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L'Algérie n'ayant pas opté pour un socialisme de type soviétique ni pour un libéralisme
de type occidental, il était tout à fait normal de retrouver à tous les niveaux de l'économie une
certaine dualité. Dans le secteur commercial, nous retrouverons une situation inverse de celle
qui prévalait dans l'industrie : l'Etat ne détient pas à lui seul les rênes de la distribution; il doit
conjuguer avec un secteur privé important. C'est parce qu'il n'y a pas une unité d'action dans
l'intervention de l'un et de l'autre secteur que l'Algérie connaîtra tant de difficultés sur le plan
commercial qui toucheront aussi bien la disponibilité des produits que leurs prix excessifs.
Cette situation n'est pas due aux seuls intervenants privés : les sociétés nationales auront, en la
matière, bien des choses à se reprocher.
Sachant que les dépenses des ménages algériens sont en grande partie consacrées à la
consommation alimentaire nous nous intéresserons aux circuits de distribution des produits
alimentaires. En 1974, il y avait en Algérie, coexistence de trois formes de distribution : l’une
privée, l’autre étatique et la troisième coopérative. Dans la première catégorie de loin la plus
importante puisqu’elle assurait près de 90 % du chiffre d’affaire de la distribution, on retrou-
vait les grossistes et les détaillants, quelle que soit la forme que prenait leur commerce (ambu-
lants, dans un souk, dans un magasin...). Dans la seconde, on retrouvait toutes les sociétés na-
tionales et les offices créés pour prendre en charge les fonctions importantes de la distribution.
Ainsi va-t-on y dénombrer toutes les entreprises détentrices de monopoles d’approvisionne-
ment ou d’importation (comme 1’ONACO1 ou la SNSEMPAC2) ainsi qu’une entreprise, la
SNNGA, chargée de la gestion des supermarchés. La troisième catégorie intéresse unique-
ment les coopératives dont le rôle est lié à la commercialisation des fruits et légumes. Les co-
opératives de consommation en 1974 n’étaient pas encore suffisamment développées pour
jouer un rôle notable dans la distribution.
1
Office national de Commercialisation
2
Société Nationale des SEMouleries, PAtes et Couscous
Toutefois, pour comprendre la situation qui prévalait dans les années 70, il faut remon-
ter le temps et s'intéresser au legs colonial et aux décisions qui furent prises dès les premières
années de l'indépendance.
L’héritage colonial
Rien que pour le sucre il y avait plus de 600 importateurs pendant l’ère coloniale. Par
ailleurs, le marché algérien était segmenté de deux façons:
- Une segmentation horizontale qui avait trait aux marchés dominants dans les grandes
régions de l’Algérois, de l’Oranais et du Constantinois.
1
A. NOUIRI, La planification des supermarchés jusqu’en 1984 et la définition d’un nouveau modèle de distribu-
tion. Thèse de doctorat d’économie - Université de Montpellier I - 1985
citadins) et un marché dit évolué, réservé à la population européenne et à 10 % de la popula-
tion algérienne (soit 530.000 habitants), toutes deux urbanisées à 90 % 2
Les grandes surfaces n’étaient pas très développées et elles prenaient, la plupart du
temps, la forme de grands magasins, situés en plein centre-ville, sur trois ou quatre étages,
comme à Alger, Cran, Annaba et Constantine, ainsi que dans certaines localités telles que
Skikda, Sétif, Blida, Béjaïa et Mostaganem. La grande distribution se limitait à quelques en-
seignes : Monoprix, Les Galeries de France et les magasins Le Globe (Constantine et Skikda).
Par ailleurs, l’Algérie connaissait une autre formule représentée par les magasins
populaires. Parmi les enseignes présentes, on notait Prisunic, Monoprix et Uniprix. Ces maga-
sins étaient implantés dans quelques villes du Nord algérien mais leur nombre était insuffisant
comparé à l’accroissement de la population. Cette deuxième formule disposait d’une superfi-
cie moins importante que la première, de même pour l’assortiment qui y était plus restreint.
