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C’est donc un petit label indépendant comme il en existe des centaines en France,
et des milliers dans le monde. Dans le débat actuel sur la création musicale et la
lutte contre le piratage, Laurent Bizot, le directeur du label, nous fait partager sa
vision, ses coups de gueule, et ses attentes.
Mes contrats sont très différents de ceux des majors. Ils sont très courts, souvent limités
à un seul projet pour donner plus de liberté à l’artiste, contrairement aux contrats
d’exclusivité usuels qui peuvent s’étaler sur 5 à 10 ans. Les recettes de l’exploitation de
l’œuvre sont partagées entre l’artiste et le label, selon une clé de répartition variable
et adaptée à l’économie du projet, l’artiste gagnant entre 40 et 65% des recettes
encaissées par le label, et ce dès le premier disque vendu. Ce qui est également assez
loin du système habituel de redevance.
Malheureusement, les gens ne se doutent pas que 95% des artistes musiciens ne sont ni
connus ni riches, et que leurs producteurs non plus. Les musiques dites du monde,
l’électro, le jazz, le classique, la musique contemporaine, les musiques improvisées, les
musiques moins commerciales que la pop ne passent pas à la télé et ne sont pas
forcément produites par des majors. Ca représente pourtant pas mal d’artistes, de
visions. Et aussi de nombreux labels, managers, éditeurs. Car contrairement à ce qu’on
peut croire un artiste ne construit pas une carrière tout seul, sur mySpace, il a besoin
d’un entourage professionnel pour mener à bien son projet. Je constate simplement que
le producteur de musique n’est pas considéré comme il devrait l’être.
Aujourd’hui tout cet équilibre est en danger, et on n’en parle pas. Est-ce dû au fait que
les médias ne donnent la parole qu’aux dirigeants de majors, qui ne vivent pas les
mêmes réalités que nous ? Ou est-ce que les groupes de nouvelles technologies sont
beaucoup plus forts en communication que les gens de la musique ? J’imagine que ça
arrange aussi beaucoup de gens de laisser le haut débit se développer, or clairement il
s’est développé à vitesse grand V grâce au peer to peer. En tout cas il y a un gros
manque de communication entre les professionnels de la musique et le grand public, et
du coup un climat qui favorise le téléchargement illégal c’est clair. Quand on réalisera
les dégâts, est-ce que ça ne pas trop tard ?
Sur votre site, vous ne proposez pas de versions numériques des albums. Pourquoi ?
On travaille beaucoup sur Internet. Mais sur notre site le développement d’une
application informatique type i-Tunes coûterait très cher, or soyons clair, aujourd’hui le
numérique légal, ça ne rapporte presque rien. Aujourd’hui, au niveau strictement
économique, i-Tunes me rapporte quelques centaines d’euros par mois tout au plus, et
je ne parle même pas des autres sites, ça tend vers zéro. Ce qui n’empêche pas qu’on
doive y être et préparer l’avenir. Pour l’instant on a fait le choix de laisser les grosses
plate-formes distribuer nos albums, et on propose au public de commander les albums
en version physique. Ce qui a un sens parce que nos albums sont de beaux objets. On
travaille énormément sur le graphisme et les illustrations. Et je crois que pas mal de
gens aiment acheter un beau disque, comme ils achètent un beau livre. Somme toute
mon métier ressemble beaucoup à celui d’un petit éditeur de livre.
De toute façon pour les producteurs et les artistes, l’équation est simple, d’une manière
ou d’une autre il faut qu’il y ait une rémunération, il ne peut y avoir pas d’œuvre sans
une économie qui tienne la route. Sur un plan personnel on ne peut pas passer trois ans
à travailler sur un projet, y mettre tout son temps et des dizaines de milliers d’euros, et
accepter de ne rien gagner de l’exploitation de ce projet.
Sur un plan plus large, si le piratage s’impose il n’y aura que deux solutions pour
l’artiste, soit il sera sponsorisé par des marques genre Coca-Cola, qui exigeront un
certain niveau de notoriété préexistant,— ce qui laisse augurer de ce qui arrivera au
plan de la diversité des œuvres—, soit on reviendra au temps ou l’artiste était
complètement pris en charge par le Roi, ou par l’Etat, ce qui ne semble pas souhaitable.
Donc format numérique, oui bien sûr, mais à condition de trouver un système de
rémunération juste, qui permette aux artistes et aux producteurs de vivre et de
continuer à produire.
J’aimerais vraiment que des pirates viennent passer quelques jours dans un petit label
pour réaliser le travail qu’il y a derrière un album. Soit dit en passant, c’est déjà
Bruxelles qui empêche le disque de mettre en place le système de prix unique, —
système qui a sauvé les librairies de quartier et qui aurait à coup sûr permis de sauver
les disquaires indépendants—, et c’est encore Bruxelles qui refuse d’entendre parler de
la TVA à 5,5% pour le disque comme c’est le cas pour le livre. Décidément pour eux, la
musique ce n’est pas de la culture.