit. qu'il apaise ta douleur. Ainsi fit Anne, et son
Et il ne boira ni vin ni liqueur enivrante. Elle ennemie lui fut bien utile. Car elle contribua à
n'a pas encore son enfant, et déjà elle le forme la naissance del'enfanl. Comment, c'est ce que
pour le rôle de prophète , elle [)ar]e de la ma- je vais dire, quand elle, l'eut outragée, persécu-
nière dont elle le nourrira, elle prend des en- tée, qu'elle eut augmenté sa souffrance, la souf-
gagements avec Dieu. Quelle confiance chez france rendit la prière j)lus ardente, la prière
cette femme! N'ayant de quoi pas encore fléchit Dieu, el le rendit propice : et ainsi fut

s'acquitter, puisqu'elle n'avait pas encore reçu, enfanté Samuel. Par conséquent, si nous som-
elle prend sur l'avenir pour payer sa dette. De mes sages, non-seulement nos ennemis seront
même que beaucou|) de cultivateurs en proie incapables de nous causer le moindre dom-

à une extrême misère, sans argent pour ache- mage, mais encore ils nous feront le plus
ter un veau ou une brebis, reçoivent de leurs grand bien, en nous rendant plus zélés en
maîtres, sous clause de partage, ces animaux, toute chose, pourvu qu'au lieu des injures et
en s'engageant à en payer le prix avec les des outrages, la |)rière soit notre recours con-
fruits qu'ils en recueilleront. Ainsi fit Anne, tre les dégoûts qu'ils nous causent.
ou plutôt elle fit bien plus. Car ce n'est pas à L'enfant né, elle le nomma Samuel, c'est-à-

la condition de partager qu'elle reçoit de Dieu dire celui qui entendra Dieu. En efl'et, comme
son mais bien pour le lui rendre en toute
fils, reçu pour avoir été entendue, à la
elle l'avait
propriété, et recevoir, au lieu de fruits, l'édu- suite d'une prière, et non d'une manière natu-
cation de son fils. Car à ses yeux c'était une relle, elle déposa alors dans le nom dont elle

indemnité suffisante, que d'avoir donné ses le salua, comme


sur une table d'airain, le
soins au prêtre de Dieu. // ne boii^a, dit-elle, souvenir de cette procréation. Elle ne dit pas :

ni vin ni liqueur enivrante. 11 ne lui vient pas Appelons-le du nom de son père, de celui de
à l'esprit de se dire mais s'il est délicat et que
: son oncle, ou de son aïeul, ou de son bisaïeul :
l'eau pure lui soit nuisible? Mais s'il tombe mais elle dit nom dont nous l'appel-
: que le

malade? Mais s'il vient à mourir à la suite lerons soit un hommage à celui qui nous l'a
d'une grave maladie? Rélléchissant que celui donné. Imitez-la, femmes, hommes, suivons
qui le lui aura donné saura bien veiller sur sa son exemple donnons à nos enfants les mêmes
:
49i TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

soins qu'elle, élevons comme elle nos rejetons plus parfait, si les jeunes gens s'acheminent

et dans tout le reste, et particulièrement à vers mariage gardés comme je l'ai dit aussi
le :

l'égard de la chasteté. Car il n'est rien qui vrai que ce qu'on appelle aujourd'hui le ma-
réclame autant d'attention et de sollicitude riage, n'en a que le nom, et n'est autre chose
chez les jeunes gens que la chasteté et la dé- qu'un commerce et un trafic. En effet, quand
cence... C'est pai là que leur âge est exposé un jeune hommeest corrompu avantle mariage,
aux plus rudes épreuves. Ce que nous faisons et qu'après le mariage il se remet à jeter les

pour les lainj>es, ayons soin de le faire aussi yeux sur une autre femme, à quoi sert le ma-
pour les enfants. Souvent, quand une servante riage? dis-moi. Le châtiment est plus rigoureux,
allume une lampe, nous l'invitons à ne pas la faute est moins pardonnable, quand on laisse
promener cette lumière aux endroits où il y a une épouse pour se déshonorer avec des pros-
de la paille, du fourrage, ou autres matières tituées, et que l'on se rend coupable d'adul-
analogues, dans la crainte que, à notre insu, tère. Car une fois marié, quand bien même on
une étincelle ne vienne à tomber, à y mettre a une prostituée pour complice de ses désor-
le feu, et n'incendie ainsi noire maison tout dres, le péché devient un adultère. Or si ces
entière. Ayons pour les enfants la même solli- choses se font, si l'on court, bien que marié,
citude, et ne promenons pas leurs regards aux vers les femmes perdues, c'est que, avantle
endroits oîi il y a des servantes libertines, des mariage, on ne s'est pas occupé de rester chaste.
jeunes impudiques, des esclaves débau-
filles De là les lûtes, les (juerelles, les ruines, les
chées, mais enjoignons ou faisons dire à toute guerres quotidiennes par là fuit et se perd
:

femme de ce genre, servante, voisine, quelle l'amour du mari pour sa femme, lequel ne
qu'elle soit enfin, de ne jamais s'ofTrir à la vue peut résister aux voluptés des mauvais lieux.
des jeunes gens, ni entrer en conversation avec Donc, si le jeune homme a su être chaste,
eux, dans la crainte (ju'une étincelle, échappée aucune femme ne lui paraîtra plus aimable
de ce foyer n'embrase entièrement l'âme du que la sienne il la;verra avec les yeux de
jeune enfant, et qu'il n'en résulte un malheur laffection, il restera avec elle dans une parfaite
irréparable. Et ce n'est pas seulement sa vue, concorde, et grâce à cette paix, à cette con-
c'estencore son oreille qu'il faut préserver de corde, tous les biens viendront affluer dans leur
tout ce qui respire la mollesse et le dérè- maison. Si donc nous voulons bien pourvoir
glement, de peur que son àrne n'en soit ensor- même à nos intérêts d'ici-bas, eten outre, être
celée. Ne le conduisons ni dans les théâtres, ni admis au royaume des cieux, songeons à nous
dans les festins ou les orgies, et veillons sur et à nos enfants, surtout en ce qui concerne
nos jeunes gens avec plus de soin que sur des ce précepte prenons garde de nous présenter
:

vierges cloîtrées. En effet il n'est point pour à ces noces spirititlles revêtus d'habits sor-
cet âge de plus belle parure que la couronne dides, et tâchons de jouir, avec toutes fran-
de la chasteté, que d'arriver au mariage, pur chises, des honneurs réservés là-haut à ceux
de toute incontinence. Alors ils trouveront des qui en sont diurnes ces honneurs puissions-
:

charmes à leius épou?es, si leur àuie n'a pas nous tous les obtenir par la grâce et la charité
fait î apprentissage de la fornication et du dérè- de Noire-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel
glement, si la seule fenune qu'ils aient jamais gloire, honneur et puissance au Père et au
connue, est celle qui leur est attachée par Its Saint-l'!sprit, maintenant et toujours, et dans

lie ns du mariage. Alors l'amour sera plus ar- les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

dent, l'aileclion plus profonde, rallach'«.ment


H0M£LJES SUK ANNE. — DEUXIÈME HOMÉLIE. 40!

DEUXIÈME HOMÉLIE.

8UR LA FOI d'aNNE , SA SAflESSE , SA VERTU. — SLll LE RESPECT DL' AUX l'RÈTRES, ET QU'iL FAIT
PRIER AU COMUENCEMEIST ET A LA FIN DL REPAS.

ANALYSE.

1. Efficacité de la prière démontrée par l'exemple d'Anne.


2. Rè?U>3 pour la prière.
3. De la patience à supporter les injures.
4. Exemple de Job.
5. Suite de l'iiisloire d'Anne. Son invocation au Seipnenr.
6. RéQexions à propos de celte prière Piété d'Anne, sa modération. Conclusion morale.
:

1. Rien ne vaut la prière, mes chers audi- dans les larmes moissonneront dans l'allé-
teurs, rien n'est plus puissant (|ue la foi. Anne gresse. (Ps. cxxv, 5.) Hommes, suivons son
nous a instruits, l'aulie jour, de ces deux véri- exemple : femmes, imitez-la. Car Anne est
tés.Car munie de pareilles ofTtandes, lors- un maître pour les deux sexes. Que les femmes

qu'elle vint supplier Dieu, elle obtint tout ce stérilesne désespèrent point, que les mères
qu'elle voulut, elle corrigea l'infirniité de sa nourrissent de la même manière les enfants
nature, elle ouviit son sein fermé, elle se re- qu'elles ont mis au monde; imitons tous la
leva de son humiliation, se délivra des injures sagesse d'Anne avant l'enfantemenl, sa foi
de sa rivale et recouvra un grand crédit dans pendant l'enfantement, son zèle après l'en-
la mait^on, lorsque un rocher stérile lui eut fantement. En effet, (juoi de plus sage
donné un bel cpi. Vous avez tous entendu (lu'une femme qui supporte avec patience et
comment elle pria, comment elle demanda, courage une calamité si intolérable, qui ne se
elle fléchit, elle obtint; comment elle enfanta décourajze point, avant d'être sortie d'infor-
Sanuiel, le nourrit et le consacra. Aussi ne se tune, et qui trouve pour t^on mal un remède
tromperait-on point en appelant cette femme miraculeux, inouï, sans s'être adjoint ici-bas

à la fois la mère et le père de son enfant. En aucun aide, aucun allié? C'est qu'elle connais-
effet bien que son époux en eiit déposé le sait la charité du maître : voila pourquoi elle
germe, c'est Anne, par sa prière, qui donna à vint à lui seule et obtint ce qu'elle voulut. En
ce germe sa vertu, et qui rendit plus auguste effet ce n'est pas d'un secours humain, c'est
la procréation de Samuel. Car cette procréation de la grâce divine qu'elle avait besoin pour
n'eut pas seulement pour principe comme les guérir sa peine. Car, cette peine ne provenait
autres, le sommeil et le commerce des époux, point d'une perte d'argent, de telle sorte qu'en
mais encore des larmes, des [>rières et la foi : lui apportant de l'or on pût dissiper son cha-
et glorieuse entre toutes fut la naissance du grin : elle ne provenait point d'une maladie,
prophète, qui dut le joui- à la foi de sa mère. de telle sorte qu'il fallût appeler les médecins
On ferait donc à cetle femme une juste applica- pour chasser le mal. C'était la nature qui était
tion de la parole suivante Ceux qui sèment
: attaquée : c'était elle qui réclamait le bi-as de
496 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

Dieu. C'est poiinpioi Anne, laissant do côté pendant des années entières {depuis longtemps,
tons les secours terrestres, courut au Maîirede dit rEcritup';, cttte femme, dis-je, sut résister

la nature, et ne cessa point de le prier jusqu'à noblement à la tempête, et ne laissa point


ce qu'elle lui eût persuadé de mettre fin à sa l'abîme engloutir sa raison. En effet la crainte
stérilité, d'ouvrir son sein, de changer en mère de Dieu, comme le jtilote assis au gouvernail,
l'épouse stérile. Bienheureuse en cela même, lui persuadait de tenir tête généreusement à
non d'avoir été mère, mais de l'être devenue, cet orage : et elle ne quitta pas la direction de

ne l'ayant pas été d'abord. Car le premier lot cette àme qu'elle n'eût fait débarquer dans un
est celui de tout son sexe, mais le second bon- port paisible le navire avec ce qu'il portait, ces
heur était réseivé pour Anne. Bienheureuse à flancs chargés d'un inappréciable trésor. Car
cause de cet enfantement, non moins bienheu- ce n'est point de l'or, ni de l'argent qu'elle
reuse à cause de tout ce qui le précéda. En portait : c'était un prophète et un prêtre, et
efî'el, hommes et femmes, vous savez certaine- son sein était doublement sanctifié, tant par la
ment tous que rien n'est plus insupportable destinée de l'enfant qui y était enfermé, que
aux yeux d'une femme que la stérilité : quand par l'origine de cet enfant dû à la prière et à la
elle jouirait mille fois de bonheur, le chagrin grâce d'en haut.
que fait naître en elle cette calamité resterait 2. Mais ce n'est pas seulement le fardeau qui
toujours inconsolable. Or, on trouve ce mal-
si était extraordinaire et merveilleux : la manière
heur si intolérable, aujourd'hui que nous dont elle s'en défit est plus étonnante encore :

avons été conviés à une sagesse plus haute, elle ne le vendit point à des hommes, à des
que nous sommes dans le chemin du ciel, que marchands, à des négociants mais dès qu'elle :

nous ne tenons nul compte du présent, au mi- en eut débarrassé son esquif, elle le vendit à
lieu de nos préparatifs pour l'autre vie, main- Dieu et le gain qu'elle fit fut celui qu'on doit
:

tenant que la virginité est l'objet de si grandes attendre d'un pareil trafic avec Dieu. Car après
louanges, songez quel malheur ce devait être, qu'il eut reçu d'elle ce fils, il lui donna en re-
dans la pensée des anciens, alors qu'on n'avait tour un autre enfant cjue dis-jc? non pas un,
:

ni l'espérance, ni l'idée même d'un avenir, ni deux, ni trois ou quatre seulement, mais un
alors qu'on n'agissait qu'en vue des choses pré- bien plus grand nombre. Stérile, dit l'Ecriture,
sentes, et (ju'il y avait comme une malédiction, elle donna le jour à sept enfan's. (1 Rois, ii, 5.)

une condamnation attachée au sort de la Ainsi l'intéiêt dépassa le capital. Voilà com-
femme stérile et sans enfants. On ne peut dire, ment se tenu neiit les atfaiies conclues avec
on ne peut se représenter la douleur que cau- Dieu : ce qu il paie n'est point une minime
sait un pareil coup. Témoin tant de femmes, partie du capital, c'est le capital plusieurs fois
qui, sages dans tout le reste, ne purent sup- multiplié. Et ce ne sont |ioint seulement des
porter cette infortune, les unes s'irritant contre filles qu'il lui donna, mais il lui composa une
leurs maris, les unes jugeant l'existence into- postérité de l'un et l'autre sexe : de telle façon
lérable. De plus, cette femme n'avait pas seu- que sa joie fut sans mélange.. Ce que j'en dis
lement la douleur d'être stérile une autre : n'est point pour m'atlirer vos éloges mais ,

])eine l'assiégeait, le courroux provotjué par pour vous persuader d'imiter la foi d'Anne, sa
les injures de sa rivale. Comme on voit des résignation, sujet que j'ai déjà traité en partie,
vents déchaînés eu sens contraire, se ravir les l'autre jour, devant vous. Aujourd'hui, afin
uns aux autres un cs(|uif î'\i:\vè sur le théâtre (jue je m'aequitte du reste, permettez-moi de
de leur lutte mutuelle, et ameuter d'énormes vous entretenir un instant des paroles qu'Anne,
vagues contre sa poupe, contre sa proue, tan- après sa première prière, adresse au |)rètre et
dis (jue le nocher assis au gouvernail veille sur au ministre du prêtre, afin que vous jugiez de
son embarcation et repousse, grâce à sou habi- sa patience et de sa douceur. Kt il arrica, dit
leté et à son expérience, toutes les attaques des l'Ecriture, f/ue tandis qu'elle se répandait en
flots ainsi la feiiune dont je parle, recevant
: prières devant le Seigneur, le prêtre Iléli ob-
en son Ame lirruption de deux souffles con- servait sa bouehe. (Ibid. i, 12.)
traires, le courroux et le découiagemenl, L'historien, en ce passage, témoigne de deux
voyant par là ses conseils frapi)és d'impuis- vertus chez Anne, la constance dans le.'; pi ières,

sance, au milieu des vagues soulevées, et cela et la vigilance de la pensée : d'un côté, par ces
non deux ou trois, ni vingt jours durant, mais mots : Elle se répandait, de l'autre, parce
HOMÉLIES SUR ANNE. - PEUXlfvME HOMÉLIE. 497

qu'il ajoute : Devant le Seifjneur : car si nous ment, voilà deux préceptes qui se contredisent.
prions tous, nous ne prions pas tous également Non, ils ne se contredisent point, à Dieu no
devant Dieu. En tllcl, (piand, le corps pros- plaise, ils s'accordent au conlraire merveilleu-
terne, et la langue se tlénu-iiant au liasarJ, sement. En cHit, le Christ et Paul ont prescrit
notre pensée se promène dans tous les eniiroils pareillement de faire des |)rières courtes et fré-
de notre maison et de la place puhliipie, com- (luentes, à petits intervalles. Carsitu prolonges
ment |)Ourrail-on dire, a|)rès cela, qu'on a prié trop ton invocation, il arrive souventque lusou-
devant Dieu. Celui (jui i)rie devant Dieu est tudunnes
tiens plus Ion attention, elcpie, parla,
celui qui recueille de toutes parts sa pensée, au diable une grande facilité pour s'approcher,
qui n'a plus rien de connnun avec la terre, pour te prendre en traître, pour détourner la
qui est transporté dans le ciel, (jui n'a i)lus pensée des paroles (jue tu prononces : si, au con-
dans l'intelligence aucune pensée liuniaine. traire, tes prières sont continuelles, fréquentes

C'est ce qu'Amie fit alors. En ellet, entièrement et séparées par de petits intervalles, il te sera fa-

repliée sur elle-même, l'esprit parfaitement cile de rester maître de loi, et tes prières mêmes
attentif, elle invoquait Dieu avec une âme altli- gagneront à cela d'être faites avec beaucoup
gée. Mais comment l'historien peut-il dire d'attention. Voilà ce que faisait Anne : elle ne
qu'elle se répandait en prières?
La prière multipliait point les paroles, mais elle revenait
d'Anne est courte. Elle ne fait point de longs à Dieu coup sur coup et d'instant en instant.
discours, elle ne prolonge point indcQniment Ensuite , Iors(iuc le prêtre lui eut fermé la
sa supplication : ses paroles sont brèves et bouche (car c'est ce (jue signifie : il observait
simples Adonaï, Sei{/tieur, Eloï, Sabaoth, si,
: sa bouche, et les lèvres de celle-ci remuaient^
jetant les yeux, vous regardez vers llutmilia- et Von ri entendait pas sa voix), elle fut forcée
tion de votre sertaîite, et que vous vous souve- d'obéir au prêtre et de se taire. La parole lui
niez de moi, et que vous n'oubliiez point votre était donc ôtée, mais non la liberté de prier,
servante, et que vous accordiez à votre servante etson cœur n'en criait que plus fort au fond
un rejeton mâle, je vous le donnerai efi présent de sa poitrine. —
Car il n'y a pas de prière
devant votre face, jusquau jour de sa mort. cris qui partent du dedans
comparable à ces :

Et il ne boira ni vin ni liqueur enivrante, et le mieux une âme dans la peine,


rien n'indique
fer ne montera pas sur sa tète. (1 Kois, i, 11.) que de manifester son vœu, non par un ellort
Où est donc cette etTusion de paroles? A quoi de voix, mais par un mouvement impétueux
fait alluiion ce n)ot Elle se répandait? c'est
: de la jjensée.

qu'elle ré[)était continuellement la même chose, 3. Ainsi priait Moïse pareillement; aussi,
c'est qu'elle ne se fatiguait point de i)asscr un sans (ju'il prononçât aucune i)aroIe, Dieu lui
long temps à redire les mêmes paroles. Et dit : Pourquoi crics-tu vers moi? Les hommes
c'est justement ainsi que dans les Evangiles n'entendent que la voix qui frappe l'oreille;
le Christ nous jirescrit de prier. Car, en disant mais Di(;u entend avant celle-là, les cris qui
aux disciples de ne j)oint priera la façon des sortent des entrailles. On peut donc, sans crier,
païens, il nous a enseigné, par là, à ne point se faire entendre, on peut prier mentalement
prodiguer les mots, à garder une mesure dans et très-bien en se promenant sur la place ;

nos prières faisant voir que ce n'est |)oint jtar


: dans une réunion d'amis, en quelque occupa-
la multitude des paroles, mais par la sagesse tion que ce soit, on peut invoquer Oieu à haute
des pensées qu'on réussit à se faire exaucer. voix, je parle de la voix intérieure, à l'insu de
Mais comment, objectera quelqu'un, s'il faut toutes les personnes présentes. Telle fut la
prier en peu de mots, comment a-t-il une ()a- prière d'Anne. On n'entendait pas sa voix,
rabole pour enseigner la nécessité de prier tou- et Dieu l'entendit. Tel était le cri qui sort'.iitde
jours, celle de cette veuve qui, par l'insistance ses entrailles. Et le jeune ministre cCUcli lui
de ses supplications, par la frécpience de ses dit : Quand cesse ras- tu cTèire ivre ? Secoue
un juge dur et inhumain, sans
visites, fléchit ton vin et éloigne-toi de la présence du Sei-
crainte de Dieu, sans respect des hommes. Et gneur. C'est ici principalement qu'apparaît la
comment auîsi expliquer cette exhortation de sagesse d'Anne. Au logis , sa rivale l'outra-
Paul : Persistant dans la prière, et encore : geait, elle vient au temple, et le jeune ministre
Priez sans relâche. S'il faut eu même tenq)s ne du prêtre l'injurie, elle prêtre la réprimande.
pas multiplier les paroles, et prier continuelle- Elle échappe aux orages de sa maison, elle

S. J. Cu. — TojiE V.
498 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

vient au port et y retrouve les vagues, elle tant de sagesse à l'heure de l'adversité. En effet

vient chercher un remède, et loin d'en rece- Vorgueil du pouvoir et l'indignité de celui qui
voir un, elle ne gagne à cela qu'une nouvelle proférait l'injure lui avait souvent alors inspiré

blessure que des outrages qui rouvrent sa Je mépris de pareils outrage?. Et beaucoup
,

plaie. Vous savez quel effet produisent sur les d'autres rois ontmontré en mainte occasion,
âmes endolories les insultes et les affronts. la même sagesse, jugeant ceux qui les insul-

De même que les blessures un peu graves taient suffisamment excusés par l'excès de leur

sV uveniment, si l'on y porte la main sans pré- démence. En effet, les affronts ne nous tou-
caution : ainsi une âme troublée et difficile à chent point également dans le bonheur et dar.s
satisfaire ; tout l'irrite , un mot insignifianl l'adversité : quand nous sommes dans l'afflic-

l'exaspère. Anne cependant n'éprouva rien de tion, c'est alors qu'ils nous sont le plus sensi-
pareil et cela en s'entendant injurier par le mi- bles et nous paraissent les plus cuisants. Mais

nistre. Si venue du prêtre, sa


l'insulte fût en ce qui concerne David on peut ajouter ,

résignation serait moins admirable , car le quelque chose à ce qui vient d'être dit; c'est
haut rang de ce personnage de ses fonc- ,
qu'il était maître de se venger et qu'il ne se

tions lui aurait persuadé de rester calme, vengea point. Et, pour que vous voyiez que
fut-ce à contre-cœur. Mais en cette occasion cette sagesse ne lui venait point d'impuissance,

elle n'avait affaire qu'au jeune ministre du mais de résignation , comme le général de-
prêtre, et ellene se fâcha point. Par là, elle se mandait alors la permission d'aller vers cet
concilia encore davantage la faveur divine. De homme et de lui couper la tête, David, non
même, nous aussi, quand on nous injurie, content de lui refuser cette permission, se mit
quoiqu'il nous faille souffrir, supportons no- en colère et dit Que veux-tu de moi, fils de
:

blement les outrages, c'est le moyen de nous Sarvias ? Laissez-leme maudire, afin que le
concilier davantage la faveur diviue. Seigneur voie mon abaissement et quil me
Comment rendre ceci manifeste? Par l'his- rende mes biens en dédommagcmei^t des impré-
toire de David. Quelles épreuves David eut-il cations de cet homme en ce jour. (II Piois, xvi,

donc à subir? Il fut exilé de sa patrie, il courut 12.) C'est justement ce qui advint.
le risque de la liberté et même de la vie, et i. Le juste n'ignore pas, vous le voyez, que
pendant qu'une armée se préparait à combattre la patience à supporter les injures est le prin-
un jeune tyran, débauché et parricide, il errait cipe d'un accroissement de gloire. Voilà pour-
dans le désert. H ne s'indigna point , il ne quoi un jour, ayant suri>ris Saûl entre deux
manqua point de confiance en Dieu, il ne dit murs pouvant l'égorger, il l'épargna et
, et :

point Qu'est-ce à dire ? Il a permis au fils de


: cela, quand les personnes présentes rtxcilaicnl
se révolter contre son père? Et cependant les à le percer de son glaive. Mais ni la ficul'é
plus justes griefs ne sauraient absoudre une dont il pouvait user, ni les encouragements

telle conduite. Mais à l'heure qu'il est, sans qu'il recevait, ni les nombreuses injures qu'il
avoir à m'accuscr de la moindre injustice à avait reçues, ni la crainte d'en recevoir de
son égard, ce tils brûle de tremper ses mains plus graves, ne déterminèrent à tirer l'épée
le :

dans le sang paternel, et Uieu (jui voit cela, le et cependant l'armée même devait ignorer

permet. Il ne dit rien de pareil, et ce (jui est l'auteur de cet homicide. Il était dans une
plus grand et plus merveilleux, c'est cpie, dans caverne, seul et sans témoins. Il ne dit pas.
le temps qu'il errait privé de tout, un homme comme certain homme qui s'abandonnait à
nommé Séméi , un misérable un scélérat , l'adultère : Les ténèbres et les murs m'envi-
le poursuivit d'invectives, ra|)p('lant homicide, ronnent ; qu'ai-jc à craindre .^(Eccl. xxiii, 26.)
impie, ré[)andant sur lui un torrent d'injures. Il avait devant les yeux l'œil qui ne se ferme
David, même alors, ne perdit point patience. jamais, et il savait <]ue les \eux du Seigneur
Mais on me dira Pourquoi s'étonner (pi'il ne
: ont un éclat mille fois plus perçant (pie celui
se soit point défendu, n'était-il i)oinlsans force du soleil. En conséquence, il agissait et parlait
et sans pouvoir? Je pourrais répondre d'abord constamment comme si Dieu était présent et
que je ne lad mirerais pas autant, s'il avait sup- jugeait ses paroles. Je ne porterai point la
porté une insulte, étant couronné du diadème, îuain , dit-il, sur l'oint du Sciqnctir. (I Rois,

en possession de la royauté et assis sur son trône, xxiv. T.) Je ne vois [toinl ses crimes, je ne vois
que je l'admire et le Ipue d'avoir uioutrc que sou rang. Qu'yn m vienne pas me dire
IIOMÉMES SUR ANNE. — DEUXIÈME HOMÉLIE, ^Od

que c'est un tyran , un criminel : je respecte à un conseil pervers. Le diable qui le sait, au
le choix (le Dieu , (juand hien nième cet élu se coup |)orté par la tentation, fait succéder l'at-

montrerait indij^Mie. (le n'est point ma (auto, tatpie des paroles : et c'est ainsi qu'il se com-
s'il parait imligne de son élévation. Ecoute/ porta à l'égard de David. Voyant que celui-ci
vous tous qui méprisez les prêtres, voyez quel avait noblement supporté la révolte de son
respect David téiiioi{ine à un roi. Cependant, fils, tl la tyraiHiie d'un maître illégitime, vou-
le prètie et^t, bien plus (jiie le roi , digne de lant abuser son esprit, et le faire tomber eu
respect et d'égards , d'autant qu'il est a[)|»elc à colère, il suscita ce Séméï , après l'avoir armé
des fonctions plus augustes. Apprenez à ne pas de paroles amères propres à aigrir l'àme do
critlcjucr, à ne point demander de comptes, à David. Il usa vis-à-vis de Job de la môme per-
vous soumettre, à céder. En elVet , vous ne fidie. Car, voyant Job aussi se moquer de ses
connaissez pas la vie du prêtre, fùt-il indigne traits, et résister noblement à tout, ainsi .^M'unc
et aDject : tandis (jue David savait [tartaitement tour d'airain, il arma son épouse alin que nul
tout ce qu'avait lait Saûl : néanmoins il res- soupçon ne s'attachât au conseil, cacha son
pecta en lui la dignité que Dieu lui avait con- venin dans les paroles de cette femme, et lui
férée. Voulez-vous maintenant une preuve que, fit faire une peinture tragique des infortunes

fussiez-vous exactement informés, vous n'avez de son mari. Alors que répondit cet homme
point d'excuse et ne méritez point de pardon, généreux? Pourquoi as-tu parlé comyne une
quand vous méprisez les prêtres , et négligez de cesfemmes qui ont perdu la raison ? Si
leurs avertissements. Ecoutez comment le nous avons reçu nos biens de la main du Sei^
Christ vous ôte ce refuge, par ce qu'd dit dans gneur, ne supporterons-nous pas ces maux?
les Evangiles : C'est sur le siège de Moïse que (Job, II, 10.) Voici le sens de ses paroles S'il :

sont assis les scribes et les pharisiens : faites ne s'agissait pas d'un Maître ni d'un être si ,

donc tout ce qu'ils vous disent de faire; mais supérieur à nous, mais d'un simple ami, notre
ne vous conduisez point suivant leurs actions. égal , serions-nous excusables de répondre à
(Matth. xxMi, % 3.) Voyez-vous comme il res- tant de bienfaits, par une conduite tout oppo-
pecte les leçons de ces hommes dont la vie sée? Vous avez remarqué cet amour de Dieu ,

était assez corrompue pour devenir un sujet et comment Job ne se glorifie point, ne tire
d'accusation contre leurs disciples, et comme point vanité de son courage à su|)porter des
il s'abstient de rejeter leur doctrme? Si je épreuves au-dessus de comment il ne
la nature,

parle ainsi, ce n'est point que je veuille accu- fait point honneur à ou à sa magna-
sa sagesse
ser les prêtres à Dieu ne plaise : vous êtes : nimité d'une telle résignation, comment au con-
témoins de leurs démarches, vous savez toute traire, de même que s'il payait une dette pres-

leur piété; mais je demande que nous leur sante, et n'endurait rien que d'ordinaire, il fer-
rendions tout ce que nous leur devons encore me résolument la bouche à cette malheureuse
d'égards et de respect. Par là ce n'est pas tant femme? Nous retrouvons la même chose chez
à eux qu'à nous-mêmes que nous rendrons Anne. En effet, la voyant supporter noblement
service Celui qui reçoit un prophète en qualité
: sa stérilité, et se prosterner devant Dieu, le
de prophète recevra la récompense d'un pro-
, diable suscita le jeune ministre du prêtre, afin
phète. (Matth. X, 41.) Car si nous n'avons pas de l'exaspérer davantage. Mais Anne n'éprouva
le droit déjuger la vie les uns des autres, à bien aucun sentiment de ce genre : exercée à endu-
plus forte raison en est-il ainsi pour la vie de rer les injures qui lui étaient dites à la maison,
nos pères. Mais ce que je disais (il est néces- aguerrie par les invectives de sa rivale, elU;
saire de revenir à la mère de Samuel), savoir s'armait dès lors d'un courage résolu contre
que la patience à supporter les injures nous toute attaque semblable. Vuilà pourquoi dans ,

procure beaucoup de biens, c'est ce (jue mon- le temple aussi , elle montra une grande sa-
tre aussi l'histoire de Job. En eCPetjJob ne gesse, supportant virilement et avec magnani-
m'inspire pas autant d'admiration avant l'ex- mité les sarcasmes qui en faisaient une ivro-
hortation de sa femme qu'après le conseil fu- gne, dont le vin avait troublé l'esprit. Mais il

neste que celle-ci lui donna. Et ce que je dis n'est riende tel que d'entendre le texte même :

ne doit point paraître étrange. Souvent ceux aux paroles de l'enfant Secoue ton vin et éloi-
:

qui ont résisté aux tentations provenant de la du Seigneur, Anne repondit :


gne-toi de la face
nature des choses , succombent à une parole, A'on, Seigneur. Elle appelle son maître celui
800 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

qui Tient de l'outrager. Et elle ne dit pas sure convenable, et par là attirera sur son âme,
comme beaucoup de gens Le prêtre m'a dit :
sur son corps, une abondance de bénédictions.
cela? Celui qui instruit les autres m'a raillée Une où l'on s';is:ied en priant, d'où l'on
table

ainsi au sujet du vin et de l'ivrognerie? Elle se lève en priant, ne manquera jamais de rien,
tâcha seulement d'éluigner d'elle ce soupçon ,
et ce sera pour nous une source iuépuisable de

qui d'ailleurs n était pas fondé. bi^ns de toute sorte. Ne régligeons donc point
5. Nuus au contraire, lorsq'.i'on nous inju- un tel avantage. En effet il serait absurde que
rie, S( uvei't au lieu de nuus justifier et de nos serviteurs, si nous leur faisons largesse de
nous éiuij^ner ensuite, nous alli^^on? le feu, et quelque portion de notre repas, nous soient
nous nous jetons comme des bêtes féroces sur reconnaissants et s'éloignent avec des remer-
les provocateurs, les prenant à la gorge, les ciements; et que nous, qui jouissons de tant
malmenant, leur demandant compte de leurs de biens, nous refusiuns de payer à Dieu une
propos, et par notre conduite même, nous con- dette si léj^ère, et cela, quand nous devons y
firmons le soupçon dirigé contre nous. Si vous trouver une forte garantie pour notre sécurité.
voulez prouver aux insulents (jue vous n'êtes Car là où sont la prière et la gratitude, la grâce
pas ivre^ eniployez à cela la douceur et la mo- du Saint-Esprit ne fait point défaut, les démons
dération, non pomt la violence ni Tinvective. prennent la fuite, et toutes les pui^sanees en-
En vous frappez celui qui vous a fait
eftét, si nemies s'éloignent et battent en retraite. Celui
affront, tout lemonde vous croira réellement qui va se donner à la prière, ne se permit au-
ivre si au contraire vous avez montré de la
: cun propos dé|.lacé. même au milieu du repas ;

patience et de la magnanimité, vous aurez par ou, s'il tombe dans un tel écart, il s'en re|)ent
votre conduite même écarté de vous ce mau- aussitôt. Il faut donc et au commencement et à
vais soupçon. Anne fit ainsi dans celte occur- la fin, rendre grâce à Dieu le fruit principal
:

rence, et après avoir dit non ,


seifjneur, par de cette conduite sera de nous piéserver de
ses actes mêmes elle montra la fausseté du l'ivresse, comme je l'ai dit plus haut, grâce à

soupçon. Mais d'où vient enfin que le prêtre l'habitude que nous aurons contractée. Par
ait pu concevoir ce sou[)çon ? L'avait-il vue consé<iuent, quand bien même tu te lèverais
rire? ou danser? ou marcher de travers et avec la migraine ou en état d'ivresse, ne re-
tomber? ou proférer quelque parole honteuse nonce point pour cela à ta pratique accou-
ou ignoble? D'où lui venait donc ce soupçon? tumée quand bien même nous aurions
: la

Ce n'était point du hasard, ni d'une rencontre tète alourdie, quand nous irions de travers et
fortuite, mais bien du moment de la journée. que nouslumberions, pr;ons encure, ne rtnon-
On était au milieu du jour, quand Anne adres- çons pas à notre habitude. Ciirsi la veille, lu as
sait sa prière. Qu'est-ce qui le prouve? Les prié en cet étal, le lendtniaiii, tu répareras
paroles mêmes qui précèdent. Anne se leva, lindécence de ta conduite de la veille. Ainsi
dit l'Ecriture, après qu'ils eurent mangé dans donc, loi>que nous prenons nos repas, sou-
Sélom, et après giiils eurent bu, et elle se tint venons-nous d'Anne, et de ses -larmes, et de
debout devant le Seigneur. Voyez-vous? Ce cette noble ivresse. Elle était ivre, aussi, ce.Hu
qui est pour tous un temps de repos, elle en ftinme, non de vin, mais de piété. Telle après
faisait un tenq)sde prière ; en quittant la talde, le repas, que devait-elle être au lev( i du jour?
elle couiait ullrir ses vœux , elle versait des Si apr.s l'heure de boire et de manger, elle
torrents de larmes, elle montrait une sages-e priait avec lanl de constance, que devait-elle
et un sang-froid parlait en quittant la
: c'est être auparavaul?
table qu'elle priait avec tant de ferveur pour 6. Revenons à ses paroles, dont on ne sau-
obtenir un don surnaturel la fin de sa stéri- , rait trop admirer la sagesse cl la mansuétude.

lité, la guérison de son mal, Anne nous pro- Après avoir dit non seigneur, elle ajou!e Je
, :

cure donc ce bénéfice, de savoir prier après le suisune femme dans l'a fjlir tien, et je n'ai bu
re|»as. En efftt, riiomme préparé à un tel acte, ni rifi ni liqueur enivrante. (1 Rois, i, 15.)

ne tombera i)lus dans l'ivresse et dans la dé- Observez commeencore elle t^iit les injures
ici

bauche, ne se rendra i)lus malade a force de de sa rivale, s'abstient de dénoncer sa méchan-


manger; mais Taltente de la prière étant pour ceté, comme aussi de représenter sous des
lui comme un frein mis sur sa iiensée, il tou- couleurs tragiques sa propre infortune, mais
chera aux mets tans g'çctrter jamais de la me- ellene découvre de sa peijie que ce qui ç$l
HOMÉLIES SUR ANNE. — DEUXIÈME HOMÉLIE. m
propre à la justifier aux yeux du prêtre. Je obtenu ce qu'elle demandait, elle montre la
suis, d\[-e[\e, une femme dans l'a/fl/clion ; je même confiance que si elle l'avait reçu. La rai-
n'ai bu ni vin ni liqueur enivrante^ etj'épanclie son en est qu'elle avait prié avec une grande fer-
mon âme devant le Seigneur. Elle ne dit pas veur, avec un zèle aveugle. C'est pounjuoi elle
je prie Dieu, je supplie Dieu, mais j'épanche revint, comme si tout lui était accordé. Dail-
mon ùine devant le Sei^'neur c'est-à-dire, je : leurs. Dieu lui-même alors dissipa son cha-
me suis jetée entièrement entre les bras de grin, attendu qu'il devait contenter son désir.
Dieu, j'ai mis à nu ma pensée devant lui, j'ai Sachons, nous aussi, l'imiter, et dans toutes
fait ma prière de tuule mon âme et de toute les infortunes, ayons recours à Dieu. Si nous
ma force, j'ai dit à Dieu mon infortune, je lui n'avons point d'enfants, adressons-nous à lui
ai découvert ma plaie c'est lui qui peut y
: pour en avoir; s'il nous en a accordé, élevons-
apprKjuer le retnède. Ne vois pas dans celle les avec le p'us grand soin, et él»»i^nons de
qui est ostensihUment ta servante une fille de tout vice leur jeunesse, mais prinripalement
Bélial. (I Rois, i, Iti.) Elle s'appelle encore de l'incontinence : car elle fait à cet âge une
une fois servante et fait Ions ses ellorts [)Our rude guerre, et il n'a point dVnnemi pi:-;
que le prêtre ne jirenne point mau\aise opi- acharné que celte passion. Fo'tifions-les donc
nion d'elle. Et elle ne se dit pas : que m'im- de tout côté par nos conseils, nos exhortations,
porte la fausse imputation de cet enfant? Il par la crainte, par les menaces. S'ils triom-
m'a accusé ctourdiment et à la légère, il m'a phent de cet appétit, ils ne se laisseront facile-
soupçonné mal à propos ma conscience est : ment dompter par aucun autre ils ne seront :

pure, je permets à qui voudra de me calomnier. point esclaves de l'argent, ils ne succomberont
Mais elle se conforme à cette loi des apôtres point à l'ivresse, ils mettront tous leurs efforts
qui nous ordonne de songer à paraître hon- à écarter d'eux les scènes d'intempérance et
nêtes non-seulement aux yeux du Seigneur, les mauvaises compagnies, ils se rendront plus
mais encore aux yeux des hommes. Et elle aimables aux yeux de leurs parents, plus res-
apporte tous ses soins à repousser de soi le pectables à ceux de tout le monde. En effet, qui
soupçon en disant : Ne vois pas dans celle qui ne serait point pénétré de respect pour un jeune
est ostensiblement ta servante une fille de homme chaste? qui n'aurait de l'afl'ection, de
Bélial. Qu'est-ce à dire, ostoisiblement ? Ne la tendresse pour celui qui a su brider ses ap-

va point me
prendre pour une impudente, pétits déréglés? qui ne le choisirait, même
une effrontée. Ce langage est celui de la dou- parmi les plus riches, pour lui donner sa fille,

leur, non celui de l'ivresse; il annonce le et ne se jugerait heureux d'une telle alliance,
chagrin, non la débauche. Que dit alors le fùt-il le plus pauvre des hommes? Car de

prêtre Voyez, chez lui aussi, quelle prudence


: ! même que celui qui vit dans le libertinage et
Il n'est pas curieux de connaître celte infor- frécjuente les prostituées, aura pcineà rencon-
tune, il ne veut point en demander la cause : trer, quelle que soit sa fortune, un hcmme
Eloigne-toi en paix, dit-il : Que le Seigneur, assez malheureux, assez misérable, pour con-
Dieu d'Israël, Cuccorde toutes les demandes sentir à l'agréer comme gendre : ainsi le jeune
que tu lui as adressées. (1 Rois, i^ 17.) D'accu- homme chaste et rangé ne trouvera jioint un
sateur qu'il était, Anne s'en est fait un avocat. honnne assez fou pour le repousser et le dé-
Telle est l'excellence de la sagesse et de la daigner. Si nous voulons donc que nos enfants
mansuétude. Au lieu d'injures, elle reçoit en obtiennent le respect des hommes et l'amour
partant un ahondanl viatique: elle trouve un de Dieu, ornons leurs âmes, et conduisons-les

protecteur, un intercesseur dans celui qui l'a au mariage par le chemin de la chasteté. Ainsi
répriuiandée. Néanmoins elle ne s'en tient pas les biens présents eux-mêmes se répandront
là, mais elle ré|)ète encore : Que ta servante sur eux en abondance, ainsi ils tronviMont
trouve grâce devant tes yeux I [\bii\. v, -18.) Dieu propice, et jouiront de la gloire en ce
C'est-a-dire puisse la lin «le tout ceci et l'issue monde et dans l'autre. Puissions-nous tous
de celte aUaue te prciu^er (|i»e ce n'est point obtenir cette gloire céleste, ])ar la grâce et la
l'ivresse, mais une duuleur profonde qui m'a charité de Nolre-Scigneur j. sus Christ, avec

dicte cette supplication et celte requête. Et soi lequel glou'e, honneur, et puissance, au Père
étant allée, dit l'Eciiiure, elle ne tomba plus. et au Saint-Esprit, maiuleuaut et toujours, et
Voyez-vous la foi de cette feniiue ? avant d'avoir dans les giècles des siècles Aiû&i
I soil-il.
Tm TRADUCTION FRAJNÇAISE DE SALNT JEAN CHU\SOSTOMÊ.

TROISIÈME HOMÉLIE.

SUR ANNE ET L'ÉDUCATION DE SAMUEL QU'iL EST BON d'eNFANTER TARD


:
; QU'iL EST FUNESTB
DE NÉGLIGER SES ENFANTS,

ARALirSE.

i. Anne etaucée. Profit qu'on peut retirer de son exemple.


2. Piété d'Anne consacrant son îlls à Dieu.
3. Comparaison eutre son sacrifice d'une part, de l'autre, celui du prêtre et celui d'Abraham. Sa modestie, sa gratitude,
4. Anne bénie du Seigneur proposée pour modèle aux mères.
:

5. Parallèle de la cité céleste et des cités mondaines. La confession par la foi et la confession par les œuvres.

ne vous parais point monotone et fa-


i. Si je d'un seul lingot d'or tirent des bracelets, des
tigant, jeveux revenir sur le même sujet dont colliers, et nombre d'objets divers. La matière

je vous ai déjà entretenus l'autre jour, je veux est semblable, mais l'art varie, et grâce aux
vous ramener auprès d'Anne, et entrer avec ressources, aux expédients dont il dispose, l'u-
vous dans le champ que nous ouvrent les mé- niformité de la substance qui lui est livrée ne
rites de cette l'enune c'est comme une prai-
: limite en rien son indépendance. S'il en est

rie où foisonnent non les roses, ni les fleurs ainsi des choses du monde, à plus forte raison
qui passent, mais la prière, la foi, la résigna- faut -il en dire autant de la grâce du Siunt-
tion. Bien plus doux (jue l'odeur des Heurs Esprit. Ecoutez en quels termes Paul nous at-
prinlanières, est le parfum de ces vertus, ar- teste la variété, la profusion de formes et d'ap-
rosées non par l'eau des sources, mais par des parences de celte table s|)iriluelle : A l'un est
pluies de larmes. Les fontaines rendent moins donnée par i Esprit la parole de sagesse : à un
florissants lus jardins ilésaltérés par elles, (jue antre la parole de science, à un autre la foi, à
les larmes versées, en humectant l'arbre de un autre la grâce de guérir, les dons ifassis-
prière, ne lui donnent de force pour monter tance de gouvernement, celui des langues di'
,

aux sublimes hauteurs: l'exemple d'.Vnne en verses. Or, tous ces do7is, c'est le seul et tnime
est une preuve. Elle parle, et du mcme élan Esprit qui les opère, les distribuant « chacun
sa prière monte au ciel et fructifie, en lui don- comme il veut. [\ Cor. xii,8-ll.) Voyez-vous
nant le bienheureux Samuel. Ne prenez donc quelle variété ? Les fleuves sont nombreux,
point d'inq)atieuce, si noiis rentrons dans le suivant l'apôtre, mais la source est la même :

même sujet. Car nous ne vous dirons point la les mets sont variés, mais l'hôte est unique.
même chose, mais des choses nouvelles et inat- Ainsi donc, puisqu'il y a tant de variété dans
tendues. C'est ainsi qu'un même mets peut pa- la grâce de l'Esprit, ne nous lassons point.

raître sur une table préparé de mille manières Nous avons vu Anne stérile, nous l'avons vue
différentes. Ccst ainsi encore que les orfèvres, mcrc, nous l'avons vue dans les larmes, nous
HOMÉLIES SUR ANNE. ^ TROISIÈME HOMÉLIE. 503

l'avons viie d.ins la joie ; alors nous l'avons franchir de vastes mers, s'embarquer dans de
j)lainle : aiijoiiicriiui paitaj^cons sa joie. C'est longs voyages, prodiguer leur argent, suppor-
encore un [nvcepte de Paul Se réjouir avec : ter des fatigues pour visiter en pays étranger
ceux qui se réjouissent pleurer avec ceux qui,
un médecin i\\\\ leur avait été désigné, et cela
pleurent. El celte conduite, nous devons la sans grand espoir d'être débarrassés de leur
tenir non-seulement à l'ét^ard de nosconlem- maladie; et toi, femme, toi qui n'as pas besoin
poruins, mais encore \is-a-vis des hommes de de faire un voyage outre-mer, ni de sortir de
l'ancien temps. Et qu'on ne vienne pas me ton pays, ni d'atfronter aucune épreuve de ce
dire : Eh ! de (|Uoi peut me servir Anne et son genre (et que dis-je? sortir de ton pays? tu n'as
histoire? En ellet les femmes stériles pourront pas même besoin de franchir le seuil de ta
apprendre de là le moyen de devenir mères; maison), toi donc, qui peux, sans sortir de ta
cl les mères, à leur tour, connaîtront quel est chambre t'aboucher avec le médecin, et, sans
le meilleur moyen délever leurs enfants. Et recourir à aucun interprète, l'interroger sur
ce ne sont pas seulement les femmes, ce sont tout ce qui t'intéresse [c'est Dieu, est -il écrit ^
encore les hommes (jui retireront le plus grand qui s'approche de toi , et Dieu n'est pas loirir,
prolit de celle histoire en apprenant à traiter Jér. xxui, 23) tu hésiterais, tu remettrais la
,

doucement leurs fenmies, même atteintes de chose à un autre moment ? Et quelle serait ton
stérilité, qu'Elcana se comportait avec
ainsi excuse? quelle indulgence obtiendrais-tu, si,
Anne. Que dis-je? ils en retireront un avan- pouvant trouver un remède aisé et tout à fait
tage hien plus grand encore, en apprenant que commode aux maux qui l'affligent, tu mon-
les parents doivent élever en vue de Dieu tous trais de l'insouciance et abandonnais le soin de
les enfants qui leur sont nés. Gardons-nous ton propre salut? Car ce n'est pas seulement la
donc, parce que ce récit ne doit nous rapporter stérilité, ce sont encore tous les maux, soit de
ni argent ni lucre, de le juger inutile a écou- l'àme soit du corps, que ce médecin-là peut
ter : jugeons-le au contraire utile et profitable guérir; il lui suffit de le vouloir. — Et la chose
par cela même qu'il ne nous promet ni or ni étonnante n'est pas seulement qu'il guérit sans
argent, mais ce qui est bien préférable, la peine, sans voyage sans dépense sans inter- , ,

piété de l'àme, et Ls trésors des cieux, et qu'il prètes ; c'est encore qu'il guérit sans douleur.
nous enseigne les moyens d'écarter de nous — Le fer, le feu, employés parles médecins du
tout péril. monde, sont chez lui hors d'usage; un signe,
En effet, il est facile, même à des hommes, c'est assez , et toute tristesse , toute douleur,
de faire un présent d'argent; mais corriger la toute souffrance bat en retraite et prend la
nature , mais dissiper un pareil chagrin , con- fuite.
soler une pareille douleur, relever une âme 2. Ainsi donc point de négligence, point de
près de succomber, c'est ce qui n'est possible retard , fussions-nous pauvres et tombés au
à aucun homme, mais au seul Maître de la na- dernier degré de l'indigence. — Toute dépense
ture. Et toi-même, femme qui m'écoutes, si de sorte que nous ne saurions
est inutile ici,
afiligéed'un mal incurable, après avoir inuti- alléguer notre pauvreté. Ce n'est pas de l'ar-
lement parcouru toute la ville, dépensé de l'ar- gent que le médecin exige pour salaire, mais
gent, consulté beaucoup de médecins, sans des larmes, des prières et de la foi. Si tu viens
trouver aucun soulagement, tu venais à ren- à lui pourvu de ces ressources, tu ne peux
contrer une femme alteinle d'abord, puis gué- manquer d'obtenir que tu demanderas, tout ce
rir de la même iuilrmité, lu ne cesserais de la comblé de joie. Bien des
et lu t'en retourneras
supplier, de l'exhorter, de la conjurer, jusqu'à preuves le démontrent, mais particulièrement
ce qu'elle l'eût nommé son libérateur. Et main- l'exemple d'Anne elle n'eut à fournir ni or,
;

tenant qu'Anne est sous tes yeux, te racontant ni argent mais simplement une prière de la
, ,

son inflrmité t'indiquant le remède, te dési-


, foi, des larmes ; et ainsi elle put s'en retourner
gnant le médecin sans que tu le lui demandes, en emportimt ce qu'elle était venue demander.
sans que tu l'en presses tu ne t'approcherais , N'allons donc point taxer d'inutilité ce récit :
pas, tu ne t'emparerais pas du remède, tu n'é- Car, ces choses, au dire de l'apôtre, ont été
couterais point l'histoire dans tous ses détails? pour nous être un avertissement, à nous
écrites

Mais, dès lors, quel bien pourra jamais devenir pour qui est venue la fin des temps. (I Cor. x,
ton partage? On a vu plus d'une fois des gens 11.) —
Approchons-nous de la mère de Samuel^
S04 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CIIRYSOSTOME.

apprenons comment fut guérie son infirmité, que la grâce intervint pour triompher des atta-
et ce qu'elle fit alors, après sa guérison, et chements naturels, et parce qu'ils se croyaient
comment elle usa du présent qu'elle avait reçu 3ncore réunis. Ainsi la vigne étend ses ra-
de Dieu. Elle s'assit , dit Thistorien, et allaita meaux bien loin de la place étroite qui en-
Samuel. ferme sa tige sans que cet éloignement em-
,

Voyez-vous comment dès lors elle considé- pêche la grappe de faire partie du même corps
rait cet enfant , non comme un enfant seule- que la racine ; la même chose se réalisa pour
ment, mais encore comme une offrande; elle Anne. De la ville où elle demeura, elle projeta
avait deux raisons de l'aimer^ l'une de nature, son rameau ju-qu'au temple, et suspendit en
et l'autre de grâce. Il me semble qu'elle res- cet endroit sa grappe mûre et la distance des
pectait son enfant , et cela se conçoit. En effet, lieux ne les sépara point, parce que la charité
ceux qui se proposent de consacrer à Dieu des selon Dieu maintenait dans leur union la mère
coupes ou des vases d'or, une fois qu'ils les et l'enfant.Grappe mûre ai-je dit, mûre non' ,

ont tout prêts entre les mains , et qu'ils les par l'âge, mais par la qualité pour tous ceux ;

tiennent en réserve chez eux en attendant le qui montaient au temple, Samuel était un
jour de la consécration ne les considèrent , maître de piété profonde. Car si la curiosité les

plus désormais comme des objets profanes, portait à s'enquérir des circonstances qui
mais comme des offrandes et ne se permet- , avaient environné sa naissance, ils gagnaient
tent pas même d'y toucher sans motif et sans à cela une consolation efficace, l'espoir en Dieu.
utilité, comme ils font pour les autres choses Et personne, à la vue de ce jeune enfant, ne

de ce genre Anne, à bien plus forte raison,


; s'en allait en silence ; mais tous glorifiaient
donnant ses soins à l'enfant dans cette même l'auteur de ce bienfait inespéré. Voilà pour-
pensée, tout d'abord, avant de l'introduire quoi Dieu avait différé l'enfantement; c'était

dans le temple, l'aimait plus qu'un enfant pour rendre cette joie plus profonde , c'était

ordinaire, et le respectait comme une offrande, pour jeter sur Anne plus d'éclat. Car ceux qui
pensant être sanctifiée par lui; en effet, sa connaissaient son infortune devenaient des té-
maison était devenue un temple, depuis qu'elle moins de la grâce que Dieu lui avait faite;
renfermait ce prêtre, ce prophète. Mais sa piété de telle sorte que sa longue stérilité servit à la

ne se montre point seulement dans sa pro- faire mieux connaître de tous, à la rendre un
messe; elle se révèle encore en ceci, qu'elle objet d'envie , d'admiration universelles, et à
n'osa pas entrer dans le temple avant d'avoir , faire adresser, à son sujet, dos actions de grâ-
sevré son fils. Elle dit à sojtmarl : Je ne moji- ces à Dieu. — Je dis cela nous pour que , s'il

terai point au temple jusqu'à ce que l'enfant


,
arrive de voir de saintes de femmes en état

y moule avec moi : mais lorsque je l'aurai se- stérilité, ou en proie à (juelque semblable in-
vré , il sera offert à la vue du Seigneur, et il fortune, nous n'éprouvions ni colère, ni amer-
siégera là pour toujours. (IRois, i, 22.) Voyez- tume, et que nous ne disions- pas en nous-
vous? Elle ne jugeait pas prudent de le laisser mêmes: Pourquoi donc Dieu a-l-il négligé une
à la maison et de monter au temple. A[)rès le femme si vertueuse, et ne lui a-til pointdonné
présent qu'elle a\ait reçu, elle ne supportait d'entant? Car ce n'est point là le fait de la né-
pas la pensée de se montrer sans ce présent ;
gligence, mais celui dune science mieux ins-
au contraire lorscpi'elle l'aurait pris avec elle
, truite (pie nousnièmes de ce qui nous iin-
pour l'amener au temple, il devait lui en coû- j)orte. Anne monta tlonc au temple, elle intro-
ter de redescendre. Voilà imuniuoi elle atten- duisit l'agneau dans la crèche, le veau dans
dit si longtemps pour paraître au temple avec retable, dans la prairie, la rose sans épines,
son présent. Alors elle l'amena , elle le laissa rose non passagère, mois pei'iiélue lement en
et l'entant, pas plus (|n'elle, negémit, en se fleur, rose capible de s'élever jusiju'au ciel,
voyant dérober mamelle. Vous savez pour-
la rose dont l'odeur enivre encore aujourd'hui
tant quelle est la douleur des enfants que l'on tous les habitants de la terre. Bien des années
sèvre. Mais Samuel ne fut point chagrin en se se sont puec édées, et le parfum <le cette vertu ne
voyant arracher sa mère ;ses regards se repor- fait que s'accroître, et la longueur du temps

{'Tent sur le Maître, à laquelle celle-ci même écoulé ne l'a point affaibli. Telle est la nature
f^cvait le jour, et la mère de son coté, ne souf- des choses spirituelles.
frit point d'être séparée de son enfant parce 3. Elle monta donc au temple, afin delrans»
HOMÉLIES SUR ANNE. — TROISIÈME HOMÉLIE. 805

planter ce glorieux rejeton, et, imiter ces cul- sacrifice. Ne vous arrêtez point, en effet, à
tivîi leurs laborieux (pii déposent d'abord au ce qu'il n'égorgea point son fils : songez seule-
sein de la terre des {^Taines de cy|)rès ou d'au- ment que dans sa pensée il alla jusqu'au
tres plantes pareilles, puis, lorsqu'ils voient femme en lutte
bout. Voyez-vous cette avec un
que la graine se fait arbre, au lieu de laissef îiomme? Voyez -vous comment son sexe ne
la plante au lieu de sa naissance, l'en retirer , l'empêche point de rivaliser avec le patriar-
pour la replacer dans un autre endroit, alin che? Mais regardez la consécration S'étant :

que la terre nouvelle qui l'accueille dans son approchée du prêtre, elle lui dit : A moi, sei-
sein déploie toute sa force, une force intacte gneur. (Ibid. v, 2G.) Que signifie celle expres-
pour alimenter la jeune racine. L'enfant dont sion, A moi? Cela veut dire : Prête une exacte
elle a reçu, contre toute espérance, le germe altention à mes paroles. Comme un long temps
dans son sein, elle l'arracbe de sa maison, s'était écoulé, elle veut lui remettre en mé-
pour le planter dans le temple, qu'arrosent moire ce qui a été raconté précédemment. De
d'inépuisables sources spirituelles. El l'on put là ce qui suit : yl moi, seigneur : ton aine se
voir se réaliser en leur personne cette pré- souvient. Je suis la femme qui s'est arrêtée de-
diction du Bknheureiix
propliètc David : vant toi en priant le Seigneur au sujet de ce
r/ionwïc gui na pas marché dans le con- jeune enfant. Tai prié le Seigneur, et il m'a
seil des impies qui ne s est pas tenu
,
donné la chose que je lui avais demandée. Et
debout daiis la voie des pécheurs ; qui ne moi je prêle cet enfant au Seigneur, afin qu'il
s'est pas dans la chaire de pestilence
assis ,
serve le Seigneiir tous les jours desavie. (1 Rois,
mais sa volonté est dans la loi du Seigneur, et I, 27, 28.) Elle ne dit pas : je suis la femme
dans sa loi il méditera jour et nuit, et il sera que tu as injuriée, que tu as insultée, raillée
comme le bois plainte sur le passage des eaux-, comme étant dans l'ivresse, comme n'ayant
lequel donîiera son fruit en son temps. (Ps. i, plus l'usage de sa raison ; à cause de cela Dieu
1-3.) En effet Samuel n'avait pas fait l'expé- voir que je ne suis point ivre c'est in-
t'a fait :

rience du vice, avant d'en venir trouver le re- considérément que tu m'adressais ce reproche.
mède: c'est en sortant des langes qu'il s'attacha Elle ne profère aucune de ces dures paroles, elle
à la vertu : il ne participa point aux réunions répond au contraire avec une douceur p irfaite :

où règne ne fréquenta point les


l'iniquité, il quoique le tour qu'avaient pris les événements
conversations pleines d'impiété dès le premier ;
témoignât assez en sa faveur, quoiqu'elle pût
âge, en quittant le sein de sa mère, il accourut reprocher au prêtre de l'avoir accusée à tort et
à cette autre mamelle spirituelle. Et de même mal à propos, elle n'en fait rien, elle ne parle
qu'un arbre continuellement arrosé, s'élève à que de bonté de Dieu. Voyez que de recon-
la

une grande hauteur de même il monta ;


naissance chez celte servante Lorsqu'elle était !

promptement au sonmiet de la vertu, grâce à dans la peine, elle n'avait dévoilé son infor-
la divine parole dont son oreille était inces- tune à personne, elle n'avait pas dit au prêtre:
samment abreuvée. Mais voyons comment J'ai une rivale, et cette femme qui m'accable

cette plantation s'opéra. Suivons Anne, entrons d'injures et d'invectives a une troupe d'enfants,
dans le temple avec elle. Elle monta avec lui, tandis que moi qui vis dans la sagesse, je n'ai

dit le texte, à Sélom, conduisant un veau de pu devenir mère jusqu'à ce jour : Dieu a
trois ans. Alors un double sacrifice se célè- fermé mon sein, et me voyant dans les tribu-

bre : une des victimes est douée de raison, lations, il n'a pas eu de moi. Rien de
jiitié

l'autre en est dénuée ; l'une est immolée par cela : elle se tait sur la nature de son infor-
le prêtre, l'autre consacrée par Anne. Mais tune, et montre seulement «ju'elle est dans la
non, l'hostie offerte par Anne avait bien plus peine en disant : Je suis une femme dans V af-
de prix que celle qui fut immolée par le prêtre. fliction : et elle n'aurait pas même proféré
Car Anne était sacrificalrice de ses propres en- cette parole si le prêtre ne l'y avait forcée, on
trailles; c'est le patriarche Abraham qu'elle soupçonnant qu'elle Mais lorsqu'elle
était ivre.

imitait, c'est contre lui qu'elle prélendit lutter. est hors de cette épreuve, et que Dieu a exaucé

Mais Abraham recouvra son fils et l'emmena : sa prière, alors elle révèle au i)iêlre ce bien-

Anne au contraire laissa le sien dans le


, , fait, voulant lui faire partager sa reconnais-
temple pour qu'il y restât toujours. Je me sance, comme autrefois il s'était associé à sa
trompe ALvahara lui-mêiue consomma son
: prière : J'ai prié, dit-elle, au sujet de ce petit
806 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JE-\N CHRYSOSTOME.

enfant^ et le Seigneur m'a donné ce que je hd Et ailleurs : envous-mêmes etjemar-


.y habiterai

avais demandé. Et maintenant je le prête citerai panni Cor. vi, 16.) Ne serait-il
vous. (II

au Seigneur. Voyez sa modestie. Ne croyez pas absurde, quand on répare une maison dé-
pas, veut-elle dire, que je fasse une grande, labrée qui menace ruine, qu'on dépense de
une admirable action , en consacrant mon l'argent pour cela, qu'on rassemble des ou-
jeune fils je n'ai pas eu l'initiative de ce bien,
1 vriers, qu'on ne néglige rien, de ne pas accor-
je ne fais qu'acquitter une dette. J'ai reçu un der la moindre sollicitude à la demeure de
dépôt : je le rends à celui qui me l'a confié. En Dieu, (car l'âme de l'enfant doit être la de-
disant ces paroles , elle se consacrait elle- meure de Dieu) ? Prenez garde de vous enten-
même avec son enfant, elle s\-ncliaînait pour dre dire, ce qui fut dit autrefois aux Juifs.
ainsi dire au temple par le lien de son attache- Comme au retour de la captivité, ils voyaient
ment naturel. leur temple négligé, et qu'ils s'occupaient néan-
4. En effet, si à l'endroit où est le trésor de moins à parer leurs maisons, ils irritèrent
l'homme, là est aussi son cœur, la pensée de Dieu à tel point qu'il envoya son prophète,
la mère était à plus forte roison auprès de son et les menaça de la famine, et d'une extrême
enfant. Et son sein se remplissait d'une nou- disette des choses nécessaires à la vie : il leur
velle bénédiction. Car après qu'elle eut dit ces dit aussi laraison de celte menace ; la voici :

mots, et qu'elle eut prié, écoutez le langage Vous habitez dans des maisons lambrissées et ,

que tint le prêtre à Elcana Que le Seigneur : ma maisoji est abandonnée. (Agg. i, 4.) Si la
terende une nouvelle progéniture issue de cette négligence des Juifs à l'égard de ce tempîe
femme, en échange du prêt que tu as fait au excita à ce point la colère de Dieu, à plus forte
Seigneur. (I Rois, n, 20.) Au commencement raison l'abandon de cet autre temple spirituel
il ne disait pas ; Qull le rende, mais bien qu'il est-il fait pour irriter le Maître: eu eff l ce der-
f accorde tout ce que tu lui d'amandes. Mais lors- nier temple l'emporte d'aut mt plus sur l'autre
qu'elle eut fait de Dieu son débiteur, il dit en valeur, qu'il offre de plus grands symboles
'^u'il te rende, de manière à lui faire concevoir de sanctification. Ne souffrez donc |.;i>que la
/e belles espérances pour l'avenir. En effet, celui maison de Dieu devienne une caverne de vo-
qui avait donné sans rien devoir, ne pouvait leurs, afin de ne pas vous entendre ré|)éter le
manquer de rendre après avoir reçu. Le pre- reproche que le Clirist adressa aux Juifs, à sa-
mier enfant dut par conséquent son origine à voir La maison de mon Père est une maison
:

la prière, les suivants à la bénédiction : et de de prière ; et vous en avez fait une caverne de
cette façon tous les rejetons d'Anne furent dé- voleurs. (.Mattb. xxi, 13; Luc xix, 46.) Mais
sormais sanctifiés. Elle n'avait dû qu'à elle- conmient maison devient-elle une
celte autre
même son premier-né le second fut dû au : caverne de voleurs? C'est lorsque nous lais-
concours d'elle-même et du prêtre. Et comme sons pénétrer et s'acclimater dans les âmes des
une terre grasse et féconde, après qu'on y a dé- jeunes gens des ajipétits mercenaires, serviles,
posé la graine, étale à nos yeux des moissons enfin toute espèce de libertinage. En effet ies

superbes de môme Anne, ayant reçu avec foi


: brigands sont moins à craindre que de pareilles
les paroles du prêtre, nous donna d'autres é|>is pensées, qui assi-rvissent les enfants, les ren-
florissants, abrogea l'anticjue malédiction,
et dent esclaves des passions déraisonnables, leur
en mettant au jour des enfants de prière et de font sentir de tous côtés de perçants aiguillons,
bénédiction. Suivez donc son e\eni|>le, femmes et déchirent leur ànie de mille plaies. Soit-

(pli m'écoutez : Si vous êtes stériles, offrez inie geons donc à cela tous les jours, et, armés du
telle prière, et sollicitez le prêtre de se charger fouet de la raison, chassons de leur cœur toutes
de votre ambassade. Quand vous aurez accueilli les passions de ce genre, afin que nos enfants
avec foi ses paroles il est impossible que la béné- puissent être admis dans la cité céleste elexerccà'
diction de vos pères n'aboutisse point à un beau complètement les fonctions dévolues à ses habi-
fruitmûr. Si vous devenez mère, consacrez, tants. N'avez-vous pas vu souvent en ce monde
vous aussi, votre enfant. Anne mena le sien les cbefs des Etats, dès que leurs enfants ont
au Temple faites au vôtre en vous-même un
: quitté la mamelle, eu faire des thallophores •,

tumple magnifique. Car vos membres, dit l'a-


pôtre, 5072/ le corps du Christ, et le temple de ' Go nommait ainsi c«uz q<U poiUiOBt dM rameaiu d'oliTiet du|
Saint qui çst m vous, (I Cor. vi, 19.) cerUiDcs fêtes publi(}UM,
tlOMLLIES SUR ANNE. — TROISIÈME HOMELIE. 507

des agonslhèles ', des gymnasiarques*, ou des si elle possède le trésor intérieur. Ces fonctions,
chefs de chœurs ' ? Faisons de même: dès 1( non-seulement nos enfants mâles, mais
•»ue
premier îv^c initions les nôtres aux affaires de encore nos filles les remplissent. En effet, ce
la cité qui est dans les cieux. Car pour celle n'est point comme dans la cité terrestre, on les
de ce monde, elle n'est qu'un sujet de dé- hommes seuls sont admis à ce genre d'offices :

pense, et ne rapporte aucun profit. la scène dont je parle est ouverte indistincte-
5. En elïet, quel gain peut-on retirer des ment aux femuK.'s, aux vieillards, aux jeunes
applaudissements populaires, dis-moi? Le soir gens, aux esclaves, aux hommes libres. En effi.'t,

venu, tout ce bruit, tout ce tumulte [)erd aus- connue c'est l'âme qui est offerte en spectacle,
sitôt son charme ; l'assemblée une fois séparée, ni le sexe, ni l'âge, ni le rang, ni rien de
comme des gens (|ui se sont vus en songe assis pareil,ne peut soulever un obstacle. Par con-
à une table somptueuse ; voilà ces hommes séquent, je vous exhorte tous, à livrer dès le
sevrés de toute joie que leur causait
: le plaisir premier âge vos fils et vos filles aux offices de
cette couronne, cette robe magnifique et tout cette nature, à mettre en réserve pour eux le
cet appareil, c'est en vain que dès lors, ils le genre de richesse qui convient à l'organisation
chercheraient en eux-mêmes : tout s'est enfui d'une cité pareille au lieu d'enfouir de l'or,
:

plus vite que le vent le plus rapide. d'amasser de l'argent, déposons dans leurâme,
II en est autrement de la cité céleste : sans sagesse, chasteté, réserve, en un mot toutes les
exiger aucune dépense, elle nous rapporte un vertus. Car telle est la dépense que cet office
profit aussi grand que durable. Là ce ne sont réclame. Si donc nous faisons de telles provi-
point des gens ivres, c'est le peuple des anges sions pour nous-mêmes et pour nos enfants, du-
qui applaudit sans cesse l'homme en charge. rantla vie présente nous brilleronsd'un vif éclat,
Que dis-je ? le peuple des anges le Maître des : dans l'autre monde nous entendrons cette
et
anges en personne félicitera celui dont je bienheureuse voix par laquelle le Christ pro-
parle et lui donnera son approbation. Or celui clame tous ceux qui l'ont confessé. Mais cette
que Dieu loue, ce n'est pas un jour, ni deux, contéssion n'est pas seulement la confession
ni trois , c'est durant toute l'éternité qu'il par la foi c'est encore la confession par les
:

triomphe, la couronne au front; et jamais on œuvres de sorte que, faute de celle-ci, nous
;

ne saurait voir la tète d'un tel homme dépouil- risquons d'être punis avec ceux qui nient. Car
lée de sa gloire. Car la durée de la fête n'est il y a bien des manières dilTerentes de nier,

point enfermée là-haut entre bornes de les lesquelles Paul nous indique en disant : Jls

quelques journées, elle se prolonge sans fin confessent quils connaissent Dieu, et ils le

dans l'éternité. —
De plus la pauvreté n'est nient par leurs œuvres. (lit. i, IG.) — El ail-
point un empêchement à l'exercice de ces leurs : Si quelqu'un n'a pas soin des siens et
fonctions : le pauvre même peut s'en acquitter, surtout de ceux de sa maison, il a renié la foi^

le pauvre surtout, attendu qu'il est cxeinpt de et il est pire qu'un infidèle. (I Tim. v, 8.) En-
toutes les ponjpes mondaines : le nécessaire fin, Fuyez Vuoarice,
dans un autre endroit :

n'est point d'avoir


de l'argent à dépenser, mais qui une idolâtrie. (Coloss. m, 5.) Mais s'il y
est
de posséder une âme pure et un esprit sage. a tant de manières de nier, il est clair qu'il n'y
Tel est l'artisan qui ourdit pour l'àme les vêle- a pas moins, qu'il y a même beaucoup plus do
ments destinés à cette autre vie, (jui lui tresse manières de confesser faisons en sorte de les
:

sa couronne. En sorte que, si cette âme n'est praticjuer toutes, afin de jouir, nous aussi,
point parée des mérites de la vertu, elle n'a nul des célestes honneurs, par la grâce et la charité
besoin de beaucoup d'or ; comme d autre part, de Noire-Seigneur Jésus-Christ, parcjui etavec
la pauvreté ne lui portera en rien préjudice, lequel, gloire au Père et au S lint-Espril, main-
tenant et toujours, et dans les siècles des siè-
'Nom de ceux qui présidaient aux jeux publics et décernaient le prix.
* Directeurs des gymnases où les jeunes gfis i'oxerçaient. cles. Ainsi soit-il.
* FoDcUoa théâtrale.
508 TRADUCTION FRANÇAibE DE SAINT JEAN CURYSOSTOME-

QUATRIÈME HOMÉLIE.