Durant cette époque coloniale, l’Algérie connaissait une autre forme de commerce dite
traditionnelle qui consistait en des Souks itinérants. Ces souks représentaient un rendez-vous
commercial hebdomadaire où affluait un grand nombre de commerçants, dans le but de
vendre leurs marchandises auprès de paysans venus spécialement pour s’approvisionner pour
la semaine. Ces marchés étaient organisés par spécialité (bestiaux, fruits et légumes, textiles,
graines et céréales.. .etc.), les produits étaient soit étalés sur le sol, soit disposés sur des chapi-
teaux escamotables. La vente se faisait à la criée, le marchandage était de coutume, les prix
fluctuaient d’heure en heure : les produits périssables étaient bradés à la fermeture (ainsi en
était-il de la viande et des fruits et légumes). Les vendeurs préféraient “liquider leurs produits
2
Perspectives économiques. Situation économique de l’Algérie en 1968/1969, document édité par la chambre de
commerce et d’industrie d’Alger
plutôt que de les ramener avec eux. Les prix de vente ne tenaient nullement compte des coûts
de production et de logistique, mais variaient selon l’offre et la demande.
Avant la disparition des grossistes privés, cet office se contentait de leur livrer les den-
rées à charge pour eux d’en assurer la revente. Sa création, pourtant, venait rallonger les cir-
cuits de distribution. Le 12 juillet 1962 est créé l’Office Algérien Interprofessionnel des Cé-
réales (OAIC), organisme sous tutelle du Ministère de l’agriculture chargé de l’importation et
de la commercialisation avant transformation des céréales (blé, orge, maïs, etc....). Cet office,
non seulement avait la haute main sur les importations, mais il supervisait toute la production
locale en céréales de toutes sortes, production qui devait lui être transférée intégralement par
les fellahs algériens.
Le GITEXAL : Créé le 01-01-1965, il était chargé des matières premières pour tex-
tiles.
Le GADIT: Créé le 01-01-1965, il s’occupait de tout ce qui était textile ou produits an-
nexes. Le GICP: Chargé des cuirs et peaux, il avait été créé le 24-05-1 965.
C’est par un décret1 que les pouvoirs publics vont fixer les statuts ainsi que les attribu-
tions de ces groupements d’achat. Ils seront dissous dès 1970 car leur existence même les
mettait à contre courant des décisions prises par l’Etat dans les différents secteurs de l’écono-
mie où il accroissait de plus en plus son autorité.
A cette époque, l’Algérie vivait une période de mutation, entre l’ère coloniale et la
période des premières années de l’indépendance.
En Algérie, trois formes de distribution vont coexister dès les premières années de l’in-
dépendance : l’une privée, l’autre étatique el la troisième coopérative.
Le secteur privé
1
N° 64.233 du 10-08-1964
Dans les années 70, l’Algérien était porté sur le commerce, seul domaine où pendant la
colonisation il pouvait intervenir. De 1962 à 1974, une multitude de grossistes, tant dans les
fruits et légumes que dans les produits alimentaires, vont régner en maîtres sur les circuits de
distribution. Ils approvisionneront des détaillants dont les négoces sont parfois très modestes.
“La nationalisation du commerce de gros devra être menée à son terme et aboutir à
mettre à l’abri des interventions à caractère parasitaire, le secteur productif ainsi que les uti-
lisateurs et les consommateurs
1
MELLAH Saada. La distribution des produits alimentaires en Algérie. Analyse et perspectives. Thèse de docto-
rat de 3ème cycle de marketing. Grenoble II 1978.
- assurer l’approvisionnement par les sociétés nationales, de façon régulière et
suffisante, des unités de production et des différents. agents intervenant dans
l’animation de la vie économique du pays
Que ce soit en milieu rural ou urbain, l’épicier garde quant à lui, une certaine pré-
éminence que lui confère la faiblesse des flux commerciaux sur le marché intérieur. Plus de
90 % de la distribution de détail passe par lui et sa présence répond assez bien, en 1974 en-
core, à un certain état d’esprit qui règne en Algérie : les ventes sont microscopiques (1/4 de
litre d’huile ou 125 grammes de sucre par exemple) surtout dans les régions déshéritées et la
pratique du crédit est généralisée. Ainsi, les épiciers vont-ils s’entourer d’une clientèle fidèle
avec laquelle ils effectueront des transactions fort lucratives pour certains mais souvent très
modestes pour la grande majorité d’entre eux. En effet, l’épicerie traditionnelle demeure de
faible superficie avec une envergure financière très réduite. C’est avant tout une exploitation
gérée par les membres d’une même famille qui habitent souvent dans des chambres contigües
au magasin. Elle n’est pas spécialisée et on y trouve autant des produits alimentaires, que des
légumes, le pain, les produits de crémerie, les journaux... Cette absence de spécialisation a pu
entrainer parfois un empiètement dans les circuits de distribution qui s’est traduit par des
coûts très élevés. De plus l’absence de programmation dans les commandes est à l’origine de
bien des pénuries momentanées.
Quant aux résultats sur leur niveau de qualification ils sont plutôt édifiants:34,8 %
sans qualification ; 54,9 % spécialisés 9 % qualifiés ou hautement qualifiés ; 1,3 % techni-
ciens, agents de maîtrise et cadres.
D’après la charte, l’Etat doit intervenir dans le commerce de détail par le biais des
grands magasins en vue d’harmoniser et d’étendre la distribution et de constituer des centres
de vente témoins pour agir sur les prix, pour lutter contre la spéculation et parer aux pénuries
que le secteur privé pourrait être tenté de provoquer pour maximiser son profit. Les Wilayates
et A.P.C. doivent prendre une part de plus en plus grande dans l’activité de distribution, sur-
tout dans les zones insuffisamment desservies.
Ainsi l’Etat, s’il ne veut pas prendre en charge complètement le secteur de la distribu-
tion de détail, ne cherchera pas moins à y être présent par le biais des grands magasins.
Le souk est une forme de distribution qui n’existe que dans les petits villages et dans
les campagnes et qui est spécifique aux pays du Maghreb, du Moyen Orient et à quelques
pays d’Afrique Noire riverains du Sahara. C’est une sorte de rendez-vous commercial ayant
lieu un jour bien précis de la semaine et où un grand nombre de commerçants viennent écou-
ler leurs marchandises auprès des paysans. Ces derniers descendent spécialement de la mon-
tagne pour se rendre à ce marché où ils font provision pour la semaine. On y conclue toute
sorte d'affaire y compris des mariages.
La vente se fait à la criée et les produits sont soit étalés à même le sol soit disposés
sous des chapiteaux escamotables dès la fin du souk. Les prix fluctuent d’heure en heure et à
la fermeture du marché, vers midi, tous les produits périssables comme la viande, les fruits et
les légumes sont bradés. Le vendeur, qui est souvent lui-même un paysan préfère s’en débar-
rasser plutôt que de les ramener chez lui. On trouve régulièrement un stand consacré aux
herbes médicinales et autre panacée tenu le plus souvent par un bonimenteur.
C’est l’offre et la demande qui fixent le prix de cession qui ne tient nullement compte
des coûts de production et de transport. Le marchandage dans les souks est de bonne guerre.
Ce genre de distribution montre à quel point toute transformation des structures de distribu-
tion demeurait conditionnée par un bouleversement radical des traditions et des valeurs socio-
culturelles.
Pour le marchand ambulant, "même s’il n’est pas perçu clairement comme tel, le tra-
vail le plus avilissant reste toujours autre chose qu’un simple gagne pain et le chômage n’est
aussi intensément redouté que parce que la privation économique se double d’une mutilation
sociale. Comment comprendre, en effet, si l’on se place dans la stricte logique de la rentabili-
té économique, la conduite de tous ces petits commerçants ambulants, vendeurs de riens pour
un rien, qui poussent tout le jour leur petite charrette dans l’espoir de vendre deux ou trois
pastèques, quelques vêtements de friperie ou un paquet de cacahuètes ? Quelle peut être la
fonction de ce type de travail qu’il vaudrait mieux appeler occupation pour ceux qui
l’exercent et pour la collectivité ?"1
Pour ceux qui ne pouvaient ni ne voulaient louer leurs bras comme manœuvres restait
ce palliatif qui ne demandait pas un gros investissement ni une instruction particulière. Le
marchand ambulant avec son cri strident s'infiltre partout et rameute les ménagères en quête
1
Pierre Bourdieu, Algérie 60, structures économiques et structures temporelles. Editions de Minuit, Paris 1960.
de bonnes affaires. Il peut vendre n'importe quoi et parfois même il échange de la quincaille-
rie contre de vieux vêtements. Il se transforme en acheteur d'aluminium (couscoussier hors
d'usage par exemple) qu'il revendra au ferrailleur du coin. On le voit souvent tirer une char-
rette à bras où s'entassent oranges et mandarines, parfois sardines et autres produits de la mer.
Les plus chanceux disposaient d'un âne, rares étaient ceux qui possédaient une camionnette.
Sa voix très stridente portait loin et lui était d'une grande utilité pour rameuter les chalands.