CONTRE CEUX QUI DESERTENT LA REUNION DES FIDELES POUR ALLER DANS LES THEATRES. QU IL —
EST NON-SEULEMENT PLUS UTILE MAIS ENCORE PLUS AGRÉABLE d'oCCUPER SON TEMPS A l'ÉGLISE
QUE DE LE PERDRE AU THÉÂTRE. — SUR LA SECONDE PARTIE DE LA PRIÈRE d'aNNE : QUIL FAUT
PRIER SANS CESSE, ET EN TOUT LIEU, MÊME SUR LA PLACE PUBLIQUE, MÊME EN ROLTE ,MÊME AU
UT.

ANALYSE

1. Réprimande à l'adresse des absents. Contraste entre l'empressement avec lequel on coart anx jenx do cirque^ et la tiédeor
qu'on met à se rendre à l'Eglise.

2. Dau^'cr des spectacles : qu'ils ont en réalité peu de charmes. Comparaison entre les plaisirs du vice et ceux que procure la

vertu.
3. Retour à l'iiistoire d'Anne. Sa gloire :combien supérieure à la gloire mondaine.
4. Cominciilaire sur l'expression : Mm Dieu. Rapprochements bibliques.
5. Néccsï>ité des prières fréquentes.
6. Conditions essentielles de la prière dans la nouvelle Loi : qu'elles consistent uniquement dans les dispositions inlérienres.

4. Je ne sais quel langage tenir anjourd'hui. honte , en déchaînant contre eux autant
En effet, quand je vois le délaisscniont de nris d'accusateurs que vous êtes de personnes réu-
rétinions, rirrévéïcnce, le déilaiii, le mépris, nies pour m'écouler. S'ils étaient présents, ils

prodigués aux prophètes, aux apôtres, aux pères ne recevraient qu'une réprimande, la nôtre;
par des esclaves dont rinsolence va jusqu'à mais, parce qu'ils ont voulu se dérober à nos
braver leur Maître, je voudrais censurer; mais, reproehes, tout ee que je vais dire trouvera
à la place de ceux à qui devraient s'adresser en vous autant d'échos. —
Les amis n'agissent
mes accusations, je ne vois ici que vous qui point autrement lorsqu'on ne trouve point
:

n'avez pas besoin de tels avertissements, ni de ceux auxijuels on a des reproches à faire, on
telles réprimandes. Néanmoins nous ne sau- s'abouche avec leurs amis pour qu'ils aillent
rions nous taire. —
En clTet, quelque chose de tout leur répeter. Dieu lui-même s'est ainsi
l'indignation que les coupahles nous in^(>ireut comporté au lieu d'avertir ceux qui avaient
:

pourra transpirer au-dehors, si nous lui ou- péché contre lui, il s'adresse à Jérémie qui
vrons une issue par nos paicdcs et nous ,
était innocent, et lui dit As-tu vu ce que wj'tf
:

ks lurons rougir d'eux - mêmes et avoir fait la fille (Hicniée de Judo ? (Jér. m ,
G.)
HOMt':Llt.s SIH iViN.NE. — QUATHIÈ.ME HOMÉLIE. too

Voilà pourquoi, nous aussi, c'est à vous que au libertinage, lorsque toi-même, vieillard
nous adressons nos censures contre ces hom- aux cheveux blancs, tu t'oublies dans de pa-
mes, afin qu'en sortant d'ici vous leur f i>siez reils div» riissements, lors(ju<', au terme d'une

enti'ndre raison. Kli (jui pourrait tolérer une


! si longue carrière, tu n'es point las encore de
pareille indiirérenee? Une fois par semaine ces vilains spectacles? Comment pourras-tu
nous nous rassemblons en ce lieu, et ils ne se morigéniT ton fils, punir les fautes de ton ser-
ré-^i^nent p.is uirnu', durant C(;tte journée, à viteur, comment doimer des conseils à ceux
laisser de côté les soucis mondains cpTon : qui négligent leurs devoirs. Quand, |)arvenu à
leur en fasse un reproche, aussitôt ils allè- rexlrème vieillesse, tu montres toi-même si
guent leur pauvreté, le soin de leur subsis- peu de retenue ? Qu'un jeune homme vienne
liuice, leurs occ'U|>ations pressantes : excuses à offenser un vieillard, aussitôt celui-ci se
plus accablantes pour eux que toutes les accu- prévaut de son âge, et trouve mille personnes
sations. En effet, n'est-ce pas porter contre soi pour partager son indignation mais quand :

la plus terrible des accusations ,


que de pa- il s'agit de former la jeunesse, de devenir pour
raître considérer quelque chose comme phis elle un modèle de vertu, l'àg n'est plus mis

nécessaire et plus urgent que les affaires de en compte, et l'on montre plus de fureur que
Dieu? Oui, quand tout cela serait parfaitement les jeunes gens mêmes pour se précipiter aux
vrai, ce serait, comme
je viens de le dire, une spectacles défendus. Si je paile de la sorte, si
accusation, et non une apologie. Mais fiour je fais le procès aux vieillards, ce n'est point
vous prouver que ce sont là de purs prétextes, [)our décharger les jeunes gens ni pour les
des subterfuges destinés à déguiser l'indo- justifier, c'est pour préserver, en me servant
lence, il n'est que faire de mes paroles : la d'eux, les vieillards eux-mèines. Car ce qui
journée de demain sufllra pour confondre ne convient pas aux vieillards, convient en-
ceux qui allèguent de pareilles raisons, alors core bien moins aux jeunes gens. Pour ceux-
que toute la ville aura émigré vers l'hippo- là, il est vrai, la risée avec la plus forte part
drome, et que les maisons, les places auront de h mte mais pour ceux-ci, le désastre e.>t
;

été désertées pour ce spectacle interdit. Ici — plus grand; l'abîme est plus profond, d'autant
l'enceinte même de l'église, on peut le voir, que ch z les jeunes gens les passions sont plus
n'est pas remplie mais là-bas, ce n'est point
: vives, la flamme plus ardente, et que, pour
seulement l'hippodrome, ce sont les étages des peu qu'j cette flamme reçoive du dehors un
maisons, le? édifices, les toits, les lieux inac- aliment, elle a bientôt tout embrasé. Le jeune
cessibles, que sais-je encore? dont s'emparent homme est plus sujet à s'abandonner à la con-
les curieux. Ni la pauvreté, ni les occu[):itions, cupiscence et au déi églement aussi a-t-il be-
;

ni la maladie, ni l'impotence, ni rien de pa- soin d'une surveillance plus active, d'un frein
reil, ne suflit alors à réprimer celte irrésis- plus rigoureux, d'un rempart mieux défendu,
tible fureur : des vi( illards courent la-bas, d'un jiféservalir plus iiilaillible.
plus vile que des jeunes gens à la flcur de 2. Et ne viens pas me dire, mon cher audi-
l'âge, sans respect de leurs cheveux blancs teur, que le spectacle fait plaisir ce que je :

sans craindre de donn^T leurs années en spec- voudrais savoir de tii, c'est s'il ne cause pas
tacle, ni d'exposer la vieilles:^ même à la risée de dommage en même temps (ju'il fait plaisir.
publique. — Ici, succombent
à peine entrés, ils — Et pourquoi parler de dommage? Je sou-
à l'ennui, ils se trouvent incommodes, ils se tiens qu'il n'y a pas même de plaisir, et vous
renversent en arrière pour écouter la di\ine allez en être convaincu. —
En revenant de
parole, ils se i>laigni'nt du manque de place, celte course de chars, abordez ceux qui re-
de la presse et d'autres gènes semblables. — viennent de l'église, et tâchez de bien vous
Là-bas, où leur tète nue est exposée au soleil, assurer lequel est le plus content, de celui qui
foulés, pressés, étouffés dans la cohue mal , a écouté les prophètes, cjui a eu sa part des
menés de toutes façons, on les croirait étendus bénédictions, qui a i)rofilé des instructions,
nonchalamment dans une prairie tant ils , qui a demandé pardon à Dieu de ses péchés,
sont heureux. Voilà ce (jui corrompt les cités qui a soulagé sa conscience, et qui n'a rien de
les vices des instituteurs de la jeunesse. — En |)areil à se repiocher; ou de vous-même qui

ellet, comment pourras-tu ramener à la sa- avez abandonné votre mère, dédaigné les pro-
gesse un jeune homme livré aux désordres et phètes, offensé Dieu, pris part aux fêtes du
?lô TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

diable, entendu des injures, des invectives, que par là vous les délivriez de toute habitude
perdu votre temps sans aucun résultat, sans vicieuse, pour que vous leur persuadiez de se
avoir à rapporter chez vous aucun profit, ni conduire en tout avec sagesse. En effet, ces
mondain ni spirituel. Pour avoir du plaisir, hommes qui vont au hasard cl à l'étourdie
c'est donc ici qu'il faut venir, de préférence ne méritent pas d'éloges, même quand ils se
à tout autre endroit. De là-bas on rapporte montrent zélés c'est ce que prouvera notre
:

des remords, des reproches de conscience, du prochaine réunion. Nous célébrerons alors la
repentir, de la honte, de la confusion, des re- sainte Pentecôte : et l'affluence sera telle, que
gards humiliés. — Ici, c'est tout le contraire : toute celle enceinte ne nous contiendra qu'à
on y gagne le droit de parler avec toute con- peine. Néanmoins, je ne saurais louer ce con-
fiance, etde s'entretenir sans crainte avec cours : car c'est là affaire d'habitude et non de
tout le monde des instructions que l'on a en- piété. Peut-on trouver rien de plus misérable
tendues. que ces hommes, dont la nonchalance prèle

En conséquence , lorsque tu arrives sur la à tant de reproches, et dont le zèle apparent ne


place , et que tu vois la foule courir au specta- comporte point d'éloges. En effet, celui qui par-
cle, hâte-toi de te réfugier dans l'éghse, et pour ticipe à cette divine réunion par zèle, par
prix d'un moment de constance , lu goûteras amour, par sagesse doit s'y montrer assidu , ,

longuement les délices de la divine parole. Car et non pas s'en éloigner avec ceux que les

si, entrauié par la multitude des curieux, tu fêtes seules y attirent à la façon de ces ani-
,

les suivais la-bas, après un moment de récréa- maux qui se laissent conduire sans savoir où
tion, tu serais malheureux tout le jour, et en- ils vont.
core le et beaucoup d'autres
jour suivant , 3. Je pourrais prolonger encore ce préam-
parce que tu te condamnerais toi-même tan- : bule démon discours. Mais je n'ignore pas que
dis que si tu sais un peu te contenir, tu auras votre empressement à remplir vos devoirs de-
du bonheur pour toute la journée. D'ailleurs vance mes instructions, cl que, par conséquent,
ce n'est point seulement en ce qui nous im- vous saurez dire |)lusquejen'ai dit moi-même.
porte ici, c'est dans tout le reste que les choses C'est pourquoi, afin de ne point vous impor-
se passent de même. Le vice apporte du plaisir tuner de mes censures à l'adresse de ces hom-
pour un moment et de la peine pour long- mes ,
j'omets tout ce qu'il me resterait à dire,
temps la vertu, au contraire, après quelques
: et j'arrive à la suite de nos instructions, en re-
instants de peines donne un profit durable
, venant à l'histoire d'Anne. Et n'allez point
que la joie accompagne. Par exemple, on a vous étonner de notre persistance à traiter ce
prié Dieu, on a pleuré, gémi quelque temps en sujet. Je ne puis ôler cette femme de ma pen-
faisant sa prière une autre personne a passé
: sée tant j'admire la beauté de son âme et ses
:

tout le jour dans la joie , ensuite elle a charmes intérieurs. J'aime ces yeux inondés
une aumône, elle a jeûné, elle a
fait fait quel- de larmes pendant la prière et constamment
que autre bonne œuvre, ou encore elle s'est occupés; ces lèvres, cette bouche, non point
abstenue, étant offensée, de rendre la i)aroille. fardée par je ne sais quelles drogues, mais
Pour avoir patienté un moment ou maîtrisé embellie par la gratitude à l'égard de Dieu :

votre colère vous voilà heureux content au


, , telle était cette femme que jadmire parce qu'elle
souvenir de vos bonnes actions. Le vice offre fut snge , mais que j'admire plus encore parce
quelque chose de tout à lait contraire un : qu'elle était en même temps sage et femme,
homme s'est rendu coupable d'insulte, ou il femme, ai-je dit, c'est-à-dire objet de bien des
a relevé une offense quand après cela il rentre
: accusations. De femme, est-il écrit, est sorti
la
chez lui, c'est pour se consumer dans la peine, le péché, et c\'St par elle que nous sommes tous

au souvenir de ces invectives lesquelles sou- , sujets à la mort. (Eccl. xxv, 33.) Et ailleurs :

rent causent de grands dommages. Par consé- Toute malice est petite , comparée à la malice
quent, si vous cherchez du plaisir, l-'ui/cz /es de la femme. [\b. v, "â-i.) Paul dit pareillement :

co)icttpfscc?iccs jucé/u'les (Il Tim. ii .>2), pra- , Adam ne fui pas trompé, mais la femme ayant
ticpiez la tempérance et prêtez l'oreille à la, été trompée tomba en prévarication. (1 Tim.
.,

parole divine. Si nous vous parlons ainsi c'est , M, 14.) Si je l'admire aulnni, c'est principale-
pour (jue vous ivpêliez nos paroles aux autres, ment parce qu'elle échajtpa a tous ces griefs,
pour que vous les en fatiguiez sans relâche et , qu'elle écarta loin d'elle cetle accusation, que
HOMÉLIES SUR ANNE. — QUATRIÈME lïOMKLlÊ, tii

faisant partie de ce sexe accusé et d«''crié , elle l'une et la solidité de l'autre, a dit : Toute
se lava de tous ces reproches, et montra par ch'iir est du foin, et tonte gloire humaine est

ses actes que les feiuuies elles-uit'^ines ne son^ comme du foin. Le foin se dessèche et
la fleur
point telles par nature, mais bien par choix ou la fleur tombe. (Is. xl,0, 7.) La gloire «jui
par nonchalance, et qu'il est possible à leur vient de Dieu est autre mais encore ? La pa-:

sexe d'atteindre au sonnnet de la vertu. L'a- role de Dieu pcrsistr durant l'éternité. ( Is. xl ,
niour-propre et la persévérance sont dans la 8.) Et c'est ce que prouve aussi l'exemple
nature de cet être : de sorte que si la fennne se d'Anne. En effet, on oublie les rois les géné- ,

laisse aller au vice, elle tait beaucoup de mal : monanpies, malgré tous leurs efforts
VA\\\, les

si au contraire elle s'appli»[ne à la vertu , elle pour immortaliser leur mémoire, nvdgré les
sacrifiera sa vie , avant de renoncer à sa réso- magnificjues tombeaux qu'ils se font bâtir, les
lution. statues qu'ils élèvent, les bustes (ju'ils érigent
C'est qu'Anne elle-même triompha de la na- en tous lieux, les monuments (lu'ils laissent de
ture, vainquit ainsi la nécessité, et par l'assi- tout côté en souvenir de leurs succès; et leur
duité de sa prière fit f^ermer un enfant dans, nom même n'est plus connu de personne. Mais
son sein d'abord impuissant. Aussi recourt- Anne est célébrée encore aujourd'hui dans tous
elle de nouveau à la prière même après avoir , les endroitsde l'univers allez en Scylhie, en :

été exaucée : Mon cœin\ dit-elle, s'e^t affermi Egypte, chez les Indiens, aux extrémités de
dans le Seiqneur^ ma corne a été exaltée en la terre partout vous entendrez des bouches
,

mon Dieu. (I Rois, n, 1.) Vous savez que l'autre vanter ses mérites partout où luit la lumière
:

jour '
j'ai dévoilé à votre charité le sens de du d'Anne étend son domaine.
soleil, la gloire
ces mots Mo7i cœur s'est affermi dans le Sei-
: Et ce qu'il faut admirer, ce n'est pas seulement
gneur : il faut maintenant vous explicjuer les qu'Anne soit célébrée dans tous les lieux du
paroles qui suivent : après qu'elle a dit : Mon monde c'est encore (pi'après im tel laps de
, ,

cœur s'est Seigneur, elle


affermi dans le temps, sa réputation, loin de s'éteindre ne
ajoute Ma corne a été exaltée en mon Dieu.
: fait que prendre de nouvelles forces et un nou-

Qu'est-ce à dire, 7na corne? L'Ecriture fait un vel accroissement; que tous connaissent sa sa-
usage perpétuel de cette expression, par exem- gesse sa patience sa résignation
, , dans les ,

ple ici, ma
corne a été exaltée (Ps. lxxiv, U), villes et aux champs, dans les maisons, dans
et ici encore La corne de son Christ a été
: lescamp;>, sur les vaisseaux, dans les bouti-
exaltée. ii, 10.) De (luelle corne veut-elle
(! Rois, ques, parîout vous entendrez son éloge. Car
donc parler? Elle entend par ce mol la i>uis- lorsque Dieu veut glorifier quebju'un, la mort
sauce, la gloire, l'illustration , en vertu d'une a beau venir, le temps s'écouler, les accidents
com[)araison avec certains animaux. En effet survenir, la gloire de ce moitel subsiste et garde
pour gloire et pour arme, ceux-ci n'ont reçu éternell( ment ses fleurs: et nul n'est capable
de Dieu que la corne, et s'ils viennent à la de jeter (le l'ombre sur cet éclat. Aussi, comme
perdre, ils perdent du même coup presque pour a|»pren<lre à tous nos auditeurs (ju'il
toute leur force un taureau sans cornes est
: ne faut point mettre son recours dans les chose?
comme un soldat désarmé; on s'en rond maître périssables, mais dans le principe des biens
facilement. Anne n'entend donc point autre durables et éternels, Anne nous fait comiaitre
chose par cette expression Ma gloire a été : celui à qui elle dut sa gloire. Après avoir dit :

exallée. Et conunent a-t-elle été exaltée ?^« Mon cœur a été affermi dans le Seigneur, elle
mon Dieu, dit-elle. Yido lors l'élévation n'est ajoute Ma corne a été exallée dans le Sei-
:

plus dangereuse un fondement, car elle a gneur : faisant allusion par là à deux biens
solide, une racine inébranlable. En etlct la , qui ne se rencontrent pas ordinairement en-
gloire qui vient des honnnes re[)roduit en soi semble. J'ai été sauvée de la tempête, dit-elle^
la faiblesse de ceux qui la décernent : aussi est- j'ai échajjfié au déshonneur, j'ai trouvé la sécu-
elle facilement renversée. Il n'en est pas ainsi rité, j'ai reçu ma part de gloire. Voila les deux
de celle qui vient de Dieu : celle-là demeure à choses qu'il est rare de trouver réunies, kieau-
jamais inébranlable. C'est de là que le Pro- cuup d'hommes vivent à l'abri du danger, mais
phète, voulant montrer à la fois la fragiliie de leur vie n'a rien de glorieux : d aulre.- .lU con-
traire jouissent d'une gloire éclalunte, mais ils
Dans ua sermon qui était le quatrième soi Anne et que nou*
n'avoni) plu». sont forces de biaver le péril ù cause de cette
î)12 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME,

gloire. Par exemple : combien ne voit - on Dieu comme celui des autres, mais il prétend
pas de prisonniers , adultères , fourbes ,
vo- être spécialement le leur.De là ces expres-
leurs , sacrilèges ou coupables d'autres cri- sions : Je suis le Dieu d Ahruliam , dlsaac
mes auxquels une grâce royale ouvre
pareils, et de Jacob (Exod. m , G) : loin de resser-
les portes de leur cachot ? Ces gens sont rer par là les bornes de son empire, il les
exenijités de leur peine mais leur ignomi- , recule plutôt : car ce n'est pas tant le nom-
nie subsiste, et la honte continue de s'atta- bre de ses sujets que leur vertu qui mani-
cher à leurs pas. D'autres braves soldats , , feste son pouvoir : il ne se plait pas autant
en cherchant une vie glorieuse et brillante, à s'entendre appeler Dieu du ciel, de la terre,
ont reçu mille blessures des ennemis dont de la mer , et de leurs habitants, qu'à s'en-
ils affrontaient témérairement les coups et , tendre nommer Dieu d'Abraham, d'isaac et
enfin ont succombé à un trépas prématuré : de Jacob. Et ce qui ne se fait pas chez les
en courant après la gloire, ils ont perdu la hommes, se voit, quand ii;s'agit de Dieu.
sécurité. Entendez-moi bien : chez les hommes les es-
4. Anne réunit ces deux avantages : elle claves sont désignés par le nom de leur maî-
jouit de la sécurité et eut la gloire en partage. tre, et l'usage universel est de dire un tel,
Il en fut de même des trois jeunes gens (Dan. procureur de telle personne, un tel, intendant
3) sauvés du feu , ils échappèrent au péril,
: de tel général, de tel gouverneur tandis que :

et se couvrirent de gloire en triomphant, d'une personne ne dit un tel, général de ce procu-


manière surnaturelle, du pouvoir de cet élé- reur; au contraire, nous désignons toujours
ment. Tels sont les bienfaits de Dieu ils pro- : l'inférieur par le nom du supérieur. C'est le
curent à la vie en même temps éclat et sécu- contraire lorsiiu'il est question de Dieu. En
rité et c'est à ces deux choses qu'Anne faisait
: effet, on ne seulement Abraham, ser\i-
dit pas

alhision en disant : Mon cœur a été affermi teur de Dieu, mais encore le Dieu d'Abraham,
dans le Sei(/new\ ma corne a été exaltée dans et ainsi le Maître est désigné par le nom de son
mon Dieu. Elle ne dit pas simplement en Dieu, : esclave. Voilà ce qui étonnait Paul et lui dictait
mais dans mon Dieu, s'appropriant en quel-
: ces mots : C'est pourquoi Dieu ?i'a pas honte
que sorte le Maître commun de l'univers et : d'être appelé leur Dieu. (Héb. xi, lu.) Le Maî-
cela,non pour rétrécir l'empire de ce Maître, tre, fait-ilremarquer, na pas honte d'être dé-
mais pour attester son propre amour, et par signé par nom de ses serviteurs. Pourquoi
le

une expression de tendresse. C'est ainsi qu'en n'en a-l-il pas honte ? Dites-nous-en la raison ,

usent généralement ceux qui aiment ils ne : afin que nous nous réglions sur ce modèle. I/s

se résignent point à aimer en compagnie de étaient étrangers et venus dun autre pays, dit
beaucoup d'autres : ils veulent montrer une l'.Vpôtre. (Ibid. v, 13.) Eh bien! c'était uu mo-
affection exceptionnelle et propre à eux seuls. pour avoir honte car les étrangers passent
tif :

C'est le cas de David lorsiju'il dit Dieu, mon, : pour obtenir peu de considération et d'égards.
Dieu,jem''éveilleàvouslematin. (Ps. lxii, 1.) Mais ces saints n'étaient point des étrangers,
En effet, après avoir nommé Dieu comme le de la manière que nous supposons , mais
Maître universel, il le désigne ensuite par un d'une certaine autre manière, tout à fait iuou'ie.
mot (|ui indique sa domination particulière Nous ai)pelous quant à nous étrangers les
, ,

sur les saints. Dieu, mon Dieu, dit-il encore, honmies (jui ont cjuitlé leur patrie, et qui
écoutez-moi, pour quoi niavez-vous abandonné? sont venus sur une autre terre : mais ceux
(Ps. XXI, i.) Et : ailleurs. Je dirai à Dieu : Vous dont nous parlons ne l'étaient point de cette
êtes mon protecteur. (Ps. xc , 2.) Ces paroles manière : déilaigiieux de l'univers entier ,

sont d'une âme fervente, enllannnée, consu- jugeant que la terre était peu de chose, ils

mée par l'amour. Anne n'agit pas autrement. élevaient leurs regards vers la cité qui est
Mais (juc compurlent ainsi, il
les honuues se dans lesnon par présomption mais
cieux , ,

n'y a rien là d'étonnant. C'est en voyant Dieu par magnanimité non |)ar un fol orgueil , ,

faire de même, que vous pourrez être surpris. mais par philosophie. Car, après avoir consi-
De même que ceux (jue j'ai ei lés ne l'iuNoquent déré toutes les choses d'ici-bas, s'être aperyus i !

point en commun avec d autres, et veulent que tout s'écoule el pi "'t. qm rien, en ce
qu'il soit spécialement leur Dieu : ainsi Dieu monde, ne reste ferii.c el immuable, ni la

lui-nièine ne se donne i)oint i)our être leur richesse , ni la puissance , oi la gloire , ni


HOMÉLIES SUR ANNE. — QUATRIÈME HOMÉLIE. .'513

la \ic même, maiscjuc chaque chose a sa fin et s'il voit une belle femme, cet objet n'amollira
court au lerme qui lui est assi|^né en propre, pas son cœur; le feu de la prière encore vivant
tandis que les choses célestes sont immortelles dans son âme fera fuir loin de lui toute pensée
et impérissables , ils prirent le parti de se coupable. Mais comme il est naturel à l'homme
rendre étrangers aux choses qui s'écoulent et de se laisser aller à la négligence, lorsqu'une
qui passent , afin de s'attacher à ces autres heure, une seconde, une troisième se seront
choses qui demeurent. Ils étaient donc étran- écoulées depuis ta prière, et que tu verras la
gers , non qu'ils fussent sans patrie mais , ferveni' en voie de s'éteindre insensiblement,
parce qu'ils soupiraient après la |)alric éter- hâte-toi de courir de nouveau à la prière, et
nelle. Paul lui-même fait allusion à cela dans réchautl'e ton cœur refroidi. Si tu te comportes
ces paroles :Ceux qui parlent ainsi montrent ainsi durant toute la journée, si par la fréquence,

qu'ils cherchent une patrie. (Iléh. xi , 1-4.) de tes prières tu as soin d'en attiédir les inter-
Quelle patrie? Dis-moi. Est-ce l'ancienne pa- valles, tu ne donneras pas de prise au démon,
trie qu'ils ont quittée? Non, répond-il. S'ils ni d'accès dans ta pensée. Quand nous sommes
s'étaieîtt soîweniis de celle d'oii ils sortirent , à table et que nous voulons boire, si nous
ils auraient eu certainement le temps dy re- voyons l'eau qui a été chauffée se refroidir,
tou?mer. Mais maintenant ils en désirent une nous la remettons sur le foyer, afin de la ré-
meilleure , c'est-à-dire la céleste , dont Dieu chauffer promptement. Faisons de même ici,
est Varchitecte et le créateur. Aussi Dieu ne et appliquant notre bouche à la prière, comme
rougit point d'être appelé leur Dieu. (Ibid. sur un lit de charbons, rallumons la piété
V, 15-it).) dans notre cœur. Faisons comme les maçons.
Suivons donc, nous aussi, je vous y con-
5. Se préparent-ils à bâtir en briques, vu la fragi-
vie, l'exemple de ce? saints; dédaignons les litéde leurs matériaux, ils serrent leur cons-
choses présentes, soupirons après les^choses truction entre de longues poutres, et cela, non
futures, prenons Anne pour institutrice, re- à de grands intervalles, mais à de très-faibles dis-
courons constamment à Dieu, demandons-lui tances, afin de rendre leur assemblage de bri-
toutes choses. Car rien ne vaut la prière; c'est ques plus solide, grâce au grand nombre de ces
elle qui rend possible l'impossible, aisé ce qui solives. Fais de même, entremêle tous les actes
est difficile, uni ce qui est hérissé d'obstacles. de ta vie mondaine de fréquentes prières, et
Le bienheureux David aussi la pratiquait; voilà fortifie ta vie de toutes parts au moyen de ces
pourquoi il a dit Sept fois le jour je vous ai
: étais multipliés. Si tu suis mon conseil, c'est
loué au sujet des arrêts de votre justice. en vain désormais que les vents se déchaîne-
(Ps. cxviii, ICI.) Si un roi, un homme accablé raient en foule, que tu te verrais assailli de
de soucis, distrait de toutes parts, invoquait tentations, d'angoisses, de pensées importunes,
Dieu tant de fois dans la journée, quelle serait de quelques fléaux que ce soit rien ne pourra ;

notre excuse, notre titre à la miséricorde, à renverser une maison protégée par une telle
nous qui avons tant de loisirs, si nous ne charpente de prières. Et comment, dira-t-on,
prions pas sans cesse, et cela, quand nous de- un homme du siècle, cloué à un tribunal,
vons retirer de là un si grand avantage? Car il pourrait-il prier de trois en trois heures, et
est impossible, oui, impossible qu'un homme s'échapper vers l'église. Cela se peut, et rien
qui prie avec la ferveur convenable, et qui in- n'est plus facile. En pas aisé de
effet, s'il n'est
voque Dieu sans cesse, tombe jamais dans le courir à l'église, là-bas, debout à la porte, ou
péché; comment, je vais le dire. Celui qui a cloué à son tribunal, il peut prier; car il n'est
échauffé son cœur, réveillé son âme, qui s'est pas tant besoin pour cela de paroles que de
transporté au ciel, etqui, dans ces dispositions, pensées , ni de mains étendues (jue d'âme
a invoqué son Maître, qui s'est souvenu de ses attentive, ni de gestes que de méditation. En
péchés, qui en a demandé à Dieu la rémission, effet, si celte môme Anne dont je parle, fut
qui l'a supplié de lui être favorable et propice, exaucée, ce n'est point qu'elle fît retentir une
celui-là pour prix du temps passé dans un tel voix forte et éclatante, c'est parce qu'elle pous-
entretien, est délivré de tout souci mondain, il sait de grands cris au fond de son cœur. Sa
prend des ailes, il s'élève an-dessus des pas- voix n'était pas entcîîdue , dit l'Ecriture, et
sions humaines; s'il voit son ennemi après Dieu l'entendait. Bien d'autres ont faitde
avoir prié, il ne voit plus en lui un ennemi ;
même bien des fois, et tandis que le magis-
S. J. Cii. — Tome V. .33
514 TRADUCTION FRANÇATSE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

trat, dans l'enceinte, menaçait, s'ef-


criait, attentivement; tel autre, assis dans sa boutique,
forçait, faisait rage, eux, debout devant la porte, tout en cousant ses peaux, est libre d'offrir son
après s'être signés et avoir fait une courte âme au Maître; l'esclave, au marché, dans ses
prière mentale , rentraient, désarmaient , flé- allées et venues, à la cuisine, s'il ne peut aller
chissaient le juge changeaient sa colère
, et à l'église, est libre de faire une prière attentive
en clémence et ni le lieu, ni le temps, ni
;
et ardente. L'endroit ne fait pas honte à Dieu,
le silence n'avaient été des empêchements à la seule chose qu'il demande, c'est un cœur
leur prière. fervent une âme vertueuse. Et
et pour ,

6. gémis amèrement
Agis de la sorte ;
que vous voyiez bien que la posture , les
rappelle - toi tes péchés lève les yeux au , lieux, les temps sont choses tout à fait ac-
ciel, dis en toi-même Dieu, ayez pitié de : cessoires, et que tout l'essentiel est une dis-
moi, et voilà ta prière faite. Car celui qui a position généreuse et active de l'âme ;
dit : Pitié, a fait une confession, a reconnu Paul couché sur le dos dans sa prison (il
,

ses propres péchés en effet, la pitié est faite


; ne pouvait se tenir debout car les entra- ,

pour les pécheurs. Celui qui a dit pitié : ves qui emprisonnaient ses pieds ne le lui
pour moi a reçu le pardon de ses fautes ; permettaient pas), Paul, dis -je, après avoir
car celui qui a obtenu pitié n'est point puni. prié dans cette posture avec ferveur, ébraula
Celui qui a dit Pitié pour 7noi, a gagné le
: sa prison en agita les fondements , et en-
,

royaume des cieux car Dieu ne se borne ; chaîna si bien son geôlier, qu'il l'initia en-
point à exempter du châtiment celui dont il suite aux sacrés mystères. De même Ezéchias,
a pillé il lui accorde en même temps les
, non point debout, ni les genoux ployés, mais
biens de la viefnt»u'e. r-nversé sur le lit où le retenait la mala-
Gardons-nous donc de prétexter que la mai- die ,et tourné vers la muraille en invo- ,

son de prière n'est point dans notre voisinage, quant Dieu avec ferveur et de saines dispo-
car la grâce de l'Esprit a fait de nous-mêmes, sitions,» obtint la révocation de farrèi poilé
tant que nous restons s.iges, des temples de contre lui, gagna la faveur céleste, et revint à
Dieu de sorte que, de toutes parts, une grande
; la santé. Et ce ul- sont point S'u'cnient des
facilité s'oUre à nous. En effet, le culte n'est samis, de grands hommes, ce sont encore des
pas chez nous ce qu'il était précédemment hommes pervers qui nous lourniraient de pa-
chez les Juifs, abondant en cérémonies visibles, reils exemples. Le voleur, sans se tenir debout
exigeant beaucoup de préparatifs. En ce temps- dans la maison de prière, sans fléchir les ge-

là, pour prier, il fallait monter au temple, noux, jieut gagner le royaume des cieux par
acheter une tourterelle, avoir du bois et du feu quebiues paroles dites du haut de la croix où il
sous main, prendre un couteau, se présen-
la était étendu, un autre au fond d'un marais

ter accomplir beaucoup d'autres


à l'autel, fangeux un autre dans une fosse pleine
,

prescriptions; ici, rien de pareil en quelque ; d'animaux féroces, un troisième enfin jusque
endroit que vous vous trouviez, vous portez dans le ventre de la baleine, n'ont eu qu'à in-
avec vous autel, couteau, victime, él;mt à la voquer Dieu pour échapper à tous les maux
fois vous-même et le prêtre, et la victime, et qui les menaçaient et s'attirer les bonnes
,

l'autel. En quelque lieu «pie vous soyez, vous grâces d'en-haut. Ce n'est pas que je ne vous
pouvez donc dresser l'autel, pourvu que vous exhorte à fréquenter assidûment les églises, à
apportiez à cela une âme bien (lis|)(isée; pour prier bien tranquillement chez vous, à fléchir
cela, (li le lieu n'esl un obstacle, ni le temps lesgenoux quand vous le pouvez, à élever les
n'est une difliculté; quand bien même vous ne mains au ciel; mais si le temps, le lieu, la
fléchiriez point les genoux, vous ne vous frap- foule vous en empêchent, il ne faut pas re-
periez pas la poitrine, vous n'élèveriez |)oint noncer pour cela à vos prières habituelles ,
les mains vers le ciel, il suflU que vous ayez mais prier et invoquer Dieu de la façon
montré un cœur fervent votre prière ; est que exposée à votre charité , persuadés
j'ai
j)arfaite. Rien n'empêche une f(Mnme, en te- (pi'une telle prière ne vous sera pas moins
nant sa quenouille, ou en ounlissiuil sa toile, prolitable qu'une autre. Ce que j'ai dit n'a
d'élever sa pensée vers le ciel, et dinvoipier point pour but d'exciter vos applaudissements
Dieu avec ferveur; rien n'empêche un honune et votre ailmiration, mais de vous exhorter
qui vient sur la place ou voyage seul, de prier aux pratiques dont je parle, de vous invi-
HOMÉLIES SUR ANNE. — QUATRIÈME HOMÉLIE. U6
ter à entrecouper de prières et d'oraisons le y arriver par la <^i'iicc et la charité de Nôtre-
temps de la nuit et celui du jour, et celui Seigneur Jésus - Christ par qui et avec le-
mènie du travail. Si nous j^ouvernons ainsi quel izloire au l*cre et an Saint-Es|)rit, mainte-
nôtre conduite, nous passerons dans la se- nant et toujours et dans les siècles des siècle».
curité la vie présente nous ohtiendrons
, et Ainsi soit-il.
le royaume des cicux. Puissions - nous loua
,!6 TRADUCTION FUANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

CINQUIÈME HOMÉLIE.

CONTRE CEUX QUI N'ASSISTENT AUX KÉUNIONS QUE LES JOURS DE FÊTE ET SUR CE SUJET QU'eST-CE QU'uNE :

FÊTE? —
CONTRE CEUX QUI ACCUSENT LA DIVINE PROVIDENCE, PARCE QU'lL Y A DES RICHES ET DES
PAUVRES ICI-BAS QUE LA PAUVRETÉ EST CE QU'iL Y A DE PLUS UTILE, QU'ELLE OFFRE TOUJOURS PLUS
;

DE CDARME ET DE SÉCURITÉ QUE LA RICHESSE ET SUITE DES RÉFLEXIONS SUR ANNB.


:

ANALYSE.

1. Contraste entre la foule qui encombre l'église les jours defète^ et le délaissement des réunions ordinaires. Comment il coQTient
(Fentendre du mot fêle.
la signification

2. Richesse des textes sacrés. Retour à l'iiistoire d'Anne, kncore ses actions ae grâces.
3 Souffrir pour le Christ, récompense suprême. Démonstration de la Providence et réfutation des objections tirées de l'inégalité
des fortunes que celte inégahté est un bien, même pour les sociétés numames.
:

4. Sort du riche et sort du pam-re ici-bas qu'il y a égaUté entre eux, ou même inégalité à l'avantage da pauvre.
:

5. Preuves nouvelles à l'appui de cette proposition.

i. C'est vainement, à ce qu'il paraît, que nous étrangère, voulant par cet exemple ramener
avons exhorte les personnes présentes à notre les coupables à la sagesse : et nous n'avons
précédente réunion les ])ressant de rester
, point borné là notre discours, nous leur avons
fidèles à la maison paternelle, de ne pas imiter encore montré la tendresse d'un père, évitant
ceux que nous voyons seulement les jours de de leur demander com])te de leur apathie, au
fête paraître et s'en aller je me trompe, ce n'est
: contraire, les accueillant à bras ouverts, leur
pas vainement En effet, quand bien même accordant le pardon de leurs fautes, leur ou-

nos paroles persuadé personne


n'auraient ,
vrant la maison, leur préparant la table, les
nous avons, nous du moins, gagné notre sa- revêtant de la robe de linstruclion, enfin, leur
laire , nous avons consommé notre justifi- prodiguant tous les soins. Mais eux, ils n'ont
cation devant Dieu. Voilà poin-quoi le prédica- point imité le fils dont je parle, ils n'ont point
teur, que son auditoire soitallenlif ou disirait, condamné et au
leur précédente désertion .

doit toujours semer la paiole, et i)lacer son lieu de rester dans la maison paternelle, ils
argent, de telle sorte (jue Dieu désormais n'ait s'en sont esquivés de nouveau. C'est donc à
plus affaire à lui, mais à ses banquiers. C'est vous qu'il appartiendrait, à vous qui restez
ce que nous avons fait par nos censures, nos constamment avec nous, de les ramener, de
reproches, nos exhortations, nos avertisse- leur persuader de prendre part à toutes nos
ments. Nous avons rappelé ce lils de famille, fêtes, c'est-à-dire à chacune de nos réunions.
qui avait mangé son bien, et (lui revint ensuite C;ir, si la Pentecôte est passée, la fête n'est
au logis paternel ; nous avons joint à cela un point passée de même : toute assemblée est
tableau de toutes ses misères, faim, opprobre, une fête. Qu'est-ce qui le prouve? Les propres
alTrouts, et de tout ce (lu'il endura sur la terre paroles du Christ : là, dit-il, où deux ou trois
HOMÉLIES SUR ANNE. — CINQUIÈME HOMÉLIE. »I7

80)U réunis en mon nom, je suis au milieu (Veux. de corps en apparence. Us ne m'écoutent
et

(Mattli. xvni, 20.) Quand le Clirisl est au mi- pas aujourd'hui mais je dis plus, ils ne m'é-
:

lieu des fidèles rassemblés, (jnelle plus forte coutaient |)oint davantage alors et non-seu- :

preuve voulez-vous qiie e'estfèle? lement ils n'écoutaient pas, mais encore ilsem-
Où il y a enseignement et prières, bénédic- pêchaient les autres d'écouter, parle tumulte et
tions des pères, et auditions des saintes lois, le trouble (ju'ils causaient. C'est pouniuoi la

où y a réunion de frères et commerce de


il scène est à mes yeux ce qu'elle était alors, l'au-
vraie charité, où il y a conversation avec Dieu, ditoire est le même celui-ci vaut l'autre. Ou
,

et entretien de Dieu avec les hommes, comment même s'il faut direquel(|uc chose de surprenant,
n'y aurait il |)oiiil fête et solennité? Ce qui celui-ci a sur l'autre cet avantage, que l'entre-
constitue les fêtes, ce n'est point le nombre tien y est paisible, que l'enseignement n'y est
mais bien la qualité des personnes réunies ; ce point troublé, que l'auditeur comprend mieux
n'est point le luxe des vêtements, mais pa-
la ce qu'il entend, parce qu'aucun bruit ne nous
rure de la piété ; ce n'est point la magnili- étourdit ici les oreilles.
cencc du banquet, ce sont les dispositions de 2. Si je parle ainsi, ce n'est point que je
l'âme. Car la plus grande fête est une bonne tienne en mépris cette affluence de l'autre
conscience. Dans les solennités du monde, jour, c'est afin que vous ne soyez ni tristes ni
l'homme qui n'a ni riche habit à revêtir, ni humiliés en voyant le petit nombre de fidèles
table somptueuse où s'asseoir, vivant dans la assemblés ici. En effet, ce que nous voulons
pauvreté, la disette, et l'excès des maux, ne voir à l'église, ce n'est pas une foule de per-
s'aperçoit point de la venue de quand
la fête, sonnes, c'est une foule d'auditeurs. Ainsi donc,
il verrait toute la ville entrer en danse, ou puisque nous avons encore aujourd'hui les
même éprouve d'autant plus de peine et de mêmes convives, je mettrai le même zèle encore
chagrin qu'il voit les autres dans les délices, à vous servir votre repas, en retournant au sujet
et lui-même dans l'indigence. Au contraire que la fête a interrompu. Car si, au jour de la

l'homme riche, opulent, qui peut changer de Pentecôte, il était inopportun de passer sous,
robe tous ks jours, qui vit au sein de la posté- silence les biens qui nous ont été départis en
rité, croit toujours être en fête, que ce soit ce temps ,
pour suivre le cours de notre en-
fête ou non. Il en est de même dans les choses tretien commencé : aujourd'hui, que la Pente-
spirituelles. Celui qui vit dans la justice et il est à propos de reprendre le
côte est passée,
dans les bonnes œuvres, est toujours en fête, filde notre récit, et de continuer à traiter
même quand ce n'est pas le temps, parce qu'il d'Anne. En effet il ne s'agit pas d'examiner
goûte les joies pures de la conscience : au combien de choses nous avons dites à ce sujet,
contraire, celui qui passe son existence dans ni combien de jours nous y avons consacrés ,
le vice et dans l'inconduite, et dont la cons- mais bien si nous sommes parvenus au bout
cience est déchirée de remords, celui-là, même de notre matière. Ceux qui ont trouvé un tré-
quand la fête arrive, est plus éloigné que per- sor, ne se lassent pas de l'exploiter, quelques
sonne d'y prendre part. Nous sommes donc richesses qu'ils aient pu y prendre déjà, jus-
libres, si nous le voulons, d'être en fête chaque qu'à ce qu'ils l'airnl épuisé complètement :

jour il ne faut que pratiquer la vertu, et pu-


: car ce qui les retient, ce n'est point tant le dé-
rifier notre conscience. En quoi donc la précé- sir de retirer beaucoup que celui de ne rien
dente réunion l'emporte-t-elle sur celle-ci ? laisser. Or, si les hommes qu'égare la maniti
n'est-il pas vrai que c'est seulement par le des richesses montrent tant d'activité pour des
bruit, le tumulte, et rien de plus? Si nous ne biens éphémères et périssables à plus forte rai- ;

jouissons pas moins en ce jour des saints son devons-nous agir de même à l'égard des cé-
mystères, si nous ne participons pas moins lestes trésors, et ne pas les lâcher avant d'en
aux autres biens spirituels, comme la prière, avoir tiré toutce que nous y pouvons découvrir.
l'instruction, les bénédictions , la charité et Ce que nous pouvons y découvrir, ai-je dit :

tout le reste, cette journée vaudra la précé- car les épuiser complètement est chose impos-
dente et pour vous et pour moi qui vous parle. sible.La richesse des pensées divines est une
Ceux qui m'ont alors écouté sont ceux qui fontaine perpétuellement jaillissante qui ,

vont m'écouter encore ceux qui sont absents


: jamais ne manque, jamais ne tarit. Ne nous
aujourd'hui l'étaient alors, bien que présents lassons donc point aussi bien notre discours
:
818 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CIÎRYSOSTOME.

ne roule point sur les premières choses venues, que le bienfaiteur lui-même : ils ne l'aiment
mais sur la prière, noire espérance sur une : pas pour ses bienfaits, ils aiment ses bienfaits

prière qui rendit mère une femme stérile, fé- à cause de lui. C'est le fait de serviteurs re-
conde une femme sans enfants, heureuse une connaissants, d'esclaves pénétrés de gratitude,
femme affligée une prière qui procura l'a-
:
que de préférer ainsi leur Maître à tout ce
mendement d'une nature infirme, lit ouvrir qu'ils possèdent. Que ces dispositions, je vous
un sein fermé et rendit possible tout ce qui y exhorte, soient aussi les nôtres. Pécheurs,
^
était impossible. Examinons donc toute chose ne gémissons point d'être punis, mais d'avoir
en déployons clia(iue phrase, afin que
détail, irrité le Maître; vertueux, ne nous réjouissons
rien absolument ne nous échappe, autant qu'il point à cause du royaume des cieux, mais à
est en nous. C'est dans cette vue que nous cause du plaisir que nous avons fait au Roi des
avons consacré deux conférences entières à cieux. En elfet, le sage redoute plus que tous

deux seules phrases, la première ainsi con- les tourments de l'enfer, de déplaire à Dieu,
çue Mon cœur a été affermi dans le Seigneur;
:
comme aussi lui plaire a plus de prix à ses yeux
et en second lieu, celle qui vient ensuite : que tout le bonheur du royaume. Et ne vous
Ma corne a été exaltée dans mon Dieu, étonnez point que tels doivent être à l'égard
Aujourd'hui nous arrivons à la troisième, de Dieu nos sentiments, quand les hommes
quelle est-elle? Ma bouche s'est ouverte vis-à- mômes trouvent souvent des gens ainsi dis-
vis de mes ennemis : je me suis réjouie dans posés pour eux. Il nous échoit souvent des fils
votre salut. Faites attention à l'exactitude des dignes de nous s'il nous arrive de leur faire,
:

termes. Elle ne dit pas : ma bouche s'est armée même malgré nous, quelque mal, nous nous
contre mes ennemis : car sa bouche n'était châtions, nous nous punissons nous-mêmes et :

point préparée pour l'injure ou pour la raille- nous agissons pareillement à l'égard de nos
rie, pour l'invective ou les accusations, mais amis. Mais si, quand il s'agit de nos amis ou
bien pour l'exhortation et le conseil, pour la de nos fils, nous trouvons moins dur d'être
correction et l'avertissement. Voilà pourquoi punis que de les affliger, à plus forte raison
au lieu de dire : ma bouche s'est armée contre devons-nous être vis-à-vis de Dieu dans les
mes ennemis, elle dit : Ma
bouche s" est ouverte. mêmes dispositions et juger tous les supplices
Je suis libre, veut-elle dire, je jouis de mon de la géhenne moins aCTroux que d'aller contre
franc-parler. A l'iieure qu'il est, j'ai secoué sa volonté. Tels étaient les sentiments du bien-
mon o|)probre, je suis revenue à la liberté. Et heureux Paul; or, c'est ce qui lui faisait dire :

ellecontinue à ne point désigner sa rivale par Je suis certain que 7ii anges, tii principautés,
son nom, elle n'emploie qu'une appellation ni puissatices , ni choses présentes, 7ii choses
vague, dont elle couvre, comme d'un masque, futures, ni ce qu'il y a de plus élevé, ni ce

celle qui l'avait persécutée. Elle ne dit pas à la quil y a de plus profond, ni aucune autre
façon de bien des femmes Dieu l'a humiliée, : créature ne pourra ?ious séparer de l'amour
il a brisé, il a prccii»ilé cette méchante, cette de Dieu, qui est dans le Christ Jésus Notre-
orgueilleuse, cette baulaine créature : elle se Scigncur. (Rom. viii, 38, 39.) Et nous-mêmes,
f)orne à dire : Ma bouche s'est ouverte vis-à- lorsque nous célébrons le bonheur des saints
vis de mes ennemis ; je me suis réjouie dans martyrs, nous les célébrons d'abord à cause
votre salut. de leurs blessures, puis à cause de leurs ré-
Voyez connue elle reste fidèle à la même loi compenses; d'abord à cause de leurs épreuves,
dans toute sa prière. Ainsi qu'elle avait dit au puis à cause des couronnes réservées pour
commencement Mon cœur a été affermi da?is
: eux. En effet, les blessures sont l'origine des
le Seigneur, nia corne a été exaltée dans mon récompenses, les récompenses ne sont point
Dieu, 7na bouche s'est ouverte vis-à-vis de ?ncs l'origine ni le principe des i>laies.
ennemis; elle dit ici Je me suis réjouie dans
: De même le bienheureux Paul se réjouis-
3.

votre salut; non pas seulement dans le salut, sait moins des biens qui raltendaicnt que des
mais dans votre salut. En effet, ce n'est pas souffrances qu'il lui arrivait d'endurer pour
d'avoir été sauvée, mais d'avoir été sauvée par Jé.>ns-Christ, et il s'écriait Je me réjouis dans :

vous, que je me réjouis, que je suis homvusj. mcsafpictions pour vous (Col. i, 2i). et ailleurs :

Telles sont les âmes des


Les bienfaits saints. Ce n'est pas tout, ynais fious nous glorifions
venant do I>icu leur causent moins de joie encore dans les tribulatiom (Rom. v.3^ aillnirs : :
HOMÉLIES SUR ANNE. — CINQUIEME HOMÉLIE. fJIO

cnfln Puisque Dieu nous a fait la grâce, non-


:
quelle excuse trouveras-tu, dij-nioi, quand
seulement de croire en lui, mais encore de chaque jour et chaque heure t'offrent tant de

pour lui. (Philip, i, 29.) En effet, c'est


souffrir preuves de sa providence, si tu t'autorises de
nue ^lâce eu réalité bien grande, que d'être rap|)arente inégalité des fortunes pour accuser
jugé digne de souffrir quelque chose pour le l'ordre universel, et cela sans raison ? Sans
Christ, c'est une couronne accomplie, c'est un raison, dis-je : car si lu voulais ex.'ininer
(làiomrn.it:; liment égal à la récompense future : même ce point dans l'esprit qui convient, et
tl ceux-là le savent qui savent aimer le Christ avec attention, tu trouverais, que la divine
<lu fond de l'ànie et avec ferveur. Telle était Providence n'eùt-elle[)as d'autre preuve, la

Anne nu si, brûlante d'amour pour Dieu, et richesse et la pauvreté en fourniraient une
t.jut cmlirasée de celte flamme : c'est pour démonstration parfaitement évidente. En effet,
cela qu'elle disait : J e me suis réjouie datis votre supprime la pauvreté : voilà tout l'ordre de la
i'.ihit. Eile n'avait rien de commun avec la vie bouleversé, toute notre vie gâtée : il n'y a
terre, elle dédaii^nait toute assistance humaine, plus ni marin, ni pilote, ni laboureur, ni
li grâce de TEsjJril lui donnait des ailes, elle maçon, ni tisserand, ni cordonnier, ni orlèvrc,
clail dans le ciel, elle avait dans toutes ses ni forgeron, ni corroyeur, ni boulanger, ni
actions les regards dirigés vers Dieu, et ne ouvrier d'aucune espèce or, en leur abicnce,
:

ccsfniit de chercher là-haut la fin des maux qui tout sera perdu pour nous. Aujourd'hui la
l'accablaient. Car elle savait, elle savait bien pauvreté, avec les besoins qu'elle apporte, est
que les bijns terrestres, quels qu'ils soient, comme une excellente institutrice, assise au-
ressemblent, par leur nature, à ceux dont on près de tous tant que nous sommes, pour nous
les tient, que nous avons constamment
et pousser, incme malgré nous, au travail : tandis
Lesoin du secours d'en-haut, si nous voulons que si tout le monde était riche, tout le monde
nous reposer sur la foi d'une ancre solide. vivrait dans l'oisiveté et par là tout serait
:

Aussi recourut-elle en toute chose à Dieu ;


perdu, tout serait gâté. Mais, indépendamment
aussi, comblée de sa grâce, se réjouissait-elle de ce que j'ai dit, il est une autre raison, tirée
surtout en songeant à son bienfaiteur, et disait- du sujet même de leurs reproches, avec la-
elle en sa gratitude: Il n'est pas de saint comme quelle il est facile de leur fermer la bouche.
le Seigneur^ il nest pas de juste comme notre Sur quoi te fondes-tu, dis-moi, pour accuser la
Dieu, et il n'y a pas de saint excepté vous Providence divine ? Sur ce que l'un possède
(I Rois, II, 2) voulant dire par là que le juge-
; moins, l'autre davantage ? Eh bien si nous !

ment de Dieu est irrépréhensible, que ses arrêts prouvons que, dans les choses vraiment néces-
sont intègres et infaillibles. saires et de beaucoup les plus importantes,
Voyez-vous la pensée de cette âme reconnais- dans celles qui constituent proprement notre
sante ? Elle ne se dit pas Qu'ai-je donc reçu
: subsistance l'égalité est parfaite entre tous les
d'extraordinaire, et de plus que les autres ? Ce hommes, te rangeras-tu du côté de ladi\ine
que ma rivale a obtenu depuis longtemps et à Providence 11 le faudra bien. En effet si pour
?
profusion, moi, je ne l'obtiens qu'à la longue, prouver qu'il n'y a point de Providence, tu
à force de peines, de larmes, de supplications, pars de ce qu'une chose, à savoir la richesse,
de requêtes, de fatigues. Rien convaincue delà n'est pas également réi)arlie entre tous, lorsque
divine Providence, elle ne demande point de nous l'aurons montré que tous participent
comptes au maître, à la façon de tant d'hommes également, non point à une chose et à une
qui ne laissent point passer de jour sans faire chose aussi méprisable, mais à un plus grand
à Dieu son procès. Voient-ils un homme riche, nombre de biens infiniment préférables, il est
un autre pauvre, c'est pour eux l'occasion de clair que tu seras forcé parla, quoiqu'il puisse
mille attaques contre la providence divine. l'en coûter, de prendre parti pour la divine
Que fais-tu, mon ami ? Paul t'a interdit d'entrer Providence.
en débat avec ton compagnon d'esclavage, en Arrivons donc aux choses qui constituent
disant ces paroles : Ne jugez pas avant le temps, proprement notre subsistance, examinons-les
jusqu'à ce que vienne le Seigneur (1 Cor. 4, 5) ;
avec attention , et voyons si , sur ces points, le
et tu traînes ton maître au tribunal, tu lui riche a un avantage relativement au pauvre ;

demandes compte de ses actes, et ta ne trembles le riche a du vin de Thasos et beaucoup ,

pas, tu n'as point peur ? Et quelle indulgence, d'auires breuvages pareillement élaborés, colo-
520 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN GHRYSOSTOME,

rés par mille ingrédients : mais les fontaines que tous les aliments , le sommeil est plus
olfrent leur eau à qui veut la boire , riche ou facile pour les pauvres que pour les riches et ,

pauvre. Vous riez peut-être de cette égalité-là. non-seulement plus facile mais encore plus ,

Apprenez donc combien le meilleur \iii est profond. Les riches par l'abondance où ils
moins précieux que l'eau, moins nécessaire, vivent, par leur habitude de manger sans faim,
moins utile alors vous comprendrez votre
:
de boire sans soif de se mettre au lit sans
,

erreur, et vous connaîtrez la vraie richesse des sommeil deviennent insensibles à tous les
,

pauvres. S'il n'y avait plus de vin, ce ne serait plaisirs car ce n'est pas tant la nature des
:

I)Our personne un grand dommage ,


liormis choses que le besoin qui nous fût trouver du
pour les seuls malades mais tarir les sources
:
charme à toutes ces choses. Ce qui nous
d'où l'eau jaillit, anéantir cet élément, ce serait réjouit, ce n'est donc point tant de boire un
bouleverser toute notre existence, ruiner toutes vin délicieux et parfumé que de boire lors-
,

les industries, nous ne saurions plus vivre qu'on a soif; ce n'est pas tant de manger des
seulement deux jours nous péririons bientôt
, gâteaux, que de manger quand on a faim ce ;

de la mort la |)lus cruelle et la plus misérable. n'est pas tant de dormir sur une couche moel-
4. Par conséquent dans les choses les plus leuse, que de dormir quand on a sommeil :

nécessaires, dans celles qui constituent notre or toutcela se rencontre plutôt chez les pauvres
subsistance, le pauvre n'a aucun désavantage, que chez les riches. Et la santé du corps, et
ou même, s'il faut dire quelque chose d'éton- les autres avantages physiques ne sont-ils

nant , il a un avantage sur le riche. En ell'ot point communs à la fois aux riches et aux
on voit souvent des riches que les infirmités pauvres? Est-ce que quelqu'un peut prétendre
corporelles causées par la bonne chère con- ou montrer que les pauvres seuls tombent
damnent à s'abstenir d'eau le plus possible : malades, tandis que les riches restent jusqu'au
le pauvre, au contrairedurant toute la durée
, bout dans une parfaite santé? C'est le contraire
de sa vie, jouit en paix de ce breuvage comme ; que l'on peut voir les pauvres sont rarement
:

à une source de miel on le voit courir à la


, atteints de maladies incurables, tandis qu'elles

fontaine, et trouver dans cette boisson un plai- prennent naissance constamment dans le corfis
sir pur et sans mélange. Que dire maintenant des riches. Goutte migraine affaiblissement,
, ,

du feu? N'est-ce point un bien plus nécessaire contractions de nerfs, impossibles à guérir,
que mille trésors et que toutes les richesses humeurs vicieuses et corrompues de toute
humaines? Eh bien! le feu comme l'eau est sorte, c'est encore aux riches que s'attaquent

un trésor mis également à la disposition du principalement toutes ces incommodités aux .

riche et du pauvre. Et les services que rend riches qui \ivent dans la mollesse aux riches ,

l'air à notre corps, elles rayons de la lumière, qui exhalent l'odeur des parfums, et non point
généreusement
est-ce qu'ils sont dispensés plus aux hommes de travail et de peine, à ceux qui
aux riches qu'aux pauvres? Est-ce que les uns se procurent par un travail quotidien ce qui

ont quatre yeux les autres deux seulement


, est nécessaire à leur subsistance.

pour voir la lumière? On ne saurait le dire : o. Aussi les mendiants sont-ils moins à
riches et pauvres participent à ce bien dans la plaindre que tous ces honunes qui vivent aa
même mesure ou plutôt ici encore on peut
, sein du luxe : et ces derniers eux-mêmes ne
remarquer que les pauvres sont mieux partagés feraient pas difticulté d'en convenir. Souvent
<iue les riches, en ce qu'ils ont les sens plus un riche étendu sur une couche moelleuse,
éveillés, la vue plus perçante, une sûreté de entouré d'esclaves et de servantes objet de la ,

percei)tion plus grande. Aussi goùtcnt-ils des part de tous, des soins les plus empressés s'il ,

plaisirs plus véritables, aussi jouissent-ils plus vient à entendre dans la rue un pauvre qui
pleinement et avec plus de délices du spec- crie, (jui demande du pain. pU ure, gémit, sou-
tacle de la création. Et ce n'est pas seulement haite le sort de cet homme avec sa santé au ,

en ce qui concerne les éléments c'est encore , prix de sa propre opulence et de ses infirmités.
à l'égard de toutes les choses (jue nous olVre la Et ce n'est pas seulement on santé, c'est en-
nature, que vous verrez régner une parfaite core en ce qui concerne les enfants qu'on trou-
égalité , ou plutôt une inégalité à l'avanliige vera que le riche n'est nullement supérieur
du pauvre. Le sonmieil, ce bien plus nécessaire au pauvre chez les uns et les autre? on
:

et plus doux que toutes les voluplCs, plus utile trouve également des familles nombreuses et
HOMÉLIES SUR ANNE. — CINQUIÈME HOMÉLIE. 521

des familles sans enfants : ou plutôt, en ceci forfaits.Plus d'hommages ne servent donc
encore, c'est le riche ({iii a le dessous. Car le qu'à rapporter au mort plus d'insultes : et
pauvre, s'il ne lui est point donné d'être j)ère tandis que celui qui a été enseveli à peu de
u'en ressent |)oint une grande douleur le : frais, conserve ses honneurs dans la tombe,

riche, au contraire, plus il s'augmenter sa


voit celui qui a reçu une sépulture magnifique, est
fortune ,
plus il est chagrin de n'avoir pas dépouillé et outragé. Et quand bien même
d'enfants; ne sent plus aucune joie, faute
il rien de cela n'arriverait, il n'y gagnerait rien
d'un héritier. De plus, l'héritage du pauvre que d'offrir aux vers une plus riche pâture , et
mort sans enfants est trop peu de chose pour
, un champ plus vaste à la corruption. Y a-t-il
devenir matière à procès il passe à ses amis, : donc là, dites-moi, de quoi s'émerveiller? Et
à ses proches. Au du riche, at-
contraire, celui quel est mortel assez malheureux, assez mi-
le
tirant de tous cotés les yeux, tombe fréquem- sérable, pour voir dans ces vanités ce qui rend
ment aux mains des ennemis du défunt et : l'homme digne d'envie? Poursuivons abor- :

cet autre riche vivant , qui voit ce qui se passe dons tout le reste en détail scrutons chaque ,

au sujet du bien d'autrui mènera désormais , chose avec exactitude, nous trouverons les [)au-
une vie pire (|ue la mort, dans l'attente du vres bien mieux partagés que les riches. Ainsi
même sort pour sa propre fortune. Mais — donc examinons attentivement toutes ces
,

sont-ce les chances de mort qui ne sont point choses, et faisons-les voir à tous les autres ;

communes? aux riches aussi


n'arrive-t-il point car il est écrit : Donne au sage une occasion ,

bien qu'aux pauvres de décéder avant le et il sera plus sage (Prov. ix, 9) : et constam-
temps ? Et après la mort le corps des uns et , ment pénétrés de cette vérité que l'abondancG
celui des autres n'esl-il pas en proie à la môme des richesses ne rapporte à ceux qui les possè-
dissolution, ne devient-il pas également cen- dent qu'un plus grand nombre de soucis, d'an-
dre et poussière, n'engendre-t-il pas des vers? goisses de craintes, de périls, croyons que les
,

Mais les funérailles diffèrent objectera quel- , riches n'ont aucun avantage sur nous. Quo
qu'un. Et qu'importe cela? quand vous aurez nous sommes sages l'avantage sera
dis-je ? si ,

entassé sur le riche des étoffes précieuses et en notre faveur, et dans les choses selon DieUj^
brochées d'or, le seul résultat sera de lui pro- et dans toutes celles d'ici-bas. En effet, joie,

curer plus de haine et de plus graves accusa-


, sécurité, bonne ré|)utation santé du corps, sa?
,

tions,de donner carrière à toutes les langues gesse de l'àme, bonne espérance, répugnance
contre sa mémoire, d'attirer sur lui des mil- à pécher, tout cela est plus facile à trouver
liers de malédictions, d'aviver les reproches chez les pauvres que chez les riches. Gardons-

dirigés contre son avarice, de faire que chacun nous donc de murmurer, et d'accuser notre
se brise la poitrine et s'éteigne la voix à mau- Maître comme des serviteurs ingrats mais
, ,

dire ce mort, que le trépas même n'a pu cor- témoignons-lui constamment notre reconnais-
riger de sa folle passion pour les richesses. Et sance et soyons persuadés qu'il n'y a qu'uq
,

ce n'est pas là tout ce qu'il faut craindre, c'est mal à craindre, le péché, et qu'un bien, la jus-
encore d'exciter la convoitise des voleurs qui tice. Si nous sommes dans ces dispositions, ni

dépouillent les tombeaux : de sorte que tant la maladie, ni l'obscurité, ni l'indigence, ni


d'hommages n'aboutissent pour le riche qu'à aucune des choses qui passent pour incommo-;
un plus grand affront. Qui s'aviserait en effet dites ne nous causera de chagrin et après :

de dépouiller le cadavre d'un pauvre ? Le peu avoir goûté un bonheur pur et sans mélange ,

de valeur de ses vêtements protège l'enceinte nous obtiendrons les biens futurs par la grâce
qui enferme son corps. Ici ce ne sont que clefs, et la charité de Noire-Seigneur Jésus-Christ,
verroux portes et sentinelles et tout cela en
,
, par qui gloire au Père et au Saint-Esprit, dans
pure perte, car la cupidité pousse à tous les ex- les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

cès d'audace les hommes coutumiers de pareils


COMMENTAIRE SUR LES PSAUMES

EXPLICATION SUR LE PSAUME III.

PSAIME POIR DAVID LORSQU IL FUYAIT DEVANT SON FILS ABSALON : « SEIGNEUR, POURQUOI MES
PERSÉCUTEURS SE SONT-ILS MULTIPLIÉS?»

ANALYSE.

(Que les quêreliei domestiques, les révoltes de ccax qui nous doivent obéissance sont fréquemment k punition de nos péchét.
Révolte et mort d'Absalon.

4. Les rois honorent par des statues commé- Apprends donc, mon frère, la raison de ce
moratives les généraux victorieux, les magis- titre, et que ton âme soit en repos. Que cette

trats érigent des effigies et des colonnes en histoire devienne une leçon pour toi-même.
l'honneur des cochers, des athlètes couron- Que la persécution du juste soit un sujet de
nés, avec une inscription qui proclame leur raffermissement pour ton propre cœur. Ap-
triomphe comme pourrait le faire la voix d'un prends pour quel motif David était persécuté
héraut. D'autres célèbrent dans des livres et par Absalon, afin que, sur ce fondement, tu
des écrits les louanges des vainqueurs, et s'ef- sois édifié dans la crainte de Dieu. En effet si,
forcent de déployer dans ces éloges un talent à défaut de base, il n'y a pas de construction
qui les élève au-dessus de leurs héros. Histo- soUde, de même l'Ecriture est de nul secours
riens, peintres, ciseleurs, sculpteurs, peuples, à qui n'en sait point découvrir le sens.
magistrats, villes, contrées, s'entendent pour L'intention du bienheureux David, en com-
vanter les triomphateurs. Mais celui qui prend posant ce psaume, était de réformer la vie
la fuite sans avoir combattu, celui-là n'a jamais humaine, et de lui enseigner à ne se permettre
trouvé personne pour reproduire ses traits aucune aucun outrage aux lois de
infraction,
comme le fait aujourd'hui David Ecoutez : Dieu, afin que pécheur évitât les écueils où
le
plutôt « Psaume pour David, lorsqu'il fuyait
:
il s'était heurté lui-même. David fuyait devant
o devant son fils Absalon. » Et quel fugitif a son fils, parce qu'il avait fui la pureté; il fuyait
jamais mérité des éloges? Quel nom de fuyard devant son fils, parce qu'il avait attenté aux
a jamais figuré sur des inscriptions? Si Ton droits d'une union légitime; il fuyait devant
affiche les noms des fugitifs, c'est afin de les son fils, parce qu'il s'était dérobé à la loi de
retrouver *, et non pour leur faire honneur. Dieu, qui dit « Tu ne tueras pas, tu ne com-
:

' La traduction latine est inexacte ou tout au mcios obscure. C'é- iosérée à lade l'édition d'Aiistophane, publiée par M. Didot,
fia
taitun u<age, dans l'antiquitt;, d'arfirher los noms dc^ esclaves fugi- (m page 14) Papyrus du Musée Jtoynl, contenant l'annonce d'une
:

comme on fait aujourd'hui pour les o'ujets perdus, afin de les


tif:), récompense promise à qui découvrira et ramènera deux uelave»
retrouver. On peut cq^jUsi à ce si^ei une cîisseiialioo de Lelronne. échappés.
524 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAUVT JEAN CHRYSOSTOME.