Le secteur étatique
Parmi les entreprises d’Etat qui s’occupent de distribution nous nous intéresserons
successivement à 1’ONACO, à l’OFLA, à l’OAIC2 et à la SN SEMPAC qui sont les plus
importantes en matière de commerce de gros. Quant au commerce de détail, nous ne ferons
référence qu’à l’expérience qui eût lieu en 1963, les Magasins Pilotes Socialistes. Les super-
marchés de la SNNGA seront abordés dans un autre article3. Nous allons nous intéresser dans
un premier temps aux entreprises d'approvisionnement puis nous étudierons celles qui ont vo-
cation de distribuer.
Face aux difficultés croissantes que connaissaient les circuits de distribution depuis
l’indépendance, l’Etat a entrepris de raccourcir ces mêmes circuits, encombrés d’intermé-
diaires parasites, en créant des entreprises étatiques d’approvisionnement. En assurant sous
certaines formes la liaison producteur-consommateur, il entendait mettre le holà à toute forme
de spéculation. C’est ainsi qu’ont vu le jour des entreprises publiques soit disposant de mono-
1
idem
2
Office des Fruits et Légumes d'Algérie et Office Algérien Interprofessionnel des Céréales.
3
Voir à ce sujet notre article sur les grandes surfaces en Algérie.
poles de production ou d’importation, soit assurant une large part du marché national c’est le
cas de 1’ONACO, de 1’OFLA, de l’OAIC et de la SN SEMPAC.
L’Office des Fruits et Légumes d’Algérie (OFLA) créé le 3 Août 1969 avait pour mis-
sion de commercialiser tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays la production agricole issue
des domaines autogérés. Cet office devait bousculer un quasi monopole des mandataires pri-
vés dans la commercialisation des fruits et légumes. Avant lui l’ONRA (Office National de la
Réforme Agraire) et 1’UNCAC (Union Nationale des Coopératives Agricoles de Commercia-
lisation) n’avaient pu y arriver. Cependant l’OFLA, avec ses 80 points de vente et ses 40
centres de conditionnement, n’assure que 50 % de la distribution des agrumes et environ 40 %
de celle des fruits et légumes. De plus les coûts de distribution demeurent trop élevés par rap-
port aux coûts de production comme on peut en juger d’après le tableau ci-dessous
1
L’unité des frais de conditionnement, de transit et des frais divers est exprimée en dinars par quintal
Terre
39 31,3 15,7 12,55 40,12
Carottes
39,7 33 19,7 16,30 49,65
Tomates
40,2 24 31 19 77
Haricots verts
38,4 38 19,3 15,3 39,9
Oranges
42,8 28 29 19 67
Raisins
Source : Ahmed BENSAFI — “La commercialisation des produits agricoles en Algérie. Mémoire de Diplôme
d’Etudes Supérieures en sciences économiques. Alger, 1974.
Légende :
A = Coût de conditionnement x 100
coût de production
B = Coût de transport x 100
Coût de production
Malgré des moyens logistiques importants, 1’OFLA n’aura qu’un rôle d’appoint dans
la distribution des fruits et légumes qui demeurera sous le contrôle des mandataires privés.
Sur le plan des exportations, grâce à ses 7 antennes extérieures, cet office va réussir à pénétrer
sur les marchés intérieurs français, britannique, belge, italien, scandinave et est-européens.
L'Office algérien interprofessionnel des Céréales (OAIC) créé le 12 Juillet 1962 devait
approvisionner de manière urgente le pays, en céréales, au lendemain de l’indépendance. Ain-
si devait-il aussi bien alimenter les usines en blé que les boulangeries et épiceries en farine et
semoule. Pour son stockage, l’office disposait de dock-silos.
La Société Nationale des Semouleries, Pâtes alimentaires et Couscous (SNSEMPAC),
créée le 25 Mars 1965, avait pour objectif de ravitailler la population via les détaillants en
denrées alimentaires d’origine céréalière et ce au même coût en tout point du territoire. A sa
création la SNSEMPAC ne s’occupait que de production et comptait sur quelques 1400 gros-
sistes et quelques 3000 intermédiaires pour acheminer ses produits vers les détaillants. Mais
sentant le préjudice que pouvait subir cette société et pour préserver le consommateur du dic-
tat des distributeurs privés, l’Etat autorisa la SN SEMPAC à commercialiser elle-même ses
produits grâce à une centaine de dépôts réalisés dans le nord du pays, le sud étant approvision-
né par l’ONACO.