« mettras pas l'adultère. » Il avait introduit rité. Ta femme te fait la guerre, quand tu ren-
dans son domaine la brebis d'autrui, et en tres, elle se précipite sur toi comme une bête
avait tué le pasteur et voici que l'agneau de : féroce, sa langue est acérée comme un glaive ?
la maison menaçait son berger. Il s'était atta- C'est une chose affligeante, sans doute, que
qué au ménage d'autrui, et de son propre mé- ton alliée soit devenue ton néan- ennemie :

nage il voyait la guerre s'élever. Ce n'est point mois regarde en toi-même, scrute si jamais
ici ma pensée, ce sont les paroles de Dieu : or^ dans ta jeunesse, tu n'as manqué à tes devoirs
quand Dieu ne reste plus
se fait interprète, il envers une femme, et si ce n'est pas justement
qu'à se taire. Si vous voulez vous convaincre ce dommage que répare une autre femme, si ce
que la révolte du fils de David contre son père n'est pas cette blessure faite à autrui que ta

eut pour cause le meurtre d'Urie, et le vol de propre épouse est chargé de panser. L'opéra-
sa femme, écoutez ces paroles de Dieu, adres- teur peut l'ignorer lui-même mais le méde- ;

sées à David par labouche du prophète Nathan : cin, qui est Dieu, le sait bien. C'est lui qui
« Je t'ai sacré roi sur Israël, et t'ai délivré de s'est armé de cet instrument, comme d'un fer,

« la main de Saûl. Je mains t'ai mis entre les contre toi : et de même que le fer ignore la
« tous les biens de ton seigneur, la maison de besogne à laquelle on l'emploie, taudis que le
« Saùl et de Juda et si cela te paraît peu de
;
médecin connaît les services que le fer doit
« chose, j'y ajouterai. Pourquoi donc as-tu rendre ainsi, quand la femme qui frappe et
:

« méprisé ma parole, jusqu'à commettre le mal riiomme qui est frappé ignoraient tous deux
«devant mes yeux? Tu as frappé du glaive la raison du coup porté, Dieu du moins, en sa
« Urie Ilélhéen, tu lui as ôté sa femme, et l'a qualité de médecin, en connaît l'utilité. Or,
«prise pour toi. Et désormais l'épée ne sor- qu'une méchante femme est une tribulatiou
« tira jamais de ta maison. » (IIRois,xii, 7-11.) infligée au péché, c'est encore la sainte Ecri-
Tu as partagé du glaive la maison d'autrui, je ture qui l'atteste. Ecoutez ses paroles « Une :

forgerai xme gloire contre toi dans ta maison. « femme méchante sera donnée au pécheur » :

«Et je te susciterai des maux du sein de ta amer antidote, destiné à expulser le résidu des
« demeure. » Entendez bien ceci Du sein de : péchés. Maintenant qu'on peut être en butte
ta propre demeure. Là où était la source du aux complots de en expiation de
ses enfants,
péché, c'est de là que partira le coup vengeur. ses fautes, que montre l'exemple de
c'est ce

Le serviteur fugitif qui s'est dérobé aux com- David, attaqué par son fils Absalon, ainsi que
mandements de Dieu est condamné à fuir de- nous l'avons fait voir plus haut à cause ,

vant son fils « Psaume pour David, lorsqu'il


: d'un commerce illicite. Que la guerre entre
« fuyait devant son fils Absalon. » Et le récit frères peut aussi provenir des péchés, le livre
de la guerre est moins utile que l'indication des juges en est la preuve. En eflet, lorsque
des motifs qui l'avaient allumée, pour nous ceux de la tribu de Benjamin eurent fait vio-
mettre en garde contre la chute par la vue du lence à la concubine du voyageur, et que celle-

faux-pas de ce juste, et nous faire éviter pa- ci eut succombé à leurs excès, les onze autres
reille épreuve. Il ne manque pas d'hommes, tribus firent la guerre à celle-là;et lorsque

encore aujourd'hui, qui ont la guerre chez les onze tribus eurent abandonné Dieu, et se
eux l'un est en butte aux attaques de sa
: furent abandonnées à la fornication de l'idolâ-
femme, l'autre, aux entreprises d'un enfant ou trie, elles furent vaincues toutes ensemble par
d'un frère, un troisième, à l'oppression d'un la douzième, si bien que parmi plusieurs

serviteur; et chacun s'afOige, s'aigrit, lutte, défaites elles ne comptèrent qu'une victoire et
attaque, résiste : mais personne ne songe à se frères combattirent contre frères, après que
dire que s'il n'avait pas semé des péchés, il Dieu, par suite de leurs péchés, eut ôté la
n'aurait pas vu des épines et des ronces sur- cloison que le péché avait élevée entre eux.
gir dans sa maison maison n'avait
que si ;
sa En eflet, l'une des tribus ayant conunis la for-
pas recelé des étincelles de péchés, elle ne nication sur la personne d'une femme , et
serait point en flammes. En ctTet, que les l'autre, étant tombée dans la fornication de
malheurs domesti(iues sont les fruits des pé- l'idolâtrie, les uns et les autres furent exter-
chés, que Dieu suscite au pécheur des bour- minés par Dieu, ainsi qu'il est écrit : « Tu as
reaux dans sa f unille, c'est ce qu'atteste la « exterminé tous ceux cpii l'ont quitté |iour la
divine Ecriture dans son incomparable auto-
, « fornication. » (Ps. lxxu, 27.) En sorte que le
COMMENTAIRE SUR LE PSAUME III. K2r,

péché arma frères contre frères. Si tu as des prophète pareil à Daniel, il lui aurait rendu
frères qui te font la guerre, plutôt que de les honunage il ne trouva qu'un faux prophète,
:

accuser par tes plaintes, sonde ta propre con- et il lui courut sus, comme à un étranger. Le
science, et cherche quel est le péché qui t'a maître avait menti : son autorité fut reniée par
valu leur inimitié. Ce n'est pas que le i)éché son esclave. Mais pouniuoi parler des mal-
soit toujours la cause de ces haines paternelles : heurs domestiques, (juand notre corps lui-
Joseph eut ses frères pour ennemis, sans l'avoir même, notre corps, c'est-à-dire ce que nous
aucunement mérité et Job de même fut en : avons de plus intime et de plus cher, nous fuit
butte aux perfidies de sa femme sans y avoir quelquefois la guerre quand nous sommes en
donné lieu par aucune faute je dis seulement : faute, et s'arme contre nous de fièvres, de ma-
que la plupart d'entre nous s'attirent par leurs ladies, d'infirmités; quand cet humble esclave
péchés l'inimitié des leurs. On voit mèine des flagelle aussi sa souveraine, l'àme, du moment
amis changés en ennemis par l'effet du péché, qu'elle est pécheresse, non pas de son propre
de vieilles affections transformées en haine et mouvement, mais en vertu d'un ordre qu'il
en aversion, par la volonté de Dieu et pour doitexécuter? Témoin le Christ, disant au
des raisons à lui connues. C'est ainsi que dans paralytique guéri « Te voilà en santé, ne
:

le psaume cent quatrième il au sujet


est écrit « pèche plus, afin que rien de pire ne t'ad-
des Egyptiens : « Il changea leur cœur afin « vienne. (Jean, v, 14.) » Bien convaincus par
« qu'ils prissent en haine son peuple. » (Ps. civ, conséquent, mes frères, que les guerres do-
25.) Dieu n'aurait point provoqué cette haine, si mestiques, les dissensions entre parents, les
tout d'abord l'amitié avait été vertueuse. Ceux révoltes d'esclaves, que les maladies du corps
pour qui l'amitié est un principe de perle, sont généralement des fruits du péché, fer-
ceux-là trouvent dans la haine une occasion mons cette source de maux, le péché, et si les
de sagesse. y a plus Illes êtres même qui : torrents des passions n'inondent point notre
vivent dans la servitude et la sujétion ont été âme, les eaux de la pluie céleste y porteront
souvent induits en révolte contre leurs maîtres assez de joie. Donc, lorsque David eut, pour
par les péchés de ceux-ci. Voyez Adam avant ainsi dire, usurpé la femme d'autrui (n'est-ce
son péché les animaux sont ses serviteurs et
: pas en une royauté pour tout homme que
effet
ses subordonnés, des esclaves qu'il nomme à la tendresse d'une épouse? un roi tient-il plus
sa guise. Mais après que le péché l'eut à la pourpre et au diadème, qu'un mari ne
défiguré, les animaux cessèrent de le recon- tient à sa femme ?) en punition de ce crime , ,

naître, et ses esclaves d'autrefois devinrent le fils qu'il avait de sa femme, à lui, devint

ses ennemis. Et de même que le chien du rebelle et usurpateur , et tenta d'arracher


logis sert fidèlement la personne qui le nour- le trône à son père. Il avait pris par force, il

rit, la craint, la respecte, et pourtant, si elle fut dépossédé par force; il avait péché secrè-
vient à la voir barbouillée de suie, ou masquée tement, triompha de lui au grand jour;
il

d'un visage d'emprunt, fond sur elle comme il s'était blessé dans l'ombre, il fut opère sous

3ur un étranger, et veut la mettre en pièces : les yeux de tous, par la volonté du Dieu qui
ainsi tant qu'Adam conserva pure sa face faite à lui avait dit : « Tu as agi en secret : moi, j'a-
l'image de Dieu, il conserva l'obéissance et le « girai au grand jour el à la facedu soleil que
respect des animaux : mais une fois que la « voilà. » (II Rois, XII, 12.) Néanmoins l'atlen
désobéissance eut souillé son visage, ils ne re- tat comme de juste :
d'Absalon n'aboutit pas,
connaissaient plus leur maître, et lui étaient sans cela les dénaturés se seraient crus p'\T
fils

hostiles comme à un étranger. On voit que la cet exemple autorisés au parricide. Il avait fait
révolte des esclaves peut être aussi la punition l'office de bourreau; il subit le supplice des
des péchés du maître. C'était un juste que coupables; et comme les bêtes qu'on lâche
Daniel, et les lions reconnurent sa domina- dans les théâtres se jettent sur l'un et sont
tion; ils le virent exempt de péché, ils le lais- tuées par l'autre ainsi Absalon qui avait atta-
;

sèrent aller exempt de punition. Un prophète qué David périt sous les coups de Joab, et
avait commis le péché de mensonge il ren- : demeura suspendu au haut d'un arbre, lui,
contra un lion, qui lui ôta la vie. (lll Rois, xni, soulevé contre son père une plante arrêta ce ;

24f.) C'est qu'il était barbouillé de mensonge


; rameau en guerre avec sa souche; un rejeton
le lion ne le reconnut pas. S'il avait aperçu un tint enchaîné ce rejeton détaché de l'amour
me TRADl'CTION FRANÇAISE DE SAINT JE.\N CIÎR'^SOSTOME.

de sa par lige; retenu celui qui


la tête était « vaut son fils Absalon. » Il fuyait, non comme
voulait prendre de son père; comme
la tète un peureux, mais pour sauver les jours de son
un fruit, pendait à l'arbre l'assassin de celui fils; car si, pour son compte, il l'épargnait en
qui avait enfoui le germe de son être; et son père, ses compagnons n'auraient pas fait grâce
cœur servait de but aux flccbes, en sorte qu'il à un pourquoi David, poursuivi
révolté. Yoilcà
fut victime à l'endroit môme où il avait pro- par son fils , et en butfe, par suite, aux injures
jeté d'être meurtrier. de Séméi, persévéra pour sa part dans sa lon-
Alors s'offrait aux yeux un spectacle étrange. ganimité; mais comme beaucoup de gens s'en
Comme monté sur un mulet, sa che-
il était armaient contre lui, principalement les com-
velure demeura prise dans la chevelure de plices d'Ab?alon, et s'enhardissaient, le croyant
l'arbre '
; si bien qu'une chevelure retenait abandonné de la Providence (David est seul
l'usurpateur par une autre chevelure, meur- maintenant, disaient-ils, privé de tout secours,
trissant cet endroit même où il avait entrepris Dieu s'est détourné de lui comme autrefois de
de placer le diadème paternel. On pouvait donc Saûl; jadis il a quitté Saùl pour David, il

voir Absalon suspendu entre le ciel et la terre; abandonne maintenant David pour Absalon ;

le ciel se refusait à l'accueillir en effet, s'il ; soulevons-nous , attaquons-le , il n'a point de


avait rejeté le premier rebelle dans la personne recours en Dieu), David, plus affligé de ces pro-
du diable, comment ce nouveau rebelle aurait- pos que des égarements de son fils, consulte le
il f>u y avoir accès? La terre le repoussait éga- Seigneur : « Seigneur, pourquoi mes persécu-
lement, pour ne pas se laisser souiller par les « leurs se sont-ils multipliés? » Je suis circon-
,picds d'un parricide; car, si elle avait englouti venu par les tentations, débordé par le torrent
Dathan coupable d'avoir parlé contre Moïse, si de l'infortune, la pluie fatale est tombée, le
elle ouvrit la bouche pour dévorer celui qui fleuve de la guerre a fait irruption, le souffle
avait ouvert la bouche pour médire, comment des mauvais esprits s'est déchaîné, il a ébranlé
aurait-elle consenti à ])orter un homme qui ma maison, afin d'emporter mon âme loin de
courait alta(iuer son père. —Comme il était vous mais solidement établi sur la pierre de
;

donc suspendu au haut de l'arbre, survint la foi je ne tombe point, je me prosterne et


.

Joab, le généralissime ,
qui planta trois flèches vous demande « Seigneur, pourquoi mes per-
:

dans le cœur de cet enfant sans cœur, frappant ce sécuteurs se sont-ils multipliés? » Celui qui
juste au réceptacle de son iniquité; et, faisant vient de moi est contre moi ; mais vous êtes,

allusion à l'arbre où le rebelle était resté sus- vous, au-dessus de moi. Mes entrailles me font
jjcndu, David célébra sa mort dans ce beau la guerre; mon peuple sui' Absalon , mes sol-

chant funèbre : « J'ai vu l'impie extrêmement dats s'armcnl contre moi. Mes brebis sont de-
« élevé, et qui égalait en hauteur les cèdres du venues loups mes ngneaux , lions; mes petits
;

« Liban. J'ai passé : il n'était plus. » (Ps. xxxvî, moutons, chiens enragés; mes béliers, tau-
35.) « Psaume pour David, lorsqu'il fuyait de- reaux furieux; ce n'est pas pour moi que je
m'afflige ; c'est leur perte, à eux, qui cause mes
'
Il n'est pas à propos remarquer ici qu'un bon iiorabrc de
de faire gémissements.
fcc métaphores étaient plus finiilièrcs aui Grecs qu'elles ne i»
noiit aux luodeiDes, «t itarltculièrcment aux Frao^ùt.
COMMENTAIRE SUR LE PSAUME IV. 527

EXPLICATION SUR LE PSAUME IV.

C QUAND JB l'IMYOQUAIS, IL U'a EXAUCÉ, LB DIEU DE MA JUSTICE. »

ANALYSE.

i . Néressité des bonnes œnvres ei de la justice : déflnition de ce mot, pris dans son sens le pins large.
2. Snile du Dièine développement. Avantages et facilité de la prière.
3. Condition d'une bonne prière. Bonté de Dieu, manifestée jusque dans les tribulations.
4. Que notre salut est toujours dû à la miséricorde. Ne rien demander qui soit contraire k la LoL
5. Qu'est-ce que les fils des hommes? Pourquoi dire que leurs cœurs sont appesantis?
6. Providence de Dieu manifestée par sa conduite à l'égard de ses serviteurs.
7. Dp la colère légitime.
8. Nécessité de l'examen de conscience et de la componction.
9. Nouvelle démonstration de la Providence : objection vulgaire.
10. Réfutation : que la paix est en l'homme; que la Providence se manifeste d'une manière nouvelle depuis Jésus-Christ,
il. Folie des païens : qu'est-ce (jue leur Jupiter?
12. Malheur des méchants, tranquillité des justes ici-bas.
13. Danger des mauvaises fréquentations.

i. Si le Prophète s'exprime ainsi, ce n'est soit en crédit, et alors ce qu'il demande ne


pas seulement pour nous faire savoir qu'il a peut manquer de lui être accordé. Voilà pour-
été exaucé pour nous montrer comment
; c'est quoi le Prophète ne dit pas simplement
nous pourrons nous-mêmes, en invoquant qu'il a été exaucé, mais bien que sa justice a été
Dieu, être exaucés promptement, et obtenir exaucée, indiquant par là son crédit auprès de
l'objet de notre prière, avant qu'elle soit ter- Dieu, et comment ce crédit lui faisait l'escorte
minée. — En effet, David ne dit pas : après que toutes les fois qu'il s'approchait du Seigneur.
je l'eus invoqué, Lorsque
il m'exauça, mais : a Et qu'on n'aille pas accuser ce langage de jac-
ffje l'invoquais. » —
La raison en est que Dieu tance. Ce n'est point pour se faire valoir qu'il
lui-même prend en quelque sorte cet engage- parle ainsi, c'est pour donner une bonne leçon,
ment en disant à celui qui l'invoque o Quand : un conseil d'une utilité générale et considéra-
« tu parleras encore, je dirai Me voici. » Car ce :
ble. Il a été exaucé ,
pourrait-on dire ,
parce
n'est point, en général, l'abondance des paro- qu'il était David; je ne le serai pas, moi, parce
lesqui fléchit Dieu, c'est une âme pure, c'est que je ne suis qu'un misérable mais le Prophète
:

une parure de bonnes actions. Voyez du montre que Dieu n'a pas été aveugle en l'exau-
moins comment il parle aux hommes qui, çant lui-même et qu'il ne l'est pas davantage
,

vivant dans l'iniquité, espèrent le désarmer à quand il repousse vos prières que dans tous :

force de paroles: Lorsque vous multiplierez


et les cas cesont les actions qu'il s'attache à bien
«vos prières, je ne vous écouterai point. Lors- considérer. Si vous avez les vôtres pour avo-
«quevous étendrez vos mains vers moi, je cats,vous serez exaucé sans aucun doute. —
a détournerai mes yeuxd vous.» ; (Isaï. i, 13.) 11 Et si ces avocats vous font défaut, quand
faut donc avant toute chose quo celui qui prie même vous seriez David , vous ne sauriez flé-
598 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

chir le Seigneur. De même que les avares ne dons sont communs et également répartis en-
tiennent aucun compte du rang^ ni de rien de tre vous. Comment donc peux-tu l'exclure et
pareil, mais considèrent seulement ceux qui le frustrer de la dignité que Dieu lui a confé-
ont de l'argent et se flattent de tout obtenir
, rée, lui refuser le rang de ton associé, t'atlri-

en s'adressant à eux ainsi , attendu que Dieu


: buer tout à toi-même, et l'appauvrir non-seu-
chérit la justice quiconque se présentera de-
,
lement d'argent, mais encore de considération?
vant lui dans cette société ne s'en ira point les Dieu vous a octroyé même essence il vous a ;

mains vides et au contraire celui qui n'a


: décerné la même suprématie, vous a façon-
point la justice pour compagne et que souil- , nés pour être égaux. En effet, la parole « Fai-
lent les vices contraires, celui-là aura beau « sons l'homme » s'applique à toute l'espèce.
prodiguer les invocations, il n'y gagnera rien Comment pouvez -vous donc déposséder cet
parce que les moyens de persuasion lui feront homme de son patrimoine en le plongeant
déiaut. Ainsi donc, si tu veux réussir en quel- dans l'humiliation , en vous arrogeant à vous
que chose auprès de Dieu, il faut t'adjoindre seul une commune propriété? Tel n'était point
cette alliée avant de te présenter. Mais la jus- le saint prophète : aussi pouvait-il dire avec
tice dont je parle n'est point une vertu parti- sécurité « Il a exaucé ma justice. » De même
:

culière , c'est la vertu en général la vertu , Paul se donne souvent en spectacle, non par
complète. C'est de celte façon que Job était ostentation ni par orgueil, mais pour servir
juste lui qui possédait toutes les vertus hu-
, de modèle aux autres : lorsqu'il dit, par exem-
maines, et ne s'abstenait point d'un vice pour ple : « Je voudrais que tous les hommes vé-
tomber dans un autre. C'est en ce sens que « eussent ainsi que moi dans la continence. »

nous appelons juste une balance égale dans (I Cor. vu, 7.) Ainsi David encore, lorsque
tous les cas , et soit qu'il faille peser de l'or ou les circonstances le demandent , ne craint pas
du |)lomb, conservant cette propriété à l'égard de proposer en exemple son courage fruit de ,

de toutes matières. De même encore une me- la grâce divine, en disant qu'il étouCTait les
sure juste est celle (}ui demeure constamment ours et les lions dans ses bras non qu'il vou- :

égale. Job était un juste de la même façon, lut lui-même se glorifier, à Dieu ne plaise,
grâce à une égalité i)arf.iite. Car ce n'est pas mais afin de s'attirer la confiance par ce
seulement en lait de richesses qu'il se mon- moyen.
trait tel, mais bien en toutes choses en rien :
Mais, dira-t-on peut-être, si je possède la
il ne dépassait la mesure et l'on ne saurait ; justice, à quoi bon la prière, puisque la jus-
dire que fidèle pour ce qui concerne l'argent
, tice suffit à tout, et que le dispensateur des
à cette règle d'égalité, il transgressât la mesure biens connaît nos besoins? Je réponds que la
dans ses rapports avec le prochain, en homme prière est très-propre à fortifier l'amourque
arrogant et dédaigneux. En eflét, il n'était pas nous avons pour Dieu, en ce qu'elle nousdonne
moins soigneux d'éviter cette faute. C'est même l'habitude de nous approcher de lui, et nous
ce qui lui faisait dire : « Si j'ai dédaigné d'en- initie à la sagesse. En effet, si la fréquentation
a trer en jugement avec mon serviteur et avec d'un homme éminent produit des fruits pré-
«ma servante, lorsqu'ils disputaient contre cieux, à plus forte raison peut-on dire la même
« moi ou s'ils n'ont pas été connue j'ai été chose d'un conunerce assidu avec la Divinité.
a moi-même. » (Job, xxxi, 13.) Donc, c'est en- Mais nous ne connaissons pas assez les avan-
core une très-grande iniquité que d'être vain lajics de la prière, parce que nous n'y appor-
et superbe. tons pas assez d'attention, assez d'application
2. En efTet, de même que nous appelons cu- à suivre les lois de Dieu. Devons-nous avoir
pide l'homme qui veut s'ap|)roprier le bien une entrevue avec quehiue personne d'un
des autres, au lieu de se contenter de ce qu'il rang supérieur au nôtre, nous avons soin de
possède nous nommons arrogant celui (jui
: composer iiréalablement connue il convient
demande au prochain plus qu'il ne lui est dû , notre attitude, notre démarche, notre costume,
celui qui réserve jtour lui seul tous les hon- tout enfin et quand nous paraissons devant
;

neurs, et ne fait aucun cas des autres. Or l'u- Dieu, c'est en bâillant, en nous grattant, en
nicpie principe d'une prétention pareille, c'est nous tournant à droite et à gauche, en nous
l'injustice. Vous allea vous en convaincre. Tandis que nos genoux reposent
laissant aller.
Dieu a créé ton prochain comme toi , tous ses à terre, notre pensée se promène sur la place
COMMENTAIRE SUR LE PSAUME IV. Î529

publique. Mais si nous nous approchions de dants, à des procureurs, à des gardes, à des
Dieu avec la piété convenable, et dans l'alti- courtisansquand vous l'abordez directement
;

tude requise pour un pareil entretien, alors vous-même, c'est alors qu'il vous écoute le
nous reconnaîtrions, même avant d'avoir ob- mieux, oui, dis-je, alors que vous n'aurez in-
tenu l'objet de notre demande, quel fruit nous voqué l'assistance de personne.
là. Un homme cpii sait parler à
relirons de 3. Ainsi donc, pour le fléchir, aucune en-
Dieu comme il sied de lui parler n'est plus tremise ne vaut notre sollicitation immédiate.
un homme, c'est un ange, tant son àme est Désirant notre amour, jaloux de nous inspirer,
délivrée des chaînes corporelles, tant sa pensée par tous les moyens, une ferme confiance en
habite une région sublime ; tant il s'élèveau lui, il n'est jamais plus disposé à nous satis-
rang des habitants des cicux tant ; il dédaigne faire, (jue lorsqu'il nous voit ne recourir qu'à
les biens charnels: tant il s'approche du trône nous-mêmes. C'est ce que montre l'exemple de
royal, fùt-il pauvre, esclave, obscur, ignorant. la Chananéenne. Pierre et Jacques lui avaient

Car ce qui plaît à Dieu, ce n'est point le charme parlé pour elle inutilement elle persévéra, il :

du langage, l'harmonieux arrangement des


ni exauça promptcment sa prière. En effet, le
paroles, c'est la beauté de l'âme et si l'âme ;
court délai qu'il parut lui faire subir n'avait
tient le langage qui lui agrée, le suppliant s'é- pas pour objet de la faire languiF, mais de lui
loigne complètement exaucé. Voyez-vous com- procurer une plus belle couronne, et de s'as-
bien c'est chose facile? Quand il s'agit de sup- surer par un |)lus long usage la possession de
plier un homme, il faut être éloquent, savoir son attachement. Appliquons-nous donc, nous
flatter tous ceux qui entourent le maître, re- aussi, à entrer en rapport avec Dieu appre- :

courir enfin à mille autres expédients pour nons quelles sont les règles de ce commerce.
être accueilli avec faveur. Ici, rien de pareil; — Il n'est pas besoin d'aller à l'école, de dé-

ilne faut qu'un esprit attentif, et rien ne nous penser de l'argent, de payer des maîtres, des
ferme plus l'accès de la Divinité « C'est moi, :
rhéteurs, des sophistes, de perdre beaucoup de
« c'est Dieu qui approche, le Seigneur n'est pas temps à se pénétrer des préceptes de l'éloquence,
« loin. » (Jér. xxui, 23.) En sorte que s'il est éloi- il suffit de vouloir, et l'on est artiste consom-

gné, c'est par notre faute, par lui-même, il est mé sans compter que ce n'est pas seulement
:

toujours près de nous. Et que dis-jc, que nous pou r vous-mêmes, mais pour beaucoup d'autres
n'avons pas besoin d'éloquence ? Souvent c'est encore, que vous pourrez parler devant ce
la voix même qui ne nous est pas nécessaire. tribunal. Et quel doit être l'objet de votre
Parlez à Dieu au fond du cœur, invo(iuez-le étude? C'est d'apprendre à prier.
comme il convient, il se hâtera encore de vous S'approcher de Dieu avec un esprit attentif,
exaucer. C'est ainsi qu'il entendit Moïse, ainsi un cœur contrit , des yeux inondés de lar-
qu'il entendit Anne. Près de lui, point de sol- mes; ne rien demander de terrestre, dési-
dat pour écarter les suppliants, point de satel- rer exclusivement les biens de l'autre vie ;

lite, qui leur fasse perdre l'occasion ;


personne solliciter les ne pas
avantages spirituels ,

pour dire, en ce moment il est impossible d'a- souhaiter de mal à ses ennemis, ne mon-
voir audience, revenez plus tard. Dès que vous trer du ressentiment contre personne , ban-
arrivez, il vous écoute, que ce soit
est là qui nir de son âme toute passion, être pénétré
l'heure du du souper, une heure
dîner, celle de componction, s'humilier, s'exercer à une
quelconque de la nuit, sur la place, dans la douceur parfaite surveiller sa langue , ne
,

rue, dans votre chambre, au tribunal où vous prendre part à aucune action coupable, rester
assistez le magistrat invoquez-le, vous voilà
; pur de toute complicité avec l'ennemi commun
exaucé sans obstacle, pourvu que vous l'invo- de l'univers, je veux dire le diable voilà les :

quiez comme il faut. Vous ne sauriez dire je : conditions pour obtenir audience. Les lois hu-
crains d'approcher, de i)résenter ma requête ;
maines elles mêmes punissent celui qui parle
mon ennemi est là ; cette difficulté même est à un roi pour autrui, tout en s'eiitendant avec
l'evée, il ne prête point l'oreille à votre en- les ennemis de ce monarque. Et vous pareil-
nemi, il n'interrompt point votre supplication, lement, si vous voulez plaider et votre cause
toujours, sans cesse, vous pouvez l'aborder, et celle d'autrui, songez avant tout à n'avoir
rien ne vous en empêche, car vous n'avez pas commun avec le commun ennemi du
rien de
besoin de recourir à des portiers, à des inten- monde. A cette condition, vous serez juste; et
S. J. Ch. — Tome V. 3i
5.30 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CIIRYSOSTOME.

si vous êtes juste, vous serez exaucé, grâce à l'agitation que de dire « Fais-nous des :

l'avocat qui défendra votre cause « Lorsque : « dieux qui marchent devant nous; car pour
« j'étais dans la tribulation, vous m'avez mis « ce qui est de Moïse, cet homme qui nous a
a au large. » Il ne dit pas « Vous avez écarté :
« tirés de l'Egypte, nous ne savons ce qui lui
« les tribulations, » ni « Vous avez fait dispa- a est arrivé. » lExod. xxxn, i .) Et au contraire,
« raître les tentations , » mais, vous m'avez ne reconnaît-on pas des âmes éprises de la
laissé debout, et « vous m'avez mis au large. » sagesse et reposées des passions mondaines,
— En effet, l'adresse et l'industrie de Dieu écla- dans cette fervente prière par laquelle, au
tent particulièrement en cela, non-seulement sein de leur affliction, ils attirèrent sur eux
qu'il éloigne les tribulations , mais encore la faveur divine? Et le Prophète lui-même,
qu'il les rend très-faciles à supporter, lors même alors qu'il vivait en paix, quelle oppression ne
qu'elles persistent. — C'est une chose propre à lui firent pas subir les cruelles étreintes de la
montrer la puissance de Dieu, et à rendre plus passion? Au contraire, une foisdans l'afflic-
forts ceux qui sont éprouvés, (jue cette conso- tion, vous savez comment il y trouva le soula-
lation de se sentir au large accordée à l'âme gement. Le feu ne le brûlait plus, toute sa
en détresse, sans que la détresse pour cela flamme était dès lors éteinte. Car rien ne cause
cesse d'étreindre l'âme et de la guérir ainsi du tribulation pareille à celle que font éprouver
relâchement et de la négligence. Et comment, à l'âme les assauts des passions les unes :

dira-t-on,au sein de la détresse peut-on être l'attaquent par le dehors, les autres se sou-
mis au large? Voyez la fournaise des trois lèvent au dedans, ce qui [est le comble de la
jeunes gens, voyez la fosse aux lions. Dieu tribulation. Et quand le monde nous persé-
n'éteignit pas la flamme afin de mettre les cuterait, si nous ne nous persécutons pas
jeunes gens an large, il ne tua pas les lions pour nous-mêmes, il n'y aura point de malheurs
rendre à Daniel la sécurité. Jusqu'au milieu pour nous. Donc, il dépend de nous d'être
de la fournaise et au plus fort de l'embrase- dans l'affliction ou de n'y pas être.
ment, jusqu'en présence des bêtes féroces, les maintenant la voix d'un apôtre qui
4. C'est
justes se sentaient parfaitement à l'aise. Cette va vous révéler à quel point l'affliction nous
expression mettre au large, convient encore
: met à l'aise écoutez saint Paul nous déclarer
;

dans une autre occurrence c'est lorsque : lui-même quel est le fruit des tribulations :

l'âme, grâce aux tentations qui l'assiègent, est «La tribulation produit la patience; la pa-
guérie de ses passions et des maux nom- ît tiense, ré|)reuve; et l'épreuve, l'espérance :

breux auxquels elle est exposée : jamais elle «or l'espéiance ne confond point. » (Rom.
n'est plus à l'aise que dans ce dernier cas. En V, 3, 5.) Voyez -vous quel espace ouvert,
effet,beaucoup d'honmies, au sein d'une pros- voyez- vous quel port de contentement? a La
périté durable, éprouvent des appétits coupa- « tribulation, dit-il, produit la patience. » En
bles, funestes à leur Ame, pour l'argent, la effet, quoi de plus tranquille qu"un homme
chair, ou autres indignes objets mais dès : courageux, qui sait tout supporter sans peine?
qu'ils viennent à tomber dans raffliction, les quoi de plus qu'un honune éprouvé? et
fort
voilà délivrés de cette oppression ils sont au : (juoi de comparable au plaisir qui résulte de
large. Ainsi, les malades consumés de la lièvre, là? Ce sont trois plaisirs quil nous promet à
tant qu'ils s'abandonnent aux voluptés qui la suite des tribulations, la patience, l'éprcuve,
leur sont interdites, j'entends celles de la et l'espérance des biens à venir. C'est à quoi
table, de la boisson et autres pareilles, se songeait le Prophète en disant : « Dans la dé-
trouvent de plus en plus gênés tandis que : « vous m'avez mis au large. » Il vient
tresse
s'ils se résignent à se l'aire quel(iue violence, de dire Dieu m'a exaucé il dit maintenant de
: :

ilsretrouvent leurs aises, et, débarrassés de ce quelle façon. Ce n'est pas en l'enrichissant :

qui les élouûail jouissent désormais d'une


,
Da\id ne désirait rien de pareil; ni en lui
santé parfaite : rien ne nous repose connue soumettant ses ennemis; ce n'est pas là non
une allliction «jui nous retire des soucis du plus ce que demandait David c'est en le sou- :

monde. Considérez plutôt les Juifs : voyez ce lageant au milieu de sa détresse. « Ayez pitié
qu'ils furent dans les tribulations, ce (ju'ils « de moi. et exaucez ma prière. y> Qu'est-ce à
furent dans la prospérité? N'est-ce pas le fait dire? Tu parles plus haut de ta justice, ici de

d'une âme en proie à la fièvre, au délire, à cunqtassion et de miséi'icorde : conuneut ccg


COMMENTAIRE SUR LE PSAUME IV. 531

choses peuvent-elles s'accorder? Parfaitement, suppliant ? Pourquoi donc l'afTuhlcr de cet


et la liaison est étroite. Quelle que puisse être autre mas([ue, celui d'un accusateur? Comment
la multitude de nos bonnes œuvres, c'est tou- pourras-tu obtenir pardon de tes propres
le

jours par un elTet de miséricorde et de bonté péchés, si tu appelles la vengeance de Dieu sur
que nous sommes entendus. Fussions-nous les prévarications d'autrui ? Il faut donc que
montés au faîte de la vertu c'est toujours la , la prière soit douce, paisible, sereine et tendre;
pitié qui nous sauve. Ce [)assage nous fait voir telle est, en effet, celle d'une âme charitable
qu^à la justice il faut nécessairement joindre qui ne souhaite pas de mal à ses ennemis ;

un cœur Qu'un pécheur prie avec


contrit. quant à l'autre prière, elle ressemble à une
humilité ce qui n'est qu'une partie de la
, femme ivre et folle, sordide et furieuse. —
vertu il peut tout obtenir. Qu'un juste, au
: Aussi le ciel lui restc-t-il fermé. C'est tout le
contraire, s'approche de Dieu avec présomp- contraire de la prière faite dans un esprit d'hu-
tion, il perd tous ses avantages. C'est ce que manité : celle-ci retentit comme un son clair^'

prouvent deux exemples du publicain et


les pénétrant, mélodieux, harmonieux, mesuré,
du pharisien. 11 faut donc apprendre à prier. digne de l'ouïe des rois. Aussi n'cst-elle —
Mais quelle est la méthode? Demandez-la au point exclue de la scène et s'en va-telle cou-
publicain, et ne rougissez pas de le prendre ronnée sa lyre est d'or, l'or brille sur ses vête-
;

pour maître, lui qui la prati(jua assez bien ments. Elle charme son juge, à la fois par son
pour tout obtenir avec de simples paroles. attitude, par ses regards, par sa voix, et per-
Attendu que sa pensée était bien préparée, un sonne ne la repousse du seuil de la voûte
mot suffit un seul pour lui ouvrir le ciel.
, céleste. — Car elle ravit de joie toute l'assis-
Mais en quoi consistait cette préparation? Il tance. —Telle est la prière digne des cieux :

s'humiliait, il se frappait la poitrine, il crai- elle est pareille à la voix des anges, ne profé-
gnait de lever les yeux au ciel. Priez de môme, rant que de douces paroles quand on la pré- ;

et votre prière s'envolera plus légère ([ue la sente en formantdes vœux poursespersécuteurs,
plume. En un pécheur fut justifié par
effet, si pour d'injustes ennemis, alors les anges mêmes
combien grandirait un juste,
sa prière, songez sont là, qui écoutent en silence et lorsqu'elle ;

qui saurait présenter une pareille requête. est terminée, ils ne cessent de la saluer d'ap-
Voilà pourquoi, en ce passage, au lieu de se plaudissements , d'éloges , d'acclamations.
nommer lui-même, David parle de sa prière. Offrons donc, nous aussi, pareille prière, et
Il dit Ma prière, comme plus haut
: il disait : quoi qu'il arrive, nous serons exaucés. Et lors-
Ma justice : «de moi, et exaucez ma
Ayez pitié (luenous nous approchons de Dieu, ne croyons
« prière. «Corneille aussi fut exaucé de la môme point avoir pour spectateur le public que vous
façon, grâce au même avocat, a Tes prières et voyez, mais un public rassemblé dans tout
a tes aumônes , est-il écrit, sont montées en l'univers, et parmi les habi-
plutôt encore
«présence de Dieu. » (Act. x, 4.) Parfaite- tants de la cité d'enhaut et au milieu le
- ,

ment, les actions, les bonnes œuvres sont Roi lui-même, siégeant pour écouter notre
entendues : quant aux prières, celles-là seule- prière. Déployons donc notre talent. Qu'il
ment sont écoutées qui sont conformes à la n'y ait pas un joueur de lyre ou de cithare
loi divine. Et quelles sont ces prières? Celles aussi inquiet au moment d'entrer en scène,
qui demandent à Dieu ce qu'il lui sied de aussi agité dans sa crainte de chanter faux,
donner, celles qui ne sollicitent pas de lui des que nous lorsque nous nous préparons à
,

faveurs contraires à ses lois. paraître devant ce public d'anges, que l'archet
Mais, dira-t-on, y a-t-il un homme assez té- de notre langue ne fasse entendre aucun sod
méraire pour prier Dieu d'agir contrairement discordant; que tout soit harmonieux, cadencé-
à ses propres lois? Je réponds Celui qui l'in- : réglé par la sagesse admis en présence de
:

voque contre ses ennemis, car ceci est contre Dieu, suppliants, prosternés, faisons vibrer la
la loi qu'il a établie. C'est lui-même (jui a dit : corde au profit de nos ennemis : c'est le
« Remettez à vos débiteurs. » Et toi, tu solli- moyen d'être exaucés en ce qui nous regarde
cites contre tes ennemis l'assistance de Celui nous-mêmes.
qui te prescrit le pardon ? Quoi de pire qu'une 5. Telle est la prière qui confond les démons,
telle démence? Celui qui prie doit avoir la la prière qui nous met nous-mêmes en crédit,
posture, les dispositions, les sentiments d'un la prière qui confond le diable et le met eu
î;32 TRADUCTION rRANCAISE DE SAINT JEAN CIIRYSOSTOME.

fuite. Car n'a pas autant peur de


le démon ceux qui d'abord, issus d'honmies vertueux,
l'homme qui chasse en exorcisant un autre
le honorés' du Seigneur, avaient ensuite dégé-
homme, que de celui qui est maître de sa néré, s'étaient pervertis, étaient déchus de
propre colère, vainqueur de son courroux; car leur rang. C'est pour rendre plus terrible l'ac-
cette passion même est un terrible démon, et, cusation portée contre eux, qu'il fait mention
plus que les démoniaques, il faut plaindre ceux de leur dignité, montrant quel grief résulte de
(|ui y sont en proie. En effet, les possédés ne ce que ni leurs qualités ni leur naissance ne les
tombent pas nécessairement dans l'enfer; tan- avait préservés d'une pareille chute. Ailleurs,
dis que la colère et la rancune nous font Dieu parle ainsi « J'ai dit, vous êtes dieux
:

déchoir du royaume des deux. Si nous réglons « et fils du Très-Haut tous tant que vous êtes.

ainsi notre prière, nous pourrons, nous aussi, « Mais vous mourrez comme des hommes. »

dire à Dieu en toute confiance « Exaucez ma : (Ps. Lxxxi, 67.) Considérez ici la sagesse du
« prière. » De celte manière, non-seulement Prophète. Il vient de montrer la puissance de
nous nous rendrons service, nous nous per- Dieu, son inépuisable industrie, sa bonté, sa
fectionnerons par notre prière mais encore , charité, comment il met au large les affligés»
nous réjouirons l'oreille de Dieu en lui adres- comment il nous exauce dans sa miséricorde,
sant une demande conforme à ses préceptes; après cela, réfléchissant aux vices répandus
ce qui le disposera à nous tout accorder. Voilà parmi les hommes, à la tyrannie de l'impiété,
le moyen de reconnaître notre adoption, voilà comme étouffé par la douleur, il se met à par-
ce qui montre le mieux le caractère qu'elle lerde ceux qui vivent dans l'iniquité, c'est à
nous a conféré. « Soyez miséricordieux, » est- peu près comme s'il disait Vous qui avez un :

il écrit, « comme votre Père qui est dans les Dieu pareil, si bon, si charitable, si puissant,
« cieux. » (Luc, vi, 3G.) Et ailleurs : « Priez comment vous ètes-vous abandonnés à l'im-
« pour ceux qui vous persécutent, afin que piété? Et voyez quelle douceur, quelle sagesse,
« vous soyez semblables à votre Père (\m est tempère le courroux dans ce conseil. Que dit-
« dans les cieux. » (Matlh. v, 44.) Que peut-on il, en effet? « Fils des hommes, jusques à quand

donc comparer à cette prière? Elle nous rend vos cœurs seront-ils a|)pesantis? » Voilà le lan-
semblables non aux anges, ni aux archanges, gage d'une sévérité contenue depuis long-
mais au Roi lui-même. Or, celui qui est devenu temps. En effet, si l'on est répréhensible pour
semblable au Roi dans la mesure du possible, avoir eu les yeux feripés tout d'abord à la
songez quel crédit trouveront ses prières. bonté divine, quelle excuse reste-t-il à celui
« Fils des hommes, jusques à quand votre que la vérité a trouvé aveugle si longtemps?
« cœur sera-t-il appesanti? Pourquoi chérissez- Qu'est-ce à dire : vos cœurs apjiesantis? Cela
« vous la vanité, et chcrçhez-vous le men- signifie des cœurs grossiers, cliarnels, atta-
<( songe? » A qui s'adressent ces paroles, sur chés à la terre, épris du vice, adonnés à l'ini-

qui tombe ce reproche, à qui est donné ce con- quité, engourdis dans les voluptés; car tel est
seil?Qui sont ces fils des hommes? Ce sont l'homme charnel. Et le Prophète en accusant
ceux qui vivent dans le péché, ceux qui sont leur vie, indique la source de leur impiété, en
enclins au vice. Eh (juoi donc? Nous-mêmes, montrant que c'est cela surtout qui les em-
ne sommes-nous pas lils des honnnes? Oui, pêche de s'élever jusqu'aux dogmes de la su-
par la nature, mais parla grâce, c'est difTérent, blime sagesse. Car rien n'appesantit le cœur
nous sommes fds de Dieu. Si donc, nous con- comme la concupiscence, connue l'affection
servons la ressemblance que nous donne avec pour les choses mondaines, comme l'attaclic-
lui la vertu, le présent qui nous a été fait de- ment à la terre. On ne se tromperait point en
meurera intact; en etfet, ceux que la grâce a appelant un cœur pareil cœur de boue de là ;

rendus (ils de Dieu, doivent montrer dans leur rex|>ression : « Cœur appesanti. » Et, suivant

conduite le signe de leur naissance. Mais la David, la cause du mal, c'est cjunne telle âme,
preuve ([u'il appelle (ils des hommes les mon- bien loin de contenir au moyen des rênes le
dains, les hommes adonnés au vice, elle est coursier qu'elle est chargée de conduire, se
dans cette parole « Les fils de Dieu ayant vu
: laisse, au contraire, entraîner par lui; c'est

« les lilles des hommes. » Eh bienl dira-t-on, que, au lieu do donner des ailes à la chair, de
c'est justement le contraire de ce que vous l'élever au-dessus du monde, et jus<iue dans
avez dit; nullement, il appelle fils de Dieu le ciel, elle se laisse elle-même prccii>itcr à
COMMENTAIRE SUR LE PSAUME IV. 533

terre sons le poids des infirmités (lui la sur- autre chose? Tout cela n'est-il pas leurre et
chargent. Avec un cocher pareil, avec un tel mensonge? Que vous nonuniez la gloire, ou
pilote, quel espoir de salut resle-t-il? a Si la l'argent ou la puissance, tout est vanité. De là

« lumière qui est en toi est obscurité, » est-il ces paroles de l'Ecclésiastc : « Vanité des vani-
écrit, «qu'est ce donc ([ue l'obscurité? n Quand « tés, tout est vanité. » (Ecclés. i, 2.) Aussi le
le pilote est en quand
état d'ivresse, sa conte- Prophète gémit-il de voir tant de déraison
nance est plus désordonnée que les Ilots, que dans notre vie. Pareil à un homme qui voyant
les vents, sur (luoi compter pour sauver le (pieiqu'un fuir la lumière et chercher les

navire? ténèbres, lui dirait : Pour(|uoi fais-tu cette


G. Comment donc alléger son âme? Par une folie? de même le Prophète nous demande :

vie exemplaire, indifférente à tous ces biens a Pourquoi chérissez- vous la vanité, et clier-

fragiles, par le soin de ne pas endiarrasser sa « chez-vous le mensonge? ( 4. Et recoimais- )

marche d'entraves lourdes et alourdissantes. « sez que le Seigneur a couvert son Saint
Parmi les corps, il en est ((ui tendent vers la « d'une gloire admirable. » Un autre inter-
terre, comme les pierres, le bois, et autres prète dit : « Mais reconnaissez. »

choses de ce genre; d'autres s'élèvent comme Voyez-vous la sagesse du Prophète? D'où


le feu, l'air et la plume légère. Si vous atta- part-il pour les amener à la connaissance de
chez à une chose légère quelqu'un de ces Dieu ? Son point de départ est des plus mani-
autres objets pesants, ni plume, ni air ne con- festes, sa méthode, des plus claires; il se pro-
servent leurs propriétés, attendu que la pesan- pose lui-même en exemple. Je suis serviteur
teur faisant plus qu'équilibre, en triomphe et du vrai Dieu, dit-il, apprenez donc par moi à
les détruit. De même, si l'on a les pieds alour- connaître sa puissance, son pouvoir, sa solli-
dis par des humeurs ou quelque maladie, il citude. En effet, c'est là un argum.ent d'impor-
ne sert de rien que le reste du corps soit léger. tance pour nous amener à la connaissance de
S'il en est ainsi des corps, à plus forte raison Dieu. Le Prophète se fonde sur la considération
des cœurs. Prenons donc garde d'alourdir le des créatures, lorsque pour démontrer la di-
nôtre, si nous ne voulons pas que, pareils aux vine Providence, il promène sa vue du soleil

esquifs surchargés de lest, ils ne soient englou- et du ciel, à l'air et à la terre, et part de l'ordic
tis. Cela dépend de nous. Car ce n'est point la qui règne dans les choses visibles pour glori-
nature qui les a faits pesants; le cœur, de sa fier le Créateur, une preuve des
il tire aussi

nature, est pour s'élever;


chose légère et faite serviteurs de Dieu et des événements accom-
c'est nous qui le rendons pesant, en dépit de la plis par son bras, ce dont l'histoire d'Abraham

nature. De là le reproche du Prophète si celte : fournil un exemple. « Nous savons, » lui di-
infirmité eût été naturelle, il n'en aurait pas sait-on, « que Dieu vous a envoyé pour régner
faitun sujet de blâme. De même que la nature « sur nous. » (Gen. xxiii, 0.) El comment le

nous a créés pour marcher, et que néanmoins savez-vous ? Par ses victoires , ses trophées,
si nos jambes sont alourdies, la nature est ses guerres. La même chose arriva aussi pour
contrariée et paralysée par cette entrave ; la les Juifs. Les prodiges accomplis en leur fa-

même chose arrive pour les pieds de notre in- veur ont rempli toute la terre d'épouvante. De
telligence , je veux dire pour nos pensées. là ces paroles de la prostituée de Jéricho « la :

« Pourquoi chérissez- vous la vanité, et cher- « terreur de votre nom a fondu sur nous. »

« chez-vous le mensonge? » 11 me semble (Jos. H, 9.) Il y a donc un premier argument,

qu'ici il a en vue à la fois l'idolâtrie et la vie celui que fournit la création un second plus ;

des méchants. En effet, par vanité, il entend décisif, celui qu'offrent les serviteurs de Dieu ;

le vide, c'est-à dire le nom sans la chose. C'est et tel est l'enseignement que Dieu n'a cessé de
ainsi que les païens ont plusieurs dieux, de répandre d'en - haut à chaque génération.
nom, et en fait, n'en ont aucun. De même poul- Il instruisit les Egyptiens par Abraham, les

ie reste ; la richesse est un nom, et rien de Perses •


par le même patriarche, les Ismaélites
plus; la gloire, un nom, la puissance, un nom etbien d'autres par ses descendants, d'autres
et rien qu'un nom. Quel est donc l'homme enfin, les Mésopotamiens , par Jacob. Ainsi
assez insensé pour s'attacher à des noms sans vous venez de voir toute la terre instruite (ou
réalité, à des fantômes qu'il faudrait fuir? Car '
Aiilears, saint Chrysostome ai>pclle ainsi le peuple voiiin d'A-
les joies, les prospérités de la vie, qu'est-ce brahain quand ce patriarche habitait Gérare.
534 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

du moins il ne tint qu'à elle de l'êlre) par les Dieu, mais encore sur le mérite de nos propres
saints? Et même avant cela le déluge, la con- actions? «Le Seigneur m'exaucera quand je

fusion des langues, avaient été propres à ouvrir « crierai vers lui. » Il vient de dire que le Sei-
lesyeux des hommes. Car, afin que le temps gneur l'a rendu admirable il ne s'en tient pas :

ne fît pas tomber dans l'oubli ce dernier évé- là etindique une nouvelle espèce de félicité.
nement, l'endroit prit le nom de Babylone en Laquelle donc? C'est d'avoir Dieu constam-
souvenir de la confusion des langue? : de telle ment pour allié, [)0ur auxiliaire, de trouver en
manière que ce nom servît de guide pour re- luiun appui permanent. En efTet ce n'est pas
monter au principe des fr.ils, et apprendre à une, deux, trois fois, c'est constamment qu'il

connaître la puissance d Dieu. Parla, les habi- nous secourt, dit-il, c'est toutes les fois que
tants de l'Occident eux-mêmes furent tous infor- nous l'invoquons et voyez ici encore cette
;

més de tout parles propos des marchands égyp- promptitude. Il disait plus haut « Quand je :

tiens. D'ailleurs à l'origine ,cette partie du « l'invoquais, il m'a exaucé, le Dieu de ma jus-

monde n'était pas fort peuplée : les hommes tetice » et de même ici
: quand je crierai vers :

étaient ramassés en grand nombre dans les con- lui.

trées de l'Orient, c'est de là qu'Adam était sorti, Mais dira-t-on, comment se fait-il que tant
que vécurent les races issues de Noé,
c'est là de gens ne soient pas exaucés? c'est qu'ils de-
mêmeaprèsBabel. Elles demeurèrent aux mê- mandent des choses qu'il ne leur serait pas
mes lieux et habitèrent surtout l'Orient. Ce qui avantageux d'obtenir. Alors, en efTet mieux ,

n'empêcha point qu'à chaque génération. Dieu vaut n'être pas entendu que de l'être. Par con-
ne leur donnât de nouveaux instituteurs. Noé, séquent, même exaucés, ne nous hâtons pas de
Abraham, Isaac , Jacob, Melchisédcch. Voilà nous réjouir ; même non exaucés, ne cessons
pourquoi notre prophète se sert des choses arri- pas de glorifier Dieu. Car, ou bien nous de-
vées aux saints, pour ramener ceux qui vivent mandons des choses qui ne nous sont pas
dans l'iniquité, en disant « Reconnaissez : avantageuses et dans ce cas, c'est un profit
:

« que le Seigneur a couvert son saint d'une pour nous de ne pas les obtenir ou bien nous :

«gloire admirable. » Qu'est-ce à dire? Cela si- demandons négligemment, et alors, en diflé-
gnifie qu'il a rendu vénérable, glorieux, illus- rant ses dons. Dieu nous invite à la persévé-
tre,auguste, celui qui s'est consacré à lui. Ap- rance, ce qui n'est pas un mince avantage.
prenons donc, en considérant le serviteur et «Car si vous savez donner de bonnes choses
son histoire, quelle eslla puissance du Maître. « à vos enfants » (Malth. vu, 11), à plus forte
David ne se borne pas à dire : Il lui a fait du raison notre Dieu, qui sait donner, et quand il

bien, il dit : couvert d'une gloire admi-


« Il l'a faut donner, et quoi donner. Paul même de-
rable, » faisant entendre qu'il se montra envers manda sans obtenir, parce qu'il demandait
lui prodigieusement, miraculeusement prodi- une chose qui ne lui aurait pas été avanta-
gue. Ainsi arriva-t-il pour Abraham. Non-seule- geuse : Mo'ise pareillement, et Dieu ne l'eiauça
ment il lui donna une épouse vierge, mais en- pas non plus. Gardons-nous donc de renoncer^
core il le rendit digne d'admiration : et son lorsque nous ne sonunes pas entendus, de
hicnfait ne consista point seulementà le préser- nous décourager, de nous endormir persévé- :

ver de tout mal, mais encore à le faire briller rons, au contraire, avec constance dans nos
(>n Egypte d'im grand éclat. Une de ces faveurs, sollicitations. Car Dieu fait tout selon qu'il est
celle (l'être all'ranchi de toute incommodité, utile. « Mettez-vous en colère, mais gardez-
Abraham la dut à sa justice : l'autre lui fut a vous de pécher soyez touchés de componc-
:

îucordée pour le bien d'autrui, je parle de son a tion dans vos lits, sur les choses que vous
retour miraculeux. La mêuie chose arriva ((méditez au fond de vos cœurs. » (o.) Ce que
imnrles trois jeunes gens, la même chose pour j'ai dit jilus haut, je le répèle en cet endroit.

lestions, pour la baleine et Jonas; partout Voulant les amener à la connaissance de Dieu,
Dieu sauve miraculeusement non pas tous in- il délivre leur âme de ses infirmités. Car il sait

distinctement, mais le juste. (lu'une vie corrompue est un obstacle à la


7. Vous avez vu cotniuenl, outre la connais- l>arfaite intelligence des dogmes sublimes. Paul
sance de Dieu, il nous |)rescrit encore une vie fait allusion à la même chose en disant a Je :

pure, nous enseignant par là à fonder l'espoir n'ai pu vous parler comme à des hommes spi-
de notre salut non-seulement sur la bonté de « rituels mais comme à des hommes char-
,
COMMENTAIRE SUR LE PSAUME IV. 53S

«f nel?. » (T Cor. m, l.) Et oncorc : «Comme de retrouvez la même mesure. «Mettez-vous en


« petits enfants en Jésus-Christ, je vous ai abrcu- « colère, mais gardez-vous de pécher. Celui
« vés delait, mais je ne vous ai point donné « qui se met en colère sans raison » en effet, :

« à manger. » (II), v, 2.) Et ailleurs a Là-dcs- : il y a aussi de justes colères la preuve, c'est :

ffsus nous aurions beaucoup de clioscs à dire, ({ue Paul lui-même s'est mis en colère contre
« et difficiles à cxplii|uer, parce ({uc vous êtes Elyme, et Pierre contre Saphire, mais à vrai
«devenus peu capables de les entendre. » dire ce n'est point ici une colère comme une
(Hébr. V, 11.) Isp.ïe de même a Ce peuple : autre, c'est sagesse, c'est sollicitude, c'est pré-
« me cherche, et désire connaître mes voies, voyance. Un père s'irrite contre son fils, mais
a comme un peuple qui aurait ayi selon la jus- c'est pour le bien de celui-ci. Celui qui se fâ-
«tice, et qui n'aurait point abandonné le juge- che sans raison, c'est celui qui se venge : au
ce ment de Dieu.» (Isaïe, i.vni, ^.) Et Osée «Se- : contraire, celui qui redresse les fautes d'au-
« mcz pour vons dans la justice, allumez le trui, celui-là est le plus charitable des hom-
« flambeau de la doctrine. » (Osée, x, 12). Et le mes. Ainsi quand Dieu lui-même se met en
Christ enseignait ce qui suit : « Quiconque colère, comme on dit, ce n'est point pour se
fait le mal hait la InmièrC;, et il ne vient venger, mais pour nous ramener au bien.
« pointa lalumière.» (Jean, in,20.)Etailleurs: Suivons cet exemple. Sévir de la sorte c'est ,

« Comment pouvez-vous vous qui re- croire, le fait de Dieu sévir autrement, c'est le pro-
;

« cevez la gloire l'un de l'autre, et ne cherchez pre des hommes. Mais Dieu ne diffère pas de
«point la gloire qui vient de Dieu seul?» nous en ce point seulement, que sa colère est
(Jean, v, Ai.) Ailleurs encore « Ses parents : juste de plus cette colère n'a rien chez lui d'une
;

« dirent cela parce qu'ils craignaient les Juifs passion. Par conséquent, prenons garde, nous
« et pour n'être pas chassés de la synagogue. » aussi de nous irriter sans raison. Car si la co-
(Jean, ix, 22.) Enfin « Beaucoup crurent en : lère a été mise en nous, ce n'est pas pour que
« lui, et à cause des pharisiens ne le confes- nous péchions, mais bien pour que nous em-
« saient pas.» (Jean, nu, 42.) Et partout on peut pêchions les aulres de commettre le péché ce :

voir que la corruption des mœurs est un em- n'est pas pour qu'elle devienne chez nous une
pêchement à la pleine connaissance des dog- passion, une infirmité, mais pour qu'elle soit
mes. Car, de même que la chassie en s'appli- un remède aux passions.
quant sur la pupille transparente de l'œil 8. Jugez donc quel est cet excès de perversité,

obscurcit et trouble la vision, ainsi les pensées quand le remède devient poison quand ce ,

mauvaises aveuglent l'intelligence et la rem- qui devait guérir les plaies d'aulrui devient
plissent de ténèbres. entre nos mains une arme qui blesse. Supposez
Aussi le Prophète, sachant cela, disait-il : un homme qui, après avoir pris le fer en main
« Mçttez-vous en colère, mais gardez-vous de pour amputer à autrui des membres gangre-
« pécher. » Il ne proscrit pas la colère elle : nés, se blesse lui-même étourdiment, et se
est bonne à quelque chose il ne condamne ; meurtrisse tout le corps ou un pilote qui se
;

point le courroux le courroux est utile, quand


: servirait du gouvernail pour submerger son
il a pour objet les hommes injustes et les négli- esquif, au lieu de l'employer à réprimer la
gents : il n'interdit que la colère injuste, que fureur désordonnée des vents. — Telle est la
le courroux déraisonnable. Et de même que colère, instrument utile pour réveiller notre
Moïse, passant à la morale, donne ce précepte âme dans ses accès pour lui
de torpeur,
pour base h sa législation : « Tu no tueras donner de la vigueur, pour nous rendre plus
« point »(Exod. xx, 43), ainsi fait le Prophète : prompts à l'indignation méritée par l'injustice,
et il fait plus encore, attendu que les règles pour susciter des vengeurs à l'iniquité. —
de la piété lui ét;iient mieux connues. Moïse Voilà pourquoi le Prophète dit « Mettez-vous :

prohibe le meurtre le Prophète remonte : « en colère et gardez-vous de pécher. » Re-

jusqu'au principe, à la source, à la racine commandation qu'il ne ferait pas, si elle était
du meurtre pour la réprimer.
, la colère , inexécutable ; car, dans ce cas, on ne prescrit
Le Christ disait de même pour réprimer la rien. Après cette loi tout apostolique, ce pré-
colère « Celui qui se met en colère sans rai-
: cepte digne de l'Evangile, ces paroles conformes
« son contre son frère, sera soumis à la gé- à celles du Christ, il nous donne cet autre avis:
« henné du feu. » (Matth. v, 22.) Partout vous a Soyez touchés de componction dans vos lits
536 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

« sur les choses que vous méditez au fond de « dans vos hts sur les choses que vous méditez
« votrecœur. » Qu'est-ce à dire il y a ici, ce : « au fond de vos cœurs, » voilà un remède. —
semble, quelque obscurité. Voici ce qu'il veut En effet, la médecine s'applique ici après la
dire Dans le temps qui suit le repas, lorsque
: faute , à guérir le coupable par lui-même.
vous vous éloignez pour vous coucher et vous Pratiquons donc cette médecine qui n'a rien
livrer au sommeil, que la solitude, que l'ab- si ton âme ne peut supporter le
de pénible. Et
sence de toute gêne vous procurent un profond souvenir de ses fautes, si la honte, la confusion
repos, un calme parfait, éveillez le tribunal qui l'en empêchent, dis-lui : Tu ne gagnes rien à
sommeille dans votre conscience, demandez- ne pas te souvenir, tu y perds, au contraire,
vous des comptes à vous-mêmes faites com- ; beaucoup. Car, faute de te rappeler à présent
paraître dans ce moment
de loisir tout ce tes péchés, tu t'exposes à ce qu'ils soient un
que vous avez conçu dans la journée, de mau- jour manifestés à tous les yeux. Au contraire,
vais desseins, tramé d'artifices, tendu de pièges si tu les repasses maintenant dans ton esprit,

au prochain accueilli de désirs pervers met-


, ; tu en seras promptement délivré, et tu n'y re-
tez en face de votre conscience ces mauvaises tomberas point si facilement. En effet, dans
pensées, et punissez, déchirez, torturez votre l'attente de ce jugement du soir , dans la
âme pécheresse. Voilà le sens de ce mot : crainte de retomber sous le coup du même
« Soyez touchés de componction » ou Faites ; : arrêt, d'être encore flagellée et torturée, l'âme
sentir l'aiguillon à vos secrètes pensées du jour, sera plus lente à pécher ; et tel est l'avantage
c'est-à-dire les mauvais desseins que vous avez de cette pratique, qu'il nous suffira de nous y
conçus, châtiez-les, punissez-les dans vos lits à adonner un mois durant, pour nous mettre
l'heure du repos ;
quand aucun ami ne vous dans l'état de vertu. N'allons donc point né-
dérangera, qu'aucun serviteur n'excitera votre gliger un
beau bénéfice. Celui qui aura
si

courroux que vous serez libre du tracas


,
institué ce tribunal ici-bas, échappera airv durs
des alTaires, alors faites le compte de vos actions jugements de là-haut. «Si nous nous jugions
de la journée. Et pourquoi ne point parler des «nous-mêmes, nous ne serions point jugés;
paroles et des actions, mais uniquement des « et lorsque nous sommes jugés, c'est par le

mauvaises pensées? Ce précepte suppose l'au- « Seigneur que nous sommes repris, afin que

tre. — En effet, s'il faut réprimer les projets « nous ne soyons pas condamnés avec ce
coupables afin qu'ils ne se réalisent point, à « monde. » (I Cor. xi, 31, 3-2.) Recourons —
plus forte raison pour les actions et les paroles donc à ce moyen, afin de n'être pas condamnés.
doit-on soumettre l'âme à la gêne. N'y man- « Offrez un sacrifice de justice, et espérez dans

quez pas un seul jour, mon cher auditeur, ne « le Seigneur. » (Ib. G.) Voyez-vous comme

vous endormez pas avant d'avoir repassé dans cet excellent conseil s'enchaîne bien au pré-
votre esprit vos fautes de la journée et cer- : cédent et le complète? Après nous avoir touchés
tainement vous serez moins prompt le lende- de componction, nous avoir rendus moins
main à tomber dans les mômes fautes voyez ; prompts à retomber dans nos péchés, avoir
ce que vous faites pour votre argent vous ne ; institué cet incorruptible tribunal, nous avoir
laissez point passer deux jours sans compter demandé compte de nos actions, de suite le
avec votre serviteur, tant vous craignez la con- prophète nous amène à la pratique de la vertu.
fusion qui résulte de l'oubli faites de : même En effet, il ne suffit point de s'abstenir du mal,
chaque jour pour vos actions; le :«oir, appelez il faut joindre à cela la pratique du bien. Delà

votre âme à rendre ses comptes, prononcez la aussi ce conseil qu'il donne plus loin « Dé- :

condamnation contre votre cœur égaré, atta- « tourne -toi du mal et fais le bien. » Ps. (

chez-le à la croix, mettez-le à la torture, xxxni, 15.) —


En effet on n'est pas puni ,

prescrivez-lui de ne pas reconnucncer. — uniciuement pour faire le mal on l'est en- ,

Voyez-vous conmient cette excellente méde- core pour ne pas pratitjuer la vertu. Ceux
cine dispose à la fois de préservatifs et de qui n'ont pas nourri leur prochain quand il

remèdes? Prescrire de ne pas retomber, c'est était affamé, ne l'ont pas désaltéré quand il

en elfet, administrer pour ainsi dire, un pré- avait soif, couvert cpiand il était nu, ceux-là
servatif ; tel est ce précepte : « Mettez-vous niMit ni usurpé le bien d"au-
pillé, ni pris, ni

a en colère, et gardez-vous de pécher » au ; trui ; pour n'avoir pas fait raumôue iju'ils
c'est

contraire : « Soyez touchés de componction sont livrés à l'éternel châtiment, au supplice


COMMENTAIRE SUR f.E PSAUME IV. 537

qui n'aura pas de D'où nous voyons (jii'on


fin. charnels, de telle sorte que nous fixions là-
no se sauve on s'abstonant du vice, à
}>oinl haut notre pensée. Car les choses de la vie pré-
moins d'être en outre riche de vertus et de sente ressemblent à des songes, à des ombres,
faire le bien. et ont encore moins de consistance, ne faisant
y. Voilà quand il nous
i)Oun[uoi le Prophète, que paraître et s'envolant, après avoir dans
a retirés du au moyen de la comi)onction,
vice l'instant de leur présence, porté le trouble
dans
qu'ils nous a rendus plus aptes à la praticjue nos cœurs : au contraire,
en Dieu est l'espoir
de la vertu, qu'il a vaincu la dureté de notre immortel, invariable, constant, exempt de
unie, qu'il l'a amollie par le même moyen, changement; il nous met dans une sécurité
voilà pourquoi, dis-je, il se met à parler de la parfaite, il rend invincible celui qui s'y livre
justice, en ces termes : « OUrez un sacrifice de sans réserve et avec la ferveur convenable.
« justice, et espérez dans le Seigneur. » Qu'est- «Beaucoup disent Qui nous fera voir les:

ce à dire : OQrez un sacrifice de justice ? Cher- «biens? La lumière de votre visage est em-
chez la justice, montrez de la justice le j)lus : « preinte sur nous, Seigneur. (Ibid. 7.) » Après

beau présent que vous puissiez faire à Dieu, avoir parfait son exhortation morale, nous
le sacrifice agréable, l'ollrande [)ropreà fléchir avoir acheminés à la connaissance de Dieu,
la colère, ce n'est point de veaux un sacrifice avoir mis en œuvre tous les moyens capables
ou de brebis, c'est une conduite conforme à de redresser la raison de ceux qui sont égarés,
l'équité. Vous voyez ici comme une e£(iuisFe en so servant surtout de l'exemple des fidèles
tracée de main divine de la législation future et de la sollicitude divine à leur égard, il
de l'Eglise; et les choses spirituelles recher- donne place à une objection qu'il emprunte
chées dès lors à la |)lace des choses charnelles. aux hommes faibles et grossiers : « Beaucoup
Ici d'ailleurs, comme je l'ai dit plus haut, il « disent : Qui nous fera voir les biens? » Ce
entend par justice, non pas une veitu particu- n'est point le petit nombre, ce ne sont point
lière, mais la vertu en général c'est ainsi que : les vrais sages, les fidèles éprouvés qui s'ex-
nous appelons juste l'homme qui réunit en soi priment ainsi : c'est la multitude, c'est cette
toutes les vertus. Ce sacrifice-là n'exige ni ar- foule confuse que sa démence ne quitte point.
gent, ni couteau, ni autel, ni feu il ne se ré- : Quel est le sens de cette parole
« Qui nous :

sout pas en fumée, en graisse et en cendre, il « fera voir les biens ?»


y a des gens (jui Il

consiste tout entier dans l'intention de celui disent, les uns pour calomnier la Providence
qui l'olTre. Ni la pauvreté n'y est un obstacle, divine, les autres parce qu'ils sont épris de la
ni la misèreune entrave, pas plus que le lieu volupté, de la mollesse, de l'argent, de la
ou quoi que ce soit en quehiue lieu que vous
: gloire, de la puissance : Où sont les biens de
vous trouviez, vous pouvez l'offrir et être vous- Dieu? Me dans la misère, la maladie,
voici
même le prêtre, l'autel, le couteau et la vic- l'infortune, en butte à des maux extrêmes, à
time. Telle est la nature des choses invisibles la persécution, à la calomnie tel autre, au :

et spirituelles : elles offrent bien plus de faci- contraire, vit dans la prospérité, les plaisirs,
lités, parce (ju'elles ne nécessitent aucune pra- la puissance, la gloire, la richesse. Ces hommes
tique extérieure. «Et espérez dans le Seigneur.» ne recherchent que ces biens-là et négligent
Un autre dit : « Et confiez-vous au Seigneur. » les biens véritables, je veux dire la sagesse et
En eflet, celui qui a mérité la faveur divine la vertu. Les autres, comme je le dis plus haut,
par une conduite équitable, celui-là y trouve partent de là pour accuser la Providence : Où
un grand appui, un tout-i)uissant secours, une est, disent-ils, la providence de Dieu, quand
force irrésistible. Voyez-vous le fruit du sacri- le monde offre le spectacle d'une telle confu-
fice, qui vous attend à la porte? Voyez-vous sion, quand la plupart des hommes vivent
ce trésor de biens qui sur-le-champ s'entasse dans la misère, la maux?
pauvreté et l'excès des
entre vos mains? Qui pourrait encore inspirer Quelle est la preuve de sa sollicitude? On croit
de la crainte à celui qui a Dieu pour allié ? entendre des gens qui en plein midi, par un
Mais ceci même n'est point une petite vertu, beau ciel, demandent à voir le soleil, et con-
d'avoir confiance en lui, de se reposer sur lui. testent l'existence de la lumière. C'est à quoi
Avec la justice il nous demande donc cette songe le Prophète, quand il dit de manière à
autre vertu, la confiance, l'espoir en Dieu, la résoudre d'un mot tous ces doutes La lumière :

défiance et le détachement à l'égard des biens de votre visage est empreinte sur nous, Sei-
^fH TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

gneur : Il ne dit pas : Est visible^, il ne dit pas : Ce honheur-là est pour les yeux, Hon pour le
Eclate, il ditl « Est empreinte, » faisant voir cœur. Beaucoupd'homnies qui possèdent toutes
que, de même
qu'une marque empreinte sur ces choses regardent la vie comme intolérable,
ne saurait échapper
le front est visible à tous el et portent dans leur âme une fournaise de
à personne, de même qu'il est impossible de ne douleur ; mille soucis les consument ; mille
pas reconnaître un visage rayonnant et inondé alarmes les Quant à moi, dit le
assiègent.
de lumière, de même il est impossible de ne Prophète, ce n'est point là dedans que je mett
pas voir la providence de Dieu. En effet, autant mon bonheur, mais dans mon cœur, dans ma
est manifeste une lumière empreinte, c'est-à- pensée, choses invisibles, incorporelles et qui
dire, gravée, inscrite sur un visage autant est : ne me représentent que des choses incor-
sensible celte bienfaisante Providence. Car ce porelles. — Par conséquent, si le contentement
que David entend ici par lumière, c'est l'assis- que te procurent les choses présentes, te four-
tance, la sollicitude, 1p secours, la Providence. nit une preuve de la Providence divine : à plus
Apres avoir avancé cette proposition, voici qu'il forte raison les biens futurs doivent t'en ins-

en donne la preuve. Quelle est cette preuve? truire, puisqu'ils sont supérieurs à ceux-là,
a Vous avez mis la joie dans mon cœur. » Après plus solides, et inaliénables. Car si, parce que
avoir condamné l'irréflexion du vulgaire, il l'on jouit de la richesse et de la prospérité, on
parle maintenant lo langage des hommes sages est convaincu de la Pro^idence divine : à plus
et sensés pour démontrer la Providence divine: forte raison les richesses du ciel doivent-elles

a Vous avez mis la joie dans mon cœur, » dit- produire en nous la même persuasion.
il : c'est-à-dire, vous m'avez enseigné la sa- Mais,direz-vous Pounjuoi donc ces richesses-
:

gesse , le dédain des choses mondaines, la làne sont-elles que des richesses en espérance,
connaissance des biens véritables et perma- qui ne tombent point sous la vue ? Je réponds
nents vous avez relevé mon âme par de
: que pour nous, Fidèles, ces biens eu espérance
bonnes espérances, vous m'avez guidé vers la ont une réalité plus manifeste que ceux d'ici-
vie future ; afin de me faire jouir des biens, bas telle est la certitude que donne la foi.
:

vous m'avez encouragé par l'attente des biens. Peut-être nous proposera-t-on cette autre diffi-
On ne peut mieux dire. culté Pourquoi n'est-ce point ici-bas que nous
:

40. En effet, si l'homme qui doit entrer en recevons notre salaire ? A cela je répondrai
possession d'un héritage, ou parvenir à une qu'il y a un temps pour combats et les les

charge élevée, se sent heureux avant d'être luttes, un autre pour couronnes et la dis-
le.>

appelé à en jouir et d'en avoir fait l'expérience, tribution des récompenses. Et ceci même est
grâce au seul plaisir que ne cessent de lui un trait de la sollicitude de Dieu qu'il ait
causer l'attente et l'espoir songez à ce que : confiné les peines et les fatigues dans les
doit éprouver celui qui vit dans l'attente d'un bornes étroites de celte vie périssable, et qu'au
immortel royaume, dans l'espérance de Wens contraire il ait égalé la durée des couronnes et
que l'œil n'a jamais vus, que n'a jamais ouïs des récompenses à celle d'une éternité sur
Toreille, que le cœur de l'homme n'a jamais laquelle la vieillesse n'a pas de prises. De plus,
connus. Voilà pourquoi il dit « Tu as mis la : comme les faibles étaient en grand nombre, il
B joie dans mon cœur. » Car c'est la meilleure leur a donné en outre les biens sensibles d'ici-

marque de providence, que d'avoir ainsi tout bas. C'est ainsi du moins qu'il gouverna le

disposé dès l'origine. Que si les hommes gros- peuple La richesse affinait chez eux, leur
juif.

siers, charnels et attachés à la terre, n'y font vie se prolongeait jusqu'à la vieillesse, la
pas attention, la cause du désordre n'est point maladie les épargnait extermination de leurs
:

imputable à l'auteur de la promesse, mais à la ennemis, paix profontle, trophées, victoires,

folie de ceux qui l'ont reçue. Et le Prophète ne belle et nombreuse pe>stérité. tout conspirait à
se borne « Tu m'as donné la
point à dire : leur bonheur. iMais quand eut paru Notre-
«joie, " mis la joie dans mon
il dit: « Tu as Seigneur Jésus-Christ, pour nous appeler au
cœur. » Montrant (]ue le bonheur ne consiste ciel, nous inspirer le mépris des choses d'iei-

pas dans les choses du dehors, dans le nombre bas et l'amour des biens célestes, pour nous
des esclaves, dans l'or, dans l'argent, dans les arracher aux choses mondaines la valeur de :

étoffes précieuses, dans une table sempluense- celles-ci a diminué, connue de juste el le>s :

ment servie, dans la puissance, dans le luxe. autres sont devenus la seule richesse vu l'état
COMMENTAIRE SUR LE PSAUME IV. 539

de maturité auquel nous étions parvenus. d'herbes, prairies , fleurs, jardins, que sais-jc
Ainsi, tant que les enfants sont |)etits encore, encore? H abrège, en nomuianl seulement les
leurs pères leur donnent des chaussures, des choses nécessaires à notre subsistance, et nous
vêtements, des ornements d'or, de? bracelets : laissant les autres à deviner. Tous ces biens,
mais, une fois qu'ils sont devenus grands, au ce n'est pas assez de dire que Dieu nous les
lieu de tout cela, ils reçoivent de leurs parents donne : il nous les prodigue et cela chaque
,

d'autres présents plus beaux : le talent de année. Que si parfois il en devient ménager,
rélo(iucnce, un ranp,- élevé dans l'Etat, le crédit en cela même il
fait voir encore sa Providence ;

à la cour du souverain, les charges, les magis- il nonchalance des hommes, il les
réveille la
tratures, et sont dégoûtés par là des frivoles excite à solliciter ces biens de sa bonté. Vien-
amusements de l'enfance. —
Ainsi fit Dieu lui- dra-t-on nous dire que ce n'est pas Dieu qui
même il nous arracha aux futiles divertisse-
: donne la pluie, mais les idoles? Nous deman-
ments de l'enfance, pour nous promettre les derons alors, qu'est-ce qui le prouve? C'est que
trésors célestes. Ne te laisse donc pas éblouir les poètes prétendent, dira-t-on, que c'est Ju-
par des biens périssables et fugitifs, ne t'occupe piter qui fait la pluie. J'objecte que ces mêmes
point de ces bagatelles. —
Ce n'est pas, d'ail- poètes ont dit aussi que ce Jupiter est un adul-
leurs, que Dieu te les ait absolument refusés. tère, qu'il a débauché des enfants, meurtri son
Enveloppés de chair, attachés cà un corps, nous père, et commis d'autres crimes non moins
ne pouvions rester entièrement privés de ces énormes. Mais tout cela est faux, dira-l-on :

choses aussi Dieu nous en a-t-il pourvus large-


: eh bien il est faux également que la pluie
!

ment. Voilà pounjuoi le Prophète, après avoir vienne de Jupiter car si vous admettez ceci, :

touché à la Providence, en ce qu'elle a de jdus il faut admettre tout le reste si vous rejetez :

élevé, et avoir dit: « Vous avez mis la joie dans le reste, rejetez pareillement ceci. En ce qui
«mon cœur, » voilà pourquoi le Prophète nous concerne lorsque nous produisons des
,

ajoute « L'abondance de leur froment, de leur


: témoins de la puissance de Dieu, nous tenons
« vin, de leur huile, les a accrus et enrichis. » pour vrai tout ce qu'ils disent de Dieu. Vous
Par ces mots il fait allusion à un côté de celte voilà donc forcés d'admettre les adultères de
même Providence, qui n'est pas à négliger, Jupiter, et toutes les autres actions qu'on lui
celui qui se manifeste jusque dans les choses attribue, et de vous convaincre par là que la
visibles. —
En effet, parler de froment, devin, nature divine ne comporte pas de pareilles
d'huile, de l'abondance de ces productions, imputations, qu'un être semblable ne saurait
c'est faire penser aux pluies, ausavant arrange- être dieu. El dussiez-vous ne point l'admettre,
ment des saisons, à la terre, à son travail la fable se dément de soi le mensonge est ,

intérieur, à sa fécondité, à l'atmosphère, au confondu par lui-même, et toute autorité est


cours du soleil, aux révolutions de la lune, à enlevée aux poètes. Mais il est clair que cette
la marche régulière des astres, à l'été, à l'hiver, autorité détruite, tout s'échappe de vos mains :

à l'automne, au printemps, nu labourage, aux puisque ce sont les poètes qui ont inventé les
instruments de culture, à une foule d'indus- noms donnés par eux aux fausses divinités,
tries. Car si tout cela n'était point réuni, il ne ainsi qu'un de vos philosophes en fait l'aveu.
serait pas possible aux fruits de parvenir à Mais peut-être sacrifierez-vous vos dieux pour
maturité. Ainsi, en nommant le blé, le vin, recourir aux allégories je vous demanderai :

l'huile, leProphète donne au sage une occasion alors qu'est-ce que Jupiter? Vous me répon-
:

de s'élever de la partie au tout, et lui ouvre un drez : la substance ignée, la région supérieure
vaste champ pour étudier la providence de à l'air, ce qu'on appelle éther, d'un mol qui
Dieu révélée dans les choses sensibles. signifie bouillonnement, combustion. Ce n'est
11. Voilà pourquoi Paul aussi, faisant un donc point une essence raisonnable, intelli-
discours public et traitant de la Providence, gente, mais un être dépourvu de pensée. En
partait de là pour dire « Dispersant les pluies
: effet, personne ne contestera sans doute que
« et les saisons fécondes en nous donnant la
, tout ce qui participe de la nature de l'air, ne
« nourriture en abondance et en remplissant
, possède ni la raison ni le raisonnement : le

« nos cœurs de joie. » (Act. xiv, 10.) Le Pro- plus stupide des hommes sait ce qu'il en est.
phète, dans sa concision, omet tout le reste : Voilà donc Jupiter et son essence réduits à
Iruits, baies, espèces de plantes, de graines. néant. En effet, s'il est air, et que l'air soil ce
uo TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

que nous avons dit, la fable est encore battue paix accordée à ceux qui sont voués à Dieu.
sur ce terrain. S'il est air, il ne peut être le « Car ceux qui chérissent votre loi sont en
père de personne, il n'a pu enj^endrer une es- « paix , et il n'y a pas de scandale pour eux. »

sence telle que l'on représente le soleil, appelé (Ps.cxvni , iOri.) En effet, rien ne donne plus
aussi Apollon , et prétendu fils de Jupiter en : habituellement la paix que la connaissance de
effet, le soleil est également dé[)Ourvu de rai- Dieu, que la possession de la vertu qui exile ,

sonnement, de pensée, d'intelligence il n'est : de notre cœur les passions avec les troubles
lui-môme qu'une créature physique, guidée qu'ellee y fomentent et ne permet pas à ,

dans son cours circulaire par la loi que Dieu riiomme d'être en guerre avec lui-même à :

lui a prescrite à l'origine. D'ailleurs la pluie ne ce point qu'à défaut de cette paix, quand bien
tombe point de l'éther; mais des nuages où même on trouverait au-dehors une paix pro-
vient s'amasser l'eau, soit de la mer, soit des fonde,quand on ne serait en butte à aucun
réservoirs ([ui sont au-dessus du ciel, comme ennemi on est plus inalheureux que ceux
,

parlent les piophètes. vous révoquez eu


Que si contre qui l'univers est conjuré.
doute l'autorité des prophètes, nous vous pro- 12. En effet, ni les Scythes, ni les Thraces,
duirons des marques incontestables et mani- ni les Sarmates, ni les Indiens, ni les Maures,
festes qui les montrent clairement inspirés de ni aucune nation sauvage, ne font une guerre
Dieu, et ne parlant jamais par eux-mêmes, aussi acliarnée que les mauvaises pensées qui
mais toujours sous la dictée de cette grâce di- font leur séjour dans l'âme, que les passions
vine et céleste. Eu effet, tout ce qu'ils ont pré- déréglées l'amour des richesses, la soif du
,

dit est accompli, tout a trouvé sa réalisation, pouvoir, l'attachement aux choses mondaines;
soit que l'on feuillette l'histoire ancienne ou et cela se conçoit, car c'est du dehors que ces

celle des temps nouveaux. Ce que les prophètes premiers ennemis nous attaiiuent, c'est au-dc-
ont dit des Juifs a reçu son plein accomplisse- dans que les seconds nous font la guerre. Or,
ment, ont pu en vérifier la réalisation
et tous : que les maux intérieurs sont plus désastreux
de même pour ce qui concerne le Christ dans et [)lus pernicieux que ceux qui viennent du
le Nouveau Testament par là on voit claire-
: dehors, c'est une observation que l'on peut
ment la divinité de l'une et l'autre Ecriture. faire constamment. Rien n'est plus funeste
Mais si l'Ecriture est divine, ce qu'elle dit de aux arbres que les vers engendrés dans leur
Dieu ne peut manquer d'être complètement substance, rien n'est plus fatal à la santé, à la
vrai. N'allez donc point douter de la Provi- force du corps, que les infirmités qui s'y déve-
dence divine, et admirez en ceci encore sa loppent intérieurement; les villes ont moins à
sollicitude, que les méchants mêlés aux bons souffrir de la guerre étrangère, que de leurs
ici-bas ne l'aient pas empêché d'accorder à dissensions intestines ; de même l'âme n'a pas
tous la jouissance de la terre et du soleil, tant à redouter les pièges qui lui sont tendus
ainsi ({ue le bienfait des pluies. Que s'il laisse dans le monde que les maladies dont elle a

quelques honnnes dans la misère et la pau- fourni le germe elle-même. Mais quand un
vreté , c'est afin d'améliorer leur âme et de homme vivant dans la crainte de Dieu, s'at-

leur inspirer des pensées plus sages. En effet tache avec constance à faire cesser cette guerre,
vous savez , vous n'ignorez pas que la richesse à assoupir ses passions, a étouffer l'hydre des
n'est qu'un instrument de corrujition pour mauvaises pensées, à ne lui laisser aucune re-
ceux qui n'y prennent pas garde; tandis que traite, alors il est assuré de goûter une paix
la pauvreté est mère de la philosophie : et c'est parfaite et profonde. Telle est la paix que nous
ce que les faits établissent chaiiue Jour. Com- devons à la venue du Christ telle eft la paix ;

bien de pauvres plus sages, plus intelligents que Paul souhaitait aux fidèles, disant dans
que les riches, et aussi plus sains de corps, chaque épîlre « Grâce à vous, et paix par
:

grâce à leur pauvreté même (jui amende tout « Dieu notre père. » En effet, celuiqui en jouit

à la fois leur chair et leur âme? <j Pour moi non-seulement n'a pas à craindre le barbare
« je dormirai là-dessus et je reposerai d'un et l'eniU-Mni, il n'a pas même lieu de redouter
« profond sonnneil. (9.) Parce que vous m'a- le diable, il se rit de toute la phalange des dé-
vez logé Seigneur, à l'écart
, près de l'es- ,
nuMis, il est le plus heureux îles hommes, la
« péranee. » (10.) Encore une autre mani- pauvreté ne le gêne point ni la maladie, ni ;

festation , très-notable , de la Providence : la les infirmités ne Tincommodent; aucun des


COMMENTAIHE SUR LE PSAUME IV. Kii

accidents imprévus assaillent riiuma-


qui recueilli, replié sur moi-même, sans me laisser

nité ne le que son ànie, en (jui


trouble, parce distraire par mille inquiétudes, sans songer à
réside le pouvoir d'accommoder tout cela pour tel ou tel, sans laisser mes pensées s'égarer
le mieux, reste forte et en bonne santé. Vous sur la terre : en me contentant de réfléchir à
allez vous convaincre que c'est la vérité pre- ;
mes affaires, à mes intérêts, aux choses qui
nez, par exemple, un envieux, en admettant importent le plus à un homme : « Parce que
que personne ne l'attaque, à quoi cela lui sert- « vous m'avez logé, Seigneur, à l'écart, près de
ît? Il Cil lui-même son propre ennemi, son « l'espérance. » Il veut dire (juc son espérance,
âme aiguise contre elle-même des traits plus sa confiance en Dieu ont apaisé toutes ses pas-
perçants qu'une épée; il se heurte à tout ce sions. Tel est aussi le langage de Paul o Car :

qu'il voit, chaque homme qu'il vient à ren- « les tribulations si courtes et si légères de la
contrer le blesse, ses regards ne s'arrêtent avec a vie présente en nous le poids
produisent
plaisir sur personne, il ne voit partout (jue « éternel sublime et incomparable
d'une
des ennemis conjurés. Que lui revient-il donc « gloire parce que nous ne considérons point
:

de cette paix où le monde le laisse, quand lui- «les choses qui se voient, mais celles qui
même, furieux, enragé, ennemi de toute la « ne se voient pas. » En elîet, il n'y a pas de

nature, porte en tous lieux cette guerre intes- chose si difficile qui ne devienne très-aisée,

tine, et souhaiterait d'être en butte à mille grâce à l'espérance de la glorification selon


llèohes, à mille traits, disons plus , à mille Dieu. Voilà pourquoi le Prophète dit : « Vous
morts, plutôt que de voir un de ses semblables « avez mis en moi l'espérance. A l'écart : » ce
au sein des honneurs ou de la prospérité ? Tel mot même renferme une grande instruction.
autre que possède la passion des richesses 13. Qu'est-ce à dire :à l'écart? C'est-à-dire
ouvre la porte de son âme à mille guerres, loin des méchants. J'ai trouvé cette paix en
mille combats, mille séditions, et, dans son vous, veut-il dire, et je vis séparé des pervers.
trouble, dans ses alarmes, il ne peut sespirer C'est très-bien fait : car si les corps ont souvent
un instant. Tout autre est celui qui a su s'af- à souffrir du contact d'un air vicié : ainsi l'âme
franchir des passions : il vit dans un port pai- est gagnée souvent par contagion des vices la

sible, parmi les douceurs de la philosophie, à d'autrui et si un œil parfaitement sain peut
:

l'abri de toute incommodité pareille. Voilà contracter par les regards jetés sur un œil ma-
pourquoi le Prophète, favorisé de ce bienfait lade la même maladie si le galeux communi- ;

de la Providence, disait « Pour moi, je dor- : que son mal aux gens bien portants ; les mau-
« mirai là-dessus, et je reposerai d'un profond vaises sociétés produisent souvent des effets
« sommeil, » faisant voir par là que celui à analogues. Voilà pourquoi le Christ conseillait

qui cette paix est refusée n'a plus même l'accès non-seulement de fuir les méchants mais ,

de ce port du sommeil et de la nuit qui est même de s'en séparer violemment, témoin ces
ouvert à tous les hommes, et que l'entrée lui paroles : « Si ton œil droit te scandalise , arra-
en est fermée. En effet, ces passions ruinent « che-le, et jette-le loin de toi. » (Matth. v, 29.)
jHsqu'au repos procuré par la nature, en op- Ce n'est pas de en efl'et,
l'œil qu'il veut parler :

posant à la tyrannie du sommeil, une autre quel mal l'œil que l'esprit
peut-il faire tant
tyrannie plus forte qui en triomphe. Car les reste sain ? Il veut parler de ces amis intimes
hommes envieux, jaloux, cupides, injustes, qui nous sont aussi nécessaires que nos yeux,
portant en tous lieux cette guerre et ses en- et il nous prescrit, s'ils viennent à nous nuire^
nemis dans leur sein, ne peuvent se dérober de répudier tout commerce avec eux pour ,

au combat, dans quelque asile qu'ils se réfu- garantir plus efficacement notre salut. De là
gient même chez eux, même au lit, des
: encore ces paroles qui se trouvent plus loin
nuées de traits, des agitations' plus violentes chez le Prophète. «Je ne me suis pas assis avec
que les flots, des combats sanglants, des cris, des « les conseillers de vanité , et je n'entrerai pas

gémissements, mille autres alarmes pires que « avec les prévaricatcuts. » (Psal. xxv, 4.) Jéré-
celles que peut causer la présence des ennemis, mie aussi proclame heureux l'homme qui reste
ne cessent de les troubler. Il n'en est pas ainsi dans la solitude, et qui porte ce joug dès la
de notre juste. Content durant la veille, la jeunesse. (Thrèn. , 27, 28.) m
Les Proverbes,
nuit lui apporte un sommeil délicieux. Mais également, contiennent beaucoup de conseils
qu'est-ce à dire^ « là-dessus? » Cela signifie à ce sujet, et invitent tout le monde, non-scu-
1542 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

Itmenl à éviter les mauvais conseillers, mais C'estpour indiquer combien la chute est fa-
encore à rompre tout commerce avec eux, et à cile etprompte. Mais vous-mêmes , avez-vous
ne les point fréquenter. En effet si nous voyons envie de vous établir dans une ville? Vous
souvent les choses corporelles dénaturées par vous inquiétez du climat, vous voulez savoir
l'effet d'un mauvais voisina j,^e, à combien plus s'il n'est pas insalubre, variable, sec à l'excès :

forte raison en doit-i! être ainsi de la mora- mais quand il s'agit de votre âme ,
peu vous
lité ? Les couleurs et la santé sont naturelles à importent les sociétés dont elle va se trouver
notre corps : néanmoins il arrive qu'elles nous entourée, et vous la livrez sans examen, à la ,

sont ôtées par la prédominance d'une disposi- merci du premier venu? Et par quelle excuse,
tion contraire. — L'appélitestpareillementinné je vous le demande ,
justifier une pareille in-
chez nous : néanmoins il nous arrive de le différence? Quelle est, selon vous, la cause,
perdre souvent par la faute des maladies : et qui porte si haut la gloire et le renom des soli-
l'on pourrait nmltiplier les exemples de ce taires? N'est-ce point d'avoir fui les agitations
genre. Eh bien si les choses physiques sont
I de la place publique, de s'être sauvés loin de
sujettes à ces ébranlements, h plus forte raison la fumée des affaires d'ici-bas? Sachez les limi-

les choses morales qui sont bien plus promptes ter, et chercher la solitude au milieu même
à changer dans un sens ou dans l'autre. N'al- de la cité. Mais comment la trouver ? En fuyant
lons donc pas croire que les mauvaises fré- les méchants, en courant après les bons. C'est
quentations n'olfrent qu'un médiocre danger : le moyen mieux préservé que les soli-
d'être
fuyons-lesau contraire, par-dessus toutes choses, taires eux-mêmes, parce que, tout en vous
fût-ce la société de nos femmes ou celle de nos prémunissant contre ce qui pourrait vous
amis. C'est le péril auquel ont succombé ces nuire, vous aurez encore l'avantage des sociétés
grands hommes Salomon , et Samson : toute utiles. méchants, rechercher les bons,
Fuir les

une nation, la nation juive, se perdit aussi de ce sera pour vous double ressource a6n de
la sorte. Car moins dange-
les serpents sont croître en vertu et de mettre le vice en
,

reux que humaine. Le venin du


la perversité fuite. Conduisons-nous donc de manière à y
serpent est visible les hommes, au contraire,
: parvenir, conformément à la parole du Psal-
distillent goutte à goutte sans bruit mais , , miste Parce que tu m'as logé Seigneur, à
: « ,

chaque jour, leur poison qui peu à peu dé- ,


« l'écart près de l'eppcrance. » Je finirai ici

truit toute la vigueur de notre vertu. Aussi mon discours après vous avoir expliqué suf-
,

Dieu défend-il jusqu'aux regards déréglés : fisamment . je pense , les difficultés , en Jésus-
« Celui dit-il
, qui a jeté les yeux sur une
,
Christ Noire- Seigneur, à qui gloire et puis-
a femme pour la convoiter, a déjà connu is sauce, maitit-nant et toujours, et dans les

« l'adultère dans soû cœur. » (MattU. v, 28.) siècles des siècles, Ainsi soit-il.
rOMM£NTAlKE SUR LE PSAUlfE V, .i3

EXPLICATION SUR LE PSAUME V.

FOIR LA FIN, POUR l'uÉRITILRIÎ. — PSAUJIK DE DAVID.

ANALYSE.

I. Héritage de l'Eglise : pourquoi elle n'entreraen possession que dans l'autre vie.
St. Combien il est facile d'aimer son procbain. L'épouse et l'époux.
3. Rédoxions diverses sur la prière.

4. Haine de Dieu contre les méchants. Sa miséricorde.


5. Eiplicalion des mots : Séjiulcre ouvert.
6. Gloire et sécurité : réunies chez le seul juste.

Voyons d'abord quel est cet héritage, et


1. mais l'avenir; ou plutôt, c'est à la fois le pré-
s'il nous en revient une part puis le temps où ;
sent et l'avenir. « Cherchez le royaume de

nous devons hcrilcr. Il serait bien étrange, « Dieu et toutes ces choses vous seront données

quand vous vous montrez si inquiets, si préoc- « par surcroît; » le legs entier est réservé pour
cupés, au premier bruit d'un legs pécuniaire un autre temps. Car, la vie présente étant fra-
fait en votre faveur, si empressés à fouiller des gile , et nos âmes encore dans l'enfance , Dieu
livres, à consigner des sommes, à recourir aux fait comme les législateurs du monde ; il attend
pièces, à en transcrire la teneur, à déployer que nous soyons mûrs ,
pour nous investir de
toute votre activité de montrer de la tiédeur
, notre patrimoine. C'est lorsque nous sommes
et denégligence aujourd'hui qu'il s'agit de
la arrivés à la maturité, à la plénitude de lagc,
l'ouverture d'un testament spirituel qui attend et que nous avons quitté cette vie pour la vie
son exécution d'une succession qui n'est point éternelle qu'il nous met en main l'héritage
de ce monde. Approchons-nous donc, ouvrons promis. En attendant il a testé, il nous a laissé
les registres, examinons le texte de près, et les pièces, il nous a dit ce qu'il fallait faire

voyons à quelles conditions cet héritage nous pour être mis en possession du legs, pour
est laissé, et quelle en est la nature. En effet, n'être pas évincés, déshérités. Va-t-on se préoc-
ce n'est pas un héritage pur et simple , il ya cuper de ce que nous ne sommes pas encore
une clause. Quelle est cette clause? « Celui qui en âge, et tenir pour suspecte la parole don-
a m'aime gardera mes préceptes » (Jean, xiv, née ? Que l'on écoute alors le langage de Paul :

23); ou encore, « celui qui ne portera pas ma « Quand j'étais petit enfant, comme un enfant
« croix et ne marchera pas à ma suite » (Math. «je parlais, comme un enfant je pensais,
X, 33) ; la même chose se retrouve dans plu- « comme un enfant je raisonnais; mais quand
sieurs endroits du Testament. Enquérons-nous «je suis devenu homme ,
je me suis dépouillé
maintenant du temps, où la succession doit « de ce qui était de l'enfant.
Cor. xni, U.)
» (I

nous échoir. Ce temps n'est pas le présent, Voilà le présent et voilà l'avenir.— Ailleurs ea-
su TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

core : « Jusqu'à ce que nous soyons tous par- Faites ce que vous voulez qu'on vous fasse.
« venus à la maturité, à la plénitude de Tàge. » Entre les deux routes qui mènent à la vertu ,

(Ephés. IV, 13.) C'est comme s'il disait : Dans l'une, par l'abstention du vice, l'autre, par la
la vie présente, la création qui nous environne pratique de la vertu, Jésus choisit la seconde,
est comme une nourrice qui nous donne son en nous indiquant en même temps la pre-

lait ; mais quand venu pour


le moment sera mière. Il avait d'ailleurs fait allusion à celle-
nous d'être introduits dans le palais du Sei- ci,en disant Ce que tu hais, ne le fais pas à
:

gneur, alors dépouillant ce vêtement périssable autrui quant à la seconde, il nous la montre
;

pour nous envelopper d'immortalité , nous clairement par ces expressions « Ce que vous :

serons admis à cet autre partage. Le même « voulez que les hommes vous fassent, faites-
Testament menace aussi de laisser beaucoup a le-leur aussi. »
d'hommes sans héritage, s'ils ne savent pas 2. Il y a encore une autre condition. Quelle
répondre aux conditions formulées. Mais voyons est-elle? C'est d'aimer son prochain comme
maintenant de quel legs il s'agit: De ce que« l'œil soi-même. Et quoi de plus aisé? Haïr, voilà ce
a n'a pas vu, l'oreille n'a pas oui, » de « ce qui qui est difficile et pénible; aimer, rien n'est
« n'est pas entré dans le cœur de l'homme. » plus facile et plus doux. S'il avait dit :

(I Cor. II, 9.) Comment donc aurions-nous pu Hommes, aimez les bêtes sauvages, le pré-
dans cette vie avoir la disposition de choses cepte serait rigoureux ; mai*3 il ordonne à des
dont la connaissance même surpasse notre hommes d'aimer les hommes une ; telle pres-

esprit? Voilà pourquoi elles nous sont gardées cription, avec le puissant appui que lui prê-

comme un dépôt dans l'autre monde. Et voyez tent l'identité d'essence, la communauté d'ori-

quel excès de sollicitude. Nos maux sont cir- gine, la voix même de la nature, quel obstacle
conscrits dans les limites de l'existence actuelle, l^ourrait-elle rencontrer? Les lions, les loups
de telle façon qu'un temps borné en mesure la obéissent à la même loi ; car ils cèdent eux-
durée au contraire, les biens nous attendent
;
mêmes à l'attrait de la nature. Commuent pour-
au sein de la vie future, afin que notre rému- rions-nous donc nous justifier, nous qui appri-
nération se prolonge sans fin dans l'éternité. voisons les lions et les logeons dans nos

C'est ce partage immortel qui est appelé aussi demeures, nous ne savions pas nous conci-
si

royaume. En avenir a beau surpasser


etfet, cet lier nos frères? Il ne manque pas de gens, vous
notre raison Dieu y l'ait allusion dans un
;
k savez, qui sont sur la piste des vieillards,
langage approprié à notre faiblesse, tantôt le afin de capter leur héritage ; déjeunes hommes,
nommant royaume, ainsi que je l'ai dit plus pleins de santé qui affrontent toutes les incom-
haut, tantôt noces, tantôt magistrature, afin modités de la vieillesse, la goutte, la toux, et
que ces noms qui rappellent des joies d'ici-bas, tant d'autres infirmités, dans leur assiduité à

nous permettent de pressentir cette gloire faire le siège d'une succession. Et pourtant, il
éternelle ce bonheur sans mélange
,
cette , ne s'agit là que d'argent et d'un espoir mal

société du Christ, que rien ne saurait égaler. assuré; ici, au contraire, il s'agit du ciel, et

— Mais (|uelles sont les conditions de l'Eglise, d'abord de i)laire à Dieu. Mais, ([u'est-ce donc
ou plutôt de riiéritage? Elles n'ont rieu doné- que cette héritière dont le litre fait mention :

reux: «Ce que vous voulez (jue les hommes vous « Pour l'héritière. » Cest l'Eglise en sa pléni-

« fassent, faites-le leur aussi. » (Matth. vu, 12.) tude, l'Eglise dont Paul a dit «Je vous ai :

Vous voyez qu'il n'y a rien là d'exorbitant « fiancée à im époux unique, au Christ, i>our

rien que la nature n'ait commencé par |)rcs- « vous présenter à lui comme une vierge

crire elle-même ? Faites au prochain les traite- « pure. » (H Cor. xi, 2.) Et Jean : « Celui qui
ments (lue vous désirez obtenir de lui. Tu veux « a l'épouse, est l'époux. » (Jean, m, 20.) Mais
être loué Loue. Tu veux n'être pas dépossédé
:
: l'époux, après les premiers jours, perd la viva-
Ne dépossède pas. Tu veux être honoi é Honore. : cité de son amour; le nôtre, au contraire,
Tu veux obtenir miséricorde vSois mii^éricor- : reste conslanunenl fidèle à son alTeclion, et ne
dieux. Tu veux être aimé Aime. Tu veux : fait (juc redoubler d'ardeur; aussi Jean em-
qu'on ne médise pas de toi Ne médis pas. Et : ploie-t-il un mot (jui désigne le connncnce-
remarquez la justesse de ce langage. On ne inent du mariage, époque' où la tendresse est
vous dit pas Ne faites pas à au!rui ce (|ue
: dans toute sa force. Quant au nom d'éj)Ouse
vous uo voulez pas qu'on vous fasse, mais : (ou plutôt jeune épouse) il lui a été dicté
rOMMFNTATRF SUR T,E PSATIME V. un
encore par un autre uiolif ; il a voulu iiuliiiucr le Prophète? Beaucoup de choses; car il est sou
que nous devons tous ne former qu'un corps avocat, et la plupart des choses qui devaient
et qu'une âme selon la vertu et foIou la cha- lui arriver, il les a prédites et annoncées
rité, et aussi que nous devons, durant toute d'avance; par exemple, au sujet de l'époux, de
notre vie, imiter la jeune épouse qui ne songe la cérémonie nuptiale, et des biens réservés à
dans toutes ses actions qu'à contenter son l'épouse. Voilà potir(|uni il parle d'elle ici

mari.Comme au jour de son mari;ige l'épouse même, et, en commençant, ainsi que ces avo-
dans la chambre nuptiale, se préoccupe
assise cats de profession qui plaident devant les tri-
seulement de plaire à son époux ainsi nous- ;
bunaux, il dit quelle est la personne dont il

mêmes, en cette vie, songeons seulement à. la plaide la cause : « Pour l'héritière. » Et que
satisfaction de l'époux, et restons fidèles à la demande cette héritière ? écoutons : « Ecou-
conduite qui doit être celle d'une épouse. « tez mes paroles, Seigneur. » (2.) Elle appelle
C'est encore à cette épouse que pense David, l'époux Seigneur, ce qui est le fait d'une
lorsqu'il dit a La reine s'est tenue debout à
: épouse qui connaît ses devoirs. En effet, si c'est

« votre droite, vêtue d'un manteau broché l'usage entre personnes de même condition,
a d'or, parée de franges d'or. » (Ps. xliv, U.) si la femme nomme son mari Seigneur, à plus
Voulez-vous voir maintenant ses chaussures. forte raison est-ce le cas, lorsqu'il s'agit de
Ecoutez Paul, ce paranymphe, qui vous dit : l'Eglise et du Christ, de donner ce titre à celui
« Chaussant vos pieds pour vous préparer à qui le mérite par sa nature même. Ce n'est
a l'Evangile de la paix. » (Ephés. vi, 15.) Vou- donc point seulement en qualité d'époux
lez-vous voir aussi sa ceinture et comment qu'elle le nomme Seigneur, c'est encore en
elle est faite de vérité? Le même Paul vous la qualité de Maître, et c'est à ce titre qu'elle le
montrera : « Ceignant vos reins en vérité. » supplie de l'entendre. Car si un héritage lui
(Ib. VI, 14.) Voulez-vous contempler sa beauté? estotïert, il faut, pour qu'elle en jouisse, qu'elle
La môme bouche vous la révélera : « N'ayant accomplisse les conditions exigées; clh; prie
ni tache ni ride. » (Ibid. v, ^7.) Ecoutez en- donc et conjure l'époux de devenir sou allié,

core ce que dit à son sujet l'Ecclésiaste : « Tu de l'aider à exécuter les clauses, afin (ju'elle

« es toute belle, ma compagne, et il n'y a pas ne soit pas déshéritée. De là ces mots: Ecoutez
« en toi de défaut. » (Cant. iv, 7.) Et ses pieds, mes paroles. Seigneur; et elle le dit avec con-
maintenant. « Qu'ils sont beaux les pieds de fiance, ne demandant rien que lui-même ne
« ces hommes qui annoncent la paix, qui an- désire donner; tandis que ceux qui ont à de-
« noncent le bonheur.» (Rom. x, 15.) Et ce mander des choses indignes de celui à qui ils
qu'il Y a d'admirable, de merveilleux, c'est s'adressent, ne sont pas admis à présenter une
qu'après l'avoir parée de la sorte, il ne vient pareille requête. Prier contre ses ennemis,
pas h elle dans tout l'éclat de sa gloire, de peur contre ses persécuteurs, ce ne sont point là
que tant de beauté ne Téblouisse, ne lui trouble paroles d'honune, mais paroles du diable. En
l'esprit; il vient enveloppé du
vêtement même jurer procède du diable, « ce qu'on dit
etîet, si

que son épouse , il participe comme


elle de la « de plus vient du mal (Matlh. v, 37), » tsl-il
chair et du sang, et au lieu de l'appeler cà lui dans écrit, il en est évidemment de même des
les cicux, il descend lui-même auprès d'elle ;
vœux que l'on forme contre ses ennemis. Par
fidèle en cela même à la loi qui conduit conséquent, si vous dites « Ecoutez mes :

l'époux auprès de l'épouse. C'est le précepte a paroles, » que vos paroles annoncent un
de Moïse « L'homme quittera son père et sa
: homme charitable, humain, et sans rapports
« mère et s'attachera à sa femme. » Et Paul a avec le diable.
dit de même « Ceci est le grand mystère; je
: 3. Comprenez mon cri. Par ce mot cri n'en-
a le dis à l'égard du Christ et de l'Eglise. » tendez point ici une élévation de la voix, maie

Etant donc entré dans son séjour, et l'ayant une que Dieu
disposition de l'esprit. C'est ainsi
trouvée sale, souillée, nue, ensanglantée, il l'a dit à Pourquoi cries-
Moïse alors silencieux : «

d'un vêtement
lavée, ointe, nourrie, habillée « tu vers moi? » Il ne dit pas pourquoi m'a- :

dont on ne saurait trouver le pareil; lui- dresses-tu ta prière ? Mais « Pourquoi cries- :

même, il lui sert de manteau, et la prenant « tu vers moi ? » parce que Moïse s'appro-

avec lui, il l'emmène Uà-haut. Voilà celle à qui chait de lui avec une grande ferveur. Aussi —
est destiné l'héritage. Que dit donc à son sujet pour vous faire entendre qu'en ce passaga

S. J. Cb. rr Tome V^ 35
540 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

également, il ne s'agit pas proprement de cri, vous ne permettriez pas que votre inférieur le
mais d'une disposition intérieure, mais d'un re- saluât avant vous et maintenant, lorsque le
:

doublement de zèle, il ne dit pas entends mon : soleil est en adoration vous donnez vous , ,

cri, il dit : comprends mon cri, pénètres-en le cédez votre rang à une créature matérielle, au
sens. Car, s'il emploie des paroles humaines, il lieu de prévenir toute cette nature créée pour
les emploie de manière à bien exprimer ce vous et de rendre vos actions de grâces tout :

qu'il veut dire. « Faites attention à la voix de en vous levant, vous vous lavez le visage et les
ma supplication. » Ici encore, c'est de la voix mains, et vous laissez votre âme dans l'impu-
Intérieure qu'il s'agit. Anne aussi criait de la reté ! Ne savez-vous pas que la prière est pour
?orte. Et il ne dit pas simplement Faites atten- :
la purification de l'âme, ce qu'est l'eau pour
tion à la voix de ma prière : il dit, « de ma sup- celle du corps ? Avant de nettoyer votre corps,

plication. » En effet, celui qui prie doit revêtir nettoyez donc votre âme
le péché y a laissé :

l'extérieur et les sentiments d'un suppliant. bien des souillures recourons à la prière :

Un suppliant ne parle point en accusateur et pour nous en délivrer. Si nous avons eu soin
celui qui forme des vœux contre son ennemi de fortifier ainsi notre bouche, ce sera un fon-
estun accusateur plutôt (ju'un suppliant. Vous dement excellent pour notre conduite de la
voyez comment elle otfre sa prière, après journée. Le matin, je me présenterai devant
«

l'avoir rendue digne d'être entendue. — Fai- « vous, et je vous contemplerai. » (Ibid. 5.) Je me
sons de même quand nous prions que nous
et présenterai devant vous, non en me transpor-
voulons être écoutés : faisons d'abord que ce tant ailleurs, mais par mes actions. L'homme
soit une prière, et non une accusation, et pré- qui est dans de telles dispositions est capable
sentons-la conformément aux règles données de s'approcher de Dieu. C'est de là que résulte
par le Prophète. « Mon roi et mon Dieu. » l'éloignement ou proximité car Dieu est par-
la :

C'est l'expression perpétuelle du Prophète, ou tout. «Jeme présenterai devant vous et je vous
plutôt, c'était le privilège d'Abraham, av^ dire « contemplerai, |)arce que vous n'êtes pas un
de Paul : « Pour cette raison Dieu ne rougit « Dieu voulant l'iniquité. » Un autre interprète
« point d'être appelé leur Dieu. » (Iléb. xi, 16.) dit : «Et je considérerai que vous n'êtes pas un
L'héritière emprunte celte expression et se ,
« Dieu voulant l'iniquité. » — « Et le pervers
l'approprie heureusement dans son amour. « n'habitera pas auprès de vous. » (Ibid. G.) En
Elle ne dit pas simplement roi, elle dit « mon ce passage, il fait allusion aux idoles : parce
a roi et mon Dieu, » de façon à manifester sa que ces hommes les aimaient ainsi que toute
tendresse. Ensuite elle expose les raisons, sur iniquité et toute mauvaise action. « Et le per-
lesquelles fonde pour être écoutée.
elle se « vers n'babitera pas auprès de vous, » il ne
Quelles sont ces raisons ? « Parce que je vous sera pas votre ami, votre voisin. « Et les pré-
« adresserai ma prière, Seigneur. » (4.) Mais « varicateurs ne tiendront pas devant vos re-
dira-t-on, y quchju'un qui n'adresse pas
a-t-il « gards. » 11 fait voir ici la haine de Dieu contre
à Dieu sa prière ? Je réponds que beaucoup de le mal, et enseigne à ceux
ijui s'approchent de

gens paraissent prier Dieu, qui n'agissent de mettre en état de paraître devant ses
lui à se
la sorte (jue pour être vus des hommes. Il n'en yeux. En effet, si l'on ne peut approcher d'un
est pas ainsi de notre lîéritière elle étend les : homme de bien, à moins d'avoir une conduite
mains vers Dieu, sans s'inquiéter d'aucune semblable à la sienne, à plus forte raison le
considération humaine. « Le matin, vous en- méchant ne saurail-il approcher de Dieu. En
« tendrez ma voix. » Voyez-vous ce zèle, et la effet, que les méchants ne peuvent vivre dans

componction de cette àmc ? Dès le commence- le voisinage des lionmies vertueux, c'est ce que
ment du jour, dit-elle, voilà mon occupation. prouve la manière dont ils parlent du juste :

— Ecoutez, vous tous (jui attendez pour prier « Sa vue même nous est importune. » (Sag. n,
la lin de mille point sa con-
affaires. Telle n'est tri.) Ainsi Jean, du fond de la |)rison où il

duite, à elleau point du jour (juV'lle


: c'est était cache, gênait llérodiade, »jui était pour-
offre à Dieu les prémices de sa pensée. Il faut tant bien loin de lui : et après sa mort, il tour-
devancer le soleil pour vous rendre « grâces, nuMitait la c nscicnce du tyran qui régnait
« et se mettre en votre présence avant le lever alors. En conséquence, qu'aucun honmie ver-
« du jour. » (Sag. xvi,28.) tueux ne se trouve malheureux d'être en bulle
Mais vous., s'il s'agissait d'un mouaniue, aux complots des méchants, car ce soûl les
COMMENTAIUE SUR LE PSAUME V. Ul
méchants, (jui sont les malheureux, a Vous et (jui ne manifeste que par ses crimes,
la

c avez pris en haine tous ceux qui opèrent l'ini- celui-là faitbeaucoup de mal grâce au mystère
« quité, vous exterminerez tous ceux qui pro- dont il s'environne. Aussi le Christ nous re-
fèrent le mensonge. Le Seigneur a en hor- conmiande-t-il de nous tenir sur nos gardes
reur l'homme de sang, l'homme perfide. » quand nous nous trouvons avec ces hommes :

(ïbid. 7.) Ces choses sont dites non-seule- « lis viennent à vous sous des vêtements de

ment pour que nous les entendions, mais a brebis, mais au dedans ce sont des loups
encore pour que nous apprenions, en les en- « ravissants. » (Matth. vu, iï).) «Pour moi, dans

tendant sans cesse, à nous conformer à l'hu- a l'abondance de votre miséricorde, j'entrerai
meur de l'Epoux, et à nous approcher de lui. « en votre maison. » (Ps. v, 8.) En effet, l'Eglise
Sans cela, nous serons privés du secours d'en- s'étant recrutée parmi des hommes de cette
haut : et c'est la pire chose qui nous puisse espèce, païens, magiciens, homicides, sorciers,
arriver. menteurs, fourbes, après avoir dit que Dieu
A. a Vous avez pris en haine tous ceux qui hait CCS vices et s'en détourne, l'héritière pour-
«opèrent l'iniquité. » Tous, c'est-à-dire, es- suit, afin de faire voir que si elle a été guérie
claves, hommes libres, monarques, enfin qui et introduite dans le sanctuaire, ce n'est point
que ce soit. Car ce n'est point au rang, c'est à grâce à sa propre justice ou à ses bonnes
la vertu que Dieu distingue ses amis. Mais œuvres, mais grâce à la bonté divine « Pour :

comme beaucoup d'hommes grossiers ne font « moi, dans l'abondance de votre miséricorde,

nulle attention à celte haine, écoulez la me- «j'entrerai en votre maison. » De peur qu'on
nace de châtiment qui vient ensuite « Vous : ne vienne lui dire : Et toi, qui as commis tant
a exterminerez tous ceux qui profèrent le de fautes, comment donc as-tu été sauvée? elle
« mensonge » ici, il s'adresse à ce qu'il y a de
; fait connaître l'origine de son salut, laquelle
plus grossier chez les pécheurs. La punition, est une infinie bonté, une ineffable charité.
dit-il, ne sera point seulement la haine, châti- Mais y a des gens qui se refusent à la misé-
il

ment déjà effroyable par lui-même, Dieu ex- ricorde, des malades incurables, tels qu'étaient
terminera en outre tous ceux qui profèrent le les Juifs en effet, la grâce et la miséricorde,
:

mensonge. C'est déjà un supplice affreux et tout en demeurant miséricorde et grâce, ne


pire que l'enfer, que d'être haï de Dieu mais : sauvent que ceux qui consentent à leur salut
celui-là il n'en parle qu'aux gens capables de et en sont reconnaissants, et non ceux qui ré-

comprendre : pour être entendu des hommes sistent, ceux qui n'acceptent point le présent,
grossiers, il ajoute celui que nous venons de comme firent les Juifs, au sujet desquels Paul
voir. N'éprouvez donc point, mon cher audi- a dit : « Ignorant la justice de Dieu, et cher-

teur, de trouble ni de doute, en voyant des « chant à établir la leur, ils ne se sont pas sou-
menteurs, des voleurs, des avares vivre sans « mis à la justice de Dieu. » (Rom. x, 3.)

être inquiétés le châtiment ne peut manquer


: Ensuite après avoir parlé des bienfaits de Dieu,
de les atteindre. Car telle est la nature de Dieu : elle parle de ses propres œuvres «Jem'incli- :

îl se détourne du vice, il ne cesse de le haïr « nerai devant votre saint temple, remplie de

et de l'avoir en horreur. Par ceux qui profè- « votre crainte. » Quand vous m'aurez accordé

rent le mensonge, entendez ici ceux qui vivent votre grâce, et que j'aurai fait ce qui est en
dans ceux qui sont à la poursuite
la perversité, moi, je vous offrirai ce sacrifice, dit-elle : « Je
des choses mensongères, ceux qu'enchantent les « m'inclinerai devant votre saint temple, rem-
voluptés, la sensualité, l'avarice. Car l'écrivain « plie de votre crainte. » Non pas comme font

sacré a coutume d'appeler mensonges toutes ces en priant tant de personnes, qui se grattent,
choses. Le Seigneur a en horreur l'homme
(( bâillent, s'endorment, mais avec crainte et
a de sang, l'homme perfide. » Ici il a en vue tremblement. Car celui qui prie de la sorte
l'homme sanguinaire, le traître , le fourbe, secoue tous ses vices, s'achemine à toutes les
celui qui a une parole sur les lèvres et une vertus, et se rend Dieu propice. « Seigneur,
pensée contraire dans l'esprit, celui qui porte « guidez-moi dans votre justice, à cause de

un masque de douceur et qui agit en loup, la « mes ennemis. » (Ps. v, 9.) Elle a dit les

pire espèce qui soit au monde. En elfet, on louanges de Dieu, sa haine contre les méchants,
peut se mettre en garde contre un ennemi dé- sa bonté, sa sollicitude; elle a dit son salut, et

claré : mais celui qui dissimule sa scélératesse comment elle a été sauvée; elle a dit qui elle a
5i8 TRADUCTfON FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

fait entrer à sa suiie, une fois saiivce; e!le nous ou souillé de quelque autre tache : « Rendez
a détournés du vice, guidés vers la vertu; elle « droite ma voie devant vos yeux. » C'est-à-
a fait luire de bonnes espérances aux yeux de dire, rendez-la moi claire, manifeste : faites
ceux mêmes qui vivent dans riniquilé, pourvu que je marche droit. Un autre interprète dit :

qu'ils veuillent se convertir, en leur montrant « Aplanissez devant moi ma route, » rendez-la
qu'ilspeuvent obtenir miséricorde elle passe : unie, facile. « Parce que la vérité n'est pas
maintenantàla demande suivante «Seigneur, : a dans leur bouche et que leur cœur est
« guidez-moi dans votre justice, » enseignant « vain. » (Ibid. 10.) Ces bouches qu'elle accuse,
ainsi à l'auditeur, à commencer par offrir des ces cœurs où il n'y a rien de bon me parais-
hymnes à Dieu, et le remercier de ses bienfaits, sent être ceux des hommes qui vivent dans
avant de lui exprimer ses vœux, et de le re- l'erreur, ou qui sont adonnés au vice, a Leur
mercier ensuite de ses nouveaux dons. Mais gosier est un sépulcre ouvert. » Ici elle fait
voyons ce qu'elle demande. Est-ce quelque allusion soit h leurs instincts sanguinaires,
bien mondain, fragile, périssable? Est-ce de soit à mauvaise odeur des doctrines de
la
l'or qu'elle sollicite, de la gloire, de la puis- mort. On ne se tromperait pas non plus en
sance, châtiment d'un ennemi? Rien de
le appliquant celte expression « Sépulcre ou- :

pareil. Et quoi donc! «Seigneur, guidez-moi « vert » à la bouche de ceux qui profèrent
,

« dans votre justice à cause de mes ennemis. » des paroles obscènes. En effet, c'est là une
Voyez-vous comment elle ne demande rien de exhalaison bien pire que celles qui répugnent
passager, et comment elle réclame l'assistance à notre odorat, parce qu'elle procède d'une
d'en-haut? En effet c'est dans cette voie que âme corrompue : les hommes injustes et cu-
l'on a le plus besoin d'un tel appui. Par justice, pides ont aussi des bouches pareilles, eux dont
elle entend ici la vertu en général. Et elle dit la perversité ne produit ri<}n que meurtres et
fort bien « Dans votre justice. » Car il y a aussi rapines. Que votre bouche, à vous, ne soit
une justice humaine, celle des lois du monde: donc pas un tombeau, mais un trésor grande :

mais c'est une justice infirme, qui n'a rien de est, en effet, la différence de ces deux choses

parfait ni de consommé, et qui ne repose que dont l'une détruit, l'autre garde le dépôt
sur des jugements humains. Pour moi, la jus- confié. Ayez, vous aussi, un trésor permanent
tice que je réclame est celle qui procède de de sagesse, au lieu d'un foyer d'infection.
vous, celle qui mène au ciel, et je demande Mais elle ne se borne pas à dire « Sépulcre, »
votre appui afin d'attirer sur moi cette justice. clic dit : « Sépulcre ouvert, » afin de rendre
5. Guidez-moi
« » on ne saurait mieux
1 l'abomination plus sensible. Il faudrait cacher
dire. Car la vie présente est une voie où le les paroles de ce genre : or ces hommes les

bras d'en-haut nous est nécessaire pour nous étalent, de façonque leur infirmité en devient
conduire. Si nous avons besoin, lorsque nous plus manifeste. Nous faisons le contraire pour
voulons nous rendre dans une ville d'une ,
les morts, nous les confions à la terre ces :

personne qui nous indique le chemin à plus : hommes ne font pas ainsi pour leurs paroles :

forte raison, «juand il s'agit de faire le voyage ils mettent au jour ce qu'ils devraient enfouir,

du ciel, avons-nous besoin du secours d'eu- étouffer au fond de leur cœur, sans craindre
Iiaut, afin d'être éclairés, fortifiés, guidés : de choquer les yeux, ni d'exposer leurs mi-
tant sont nombreux
chemins de traverse
les sères à la vue de tous. Chassons-les loin de
(jui peuvent nous égarer. Altachous-nous donc nous, je vous en conjure. Si nous ensevelis-
fortement à la main de Dieu. « A cause de sons les cadavres hors de l'enceinte des villes,
« mes ennemis. » Beaucoup d'ennemis se à plus forte raison ceux qui profèrent des pa-
sont levés pour égarer mes pas, me dévoyer, roles de mort, ceux qui tiennent de pareils
me jeter dans un autre chemin. Protégez-moi propos, et ne consentent pas même à les
contre ces complots, ces atta(iues, en me ser- couvrir d'un voile, doivent-ils être relégués
vant de guide car votre alliance m"cst néces-
: au loin : car c'est un fiéau public que des
saire. Mais s'il appartient à Dieu de nous bouches pareilles, a Ils se sont st rvis de leurs
guider, nous appartient, à nous, de mériter
il « lauguts pour tromper. » Autre espèce de
le secours de celle main, par notre propre méchanceté. H y a des gens qui cachent la
«diligence. Si vousètesinipur, cetlemain nevous ruse au fuiul ilc leur cœur, en ne prononyant
soutient pas; non plus que si vous êtes a>are, que de douces paroles d'autres sont assez Ua- :
COMMENTAIRE SUR LE PSAUME V. 849

biles pour voiler la méchancelé de leurs pa- chose, le Christ disait, de manière à indiquer
roles miîines, pour tramer des coiiiplols et des que cette joie n'aurait pas de fin a Je vous :

artifices. « Jn^cz-les, ô Uieu! qu'ils échouent « reverrai, et personne ne vous ravira votre
« dans leurs projets. » Voyez ici encore lâcha- «joie. » (Jean, xvi, 22.) Et Paul dit en-
nte de celte i)rière. Elle ne dit pas « Punissez- : core : « Réjouissez-vous sans cesse, i)rioz con-
« les, » mais bien « Jugez-les, » et mettez un
: « tinuellement. » (I Thess. y, IG, 17.) «Et ceux
terme à leurs mauvaises actions déjojiez : « qui aiment votre nom se glorifieront en
leurs trames dire cela, c'est jjrier j)our eu\-
: « vous. » C'est à ceux-là entre tous (ju'il ap-
mcmes, c'est souhaiter qu'ils ne s'enfonceiit partient de se glorifier, de se réjouir, d'être
pas plus avant dans le vice. « A cause de la dans l'allégresse car pour celui qui tire va-
:

« multitude de leurs impiétés, repoussez-les nité des biens du monde, il resscnd)le tout à
« parce tiu'ils vous ont irrité , Seigneur ! » fait à ceux ([ui sont heureux en songe.
c'est-à-dire, peu de ce qu'ils
je m'incjuiète 6. En dites-moi, quelle est celle des
efl'et,

m'ont fait, je gémis seulement de leur con- choses humaines qui mérite qu'on s'en glo-
duite envers vous. C'est le fait d'une âme rifie. La force du corps ? Mais ce n'est pas là

pleine de sagesse, que de ne pas se venger une œuvre du libre arbitre, il n'y a donc pas
soi-même, et de poursuivre avec ardeur la lieu de s'en vanter : d'ailleurs elle se flétrit et
vengeance des péchés commis contre Dieu. dépérit promptement : souvent même elle de-
Beaucoup d'hommes fout tout le contraire : vient nuisible, faute d'un sage emploi, à celui
ils se soucient peu des intérêts de Dieu, et qui la possède. Il faut dire la même chose do
mettent le plus grand acharnement à venger la beauté, de la richesse, delà puissance, du
les leurs ces saints faisaient tout autrement
: : luxe et de tous les biens charnels. Mais se glo-
ils se montraient ardents à redresser les torts rifierau sujet de Dieu, au sujet de l'amour
faits à Dieu, et se souciaient peu du mal fait à qu'on lui porte, voilà la parure incomparable,
eux-mêmes. voilà la splendeur (jui efface l'éclat de mille
« Et (|ue tous ceux qui espèrent en vous se diadèmes, celui <iui se glorifie fût-il un pri-
a réjouissent. » Voyez le profit qu'on retire de sonnier. Celte parure-là n'a rien à redouter de
la prière. Les méchants s'amendeionl et se la maladie, delà vieillesse, des événements,
corrigeront de leurs vices : et les autres goûte- des vicissitudes, de la mort elle-même : c'est
ront une joie vive, en voyant le changement de même alors qu'elle brille de toute sa magnifi-
ces hommes, leur amélioration, et le profi- cence. « Parce que vous bénirez le juste. »
table exemple qu'ils donnent â autrui. « Ils (13.) Comme beaucoup de justes; comme les
« seront éternellement remplis de joie, et vous hommes vertueux, entre tous, sont maltraités
« habiterez en eux. » Telle est, en effet, l'allé- et tournés en dérision dans le monde : afin (jue
gresse durable : toute autre est aussi passa- cela ne devienne pas un sujet de scandale pour
gère que le courant d'un fleuve; elle ne fait les esprits grossiers, voyez comment on leur
que paraître et s'écoule aussitôt : mais la joie vient en aide en disant : « Parce que vous bé-
selon Dieu est solide, durable, persistante, iné- « nirez le juste. » Qu'importe, en effet, le mé-
branlable ; aucun événement imprévu n'y pris des honmies et celui du monde entier,
peut rien retrancher : les obstacles mêmes ne lors(iue le Maître des anges nous célèbre et
font que l'accroître. Les apôtres étaient fla- proclame notre nom? Au contraire, faute de
gellés et ils se réjouissaient; Paul était persé- celte bénédiction, les louanges de tous les ha-
cuté, et il tressaillait d'allégresse; il allait bitants de la terre et de l'Océan ne sont d'au-
mourir, et il invitait les autres à partager sa cune utilité. Par conséquent, le but au(juel
joie, disant : « Et si je suis immolé sur le sacri- nous dt'vons viser constannnent, c'est que Dieu
« fice et l'oblation de votre foi, je m'en réjouis nous célèbre, c'est que Dieu nous couronne.
« et m'en félicite avec vous tous. Mais vous- Si nous y parvenons, nous dominerons toutes
« mêmes, réjouissez-vous-en, et vous en féli- les tètes, fussions-nous pauvres, malades, plon-
« citezavec moi. » (Phil. n, 17, 18.) Dieu ha- gés dans un abîme de maux. Le bienheureux
bite avec ceux qui se réjouissent de la sorte. Job sur un fumier, couvert d'ulcères
assis
Voilà pourquoi l'héritière dit a Ils seront : purulents, dévoré d'une innombrable vermme,
éternellement remplis de joie, et vous habi- en proie à d'incurables tourments, en butte aux
« ferez en eux. » Faisant allusion à la même insultes de ses serviteurs, de ses amis, de ses
550 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

ennemis, aux pièges de sa femme, précipité et quand cela arrive , ce n'est pas pour long-
dans la misère, dans la faim, dans une infir- temps. Par exemple, grands de la terre sont les

mité sans remède. Job était le plus heureux illustres, glorieux, mais ils ne sont pas en sû-

des hommes. Comment cela? C'est que Dieu le reté et la raison principale qui rend leur si-
,

bénissait, disant : Homme irréprochable, juste, tuation périlleuse, c'est l'éclat même de leur
sincère, pieux, exempt de tout vice. « Seigneur, gloire. La foule des hommes sans nom est en
« vous nous avez couronné de votre bonne sûreté, grâce à l'obscurité où elle vit : mais
« volonté comme d'une armure. » (Job, i, 1.) les honneurs lui manquent; et c'est juste-

Le recommence ses actions de grâces,


voilà qui ment parce qu'elle est en sûreté qu'elle reste

qui ofl're à Dieu des hymnes de reconnais- sans honneurs. Il n'en est pas de même à l'é-

sance. Mais qu'est-ce qu'une armure de bonne gard de Dieu : là , les deux choses ,
gloire et

volonté? C'est une armure excellente, une ar- sécurité , sont réunies dans toute leur pléni-
mure selon la volonté de Dieu, une armure tude. Ainsi donc, persuadés de la grandeur de
magnifique. Voici le sens de ses paroles Tu : ces biens convaincus avant toute chose que
,

nous as protégé par la plus glorieuse alliance. plaire à Dieu est le bien suprême, que ce bien
Un autre interprète dit «Vous le couronnerez, »
: est à la fois pour nous protection, gloire, sécu-

et nous avertit qu'il est question du juste que : rité et mille avantages encore, parcourons avec

Dieu couronnera le juste, que sa faveur sera patience la carrière qui s'ouvre devant nous et
pour celui-ci comme une arme, une arme ma- ne nous laissons pas décourager, ne jetons point
gnifique ou encore que Dieu protégera le
: bas nos armes. Ce genre de guerre , en effet,

juste par la plus glorieuse alliance, et que ni n'admet jioint un


désarmé c'est quand soldat :

cette gloire ne sera sans sécurité, ni cette sé- le spectacle est fini, qu'on se débarrasse de son

curité sans gloire. En effet, quoi de plus fort attirail or, le spectacle est fini à l'heure où
:

à la fois et de plus beau que celui qui trouve l'âme se sépare du corps. Par conséquent, tant
un rempart dans le bras d'en-haut. Cette cou- que nous sommes ici-bas, il faut lutter, et chez
ronne encore une couronne de miséri-
est nous, et sur la place publique, et à table, mala-
corde, comme nous l'apprend ailleurs le même des aussi bien qu'en bonne santé. En effet, c'est

David « Celui qui te couronne en miséri-


: durant maladie qu'un pareil combat est sur-
la

corde et en compassion. » (Ps. eu, 4.) C'est tout de mise, alors que de toutes parts les souf-

une couronne de justice « La couronne de : frances viennent troubler notre âme, quand
«justice m'est désormais réservée, » dit Paul. les douleurs l'assiègent quand le diable, de- ,

(Il Tim. IV, 8.) C'est aussi une couronne de bout à notre chevet, nous excite à proférer des
grâce , suivant un autre : « Une couronne de paroles d'amertume. C'est alors surtout qu'il
« glace te protégera. » (Prov. iv, 9.) C'est enfin faut se tenir sur ses gardes, opposer aux coups

une couronne de gloire, d'après Isaïe : « Ce sa cuirasse son bouclier, son casque et toute
,

8 sera la couronne de
d'espérance , tressée son armure, et ne point cesser de rendre
« gloire.» (Isaïe, xxvni, 5.) Cette couronne ren- grâces à Dieu. Voilà les traits dangereux pour
ferme tout, bonté, justice, grâce, gloire, le diable. Voilà ce qui porte les coups mortels

beauté. au démon; et c'est alors que l'on conquiertles


Car elle estle présent de Dieu , et elle offre en plus brillantes couronnes. Voyo/ le bienheureux
elle toutes ses grâces. C'est de plus une couronne Job (car rien ne nous empêche de recourir en-
d'immortalité, ainsi (jue Paul nous l'apprend. core à cet exemple) :ce qui contribua le plus à
« Eux, pour recevoir une couronne impéris- sa gloire , à sa renommée , à son triomphe ,

« salde; nous, pour en recevoir uueiucorrup- c'est la constaïK'e inébranlable qu'il déploya
a tible. » (l Cor. ix, 25.) Voici donc le sens de dans la maladie, dans la pauvreté, dans la ten-

notre passage : Vous nous avez revêtu de gloire tation , c'est rintrépidilè de son âme, ce sont
et de sécurité. Car tels sont les présents de les actions de grâces, c'est le sacrifice spirituel

Dieu : solides et pleins de beauté ;


telles sont (prit ne cessa d'offrir à Dieu. Car c'est un sa-

ses couronnes. Parmi les hommes , rien de crifice (ju'il olfrait, en disant ces paroles « I^ :

pareil ; l'un possède la gloire , mais il ne sau- a Seigneur m'a donné le Seigneur m'a été : ,

rait avoir la sécurité; fautre vildans la sécu- « ainsi (|u'il a jdu au Seigneur, il est arrivé.

rité mais il mancjue de gloire il est difficile


,
: « Que le nom du Seigneur soit béni dans les
que ces deux choses se rencontrent réunies : « siècles ! » (Job , i , '21.) Et nous aussi faisons
r< M^iEiNTAlRE SIR LE PSAUME VI. 551

de iii/^mc dans les Inilalinns, dans les vicis-


: l)énissons-le sans cesse, et répétons : Gloire à
situdes, au milieu des embûches, louons Dieu, lui dans les siècles des siècles 1 Ainsi soit-il.

EXPLICATION SUR LE PSAUME VI.

a SEIGNEUR, NE ME REPRENEZ PAS DANS VOTRE COLÈRE ET NE ME CORRIGEZ PAS DANS VOTRE COURROUX. 1>

ANALTSE.

1. Que le langage de l'Ancien Testament s'explique en beaucoup d'endroits par la condescendance dlvina.'

2. Que le péclié est altéuué ou aggravé par les circonstances : divers exemples.
3. Conditions nécessaires pour la guérisou des maladies de l'âme.
4. Pénitence de David : exemple proposé aux fidèles.

5. Angoisses salutaires de la pénitence. — Fuite des mauvaises sociétés.


6. De la vigilance à réprimer les moindres atteintes du péché.

1. Quand vous entendez employer en par- a en colère? » (Jér. vu, 19.) Mais comment you-
lant de Dieu, ces expressions « colère, cour- liez-vous qu'il se fîtentendre des Juifs ? pou-
roux, » n'allez pas vous représenter quelque vait-il leur dire qu'il ne s'irrite pas contre les
chose d'humain : ce langage est celui de la méchants, ne les hait point, car la haine est
condescendance. La divinité est exempte de une passion ;
qu'il ne voit pas les choses hu-
toute imperfection pareille mais elle a recours : maines, car voir est un acte corporel ? qu'il
à ces termes afin de frapper les esprits grossiers. n'entend pas, car entendre aussi procède de la
Nous aussi, voulons-nous parler à des bar- chair ? Mais c'eût été donner naissance à cette
bares, nous leur parlons dans leur langue ;
autre opinion détestable, que la Providence ne
nous adressons-nous à un petit enfant, nous veille pas sur l'univers , en se refusant à lais-
balbutions comme lui ;
quand bien même nous ser attribuer ces actes à Dieu beaucoup des
,

serions les plus grands savants de la terre, nous hommes d'alors en seraient venus, à mécon-
condescendons de la sorte à sa faiblesse. Et naître absolument la Divinité ; et cette notion
faut-il s'en étonner, quand nous allons jus(ju'à une fois obscurcie, tout était perdu tandis :

feindre la colère et en simuler les signes de- que l'autre opinion pouvait facilement être
vant le même enfant, pour le corriger? C'est amendée. Celui qui est persuadé de l'existence
ainsi que Dieu, afin de frapper les hommes de Dieu, et s'en forme d'ailleurs une idée in-
grossiers, se sert des termes dont j'ai parlé. digne et grossière, seconvaincra,avecle temps,
Ce qu'il a en vue n'est point de parler digne- que répugne à une pareille
l'essence divine
ment de lui-même, mais de rendre service à conception mais celui qui croit que Dieu est
:

ceux qui l'entendent. Il montre bien ailleurs sans providence, qu'il ne s'occupe point des
qu'il est insensible à la colère en disant « Kst- : créatures, ou même qu'il n'existe point, que
« ce moi, n'est-ce pas eux-mêmes qu'ils mettent gagnera-t-il à ce qu'on lui révèle la nature
552 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOilE.

impassible delà divinilé?Aussi Dieu, après avoir « être exempt desouillure?» (Prov. xx, 9.^ Ainsi

commencé par tenir aux Juifs ce langage, après nous avons tous besoin de la miséricorde, mais
avoir déposé dans leur esprit la notion de suu nous ne la méritons pas tous également. En
existence, réforme peuà peu leurserreurs, et les effet, tout en étant la miséricorde, elle ne se

amène progressivement à la doctrine >.iii est la donne qu'à celui qui la mérite. Dieu le dit à
nôtre, au langage sublime de la vérité, à la Moïse: «J'aurai piiié de celui dont j'aurai pitié,
croyance qu'il est inaccessible aux passions. Ea « je ferai miséricorde à celui à qui je ferai mi-
effet, un autre prophète dit: «11 ne sentira i;ila « séricorde. » (Exod. xxxiii, 19.) Ainsi celui
c faim, ni la fatigue. o (Isaïc, xl, 28.) Et le même, qui aura mérité de quelque façon la miséri-
qui avait parlé dela colère de Dieu^ montre ail- corde pourra dire : «Ayez pitié de moi;» mais
leurs, dans les^termes suivants, que la divinité celui qui se sera interdit à lui-même ce re-
est impassible « Est-ce moi, n'est-ce pas eux-
: cours, aura beau tenir le même langage ; car
« mêmes qu'ils mettent en colère? » Un autre si la miséricorde devait être accordée à tous, il

avait dit que Dieu est dans le temple; mais le n'y aurait plus de châtiment puur personne.
môme dit ailleurs : « Il n'y a pas en toi Mais la miséricorde elle-même nécessite un
« d'homme saint, et je n'entrerai pas dans la certain jugement préalable; ille se donne à
« ville. » (Osée, xi, 9.) C'est-à-dire que Dieu celui qui la mérite, qui est en état d'en jouir.
n'est pas renfermé dans un lieu. Un autre pas- 2. Beaucoup du moins ont commis les
sage indique aux hommes intelligents, sinon à mêmes fautes, qui n'ont pas été punis du même
tous les hommes, que l'être affranchi des pas- châtiment, parce (ju'ils n'avaient pas les mêmes
sions impérieuses qui sont nécessaires à la vie, raisons à produire vous voulez, nous nous
: si

est, à plus forte raison, exempt des autres. arrêterons à présent sur ce p-oint. Tous les Juifs
C'est ce qu'on peut conclure de ces paroles : péchèrent, tous tombèrent dans l'idolâtrie ;

« Tu ne seras pas comme un homme endormi. » mais ils ne furent pas également punis: les uns
(Jér. XIV, 9.) Partout apparaît l'idée de l'impas- furent frappés, les aulres obtinrent leur par-
sibilité divine. Ici môme, en entendant ce mot don. En effet, ce n'est pas l'acte seul qui est
de courroux, n'allez point vous figurer une considéré dans le péché, c'est encore l'inten-
])assion. Si les hommes adonnés à l'étude de la tion, la circonstance, le motif, enfin ce quia
sagesse restent, dans une certaine mesure, in- suivi la faute y a eu endurcissement ou
: s'il

sensibles à la colère, à plus forte raison en est- repentir, tentation ou fraude et préméditation.
il ainsi de la substance impérissable, incorrup- Beaucoup de points sont à rechercher, en ce
tible, ineffable, incompréhensible. Les méde- qui touche à la différence des conjonctures, à
cins, qui emploient le fer et le feu, n'agissent la législation régnante. Par exemple, on a pé-
point ainsi par colère, mais en vue d'une gué- ché sous l'ancienne loi, on pèche sous la nou-
rison ne sont point irrités contre leurs
, ils velle mais la punition n'est |)as la même dans
:

malades en ont pitié, ils veulent porter


: ils les deux cas; elle est plus rigoureuse dans le

remède à leurs maux. Le Psalmitte donc, en second. C'est ce que Paul fait entendre par ces
disant « Ne me reprenez point dans votre co-
: paroles : « Celui qui viole la loi de Moïse meurt

« 1ère, » Ne me demandez point un


veut dire : « sans aucune miséricorde, sur la déposition
compte sévère de mes fautes, ne punissez point « de deux ou trois témoins. Combien donc
mes prévarications. « Ayez pitié de moi, Sei- « pensez-vous que mérite de plus affreux sup-
« gneur, j)arce (lueje suis faible. » Ce cri nous « plices celui qui aura fouléaux pieds le Fils
convient à tous, (piols (|ue puissent être la « de Dieu, et tenu pour pn^fane
le sang de l'al-

multitude de nos bonnes œuvres, le degré de « liance?» ;Héb. x, 28-20.) Par ces mots «Com- :

notre justice. De là ces paroles qu'on rencontre « bien pensez-vous que mérite de plus affreux

plus loin chez le môme: « Tout ce qui vit ne « supplices,» il iinli(|ue un surcroît de rigueur.