D’autres entreprises publiques vont se lancer dans la distribution comme 1’ONCV
(pour l’exportation de vin) ou la SOGEDIA (conserves de toute nature). Cependant la pré-
sence étatique dans ce domaine sera fort timide car les pouvoirs publics en 1974 n’auront pas
été en mesure de mettre fin à l’action des intermédiaires privés : on était arrivé à un compro-
mis qui tout en préservant les intérêts de ces derniers leur faisait admettre la présence de l’Etat
dans les circuits de distribution ainsi que l’éventualité d’un contrôle du marché plus draco-
nien.
Les Magasins Pilotes Socialistes, MPS, ont vu le jour dans le courant de l’année 1963
et ils avaient pour mission de contrecarrer la hausse des prix des produits de première nécessi-
té. Ces magasins, installés un peu partout dans les villes, devaient donc d’une part répondre
aux besoins des consommateurs en leur proposant les prix les moins chers et d’autre part
concurrencer les magasins privés pour les amener à réajuster leurs prix : ils devaient donc être
des points de vente témoins. Cependant si cette expérience correspondait à une réelle volonté
de protection du pouvoir d’achat des masses populaires, elle ne fut pas entourée de toutes les
conditions nécessaires à sa réussite, notamment sur le plan de la logistique et de l’infra-
structure. Sans moyens de transport propres, ni d’aire de stockage, les MPS se trouvèrent à la
merci des structures qu’ils étaient sensés combattre. Profitant de la faiblesse du contrôle, plu-
sieurs responsables de MPS n’ont pas hésité à détourner à leur profit une partie des recettes.
L’expérience fut arrêtée en 1964 à la grande joie des détaillants privés.
Le secteur coopératif
Industrie Grossistes
Exportation
Collectivités Détaillants
Pour rémunérer leur personnel et amortir leur matériel, les CORE prélèvent sur le
montant des ventes une commission variant entre 6 et 8% selon la taille des coopératives et la
nature des produits à traiter le plus fréquemment. Lorsque le montant des recettes excède celui
des dépenses, les bénéfices sont répartis à raison de 20 % pour le capital social, 30 % desti-
1
A. Sarni, Le commerce des fruits et légumes, quelle structure pour quel marché, Ed. OPU, Alger 1984
nés au financement d’investissements collectifs ou d’œuvres sociales, 50 % pour les adhérents
et les travailleurs de la coopérative.
De ces CORE, on attendait beaucoup d’avantages. Tout d’abord la substitution d’un
circuit court aux circuits longs devait comprimer les coûts et faire bénéficier tout autant le
producteur que le consommateur de cette compression. Ensuite on s’attendait à l’amélioration
de l’information et la coordination inter-coopérative. Ainsi la connaissance à l’échelon central
de toutes les données du marché (quantités traitées, prix pratiqués) devait permettre d’éviter
les transports inutiles réduisant ainsi au strict minimum le nombre d’intermédiaires. Enfin, à
long terme, on espérait un ajustement de l’offre et de la demande par l’élargissement du cir-
cuit aux produits du secteur privé. Le faible degré d’implantation des CORE ne leur a pas
permis de remplir ces objectifs, si l’on exclut une meilleure connaissance des prix.
Parmi les insuffisances constatées dans le fonctionnement des CORE, nous en retien-
drons deux. Les livraisons inter-coopératives ont été dans l’ensemble très réduites (à peine 6
% en 1969) à cause de la mauvaise diffusion de l’information, de l’absence de moyens de
transport et à cause de l’insuffisance des quantités collectées. Dans le domaine des prix,
lorsque ceux pratiqués par les CORE sont de beaucoup inférieurs à ceux des halles, les gros-
sistes privés s’approvisionnent auprès des coopératives pour revendre ensuite sur le marché
municipal, réalisant ainsi des profits aux dépens du système coopératif. En 1969, plus du quart
des apports aux halles centrales d’Alger est le fait de grossistes qui se sont approvisionnés au-
près d’une coopérative. En raison des difficultés rencontrées, le secteur autogéré de produc-
tion a dû écouler une partie de sa production par l’intermédiaire du secteur privé qui rémuné-
rait mieux les produits proposés tout en offrant des conditions de paiement plus intéressantes
(avance de fonds pour l’achat d’approvisionnements par exemple). Deux années après leur
mise en place, le fonctionnement des CORE a révélé les limites du système coopératif de
commercialisation. En fait, il ne s’agissait que de l’ébauche d’un tel système, car dans la pra-
tique, c’est l’appareil administratif représenté par l’ONRA qui assurait et dirigeait la
commercialisation, alors que sa mission devait se limiter à jeter les bases du circuit coopératif
pour ensuite le remettre entre les mains des producteurs. Or ceux-ci se sentaient exclus de la
fonction commerciale.