« sera point justifié en votre i)résence. » Ou a péché avaut la loi. on a péché sans la loi.
(Ps. XIV, 2.) Et encore : « Si vous observez les Les premiers de ces pécheurs sont moins sé-
«iniquités, qui ivstcra debout?» (Ps. cxxix, vèrement punis. Ce que l'Apôtre fait entendre,
3.) Paul dit aussi «Je n'ai conscience de rien,
: en disant « Ceux (pli ont péché sans la loi
:

« mais ce n'est point en cc\i\ (pie je suis justi- ((périront sans la loi.» (Rom. ii, 12.') Qu'est-ce
« fié. » (I Cor. IV, 4.) Et un autre « Qui se van- : à dire? C'est à dire qu'ils eut la nature pour
« tera déposséder un cœur pur? qui prétendra accusatrice, et que les autres en ont une se-
COMMENTAIRE SUU LE PSAUME VI. 553

conde encore qui que plus on a reçu


est la loi ;
allèrent jusqu'à oublier la nature, lorsqu'ils
dinstriiclion, plus ou subira une peine rij^'ou- égorgèrent leurs proches par piété; les auties

reuse. La niùuic *.liHV rcuce s'observe en ce (jui persévérèrent dans le crime. Le péché était
concerne les dignités c'est ce (jne montre
: égal, ce qui le suivit ne fut point i)ai(;il des
clairement le sacrilice. La victime était la même deux côtés. Et pourquoi la peine infligée à
pour racheter le péché du peuple tout entier Adam et Eve ne fut-elle point la même pour
que pour expier celui du prêtre seul. On voit un même péché? Parce que ce n'était point la
par là que, plus le raw^ est élevé, plus le châ- même chose d'être tronq)é par une fennne ou
timent est rigoureux. La femme du conmiun, par un serpent. Ecoutez comment Paul entend
qui s'était prostituée, périssait. La fille du la tromperie : « Adam
ne fut pas trompé, mais
prêtre était brûlée. Il y a encore une autre « sa femme trompée tomba dans le péché. »

cause d'allégement ou d'aggravation pour la : (I Tim. II, 14.) Et pourquoi celui qui avait ra-

peine de deux pécheurs, par exemple, l'un est massé le bois n'obtint-il pas d'indulgence?
châtié en ce monde, l'autre vit au scindes Parce qu'il y avait une grande iniciuilé à trans-
plaisirs. Celui-ci sera puni plus rigoureuse- gresser le précepte dès le début, et qu'il fallait

ment là-haut, celui-là avec plus de douceur, inspirer une vive crainte aux autres. La même
s'il absolument déchargé de sa dette.
n'est [)as chose arriva pour Saphire et pour Ananie. En
Le Christ indique cela, lorsqu'il nous montre conséquence, nous arrive à nous-
lorscju'il
Abraham disant au riche « Tu as reçu tes : mêmes si nous sommes
de pécher, examinons
« biens, celui-ci ses maux, et maintenant celui- dignes de miséricorde, si nous avons fait quel-
ci est consolé, et loi, lu souffres. » (Luc, xvi, que chose pour obtenir compassion, si nous
2.5.) Cet honnne, à cause de ses souffrances, nous sommes repentis améliorés corrigés.
, ,

avait été relevé de tout châtiment, d'autres ne En effet, le salut accorde au repentir est un
le sont qu'en partie, et leur punition est seu- salut dû à la miséricorde. C'est par là que Da-
lement allégée.On trouvera de même que le vid lui-même demande à être sauvé, à force de
degré d'intelligence met une dillcrencc entre larmes, de gémissements. « Je laverai,» dit-il,
les châtiments, si l'on fait attention à cette « chaque nuit ma couche, je niouillerai mon
parole « Le serviteur, qui sait la volonté de
: « lit de mes larmes. » (Ps. vi, 7.) Mes larmes,
« son maître et no l'accomplit pas, recevra des c'est-à-dire ma componction. « Mes os ont été
« coups nombreux celui qui ne la connaît pas
; « troublés » (Ibid. 3), « et mon âme a été dans
« et ne racconq)lit pas, recevra peu.» (Id. xii, « un grand trouble. » (Ibid. 4.) Il n'en vient
47-18.) On rdè\erait bien d'autres raisons t|ui pas tout de suite à son objet, il allègue la fragi-
modillentle châtiment, la miséricorde, la cha- lité de sa nature en disant : « Ayez pitié de
rité. Prenons, par exemple, le premier homme. « moi. Seigneur, parce que je suis faible. » Il

Eve pécha, Adam pécha, et leur faute fut pa- parle ainsi, pour montrer que cela ne suffit
reille. Tous deux avaient mangé du fruit de pas; si nous serions tuiis sauvés
cela suffisait,
l'arbre, mais ils ne fuient point également pu- par là; car nous sommes tous des hommes.
nis. Caïn commit un meurtre, Lamech aussi; 3. Mais, à vrai dire, s'il faut presser le sens
mais l'un obtint miséricorde, l'autre fut châtié. de ses paroles, ce n'est pas là peut-être ce qu'ii
Quelqu'un avait ramassé du bois le jour du veut exprimer. II fait jdutôt allusion à la fai
sabbat, ilfut puni inexorablement. David avait blesse qui résulte des tentations, et il s'en fail
été homicide, adultère, et il fut traité charita- justement un titre pour obtenir miséricorde et
blement. Appli(juons-nous à cette recherche, clémence. Du moins, il y fait allusion dans la
cela vaut mieux que de donner son attention suite en disant: «J'ai vieilli parmi tous mes
aux propos frivoles de la place publique. Ici « ennemis. » (Ibid. 8.) En effet, la tribulation
trouver n'est pas le seul avantage, chercher endurée avec gratitude, a le don d'attirer sur
sans trouver est encore un profit. Car la diffi- nous de graiides grâces et de nous rendre Dieu
culté même nous donnera de l'occupation, et propice. Ce sont donc ces grâces (ju'il me
réclamera tout notre temps. paraît avoir en vue, lorsqu'il dit « Guérissez- :

Pourquoi donc (je reviens à notre sujet), « moi. Seigneur, parce que mes os ont été Irou-
lorsque tous les Juifs avaient contribué à l'érec- « blés, et que mon âme a été dans un grand

tion du veau d'or, les uns furent-ils punis, les « trouble. » Une dit pas pardonnez-moi, ni
: :

autres, non? C'est que les uns se repentirent et faites-moi rémission, mais bien : « Guérissez-
554 TRADUCTiOxN FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

« moi. » Il demarrfe que ses crécédcntes bles- courent en désordre quand le cocher a perdu
EiU't';! soi(:nl cica'ii isécs. Eu disaut « Mes os, » son sang-froid, ainsi quand la raison est aveu-
il désigne sa force en général; le trouble, c'est glée, tout se confond, tout s'égare, tout sort de
coups portés. Gué-
la peine, le cbâtiment, les sa propre vie. Mais, comment naît ce trouble?
rissez-moi, Seigneur, parce que « mes os ont c'est ce qu'il est nécessaire maintenant d'expli-
« été troubles, et que mon âme a été dans un quer.
« grand trouble. » On distingue ces trois Si c'est la fureur des vents qui soulève les
choses quand il s'agit de guérir le corps, ou n'en est pas ainsi dans notre âme ; ici,
flots, il

plutôt on en distingue quatre ou cinq; le mé- la cause du désordre n'est point un hasard ex-
decin, son art; le malade, la maladie ; la vertu térieur, mais notre propre nonchalance. C'est
des remèdes; de l'opposition de ces choses, à nous qu'il appartient de le prévenir ou de le
résulte une espèce de combat si le médecin, ;
permettre. Par exemple, une fois la concupis-
la médecine, les remèdes ont pour auxiliaire la cence éveillée, si vous évitez d'attiser la flamme,
volonté du malade, ils triomphent de la mala- d'alimenter le foyer, la fournaise est vite
die. Si, au contraire, le malade refuse de les éteinte. Or, vous vous détournez
l'éviterez, si

assister, il se livre lui-même à la maladie; vos regards des visages séduisants, si vous ne

quelquefois même il prend parti pour elle leur permettez pas de s'attacher curieusement
contre le médecin, les remèdes et la médecine, sur les belles formes, si vous fuyez les théâtres
et alors il chose dans le
se tue. C'est la même d'iniquité. Si vous savez sevrer la chair, pré-
cas présent, ou quelque chose de
plutôt, c'est server votre pensée de livresse, la flamme ne
bien plus extraordinaire. Souvent, dans les s'élèvera point, la fournaisene s'échauffera pas,
maladies que traitent les médecins, le malade vous ne stimulerez pas en vous la férocité de
se range du côté de la médecine et des remè- la brute, vous ne laisserez pas l'orage altérer
des, sans y rien gagner, parce que sa constitu- la pureté de votre âme. Est-ce donc assez,
tion est affaiblie, parce que l'art est devenu dira-t-on, pour échapper à l'incendie du péché?
impuissant, parce que les remèdes ont perdu Non, cela ne suffit point, il faut y joindre en-
leur vertu sous l'influence de quelque conjonc- core autre chose; des prières continuelles, de
ture funeste. Il n'en est pas ainsi quand c'est vertueuses fréquentations, un jeûne modéré,
Dieu qui est le médecin ;
pour peu (juc vous un régime frugal, des occupations régulières,
soyez avec lui, votre plaie est infailliblement avant toute chose, la crainte de Dieu, l'idée du
guérie. Car ce n'est pas ici un art humain jugement futur, des redoutables supplices, des
sujet à l'incertitude, mais une divine efficace, récompenses promises. Par tous ces moyens,
plus forte que les tempéraments, les maladies, vous pouvez refréner la rage de la conçu |iis-
les infirmités morales et toutes les imperfec- cence, et calmer en vous la tempête. « Mais
tions. C'est pour(iuoi David s'adresse à Dieu « vous. Seigneur, jusques à ([uand? Tournez-

comme à un médecin, et lui dit en gémissant : M vous vers moi, Seigneur, délivrez mon âme,

« Guérissez-moi, Seigneur, parce que mes os « sauvez-moi par l'elVet de votre miséricorde. »

« ont été troublés. » Quelques-uns prétendent (Ps. VI, 5.) Il répète constanunent ce mol « Sei-

qu'il a ici en vue le trouble produit par le « gneur, » comme pour s'en faire un titre ià la

péché. En effet, comme on voit des vents fu- grâce et au pardon; et, en etfet, voila notre
rieux, une fois déchaînés sur la mer, la boule- plus ferme espérance elle réside dans la bonté
;

verser, porter à la surface le sable qui était au inelValtle de Dieu, dans son penchant naturel à

fond, et mettre en danger les navigateurs; l'indulgence. Quant à cette expression « Jus-
ainsi notre âme se trouble quelquefois, notre « ques à quand, » il ne faut pas l'imputer au
corps est agité, la tcmpèttî ébranle tout notre découragement ni à l'amertume; elle ne mar-
être, le tunuilte règne sur notre navire, les (|ue que l'excès des soullrances dun homme

ténèbres l'enveloppent, tout quitte sa place, la accablé sous le faix des épreuves.
confusitm se met partout. C'est ce (jui arrive 4. Tournez-vous moi, Seigneur, déli-
vei*s

surtout dans les passions dissolues ; la même « vrez mon àme. )^ demande en même
Ici il

chose i^e passe encore dans la colère et dans les tem|>s à Dieu de diriger vers lui ses regards et
infortunes. Tout cela trouble notre àmc et nos de défendre son àme. Les justes ne tiennent à
os, nos prunelles sortent de leur orbite, nos ri>ni autant (|u'à se réconcilier avec Dieu, à se
\o.u\ niêmcs s'égarent; ainsi que les chevaux le rendre bienveillant, propice, à faire qu'il ne
COMMENTAIRE SUR LE PSAUME VI. 5S5

sedétourne pas d'eux. Après cela vient une là, ce sera chose inutile, tandis qu'en ce monde
seconde prière pour le salut de son àuie. La ce serait pour notre bien; là, ce sera pour
plupart des hommes, surtout des hommes notre honte , ici , ce serait avec honneur. Que
grossiers, ne songent qu'à une chose, à jouir une nécessité, c'est ce que le Christ nous
c'est là
ici-bas de la |)rosi)érité. Il n'eu était pas ainsi révèle eu ces termes « Là seront les pleurs et les
:

de ces justes; ils songeaient surtout au salut « grincements de dents. » (Matth. vni, 12.) Mais
de leur àme, lequel passait avant toute autre il n'en est pas ainsi de ceux qui pleurent ici-

chose à leurs yeux. « Parce qu'il n'y a dans la bas ils trouveront d'abondantes consolations.
:

« mort personne (jui se souvienne de vous ; «Bienheureux ceux qui pleurent parce qu'ils ,

« dans l'enfer, qui vous rendra témoignage? » «seront consolés. Malheur à vous, riches, parce
(Ib. G.) Voyez tout ce quil allègue pour être sau- « que vous recevez votre consolation.» Vous qui

vé. « Je suis faible, » dit- mesosontétJ Irou-


il, « dormez sur des lits d'argent, écoutez quelle
«blés; » si j'adresse au Seigneur ine pu\i!le couche de ce roi
était la elle n'était |)oint :

requête, c'est iiu'il n'y a dans la mortp r^ionne décorée d'or, ni incrustée de pierres précieuses,
qui se souvienne de lui. Il n'entind point par mais arrosée de larmes. Ses nuits n'étaient
là que le [irésent soit tout pour nous; à Dieu pas des nuits de repos, mais des nuits de
ne plaise! Il connaît la promesse de la résur- gémissements et de lamentations. Distrait par
rection. Il veut dire qu'après le départ d'ici- mille soucis durant le jour il consacrait à la ,

bas, le repentir devient inutile. Le riche aussi pénitence le temps que tout le monde réserve
confessait ses fautes et s'en repentait, mais en pour le repos; et c'est alors qu'il gémissait
vain, parce qu'il n'était plus temps. Les vierges tout à sou aise. Il est toujours beau de pleurer,
aussi auraient voulu recevoir de l'huile, mais mais jamais autant que pendant la nuit
personne ne leur en donna. David souhaite lorsque nul importun n'est là pour nous trou-
donc de pouvoir en ce monde expier ses péchés, bler dans ces étranges délices et que nous ,

afin de comparaître avec conriance au redou- pouvons nous eu rassasier à notre gré et sans
table tribunal. Il fait voir ensuite que la bouté être dérangés. Ceux ([ui en ont fait l'épreuve
divine réclame le concours de nos œuvres, savent ce que je dis, et quel bonheur procurent
qu'en vain nous alléguerions notre faiblesse, ces torrents de larmes. Voilà ce qui peut
notre trouble, la clémence de Dieu, ou ce der- éteindre le feu inextinguible, et tarir le fleuve
nier motif (;u'il vient de faire valoir, si, de qui coule devant le tribunal. Voilà pourquoi
notre côté, nous n'avons pas fait tout notre Paul aussi pleura nuit et jour durant trois
possible, et voici comment il s'exprime aussi- années, dans son zèle à porter remède aux
tôt après : «Je me suis fatigué dans mes gémis- maux d'autrui mais nous, nos propres maux
:

« sements; j'arroserai chaque nuit ma couche; nous nous nous livrons


laissent indifférents;
« je mouillerai mon lit de mes larmes. » (Ib. 7.) à la galté, au plaisir, nuit venue, nous et, la
Ecoutez, hommes d'humble condition, quelle tombons dans un profond sommeil. Ce som-
fut la pénitence de ce roi velu de la pourpre ; meil-là est pareil à la mort mais d'autres :

écoutons soyons pénétrés de componction.


et passent la nuit dans des veilles pires que la
— C'est peu de souffrir, il se fatigue à force de mort, tout occupés à ce moment de créances,
gémissements ; c'est peu de pleurer, il arrose d'intérêts, d'entreprises contre le prochain.
sa couche, et non pas un, deux, trois jours, Autrement font les sages ils cultivent leurs :

mais tous les jours sans exception et il ne parle ; âmes les arrosent d'une pluie de larmes, qui
,

pas seulement du passé, mais encore de l'ave- fait fructifier en elles les germes de la vertu.
nir. — Gardez-vous donc de croire qu'après ,
Point de vice, point de débauche qui ait accès
l'avoir fait une fois, il se soit ensuite aban- dans une couche baignée de larmes pareilles.
donné au relâchement; il ne cessa d'agir de la Celui qui les répand regarde comme rien les
sorte sa vie durant. Ce n'est pascomme nous, qui choses de la terre : il fortifie sou àme contre
après un repentir d'un jour (quand il a duré toute attaque rend sa pensée plus sereine
, il

tout un jour), nous abandonnons à lagaîté, au que la lumière du jour. Et n'allez pas croire
plaisir au relâchement. David ne cessait de
, que je ne parle ici que pour des moines mon :

verser des larmes. Imitons cette assidue péni- exhortation s'adresse aux hommes du siècle, à
tence. Car si nous refusons de pleurer ici-bas, eux principalement car ce sont eux qui ont :

ailleurs il nous faudra pleurer et gémir; et le plus besoin des remèdes de la pénitence.
556 TIL\DUCTION FR.\NCAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

L'homme qui gémit de la sorte se lèvera por- toute réconciliation avec eux : c'est le plus sûr
tant dans son âme la sérénité d'un port pai- moyen de nous sauver. Paul fait allusion à
sible, libredésormais de toute passion; c'est cette phalange d'ennemis en disant : a Nous
avec sans mélange;, avec une
un bonheur « n'avons point à lutter contre la chair et le
confiance parfaite qu'il se rendra alors à la « sang, mais contre les princes et les puissan-
maison de Dieu c'est avec joie qu'il conversera
;
ce ces, contre lesdominateurs de ce monde de
avec son prochain car la colère sera loin de
; « ténèbres. pha-
» (Ibid. vi, 12.) Si telle est la

son cœur il ne sentira ni l'aiguillon de la


; lange de nos ennemis, toujours et sans cesse,
concupiscence ni celui de la cupidité ou de
, jl faut être en armes et fuir les assauts du pé-

la jalousie rien de semblable


, ni Car les : ché. Car il n'y a rien de si belliqueux par na-
gémissements et les larmes de la nuit auront ture que le péché. Aussi Paul nous dit-il, pour
refoulé dans leurs tannières ces monstres nous exhorter à sortir de l'endurcissement :

furieux. «Le courroux a troublé mes yeux.» « Ne vous conformez point à ce siècle, mais

(Ps. VI, 8.) Voyez vous la contrition de cette « transformez-vous par le renouvellement de

âme? Après avoir parlé de son repentir, il « votre esprit. » (Rom. xn, 2.) Ainsi, quand le

revient sur ses maux, sur le trouble de ses péché vous aura fait vieillir, rajeuuis>ez-vous
pensées, sur l;i crainte de la colère divine. par la pénitence. « Retirez-vous de moi, vous
5. Il entend ici par œil cette portion raison- « tous, qui opérez l'iniquité, parce que le Sei-

nable et perspicace de l'âme, que trouble ordi- « gneur a entendu la voix de mes gémisse-

nairement en nous la conscience de nos fautes. « ments. » (Ps. vi, 9.) « Le Seigneur a entendu

Conune il ne cessait d'avoir ses fautes devant « ma demande le Seigneur a accueilli ma


,

les yeux, il se représentait aussi la colère de « prière. » (Ibid. 10.) Encore une méthode ex-

Dieu, et vivait dans la crainte, les angoisses, le cellente pour arriver à la vertu fuir les mé- :

tremblement, et non connne tant d'autres, chants. Le Christ nous le recommande si for-
dans l'insensibilité. Un tel trouble engendre le tement, qu'il nous prescrit de nous séparer des
calme; une telle crainte est un principe de amis qui sont pour nous comme des membres
sécurité. Quiconque éprouve ces angoisses de notre corps, pour peu qu'ils nous scanda-
échappe à tout orage faute d'avoir l'âme en ; lisent, et que leur société nous soit nuisible.
cet état, on sera exposé à toute la fureur des « Si votre œil vous scandalise, » dit-il, « arra-

vagues. Et de même (ju'une barcjue sans lest, « chez-le. Si votre main vous scandalise, cou-

livrée aux assauts des vents furieux, ne tarde ce pez-la et rejetez-la loin de vous. » (Mallh. v,
pas à être engloutie : ainsi l'âme qui vit 29, 20.) Ce ne sont point ks membres qu'il a en
dans l'apathie doit s'attendre à d'innombr.ibles vue, à Dieu ne plaise mais ces amis intimes,
!

maux. Aussi le bienheureux Paul , ayant en dont il faut mépriser l'amitié, quand elle n'est
"vue ce genre de douleur, disait-il « Ceux qui, . pas utile, mais nuisible, à eux-mêmes et à nous.
« devenus insensibles, se sont livrés à l'impu- Fidèle a ce précepte, David, non content de
a dicité, à toutes sortes de dissolutions, à l'ava- ne pas rechercher les mauvaises sociétés, leur
« rice. » (Ephés. xiv, 19.) Ainsi qu'un pilote prescrivait encore de fuir loin de lui.
garantit la sécurité de tous les passagers, tant 6. Voilà le fruit de la pénitence, voilà l'avan-
qu'il est lui-même inquiet sur leur sort, et leur tage des larmes. L'âme ainsi contrite est dé-
cause, au contraire, de vives alarmes, s'il vient sormais détachée de toute passion. Suivons cet
à i>erdre ce souci et à s'endormir; de même exemple et eussions-nous pour ami un homme
:

l'homme qui vit dans les angoisses, le trouble, couronné du diadème, si cette amitié nous est
le tremblement, met en repos sa propre pensée, funeste, sachons la f( nier aux pietls. Car rieo
tandis (|ue celui (jui s'abandonne au sonnneil n'est plus méprisable qu'un honune. monarque
de l'insouciance cause le naufrage de son es- ou autre, une fois qu'il vit dans rini(}uité :

quif. «J'ai vieilli parmi tous mes ennemis. » tandis que, d'autre part, le dernier captif est
Qu'est-ce à dire : « J'ai vieilli?» C'est-à-dire, supérieur à tous vertu habite en
les rois, si la

j'ai iiordu ma force sous leurs coups. Ce monde lui. « Parce (jueSeigneur a entendu la voix
le

est un lieu de combats, mille ennemis désolent « de mes pleurs.» Il ne dit pas simplement a :

notre vie; et les fautes où nous tombons ne font entendu ma voix, mais bien a a entendu la :

que les rendre plus forts. Il faut donc travailler « voix de mes pleurs. » Vous voyez comment

de toutes nos forces à leur échapper, et fuir lui-même il u'épaigne rien de sou côté, ni sa
COMMENTAIRE SUR LE PSAUME VI. îr,7

voix, ni SCS pleurs, par voix, entendant non


ici, l'abîme. — C'est pourquoi le Christ ne se borne

pas un cri, à proprement parler, mais une di- point à réprimer la fornication ni l'adultère,
rection (le la pensée, et par pleurs, nun-seule- il va jusqu'à défendre les regards déréglés il ;

mcnt ceux que les yeux répandent, mais en- arrache pour ainsi dire la racine même du
core ceux qui viennent de l'ànie En tHel, celui ! mal afin de rendre plus
,
aisée la défaite

qui montre du repentir et qui est entendu de du vice. —


Il agit de même à l'égard des Juifs,
Dieu, n'a pas de peine non plus à consommer hien qu'avec des formes |)lus grossières, et

celte autre bonne œuvre, la rupture de tout comme sous le voile de l'allusion, parce qu'il

commerce avec les méchants. avait affaire à des hommes charnels. Conuneiit
«Que tous mes ennemis rouvrissent et rentrent cela, de quelle façon? 11 interdit l'accouple-

t en eux-mêmes. Qu'ils se détournent en ar- ment des animaux d'espèces difTérentes. 11

confondus sur-le-champ.» (il.)


« rière, et soient interdit de boire le sang des bêtes; il interdit

Voilà la plus utile des prières, roujjHr et revenir de garder les gages après la chute du jour, et

sur ses pas. Ceux qui courent au mal n'ont par là il réprima de grands crimes d'une :

qu'à être pris de honte et à rebrousser chemin part, la sodomie d'autre


, part, le meurtre
pour se corriger de leur perversité. Nous enfin la crujuilé et la barbarie. Mais aujour-
voyons un homme prêt à tomber dans im pré- d'hui la négligence , l'impudence sont au
cipice ; nous l'arrêtons dans sa course, en lui comble : aussi tout est bouleversé. Par consé-
criant: Où vas-tu, mon ami? Un abîme est quent, dès que vous recevez la plus faible

devant toi. C'est ainsi que David pressée les atteinte, au lieu de considérer que c'est peu de
méchants de revenir sur leurs pas. Un cheval chose, songez au résultat funeste qu'elle peut
emporté, si l'on ne se bâte de le retenir, aura avoir, si vous en laissez les ravages s'étendre.
bientôt péri. De mO'me encore, le venin des Pour peu nous voyions dans une maison
(jue

reptiles, Unit par infecter tout le corps qu'ils quelques étou|>es allunu''es, nous voilà dans le
ont blessé, si les médecins ne s'empressent d'en trouble et l'effroi ce n'est pas ce commence-
:

réprimer les progrès, et d'en arrêter ainsi les ment d'incendie qui nous épouvante, ce sont
ravages. Faisons de même, nous aussi, et les suites (ju'il pourrait avoir; voilà pourquoi
hâtons-nous de guérir nos infirmités, si nous nous courons éteindre ce foyer jusqu'à la
ne voulons pas que le temps envenime le mal. dernière étincelle. Eh bien! le vice est pour
Car la blessure du péché, pour peu qu'on la l'àme un fléau plus dévorant que ce feu. Son-
néglige gagne du terrain et la maladie ne se ; geons donc à l'arrêter dès sa naissance. Car
borne pas à une simple plaie, elle finit par pour {)eu que nous nous relâchions, il nous
engendrer la mort éternelle tandis que si ,
sera plus malaisé ensuite d'en triompher. C'est
nous extirpons le mal dans son principe, nous ainsi encore (|ue sur un vaisseau, les nauto-
ne serons pas exposés à le voir grandir. Songez- niers pour s'émouvoir n'attendent pas que la

y bien celui qui aura pris l'habitude de n'at- mer soulève ses vagues au-dessus de leurs
:

fhciuer personne, ignorera la lutte ; s'il ignore têtes ses menaces mêmes les alarment.
:

la lutte, il saura aimer ; s'il sait aimer, il n'aura Ne voyons donc pas les plus jjetits de nos
point d'ennemi ; s'il n'a point d'ennemi, et ne péchés avec indifférence; réprimons-les, au
montre que de la cliarilé, il sera paré de toutes contraire, de toute notre force, afin d'échapper
les vertus. — N'allons donc point négliger les aux fautes plus graves, et d'obtenir les récom-
débuts si nous ne voulons que nos maux
, penses éternelles, par la grâce et la boulé de
s'augmentent. Si Judas avait réprimé en lui la Notre-Scigneur Jésus-Christ, avec (jui, gloire,
passion des richesses, il n'aurait pas été sacri- puissance, honneur, au Père et au Saint-Esprit,
lège ; s'il n'était point tombé dans ce crime, il maintenant et toujours, et dans les siècles des
n'aurait point été précipité au plus profond de siècles. Ainsi soit-il.
B58 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CIIRYSOSTOME.

EXPLICATION SUR LE PSAUME VII.

PSAUME POUR DAVID QUI LE CHANTA AU SEIGNEUR, A CAUSE DES PAROLES DE CHUS, FILS DE JÉMIM :

« SEIGNEIR, MON DIEU, C'EST EN VOUS QUE j'aI MIS MON ESPÉRANCE SAUVEZ-MOI DE TOUS CEUX :

« QUI ME PERSÉCUTENT^ ET DÉLIVREZ-MOI. »

ANALYSE.

1. Portrait de Clnis et d'Âcbitophel,


2. Dévouement de Chus. Son entrevue avec Ahsalon.
3. Sens de l'expression Mon Dieu et du mot Lion dans l'Ecriture. De la prière. —
4. Six conditions d'une bonne prière. —
David outie-passe les oïigi.nces d l'Ancienne Loi.
5. Confiance fondée de David. — Qu'il n'est pas défendu d'avoir des ennemis, mais de mériter d'en avoir et de les ha&.
6. Que le persécuteur est plus h plaindre que s:i victime.
7. Conciliation avec d'autres textes de l'Ecriture.
8. Démonstralion de la divine Providence.
9. Utilitédu châtiment. —
Du bonheur de quelques méchants.
10. Longanimité de Dieu.
M. Contre l'anthropomorphisme. —
Bonté de Dieu révélée par ses menaces m&mea.
12. Continuation du même sujet. —
Utilité de l'exemple.

13. Remords et malheur des méchants.


14. Châtiment des méchants dans ce monde même.
15. Dureté d'Ahsalon, bonté de David : patience de Dieu.
16. Qu'il faut faire le bien pour l'amour de Dieu.

\. Il serait à souhaiter que vous fussiez tel- pour vous réprimander, mais encore pour vous
lement versés clans la connai?sance des Ecri- instruire, je vais commencer ce récit. Qu'était-

tures et de leurs histoires, (jue nous n'eussions ce donc que ce Chus, lils de Jémini, et quelles
pas besoin de longs discours pour vous les étaient ces paroles sorties de sa bouche, k l'oc-
enseigner. Maiscomme beaucoup les ignorent, casion desquelles David chanta cet hymne là

les uns à cause des aflaires inoiulaiiios, dont Dieu ? C'est que nous allons voir, en repre-
ce
ils s'occupent uni(jucinent , les autres par nant les choses depuis le conunencement.
pure insouciance, il est nécessaire de nous David eut un fils du nom d'Alisalon, jeune
étendre un peu sur le sujet de ce psaume. homme déréglé et corrompu cet Absalon :

Prètez-moi donc une oreille alIcMitivc. Quel Huit par se révolter contre son jière ; il le dé-
est ce sujet? « Psaume pour David (iiii lo ch;inta posséda de sou trône, de siui palais, de sa
au Seigneur. » Un autre dil « Psaume pour : patrie, sans avoir égard ni aux devoirs du sang,
David touchant l'ignorance n un autre « Igno- ; : ni àceux de la reconnaissance : il oublia tout :

rance pour David, » et à la i)lace (h^ a ('hus n il en un mot, il était si barb:ue et si dénaturé,
met « rEthiopieu. » Mais cela ne vous éclaircit si pareil à une béte plutôt qu'à un homme,
rien, parce que riiisloiro vous est incminue. que, brisant tous les liens, il foula aux pieds

Cependaut, connue je ne suis pas ici seuleineut les lois de la nature, et remplit tout de désor-
COMMENTAIRE SUR LE PSAUME VII. r>59

dre et de confusion. En effet, c'était tout bou- bien deviner cette ruse , me prendre sur le

leverser à la fois, prescriptions de la nature, fait : et alors je périrai : voilà tout ce que
respect de l'opinion, piété envers Dieu, charité, nous y aurons gagné. Rien de pareil il court :

compassion, reconnaissance filiale, respect de au camp de l'usurpateur après s'être reposé ,

la vieillesse. S'il ne voulait pas respecter en sur Dieu de toute chose , et s'élance au milieu
David son père, au moins devait-il l'honorer des dangers.
comme un vieillard. Si des cheveux blancs ne Si j'ai insisté là-dessus, ce n'est pas seulement

lui inspiraient pas de vénération, au moins pour attirer des éloges à Chus, c'est encore
aurait-il dû en montrer pour son bienfaiteur ;
pour vous faire comprendre toutes les épreuves
et, ménager un honuue qui
à tout le moins, que David eut à subir c'est enfin pour mettre,

ne lui avait fait aucun mal. Mais la passion dans un j)lus grand jour tous les fruits que
du pouvoir bannit de son cœur tout sentiment l'on peut retirer de cette histoire. Voyez en
de retenue et en fit une véritable bètc féroce.
,
effet le vulgaire ne cesse de demander pour-
:

Et voici que notre bienheureux, celui qui avait quoi les justes sont persécutés tandis que les
engendré, nourri ce fils ingrat, errait dans le méchants demeurent en repos, (^est la mrme
désert comme un misérable vagabond, acca- chose ici. Le juste était dans l'infortune; le
blé de tous les maux qui pèsent sur un exilé, pervers, le i)arricide, le rebelle en guerre avec
tandis que son fils jouissait en paix des biens la nature elle-même, vivait dans la prospérité,
paternels. Les choses en étaient à ce point, les au sein d'un palais mais il ne lui revint de
:

armées obéissaient au rebelle, les villes recon- cela aucun profit, comme à notre saint aucun
naissaient son usurpation; seul, un homme dommage. L'un n'y gagna que de pires tribu-
vertueux, un ami de David, nommé Chus, lations; l'autre en retira une gloire plus écla-
son amitié dans ce changement
restait fidèle à tante comme on voit reluire, au sortir de la
;

de fortune en
le voyant errer sans fin dans le
; fournaise, l'or que l'épreuve a purifié.
désert, il déchira sa tunique, se couvrit de 2 Tirez donc de là cette première leçon, de
cendres, poussa un amer et pitoyable gémisse- ne point vous laisser étonner par les infor-
ment ; et, dans son impuissance, il consola du tunes que vous voyez fondre sur les justes.
moins l'infortuné avec des larmes. Ce n'était Apprenez en second lieu, à ne pas changer avec
point la fortune ni la puissance, mais bien la la fortune, à respecter les lois de l'amitié en ;

vertu qu'il aimait chez David : voilà pourquoi troisième lieu, à braver les dangers pour la
son amitié survécut même à la déchéance du vertu; enfin, à ne pas désespérer dans les
roi.David, en le voyant agir de la sorte, lui circonstances difficiles, à compter sur le secours
dit C'est déjà faire preuve d'attachement et
: de la divinité. —
C'est ainsi que ce Chus dont
d'une sincère affection pour nous mais cela ; je parle, ne réfléchit alors ni à l'armée de l'u-
ne peut nous servir de rien il faut tenir : surpateur, ni aux alarmes qu'il inspirait, ni à
conseil, et aviseraux moyens de nous délivrer la multitude de ses cavaliers, ni aux innom-
des infortunes présentes, de nous soulager dans brables phalanges de ses hoplites, ni aux \illes
notre malheur. dont il s'élait déjà rendu maître, ni àl'abandon
Il dit et fait à Chus la proposition suivante : aucjuel était réduit Da\id, à son isolement, à
Va-t-en auprès de mon fils, et, sous le masque sa faiblesse ne vit qu'une chose, l'irrésis-
: il

d'un confonds ses projets préviens l'ac-


allié ,
, tible secours de Dieu, sa protection et com- :

complissement du dessein d'Achitophel. Cet parant, à ce point de vue, les deux partis, il
Achitophel régnait alors sur l'esprit de l'usur- jugea l'un faible, et l'autre fort. En effet,
pateur; c'était un bon guerrier, un général Absalon agissait avec injustice, David au con-
habile à conduire une guerre , à décider les traire,en se défendant avait le bon droit ,

succès d'un combat : aussi inspirait-il plus de pour lui. Il se rangea donc, non du côté du
crainte à Davidque l'usurpateur lui-même, à nombre, mais du côté où comballait la vertu,
cause de son intelligence et de son habileté. et ainsi il attira sur lui la bénédiction divine.
Chus, entendant cela, obéit, sans làch hési- que nous-mêmes, nous ne né-
Je dis cela, afin
tation, sans pensée pusillanime il ne dit point ; : gligions pas ceux qui ont la justice peureux,
Et si je suis pris ? Et si je suis démastiué ? Et en voyant leur faiblesse; afin que d'autre part
si l'on découvre le secret de lu comédie? C'est nous fuyions l'alliance des méchants, quel que
un habile homme qu' Achitophel : il pourra puisse être leur pouvoir.
>G0 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

En rfPet le vice, quand même ilaurait pour rendre hommage à la prudence ordinaire des
lui toute la terre, est ce qu'il y a de plus faible conseils d'Achitoplie!, puis il accuse l'opinion
au monde la vertu, au contraire, même dé-
; que ce même conseiller vient d'énonctr en
nuée de tout appui, est ce qu'il y a de plus dernier lieu.
puissant car elle a Dieu pour défenseur. Qui
: Voici comment
il s'exprime Je ne sais com- :

pourrait donc sauver celui qui a Dieu pour en- ment il trompé cette fois son idée ne me
s'est ;

nemi? Et qui pourrait perdre celui qui l'a paraît pas bonne à suivre. Si nous attaquons
pour auxiliaire? Pénétré de ces Yérilés, Chus à présent, ton père poussé à bout comme
s'en alla plein de connance où David l'en- un ours dont on excite la fureur, et déses-
voyait. Dès qu'il fut arrivé, voyant l'usurpa- pérant désormais de sa vie, combattra avec
teur approcher, il l'aborda. Absalon qui l'avait tout l'acharnement de la rage ne songera ,

vu plus d'une fois, et qu'enivrait l'amour de point à ménager ses jours et fondra sur nous
la puissance, ne s'arrête point à l'examiner avec toute l'impétuosité dont il est capable.
minutieusement; il le raille, il Tinjurie : Va- Au contraire,nous prenons quelque répit,
si

t-en, lui dit-il, avec ton ami : il ne daigne pas nous serons mieux préparés pour Tattaque,
môme le nommer, dans l'excès de sa haine et plus sûrs du succès, et nous n'éprouverons au-
de son animosité. Chus alors sans se troubler, cune peine, aucune difficulté à le prendre,
sans se déconcerter, lui répond Quand Dieu : pour ainsi dire, au piège, et à le ramener pri-
était avec lui, je lui étais attaché maintenant : sonnier. Absalon approuva cette opinion et la
que Dieu est avec toi, il en résulte que je dois proclama préférable à l'autre. Mais si Chus
te servir. Ce discours flalta et enorgueillit le avait parlé de la sorte, c'était pour donner à
tyran; et sans autre enquête (l'homme léger David le temps de se reposer un instant, de
est crédule, ce fut le cas d'Absalon) il se livre à respirer, de rassembler des troupes. Aussi,
ses ennemis, en admettant sur-le-champ Chus lorsqu'il eut fait rejeter le conseil d'Achitophel,
au nombre de ses fidèles, en l'inscrivant au il envoya secrètement des émissaires rendre

premier rang de ses amis. Mais Dieu condui- compte de tout à David, et lui apprendre que
sait tout il était là, il dirigeait les événements.
: l'usurpateur s'était rangé à l'opinion de Chus
Après cela, on tint conseil au sujet de la guerre, qui assurait la victoire du roi. Telle fut, en
divers avis furent ouverts sur la question de effet, l'issue. Après avoir pris quelque repos,

savoir s'il fallait attaquer incontinent, ou dif- David fit ses préparatifs, livra bataille et rem-
férer un peu. Achitophel, cet habile conseiller, porta la victoire. Achitophel qui, dans sa pru-
s'avance, prend la |)arole et fait la proposition dence et son habileté, prévoyait ce résidt.it dès
suivante : Il faut attaquer ton père maintenant le jour même de la délibération et savait (|ue
qu'il est abattu et découragé. C'esten ne lui cette résolution était la perte d'Absalon, inca-
laissant pas le temps de respirer que nous pable de supporter l'affront qu'il avait essuyé,
pourrons nous en rendre maîtres il ne s'at- : alla se mit ainsi fin à ses jours.
pendre et

tend à rien; si nous l'attaquons maintenant, 3. C'est que David, instruit de tous ces
alors
nous n'aurons aucune peine à vaincre. Après événements, écrivit ce psaume, comme un
avoir entendu cet avis, l'usurpateur appelle hymne d'actions de grâces, par lequel il repor-
Chus, le faux transfuge et l'invite à parler à tait à Dieu tout llionneur d'avoir conduit ces
son tour : dans l'ordre des choses
il n'était pas événements. Aussi, dès le début, s'exprime-
humaines qu'il accordât un pareil honneur, t-il à i>eu près ainsi «Seigneur mon Dieu, c'est
:

une pareille confiance à un homme qui venait « en vous que mis mon espérance, sauvez-
j'ai

à peine d'arriver, (|u'il le consultât sur une af- «moi. » Kn Dieu, non i)as en Chus, non pas
faire de celle importance ; mais, ainsi que je dans la sagesse humaine, non pas dans la pru-
l'ai dit plus liant, quand Dieu qui com-
c'est dence de cet ami, non pas dans sa propre in-
mande, les choses les plus difficiles deviennent telligence, mais eu vous, Seigneur. Suivons
aisées. Chus est introduit : Absalon lui doime cet exemple, et s'il nous arrive (luelcjuc succès

le droit de parler, et l'invite à faire connaître par le ministère des hommes, sachons en re-
sa pensée. Que fait Chus alors? Jamais, dit-il, mercier Dieu, soit qu'il ait choisi d'autres ou
Achitophel ne s'est trompé. N'oyez-vous son nous-mêmes pour instruments de sa grâce. Si

adresse? Il ne donne pas brusquement son nous agissions de la sorte, il n'y aurait plus

un éloge. commence par pour nous ni ilillicnl'.é ni peine. C'est ce que


a"vis, il
y joint 11
COMMENTAmE SUR LE PSAUME VII. Î56!

fait Saùl, en disant, ou peu s'en faut : Ce n'est dans Pisolement, si Dieu lui vient en aide;
poiut sur les paroles de Chus (|ue je fondais Voilà pourquoi il disait aussi « Un roi n'est :

l'espoir de mou
mais bien sur votre ap-
salut, « pas sauvé par sa grande puissance, et un

pui. Et voyez (jnelle afleclion respire dans M géant ne sera pas sauvé grâce à sa force

ses paroles, ici connue partout. D'ailleurs, il « excessive. » (Ps. xxxn, 10.) Quelques-uns

ne dit pas « Seigneur Dieu, » mais « Soi};iieur prennent notre passage dans un sens figuré, et
« mou Dieu; » et dans un autre endroit : prétendent que par ces mots Lion et Persécu-
« Dieu, mon Dieu, je m'éveille à vous. » (Ps. teurs, il faut entendre le diable et les démons.
LU, 2.) En elfel, s'il avait besoin de Dieu comme 11 s'est vu ravir son fils, il l'a vu dévorer il :

tout le monde, il éprouvait eu outre un besoin demande maintenant à échapper lui-même à


particulier qui lui venait de la >ivacilé de son cette calamité et il indique en même temps
:

amour. Dieu lui-même ne se comporte pas au- la raison qui a causé le malheur de l'infortuné.
trement (|uand il parle des justes il est le ; Quelle est cette raison? Sa méchanceté, qui a
Dieu de l'univers, mais cela ne l'empêche pas éloigné de lui la protection divine. De là ces
de se représenter d'ailleurs comme le Dieu des paroles : « Lorsqu'il n'y a personne pour me
justes en particulier. « Je suis le Dieu d'Abra- M racheter ni me sauver. » Au reste, l'Ecriture
« ham, et le Dieu d'isaac, et le Dieu de Jacob. » emploie ailleurs ce mot « lion » en parlant du
Considérez de plus ici la sagesse du Psalmiste. diable par exemple dans ce passage
,
« Votre :

Après ces mots: « Seigneur mon Dieu, c'est en « ennemi le diable rôde comme un lion rugis-

« vous que j'ai mis mon espérance, » il ne dit « sant qui cherche quelqu'un à dévorer. »
,

pas châtiez mon ennemi, faites mourir celui


: (I Pierre, v, 8.) Le même prophète dit encore ail-
qui me lait la guerre il ne songe qu'à lui-
; leurs : « Et tu fouleras aux pieds lion et dra-
même, et dit « Sauvez-moi, » en d'autres ter- « gon. » (Ps. xc 13.) En effet cette bêle-là
, ,

mes, ne me laissez pas en proie au malheur; prend diverses formes mais si nous sommes :

« Sauvez-moi de tous ceux qui me persécu- sages, ce lion, ce dragon sera pour nous plus
« tant, et délivrez-moi. » Vous le voyez, quelle méprisable que la fange, il n'osera pas nous
que soit ne prononce pas le
son infortune, il attatjuer en face, ou, s'il l'ose, il sera foulé aux
nom du parricide; fidèle à la nature jusque pieds. « Marchez, » est-il écrit, « sur les ser-
dans l'adversité, dans sou ennemi voyant en- « pents et les scorpions. » (Luc, x, 19.) Il court
core uu fils, au milieu des
et n'oubliant pas, partout avec fureur, comme un lion qu'il est :

périls, le fruit de ses entrailles. Tant il était mais s'il vient à s'attaquer à ceux qui ont avec
bon père et attaché à ses enfants; ou plutôt, eux le Christ, qui portent la croix sur le front,
tant il était sage. Car c'est moins la voix du en qui brûle le feu de l'Esprit, et le flambeau
sang que la douceur de son âme qui lui inspi- inextinguible, il ne pourra soutenir leur vue, il
rait cette conduite, et
il songeait plus à l'armée tournera le dos et prendra la fuite, sans oser
qu'à l'usurpateurde là ces mots « Sauvez-
; : seulement regarder derrière lui. Et pour que
« moi de tous ceux qui me persécutent, et vous compreniez bien que ce ne sont point ici
«délivrez-moi. » Voyez-vous comme il parle de vaines phrases, veuillez considérer l'exemple
sans dureté de ses persécuteurs eux-mêmes? de Paul. C'était un homme ainsi que nous :

Il ne dit pas de tous ceux qui me font la guerre, néanmoins le lion en avait peur, au point de
de ceux qui pillent mes biens, qui étalent leurs fuir juscju'à ses vêtements, jusqu'à son ombre.
débauches dans mon palais, mais bien « De : Rien de plus naturel : il ne pouvait supporter
« tous ceux qui me persécutent. De peur qu'en- l'odeur du Christ , laquelle s'en exhalait et
« fin il ne ravisse mon àme comme un lion, montait à ses naseaux, il ne pouvait soutenir
« lorsqu'il n'y a personne pour me racheter, l'éclat du flambeau de la vertu.
« ni me sauver. » (3.) Cependant il avait levé des « Seigneur, mon Dieu, si j'ai fait cela, si
troupes, et avait beaucoup de gens avec lui; « l'iniquité est sur mes mains, » (4.) Un point
comment donc peut-il dire lorsqu'il n'y a per- qui est partout à observer, c'est qu'il ne faut
sonne pour me racheter ni me sauver? Parce pas se borner à prier, mais prier encore de ma-
qu'il compte pour rien un secours quelconque, nière à être entendu. La prière ne suffit point
fût-ce même celui du monde entier, si l'appui pour arriver au but qu'on se propose, si l'on
d'en-haut lui manque, et qu'au contraire, il ne sait pas l'oflrir comme Dieu le trouve bon.
ue se regarde pas comme abandonné, même Le pharisien pria et il n'y gagna rien les :

S. J. Ch. — Tome V. 36
S69 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME,

Juifs priaient, mais Dieu se détournait de leurs rémie au sujet des Juifs : a Ne prie pas pour ce
prières ne priaient point comme
: c'est qu'ils «peu{)le. Nevois-tu|>ascequ'ilsfont?.) (Jér. vir,
il fallait prier. Aussi avons-nous reçu l'onire tO, 17.) Ils n'ont pas renoncé à l'impiélé, et tu
d'offrir la prière la plus pro[)re à nous faire me présentes une requôle en leur faveur? Je ne
exaucer. David voir la même chose dans sa fait Quand nous demandons à Dieu
t'exaucerai pas.
prière précédente,où il ne se borne point à de- le malheur de nos ennemis, non-seulement
mander audience, mais fait de son côté tout nous n'en obtenons pas audience, mais f^ncore
son possible afin d'être entendu. Quelle était nous excitons sa colère. C'est un remède que
celte prière « J'arroserai chaque nuit ma *?
la prière. Faute de savoir comment il convient
a couche, je mouillerai mon lit de mes lar- d'appliquer le remède , nous n'en retirons
a mes » et encore « Je
; : me suis fatigué dans aucun soulagement.
mes gémissements » et ; aussi : « Détournez- Voyons donc ce que dit David en sa prière :

a vous de moi, vous tous qui opérez l'iniquité; » « mon Dieu, si j'ai fait cela. » Quoi,
Seigneur,
et enfin « Mes yeux ont été troublés de co-
: cela? Ce qu'on me fait à moi si je me suis
, :

alère. » révolté contre mon père si j'ai commis un ,

4. Voilà , en effet , autant de moyens de se pareil forfait. Mais ici encore , il évite de dé-
concilier la faveur divine: les lamentations, signer le coupable par son nom : il rougit, il a
les larmes, les gémissements, la fuite des mé- honte pour son fils. Ainsi qu'un homme de
chanls , la crainte et le tremblement dans l'at- bonne maison qui surprend sa femme en adul-
tente des jugements divins. Ailleurs encore il tère ne va pas divulguer en propres termes la
,

disait : ma justice dans l'af-


« Dieu a entendu :
faute de cette épouse criminelle, de même David
«fliction, vousm'avez mis au large. » Telles sont ne dit pas Si je me suis révolté contre mon
:

les conditions nécessaires pour être exaucé : père, si j'ai été parricide, mais bien: «Si j'ai fait
la première est qu'on mérite de l'être la se- ;
« cela. » Mais que dis-je , cela? Quel mérite y
conde que l'on prie selon les lois de Dieu la
, ;
a-t-il à ne pas être parricide, quand les bêtes
troisième, qu'on prie continuellement la qua- ; féroces ignorent elles-mêmes ce crime? «S'il y
trième, qu'on ne demande rien de mondain; a de l'iniquité sur mes mains. » Ce n'est point
la cinquième qu'on cherche son véritable ,
cette iniquité-là que j'ai en vue je dis (ju'on :

avantage ; la sixième , (ju'on fasse de son côté ne trouverait pas sur mes mains la trace d'une
tout ce qui est possible. Rappelez-vous combien ini(juilé quelconque. Els'il parle ainsi, ce n'est

de personnes ont réussi par là à se fiiire exaucer : point par jactance, c'est |>arce qu'il se voit
Corneille, par sa vie; la Syrophénicienne, |)ar contraint de parler de ses bonnes œuvres. Mais
son assiduité à prier; Salomun ,
par la nature ceci est peu de chose encore auprès de ce qui va
de sa prière, «attendu,» est-il écrit, «que tu ne suivre. Voyons donc la suite « Si jai rendu le :

• « m'as demandé ni des richesses, ni la mort de « mal à ceux qui m'en rendaient. » Prêtez une
atesennemis(lll Rois, ni, 11);» lepublicain par exacte attention. Cette phrase-ci n'est point la

son humilité; d'autres, par d'autres raisons. première venue. 11 est beau de ne pas nuire :

Si l'on se fait exaucer en s'y prenant de la mais c'est une bien plus grande chose, et
sorte , lorsciu'on s'y prend autrement, on n'est propre à une âme élevée que de ne pas nous ,

point entendu, quelque juste (ju'on |)uisseètre. venger de ceux (|ui nous font du mal. La loi,
Qu'y a-t-il eu de plus juste que Paul? néan- cependant, l'autorisait, en permettant d arra-
moins quand il demanda de faux avantages il cher œil pour œil, dent pour dent: étonne
ne fut pas entendu. «Trois fois» dit-il, «j'ai l'enfreiunait pas en se comitorlaut de la sorte.
« invoqué le Seigneur à ce sujet et il m'a ré- , Mais telleétailla sagesse de David, (jue non
« pondu: Ma grâce te suffit.» 0' Cor.xii,8,9.,) Et content de ne pasenfreindre la loi, il en dépasse
quoi de plus juste encorccpie Moïse? Néanmoins de beaucoup les exigences. Il ne se serait pas
ilne fut pas exaucé davantage le jour où , cru vertueux, s'il était resté dans les bornes
Dieu lui dit « Qu'il te suffise. » (Deut. m, !20.) II
: exactes des prescriptions. Paul, autorisé à vivre
demandait à entrer dans la Terre promise: de l'Evangile, n'en >ivait pas néanmoins, et
mais il n'y aurait pas trouvé son avantage ,
prêchait lEvanfiite gratuitement de même : le

Dieu ne le permit |>as. lUi nouvel obsiacle, à la bienheureux DaNid, autorisé par la loi à se
réalisation de nos vœux, c'est la persévérance venger, n'usait pasdecedroit, et oulre-|)assait

daus le péché. De là ces paroles de Dieu à Je- la limite de ses devoirs. Pour nous, nous
COMMKNTAIUF. SUR LE PSAUME VII. ÎÎC3

sommes a5«i!Jéti:, non-seulement à ne pas trice, non la loi, mais la seule nature : « Mais
nous venj^ir de nos ennemis, mais encore à «ceux (jui ont péché sous la loi seront jugés
leur faire du bien. « l'rie/. pour ccux (jui vous a |)ar la loi ;
» c'est-à-dire plus sévèrement,"
« persécutent, » csl-il écrit « faites du bien à
: attendu qu'outre la nature, la loi aussi les ac-
« ceux qui vous haïsi'ent. » (Mattli. v, il.) Mais cusera, il Que
succombe sous les coups do je
au temps de David, ce n'était |)as un petit mé- « mes ennemis, frustré de mes espérances.
rite que de s'interdire la vengeance c'était : « (G) Que l'ennemi poursuive mon âme, et
dépasser de beaucoup la reconnnandalion lé- a s'en empare, et foule aux pieds sur le sol ma
gale. De là ces paroles « Si j'ai fait cela, s'il y
: vie, et ensevelisse ma gloire sous la pous-
« a de l'iniquité sur mes mains si j'ai rendu le ; « sière. » Voyez-vous la confiance de ce juste,
omal à ccux cpii m'en rendaient. » Ln ce qui et sa bonne conscience? S'il n'avait pas été bien
concernait son lils, la voixdu sang suffisait pour sûr de lui, il n'aurait [)as prononcé une telle
le retenir mais a-t-il fait du mal, en a-t-il
: malédiction.
rendu à quchpie autre? Quelle serait donc notre Voici le sens de ses paroles Si j'ai fait ou :

excuse, notre titre à l'indulgence, à nous (|ui rendu le mal i)uissé-jc endurer telle et telle
,

venons après le Christ, si nous ne savions pas chose : cl il prononce lui-même son arrêt il ;

atteindre le niveau de ceux (jui vivaient sous ne veut pas être jugé équilablement, il réclame
l'ancienne loi, et cela, quand nous sonunes une punition disproportionnée à sa faute la :

obligés de le dépasser de beaucoup? « Si votre loi l'exempte du châtiment, lui-même s'y sou-
a justice, » est-il écrit, «n'abonde pas plus que met. El considérez quel est ce châtiment «Quo :

« celle des Pharisiens, vous n'(Mitrerez pas dans M je succombe sousles coups de mes ennemis,
« le royaume des cicux. » En effet, si les mêmes « frustré de mes espérances. Que l'ennemi pour-
œuvres ne produisent pas le même mérite sous « suive mon âme, et s'en empare, et foule aux
la loi qu'avant la loi il en est de même pour
, « pieds sur le sol ma vie , et ensevelisse ma
le temps de la grâce et pour celui de la loi, et «gloire sous la poussière.» C'est-à-dire qu'il
la différence des temps influe sur la valeur des me fasse périr dans l'obscurité dans l'oubh , :

actions. Paul voulant indiquer cette


, diffô- qu'avec ma vie, il ruine en même temps ma

rence pour ce qui concerne, soit le vice, soit la gloire. Qu'est-ce à dire « ([u'il ensevelisse ma
vertu, fait voir par les paroles suivantes quelle «gloire sous la poussière?» qu'il m'humilie,
supériorité il accorde aux uns, quels châti- qu'il me foule aux pieds que je tombe à la :

menisplus sévères il juge réservés aux autres: merci de mes ennemis. Que peut-on imaginer
« Lorsque les gentils qui n'ont pas la loi, font de plus infâme qu'Absalon, qui persécutait
« naturellement ce qui est selon la loi ; n'ayant son père et un père si bon , si vertueux lui
, ,

« pas la loi, ils sont à eux-mêmes la loi. » (Rom. dissolu, libertin, insolent? Mais quoi? Est-ce
Il, 44.) que David ne rendit pas le mal à ccux qui le
Voyez-vous comment il vante et célèbre
5. lui rendaient? Est-ce qu'il ne montra jamais
ceux qui font le bien sans y être obligés par la de rancune? Nullement. Examinez l'histoire
loi? Considérez maintenant ce qu'il dit des de Saiil là surtout vous verrez briller la
:

supplices plus sévères réservés aux péclieurs vérité de cette parole. Cet homme après mille
qui vivent sous la grâce, qu'aux pécheurs bienfaits, des trophées, des victoires, le persé-
vivant sous la loi. « Celui qui viole la loi de cutait, lui tendait des pièges, brûlait chacjue
Moïse meurt sans aucune miséricorde, sur la jour de le faire périr : David le tint en son
« déposition de deux ou trois témoins. Combien pouvoir une fois deux , fois et plus , endoinu",
« donc pensez- vous que mérite de plus alTreux séparé de ses gardes et , comme enfermé dans
« supplices celui qui aura foulé aux pieds le une prison beaucoup l'engageaient à l'égorger,
:

« Fils de Dieu, et tenu pour profane le sang de à lui donner la mort: il l'épargna, dompta son
« l'alliance. » (Ilébr. xi, 28, 29.) Ailleurs vou- courroux, et cela bien qu'il n'ignorât point ,

lant montrer que les pécheurs d'avant la loi qu'en le laissant échapper, il se ménageait un
méritent un châtiment moindre que ceux qui ennemi acharné et irréconciliable. Néanmoins,
ont vécu sous le règne de la loi, il s'exprime ni le souvenir du passé ni ses craintes pour ,

ainsi « Quiconque a péché sans la loi, périra


: l'avenir ni rien de pareil
,
ne put le déter- ,

« sans la loi. » (Rom. ii, 12.) C'est-à-dire sera miner à ce meurtre il resta sage maître de ; ,

puni moins sévèrement, ayant pour accusa- sou bras ; il refréna sa colère , et préféra
564 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JE.\N CHRYSOSTOME.

courir des danp:ers , être en butte à des com- aurais-je pour ennemi l'homme pour qui jb
de sa patrie, perdre la liberté
plots, être chasse prie, l'homme que je voudrais oblij^er? De là

plutôt que de se débarrasser par un meurtre ces mots de Paul « Sil est possible, autant
:

d'un ennemi qui le poursuivait dune haine a qu'il est en vous, vivant en paix avec tous

sans motif, et brûlait de le récompenser de a les hommes. » (Kom. xii, 18.)

mille bienfaits par la mort. 6. Faisons donc ce qui est en nous, et cela

La sagesse de son âme éclate encore dans suffira pour que nous méritions des éloges.

bien d'autres traits De là tous ces


pareils. Mais qu'est-ce qui est en nous? Prenons un
maux qu'il se souhaite à lui-même; revenir exemple. Un tel vous hait, vous fait la guerre;
sans avoir rien fait, être complètement vaincu aimez le, faites-lui du bien. 11 vous insulte,
par ses ennemis, mourir sans laisser un nom, vous injurie? Bénissez-le, louez-le. Mais il
mourir de la main de ses ennemis; choses persiste néanmoins dans sa haine. Eh bien il !

pires que la mort; en effit, que n'avait-il point ne fait qu'ajouter à votre récompense. Car
entrepris pour (ju'on se souvînt de lui après plus les méchants persistent dans la guerre
sa mort? Voyez donc tous les malheurs qu'il qu'ils nous font en dépit de nos bons procé-

appelle sur sa tête ; mutilité de ses efforts, vic- dés, plus ils nous assurent une belle récom-
ennemis, pour lui-même la mort,
toire de ses pense, et plus ils enveniment leur propre ma-
une mort particulièrement aflreuse, l'oubli de ladie. En effet, l'homme impl.icable dans son

son nom, l'ignominie; il n'aurait pas prononcé inimitié, se dessèche, se consume, ^it dans
de tels vœux contre lui-même, si le témoi- une agitation perpétuelle au contraire, celui
;

gnage de sa conscience ne l'avait bien rassuré. qui s'élève au-dessus de ces atteintes, domine
S'il avait eu des ennemis, ce n'était point sa l'orage, et se rend service a lui-même plus en-
faute il ne leur avait donné aucun sujet de
;
core qu'à celui qui lallaque, en essayant de le
haine contre lui. Quel prétexte avait son fils? ramener, en s'abstenant de lui faire la guerre;
Quel prétexte avait eu Saiil? N'avait-il pas cor- car il se dispense même de combattre. Fuyons
rigé avec le temps, ramené à lui et à la raison donc toute guerre avec autrui, et arrachons
celui qui avait encouru sa vengeance? n'avait- la racine de ces dissensions, la vaine gloire, la
il pas souvent laissé échapper de ses mains cupidité. En effet, c'est l'argent et la vanité

celui qui conspirait contre sa vie? N'examinez qui causent toutes les haines. Qnc
si nous sa-

donc point s'il avait des ennemis, mais s'il se vons nous mettre au-des>us de ces choses,
les était lui-même attirés. Le Christ même ne nous serons pareillement au - dessus de la
nous a pas défendu d'avoir des ennemis, car hiine. On t'outrage, résigne-toi. L'outrage
cela ne dépend point de nous; il nous a dé- n'atteint (jue son auteur. On te fra|)[ie, ne ré-
fendu seulement de les haïr. Ceci est en notre siste pas. Celui qui a donné le coup est celui
disposition , et cela millement. Que si Ion qui l'a reçu; sa main seule t'a touché; mais
nous poursuit d'une haine injuste, il ne faut lui, sa colère l'a reste désho-
meurtri; et il

point s'en prendre à nous, mais à ceux qui noré aux yeux de tous. Que si cela te cause
nous haïssent. C'est, en etl'et, la coutume des quelque peine, figure-loi (juun hoim)ie dans
méchants de ressentir contre les bons des un accès de démence ait déchiré ton >èlement;
haine? sans motif. Le Christ lui-même n'y a qui sera vraiment à plaindre, ou toi la vic-
point échappé comme il le dit lui-même « Ils ; time, ou lui l'agresseur? Ce sera lui, sans au-
a m'ont pris en haine sans motif. » (Jean, cun doute. Eh bien! si, quand il s'agit d'un
XV, 25.) Les apôtres avaient les faux apôtres vêtement déchiré, l'agresseur est plus à plain-
pour ennemis; les prophètes, les faux pro- dre ipie la Aictime, quand il s';it:it d'un déchi-
phètes. Ce qui doit nous préoccuper, ce n'est rement du cœur (car tel est l'effet produit par
point de ne i»as avoir demicniis, c'est de ne la colère), ne jugeras-tu point de même que

pas mériter d'en avoir; c'est aussi de ne pas celui qui a cédé à la colère est plus malheu-
les haïr, de ne pas les prendre en aversion, reux que toi, qui n'as subi aucun dommage.
quel que soit l'excès de leur haine; car l'ini- Ne va p s dire qu'il a déchire ton \èlemenl;
mitié consiste en ceci à haïr, à prendre en
: avant tout, il a déchiré son propre cœur. 11
aversion. Par conséquent, si l'on me hait sans Ji'y aurait pas ile jaunisse, si la l»ile ne se ré-
que je haïsse, je n'ai point irennemi, bien (pie pandait hors de la région qui lui est propre;
quel<iu'un ait un ennemi en moi. Conunent de même, il n'y aurait pas de colère excessive,
CU.MMI.MA1UE SUR LE 1 SALME VII. îiCS

si le cœur ne commençait par éclater. Supposez « ne sont pris ici au sens


seoir » ni a se lever »
donc (|iie vous avez devant vous un lionnne dans le premier cas il s'agit de
pliysi(pie : ,

alteinl de la jaunisse, (luehjue niiil (ju'il puisse permanence dans le second de châtiment,
;

vous faire, cela no vous donnera jamais Ten- d'extermination. — Quehpiefois encore, Etre
vic de coni racler son mal. Faites donc de assis désigne la fonction de juge par exemple
:

nièmc^ pour la colère. N'imitez pas le méchant, dans ce passage: «Vous êtes assis sur un trône,
ne rivalisez pas avec son vice; ayez pillé plu- « vous (pii jugez la justice. » (Ps. ix. A.) De même

tôt de cet homme qui ne sait pas réprimer la Daniel « Des sièges furent placés, et le tribu-
:

brute en son âme, de cet homme (pii est la « nal s'assit.» (Dan. vu, 9.) C'est encore un terme
première victime de son acharnement. En efl'et, qui désigne la royauté. « Votre trône, ô Dieu,
que ces ^^ens-là se font tort à eux-mêmes, c'est « est pour les siècles des siècles c'est un sc( ptre :

ce que nous ap[)rennent beaucoup de sages, « de droiture que le sceptre de votre royauté. »
qui, pour empêcher les luttes de ce trenre, ont (Ps. Liv, 7.) — D'où l'expression « assieds-toi à
recours aux conseils suivants: Eparytie-toi ;
« ma droite, » (Ps.cix, 1.) qui marque un par-
c'est à toi que tu fais tort. Voilà le vice; sa tage d'honneurs. Mais que veut dire ceci :

seule victime est l'àme qui lui donne nais- u Dans votre colère ? » Ceci encore doit être pris
sance; il la bouleverse de fond (U comble. danr un sens convenable à la majesté divine.
Gardons-nous donc, pour nous venger d'au- La en Dieu, n'est point passion, c'est
colère,
trui, de nous égarer nous-mêmes loin du port. punition, châtiment. « Soyez exalté au milieu

Qn'un homme sur le point de faire naufrage «de vos ennemis. » Un autre dit: « Dans votre
et d'être englouti, profère contre toi des in- «courroux contre vos ennemis. » Un autre :

sultes, tune t'en inquiéteras pas, tu ne quitte- « Dans votre animosité contre vos persécu-

ras pas pour cela le rivage où tu es tranquil- oteurs. » Un autre : « Dans votre impatience
lement assis, alin det'e\poscrau même trépas. «contre ceux qui vous tiennent enchaîné. » Où
Représentez-vous donc (pie l'homme qui vous nous lisons « au milieu de, » le texte hébreu
insulte et vous injurie, est comme un malheu- donne « Bebaroth. » Voyez comment, ici en-
reux qu'une trombe, qu'un orage engloutit, core, il ne songe pas h sa propre vengeance,
une fois (ju'il s'est exposé à la tempête du cour- et ne parle qu'en vue de la gloire de Dieu. II

roux; tandis que vous, dans votre résignation, ne dit pas simplement: Punissez mes ennemis,
vous jouissez tranquillement sur la rive de la ou vos ennemis Mais soyez exalté... Et com-
:

tran(piillité du port. Que si, au contraire, vous ment peut être exalté le Très-Haut, Celui qui
vous laissez entraîner à une détestable émula- ne déchoit jamais de sa sublimité? La subli-
tion, c'estvous-mêmes, ce n'est pas lui que mité de sa nature n'est susce|)lible ni de dimi-
vous perdez. nution, ni d'une augmentation (juelconque il :

7. Levez-vous, Seigneur, dans votre colère, est parfait, immense, inunu.ible. Comment
et soyez exalté au milieu de vos ennemis. En donc, de quelle façon peut-il être exalté ? Aux
parlant de la sorte,
il indique que Dieu se lève yeux du vulgaire. Plus d'une fois il a usé de
encore autrement que pour manifester sa co- longanimité mais là où il y avait longanimité,
:

lère c'est ce que montre, par exemple, cet


: ses ennemis ne voyaient qu'abaissement et fai-
autre passage «Levez-vous, Seigneur, sau-
: blesse. II est donc aussi susceptible d'abaisse-
« vez-moi, mon Dieu. » — D'ailleurs, que ce ment, mais seulement aux yeux de ces hom-
mot Levez-vous, ne représente à votre esprit mes, et non pas en réalité.
rien de corporel.. De même qu'en parlant de 7. En effet si le soleil paraît sans éclat à
,

Dieu, Rester assis, n'est pas dit au sens physi- ceux dont la vue est infirme, ainsi Dieu peut
que, il en est ainsi de l'expression « Levez- : paraître sans pouvoir et sans grandeur aux
« vous. Vous, » est-il écrit, « qui êtes assis pour yeux de ceux qui le méconnaissent. Mais de
a l'éternité... » Qu'est-ce qu'il faut entendre par même que cet obscurcissement du soleil n'est
ce mot ? la fixité, la permanence, la stabilité que prétendu et non réel, et réside unique-
de nature, la durée, ce qui résulte d'ailleurs ment dans l'infirmité de certaines vues ainsi :

de l'opposition des termes. Car immédiatement Dieu, en dépit de cette illusion, garde tout son
après les mots : « Vous qui êtes assis pour pouvoir : et ce n'est là <iu'uu symptôme qui
« l'éternité, » viennent les suivants : « Mais vous marque le délire de ci.^ i^|)..ls égares... Quelle
«qui périssez pour l'étermlé. » Ainsi ni « s'as- est dnno la pensée du juste ? Sois exalté, dit-il,
866 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

même aux yeux de nos ennemis, sévis et fais qu'il songe, mais à Dieu. 11 veut le voir glori-
éclater ta puissance, afin que ceux qui te fier partout, au milieu de ses ennemis comme
croient abaissé, soient avertis de ta gloire par parmi ses fidèles, a Et en considération d'elle
leur propre supplice. Voilà quelle est son in- «élevez-nous en haut. » De qui, d'elle? De
tention : elle n'a rien d'intéressé, elle est toute l'assemblée à cause d'elle « élevez-nous en
;

dirigée vers Dieu. Par ces mots « au milieu « haut. » Exaltez-nous, relevez-nous, comblez-

«de, » les uns entendent que ta colère s'appe- nous de gloire, rendez rassemblée plus illustre
qu'aucun de
santisse sur leurs têtes, les autres et plus magnifique, rendez-lui sa première
tes ennemis ne t'échappe. C'est un grand prospérité. Voyez comment partout il mêle les
mérite chez noire juste, que d'avoir les mêmes préceptes aux prières. Plus haut, après avoir
ennemis, les mêmes amis que Dieu comme : dit « Ayez pitié de moi et exaucez-moi, » il
c'est le signe d'une grande perversité que de passe aux conseils, et dit o Fils des hommes, :

haïr les amis de Dieu, et d'aimer ses ennemis. « jusques à quand vos cœurs seront-ils appe-

De même que dans le langage on attribue à rt santis? » Ici après ces mots « Elevez-nous :

Dieu des ennemis, non qu'il soit capable de « en haut. Seigneur, » il poursuit en ces ter-

haine ou d'aversion, mais parce qu'il a les mes « Le Seigneur jugera les peuples. » Un
:

mauvaises actions en horreur de même si : autre inter[)rète « Le Seigneur rendra la jus-


:

notre juste a des ennemis, ce n'est point qu'il « lice. » Par là il enseigne à ceux qui croient

songe à la vengeance, c'est que le vice lui est que tout marche au hasard et à l'aventure,
odieux. «EtéveiUez-vous, Seigneur mon Dieu, qu'il est une Providence (jui préside aux évé-
«suivant le précepte que vous avez établi. » Un nements et demande compte des actions. Par
autre dit «suivant jugement. Et une assem-
le jugement, il entend ici à la lois et le jugement
« blée de peuples vous environnera. » (8.) Un futur et celui d'ici-bas. Là-haut, le jugement
autre dit ; « qu'une assemblée de peuples vous général et public ici-bas, les jugements par-:

a environne. Eten considération d'elle, élevez- ticuliers, par lesquels Dieu inllige déjà cer-
«nous en haut. Seigneur. » Un autre dit «Et : tains châtiments, de manière à réveiller la
retournez en haut dans la sublimité. » Un nonchalance et à démontrer à l'incrédulité
autre « Et pour elle élevez-nous en haut. »
:
— l'universelle providence. « Jugez-moi Sei- ,

Le texte hébreu exprime cette idée «en considé- « gneur, suivant ma justice. » Un autre dit :

a ration d'elle » par le mot «Ovaléa. » Qu'est-ce à « Selon ce qu'il y a de juste en moi. Et selon
dire, « suivant le précepte que vous avez établi?» « l'innocence qui est en moi. (10.) » Que la ma-
C'est-à-dire pour secourir les opprimés, et lice des i)ccheurs soit consommée. Un autre
arrêter les complots des Vous
persécuteurs. traduit : « Que le supplice des impies se con-
nous l'avez i)rescrit : veuillez nous en donner « somme. Et vous dirigerez le juste. » Suivant
l'exemple. Quelques-uns trouvent ici un autre un autre « El vous raCl'ermircz le juste. »
:

sens, à savoir, suivant le précepte que Dieu Comment celui qui dit ailleurs : « N'entrez
nous a donné d'être ennemis de ses ennemis. «pas en jugement avec votre serviteur (Psal.
a Et une assemblée de peuples vous environ- cxLii, 2), » peut-il dire en cet endroit « Jugez-
a nera. » Ici encore ne cherchez rien d'humain. « moi selon ma justice? » C'est qu'il s'agit de

Les paroles sont telles, il est vrai, mais le sens deux choses ditrérentcs. Quand il dit n'entrez
est tout divin. Que signifie donc cette expres- pas en jugement avec votre serviteur, il veut
sion « Vous environnera ? » Cela signifie vous dire : ne me faites |)oint le procès, n'examinez
chantera, vous célébrera, vous saluera de mille point ma vie en la rapprochant des bienfaits
bénédictions. —
Cela se luisait au moyen de dont vous m'avez comblé. Voilà pouniuoi il —
chœurs, rangés circulaircment dans le temple ajoute « Parce que tout être vivant ne sera
:

et autour de l'autel il emprunte à cet usage


: « pas justifié devant vous » entendez, tout :

consacré dans les cérémonies d'actions dt être qui aura procès avec vous. — Mais ici sa
grâces l'expression par la.juolle il désigne ici |)ensée est autre : ce n'est pas relativement à
les bénédictions. Le sens est celui-ci : Punis, Dieu (|u'd veut être jugé, mais relativement à
secours. Par là, tu t'élèveras même aux yeux lui-même. Voilà pourquoi il dit « Suivant :

de tes ennemis, et tu recevras de ton peuple « ma justice. » Par juslico. il entend ici ne pas
mille bénédictions. avoir lait de mal lei)remier au prochain de :

Considérez comment ce n'est pas à lui-même môme qu'il disait plus haut w Si j'ai fait cela, »
;
COMMENTAIRE SUR LE PSAUME VII. toi

et la suite. «Selon l'innocence (|iii est en tnoi, » vertueux, malade ou pauvre, comptez-le parmi
c'est rncoie la nirine chose. C'est d'après cola, ceux (|ui sont ain)és. Car c'est clnz ct ux-ci et
entend-il, que je veux être jiijifé. non pas chez les autres, que l'amour divin
(liaiide est ici encore la conliance de notre trouve à quoi se prendre. Ne voyez-vous pas,
juste. S'il parle ainsi, d'ailleurs, c'est (jue la pour emprunter un exemple au siècle, que ce
nécessité l'y contraint. Comment cela? Oui, sont les favoris des rois qui courent le [dus de
beaucoup irinsensés avaient mauv.iistî o|)iiiion ris(jues à la guerre, (jui reçoivent le plus de
de lui à cause de ses é|»reuves. La pliip.irt des blessures, qui s'éloignent le plus souvent de
honnnes sans intelli^a^ice trouvent dans le leur patrie? Ne savez-vous pas que « le Sei-
malheur une occasion de calomnie, comme « gneur châtie celui (pi'il aime, » et « qu'il
on peut le voir aussi par Tixemple de Job. « fiagelle fils qu'il reçoit? » Mais beaucoup
tout
C'est pour cela que dts gens qui ne le savaient d'hommes dira-l-on
, sont scandalisés en
,

coupable d'aucun crime, osaient lui dire Ton : voyant ces choses. Ce n'est point la chose qui
chàiiment n'est pas encore a la hauteur de ta les scandalise, niais bien leur propre démence.
faute. Paul aussi n'était qu'un pervers et un Car ce n'est pas ici-bas qu'est la rémunération
scélérat, aux yeux des barbares, lorsijue la de nos peines ici-bas, c'est la carrière plus
: :

vipère s'élança sur sa main. Aussi disaient-ils : tard viendront les prix et les couronnes. Ce
« Après avoir échappé à la mer, la vengeance n'est pas au jour de la lutte et du combat qu'il
« ne permet pas quil vive. » (Act. xxv[ii, \.) — faut demander du repos et du délassement :

Séméi de même appelait David meurtrier, ne confondez pas temps. Mais il y a bien
les
s'aulorisant de son malheur pour porter sur des faibles, dira-t-on. Eh bien Dieu a songé à !

lui cette injuste sentence. eux il a permis (|ue beaucoup de justes vécus-
:

8. Afin que vous ne tombiez pas vous-mêmes sent, ici-bas même, dans la prospérité, non
dans une faute pareille, il faut que nous rai- pour leur propre mais pour celui des
intérêt,
sonnions un peu sur ce sujet. J'entends bien faibles. Ainsi donc, si ceux qui sont dans l'af-

des personnes dire Si Dieu aimait les pau-


: fliction vous scandalisent, que ceux qui sont

vres, il n'aurait pas souffert (lu'ils fussent pau- dans la paix vous édifient; si la prospérité de
vres : d'autres s'écrient, dès qu'ils voient un quelques méchants vous ébranle, que les châ-
malade se débattre contre une tenace infirmité : timents infligés à d'autres vous raffermissent.
Où sont les aumônes répandues? Où
qu'il a N'avez-vous [las enlendu cette parole du Christ :

sont ses bienfiits? Pour vous sauver d'une pa- « Dans le monde vous aurez des tribulations?»
reille erreur, |)l;içons au clair cette question. (Jean, xvi, 3.1,) I^ourquoi donc chercher le re-
Car si tout honmie raisonnable est incapable pos (|uaud le Christ a parlé de la sorte? Ne savez-
de haïr les bons et d'aimer les méchants, com- vous pas aussi qu'il a dit « Le monde se ré- :

ment ose-t-on tenir un pareil langage au sujet « jouira, mais vous serez toujours affligés?»

du Seigneur, et prétendre que Dieu hait les (Ibid, 20.) Les hommes peu intelligents au-

pauvres, mêmevertueux, aime les riches, raient lieu de se scandaliser, s'il arrivait le
même pervers? Quel blasphème! quel excès contraire de ce qu'il a prédit : mais si sa prédic-
de folie 1 tion se réalise parfaitement, quel sujet de
Voyons donc, afin d'éviter une telle aberra- scandale voyez-vous là dedans? Mais, dira-ton,
tion, quels sont les objets de la haine et de l'a- pourquoi Dieu a-t-il ainsi réglé les choses?
mour de Dieu. Quel est l'homme aimé de Dieu? N'examinez pas, contenez une vaine curiosité.
Celui qui garde ses précefites. « J'aimerai cet « Le vase ne dira point au potier Pourquoi :

« homme, » est-il écrit, « et j'irai vers lui. » (( m'as-tu fait ainsi? » (Rom. ix, 20.) Voilà
Cet homme, ce n'est pas le riche, l'homme en pourquoi Prophète réprimandait les Juifs
le

aux préceptes divins.


santé, c'est celui qui obéit de ce que, dans l'excès de leurs maux, ils scru-
Quel maintenant, que Dieu voit avec
est celui, taient les voies de Dieu « Ils désirent connaî-
:

baine et avec horreur? Celui qui n'accomplit « tre mes voies comme un peuple qui aurait

point ses ordres. Par conséquent, lorstjuc « prati(pié la justice, et n'aurait point déserté
vous verrez un homme qui n'accom[ilit point « le jugement de son Dieu. » (Is, lvui, 2.) On
les ordres de Dieu, jouît-il d'une santé par- I ût dit un serviteur (jui, après avoir failli et
faite ou d'immenses richesses, met!ez-le au s être rendu coupable de délits sans nombre,

nombre des hommes détestés : pour l'homme au lieu de chercher à fléchir le courroux de
tm TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

son maître, lui demanderait des comptes et est malade ; nous ne pleurons pas sur le sort

l'interrogerait sur les motifs de sa conduite. d'unhomme affecté d'une plaie mais si cet :

Gardez-\ous de vous livrer à une pareille re- homme est abandonné si aucun médecin ,

cherche, quand vous devriez pleurer, gémir, n'approche de son lit, c"est alors que nous le

et expier vos propres torts. plaignons. Au contraire, celui qu'on traite par
Si je parle ainsi, ce n'est pas que je manque le fer et le feu,nous le jugeons en voie de
de raisons à produire : mais je voudrais vous guérison, pirce que nous ne considérons pas
arracher à cette vaine curiosité et vous voir la douleur attachée à lamputation , mais la
appliqués uniquement au souci de votre salut. santé que l'amputation doit procurer. En ce
Maintenant, pourquoi Dieu a-t-il statué ainsi? qui concerne l'âme, notre sentiment doit être
C'est par ménagement pour l'humanité. Il a le même : ce ne sont pas ceux qui sont punis
resserré la souffrance dans les étroites limites (car leur châtiment les conduit à la santé), ce
de la vie terrestre ; les couronnes , il les a sont les pécheurs impunis que nous devons
réservées pour la vie future, qui doit être hors plaindre, sur qui nous devons gémir. Mais
des atteintes de la mort et de la vieillesse. — dira-t-on, si les châliments sont destinés à
Rien de plus fugitif, de plus éphémère, que les prévenir les péchés, comment se fait-il ijue
peines présentes : ce sont les récompenses qui nous ne soyons pas punis chaque jour de nos
sont immortelles et durent éternellement. fautes? C'est que, s'il en était ainsi, la race
D'ailleurs, c'est pour l'âme un exercice qui lui humaine aurait péri prématurément, et le
fait aimer la vertu. En effet, quand elle s'y temps du repentir lui aurait été dérobé. Voyez
attache, quoi qu'il lui en coûte, et sans rému- Paul. S'il avait expié sa persécution, s'il avait
nération actuelle, elle se dispose à l'aimer d'un été frappé, comment
eu le temps de
aurait-il
parfait amour; quand elle trouve du plaisir se repentir, de faire les bonne? œuvres innom-
à fuir le vice, sans qu'ill'expose encore à aucun brables qui suivirent sa pénitence, de ramener
châtiment, elle s'exerce à le haïr, à le prendre l'univers entier pour ainsi dire, de Terreur à
,

en aversion. — On le voit : par là même, elle la vérité? Ne voyez-vous pas que les médecins
contractera l'habitude de haïr le vice , de qui ont affaire à un malade criblé de blessures
chérir la vertu. 'Voici maintenant une autre ne lui administrent pas un traitement propor-
raison : c'est que rien ne nous prépare mieux tionné à la gravité de ces plaies, mais celui-là
aux luttes de la sagesse, ne nous rend plus seulement que ses forces peuvent supporter?
forts que la tribulalion , En voici une troisième : autrement, en guérissant les plaies, ils tueraient
c'estque Dieu veut nous apprendre à dédaigner le malade.
les choses présentes, à ne pas nous y attacher, Voilà pourquoi Dieu ne châtie pas à la fois
à ne pas nous en laisser enchaîner. Voilà pour- tous les coupables, ni tous les coupables autant
quoi il a assigné cette terre pour séjour à la qu'ils le méritent, mais use en cela de dou-
Iribulation et à la peine, tandis qu'il a rendu ceur et ménagement souvent la punition
:

passagères toutes nos félicités et toutes nos d'un seul lui suffit pour corriger beaucoup de
joies. —
a Que la malice des pécheurs soit pécheurs. Cela se voit souvent aussi pour le
« consommée, et tu dirigeras le juste. » Qu'est- corps un seul membre coupé remet les autres
:

ce à dire « soit consommée? » Fais descendre


: en santé. Mais admirez la charité de notre
le châtiment, et dans leur
tu les arrêteras juste voyez comme jtartout il se préoccupe
:

perversité. En cffel, de
gangrène même que la de lintérêt conmum, de lextirpalion du pé-
ne cède qu'à de cruels remèdes, au fer et au ché, et s'inquiète non de tirer vengeance de
feu, de même pour réprimer le vice le châti- ses ennemis, mais de guérir leur perversité.
ment est nécessaire. Ainsi attachons-nous conslanunent à répri-
de ces vérités, ne plaignons plus
9. Instruits mer les progrès du >ice, pleurons sur ceux qui
ceux qui sont châtiés et livrés au supphce, vivent dans l'iniquité, fussent-ils revêtus de
mais bien ceux qui pèchent impunément. Car vêlements de pourpre et célébrons le bon- ;

si c'est un mal de pécher, cVn e?l un auhe heur des gens de bien, ftiss(Uit-ils livrés aux
d'être privé de correction, ou plutôt ce dernier angoisses de l'extrême indigence; pour cela
est le premier des deux, car c'est le |)lus ter- il nous suffit de détourner nos regards du de-
rible. En effet, c'est moins la maladie (jui est hors j)our les diriger vers le dedans. C'est alors
redoutable que le manque de soin, quand on que nous verrons la richesse de l'un, la pau-
COMMENTAIRE SUR LE PSAUME \aî. 969

vreté tle l'autre. Qu'impoHcnt les robes de pour- «hommes droits de cœur. » {{{.) Un autre
pre <|u'on étale? On en étale ainsi dans de mi- dit : « Celui (jui sonde les cœurs et les reins,
sérables échoppes (i(î planche?. En cpioi celui «le Dieu juste, mon protecteur. » Un autre:
qui s'en revêt est-il plus riche (jue C(îlui qui « Le Dieu juste. » Les Septante interprèt(!nt
les vend? Mais il n'en est pas ainsi de la ri- ainsi « Le Dieu

qui sonde les coMirs et
chesse du juste; elle est solide et durable. Que « les reins. Juste est mon recours en Dieu.»
si les prétendus riches ne s'apereoivenl pas de Le Psalmiste a dit (jue Dieu jugera l'univers :

leur pauvreté réelle, il ne faut |)as s'en éton- il dit à présent comment Dieu le jugera. 11 a
ner. Ceux qui sont atteints de frénésie n'ont dit que Dieu n'a besoin pour cela ni de té-
pas non plus le sentiment de leur infirmité, moins, ni d'encpièlcs, ni de preuves, ni de
et c'est précisément ce qui les rend encore plus pièces, ni <le rien de i)areil car c'est lui qui :

à plaindre, bien loin qu'ils doivent faire envie. sait les mystères. Qu'un insensé ne vienne donc
S'ils avaient conscience de leur mal, ils cour- pas nous dire : Et comtnent Dieu jugera-t-il
raient chez le médecin mais ce qu'il y a de
; tout cet univers? Celui qui l'a tiré du néant,
plus affreux dans leur infirmité, c'est qu'ils saura bien juger son ouvrage. Par le mot
sont malades sans le savoir. Ne considérez A Reins, » il entend ici ce qu'il y a de plus
donc point que le riche se complaît dans sa secret, de plus profond, de plus mystérieux
richesse au contraire, voyez en cela même
: dans nos pensées ce n'est ici qu'un emblème :

un nouveau sujet de larmes et de compassion, pour désigner quelque chose de plus général.
qu'il ne connaît point l'étendue de son infor- Que veut dire maintenant cette expres-
10.
tune. Car il ne sied pas à l'homme de se pré- sion Sonder? » La même chose «qu'Exa-
«

valoir dépareilles choses, et c'est l'indice d'une « miner » qui se trouve ailleurs. Les paroles

extrême déraison. «Et vous dirigerez le juste.» sont humaines le sens est digne de Dieu,
:

Qu'est-ce à dire? 11 veut dire que la punition quand Paul dit « Celui qui scrute les cœurs. »
:

infligée aux méchants rend les justes plus vi- (Rom. viii, 27.) «Scruter,» pour lui, est la
gilants. 11 résulte donc de là deux avantages : même chose que savoir avec certitude. Ici
les uns sont guéris de leur perversité, et les « Sonder, » c'est savoir exactement. Quant à
autres progressent dans le chemin de la vertu. « » c'est mettre à nu pour voir, ce
Examiner,
Si un homme en santé qui voit employé le fer qui est propre d'une science, d'une connais-
le

et le feu pour la guérison d'un malade, de- sance exactes. Paul a dit « Tout est à nu et à :

vient plus attentif à veiller sur sa santé, il en « découvert devant ses yeux. » (Hébr. iv, 13.)

est de même ici. Car en ce temps, beaucoup « Juste est mon recours. » Un autre traduit :

de personnes, même parmi celles qui parais- « Juste est mon protecteur. » Qu'est-ce à dire,
saient veiller sur elles-mêmes, étaient scan- « Juste est mon recours en Dieu? » C'est juste-
dalisées de la prospérité des méchants, faute ment, veut-il dire, que Dieu m'exaucerait, car
d'instruction suffisante. Voilà pourquoi le Psal- je ne lui demande rien d'injuste. Si donc nous
miste Mes pas ont été presque
dit ailleurs : « voulons obtenir l'appui d'en-haut, dcniandons
a déroutés parce que
j'ai senti de la jalousie des choses qui aient le même caractère : afin
«contre les méchants. » (Ps. lxxu, 2.) « D'où que nature de notre prière nous concilie la
la

« vient, » dit un autre « que la voie îes im- faveur de Celui qui « sauve les hommes droits
« pies prospère? » (.1er. xii, 1.) Job aussi se « de cœur. » Telle est sa fonction, telle est sa

fait mille questions semblables. Mais c'est qu'a- coutume. Ainsi donc, puisque je n'ai point
lors l'initiation était incomplète de là ces pa- : donné l'exemple de l'iniquité, puisque je n'as-
roles, ces questions; maintenant celui que ce pire point à la vengeance, c'est justement que
spectacle déconcerte ne mérite aucune indul- Dieu viendrait à mon aide. Instruits de ces
gence, après tant de sublimes leçons de sa- vérités, gardons-nous de rien demander, qui
gesse, après de pareilles révélations sur l'ave- soit un obstacle au bienfait. Quand vous sou-
nir, après tant de lumières nouvelles su»' haitez du mal à vos ennemis, le secours que
l'enfer, sur le royaume des cieux , sur là vous demandez serait injuste : car il contre-
rétribution qui doit être accordée là-haut, à dirait la loi promulguée par Celui même dont
chacun selon son mérite. vous sollicitez l'appui. Demander l'argent, la
n Dieu juste qui sondez les cirurs et les beauté , ou tout autre avantage mondain et

« reins. Mon recours est en Dieu qui sauve les périssable, c'est aller contre le devoir d'une
870 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

âme bien réglée. Ainsi donc, demandons de Et quel est le jour, où nous ne prions pas avec
façon à obtenir. néj:ligence, avec une insouciance complète?
« Dieu est un juge équitable, puissant, pa- Or, vous allez voir que par là nous ei courons
« tient, qui n'inflige point sa colère cliatiue la colère. Dites, en effet si vous abordiez votre :

«jour. » ( 12.) Un autre dit: «Qui gronde tous juge en bâillant, etque vous fussiez convaincu,
« les jours. » Le texte hébreu dit : « Toute ne se hâterait-il pas de vous infliger votre
« la \'ie. » Un autre interprète « qui menace, peine, devons déi)0rterau delà des frontières?
« gronde, et ne punit pas. » Voici le sens de Sans doute, dira-t-on, attendu que c'est un
ces paroles : S'il est juste, il voudra, de toute homme. Eh bien ? Si un homme peut être dans
façon, punir les humines injustes; s'il est son tort, quand il s'irrite d'une ofl'ense, vu que
puit-sant, de toute façon il le pourra. Mais que l'offenseur est son égal : quand c'est Dieu qui
devient, dira-ton, la bonté de Dieu, s'il doit est l'offensé, le châtiment devient parfaitement
nous juger selon la justice? Elle éclate pre- juste : car la faute est plus grave que si elle
mièrement, en ce (jue le châtiment ne nous atteignait un homme. De plus si l'homme
suit point pas à pas, ou plutôt, elle éclate d'a- punit, c'est dans une pensée d'intérêt person-
bord, en ce qu'il a remis tous nos péchés au nel : en vous punissant, au contraire. Dieu ne
moyen de l'eau de régénération ; et seconde- considère que votre propre avantage : de sorte
ment, en ce qu'il nous accorde le repentir. Si que, à ce point de vue encore, rimlignation
vous réfléchissez que nous péchons tous les devient [)lus légitime. Car ce n'est pas la même
jours, c'est alors surtout que vous verrez la chose de mépriser ceux qui ne songent qu'à
bonté divine se manifester dans son inexpri- eux-mêmes ou celui qui ne songe (ju'à vous.
mable étendue. C'est ce que David fait en- Et l'on encourt une colère bien ()lus grande
tendre par la suite « Dieu est un juge équi-
: encore lorsqu'on ne sait pas uîême être sage
« table, puissant, patient. » Vous ne voyez pas au moment de solliciter pour soi. Combien y
pouniuoi, si ni le pouvoir, ni la volonté ne lui a-t-il d'hommes qui n'aient jamais offensé leur
manquent, il ne punit pas? Sachez, répond frère gratuitement? Ne me dites p is que ce frère
Da\id, qu'il est patient, et que sa colère ne se était un simple serviteur: « Car dans le Christ
manifeste pas chaque jour. Mais qu'on n'aille « il n'y a ni homme, ni femme, ni esclave ni
pas croire sottement que c'est la faiblesse (|ui « honnne libre. » (Gai. m, 28.) Quel est celui
rem|)êche de sévir Da\id nous fait connaître
: qui n'a i)as accusé son prochain, ne l'a pas ca-
le motif de ce délai c'est que sa |)atience aussi
: lomnié? celui qui n'a jamais jeté sur une
est extraordinaire. Si cette patience a pour femme des regards dissolus? celui qui n'a pas
objet de vous amener au n pentu", c'est lors- été jaloux d'autrui ? qui n'a pas conrui la fausse
qu'il voit (jue ce remède reste impuissant, gloire? qui n'a j»as proféré une parole mutile?
qu'il se décide à sévir, il ne se passe donc point Or, toutes ces actions tombent sous le coup du

de jour, que nous ne méritions d'être punis. châtiment. Et nous étions aussi négligents à
si

Sans cela, le Psalniisle ne dirait pas, comme ré}:ard des choses mondaines, tju'au sujet tles
une chose digne d'attention « N'infligeant : choses spirituelles, ce serait un titre à l'indul-
« point sa colère chaque jour. » S'il parle ainsi, gonco mais ce dernier recours nous est in-
:

c'est que nos actes réclament le cliàliment et terdit. En effet, dans les premières, nous

que la bonté de Dit u s'oppose seule à notre sonunes aussi vigilants iju'cndoimis en ce qui
juste punition. Ici encore, vous voyez comment concerne les secondes. El alin (ju'en Icnten-
il montre l'impassibilité divine, et p^T ce mot dant parler de la patience divine nous ne ,

colère n'entind (jue le chàlnnent. Pcrso.'îMe, 'nous sentions pas encouragés à la nonchalance,
en ctTet, n'intlige sa colère; la colère est jiour il ajoute : vous ne vous convertissez pa?,
« Si

qui la ressent, et le cliàliment pour auirui. « il fera luire son glaive. » (Ibid. 13. Un autre i

C'est donc bien à la punition (|u'ii songe en ilil : v( U aiguisera son épée. U a tendu son arc
disant: « Et n'inlligeant poinlsa colère eliatpic « et l'a préparé. » Suivant un autre, «il tendra.

a jour, » Et connnent pi ut-il dire « chatjtie « El il a disposé sur son arc des instruments
a jour?» Que chacun de nous rentre en liii- « de mort. Il a pré[»aré ses Uèclies contre ceux
mcme, en verra la raison. J'omets les
et il « (jui brûlent. « (14;) Un autre dit : a Pour
péchés secrets: mais les pèeliés |)ublics, qui « brùli'r. »
s'en dclyudra? Quels sont dune ces péchés? 11. Que vont dire ici ceux qui attribuent à
571

Dieu une forme humaine à cause de ces ex- surpris en cet endroit. Mais si ces dernières
pressions qui ni|)i)L'llent des mains, des pieds, expressions doivent être prises aulremenl que
des yeux? Est-ce (ju'il y a là-iiaiit lies arcs, dans le sens lilléral, et dans une sigiiilicatiou

des traits, des pierres à aiguiser, des glaives, qui convienne au caractère de la divinité, il

des carquois. Pourtant on lit ailleurs: « A ta est clair (ju'il faut faire de même jiour la co-
a \ue, les inonlagnes seront troublées devant lère et le courroux; et que la grossiireté des
« toi. » (Eccli. XVI, 19.) Et chez le même Psal- expressions n'a d'autre but cpie de frapper la
misle : « Celui qui regarde la terre et la fait grossièreté des auditeurs. Voilà pourquoi il ne
a trembler. » (Psal. cm, 3-2.) S'il lui suflit de s'en tient pas là, et ne craint pas de parler un
regarder la terre, pour foudre les pierres, à langage encore plus humaiii, et propre à
plus forte raison aura-t-il le même pouvoir rendre la 11 ne se
terreur encore plus vive.
sur les honuues. Pourquoi donc Celui qui borne pas à représeuter Dieu ari-ié d'une éjiée ;

peut d'un regard bouleverser l'univers, que il le montre encore s'apprètant au combat.

dis-je, par un simple ellet de sa volonté (Celui Connue ce n'est pas un égal sujet delîroi (jue
qui l'a créé par sa volonté seule peut bien, d'entendre dire qu'on aiguise le glaive, ou
certes, l'anéantir de la même façon), pour- que aux mains de l'archer, le Psal-
l'arc est
quoi, dis-je, est-il représenté avec un glaive nu'ste ébranle l'àme de ses auditeurs par ces
et un arc? Si « dans sa main sont les fron- figures tout humaines o 11 a tendu son arc :

« tières du monde. » (Psal. xciv, i.) Si « ceux «et l'a préparé... » Ainsi il nous eflraye, et
M qui riiabilent sont ;'omme des sauterelles. » il nous fait connaître à la fois la longani-
Si « toutes les nations seront comptées comme mité de Dieu et sa colère. Il ne dit pas il a :

« une goutte tombée d'un tonneau et comme lancé la flèche; il ne dit pas, il a saisi son arc,
« le petit grain de la balance. » (Is. xl, 2-2, 15.) mais bien : il l'a tendu et Ta préparé c'est- :

Si son ange, en se montrant, a détruit dans à-dire qu'il est prêt à lancer le trait.
un instant cent quatre-vingt-cinq milliers Et pourquoi s'étonner de ce langage dans
d'hommes; que dis-je, son ange? si des mou- l'Ancien Testament, lorsque dans le Nouveau
ches, des chenilles et des vers ont exterminé même. Jean s'adressantaux Juifs ne craint pas
l'armée des Egy|)tiens que fait ici cet arc?
: de leur dire : « Déjà la cognée est à la racine
à quoi bon ce glaive? pourquoi donc ces ex- c( de l'arbre? •> (Luc, m, 9.) Qu'est-ce à dire?
pressions? A cause de la grossièreté des es- Dieu conmie un bûcheron qui coupe du
fait

prits auxquels elles sont adressées, et atin bois avec une hache? Est-ce bien de cognée,
de les ébranler à l'aide do ces noms d'armes est-ce bien de bois qu'il s'agit? Y pensez-vous?
qui leur sont familiers. Celui qui tient dans Pas plus que de paille et de blé, dans ces paro-
sa main notre res|)iration à tous, Celui dont les : « Son van est dans sa main, et il nettoiera
personne ne saurait soutenir le poids (Oan. v, « entièrement son aire il amassera son blé
:

23; Psal. cxlvii, 17), comment désarmes lui « dans le grenier; mais il brûlera la paille dans
seraient-elles nécessaires ? Mais, comme je l'ai « un feu (jui ne peut s'éteindre. » (Mat. m, 12.)
dit plus haut, s'il s'exprime ainsi, c'est à rai- Qu'est-ce donc (pie cette cognée? C'est le châ-
son de la grossièreté et de la sottise des hom- timent, le supplice. Et les arbres? Ce sont les
mes pour lesquels il parle. Que veut dire ce hommes. Mais la paille? les méchants. Et le

mol « 11: Entendez


fera luire? » « Il aigui- : blé? les bons. Le van, enfin? La séparation
« sera. » Mais il a donc besoin d'une pierre? par le jugement. Il en est de même ici du
Est-ce qu'il y a de la rouille sur son glaive? glaive, de l'arc, des traits : c'est encore le sup-
Et quel homme intelligent pourrait prendre plice, la punition. Après cela, par ces expres-
ces termes à la lettre? Ainsi que je l'ai dit plus sions Tendre et préparer, » il nous repré-
: «

haut, ce sont là des emblèmes qui figurent te sente les délais du supplice (jui est difféié sans
châtiment : et il recourt aux objets les plus être bien loin , qui nous attend à la porte. I:e3
sensibles afin que les plus grossiers des hom- instruments de mort, ce sont les traits. Ainsi
mes soient avertis qu'il nefautpass'eii teniraux qu'on ajjpelle instruments de labour, ce qui
mots, mais y chercher des pensées conformes sert à cultiver la terre; instruments dr navi-
à la majesté divine. Si donc on s'étonne d'en- gation, ce qui sert à traverser les flots; instru-
tendre parler de la colère et du ceurroux de ments de tissage ce qui sert à faire les tissus.
Pieu, à plus forte raison y a-t-il lieu d'être Les instruments de mort sont ici ce qui doniiy
572 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

la mort. Ensuite, afin d'expliquer ce que sont pour attaquer, de façon que ceux qu'on veut
ces instruments de mort, il ajoute « Ses : punir ne puissent se mettre sur leurs gardes.
« traits, » promptitude avec
indiquant ainsi la 11 n'en est pas ainsi de Dieu; bien au contraire,

laquelle il punit, quand il veut punir. Et ceux il il diffère, il menace, il emploie enfin
a^t rlit,

qui brûlent? Ce sont les coupables punis, les tous moyens, pour ne pas être forcé d'exé-
les

suppliciés. Eh bien! est-ce que le feu ne suffit cuter ses menaces. Telle fut sa conduite à l'é-
pas? A quoi bon des traits? Voyez- vous bien gnrd des habitants d(î Ninive. En cette occasion
que tout cela n'est que métaphores et images, aussi il tendit son arc, fit briller son glaive,
destinées à augmenter la terreur? Voici le sens pré|)ara ses traits et ne frappa point. Ne voyez-
de ses paroles Dieu a tout préparé pour la
: vons pas en effet, dans ces paroles du pro-
punition de ceux qui doivent être punis. S'il phète, comme un arc, un trait, un glaive
n'avait point parlé de la sorte, il n'aurait pas aiguisé : « Encore trois jours et Ninive sera
inpiré autant de crainte par toutes ces ex- : « détruite? » (Jon. ni. A.) Mais Dieu ne lança
pressions diverses de traits, de glaive, de flè- point sa flèche : car s'il l'avait préparée, ce
ches lancées, d'arc tendu, d'instruments de n'était que pour la remettre au carquois et non
mort, de feu allumé, il redouble à dessein pour la lancer. Les soldats s'arment, afin de
nos angoisses. Puis, pour calmer un peu frapper. Mais quant à Dieu, il ne s'arme que

notre terreur, il ajoute : « A ceux qui brû- pour corriger les hommes par la terreur,
« lent. » Sans cela, quelijue homme sans in- que pour tenir suspendu le bras de la ven-
telligence pourrait croire que le bras de Dieu geance. Ne nous laissons donc pas étonner :

menace tous les hommes, qu'il est armé con- ces paroles terribles n'attestent qu'une infinie
tre le monde entier. Paul fait allusion à la bonté, et plus elles nous paraissent embarras-
même chose, lorsqu'il dit en parlant du ma- santes, plus est grande la clémence qui les a
gistrat : « Ce n'est pas eu vain qu'il porte le dictées. Les pères (pii ne veulent point punir I
« glaive. » (Rom. xni, 4.) S'il est vrai que le leurs enfants exagèrent à dessein leur colère
glaive des magistrats soit bon à cela, et ins- dans leur langage c'est dans la même vue :

pire la terreur, à plus forte raison est-ce vrai que Dieu, répugnant à nous punir, jirodigue
de la divinité. Et ce n'est point le fait d'une les paroles effrayantes. Il va jusqu'à dire qu'il
bonté commune que d'elîrayer par des me- a allumé le feu de l'enfer :c'est afin de ne pas
naces, et d'insister en paroles sur l'énormité nous y préci|)iler. Voilà pourquoi il est si sou-
du cliàtiment; c'est un moyen de nous en vent (jucstion du supplice dans les évangiles,
épargner l'épreuve. Si Dieu tend son arc, s'il plus souvent même que du royaume. Attendu
le prépare, s'il y pose la flèche, s'il se pré- que les hommes peu éclairés sont plus sen-
pare à punir, c'est afin de n'avoir pas lieu de sibles à la crainte des peines (ju'aux promesses,
punir. et (ju'il est plus facile de les conduire à la
12. 11 donne de la force à son langage, en indi- vertu et de les détourner du vice par ce moyen :

quant par cette expression, «il fera luire, » la ri- l'écrivain sacré inr=iste sur ce point et y revient
gueur et la promptitude du cliàlimenl. Par ce sans cesse. N'allons donc pouit nous [>laiudre
mol : « il a tendu,» il en fait voir la proxi- de ces mois pénibles ils nous rendent un ;

mité ; en disant : « il a préparé, » il prédit le grand service mais songeons en même temps
:

résultat inévitable de l'obstination des pé- à la longanimité de Dieu, à la justice de ses


cheurs en ajoutant « pour ceux qui brûlent»
; : arrêts et ne désespérons pas de notre salut :

il a en vue les coupables, afin que, avertis par Dieu est patient. Ne tombons point dans le dé-
tout ce qui précède, ils renoncent à It ur ini- coiuaginienl Dieu est juste. Ici-bas sa clé-
:

quité. Que si c'était là le laiig.ige de la colère mence est iriliuie c'est dans l'autre vie (]u'il
:

et du courroux, il n'aurait |)as prévenu ceux fait éprouver les horreurs du supplice à ceux

qu'il devait frapper. Le courroux ne permet que sa bonté n'a point corrigés. Si nous crai-
point tant (Uî ménagements : il se conipoilt^ gnons ce supplice, songeons dès maintenant à
même d'une façon toute contraire, surtout nous en [ireserver.
quand son apogée, au moment de la
il est à « Voici qu'il est gros d'injustice. » (15.) Au
punition, dans les apprêts de la vengeance. En lieu de : « il est gros, » le texte hébreu donne:
guerre, du moins, ou (|uanil on Neulse ven- « Jcbal. Il a conçu la peine. » In autic dit ;

ger, loin de lo dire à l'avance, on se cache « Et ayant enfanté. Et il a mis au jour l'ini-
COMMEMAIUE SUR LE PSAUME VII. 173

« qiiité. Le mensonge , » suivant un antre. D'ailletu's, (ju'il ait eu en vue Absalon ou Achi-
« il a ouvert une fosse et l'a erensée, et il loni- to|thel, examinons ses paroles : je me soucio
a bera dans la fosse i|u'il afaite.» (10.) Ailleurs peu des personnages.
on (lit : « Dans la perdition qu'il a opérée. » Il 13. Qu'apprenons- nous par là? II nous fait

a dit (jne Dieu s'est pn paré au\ cliàlinienls; voir que c( lui (|ui creuse une fosse pour le
il a dit (ju'il déchaîne les siippliees. Ainsi il a procliain, y tombera et que pareil aux femmes:

ramené l'audileur à la saj;esse, par la vue de enceintes, dont la grossesse est un tourment,
la eolere d'en-liaut suspendue sur sa tète. H rarti>an d'une perfidie, avant (ju'il ail réussi
maintenant au moyen de la réalité
l'instruit à nuire, est lui-même en proie aux tourments,
même, en montrant que le vice lui-même est à la douleur, à une douleur vive et poignante.
un premier châtiment. C'est ce que Paul fait Aussi voidant représenter ce que cette douleur
voir aussi en disant « Et recevant en eux la
: a d'affreux, il emploie le teiine de grossesse.
a rétribution due à leur erreur.» (Uom. i, 27.) C'est le mot dont se sert TEcrilure quand elle
En effet, rien n'est plus propre à corriger la veut dépeindre une douleur insupportable. —
l)lupart des hommes
que l'exemple gro-siers, De la cette phrase : « Des grossesses se sont em-
du malheur. Le Psalmiste leur met donc aussi « parées des habitants de PhilisUm (Exod. xv,
cette image sous les yeux. Ainsi fait le Christ « 14) : » entendez, la crainte, le tremblement,
lui-même: Après avoir parlé longuement de la [)eine, la douleur. Paul de même : « Lors-
la géhenne, il nous fait voir ceux (jui y sont « (ju'ils diront, Paix et sécurité, alors même
précipités. Par exemple le riche, dans l'histoire « viendra sur eux une rui e soudaine, comme
de Lazare; les vierges folles, l'humme (|ui « est le mal de la grosses e pour une femme
avait enfoui le talent, et de même, en ce monde, « enceinte. » (1 Thessal. v, 3.) Par là il inditiue
ceux qui furent ensevelis sous les ruines de la à la fois la violence intolérable du mal, et son
tour, ceux dont Pilale mêla le sang aux sacri- inuplion subite. Ezéchias dit aussi « Que les
:

fices. De même encore Pierre, après un long a douleurs de la grossesse sont venues pour la
discours sur l'enfer, frappa surtout ses audi- « feinme enceinte, mais qu'elle n'a pas la force
teurs, quand il en vint à leur montrer ceux « d'accoucher (Isaï, xxxvu, 3), » marquant par
qui avaient clé punis, et à étaler sous leurs cette expression une crainte et une soulTrance
yeux le supplice d'Ananie et de Saphire, et into!éri;!)les. Ainsi fait le prophète en cet en-
Paul fit la môme chose à l'égard du magicien. droit. — Un hommefùt-il un millier de fois

Il s'y prend d'une autre manière pour produire scélérat, ne réussira jamais à corrompre le
il

le môme effet, lorsqu'il parle comme il suit tribunal de sa conscience; c'est un juge natu-
de ceux qui périrent dans le désert « Je ne . rel (pie Dieu lui-même a inslilué au fond de
« veux pas que vous ignoriez que tous nos nos cœurs. Quehjue résistance que nous lui
« pères étaient sous la nue, cl que tous furent opposions, il est toujours là pour nous dénon-
« baptisés en Moïse, mangèrent l'aliment spi- cer, nous punir, nous accuser et il n'est au- ;

« rituel et burent le breuvage spirituel mais ;


cun de ceux (jui vivent dans l'iniquité qui ne
« Dieu lie se complut pas dans la plupart d'entre soutire une douleur inexprimable, soit en mé-
« eux: iîspérirent et tombèrent.» (ICor. x, 1-5.) ditant le crime, soit en exécutant son dessein.
Il parle de lavenir, de l'enfer, du clià'iment, Quoi de plus scélérat qu'Achab? Néanmoins
du supplice : à l'appui de sa démonstration, il quand il eut convoité la vigne, rappelez- vous
invoque le passé, et |)roduit sous nos yeux les quelle fut sa douleur. — Ce roi, ce souverain
sup[)lices eux-mêmes, lcs\ielimesdes si rpents absolu, que personne n'osait contredire, inca-
et de l'exterminateur. Ici même, David fait la pable de support» r les accusations de sa cons-
même chose, soit qu'il i)arle d'Aehitophel ou cience, rentre chez lui triste, la tête baissée,
d'Absalon. Quelques-uiis croient qu'il s'agit confus, un sombre nuage sur le front, portant
d'Aehitophel. En etîet, il ne convenait pas au sur son vis^ige témoignage accusateur de sa
le

môme homme de dire : « Epargnez mon en- conscience, et ne pouvant voiler la douleur de
« fant Absalon , » et quand il l'eut perdu son âme. —
C'est en cet état du moins ([ue sa
«qui me donnera la mort à ta place?» (Il Rois, femme le surprit. —
Le traître .ludns, riiomme
xvui, r3-33), et de parler comme il tait ici. Mais qui s'était porté a un tel attentat, ne pouvant
les premières paroles lui étaient dictées par la supporter la douleur que lui causait le juge-
nature ; celles-ci, par l'inspiration de l'Esprit. ment de sa conscience, se pendit et finit ainsi
Ïi74 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JJiAN CiiHYSOS'i UME,

ses jours. Si leméchant souffre de tels tour- regarde les femmes, le germe line fois déposé
ments, l'homme vertueux au contraire jouiC dans leur sein prend de lui-même la forme
du calme et d'une absolue tranquillité d'âme. que l'enfant doit avoir. Mais quand il s'agit de
Voyez un peu. Qu'un homme projette de se desseins perfides, c'est aujourd'hui une pen-
venger ou de coiiinRltre une niaiiv.iise action, sée mauvaise, demain ce sera le tour d'une
considérez à quelles lorlures il tii en butte.
— autre une succession infinie de mauvais
: c'est

La colère remplit son cœur, h; courioux le germes tombant l'un après l'autre ce sont, ;

dévore, mille f)ensces tuniuitueuses s'agitt^nt chaque jour, des conceptions, des souffrances
dans son esprit; il hésite entre mill« partis: qui ruinent le cœur où elles ont leur siège.

la crainte, les angoisses, le tremblement l'as- Ce n'est pas un enfantement pareil à celui des
siéfjent, pendant que la colère le ronge, la femmes, mais plutôt pareil à celui des vipères,
crainte le boulexerse : comment réuesir, com- dont les petits déchirent le sein, entr'ouvrent
ment venger? avant celui dont il
se trame la les flancs maternels pour voir le jour : c'est

perte, il se perd lui-même. Au contraire celui l'image des ruses de l'iniquité. Mais quand
qui a banni le courroux de son àine est exempt nous ferions tous nos efforts, nous ne saurions
de toutes ces agitations, et cela se conçoit. représenter à la pensée les souffrances qu'en-
— C'est quelque chose dont il est le maître ;
durent les méchants. De là cette parole : « Le
il n'a qu'à vouloir et tout s'exécute. L'au- « méchant seul épuisera les maux. » (Prov.
tre, pour réussir, a besoin des circonstan- IX, 12.) — En effet, quoi de plus triste, de plus
ces, d'un lieu propice, de ruse, de trahison, infortuné qu'un envieux, un traître, un homme
d'armes, de slrutagèmes, de guet-ai)ens, de qui convoite le bien d'autrui! — 11 n'y a pas
flatterie, de servilité, d'hypocrisie. Voyez-vous de bourreau qui fasse endurer pareille tor-
combien la vertu est chose aisée, le vice, ture.

chose Quel est le calme attaché à


difficile? 14. C'est donc avec raison que le Psalmiste
l'une, le trouble dont l'autre est désolé? appelle ces pensées-là « Maux de grossesse. »
Voilà ce qu'indique le Prophète en disant : Mais les femmes enfantent par suite d'un com-
e Voici qu'il est gros d'injustice, qu'il a conçu merce : si la santé des parents est bonne, telle
la peine et enfanté l'iniquité. » Par là il fait sera aussi vraisemblablement celle des enfants ;

voir que Tinjuslice n'est pas naturelle chez s'ils sont infirmes, leur infirmité se transmettra
nous, mais empruntée. Voilà pourquoi elle à leur rejeton. —
Il en est de même encore

nous est à charge; pourquoi, tant que nous en en ce qui regarde les pensées. Si vous fré-
subissons l'empire, nous sommes assiégés de quentez d'honnêtes gens, vous donnerez nais-
douleurs comparables à celles de l'enfante- sance à de bonnes pensées; si vous hantez
ment. —
Tant que l'enfant n'est pas com- des méchants, et que vous n'y preniez pas
plètement formé sou séjour naturel est au
, garde, vous aurez lieu de vous en repentir.
sein de sa mère il y reste donc, et cela sans
;
Ecoutez du moins ce que dit le prophète :

peine. Mais quand il est |)arvcnu à maturité, « C'est de ta crainte que nous avons conçu,
rester où il est devient une chose contre na- « porté, enfanté un esprit de salut. » (Isaïe,

ture : de là les soull'rances de renfantement. XXVI , 18.) — Voici maintenant pour ceux
Dès lors la nature contrariée fait elî'ort |)Our qui ont commerce avec le diable : « Ils ont
le chasser au dehors : elle a consommé son « brisé des œufs une toile
d'aspic, et ils tissent

œuM'c, elle ne saurait plus en garderie dépôt. « d'araignée. » (Is. lix, 5.) Fuyons donc les

— Mais dans ce cas, la conception précède, et méchants. Quand nous pouvons concevoir et
les douleurs suivent : ici, au contraire, les enfanter sous l'inspiration des préceptes de
soutl'rances viennent en pit-inier lieu, et en- Dieu, comment serions- nous excusables de
suite la concei)tion et rciifinitement. Qu'( st-ce nous y refuser, et de rechercher la société des
à dire? C'est-à-dire que dans le premier cas, hommes dépravés pareils à une femme qui :

la douleur survient au Uioment de l'enfante- piéfcreiait aux embrassementsdun monarque


ment, et que dans le secoiid la douleur se fait le commerce d'un brigand ou d'un pirate?
sentir tout d'abord.Kn elVet, on n'a pas plus a 11 a ouvert une fosse, et la creusée : et il

tôt conçu un projet criminel, ou ne l'a pas tombera dans la fosse qu'il a faite. » (10.)

encore bien fixé dans sou esprit, que déjà le Encore une figure : par les maux de la gros-
troubla et le désordre y régnent. — Eu ce qui sesse, il désignait la souffrance ; ici, par ce mot
COMMENTAIRK SUR LE PSAUME VI. STîJ

foss€, il indique l'impossibilité de la délivrance : soit d'Absalon. L'un et l'autre, en effet, furent
« Et il toiiibora dans la fosse (|iril a faite, d Ce .ntteinl< ;i la tête par
L'un se le eliàtiment.
qu'un autre exprime en ces termes Va lui (jui : pendit; l'autre en passant sous un arbre resta
creuse une fosse pour son prochain y t(»nil)ora. pris par les cheveux et demeura sus[)endu
Et c'est encore une niart|ue de la botil(') divine, longteiiq)s. Judas se pendit de même, sachant
d'avoir rendu la trahison telle (jue le traître que tout le mal (|u'il avait fait devait retomber
tombe dans ses propres filets, afin que cette sur sa tête. Achito|)hi;l aussi, pressentant (jue
considération même détourne leshonnnes des David ne pouvait mancpier de tri()m|)her, alla
cond)ats et des artifices contre le |)roeliain. La se pendre; quant à Absalon, c'est malgré lui
même chose arriva pour Muise celui qui : qu'il resta ne mourut pas tout
suspendu, et il

devait périr fut sauvé , tandis que Pharaon d'abord : comme un condamné,
il fut d'abord

trouva la mort dans la voie même qu'il avait attaché et suspendu a un arbre et en vertu ;

suivie pour exterminer les entants. Enetfet, — d'un arrêt d'en-iiaut, il demeura longtemps
l'ordre de ce massacre, contraignit la mère de dans cette position, livré aux tortures de sa
Moïse, dans son eflroi, à exposer son fils la : conscience. Il brûlait de plonger sa main dans
fille de Pharaon recueillit sur le fleuve le le sang paternel ; et son père néanmoins re-
berceau abandonné trouva l'enfant, l'éleva
,
;
commandait à ses soldats de l'épargner. Que
et Moïse, parvenu à Và^^e dhonune extermina dis-je? 11 était si exempt de vaine gloire, qu'il
tous ses persécuteurs. — En cela éclate surtout alla jus(|u'à pleurer sa mort. Et pour vous faire
l'industrieuse saj,^esse de la Providence : voyez bien entendre que les hommes ne furent pour
quel avertissement pour méchants, quelle
les rien dans cette exécution, et que la sentence
joie pour ceux qu'ils menaçiient. Quelque— était toute divine, des cheveux du bois ser-
et

chose de pareil arriva aussi à l'admirable virent de chaînes i)our le coupable, un animal
Joseph. Ses frères qui l'avaient précipité dans le livra; sa chevelure tint lieu de cordes, larbre
la servitude eurent le sort que l'on connaît ;
de poteau, la nmle fut le soldat qui le conduisit
quant à lui, loin de causer son malheur, ils au supplice. Et voyez(iuelle singularité. Aucun
lui rendirent service : c'est à eux qu eclmt le des siens en le voyant dans cet état, n'euH'idée
rôle lugid)re dans cette tragédie. Je pourrais de s'a|iprocher de lui, de le délivrer, bien que
citerbeaucoup d'exem[)les pareils mais je : le tem|)s ne manquât pas pour cela. Dieu —
passe àun nouvel ordre de considérations. l'avait voulu ainsi, pour qu'il ne fût ni tiré de

Un homme a usurpé le bien d'autrui ? c'est là, ni conduit enchaîné au|)rès de son père,

sa propre ruine qu'il a causée. Quant à celui attendu que ce cœur paternel montrait une
qu'il a dépouillé,souvent il lui rend seivice, indulgence excessive. Et ce tpi'il y a de plus
au détriment de sa propre ânie, dont il trahit que le meurtrier d'Absalon fut
él"unaiit, c'est
les intérêts. Un homme a commis une injus- l'hounne (jui l'avaitTéconeilié a\ec son père ;

tice ? C'est un glaive qu'il s'est enfoncé dans le il jouait là, pour ainsi dire, le rôle d'un im-
sein. — Le plus grand préjudice, ce n'est point placable accusateur nia's il ne fitquefrappefj
:

de subir un préjudice, c'est de le causer. Aussi et c'est Dieu qui pronoi^'a l'arrêt.
Paul recommandait-il de subir plutôt l'injus- 13. Que c'était, de fait, un jugement d'en-
tice, et de ne point s'en rendre coupable et le ; haut, David même nous en instruit: car après
Christ, de recevoir les soufflets et de n'en pas avoir dit « Son injustice retombera sur sa
:

donner, de présenter au contraire sa joue à tête, il ajoute


)) «Je rendrai hommage au Sei-
:

l'outrage. C'est le propre de la vraie force, « gneur, suivant sa justice : et je célébrerai le

c'est ce qui fait la patience, ce qui fortifie l'âme, « nom du Seigiuur Très-Haut. » (18.) Rendons
ce qui la rend sufiérieure aux passions. Celui grâces, dit nonqu'iise réjouisse de l'exécu-
il,

qui fait tort au prochain, en le fnippant, en tion de l'arrêt: mais il s'incline devant le juge-
l'injuriant, a commencé par être victime et ment du Seigneur. El cpn pourrait rendre
captif de sa passion, avant de causer à autrui gràcesau Seigneur suivant sa justice? Qui pour-
ce dommage iipparent; le pire sort est le sien, rait le louer à proportion de ce qu'il est?
esclave qu'd est du plus dur des maîtres. « La Personne. Que signifie « Sui>ant sa justice? »
« peine retournera sur sa personne ; et son Entendez, à cause de sa justice. « El je chanterai
« injustice retombera sur sa tète. » (17.) — Ces « les tou.ngesduSeigurur lout-puissanl. » En
mots encore sont entendus soit d'AcUilophel, effet la victoire est la sieime, les trophées sont
576 TRADU'^TION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

pour lui, non pour moi. De même qu'à la Mais comment n avait-il pas réfléchi que,'
guerre, quand le roi a rempo: té la victoire, même victorieux, il serait le plus malheureux
on forme des chœurs à sa louaiv^t, on lui re- des hommes, souillé d'un pareil crime et dés-
du succès voilà quelle
porte toute la gloire : honoré par son propre trophée?
sera ma conduite, veut-il dire. Aussi ne dit-il 16. Où sont maintenant ceux qui gémissent
pas je rends
: hommage, mais «je rendrai hom- de leur pauvreté? quelle pauvreté n'est pas
« mage , » voulant montrer que le succès plus douce que de tels maux? quelle maladie?
même ne le rend ni oublieux, ni négligent, quelle souffrance ? David ne se dit rien de pa-

mais qu'il reste vigilant et sage; ce n'est pas reil à lui-même il ne se décourage point, il
;

que Dieu ait besoin de tels hommages, mais ne se lamente point. Me voilà bien récompensé,
ils sont utiles et profitables à nous-mêmes. aurait-il pu dire, moi qui jour et nuit m'oc-
S'il recevait des sacrifices, bien qu'il n'en eût cupe d'observer la loi de Dieu, moi qui, en
aucun besoin (si j'ai faim, est-il écrit, je ne dépit de mon rang, suis tombé au niveau du
vous le dirai pas. Vs. xlix, 12), afin d'engager dernier des hommes moi qui, miséricordieux :

les hommes à l'honorer, c'est de la même envers mes ennemis, me suis vu livrer aux
façon qu'il accueille les hymnes, non qu'il ait mains d'un enfant rebelle. Il ne dit, ne pensa
besoin de nos bénédictions, mais parce qu'il rien de semblable : il supporta tout avec rési-
désire notre salut. Car Dieu ne tient à nulle gnation, consolé dans ses épreuves par cette
chose plus (ju'à nos progrès dans la vertu. seule pensée que Dieu n'ignorait rien de ce
Mais il n'est rien de plus propre à nous avan- qui se passait. Les trois enfants disaient: a Si-

cer dans celte voie, qu'un commerce assidu 8 non, sache bien, que nous ne servons pas
roi,

avec Dieu, que des actions de grâces, des hom- tes dieux, et que nous n'adorons pas la statue
mages journaliers. Le Psalmiste loue Dieu « d'or que tu as érigée. » Et si quelqu'un leur
dans l'admiration que lui cause la justice et la avait demandé Et dans quelle espérance
: af-
longanimité divines. Et où voyez-vous, dira- frontez-vous le trépas ? qu'altendez-vous, qu'es-
t-on, cette longanimité, quand l'usurpateur a pérez-vous après la mort, a{)rès le bûcher?
péri? Elle est grande et merveilleuse. Dieu a (en effet, l'attente de la résurrection n'existait
longtemps ménagé Absalon afin qu'il se repen- pas encore) ils lui auraient répondu Voilà la :

tît; il a permis qu'il lùtmaîliedu palais royal, rémunération suprême c'est de mourir pour :

afin qu'à la vue de cette maison où il avait Dieu. De même David ne jugeait aucune con-
grandi, oiî il avait été élevé, il éprouvât des solation supérieure à cette pensée, que Dieu
remords. S'il n'avait pas été une brute, si son sachant ces choses ne les empêchait pas. Un
cœur n'eût été de pierre, tout cela était bien amant braverait mille morts pour sa bien-aimée:
propre à le ramener; cette table où il s'asseyait et pourtant, qu'espérer d'elle après la mort ?
à côté de son père, cette maison, ces lieux de Ainsi nous devons, sans penser au royaume
réunion, où la parole avait obtemi sa rentrée des cieiix ni à aucun des biens qui nous
,

en grâce après le meurtre affreux qu'il avait sont promis, tout soulfrir pour le seul amour
commis; bien d'autres choses encore auraient de Dieu. Il y a pourtant des hommes si tièdes,
dû l'émouvoir. Il savait que son père errait si insensibles, que l'apiKit même des récom-

comme un vagabond et un fugitif, en proie à penses ne peut les gagner à la vertu. Dieu pro-
d'extrêmes souffrances. Que si c'était trop peu met le royaume, et n'est pas écouté le diable ;

pour le toucher, rexem[)le, la triste fin d'A- ouvre l'enfer, et il se fait aimer. Quelle hor-
chitophel auraient dû éclairer son aveugle- rible démence? Et pourquoi parler de l'enfer?
ment; tout lui conseillait le repentir, car il Dès ce monde et avant l'enfer il procure
, ,

n'ignorait pas le sort de t-on ami. Et qu'avait- soulTrance, honte, risée, mille tortures, et
ild'ailleurs à reprocher à son père? De l'avoir il attire une foule empressée. Consi-
à lui
banni de sa vue? il aurait dû plutôt latlmirer, dérez l'adultère voyez s'il est un homme
;

lui savoir gré d'avoir traité si (Ittucenient un plus malheureux que lui il n'est pas encore :

fratricide. Il n'avait aucun reproche à lui dans l'enfer mais déjà il est en proie à des
:

iaire; c'est lui-même qui, saisi d'une convoi- soupçons continuels, les ombre.- l'épouvantent;
tise prématurée alors que son père était
, il n'ose regarder personne ei, face; il craint
vieux, que l'esiiérance lui souriait de près, tout le monde ceux »iui savent son crime,
,

n'avait pu se résigner à une attente aussi courte. connue ceux ijui l'iguorcnl; il ne voit partout
COMMENTAIRL SUR LE ^SXVME VII. 577

que plaivcs aipniscs, morts suspendues sur sa lorsqu'il arrive à la vieillesse : car alors ses
tête,bourreaux, juges assemblés. Que trou- jouissances, loin de toucher à leur terme, sont
vez-vous de pareil cliez l'homme chaste, fùl-il plutôt dans leur fleur. Pour les adultères, les
en butte à mille épreuves? n'est-il pas toujours libertins, les avares, les gourmands, la vieil-

content, tandis (jue l'autre est toujours dans la lesse est la fin des jouissances : c'est un redou-
douleur, dans les ténèbres? Voyez encore les blement de jouissances pour les amis de la

esclaves de la colère, et ceux qui savent en vertu. Ainsi donc, sans aller jusqu'à l'enfer et
triompher les ravisseurs, et ceux (|ui donnent
; aux tourments dont il nous menace, il y a ici-
ou plutôt répandent leurs biens en vue de bas déjà de quoi remuer fortement le cœur.
Dieu. Les uns sont dans un port tran(|uille, Plein de ces pensées, fuyons le vice, attachons-
les autres sont jetéssur l'orageux détroit de nous à la vertu, aimons Dieu, non pour ce qui
la misère humaine, y sont ballottés chaque est à lui, mais pour lui-même. Ainsi nous sui-
jour. En outre, quand l'avare voit que sa vie vrons ici-bas ce chemin de la vertu, qui est
touche à son terme, et (jue sa passion va s'é- naturellement étroit, mais qu'il dépend des
teindre avant d'avoir été satisfaite, quand déjà voyageurs d'élargir à leur volonté. Puissions-
la mort suspendue au-dessus de sa tête,
est nous tous en atteindre le sommet, par la grâce
voyez quels tourments il endure. Il n'en est et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à
pas ainsi de l'homme vertueux au contraire, : qui gloire dans les siècles des siècles Ainsi I

il n'est jamais si content, si heureux, que soit-il.

1. (."n. Tome V. 37
578 llUDUCTiON FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOMJE.

EXPLICATION DU PSAUME VIII.

POUR LA POUR LES PRESSOIRS.


FIN, SDIVANT UN AUTRE —
CHANT TRIOMPHAL AU SUJET DES PRES- :

SOIRS. — SUIVANT
UN AUTRE A L'aUTEUR DE LA VICTOIRE, AU SUJET DE GETTHITIS.
:
DANS LB —
TEXTE HÉBREU LAMANASSÉ, AL HAGETTHITH.
:

«SEIGNEUR, NOTRE SEIGNEUR, QUE VOTRE NOM EST ADMIRABLE SDR TOUTE LA TERRE I » — SDIVANT
VK ADTRB : QUELLE GRANDE CHOSE QUE VOTRE NOAI 1

AIALYSE.

i. Erreur des Anoméens. — Erreur des Juifs.


2. Miracle des enfants doués subitement de la parole : sa nouveauté, son importance.
3.-4.-:"). Mallieurs des Juifs, conpéiiuiMice du crucilioment. — Que leur dispersion de Jésus-Christ. — Que
atteste la divinité [Heu
ne les a point dispiTsés pour iju'ils répandissent leur religion dans tout l'univers, mais afin de les punir.
6. Que tout le monde sensible est fait en vue de l'homme. — Bienfaisance de Dieu notre à ét:ard.
7. Gloire de l'homme, encore iiii'^menlée malgré péché
le pourquoi son empire sur
: animaux diminué. les a été
8. Eu quoi consiste cette diminution. — A quoi servent bètes féroces. — Erreur de Paul de Samosale.
les

9. Egalité du Père et du Fils : qu'il n'y a entre eux qu'une distinction de personne.

4. Dans le psaiiine précédent David disait : démon ici, où le chœur est composé d'hom-
:

a Je rendrai lidnimage an Seiu'neur selon sa mes rehgieux où le chef du chœur est un


,

justice, et je cclébnM'ai le nom du Seijjneiir Prophète, où la mélodie , loin d'être suggérée


« Trcs-llaut ; » iti il remplit sa promesse, il lui par Satan est inspirée par lEsprit-Saint, où le

chante un hymne. Dans l'antre psaume il parle chant enfin n'est point adressé à un démon,
au sinj^ulier « Seigneur mon Dieu, c'esl en
: mais à Dieu comment ne serait-ce pas un
:

vous que j'ai espéré sanvez-moi. » Ici il , , devoir de rester parfaitement tranquille, et
emploie le pluriel. «Seigneur, notre Seigneur, d'écouter avec une crainte religieuse? Les
« que votre nom est admirable! » Mais faites puissants d'en-haut figurent avec nous dans
eilencc, et iirèlez une oreille attentive. Si dans ce concert. Les chœurs célestes, les chérubins,
un théâtre où retentissent des chants sata- les séraphins n'ont pas d'autre occupation
iii(jues on garde un calme si profond, pour
, que la nôtre ils louent Dieu perpétuellement.
:

ne rien perdre de ces pernicieuses mélodies ;


La terre en a vu quelques-uns descendre ici-
et cela, (juand le chœiw est composé de mimes, cas pour associer louis voix à celles de simples
de danseurs et dirigé par un nmsicien pro-
, pasteurs. Prêtons donc l'oreille à ce nouveau
fane, quand la musique est œuvre de Satan et chant. Ceux qui célèbrent un des monarques
principe de |>erdition , cpiand les chanls s'a- de la terre, lui parliM't de sa puissance, de ses
drcsseui à quch^ue odieux et abominable trophées , de sa victoire ; ils comptent les
COMMENTAIRE SUR LE PSAUME VIII. B79

peuples vaincus : ils appellent leurs héros ser à la vérité? Volontiers je leur demanderais
destructeurs de villes, vain(|ueurs des barbares, de qui il dans ce passage. Du sou-
est (jucstion
que sais-je encore? C'est un hymne pareil (jue verain Maître, répondront-ils, mais son nom
chante notre bienheureux. Il parle d'une vic- n'était pas admirable sur toute la terre. Et
toire, d'un trophée, de guerres terminées, c'est ce dont témoigne Isaïe en disant : « A
guerres d'un genre bien plus terrible. Et voyez « cause de vous mon nom est blasj hémé
comment il débute : «Seigneur, notre Sei- a parmi les nations. » (Isaïe lu , 5.) Mais si ,

« gneur. » De ceux qui ne croient pas en lui il ceux (|ui l'honoraient donnaient lieu à d'au-
n'est le Seigneur (jue d'une façon mais : il est tres de le blasphémer, où donc était-il admi-
doublement le nôtre et parce qu'il nous a ;
rable ? Qu'il est admirable en vertu de sa
tirés du néant et parce que nous le recon-
, nature cela est clair
, mais aux yeux des :

naissons pour ce qu'il est. Considérez aussi hommes d'alors, de la plupart au moins, loin
comment tout d'abord David rappelle en un d'être admirable, il était un objet de mépris.
mot la bienfaisance de Dieu à notre égard. Il n'en est plus de même aujourd'hui. Lors-

Rappelez-vous comment Dieu est devenu voire qu'à paru le Fils unique, son nom est devenu

Seigneur; songez que des hommes séparés de admirable en tous lieux avec le Christ. « Du
lui, et morts ,
pour ainsi dire , ont été recon- « lever du soleil à son couchant, » est-il écrit,

quis par sa grâce et ressuscites ; et alors vous « mon nom a été glorifié parmi les nations. »
comprendrez comment ce mot rappelle à lui (Malach. i, 11.) Et ailleurs : « En tous lieux on
seul la bientaisrmce divine. « offre à mon nom de l'encens et un sacrifice
Dans l'étonnemenl que lui cause cette mer- « pur. Mais vous, vous le profanez. » (Ib. 12.)

veille, le Pro{)hète s'écrie : « Que votre nom Un autre dit : « Toute la terre a été rempile
« est admirable » Il veut dire votre nom est ! « deconnaissance du Seigneur. » (Isaïe,
la xi, 0.)

tout à fait admirable. Dans quelle mesure il Et encore « Ils viendront disant Nos
: : jières

est admirable, il ne l'a pas dit il ne s'agit : « ont eu de fausses idoles. » (Jér. xvi, 10.)
point ici de marquer une mesure, mais d'in- 2. Voyez-vous que tout cela est dit ausujetdu
diquer une grandeur qui dépasse i imagina- Fils? Car c'est son nom, à lui, qui est devenu
tion. Que dire maintenant de ceux qui pré- admirable sur toute la terre, « Parce que votre
tendent scruter l'essence divine? Si le nom magnificence a été élevée au-dessus des cieux. »
seul de Dieu cause au Prophète un tel élon- Un autre dit : « Vous qui avez placé votre
nement ,
qu'il demeure interdit, comment « louange au-dessus des cieux. » Il a parlé de
excuser ceux qui se vantent de connaître son la terre il passe maintenant au
: ciel, fidèle à sa
essence ? le Prophète ne peut comprendre à coutume, de montrer que tout l'univers bénit
quel point ce nom est admirable « Que votre : son Maître. C'est ainsi qu'en cet endroit il

«nom est admirable! » Parceseul nom, en représente Dieu admirable là-haut, comme
effet, la mort fut vaincue, les démons furent admirable ici-bas. En effet, ce ne sont pas
enchaînés , rendus accessibles les
les cieux , seulement les hommes, ce sont les anges en-
portes du paradis ouvertes; l'Esprit fut envoyé core qui célèbrent les choses accomplies, et
ici-bas, devinrent libres, les en-
les esclaves rendent grâces pour les bienfaits octroyés aux
nemis furent des fils; les étrangers, des héri- hommes : ce qu'ilsont fait tout d'abord, (juand
tiers ; les hommes des anges. Des anges, ai-je ils se formaient en chœur sur la terre. H veut
dit? Dieu est devenu homme, l'homme est
et donc ou faire entendre cela même que les anges
devenu Dieu ; le ciel accueillit une espèce aussi chantent le Seigneur, ou représenter la
terrestre; la terre reçut Celui qui siège au- grandeur de Dieu. En effet, quand TEcrilure
dessus des chérubins avec l'armée des anges. veut exprimer la grandeur, elle rapproche ces
La cloison fut enlevée, la barrière abattue, les deux éléments par exemple, quand elle dit :
:

choses divisées se réunirent, les ténèbres fu- Comme le ciel est élevé par rapport à la
rent supprimées, la lumière brilla, la mort « terre. » Et encore : « Autant que le levant est
fut engloutie. —
Ce sont toutes ces pensées « éloigné du couchant, il a écarté de nous nos
et d'autres encore qui arrachent au Prophète « iniquités. » (Ps.cn, 11, 12.) Ici doncil admire ce
ce cri : « Que votre nom est admirable sur qui s'est passé; tant de grandeur, de sublimité
« toute la terre » Que penserons-nous main-
! l'étonné : ce qu'il y avait de plus humble devient
tenant des enfants des Juifs qui osent se refu- ce qu'il y a de plus élevé. « Vous a^ iz foi lué dau3
S80 TRADUCTION FRANCLilSE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

«la bouche des enfants et de ceux qui sont encore a encore à la mamelle, » dit-il, ceux qui ne

«à mamelle une louange parfaite. » (3.) Un


la goûtent pas encore aux aliments solides. Aussi,
autre dit « Vous vous êtes servi de la bouche
: ce qu'il y a d'étonnant, ce n'est pas seulement
« des enfants pour fonder votre puissance. » Un qu'ils aient parlé et d'une voix distincte, c'est
autre pour constituer votre pouvoir. » Le
: « encore que leurs paroles aient été toutes char-
sens est Vous avez déployé votre puissance en
: gées de bénédictions. Ce que ne savaient pas
cela surtout, que vous avez donné des forces à encore les apôtres, ces eiifants le chantaient.
la faiblesse, et délié pour l'hymne de gloire des Une autre conclusion qui ressort de là, c'est

langues balbutiantes. Il prédit par là le cantique que les hommes qui s'approchent des dogmes
des enfants dans le temple. Et pourquoi donc doivent devenir enfants par le cœur. « Si l'on

omettre tant d'autres prodiges, résurrections, « ne reçoit pas le royaume des cieux dans les
guérisons de lépreux, expulsion de démons, « dispositions d'un enfant, on ne pourra pas y
pour faire mention de ce prodige accompli « péné'rer. » (Matth. xviii, 3.)
chez les enfants? Parce que les premiers de ces « A cause de vos ennemis. » Il indique après
prodiges avaient eu des précédents analogues, cela la raison de ce miracle : Les autres n'arri-
sinon semblables, et d'une certaine conformité, vèrent point à « cause des ennemis, » mais

siHon vraiment pareils. Un mort se réveilla à afin de rendre service à ceux qui les verraient,
la voix d'Elisée, un lépreux fut guéri, un dé- et d'instruire le reste des hommes par leur
mon chassé grâce à David, lors de la possession entremise. Mais ce ne fut point la seule raison
de Saûl : Mais alors pour la première fois on de ce nouveau miracle il eut encore pour but ;

ouit parler des enfants à la mamelle. Et afin de fermer la bouche aux ennemis, à ces enne-
que les Juifs n'aient pas l'impudence de pré- mis qu'un autre désigne plus distinctement par
tendre qu'il s'agit en cet endroit de faits con- ces mots : « A cause de ceux qui vous enchaî-
ff-».^^nrains de l'Ancien Testament, il a fait « nent. » Ce sont eux, en effet, qui le lièrent,

CAL. an miracle jusqu'alors inouï. D'ailleurs


• quand on le conduisit à la croix. « Pour dé-
cet événement était ime image qui figurait les « truire l'ennemi et celui qui veut se venger. »
apôtres car eux aussi, bien qu'incapables de
: Un autre dit : « Pour arrêter l'ennemi et celui

parler et plus muets que des poissons, finirent « qui se venge, » désignant par là le peuple
par prendre tout l'univers dans leurs filets. juif. En effet, les Juifs persécutaient le Christ
Aliiis la preuve que la puissance de Dieu éclate comme un ennemi, et ils feignaient d'agir
surtout en cela, dans l'Ancien Testa-
la voici ainsi pour venger le Père. Voulant leur fermer
ment même Voyez ce que le prophète dit du
: ce refuge, il dit : « Celui qui me hait, hait
Père lui-même. Dieu dit, parlant à Moïse : « aussi mon
Père (Jean, xv, 23),» et encore :

« Qui a fait le muet et le sourd, le clairvoyant « Celui qui croit en moi, croit en Celui qui
«et l'aveugle?» (Exod. jv, 11.) Et encore: « m'a envoyé. » (Ib. xu, 44.) Associant là-haut
« Donnant des langues déliées à ceux qui par- et ici-bas son Père à ses honneurs et à ses af-
a lent difficilement.» (Isaïe,xxv, 6.) Etailleurs: fronts. Et voyez l'exactitude du prophète. II ne
« Dieu me donne la langue d'instruction, afin dit pas pour détruire, »
pour punir, mais «

que je sache quand il convient de parler. » ce qu'un autre rend par ces mots a pour arrè-