A partir du 12 Mai 1966, les CORE sont fédérées au sein de 1’UNCAC (Union Natio-
nale des Coopératives Agricoles de Commercialisation). Entre 1’UNCAC et les CORE et
CORA l’échelon intermédiaire était représenté par les unions coopératives départementales de
services (UCDS) comme on peut le constater à travers ce schéma
UNCAC
UCDS UCDS
CORA CORE
CORA CORE
Explication du schéma1:
Cette organisation pyramidale a péché par manque de démocratie au sein des organes
de gestion, le représentant de l'Etat faisant preuve d'autoritarisme. Les coopérateurs sentant
qu'ils n'avaient plus voix au chapitre vont tourner le dos aux organes de gestion des coopéra-
tives. Ces dernières, tout au moins les COFEL, vont perdre peu à peu leur statut premier pour
se transformer en de véritables entreprises. C'était là la première cause d'échec de l'expérience
coopérative. La seconde résida dans le fait que face à leurs concurrents privés, libres de tout
engagement, les CAPCS et les COFEL avaient les pieds et poings liés, devant respecter une
réglementation par trop draconienne. "C'est ainsi que ne maîtrisant plus la disponibilité du
produit, elles ont perdu la bataille de la distribution, les détaillants préférant s'approvision-
ner auprès des privés quitte à payer plus cher"1.
D'un autre côté, les présidents de CAPRA, peu au fait des subtilités de la commerciali-
sation, délaissèrent ce secteur pour ne se consacrer qu'à la production : ils laissèrent le privé
s'en occuper à leur place ce qui fit péricliter l'expérience coopérative
1
A. Sarni, op. cit.
"Les responsables de l’agriculture ont considéré hâtivement que les circuits coopéra-
tifs étaient en mesure de concurrencer les anciennes structures dès lors que ces circuits
avaient officiellement le contrôle du commerce de gros et qu’ils assuraient aux détaillants des
prix relativement stables et garantis par les mercuriales"1. Ce fut là l'erreur fatale qui sonna le
glas de ce type de distribution qui ne survécut pas aux années 70.
Les constats
+ Le petit commerce est mal structuré. L’activité commerciale ne constitue le plus sou-
vent aux yeux même de ceux qui l’exercent qu’un pis aller, qu’un moyen de subsistance.
Seule une frange de ce petit commerce, comprenant essentiellement les Mozabites , est ratio-
nalisée. Les bénéfices y sont faibles et réduits. La plupart des commerçants, illettrés, ignorent
la comptabilité en partie double et la distinction entre le budget familial et le budget de
l’entreprise. Ils confondent souvent rentrées et bénéfices. On passe par transition infinitési-
male du tout petit commerce comme simple occupation au commerce vraiment lucratif.
+ Le circuit commercial de gros privé est lourd à cause de la trop grande multiplica-
tion des intermédiaires2. Les coûts de la distribution y sont élevés. Les grossistes n’hésitent
pas à recourir à la spéculation, organisant même des pénuries temporaires, leurs méthodes de
gestion demeurent archaïques.
1
A. Sarni, op. cit.
2
"La proportion de détaillants pour un grossiste est de 43 pour 1 en Algérie alors qu'en France elle est de l'ordre
de 140 pour 1; c'est dire que les entreprises de gros sont relativement pléthorique en Algérie" dixit M.E. Bénis-
sad, Economie du développement de l'Algérie sous-développement et socialisme, Ed.Economica, Paris 1979
+ Le système coopératif a connu deux expériences malheureuses en raison de la trop
grande intervention de l’Etat dans la gestion des coopératives et de l’absence de maîtrise par
ces dernières de la disponibilité des produits.
Bibliographie
Ouvrages
Sarni Amar, Le commerce des fruits et légumes, quelle structure pour quel marché, Ed. OPU,
Alger 1984
Tiano André, Le maghreb entre les mythes, Ed. PUF, Paris 1967
Travaux universitaires
Nouiri Abdennour, Planification des supermarchés jusqu’en 1984 et détermination d’un nou-
veau type de magasin de détail en Algérie, Thèse de doctorat en sciences économiques, uni-
versité de Montpellier 1, 1986
Articles
Bouzidi Abdelmadjid, Productivité du travail dans l'agriculture algérienne, Ed. Revue Algé-
rienne des Sciences Juridiques, Economiques et politiques, N°4, Alger Décembre 1977