(Ib. L, 4.) Il dit encore au commencement « Ve- : « ter, » c'est-à-dire pour réprimer leur impu-
« nez, dcscendonset confondons leurs langues.» dence, non pour les instruire car leur mala- :

(Gen. XI, 7.) Voilà une forte et solide preuve. die était incurable. A la vue d'un tel miracle,
Les autres pouvaient laisser encore, sinon ne trouvant plus rien à dire, ils se tournaient
quelque raison, du moins certain prétexte de vers lui disant : « N'entendez-vous pas ce que
douter, à la mauvaise foi ici, rien de pareil : : «disent ceux-ci?» (Matth. xxi, IG.) Au lieu
c'est la nature qui, de son |)ropre niouvenienf, d'adorer, d'ailmirer, ils étaient dans une
entre en contradicUou avec elle-mèiue. Voilà grande perplexité, et au lieu de redire outre
pourquoi l'écrivain sacré ne se borne pas à eux N'entendez-vous pas ce que disent ces
:

désigner les enfants par un mot (pii pourrait hommes? C'est au Christ qu'ils le disaient. El

s'appli(}uer aussi aux esprits simples ou aux pourquoi la voix des anges ne se fit-elle pas
innocents, et ajoute : a Et ceux(|ui sont encore entendre plus tôt? Parce que les Juifs auraient
« à la mamelle, » caractérisant l'enfance par cru être du|>es «l'une illusion, tmdis qu'a cet
la façon dont on la nourrit, a Ceux (jui sont autre miracle ils ne pouvaient rien objecter.
COMMENTAIRE SUR LE PSAUME VIII. r.8i

Cependant que disaient ces petits enfants ? pas ,


proscrits, fugitifs, asservis aux lois des
Rien i|ni \nd leur èlre imporlun ou prniblo, Romains, vous parcourez la terre et les mers,
rien qui dût los cluniuer mais ce (ju'il y avait ; errants, sans patrie, sans maisons, esclaves,
de plus propre à attester l'accord du Fils et du déchus de la liberté, du sacerdoce, de toutes
Père. « Réni soit, » disaient-ils, « celui qui vos prérogatives passées, dispersés au milieu
a vient au nom du Seigneur. » (MalUi. xxi, 0.) des barbares et d'une (juantité de peuples di-
3. Alors il confondit leur impudence ;
plus vers, haïs, abhorrés de tous les hommes et
tard, il détruisit leur ville, et il n'est pas une exposés de toutes parts à toutes les injures.
région de l'univers où les Juifs u'aieut porté Ah ! certes, vous êtes bien mal récompensés,
leur infortune. De même qu'un homme mu- d'avoir livré à la mort un ennemi de Dieu.
tilé court en tous lieux , étalant ses blessures; vSottise et folie ! Votre sort n'est i)as celui des
de même que juges lorsqu'ils ont puni de
les hommes qui font périr les ennemis de Dieu ;

mort plusieurs meurtriers; empalent un d'en- c'est celui des assassins qui égorgent ses amis.
tre eux comme si ce dernier supi)lice inlligé à Mais, diront-ils,mon ami, nous ne disons pas
un cadavre était propre a corriger les vivants : cela, c'estpour nos péchés que nous sommes
ainsi Dieu fit des Juifs , non morts, mais vi- frappés ainsi. Vous en convenez donc, têtes in-
vants, un exemjde, en les dispersant. Et ceux dociles? VA quels sont ces péchés, dis-moi?
qui habitaient autrefois un même pays^ sont au- Est-ce donc la première fois que vous péchez ?
jourd'hui disséminés par toute la terre. Que si Pourtant aujourd'hui vous êtes devenus plus sa-
vous en cherchez la raison, vous n'en trouverez ges. Mais laissons ce point: voici ce que je veux
point d'autre que le crucifiement du Christ. vous demander à présent : Pourquoi précé-
En effet, pour quel motif n'eurent-ils point le demment toutes les fois que vous péchiez, ob-
même sort que précédemment ? Précédem- teniez-vous de Dieu miséricorde et n'obtenez-
ment ils furent déportés dans une région uni- vous plus la même grâce aujourd'hui, aujour-
que, et pour quelques années seulement cette : que vos fautes sont moins graves?
d'hui, dis-je,
fois il n'en est pas de même leur châtiment : Alors vous vous faisiez initier au culte de BeJ-
n'aura pas de fin. Demandez-leur maintenant phégor, vous vous prosterniez devant le veau
pourquoi ils ont crucifié le Christ ? Ils vous d'or, vous égorgiez vos fils, vous massacriez
diront parce que c'était un imposteur. S'il en vos filles, et cela, quand les avertissements

était ainsi, ils auraient dû être comblés d'hon- d'en-haut ne vous manquaient pas et aujour- ;

neurs et entrer en possession d'une plus vaste d'hui que vous ne voyez ni la mer s'entr'ouvrir,
contrée car ils auraient fait une chose agréa-
: ni les rochers se fendre, ni les prophètes vous
ble cà Dieu. En effet, celui qui fait justice d'un visiter, aujourd'hui que vous n'êtes plus l'objet
imposteur, fait justice d'un ennemi de Dieu, de la sollicitude constante de la Providence,
et mérite d'être honoré en récompense de son vous montrez néanmoins plus de sagesse.
action... Phinéès, pour avoir seulement fait Comment se fait-il donc que vos péchés étant
périr une prostituée fut honoré par le Sei- moindres et votre vertu plus grande, votre pu-
gneur, au point d'être jugé digne du sacerdoce: nition, votre châtiment redoublent de sévé-
et vous, bien plus dignes que lui d'être hono- rité? N'cst-il pas sensible pour les hommes les
rés, si, en effet, vous avez fait périr un impos- moins intelligents qu'au contraire votre faute
teur, vous errez en tout lieu comme des vaga- est plus grave aujourd'hui? Tant que vous
bonds sans patrie ? Si vous avez subi un pareil vous êtes bornés à pécher contre les ser-
sort, c'est que vous avez crucifié un maître, viteurs, à tuer, à lapider les prophètes, vous
un bienfaiteur, un précepteur de vérité. Si avez obtenu l'indulgence ; mais du jour où
Jésus était un imposteur, un ennemi de Dieu, vous avez porté les mains sur le Maître, votre
un faux Dieu, convoitant les honneurs du plaie est devenue incurable. Aussi , quatre
Dieu véritable, vous devriez être rémunérés cents ans se sont écoulés depuis que l'empla-
mieux que Phinéès, que Samuel, et tant d'au- cement même de votre ville a disparu avec le
tres, pour avoir déployé un si grand zèle dans sacerdoce, la royauté, depuis la confusion de
l'intérêt de la loi. Et voici que vous êtes plus vos tribus, depuis que tous vos titres de gloire
sévèrement traités aujourd'hui que dans le sont effacés, au point de ne pas laisser un ves-
temps où vous étiez idolâtres, impies, où vous tige; ce que l'on n'avait jamais vu. Au com-
égorgiez des enfants ; vos épreuves ne finissent mencement même après la ruine du temple.
582 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

les prophètes, les dons de l'Esprit demeuraient que durant tout ce temps, le
se fait-il donc,

parmi vous avec les miracles. Aujourd'hui Seigneur ait supporté vos fautes, et qu'il vous
afin que vous compreniez bien que Dieu s'est rejette aujourd hui, aujourd'hui que le mo-

détourné de vous pour jamais ces choses ,


ment venu de vous couronner, quel
serait

mêmes ont disparu pour faire place à l'escla- qu'ait pu être jusqu'ici le nombre de vos
vage, à la captivité, à une déchéance com- crimes? Jamais vous n'avez rien pu faire de
plète, et ce qu'il y a de pis, à l'abandon de plus méritoire que d'immuler un imposteur.
Dieu. De plus, vous paraissez aujourd'hui observer
A. Dieu a fait comme un maître, qui, après fidèlement le sabbat, vous n'adorez plus les
avoir fouetté maintes son esclave sans le
fois idoles, vous vous piquez d'ob<erver toutes les

corriger, le dépouille de ses vêtements et l'a- loi. Et c'est quand votre vie
prescriptions de la
bandonne à lui-même, nu, vagabond, dénué quand vous avez fait de plus la
est plus pure,

de tout, mendiant, partout proscrit. Tel n'était bonne œuvre que vous dites, c'est alors que
pas auparavant votre sort, vous aviez des pro- vous êtes en butte à toutes les infortunes!
phètes jusqu'en Egypte, jusque dans Daby- Quelle pire folie, quelle plus abominable dé-
lone et dans le désert; en Egypte, Moïse; à mence que celle qui vous porte à blasphémer
Babylone, Daniel et Ezéchiel ; en Egypte en- Dieu pour vous justifier? Si voire conduite vis-
core, Jérémie. Les miracles succédaient aux à-vis du Chrii-t était un titre pour vous, loin
miracles et la gloire de votre nation s'augmen- d'être un pécbé plus détestable que tous les

tait ; les vôtres , en captivité , étaient plus autres, pourquoi cette sévérité à l'égard des
grands que des rois. Mais tout cela est passé, justes, cetteindulgence pour les pécheurs? Un
ilne reste qu'un châtiment pire que les précé- homme quelque peu intelligent, Dieu à plus
dents, non-seulement par sa durée, mais en- forte raison, ne consentirait jamais à se con-
core par l'abandon complet où vous êtes lais- duire de la sorte. Mais que répondent-ils à
sés. Pourquoi donc, dites-moi, étiez-vous si fa- cela? Nous avons été dispersés, pour devenir
vorisés de la Providence lorsque vous étiez plus les instituteurs de l'univers. Niaiserie, sottise,
coupables, et êtes-vous plus sévèrement châ- que celte réponse. Avant de devenir le maître
tiés, aujourd'hui que vous avez déployé, s'il des autres, il faut commencer par se bien con-
faut vous en pour la loi? En
croire, votre zèle duire soi-même; c'est alors seulement qu'on
prétendant cela, vousaccusez Dieu d'injustice; peut être chargé d'une telle mission et tel fut ;

vous le représentez honorant les coupables et le casdes prophètes, des apùlres. Mais les juifs
humiliant les hommes vertueux. Si vous avez égarés eux-mêmes et chargés de toutes les ini-

fait une bonne action comme vous le préten- quités, conunent auraient-ils pu être chargés
dez, si votre victime n'était qu'un imposteur. d'enseigner? Considérons donc quelle était
Dieu qui est juste aurait dû vous récompenser leur vie, dès avant cette époque. Nous verrous
et non vous punir s'il vous punit, il est clair
; qu'ils étaient plus farouches que des bêtes

que vous êtes plus coupables ijue jamais. Mais fauves. Ce n'étaient que parricides, infanti-
si vous n'êtes plus impies comme autrefois, si cides, idolâtres, ravisseurs du bien d'autrui ;

vous n'égorgez plus d'enfants, quelle est donc les prophéties l'attestent en maint endroit. Jé-

cette faute pire que vous expiez par un pire rémie disait |»our faire voii votre luxure :

châtiment? N'est-il |)as évident que le crucilie- « llb sont devenus comme des chevaux ardents

ment est comme le couronnement de vos cri- « pour les femelles; chacun hennit eu voyant

mes? Voilà ce qui vous a perdus plus que l'i- « la femme du prochain. » (Jer. v, 8.) Quelle

dolâtrie, que l'érection ihi veau dor, que les abiiuiinable im[)uretél Ce n'étaient plus des
égorgements d'enfants. Car ce n'est j)as la honuues, ces êtres qui s'accouplaient avec les
même chose d'égorger son enfant ou de cruci- femmes d'autrui ; aussi nomme-t-il leur fu-
fier son maître. Aussi, lorsque vous immoliez reur hennissement. Ce n'est pas seulement la
vos fils, Dieu vous a été clément, mais du jour fornication, c'est encore l'adiiltère qu'il leur
où vous avez fait périr le Fils de Dieu, votre reproche , et une promiscuité comparable à
maître, votre crime a été irrémissible. celle des brutes. Un autre prophète dit : « Le
Combien d'années s'esl-il écoulé depuis la « père et le fils se sont approchés de la même
venue du Christ?
sortie (ri*>gyple jusqu'à la « leuune. » (Amos, ii, 7.) Est-œ donc jwur
Environ quinze ceutâauuécsetplus. Commeut cela, dis-moi, que Dieu vous a insliliiés nos
COMMENTAIRE SUR LE PSAUME Mil. R83

maîlios, pour nous enseijfner la fornication, vous entendrez les mêmes paroles assidûment
r.'idnllère, l'inceste? Et Ezéchiel : «Vous n'avez redites. David faisant allusion au futur juge-
« pas même ajii selon les lois des Gentils. » (v, 7.) ment, ou jilutùt au brigandage de Caïphc, dit
Eh(|noi!Ces hommes piresque les Gentils, que telle est la cause de votre perte. Après
Dieu les choisit pour ses envoyés? El leurs avoir dit : « Brisons leurs liens, et rejetons
homicides, qui pourrait en supporter l'idée 1 « leur joug loin de nous (Ps. ii, 3), » il ajoute:
Ils innnolaient aux démons leurs lils, leurs « Alors il leur parlera dans sa colère, et dans
filles, et les brûlaient. C'est ce que nous ap- ffson courroux il les troublera. » (Ibid. v, 5.)

prend David par ces mots : « Ils ont sacrilié Après ces mots : « Il fut conduit comme une
i< leurs lils aux démous. » (Ps.
et leurs tilles « brebis à l'innnolalion, » Isaïe poursuit en
cv, 37.) Est-ce pour cela (|ue Dieu lésa envoyés, ces termes : « Et je donnerai les méchants
pour (|ue le genre huniaiu apprît d'eux, qu'il « pour sa sépulture, et les riches pour sa
faut égorger ses fils et ses filles? Vous ne rou- « mort. » (Isaïe, lui, 9.) Et ailleurs, en parlant
gissez pas, vous ne vous voilez pas la face, de la vigne : « .l'ai attendu afin qu'il fît justice;
vous qui osez forger de |)areilles inventions? «mais il a fait iniquité et non justice, et a
Un autre dit « Ils mêlent le sang au sang
: : «poussé un cri. » (Ibid. v, 7.) Quel cri?
« malédiction, mensonge, vol, homicide, adui- «Crucifie, Crucifie. » (Luc, xxm, 21.) Et il

« tère , se sont répandus dans le monde. » ajoute : « A cause de cela je renverserai son
(Osée, IV, 2.) Un autre dit : « Tu t'es fait un « rempart, et il sera foulé aux pieds : et je re-
«front de prostituée; tu as dépouillé toute « commanderai aux nues, de ne pas verser sur
« pudeur aux yeux de tous. » (Jér. ni, 5.) Un « lui la pluie. » (Isaïe, v, 5-6.) La raison de
autre o Vos princes sont comme les loups de
:
votre dispersion n'est donc pas celle que vous
« l'Arabie. » (Ezéch. xxii, 27.) Un autre : « II mais bien le crime du crucifiement les
dites, :

« n'est personne qui comprenne, personne qui Prophètes le démontrent. Et, afin que vous

« cherche Dieu. » (Soph. m, 3.) « Tous sont compreniez la puissance du Christ, etque vous
« dévoyés, tous sont tombés à rien. » (Ps. xiii, vous instruisiez par vous-mêmes de ce que les
2, 3.) prophètes n'ont pas su vous persuader, consul-
5. Voilà donc ce que vous êtes venus ensei- tez le témoignage des faits. La puissance du
gner, l'impudeur, la démence, la fornication, Christ a opéré en vous-mêmes le miracle que
l'adultère, le meurtre, tous les genres de vice? n'avaient pas su faire les prescriptions de la
Vous voulez nous forcer encore d'étaler vos loi. Tant que vous avez eu la loi, vous avez

les yeux? C'est vous qui êtes


ciiiies, à tous tué, égorgé vos enfants, commis l'adultère :

« portés dans le sein, et instruits jusqu'à la mais du jour où le Soleil de la justice a brillé,
« vieillesse. » (Isaï, xlvi, 3.) C'est vous qui êtes l'empire du mal a diminué parmi vous-mêmes,
les aveugles, et qui vous jetez mutuellement et votre émulation vis-à-vis de nous vous a

dans un aveugle sert de guide à


la fosse. « Si rendus plus vertueux.
« un aveugle, tous deux tomberont dans la Si Dieu vous a dispersés, c'est pour vous faire
« fosse. » (Matth. xv, 14; Luc, vi, 39.) Vous mesurer la grandeur de l'empire qu'il a fondé
qui avez eu tant de prophètes sans jamais de- ici-bas ; s'il a ruiné votre temple, c'est pour vous
venir meilleurs, étiez-vous faits pour devenir arracher, en dépit de vous-mêmes, à l'iniquité.
les précepteurs d'autrui? Ne cesserez-vous pas El là où fut détruit le temple, là le Christ fut
de déraisonner ainsi, au lieu de convenir de enseveli, afin que, fuyant loin de son sépul-
votre perversité ? Voilà ce qui vous a toujours cre , vous pussiez voir le trophée élevé par
perdus : ne vouloir jamais remonter à l'ori- sa puissance, et la réalisation de la parole qui
gine de vos maux. Aussi pareil aux juges qui dit : « Il ne restera pas ici pierre sur pierre. »

font suivre ceux que l'on fouette par des (Matth. XXIV.) En effet, partout il a des tro-
crieurs chargés de proclamer leur crime, vol phées, partout des monuments de son pouvoir.
ou rapine à main armée Dieu vous a fait : Mais, si c'était un impie, un ennemi de Dieu,
constamment escorter par des prophètes qui comme vous le prétendez, quels qu'aient pu
vous révélaient la cause de vos châtiments. être vos excès à son égard, vous n'auriez pas
Encore aujourd'hui ils vous suivent par toute dû subir un pareil châtiment; sinon, ce n'é-
la terre dans votre esclavage, et vous répètent tait pas tout au moins le moment, car cela est
les mêmes cris. Entrez dans les synagogues : propre à faire croire que tel est le motif de
584 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

votre punition. N'avez- vous pas entendu Dieu durée des épreuves. Ainsi, Jérémie annonce
vous dire, lorsque vous étiez en captivité « Si : soixante-dix années, et Daniel, trois semaines
aj'ai-'is de la sorte, ce n'est pas à cause de et demi *; et il est écrit que la servitude en
« vous, c'est pour que mon nom ne soit pas Egypte durera 430 ans. Quant à la captivité

a profané ? » Cependant votre méchanceté actuelle, la durée, la fin n'en sont indiquées
était alors à son comble. Néanmoins Dieu vous nulle part, mais votre maison est déserte, et
dit Pour que les infidèles ne croient pas que
: chaque jour voit s'augmenter vos maux.
je suis faible, je néglige vos péchés et je vous 6. Réfléchissez bien en vous-mêmes à tout
conserve. Eh bien si dans ces circonstances,
1 cela , développez ce qui vient d'être dit :

il épargna les coupables, afin que son nom ne («Fournissez une occasion au Sage,» est-il

fût pas profané ; comment n'aurait-il pas fait la écrit, « et il sera plus sage. » (Prov. ix, 9.) Et
même chose dans le cas présent ? Quelques vous pourrez facilement convaincre les Juifs
crimes que vous eussiez pu commettre, vous d'impudence et d'ingratitude. « Parce que je
ne deviez point subir un pareil traitement, si « verrai les cieux, ouvrages de tes doigts. » (4.)

le Christ était vraiment un imposteur , un Un autre dit « Car je vois les cieux la lune
: ,

traitement propre à faire croire que vous étiez « et les astres que vous avez fondés. » Un autre

frappés à cause de lui. Loin de là, vous auriez interprète « que vous avez disposés
: » un ;

dû être sauvés, et, en tout cas, je le répète, le autre « que vous avez établis à leur place. »
:

moment était mal choisi. Mais, dans le fait, Après avoir dit que Dieu a détruit les enne-
ces deux choses sont arrivées en même temps. mis, il donne la preuve de cette glorieuse vic-
A peine la croix eut - elle paru les apô- , toire. Vous, le Crucifié, dit-il, vous, le con-

tres se mirent en campagne, et bientôt une damné à mort, vous êtes apparu comme le
guerre terrible vint menacer votre capitale : créateur de l'univers. De là ces mots « Je :

alors on vit se confirmer le mot des Evan- « verrai les cieux » par là il fait voir que si
:

giles : « Malheur aux femmes qui allaitent et précédemment cela était généralement ignoré,
« à celles qui sont enceintes (Mattli. xxiv, 19) » 1 tous le sauront désormais. Et pourquoi ne
et tant d'autres. Alors se réalisa la prédiction : passe-t-il pas en revue toutes les parties de
« En ce y aura une affliction telle
temps il l'univers? C'est qu'après avoir parlé des plus

« qu'on n'en a jamais vu. » (Luc, xxi, 23.) Des importants parmi les objets visibles, il n'avait
femmes mangèrent leurs enfants, les ennemis pas besoin de nous instruire au sujet des au-
éventrèrent des cadavres , l'incendie allumé tres.Ses ennemis ont donc été détruits si com-
par les barbares dévora tout , le sang coula à plètement que celui qu'ils persécutaient, celui
torrents, on vit des tragédies inouïes le mal- ; qu'ils avaient fait périr, s'est révélé comme le

heur des Juifs remplit lunivers. Instruits par créateur de toutes les choses sensibles. Et pour-
ces souvenirs, reconnaissez enfin votre Maître. quoi n'avoir pas dit de vos mains, mais de vos
Vous avez massacré des prophètes, avez-vous doigts ? C'est pour montrer que les objets visi-

été punis de la sorte? Vous avez ruiné des au- bles ne lui ont pas coûté de peine ; c'est aussi

tels, pareil malheur vous est-il arrivé? Vous faire allusion à celte merveille de la création,

avez adoré le veau d'or, vous vous êtes fait que ne tombent pas de la place où
les astres

initier au culte de Belphégor, vous avez mé- ils sont suspendus cependant il n'est pas dans
:

connu la nature, avez-vous eu à combattre de la nature des fondements d'être suspendus en


pareils ennemis? N'est-il pas vrai ([u'ingrats lair, mais de reposer en bas. Mais cet habile

parmi dont vous étiez comblés,


les bienfaits et merveilleux créateur a presque partout,
vous subsistiez néanmoins? D'où vous vien- dans ses ouvrages, franchi les limites de Tor-
nent donc aujourd'hui ces malheurs qui n'au- dre naturel. Et pourcjuoi ne dit-il rien des
ront pas de fin? N'cst-il pas clair qu'ils pro- puissances incorporelles, [>ourqnoi s'(Mi tient-il

viennent de ce (jue vous vous êtes attaqués au à cette preuve de l'industrie divine? Parce que
Maître et non plus aux serviteurs. Voilà pour- dans ce temps-là. Dieu ne voulait instruire les
(juoi vos maux ne finissent pas, ne finiront ja- honnnes que de ce cjui regarde les choses ap-
mais. S'ils devaient finir, les prophètes l'au- parentes. Voilà pourijuoi le Père, dans ses fn'*-
raient dit. Mais ils ont parlé de la captivité, et quents entretiens avec les Juifs, ne leur dit
jamais du retour, malgré leur coutume de pas C'est moi qui ai fait les anges et les clié-
:

mêler les biens aux peines et de marquer la ' Erreur impuUUle loit i l'or«t«ui, toit aux ccpUiM.
COMMENTAIRE SUR LE PSAUME VIII. >8r;

nibins. « C'est moi, » dit-il, « (iiii ai déployé du Christ, après tant d'horribles péchés. Le
a le ciel, c'est ma main qui a fondé la terre, Psalmiste montre (|ue la venue du Christ n'est
a ma droite qui l'a consolidée. » (Isaïe, xlviii, pas étrangère à la miséricorde, qu'elle est due
13.) ue parle jam;us que des choses visi-
Il à une su[)rrme bonté. Connue un hon méde-
bles, ne considérant en toute chose (jue le sa- cin, il a laissé ceux qui étaient en santé pour
lut de ceux qui l'écoutent. En efTet ces hommes venir à nous, êtres malades, créatures de
grossiers étaient plus sensibles à ce qui frappe néant. De là celle ex[)ression : « Qu'est-ce (|ue
la vue qu'à ces choses qu'elle ne peut atlcindre. « l'homme? a En d'autres termes l'homme n'est
C'estpourquoi Paul, toutes les fois (pi'il s'a- rien, n'est que misère. A la vue d'une telle
vance pour prendre la parole, commence par sollicitude, d'une si admirable |)rovidence, de
enirctonirses auditeurs des créatures visibles: tant d'oeuvres accomplies pour sauver le genre
M Dieu qui a fait le ciel, la terre, la mer, et humain, David se demande avec élonnenicnl
« tout ce qu'ils renferment. » (Act. xvn, 2-4.) et sUiiieur quel est donc cet être que Dieu a
1/35 humaine, voilà
pluies annuelles, l'espèce jugé digne de pareils soins. Songez que toutes
ce qui lui fournit constamment le début de les choses visibles ont été faites pour lui ;

ses discours. Si je dis que Dieu a fait les ché- songez que depuis Adam jus(iu'à la venue
rubins, j'ai deux choses à démontrer qu'il y a : du Christ tout a été réglé pour son inlé-
des chérubins et qu'il en est le créateur, (juand rcl, songez que le paradis, les préceptes, les

ils'agitau contraire d'objets visibles, il mesuffit châtiments, les miracles, les supplices et les
de prouver qu'il Le discours en de-
les a faits. bienfaits qui suivirent la loi, que tout cela a
vient plus aisé car alors il s'appuie sur le
; été combiné en vue de llionnne; que le Fils
témoignage de la vue. La grandeur, la beauté, de Dieu s'est fait homme à cause de lui. Et qui
l'utilité, l'ordre, la proportion sont choses que pourrait dire les biens qui lui sont réservés
l'auditeur peut voir. Il me reste seulement à dans la vie future? — C'est parce qu'il se rap-
établir que Dieu en est l'auteur. Et pourquoi que David s'écrie Qu'est-ce
pelle tout cela :

ne fait-il pas mention du soleil, mais seule- que l'homme pour que vous l'ayez jugé digne
ment de la lune et des astres? En parlant de de si grands bienfaits?
ceux-ci, il fait entendre aussi le soleil. Comme 7. En effet, si l'on réfléchit à tout ce qui s'est
il y a des gens (jui éliminent la nuit de la fait ou en vue de cette créature, à tout ce
se fait
création divine, il indique en nommant la qui lui est encore promis, on se sent pénétré
lune, que Dieu en est aussi l'auteur. La diver- d'cflVoi; et c'est alors qu'on peut juger comme
sité des astres est inflnie, et il serait long d'é- il faut, à quel point elle est chère à Dieu.
numérer toutes les phases de la lune. « Vous l'avez abaissé un peu au-dessous des
« que l'homme pour que vous
Qu'est-ce « anges. » (G.) D'autres disent a Un peu au-
:

« vous souveniez de lui, ou le fils de l'homme. « dessous de Dieu. » Le texte hébreu est :

« pour que vous le visitiez '? » (5.) Après avoir Oîithasreou mat me Eloim. Il rappelle ici la
parlé de la création, et avoir élevé l'esprit du condamnation, l'ancienne faute, la mort. Mais
particulier au général, il passe à la sollicitude la mort même fut vaincue par la venue du
de la les hommes. Ce qu'il
Providence pour Christ. « Vous l'avez couronné de gloire et
dit ici concerne spécialement l'homme. Sans « d'honneur. » Un autre dit « Vous le cou- :

doute ce qui précède touchant la Providence « ronnerez de gloire et de noblesse. » On i>eut

le concerne également car toute la création : prendre ses paroles soit dans le sens histo-
est faite en vue de l'homme. Mais il aborde rique, soit dans le sens anagogique David :

ici une autre forme de providence et il ne se , parle du pouvoir dt)nt l'homme fut investi dès
borne pas à en parler avec une infinie grati- sa naissance : il parle aussi des biens que lui
tude, il remercie le Seigneur au nom de l'uni- procura dans la suite la venue du Christ. A
vers ; il rappelle ses bienfaits d'une manière l'origine, Dieu dit à l'homme Votre crainte
: «
générale, et insiste sur les soins tout particu- « sera sur tous les animaux. » (Gen. ix, 2.) Et
liers qu'il a pris du genre humain. En eflet, encore : « Qu'ils régnent sur les poissons de
si l'homme n'était rien dès l'origine, à plus « la mer ! » (Gen. i, 26.) Plus tard il dira :

forte raison en était-il ainsi lors de la venue a Marchez sur les serpents et les scorpions. »

'
Le saiai orateur indique ici deux légèree Twiante* qui disparai-
(Luc, x, 19.) Mais David omet ce dernier point,
traient dans uae traductiou. et s'attache de préférence à des considérations
586 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN OHRYSOS'^OME.

moins élevét s, laissant aux » 5;>rils oéMétrints « que votre nom est a mirable sur tou'e la
le soin de Ir. uver m.s aiiirfs Lis eflel, l'époque « teirel » (Ibid. 10.) Coj ime en parlant ^e la
du Nouveau Teitamenl est plus honorable et création, il ne se conten e pas de touchei- aux
plu? gloiicuse pou. rhoiiiuie : c'est alors (ju'il puissances d'en -haut, et aborde aussi les
a le Christ pour ch(;f, (|u'il devient son corps, choses sensibles : ains , lorsqu'il expose les
son frère, son cohéritier, que, de corps, il honneurs accordés à l'h )mme, il indique par
est son semblable; c'est alors qu'il sur|»asse une simple allusion le choses mystérieuses
en gloire Moïse même, ainsi que Paul l'a mon- et incorporelles dont il i fait mention, et in-
tré,puisque Moïse se voilait la face, tandis que siste principalement su •
les avantages sensi>
nous contemplons tous aujourd'hui lu gloire blés, comme plus propi is à frapper les esprits
de Dieu à visage découvert. De là ces mots : grossiers. Quels sont ce; avantages? L'empire
« Ce qu'il y a d'éclatant dans cette partie n'a donné à l'homnie sur ce monde.
« pas été véritablement glorieux à cause de la Et ce qu'il y a d'admirable, ce que le Psal-
« gloire éminente de l'autre. » (II Cor. m, 10.) miste indique surtout, c'est que l'homme
Le Piophète fait donc allusion à cette gloire. comblé d'honneurs ava it sa faute, n'en soit
En effet, qu'est-ce qui pourrait égaler la gloire pas déchu après son j>éché. « Vous l'avez
d'unir nos voix aux voix des anges , d'être « abaissé un peu au-desi ous des anges, » c'est-
adoptés, de voir le Fils unique lui-même im- vous avez puni ^on péché de la mort.
à-dire,
molé pour nous? quelle pourpre, quel dia- Mais vous n'avez point
\ our cela dépouillé ce
dème n'est effacé par le privilège de mépriser la condamné à mort des [ résents que vous lui
mort, de revêtir l'impassibilité des puissances avitz laits. En conséque ce, il montre aussitôt
incor|)orelles nous, méprisés naguère, obs-
, après i'inelî'able bonté Je Dieu, qui, malgré
curs, rebutés? Adam, sans avoir fait ni bien l'abaissement où nous sommes tombés par
ni mal honoré dès sa naissance. Comment
lut suite de notre péché, a permis que nous fus-
aurait-il pu agir avant d'exister? Mais nous, sions couronnés de gloi e, et n'a diminué en
après avoir commis une infinité de crimes, rien notre empire. Ou eu moins s'il en a re-

nous jouissons d'honneurs incomparablement tranché quelque chose, o'est encore un effet
plus grands. « Je ne vous appelle plus servi- de sa sollicitude. Avant sa désobéissance,
a leurs, » est-il écrit « car vous êtes mes : l'houime étendait son a itorité jusque sur les
« amis. » (Jean, xv, 15, 14.) Les anges ne rou- bêles. Ai)rès la désobéis -ance, il perdit quel-
gissent plus à cause de nous que dis-je? ils : que chose de ce pouvoir. Encore aujourd'hui
s'entremettent pour notre salut. En effet, Phi- il a des moyens pour les rendre dociles; mais

lippe reçut la visite d'un ange, ainsi que beau- il faut qu'il les effraye, ks épouvante. Dieu ne

coup d'autres îles anges annoncèrent à des


: lui a pas ôté tout son pouvoir, il ne lui a pas
hommes la Bonne Nouvelle. Nous ne sommes non plus laissé ce pou^oir tout entier. Les
plus des héritiers d'ici-bas; nous sommes as- animaux nécessaires scit à la nourriture,
sociés au patrimoine des cieux, nous parta- soit à l'industrie de l'honmic., sont restés
geons le domaine du Christ, du Fils unique. sous sa domination : mais il n'en est plus
Tout cela est renfermé dans ce qui est écrit ainsi des bêtes sauvages, qui lui font une
de notre gloire et de nos honneurs. Aussi le guerre destinée à lui n.ppeler la faute au-
Psalmiste dit-il « Vous le couronnerez de
: trefois commise par Aciam, notre pren.ier
« gloire et d'honneurs » parce qu'il prédit , père. De sorte cpie cette révolte même est poul
l'avenir. nous un grand avantage. Quel profit nous re-
« Et vous l'avez établi sur ouvrages de les viendrait-il de la docilité dt'S lions, de la domes-
« vos mains. » Un autre dit Et vous lui : « ticité des panthères? Rien qu'orgueil et vanité.
a avez donné l'empire sur les ouvrages de vos Voila pourcjuoi Dieu a peri! lis iiuecesanimauxlà
« mains.» (P.viii,7.) «Vous avez tout mis sous s'allVanchissent de notre autorité, tout en nous
a ses pieds. Les brebis et tons les banifs, avec assujétissant ceux qui peuvent nous être uti-

les troupeaux de la campagne. » Suivant un les, le bœuf (jui laboure, la brebis qui revêt
autre :Avec les bêtes sauvages. » (Ibid. 8.)
« la nudité de notre corps, les bêtes de somme
« Les aux du ciel
ois( et les poissons de , nécessaires pour le trans| orl, les oiseaux, les

« l'Océan (|ui traversent Ils chemins des poissons, qui font l'ornen-^nt de nos tables.
il mers. » (Ibid. 9.) a Seigneur, noire Seigneur, 8. Dieu agit vis-à-vis de nous connue un
COMMEiNTAIRE SUR LE PbAL.Ui:, VIII. 587

père de famille, (lui, en déshéritant son fils, ne milés, aux souffrances, assiégé par mille fléaux;
le dépouille pus de tout son patrimoine, mais pouri|uoi la terre n'accorde ses biens «ju'aii
l'une partie seulement, afin de le corriger: travail ;
pourquoi la vie entière est arrosée de
que dis-je? sa conduite fut directement con- sueurs. C'est parce que la vie présente n'est
traire. Le père (jui déshérite son lils le prive qu'une école, c'est parce que le repos et l'oisi-
de la plus grande partie et ne lui laisse que la vet») perdent la plupart des liommes, que Dieu
plus faihle : au contraire. Dieu nous a laissé la a mêlé à notre existence le travail et la peine,
plus forte part et ne nous a retiré qu'une frac- comme un frein destiné à réprimer l'excitation
ion minime, encore est-ce pour notre avan- de nos pensées. Mais voyez les animaux qui :

fie, alin que nous ne triomphions pas trop nagent dans l'abîme des eaux, ceux (jui s'élè-
ii'ilement de toutes les autres créalures. Mais vent dans les airs, le Seigneur les a soumis
eu cela encore, vous avez une marque de la eux-mêmes à votre industrie. Et puuniuoi Da-
sollicitude de Dieu en aiguisant notre intelli-
: vid ne passe-t-il pas en revue toutes les choses
gence, en abattant notre orgueil, en nous in- visibles, les plantes, les graines, les arbres?
terdisant une fikheuse oisiveté (car l'homme En nommant la partie il fait entendre le tout, et
s'abandonnerait à la mollesse, si tout lui venait laisse aux hommes le ?oin de recher-
studieux
de soi-même), il a mêlé l'existence de quelques cher le reste. Puistermine ainsi qu'il a com-
il

difficultés, il a emjjêché que le travail ne nous mencé : « Seigneur, notre Seigneur! » avantet
fût nécessaire pour tout, ni, pour tout, super- après sa description, les mêmes expressions
flu. Il a fait en sorte que les choses nécessaires reviennent. Persistons donc, nous aussi, à re-
nous fussent données sans peine et sans fatigue; dire la même chose, à admirer la Providence
les choses de luxe, au contraire, au prix des de Dieu, sa sagesse, sa bonté, sa sollicitude
fatigues et de la peine, afin de diminuer, en pour nos intérêts. Voilà ce que nous avions à
cela aussi, l'excès de notre sécurité. dire pour compléter l'interprétation. Mainte-
Que si nous dire Mais à quoi ser-
l'on vient : nant, si vous le voulez, nous en viendrons à la
vent les bêtes féroces? nous répondrons D'a- : controverse, et nous demanderons aux Juifs
bord à nous inspirer de l'humilité, à nous en quelles circonstances on a entendu chanter
fortifier par la lutte, à réveiller chez le plus de petits enfants, à quelle époque un tel chant
vain le souvenir de sa bassesse , devant une a détruit l'ennemi, enfin, quand le nom de
brute, qui lui fait peur. En outre, beaucoup Dieu a été admirable. Ils ne sauraient citer un
de maladies trouvent là des remèdes. Mais moment que celui dont nous avons
autre parlé,
celui qui nous demande pourquoi il y a des moment où reluit la puissance de la vérité
bêtes féroces, nous demanderait-il aussi ce que a^ec plus d'éclat que le soleil. Voilà pourquoi
font en nous la bile ou la pituite ? Ces choses le Psalmiste dit : « Je verrai les cicux ouvrages
aussi,pour peu qu'on les irrite, nous attaquent « de vos doigts. » D'ailleurs Moïse avait dit pré-
avec plus de fureur que les bêtes féroces, et cédemment : « Au commencement Dieu fit le

exercent leurs ravages dans tout notre corps. « ciel et la terre.»


La colère aussi nous fait la guerre, et pareille- En voilà assez à l'adresse des Juifs, avec ce
ment la concupiscence, et ces deux ennemis que nous avons dit plus haut : mais il est des
sont plus acharnés (jue des bêtes sauvages con- hommes qui, imitant et adoptant leur doctrine,
tre ceux qui ne savent pas les brider ou les hormis en ce qui touche la circoncision (je
contenir. Que dis-je? le courroux, la colère? parle des disciples de Paul de Samosate), pré-
Nos yeux mêmes nous causent parfois plus de tendent que le Christ exista seulement du jour
maux que les bêtes féroces, en faisant pénétrer où il sortit du sein de Marie Demandons-leur
:

dans notre cœur les traits redoutables de l'a- donc, à eux aussi, comment il se fait que le
mour. Et cependant, nous n'irons pas dire Christ ait créé les cieux , s'il est vrai qu'il
pour cela A quoi bon? Au contraire, nous
: n'existe que depuis cette époque. En eflet,
saurons gré au Maître de tout ce qu'il a fait. La selon le prophète. Celui qui fit parler des en-
bête est pour l'homme ce qu'est le fouet pour fants à la mamelle est aussi le créateur des
un enfant. Si, parmi tant de dangers, l'orgueil cieux. Que s'il créa les cieux , il existait donc
enfle encore tant de cœurs, ce frein ôté, jugez avant les cieux; et loin de devoir à Marie
des progrès que ferait le vice. Voilà pourquoi son origine, il lui est antérieur. Considérez ici
notre corps est ce qu'il est, exposé aux infir- la sagesse du Prophète I II n'en fait pas seule-
58S TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

ment un créateur, mais un créateur qui pro- « VOUS avez été appelés à la société ae son
duit ses œuvres sans peine. De là : « Je "ver- « Fils. »(T Cor. i, 9.) Et er core « Paul, apôtre :

« rai les cieux, ouvrages de tes doigts » non : «de Jésus-Cbrist parla volonté de Dieu.»
,

que Dieu ait dfs doij^ts; mais le P.-almiste vent (II Tim. I, i.) Et ailleurs a Puisque c'est de :

montrer que les créatures visibles n'ont coûté « lui, et par lui, et en ui, que sont toutes

aucun effort, et c'est pour cela qu'il désigne « choses. » (Rom. xi, 36.) Mais, pourquoi l'ap-

des choses qui nous surpassent par des noms pelcz-vous ministre ? F ir déférence pour le —
qui nous sont familiers. C'est ainsi qu'il dit Père. — Pourtant le Fi!î a dit « Afin que :

ailleurs « Celui qui mesure le ciel à l'empan


: « tous honorent le Fils, omme ils honorent <

« et la terre avec la paume de sa main. » « le Père. » (Jean, v, 23.) ]*our celui qui n'ho-
(Isaïe, XL, 40.) Ce n'est pas qu'il ait en vue alors nore pas le Fils, il est clair qu'il n'bonore pas
ni l'empan, ni la paume de la main, mais c'est non plus le Père. Quoi donc, dira-t-on? J'ap-
qu'il veut représenter l'infinie puissance de pellerai Père le Fils? Nillemcnl. Jésus n'a
Dieu. Comment donc quelques-uns osent-ils pas dit : Afin que vous m'appeliez Père; mais
faire du Fils un ministre? Celui qui n'a pas bien, afin que vous honoriez le Fils éternel
même mis en œuvre tous ses moyens quand comme le Père. Api-eler Père le Fils, ce serait
il s'agissait de créer le ciel ,
que dis-je tous : 1 tout confondre. La distinction subsiste : mais
pas même la plus faible partie : comment ce- les lionucurs sont communs. Si le Père est ici

lui-là serait-il un simple ministre? et com- nommé avec ustement pour pré-
le Fils, c'est

ment serait-il un ministre si « ce que fait le venir la confusion des personnes. Mais si la
c( Père , le Fils le fait pareillement ? » Que de- substance de l'un n'était pas celle de l'autre,
vient ce mot
Pareillement » si l'un est
: « , comment réclamerait- elle les mêmes hon-
ministre et l'autre créateur? Et comment le neurs? On dira : Pourquoi donc le Christ
Psalmislc peut-il attribuer les œuvres mêmes parle-t-il souvent un langage si humble ? C'est

à ce ministre, en disant, par exemple « Au : pour nous enseigner l'huinilité, c'est à cause
«commencement, Seigneur, tu as fondé la de l'enveloppe de chair ( ont il était revêtu,
« terre, et les cieux sont des ouvrages de tes c'est à cause de la stupidité des Juifs, c'est

« mains; » ou comme ici «Je verrai les cieux, : parce que l'espèce humaine ne peut être ame-
a ouvrages de tes doigts. » Les ouvrages ne née à la vraie doctrine qu-î pas à pas ; c'est en
sont point dus aux ministres, mais aux créa- considération du peu de lumières des audi-
teurs; qu'il y ait eu, ou non, un ministre, c'est teurs d'ailleurs il approp 'ie souvent son lan-
:

toujours au créateur que l'œuvre est attribuée. gage aux opinions de ceip: qui l'écoutent. En
Donc les paroles de Moïse lui-même concernent effet, les choses sublime; ne sont pas pour
aussi le Fils. Je veux dire : « Au commence- ceux-là seuls qui sont digros de les entendre :

a ment Dieu fit le ciel et la terre ; » et : « Qu'ils ou que l'on y uisse dire de la di-
plutôt, quoi
dominent sur les poissons de la mer. » (Gen. vinité, on demeure toujorrs bien au-dessous

1, 1 et 20.) Car celui qui mit sa louange dans de sa grandeur, on emploie nécessairement le
la bouche des petits enfants à la mamelle , est langage de la condescen lance. Prenons un

le même qui visita l'homme. exemple Dieu est granc? Mais c'est parler
:

9. dit du Père, Paul l'applique


Ce que Moïse petitement de Dieu la grandeur quelle :
,

au Fils, montrant par là luir complète égalité. qu'elle soit, est bornée o Dieu est infini. Et ;

En conséquence puisqu'il était indifférent,


c'est encore en parler petit ^nient. Je sais qu'il

aux Saints d'appliquer au Fils ce qui est dit n'a point de limites ; mair- ce qu'il est, où il

du Père, et réciproijuement « Tout cela a été : est, c'est ce que j'ignore. Appelez-le sage, bon,
« fait par lui. » (Jean, i, 3.) Que devient cette et cela infiniment ; c'est encore parler un lan-
appellation du ministre? elle ne signitie plus gage indijiue de lui, si l'on n'attache aux termes
rien. Mais, dira-t-on : « Par lui, » cela signifie une signification convenable. Par conséquent,
par son entremise '. Mais si la même expres- si des expressions si fortes restent encore au-
sion est emiiloyée aussi en parlant thi Père? dessous (le la vérité, com nenl justifier ceux
Ecoutez plutôt : « U est fidèle, le Dieu par (\\x\ (jui voudraient les atfaiblir? Fuyons leurs en-

tretiens, et bien persuadés de l'éternité du Fils


*La diScrcDce des langues nous a contraint d'amplifier un prM rc unique, de son pouvoir créateur, de son ab-
que saint Jean ne fait qu'indiquer; la nuance est celle (jui exiîte en
latin entre a quo et per quem. solue souveraineté, de sa consubstantialitii
COMMFNTAIRE SIR I,E PSAUME IX. ZS89

parfaite avec le Père de sa condescendante


, notre foi, afln «l'obtenir les -jicns futurs, des-

Providence, des formes que prend sa


niill»' quels puissions-nous tou^; être coud)l('S, par
sollicitude à notre c^ard (tels sont, en elVet, la grâce et la bonté de Noire-Seigneur Jésus-
avec bien d'autres, le; enseijjnements renfer- Cbrist, avec qui gloire et bonneur, au Père
mes dans ce |)sauine, pour Fiisa^^e dos es|)rits et au Saint-Esprit, dans les siècles des siècles.
attentifs) ,
gardons la |)ureté des dogmes , et Ainsi soit-il.

signalons - nous par une conduite digne de

EXPLICATION DU PSAUME IX.

POUR LA FIN POUR LES SECRETS DU FILS PSAUME POUR DAVID.


, SUIVANT UN AUTRE HYMNE
,
— :

TRIOMPHAL POUR LA MORT DU FILS, CHANT POUR DAVID. SUIVANT UN AUTRE DE LA JEU- — :

NESSE DU FILS.

«JE VOUS RENDRAI HOMMAGE, SEIGNEUR, DANS TOUT MON COEUR; JE RACONTERAI TOUTES VOS MERVEIUES.»

ANALYSE.

I. Qu'il faut rendre grftces mènoe dans l'adversité. — Qu'oa s'affranchil par là des pensées coupables.
2 Merveilles de la terre. — Bonheur d'aimer Dieu et de chanter ses louanges.
3. Puissance de Dieu. — Sa justice.
4. Deux manières d'interpréter les textes : selon la lettre et selon l'esprit. — Deux jugements : l'on particulier id-baB, l'autre
général dans l'autre monde.
5. Conditions de l'assistance (livine. — De l'espoir en Dieu.
G. Ce que que recliereher Dieu.
c'est — Que la prière doit être humble. — Que la miséricorde de Dieu ne nous est jamais plus
nécessaire que dans la prospérité.
7. Contre les sortilèges. —
InutiUté de la persécution exercée par les Juifs contre les apôtres. — Qu'on ne peut être vertueux
par nécessité.
8. Récompense et châtiment. —
De la patience du pauvre,
y. De l'aveuclement produit p.'.r le péché.
10. Qu'il faut songer au malheur dans la prospérité.
II. Que le pécheur doit être [uni tôt ou tard.

i. Ce psaume est long : à ceci même recon- fatigue. «Je vous rendrai hommage, Seigneur,
naissez la sagesse de l'Esprit. Au lieu de don- « dans tout mon cœur; je raconterai toutes
ner à tous la même élondue, grande ou petite, « vos merveilles. » 11 y a deux manières de
il a mis dans ce recueil cette variété même qui rendre hommage en condamnant ses fautes,
:

naît de l'inégalité, la longueur qui stimule la ou en remerciant Dieu. Il s'agit ici d'un hom-
paresse, à côté de la brièveté qui soulage la mage de reconnaissance. Mais que veutdiro —
590 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

ceci : « Dans tout mon cœur ? » Cela signifie sont insensibles à la mauvaise odeur qu'elle
avec tout mon zèle, toute mon ardeur non- : exhale : qu'ils s'éloignent, ils la sentiront. —
seulement pour mes prospérités, mais encore Les amants de la richesse sont comme ceux
pour mes revers. En effet, ce qui distingue qui aiment une femme laide et commenceront
entre toutes choses une âme reconnaissante et à s'apercevoir de sa difformité, quand ils seront
sage, c'est de rendre grâces jusque dans l'ad- guéris de leur maladie. Et comment faire,
de louer Dieu en toute occasion,
versité, c'est dira-t-on, pour chasser loin de moi celte pas-
non-seulement pour ses bienfaits, mais encore sion ? Je recourrai encore au même exemple.
pour ses châtiments. C'est le moyen d'obtenir L'homme épris d'une femme laide, s'il ne cesse
une plus ample récompense. Remercier Dieu de la fréquenter, attise sa propre ardeur mais :

des biens qu'il nous octroie, c'est acquitter pour peu qu'il la délaisse, il sent son amour
une dette le remercier quand
: il nous frappe, s'évanouir peu à peu de même, éloignez-vous
:

c'est devenir ses créanciers. — L'obligé qui quelque peu, faites trêve un moment, et ce
témoigne sa reconnaissance, se décharge d'une moment mettra un grand intervalle entre
obligation. L'affligé qui rend hommage crée vous et votre maladie. Il ne s'agit que d'entrer
une obligation à son profit. Aussi Dieu recon- dans la bonne voie. Vous avez une maison qui
naît-il par mille grâces une pareille reconnais- vous est superflue vendez-la, donnez-en le
:

sance, et dans l'autre monde et même sur-Ie- prix à ceux qui ont besoin, et ne croyez point
cbamp de telle sorte que nous perdons jus-
: par là vous en défaire; loin de là, vous ne
qu'au sentiment de nos épreuves. Personne ne faites que vous en assurer la propriété. Ne re-
ressent des maux dont il remercie Dieu nous : gardez pas à la dépense, mais au profit; ne
retirons donc de là un second avantage, celui songez point que vous en serez privés ici-ba-
d'échapper au chagrin. Si vous perdez de l'ar- mais bien que vous en jouirez là-haut. De 1

gent et que vous rendiez grâces, le regret du sorte, il vous sera donné de raconter à jam;v
dommage éprouvé est effacé par la joie qui les merveilles de Dieu, Car c'est ainsi que dé-
accompagne le remercîment. C'est là pour le bute notre psaume. L'avare n'a guère de terni "
diable un coup mortel; c'est le moyen de par- à consacrer à cette occujjation il ne ^c^ :

venir à la sagesse, le moyen de porter un ju- qu'intérêts, actes, contrats, ventes, testaments,
gement sain sur les choses présentes. Un bon estimations de maisons ou de terres, profits,
nombre d'hommes jugent mai des choses d'ici- trafics : voilà ses pensées, ses soucis perpé-
bas, aussi tombent-ils dans le découragement. tuels. Où est le trésor de l'homme,
son là est
— C'est ainsi que les fous s'effrayent de ce qui cœur. — Voilà les sujets de ses discours,
de
n'a rien d'effrayant, redoutent des choses qui ses pensées il pense aux affaires du Seigneur
:

souvent n'existent point et prennent la fuite comme un esclave à celles de son maître.
devant des ombres. C'est leur ressembler que Quel ordre a-t-il donné? Qu'est-ce qui est fait?
de craindre une perte d'argent. Qu'est-ce qui reste à faire? Je vous exliort
Cette crainte, en effet, n'est pas imputable à donc à vous dérober aux soins qui vous assiè-
la nature, mais à la volonté. S'il y avait là un gent pour vous appliquer à ces récits dont
Trai sujet d'affliction, tous ceux qui font des parle le prophète, pour raconter chaquo jour
pertes devraient être malheureux mais si la : les merveilles opérées par Dieu soit en parti-
môme mésaventure ne produit pas chez nous culier, soit en général, dans l'intérêt de tous
tous la môme affliction, il s'ensuit que le prin- ou dans celui de chacun. Le monde est plein
cipe de l'affliction n'est point dans la nature de pareils sujets de récits, et (juel que soit celui
des choses, mais dans la grossièreté de nos que vous choisiriez ))ourconunencer, la pompe
pensées. De môme que dans lobscurité on le mantiuera pas à votre début le ciel, la :

s'effraye souvent à la vue d'une corde, croyant terre, l'air, les animaux, les graines, les plan-
apercevoir un serpent, de mémo qu'alors on tes; les anciens bienfaits, ceux qui ont précédé
voit tout avec défiance, on prend ses amis pour la loi, ceux qui l'ont suivie, ceux (|ui datent
des ennemis de môme ceux qui vivent dans
: de la grâce, ceux qui nous sont réservés après
les ténèbres de la déraison ne reconnaissent notre départ d'ici-bas et jusque dans la mort,

plus la vraie nature des choses, ils se roulent voilà de (pioi vous occuper. —
Combien nous
dans l'ordure, et le fumier cesse de leur pa- serions insensés, si, en présence de pareils
raître du fumier; possédés par l'avarice, ils sujets, aussi charmants (jne profitables à l'âme,
COMMENTAIRE SUR LE PSAUME IX. BOl

nous allions traîner nos pensées dans la fange, que dans notre corps on distingue des os, des
et parler lelangage de Tavarice et de l'injuste nerfs, des chairs enfin : de même la terre offre
cu|)iditôl des montagnes, des ravins, de gras territoires,
2. Si vous nous laisserons de côte
le voulez , et tout cela est utile. Et pounjiioi parler de la

les choses du
nous nous entretiendrons
ciel, et terre, cet immense élément? Prenez seulement
de la terre de sa grandeur, de sa position de
, , un arbre: si vous entreprenez d'en décrire la
son usage, de sa nalurt; de ses enfantements , forme , l'usage, le fruit, les feuilles, la saison,
perpétuels, de ses proiluclions diverses, des et le reste vous aurez une tâche considérable.
,

graines, des plantes , des arbres , des fleurs Prenez pour texte la situation des montaj^nes
des prairies, des jardins. Mettons à part main- et tout ce qui les concerne, ou bien l'homme
tenant la forme de chat[iiu '**bre son port, sa , lui-même et la configuration de son corps:
hauteur, l'odeur qu'il e.xhaie, ses fruits, la saison voilà encore une source inépuisable de récits.
où il produit, les soins (;u'il réclame, et le reste; Appliquons-nous donc à tous ces objets nous :

la fertilité de certains territoires, la stérilité y trouverons un charme infini avec beaucoup


qu'on remarque ailleurs: car il n'y a rien d'inu- d'avantages et une incomparable sagesse. Aussi
tile sur la terre. Ici elh; produit le fer, ou l'ai- David poursuit-il, atind'indiijuer cela « h me :

rain , ou l'or, ou l'argent là les aromates, ou : « réjouirai et tressaillerai d'allégresse en vous.»

des médicaments de ;oute espèce. Que dire Suivant un autre. «Et je me glorifierai, je clian-
maintenant des services que nous rendent les « ferai votre nom, Très-Haut.» (3.) Ce n'est pjis

eaux, soit potables, soit salées , les richesses une faible marque de sagesse, que dese réjouir
des montagnes la variété de leurs marbres
, enDieu. Celui qui se réjouit en Dieu, cornmeil
les fontaines qui en découlent les arbres , faut, écarte de lui toute joie mondaine. Mais
qu'elles produisent pour la construction des qu'est-ce à dire a Je me réjouirai en vous?»
:

maisons ? Autant de fruits du désert ajoutez-y , Avoir un tel maître, veut-ildire, voilà mon bon-
les animaux les bêtes sauvages qu'il nourrit.
, heur, voilàma joie. Si quelqu'un connaît cette
Que dire des lacs, des foniiines des fleuves? , joie comme il faut la connaître, il devient insen-
De même que les femm>'squi viennent d'accou- sible à toute autre. Car c'est cela qui est propre-
cheronlen elles une source delaitpourabreuver mentla joie toutle : nom, et
reste n'en a que le

leurs nourrissons: ainsi la terre a des mamelles manque deréalité. l'homme,


C'est elle qui ravit
d'oîj jaillissent des font; ines et des rivières pour ellequi affranchit l'âme de l'esclavage du corps,
arroser jardins et vergers. Et encore, il faut que elletjuiluidonnedes ailes pours'envolerauciel,
l'enfant s'approche po ir boire au sein de sa elle qui l'élève au-dessus du monde , elle qui
mère tandis que la tene d'elle-même présente
: la délivre du vice : et rien de plus naturel. En
la mamelle, et son lait découle de toutes les effet ceux qui s'éprennent des corps sédui-
, si

hauteurs. sants, ne s'aperçoivent pas de ce qui se [lasse


Voici encore un autr ; usage du désert. C'est autour d'eux et sont tout entiers à la pensée de
là que le corps se mair;.ient le mieux en santé, l'objet aimé ainsi celui qui aime Dieu comme
:

qu'il respire l'air le plii? pur : c'est là que l'on ilconvient de l'aimer devient insensible à tout
contemple de haut but l'univers, qu'on se ce qu'il y ade bonheur et de peine en ce monde:
plonge dans la philosof 'aie de la solitude, qu'on il au-dessus de tout ses délices sont éter-
est :

devient étranger à tois les soucis du monde. nellescomme l'objet de son amour. Ceux qui
Que dire de la voix mélodieuse des oiseaux, des placent ailleurs leur affection s'endorment
animaux que l'on pr» nd à la chasse ? autre bientôt dans un oubli involontaire, quand ceux
bienfi'it: le désert est t )mme un rempart pour qu'ils aimaient ont perdu leurs chûmes :
certai is pays
,
grâce aux montagnes élevées, tandis que l'amour dont je parle est infini,
aux ravins, aux précipices, dont ilies envi- impérissable; les joies en sont plus vives; le
ronni . Parlerai-je des dantes (jui y viennent, profit en est plus grand : et le plus puissant
prod\ictions si utiles a x corps attaqués par la attrait qu'il offre à l'amant, c'est qu'il ne saurait
malaUe? que si telle est l'utilité des déserts jamais Je chanterai votre nom
finir. « Très- ,

et dei montagnes , tels sont les services qu'ils « Haut. C'est l'usage de ceux qui aiment. Les

nous rendent, dès que aous arrivons aux terres amants chantent des chansons en l'honneur de
songez quelle car- leur bien-aimée et ils se consolent ainsi de
labourables et aux plai.ies ,

va à nos récits. Ainsi leur absence. Ainsi tait le Prophète : ne pouvant


rière nouvelle s'ouvrir
592 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAIx\T JEAN CHRYSOSTOME.

jouir de la vue de Dieu , il compoîe des chan- dre les méchants. Voyez-vous le caractère de
sons à sa gloire; tn le célébrant, il croit se ces hymnes ? Voyez-vous la nature de ces
rapprocher de lui, il ravive sa propre flamme, hommages, et comment David raconte la puis-
il s'imagine le voir :ou plutôt en le chantant, sance de Dieu ? Un dogme important est ren-
en le célébrant, il comniuni(jue à bien d'autres fermé jusque dans ces mots : « Je chanterai
son ardeur. Car si les amants disent les louan- « votre nom, Très-Haut, lorsque mon ennemi
ges de leur bien-aimée , et vont coliiortant son « se sera retourné en arrière. » Qu'est-ce donc
nom, le Prophète à leur exemple, s'écrie : «Je que cela prouve sage non-
? Que David était
« nom, Très-Haut. »
chanlerai votre seulement dans mais encore dans
la détresse,
3. Voyez comment il s'élève au-dessus de la la tranquillité... L'humihation que causent les
terre, comment il suspend, pour ainsi dire, maux a pour effet de rendre beaucoup d'hom-
tout son être à l'Etre éternel, et se consacre à mes plus vertueux. Le bonheur au contraire
Dieu. Voilà pourquoi il fait revenir si souvent les rend plus négligents et plus mous Voyez :

ce même nom c'est la coutume des amants. (4.)


: ce qu'il dit plus loin des Juifs : « Lorsqu'il les
« Lorsque mon ennemi se sera retourné en « tuait , c'est alors qu'ils le cherchaient. »
« arrière,ils affaibliront et périront devant votre (Ps. Lxxvii, 34.) Il n'en est pas ainsi de notre
«face. » Suivant un autre «Quand mes enne- : juste même
dans la prospérité il reste sage et
:

« mis se seront retournés en arrière, auront vigilant. Ce qui n'est pas sans importance pour
« échoué et péri devant votre face.» Ceci encore la religion. « Car vous m'avez rendu justice.»
est une grande marque d'amour, que d'énu- (5.) Suivant un autre « Vous avez jugé :

mérer sans cesse les bienfaits qu'on a reçus et « en ma faveur. Vous vous êtes assis sur votre

de s'y complaire : C'est l'affection qui produit «trône, vous qui jugez selon la justice. (6.)
cela , et l'affection même
en est redoublée. On « Vous avez repris les nations, et l'impie a

ne se tromperait pas en disant qu'il s'agit ici « péri. » Un autre dit : « Vous avez fait périr,

d'ennemis invisibles. Ceux-là, en effet, entrent « vous avez effacé sou nom pour les siècles des
eux-mêmes en déroute, quand ils ont trouvé « siècles.» Admirez encore la sagesse de David :

une âme courageuse. Un javelot qui tombe Il ne se venge i)as lui-même de ses ennemis,

sur un bouclier, le brise, s'il est faible, reste il se repose sur Dieu du soin de faire justice,

im[iuissant et s'émousse si la surface est dure conformément au précepte apostolique « Ne :

et résistante. 11 en est ainside l'âme. Si les « se vengeant pas les uns des autres.» (Rom. xu,
traits du diable la trouvent faible et incapable 19.) Mais il y a autre chose encore à remar-
de résistance, ils pénètrent jusqu'au fond. Si quer c'est qu'il était victime d'une injustice.
:

au contraire elle est dure et solide, l'assaillant En effet s'il n'y avait pas eu d'injustice. Dieu
,

se retire sans avoir rien fait, sans que l'âme n'aurait point puni. « Vous vous êtes assis sur
ait éprouvé aucun dommage : De là deux, ou « votre trône, vous qui jugez selon la justice.»

plutôt trois avantages : l'âme n'a point pâli, H emploie ici le langage humain de là ces :

elle s'est même fortifiée : enfin le diable s'est mots: trône et s'asseoir. Quand à cette expres-
affaibli. Considérez maintenant comment le sion : « Vous (jui jugez selon la justice, » elle
Psalmiste proclame la puissance de Dieu. « Ils indique la coutume de Dieu et le privilège de
«s'affaibliront, » dit-il, « et périront devant son essence. En i)arlant des hommes ce lan-
«votre face... » Ici encore, que ce mot visage gage serait déplacé. Quelque justes qu'ils
ne vous représente rien de corporel. David puissent être, ne jugent pas selon la justice,
ils

n'entend parler cjue de l'action, de la mani- tantôt par ignorance , tantôt parce qu'ils
festation divine, et de la facilité avec laquelle négligent de rechercher ce qui est juste. Mais
elles s'opèrent. C'est ainsi qu'il dit ailleurs : Dieu, qui est exempt de toutes ces imperfec-
« Celui qui regarde sur la terre et cpii la fait tions, Dieu qui connaît la justice et veut l'ac-
« trembler. » Son regard suffit à lui seul pour complir, juge selon la justice. Par ces mots :

la perte des méchants. En cHel, si la présence « Vous vous êtes assis sur votre trône,» enten-
des saints atl'aihlil l'empire des démons, il doit dez Vous avez jugé, vous avez puni, vengé.
:

en être de même, à plus forte raison, de la «Vous avez repris les nations, et rim])ie a
présence de Dieu... Si son éclair en brillant Il Vous voyez que Dieu n'a pas besoin
péri. »
répand partout la terreur, songez counnent d armes, d'cpée, de flèches, de traits toutes :

son éternelle puissance doit épouvanter, per- ces expressions qu'on a vues plus haut sont
COMMENTAIRE SUR LE PSAUME IX. W3
empruntées au langage humain : il suffit à lent la méditation il y cn a d'autres qu'il
; ne
Dieu (le reprendre, et les coupables qui doi- faut pas prendre autrement (pi'a la letlrc, |)ar
vent être i)Uiiis périssent. Ce (|ui suit est — exemple: « Au conmieiucment Dieu lit le ciel
propre encore à vous faire comprendre sa « et la terre. » D'autres répugnent à l'interpré-
puissance Vous avez cdacé leur nom pour les
: tation littérale, comme celui-ci. «Que la biche
siècles des siècles. Vous
les avez exlernunés, de votre amitié et le poulain de vos bonnes
ruinés de fond en comble, anéantis de telle a grâces vivent familièrement avec vous. »
sorte que leur souvenir mémo a disparu. «Les (Prov. V, 19.) Et encore Que ce que vous : «

aépées de l'ennemi ont perdu leur force pour « avez soit à vous seul qu'aucun étranger , et
a toujours. » Un autre dit « Les ruines. » Le : « ne le partage avec vous. Que la source de

texte hébreu porte « Arbotli. » Et a vous avez « votre eau soit à vous seul.» (Ibid. 17-18.) Sien

« détruit leurs villes. » Qu'est-ce A dire ? C'est- examinant ce texte, vous ne fuyez pas la lettre
à-dire qu'après avoir f'-;ippé d'impuissance pour vous attacher à l'esprit, ce n'est jilus
leurs projets et leurs machinations, vous leur qu'un précepte d'inhumanité, une recomman-
avez enlevé jusqu'à leurs propres armes. Voilà dation de ne donner d'eau à personne mais :

ce que c'est cpie la colère de Dieu : Elle fait il s'agit de l'épouse


ici l'écrivain sacré :

disparaître et détruit tout. Ou encore, selon nous prescrit de vivre chastement avec notre
un autre interprète : « Les déserts. » C'est-à- femme et ces noms de source et de biche
:

dire vous n'avez pas seulement ruiné les


: font allusion à la pureté de l'union conjugale.
villes, vous avez anéanti jusqu'aux déserts. Voilà pour ce qui regarde ce passage : ailleurs
C'est ainsi que notre juste faisait la guerre : il faut tenir compte et de la lettre et de res|)rit.

11 ne tuait pas ses ennemis avec des armes, Exemple : « Comme Moïse a élevé le serpent. »
avec des jarvelots Il n'avait d'autre arme que
: (Jean, ni, iA.) En effet, il faut voir dans ce
la protection divine. Aussi cette guerre le cou- passage à la fois l'expression d'un fait qui ar-
vrit-elle de gloire, aussi couronna-
la victoire riva réellement , cl un emblème pour dési-
t-elle ses efforts. « Sa mémoire a péri avec gner le Christ. De même ici l'on ne se trom-
« bruit. » Un autre dit : « Avec eux; » le texte perait pas en appliquant aux Juifs les paroles
hébreux est « Em. » Que signifie cela : « Avec du Psalmiste : « Vous vous êtes assis sur votre
« bruit. » Il veut indiquer soit une extermina- a trône, vous qui jugez selon la justice. Vous
tion générale, soit les cris de douleur des vic- « avez repris les nations, et l'impie a péri :

times. — encore une marque de la


Et c'est « vous avez effacé son nom pour l'éternité, et
sollicitude divine, de ne pas faire ces choses « jmur les siècles des siècles. Les éftécs de

en secret, de telle sorte que le malheur des « l'ennemi ont perdu leurs forces pour tou-

uns corrige les autres. Le Psalmiste a donc en « jours; et vous avez détruit leurs villes. Leur

vue la notoriété de ce désastre. « mémoire a péri avec bruit.» Car ceux qui ont
«Etle Seigneur subsiste éternellement.»
4. crucifié le Christ ont vu eux-mêmes leur mal-
(8.) Suivant un autre« Sera assis. » Souvent
: heur divulgué par toute la terre, leurs villes
on désigne ainsi sa permanence de même : ont été détruites, les artifices du diable ont
Jérémie « Vous qui êtes as.^is pour l'éternité. »
: perdu leur force, déjoués par la sollicitude du
(Baruchjiu, 3.) Le texte hébreu donne ici «Jé- Christ. Mais laissons les esprits studieux com-
seb. » Le Prophète revient toujours sur cette pléter ce rapprochement, et poursuivons notre
idée à propos des hommes qui périssent : il sujet, a 11 a préparé son trône dans le juge-
montre par là que l'essence de Dieu est éter- «ment. » (8) Un autre dit « 11 a assis pour : le
nelle, que si l'espèce humaine est éphémère. «jugement. » (9) « Et lui-même jugera le
Dieu et sa grandeur sont impérissables. Il agit « monde avec justice, jugera les peuples avec
ainsi afin de nous alarmer, de nous inspirer, « droiture. » Voyez-vous comment son langage
pour ainsi dire, un double eiîroi, en nous re- s'élève peu à peu? Après avoir fait mention du
présentant d'une part la grandeur de la gloire trône, il en fait connaître la nature ce n'est :

divine, de l'autre l'imperfection de notre pro- pas un trône de p'anchcs, ni de toute autre
pre nature, devant celui qui ne meurt pas, et matière c'est un trône de justice fondé sur
; ,

dont la justice est formidable. Que si nous la justice. « 11 jugera le monde avec justice. »

trouvons ici quelque figure, il ne faut pas nous Il parle à pour le présent et pour l'avenir.
la fois

refuser à la voir. Il y a des textes qui appel- Le jugement général est réservé pour l'autre
S, J. Cn. — ToMii V. 38
594 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME.

monde; mais le jugement particulier com- feuilles, et n'est qu'extérieur. Que la vertu est
mence ici même. Il porte dans le présent même une chose qui nous est propre, en voici la
de nombreux effets, afin que les insensés ne preuve. De quelque côté que nous portions
puissent révoquer en doute l'existence d'une nos pas , nous suit
elle il n'en est pas ainsi :

Providence. Que si tous ne reçoivent pas ici- des autres biens. La vertu, voilà donc notre
bas leurs couronnes, ne vous en étonnez pas. vraie propriété; le reste ne nous touche pae'
Car Dieu « a préparé un jour, dans lequel il d'aussi près. —
De même que nous appelons
« doit juger la terre. » (Act. xvii, 31.) Ce monde- intime l'ami qui ne nous quitte point de :

que le stade, la carrière, l'arène. Voilà


ci n'est même nous nommons la vertu un bien plus
pourquoi tous ne sont [)as rétribués selon leur intime que les richesses, en tant qu'elle ne
mérite, pourquoi les récompenses les suppli- , s'éloigne jamais de nous.
ces attendent là-haut le mérite et la faute : 5. Coaicmplez maintenant la gratitude et la
ici-bas, support et longanimité, afin que nous sagesse de David. Il a des chevaux, des armées,
puissions expier nos péchés par le repentir : deo moyens de défense innombrables mais il :

mais là-haut, il n'en est pas de même tant ; oublie tout cela et ne s'occupe que d'attirer
qu'un meurtrier est libre de ses démarches, sur lui la grâce d'en-haut, et c'est à Dieu qu'il
il est maître de s'amender et de se dérober au fait honneur de son propre salut. 11 ne dit pas :

châliment; mais une fois qu'il est tombé sous mes armées, mes trésors, mes remparts ont
la sentence du juge, c'est le tour du glaive, été mon refuge, mais bien « le Seigneur est :

du bourreau, du gouffre fatal. 11 en est de « devenu un refuge pour le pauvre. » C'est lui

même ici. Tant que nous sommes dans la vie qui m'a mis en sûreté car rien n'égale un pa-
:

présente, il nous est possible d'échapjter au reil recours, ni pour la facilité, ni pour les

châtiaient par la conversion mais une fois : garanties qu'on y trouve. Les autres refuges
partis pour l'autre séjour, nos gémissements peuvent nous être ravis par la ruse, nous ne
seront inutiles « Il a préparé sou trône dans
: sommes pas sûrs de les trouver à notre portée ;

«le jugement. » On peut, sans faire erreur, le temps, le lieu, mille circonstances i)euvent
prendre à la lettre cette ex|)ression « Il a pré- : nous en fermer l'accès mais celui-là est tout :

« paré » en eilct tout est préparé, et les sup-


: près de nous il suffit de le chercher avec dili-
;

plices et les couronnes, et la sentence. Il n'y


,
gence. « Quand vous parlerez encore, je dirai :

a ni relard, ni réi)it, ni délai auprès de Dieu, « me voici. » (Isaïe, lvih, 9.) « C'est Dieu, c'est
puis(iuc les vivants ne devanceront pas ceux « moi qui arrive : Dieu n'est plus éloigné. »

qui sont endormis « Nous les vivants, » dit


: (Jér. xxm, Nous n'avons donc pas besoin
23.)
Paul , « nous qui restons pour la venue du de courir ou de nous absenter sans quitter :

« Seigneur nous ne devancerons pas ceux qui


, notre demeure, il ne tient qu'à nous de nous
« seront endormis. » (1 Thess. iv, iO.) Consi- l)rocurer ce refuge. Et tantôt il nous sauve du
dérez la sagesse du Prophète : voyezcomment péril; tantôt il ajoute à notre gloire, il nous
il parle à la fois de l'avenir et du présent. Du rend jjIus puissants que nos ennemis et tout ,

présent Vous avez repris les nations et l'im-


: « cela au moment o|)portun. Car, lorsque ceux
« pie a péri. » De l'avenir « Il a préparé son : qui en sont favorisés savent rester dans la mo-
« trône dans le jugement. Et lui-même jugera dération, ces deux grâces sont octroyées. Si au
« le monde avec justice. » C'est afin de con- contraire ce mérite reste imparfait en eux, la
vaincre par le présent ceux qui ne croient pas faveur n'est pas doublée car autrement ils ;

aux choses de l'autre vie (10.) « EtSeigneur


le tomberaient dans l'orgueil. Pour vous citer un
« est devenu un refuge pour le pauvre.» Suivant des nombreux exemples de cet enivrement,
un autre « pour l'opprimé; » suivant un autre:
: Ezéchias s'y laissa emporter Dieu néanmoins :

« pour ralfiigé. » 11 ne cesse de s'appeler ne l'abandonna pas mais lorsque son heu-
:

pauvre et mendiant bien qu'il habite un pa- , reuse victoire eut enflé son cœur, Dieu le cor-
lais. De même ailleurs « Je suis pauvre et : rigea au moyen de la mala.iie. a Secourable
M mendianl. » (Ps. xxxix, 18.) Il savait, en «dans bons moments, dans les Iribula-
les
effet, il humaines
savait bien (jue les choses ct dans les bons nio-
lions. » Qu'est-ce à dire «
ont moins de consistance qu'une ombre, et « monts?» Cest-à-dire dans les moments op-

rien ne nous appartient en propre autant que portuns. En cela il considère deux choses: le
lu vcitu, que tout le reste rcsscmbU' aux tccours donné par Dieu el l'opportunitc de co
COMMENTAIUE SUR LE PSAUME IX, >9K

secours. Car v/ bon.^ moinents o signifie ici de la protection divi»ie. De là cette variante :

ks moineiilri (raltliclion. Comment expliiiuer « Et ils se fieront en vous, » c'est-à-dire, ils


cd;i? C'est que raflliclion est la mère de la sa- auront confiance.
gesse, qu'elle sauvera riioinme de la mort et En effet, la sécurité qu'inspire une pareille
que rien n'est plus propre à adirer li grâce do es|)érance est bien plus forte (jue la tyrannie des
Dieu. Elle guérit de la mollesse et du relàchc- souffrances. Car ce sont là des choses humai-
incnt; elle rend les prières plus ferventes. Et nes, tandis que l'espoir en Dieu est un secours
de même ([ue l'hiver est une bonne saison divin et irrésistible. Après avoir dit que Dieu
pour labourer la terre, de même rallliction est venu à notre secours, qu'il a été notro
est propice pour la culture de l'àme. En elfet, refuge, le Psalmiste montre comment cela
si nous avons toujours besoin du secours de se fait. Comment donc alors fait-il? C'est quuid
Dieu, même au sein des prospérités; nous en nous persévérons dans notre espérance en
avons besoin surtout, lorsque nous sommes Dieu. Que s'il ne fait pas cesser sur-le-champ
dans l'aftliclion. « S<:countbIe. » Dans ce mot vos maux, c'est afin de vous éprouver. De
est impliquée encore une autre idée. C'est cjuc même qu'il pourrait ne pas souffrir les atta-
nous devons, nous aussi, prendre de la i»eine. ques de vos ennemis, et qu'il ks souffre néan-
On ne secourt que ceux qui travaillent eux- moins, afin de vous fortifier de même, pou- :

mêmes. 11 ne faut donc pas nous laisser abattre, vant vous délivrer tout d'abord, il remet, il
mais prier, répandre l'aumône, faire en un diffère, afin d'accroître votre fermeté, d'exercer

mot tout ce qui dépend de nous. En guerre votre espérance, de rendre plus fort votre atta-
aussi on ne porte secours qu'à ceux qui com- chement à son égard il ne permet pas que;

battent, et non aux lâches et aux fainéants. nous soyons toujours affligés, car nous nous
Par conséquent, si vous voulez obtenir l'assis- lasserions; ni car nous
toujours en repos,
lance de Dieu, ne trahissez jamais votre de- tomberions dans le relâchement. « Parce quo
voir. C'est de Cette foçon que Job obtint du se- « vous n'avez pas abandonné ceux qui vous

cours, en restant debout, en luttant. De même « cherchent. Seigneur. » Suivant un autre :

les apôtres, en déi>!oyant de l'activité, a Et « Car vous n'avez pas abandonné. » Un autre

« qu'ils espèrent en vous, ceux qui connais- dit pareillement « Considérez les anciennes
:

« sent votre nom. » (11.) Suivant un autre : « générations et voyez qui a espéré dans le Sei-
a Et ils se fieront à vous. » Telle est la G gneur et a été confondu ou qui l'a invoqué ;

marche constante du Pro[)liète ; de la prière « et a étéabandonné de lui?» (Eccli. n. M- 12.)


il passe à l'exhoilation ; coïKmc le Précepteur Et comment, dira-t-on, chercher Dieu qui est
commun de l'univers, il ou\re à tous le trésor partout ? Par le zèle, l'ardeur, le détachement
de la sagesse. 11 dit bien « qu'ils espèrent, : de toutes les choses mondaines. Souvent nous
a ceux qui connaissent votre nom. » Ceux qui croyons éloigné ce qui est sous nos yeux,
vous connaissent veut-il dire, ceux qui savent entre nos mains, et nous cherchons partout ce
ce que vaut votre assistance, ceux-là s'atta- que nous tenons, pour que notre esprit soit
chent à l'espoir en vous comme à une ancre distrait.
solide. En vous, dis-je, allié tout puissant, 6. Comment donc peut-on chercher Dieu? Il

inexpugnable àtous; à vous, qui non-seulement suffit de tenir notre pensée dirigée vers le ciel,
leur promettez la guérison de leurs maux, et d'être détaché des choses mondaines. Celui
mais ne permettez pas même qu'ils soient qui cherche, après avoir chassé toute autre
troublés de leurs épreuves actuelles. Car celui préoccu|)ation de son âme, arrive auprès de ce
qui est affranchi des pensées humaines, celui qu'il cherche. — Et ce n'est pas assez de cher-
qui place haut toutes ses espérances, celui
là- cher, il faut encore rechercher. L'homme qui
là non-seulement appelle sur lui une prompte recherche ne se borne pas à chercher lui-
délivrance, mais jusqu'au sein du malheur, il même, il a recours à l'assistance d'autrui, aliii

n'est ni troublé, ni déconcerté, parce qu'il de trouver ce qu'il cherche. Mais quand il
trouve un secours dans sa confiance en cette s'agit de choses mondaines, nous cherchons
ancre éternelle. C'est ainsi que les trois en- souvent sans trouver : cela n'est pas possible,
fants, non-seulement furent tirés de la four- quand de choses spirituelles il est
il s'agit :

naise, mais dans la foiiii.aisc mèiriC ne sen- alors de toute nécessité de trouver, dès que
tirent aucun trouble, car ik étaient assurés Ton cherche. Pour peu qiic nous nous iiieltious
596 TRADUCTION FHANXAISE DE SAINT JEAN CIIRYS0ST03IE.

en quête, Dieu ne permet point que nous nous mieux exaucée ce sont
est le , les humbles de
fatiguions c'est pourquoi il dit: « Quiconque
: cœur, ceux qui sont contrits. — 11 y a deux
« cherche trouve. » (Malth. vu 8,) « Chantez , choses ici : la prière et l'humilité. « Sur qui por-
« le Dieu qui habite Sion. » (12.) Un autre dit : « tcrai-je mes
rcgaids, » est-il écrit, « sinon sur
« Qui siège. Annoncez parmi les nations ses « l'humble, sur l'homme de paix, sur celui qui
a conseils. » Suivant un autre « Parmi les : « tremble devant mes paroles?» (Is. lxvi, 2.)

« peuples SCS actes. » Qu'est-ce à dire ? Celui Et partout on voit que l'humilité est comme
qui a pour trône le ciel, et la terre pour esca- un véhicule pour la prière. Car le Christ est
beau, celui qui tient dans sa main les confins près de ceux qui ont le cœur contrit. L'or- —
de Oui; car ici
la terre, celui-là habite Sion. gueil est donc ce que doit fuir avant tout
habiter n'implique point l'idée d'être renfermé, l'homme qui [-rie, suivant la recommandation
{la grandeur de Dieu est illimitée), mais la de Paul Sans colère et sans discussion. »
: «

prédilection du Seigneur pour cet endroit, et la (I Tim. II, 8.)— David ledit bien « Le cri des :

résidence qu'il y fait d'ordinaire afin de s'atta- « ppi'vres. » Ce cri n'est pas une élévation de

cher les Juifs par celte condescendance ; de la voix, mais bien une disposition de l'àme.

iftcme nous appelons habitation l'endroit où En disant : « il n'a pas oublié, » le Psalmiste
ncus séjournons de préférence. Et si l'on dit fait voir que les prières étaient continuelles,
que Dieu habite parmi nous, ce n'est pas à et qu'elles n'avaient pas été exaucées tout
dire qu'il soit enfermé dans cette enceinte, d'abord. Le sens est donc celui-ci : N'allez pas
c'est indiquer seulement l'attachement parti- croire que Dieu vous a oubliés et que c'est pour
culier qui l'unit à nous. Sion est ici une figure ce motif qu'il ne vous a pas vengéscar il lui :

de l'Eglise. « Car vous êtes venus vers la mon- appartient de rechercher les choses de cette
« tagne de Sion et l'Eglise des premiers-nés. » sorte, même avant qu'on l'en prie : à plus forte
(Hébr. XII, 22, 23.) Et en effet, c'est bien une raison, quand on l'en prie, et que la prière est
montagne que l'Eglise si l'on considère sa humble. « Ayez pitié de moi. Seigneur, voyez
durée, sa solidité inébranlable. Car il n'est pas « mon humiliation du fait de mes ennemis. »

plus possible d'ébranler une montagne que (Ib. li.) «Vous qui me relevez des portes de

l'Eglise de Dieu. « Annoncez parmi les nations « la mort, afin que je proclame vos louanges

« ses conseils. » Il veut que nous soyons les « aux portes de la fille de Sion. » Un autre

hérauts des bienfaits de Dieu et que jamais traduit : « Votre glorification. » Un autre :

nous ne laissions ses grâces dans l'ombre. Et « Vos éloges. » — Voyez comme il est cons-
voilà ce qu'il cherche partout, tant dans l'in- tamment fidèle à la prière. Délivré de ses
térêtde ceux qui prendront la parole que dans épreuves, en sûreté désormais , il ne cesse
celui de leurs auditeurs. Car les premiers y point pour cela de prier, de dire : « Ayez pitié
trouveront leur avantage, et les seconds aussi, « de moi, » d'invoquer Dieu pour l'avenir. En

s'ils prêtent attention. « Parce que celui qui effet, nous avons toujours besoin de la Provi-
« venge meurtres s'est souvenu d'eijx. »
les dence, et plus (jue jamais à la fin de nos maux.
(13.) — Voyez-vousde quels conseils il parle? Car alors commence une nouvelle guerre plus
De conseils bienfaisants. De jdus, il y a ici une terrible que la première, celle que nous livrent
allusion à un dogme important c'est que le : la paresse et l'orgueil : et le diable souffie alors

meurtre n'est jamais commis impunément; avec phis de violence. C'est donc principale-
que de toute façon il est puni ce qui résulte ; ment quand nos maux sont finis que nous
déjà de ces paroles de Moïse dans la Genèse : avons besoin de l'assistance divine, afin de
« Je vengerai votre sang. » (Cen. ix, 5.) C'est supporter comme il faut la prospérité. Déli-
une manjuc de l'infinie Providence, de son vrés des Egyptiens, les Juifs eurent à lutter
infatigable sollicitude. —
Si elle ne venge point contre deux ennemis redoutables, l'orgueil et
le crime sur-le-champ, ne vous en étonnez pas; lanonchalance. C'est alors surtout (pie la mort
c'est afin de donner aux coupables le moyen de les décima. i>arce qu'ils ne savaient jias se di-
se repentir. «Un'a pas oublié le cri des pauvres.» riger dans leur marche. Incapables de résister
(Rom. II, 4.) —Encore les pauvres en honneur. à la gourmandise, aux convoitises vulgaires,
D'ailleurs il ne ici des pauvres
s'agit point imitateurs des jiassions des Egyptiens, ils se
absolument, mais de ces pauM'cs d'esprit dont perdirent par De là. même David, une fuis dé-

parle le Christ. — En effet, ceux dont la prière


- livré des maux que lui avaient causés Saûl et
COMMENTAIRE SUR LE PSAr'ME IX. BOT

ses autres ennemis, une fois en repos, eut à sonnes contre les maladies aux sortilèges ,

soutenir une autre guerre plus riule eoiitre la dont elles font usage pour soulager leurs infir-
concupiscence, (jui fut pour lui un bourreau mités. Ce n'est pas là se sauver, mais se perdre.
encore plus cruel. —
Ainsi donc nous ne de- Le vrai salut ne procède (jne de Dieu. « Les
vons jamais éprouver autant de crainte, ([u'unc « nations sont restées prises au piège de per-
fois délivrés de nos maux, cedition (ju'elles avaient tendu. » Un autre dit :

7. Une l)ète féroce ne nous cause pas autant Se sont enfoncées. Par ce mot perdition, il en-
d'effroi quand elle est attachée, que lorsqu'elle tent le vice; car il n'y a point un pareil prin-
est en liberté; de même, ce n'est i)as dans cipe de perte. lUon n'est plus faiide quelemé^
Taftliction que nous devons principalement chant. 11 périt par ses propres armes, commo
craindre le vice; car alors il est enchaîné par le fer par la rouille et la laine par la teigne.
la douleur et d'autres liens encore ; c'est après Ainsi donc, avant que Dieu lui-même ait
la délivrance c|ue notre crainte doit être le fra|)pé, l'artisan d'iniejuité est déjà puni par
plus vive. Aussi verrez-vous souvent les pros- son injustice même. Après s'être étendu sur la
pérités engendrer de plus grands maux que justice d'en-haul et le secours divin, attendu
l'adversité même. Le tn [)hée d'Ezéchias ne fut que ce secours n'arrive pas sur-le-champ,
que le signal de sa perte. Voilà pourquoi David mais tarde souvent à se manifester, et que c«
dit ailleurs « C'est un bonheur pour moi que
: retard produit chez beaucoup d'hommes de la
a vous m'ayez humilié. » (Ps. cxvni, 71.) Même négligence, le Psalmiste montre que le châti-
après la délivrance il sollicite encore la misé- ment n'est pas loin, et que les méchants le
ricorde, et se fait de ses maux passés un titre subissent de la façon qu'indiciue Paul en
à compassion. « Voyez mon humiliation du
la disant « Et recevant en eux-mêmes la rétri-
:

« fait de mes ennemis. » Voici maintenant un « bulion due à leur égarement. » (Rom. i, 27.)

autre titre « Vous qui me relevez des portes


: Considérez la justesse des expressions. «Elles
f de mort. » Je me réfugie auprès de mon
la «sont restées prises; » c'est-à-dire elles ont
maître, de mon patron, de celui i\\ii ne cesse été arrêtées par la force ; elles sont tombées
de me tendre la main. Voyez-vous comme, en dans un piège d'où elles ne sauraient s'échap-
priant pour l'avenir, il se montre reconnais- per. Et ensuite « Leur pied est demeuré cap-
:

sant du passé, insiste sur le double bienfait « tif dans le filet qu'elles avaient caché. » Les

qu'il a reçu. Car il ne se borne pas à dire Vous : méchants sont pris dans des chaînes qu'ils ne
qui me délivrez des portes de la mort, mais peuvent briser. C'est ce qu'on a vu se réaliser
« Vous qui me relevez. » Le bienfait de Dieu ne pour les apùlres et les Juifs. Quand les Juifs
se born.iit pas à une délivrance; ceux qu'il faisaient la guerre aux apôtres, ils ne leur cau-
avait sauvés devenaient admirables, glorieux, saient aucun dommage, tandis (lu'ils attiraient
illiistros. S'il ne dit |)as: de la porte, mais « Des sur leur propre tète des maux innombrables,
(Sportes, » c'est pour montrer l'éleudue du Texil, l'esclavage, la perte de tous leurs biens :

danger, a Afin (]ue je [»roclame toutes vos la prédication ne faisait (|ue se répandre, tandis
a louanges aux portes de la tiile de Sion. » Ce qui. les conspirateurs succombaient. Ceux qui
qu'il a prescrit aux autres de faire, il le fait jetèrent les trois enfants dans la fournaise do
lui-même : « Annoncez, » dit-il plus haut, Babylone y furent enfermés à leiu' tour; et la
a parmi les nations ses conseils. » C'est ce que même chose arriva pour Daniel. Mais pour
je vais faire à présent, et je ne me bornerai Daniel cela se conçoit, car c'étaient eux qui
pas à en présence d'une, de deux, de
le faire l'avaient mis dans la fournaise. Mais comment
trois personnes, mais publiquement. «Je serai expliquer, en ce (jui regarde les trois enfants,
« transporté d'allègres e, à cause du salut que victimes du roi seul, que ceux qui se tenaient
a vous m'avez procuré. » (16.) Voilà ma cou- debout devant la fournaise aient été punis de
ronne voilà mon diadème ; être vainqueur
, la sorte? C'est parce que ces malheureux
par vous, par vous sauvé. A son exemple ne avaient obéi à l'ordre du tyran, et adoré la sta-
cherchons pas à être sauvés d'une façon quel- tue d'or. « Dans le filet qu'elles avaient caché.»
conque, à être tirés de danger par le premier Voyez comment il montre tout ce que leur
moyen venu demandons ; à Dieu d'être notre conduite avait d'odieux. Leur action étant in-
libérateur. J'insiste là-dessus, à cause des in- fâme, ils la cachent, ils essayent d'échajjper
cantations auxquelles recourent quelques per- aux regards. « Ou connaît le Seigneur, quand
B98 TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JE.\N CHRYSOSTOME.

« il exerce ses jugements. » (Ibid. 17.) Suivant piété engendre la mort, et le péché, les périls.
un autre connu quand il eut exercé »
: « On a : « Parce que le pamTe ne sera pas oubhé jus-
en d'antres termes quand il punit, venge, châ- « qu'à la fin : la patience des pauvres ne périra
tie. Autre bienfait attache à la punition. Non- « pas pour toujours. » (Ibid. 19.) Un autre in-
seulement elle rend meilleurs ceux qui la terprète dit : « C r l'attente des hommes de
subissent, mais encore elle fait briller la lu- « paix ne sera pas oubliée jusqu'à la fln. a Re-
mière de la doctrine, et rien n'est plus propre marquez cette exp;c?sion : « Jusqu'à la fin » :

à convaincre les hommes que Dieu s'occupe elle nous montre qu'on ne reste pas toujours
de leurs intérêts. Quand Jésus permit que le en quête du repos. Que deviendrait la patience,
troupeau do porcs fût précipité et englouti si l'on devait demeurer dans un repos conti-

dans la mer, l'admiration fut plus grande que nuel ? Voici le sens de ses paroles Les mé- :

jamais. Il en est de même pour les Juifs de chants seront punis et subiront les peines les
l'Ancien Testament. « Lorsqu'il les faisait pé- plus rigoureuses. Car Dieu ne souffrira pas que
« rir, c'est alors qu'ils le recherchaient (Ps. les opprimés soient toujours en butte aux per-
«Lxxvu, 3i),» pour parler comme le Prophète. sécutions. Par là, il console les uns, il fait peur

Et pourquoi donc Dieu n'a-t-il pas recours aux autres il fait voir la bonté de Dieu mani-
:

plus souvent à ce moyen? Parce qu'il veut que festée jusque dans ce relard qui éprouve les
la verlu soit un fruit du libre arbitre plu- uns et provoque les autres à la pénitence. —
tôt que de la contrainte, des bienfaits plu- Nouvel honneur pour les pau\Tes non pas les :

tôt que des punitions. Mais ne vaut-il pas pauvres, au sens propre du mot, mais les hom-
mieux, dira-l-on, être bon par nécessité que mes qui ont le cœur contrit. Car ce sont eux
méchant par un libre choix? Il n'est pas pos- qui sont le plus capables de résignation. Ou
sible d'être bon par nécessité. Celui qui est })lutôt ces deux choses se prêtent une mutuelle
lionnclo pirce qu'il est enchaîné, ne sera pas assistance l'humilité confirme la patience, la
;

toujours honnête; une fois mis en liberté, il patience confirme l'humilité. Que si l'on vient
retournera à ses habitudes perverses; au con- nous dire : Et comment l'humilité est-elle une
traire, celui qu'une bonne éducation a rendu espèce de pauvreté? nous répondrons : en tant
lionnêle, demeure inébranlable. « Le pécheur qu'elle offre plus de facilité pour être vertueux.
« a été i)ris dans les ouvrages de ses mains. » Le iche
i s'étourdit, perd le sang-froid. Le pau-
Non pas des mains de Dieu, de celles uu pé- vre supporte toutes les épreuve? sans se plaindre,
cheur. commeunathlèteexercédcpuis longtemps dans
8. Voyez-vous comment il varie son discours le gymnase de la pauvreté. Aussi le Christ di-
en faisant intervenir tantôt la vindicte céleste, sait-il, qu'il est malaisé à un riche d'entrer
tantôt le châtiment infligé par le vice lui- dans le royaume des cicux. Qu'est-ce à dire :

même. D'abord la vindicte céleste : « On con- a La patience des pauvres ne sera point perdue
« naît le Seigneur quand
il exerce ses juge- M jusqu'à la fin ? » C'est-à-dire, que j uuais elle

« ments. » châtiment infligé par le


Ensuite le ne périra, que de toute maniÎTc elle recueillera
\ice « Les nations sont restées prises dans le
: le fruit qui lui appartient. 11 n'en est pas ainsi
« piège de perdition qu'elles avaient tendu. » dans les choses mondaines, souvent le résullat
Et voici qui regarde encore la punition de la nous trompe, et nos piMues sont lu'rdues. Le
j)erversité par elle-même « I^e pécheur a été : laboureur attend, le mirchand de même :

« pris dans
ouvrages de ses mains. » N'allez
les mais souvent les intempéries frustrent l'un et
donc pas croire que vous préparez la ruine du l'autre du fruit de ses travaux. En Dieu, rien
prochain quand vous complotez contre lui : de it.ireil : le résultat est toujours assuré. Et ce
c'est pour vous-mêmes que vous tressez vos n'est pas mi faible motif de consolation que
tilets. « Chant, hommage perpétuel. » Suivant celle confiance inébranlable dans l'issue. « Le-

d'autres : « Cri j)erpétuel, mélodie sans lin. » « vez-vous, Seigneur, que l'homme ne se for-
En hébreu : « J'ggMdu sel. >> Que k's pécheurs ci tifie pas. » Un autre dit « Ne s'enhardisse
:

« soient itrécipilés dans l'enfer, et toutes les « pas. Que les nations soient jugées eu votre
« nalions (jui oublient Dieu. » (ix, 48.) Sui- « présence. » Suivant un autre« Devant \o~ :

vant un autre : « S'en iront. » Il insiste sur le « tre face. »> Il méchanceté ipii
a parlé de la
même sujet, continuant à montrer que le clià- l)0ssède la plupart des honunos, il a fail con-
tiiuept es! étroitemenl uni au \\cc. que l'im- naître leur perversité, leur* rapines, leurs in-
COMMENTAIRE SL'R LE PSAUME IX. 890

fiisticcs, leurs homicides. Maintenant il invo- « dans le temps de mon besoin et de mon
que Dieu au secours des opprimés. Tel est le « alfiiction? » (1.) Ainsi parle le Prophète:
cœur des saints. Ils ne songent pis seulement il supplie Dieu et l'invoque au nom des af-
à eux-mêmes connue si le monde entier n'é-
: fligés ; ce n'est un reproche
pas à Dieu ,

tait qu'une maison, et le {^emc humain ({u'une ne plai^^e ! Beaucoup d'affligés demandent le
seule personne, ils ne cessent d'invo(|uer Dieu jugement avant que l'heure en soit arrivée :

pour tous. «Levez-vous,Seigneur, (juerhonune c'est ainsi que ceux (ju'on ampute, avant que
« ne se forlitie |ias. » Qu'est-ce à dire « Levez- : l'opération soit terminée, conjurent le mé-
« vous, Seigneur? » Vengez, secourez, |)unissez decin de retirer le fer prière que leur ar- :

les persécuteurs. La simplicité des expressions rache, contre leur intérêt, l'impossibilité d'en-
est remarquahle ici « Levez- vous, que l'hom-
: durer longtemps leurs souffrances. Sou-
|»lus

« me ne se fortifie pas. » C'est pour indii}uer vent on entend crier au médecin


les vous :

le peu que nous sommes, créatures de houe, cen- me torturez vous me tuez, vous me faites
,

dre et poussière. » Que les nations soient jugées mourir. Mais ce n'est pas l'intelligence qui
a en votre présence. »C'esl-à-dire (|u'elles soient parle ainsi, c'est la douleur. Ain?i parlent
punies de leurs péchés. La longanimité ne les dans beaucoup d'hommes pu-
les afflictions
a point corrigées : demandez-leur compte de sillanimes, incapables de supporter la dou-
leurs iniquités. «Etablissez, Seigneur, un juge leur. Sophonias touche ce point quelque
sur eux; que les nations connaissent qu'ils part. Mais c'est dans le Nouveau Testament,
«sont hommes. » «Chant prolongé. » (21.) et alors les épreuves étaient modérées la :

Suivant un autre : « Toujours. » Qu'est-ce à sagesse est encore loin de ce qu'elle devait
dire: « Etablissez un juge sur eux ?» Puisqu'ils être dans
Nouveau. « Tandis que l'impie
le
agissent comme des hommes sans loi, qu'ils «s'enfle d'orgueil, le pauvre se consume; ils

ne veulent pas expier, punissez-les, châtiez- les « sont trompés dans les pensées dont leur es-
détonnais au lieu de les avertir. C'est ce qu'un « i)rit est occupé (qu'ils soient trompés, sui-

autre e\()rime en disant : Mettez, Seigneur, un « vant un autre). Car le jiécheur est loué dans
sujet d'effroi parmi eux. Considérez comment les désirs de son âme et le méchant est
ce n'est pas leur punition qu'il cherche, mais « béni. Le pécheur a irrité le Seigneur. » (2.)

leur correction, leur amendement, la fin de Le Prophète qui a pris la posture d'un sup-
leurs iniquités. Us seront châtiés, dit le Psal- pliant, qui prie Dieu pour les opprimés, in-
niiste, au lieu d'être avertis; ce n'est pas seu- dique aussi les souffrances causées par la fai-

lement dans leur intérêt, c'est encore pour les blesse humaine jusqu'au châtiment, jusqu'au
:

autres. Et pour (juc vous entendiez quel avan- supplice, l'opprimé souffre, ne pouvant se
tage et quel remède il eu résulte, écoutez la résigner au bonheur du méchant. Et ceci
suite « Que les nations connaissent qu'ils
: même est un douloureux supplice. 11 de-
« hommes. » Le sens est celui-ci. Beau-
sont mande donc que les méchants soient punis,
coup d'hommes perdent jusqu'à la conscience que leurs complots se retournent contre eux :

de leur nature, tombent dans le délire, se mé- et il fait mention d'une intolérable espèce de

connaissent eux-mêmes. Et c'est bien à propos vice « Le pécheur est loué dans les désirs de
:

qu'il ajoute «Toujours,» afin de montrer que


: « son âme. » Des choses dont on devrait rou-

ce n'est pas seulement dans les infortunes, gir, devant lesquelles il faudrait se voiler la
mais encore dans les prospérités. Mais si vous face, leur attirent des éloges, de l'admiration.
les châtiez maintenant, en proie à de vives El quel moyen de guérison reste-t-il désor-
alarmes, et pleins du souvenir de leur peine, mais, dès que le vice est comblé de louanges?
ils conserveront désormais la conscience de Nous voyons la même chose autour de nous.
leur nature jusqu'au sein de la prospérité. On vante l'une à cause de sa puissance; un
9. Voyez-vous comment il prie pour eux, autre à cause de la vengeance qu'il tire de ses
pour la guérison de leur folie? En effet, s'i- ennemis; un autre pour l'habileté avec la-
gnorer soi-même, c'est la pire des folies, et quelle il sait s'enrichir aux dépens de tout le

des frénésies. Ce dernier mal ne provient que monde. Quand il se perd, on dit qu'il s'y re-
de la nécessité mais l'autre est le fait d'une vo-
: trouve. Les éloges ne manquent à aucun ta-
lonté corrompue. « Pounjuoi, Seigneur, vous lent de ce genre mais des qualités spiri- :

« êtes- vous retiré au loin, et me négligez-vous tuelles, il n'en est pas question. Nulle part
600 TRAr rCTION FfL^NÇAISE î :INT JEAN CHRYSOSTOxME.

vous n'entendrez louer avec empressement devant les yeux, reîte conslanmieni dans l'i-

l'homme désintéressé, le y>auvre volontaire : niquité ; ce n'est plus une alternative de vice
on exaltera au contraire l'homme d'argent, et de vertu, c'est le vice tout pur; il oublie la
l'usurier, le courtisan, celui qui s'abaisse à géhenne, le jugement futur, les comptes à
des emplois serviles pour un lucre méprisable. venir; il rejette tous ces secours comme au-
Voilà ce qui gémir le Prophète c'est que le
fait : tant de freins importuns le voilà comme une ;

vice triomphe au point de s'étaler, d'avoir son barque sans lest, .'.'.andonnée à la fureur des
franc parler, et, ce qui est pis, de ne pas rou- vents et des
flots, sans guide pour remettre sa

gir que dis-je? Ce n'est as lui seulement


: ! pensée dans la voie. Voyez-vous comment le
qui se vante de ses démarches il trouve en- : coupable trouve sa ijunition dans son vice
core des flatteurs autour de lui. Quelle plus même? Eu effet, quoi de plus malheureux
détestable folie? « Le pécheur a irrité le Sei- qu'un cheval sans frein, qu'une barque sans
« gneur. » Suivant un autre « Parce que : lest, qu'un homme atteint de cécité 1

« l'homme injuste s'étant félicité des désirs 10. Eh bien ! il est encore plus à plaindre
« de son cœur, et l'avare les ayant bénis, ont l'homme qui vit dans l'iniquité, qui a éteint
« irrité le Seigneur. Quand sa colère s'est en de Dieu, qui n'est plus qu'un
lui la crainte

« élevée, il ne recherche plus. » Un autre dit : malheureux captif. « Il triomphera de tous —


« Parce qu'il a chanté dans la passion de son « ses ennemis. Car il a dit dans son cœur : Je
« âme, et que l'avare ayant béni, a offensé le « ne serai point ébranlé : de génération en
« Seigneur. Un impie dans l'enivrenijut de c( génération je resterai à l'abri du mal. » 0.

« son cœur ne recherche plus. » Les Septante D'après un autre d'un souffle tous
: « 11 dissipe

traduisent « Le pécheur a irrité le Seigneur


: : « ses ennemis, disant dans son cœur je ne se-
«dans grandeur de sa colère, il ne re-
la « rai pas ruiné dans la suite des générations.
« cherchera pas. » Voyez- vous à quel excès « Car je ne serai i)as dans l'alfliction. » Voy*
en est venue leur perversité? Pourquoi parler quel orgueil I quelle affreuse perdition ! quel
de l'affliclion que cela cause aux pauvres? acheminement mort! Voilà pourtant c^
à la

Dieu môme en est irrité. « El dans la grandeur qu'admire la sottise un abime d'infortune. :

« de sa colère, il ne recherchera pas » en- : Vous savez maintenant comment se fait le


tendez a Dieu. » Un autre croit qu'il s'agit ici nauCrage. Le coupable est loué dans ses péchés,
de l'impie dans son enivrement, » c'tst-à-
« béni dans ses iniquités. Voilà le premier abime,
dire, son orgueil, sa présomption. Voyez quel bien suffisant pour tuer çc-lui qui n'y prend
excès de démence, quelle perdition? Le voilà pas garde.
ennemi de tous les siens, brouillé avec la Nous devons donc accueillir avec plus de
vertu, amant et panégyriste du vice. Un au Ire gratitude les reproches et les réprimandes que
dit admirablement : « Dieu n'est pas dans les éloges, que de pernicieuses flatteries. Voilà
« toutes ses pensées, » indiquant par là qu'il ce qui perd les sots et les pousse à de plus
ne recherche [)as Dieu, parce que son esprit graves fautes, comme en inspirant l'orgueil à
est plein de ténèbres, parce (ju'il n'a pas la ce i^écheur, on lui enseigna la démence. Aussi

crainte de ce saint nom devant les yeux. De Paul dit-il aux Corintliiens en parlant du fdf-
môme que la chassie tiouble la prunelle, de niealcur : a El vous êtes enflés, et vous n'avea

même le vice obscurcit l'intelligence et la pas gémi plutôt?» (l Cor. v, 2.) Il faut gémir,
pousse à sa perle. « Dieu n'est pas en sa pré- gémir encore sur le pécheur, et non pas le
« scnce. » (5.) D'après un autre : « Dans toutes louer. Vous avez vu cette méehanctté qui ar-
« ses pensées. Ses voies sont profanées en tout rive à l'excès parce qu'au lieu de la gourman-
a temps, vos jugements sont ùtés de ilevaut der, on lui donne des louanges. Aussi égaré à
a sa vue. » Un autre dit : « Votre jugement a par son propre délire et par ces elogvs
la fois
a été enlevé. » le pécheur redouWc de perversité, il oublie
Voyez-vous quel est le fruit du vice ? La lu- Dieu et ses jugements; il oublie jusqu'à sa
mière s'éleiut chez le coupable, son esprit s'a- propre nature. En elfet celui qui oublie les ju-
veugle, il comme un captif à la mé-
est livré gements de Dieu huit avec le temps par s'ou-
chanceté. De même qu'on voit souvent un blier lui-même. Voyez comment il raisonne.
aveiigle tomber dans im abîme, auisi le pé- « Je ne serai pas ébranlé dans la suite des

cheur, (juand il n'a plus la crainte de Dieu « géucrations, et je serai à l'abri du mal. y Quel
COMMENTAIUE SUR LE PSAIME IX. 601

excès do clémence? Etre homme moi tel, en- roce ? On dirait (}ue le Prophète décrit un ani-
touré de choses |)éri?sal)Ies, exj)osé à mille vi- nial de ce genre, à voir connue il parle de ses
cissitudes, et concevoir une pareille illusion ? ruses, de ses embuscades, de ses artifices. Lt
D'où lui vient-elle! Delà déraison. Eu elVet, quoi de pins malheureux, de plus pauvre que
lorsqu'un homme déraisonnable, jouit irujio cet homme réduit à convoiter le bien du i)au-
parfaite prospérité, qu'il triomphe de ses en- vre?L'aitpellerons-nous encore un riche, dites-
nemis, qu'il se voit loué, admiré, il devient le moi ? Appelons donc ainsi les voleurs et les
plus malheureux des hommes. Faute de s'at- brigands. A Dieu ne plaise dira-t-on. Mais
!

tendre aux chan}:;enients de fortune, faute de quoi ! s'il ne force pas les portes, s'il n'attatiue

porter sagement sa félicité, [>ouv peu qu'il pas pendant la nuit, n'emploie-l-il pas la ruse
vienne à tomber dans l'adversité, il se trouble, pour éteindre le flambeau du juge? S'il ne
se déconcerte, parce qu'il n'y était point pré- choisit pas le moment où l'on dort, s'il opère
paré. 11 justiue dans
n'eu fut pas ainsi de Job : rini(|uilé sous les yeux de tous, n'en est-il pas
la félicité, il chaque jour du
se préoccupait que plus audacieux? Les lois ne punissent-elles
malheur c'est pourquoi il dit « La crainte
: : pas le vol du jour plus sévèrement que le vol
«que j'éprouvais nfesl venue; celle que j'a- de nuit?
« vais ressentie s'est réalisée pour moi. Je n'ai Voyez-vous combien il est pauvre? voyez-
« pas été en paix, en repos, je ne me suis point vous combien il est inhumain ? Pau\re, parce
« relâché ce[iendant la colère est venue pour
: qu'il convoite le bien du pauvre. Inhumain
a moi. » (Job, ni, 2o-:2G.) C'est pouniuoi un au- parce que le malheur ne peut !o fléchir, et
tre encore a dit Souviens-toi du temps de
: i( qu'au lieu de prendre en compassion la mi-
« disette au temps d'abondance, de la pauvreté sère et de la secourir, il l'opprime. Mais tant
« et du besoin au jour de la richesse » (EccH. de crimes ne restent pas impunis: quand il
xvm, 25.) Mais le pécheur dont il s'agit ici, une est victorieux, qu'il croit triompher, qu'il se
fois perverti, ne songe plus à la fragilité hu- flatte d'être invincible, c'est le moment de sa
maine, il croit que sa bonne fortune lui assure ])erte : afin (ju'en cela éclate la puissance de
une félicité invariable ce qui est un principe
: Dieu, la patience du pauvre, l'obstination du
de folie, de perdition complète, une cause de lîOcheur et la longanimité divine. Voilà pour-
ruine. N'allez donc point vanter le bonheur quoi le châtiment n'est pas instantané Dieu, :

des riches, de ceux qui triomphent de leurs par sa patience, invite le coiijiable à la péni-
ennemis, de ceux qu'on félicite au sujet de ces tence mais ([uand ce délai demeure inutile,
:

prospérités. Autant de gouffres, de précipices c'est le châtiment que désormais il l'avei-


par
profonds pour ceux qui ne prennent pas garde, tit. Quant aux o[)primés, ils n'ont subi aucun

c'est par là qu'on tombe jusqu'au fond de l'im- dommage iis sont devenus meilleurs et plus
:

piété. Sa bouche est pleine de malédiction,


« glorieux grâce à leurs tribulations. Dieu, de
« d'amertume et de tromperie. Le travail et la son côté, a déployé sa longanimité, sa pa-
« douleur sont sous sa langue. (Ps. ix, 7.) » Un tience, etdu même coup, sa force, sa sagesse:
autre dit : a Inutilement, il se tient assis en quand le pécheur était au faite de sa
car c'est
« embuscade avec des riches dans les lieux ca- puissance qu'il en a triomphé. Pour l'incorri-
« elles, afin de tuer l'innocent.» (8.) Suivant un gible, il subit le plus rigoureux des châtiments,
autre : « En embuscade auprès du palais , ses et c'est là un avertissement qui u'est pas d'une
« yeux regardent vers l'innocent. 11 est en em- médiocre utilité pour les heureux.
« buscade dans un lieu retiré comme un lion 11. Gardez- vous donc, s'il vous est donné
« dans sa tanière. » (9.) D'après un autre : de vaincre vos ennemis si vous voyez toutes
,

« Dans son fort, il complote d'enlever le pau- choses aller selon vos vœux, gardez-vous de
« vre,d'enlever le pauvre en l'attirant.» (10.) «11 vous abandonner avec confiance à l'iniquité :

« l'humiliera dans son piège. » Un autre traduit : ne soyez au contraire que plus circonspects.
a Dans son filet, il se penchera et tombera Car, si vous restez méchants, en même temps
« lorsqu'il sera devenu maître du i)auvre. » que votre perversité s'accroît, votre justifica-
Suivant un autre : « L'aflligé sera courbé, lors- tion devient plus difficile, vos titres au pardon
« que celui-ci sera tombe avec ses forts sur les s'effacent. « Il a dit en son cœur Dii u a ou- :

« faibles. » « blié il a détourné son visage


;
pour ne plus ,

Voyez-vous que ce n'est plus qu'une bêle fé- « voir jiujqu à lafiu.» (11.) Voyez dans quel abîme
C02 TRACL'CTION FRANÇAISE DE SAINT JE.VN CIIRYSOSTOME.

(le p(.i(]ilion le \oil;i tor.;bé; quelles opinions c'( st sa force, sa puissance, c'est la méchanceté
il £0 lorine , opinir-ris qu'à h. vérité il n'ose qui le dévore. Ensuite, il prie qu'il lui soit
exprimer tout haut mais qu'il roule en lui- demandé compte de ses actes, et afin de mon-
riiôine , powr lutler contre la
<lais ses eflf^ts ,
trer la grandeur de son iniquité, il dit Si cel? :

vérité, pour répanilrc les térjcbrrs de son se fait, il ne pouna se tenir debout, ni se
propre aveuglement sur des choses plus claires montrer; il périra, disparaîtra, sera complète-
que le solci'. « L'-vez-vous, Seigneur, mon ment anéanti, pendant qu'on examineia sa
« Dieu que votre main s'élève N'oubliez pas
! ! conduite. — Ainsi donc que
personne ne gé-
a les pauvres. (12.) Pourquoi l'impie a-t-il irrité misse de se voir orphelin ou pauvre. Le se-
«Dieu? c'est qu'il dit dans son cœur: il ne cours donné par Dieu est proportionné à
a recherchera pas. (13.) Vous voyez que vous rétendue de ces maux. Que personne en se
« êtes témoin de la peine et de la colère pour le voyant puisséint ne conçoive ni orgueil, ni
livrer entre vos mains nun autre dit «Vous ; : présomption. Car la giandeur est un séjour
a avez vu que vous considéreriez.» (14.) dangereux, d'où l'on est facilenîent précipité,
L'impie^ l'avare, le spoliateur parlent ainsi, quand on n'y prend pas garde. « Le Seignt ur
croyant échapper au châtiment mais le pro- ; régnera dans l'éterniié el dans les siècles des
phète le tire complétant par là ce
d'erreur, siècles. » (13.) Il répond ici à ceux qui sont

qui a été dit de la longanimité. Le pécheur a ébranlés en voyant que les coupables ne sont
dit « Il a détourné son visage pour ne pas
: pas punis sur-le-champ Que craignez-vcis? :

avoir jusqu'à la fin. » Le Prophète dit, au dit-il ;


que redoutez-vous? Avons-nous arK:ire
contraire Vous voyez, vous savez et vous pa-
: à un juge mortel? Sa royauté doit-elle finir?

tientez, jusqu'à ce qu'ils tombent entre vos Si lechâtiment n'est pas venu, il viendra. Car
vos mains? Qu'est-ce à dire « Le livrer entre : Celui qui demande les comptes est toujoui'S
a vos mains. » C'est le langage dos hommes. là-haut, et son règne est éternel... « Vous pé-
Le sens est celui-ci Vous patientez, vous at-
: « rirez, nations, de dessus sa terre. Vous avez
tendez qu'ils soient livrés à l'excès de la mé- « entendu !e désir des pauvres. Seigneur Votre !

chanceté. Du premier coup vous pourriez les « oreille a ouï la prép'aration de leurs cœurs. »

faire périr mais l'océan de votre mansuétude


:
(17.) Un La disposition. » Un
autre dit : «
est sans bornes; vous les voyez et ne les pour- autre : « Vous préparez leurs cœurs, de façon
suivez pas, vous attendez qu'ils se repentent. a (jue votre oreille les entende. Jugez l'or-
S'ils refusent, alors vous les punissez, voyant « phelin et Thumble, afin que riiomnie n'en-

que votre longanimité n'a produit aucun fruit « treprenne plus de se glorifier sur la terre. »
pour eux. La suite fait voir à quel point Dieu (18.) D'après un autre a L'orphelin et l'af-
:

s'inquiète du sort des opprimés a Le pauvre : « fligé. »

a vous a été confié, vous a été un protecteur Voyez- vous comment le Prophète s'occupe
a pour l'orphelin. » Un autre dit « Vous êtes : spécialement des soins que réclament les mé-
devenu un autre « Vous serez. » Il veut
; : chants? En effet, leur mar.ieur est- le pire de
dire : voilà votre office, votre prérogative. tous. L'opprimé perd de l'argent le pécheur ;

En effet, Dieu ne saurait délaisser son œu- est en butte au plus grand des périls. Que
vre, manquer à sa tâche. De même qu'il ap- sera-ce, s'il ignore le degré de sa maladie?
partient à un maçon de bâtir, à un pilote de Ainsi s'accroît leur démence , el c'est par là
diriger les vaisseaux, au soleil de luire : ainsi surtout qu'ils sont à jilaindre ; ainsi ils se con-

il appartient à Dieu de protéger les orphelins, firment dans leur ignorance. Les enfants ne
de tendre la main aux pauvres. Ils n'ont d'au- nullement de ce qui est à craindre,
s'effrayent
tre patron que lui seul. Voilà le sens de ce — ils vont jusfiu'à approcher leurs main;; du fou;

mot « a été confié ; » personne , si ce n'est en revanche, ils tremblent, ils frissonnent à la
TOUS, ne protège les orphelins et les pauvres. vue d'un simple masque. C'est l'image de ces
a Ihoyez le bras du pécheur et du méchant, avare? qi:i redoutent la pauvreté, laquelle n'a
a Son péché sera recherché et ne sera pas rien d'ethayant, qui est au contraire un prin-
a trouvé de lui-même. » (15.) D'après un aulre : cipe de sûreté et mettent au-dessus de toute une
« One son impiété soit recherchée , afin qu'il richesse mal actpnse, possession bien autre-
a ne soit pas Irouvé lui-même. » Ce n'est point ment redoutable que le feu. La cupidité, voilà
précisément le pécheur qu'il désire voir broyer, ce qui est absolument un mal. .\nssi le Pro-
tiOMMENTAlUE SUR LE PSAUME IX. C03

pliète coiislammciit de nous en


s'efforco-l-il ter des richesses superflues. De là naissrnl ; si

vu nous menaçant, en nous faisant


corrif,'t;r, l'on n'y prend garde, bien des maux; orgueil,
peur, eu piiaut Dieu de se lever pour punir paresse, envie, vanité, et bien d'autres. Vou-
une pareille instiisibilité. Et voilà pourquoi il lez-vous y échapper? coupez-en la racine; si
ajoute « Vous périrez, nations, de dessus ?a
: vous l'ôtez, vous ne verrez point croître ces
« terre. » I*ar là il menace les avares d'exter- rejetons de malheur. Et ce langage n'est pas
mination, il prie Dieu de secourir et de venger destiné seulement à frapper nos oreilles, mais
les opprimes, de leur ajiporter le soulagement encore à nous corr ger, à nous rendre ver-
et la correction à leurs persécuteurs. Que per- tueux en Jésus-Christ, à qui gloire et puis-
sonne ne s'avise, par conséquent, de convoi- sance dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

PIN DD CIIXQPIKMB VOlVMi:


TABLE DES MATIÈRES
CONTENUES DANS LE CINQUlÈilE VOLUME.

e»'T?O ^ C-J

HOMÉLIES SUR LA GENESE

Avertissement. SEPTIEME HOMELIE.

Kt Dicn Oit : que les eaux produisent des animaux vi-


l'REMIERE HOMELIE. vants qui nagent dane l'eau, et des oiseaux qui vo-
lent sur la terre, sous le tirmauient du ciel , et il fut
fait ainsi. Dieu créa donc les grands poissons et tous
DEUXIEME HOMELIE. ,

les animaux qui ont la vie cl le mouvement, que les


Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. eaux produisirent, chacune selon leur espèce, \ficu. i,
20, 21.) 35

TROISIÈME HOMÉLIE.
HUITIÈME HOMÉLIE.
Suite de rcs paroles : Au commencement, Dieu créa le
cit'l cl la lorrc, jusqiics à celles-ci : cl du soir au El Dieu dit Faisons rtiomme h notre imape el ^ notre
:

matin se (il le picuiier jour. 12 ressemblance cl qu'il domine sur les poissons de la
;

mer, et sur les oiseaux du ciel, ol sur les animaux, et


sur toute la terre, el sur tuus les roiili'.c» qui se meu-
QUATRIÈME HOMÉLIE. vent sur la terre. (Gcu. i, 26.) 42

nicn dit aussi : que le firmament soit fait au milieu des


eaux : et qu'il sépare les eaux d'avec les oaiix, et cela
NEUVIÈME HOMÉLIE.
66 6t ainsi. n
Suite de ces paroles : faisons l'homme à notre image «I
à notre ressemblance. 47
CINQUIÈME HOMÉLIE.

Dieu dit : que les eaux qui sont sous le ciel se rassem- PIXIÈ>rE HOMÉLIE.
blent en un seul lieu, et que l'aride paraisse. ai
Suite de ces paroles : faisons riiomme à notre image, et
à notre ressemblance, et Dieu créa rbomme; et il le
SIXIÈME HOMÉLIE.
créa à l'iuiage de Dieu : il les créa mile et femelle.
Et Dieu dit : que des corps de lumière soient faits dans (Gcn. I, 26, 27.) 58
le firmanunt du ciel, cl qu'ils éclairent la terre, .Tfin

qu'ils séparent le j'iur el la nuit, cl qu'ils servent de


OX/.IÈME HOMÉLIE.
signes pour niarquer les temps cl les saisons, les Jours
et les auuces. 29 Qu'il faut estimer la vertu, imiter les saints, qui, étant
TABLE DES MATIÈRES. 005

de même nature que nous, l'ont pratiquée eKcellem- VINGT- TROISIÈME HOMÉLIE.
meut; la négligence sera sans excuse. 59
Noé trouva grilice devant le Seigneur Dieu. Voici les géné-
rations de Noé. Noé était un liumnie juste, accompli
DOUZIÈME HOMÉLIE. dans son temps. Noé plut à Dieu. (Gen. vi, y.) 143

Sur ces paroles : Ceci 0:^1 lo livre de la création du ciel


et de la terre, quand ils furent créés, au jour que Dieu VINGT-QUATRIEME HOMICLIE.
Cl le ciel et h terre. (Gen. ii, i.) M
Noé engendra trois fils, Sem, Cham, et Ja|)liet. Or, la
terre était corrompue devant Dieu, et remplie d'ini-
TREIZIÈME HOMÉLIE. quité. 150

Or le Seigneur Dieu avait dans Eden, vers l'Orient, un


jardin de délices, et il
y plaça l'homme qu'il avait VINGT-CLVOUIÈME HOMÉLIE.
formé. 70
Noé avait si.x cents ans lorsque les eaux du déluge inon-
dèrent la terre. IGO
QUATORZIÈME HOMÉLIE.
Et le Seigneur Dieu prit l'iioinme qu'il avait formé, et VI.N'GT-SLXIÈME HOMÉLIE.
le plaça dans le jardin de délices pour le cultiver et
Et Dieu se souvint de Noé, de toutes les bêtes sauvages,
le garder. (Gen. ii, ^5.) 75
de tous les animaux domestiques, de tous les volatiles
et de tous les reptiles qui étaient avec lui dans l'arche.
QUINZIÈME UOMÉLIE. Et Dieu fît venir un vent sur la terre et l'eau s'arrêta.
(Gen. vm, i.) ig9
Mais ilne se trouvait point pour .\dam d'aide semblable
à lui Dieu envoya donc à .\dam un profond sommeil;
:

et pendant qu'il dormait, D;eu prit une de ses eûtes et VLNGT-SEPTIÈ.AtE HOMÉLIE.
mit de la ctiair en sa pince. Kt Dieu produisit la
El Noé dressa un autel au Seigneur, et il prit de tous les
femme de la côte qu'il avait ùlée à Adam. (Gen. ii,21,
oiseaux purs, et il offrit un holocauste sur l'autel. 176
22.) 81

VINGT-HUITIEME HOMELIE.
SEIZIEME HOMELIE,
Dieu dit encore à Noé et à ses enfants aussi bien qu'à
lis étaient nus et n'en rougissaient pas. 87 lui : Je vais faire alliance avec vous et avec votre race
après vous, et avec tous les animaux vivants qui sont
avec vous, tant les oiseaux que les animaux domesti-
Dl.X-SEPTIÈME UOMÉLIE.
ques et toutes les bétes de la terre. (Gen. ix, 9, 10.) 185
Et ils entendirent la voix du Seigneur Dieu qui s'avançait
dans le jardin, après le milieu du jour. 94
VINGT-NEUVIÈME HOMÉLIE.
Noé, s'appliquant à l'agriculture, commença à cultiver la
DIX-HUITIÈME HOMÉLIE.
terre, et il planta une vigne, et il but du vin et il

Et Adam donna à sa femme le nom d'Eve, parce qu'elle s enivra. 192


est la mère de tous les vivants. Et le Seigneur Dieu tit

à Adam et à sa femme des tuniques de peau, cl il les


TRENTIÈME HOMÉLIE.
en revêtit ; et il dit : Voici Adam devenu lomme l'un

de nous. (Gen. m, 20, 21, 22.) 103 Toute la terre avait une même langue et une même pa-
role. 202
DIX-NEUVIÈME UOMÉLIE.
TRENTE-ET-UNIEME HOMELIE.
Caïn se relira de devant la face de Dieu, et nabita dans la

terre de Naid, en face de la région d'Eden. 113 Et Thara prit Abram et Nachor, ses fils, et Loth fils d'A-
ran, et Sara, sa bru, femme d'Abram, son fils, et il

VINGTIÈME HOMÉLIE. les emmena de la terre des Chaldéens pour les con-
duire au pays des Chananéens ; et il vint jusqu'à Cbar-
Et Cain dit à son frère Abel : sortons dans la campagne. 119 ran et s'y établit. (Gen. xi, 31.) 209

VINGT-ET-UNIEME HOMELIE. TRENTE-DEUXIÈME HOMÉLIE.


Voici le dénombrement de la postérité d".\dam ; au jour Le Seigneur aiiparut à Abraham et lui dit : Je donnerai
que Dieu créa riioinme. Dieu le fil à sa ressemblance ; à ta postenté cette terre ; et là Abraham dressa un
il les créa mile et femelle, et il leur donna le nom autel au Seigneur qui lui était apparu. (Gen Xii, 9.) 2l(i
d'Adam, au jour qu'il les créa. (Gen. v, 1, 2.) li?6

TRENTE-TROISIEME HOMELIE.
VINGT-DEUIIÈME HOMÉLIE.
Abram était très-riche en troupeaux, en argent et en

Et Noé était de cinq cents ans,


âgé et Noé engendra or. Et il revint au lieu d'où il était parti , au désert
trois fils, Sem, Cham et Japhet. Et il arriva, quand les jusqu'à Rélhel, jusqu'à la place où était auparavant sa
hommes eurent commencé k se multiplier sur la terre, tente entre Béthcl et Angi , à la place de l'autel qu'il

qu'il leur naquit des filles. (Geu. v, Ui elV), 1.) 13^ avait dressé là autrefois. (Gen. xiu, 2, 4.) 22»
606 TABLE DES MATIÈRES.

TRENTE-QUATRIEME HOMELIE. QUARANTE-SIXIÈME HOMÉLIE-


Le Seigneur dit à Abram après qu'il se fût séparé de Et Sara dit : qui annoncera à Abraham que Sarra nourrit
Lolh : lève les ytux à partir de la place où lu es un enfant de son lait, que enfanté un fils dans ma
j'ai

maintenant, au nord et au midi, à l'orient et vers la vieillesse? 313


mer, car toute cette terre que tu vois, je te la don-
nerai. (Gen. xiii, 14, 15.) 231
QUARANTE- SEPTIÈME HOMÉLIE.
Après cela Dieu tenta Abraham. 3lv
TRENTE -CINQUIÈME HOMÉLIE.
1 arriva pendant le règne d'Amarphath, roi de Sennaar,
QUARANTE-HUITIÈME HOMÉLIE.
qu'Ariocli, roi d'iiiasar et Chodologomor, roi d'Elam,
et Taitiiac, roi des Nations, lirent la guerre contre le Les de Chet répondirent à Abraham, et lui dirent :
fils

roi deSO'iome. (Gen. xiv, i, 2.) 237 Vous êtes parmi nous un roi qui nous vient de Dieo;
enterrez dans nos plus beaux sépulcres, la personne
qui vous est morte. (Gen. xxix, 5, 6.) 323
TRENTE-SIXIEME HOMELIE.
Après ces paroles, la voix du Seigneur fut adressée à QUARANTE-NEUVIÈME HOMÉLIE.
Abram pendant une vision dans la uuit, disant Ne :

crains rien, Abram, je le protège, ta récompense sera Voici quelle fut la postérité d'Isaac, fils d'Abraham. 331
grande. (Gen. xv, 1.) 245

CINQUANTIÈME HOMÉLIE.
TRENTE- SEPTIEME HOMELIE. Rébecca conçut, et les deux enfants s'enlre-choquaient
Dieu dit à Abram : Je suis le Dieu qui t'ai tiré du pays dans son sein. 335
des Chaidéens, pour te donner cette terre, afin que tu
la possèdes. Et il répondit : Seigneur, mon Maître, à CINQUANTE- ET-UNIÈME HOMÉLIE.
quoi recounaitrai-je que je dois la posséder? (Gen.
XV, 7.) 251 Cependant il arriva une famine en re pays-là, comnie il

eu était ariivé une au temps d'Abraham. 3;js

TRENTE-HUITIÈME HOMÉLIE.
CINQUANTE-DEUXIÈME HOMÉLIE.
Sara, la femme d'Abram, ne lui donnait pas d'enfant,
mais elle avait une servante Egyptienne, nommée Agar. 257 Isaac sema ensuite en ce pays-là, et il recueillit, l'année
même, le centuple. 3t2

TRENTE-NEUVIÈME HOMÉLIE.
CINQUANTE-TROISIÈME HOMÉLIE.
Quand Abraham eut quatre-vingt-dix-neuf ans, Dieu lui
apparut. 2t>4 ffr, Esaû, ayant quarante ans, épouse Judith, fille de
Béel, du pays de Chet, ci Joseniath, OUe d'Elom , du
pays d'Eva, et elles querellaient Isaac et Rebecca. 348
QUARANTIÈME HOMÉLIE.
Et Dieu dit à Abraham : Sara, ta femme, ne s'appellera CINQUANTE-QUATRIÈME HOMÉLIE.
plus Sara, mais Sarra sera son nom. 269
Rébecca appela son plus jeune fils et lui dit. 354

QUARANTE-ET-UNIÈME HOMÉLIE.
CINQUANTE-CINQUIÈME HOMÉLIE.
Dieu apparut à Abraham, près du cbène de Mambré,
lorsqu'il était assis à la porte de sa tent >
à midi. 274 Et Laban Jacob parce que vous êtes mon frère, ce
dit à :

n'est pas une raison pour que vous me serviez gratuite-


ment. Diles-moi quelle rétribution vous désirez. 3C.'

QUARANTE-DEUXIÈME HOMÉLIE.
Ces hommes s'élant donc lovés de ce lieu, tournèrent les CINQUANTE-SIXIÈME HOMÉLIE.
yeux vers Sodonie et Gomorrhe. 281
Et Jacob dit à Laban : Donnez-moi ma femme, car les
jours sont accomplis où je dois être admis auprès
QUARANTE-THOISIÈME HOMÉLIE. d'elle. 367

Les deux anges vinrent à Sodomc, le soir. 'J'JU


CINQUANTE-SEPTIÔE UÙMÉLIE.

QUARANTE-QUATRIÈME HOMÉLIE. Or, il arriva que, lorsque Racbel eut enfanté Joseph, Jacob
dit à Laban : Laissez-moi aller, alin que je retourne
Or, Abraham s'élant donc levé le matin, vint au lieu où dans mon pays et ma patrie, vt^en. xxx, 2'j.) 373
il avait été auparavant avec le Seigneur. liU'J

CI.NQUANTE-liriTIÈME lluMÉLIE.
QUARANTE-ChN'ÛUlÈME HOMÉUE.
El Jacob livanl les yeux, vil le camp de Dia»i; et les
Abraham élaut parti de ll^ pour aller du côié du Midi, anges do Dieu se préseulèrent à sa rencontre; Jacob
habita entre C.adès et Sur, et il alla à Gérara, pour y les ayaut vus dit c'i^l lit le camp de Dieu; cl il ap-
:

demeurer quelque temps. SOU pela col endroit le camp. i^Gen. xsXii, 1, 2.) asj
TABLE DES MAÏIÈKES. 607

CINQUANTE-NEUVIÈME HOMÉLIE. courut toute la terre d'Egypte : rt la terre donna des


gerbes dans les sept années du feriilité : et il recueillit
FA Jacob vint i Salem ville di s Sichiiniles, et il acheta autant do blé qu'il y a do sable dans la mer. 415
de Hémor, père de Sichem, une portion de terrain, au
prix de cent agneaux ; et il y dressa un autel, et il

invoqua le Dieu d'IsraCl. (Gon. xxxiii, 18, 20.) 388 SOIXANTE-CINQUIÈME HOMÉLIE.
Et ils revinrent d'E^^ypte, et ils arrivcri ni dans le pav^
SOIXANTIÈME HOMÉLIE. de Chanaan auprès de Jacob, leur père, et ils lui Tirent

leur rapport, disant : Ton fils Joseph u.st i;n vie, et il


'.t il y établit un autel, et il donna à ce lieu le nom de commande à toute la terre d'E^^pte. Kl Jacob domeura
Bélhel : car c'est, là que Dieu lui était apparu, lorsipi'il
siupélait, car il ne les croyait pas (Gen. XLV, 25, 2G.) i

fuyait de devant son frère Esaù. (Gen. xxxv, 7.) 393

SOIXANTE-SIXIÈME HOMÉLIE.
S0IXAJ(TE-ET-UN1EME HOMELIE.
Le temps de la mort d'Isiaèl approchait, il appela son
Voici qnelle était la famille de Jacob : Joseph étant ft^ré de lils Joseph et lui dit Si j'ai trouvé (,'râi;e devant toi,
:

dix-sept ans, paissait les troupeaux avec ses frères. place ta main sous ma cuisse, jure-moi que tu me
(Gen. xxxvii, 2.) 397 feras uue faveur et quo tu me ticn.lras parole no :

m'enterre point dans la terre d'Epypte. Je veux reposer

SOIXANTE-DEUXIÈME HOMÉLIE. à côté de nos pères; tu me transporteras hors de


l'Egypte, et tu m'ens.'vdiras d.ins leur tombeau. —
Et Juda vit la fille d'un Chananéen qui s'appelait Sava; Joseph répondit : J'accoinpliiai tes vulontés. — Jure-lc-
et il la prit et vint vers elli' ; et elle conçut et enfanta inni, dit Israël. Et il le jura Et I.-raël b'inclina profon-
unills que l'on nomma Er. (Gen. xxxviii, 2, 3.) 403 dément devant le bàlon de comuianduiueul que portail
Joseph. (Gen. xLVii, 29, 31.) 430

SOIXANTE-TROISIÈME HOMÉLIE.
SOIXANTE-SEPTIEME HOMELIE.
Et le gouverneur de la prison ne savait rien de ce qui se
passait, grâce à Joseph. 400 Israël dit à Joseph : Voici que je meurs, et Oicu vous
fera retourner de celle contrée au pays de vos pères.
Je le donne de plus qu'à les frères Sichcm que j'ai
SOIXANTE-QUATRIÈME HOMÉLIE.
prise avec mou glaive et mon arc. (Geu. iLViii, 21,
Mais Joseph s'éloigna d« la présence de Pbuaoa, et par- 22.) 435

DISCOURS SUR LA GENESE.

PREMIER DISCOURS. contre les auditeurs inattentifs, et ceux qui n'honorent


pas leurs parents. 452
Pourquoi Dieu a dit en parlant du soleil, et de la lune,
et du ciel , et des autres créatures Qu'il soit /ait ! :

et au contraire, en parlant de l'homme Faisons; et :


CINQUIÈME DISCOURS.
que signifie : A notre image? (Gen. i, 3, 6, 26.) 441
Que nous ne devons pas à Adam d'être punis, mais que
nous lui devons des biens plus grands que les maux si
DEUXIÈME DISCOURS. nous voulons faire allenliou à notre salut ; contre
ceux qui négligent les pauvres. 4âd
Prononcé au commencement du carême sur ce verset :
A u commencement , Dieu créa le cifl et la terre
(Gen. I, 1); sur le jeûne et sur l'aumône. 446 SIXIÈME DISCOURS.

De l'arbredu paradis. Est-ce de cet arbre qu'Adam a tiré


TROISIÈME DISCOURS.
la connaissance du bienet du mal, ou, même avant

Sur ces mots : A notre ressemblance (Gen. I, 2fi); et de manger du fruit, était-il doué fie la faculté de faire
pourquoi, malgré ce que Dieu nous a dit d'exercer ce discernement? Réflexions -ur le jeûne; il faut mé-

notre empire sur les animaux, nous n'avons pas cet diter à la maison, sur les paroles entcuducs dans l'é-

empire, et une preuve de grande glise. (Gen. Il, 17 et suiv.) 4G2


qu'il y a là la solli-

citude de Dieu à noire égard. 449

SEPTIEME DISCOURS.
QUATRIÈME DISCOURS.
Pourquoi cet arbre est-il appelé arbre de la science du
Que le péché a introduit trois espèces de servitude ;
bien et du mal; et que signifie cette parole : Aujottr-
608 TABLE DES MATIÈRES.

d'h'i, volts serez avec moi dans le p(radi>? (Gen. >FUT!FME CISCOÙRS.
11,9; Luc, XXUl, 43.) 463
De qnellp -iianière il fart leprendrc ses frèrfs, et qu'il
nuiTiÈJfE riscouRS. CfiiMt-nt d'avoir soin ik I.ur salut; et [lOU'qnoi Abram
a été n\ Abraham
c\{-. — Réflexions sur le nom de
Sur le temps qui e>t à la pluie; sur les évèque- qui Noé : que les noms de '•os hommes justes ne leur ont
se trouvent réunis; sur le iiiéceii'f donne à Adam; la
pas été donnes au ha^arJ, mais par une dispositioD de
loi qu'il a reçue est uu effet de la grande sollicitude la providence de Dieu. 471
de Dieu. 467

HOMÉLIES SUR ANNE.


PREMIERE HOMIXIE. QUATRIEME HOMELIE.
Qu'il faut se souvenir du jeûne même le jour de la Pen- Contre ceux qui désertent la réunion des fidè'es pour
tecôte et en tous les temps; que non-seulement l'actua- aller dans les théâtres. non-seulement plus — Qu'il est
lité même du jeune, mais que le souvenir en est utile. utile, mais encore plus agréable d'occuper st^n temps à
— De la providence de Dieu ;
qu'entre antres clioses l'église que de le perdre au théâtre Sur la seconde —
ce n'est pas un de ses que l'amour
moindres effets partie de la prière d'Anne : qu'il faut prier sans cesse,
naturel des parents pour leur progéniture; et que ce et en tout lieu, même sur la place publique, même en
n'est pas aux pères seulement, mais encore aux mères, route, même au lit. 508
qu'il est enjoint de former leurs enfants. — A la fin

du discours, l'orateur parle d'Anne. 486


CINQUILME IlOMEUE.
DEUXIÈME HOMÉLIE. Contre ceux qui n'as?islerit aux réunions que les jours

Sur la foi d'Anne, sa sagesse , sa vertu. Sur le respect de fête et sur ce sujet : qu'est-ce qu'une fête? — Con-
dû aux prêtres, et qu'il faut prier au commencement treceux qui accusent la divine Providence, parce qu'il
et à la fin du repas. 493 y a des riches et des pauvres ici-bas; que la pauvreté
est ce qu'il y a de plus utile, qu'elle offre toujours plus

TROISIÈME HOMÉLIE. de charme et de sécurité que la richesse : et snile des


réflexions sur Anne. 6lt
Sur Anne et l'éducalion de Samuel ;
qu'il est bon d'en-
fanter tard ;
qu'il est funeste de négliger ses enfants. 502

COMMENTAIRE SUR LES PSAUMES.


SUR LE PSAUME III. Dieu, c'est en vous que j'ai mis mon espérance : a»u-
vez-moi de tous ceux qui me persécutent, et délivrei-
Psaume pour David lorsqu'il fuyait devant son fils Absalon :
nioi. 5âS
Seicnenr, pourquoi mes persécuteurs se sont-ils multi-
pliés? 5i3 SUR LE PSAUME "Vin.

SUR LE PSAUME IV. Pour la fin, pour les pressoirs. — Suivant un antre chant
Dieu de ma
triomphal au sujet des pressoirs. — Suivant un autre
Quand
lice.
je l'invoquais, il m'a exaucé, le jus-
527
à l'auteur de la victoire, au sujet des — Dans
Geltiiitis.

le texte Lamanassé, al ha Gellhith.


hébreu :

Seigneur, notre Seigneur, que votre nom est admirable


SUR LE PSAUME V.
sur toute la terre ! — Suivant un autre : quelle grande
Pour la fin, pour l'héritière. — Psaume de David. 543 chose que votre nom. j78

SUR LE PSAUME VI.


SUR LE PSAUME tX.
Seigneur, ne me reprenez pas dans votre colère et ne
me Pour la pour les secrets du fils, psaume pour David
fin,
corrigez pas dans votre courroux. 5^>\
— Suivant un autre hymne triomphal pour la mort
:

SUR LE PSAUME VII.


du fils, chant pour David. Suivant uu autre de la — :

jeunesse du fils.

Psaume pour D.ivid qui le clianla au Seipnour, k cause Je vous ren Ir.ù hommage, Seigneur, dans tout mon cœur;
iii paroles de Chus, fils de Jémmi : Seigneur, mon je raconterai toutes vos merveille*. -.j.)

FIN DE LA TAULE DES .M.^TilLRES.

.Ait."»*. — Imp. Siiaur-Cliarruey, r«slito Plaça, 20 et 22.


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